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Mélanie Année 2005-2006

ème
ARNAUD 2 année de Master
Métiers des Arts et de la Culture

Résidences : comment les artistes de spectacle


vivant habitent un lieu

Mémoire

Sous la direction de Denis Cerclet

Université Lumière-Lyon 2 Campus Porte des Alpes


Avenue Pierre Mendès-France
Faculté d’Anthropologie et de Sociologie 69676 BRON Cedex

1
Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier Guilhaine Albert-Tisserant, Marie Barbazin, Marion


Blangenois, Stéfan Bonnard, Annabelle Bonnéry, Estelle Bonnier, Christian Bourigault,
Jean-Paul Bouvet, Eloïse Brunet, Annick Charlot, Mary Chebah, François Deneulin, Elise
Garraud, Jean-Marc Lamena, Gwenaëlle Magnet, Marc Masson, Gilles Pastor, Aurélie
Pitrat, Pierre Pontvianne, Claude Tabouret, Thierry Thîeu Niang, Emilie Tournaire et
Pierre Treille, qui ont bien voulu se confier à moi et m’accorder de leur temps.

Je remercie tout le personnel du Toboggan et tout particulièrement les personnes du


service administration-finances pour leur accueil chaleureux.

Je remercie Jeanne Navarro pour ses conseils avisés et sa patience, Gina Compitello pour
ses talents en traduction, Thibault Deloche pour son soutien, Dominique Delattre pour
ses relectures et Bruno Arnaud pour ses compétences graphiques, ainsi que tous ceux qui
m’ont aidée dans mes recherches documentaires, notamment Claire Rengade et Ludovic
Janssens.

Ce présent travail n’aurait pu voir le jour sans l’aide précieuse de Denis Cerclet et William
Saadé.

2
Sommaire

Introduction……………………………………………………………………………………………………………………………4

I/ Notion de résidence…………………………………………………………………………………………………………14
1) La diversité des résidences…………………………………………………………………………………………………….15
- Lieu de travail…………………………………………………………………………………………………………………………..15
- Notion de temps………………………………………………………………………………………………………………………..17
- Moyens (financiers, techniques, logistiques et humains)………………………………………………………..19
- Contrepartie……………………………………………………………………………………………………………………………..21
2) Les différentes fonctions des résidences……………………………………………………………………………….27
- La collecte………………………………………………………………………………………………………………………………..27
- La recherche……………………………………………………………………………………………………………………………..28
- La fabrication/création…………………………………………………………………………………………………………….29
- La diffusion……………………………………………………………………………………………………………………………….30
- La sensibilisation, la formation……………………………………………………………………………………………….30
3) Les résidences selon le Ministère de la Culture et de la Communication…………………………….32
- La résidence de création ou d’expérimentation…………………………………………………………………….35
- La résidence de diffusion territoriale…………………………………………………………………………………….36
- La résidence-association………………………………………………………………………………………………………….36
4) Etude étymologique du terme « résidence »…………………………………………………………………………37

II/ Habiter…………………………………………………………………………………………………………………………….41
1) Se sentir chez soi…………………………………………………………………………………………………………………….43
- Vivre dans le lieu : logement et restauration sur place……………………………………………………….…43
- Les convenances…………………………………………………………………………………………………………………………44
- Faire partie du lieu, de l’équipe……………………………………………………………………………………………..47
2) Le concept de l’« habiter » selon Heidegger………………………………………………………………………….50
3) Laisser des traces, se sentir libre et protégé…………………………………………………………………………55
- Les traces…………………………………………………………………………………………………………………………………..55
- La liberté……………………………………………………………………………………………………………………………………61
- La protection……………………………………………………………………………………………………………………………..64
4) Habiter : être, croître, évoluer………………………………………………………………………………………………67
- Rencontres, échanges………………………………………………………………………………………………………………..67
- Evolution des artistes…………………………………………………………………………………………………………….…72
- Transformation des autres………………………………………………………………………………………………………..74
- Influence sur la création…………………………………………………………………………………………………………..79

Conclusion…………………………………………………………………………………………………………………………….83

Bibliographie………………………………………………………………………………………………………………………..89

3
Introduction

La résidence d’artistes dans le secteur du spectacle vivant n’est pas un phénomène


nouveau, mais il se développe de manière considérable depuis plusieurs années.
Nombreuses sont les compagnies à avoir besoin de lieux pour créer, répéter, monter leurs
spectacles. Comme l’explique Cyrille Planson dans son article « Résidences : laisser le
temps au temps »1, « le territoire français manque cruellement de lieux de travail et de
recherche pour les artistes » ; il ajoute qu’« avec un soutien affirmé depuis une dizaine
d’années des collectivités locales et une politique souvent incitative de l’Etat, le nombre
de résidences s’est multiplié, palliant pour partie cette carence »2. Cette formule permet
à des artistes, qui manquent de lieux de répétition, de travailler dans de bonnes
conditions, et leur évite l’acquisition ou la location d’espaces de travail pour leurs
créations. Les résidences d’artistes offrent également la possibilité à un théâtre de
s’inscrire dans un territoire grâce aux actions menées par les artistes en résidence dans la
ville : les établissements scolaires, les associations, les centres sociaux… ; elles permettent
en outre de tisser un lien entre théâtre et habitants, de fidéliser le public, etc. Cet aspect
des résidences dans l’optique des relations publiques d’une structure d’accueil ayant déjà
été traité3, j’ai préféré partir du point de vue des artistes pour aborder cette question
[dans la lignée de mon travail de recherche de première année de master, pendant
laquelle j’ai travaillé sur l’adaptation des politiques culturelles au travail artistique dans le
spectacle vivant en étudiant les formes ou dispositifs dans lesquels les artistes étaient
employés]. Ce qui m’intéresse est donc de comprendre comment les artistes vivent les
résidences et, malgré la diversité de pratiques que recouvre ce terme, les points communs
qui existent entre toutes ces situations.
Les résidences d’artistes existent dans d’autres domaines artistiques, comme les
arts plastiques et la littérature, mais j’ai choisi de centrer mon sujet sur le secteur du
spectacle vivant, et plus précisément encore sur les secteurs de la danse et du théâtre (en
laissant de côté la musique), du fait des divergences entre ces différents domaines en
terme de pratiques des résidences, de production de l’œuvre, d’économie etc. De plus,

1
C. PLANSON, « Résidences : donner le temps au temps », La Scène, n° 31, décembre 2003, p. 78.
2
Ibid.
3
K. MALTE, Les résidences artistiques, une réponse adaptée aux enjeux des jeunes compagnies et des théâtres de banlieues,
mémoire de Master 2 Métiers des arts et de la culture, Université Lumière-Lyon 2, 2005

4
l’idée que les artistes « habitent » le lieu de résidence me paraissait un point de départ
très intéressant. La lecture de Martin Heidegger m’a fait découvrir un concept de
l’« habiter » bien plus large que sa définition dans le langage courant et qui s’adaptait tout
à fait à mon étude.

Pour aborder mon travail de recherche, j’ai pris appui sur mon stage pratique
auprès de l’administrateur du Toboggan, Stéphan Tréguier. Le Toboggan (Décines, 69) est
une conventionnée par la DRAC4 Rhône-Alpes comme « Plateau pour la danse » et par la
région Rhône-Alpes comme « Scène Rhône-Alpes ». L’activité d’accueil de spectacles
pluridisciplinaires est intégrée à l’activité générale du Centre Culturel, qui compte
également une médiathèque, un cinéma et un espace d’exposition. Cette structure
d’accueil de type moyen, sans équipe artistique de création, propose donc des résidences
aux artistes de spectacle vivant. J’ai ainsi pu observer la pratique des résidences dans ce
lieu, en plus de mes missions administratives.
Cependant, pour mener mon travail de recherche je me suis surtout basée sur dix
entretiens avec des artistes et compagnies des secteurs de la danse et du théâtre. J’ai
délibérément choisi de réaliser des entretiens assez libres autour du sujet de la résidence.
Je leur demandais de me parler de leur expérience de la résidence en général - ou une en
particulier dont j’avais la connaissance et qui m’intéressait – et les personnes se révélaient
intarissables ; il est arrivé aussi qu’elles trouvent le sujet trop large et ne sachent par où
commencer, alors je les guidais en leur posant des questions liées à leur(s) résidence(s).
Nous allons récapituler les entretiens réalisés dans un descriptif assez bref5. Du fait de la
diversité des pratiques de résidences – que nous analyserons plus tard-, il est difficile, pour
chaque compagnie rencontrée, de renseigner le même type d’éléments. Pour décrire ces
rencontres, nous utiliserons le pronom « je » qui correspond à la personne physique, alors
que par ailleurs, nous utiliserons le pronom « nous » en tant qu’auteur.
Dans un premier temps, pour enrichir mon expérience, j’ai rencontré des artistes et
compagnies étant ou ayant été en résidence au Toboggan :

- Annick Charlot, chorégraphe de la compagnie Acte, Lyon (69). Entre juillet et


novembre 2006, la compagnie, en « résidence de création », a pu bénéficier du
plateau du Toboggan deux fois dix jours (dont la moitié avec le personnel
technique. J’ai eu la possibilité pendant mon stage, d’avoir un aperçu de cette
résidence, qui s’accompagne d’une coproduction. Lors de notre entretien, Annick
Charlot a pu comparer cette résidence avec d’autres expériences.

4
Direction Régionale des Affaires Culturelles
5
Pour de plus amples renseignements sur les artistes et les compagnies rencontrés, se reporter aux annexes

5
- Claude Tabouret, administratrice de la compagnie Premier Acte, Villeurbanne (69).
Cette équipe artistique a été en « résidence d’implantation » au Toboggan de 1999
à 2005. Ce partenariat a permis à la compagnie de créer ses spectacles dans le
lieu : le plateau du Toboggan était à sa disposition quelques semaines l’été et,
avant la première, entre dix et quinze jours, avec le personnel technique (les
créations s’accompagnaient la plupart du temps d’un apport en coproduction). En
contrepartie, la compagnie animait des ateliers de théâtre avec les structures
partenaires (établissements scolaires, centres sociaux, médiathèque… de Décines),
diffusait ses pièces en appartement, etc.

- Annabelle Bonnéry et François Deneulin, directeurs de la compagnie Lanabel,


Barraux (38). Cette compagnie de danse a été en résidence au Toboggan pendant
trois ans, de 2001 à 2004. Elle a pu comparer cette expérience avec d’autres
résidences, notamment au Pot-au-Noir à Rivoiranches (38) et à O Espaço do Tempo
(L’Espace du Temps) à Montemor-o-Novo, à une centaine de kilomètres à l’est de
Lisbonne. Mais la compagnie Lanabel m’a intéressée également parce que j’avais
entendu parler de son expérience avec le groupe SEB. En effet, la compagnie, qui
souhaitait travailler à partir d’images des ateliers de production, a été mise en
contact avec la direction des ressources humaines du groupe SEB. Les artistes ont
visité les ateliers, enregistré des matériaux visuels et sonores, appris les gestes,
interrogé les opérateurs… Annabelle Bonnéry et François Deneulin ont longuement
hésité pour savoir s’il s’agissait là d’une résidence. Ils ont fini par en conclure que
cette aventure pouvait être qualifiée de résidence parce que, même si à aucun
moment l’équipe artistique n’a répété dans les bâtiments des entreprises, les
artistes s’y sont rendus très régulièrement pendant environ un an ; ils ont récolté
une matière précieuse pour le spectacle et ils ont développé un partenariat très
riche avec le groupe, qui a même abouti à une coproduction.

Ensuite, j’ai choisi de réaliser des entretiens avec des compagnies en résidence
dans des lieux dédiés à cette pratique :

- Thierry Thîeu Niang, chorégraphe de la compagnie Thierry Niang, Marseille (13).


Résidence à Ramdam, Ste Foy-les-Lyon (69) en 2005-2006. En tant que chorégraphe
renommé (il a notamment créé son dernier spectacle au Théâtre du Châtelet, à
Paris), Thierry Thîeu Niang n’a pas besoin de solliciter les lieux d’accueil pour ses
créations. En revanche, il a souhaité prendre du temps pour expérimenter,
chercher de nouvelles choses, travailler avec des personnes nouvelles, artistes et

6
non artistes ; pour ce faire, il a choisi de demander quatre fois une semaine de
résidence à Ramdam, au calme.

- Estelle Bonnier, Pierre Pontvianne, Emilie Tournaire et Pierre Treille, danseurs


de la compagnie P.A.R.C., Saint-Étienne (42). Résidence à Ramdam, Ste Foy-les-
Lyon (69) en 2006. Cette jeune compagnie, qui avait déjà travaillé dans cet espace
l’année précédente, a trouvé en Ramdam un lieu pour prendre le temps (un mois et
demi) de créer son prochain spectacle, tant au niveau des répétitions que des
décors et de la scénographie. Les personnes rencontrées ont pu comparer ces
résidences avec d’autres expériences de résidences.

- Gilles Pastor, metteur en scène de la compagnie Kastôragile, Lyon (69). Résidence


aux Subsistances à Lyon (69) depuis l’automne 2004. Cette compagnie bénéficie
d’un bureau au sein du lieu d’accueil ainsi que de temps de travail assez longs :
trois semaines avant la première dans le lieu des représentations ainsi que plusieurs
mois dans des espaces de répétition des Subsistances, en plusieurs étapes.

Enfin, je me suis entretenue avec des compagnies dont la résidence fait partie
intégrante de leur projet :

- Aurélie Pitrat et Marie Barbazin, comédiennes du Théâtre Craie, Lyon (69).


Résidences autour de l’étang de Lindre (57) – commande du Parc Naturel Régional
de Lorraine - et plus particulièrement sur les communes d’Assenoncourt,
Guermange, Tarquimpol et Lindre-Basse en 2003 et 2004. La démarche du Théâtre
Craie est singulière : Claire Rengade, metteur en scène de la compagnie, propose
de créer un spectacle d’après les témoignages des habitants de la ville (ou du
village) de résidence. En amont, elle prend contact avec des personnes clés
(comme le maire, par exemple), s’investit dans la vie locale (elle assiste
notamment à des réunions de conseil municipal). Lors de la première phase du
travail, elle se rend sur place, organise des entretiens avec les personnes relais, qui
la renvoient vers d’autres et ainsi de suite. Lors de ces entretiens, qui ne sont pas
enregistrés, Claire Rengade, souvent accompagnée d’un(e) comédien(e), écoute ces
personnes se raconter, les observe, et prend des notes (les comédiennes que j’ai
rencontrées n’ont jamais participé à cette étape du travail). La deuxième phase
consiste à (ré)écrire le texte du futur spectacle. Lors de la troisième phase, elle se
rend sur place avec les comédiens du spectacle - tous logent chez l’habitant –
pendant quinze jours, afin de créer et finaliser le spectacle, qui est joué sur le lieu
de résidence, souvent en plein air. Les deux comédiennes interviewées m’ont

7
raconté ces expériences, et surtout la relation particulière nouée avec les habitants
des villages de résidence.

- Eloïse Brunet, chef de troupe de la compagnie C’est pas si grave, Crépy-en-Valois


(60). Plusieurs résidences et notamment à la MJC de Crépy-en-Valois (60), au
Théâtre le Palace de Montataire (60) et aux Trois Pilats à Avignon (84). Cette jeune
compagnie de théâtre ne travaille qu’en résidence, même lors de la diffusion de ses
spectacles. Lors de la première création de la compagnie, les comédiens et
musiciens ont aussi créé un cabaret de textes et chansons pouvant être joué dans
d’autres lieux que les théâtres (bars, centres sociaux, médiathèques…), en amont
des représentations de la création théâtrale. La compagnie se déplace donc, à
chaque fois, pour plusieurs jours, voire plusieurs semaines. De la même manière,
pour sa deuxième création d’un texte théâtral, elle envisage de créer plusieurs
« petites formes » exportables hors théâtres afin de les diffuser autour des
représentations de la pièce centrale. Cette compagnie a également expérimenté,
lors d’une de ces résidences, le logement chez l’habitant.

- Stéfan Bonnard, directeur artistique de la compagnie KompleXKapharnaüM,


Villeurbanne (69). Les artistes de cette compagnie d’arts de la rue ne travaillent
qu’en résidence. Tout d’abord, ils conçoivent un canevas de spectacle. Puis, dans
un deuxième temps, ils se rendent dans la ville de la résidence afin d’effectuer des
repérages : une équipe élabore la déambulation et une autre équipe s’occupe de
rencontrer des habitants, des associations… et de filmer ces entretiens. Enfin, lors
de la troisième étape, les artistes retournent dans la ville pour quinze jours afin de
monter et de jouer le spectacle, racontant une histoire de la ville.

- Christian Bourigault, chorégraphe de la compagnie de l’Alambic, Pantin (93).


Résidences à Aulnay-sous-Bois (93) pour 2005 et 2006 et à l’Université Paris X-
Nanterre (92) pour 2006 et 2007 et artiste associé à Espaces Pluriels, scène
conventionnée de Pau (64). Christian Bourigault, qui dirige cette compagnie
francilienne, apprécie beaucoup les longues résidences ; il les pratique depuis
longtemps, et même, les cumule ! Il est actuellement en résidence pour deux ans à
l’Espace Jacques Prévert, théâtre d’Aulnay-sous-Bois, et sa résidence de deux ans à
Paris X-Nanterre (en cours depuis début 2006) est renouvelable deux fois deux ans.
Quant à son association avec Espaces Pluriels, elle dure depuis plusieurs années
déjà.

8
Afin d’étayer mes réflexions, j’ai également rencontré des personnes de différentes
structures d’accueil :

- Jean-Paul Bouvet, directeur du Toboggan, Décines (69). En plus de mes


observations sur le terrain et des entretiens réalisés avec des artistes en résidence
au Toboggan, j’ai rencontré le directeur afin de compléter les différents points de
vue à ma disposition. Si chaque résidence a ses particularités, on peut toutefois
distinguer deux types majeurs de pratiques au Toboggan : les « résidences de
création », souvent accompagnées d’un apport en coproduction, pour lesquelles le
plateau du Toboggan est mis à la disposition de la compagnie pendant environ trois
semaines (dont la moitié avec du personnel technique) ; et les « résidences
d’implantation » qui durent plusieurs années (au moins deux) pendant lesquelles la
compagnie peut créer ses spectacles (dans les mêmes conditions que pour les
résidences de création) et mène des actions de sensibilisation et de formation
auprès des publics décinois.

- Elise Garraud et Jean-Marc Lamena, membres du collectif de Ramdam, Ste Foy-


les-Lyon (69). Cette ancienne menuiserie n’est pas une structure de diffusion mais
un lieu de travail pour artistes. Lors de sa création, les bénévoles de l’association
qui gère ce lieu ont proposé de louer les deux salles du lieu aux compagnies en
manque d’espaces de répétition. Leur constat a été le suivant : les compagnies
préfèrent éviter de louer des lieux de répétition (elles se débrouillent toujours pour
s’en faire prêter) et elles restent peu de temps au même endroit, dans une sorte de
pratique consommatrice. Les bénévoles ont décidé de demander des aides pour
monter un projet d’accueil de compagnies en résidence. Les artistes accueillis ont à
leur disposition un espace de travail, une loge, une cuisine et des caravanes ; ils
choisissent leur temps de présence, entre une semaine et deux mois et demi, qu’ils
peuvent fractionner.

- Guilhaine Albert-Tisserant, chargée de production et Marion Blangenois,


assistante aux relations publiques aux Subsistances, Lyon (69). Cet ancien site
militaire, racheté par la ville de Lyon en 1995, a subi une première phase de
travaux permettant d’utiliser une partie des bâtiments pour l’accueil d’artistes en
résidence (une deuxième phase de travaux est en cours : ainsi, l’autre partie des
bâtiments sera consacré à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon). Pour l’instant, on y
trouve trois salles de spectacle, une salle d’exposition, quatre ateliers de travail,
un accès à la cuisine ainsi que quatorze chambres et trois studios permettant de
loger les équipes artistiques. Elles bénéficient de quinze jours à onze semaines

9
(fractionnées) de plateau avec du personnel technique, ainsi que des moyens
financiers. En contrepartie, elles doivent participer à des rencontres avec le public
(sous diverses formes) et parfois des actions de formation auprès de différents
publics.

- Gwenaëlle Magnet, et Mary Chebah chargées de la communication et des relations


avec le public pour la compagnie Maguy Marin / Centre Chorégraphique National de
Rilleux-la-Pape (69). Lors de notre rencontre, les nouveaux locaux du CCN n’étaient
pas terminés. La compagnie ne bénéficiait alors que d’un studio et de bureaux. Elle
ne pouvait donc pas accueillir de compagnies en résidence et prêtait son lieu de
travail lors de ses tournées. En revanche, le nouveau lieu compte deux studios de
travail et une salle permettant d’accueillir du public, ce qui permet à la fois à la
compagnie de créer et d’accueillir des équipes artistiques en résidence. Elle leur
offre la possibilité de travailler jusqu’à trois mois (fractionnés) dans le lieu et de
finaliser leur spectacle avec des techniciens dans la salle de spectacles. Elle
apporte également des moyens financiers. En contrepartie, elle demande aux
équipes accueillies un temps d’ouverture au public (répétitions publiques tout
public et scolaires) et/ou des actions de sensibilisation auprès de la population.

- Marc Masson, directeur du Centre Culturel Charlie Chaplin, Vaulx-en-Velin (69). Le


Centre Culturel Charlie Chaplin, conventionné « Scène Rhône-Alpes », est une
structure de diffusion qui donne une grande importance aux résidences.
L’implantation des artistes dure au minimum six ans et peut aller jusqu’à dix ans.
Marc Masson a choisi de programmer moins de spectacles afin de donner le temps
aux artistes en résidence de finaliser leurs créations. Ainsi, pour chaque nouveau
spectacle, ils peuvent profiter du plateau un mois avant la première avec du
personnel technique. Ils jouissent également d’un soutien financier et logistique
(bureaux, studios…). Cette longue implantation leur permet de faire des projets sur
plusieurs années et de ne pas être dans l’urgence de trouver des espaces de travail
et des moyens. Par ailleurs, la compagnie en résidence mène des projets d’action
culturelle auprès de la population de Vaulx-en-Velin.

Pour commencer cette étude, nous ferons un rapide historique des résidences, qui
se sont développées très tôt dans le domaine de la peinture, puis dans celui de l’écriture
et plus tardivement dans le milieu du spectacle vivant.

10
Mais, comme nous avons pu le remarquer dans le descriptif des entretiens réalisés,
cette pratique correspond à de nombreuses réalités. Nous commencerons donc par
analyser la notion de résidence. Pour étudier la diversité de ses formes, nous verrons que
la résidence se traduit par une aide à des compagnies ou à des artistes en les accueillant
dans un lieu : structure culturelle, structure de formation, structure autre (entreprise…),
territoire. Comme nous l’avons noté dans le descriptif ci-dessus, cet accueil peut aller de
quelques jours à plusieurs années. Il peut s’accompagner d’un logement pour les artistes,
de moyens financiers, de moyens techniques, de moyens humains. En échange de cette
aide, il est parfois demandé aux artistes une contrepartie qui peut prendre de nombreuses
formes : représentations, répétitions publiques, actions de sensibilisations auprès des
publics…
Cette pratique correspond à différentes fonctions du processus de création. Les
artistes utilisent parfois cette fonction lorsqu’ils veulent récolter de la matière qui servira
à « l’écriture » du spectacle. La résidence s’avère donc être une sorte de laboratoire, où
l’on expérimente de nouvelles choses, sans avoir pour objectif la production d’un
spectacle. Mais, le plus souvent, elle sert à créer, à finaliser un spectacle. Il existe
également une forme que l’on pourrait nommer « la résidence de diffusion », qui
s’applique surtout aux compagnies ayant créé des spectacles de différentes formes,
diffusables dans des lieux hors théâtres. Enfin, la résidence peut être utilisée dans un but
de formation et de sensibilisation des publics.
La résidence, dans le milieu du spectacle vivant, s’est beaucoup développée depuis
le début des années 80, répondant à plusieurs objectifs : d’une part, les artistes ont des
espaces de travail à leur disposition, d’autre part, les lieux d’accueil profitent de la
présence des artistes pour organiser des actions de sensibilisation auprès des publics.
Cependant, l’usage de la résidence s’étant développé sans cadre juridique précis, le terme
de « résidence » a été utilisé pour toutes sortes de pratiques. Le Ministère de la Culture et
de la Communication a rédigé une circulaire6 précisant les caractéristiques des résidences
en les divisant en trois types distincts : la « résidence de création », pour laquelle les
artistes doivent pouvoir disposer des conditions techniques et financières pour concevoir et
produire une œuvre nouvelle et qui doit permettre des actions de rencontre avec les
publics, mais devant rester secondaires ; lors d’une « résidence de diffusion territoriale »,
il s’agit de diffuser largement la production des artistes, leurs multiples formes et dans des
lieux très diversifiés, le but étant de repérer de nouveaux publics et de sensibiliser la
population ; enfin, la « résidence-association » sous-entend une longue durée d’installation

6
Voir en annexe.

11
des artistes (plusieurs années), qui doivent « investir un espace », avec pour mission de
créer, diffuser, sensibiliser…
Pour terminer cette première partie, nous nous attacherons à l’étude étymologique
du terme « résidence ». Ce mot contient, dans sa définition première, l’idée d’habiter, ce
qui nous conduira à la deuxième partie, où nous analyserons plus précisément la résidence
sous l’angle de « l’habiter ».

Si l’on considère « habiter » au sens premier du terme, on pense « être chez soi »
et cette sensation se traduit chez les personnes rencontrées de plusieurs manières,
d’abord objectivement, puis de manière plus subjective. Certaines habitent par exemple
le lieu de résidence parce qu’elles y vivent en logeant et en se restaurant sur place. Par
ailleurs, les compagnies logeant chez l’habitant ont eu affaire à un élément de
« l’habiter » de Pierre Mayol, les convenances. Les comédiens qui l’ont vécu disent avoir
eu l’impression « de rentrer chez soi sans que cela soit vraiment sa maison ». Plus
subjectivement encore, les artistes disent l’impression de faire partie du lieu, de faire
partie de la même équipe que celle du lieu d’accueil : ils s’installent.
Mais « habiter » est une notion bien plus large et plus complexe que ces
expériences assez concrètes du fait d’habiter. En effet, Martin Heidegger en a créé un
concept, que nous allons tenter d’expliquer avant de l’appliquer aux pratiques évoquées
lors des entretiens. Ce concept peut s’appliquer aux résidences d’artistes par bien des
aspects.
Nous verrons que l’une des facettes de l’« habiter » correspond à « laisser des
traces ». Plusieurs personnes rencontrées utilisent, pour parler de leur présence et de leur
action dans un lieu ou sur un territoire de résidence, de ce qu’ils laissent après leur
passage, les champs lexicaux de la culture (agricole) et de la construction. Et, si tous
n’utilisent pas ces isotopies, tous les artistes rencontrés insistent sur l’importance de
mener des projets, d’être présents par leurs actions, afin qu’il « se passe quelque chose ».
Ensuite, la notion de liberté est présente également, tout comme dans la
philosophie de Martin Heidegger. Les artistes souhaitent être libres dans leur création bien
sûr, mais également dans le choix de mener des actions et dans la manière de les mener.
Un autre aspect de l’ « habiter » se rapporte à la sensation de protection. Les
artistes, souvent en création lorsqu’ils sont en résidence, se disent fragilisés. De ce fait, ils
insistent sur l’importance pour eux d’être suivis, soutenus par l’équipe du lieu qui les
accueille.

12
Enfin, selon la pensée de Martin Heidegger, les hommes « habitent » dans leur
« présence-au-monde-et-à-autrui ». De même, les artistes « habitent » en « étant », et ils
existent par leur relation aux autres : les échanges, le partage ont une grande importance
à leurs yeux, ainsi que les rencontres avec la population, le public, l’équipe du lieu, les
personnes des structures relais (écoles, centres sociaux…). Ils sont prêts à découvrir, à se
transformer, à évoluer. Ils souhaitent faire évoluer les mentalités, les a priori sur l’art,
leur métier… Ils acceptent, avec plaisir même, que cette « vie » nourrisse et influence la
création, fasse évoluer le projet… Ils apprécient également, si cela est fait avec
délicatesse, un regard extérieur sur l’aspect artistique de la part des professionnels.
Réciproquement, ils font également preuve de délicatesse, respectent les lieux, la parole
et la vie privée des gens, ils en prennent soin, de la même manière que l’on prend soin
d’eux. Finalement, la notion de résidence, malgré ses nombreuses réalités, se précise : il
n’y a de résidence que s’il y a un véritable échange.

13
I/ La notion de résidence

Nous allons aborder la notion de résidence par un bref historique de cette pratique.
Elle existe depuis l’antiquité – époque à laquelle elle correspondait à une commande
précise, royale ou princière, d’un temple, d’un monument ou d’une sculpture. Et, comme
l’indique Yann Dissez, en ce temps-là, « l’artiste […] était conduit à se déplacer [du fait
de] la nature de l’ouvrage à réaliser, des moyens à mettre en œuvre [qui] rendaient
impossible une réalisation à distance, compte tenu des moyens de transport et de
communication. La « résidence » n’était donc pas une fin en soi mais une façon de réaliser
une œuvre »7. Cette pratique des résidences d’artistes était toujours liée au mécénat.
Au Moyen Age, l’artisan, pour parfaire sa formation, voyageait auprès de maîtres
reconnus dans toute l’Europe. A cette période, l’artiste ne se distinguait pas encore de
l’artisan et la différence entre création d’œuvres originales et reproduction de savoir-faire
ne s’est faite que plusieurs siècles après. Comme l’explique Philippe Chaudoir, « l’accueil
de ceux que nous reconnaissons comme artistes aujourd’hui par des mécènes […]
s’apparentait souvent à un quasi servage »8.
Cependant, l’institutionnalisation de cette pratique de résidence ne remonte qu’au
XVIIème siècle, et ne se met véritablement en place qu’à partir du XIXème siècle, où les
résidences organisées sont installées à la Villa Médicis, soumises à un concours et
fortement encadrées. L’auteur des Résidences d’artistes en question ajoute qu’à ce
moment-là « le fait résidentiel est alors envisagé comme une sorte de privilège
démocratique favorable à la création »9. Le terme de « résidence » voit son utilisation
devenir de plus en plus rare, alors même que la pratique qui lui correspond reste très
présente dans la première moitié du XXème siècle.
Cette notion réapparaît au grand jour en France au moment de la mise en place de
la décentralisation culturelle, dans les années 80. L’Etat, qui souhaite accentuer la
promotion de la création contemporaine, développe alors les résidences d’artistes. D’après
Philippe Chaudoir, « cette institutionnalisation va s’accompagner d’une prise en compte
des territoires où s’inscrivent les résidences dans un contexte où le constat est posé de

7
DISSEZ Y., « Habiter en poète ». La résidence d’auteur., mémoire de DESS Développement culturel et direction de projet,
ARSEC-Lyon 2 in CHAUDOIR P., Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 8.
8
CHAUDOIR P., Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 9.
9
Idem, p. 10.

14
leur déficit d’animation »10 ce qui donne à l’Etat et aux collectivités territoriales une
raison de plus de développer cette pratique.

1) La diversité des résidences

Comme nous l’avons déjà évoqué : la résidence s’est beaucoup développée


dernièrement, elle a pris de nombreuses et diverses formes, ce qui la rend d’autant plus
difficile à définir. Il n’existe d’ailleurs pas de contrat spécifique à cette pratique, et « elle
ne répond à aucune qualification juridique précise »11. La seule base commune de la
résidence est l’accueil d’artistes ou de compagnies. Nous allons voir en quoi peut consister
cet accueil et de quel type d’aide il peut s’accompagner.

- Lieux de travail

Il est nécessaire de commencer par rappeler le présupposé évoqué dans notre


introduction, les compagnies ont besoin de lieux de travail pour créer. Les témoignages
recueillis le confirment :

« Nous, on passe notre temps à courir pour trouver des studios, c’est
lourd. »
Annick Charlot

« On en a besoin de ces espaces [de travail] ! »


« […] c’est grand, c’est spacieux, c’est un bel espace pour travailler, et ça
c’est important. »
« Par exemple, sur le prochain projet, comme on n’a pas de lieu de
travail…, de toutes façons, à chaque fois, on cherche des lieux pour aller
travailler. »
Annabelle Bonnéry

La résidence permet de répondre à ce besoin… :

« Les Subsistances, c’est un formidable outil de création. »


Gilles Pastor

« A Aulnay, j’ai un studio pratiquement… A l’école de musique et de


danse, il y a deux studios, il y en a toujours un qui est libre, je peux les

10
CHAUDOIR P., Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 11.
11
Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu
de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 27.

15
avoir pratiquement tous les matins voir certains jusqu’à 16h30, c’est-à-
dire jusqu’au moment où les cours du soir commencent ; ça, c’est
vachement important. »
Christian Bourigault

…la plupart du temps :

« Dans le cahier des charges [de la résidence], il est écrit que le théâtre
doit fournir à la compagnie en résidence un théâtre et des studios de
répétition et je crois que Nanterre, c’est la seule université francilienne à
avoir un théâtre […]. Sauf que ce théâtre, il est pris par d’autres
spectacles parce qu’il y a un chœur de profs et d’étudiants, ils font quatre
ou cinq diffusions par an, et quand ils répètent, ils prennent le plateau
[…]. Après, il y a des enseignements de théâtre qui ont lieu sur le plateau,
il y a des manifestations ; ce qui fait qu’à part en juillet, août et
septembre, le théâtre est quand même très occupé, moi, je ne peux pas y
travailler. Là, si je calcule, cette année […], j’ai eu le théâtre peut-être
dix, douze jours. Et les studios, c’est encore plus compliqué parce qu’ils
sont tout le temps utilisés par les cours. On peut y aller le samedi matin,
éventuellement certains soirs, donc c’est pas du tout des conditions de
création. »
Christian Bourigault

Comme ces extraits d’entretiens en rendent compte, la résidence est, en premier


lieu, la mise à disposition d’un lieu de travail. Et il apparaît que cet élément, l’espace de
répétition, est très difficile à trouver par les compagnies. Comme l’écrit Philippe Verrièle,
« pour la compagnie de danse, [la résidence], c’est l’occasion […] de disposer de
conditions de travail plus favorables pour une création »12. Albane Ahrens et Laure
Guazzoni confirment que « du point de vue de la compagnie […], le premier bénéfice est
de trouver un lieu de travail dans un contexte où c’est de plus en plus difficile »13. Les
représentants des structures d’accueil rencontrées ont également insisté sur le fait que la
résidence est avant tout une mise à disposition du lieu, du plateau.

12
In BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p.
20.
13
Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu
de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 8.

16
- La notion de temps, de durée

A propos de la résidence, la notion de temps est centrale puisqu’un lieu d’accueil


peut, pour une résidence, accorder à un ou plusieurs artistes un temps compris entre
quelques jours et plusieurs années. C’est même parfois cet élément qui sert à distinguer
un accueil en programmation d’une résidence. Les auteurs de Pratiques et usages des
contrats dans le spectacle vivant précisent que les lieux d’accueil « donnent avant tout à
la compagnie un lieu et du temps »14. Toutes les personnes que rencontrées ont évoqué la
durée de la résidence, qui peut être très variable – moins d’une semaine à une pluri-
annualité longue (voir en introduction). De plus, la durée de la résidence est difficilement
quantifiable : c’est l’exemple du Théâtre Craie qui effectue un travail sur une durée assez
longue (depuis la prise de contact avec les personnes clés jusqu’à la représentation, il se
passe environ deux ans) alors que la durée de résidence de création avec les comédiens
s’effectue sur deux semaines. L’expérience de Thierry Thîeu Niang est aussi représentative
à ce sujet ; il a choisi de travailler quatre fois une semaine espacées sur la saison, doit-on
considérer qu’il est en résidence pendant une saison, ou pendant quatre semaines ? Lui-
même a évoqué quatre semaines, c’est pourquoi nous garderons cette durée et nous
prendrons en compte la durée évoquée par les artistes. De la même manière, Christian
Bourigault sera en résidence à Limoges l’année prochaine trois fois une semaine sur un an.
Nous pouvons remarquer que, dans les lieux dédiés aux résidences (Ramdam et les
Subsistances), les temps de présence sont choisis par les compagnies, la seule contrainte
étant de s’arranger avec la structure d’accueil pour les plannings. Dans ces deux lieux, la
moyenne se situe autour de quatre semaines.
Du point de vue des artistes rencontrés, il semble que ce soit l’idée de « prendre du
temps », « prendre son temps » qui soit importante :

« Là [à Nanterre], c’est deux ans, moi, ça m’a intéressé parce que c’est
pas seulement deux ans et après ça s’arrête, l’idée, c’est que ça puisse
être renouvelé deux ans et encore deux ans […]. Avec la réserve que ça
puisse s’arrêter au bout de deux ans, j’aimerais bien travailler au moins
quatre ans. »
« Je suis persuadé qu’il faut du temps et que la résidence inscrit du temps,
de la durée […]. J’aime bien cette idée du temps, même si dans ce temps-
là, je suis speed, mais c’est pas le même temps. »
Christian Bourigault

14
Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu
de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.

17
« C’est vrai qu’ici, c’est possible que le temps de fabrication soit très
posé. »
Gilles Pastor

Ce temps, tant apprécié par les artistes est considéré comme une richesse, une chance ; il
devient même l’un des matériaux de la création, ce dont Annick Charlot et les danseurs de
la compagnie P.A.R.C. témoignent :

« Dépenser du temps pour rien, les trois quarts du temps, c’est pour rien.
On gaspille du temps. Si nous [les artistes], on se donne pas ce temps-là,
qui se donne ce temps-là dans notre société ? »
Annick Charlot
« Nous, on a de la chance parce qu’on reste un mois quelque part, donc on
a le temps de s’installer dans notre travail. »
« Dans les « Plateaux pour la danse », on retrouve bien le problème des
courtes périodes, dans la journée, vu que le temps est condensé parce que
les studios sont à partager avec d’autres, chacun sait qu’il a cinq six
heures dans la journée […] Ici, on peut juste prendre plus le temps, en
fait… »
Compagnie P.A.R.C.

Parfois, le temps prend une dimension particulière dans le cadre de la résidence, c’est
notamment le cas pour Thierry Thîeu Niang et Annabelle Bonnéry :

« Ça permet de mieux prendre du temps d’écoute avec chacun. »


« Je suis quelqu’un de très lent, ce qui fait que j’ai besoin de travailler
dans la durée, sur le temps. »
Thierry Thîeu Niang

« Le lieu [de résidence au Portugal] s’appelle O Espaço do Tempo,


« l’espace du temps » ça dit bien ce que ça veut dire ! Là-bas, on a eu
trois semaines en moyenne, on pourrait demander plus, on pourrait
demander moins. Moi, c’est le temps que je trouve bien. »
Annabelle Bonnéry

Interviewé pour l’article « Résidences : laisser le temps au temps », Jean-Claude


Collet, directeur de la Scène Nationale d’Alençon Flers (61), semble partager cette idée de
temps puisqu’il insiste particulièrement sur ce point en déclarant : « n’oublions pas que
nous devons, avec ces résidences, offrir des moyens mais aussi du temps aux
compagnies »15.

15
C. PLANSON, « Résidences : donner le temps au temps », La Scène n° 31, décembre 2003, p. 79.

18
- Moyens (financiers, techniques, logistiques et humains)

La résidence artistique s’accompagne, en général, d’un soutien à la compagnie.


Celui-ci peut prendre différentes formes ; il peut s’agir de moyens financiers (parfois sous
forme de coproduction), techniques, logistiques ou humains. En effet, la plupart des lieux
d’accueil visités (les Subsistances, le Toboggan et le Centre Culturel Charlie Chaplin)
participent financièrement à la création des artistes accueillis. En revanche, Ramdam n’a
pas les moyens d’apporter un financement aux compagnies en résidence et le collectif qui
gère l’association s’interroge sur la pertinence de chercher des subventions pour proposer
une aide financière aux compagnies. A ce sujet, la question de la justesse du partage de
ces fonds se pose aussi. Les membres du collectif envisagent donc une autre forme d’aide,
à savoir l’embauche d’un(e) cuisinier(ère) pour préparer à manger aux artistes en
résidence, qui ont déjà accès à la cuisine du lieu.
A ce sujet, Christian Bourigault, par rapport à la suspension de sa résidence à
Aulnay-sous-Bois, explique qu’une résidence en moins, « c’est des moyens en moins pour
une compagnie parce que l’autre intérêt de la résidence pour moi, c’est de faire vivre une
compagnie, il y a un intérêt économique aussi. C’est-à-dire qu’au-delà de la vente des
spectacles c’est aussi une arrivée d’argent pour la compagnie, qui permet d’avoir une
activité, de faire travailler des danseurs ». En ce qui concerne les aides financières
apportées par les lieux aux artistes et compagnies, Philippe Verrièle tempère en écrivant
que la résidence, « pour la compagnie, c’est l’occasion de renflouer les caisses
(théoriquement, très théoriquement) »16.
Les lieux proposant un soutien technique par la mise à disposition de matériel et de
personnel sont les Subsistances, le Toboggan et le Centre Culturel Charlie Chaplin. Pour
Nicolas Meurin, c’est lors de cette phase de création que la résidence est essentielle, il
considère en effet que « la résidence est nécessaire dès qu’on aborde la technique »17.
L’aspect technique est une phase importante de la création pour Annabelle Bonnéry qui
affirme que « ce qui est génial à O Espaço do Tempo, c’est de pouvoir faire une création
lumière, d’avoir un lieu équipé, avec quelqu’un qui puisse travailler ». Elle ajoute : « c’est
super difficile parce qu’en général, il faut que ce soit un théâtre, et un théâtre où il n’y a
pas de spectacles, c’est rare, ça veut dire pendant les vacances… ».

Outre les moyens financiers ou techniques existent aussi des soutiens logistiques. Et
nous avons pu remarquer au cours de nos visites des lieux d’accueil que l’apport logistique
est important : Ramdam offre aux compagnies un accès à la cuisine, des caravanes, des

16
BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p.
20.
17
MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 60.

19
loges et un bureau ; quant aux Subsistances, elles proposent des chambres, un accès à la
cuisine et un bureau ; le Toboggan met à la disposition des artistes un accès à la cuisine ;
enfin, le Centre Culturel Charlie Chaplin propose un bureau. Ces diverses aides sont
particulièrement appréciées des compagnies. Pour preuve, ces quelques témoignages :

« Ce qui est bien aussi, c’est l’apport logistique, c’est-à-dire qu’on nous
prête des ordinateurs, c’est un gros soutien […]. On peut aussi venir voir
l’administratrice, lui poser des questions. »
« Il y a aussi cette question des caravanes, un logement sur place qui
facilite plein de choses. »
Compagnie P.A.R.C.

« Depuis 2004, je leur disais [aux directeurs des Subsistances] que la chose
dont j’avais besoin, c’était un bureau, c’était une nécessité parce qu’un
bureau, ça coûte et je trouvais ça bien que les Subsistances puissent offrir
cette possibilité-là aux compagnies. »
« Dans la mesure où il y a une cuisine, on peut organiser un catering avec
un cuisinier ou, en tout cas, les résidents peuvent se faire à manger. Et, si
jamais il y a des gens extérieurs de la région, ils peuvent dormir ici. »
« Il y a plein de choses qui sont possibles. Moi, les deux spectacles que j’ai
faits ici, j’ai demandé en plus un atelier pour que ma costumière s’installe
pour qu’elle en fasse son atelier de costumes. »
Gilles Pastor

« A O Espaço do Tempo, ils peuvent participer en coproduction mais ils


peuvent aussi juste accueillir et simplement après, on est logés, et les
repas sont pris en charge […]. Pour les transports, ils peuvent prendre en
charge mais de la France, ils ont un peu de mal. »
Annabelle Bonnéry et François Deneulin

Les artistes rencontrés soulignent par ailleurs le fait que les différentes aides en
nature peuvent être valorisées financièrement du fait qu’elles permettent à la compagnie
d’effectuer moins de dépenses. Par exemple, la compagnie C’est pas si grave bénéficie de
l’accès au restaurant municipal de Montataire, ce qui lui permet de faire des économies,
étant donné que l’équipe compte dix-sept personnes. D’autres artistes ont fait remarquer
cet aspect économique :

« Une résidence sans argent, c’est déjà énorme pour une création. »
Compagnie P.A.R.C.

« Quand j’avais repris un spectacle que j’avais joué ici, il allait partir en
tournée. Trois semaines avant, le décor a été construit, peint ici. Tout a
été fait sur place alors que ça, normalement, c’est très compliqué, c’est-

20
à-dire qu’il faut trouver un lieu pour les constructeurs, le plus souvent en
location. »
Gilles Pastor

« Il y a forcément financement dans le sens où on nous prête un lieu


gratuitement. Juste le chauffage d’un lieu comme le Pot au Noir, ça coûte
très cher, un mois de chauffage. Déjà, être accueilli sans avoir de frais,
c’est énorme. »
Annabelle Bonnéry et François Deneulin

- Contrepartie

En échange de ce lieu, de ce temps, de cet argent, de cette logistique, une


contrepartie est parfois demandée aux compagnies, surtout dans le cas de longues
résidences (plusieurs années) et, selon les structures, elle peut être plus ou moins
imposée.
A Ramdam, par exemple, rien n’est imposé aux artistes mais le collectif d’accueil
(appelé « les soucieux » de Ramdam) incite à la présentation du travail, même s’il n’est
pas terminé. Ils tentent également d’organiser des rencontres, notamment entre les
artistes de la compagnie P.A.RC. et des élèves d’une école de Ste Foy-les-Lyon. Là encore,
aucune obligation, cette intervention en milieu scolaire a été proposée à la compagnie, qui
a accepté. Mais ce type de rencontres est difficile à organiser car les compagnies en
résidence à Ramdam sont en création, donc peu disponibles et présentes pour un temps
limité. La compagnie P.A.RC. précise d’ailleurs qu’il « faudrait être là sur le long terme
parce qu’[ils font] déjà ça, à Saint-Étienne ».
Au CCN de Rilleux-la-Pape, il est demandé aux compagnies un temps d’ouverture au
public, c’est-à-dire des répétitions publiques auprès du tout public et du public scolaire. Si
le rendu public n’est pas possible, il leur est demandé une action en lien avec le territoire,
comme des ateliers de danse.
Dans la même perspective, les personnes en résidence d’implantation au Toboggan
animent des ateliers de pratique artistique en milieu scolaire et en partenariat avec des
structures relais de la ville de Décines (centres sociaux, médiathèque, etc.). Ils peuvent
proposer tout type d’actions qui permet d’apporter le spectacle vivant « au plus près des
gens, pour leur donner le goût de revenir vers le lieu de représentation »18. Claude
Tabouret raconte que « la compagnie Premier Acte [en résidence au Toboggan pendant six
ans] proposait des actions en milieu scolaire, du théâtre en appartement, des lectures à la

18
Jean-Paul Bouvet, directeur du Toboggan

21
médiathèque… ». Elle précise également que la compagnie organisait - et organise toujours
- un événement au mois de mai, le RESO, dont l’intérêt est de réunir tous ces ateliers, qui
ont un thème de base au départ, et de monter un spectacle : « en gros c’est monté en kit
toute l’année et le spectacle est monté au Toboggan ; donc, il y a des enfants d’écoles
primaires, des enfants d’IME (institut médico-éducatif), des élèves de LEP (lycée
d’enseignement professionnel), des lycéens du Lycée Charlie Chaplin qui ont une option
légère théâtre, donc, c’est vraiment des publics complètement différents ». De plus, la
compagnie Premier Acte a développé ce qu’elle appelle « l’école Premier Acte », où les
comédiens de la compagnie, qui sont amenés à animer des ateliers théâtre, se forment à la
pédagogie. Mais il est important pour le metteur en scène de la compagnie que cette
activité de transmission reste liée à la création et que les comédiens la pratiquant
continuent à créer. Quant aux compagnies en résidence à Vaulx-en-Velin, elles mènent,
parallèlement à leur travail de création, des actions avec les habitants : des ateliers
théâtre, écriture, danse…
En revanche, la plupart du temps, Christian Bourigault, lorsqu’il est en résidence,
est libre dans le choix des actions qu’il va mener pour répondre à la « mission » de
sensibiliser les différents publics à la danse contemporaine confiée par la personne qui
organise la résidence. Il explique sa démarche :

« Je fais d’abord une réunion avec le […] pilote de la résidence et je


demande à rencontrer tous les partenaires qui peuvent être intéressés par
la résidence, donc ça va de l’équipe chargée de l’action culturelle du
théâtre - dont c’est un peu la fonction principale - jusqu’à la prof de danse
de la petite MJC de quartier qui a entendu parler de la venue d’un
chorégraphe […] jusqu’à la prof d’EPS qui fait de la danse dans son lycée…
Donc, je réunis tous ces gens-là autour d’une table […] et je leur pose la
question « qu’est-ce que vous attendez de la part d’un chorégraphe
contemporain en résidence ? » […]. Ensuite, je vois ce qu’on peut faire
ensemble. Ce qui m’intéresse, quand je suis en résidence, c’est inventer
des modes de transmission, ça ne m’intéresse pas de donner le même
cours de danse, le même atelier pendant dix ans ; ça m’amuse d’inventer
quand je me retrouve dans un lycée agricole […] avec les mecs et les nanas
de dix-sept ans qui arrivent avec leurs gros souliers, qui enlèvent pas leurs
chaussures dans le studio de danse, qui enlèvent pas leur blouson,
comment est-ce qu’on va faire ? Pour moi, c’est un pari génial […], c’est
un challenge ! »

La démarche de Regards et Mouvements à Pontempeyrat est plus originale ; elle


nous est relatée dans Ilots artistiques urbains : « les comédiens échangent un toit contre

22
un coup de main à l’entretien et aux travaux ; ce n’est pas toujours facile mais le troc est
l’une des richesses du lieu »19. Ce genre de situation est rare mais peut convenir aux deux
parties.
En termes de contrepartie, la compagnie Lanabel a vécu de nombreuses
expériences de résidences qui comportent toutes leurs particularités. Celle demandée par
le groupe SEB est assez singulière : en effet, les artistes sont intervenus plusieurs fois dans
des commissions de travail par rapport à leur vision du corps, du mouvement, du geste, en
tant que danseurs. Cette demande de la part du groupe SEB n’a pas du tout été perçue
comme une obligation. Par ailleurs, en résidence à O Espaço do Tempo, les artistes ont une
possibilité de visibilité publique, qui peut être dans le cas d’une programmation, ou
décidée au dernier moment, mais il n’y a aucune obligation. Annabelle Bonnéry, lors de sa
résidence, a, entre autres, encadré un stage à l’Ecole Supérieure de Danse de Lisbonne ce
qui était une demande de la structure d’accueil, qui est en lien avec l’école de danse ; en
effet, la directrice de l’école de danse essaie d’organiser la venue de danseurs et de
chorégraphes mais comme elle a peu de moyens, elle profite des artistes en résidence à O
Espaço do Tempo. A ce moment-là, Annabelle Bonnéry était sur place sans but de création
imminente donc disponible ; elle a accepté et même apprécié cette rencontre. La
contrepartie est, dans un tel cas, également profitable à l’artiste.
Dans le cas des Subsistances, il est précisé dans la convention de résidence que,
dans le but de mettre en relation le travail des artistes en résidence avec le plus grand
public possible, « pendant toute la durée de sa résidence, la compagnie s’engage à
participer à des rencontres publiques qui lui seront définies par avenant ». En effet, il est
proposé aux compagnies des rencontres avec le public tout au long de leur résidence (plus
la résidence est longue et plus il y en a). D’abord, il y a « l’art au comptoir », qui se passe
au tout début de la résidence, dans un bar, en dehors du lieu de résidence, où la directrice
du lieu fait un portrait de l’artiste ou de la compagnie. Le ou les artiste(s) présente(nt)
alors les prémices de la création à travers des lectures, des images, des photos, des objets
qui racontent quelque chose de la création avant un débat avec le public. Un deuxième
type de rencontre, intitulée « la soupe à la répèt’ », consiste à présenter au public une
répétition publique, en lui expliquant qu’il va voir une étape de travail, un chantier, suivie
d’un repas et d’une discussion partagés avec les artistes. Après la dernière représentation,
la fête « de dernière » est intitulée « afterwork » et est ouverte au public : ce sont les
artistes en résidence qui ont choisi le DJ invité. Par ailleurs, en plus des rencontres avec le
public, il est proposé aux compagnies en résidence aux Subsistances des actions de
formation et de sensibilisation des publics. Gilles Pastor s’occupe par exemple d’un atelier

19
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 59.

23
tout public qui se passe sous forme de week-ends, environ une fois par mois, depuis le
mois de novembre et jusqu’au mois de juin, avec une présentation à la fin de la saison. De
plus, il anime des ateliers de théâtre en prison qui ont été inscrits dans le cahier des
charges de sa résidence : « on m’a proposé de [le] faire, et puis ça m’intéressait de le
faire par rapport à ma création, mais c’était pas du tout une obligation ». Comme pour la
compagnie Lanabel, une telle contrepartie est enrichissante aussi pour l’artiste.
De la même manière, à la Maison de la Culture de Chambéry, « en contrepartie [de
l’accueil en résidence], l’artiste s’engage à faire partager au maximum la création en
cours »20. Et le directeur de cette Scène Nationale d’ajouter qu’« à chaque fois, il faut
trouver le bon axe pour toucher le public ». En effet, nous avons pu le constater à travers
les expériences des artistes rencontrés, si la contrepartie demandée est adaptée à l’artiste
et à sa manière de travailler, et si elle est imaginée en collaboration avec lui, elle semble
très bien vécue, même si elle est imposée par contrat.
Et parfois, ce sont les artistes eux-mêmes qui proposent, de leur plein gré, des
actions en direction des publics. Par exemple, Annick Charlot, lors de sa résidence de
création au Toboggan (qui ne comportait aucune obligation de contrepartie), souhaitait
mener une action en lien avec la structure d’accueil et a proposé une répétition publique
et un atelier de danse au personnel du lieu. Nicolas Meurin, dans son article « Théâtre de
Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », dans lequel il analyse l’opération « artistes
associés » de la Scène Nationale, confirme ce type de démarche. En effet, Claude
Sévenier, alors directeur du Théâtre de Sartrouville, déclarait : « nous avons décidé de
servir leurs projets sans contrepartie […] et lorsque les deux artistes [Joël Jouanneau et
Angélique Ionatos] ont participé à des démarches d’action culturelle (notamment des
ateliers écriture ou musique dans les établissements scolaires de Sartrouville), c’était
uniquement quand ils souhaitaient le faire »21. Nicolas Meurin, dans son article « L’artiste
est dans la place », précise que « tous les directeurs de Scènes Nationales s’accordent en
tout cas pour ne pas avoir de méthode figée : chaque projet doit s’adapter à l’artiste, que
ce soit en termes de moyens ou d’action culturelle »22.

Comme nous avons pu le remarquer, la résidence d’artiste est une entité difficile à
cerner tant elle recouvre de formes diverses. Dans son article « Résidences : laisser le
temps au temps »23, Cyrille Planson note que « le nombre de résidences s’est multiplié, au
risque de voir le terme galvaudé et la résidence vidée de son sens premier ». Il ose alors

20
Dominique Jambon, directeur de la Maison de la Culture de Chambéry, Scène Nationale, in MEURIN N., « L’artiste est dans
la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 61.
21
MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p.
58.
22
MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 60.
23
PLANSON C., « Résidences : laisser le temps au temps », La Scène, n° 31, décembre 2003, p. 78.

24
une définition de ce concept : « permettre à des artistes de créer et à un public de se
confronter à l’acte artistique ». A contrario, pour Nicolas Meurin24, la confrontation de
l’acte artistique avec le public ne fait pas partie de la base de la résidence puisqu’il
déclare que « la création d’un spectacle est a priori la notion centrale d’une résidence ».
Certains des artistes rencontrés ont, comme Cyrille Planson, déploré un usage parfois
abusif de ce terme. C’est le cas d’Annick Charlot qui estime que « résidence, c’est un mot
qui a été beaucoup utilisé, on sait plus trop ce qu’il veut dire » ou Annabelle Bonnéry pour
qui « le terme de résidence a été utilisé pour des choses très diverses ». Les comédiennes
du Théâtre Craie dénoncent plus particulièrement l’effet de mode de cette pratique :
« C’est un travail que [beaucoup de compagnies] essaient de faire, c’est un travail qui se
répand. Tu vas dans n’importe quel lieu maintenant, ils mettent en place des résidences,
pas forcément en l’ayant conceptualisé. […] Elle, Claire [Rengade], elle a vraiment envie
de faire ça. Elle l’a mis en place avant le nom « résidence » qui fait bien ».
Certains artistes pensent qu’il y a résidence dès lors qu’il y a un apport financier.
Par exemple, l’une des danseuses de la compagnie P.A.R.C. hésitait : « Résidence, je
crois, je suis pas sûre, mais c’est quand il y a une question d’argent ». De même,
Annabelle Bonnéry et François Deneulin se demandaient : « Peut-être que pour les gens,
« résidence », c’est aussi forcément quand il y a un soutien financier, ça dépend, en
fait… ». Annick Charlot, dans la première définition qu’elle donne de la résidence,
considère que le soutien financier fait partie de la base de la résidence :

« Pour moi, peu importe quelle est sa définition officielle, « résidence »,


c’est à partir du moment où un théâtre offre des moyens financiers, un
lieu de travail, et puis la possibilité de développer un projet un peu plus
large sur un territoire, sur une ville. »

Mais, lorsqu’elle développe ce qu’évoque pour elle la résidence, on se rend compte que
les moyens financiers ne sont pas primordiaux :

« Pour moi, une résidence, c’est d’abord savoir qu’il y a quelqu’un dans le
monde qui s’intéresse à nous, et c’est déjà très important, et que cette
personne-là, dans sa structure, débloque du temps, des moyens, de
l’intelligence, de la réflexion commune, de l’intelligence commune […],
c’est-à-dire intelligence au sens « puisqu’on est là, puisqu’on a envie
d’être là, faisons des choses ensemble, qu’il y ait de l’argent ou qu’il n’y
en ait pas… ». »

Comme nous l’avons vu, la notion de temps est importante lorsque l’on aborde la
résidence, et, pour certains, cet élément peut être un facteur de délimitation de la

24
MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p. 60.

25
résidence. Christian Bourigault s’interroge : « A partir de quand on parle de résidence ?
Pour certains, si vous avez une date de diffusion plus un stage dans les trois jours qui
précèdent la représentation, c’est une mini-résidence de cinq jours ! ». Dans Les
résidences d’artistes en question25, il est précisé qu’ « aux deux marges temporelles [de la
résidence] (quelques jours ou pluri annualité longue), il est sans doute nécessaire de
s’interroger sur la pertinence de qualifier encore ces formes en terme de résidence » et il
est ajouté : « sans doute, dans le cas d’une implantation de longue durée, serait-il plus
utile de parler d’artiste « associé » tant on sait que cette implantation suppose presque
toujours une implication dans le fonctionnement même de la structure accueillante ».
De plus, nombreuses sont les personnes rencontrées qui hésitent lorsqu’il s’agit de
qualifier une expérience par le terme « résidence », comme l’attestent ces extraits
d’entretiens :

« J’ai même une troisième résidence, on pourrait dire, parallèlement à


ces deux-là [Université Paris X-Nanterre et Aulnay-sous-Bois], qui n’est pas
du tout en Ile-de-France, qui est à Pau, à Espaces Pluriels. Pau, c’est
différent, je suis artiste associé à la Scène Conventionnée. »
Christian Bourigault

« On n’est pas en résidence à la Maison de la Danse mais il se passe


régulièrement des choses avec eux, ils nous abritent régulièrement, ils
sont coproducteurs, donc il y a un engagement financier, il y a un
engagement de temps, de disponibilité. »
Annick Charlot

« [La résidence], c’est un peu le projet qu’on choisit d’avoir dans le lieu et
puis le partenariat que l’on a avec Guy Walter et Cathy Bouvard
[directeurs des Subsistances], en fait, c’est ça qui détermine la résidence
[…]. C’est un peu une résidence particulière, plutôt un compagnonnage. »
Gilles Pastor

« Du coup, je sais pas si [l’expérience avec] le groupe SEB on peut


l’appeler « résidence » ou pas, puisque ça a été plus un partenariat avec
eux qu’une résidence parce qu’on n’est pas allés résider sur place même si
on y a passé du temps […]. Je dirais que c’est une résidence spéciale parce
qu’on n’a pas travaillé dans leur lieu en temps de création chorégraphique
mais on y a travaillé quand même en amont. »
« Au Toboggan, je sais pas si on peut appeler ça une résidence…, mais en
même temps, c’était une coproduction et ça faisait deux trois ans qu’on
travaillait avec lui, il y a d’abord eu une première diffusion puis une

25
CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 44.

26
deuxième et après une coproduction. Il y a quand même eu un suivi
pendant trois ans, des ateliers assez importants pendant trois ans. Ça n’a
jamais été mis en place comme une résidence mais ça l’était plus ou
moins. »
Annabelle Bonnéry et François Deneulin

Nous venons de le voir, la notion de résidence correspond à une diversité de


situations, de réalités, de pratiques… C’est la raison pour laquelle il est très difficile de
donner une définition un tant soit peu précise de ce terme. Il reste toutefois des éléments
de base : un lieu, du temps et un soutien qui se traduisent de différentes manières.
Pour aller plus avant dans nos réflexions, étudions à présent les différentes
fonctions, au sein du processus de création, pour lesquelles la résidence peut être utilisée.

2) Les différentes fonctions des résidences

- La collecte

Certaines compagnies travaillent, pour élaborer un spectacle, à partir des éléments


d’un territoire ou d’un lieu donné. Pour recueillir ces éléments, le Théâtre Craie et
KompleXKapharnaüM choisissent, par exemple, de s’appuyer sur des témoignages des
habitants de ce territoire. Ce sont ces témoignages qui serviront de base à l’écriture du
spectacle. Dans ce but, ils sont amenés à se rendre sur place pendant un certain temps au
cours duquel nous pouvons alors dire qu’ils sont en résidence. Ces deux compagnies
expliquent leur démarche, pour cette phase de la création :

« Il y a une semaine de repérage qui est la semaine où on écrit la


déambulation en amont, et en fait, c’est une écriture croisée, il y a deux
équipes qui fonctionnent en simultané : il y a une équipe qui travaille sur
la déambulation en elle-même, et une équipe qui travaille plus sur la
rencontre [et la prise d’images et de son] de tous types de personnes,
associations etc. C’est cet espèce d’habile mélange qui se fait à un
moment parce qu’il y a l’équipe qui déambule qui dit : « ça serait
vachement intéressant d’arriver dans la petite rue là en bas, puis en fait,
là, il y a un truc qui s’appelle la traboule, c’est vraiment un truc hyper
touristique et ça débouche sur une super place, on va faire passer [la
déambulation] par là » et l’autre équipe qui dit : « on a rencontré des

27
gens, c’est une chorale, les canuts… ». Je raconte n’importe quoi, c’est
comme ça que les choses se font, c’est vraiment la rencontre des deux. »
Stéfan Bonnard

« Il y a la cueillette […] où elle enregistre jamais, elle prend que des notes
[…]. Et après, jamais, elle ne prendra l’histoire de quelqu’un de A à Z, elle
reconstruit complètement et rythmiquement ; elle en fait des textes de
théâtre. Beaucoup de gens lui disent « vous allez complètement redire ce
que j’ai dit ? » […]. Par exemple, pour un spectacle, elle nous interviewait,
nous, […] et du coup, elle m’avait fait une petite interview sur le poisson,
c’est devenu une scène d’amour, elle décale quand même pas mal les
choses même si « les poissons, ils ont deux secondes de mémoire », je sais
que je l’ai dit texto, et je le retrouve texto, simplement, elle nous l’a fait
travailler dans un autre contexte et elle « re-rythme » complètement les
choses.
Marie Barbazin et Aurélie Pitrat

La compagnie Lanabel, quant à elle, a puisé la matière de son spectacle dans les ateliers
de production des entreprises du groupe SEB. C’est ce qu’Annabelle Bonnéry nous
raconte :

« Notre besoin, c’était de pouvoir visiter les ateliers, de prendre du son,


des matériaux son, des matériaux gestuels, de faire de la vidéo,
d’apprendre des gestes, de pouvoir interroger les gens […]. On allait
régulièrement dans les ateliers, avec les musiciens, avec les danseurs, tous
les deux aussi beaucoup. On prenait des rendez-vous pour aller deux trois
jours d’affilée sur chaque site, et puis à chaque fois, on a pris des photos,
on a fait de la récolte de matériaux. On a rencontré aussi différentes
personnes à l’intérieur de l’entreprise, de l’opérateur au médecin, aux
ergonomes, tout ce qui pouvait être indirectement lié au mouvement, ou
en tout cas, aux conditions de travail. »

- La recherche

La résidence peut être, comme le dit Jacques Bonniel, « un endroit où on peut


assumer des risques, un temps de laboratoire et un temps d’expérimentation »26. En effet,
dans certains cas, c’est la possibilité pour les artistes de faire des recherches, tenter de
nouvelles expériences de travail, travailler avec de nouvelles personnes etc. sans aucun

26
In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 23.

28
but de création de spectacle. C’est le cas de Thierry Thîeu Niang, en résidence à Ramdam.
Il explique :

« C’est pour moi ce temps-là possible où je n’étais pas en création. Je ne


suis pas là pour tester quelque chose […] Je me nourris d’une chose
commune [avec les danseurs] pendant une semaine […]. Il y a ce temps de
recherche, d’expérimentation, on regarde des images, des films […] et puis
c’est la possibilité de mettre ensemble des gens différents, comme Oscar
qui a dix ans, son père qui est psychomotricien, une jeune femme de dix-
huit ans qui n’a jamais dansé, des comédiens, un jardinier, un philosophe…
des enfants, des adultes, des personnes âgées, des sourds, des autistes ; on
travaille sur la relation : qu’est-ce qu’être ensemble ? »

D’après Annabelle Bonnéry, ce temps d’expérimentation est également possible à O Espaço


do Tempo, où le but du directeur du lieu, « c’est d’accueillir les artistes, sans forcément
qu’il y ait de production derrière, il n’y a pas d’obligation, on peut y aller pendant quinze
jours et être dans la réflexion, initier un projet… ». Il est important que les artistes
puissent bénéficier d’un lieu de travail pour un certain temps simplement pour chercher,
expérimenter, se ressourcer aussi.

- La fabrication/création

Cette fonction de la résidence est la plus courante et représente la phase centrale


de la création. Elle est d’ailleurs souvent qualifiée de « résidence de création ». Il s’agit
de créer, fabriquer un spectacle. Cette phase intervient après l’écriture et nécessite la
présence des interprètes. C’est donc le temps des répétitions du spectacle, de la création
lumière avant la première représentation. La plupart des artistes rencontrés ont évoqué ce
type de résidence. Pour la compagnie P.A.R.C., c’est l’occasion de « fabriquer les décors
sur place, installer la scénographie ». Gilles Pastor évoque ainsi sa résidence aux
Subsistances :

« Cette résidence m’a permis de développer une écriture de spectacle qui


était latente chez moi et que je n’avais pas encore expérimentée, c’est-à-
dire de construire l’écriture de spectacle sur le plateau, et qui n’était pas
simplement de l’écriture textuelle mais qui était aussi une écriture avec
de la vidéo, avec un danseur, avec de la matière intime,
autobiographique… […]. Pour le spectacle qui s’est créé en novembre, j’ai
pu avoir le lieu dans lequel on a joué trois semaines avant, et j’ai répété
depuis le 1er septembre dans un atelier où j’avais un vidéoprojecteur et
un écran […]. J’aime beaucoup le temps de fabrication, j’adore ça. »

29
Cette idée de « fabrication » est souvent présente lorsque l’on aborde ce type de
résidence, notamment au CCN de Rilleux-la-Pape, que les personnes rencontrées ont
qualifié de « lieu de fabrique ». Les artistes rencontrés ont peu développé leur expérience
de ce type de résidence, sans doute parce qu’il est le plus fréquent et donc le plus évident
pour eux.

- La diffusion

La fonction de diffusion que peut comporter la résidence fonctionne rarement


seule, et notamment chez les personnes rencontrées ; elle accompagne plutôt un autre
type de résidence. Certaines compagnies, lorsqu’elles sont en résidence, en profitent pour
diffuser leurs spectacles. C’est souvent le cas de compagnies proposant des spectacles de
différentes formes et qui sont diffusables dans divers lieux, pas forcément dédiés au
spectacle vivant. Lors de sa résidence au Toboggan, la compagnie Premier Acte proposait
souvent, en parallèle d’une création sur le plateau du Toboggan, du théâtre en
appartement, par exemple. La démarche de la compagnie C’est pas si grave est originale :
quand l’une de ses créations théâtrales est programmée dans un lieu de spectacle, elle
s’accompagne toujours soit d’un cabaret de textes et chansons, soit de spectacles de
petite forme qui sont joués dans les bars, les centres sociaux, les médiathèques…

- La sensibilisation, la formation

La résidence peut être l’occasion pour les artistes, comme pour le lieu d’accueil,
de confronter l’acte artistique au public. C’est ce qu’explique Philippe Verrièle : « pour le
lieu, une résidence est un facteur d’animation, la possibilité de disposer sur place de
passionnés capables d’animer différemment la sensibilisation du public »27. Pour Marc
Masson, en effet, l’enjeu est de « réduire l’écart entre la parole artistique et la réalité
sociale » grâce au travail des artistes en résidence avec la population de Vaulx-en-Velin.
Cette fonction de la résidence est particulièrement appréciée par les lieux d’accueil mais
est également souvent une préoccupation des artistes. Par exemple, Emmanuel Serafini,
administrateur de la compagnie Fattoumi-Lamoureux précise que « cette période [de
résidence] a pour objectif de désacraliser l’acte de création, de le rendre plus familier,

27
In BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p.
20.

30
plus accessible au public, initié ou non »28. De son côté, Michel Jacques, président d’ARTY-
FARTY, conçoit la résidence « comme un outil permettant de temporiser l’échec relatif de
la démocratisation culturelle : l’idée étant de faire une action culturelle un peu
différente, de sortir les créateurs, de les mettre en contact avec des publics et de
montrer, non pas uniquement l’œuvre finie mais aussi la manière dont elle se fait »29.
Cette notion d’« œuvre en train de se faire » est très présente aux Subsistances, où de
nombreuses rencontres entre le public et l’œuvre en chantier sont organisées. De même, à
Ramdam, les présentations de fin de résidence montrent, le plus souvent, une étape d’un
travail en cours. Les auteurs d’Ilots artistiques urbains disaient de Ramdam que « la
philosophie défendue permet de rendre visible le processus de création […] et de changer
ainsi la relation avec le public » et qu’« ainsi, la fabrication peut rester un brouillon
auquel sont associés le public et la critique »30.
Par ailleurs, les Subsistances, dans un but de sensibilisation des publics, ont
développé une école du spectateur avec les ateliers de pratique pour les amateurs : « la
pratique personnelle permet au spectateur d’aller plus loin lorsqu’il regarde un spectacle,
plus loin que la consommation ». De plus, tous les ateliers de pratique pour les amateurs
sont organisés en lien avec la programmation puisque les inscrits bénéficient d’une
invitation pour les spectacles de la discipline qu’ils pratiquent. Si nous nous penchons plus
précisément sur la démarche de la compagnie C’est pas si grave, nous nous rendons
compte qu’elle n’a pas qu’une fonction de diffusion de ses œuvres mais a aussi pour but la
sensibilisation des publics. En effet, si elle joue des spectacles hors théâtre, c’est aussi, a
expliqué Eloïse Brunet pour « amener les gens à découvrir les grands textes de théâtre ».
Elle raconte qu’« il y a des gens qui avaient vu le cabaret dans les bars qui n’étaient
jamais entrés dans un théâtre, et qui sont venus voir La nuit juste avant les forêts qu’[ils]
jouai[ent] au théâtre ».
Christian Bourigault, quant à lui, donne une grande importance à cette fonction de
la résidence puisque l’un de ses enjeux est : « comment faire accéder à cette culture
chorégraphique contemporaine, considérée par certains comme élitiste, un public qui a
priori est loin de ça naturellement ? ». Il nous expose sa conception des choses :

« Mes enjeux, c’est comment trouver une forme dans les questions que je
me pose, comment trouver la forme pour faire partager aux gens avec
l’exigence qui est la mienne une sorte d’accessibilité. Ce que je veux dire
par là, c’est que ma compagnie, elle est à la fois une compagnie de
création, c’est son objet principal, mais après autour de la création

28
Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu
de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 29.
29
CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 35.
30
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 67.

31
artistique, c’est comment créer les conditions d’accessibilité à cette
création artistique. Et la résidence est un moyen que j’aime bien parce
que ça me permet d’être en prise directe avec les gens ».

Il relate également une action de sensibilisation qu’il a réalisée pour Espaces Pluriels, à
Pau :

« Un jour, le directeur d’Espaces Pluriels m’appelle pour me dire :


« j’aimerais que vous fassiez quelque chose autour de l’art et du sport »
[…]. Pau est une ville où il y a deux grandes équipes de rugby et de basket.
De fil en aiguille, on est arrivés à ce que je fasse une création sur le
plateau du théâtre de Pau de vingt minutes avec trois rugbymen et trois
rugbywomen […] On a fait ce spectacle et pour la plupart d’entre eux, ils
se sont retrouvés pour la première fois dans un théâtre, et le soir du
spectacle, dans le théâtre, il y avait tous leurs copains et leurs copines qui
mettaient pour la première fois les pieds dans le théâtre pour voir de la
danse contemporaine faite par leurs copains rugbymen. Pour moi, c’est
une pièce qui a des faiblesses, enfin, non, elle est… je veux dire la forme,
je m’en fous, c’est le processus de travail qui compte […]. Le résultat final
n’est jamais à la hauteur de l’intensité du processus, c’est toujours
frustrant. […] Et eux ont découvert des choses et après, ils sont venus voir
mes spectacles. Maintenant, je sais pas, il faudrait voir deux ans après si
ces gens reviennent au théâtre. »

Toutes ces fonctions, tous ces types de résidences ne sont pas toujours définis aussi
clairement et parfois se mélangent. Comme nous l’avions déjà remarqué, la résidence
n’est pas une entité figée mais une pratique qui s’adapte aux acteurs, tant du côté du lieu
d’accueil que de la compagnie. Mais, nous l’avons vu aussi, « résidence » est un terme qui
a été beaucoup utilisé, parfois pour des situations qui n’y correspondaient pas ; certains
trouvent même ce mot galvaudé. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont
souhaité préciser les contours de la résidence.

3) Les résidences selon le Ministère de la Culture et de la Communication

Plusieurs des artistes rencontrés ont évoqué l’expression « résidence officielle »


sans pour autant savoir expliquer précisément ce qu’elle signifiait. Annabelle Bonnéry, par
exemple, évoquait la résidence de la compagnie Lanabel au Toboggan en disant : « ça a

32
jamais été formulé, formalisé comme une résidence mais à peu de choses près, ça
correspond aux résidences-mission ou un truc comme ça ». Annick Charlot, au sujet de sa
résidence au Théâtre de Givors, hésitait : « c’était pas une résidence de création parce
qu’officiellement, à la DRAC, il y a des termes : « résidence de création », « résidence de…
d’action culturelle », non ? Bref, il y a en une qui a spécifiquement cette mission, en fait,
c’est juste le théâtre qui reçoit des subventions pour faire travailler la compagnie ». Cet
aspect financier à propos de l’accueil d’artistes en résidence a été abordé par la
compagnie P.A.R.C., lors de l’entretien. En effet, en comparant leurs différentes
expériences de résidences, ils sentaient que certains lieux accueillaient des compagnies en
résidence dans le but de recevoir des subventions supplémentaires - ce qui est confirmé
par Isabelle Charbonnier (responsable du bureau de la culture au Conseil Régional Rhône-
Alpes) dans Les résidences d’artistes en question31. Elle précise que « la mise en place de
résidences est même l’une des conditions pour l’obtention du label Scène Rhône-Alpes
pour certains théâtres de ville ». Dans le même ouvrage, Jacques Bonniel exposait ses
craintes quant à la publication d’un texte officiel régissant les résidences : « Compte tenu
de l’extrême diversité des situations, de la polyphonie représentée par la résidence, une
charte sur les résidences ne peut être qu’une charte de principes, de postures, sûrement
pas une base de modélisation. La charte doit être construite comme une énonciation de
positions, de valeurs, de finalités que l’on veut poursuivre et de modalités d’intervention
et d’évaluation »32.
Début 2006, le Ministère de la Culture et de la Communication a publié une
circulaire33, à l’attention des Directeurs Régionaux des Affaires Culturelles et des Préfets
de Région34, précisant les limites des résidences et surtout les conditions requises pour
être financé, en tant que structure d’accueil ou en tant que compagnie ou artiste, par
cette institution au titre d’une résidence. La rédaction d’un texte de ce type, définissant
une notion aux contours aussi vagues, était nécessaire, pour contrer l’usage abusif de ce
terme ; mais néanmoins difficile car risquant de mettre de côté la richesse de la diversité
des pratiques.
Cette circulaire, destinée aux directeurs des échelons déconcentrés du Ministère de
la Culture et de la Communication, leur « précise le cadre » que le Ministre les « invite à
retenir » lorsqu’ils désirent soutenir des artistes ou des compagnies en résidences dans des
« structures de création, de diffusion ou de formation, des institutions ou d’autres

31
In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 53.
32
Idem, p. 24.
33
Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de
résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, pp 5-9.
34
L’intégralité de cette circulaire se trouve en annexe.

33
établissements sur le territoire qui relève de [leur] compétence »35. La définition de la
résidence retenue est la suivante : « actions qui conduisent un ou plusieurs artistes d’une
part, et une ou plusieurs structures, institutions ou établissements culturels d’autre part, à
croiser pour un temps donné, leurs projets respectifs, dans l’objectif partagé d’une
rencontre avec le public »36. Cette définition reste très large et laisse la possibilité à de
nombreux projets d’être qualifiés de résidence ; mais elle impose tout de même une
rencontre entre artistes et public. L’objectif à atteindre, pour le Ministère, est de « mieux
ancrer le travail artistique dans une réalité territoriale ». Le Ministre préconise
l’élaboration d’une convention entre les parties fixant « l’objet, la durée, les moyens
nécessaires à sa réalisation et les conditions de partage de ces moyens entre les
partenaires ». Ce texte précise également que « le terme de l’opération doit prévoir un
bilan chiffré, qualitatif et financier dont l’élaboration est indispensable au renouvellement
éventuel de l’opération ou à la poursuite, sous une autre forme, de la démarche
engagée »37.
En terme de définition du champ d’application, selon ce document, la résidence
concerne « tous les artistes du spectacle vivant, plasticiens ou écrivains » - ces derniers
pouvant être issus d’une autre région que la région de résidence. Si elles sont compatibles,
deux résidences simultanées dans deux régions différentes peuvent être envisageables. Le
texte précise que « la priorité doit être donnée à des artistes ou à des équipes artistiques
qui ne disposent pas déjà habituellement d’un lieu de travail comparable à celui dont ils
auraient l’usage dans le cadre de la résidence »38.
En ce qui concerne la durée dans laquelle s’inscrit la résidence, elle peut recouvrir
« une période de temps continue ou au contraire, si le projet le justifie, faire l’objet de
fractionnements dûment déterminés dans le calendrier de l’action ». Cette circulaire
mentionne le fait que les artistes et compagnies en résidence doivent disposer de « lieux
de travail adaptés à [leur] activité et dont les périodes d’utilisation sont clairement
définies ». Ce texte évoque également la question de l’hébergement mais ne donne pas
d’autre directive que : « les conditions d’accueil qui touchent à l’hébergement des artistes
doivent être spécifiquement étudiées »39.
Après avoir mentionné deux des éléments que nous avons analysés dans notre étude
de la diversité des résidences (la durée et les lieux de travail), le texte aborde un
troisième élément, à savoir les actions de rencontre avec le public que nous avons
considéré comme une contrepartie. Il est stipulé que l’« esprit de partenariat » est

35
Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de
résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 5.
36
Ibid.
37
Idem, p. 6.
38
Idem, p. 8.
39
Ibid.

34
important pour l’élaboration des actions de rencontre avec les publics « qui sont l’œuvre
commune des artistes et de la structure d’accueil ». Plus particulièrement, la structure
amène « sa connaissance des publics » et « met en relation les artistes et les relais locaux
qu’elle suscite ». Les artistes et les professionnels, quant à eux, proposent « des formes de
rencontre en adéquation avec leur démarche artistique spécifique ». Mais le ministre
précise que les actions en direction du public proposées dans le cadre d’une résidence « ne
sauraient toutefois se substituer au travail de base d’éducation artistique, ni au travail de
fond de la constitution d’un public qui relèvent des missions de la structure d’accueil »40.
Ce dernier élément suppose que les rencontres avec le public sont obligatoires, or, dans la
pratique, elles sont plus facultatives. Cependant, le texte reste assez vague sur
l’organisation de ces rencontres qui peuvent se réduire à une simple présentation de
travaux, comme à Ramdam.
Pour traduire la multiplicité de situations que recouvre la résidence, la circulaire en
distingue trois types différents :

- La résidence de création ou d’expérimentation

Lors de ce type de résidence, les équipes artistiques accueillies en résidence


doivent pouvoir disposer des conditions techniques et financières pour « concevoir, écrire,
achever, produire une œuvre nouvelle » ou pour « préparer et conduire un travail original,
et y associer le public dans le cadre d’une présentation ». Ce type de résidence suppose le
développement d’actions de rencontre avec les publics, « de nature à présenter les
éléments du processus de création tout au long de l’élaboration de l’œuvre ». Comme dans
certains cas étudiés précédemment, l’objectif de ces rencontres est de sensibiliser les
publics en leur montrant l’œuvre en train de se faire. Cependant, à propos de ces actions,
il est ajouté que « pour un bon équilibre artistique de l’opération, [elles] doivent toutefois
demeurer secondaires par rapport au temps global de la présence des artistes ». Enfin, la
durée de ce type de résidence est spécifié : au total, il peut varier entre « quelques
semaines et plusieurs mois » et peut être reconduit « plusieurs années de suite sur le
même site »41.

40
Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de
résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 8.
41
Ibid.

35
- La résidence de diffusion territoriale

Contrairement à la résidence de création ou d’expérimentation, ce type de


résidence « vise à mettre en perspective une politique engagée à plus long terme, dans le
cadre de l’aménagement culturel du territoire ». La résidence de diffusion territoriale se
construit autour de « la diffusion large et diversifiée de la production des artistes invités,
dans le double objectif de donner à voir la multiplicité des formes et des styles et de
porter la création artistique dans les lieux les plus diversifiés possibles »42. Elle suppose
également des actions de sensibilisation, dont l’objectif est de « contribuer au repérage de
nouveaux publics et de réaliser des initiatives visant à la formation et à la pratique des
amateurs ». En matière de durée, il est noté que, pour ces résidences, elle est « variable
selon l’importance de la mission : de quelques mois à une ou plusieurs années, avec des
temps forts, clairement lisibles autour de la diffusion des productions proposées ». Ce
texte laisse la possibilité pour une équipe artistique de cumuler résidence de création ou
d’expérimentation et résidence de diffusion territoriale dans un même lieu, « à condition
toutefois que les conventions qui définissent le cadre de ces actions déterminent
clairement les conditions respectives de leur mise en œuvre »43. Ce deuxième type répond
à la fois à la fonction de diffusion et à celle de sensibilisation/formation que nous avons
vues précédemment.

- La résidence-association

Cette résidence permet à un artiste ou une compagnie de s’installer dans un lieu ou


sur un territoire et à une structure d’accueil de bénéficier d’une présence artistique sur le
long terme. Ce type de résidence est plus contraignant puisque la circulaire stipule que la
résidence-association fait l’objet d’un « contrat sur deux ou trois années, associant les
artistes, le lieu d’accueil, l’Etat et des partenaires locaux ou nationaux »44. De plus, dans
ce cas, les artistes deviennent des « acteurs essentiels de la politique culturelle locale,
associés aussi bien aux choix de programmation artistique qu’à la recherche, à la
formation et au développement des publics ». Dans ce cadre, ils ont en effet « une triple
mission de création, de diffusion et de sensibilisation » et ont « vocation à investir un
espace qui peut être le lieu de leur création et un plateau privilégié de leur diffusion »45.
Enfin, une résidence de ce type peut être reconduite.

42
Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des équipes artistiques dans le cadre de
résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, p. 7.
43
Ibid.
44
Ibid.
45
Ibid.

36
Finalement, ce document reprend une grande partie des éléments correspondant à
l’étude des résidences que nous avons réalisée et les classe de manière à définir trois
types de résidences. Comme ce texte est assez récent – et encore plus lors des entretiens,
qui se sont déroulés entre le 18 février 2006 et le 21 avril 2006 – nous ne pouvons pas
évaluer ses effets sur les pratiques des résidences. L’usage du terme « résidence » est-il
appelé à se restreindre ? Les résidences verront-elles leur nombre diminuer, du fait du
cadre existant maintenant pour les définir ? Ou sont-ce les acteurs de ces pratiques
(équipes artistiques et lieux d’accueil) qui s’efforceront de modifier leurs pratiques pour
rentrer dans ce cadre et bénéficier des subventions qui sont allouées pour les résidences ?

4) Etude étymologique du mot « résidence »

Le terme de « résidence » appartient au lexique de l’habitat, comme le rappellent


avec humour certains des auteurs ayant écrit sur les résidences artistiques : par exemple,
Philippe Verrièle46 définit la résidence ainsi : « Derrière le mot qui fleure l’immobilier et la
solidité de la fonction (résidence secondaire ou principale, résidence du chef de l’Etat) se
cachent les modalités d’installations passagères d’un créateur et de son équipe ». Bob
Revel, directeur de l’Ecole Nationale de Musique de Chambéry, l’évoque de la manière
suivante : « Le terme de résidence se vide souvent de ses connotations du langage
courant : calme, luxe et volupté durables suggérées à l’acheteur immobilier doivent
s’entendre dans la résidence artistique de façon très variable dans les moyens ou les
durées octroyées »47. Philippe Chaudoir, quant à lui, propose pour distinguer, dans les
termes, une résidence artistique de quelques jours et l’association d’une compagnie à une
structure, de prendre la métaphore de l’habitat, et explique qu’« on a affaire soit à de la
résidence « secondaire » soit à une quasi forme d’« accession à la propriété » »48.
Plus sérieusement, ce terme, en latin médiéval, a signifié successivement « séjour,
logis », « domicile », « fait d’être domicilié ». Même s’il a d’abord eu le sens administratif
de « séjour actuel et obligé (d’un fonctionnaire, d’un évêque) dans un lieu » - d’où
l’expression à résidence, reprise en droit pénal pour assigner, assignation à résidence -, le
sens courant, « fait de séjourner effectivement dans un lieu déterminé » s’est répandu dès
l’ancien français. Comme le précise Alain Rey dans son dictionnaire historique49, « les

46
In BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p.
20.
47
In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 66.
48
CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 46.
49
REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 3202.

37
spécialisations postérieures développent la valeur de « lieu » désignant celui où réside un
personnage revêtu de fonctions officielles, notamment un chef d’Etat ». Le terme de
« résidence » a ensuite reçu la définition juridique de « lieu où un personnage habite ou
exerce une activité professionnelle » ce qui le distingue de la notion de domicile, tandis
que l’usage courant en a fait une désignation du domicile entouré de connotations
mélioratives au milieu du XIXème siècle, comme dans l’expression résidence secondaire,
souvent équivalent prétentieux de maison de campagne, ou comme dans son emploi pour
un groupe d’habitations assez luxueux, ou encore dans l’expression résidence-hôtel
« immeuble disposant de services hôteliers tels que bar, restauration, boutiques »50. Le
verbe « résider », dont il est issu, signifiait déjà en latin « avoir sa résidence dans un lieu,
y séjourner habituellement »51. Nous pouvons constater par l’évolution sémantique du mot
que la résidence en général est attachée à un lieu, tout comme la résidence artistique, et
qu’elle fait partie du champ lexical de l’habitat.
Intéressons-nous à présent plus particulièrement à l’expérience originale de
Ramdam, qui a une pratique singulière des résidences d’artistes et les nomme « demeures
d’artistes ». Pour cela, nous allons devoir nous attacher brièvement à l’histoire de ce lieu.
Lors de la création de Ramdam, les membres du collectif – les soucieux – souhaitaient en
faire un lieu de travail pour les artistes, pour combler le manque d’espaces de répétition.
Les soucieux étant bénévoles, les seuls frais étaient ceux de la structure et notamment les
frais de chauffage. Souhaitant faire fonctionner le lieu sans aide extérieure, avec son
économie propre, ils ont décidé de le louer avec pour objectif que les recettes de location
couvrent les frais engagés par le fonctionnement du lieu. Les tarifs étaient très bas et
calculés en fonction des ressources des compagnies. Mais le calcul du tarif pour chacun
étant compliqué, des tarifs uniques ont été décidés (un tarif pour la grande salle et un
autre pour le petit studio). Cependant, le lieu était très peu occupé – les compagnies se
débrouillent souvent pour ne pas avoir à louer de lieux de travail -, et les durées
d’occupation étaient très courtes, ce qui ne permettait pas forcément les échanges entre
les artistes et les membres de la structure et le public. Les soucieux ont donc développé
un projet de mise à disposition du lieu à des équipes artistiques, en demandant des aides
publiques. Ce projet d’accueil d’artistes en résidence a été particulièrement réfléchi au
sein du collectif, qui souhaitait – et souhaite toujours - instaurer une notion de durée dans
la venue des artistes, et éviter la pratique parfois consommatrice de ses derniers. Les
compagnies peuvent demander de venir à Ramdam aussi longtemps qu’elles le veulent
(l’expérience a montré que cela peut aller jusqu’à deux mois) ; mais surtout elles peuvent
y revenir plusieurs fois pour un même projet ou un projet différent, de manière à ce que

50
REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 3202.
51
Ibid.

38
les soucieux et le public puissent suivre leur travail. Le fait de réfléchir à cette pratique
les a amenés à instaurer ce qu’ils appellent les « demeures ». Cette réflexion, qui a
entraîné un changement de terme ne s’est pas accompagnée de règles strictes mais a
clarifié la « politique » de la structure. Depuis lors, ils essaient de faire comprendre aux
compagnies accueillies que leur volonté est d’avoir un lieu non pas occupé mais habité par
des artistes. Toujours avec le vocabulaire de l’habiter, ils disent leur « donner les clés du
lieu », au sens propre. D’ailleurs, Liliane Dos Santos, dans Ilots artistiques urbains52, parle
de Ramdam en ces termes : « Aujourd’hui, Ramdam se destine à être habité par la
recherche artistique et se consacre à la fabrication d’œuvres ; lors des « Demeures
d’artistes », un concept encore à développer, il est proposé aux créateurs de vivre à
Ramdam en les invitant à rêver, réfléchir, créer et prendre le temps de la fabrication ». Ce
que les soucieux attendent des artistes, c’est un échange avec les membres du collectif de
Ramdam, avec les structures sociales, éducatives et culturelles de la ville d’implantation
du lieu, Ste Foy-les-Lyon, ce qui n’est possible que si les artistes restent un certain temps,
ou s’ils reviennent régulièrement. Ainsi, le choix du terme « demeure » n’est pas anodin.
En effet, si l’on se penche sur la définition de « demeure », l’on se rend compte
qu’en plus de la signification « domicile, lieu où l’on vit » qui ressemble fortement à celle
de « résidence », ce terme a également le sens de « rester un certain moment à l’endroit
où l’on est »53, surtout dans la forme verbale « demeurer ». Ce mot compte d’autres
définitions mais seulement dans le cadre de certaines expressions comme « il y a péril en
la demeure », que l’on peut traduire en français contemporain par « il y a danger à rester
dans la même situation », ou comme « mettre en demeure », qui correspond à « se mettre
dans une situation où l’on est responsable de son retard » ou encore le substantif
« demeuré » qui est « celui qui « déménage », qui a perdu sa raison ou sa maison… qui ne
sait plus où il se trouve, qui est désorienté »54. Jusqu’au XVIème siècle, « demeurer » avait
aussi le sens de « tarder » qu’il a perdu au profit de « rester un certain temps là où on se
trouve », spécialement « résider dans un lieu »55. Le mot « demeure » renferme donc dans
sa définition la même signification que « résidence », à savoir « domicile », « séjour dans
un lieu déterminé », et contient un sens en plus : celui de « rester », qui sous-entend la
notion de durée, que les soucieux de Ramdam souhaitaient faire passer aux compagnies
qu’ils accueillent.
Comme nous le remarquions au début de cette étude étymologique, « résidence » -
et « demeure » par la même occasion - font partie du champ lexical de l’habitat, et donc
de l’habiter, terme auquel nous allons nous intéresser maintenant. En effet, nous avons

52
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 67.
53
Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse/Vuef, 2001, p. 314.
54
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 111.
55
REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 1030.

39
analysé les pratiques des résidences artistiques dans le spectacle vivant afin de bien les
comprendre, aussi reste-t-il à nous attacher à les envisager depuis l’angle de l’« habiter ».
Pour cela, nous allons être amenés plus particulièrement à nous demander comment les
artistes habitent le lieu de résidence.

40
II/ Habiter

Pour étudier les résidences sous l’angle de l’« habiter », demandons-nous d’abord
ce que signifie ce terme. D’après le Petit Larousse, « habiter » veut dire « avoir sa
demeure, sa résidence en tel lieu »56. Avec sa définition courte et synthétique, le
dictionnaire nous renvoie directement à notre sujet et nous confirme ce que nous venons
de voir : « résidence » et « demeure » sont deux mots du champ lexical de l’habiter.
Le terme « habiter » est emprunté au latin habitare qui veut dire « avoir souvent »,
« demeurer » ; ce qui a donné « habitude ». Il a d’abord signifié « rester quelque part,
vivre dans un lieu » puis s’est spécialisé dans le sens d’« occuper une demeure »57. Si nous
nous attardons sur les mots de la même famille qu’« habiter », nous pouvons noter que le
mot « habitat » appartient d’abord aux vocabulaires de la botanique et de la zoologie et
qu’il indique « le site occupé par une plante à l’état naturel », puis « le milieu
géographique adapté à la vie d’une espèce animale ou végétale » ; c’est ce que nous
appelons aujourd’hui une « niche écologique ». Ensuite, le terme « habitat » désigne les
« conditions de logement ». L’adjectif « habitable », quant à lui, est issu du latin
habitabilis, qui signifie en toute logique « où l’on peut habiter ». Le terme « habitation »
vient du latin habitatio et exprime le « fait d’habiter », la « demeure », la « maison ». Le
terme « habituer » signifiait « habiller », puisqu’« habituari veut dire « avoir telle manière
d’être » et celle-ci dépend pour beaucoup des vêtements que l’on porte… »58 Du reste, en
français, le mot « habit » du latin habitus signifie « maintien » ou « tenue », au sens de
tenir sa place, son rang. Les expressions « l’habit ne fait pas le moine » et « prendre
l’habit » appartiennent au même registre, celui dans lequel le mot « habit » est non
seulement un vêtement religieux, mais une attitude, tant physique que morale (pour
mieux comprendre l’étymologie de tous ces termes, dérivés du verbe habere, voir le
schéma page suivante59).

56
Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse/Vuef, 2001, p. 498.
57
REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-Eurolivres, 2004, p. 1672.
58
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 112.
59
ERNOUT A., MEILLET A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, histoire des mots, Paris, Editions Klincksieck, 1979,
p. 288.

41
HABERE et ses dérivés

latin
HABITUS latin
"maintien" habitudo
"manière
"tenue"
d'être"

latin
habilitas
latin HABERE latin "aptitude"
"se tenir, tenir" HABILIS
"occuper, posséder" "qui tient bien"
"bien
"avoir" latin
approprié"
habilitare
"rendre apte"

latin
habitatio
"logement"
"domicile"
latin HABITARE
"avoir souvent"
"occuper"
latin
habitaculum
"demeure (du
corps, de
l'âme)"

42
A présent, éloignons-nous de l’étymologie du terme « habiter » et voyons ce qu’il
évoque. Au premier abord, « habiter », « vivre quelque part » nous fait penser à l’idée
d’« être chez soi » - ce que Michel Haar, philosophe, exprime dans Demeure terrestre :
enquête vagabonde sur l’habiter : « habiter signifie d’ordinaire se trouver chez soi quelque
part » 60. Mais il se demande immédiatement ce qu’est le « chez-soi ». Puis, il décrit la
demeure, le « chez-soi », comme « abri, foyer, aise »61. Monique Eleb-Vidal, psychologue,
adopte une autre perspective pour sa définition du « chez-soi ». Elle explique qu’il
« conforte la personnalité en cours de constitution » et qu’« il vient assurer et rassurer »62.
Aussi nous proposons d’étudier comment cette sensation de « chez-soi » se traduit chez les
personnes rencontrées, d’abord de manière assez objective et ensuite plus
subjectivement.

1) Se sentir chez soi

- Vivre dans le lieu : logement et restauration sur place

Nous considérerons comme relativement objectifs ces éléments du « chez-soi » :


vivre dans le lieu, c’est-à-dire loger et manger sur place. Cela est possible dans plusieurs
lieux, notamment les lieux dédiés à l’accueil d’artistes en résidences comme Ramdam, où
les artistes en « demeures » « n’ont pas à « rendre les clés » le soir, ils sont chez eux, ils
habitent le lieu »63. Thierry Thîeu Niang en témoigne : « toute l’équipe est hors de son
milieu, de son quotidien […] : les temps de travail, les temps de vie en commun sont
beaucoup plus riches […]. Nous, on est là tout le temps, on mange ici et on dort ici, dans
les caravanes ». Les membres de la compagnie P.A.R.C., eux aussi en « demeure » à
Ramdam, expliquent qu’« il y a plein de critères de la vie du quotidien dans Ramdam, ce
qui fait que c’est un endroit vivant : tout bêtement, il y a une cuisine et un endroit où
dormir, ce qui fait qu’on vit dans le lieu et avec le lieu ». Ils ajoutent que « comme tout
est sur place, même s’[ils] ne mang[ent] pas aux mêmes heures [que les autres personnes
présentes dans le lieu], [ils les] croise[ent], c’est inévitable ! ». Ils concluent en précisant
que ces éléments « permet[tent] aussi de ne pas isoler entièrement le temps de création
du quotidien ». Autre expérience à Ramdam : la compagnie Lanabel. A la fin de

60
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 146.
61
Ibid.
62
In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 145.
63
Elise Garraud et Jean-Marc Lamena, soucieux de Ramdam.

43
l’entretien, François Deneulin et Annabelle Bonnéry, directeurs de la compagnie Lanabel,
ont évoqué des « demeures » qu’ils avaient vécues à Ramdam (dont ils n’avaient pas parlé
pendant l’entretien). Et en ce qui concerne le logement dans les caravanes, ils étaient en
désaccord : Annabelle Bonnéry appréciait beaucoup d’être hébergée sur place, elle
trouvait cela très pratique ; François Deneulin, quant à lui, appréciait moins parce qu’il
avait l’impression de « ne jamais sortir du travail ».
Cet aspect des résidences – le logement et la restauration dans le lieu de résidence
– est également présent aux Subsistances, puisque les compagnies ont des chambres à leur
disposition sur le site même, ainsi qu’une cuisine avec lave-linge et sèche-linge.
Cependant, Gilles Pastor, en résidence aux Subsistances n’a pas évoqué cette notion de vie
sur place parce que, étant lyonnais, il n’a pas fait lui-même l’expérience du logement et
de la restauration sur place ; il a simplement dit qu’« il y a[vait] une cuisine [et que] les
résidents [pouvaient] se faire à manger ». Etant donné que Gilles Pastor a été le seul
résident des Subsistances rencontré, nous n’aurons pas de récit plus détaillé de la vie aux
Subsistances lorsqu’on y est hébergé.

- Les convenances

Etre en résidence, habiter un lieu, un territoire, c’est cohabiter avec d’autres qui
deviennent des voisins. En ce sens, André Sauvage, sociologue, « dote l’habitant […] d’une
qualité sociale, celle d’habiter son chez-soi, son quartier, sa ville »64. Les compagnies
rencontrées, surtout celles qui ont logé chez l’habitant lors de leur résidence ont eu à
gérer ce type de relation. Ces expériences se rapprochent d’un élément de l’« Habiter »
que Pierre Mayol nomme les convenances. Il définit le quartier comme « le lieu où
manifester un « engagement » social, autrement dit : un art de coexister avec des
partenaires (voisins, commerçants) qui vous sont liés par le fait concret, mais essentiel, de
la proximité et de la répétition »65.
Pour la compagnie C’est pas si grave, le logement chez l’habitant est une solution
d’économie. En effet, pour cette jeune compagnie, loger entre quinze et dix-sept
personnes est très coûteux. Elle se débrouille donc, par le biais d’amis et de
connaissances, pour que l’équipe soit hébergée par des habitants de la ville de résidence.
Eloïse Brunet, chef de troupe de la compagnie, confiait à propos de leur résidence à Crépy-
en-Valois : « En résidence tu vis chez les gens, avec les gens, il se lie des choses, quand on
va faire nos courses ou… Il y a des choses qui se lient avec les gens ». En marchant dans la

64
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 148.
65
MAYOL P., « Habiter » in CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., L’invention du quotidien 2 : Habiter, Cuisiner, Paris, Union
Générale d’Editions, 1980, p. 17.

44
rue, les comédiens de la compagnie rencontrent, en l’espace de quelques minutes, trois ou
quatre personnes qu’ils connaissent, les commerçants les reconnaissent, comme dans leur
propre quartier. D’après eux, « quand on est en résidence et qu’on loge chez des gens, on
apprend vite à se sentir chez soi un peu partout… ».
Les comédiennes du Théâtre Craie, comme les membres de la compagnie C’est pas
si grave, disent l’impression qu’elles ont, en résidence, de « rentre[r] chez [elles] le soir
mais [d’] arrive[r] dans des maisons avec des gens qu’[elles] ne connai[ssent] pas
beaucoup ». Cependant, la démarche du Théâtre Craie est différente : le logement chez
l’habitant fait partie du projet, l’objectif est d’immerger les membres de l’équipe pendant
quinze jours dans une ville qu’ils ne connaissent pas. Les deux comédiennes rencontrées
relatent cette expérience :

« On vit chez les gens, on discute avec eux, on apprend toutes les blagues
du village, toutes les anecdotes entre voisins… On vit vraiment avec les
gens du village […]. En même temps, ils racontent nos vies aussi, c’est-à-
dire que les choses qu’on a pu échanger autour d’un repas avec eux, après
elles sont racontées dans le village. Tu rentres dans l’intimité des gens
mais eux, ils rentrent un peu dans le tienne aussi. »

« Sur cette résidence-là, le point de départ c’était l’étang, l’étang qu’on


vide. C’est devenu un lieu protégé, là-bas, les gens y ont toujours été. Si
on n’est pas né là-bas, on n’est pas de là-bas. Quand ils étaient gamins, ils
allaient pêcher dans l’étang, ils faisaient tout leur bazar, ils coupaient les
roseaux pour aller directement à l’étang, pour avoir de la vue. L’étang, il
a toute son importance ; les gens, c’est leur balade d’après manger, c’est
leur lieu d’amourette, c’est des souvenirs, les mariages, ça se fait là-bas,
quand ils étaient petits, c’est là-bas qu’ils allaient jouer, ils allaient faire
du patin à glace… Maintenant, il est protégé, donc, ce n’est plus leur
étang. C’est parce qu’on s’est intéressés à leur étang qu’on est de là-bas.
Ils ont accepté que ce soit le nôtre parce qu’on l’a aimé, on l’a respecté,
leur étang. »

Les personnes rencontrées comparent cette expérience aux voyages scolaires, où,
pour la durée du séjour, les élèves sont hébergés dans des familles d’accueil. De la même
manière, lors des résidences du Théâtre Craie, on attribue aux comédiens des « familles ».
Le vocabulaire de la famille a d’ailleurs été très développé dans l’entretien, comme le
prouve cet extrait :

« Le village, c’est le tien : tu arrives, tu connais rien et quand tu vas partir


de la résidence, c’est ton village, c’est ta famille, c’est tes amis. Et je suis
sûre que si on y retournait maintenant, on se baladerait dans le village

45
comme si on y avait grandi quand on était petit. Et ça, ça crée une
familiarité avec les maisons, les gens […]. Mme Brocard, la vieille dame,
c’est notre grand-mère, quand on y va, elle nous attend avec les biscuits.
C’est une dame, elle a 82 ans, toute sa famille est partie. Elle est tout le
temps devant sa maison, toute seule, du coup, on était un peu sa joie de
la journée et au bout d’un moment, c’était notre grand-mère. »

Mais, ces familles ne sont pas réellement les leurs, comme l’explique Marie Barbazin :

« Ils ont beau être nos grands-parents, nos tontons, nos tatas, à un
moment donné, ça va s’arrêter et ce sera pas notre famille pour de vrai
parce qu’on va leur écrire une carte postale, moi je sais que j’envoie des
cartes postales à mes familles de temps en temps mais je sais que c’est
quelque chose qui va s’éteindre petit à petit, si je n’ai plus d’histoires
avec eux, ça ne va pas perdurer. »

Les comédiennes rencontrées disent l’ambiguïté de ce type de situation : à la fois,


elles restent elles-mêmes, à la fois elles doivent se contenir, se maîtriser et tout le temps
« être aimables ». L’une d’elles raconte qu’elles ont comme un rôle à jouer : « Tout le
temps, t’es le comédien en résidence et si tu veux t’octroyer des moments d’être Aurélie,
d’être Marie, c’est pas simple, il faut se cacher un peu, se mettre à l’écart ». L’autre fait
une comparaison, en utilisant encore le lexique de la famille : « J’ai l’impression qu’on
reste qui on est mais comme dans ta belle famille, tu sais ; tu as une espèce de masque
quoi qu’il arrive ».
Et, comme avec des voisins ou des membres de la famille, il faut faire attention aux
susceptibilités de chacun, essayer de ne pas vexer les gens, ce dont nous font part Aurélie
Pitrat et Marie Barbazin :

« Quand on est retournés en Moselle la deuxième fois, on n’était plus dans


le même village, mais le village où on était la première année, ils savaient
qu’on revenait, on a été obligés d’aller les voir. On a été obligés de
prendre une demi-journée sur notre temps de travail pour aller les voir et
ça, c’est capital […]. Quand les gens nous invitent qu’est-ce qu’on fait ? On
leur dit non, on leur dit oui ? Si on leur dit non, ça les offense, il faut dire
oui mais il faut trouver le temps… Il faut être très vigilant, très attentif à
ça. »

Ces expériences nous montrent bien que les artistes en résidence doivent cohabiter
plus ou moins - et le récit des résidences du Théâtre Craie en Moselle par deux
comédiennes de la compagnie en est un exemple un peu extrême – avec les personnes du
quartier, de la ville de résidence, et que ces gens deviennent un peu leurs voisins, voire
leurs familles, pour un temps.

46
- Faire partie du lieu, de l’équipe

Plus subjectivement encore, les artistes habitent dans le lieu d’accueil en disant
l’impression de faire partie du lieu, de la même équipe - ce qu’Annick Charlot a souligné
lors de l’entretien. Ils indiquent aussi la possibilité de s’installer, comme Joël Jouanneau
et Angélique Ionatos qui se sont installés au Théâtre de Sartrouville « pour une durée
illimitée »66. De même, Gilles Pastor, qui se considère comme une « excroissance » des
Subsistances, confie : « c’est bien de pouvoir s’installer » et il ajoute « si jamais j’ai le
blues, je vais dans les bureaux, il y a une espèce de proximité ; on est très proches même
si on fait pas partie du lieu… enfin, on en fait un peu partie quand même. »
La notion de lieu de vie est également très présente – Gilles Pastor trouve
intéressant de participer à une « espèce de vie » - comme au Brise-Glace, à Grenoble, dont
les membres du collectif disent : « le Brise-Glace est aujourd’hui un gigantesque atelier de
fabrication mais aussi un lieu de vie. Le fait de vivre ensemble est une expérience humaine
et artistique essentielle. Habiter ensemble, c’est se connaître, faire circuler des idées,
découvrir les pratiques des uns et des autres, construire des projets »67. Les danseurs de la
compagnie P.A.R.C. corroborent cette impression : « si on vient à Ramdam, c’est aussi
pour faire vivre le lieu : quand on est en « demeure » dans le lieu, on file des coups de
main, on aide un peu à l’organisation, on fait partie du lieu ; à ce moment-là, c’est comme
si on faisait partie de l’équipe de Ramdam ; on sent bien que le lieu n’est pas à nous mais
qu’on peut l’investir ».
Gilles Pastor m’a accordé une visite guidée des Subsistances (voir plan page
suivante). Avant tout, précisons qu’une partie des bâtiments des Subsistances – et
notamment toute la partie ouest - sera dédiée à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon (sauf la
Verrière qui pourra encore être utilisée occasionnellement pour accueillir des spectacles),
après une phase de travaux.

66
MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999, p.
58.
67
LEXTRAIT F., Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires… : une nouvelle époque de l’action
culturelle. Rapport à Michel Dufour, secrétaire d’Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, Paris, La
Documentation Française, 2001, p. 14.

47
Les Subsistances (plan)

Nord

1 accueil / billetterie 9 Atelier 7 : atelier de répétition


2 administration (anciens bureaux) / 10 Salle de musique : atelier de
poste de garde répétition
3 Verrière : espace de spectacle 11 atelier de répétition
4 Boulangerie : salle de spectacle 12 Atelier Nord : atelier de répétition
5 Hangar Saône : salle de spectacle 13 administration locaux actuels
6 Hangar jardin : salle de spectacle 14 bureau de Gilles Pastor
7 Réfectoire des nonnes : salle 15 restaurant
d’exposition
8 cuisine et chambres à l’étage

48
Nous avons donc commencé la visite par la
Verrière, qu’il commente ainsi :

« Mon regret, c’est de ne pas avoir fait


un spectacle dans cette cour, un peu à
l’arrachée, avec cette architecture
militaire […]. C’est vrai que ce lieu, c’est
pas une architecture de théâtre mais en
même temps, je trouve que ça invente
beaucoup, ce type de lieu, ça peut
permettre la singularité d’un projet
artistique. »

La Verrière

Nous ressortons par la porte est du bâtiment, nous continuons en passant devant
l’ancien emplacement de l’administration puis devant le bâtiment où se trouve l’accueil.
Ensuite, nous longeons la salle appelée Boulangerie pour arriver à l’Atelier Nord, lieu à
propos duquel Gilles Pastor devient presque intarissable :

« Ça, c’est un endroit que


j’aime bien un peu pour
une histoire affective
parce que c’est le premier
atelier que j’ai utilisé
pour répéter ici, à
l’époque où le projet des
Nouvelles Subsistances
[actuelle équipe des
Subsistances] n’était pas
encore là, c’est-à-dire que
c’était encore une espèce
de lieu en friche. Là, c’est
un ancien atelier, tout ça
L’Atelier Nord
va être récupéré par

l’Ecole des Beaux-Arts, je trouve qu’il y a vraiment une notion d’atelier,


c’est vraiment des endroits magnifiques, je trouve que c’est très bien pour
les étudiants des Beaux-Arts, mais c’est un peu regrettable… On a

49
vraiment l’impression de fabriquer ici… Cette architecture un peu XVème, je
trouve ça… Alors, c’est un peu l’endroit que je préfère, un peu à part. »

Gilles Pastor m’a raconté une autre anecdote à propos d’un spectacle répété dans
l’un des ateliers du même bâtiment alors que nous retournions à son bureau, près des
actuels locaux de l’administration. Ce qui était étonnant, dans cette visite, c’est qu’elle
était vraiment affective. En effet, Gilles Pastor ne s’est attaché à me montrer que les
endroits qui lui tenaient à cœur, et qui vont être transformés avant d’être dévolus à
l’Ecole des Beaux-Arts. Nous n’avons visité aucun des autres bâtiments, que ce soit celui
de l’accueil, de l’ancienne administration, de la salle d’exposition, celui des chambres et
de la cuisine, qu’il utilise apparemment peu. En définitive, il semblerait que Gilles Pastor
n’habite que cette partie des bâtiments des Subsistances.

Nous avons abordé la notion d’« habiter » par une définition étymologique de ce
terme et nous avons vu comment, à plusieurs niveaux de subjectivité, les artistes se
sentent chez eux dans les lieux de résidence. Il reste que l’« habiter » est une notion bien
plus large et plus complexe que ces expériences assez concrètes du fait d’habiter. Martin
Heidegger en a même fait un concept, que nous allons tenter d’appliquer aux pratiques
évoquées lors des entretiens.

2) Le concept de l’« habiter » selon Heidegger

Le concept d’« habiter » chez Heidegger est assez complexe, c’est la raison pour
laquelle nous solliciterons l’aide de Thierry Paquot pour tenter de synthétiser cette notion.
Pour développer son concept d’« habiter » dans la partie intitulée « Bâtir habiter
penser »68 de ses Essais et conférences, Martin Heidegger se base sur la langue, et plus
précisément sur la langue allemande, sa langue maternelle. A ce sujet, Thierry Paquot dit
de lui qu’il « n’hésite pas à [la] manipuler – ô combien -, à créer des néologismes, à
réintroduire le sens oublié d’un mot, bref à changer son fusil d’épaule… ou à l’armer
différemment »69. Mais si Heidegger fonde sa réflexion sur la langue, c’est parce que,
comme il l’écrit dans sa Lettre sur l’humanisme en 1946, « le langage est la maison de
l’être. Dans son abri habite l’homme » 70. Il veut dire que « c’est par le langage que l’être

68
HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958
69
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 134.
70
In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 138.

50
et l’homme coïncideront à leur essence »71. Pour lui, le langage dit le monde à partir
duquel les humains, les événements et les choses ont un sens. Thierry Paquot précise que
« le langage possède les mots pour dire l’événement », qu’il définit comme « le lieu de
tous les lieux et de tous les espaces de temps »72. Selon lui, ce n’est pas un hasard si
Bachelard, Heidegger et Lefebvre ont tous trois travaillé sur l’« habiter » car « ils sont
persuadés que la langue n’est pas étrangère à l’« être », « l’être-là » »73.
Revenons au point de départ de Martin Heidegger, c’est-à-dire la langue, qu’il
utilise comme un outil de démonstration mathématique, pour expliquer sa notion de
l’« habiter » : il part du mot « bâtir », en allemand bauen, qui ne veut pas seulement dire
« bâtir » mais aussi « cultiver »74. Ce terme est issu du vieux-haut-allemand buan, qui
signifie « habiter » et donc, comme nous l’avons vu en préambule à ce chapitre, on peut
également le définir par « demeurer, séjourner »75. Comme bhû (« être », « devenir » en
sanscrit) et beo (« suis », « sois » en vieil anglais), il est issu de la racine indo-européenne
bhû ou bheu, « être », « croître », qui a également donné bin en allemand dans les
tournures ich bin (« je suis »), du bist (« tu es »). Ainsi, d’après leurs origines linguistiques,
bauen et bin ont la même signification, que Martin Heidegger résume de la façon
suivante : « être homme veut dire : être sur terre comme mortel, c’est-à-dire habiter »76.
De cette manière, si nous reprenons les deux sens de bauen, « cultiver, donner ses soins à
la croissance » - en latin colere, cultura – et « bâtir, édifier des bâtiments » - aedificare en
latin -, nous nous rendons compte, d’après les déductions d’Heidegger, qu’ils sont tous
deux compris dans le bauen proprement dit, c’est-à-dire l’habitation. Et le philosophe
nous rappelle qu’« habiter », c’est « être sur terre »77 ; il considère même que
« l’habitation est […] le trait fondamental de la condition humaine »78.
L’auteur d’Essais et conférences se base ensuite sur une autre origine de la langue
allemande, le vieux-saxon et le gothique, et se concentre sur les termes wuon et wunian
faisant partie respectivement de ces deux langues anciennes et qui signifient, comme
l’ancien sens de bauen, « demeurer, séjourner ». Mais wunian est plus précis que bauen
puisqu’il exprime plus particulièrement « être content, mis en paix, demeurer en paix ».
De là, Heidegger se réfère au mot « paix », en allemand Friede, qui désigne « ce qui est
libre » (das Freie, das Frye). Or, ce qui est « libre » est « préservé des dommages et des
menaces », c’est-à-dire « épargné », « ménagé » (freien). Donc, contrairement à ce que
l’on pourrait penser - à savoir que le ménagement, la protection, empêchent la liberté – le

71
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 138.
72
Ibid.
73
Ibid.
74
HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 170.
75
Idem, p. 172.
76
Idem, p. 173.
77
Ibid.
78
Idem, p. 174.

51
ménagement, la protection, permettent la liberté. Et Martin Heidegger termine ce
raisonnement en concluant que « le trait fondamental de l’habitation est ce
ménagement »79. Pour synthétiser, de l’habiter découle la paix et de la paix, la liberté, et
de la liberté, la protection ; et c’est ainsi que Martin Heidegger en arrive à l’hypothèse
selon laquelle l’habitation correspond à un ménagement, une protection.
Quand le philosophe reformule ces premières conclusions : « la condition humaine
réside dans l’habitation, au sens de « séjour sur terre des mortels » »80, il en déduit que
« sur terre » signifie « sous le ciel ». L’un et l’autre (« sur terre » et « sous le ciel »)
veulent dire « demeurer devant les divins ». Il définit ainsi les quatre éléments (la terre, le
ciel, les divins et les mortels) formant un « tout à partir d’une unité originelle » qu’il
appelle le « Quadriparti »81. Il explique encore que « l’habitation comme ménagement
préserve le Quadriparti dans ce auprès de quoi les mortels séjournent » - à savoir dans les
choses - et que « le séjour parmi les choses est la seule manière dont le quadruple séjour
dans le Quadriparti s’accomplit chaque fois en mode d’unité »82. Ce concept du
Quadriparti lui permet de montrer, comme nous allons le voir, que l’habitation peut se
traduire par une harmonie des quatre éléments qui constituent cette unité. Pour illustrer
cela, il prend l’exemple d’un pont, qui rassemble deux rives d’un cours d’eau,
physiquement, mais également de manière symbolique. Le pont rassemble auprès de lui la
terre et le ciel, les divins et les mortels. Ici encore, pour expliquer la « chose », il se
rapporte à la langue, germanique cette fois-ci, dans laquelle « rassemblement » se dit
thing. Il a évolué pour former ding, qui signifie « chose ». Heidegger en conclut donc que
« le pont – entendu comme rassemblement du Quadriparti […] – est une chose »83.
Pour mieux nous faire comprendre la notion de « chose », Heidegger prend
l’exemple de la situation où nous faisons retour sur nous-mêmes, et il explique que,
contrairement à ce que l’on pourrait penser, « nous revenons vers nous à partir des choses,
sans jamais abandonner notre séjour parmi elles ». Si nous perdons contact avec les
choses, c’est que nous sommes alors dans un état de dépression et cette perte de contact
avec les choses « ne serait aucunement possible si un état de ce genre ne demeurait pas,
lui aussi, ce qu’il est en tant qu’être humain, à savoir un séjour auprès des choses ».
Heidegger nous dit enfin que « c’est seulement lorsque ce séjour caractérise déjà la
condition humaine que les choses auprès desquelles nous sommes peuvent cependant ne
rien nous dire, ne plus nous toucher »84.

79
HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 175.
80
Idem, p. 176.
81
Idem, p. 177.
82
Idem, p. 179.
83
Idem, p. 181.
84
Idem, p. 188.

52
Dans la philosophie de Heidegger, le pont est une chose particulière : il est un lieu
parce qu’il rassemble le Quadriparti en lui accordant une place. Le traducteur stipule ici
qu’en allemand les mots qui évoquent la « place », Stätte, et verstatten (dont il est issu et
qui signifie littéralement « munir d’une place » donc « faire de la place », d’où le sens
dérivé de « laisser une chose se faire », « permettre », « accorder », son sens actuel) sont
fréquemment associés et que les sens propre et figuré sont, dans cet ouvrage, souvent
inséparables85.
Heidegger considère par ailleurs que « les choses qui, en tant que lieux,
« ménagent » une place, [sont appelées] des bâtiments »86 - ce qui nous renvoie
directement à l’habitation par le terme bauen, « habiter », mais également « bâtir ». Par
exemple le pont est un lieu, et en que tel, il « met en place un espace dans lequel sont
admis la terre et le ciel, les divins et les mortels », plus précisément, le lieu donne une
place au Quadriparti en un double sens : « il l’admet et il l’installe ». Heidegger ajoute
que « la mise en place comme admission et la mise en place comme installation sont
solidaires l’une de l’autre »87. Il écrit que « les bâtiments […] ménagent (épargnent,
traitent avec égards) le Quadriparti : [ils] sauvent la terre, accueillent le ciel, attendent
les divins [et] conduisent les mortels ». Il conclut que « ce quadruple ménagement est
l’être simple de l’habitation »88. En résumé, un lieu, qui est pour Heidegger une chose
particulière, accorde une place – dans le sens où il « fait de la place » et où il accepte sa
présence – au Quadriparti, c’est-à-dire à l’harmonie des éléments du monde.
Afin d’enrichir notre réflexion sur l’« habiter », nous allons nous pencher sur les
autres sources de Thierry Paquot, car, dans son « enquête vagabonde sur l’habiter », il
prend certes Heidegger comme point de départ mais développe son étude également à
partir d’autres travaux de personnes différentes – architectes, psychologues, philosophes,
etc. – ce qui lui permet de bénéficier d’une diversité de points de vue. Par là même, on
peut se rendre compte qu’Eric Dardel, qui est historien et géographe, rejoint en quelque
sorte la pensée de Martin Heidegger dans L’Homme et la terre, où il écrit : « habiter une
terre, c’est d’abord se confier par le sommeil à ce qui est, pour ainsi dire, au-dessous de
nous : base où se replie notre subjectivité. Exister, à partir de là, de ce qui est plus
profond que notre conscience, de ce « fondamental », pour détacher dans le monde
environnant les « objets » auxquels se porteront nos soins et nos projets »89.
On peut désormais comprendre en quoi, pour Heidegger, « habiter » correspond à
une présence-au-monde-et-à-autrui. Paquot explore cette notion et crée des néologismes

85
HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 182.
86
Idem, p. 184.
87
Idem, p. 184.
88
Idem, p. 189.
89
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 115.

53
de la même forme que ceux d’Heidegger. D’après lui, la présence-au-monde « n’est pas un
acte de solitude mais de sollicitation, de bienveillance envers autrui », ni « une proximité
décidée (bien que nous existions dans la proximité des « choses »), mais une spatialisation
des distances accordée à la diversité des projets ». Et il définit le projet comme un
« après-le-là, un avoir-à-être ». Il explicite ensuite l’« être-avec » : il ne le considère pas
comme un « être-ensemble », mais sous-entend que le « avec » est avant tout un « partage
du monde ». Il conclut finalement qu’« « habiter », c’est effectivement « être » parmi les
« choses », donner au « monde » son « sens » et en partager la teneur avec « autrui » ». Il
considère donc « l’être-ensemble » à la fois comme un « être-avec » et un « être-
parmi »90.
Il est bien clair pour les penseurs de l’« habiter », que cette notion ne se restreint
pas à l’idée d’être logé91 - ce qu’Heidegger tente d’expliquer en 1951, lors d’un colloque à
Darmstadt lorsqu’il déclare : « La véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le
manque de logements mais en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de
l’habitation »92, alors que le pays est en ruine et que les appartements sont réquisitionnés
et partagés. Dans le même ordre d’idées, il indique que « c’est seulement quand nous
pouvons habiter que nous pouvons construire »93. Pour nous faire comprendre cette idée,
Thierry Paquot l’illustre avec son expérience en Inde, auprès d’un centre social. En
discutant avec les travailleurs sociaux, il se rend compte qu’il n’y a pas d’équivalent du
verbe « habiter » en langue marathi (comme pour la plupart des concepts occidentaux). En
revanche, il s’aperçoit qu’il existe quelque chose qui se situe « entre l’habitat,
l’habitation et l’être-au-monde », quelque chose « qui n’est pas donné, qui n’est pas
acquis, qui ne s’apprend pas, qui ne résulte pas d’une quelconque action et que nous, nous
nommons l’« habiter » »94. Ainsi apparaît-il évident que l’habiter ne se limite pas au fait
d’être logé mais se comprend comme un concept lié à l’être, à l’existence.

A cette étape de notre réflexion, nous retiendrons que l’« habitation » ne se réduit
pas à un logement, qu’« habiter » ne se traduit pas uniquement par la construction
d’édifices et la culture dans le sens de « donner des soins dans le but de produire ». Mais
l’« habiter », comme l’explique Thierry Paquot, ne peut pas être décrit comme « un
« comportement » humain façonné par une « culture » particulière mais relève de
l’ontologie ». Pour résumer cette idée, il cite Heidegger : « habiter est le trait

90
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 139.
91
Idem, p. 121.
92
In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 116.
93
HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » in Essais et Conférences, Paris, Gallimard, 1958, p. 192.
94
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 137.

54
fondamental de l’être »95. Il précise également qu’il n’y a pas de méthode spécifique pour
« habiter », pas de forme particulière ou d’organisation sociale précise mais que c’est
« une présence au monde, aux choses, aux lieux, aux autres, qu’il convient d’inventer et
de réactiver à chaque instant »96. Par ailleurs, Thierry Paquot explique que l’habiter est
comme une harmonie « au sens d’harmonia, le « jointage », le jointement qui assemble
des êtres disparates » entre « l’« être » de l’humain et l’« être » des choses » et non pas,
comme nous l’avons bien compris « une quelconque pratique de l’habitat, une quelconque
appropriation de l’espace »97.
L’« habiter » semble donc correspondre à une manière d’être, un état d’esprit, une
sorte d’harmonie avec les choses, les lieux et les autres êtres humains, et ce au moyen
d’une certaine bienveillance, une protection et dans l’idée du partage du monde. A
présent, nous allons voir dans quelle mesure il est possible d’adapter cette idée, ce
concept, aux artistes en résidence.

3) Laisser des traces, se sentir libre et protégé

- Les traces

Comme nous avons pu le voir, Heidegger, au début de son explication de


l’« habiter », nous dit que les notions d’habiter, de bâtir et de cultiver se rejoignent. Or,
bâtir et cultiver reviennent à produire (des bâtiments, des plantes, des fruits, des
légumes) et donc à laisser des traces. De manière très concise, Julius Posene résume cette
idée en affirmant simplement qu’« habiter signifie laisser des traces »98. Ainsi, nous en
déduisons que les artistes en résidence habitent le lieu où ils résident en y laissant des
traces. Hubert Tonka, repris lui aussi par Thierry Paquot, évoque de manière plus abstraite
cette trace, qu’il appelle « œuvre » (terme qu’il n’entend pas strictement dans son sens
artistique) : « Je me manifeste dans des situations complexes où à tout moment, je crée
ma propre œuvre (fausse ou vraie), ma vie parmi d’autres vies. C’est en ce sens que
l’œuvre prend pour moi tout son sens et c’est là que ma participation est pleine et entière
à l’œuvre collective »99.
Curieusement, pour parler de leur présence et de leur action dans un lieu ou sur un
territoire de résidence, les artistes rencontrés utilisent les champs lexicaux de

95
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 130.
96
Idem, p. 151.
97
Idem, p. 160.
98
In PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 148.
99
Idem, p. 123.

55
l’agriculture et de la construction, ce qui nous renvoie directement à la théorie de Martin
Heidegger. Par exemple, Eloïse Brunet raconte que la DRAC de Picardie aimerait que sa
compagnie s’implante à Crépy-en-Valois et Gilles Pastor considère sa compagnie comme
implantée à Lyon. Il dit sentir qu’aux Subsistances, « on est à l’intérieur de quelque chose
qui est en train d’éclore ». La manière dont est tournée sa phrase pourrait nous faire
penser qu’il est passif dans cette situation mais l’activité des Subsistances dépend
beaucoup des artistes qui y sont en résidence et la compagnie Kastôragile en fait partie.
Stéfan Bonnard situerait l’aspect « agricole » de la compagnie KompleXKapharnaüM plus en
amont, lors de l’irrigation, quand il raconte qu’ils sont « hypersensibles aux lieux qui [les]
reçoivent, [ils viennent] pas avec un spectacle clé en main, à chaque fois, c’est de la
création, même s’[ils ont] un canevas de base, à chaque fois, [ils sont] poreux,
perméables, sensibles à tout ce qui se passe autour d’[eux] ». Cette phase de la culture
qu’est l’irrigation est très présente dans le discours du chorégraphe Christian Bourigault :

« C’est la notion de terrain… C’est pas anodin, terrain, c’est aussi la terre,
le territoire, c’est quelque chose de l’ordre de la ruralité, de la terre,
c’est un peu mes racines aussi ; je suis issu de la terre, d’un milieu paysan,
mon père était planteur de tabac, bouilleur de cru, tonnelier […]. Ça, c’est
mon histoire, moi, je n’étais pas proche du tout de ça et je suis quand
même arrivé là-dedans donc, je pense qu’il y a quelque chose,
inconsciemment…, irriguer le territoire d’une pensée chorégraphique,
cette pensée-là en particulier, la pensée chorégraphique contemporaine et
dans celle-ci, la mienne […]. La résidence […], c’est faire en sorte
qu’autour de la venue de mes spectacles, d’irriguer le territoire… »
« Ce qui m’intéresse dans la résidence, c’est de rencontrer des gens et
d’inventer avec eux des formes d’irrigation - de contamination, comme dit
la revue Mouvement - d’une pensée chorégraphique qui s’inscrit dans le
temps. »
« C’est vrai que pour des gens de province, l’offre chorégraphique locale
est pas toujours… Il y a beaucoup d’endroits en France, des territoires
assez grands où il n’y a pas de compagnies […] et faire venir des artistes en
résidences, ça veut dire des moyens […] mais si on n’a pas ces résidences-
là, ça veut dire qu’on est uniquement dans un rapport de consommation de
spectacle, c’est-à-dire « voilà, on vous propose un spectacle dans le
théâtre du coin » mais il n’a pas les moyens pour faire venir cinq
spectacles de danse par an, il en fait venir un ou deux par an et puis voilà.
La résidence permet de…, je redis ce que j’ai dit, d’irriguer, je pense que
tout le monde y a intérêt. »

56
On retrouve dans ces témoignages le vocabulaire de la culture, de même que dans
l’entretien d’Annick Charlot, qui évoque cette question et utilise pour cela la métaphore
filée de la culture et de ce qu’elle produit. Voici un extrait de cet entretien :

« C’est le temps qui manque dans ce genre de projets, c’est-à-dire qu’il y


a des théâtres qui débloquent des moyens, et puis en même temps, ils sont
jamais là quand on est là et le temps, c’est ce qui fait la valeur humaine
en fait, de pouvoir, à un moment donné, être là avec ceux qui sont là et
voilà, pour moi, c’est ça le plus important hormis le travail de fond qu’on
fait sur le territoire […]. Parce que être dans un lieu et ne pas avoir
égrainé des petites choses autour de moi, c’est terrible, j’ai l’impression
de ne pas y avoir été. Donc, c’est pas forcément en terme d’efficacité et
de rentabilité pour le théâtre pour remplir la salle mais c’est vraiment en
terme de démarche artistique, on est là pour ça, on est là pour égrainer
des petites graines, faire germer des choses… »

Par ailleurs, les artistes utilisent également le vocabulaire plus concret de la


construction pour évoquer les traces qu’ils laissent, les actions qu’ils mènent dans le lieu
ou sur le territoire de leur résidence. Les membres de la compagnie Lanabel, pour parler
de leur partenariat avec la MC2 à Grenoble disent qu’« il se construit des choses avec
[eux], même s’[ils n’y sont pas] en résidence ». Gilles Pastor, quant à lui, aime beaucoup
l’idée de fabrication, de construction, il parle de « projets à bâtir », de « construire une
espèce de singularité ». Il ajoute qu’aux Subsistances, « il y a une vraie possibilité de
fabrique », il sous-entend qu’il est possible d’y construire les décors et d’y fabriquer les
costumes. Lors de la visite, à l’arrivée devant l’Atelier Nord, il évoque la « notion
d’atelier » en tant qu’atelier d’artisans, d’ouvriers, ou même d’artistes, de ceux qui
« produisent » des œuvres concrètes comme les peintres ou les sculpteurs. Il trouve que
dans ce type de lieux, « on a vraiment l’impression de fabriquer » ; il dit sa fascination
pour « le théâtre en tant que fabrique », ce qui peut faire penser au milieu industriel dont
l’activité est proprement la production.
Cet attachement singulier de Gilles Pastor pour l’atelier, la fabrication, nous
rappelle que le spectacle vivant est un art éphémère. Bien entendu, lorsque les artistes
proposent une représentation, on peut dire qu’ils laissent une trace mais celle-ci est
virtuelle et en ce qui concerne les documents de communication qui ont été édités pour
promouvoir ce spectacle, il s’agit bien d’une trace mais elle ne correspond pas au
spectacle lui-même. Et même si l’on prend en compte les photos, les enregistrements
sonores ou les captations vidéo qui cherchent à retransmettre exactement le spectacle,
ces éléments ne sont pas le spectacle, la trace en elle-même.

57
Mais il existe d’autres traces laissées par les artistes que les représentations de leur
spectacle, tout aussi éphémères. Il s’agit, par exemple, de ce que Ramdam nomme les
« visibilités de demeures », qui sont des présentations de travaux, à des étapes différentes
de la création ; ce sont des traces. A ce sujet, Philippe Chaudoir100 reprend les propos de
Christian Massault - bibliothécaire à Grigny - qui nous met en garde : « on confond parfois
[…] l’œuvre et la trace. Une trace, quelle qu’elle soit d’un travail en résidence, ne donne
pas toujours une œuvre. Mais, en revanche, la question de la trace est pertinente et elle
fait souvent partie de la commande. Plus on est dans une résidence de familiarisation, de
transversalité, et plus la question de la trace se pose car elle est à la fois la trace du
résultat de la présence de l’artiste et celle que cela provoque auprès des publics qui
participent ». En effet, la trace peut aussi prendre la forme d’actions en direction des
publics - souvent éphémères elles aussi - comme par exemple les ateliers de pratique
artistique, les master-class, les répétitions publiques, les rencontres organisées aux
différentes phases de la création comme aux subsistances, etc. L’auteur des Résidences
d’artistes en question considère la résidence comme une commande de processus et non
pas comme une commande d’œuvre (ce qui était le cas à l’origine des résidences
d’artistes, qui n’avaient lieu que dans le secteur des arts plastiques). De ce fait, il souligne
alors que la contractualisation de cette pratique est délicate101. D’après lui, « le contrat
de résidence doit donc tout à la fois garantir les conditions de l’exercice du travail
artistique, l’imbrication dans une logique d’action ou de développement culturel, trouver
les moyens […] de rendre compte du processus mais également pallier l’absence de
lisibilité ». Il considère justement que « la trace permet de répondre à toutes ces
étapes »102, c’est-à-dire de rendre compte de ce qui s’est passé et de légitimer l’action des
artistes en résidences, même s’ils n’ont pas produit d’œuvre.
Même si tous les artistes rencontrés n’utilisent pas les champs lexicaux de la
culture et de la construction, ils insistent sur l’importance de mener des projets, d’être
présents par leurs actions, qu’il « se passe quelque chose », selon les termes d’Annick
Charlot et de Stéfan Bonnard. En outre, certains d’entre eux, en plus de ces traces que
nous avons évoquées, et qui sont pour la plupart éphémères, laissent d’autres types de
traces, plus concrètes celles-ci. Par exemple, la compagnie KompleXKapharnaüM tourne un
documentaire sur la ville de résidence, qui fait partie intégrante du spectacle, puisqu’il est
projeté sur les murs de la ville lors des représentations. Ce documentaire peut tout à fait
être considéré comme une trace de la résidence, puisqu’il peut également être

100
CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 38.
101
Ibid., p. 38.
102
Idem, p. 41.

58
appréhendé comme une entité. Stéfan Bonnard décrit la démarche suivie pour la nouvelle
création, « PlayRec », qui ressemble beaucoup à celle du précédent spectacle, « Square » :

« C’est un documentaire qui dure une vingtaine de minutes, on filme six ou


sept personnes dans ce documentaire et après, il y a un travail de
retraitement de ce film, de récriture de ce film et on fait un vrai boulot
avec une personne de ce film, refilmée plusieurs fois. »

Le Théâtre Craie, lors de ses résidences en Moselle, a réalisé ce qu’ils ont appelé
des photos de famille où l’on voit le comédien avec sa « famille d’accueil » devant la
maison où il a logé. Ces images sont des souvenirs tangibles pour les habitants qui ont
hébergé des comédiens. De plus, cette compagnie de théâtre, à la suite de ces résidences,
a réalisé un film-fiction, qui est une œuvre à part entière, et non pas la captation d’une
représentation, comme c’est souvent le cas des vidéos. Par ailleurs, la metteur en scène,
Claire Rengade, est l’auteur du spectacle créé et l’équipe artistique a, lors du travail de
répétition, mis le texte en ordre ; il a donc été possible de laisser une autre trace de ces
résidences par l’édition du texte de ce spectacle.

« Photo de famille » d’un des comédiens du Théâtre Craie

59
Lors de son partenariat avec le groupe SEB, la compagnie Lanabel a permis au
groupe de suivre son travail à travers des documents qu’elle leur envoyait, c’est ce
qu’Annabelle Bonnéry et François Deneulin nous relatent :

« On les [le groupe SEB] a toujours tenus au courant surtout au travers des
photos, entre photos d’usine et photos de création, de danse, et aussi un
petit film qui a été fait avec des images des usines et des images de
répétition, de création, mais c’était tout ce qu’on pouvait leur donner.
Etant donné qu’un processus de création, si on n’est pas dedans, c’est
quand même très délicat à montrer, on était simplement en relation avec
eux pour leur dire que le projet avançait. »

Montage photo d’une image du spectacle « Que Calor » et d’une photo prise au sein d’une entreprise du
groupe SEB (photo : Michel Cavalca /graphisme : François Deneulin)

Ces images sont donc elles aussi une trace du travail en cours de la compagnie, que
le groupe SEB a pu garder. Elles permettent aux personnes du groupe, qui ne peuvent pas
assister aux répétitions, de réaliser que la création avance et de mettre en relation le
travail dans l’entreprise et le travail artistique, résultat du passage de la compagnie dans
leurs locaux. Ces traces, que laissent les artistes lors de leur passage pour une résidence,
sont d’une grande importance à la fois pour eux-mêmes mais également pour les
destinataires de ces traces – habitants, spectateurs, élèves, etc. – ainsi que pour les
personnes qui les accueillent.

60
- La liberté

Si nous adhérons à la théorie de Martin Heidegger, nous considérerons que


« habiter » c’est « demeurer en paix », la « paix » étant définie comme « ce qui est
libre », à savoir « préservé des dommages et des menaces », c’est-à-dire « épargné »,
« ménagé », protégé, en quelque sorte. Nous allons analyser à présent les résidences sous
cet angle et pour cela, nous étudierons en premier lieu le sentiment de liberté des
compagnies ; nous verrons ensuite que les artistes, souvent en création lorsqu’ils sont en
résidence, se disent fragilisés et insistent sur l’importance pour eux d’être suivis, soutenus
par l’équipe du lieu d’accueil lorsqu’ils sont en résidence.
Commençons par cette sensation de liberté qu’éprouvent les artistes en résidence.
Tout d’abord, la plupart d’entre eux ont tenu à signaler le fait que les rencontres avec le
public, les ateliers de pratique, les stages n’étaient pas imposés, et que ces actions
n’avaient aucun caractère obligatoire. Pour ne prendre qu’un seul exemple, voici un
extrait des propos de Gilles Pastor, à ce sujet :

« Dans le cahier des charges, il y a des rencontres avec le public, des


ateliers dans les prisons, on m’a proposé de les faire et puis, moi, en fait,
ça m’intéressait de les faire par rapport à ma création, mais c’était pas du
tout une obligation et, en même temps, dans la mesure où j’étais en
résidence ici, je trouvais ça intéressant de le faire en lien avec les
Subsistances et, avec la volonté des Subsistances d’aller dans les prisons
donc j’ai fait un atelier avec des détenus, du coup j’ai fait des interviews
de détenus, et il y a eu le résultat de ces interviews qui était présenté
pendant les représentations en novembre dernier dans un lieu, avec une
installation sonore. »

Le sentiment de liberté se traduit de différentes manières. Par exemple, la compagnie


P.A.R.C. apprécie tout particulièrement la possibilité d’utiliser le lieu, Ramdam, à sa
guise, comme l’attestent ces deux extraits d’entretiens :

« Le fait de pouvoir fabriquer sur place, laisser, changer, bidouiller, quoi,


comme il y a un aspect visuel qui est aussi en réflexion dans la création,
c’est important. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire en studio plus
conventionnel, qu’on peut faire ici […]. Ici, il y a des parties qui sont en
béton, on peut faire des saletés, scier du bois par exemple, on peut
peindre. On peut mettre en place les éléments, on a une échelle sur
laquelle on peut monter. On peut utiliser le lieu pleinement, on a cette
liberté-là. »
« Ici, on n’a pas de limites dans le temps, on peut venir quand on veut,
partir quand on veut, on a les clés. Mais on doit se donner des limites. La

61
première semaine, il faut s’adapter, apprendre à se gérer, à gérer ses
limites sinon on se perd complètement : on boit des cafés toute la
journée, on fait des repas… ! La liberté sans contraintes, ça n’existe pas,
c’est ça l’adaptation. »

Annick Charlot, chorégraphe de la compagnie Acte, quant à elle, considère la


liberté qu’elle a lors de ses résidences de manière plus abstraite, et dans les limites du
raisonnable. Elle aborde cette notion de liberté lorsqu’elle évoque son partenariat avec la
Maison de la Danse :

« Le mot résidence n’est pas juste mais, comme trois années de suite, la
Maison de la Danse a été partenaire de mes projets, dès qu’ils le peuvent,
ils mettent à disposition le studio de la Maison de la Danse. Pour moi, ce
qui est important, c’est à un moment donné, la liberté qu’on peut se
donner avec une équipe qui nous accueille, il ne s’agit pas d’être là puis
de faire tout ce qu’on veut quand on veut et exiger la lune mais je sais que
la Maison de la Danse, je peux les appeler n’importe quand et leur dire
« voilà, j’ai vraiment besoin d’un studio ». S’ils ne peuvent pas, ils me le
diront et s’ils peuvent, ils feront tout pour que ce soit possible, et c’est ça
qui est important pour moi. »

Le rapport à la liberté de la compagnie KompleXKapharnaüM est assez particulier


puisque cette compagnie s’adapte à l’identité de chaque ville où elle va en résidence et
l’écriture du spectacle se fait en fonction de la ville en question. Selon les lieux d’accueil,
les artistes sont parfois orientés vers certains quartiers – et cela de manière plus ou moins
franche – ou sont complètement libres. Stéfan Bonnard raconte par exemple qu’à Avignon,
ils ont « fait ce qu’[ils ont] voulu, où [ils] voulai[ent], carte blanche, [ils n’ont] pas eu de
mots d’ordre ou quoi que ce soit ». Pour qualifier son partenariat avec les Subsistances,
Gilles Pastor parle « d’une espèce d’union libre ». Les personnes les plus attachées à l’idée
de liberté, ou du moins ceux qui en ont le plus parlé, sont Annabelle Bonnéry et François
Deneulin ; ce que nous allons montrer avec quelques extraits de leur entretien. Lorsqu’ils
expliquent le fonctionnement du lieu O Espaço do Tempo, ils décrivent les nombreuses
possibilités d’utilisation de ce lieu :

« Il [le directeur, Rui Horta] accueille les compagnies, il leur propose une
possibilité de visibilité publique qui peut être dans le cadre d’une
programmation ou qui peut être décidée au dernier moment et après eux,
ils en font la communication mais ça peut être aussi dans une
programmation parce qu’il programme dans le théâtre qui est en bas, dans
la ville et il a maintenant un nouveau lieu où il peut programmer, qui est
aussi dans la ville, qu’il appelle la « black box », qui est un espace, un

62
cube où on peut mettre à peu près quatre-vingt-dix personnes. L’autre,
c’est un théâtre ancien, avec beaucoup beaucoup de place donc c’est
utilisable… Le plateau étant très grand, on peut aussi mettre tout le
monde sur le plateau : il y a plein de choses qui peuvent être possibles. Et
puis, il y a plein d’autres lieux qui peuvent être utilisés. Lui, son but, c’est
d’accueillir les gens, sans forcément qu’il y ait une production derrière, il
n’y a pas d’obligation. »

Par ailleurs, ils racontent leur expérience avec le groupe SEB, et particulièrement quand
ce dernier est devenu coproducteur du projet :

« Jusque là, c’était assez officieux, ce qu’il se passait, et puis finalement,


c’est devenu un peu plus officiel quand ils ont commencé à nous aider en
coproduction. Donc après, je vais pas dire que ça a tout changé, pour
nous, ça a changé beaucoup de choses parce que ça nous a permis de faire
le festival d’Avignon, ça nous a permis d’aboutir la création, mais la
démarche était toujours la même, il y avait une envie réciproque que des
choses se passent après… On n’avait pas plus de comptes à rendre après
qu’avant, c’était la suite de l’échange. »

Enfin, leur récit des moments où ils ont négocié la possibilité d’aller dans les ateliers des
usines montre l’importance qu’a eu le fait d’avoir été relativement libres de leurs
mouvements :

« On pouvait aller dans presque tous les lieux possibles, dans les ateliers,
sans gêner le travail bien sûr. Donc, ça, on nous a dit oui assez
facilement ; il y a juste quelques endroits très spécifiques, au niveau de la
recherche, ça, c’est normal, c’est des trucs un peu secrets où on n’est pas
allés, où, en tout cas, même si on y était allés, on devait pas filmer, c’est
tout. Donc, il n’y a pas eu trop de difficultés, ils nous ont laissés assez
libres dans les ateliers, donc on y est allés régulièrement. »

Finalement, les artistes insistent sur l’importance que revêt la liberté dont ils bénéficient
en résidence, ainsi que sur la multitude de possibilités et de choix que les lieux d’accueil
leur offrent, même si cela nécessite parfois une certaine adaptation.
Les membres de la compagnie P.A.R.C., lorsqu’ils évoquent cette liberté ajoutent
qu’elle « amène une confiance, qui amène un respect dans le fonctionnement du lieu sans
qu’il y ait de loi établie ». Les artistes attachent en effet une grande importance au
soutien, à la confiance et au suivi que leur témoignent les équipes des lieux d’accueil,
surtout parce qu’ils sont en général fragiles lorsqu’ils sont en création.

63
- La protection

Cette fragilité est soulignée par les danseurs de la compagnie P.A.R.C. qui
déclarent que « quand ils sont en création, les artistes ont quand même une certaine
réticence à montrer leur travail, soit par fragilité, soit parce que c’est pas le moment, soit
parce qu’ils ont pas envie, tout simplement ».Ces propos sont confirmés par ceux d’Eloïse
Brunet qui affirme : « quand on répète, on est fragile, parfois un peu trop ». Annabelle
Bonnéry explique ce type de réaction comme « une manière de se protéger » et elle
ajoute : « quand on est artiste, on se dit que c’est pas le moment de montrer notre travail
à l’équipe du lieu, mais en fin de compte, c’est toujours le moment ». En revanche, face
aux non professionnels que sont les personnes du groupe SEB, elle ne se sentait pas prête à
montrer le travail avant la fin des répétitions. Elle explique :

« Je préférais que les choses soient bien avancées parce qu’en face, c’est
des gens qui ne connaissent pas beaucoup, moi, je ne les connais pas
beaucoup non plus sur leur manière de voir les choses et je trouvais que
c’était un peu risqué de présenter quelque chose. »

Dans cette situation de fragilité, les artistes ont donc besoin d’un soutien fort de la
part des lieux. Pour cela, Jean-Paul Bouvet, le directeur du Toboggan, propose
d’accompagner la création, et peut être présent pour regarder et faire des retours sur le
travail artistique de la compagnie en résidence, si elle le souhaite. La compagnie P.A.R.C.
apprécie cette présence, et c’est pourquoi les danseurs disent qu’à Ramdam, « il y a des
facilités, il y a de la disponibilité, il y a des soutiens ». Les directeurs de la compagnie
Lanabel estiment aussi très précieuse la notion de ménagement, qu’ils expriment ainsi :
« L’envie que t’as quand t’es artiste, c’est d’être dans un lieu et d’être entouré ». Ils
apprécient également le fait que la MC2 leur mette un studio à disposition, leur permette
de proposer « des présentations publiques que la MC2 soutient ». Annick Charlot, dont les
propos sont repris dans Les résidences d’artistes en question, use de métaphores et de
comparaisons pour illustrer cette notion de soutien, et l’importance de l’équipe du lieu :

« Alors, les résidences sont aux chorégraphes et leurs compagnies ce que


les radeaux sont à la survie et les oasis aux déserts […]. Pouvoir ne pas
compter uniquement sur ses propres moyens, toujours et encore,
irrémédiablement seuls ! Car c’est bien le plus important, le radeau vient
avec un équipage et l’oasis avec ses habitants, leurs outils et leur volonté
[…]. Une résidence n’est jamais une demeure vide, un loyer gratuit. Elle
dépend de ceux qui la portent au second sens du terme ; un fondement,
une place. »103

103
In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 77.

64
Il reste que, parfois, ce soutien est absent. Cette situation devient alors très difficile,
comme en témoigne Claude Tabouret, administratrice de la compagnie Premier Acte :

« On a fait un projet un peu similaire sur Rilleux-la-Pape mais qui a été


très difficile, parce qu’on a été seuls seuls seuls pour le faire, c’était
terrible. S’il n’y a pas de soutien, si les gens, les structures, les gens qui
connaissent les habitants ne sont pas convaincus, n’ont pas envie de
bosser, c’est pas la peine. »

Les danseurs de la compagnie P.A.R.C. expriment cette impression d’être soutenus


en qualifiant Ramdam de « lieu d’accueil » : « le mot « accueil » convient très bien. C’est
pas pour faire joli, vraiment ». Cependant, ils n’expliquent pas réellement pourquoi ils ont
opté pour ce mot, mais nous pouvons trouver des éclaircissements dans l’ouvrage de
Thierry Paquot, quand il écrit qu’« accueillir veut aussi bien dire « recueillir » que
« recevoir » ; là encore, les mots affirment et confirment leur sens : accueillir, c’est
manifester de l’hospitalité, c’est héberger »104. Nous en revenons donc à l’habiter.
Si les artistes sont particulièrement fragiles lors des créations, ils gardent une part
de fragilité en permanence, due principalement au fait qu’ils ont besoin d’espaces de
travail, de moyens financiers pour monter leurs créations, de théâtres pour les
programmer, etc. C’est la raison pour laquelle ils apprécient quand un lieu leur témoigne
de la confiance, suit leur travail, programme leurs créations plusieurs fois de suite, leur
sont fidèles. Philippe Verrièle, dans le livre sur Christian Bourigault, qualifie le Cratère,
Scène Nationale d’Alès, de « havre de confiance [pour le] chorégraphe »105. Claude
Sévenier, alors directeur du Théâtre de Sartrouville, proposait à des artistes de s’associer
au lieu et expliquait que « la règle du jeu [était] basée sur la confiance »106. Cette
confiance se retrouve dans les personnes rencontrées, chez la compagnie P.A.R.C., qui
considère avoir « une relation de confiance » avec Ramdam et les soucieux.
Mais surtout, les compagnies soulignent l’importance d’un suivi de leur travail,
d’une certaine fidélité, comme l’attestent ces extraits d’entretiens :

« Avec la personne qui s’occupe des « Plateaux danse » à l’esplanade, à St


Etienne, on a réussi à garder contact, ça fait deux ans qu’il y a un suivi. »
« [A Ramdam], entre l’année dernière et cette année, il y a une relation
qui se continue, donc ça fait un peu plus d’un an qu’elle s’installe, qu’elle
évolue. C’est pas « on vous prête seulement un lieu », c’est « on a des

104
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 30.
105
BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault, Feillens, Editions W – Addim 89, 1998, p.
22.
106
MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin 1999,
p. 58.

65
liens avec vous », on se suit. C’est assez enrichissant et au niveau de la
création, ça donne une petite base sécurisante. »
Compagnie P.A.R.C.

« Ce qui est rigolo, c’est les résidences qui sont proches les unes des
autres parce que dans ces cas-là, on a une fidélité qui s’installe. »
Théâtre Craie

« Le Théâtre de Givors a été un chouette partenaire, c’était vraiment


quelqu’un avec qui on réfléchissait, et puis c’est quelqu’un qui a mis de
l’argent dans deux créations de suite. Il y a eu aussi […] le Sémaphore
d’Irigny qui a été coproducteur aussi deux années de suite. »
Annick Charlot

« C’est une résidence un peu particulière, un compagnonnage avec Guy


Walter et Cathy Bouvard voilà, ou une fidélité… »
« Pour le bureau, on sait pas vraiment jusqu’à quand on reste, et puis, je
pense qu’à mon avis, il va peut-être y avoir un autre lien pour une
prochaine création, mais ça, c’est pas très clair… En tout cas, il y a un vrai
suivi de mon travail, un accompagnement. »
Gilles Pastor

« On est allés en résidence au Portugal parce que moi, je bosse en tant


qu’interprète avec [Rui Horta] depuis 2000 et comme assistante… Voilà, il
a eu envie de suivre ce que je faisais et c’est pas forcément parce qu’on a
été interprète qu’il suit les travaux mais c’est comme ça que ça s’est fait
[…]. Après la première résidence, ça s’est poursuivi parce qu’il a eu envie
de suivre le travail. »
« Cette année, la proposition que Rui Horta nous fait […], c’est de
vraiment de pouvoir suivre le projet, même quand on est en France, c’est-
à-dire de pouvoir envoyer des fragments vidéo, des documents… […] C’est
sa volonté, sa manière à lui de fonctionner et il a envie de l’impulser pour
des gens qu’il soutient. C’est vrai que nous, il nous soutient depuis trois
ans, il a envie de voir ce que ça donne, comment ça évolue. »
« Au Toboggan, il y a d’abord eu une première diffusion puis une
deuxième diffusion et après une coproduction, donc quand même il y a eu
un suivi pendant trois ans, des ateliers pendant trois ans aussi. »
Compagnie Lanabel

Pour exprimer cette idée de confiance, de fidélité, de suivi, de soutien en général,


la compagnie Lanabel explique en une expression concise la mission du lieu d’accueil :
« une équipe qui est dans le lieu, qui prend soin de son lieu ». Dans sa conclusion des
Résidences d’artistes en question, Annick Charlot écrit que la résidence « prend son sens

66
parce qu’elle se déploie autour de volontés professionnelles et de raisons humaines qui
sont au-delà des moyens techniques ou des logiques financières ». Elle ajoute que la
résidence « n’a de sens pour les artistes que si elle en a pour les équipes qui les
accueillent, non parce qu’elles le peuvent mais parce qu’elles le veulent. Et ce « vouloir »-
là change tout »107. Il est en effet nécessaire, pour que la résidence se passe bien, que le
lieu s’implique dans l’accueil des artistes.

4) Habiter : être, croître, évoluer

D’après la lecture que nous avons faite de Martin Heidegger, « habiter », c’est,
entre autres, « être », « croître » et cela correspond à une « présence-au-monde-et-à-
autrui »108. De ce point de vue, les artistes en résidence habitent dans leur relation aux
autres : par les rencontres qu’ils peuvent faire, les liens qu’ils peuvent tisser, les échanges
qu’ils peuvent avoir avec les autres. Ces rencontres peuvent avoir pour conséquence de les
faire évoluer, de transformer aussi les autres personnes ou d’influencer la création.

- Rencontres, échanges

Pour reprendre la phrase de Thierry Paquot, rappelons qu’« habiter, c’est


effectivement « être » parmi les « choses », donner au « monde » son « sens » et en
partager la teneur avec « autrui », constituant ainsi l’être-ensemble, qui est
109
conjointement un « être-avec » et un « être-parmi » » . Ainsi, l’autre occupe une grande
place dans l’habiter, ce que confirment les artistes rencontrés. Liliane Dos Santos et
Françoise Kayser expriment cette idée d’une manière différente dans l’ouvrage Ilots
artistiques urbains puisqu’elles écrivent qu’« habiter artistiquement un « îlot », investir
une friche, mener à bien un projet collectif, c’est tout sauf s’isoler du reste de la ville ».
Elles ajoutent que « l’artiste n’est pas un être en dehors de la société » et
qu’« aujourd’hui plus que jamais, ces artistes cherchent les moyens de pérenniser ou de
renouer les liens avec la réalité sociale et urbaine qui les entoure »110. De toutes façons, la
relation à autrui, les rencontres avec d’autres êtres humains, sont indispensables à
l’existence, et à l’art, comme le sous-entend Heidegger dans son interprétation de

107
In CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005, p. 77.
108
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 20.
109
Idem, p. 139.
110
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 15.

67
l’habitation. Ce point de vue est partagé par Jean-Paul Dollé dans son article « Habiter le
rien », qui se situe dans un tout autre contexte, celui des émeutes survenues dans les
banlieues en novembre 2005. Il se demande alors « comment vivre – survivre – quand on
habite dans le rien et, peut-être même le rien ? », il questionne le lecteur en lui
demandant « de quelle nature sont des sociétés – nos sociétés démocratiques – qui
sécrètent, ou laissent se former, des territoires où n’existe aucune des conditions
minimales nécessaires à la constitution d’un monde figuré spatialement par des lieux de
contact, de croisements, de rencontres – rues, places, etc. ? » Enfin, il s’interroge et nous
interroge par cette question : « que peuvent faire des êtres humains qui existent dans un
non-monde, qui peut aussi s’écrire im-monde ? »111 Il considère donc que les rencontres,
les échanges avec autrui sont, entre autres, les « conditions minimales » de la vie.
Ces rencontres et ces échanges font donc, en toute logique, partie d’une résidence
« habitée », qu’ils soient avec le public, les habitants, la population, avec d’autres artistes
ou avec les personnes du lieu d’accueil. Les artistes et les lieux rencontrés sont nombreux
à évoquer ces liens, ces échanges, ces partages… Par exemple, le Centre Culturel Charlie
Chaplin met en place de longues résidences (minimum six ans) pour permettre aux
compagnies de se projeter dans le temps et d’envisager de « vraies rencontres ». Lors de
sa participation à l’enquête sur les Ilots artistiques urbains, Liliane Dos Santos a raconté
son expérience à la Fabrique à Andrézieux-Bouthéon : « Lorsque l’on arrive tôt à la
Fabrique, on entre par la cuisine. Immédiatement, on se retrouve un café en main, dans
une convivialité réconfortante, où le dialogue se noue simplement avec les gens présents,
souvent des artistes en résidence »112. Elle a vécu cette rencontre des artistes avec autrui
d’un point de vue différent de celui que nous avons, nous, de la part des artistes en
résidence. La « préoccupation première » de Christian Bourigault, « c’est de faire partager
aux gens avec qui [il] vi[t] des questions sur le monde d’aujourd’hui ». La compagnie
Lanabel, quant à elle, évoque les nombreuses rencontres possibles lors de l’expérience
avec le groupe SEB et précise que, dans le travail, elle ne fonctionne qu’à partir de
rencontres, ou presque. A ce sujet, les comédiennes du Théâtre Craie se sont souvenues
d’une anecdote saugrenue, à propos d’une résidence de la compagnie qu’elles n’ont pas
vécue, mais dont elles ont entendu le récit :

« Sur un autre projet, ils étaient dans la Drôme, ils ont joué dans une
église, et il faisait très, très froid, ils en pouvaient plus. Les mamies du
village, je sais pas qui du village, leur ont tricoté des chaussettes ; ils
étaient là quinze jours et ils ont eu leurs chaussettes ! Parce qu’ils avaient
froid dans l’église… »

111
DOLLE J.-P., « Habiter le rien », Le Monde, 14 décembre 2005, p. 23.
112
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 53.

68
Cette histoire leur permet de constater (à propos des liens qui se tissent entre l’équipe
artistique et les habitants du lieu de résidence) : « il y a un truc qui prend, c’est
incroyable ».
Pour aller plus loin dans les rencontres, plusieurs personnes interviewées ont fait
allusion au fait que, dans leur travail de création et lors des représentations, elles
considèrent le public en tant qu’individus et non pas en tant qu’entité « public », masse.
Les comédiennes du Théâtre Craie expliquent cette manière de travailler :

« Le travail de Claire, c’est considérer les personnes à qui tu parles, c’est-


à-dire que c’est pas une masse informe, un public, c’est une multitude
d’individus […]. Par exemple, si Jeannette vient te dire « vas-y Aurélie »,
Jeannette, t’es obligée de la considérer en tant que Jeannette. Et quand
tu parles au maire avec qui t’as fait un barbecue la veille, ben tu parles au
maire avec qui t’as fait un barbecue la veille. Dans mon texte, j’avais une
phrase qui était d’un maire et j’imagine que si dans un théâtre, il avait
fallu que je dise ça, je ne l’aurais sûrement pas dit pareil que là, en plein
air, avec cinq maires dans le public, je ne savais pas lequel choisir parce
que je connaissais les cinq […]. Du coup, ça amène une dimension
différente, j’ai senti que j’avais des individus en face de moi, et que
j’avais pas un public. »

Eloïse Brunet, chef de troupe de la compagnie C’est pas si grave, a une manière de
travailler similaire : elle appelle cette façon de considérer le public en tant qu’individus et
non en tant que masse « tamiser », « travailler au microscope ». Elle attache beaucoup
d’importance au fait d’avoir un suivi avec la population avec laquelle elle travaille et
considère qu’« il ne faut jamais fermer la porte », c’est-à-dire mener une action avec une
population et ne jamais y retourner. Cependant, elle précise avec quelque regret que « si
on veut tamiser, il faut se concentrer sur une population ». Pour cela, elle ajoute qu’il est
important pour elle de « ramener la parole » et de « discuter avec les gens » (après le
spectacle notamment).

Les rencontres évoquées par les personnes interrogées peuvent aussi être
constituées de croisements avec d’autres artistes. Jean-Paul Bouvet, le directeur du
Toboggan, propose par exemple aux artistes en résidence de les mettre en contact avec
d’autres artistes, car il trouve important d’associer d’autres artistes à la création. Ainsi,
Annabelle Bonnéry raconte qu’elle a « retravaillé au Toboggan après [sa] résidence, en
temps qu’interprète avec un compositeur avec qui Jean-Paul Bouvet [l’]avait mise en
contact ». Les danseurs de la compagnie P.A.R.C., dans ces extraits d’entretien, évoquent
ces rencontres artistiques :

69
« Les rencontres avec les autres compagnies en résidence se font plus par
le biais des individus et aussi avec le temps […]. Par exemple, l’année
dernière, il y avait une seule personne qui était en résidence en même
temps que nous, qui restait aussi un mois. Cet échange a pu commencer à
se faire à partir d’un certain temps : il avait un regard sur notre travail, on
partageait son travail. Parce que cette personne restait sur la longueur. »
« Ramdam, ils ont aussi énormément d’événements, les « Quoi de 9 ? », les
« De quoi s’agitent-ils ? », les « 31 quoi », les journées « interrupteurs »…
et ces événements permettent la rencontre, c’est un partage avec l’équipe
[…]. C’est le seul moment où, dans le contexte d’une demeure, on se voit
hors contexte de notre propre travail. Les gens du lieu, les gens en
demeure, même ceux qui présentent un travail. On est détendus, parce
que finalement c’est pas à propos de nous. Ça permet de créer des liens. »

De la même manière, Annabelle Bonnéry et François Deneulin ont parlé de


croisements qui ont pu exister dans divers lieux de résidence. Pour eux, par exemple, « la
MC2, comme c’est une grande maison, on croise toujours d’autres artistes qui viennent
montrer leur travail, il y a des croisements tout le temps ». Ils ont décrit aussi le
fonctionnement du lieu nommé O Espaço do Tempo, au Portugal : « comme il y a plusieurs
espaces, il peut y avoir plusieurs compagnies en même temps, plusieurs projets en même
temps, de toutes les disciplines (danse, théâtre, musique, vidéo, multimédia…), donc il y a
des croisements très faciles à faire. En plus, il y a des événements qu’ils organisent en
même temps que toi, t’es en résidence, qui font que ça crée énormément de
croisements ». La compagnie P.A.R.C. semble avoir vécu une expérience similaire à
Ramdam. Les membres de l’équipe artistique expliquent que, « comme Ramdam, c’est un
lieu d’accueil artistique, c’est pas que de la danse, ça permet de créer des liens avec
d’autres arts, d’autres personnes qui sont là » et ils trouvent que « c’est enrichissant de ne
pas se retrouver juste une compagnie dans un coin, coupée du reste, de pouvoir créer ce
lien ». Christian Bourigault, lui, affirme que « ce qui est intéressant, c’est la rencontre
avec un autre artiste d’un autre domaine que son propre domaine de recherche et voir les
ponts qui peuvent se faire ».

Par ailleurs, ces échanges s’effectuent également avec le lieu de résidence et les
personnes qui y travaillent. Par exemple, les soucieux de Ramdam attachent beaucoup
d’importance à trouver ce qui pourrait se passer entre l’équipe artistique en résidence et
l’équipe de Ramdam en se demandant ce que cela peut apporter à chaque groupe. Ils
souhaitent établir un réel échange entre les deux groupes. C’est ce que peut attester ce
passage de l’entretien avec la compagnie P.A.R.C., en résidence à Ramdam :

70
« Il y a une notion d’échange qui est là, qui est bien, très bien. Ça nous
fait réaliser que ça se passe pas comme ça ailleurs. Dans les autres lieux,
on prend jamais le temps d’avoir un échange avec les gens qui travaillent
dans le lieu. Ça permet de laisser des portes ouvertes, d’avoir des regards
extérieurs. Ils peuvent voir la création pendant toute la longueur du
travail ; arriver à ce que ça nous contraigne pas dans notre travail, que ça
ne les contraigne pas non plus dans le leur mais qu’on arrive à trouver des
temps de partage, que ce soit autour d’une table en train de manger, ou
autour d’un café mais aussi dans un studio et arriver à échanger autour de
la création […]. C’est difficile de créer un lien, c’est maladroit. »

Annick Charlot, qui considère la résidence comme « un engagement réciproque » de


la part de la compagnie et de la part du lieu d’accueil, a parlé de son partenariat avec la
Maison de la Danse, où « ils ont l’habitude de travailler avec des artistes, et pour eux, le
plus important, c’est qu’à un moment donné, un artiste qui est là, enfin, une équipe, si
elle est là, ça veut dire qu’ils s’engagent à ce qu’il y ait un vrai échange avec elle, et du
coup, si on a besoin de quelque chose, ils sont à l’écoute ». Elle conclut en affirmant que
pour elle, « c’est important de pouvoir échanger ». Le directeur artistique de
KompleXKapharnaüM a aussi exposé cet aspect-là des choses : « Finalement, le lieu qui
nous invite est utilisé vraiment en termes de dynamique : les gens sont réactifs, avec qui
on peut discuter un moment, qui sont curieux de ce qu’on fait, avec qui on peut échanger
de là où on en est… ». La compagnie Lanabel, quant à elle, raconte que le travail avec le
groupe SEB, qui était une expérience singulière, les a amenés à rencontrer d’autres
partenaires comme le CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) à Paris et, entre
autres, des sociologues, des psychodynamiciens du travail etc. avec qui ils ont
constamment échangé. De plus, ils sont intervenus dans un laboratoire pour parler de leur
travail et ont aussi eu des retours de leur part. En ce qui concerne les liens avec d’autres
personnes, la compagnie Premier Acte ne s’en tient pas aux échanges verbaux et décrit le
principe du théâtre en appartement : « C’est gratuit pour les gens, on leur demande en
contrepartie d’inviter au minimum une douzaine de personnes, et qu’il y ait un petit
buffet à l’issue pour pouvoir discuter ». Pour conclure sur ces échanges entre compagnie et
lieu d’accueil, les membres de la compagnie Lanabel, à propos des différentes résidences
qu’ils ont vécues, disent que « l’échange peut être de différentes formes, il peut être de
boire le café, échanger artistiquement, il est de l’échange humain » mais ils précisent que
lors de cet échange, « il faut qu’il y ait un intérêt des deux côtés ». La réciprocité a toute
son importance dans ce type de relations puisqu’elle est l’un des moteurs de la rencontre :
il faut en effet que chacun y trouve son compte pour que le lien puisse être entretenu.

71
Cette dimension-là des échanges est largement développée par les personnes
interviewées, ainsi qu’en rendent compte ces extraits d’entretiens :

« On peut très vite tomber dans le prendre, prendre, prendre en fait. C’est
pour ça qu’il faut vite être sensible au fait que ça va que dans un sens très
vite […]. En tant que compagnie, on essaie de veiller à ce que les relations
s’entretiennent, réciproques, qu’on puisse rendre la pareille. »
Compagnie P.A.R.C.

« … T’aurais que ça à faire : passer des nuits blanches à écouter Corinne,


ça peut aller, en même temps, je vois pas où je trouverais mon intérêt
personnel. A un moment donné, c’est pas vraiment un échange. »
« On a été obligés de prendre une demi-journée dans notre boulot pour
retourner dans le village de l’année d’avant pour aller les voir et tout ça,
c’est capital, parce que si on n’y va pas, ils ont l’impression qu’on leur a
tout pris, qu’on s’est servi d’eux. »
« Je crois que la greffe, elle prend dans les deux sens, sinon, ça marche
pas […]. Si tu donnes pas de temps, ils ne t’aimeront pas »
Théâtre Craie

« Il y avait des espaces dans les usines où on a rêvé de faire des trucs, de
jouer, de faire des performances, mais il aurait fallu arrêter la production,
et c’est pas possible. Je pense que ça n’aurait pas intéressé l’entreprise,
trop compliqué… Dans ce cas-là, l’échange n’est pas des deux côtés. »
Compagnie Lanabel

Toutes ces rencontres, tous ces liens créés, tous ces croisements, tous ces échanges
que les artistes nouent avec le public, les habitants, avec les personnes qui les accueillent
ou avec d’autres artistes revêtent une grande importance. Et cela est notamment dû au
fait que les échanges aient lieu dans les deux sens, et non pas parce qu’ils auraient
l’impression de se faire avoir et de ne faire que donner sans recevoir mais plutôt dans le
souci que leurs hôtes reçoivent autant qu’eux au sein de leur relation. Nous allons
maintenant pouvoir comprendre en quoi ces rencontres sont capitales et quelles peuvent
en être les conséquences.

- Evolution des artistes

Les nouvelles relations que les artistes tissent lors de résidences, les rencontres
qu’ils font et les échanges qu’ils créent, peuvent les transformer en tant qu’artistes mais
également en tant que personnes. Thierry Paquot nous indique que « s’approprier un
espace » - ce qui est le cas des artistes en résidence - « pour la philosophie, contrairement

72
à la sociologie, ne signifie pas en prendre possession, mais devenir autre à son contact »113.
C’est donc ce qui semble se passer lors des résidences, comme en témoignent quelques
exemples récoltés lors des rencontres avec les artistes. Christian Bourigault raconte, à
propos des rugbymen avec qui il a travaillé, qu’« ils [lui] ont fait découvrir des choses
même dans [son] propre corps, ils [lui] ont fait retrouver une sorte de puissance
d’enracinement, des appuis au sol », que le « travail avec eux [l]’a remis face à
l’interrogation dans des trucs très physiques de [sa] propre danse, dans la physicalité de
[sa] danse, dans ses rapports aux appuis, dans ses rapports au sol ». En ce sens, l’un des
danseurs de la compagnie P.A.R.C. déclare : « Plus il y a d’échanges dans une résidence,
plus elle est bénéfique ». Mais les personnes qui ont le plus souligné cet aspect des
résidences, ce qu’elles ont découvert, ce qui les a fait changer, ce sont Marie Barbazin et
Aurélie Pitrat, lorsqu’elles décrivent les expériences de résidences vécues avec le Théâtre
Craie :

« C’est des gens que j’aime vraiment bien […], c’est des gens qui me
touchent vraiment, que je trouve hyper intéressants, j’aurais jamais pu les
rencontrer autrement et là-dessus, c’est assez fort quand même, parce
que l’échange se fait. »
Marie Barbazin

« On découvre un autre monde, moi, je sais que j’ai passé des heures dans
la porcherie, c’est hallucinant, et jamais de ma vie, j’aurai une raison
d’aller dans une porcherie. J’ai appris plein de choses […]. A Guermange,
la première année, quand on était chez Jeannette et Simon, quand j’avais
commencé la fée, Jeannette avait poussé tout le monde, elle était devant,
et elle me disait : « vas-y, vas-y, vas-y ! ». Personnellement, je trouve que
ça remet le théâtre à sa place. Moi, ça me fait un truc personnel, où
même si t’as envie d’être la star, si t’aimerais être Nicole Kidman, ben là,
t’as les pieds dans la boue et on t’attend avec une eau pétillante sous un
néon. Je trouve que ça remet vraiment les choses à leur place. »
Aurélie Pitrat

« Pour moi, ce qui fait que ça marche et que j’aie envie d’y retourner,
c’est que c’est différent. On a des vies qui n’ont rien à voir, c’est des gens
que je n’ai aucune raison de rencontrer, si ce n’est là. »
Marie Barbazin

« Ça resitue de faire son métier autrement, moi, je sais que j’en ai besoin
une fois par an et je sais que je m’en sers quand je suis sur un plateau de
théâtre parce que tu peux pas faire semblant […]. Ça évite de s’envoler,

113
PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 2005, p. 162.

73
de prendre la grosse tête. Tu es là, avec des gens qui font du pâté dans
leur vie. Bah, merci de faire du pâté, parce qu’il est super bon leur pâté.
« Ben, nous, on va vous faire un peu de théâtre », c’est pas mieux que de
faire du pâté […]. Ça a la même valeur, c’est aussi fort leur pâté que notre
théâtre […]. Du coup, ça me donne envie de faire du Shakespeare au TNP
parce que j’ai ma mémoire d’avoir fait une fée dans le lisier. »
Aurélie Pitrat

Comme nous venons de le remarquer, des divers échanges entre les artistes et
autrui découle un enrichissement de l’artiste, en tant qu’être humain et en tant
qu’artiste, et nous allons voir que réciproquement, ces rencontres peuvent faire changer
les personnes avec qui les artistes sont en contact.

- Transformation des autres

Les liens entre les artistes et les publics, rendus possibles grâce aux résidences
permettent également aux personnes rencontrées de se transformer et d’évoluer. C’est ce
que Philippe Saunier-Borell, directeur des Pronomades en Haute-Garonne explique lors de
la journée de réflexion sur les contrats : « C’est en effet autour des résidences de création
qu’on peut engager un véritable acte de rencontre. Une vraie présence dans la ville qui
permet de modifier le regard de ses habitants »114 et Philippe Saunier-Borell d’ajouter : « A
mon sens, une résidence est ratée lorsqu’il n’y a pas eu de plaisir, pas de moment partagé,
pas de véritables échanges, lorsque l’équipe du lieu d’accueil n’a pas « profité » de cette
rencontre pour « nourrir » sa propre histoire (et inversement bien sûr !) »115.
Ces changements, ces transformations sont tout d’abord d’ordre général. Philippe
Saunier-Borell, donne l’exemple d’une résidence qu’il a accueillie : « Le Groupe Zur, qui
organise des projections vidéo sur des écrans d’eau, a fait participer à la manifestation les
jardiniers d’un institut privé qui se trouvait sur l’espace de représentation. De même, la
compagnie a pu travailler sur des systèmes d’irrigation avec les élèves d’un lycée agricole
[…]. On les associe sur un vrai projet qui les concerne eux. Et de leur savoir-faire, on passe
au savoir poétique et artistique du Groupe Zur. De cette matière commune, on fait naître
des rapports de complicité qui s’étendent à la population par l’intermédiaire des amis, des
voisins, des services techniques de la ville… ». En ce sens, la résidence revient à « rendre
le temps qui est nécessaire à la compagnie, nécessaire pour d’autres » »116. De la même

114
In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-
rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.
115
Ibid.
116
Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu
de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 34.

74
manière le Théâtre Craie, lors d’une de ses résidences en Moselle, sollicite les habitants du
village dans la recherche de matériau pour la scénographie du spectacle. Les deux
comédiennes rencontrées racontent cette anecdote :

« Il y a un texte de Claire sur la guerre qui parle des frontières et du coup,


on avait demandé un bout de ficelle à tous les habitants du village, parce
qu’on arrive sans rien, on n’a pas de costumes, on a juste deux trois
bricoles mais on s’en sert pas forcément. On avait besoin d’une bassine
aussi, on n’en avait pas donc on va sonner chez les gens : « est-ce que vous
auriez une bassine à nous prêter ? ». Bref, là, on avait besoin d’un fil qui
fasse toute la longueur de la rue parce qu’on a divisé le village en deux
pour faire la frontière. Et c’était bizarre parce que les gens nous disaient :
« Mais pourquoi vous nous séparez en deux ? ». Je suis sûre que ça a bougé
des choses aussi chez les gens. »

Les échanges avec les artistes peuvent également transformer le lieu d’accueil et
faire évoluer les personnes qui y travaillent. Cela est développé dans Pratiques et usages
des contrats dans le spectacle vivant : « Du point de vue du lieu […], la résidence est une
source, un levier de prise de risques possibles pour le lieu : on peut y aborder d’autres
esthétiques, tenter des expériences, aborder des relations au public différemment ». Il est
aussi précisé que la « prise de risques » peut se traduire par « ouvrir ses portes, introduire
des artistes qui vont venir bousculer les habitudes ». L’auteur remarque en outre que « la
présence des artistes stimule les équipes ». Enfin, il ajoute que « cette relation
particulière avec un artiste replace un lieu au cœur d’un projet artistique ». Aussi, « dans
un espace-temps différent de celui de la saison programmée d’avance, la résidence
permet une vraie rencontre entre un lieu et une équipe »117.
Des liens peuvent également se tisser entre les artistes et les responsables des
structures relais avec qui ils mettent en place des actions en direction de différents
publics. Christian Bourigault souligne les changements qui sont possibles lors de rencontres
de ce type. Il considère, dans ce cas-là, « le chorégraphe en résidence [comme] une sorte
de personne fédératrice » puisque lors des réunions qu’il organise avec les partenaires
concernés par la danse sur un territoire, il entend souvent des phrases du type : « c’est la
première fois qu’on se réunit tous », « c’est la première fois qu’on se parle ensemble ».
C’est donc « très important pour [lui] de fédérer des énergies sur un territoire. Des fois, la
résidence permet de faire péter des conflits sous-jacents où les gens se parlent pas et
après, tu te rends compte qu’avec le temps, ils se parlent ». Il est également satisfait
lorsqu’il peut faire évoluer des stagiaires avec qui il travaille, et notamment des artistes

117
In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-
rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 7.

75
plasticiens de l’Ecole des Beaux-Arts puisqu’il déclare : « ma nécessité de pédagogue,
c’est de leur proposer des choses qui les fassent avancer, comprendre des choses, avancer
dans leur propre processus de création parce qu’a priori, ce sont de futurs artistes
plasticiens ». Le but ici recherché est donc de faire changer les personnes avec qui il
travaille, de les rendre meilleurs.
Comme Christian Bourigault, certains artistes ont pour objectif, entre autres, de
faire évoluer les comportements, changer les mentalités, et plus particulièrement
d’apporter un point de vue artistique sur la vision du monde aux gens. Ils considèrent cela
un peu comme une mission de service public. C’est le cas par exemple de la compagnie
C’est pas si grave qui souhaite « amener les gens à découvrir les grands textes ». Marc
Masson, directeur du Centre Culturel Charlie Chaplin développe cette idée. Il affirme la
« nécessité d’une parole artistique envisagée comme une parole publique », et précise
qu’elle est nécessaire « dans la mesure où elle contribue à créer les conditions d’une
certaine citoyenneté ». Il explique : « Les artistes, à partir de leur pratique artistique,
portent un regard sur le monde, les hommes, leurs contradictions ». Pour lui cette parole
artistique, « différente de celle d’un homme politique ou d’un journaliste, peut éclairer
ceux qui la rencontrent ».
Plus souvent, les artistes utilisent la résidence comme un outil pour faire changer
d’avis les personnes qu’ils rencontrent à propos de leur métier artistique ou en tout cas
pour informer le public des étapes de la création et du déroulement du travail artistique.
C’est même la démarche des Subsistances qui, comme nous l’avons vu, organisent un
parcours suivi, qui consiste en des rencontres avec le public tout au long de la résidence.
Ainsi, le public peut mieux se rendre compte du travail que la création d’un spectacle
représente, les orientations qui changent dans le travail de création. Par ailleurs, certains
artistes ont réalisé que les gens ont parfois des a priori très fort sur les métiers
artistiques ; ils souhaitent donc leur montrer ou leur expliquer en quoi ils consistent.
Prenons pour exemple ces extraits d’entretiens :

« Ma famille, ils m’avaient dit : « on a failli pas vous accueillir parce qu’on
pensait que vous étiez droguée et que vous aviez des piercings » et quand
ils m’ont vue arriver, ils ont dit à Claire qu’ils voulaient bien accueillir
quelqu’un mais pas les quinze jours, une semaine seulement et en fait,
c’est parce qu’ils avaient peur. Ils avaient préféré dire une semaine et en
fait, j’y suis restée les quinze jours […]. Ils avaient des a priori comme ça
et puis après ils sont venus voir le spectacle, ils sont même venus à toutes
les représentations et il y avait un encouragement « elle dort chez nous,
c’est la nôtre, c’est notre comédienne ! », ils sont hyper fiers. »

76
« En plein après-midi, on était sous les arbres et on apprenait nos textes,
et ça, c’était assez invivable pour les gens qui travaillent la terre, qui
étaient là toute la journée sur leur tracteur qu’il vente ou qu’il pleuve, et
nous, on était allongés sous les arbres en train de bouquiner, et on a été
très vite très mal vus. On était des glandeurs pour eux. Ils sont allés se
plaindre à la mairie comme quoi, l’argent municipal n’avait pas à aller aux
saltimbanques qui ne font rien. Par contre, après le spectacle, ceux qui
étaient sur leur tracteur, ils sont venus nous embrasser et puis ils nous ont
dit que c’était magnifique, et ça, c’est quand même une toute petite
victoire. »
Théâtre Craie

« C’est long le temps de l’apprivoisement, le temps de la découverte, le


temps que les esprits s’ouvrent, que les esprits enlèvent un peu leurs
murs, leur perception toute faite de cet art-là, que finalement, la danse
contemporaine, c’est pas si chiant que ça. Disons des présupposés qui sont
très forts, parfois à juste titre […]. L’expérience avec les rugbymen à Pau,
ça a pu se faire avec le temps, ça s’est pas fait comme ça en trois jours,
ça a été sur plusieurs mois : je suis venu, on a fait des séances de travail,
ils sont repartis dans leur univers, moi, dans le mien, ça s’est fait avec le
temps, le temps que les représentations tombent. »
Christian Bourigault

« On a des rapports humains avec les gens, ce qui permet de leur faire
comprendre que c’est un vrai métier […]. Les gens s’investissent, ils
prennent conscience de la précarité de notre métier […]. Par exemple,
moi, je dis un texte de Dario Fo, La femme seule, et certains pensaient
que c’était ma vie, maintenant ils ont compris. »
Eloïse Brunet

Cependant, parfois, en fonction de la manière dont la relation se construit, les personnes


modifient leur opinion au sujet des artistes mais, comme le lien est affectif, le
changement d’avis n’est pas valable de manière générale. C’est ce qu’a remarqué la
compagnie Premier Acte et le Théâtre Craie, qui évoquent ce point :

« Le gens du public qu’on rencontre dans le théâtre en appartement,


quand ils poussent la porte d’un théâtre, ils sont anonymes, ils n’ont
jamais l’occasion de discuter avec les comédiens ou alors il faut qu’ils
attendent et c’est très dur pour arriver à les aborder parce qu’il y a
toujours des gens […]. Et puis, pour eux, les comédiens sont des gens
intouchables, donc, on veut leur montrer que ce sont des êtres humains
aussi et qu’ils sont comme eux […]. Du coup, il y a un vrai lien qui se crée

77
quand on est en appartement, quand on est allés chez eux, et quand ils
viennent au théâtre, ils ne sont plus anonymes, ils ne sont plus des
inconnus, ils savent, ils connaissent la personne qui est sur le plateau et
comme ils les ont rencontrés, ils ont envie de les voir jouer sur un plateau
après les avoir vus en appartement […]. Il y a vraiment un lien entre les
ateliers, le théâtre en appartement, le spectacle au théâtre, pas à cent
pour cent, c’est pas tout le monde qui viendra mais quand même… »
Compagnie Premier Acte

« Les familles, une fois qu’on est partis, on peut correspondre avec eux, on
peut leur téléphoner parce qu’il y a un lien et ils nous racontent qu’ils y
sont allés, du coup, au théâtre mais à la ville à vingt kilomètres, et ils sont
super déçus parce qu’en fait, les gens, ils ne les connaissent pas donc ils
sont exclus […]. Ils sont habitués à ce qu’on leur parle, là, on ne leur parle
pas, ils sont anonymes. C’est bizarre parce qu’après, ils ont une entrée,
une relation particulière avec le théâtre. »
« Ça fait peut-être venir des gens au théâtre mais de manière affective,
c’est-à-dire qu’ils viennent parce qu’ils te connaissent, parce qu’ils t’ont
accueilli, sinon ils iraient peut-être pas. Corinne, chez qui j’étais, elle
avait jamais été au théâtre, elle m’a demandé un soir ce que c’était
comédien, elle m’a demandé ce que c’était mon métier, alors je lui ai dit
ce que c’était, comme j’ai pu. Elle me demandait : « mais qu’est-ce que
vous faites la journée ? », elle ne comprenait pas comment étaient
occupées nos journées. »
Théâtre Craie

Malgré ce petit bémol, la plupart du temps, les résidences permettent à la fois aux artistes
et aux personnes avec qui ils créent des liens de découvrir, de se transformer - ce
qu’Arnaud Monnier (codirecteur de l’Espace Michel Berger à Sannois et président du
Réseau Ile-de-France) résume dans sa définition d’une résidence réussie : « c’est quand un
artiste et un lieu vont réussir à s’enrichir et à faire partager cet apport à un public, à un
environnement »118. Ainsi, la résidence est réellement bénéfique quand elle permet à tous
les acteurs de sortir grandis, de changer et de faire évoluer leur vision du monde et du
monde artistique. Elle peut également avoir un impact sur la création proprement dite.

118
In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-
rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 29.

78
- Influence sur la création

Certaines rencontres permettent aux artistes de faire évoluer leur création, c’est
surtout le cas des personnes extérieures, professionnelles ou pas, qui donnent leur avis sur
une étape de la création et qui peuvent y apporter des modifications. Les auteurs d’Ilots
artistiques urbains expliquent que c’est le principe des demeures et visibilités de
demeures (présentation des travaux en fin de résidence) à Ramdam : « Ces implantations
volontaires invitent certes les artistes à se mettre en situation de réflexion partagée, de
prise de risque dans la proximité avec le public, mais cela suppose une maturité et une
réflexion que n’ont pas toujours les jeunes compagnies. Cependant, le public sort ainsi du
mode de consommation habituel et, en participant en direct à la création, nourrit en
retour le processus créatif »119. En outre, les danseurs de la compagnie P.A.R.C.
considèrent ces « temps de présentation » comme des « moments de partage » et
précisent que « c’est plus à ce moment-là qu’[ils] voi[ent] le travail de la personne » et
expliquent que c’est « parce que le reste du temps, c’est vrai qu’il y a une concentration
qui fait qu’[ils] ne [vont] pas aller voir d’[eux]-mêmes ». C’est ce qui leur fait réaliser que
jusque là, ils ne se sont pas dit : « On va prendre une journée pour regarder le travail
d’une autre compagnie en résidence ». Gilles Pastor, quant à lui, souligne le « lien
intellectuel », le « vrai rapport » qui existe entre les directeurs des Subsistances et lui,
dans le sens où « quand ils aiment pas, ils le [lui] disent, [ils] en parl[ent] ». Pour la
compagnie Lanabel, la démarche proposée par le directeur d’O Espaço do Tempo, Rui
Horta, est intéressante car elle va encore plus loin. En effet, comme il est en lien avec
différents théâtres au Portugal, il fait venir les directeurs pour voir des répétitions. Il a
constitué ce qu’il appelle un « comité de regards » qui réunit des diffuseurs, des artistes
de différentes disciplines, et pas uniquement de la danse. Cet élargissement de points de
vue est abordé également par Philippe Saunier-Borell qui prend l’exemple d’une
compagnie « qui aurait besoin, pour fabriquer son matériel de travailler pendant quinze
jours avec le serrurier de la ville ». D’après lui, c’est l’occasion pour elle de « parler avec
des gens qui, spontanément, n’iraient pas dans le théâtre voir sa proposition artistique »
et de « créer des rapports avec la ville, d’offrir à une partie de la population qui n’entre
pas toujours dans les lieux de diffusion […] la possibilité de développer des « droits de
regard » sur des temps et actes de création, d’inventer des rapports complices et
complexes avec les écritures d’aujourd’hui du spectacle vivant »120. Ici, ce sont les
habitants qui influent sur la création par la discussion et un point de vue différent de celui
des professionnels du spectacle vivant. Mais l’action de certains peut être d’une plus

119
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 67.
120
In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-
rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.

79
grande importance et avoir un impact de plus grande envergure sur la création. De fait,
certaines équipes artistiques n’hésitent pas à solliciter toutes sortes de personnes pour la
construction de leur spectacle. Le Théâtre Craie, par exemple, a demandé une faveur aux
musiciens présents qui jouaient avant la représentation qu’ils devaient donner. Marie
Barbazin et Aurélie Pitrat nous relatent ce moment :

« C’était LA fête de l’étang puisqu’il était vide, les cultures étaient faites
dans l’étang. Donc, c’était une énorme fête avec plein de gens de plein de
villages, il y avait une fanfare et comme nous, on jouait un peu plus loin, il
fallait marcher cinq minutes, on a demandé à la fanfare qui était là si elle
était d’accord de nous accompagner pour que les gens fassent le trajet en
musique et c’était génial, la fanfare qui jouait du New Orleans avec nous
et une centaine de gens qui suivaient le long de l’étang en culture. »

La compagnie Lanabel, pour sa dernière création, avait besoin de plusieurs figurants. Au


lieu de les amener (pour éviter certains frais), elle les a choisis sur le territoire du lieu de
diffusion. Voilà comment s’est déroulé le choix pour les premières représentations, au
Portugal :

« Sur « Que Calor ! », il y a des figurants ; moi, je demande pas des gens
qui ont une pratique de la danse, enfin, s’il y a des danseurs qui veulent
venir, ils peuvent mais il n’y a pas de nécessité. Et à O Espaço do Tempo,
ils ont sollicité des gens qu’ils connaissaient, qui venaient régulièrement
voir des choses et finalement le copain, la copine d’untel etc. On s’est
retrouvés avec douze personnes […]. On a expérimenté avec eux, ils ont
participé à la création, ils ont fait des après-midi complets, ils étaient
ravis, ils nous donnaient leurs impressions. C’est vrai que c’était une
aventure assez intéressante et on s’est rendus compte au niveau du
spectacle après, qu’en termes de public, il y a eu beaucoup plus de monde
[…]. Et les figurants, ça va de dix-huit à soixante-cinq ans, donc ça amène
aussi un autre point de vue, on va dire. »

Et c’est dans la démarche même de KompleXKapharnaüM que s’inscrit l’influence de la


population du lieu de résidence. Elle est exposée dans Ilots artistiques urbains, où est
retranscrite une interview de Stéfan Bonnard :

« Les projets que l’on développe partent toujours d’une friction entre un
territoire et une équipe artistique […]. Ce qu’on va chercher auprès des
populations, c’est la base d’un langage que l’on utilise après, constitué de
mots, de sourires, de gestes. On est toujours dans cette tension d’affirmer
une parole artistique portée par le collectif, et ce travail est fait avec la

80
population, ce qui fait qu’on dépend du contexte, c’est-à-dire du quartier
et de ce qu’il nous donne. »121
« Dans « Square », on essaie de maintenir l’échange. Il y a toujours un
rapport direct avec la population, même si le tournage des images active
la rumeur liée à notre présence. Les gens ne savent pas trop pourquoi on
est là. A ce stade, on filme une parole, une image, un acte ou un geste qui
seront restitués lors de la déambulation […]. Il ne s’agit ni de réaliser un
documentaire sur un quartier, ni de mener un travail social. Il s’agit d’une
création – à chaque fois différente – qui s’attache, dans son processus
créatif, à l’identité d’une ville (histoire, mémoire, architecture, gestes,
gens, etc.) avec la possibilité pour les habitants de transformer leur lieu de
vie. »122

L’influence des rencontres sur la création a même mené Christian Bourigault à créer un
spectacle à partir d’un travail avec des amateurs. Il raconte comment lui est venue l’idée
du spectacle « Vis à Vis » :

« Il y a même une expérience avec des amateurs qui est à l’origine d’une
pièce. On m’a demandé de participer à un stage avec six metteurs en
scène avec une réalisation à la fin. C’était un stage de quinze jours
pendant les vacances, on travaillait les samedis et dimanches et tous les
soirs. Le thème du stage cette année-là, c’était les sept pêchés capitaux
donc on s’est répartis les sept – un chacun - et après les élèves
s’inscrivaient sur le pêché sur lequel ils voulaient travailler […]. Je me suis
retrouvé avec la luxure. A la fin, chaque intervenant avait un espace pour
montrer le résultat de son travail […]. Et plutôt que d’aller vers une
proposition d’un spectacle frontal avec des textes, j’ai rattaché la luxure à
la notion d’intimité. Donc, on a fait la proposition d’un stagiaire comédien
avec les spectateurs. Cette expérience m’avait plu et j’ai eu envie d’en
faire un spectacle ; « Vis à Vis » est né de ça en fait […]. Cette
proposition-là est issue directement d’un travail avec des amateurs. »

Ces nombreux exemples montrent combien les rencontres et les échanges sont
bénéfiques pour chacun et à quel point ils ont un impact fort sur la création. En somme,
les artistes en résidence qui n’auraient aucun lien, aucune relation avec les personnes du
lieu, avec les habitants, avec le public ou avec les personnes de structures relais
n’habiteraient pas réellement leur lieu de résidence. Philippe Saunier-Borell explique que
« le moment de résidence est raté s’il s’est limité à un accueil ». Selon lui, « un lieu de

121
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 79.
122
Idem, p. 80.

81
résidence n’est pas un garage où l’on vient simplement caler son histoire »123. Annabelle
Bonnéry et François Deneulin, à la fin de l’entretien, reviennent sur la définition qu’ils
choisissent de donner à la résidence :

« - Au Pacifique, c’était un prêt de studio, on n’appelle pas ça une


résidence parce qu’il n’y a pas eu vraiment d’échange […]. Après, moi, je
placerais la différence dans la façon dont l’accueil se fait, s’il y a un
intérêt de la part de la personne qui accueille. Il y a des endroits où on va
nous accueillir en s’intéressant vraiment à ce qu’on fait […] et d’autres
endroits, on a l’impression qu’on nous passe les clés et qu’on va pouvoir
travailler et c’est super, mais l’échange avec l’équipe présente n’existe
pas et moi, j’ai du mal à dire résidence dans ces cas-là.
- Pour moi, la résidence, c’est quand tu établis à long terme, une relation
d’échange avec le lieu, le plus important c’est qu’il s’établisse quelque
chose, un échange artistique. »

Il est donc nécessaire de comprendre que les artistes habitent le lieu de résidence
parce qu’ils s’y sentent comme chez eux. Après avoir creusé les sens contenus dans le
concept de l’« habiter », nous avons pu étudier les résidences de ce point de vue-là pour
constater que les artistes, par les actions qu’ils mènent dans leurs lieux de résidences,
l’« habitent » puisqu’ils y laissent des traces. Ils l’« habitent » également en s’y sentant
protégé par le soutien, le suivi et la fidélité que leur réservent les lieux d’accueil. Nous
avons finalement pu remarquer que les artistes « habitent » les lieux de résidence par
leurs relations à autrui ; les rencontres, les échanges avec de nombreuses personnes leur
permettant de changer, de transformer le point de vue de certains et aussi d’influencer
leurs propres spectacles. Et c’est en cela que réside la résidence.

123
In Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-
rendu de la journée d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003, p. 30.

82
Conclusion

Ainsi, l’étude du système de résidence nous a semblé intéressante tout d’abord


parce qu’elle nous apparaissait comme une étape obligée du processus de création d’un
spectacle pour une compagnie ne possédant pas de lieu propre. Or, il en coûte
relativement peu à un lieu d’accueillir une équipe artistique en résidence pour la création
d’une pièce. Nous avons donc souhaité approfondir la réflexion déjà existante sur cette
pratique qui est effective depuis l’antiquité dans le domaine de la peinture et de la
sculpture, et s’est par la suite beaucoup développé dans la littérature. Pour cette raison,
nous avons choisi de réduire notre champ d’investigation au domaine du spectacle vivant,
et plus particulièrement aux secteurs du théâtre et de la danse. En effet, les pratiques et
l’économie du secteur de la musique – qui fait partie du spectacle vivant – sont totalement
différents et donc difficilement comparables. Par ailleurs, nous avons préféré aborder ce
sujet sous un angle particulier jusqu’alors inexploré : celui de l’« habiter ». Autrement dit,
il s’agissait pour nous d’essayer de savoir de quelle manière les artistes en résidence
habitent le lieu – théâtre, quartier, village, ville – où ils sont accueillis. Le parti pris initial
a consisté à considérer le point de vue des artistes eux-mêmes. Il nous importait de nous
fier à leurs sensations, à leur vécu, à leurs propos, et par là même à leur subjectivité. Cela
nous a offert de mieux comprendre la manière dont ils vivaient et ressentaient les
moments où ils étaient en résidences, et de saisir la manière dont le concept de résidence
est perçu de l’intérieur.

Cette hypothèse initiale de travail nous a donné accès à un point de vue original sur
les résidences d’artistes qui n’avaient encore jamais été traitées par ce biais-là, à savoir
du point de vue des artistes eux-mêmes et surtout depuis cet angle-là qui est celui de
l’« habiter ». En revanche, les résidences ont déjà fait l’objet d’analyses sous d’autres
perspectives, en particulier sous celle du lieu d’accueil, et notamment en se plaçant du
point de vue du service de la communication et des relations publiques d’un lieu de
diffusion124 ; les résidences permettent au lieu d’accueil de s’inscrire dans un territoire par

124
MALTE K., Les résidences artistiques, une réponse adaptée aux enjeux des jeunes compagnies et des théâtres de
banlieues, mémoire de Master 2 Métiers des arts et de la culture, Université Lumière-Lyon 2, 2005 et La Scène Hors-Série
Scènes Nationales, juin 1999

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le bénéfice des actions menées par les artistes en résidence dans la ville mais également
d’élargir et de fidéliser son public. D’autres études ont analysé les enjeux (les intérêts et
les contraintes) et les objectifs de tous les acteurs d’une résidence – compagnies, lieu
d’accueil, pouvoirs publics – en pointant les pièges à éviter et en posant la question de la
contractualisation de cette pratique125. Cependant, ces ouvrages ne s’attachant pas
précisément à l’un des acteurs de la résidence, ils n’ont pu approfondir l’analyse du point
de vue de l’un d’eux. De plus, ces ouvrages se focalisent sur la synthèse de journées de
réflexion entre professionnels sur le sujet, ce qui donne à la démarche un caractère
radicalement différent de celle que nous avons choisi d’entamer.

Souhaitant aborder ce sujet du point de vue subjectif des artistes, la démarche


retenue a été la suivante : dix entretiens d’artistes travaillant dans le secteur du théâtre
ou de la danse (comédiens, metteurs en scène, danseurs et chorégraphes) ont été réalisés.
Cette démarche semblait la plus simple et la plus pertinente pour élaborer un travail de
recherche basé sur le vécu, l’avis des artistes, en privilégiant l’aspect subjectif dans le
récit de ces personnes. En outre, pour aborder cette pratique de la résidence à partir du
concept de l’« habiter », cet aspect subjectif des paroles des artistes semblait plus
approprié qu’une analyse fondée sur des études statistiques ou des questionnaires. En ce
qui concerne le choix de ces artistes ou compagnies, il s’est effectué au fil des rencontres
(voire des lectures) et grâce à des connaissances. L’un des éléments de la sélection était
l’expérience des résidences qu’avaient vécues ces artistes. Aucun choix régional n’a été
effectué étant donné que l’analyse ne portait aucunement sur ce point précis. Néanmoins,
à ces interviews d’artistes se sont ajoutés des entretiens avec des responsables de lieux
d’accueil d’artistes en résidences, dont c’est la fonction première ou non. Ce deuxième
type d’entretiens a été utile pour enrichir ou valider les premiers et ils ont conservé cette
fonction - les rencontres avec les artistes eux-mêmes restant le noyau dur de notre
réflexion. Lors des interviews, certains artistes, dont les propos avaient été repris dans des
ouvrages, et qui attiraient le lecteur pour leur pertinence, se sont avérés très concis et
peu bavards. En revanche, d’autres ont été plus loquaces et ont fait le récit de leurs
résidences en détail. Leurs propos ont été parfois étonnants dans la mesure où certains
attachaient plus d’importance à l’aspect artistique pendant que d’autres se focalisaient
d’avantage sur les éléments concrets de la résidence. Par ailleurs, la démarche de suivre
l’artiste faisant une visite guidée de son lieu de résidence nous a permis de comprendre sa
vision personnelle de cet espace et de ressentir toute la dimension affective que prennent

125
CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA, 2005 et Pratiques et usages des
contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence, cession, coréalisation, compte-rendu de la journée
d’information du 10 février 2003, Paris, IRMA, 2003

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ces lieux ; malheureusement, cela n’a été possible qu’avec une seule des personnes
rencontrées.

Afin de mieux saisir le fonctionnement des résidences, nous avons procédé à une
étude détaillée des expériences de résidences relatées par les équipes artistiques
rencontrées. Cela a mis en évidence la diversité des pratiques que la notion de résidence
recouvre, à savoir la mise à disposition d’un lieu pour un temps continu ou fractionné qui
va de quelques jours à plusieurs années. Cette aide peut s’accompagner, comme nous
avons pu le noter, de moyens financiers, techniques, logistiques et humains. En échange,
les équipes artistiques doivent parfois apporter une contrepartie, sous forme de
représentations, de répétitions, d’actions de sensibilisation ou de formation des publics.
A l’occasion d’une analyse des différentes fonctions de cette pratique, nous avons
pu nous rendre compte que la résidence est un outil extrêmement précieux dans la
démarche artistique : elle est un biais à la fois pour expérimenter de nouvelles manières
de travailler, avec de nouvelles personnes, pour collecter la matière d’un futur spectacle,
pour le créer et le finaliser, ou encore pour diffuser le répertoire de la compagnie ou pour
mener des actions de formation et de sensibilisation auprès des publics. Chacun de ces
types de résidences peut être cumulé avec un ou plusieurs autres, étant donné la liberté
offerte par l’absence de cadre juridique précis quant à ce procédé.
Ce flou concernant la contractualisation des résidences vient d’être précisé par une
circulaire du Ministère de la Culture et de la Communication. Elle prend en compte la
diversité des pratiques en instaurant trois types de résidence et donne des détails sur les
conditions requises pour obtenir des financements au titre d’une résidence. Ce document
ayant été édité depuis très peu de temps lors des entretiens, il n’a été évoqué ni du côté
des compagnies, ni du côté des lieux, tous deux concernés par ce texte. Par conséquent,
nous n’avons pas pu tirer de conclusions sur l’impact de cette circulaire sur les pratiques
elles-mêmes.
L’étude étymologique du terme « résidence » nous a conduit à rapporter ce mot à
la dimension prosaïque de l’« habiter ». En conséquence, le choix terminologique même de
la « résidence » sous-entend déjà le fait que les artistes vivant cette expérience sont
amenés à habiter l’endroit où ils sont accueillis. Du reste, l’un des lieux rencontrés,
Ramdam, a décidé, de manière très significative suite à une réflexion des membres du
collectif sur les résidences, de nommer ce procédé d’un terme de la même famille de mots
que « résidence », à savoir « demeure » ; cette démarche lexicale a été entreprise dans le
but que les compagnies invitées saisissent la notion de durée que les membres de Ramdam

85
les incitent à prendre en considération. Cette approche de la résidence par les mots nous a
amenés, logiquement, à nous intéresser à l’« habitation » des artistes en résidence.

Dans un second temps de notre réflexion, nous nous sommes attachés à l’origine
étymologique de l’« habiter » afin d’en saisir les subtilités, avant de montrer pourquoi les
artistes se sentent comme chez eux lorsqu’ils sont en résidence ; le logement et la
restauration sur place, les convenances dues à la cohabitation avec des voisins et enfin,
l’impression d’intégration à l’équipe du lieu prennent alors toute leur importance.
Avec l’ambition de l’appliquer aux artistes en résidence, nous nous sommes
attardés sur le concept de l’« habiter » élaboré par la pensée de Martin Heidegger, pour
qui « habiter » signifie bien plus que « se sentir chez soi ». En effet, le philosophe
considérant l’habitation comme « le trait fondamental de la condition humaine », habiter,
c’est exister, par la relation au monde (et donc aux autres) que nous construisons. Nous
avons vu que, d’après lui, « habiter » peut se traduire par « édifier des bâtiments » et
« cultiver » ; autrement dit nous « habitons » en laissant des traces, qui correspondent aux
actions menées par les artistes lorsqu’ils sont en résidence. Par ailleurs, « habiter »
correspond aussi à « être libre » - ce que les artistes ressentent lors d’une résidence – et à
« être ménagé, protégé ». Cette sensation se traduit chez les personnes rencontrées par
un sentiment de soutien, de suivi, de fidélité de la part des équipes des lieux d’accueil.
Les pensées de Martin Heidegger nous ont donc offert une base conceptuelle idéale sur
laquelle greffer les impressions recueillies lors de ces interviews.
En définitive, l’essentiel de l’idée d’« habiter » repose sur le contact avec l’autre.
Lors des entretiens, nombreux ont été les récits de rencontres, de partage et de
croisements, que ce soit avec la population, les habitants, le public, a fortiori avec leurs
hôtes dans les lieux d’accueil, ou encore avec d’autres artistes. Et ces échanges
permettent l’enrichissement réciproque des parties ainsi que l’évolution de la création
artistique. Nous en avons conclu que la résidence, a priori si difficile à définir, trouvait
peut-être son essence dans ces échanges. La principale manière d’habiter un lieu est, pour
les artistes, de pratiquer ces rencontres et ces échanges qui profitent à tous les acteurs de
l’aventure.

D’un point de vue professionnel, ce travail de recherche nous a permis de mieux


comprendre ce que les artistes attendent d’un lieu qui les accueille en résidence ainsi que
le soutien et l’intérêt qu’ils sont susceptibles d’apprécier dans ces moments-là. On
pourrait imaginer au contraire que l’artiste en création est, et veut rester, dans sa bulle,

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hors du monde et ne surtout pas être dérangé par une personne extérieure, mais les
artistes rencontrés ont montré qu’ils étaient plutôt ouverts à la discussion dans ces
moments-là, à condition d’un respect mutuel. Ainsi, lors d’une activité professionnelle
dans un lieu d’accueil des artistes, nous pourrons agir en adéquation avec eux et
« habiter » le lieu ensemble, afin que l’enrichissement soit mutuel : nous avons voulu
mettre en relief, suite à ces rencontres, le fait qu’il faut oser aller vers l’artiste en
création de manière délicate et en ayant conscience de sa fragilité. Osons également poser
notre regard sur la création en train de se faire, et, si un artiste nous le demande, donner
notre avis sur l’aspect artistique. Essayons d’être un maximum à l’écoute de leurs besoins
et d’y répondre au mieux, dans le but d’un échange équilibré.
D’un point de vue plus personnel, cette étude nous a apporté une plus grande
connaissance des artistes, de leurs pratiques et de leur façon d’envisager le monde. La
démarche qui consistait à faire parler les acteurs de résidences nous a fait percevoir une
autre manière de penser le monde artistique et le monde en général. De plus, les
résidences relatées par les équipes artistiques rencontrées montrent que, dans la pratique,
les frontières entre l’artistique, l’action culturelle et le social ne sont pas aussi nettement
délimitées qu’on pourrait le croire ; et pour preuve, nous avons vu que certaines actions
en direction des publics (que l’on pourrait qualifier d’actions culturelles) s’intègrent
totalement à la création, voire l’influencent. Jacques Bonniel, dans la conclusion du livre
Ilots artistiques urbains, nous fait observer que ce « mouvement fondateur déplaçant les
frontières bien établies de l’artistique, du culturel, de l’urbain et du social »126 concerne
un grand nombre d’actions (et non pas seulement les résidences artistiques) menées par
des artistes, des acteurs culturels et des travailleurs sociaux – qui sont en réalité souvent
tout cela à la fois. Dans le rapport Lextrait, ce phénomène est nommé
127
« décloisonnement » . Jacques Bonniel, lui, assure que cette manière singulière « de
combiner, de métisser les problématisations urbaines, sociales et artistiques » pourrait
permettre de « sortir de l’aporie « instrumentalisation de l’art à des fins sociales /
exigence et primat de l’œuvre autonome » »128. Ainsi, cette enquête régionale sur les
nouveaux territoires de l’art, Ilots artistiques urbains, de même que le rapport Lextrait, se
basent sur une étude de lieux qui hébergent une activité artistique, et il semble que le lieu
soit le point de départ de l’« habiter », à condition de s’y inscrire dans une certaine durée,
afin que les échanges qui permettent les transformations mutuelles puissent se produire.

126
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 87.
127
LEXTRAIT F., Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires… : une nouvelle époque de l’action
culturelle. Rapport à Michel Dufour, secrétaire d’Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, Paris, La
Documentation Française, 2001, p. 61.
128
Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La Passe du Vent, 2002, p. 87.

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De ce fait, tout lieu de spectacle vivant, quelle que soit sa fonction principale
(programmation, création, résidence) peut être « habité » par ses occupants.
Les résidences d’artistes ont beaucoup évolué depuis qu’elles existent : en effet,
elles ont été créées pour les peintres et les sculpteurs, se sont élargies au domaine de la
littérature et puis à celui du spectacle vivant. Bien entendu, elles sont amenées à se
transformer encore à l’avenir. Laissons-nous aller à imaginer un métissage plus général
encore entre les fonctions du social, de l’artistique et du culturel où chacun conserverait
sa spécificité mais où tout le monde participerait à chaque fonction : le public deviendrait
artiste à son tour en participant plus activement à la création, l’artiste prendrait part au
culturel – ce qui est déjà souvent le cas par ses actions en direction des publics -, et
l’acteur culturel s’impliquerait plus encore dans l’action sociale. Ainsi, chacun apporterait
à chaque fonction son propre point de vue, qui permettrait d’envisager le monde
différemment et de s’en trouver enrichi.

88
Bibliographie

Ouvrages :

- BARCELO V., BOURIGAULT C., GINOT I., LOUPPE L., VERRIELE P., Christian Bourigault,
Feillens, Editions W – Addim 89, 1998

- BECKER H., Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988

- BOISSON V., Les résidences d’artistes en théâtre, fusion ou cohabitation : convergence


ou divergence de projets, Lyon, mémoire ARSEC, 1996

- BONNIEL J., Résidences d’artistes [sens et dérives] : définition et contextes artistiques,


institutionnels et historiques, Lyon, AMDRA, 2003

- CHAUDOIR P. (sous la direction de), Les résidences d’artistes en question, Lyon, AMDRA,
2005

- DIVORNE A., Les résidences d’artistes, un outil au service de la relation artistes-


population, Lyon, mémoire ARSEC, 1994

- HEIDEGGER M., « Bâtir, habiter, penser » et « L’homme habite en poète » in Essais et


Conférences, Paris, Gallimard, 1958

- Ilots artistiques urbains, nouveaux territoires de l’art en Rhône-Alpes, Genouilleux, La


Passe du Vent, 2002

- LEXTRAIT F., Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires… : une


nouvelle époque de l’action culturelle. Rapport à Michel Dufour, secrétaire d’Etat au
Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, Paris, La Documentation Française,
2001

- MALTE K., Les résidences artistiques, une réponse adaptée aux enjeux des jeunes
compagnies et des théâtres de banlieues, mémoire de Master 2 Métiers des arts et de
la culture, Université Lumière-Lyon 2, 2005

- MAYOL P., « Habiter » in CERTEAU M., GIARD L., MAYOL P., L’invention du quotidien 2 :
Habiter, Cuisiner, Paris, Union Générale d’Editions, 1980

- PAQUOT T., Demeure terrestre : Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon, Editions
de l’Imprimeur, 2005

- Pratiques et usages des contrats dans le spectacle vivant : coproduction, résidence,


cession, coréalisation, compte-rendu de la journée d’information du 10 février 2003,
Paris, IRMA, 2003

- RENGADE C., C’est pas arrosé avec l’eau du ciel, Givors, Color Gang, 2005

89
Dictionnaires :

- ERNOUT A., MEILLET A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, histoire des
mots, Paris, Editions Klincksieck, 1979

- Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse/Vuef, 2001

- REY A., Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, Manchecourt, Maury-


Eurolivres, 2004

Journaux et revues :

- DOLLE J.-P., « Habiter le rien », Le Monde, 14 décembre 2005, p. 23

- FOURREAU E., « L’action culturelle : passage obligé d’une résidence chanson ? », La


Scène, n° 27, décembre 2002, pp 87-88

- MEURIN N., « Théâtre de Sartrouville, la maison de Joël et Angélique », La Scène Hors-


Série Scènes Nationales, juin 1999, pp 58-59

- MEURIN N., « L’artiste est dans la place », La Scène Hors-Série Scènes Nationales, juin
1999, pp 60-61

- PLANSON C., « Résidences : laisser le temps au temps », La Scène, n° 31, décembre


2003, pp 78-79

Texte officiel :

- Circulaire n°2006/001 du 13 janvier 2006 relative au soutien à des artistes et des


équipes artistiques dans le cadre de résidences, Bulletin Officiel n°153, Paris,
Ministère de la Culture et de la Communication, pp 5-9

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