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Voyage dans la Basse et la

Haute Égypte, pendant les


campagnes du général
Bonaparte / par Vivant
Denon

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Denon, Dominique-Vivant (1747-1825). Auteur du texte. Voyage
dans la Basse et la Haute Égypte, pendant les campagnes du
général Bonaparte / par Vivant Denon. 1802.

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DANS

LA BASSE ET LA HAUTE
Cet ouvrage, composé d'un vol. ïn-4° de texte et d'un vol. de
planches format atlantique, se vend
A PAKIS,

_J
[L'AUTEUR
,rue J. J. Rousseau, hôtel de Bullion ;
\P. DIDOT l'aîné, imprimeur, aux galeries du Louvre, n° 3.
Le même ouvrage, 3 vol. in-ia sans atlas, nécessaire aux
acquéreurs de la première édition.
DANS

LA BASSE ET LA HAUTE

PENDANT

LES CAMPAGNES DU GÉNÉRAL BONAPARTE.

PAR VIVANT DENQK

A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE P. DIDOT L'AINE,
AUX. GALERIES DU LOUTRE, n° 3.

AN X. = M. DCCCIL
JOINDRE l'éclat de votre nom à la splendeur des mo-
numents d'Egypte, c'est rattacher les fastes glorieux
de notre siècle aux temps fabuleux de l'histoire ; c'est
réchauffer les cendres des Sésostris et des 3îendès,
comme vous conquérants, comme vous bienfaiteurs.

L'Europe, en apprenant que je vous accompagnois


dans l'une de vos plus mémorables expéditions, re-
cevra mon ouvrage avec un avide intérêt. Je n'ai
rien négligé pour le rendre digne du héros à qui je
voulois l'offrir.

VIVANT DENON.
LE principal objet d'un auteur, lorsqu'il se décide à faire une
préface, est de donner une idée de son ouvrage. Je remplirai cette
espèce de devoir en insérant ici le discours que je me proposois
de lire à l'institut du Caire, à mon retour de la haute Egypte.

« Vous m'avez dit, citoyens, que l'institut attendoit de moi que


je lui rendisse compte de mon voyage dans la haute Egypte, en
lui faisant lecture, dans différentes séances, du journal qui doit
accompagner les dessins que j'ai rapportés. L'envie de répondre
au voeu de l'institut hâtera la rédaction d'une foule de notes que
j'ai prises, sans autre prétention que de ne rien oublier de tout ce
que chaque jour offroit à ma curiosité. Je parcourois un pays que
l'Europe ne connoît guère que de nom; tout y devenoit donc im-
portant à décrire; et je prévoyois bien qu'à mon retour chacun
m'interrogeroit sur ce qui, en raison dé ses études habituelles
ou de son caractère, exciteroit davantage sa curiosité. J'ai des*
sine des objets de tous les genres; et si je crains ici de fatiguer
ceux à qui je montre mes nombreuses productions, parcequ'elles
ne leur retracent que ce qu'ils ont sous les yeux, arrivé en
France, je me reprocherai peut-être de ne les avoir pas multir
pliées encore davantage, ou, pour mieux dire, je gémirai de ce que
les circonstances ne m'en ont laissé ni le temps ni les facilités. Si
mon zèle a mis en oeuvrertout ce que j'ai de moyens^ ils,, ont été
puissamment secondés par le général en chef, en qui. les plus vastes
conceptions ne font oublier aucun détail. Comme il savoit que le
but de mon voyage étoit de visiter les monuments de la haute
Egypte, il me fit partir avec la division qui devait en faire la
(viij)
conquête. J'ai trouvé dans le général Desaix un savant, un curieux,
un ami des arts; j'en ai obtenu toutes les complaisances que pou-
voient lui permettre les circonstances. Dans le général Belliard,
j'ai trouvé égalité de caractère, de l'amitié, des soins inaltérables;
de l'aménité dans les officiers ; une cordiale obligeance dans
tous les soldats de la vingt-unième demi-brigade; enfin je m'étois
identifié de telle sorte au bataillon qu'elle formoit, et au milieu
duquel j'avois, si l'on peut s'exprimer ainsi, établi mon domicile,
que j'oubliois le plus souvent que je faisois la guerre, ou que la
guerre étoit étrangère à mes occupations.
« Comme on avoit à poursuivre un ennemi toujours à cheval, les
mouvements de la division ont toujours été imprévus et multipliés.
J'étois donc obligé quelquefois de passer rapidement sur les monu-
ments les plus intéressants; quelquefois de m'arrêter où il n'y avoit
rien à observer. Mais, si j'ai senti la fatigue des marches infructueuses,
j'ai éprouvé aussi qu'il est souvent avantageux de prendre un pre-
mier apperçu des grandes choses avant de les détailler; que si elles
éblouissent d'abord par leur nombre, elles se classent ensuite dans
l'esprit par la réflexion ; que s'il faut conserver avec soin les pre-
mières impressions, ce n'est qu'en l'absence de l'objet qui les a fait
naître qu'on peut les bien examiner, les analyser. J'ai pensé aussi
qu'un artiste voyageur,,en se mettant en marche, devoit déposer
tout amour-propre de métier ; qu'il ne doit pas s'occuper de ce
qui peut ou non composer un beau dessin, mais de l'intérêt que
devra généralement inspirer l'aspect du lieu qu'il se propose de
dessiner. J'ai déjà été récompensé de l'abandon que j'ai fait de cet
amour-propre par là complaisante curiosité que vous avez mise,
citoyens, à observer avidement le nombre immense des dessins que
j'ai rapportés; dessins que j'ai faits le plus souvent sur mon genou,
ou debout, où même à cheval : je n'ai jamais pu en terminer un seul
à nia volonté, puisque pendant toute une année je n'ai pas trouvé
Une seule fois une tablé assez bien dressée pour y poser une règle.
: a C'est donc pour répondre à vos questions que j'ai fait cette
multitude de dessins, souvent trop petits, pareeque nos marches-
étoient trop précipitées pour attaquer les détails des objets dont
je voulois au moins vous apporter et l'aspect et l'ensemble. Voilà
comme j'ai pris en masse les pyramides de Ssakharah, dont j'ai
traversé l'emplacement au galop pour aller me fixer un mois dans
les maisons de boue de Benisuef. J'ai employé ce temps à comparer
les caractères, dessiner les figures, les costumes des différents peu-
ples qui habitent maintenant l'Egypte, leurs fabriques, le gisement
de leurs villages.
ce
Je vis enfin le portique d'Hermopolis ; et les grandes masses
de ses ruines me donnèrent la première image de la splendeur de
l'architecture colossale des Egyptiens : sur chaque rocher qui com-
pose cet édifice il me sembloit voir gravé, Postérité, éternité.
ce
Bientôt après, Denderah (Tintyris) m'apprit que ce n'étoit
point dans les seuls ordres dorique, ionique, et corinthien, qu'il
falloit chercher la beauté de l'architecture; que par-tout où existoit
l'harmonie des parties, là étoit la beauté. Le matin m'avoit amené
près de ses édifices, le soir m'en arracha plus agité que satisfait.
J'avois vu cent choses; mille m'étoient échappées : j'étois entré
pour la première fois dans les archives des sciences et des arts.
J'eus le pressentiment que je ne devois rien voir de plus beau en
Egypte; et vingt voyages que j'ai faits depuis à Denderah m'ont
confirmé dans la même opinion. Les sciences et les arts unis par le
bon goût ont décoré le temple d'Isis : l'astronomie, la morale, la
métaphysique, ont ici des formes, et ces formes décorent des pla-
fonds, des frises, des soubassements, avec autant de goût et de grâce
que nos sveltes et insignifiants arabesques enjolivent nos boudoirs.
ce
Nous avancions toujours. Je l'avouerai, j'ai tremblé mille fois
que Mourat-bey, las de nous fuir, ne se rendît, ou ne tentât le
sort d'une bataille. Je crus que celle de Samanhout alloit être la
catastrophe de ce grand drame : mais, au milieu du combat, il pensa
'
que le désert nous serbit
(x)
. plus fatal que ses afnies; et Desàix vit

encore fuir l'occasion de le détruire, et moi renaître l'espoir de le


poursuivre jusqu'au-delà du tropique.
ce
Nous marchâmes sur Thebes, Thebes dont le seul nom rem-
plit l'imagination de vastes souvenirs. Comme si elle avoit pu
m'échapper, je la dessinai du plus loin que je pus Tappèrcevoir;
et je crus sentir en faisant ce dessin que vous partageriez un jour
le sentiment qui m'animoit. Nous devions la traverser rapidement;
à peine on appercevoit un monument, qu'il falloit le quitter.
ce
Là étoit un colosse qu'on ne pouvoit mesurer que de l'oeil et
d'après le sentiment de surprise que sa vue occasionnoit; à droite,
des montagnes creusées et sculptées; à gauche, des temples, qui,
à plus d'une lieue, paroissoient encore d'autres rochers; des palais,
d'autres temples dont j'étois arraché; et je me retournois pour
chercher machinalement ces cent portes, expression poétique par
laquelle Homère a voulu d'un seul mot nous peindre cette ville
superbe , chargeant le sol du poids de ses portiques , et dont
la largeur de l'Egypte pouvoit à peine contenir l'étendue. Sept
voyages n'ont pas suffi à la curiosité que m'avoit inspirée cette pre-
mière journée; ce ne fut qu'à la quatrième que je pus toucher à
l'autre rive du fleuve.
ce
Plus loin, Hermontis m'auroit semblé superbe, si je ne l'eusse
trouvée presque aux portes de Thebes. Le temple d'Esnê, l'an-
cienne Latopolis, me parut la perfection de l'art chez les Egyptiens,
une des plus belles productions de l'antiquité; celui d'Etfu(ou
Apollinopolis magna), un des plus grands, des plus conservés, et
le mieux situé de tous les monuments de l'Egypte: en son état
actuel il paroît encore une forteresse qui la domine.
« Ce fut là que le sort de mon voyage fut décidé, et que nous
nous mîmes irrévocablement en marche pour Syene ( Assuan ) ;
c'est dans cette traversée de désert que pour la première fois je
sentis le poids des années, que je n'avois pas comptées en m'en-
gageant dans cette expédition; mon courage plus que mes forces
..,V ; (*j)
.

me porta jusqu'à ce terme. Là je quittai l'armée


^
pour rester avec
la demi-brigade qui devoit tenir Mourat-bey dans le désert. Fier
de trouver à ma patrie les mêmes confins qu'à l'empire romain,
j'habitai avec gloire les mêmes quartiers des trois cohortes qui les
avoient jadis défendus. Pendant vingt-deuxjours que je restai dans
ce lieu célèbre je pris possession de tout ce qui l'avoisinoit. Je poussai
mes conquêtes jusque dans la Nubie, au-delà de Philée, isle déli-
cieuse dont il fallut encore arracher les curiosités à ses farouches
,
habitants; six voyages et cinq jours de siège m'ouvrirent enfin ses
temples. Sentant toute l'importance de vous faire connoître le lieu
que j'habitois, toutes les curiosités qu'il rassembloit, j'ai dessiné
jusqu'aux rochers,jusqu'aux carrières de granit, d'où sont sorties
ces figures colossales, ces obélisques plus colossals encore, ces ro-
chers couverts d'hiéroglyphes. J'aurois voulu vous rapporter, avec
les formes, des échantillons de tout ce qu'elles contiennent d'inté-
ressant. Ne pouvant faire la carte du pays , j'ai dessiné à vol-d'oiseau
l'entrée du Nil dans l'Egypte, les vues de ce fleuve roulant ses eaux
à travers les aiguilles granitiques, qui semblent avoir marqué les
limites de la brûlante Ethiopie, et d'un pays plus heureux et plus
tempéré. Laissant pour jamais ces âpres contrées, je me rapprochai
de la verdoyante Eléphantine, le jardin du tropique : je recherchai,
je mesurai tous les monuments qu'elle conserve, et quittai à regret
ce paisible séjour, où des occupations douces m'avoient rendu la
santé et les forces.
ce
Sur la rive droite du Nil je trouvai Ombos, la ville du Crocodile,
celle de Junon Lucine, Cophtos, près de laquelle il fallut défendre
ce que je rapportois de richesses, du fanatisme atroce des Mekkains.
ce
Etabli à René,j'accompagnai ceux qui traversèrentle désertpour
aller à Cosséir mettre une barrière à de nouvelles émigrations de
l'Arabie. Je vis ce que l'on pourroit appeler la coupe de la chaîne du
Mokattam, les bords stériles de la mer Rouge : j'appris à connoître,
à révérer cet animal patient que la nature semble avoir placé dans
cette région pour réparer l'erreur qu'elle a commise en créant un
(*ij) •

désert. Je revins à René, d'où je partis successivement pour re-


tourner à Ethi, à Esnê, à Hermontis, à Thebes, à Denderah; à
Etfu, à Thebes encore, toutes les fois qu'on envoyoit un détache-
ment, et par-tout où il étoit envoyé. Si l'amour de l'antiquité a
fait souvent de moi un soldat, la complaisance des soldats pour
mes recherches en a fait souvent des antiquaires. C'est dans ces
derniers voyages que j'ai visité les tombeaux des rois; que j'ai pu
prendre dans ces dépôts mystérieux une idée de l'art de la peinture
chez les Egyptiens, de leurs armes, de leurs meubles, de leurs
ustensiles, de leurs instruments de musique, de leurs cérémonies,
de leurs triomphes; c'est dans ces derniers voyages que je suis
parvenu à m'assurer que les hiéroglyphes sculptés sur les murailles
n'étoient pas les seuls livres de ce peuple savant. Après avoir trouvé
sur des bas-reliefs des personnages dans l'action d'écrire, j'ai
trouvé encore ce rouleau de papyrus, ce manuscrit unique qui
a déjà fait l'objet de votre curiosité; frêle rival des pyramides,
précieux gage d'un climat conservateur, monument respecté par
le temps, et que quarante siècles placent au rang du plus ancien
de tous les livres.
ce
C'est dans ces dernières excursions que j'ai cherché, par des
rapprochements, à compléter cette volumineuse collection de ta-
bleaux hiéroglyphiques ; c'est en pensant à vous, citoyens, et à tous
les savants de l'Europe, que je me suis trouvé le courage de copier
avec une scrupuleuse exactitude les détails minitieux de tableaux
secs, dénués de sens, et qui ne dévoient avoir pour moi de l'in-
térêt qu'avec le secours de vos lumières.
ce
A mon retour, citoyens, chargé de mes ouvrages, dont le poids
s'étoit journellement augmenté, j'ai oublié la fatigue qu'ils m'a-
voient coûtée, dans la pensée qu'achevés sous vos yeux, et à l'aide
de vos conseils, je pourrois quelque jour les utiliser pour ma patrie,
et vous en faire un digne hommage. »
DANS LA BASSE ET LA HAUTE

J'AVOIS toute ma vie désiré de faire le tristesse; j'allois errant, évitant tout le
voyage d'Egypte ; mais le temps , qui monde, m'agitant sans objet, sans pré-
use tout, avoit usé aussi cette volonté. voir ni rassembler rien de ce qui alloit
Lorsqu'il fut question de l'expéditionqui m'être si utile dans un pays si dénué de
devoit nous rendre maîtres de cette con- toutes ressources. Le brave et malheu-
trée , la possibilité d'exécuter mon an- reux du Falga m'associamon neveu. Com-
cien projet en réveilla le désir ; un mot bien je fus reconnoissant de ce bienfait!
du héros qui commandoit l'expédition emmener un être aimable en m'éloignant
décida de mon départ : il me promit de de toutjceque-j'aimois, c'étoit empêcher
me ramener avec lui ; et je ne doutai pas la chaîne de mes affectionsde se rompre,
de mon retour. Dès que j'eus assuré le c'étoit conserver à mon ame l'exercice de
sort de ceux dont l'existence dépendoit sa sensibilité, c'étoit un acte qui carac-
de la mienne, tranquille sur le passé, térisoit la délicatesse de ce brave et sa-
j'appartins tout à l'avenir. Bien persuadé vant homme.
que l'homme qui veut constammentune tfe m'étendrai peu sur mon voyage de
chose acquiert dès-lors la faculté de par- Paris jusqu'au port désigné pour l'em-
venir à son but, je ne songeai plus aux barquement. Nous arrivâmes à Lyon sans
obstacles, ou du moins je sentis au-de- sortir de voiture; là nous nous embar-
dans de moi tout ce qu'il falloit pour les quâmes sui-'le Rhône jusqu'à Avignon.
surmonter; mon coeurpalpi toit sans qu'il Je pensois, en voyant les belles rives de
me fût possible de me rendre compte si la Saône,les pittoresquesbords du Rhône,
cette émotion étoit de la joie ou de la que, sans jouir>de ce qu'ils possèdent,les
1
(»)
hommes vont chercher bien loin des ali- même tout est là sous les yeux réuni
T
ments à leur insatiable curiosité. J'avois sur un même point ; la manoeuvre et les
vu la Neva , j'avois vu le Tibre, j'allois canons sont les seuls objets de la sollici-
chercher le Nil ; et cependant je n,'avois tude et les hommes ne sont plus qu'ac-
,
pas trouvé en Italie de plus belles anti- cessoires. La nuit vint, et non pas la
quités qu'à Nîmes, Orange, Beaucaire, tranquillité ; nous la passâmes à notre
S.-Remi, et Aix. Je cite cette dernièreville, poste. Au jour, nous n'avions rien perdu
parceque nous y restâmes une heure, et de l'avantage clés vents : nous ne pouvions
que je m'y baignai dans une chambre et juger si c'étoient des vaisseaux ou des
dans une baignoire où, depuis le pro- frégates; ils étoient quatre, et nous trois;
consul Sextus, on n'avoit rien changé tous nos bas-agrès étoient embarrassés de
que le robinet. trains d'artillerie : dans l'après-midi la
Nous perdîmes un jour à Marseille : commandante nous ordonna de la suivre
nous en partîmes le 24 floréal an 6, pour en ordre de bataille, et assura son pa-
Toulon; et, le 25, j'étois en mer sur la villon d'un coup de canon : les bâtiments
frégate la Junon, destinée avec deux au- inconnus arborèrent pavillon espagnol.
tres frégates à éclairer la route, et former La nuit arrivoit, on nous laissa coucher:
l'avant-garde. à trois heures du matin on nous éveilla
Le vent étoit contraire ; la sortie fut avec l'ordre de se préparer au combat.
difficile : nous abordâmes deux autres Je n'étois pas fâché de commencer une
bâtiments; pronostic fâcheux : un Ro- expédition par quelque chose de brillant ;
main seroit rentré ; mais ce Romain au- mais j'avois bien quelque peur d'échan-
roit eu tort, car le hasard, qui nous sert ger le Nil contre la Tamise. Nous n'étions
presque toujours mieux que nous ne nous plus qu'à une portée de canon, lorsque
servons nous-mêmes, en ne me laissant la commandante envoya un canot, qui,
rien faire comme je voulois, en me con- après une heure, nous rapporta que nous
duisant aveuglément à tout ce que je vou- avions également inquiété quatre frégates
lois faire, me mit dès ce moment aux espagnoles, qui ne venoient pas plus que
avant-postes, que je ne devois pas quitter nous chercher l'ennemi.
de toute l'expédition. Le 3o, à la pointe du jour, le vent passa
Le 26, nous ne fîmes que des bordées. au nord-ouest : la flotte et le convoi se
Le 27, vers le soir, nous découvrîmes mirent en mouvement, et à midi la mer
quatre voiles; elles manoeùvroient sous en fut couverte. Quel spectacle imposant!
notre vent en ordre de bataille : on or- jamais pompe nationale ne peut donner
donna le branlebas ; le branlebas! mot une plus grande idée de la splendeur de
terrible dont on ne peut se faire idée, la France, de sa force, de ses moyens;
quand on n'a pas été en mer : silence, et peut-on sans la plus vive admiration
terreur, appareil de carnage, appareil de songer à la facilité, à la promptitude avec
ses suites, plus funestes que le carnage laquelle fut préparée cette grande et mé-
(3)
morable expédition ! On vit accouriravec Le convoi qui étoit resté sous le vent
enthousiasme dans les ports des milliers du cap ne put le doubler de la journée,
d'individus de toutes les classes de la et nous restâmes à l'attendre sur le cap
société. Presque tous ignoroient quelle même, à une lieue de la terre. Je fis un
étoit leur destination : ils quittoient fem- dessin du cap ( n° 3 ).
mes, enfants, amis, fortune, poursuivre Le 5, au matin, la division légère se
Bonaparte , et par cela seul que Bona- trouva par le travers de la côte orientale
parte devoit les conduire. de la Corse, vis-à-vis de Bastia, dont je
Le i" prairial, l'Orient sortit enfin du distinguai fort bien la rade et le port:
port, et nous commençâmes à marcher j'en fis le dessin ( n°6 ). La ville me parut
par un bon vent ; chaque bâtiment prit jolie, et le territoire d'un aspect moins
ses positions en ordre de marche. Nous sauvage que le reste de l'isle : j'en fis un
nous mîmes en avant ; ensuite venoit le dessin ( n° 4). L'isle d'Elbe est un rocher
général avec ses avisos et les vaisseaux de fer, dont les mines cristallisées offrent
de ligne ; le convoi suivoit la côte entre toutes les couleurs du prisme. Ce rocher
les isles d'Hieres et du Levant: le soir, est partagé en trois souverainetés : la sei-
le vent fraîchit ; le Francklin fut démâté gneurie et les mines sont au prince de
de son hunier d'artimon ; deux frégates Piombino; à gauche, Porto-Ferraio ap-
de notre division furent envoyées pour partient au grand - duc de Toscane ; à
avertir le convoi de Gênes qui devoit nous droite, Porto-Longone est au roi de Na-
joindre ; et, le 3 prairial au matin, nous ples (î).
nous trouvâmes par le travers de la Corse Je fis aussi le dessin de la partie sud-
à la hauteur de S.-Florent, voyant cette ouest de Capraya ( n° 5 ), qui n'est de ce
partie de l'isle comme elle est représentée côté qu'un rocher escarpé inabordable.
figure première, planche première de Il appartient aux Génois, qui y ont un
l'Atlas. château et un mouillage à la partie orien-
Nous dirigions sur le cap Corse, qui tale.
termine cette première figure, marchant A 5 heures, nous avions à l'est l'isle
à l'est, abandonnantà notre gauche Gênes Pianose, qui n'est qu'un plateau d'une
et le rivage ligurien. Notre ligne militaire lieue d'étendue; elle ne s'élève qu'à quel-
avoit une lieue d'étendue, et le demi- ques pieds au-dessus de la surface de la
cercle que formoit le convoi en avoit tout mer ; ce qui en fait un écueil très dan-
au moins six. Je comptai cent soixante gereux de nuit pour tout pilote qui ne
bâtiments, sans pouvoir tout compter. connoît pas ces parages ; elle est entre
Le 4? au matin, nous avions dépassé l'Elbe et Monte-Cristo, rocher inculte,
le cap Corse ; le convoi filoit en bon or- abandonné aux chèvres sauvages ( voyez
dre ; nos vaisseaux étoient par le travers
du cap Corse et de l'isle Capraya. J'en (i) D'après le dernier traité de paix avec Naples,
dessinai le détroit ( figure 2 ). la possession de l'isle est assurée à la France.
(4)
n° 7 ). A l'ouest de cette isle, le vent nous facio (voyez n°g). Notre convoi étant ras-
manquoit, et notre pesant convoi ne che- semblé nous eussions fait bonne route,
,
minoit plus. si on n'avoit pas été obligé de mettre en
Quand le calme s'établit, l'oisiveté dé- panne pour attendre les divisions d'Ajac-
veloppe toutes les passions des habitants cio et de Civita-Vecchia. La Diane et un
d'un vaisseau, fait naître tous les besoins aviso leur avoient été dépêchés ; nous
superflus, et les querelles pour se les avions reçu l'ordre de croiser en avant,
procurer. Les soldats vouloient manger de questionner et de reconnoître les bâ-
le double, et se plaignoient ; les plus avides timents.
vendoientleurs effets ou en faisoient des Le 8, au matin, nous avions perdu
loteries ; d'autres, encore plus pressés de toute terre de vue. La journée du 9 se
jouir, jouoient, et perdoient plus en un passa dans une parfaite stagnation. Le
quart-d'heure qu'ils ne pouvoient payer calme d'une croisière en mer ressemble
en toute leur vie : après l'argent venoient au sommeil que procure l'opium dans"
les montres ; j'en ai vu six ou huit sur un l'ardeur de la fièvre ; le mal a été sus-
coup de dés. Lorsque la nuit faisoit trêve pendu, mais on n'a rien gagné sur la
à ces jouissances violentes, un mauvais maladie.
violon, un plus mauvais chanteur, char- Le 1 o, on nous laissa marcher. Le con-
moient sur le pont un nombreux audi- voi d'Ajaccio nous avoit joints, et l'on
toire: un peu plus loin, un conteur éner- n'attendoit plus celui de Civita-Vecchia ;
gique attachoit l'attention d'un groupe nous avions perdu de vue la Corse, et
de soldats, toujours prêts à s'emporter nous nous trouvions vis-à-vis de l'isle de
contre celui qui auroit troublé le récit Talara ( voyez planche II, n° 1 ).
des prodiges de valeur et des aventures La Sardaignen'est pas aussi élevée que
merveilleuses de Tranche-Montagne: car la Corse : ces deux isles l'une au bout de
le héros étoit toujours un soldat ; ce qui l'autre paroissent une prolongation de la
rendoit toutes les aventures aussi pro- chaîne des Alpes qui aboutit au golfe de
bables qu'intéressantes pour les audi- Gênes, ainsi que la chaîne de l'Apennin,
teurs. celle des Vosges et toutes les autres
,
Cependant nos provisions diminuoient, chaînes secondaires, qui ne sont que des
et nous restions toujours sur les mêmes diramationsdivergentesdu même noyau.
parages. A midi, on nous signala un ordre par
Le 6, nous étions encore par le travers écrit : nous avions tellement besoin d'é-
du Monte-Cristo, et de la rive orientale vénements que ce fut une fête à bord;
de la Corse. Je fis la vue de cette der- cet ordre étoit de marcher sur Cagliari,
nière (re° 8 ). Cette partie de l'isle me pa- et de revenir à Porto-Vecchio, si l'en-
rut la plus riante et la mieux cultivée. nemi supérieur en forces nous y avoit
Le 7 , au point du jour, nous nous prévenus.
trouvâmes devant les bouches de Boni- Le 11 et le 12, nous ne pûmes, profiter
(5)
du vent, la flotte n'ayant fait que des C'est Venise qui marche (v.n° 1, pi. III) /
bordées: le soir, la Badine nous rejoi- Au soleil couchant nous découvrîmes
gnit nous apportant l'espoir presque Martimo, et reçûmes ordre de rallier le
,
certain de trouver la mer libre à la pointe convoi, au milieu duquel nous passâmes
de Cagliari. Le soir, je dessinai cette la nuit comme dans une ville ambulante.
pointe. Le 18 , nous reprîmes l'ordre de la
Jusqu'au i6iln'y eut rien de nouveau. veille. Je dessinai le Martimo (ra° 4 ,pl- II),
Nos provisions s'achevoient ; notre eau rocher qui semble être un môle à la pointe
fétide ne pouvoit plus être chauffée ; les occidentale de la Sicile : c'est un des points
animaux utiles disparoissoient, et ceux de reconnoissance de la Méditerranée, et
qui nous mangeoient centuploient. c'étoit un de ceux-où nous pouvions trou-
Le 17, nous reçûmes l'ordre d'une nou- ver les Anglais. Le vent fraîchit et nous
velle formation; ce qui nous fit penser faisions deux lieues à l'heure : c'est dans
que décidément nous nous mettions en ces cas qu'on oublie les inconvénients de
marche, et que nous allions faire canal. la mer pour ne voir que l'avantage d'en
La Diane marchoit en avant : nous pas- faire l'agent d'une marche de quarante
sions ses signaux à YAlceste, qui les trans- mille hommes, sans halte ni relais. A
mettait au Spartiate, de là à YAquilon, une heure, nous étions par le travers de
et enfin à XAmiral. Vers les 8 heures Martimo, à une lieue de ce rocher, dé-
nous nous trouvâmes dans l'ordre que je couvrant la Favaniane, autre rocher qui
viens de décrire. En cas que la Diane est devant Trapany, et leMont-Erix, qui
chassât un vaisseau ennemi, les cinq bâ- domine cette ville, célèbre par un tem-
timents de la flotte légère dévoient forcer ple de Vénus, et par la manière dont
de voiles pour les rejoindre. Nous vîmes on y offroit des sacrifices à cette déesse.
de petits dauphins à notre proue ; mais, J'avois autrefois visité le Mont-Erix, et
à notre grand regret, ils disparurent pen- j'y avois cherché son temple, la ville du
dant que nous nous disposions à les har- même nom, renommée par la beauté des
ponner. Je les observai de très près ; leur femmes qui l'habitoient : mais, malgré
marche ressemble au tangage d'un bâti- ma jeunesse et l'imagination de cet âge,
ment; ils sortent ainsi de l'eau, et s'élan- je n avois pu voir qu'un méchantvillage,
cent à vingt pieds en avant ; leur forme quelques substructions du temple, et les
est élégante, et leurs mouvements ra- squelettes des anciennes beautés. Je fis
pides ressemblent plutôt à la gaieté d'une un dessin de la Favaniane , du Mont-
joute, qu'ils n'annoncent la voracité d'un Erix , et d'une partie de la côte de Sicile.
animal qui cherche une proie. Le soir, ( voyez planche II, n° 6 ).
le vent fraîchit, et, passant de l'est à Ce pays agréable, cultivé, abondant,
l'ouest, rassembla de telle sorte le convoi, consoloit nos yeux de l'aspect âpre des
que je crus voir Venise, et que tous ceux côtes de Corse et des rochers qui les avoi-
qui connoissoieht cette ville s'écrièrent, sinent : ils avoient un charme de plus
(6)
pour moi, celui des souvenirs ; la Sicile encore les prisonniers d'état du roi de
étoit pour mon imagination une ancienne Naples.
propriété : je pouvois appercevoir, à tra- Le 19,-le ciel fut clair; mais un vent
vers les vapeurs de l'atmosphère, Mar- foible nous fit faire peu de chemin ; et
sala, l'ancienne Lilybée, d'où les Grecs et une chasse que nous fîmes sur un bâti
les Romains voyoient sortir de Carthage ment inconnu nous sépara de la flotte,
les flottes qui venoient les attaquer. Plus que nous ne pûmes rejoindre. On vit un
loin j'entrevoyois les campagnes vertes et poisson d'environ 80 pieds de long.
riantes de Mazzarra, la ville de Motia, que La nuit fut calme, et le point du jour
les Syracusains attachèrent à la terre par du 20 nous retrouva dans la même posi-
une jetée, pour y aller combattre les Car- tion où nous avoit laissés le soleil cou-
thaginois ; et mon imagination, suivant chant. Nous vîmes au nord-est l'Etna se
la côte, revoit les aspects de Sélinonte , découper sur l'horizon ; j'en reconnus
de ses temples, de ses colonnes debout les contours dans tous leurs développe-
ressemblant encore à des tours, et plus ments : la fumée s'échappoitparson flanc
loin l'hospitalière Agrigente. Nous fai- oriental, et accusoit une éruption par
sions trois lieues à l'heure ; et mon rêve une bouche accidentelle ; il étoit à cin-
alloit se réaliser, lorsqu'on nous signala quante lieues de nous, et paroissoit en-
de nous rapprocher de l'armée pour pas- core plus grand que les montagnes de la
ser la nuit avec elle. Je fis, en soupirant côte du midi, qui n'en étoit qu'à douze.
de regret, un dessin de ce que je voyois A peine le soleil fut-il à quelques degrés
de ces heureuses cotes (voyezn° y,plan- d'élévation qu'il disparut avec l'ombre
che!!) : c'étoit un dernier hommage, et, qui marquoit son contour.
suivant toute apparence, ce fut un éter- Nous apperçûmes le Gozo à six heures ;
nel adieu. le soir nous le distinguâmes parfaitement
La nuit fut belle. J'avois recommandé qui rougissoit à l'horizon à 7 lieues de
qu'on m'éveillât si l'on voyoit encore la distance : nous nous mîmes en panne
terre au point du jour : à trois heures et pour passer la nuit et attendre le convoi.
demie j'étois sur le pont, et les premiers Ala pointe du jour je revis encore l'Etna,
rayons du jour me firent voir que toute dont la fumée s'étendoit sur le ciel à plus
l'armée et le convoi faisant canal avoient de 20 lieues de distance comme un long
marché sur Malte. La Sicile disparut. voile de vapeurs. Nous étions alors à
J'apperçus au sud-ouest, ou plutôt je 53 lieues de l'isle.
jugeai le gisement de la Pantellerie aux Tous les bâtiments armés passèrent à
nues orageuses dont elle s'enveloppe per- la poupe du général. Nous n'avions pas
pétuellement, honteuse sans doute d'a- encore approché de F Orient depuis notre
voir de tout temps servi aux vengeances départ : cette évolution avoit quelque
des gouvernements : les Romains y exi- chose de si auguste et de si imposant,
loient leurs illustres proscrits ; elle recelé que, malgré le plaisir que nous avions
(7)
de nousjevoir, nous n'ajoutâmes pas une la souveraineté du grand-maître. H y a
phrase au bon jour qu'à voix basse nous plusieurs petits châteaux pour garder les
islots des Barbaresques, et les empêcher
nous dîmes en passant.
Le 20, nous tournâmes à la partie nord de s'y établir lorsque les galères de Malte
du Gôzo ; c'est un plateau élevé, taillé à ont fini leur croisière. Une de nos bar-
pic, et sans abordage :. nous côtoyâmes ques alloit y aborder; on lui refusa de
ensuite la partie orientale à demi-portée mettre à terre : son canot fit le tour, et
de canon. Ce côté , qui paroît d'abord en sonda les mouillages. A six heures
aussi aride que l'autre, est cependant nous vîmes Malte., dont l'aspect ne m'im-
cultivé en coton; toutes les petites val- posa pas moins d'admiration que la pre-
lées sont autant de jardins. mière fois que je l'avois vue : deux seules
Vers le milieu de l'isle il y a un gros méchantes barques vinrent nous pro-
village, sous lequel est une batterie, et poser du tabac à fumer. La nuit vint;
au sommet le plus élevé un château ca- aucune lumière ne parut dans la ville :
semate fort bien bâti.
, notre frégate étoit par le travers de l'en-
A huit heures on signala des voiles; trée du port à moins d'une portée de
on en distinguoit trente : étoit-ce la flotte canon du fort S.-Elme ; on ordonna de
ennemie? on envoya reconnoître ; c'étoit mettre toutes les embarcations en mer.
enfin la division du général Desaix, le A neuf heures on nous signala de pren-
convoi de Civita-Vecchia, qui avoit suivi dre position ; le vent étoit presque nul.
la côte d'Italie , passé le détroit de Mes- L'armée fit des signaux de nuit relatifs à
sine , et nous avoit précédés de quelques ces mouvements, et à ceux du convoi ;
jours devant Malte. on tira des fusées, puis le canon ; ce qui
De même que l'avalanche, qui s'est fit éteindre jusqu'à la dernière lumière
grossie en roulant des neiges, menace du port. Notre capitaine étoit allé à bord
dans sa chute accélérée par sa masse d'en- du général ; mais il garda le secret sur
traîner les forêts et les villes ; ainsi notre les ordres qu'il y avoit reçus.
flotte, devenue immense, portoit sans Le 22, à quatre heures du matin en-
,
doute l'effroi sur tous les parages qui traînés par les courants, nous étions sous
venoient à la découvrir. La Corse avertie le vent de l'isle, dont nous voyions la
n'avoit ressenti d'autre émotion que celle partie de l'est; il n'y avoit point encore
qu'inspire un aussi grand spectacle ; la de vent. Je fis(n° 1,planche VIII) une
Sicile fut épouvantée ; Malte nous parut vue de toute l'isle, du Gose, et des deux
dans la stupeur. Mais n'anticiponspas sur islots, pour avoir une idée de la forme
les événements. générale de ce groupe et de sa surface sur
A cinq heures nous passâmes devant la ligne horizontale de la mer.
le Cumino et le Cuminotto, qui sont Il s'éleva une petite brise; on en pro-
deux islots qui séparent le Gozo de Malte, fita pour former une ligne demi-circu-
et composent avec ces deux derniers toute laire et dont une extrémité aboutissoit
,
(8)
à la pointe Sainte-Catherine, et l'autre Le vent tomboit : nous profitâmes du
à une lieue à gauche de la ville et en reste de la brise pour nous rapprocher
,
bloquoit le port; nous mîmes le centre des vaisseaux dans la crainte de nous
,
par le travers des forts Saint-Elme et trouver par un calme plat à la disposi-
Saint-Ange.-Leconvoi étoit allé mouiller tion de deux galères maltaises, qui étoient
entre les isles de Cumino et du Gose. Un venues mouiller à l'entrée du port ( voy.
moment après on entendit un coup de pi. III, n° 2 ). J'étois toujours sur le pont,
canon qui partoit du fort Sainte-Cathe- et, la lunette à la main, j'aurois pu faire
rine , et qui étoit dirigé sur les barques de là le journal de ce qui se passoit dans
qui s'approchoient de la côte, et le dé- la ville, et noter, pour ainsi dire, le de-
barquement que commandoit Desaix : gré d'activité des passions qui en diri-
tout de suite un autre coup se fit enten- geoient les mouvements. Le premierjour
dre du château qui domine la ville ; sur tout étoit en armes : les chevaliers en
le même château l'étendard de la religion grande tenue, une communication per-v
fut déployé ; en même temps, à l'autre pétuelle de la ville aux forts, où l'on fai-
extrémité de la circonvallation de nos soit entrer toutes sortes de provisions et
bâtiments des chaloupes mettoient à de munitions ; tout annonçoit la guerre :
,
terre des soldats et des canons : à peine le second jour le mouvement n'étoit plus
formés sur le rivage, ils marchèrent sur que de l'agitation ; il n'y avoit qu'une
deux postes, dont la garnison se replia partie des chevaliers en uniforme ; ils se
après un moment de résistance. Alors disputoient et n'agissoient plus.
les batteries de tous les forts commen- Le 23 à la pointe du jour, je re-
,
cèrent à tirer sur les débarquements et trouvai tout dans le même état où je
sur nos bâtiments. J'en fis le dessin ( n° 3, lavois laissé : on continua un feu lent et
pi. III ). Les forts continuèrent à tirer insignifiant, Bonaparte étoit revenu à
jusqu'au soir avec une précipitation im- bord ; le général Reynier, qui s'étoit em-
prudente qui déceloit le trouble et la con- paré du Gose, lui avoit envoyé des pri-
fusion. A dix heures , nous vîmes nos sonniers ; après se les être fait nommer,
troupes gravir le premier monticule, et il leur dit d'un ton indigné : Puisque
marcher sur les derrières de la Cité- vous avez pu prendre les armes contre
Valette pour s'opposer à une sortie
,
votre patrie , il falloit savoir mourir; je
qu'avoient faite les assiégés : ils furent ne veux point de vous pour prisonniers;
repoussés jusque dans les murs et sous les vous pouvez retourner à Malte tandis
batteries ; la fusillade ne cessa qu'à la nuit qu'elle ne m'appartient pas encore.
fermée. Cette tentative delapart des cheva- Une barque sortit du port ; nous en-
liers unis à quelques gens de la campagne voyâmes un canot la héler, et la con-
eut une funeste issue : il y avoit eu du mou- duire au général. Quand je vis cette pe-
vement dans la ville, et la populace mas- tite barque portant à sa poupe l'étendard
sacra plusieurs chevaliers à leur rentrée. de la religion , cheminant humblement
(9)
sous ces remparts qui avoient victorieu- l'aide-de-camp du général avoit été reçu
sement résisté deux années à toutes les avec acclamation par les habitants. Avec
forces de l'orient commandées par le ter- ma lunette je distinguai que la grille qui
rible Dragut; quand je me peignis cette fermoit le fort S.-Elme paroissoit assaillie
masse de gloire , acquise et conservée par une multitude de gens du peuple :
pendant des siècles, venant se briser con- ceux qui étoient dedans étoient assis sur
tre la fortune de Bonaparte, il me sem- les parapets des batteries sans proférer
bla entendre frémir les mânes des Lisle- une parole , dans l'attitude de gens qui
Adam, des Lavalette, et je crus voir le attendent avec inquiétude. A onze heures
temps faire le plus illustre sacrifice à la et demie nous vîmes partir de Y Orient la
philosophie, de la plus auguste de toutes barque parlementaire qui y étoit restée
les illusions. la nuit, et, en même temps, nous reçû-
A onze heures, il se présenta une se- mes Fordre d'arborer le grand pavillon;
conde barque avec le drapeau parlemen- un moment après , on nous signala que
taire : c'étoient des chevaliers qui quit- nous étions maîtres de Malte.
toient Malte ils ne vouloient point être Cette isle devenoit une échelle entre
,
comptés parmi ceux qui avoient tenté de notre pays et celui que nous allions con-
résister. On put juger par leurs discours quérir ; elle achevoit la conquête de la
que les moyens des Maltais se réduisoient Méditerranée et jamais la France n'é-
,
à peu de chose. A quatre heures la Junon toit arrivée à un si haut degré de puis-
étoit à une demi-portée : j'observai tous sance. A cinq heures nos troupes entrè-
les forts, et j'y voyois moins d'hommes rent dans les forts , et furent saluées par
que de canons. la fie te, de cinq cents coups de canon.
Les portes des forts étoient fermées; Nous étions sortis les premiers de Tou-
ils n'avoient plus de communication avec lon nous entrâmes les derniers à Malte ;
,
la ville ; ce qui faisoit voir la méfiance et nous ne pûmes aller à terre que le 25 au
la mésintelligence qui existaient entre matin. Je connoissois cette ville surpre-
les habitants et les chevaliers. L'aide-de- nante ; je ne fus pas moins frappé, la
camp Junot fut envoyé avec l'ultimatum seconde fois, de l'aspect imposant qui la
du général. Quelques moments après une caractérise.
députation de douze commissaires mal- On hésite en géographie si l'on doit
tais se rendit à l'Orient. Nous nous trou- attacher Malte à l'Europe ou à l'Afrique.
vions parfaitement vis-à-vis de la ville La figure des Maltais leur caractère
, ,
percée du nord au sud, et dont nous moral, la couleur , le langage doivent
,
avions la vue dans toute la longueur des décider la question en faveur de l'Afrique.
rues ; elles étoient aussi éclairées alors Français et Maltais, tous étoient très
qu'elles avoient été obscures la nuit de surpris de se trouver sur le même sol ;
notre arrivée. '
chez nous c'étoit de l'enthousiasme, chez
Le 24 au matin, nous apprîmes que eux de la stupéfaction.
(lo)
On délivra tous les esclaves turcs et On avoit trouvé depuis quelques mois
arabes; jamais la joie ne fut prononcée une sépulture près la cité, dans un lieu
d'une manière plus expressive : lorsqu'ils appelé Earbaçeo (voyez même planche,
rencontroient les Français, la reconnois- ra°5).
sance se peignoit dans leurs yeux d'une Le quatrième jour, le général nous
manière si touchante , qu'à plusieurs donna un souper où furent admis les
reprises elle me fit verser des larmes; ce membres des autorités nouvellement
fut un vrai bonheur que j'éprouvai à constituées. Ils virent avec autant de
Malte. Pour prendre une idée de leur surprise que d'admiration l'élégance mar-
extrême satisfaction dans cette circon- tiale de nos généraux, cette assemblée
stance, il faut savoir que leur gouverne- d'officiers rayonnants de santé, de vie, de
ment ne les rachetait et ne les échangeoit gloire, et d'espérance; ils furent frappés
jamais, que leur esclavage n'était adouci de la physionomie imposante du général
par aucun espoir ; ils ne pouvoient pas en chef, dont l'expression agrandissoit
même rêver la fin de leurs peines. la stature.
J'allai chercher mes anciennes con- Le mouvement qui avoit régné dans la
noissances :. je revis avec un plaisir nou- ville à notre arrivée avoit fait fermer les
veau les belles peintures à fresque de cafés et autres lieux publics : les bour-
Calabrese dont les voûtes de l'église de geois encore étonnés des événements,
,
S.-Jean sont décorées, le magnifique ta- se tenoient clos dans leurs maisons ; nos
bleau de Miehel-Ange-de-Caravage,dans soldats, la tète échauffée par le soleil et
la sacristie de la même église. J'allai à la par le vin, avoient épouvanté les habi-
bibliothèque ; et j'y vis un vase étrusque, tants , qui avoient fermé leurs boutiques
trouvé au Gose, de la plus belle espèce et et caché leurs femmes. Cette belle ville,
pour la terre et pour la peinture. Je fis où nous ne voyions que nous, nous parut
le dessin d'un vase de verre d'une très triste ; ces forts , ces châteaux , ces bas-
grande proportion (voyezpi. IV, n° 6), tions, ces formidables fortifications qui
celui d'une lampe, trouvée de même au sembloient dire à l'armée que rien ne
Gose, celui encore d'une espèce de dis- pouvoit plus l'arrêter et qu'elle n'avoit
que votif en pierre, portant en bas-relief, plus qu'à marcher à la victoire, la firent
sur l'une de ses faces, un sphinx avec la retourner avec plaisir à bord. Le vent
patte sur une tête de bélier ( voyez la s'opposoit cependant à notre sortie ; j'en
planche IV, figures 5 et 7 ) : le travail profitai pour faire les trois vues de l'in-
n'en est pas précieux, mais il y a trop térieur du port, que l'on peut voir même
de style pour laisser douter que ce mor- planche, n° 4, 5 et 6.
ceau ne soit antique ; le reste des curio- La journée du 3o se passa à courir des
sités est gravé dans la description du ca- bordées devant le port.
binet de Malte, ou dans celle que j'en ai Le matin du 1" messidor le général
donnée dansleVoyagepittoresqued'Italie. sortit, laissant dans l'isle quatre mille
(")
hommes de troupes, commandés par le rissent la troisième. Les expériences déjà
général Vaubois, deux officiers de génie faites sur les animaux me semblent venir
et d'artillerie, un commissaire civil, et à l'appui de ce système de graduation-
enfin tous ceux qui, poussés par une in- Toute la journée du iet messidor fut
quiète curiosité, s'étoient embarqués sans employée à rassembler l'armée, l'escadre
trop de réflexion, qui, par une suite de légère, et les convois. Vers les six heures
leur inconstance ou de leur inconsé- on signala de se mettre en ordre de mar-
quence, s'étoient dégoiités sur la route, che: le mouvement fut général dans tous
et qui, fatigués des inconvénients insé- les sens, et produisit la confusion.
parables des voyages, les comptoient au Obligés de céder le passage à YAmiral,
nombre des injustices qu'à les en croire nous nous apperçûmes un peu tard que
on leur faisoit éprouver. J'en ai vu qui, la frégate la Léoben vertoit sur nous : l'of-
peu touches des beautés de Malte , de la ficier de quart prétendoit que la Léoben
commodité de ses ports, de l'avantagede avoit tort, et s'en tint strictement à la
sa situation, trouvoient ridicule qu'un tactique ; le capitaine, plus occupé de
rocher sous le climat de l'Afrique ne fût sauver la frégate contre là règle que de
pas aussi verd que la vallée de Montmo- donner un tort à la Léoben, ordonna une
renci : comme si chaque contrée n'avoit manoeuvre ; l'officier en ordonna une
pas reçu des dons particuliers de la na- autre : il y eut un moment d'inertie ; il
ture! Voyager n'est-ce pas en jouir? et ne fut plus temps d'opérer. Je conçus
ne les détruit-on pas en cherchant à les notre danger à la contraction de toute
comparer? -la personne de notre capitaine : Nous
Si l'aspect de' Malte est aride, peut-on aborderons ! nous allons aborder ! nous
voir sans admiration que la plus petite abordons ! furent les trois mots pro-
colline qui recelé quelque peu de terre noncés consécutivement ; et le temps dé
soit toujours un jardin aussi délicieux les prononcer celui qu'il falloit pour dé-
qu'abondant, où l'on pourroit acclimater cider de notre sort. Les bâtiments s'ap-
toutes les plantes de l'Asie et de l'Afri- prochent les agrès s'engagent se dé-
, ,
que? Cette espèce de première serre- chirent ; une demi - manoeuvre de la
chaude pourroit servir à en alimenter Léoben nous fait présenter son flanc
,
une autre à Toulon , et, par degré, en et le choc est amorti par des roues de
amener les productions jusqu'à Paris , trains d'artillerie attachées contre son
sans leur avoir fait éprouver les secousses bordage; elles sont fracassées: les cris de
trop vives qu'occasionne l'extrême diffé- quatre cents personnes, les bras étendus
rence des climats : peut-être y natura- vers le ciel, me font croire un instant
liseroit-on une grande partie des plantes que la Léoben est la victime de ce pre-
exotiques que nous faisons venir à grands mier choc ; nous voulons faire un mou-
frais chaque année dans nos serres, qui vement pour éviter ou diminuer le se-
y languissent la seconde année, et y pé- cond nous trouvons à tribord YJrtémise
,
(«)
qui nous arrivoit dans le sens contraire, Le 2 , nous eûmes toute la journée un
et, en avant, la proue d'un vaisseau de calme plat, et toute la chaleur du soleil
72., que nous n'eûmes pas le temps de de la fin de juin au trente-cinquième
reconnoître. L'effroi fut à son comble ; degré.
nous étions devenus un point où tous les Dans la nuit, une brise nous mit en
dangers se concentroient à la fois. Le se- pleine route. L'ordre de la marche fut
cond mouvement de la Léoben nous pré- changé.
sentoit la partie de l'avant ; sa vergue Le 3 , on mit le convoi en avant, l'ar-
de misene entra sur notre pont. Cet in- mée derrière, et nous sur le flanc gauche.
cident, qui pouvoit être funeste à bien Les 4 -, 5 , et 6, nous eûmes un temps
du monde , tourna à notre avantage ; fait, vent arrière , qui nous eût menés à
les matelots, et notammentles Turcs qui Candie, si nous n'eussions pas eu notre
nous étoient arrivés, se jeterent-sur cette convoi qu'il falloit attendre à tout mo-
vergue, et firent de tels efforts pour la ment.
repousser, que le coup, qui n'étoit point Les vents de nord et de nord-est sont
appuyé par le vent, fut amorti ; et cette les vents alizés de la Méditerranée pen-
fois nous en fûmes quittes pour un trou dant les trois mois de juin , juillet, et
fait dans la partie haute de notre bor- août ; ce qui rend la navigation de cette
dage par l'ancre de la Léoben. UArté- saison délicieuse pour aller au sud et à
mise avoit glissé à notre poupe ; le vais- l'ouest, mais ce qui en même temps fait
seau avoit avancé ; les efforts pour le dé- dépendre du hasard tous les retours
,
barrasser de la vergue de la Léoben l'a- parcequ'il faut les faire dans les mau-
voient repoussé au large, et tous ces vaises saisons.
dangers, qui s'étoient amoncelés sur nous Du 6 au 7, nous fîmes quarante-huit
comme les nuées pendant l'orage , se lieues par une brise qui étoit presque du
dissipèrent encore plus promptement. Il vent. On nous fit signal à onze heures
ne nous resta que la fureur de notre de faire chasse pour trouver la terre ;
officier de quart, qui auroit voulu que nous découvrîmes la partie de l'ouest de
nous eussions tous péri, pour prouver Candie à quatre heures. Je vis le mont
à son camarade que c'étoit lui qu'il fal- Ida de vingt lieues ; je le dessinai à quinze.
loit accuser. Nous dûmes notre salut à Je n'en voyois que le sommet et la base,
la foiblesse du vent, et aux trains d'ar- le reste de l'isle se perdant dans la brume ;
tillerie qui affaiblirent le premier choc. mais je craignois qu'elle ne m'échappât
Deux bâtiments marchands qui se heur- dans la nuit, et de n'avoir pas pris le
tent peuvent se faire quelque mal, mais contour de la montagne où naquit Ju-
non s'anéantir : il n'en est pas de même piter , et qui fut la patrie de presque tous
de deux vaisseaux de guerre ; il est bien les dieux {voyezplancheII, figure 9).
rare que l'un ou l'autre ne périsse, et J'aurois eu le plus grand désir de voir
souvent tous les deux. le royaume de Minos, de chercher quel-
(i3)
ques vestiges du labyrinthe; mais ce que mouvement des habitants à l'approche
j'avois prévu arriva, l'excellent vent que de la flotte. Dès cet instant nous dé-
nous avions nous tint éloignés de l'isle. ployâmes toutes les voiles pour faire le
Le 8 à cinq heures, je trouvai que plus vite qu'il nous seroit possible les
,
nous avions cheminé dans la direction soixante lieues qui nous restoient à par-
de la côte de l'est sans nous en appro- courir ; mais le vent nous manqua toute
cher; le vent avoit été si fort pendant la nuit du 9 au 10 : nous eûmes quelques
la nuit que tout le convoi étoit dispersé : heures de brise, et le reste du temps
nous passâmes toute la matinée à le ras- nous ne fîmes de chemin que par le mou-
sembler, et à diminuer de voiles pour vement donné à la mer, et les courants
l'attendre. C'étoit pendant cette manoeu- qui portoient sur le point que nous de-
vre que , par une brume épaisse , le vions atteindre.
hasard nous déroboit à la flotte anglaise , Notre mission après avoir prévenu
,
qui, à six lieues de distance , gouver- les Francs de se tenir sur leurs gardes,
nant à l'ouest, alloit nous cherchant à la étoit de venir retrouver l'armée, qui de-
côte du nord. voit. croiser, et nous attendre à six lieues
Le soir du 9, on nous signala de passer du cap Brûlé ( voyez la carte page 6 ).
,
à poupe de Y Orient. Il seroit aussi diffi- A midi, nous étions à trente lieues d'A-
cile de donner que de prendre une idée lexandrie ; à quatre heures les gabiers
exacte du sentiment que nous éprou- crièrent terre ; à six nous la vîmes du
vâmes à l'approche de ce sanctuaire du pont : nous eûmes toute la nuit la brise ;
pouvoir, dictant ses décrets, au milieu à la pointe du jour je vis la côte à l'ouest,
de trois cents voiles dans le mystère et qui s'étendoit comme un ruban blanc
,
le silence de la nuit : la lune n'éclairoit sûr l'horizon bleuâtre de la mer. Pas un
ce tableau qu'autant qu'il falloit pour en arbre, pas une habitation ; ce n'étoit pas
faire jouir. Nous étions cinq cents sur le seulement la nature attristée mais la
,
pont, on auroit entendu voler une mou- destruction de la nature, mais le silence
che; la respiration même étoit suspen- et la mort. La gaieté de nos soldats n'en
due. On ordonna à notre capitaine de se fut pas altérée; un d'eux dit à son cama-
rendre à bord du commandant. Quelle rade en lui montrant le désert : Tiens
fut ma joie à son retour, lorsqu'il nous regarde, voilà les six arpents qu'on t'a,
dit que nous étions dépêchés en avant décrétés. Le rire général que fit éclater
pour aller chercher notre consul à Alexan- cette plaisanterie peut servir de preuve
drie et savoir si on étoit instruit de notre que le courage est désintéressé , ou du
,
marche, et quelles étoient les disposi- moins qu'il a sa source dans de plus no-
tions de cette ville à notre égard ; qu'il bles sentiments.
nous étoit réservé d'aborder lès premiers Ces parages sont périlleux dans les
en Afrique pour y recueillir nos compa- temps d'orage et dans les brumes de l'hi-
triotes et les mettre à l'abri du premier ver , parcequ'alors la côte basse dispa-
,
(•4)
roît , et qu'on ne l'apperçoit que lors- celle des Juifs. Il est vrai que jusqu'alors
qu'il n'est plus temps de l'éviter. Mais le elle ne nous avoit pas coûté si cher ;
bonheur qui nous accompagnoit nous que, s'il ne nous avoit pas plu des cailles
laissa maîtres de. manoeuvrer sur le cap toutes rôties, notre manne ne s'étoit pas
Durazzo, que nous cherchions en tirant corrompue, que nous n'avions pas eu
à l'est quart de sud. de coliques ardentes, et que nous avions
A dix lieues du cap à cinq d'Alexan- encore conservé tout ce qui étoit tombé
,
drie , nous vîmes une ruine que l'on ap- aux Israélites ; mais au reste les Arabes
pelle la Tour-des-Arabes ; à midi j'en fis Bédouins, qui errent sur ces côtes, au-
un dessin ( voyez pi. VI, n° 1 ). Cette raientpu équivaloir à ces fléaux, et nous
ruine me parut un carré bastionné, et à devenir aussi funestes. On assure cepen-
quelque distance il y a une tour. J'au- dant que depuis vingt ans ils ont fait un
rois bien désiré pouvoir mieux en dis- accord avec la factorerie d'Alexandrie ,
tinguer les détails , juger si c'est une vingt piastres par tête, au lieu de les tuer
fabrique arabe ou si sa construction est comme ils fàisoient plus anciennement.
,
antique, et à quelle antiquité elle appar- Le lieutenant, que l'on dépêcha à terre,
tient; si c'est la Taposiris des anciens , partit à une heure après-midi ; il n'avoit
que Procope nous donne comme le tom- pas le pied dans le canot que nous atten-
beau d'Osiris, ou le ChersonesusdeStra- dions son retour, et comptions les in-
bon, ou bien Plinthine , dont le golfe stants.
tiroit son nom. La garnison d'Alexan- Je fis, de trois lieues de distance, une
drie a poussé depuis des reconnoissances vue d'Alexandrie (voyez n°. 3 ).
jusqu'à ce poste ; mais les rapports pure- Nous voyions avec la lunette le drapeau
ment militaires de ces reconnoissances tricolor sur la maison de notre consul: je
n'ont ,pu porter aucune lumière sur me figurois la surprise qu'il alloit éprou-
l'origine de ces ruines , et n'ont fait ver, et celle que nous ménagions au sché-
qu'augmenter la curiosité qu'inspirent rif d'Alexandrie pour le lendemain.
leur masse et leur étendue. En général Quand les ombres du soir dessinèrent
toute cette côte de l'ouest, contenant la les contours de la ville, que je pus distin-
petite et la grande Syrte de la Cyré- guer ces deux ports, ces grandes murailles
naïque, autrefois très habitée, qui a eu flanquées de nombreuses tours, qui n'en-
des républiques, des gouvernements par- ferment plus que des mornes de sables,
ticuliers est à présent une des contrées
,
et quelques jardins où le verd pâle des
les plus oubliées de l'univers et n'est palmiers tempère à peine l'ardente blan-
,
plus rappelée à notre mémoire que par cheur du sol, ce château turc, ces mos-
les superbes médailles qui nous en res- quées, leurs minarets, cette célèbre co-
tent. lonne de Pompée mon imagination se
,
De droite et de gauche notre terre pro- reporta sur passé ; je vis l'art triompher
le
mise nous parut plus aride encore que de la nature, le génie d'Alexandre em?
(i5)
ployer la main active du commerce pour de Malte, s'étoit aussitôt soulevé ; on avoit
planter sur une côte aride les fondements fortifié les châteaux, ajouté des milices
d une ville superbe, et la choisir pour y aux troupes réglées, et rassemblé une ar-
déposer les trophées des conquêtes du mée de Bédouins ( ce sont les Arabes er-
monde; les Ptoloméesy appeler les scien- rants , que les habitants poursuivent,
ces et les arts, et y rassembler cette biblio- mais avec lesquels ils s'allient lorsqu'ils
thèque à la destruction de laquelle la bar- ont à combattre un ennemi commun).
barie a employé des années : c'est là, me La présence des Anglais avoit noirci
disois-je pensant à Cléopâtre, à César,
,
notre horizon. Quand je me rappelai que
à Antoine, que l'empire de la gloire a trois jours auparavant nous regrettions
cédé à l'empire de la volupté : je voyois que le calme nous retînt, et que sans lui
ensuite l'ignorance farouche s'établir sur nous serions tombés dans la flotte enne-
les ruines des chefs-d'oeuvre des arts, mie , à laquelle nous aurions découvertla
achevant de les consumer, et n'ayant ce- nôtre, je me vouai dès-lors au fatalisme, et
pendant pu défigurer encore les beaux me recommandai à l'étoile de Bonaparte.
développements qui tenoient aux grands Le schérifn'avoit consenti au départ du
principes de leurs premiers plans. Je fus consul qu'en le faisant accompagner par
tiré de cette préoccupation, de ce bon- des mariniers d'Alexandrie, qui dévoient
heur de rêver devant de grands objets , l'y ramener : ils parloient la langue fran-
par un coup de canon tiré de notre bord, que, et entendoient l'italien ; je causai
pour appeler à l'ordre un bâtiment qui avec eux : ils ajoutèrent à ce que le consul
avoit mis tout au vent pour entrer malgré avoit dit, que les Anglaisiavoient fait route
nous à Alexandrie, et y porter sans doute à l'est pour aller nous chercher à Chiprè,
l'avis de notre marche : la nuit le déroba où ils croyoient que nous étions restés.
bientôt à nos recherches. Notre inquié- Nous marchions à la rencontre de no-
tude sur le canot augmentoit à chaque tre flotte: la premièrepointe du jour nous
moment, et se changeoit en terreur. A fit découvrir la première division du con-
minuit, nous entendîmes appeler avec des voi ; à sept heures nous arrivâmes à bord
voix effrayées et bientôt nous vîmes en- de Y Orient.
,
trer notre consul et son drogman, échapr J'avois été chargé d'accompagner le
pan tau sabre vengeur et à l'effroi répan- consul d'Alexandrie; nous avions à dire
du dans le pays. Ils nous apprirent qu'une au général ce qui pouvoit le plus vive-
flotte de quatorzevaisseauxde guerre an- ment l'intéresser dans une circonstance
glais n'avoit quitté que la veille au soir le aussi critique : on avoit vu les Anglais, ils
mouillage d'Alexandrie; que les Anglais pouvoient arriver à chaque instant ; le
ayoient déclaré qu'ils nous cherchoient vent étoit très fort, le convoi mêlé à la
pour nous combattre; ils avoient été pris flotte, et dans une confusion qui eût as-
pour des Français; et tout le pays, déjà suré la défaite la plus désastreuse, si l'en-
averti de nos projets et instruit de la prise nemi eût paru. Je ne pus pas remarquer
(i6)
un mouvementd'altérationsur la physio- causa une émotion d'autantplus vive «pie
nomie du général. Il me fit répéter le rap- je croyois reconnoître la voix de chacun
port qu'on venoit de lui faire ; et après de ceux qui crioient. Nous jetâmes un ca-
quelques minutes de silenceil ordonna le ble à ces malheureux ; mais à peine l'eu-
débarquement. rent-ils atteint qu'il fallut le couper ; les
Les dispositions furent d'approcher le vagues faisant heurter l'embarcation con-
convoi de terre autant que le pouvoit per- tre notre bâtiment menaçoient de l'ou-
mettre le danger de faire côte dans un mo- vrir. Les cris qu'ils jetèrent au moment
ment où le vent étoit aussi fort ; les vais- où ils se sentirent abandonnés retentirent
seaux de guerre formoient un cercle de jusqu'au fond de nos âmes ; le silence qui
défense en dehors ; toutes les voiles furent y succéda y apporta encore de plus fu-
amenées , et les ancres jetées. A peine nestes pensées. L'effroi étoitredoublé par
avions-nous fait cette opération que nous les ténèbres, et les opérations étoient aussi
eûmes ordre d'aller croiser devant la ville lentes qu'elles étoient désastreuses. Ce-
aussi près que le vent pourroit nous le pendant le 13, à six heures du matin, il
permettre, et de faire de fausses attaques y eut assez de troupes à terre pour atta-
pour faire diversion. quer et prendre un petit fort appelé le
Le vent avoit encore augmenté ; la mer Marabou. Là fut planté le premier pa-
étoit si forte que nous travaillâmes en villon tricolor en Afrique (voy. pi. VII,
vain tout le reste du jour pour lever l'an- B°3).
cre. La nuit fut trop orageuse pour faire Le 14, 'la mer étoit meilleure : nous
cette opérationsans risquer de nous abat- appareillâmes tandis que la plage se cou-
tre, et couler bas les embarcations et les vrait de nos soldats. A midi, ils étoient
transports, qui effectuoient le débarque- déjà sous les murs d'Alexandrie; le centre
ment avec une peine etdes dangersinouis: à la colonne de Pompée, derrière de pe-
les chaloupes prenoient un à un et à la vo- tits mornes formés des débris de l'ancienne
lée ceux qui descendoient des vaisseaux; ville. Ces vieilles murailles n'offrirent à
lorsqu'elles en étoient encombrées, les la valeur de nos soldats qu'une suite de
vagues menaçoient à chaque instant de les brèches : une colonne s'ébranla, toutes
engloutir, ou bien, poussées par le vent, les autres se déployèrent, marchèrent,
elles se rencontroient ou en abordoient et attaquèrent en même temps ; en appro-
d'autres ; et, après avoir échappé à tous chant de mauvais fossés elles découvri-
,
ces dangers, en arrivant près de la côte rent plus de murailles qu'on n'en avoit
elles ne savoient commenty toucher sans vu d'abord : un feu d'une vivacité extra-
se rompre contre les brisants.Au milieude ordinaire de la part des assiégés étonna
la nuit une embarcation qui ne pouvoit un moment nos troupes, mais ne ralentit
plus gouverner passa à notre poupe, et point leur impétuosité : on chercha sous
nous demanda du secours : le danger où le feu de l'ennemi l'approche la plus pra-
je sentois ceux dont elle étoit chargée me ticable ; on la trouva à l'angle de l'ouest,
(i7)
où étoit l'antique port de Kibotos ; on raient parmi ces monuments ; le silence
monta à l'assaut : Kléber, Menou, Les- n'étoit interrompu que par le sifflement
cale, furent renversés par des coups de des milans qui planoient sur ce sanctuaire
feu, et par la chute des pans de mu- de la mort. Nous passâmes de là dans des
railles. Roraim, schérif d'Alexandrie, qui rues étroites et aussi désertes. En traver-
combattoit par-tout, prit Menou renversé sant Alexandrie je me rappelai et je crus
pour le général en chef blessé à mort, ce lire la description qu'en a faite Volney ;
qui soutint encore un moment le courage forme couleur, sensation , tout y est
,
des. assiégés. Personne ne fuyoit, il fallut peint à un tel degré de vérité, que, quelr
tout tuer sur la brèche, et deux cents des ques mois après, relisant ces belles pages
nôtres y restèrent. de son livre, je crus que je rentrois de
Notre frégate eut ordre de protéger nouveau à Alexandrie. Si Volney eût dé-
l'entrée du convoi dans le vieux port ; et crit ainsi toute l'Egypte, personne n'auroit
je saisis cette occasion pour aller à terre. jamais pensé qu'il fût nécessaire d'en tra-
Un ancien préjugé avoit établi que, dès cer d'autres tableaux,d'en faire de dessin»
qu'un vaisseau franc entrerait dans leport Dans toute la traversée de cette longue
vieux, l'empire d'Alexandrie seroit perdu ville si mélancolique,l'Europe et sa gaieté
pour les musulmans ; pour le moment, ne ine fut rappelée que par le bruit et l'ac-
notre canot vérifia la prophétie. tivité des moineaux. Je ne reconnus plus
Il me seroit impossible de rendre ce que le chien, cet ami de l'homme, ce compa-
j'éprouvai en abordant à Alexandrie : il gnon fidèle et généreux, ce courtisan gai
n'y avoit personne pour nous recevoir ou et loyal ; ici sombre , égoïste, étranger à
nous empêcher de descendre ; à peine l'hôte dont il habite le toit, isolé sans ces-
pouvions-nous déterminer quelques men- ser d'être esclave, il méconnoît celui dont
diants, accroupis sur leurs talons, à nous il défend encorel'asyle,etsanshorreurilen
indiquer le quartier-général: les maisons dévore la dépouille. L'anecdote suivante
étoient fermées ; tout ce qui n'avoit osé achèvera de développer son caractère.
combattre avoit fui, et tout ce qui n'a Le jour où je descendis à terre, n'ayant
voit pas-été tué se cachoit de crainte de point apporté de linge pour changer, je
l'être selon l'usage oriental. Tout étoit voulois aller sur la frégate la Junon, que
nouveau pour nos sensations, le sol, la je croyois placée à l'entrée du port ; je
forme des édifices les figures le costu- prends une petite barque turque, et nous
, ,
me , et le langage des habitants. Le pre- voguons vers ce point. Arrivés à la fré-
mier tableau qui se présenta à nos re- gate nous vîmes que ce n'étoit pas la Ju-
gards fut un vaste cimetière, couvert d'in- non; on nous en montraune autre en rade
nombrables tombeaux de marbre blanc à une demi-lieue de là. Le soleil se cou-
sur un sol blanc : quelques femmes mai- choit; les deux tiers du chemin étoient
gres , et couvertes de longs habits déchi- faits ; je pouvois coucher à bord : nous voi-
rés, ressembloient à des larves qui er- là de nouveau en route. Ce n'étoit point
3
(i8)
encore la Junon : elle croisoit au large. Il nus me recevoir à la frontière. Ignorant
nous fallut donc revenir; mais le yeût l'abjection dans laquelle ils vivoient, je
avoit fraîchi*; les vagues étoient devenues n'osois les frapper dans la crainte de les
si hautes que nous ne voyions plus qu'à la faire crier, et d'ameuter aussi les maîtres
dérobée là terre qu'il nous falloit rega- contre moi. L'obscurité n'étoit diminuée
gner. Mon homme nie mit au timon pour que par la lueur des étoiles. et la transpa-
ne s'occuper que de la voile. rence que la nuit conserve toujours dans
Je n'appercevois qu' à peiné la direction ces climats. Pour ne pas perdre cet avan-
qu'il me falloit garder ; et je commençai tage , pour échapper aux clameurs des
alors à sentir que c'étoit un véritable aban- chiens, et suivre une route qui ne pou-
don de soi-même de se trouver à cette voit m'égarer, je quittai les rues, et réso-
heure livré aux vents, au milieu d'une lus de longer le rivage ; mais des murailles
mer agitée, seul avec un homme qui, et des chantiers qui arrivoient jusqu'à la
comme tous Ses concitoyens , pouvoit mer me barroient le passage; enfin pas-
bien, sans injustice, haïr les Français, et sant dans la mer pour éviter les chiens,
vouloir s'en venger. J'affectai de la con- escaladantles murs pour éviter la mer lors-
fiance de la gaieté même, je fis bonne qu'elle devenoit trop profonde, mouillé,
,
contenance ; et enfin nous touchâmes au couvert de sueur, accablé de fatigue et
rivage, objet de tous mes voeux. Mais il d'épouvante, j'atteignis à minuit une de
étoit onze heures, j'étôis encore à une nos sentinelles, bien convaincu que les
demi-lieue du quartier; j'avois à traverser chiens étoient la sixième et la plus terrible
une ville prise d'assaut le matin , et dont des plaies d'Egypte.
je ne connoissois pas une rue. Aucune En arrivant le matin au quartier-géné-
offre de récompense né put persuader ral, je trouvai Bonaparte entouré des
mon homme de quitter son bateau pour grands de la ville et des membres de l'an-
m'accompagner.J'entrepris seul le voya- cien gouvernement; il en recevoit le ser-
ge, et, bravant les mânes des morts, je ment de fidélité : il dit au schérif Ko-
traversai le cimetière; c'étoit le chemin raim : Je vous ai pris les armes à la main,
que je savois le mieux : arrivé aux pre- je pourrois vous traiter en prisonnier ;
mières habitations des vivants, je fus as- mais vous avez montré du courage ; et,
sailli de meutes de chiens farouches,"qui comme je le crois inséparable de l'hon-
m'attaquoient des portes, des rues, et des neur , je vous rends vos armes, et pense
toits ; leurs cris se répèrcutoient de mai- que vous serez aussi fidèle à la république
son en maison , de famille en famille ; ce- que vous l'avez été à un mauvais gouver-
pendant je. pus m'appercevoir que la nement. Je remarquai dans la physio-
guerre qui m'étoit déclarée étoit sans coa- nomie de cet homme spirituel une dissi-
lition, car dès que j'avois dépassé la pro- mulation ébranlée et non vaincue par la
priété de ceux dont j'étois assailli, ils généreuse loyauté du général en chef : il
étoient repousses par ceux qui étoient ve- ne connoissoit pas encore nos moyens, et
RAGMENT d'une Lettre deJ.B. G. D'JNSSE
13E PrinL0lS0Nj membre de VInstitut na-
tional de France j au professeur MILLINJ,
sur l:inscription, grecque de la prétendue
colonne de Pompée.

E professeur J A TJ B E H. T vient de rapportée


Alexandrie une copie de l'inscription fruste, qui
rtc faussement le nom de Pompée. Cette copie esfc
ifaitement conforme à une autre que j'avois déjà
eue. La voici avec mes notea et avec ma tra-
ction : '.
X TO «TATONAYTOICrATOPA
2 TONnOAIOTXONAAESANAPElAC
3 'AIOK.H.IANONTON TON
'4 no... enAFXocAinrriTOY..
Ligne première TO. Il est évident que c'est I'ae*
dlg TIV.
ilbidim, ligne première...... àTATONAYTOJCPA-
-.i?A. Il est .également clair que c'est une épithète
nnée à l'empereur Dioclétien ; mais pour la trouver,,
faut chercher un superlatif qui se termine en
;!?,#, par ùri oméga (et non pas par un omicron?.
.'. qui seroit plus facile et plus commun ) et ensuite
,
'„" convienne particulièrement à
ce prince. Je crois
e- c'est 'oFiéretltv, irès'saiht : qu'on ne soit pas SUE-
56 Palmographie» ' ~;

pris de cette épithète. Je la vois donnée à DirçÊ


surmie inscription grecque découverte dansli';,
de Thymbra ( aujourd'hui Thimbrek-Déré)^
,
plaine de Bounar-Bachi, et rapportée par Leelife
n.° I, pag. 206 de son Voyage dans la H'
seconde édition, Paris, an vil, in-8.° On \
TîiN OCU2TATÛN HMQN AYTOKPATOFKN 41
f
,
c'est-à-dire,-de ÎK|
TIANOYKAIMAHIMIANOT,
saints empereurs T) iodétien et- Maximien. Sfr
autre inscription d'unecolonne voisine , ils pafc
avec Constance Chlore, ce même titre, «ri;

très-saints, dont les empereurs grecs chrélifc


Bas-Empire ont hérité} comme je ' l'ai h
ibidem, p. a57- I
\
Ligne 2, TON noAioraoN AAEEANAPEUC[;
%
proprement le prolecteur, le génie tutélaire
. d'Af
drie. Les Athéniens donnoient le nom de £
à Minerve, qui présidoit à. leur ville et ta ci'ï
de son égide. Voyez ce que dit Spanheim sur '
vers de l'hymne de Callim-aque, sur'les k-j
Pallas, page 668 et suivantes, tome 2., (<;

d'Eraesti.
Ligne 3. AIOK.H.IANON. Le A et le T sont d|
-

maison reconnoît tout de suite le nom de Dioclï


\
AIOKAHTIANON.
Ibid. Ligne 3, TON.... TON. Je crois quï
suppléer CEBACTON, c est-à-dire, Auguste, rat
Tout le inonde sait que Dioclétien prend ki'
titres à'ko-iQîis, et de tn£a?o;,pius, Augustus,sè
sieurs médailles , et celui de tr&a.çhs AUGUSTE
,
presque toutes, notamment sur celles d'Alew
Inscriptions grecques'. Bj
e place immédiatement après son nom. Voyez
^oéga, p. 335 et suivantes, de ses Numi JEgyplii
srutoru , Romce , 1787, in-<f°. ,t
:
uatrîème et dernière ligne, no. C'est l'abrévia-
si connue deliéÊ/for, Publius, Voyez Corsihi,
5, col. ï , De nous Groecorum, Wlorenlioe, 1749 ,
olio, Gennaro Sisli,r>. Si de son Indirizzo per la
ura greca dalle sue oscurità rischiarata, inNapoli,
8, in-8.", etc. etc. Les Romains rendoient de
e le nom de Publius par ces deux lettres, PV.
ez p. 3^8 , d'un ouvrage fort utile , .et totalement
nnu en France, intitulé Nolçe et sigloe cjuoe, in
mis et lapidibus apud Romanos obtinebanl, ex-
, ,
aloe, par mon savant et vertueux ami, feu
Jean-Dominique Coleti, ex - jésuite Vénitien ,
t je regretterai sans cesse la perte. Ses esti-
bles frères, les doctes MM. Coleti3 les Aides de
jours ont donné cet ouvrage classique à Venise
, ,
5, in-40.
eut-être la lettre initiale du nom suivant entiè-
ent effacé, de ce préfet d'Egypte, étoit-elle un
qu'on aura pu joindre mal-à-propos dans cette
asion aux lettres précédentes XIO. Alors on aura
,
que IPOM étoit une abréviation de rtOMITHloc., -

mpee , dont le nom est quelquefois iudiqué par


trois lettres comme dans une inscription^ de
,
arte , rapportée , n.° 248 , p. XXXViii des Inscrip-
lîes et Epigrammata groeca et latina reperta a
riaco Anconitano, recueil publié.à Rome, in-folio^
ji654, Par Charles Moroni bibliothécaire du
,
rdinal Albani.. Voyez, aussi Maffei, p.. 66 de ses
58
. .
Paloeographie'.' ,1
Siglm Groecorum lapidarioe, Veronoe^.ij^è ^i£
Gennaro Sisli,1. C^JI, Si, etc. Cetteiïtreur eriaj|
engendré une autre et auroit donné lieu à la «1
,
irnuation vulgaire et fausse de colonne de PèJ|
Les seules lettres no suffisoient pour accréditent
opinion dans des siècles d'ignorance. |
Quoi qu'il en soit de cette conjecture leslif
,
r3riens qui ont parlé du règne de Diôclétien ne,it|
,
prennent pas le nom totalement détruit de cep|
d'Egypte , et'me laissent" dans l'impossibilité de |
pléer cette petite lacune peu importante, f|
„ ,
,: seule qui reste maintenant dans cette inscripi
Seroit-ce Pomponius Januarius, qui fut consul
i88, avec'Maximien? _ ' |
Je soupçonne, au reste , quece gouverneur a|
Une ancienne colonne, monument d'un âge oiik
arts fleurissoient, et l'a choisie ponr y placer le|
de Diôclétien, et lui faire sa cour aux dépenl
l'antiquité. 1
7
A la fin de cette inscription, il faut néeessi
ment soûs-entendre, suivant
. l'usage constant, àMt-

àÀ0iàvt ou Wl/n.il<r£f, 'OU àtpiîpatrev ou quelque al


, ,
verbe semblable, qui désigne que ce préfet a érf
a consacré ce monument à la gloire de Diocléll
L'on feroit un volume presque aussi gros qi»
ïlecueil de Gruter , si l'on vouloit entasser toi
les pierres antiques, et accumuler toutes_Les^insci
tions grecques où se trouvent cette ellipse si co
mune;, dont plusieurs antiquaires ont parlé,
cette- construction avec l'accusatif, sans verbe. Ci
; ^ ' j
ainsi que les Latins omettent souvent le veii
POSV1T,
Inscriptions grecques. 5g
I ne îèste'plus qu'à tâcher de déterminer la date
cjse de ce e inscription. Elle ne paroît paspou-
r être antérieure à l'année 296, ou 297, époque
la défaite et delà mort d'Achilléei, qui s'étoit
paie de l'Egypte, et s'y soutint pendant environ
ans. serois tenté de croire qu'elle est de
Je
3o2, et, a rapport à la distribution abondante
pain que l'empereur Diôclétien fit faire à une
le inconcevable d'indigens de la ville d'Alexan-
e, dont il est appelé, pour cette raison, le
nie tutélaire le - conservateur le protecteur,
, ,
ii-/,os. Ces immenses largesses continuèrent jus-
'au règne; de Justinien qui les abolit. Voyez le
ronicon Pasc'hale , à l'an 3o2, p. 276 de l'édition
Ducange, et l'Histoire secrète de Procope c. 26 , ,
77 , édition du Louvre.'
Je crois maintenant avoir éélairci toutes les diffi-
ltés de cette inscription fameuse. Voici la ma-
ère dont je l'écriroîs en caractères grecs ordinaires
isifs ; j'y joins ma version latine et ma traduction
-ancaise.

AioxAfftesiw o-iÇaçw
TOI ,
TiciXio;... 'émtf%os /Jiyôzïlis.
..
DAHCTISSIMO I'MPEKATORI,
PATRONO CONSE.B.VATORI ALEXANDRIE
T
DLOCLETIANO AVGVSTO,
PVBLIVS PK^FECTYS'JEGYPTO.
f§&est'à-dire, Publius.... (ou Pomponius), préfet
6o '
Paloeographie.
d'Egypte , a consacré ce monument à là glo'n.

très-saint empereur Dioctétien Auguste, le


t
tutélaire d'Alexandrie. '
,
Ce 9 pluviôse an xi.

A N T I Q DIT ES.
MONUMENS ANTIQUES inédits OU i,
,
vetiement expliqués, collection de .Slaii
Bas - reliefs, Bustes, Peintures , Mi,
a lies, Gravures , Vases } Inscription
.Instrumen 9j tirés des Collections nalioiu
et particulières, et accompagnés d'unh
explicatif; par A. L. MlLLIN, cotisa
teur des Médailles , des 'Pierres gravk
des Antiques de la Bibliothèque natm
de France, professeur d'histoire et d'n\
qui/es, etc. Tome l.er lV.e livraison , p.s;
262. A Paris chez- Laroche ', maison
,
l'Auteur, à. la Bibliothèque nationale,1
Neuve-des-Petits-Champs, n.° 11, aufi
de celle de la Loi; Fuchs, rue des Mail
,

rins, hôtel de Clunj'; Lcvrault, .quai Mi


quais (i).

VJETTE quatrième livraison, qui sera incessammi


suivie des deux qui doivent compléter le prn
volume de ce recueil contient quatre 'dissertai'»
,
(1) Chaque volume de cet ouvrage, imprimé à Vlmprimtrit
(*9 y
ne savoit pas assez-si tout ce qui s étoit siècle en siècle; la tradition les consacra.
passé n'étoit pas un coup de main ; mais On avoit élevé à Alexandrie un monu-
quand il vit 3o mille hommes et des trains ment à Pompée ; il ne se trouvoit plus ,
d'artillerie à terre, il s'attacha à capter on crut le retrouver dans cette colonne.
Bonaparte, il ne quitta plus le quartier- On en a fait depuis un trophée à Septime
général, Bonaparte étoit couché qu'il étoit Sévère ; cependant elle est élevée sur des
encore dans Son anti-chambre; chose bien décombres de l'ancienne ville, et au temps
remarquable dans un musulman {voyez de Septime Sévère la ville des Ptolomées
son portrait, pi, GV, n° 1 ). n'étoit point encore en ruine. Pour faire
Le premier dessin que je fis fut le port à cette colonne une fondation solide on
neuf, depuis le petit Pharion jusqu'au a piloté un obélisque, sur le culot du-
quartier des Francs, qui étoit, au temps quel on a posé un vilain piédestal, qui
de Cléopâtre, le quartier délicieux où son porte un beau fût, surmonté d'un cha-
palais étoit bâti, et où étoit le théâtre piteau corinthien lourdement ébauché
(voyez planche Yïïl, n° 3). (voyezplanche IX, n° i ).
Le 16, au matin, j'accompagnaile gé- Si le fût de cette colonne en le sépa-
néral dans une reconnoissance : il visita rant du piédestal et du chapiteau a fait
tous les forts, c'est-à-dire des ruines, de partie d'un édifice antique, il en atteste
mauvaises constructions, où de mauvais la magnificence et la pureté de l'exécu-
canons gisoient sur quelques pierres qui tion ; il faut donc dire que c'est une belle
leur servoient d'affût. Les ordres du gér colonne, et non un beau monument ;
néral furent d'abattre tout ce qui étoit qu'une colonne n'est point un monu-
inutile de ne raccommoder que ce qui ment ; que la colonne de Sainte-Marie-
,
pouvoitservir à empêcher l'approche des Majeure bien qu'elle soit une des plus
,
Bédouins ; il porta toute son attentionsur belles qui existent, n'a point le caractère
les batteries qui dévoient défendre les d'un monument, que ce n'est qu'un frag-
ports. ment; et que si les colonnes trajane et
Nous passâmes près de la colonne de antonine sortent de cette catégorie, c'est
Pompée. Ilenestdecemonumentcomme qu'elles deviennent des cylindres colos-
de presque toutes les réputations qui sals sur lesquels est fastueusement dé-
, ,
perdent toujours dès qu'on s'approche de rouléel'histoire des expéditions glorieuses
ce qui en est l'objet. Elle a été nommée de ces deux empereurs, et que réduites
colonne de Pompée dans le quinzième à leurs simples traits et à leur seule di-
siècle, où les connoissances commen- mension, elles ne seroient plus que de
çoient à se réveiller de leur assoupisse- lourds et tristes monuments.
ment: les savants, plutôt que les obser- Les fondations de la colonne de Pom-
vateurs, se hâtèrent à cette époque d'as- pée étant venues à se déchausser, on a
signer un nom à tous les monuments ; et cru ajouter à leur solidité en adaptant à
ces noms passèrent sans contradiction de la première fondation deux fragments
(ao)
d'obélisque en marbre blanc , le seul mo- appartenir à la première de ces époques j
nument de cette matière que j'aie vu en ils n'ont pas assez de perfection pour que
Egypte. l'art dans la seconde n'ait pu atteindre
Des fouilles faites aux environs de la jusque-là.
colonne donneraient sans doute des lu- Des fouilles dans cet endroit pour-
mières sur son origine ; le mouvement raient aussi déterminer l'enceinte de la
du terrein et les formes qu'il laisse voir ville au temps des Ptolomées, lorsque
encore attestent d'avance que les recher- son commerceet sa splendeurchangèrent
ches ne seroient pas vaines : elles décou- son premier plan et la rendirent immense :
vriroient peut - être la substruction et celle des califes, qui existe encore, en fut
Yatrium du portique auquel a appartenu une réduction, quoiqu'elle enferme au-
cette colonne, qui a été l'objet de disser- jourd'hui des campagnes et des déserts :
tations faites par des savants qui n'en cette circonvallation fut construite de
ont vu que des dessins , ou n'en ont eu débris, car leurs édifices rappellent tou-
que des descriptions de voyageurs ; et ces jours la destructionetle ravage ; les cham-
voyageurs ne leur ont pas dit qu'on trou- branles et les someses des portes qu'ils
voit près de là des fragments de colonne ont faites à leurs enceintes et à leurs for-
de même matière et de même diamètre; teresses-ne sont que des colonnes de gra-
que le mouvement du sol indique la ruine nit , qu'ils n'ont pas même pris la peine
et l'enfouissement de grands édifices , de façonner à l'usage qu'ils leur oiit donné;
dont les formes se distinguent à la sur- elles paroissent n'être restées là que pour
face tels qu'un carré d'une grande pro-
,
attester la magnificence et la grandeur
portion , et un grand cirque, dont on des édifices dont elles sont les débris;
pourroit, quoiqu'ilsoit recouvert de sable d'autres fois ils ont fait entrer cette im-
et de débris, mesurer encore les princi- mensité de colonnes dans la construction
pales dimensions. de leurs murailles pour en redresser et
,
Après avoir observé que la colonne dite niveler l'assise ; et comme elles ont résisté
de Pompée est d'un style et d'une exécu- au temps, elles ressemblent maintenant
tion très purs, que le piédestal et le cha- à des batteries. Au reste ces construc-
piteau ne sont pas de même granit que tions arabes et turques ouvrages des
,
le fût, que le travail en est, lourd et ne besoins de la guerre, offrent une con-
semble être qu'une ébauche, que la fon- fusion d'époques et de différentes indus-
dation faite de débris, annonce une con- tries dont on ne voit peut-être nulle part
,
struction moderne ; on peut conclure que ailleurs d'exemplesplus frappants et plus
ce monument n'est point antiqu.e, et que rapprochés. Les Turcs sur-tout, ajoutant
son érection peut appartenir également l'ineptie à la profanation , ont mêlé au
au temps des empereursgrecs, ou à celui granit non seulement la brique et la
des califes, puisque, si le piédestal et le pierre calcaire , mais des madriers, et
chapiteau sont assez bien travaillés pour jusqu'à des planches , et de tous ces élé-
(«)
ments, si peu analogues et si étrange- La grande piscine ou conserve d'eau
ment amalgamés, ont présenté l'assem- d'Alexandrie est une des grandes anti-
blage monstrueux de la splendeur de l'in- quités du temps moyen de l'Egypte, et un
dustrie humaine, et de sa dégradation. des plus beaux monuments de ce genre,
' En revenant de la colonne vers
la villesoit par sa grandeur, soit par l'intelligence
moderne , nous traversâmes celle des de sa construction : quoiqu'unepartie soit
Arabes ou celle qui étoit enceinte par dégradée et que l'autre ait besoin de répa-
leurs murs ; car ce n'est maintenant qu'un ration , elle contient encore assez d'eau
désert parsemé de quelques enclos, qui pour suffire à la consommation des hom-
sont des jardins dans les mois de l'inon- mes et des animaux pendant deux années.
dation, et qui dans les autres temps con- Nous arrivâmesle mois avant celui où elle
servent plus ou moins d'arbres et de lé- alloit être renouvelée ,< et nous la trou-
gumes en proportion de la grandeur de vâmes très fraîche et très bonne.
la citerne qu'ils renferment : cette citerne Nous fûmes attirés par une ruine rou-
est le principe de leur existence ; si elle geâtre, que les catholiques appellent la
tarit , les jardins redeviennent des dé- maison de Sainte-Catherine la savante,
combres et du sable. celle qui épousa le petit Jésus quatre
A la porte de chacun de ces jardins il cents ans après sa mort : la construction
y a des monuments d'une piété tou- en est romaine ; les canaux, enduits de
chante ; ce sont des réservoirs d'eau que stalactites annoncent que ce devoit être
,
la pompe remplit toutes les fois qu'on des thermes.
la met en mouvement, et qui offrent au Nous vînmes ensuite à l'obélisque dit
voyageur qui passe de quoi satisfaire le de Cléopâtre; un autre renversé à côté,
,
premier besoin dans ce climat brûlant , indique qu'ils décoroient tous deux une
la soif. des entrées du palais des Ptolomées, dont
On rencontre à chaque pas des regards on voit encore des ruines à quelques pas
de ces citernes qui se communiquent, et de là. L'inspection de l'état actuel de ces
dont les soupiraux sont couronnés de la obélisques, et les cassures, qui existoient
base ou du chapiteau d'une colonne an- lors même qu'ils ont été dressés dans cet
tique creusée , et servant de margelle. endroit prouvent qu'ils étoient déjà
,
Il suffit, pour la fabricationd'une nou- fragments à cette époque, et apportés de
velle citerne, de creuser et de revêtir des Memphis ou de là haute Egypte. Ils pour-
réservoirs à plusieurs étages, de faire en- raient facilement être embarqués et
,
suite une saignée, et de la prolonger jus- devenir en France un trophée de la con-
qu'à ce qu'elle rencontre une autre exca- quête , tropliéetrès caractéristique, parce-
vation ; dès-lors elle reçoit le bénéfice qu'ils sont à eux seuls un monument, et
commun du débordement,qui remplit, que les hiéroglyphes dont ils sont cou-
par l'effet du niveau que cherchent les verts doivent les rendre préférables à la
eaux, tout le vide qui lui est présenté. colonne de Pompée, qui n'est qu'une co-
(»»)
lonne un peu plus grande que celles qu'on dépassé le fond du port, on trouve de
trouve par-tout. On a depuis fouillé la grandes fabriques sarrasines qui ont
,
base de cet obélisque, et l'on a trouvé quelques détails de magnificence et d'un
qu'il posoit sur une dale: les piédestaux, mélange de goût qui embarrasse l'obser-
qu'on a toujours ajoutés en Europe à vateur : des frises, ornées de triglyphes
cette espèce de monument, sont un orne- doriques, surmontées de voûtes à ogives,
ment qui en change le caractère. Le trait doivent faire croire que ces fabriques ont
que j'en ai donné, planche IX, n° 3 , fait été construites de fragments antiques que
connoître l'état de cet obélisque depuis les Sarrasins ont mêlés au goût de leur
la fouille. architecture. Les portes de ces édifices
Je fis un dessin pittoresque de ces deux peuvent donner la mesure de l'indestruc-
obélisques , ainsi que des paysages et tibihté du bois de sycomore, qui est resté
monuments qui les avoisinent ( voyez dans son entier, tandis que le fer dont
pi. IX, n° 2) : en observant le monu- elles étoient revêtues a cédé au temps
ment sarrasin qui est auprès, je trouvai et a disparu entièrement. Derrière cette
que" le soubassement appartenoit à un espèce de forteresse sont des thermes
édifice grec ou romain ; On y distingue arabes , décorés de toutes sortes de dé-
encore des chapiteaux de colonnes enga- tails de magnificence : nos soldats qui
,
gées d'ordre dorique, dont les fûts vont les avoient trouvés tout chauffés s'y
, ,
se perdre au-dessous du niveau de la mer. étoient établis pour faire leur lessive
,
Strabon a dit que les bases du palais de et en avoient suspendu l'usage. Je renvoie
Ptolomée étoient battues par les vagues: donc à un autre moment là description
ces débris pourroient tout à la fois attester des bains de cette espèce, et à celle qu'en
la vérité du rapport de Strabon et donner a faite Savary, l'idée de volupté qu'on en
le gisement de ce palais. doit prendre.
En revenant au fond du port par le Auprès de ces bains est une des prin-
bord de la mer , on trouve des débris de cipales mosquées, autrefois une primi-
fabriques de tous tes temps, également tive église sous le nom de S.-Athanase.
maltraités par la vague et par les siècles. Cet édifice , aussi délabré que magni-
On y distingue des restes de bains, dont fique peut donner une idée de l'incurie
,
il existe encore plusieurs chambres, fa- des Turcs pour les objets dont ils sont le
briquées postérieurement dans des mu- plus jaloux. Avant notre arrivée ils n'en
railles plus anciennes. Ces fabriques me laissoient pas approcher un chrétien, et
parurent arabes ; et pour les conserver préféraient y avoir une garde plutôt que
onafait une espèce de pilotis en colonnes, d'en raccommoder les portes : dans l'état
qui ressemblent maintenant à des batte- où nous les avons trouvées elles ne pou-
ries rasantes ; leur nombre immense voient ni fermer ni rouler sur leurs gonds.
prouve combien étoient magnifiques les Au milieu de la cour de cette mosquée
palais qu'elles ont décorés. Lorsqu'on a un petit temple octogone renferme une
(23)
beauté de bourg , qui laisse un espace vide
cuve de brèche égyptienne d'une
incomparable soit par sa nature, soit d'une demi-lieue entre cette partie de la
, ville et celle qui avoisine les ports. Toutes
par les innombrables figures hiérogly-
phiques dont elle est couverte en-dedans les horreurs de la guerre existoient en-
comme en-dehors ; ce monument, qui core dans ce quartier. J'y fis une ren-
est sans doute un sarcophage de l'antique contre qui m'offrit le plus frappant de
Egypte, sera peut-être illustré par des tous les contrastes : une jeune femme.,
volumes de dissertations. Il eût fallu un blanche et d'un coloris de roses , au mi-
mois pour en dessiner les détails ; je n'eus lieu des morts et des débris,étoit assise sur
que le temps d'en prendre la forme géné- un catalecte encore tout sanglant ; c'étoit
rale , dont on peut voir le trait (pi. IX , l'image de l'ange de la résurrection : lors-
n° 3) ; et je dois ajouter qu'il peut être qu'attiré par un sentiment decompassion
regardé comme un des morceaux les plus je lui témoignai ma surprise de la trouver
précieux de l'antiquité, et une des pre- si isolée, elle me répondit avec une douce
mières dépouilles de l'Egypte , dont il ingénuité qu'elleattendoit son mari pour
seroit à désirer que nous pussions enri- aller coucher dans le désert ; ce n'étoit
chir un de nos musées. Mon enthou- encore qu'un mot pour elle, elle y alloit
siasme fut partagé par Dolomieux lorsque coucher comme à un autre gîte. On peut
nous découvrîmes ensemble ce précieux juger par-là du sort qui attendoit les
monument. femmes auxquelles l'amour avoit donné
Ce fut des galeries du minaret de cette -le courage de suivre leurs maris dans
mosquée que je fis le dessin (n° l\,pl. X) cette expédition.
où l'on voit à vol d'oiseau tout le déve- La plupart des divisions, en descen-
loppement du port neuf. Tout près de dant du navire , n'avoient fait que tra-
la mosquée sont trois colonnes debout verser Alexandrie pour aller camper dans
(voyezpi. II, n° 3), dont aucun voya- le désert. Il fallut s'occuper aussi d'aban-
geur n'a parlé. Il seroit intéressant de donner Alexandrie, ce point si impor-
fouiller à leur base : au fini du travail tant dans l'histoire, où les monuments
de ces colonnes on peut juger qu'elles de toutes les époques , où les débris des
ont fait partie de quelques monuments arts de tant de nations sont entassés pêle-
antiques ; mais leur espacement exagéré mêle et où les ravages des guerres, des
,
doit faire penser qu'elles ne sont pas pla- siècles, etd'un climat humide et salin, ont
cées à leur destination primitive :-*[uoi apporté plus de changement et dedestruc-
qu'il en soit, elles sont les restes d'un tionqujeriaucuneautrepartiede l'Egypte.
grand et magnifique édifice. Bonaparte,qui s'étoit emparé d'Alexan-
Nous allâmes de là jusqu'à la porte de drie avec la même rapidité que S. Louis
Rosette, qui est fortifiée, et où s'étoient avoit pris Damiette , n'y commit pas la
défendus les Turcs lors de notre arrivée. même faute : sans donner le temps à
Un groupe de maisons y forme une espèce l'ennemi de se reconnoître et à ses
,
C»4)
troupes celui de voir la pénurie d'Alexan- Le second jour de marche de nos trou-
drie et. son âpre territoire il fit mettre pes au départ d'Alexandrie, quelques sol-
,
en marche les divisions à mesure qu'elles dats rencontrèrent, près de Béda, dans
débarquoient,et sans leur laisser le temps le désert, une jeune femme le visage en-
de prendre des renseignements sur les sanglanté; elle tenoit d'une main un en-
lieux qu'elles alloient occuper. Un offi- fant en bas âge, et l'autre main égarée
cier } entre autres , disoit à sa troupe au alloit à la rencontre de l'objet qui pou-
moment du départ : Mes amis, vous allez voit la frapper ou la guider. Leur cu-
coucher à Béda ; vous entendez, à Béda ; riositéest excitée; ils appellentleur guide,
cela n'est pas plus difficile que cela : mar- qui leur servoit en même temps d'inter-
chons mes amis, et les soldats marchè-
,
prète ; ils approchent, ils entendent les
rent. est sans doute difficile de citer
Il soupirs d'un être auquel on a arraché
un trait plus frappant de naïveté d'une l'organe des larmes ; une jeune femme,
part et de confiance de l'autre : c'est avec un enfant, au milieu d'un désert ! Étonnés,
ce courage insouciant qu'on entreprend curieux ils questionnent : ils appren-
,
ce que d'autresn'osentprojeter , et qu'on nent que le spectacle affreux qu'ils ont
exécute ce qui paroît inconcevable. Plus sous les yeux est la suite et l'effet d'une
curieux qu'étonnés ils arrivent à Béda, fureur jalouse : ce ne sont pas des mur-
qu'ils dévoient croire un village bâti, mures que la victime ose exprimerj mais
peuplé comme les nôtres ; ils n'y trou- des prières pour l'innocent qui partage
vent qu'un puits comblé de pierres, au son malheur, et qui va périr de misère
travers desquelles distilloit un peu d'eau et de faim. Nos soldats, émus de pitié,
saumâtre et bourbeuse; puisée avec des lui donnent aussitôt une part de leur
gobelets, elle leur fut distribuée, comme ration, oubliant leur besoin près d'un
de l'eau-de-vie à petite ration. Voilà la besoin plus pressant; ils se privent d'une
,
première étape de nos troupes dans une eau rare dont ils vont manquer tout à-
autre partie du monde , séparées de leur fait, lorsqu'ils voient arriver un furieux,
patrie par des mers couvertes d'ennemis, qui de loin repaissant ses regards du
et par des déserts mille fois plus redou- spectaclede sa vengeance, suivoit de l'oeil
tables encore; et cependant cette étrange ces victimes ; il accourt arracher des
position ne flétrit ni leur courage ni leur mains de cette femme ce pain, cette eau,
gaieté. cette dernière source de vie que la com-
Si Ton veut avoir la mesure du despo- passion vient d'accorder au malheur :
tisme domestique des orientaux , si l'on Arrêtez ! s'écrie-t-il; elle a manqué à son
ne craint pas de frémir de l'atrocité de honneur, elle a flétri le mien; cet enfant
la jalousie, quand elle a pour appui un est mon opprobre , il est le fils du crime.
préjugé reçu, et quand la religion absout Nos soldats veulent s'opposer à ce qu'il la
de ses emportements, qu'on lise l'anec- prive du secours qu'ils viennent de lui
dote suivante. donner ; sa jalousie s'irrite de ce que
(.»5 )
l'objet de sa fureur devient encore celui vant de l'armée française : la première
de l'attendrissement; il tire un poignard, fois qu'elle les vit ce fut près de Demen-
frappe la femme d'un coup mortel j s'aisit hour; ils ne firent que la reconnoître,
l'enfant, l'enlevé, et l'écrase sur le sol; et cette apparition, ainsi que le combat
puis, stupidement farouche, il reste im- insignifiant de Chebreis, donna leur me-
mobile, regarde fixement ceux qui l'en- sure à nos soldats, et leur ôta cette émo^
vironnent , et brave leur vengeance. tionincertaine qui tient delà terreur, et
Je me suis informé s'il y avoit des lois que donne toujours un ennemi inconnu.
répressives contre un abusd'autorité aussi De leur côté , n'ayant vu dans notre
atroce ; on m'a dit qu'il avoit malfait de armée que de l'infanterie, sorte d'arme
la-poignarder, parceque, si Dieu n'avoit pour laquelle ils avoient un souverain
pas voulu qu'elle mourût, au bout de mépris, ils emportèrentla certitude d'une
quarante jours on aurait pu recevoir la victoire aisée, et ne tourmentèrent plus
malheureuse dans une maison et la
, notre marche j déjà assez pénible par Sa
nourrir par charité, : ,
longueur, par l'ardeUr du climat, et les
<
La division. Kléber, commandée par souffrances de la soif et de la faim , aux-
Dugua, avoit pris la route de Rosette quelles il faut encore ajouter les tour-
pour protéger la flottille qui étoit entrée ments d'un espoir toujours trompé et
dans le Nil. L'arraéeacheva de se mettre toujours renaissant ; en effet c'étoit sur
en marche, les 17 et 18 messidor, par des tas de blé que nos soldats manquoient
Birket et Demenhour : les Arabes en atta- de pain, et avec l'image d'un vaste lac
quent les avant-postes, en harcellent le devant les yeux qu'ils étoient dévorés par
reste ; la mort devient la peine du traî- la soif, Ce supplice d'un nouveau genre
neur. Desaix est au moment d'être pris, a besoin d'être expliqué , puisqu'il est
pour être resté cinquante pas derrière l'effet d'une illusionqui n'a lieu que dans
la colonne ; Le Mireur, officier distingué, ces contrées : elle est produite par le"
et qui, par l'effet d'une distraction mé- mirage des objets saillants sur les rayons
lancolique n'avoit pas répondu à l'invi- obliques du soleil réfractés par l'ardeur
,
tation qu'on lui avoit faite de se rappro- de laterre embrasée ; ce phénomène offre
cher, est assassiné à. cent pas:des avant- tellement l'image de l'eau, qu'on y est
postes ; l'adjudant-géneral Galois est tué trompé la dixième fois comme la pre-
en portant un ordre du général en chef; mière ; il attise une soif d'autant plus
l'adjudant Delanau est fait prisonnier à ardente que l'instant où il se manifeste
quelques pas de l'armée en traversant un est le plus chaud du jour. J'ai pensé qu'un
ravin; on met un prix à sa rançon ; les desshi; n'en donnerait pas l'idée, puis-
Arabes s'en disputent le partage, et-, pour qu'il ne pourroit jamais être que la.re-
teuminer le différent j brûlent la cervelle présentation d'une ressemblance y. mais,
à cet intéressant-jeunehomme. pour y suppléer, il faut lire un rapport
^Les Mamelouks étoient venus au-de- fait à l'institutdu Caire, et inséré dans les
4
(a6)
mémoires (i) imprimés par Didot l'aîné, lerie, dit qu'il alloit nous tailler comme
dans lequel le citoyen Monge a décrit et des citrouilles (ce fut son expression):
analysé ce phénomène avec la sagacité et en conséquence le corps le plus considé-
l'érudition qui caractérisent ce savant. rable des Mamelouks, qui étoit en avant
Les villages étoient désertés à l'appro- d'Embabey, s'ébranla, et vint charger la
che de l'armée, et les habitants en empor- division Dugua avec une rapidité qui lui
toient tout ce qui auroit pu l'alimenter. avoit à peine laissé le temps de se for-
Les pastèques furent le premier sou- mer ; elle les reçut avec un feu d'artillerie
lagement que le sol de l'Egypte offrit à qui les arrêta; et par un à gauche ils
nos soldats , et ce fruit fut consacré dans allèrent tomber jusque sur les baïon-
leur mémoire par la reconnoissance.En nettes de la division Desaix; un feu de
arrivant au Nil ils s'y jetèrent tout ha- file nourri et soutenu produisit une se-
billés pour se désaltérer par tous les pores. conde surprise : ils furent un moment
Lorsque l'armée eut dépassé Rahma- sans détermination ; puis , tout-à-coup
nieh, ses marches sur les bords du fleuve voulant tourner la division, ils passèrent
devinrentmoins pénibles. Nous ne la sui- entre celle de Reynier et celle de Desaix ,
vrons pas dans toutes ses stations : nous et reçurent le feu croisé de toutes deux;
dirons seulement que le Ier thermidor ce qui commença leur déroute. N'ayant
elle vint coucher à Amm-êl-Dinar ; elle en plus de projet, une partie retourna sur
partit le lendemain avant le jour; après Embabey, l'autre alla se retrancher dans
douze heures de marche elle se trouva un parc planté de palmiers, qui se trou-
près Embabey,où les Mamelouks étoient voit à l'occident des deux divisions, et
rassemblés; ils y avoient un camp re- d'où on les envoya déloger par des tirail-
tranché , entouré d'un mauvais fossé leurs ; ils prirent alors la route du désert
,
défendu par trente-huit pièces de canon. des pyramides. Ce furent eux qui dans
Dès qu'on eut découvert les ennemis la suite nous disputèrentla haute Egypte.
,
l'armée se forma : lorsque Bonaparte eut Pendant ce temps les autres divisions,
donné ses derniers ordres, il dit, en en s'approchantdu village, se trouvoient
montrant les pyramides : Allez, et pensez dans le cas d'être endommagées par l'ar-
que du haut de ces monuments quarante tillerie du camp retranché : on résolut
siècles nous observent. Desaix, qui eom- de l'attaquer; il fut formé deuxbataillons,
mandoit l'avant-garde, avoit dépassé le tirés de la division Bon et Menou, et
village ; Reynier suivoit à sa gauche ; commandéspar les généraux Rampon et
Dugua, Vial et Bon, toujours à gauche, Marmont, pour marcher sur le village,
formoient le demi-cercle en se rappro- et le tourner à l'aide du fossé : le ba-
chant du Nil. Mourat-bey, qui vint nous taillon Rampon leur paroît facile à enve-
reconnoître, et qui ne vit point de cava- lopper et à détruire ; il est attaqué par ce
qui restoit de Mamelouks dans le camp.
(i) Mémoires sur l'Egypte, 4 vol. in-&°. Ce fut là que le feu fut le plus vif et le
.C»7)
plus meurtrier ; ils ne concevoient pas l'atmosphère; l'astre du jour roulant sut
notre résistance (ils ont dit depuis qu'ils un vaste horizon achevoit paisiblement
nous avoient crus liés ensemble ) : en sa carrière: sublime témoignage de cet
effet la meilleure cavalerie de l'orient, ordre immuable de la nature qui obéit à
peut-être du monde entier, vint se rom- d'éternels décrets dans ce calme silen-
pre contre un petit corps hérissé de cieux qui la rend encore plus imposante.
baïonnettes ; il y en eut qui vinrent en- C'est ce que j'ai cherché à peindre dans
flammer leur habit au feu de notre mous- le dessin que j'ai fait de ce moment
queterie, et qui, blessés mortellement, (voyez pi. XII, et le plan de la.bataille
brûlèrent devant nos rangs. La déroute pi. XI, et les explications de ces deux
devint générale : ils voulurent retourner planches*).
dans leur camp, nos soldats les y suivi- La relation officielle du général Ber-
rent, et y entrèrent pêle-mêle avec eux; th,ier, où les mouvements militaires sont
leurs canons furent pris; toutes les divi- circonstanciés de la manière la plus lu-
sions qui s'approchoient en entourant le cide et la plus savante servira encore
,
village leur ôtoient tous moyens de re- d'explication au plan de cette bataille,
traite : ils voulurent longer le Nil, un plan qui doit acquérir un prix particu-
mur qui y arrivoit transversalement les lier par les corrections qu'a bien voulu y
arrêta et les refoula ; alors ils se jetèrent faire Bonaparte lui-même dans la dispo-
dans le fleuve pour aller rejoindre Je sition des corps, et la détermination de
corps d'Hibrahim-b'ey, qui étoit resté leurs mouvements. Ce plan de bataille,
vis-à-vis pour couvrir le Caire : dès-lors auquel se joint celui du Caire, de Boulac,
cène fut plus un combat, mais un massa- Djyzeth, etc., est tout à la fois la carte
cre; l'ennemi sembloit défiler pour être du pays, dont le n°ia est la vue.
fusillé, et n'échapper au feu de nos ba- Le général Menou étoit resté .blessé à
taillons que pour devenir la proie des Alexandrie : il devoit aller organiser le
eaux. Au milieu de ce carnage, en levant gouvernement à Rosette, et faire une
les yeux, on pouvoit être frappé de ce tournée dans le Delta. Avant de se rendre
contraste sublime, qu'offrait le ciel pur au Caire il m'avoit engagé à l'accom-
de cet heureux climat: un petit nombre pagner dans cette marche : je me décidai
de Français, sous la conduite d'un héros, d'autantplus volontiers à faire ce voyage,
venoit de conquérirune partiedu monde; que je pensois d'avance qu'il ne pouvoit
un empire venoit de changer de maître ; être très intéressant qu'autant qu'on le
l'orgueil des Mamelouks achevoit de se ferait avant celui de la haute Egvpte ; j'ac-
briser contre les baïonnettes de notre in- compagnois d'ailleurs un hommeaimable,
fanterie. Dans cette grande et terrible instruit, et mon ami depuis long-temps-
scène, qui devoit avoir de si importants Nous nous embarquâmes sur un aviso
résultats,.la poussière et la fumée trou- dans le port neuf d'Alexandrie ; nous '
bloient à peine la partie la plus basse de manoeuvrâmes tout le jour : mais nos ca-
(48)
pitàilies^frie cdrihbissant ni les courants, voluptés, 'àujoitrdlniï si fanièû'x j>;âr iBxî*
ïii; les: brisantsV 'ni les 'bas-fonds <dè ceteslés horreurs de Ta guerreî'^&lrjuès
port;' âprès; àVoit évité la pôïhîë du heures auprès'nous nous' trouvâmes ,'salis
diamant,'pensèrentnbûs échoiïër au ro- le Savoir, à une' dès" bouches' dû Nil Bè/
cher ~du' petit Phafillori et nous ràmé-
, que hbus reconnûmes au tableau "le plus
n'èréht mouiller à l'entrée du port pb'ilr dësaslFèux que ^j'aie Vu de-mâ'vièv lïës-
rëpàrtïrTeslëridemaîïï. Je fis le dessin1flu èàùx du'Nil rëpb'ttssëès par le1 véiït élè-
château '( n° "èîfpl. X), bâti dartsr l'isle vbierit à ùriè liâùtfeûr immerise'dés'bridés
Pliants"',' surTerhplàcementde ce fameux qui étoient perpétuellement rèfdûTééVéï
mb'tiùnïèht si iitiie'et 'si magnifique5) Br'isëësrpâr le courant1du fleuve avèrJ'ûri
cette merveille du monde, qùi:,ràptès Bfûït épouvantable ;\iri'de'!nos bâïirn^rits
avoir-pris le nom de"l'isle sur laquelle il qui vérioît de faire "riaufr&ge,^ etq\ïVra
avoit été' éTevië^ le: transmit à tous Lés vague aëhevtjiï de rompre,' fu't kPseulïri-
mdiïùmënts dé de genre. ' ': ' ''' diée que nous eûmesdé là côte ; plusieurs
Nous repartîmes le lendemain sous autres avisosdàris'M mêiriesitûâtibrrque1
d'aussi mauvais auspices que la veillé. nous, p?ë'st-à'-dirë dans là riiêrtië confu-
Afpéirie fûmës-riôuSà quelques lieues eh' sion, se rapprochoieritpour se consulter,
mer, que, le vent étant devenu très fort, s'ëvitoîent pour rie pas se "briser, et ne'
.....
Tê général Mënôu'fult!ifpris
t
d'un vomisse-1poûvoiënt' s'entendre que par dès cris
merit? cdnvùTsif qui pensa lui coûter là encore plus épouvantables.'Il n'y avoït
vie, en le faisant tomber de sa hàuteùir poirit de pilote côtier;.nous rie savions
la tête sur la culasse d'un canon. Aucun plus qu'aviser, le général alloit toujours
de nous ne pouvoit juger du danger de en empirant : nous imaginâmes d'aller rë-
la large blessure qu'il s'étoit laite : il cbrinoître le bogaze ou la barré du fleuve';1
âvoit' perdu connaissance ; nous mîmes le canot fût mis à la mér, et le 'chef de
en délibération si on le conduirait sur bataillon Bonnecarerre et moi nousnous
Y Orient, qui étoit mouillé avec la flotte y jetâmes comme nous pûmes. À peine
à Aboukir, et vis-à-vis duquel nous eûmes-nous quitté notre bord que rious:
nous trouvions dans le moment. ribûs trouvâmes au iriilieu des abymésÎ'I
Nos marins croyoient que quelques sans voir autre chose que la cime recour-"
heures nous suffiraient pour nous rendre bée des vagues qui de toutes parts mena-
dans le Nil : nous choisîmesce parti, qui çaient de nous engloutir; à mille toises'1
devoit finir les angoissesdu général. Mal- de l'aviso nous ne pouvions plus le re-£
gré le tourment de notre situation et le ' joindre : le mal de mer commençoit à*
roulis du.bâtiment, je 'parvins à dessiner - nie tourmenter ; il étoit question d'atten-"
lapetrté vue (re° i, jb/.'XV) qui donne une dre d'une manière indéfinie, et de passer
idèV du mouillage': de notre flotte devant ainsi la nuit. Je m'enveloppois de mon6
Àboulûr, de ce promontoire célèbre au- manteau pour ne plus rien voir de notre
trefois p^l^viîle'dô0C#vopè^tï6utes ses déplorable situation, lorsque nous pasi^
1*9)
sâméS1 SÔu#'^és•' eauxJ d'ùtté 'felduque', où nous trouvâmes à l'angle de la côte, et
j'apperçuls,'ûrilrïiaf[heureux qui, en des- tournant tout-à-coup à droite, nous vo-
céttdàritdahs Uhe~embarcation, étoit res- guâmes dans le plus paisible lit du plus
té suspèhdù-'à ttrie écJrde-; fatigué' des' ef- doux de tous les fleuves, et une demi-
forts qu'il Lfaisôft pour' se soutenir; dans heure après au milieu du plus frais et du
ééttë périlleuse position,' ses'bras's'<alon- plus verdoyant de tous les pays : c'étoit
géoieïït, éf le' laiSsoienfaller dans' ceux de exactementsortir du Ténare pour entrer
la toort, 'que^jë^rpyois^ôuverts pourkrre- par le Léthé dans les Champs-Elysées ; Ceci
cèvoir. snépïotïvai%eerspectacleunetelle étoit encore plus vrai pour le général,
révolution ;quétmesvéva*n'ouissemèntsces- qui étoit déjà sur son séant, et ne nous
sérerit t je hé mois-pas3, jehùrlois;les laissoit-d'inquiétude que sur la profon-
matelots mêlôientleurs cris aux>miens-: deur de sa blessure, qu'aucun de nous
ils'furent enfin entendus de cewxidubâr n'avoit osé sonder.
tintent : d'abord bit ne savoit ce que nous Nous trouvâmesbientôt à notre droite
vbulions ; on chercha de tous côtés avant un fort, et à notre gauche une batterie i
dé venir au secours'du malheureux dont qui, autrefois construite pour défendre
léS dernières forces expiraient ; on le dé- l'embouchure du Nil, en est maintenant à
couvre à la fin.,... on eut encore le temps une lieue ; ce qui pourroit donner la me-
de le sauver. -•<••• sure de la progression de l'alluvion du
•Ee moment que nous avoit fait perdre fleuve. En effet la construction de ces
cet événement, et les efforts que fioûs forts ne remonte pas au-delà de l'inven-'
avions faits pour nous tenir au vent en tion de la poudre et ils n'ont par consé-
,
cas que cet homme tombât à la mer nous quent pas plus de trois cents ans. Je fis
avoient faitprendre assez de hauteur pour rapidement deux dessins de ces deux-
regagner notre aviso ; nous l'éScalâdântes points ( n° i et a ,pl. XIII). -
assez heureusement, et nousnous retrou- Le premier, à l'ouest du fleuve, pré-
vâmes au même point dont nous étions sente un château carré, flanqué de gros-
partis sans savoir plus que tenter. Le vent ses tours aux angles, avec des batteries
se calma un peu, maisla mer resta grosse : dans lesquelles étoient des canons de
la nuit vint ; elle fut moins orageuse. vingt-cinq pieds de longueur ; le second
Le général étoit trop mal pour prendre n'est plus qu'une mosquée, devant la-
lui-même une résolution : nous tînmes quelle étoit une batterie ruinée, dont un
de nouveau conseil, et nous résolûmes canon, du calibre de vingt-huit pouces,
de le mettre de notre mieux dans le ca- ne servoit plus qu'à procurer d'heureux
not, pensant que le bâtiment naufragé et accouchements aux femmes lorsqu'elles
les brisants nous serviraient de guides, et venoient l'enjamber pendant leur grosr
qu'en les évitant également nous entre- sesse.
rions dans le Nil : cela nous réussit ; au Une heure après nous découvrîmes,
bout d'une heure de navigation" nous au milieu des forêts de dattiers, de bana-
(3o)
niers, et de sycomores, Rosette, placée celles d'Alexandrie, sont cependant si frê-
sur les bords du Nil, qui, sans les dégra- les encore, que, si elles n'étoient épar-
der, baigné tous les ans les murailles de gnées par le climat, qui ne détruit rien,
ses maisons. J'en fis la vue avant d'y il n'existeroit bientôt plus une maison à
aborder {voyez n° Z,pl. XIII). Rosette; les étages, qui vont toujours en
Rascid, que les Francs ont nommée Ro- avançant l'un sur l'autre , finissent pres^
sette ou Rosset, a été bâtie sur là bran- que par se toucher ; ce qui rend les rues
che et près de la bouche Bolbitine, non fort obscures et fort tristes. Les habita-
loin des ruines d'une ville de ce nom, qui tions qui sont le long du Nil n'ont pas cet
devoit être située à un coude du fleuve, inconvénient; elles appartiennent pour
où est à présent le couvent d'Abou-Man- la plupart aux négociants étrangers. Cette
dour, à une demi-lieue de Rosette : ce partie de la ville seroit d'un embellisse-
qui pourroit appuyer cette opinion, ce ment facile ; il n'y auroit qu'à construire
sont les hauteurs qui dominent ce cou- sur la rive du fleuve un quai alternati-
vent, et qui doivent avoir été formées vement rampant et revêtu : les maisons,
par des atterrissements ; ce sont encore outre l'avantage d'avoir vue sur la navi-
quelques colonnes et autres antiquités gation ont encore l'aspect riant des rives
,
trouvées en faisant, il y a une vingtaine du Delta, isle qui n'est qu'un jardin,d'une
d'années, des réparations à ce couvent lieue d'étendue.
( voyez la vue pi. XIII, n° 5). Cette isle devint d'abord notre pro-
Léon d'Afrique dit que Rascid fut bâtie priété, notre promenade, et enfin le parc
par un gouverneur d'Egypte, sous le rè- où nous nous donnions le plaisir de la
gne des califes; mais il ne dit ni le nom chasse, lequel étoit doublé par celui de
du calife, ni l'époque de la fondation. la curiosité, puisque chaque oiseau que
Rosette n'offre aucun monument cu- nous tuions étoit une nouvelle connois-
rieux. Son ancienne circonvallation an- sance.
nonce qu'elle a été plus grande qu'elle Je pus remarquer que les habitants de
n'est à présent; on reconnoît sa première la rive gauche du Nil, c'est-à-dire les ha-
enceinte aux buttes de sable qui la cou- bitants du Delta, étoient plus doux et
vrent de l'ouest au sud, et qui n'ont été plus sociables : je crois qu'il faut en attri-
formées que par les murailles et les tours buer la cause à plus d'abondance, à l'ab-
qui servent aujourd'hui de noyaux à ces sence des Arabes Bédouins , qui, ne tra-
atterrissements. Ainsi qu'à Alexandrie, versant jamais le fleuve, les laissent dans
la population de cette ville va toujours un état de paix que n'éprouvent les au-
en décroissant. On y bâtit peu , et ce qui, tres dans aucun moment de leur vie.
s'y construit ne se fait plus que des vieilles En observant les causes on est presque
briques des édifices qui tombent en ruine toujours moins porté à se plaindre des
faute d'habitants et de réparations. Les effets. Peut-on reprocher aux Arabes cul-
maisons , mieux bâties en général que tivateurs d'être sombres, défiants, ava-
(3i)
res, sans soins, sans prévoyance pour son caractère ; et pour satisfaire et dé-
l'avenir, lorsque l'on pense qu'outre la fendre l'une et l'autre, il s'agite sans cesse,
vexation du possesseur du sol qu'ils cul- et se laisse assiéger et tyranniser par le
tivent, de l'avide bey, du cheikh, des besoin. Nous ne pouvons donc rien pro-
Mamelouks,un ennemi errant, toujours, poser aux Bédouins qui puisse équivaloir
armé, guette sans cesse l'instant de lui à l'avantage de nous voler ; et ce calcul
enlever tout ce qu'il oseroit montrer de est toujours la base de leurs traités.
superflu ? L'argent qu'il peut cacher, L'envie, fléau dont n'est pas exempt le
et qui représente toutes les jouissances séjour même du besoin, plane encore sur
dont il se" prive, est donc tout ce qu'il les sables brûlants du désert. Les Bé-
peut croire véritablement à lui ; aussi l'art douins guerroient avec tous les peuples
de l'enfouir est-il sa principale étude : les de l'univers, ne haïssent et ne portent
entrailles de la terre ne le rassurent pas; envie qu'aux Bédouins qui ne sont pas
des décombres, des haillons, toute la li- de leur horde ; ils s'engagent dans toutes
vrée de la misère, c'est en ne présentant les guerres, ils se mettent en mouvement
que ces tristes objets aux regards de ses dès qu'une querelle intérieure ou un
maîtres qu'il espère soustraire ce métal ennemi étranger vient troubler le repos
à leur avidité; il lui importé d'inspirer la de l'Egypte, et, sans s'attacher à l'un ou
pitié : ne pas le plaindre , ce seroit le dé- à l'autre des partis, ils profitent de leur
noncer; inquiet en amassant ce dange- querelle pour les piller tous deux. Lors-
reux argent, troubléquand il le possède, que nous descendîmes en Afrique , ils se
sa vie se passe entre le malheur de n'en mêloient parmi - nous enlevoient nos
,
point avoir, ou la terreur de se le voir traîneurs, et eussent pillé les Alexan-
ravir. drins, s'ils fussent venus se faire battre
Nous avions à la vérité chassé les Ma- hors de leurs murailles. Là où est .le
melouks; mais, à notre arrivée, éprou- butin, là est l'ennemi des Bédouins : tou-
vant toutes sortes de besoins, en les chas- jours prêts à traiter parcequ'il y a des
,
sant , ne les avions-nous pas remplacés? présents attachés aux stipulations, ils ne
et ces Arabes Bédouins, mal armés, sans connoissent d'engagement que la néces-
résistance, n'ayantpour rempart que des sité. Leur cruauté n'a cependant rien
sables mouvants, de ligne que l'espace, d'atroce : les prisonniers qu'ils nous ont
de retraite que l'immensité, qui pourra faits, en retraçant les maux qu'ils avoient
les vaincre ou les contenir? Tâcherons- soufferts dans leur captivité, les consi-
nous de les séduire en leur offrant des déraient plutôt comme une suite de la
terres à cultiver ? mais les paysans d'Eu- manière de vivre de cette nation que
rope qui deviennent chasseurs cessent comme un résultat de leur barbarie. Des
sans retour de travailler la terre; et le officiers, qui avoient été leurs prison-
Bédouin est le chasseur primitif; la pa- niers , m'ont dit que le travail qu'on avoit
resse et l'indépendance sont les bases de exigé d'eux n'avoit rien eu d'excessif ni
( 3> )
de cruel ; ils obéissoient aux femmes, on ne m'accusera point de n'avoir pas
chargeoient et conduisoient les ânes et partagé le dernier avec l'ami que je me
les chameaux ; il falloit à la vérité camper suis fait. Peut-on haïr un tel peuple,
et décamper à tout moment ; tout îe mé- quelque farouche que d'ailleurs il puisse
nage étoit plié, et l'on étoit en route dans être? et quel avantage lui donne sur nous
un quart-d'heure au plus : au reste ce cette sobriété comparée aux besoins que
ménage consistait en un moulin à bled nous nous sommes faits? comment per-
et à café, une plaque de fer pour cuire suader ou réduire de pareils hommes?
les galettes, une grande et une petite n'auront-ils pas toujours à nous repro-
cafetière, quelques outres, quelques sacs cher de semer, de riches moissons sur les
à grains, et la toile de la tente qui ser- tombeaux de leurs ancêtres? : '
voit d'enveloppeà tout cela. Une poignée Tant que nous n'avions pas été maîtres
de bled rôti et douze dattes étoient la du Caire, les habitants des bords du Nil,
ration commune des jours démarche, et regardant notre >existence comme très
quelque peu d'eau, qui, vu sa rareté7, précaire en Egypte j s'étoient soumis en
avoit servi à tout avant que d'être bue ; apparenceà notre armée lors de son pas-
mais ces officiers n'ayant eu l'ame flétrie sage; mais ne doutant point qu'elle ne
par aucun mauvais traitement, ils ne se fondît bientôt devant leurs invincibles
conservoient aucun souvenir amer d'une tyrans, ils* s'étoient permis, soit pour
condition malheureuse qu'ils n'avoient qu'ils leur pardonnassent de s'être sou-
fait que partager. mis , soit pour se livrer à leur esprit de ra-
Sans préjugé de religion , sans culte pine , de courir et de tirer sur les barques
extérieur, les Bédouins sont tolérants: que rfous envoyions à l'armée,»et sur celles
quelques coutumes révérées leur servent qui en revendent : quelquesbateaux fu-
de lois ; leurs principes ressemblent à rent obligés de rétrograder, après avoir
des vertus qui suffisent à leurs associations reçu pendant plusieurs lieues de chemin
partielles et à leur gouvernement pa«- des coups de fusils, notamment des ha-
,
ternel. bitants des villages de Metubis et Tfemi.
Je dois citer un trait de leur hospita- On envoya contre eux un aviso et quel-
lité : un officier français étoit depuis ques troupes : j'étois de cette expédition:
plusieurs mois le prisonnier d'un chef les instructions étoient pacifiques ; nous
d'Arabes ; son camp surpris la nuit par acceptâmes leurs Soumissions, et emme-
notre cavalerie , il n'eut que le temps de nâmes des otages. Je fis ; pendant les
se sauver ; tentes,troupeaux,provisions, pourparlers qu'exigea notre traité , les
tout fut pris. Le lendemain, errant, vues de Metubis et de Tfemi.' ( Voyez
isolé sans ressource il tire de ses ha- plancheXVI, «° 1 , 2, 3ef4)- Le n° 3
, ,
bits un pain , et en donnant la moitié à est Metubis ; le n? 1 est la vue de Tfemi-:,
son prisonnier, il lui. dit : Je ne sais qui est vis-à-vis du premier 5 le n° l\,
quand nous en mangerons d'autre; mais même planche est le village de Sandion,
,
(33)
que l'on trouve sur la route de Fua; et dessin à la lueur de l'incendie {pi. XXVIII,
le n° 2 sont les trois villages ci-dessus, n° 2 ) ; le n° i, pi. XX, est Salmie vue de
qu'à une certaine hauteur on apperçoit jour.
tout à la fois. Nous revînmes à Fua, où nous fûmes
Quelques jours après, une autre bar- reçus en vainqueurs qui savoient mettre
que partit pour le Caire : on n'entendit des bornes à leurs vengeances : tous les
plus parler de ceux qui la montoient ; cheikhs de la province avoient été convo-
et ce ne fut que par les gens du pays que qués, et s'étoient assemblés; ils enten-
nous sûmes qu'ils avoient été attaqués dirent avec respect et résignation le ma-
au-delà de Fua ; qu'après avoir été tous nifeste qui leur fut lu concernant l'expé -
blessés, leurs conducteurs s'étoientjetés dition, et les bases sur lesquelles alloit
à l'eau ; que, livrés au courant, ils avoient s'établir la nouvelle organisation de Sal-
échoués ; qu'arrêtéset conduits à Salmie, mie. On nomma un ancien cheikh à la
ils y avoient été fusillés. Le général Menou place de celui que les Français venoient
se crut obligé de faire un grand exemple. de déposséder et de proscrire; il fut en-
Nous partîmes donc avec deux cents voyé pour rassembler les habitantsépars,
hommes sur un demi-chebek et des bar- et amener une députation, qui arriva le
ques; nous mîmes à terre à une demi- troisième jour. Le détachement qui avoit
lieue de Salmie ; un détachement tourna conduit le vieux cheikh avoit été reçu
le village un autre suivit le bord du
, avec acclamation. Les députés nous di-
fleuve ; la troisième division, qui devoit rent en arrivant qu'ils avoient reconnu
achever la circonvallation étoit restée la paternité dans la main qui s'étoit ap-
,
engravée à deux lieues au-dessous. Nous pesantie sur eux; qu'ils voyoient bien que
trouvâmes les ennemis à cheval, en ba- nous ne leur voulions point de mal, puis-
taille devant le village ; ils nous atta- que nous n'avions tué que neuf coupa-
,
querentlespremiers, et chargèrentjusque bles et brûlé que le quart du village : ils
,
sur les baïonnettes: les principaux ayant ajoutèrent que le feu étoit éteint, que la
été tués à la première décharge, et se maison du cheikh émigré étoit détruite,
voyant entourés , ils furent bientôt en et qu'ils avoient offert le reste des poules
déroute; la troisième division, qui de- et des oies aux soldats qui étoient venus
voit fermer la retraite n'étant point terminer les remords qui les tourmen-
,
arrivée à temps, le cheikh et tous les toient depuis trois semaines.
"combattants s'échappèrent. Le village fut Nous établîmes une poste ordinaire à
livré au pillage pendant le reste du jour, Salmie, d'accord avec les arrondissements
et au feu dès que la nuit fut venue : les avoisinants, et nous achevâmes notre ex-
flammes et des coups de canon tant que pédition par une tournéedu département.
durèrent les ténèbres avertirent à dix Dans chaque village nous étions reçus
lieues à la ronde que notre vengeance d'une manière plus que féodale; c'étoit
avoit été complète et terrible. J'en fis un le principal personnage du pays qui nous
5
(34)
recevoit, et faisoit payer notre dépense les mains et les lèvres; on boit de l'eau au
aux habitants. Il falloit connoître les abus pot : celui qui fait les honneurs boit tou-
avant d'y remédier; séduits d'ailleurspar jours le premier ; il .goûte de même le
la facilité que le hasard nous offroit d'ob- premier de tous les plats, moins pour
server les coutumes d'un pays dont nous vous prouver que vous ne devez pas le
allions changer les moeurs, nous laissions soupçonnerque pour vous faire voir com-
faire encore pour cette fois. bien il est occupé de votre sûreté, et le
Une maison publique, qui presque cas qu'il fait de votre personne. On ne
toujours avoit appartenu au Mamelouk, vous présente une serviette qu'après le
ci-devant seigneur et maître du village, dîner , lorsqu'on apporte à laver les
se trou voit en un moment meublée, à la mains ; ensuite l'eau de rose est versée sur
mode du pays, en nattes, tapis, et cous- toute la personne; puis la pipe et le café.
sins ; un nombre de serviteurs apportoit Lorsque nous avions mangé, les gens
d'abord de l'eau fraîche parfumée, des du second ordre du pays venoient nous
pipes et du café ; une demi-heure après remplacer, et étoient eux-mêmes très ra-
un tapis étoit étendu; tout autour on pidement relevés par d'autres : par prin-
formait un bourlet dé trois ou quatre es- cipe de religion un pauvre mendiant étoit
pèces de pain et de gâteaux, dont tout le admis, ensuite les serviteurs, enfin tous
centre étoit couvert de petits plats de ceux qui vouloient, jusqu'à ce que tout
fruits, de confitures, et de laitage, la plu- fût mangé. S'il manque à ces repas de la
part assez bons, sur-tout très parfumés. commodité et cette élégance qui aiguil-
On sembloit ne faire que goûter de tout lonne l'appétit, on peut en admirer l'a-
cela ; effectivement en quelques minutes bondance , l'abandon hospitalier, et la
ce repas étoit fini : mais deuxheures après frugalité des convives, que le nombre
le même tapis étoit couvert de nouveau ; des plats ne retient jamais plus de dix mi-
d'autres pains et d'immenses plats de riz nutes à table.
au bouillon gras et au lait, de demi-mou- Le i4 fructidor, au matin, nous étions
tons mal rôtis, de grands quartiers de maîtres de l'Egypte, de Corfou, de Malte ;
veaux, des têtes bouillies de tous ces ani- treize vaisseaux de ligne rendoient cette
maux, et de soixante autres plats tous en- possession contiguë à la France, et n'en
tassés les uns sur les autres : c'étaient des faisoient qu'un empire. L'Angleterre ne
ragoûts aromatisés, herbes, gelées, con- croisoit dans la Méditerranée qu'avec des
fitures, et miel non préparé. Point de flottes nombreuses qui ne pouvoient s'ap-
sièges, point d'assiettes, point de cuil- provisionner qu'avec des embarras et des
lers ni de fourchettes, point de gobelets dépenses immenses.
ni de serviettes ; à genoux sur ses talons, Bonaparte, sentant tout l'avantage de
on prend le riz avec les doigts, on arra- cette position, vouloit, pour le conser-
che la viande avec ses ongles, on trempe ver , que notre flotte entrât dans le port
le pain dans les ragoûts et on s'en essuie d'Alexandrie ; il avoit promis deux mille
,
( 35 )
sequinsà celui qui en donneraitle moyen : être les nôtres qui avoient mis le feu ;
dés capitaines de bâtiments marchands le silence qui avoit succédé devoit être
avoient, dit-on, trouvé une passe dans la suite delà retraite des Anglais, qui
le port vieux; mais le mauvais génie de. pouvoient seuls continuer ou cesser le
la France conseilla et persuada à l'amiral combat, puisque seuls ils disposoient de
de s'embosser à Aboukir, et de changer, la liberté de l'espace. A onze heures un
en un jour le résultat d'une longue suite feu lent recommença : à minuit le combat
de succès. étoit de nouveau engagé ; il cessa à deux
Le 14, après-midi, le hasard nous avoit heures du matin : à la pointe du jour
conduits à Abou-Mandour, couvent dont j'étais aux postes avancés, et, dix mi-
j'ai déjà parlé, et qui, depuis Rosette, nutes après, la canonnade fut rétablie ;
est le terme d'une jolie promenade sur à neuf heures un autre vaisseau sauta; à
le bord du fleuve ( voyez pi. XV, n°. 5 ) : dix heures quatre bâtiments, les seuls
arrivés à la tour qui domine le monastère restés entiers, et que nous reconnûmes
nous appercevons vingt voiles ; arriver, français, traversèrent à toutes voiles le
se mettre en ligne , et attaquer, fut l'af- champ de bataille, dont ils nous parois-
faire d'un moment. Le premier coup de soient maîtres, puisqu'ils n'étaient ni
canon se fit entendre à cinq heures ; bien- attaquésni suivis. Tel étoit le fantôme pro-
tôt la fumée nous déroba les mouvements duit par l'enthousiasme de l'espérance.
des deux armées; mais à la nuit nous Je passois ma vie à la tour d'Abou-Man-
pûmes distinguer un peu mieux, sans dour; j'y comptais vingt-cinq bâtiments,
pouvoir cependant nous rendre compte dont la moitié n'était plus que des cada-
de ce qui se passoit. Le danger que nous vres mutilés, et dont le reste se trouvoit
courions d'être enlevés par le plus petit dans l'impossibilité de manoeuvrer pour
corps de Bédouins ne put nous distraire les secourir : trois, jours nous restâmes
de l'avide attention qu'excitait en nous dans cette cruelle incertitude. La lunette
un événement d'un si grand intérêt. Le à la main j'avois dessiné les désastres,
feu roulant et redoublé étoit perpétuel; pour me rendre compte si le lendemain
nous ne pouvions douter que le combat n'y apporterait aucun changement (voyez
ne fût terrible, et soutenu avec une égale pi. XV, n° 5) : nous repoussions l'évi-
opiniâtreté. De retour à Rosette nous dence avec la main de l'illusion : mais le
montâmes sur les toits de nos maisons ; bogaze fermé, mais la communication
vers dix heures , une grande clarté nous d'Alexandrie interceptée, nous apprirent
indiqua un incendie ; quelques minutes que notre existence était changée ; que,
après une explosion épouvantablefut sui- séparés de la métropole, nous étions de-
vie d'un silence profond: nous avions venus colonies , obligés jusqu'à la paix
vu tirer de gauche à droite sur l'objet d'exister de nos moyens : nous apprîmes
enflammé, et, par suite de raisonne- enfin que là flotte anglaise avoit doublé
ment , il nous sembloit que ce dévoient notre ligne, qui n'avoit point été assez
(36)
solidement appuyée contre l'isle qui de- hausse avec le temps, devient une isle
voit la défendre ; que les ennemis, pre- qui partage le cours du fleuve, et lui
nant par une double ligne nos vaisseaux forme deux bouches qui ont chacune
l'un après l'autre , cette manoeuvre, qui leurs brisants; le remoux de ces brisants
invalidoit l'ensemble de nos forces, en • rapporte au rivage une partie du sable
avoit rendu la moitié spectatrice de la que le courant avoit entraîné, et, par
destruction de l'autre ; que c'était Y Orient cette alluvion, les deux bouches se res-
qui avoit sauté à dix heures; que c'était serrent peu-à-peu jusqu'à ce que l'une
Y Hercule qui avoit sauté le lendemain; d'elles l'emportant sur l'autre, la moins
que ceux qui commandoient les vaisseaux forte s'obstrue, devient terre ferme avec
le Guillaume-Tell, et le Généreux, et les l'isle; et à la bouche qui reste se reforme
frégates la Diane et la Justice, voyant les bientôt un autre bourlet, une isle, deux
autres au pouvoir de l'ennemi, avoient bouches nouvelles, etc., etc. N'est-ce pas
profité du moment de sa lassitude pour là comme on peut le plus naturellement
échapper à ses coups réunis. Nous ap- rendre compte de l'antique géographie
prîmes enfin que le i4 fructidor avoit des bouches du Nil, expliquer le voyage
rompu ce bel ensemble de nos forces et de-Ménélas dans Homère, le changement
de notre gloire; que notre flotte détruite du Delta, dont l'emplacement a pu d'a-
avoit rendu à nos ennemis l'empire de la bord être un golfe, puis une plage,puis
Méditerranée empire que leur avoient une terre cultivée, couverte de villes su-
,
arraché les exploits inouis de nos armées perbes et de riches moissons, coupée de
de terre, et que la seule existence de nos canaux, qui, desséchant ou arrosant avec
vaisseaux nous auroit conservé. intelligence le sol, portoient l'abondance
Notre position avoit entièrement chan- sur toute la surface de ce pays nouveau?
gé : dans la possibilité d'être attaqués Puis, par le laps de temps, les fléaux des
nous fûmes obligés à des préparatifs de révolutions, et leurs résultats funestes,
défense; on fortifia l'entrée du Nil, on des points de dessèchements se seront
établit une batterie sur une des isles, on manifestés ; des parties auront été aban-
visita tous les points. données d'autres seront devenues sa-'
,
Dans une de nos reconnoissances nous lines ; des lacs se seront formés, détruits,
retournâmes au bogaze ou barre du Nil : et reproduits avec des formes nouvelles;
il étoit à cette époque presque à sa plus les canaux obstrués auront changé de
grande hauteur ; et nous fûmes dans le cours, se seront perdus ; et aujourd'hui,
cas de voir les efforts de son poids contre dans nos recherches incertaines, nous
les vagues de la mer, qui dans cette saison demandons où étoient les bouches de Ca-
sont poussées douze heures de chaque nopé, de Bolbitine, de Bérénice, etc., etc.
jour par le vent de nord dans le sens op- Les premiers végétaux qui croissent
posé au cours du fleuve : il résulte de ce sur les alluvions sont trois à quatre espè-
combat un bourlet de sables, qui s'ex- ces de soudes : les sables s'amoncellent
0*7)
contre ces plantes ; elles s'élèventde nou- pour entretenir la communication décès
deux villes; des soldats étoient employés
veau sur l'amoncellement : leur
dépé-
rissement est un engrais qui fait croître à protéger ces caravanes contre les Ara-
des joncs ; ces joncs élèvent encore le sol bes : il en restait trop peu à Rosette pour
et le consolident : le dattier paraît, qui, le service de la place, et la défense en cas
d'attaque; il fut donc question de former
par son ombre, y conserve l'humidité,
et achevé d'y apporter l'abondance, ainsi une milice de ce qu'il y avoit de voya-
qu'on peut le voir aux environs du châ- geurs , de spéculateurs, et d'hommes in-
teau de Racid, dont, au temps de Selim , utiles, incertains, errants, irrésolus, qui
le canon tirait en mer, et qui maintenant arrivoient d'Alexandrie, ou qui reve-
se trouve à une lieue du rivage, entouré ndent déjà du Caire: ces amphibies,
de forêts de palmiers, sous lesquelscrois- corrompus par les campagnes d'Italie,
sent d'autres arbres fruitiers , et tous les ayant ouï parler des moissons égyp-
légumes de nos jardins les plus abon- tiennes comme des plus abondantes de
dants. l'univers, avoient pensé que la prise de
Dans cette expédition je vis, à l'em- possession d'un tel pays étoit la fortune
bouchure du fleuve, nombre de pélicans toute faite des préoccupants; d'autres,
et de gerboises. En observant le château curieux, blasés, l'esprit fasciné par les
de Racidje remarquai qu'il avoit été con- récits de Savary, étoient partis de Paris
struit de membres d'anciens édifices ; pour venir chercher de nouvelles volup-
qu'une partie des pierres des embrasures tés au Caire; d'autres, spéculateurs,pour
de canon étaient de beaux grès de la haute fournir l'armée, pour observer, faire ve-
Egypte, couvertes encore d'hiéroglyphes. nir et vendre à haut prix ce qui pourrait
En visitant les souterrains, nous y trou- manquer à la colonie: et cependant les
vâmes une espèce de magasin, composé beys avoient emporté tout ce qu'il y avoit
d'armes abandonnées; c'étaient des ar- d'argent et de magnificence au Caire ; le
balètes des arcs et flèches, avec des cas- peuple avoit achevé le pillage des maisons
,
ques et des ëpées de la forme de celles opulentes avant notre entrée dans cette
des croisés. En fouillant ces magasins, ville ; Bonaparte ne vouloit point de four-
nous délogeâmes des chauves - souris nisseurs et la flotte marchande se trou-
,
grosses comme des pigeons : nous en voit bloquée par les Anglais : toutes ces
tuâmes plusieurs; elles avoient toutes circonstances jetaient un voile sombre
les formes de la roussette. sur l'Egypte pour tous ces voyageurs,
Depuis la perte de notre flotte, ce qu'il étonnés de se trouver captifs, déçus de
y avoit de troupes .à Rosette avoit été leurs projets, et obligés de concourir à
disséminé en petites garnisons dans les la défense et à l'organisation d'un établis-
châteaux et les batteries : on avoit été sement qui ne devoit plus faire que la
obligé d'établir une caravane d'Alexan- fortune et la gloire de là nation en géné-
drie à Rosette par Aboukir et le désert, ral : ils écrivoient en France de tristes
(.38)
récits, que les Anglais interceptaient, et d'Alexandrie, y amener de sages et indus-
qui contribuoientà les tromper sur notre trieux cultivateurs, d'utiles négociants
,
situation. Les Anglais se complaisoient des colons enfin, qui, sans s'effrayer dece
à croire que nous mourions de faim, que l'Afrique ne ressemble pas à l'Europe,
nous renvoyoient nos prisonniers, pour observeront qu'en Egypte un homme,
hâter l'époque de notre destruction, im- pour trois sous i peut avoir autant qu'il
primoient dans leurs gazettes que la moi- lui en faut pour un jour du meilleur riz
tié de notre armée étoit à l'hôpital, que du monde ; qu'une partie des terres qui
la moitié de l'autre moitié étoit obligée ont cessé d'être inondées peuvent être
de conduire le reste qui étoit aveugle; rendues à la culture par l'arrosement,
tandis que cependant la haute Egypte que des moulins à vent feraient monter
nous fournissait en abondance le meilleur plus haut que les moulins à pots, qu'on
bled, et la basse, le plus beau riz; que le y emploie, et qui consomment tant de
sucre du pays coûtait la moitié moins boeufs, occupent tant de bras ; que les
qu'en France; que des troupeaux innom- isles du Nil et la plus grande partie du
brables de buffles, boeufs, moutons, et Delta n'attendent que des colons améri-
chèvres, tant des cultivateurs que des cains pour produire les plus belles cannes
Arabes pasteurs, fournissoient abondam- à sucre sur un sol qui ne dévorera pas
ment à une consommation nouvelle au les hommes ; en s'approchant du Caire et
moment même de l'invasion, ce qui nous par-delà, ils verront qu'il n'y a qu'à amé-
assuroit pour l'avenir abondance et su- liorer pour rivaliser avec toutes les plan-
perflu ; tandis que, pour le luxe de nos tations d'indigo et de coton de toutes
tables, nous pouvions ajouter toutes es^ espèces ; qu'en faisant une fortune sage
peces de volailles, poissons, gibiers, lé* et sûre, ils habiteront sous un ciel pur et
gumes, et fruits. Voilà cependant ce que sain, sur le bord d'un fleuve d'une espèce
l'Egypte offroit d'objets de première né- presque miraculeuse, et dont on ne peut
cessité à ces détracteurs, à qui il falloit achever de nombrer les avantages : ils
de l'or pour réparer l'abus qu'ils en verront une colonie nouvelle avec des
avoient fait, et qui, n'en trouvant point, villes toutes bâties, des travailleurs adroits
ne voyoient plus autour d'eux que des accoutumésà la peine et tout acclimatés,
sables brûlants, un soleil perpétuel, des avec lesquels, en peu d'années, et à l'aide
puces et des cousins, des chiens qui les des canaux qui sont tous tracés, ils crée-
empêchoient de dormir, des maris in- ront de nouvelles provinces, dont l'abon-
traitables, des femmes voilées ne leur dance future n'est pas problématique,
montrant que des gorges éternelles. puisque l'industrie moderne ne fera que
Mais abandonnons au vent cette nuée leur rendre leur ancienne splendeur.
de papillons qui affluent toujours où A l'égard de nos soldats insouciants, ils
brille une première lueur : voyons nos se moquèrent de nos marins qui avoient
triomphes et la paix rouvrir la porte été battus : imaginèrent que Mourat-bey
(^9)
avoit un chameau blanc chargé d'or et doit. JMOUS marcmons, dans le silence
de diamants; et il ne fut plus question du désert et des ténèbres, sur une croûte
de sel qui consolidoit un peu le sable
que de Mourat-bey et de son chameau
blanc. Pour moi, j'avois à voir la haute mouvant : un détachement ouvroit la
Egypte, et j'ajournai à penser sur notre marche ; ensuite venoient les voyageurs,
situation que mon voyage fût fini. puis les bêtes de somme ; un autre dé-
Notre tournée dans le Delta se retar- tachement militaire assuroit le convoi
doit par les affaires qui survenoient au contre les Arabes voltigeurs, qui, lors-
général Menou : je résolus d'employer ce qu'ils n'ont pas les forces nécessaires pour
retard à revenir sur mes pas refaire par attaquer de front, viennent quelquefois
terre la partie dont je n'avois apperçu enlever les traîneurs à vingt pas de la
que les côtes en venant d'Alexandrie par caravane.
mer; je profitai d'une caravane pour aller A minuit, nous arrivâmes au bord de
chercher les ruines de'Canope. la mer. La lune en se levant éclaira une
Il s'était joint nombre de gens du pays scène nouvelle ; quatre lieues de rivages
à l'escorte de cette caravane : à la chute couverts de nos débris nous donnèrent
,du jour, lorsqu'en sortant de la ville elle la mesure de la perte que nous avions
commença à se développer sur le tapis faite à la bataille d'Aboukir. Les Arabes
jaunâtre et lisse des monticules sablon- errants, pour avoir quelques clous ou
neux qui environnent Rosette, elle pro- quelques cercles de fer, brûloient, tout
duisit l'effet le plus pittoresque et le plus le long de la côte, lés mâts, les affûts,
imposant ; les groupes de militaires , les embarcations, encore tout entières,
ceux des marchands dans leurs différents fabriquées à grands frais dans nos ports,
costumes, soixante chameaux chargés , et dont les débris même étoient encore
autant de conducteurs arabes, les che- des trésors sur des parages si avares de
vaux , les ânes, les piétons, quelques in- telles productions. Les voleurs fuyoient
struments militaires, offroient la vérité à notre approche ; il ne restait que les
d'un des plus beaux tableaux du Bene- cadavres des malheureusesvictimes, qui,
detto, ou de Salvator Rose. Dès que nous portés et déposés sur un sable mou dont
eûmes descendu les monticules et dépassé ils étoient à demi-couverts, étoient restés
les palmiers, nous entrâmes, au jour ex- dans des poses aussi sublimes qu'ef-
pirant, dans un vaste désert, où la ligne frayantes. L'aspect de ces objets funestes
horizontale n'est brisée que par quelques avoit par degré fait tomber mon ame dans
petits monuments en briques qui sont une sombre mélancolie ; j'évitois ces spec-
,
destinés à empêcher le voyageur de se tres effrayants ; et tous ceux que je rencon-
perdre dans l'espace, et sans lesquels la trais, par leurs attitudes variées, arrê-
plus petite erreur dans l'ouvertured'angle taient mes regards, et apportaient à ma
le ferait aboutir par une ligne prolongée pensée des impressions diverses: il n'y
à un but bien éloigné de celui où il ten- avoit que quelques mois que tous ces
(4o)
êtres, jeunes, pleins de vie, de courage c'est toi, sans doute, courageux Dupetit-
et d'espoir, avoient été, par un noble Thouars;reçoisle tribut de l'enthousiasme
effort, arrachés à des larmes que j'avois que tu m'inspires : tu meurs, mais tes
vu répandre, aux embrassementsde leurs yeux en se fermant n'ont pas vu ton pa-
mères, de leurs soeurs, de leurs amantes, villon abattu, et ta dernière parole a été
aux foibles étreintes de leurs jeunes en- l'ordre aux batteries que tu commandois,
fants : tous ceux à qui ils étoient chers de tonner sur l'ennemi de la patrie : adieu ;
,
me disôis-je, et qui, cédant à leur ardeur, un tombeau ne couvrira pas ta cendre,
les laissèrent s'éloigner, font encore des mais les larmes du héros qui te regrette
voeux pour leur succès et leur retour; sont le trophée impérissable qui va placer
avides des nouvelles de leur triomphe, ton nom au temple de mémoire. Quel
ils leur préparent des fêtes ils con-
, est celui-ci dans cette attitude tranquille
tent les instants, tandis les
que objets de de l'homme vertueux, dont la dernière
leur attente gisent sur un rivage étranger, action a été dictée par la sagesse et le
desséchés par un sable brûlant, le crâne devoir ? il regarde encore la flotte an-
déjà blanchi Quel est Ce squelette glaise ; semblable à Bayard, il veut expi-
tronqué? est-ce toi, intrépide Thevenard? rer la face tournée du côté de l'ennemi;
impatient d'abandonner au fer secou- sa main est étendue vers des ossements
rable des membres fracassés, tu n'aspires tendres et presque déjà détruits; je dis-
plus qu'à l'honneur de mourir à ton tingue cependant un cou alongé, et des
poste ; une opération trop lente fatigue bras étendus : c'est toi, jeune héros, ai-
ton ardeur inquiète : tu n'as plus rien à mable Casablanca ; ce ne peut être que
attendre de la vie, mais tu peux encore toi ; la mort, l'inflexible mort, t'a réuni
donner un ordre utile, et tu crains d'être à ton père, que tu préféras à la vie :
prévenu par la mort. Un autre spectre sensible et respectable enfant, le temps
succède ; son bras enveloppe sa tête qui te promettait la gloire ; la piété filiale a
s'enfonce dans le sable: mort au combat, préféré la mort : reçois nos larmes, le
les remords semblent survivre à ta cour prix de tes vertus.
' rageuse fin : as-tu quelques reproches à Le soleil avoit chassé les ombres, et
te faire? tes membres tronqués attestent n'avoit point encore dissipé la teinte som-
ton courage; devois-tu donc être plus bre de mes pensées ; cependant la cara-
que brave ? est-ce que les ruines que la vane en s'arrêtant m'avertit que nous
vague disperse autour de toi sont entas- étions au bord du lac qui sépare la plaine
sées par tes erreurs? et mon ame, émue du désert de la presqu'isle au bout de la-
en abandonnant tes restes, ne peUt-elle quelle est bâti Aboukir. Ce vaste et pro-
leur donner qu'une stérile pitié? Quel est fond lac est l'ancienne bouche Canopite,
cet autre, assis, les jambes emportées? il que le Nil a abandonnée, et dont la mer,
semble par sa contenance arrêter un mo- en y entrant sans obstacle, a par son
ment la mort dont il est déjà la proie ! poids refoulé les rives et rélargi le lit;
(40
ce mal toujours croissant menace
de dé- tenter une descente ; mais ils se conten-
truire l'isthme qui attache Aboukir à la tèrent de jeter l'ancre près de la batterie,
terre ferme, et sur lequel coule le canal et, lorsque la nuit fut venue, de nous
qui porte les eaux à Alexandrie. Les prin- canonner : nous attendîmes la lune; et
ces arabes ont tenté de construire une dès
qu'elle nous eut assurés de leur posi-
digue, qui n'a jamais été finie, ou qui, tion , nous commençâmes à leur répon-
trop foible, a cédé aux efforts de la vague, dre d'une manière apparemmentsi avan-
poussée pendant une partie de l'année tageuse, qu'au quatrième coup de canon
par les vents du nord; il ne reste de cette ils coupèrent les cables, laissèrent leur
digue que deux jetées sur les rives res- ancre, et disparurent.
pectives. Le plan topographique de cette Après avoir traversé la bouche du lac
partie peu connue de l'Egypte, et tour en suivant deux sinus bordés de monti-
jours mal tracée sur toutes les cartes, cules sablonneux, j'arrivai enfin au fau-
procurerait le moyen de raisonner effica- bourg d'Aboukir, qui ressemble beau-
cement sur les dangers qui peuvent ré- coup à la ville, dont il est séparé par un
sulter du mouvement de là mer, et d'ap- espace de cent cinquante pas : lès deux
porter les remèdes nécessaires à la sûreté ensemble peuvent être composés de qua-
du canal important qui amené les eaux rante à cinquante mauvaises baraques en
du Nil à Alexandrie. ruines, qui coupent en deux parties la
L'embarcation difficile du canal delà presqu'isle, au bout de laquelle est bâti
Madié nous rendit ce petit trajet presque le château : cette forteresse a quelque
aussi long que tout le reste de la route. apparence de loin {voyez-en la vue n° 3,
J'en fis le dessin (n° %,planche~XN).Nous pi. XV ) ; mais les bastions s'en écroule-
trouvâmes à l'autre rive les premiers tra- raient au troisième coup de coulevrines
vaux d'une batterie que nous élevions qui sont sur les remparts, où elles sem-
pour protéger ce moyen de communica- blent moins braquées qu'oubliées; il y
tion que la présence de l'ennemi ren- en a une en bronze de quinze pieds, por-
,
doit mal assurée sans cette précaution. tant boulet de cinquante livres. Il a fallu
A peine fûmes-nous passés que nous en jeter bas une partie des batteries pour
eûmes la preuve ; car un brick et un aviso former avec les décombres une plate-
anglais, venant pour troubler notre mar- forme assez solide pour y placer quatre
che, nous tirèrent sept à huit coups de de nos canons de 36 : cette précaution
canon ; notre silence leur fit croire que ne me parut pas d'une grande utilité, les
nous n'avions rien à leur répondre ; en bâtiments et embarcations susceptibles
conséquence, quelques heures après nous de porter du canon à battre des murailles
vîmes se détacher de l'escadre anglaise ne pouvant s'approcher de ce promon-
douze embarcations, et les deux bâtiments toire à cause des ressifs et des rochers qui
du matin qui venoient à toutes voiles sur le couronnent. Une descente hostile
ne
nos travaux. Nous crûmes qu'ils alloient se feroit pas là ; et, une fois effectuée, le
6
(#>;
château ne pourrait tenir, et ne .pour», certainement des ruines contre lesquelles
roit même servir de logement ou de ma- est amoncelée une quantité immense de
gasin que dans le cas où l'on construirait tessons de pots de terre cuite, mêlés aux
en avant des lignes pour en défendre sables du désert apportés par le vent*
l'approche : mais en tout il me parut qu'il Sont^ce des tours arabes enfouies? étoient-
serait préférable de détruire le château, ce des fabriques de pots ? sont-ce les rui-
de combler les fontaines, d'épargner ainsi nes d'Héraclée? quelques morceaux de
une garnison, inutile quand il n'y a point granit sur la plate-formede la plus grande
d'ennemi, et qui doit être toujours blo- éminence me feraient préférer cette der-
quée ou prisonnière de guerre dès l'in- nière opinion.
stant qu'il aura pu effectuer une descente. Le lendemain,je longeai, avec un dé-
Je fis le dessin à vol d'oiseau de la tachement, la côte de l'ouest, interro-
presqu'isle ( n° 4, planche XV ). geant toutes les sinuosités et les plus pe-
Je trouvai dans l'embrasure delà porte tites éminences ; car, dans la basse Egypte,
du château quatre grandes pierres de por- elles recèlent toutes les antiquités, les-
phyre d'un verd foncé, et deux pierres quellesen sont presque toujours le noyau.
longues de granit statuaire le plus com- Après trois quarts-d'heure de marche, je
pacte; à la seconde porte, je trouvai, trouvai dans le fond de la seconde anse
avec quatre autres pierres, un membre une petite jetée formée de débris colos-
d'entablement dorique, portant des tri- sals : quel plaisir j'éprouvai en apperce-
glyphes d'une grande proportion et d'une vant d'abord un fragment d'une main,
belle exécution : ces fragments, avec quel- dont la première phalange, de quatorze
ques traces de substructions à la pointe pouces , appartenoit à une figure de
du rocher, sont les seules antiquités que trente-six pieds de proportion! le granit,
j'aie pu découvrir à Aboukir, dont l'em- le travail, et le style de ce morceau, ne
placement n'a jamais pu changer, puis- me laissèrent nul doute qu'il ne remontât
que le sol est une plate-forme calcaire aux anciennes époques égyptiennes; au
qui s'élève au-dessus de la mer, et n'est mouvement de cette main, à quelque
attachée à la terre que par un isthme autre débris qui l'avoisine , et d'après la
trop étroit pour qu'une ville considérable seule habitude de voir des figures égyp-
y ait été bâtie : ce n'a donc jamais pu tiennes , dont la pose offre si peu de va-
être que le fort ou le château en mer de riété , on peut reconnoître dans ce frag-
Canope ou d'Héraclée, que Strabon place ment une Isis tenant un nilometre : il
là ou près de là. J'avois passé devant des serait facile d'emporterce morceau ; mais
fontaines une demi-lieue avant d'arriver déplacé il perdrait presque tout son prix.
à Aboukir ; on me vanta leur construc- Près de là plusieurs membres d'architec-
tion : j'y retournai ; je ne trouvai que trois ture attestent par leur dimension qu'ils
puits carrés de fabrique arabe ; ils sont ont appartenu à un grand et bel édifice
entourés de hauteurs qui contiennent d'ordre dorique : les vagues couvrent et
(43)
frappent depuis bien des siècles ces dé- dans les terres, toujours tirant sur Alexan-
bris sans les avoir défigurés: il semble drie on trouve plusieurs substructions
,
que c'est le sort attaché à tous les monu- construites en briques ; et, quoiqu'on n'en
ments égyptiens de résister également puisse pas faire de plan, on juge, par
aux hommes et au temps. Plus avant dans quelques fragments de constructions soi-
la mer, on voit mêlé aux fragments du gnées, qu'elles faisoient partie d'édifices
colosse celui d'un sphinx, dont la tête et importants. Près de là on trouve plu-
les jambes de devant sont tronquées, au- sieurs chapiteauxcorinthiens en marbre,
tant que les madrépores et les petits co- trop frustes pour être mesurés, mais qui
quillages ont pu m'en laisser juger ; il est doivent avoir appartenu à des bases dé
d'un style et d'un ciseau grecs et n'est même matière, et qui donnoient à la
point de granit, mais d'un grès ressem- colonne vingt pouces de diamètre. Plus
blant au marbre blanc, et d'une transpa- loin, une grande quantité de tronçons
rence que je n'ai jamais vue qu'en Egypte de colonnes de granit rose, cannelés, tous
à cette matière; il avoit treize à quatorze de même grosseur, de même matière,
pieds de proportion. A quelque distance, travaillés avec le même soin, sont les in-
au milieu des débris d'entablements sem- contestables ruines d'un grand et superbe
blables à ceux que j'ai décrits, est une temple d'ordre dorique. D'après ce que
autre figure d'Isis, assez conservée pour nous a transmis Strabon sur cette partie
qu'on puisse en reconnoître la pose ; ses de l'Egypte d'après tout ce que je viens
,
jambes sont rompues ; mais le morceau de décrire, et notamment ces derniers
est à côté : cette figure est en granit, et fragments, il ne me resta aucun doute,
a dix pieds de proportion. Tous ces dé- que ce ne fussent là les ruines de Cânope,
bris semblent avoir été mis là pour for- et celles de son temple bâti par les Grecs,
mer une jetée, et servir de brisant devant dont le culte rivalisoit avec celui de Lamp-
un édifice détruit, mais qui, à en juger saque : ce temple miraculeux où les vieil-
par ses substructions, ne peut être que lards retrouvoient la jeunesse ; et les ma-
le reste d'un bain pris sur la mer, et lades , la santé. Le bain dont j'ai donné
dont le rocher coupé trace encore le plan. la vue étoit peut-être un des moyens que
La partie que ne couvre pas la mer con- les prêtres employoient pour opérer ces
serve des conduits d'eau bâtis en briques, prodiges.
et recouverts en ciment et en pozzolane Le sol n'a rien conservé de l'antique
Tout cela n'ayant pas assez de saillie pour volupté canopite ; quelques éminences
en faire un dessin qui fût une vue, j'en de sables et des ruines en brique, de
ai tracé une espèce de plan pittoresque grandes pierres de granit carrées, sans
qui donnera l'image des ruines et des hiéroglyphes ni formes qui attestent à
fragments que je viens de décrire {voyez quel genre d'édifice et à quel siècle elles
planche VIII, n° 2). ont appartenu , enfin de petites vallées,
A quatre cents toises de là, en rentrant aussi arides que les'monticules dont elles
(44)
sont formées, sont tout ce qui reste de que ce château étoit une prison detat
cette ville, jadis si délicieuse , et qui dans laquelle j'étais relégué.; Ce rocher
n'offre plus qu'un aspect triste et sau- exigu, battu continuellement des vagues,
vage. Il est vrai que le canal dont parle le bruit importun qui en résulte, le sif-
Strabon, qui communiquoit d'Alexan- flement des vents, la blancheur du sol
drie à Eleusine, et qui par un embran- qui fatigue la vue, tout dans ce triste sé-
chement arrivoit à Canope, et y appor- jour afflige et flétrit l'aine : en le quit-
toit la fraîcheur, a disparu de telle sorte tant, il me sembla que j'échappois à tous
qu'on ne peut en distinguer la trace, ni les tourments d'une tyrannique captivité.
même concevoir la possibilité de son exis- Je me mis en route par une nuit obs-
tence. Il ne reste d'eau aux environs que cure ; j'en fus quitte pour marcher dans
dans quelques puits ou citernes, si étroi- là mer, m'écorcher dans les h ailiers, et
tes et si obscures, qu'on ne peut en me- tomber par fois dans les débris épars sur
surer ni les dimensions ni la profondeur ; le rivage; mais à trois heures du matin
elles recèlent cependant encore de l'eau. j'arrivai à Rosette, et j'allai me reposervo-
Enfin cette ville,qui rassembloit toutes luptueusement, je ne dirai pas dans mon
les délices, où affluoient tous les volup- lit, je n'en avois pas vu depuis mon dé-
tueux , n'est plus maintenant qu'un dé- part de France, mais dans une chambre
sert que traversent quelques chacals et fraîche, sur une natte propre.
des Bédouins: je n'y trouvai point des Lé jour de l'anniversaire de la nais-
derniers ; mais je vis un chacal, que sance de Mahomet étoit arrivé : nous vî-
j'eusse pris pour un chien, si je n'avois mes avec surprise qu'on ne faisoit aucun
eu le temps d'examinertrès distinctement préparatif pour célébrer cette fête , la
çon nez pointu et ses oreilles dressées, sa plus solennelle de l'année hégirienne.
queue plus longue, traînante, et garnie Vers le soir, le général Menou envoya
de poil comme celle du renard, à qui il chercher le moufti, dont notre arrivée
ressemble beaucoup plus qu'au loup, avoit augmenté les honneurs et les hono-
quoique le chacal soit regardé comme le raires ; ses réponses furent évasives : les
loup d'Afrique. autres municipaux questionnés dirent
Ne pouvant abuser de l'escorte qui qu'ils avoient proposé les préparatifs
m'avoit accompagné, je repris la route d'usage, mais que, ne pouvant agir qu'en
d'Aboukir : j'y trouvai des dépêches pour second dans une chose qui étoit du dé-
le général en chef; on alloit expédier partement de leur collègue le moufti, ils
un détachement pour les porter : je avoient été obligés d'attendre des ordres
ne pus me défendre du plaisir que à cet égard. Le prêtre fut dévoilé : cour-
me faisoit éprouver l'occasion qui s'of- tisan , il demandoit et obtenoit chaque
frait de quitter un lieu si triste. Pen- jour une nouvelle faveur ; mais l'occasion
dant le séjour que j'y avois fait, je n'a- s'étant-présentée de faire croire au peu-
vois jamais pu éloigner de ma pensée ple que nous nous opposions à ce qui
( 45")

étoit un des actes les plus sacrés de son la seconde mesure étoit déjà une caco-
culte, il l'avoit saisie : il fut déjoué à la. phonie aussi désagréable pour des oreil-
manière orientale ; on lui signifia qu'il les bien organisées qu'enchanteresse pour
falloit que la fête eût lieu à l'instant. celles des Arabes. Ce que je remarquai,
Sur l'observation que l'on n'aurait jamais c'est que le coryphée reprenoit toujours,
préparatifs, le même chant avec l'importance et l'en-
assez de temps pour faire les
le général lui dit que si ce qui restoit de thousiasme d'un improvisateur inspiré,
temps ne suffisoit pas pour ordonner la et, quand ses nerfs sembloient ne pou-
fête, il suffirait pour conduire le moufti voir plus supporter l'exaltation de l'ex-
aux fers. La fête fut proclamée dans un pression qu'il vouloit y mettre, le choeur
quart d'heure ; la ville fut illuminée, et venoit à son secours, et toujours avec la
les chants de piété furent unis à ceux de même dissonance; les violons, plus sup-
l'alégresse et de la reconnoissance. portables, jouoient ensuite des refrains,
Après souper, nous fûmes invités à où un peu de mélodie étoit noyé dans
nous rendre dans le quartier du premier des ornements superflus. La voix nasarde
magistrat civil, où nous trouvâmes dans d'un chanteur inspiré venoit ajouter en-
la rue tout l'appareil d'une fête turque : core à la fastidieuse mollesse des semi-
la rue étoit la salle d'assemblée, qui s'a- tons du violon, qui, évitant sans Cesse
longeoit ou se raccourcissoit suivant le la note du ton, tournoit autour de la se-
nombre des assistants. Une estrade cou- conde et terminoit toujours par la sen-
,
verte de tapis fut occupée par les per- sible, comme dans les seguidilles espa-
sonnes distinguées; des feux, joints à une gnoles. Ceci pourrait servir à prouver
;
quantité de petites lampes et de grands que le séjour des Arabes en Espagne y a
cierges, formoient une bizarre illumina- naturalisé ce genre.de chant. Après le
tion : d'un côté, il y avoit une musique couplet, le violon reprenoit le même mo-
guerrière, composée de petits hautbois tif avec de nouvelles variations, que le
courts et criards, de petites timbales , et chanteur déguisoit de nouveau par un
de grands tambours albanois ; de l'autre, mouvement pointé, jusqu'à faire perdre
étoient des violons, des chanteurs; et au entièrement le motif et n'offrir plus
,
milieu, des danseurs grecs, des serviteurs que le délire d'une expression sans prin-
chargés de confitures, de café, de sirop, cipe et sans rhy thme ; mais c'était là ce qui
d'eau de rose et de pipes : tout cela com- ravissoit toujours de plus en plus les audi-
,
plétait l'appareil de la fête. teurs. La danse, qui suivit, fut du même
Dès que nous fûmes placés, la musique genre que le chant; ce n'était ni la pein-
guerrière commença : une espèce de co- ture de la joie ni celle de la gaieté, mais
ryphée jouoit deux phrases de musique celle d'une volupté qui arrive très rapi-
que les autres répétaient en choeur à dement à une lasciveté d'autant plus
l'unisson; mais, soit faute de mouve- dégoûtante, que les acteurs, toujours
ment dans l'air, soit manie de le broder, masculins, expriment de la manière la
(46)
plus indécente les scènes que l'amour On peut assigner la première époque de
même ne permet aux deux sexes que dans leur dégradation à la conquête de Cam-
l'ombre du mystère. byse, qui, vainqueur jaloux et furieux,
De petites affaires éloignoient sans régna par la terreur, changea les lois*
cesse nôtre grande tournée, et retar- persécuta le culte, mutila ce qu'il ne
doient ce qui faisoit l'objet de mon voya- put détruire, et, voulant asservir,- avilit
ge. Obligé de rapprocher mes observa- sa conquête : la seconde époque fut la
tions autour de moi, je remarquai com- persécution de Dioclétien, lorsque l'E-
bien dans la variété des figures, il étoit gypte fut devenue catholique; cette per-
,
facile de distinguer les races des indivi- sécution, que les Egyptiens reçurent en
dus qui composoient la population de martyrs fidèles, les prépara tout natu-
Rosette ; je pensai que cette ville, en- rellement à l'asservissement des Maho-
trepôt de commerce, devoit naturelle- métans. Sous le dernier gouvernement,
ment rassembler toutes les nations qui ils s'étaient rendus les courtiers et les
couvrent le sol de l'Egypte, et devoit gens d'affaires des beys et des kiachefs;
les y conserver plus séparées et plus ca- ils voloient tous les jours leurs maîtres:
ractérisées que dans une grande ville, mais ce n'étoit là qu'une espèce de ferme,
comme le Caire, où le relâchement des parcequ'une avanie leur faisoit rendre en
moeurs les croise et les dénature. Je crus gros ce qu'ils avoient amassé en détail;
donc reconnoître évidemment dans les aussi employoient-ils encore plus d'art à
Cophtes l'antique souche égyptienne cacher ce qu'ils avoient acquis qu'ils n'a-
,
espèce de Nubiens basanés, tels qu'on voient mis d'impudeur à l'acquérir.
en voit les formes dans les anciennes Après les Cophtes viennent les Arabes j
sculptures : des fronts plats, surmontés les plus nombreux habitants de l'Egypte
de cheveux demi-laineux; les yeux peu moderne. Sans y avoir plus d'influence^
ouverts, et relevés aux angles ; des joues ils semblent être là pour peupler le
élevées; des nez plus courts qu'épatés; pays, en cultiver les terres, en garder
la bouche grande et plate, éloignée du les troupeaux, ou en être eux-mêmes les
nez et bordée de larges lèvres ; une barbe animaux : ils sont cependant vifs et pleins
rare et pauvre ; peu de grâce dans le de physionomie; leurs yeux, enfoncés et
corps; les jambes arquées et sans mou- couverts, sont étincelants de mouvement
vement dans le contour, et les doigts et de caractère; toutes leurs formes sont
des pieds alongés et plats. Je dessinai la anguleuses;leur barbe courteet àmeches
tête de plusieurs individus de cette race pointues ; leurs lèvres minces, ouvertes,
{n° 2 et 3, pi. CVIII) : le premier était un et découvrant de belles dents ; les bras,
prêtre ignorant et ivrogne ; le second, musclés; tout le reste plus agile que
un calculateur adroit, fin, et délié : ce beau, et plus nerveux que bien conformé.
sont les qualités morales qui caracté- C'est dans la campagne, et sur-tout chez
risent ces anciens maîtres de l'Egypte. les Arabes du désert, que se distinguent
(47)
les traits caractéristiques que je viens n° 3 ). Il n'en est pas de même des
d'énoneer. Il faut cependant en distin- Grecs, qu'il faut déjà classer au nombre
:' des étrangers formant des espèces de
guer trois classes bien différentes l'A-
rabe pasteur, qui semble être la souche collèges séparés des indigènes {voyez
originelle, et qui ressemble au portrait planche X, n° 1 ); leurs belles projec-
que je viens de faire, et les deux autres tions , leurs yeux pleins de finesse et
qui en dérivent; l'Arabe bédouin, au- d'esprit, la délicatesse et la souplesse
quel une indépendance plus exaltée et de leurs traits et de leur caractère , rap-
l'état de guerre dans lequel il vit donnent pellent tout ce que notre imagination
un caractère de fierté sauvage, que l'on se figure de leurs ancêtres, et tout ce
peut remarquer dans la figure n° 2 , que leurs monuments nous ont trans-
pi. CIX (celui-ci étoit un chef de tribu, mis de leur élégance et de leur goût.
que je dessinai au moment où il ^venoit L'avilissement où on les a réduits, par
d'être pris et où il croyoit qu'on alloit la peur qu'inspire encore la supériorité
lui couper la tête); et l'Arabe cultiva- de leur esprit, a fait d'un grand nombre
teur , le plus civilisé, le plus corrompu, d'eux d'astucieuxfrippons; mais rendus à
le plus asservi, le plus avili par consé- eux-mêmes, ils arriveraient peut-être
quent , le plus varié de forme et de ca- bientôt jusqu'à n'être plus, comme au-
ractère, comme on peut le remarquer trefois que d'adroits ambitieux. C'est
,
dans les têtes de cheikhs ou chefs de vil- la nation qui désire le plus vivement
lage les fellahs ou paysans, les bou-
, une révolution, de quelque part qu'elle
fackirs ou mendiants, enfin dans les ma- vienne. Dans une cérémonie (c'était la
noeuvres, qui forment la classe la plus première prise de possession de Rosette)
abjecte (yoyezplanche IX, n° 1 ;pl. CVII, un jeune Grec s'approcha de moi, me'
n° 5 ; pi. CVI, n° 1 et l'explication des baisa l'épaule, et, le doigt sur ses lèvres,
,
planches). sans oser proférer une parole, me glissa
Les Turcs ont des beautés plus graves mystérieusement un bouquet qu'il m'a-
avec des formes plus molles; leurs pau- voit apporté : cette seule démonstration
pières épaisses laissent peu d'expression étoit un développement touf entier de
à leurs yeux; le nez gras, de belles bou- ses sensations, de sa position politique,
ches bien bordées, et de longues barbes de ses craintes et de ses espérances.
touffues, un teint moins basané, un cou ,
Ensuite viennent les Juifs, qui sont en
nourri, toute l'habitude du corps grave Egypte ce qu'ils sont par-tout, haïs, sans
et lourde, en tout une pesanteur, qu'ils être craints; méprisés et sans cesse re-
croient être noblesse, et qui leur con- poussés , jamais chassés ; volant toujours,
serve un air de protection, malgré la sans devenir très riches, et servant tout
nullité de leur autorité. A parler en ar- le monde en ne s'occupant que de leur
tiste on ne peut faire de leur beauté
, que propre intérêt. Je ne sais si c'est parce-
la beauté d'un Turc {voyez pi. CVII, qu'ils sont plus près de leur pays que
(m
leur caractère physique est plus con- surbaissé; leurs narines larges, avec le
servé en Egypte, mais il m'a paru frap- nez pointu, la bouche évasée sans que
pant : ceux qui sont laids ressemblent les lèvres soient grosses, les cheveux et
aux nôtres; les beaux, sur-tout les jeunes, la barbe rares et par petits flocons: ridés
rappellent le caractère de tête que la de bonne heure, et restant toujours
peinture a conservé à Jésus-Christ ; ce qui agiles, l'âge ne se prononce chez eux
prouveroit qu'il est de tradition, et n'a qu'à là blancheur de la barbe; tout le
pas pour époque le quatorzième siècle et reste, du corps est grêle et nerveux :
le renouvellement des arts. Voyez la tête, leur physionomie est gaie; ils sont vifs
que j'ai dessinée {planche X, n° % ) ; et bons : on les emploie le plus ordinai-
c'est celle d'un jeune Juif de Jérusalem : rement à garder les magasins, et les
ce portrait peut venir à l'appui de mon chantiers de bois : ils se vêtissent d'une
observation. Les Juifs disputent aux pièce de laine blanche gagnent peu, se
,
Cophtes, dans les grandes villes d'E- nourrissent de presque rien, et restent
gypte , les places dans les douanes, les attachés et fidèles à leurs maîtres {voyez
intendances des riches, enfin tout ce qui pi. CVII, n° 4).
tient aux calculs et aux moyens d'amas- Le pèlerinage de la Mecke fait traver-
ser et de cacher une fortune bien ou mal ser l'Egypte à toutes les nations de l'A-
acquise. frique qui sont désignées sous le nom de
Une autre race d'hommes, nombreuse Maugrabins, ou gens de l'ouest. C'était
en individus, a des traits caractéristiques le moment du retour de la caravane :
très prononcés : ce sont les Barabras ou Bonaparte, qui avoit fait tous ses efforts
gensd'en-haut, qui sont des habitants de pour la faire arriver complète au Caire,
la Nubie, et des frontièresde l'Abyssinie. n'avoit pu empêcher Ibrâhim-bey, qui
Dans ces climats brûlants, la nature ava- se sauvoit en Syrie, d'arriver avant lui
re leur a refusé tout superflu ; ils n'ont dans le désert, et d'attaquer la caravane
ni graisse ni chair, mais seulement des à Belbéis, d'en partager les trésors avec
nerfs, des muscles, et des tendons, plus les Arabes et l'émir Adgis, qui dévoient
élastiques que forts; ils font par activité la protéger ; Ibrâhim-bey ne laissa passer
et par lesteté ce que les autres font par jusqu'à nous que les dévots mendiants,
puissance : il semble que l'aridité de leur qui nous arrivèrent par pelotons de deux
sol ait pompé la portion de substance à trois cents, composés de toutes les na-
que la nature leur devoit ; leur peau lui- tions d'Afrique, depuis Fez jusqu'à Tri-
sante est d'un noir transparent et ar- poli : ils étaient dans Un tel état de fa-
dent , semblable absolument à la patine tigue qu'ils se ressembloient tous ; aussi
des bronzes de l'autre siècle : ils ne res- maigres que les pays qu'ils venoient de
semblent point du tout aux Nègres de traverser sont arides, ils étoient aussi ex-
l'ouest de l'Afrique; leurs yeux sont ténués que des prisonniers qu'on aurait
profonds et étincelants, sous un sourcil oubliés dans les fers. C'est l'impulsion,
(49)
c'est le ressort de l'opinion qui rend ceux qui nous arrivoient, je n'en trou-
vai pas un qui eût une physionomie as-:
sans doute l'homme le plus fort de tous
les animaux : quand on pense à l'espace sez caractérisée pour mériter d'être des-
que viennent de parcourir ces pèlerins, siné : il y avoit cependantdes Mingreli ens
à tout ce qu'ils ont eu à souffrir dans et des Géorgiens; mais, soit que la na-
cette immense et terrible traversée, on ture les eût déshérités de ce qu'elle a
reste convaincu qu'un but moral peut seul départi de beauté à leur contrée, sohr
faire affronter tant de fatigues si doulou- que les femmes en soient dotées plus
reuses, que l'enthousiasme d'un senti- avantageusement, j'attendis que d'autres
ment pieux, que la considération atta- individus m'en offrissent des traits plus
chée au titre d'adgisou/>e/e/w.y, que por- caractéristiques. J'ajournai aussi le plai-
tent avec orgueil ceux qui font le voyage sir de dessiner des Egyptiennes au mo-
de la Mecke, sont les leviers qui peuvent ment où notre influence sur les moeurs
seuls mouvoir l'indolence orientale, et de l'orient pourroit lever le voile dont
la porter à une telle entreprise ; il faut elles se couvrent : mais quand même,
y ajouter cependant le droit que s'ar- ce qui n'est pas à présumer,les hommes
rogent les adgis de conter et faire croire nous sacrifieraient leurs préjugés sur cet
le reste de leur vie aux autres musul- article, la coquetterie des vieilles, plus
mans tout ce qu'ils ont pu voir, et tout scrupuleuses sur tout ce qui tient à l'hon-
ce qu'ils n'ont pas vu. Ne pourrois-je neur , exigeroitencore long-temps de leurs
pas être, accusé d'un peu à'adgisme, dans jeunes compagnes l'austérité dont elles
le voyage que j'entreprends, et de bra- furent victimes dans leur bel âge. Ce que
ver des difficultés pour faire partager j'ai pu remarquer, c'est que les filles qui
mon enthousiasme? mais ma propre,cu- ne sont point nubiles, et pour lesquelles
riosité rassure ma conscience ; j'ai pour la rigueur n'existe pas encore, retracent
moi auprès des autres le peu de séduc- assez en général les formes des statues
tion de mon style, et la naïveté de mes égyptiennes de la déesse Isis : les femmes
dessins: et si tout cela ne suffit pas pour du peuple, qui ont plus soin de se ca-
me cautionner, on pourra quelque jour cher le nez et la bouche que toutes les
ajouter ma figure desséchée à celles des autres parties du corps, découvrent à
deux adgis que je donne ici {plancheCVII, tout moment, non des attraits, mais
,
n° 2). quelques beaux membres dispos, con-
On nous avoit aussi envoyé quatorze servant un à-plomb plus leste que volup-
Mamelouks prisonniers, dont sans doute tueux : dès que leurs gorges cessent de
le quartier-général ne savoit que faire : croître elles commencent à tomber, et
je fus curieux de les observer, sans ré- la gravitation est telle qu'il seroit diffi-
fléchir que ce n'est point une nation, cile de persuaderjusqu'où quelques unes
mais un ramassis de gens de tous les peuvent arriver : leur couleur, ni noire
pays: aussi, dans le petit nombre de ni blanche, est basanée et terne: elles
7
.
(5o)
se tatouent les paupières et le menton la rendre supérieure a toutes les magni-
sans que cela produise un grand effet : ficences dont elle étoit entourée et cou-
mais je n'ai pas encore vu de femmes verte. Avant de la quitter, j'en fis rapi-
porter plus élégamment un enfant, un dement le petit dessin gravé dans la
vase, des fruits, et marcher d'une ma- planche LXXXIII ,. n° i ; celle, plan-
nière plus leste et plus assurée. Leur che LXXIV, n° i, étoit une naturelle
draperie longue ne seroit pas sans no- du pays qu'avoit épousée un Franc : elle
blesse si un voile en forme de flamme parloit italien, elle étoit douce et belle ,
,
de navire, qui part des yeux et pend elle aimoit son mari ; mais il n'étoit pas
jusqu'à terre, n'attristoit tout l'ensemble assez aimable pour qu'elle ne pût aimer
du costume jusqu'à le faire ressembler que lui : jaloux, il lui suscitoit à tout
au lugubre habit de pénitent. moment de bruyantes querelles ; sou-
Un homme riche du pays qui m'avoit mise, elle renonçoit toujours à celui qui
quelques obligations voulut m'en témoi- àvoit été l'objet de sa jalousie : mais le
gner sa reconnoissance en m'invitant lendemain nouveau grief; elle pleurait
chez lui : vu mon âge et ma qualité d'é- encore, se repentait; et cependant son
tranger , il crut qu'il pouvoit, pour me mari avoit toujours quelque motif de
fêter mieux, me faire déjeûner avec son gronder. Elle demeuroit vis^-à-vis de mes
épouse. Elle étoit mélancolique et belle : fenêtres; la rue étoit étroite, et par cela
le mari, négociant, savoit un peu d'i- même j'étois tout naturellement devenu
talien et nous servoit d'interprète : sa le confident et le témoin de ses chagrins.
,
femme, éblouissante de blancheur, avoit La peste se déclara dans la ville : ma
des mains d'une beauté et d'une délica- voisine étoit si communicative qu'elle
tesse extraordinaires; je les admirai, devoit la prendre et la donner ; effecti-
elle me les présenta : nous n'avions pas vement elle la prit de son dernier amant,
grand'ehose à nous dire ; je caressois la donna fidèlement à son mari,. et ils
ses mains; elle, très embarrassée de ce moururent tous trois. Je la regrettai ;
qu'elle feroit ensuite pour moi, me les sa singulière bonté, la naïveté de ses
laissoit, et moi je n'osois les lui rendre désordres, la sincérité de ses regrets,
dans la crainte qu'elle crût que je m'en m'avoientintéressé, d'autant que, simple
étais lassé : je ne sais comment cette confident, je n'avois à la quereller ni
scène eût fini, si, pour nous tirer d'em- comme mari ni comme amant, et qu'heu-
barras , on ne nous eût apporté les ra- reusement je n'étois point à Rosette lors-
fraîchissements; on les lui remettait, et que la peste désola ce pays.
elle me les offrait d'une manière toute Nous partîmes enfin pour le Delta,
particulière, et qui avoit une sorte de pour cette tournée si long-temps atten-
grâce. Je crus appercevoir que son in- due, où nous allions fouler un terrain
souciante mélancolie n'étoit qu'un air neuf pour tout Européen, et même pour
de grande dame qui, selon elle, devoit tous autres que les habitants ; car les
( 5i )

Mamelouks alloient rarement jusquau souper-difficile à obtenir nous nous cou-


centre du Delta se faire payer le miri, châmes comme nous pûmes vers les deux
ou organiser les avanies. Nous partîmes heures du matin. Le lendemain, après .
le 24 fructidor après-midi; n'ous traver- nous être sèches, nous nous rendîmes à
sâmes le Nil en bateau, le général Menou, Metubis en deux heures de marche, ren-
le général Marmont, une douzaine de sa- contrant autant de villages que la veille.
vants ou artistes, et un détachement de Le général avoit un travail à faire avec
deux cents hommes d'escorte. On avoit les cheikhs des environs, un éclaircisse-
cru tout prévoir, et ce que l'on avoit ment à prendre, et une explication à
oublié étoit l'essentiel. Les chevaux que avoir sur des fautes passées {voyez plan-
nous devions monter n'avoient de la race che LXXVIII, n° 1) : il fut résolu que
arabe que les vices ; les voyageurs, qui nous ne nous mettrions en route que
n'étaient point écuyers, et qui n'avoient le lendemain ; Metubis offroit d'ailleurs
que l'alternative d'un cheval sans bride sous quelques rapports un aliment à la
ou d'un âne sans bât, hésitaient s'ils se curiosité : il est possible d'abord qu'elle
mettroient en route , ou renonceraient ait été bâtie sur les ruines de l'antique
à un voyage qu'ils avoient désiré si ar- Métélis; et, d'un autre côté, par la li-
demment et commencé avec tant d'en- cence connue et permise de ses moeurs,
thousiasme : cependant peu-à-peu tout elle a succédé à Canope, et a la même
s'arrangea, et nous nous mîmes en mar- réputation. Nos recherches furent vaines
che. Nous traversâmes les villages de quant aux antiquités ; tout ce que nous
Madie, Elyeusera , Abougueridi, Mela- y trouvâmes de granit étoit employé à
houé, Abouserat, Ralaici, Bereda, Ek- moudre le grain et paroissoit y avoir
,
bet, Estaone, Elbat, Elsezri, Souffrano, été apporté d'autre part pour être con-
Elnegars, Madie - di - Berimbal ; et nous sacré à cet usage : on nous parloit de
arrivâmes à Berimbal à la nuit fermée. ruines au sud-est, à une lieue et demie ;
Je place ici la nomenclature peu intéres- il était tard, notre intérêt se reporta sur
sante de tous ces villages, pour donner l'autre curiosité ; nous demandâmes en
une idée de la population de quatre lieues conséquence aux cheikhs de nous faire
de pays, et de l'abondance d'un sol qui amener des aimés, qui sont des espèces-
nourrit tant d'habitants et porte tantd'ha- de bayaderes semblables à celles des In-
bitations, sans compter ce qu'il fournit des : le gouvernement du pays, des re-
au possesseur titulaire , qui pour le plus venus duquel elles faisoient peut-être
souvent fait sa résidence dans la capitale. partie, mettait quelque difficulté à leur
A Madie-di-Berimbalnos chameaux tom- permettre de venir ; souillées par les re-
bèrent dans le canal ; nous ne fûmes gards des infidèles, elles pouvoient di-
rassemblés qu'à minuit : on ne nous at- minuer de réputation, perdre même leur
tendoit plus; nos hardes et nos provi- état : ceci peut donner la mesure de l'ab-
sions étoient toutes mouillées : après un jection d'un Franc dans l'esprit d'un
(5»)
Musulman, puisque ce qu'il y a de plus deux musiciens dont j'ai parlé venoit,
dissolu chez eux peut encore être profané avec l'air bête du Gilles de nos parades,
par nos regards ; mais quelques vieux troubler d'un gros rire là scène d'ivresse
torts à réparer, la présence d'un général, qui alloit terminer la danse.
et sur-tout de deux cents soldats, levè- Elles buvoient de l'eau-de-vie à grands
rent les obstacles : elles arrivèrent, et ne verres comme dé la limonnade ; aussi,
nous laissèrent point appercevoir qu'elles quoique toutes jolies et jeunes , elles
eussent partagé les considérations politi- étoient fatiguées et flétries excepté
,
ques etles scrupules religieux des cheikhs. deux, qui ressémbloient en beau d'Uriè
Elles nous disputèrent cependant avec manière si frappante à deux de nos
assez de grâce ce que nous aurions pu femmes célèbres de Paris, que ce ne fut
croire devoir être les moindres faveurs, qu'un cri lorsqu'elles se découvrirent lé
celles de découvrir leurs yeux et leur visage : là grâce est tellement un pur don
bouche, car le reste fut livré comme par de la nature que Josephina et Hanka,
distraction ; et bientôt on ne pensa plUs qui n'avoient reçu d'autre éducation que
avoir quelque chose à nous cacher, tout celle réservée au plus infâme métier dans
cela cependant à travers des gazes colo- la plus corrompue des villes, avoient,
rées et des ceintures mal attachées, qu'on lorsqu'elles ne darisoient plus, toute la
raccommodoit négligemment avec une délicatesse des ' manières des femmes à
folie qui n'étoit pas sans agrément, et qui elles ressémbloient, et la caressante
qui me parut un peu française. Elles et douce volupté qu'elles réservent sans
avoient amené deux instruments, une doute pour ceux à qui elles prodiguent
musette, et un tambour, fait avec un leurs secrètes faveurs. Je l'avouerai, j'au-
pot de terre, que l'on battait avec les rais voulu que Josephina ne se fût pas
mains : elles étoient sept; deux se mirent permis de danser comme les autres {voy.
à danser, les autres chantaient avec ac- pi. CXII, n° 2). Quoique la scerre-qui
compagnement de castagnettes, en forme est représentée dans cette planche ne soit
de petites cymbales de la grandeur d'un pas celle qui vient d'être décrite, elle
écu de six livres : le mouvement par le- peut faire connoître la danse des aimés.
quel elles les choquoient l'une contre Malgré la vie licencieuse dés aimés,
l'autre donnoit infiniment de grâce à on les fait venir dans les harems pour
leurs doigts et à leurs poignets. Leur instruire les jeunes filles de tout ce qui
danse fut d'abord voluptueuse ; mais peut les rendre plus agréables à leurs
bientôt elle devint lascive : ce ne fut maris ; elles leur donnent des leçons de
plus que l'expression grossière et indé- danse, de chant, de grâce, et de toutes
cente de l'emportement des sens; et ce sortes de recherches voluptueuses. Il
qui ajoutait au dégoût de ces tableaux, n'est pas étonnant qu'avec des moeurs
c'est que dans les moments où elles con- où la volupté est le principal devoir des
servoient le moins de retenue un des femmes, celles qui font profession de
(53)
galanterie soient les institutrices du beau qui nous désenchanta un peu sur la fé-
sexe : elles sont admises dans les fêtes que
condité générale du sol du Delta. Si c'é-
se donnent les grands entre eux ; et
lors- taient là les ruines d'une des deux villes
qu'un mari veut bien quelquefois réjouir que je viens de nommer, leur situation
l'intérieur de son harem, il les fait aussi étoit triste, et on peut assurer qu'elles
appeler. C'est ce qui fait le sujet de la ne pôssédoient aucun grand monument :
planche n° CXII. quoique l'espace qu'elles occupoient fût
Le lendemainl'antiquité eut son tour. considérable, on n'y distingue que quel-,
Nous allâmes à Qoùm-êl-Hhamar, c'est- ques canaux d'irrigation, mais aucune
à-dire la Montagne-Rouge,nom quivient "trace d'un canal de navigation. Nous re-
sans doute du monticule de brique de vînmes très peu satisfaits de nos recher-
cette couleur dont cette ruine est formée : ches ; nous n'avions pas même recueilli
elle ne conserve aucun caractère ; ce peut assez de renseignements pour nous aider
être celle d'Une ville antique sans monu- à l'avenir dans celles que nous pourrions
ments, comme celle d'un village moder- entreprendre. Nous avions quitté le dé-
ne , rebelle aux Mamelouks, et -détruit tachement pour faire cette excursion :
par eux : nous ne trouvâmes aucun ves- accompagnés seulement de quelques gui-
tige d'antiquité, malgré le désir de Do- des nous cheminâmes en droite ligne
,
lomieu et le mien d'y reconnoître l'an- sur Desouk, qui étoit notre rendez-vous;
cienne Métélis j, capitale du nome de ce nous passâmes parGabrith, village for-
nom. Le pays que nous découvrîmes à la tifié de murailles et de tours, particula-
partie orientale au-delà de Comé-Lachma rité qui distingue ceux qui ne sont pas
jusqu'au lac Bérélos n'était qu'un marais sur le bord du Nil au-delà de Foua. Le
inculte. Nous vînmes dîner à Sindion, et territoire étoit aussi moins cultivé ; le
coucher à Foua. Le lendemain nous allâ- sol, plus élevé et plus difficile à arroser
mes àEl-Alavi, à Thérafa : nous quittâmes avec des roues, attendoit l'inondation
la route pour aller au nord-est visiter des pour être semé en bled et en maïs, aux-
ruines considérables appelées encore quels rien ne devoit succéder : dans les
,
pour la même raison Qoùm-Hhamar-êl- parties de terrain de cette nature, dès
Médynéh; étoit-ce Cabaza capitale du que les récoltes sont faites , la terre,
nome cabasite, ou la Naucratis qu'a- abandonnée au soleil, se gerce, et n'offre
voient bâtie les Mylésiens ? Nous ne fû- plus à l'oeil que l'image d'un désert. Nous
mes pas plus heureux que la veille ; mêm e traversâmes Salmie, où nous pûmes dis-
nature de décombres ; car on ne peut pas tinguer, tous les désastres qu'avoit causés
donner un autre nom à ce nombre de notre vengeance, sans pouvoir remar-
tessons sans forme , à ces tas de briques quer sur la physionomie des habitants
dont il n'y avoit pas une d'entière. Nous qu'ils en eussent conservé quelque dan-
découvrîmes de là à-peu-près deux lieues gereux ressentiment ; je ne pouvois ce-
carrées de terrains arides et incultes ; ce pendant me rappeler sans émotion que
(54)
je me trouvois à-peu-près seul sur la visiter ce qui restait de villages du gou-
même place où j'avois vu tomber quel- vernement du général Menou dans la
ques jours auparavant les principaux province de Sharkié. Dans cette tournée
habitants du pays : nous étions ensemble nous devions passer à Sanhour-êl-Medin,
comme des gens qui ont eu un procès, où l'on nous avoit dit qu'il y avoit une
mais dont les comptes sont arrêtés. J'ai quantité de ruines. Etoit-ce Sais? Tou-
remarqué d'ailleurs que pour tout ce jours séduits , notre espoir s'étoit accru
qui est des événements de la guerre les par le nom de êl-Medin, qui veut dire
orientaux n'en conservent point de ran- la grande, et qui pouvoit lui avoir été
cune: ils ajoutèrent de bonne grâce et conservé à cause de son antiquité, ou de
fort loyalement un guide à celui qui l'ancienne grandeur de Saïs, qui, selon
nous conduisoit à Mehhâl-êl-Malek et au Strabon, étoit la métropole de toute cette
canal de Ssa'ïdy. partie inférieure de l'Egypte. Nous tra-
Le canal de Ssa'ïdy est assez grand pour versâmes une grande plaine altérée qui
porter des bateaux du Nil au lac de Béré- attendoit d'heure en heure le Nil, qui
los : Desouk, village considérable, n'en arrivoit déjà par mille rigoles.
est qu'à une demi-lieue ; une mosquée, Sanhour-él-Medin ne nous offrit en-
révérée de tout l'orient deux fois dans core que des dévastations, et pas une
Tannée, y amené en dévotion deux cents ruine qui eût une forme : le peu de frag-
mille âmes : les aimés s'y rendent de tou- ments en grès et granit que no,us rencon-
tes les parties de l'Egypte ; et le plus grand trâmes ne pouvoit nous attester que
miracle que fasse Ibrâhym si révéré à quelques siècles d'antiquité ; nos recher-
,
Desouk, est de suspendre la jalousie ches obstinées dans tous les environs
des Musulmans pendant le temps de furent également vaines : nous revînmes
cette espèce de fête , et d'y laisser jouir coucher à Desouk sans rien rapporter.
les femmes d'une liberté dont on assure Le lendemain notre marche se dirigea
qu'elles profitent dans toute l'extension au nord-est, et vers l'intérieur du Delta.
imaginable. Après avoir traversé de nouveau Sanhour-
On avoit préparé un palais, disoit-on, êl-Medin nous passâmes de grands ca-
,
pour le général ; nous y fûmes tous logés : naux de chargement, que nous jugeâmes,
il consistait en une cour, une galerie ou- à la qualité des eaux, devoir prendre leurs
verte, et une chambre qui ne fermoit sources au lac de Bérélos.
pas {voyez le dessin, plancheHYï, n°6). Au-delà de ces canaux nous trouvâmes
J'ai pris le moment où le général Menou le pays déjà tout inondé, quoiqu'il fût
donne audience par la fenêtre aux prin- élevé de quatre pieds plus haut que ce-
cipaux du pays assemblés dans la cour, lui que nous venions de quitter : l'irri-
tandis qu'on apporte le déjeûner qu'ils gation dirigée et retenue par des digues
,
nous avoient fait préparer. sur lesquelles nous marchions alors, de-
Le jour après devoit être consacré à voit les surpasser pour arroser à leur tour
(55)
les terres que nous avions parcourues ; couper la seule route que nous pussions
ces' digues servoient de communication suivre. Dans ce moment le dessinateur,
frappé de cette terreur funeste qui ôte
aux différentsvillages, qui s'élevoient au-
dessus des eaux comme autant d'isles : toutes les facultés physiques et morales,
cette circonstance détachant tous les ob- se laisse tomber de son cheval sur lequel
jets , notre curiosité se flattoit de ne rien il ne pouvoit plus se tenir : en vain nous
laisser échapper d'intéressant. On nous voulons le faire remonter, le prendre
avoit promis des antiquités à Schaabas- en croupe, ou l'engager à empoigner la
Ammers : nous marchions sur ce village queue d'un de nos chevaux : son heure
par une digue étroite qui partageoit, en est sonnée, sa tête est perdue : il crie
serpentant, deux mers d'inondations ; sans être maître d'un seul de ses mou-
nous avions devancé ledétachementd'une vements , sans vouloir accepter aucun
lieue, pour avoir plus de temps à donner secours. Ceux qui avoient tiré sur nous
à nos observations : un guide à cheval, s'avançoient ; pour prévenir d'être cer-
deux guides à pied, un jeune homme de nés , nous n'avions que le temps d'échap-
Rosette, les deuxgénéraux Menou et Mar- per au galop tout à travers les balles qui
mont, un médecin interprète, un artiste nous arrivoient de tous côtés : nous ren-
dessinateur, et moi, formions le premier controns le second groupe, et Dolomieu
groupe en avant ; Dolomieu, tirant par la monté sur son cheval rétif et dont la
bride un cheval vicieux, et plusieurs bride s'étoit rompue; il me reste heu-
serviteurs étoient restés à quelque dis- reusement assez de temps pour la lui
tance en arrière : nous observions la po- rattacher : le hasard me paie aussitôt de
sition avantageuseet pittoresque de Kafr- ce service, car pendant le temps que je
Schaabas, faubourg en avant de Schaabas, remonte à cheval je vois Dolomieu tom-
lorsque tout-à-coup nous vîmes revenir à ber dans un trou, où j'aurois été sub-
toute bride le médecin disant, Ils nous mergé , et d'où il parvint à se retirer,
attendent avec des fusils ; on nous crioit grâce à sa taille gigantesque. Je prends un
Erga , En arrière. Nos guides voulurent autre chemin, franchis une digue que
entrer en explication ; mais on répondit nos ennemis avoient rompue ; l'eau cou-
par une fusillade, qui heureusement , vroit déjà le terrain que nous avions tra-
quoique faite de très près, n'atteignit au- versé , et de toutes parts des courants le
cun de nous : nous voulûmes parlemen- parcouraient dans tous les sens comme
ter de nouveau; mais une seconde dé- autant de torrents: dispersés, nous re-
charge nous apprit qu'il ne falloit pas joignons chacun de notre côté le déta-
laisser casser les jambes de nos chevaux chement avec lequel nous revenons sur
,
qui étoient notre seule ressource. En Kafr-Ammers, que dans notre colère
nous retournant, nous apperçûmes une nous croyions emporter d'un coup de
autre troupe armée qui, par un chemin main. Il étoit quatre heures après midi
couvert par l'eau, marchoit pour nous lorsque nous arrivâmes devant le village ;
(56)
quarante hommes retranches dans un que le général Marmont et quelques vo-
fossé firent feu sur nous, et nous man- lontaires, vinrent m'aider aie tirer de là:
quèrent ; nous ne fûmes pas plus heu- le feu étoit violent de part et d'autre;
reux dans la riposte : ils se retirèrent ce- mais les assiégés étoient couverts, bien
pendant vers une autre troupe qiii les armés, et tiroientjuste depuis qu'ilspou-
attendoit sous les murailles; car nous voient poser leur fusil. Plusieurs morts
apperçûmes alors que ce faubourg étoit et douze blessés nous obligèrent à la re-
une petite forteresse formée de quatre traite. Nous attaquâmes avec plus d'or-
courtines avec quatre tours aux angles, dre la tour parallèle à celle dont nous
à l'une desquelles étoit attaché un châ- nous étions emparés : d'abord ils y per>
teau ; ce petit fort étoit séparé de Schaa- dirent plusieurs hommes et l'abandon-
bas par un canal rempli d'eau, et une es- nèrent; on commença à mettre le feu
planade de mille toises. Le chef-lieu avoit aux maisons pour approcher du fort;
arboré pavillon blanc; mais le faubourg huit des nôtres furent blessés à l'attaque
continuoit de tirer sur nous: notre pre- de la porte ; la position devenoit fâcheuse ;
mière attaque fut sans succès; l'officier nous avions laissé trente hommes à la gar-
chargé de la diriger, emporté par son de des équipages,et il nous restoit peu de
cheval, étoit tombé dans l'eau, et sa monde. A l'entrée de la nuit, les assiégés
troupe s'étoit débandée pour courir sur poussèrent des cris affreux-, auxquels
des habitants qui emportoient leurs ef- les habitants des villages circonvoisins
fets : les deux généraux coururent pour répondirent par des hurlements : bientôt
remédier à ce désordre et rallier la troupe; des rassemblements s'avancèrent ; nous
nous fûmes par ce mouvement obligés entendions concerter les moyens de se
de passer sous les tours et sous le feu de joindre ; nous les laissâmes approcher,
l'ennemi ; plusieurs soldats furent tués et, après une décharge faite aux jugés,
ou blessés. Nous tournâmes la forteresse; nous entendîmes les cris de guerre.se
une des tours n'avoit pas été armée , nous changer en cris de douleur, et la re-
enfonçâmes une des portes de la ville traite s'effectuer. Bientôt après il nous
qu'elle défendoit : trente soldats et le arriva une députation du village de Schaa-
général entrèrent; ce dernier et moi bas, qui fut suivie du cheikh lui-même
étions les deux seuls à cheval, et les mai- avec les drapeaux : il nous dit que les
sons étoient si basses que-nous nous gens à qui nous avions affaire étoient des
trouvâmes le point de mire des trois brigands atroces avec lesquels nous ne
côtés de la place : au même instant que devions pas espérer de traiter : un homme
j'avertissois le général Menou qu'on l'a- du pays, que nous avionsdélivré à Malte,
justoit, son cheval fut tué comme d'un lui servoit d'interprète ; il nous dit en
coup de foudre , et par sa chute le pré- confidence que, si nous n'emportions
cipita dans un trou : je le crus mort; je pas la place dans la nuit, au jour nous
lui portois des secours impuissants, lors- ne serions pas assez de monde, que les
( 57 )

gens des environs- nous couperoient la que cette maleneontre faisoit perdre à
retraite, et que jiGris sérions tous tués. notre curiosité ; notre espérance étoit
Pendant qu'il nous -faisoit ce récif, sa déçue i et notre expédition avortée ; nous
belle physionomie étoit accompagnée n'avions pris que des notes peu intéres-
d'un air de compassion si vrai, que, santes , et obtenu que des apperçus fort
sans réfléchir autrement aux suites de incertains et presque nuls. A la pointe
ce qu'il nous annonçoit, par un instinct du jour nous nous remîmes en route,
machinal, toujours étranger à toute cir- sans trouver d'autres obstacles que ceux
constance, je me mis à dessiner sa tête, qu'on nous avoit préparés la veille. Je
qui est celle n° 7, planche GVIII. Les fis un dessin de Kàfr-Schaabas-Ammers
avis du cheikh étoient d'autant mieux (n° 5,planche XVI), où j'ai représenté
fondés qu'un nombre de blessés à trans- cette petite forteresse à la pointe du jour,
porter sur une-chaussée étroite et rom- fumant encore de l'incendie de la nuit.
pue rendoit la retraite difficile à couvrir Il est évident que pour faire une pareille
.et à défendre. Pendant qu'on s'occupoit tournée il falloit du canon, et que par
des moyens qui pouvoient être les moins les retardements nous avions perdu la
désastreux pour sortir avant le jour de saison où on en pouvoit traîner après
la position critique où nous nous trou- soi.
vions , les assiégés-feignirent dans les té- Le général Dugua m'a donné depuis
nèbres d'appeler et de recevoir des se- deux plans topographiques de la basse
cours , firent un grand feu sur leur flanc Egypte, que j'ai cru. devoir faire graver,
qu'ils vouloient conserver, et, abandon- et que je joins ici (planche XVII): l'un
nant aux flammes toutes leurs posses- représente les ruines de Tanis , aujour-
sions , effectuèrent leur retraite dans le d'hui Sann ou Tanach, près le lac Men-
plus profond silence ; nous n'entendîmes zaléh, et sur le canal de Moës; l'autre
de bruit que lorsqu'ils furent obligés est la ruine d'un temple près Beibeth.
d'entrer dans l'eau : nous tirâmes au N'ayant point été sur les lieux, tout ce
hasard ; et quelques chameaux qu'ils que j'ajouterois de descriptions pourroit
avoient abandonnés, et qui revinrent être autant d'erreurs.
au village, nous avertirent de leur fuite. Nous revînmes à Rosette : les membres
Maîtres du champ de bataille, nous de l'institut qui y étoient restés avoient
achevâmes de brûler tout ce qui pou- reçu l'ordre du général en chef de re-
vait prendre feu ; les soldats se consolè- joindre ceux qui étoient au Caire, pour
rent de la fatigue de la journée et de la organiser les travaux et les séances de
nuit en chargeant sur deux cents ânes cette assemblée. Je m'embarquai le len-
deux ou trois mille poulets et pigeons, demain avec mes camarades: en quittant
.
et emmenant sept à huit cents moutons : la province de Rosette nous quittâmes
mais à nous autres amateurs il ne restait ce que le Delta a de plus riant; quand
rien nui pût nous dédommager de ce on a passé Rahmanié, les sables du dé-
8
(58)
sert s'approchent quelquefois jusqu'à la derniers témoins de sa végétante exis-
rive gauche du fleuve, la campagne se tence, qui ajoutent encore au triste aspect
dépouille, les arbres deviennent rares , du déserti'affligeantepensée deladestruc-
l'horizon n'offre qu'une ligne dont il est tion.'Je me trouvois heureux de revoir des
presque impossible d'offrir l'aspect. Je montagnes, devoir des monuments dont
fis le dessin d'Alcan, village dont les ha- l'époque, dont l'objet de la construction,
bitants avoient massacré l'aide-de-camp se perdoient également dans la- nuit des
Julien et vingt-cinq volontaires: le village siècles: mon ame était émue du grand
avoit été brûlé, les habitants chassés; spectacle de ces grands objets ; je regret-
des volées innombrables de pigeons res- tais de voir la nuit étendre ses voiles
taient sur les décombres, et sembloient sur ce tableau aussi imposant aux yeux
ne vouloir point abandonner des habi- qu'à l'imagination; elle me dérobala vue
tations qui paroissoient n'avoir été con- de la pointe du Delta, où, dans le nom-
struites que pour eux ( voyez n° 1 , bre des vastes projets sur l'Egypte, il
pi. XVIII ). Je dessinai aussi le village étoit question de bâtir une nouvelle ca-
de Demichelat( n° 2 et 3, planche XVIII) : pitale. Au premier rayon du jour, je
on peut remarquer dans ces deux figures retournai saluer les pyramides ; j'en fis
que le talus pyramidal du style égyptien plusieurs dessins : je me complaisois sur
antique, l'ordonnance des plans, et la la surface du Nil, à son plus haut point
simplicité des couronnements, se sont d'élévation, de voir glisser les villages
conservés encore quelquefois dans les devant ces monuments, et composer à
constructions les plus modernes et les tout moment des paysages dont elles
plus frêles , et donnent une gravité his- étoient toujours l'objet et l'intérêt(voyez
torique aux paysages de l'Egypte, que l'on les n° 1, 2,3,4, pi- XIX ). J'aurois voulu
ne trouve nulle part ailleurs. les montrer avec cette couleur fine et
A plus de dix lieues du Caire nous transparentequ'elles tiennent; du volume
découvrîmesla pointe des pyramides qui immense d'air qui les environne; c'est
perçoit l'horizon ; bientôt après nous une particularité que leur donne sur
vîmes le Mokattam, et, vis-à-vis, la tous les autres monuments la supério-
chaîne qui sépare l'Egypte de la Libye, rité extraordinaire de leur élévation; la
et empêche les sables du désert de venir grande distance d'où elles peuvent être
dévorer les bords du Nil. Dans ce coin- apperçues les fait paroître diaphanes,
bat perpétuel entre ce fleuve bienfaisant
-ri
du ton bleuâtre du ciel, et leur rend le
et ce fléau destructeur on voit souvent fini et la pureté des angles que les siècles,
cette onde aride submerger des campa- ont dévorés.
gnes, changer leur abondance en stéri- Vers les neuf heures, le bruit du ca-
lité, chasser l'habitant de sa maison,. en non nous annonça et le Caire et la fête
couvrir les murailles, et ne laisser échap- du premier de l'.année que l'on y célé-
per que quelques sommités de palmiers > broit : nous vîmes d'innombrables mina-
(5g)
entraînement qui m'avoit fait venir en
rets ceindre le Mokattam, et'sortir des
jardins qui avoisinent le Nu; le vieux Égypteme fit partir pour les pyramides
,
Caire, Boûlac, Roda, se groupant avec et, sans rentrer chez moi, je m'achemi-
la ville, y ajoutent le charme de laver- nai au vieux Caire; je rejoignis en route
dure, lui donnent sous cet aspect une des camarades avec lesquels je traversai
grandeur, des beautés, et même des le Nil. Nous arrivâmes à la nuit fermée
agréments : mais bientôt l'illusion dispa- . àGizeh : je ne savois où je coucherois;
roît ; chaque objet se remettant pour mais déterminé à bivouacquer, ce fut
ainsi dire à sa place, on ne voit plus une bonne fortune qui me parut tenir
qu'un tas de villages, que l'on a rassem- de l'enchantement de me trouver tout-
blés là on ne sait pourquoi, les éloignant à-coup sur de beaux divans de velours,
d'un beau fleuve pour les rapprocher dans une salle où le parfum de la fleur
d'un rocher aride (voyez pi. XIX, n° 5 ). d'orange nous étoit apporté par un' zé-
A peine arrivé chez le général eh chef, phyr rafraîchi sous des berceaux d'arbres
j'appris qu'il partoit à l'heure même un touffus : je descendisdans le jardin, qui,
détachement de deux cents hommes pour au clair de la lune, me parut digne des
protéger les curieux qui n'avoient pas descriptions de Savary. Cette maison
encore vu les pyramides : je gémissois étoit la maison de plaisance de Mourat-
de n'avoir pas su quelques heures plu- bey : je l'avois entendu déprécier, je ne
tôt cette expédition, et je croyois que la voyois qu'après le passage d'une ar-
voir des objets aussi importants sans mée victorieuse; et cependant je ne pus
être muni de ce qui pouvoit mettre dans m'empêcher d'éprouver que, si l'on ne
le cas de les observer avec fruit, ce n'é- veut rien détruire par d'inutiles compa-
tait que céder à une curiosité vaine ; j'é- raisons, les jouissances orientales ont
tais d'ailleurs si fatigué des deux voyages bien leur mérite, et qu'on ne peut refuser
que je venois de faire, que tous mes ses sens à l'abandon voluptueux qu'elles
muscles me déconseilloient d'en entre- inspirent. Ce ne sont ici ni nos longues
prendre un troisième, et je regardois et fastueuses allées françaises, ni les tor-
comme prudent d'ajourner ma curiosité tueux sentiers des jardins anglais, de ces
jusqu'au moment où les astronomes dé- jardins où, pour prix de l'exercice qu'ils
voient aller faire leurs observations dans obligent de faire, on obtient et la faim
ces lieux si célèbres. et la santé. En orient, un exercice vain
Au sortir de table le général dit : On est retranché du nombre dès plaisirs ;
ne peut aller aux pyramides qu'avec une du milieu d'un groupe de sycomores,
escorte, et on ne peut pas y envoyer dont les branches surbaissées procurent
souvent un détachement de deux cents une ombre plus que fraîche, on entre
hommes. Cet entraînement qu'exercent sous des tentés ou des kiosques ouverts
certains esprits sur l'esprit des autres à volonté sur des taillis d'orangers et de
détruisit tous mes raisonnements ; cet jasmins : ajoutons à cela des jouissances,
(6o)
qui ne nous sont encore qu'imparfaite- vus naître. Ce n est point ici le bonheur
ment connues, mais dont on peut con- d'un Mamelouk que j'ai'voulu peindre;
cevoir la volupté ; tel est, par exemple, il faut toujours écarter de ses tableaux
le charme que l'on doit éprouver à être les monstruosités; et si l'on se permet
servi par de jeunes esclaves chez qui la quelquefois d'en faire une esquisse, ce
souplesse des formes est jointe à une doit être une caricature qui en inspire
expression douce et caressante; là, sur le mépris et le dégoût.
de moelleux et immenses tapis, couverts L'officier qui commandoit l'escorte se
de carreaux, nonchalammentcouchéprès trouva être un de mes amis ; il me dé-
d'une beauté préférée, enivré de désirs, signa dans le petit nombre de ceux qui
de santé, de fumée de parfums, et de dévoient entrer dans les pyramides : on
sorbet, présentés par une main que la étoit trois cents. Le lendemain au ma-
mollesse a consacrée de tout temps à l'a- tin on se chercha, on s'attendit; on par-
mour; près d'une jeune favorite, dont tit tard, comme il arrive toujours dans
la pudeur ombrageuse ressemble à l'in- les grandes associations. Nous croisâmes
nocence , l'embarras à la timidité, l'effroi dans les terres- par des canaux d'arrose-
de la nouveauté au troubledu sentiment, ment^ après bien des bordées dans le
et dont les yeux languissants, humides pays cultivé, nous arrivâmes à midi sur
de volupté, semblent annoncer le bon- le bord du désert, à une demi-lieue des
heur et non l'obéissance, il est bien per- pyramides : j'avois fait en route plusieurs
mis sans doute au brûlant Africain de esqui sses de leurs approches( voy. pl. XIX
se croire aussi heureux que nous. En et ILS., n° 2), une vue de la maison de
amour tout le reste n'est-il pas conven- Mourat-bey (voyez pi. XVIII, n° 4). A
tion? A la vérité nous nous sommes créé peine avions-nous quitté les barques que
r
avec elle encore un autre bonheur ; mais nous nous trouvâmes dans des sables ;
n'est-ce point aux dépens de la réalité? nous gravîmes jusqu'au plateau sur le-
Ah ! oui : le bonheur se trouve toujours quel posent ces monuments : quand on
près de la nature; il existe par-tout où approche de ces colosses, leurs formes
elle est belle, sous un sycomore en Egypte anguleuses et inclinées les abaissent et
comme dans les jardins de Trianon, avec les dissimulent à l'oeil; d'ailleurs comme
une Nubienne comme avec une Fran- tout ce qui est régulier n'est petit ou
çaise -T et la grâce qui naît de la souplesse grand que par comparaison, que ces
des mouvements de l'accord harmo- masses éclipsent tous les objets environ-
y
nieux d'un ensemble parfait la grâce nants, et que cependant elles n'égalent
r r
cette portion divine, est la même dans pas en étendue une montagne (la seule
le monde entier c'est la propriété de la grande chose que tout naturellementno-
y
nature égalementdépartie à tous les êtres tre esprit leur compare), on est tout
qui jouissent de la plénitude de leur exis- étonné de sentir décroître la première im-
tence, quel que soit le climat qui les a pression qu'elles avoient fait éprouver de
(Si)
loin ; mais dès qu'on vient à mesurer par servent aujourd'hui à arriver à l'ouver-
une échelle connue cettegigantesque pro- ture par laquelle on peut y pénétrer \
duction de l'art, elle reprend toute son cette ouverture , trouvée à-peu-près
immensité : en effet cent personnes qui à soixante pieds de la base, était mas-
étoient à son ouverture lorsque j'y arri- quée parle revêtissement général, qui
vai, me semblèrent si petites qu'elles ne servoit de troisième et dernière clô-
mé parurent plus des hommes. Je crois ture au réduit silencieux que receloit
que pour donner, en peinture comme en ce monument (voyez la vue de cette en-
dessin, une idée des dimensions de ces trée, pi. XX bis, n° 2, et la coupe ,
édifices, il faudroit dans la juste pro- pi. XX, n° 3, let. G) : là commence im-
portion représenter sur le même plan médiatement la première galerie ; elle
que l'édifice une cérémonie religieuse se dirige vers le centre et la base de l'é-
analogue à leurs antiques usages. Ces mo- difice ; les décombres, que l'on a mal
numents , dénués d'échelle vivante , ou extraits, ou qui, par la pente, sont na-
accompagnés seulement de quelques fi- turellement retombés dans cette galerie,
gures sur le devant du tableau, perdent joints au sable que le vent du nord y
et l'effet de leurs proportions et l'im- engouffre tous les jours, et que rien
pression qu'ils doivent faire. Nous en n'en retire, ont encombré ce premier
ayons -un exemple de comparaison en passage, et le rendent très incommode
Europe dans l'église de S.-Pierre de à traverser. Arrivé à l'extrémité, on ren-
Rome, dont l'harmonie^des proportions, contre deux blocs de granit, qui étoient
ou plutôt le croisement des lignes, dis- une seconde cloison de ce conduit mys-
simule la grandeur, dont on ne prend térieux : cet obstacle a sans doute éton-
une idée que lorsque, rabaissant sa vue né ceux qui ont tenté cette fouille; leurs
sur quelques célébrants qui vont dire opérations sont devenues incertaines; ils
la messe suivis d'une troupe de fidèles, ont entamé dans le massif de la construc-
on croit voir un groupe de marionnettes tion ; ils ont fait une percée infructueuse,
voulant jbuer Athalie sur le théâtre de sont revenus sur leurs pas, ont tourné au-
Versailles : un autre rapprochement de tour des deux blocs, les ont surmontés,.
ces deux édifices, c'est qu'il n'y avoit et ont découvert une seconde galerie as-
que des gouvernements sacerdotalement cendante et d'une, roideur telle qu'il a
,
despotes qui pussent oser entreprendre fallu faire des tailles sur le sol pour en
de les élever, et des peuples stupidement rendre la montée possible. Lo-rsque par
fanatiques qui dussent se prêter à leur cette galerie on est1 parvenu à une es-
exécution. Mais, pour parler de ce qu'ils pèce de palier , on trouve un trou, qu'on
sont, montons d'abord sur un monticule est convenu d'appeler le puits ,, et l'em-
de décombres et dé sables, qui sont peut- bouchure d'une galerie horizontale, qui
être les restes de la fouille du premier mené à une chambre connue sous le
de ces édifices que l'on rencontre,.et qui nom de chambre de la reine, sans orne-
(62)
ments, corniche, ni inscription quel- de ce que j'avois vu ; j'avois dessiné, et
conque : revenu au palier, on se hisse mesuré autant que le secours d'nn seul
dans la grande galerie, qui conduit à pied-de-roi avoit pu me le permettre;
un second palier, sur lequel étoit la troi- j'avois rempli ma tête : j'çspérois rap-î
sième et dernière clôture, la plus com- porter beaucoup de choses; et, en me
pliquée dans sa construction, celle qui rendant compte le lendemain de toutes
pouvoit donner le plus l'idée de l'im- mes observations, il me restoit Un vo-
portance que les Égyptiens mettaient lume de questions à faire. Je revins de
à l'inviolabilité de leur sépulture. En- mon voyage-harassé au moral comme
suite vient la chambre royale, conte- au physique, et sentant ma curiosité
nant le sarcophage : ce petit sanctuaire , sur les pyramides plus irritée qu'elle ne
l'objet d'un édifice si-monstrueux, si l'était avant d'y avoir porté mes pas.
colossal en comparaison de tout ce que Je n'eus que le temps d'observer le
les hommes ont fait de colossal, se trouve sphinx, qui mérite d'être dessiné avec
ici figuré (voyez n° loetu , même pi. ). le soin le plus scrupuleux, et qui ne l'a
Si l'on considère l'objet de la construc- jamais été de cette manière. Quoique ses
tion des pyramides, la masse d'orgueil proportions soient colossales, les con-
qui les a fait entreprendreparoît excéder tours qui en sont conservés sont aussi
celle de leur dimension physique ; et de souples que purs : l'expression de la tête
ce moment l'on ne sait ce qui doit le plus est douce, gracieuse, et tranquille ; le
étonner de la démence tyrannique qui a caractère en est africain : mais la bouche,
osé en commander l'exécution, ou de la dont les lèvres sont épaisses,' a une mol-
stupide obéissance du peuple qui a bien lesse dans le mouvement et une finesse
voulu prêter ses bras à de pareilles con- d'exécution vraiment admirables; c'est
structions : enfin le rapport le plus digne de la chair et de la vie. Lorsqu'on a fait
pour l'humanité sous lequel on puisse un pareil monument, l'art étoit sans
envisager ces édifices, c'est qu'en les éle- doute à un haut degré de perfection ; s'il
vant les hommes aient voulu rivaliser manque à cette tête ce qu'on est convenu
avec la nature en immensité et en éter- d'appeler du style, c'est-à-dire les formes
nité , et qu'ils l'aient fait avec succès, droites et fieres que les Grecs ont don-
puisque les montagnes qui avoisinent ces ,
nées à leurs divinités, on n'a pas rendu
monuments de leur audace sont moins justice ni à la simplicité ni au passage
hautes et encore moins conservées grand et doux de la nature que l'on doit
(voy. la description de la pi. XX, n° 3 ). admirer dans cette figure; en tout, on
Nous n'avions que deux heures à être n'a jamais été surpris que de la dimen-
aux pyramides : j'en avois employé une sion de ce monument, tandis que la per-
et demie à visiter l'intérieur de la seule fection de son exécution est plus éton-
qui soit ouverte ; j'âvois rassemblé toutes nante encore (voyez pi. XX bis, n° i).
mes facultés pour me rendre compte J'avois entrevu des tombeaiix, de petits
(63)
temples décorés de bas-reliefs et de sta- prostituer sa fille pour achever le monu-
tues, des tranchées dans le rocher qui ment ; enfin que , du surplus de ce qu'a-
pouvoient avoir formé des stylobates aux voit rapporté cette prostitution, la prin-
pyramides, et donné de l'élégance à leur cesse avoit trouvé de quoi bâtir la petite
pyramide qui est vis-à-vis, et qui lui
masse ; il m'avoit paru rester tant d'ob-
jets d'observations,^ faire, qu'il auroit servit de sépulture. Ou les princesses
fallu encore bien des séances comme égyptiennes qui seprostituoient se fai-
celle-ci pour entreprendre de faire autre soient alors payer bien cher, ou l'amour
chose que des esquisses, et dissiper enfin filial étoit porté à un haut degré dans
le nuage mystérieuxqui semble avoir de cette fille de Chéopes, puisque , dans
tout temps voilé ces symboliques monu- son enthousiasme, elle avoit montré en-
ments. On est presque également incer- core plus de dévouement que n'en exi-
tain et de l'époque où ils ont été violés, geoit son père et avoit recueilli de quoi
,
et de celle où ils ont été construits : celle- bâtir pour son compte une autre pyra-
ci déjà perdue dans la nuit des siècles, mide. Que de travaux pendant sa vie
,
ouvre un espace immense aux annales pour s'assurer un asyle de repos après
des arts ; et, sous ce rapport, on ne peut sa mort ! Il faut dire aussi que Chéopes,
trop admirer la précision de l'appareil ayant fermé les temples pendant son
des pyramides et l'inaltérabilité de leur règne, n'avoit pas trouvé après sa mort
,
forme, de leur construction, et dans des de panégyristes parmi les prêtres histo-
dimensionssi immenses , qu'on peut dire riens de l'Egypte, et qu'Hérodote, notre
de ces monuments gigantesques qu'ils première lumière sur ce pays s'étoit
,
sont le dernier chaînon entre les colosses laissé conter bien des fables par ces prê-
de l'art et ceux de la nature. tres.
Hérodote rapporte qu'on lui avoit con té J'étais au Caire depuis près d'un mois,
que la grande pyramide, celle dont je et je cherchois encore cette ville superbe,
viens de parler , étoit le tombeau de cette cité sainte, grande parmi les gran-
Chéopes ; que la pyramide voisine étoit des ce délice de la pensée, dont le faste
,
celui de son frère Chephrenes qui lui et l'opulence font sourire le prophète ;
avoit succédé ; qu'il n'y avoit que celle car c'est ainsi qu'en parlent les orien-
de Chéopes qui eût des galeries inté- taux. Je voyois effectivement une in-
rieures ; que cent mille hommes avoient nombrable population de longs espaces
,
été occupés vingt ans à la bâtir; que les à traverser, mais pas une belle rue, pas
travaux qu'avoit exigés cet édifice avoient un beau monument : une seule place
rendu ce prince odieux à son peuplé et vaste, mais qui a l'air d'un champ ; c'é-
,
que, malgré les corvées qu'il avoit exi- tait Lelbequier, celle où demeuroit le
gées de ses sujets, les seules dépenses de généralBonaparte, qui, dans le moment
la nourriture des ouvriers étaient de l'inondation, a quelque agrément par
mon-
tées si haut, qu'il avoit été obligé de
sa fraîcheur et les promenades que l'on y
(64)
fait. la nuit en ba teau (voy.p l. LXXXVIII) ; delà du bout des doigts ; un turban avec
des palais ceints de murs, qui attris- lequel on ne peut baisser la tête ; leur
tent plus les rues qu'ils ne les embellis- "habitude de tenir d'une main "une pipe
sent ; l'habitation du pauvre plus négligée de la. vapeur de laquelle ils s'enivrent,
qu'ailleurs ajoute à ce que la misère a et de l'autre un chapelet dont ils passent
d'affligeant par tout ce qu'ici le climat les grains dans leurs doigts; tout cela
lui permet d'incurie et Je négligence : détruit toute activité, toute imagination:
on est toujours tenté de demander quelles ils rêvent sans objet, font sans goût cha-
étoient donc les maisons où habitaient que jour la même chose , et finissent par
les vingt-quatre souverains. Cependant, avoir vécu sans avoir cherché à varier la
lorsqu'on a pénétré dans ces espèces de monotonie de leur existence. Les êtres
forteresses, on y trouve quelques com- qui ont besoin de se livrer à quelques
modités quelques recherches de luxe et travaux ne sont pas très différents des
,
d'agréments, de jolis bains en marbre, grands dont je viens de parler ; ils ont
des étuves voluptueuses, des salons en accoutumé ceux-ci à ne rien attendre de
mosaïques, au milieu desquels sont des leur industrie hors de ce qui est la rou-r
bassins et des jets-d'eau; de grands di- tine ordinaire: aussi n'en sortent ils ja-
vans, composés de tapis peluches, de mais , n'invenlent-ils aucun moyen pour,
larges estrades matelassées couvertes faire mieux, ne recherchent-ils pas même
,
d'étoffes riches, et entourées de magni- ceux qui sont inventés, et rejettent-ils
fiques coussins ; ces divans occupent or- tous ceux qui les obligent à se tenir de-
dinairement les trois côtés de chacun bout , chose pour laquelle ils ont le plus
des fonds de la chambre : les fenêtres, d'aversion ; le menuisier, le serrurier,
quand il y en a, ne s'ouvrent jamais, et le charpentier, le maréchal, travaillent
le jour qui envient est obscurci par des assis ; le maçon même élevé un minaret
verres de couleur devant des grilles réti- sans jamais être debout : comme les sau-
culaires très serrées; le jour principal vages , ils n'ont guère qu'un outil ; on
vient ordinairementd'un dôme au milieu est tout étonné de ce qu'ils en savent
du plafond. Les Musulmans, étrangers faire ; on seroittenté même dé leur croire
à toug les usages que nous faisons de la de l'adresse si, vous ramenant sans cesse
lumière, se donnent très peu de soin de à leur coutume, ils ne vous forçoient
se la procurer : il semble en général que bientôt à penser que, semblables à l'in-
toutes leurs coutumes invitent au repos; secte dont on admire le travail, ce n'est
les divans, où l'on est plutôt couché qu'un instinct dont il n'est pas en eux
qu'assis, où l'on est bien, et d'où se de s'écarter. Le despotisme, qui com-
lever est une affaire ; les habillements, mande toujours et ne récompensejamais,
dont les hauts-de-chaussessont des jupes n'est-il pas la source et la cause perma-
où les jambes sont engagées; les grandes nente de cette stagnation de l'industrie?
manches qui couvrent huit pouces au- J'ai vu depuis, dans la haute Egypte, les
(65)
Arabes artisans, éloignés de leur maître, ments sont dus aux soins prévoyants du
venir chercher nos soldats manufactu- Joseph de Putiphar : il faudroit pour cela
riers, travailler avec eux, nous offrir que le Caire fût aussi ancien que Mem-
leurs services, et, sûrs d'un salaire pro- phis, et qu'alors il y eût eu déjà des villes
portionné, s'efforcer de nous satisfaire, ruinées près de cette ville, puisque ces
et recommencer leurs travaux pour y palais sont bâtis de ruines plus antiques :
parvenir ; regarder avec enthousiasme au reste, ces édifices porten t les carac-
'l'effet du moulin à vent, et voir battre tères de tout ce qu'ont bâti les Musul-
le mouton avec le saisissement de l'ad- mans dans cette région, c'est-à-dire qu'ils
miration : un secret sentiment de paresse offrent un mélange de magnificence, de
leur inspirent peut-être cette admiration misère, et d'ignorance ; ces demi-barba-
pour ces deux machines qui suppléent à res prenoient, pour élever des construc-
tout ce qui nécessite leurs plus grands tions colossales, tous les matériaux qui
travaux, l'obligation d'élever les eaux, étoient le plus à leur portée, et les em-
et de faire des digues pour les retenir. ployoient à mesure qu'ils les trouvoient
Ils bâtissent le moins qu'ils peuvent; ils sous leurs mains. L'aqueduc qui apporte
ne réparent jamais rien : un mur menace de l'eau du vieux Caire au château, après
ruine, ils l'étaient ; il s'éboule, ce sont lui avoir fait faire mille soixantetoises de
quelques chambres de moins dans la chemin, seroit un édifice à citer, si dans
maison ; ils s'arrangent à côté des décom- sa longueur il n'était vicié de toutes ces
bres : l'édifice tombe enfin ils en aban- inconséquences.
,
donnent le sol, ou, s'ils sont obligés d'en Le château, bâti sans plan, sans vrais
déblayerl'emplacement, ils n'emportent moyens de défense, a cependant quelques
les plâtras que le moins loin qu'ils peu- parties assez avantageusement disposées ;
vent ; c'est ce qui a élevé autour de pres- le pacha y était logé, ou plutôt enfermé;
que toutes les villes d'Egypte et particu- la seule pièce remarquable de son quar-
lièrement du Caire, non pas des monti- tier est la salle du divan oùs'assembloient
cules mais des montagnes, dont l'oeil les beys, et qui a été souvent le lieu des
,
du voyageur est étonné, et dont il ne scènes sanglantes de ce gouvernement
peut tout d'abord se rendre compte. J'ai orageux. On y voit aussi le puits de Jo-
fait la vue de ces montagnes (pi. XXIV, seph taillé dans le roc à deux cents soi-
n° a). ,
xante-neufpieds de profondeur : Norden
Il y a quelques édifices considérables en a donné tous les détails. Le palais de
au Caire, que je crois qu'il faut attribuer Joseph, dont je viens de faire mention
,
au temps des califes, tels que le palais de est d'une belle conception dans son plan :
Joseph, le puits de Joseph, les greniers je n'ai pu voir sans une espèce d'admira-
de Joseph, dont tous les voyageurs ont tion l'emploi que les architectes arabes
parlé, et quelques uns en laissant subsis- ont su faire des fragments antiques qu'ils
ter la tradition populaire que ces monu- ont fait entrer dans leur construction, et
9
( 66 )

avec quelle adresse ils y ont mêlé quel- core l'enterreravec eux {voyezpi. XXIII,
quefois des ornements de leur goût. n° 2).
A présent que les Turcs ne trouvent J'étais au moment d'achever le dessin
plus sous leurs mains de colonnes de de ce sanctuaire de la mort, si ridicule-
l'ancienne Egypte, qu'ils continuent d'é- ment festonné, lorsque j'entendis des
lever des mosquées sans démolir celles cris; je crus d'abord que c'était un enter-
qui s'écroulent, ils chargent les Francs rement qui, selon l'usage, étoit suivi
de leur faire venir des colonnes à la dou par des pleureuses à gages; mais je vis
zaine : ceux-ci les achètent de toute gran- bientôt qu'au lieu de se lamenter ces
deur à Carare; arrivées, les architectes femmes fuyoient, et me faisoient signe
musulmans les garnissent de cercles de de les suivre :. l'idée du fléau du pays
fer à leur astragale, et leur font porter me vint à l'esprit; mais découvrant un
les arcs des portiques des mosquées. Les grand espace, et ne voyant point d'Arabes
ornements, sarrasins qui commencent au ni rien qui pût y ressembler,je me remis'
départ de ces colonnes, d'un style grec à dessiner. A peine assis, je vis fuir les
mesquin, en composent un mélanged'ar- hommes aussi ; et me trouvant isolé assez
chitecturedugoûtleplus détestable qu'on loin de nos postes, je-pensai qu'il étoit
puisse imaginer : leurs minarets et leurs plus prudent de m'en rapprocher : je
tombeaux sont les seules fabriques où ils trouvai quelqueagitation dans les rues,
aient conservé le style arabe dans toute de la surprise dans les regards de ceux
son intégrité ; si l'on n'y retrouve pas ce qui nie fixoient. Arrivé à la maison, j'ap-
qui doit être la beauté de l'architecture , prends qu'il y a du bruit dans la ville,
la rassurante solidité, du moins on y voit que le commandant vient d'être assassiné \
avec plaisir des ornements qui font ri- des fusillades se font entendre : le palais
chesse sans offrir de pesanteur, et une de l'institut, attenant à la campagne, si-
,
élégance si bien combinée, qu'elle ne tué au milieu de grands jardins où l'on
rappelle jamais l'idée de la sécheresse et jouissoit d'une tranquillité délicieuse en
de la maigreur. Le cimetière des Mame- temps de paix, dans les circonstances fâ-
louks en est un exemple : en sortant des cheuses devenoitun quartier abandonné,
masures du Caire, on est tout étonné de et le premier attaqué par les Arabes, s'ils
voir une autre ville toute de marbre étoient appelés par les gens du pays, ou
blanc, où des édifices, élevés sur des co- s'ils venoient pour leur compte ; du côté
lonnes couronnées de dômes, ou de pa- de la ville, il étoit voisin de la partie du
lanquins peints, sculptés et dorés, for- peuple la plus pauvre, et conséquem-
ment un ensemble gracieux et riant; il ment la plus à craindre. Nous apprîmes
ne manque que des arbres à cette retraite que la maison du général Caffarelli ve-
funèbre pour en faire un lieu de délices : noit d'être pillée, que plusieurs person-
enfin il semble que les Turcs, qui ban- nes de la commission des arts y avoient
nissent la gaieté de par-tout, veuillent en- péri : nous fîmes la revue de ceux qui
(«7)
manquoient parmi nous ; quatre étaient chacun avoit son plan, mais personne
absents ; une heure après nous sûmes par ne croyoit devoir obéir. Dolomieu, Cor-
nos gens qu'ils avoient été massacrés. dier, Delisle, Saint-Simon, et moi, nous
Nous n'avions point de nouvelles de Bo- étions logés loin des autres"; notre maison
naparte ; la nuit arrivoit ; les fusillades pouvoit être pillée par qui auroit voulu
étoient partielles ; les cris s'entendoient en prendre la peine: soixante hommes
de toutes parts ; tout annonçoit un sou- venoientd'arriver au secours de nos con-
lèvement général. Le général Dumas, re- frères : rassurés sur leur compte, nous
venant de poursuivre les Arabes, avoit prîmes le parti d'aller nous retrancher
fait un grand carnage des rebelles en chez nous de manière à tenir quatre heu-
rentrant dans la ville ; il avoit coupé la res au moins, si l'on nous attaquoit avec
tête d'un chef des séditieux pendantqu'il des forces ordinaires, et attendre ainsi le
haranguoit le peuple; mais toute une secours que notre feu auroit sans doute
moitié de la ville et la plus populeuse appelé. Nous crûmes un moment être
s'étoit barricadée; plus de quatre mille investis ; nous avions vu fuir tous les
habitants étoient retranchés dans une paisibles habitants; les cris s'entendoient
mosquée ; deux compagnies de grenadiers sous nos murs, et les balles siffloientsur
avoient été repoussées, et le canon n'a- nos terrasses ; nous les démolissions pour
voit pu pénétrer dans les rues étroites et écraser avec leurs matériaux ceux qui
tortueuses; les pierres, les lances trou- seroient venus pour enfoncer nos portes ;
voient leur victime sans qu'on vît d'en- dans un cas extrême, l'escalier, par où
nemis : le général nous envoya un déta- l'on pouvoit nous atteindre, étoit devenu
chement qu'il fut obligé de nous retirer une machine de guerre à ensevelir tous
à minuit; ce qui exagéra pour l'institut nos ennemis à la fois : nous jouissions
le danger de sa situation. La nuit fut de nos travaux, lorsqu'enfin la grosse ar-
assez calme, car les Turcs n'aiment point tillerie du château vint faire la diversion
à se battre quand il fait noir et se font après laquelle je soupirois ; elle produisit
,
un cas de conscience de tuer leurs enne- tout l'effet que j'enàttendois; la conster-
mis dès que le soleil est couché : par un nation succéda à la fureur : on ne pou-
autre principe, moi, ayant toujours pen- voit battre la mosquée; mais elle devint
sé que, dans les cas périlleux, dès que la le seul point de rassemblement des en-
prévoyance est inutile elle n'est plus nemis, tout le reste demanda grâce; la
qu'une vaine inquiétude, et me fiant sur mosquée même fut tournée, une batterie
la terreur des autres pour être éveillé en lui apprit que chez nous la guerre ne ces-
cas d'alerte, j'allai me coucher. Le len- soit pas avec le jour : ils levèrent leurs
demain la guerre recommença avec les barricades, crurent pouvoir faire une
premiers rayons du jour : on nous en- sortie, furent repoussés, et se rendirent :
voya des fusils ; tous les savants se mirent le reste de la nuit fut calme ; le lendemain
sous les armes : on nomma des chefs; nous fûmes libres.
(68)
Nous venions de conquérir le Caire, Le généralDupuis, excellent capitaine,,
qui la première fois n'avoit fait que se qui, pendant deux ans dans les brillantes
rendre au vainqueur des Mamelouks : les campagnes d'Italie, avoit bravé tous les
apathiques et timides Egyptiens avoient dangers dont est semée la carrière de la
souri au départ de ceux qui les vexoient gloire, est assassiné dans une reconnois-
par des injustices et des avanies sans sance par un coup lâchement assené ; un
nombre ; mais bientôt ils avoient regretté couteau au bout d'un bâton, lancé par
leurs tyrans, quand il avoit fallu payer l'embrasure d'une fenêtre, lui coupe l'ar-
leurs libérateurs ; revenus de leur pre- tère du bras:, et il expire au bout de
mière terreur, ils avoient écouté contre quelques instants : le jeune et brave Sul-
nous leur moufti, et, animés par un en- cowsky, à peine guéri des blessures dont
thousiasme fanatique, ils avoient con- l'avoit couvert le combat chevaleresquede
spiré dans le silence. Il eût peut-être Salayer-, va reconnoître l'ennemi, le voit,
fallu livrer sans exception au trépas tous l'attaque , malgré la disproportion du
ceux dont les yeux avoient vu se replier nombre, le culbute, le poursuit, tombe
des compagnies de Français ; mais la clé- dans une embuscade ; son cheval percé
mence avoit devancé le repentir : aussi d'une lance se renverse sur lui, et il est
l'esprit de vengeance ne fut point étouffé écrasé par celui qui vole à son secours.
par la consternation ; c'est ce que je lus Ainsi finit un des officiers les plus dis-
le lendemain dans l'attitude et dans l'ex- tingués de l'armée : observateur dans les.
pression de la physionomie des mécon- marches, chevalier dans les combats , la
tents ; je sentis que si avant la journée du plume délassoit ses mains des fatigues
Ier brumaire nous étions déjà circonscrits des armes; il venoit de décrire la marche,
par un cercle d'Arabes, un cercle plus sur Belbeys avec autant de grâce et d'in-
étroit venoit de nous enceindre, et que térêt qu'un autre en auroit pu mettre à
désormais nous ne marcherionsplus qu'à raconter les combats qu'il y avoit sou-
travers nos ennemis. On arrêta , on pu- tenus , les blessures glorieuses qu'il y
nit quelques traîtres, mais on rendit avoit reçues : ambitieux de la gloire, ce
les mosquées qui avoient été l'asyle du jeune étranger avoit cru ne la trouver
crime ; et l'orgueil des coupables s'inves- que dans nos bataillons;. captivant la vi-
tissoit de cette condescendance : le fana- vacité de son caractère, il avoit mesuré
tisme ne fut pas terrassé par la terreur; ses mouvements sur ceux de celui qu'il
et, quelque danger que l'on pût faire envi- avoit choisi pour maître; ilpoussoit l'en-
sager àBonaparte,rienne put altérer le sen- vie d'en être distinguéjusqu'àla jalousie;
timent de bonté qu'il déploya dans cette et la tâche qu'il s'était proposée donnoit
circonstance: il voulut être aussi clément la mesure de ce qu'on pouvoit attendre
qu'il auroit pu être terrible;, et le passé de lui. J'avois été confident des passions
fut oublié, tandis que nous comptions de sa jeunesse; je l'étais de sa noble am-
des pertes nombreuses et importantes* bition : elle étoit belle et grande ; c'étoit
(69)
par l'étude, c'étoit par un mérite réel dans la rue, sont enlevés par des per-
qu'il vouloit parvenir. Il n'y avoit que sonnes inconnues, et portés dans une
quelques heures que , dans un épanche- maison; ils se regardent comme des vic-
ment amical, il venoit de m'intéresser times réservées à un tourment d'une
par son énergie, lorsque la nouvelle de cruauté plus réfléchie ; ils deviennent fu-
sa mort vint flétrir et froisser mon ame ; rieux : leurs ravisseurs, ne pouvant es-
c'étoit un des officiers que je pouvois le pérer de se faire comprendre,leur livrent
plus aimer, et ce fut peut-être sa perte leurs enfants, comme des gages sincères
qui jeta un voile triste sur la victoire du de la douceur et de la bienfaisance de
ier brumaire. leurs intentions. On pourroit citer'nom-
Si la populace, quelques grands, et bre d'autres anecdoctes d'une sensibilité
tous les dévots se montrèrent fanatiques aussi délicate, qui rattachent à l'huma-
et cruels dans la révolte du Caire, la nité dans les moments où elle semble bri-
classe moyenne, celle où dans tous les ser tous ses liens. Si le grave Musulman
pays résident la raison et les vertus, fut réprime l'expression de sensibilité qu'ail-
parfaitement humaine et généreuse, mal- leurs on se ferait gloire de manifester y
gré les moeurs, la religion, et la langue, c'est qu'il veut conserver lanoble austérité
qui nous rendoient si étrangers les uns de son caractère. Mais passons à d'autres
aux autres : tandis que des galeries des objets.
minarets on excitaitsaintement au meur- On venoit d'ouvrir des caves à Sac-
tre , tandis que la mort et le carnage par- cara, on avoit trouvé dans une chambre
couraient les rues, tous ceux dont les sépulcrale plus de cinq cents momies
Français habitoientles maisons s'empres- d'ibis, on m'en avoit donné deux; je ne
soient de les sauver, de les cacher, de pus pas tenir au désir d'en ouvrir une :
venir au-devant de leurs besoins. Une le citoyen Geoffroi et moi nous nous-
vieille dame du quartier où nous demeu- mîmes seuls à une table avec tous les
rions nous fit dire que notre mur étoit moyens deprocéder tranquillement à son
mitoyen , que si nous étions attaqués ouverture; et, pour ne pas laisser vieillir
nous n'avions qu'à l'abattre, et que son mes idées sur cette opération et n'en pas
harem serait notre asyle. Un voisin, sans perdre une circonstance, je me mis en
que nous l'en eussions prié, nous fit des devoir d'en dessiner chaque développe-
provisions aux dépens des siennes, tandis ment, et d'en faire une espèce de procès-
qu'on ne trouvoit rien à acheter dans la verbal (voyezplanche XCIX).
ville, et que tout annonçoit la disette : il Il existe une variété très sensible dans
ôta tous les signes qui pouvoient faire le soin donné à ces embaumementsd'oi-
remarquer notre demeure, et vint fumer seaux; il n'y a que le pot de terre qui
devant notre porte pour écarter les assail- soit le même pour tous. Cette inégalité
lants , en leur faisant croire que la maison de soin dans des momies prises dans la
étoit à lui. Deux jeunes gens, poursuivis même cave prouve qu'il y avoit aussi,.
(7o)
comme pour les hommes, variété dans voraient; il ajoute qu'il n'âvoit pas vu les
le prix de l'opération, par conséquent serpents ailés, mais qu'il étoit allé dans
que c'étaientdes particuliers qui faisoient les vallées, et avoit trouvé des squelettes
cette dépense, et qu'ainsi il est à présu- innombrables de ces monstres. Je crois,
mer que les oiseaux embaumés n'avoient n'en déplaise au patriarche de l'histoire,
pas été également nourris dans quelques que l'ibis n'avoit pas besoin qu'on lui
temples ou par quelques collèges de prê- créât des dragons d'Arabie pour le ren-
tres en reconnoissance des services que dre intéressant à l'Egypte qui produisoit
rendoit l'espèce. S'il en eût été des oi- d'elle-même tant de reptiles mal-faisants ;
seaux comme du dieu Apis, un seul in- mais le respectable Hérodote étoit Grec,
dividu auroit suffi, et on ne trouverait et il aimoit le mervejlleux.
pas de ces pots par milliers. On doit donc Il n'est plus question de serpents ailés
croire que l'ibis, destructeur de tous les en Egypte ; mais cet animal y conserve
reptiles, devoit être en vénération dans encore quelque prestige. J'étois chez le
un pays où ils abondoient à une certaine général en chef un jour qu'on y intro-
époque de l'année ; et, comme la cicogne duisit des psylies: on leur fit plusieurs
en Hollande, cet oiseau s'apprivoisant qu estions relativement au mystère de leur
aussi par l'accueil qu'on lui faisoit, cha- secte, et la relation qu'elle a avec les ser-
que maison avoit les siens affidés, aux- pents auxquels ils paroissént comman-
quels après leur mort chacun, suivant der; ils montroient plus d'audace que
ses moyens, donnoit les honneurs de la d'intelligence dans leurs réponses : on-
sépulture. Hérodote dit qu'on lui avoit vint à l'expérience : Pouvez-vous con-
conté que dans les premiers temps con- noître, leur dit le général, s'il y a des
nus il y en avoit en abondance; qu'à me- serpents dans ce palais? et, s'il y en a,
sure que les marais de la haute Egypte pouvez-vous les obliger de sortir de leur
s'étoient desséchés, ils avoient gagné la retraite? Ils répondirent par une affir-
basse pour suivre leur pâture ; ce qui mation sur les deuxquestions : on les mit
s'accorderait assez avec ce que rapportent à l'épreuve; ils se répandirent dans les ap-
les voyageurs que l'on en voit encore partements ; un moment après ils décla-
quelquefois au lac Menzaléh. Si l'espèce rèrent qu'il y avoit un serpent : ils re-
avoit déjà diminué du temps d'Hérodote, commencèrent leur recherche pour dé-
il n'est pas étonnant que son existence couvrir où il étoit , prirent quelques
devienne presque problématique de nos convulsions en passant devant une'jarre
jours. Hérodote raconte que les prêtres placée à l'angle d'une des chambres du
d'Héliopolis lui avoient dit qu'à la retraite palais, et indiquèrent que l'animal étoit
des eaux du Nil il arrivoit, par les vallées là ; effectivement on le trouva. Ce fut un
qui séparent l'Egypte de l'Arabie, des vrai tour de Cornus ; nous nous regarder
nuées de serpents ailés, que les ibis al- mes , et convînmes qu'ils étoient fort
loient au-devant de ces serpents et les dé- adroits.
(70
Toujourscurieux d'observerles moyens avoient cela de particulier qu'au-dessous
que les hommes emploient pour com- de leur tête, dans la longueur de six pou-
mandera l'opinion, j'avois regretté de ne ces , la colère dilatait leur peau de la lar-
m'être pas trouvé à Rosette à la proces- geur de la main (voyezpi. CIV, n° i ). Je
sion de la fête d'Ibrâhym, où les convul- vis parfaitement que je ne craignois pas
sions des psylles sont pour le peuple la plus la morsure des serpents que les
partie la plus intéressante de cette fonc- psylles; car, ayant bien remarqué com-
tion religieuse. Pour me dédommager, je ment en les attaquant d'une main ils les
m'adressai au chef de la secte, qui étoit saisissoient avec l'autre tout auprès de la
concierge de l'okel ou auberge des Francs; tête, j'en fis, à leur grand scandale, tout
je le flattai : il me promit de me rendre autant qu'eux, et sans danger. On passa
spectateur de l'exaltation d'un psylle au- de ce jeu au grand mystère : un des psylles
quel il auroit soufflé l'esprit, c'étaient ses prit un des serpents à qui il avoit d'a-
expressions. Il crut dans ma curiosité vance rompu la mâchoire inférieure, et
reconnoître un prosélyte, et me proposa dont il ratissa encore les gencives jusqu'à
de m'initier : j'acceptai; mais ayant ap- l'amputation totale du palais ; cela fait,
pris que dans la cérémonie de réception il l'empoigna avec l'affectation de l'em-
le grand-maître crachoit dans la bouche portement , s approcha du chef , qui,
du néophyte, cette circonstancerefroidit avec celle de la gravité, lui accorda le
ma vocation, et je sentis qu'elle ne ré- souffle, c'est-à-dire qu'après quelques
sisterait pas à cette épreuve; je donnai paroles mystérieuses il lui souffla dans la
de l'argent au concierge, et le grand- bouche : à l'instant l'autre, saisi d'une
prêtre me promit de me faire voir un sainte convulsion, les bras et les jambes
inspiré. Effectivement le moment arriva; crispés, les yeux hors de la tête, se mit
le chef de la secte me vint trouver avec à déchirer l'animal avec les dents ; et ses
tout le sérieux de sa suprématie : il étoit deux acolytes, touchés de ce qu'il pa-
vêtu d'une longue robe, dont la magni- roissoit souffrir, le retenant avec peine,
ficence étoit relevée par le dépenaillement lui arrachèrent de la main le serpent,
des trois initiés qui l'accompagnoient, et qu'il ne vouloit pas leur abandonner;
qui n'avoient que quelques haillons sur dès qu'il en fut séparé il resta comme
le corps. stupide : le chef s'approcha de lui, mar-
Ils avoient apporté des serpents ; ils les motta quelques mots, reprit l'esprit par
sortirent d'un grand sac de cuir où ils aspiration, et il redevint dans son état
les tenoient, et les firent se dresser et naturel ; mais celui qui s'étoit saisi du ser-
siffler en les irritant. Je remarquai que pent, tourmenté de l'ardeur de consom-
la lumière étoit principalement ce qui mer le mystère, vint aussi demander le
causoit leur irritation, car dès qu'on les souffle, et comme il étoit plus vigoureux
remettait dans le sac leur colère cessoit, que le premier, ses cris et ses convulsions
et ils ne cherchoient plus à mordre ; ils furent encore plus forts et plus ridicules.
(7*)
Je me crus assez initié; et cette grossière parler ; voyez aussi l'explication des
jonglerie finit. planches au même numéro.
Cette secte des psylles remonte dans ces Les chameaux sont les charrettes du
contrées à la plus haute antiquité : elle Caire; ils y apportent toutes les provi-
existait particulièrement dans la Cyré- sions, et en remportent les ordures: les
naïque ; le dieu Rnuphis, ou l'architecte chevaux de selle y tiennent lieu de voi-
de l'univers, selon Strabon et Eusebe, tures , et les ânes de fiacres ; on en trouve
étoit adoré à Éléphantine sous la figure dans toutes les rues de tout bridés, et
d'un serpent. Depuis le serpent d'Éden toujours prêts à partir. Cet animal, sé-
jusqu'à celui d'Achmin, dont nous parle rieux en Europe, toujours plus triste à
Savary, ce reptile jouit-d'une célébrité mesure qu'il s'approche du nord, est en
non interrompue: après avoir été la ten- Egypte dans le climat qui lui est propre ;
tation de notre première mère, on lui fit aussi semble-t-il y jouir de la plénitude
lâcher la pomme, se mordre la queue, de son existence : sain, agile et gai, c'est
et il fut l'emblème de l'éternité ; on le fit la plus douce et la plus sûre monture
monter le long d'un bâton, et il devint qu'on puisse avoir ; il va tout naturelle-
le dieu de la santé ; les Egyptiens en at- ment l'amble ou le galop, et, sans fatiguer
tachèrent deux autour d'un globe, pour son cavalier, lui fait traverserrapidement
représenter peut-être l'équilibre du sys- les longs espaces qu'il faut parcourir au
tème du monde; les Indiens le mirent à Caire. Cette manière d'aller me parois-
la main de toutes leurs divinités : nous soit si agréable que je passois ma vie sur
en avons fait la justice, nous en avons les ânes : peu de temps après mon arri-
fait la prudence : le serpent d'airain chez vée j'étais connu de tous ceux qui les
les Hébreux; celui d'Elerme et le serpent louent; ils étoient au fait de mes habi-
Python chez les Grecs; et tout récem- tudes , portoient mon porte-feuille et ma
ment le dévirgineur Harridi chez les chaise à dessiner, et me servoient d'é-
Musulmans, etc. : et cependant tant d'il- cuyers tout le jour : en leur payant courses
lustrations n'ont rien changé au principe doubles, ils montaient d'autres ânes, et
de modestie de ce sage animal ; il conti- j'allois ainsi aussi vîte qu'aveclesmeilleurs
nue de chercher l'obscurité, il fuit l'éclat, chevaux, et beaucoup plus long-temps.
et il n'élevé sa tête qu'à la moitié de sa C'est de cette manière que, dans mes
grandeur. Pourquoi donc cette célébrité? promenades, j'ai fait les dessins du canal
pourquoi ce culte unanimement accordé qui amené l'eau du Nil au Caire à l'époque
à ce reptile ? Il a suivi le précepte de l'Écri - de l'inondation (voyezpi. XXI, n° 2).
ture, Humilie-toi, et tu seras élevé ; il a Chargé par l'institut d'un rapport sur
rampé, et il est parvenu. On peut voir des colonnes qui sont près du vieux Caire,
( planche CIV, n° i, et pi. CI, n° 5)Tes- je fis,
.pece de serpent dont on se sert pour i° Le dessin de l'aqueduc( voyez mê-
toutes les jongleries dont je viens de me planche, n° 3);
(73)
a0 Les tombeaux des califes à l'est du ce voyage pourvu qu'il assurât mon re-
Caire, hors des murs (voyezpi. XXII, tour : il me dit qu'il garderoit le chef de
n° i); la caravane en otage : il rioit à mon ima-
3° Une vue du vieux Caire ( même gination de penser que de là à douze
planche, n° i); jours je connoîtrois et j'aurais dessiné les
4° Une autre vue du vieux Caire (même sites de la partie merveilleuse de l'expé-
planche, n° 3) ; dition de Moïse depuis son départ de
5° Une vue de Boulac (planche XXIII, Memphis jusqu'à son arrivée dans le
»°3)'i désert de Pharan; que, sans y rester
6° Une autre vue des tombeaux des quarante ans, j'aurois vu en peu de jours
califes (planche XXIV, n°i); le mont Sinaï, traversé un des points de
7° Une attaque d'Arabes ( même pi., la terre dont les annales remontent le
n°2); plus haut, le berceau de trois religions,
8° Une vue du jardin de l'institut (pi. la patrie de trois législateurs qui ont gou-
XXV, n° 3 ; voyez aussi l'explication de verné l'opinion du monde, sortis tous
toutes ces planches). trois de la famille d'Abraham.
J'étais fort bien au Caire ; mais ce n'é- A la première proposition que je fis au
tait pas pour être bien au Caire que j'é- chef des Arabes, il me dit que pour tout
tais sorti de Paris. Il arriva une caravane l'or du monde il ne se chargerait pas de
arabe ; elle venoit du mont Sinaï ; elle en moi ; que ce seroit risquer ma vie, celle
apportait du charbon, de la gomme, et des moines du mont Sinaï, et celle de
des amandes ; elle étoit composée de cinq tous les individus de la caravane, parce-
cents hommes, et sept cents chameaux; que deux tribus puissantes, les Ovatis
c'étoit une manière bien dispendieuse et les Ayaidis, avoient des vengeances à
d'apporterdes marchandisesqui dévoient tirer des Français. Comme je venois ren-
"produire si peu d'argent : mais ils avoient dre compte de ma mission au général en
besoin de choses qu'ils ne pouvoient chef, il donnoit des ordres pour envoyer
trouver ailleurs, et ils n'avoient que du un convoi à Desaix : je voulois partir
charbon à donner en échange : quelques pour l'orient; je lui demandai un passe-
uns des leurs avoient essayé d'escorter port pour le sud, et quelques heures
des Grecs, un mois auparavant, pour après j'étais déjà en chemin.
savoir si les Français, maîtres du Caire, Le lendemain, à la pointe du jour,
ne mangeoient pas les Arabes; on les nous nous trouvâmes à une lieue de Ssak-
avoit bien traités , ils arrivèrent en harah, n'ayant fait, faute de vent, que
caravanes. Le général en chef desiroit quatre lieues dans la nuit. Je fis un des-
que quelqu'un profitât de leur retour sin de ce que je voyois des pyramides
pour prendre connoissance de la route de de Ssakharah, qui paroissent occuper
Tor : je fus tenté de faire celle des Israé- l'espacede deux lieues ( voyez pi. XXVI,
lites ; j'offris au général d'entreprendre n° 4)- Quoiqu'éloigné du fleuve, je pus
io
(74)
distinguer que la plus proche, de gran- Les petites isles qui sont à cette hau-
deur moyenne , est à gradins élevés ; teur étoient couvertes de canards, de
viennent ensuite d'autres petites pyra- hérons, et de pélicans.
mides presque détruites : à une demi- Vers le soir , nous vîmes la pyramide
lieue de celles-ci, il y en a une qui pa- de Medoun, entre les villages de Rigga
raît avoir autant de base que la plus et Caffr-êl-Riôk (voyez pi. XXVI, n° a
grande de celles de Gizéh, mais, moins efi).
d'élévation ; elle est très bien conservée : Nous arrivâmes dans la nuit à Zaoyé.
à une autre demi-lieue de cette dernière Le généralBelliardm'offrit obligeamment
il y en a une qui est la plus grande de de partager sa demeure: c'étoit bien par-
toutes celles de Ssakharah ; sa forme est tager un infiniment petit ; nos lits occu-
irréguliere c'est-à-dire que la ligne de poient toute notre chambre ; on les ôtoit
,
son arête a la courbure d'une console pour mettre la table, et on ôtoit la table
renversée, comme on peut le voir même lorsque nous avions quelque toilette à
planche, même numéro: tout près de faire. Cette association fut aussi heureuse
celle-ci, il y en a une petite ; et plus pro- qu'étroite, car nous ne nous quittâmes
che du Nil une autre absolument en plus de la campagne ; je désire qu'il ait
ruine, et qui n'a plus la forme que d'un conservé de moi un souvenir aussi agréa-
rocher gris-brun; sa couleur est produite ble que celui que m'ont laissé sa douceur,
par les matériaux, qui me parurent être son égalité, et l'amabilité inaltérable de
de brique non cuite : je crois que le ri- son caractère. La seconde nuit, notre
vage du fleuve nous en cachoit encore cuisine éboula, ainsi que notre écurie ;
d'autres plus petites. Cette multitude de mais, aussi flegmatiques que des Musul-
pyramides, la plaine des moines , les mans , nous ne désemparâmes pas ; et
caves des ibis , tout prouve que le terri- d'ailleurs, malgré cet accident, cette mai-
toire de Ssakharah étoit la Nécropolis au son étoit encore la meilleure et la plus
sud de Memphis, et le faubourg opposé apparente du village ( voyezpi. XXVII,
à celui-ci, où sont lés pyramidesde Gizéh, n° 2 ). Dans cette partie de l'Egypte toutes
une autre ville des morts, qui terminoit les constructions sont faites de boue et
Memphis au nord, et qui donne encore de paille hachée cuite au soleil; les es-
aujourd'huila mesure de son étendue. caliers les embrasures, les fours, les
,
L'après-midi, vis-à-vis Missenda, nous ustensiles, et les ameublements, sont de
vîmes encore une pyramide fort grande, même matière; de sorte que, s'il étoit
mais si fruste que dans tout autre pays possible qu'il y eût un changement mo-
que l'Egypte, à la grande distance d'où mentanée dans l'ordre que la nature a
on la voit du Nil, on la prendroit pour fixé imperturbablement en Egypte, s'il
un monticule : une lieue plus loin il y en arrivoit, par exemple, que des vents ex-
a encore une et plus grande et plus dé- traordinaires arrêtassent et fissent dis-
formée. soudre un des groupes de nuages que le
(7«)
vent du nord pousse en été contre les n'avions point de bateau ; avec une ex-
montagnes de l'Abyssinie, les villes et cellente lunette et le plus beau temps je
villages seraient délayés et liquéfiés en pus en observer les détails comme si je
quelques heures, et l'on pourrait semer l'avois touchée : bâtie sur une plate-forme
sur leur emplacement: mais, grâce au secondaire de la chaîne libyque, sa forme
climat, une maison bâtie d'une manière est de cinq gradins en retraite ; la pierre
aussi frêle dure la vie d'un homme ; ce calcaire dont elle est construite étant
qui suffit à celui dont le fils doit rache- plus ou moins friable, sa base et son pre-
ter de son souverain le sol qu'il a déjà mier gradin sont plus dégradés que tous
payé. les autres et, dans le milieu de l'éléva-
,
Le lendemain de mon arrivée, une tion du second, il y a plusieurs assises
colonne de trois cents hommes alloit lever qui ont éprouvé la même dégpadation
le miri ou l'imposition territoriale, et (voyez planche XXVT, n° 3). En passant
une réquisition de chevaux et de buffles : du village de Medoun à celui de Sapht
nous suivions en cela les manières des je fus dans le cas d'observer trois faces
Mamelouks qui pour le même objet fai- de cette pyramide ; il paraît qu'on a
soient chacun dans la province qui lui tenté une fouille au second gradin du
étoit départie la même promenade mili- côté du nord : les décombres recou-
,
taire , en campant au-devant des villes et verts de sables, s'élèvent jusqu'à la hau-
villages, se nourrissant à leurs dépens teur de cette fouille, et ne laissent voir
j usqu'à l'acquittement de ce qu'ils avoient que les angles du premier gradin ; la
à recevoir. Cela rappelle ce que Diodore ruine absolue commence au troisième,
de Sicile dit des Égyptiens qu'ils se dont il reste à-peu-près le tiers : la hau-
,
croyoient dupes de payer ce qu'ils dé- teur totale de ce qui existe de cette pyra-
voient, avant d'être battus pour y être mide me parut être à-peu-près de deux
contraints. Je pus remarquer que, sans cents pieds.
jamais refuser, il n'y avoit sorte de moyens Tout le pays que nous avions parcouru
ingénieux qu'ils n'employassentpour re- étoit abondant, semé de bled, de sain-
tarder de quelques heures le dessaisisse- foin d'orge, de fèves, de lentilles, et de
,
ment de leur argent. doura ou sorgo, qui est une espèce de
Les mouvements de cette colonne de- millet dont la culture est presque géné-
venoient un moyen avantageux de faire rale dans la haute Egypte. Pendant que
des découvertes et d'observer les parti- le grain de cette plante est en lait, les
cularités de l'intérieur du pays : cette paysans le font griller comme le maïs :
première course m'approcha de la pyra- ils en mâchent la canne verte comme
mide de Medoun, que j'avois vue de loin ; celle du sucre ; la feuille nourrit le bé-
je n'en étais plus qu'à une demi-lieue, tail la moelle sèche sert d'amadou ; la
,
mais cet espace étoit traversé par le canal canne remplace le bois pour cuire et
Jusef et un autre petit canal, et nous chauffer le four; du grain on fait de la
(76)
farine, et de cette farine on fait des fangeuse, mêlée de brins de paille im-
gâteaux ; et rien de tout cela n'est bon. perceptibles et d'être une des nom-
,
Entre Medoun et Sapht, je trouvai les breuses causes des maux d'yeux dont
ruines d'une mosquée parmi lesquelles l'Egypte est affligée.
étoient de grandes colonnes de marbre De Meimound nous allâmes à El-Eaf-
cipolin : seroient-ce des débris de l'an- fer, joli village dans un excellent pays :
cienne Nicopolis? au reste je ne trouvai on y recueille de la gomme,connue sous le
aux environs aucun arrachement de mur nomdegommearabique, tirée de l'incision
qui indiquât l'existence d'aucune anti- d'un mimosa, appelé épine égyptienne,
quité. ou cassie, portant des boutons d'or très
De Sapht nous allâmes à un hameau, odoriférants : on nous donna à El-Eaffer
qui en est tout près, et qui est une es- de beaux chevaux et un bon déjeûner.
pèce de forteresse de boue ; cette retraite Nous découvrîmes de là Aboussir, Ben-
féodale est formée d'une enceinte traver- niali, Dallaste, Bâcher, Tabouch, Bouch,
sée par quelques rues alignées ; dans Zeitoun , et Eschmend-êl-Arab. Nous
cette enceinte est un petit château qui trouvâmes à El-Eaffer une douzaine d'A-
servoit de demeure au kiachef, le tout rabes campés hors du village : je dessinai
crénelé, avec un chemin couvert criblé la tente du chef, composée de neuf pi-
de meurtrières : le kiachef avoit émigré, quets, soutenant un mauvais tissu de
ses satellites étoient dispersés, et leurs laine, sous lequel étoient tous les meu-
maisons étoient pillées ; les habitants des bles de son ménage, consistant en une
villages voisins avoient saisi cette occa- natte, et un tapis de même étoffe que
sion de prendre une revanche. la tente ; deux sacs, l'un de bled pour le
A notre seconde sortie nous allâmes maître, et l'autre d'orge pour la jument ;
à Meimound, village très riche, de dix une grande jarre pour serrer les habits;
mille habitants; il est entouré, comme un moulin à bras pour faire la farine;
tous les autres, de monceaux d'ordures une cage à poulets, un vase à faire pon-
et de décombres, qui, dans un pays de dre les poules ; des pots, enfin des cafe-
plaine forment autant de montagnes tières et des tasses. Les femmes étoient
,
d'où l'on découvre tout le pays d'alen- hideuses, ainsi que les enfants (voyez
tour : aussi les crêtes de ces monticules planche LIV, n° i). De El-Eaffer nous
sont-elles chaque soir couvertes d'une vînmes à Benniali ; on ne nous y donna
partie dés habitants, qui, accroupis, y rien : nous emmenâmes les cheikhs ; et
respirent l'air, fument leur pipe, et ob- le lendemain on nous amena des che-
servent si là plaine est tranquille. L'in- vaux, et on nous compta l'argent du
convénient de ces tas d'ordures, c'est miri. Je fis encore une vue de Zaoyé à
d'offusquer les villages, de les rendre sa partie sud (voyezplancheHJLY, n° i),
mal-sains en les privant d'air, d'empâter et laissai sans regret cette première sta-
les yeux des habitants d'une poussière tion pour aller joindre Desaix, que je
(77)
connoissois, que j'aimois, que je n allois ont donc aussi des saints, auxquels ils
plus quitter, et dont le sort des opéra- n'assignent point de places à part dans
tions alloit être celui de mes voyages. leur paradis, où tout est commun, mais
Nous partîmes de Zaoyé, et vînmes cou- auxquels ils élèvent des tombeaux, et
cher à Chendaouyéh, en repassant par dont ils révèrent la cendre ; et ce qu'il y
Meimound et Benniali : les premiers ar- a d'étrangement stupide, c'est que ces
rivés'à ce village en avoient trouvé les saints ne deviennent l'objet de leur culte
habitants armés ; il en étoit résulté un qu'après leur avoir servi de risée pendant
mal-entendu pour lequel il y avoit eu leur vie. Ils attribuent aux pauvres d'es-
des coups de fusil tirés ; plusieursd'entre prit, quand ils sont morts, des pouvoirs
eux avoient été tués : mais on s'était ex- et des influences : l'un est le père de la
pliqué et tout s'étoit arrangé. Un mo- lumière, et guérit le mal des yeux ; un
,
ment après nous entendîmes de grands autre est le père de la génération, et
cris qui nous parurent annoncer quel- préside aux accouchements, etc. etc.
, ,
que terrible catastrophe, ou en être la La plupart de ces saints, accroupis à
suite ; la hache de nos sapeurs avoit at- l'angle d'une muraille , ont passé leur
tenté aux branches sèches d'un tronc vie à répéter sans cesse le mot Allah, et
pourri, qui avoit paru à nos soldats très à recevoir sans reconnoissance ce qui a
propre à faire bouillir la soupe ; et ce suffi à leur subsistance ; d'autres à se
fut bien un autre grief que le pre- frapper la tête avec des pierres ; d'autres,
mier. couverts de chapelets, à chanter des hym-
La croyance dans un Être suprême, nes ; d'autres enfin, tels que les fakirs,
quelques principes de morale, enfin tout à rester immobiles, et absolument nus,
ce qui est raisonnable suffit à l'homme sans témoigner jamais la moindre sensa-
sage ; mais aux passions de l'homme igno- tion , et attendant une aumône, qu'ils
rant il faut des divinités intermédiaires, ne demandent point, et dont ils ne re-
des divinités grossières, analogues à sa mercient jamais. Outre cette idolâtrie,
grossière imagination, des divinités vi- il en est encore d'autres qui ont du rap-
cieuses pour ainsi dire, avec lesquelles port avec la magie : ce sont, par exemple,
,
il puisse traiter de ses habitudesvicieuses. des pierres, des arbres, qui recèlent un
La religion de Mahomet, qui se réduit à bon ou un mauvais génie, et qui devien-
des préceptes, ne peut donc suffire à nent sacrés, dont on ne peut rien déta-
l'ignorance fantastique des Arabes ; aussi, cher sans profanation, auxquels on va
malgré leur aveugle respect pour le ko- faire des confidences domestiques, et
ran, et leur obéissance absolue pour tout communiquerses projets ; le culte en est
ce qui vient de leur prophète, malgré mystérieux et secret, mais on les révère
l'anathême prononcé contre tout ce qui publiquement. Il y avoit un arbre de ce
s'en écarte, ils n'ont pu se soustraire à genre à Chendaouyéh, et c'étoit le dan-
l'hérésie, et au charme de l'idolâtrie : ils ger qu'il avoit couru qui avoit excité la
(7«)
rumeur : j allai le voir, et je fus frappé accompagnent d ordinaire la misère et
de sa décrépitude ; il n'y avoit plus l'habitude de la mendicité.
qu'une de ses branches qui portât des A Chendaouyéh, nous bivouacquâmes
feuilles ; toutes les autres , desséchées dans un bois de palmiers, où pour la
et rompues, étoient scrupuleusement première fois je trouvai du gazon en
conservées à l'endroit où en se détachant Egypte. A peine nous étions enveloppés
du tronc elles étoient tombées sur le sol : dans nos manteaux, une fusillade nous
j'examinaicetarbreavecattention;j'y trou- remit debout; nous passâmes la nuit à
vai des cheveux attachés avec des clous, faire la ronde des postes et à chercher
,
des dents, de petits sacs de cuir, de petitsvainement ce qui nous avoit donné cette
étendards, et tout près des tombeaux, alerte : je fis un dessin de ce bivouac
des pierres isolées, un siège en forme de pittoresque (voyezpi. XXVIII, n° 1). Le
selle, sous lequel était une grosse lampe. lendemain, nous arrivâmes à Bénésouef.
Les cheveux avoient été cloués par des Desaix avoit été chargé de poursuivre
femmes pour fixer l'inconstance de leurs Mourat-bey, et de faire la conquête de
maris : les dents appartenoientà des adul- la haute Egypte, où ce dernier s'était
tes , qui les consacrent pour implorer le réfugié après la bataille des pyramides ;
retour des secondes ; et de tous les mira- le mêmejour, la division Desaix étoit allée
cles c'est le plus ordinaire, car ils possè-prendre position en avant du Caire ; et
dent les plus belles et les meilleures lui n'était venu dans cette ville que pour
dents : les pierres sont votives, afin que prendre les ordres du général en chef,
la maison que l'on va fabriquer soit tou- et concerter ses mouvements avec les
jours habitée par celui qui va la bâtir ; siens : il en étoit parti le 8 fructidor avec
le siège est le lieu où se met celui qui une flottille qui devoit convoyer sa mar-
adresse son voeu de nuit, après avoir che.
allumé la lampe qui est dessous; céré- Informé qu'une partie des provisions
monie à laquelle j'aurois voulu assister et munitions des Mamelouks étoit sur
pour en faire une vue avec l'effet mysté- des bateaux à Réchuésé, Desaix avoit,
rieux de la nuit. Voyez cet arbre tel que malgré l'inondation, marché pour les
je l'ai vu (planche XXV, ri° 2) ; on peut enlever ; et la vingt-unième légère, ayant
voir aussi (planche CI, n° 7) une figure traversé huit canaux et le lac Bathen
de ces santons, et deux autres de ceux avec de l'eau jusque sous les bras, avoit
qui sont nus (planche XXX, n° 3 ) ; on atteint le convoi à Bénéseh, chassé les
peut voir aussi, à l'article des têtes (pi. Mamelouks qui dévoient le défendre, et
CVII, n° 2 ), les figures particulières de s'en étoit emparée. Mourat avoit fui dans
ces êtres, parmi lesquels il y en a qui le Faïoum ; Desaix avoit rejoint sa divi-
sont du plus grand caractère , qui tien- sion à Abougirgé, avoit marché sur Ta-
nent -plutôt à l'élévation de l'histoire rout-êl-Cherif, où il avoit pris position
qu'aux formes triviales et avilies qui à l'entrée du canal Jusef, pour assurer
(79)
ses communications avec le Caire. Arri- canonnée par deux de nos pièces, les
vé à Siouth , où les Mamelouks n'avoient seules qui eussent pu suivre, s'arrête,
osé l'attendre, il avoit essayé de les join- se replie, et se laisse chasser jusqu'à El-
dre à Bénéadi, où ils s'étaient retirés belamon. En la suivant, on s'étoit éloi-
avec leurs femmes et leurs équipages: gné des barques; nous manquions de
les ayant enfin tous rassemblés dans le vivres, il fallut rétrograder pour venir
Faïoum, il étoit reparti de Siouth pour chercher du biscuit : l'ennemi croit que
descendre à Tarout-êl-Cherif; il y avoit nous fuyons ; il nous attaque avec des
embarqué son armée , lui avoit fait re- cris qui ressemblent à des hurlements:
monter le canal de Jusef, malgré les nos canons en éloignent la masse ; mais
obstacles inouis qu'offroient les sinuo- les plus déterminés viennent avec leurs
sités de ce canal, malgré les attaques sabres braver notre mousqueterie, et en-
des Mamelouks, et les oppositions des lever deux hommes jusque sous nos
habitants, étonnés de se voir obligés baïonnettes; la nuit seule nous délivre
de servir au succès d'opérations qu'ils de leur obstination. On regagne les bar-
avoient regardées d'abord comme impos- ques, on se charge de biscuit, et après
sibles. Desaix arriva cependant à la hau- avoir pris quelque repos on se remet en
teur de Manzoura, sur le bord du désert, marche. Pendant ce temps, Mourat-bey
où iljoignit enfinMourat : ne pouvant ef- avoit fait venir à son armée un inconnu
fectuer son débarquement sous le feu de qui répandoit la nouvelle que les Anglais
l'ennemi, il fit virer de bord pour revenir avoient détruit ce qu'il y avoit de Fran-
à Minkia ; les Mamelouks, encouragés par çais à Alexandrie, que les habitants du
cette contre-marche, harcellent les bar- Caire avoient massacré ceux qui occu-
ques; des compagnies de grenadiers les poient cette ville, enfin qu'il ne restait en
chassent et les dispersent : le débarque- Egypte que cette poignée de soldats que
ment s'effectue, les troupes se forment l'on avoit vus fuir la veille, et que l'on al-
en bataillons carrés ; on reprend le che- loit anéantir : il y eut une fête ordonnée,
min du désert, accompagné des barques, et dans cette fête un simulacrede combat,
jusque vis-à-vis de Manzoura. Mourat- où les Arabes représentant les Français
bey étoit à deux lieues ; tandis que son avoient ordre de se laisser vaincre ; la
arriere-garde nous harcelle, il gagne les fête se termina à la manière des canni-
hauteurs, où on le voit se déployer avec bales c'est-à-dire qu'ils massacrèrent les
,
toute la magnificence orientale. Avec des deux prisonniers qu'ils avoient faits deux
lunettes on put distinguer sa personne jours auparavant.
toute resplendissante d'or et de pierre- Desaix avoit appris que Mourat étoit
ries; il étoit entouré de tous les beys et à Sediman, qu'il s'ébranloit pour le
kiachefs qu'il commandoit. On marche joindre et lui livrer bataille; il résolut
droit à lui ; et cette brillante cavalerie, de l'attaquer lui-même : dès que nous
toujours incertaine dans ses opérations, eûmes quitté le pays couvert et cultivé,
'( 8° )
et que sur une surface unie l'oeil put nous côtés ; ils avoient celle de l'espérance,
compter, des cris d'une joie féroce se nous avions celle de l'indignation: nos
firent entendre; mais la journée étoit canons de fusils sont entamés de leurs
avancée, les ennemis remirent au len- coups de sabres; leurs chevaux sont pré-
demain une victoire qu'ils croyoient as- cipités contre nos files, qui n'en sont
surée. La nuit se passa en fêtes dans leur point ébranlées; ces animaux reculent à
camp ; leurs patrouilles venoient dans les la vue de nos baïonnettes ; leurs maîtres
ténèbres insulter nos avant-postes en les poussent tournés en arrière, dans
contrefaisant notre langage. Au premier l'espoir d'ouvrir nos rangs à force de
rayon du jour, on se forma en bataillon ruades : nos gens, qui savent que leur
carré avec deux pelotons aux flancs ; salut est dans l'unité de leurs efforts, se
peu de temps après, on vit Mourat-bey pressent sans désordre, attaquent sans
à la tête de ses redoutables Mamelouks, s'engager ; le carnage est par-tout, et il
et huit à dix mille Arabes, couvrant vis- n'y a point de mêlée :• les tentatives im-
à-vis de nous un horizon d'une lieue puissantes des Mamelouks excitent en
d'étendue. Une vallée séparoit les deux eux un délire dé fureur ; ils lancent con-
armées ; il falloit la franchir pour atta- tre nous les armes qui n'ont pu autre-
quer ceux qui nous attendoient ; à peine ment nous atteindre, et, comme si ce
nous voient-ils engagés dans cette posi- combat dût être le dernier, nous les
tion désavantageuse qu'ils nous enve- voyons jeter fusils, tromblons, pistolets,
loppent de toutes parts, et nous char- haches, et masses d'armes ; le sol en est
gent avec une bravoure qui tenoit de la jonché. Ceux qui sont démontés se traî-
fureur : notre masse pressée rend leur nent sous les baïonnettes, et viennent
nombre inutile ; notre mousqueterie les chercher avec leurs sabres les jambes
foudroie, et repousse leur première at- de nos soldats ; le mourant rassemble
taque : ils s'arrêtent, se replient comme sa force, et lutte encore contre le mou-
pour prendre du champ, et tombent tous rant, et leur sang, qui se mêle en abreu-
à la fois sur un de nos pelotons ; il en est vant la poussière, n'a pas appaisé leur
écrasé; tout ce qui n'est pas tué, par un animosité. Un des nôtres renversé avoit
mouvement spontanée se jette à terre; joint un Mamelouk expirant, et l'égor-
ce mouvement démasque l'ennemi pour geoit ; un officier lui dit : Comment, en
notre grand carré; il en profite et le l'état où tu es, peux-tu commettre une
foudroie : ce coup de feu l'arrête de nou- pareille horreur ? Vous en parlez bien à
veau, et le fait encore se replier. Ce qui votre aise., vous, lui dit-il, mais moi,
reste du peloton rentre dans les rangs ; qui n'ai plus qu'un moment à vivre, il
on rassemble les blessés. Nous sommes faut bien que je jouisse un peu.
de nouveau attaqués en masse, non plus Les ennemis avoient suspendu leur
avec les cris de victoire, mais avec ceux attaque; ils nous avoient tué bien du
dé la rage: la valeur est égale des deux monde ; mais en se repliant ils n'avoient
.(8i)
pas fui, et notre position n'étoit pas de- Jamais il n'y eut de bataille plus ter-
venue plus avantageuse: à peine s'étoient- rible, de victoire plus éclatante, de ré-
ils retirés, que, nous laissant à décou- sultat moins prévu ; c'étoit un rêve dont
vert, ils firent jouer une batterie de huit il ne restoit qu'un souvenir de terreur:,
canons, qu'ils avoient masquée, et qui, pour la représenterj'en fis lesdeux dessins
à chaque décharge, emportoit six à huit (ra° i et i, planche XXIX ). J'ai voulu
des nôtres. Il y eut un moment de con- peindre dans ces deux sujets la guerre
sternation et de stupeur ; le nombre des telle qu'elle est, généreuse et implacable,
blessés augmentoit à chaque instant. Or- atroce et sublime (voyez l'explication
donner la retraite étoit rendre le courage des planches).
à l'ennemi et s'exposer à toute sorte de L'avantage réel que nous obtînmes à
dangers ; différer étoit accroître inutile- la bataille de Sedinan fut de détacher les
ment le mal et s'exposer à périr tous : Arabes des Mamelouks ; mais nous de-
pour marcher il falloit abandonner les vons encore compter parmi nos succès
blessés, et les abandonner étoit les livrer la terreur qu'acheva de donner à ces der-
à une mort assurée; circonstance affreuse niers notre manière de combattre ; mal-
dans toutes les guerres, et sur-tout dans gré la disproportion du nombre, la po-
la guerre atroce que nous faisions ! Com- sition désavantageuse où nous nousétions
ment donner un ordre ? Desaix, l'ame trouvés, malgré les circonstances qui.
brisée, reste immobile un instant; l'in- avoient favorisé leurs armes, et qui
térêt général commanda; la voix de la avoient dû faire croire à notre destruc-
nécessité couvrit les cris des malheureux tion totale, le résultat du combat n'a-
blessés, et l'on marcha. Nous n'avions voit été pour eux que la perte d'une illu-
à choisir qu'entre la victoire ou une des- sion. Il s'ensuivit que Mourat-bey n'es1-
truction totale ; cette situation extrême péra plus d'enfoncer les lignes de notre
avoit tellement rapproché tous les inté- infanterie, ni de tenir contre ses atta-
rêts que l'armée n'étoit plus qu'un in- ques ou de les repousser: aussi ne
,
dividu, et que pour citer les braves il nous laissa-t-il plus de moyens de le
faudrait nommer tous ceux qui la com- vaincre; nous fûmes réduits à poursui-
posoient ; notre artillerie légère, com- vre un ennemi rapide et léger, qui, dans
mandée par le bouillantTournerie, fit des son inquiète précaution, ne nous lais-
prodiges d'adresse et de célérité; et tandis soit ni repos ni sécurité. Notre manière
qu'elle démonte en courant quelques ca- de guerroyer alloit être la même que
nons des Mamelouks, nos grenadiers arri- celle d'Antoine chez les Parthes : les lé-
vent ; la batterie «sî abandonnée ; cette gions romaines renversant les bataillons,
cavalerie à l'instants'étonne, s'ébranle, s,e sans compter de vaincus , ne trouvoient
replie, s'éloigne, et disparoît comme une de résistance que l'espace que l'ennemi
vapeur; cette masse décuple de forces laissoit devant elles; mais, épuisées de
.s'évanouit, et nous laisse sans ennemis. pertes journalières, fatiguées de victoi-
II
.(«»)
res, elles tinrent à fortune de sortir du procurer les moyens de se remettre en
territoired'un peuple qui, toujours vain- campagne, alla au Caire ; il y rassembla
cu et jamais subjugué , venoit le len* et fit partir tout ce qu'il croyoit néces-.
demain d'une défaite harceler avec une saire pour assurer ses marches, etfé^ceF
audace toujours renaissante ceux à qui Mourat à combattre. Redoutant les %£*
la veille il avoit abandonné un champ lices de la capitale, je restai à Bénésouef;
de bataille toujours inutile au vain- quelque peu pittoresque qu'il fût, j'en
queur. fis le dessin {planche XXX ,n°i).
*
La chaleur des jours, la fraîcheur des Sur la rive gauche du Nil, vis-à-vis de
nuits dans cette saison, avoient affligé Bénésouef, la chaîne arabique s'abaisse^
l'armée d'un grand nombre d'ophtal- s'éloigne, et forme la vallée de l'Araba
mies; cette maladie est inévitable lors- ou des Chariots, terminée par le mont-
que de longues marchesou de grandes fa- Kolsun, fameux par les grottes des deux
tigues sont suivies de bivouacs dans les- patriarches des cénobites, S. Antoine et
quels l'humidité de l'air répercute la St Paul, les fondateurs de la secte mo-
transpiration : ces contrastes produisent nastique, les créateurs de ce système
des fluxions qui attaquentou les yeux ou contemplatif, si inutile à l'humanité ,
les entrailles. et si long-temps respecté par les peuples
Desaix, pressé de percevoir le miri trompés. Sur le sol qui couvre les deux
et de lever des chevaux dans la province grottes qu'habitèrent ces deux saints her-
dont il vient de s'emparer, laisse trois mites,il existe encore deux monastères, de
cents cinquante hommes à Faïoum, et l'un desquels on apperçoit, dit-on, le mont
part pour réduire les villages que Mou- Sinaï au-delà de la mer Rouge. L'embou-
rat-bey avoit soulevés. Pendant qu'il par- chure de cette vallée du côté du Nil
court la province, mille Mamelouks et n'offre qu'une triste plaine, dont une
un nombre de fellahs ou paysans viennent bande étroite sur le bord du fleuve est
attaquer dans la ville ceux qui y étoient seule cultivée : au-delà de cette, bande ,
restés malades. on apperçoit encore quelques restes de
Le général Robin, et le chef de bri- villages dévorés par le sable ; ils offrent
gade Extiper, atteint aussi de l'ophtal- le spectacle affligeant d'une dévastation
mie, ainsi que ceux qu'il commandoit, journalière, produite par l'empiétement
font des prodiges de valeur, et repous- continuel du désert sur le sol inondé.
sent de rue en rue un peuple d'ennemis, Rien n'est triste comme de marcher
après en avoir fait un massacre épou- sur ces villages, de fouler aux pieds leurs
vantable. Desaix rejoint ces braves, et toits, de rencontrer les sommités de leurs
toutel'arméemarche sur Bénésouefpour minarets, de penser que là étoient des
disputer à Mourat-bey le miri de cette champs cultivés, qu'ici croissoient des
riche province. arbres, qu'ici encore habitoient des hom-
Arrivé à Bénésouef, Desaix, pour se mes, et que tout a disparu; autour des
(83)
murs, dans leurs murs, par-tout le si- à la hauteur qui arrose cette province
lence : ces villages muets sont comme les sans la submerger, il y a une décharge
morts dont les cadavres épouvantent. qui en partage la masse, en fait entrer
Les anciens Égyptiens parlant de cet la quantité nécessaire pour arroser le
empiétement de sables le désignoient par Faïoum, fait dériver le surplus, et le
l'entrée mystérieuse de Thyphon dans le force à revenir au fleuve par d'autres ca-
lit de sa belle-soeur Isis, inceste qui doit naux plus profonds. Si donc l'on osoit
changer l'Egypte en un désert aussi af- hasarder un système, on diroit que, plus
freux que les déserts qui l'avoisinent ; et anciennement que les temps les plus an-
ce grand événement arrivera lorsque le tiques dont nous ayons connoissance,
Nil trouvera une pente plus rapide dans tout le Delta n'étoit qu'un grand golfe
quelques unes des vallées qui le bordent dans lequel entroient les eaux de la Mé-
que dans le lit où il coule maintenant, diterranée; que le Nil passoit à l'ouver-
et qu'il élevé tous les jours. Cette idée, ture de la vallée qui entre dans le Faïoum;
qui paroît d'abord extraordinaire, de- que par le fleuve sans eau il alloit former
vient probable si l'on considère les lieux. le Maréotis, qui en étoit l'embouchure
L'élévation du Nil, l'exhaussement de ses dans la mer, ainsi que le lac Madierl'étoit
rives, lui ont fait un canal artificiel, qui de la bouche Canopite, et que les lacs
auroit déjà laisséle Faïoum sous les eaux, de Bérélos et de Menzaléh le sont encore
si le calife Jusef n'eût pas élevé des di- des bouches Sebenitique,Mendeisienne,
gues sur les anciennes, et creusé un canal Tani tique , et Pélusiaque ; que le lac
d'embranchement au-dessous de Béné- Bahr-Belame ou le lac sans eau sont les
souef, pour rendre au fleuve une partie ruines de l'ancien cours de ce fleuve,
de celles que le débordement verse cha- dans lequel on trouve en pétrification
que année dans ce vaste bassin. Sans les d'irrévocables témoignages de déborde-
chausséesfaites pour arrêterl'inondation, ments, de végétations, et de travaux hu-
les grandes crues ne feroient bientôt mains, qui attestent que ce sol a été ex-,
qu'un grand lac de toute cette province : haussé par le cours du fleuve, et par cette
c'est ce qui faillit arriver, il y a vingt- perpétuelle fluctuation des sables qui
cinq ans, par une inondation extraordi- marchenttoujours de l'ouest à l'est ; que le
naire, dans laquelle le fleuve ayant sur- Nil, aune certaine époque, trouvant plus
passé lesdigues d'Hilaon,ily eut à craindre de pente au nord qu'au nord-ouest, où
que toute la province ne restât sous les il couloit, s'est précipité dans le golfe que
eaux, ou que le Nil ne reprît une route nous venons de supposer ; qu'il y a forme
qu'il est presque évident qu'il a déjà tenue d'aborddes marais, et puis enfin le Delta.
dans des siècles bien reculés. C'est donc Il résulteroit de là que les premiers tra-
pour remédier à cet inconvénient qu'on vaux des anciens Égyptiens, tels que le
a fabriqué près d'Hilaon une digue gra- lacMoeris, aujourd'hui le lacBathen; et
duée où, dès que l'inondationest arrivée la première digue, n'ont été faits d'abord
,
(84)
que pour retenir une partie des eaux du de nouvelles branches et de nouveaux
débordement, pour en arroser la province lacs à la partie orientale de Pêluse; si la
d'Arsinoé, qui menaçoit de devenir sté- nature enfin, toujours plus forte que
rile, et que, dans un temps postérieur, tout ce qu'on peut lui opposer, a con-
le lac Moeris ou Bathen ne recevant plus damné le Delta à devenir un sol aride,
assez d'eau et ne pouvant plus arroser le les habitants suivront le Nil dans sa mar-
Faïoum, on a été obligé de prendre le che, et trouveront toujours sur ses rives
fleuve de plus haut, et de creuser le ca- l'abondance, qu'entraînent par-tout ses
nal Jusef, qui porte sans doute le nom bienfaisantes eaux.
du calife qui aura fait cette grande opé- D'abord après le départ de Desaix, nous
ration; mais en même temps, craignant allâmes faire des reconnoissances et une
que dans les grandes inondations le tournée pour la levée des contributions:
Faïoum ne fût inondé sans retour, ce nous visitâmes les villages qui avoisinent
prince aura élevé tout d'un temps de l'embouchure du Faïoum, à une demi-
nouvelles digues sur les anciennes telles lieue à l'ouest de Bénésouef; nous pas-
qu'elles existent maintenant, et fait creu- sâmes le canal ; et, après deux heures de
ser les deux canaux de Bouche et de marche, nous arrivâmes à Davalta, beau
Zaoyé, pour faire rentrer dans le fleuve village, c'est-à-dire beau paysage; car en
le superflu des eaux. Egypte, lorsque la nature est belle, elle
Les observations sur les nivellements est admirable en dépit de tout ce que les
et sur les travaux des Égyptiens aux di- hommes y ajoutent, et n'en déplaise aux
verses époques, des plans et des cartes détracteurs de Savary qui se mettent en
exacts, seront peut-être quelque jour le fureur contre ses riantes descriptions. Il
résultat d'une possession tranquille : ils faut cependant convenir que sans indus-
établiront des certitudes à la place des trie la nature ici crée d'elle-même des
systèmes; ils feront connoître à quel dé- bocages de palmiers, sous lesquels se
gré les Égyptiens se sont de tout temps marient l'oranger, le sycomore, l'opon-
occupés du régime des eaux, et combien cia, le bananier, l'acacia, et le grenadier ;
même, dans les siècles d'ignorance, ils que ces arbres forment des groupes du
ont encore dans cette partie conservé plus beau mélange de feuillage et de ver-
d'intelligence. Après cela, si le Nil conT dure; que lorsque ces bosquets sont en-
tinue à appuyer sur sa droite, à grossir, toures à perte de vue par des champs
comme il fait déjà, la branche de Da- couverts de'doura déjà mûr, de cannes à
miette aux dépens de celle de Rosette; sucre prêtes à être recueillies, de champs
s'il abandonne cette dernière comme il de bleds, de lins, et de trèfles, qui tapis-
a déjà fait de celle du fleuve sans eau, sent de velours verd les gerçures du sol
et ensuite de celle de Canope ; s'il laisse à mesure que l'inondation se retire; lors-
enfin le lac de Bérélos pour se jeter tout que , dans les mois de notre hiver, on a
entier dans celui de Menzaléh, ou former s<ms les yeux ce brillant tableau des ri-
(85).
chesses du printemps-qui annonce déjà là sont venus ce lac creusé de trois cents
l'abondance de l'été ; il faut bien dire pieds de profondeur, cette pyramide éle-
avec ce voyageur que l'Egypte est le pays vée au milieu, ce fameux labyrinthe, ce
que la nature a le plus miraculeusement palais des cent chambres, ce palais pour
organisé, et qu'il ne lui manque que des nourrir des crocodiles, enfin tout ce qu'il
collines ombragées d'où couleroient des y a de plus fabuleux dans l'histoire des
ruisseaux, un gouvernement qui ren- hommes, et tout ce qui nous reste d'in-
droit sa population industrieuse, et l'é- croyable dans celle de l'Egypte. Maisr à
loignement des Bédouins, pour en faire l'aspect de ce qui existe, on trouve qu'ef-
le plus beau et le meilleur de tous les fectivement il y a un canal, qui est celui
pays. de Bathen, et qui étoit encore sous l'eau
En traversant la riche contrée que je de l'inondationlorsqu'àplusieurs reprises
viens de décrire, où l'oeil découvre vingt nous nous en sommes approchés ; que la
villages à la fois, nous arrivâmes à Din- pyramide d'Hilahoun peut être celle de
dyra, où nous nous arrêtâmes pour cou- Mendes, qui auroit été bâtie à l'extré-
cher. La pyramide d'Hilahoun, située à mité de ce canal, qui seroit le Moeris;
l'entrée du Faïoum, semble de là une que le lac Birket-êl-Kerun n'est qu'un
forteresse élevée pour la commander. dépôt d'eau qui a dû toujours exister, et
Seroit-ce la pyramide de Mendes? Le canal dont le bassin aura été donné par le
deBathen, qui y aboutit, n'est-il pas le mouvement du sol, entretenu et renou-
Moeris creusé de mains d'hommes, ainsi velé chaque année de l'excédent du dé-
que le croient Hérodote et Diodore? car bordement qui arrose le Faïoum ; les eaux
le lac de Birket-êl-Kerun, qui est le Moeris en seront devenues saumâtres à l'époque
de Strabon et de Ptolomée, ne peut ja- où le Nil aura cessé de couler par la vallée
mais être regardé que comme l'ouvrage du fleuve sans eau. Les preuves de ce
de la nature. Quelque accoutumés que systèmesont les formes locales, l'existence
nous soyons aux travaux gigantesques du lit d'un fleuve prolongé jusqu'à la mer,
des Égyptiens, nous ne pourrions nous ses dépositions et ses incrustations, la
persuader qu'ils eussent creusé un lac profondeur du lac, son extension sa
,
comme celui de Genève. Tout ce que les masse appuyée au nord à une chaîne es-
historiens et.les géographes anciens ont carpée , qui court de l'est à l'ouest, et
dit du lac de Moeris est équivoque et dérive au nord-ouest pour suivre en s'a-
obscur ; on voit évidemment que ce qu'ils baissant jusqu'à la vallée du fleuve sans
en ont écrit leur a été dicté par ces col- eau ; enfin les lacs de natrori, et, plus que
lèges de prêtres, toujours jaloux de tout tout cela, la chaîne au nord de la pyra-
ce qui regardoit leur pays, et qui auront mide qui ferme l'entrée de la vallée, cou-
jeté d'autant, plus facilement un voile pée à pic, comme presque toutes les mon-
mystérieux sur cette province qu'elle tagnes dont le courant du Nil s'approche
étoit écartée de la route ordinaire; et de encore aujourd'hui,offrant auxyeux l'as-
(86)
pect d'un fleuve à sec et de ses destruc- le temps d'éviter , et dont le coup mè
tions( v oyezplancheXXVI, n° i ^l'escar- soulevé de ma selle, et le contre-coup
pement de cette roche est à droite de la jette le soldat par terre. Voilà un savant
pyramide). de moins, dit-il en tombant ; car pour
Les ruines que l'on trouve..près de la nos soldats en Egypte tout ce qui n'étoit
ville de Faïoum sont sans doute celles point militaire étoit savant. Quelques
d'Arsinoé : je ne les ai pas vues, non plus piastres que j'avois dans la petite poche
que celles qui sont à la pointe occiden- de la doublure de mon habit m'avoient
tale du lac, près du village de Kasr-Ke- servi de bouclier; j'en fus quitte pour un
run ; mais on m'en a fait voir le plan, et habit déchiré. Arrivé à la tête de la co-
il n'offre que quelques chambres, avec lonne j'y trouve l'aide-de-camp Rapp :
,
un portique décoré de quelques hiéro- nous étions bien montés, le pas de nos
glyphes. chevaux avoitdevancé l'infanterie; c'était
La pyramide d'Hilahoun, la plus dé- à la tombée du jour ; plus on approche
labrée de toutes les pyramides que j'aie du tropique et moins il y a de crépuscule,
vues, est aussi celle qui avoit été bâtie le soleil plongeant perpendiculairement
avec le moins de magnificence ; sa con- sous l'horizon, l'obscurité suit immédia-
struction est composéede masses de pier» tement ses derniers rayons. Les Bédouins
res calcaires, qui servent de noyau à un infestoient la campagne; nous apperce-
monceau de briques non cuites : cette vons quelques points dans la plaine qui
frêle Construction, plus ancienne peut- étoit immense ; Rapp me dit : Nous som-
être que les pyramidesde Memphis, existe mes mal ici, regagnons la colonne, ou
cependant encore ( mêmeplanche XXVI, franchissons l'espace, et arrivons à Béné-
n° i ), tant le climat de l'Egypte est favo- souef. Je savois que le parti le plus hardi
rable aux monuments; ce qui seroit dé- étoit celui que préféroit mon compagnon:
voré par quelques uns de nos hivers re'- j'accepte le dernier; nous piquons des
siste victorieusementici au poids destruc- deux, et bravons les Bédouins, dont
teur d'une masse de siècles. c'étoit l'heure de la chasse : la course
Il est des heures malencontreuses où étoit longue ; nous doublons le mouve-
tous les mouvements que l'on fait sont ment; mon cheval s'échauffe, et m'em-
suivis d'un danger ou d'un accident. porte ; la nuit arrive, elle étoit noire lors-
Comme je revenois de cette tournée pour que je me trouve sous les retranchements
rentrer à Bénésouef, le général me charge de Bénésouef. Je crois pouvoir tenir la
d'aller porter un ordre à la tête de la co- même route que le matin; mon cheval
lonne : je me mets au galop.; un soldat bronche, je le relevé d'un coup d'éperonj
qui marchoit hors des rangs m'entend il saute un fossé qu'on avoit fait dans la
venir, se tourne à gauche comme je pas- journée, et je me trouve de l'autre côté,
sois à sa droite, et par ce mouvement me le nez contre une palissade, sans pouvoir
présente sa baïonnette que je n'ai plus avancer ni reculer. Pendant ce temps
(87)
la sentinelle avoit crié, je n'avois pas en- Hérodote jusqu'à nous, tous les voya-
tendu; elle tire, j'appelle en français; geurs, sur les pas les uns des autres, ont
elle me demande ce que je fais là, me remonté rapidement le Nil, n'osant per-
gronde, me renvoie ; et voilà le mal-adroit dre de vue leurs barques, ne s'en éloi-
ou le savant avec un coup de baïonnette, gnant quelques heures que pour aller
un coup de fusil, querellé, et remené avec inquiétude à quelque cent toises
chez lui comme un écolier sorti sans visiter rapidement les objets les plus voi-
permission de son collège. sins ; ils s'en rapportaient à des récits
Le 19 frimaire, le général Desaixrevint orientaux pour tout ce qui n'est pas sur
du Caire, amenant douze cents hommes les bords du fleuve. Encouragé par l'ac-
de cavalerie, six pièces d'artillerie, six cueil que me faisoit le général en chef,
djermes armées et bastinguées, et deux secondé par tous les officiers qui parta-
à trois cents hommesd'infanterie ; ce qui geoient mon amour pour les arts, je ne
faisoit sa division forte de trois mille craignois plus que de manquer de temps,
hommes d'infanterie, douze cents che- de crayons, de papier, et de talent : j'é-
vaux , et huit pièces d'artillerie légère ; il tais accoutumé au bivouac, et le biscuit
avoit ainsi tout ce qu'il falloit pour suivre, de munition ne m'épouvantait pas; je
attaquer, et battre Mourat-bey, s'il vou- ne craignois de Mourat-bey que de le
loit se laisser approcher. Nous étions voir entrer dans le désert, et nous pro-
pleins de courage et d'espoir. J'étois peut- mener de Bénésouef au Faïoum, et du
être le seul qui dans tout cela n'eût à Faïoum à Bénésouef.
acquérir ni gloire ni grade; mais je ne Enfin nous partîmes de cette ville le
pouv'ois me défendre de m'enorgueillir 26 au soir : le spectacle du départ étoit
de mon énergie ; mon amour - propre admirable ; je regrettai d'être trop occupe'
étoit exalté de marcher avec une armée pour en pouvoir faire un dessin: notre
toute brillante de victoires, d'avoir repris colonne avoit une lieue d'étendue ; tout
mon poste à l'avant-garde de l'expédition, respiroit la joie et l'espérance. A la tom-
d'être sorti le premier de Toulon, et de bée du jour, nous fûmes attristés par la
marcher avec l'espoir d'arriverle premier vue d'une terre en friche, et d'un village
à Syene, enfin de voir mes projets se réa- abandonné; le silenoe de la nuit, un sol
liser, et de toucher au but de mon voyage : inculte, des maisons désertes, combien
en effet ce n'étoit que de là que com- de tels objets apportent d'idées mélanco-
mençoit la partie importante de mon ex- liques ! c'est la tyrannie qui commence
pédition particulière; j'allois défricher, cette affreuse dépopulation,qu'achèvent
pour ainsi dire, un pays neuf; j'allois voir le désespoir et le crime. Lorsque le maître
le premier, et voir sans préjugé; j'allois d'un village a exigé tout ce que le pays
fouler une terre couverte de tout temps peut donner, que la misère des habitants
du voile du mystère, et fermée depuis est encore troublée par de nouvelles de-
deux mille ans à tout Européen. Depuis mandes réduits au désespoir, ils oppo-
,
(88)
sent la force à la force ; dès-lors, en état bras d'un large coup de sabre ; il regar-
de guerre, on leur court sus ; et si, en doit sa blessure sans émotion : il se pré*
se défendant, ils ont le malheur de tuer senta d'un air naïf et confiant au général,
quelques satellites de leurs tyrans, il ne qu'il reconnut aussitôt pour son juge.
leur reste de ressource que la fuite pour O puissance de la grâce naïve ! pas un as-
sauver leur vie, et le vol pour l'alimen- sistant n'avoit conservé de colère. On lui
ter; hommes, femmes, enfants, errants, demanda qui lui avoit dit de voler ces fu-
rayés de la société, deviennent la terreur sils : Personne; qui l'avoit porté à ce vol,
de leursvoisins, ne paroissentdans leurs Une savoit, le fort, Dieu; s'il avoit des pa-
foyers que furtivement, et, comme des rents : Une mère seulement, bien pauvre
oiseaux de nuit, se servent de leurs mu- et aveugle: le général lui dit que s'il
railles comme repaires de leur brigan- avouoit qui l'avoit envoyé, on ne-lui
dage et n'y reparaissent plus que mo- feroit rien ; que s'il s'obstinoit à se taire,
,
mentanément pour épouvanter ceux qui il alloit être puni coftTme il le méritait:
pourraient vouloir leur succéder. C'est Je vous l'ai dit, personne ne m'a envoyé,
ainsi que ces villages, devenus l'asyle du Dieu seul m'a inspiré; puis mettant son
crime, n'offrent plus aux regards que bonnet aux pieds du général : Voilà ma
friches, ruines, silence, et désolation. tête, faites-la couper. Religion fatale,
Nous arrivâmes à El-Beranqah à une où dés principes vicieux, unis au dogme,
heure de nuit ; nous en partîmes dès la mettent l'homme entre l'héroïsme et la
pointe du jour; nous vînmes déjeûner à scélératesse! Pauvre petit malheureux!
Bébé, village considérable, qui n'a rien dit le général ; qu'on le renvoie. Il vit que
de particulier que de posséder le poignet son arrêt étoit prononcé ; il regarda le
de S. George, relique très recommandable général, celui qui devoit l'emmener, et
pour tout pieux chevalier: ici la chaîne devinant ce qu'il n'avoit pu comprendre,
arabique se rapproche si fort du Nil, il partit avec le sourire de la confiance ;
qu'elle ne laisse qu'un ruban verdjJur sa sourire qui arriva jusqu'au fond de mon
rive. coeur : je fis le mieux que je pus un des-
A Miniel-Guidi, nous fûmes retardés sin de cette seene. C'est par des anecdotes
par des accidents arrivés aux trains de qu'on peut faire connoître la morale des
notre artillerie dans les passages des ca- nations; c'est par des anecdotes, plutôt
naux; nous apprîmes là que les Mame- que par des discussions, que l'on peut
louks étoient à Fechneh. Pendant que développer l'influence des religions et
nous attendions assis à l'ombre, on ame- des lois sur les peuples {voyez planche
' na au général Desaix un criminel. On XXXVI, ra°i).
crioit, C'est un voleur ; il a volé des fusils A cette scène touchante succéda un
aux volontaires, on l'a pris sur le fait; et événement étrange, de la pluie! elle
nous vîmes paraître un enfant de douze nous donna pour un instant une sensa-
ans, beau comme un ange , blessé au tion qui nous rappela l'Europe et le pre-
C«9)
mier parfum du printemps au 17 décem- droit comme il est tracé sur toutes les
bre. Quelques moments après on vint cartes : un nivellement général pourroit
nous avertir que les Mamelouks nous seul faire connoîtré le système et le ré-
attendoient à deux lieues de là avec une gime des arrosements, et ce qui appar-
armée de paysans : dès-lors alégresse ; ba- tient à la nature ou aux travaux des
taille pour le soir ou au plus tard pour hommes dans cette partie intéressante
le lendemain. A l'approche de Fechneh de l'Égypté. Vers le soir, nous traversâ-
nous découvrîmes un détachement de mes à gué le canal de Juseph, qui à cet
Mamelouks, qui nous laissa approcher à endroit parait n'être que la partie la plus
la demi-portée du canon, et disparut : basse delà vallée, le réceptacle de l'écou-
on nous dit que le gros corps étoit à lement des eaux, et point du tout l'ou-
Saste-Elsayéné, à une lieue plus loin ; les vrage de l'art, qui ne se manifeste nulle
canons se faisoient attendre,leur marche part. Le secret sur tout cela est réservé
étoit à chaque instant arrêtée par les ca- à une grande opération faite en temps de
naux ; et, malgré la volonté du général paix, qui pourra déterminer ce qu'il y
de joindre l'ennemi, et de l'attaquer auroit à faire pour recouvrer les avan-
avant même que l'ordre de bataille fût tages négligés ou perdus de ce mystérieux
complet, nous ne pûmes arriver à Saste canal. Ce travail important auroit été
qu'à la nuit ; et il y avoit deux heures celui du général Caffarelli, toujours si
que les Mamelouks en étoient sortis. A ardent pour tout ce qui pouvoit contri-
Saste, nous sûmes qu'ils avoient appris buer au bien de tous, si la mort n'eût
notre marche à la moitié de la journée, enlevé dans sa personne un ami tendre
dans le moment où les habitants débat- au général en chef, un bienfaiteur à
taient leurs intérêts sur ce qu'ils exi- l'Egypte entière.
geoient d'imposition extraordinaire ; et Au simple examen de ces nivellements
dès-lors ils ne pensèrent plus qu'à char- je serois porté à croire que cette partie
ger leurs chameaux , nous nommant de l'Egypte est devenue plus basse que
fléau de Dieu, envoyé pour les punir de les bords exhaussés du Nil, et qu'après
leurs fautes ; et en vérité ils auroient pu l'inondation générale le refoulement des
employer des expressions moins pieuses. eaux les fait se rassembler dans cette par-
Ils allumèrent des feux qui furent bien- tie. J'ai vu depuis, dans la haute Egypte,
tôt éteints. Nous partîmes le 28 à la pointe l'effet de la filtration qui s'en opère ; ces
du jour ; ils nous avoient précédés de eaux n'ayant dans cette région ni vallées
deux heures, et avoient pris trois lieues ni canaux pour s'è'couler après l'inonda-
d'avance sur nous ; ils marchoient en s'é- tion, cette grande masse pénètre l'épais-
loignant du Nil, entre le Bar-Juseph et seur du sol végétable, rencontre une cou-
le désert, abandonnant le pays le plus che de terre glaise, et revient au fleuve
riche de l'univers. Dans cette troisième par des filons lorsque son décroissement
traversée, je ne trouvai point ce canal l'a mis au-dessousde la superficie de cette
12
(90)
couche. Ne seroit-ce pas à cette même opé- Benesech fut bâti sur les ruines de l'an-
ration delà nature que l'on doit les oasis? tique Oxyrinchus, capitale du trente-
Nous vîmes des outardes ; elles étoient troisième nome ou province de l'Egypte ;
plus petites que celles d'Europe, ainsi que il ne reste de son ancienne existence que
toutes les espèces d'animaux communs quelques tronçons de colonnes en pierre,
aux-deux continents. Nous nous appro- des colonnes en marbre dans les mos-
châmes du désert, qui marchoit à nous; quées ,. et enfin une colonne debout, avec
car, comme l'ont dit les anciens Égyp- son chapiteau et une partie de son enta-
tiens, c'est le tyran Thyphon qui envahit blement, qui annoncent que ce fragment
sans cesse l'Egypte. Les montagnesétoient faisoit l'angle d'un portique d'ordre com-
encore à deux lieues, et nous touchions posite. Le désir de dessiner, sur-tout
aux' dunes, qui sont l'ourlet entre les dé- depuis que j'en trouvois rarement l'occa-
serts et les"terres cultivées. Pendant que sion, m'avoit fait prendre les devants : ce
nous faisions halte on vint nous dire n'étoit pas sans quelque danger que j'é-
que les Mamelouks en étoient aux mains tais arrivé seul une demi-heure avant la
avec nos avant-gardes : on fait des nou- division ; mais rester après eût été plus
velles à Paris d'un quartier à l'autre, on périlleux encore: je n'eus donc que le
en fait aussi dans une division de l'avant- temps de parcourir à cheval et de faire
garde au grand corps; mais comme à une vue de ce triste pays, et de dessiner
l'armée il n'est jamais permis de les re- là seule colonne debout qui soit restée de
jeter quand elles sont possibles, celle-ci son ancienne splendeur(voyezpi. XXXIf
pressa notre marche :-nous ne trouvâmes n° 1 et 2): de ce point on apperçoit un
point l'ennemi, et vînmes coucher près monument sortir des mains de la nature
du village de Benachie, dans un joli bois et du temps, qui, au lieu d'exciter l'ad-
de palmiers. •
miration et la reconnoissance, porte dans
-
Le 29, à la pointe du jour, nous nous l'ame un sentiment mélancolique ; Oxy-
mîmes en route avec le constant espoir rinchus , autrefois capitale , entourée
dejoindre l'ennemi ; nous apprîmes qu'il d'une plaine fertile, éloignée de deux
avoit marché toute la nuit : l'artillerie lieues de la chaîne libyque, a disparu
appesantissoit notre marche, y mettait sous le sable; l'ancien Benesech , au-
à chaque instant de petits.obstacles; les delà d'Oxyrinchus, a disparu aussi sous
Mamelouks n'en avoient point, et ils le sable ; la nouvelle ville est obligée de
avoient encore pour eù% le désert, au fuir ce fléau en lui abandonnant chaque
milieu duquel ils dénoient notre ardeur : jour quelques habitations, et finira par
nous tentâmes de nous y enfoncer ; bien- aller se retrancher au-delà du canal Ju-
tôt nos chevaux de trait furent sur les seph, au bord duquel il vient encore la
dents; nous arrivâmes par cette route à menacer. Ce beau canal semble vous of-
Benesech, où heureusement pour moi frir ses rives fleuries pour consoler vos
on fut obligé de faire halte. yeux des horreurs du désert; du désert!
(9« )

nom terrible à qui l'a vu une fois, horizon les dépouilles de l'antique Oxyrinchus,
sans bornes, dont l'espace vous oppresse, mais qui n'avoient point appartenu au
dont la surface ne vous présente si elle temps des Égyptiens.
est unie qu'une tâche pénible à parcourir, Nous nous remîmes en chemin en sui-
où la colline ne vous cache ou ne vous vant le canal, qui dans cette partie res-
découvre que la décrépitude et la dé- semble à la Marne : après une lieue, nous
composition où le silence de la non- vîmes une explosion considérable dont
,
existence règneseul sur l'immensité.C'est nous n'entendîmes pas le bruit ; nous
pour cela sans doute que les Turcs vont y pensâmes que c'était un signal; ce ne
placer leurs tombeaux : des tombeaux fut que le surlendemain que nous sûmes
dans le désert, c'est la mort et le néant. que c'était une partie de la poudre des
Fatigué de dessiner, je me livrais, me Mamelouks qui avoit pris feu : un qùart-
croyant seul, à toute la mélancolie que d'heure après, nous nous saisîmes d'un
m'inspiraitce tableau,lorsquej'apperçus convoi de huit cents moutons, que je
Desaix dans la même attitude que moi, crois bienqu'on fit semblantde croire leur
pénétré des mêmes sensations : appartenir; enfin il consola notre troupe
Mon ami, me dit-il, ceci n'est-il point des fatigues de cette grandejournée. Nous
une erreur de la nature? rien n'y reçoit arrivâmes à Elsack trop tard pour pou-
la vie ; tout semble être là pour attrister voir sauver ce village du pillage ; en un
ou épouvanter; il semble que la Provi- quart-d'heure il ne resta rien dans les
dence après avoir pourvu abondamment maisons, rien dans l'exactitude du mot ;
,
les trois autres parties du monde, a man- les habitants arabes s'étaient sauvés dans
qué tout-à-coup d'un élément lorsqu'elle les champs: on leur dit de revenir; ils
voulut fabriquer celle-ci, et que, ne sa- répondirent froidement : Qu'irions-nous
chant plus comment faire, elle l'aban- chercher chez nous ? ces champs déserts
,
donna sans l'achever. — N'est-ce pas bien ne sont-ils pas pour nous comme nos
plutôt,lui dis-je,la décrépitudedela partie maisons? Nous n'avions rien à répondre
du monde la plus anciennement habitée? à cette phrase laconique.
ne seroit-ce pas l'abus qu'en auroient fait Le lendemain 3o n'offrit rien de très in-
les hommes qui l'a réduite en cet état? téressant. Nous trouvâmes le lac Bathen
Dans ce désert il y a des vallées, des bois tortueux comme le lac Juseph : le nivel-
pétrifiés; il y a donc eu des rivières, des lement du sol de l'Egypte nous en don-
forêts : ces dernières auront été détruites ; nera quelque jour la coupe, et nous
dès-lors plus de rosée, plus de brouil- éclaircira l'histoire ténébreuse de ses ir-
lards, plus de pluie, plus de rivières, plus rigations tant anciennes que modernes;
de vie, plus rien. avant cette opération, tous les raisonne-
Nous trouvâmes dans les mosquées de ments seraient téméraires, et les asser-
Benesech une quantité de colonnes de tions illusoires. Nous vînmes coucher à
différents marbres, qui sont sans doute Tata, grand village, habité par les Coph-
(9»)
tes , et un chef arabe, qui avoit rejoint nous avions parcourues, et les villages
Mourat-bey, laissant à notre disposition si nombreux et si rapprochés , qu'au
une belle maison, et des matelas sur les- milieu de la plaine j'en comptai vingt-
quels nous passâmes une nuit délicieuse : quatre autour de moi ; ils n'étaient point
nous pouvions si rarement dormir avec attristéspar des monticules de décombres,
quelque commodité ! mais tellement plantésd'arbres si touffus,
Le lendemain, xer nivôse, nous traver- que l'on croyoit voir les tableaux que les
sâmes des champs de pois et defévesdéja voyageurs nous ont transmis des habi-
en grains, et d'orge en fleur. tations des isles de la mer Pacifique.
A midi, nous arrivâmes à Mynyeh, Le lendemain, à onze heures, nous
grande et jolie ville, où il y avoit autre-
nous trouvâmes entre Antinoé et Her-
fois un temple àAnubis. Je n'y trouvai mopolis. Je n'étais pas très curieux de
point de ruines, mais de belles colonnes visiter Antinoé ; j'avois vu des monu-
de granit dans la grande mosquée, co- ments du siècle d'Adrien, et ce qu'il
lonnes bien fuselées, avec un astragale avoit bâti en Egypte ne pouvoit rien
avoir de piquant ni de nouveau pour
très fin : faisoient-elles partie du temple
d'Anubis ? je ne sais ; mais elles étoientmoi, mais je brûlois d'aller à Hermo-
sûrement d'un temps postérieur à celles polis, où je savois qu'il y avoit un por-
des temples de la haute antiquité égyp- tique célèbre; aussi quelle fut ma satis-
tienne que j'ai vus dans la suite de mon faction lorsque Desaix me dit : Nous al-
voyage. lons prendre trois cents hommes de ca-
Les Mamelouks étoient partis de la valerie , et nous courrons à Achmounin,
ville de Mynyeh et avoient manqué pendant que l'infanterie se rendra à Me-
,
d'être surpris par notre cavalerie qui y laui.
arriva quelques heures après ; ils avoient En approchant de l'éminence sur la-
été obligés d'abandonner cinq bâtiments quelle est bâti le portique, je le vis se
armés de dix pièces de canon, et d'un dessiner sur l'horizon, et déployer des
mortier à bombe ; ils en avoient enterré formes gigantesques : nous traversâmes
deux autres : plusieurs déserteurs grecs le canal d'Abou-Assi, et bientôt après, à
qui les montaient vinrent nous joindre. travers des montagnes de débris, nous
Mynyeh étoit la plus jolie petite villeatteignîmes à ce beau monument, reste
que nous eussions encore vue; d'assez de la plus haute antiquité.
belles rues, de bonnes maisons, fort bien Je soupirois de bonheur : c'était, pour
situées, et le Nil coulant dans un large ainsi dire, le premier produit de toutes
et riant bassin. J'en fis un dessin (n° 3,
les avances que j'avois faites ; c'était le
plancheXXXlï). premier fruit de mes travaux ; en excep-
De Mynyeh à Come-êl-Caser, où nous tant les pyramides, c'était le premier
couchâmes, la campagne est plus abon- monument qui fût pour moi un type
dante et plus riche que toutes celles que de l'antique architecture égyptienne, les
(93)
premières pierres qui eussent conservé cies, qui sont bizarres clans le dessin, ont
leur première destination , qui, sans par leur masse quelque chose d'imposant
mélange et altération, m'attendissent là qui arrête la critique : ici on n'ose adopter
depuis quatre mille ans pour me donner ni rejeter; mais ce qu'il faut admirer,
une idée immense des arts et de leur per- c'est la beauté des lignes principales, la
fection dans cette contrée. Un paysan perfection de l'appareil, l'emploi des or-
qu'on sortiroit des chaumières de son nements, qui font richesse de près, sans
•hameau, et que l'on mettroit tout d'a- nuire à la simplicitéqui produit le grand.
bord devant un pareil édifice, croiroit Le nombre immense des hiéroglyphes
qu'il y a un grand intervalle entre lui qui couvrent toutes les parties de cet édi-
et les êtres qui l'ont construit ; sans avoir fice non seulement n'ont point de relief,
,
aucune idée de l'architecture, il diroit : mais ne coupent aucune ligne, disparais-
Ceci est la maison d'un dieu ; un homme sent à vingt pas, et laissent à l'architec-
n'oserait l'habiter. Sont-ce les Égyptiens ture toute sa gravité. La gravure, plus
qui ont inventé et perfectionné un si que la description, donnera une idée
grand et si bel art? c'est sur quoi il est précise de ce qui est conservé de cet édi-
difficile de prononcer; mais ce dont je fice ; l'explication de l'estampe et le plan
ne pus douter dès le premier instant que achèveront de donner toutes les dimen-
j'apperçus cet édifice, c'est que les Grecs sions que j'ai pu m'en procurer.
n'avoient rien inventé et rien fait d'un Parmi les monticules, à deux cents
plus grand caractère. La première idée toises du portique, on voit à demi en-
qui vint troubler ma jouissance , c'est fouis d'énormes quartiers de pierres, et
que j'allois quitter ce grand objet, c'est des substructions qui paraissent être
,
que mes moments étoient comptés, et celles d'un édifice auquel appartenoient
que le dessin que j'allois faire ne pourroit des colonnes de granit, enfouies, et qu'à
rendre la sensation que j'éprouvois : il peine on distingue à la superficiedu sol :
falloit du temps et un grand talent; je plus loin, toujours sur les décombres de
manquois de l'un et de l'autre ; mais si la grandeHermopolis, est bâtie une mos-
je n'osois mettre la main à l'oeuvre, je quée , où il y a nombre de colonnes de
n'osois m'éloigner sans emporter' avec marbre cipolin , de médiocre grandeur,
moi un dessin quelconque, et je ne me et toutes retouchées par les Arabes; en-
mis à l'ouvrage qu'en désirant bien sincè- suite vient le gros village d'Achmounin,
rement qu'un autre plus heureux que peuplé d'environ cinq mille habitants,
moi pût faire un jour ce que j'allois pour lesquels nous fûmes une curiosité
ébaucher {voyez n° i, planche XXXIII). aussi étrange que leur temple l'avoit été
Si quelquefois le dessin donne un pour nous.
grand aspect aux petites choses, il rape- Nous vînmes coucher à Melaui, à une
tisse toujours les grandes ; les chapiteaux, demi-lieuede chemin d'Achmounin. Mais
qui paraissent pesants, les bases ramin- j'entends le lecteur me dire : Quoi ! vous
(94)
quittez déjà Hermopolis, après m'avoir je fus tenté. A peine endormi, je suis
fatigué de longues descriptions de mo- réveillé par une agitation que je prends
numents , et vous passez rapidement pour une fièvre inflammatoire; aux pri-
quand vous pourriez m'intéresser ! qui ses avec la douleur et le sommeil, chaque
vous presse ? qui vous inquiète ? n'êtes- minute, passant de l'effroi d une maladie
vous pas avec un général instruit qui grave à l'affaissementde la lassitude, prêt
aime les arts ? n'avez-vous pas trois cents à m'évanouir,j'entends mon compagnon
hommes avec vous ? Tout cela est vrai ; qui me dit, à moitié endormi, Je suis
mais telles sont les circonstances d'un bien mal ; je lui réponds, Je n'en puis
voyage, et tel est le sort du voyageur : plus : ce dialogue nous réveilletout-à-fait ;
le général, très bien intentionné, mais nous nous levons, nous sortons de la
dont la curiosité est bientôt satisfaite, chambre, et, à la clarté de la lune, nous
dit au dessinateur : Il y a dix heures que nous trouvons rouges, enflés, mécon-
trois cents hommes sont à cheval, il faut noissables; nous ne savions que penser
que je les loge, il faut qu'ils fassent la de notre état, lorsque, bien éveillés »
soupe avant de se coucher. Le dessina- nous nous appercevons que nous sommes
teur entend cela d'autant mieux qu'il est devenus la proie de toutes sortes d'ani-
aussi bien las, qu'il a peut - être bien maux immondes.
faim, qu'ilbivouacquechaque nuit, qu'il Les maisons de la haute Egypte sont
est douze à seize heures par jour à cheval, de vastes colombiers dans lesquels le
que le désert a déchiré ses paupières, propriétaire se réserve une seule cham-
et que ses yeux brûlants et douloureux bre ; il y loge avec ce qu'il a de poules,
ne voient plus qu'à travers un voile de de poulets, et tout ce que ces animaux
sang. et lui produisent d'insectes dévorants:
Melaui est plus grande et encore plus la recherche de ces insectes l'occupe la
jolie que Mynyeh ; les rues en sont droi- journée ; la dureté de sa peau brave, la
tes , son bazard fort bien bâti ; et il y a nuit, leur morsure; aussi notre hôte,
une spacieuse maison de Mamelouks qui qui de bonne foi avoit cru faire mer-
serait facile à fortifier. veille ne concevoit rien à notre fuite.
,
Nous étions rentrés tard; j'avois perdu Nous nous débarrassâmes comme nous
du temps à parcourir la ville et à aller pûmes des plus affamés de nos convives,
chercher mon quartier : j'étois logé hors en nous promettant bien de ne jamais
les murs, et devant une jolie maison qui accepter pareille hospitalité.
paroissoit assez commode : le proprié- Le 3, nous continuâmes de suivre les
taire , aisé, étoit assis devant la porte ; Mamelouks: ils étoient toujours à quatre
il me fit voir qu'il avoit fait coucher le lieues de distance; nous ne pouvions
général Belliard dans une chambre, et rien gagner sur eux : ils dévastaient au-
que j'y trouverois place aussi ; il y avoit tant qu'ils pouvoient le pays qu'ils lais-
quelque temps que je couchois dehors ; soient entre nous. Vers le soir nous
(95)
vîmes arriver une députation avec des d une bataille présentent tant de mouve-
drapeaux en signe d'alliance ; c'étaient ments , forment l'ensemble d'un si grand
des Chrétiens auxquels ils avoient de- tableau, les résultats en sont d'une telle
mandé une contribution de cent cha- importance pour ceux qui s'y engagent,
meaux ; et, ces malheureux n'ayant pu les qu'ils laissent peu de place aux réflexions
leur donner, ils avoient tué soixante des morales ; il n'est plus alors question que
leurs; un tel procédé ayant irrité les de succès : c'est Un jeu d'un si grand in-
Chrétiens, ils avoient de leur côté tué térêt, qu'on veut gagner quand on joue.
huit Mamelouks, dont ils nous propo- Nous arrivâmes à Bénéadi, et notre
soient de nous apporter les têtes : ils par- espérance fut encore déçue cette fois ;
loient tous à la fois, répétaient cent foisles nous n'y trouvâmes que des Arabes,
mêmes expressions ; mais heureusement que notre cavalerie chassa dans le dé-
pour nos oreilles l'audience se donnoit sert. Bénéadi est un riche village d'une
dans un champ de luzerne, ce <rui offrit demi-lieue de long, avantageusement si-
un rafraîchissementà la députation,qui tué pour le commerce des caravanes de
se mit à manger de l'herbe comme d'un Darfour, possédant un territoire abon-
mets délicieux dont on craint de perdre dant ; sa population a toujours été assez
l'occasion de se rassasier. Sans descendre nombreuse pour se trouver eh mesure
de cheval, je me mis aussi à dessiner un de composer avec les Mamelouks, et ne
député comme il venoit d'interrompre pas se laisser rançonner par eux. Il nous
sa harangue {voyezplanche CI, n° 6 ). parut qu'il falloit temporiser aussi pour
Nous vînmes coucher à Elgansanier, le moment, d'autant que les avances
où nous fûmes assez bien logés dans un amicales qu'on nous y faisoit avoient je
tombeau de santon. ne sais quoi qui ressembloit à des con-
Le 4, nous marchions sur Mont-Fa- ditions : nous jugeâmes qu'il falloit dis-
loût, lorsqu'on vint nous dire que les simuler l'insolence de ces procédés sous
Mamelouks étoient. à Bénéadi où nous les dehors de la cordialité. Entourés d'A-
,
courûmesles chercher. Électrisé par tout rabes dont ils ne Craignent rien aux be-
,
ce qui m'entouroit, le coeur me battoit soins desquels ils fournissent, et dont
de joie toutes les fois qu'il étoit question ils peuvent par conséquent disposer, les
de Mamelouks, sans réfléchir que j'étais habitants de Bénéadi ont une influence
là sans animosité ni rancune contre eux ; dans la province qui les rendoit embar-
que, puisqu'ils n'avoient jamais dégradé rassants pour un gouvernement quel-
les antiquités, je n'avois rien à leur re- conque ; ils vinrent au-devant de nous,
procher ; que , si la terre que nous fou- ils nous reconduisirent au-delà de leur
lions leur étoit mal acquise, ce n'étoit territoire sans.que nous fussions tentés
pas à nous aie trouver mauvais ; et qu'au ni les uns ni les autres de passer la nuit
moins plusieurs siècles de possession éta- ensemble. Nous vînmes coucher à Beni-
blissoient leurs droits : mais les apprêts sanet.
(9&)
Le 5, avant d'arriver à Siouth, nous si envieux de toucher à une montagne
trouvâmes un grand pont, une écluse, égyptienne! j'en voyois deux chaînes de-
et une levée pour retenir les eaux du puis le Caire sans avoir pu risquer de
Nil après l'inondation; ces travaux ara- gravir aucune d'elles : je trouvai celle-ci
bes faits sans doute d'après les errements telle que je l'avois pressentie, une ruine
,
antiques, sont aussi utiles que bien en- de la nature, formée de couches horizon-
tendus ; en tout il me paroissoit que la dis- tales et régulières de pierrescalcaires,.plus
tribution des eaux dans la haute Egypte oumoins tendres, plusoumoinsblanches,
étoit faite avec plus d'intelligence que entrecoupées de gros cailloux mamelon-
dans la basse, et par des moyens plus nés et concentriques, qui semblent être
simples. lès noyaux ou les ossements de cette lon-
Siouth est une grande ville bien peu- gue chaîne, soutenir son existence,et en
plée , sur l'emplacement, suivant toute suspendre la destruction totale : cette dis-
apparence, de Licopolis ou la ville du solution s'opère journellement par l'im-
Loup. Pourquoi la ville du Loup dans pression de l'air salin qui pénètre chaque
un pays où il n'y a pas de loups, puis- partie de la surface de la pierre calcaire,
que c'est un animal du nord ? étoit-ce la décompose, et la fait, pour ainsi dire,
un culte emprunté des Grecs, et les La- couler en ruisseaux de sables, qui s'ar
tins , qui nous ont transmis cette déno- moncellent d'abord auprès du rocher,
mination dans des siècles où l'on s'occu- puis sont roulés par les vents, et de
poit peu de l'histoire naturelle ? n'ont-ils proche en proche changent les villages
fait aucune différence entre le chakal et et les champs fertiles en de tristes dé-
le loup ? On ne trouve point d'antiquités serts. Les rochers sont à près d'un quart
dans la ville ; mais la chaîne libyque, de lieue de Siouth ; dans cet espace est
au pied de laquelle elle est bâtie, offre une jolie maison du kiachef qui géroit
une si grande quantité de tombeaux, pour Soliman-bey. Les rochers sont creu-
qu'il n'est pas possible de douter qu'elle sés par d'innombrables tombeaux, plus
n'occupe le territoire d'une ancienne ou moins grands, décorés avec plus ou
grande ville. Nous étions arrivés à une moins de magnificence; cette magnifi-
heure après midi ; il y eut des vivres à cence ne peut laisser aucun doute sur
prendre pour l'armée, des malades à l'antique proximité d'une grande ville ; je
envoyer à l'ambulance, des barques et dessinai un des principaux de ces monu-
des provisions, que les Mamelouks n'a- ments ( voyez planche XXXIII, n° 2 ),
voient pu emmener, dont il falloit pren- et le plan intérieur (même planche).
dre possession : on résolut de coucher. Tous les parvis intérieurs de ces grottes
Je commençai par faire un dessin de la sont couverts d'hiéroglyphes; il faudroit
Siouth moderne, aune demi-lieue de la des mois pour les lire, si on en savoit la
chaîne libyque ( voyez pi. XXX, n° 2). langue; il faudroit des années pour les
Je courus bien vite la visiter ; j'étais copier: ce que j'ai pu voir avec le peu
(97)
(98)
témoignages et les seuls restes de l'habita- n°. i ). Vers le milieu de la journée ,
tion de ces austères cénobites dans ces nous nous rapprochâmes du désert, où
austères cellules. Dans la saison où nous je trouvai trois objets nouveaux : le pal-
les vîmes, rien n'étoit comparable à la mier-doum,quiressemblepar la feuilleau
verdure de toutes les teintes qui tapis- palmier-raquette,que nous connoissons,
soient les rives du Nil aussi loin que la et qui n'a pas, commele dattier, une seule
vue pouvoit s'étendre : entraîné par la tige, mais de huit jusqu'à quinze ; son
curiosité , j'avois tant fait de chemin fruit ligneux est attaché par groupe à l'ex-
que je ne pouvois plus me rendre au trémité des branches principales, d'où
quartier. partent les touffes qui forment le feuil-
Lasortie d'une grandeville est toujours lage de l'arbre ; il est de forme triangulaire
embarrassante pour une armée. Le lende- et de la grosseur d'un oeuf ; sa première
main nous nous mîmes en marche avant enveloppe est spongieuse, et se mange
le jour : tousnosguides s'étaient attachés comme le caroube ; sa saveur est miel-
à la même division; et laissant errer la leuse et approche du goût du pain-d'é-
,
nôtre à l'aventure, nous passâmes une pice; sous cette" enveloppe est une écorce
partie de la matinée à nous chercher dure et filandreuse comme celle du
avec inquiétude, et à nous rassembler coco, à qui il ressemble plus qu'à tout
avec peine. Nous suivions toutes les si- autre fruit ; mais il manque absolument
nuosités du canal d'Abou-Assi,-qui est de cette partie ligneuse et fine ; sa par-
le dernier de la haute Egypte, et aussi tie gélatineuse est sans saveur : elle de-
considérable que pourroit l'être un bras vient d'une grande dureté ; on en fait
du Nil; il partage avec ce fleuve le dia- des grains de chapelets qui prennent la
mètre de la vallée,qui dans cette journée teinture et le poli ( voyez pi. XXXIV,
ne me parut pas avoir plus d'une lieue, n° i ).
mais cultivée avec plus de soin et d'in- Je vis aussi un petit oiseau charmant,
telligence que tout ce que nous avions vu qu'à sa forme et ses habitudes je dois
jusqu'alors : on y a tracé des chemins qui ranger dans la classe des gobe-mouches ;
nous firent voir qu'avec très peu de frais il prenoit à chaque instant de ces insectes
on en feroit d'excellents et d'éternels avec une adresse admirable : grâce à l'a-
dans un climat où il ne pleut ni ne gelé. pathie des Turcs, tous les oiseaux chez
A toutes les demi-lieues nous trouvions eux sont familiers; les Turcs n'aiment
des citernes, avec un petit monument rien, mais ne dérangentrien : la couleur
hospitalier pour donner à boire au pas- de l'oiseau dont il s'agit est verte, claire,
sant et à son cheval : je dessinai un des et brillante; la tête dorée, ainsi que le
plus considérables de ces petits établisse- dessus des ailes; son bec long, noir, et
ments philanthropiques, aussi agréables pointu ; et il a à la queueune plume d'un
qu'utiles qui caractérisent la charité demi-pouce plus longue que les autres :
,
arabe (voyez les pi. XXVII et XXXIV, sa grosseur est celle de la petite mésange.
(89)
Un peu plus loin, je vis dans le désert la veille, et qui brûloit encore, ce qui
des hirondelles d'un gris clair comme le m'empêcha d'y entrer : mais on en eon-
sable sur lequel elles volent ; celles-ci n'é- noîtra les détails par ceux que je vais
migrent pas, ou vont dans des climats donner du couvent Blanc, qui lui res-
analogues, car nous n'en voyons jamais semble, et qui n'est éloigné de l'autre
en Europe de cette couleur : elles sont que de vingt minutes de marche, situé
de l'espèce des cu-blancs. de même sous la montagne, et de même
Après treize heures de marche, nous au bord du désert; on appelle le pre-
vînmes coucher à Gamerissiem mal- mier le couvent Rouge, parcequ'il est
,
heureusement pour ce village ; car les bâti en brique ; l'autre le couvent Blanc,
cris des femmes nous firent bientôt com- parcequ'il est en pierre de taille de cette
prendre que nos soldats, profitant des couleur : ce dernier avoit été brûlé aussi la
ombres de lanuit, malgré leur lassitude, veille ; mais les moines, en s'enfuyant,
prodiguoient des forces superflues, et, avoient laissé la porte ouverte, et quel-
sous le prétexte de chercher des provi- ques serviteurs pour sauver les débris.
sions, arrachoient en effet ce dont ils On attribue l'érection de cet édifice
n'avoient pas besoin : volés, déshonorés, à Ste Hélène; ce qui est probable à en
poussés à bout, les habitants tombèrent juger par le plan. Il y avoit sans doute
sur les patrouilles qu'on envoyoit pour un couvent près de ce temple ; quelques
les défendre, et les patrouilles, attaquées arrachements de mur et des blocs de gra-
par les habitants furieux, les tuèrent, nit attestent son ancienne existence. A
faute de s'entendre et de pouvoir s'expli- l'aspectde ces monuments on doit penser
quer.... O guerre, que tu es brillante que si c'est Ste Hélène qui les a fait con-
dans l'histoire ! mais vue de près, que struire, l'empereur Constantin secondoit
tu deviens hideuse , lorsqu'elle ne cache son zèle, et mettoit de fortes sommes à
plus l'horreur de tes détails ! sa disposition; le couvent n'étant point,
Le 7, nous suivîmes le désert, qui comme l'église, construit de manière à
étoit bordé par une suite de villages. pouvoir se clorre et se défendre, aura
Malgré le froid que nous éprouvions la sans doute été brûlé ou détruit dans quel-
nuit, la chaleur du jour et les produc- ques circonstances pareilles à celle dont
tions de la terre nous avertissoient que nous venions d'être les témoins ; la con-
nous approchions du tropique ; l'orge struction de cette église est telle encore
étoit mûre, le bled en grain, et les me- qu'avec un machicouli sur les portes et
lons, plantés en plein champ, étoient quelques pièces de canons sur les mu-
déjà en fleurs. Nous vînmes bivouacquer railles on s'y défendroit très bien contre
dans un bois près de Narcette. les Arabes, et même contre les Mame-
Le 8, nous traversâmes un désert, et louks; mais, sans armes, ces pauvres
vînmes aboutir à un couvent cophte, moines n'avoient pu opposer que la pa-
auquel les Mamelouks avoient mis le feu tience , la résignation , leur sainteté, et
( IOO )
sur-tout leur misère, qui dans toute Pendant qu'on faisoit halte, je fis,
autre occasion les auroient sauvés ; dans aussi rapidement qu'il me fut possible,
celle-ci, les Mamelouks s'étaient vengés les deux vues n° 1 et 2, planche XXXII,
sur des catholiques des maux qu'ils éprou- et le plan n° l\, planche XCIII. La vue
voient des catholiques: comme s'ilspou- n° 1 est dessinée du couvent Rouge au
voient réparer par un aussi injuste moyen couvent Blanc, qui indique l'espace qu'il
les malheurs dont nous étions la cause ! y a entre eux, et la situation de ces deux
Nous apperçûmes dans les ruines pro- monastères appuyés contre le désert, et
duites par cette catastrophe le charbon ayant la vue d'une riche campagne ar-
qui résultoit de l'incendie de la boiserie rosée par le canal d'Abou-Assi : le n° 2
du choeur; et les insatiables besoins de donne l'idée de l'architecture de ces édi-
l'insatiable guerre nous firent encore en- fices du quatrième siècle, par conséquent
lever ces débris de la misère, et ces restes postérieurs de vingt siècles aux grands
,
de la dévastation dont nous étions la monumentségyptiens, et dont la gravité
cause. du style, la corniche, et les portes, rap-
Depuis l'ancienne destruction du cou- pellent absolument le genre de cette
vent, les moines se sont logés dans la première architecture ; le plan fait voir
galerie latérale de l'église, si l'on peut de belles lignes, excepté dans la partie
appeler des logements les petites huttes du choeur, où l'on reconnoît la déca-
qu'ils se sont fabriquées sous ces porti- dence du bon goût. Nous allâmes bi-
ques fastueux; c'est la misère dans le vouacquer à Bonnasse-Boura.
palais de l'orgueil. Le 7, nous revînmes sur le Nil, et nous
Les pères avoient fui ; nous ne trou- traversâmes le champ de bataille où ,
vâmes que les frères, couverts de hail- dans la dernière guerre des Turcs avec
lons et à peine revenus de l'agonie qu'ils les Mamelouks, Assan-pacha fut battu
,
avoient éprouvéela veille. Pour avoir une par Mourat-bey, et où ce dernier, avec
idée de la vie, du caractère, et des moyens cinq mille Mamelouks, renversa et mit
dé subsistance de ces moines, il faut lire en fuite dix-huitmille Turcs et trois mille
ce qu'en a écrit le général Andréossi Mamelouks. Malem-Jacob,le Cophte, qui
dans l'excellent mémoire qu'il a donné nous accompagnoit comme intendant
sur les lacs de natron, et les couvents des finances , spectateur et acteur de
d'El-Baramous, de Saint-Ephrem, et de cette bataille, nous en expliqua les dé-
Saint-Macaire; cet exact et judicieux ob- tails; il nous démontroit avec quelle su-
servateur y a décrit les besoins de ces périorité de talent Mourat avoit pris ses
moines, leur état de guerre continuelle avantages, et en avoit profité : ce même
avec les Arabes, les malheurs de leur Mourat-bey devoit rugir de colère d'être
existence, les causes morales qui les leur obligé de repasser sur le même Sol fuyant
font supporter et perpétuent ces établis- devantquinze cents hommesd infanterie.
sements. Comme nous raisonnions sur les vicissi-.
( roi )
tudes de la fortune, entraînés par l'inté- étoient-ee les ruines de Ptolémaïs?... On
rêt de la conversation, nous avions très tira un coup de canon pour faire rejoin-
imprudemment, comme il nous arrivoit dre la cavalerie qui avoit couché à une
tous les jours, devancé l'armée d'une demi- lieue de nous ; après une demi-heure,
lieue. Je disois en plaisantant à Desaix nous nous trouvâmes en état de défense
qu'il seroit très ridicule de trouver dans ou d'attaque : nous marchâmes en bataille
l'histoire qu'on lui eût coupé le cou dans sur le rassemblement,qui se dissipa; les
une rencontre de cinq à six Mamelouks, Mamelouks eux-mêmes disparurent, et
et que pour mon compte je serais désolé nous arrivâmes à Girgé sans avoir joint
délaisser ma tête derrière quelques buis- les ennemis.
sons , où elle seroit oubliée : en ce mo- Assis près de son bureau, la carte de-
ment nous dépassions Minchie; l'adju- vant lui, l'impitoyable lecteur dit au
dant Clément vint dire au général qu'il pauvre voyageur, harassé, poursuivi, af-
y avoit des Mamelouks dans le village : famé, en butte à toutes les misères de la
en effet il en parut deux, puis six , puis guerre, Il me faut ici Aphroditopolis,
dix, puis quatre autres, puis deux autres, Crocodilopolis Ptolémaïs ; qu'avez-vous
,
puis des équipages; ils allèrent se mettre fait de ces villes? Qu'êtes-vous allé faire
à une portée de fusil, et nous obsèr- là, si vous ne pouvez m'en rendre comp-
voient : rétrograder eût été se faire enle- te ? n'aviez,-vous pas un cheval pour vous
ver ; le pays étoit couvert : Desaix prit le porter, une armée pour vous protéger,
parti de faire bonne contenance , de pa- un interprète pour questionner! n'avez-
raître prendre des dispositions; il avoit vous pas pensé que je vous honorerois
quatre fusiliers, qu'il plaçoit alternati- de ma confiance ? — A la bonne heure ;
vement sur tous les points, afin de les mais veuillez bien , lecteur, songer que
multiplier par leurs mouvements : nous nous sommes entourés d'Arabes, de Ma-
mîmes quelques fossés entre les Mame- melouks et que très probablement ils
,
louks et nous ; nous gagnâmes du temps ; m'auroient enlevé , pillé , tué , si je m'é-
notre avant-garde parut enfin, et ils se tais avisé d'aller à cent pas de la colonne
retirèrent. On vint nous dire que Mou- vous chercher quelques briques d'Aphro-
rat nous attendoit devant Girgé ; nous en- ditopolis.
tendîmes de grands cris, nous vîmes s'é- Ce quai revêtu, que j'ai vu en passant
lever des nuages de poussière ; Desaix au galop à Minchie , c'était Ptolémaïs ; il
crut avoir obtenu la bataille après la- n'en reste rien autre chose.
quelle nous courions depuis quatorze Encore un peu de patience, et nous
jours: je fus envoyé pour faire avancer la irons ensemble fouler un sol tout neuf
colonne d'infanterie ; j'apperçus, en pas- pour les recherches , voir ce qu'Hérodote
sant au galop , un revêtissement antique même n'a décrit que sur des récits men-
sur le bord du Nil, et des rampes à gra- songers , ce que les voyageurs modernes
dins descendant dans deux bassins; n'ont pu dessiner et mesurer qu'avec
(ioa)
toute sorte d'anxiété, sans oser perdre le qu'avec de grands frais un mauvais port
Nil et leur barque de' vue : en effet ces pour les barques : cette ville n'est donc
malheureux voyageurs, rançonnés tour- intéressante que par sa position à une
à-tour et sous toute sorte de prétextes distance égale du Caire et de Syene, et
par les reis, par leur interprète, par tous par la richesse de son territoire. Nous y
les cheikhs, kiachefs, et pachas, abandon- trouvâmes tous les comestibles à un très
nés des leurs, volés des autres, suspects bas prix ; le pain à un sou la livre, douze
comme sorciers, tourmentés pour les oeufs pour deux sous, deux pigeons à
trésors qu'ils dévoient avoir trouvés ou trois sous, une oie de quinze livres pour
pour ceux qu'ils alloient chercher , obli- douze sous. Étoit-ce pauvreté ? non, c'é-
gés en dessinant d'avoir un oeil sur tous tait abondance ; car, après un séjour de
ceux qui les environnoient, et qui étoient trois semaines, où plus de cinq mille
toujours près de se soulever, et d'attenter personnes,avoient augmenté la consom-
à l'ouvrage, s'ils n'alloient pas jusqu'à at- mation et répandu de l'argent, tout étoit
tenter à la personne ; ces voyageurs, dis- encore au même prix.
je, ne sont pas si coupables de ne pas Les barques ne nous joignoient pas;
transmettre tous les détails que l'on pour- nous manquions de souliers et de bis-
rait désirer sur ce pays si curieux, mais cuits : on s'établit, on fit construire des
si dangereux à observer. fours, préparer une caserne pour sta-
Grâce à la courageuse obstination du tionner cinq cents hommes: la troupe
brave Mourat-bey qui voudra tenter le se reposa; et moi j'y trouvai personnel-
sort de la guerre , nous irons encore à sa lementrfavantage de rafraîchir mes yeux,
poursuite, et nous entrerons enfin dans qui menaçoient de cesser tout-à-fait le
la terre promise. service. Je n'avois le secours d'aucun
Girgé, où nous arrivâmes à deux heures remède ; mais un pot de miel que je
après-midi, est la capitale de la haute trouvai dans la maison d'un cheikh où
Egypte : c'est une ville moderne qui n'a je logeois, et une jarre de vinaigre, m'en
rien de remarquable;elle est aussi grande tinrent lieu : je mangeai de ce premier
que Mynyeh et que Melaui, moins grande jusqu'à indigestion , et calmai l'ardeur
que Siouth, et moins jolie que toutes les de mon sang en buvant l'autre avec de
trois : le nom de Girgé ou Dgirdgé lui l'eau et du sucre.
vient d'un grand monastère, plus ancien- Le 13, nous apprîmes que des paysans,
nement bâti que la ville, dédié à S. Geor- séduits par les Mamelouks, se rassem-
ges , qui se prononce Gerge en lan- blent derrière nous pour nous attaquer
gue du-pays; le couvent existe encore, à dos, tandis qu'on leur promettoit de
et nous y trouvâmes des moines euro- nous attaquer en avant. Il n'y avoit qu'un
péens. Le Nil vient heurter contre les mois qu'ils avoient volé une caravane de
constructions de Girgé, et en démolit deux cents marchands qui venoient de
journellement une partie; on n'y ferait l'Inde par la mer Rouge, Cosseïr, et
( io3 )
Qouss ; ils se croyoient des braves : qua- les achètent, elles leur coûtent un mau-
rante villages insurgés avoient rassemblé vais fusil ; et les hommes, deux. Il nous
six à sept mille hommes ; une charge de raconta qu'il faisoit très froid chez lui
notre cavalerie qui en sabra mille à douze pendant un temps de l'année; n'ayant
cents leur apprit que leur projet ne va- point de mot pour nous exprimer des
loit rien. glaces, il nous dit qu'on mangeoit beau-
Nous trouvâmes à Girgé un prince coup d'une chose qui étoit dure en la
nubien : il étoit frère du souverain de prenant dans la main, et qui échappoit
Darfour; il revenoit de l'Inde, et alloit des doigts lorsqu'on l'y tenoit quelque
rejoindre un autre de ses frères qui ac- temps. Nous lui parlâmes de Tombout,
compagnoit une caravane de huit cents cette fameuse ville dont l'existence est
Nubiens de Sennar, avec autant de fem- encore un problême en Europe. Nos
mes : des dents d'éléphants et de la poudre questions ne le surprirentpoint: selon lui
d'or étoient les marchandisesqu'il portait Tombout étoit au sud-ouest de son pays ;
au Caire, pour les échanger contre du ses habitants venoient commercer avec
café, du sucre, des schals et des draps, eux ; il leur falloit six mois de trajet pour
du plomb, du fer, du séné, et du tama- arriver ; eux leur vendoient tous les ob-
rin. Nous causâmes beaucoup avec ce jets qu'ils venoient chercher au Caire,
jeune prince, qui étoit vif, gai, ardent, et et s'en faisoient payer avec de la poudre
spirituel; sa physionomie peignoit tout d'or : ce pays s'appeloit dans leur langue
cela : il étoit plus que bronzé ; les yeux le Paradis; enfin la ville de Tombout étoit
très beaux et bien enchâssés ; le nez peu sur le bord d'un fleuvequi couloità l'ouest;
relevé, mais petit ; la bouche fort épatée, les habitants étoient fort petits-et doux.
mais point plate; les jambes comme tous Nous regrettâmes bien de posséder
les Africains, grêles et arquées : il nous si peu de temps cet intéressant voya-
dit que son frère étoit allié du roi de geur, que nous ne pouvions cependant
Bournou, qu'il commerçoit avec lui, et pas questionner jusqu'à l'indiscrétion,
qu'il faisoit une guerre perpétuelle avec mais qui n'eût pas mieux demandé que
ceux du Sennar ; il nous dit que de Dar- de nous dire beaucoup de choses, n'ayant
four à Siouth il y avoit quarante jours rien de la gravité musulmane, et s'expri-
de traversée, pendant lesquels ils ne trou- mant avec énergie et facilité. Il nous dit
voient de l'eau que tous les huit jours, encore que dans la famille royale la suc-
soit dans des citernes, soit à leur passage cession étoit élective, que c'étoient les
aux oasis. Il faut que les profits de ces chefs militaires et civils qui choisissoient
caravanes soient incalculables pour in- parmi les fils du roi mort celui qu'ils ju-
demniser ceux qui les rassemblentdes frais geoient le plus digne de lui succéder au
qu'ils ont à faire, et les payer de l'excès trône, et qu'il n'y avoit pas encore d'exem-
de leurs fatigues. Lorsque leurs esclaves ple que cela eût produit la guerre civile.
femelles ne sontpas des captives, et qu'ils Tout ce qu'on vient de lire est mot pour
(io4)
mot le proces-verbal de 1 interrogatoire son convoi maritime; on avoit envoyé en
que nous fîmes subir à cet étrange prince : avant de Girgé un bataillon à Bardis pour
il ajouta que nous avions infiniment de chercher des vivres ; l'officierqui le com-
choses à fournir à l'Afrique ; que nous la mandoit nous fit dire, le 19 au soir, qu'il
rendrions très volontairement notre tri- se répandoit que le 21 les Mamelouks se
butaire, sans nuire au commerce qu'ils mettraient en marche de Hau pour arri*
avoient à faire eux-mêmes, et que nous ver le 22, et qu'ils vouloient en venir à
les attacherions à nos intérêts par tous une bataille : cette nouvelle étoit confir-
leurs besoins, et par l'exportation de tout mée de toutes parts ; et quoique Desaix
le superflu de nos productions; que le ne fût pas convaincu de cette bonne for-
commerce de l'Inde se ferait de même tune , il se trouva dans le. cas de repro-
par la Mekke, en prenant cette ville ou cher encore à notre marine de le priver
celle de Cosseïr pour entrepôt commun, de notre cavalerie, qui le laisseroit sans
comme Alep l'était pour celui des états moyen de profiter de la victoire, s'il y en
musulmans, malgré la longueur des mar- avoit une; car la simple infanterie ne
ches qu'il falloitfaire de chaque côté pour pouvoit avec les Mamelouks qu'accepter
arriver à ce point de contact. le combat, sans jamais les y forcer ni le
Nous attendions les barques qui dé- prolonger.
voient suivre notre marche, et qui por- Un autre fléau dont nous étions tra-
taient nos vivres, nos munitions, et la vaillés, c'était une volerie perpétuelle,
chaussure de nos soldats : le vent avoit et organisée de telle sorte qu'aucune ri-
été toujours favorable contre l'ordinaire gueur militaire ne pouvoit en défendre
en cette saison ; et cependant les barques nos armes et nos chevaux. Chaque nuit
n'arrivoient point : nous avions dépêché les habitants entroient dans nos camps
divers exprès pour prendre des informa- comme des rats, et en sortaient comme
tions ; les premiers avoient péri dans la des chauves-souris, emportant presque
traversée des villages révoltés ; les autres toujours leur proie. On en avoit surpris
ne reparoissant plus, notre belle saison qui avoientété sacrifiés au premier mou-
se perdoit dans l'inaction; le pays pou- vement de la rage du soldat : on espéraque
voit croire que nous prenions peur des cette rigueur ferait quelque sensation ;
Mamelouks, et ce préjugé égarer de nou- la garde fut doublée; et le jour même
veau les paysans : ils refusoient déjà de on prit deux des forges de l'artillerie : on
payer le miri, et ils disoient pour raison : saisit les voleurs, qui furent fusillés. Dans
Il doit y avoir bataille ; nous paierons au la nuit qui suivit cette exécution les che-
vainqueur. vaux de l'aide-de-campdu général de la
Le 19 frimaire, dixième jour de notre cavalerie furent volés : le général gagea
arrivée, le général Desaix se détermina à qu'on ne le voleroit pas; le lendemain
envoyer sa cavalerie jusqu'à Siouth, pour on lui enleva son cheval, et l'on avoit
savoir définitivement ce qu'était devenu démoli un mur pour le surprendre lui-
(io5)
même, si le jour ne fût venu à son se- cessaire : cette province, qui, de tout
cours. temps révoltée, avoit la réputation d'être
Le 20; nous sûmes que Mourat-bey terrible, avoitbesoin d'apprendre que ce
invitoit les cheikhs arabes des villages n'étoit pas lorsqu'elle se mesuroit contre'
soumis à marcher contrejnous, leur don- nous ; nous avions d'ailleurs à leur cacher
nant rendez-vous àGirgéi Le 22, jour où il que nos moyens étoient petits et dissé-
devoit nous attaquer, plusieurs nous en- minés; peut-être falloit-il encore qu'ils
voyèrent leur lettre, en nous faisant dire nous crussent aussi vindicatifs que clé-
qu'ils restoient fidèles au traité, et nous ments; peut-être enfin, "n'ayant pas le'
dénoncèrent ceux qui avoient promis de temps de les catéchiser, falloit-il, par un
marcher ; mais la rencontre que ceux-ci malheur de circonstance, punir sévère-
avoient faite de notre cavalerie avoit dé- ment ceux qui sôbstinoient à ne pas
concerté leurs projets. croire que tout ce que nous faisions n'é-
Le 21, le temps fut couvert, et nous toit que pour leur bien.
en souffrîmes comme d'un jour d'hiver Nous nous disposions à partir aussitôt
assez rude, quoiqu'il eût été un de nos que la cavalerie sefoit de retour, soit que
fort beaux jours d'avril; tant il est vrai les barques arrivassent enfin, soit qu'il
que l'absence dû bien sur lequel on a fallût y renoncer ; car attendre ne faisoit
compté est déjà un mal ! je vis cependant qu'aggraver nos maux, et ceux que nous
dans cette effroyable journée une treille étions obligés de faire aux habitants des
de vigne verte comme au mois de juillet; environs, en laissant 'subsister cet état
les feuilles ne font ici que se durcir, rou- de guerre, d'incertitude, et d'inorgani-
gir, et sécher, pendant que le bout de la sation.
branche renouvelle perpétuellement sa Le %!\, nous n'en avions point encore'
verdure ; les pois-grimpants font la même de nouvelles. Nous nous faisions réciter
chose ; la tige en devient ligneuse : j'en des contes arabes pour dévorer le temps
ai vu qui avoient quarante pieds de haut, et tempérer notre impatience. Les Arabes
et atteignaient au sommet des arbres. content lentement, et nous avions des
Nous sûmes qu'il étoit arrivé de la interprètes qui pouvoient suivre ou qui
Mekke par Cosseïr une quantité innom- ralentissôient très peu le débit : ils ont
brable de fantassins pour se joindre à conservépour les contes la même passion
Mourat-bey, et qu'ils étoient en marche que nous leur connoissons depuis le sul-
pour venir nous attaquer. tan Schahriâr des mille et une nuits;
Le a3, nous apprîmes que notre cava- et sur cet article Desaix et "moi nous
lerie avoit rencontré un rassemblement étions presque des sultans : sa mémoire
à Menshieth, avoit sabré mille de ces prodigieuse ne perdoit pas une phrase de
égarés, et avoit poursuivi son chemin ; ce qu'il avoit entendu; et je n'écrivois
leçon rien moins que fraternelle, mais rien de ces contes, pareequ'il me pro-
que notre position rendbit peut-être né- mettait de me les rendre mot pour mot
i4
(.06)
quand je voudrois: mais ce que j'obser- poè'tes, même leurs improvisateurs, que
vois, c'est que si les histoires n'étoient pas l'on fait venir dans les festins ; ils en pa-
riches de détails vrais et sentimentals, raissent enchantés : je les ai entendus;
mérite qui semble appartenir particulière- mais quand leurs chansons ne sont pas
ment aux narrateurs du nord, elles abon- apologétiques, elles perdent sans doute
doient en événements extraordinaires, trop à être traduites; elles ne m'ont paru
en situations fortes, produites par des que des concetti ou jeux de mots assez
passions toujours exaltées : les enlève- insipides : leurs poètes ont d'ailleurs des
ments , les châteaux, les grilles, les poi- manières extraordinaires, des tics, qui
sons, les poignards, les scènes nocturnes, les singularisent aux yeux des gens du
les méprises, les trahisons, tout ce qui pays, mais qui leur donnoient pour nous
embrouille une histoire , et paroît en un air de démence qui m'inspiroit de la
rendre le dénouement impossible, est pitié et de la répugnance : il n'en était
employé par ces conteurs avec la plus pas de même des conteurs, qui me pa-
grande hardiesse ; et cependant l'histoire roissoient avoir un talent plus vrai, plus
finit toujours très naturellement et de la près de la nature.
manière la plus claire et la plus satisfai- Je devois m'affliger moins qu'un autre
sante. Voilà le mérite de l'inventeur: il des retardements , puisqu'ils me lais-
reste encore au conteur celui de la pré- soient le temps de calmer l'inflammation
cision et de la déclamation, auxquelles qui dévoroit mes yeux ; mais je parta-
les auditeurs mettent beaucoup de prix : geois l'impatiencede Desaix, qui avoit dû
aussi arrive-t-il que la même histoire est compter sur toutes les ressources du con-
faite consécutivement par plusieurs nar- voi dont l'absence paralysoit ses opéra-
,
rateurs devant les mêmes auditeurs, avec tions sous tous les rapports, et le laissoit
un égal intérêt et un égal succès; l'un dans un dénuement affligeant: heureuse-
aura mieux traité et déclamé la partie ment les malades et les blessés étoientpeu
sensible et amoureuse, un autre aura nombreux ; car les médecins, sans remè-
mieux rendu les combats et les effets ter- des n'étoient là que pour dire ceux qu'il
,
ribles, un troisième aura fait rire; enfin auroit fallu leur donner, et ne pouvoient
c'est leur spectacle : et, comme chez nous leur en administrer aucun : on fit cepen-
on va au théâtre une fois pour la pièce, dant établir un hôpital, des fours, un
d'autres fois pour le jeu des acteurs, les magasin, et une caserne assez bien for-
répétitions ne les fatiguent point. Ces tifiée pour se défendre d'une émeute ou
histoires sont suivies de discussions; les d'une attaque de paysans, et pouvoir
applaudissements sont disputés , et les laisser à cet échelon de l'échelle du Nil
talents se perfectionnent: aussi y en a-t-il trois cents hommes en sécurité.
en grande réputation qui sont chéris, et Ne sachant que faire à mes yeux ma-
font le bonheur d'une famille, de toute lades, j'imaginai d'aller prendre les bains
une horde. Les Arabes ont aussi leurs du pays, qui me soulagèrent. Je renvoie
(io7)
mon lecteur à l'élégante description de qu'elles^traversent la vallée étroite de la
M. Savary, dont la riante imagination a haute Egypte, sans pouvoir éprouver de
fait tout à la fois le tableau des agréments détonnation par l'impression des eaux
qu'offrent ces bains, et des voluptés dont du fleuve, le phénomène du tonnerre
ils sont susceptibles (voyez le plan et la devient une chose si étrange pour les
vue, planche XXXV, n° i et 2, et l'expli- habitants de ces contrées, que les savants
cation). même du pays n'imaginent pas de lui
Le 25 , il fit assez froid le matin pour attribuer une cause physique. Le général
désirer de se chauffer; mais ce froid pour- Desaix questionnant un homme de loi
tant ressembloit à celui qu'on éprouve sur le tonnerre, il lui répondit avec la
quelquefois chez noUs au mois de mai ; sécurité de l'assurance : «On sait très
car en mettant la tête à la fenêtre, j'y vis <c
bien que c'est un ange ; mais il est si
les oiseaux faisant l'amour, ou tout au « petit qu'on ne l'apperçoit point dans
moins faisant leur nid pour le faire: le « les airs; il a cependant la puissancede
soir du même jour, il tonna, événement « promener les nuages de la Méditerranée
très extraordinaire dans cette contrée ; « en Abyssinie; et, lorsque la méchanceté
en effet cela n'arrive qu'une fois dans « des hommesarrive à son comble, il fait
une génération, par un concours de cir- «entendre sa voix, qui est celle du re-
constances peut-être faciles à expliquer. « proche et de la menace ; et, pour preuve
Le vent du nord , le plus constant de tous « que la punition est à sa disposition, il
ceux qui dominent dans cette partie du « entrouvre la porte du ciel, d'où sort
monde, amené de la mer les nuages d'une « l'éclair, mais, la clémencede Dieu étant
région plus froide, les roule dans la vallée « toujours infinie, jamais dans la haute
de l'Egypte, où le sol ardent les raréfie, « Egypte sa colère ne s'est autrement ma-
et les réduit en vapeur ; cette vapeur « nifestée ». On est toujours émerveillé
poussée jusqu'en Abyssinie, le vent du d'entendre un homme sensé, avec une
sud, qui traverse les montagnes élevées barbe vénérable, faire un conte aussi
et froides de ce pays, en ramené quel- puéril. Desaix voulut lui expliquer diffé-
quefois de petits nuages -, qui, n'éprou- remment ce phénomène ; mais il trouva
vant qu'un léger changement de tempé- son explication si inférieure à la sienne,
rature en repassantdans la vallée humide qu'il ne prit pas même la peine de l'écou-
du Nil lors de son débordement, restent ter. Au reste, il avoit plu tout-à-fait la
condensés, et produisent par fois, sans nuit ; ce qui rendit les rues fangeuses,
tonnerre ni orage, de petites pluies d'un glissantes, et presque impraticables. Ici
instant; mais les vents d'est et d'ouest, finit l'histoire de notre hiver, et je n'au-
qui d'ordinaire enfantent les orages, rai plus à en parler.
traversant tous les deux des déserts Le 25, on fit des fours à l'usage du
ardents qui dévorent les nuages, ou élè- pays. Le 26, on fit du biscuit (voyez
vent les vapeurs à une telle hauteur planche LXXIX, n° 1). J'aurois voulu
(io8>
dans mon dessin pouvoir exprimer la- cheval, et cinq a six mille paysans à
dresse et la célérité des ouvriers ; on peut pied, avoient cru en venir à bout; ils
dire qu'individuellement l'Égyptien est s'étaient portés en avant de Tata, lorsque
industrieux et adroit, et que manquant, la cavalerie les découvrit en bataille ; elle
à l'égal du sauvage, de toute espèce d'in- avoit fait un mouvement pour se former ;
strament, on doit s'étonner de ce qu'ils ils avoient cru qu'elle déclinoit le com-
,
;fpnt de leurs doigts auxquels ils sont bat, et avoient chargé avec le désordre
^réduits, et.de leurs pieds, dont ils s'ai- accoutumé, c'est-à-dire quelques braves
dent merveilleusement : ils ont, comme en avant, le reste au milieu, frappant
ouvriers, une grande qualité, celle d'être toujours et ne parant jamais ; à la se-
sans présomption , patients, et de re- conde décharge, étonnés de voir faire à
commencer jusqu'à ce qu'ils aient fait la cavalerie des feux de bataillon, ils
à-peu-près ce que vous desirez d'eux. Je avoient commencé à lâcher pied ; et,
ne sais jusqu'à quel point on pourroit .
après avoir perdu quarante des leurs,
les rendre braves ; mais, nous ne devons avoir eu une centaine de blessés, ils
pas voir sans effroi toutes les qualités de avoient disparu en se dispersant, et aban-
soldats qu'ils possèdent; éminemment donnantla pauvre infanterie, qui, comme
sobres, piétons comme des coureurs, de coutume, avoit été hachée, et eût été
écuyers comme des centaures, nageurs détruite, si la nuit ne fût venue à son
comme des tritons : et cependant c'est secours.
à une.population de plusieurs millions Le 3o, les barques arrivèrent enfin;
d'individus qui possèdent ces qualités quelques commodités qu'elles, nous ap-
.
que quatre mille Français isolés comman- portèrent , et sur-tout la musique d'une
doient impérieusement, sur deux cents, de nos demi-brigades jouant des airs
lieues de pays ! tant l'habitude d'obéir français, firent une sensation si étran-
est une manière d'être comme celle de gement voluptueuse pour Girgé, qu'elle
commander, jusqu'à ce que les uns s'en- calma tout ce que l'impatience avoit mis
_
dormant dans l'abus du pouvoir les d'irascibilité dans notre esprit. C'était,
,
autres soient réveillés par le bruit de hélas ! le chant du cygne : mais n'anti-
leur chaîne. cipons pas sur les événements; à la guerre
Le 28, la cavalerie revint; elle nous il faut jouir du moment, puisque celui
annonça l'arrivée des barques, et nous qui suit n'appartient à personne.
donna les détails d'un combat qu'elle Le ier nivôse, le prêt, l'eau-de-vie,
avoit eu à soutenir contre quelques Ma- raviva notre existence ; et le soldat, déjà
melouks et leurs agents, qui avoien t . las de manger six oeufs pour un sou,
répandu le bruit qu'ils nous avoient dé- partit avec joie pour aller au-devant du
truits; que ce qu'on voyoit rétrograder besoin.
était le reste des Français qui tâchoient Il y avoit vingt et un jours que nous
de gagner le Caire. Deux mille Arabes à n'étions fatigués que de notre nullité : je
(iog)
savois que j'étais près d'Abidus, où Os- plus désoeuvré, je fus le premier qui ap-
simandue avoit bâti un temple, où Mem- perçus les Mamelouks; ils marchoiént
non avoit résidé; je tourmentais Desaix à nous sur un front d'une étendue im-
pour pousser une reconnoissance jusqu'à mense : nous nous formâmes en trois
El-Araba,oùchaque jouronmedisoitqu'il carrés, deux d'infanterie aux ailes, et
y avoit des ruines ; et chaque jour Desaix un de cavalerie au centre, flanqué de
me disoit : Je veux vous y conduire moi- huit pièces d'artillerie aux angles; nous
même ; Mourat-bey est à deux journées, marchions dans cet ordre, en suivant
il arrivera après-demain, il y aura ba- notre route jusqu'à un quart de lieue de
taille nous déferons son armée, l'autre Sanianhout, village élevé, contre lequel
,
après-demain nous ne penserons plus nous cherchions à nous appuyer (voyez
qu'aux antiquités, et je vous aiderai moi- la vueplanche'KTLX.Ylï).Les Mamelouks
même à les mesurer. Il avoit raison le se développant et nous tournant sur trois
bon Desaix ; et quand sa raison n'auroit points, ils commencèrent leur fusillade
pas été bonne, il auroit bien fallu que et leurs cris avant que nous pensassions
j e m'en accomm odasse. à tirer le canon. Un corps de volontaires
Enfin le 2 nivôse, nous partîmes de de la Mekke s'était posté dans un ravin,
Girgé à l'entrée de la nuit; nous passâmes entre lé village et nous, et tiroit à cou-
vis-à-vis les antiquités; Desaixn'osoitme vert sur le carré de la vingt-unième :
regarder : Tremblez, lui dis-je ; si je suis Desaix envoya un détachement d'infan-
tué demain, mon ombre vous poursuivra, terie pour les déloger du fossé, et un
et vous l'entendrez sans cesse autour de détachement de cavalerie, qui devoit
vous vous répéter, El-Araba. Il se sou- les poursuivre lorsqu'ils en auroient été
vint de ma menace, car cinq mois après chassés. La cavalerie, trop ardente, at-
il envoya de Siouth l'ordre de me donner taqua trop tôt et avec désavantage ; un
un détachement pour m'y accompagner. des nôtres fut tué, un autre fut blessé ;
Nous arrivâmes devant un village ; nous l'aide-de-camp Rapp reçut un coup de
ne sûmes que le lendemain qu'il s'appe- sabre , et auroit succombé, si un volon-
loit El-Besera, car le soir il n'y avoit pas taire n'eût paré quatre autres coups dont
un habitant pour nous le dire : j'aimois il étoit menacé; les Mekkains furent ce-
assez trouver lesvillages déménagés, pour pendant repoussés.
ne pas entendre les cris des habitantsque Des chasseurs furent envoyés au village
l'on était forcé de dépouiller : il ne restait pour en déloger ceux qui Fbccupoientj
que des murailles dans les déménage- les Mamelouks se mirent en mouvement
ments prévus; les portes et les cham- pour attaquernotre gauche, pendantque
branles même étoient emportés, et un d'autres longeoient notre droite : ils eu-
village abandonné depuis deux heures rent un moment favorable pour nous
avoit l'air d'être une ruine d'un siècle. charger ; ils hésitèrent, et ne le retrou-
Le 3, à peine en marche, comme le vèrent plus ; ils caracoloient autour de
(no)
nous, faisant briller leurs armes resplen- étoient dans leurs rangs, ils ne pensèrent
dissantes et manoeuvrer leurs chevaux ; plus qu'à se réunir dans leur fuite ; quel--
ils déployoient tout le faste oriental : ques traîneurs furent tués, quelques
mais notre boréale austérité présentoit chameaux furent pris ; un petit corps sé-
un aspect sévère qui n'étoit pas moins paré s'enfuit par la gauche : le feu finit
imposant: le contraste était frappant, le à midi, à une heure nous ne vîmes plus
fer sembloit braver l'or; la plaine étin- d'ennemis. Nous marchâmessurFarshiut,
celoit, le spectacle était admirable. Notre que Mourat-bey avoit déjà abandonné.
artillerie tira sur toutes les faces à la fois : Cette malheureuse ville avoit été pillée
ils firent une fausse attaque à notre droite ; quelques heures auparavant par les Ma-
plusieurs des leurs y périrent; un chef, melouks. Le cheikh étoit un descendant
atteint d'un boulet, était tombé trop près des cheikhs Ammam, souverains puis-
de nous pour être secouru des siens ; son sants et chéris dans le Saïd, qui, dans le
cheval, étonné de le voir se traînant, sans Commencement de ce siècle, avoient ré-
l'abandonner, ne se laissoit point appro- gné avec équité, et défendu leurs sujets
cher; tout brillant d'or, il excitait la des vexations des Mamelouks. Ce der-
cupidité des tirailleurs, qui tentaient à nier, battu par Mourat, réduit à un état
chaque instant d'aller eh faire leur proie ; de foiblesse et de misère, avoit vu avec
aux prises avec le sort, traîné çà et là par plaisir arriver des vengeurs, et leur avoit
son cheval, ce malheureux ne périt qu'a- préparé du biscuit : Mourat, battu, obli-
près avoir essuyé les horreurs de mille gé de fuir, avant de quitter Farshiut en-
morts. voie chercher ce vieux prince l'accable
,
D'autres chasseurs avoient été envoyés de reproches, et, dans sa fureur, lui
à Samanhout pour en déloger ceux qui coupe la tête de sa main. Nous arrivons,
s'y étoient postés ; ils les eurent bientôt nous achevons de piller les magasins ; on
mis en fuite : du nombre de ces fuyards bat la générale pour empêcher ce dés-
était Mourat, qui s'y étoit mis en ré- ordre ; il auroit fallu punir toute l'ar-
serve; il prit la route de Farshiut. Ce mée : on alloit ordonner une marche
mouvement divisa toute l'armée enne- forcée ; et, pour éviter les regards de re-
mie : Desaix saisit cette circonstance, fit proche des habitants, nous partons à
marcher sur l'espace qu'elle abandon- minuit.
noit, et ordonna à la cavalerie de char- L'obscurité étoit affreuse, et le froid
ger ceux qui restoient encore sur notre assez vif pour être obligés d'allumer du
droite ; en un instant nous les vîmes feu toutes les fois que l'artillerie nous
dans le désert gravir une première rampe arrêtait; abrités contre le mur d'une
de la montagne avec une vélocité sur- maison auprès d'un de ces feux, nous
prenante : nous pensions qu'arrivés sur nous chauffions, Desaix, ses aides-de-
le plateau ils en défendroient l'approche camp, et moi, lorsque tout-à-coup nous
aux nôtres; mais la terreur et le désordre recevons une fusillade par-dessus le mur %
(III)
c'étaient encore des volontaires de la marche de notre artillerie. Mais la con-
Mekke, car nous étions destinés à en quête de l'Egypte, qui avoit été commen-
rencontrer par-tout ; ils étoient vingt, cée si brillamment par la bataille des py-
on en tua huit ; les autres se sauvèrent ramides auroit fini de même par la ba-
,
à la faveur des ténèbres. Ces volontaires, taille de Thebes, s'il eût été possible de
qui se prétendoient nobles, portaient l'obtenir de notre Fabius Mourat-bey.
un turban verd, comme descendants de Que de marches forcées nous a coûtées
la racëd'Hali; ces chevaliers, à-peu-près le rêve de cette bataille ! mais Desaix n'é-
vagabonds, volant les caravanes sur la tait point l'enfant gâté de la fortune, et
côte de Gidda, et poussés d'un beau zèle, son étoile étoit nébuleuse : l'expérience
profitaientde la saison morte pour venir ne pouvoit le convaincre de notre insuf-
attaquer une nation européenne qu'ils fisance pour gagner de vitesse l'ennemi
croyoient couverte d'or, et avoient bien que nous poursuivions ; il ne vouloit
voulu venir à leurs risques et fortune rien entendre de ce qui pouvoit affoiblir
pour butiner sur nous. ses espérances. L'artillerie étoit trop
Armés de trois javelots, d'une pique, lourde, l'infanterie trop lente, la grosse
d'un poignard, de deux pistolets, et d'une cavalerie trop pesante; la cavalerie lé-
carabine, ils attaquoient avec audace, gère auroit à peine secondé sa volonté ;
résistaient avec opiniâtreté; et, quoique et je suis sûr qu'il gémissoit de n'être
mortellementfrappés,sembloientne pou- pas simple capitaine, pour aller, dans sa
voir cesser de vivre : lors de cette der- bouillante ardeur, avec sa compagnie at-
nière surprise, j'en vis un combattre en- taquer et combattre Mourat-bey: enfin
core, et blesser deux des nôtres qui le nous partîmes, et, après avoir été éclai-
tenoient cloué contre un mur avec leurs rés de la fausse lueur d'une aurore bo-
baïonnettes. réale, et avoir attendu la lune jusqu'à
Nous arrivâmes à une heure de soleil à dix heures et demie, nous arrivâmes à
Haw ; les Mamelouks venoient d'en par- onze heures à Un grand village, dont je
tir : une partie des beys étoient entrés n'ai jamais su le nom, et où, malheu-
dans le désert avec les chameaux pour reusement pour lui et au grand préju-
arriver par cette route en un jour et de- dice de ses habitants, nos soldats s'éga-
mi à Esneh ; les autres avoient suivi le rèrent
Nil, route par laquelle il en faut quatre. Le 5 pluviôse nous partîmes à la pre-
Haw, ou l'ancienne Diospolis-Parva, mière pointe du jour. La langue de terre
est dans une belle position militaire : elle cultivée se resserroit peu-à-peu à la rive
ne conserve aucune antiquité. gauche où nous étions, et s'augmentait
Nous fîmes halte à Haw, et nous en en même proportion à l'autre rive.
partîmes une heure avant la nuit, qui, Enfin nous entrâmes dans le désert;
comme nous l'avions appris la veille, de- nous y vîmes d'assez près une bête sau-
voit être sombre, et rendre périlleuse la vage , qu'à sa grosseur et à sa forme re-
( I.«.)
ma'rquable nous jugeâmes tous être une un caractère primitif, avoir par excel-
hyène; nous courûmes dessus, mais le lence celui d'un temple. Tout encombré
galop de nos chevaux ne put que la qu'il étoit, le sentiment du respect si-
suivre sans rien gagner sur elle. Nous lencieux qu'il m'imprima m'en parut une
approchions de Tintyra : j'osai parler preuve ; et, sans partialité pour l'antique,
d'une halte ; mais le héros me répondit ce fut celui qu'il imposa à toute l'armée.
avec humeur : cette défaveur ne dura Avant d'entrer dans aucun détail, tâ-
qu'un moment; bientôt, rappelé à son chons de faire connoître par les plans
naturel sensible, il vint me rechercher, et les vues l'étendue et l'ordonnance de
et partageant mon amour pour les arts, cet édifice, son état actuel, et son ef-
il se montra leur ami, et peut-être plus fet pittoresque ( voyez les trois planches
ardent que moi. Doué d'une délicatesse XXXVIII, XXXIX, XL, contenant une
d'esprit vraiment extraordinaire, il avoit carte topographique, n°g,pl. XL; une
uni l'amour de tout ce qui est aimable vue générale , pi. XXXVIII, n° 1 ; deux
à une violente passion pour la gloire, et vues pittoresques, même planche, n° 4
à un nombre de connoissances acquises et 5 ; un aspect géométral du portique,
les moyens et la volonté d'ajouter celles pi. XXXIX, n° 2 ; une porte intérieure,
qu'il n'avoit pas eu le temps de perfec- même planche, n° 1 ; des plans et des dé-
tionner ; on trouvoit en lui une curiosité tails architecturals, pi. XL). Ces trois
active qui rendoit sa société toujours planches peuvent donner une idée gé-
agréable, sa conversation continuelle- nérale de la situation de la ville antique,
ment intéressante. de l'emplacement qu'elle occupoit, et de
Nous arrivâmes à Tintyra : le premier la situation respective des édifices; de
objet que je vis fut un petit temple à leur état actuel, et de la richesse de
gauche du chemin, d'un si mauvais style leurs détails. Ces monuments étoient si-
et dans de si mauvaises proportions, que tués sur le bord du désert, sur lé der-
je le jugeai de loin n'être que les ruines nier plateau de la chaîne libyque au pied
d'une mosquée( voy.pl. XXXVIII, n°. 2 ). duquel arrive l'inondation du fleuve, à
En me retournant à droite, je trouvai en- une lieue de son lit.
fouie dans les plus tristes décombres une Rien de plus simple et de mieux cal-
porte construite de masses énormes cou- culé que le peu de lignes qui composent
vertes d'hiéroglyphes; au travers de cette cette architecture. Les Égyptiens n'ayant
porte-j'apperçus le temple. Je voudrois rien emprunté des autres, ils n'ont ajouté
pouvoir faire passer dans l'ame de mes aucun ornement étranger, aucune su-
lecteurs la sensation que j'éprouvai. J'é- perfluité à ce qui étoit dicté par la né-
tois trop étonné pour juger; tout ce que cessité : ordonnance et simplicité ont été
j'avois vu jusqu'alors en architecture ne leurs principes ; et ils ont élevé ces prin-
pouvoit servir à régler ici mon admira- cipes jusqu'à la sublimité : parvenus à
tion. Ce monument me sembla porter ce point, ils ont mis une telle impor-
(n3) .
tance à ne pas l'altérer, que, bien qu'ils d'époques se présentèrentà mon imagina-
aient surchargé leurs édifices de bas- tion,à la vue d'un tel édifice ! que de siècles
reliefs d'inscriptions, de tableaux histo- il a fallu pour amener une nation créatrice
,
riques et scientifiques, aucune de ces à de pareils résultats, à ce degré de per-
richesses ne coupe une seule ligne ; elles fection et de sublimité dans les arts!
sont respectées ; elles semblent sacrées : combien d'autres siècles pour produire
tout ce qui est ornement, richesse, somp- l'oubli de tant de choses, et ramener
tuosité de près, disparoît de loin pour l'homme sur le même sol à l'état de na-
ne laisser voir que le principe, qui est ture où nous l'avons trouvé ! jamais tant
toujours grand et toujours dicté par une d'espace dans un seul point ; jamais les
raison puissante. Il ne pleut pas dans ce pas du temps plus prononcés et mieux
climat ; il n'a donc fallu que des plates- suivis. Quelle constantepuissance, quelle
bandes pour couvrir et pour donner de richesse, quelle abondance, quelle super-
l'ombre; dès-lors plus de toits, dès-lors plus fluité de moyens dans le gouvernement
de frontons : le talus est le principe de la qui peut faire élever un tel édifice, et
solidité ; ils l'ont adopté pour tout ce qui trouve dans la nation des hommes
qui porte, estimant sans doute que la capables de le concevoir, de l'exécuter,
confiance est le premier sentiment que de le décorer, de l'enrichir de tout ce
doit inspirer l'architecture, et que c'en qui parle aux yeux et à l'esprit! jamais
est une beauté constituante. Chez eux d'une manière plus rapprochée le travail
l'idée de l'immortalité de Dieu est pré- des hommes ne me les avoit présentés
sentée par l'éternité de son temple ; leurs si anciens et si grands : dans les ruines
ornements, toujours raisonnes, toujours de Tintyra les Égyptiensme parurentdes
d'accord, toujours significatifs,prouvent géants.
également des princip'es sûrs, un goût J'aurois voulu tout dessiner, et je n'o-
fondé sur le vrai, une suite profonde de sois mettre la main à l'oeuvre ; je sentais
raisonnements; et quand nous n'aurions que, ne pouvant m'élever à la hauteur
pas acquis la conviction du degré émi- de ce que j'admirois, j'allois rapetisser
nent où ils étoient parvenus dans les ce que je voudrois imiter ; nulle part je
sciences abstraites, leur seule architec- n'avois été environné de tant d'objets
ture , dans l'état.où nous l'avons trouvée, propres à exalter mon imagination. Ces
nous auroit donné l'idée de l'ancienneté monuments, qui imprimoient le respect
de ce peuple, de sa culture, de son ca- dû au sanctuaire de la divinité, étoient
ractère, de sa gravité. les livres ouverts où la science étoit dé-
Je n'aurois point d'expression, comme veloppée, où la morale étoit dictée, où
je l'ai dit, pour rendretout ce que j'éprou- les arts utiles étoient professés; tout
vai lorsque je fus sous le portique de Tin- parloit, tout étoit animé, et toujours
tyra ; je crus être,j'étais réellement dans le dans le même esprit. L'embrasure des
sanctuaire des arts et des sciences. Que portes, les angles, lé retour le plus se-
i5~
("4)
cret, présentaient encore une leçon, un Je ne devois "pas espérer de rien trou-
précepte, et tout cela dans une harmo- ver en Egypte de plus complet, de plus
nie admirable ; l'ornement Le plus léger parfait que Tintyra; j'étais agité de la
sur le membre d'architecture le plus multiplicité des objets, émerveilléde leur
grave déployoit d'une manière vivante nouveauté, tourmenté de la crainte de ne
ce que l'astronomieavoit de plus abstrait pas les revoir. J'avois apperçu sur des
à exprimer. La peinture ajoutait encore plafonds des systèmes planétaires, des
un charme à la sculpture et à l'architecr zodiaques, des planisphères célestes, pré-
ture, et produisoit tout à la fois une ri- sentés dans une ordonnance pleine de
chesse agréable, qui ne nuisoit ni à la goût; j'avois vu que les muraillesétoient
simplicité ni à la gravité de l'ensemble. couvertes de la représentation des rites
La peinture en Egypte n'étoit encore de leur culte , de leurs procédés dans
qu'un ornement de plus ; suivant toute l'agriculture et les arts, de leurs pré-
apparence elle n'étoit point un art par- ceptes moraux et religieux; que l'Etre
ticulier : la sculpture étoit emblémati- suprême, le premier principe, étoit par-
que, et, pour ainsi dire , architecturale. tout représenté par les emblèmes de ses
L'architecture étoit donc l'art par excel- qualités : tout était également important
lence, dicté par l'utilité; elle pourroit à rassembler ; et je n'avois que quelques
donc à elle seule lever le doute, sinon heures pour observer, pour réfléchirj
sur la primogéniture, au moins sur la pour dessiner ce qui avoit coûté des
supériorité de l'architecture des Égyp- siècles à concevoir , à construire, à
tiens comparée à celle des Indiens, puis- décorer. Notre impatience française étoit
que ne participant en rien de celle de épouvantée de la constante volonté du
ces derniers, elle est devenue le principe peuple qui avoit exécuté ces monu-
de tout ce que nous avons admirédepuis, ments : par-tout même égalité de recher-
de tout ce que nous avons cru être exclu- ches et de soins : ce qui pourroit faire
sivement de l'architecture, les trois or- penser que ces édifices n'étoient point
dres grecs, le doriqus, l'ionique, et le l'ouvrage des rois, mais qu'ils étoient
corinthien. Il faut donc bien se garder construits aux frais de la nation, sous
de penser, comme on le croit abusive- la direction de collèges de prêtres, et
ment , que l'architecture égyptienne est par des artistes auxquels il étoit imposé
l'enfance de l'art ; mais il faut dire qu'elle des règles invariables. Un laps de temps
en est le type. avoit pu chez eux apporter quelquesper^
Je fus frappé de la beauté de la porte fections dans l'art; mais chaque temple
qui fermoit le sanctuaire du temple ; est d'une telle égalité dans toutes ses
tout ce que l'architecture a ajouté depuis parties, qu'ils semblent tous avoir été
d'ornements à ce genre de décoration n'a sculptés de la même main ; rien de mieux,
fait qu'en rapetisserle style ( voyezplan- rien de plus mal ; point de négligence,,
che XXXIX, n° i). point d'élans à part d'un génie plus dis*
("51
tingué ; l'ensemble et l'harmonie ré- africain, dont le Nègre est la charge, et
gnoient par-tout. L'art de la sculpture, peut-être le principe.
enchaîné à l'architecture,était circonscrit Les hiéroglyphes, exécutés de trois
dans le principe, dans la méthode, dans manières, sont aussi de trois genres, et
le mode : une figure n'exprimoit rien peuvent avoir aussi trois époques : par
par le sentiment ; elle devoit avoir telle l'examen des différents édifices que j'ai
pose pour signifier telle chose ; le scul- été dans le cas d'observer, j'ai pu juger
pteur en avoit le poncif, et ne devoit se que ceux qui dévoient être les plus an-
permettre aucune altération qui auroit ciens n'ont qu'un simple contour, creusé
pu-en changer le vrai sens : il en étoit sans relief, et très profondément; les se-
de ces figures comme de nos cartes à conds, ceux qui font le moins d'effet,
jouer, dont nous avons respecté les im- sont simplement en relief très bas ; et les'
perfections pour ne rien ôter à la faci- troisièmes, qui me paraissent du meil-
,
lité avec laquelle nous les savons re- leur temps, et qui sont à Tintyra d'une
connoître. La perfection qu'ils ont don- exécution plus parfaite qu'en aucun autre
née à leurs animaux prouve assez qu'ils lieu de l'Egypte, sont en relief au fond
avoient l'idée du style, dont ils ont in- du contour creusé. A travers les figures
diqué le caractère avec si peu de lignes qui composent les tableaux, il y a de
dans un principesi grand, et un système petits hiéroglyphes,qui paroissent n'être
qui tendoit au grave et au beau idéal, que l'explication des tableaux, et qui,
comme nous en avions déjà la preuve avec des formes simplifiées, sembleraient
dans les deux sphinxs du Capitale, et dont une manière plus rapide de s'exprimer,
on retrouve ici le style dans ceux qui une espèce d'écriture cursive, si l'on peut
sont sur le flanc du grand temple ( voyez dire ainsi en parlant de sculpture.
planche XL, nS). Un quatrième genre sembloitêtre con-
Quant au caractère de leur figure hu- sacré à l'ornement; nous l'avons appelé
maine , n'empruntant rien des autres na- improprement, et je ne sais pourquoi,
tions , ils ont copié leur propre nature, arabesque:adopté par les Grecs, au temps
qui étoit plus gracieuse que belle. Celle d'Auguste il fut admis chez les Romains,
des femmes ressemble encore à la figure et dans le quinzième siècle, lors de la re-
des jolies femmes d'aujourd'hui : de la naissance des arts, il nous fut transmis
rondeur, de la volupté; le nez petit; les par eux comme une décoration fantas-
yeux longs , peu ouverts, et relevés à tique , dont le goût étoit tout le mérite.
l'angle extérieur, comme tous les peuples Chezles Égyptiens, employé avec le même
dont cet organe est fatigué par l'ardeur goût, chaque objet avoit un sens ou une
du soleil ou la blancheur de la neige ; les moralité , décorait en même temps les
pommettes des joues un peu grosses, les frisea, les corniches, les soubassements
lèvres bordées, la bouche grande, mais de leur architecture ( voyez lespi. CXVI
fiante et gracieuse; en tout, le caractère et CXVII). J'ai retrouvé à Tintyra des
(n6)
représentations de péristyles de temples «Depuis que je suis en Egypte, trompé
en cariatides, exécutées en peinture aux sur tout, j'ai toujours été mélancolique
bains de Titus, copiées par Raphaël, et et malade : Tintyra m'a guéri ; ce que j'ai
que nous singeons tous les jours dans nos THI aujourd'hui m'a payé de toutes mes
boudoirs, sans imaginer que les Égyp- fatigues ; quoi qu'il puisse en être pour
tiens nous en ont donné les premiers moi de la suite de cette expédition, je
modèles. Le crayon à la main, je passois m'applaudirai toute ma vie de l'avoir faite
d'objets en objets; distrait de l'un par par les souvenirs que me laisseraéternel-
l'intérêt de l'autre, toujours attiré, tou- lement cette journée. »
jours arraché, il me manquoit des yeux, Le 6, une nature nouvelle se développa
des mains, et une tête assez vaste, pour sous nos yeux : des palmiers-doum,beau-
voir, dessiner, et mettre quelque ordre coup plus grands que ceux que nous
à tout ce dont j'étais frappé. J'avois honte avions vus, des tamarisquesgigantesques,
des dessins insuffisants que je faisois de des villages d'une demi-lieue de long,
choses si sublimes : mais je voulois des et cependant des terres qui avoient été
souvenirs des sensations que je venois inondées, et qui étoient restées incultes.
d'éprouver; je craignois que Tintyra ne Les habitants ne vouloient-ils cultiver
m'échappât pour toujours, et mes regrets que ce qui devoit suffire à.leur nourri-
égàloient mes jouissances. Je venois de ture, et priver ainsi leurs tyrans du su-
découvrir dans un petit appartement un perflu de leurs travaux? Dans l'après-
planisphère céleste, lorsque les derniers midi causant avec Desaix, il me parloit
,
rayons du jour me firent appercevoir que des crocodiles : nous étions dans la par-
j'étais seul avec le constamment bon et tie du Nil qu'ils habitent; devant nous
complaisant général Belliard, qui, après étoient des isles basses de sable , comme
avoir vu pour lui, n'avoit pas voulu m'a- celles où ils se montrent : nous vîmes
bandonner dans un lieu si désert. quelque chose de long et brun à travers
Nous rattrapâmes au galop la division, nombre de canards; c'était un crocodile;
déjà à Dindera, à trois quarts de lieue il avoit quinze à dix-huit pieds ; il dor-
de Tintyra , où nous vînmes coucher : moit : on lui tira un coup de fusil, il
sans ordre donné, sans ordre reçu ; cha- entra doucement dans l'eau, et en res-
que officier, chaque soldat s'était dé- sortit quelques minutes après ; un second
tourné de la route, avoit accouru à Tin- coup de fusil l'y fit rentrer, il en ressortit
tyra , et spontanément l'armée y étoit de même : je lui trouvai le ventre beau-
restée le reste de la journée. Quelle jour- coup plus gros que ceux des animaux de
née ! qu'on est heureux d'avoir tout bravé même espèce que j'avois vus empaillés.
pour obtenir de telles jouissances! Nous apprîmes qu'une partie des Ma-
Le soir, Latournerie, officier d'un cou- melouks avoit passé à la rive droite du
rage brillant, d'un esprit et d'un goût fleuve, et que l'autre suivoit la route
délicat*,' vint me trouver, et me dit: d'Esnê et de Syene. Desaix fit partir sa
("7)
cavalerie à minuit pour tâcherd'atteindre même sont agrandis; cette cité reléguée,
ces derniers. que l'imagination n'entrevoit, plus qu'à
Le 7, nous partîmes à deux heures du travers l'obscurité des temps, étoit en-
matin; à huit, nous trouvâmes un cro- core un fantôme si gigantesque pour
codile mort sur les bords du fleuve : il notre imagination, que l'armée, à l'as-:
était encore frais ; il avoit huit pieds de pect de ses ruines éparses, s'arrêta d'elle-
long : la mâchoire de dessus, la seule même, et, par un mouvement spontanée,
mouvante, s'ajuste assez mal avec celle de battit des mains, comme si l'occupation
dessous ; mais son gosier y supplée, il se des restes de cette capitale eût été le but
plisse comme une bourse, et son élas- de ses glorieux travaux, eût complété la
ticité fait l'office de la langue, dont il conquête de l'Egypte. Je fis un dessin de
manque absolument : ses narines et ses ce premier aspect comme si j'eusse pu
oreilles se ferment comme les ouïes d'un craindre que Thebes m'échappât; et je
poisson; ses yeux, petits et rapprochés, trouvai dans le complaisantenthousiasme
ajoutent beaucoup à l'horreur de sa phy- des soldats des genoux pour me servir de
sionomie. table, des corps pour me donner de l'om-
A neuf heures, en détournant la pointe bre le soleil éclairant de rayons trop ar-
,
d'une chaîne de montagnes qui forme dents une scène que je voudrais peindre
un promontoire, nous découvrîmes tout- à mes lecteurs, pour leur faire partager
à-coupl'emplacement de l'antique Thebes le sentiment que me firent éprouver la
dans tout son développement;cette ville présence de si grands objets, et le spec-
dont une seule expression d'Homère nous tacle de l'émotion électrique d'une armée
a peint l'étendue , cette Thebes aux cent composée de soldats, dont la délicate
portes; phrase poétique et vaine que l'on susceptibilité me rendoit heureux d'être
répète avec confiance depuis tant de siè- leurcompagnon,glorieuxd'être Français.
cles. Décrite dans quelques pages dictées La situation de cette ville est aussi
à Hérodote par-des prêtres égyptiens, et belle qu'on peut se la figurer;l'étendue
copiées depuis par tous les autres histo- de ses ruines ne permet pas de douter
riens ; célèbre par ce nombre de rois que qu'elle ne fût aussi vaste que la renom-
leur sagesse a mis au rang des dieux, par mée l'a publié : le diamètre de l'Egypte
des lois que l'on a révérées sans jamais les n'étant pas assez grand pour la contenir,
connoître, par des sciences confiées à de ses monuments s'appuient sur les deux
fastueuses et énigmatiques inscriptions, chaînes qui la bordent, et ses tombeaux
doctes et premiers monuments des arts, occupentles vallées de l'ouest j usque bien
respectés par le temps ; ce, sanctuaire avant dans le désert. Je fis une vue de sa
abandonné,isolé par la barbarie, et rendu situation dès l'instant où je pus distin-
au désert sur lequel il avoit été conquis; guer ses obélisques, et ses portiques si
cette cité enfin toujours enveloppée du fameux: je pensoisbien que, tout aussi
voile du mystère par lequel les colosses empressés que moi, mes lecteurs verraient
C»8)
avec intérêt l'image d'un objet aussi cu- rétrogradâmesavec précipitation ; et pour
rieux d'aussi loin qu'on peut l'apperce- cette fois nous ne vîmes Thebes qu'au
voir, et qu'en général le premier devoir galop.
d'un voyageur est de rendre compte de Mon sort étoit de séjourner des mois
toutes ses sensations, sans se permettre à Zaoïé, à Bénisouef, à Girgé, et de passer
de les juger et de les dénaturer. C'est sans m'arrëter sur les grands objets que
pourquoi je me suis fait une loi de don- j'étois venu chercher. Nous arrivâmes un
ner à la gravure mes dessins tels que je moment après à un temple, que je dus
les ai faits d'après nature : et j'ai tâché de juger des plus anciens à son délabrement,
Conserver à mon journal la même naïveté à sa couleur de vétusté plus prononcée,
que j'ai mise dans mes dessins (voyez à sa construction moins perfectionnée, à
planche XLÏII, n° i). l'excessive simplicité de ses ornements,
Quatrebourgadëssedisputent les restes à l'irrégularité de ses lignes, de ses di-
des antiques monuments de Thebes; et mensions et sur-tout à la grossièreté de
,
le fleuve, par la sinuosité de son cours, sa sculpture. Je me mis bien vite à en
semble encore fier de traverser ses ruines. faire un dessin(voyezplanche XLI, n° 6) ,
JEntre midi et une heure, nous arri- puis, galopant après les troupes qui mar-
vâmes à un désert qui étoit le champ des choient toujours, j'arrivai à un second
morts : la roche, tailléedans son plan incli- édifice beaucoup plus considérable et
né , présente dans les trois faces d'un carré bien mieux conservé. Je trouvai en che-
des ouvertures régulières, derrière les- min une statue de granit noir,, je dis
quelles de doubles et triples galeries et des granit, en attendant qu'il soit décidé
chambresservoient de sépultures ( voyez quelle est cette matière que l'on a long-
pi. XLII, n° 4). J'y entrai à cheval avec De- temps appelée basalte, et dont sont faits
saix, croyant que ces retraites sombres ne les magnifiques lions égyptiens qui sont
pouvoient être que l'asyle de la paix et du au bas de la rampe du Capitale, ce se-
silence; mais à peine fûmes-nous engagés cond monument dont j'ai fait depuis le
dans l'obscurité de Ces galeries que nous dessin ( voyez planche XLII, n° 5 , et
fûmes assaillis de javelots et de pierres pl.XLV,n°i).
par des ennemis que nous ne pouvions A son entrée deux môles carrés flan-
distinguer; ce qui mit fin à nos observa- quent une porte immense: contre le mur
tions. Nous avons appris depuis qu'une de l'intérieur sont sculptés en deux bas-
population considérable habitait ces re- reliefs les combats victorieux d'un héros;
traites obscures, qu'y contractant appa- cette sculpture est de la composition la
remment des habitudes farouches, elle plus baroque, sans perspective, sans plan,
étoit presque toujours en rébellion avec sans distribution, et comme les premières
l'autorité, et devenoit la terreur de ses conceptions de l'esprit humain qui a tou-
voisins : trop pressés pour faire plus am- jours la même marche. J'ai vu à Pompéia
ple connoissanceavec les habitants, nous des dessins faits par des soldats romains
("9)
sur le stuc des murailles ; ils ressembloient deux mille ans se seraient trompés dans
entièrement aux dessins des nôtres, à l'objet de leur curiosité, comme on le
ceux de tout enfant qui veut rendre ses voit par l'inscription de leur nom sur
premières idées, lorsqu'il n'a encore ni un autre colosse, dont j'aurai à parler
vu, ni comparé, ni réfléchi. Ici le héros tout à l'heure.
est gigantesque, et les ennemis qu'il com- Il reste un pied de cette première
bat sont vingt-cinq fois plus petits : si statue, qui est détaché et bien conservé,
c'étoit déjà une flatterie des arts, elle très susceptible d'être transporté, qui
étoit sans doute mal entendue, puisqu'il pourroit donner en Europe une échelle
devoit être honteux pour ce héros de de comparaison des monuments de ce
n'avoir à combattre que des pygmées. genre, et faire pendant aux pieds colos-?
C'est à quelques pas de cette porte que sais qui sont dans la cour du Capitale à
sont les restes d'un colosse énorme ; il a Rome. L'enceinte dans laquelle est cette
été méchamment brisé, car les parties figure étoit, oU un temple, ou un palais,
épargnées ont tellement conservé leur ou peut-être tous les deux à la fois; car
poli, et les fractures leurs arêtes, qu'il si le bas-relief convenoit à un palais de
est évident que si l'esprit dévastateur des souverain, huit figures de prêtres devant
hommes leur eût permis de confier au deux portiques de l'intérieur convenoient
temps seul le soin de ruiner ce monu- aussi à un temple, à moins qu'elles ne
ment , nous en jouirions encore dans tout fussent là pour rappeler au souverain
son entier ; il suffit de dire, pour donner que, conformément aux lois, les prêtres
une idée de sa grandeur, que la largeur dévoient toujoursservir et assister sa ma-
des épaules est de vingt-cinq pieds, ce jesté. Au reste cette ruine, située sur le
qui donnerait à-peu-près soixante-quinze penchant de la montagne, et n'ayant ja-
à la figure entière ; exacte dans ses pro- mais été habitée dans les temps posté-
portions, le style en est médiocre, mais rieurs, est si bien conservée dans ses
l'exécution parfaite ; dans sa chute il est parties encore debout, qu'elle a moins
tombé sur le visage, ce qui empêche de l'aspect d'une ruine que d'un édifice que
voir cette partie intéressante ; la coiffure l'on bâtit, et dont les travaux sont sus-
étant brisée , on n'est plus dans le cas de pendus : on y voit nombre de colonnes
juger par ses attributs si c'étoit la figure jusqu'à leurs bases; les proportions en
d'un roi ou d'une divinité: étoit-ce la sont grandes, mais le style, quoique plus
statue de Memnon ou celle d'Ossiman- pur que celui du premier temple, n'est
due? Les descriptions faites jusqu'à cependant pas comparable à celui de Tinr
présent, comparées sur les lieux aux mo- tyra, ni pour la majesté de l'ensemble,
numents, jettent plutôt de la confusion ni pour la délicatesse de l'exécution des
dans les idées qu'elles ne les éclaircissent. détails. Il auroit fallu le temps de la ré-
Si c'étoit celle de Memnon, ce qui est le flexion pour en concevoir le plan; mais
plus probable, tous les voyageurs depuis on avoit pris le mouvement du galop, et
(iao)
il falloit suivre de près pour n'être pas plus au sud ne manquent cependant ni
arrêté pour toujours dans ses observa- de charme ni de délicatesse dans l'exécu-
tions ( voyez les vues que j'en ai faites tion ; c'est contre la jambe de celle du
depuis,planche XLII, n° 5, et pi. XLV, nord que sont écrits en grec les noms
des illustres et anciens voyageurs qui
On fut attiré dans la plaine par deux sont venus entendre les sons de la statue
grandes figures assises, entre lesquelles, de Memnon. C'est ici que l'on peut se
selon les descriptions d'Hérodote, de Stra- convaincre de l'empire de la célébrité sur
bon, et de ceux qui ont copié ces écri- l'esprit des hommes, puisque, dans des
vains, étoit la fameuse statue d'Ossiman- temps où l'ancien gouvernement égyp-
due, le plus grand de tous les colosses: tien et la jalousie des prêtres ne défen-
Ossimandue lui-même avoit été si glo- doient plus aux étrangers d'approcher
rieux de l'exécution d'une entreprise si de ces monuments, l'amour du merveil-
hardie, qu'il avoit fait graver une in- leux agissoit encore sur ceux qui venoient
scription sur le piédestal de eette statue, les visiter; qu'au siècle d'Adrien, éclairé
dans laquelle il défioit la puissance des des lumières de la philosophie, Sabine,
hommes d'attenter à ce monument ainsi la femme de cet empereur, qui elle-même
qu'à celui de son tombeau, dont la fas- étoit lettrée, voulut bien, ainsi que les
tueuse description ne paroît qu'un rêve savants qui l'accompagnoient,avoir en-
fantastique. Les deux statues encore de- tendu des sons, qu'aucune raison physi-
bout sont sans doute celles de la mère et que ni politique ne pouvoit plus pro-
du fils de ce prince, dont Hérodote fait duire : mais l'orgueilde monumenter son
mention ; celle du roi a disparu ; le temps nom en l'inscrivant sur de telles anti-
et la jalousie s'étant disputé à l'envi sa quités, aura fort bien pu faire écrire les
destruction, il n'en reste plus qu'un ro- premiers noms, et le désir bien naturel
cher informe de granit ; il faut le regard d'associer le sien à cette espèce de gloire
obstiné de l'observateuraccoutumé à voir y aura fait ajouter les autres; telle est
pour distinguer quelques parties de cette sans doute la cause de ces innombrables
figure échappées à la destruction , et inscriptions de noms de toutes dates et
encore sont-elles si insignifiantes, qu'elles en toutes langues. (Voyez la vue et les
ne peuvent donner aucune idée de sa détails de ces figures, que j'ai dessinées
dimension : les deux qui sont encore depuis, planche XLIV, n° 1, 2 et 3 ).
existantes ont cinquante à cinquante-cinq J'avois à peine commencé à dessiner
pieds de proportion ; elles sont assises, les ces colosses que je m'apperçus que j'étais
deux mains sur leurs genoux : ce qui en resté seul avec mes fastueux originaux,
reste conservé fait voir que le style en et les pensées que leur dénuement m?in-
étoit aussi sévère que la poseen est droite. spiroit; effrayé de celui où je me trouvois,
Les bas-reliefs et les petites figures qui je me remis au galop pour rattraper mes
composent le fauteuil de celle qui est curieux compagnons, déjà arrivés à un
(1,1)
grand temple, près du village de Medinet- dessins que j'en ai faits depuis pi. XLVI).
Abou. J'observai en courant que l'empla- C'étoit plutôt là un coup-d'oeil, une re-
cement du tombeau d'Ossimandue étoit connoissance faite à la hâte qu'un véri-
cultivé que par conséquent l'inondation table examen. La première soif de curio-
,
y arrivoit ; ce qui prouvoit, ou que le lit sité satisfaite, Desaix s'était remis au
du Nil étoit exhaussé, ou qu'ancienne- galop comme s'il eût vu les Mamelouks
ment il y avoit eu quelque quai ou digue dans la plaine; il nous mena encore à
pour empêcher les eaux d'inonder cèjfeê deux grandes lieues de là coucher à Her-
partie de la ville, qui, dans le moment montis, où pour ma part je fus logé dans
où nous la traversions , étoit un vaste un temple.
champ de bled bien verd, et qui pro- Je pouvois enfin descendre de che-
mettait une abondante récolte. val : il y avoit encore un moment de
A droite et attenant au village de Me- jour; j'en profitai pour faire bien vite
dinet-Abou, au bas delà montagne, est \a.\ue, planchelA, n° 1, 2, 3. La figure
un vaste palais bâti et agrandi à diverses de Typhon ou d'un Anubis y est si sou-
époques (voyez les dessins et plans que vent répétée dans l'intérieur de ce temple
j'ai faits depuis,planche XLVI, n° i, et qu'on peut croire que ce monument lui
planche XLV, n° 2). étoit consacré; il est représenté debout
Ce que j'ai pu observer de positif dans avec un ventre de cochon surmonté de
la rapidité de ce premier examen, que mamelles semblables à celles des Égyp-
nous faisions à cheval, c'est que le fond tiennes d'à présent ; j'en fis un dessin
de ce palais, qui est adossé à la montagne, (n° 4, planche CXX). A l'orient, à cent
et qui me parut la partie la plus ancien- toises du temple, est un réservoir assez
nement construite , étoit couvert d'hié- grand, revêtu en belle pierre, dans le-
roglyphes, très profondément creusés", quel on descendoit par quatre escaliers.
et sans aucun relief; que la catholicité , A deux cents toises plus loin dans la
dans le quatrième siècle, s'est emparée même direction sont les ruines d'une
de ce temple, et en a fait une église, en église, bâtie dans le quatrième ou cin-
y ajoutant deux rangs de colonnes dans quième siècle , des plus beaux débris
le style du temps, pour pouvoir soutenir égyptiens ; des colonnes de granit su-
une couverture. Au sud de ce monument, perbes décoroient la nef: mais tout est
il y a des appartements égyptiens avec des renversé ; il ne reste debout que le cu-
fenêtres carrées , des escaliers, le seul de-four du choeur et l'arrachement des
édifice que j'eusse vu encore qui ne fût murs de l'enceinte : cette destruction est
-pas un temple (voyezplanche XLV, n° 2) ; de mains d'hommes ; l'édifice étoit trop
à côté des fabriques reconstruites avec bien construit pour qu'il n'eût pas résisté
,
des matériaux plus anciens, devant les- au temps.
quelles sont une façade et une cour qui Le jour cessa, et je rentrai, la tête
n'ont jamaisété achevées (voyezencore les étourdie de la profusion d'objets qui
16
( îii y
avoient passé sous mes yeux dans un si plateau du rivage libyque ; la partie su-
court espace de temps; je croyois avoir périeure , manquant de base-, a fait la
rêvé durant toute cette journée si abon- bascule, et de sa déchirure a formé les
dante ; et en effet je me serais alimenté deux pointes de rocher que l'on voit dans
délicieusement un mois entier de ce qu'il l'estampe,.où j'ai représenté la halte que
m'avoit fallu dévorer dans douze heures, nous y fîmes. Ce rocher, appelé Gibelin
sans que je pusse me promettre seule- ou les deux Montagnes, sert de limite à
ment de trouver le lendemainun moment une subdivision de la haute Egypte, et,
pour y réfléchir. sous le dernier gouvernement, étoit de-
Le 8 au matin, je vis un tamarisque venu une barrière pour les beys rebelles
d'une grosseur énorme , planté sur le qui étoient relégués dansle haut Saïd,bar-
bord du Nil; il avoit été déraciné par les rière que les exilés ne pouvoient franchir
inondations progressives, et enfin ren- sans être hors la loi. C'est ainsi que dans
versé ; la plus grande partie de ses racines les dernières années Osman-bey, après
dressées avoit produit des feuilles ; les avoir été envoyé à Cosséir accompagné
anciennes branches qui l'avoient reçu à d'hommes qui étoient secrètement char-
terre , et qui s'y étoient fichées, lui ser- gés de le tuer au lieu de l'embarquer
voient de pied ; de sorte que son énorme pour la Mekke, où il était censé être exilé,
tronc , resté suspendu horizontalement, prévint ses assassins, vola le bâtiment
par une Confusion dans le système de la richementchargé , se sauva dans la haute
circulation , végétait dans tous les sens, Egypte, rassembla assez de Mamelouks
et lui donnoit un si étrange aspect, que pour obliger Mourat de traiter, et de lui
les Turcs n'avoient pas manqué d'en faire céder la souveraineté de tout l'espace en-
un arbre à miracle : je l'aurois dessiné, tre Gibelin et Syene.
si dans ce moment je ne m'étais pas Après cet étranglement du cours du
trouvé un peu en arrière de la division , Nil la vallée s'élargit sans que la culture
et s'il n'eût pas fallu le détailler scrupu- y gagne rien; de vastes champs gercés
leusement pour faire bien concevoir ce par le séjour des eaux avoient attendu
phénomène végétal. en vain qu'on leur prêtât ce qu'ils au-
A notre halte nous trouvâmes un autre raient rendu à si gros intérêts.
étranglement du Nil, dont je fis le dessin Le 9, nous arrivâmes le matin d'assez
(y oyez planche XXXII, n° 2). La chaîne bonne heure à Esnê, la dernière ville un
libyque, tournant tout-à-coupà l'orient, peu considérable de l'Egypte; Mourat
vient serrer le Nil contre la chaîne ara- avoit été obligé de l'abandonner la veille
bique ; pressé entre ces deux obstacles, quelques heures avant l'arrivée de notre
le fleuve a triomphé de celui qui lui of- cavalerie, d'y brûler une partie de ses
frait le moins de résistance ; le courant tentes, et du gros bagage qui auroit pu
a dans ses accroissementsminé et dégradé ralentir sa marche. Nous dûmes donc
un lit de gravier qu'il a trouvé sous le juger qu'il étoit déterminé à quitter
(i«3)
l'Egypte et à s'enfoncer dans la Nubie, différents, sont d'un bel effet ; et ce
dans l'espoir de nous fatiguer et de nous qui pourroit ajouter à la preuve que les
disséminer; le pays n'offrant point le Égyptiens n'ont rien emprunté des autres
moyen de nourrir en masse notre armée , nations , c'est qu'ils ont pris tous les or-
il pouvoit espérer de rassembler des for- nements dont ces chapiteaux sont com-
ces , et de venir par le désert attaquer posés des productions de leur pays, tel-
,
nos détachements. les que le lotus, le palmier, la vigne, le
Esnê est l'ancienne Latopolis ; on voit jonc, etc. etc. Je ne sortis de cetempleque
encore sur le bord du Nil quelques débris lorsqu'il fallut se remettre en route : nous
de son port ou quai, qui a été souvent laissâmes la moitié de notre infanterie et
rétabli, et qui, bien qu'on y fasse quel- de notre artillerie à Esnê, pour marcher
ques réparations, est dans un état déplo- plus lestement dans un pays dont les res-
rable. Il y a aussi dans la ville le portique sources diminuoient à chaque lieue, et
d'un temple, que je crois le monument devenoient presque à rien ; nous vînmes
le plus parfait de l'antique architecture: coucher à trois lieues et demie d'Esnê.
il est situé près du bazar, sur la grande Le 10, après trois heures de marche,
place, et en ferait un ornement incom- à trois quarts de lieue du fleuve, sur le
parable , si les habitantspouvoient soup- bord du désert, nous trouvâmes une
çonner son mérite ; au lieu de cela, ils petite pyramide de cinquante à soixante
l'ont masqué de méchantes masures en pieds de base, bâtie en moellons, trop
ruine, et l'ont livré aux usages les plus petits pour avoir conservé leur assise,
abjects : le portique est très bien con- aussi le revêtissement en est-il dégradé
servé et d'une grande richesse de sculp- du haut jusqu'en bas (voyez pi. LXII,
ture ; il est composé de dix-huit colonnes n° 2).
à chapiteaux évasés; ces colonnes sont A deux heures et demie en avant
,
élancées, et me parurent aussi élégantes d'Etfu, nous trouvâmes les ruines d'Hié-
que nobles, quoiqu'on ne puisse juger raconpolis, qui consistent dans les restes
de leur effet que de la manière la plus d'une porte d'un édifice considérable, à
désavantageuse à l'architecture ; il fau- en juger par la grosseur des pierres, l'é-
drait déblayer, pour savoir s'il reste tendue des débris, et le diamètre des
quelque partie de la Cella : je fis le mieux chapiteaux frustes que l'on trouve épars
que je pus la vue pittoresque et un plan çà et là sur le sol ; la nature du grès dont
de ce monument (planche LUI, n° i, étoit bâti le temple d'Hiéraconpolis est
etLIY, n°3); les hiéroglyphes en reliefs, si friable, que l'édifice n'a conservé au-
dont il est couvert en dedans comme en cune forme , et que les détails sont tout-
dehors, sont d'une exécution soignée ; à-fait perdus. A quelques toises plus loin,
on y remarque un zodiaque , de grandes on en distingue avec peine un autre en-
figures d'hommes à têtes de crocodiles ; core plus dégradé : les restes de la ville
les chapiteaux quoique presque tous
, ne sont plus que des monceaux de bri-
(«4)
ques très cuites, et quelques fragments avec des rochers tôutentiers. Lanuitetoit
de granit. Je dessinai ce que je pus de venue avant que j'eusse eu le temps de
ces ruines presque effacées (n° 2, plan- faire le tour de ce surprenant monument;
che LIV bis) ; je m'y suis représenté, avec et je recommençai à gémir sur le sort
toute ma suite et dans le délabrement qui m'obligeoit de voir si rapidement ce
o,ù m'avoient réduit les fatigues de la qui méritait tant d'admiration. La con-
route. servation de cet édifice antique contraste
Nous vîmes de l'autre côté du fleuve merveilleusement avec les ruines grisâ-
descendre deux cents Mamelouks avec tres des habitationsmodernes construites
leurs équipages ; nous sûmes depuis que dans son intérieur ; une partie de la po-
c'étoit Elfi-bey, qui, blessé àSamanhout, pulation du village habite le temple dans
n'avoit pas voulu passer les cataractes des huttes, bâties dans les cours et sur
avec les autres beys. En approchant, les combles, et qui, semblables aux nids
nous admirions la superbe et avantageuse des hirondelles dans nos maisons, les sa-
situation d'Apollinopolis la grande ; elle lissent sans les masquer ni les dégrader.
dominoit le fleuve et toute la vallée de Au reste ce mélange, fâcheux au premier
l'Egypte, et son superbe temple pyrami- coup-d'ceil, produit un contraste pitto-
doit encore sur le tout comme une cita- resque qui donne tout à lafoisune échelle
delle qui auroit pu commander le pays: et des hommes et des temps: d'ailleurs
cette idée dérive si naturellement de sa avons-nous le droit de trouver ridicule
situation, que ce temple n'est connu dans que des peuples ignorants appuient leurs
le pays que sous le nom de la forteresse foibles constructions, et ne craignent pas
( voyez pi. LVI, LVII et LVIII ). Je pré- de masquer des beautés sur lesquelles ils
voyois avec chagrin que nous arriverions n'ont jamais arrêté leurs regards, tandis
tard et que nous partirions le lende- que nous laissons les arènes de Nîmes en-
main de grand matin. Je me mis au galop combrées de masures?
pour devancer les premiers soldats, et Au-delà d'Etfu le pays se resserre ; il
ayant que les derniers rayons du jour n'y a plus qu'un quart de lieue entre le
cessassentd'éclairer le pays. Je n'eus que désert et le fleuve. A midi, nous fîmes
le temps cette fois de parcourir à cheval halte sur le bord du Nil : la cavalerie nous
cet édifice, dont la grandeur, la noblesse, avoit devancés; au moment de nous met-
la magnificence et la conservation sur- tre en route, elle nous fit dire que nous
passent tout ce que j'avois encore vu en allions avoir à traverser un désert de sept
Egypte et ailleurs; il me fit une impres- lieues : la journée étant trop avancée pour
sion gigantesque comme ses dimensions. nous engager dans une marche aussi lon-
Get édifice est une longue suite de portes gue, nous couchâmes dans un village
pyramidales, de cours décorées de gale- abandonné, où heureusement il y avoit
ries, de portiques, de nefs couvertes, con- du bois.
struites , non pas avec des pierres, mais Le 11, nous partîmes à trois heures :
(«5)
après avoirmarché une heure dans 1 e pays n'avoient pas mangé de beignets, rou-
cultivé, nous entrâmes dansla montagne loient sous nous d'inanition ; il falloit les
composée d'ardoise pourrie, de grès, de mener en main, il falloit les soutenir ou
quartz blanc et rose, de cailloux bruns, les abandonner ; il falloit marcher, ce
avec quelques cornalines blanches. Après que j'aurois cru impossible sans la né-
cinq heures de marche dans le désert, cessité : mais il y avoit urgence ; et nous
les souliers étoient déchirés, les soldats avions appris l'étendue des ressources
attachoient ce qu'ils avoient de linge à que ce mot fait trouver.
leurs pieds, une soif ardente les dévorait ; Une demi-heure après avoir passé le
on ne pouvoit trouver de l'eau que dans premier désert, nous trouvâmes les rui-
le Nil, dont les rives étoient aussi arides nes de Silsilis, qui consistent en débris,
que le désert : la division étoit harassée , en briques, et dans les restes d'un tem-
et pour arriver au fleuve il falloit se dé- ple, dont les murs les plus élevés n'excè-
tourner d'une lieue ; mais la soif com- dent pas maintenant troispieds au-dessus
manda on y arriva excédé ; les équipa- du sol. On peut reconnoître encore que
,
ges , dont les animaux n'avoient eu aucun la nef du temple, couverte d'hiérogly-
pacage la veille, affoiblis par la faim, phes, étoit entourée d'une galerie, à la-
n'avoient pu suivre que partiellement. quelle dans un temps postérieur, on
,
Quelle fut la détresse, lorsqu'il fallut an- avoit ajouté un portique sans hiérogly-
noncer à la troupe qu'il n'y avoit rien à phes : nous rentrâmes.une troisième fois
manger ! nous nous regardions triste- dans le désert ; une hyène suivit la co-
ment ; on n'entendoit aucun murmure , lonne pendant assez long-temps.
mais un morne silence, mais les larmes, Le rocher devient graniteux, avec des
triste avant-coureur du désespoir, étoient cailloux de toute couleur et de toute es-
bien autrement terribles. Après quelques pèce, que leur dureté rendoit suscepti-
instants de cette affreuse situation, un bles d'un poli brillant ; j'en trouvai de
chameau qui portoit une légère petite cornaline, de jaspe, et de serpentine ; le
charge de beurre nous joignit avec quel- sable n'est formé que des débris de toutes
ques uns de ceux dont les provisions les matières primitives et constituantes
étaient mangées; on chercha au fond des du granit. Nous arrivâmes à un plateau
sacs, on les secoua , on parvint à ramas- élevé, d'où on découvre une vaste éten-
ser de quoi faire une distribution d'une due dans laquelle on voit serpenter le
poignée de farine : on proposa de faire Nil ; après avoir coulé le long du Moka-
des beignets ; un arbre nous donna du tam, il revient au nord-ouest pour courir
feu ; l'occupation chassa les idées mélan- de nouveau au nord. A cet angle, on dis-
coliques et la gaieté française ramena tingue les ruines d'un phare, qui ser-
,
parmi nous le courage accoutumé..Nous voit peut-être à éclairer cette partie tor-
partîmes bien vite sur notre lest; mais à tueuse de la navigation ; à l'autre angle ,
peine en route, nos pauvres chevaux,qui on voit les hauteurs d'Ombos, déployant
(-ia6)
de beaux monuments ; au coude du fleu- son fusil, ses cartouches , la lassitude de
ve , une de ses branches forme une isle quatre jours de marche forcée, le besoin
inondée, et qui vaut à elle seule vingt de sauver cette malheureuse petite créa-
lieues carrées de tout le pays qui l'avoi- ture la lui avoit fait ramasser soigneuse-
sine : sa position la sauva des incursions ment ; il l'apportait depuis deux lieues
de la cavalerie mamelouke et de notre vi- dans ses bras : ne sachant plus qu'en faire
site ; les habitants de terre ferme s'y reti- dans ce village abandonné, il apperçoit
rèrent , nous abandonnant le grand vil- un seul habitant, il voit deux enfants,
lage de Binban, accoudé au désert et aussi et, sans prendre d'autres informations,
triste que lui. C'est là que nous arrivâmes il lui laisse encore l'objet de sa sollicitude
après onze heures de marche. Le troupeau avec l'enthousiasme d'un être sensible qui
de boeufs qui nous suivoit s'étoit égaré ; fait une bonne action.
il falloit l'attendre avec la peur qu'il n'eût Si j'avois eu horreur de voir que la
été enlevé : le village ne nous offroit que faim rendoit un individu de mon espèce
quelques murailles; elles furent fouillées aussi féroce qu'une bête farouche, .cet
jusqu'àleurfondation.Je fus témoin dans autre soldatm'avoit soulagé, m'avoitrat-
cet instant d'une scène qui offroit un con- taché à l'humanité. Quelles sensations
traste frappant dé la brutalité la plus fa- que celles produites par les vertus dou-
rouche et de la sensibilité la plus hospi- ces au milieu des horreurs de la guerre !
talière. Dans le moment où j'observois l'âme flétrie en est ravivée ; c'est un verre
que si l'avarice est ingénieuse à trouver d'eau douce et fraîche présenté au milieu
une cachette, le besoin l'est peut-être plus du désert. Je pus donner de l'argent, du
encore pour la découvrir, un soldat sort biscuit au malheureux vieillard ; mais ne
d'un trou, traînant après lui une chèvre pouvantrien pour les enfants, je me sau-
qu'il en avoit arrachée : il étoit suivi d'un vai pour échapper au spectacle d'un mal-
vieillard portant deux enfants à la ma- heur auquel il n'étoit pas en mon pouvoir
melle ; il les laisse sur la terre /tombe à d'apporter aucun secours.
genoux, et, sans proférer une parole, il Le 12, nouveaux déserts à traverser:
montre, en versant un torrent de larmes, nous trouvons le rocher alternativement
que ses enfants vont mourir si la chèvre de granit et de grès décomposé,formant
leur est enlevée. L'aveugle et sourd be- une croûte friable et déchirante à la su-
soin n'est point arrêté par ce tableau dé- perficie, semblable à des scories. Dans
chirant , et la chèvre est déjà égorgée : les vallées où abonde le sable , sa surface
dans le même instant arrive un autre sol- y est unie et tendre comme la neige, de
dat tenant dans ses bras un autre enfant, sorte que les traces des animaux s'y im-
qu'une mère, en fuyant devant nous, priment avec la même facilité, et que
avoit sans doute été obligée d'abandon- l'on peut reconnoître ceux qui les ont
ner dans le désert ; malgré le poids dont traversées depuis le dernier vent ; le plus
étoit chargé ce brave homme, son sac, souvent ce sont des traces de'gazelles qui
(I27)
les sillonnent : ce joli petit animal, plus pas dû refaire le même chemin qu'il ve-
timide que farouche, après avoir pris sa noit de parcourir si péniblement; mais
nourriture sur le bord du fleuve, va ca- le passé n'est déjà plus rien, et la jouis-
cher sa peur dans le silence du désert. sance présente laisse à peine entrevoir l'a-
Je remarquai avec une réflexion triste venir incertain. Je ne voyois cependant
qu'un animal de proie accompagne pres- guère que moi qui fusse dans le cas de se
que toujours les pas de ce joli et frêle in- réjouir, puisque j'allois pour la première
dividu ; la vitesse de sa course n'assure fois respirer et m'asseoir dans un pays où
point sa liberté , et l'espace -n'est point tout alloit être intéressant.
encore pour lui un asyle contre la tyran- La première bonne nouvelle que nous
nie : nous vîmes dans la journée deux de apprîmes fut que les Mamelouks n'a-
ces animaux, les plus élégants, les plus dé- voient pas brûlé les barques auxquelles
licats de tous ceux de cette grande famille. ils n'avoient pu faire franchir les cata-
Nous marchions aussi lentement que ractes : nous bivouacquâmes à Contre-
péniblement , nous arrêtant à chaque Éçouain(voyezplanche LXIII,,B°. I ). Le
instant pour raccommoder nos chaus- matin , je montai au couvent de S.-Lau-
sures , et reprendre haleine: dans l'après- rent, qui est une mauvaise ruine. Au-
midi, je trouvai en plein désert la trace dessus est la tour des vents, qui est une
d'un grand chemin antique, revêtu de vedette d'où on a la vue la plus étrange :
chaque côté de grosses masses de pierres c'est le bout du monde, ou plutôt c'est
alignées, et qui conduisoit en droiture le chaos, dont l'air s'est déjà dégagé, et
à Syene. L'après-midi, la troupe étoit dont l'eau par filons, commençant aussi
tellement fatiguée, qu'au sortir du dé- à se séparer de la terre promet à la na-
,
sert on la laissa s'arrêter au premier en- ture de la rendre féconde ; en effet ses
droit qui put fournir de l'herbe à nos premiers bienfaits se manifestent sur les
chevaux ; je crois qu'il eût été impossible rochers de granit, où du sable et du li-
de les en arracher, ni de faire relever les mon déposés dans des creux organisent
soldats : pour moi, j'étois au terme de une base pour les végétations, qui se
mes forces, et je restai comme attaché multiplient en s'agrandissant par grada-
au sol où je m'assis, et j'y passai la nuit. tion. A Éléphantine, la culture, les ar-
Le lendemain nous n'eûmes que trois bres, les habitations, offrent déjà l'image
quarts de lieue à faire pour rejoindre la de la nature perfectionnée ; c'est sans
cavalerie, qui ne nous avoit devancés doute ce qui lui a fait donner en arabe
que pour manger le pays devant nous ; le nom de Qeziret-êl-Sag ou d'Isle Fleu-
enfin nous touchions à Éçouan ou Syene, rie. Je fis un dessin de ce pays, qu'il fau-
le terme de notre marche. Le soldat ou- drait peindre, et dont je ne puis offrir
blia les fatigues, comme s'il fût arrivé à qu'une carte à vol d'oiseau ( voyez plan-
la terre promise, comme si, pour retrou- che LXIV, n°. i ).
ver un pays qui pût le nourrir, il n'eût Le 14 pluviôse, nous traversâmes le
(128)
fleuve pour aller à la rive droite occuper Je fis d'abord la vue que je viens de
Eçouan ou Syene. Mourat-bey avoit passé décrire, qui est une espèce de carte à vol
les cataractes, et s'étendoit dans un long d'oiseau, dans laquelle on peut voir d'un
espace pour pouvoir faire subsister ses coup-d'oeil le tableau général du pays,
Mamelouks et ses chevaux : nous nous l'entrée du Nil dans l'Egypte traversant
trouvions dans le même cas pour les nô- le banc de granit qui forme ses dernières
tres. cataractes , l'isle Éléphantine entre Con-
Le 16, Desaix partit avec la cavalerie tra-Syene et Syene, les monuments de
pour aller chercher Elfy- bey, que nous cette ville, dans lesquels on peut dis-
avions laissé derrière nous à la droite du tinguer lés diverses époques, ou plutôt
fleuve. Je n'avois pas encore quitté Desaix les périodes de son existence. Les ruines
depuis que j'étais sorti du Caire : j'ose de sa première antiquité se font facile-
dire avec quelque orgueil que ce fut un ment reconnoître ; ce devoit être alors
chagrin pour tous deux ; nous avions une cité bien considérable, si les édifices
passé ensemble des moments si doux et de droite et de gauche du Nil et ceux d'É-
si répétés, marchant au pas côte à côte léphantine ne formoient qu'une même
pendant douze à quinze heures de suite; ville, comme on doit le croire, puisqu'ils
nous ne causions pas, nous rêvions tout ne sont séparés que par le fleuve, qui en
haut ; et souvent, après ces séances si cet endroit est plus profond que large :
longues , nous nous disions : Combien les ruines arabes sont groupées sur un
nous aurons de choses à nous dire le rocher à l'est; au bas, sont des monu-
reste de notre vie ! Que d'idées adminis- ments romains ; et l'on retrouve aussi
tratives , sages, philanthropiques, ar- des fabriques dans l'isle Éléphantine : à
rivoient à son ame quand le son de la tout cela a succédé un grand village,
trompette ou le roulement du tambour mieux bâti, avec des rues plus droites
cessoient de lui donner la fièvre guer- que les villages ordinaires ; ce que l'on
rière ! Que de notes intéressantes me doit attribuer à la présence de la pierre
fournirait aujourd'huison étonnante mé- et à la quantité des anciens matériaux.
moire ! avec quel avantage je le consulte- Au milieu est un château turc, masqué
roisJ. avec quel intérêt il verroit mon ou- de tous côtés, et qui ne peut être d'au-
vrage, qu'il auroit regardé comme le sien! cune défense.
En s'éloignantde moi pour quelques mo- Dans mes premières promenades, je
ments , il sembloit qu'il voulût par degrés dessinai les profils des objets dont j'avois
m'accoutumer à le quitter. fait la carte ( voyezplanche LXIV, n° 2 ) ;
J'allai avec le général Belliard prendre et me rapprochant du rocher sur lequel
possession du gouvernement de Syene. étoit l'ancienne ville arabe, je fis celui de
Pendant mon séjour dans cette ville mes l'isle Éléphantine et de ses monuments,
,
dessins vont suppléer à mon journal et dont on peut yoir le gisement avant d'en
le remplacer. connoître les détails (même planche n° 3).
(I 29)
Nous employâmes nos premiers mo- si détruite et si informe qu'on n'y voit
,
ments à nous établir : nous avions un plus que l'embrasure de deux entreco-
assez beau quartier ; c'étoit la maison du lonnements, avec les chapiteaux, et une
kiachef, bâtie en pierre, avec un étage, petite partie de l'entablement : ce frag-
des terrasses, et des appartements voû- ment est ce que Savari, qui confesse n'ê-
tés : nous fîmes des lits, des tables, des tre pas venu à Syene, indique sur pa-
bancs ; se déshabiller, s'asseoir, et se cou- role., comme pouvant être les restes de
cher, me parut de la mollesse, une véri- l'observatoire, dans lequel il faut, selon
table volupté : les soldats en firent de lui, chercher le-nilometre. J'ai fait le
même. Le second jour de notre établis- dessin particulier de cette petite ruine,
sement il y avoit déjà dans les rues de pour détruire une erreur dont on ne
Syene des tailleurs, des cordonniers, des peut accuser notre ardent et élégant
orfèvres, des barbiers français avec leur voyageur, qui a tout cherché , tout indi-
enseigne ; des traiteurs et des restaura- qué , et qui souvent a peint merveilleu-
teurs à prix fixe. La station d'une armée sement même ce qu'il n'avoit pas vu
offre le tableau du développement le plus (voyezpi LXVF, n° i). ,
rapide des ressources de l'industrie; cha- Près de cette ruine, parmi les pal-
que individu met en oeuvre tous ses miers, sont des i fragments d'un édifice,
moyens pour le bien de la société : mais qu'il faut, je crois, donner à la catholi-
ce qui caractérise particulièrement une cité grecque ; on voit encore debout deux
colonnes de granit, deux chambranles de
armée française, c'est d'établir le superflu
en même temps et avec le même soin même matière, et des colonnes groupées
contre deux faces d'un seul pilastre ; ces
que le nécessaire; il y avoit jardins, cafés,
et jeux publics, avec des cartes faites àdeuxderniers morceaux sont renversés.
Syene. Au sortir du village une allée d'ar- L'isle d'Éléphantine devint tout à la
fois ma maison de campagne, mon lieu
bres alignés se dirigeoit au nord ; les sol-
dats y mirent une colonne milliaire avec de délices, d'observation, et de recher-
l'inscription, Route de Paris, n° onze, ches ; je crois y avoir retourné toutes les
pierres, et questionné tous les rochers
cent soixante-sept milles trois cents qua-
rante: c'étoit quelques jours après avoirqui la composent : c'étoit à sa partie sud
qu'étoit la ville égyptienne et les habi-
reçu une distribution de dattes pour toute
ration qu'ils avoient des idées si plai- tations romaines et arabes qui lui ont
succédé. On ne reconnoît l'occupation
santes ou si philosophiques. La mort seule
peut mettre un terme à tant de bravoure romaine qu'aux briques, aux tessons de
poterie, aux petites déités de terre cuite
et de gaieté ; les plus grands malheurs n'y
peuvent rien. et de bronze qu'on y trouve encore : on
De ce côté du fleuve il n'y a d'autre ne reconnoît celle des Arabes qu'aux or-
reste de la ville égyptienne qu'un petit dures dont elle a couvert le sol, et qui
temple carré entouré d'une galerie, mais forment d'ordinaire les ruines de leurs
*7
(i3o)
édifices. Tous ceux des temps postérieurs Étoit-ce là le temple de Cneph, le bon
ont à peine laissé des traces de leur exis- génie , le dieu égyptien , qui se rappro-
tence ; tout a péri devant ces monuments che le plus avec nos idées de l'Etre su-
égyptiens, voués à la postérité, et qui prême ? ou bien ce temple, cité par les
ont résisté aux hommes et aux temps. historiens, étoit-il celui que l'on voit à
Au milieu du vaste champ de briques et six cents pas plus au nord, qui est plus
de terres cuites dont je viens de parler ruiné , de même forme , de même gran-
s'élève encore un très ancien temple deur, et dont tous les ornements sont
carré , entouré d'une galerie en pi- accompagnés du serpent, emblème de
lastres avec deux colonnes au portique la sagesse et de l'éternité, et particuliè-
,
{voyez pi. LXYI, n° a", et pi. LXI, n° 5 rement du dieu Cneph ? A en juger par
,
qui est la colonne du portique prise à tout ce que j'ai vu d'édifices égyptiens,
part ) ; il ne manque que deux pilastres à ce dernier est de l'ordre le plus ancien-
l'angle gauche de cette ruine : on y avoit nement employé, il est absolument du
ajouté postérieurementd'autres édifices, genre du temple de Kournou à ïhebes,
dont il ne reste que quelques arrache- celui qui m'a paru le plus ancien de cette
ments , qui ne peuvent rien indiquer de ville ( voyez les vues planche LXV, n° i,
la forme qu'ils avoient, mais attester seu- et pi. LXIII, n° i ; et le détail d'un cha-
lement que les accessoires étoient plus piteau pi. LX, n° 4 )• Ce que j'ai trouvé
,
grands que le sanctuaire ; ce dernier est de particulier à la sculpture de ce temple-
couvert en dehors et en dedans d'hiéro- ci c'est plus de mouvement dans les
,
glyphes en reliefs assez bien conservés figures, des robes plus alongées et se
et fort bien sculptés ; j'ai dessiné tout un composant davantage [voyezpi. CXXIII,
côté de la partie intérieure ; celle qui lui n° 3 et CXXI, n° i ) : les trois figures
,
fait face n'en est presque qu'une répéti- de ce dernier bas-reliefsemblent remer-
tion ( voyez article des hiéroglyphes cier un héros de les avoir délivrées d'un
,
planche CXXVIII, n° 5). Cette espèce de cinquième personnage, presque effacé,,
tableau est d'autant plus intéressant à of- mais que l'on reconnoît être renversé.
frir à la discussion qu'il est d'une unité Cette sculpture , où il semble qu'il y ait
,
que je n'avois pas encore rencontrée dans une espèce de composition groupée avec
ces sortes de décorations, ordinairement de la perspective, est-elle antérieure ou
partagées en compartiments; j'ai dessiné postérieureàcelleoùlesÉgyptiensavoient
aussi tout un côté de l'extérieur, et un arrêté un rhythmepour leurs figures, afin
seul pilastre ; tous les autres lui ressem- d'en faire, comme de l'écriture, des ca-
blent à peu de chose près ( voyez même ractères, dont à la première vue on re-
planche, n° i etl\): la vue pittoresque connût la signification, que l'on expli-
de la totalité de ce petit édifice donnera quât sans presque avoir besoin de les re-
une idée de son importance et de l'état garder? Il n'y a de conservé de ce dernier
de sa conservation. édifice qu'une colonne du portique, et
(I3I)
tout un côté de la galerie en pilastres ; marches mêmes de l'escalier en eussent
le reste est absolument détruit {voyez pu servir, et la partie supérieure de cet
planche LXIII, n° i, etpi. LXV, n° 2 ). escalier étant encombrée, il est possible
Au milieu de l'isle, il y a deux cham- que les mesures soient marquées dans
branles d'une grande porte extérieure, cette partie que je n'ai pu voir (i).
en blocs de granit, ornés d'hiéroglyphes Toutes ces fabriques posent sur des
( voyez pi. LXV, n° i ) : ce débris a sans massesderocherSjCouvertsd'hiéroglyphes
doute appartenu à quelques monuments gravés avec plus ou moins de soin : plus
d'une grande magnificence, dont quel- loin, en s'avançant vers le nord, on trouve
que foible fouille pourroit faire connoître deux portions de parapet, qui laissent
l'étendue. A l'orient est encore un frag- entre elles une ouverture pour descendre
ment d'édifice très petit et très soigné ; au fleuve : sur le flanc intérieur de droite
ce que l'on en voit est le côté occidental est un bas-reliefen marbre, représentant
d'une chambre étroite ou d'un très petit la figure du Nil, de quatre pieds de pro-
temple, et ce qui reste des hiéroglyphes portion , dans l'attitude d'un colosse qui
est parfaitement sculpté ; les ornements est à Rome, et qui représente ce même
en sont surchargés du lotus, et entre au- fleuve. Cette copie de la même idée prou-
tres des fleurs de cette plante, dont la ve tout à la fois que l'édifice est romain,
tige penchée sembleêtre ranimée par une qu'il est postérieur au temps où ce chef-
figure qui l'arrose, comme dans le tableau d'oeuvre grec a été apporté à Rome, et
que j'ai trouvé à Latopolis ( voyez plan- que les Romains dans leur établissement
che CXXVII, n° 4). Cette chambre ou à Syene, ayant pu ajouter les ornements
temple communiquoit à un couloir plus de luxe et de superflu aux constructions
étroit, qui, à en juger par une suite de de première nécessité, y avoient eu plus
fabriques aboulissoit à une galerie ou- qu'une station militaire, mais une colo-
,
verte sur le Nil, et posant sur un grand nie puissante : les bains et ustensiles pré-
revêtissement qui défendoit la partie cieux en bronze que l'on y trouve encore
orientale de l'isle d'être dégradée par le journellement viennent à l'appui de cette
remous du courant du fleuve : il reste en- opinion sur la richesse et la durée de cette,
core trois portiques de cette galerie, et un colonie.
escalier en granitqui descendjusque dans L'isle d'Éléphantine, défendue au sud
le fleuve: cette galerie, cette chambre par des brisants, s'est sans doute fort
décorée, et cet escalier,, ne seroient-ils augmentée au nord par des alluvions ;
pas cet observatoire et ce nilometre que ces alluvions deviennent journellement
les voyageurs cherchent en vain à Syene ?
Préoccupé de cette idée, j'ai bien regardé (i) Strabon, quiavoit observé Syene avec soin, et
qui l'a décrit avec détail, dit que ce nilometre étoit
et n'ai pu découvrir aucune marque sur
le revêtissement de l'escalier qui indi- un puits qui recevoit les eaux du Nil, et que les mar-
ques d'aprèslesquelleson évaluoitl'inondationétoient
quât aucune graduation; mais au reste les gravées sur les côtés de ce puits.
(i3a)
des terres labourées et des jardins assez et dune garnison turque : le sene qui
agréables, qui, arrosés perpétuellement croît aux environs de Syene est médio-
par des roues à chapelet, y produisent cre ; on ne le vend qu'en le mêlant frau-
quatre ou cinq ,récoltes par an ; aussi les duleusement avec celui du désert qu'ap-
habitants en saiit-ils nombreux, aisés, portent les Barabra, et qu'ils vendent
et très accorts. Je les appelois de l'autre à-peu-près la centième partie de ce que
bord ; ils venoient me chercher avec leurs nous le payons en Europe ; il, est vrai
barques ; j'étois bientôt accompagné de qu'il est imposé à nombre de droits
tous les enfants, qui m'apportoient et avant d'y arriver, et que c'est un des
me vendoient des fragments d'antiquité, articles les plus importants de la douane
et des cornalines brutes : avec quelques du Caire et d'Alexandrie. Le second ar-
écus, je faisois nombre de petits heu- ticle de l'exportationest celui des dattes ;
reux, et leurs parents devenoient mes elles sont sèches et petites, mais si abon-
amis ; ils m'invitoient, me préparaient dantes qu'outre qu'elles font la nourri-
,
à déjeûner dans les temples où je devois ture principale des habitants, il en des-
venir dessiner; enfin, j'étois comme le cend tous les jours des bateaux chargés
propriétaire bénévole d'un jardin, où dans la basse Egypte.
tout ce que l'on cherche ailleurs à imiter Nous apprenions par nos espions que
étoit là en réalité, islots, rochers, désert, les Mamelouks remontoient le moins
champs, prés, jardins, bocage, hameaux, qu'il leur étoit possible au-delà des ca-
bois sombre , plantes extraordinaires et taractes, qu'ils ravageoient les deux rives
variées,fleuve,canauxet moulins, ruines du Nil qui leur fournissoientencore quel-
sublimes : lieu d'autant plus enchanté ques fourrages. Ils avoient fait venir de
que, comme les jardins d'Armide, il étoit Deir et de Bribes des provisions en fa-
environné des horreurs de la nature rines et en dattes ; mais l'aga qui y ré-
de celles de la Thébaïde enfin, dont le, side leur signifioit que ce secours alloit
contraste faisoit sentir le bonheur. Les tarir. Ils occupoient dix lieues d'espace
sens, l'imagination également en activité, sur l'une et l'autre rive; leur arrière-
je n'ai jamais passé d'heures plus déli- garde n'étoit qu'à quatre lieues de nous,
cieusement occupées que celles que j'ai d'où ils savoient tout ce que nous fai-
données à mes promenadessolitaires dans sions comme npus étions instruits de
,
Eléphantine : cette isle vaut à elle seule tous leurs mouvements par les mêmes
tout le territoire de terre ferme qui avoi- moyens , et peut-être par les mêmes
sine la ville. émissaires , qui fidèlement servoient les
La populationde Syene est nombreuse; deux partis avec la même exactitude.
le commerce se réduit cependant au séné Le général Davoust avoit rencontré
et aux dattes, et ces deux articles payoient Assan-bey sur la rive droite, vis-à-vis
tous les autres besoins des habitants, l'en- d'Etfu, au moment où il s'approchoit
tretien d'un iiachef, d'un gouverneur, du Nil pour faire de l'eau : le danger émi-
(i33)
nent de perdre ses équipages le lit charger cette matière inaltérable, qu'il semble
avec fureur; l'empressement des nôtres encore que les travaux n'en ont été sus-
de s'en emparer, et un peu de mépris pendus que d'hier. J'en fis un dessin
qu'ils avoient pris à la bataille de Saman- {n° LXVIII, pi. 2). La qualité de ce
hout, les firent attaquer avec trop de né- granit est si dure et si compacte, que
gligence. Ce combat de deux cents ca- les rochers qui se trouvent dans le cou-
valiers contre deux cents cavaliers futplu- rant , au lieu de se dégrader en se dé-
tôt, une mêlée qu'une bataille ; les deux composant , ont acquis du lustre par le
partis firent preuve d'une valeur inouie: frottement de l'eau. Le plus beau granit,
la charge dura une demi-heure ; le champ le plus abondant, est le granit rose ; le gris
de bataille resta aux Français ; mais Assan est souvent trop micacé : entre ces blocs
bey obtint ce qu'il avoit voulu, c'étoit de on trouve des veines de quartz très bril-
sauver ses équipages: il resta trente à qua- lant des couches d'une pierre rouge qui
,
rante morts de notre côté et autant de tient de la nature et de la dureté des
blessés; il y eut douzeMamelouksde tués porphyres, et d'autres lits de cette pierre
et beaucoup de blessés : Assan le fut à la noire et dure, que nous ayons prise long-
jambe; de sorte que personnen'eut à s'ap- temps pour du basalte, et que les Égyp-
plaudir de cette rencontre. tiens ont souvent employée pour leurs
Nous allâmes à la recherche des bar- statues de moyenne grandeur.
ques que les Mamelouks avoient essayé A une lieue et demie au-delà des car-
de remonter: notre projet étoit en même rières les rochers se multiplient, et for-
temps de voir les cataractes ; nous ren- ment une barre, où nous trouvâmes les
contrâmes à travers les rochers de granit barques des Mamelouks fixées entre les
les carrières d'où l'on détachoit les blocs rochers jusqu'à la première crue du fleu-
qui servoientàfaire ces statues colossales ' ve; les paysans des environs en'avoient
qui ont été l'objet de l'admiration de tant pris les agrès et les provisions. Nous quit-
de siècles et dont les ruines nous frap- tâmes là le petit bateau dans lequel nous
,
pent encore d'étonnement; ilsemble que étions venus, et, remontant à pied un
l'on ait voulu illustrer les masses qui les quart-d'heure, nous vîmes ce qu'on est
ont produites en laissant sur la place des convenu d'appeler la cataracte. Ce n'est
inscriptions hiéroglyphiques qui en font qu'un brisant du fleuve qui s'écoule à tra-
peut-être mémoire. L'opération par la- vers les roches, en formant dans quel-
quelle on détachoit ces blocs devoit être ques endroits des cascades de quelques
la même que celle que l'on emploie de pouces de hauteur ; elles sont si peu sen-
nos jours, c'est-à-dire que l'on préparoit sibles qu'on pourroit à peine les expri-
une fente, et que l'on faisoit éclater la mer dans un dessin: j'en fis seulement
masse par une suite de coins frappés tous deux de la barre où finit la navigation,
à la fois. Les arêtes de ces premières afin de détruire l'idée qu'on s'est faite
opérations sont conservées si vives dans de la chute de ces fameuses cataractes
(Ï34)
( voyez planche LXIX n° i
,
et 2 ) ; au monuments de la haute Egypte peut pa-
reste, elles feroient un beau tableau en rôître au lecteur une perpétuelle em-
les peignant avec la couleur qui les carac phase une monotone exagération, et
, .
térise. Ces montagnes, toutes hérissées n'est cependant que la naïve expression
d'aspérités noires et aiguës, sont réflé- du sentiment qu'impose la sublimité de
chies d'une manière sombre dans le mi- leur caractère ; c'est la défiance que j'ai
roir des eaux dit fleuve, contraint et ré- de l'insuffisance de mes dessins pour
tréci par nombre de pointes de granit qui donner l'idée de ce grand caractère, qui
le partagent en déchirant sa surface, et fait que je cherche par mes expressions
le sillonnent de longues traces blanches; à rendre à ces édifices le degré de surprise
ces formes et ces couleurs austères sont qu'ils inspirent, et celui d'admirationqui
contrastées par le verd tendre des groupes leur est dû.
de palmiers jetés çà et là à travers les ro- Il n'y avoit point d'habitants sur la
chers et la voûte azurée du plus beau terre ferme ; ils avoient même quitté
ciel du monde : ce tableau bien fait au- Philée, et s'étoient retirés sur une se-
roit le singulier avantage d'offrir tout à conde isle plus grande, où ils faisoiènt
la fois l'image d'une nature vraie et tout- des cris de sauvages, que l'on nous assura
à-fait nouvelle. Lorsque l'on a passé les être des cris de frayeur : nous fîmes ce
cataractes, les rochers s'élèvent, et à leurs que nous pûmes pour leur persuader
sommets s'amoncelent des blocs de gra- de nous envoyer une barque qui étoit
nit, qui semblent pyramider et s'équili- aprouée à leur bord ; nous ne pûmes
brer pour produire des effetspittoresques. rien en obtenir. Au reste, comme cette
C'est à travers cette nature âpre et aus- branche du Nil est étroite, cela ne m'em-
tère que l'on découvre tout-à-coup les pêcha pas de faire des vues de l'isle sous
superbes monuments de l'isle de Philée, les trois aspects qu'elle pouvoit nous
qui forment un brillant contraste et une offrir [voyez planche LXXI, n° i, 2, 3;
des plus merveilleuses surprises qu'un planche LXXII, n° 2 ; planche LXIII,
voyageur puisse éprouver. Le Nil fait un 7Z°3).
détour comme pour venir chercher et Nous revînmes fort contents de notre
enceindrë cette isle enchantée, où les journée ; mais cet apperçu ne me parois-
monuments ne sont séparés que par quel- soit pas suffisant pour des objets d'anti-
ques bouquets de palmiers, ou des ro- quité aussi importants, pour des monu-
chers, qui ne semblent conservés que ments aussi considérables, aussi conser-
pour grouper les richesses de la nature vés , et dont les détails dévoient être si
avec les magnificences de l'art, et faire intéressants.
un faisceau de tout ce qu'elles peuvent Quelques jours après nous apprîmes
rassembler de plus pittoresque et de plus que les Mamelouks de la rive droite ve-
imposant. L'enthousiasme qu'éprouve à noient fourrager jusqu'à deux lieues de
tout moment le voyageur à la vue des nous ; nous nous mîmes en devoir de les
(i35)
repousser ; nous partîmes avec quatre à la défense de ce point: seroient-ce les
cents hommes, et nous avançâmes sur restes de la fameuse muraille élevée par
Philée par la route de terre à travers le une reine d'Egypte appelée Zuleikha,
désert : ce que cette route a de particu- fille de Ziba, l'un des Pharaons, et qui
lier , c'est qu'on voit qu'elle a été tracée, s'étendpit de l'ancienne Syene jusqu'où
relevée en chaussée, et très pratiquée au- est à présent El-Arych, et dont les Arabes
trefois; cet espace étoit le seul en Egypte appellent les fragments haïf-êlradjouz,
où un grand chemin fût d'une absolue ou la muraille de la vieille ?
nécessité; le Nil cessant d'être praticable Nous trouvâmes les habitants de Philée
à cause des cataractes, toutes les mar- revenus à leur habitation, mais bien dé-
chandises du commercede l'Ethiopie,qui cidés à ne point nous recevoir ; nous attri-
venoient aborder à Philée , dévoient être buâmes encore cette mauvaise volonté à
transportées par terre à Syene, où on les la peur que nous leur causions, et nous
embarquoit de nouveau. Tous les blocs continuâmes notre route : ati-delàde Phi-
que l'on rencontre sur cette route sont lée le fleuve est absolument libre et navi-
couverts d'hiéroglyphes , et sembloient gable ; après avoir dépassé un fort arabe
être là pour entretenir les passagers. Je et une mosquée du même temps, le ri-
fis des dessins de plusieursde ces rochers vage du Nil devient peu-à-peu imprati-
{voyez les pi. LXVIII, n° i, et LXVII, cable ; au lieu de cette profusion de mo-
n° i et 2) ; un plus étrange présente la numents et d'inscriptions, nous ne vîmes
forme d'un siège que l'on a achevé de plus qu'une nature pauvre, livrée à elle-
façonner en fabriquant dans le massif même et sur des rochers quelques habi-
,
un escalier pour arriver à la foulée du tations qui ressembloiënt à des huttes de
fauteuil ; le tout couvert d'hiérogly- sauvages (voyez une des plus fastueuses,
phes dont la plupart sont fort soignés ; planche LXIX, n°3); nous entrâmes
,
j'ai fait le dessin de ce bloc {voyez plan- dans un désert coupant un angle du Nil
che LXXII, n°3), et celui de l'inscrip- pour raccourcir le chemin ; et après avoir
tion {planche CHYllI, n° 6). gravi, descendupendant plusieursheures
Une autre particularité de cette route, des vallées aussi creuses que si nous eus-
ce sont les ruines de lignes construites sions été dans une région sujette aux
en briques de terre cuites au soleil, dont orages et aux torrents, nous débouchâ-
la base a quinze à vingt pieds d'épaisseur: mes sur le Nil par un ravin qui nous
ce retranchement longeoit la vallée en amena à Taudi, mauvais village sur le
bordant la route et aboutissoit à des bord du fleuve ; à notre approche les Ma-
,
rochers et à des forts à près de trois lieues melouks venoient d'abandonner ce vil-
de Syene. Quoique ces murailles fussent lage laissantleurs plats, leurs marmites,
,
construites de matériaux peu précieux, et jusqu'à là soupe qu'ils avoient préparée,
elles ont été d'une dépense de fabrication et qu'ils dévoient manger sitôt le soleil
qui atteste l'importance qu'on avoit mise couché; car c'étoit le mois du ramadan,
(.36)
espèce de carême, pendant lequel les Mu- tion qu'on leur a faite : leur caractère
sulmans, les soldats même ne mangent de vivacité est plus analogue au nôtre
point tant que le soleil est sur l'horizon. que celui des autres orientaux; ils en-
Nous envoyâmes un espion pendant tendent et servent vite, dérobent encore
la nuit ; nous sûmes à la pointe du jour plus lestement, et sont d'une avidité
qu'à Démiet, quatre lieuesplus haut que pour l'argent, qui ne peut être justifiée
Taudi, les Mamelouks se trouvant encore que par leur excessive pauvreté, et com-
trop près de nous, après avoir fait rafraî- parée qu'à leur frugalité. C'est à toutes
chir leurs chevaux, étoient repartis à ces raisons que doit être attribuée leur
minuit. Notre but de les éloigner étant maigreur, qui ne tient point à leur mau-
rempli, nous reprîmes la route de Syene. vaise santé, car leur couleur, quoique
J'avois déjà assez de l'Ethiopie, des Gou- noire, est pleine de vie et de sang, mais
blis, et de leurs femmes, dont l'extrême leurs muscles ne sont que des tendons:
laideur ne peut être comparée qu'à l'a- je n'en ai pas vu un seul gras, pas même
troce jalousie de leurs maris : j'en vis charnu [voyezplancheCI, n° g).
quelques unes ; comme j'inspirois aux Il falloir, affamer le pays pour tenir
maris moins de peur que les soldats, ils l'ennemi éloigné ; nous achetâmes le bé-
en mirent un certain nombre sous ma tail nous payâmes la récolte en herbes ;
,
sauve-garde dans une cabane, devant la les habitants nous aidèrent eux-mêmes
porte de laquelle je m'étois établi pour à arracher ce qu'elle leur promettoit
passer la nuit. Surprises par notre mar- de provision et nous suivirent avec
,
che détournée, à la chute du jour, elles ce qu'ils avoient d'animaux. Emmenant
n'avoient pas eu le temps de fuir et de ainsi toute la population nous ne lais-,
,
se cacher dans les rochers, ou de passer sâmes derrière nous qu'un désert. En
le fleuve à la nage ; elles avoient absolu- revenant, je fus de nouveau frappé de
ment la farouche stupidité des sauvages. la somptuosité des édifices de Philée; je
Un sol âpre, la fatigue, et une nourri- suis persuadé que c'est pour produire
ture insuffisante altèrent sans doute en cet effet que les Égyptiens avoient porté
elles tous les charmes de la nature, et à leur frontière cette splendeur de mo-
donnentmême à leurjeunessel'empreinte numents. Philée étoit l'entrepôt d'un
et la dégradationde la décrépitude. Il sem- commerce d'échange de. l'Ethiopie et de
ble que les hommes soient d'une autre l'Egypte ; et voulant donner aux Éthio-
espèce, car leurs traits sont délicats, leur piens une grande idée de leurs moyens
peau fine, leur physionomie animée et et de leur magnificence, les Égyptiens
spirituelle „et leurs yeux et leurs dents avoient élevé nombre de somptueux édi-
^
admirables. Vifs et intelligents, ils met- fices jusques aux confins de leur empire,
tent dans leur langage tant de clarté et à leur frontière naturelle, qui étoit Syene
de concision, qu'une phrase courte est et les cataractes. Nous eûmes encore un
toujours la réponse complète à la ques- pourparler avec les habitants de l'isle ; il
(i3?)
fut plus explicatif: ils nous signifièrent ils avoient battu leurs voisins ; ils vou-
que deux mois de suite nous viendrions loient avoir la gloire de nous résister, et
tous les jours sans qu'il nous fût jamais même de nous braver. Aussitôt l'ordre
permis d'arriver jusqu'à eux. Il fallut fut donné à nos sapeurs d'abattre les
encore pour cette fois nous le tenir pour toits des huttes de terre ferme qui pou-
dit, car nous n'avions pas de moyens de voient nous fournir du bois pour faire
rien changer à leur décision : mais comme un radeau : cet acte fut la déclaration
il eût été d'un mauvais exemple qu'une de guerre : ils tirèrent sur nous; postés
poignée de paysans pût être insolente à et cachés dans les fentes des rochers, ils
quatre pas de nos établissements, on remit nous couvraient de balles fort bien ajus-
au lendemain à leur faire des observa- tées. Dans ce moment arriva une pièce
tions qui pussent changer quelque chose de canon dont la seule vue porta leur
à leur détermination. On y retourna ef- rage au dernier degré; dès-lors il n'y
fectivement avec deux cents hommes ; ils eut plus de communication entre la
ne les virent pas plutôt qu'ils se mirent grande isle et l'isle de Philée ; ceux de
en état de guerre : elle fut déclarée à la la grande emmenèrent leurs troupeaux,
manière des sauvage, savec des cris répé- leur firent passer le bras du fleuve, et
tés par les femmes. Les habitants de l'isle allèrent les perdre dans le désert.
voisine accoururent avec des armes qu'ils On s'apperçut que le bois de palmier
faisoient briller comme des lutteurs ; il étoit trop lourd et prenoit l'eau , il fallut
y en avoit de tout nus, tenant d'une remettre au lendemain la descente : la
main un grand sabre, de l'autre un bou- troupe resta ; on fit venir tout ce qu'il
clier d'autres avec des fusils de rempart falloit pour la fabrication d'un radeau
,
à mèche et de longues piques ; en un de grandeur à porter quarante soldats.
moment tout le rocher de l'est fut cou- Ce travail occupa tout le lendemain ; et
vert de groupes d'ennemis ( voyez plan- ce retard augmenta l'insolence de ces
che LXXI, n° 3). Nous leur criâmes en- malheureux, qui osèrent proposer au
core que nous n'étions pas venus pour général de payer cent piastres pour pas-
leur faire du mal, que nous ne leur de- ser seul et désarmé dans l'isle : mais la
mandions qu'à entrer amicalement dans scène changea quand tout-à-coup ils vi-
l'isle ; ils répondirent qu'ils ne nous en rent la grande isle inondée de nos volon-
donneroientjamais les moyens, que leurs taires dont la descente avoit été proté-
barques ne viendraient point nous cher- gée par du canon à mitraille ; la terreur
cher, et qu'enfin ils n'étoient pas des succéda, comme de coutume, à l'insuf-
Mamelouks pour reculer devant nous: fisante audace ; hommes, femmes, en-
cette fanfaronnade fut couverte des cris fants, tout se jeta dans le fleuve pour
d'unanimité qui retentirent de toutes se sauver à la nage ; conservant le carac-
parts : ils vouloient batailler ; ils s'é- tère de la férocité, on vit des mères noyer
toient défendus contre les Mamelouks; les enfants qu'elles ne pouvoient empor-
18
('38)
ter, et mutiler les filles pour les soustraire colonnes avec des chapiteaux très élé-
aux violences des vainqueurs. Lorsque gants , auquel on avoit ajouté postérieu-
j'entrai le lendemain dans l'isle, je trou- rement un autre portique qui tenoit sans
vai une petite fille de sept à huit ans, à doute à la circonvallation du temple. La
laquelle une couture faite avec autant partie la plus ancienne, travaillée avec
de brutalité que de cruauté avoit ôté plus de soin, étoit beaucoup plus décorée;
tous les moyens de satisfaire au plus pres- l'usage qu'en a fait la catholicité en a dé-
sant besoin, et lui causoit des convulsions naturé le caractère, en ajoutant des arcs
horribles : ce ne fut qu'avec une contre^ aux formes carrées des portes. Dans le
opération et un bain que je sauvai la vie sanctuaire, tout auprès des figures d'Isis
à cette malheureuse petite créature qui et d'Osiris, on voit encore l'impression
étoit tout-à-fait jolie. D'autres, d'un âge miraculeuse des pieds de S. Antoine ou
plus avancé, se montrèrent moins aus- de S. Paul hermite.
tères, et se choisirent elles-mêmes des Le lendemain fut le plus beau jour de
vainqueurs. Enfin cette colonie insulaire mon voyage : j'étois possesseur de sept à
se trouva en quelques instants dispersée, huit monuments dans l'espace de trois
ayant fait, relativement à ses moyens, cents toises, et sur-tout je n'avois point
une perte immense et irréparable. à mes côtés de ces curieux impatients
Ils avoient pillé les barques que les qui croient toujours avoir assez vu, et
Mamelouksn'avoient pu faire remonter, qui vous pressent sans relâche d'aller voir
et avoient fait des magasins de ce butin, autre chose ; point de tambours battant
qui, par comparaison avec leurs voisins, le rassemblement ou le départ, point
les rendoient d'une richesse sans exem- d'Arabes, point de paysans; seul enfin,
ple, et pouvoient assurer leur aisance et et jouissant à mon aise, je me mis à faire
leur repos pour nombre d'années : en la carte de l'isle et le plan des édifices
quelques heures ils se trouvèrent privés dont elle est couverte {voyezpi. LXX).
du présent et de l'avenir, ils passèrent J'étois à mon sixième voyage à Philée;
de l'aisance au besoin, et furent obligés j'avois employé les cinq premiers à faire
d'aller demander asyle à ceux chez les- les vues du dehors et des environs.
quels ils avoient porté la guerre quelques Cette fois-ci, qui étoit la première où
jours auparavant. L'évacuation des ma- j« touchois au sol de l'isle, je commençai
gasins situés dans la grande isle occupa d'abord par parcourir tout son intérieur,
les soldats tout le reste du jour; et j'em- pour prendre connoissance de ses divers
ployai ce temps à faire les dessins des ro- monuments, et m'en former une idée
chers et des antiquités qui s'y trouvent générale, une espèce de carte topogra-
(voyez pi. LXXII, n° i, et pi. LXXIV, phique , contenant l'isle, le cours du
n° 2 ). fleuve, et les particularités adjacentes.
Ces ruines consistent en un petit sanc- Je pus me convaincre que ce groupe de
tuaire, précédé d'un portique de quatre monuments avoit été construit à des épo-
(>3g)
ques différentes, par diverses nations, magnifique monument carré long est
et avoit appartenu à divers cultes, enfin de ce nombre : il serait difficile d'assi-
que la réunion de ces édifices, dont cha- gner un usage à cet édifice, si les détails
cun étoit régulier, offrait un ensemble des ornements représentant des offrandes
irrégulier aussi magnifique que pittores- n'indiquoient qu'il devoit encore être un
que {voyezplancheLXXII, n° 2). Je dis- temple. Il n'a cependant ni la forme d'un
tinguai huit sanctuaires ou temples par- portique ni celle d'un sanctuaire; les co-
ticuliers, plus ou moins grands ; bâtis à lonnes qui composent son pourtour, et
différentes époques, on avoit respecté les qui ne sont engagées que jusqu'à la moitié
uns dans la construction des autres, ce de leur hauteur, ne portent qu'un en-
qui avoit nui à là régularité de l'ensemble. tablement et une corniche sans toit ni
Une partie des augmentationsn'avoit été plate - forme ; il n'étoit ouvert que par
faite que pour raccorder ce qui avoit été deux portes sans sommiers qui le traver-
construit antérieurement, sauvant le plus soientdans sa longueur. Élevé sans doute
adroitement possible les fausses équerres à la dernière époque de la puissance égyp-
et les irrégularitésgénérales. Cette espèce tienne , l'art s'y manifeste dans sa der-
de confusion des lignes architecturales, nière pureté ; les chapiteauxy sont d'une
qui paraît une erreur dans le plan, pro- beauté et d'une exécution admirables,
duit dans l'élévation des effets pitto- les volutes et les feuilles fouillées comme
resques que ne peut avoir la rectitude au beau temps de la Grèce [voyezpi. LX,
géométrale, multiplie les objets, forme n° 3), symétriquement diversifiéscomme
des groupes, et offre à l'oeil plus de ri- à Apollinopolis, c'est-à-dire variés entre
chesse que la froide symétrie. Je pus me eux et semblables dans leurs correspon-
convaincre là de ce que j'avois déjà re- dants, et tous assujettis à la même pa-
marqué à Tintyra et à Thebes, que le rallèle.
système de construction étoit d'élever Je n'eus pas peu de peine à déblayer
des masses, dans lesquelles on travailloit dans mon imagination ces longues gale-
pendant des siècles aux détails de la dé- ries encombrées de ruines, à suivre les
coration à commencer par les lignes ar- lignes des quais, à relever les sphinxs et
,
chitecturales, passant ensuite à la sculp- les obélisques, à rattacher les communi-
ture des figures hiéroglyphiques, et cations des rampes et des escaliers : attiré
enfin aux stucs et à la peinture. Toutes par les peintures, par les sculptures, j'é-
ces différentes époques dans les travaux tois assailli à la fois par tous les genres
sont très sensibles ici, où il n'y a de fini de curiosités, et, dans la crainte de faire
que ce qui est de la plus haute anti- partager mes erreurs à ceux auxquelsje
quité ; une partie des constructions qui me proposois de rendre compte de mes
servoient à rattacher les divers monu- sensations et des mes opérations, j'aurois
ments n'avoit été ni ragréée, ni sculptée, désiré pouvoir tracer sur mon plan l'état
ni même achevée de bâtir; le grand et des ruines et le mélange des décombres,
(i4o)
et sur ce plan leur communiquer mes Outre cette grande enceinte, où ce nom-
doutes et mes incertitudes, et les discuter bre de temples étoit rattaché et groupé
avec eux ( voyez le plan général plan- par les logements des prêtres, il y avoit
che LXX, et l'explication). Que pouvoit deux temples isolés ; le grand, dont j'ai
signifier ce grand nombre de sanctuaires déjà parlé, et un second, le plus joli que
si rapprochés et si distincts? étoient-ils l'on puisse imaginer, d'une conservation
consacrés à différentes divinités? étoient- parfaite, et d'une dimension si petite,
ce des chapelles votives, ou des lieux de qu'il donne envie de l'emporter. Je trou-
station pour les cérémonies du culte? Les vai dedans les restes d'un ménage, qui
sanctuaires les plus secrets contenoient me sembla être celui de Joseph et Marie,
encore de plus mystérieux sanctuaires, et me fit venir en pensée le tableau d'une
des temples monolites, qui étoient des fuite en Egypte du style le plus vrai et
tabernacles qui contenoient ce qu'il y le plus intéressant. Si jamais on vouloit
avoit de plus précieux, ce qu'il y avoit transporter un temple d'Afrique en Eu-
de plus sacré, et peut-être même l'oiseau rope, il faudroit choisir celui-ci, outre
sacré qui représentoit le dieu du temple, qu'il en offre toutes les possibilités par
l'épervier, par exemple, qui étoit l'em- la petitesse de sa dimension, il donneroit
blème du soleil, auquel précisément ce un témoignage palpable de la noble sim-
temple étoit consacré ( voyez le plan et plicité de l'architecture égyptienne, et
la vue géométrale d'un de ces monu- deviendrait un exemple frappant que le
ments monolites ou d'une seule pierre , caractère et non l'étendue fait la ma-
planche XLI, n° i et 2). Sous le même jesté d'un édifice.
portique étoient peints dans les plafonds Outre les monuments égyptiens, on
des tableaux astronomiques, des théo- trouve au sud-est de l'isle des ruines grec-
ries des éléments {voyezplancheCXXIX, ques ou romaines, qui ni'ontparu être les
B°5), et sur les murs, des cérémonies restes d'un petit port, et d'une douane,
religieuses , des images , des prêtres, et dont le mur de la façade est décoré de
des dieux ( voyez planche CXXI, n° 7 et pilastres et d'arcades d'ordre dorique;
g); à côté des portes, les portraits gigan- quelques arrachements de colonnes for-
tesques de quelques souverains, ou des moient devant une galerie ouverte une
figures emblématiques de la force et de espèce de portique : entre ces ruines et
la puissance menaçant un groupe de per- les monuments égyptiens, on peut re-
sonnages suppliants , qu'elles tiennent marquer le soubassementd'une église ca-
d'une main par leurs cheveux rassemblés tholique construite de fragments anti-
,
( voyez planche CXX, n° 7 ). Sont-ce des ques , mêlés de croix et d'ornements grecs
sujets rebelles? sont-cedes ennemis vain- du bas temps ; car l'humble catholicité
cus? je pencherois pour cette dernière opi- paroît n'avoir jamais été assez opulente
nion,parceque les figures représentant des dans ces contrées pour séparer tout-à-fait
Égyptiens n'ont jamais de longs cheveux. son culte du faste des temples idolâtres»
(MO
Après avoir établi ses saints à travers les le transport des matériaux; beaucoup
divinités égyptiennes, elle a peint sou- avoient peine à se porter eux-mêmes, et
vent S. Jean ou S. Paul à côté de la personne ne se dispensa d'un seul voyage :
déesse Isis, et déguisé Osiris en S. Atha- les bastions furent tracés, et les travaux
nase ; lorsqu'elle a quitté les temples, conduits avec une telle célérité, qu'en
elle les a dégradés emportant les pierres peu de jours l'on vit la forteresse sortir
toutes façonnées pour en bâtir ses églises. de ses fondements ; en même temps l'on
Que d'objets à questionner ! et le temps bastionna et crénela une fabrique ro-
s'écouloit ; j'aurois voulu retenir le so- maine, bien bâtie et assez bien conser-
leil : j'avois employé bien des heures à vée , qui avoit été un bain, et qui, par
observer, je me mis à dessiner, à me- sa situation, avoit le double avantage de
surer : je voyois se terminer l'enlèvement protéger le cours du fleuve.
des magasins, je ne pouvois plus espérer Le terme de la marche des Français
de revenir à Philée : ce n'étoientpas ici en Egypte fut inscrit sur un rocher de
mes bonnes gens de l'Éléphantine , et les granit au-delà des cataractes. Je profitai
troupes avoient été déjà trop fatiguées du de l'occasion d'une reconnoissance qui
siège de cette petite isle. Je la quittai les étoit portée dans le désert de la rive gau-
yeux fatigués de tant d'objets, et l'ame che pour aller chercher les carrières
,
remplie des souvenirs qui y étoient atta- dont parle Pococke, et un ancien cou-
chés; j'en partis à la nuit fermée, chargé vent de cénobites; après une heure de
de mon butin, et de ma petite fille, que marche nous découvrîmes ce monument
je remis au cheikh d'Éléphantine, qui la dans une petite vallée, entourée de ro-
rendit à ses parents. ches décrépites, et des sables que produit
On avoit eu le projet de mettre Syene leur décomposition. Le détachement, en
en état de défense : l'ingénieur Garbé poursuivant sa route, me laissa à mes
avoit choisi pour élever un fort une plate- recherches dans ce lieu.
forme sur une éminence, au sud de la A peine le détachement fut-il parti que
ville, qui en commandoit toutes les ap- je fus épouvanté de monisolement. Perdu
proches et d'où on découvrait tout le dans de longs corridors, le bruit prolongé
,
pays d'alentour. Il nous manquoitpelles, que faisoient mes pas sous leurs tristes
pioches, marteaux, et truelles; on forgea voûtes étoit peut-être le seul qui depuis
tout : nous n'avions pas de bois pour plusieurs siècles en eût troublé le silence.
faire des briques; on rassembla toutes Les cellules des moines ressembloient
celles des vieilles fabriques arabes. Sem- aux cases des animaux d'une ménagerie;
blable aux cohortes romaines qui avoient un carré de sept pieds n'étoit éclairé que
déjà habité le même lieu, la brave vingt- par une lucarne à six de hauteur : ce raf-
unième ne connut point de difficultés, finement d'austérité ne déroboit cepen-
ou les surmonta toutes. Chaque individu dant aux reclus que la vue d'une vaste
étoit taxé à deux voyages par jour pour étendue du ciel, d'un aussi vaste horizon
(i40
de sable, d'une immense lumière aussi grandeur et de la magnificence; ce que
triste et plus atténuante que la nuit, et la guerre y a ajouté a été fait à la hâte,
qui les eût pénétrés peut-être encore da- et se trouve plus ruiné que les premières
vantage du sentiment affligeant de leur constructions. Dans la cour une petite
solitude : dans ce cachot une couche de église bâtie en briques non cuites atteste
brique, un enfoncement servant d'ar- encore qu'un plus petit nombre de soli-
moire,étoienttout ce que l'art avoit ajouté taires sont revenus dans un temps pos-
au lissé des quatre murailles : un tour térieur en reprendre possession ; enfin
placé à côté de la porte prouve encore une dévastationplus récente laisse penser
que c'étoit isolément que ces solitaires qu'il n'y a que quelques siècles que ce
prenoient leur austère repas. Quelques lieu a été rendu tout-à-fait à l'abandon et
sentencestronquées, écrites sur les murs, au silence auxquels la nature l'avoit con-
attestent seules que des humains habi- damné.
toient ces repaires : je crus voir dans ces Le détachement qui m'y avoit laissé
inscriptions leurs derniers sentiments, vint me reprendre ; et il me sembla, en
une dernière communication avec les m'en allant, sortir d'un tombeau. J'avois
êtres qui dévoient leur survivre, espoir fait le dessin de ce triste lieu en atten-
dont le temps, qui efface tout, les a encore dant le détachement ( voyez n° 3, plan-
frustrés. Je me les peignois expirants et che LXXIII ). A l'égard des carrières que
voulant dire quelques mots qu'ils n'a- je trouvai près de là, ce ne sont point
voient pas eu la force d'articuler. Op- celles où se tailloient les obélisques ; las
pressé du sentimentque m'inspiraitcette obélisques sont toujours de granit; les
suite de mélancoliques objets, je courus roches de granit sont éloignées de ce lieu-
chercher l'espace dans la cour : entourée ci, et ces roches sont de grès; ce qui eji
de hautes murailles crénelées, de che- reste dé curieux ce sont les fragments de
mins couverts, et d'embrasures de ca- routes inclinées, sur lesquelles on faisoit
nons , tout y annonçoit que les orages de glisser les masses, qui étoient ainsi con-
la guerre avoient, dans ce lieu funeste, duites au fleuve pour y être embarquées,
succédé à l'horreur du silence ; que cet et servir à la fabrication des différents
édifice, enlevé aux cénobitesqui l'avoient édifices.
construit avec tant de zèle et de constance, Nous apprîmes que les Mamelouks, qui
avoit à diverses époques servi de retraite avoient fui devant nous à Démiet, avoient
à des partis vaincus, ou de poste avancé pris le désert de droite, et étoient des-
à des partis vainqueurs. Les différents cendus pour aller rejoindre Assan-bey;
caractèresde sa construction peuvent en- que Mourat, après de vives discussions,
core servir d'époque à l'histoire de ce avoit rassemblé tout ce que le pays su-
monument : commencé dans les premiers périeur pouvoit lui fournir de vivres,
siècles de la catholicité, tout ce qui a été et qu'il rétrogradait par le désert de gau-
construit par elle conserve encore de la che, ne laissant derrière lui que le vieux
043)
Soliman qui tenoit Bribe avec quatre- jusque sur le bord du fleuve ( voyez
,
vingts Mamelouks. N'ayant plus rien à planche LXXV, n° 2). Si tous les frag-
faire à Syene, nous en partîmes le 6 ven- ments qu'on y voit encore appartenoientr
tôse : j'y serois resté volontiers encore comme il paraît, à un seul édifice, il étoit
deux semaines ; mais j'aurois redouté d'y immense. Au centre, est un grand por-
voir arriver les vents brûlants du prin- tique en colonnes à chapiteaux évasés, de
temps : j'en avois déjà éprouvé doulou- la plus grande proportion : à la partie
reusement la secousse ; trois jours de vent sud, une porte est conservée dans son en-
d'est en janvier avoient enflammé l'at- tier ; elle tenoit à un mur de circonvalla-
mosphère comme elle l'est dans notre ca- tion qui est détruit : à l'ouest et sur le bord
nicule ; ensuite avoit succédé un vent du Nil, s'élevoit un môle énorme, ruiné à
de nord si froid, qu'en quatre heures il présent dans sa partie supérieure; les
m'avoit donné la fièvre. Espérant me re- débordements du fleuve en ont déchaus-
poser, je me mis sur les barques; elles sé des fondations de quarante pieds de
dévoient marcher à la même hauteur que profondeur ; elles étoient construites avec
les troupes qui reprenoient la route que la même solidité et la même magnificence
j'avois déjà faite; et j'espérai par celle du que ce qui servoit de décoration. Au
fletive voir Ombos et les carrières de nord, dans la même direction, on voit
Gebel Silsilis que j'avois laissés à gauche les restes d'un temple ou galerie, de pro-
en montant. portion plus petite, avec des colonnes à
A peine embarqué, j'éprouvai tous les chapiteaux àtête.Dans l'espace entre ces
inconvénients de cette manière de voya- deux derniers édifices étoit un parapet
ger; le vent, l'impossibilité de faire ma- en pierres de taille, qui laissoit voir le
noeuvrer les gens du pays, les cris vains grand temple au milieu, et devoit pro-
de nos Provençaux, tout se réunissoit duire un effet aussi théâtral que magni-
pour notre supplice. Embarqués le 3, fique. Il est bien prouvé que les Égyp-
nous n'arrivâmes que le 6 à Com-Ombos, tiens tenoient plus au grandiose, même
au moment où le vent devenoit favora- à l'effet pittoresque, qu'à la régularité
ble pour passer outre : on étoit trop symétrique; ils la remplaçoient par de
pressé d'en profiter pour que j'osasse belles masses, par de la richesse, par
proposer de mettre une heure à terre; de grands partis, et par des effets impo-
je n'eus que le temps d'observer un in- sants. Avoient-ils tort? c'est une grande
stant , et de faire bien vîte une esquisse question. Quoi qu'il en soit, et quel que
du site et de la position avantageuse des fût le reste de ce qui composoit la ville
monuments. L'antique Ombos, où étoit antique d'Ombos, elle ne pouvoit offrir
révéré le crocodile , s'appelle encore qu'un aspect très majestueux, puisque
Com-Ombos (montagne d'Ombos); elle dans l'état de dégradation où elle est, et
est effectivement posée sur une émi- malgré les méchantes huttes dont ces mo-
nence qui domine le pays, et s'avance numents sont encombrés, ses formes
(i44)
offrent encore le tableau de ruine le plus ments , et des corniches couvertes d'hié-
magique qu'il fût possible d'imaginer. roglyphes taillés et pris dans la masse, et
Le lendemain je fus plus heureux ; un grand nombre de tombeaux creusés
nous engravâmes vis-à-vis les grandes aussi dans le rocher : ces tombeaux sont
carrières de grès, taillées dans les mon- encore très curieux, quoique tous fouil-
tagnes qui aboutissent au Nil des deux lés et méchamment défigurés ( voyez
côtés de ce fleuve : ce lieu est appelé planche LXXVI, n° i et pi. LV, n° 2).
,
Gebel Sibilis, il est situé entre Etfu et Celui que représente cette dernière plan-
Ombos ; le grès de ces carrières étant d'un che étoit un des plus considérables et
grain égal et d'une masse entière, on des mieux conservés ; on en trouvera les
poùvoit y couper les quartiers de la mesures et les détails intérieurs à l'expli-
grandeur dont on avoit besoin qu'ils cation des planches.
fussent : c'est sans doute à la beauté et à Dans ce tombeau et dans nombre de
l'égalité de cette matière que l'on doit plus petits qui sont auprès on trouve,
la grandeur et la conservation des mo- dans de petites chambres particulières,
numents qui font après tant de siècles de grandes figures assises ( voyez plan-
l'objet de notre admiration. Aux im- che LXXVI, n° 2, 3, et 4 ) ; ces chambres
menses excavations et à la quantité de sont ornées d'hiéroglyphes tracés sur la
débris que l'on voit encore dans ces car- roche, et terminés en stuc colorié, re-
rières on peut juger que les travaux en présentant toujours des offrandes de
ont été suivis pendant des milliers d'an- 'pains, de fruits, de liqueurs, de vo-
nées, et qu'elles ont pu fournir les ma- lailles etc. Les plafonds, aussi en stuc,
,
tériaux employés à la plus grande partie sont ornés d'enroulements peints et d'un
des monuments de l'Egypte : l'éloigne- goût exquis ; le sol est entaillé de plu-
ment ne devoit effectivement apporter sieurs tombes de dimension juste, et de
aucun obstacle à l'exploitation de ces car- la même forme que les caisses de mo-
rières, puisque le Nil dans ses accroisse- mies et en même nombre que les figures
,
ments venoit tout naturellement soule- sculptées : celles qui représentent des
ver et conduire à leur destination les hommes ont de petites barbes carrées,
batardeaux chargés dans l'autre saison avec des coiffures pendantes derrière les
des masses à transporter. épaules ; celles des femmes ont lesmêmes
La manie monumentale des Égyptiens coiffures, mais pendantes en avant sur
se manifeste de toutes parts dans ces car- leurs gorges nues.
rières ; après avoir fourni à l'érection des Ces dernières ont d'ordinaire un bras
temples, elles étoient elles-mêmes consa- passé sous celui de la figure qui est près
crées par des monuments : les carrières d'elles ; de l'autre elles tiennent une fleur
mêmes étoient décorées par des temples. de lotus, plante de l'Achéron, emblème
Sur la rive du Nil, on trouve des por- de la mort. Les tombeaux où il n'y a
tiques avec des colonnes, des entable- qu'une figuré ( comme on peut voir n° 3,
('45)
pi. LXXVI) sont apparemment ceux des trouvâmes des crocodiles : on n'en voit
hommes morts célibataires ; ceux où il y point à Syene, et ils reparoissent au-des-
.
en a trois, comme au n° 4, étoient peut- sus des cataractes ; il semble qu'ils af-
être des marisqui avoient eu deuxfemmes fectent de préférence certains parages,
à la fois, ou l'une après l'autre ; peut-être et particulièrement depuis Tintyra jus-
aussi lorsque deux frères mariés tous qu'à Ombos, et que le lieu où ils sont
deux ne s'étoient fait préparer qu'un le plus abondants, c'est près d'Hermon-
tombeau, se faisoient-ils représenter tis. Nous en vîmes trois ici, dont un,
comme dans le n° i. L'ouverture tou- beaucoup plus gros que les deux autres,
jours brisée de ces tombeaux ne m'a pas avoit au moins vingt-cinq pieds de long;
laissé observer comment ces monuments ils étoient tous trois endormis : nous en
s'ouvroient ou se fefmoient; ce que j'ai approchâmes jusqu'à vingt pas ; nous
pu distinguer dans les parties restantes, eûmes tout le temps de distinguer leur
c'est que les portes sont toutes décorées triste allure ; ils ressembloient à des ca-
d'un chambranle,couvertd'hiéroglyphes, nons sur leurs affûts. Je tirai sur le plus
surmonté d'un couronnement à gorge gros avec une charge et un fusil de mu-
formant une corniche, et d'un entable- nition; la balle frappa et glissa sur les
ment sur lequel est toujours sculpté un écailles; il fit un saut de dix pieds de
globe ailé. longueur, et se perdit dans le Nil.
Sur le côté des portes j'ai rencontré A quatre lieues avant Esnê, je vis un
plusieurs fois la figure d'une femme dans quai revêtu, sur le bord du Nil ; à cent
l'attitude de la douleur ; c'étoit peut-être toises de là, une porte pyramidale fort
celle d'une veuve qui avoit survécu à son détruite, et six colonnes du portique et
époux : j'en ai dessiné une (voyezplan- de la galerie d'un temple qui doit
,
che CXXIII, n° 2). être celui de Chnubis. Nous avions bon
Le choix de ce site pour placer des vent : demander une demi-heure eût été
tombeaux prouve que de tout temps, en un crime de lèse service militaire ; il
Egypte, le silence du désert a été l'asyle fallut prendre en passant une petite vue
de la mort, puisqu'aujourd'hui encore, pittoresque, que j'ai recommencée depuis
pour trouver un sol perpétuellement sec d'une manière un peu moins incommode
et conservateur, les Égyptiens portent (voyezpi. LXXV, «° 3 ).
leurs morts dans le désert, jusqu'à trois A une demi-lieue plus bas, nous trou-
lieues de leur habitation, et vont ce- vâmes quatre autres crocodiles.
pendant chaque semaine faire des prières A la pointe du jour, nous arrivâmes
sur leurs sépultures. A peine eus-je des- à Esnê. En abordant, nous entendîmes
siné ce qui étoit le plus intéressant dans battre un rassemblement: j'avois déjà bien
ces carrières que le vent nous rappela à assez de la marine ; je me sauvai plutôt
bord. que je "ne descendis du bateau, et dix
En nous rapprochant d'Esnê nous re- minutes après avoir mis pied à terre j'é-
*9
( '46 )
tois déjà à cheval tournant le dos à Àpol- Réduit au temple dont j'avois déjà fait
linopolis et à Latopolis auxquelles j'a- la vue [voyezpi. LI, n° 3)r j'allai de
,
vois bien encore quelques questions à nouyeau en questionner les hiéroglyphes,
faire : mais tel étoit le sort de la guerre ; et dessiner tout ce qui me paroissoit plus
et je devois me compter bien heureux utile à présenter aux observations des cu-
que l'opiniâtreté de Mourat-bey m'eût rieux et des savants (voyezpi. CXXVI,
fait voir Syene. Il avoit fallu pour cela n° ket$;pl. CXXII, n° 3,4, 5,6, 8,
que, sans autre plan qu'une constante et17 ) ; je fis aussi le plan et la vue
obstination, il eût suivi chaque jour l'im- (pi. LI, n° 1 et 2 ; voyez les explica-
pulsion du moment et de la circonstance. tions).
La coalition des beys étoit déjà rom- Je fus dans le cas de mieux observer
pue ; Soliman étoit resté à Déir ; Assan , l'emplacement de la ville antique, qui
avec quarante Mamelouks, s'étoit séparé avoit eu une circonvallation et possédé
de Mourat à la hauteur d'Esnê, et étoit plusieurstemples. Mais toujours des tem-
remonté à Etfu : tous les cheikhs de gau- ples ! pas un édifice public, pas une mai-
che dévoient se séparer plus bas : et son qui eût eu assez de consistance pour
Mourat, seul avec ses trois cents Mame- résister au temps, pas un palais de roi !
louks , devoit descendrejusqu'au-delà de qu'étoit donc la nation ? qu'étoient donc
Siouth ; mais rencontré à Souhama, au- les souverains ? Il me semble que la pre-
dessous de Girgé, par le général Friand, mière étoit composée d'esclaves; les se-
qui avoit détruit tous les rassemblements conds de pieux capitaines; et les prêtres,
qu'il avoit formés, il prit la route d'É- d'humbles et hypocrites despotes, ca-
louah, l'une des oasis, où il alla atten- chant leur tyrannie à l'ombre d'un vain
dre ce que le sort ordonnerait de lui et monarque, possédant toutes les sciences,
de nous. Il y avoit eu deux affaires entre et les enveloppant de l'emblèmeet du mys-
les Mekkains et la division du général tère , pour mettre ainsi une barrière en-
Friand, sur la rive gauche entre Thebes tre eux et le peuple. Le roi étoit servi
et Kous ; six cents de ces aventuriers y par des prêtres, conseillé par des prêtres,
avoient péri: on attendoit, disoit-on, le nourri par eux, prêché par eux : chaque
schérif delà Mekke lui-même, qui, avec matin, après l'avoirhabillé, ils lui lisoient
six mille des siens, devoit se joindre aux les devoirs du souverain envers son peu-
huit à neuf cents qui restoient de la pre- ple envers sa religion ; ils le menoient au
,
mière croisade. temple : le reste du jour, comme le doge de
Le i3 ventôse au matin, nous arri- Venise, il n'étoit jamais sans six conseil-
vâmes à Hermontis; nous nous y arrê- lers, qui étoient encore six prêtres. Avec
tâmes pour attendre des nouvelles des de telles précautions il ne pouvoit peut-
Mamelouks, des Mekkains, et du reste être pas y avoir de mauvaisrois ; mais qu'y
de notre armée, disséminée dans ce mo- gagnoit le peuple, si les prêtres les rem-
ment sur nombre de points, plaçoient? Les deux seuls souverains qui >
(*47)
selon l'histoire, aient osé secouer le joug, temples de Gournoux, que je laissois à
qui fermèrent les temples pendant trente ma gauche, des temples de Luxor et de
ans, Chéphrenes et Chéops, furent re- Rarnaq, que je laissois à ma droite : des
gardés et consignés dans les annales, que temples ! encore des temples! toujours,
les prêtres écrivoient, comme des princes des temples ! et pas un vestige de ces
rebelles et impies. cent portes si vaines et si fameuses, point
Le palais des cent chambres, le seul de murailles, point de quais ni de ponts,
palais cité dans l'histoire de l'Egypte, point de thermes,pointde théâtresr pas
fut l'ouvrage d'une nouvelle forme de un édifice d'utilité ou de commoditépu-
gouvernement où les prêtres ne pou- blique ! J'observois avec soin, je cher-
voient avoir la même influence. Ces fa- chois même, et je ne voyois que des
meux canaux, dont l'histoire nous parle temples, des murailles couvertes d'em-
si fastueusement, n'ont conservé aucune blèmes obscurs d'hiéroglyphes qui at-
,
magnificence aucune digue, aucune testaient l'ascendant des prêtres quisem-
,
écluse aucun empèlement : ce que j'ai bloient dominer encore sur toutes ces
,
rencontré d'épaulement et de quais sur ruines, et dont l'empire obsédoit encore
le bord du Nil sont de petits ouvrages en mon imagination.
comparaison de ces temples colossals et Quatre villages et autant de hameaux,
immortels dont les circonvallations oc- au milieu de vastes champs, remplacent
cupoient une grande partie de l'empla- maintenantcette ville incompréhensible,
cement des villes. Les jésuites du Para- comme quelques rejetons sauvages rap-
guay auraient peut-être pu nous don- pellent l'existence d'un arbre célèbre par
ner le secret ou l'exemple du système de la majesté de son ombre ou la douceur
cette domination théocratique; et, dans de ses fruits. Quittant à regret ce sol fa-
ce cas, je ne verrois dans ce riche pays meux , nous fîmes halte dans le faubourg
de l'Egypte qu'un gouvernement mysté- de l'ouest, le quartier de la Nécropolis,
rieux et sombre, des rois foibles, un où je retrouvai les habitants de Gour-
peuple triste et malheureux. noux , qui nous disputèrent encore une
Le 17, nousnous mîmes en route pour fois l'entrée des tombeaux, devenus leur
aller à la rencontre d'Osman-bey, que asyle ; il eût fallu les tuer pour leur ap-
l'on disoit devoir passer le Nil à Kéné. prendre que nous ne voulions pas leur
J'eus la douleur de traverser l'emplace- faire de mal, et nous n'avions pas le
ment de Thebes, et d'y éprouver encore temps d'entamer la discussion : nous nous
plus de privations que la première fois. contentâmes de les bloquer pendant un
sans mesurer une colonne, sans dessi- petit repas que nous fîmes sur l'emplace-
ner une vue, sans approcher d'un seul ment de leur retraite; je profitai de ce
monument, nous suivîmes les bords du moment pour dessiner le désert et les de-
Nil, également éloignés des temples de hors de ces habitacles de la mort (voyez
Médinet-a-Bou du Memnonium des
,
planche XLII, n° 4 )• Vers le soir un de
,
('**)
nos espions nous rapporta que les Mek- nous' donner tous les renseignements
kains, unis à Osman-bey, nous atten- qu'ils avoient pu recueillir ; ils nous ac-
dorent retranchés à Benhoute, à trois compagnèrent de leurs personnes et de
lieues en avant de Kéné; qu'ils avoient leurs voeux jusqu'aux confins de leur
du canon, et étoient résolus à faire la territoire. Je fus frappé de l'intérêt sin-
guerre et à tenter une bataille ; ils ajou- cère du cheikh, qui, croyant que nous
tèrent qu'ils avoient arrêté plusieurs de marchions à une mort assurée, nous
nos barques sur le Nil, et qu'après un donna les avis les plus circonstanciés,
combat opiniâtre, où beaucoup de pay- sans nous cacher aucun de nos dangers,
sans et de Mekkains avoient été tués, les nous prévint avec la plus parfaite intelli-
Français avoient succombé sous le nom- gence sur tout ce qui pouvoit nous les
bre et avoient été tous massacrés. Nous rendre moins funestes, nous suivit aussi
vînmes coucher sur les bords du fleuve : loin qu'il put, et nous quitta les larmes
il falloit le traverser pour rencontrer l'en- aux yeux. Desaix avoit été huit jours à
nemi ; nous attendions nos barques qui Rous ; il avoit beaucoup vu le cheikh ;
suivoient. Nous vîmes à n'en pouvoirdou- et ce tendre intérêt que l'on nous témpi-
ter que nous étions observés de l'autre gnoit étoit un résultat bien naturel de
rive ; à chaque instant des cavaliers armés l'idée avantageuse qu'il avoit donnée de
arrivoientet repartoient : nous fîmes une son caractère loyal et communicatif, de
marche rétrograde pour rencontrernotre cette équité, douce et constante qui lui
convoi, que nous rejoignîmes bientôt; valut dans la suite le surnom de juste, le
tout.le reste de la journée fut employé plus beau titre qu'ait jamais obtenu un
à notre passage, que nous effectuâmes vainqueur, un étranger arrivé dans un
à êl-Ramontéh. Le 19 ventôse, nous pays pour y porter la guerre.
nous mîmes en marche ; à notre arrivée Nous ne concevions rien à ces barques,
à Rous on nous confirma le récit de la à ce combat ; nous étions bien éloignés
veille. de deviner l'importancedu rapport qu'on
Rous, placée à l'entrée de l'embouchure nous avoit fait : nous n'étions plus qu'à
du désert qui conduit à Bérénice et à Cos- quatre lieues de l'ennemi ; une heure
séir, a encore quelque apparence du côté après avoir dépassé Rous nous vîmes à
du sud ; ses immensesplantations de me- notre droite, au pied du désert, les rui-
lons , ses jardins assez abondants, doi- nes de Cophtos, fameuse dans le qua-
,
vent la faire paraître délicieuse aux ha- trième siècle par son commerced'orient ;
bitants des bords de la mer Rouge, et on ne reconnoît son ancienne splendeur
aux voyageurs altérés qui viennent de qu'à la hauteur de la montagne de dé-
traverser le désert ; elle a succédé à Coph- combres dont elle est entourée, et qui
tos par son commerce et par sa catho- indique encore combienétoit grand l'em-
licité car les Cophtes en sont encore les placement qu'elle occupoit. La ville an-
,
plus nombreux habitants. Leur zelé^vint tique est à présent aussi sèche et aussi
( i4g )
déshabitée que, le désert sur le bord du- Mekkains,; notre marche fiere et quel-
quel elle est située. ques coups de canons nous délivrèrent
A peine avions- nous dépassé Cophtos du voisinage des Mamelouks, qui n'y al-
qu'on vint nous dire que l'ennemi étoit loient pas d'aussi bonne foi que les Mek-
en marche : nous fîmes halte, et après un kains, et vouloient seulement essayer si
léger repas nous nous remîmes en mou- le nombre de ces derniers et leur bra-
vement pour joindre l'ennemi. Nous ap- voure détacheraient assez de soldats du
perçûmes bientôt ses drapeaux; leur grand carré pour qu'il pût être attaqué
développement occupoit une ligne de avec avantage. Après avoir délogé l'in-
plus d'une lieue : nous continuâmes à fanterie du second village, nous nous
marcher dans l'ordre que nous avions trouvâmes dans une petite plaine qui
pris, c'est-à-dire en bataillon carré, précédoit Benhoute où nous savions
,
flanqué d'une seule pièce de canon de qu'étoit retranché le grand corps enne-
trois, et quinze hommes de cavalerie ; mi, et où s'étoient encore réunis tous
nous avions l'air d'un point qui va tou- ceux que nous avions déjà battus. Nous
cher une ligne : nous entendîmes bientôt nous attendions bien à' un combat san-
des cris, et nous nous rencontrâmes à un glant, mais non à être canonnés par une
village que l'extrémité de leur dévelop- batterie en ordre, qui nous envoyoit tout
pement étoit venue occuper ; on détacha à la fois et mitraille et boulets, qui arri-
des tirailleurs, qui au même instant se voient à notre carré et même le dépas-
trouvèrent mêlés corps à corps avec eux : soient. La mort planoit autour de moi ;
malgré quelques décharges efficaces de je la voyois à tout moment; dans l'espace
notre pièce, ils ne reculoient point; leur de dix minutes que nous fûmes arrêtés,
valeur et leur dévouement suppléoient trois personnes furent tuées pendant que
chez eux à la pénurie des armes. Après je leur parlois : je n'osois plus adresser
que cet avant-poste eut été détruit plu- la parole à personne; le dernier fut atr
tôt que repoussé, on trouva plus de ré- teint par un boulet que nous voyions tous
sistance dans les villages,où les murailles deux arriver labourant le sol et parais-
et quelques armes à feu leur donnoient sant au terme de son mouvement; il leva
quelque égalité dans le combat ; nous les le pied pour le laisser passer, un dernier
repoussâmes cependant jusque sous un ressaut du boulet l'atteignit au talon et
autre village à un quart de lieue plus lui déchira tous les muscles de la jambe j
loin: à cet instant, les Mamelouks com- blessure dont mourut le lendemain ce
mencèrent à parader, et à paraître vou- jeune officier, parceque nous manquions
loir charger notre droite pour, faire di- d'outils pour faire les amputations.
version à l'avantage que nous prenions Nous crûmes que, selon l'usage du
sur leur coalisé ; nous marchâmes droit pays, leurs, pièces sans affût n'avoient
à eux, sans cesser ni même affoiblir le qu'une direction ; mais nous ne fûmea
combat que les chasseurs livraient aux pas peu surpris de voir leurs coups sui-
( i5o )
vrenos mouvements, et nous obliger de et jamais nous n'en avions eu autant de?
besoin,. Je me rappelle qu'au fort de l'ac-
hâter le pas pour aller occuper la tête du^
tion je trouvai une cruche à l'angle d'une
village, et y. maintenir le combat, tandis
muraille, et que, n'ayant pas le temps
que les carabiniers et les chasseursétoient
de boire, tout en marchant je m'en ver-
allés tourner leur batterie et l'enlever à
la baïonnette. Au moment où l'on battoitsai l'eau dans le sein pour étancher l'ar-
la charge, les Mamelouks se. précipitè- deur dont j'étois dévoré.
rent sur nos carabiniers,qui les reçurent Tant que l'ennemi eut ses batteries il
avec un feu de mousqueterie qui leur fitse replioit avec confiance, parcequ'il se
tourner bride, puis, tombant sur la bat-rabattoit sur des forces nouvelles : nous
terie, ils firent un massacre général dedûmes même penser que son dessein
avoit été de nous attirer sur elles, mais
ceux qui la servoient : les pièces se trou-
vèrent françaises, et on reconnut que qu'après les avoir perdues, le petit bois
c'étoient celles de l'Italie, barque ami-
où il s'étoit retiré devenant son dernier
raie de notre flottille. Nous espérions'point de défense, il tenteroit le sort d'un
qu'après cette prise importante le com- dernier combat, se jeteroit à l'eau, pas-
bat alloit finir par la dispersion ou laserait le Nil, ou se joindroit aux Mame-
fuite de l'armée des Mekkains ; une par-louks et disparaîtrait avec eux ; ce qu'il
,
tie tint cependant encore assez long-temps
nous étoit impossible d'empêcher: mais,
dans un petit bois de palmiers, tandis que
en approchant de ce bois, nous apperçû-
mes qu'il contenoit un gros village avec
l'autre, et la plus considérable, faisoit
une espèce de retraite, que nous ne pou-une maison de Mamelouks, fortifiée,
crénelée, bastionnée, et d'une approche
vions troubler, parceque, toutes les fois
que nous dépassions les lieux couverts d'autant plus difficile que l'ennemi étoit
pour faire un mouvement rapide, les Ma- fourni de toutes sortes d'armes et de mu-
melouks, que nous avions toujours en nitions , que nous reconnûmes être des
flanc, pouvoient nous attaquer et nous nôtres, tant par la portée des fusils que
par les balles qu'il nous envoyoit. Il y
culbuter ; il falloit donc marcher en ordre
avoit déjà plus de deux heures que nous
de bataille et toujours formés pour les re--
attaquions cette maison de tous côtés,
cevoir. Il y avoit déjà six heures que nous
combattions sans relâche un ennemi inex-sans en trouver un qui ne fût meurtrier;
périmenté, mais brave , fanatique, et ennous avions perdu soixante hommes et
nombre décuple , qui attaquoit avec fu- nous en avions eu autant de blessés : la
nuit venue, on mit le feu aux maisons
reur et résistoit avec obstination : il ne se
adjacentes , on s'empara d'une mosquée,
replioit qu'en masse ; il falloit tuer tout
ce qui avoit avancé en détachements. Ha-on sépara l'ennemi du Nil, et on travailla
rassés, haletants de chaleur, nous nous à rétablir les pièces reprises. De leur côté
arrêtâmes un instant pour prendre ha- les assiégés s'occupoient à augmenter le
leine : nous manquions absolumentd'eau, nombre de leurs créneaux, à faire des
(I5I)
batteries basses, et à pointer des canons tirerent sans une véritable résistance : le
qu'ils n'avoient point encore employés. général Belliârd, voyant que les moyens
Des paysans, qui s'échappèrent du feu conservatifs usoient et les hommes et le
des assiégeants et de celui des assiégés, temps, ordonna un assaut, qui fut donné
vinrent nous dire que le lendemain du et reçu avec une valeur inouie; on ouvrit
jour du départ du général Desaîx pour al- sous le feu de l'ennemi la première cir-
lerpoursuivre Mourat, les Mekkains, nou- convallation, et, à travers les fusillades
vellement descendus du désert, étoient et la sortie des assiégés, on introduisit
venus attaquerl'Italie et la flottille qu'elle des combustibles qui commencèrent à
commandoit ; qu'après un combat de rendre leur retraite douloureuse : un de
vingt-quatre heures, ceux qui la mon- leurs magasins sauta (voyezpi. LXXVII,
toient engraverent, et, craignant l'abor- n° 2 ) ; dès - lors le feu les atteignoit de
dage avoient brûlé la grande barque , et toutes parts; ils manquoient d'eau, ils étei-
,
monté sur les petites; mais qu'un grand gnoientlefeu avec lespieds, avec les mains,
vent ayant constamment contrarié leur ils l'étouffoient avec leurs corps. Noirs et
manoeuvre, fatigués par le nombre et nus, on les voyoit courir à travers les flam-
l'acharnement des assaillants, ces mal- mes; c'étoit l'image des diables dans l'en-
heureux avoient tous été tués ; que de- fer : je ne les regardois point sans un sen-
puis ce temps les Mekkains n'avoient timent d'horreur et d'admiration. Il y
pensé qu'à rassembler tout ce que cette avoit des moments de silence dans les-
défaite leur fourriissoit de moyens d'atta- quels une voix se faisoit entendre ; on
que et de défense ; qu'ils avoient échoué lui répondoit par des hymnes sacrés, par
un de nos bâtiments, afin de forcer tout des cris de combat ; ils se jetoient ensuite
ce qui navigueroit sur le fleuve à passer sur nous de toutes parts malgré la Certi-
sous leur batterie, et s'étoient ainsi ren- tude de la mort.
dus maîtres diï Nil ; que, malgré tout ce Vers la tombée du jour on donna un
qu'ils avoient perdu de monde, ils étoient assaut ; il fut long et terrible ; deux fois
encore très nombreux et très déterminés. on pénétra dans l'enceinte, deux fois on
A la pointe du jour, nous commençâ- fut obligé d'en sortir : je n'étois pas tant
mes à battre la maison en brèche : con- effrayé de nos pertes que de la pensée -
struite en briques non cuites, chaque qu'il faudrait recommencerde nouveaux
boulet ne faisoit que son trou, et ne cau- efforts contre des ennemis toujours plus
soit aucun éboulement ; l'incendie ne rassurés ; je savois d'ailleurs que nous
faisoit point de progrès à cause des cours étions réduits à la dernière caisse de car-
qui séparaient le corps de logis de la cir- touches. Le capitaine Bulliot, officier
convallation. A neuf heures du matin, d'une bravoure distinguée, périt dans la
les Mamelouks s'avancèrent avec des cha- dernière tentative : cet homme, connu
meaux comme pour porter des secours à par une insouciante imprudence, ému
la place ; on marcha sur eux, et ils se re- d'un sentiment de prédestination , me
(i5a)
serra la main en m'entraînant avec lui, ments après, une heure avant le jour,
et me dit un adieu sinistre ; l'instant trente des assiégés les mieux armés, a^ec
d'après je le vis se traînant sur les mains, deux chameaux , forcèrent un de nos
et cherchant à se dérober à la mort. postes et passèrent. A la pointe du jour,
Quand la nuit fut venue on fit halte : on entra par les brèches de l'incendie,
il y avoit deux jours que nous nous bat- et l'on acheva d'assommer ceux qui, à
tions. moitié grillés, opposoient encore quel-
Au danger succédoient de tristes soins ; que résistance. On en amené un au gé-
nous entendions les cris de nos blessés, néral ; il paroissoit être un des chefs ; il
auxquels nous n'avions point de remèdes étoit tellement enflé, qu'en pliant pour
à donner, auxquels, faute d'instruments, s'asseoir, sa peau éclata de toute part : sa
on ne pouvoit faire les plus urgentes opé- première phrase fut, Si c'est pour me
rations ; nous avions perdu biendu mon- tuer qu'on me conduit ici, qu'on se dé-
de et nous avions encore bien des en- pêche de terminer mes douleurs. Un
,
nemis à vaincre : le besoin d'épargner de esclave l'avoit suivi, il regardoit son
braves gens fit rétablir l'incendie à la maître avec une expression si profonde,
place des assauts ; on alluma des feux ; à qu'elle m'inspira de l'estime pour l'un
toutes les avenues on posa des postes; et pour l'autre: les dangers qui l'envi-
on se relayoit pour prendre du repos; ronnoient ne pouvoient distraire un mo-
le carré reposa en bataille ; le danger ment sa sensibilité; il n'exktoit que pour
eommandoit l'exactitude du service: au son maître ; il regardoit, il ne voyoit que
milieu de la nuit, un âne, poursuivant lui. Quels regards ! quelle tendre et pro-
une ânesse , entra au galop dans le quar- fonde mélancolie! qu'il devoit être bon
tier; chacun se trouva debout et à son celui qui s'étoit fait chérir ainsi de son
poste avec un silence et un ordre aussi esclave ! quelque affreux que fût son
augustes que la cause en étoit ridicule. sort, je l'enviois: comme il étoit aimé !
Un malheureux évique cophte, prison- et moi, par un retour sur moi-même,
nier dans le château, à la faveur des té- je me disois : Pour satisfaire une orgueil-
nèbres se sauve avec quelques compa- leuse curiosité, me voilà à mille lieues
gnons, et n'arrive jusqu'à nous qu'à tra- de mon pays ; j'accompagne des braves,
vers le feu de nos postes, couvert de et je cherche un ami ; tandis que je m'afT
blessures et de contusions : après avoir flige sur les vaincus, sur les vainqueurs,
pris quelque nourriture, il nous conta je vois frapper la mort autour de moi;
les détails des horreurs auxquelles il c'est toujours sa faux que je rencontre
venoit d'échapper. Les assiégés n'avoient par-tout : hier j'étois avec des guerriers
plus d'eau depuis douze heures ; leurs dont j'estimois la loyauté, dont j'admi-
murailles ardoient; leurs langues épais- rais la bravoure brillante ; aujourd'hui
sies les étouffoient ; enfin leur situation j'accompagne leur convoi; demain j'aban-
étoit affreuse. Effectivement peu de mo- donnerai leurs restes sur une terre étran*
(,53)
gère qui ne peut plus être que funeste ron deux mille serviteurs à pied ; le reste
pour moi : tout à l'heure un jeune homme étoit composé des Mekkains,qu'ils avoient
brillant de santé et d'audace bravoit l'en- si perfidem ent engagés dans leur querelle,
nemi qu'il alloit combattre ; je le vois et si lâchementabandonnés.Nous crûmes
attaquer une porte meurtiere, il tombe ; d'abord qu'ils alloient s'enfoncer dans le
aux expressions du courage succèdent désert ; mais ils restèrent à mi-côte, me-
les accents de la douleur; il appelle en surant leurs mouvements sur les nôtres,
vain ; il se traîne, le feu le gagne, se ayant en arrière des gens à cheval, qui
communique aux cartouches dont il est les avertissoient par un coup de fusil,
chargé ; il n'a déjà plus de forme, et des haltes et des mouvements en avant
cependant j'entends encore sa voix; et que nous faisions. Nous sentîmes mieux
demain.... demain son emploi consolera que jamais combien il étoit inutile de les
de sa perte le compagnon qui le rempla- poursuivre quand ils ne vouloient pas se
cera. O homme, où puiserez-vous donc battre, et l'impossibilité de les surprendre
des vertus., si le métier le plus noble dans un pays où il leur restoit de chaque
cache encore de si petites passions? Égoïs- côté du fleuve une retraite toujours ou-
mecruel, quelemalheurnecorrigepoint, verte et toujours assurée tant qu'ils con-
et qui devient atroce, parceque le danger serveraient la supériorité de la cavalerie
ne permet plus de le cacher ! c'est à la et qu'ils sauraient protéger leurs cha-
guerre qu'on peut vraiment le connoître meaux. Nous abandonnâmes donc une
et éprouver ses terribles effets. Mais tour- poursuite inutile, et retournâmes sage-
nons nos regards vers le beau côté du mé- ment à la garde de nos barques : le gé-
tier. néral Belliard passa le reste du jour à
Le 2 au matin le général Belliard eut rassembler et faire charger ce qu'on avoit
,
le bonheur d'avoir à pardonner à ce qu'il repris d'artillerie, munitions et ustensiles
avoit fait de prisonniers, de pouvoir les de guerre.
renvoyer en leur faisant connoître notre C'est après l'accès que le' malade sent
générosité et la différence de nos coutu- ce que la fièvre lui a enlevé de forces.
mes. Plusieurs d'entre eux, émus de re- Tant que l'on avoit tiré sur nous avec
connoissance, les larmes aux yeux, de- notre poudre et nos boulets, nous n'a-
mandoient à nous suivre : les Mamelouks vions pas calculé ce qu'il falloit en dé-
parurent encore ; nous marchâmesà eux : penser pour épuiser ou reprendre celle
c'était une fausse attaque, pour donner qu'on nous avoit enlevée ; mais , plus
à leurschameauxktemps de faire de l'eau. calmes, nous comptâmes cent cinquante
Débarrassés du siège de la veille, nous hommes hors de combat, c'est-à-dire que
les chassâmes jusqu'au désert : ce fut nous avions joué à une loterieoù chaque
alors que nous vîmes toutes leurs forces septieme^Uet étoit un billet rouge, et
rassemblées; elles consistaient en mille qu'ayant fait en munitions la dépense
chevaux autant de chameaux, et envi- des deux côtés , il nous en restoit à
,
20 "
(i54)
peine de quoi fournir à un combat; ment inexorable qui caractérise les orien-
enfin que le convoi qui deVoit les rem- taux : C'est la guerre, disent-ils, nous '
placer étoit détruit avec tous ceux qui n'avons pu les défendre ; c'est la loi des
dévoient le défendre ; que nous étions à vainqueurs qu'elles ont subie ; elles n'en
cent cinquante lieues du Caire où on ne sont pas plus flétries que nous déshonorés
nous croyoit aucun besoin. J'avois ad- des blessures qu'ils nous ont faites : elles
miré le courage tranquille du général rentrent dans le harem, et il n'est jamais
Belliard pendant un combat de trois question de tout ce qui s'est passé. Par
jours et deux nuits, je ne fus pas moins des distinctions aussi délicates la jalou-
édifié de son intelligence administrative sie épurée ne devient-elle pas une passion
dans les heuresqui suivirent cette action, noble dont on peut même s'enorgueillir?
moins brillante que périlleuse : la moin- Nous apprîmes que le cheikh qui com-
dre imprudence aurait mis le comble au mandoit,ouplutôt exhortoifrlesMekkains,
malheur d'avoir perdu notre flotte; dés- > s'était sauvé vers la fin de la dernière
astre que sa prudente intelligence n'a- nuit ; que pendant le siège il avoit prié
voit pu réparer, mais dont au moins elle sans combattre; que de temps à autre
avoit arrêté ce que les suites de cette il sortait de sa retraite, disoit aux siens :
perte auraient pu avoir de désastreux. Je prie le ciel pour vous ; c'est à vous
Pendant que l'on traitait du sort des de combattre pour lui. C'était après ces
habitants qui étoient restés à Benhouth, exhortations que nous avions entendu
de celui de ceux qui avoient fui je iie fus
,
ces chants pieux, suivis de cris de guerre,
pas peu surpris de trouver dans les postes de sorties, et de décharges générales.
que nous avions dans le village toutes Le 21, nous nous remîmes en marche
les femmes établies avec une gaieté et sur René pour aller savoir s'il y restoit
une aisance qui me faisoient illusion ; des Mekkains, et où pouvoit être le gé-
je ne pouvois pas me persuader qu'elles, néral Desaix ; cette marche fut troublée
ne nous entendissent pas : elles avoient par ces vents qui, sans nuages, remplis-
chacune fait librement leur choix, et en sent l'air de tant de sable qu'il ne fait ni
paroissoient très satisfaites : il y en avoit jour ni nuit : nos barques ne pouvant
de charmantes; il leur sembloit si nou- marcher, nous fûmes obligés de nous
veau d'être nourries, servies, et bien trai- arrêter à un quart de lieue de ce fatal
tées par des vainqueurs, que je crois Benhouth de sinistre mémoire. Le len-
qu'elles auroientvolontiers suivi l'armée. demain , nous arrivâmes à René à neuf
Appartenir est tellement leur destin, que heures du matin, où nous trouvâmes
ce ne fut que par le sentiment de l'obéis- des lettres du général Desaix, qui igno-
sance qu'elles rentrèrent au pouvoir de rait les événements de la flotte et notre
leurs pères et de leurs maris; et, dans position. La ville étoit débarrassée d'en-
ces cas désastreux, elles ne sont point nemis , et les habitantsvinrent au-devant
reçues avec cette jalousie scrupuleuse- de nous-
(i55)
Kénë a succédé à Kous, comme Kous dises qu'ils avoient apportées à la Mekke,
avoit succédé à Cophtos : sa situation a son commerce, qui depuis long-temps di-
cet avantage qu'elle est immédiatement minue , dut éprouver à cette dernière épo-
au débouché du désert, et sur le bord que un échecpeut-êtreirréparable. En cer-
du Nil : elle n'a jamais été aussi floris- tains cas, lorsqu'un ressort d'une vieille
sante que les deux autres, parcequ'elle machine se rompt, la machine s'écroule;
n'a existé que depuis que le commerce il ne faut donc pas s'étonner si, l'intérêt se
de l'Inde a été détourné et presque joignant au fanatisme,"la croisade de la
anéanti, soit par la découverte de la Mekke fut organisée avec autant de rapi-
route du cap de Bonne-Espérance, soit dité et apporta contre nous toute la
,
par la tyrannie du gouvernement égyp- rage qu'inspirent les passions les plus
tien. Réduit au passage des pèlerins, son violentes.
commerce n'avoit quelque activité qu'au Le général Belliard eût poursuivi les
moment de la marche de la grande cara- Mameloukseffrayés et les Mekkains vain-
vane. C'est à Kéné que s'approvision- cus; mais il falloit des munitions pour
nent les pèlerins des oasis, ainsi que ceux rentrer en campagne, et nous en man-
de la haute Egypte, et quelquesNubiens ; quions absolument. Nous fûmes obligés
ils y prennent non seulement ce qui est de fortifierla maison où nous nous étions
nécessaire pour la traversée du désert logés à René, et qui nous servoit de quar-
jusqu'à Cosséir, mais encore pour le tier : nous ne recevions aucune nouvelle
voyage de Gedda, de Médine, et de la de personne, pas même de Desaix ; le
Mekke, et pour le retour ; car ces villes pays étoit couvert d'ennemis dispersés,
n'ont pour territoire qu'un désert pier- qui arrêtoient et tuoient nos émissaires,
reux (i), où l'on n'existe qu'à force d'or; ou les empêchoientde se mettre en route,
de sorte que si, grâces au fanatisme, la et nous tenoient isolés d'une manière
Mekke est restée un point de contact inquiétante. L'infatigable Desaix avoit
entre l'Inde , l'Afrique, et l'Europe, elle poursuivi les Mamelouks jusqu'à Siouth,
est aussi devenue un abyme dans lequel avoit forcé Mburat-bey à se jeter dans les
une population de cent vingt mille habi- oasis ; il avoit fait passer le général Friand
tants absorbe l'or de l'Inde, de l'Asie à la rive droite, pour faire parallèlement
mineure, et de toute l'Afrique. à lui la chasse à Elfi-bey et aux corps
Nos mouvements sur la Syrie, et notre dispersés des Mamelouks. Desaix vint
guerre d'Egypte ayant ruiné la caravane nous trouver à Kéné ; et nous nous re-
de l'an six, et dissous pour l'an sept toutes mîmes en campagne.
celles d'Europe et d'Afrique, et les Indiens Nous nous dirigeâmes vers Kous, où
ne trouvantpointd'échange aux marchan. étoient les Mekkains, et d'où ils faisoient
des incursions dans les villages de l'une
(i) Le pain coûte à la Mekke de huit à dix sous la et l'autre rive, volant et massacrant les
livre, ce qui est énorme en orient. chrétiens et les Cophtes, et les emmenant,
(i56)
afin de leur faire payer une rançon. Nous une quatrième fontaine ; et de Birambar
sortîmes de Kéné dans le silence et les on arrive, par trois routes d'égale lon-
ténèbres de la nuit pour tâcher de les gueur , à Kous, à Kefth ou Cophtos, et à
surprendre : nous marchâmes le long du Kéné.
désert pour tromper leurs avant-postes. Desaix résolut de bloquer les Mame-
Lorsque nous arrivâmes au village où louks dans le désert, ou du moins de
étoit leur camp, nous ne les trouvâmes leur barrer le Nil, de gêner leurs mou-
plus; ils en étoient partis à la même vements, de les empêcher de pouvoir se
heure que nous nous étions mis en mar- séparer sans risquer d'être détruits, et
che de Kéné ; ils avoient pris le désert enfin de les réduire par la faim : il avoit
avec les Mamelouks, et s'étoient rendus laissé trois cents hommes et du canon à
à la Kittah. Kéné; il alla se poster à Birambar avec de
Prendre le désert, en terme militaire, l'infanterie, de la cavalerie, et de l'artil-
dans la haute Egypte, n'est pas seulement lerie ; et nous, avec la vingt-unième lé-
sortir des terres cultivées pour passer gère , nous allâmes occuper le passage de
sur les sables qui les bordent de droite Nagadi : on eut l'imprudence de négliger
et de gauche, mais s'enfoncer dans les Rédisi, ou bien l'on craignit de trop se
gorges qui traversent les deux chaînes, disséminer. Si la gorge de Rédisi avoit
et qui ont des embouchures, qui devien- pu être occupée, tous les beys de la rive
nent des positions, des espèces de postes, droite étoient obligés de se rendre ; il ne
qu'il est important d'occuper et de dé- restoit plus que Mourat-beyà poursuivre,
fendre. Les Mamelouks avoient sur nous et plus de diversion à craindre.
l'avantage de les connoître tous, de sa- L'espérance de voir Thebes en mar-
voir le nombre de fontaines qu'on pou- chant de ce côté me fit encore avec joie
voity rencontrer. Dans la vallée qui con- tourner le dos au Caire; mon destin étoit
duit de Cosséir au Nil il y a quatre de de marcher avec ceux qui remontoient
ces fontaines; une à demi-journée de le plus haut: je suivis dpnc le général
Cosséir (l'eau de celle-ci n'est bonne que Belliard ; je devois rejoindre bientôt De-
pour les chameaux); la seconde à une saix ; nous avions fait la veille mille pro-
journée et demie de la première ; puis jets pour l'avenir : nos adieux furent ce-
celle de la Kittah, à une autre journée et pendant mélancoliques; cette fois, notre
demie : cette dernière est très importante séparation me parut plus douloureuse :
lorsqu'on veut occuper le désert, parce- devois-je penser que, si jeune , ce se-
qu'elle se trouve placée à un point de di- roit lui qui me laisserait dans la car-
rimation de trois chemins, dont l'un, rière, que ce seroit moi qui le regret-
se dirigeant au sud-ouest, débouche sur terais? nous nous séparâmes, et je ne l'ai
Rédisi; un autre, portant plus à l'ouest, plus revu. J'étois déjà à une lieue, lors-
aboutit à Nagadi ; et le troisième, au que je fus rejoint au galop par le brave
nord-ouest, amené à Birambar, où il y a Latournerie ; il étoit revenu pour me
(i57)
dire adieu : nous nous aimions beaucoup ; ses parties. Aune autre demi-iieue de là,
touché de ce témoignage de tendresse, je sur une petite éminence, on voit plus
fus cependant frappé de son émotion : distinctementle soubassementd'un tem-
nous versâmes quelques larmes en nous ple absolument isolé de toute autre espèce
embrassant. Le métier de la guerre peut de ruines ; on distingue encore trois as-
endurcir les êtres froids, mais ses hor- sises de grosses pierres de grès, qui ser-
reurs ne flétrissent point la sensibilité voient de stylobate, et arrivoient au sol
des âmes tendres; les liaisons formées au du temple, devant lequel étoit un por-
milieu des peines et des dangers d'une tique de six colonnes engagées dans le
expédition de la nature de celle d'Egypte bas de leur fût. Ce monument conservant
deviennent inaltérables; c'est une espèce encore quelque forme dans la saillie, j'en
de confraternité ; et lorsque des rapports fis un petit dessin ( voyez planche LV,
de caractère viennent encore resserrer n° 1). Nous marchâmes encore une heure,
ces liens, le sort ne peut les briser sans et nous arrivâmes à Nagadi, gros et triste
troubler le reste de la vie. village assis sur le désert ( voyez plan-
En traversant Kous , dans lequel je che LXXIII, n° 2 ) ; un parti de Mame-
n'étoispas entré lorsquej'avois descendu louks l'avoit dépouillé il y avoit douze
le Nil, je trouvai au milieu de la place heures. Avant d'entrer dans le désert,
le couronnementd'une porte de belle et nous envoyâmes des reconnoissances en
grande proportion enfouie jusqu'à la si- avant, qui prirent quelques chameaux,
maise ; ce seul vestige, qui n'avoit pu et tuèrent une trentaine de Mekkains
appartenir qu'à un grand édifice, atteste traîneurs. Nous nous portâmes jusqu'à
que Kous a été bâti sur l'emplacement une enceinte qui avoit été d'abord un
d'Apollinopolis parva ( voyezpi. LXXX, couven t re tranché,habité par des Cophtes,
n°3). La gravité de cette ruine offre un qui étoit ensuite devenu une mosquée,
contraste avec tout ce qui l'environne qui et définitivement ne servoit plus qu'aux
en dit plus sur l'architecture égyptienne sépultures ; nous nous y logeâmes en en
que vingt pages d'éloge et de ^disserta- chassant les chauves-souris, et en boule-
tion ; ce fragment paroît à lui seul plus versant les tombes. Un fort, un désert,
grand que tout le reste de la ville : à une des tombeaux! nous étions entourés de
demi-lieue de Kous, dans le village de tout ce qu'il y a de triste au monde ; et
Elmécié, je trouvai le soubassement de si, pour échapper à l'impression que de
quelques édifices en grès avec des hiéro- semblables objets pouvoient apporter à
glyphes. Étoit-ce une petite ville dont on notre ame, nous sortions quelquefois la
ignore l'existence ? étoit - ce un temple nuit pour respirer quelques instants,
isolé? la dégradation de ce monument notre respiration étoit le seul bruit qui
étoit trop entière pour que je pusse en troublât le calme du néantqui nous épou-
donner une idée par un dessin, et il étoit vantoit ; le vent parcourant ce vaste ho-
impossible de faire le plan d'aucune de rizon sans rencontrer d'autres objets que
('58)
nous, silencieux, nous rappeloit encore, pas de situation au monde qui n'ait ses
au milieu des ténèbres, l'immense et triste jouissances, j'en appelle de cette vérité
espace dont nous étions environnés. Voyez aux tombeaux de Nagadi.
la situation du fort ( planche LXXIII, Nagadi est un point important à occu-
n° i). per ; il doit naturellement devenir la route
Quelques marchands, qui avoient eu le la plus fréquentée du désert, puisqu'elle
bonheur de sauver leurs pacotilles des est la plus courte d'un jour ; un commis-
Mamelouks,n'étoient pas très rassuréssur sionnaire peut venir de Cosséir à Nagadi
notre compte. Dénoncés par les cheikhs en deux journées avec un dromadaire,
de Nagadi, ils nous apportèrent des pré- et en trois à pied. Comnae on ne trouve
sents : nous les refusâmes ; ils en furent rien à Cosséir, le négociant qui y débar-
encore plus effrayés : accoutumésà voir que en revenant de Gidda est très pressé
des gens couverts d'or qui les mettoient d'arriver sur le bord du Nil ; les moyens les
à contribution, et nous voyant faits à- plus courts lui paroissent donc les meil-
peu-près comme des bandits, ils crurent leurs ; il demande des chameauxà Nagadi
que nous allions les dévaliser ; il n'y avoit qui peuvent arriver le sixième jour. Le
pas moyen de cacher leurs richesses. Nos prix dans le moment où nous y étions,
porte-manteaux avoient été pris sur les étoit d'une gourde forte, c'est-à-dire
barques ; nous avions besoin de linge,nous cinq francs le quintal ; chaque chameau
leur fîmes donc ouvrir leurs ballots : tout en porte quatre : ce prix doit augmenter
espoir finit pour eux ; nous choisîmes ce en raison du commerce plus ou moins
qui nous convenoit, nous leur deman- considérable, ainsi que le prix des cha-
dâmes ce que coûteroit ce dont nous meaux , qui n'étoit alors que de vingt
avions besoin; ils nous dirent que ee se- piastres, au lieu de soixante qu'ils va-
rait ce que nous voudrions ; nous de- loi ent avant notre arrivée; ce qui peut
mandâmesle prixjuste, et nous payâmes : donner la mesure du malheur des cir-
ils furent si surpris, qu'ils touchoient constances , et combien la Mekke, Me-
leur argent pour savoir si cela étoit bien dine, et Gidda, ont dû souffrir des trou-
vrai; des gens armés et en force qui bles de l'Egypte. Nous qui nous vantions
payoient! ils avoient parcourutoute l'Asie d'être plus justes que les Mamelouks,
et toute l'Afrique, et n'avoient rien vu nous commettionsjournellement et pres-
de^si extraordinaire. Dès-lors nous eûmes que nécessairementnombre d'iniquités ;
toute leur estime et toute leur confiance; la difficulté de distinguer nos ennemis
ils venoient faire nos déjeuners, nous ap- à la forme et à la couleur nous faisoit
portaient des confitures de l'Inde et de tuer tous les jours d'innocents paysans;
l'Arabie, des cocos, et nous faisoient le les soldats chargés d'aller à la découverte
meilleur café qu'il fût possible de boire : ne manquoient pas de prendre pour des
ce mélange de dénuement et de recherche Mekkains les pauvres négociants qui arri-
avoit quelque chose de piquant ; il. n'y a voient en caravane, et avant que justice
(i*9)
leur fût rendue(quand on avoit le temps s'expliquer : les morts étoient enterrés ;
de la leur rendre ), il y en avoit eu deux et on restoit amis jusqu'à ce qu'une oc-
ou trois de fusillés, une partie de leur casion offrît à la vengeance une revanche
cargaison avoit été pillée ou gaspillée, assurée. Il est vrai que s'ils restoient chez
leurs chameaux changés contre ceux des eux, qu'ils payassent le miri, et fournis-
nôtres qui étoient blessés ; et le profit de sent à tous les besoins de l'armée, cela
tout cela en dernière analyse passoit aux leur épargn'oit la peine du voyage et le
employés, aux Cophtes et aux inter- séjour du désert; ils voyoient manger
,
les
prètes , sang-sues de l'armée, le soldat leurs provisions avec ordre, et pouvoient
ayant sans cesse l'envie de s'enrichir, et en manger leur part, conservoient une
le tambour du rassemblementou la trom- partie de leurs portes, vendoient leurs
pette du boute-selle lui faisant toujours oeufs aux soldats, et n'avoient que peu de
abandonner et oublier ce projet. Le sort leurs femmes ou de leurs filles de violées :
des habitants, pour le bonheur desquels mais aussi ils se trouvoient coupables
sans doute nous étions venus en Egypte, pour rattachement qu'ils nous avoient
n'étoit pas préférable : si à notre appro- montré; de sorte que quand les Mame-
che, la frayeur leur faisoit quitter leur louks nous succédoient, ils ne leur lais-
maison,lorsqu'ilsy rentroient après notre soient pas un écu, pas un cheval, pas un
passage, ils n'en retrouvoient que la boue chameau; et souvent le cheikh payoit de
dont sont composées les murailles; us- sa tête la prétendue partialité qu'on lui
tensiles charrues, portes, toits, tout imputoit. Il étoit bien urgent pour ces
,
avoit servi à faire du feu pour la soupe; malheureux qu'un pareil état de choses
leurs pots étoient cassés, leurs graines finît, et qu'on pût en organiser un autre :
étoient mangées, les poules et les pigeons mais comment y parvenir tant que les
rôtis; il ne restoit que les cadavres de Mamelouks ne voudraient pas se battre,
leurs chiens, lorsqu'ils avoient voulu dé- et que des bandes fanatisées et affamées
fendre la propriété de leurs maîtres. Si comme les Mekkains se joindroient à eux?
nous séjournions dans leur village, on Nous apprîmes le troisième jour de
sommoit ces malheureux de rentrer, sous notre séjour à Nagadi, que trois cents
peine d'être traités comme rebelles asso- Mekkains avoientrésolu, évitant par-tout
ciés à nos ennemis, et en conséquence les Français, de pousser tout à travers le
imposés au double de contribution ; et désert jusqu'au Caire, de se perdre dans
lorsqu'ils se rendoient à ces menaces, et la population immense de cette ville,
venoient payer le miri, il arrivoit quel- jusqu'à ce qu'ils pussent retourner dans
quefois que l'on prenoit leur grand nom- leur patrie avec les caravanes ou que
,
bre pour un rassemblement, leurs bâ- quelque occasion leur fût offerte de se
tons pour des armes, et ils essuyoient venger de nous : on nous dit qu'au mo-
toujours quelques décharges des tirail- ment de mourir, leur chef leur avoit sug-
leurs ou des patrouilles avant d'avoir pu géré ce parti, et leur avoit conseillé de
( i6o)
ne plus tenter de nous combattre; mais à Kéné ou à Samafca. Les dispositions
le neveu de l'émir, qui lui avoit succédé étoient bien prises de ce côté pour les
dans le commandement, voulant conser- tenir dans le désert, ou les surprendre
ver de l'autorité, et hériter de ce qui res- s'ils vouloient en sortir ; mais toutes ces
toit du butin fait sur les barques fran- mesures furent déjouées par l'ardeur de
çaises, leur avoit fait croire que le trésor nos soldats, et la confiance de leurs offi-
qu'il en avoit tiré étoit resté dans le châ- ciers: les éclaireurs du corps que le gé-
teau de Benhouth, et que, dès que nous néral Desaix conduisoit à Kéné rencon-
serions éloignés, il les rameneroit pour trèrent l'arriere-garde des Mamelouks, et
le reprendre; mais comme en attendant les chargèrent. Le corps de cavalerie
il falloit vivre, il les détachoit par pelo- voulut soutenir les éclaireurs; mais s'é-
tons, et les envoyoit marauder dans les tant imprudemment trop écarté de l'in-
villages ; ce qu'ils exécutoient avec plus fanterie pour en être lui-même soutenu,
ou moins de succès ; et par suite les pay- il fut en quelques minutes chargé et sa-
sans, dont ils étoient devenus le fléau, bré; deux chefs de bataillon payèrent de
les traquoient, et en faisoient comme une leur vie leur imprudence, vingt dragons
chasse au loup : rencontrés par nos pa- furent tués : l'artillerie auroit été d'un
trouilles, ils étoient ramassés, fusillés, grand secours, mais elle étoit trop en
et détruits comme des animaux nuisibles avant ; les Mamelouks, qui craignoient
à la société ; c'étoit ainsi qu'on leur dé- de la voir revenir, continuèrent leur
montrait que Mahomet n'avoit point ap- route, contents d'avoir échappé à nos
prouvé leur croisade, et que ce n'étoit embûches, d'avoir sauvé leur convoi,
point le ciel qui l'avoit ordonnée : c'est et confirmé à nos cavaliers qu'ils ma-
ce qui fait le sujet du tableau ( ?i° 2, noeuvraient plus rapidement et savoient
planche LXXIX ) ; j'y ai représenté le mieux espadonner. Deux cents hommes
moment où les paysans catholiques nous d'infanterie et une pièce de canon eussent
les amenoient au milieu de la nuit dans changé cette échaufourée en une victoire
les tombeaux où nous étions logés. bien importante dans la détresse où se
Le 12 , le général Desaix envoya cher- trouvoient les beys et les kiachefs déjà
cher trois cents hommes de notre demi- dispersés et abandonnés par une partie
brigade et cinquante cavaliers de ceux de leurs Mamelouks ; mais une négli-
,
qui étoient avec nous, afin de rempla- gente confiance, un défaut d'epsemble
cer à Birambar ceux qu'il emmenoit dans la marche, mirent nn défaut d'en-
pour renforcer le poste de Kéné : nous sembleJans l'attaque ; les ordres de De-
avions appris le même jour pat nos es- saix mal entendus et arrivés trop tard coû-
pions que les Mamelouks et les Mek- tèrent la vie à plusieurs braves officiers.
kains avoient quitté la Kittah, et que Le chef de brigade Duplessis , militaire
leurs, traces annonçoient qu'ils avoient distingué,qui avoit commandé dans l'In-
descendu au nord pour aller déboucher de , et avoit servi utilement et glorieuse-
(I6I)
mentsà patrie, atteint de l'inculpation de Mustapha kiachef abou- diabe, c'est-à-
ne s'être jamais signalé dans la dernière dire père de la barbe; chacun des beys
guerre, en saisit avec fureur la première et des kiachefs a un nom de guerre,
occasion ; il oublie les ordres qu'il a reçus soit sobriquet, soit titre honorable, qu'il
de se tenir sur une hauteur dans le poste change d'après les circonstances, et qui
inattaquable qu'il occupoit; il se porte devient alternativement-glorieux ou ridi-
en avant, devance ceux qu'il commande, cule : nous sûmes aussi que Assan-bey
et se précipite de sa personne au milieu avoit reçu une balle au cou, et un coup
des ennemis; choisissant celui qui lui de sabre au bras; que Osman-bey eut
semble le plus apparent, il pousse à lui : presque tous les doigts coupés ; que
c'étoit Osman,lé plus vaillant des beys; douze des plus braves de ses Mamelouks
leurs deux chevaux se heurtent ; celui avoient été mis hors de combat ; et ce
de Duplessis s'accule : il saute sur sa selle, qui étoit encore plus important, c'est
saisit Osman au corps, et l'étouffoit dans qu'après avoir eu l'avantage dans cette
ses bras ; mais pendant cette lutte digne rencontre, la crainte de trouver l'infan-
de l'ancienne chevalerie", le malheureux terie dans leur route, et de perdre leur
Duplessis, qui n'avoit pas été suivi, se équipage, leur avoit fait rebrousser che<
trouva environné, et fut percé d'un coup min et les avoit fait rentrer dans le dé-
de lance sur le corps même de son ad- sert. Nous apprîmes par ceux que nous
versaire : j'en ai fait le dessin d'après les avions envoyés à la Kittah, qu'ils y étoient
détails qui m'ont été donnés depuis par revenus faire de l'eau., et avoient pris la
un kiachef tout à la fois spectateur et route de Rédisi, dirigeant leur marche
acteur de ce combat, et qui ne parloit sur la haute Egypte. J'avoue que toutes
qu'avec enthousiasme de l'intrépidité de les dispositions militaires qui me repor-
notre officier ( voyez pi. LXXVIII, n° 3). taient sur Thebes et la rive droite du
Le combat de Birambar, quoiqu'im- Nil me paroissoient les meilleures; aussi
prudemment combiné, eut cependant je crois que je fus le seul à me réjouir de
des suites presque décisives pour la dis- l'ordre que nous reçûmes d'aller les at-
solution du reste de la coalition des beys: teindre, ou les pousser plus loin que
nous apprîmes par des espions envoyés Rédisi. Nous partîmes de Nagadi, sui-
sur le champ de bataille que de quatre vant le revers des montagnes, derrière
morts, deux avoient de la barbe, par, lesquelles marchoient les Mamelouks :
conséquent que c'étoient tout au moins nous sûmes, par quelques domestiques
des kiachefs : les Mamelouks ordinaires qui les avoient quittés à la Kittah , quils
sont rasés ; ce n'est qu'en recevant quel- étoient dans une détresse pitoyable, et
ques dignités, et par conséquent la liber- qu'ils périroient tous, si dans trois jours
té, qu'il leur est permis de se marier et ils n'atteignoient à Rédisi.
de se laisser croître la barbe. Nous ap- Nous arrivâmes vers midi sur le sol
prîmes depuis que l'un d'eux étoit de Thebes : nous vîmes à trois quarts de
21
(i6a)
lieue du Nil les ruines d'un grand temple, l'étendue des masses pour la mesure de
dont aucun voyageur n'a parlé, et qui la beauté, et, se laissant plutôt surpren-
peut donner la mesure de l'immensité de dre que charmer, en voyant la plus grande
cette ville , jiuisqu'à supposer que ce fût de toutes les ruines, n'ont pas osé leur
le dernier édifice de sa partie orientale, préférer le temple d'Apollinopolis à Etfu,
il se trouve à plus de deux lieues et de- celui de Tintyra,etle seul 1portique d'Ës-
mie de Médinet-Abou,où est le temple le nê ; il faut peut-être renvoyer les tem-
plus occidental. C'était la troisième fois ples de Karnak et de Luxor au temps de
que je traversois Thebes ; mais comme Sésostris, où la fortune venoit d'enfanter
si le sort eût arrêté que ce fût tou- les arts en Egypte et peut-être les mon-
,
jours en hâte que je verrois ce qui de- trait au monde pour la première fois.
voit autant m'intéresser, je me bornai L'orgueil d'élever des colosses fut la pre-
encore cette fois à tâcher de me rendre mière pensée de l'opulence: on ne savoit
compte de ce que je voyois, et à noter point-encore que la perfection dans les
ce que j'aurois à prendre à mon retour, arts donne à leurs productions une gran-
si j'étois plus heureux. Je cherchois à deur indépendantede la proportion; que
démêler si à Thebes les arts avoient eu la petite rotonde de Vicence est un plus
des époques et une chronologie : s'il avoit bel édifice que S.-Pierre de Rome; que
existé un palais en Egypte, ce devoit être l'École de chirurgie de Paris est aussi
à Thebes qu'il falloit en chercher les grandiose que le Panthéon de la même
restes, puisque Thebes en avoit été la ville ; qu'un camée peut être préférable
capitale ; s'il y avoit des époques dans à une statue colossale. C'est donc la somp-
les arts, les résultats de ces premiers es- tuosité des Égyptiens qu'il faut voir à
sais dévoient être aussi dans la capitale, Karnak, où sont entassées non seulement
le luxe et la magnificence ne s'éloignant des carrières, mais des montagnes façon-
que progressivementde ce premierpoint, nées avec des proportions massives, une
puisqu'ils ne marchent qu'avec l'opu- exécution molle dans le trait, et grossière
lence et le superflu. Enfin nous arrivâmes dans l'appareil, des bas-reliefs barbares,
à Karnak, village bâti dans une petite des hiéroglyphes sans goût et sans cou-
partie de l'emplacementd'un seul temple, leurs dans la manière dont la Sculpture
qui, comme on l'a dit, a effectivement de en est fouillée. Il n'y a de sublime pour
tour une demi-heure de marche : Héro- la dimension et la perfection du travail
dote qui ne Favoit pas vu, a donné une que les obélisques,et quelques paremen ts
,
juste idée de sa grandeur et de sa magni- des portes extérieures, qui sont d'une
ficence ; Diodore et Strabon, qui n'en pureté vraiment admirable; si les Égyp-
virent que les ruines, semblent avoir tiens dans le reste de cet édifice nous pa-
donné la description de son état actuel ; raissent des géants , dans cette dernière
tous les voyageurs, qui tout naturelle- production ce sont des génies : aussi suis-
ment ont dû paroître les copier, ont pris je persuadé que ces sublimes embellisse-
('63)
ments ont été postérieurement ajoutes a temps il faut se dire relativement à l'état
ces colossals monuments. On ne peut présent de cet édifice que sa destruction
nier que le plan du temple de Karnak défigure une grande partie de son ensem-
ne soit noble et grand; mais l'art des ble ; tous les sphinxs sont tronqués mé-
beauxplans a toujours devancé en archi- chamment : fatiguée de détruire, la barba-
tecture celui de la belle exécution des rie en a cependant négligé quelques uns ;
détails, et lui a toujours survécu plusieurs ce qui a pu faire voir qu'il y en avoit qui
siècles après sa corruption, comme l'at- étoient à tête de femme, d'autres à têtes
testent à la fois les monuments de Thebes de lion, de bélier, et de taureau : l'ave-
comparés à ceux d'Esnê et de Tintyra, et nue qui se dirigeoit de Karnak à Luxor
les édifices du règne de Dioclétien com- étoit de cette dernière espèce ; cet espace,
parés à ceux du temps d'Auguste. qui est d'à-péu -près une demi-lieue, offre
Il faut ajouter aux descriptions con- une suite continuelle de ces figures par-
nues de ce grand édifice de Karnak que semées à droite et à gauche, d'arrache-
ce n'était encore qu'un temple, et que ce ments de murs en pierre, de petites
ne pouvoit être autre chose ; que tout colonnes, et de fragments de statues. Ce
ce qui y existe est relatif à un très petit point étant le centre de la ville, le quar-
sanctuaire, et avoit été ainsi disposé pour tier le plus avantageusement situé, on
inspirer la vénération dont il étoit l'ob- doit croire que c'était là qu'était le palais
jet, et en faire une espèce de tabernacle. des grands ou des rois ; mais si quelques
A la vue de l'ensemble de toute cette vestiges peuvent le faire présumer, au-
ruine l'imagination est fatiguée de la cune magnificence ne le prouve.
seule pensée de le décrire : étant dans Luxor, le plus beau village des envi-
l'impossibilité d'en faire un plan , j'en rons , est aussi bâti sur l'emplacement, et
traçai seulement une image pour réassu- à travers les ruines d'un temple moins
rer lin jour que ce que j'avois vu exis- grand que celui de Karnak, mais plus
tait; il faut que le lecteur jette les yeux conservé, le temps n'ayant point écrasé
sur cette esquisse (plancheUdH, /î°a), les masses de leur propre poids. Ce qu'il
et qu'il se dise que des cent colonnes du y a de plus colossal ce sont quatorze co-
seul portique de ce temple les plus pe- lonnes de dix pieds de diamètre, et, à
tites ont sept pieds de diamètre, et les sa première porte, deux figures en granit,
plus grandes en ont onze ; que l'enceinte enterrées jusqu'à la moitié des bras, de-
de sa circonvallation contenoit des lacs vant lesquelles sont les deux plus grands
et des montagnes ; que des avenues de obélisques connus et les mieux conservés.
sphinxs amenoient aux portes de cette Il est sans doute glorieux pour les fastes
circonvallation; enfin que, pour prendre de Thebes que la plus grande et la plus
une idée vraie de tant de magnificence,il riche des républiques ne se soit pas cru
faut croire rêver en lisant, parceque l'on assez de superflu, non pour faire tailler,
croit rêver en voyant; mais en même mais seulement pour tenter de transpor-
( '64 )
ter ces deux monuments, qui ne sont marcne eut ete un règlement pour toutes
qu'un fragment d'un seul des nombreux les journées où nous avions Thebes à tra-
édifices de cette étonnante ville. verser. Le lendemain nous rentrâmes
Une particularité du temple de Luxor, dans le désert, et arrivâmes d'assez bonne
c'est qu'un quai, revêtu avec un épau- heure devant Esnê. Le jour d'après, en
lement, garantissoit la partie orientale nous mettant en route, nous trouvâmes
qui avoisinoit le fleuve des dégradations un petit temple très fruste , mais cepen-
qu'auroient pu y causer les déborde- dant très pittoresque, et.remarquable
ments: cet épaulemenjt, réparé et aug- par son plan, et par quelques uns de
menté en briques dans un temps posté- ses détails (voyez pi. LUI, n° 2 ) : il est
rieur , prouve que le lit du fleuve n'a ja- composé d'un portique de. quatre co-
mais changé ; et la conservation de cet lonnes de face, de deux pilastres, et de
édifice, que le Nil n'a jamais été bordé deux colonnes de profondeur; le sanc-
d'autres quais, puisque dans toutes les tuaire au milieu, et deux pièces latérales^
autres parties de la ville on ne trouve dont celle de droite est détruite ; dans le
pas d'autres vestiges de cette espèce de portique il y a une porte prise dans l'é-
construction^ voyez les planches ffô, 49 paisseur du mur latéral de droite, dont
et 5o, que j'ai dessinées depuis). l'usage ne pouvoit être que celui d'un
Je fis, malgré l'ardeur excessive d'un petit sanctuaire à déposer les offrandes.
soleil du midi, un dessin de la porte du Une autre singularité dans l'élévation de
temple, qui est devenue celle du village l'édifice, c'est que les chapiteaux des deux
de Luxor ; rien de plus grand et de plus colonnes du milieu du portique sont
simple que le peu d'objets qui compo- avec des têtes en relief, et que les deux
sent cette entrée ; aucune ville connue autres sont à chapiteaux évasés : cet édi-
n'est annoncée aussi fastueusement que fice est un des plus frustes que j'aie vus
ce misérable village, composé de deux à en Egypte : cette grande dégradation tient
trois mille habitants, nichés sur les com- sans doute à la nature du grès dont il est
bles, ou tapis sous les plates-formes de ce construit ; les accessoires sont mieux con-
temple, sans cependant que cela lui donne servés que dans les autres temples, ce
l'air d'être habité (voyez pi. L, n° 1). que l'on doit attribuer sans doute à l'em-
Pendant que je dessinois, notre cava- ploi d'une meilleure nature de brique ;
lerie étoit aux prises avec quelques Ma- on y peut reconnoître assez distincte- ,
melouks égarés, dont ils tuèrent deux, ment la circonvallation du temple, dans
et prirent les armes et les chevaux de laquelle étoient contenus les logements
ceux qui trouvèrent leur salut en ga- des prêtres ; toute cette enceinte était
gnant l'autre rive à la nage. un peu élevée au - dessus de la très
Nous partîmes à deux heures , et arri- petite ville de Contra - Latopolis, qui
vâmes à Salamiéh après treize heures de étoit bâtie à l'entour de ce monument»
route, comme si ce nombre d'heures de 11 semble qu'il étoit d'usage que toutes
(•65)
les grandes villes bâties sur le bord du teaux, que je nommerai à renflement,
Nil eussent à l'autre rive une autre pe- parallèles à trois autres, à chapiteaux éva-
tite ville ou port, et peut-être cette autre sés,unis par un entablement, ainsi que
ville était située ainsi pour la commodité j'avois pu le distinguer en passant sur la
du commerce. A peine faisoit-il jour, la barque: je pus voir de plus près qu'elles
troupe défiloit; je n'eus le temps de faire n'étoient pas bâties du même temps; que
que très rapidement le dessin que je viens celles à chapiteaux évasés n'avoient ja-
de décrire ; je regrettai de n'avoir pas ce- mais été finies, et avoient été ajoutées
lui d'étudier mieux les détails du plan et en galerie aux premières. Devant ce frag-
des fabriques accessoires au temple. ment, au sud, on voit les soubassements
Nous continuâmes de longer la mon- d'un portique, que l'on reconnoît aussi
tagne : à cette hauteur la partie droite n'avoir pas été achevé; toujours au sud
de l'Egypte est si étroite, qu'à deux re- est un morceau de granit, qui paraît être
prises la chaîne s'approche jusqu'au Nil ; les restes d'une statue colossale : à la par-
notre, artillerie eut de la peine à passer, tie orientale étoit une pièce d'eau, re-
ce qui nous fit perdre une partie consi- vêtue et décorée à son pourtour d'une
dérable de la journée : au-delà de ces pas- galerie en colonnes; dans la partie occi-
sages les rochers changèrent de nature ; dentale de la ville, on voit encore la porte
nous trouvâmes les carrières de grès d'où d'un sanctuaire , et deux fragments, de
sans doute sont sortis la ville et les tem- proportion très petite, dont il est diffi-
ples de Chenubis, où nous arrivâmes cile de se rendre compte ; en avant du
une heure après. A un quart de lieue tout étoit un revêtissement en forane de
en avant de cette ville sont deux tom- quai, sur le Nil. Parmi ces ruines d'archi-
beaux taillés dans le rocher, et un petit tecture on en trouve aussi quelques unes
sanctuaire, entouré d'une galerie, avec de sculpture, entre autres celles d'un
un portique: ce monument étoit isolé, groupe de deux figures accouplées, de
et placé là comme les chapelles que la trois pieds de proportion ,-dont les têtes
catholicité a dans les, campagnes ; j'en fis ont été brisées. Ce que Chenubis a de
à la hâte un petit des"sin (voyezpi. LXXV, plus particulier, c'est une enceinte de
nQ i ), et courus au galop en faire un muraille,bâtie en brique non cuite ; cette
autre du temple ou des temples de Che- muraille, de forme conique, a plus de
nubis ; car les ruines que l'on trouve dans vingt-cinq pieds d'épaisseur à sa base :
cette ville sont si morcelées et dans des cet ouvrage.extraordinaire existe encore
proportions si différentes entre elles -, en grande partie dans son entier. Est-ce
qu'il est très difficile de se rendre compte un ouvrage arabe ? l'histoire- n'en fait
de ce qu'en pouvoit être lé plan (voyez mention nulle part; d'ailleurs il n'y a
la vue , pi. LXXV, n°. 3 ). Ce qu'il y a aucuns débris, ni décombres de fabriques
de plus considérable et de plus élevé arabes dans l'enceinte de Chenubis: si c'é-
sont six colonnes, dont trois à chapi-: tait un ouvrage de la haute antiquité , il
(i66)
nous apprendrait qu'il n'est pas besoin leur marche étoit tracée par les désastres
de faire jamais de fortification d'une qu'ils laissoient derrière eux, les tentes,
autre espèce en Egypte, excepté pour les armes, les habits, les cadavres de che-
les chambranles et embrasures, et toutes vaux exténués, les chameaux restés sous
les parties où il y a fatigues de mouve- le poids de leur charge, des serviteurs,
ment. Ici toutes les grandes masses ont des femmes abandonnées. Qu'on se pei-,
complètement résisté au temps, et pour- gne le sort d'un malheureux, haletant
raient encore servir de défense. de fatigue et de soif, la gorge desséchée,
Après avoir fait à toutes voiles un des- respirant avec peine un air ardent qui le
sin de Chenubis en descendant le fleuve dévore ; il espère qu'un instant de-repos
en barque, il m'en fallut faire à toute lui rendra quelques forces ; il s'arrête il
,
bride un autre en rémontant par terre, voit défiler ceux qui étoient ses compa-
maudissant là guerre, les guerriers, et gnons , et dont il sollicite en vain le se-
l'importance de leurs opérations, qui cours ; le malheur personnel a fermé tous
me faisoient toujours tout quitter pour les coeurs ; sans détourner un regard,
courir en vain après des gens qui faisoient l'oeil fixe, chacun suit en silence la trace
en un jour plus de chemin que nous en de celui qui le précède ; tout passe, tout
trois, et auxquels nous avions laissé les fuit ; et ses membres engourdis, déjà trop
passages ouverts : c'était pour aller de chargés de leur pénible existence, s'affais-
grand jour coucher à trois quarts de lieue sent , et ne peuvent être ranimés ni par
de Chenubis que cette vaine hâte avoit le danger ni par la terreur : la cara-
été ordonnée si impérieusement. Le len- vane a passé ; elle n'est déjà pour lui
demain, après avoir marché une heure, qu'une ligne ondoyante dans l'espace,
nous trouvâmes à rase terre les arrache- bientôt elle n'est plus qu'un point, et ce
ments de deux temples, dont il est im- point s'évanouit ; c'est la dernière lueur
possible de prendre ni plan ni vue ; ils de la lumière qui s'éteint : ses regards
semblent être restés là seulement pour égarés cherchent, et ne rencontrent plus
marquer l'emplacement de la ville de rien ; il les ramené sur lui-même, et bien-
Junon-Lucine_, que l'infaillible d'Anville tôt ferme les yeux pour échapper à l'as-
a placée à cette hauteur. Nous arrivâmes pect du vide affreux qui l'environne ; il
enfin par le désert à la gorge de Rédisi, n'entend plus que ses soupirs ; ce qui lui
qui est un quatrième débouché de la Kit- reste d'existence appartient à la mort;
tah, mais qui n'est pas pratiqué par le seul, tout seul au monde, il va mourir
commerce, et dont la route avoit été fa- sans que l'espoir vienne un instant s'as-
tale aux Mamelouks, car ils y avoient seoir auprès de son lit de mort ; et son
presque tous perdu leurs chevaux, une cadavre, dévoré par l'aridité du sol, ne
partie de leurs chameaux, nombre de laissera bientôt que desos blanchis,qui ser-
serviteurs, et vingt-sixfemmes, de vingt- viront de guide à la marche incertaine du
huit que les beys avoient emmenées: voyageur qui auraosébraver le même sort.
( i67.)
C'est le tableau que nous offrit la trace ce plan, rien de plus pittoresque que
du passage des Mamelouks ; c'est à ces l'effet produit dans l'élévation par la va-
signes effrayants que nous reconnûmes riété des dimensions de chaque membre
la direction de leur marche : il y avoit de ce bel ensemble : tout ce superbe
trois jours qu'ils étoient passés ; ils avoient édifice est posé sur un sol élevé qui
remonté vers les cataractes, et étoient al- domine non seulement le pays, mais
lés se rafraîchirdans une isle entre Baban toute la vallée ( voyez planche LVIII,
et Ombos. J'ai déjà parlé dé l'abondance n° 2 ) : sur un plan beaucoup plus bas
de cette isle dans ma route de Syene : leur et tout près de ce grand temple en est
état de détresse nous tranquillisant sur un petit, presque enfoui jusqu'à son
leurs intentions, nous bornâmes là notre comble ( voyezplanche LVII, n° i ) ; ce
poursuite dans un pays où nous ne pou- qui en reste encore d'apparent est dans
vions espérer de trouver aucunes ressour- un creux entouré de décombres, qui
ces, les Mamelouks qui nous précédaient laissent voir un petit portique de deux
ayant dû achever de les consommer. colonnes et de deux pilastres, un péri-
Nous vînmes camper, ou, pour mieux style et le sanctuaire du temple, autour
dire, nous reposer près du fleuve ; nous une galerie en pilastre. Une colonne avec
nous établîmes parmi des tombeaux, et un chapiteau, qui sort des décombres à
près de deux arides mimosa, qui pou- quarante pieds en avant du portique,
voient seuls nous indiquer qu'on avoit et un angle de mur, à cent pieds au-
vécu là, et que la nature y végétoit en- delà attestent qu'il y avoit encore une
,
core. On renvoya tout ce dont on pouvoit cour devant ce temple : une singularité
se passer à Etfu ; et j'accompagnai ce sur- de ce monument, c'est que dans un édi-
plus dans l'espérance de voir à mon aise fice d'une exécution aussi recherchée les
,
le sublime temple d'Apollinopolis , le portes ne sont point régulièrement au
plus beau de l'Egypte, et le plus grand centre. On doit croire qu'il fut dédié au
après ceux de Thebes : bâti à une épo- mauvais génie , car la figure de Typhon
que où les arts et les sciences avoient est en relief sur les quatre côtés de la
acquis toute leur splendeur, toutes les dalle qui surmonte chacun des chapi-
parties en sont également belles dans leur teaux ( voyez pi. LX, n° 9 ) ; toute la
exécution ; le travail des hiéroglyphes frise et tous les tableaux de l'intérieur,
également soigné , les figures plus va- sont analogues à Isis se défendant des
riées , l'architecture plus perfectionnée attaques de ce monstre ( voyez planche
que dans les édifices de Thebes, qu'il CXVI, n° 6 ). Je fis une vue du rappro-
faut reléguer à des temps bien antérieurs. chement de ce petit temple avec le grand
Mon premier soin fut de prendre un ( voyezplanche LVI, n° 1 ) ; j'en fis une
plan général de l'édifice ( voyezpi. LXI, autre du grand temple en sens contraire
n° 2 ; voyez aussi l'explication ). Rien (planche LVI, n° 2 ), qui peut donner
de plus simple que les belles lignes de l'idée de sa position dans la vallée ; j'en
,( i68 )
fis une troisième de l'intérieur de ce à Bardis, ils n'en avoient tenu compté,
même temple pris à l'angle du portique, et étoient venus à Girgé pour piller le
qui offre l'aspect de la cour, de ses gale- bazar où une partie avoit été cernée
,
ries et de la porte extérieure ( voyez pi. et battue de nouveau, et que cependant
,
LVII, n° 2 ) , et j'augmentai considéra- le peu de ceux qui restaient étoient en-
blement ma collection d'hiéroglyphes, core à craindre, parcequ'ils ameutaient
particulièrement par le dessin de la frise des fanatiques : nouSnous remîmes donc
de l'intérieur du portique ( voyezplanche en route pour retourner occuper les
CXXXI, n° 3 ; voyez aussi l'explication bouches du désert. Nous employâmes
desplanches) : je dessinai plusieurs cha~ toute une nuit à passer le fleuve : lorsque
piteaux ( voyezpi. 5g , n° 2, 4 ? 6, 8, 10, nous nous mîmes en route, le soleil étoit
et il ). élevé et déjà brûlant ; nous fîmes halte
Le second jour, le général Belliard ar- sous l'ardeur de ses rayons, et vînmes
riva, et nous partîmes le lendemain. A ensuite coucher à Salamié. Le lende-
quelque distance d'Etfu, je trouvai sur main , après quelques heures de marche,
la rive du Nil les restes d'un quai près j'apperçus pour la qu atrieme foisles restes
l'embouchure d'un grand canal ; aucune de Thebes : j'en fis une vue dans une si-
autre ruine n'accompagne ce fragment : tuation d'où l'on pouvoit découvrirà la
deux escaliers qui viennent à la rencontre fois toutes les ruines de l'un et de l'autre
l'un de l'autre annoncent cependant que côté du fleuve, depuis Karnak jusqu'à
ce n'est pas simplement pour résister au Medinet-Abou, c'est-à-dire l'espace de
fleuve qu'avoit été construit ce quai ; les six milles ( voyezplancheXlNHI, n° 1 ).
escaliers qui servoient à y descendre Il teste cependant encore hors de cette
étoient d'un usage journalierqui suppose vue une ruine au nord-est, au village de
la présence antique d'une ville, ou tout Guédime, à trois quarts de lieue en ar-
au moins d'habitations dont on a perdu rière, ce qui donne à Thebes plus de
le nom et la mémoire : j'en fis le dessin deux lieues et demie de traversée ^ occu-
( voyez pi. LXII, n° 2 ). Nous repassâ- pées par des monuments : nous nous arrê*
mes sur les ruines d'Hiéracopolis, dont tâmes cette fois à Karnak ; ce qui fut une
j'ai déjà parlé (voyezpl. LIV bis; n° 2 ), première bonne fortune pour moi. Ne
et nous vînmes coucher à quatre lieues pouvant à moi seul lever le plan ni faire
d'Etfu : nous nous remîmes en route à de grandes vues de cette masse de ruines,
une heure du matin, et arrivâmes à Esné qui au premier aspect ressemble à un
le 23 germinal, rendus de fatigue. Je me chantier de carrières, ou'plutôt à des
berçois de l'espoir d'obtenir quelques montagnes entassées , mon projet - fut
jours de repos ; mais nous apprîmes à d'employer les deux heures que nous de-
notre arrivée que le reste des Mekkains vions y passer à dessiner les bas-reliefs
unis à quelques Mamelouksavoient mar- historiques, prendre et donner une idée
che sur Girgé ; que, prévenus et battus de cette sculpture primitive, du style et
('6g)
de la composition des tableaux de ce les héros de romans, ils sentent quelque-
temps, et de l'état de cet art, à une épo- fois le besoin de se restaurer : le soleil
que si reculée, qu'il est possible que c'en nous gagna; il fut résolu que nous cou-
soient là les plus anciennes productions. cherions à Karnak. Je me remis bien vîte
Je dessinai les fragments les plus con- à l'ouvrage, je parcourus les ruines ; je
servés ( voyez planche CXXXIII ), un me convainquis qu'il faudroit huit jours
Pharaon, Memnon Ossimandue, peut-
, pour lever un plan un peu satisfaisant
être Sésostris combattant seul sur un de ces groupes d'édifices enceints dans
char; il poursuit des nations lointaines la même circonvallation. Je m'en tins
portant barbe et de longues tuniques ; il donc encore à la petite image sans me-
les culbute dans un marais; il les oblige sure que j'en avois faite à l'autre voyage,
à se réfugier dans une forteresse. Dans pensant qu'à l'aide de quelques lignes je
le fragment n°i,il renverse le chef, déjà ferois encore mieux concevoir quelle est
atteint d'une flèche : n°_ 2, il ramené les la forme de cet édifice, qu'en en donnant
captifs : n° 4 il les présente enchaînés
, une longue description (voyezpi. XCIII,
aux trois divinités de la protection des- n° 2 ).
quelles il tient sans doute la victoire; car Je n'ai pu mesurer à la toise quelle
il est à remarquer que, dans toutes les pouvoit être la surface de ce groupe d'é-
actions ci-dessus, ses armes ont toujours difices mais, à plusieurs reprises, en
,
été accompagnées et protégées par un suivant à cheval les traces de son en-
ou deux éperviers emblématiques. Les ceinte, j'ai toujours mis vingt-cinq mi-
divinités auxquelles il fait ses offrandes nutes , allant au trot, pour en faire
sont celles de l'abondance, sous la figure le tour. Cette circonvallation étoit ou-
d'un Priape, tenant de sa main droite verte par six portes qui existent encore,
un fléau; c'était à ce dieu qu'était con- dont trois étoient précédées d'avenues de
sacré le temple de Karnak, le plus grand sphinxs; elle contenoit non seulement
de Thebes, un des plus anciens et des le grand temple, mais trois autres abso-
plus grands qui aient jamais été con- lument distincts, ayant tous leurs por-
struits. A prendre depuis le sanctuaire tes, leurs portiques, leurs cours, leurs
jusqu'aux murs de circonvallation ce avenues , et leur enceinte particulière.
,
dieu est présenté de la manière la moins Étoient-ce des temples? étoient-ce des pa-
équivoque par le trait qui le caractérise. lais? les souverains logeoient-ils sous les
J'aurois voulu aussi dessiner le bas-relief, portiques des temples? ou leurs palais
représentant un navire conduit par des étoient-ils semblables à ces édifices? ou
nautonniers; mais il est trop ruiné, et enfin n'occupoient-ils que des maisons
manque de tout ce qui pourrait éclaircir d'une construction qui n'a pu résister au
le sens qu'il renferme. La journée s'a- temps? ce qu'il y a de certain, c'est que,
vançoit, et nous n'avions encore rien s'ils habitaient ce que nous devons re-
mangé : les voyageurs ne sont pas comme garder à leur distribution comme des
22
(i7o)
édifices sacrés, ils n'étaient pas commodé- des temples, des mystères, des initia-
ment logés: de grandes cours avec des ga- tions, des prêtres, des victimes! pour
leries ouvertes, des portiques formés d'en- plaisirs, des cérémonies! pour luxe, des
tre-colonnements étroits, ne pouvoient tombeaux ! Le mauvais génie de la France
être que désagréables à habiter; le peu évoqua sans doute l'ame d'un prêtre
de chambres qui existent, petites, sans égyptien, lorsqu'il anima le monstre qui
air ni lumière, couvertes de pieuses allé- imagina, pour faire notre bonheur, de
gories, ne dévoientpas récréer leurs yeux nous rendre tristes et atrabilaires comme
ni leur imagination : j'ai été d'ailleurs lui. (Voyez la description du plan à l'ex-
dans le cas-d'observer qu'une partie de plication des planches XCIII, n° 2. )
ces chambres obscures contenoit de petits Après avoir parcouru l'espace qu'il
tabernacles, renfermant sans doute, ou falloit observer pour avoir les détails de
la figure de la divinité, ou l'animal qui l'édifice, je me trouvai à la partie sud-
en étoit l'emblème, ou le trésor du tem- ouest de cette enceinte, où sont compris
ple; ce qui en fàisoit tout naturellement d'autres temples particuliers: je fis la vue
un lieu sacré, et fermé pour tout autre d'un de ces temples ( voyez pi. XLIII,
que pour les prêtres. Il est donc à croire n° 3). L'intérieur du monument me fit
que c'étoient des collèges nombreux de éprouver une sensation nouvelle : der-
ces prêtres qui occupoient les vastes en- rière les deux môles que l'on voit dans
ceintes de ces édifices, et que, déposi- l'estampe est un portique ouvert de vingt-
taires des lumières, ils l'étaient aussi du huit colonnes; ce portique, lourd dans
pouvoir et de ses moyens. ses proportions, a un caractère dont l'aus-
Quelle monotonie ! quelle triste sa- térité fait la noblesse ; tant il est vrai
gesse! quelle gravité de moeurs! J'admire qu'en architecture, quand les lignes sont
encore avec effroi l'organisation d'un pa- longues, qu'il y en a peu, et que rien ne
reil gouvernement ; les traces qu'il a lais- les coupe, l'effet est toujours grand et
sées me glacent et m'épouvantent en- imposant ! Au fond de ce premier porti-
core. La divinité, sacerdotalementvêtue, que, une large porte en laisse voir un
d'une main tient un crochet, de l'autre second, porté par huit colonnes sur deux
un fléau, l'un sans doute pour arrêter, rangs, de proportion encore plus grave,
et l'autre pour punir : la loi porte par- et d'un caractère que l'obscurité rend
tout la chaîne, et la mesure ; je vois les encore plus terrible ; c'est le temple des
arts se traîner sous le poids de cette Euménides : une pièce longue et étroite
chaîne, et son génie m'en paroît accablé : suivie de deux autres plus obscures pré-
ce signe de la génération tracé sans pu- cède un sanctuaire, absolument enfoui;;
deur jusqu'au sanctuaire des temples un mur de circonvallation isole ce mo-
m'annonce que pour détruire la volupté nument, qui semble être l'asyle de la
ils en avoient encore fait un devoir : pas terreur. J'avois fait un dessin de la vue
un cirque, pas une arène, pas un théâtre ! extérieure de cetédifice;jevouloisen faire
[171 )

un de l'intérieur avec le sentiment qu'il resté en arrière de la colonne : les mar-


m'inspirait; mais j'éprouvai à cet instant ques de cet assassinat, empreintes encore
un tel degré de lassitude physique et mo- contre les murs, me firent horreur ; mais
rale, que je ne trouvai plus de faculté pour j'étois couché, je m'endormis; j'étais si
exécuter; j'étais épuisé, j'étais incapable las, que je crois que je ne me serois pas
de rendre ce que je concevois : j'avois relevé de dessus le cadavre même de cette
dessiné des bas-reliefs, des hiéroglyphes; malheureuse victime.
j'avois pris connoissance de toutes les lo- Nous partîmes le lendemain avant le
calités; j'avois fait une vue générale du jour : j'emportois cette fois plus de des-
temple, prise de la porte de l'est, qui sins et moins de regrets ; je soupirois ce-
est le point d'où on découvre quelques pendant dans la pensée que je quittais
formes à ce chantier de carrière, qu'ont peut-être Thebes pour toujours : sa si-
laissé les écroulements de ces édifices gi- tuation éloignée de tout établissement,
gantesques, et dont chaque débris ne se la férocité de ses habitants, le miri payé,
distingue que par la réflexion et dans tout me démontroit qu'il falloit renoncer
l'éloignement(voyez pi. XLIII, na' 2 ) ; et à l'espoir d'y revenir: je n'avois pas vu
enfinj'avois fait encore une autre vue de la les tombeaux des rois ; mais il falloit des
partie sud de ces édifices (mêmeplanche, soldats pour les aller chercher, et les
n° 3). troupes étoient fatiguées outre mesure
Il avoit fait si chaud que le sol m'avoit par les marches forcées et répétées qu'elles
brûlé les pieds à travers ma chaussure ; venoient de faire ; je me recommandai
je n'avois pu me fixer pour dessiner qu'en aux événements, et dans la suite ils se-
faisant promener mon serviteur entre le condèrent mes désirs.
soleil et moi, pour rompre les rayons et A la pointe du jour, je m'approchai
me faire un peu d'ombre de son corps; assez près de Guédime pour voir la ruine
les pierres avoient acquis un tel degré de qui y existe : quatre colonnes portent en-
chaleur, qu'ayant voulu ramasser des core trois pierres de leur entablement,
agates - cornalines , que l'on trouve en et en avant on voit la base de deux môles,
grand nombre dans l'enceinte même de absolument ruinés et sans forme ; ce sont
la ville, elles me brûloient au point que, les seuls fragments qui restent d'un mo-
pour en emporter, j'avois été obligé de nument, qui aujourd'hui a du moins le
les jeter sur mon mouchoir, comme on grand avantage de servir comme de jalons
toucheroit à des charbons ardents. Ha- pour mesurer monumentalement l'ex-
rassé, j'allai me jeter dans un petit tom- tension de Thebes.
beau arabe, qu'on nous avoit préparé A midi, nous arrivâmes à Kous, où
pour la nuit, et qui me parut un boudoir nous apprîmes que les Mekkains avoient
délicieux, jusqu'au moment où l'on me passé par les mains de tous nos détache-
dit que, lors de notre dernier passage, ments, et en fuyant avoient passé à Tata
on y avoit égorgé un des nôtres qui étoit sous le sabre de notre cavalerie, qui,
(ija)
pour la tranquillité du pays, avoit ex- leurs propriétés. Des négociants de Cos-
terminé tout ce qui en restoit ; leurs be- séir, qui s'étaient tenus cachés, sortirent
soins les avoient rendus un véritable de leur village, et vinrent acheter du bled
° '
fléau, et les propriétaires les poursui- à Kéné; ceux de Gidda arrivèrent sur
•t. -

voient comme des bêtes féroces. leurs vaisseaux chargés de café, et vin-
Les habitants de Kous, toujours bien rent avec ceux de Cosséir offrir de payer
intentionnés, et qui nous avoient ac- un droit qui n'était plus arbitraire. Enfin
cueillis lors même qu'ils croyoient que nous commençâmes à voir de l'argent
nous marchions à une perte certaine, arriver sans baïonnettes, la paille, l'orge,
vinrent au-devant de nous, et nous re- et les boeufs, garnir nos magasins et nos
çurent comme des triomphateurs. parcs; et les chefs de village nous pro-
Le chérif de la Mekke avoit envoyé au mirent au nom des cultivateurs que la
général Desaixpour protester contre l'ex- campagne, alors ridée et sèche, seroit
pédition de ses compatriotes, et pour l'année prochaine verdoyante, et cou-
proposer alliance et amitié ; les villes de verte de moissons, dont le seul miri sur-
Gidda et de Tor demandoient aussi la passerait la totalité de la récolte de cette
paix, et Cosséir offrit de se soumettre. année.
Nous sûmes que Soliman et un autre bey Les caravanes députaient aussi vers
étoient allés avec leurs femmes aux oasis ; nous et nous demandoient des passe-
nous pûmes juger de la détresse des au- ports; les Mamelouks abandonnés par
tres à la soumission des habitants, au leurs maîtres venoient nous apporter
paiement volontaire du miri, au rappro- leurs armes, nous demander à servir
chement des chefs d'Arabes, et à une dans l'armée : nous avions donc le spec-
hilarité répandue dans le pays, que je tacle satisfaisant de l'écroulement d'un
n'avois pas encore vue, et qui me fit gouvernement odieux à tous, sans res-
espérer qu'à l'avenir nous pourrions sources dans sa détresse, et ne conser-
faire en même temps le bonheur des vant pas une seule base sur laquelle il
naturels du pays, et la fortune des co- piit fonder son rétablissement.
lons. Également éloignés d'Elfi-bey, qui avoit
Desaix fit annoncer que les terres en- descendu le fleuve , et d'Osman, qui
semencées qui avoient été mangées en l'avoit remonté jusqu'à Syene , nous
herbe par les Mamelouks et par les Fran- nous reposâmes quelques jours à Kous :
çais ne paieraient pas le miri : ce premier je fis le dessin du couronnement d'une
règlement d'équité charma les habitants porte , le seul morceau d'antiquité qui
autant qu'il les surprit ; mais ils furent reste de l'ancienne Apollinopolis parva
entièrement conquis lorsqu'on leur dé- (voyez pi. LXXX, n° 3). Ce seul frag-
clara qu'ils pouvoient se vêtir sans dis- ment semble plus grand que tout le reste
tinction, comme le leur permettraient de la ville ; il offre un tableau frappant
leurs moyens, sans que cela compromît du caractère monumental de l'architec*
(Ï73)
ture des Égyptiens; le reste de cet édi- tabernacle,. ou d'un temple monolite,
fice est sans doute enfoui sous la mon- qui, avant d'être brisé, avoit servi d'a-
tagne d'ordures sur laquelle est bâtie la breuvoirprès d'une citerne ; un des cham-
ville moderne. Je copiai aussi ce qui res- branles conservé dans son entier laisse
, ,
toit d'une inscription écrite sur le listel voir encore une inscription en hiérogly-
de la gorge du couronnement de cette phe, aussi complète que précieusement
porte (même planche, n° 2) : cette in- exécutée : je la copiai ; un petit fragment
scriptionétoitpostérieureau monument; de cette espèce est à lui seul un monu-
j'ai cru voir une adroite flatterie d'un pré. ment , une irrévocable attestation des
fet de la haute Egypte au temps des Pto- lumières et de la culture de la nation à
lémées, qui, après vingt ou trente siècles ; laquelle il a appartenu (voyezpi. CXVIII,
s'est avisé, à la suite de quelques répa- /z° 3).
rations , de dédier ce temple à ses maîtres, Nous partîmes de Koûs et vînmes à
d'écrire leurs noms sur cette porte, et de Kéné,.où nous trouvâmes nombre de né-
charger ce monument de les porter à la gociants de toutes les nations. En se met-
postérité : en effet la gloire des rois ne tant en communicationavec les gens des
traverse la nuit des temps qu'inscrite contrées les plus étrangères, les points
sur les monuments qu'élèvent les arts ; éloignés se rapprochent; en comptant
privés de leur éclat, certains siècles les jours de marche, et quand on voit
sourds et muets dévorentles événements, les moyens de les franchir, les espaces
ne laissent échapper que des noms ternes diminuent, ils cessent d'être immenses,
dont la mémoire ne veut pas se charger, ils disparaissent, pour ainsi dire, lors-
et que l'histoire répète en vain. Que se- qu'on s'y trouve engagé ; la mer Rouge,
rait Achille sans le poëme d'Homère, qui Gidda,la Mekke, devenoient des lieux voi-
est aussi un monument? C'est par les sins du point que noushabitions ; et l'Inde
monuments qu'on connoît Sésostris; les semble leur être, pour ainsi dire, con-
arts chaque jour nous répètent le nom tiguë : de l'autre côté, les oasis n'étoient
de Périclès ; ils font toute la gloire du plus qu'à trois journées de nous ; elles
beau siècle d'Auguste; celui de Médicis cessoient d'être un pays perdu pour notre
illustre la Toscane et le tombeau de imagination : d'oasis en oasis, par des mar-
,
Laurent rayonne de lumières tandis ches d'une journée ou de deux au plus
, ,
qu'on cherche en vain ceux des Genseric, on s'approche de Sennar, qui est une
des Attila, des Tamerlan, ces ouragans, des capitales de la Nubie, qui sépare l'E-
ces fléaux de la terre qui renversent, ra- gypte de l'Abyssinie , ainsi que de Dar-
vagent, passent, et se perdent dans la foUr, qui est sur la route et fait le com-
,
poussière du tourbillon qu'ils avoient merce avec les Tomboutyns, le peuple
élevé. qui est maintenant l'objet de notre curio-
Je trouvai dans les champs, près la sité en Afrique, et dont, il y a peu de\
partie basse de la ville, un fragment d'un mois, l'existence étoit encore probléma-
(i74)
tique : il est vrai que s'il ne faut que qua- le langage auquel ces malheureuxavoiena
rante jours pour aller à Darfour, il en coutume d'obéir, organisoientencore des
faut cent de plus pour arriver à Tombout. rassemblements à huit à dix lieues de
Mais enfin voici la route de Darfour, où nous.
arrivent les habitants de Tombout; un Bénéadi, village de deux milles de lon-
négociant, que je trouvai à Kéné, et qui gueur , appuyé sur le désert, composé
avoit fait souvent ce voyage, me donna de douze mille habitants toujours re-
l'itinéraireque je joins ici (r). Nous trou- belles à tout gouvernement, avoit appelé
vâmes aussi nombre de marchands turcs, les Arabes : une caravane de Darfour
maures, et mekkains, apportant du café, venoit d'y arriver; Mourat-beyavoit saisi
des toiles des Indes, venant acheter du cette circonstance ; il avoit trouvé le
bled. moyen, par ses intelligences, de soule-
Malgré ces bonnes dispositions et le ver les uns, de fanatiser les autres, et de
calcul des gens sensés, la masse de la na- leur faire prendre tout-à-coup les armes.
tion, ceux qui n'avoient rien à perdre, Le général Davoust fut envoyé avec la
accoutumés à appartenir à des maîtres cavalerie à Bénéadi; la tranquillité géné-
cruels, prenant pour foiblesse ce que rale exigeoit la destruction de ce volcan
nous leur montrions d'équité, conti- qui menaçoitsans cesse: livré un instant
nuoient de se laisser séduire par les à l'ardeur qu'inspirait le butin que le
beys, qui, profitant du préjugé de la soldat pouvoit y faire, le village disparut;
religion de l'avantage que leur donnoit les habitants dispersés se joignirent à ce
,

(i) ROUTE DE SIUT A DARFOUR ET SENNAR, dans la même direction, après six jours de marche,
PAR DONGOLA. on arrive à Désir.
De Désir à Selima trois jours; eau salée, mais
De Siut par le désert, en se dirigeant au sud-ouest, moins mauvaise.
quatre journées pour arriver à Korg-Elouah, l'oasis Dé Selima à Dongola, où on retrouve le Nil, quatre
le plus peuplé et le plus cultivé : on y trouve de l'eau jours; il faut renouveler les provisions.
douce et courante, qui sort de terre et y rentre de De Dongola, se dirigeantplus à l'ouest, à êl-Goyah, -
nouveau ; il y a une forteresse et un gros village. quatre jours.
De Korg-ElouahàBoulague, qui est un autre oasis, De êl-Goyah à Zagaoné six jours ; eau salée, mais
une demi-journée; il y a un petit village, de l'eau fraîche.
d'un bon goût, mais qui donne quelquefois la fièvre De Zagaoné à Darfour, dix journées, sans trouver
à ceux qui n'y sont pas accoutumés. ni eau ni village.
De Boulague à êl-Bsactah une journée; de l'eau Arrivé à Dongola,il y a dix-septjournées de marche
saumâtre. pour aller à Sennar, en se dirigeant au sud ; et de
De êl-Bsactahà Beris une demi-journée ; il y a un Sennar à Darfour douze journées de traversée mar-
grand village et de l'eau assez bonne. chant de l'est à l'ouest.
De Beris à êl-Mekh deux heures ; encore de l'eau, Il faut penser que, dans une telle route, celui
dont il faut faire provision, parcequ'à êl-Mekh les qui ne peut suivre est abandonné, parceque l'at-
oasis cessent, et qu'on ne trouvé plus que de l'eau tendre seroit compromettre le salut de toute la
salée tout le reste de la route. Marchant toujours caravane.
(,i75)
qui restoit de Mekkains, marchèrent sur politique ou commercial eût pu alors
Miniet, et furent encore battus dans un garantir respectivement une mutuelle
second combat. bonne foi?accoutumé d'ailleurs avoir sa
Dans le butin de Bénéadi, il se trouva fortune se relever par des événements
une quantité immense de femmes, de imprévus , il revoit des chances favora-
filles du pays, et d'esclaves de la cara- 'bles ; l'absencedu général en chef, l'expé-
vane : les premiers à qui les femmes dition de Syrie qui avoit éloigné une par-
échurent en partage les négocièrent à - tie
de nos forces quelques conspirations
,
grand marché ; mais, comme il arrive ourdies, tout servoit à lui rendre de l'es-
en certaines villes de l'Europe à certaines poir ; aussi employoit-il toute espèce de
femmes que nous pourrions citer, à cha- moyens pour réchauffer les esprits et or-
que mutation elles doubloient de prix; ganiser des partis : il parvint à persuader
toute la différence qu'il y avoit avec celles l'émir Adgi, qui étoit au Caire, et qui
ci, c'est qu'au lieu d'en devenir plus in- devoit aller rejoindre le général en chef
solentes modestement elles suivoient en Syrie, de se composer un cortège as-
,
avec une impassible résignation tous ceux sez considérable pour tenter un coup
à qui l'un après l'autre elles étoient ad- de main dans la route, s'emparer de Bel-
jugées jusqu'à ce qu'enfin leur père, bêis, fermer le retour à l'armée, et sou-
,
leur mari, ou leur ancien maître, sans lever l'Egypte contre nos forces parta-
prendre d'autres informations, vinssent gées nous obliger à nous réunir et à
,
les racheter des derniers enchérisseurs abandonner l'Egypte supérieure. Ce plan
beaucoup plus cher qu'elles ne leur assez beau en apparence ne produisit,
avoient coûté. Cela paroît tout d'abord faute de base solide, que la ruine de
ne pouvoir s'accorder avec les moeurs l'Adgi ; des mouvements suspects décou-
et la jalousie musulmanes ; mais, ainsi vrirent ses desseins; au moment d'être
que nous l'avons déjà observé, ils disent arrêté par la garnison de Belbéis, il n'eut
à cela très sensément : Est-ce leur faute que le temps de se sauver par le désert
si nous n'avons pas su les défendre? avec quelques uns des siens : cette mine
Mourat-bey, qui par le désert étoit éventée, le massacre de Bénéadi, et la
venu nous couper la communication seconde défaite à Miniet de ceux qui s'en
avec le Caire , vit attaquer et détruire étoient échappés, déjouèrent encore les
ses alliés sans oser venir à leur secours; projets de Mourat-bey, et l'obligèrent à
il se contenta de se mettre en mesure se retirer aux oasis.
pour nous tenir en échec sans se com- En arrivant à Kéné , j'eus à regretter
promettre ; il temporisoit en attendant la mort d'un crocodile, que des paysans
les circonstances; ce n étoit point encore avoient surpris endormi,qu'ils avoient lié
pour lui le moment d'accepter ou de de- et apporté vivant à celui qui cornmandoit
mander des conditions ; rien ne pouvoit en l'absence du général Belliard; encore
baser un traité entre nous : quel intérêt jeune, cet animal nejsouvoitêtre bien re-
('76)
doutable, on l'eût enchaînéavec un cercle dis jusqu'à l'imprudence, nos soldats les
de fer entre les épaules et le ventre, et alors bravoient ; moi-même je me baignois tous
nous eussions pu l'observer et connoître les jours dans le Nil; les nuits plus tran-
ses habitudes, ignorées dans le pays même quilles que me procuroient les bains me
qu'il habite, tant il y inspire de peur ! et faisoient passer sur de prétendus dangers
cette peur s'augmentant et se perpétuant qu'aucun événement ne rendoit vraisem-
par tous les contes qu'elle-mêmeenfante, blables: s'ils ont mangé quelques cada-
il eût été si curieux de voir comment vres que la guerre letir aura procurés,
cet amphibie mangeoit, ce qu'il mangeoit, ce mets ne devoit qu'exciter leur appétit,
si la mastication lui est nécessaire , com- et les engager à une chasse qui pouvoit
ment elle s'effectue avec des dents qui leur promettre une proie aussi friande ;
sont toutes incisives, quelle est l'action et cependant nous n'avons jamais été at<
de son gosier qui lui sert de langue, si taqués, jamais nous n'avons rencontré
sa voracité pourrait être un moyen de un seul crocodile éloigné du fleuve ; il
l'apprivoiser, ou bien, en lui laissant son faut apparemment que le Nil leur four-
caractère, de tenter de le faire arriver vi- nisse assez abondamment des proies fa-
vant à Paris, de le livrer aux observations ciles, qu'ils digèrent lentement, ayant,
des naturalistes, à la curiosité des Pari- comme le lézard et le serpent, le sang
siens , enfin d'en faire un hommage à la froid et l'estomac peu actif: au reste
nation comme un trophée de la conquête n'ayant à combattre dans la partie du Nil,
du Nil ! Errant perpétuellement sur les qui nous est connue qu'eux-mêmes et les
rives de ce fleuve, j'en ai vu un grand hommes, ils deviendroient bien redouta-
nombre de toutes grandeurs, depuis trois bles pour ces derniers si, couverts com-
,
jusqu'à vingt-six ou vingt-huit pieds de me ils le sont d'une arme défensive pres-
longueur; plusieurs officiers dignes de que à l'épreuve de toutes les nôtres, ils
foi m'ont assuré en avoir vu un de qua- étoient adroits à se servir de celles que la
rante : ils ne sont pas aussi farouches nature leur a données pour attaquer. Lors-
qu'on le prétend ; ils affectent certains que je partis de Kéné, le général Belliard
parages de préférence , ce . qui prouve en avoit un petit qui avoit six pouces ; il
qu'ils vivent en famille ; c'est sur les isles étoit déjà méchant : ce général m'a dit
basses qu'ils se montrent au soleil, dont depuis qu'il avoit vécu quatre mois sans
ils paroissent chercher la chaleur ; on y manger, sans paroître souffrir, sans mai-
en voit plusieurs à la fois, toujours im- grir ni croître, et sans s'apprivoiser.
mobiles j et le plus souvent endormis, Ammien-Marcellin écrivoit au temps
souvent au milieu des oiseaux, qui ne de Julien que de toute antiquité les
s'en inquiètent pas. De quoi peuvent Égyptiens se regardoient comme dupes
vivre de si grands animaux? On conte lorsqu'ils payoient ce qu'ils dévoient,
d'eux bien des histoires ; mais nous n'a- sans y être contraints par la force, ou
vons pas été témoins d'un seul fait : har- tout au moins par la peur : heureusement
( J77 )
pour moi les habitants de Denderaétaient très bas, t obscurité de la chambre qui ne
de race antique. me laissoit travaillerque quelques heures
A Kéné je voyois de ma fenêtre les dans la journée, la multiplicité des dé-
ruines de Tentyra à deux lieues de l'autre tails, la difficulté de ne pas les confon-
eôté du Nil : ces ruines de Tentyra, dont dre en les regardant d'une manière si
je, me souvenois avec tant d'intérêt, et incommode, rien ne m'arrêta ; la pensée
dont je regrettois particulièrement un d'apporter aux savants de mon pays
zodiaque qui prouvoit d'une manière si l'image d'un bas-relief égyptien d'une
positive les hautes connoissances des telle importance me fit un devoir de
Égyptiens en astronomie ! souffrir patiemment le torticolis qu'il me
On ne payoit point le miri à Dendera ; falloit prendre pour le dessiner (voyez pi.
on y envoya cent hommes: je les suivis; CXXX, n° 2 , et l'explication des pi.,
il n'y avoit que vingt minutes de chemin en songeant toutefois que je ne donne
de Dendera aux ruines de Tentyra, qui cette explication que comme une hypo-
s'appellent maintenant Berbé, qui est le thèse ). Je dessinai le reste du plafond,
nomque les Arabes donnent à tous les mo- qui est partagé en deux parties égales par
numents antiques. Nous arrivâmes le soir unegrande figure, que jecrois celled'Isis ;
au village ; Le lendemain, avec trente hom- elle a les pieds appuyés sur la terre les
,
mes , je me rendis aux ruines, que je bras étendus vers le ciel, et semble occu-
possédai cette fois dans toute la plénitude per tout l'espace qui les sépare ( voy. pi.
du repos et de la quiétude : ma première CXVIII, n° 5 ). Dans l'autre partie du
jouissance fut de me convaincre que mon plafond est une autre grande figure
,
enthousiasme pour le grand temple n'a- que je crois ou le ciel, ou l'année, tou-
voitpoint été une illusion delà nouveauté, chant des pieds et des mains à la même
puisqu'après avoir vu tous les autres mor base, et couvrant de la courbure de son
numents de l'Egypte, celui-ci me parois- corps quatorze globes posés sur quatorze
soit encore le plus parfait d'exécution et bateaux, distribués sur sept bandes ou
,
construit à l'époque la plus heureuse des zones, séparés par des hiéroglyphes sans
sciences et des arts ; tout en est soigné, nombre, et trop couverts de stalactites
tout en est intéressant, important même : enfumées pour pouvoir être copiés; j'ai
il faudrait y dessiner tout pour avoir tout pris aussi uiie esquisse de cette partie du
ce qu'on doit désirerd'en rapporter; rien plafond pour donner une idée de la
,
n'y a été fait sans objet : mon temps ne forme de ce tableau (voyez pi. CXXIX,
pouvoit être que très limité ; je commen- n° 4, et le plan général de ce petit appar-
çai donc par ce qui étoit en quelque sorte tement , pi. CXXX, n° i, où sont repré-
l'objet de mon voyage, le planisphère sentés les objets comme ils sont situés
céleste, qui occupe une partie du plafond sur les plafonds ).
du petit appartement bâti sur le comble Derrièrecette premièrechambre il y en
de la nef du grand temple. Le plancher a une seconde qui ne reçoit dejour que
23
(i78)
par la porte; elle est de même couverte de tout attentat, ne le confiant qu'à des fi-
tableauxhiéroglyphiquesles plus intéres- gures de vaches, l'allaitant à tous les âges,
sants et les mieuxexécutés. Malgré l'obscu- depuis l'enfance jusqu'à la puberté, le
rité, la difficulté de faire éclairer tout à la tenant dans ses bras comme l'enfant
fois le bas-reliefet mon papier, je dessinai qui vient de naître, d'autres fois lui
cependant presque tout ce que conte- présentant le sein, qu'il reçoit debout
noient le plafond et les murailles de cette étant déjà presque de la taille de sa
seconde pièce ( voyez pi. CXXIX, n° 6 , mère.
etpi. CXXVI, n° ç), 10, 11 et 12, et leur Je consacrois tous les moments où je
explication^). Il est bien difficile d'arrêter manquois de lumière pour travailler au
une pensée sur ce que pouvoit être ce planisphère, à mesurer les chapiteaux,
petit édifice si bien soigné dans ses dé- les colonnes, à lever les plans, quelques
tails, orné de tableaux si évidemment élévations, à dessiner les portes : il ne reste
scientifiques; il paraît que ceux des pla- aucun gond ni battants de ces portes qui
fonds sont relatifs.au mouvement du ciel, renfermoient des mystères dont les prê-
et ceux des murailles à celui de la terre, tres étoient si jaloux, qui renfermoient
aux influences de l'air, et à celles de l'eau. peut-être aussi les trésors de l'état, ca-
La terre est représentée par-tout par la chés avec le même soin, car ces sanc-
figure d'Isis; c'étoit la divinité de tous tuaires ressembloient à des coffres-forts
les temples de Tentyra, car on en trouve parleur double enceinte précédée de tant
l'emblème de toutes parts; sa tête sert de déportes. Ces chambres consacrées à une
chapiteau aux colonnes du portique et nuit éternelle ; ce mystère répandu sur
de ta premièrechambredu grand temple ; le culte, aussi obscur que les temples;
elle est au centre de l'astragale; elle est ces initiations, si difficiles à obtenir, aux-
gigantesquement sculptée au mur exté- quelles jamais un étranger ne pouvoit
rieur du fond ; elle est l'objet des orne- être admis, dont on n'avoitde notions que
ments de la frise et de la corniche : elle sur des rapports mystiques; ce gouver-
est dans tous les tableaux avec ses attri- nement, et cette religion qui perdit toute
buts ; c'est elle à qui l'on fait toutes les sa force et tout sont empire dès que
offrandes, lorsque ce n'est pas elle qui les Cambyse en eut violé les sanctuaires,
fait elle-même à Osiris son époux : elle renversé les divinités, et enlevé les tré-
est aux portes qui servoient d'entrée à sors; tout annonce que ces temples con-
l'enceinte ; c'est à elle que sont dédiés les tenoient, pour ainsi dire, l'essence de tout,
petits temples qui y sont inscrits ; dans que tout en émanoit.
celui qui est à droite en entrant, elle est Mes recherches, mes observations, et
triomphante des deux mauvais génies; mes travaux, furent arrêtés par l'empres-
dans celui qui est derrière le grand, elle sement du cheikhdu village à débarrasser
y est à tout moment représentée tenant le pays de notre présence; dès le pre-
Horus dans ses bras, le défendant contre mier jour, il étoit allé porter sa contri-
Page179.

: '.<,'.: : PASPOTEPIIIOnAIOTOKTAIOTHrEMONOSKAI
TPIEPATTOKIATOPSKAISAPQSGEOtriOYAÏOÏEAET^i.
MAPKOTKAriAIOTn02TOMOTEni2TPATHrOTTPT$nN022TPATHrOTNT020IAnOTH2MHTPOnOAEa2
: : : ^XNOMOTTOnPOnTAONI2IA©EAIMEr2THIKAITOI22TNNOI2l©EOI2IETOT2AAKAI2APO2OnT02EBASTHI

Voicila mêmeinscriptionavecles motsséparés,et leslettres


restituéespar lespersonnes quej'aiconsultées,et la traduction
qu'ellesen ont faite; je donnerailes éclaircissements qu'elles
m'ontfournisà l'explication desplanches,article Apollinopolis
Parva, planche80:

TIIEPATTOKPATOP02
KAI2AP020EOTTIOTAI02 EAET9EPIOT 2I2THPIA2I-OTEni nonAIOT OKTAOTIOT
HrEM0NO2KAI
MAPKOTKAQAIOTn02TOTMOTEni2TPATHrOT TPT$£2N022TPATHrOTNT02OI MIOTH2MHTPOnOAEIiS
IEPfi2ANEKNOMOTTOIlPOnTAONI2IÂI 0EAIMEri2THIKAITOI22TNNAOI2©EOI2ETOT2AAKAI2AP02©£1X02EBA2THI

POURLA CONSERVATION DE L'EMPEREUR CÉSAR,DIEU, FILSDE JUPITERAUTEURDE NOTRELIBERTÉ;


LORSQUE,PUBLIUSOCTAVIUSÉTANTGOUVERNEUR, MARCUS CLAUDIUSPOSTHUMUSCOMMANDANT GÉNÉRAL,
ET TRYPHON
COMMANDANT PARTICULIER DESTROUPES,LES ENVOYÉS DE LA MÉTROPOLE
CONSACRERENT,
ENVERTUD'UNELOI, LE PROPYLÉEA ISIS, TRÈSGRANDEDÉESSE,ETAUXDIEUXHONORÉS DANSCEMÊMETEMPLEr
EN L'ANXXXIDE CÉSAR,LE COLLEGE DESPRÊTRESA L'IMPÉRATRICE.
(!79)
bution: le général rappela les troupes; le long siège qui la détruisit dans le troi-
et mon expédition fut terminée. sième siècle; à cette antique enceinte,
Je pris encore, en m'en allant, une qui a été abandonnée, a succédé une ville
vue générale du site de Tentyra, du arabe, avec une circonvallationen brique
groupe *de monuments qui dominent les non cuite, au-delà de laquelle, tirant
ruines de la ville, et des montagnes qui toujours à l'ouest, on a bâti Keft, village
s'élèvent derrière (voyezpi- XXXVIII, existant encore. Cophtos étoit-il le nom
n° i ). J'avois pris aussi copie d'une in- antique de cette ville? et les Cophtes ont-
scription sculptée en beaux et grands ca- ils pris leur nom de Cophtos où leur zèle
ractères grecs, placée, ainsi que celle de les àvoit rassemblés, et leur avoit fait
Kous, sur les listels de droite et de gau- soutenir un siège si opiniâtre et si désas-
che du couronnement d'une des portes treux lors de la persécution de Dioclé-
de circonvallation, au sud du grand tem- tien? Au reste on distingue évidemment
ple: voici l'inscription, sauf quelques er- les différentes ruines de deux temples de
reurs produites par des lettres dégradées : la haute antiquité, et ceux d'une église
{Voyez cette inscription à la planche ci- catholique, où le goût et l'art se faisoient
contre). sans doute moins remarquer que la ma-
Il y a une autre inscription sur le listel gnificence et la richesse des matériaux
de la corniche du grand temple, mais je employés à la construire : les fragments
n'ai jamais pu en distinguer assez bien de colonnes et de pilastres en porphyre
les caractères pour pouvoir les copier; et en granit répandus sur un emplace-
ce peu de caractèresgrecs au milieu de ces ment immense attestent l'opulence et le
innombrables inscriptions égyptiennes luxe de ces premiers croyants; mais les
paroît extraordinaire et contrastant. sculptures des frises doriques, dont on
Quelques jours après mon retour de voit encore quelques restes, prouvent
Tentyra on envoya la cavalerie au-devant que l'art à cette époque ne faisoit qu'ap-
d'un payeur qui rapportoit sa caisse pauvrir la somptuosité des matières les
d'Esnè à René ; j'en profitai pour aller plus précieuses; tous ces monuments,
visiter Keft ou Cophtos, devant lequel réduits à quelques assises au-dessus du
j'avois passé trois fois sans qu'il m'eût sol, restent sans forme, et ne purent me
été possible de lé traverser ni même d'en fournir un dessin.
approcher. J'ignorois si cette ville, cé- J'avois souvent ouï parler du kamsin,
lèbre par ses malheurs au temps des per- que l'on peut nommer l'ouragan de l'E-
sécutions de Dioclétien, possédoit quel- gypte et du désert ; il est aussi terrible
ques vestiges d'une existence plus anti- par le spectacle qu'il présente que par
que. Je fus frappé, en y entrant, de la ses résultats. Nous étions déjà à-peu-près
conservation de ses divers monuments: à la moitié de la saison où il se mani-
la partie antique est encore dans, l'état feste, lorsque, le 28 floréal au soir, je
où l'a laissée l'embrasement qui termina me sentis comme anéanti par une chaleur
(i8o).
étouffante; la fluctuation de l'air me pa- par une lueur roussâtre et sombre, les
roissoit suspendue.Au moment où j'allois yeux déchirés, le nez obstrué, notre gorge
me baigner pour remédier à cette sensa- ne pouvoit suffire à humecter ce que la
tion pénible, je fus frappé, à mon arri- respiration nous faisoit absorber de pous-
vée sur le bord du Nil, du spectacle d'une sière ; nous nous perdîmes les uns les
nature nouvelle : c'étoient une lumière autres, nous perdîmes notre route, et
et des couleurs que je n'avois point en- nous n'arrivâmes au logis qu'à tâtons, et
core vues ; le soleil, sans être caché, avoit seulement dirigés par les murs qui ser-
perdu ses rayons ; plus terne que la lune, voient à nous retracer le chemin : c'est
il ne donnoit qu'un jour blanc et sans dans ces moments que nous sentîmes vi-
ombre ; l'eau ne réfléchissoit plus ses vement quel devoit être le malheur de
rayons et paroissoit troublée : tout avoit ceux qui sont surpris dans le désert par
changé d'aspect ; c'étoit la plage qui étoit un pareil phénomène ; j'ai essayé d'en
lumineuse; l'air étoit terne et sembloit donner l'image ( voyez planche XLVII,
opaque ; un horizon jaune faisoit pa- nS).
roître les arbres d'un bleu décoloré ; des Accoutumés comme nous l'étions à la
bandes d'oiseauxvoloient devant le nuage; constante sérénité du ciel d'Egypte, cette
les animaux effrayés erroient dansla cam- transition si prononcée nous parut une
pagne, et les habitants, qui les suivoient injustice de la Providence.
en criant, ne pouvoient les rassembler : Le lendemain, la même masse de pous-
le vent qui avoit élevé cette masse im- sière marcha avec les mêmes circon-
mense, et qui la faisoit avancer, n'étoit stances le long du désert de la Libye : elle
pas encore arrivé jusqu'à nous ; nous suivoit la chaîne des montagnes, et lors-
crûmes qu'en nous mettant dans l'eau, que nous pouvions croire en être débar-
qui étoit calme alors, ce seroit un moyen rassés, le vent d'ouest nous la ramena,
de prévenir les effets de cette masse de et nous submergea encore de ce torrent
poussière qui nous arrivoit de sud-ouest; aride ; les éclairs sillonnoient avec peine
mais à peine fûmes-nous entrés dans le ces nuages opaques : tous les éléments
fleuve qu'il se gonfla tout-à-coup comme parurent être encore dans le désordre ;
s'il eût voulu sortir de son lit, les ondes la pluie se mêla aux tourbillons de feu ,
passoient sur nos têtes, le fond étoit re- de vent, et de poussière; et dans ce mo-
mué sous nos pieds, nos habits fuyoient ment les arbres et toutes les autresproduc-
avec le rivage, qui sembloit être emporté tions de la nature organisée semblèrent
par le tourbillon qui nous avoit atteints: replongés dans les horreurs du chaos.
nous fûmes obligés de sortir de l'eau ; Si le désert de la Libye nous avoit
alors nos corps mouillés et fouettés par envoyé ces tourbillons de poussière, ceux
la poussière furent bientôt enduits d'une de l'est avoient été inondés: le lende-
boue noire qui ne nous permit plus de main , des marchands qui arrivoient des
mettre nos vêtements ; éclairés seulement bords de la mer Rouge nous dirent que
(.8.)
dans les vallées ils avoient eu de l'eau commandé par le capitaine Renaud, étoit
jusqu'à mi-jambe. parti d'Etfu, et avoit marché vers Syene
Deux jours après ce désastre, on vint pour en déloger Osman et Assan-bey, qui
nous avertir que la plaine étoit couverte y étaient revenus ; enhardis par le petit
d'oiseaux qui passoient comme des pha- nombre des nôtres qui marchoient sans
langes serrées, et descendoient de l'est à canons, ils vinrent à leur rencontre, et
l'ouest; nous vîmes effectivement de loin les attaquèrent avec leur impétuosité or-
que les champs paroisSoient se mouvoir, dinaire : Selim-bey tomba sous les baïon-
ou du moins qu'un long torrent s'écou- nettes; trois cheikhs, un casnadar, et
loit dans la plaine, en suivant la direc- quarante-deux Mamelouks restèrent sur
tion qu'on nous avoit indiquée. Croyant le champ de bataille, ou allèrent mourir
que c'étoient des oiseaux étrangers qui à Syene dans la même journée; quarante
passoient ainsi en très grand nombre, autres blessés, et le reste des fuyards pas-
nous nous hâtâmes de sortir pour aller sèrent les cataractes, et allèrent jusqu'au-
les reconnoître; mais, au lieu d'oiseaux, près de Bribes. Ce combat acheva de dé-
nous trouvâmes une nuée de sauterelles, truire le parti des Mamelouks ; les cheikhs
qui ne faisoient que raser le sol, s'arrê- arabes de la tribu des Ababdes reconnu-
tant à chaque brin d'herbe pour le dé- rent l'insuffisance de leurs moyens, s'en
vorer, puis s'envoloientvers une nouvelle détachèrent, et vinrent à Kéné faire paix
proie. Dans une saison où le bled auroit et alliance avec nous.
été tendre c'eût été une vraie plaie ; aussi Desaix, pour chasser Mourat de sa re-
maigres, aussi actives, aussi vigoureuses traite , préparoit à Siouth une expédition
que les Arabes Bédouins, elles sont de pour les oasis ; elle devoitêtre commandée
même une productiondu désert : il seroit par son aide-de-camp Savari, tandis que
intéressant de savoir comment elles vivent le général Belliard organisoit celle que
et se reproduisent dans une région aussi nous devions faire à Cosséir. J'aurois
aride; c'étoit peut-être la pluie qui étoit bien voulu être par-tout; mais il falloit
tombée dans les vallées qui les avoit fait choisir: tandis que je balançois, Mourat
éclore, et avoit produit cette émigration, quitta Hellouah : les Anglais avoient paru
comme certains vents font naître les cou- à Cosséir ; tous les soins se tournèrent
sins. Le vent ayant changé en sens con- de ce côté : le général Douzelot arriva à
traire de la direction de leur marche, il Kéné; il avoit ordre d'y tracer le plan
les refoula dans le désert : j'en dessinai d'un fort à tenir six cents hommes, et
une de grandeur naturelle {yoyezpl. CXT, d'aller former un établissementà Cosséir.
n° 1 ) ; elles sont couleur de rose tache- On fit toutes les provisions nécessaires
,
tées de noir, sauvages, fortes, et très pour l'un et l'autre projet; et tout fut
difficiles à prendre. bientôt prêt pour entrer dans le désert.
Nous apprîmes qu'un détachement de Nous rassemblâmesune grande quan-
deux cents hommes de la garnison d'Esnê, tité de chameaux ; je dis nous, parceque
(i8>)
peu-à-peu on s'identifie à ceux avec qui à la Kittah, fontaine dont j'ai parlé plus
l'on vit, et que ce qui arrivoit à la divi- haut, et qui est le centre de l'étoile qui
sion Desaix, et plus particulièrement à communique à tous les chemins qui con-
la vingt-unième demi-brigade, me de- duisent à Cosséir : nous fîmes halte à Bi-
venoit personnel; je partageois ses pé- rambar ; après que les chameaux eurent
rils, ses succès., ses malheurs, et croyois bu et mangé suffisamment, on les força
partager sa gloire. Trois cents soixante- d'avaler un seconde ration d'orge ou de
six des nôtres dévoient composer la cara- fèves en les leur mettant dans la bouche.
vane ; nous avions un chameau pour Le nom de Biralbarr ou Puits-des-Puits
chacun de nous, portant de plus le ba- vient sans doute des deux fontaines qui
gage et l'eau nécessaire à chaque individu ; sont la seule ressource qu'offre ce village ;
deux cents chameaux étoient chargés des l'eau en est soufrée, mais douce et rafraî-
choses de première nécessité pour notre chie par le nitre qu'elle contient. J'avois
établissementà Cosséir. A notre caravane redouté le balancement de l'allure du
s'étaient joints les chefs d'Arabes, qui chameau;la vivacité du dromadaire m'a-
venoient de faire alliance, et qui profi- voit fait craindre de sauter par-dessus sa
taient de cette occasion de nous faire leur tête : mais je fus bientôt détrompé. Une
cour en nous servant de guides, d'éclai- fois en selle, il n'y a plus qu'à céder au
reurs, d'escorte, et d'arriere-garde ; en mouvement, et l'on éprouve tout de suite
tout la troupe pouvoit être portée à mille qu'il n'y a pas de meilleure monture pour
ou onze cents hommes, et autant de cha- faire une longue route, d'autant qu'on
meaux. Le boute-selle fut très plaisant ; n'a à s'en occuper que lorsqu'on veut la
le chameau, si lent dans ses actions, levé • diriger dans un autre sens, ce qui arrive
très brusquement les jambes de derrière rarement dans le désert et en marche de
dès l'instant qu'on pose sur la selle pour caravane: le chameau bronche peu, et
le monter, jette son cavalier d'abord en ne tombe jamais où il n'y a pas d'eau ; les
avant, puis en arrière, et ce n'est enfin dromadaires sont parmi les chameaux ce
qu'au quatrième mouvement, lorsqu'il que sont les lévriers- parmi les chiens ; ils
est tout-à-fait debout, que celui qui le ne servent que pour la selle ; ils ont une
monte peut se trouver, d'à-plomb : per- boucle infibulée.dans la narine, à travers
sonne n'avoit résisté à la première se- laquelle on passe une ficelle qui sert de
cousse ; chacun de se moquer de son voi- bride pour l'arrêter, le tourner, et le faire
sin : on recommença, et nous partîmes. agenouiller lorsque l'on veut en descen-
Nous sortîmes de Kéné, le 6 prairial, dre ; l'allure du dromadaire est leste ; l'ou-
à dix heures du matin, et arrivâmes à verture des angles que forment ses lon-
quatre heures de l'après-midi à Birambar gues jambes, et le ressort assoupli de son
ou Biralbarr, le Puits-des-Puits, village pied charnu rend son trot plus doux, et
sur le bord du désert, à la hauteur de cependant aussi rapide que celui du che-
Cophtos, et vis-à-vis le défilé qui mené val le plus léger.
(.83)
En sortant de Biralbarr nous tour- .un lit de sable, ensuite dans un rocher
nâmes à l'est, et entrâmes dans une vallée de grès, à travers duquel filtre l'eau, et
large et prolongée, qui forme une longue remplit doucement les trous que l'on y
plaine, aux extrémités de laquelle quel- fait : il y a une petite mosquée ou cara-
ques pointes de rochers avertissent ce- vansérail qui abrite les voyageurs quand
pendant qu'on traverse une chaîne. Je ils sont peu nombreux.
regrettais Dolomieu dans ce voyage; mais C'est ici qu'on apprend à connoître
le citoyen Rosière le remplaçoit. Nous l'importance de ces puits si souvent nom-
marchâmes ainsi jusqu'à deux heures de més dans l'ancien Testament, et dans
nuit avec un ordre assez bien conservé l'histoire des Arabes, que l'on voit com-
pour qu'en nous arrêtant nous nous trou- bien il est difficile et coûteux d'élever le
vassions postés militairement : chacun plus petit monument dans des points si
auprès de nos chameaux nous étendîmes isolés, si dénués de secours et de moyens :
nos tapis, soupâmes, et dormîmes. A une il sera cependant absolument nécessaire,
heure du matin la lune se leva; on battit en s'établissant en Egypte, d'élever une
le tambour, et cinq minutes après nous tour et d'avoir une garnison à la Kittah,
fûmes en marche sans trouble ni désor- pour s'assurer de la libre communication
dre. C'est dans le désert qu'on redouble de Cosséir au Nil, et contenir les Arabes
de respect pour le chamea'u, pour ce vé- de ces contrées, pour lesquels cette fon-
nérable animal; quelque dure que soit sa taine est un poste qui les rend maîtres
condition il la connoît et s'y conforme d'un grand pays, à cause de l'eau qui y
,
sans impatience-; vrai don de la Provi- est permanente et inépuisable, et peut
dence la nature l'a placé sur le globe seule en approvisionner l'ennemi que
,
dans une région où pour l'utilité des l'on auroit chassé dans le désert. Je fis
hommes il ne pourroit être remplacé par un dessin de cette halte, dans lequel je
aucun autre agent; le sable est son élé- représentai une partie de notre caravane
ment, dès qu'il en sort et qu'il touche à défilant tandis que l'autre achevé de dé-
la boue, à peine il peut se soutenir, ses camper {voyez planche LXXXII). Nous
fréquentes chûtes et son embarras font marchâmes le reste du jour sans que le
trembler pour lui, pour sa charge, ou sol changeât de nature; il s'élevoit in-
pour son cavalier; mais on peut dire que sensiblement, et les montagnes s'appro-
le chameau dans le désert est comme le chèrent de droite et de gauche : nous bi-
poisson dans l'eau. vouacquâmés, et nous nous remîmes en
A la pointe du jour nous arrivâmes à marche comme la veille.
la Kittah, fontaine assez étrange, puis- A la pointe du jour la scène avoitchangé;
qu'elle est située sur un plateau plus les montagnes que nous avions rencon-
élevé que tout ce qui l'entoure ; cette trées le jour d'avant étoient des rochers
fontaine consiste en trois puits de six de grès, celles-ci étoient des roches de
pieds de profondeur,creusésd'abord dans poudingue dans lesquelles les pierres rou-
(i84)
lées. étoient mêlées de granit, de por- avoient traversé la plaine sablonneuse
phyre, de serpentin,de toutes les matières dans le silence de la taçiturnité ; à peine
primitives contenues dans une agréga- dans les vallons ils commencèrent à par-
tion de schiste verd ; la vallée alloit ler; arrivés au milieu des rochers ils
toujours se rétrécissant, et les rochers firent répéter aux échos les chants de la
s'élevant de toutes parts. A midi nous gaieté et le désert disparut. Cette se-
,
nous trouvâmes à la moitié de notre che- conde fontaine, quoiqu'abondante, étoit
min , au milieu de beaux rochers de brè- trop resserrée pour satisfaire aux besoins
che, qui n'offrent de difficulté pour leur de tous ; une partie seulement y remplit
exploitation que l'éloignement des sub- ses outres , et nous poussâmes jusqu'à
sistances : les parties de granit qui com;- celle de êbAdoute, où la vallée est plus
posent cette brèche annoncent que les spacieuse, et où l'eau, quoiqu'un peu
montagnes primitives ne sont pas éloir moins fraîche, est encore fort bonne :
gnées : après avoir passé ces rochers si nous creusâmes un puits qui nous en
riches,nouscommençâmes à redescendre donna à l'instant d'excellente; c'était la
jusqu'à une fontaine permanente appelée dernière supportable que nous difssions
êl-More, qui n'est qu'un petit trou sous rencontrer; ainsi que les chameaux nous
une roche; l'eau en est excellente: elle en bûmes pour le passé et pour l'avenir ;
n'était pas assez abondante pour notre on renouvela celle de toutes les outres,
nombreuse caravane, nous passâmes à et on s'en approvisionna pour la route
une seconde composée de plusieurs puits, et pour Cosséir, où nous savions qu'elle
sous un rocher de trèsbeau schiste verd, devoit être rare et mauvaise : je fis un
mêlé de quartz blanc, qui fait ressembler dessin de ce second point important
cette substance au marbre verd antique: {voyez pi. LXXXI, n° i ). Il faudroit
c'est ici seulement que pendant quarante avoir encore ici une tour, une grande
pas la route est étroite et embarrassée, et citerne, et un caravansérail, et avec un
donna quelque peine à notre artillerie; tel établissement la traversée de Cosséir
tout le reste avoit été une allée de jardin au Nil deviendroit aussi commode que
bien sablée : la base du rocher est balayée toute autre route.
par le torrent lorsqu'il pleut ; et ces laves A mesure que nous descendions, les
d'eau, qui ne durent, que quelquesheures, montagnes sabaissoient ; elles avoient
étendent les éboulements, et sans faire cessé d'être riches de ces magnifiques
de ravin aplanissent la vallée. brèches, elles étaient redevenues sili-
Les formes et les couleurs variées des ceuses ,. tranchées de quartz. Nous nous
rochers étaient déjà au désert cet aspect arrêtâmes pour dormir quelques heures
,
triste et monotone, et en formoient pres- après en avoir marché dix-huit. A la
que un paysage: le pays devint sonore, pointe du jour nous trouvâmes la vallée
le bruit répercuté dans les vallées nous très élargie, et bientôt elle fut tôut-à-
parut Je réveil de la nature : nos soldats. coup traversée par une montagne cal-.
(i85)
caire roussâtre, précédée de quelques le costume cosséirien, qui est celui de
rochers de grès ; nous longeâmes cette la Mekke, celui des Ababdes, dont une
montagne, qui se trouva à son tour partie était nue avec une seule draperie
tranchée par une roche schisteuse très autour des reins, une lance à la main,
obscure, au détour de laquelle nous ne et une dague attachée au bras gauche ,
trouvâmes plus que matière calcaire: assis les jambes croisées sur la selle élevée
c'est là qu'on rencontre la fontaine ap- des dromadaires élancés, tout cela for-
pelée l'Ambagi ; celle-ci ne réjouit que moit un ensemble qui avoit de la sin-
les chameaux, car il n'y a qu'eux qui en gularité et de l'intérêt ; les Mekkains,
boivent: si elle' est très abondante elle d'un maintien plus grave, coiffés comme
est aussi très minérale, et ne seroit peut- des augures, vêtus d'habits longs à larges
être pas moins propre à la guérison de raies, étoient montés sur de grands cha-
plusieurs maux que celles de Spa et de meaux. A la rencontre des différents corps
Barege ; mais ici où, grâce à la stérilité tout le monde mit pied à terre ; nos
du sol et la sobriété des habitants, il n'y troupes se mirent en bataille, et après
a que peu de malades et point de méde- une conférence amicale de quelques mi-
cins , elle croupit sans gloire sur sa fange nutes , nous allâmes tout d'un temps
méphitique et noire ; et comme elle purge prendre possession du château, au-des-
ceux qui peuvent supporter son arriere- sus duquel flottait déjà l'étendard blanc
goût, et qu'elle augmente leur soif au. de la paix. Je m'étais figuré la ville de
lieu de les désaltérer, elle passe pour la Cosséir si affreuse., le château tellement
naïade la plus mal-faisante du pays ; au en ruine , que je trouvai la première
reste elle a fait croître sept à huit pal- presque fastueuse, et l'autre un fort ;
miers , qui forment le seul bocage qu'il celui-ci est un édifice arabe bâti du temps
y ait à cinquante lieues à la ronde. des califes, dans le style des fortifications
Je m'apperçus, à la légèreté de l'air, d'Alexandrie, formant un carré de qua-
que nous approchions de la nier ; effec- tre courtines , flanquées de quatre bas-
tivement, en suivant un large ravin, tions , sans fossés ; mais en ajoutant une
bientôt nous la vîmes se briser contre contrescarpe à ce qui existe, on en pour-
les ressifs qui bordent la côte ; à l'hori- roit faire un château à résister aux batte-
zon un brouillard nous indiqua celle ries flottantes et aux forces qu'on^peut dé*
d'Asie, trop éloignée cependant pour barquer %u fond de la mer Rouge : je fis
pouvoir jamais être apperçue. Les Arabes un dessin dans lequel je rendis compte
Ababdes, qui nous avoient précédés du port, de la rade, de la ville, du phare,
,
avoient été en avant avertir les habitants et du château., avec le tableau portrait
de Cosséir; et nous les vîmes revenir de notre rencontre avec les habitants
avec les cheikhs%de la ville et leur suite, {voyez pi, LXXXI, n° i): le lendemain
précédés d'un troupeau de moutons, j'en fis un autre au revers, où l'on voit
premier présent de paix et d'hommage ; les brisants et les doubles ressifs qui
• 24
( i86 )
forment le port, le mettent à l'abri con- ni magasins, ni même une seule citerne.
tre les vents du nord, et le laissent ou- Lorsque nous arrivâmes dans ce port
vert à ceux de l'est et du sud-est ( voyez il n'y avoit d'eau que celle apportée d'A-
pi. LXXXIII, n° 2) ; dans ce second des- sie, et dont chaque gobelet coûtoit un
sin oii voit la chaîne des montagnes qui sou : l'activité de nos soldats leur fit trou-
bordent la côte escarpée, sans port, sans ver des sources en' vingt-quatre heures ;
eaux, et déserte, dit-on, jusqu'à Babel- nous eûmes pour rien de l'eau meilleure
Mandel, Il seroit intéressant d'aller y re- que celle que l'on vendoit si cher; à la
connoître la rade de Bérénice, faite à vérité elle ne pouvoit être gardée ou
grands frais par les Ptolomées à quarante chauffée sans prendre une amertume
lieues au sud, et abandonnée pour celle presque insupportable; mais, comme il
de Cosséir, qui ne peut cependant con- est' sûr que l'eau existe aux environs de
tenir qu'un petit nombre de petits vais- Cosséir, nous laissâmes à la garnison qui
seaux^ marchands, la rade n'ayant seu- y restoit, età l'infatigable Douzelot qui-
lement que deux brasses à deux brasses allôit y commander, l'espoir d'en trou-
et demie à sa plus grande profondeur ; ver dans des lits de glaise qui ne seroit
on est obligé pour les chargements de imprégnée d'aucune substance acre et
faire porter les marchandises à bras à mal-faisante.
cent cinquante pas de la rive, de les dé- * La côte aux environs de Cosséir est
poser dans des chaloupes, qui les condui- d'une pauvreté hideuse ; mais la mer y est
sent enfin jusqu'au bâtiment sur lequel riche en poissons, en coquillages et en
elles doivent être chargées : avec tous ces coraux; ces derniers sont si nombreux,
inconvénients on est d'abord tout étonné qu'il est possible que ce soient eux qui
de trouver encore quelques agitations aient donné le nom de rouge à cette mer,
commerciales sous les masures du chétif tandis que le sable en est blanc ; les res-
village de Cosséir : mais lorsqu'on pense sifs ne sont que coraux et madrépores,
que c'est encore le meilleur port connu de ainsi que tous les rochers qui avoisi-
la mer Rouge ; que c'est celui qui fournit nent les parages jusqu'à une demi-lieue
le bled à la Mekke, et qui reçoit le café de de la rive actuelle ; ce qui indiqùeroit
l'Yémen, qu'il est le point de contact de encore qu'à cette rive la mer se retire
l'Asie et de l'Afrique, et pourroit deve- ou que ses bords s'élèvent. J'aurois eu
nir l'entrepôt des marchandises de ces grand plaisir à faire une collection de
deux parties du monde, on s'étonne en- coquilles qui, au premier aspect, me
core bien davantage qu'un gouvernement parurent aussi nombreuses que variées ;
puisse être si aveuglément dévorateur, mais quelques dessins à faire, et des soins
de n'avoir pensé qu'à imposer et vexer à prendre pour le retour, ne me laissè-
un commerce qui eût payé un si gros rent de libre que le temps d'aller faire
intérêt des avances qu'on lui auroit faites, une course sur la côte avec les Arabes
et de ne trouver à Cosséir ni douanes, Ababdes, nos nouveaux alliés : je montai
(i87)
un de leurs dromadairesavec la selle à leur (elles me parurent assez bonnes tant
usage ; je fus ravi de la légèreté de l'un, qu'elles furent chaudes ) ; de la soupe
,
et de la commodité de l'autre : nous ga- de la viande bouillie, et de la viande
gnâmes toute leur estime en faisant avec grillée, achevèrent de composer un repas
eux des simulacres de charge, leur mon- fort passable'à qui eût eu appétit : mais il
trant assez de confiance pour nous éloi- me manquoit absolument dans le désert;
gner et ne revenir que de nuit à Cosséir, j'y vivois de limonade, que je faisois le
en courant enfin comme eux jusqu'à faire plus souvent sûr mon chameau, en met-
une lieue en moins d'un quart-d'heure. tant des tranches de citron dans ma bou-
Deux jours après notre arrivée, pour che avec du sucre, et buvant de l'eaû
ne point affamer la garnison que nous par là-dessus. Nos Arabes connoissoient
laissions, nous nous remîmes en route; jusqu'aux moindres recoins qui produi-
nous étions toujours précédés par nos soient quelque pâture ; ils savoient à quel
Arabes, auxquels il semble que le désert degré de croissance dévoientêtre arrivées
appartienne; ils ne négligeoient, chemin telles plantes à une lieue de l'endroit où
faisant, aucun des produits de leur em- nous passions, ils envoyoient leurs cha-
pire : nous apperçûmes deux gazelles meaux s'en repaître : du reste ces pauvres
fuyant dans le désert ; quatre des leurs animaux mangent une seule fois dans le
se détachèrent avec de méchants fusils à jour une petite ration de fèves qu'ils ru-
mèches ; quelques minutes après nous minent le reste des vingt-quatre heures,
entendîmes tirer deux seuls coups, et ou en marchant, ou couchés sur un sa-
nous les vîmes revenir rapportant les ble brûlant, sans montrer un instant
deux gazelles grasses comme si elles d'impatience; l'amour seul leur donne
,
eussent habité le pâturage le plus abon- quelques mouvements de violence, sur-
dant. On m'invita à manger cette chasse: tout aux femelles, dans lesquelles les
curieux de voir comment ils s'y pren- passions me parurent plus vives : j'ai re-
droient pour l'apprêter, j'allai à leur marqué une chose extraordinaire c'est
,
quartier. Le chef, fier comme un sou- que la fatigue irrite leur tempérament
verain , n'avoit de décoration que la be- au lieu de l'atténuer; je me suis cru
niche que nous lui avions donnée; il obligé de faire un dessin des suites de
trouvoit son palais par-tout où il éten- cette irritation pour lever les doutes que
doit son tapis ; sa batterie de cuisine con- des formes étranges peuvent donner sur
sistait en deux plaques de cuivre et un quelques circonstances des amours des
pot de même métal ; du beurre, de la chameaux, et pour prouver que le désir
farine, et quelques brins de bois for- redresse en eux la direction rétrograde
moient toutes les provisions; du vieux qui nous avoit surpris d'abord dans la
crottin de chameaux ramassé, le briquet conformation du mâle ( voyez pi. CI,
battu, et de la farine délayée , en quel- B°6).
ques minutes il y eut des galettes cuites Notre retour fut encore plus rapide;
('88)
.débarrassés de l'artillerie et de toute ne fait plus du voyage qu'une promenade
charge, nous marchions plus lestement, sur un grand chemin sablé ; mais pen-
prenant encore sur les haltes et sur notre dant le.temps du kamsin on peut y éprou-
sommeil : nous revînmes en deux jour- ver des ouragans, dont à la vérité nous
nées et demie ; mais à la dernière demi- n'avons pas été assaillis.
journée nous ne pouvions plus aller ;
NOTE DES HEURES DE MARCHE.
j'étois exténué de fatigue et desséché ;
ce ne fut qu'en mangeant des pastèques De Kéné à Byr-al-Baar '. 3heur« 5o B""01-
.
Au coucher dans le désert 45
et en me plongeant dans le Nil que je 4
Pour arriver à la Kittah 3 3o
pus me désaltérer. Après huit jours de Au coucher 4 3o
séjour dans le silence du désert, les sens A la première fontaine 35
9
sont réveillés par les moindres sensa- A la seconde,appelée El-ad-Houte . o 45
tions ; je ne puis exprimer celle que j'é- Au coucher '. 4 3°
prouvai lorsque, la nuit, couché sur le A la fontaine de l'Ambagi 8 45
bord du Nil/j'entendis le vent frisson- A Cosséir 1 45

ner dans les branches des arbres , se ra- Total des heures de marche 41 55
fraîchir en se tamisant à travers les feuilles . .

déliées des palmiers qu'il agitait; tout se Il ne manque au Mockattam que des
réveilloit,s'animoit;la vie étoit dans l'air, rochers de granit et de porphyre pour
et la nature me sembloit la respirer. Au qu'il ait toutes les conditions d'une chaîne
reste, je me convainquis dans cette tra- primitive, encore doft-on croire que dans
versée , faite dans le temps le plus chaud d'autres points on trouveroit ces rochers,
de l'année, dont on nous avoit exagéré puisque dans la brèche de celui-ci on y
tous les périls , que le courage est d'en- en voit des fragments.roulés. On observe
treprendre , et que le danger fuit devant sur l'une et l'autre inclinaison les mêmes
ceux qui le bravent. Je joins ici une note circonstances, c'est-à-dire les sables pro-
des heures de marche de notre route, venants de la décomposition de la pierre
qui sont invariables, parceque le pas du calcaire, les rochers calcaires, les grès,
chameau chargé est toujours le même ; le schiste et la brèche, le schiste, le grès,
il ne peut donc y avoir de variété dans la pierre calcaire et le sable ; la dégrada-
ce compte que par les accidents, et par tion des rochers, réduits souvent à un
le plus ou moins de temps donné aux noyau, offre l'image de la décrépitude
haltes et aux stations ; cependant toutes des montagnes de la Chine. Cette vallée
les autres saisons de l'année sont préfé- qui a la réputation de posséder des mines
rables à celle que nous fûmes obligés de d emeraudes, n'en a laissé voir aucun in-
prendre pour cette expédition : dans l'hi- dice au citoyen Rosière.
ver, on peut dans les montagnes être Isolés et relégués comme nous l'étions,
rafraîchi par une pluie de plusieurs heu- nous attendions toujours des nouvelles;
res, ce qui donne de l'eau par-tout, et au retour de chaque expédition, nous
(i8g)
étions encore plus empressés d'appren- sa régénération' périodique n'était un
dre les détails des travaux et des succès phénomène aussi rassurant pour eux
de nos chefs : mais cette jouissance étoit que surprenant pour l'étranger observa-
souvent troublée par la douleur que nous teur : il diminue jusqu'au 28 prairial,
ressentions de la perte de quelques uns reste deux jours en stagnation , et le 3o
de nos braves compagnons. Ces fatigues il commence à croître. C'est à cette épo-
de l'âme, jointes aux fatigues du corps, que que le séjour de la haute Egypte est
reportaient mélancoliquement nos pen- presque insupportable; les vents sont
sées vers notre patrie, et nous faisoient variables ; ils passent sans cesse de l'est
sentir notre dénuement et le besoin de au sud, ou au sud-ouest: ce dernier est
nous rapprocher d'êtres qui nous fussent terrible ; il trouble l'atmosphère,voile le
chers. Nous eûmes à regretter à cette soleil d'une vapeur blanche, sèche, et
époque le généralCaffarelli, qui joignoit brûlante ; il altère, il dessèche, il en-
aux talents les plus distingués le zèle flamme le sang, irrite les nerfs, et rend
d'un patriotisme vraimentphilanthropi- l'existence douloureuse ; il opprime tel-
que ; il mêloit à l'ardeur des entreprises lement les poumons , qu'on cherche in-
hasardeuses l'amour de l'humanité, veil- volontairement un autre lieu pour res-
loit sans cesse au bonheur des hommes pirer , se croyant toujours à la bouche de
et à leur conservation : chaque être in- quelque four ardent : si l'on aspire l'air
struit ou sensible crut perdre en lui un par le nez, le cerveau en est affecté > et
père, un ami': en faisant mes dessins, lorsqu'on renvoie la respiration, on croit
j'avois souvent pensé au plaisir que j'au- rendre des flots de sang; tout ce que
rois à les lui montrer, à la considération l'on touche est brûlant, et le fer même
que mon zèle obtiendroit de lui ; est-il dans la nuit acquiert le degré de chaleur
une récompense comparable à l'approba- qu'il a en France dans la canicule exposé
tion d'un être qu'on estime? à midi aux rayons du soleil. Nous fîmes
Nous étions revenus altérés des faveurs pendant ces derniers jours une tournéeà
du Nil ; nous aspirions à l'instant d'im- Sahmatah et à Aboumanah, confins du
biber notre peau desséchée de son eau gouvernement de la Thébâïde, pour ré-
salutaire, lorsque nous la trouvâmes gler avec les habitants les travaux des
toute dénaturée. Les derniers jours du digues et des canaux. Notre général fut
kamsin le cours du Nil se ralentit; il reçu en gouverneur de province ; le kaï-
perd sa salubrité ordinaire , sa transpa- makam ou général de la gendarmerie,
rence ; ses eaux deviennent vertes , et il homme riche, nous avoit préparé, dans
charie des flaques fangeuses qui exhalent une de ses propriétés, une grande cour
une odeur marécageuse ; ce n'est plus bien arrosée, où nombre de pastèques et
enfin ce>Nil créateur et restaurateur de de vases qui répandoient la fraîcheur cal-
l'Egypte; il languit, et sa décrépitude moient un peu l'intempériede la saison :
effraieroit les habitants de ses bords si le soir, il nous servit un souper pour
,
( i9° )
nous, pour les cheikhs de la province, taient à cheval, encore dans ce cas y
pour le détachement qui nous àccompa- avoit-il là un de ces satellites pour rece-
gnoit, et enfin pour les innombrables voir leur pipe, ou plutôt pour être un
serviteurs qui s'étaient mis à notre suite ; témoignage à tous les yeux de la dignité
car, dans l'orient, c'est une espèce de à laquelle ils étoient parvenus. Il faut con-
vermine qui s'engendre et vous mange venir que peu-à-peu nous devenions com-
sans qu'on puisse ni s'en défendre ni s'en plices de cette corruption, que nous nous
préserver. A peine a-t-on un domestique imprégnions de l'esprit des Orientaux en
qu'on est servi par un autre, qui n'a ja- respirant le même air, et que nous en
mais tant de zèle que lorsqu'il n'a point étions venus à ne savoir plus comment
de salaire, et ne vous donne de véritable on pouvoit se passer d'une suite.
soin que lorsqu'il est le serviteur de vo- Je fis un dessin de notre souper ( pi.
tre serviteur;mais à peine a-t-il un habit, LXXXIV, n° 2 ) : le lendemain, j'en fis
qu'il lui faut un cheval,etbientôt un autre un autre {voyez même planche, n° i )
officieux en troisième ordre, et de suite. d'une assemblée des cheikhs des villa-
Ce nombre, de sang-sues, dont l'armée ges , où il fut discuté des intérêts du gou-
se grossissoitinsensiblement, étoit plus à vernement et des avantages des cultiva-
charge au pays, et plusbarbarement des- teurs , des primes à accorder à ceux qui
tructif pour les habitants que l'armée se distingueraient dans l'année qui alloit
elle-même ; ils voloient avec une audace commencer( car on pourroit commencer
atroce et proportionnée au grade ou au l'année en Egypte à l'époque de la prépa-
pouvoir de leurs maîtres avec lesquels ration des canaux pour recevoir et distri-
*
ils devenoient insolents dès qu'ils pou- buer les eaux de l'inondation ; alors tout
voient passer à un autre plus puissant, est fini pour le passé, et tout va recom-
près duquel ils croyoient trouver plus mencerpourl'avenir). Ce quej'ai recueilli
d'impunité ; ils exerçoient toujours leurs de plus clair sur les délibérations de ce
brigandages aux dépens du cultivateur, conseil, c'est qu'on n'y proposa pas de
du manufacturier, de toutes les classes nouveautés sans avoir pris l'avis des ha-
utiles et respectables de la société : il est bitants qu'on leur promit toutes sortes
,
vrai que chaque combat en faisoit partir d'encouragements, et qu'à l'honneur de
un grand nombre.; mais ils revenoient ces braves gens, en terminant la séance,
pour le pillage, et ne faisoient que changer ils dirent : « Ceci ressemble à une assem-
de division : j'en ai vu qui, au commen- blée du temps du cheikh prince Ammam,
cement de la campagne, avoient été pale- où on ne traitait pas d'impositions arbi-
freniers, commander au retour trois do- traires , mais de ce qui pouvoitêtre le plus
mestiques, et, par des promotionsqu'im- utile à tous ». Ce princeAmmamétoit un
pudemment ils faisoienteux-mêmes entre Arabe puissant, qui, dans les troubles de
eux, ne conserver de service que celui de l'Egypte, s'était rendu indépendant, et
tenir l'étrier lorsque leurs maîtres mon- régnoit depuis Djirgeh sur toute la Thé-
(ÏQ 1 )
baïde supérieure. Les Mamelouks qu'il Égyptiens employoient sans doute pour
avoit reçus dans leurs disgrâces, dès qu'ils terminer davantageleurs bas-reliefs, et les •
eurent eux-mêmes secoué l'autorité de la peindre d'une manière indestructible. Je
Porte, ne virent plus en lui qu'un rebelle fis un dessin du contour du bas-relief et
toujours protecteur des mécontents, l'at- des lignes tracées pour la division des
taquèrent, l'affoiblirent, le détruisirent : proportions de la figure ; ce dessin ( pi.
nous avons vu la fin malheureusedu der- CXXIV, n° i ) peut faire connoître les
nier prince de cette maison après la ba- principes qu'ils avoient adoptés, leur mé-
taille de Samanhouth. thode de les employer, leur mode enfin,
Le lendemain, les villages d'Abouma- quijoignoit à l'avantage de prévenir tout
nah nous donnèrent à dîner avec même à la fois les erreurs^ les défauts d'ensem-
abondance, quoiqu'avec des manières ble, et les proportions ignobles., celui
plus sauvages ; par exemple, quoiqu'eux- d'obtenir cette constante égalité que l'on
mêmes eussent fourni à cet abondant re- remarque dans leurs ouvrages, et qui, si
pas , ils attendoient avec impatience que elle est nuisible à l'élan du génie et à l'ex-
nous eussions fini de manger pouf s'arra- pression d'un sentiment délicat, tend à
cher nos restes, et en faire une espèce de une perfection uniforme, fait de l'art un
cocagne. métier, de la sculpture un accessoire
Le citoyen Girard et huit membres de propre à décorer et enrichir l'architec-;
la commission des arts remontoient le ture, une manière de s'exprimer, une
Nil avec ordre d'en prendre les nivèle- écriture enfin; et c'est à quoi en Egypte cet
ments : cette circonstance me mit dans art a été le plus souvent réduit. On peut re-
le cas de recommencer mes courses; ce marquer que dans les principes égyptiens
fut alors que je dessinai le zodiaque qui la figure étoit divisée eh vingt-deux par-:
est au plafond du portique de Tentyra ties et demie, que la tête en a deux et
( pi. CXXXI et CXXXII ), que j'enri- deux tiers, c'est-à-dire la huitième partie
chis ma collection de ces nouveaux dé- du tout, et que ces proportions sont
veloppements des connoissances astrono- celles des Grecs pour le style héroïque.
miques des Égyptiens, de nombre de J'ai joint à ce dessin ce que le zèle catho-
tableaux, et d'inscriptions hiéroglyphi- lique deux mille ans après, mettait en
,
ques , qui, rapprochés , examinés , et remplacement de ce qu'il dégradoit ; j'ai
discutés dans la tranquillité du cabinet, tâché de copier aussi fidèlement les deux
doivent en dévoiler les mystères, ou y figures d'évêques, que celle d'Horus of-
faire renoncer à jamais. Je pris encore frant à Osiris un emblème de la tête d'Isis.
beaucoup de détails relativement à l'art: Je remarquai aussi dans les bas-reliefs
c'est à cette occasion que je fis la décou- un petit temple votif, avec un fronton
verte du tracé au crayon rouge d'une qui n'est jamais employé dans l'architec-
figure dont les repentirs avoient été cou- ture égyptienne ( voyezpi. CXXVII, n°
verts par un stuc léger; moyen que les 15 ) ; une petite figure tenant un lièvre
i1^)
démontre que, dans les figures de genre rations a iaire, pour arrêter le plan de
trivial, les artistes égyptiens pouvoient toutes sortes d'opérations d'utilité et de
se laisser aller à la gaieté, lorsqu'ils n'é- bienfaisancequi prouvent un soin pater-
toient pas comprimés par le rite ou le nel, et annoncent enfin un gouverne-
mode ; cette figure exécutée en statue fe- ment. Les chaleurs étoient insupporta-
roit un faune grec {v.pi. CXXVII, n° i3). bles; le vent d'ouest nous oppressoit,
Je complétai aussi, d'après des enseignes nous causoit des saignementsde nez, nous
militaires la collection des animaux, donnoit des ébullitions douloureuses
,
genre dans lequel on peut dire qu'ils excel- qui couvroient alternativement toutes
loient, et où la grandeur et la simplicité les parties du corps, séchoient et durcis-
des lignes arrivent souvent au beau idéal : soient la peau, et rendoient la transpira-
c'est toujours dans des coins oubliés, dans tion difficile ; les rayons du soleil, prin-
des pièces condamnées à une obscurité, cipale ou plutôt unique cause de tous ces
éternelle que j'ai trouvé les morceaux les maux, faisoientéprouver dans tous les po-
plus soignés et les plus conservés, et par res des piquures à-peu-près semblables à
conséquent que j'ai éprouvé pour les co- celles que produit la petite-vérole, et qui
pier les difficultés les plus contrariantes. devenoient insupportables lorsque, pour
On est toujours étonné-de cette égalité de se coucher, il falloit appuyersur tous ces
soin dans toutes les parties d'un si grand points douloureux. J'étais aussi tour-
tout, de cette exécution minutieuse, de menté que les autres: mais je regrettais
ce fini, fruit de l'opiniâtreté, de cette les tombeaux des rois à Thebes ; je bravai
constance tenace, qui tient à l'esprit mo- encore l'inflammation, que je redoutois,
nastique, dont le zèle ne meurt ni ne et je me mis en route avec le détache-
se refroidit, dont l'orgueirest celui de ment.
tout un corps, et non celui d'un seul in- Le 4 messidor, la chaleur étoit extrê-
dividu : peut-être les artistes même fai- me; le soleil, au solstice, allumoit notre
soient-ils partie constituante de ces col- sang : deux soldats s'évanouirent en sor-
lèges de prêtres ; en effet ils n'ont pas dû tant de Kéné; le lendemain, i5 autres
souffrir que les arts, qui élèvent l'esprit furent hors d'état de suivre : je suis as-
humain, fussent confiés à une autre caste suré que, si nous n'eussions pas déjà
que la leur. été un peu acclimatés, aucun de nous
Le Nil commença à croître le 7 messi- n'eût pu résister. Il fallut faire des jour-
dor; il s'éleva d'un pouce chacun des jours nées plus courtes, et marcher le matin.
7, 8 et g ; ensuite il s'éleva de deux pou- Cependant la campagne étoit ravivée;
ces , puis de trois ; l'eau commença à se toute la population, présidée par les
renouveler,et, sans deyenir trouble, elle cheikhs , étoit occupée à nettoyer les ca-
cessa d'être verte. naux , à en ouvrir les embouchures aux
Il fut question de faire une tournée approches du Nil. La confiance avoit ra-
pour reconnoître les canaux, les amélio^ mené les troupeaux des gorges du désert,
(«£)
et les campagnes, désertes quatre mois nument qu'à la partie sud de la première
auparavant, se trouvoient couvertesalors cour il y a un édifice particulier, compris
d'animaux quipaissoient tranquillement. dans la circonvallation générale, composé
Nous séjournâmes un jour à Kous ; le d'un mur d'enceinte, d'une porte don-
troisième jour, nous arrivâmes au soleil nant l'entrée à une cour entourée d'une ga-
levé à Karnak, dont je fis les honneurs lerie en pilastres, devantlesquellesétoient
aux nouveaux arrivés : je vérifiai en des figures les bras croisés, et tenant
même temps l'exactitude de mes premiè- d'une main un fléau, de l'autre une espèce
res opérations. Parmi les nouvellesdécou- de crochet ; deux secondes galeries laté-
vertes que je fis à travers les décombres rales, cinq antichambres dans la partie
du temple, je citerai une figure que j'ap- du fond, et cinq chambres derrière ; le
perçus sur les murs extérieurs des petits tout terminé par une autre galerie, avec
édifices qui sont à côté du sanctuaire; des couloirs aboutissant aux cours latéra-
c'était celle d'un personnage faisant l'of- les du grand temple. Étoit-ce là enfin le
frande"de deux obélisques; je remarquai palais des rois, ou plutôt leur noble
aussi la représentation d'une porte de prison? ce qui pourroit le faire croire,
temple, laquelle avoit deux battants, et ce sont les figures sculptées sur les par-
se fermoit avec la même serrure en bois ties latérales de la porte, représentant
dont on se sert encore actuellement (voy. des héros tenant par les cheveux des figu-
pi. CXXXIX,«°i3, i4, i5,e*i6):l'exces- res subjuguées ; des divinités leur mon-
sive chaleur ne me permit pas de m'arrê- trent de nouvelles armes, comme pour
ter un seul instant aux endroitsoù étoient leur promettre de nouvelles victoires tant
situés ces deux bas-reliefs, et par consé- qu'ils auront recours à elles pour les ob-
quent de les dessiner ; mais on peut infé- tenir. N'y.auroit-il point en ceci quelque
rer de ces sculptures que les monuments analogie avec ce qu'Hérodote nous trans-
du genre des obélisques étaient votifs, et met du régime des rois, de l'obligation
offerts par les princes ou autres grands où ils étoient d'être servis, conseillés, et
personnages ; que les choses moins capi- toujours accompagnés par des prêtres,
tales, comme les portes, étoient aussi des contraints chaque matin d'écouter la lec-
offrandespieuses ; enfin que les inventions ture qu'ils leur faisoient de leurs devoirs,
simples et d'une utilité générale se trans- d'aller ensuite au temple faire hommage
mettent par une tradition qui traverse de leur autorité à la divinité, et recon-
toutes les révolutions des nations. L'image noître qu'ils ne la tenoient que d'elle ,et
que je donne de la serrure moderne ne pouvoient la conserver que par elle ?
peut absolument suppléer au dessin de de telles obligations pourraient amener
celle antique, puisque je n'y ai remarqué à croire que, pour ne pas leur laisser la
aucune différence. pensée de pouvoir s'y soustraire, ils lo-
J'ajouterai aux diverses descriptions geoient encore dans l'enceintedes temples
que j'ai déjà faites de ce gigantesque mo- ces esclaves couronnés.
(^94)
A Luxor, où nous allâmes dîner, on ap- et que je ne le reconnus que lorsque je
porta au général un petit crocodile de le vis remuer et fuir.
cinq pouces de longueur. La terreur Entre Bassalier et êl-Moêcat, en suivant
qu'inspire cet animal aux Égyptiens un canal, nous fûmes attirés par un mon-
avoit fait tuer celui-ci par l'homme qui ticule de briques appeléCom-êl-Acmart;
l'avoitpris ; son âge et l'impossibilitéoù il à son extrémité sud, on trouve la sub-
étoit de nuire n'avoient pu trouver grâce struction d'un temple égyptien, et quel-
devant la peur'; et nous perdîmes encore ques assises des bases de son portique,
cette occasion de connoître les moeurs de le tout couvert d'hiéroglyphes: cette ruine
cet amphibie. inconnue a échappé aux géographeset aux
.
Le lendemain,nous vînmes à Salamier; voyageursanciens et modernes.S ont-celes
le jour d'après, nous arrivâmes de bonne ruines de Silsilis, la ville qui aurait donné
heure à Esnê. Le général Belliard faisoit son nom aux carrières qui sont près de là ?
monter ses reconnoissancesplus en avant; J'arrivai pour la troisième fois à Etfu :
nous ne nous étions pas encore quittés : son temple me parut toujours plds ma-
il me restait à faire une vue latérale du gnifique;je me convainquis que si celui
temple d'Apolïinopolis, et j'allai la cher- de Tintiris est plus savant dans ses dé-
cher malgré la fatigue d'un pareil voyage tails celui d'Etfu a plus de majesté dans
,
dans cette brûlante saison. Nous allâmes son ensemble : on m'avoit promis un jour
coucher àBassalier, maison de campagne de séjour, et je n'eus qu'une après-midi ;
d'Assan-bey, située sur le bord escarpé encore l'air étoit-il si brûlant, que je
du Nil, sans un seul arbre pour rafraîchir pouvois à peine me tenir dehors pour
les yeux, vis-à-vis la roche ardente et pe- faire le dessin qui avoit déterminé mon
lée de la chaîne du Mokattam. On ne peut voyage; mais accoutumé à suivre les mou-
imaginer ce qui a pu faire choisir cette vements des autres et à me conformer
situation pour y bâtir une maison de plai- aux circonstances, je fis, comme je pus,
sance. L'intérieur n'offre aucun dédom- la vue que j'étais venu chercher {voyez
magement de tous les inconvénients de pi. LVIII, n° s») ; j'augmentai mon alpha-
l'extérieur ; de mauvaises murailles ou- bet hiéroglyphique de plus de trente
vertes par de mauvaises portes, voilà tout figures (voyez planche CXIV ) : je décou-
ce que l'architecture prête de charmes à vris aussi dans les masures élevées sur
ce palais, où l'on n'entré qu'en se cour- le temple une violation de la plate-forme,
bant, où chaque escalier est un précipi- qui permettait d'entrer dans une des
ce , où la vue des fenêtres n'offre d'inci- chambres de l'intérieur; ce deyoit être
dents que l'apparitionde crocodiles aussi la seconde après le portique, et celle qui
gros que nombreux dans cette partie du précédoit le sanctuaire. Ce que les ordu-
Nil. A notre arrivée il y en avoit un sur res entassées medaisserent voir de sculp-
.
la plage qui étoit si grand, que je l'avois ture étoit d'un grand fini et d'un excel-
pris d'abord pour le tronc d'un palmier, lent goût ; le grès employé dans cet édi-
("95)
fice étant plus fin que dans aucun autre, route d'Hafment {voyez pi. LU, n° 1);
tout le travail qu'on lui a confié.a con- un sol mouvant ou des fondations mal
servé la franchise, la finesse, et la fer- faites ont causé des affaissements qui ont
meté du marbre. dérangé l'à-plomb d'une partie de ses co-
Nous partîmes dans la nuit, et revîn- lonnes et hâté la destructiondu plafond
,
mes tout d'une traite à Esnê, très fati- du portique. Je fis le plan de l'édifice
gués de notre course; nous pûmes cepen- pour avoir une idée de sa distribution,
dant nous appercevoir que, quoique nous de l'état de la ruine, et de quelques par-
fussions presque perpendiculairement ticularités , telles qu'un double pare-
sous le soleil, les chaleurs insupportables ment, dont étoient formés les murs laté-
avoient fini avec le kamsin, et que si le raux des portiques, qui laissoient entre
vent du nord devenoit brûlant en lon- eux un espace vide dont il est difficile de
geant l'Egypte dépouillée de productions, deviner l'utilité {voyez son plan, plan-
il ne causoit point l'oppression des bour- che XCVII, lettre C).
rasques de l'est, et des tourbillons dévo- Les pièces qui sont derrière le portique
rants de l'ouest. Je n'appaisois lapiquure sont petites et négligées quant à la déco-
de mes boutons, et la démangeaison de ration ; le sanctuaire est absolument dé-
mes ampoules, qu'en me baignant sans truit; on voit,par les arrachements de
relâche, même en présence des croco- ses substructions, et par ce qui reste du
diles, que j'avois appris à braver ; j'ajou- mur qui enceint les deux pièces qui res-
tais à ces bains multipliés un régime tent debout, qu'il y avoit une galerie
végétal ; je ne mangeois plus de viande et extérieure tout à l'entour du temple.
très peu d'autre chose, et cependant, Des fouilles faites récemment par Assan-
malgré cette diète austère, je ne pouvois bey ont mis à découvert des substructions
encore obtenir qu'avec peine quelques qui font voir que, cet édifice se prolon-
heures d'un sommeil inquiet. geoit en avant du portique ; sa ruine
Le Nil, après avoir crû pendant plu- consiste en huit colonnes à chapiteaux
sieurs jours de deux pouces, arriva par évasés , tous variés dans l'ornement qui
progression à grandir d'un pied ; alors les décore, tels que la vigne, le lierre, la
ses eaux se troublèrent, ce qui pourrait feuille de palmier et son régime. Des
indiquer que dans son cours il traverse briques énormes et parfaitement faites
quelques grands lacs, dont il pousse d'a- annoncent que les édifices qui environ-
bord les eaux limpides devant lui, et que noient ce temple avoient été soignés.
ces eaux arrivent claires en Egypte jus- Étoit-ce Aphrodilopolis, que Strabon
qu'à ce que celles des pluies de l'Abys- place à-peu-près ici, ce qui me paraî-
sinie viennen? successivement y mani- trait trop près de Latopolis, qui est Esnê ?
fester leur couleur. d'ailleurs les décombres qui restent ont
De retour à Esnê j'allai visiter le tem- si peu d'extension, qu'on peut croire que
ple qui est dans la plaine à droite de la tout ce qui avoit été bâti autour de ce
("96)
monument en dépendoit. Aucune émi- Toute cette immense fabrique se ressent
nence, un sol dur, nu, désert, balaye des diverses époques de ces dévastations,
par le vent, ne laissent même pas soup- et de l'impéritie de ceux qui les réparent.
çonner qu'il ait existé d'autre édifice; Au moment où j'y allai, on achevoit des
rien d'aussi facile cependant que de re- restaurations immenses occasionnéespar
connoître les emplacements qui ont été la rage des beys au moment où ils avoient
occupés par une population plus ou été obligés de quitter Esnê ; l'argent né-
moins nombreuse : on pourroit donc cessaire à cette opération employé à cet
croire qu'il y avoit en Egypte des cou- usage dans le temps de crise où nous
vents , des sanctuaires, des espèces de étions encore fut ce qui me parut le plus
chapelles isolées près des villes ; comme merveilleux, et ce qui peut donner une
chez nous, les madones, les saints, les idée de l'enthousiasme et des ressources
grottes miraculeuses, où le zèle religieux de cette secte qui affecte un extérieur si
étoit ravivé par le silence et le mystère. humble et si pauvre.
Le petit temple près Chnubis, celui que J'allai prendre congé du portique d'Es-
l'on trouve encore à la rive droite vis-à- nê du fragment le plus pur de l'archi-
,
vis d'Esnê, sont d'autres exemples de tecture égyptienne, et, j'ose le dire, d'un
l'existence de ces espèces de temples ; les des monuments les plus parfaits de l'an-
hiéroglyphes qui couvrent ce qui reste tiquité ( voyezpi. LIV, n° 3 ) ; je dessinai
des murs extérieurs et l'intérieur du por- les variétés de ses chapiteaux{voyezplan-
tique de celui-ci sont d'un style mesquiu che LIX ), et une partie des signes de
et d'une exécution molle : il y a quelques son plafond {voyezplanche CXIV, n° i
figures astronomiquesdans le plafond du jusqu'à 13 ) ; je cherchai avec soin, et fus
portique, assez grossièrement exécutées, surpris de n'y trouver aucune représen-
mais qui attestent que les parties exté- tation du poisson latus , dont la ville
rieures de ces temples étoient consacrées portait le nom.
à l'astronomie, à l'histoire du ciel et des Nous partîmes le ao à la pointe du
temps, et à celle des époques données jour ; nous passâmes devant Asfun, à
par le mouvement des astres. deux lieues et demie d'Esnê : ce village
On nous avoit dit qu'à l'ouest d'Ésnê est élevé sur de vastes décombres ; il pa-
un couvent cophte renfermoit des choses raît plus naturel d'y chercher les ruines
merveilleuses; j'y courus : un sol arrosé du d'Aphrodilopolis,Asphinis ou Asphunis,
sang de nombre de martyrs est devenu un que de les trouver dans celles du temple
sanctuaire révéré de toute la catholicité que je viens de décrire. Ce que Strabon
égyptienne , dont le zèle infatigable ré- dit de cette ville convient davantage à
pare chaque jour à grands frais les dévas- l'éloignement de Latopolis, et l'affinité
tations' faites par les Mamelouks chaque du nom d'Asfun à Asphunis, affinité
fois qu'ils ont à punir les chrétiens des dontil y a nombre d'exemples en Egypte,
retardsdu paiement de leurs impositions. me feroit encore pencher pour cette opi-
(197)
nion; au reste Sophinis, à une demi- cultivateurs occupés à défricher les ca-
lieue plus loin, a aussi ses éminences, naux, déjà plus qu'à demi creusés; et les
mais moins considérables : ces deux vil- paysans ne se détournoient de leurs occu-
lages sont dépourvus de monuments. pations que pour apporter de l'eau et des
Quelques fouilles découvriront peut-être pastèques à nos soldats, dont la conte-
un jour auquel des deux appartientl'hon- nance pacifique ne les effrayoit plus. Une
neur d'avoir été la ville de Vénus. Après autre circonstance consolante pour le
avoir marché tout le jour au soleil, nous pays et pour nous, c'est que les villages
arrivâmes rôtis à Hermontis ; la chaleur avoient arrêté entre eux que le rachat du
de l'air était devenue moins étouffante, sang étoit aboli, et la punition des nou-
mais les rayons du soleil n'étoient pas veaux crimes renvoyée à notre équité. Le
moins brûlants : on peut dire "cependant rachat du sang est un de ces fléaux, fils
que l'époque de la croissance du Nil, où du préjugé et de la barbarie, qui élevoient
soufflent les vents du nord, est celle où des barrières entre chaque pays, et en
la chaleur de l'été en Egypte cesse d'être interceptoient la communication : si une
insupportable : il suffit de se garder des querelle particulière, un accident, avoit
rayons du soleil pendant six heures, causé la mort de quelqu'un , le défaut de
c'est-à-dire depuis neuf heures jusqu'à justice, la vengeance , un honneur mal
trois; le reste du jour l'air est léger, et entendu, accumuloient représailles sur
les nuits sont transparentes et fraîches : représailles , et dès-lors une guerre éter>
mais l'objet de notre voyage avoit été une nelle; on ne marchoit plus qu'en nom-
reconnoissance des canaux, et l'établisse- bre et armés : les visites d'affaires étoient
ment de l'organisation des travaux de des expéditions ; les chemins cessoient
la campagne, par conséquent nous étions d'être pratiqués : on n'y rencontrait plus
obligés de voyager aux heures les plus que les piétons de la classe la plus ab-
brûlantes du jour pour y trouver les jecte, ce qui ne pouvoit qu'ajouter au
travailleurs. Plusieurs des nôtres mou- peu de sûreté des routes. L'oubli des
rurent de chaud dans cette traversée : erreurs passées fut donc la première in-
rien n'est affreux comme cette mort ; on fluence heureuse de la justice de notre
est surpris tout-à-coup d'un mal de coeur, gouvernement. Un autre bonheur pour
et aucuns secours ne peuvent prévenir des les habitants aisés fut de pouvoir impu-
défaillancesqui se succèdent, et dans les- nément se parer de leurs richesses, venir
quelles expirent les malheureux qui en chez nous tous les jours mieux vêtus,
sont atteints : des chevaux même éprou- manger ensemble sans essuyer une ava-
vèrent le même sort. nie ou un surcroît d'impositions. Nous
Nous vîmes avec quelque satisfaction fûmes nous-mêmes invités, traités avec
que l'espoir de jouir des fruits de ses magnificence par des gens bien vêtus
travaux avoit fait anticiper sur nos VOT que nous n'avions jamais apperçus, qui,
lontés : les champs étoient couverts de pleins de sens et d'esprit, partaient avec
( 198 )
sagacité de nos intérêts et des leurs , de par quatre têtes en attitudes de cariatides.
nos erreurs, de leurs besoins, parloient On à à regretter que ce monument parti-
de Desaix avec respect et confiance : j'en- culier soit si dégradé, sur-tout dans son
trevoyois enfin l'époque où le bonheur intérieur, et que ce qui, reste de décora-
alloit doubler la population, déjà suffi- tion de son extérieur soit aussi fruste :
sante à la culture , où les manufactures les sculptures qui décorent les murailles
et les arts deviendraient utiles au repos extérieures, comme dans la partie du
politique ; celle enfin où le gouverne- temple de Karnak, que j'ai soupçonné
ment seroit peut-être obligé, pour occu- être un palais, représentent des figures
per la multitude, de faire élever comme de rois menaçant des groupes de captifs
autrefois des pyramides. prosternés , semblables à celles n° 7 ,
Nous approchionsde Thebes : je devois planche CXX.
voir cette fois les tombeauxdes rois, la der- Toujours précédant la troupe et pressé
nière curiosité qui me restât à satisfaire par sa marche, je courus aux deux co-
sur ce terri toiresi intéressant ; mais, com- losses, dont je fis une vue avec l'effet du
me si le sort m'eût envié des satisfactions soleil levant à la même heure où l'on
complètes en ce genre, je vis le moment avoit coutume de venir pour entendre
où ces monuments, dont je venois d'a- parler celle de Memnon {voyezpi. XLIV,
cheter la vue par une marche pénible de n° 1, et la description desplanches); en-
plus de cinquante liexies, alloient encore suite j'allai au palais isolé, appelé le
m'échapper. Usant de la sécurité qui s'é- Memnonium, dont je fis la vue {plan-
tâblissoit, j'avois galopé en avant pour cAeX.LV, n° 1). Pendant que je m'oubliois
prendre quelques traits des ruines des à observer on oublioit de m'avertir , et
temples de Médinet-Abou, où la troupe je m'apperçus que le détachement étoit
devoit me reprendre en passant : j'arrivai déjà à une demi-lieue en avant ; je me
une heure avant elle ; je fis une vue du remis au galop pour le rejoindre. La
temple qui touche au village ( voyez troupe étoit fatiguée, et l'on remettait
planche XLV, n° i): je vis qu'à droite en question si l'expédition des tom-
de ce temple il y avoit un monument beaux aurait lieu : je dévorois en si-
carré, qui étoit un palais attenant au lence la rage dont j'étois animé ; et je
temple, fort petit à la vérité, mais dont crois que ce silence obtint plus que ce,
les portiques voisins pouvoient servir de que m'auroit dicté le mécontentement
prolongements dans un climat où des que j'éprouvois, car on se mit enfin en
galeries de colonnes et des terrasses sont route sans autre discussion. Nous traver-
des appartements. Je fis un dessin du sâmes d'abord le village de Kournou, l'an-
petit palais, qui a un caractère tout dif- cienne Nécropolis: en approchant de ces
férent des autres édifices, par son plan demeures souterraines, pour la troisième
et pan son double étage de croisées car- fois les incorrigibles habitants nous saluè-
rées, par les espèces de balcons soutenus rent encore de plusieurs coups de fusils.
( i99)
C'était le seul point de la haute Egypte qui n'offrent d'abord d'ornements architec-
refusât de reconnoître notre gouverne- turals qu'une porte à simples cham-
ment; forts de leurs demeuressépulcrales, branles de forme carrée {voyez pi. XLII,
comme des larves, ils n'en sortaient que n° 2 ), ornée à sa partie supérieure d'un
pour effrayer les humains ; coupables ovale aplati', sur lequel sont inscrits en
de nombre d'autres crimes, ils cachoient hiéroglyphes un scarabée, une figure
leurs remords, et fortifioient leur dés- d'homme à tête d'épervier, et hors du
obéissance de l'obscurité de ces excava- cercle deux figures à genoux en acte d'a-
tions , qui sont si nombreuses, qu'à elles doration {voyezpi. CXXII, n° io).Dès
seules elles attesteraient l'innombrable que l'on a passé le seuil de la première
population de l'antique Thebes ( voyez porte on trouve de longues galeries de
planche XLII, n° 4 ). C'était en traver- douze pieds de large, sur vingt d'éléva-
sant ces humbles tombeaux que les rois tion , revêtues en stuc sculpté et peint :
étoient portés à deux lieues de leur pa- des voussures, d'un trait élégant et Sur-
lais dans la silencieuse vallée qui alloit baissé sont couvertes d'innombrables
, ,
devenir leur paisible et dernière de- hiéroglyphes,disposés avec tant de goût,
meure : cette vallée, au nord-ouest de que, malgré la bizarrerie de leurs formes,
Thebes, se rétrécit insensiblement; flan- et quoiqu'iln'y ait ni demi-teinte ni per-
quée de rochers escarpés, les siècles n'ont spective aérienne da^s ces peintures, ces
pu apporter que de légers changements plafonds offrent cependant un ensemble
à ses antiques formes, puisque vers son agréable, et un assortiment de couleurs
extrémité l'ouverture du rocher offre à dont l'effet est riche et gracieux. Il au-
peine encore l'espace qu'il a fallu pour rait fallu un séjour de quelques semaines
passer les tombes, ainsi que les somptueux pour chercher et établir quelque système
cortèges qui accompagnoient sans doute sur dessujets de tableaux aussi nombreux
de telles cérémonies, et qui dévoient pro- et encore plus mystérieux, et l'on ne
duire un contraste bien frappant avec m'accordoit que quelques minutes, en-
l'austère aspérité de ces rochers sauvages : core étoit-ce d'assez mauvaise grâce : je
cependant il est à croire qu'on n'avoit pris questionnois tout avec impatience ; pré-
cette route que pour obtenir de plus cédé de flambeaux, je ne faisois que pas-
grands développements,car la vallée de- ser d'un tombeau à un autre. Au fond
puis son entrée dérivant toujours au sud, des galeries les sarcophages, isolés, d'une
le point où sont les tombeaux ne doit seule pierre de granit de douze pieds de
être que très peu éloigné du Memno- long sur huit de large, étoient ornés
nium; et ce ne fut cependant qu'après d'hiéroglyphes en dedans et en dehors :
trois quarts d'heure de marche dans cette rondes à un bout, carrées à l'autre, comme
vallée déserte qu'au milieu des rochers celle de la mosquée de S.-Athanase à
nous rencontrâmes tout-à-coup des ou- Alexandrie ( voyez planche IX n° 4
,
vertures parallèles au sol : ces ouvertures 5),
et ces tombes étoient surmontées d'un
( 100 )
couvercle de même matière, et d'une tation de toutes les armes, telles que
masse proportionnée, fermant avec une masse d'armes, cotte de mailles, peau de
rainure : ni ces précautions ni ces masses tigre, arcs, flèches, carquois, piques,
énormes amenées de si loin et à si grands javelots, sabres, casques, cravaches, et
frais n'ont pu sauver les restes des sou- fouets; dans une autre une collection des
verains qui y étoient renfermés des atten- ustensiles d'usage, tels que coffre à tiroir,
tats de l'avarice; toutes ces tombes sont commode, chaise, fauteuil, tabouret, lit -
violées : à la première que l'on rencontre, de repos et pliant, d'une forme exquise,
la figure du roi ou celle de quelque divi- et tels que nous les admirons depuis quel-
nité protectrice est sculptée sur le cou- ques années chez nos ébénistes lorsqu'ils
vercle du sarcophage ; cette figure est si sont dirigés par des architectes habiles :
fruste que l'on ne peut distinguer au comme la peinture ne copie que ce qui
costume, si c'est celle d'un roi, d'un existe, on doit rester convaincu que les
prêtre , ou d'une divinité : dans d'autres Égyptiens employoieïit pour leurs meu-
tombeaux la chambre sépulcrale est en- bles les bois des Indes sculptés et dorés,
tourée d'un portique en pilastres ; les gale- et qu'ils les recouvroient d'étoffes bro-
ries, bordéesde loges soutenues de même chées ; à cela étoit jointe la représen-
manière, et de chambres latérales creu- tation d'ustensiles, comme vases, cafe-
sées dans iine rocheinégale, sont revêtues tières, aiguière avec sa soucoupe, théière
d'un stuc blanc et fin, sur lequel sont et corbeille {voyezpi. CXXXV, n° i5,
sculptés des hiéroglyphes colorés, et d'une ig, 21, et 25); une autre chambre étoit
conservation surprenante; car, à l'excep- consacrée à l'agriculture, avec les outils
tion de deux des huit tombeaux que j'ai aratoires, une charrue telle que celles
visités, où l'eau est entrée, et qu'elle a d'à présent, un homme qui semé le grain
dégradés jusqu'à hauteur d'appui, tous sur le bord d'un canal des rives duquel
les ornements des autres sont d'une par- l'inondation se retire, une moisson faite
faite conservation, et les peintures aussi à la faucille, des champs de riz que l'on
fraîches que si elles venoient d'être ache- soigne ; dans une quatrième une figure
vées ; les couleurs des plafonds, en fond vêtue de blanc, jouant d'une harpe à onze
bleu avec des figures en jaune, sont d'un cordes ; la harpe sculptée avec des orne-
goût qui décorerait nos plus élégants sa- ments de la même teinte et du même
lons (voyezles plans que je pris en hâte, bois que celui dont on se sert actuelle-
et qui rendront compte des autres, dont ment pour fabriquerles nôtres. Comment
les différences dans la distribution ne pouvoir laisser de si précieuses curiosités
m'ont paru d'aucune importance plan- avant de les avoir dessinées ! comment
,
che XI,11, n° i et 3). revenir sans les montrer ! je demandai à
On avoit sonné le boute-selle, lorsque hauts cris un quart d'heure; on m'ac-
je découvris de petites chambres, sur les corda vingt minutes la montre à la main;
murs desquelles était peinte la représen- une personne m'éçlairoit tandis qu'une
(IOI )
autre promenoit une bougie sur chaque et la magnificence intérieure de ces ex*-
objet que je lui indiquois ; et je fis ma cavations, le nombre de portes qui les
tâche dans le temps prescrit avec autant défendoient, tout me fit voir que le culte
de naïveté que de fidélité ( voyez plan- religieux qui avoit creusé et décoré ces
che CXXXV) : je remarquai beaucoup de grottes étoit le même que celui qui avoit
figures sans tête ; j'en trouvai même avec élevé les pyramides.Enfin nous quittâmes
la tête coupée ; elles étoient toutes d'hom- bien vite ces retraites où tant d'objets inté-
mes noirs, et ceux qui les coupoient et ressants dévoientnous retenir, pour arri-
qui tenoierit encore le glaive instrument ver de bonne heure à Alicate, où per-
du supplice étoient rouges ( voyez plan- sonne n'avoit rien à faire. J'éprouvai,
che CXXIV, n° 2) : étoient-ce des sacri- comme toutes les autres fois, que la tra-
fices humains? sacrifioit-on des esclaves versée de Thebes étoit pour moi comme
dans les tombeaux? ou étoit-ce le résultat un accès de fièvre, comme une espèce de
d'un acte de justice, et la punition du crise qui me laissoit une impressionégale
coupable ?.... J'observois tout ce que je d'impatience d'enthousiasme, d'irrita-
,
rencontrais, et je mettois dans mes po- tion et de fatigue.
,
ches tout ce que je trouvoisde fragments Le lendemain matin nous arrivâmes
portatifs. A l'inventaire que j'en fis de- de bonne heure à Nagadi, riche bourg
puis je trouvai la charmante petite patere peuplé de chrétiens ; l'évêque cophte, la
en terre cuite ( n° 1 et 2, planche C ) , crosse à la main, à la tête de tous ses
nioreeau digne du plus beau temps des fidèles, vint au-devant de nous, et nous
arts chez toutes les nations qui s'en sont conduisit à une maison où étoit préparé
le plus occupées : des figures de divinités un déjeûner pour l'état-major et tout le
en bois de sycomore, ébauchées avec détachement; c'étoit sans doute en ac-
une franchise extraordinaire : des che- tions de grâces d'avoir délivré le pays des
veux fins, lisses, et blonds: un petit pied courses des Mekkains, et particulière-
de momie, qui ne fait pas moins d'hon- ment d'avoir tiré l'évêque de la captivité
neur à la nature que les autres morceaux où nous l'avions trouvé au château de
en font à l'art; c'étoit sans doute le pied Benhoute. Nous vînmes coucher à Ba-
d'une jeune femme, d'une princesse, d'un lasse, qui a donné son nom aux jarres de
être charmant, dont la chaussuren'avoit terre, dont ses manufacturesfournissent
jamais altéré les formes, et dont les for- non seulement toute l'Egypte, mais la
mes étoient parfaites; il me sembla en Syrie et les isles de l'Archipel; elles ont
obtenir une faveur, et faire un amoureux la qualité de laisser transsuder l'eau, et
larcin dans la lignée des Pharaons ( voyez par-là de l'éclaircir, et de la rafraîchir ;
planche G, n° 6 ). Enfin on m'arracha fabriquées à peu de frais, elles peuvent
de ces tombeaux, où j'étois resté trois être vendues à si bon marché, qu'on s'en
heures, où j'aurais pu être tout autant sert souvent pour construire les murailles
occupé pendant trois jours! le mystère des maisons, et que l'habitant le plus pau-
26
( 202 )
vre peut s'en procurer en abondance : la noncés; les fusils, les canons même des
nature en donne la matière toute pré- Français ne pourront atteindre ceux qui
parée dans le désert voisin ; c'est une suivront cette enseigne sacrée; nombre
marne grasse, fine, savonneuse, et com- d'Arabes joignent ce premier rassemble-
pacte, qui n'a besoin que d'être humectée ment : il arrive tout-à-coup dans la pro-
et maniée pour être malléable et tenace : vince de Bahiré, s'empare deDemenhour
et les vases que l'on en fait, tournés, gardé par soixante Français. A ce premier
séchés et cuits à moitié au soleil, sont succès, les partisans de cette nouveauté
achevés en peu d'heures par l'action d'un accourent, les Bédouins arrivent de toutes
seul feu de paille : on en forme des ra- parts : la tourbe devient innombrable
,
deaux que tous les voyageurs en Egypte semblable aux tourbillons qui traversent
,
ont décrits: ils se transportent ainsi le le désert, élevant dans leur marche des
long des bords du Nil; on en débite une trombes de sable et de poussière, sem-
partie dans le chemin ; le reste s'embarque blent en même temps menacer le ciel et
à Rosette et à Damiette pour le faire pas- la terre, mais au premier objet dont leur
ser en pays étrangers ( voyez pi. XCIV, base est atteinte, penchent, vacillent, et
n° 2 ) : j'ai trouvé les mêmes jarres, dans s'évanouissent dans l'espace. Un détache-
les mêmes formes, employées aux mêmes ment est envoyé; Demenhour est repris,
usages, montées sur les mêmes trépieds ^ quinze cents hommes des révoltés sont
dans des tableaux hiéroglyphiques{voyez tués, le reste se disperse ; l'ange êl-Mahdi
planche'-CXV, n° 3i ), et dans des pein- blessé n'échappe qu'avec peine ; l'illusion
tures sur des manuscrits {voyez plan- cesse, et le fantôme et l'armée n'existent
che CXXXVI). déjà plus.
Le lendemain, nous arrivâmes de bonne Les nouvelles de Syrie annonçoient le
heure vis-à-vis Kéné, où nous trouvâmes retour de notre armée : je calculois que,
le Nil six pieds plus élevé que nous ne l'Egypte supérieure conquise et occupée
l'avions laissé. par nous, l'époqueapprochoitoù lapasse
Nous apprenons que Mourat - bey a Egypte, couverte d'eau, alloit être pour
quitté les oasis, qu'il est descendu par la long-temps à l'abri des descentes; que
route de Siouth dans les environs de Mi- Bonaparte alloit se trouver sans opéra-
niel, qu'il a ouvert des intelligences dans tions d'une grande utilité: je n'avois pas
la basse Egypte, et jusqu'au nord de oublié qu'en m'amenant il m'avoit pro-
l'Afrique, qu'il en a fait arriver un émis- mis de me ramener avec lui ; je n'avois
saire qui a débarqué à Derne. Cet émis- pas encore tourné mes regards du côté
saire n'est rien moins que Fange êl-Mahdi, de l'Europe, et cette pensée fut une sen-
annoncé et promis dans le koran; il est sation qui devint un mouvement de trou-
reconnu par un adgi conduisant deux ble et d'impatience.
cents Mongrabins; le drapeau du pro- Cependant le bruit des coups de fusils
phète est déployé, les prodiges sont an- que nous avoient tirés les habitants de
( 2o3 j
Kournou retentissoient encore dans le la nuit : réveillé par des soldats, il voulut
souvenir du général Belliard; le temps fuir; il étoit armé, on courut dessus, on
de les en punir étoit arrivé. À peine de ne l'atteignit que d'un coup de sabre qui
retour à Kéné, il s'occupa d'organiser lui coupa le poignet: le malheureux n'eu
une expédition contre eux, pour les sur- aecusaquelafatalité,et passason chemin :
prendre, s'emparer de leurs troupeaux , je lui donnai deux piastres ; ô comble de
miner leur repaire, les faire sauter, et la misère ! il crut qu'il étoit mon obligé !
emmener leur cheikh. Cette expédition Les chiens nous avoient dépisté, et
alloit nécessiter quelque séjour à Thebes ; les premiers rayons du jour éclairèrent
à Thebes ! j'étois en proie à des volontés notre erreur, et nous laissèrent voir les
contradictoires ; mon incertitude cessa habitants en fuite dans le désert, précédés
en faveur de ce que ma passion appeloit de leur cheikh à cheval, et suivis de leurs
mon devoir. Je me remis donc en route troupeaux; une partie de ces derniers fut
(c'étoit mon septième voyage) pour cette interceptée, quelques femmes furent ar-
grande Diospolis,que j'avois toujours vue rêtées ; et nous commençâmes à former le
avec une telle hâte, qu'un regret avoitété siège dechaquetombeau. Nousrassemblâ-
pour ainsi dire attaché à chacune de mes mes toutes les matièrescombustibles,nous
jouissances; j'espérai cette fois, sinon en allumâmes des feux devant les grottes,
compléter, au moins augmenter encore pour obliger parla fumée ceux qui étoient
ma collection sur ce point si important dedans d'en sortir ; on nous repoussoit à
de mon voyage, et m'assurer de la va- coups de pierres et à coups de javelots;la
leur et de la vérité du résultat de mes plupart de ces retraites, communiquant
premières sensations sur cette capitale les unes aux autres, avoient de doubles
du monde ancien, ce foyer de lumières issues : une surprise auroit terminé heu-
pendant tant de siècles pour tous les reusement notre opération; mais com-
peuples qui avoient voulu s'éclairer. mencée par une mal-adresse, elle devint
Arrivés dans ces parages, nous nous cruelle, et n'aboutit qu'à la prise de trois
vîmes signalés; nous prîmes le parti de cents bêtes à cornes, quatre hommes, au-
passer outre, comme si notre destination tant de femmes, et huit enfants. Ceux qui
eût été "d'aller à Esnê : la feinte réussit ; avoient fui dans le désert étoient sans
nous mouillâmes à Luxor, et le lende- provisions, et n'en pouvoient obtenir des
main avant le jour nous revînmes sur villages voisins avec lesquels ils étoient
nos pas : mais cette manoeuvre n'aboutit en guerre; ceux qui étoient restés dans
qu'à une méprise ; l'officierqui eomman- les grottes manquoient d'eau. Nous prî-
doit s'obstina à penser que nous devions mes position pour former un doublé
trouver les habitants dans un petit bois blocus, et nous fîmes jouer la mine ; 'die
de palmiers au sud des grottes; il le fit produisit peu d'effet, mais elle effraya:
cerner, on le battit : on n'y trouva qu'un les pourparlers commencèrent; c'étoit
malheureux passager, qui y, étoit resté une guerre avec les gnomes, et nos pro-
( ao4 )
positions d accommodements et nos ar- dans le désert, n avoient davantage sur
ticles étoient communiqués à travers les ceux-ci que la magnificence, dés sarco-
masses de rochers : nous demandions les phages et de particularité que l'isole-
,
eheihks ; ils ne vouloient pas les livrer ; ment mystérieux de leur situation ; les
ils s'informoient de leurs prisonniers , autres dominoient immédiatement les
de leurs femmes, de leurs enfants, et grands édifices de la ville : les sculptures
rde leurs troupeaux, pour lesquels leurs en étoient incomparablementplus soi-
sollicitudes étoient égales : on leur per- gnées que tout ce que j'avois vu dans
mit d'envoyer un député dans le désert ; les temples; c'étoit de la ciselure : j'é-
la guerre fut suspendue pendant ce tois émerveillé que la perfection de l'art
temps. fût réservée à des tombeaux, à des lieux
.:
Accompagné de quelques soldats vo- condamnés au silence et à l'obscurité.
lontaires, je commençai mes perquisi- Ces galeries ont quelquefois traversé des
tions : j'observai les grottes que nous bancs d'une glaise calcaire d'un grain
avions prises d'assaut ; elles étoient sans très fin ; alors les détails des hiéroglyphes
magnificence ; derrière une double gale- y ont été travaillés avec une fermeté de
rie régulière, soutenue par des piliers, touche et une précision que le marbre
çtoit une file de chambres, souvent dou- n'offre presque nulle part, les figures
bles et assez régulières; si l'on n'y eût rendues par des contours d'une souplesse
pas trouvé des sépultures, et même en- et d'une pureté dont je n'aurois jamais
core des restes de momies, on auroit pu cru la sculpture égyptienne susceptible :
croire que c'étoit là la première demeure ici j'ai pu la juger dans des sujets qui
des premiers habitants de l'Egypte, ou n'étoientplus hiéroglyphiques, ni histo-
bien même, qu'après avoir servi d'abord à riques, ni scientifiques, mais dans la re-
cet usage, ces souterrains étoientdevenus présentation de petites scènes prises delà
des tombeaux, et que définitivement les nature, où les attitudes, profilantes et
habitants de Kouraou ( nouveaux Tro- roi des étoient remplacéespar des mouve-
glodytes) les avoient rendus à leur pre- ments souples et naturels,par des groupes
mière destination. de personnages en perspective, etd'un re-
;
A mesure que ces grottes s'élèvent sur liefsibas, que jusqu'alors j'avois crulemé-
la côte elles deviennent plus décorées; et tal seul susceptible d'un travail aussi sur-
bientôt je ne pus pas douter, non seule- baissé. J'ai rapporté quelques fragments
ment à la magnificence des peintures et de ces bas-reliefs, comme un témoignage
des sculptures, mais aux sujets qu'elles que j'ai cru nécessaire pour persuader
représentent, que j'étois dans les tom- aux autres ce qui m'avoit moi-même tant
beaux des grands ou des héros. Les tom- surpris {voyez ces fragments,pl. CXIII) ;
beaux que l'on croit avoir été ceux des je les ai dessinés, de retour en France,
rois, et que j'étois allé chercher à mon de grandeur naturelle, et avec autant de
dernier voyage à trois quarts de lieue vérité que d'exactitude,pour donner une
(ao5)
idée juste du caractère et de la précision de temps à autre des chambres couver-
de ce travail. On est bien étonné du peu tes d'hiéroglyphes , des chemins étroits
d'analogie de la plupart des sujets dé ces à côté de précipices, des puits profonds,
sculptures avec le lieu où elles sont pla- où l'on ne peut descendre qu'en s'aidant
cées ; il faut la présence des momies pour contre les parois de l'excavation, et met-
se persuader que ce sont là des tom- tant les pieds dans des trous pratiqués
beaux:j'y ai trouvé des bas-reliefs repré- dans le rocher ; au fond de ces puits on
sentant des jeux, comme de sauteurs sur trouve de nouvelles chambres décorées,
la corde*, des ânes auxquels on fait faire et ensuite de nouveaux puits et d'autres
des tours, que l'on élevé sur les pattes de chambres, et, par une longue rampe as-
derrière, etc. {voyez planche CXXIV, cendante , on arrive enfin à une pièce
n° 7 et 8) ; ces ânes sont sculptés avec ouverte, et qui se trouve être tout à côté
la même naïveté que leBassan les a peints de celle où on a commencé son voyage.
dans ses tableaux. Il eût fallu des journées pour prendre
-
Le plan de ces excavations n'est pas une idée et lever les plans de pareils
moins étrange ; il y en a de si vastes et de dédales : si la magnificence de l'intérieur
si compliquées, qu'on les prendrait pour des maisons étoit analogue au faste de
des labyrinthes,pour des temples souter- ces habitations ultérieures, comme on
rains. Quelques uns des mêmes habitants le doit croire d'après les beaux meubles
avec lesquels nous faisions la guerre me peints dans les tombeaux des rois, qu'il
servoient de guides ; et le son de l'argent, est à regretter de n'en retrouver aucun
cette langue universelle, ce moyen contre vestige ! que sont devenues ces maisons
lequel toute haine cède, sur-tout chez qui renfermoientces richesses? comment
les Arabes, m'avoit fait des amis parmi ont-elles disparu? elles ne peuvent être
les habitants fugitifs de Kournou ; quel- sous le limon du Nil, puisque le quai qui
ques uns étoient venus me trouver en est devant Luxor atteste que le sol n'a
secret lorsque j'étois éloigné du camp, éprouvé qu'une élévation peu considé-
et me servoient de bonne foi : nous péné- rable. Étoient-elles en briques non cuites?
trâmes avec eux dans ces dédales souter- les grands comme les prêtres habitoient-
rains , qui véritablement ressemblent, ils les temples? et le peuple n'avoit-il que
par leurs distributions mystérieuses, à des tentes ?...
des temples construits pour servir aux Pendant toute l'expédition nous avions
épreuves des initiations. Après les pièces été suivis d'une bande de milans et de
si bien décorées que je viens de décrire, petits vautours, qui étoient devenus aussi
on entre dans de longues et sombres ga- familiers qu'ils étoient naturellement vo-
leries, qui, par plusieurs angles, vont et races ; ils se nourrissoient de ce que
reviennent, et paroissent occuper de nous laissions après nous, et nous rejoi-
grands espaces ; elles sont tristes, sé- gnoient toujours à la première station j
vères , et sans décoration : on rencontre les jours de combats, au lieu d'être éloi-
(ao6)
gnés par le canon, ils accoûroient de et le beau point de vue dont on jouit
toutes parts : cette fois-ci notre expédi- dans leur situation; elles n'ont au reste
tion faite en bateau avoit trompé nos ha- rien qui les distingue des autres, c'est ce
bitués ; mais aux premiers coups de fu- qu'attestent les peintures dont elles sont
sils,.sur-tout à l'explosion de la mine, ils couvertes. Le rocher, d'une nature gra-
furent avertis et vinrent nous rejoindre ; veleuse, est enduit d'un stuc uni, sur le-
leur adresse et leur familiarité devenoient quel sont peintes en toutes couleurs des
un spectacle et un divertissement pour pompes funèbres d'un travail infiniment
nous ; des berges élevées du Nil nous leur moins recherché que celui des bas-reliefs,
jetions de la viande qu'ils ne laissoient mais non moins curieux pour les sujets
jamais tomber jusque dans l'eau; ils en- qui y sont représentés : on regrette que
levoierit quelquefois les rations qu'on l'enduit dégradé ne laisse pas suivre la
envoyoit aux postes avancés, et que nos marche des cérémonies; on voit par les
serviteurs portoient sur leur tête : j'ai vu fragments qui en sont conservés que ces
des soldats vidant des volailles, les mi- fonctionsfunèbres étoient d'une extrême
lans leur enlever délicatement de la main magnificence.
les foies et les entrailles qu'ils étoient oc- Les figures des dieux y sont portées
cupés d'en séparer; les petits vautours par des prêtres sur des brancards et sous
n'avoient pas la même dextérité, mais des bannières, suivies de personnages
leur impudence égaloit leur voracité, ils portant des vases d'or de toutes les formes
mangeoient tout ce qu'il y avoit de plus {voyezpi. CXXXV, n° 33, 34, et 35),
abject et de plus corrompu ; et leur na- des calumets, des armes, des provisions
ture participoit de l'infection de leur de pain {voyez même planche n° 32 et
,
nourriture , car à plusieurs reprises il 36 ) des victuailles, des coffres de diffé-
,
m'a été impossible de supporter l'odeur rentes formes : je ne pus dans aucun
de la chair de ces oiseaux, que"j'essayois groupe distinguerle corps du mort ; peut-
d'écorcher au moment où je venois de être étoit-il enfermé dans quelque sar-
les tuer, soit à coup de fusil, soit même cophage et surmonté, des figures des
,
à coup de pistolet, et pendant qu'ils dieux; des femmes marchoient en ordre
étoient encore chauds. jouant des instruments : j'y trouvai un
Le soir j après quelques ouvertures de groupe de trois chanteuses s'accompa-
négociations, nous nous quittions, mes gnant, l'une de la harpe, l'autre d'une
guides et moi, contents les uns des au- espèce de guitare ; la troisième jouoit
tres, avec rendez-vous pour le lende- sans doute d'un instrument à vent dont
main , et nous étions également empres- une destruction nous a dérobé la conr
sés d'y être exacts. Je fus conduit à de noissance {voyez'même planche n° 27 ,
nouvelles sépultures, moins sinistres, 28, et 29).
et qui auroient pu servir d'habitations Si j'avois eu le temps de dessiner tous
agréables par le jour, la salubrité, l'air, les méandres qui décorent les plafonds,
(ao7)
j'aurois emporté tous ceux qui font or- voient jamais été si heureuses ni si bien
nement dans l'architecture grecque, et traitées ; j'insistois sur ce que les cheikhs
tous ceux qui rendent les décorations me fussent livrés; je leur peignois l'ap-
dites arabesques , si riches et si élé pétit de nos soldats, et conséquemment
gantes. le danger qui résultoit pour le troupeau
A travers ces souterrains il y a un mo- d'une longue résistance ; mais, je l'a-
nument bâti en briques non cuites, dont vouerai , je ne hâtois rien, je tempori-
les lignes ont quelque caractèrede beauté. sois, je remettais au lendemain, ne vou-
Le talus des murailles et les couronne- lant ni brusquer mes négociations, ni
ments rappellent le style égyptien, mais tronquer mes opérations.
quelques ornements à l'extérieur, ainsi J'avois découvert, en gravissant les
que des voûtes dans les soubassements , montagnes, que les tombeaux des rois
ne me laissèrent pas douter que le mo- se trouvoient tout près du Memnonium:
nument ne fût arabe: il est considérable, j'étois bien tenté d'y retourner; mes gui-
et par sa situation il domine tout le ter- des m'en pressoient, mais je cpaignois
ritoire de Thebes. d'y rencontrer la peuplade fugitive, et
On m'apportoit des fragments de mo- de devenir à mon tour otage 6u moyen
mie : je promettois ce qu'on vouloit pour d'échange pour les moutons.
en avoir de complètes et d'intactes; mais Le troisième jour, j'allai à Médinet-
l'avarice des Arabes me priva de cette sa- Abou ; je revis ce vaste édifice avec des
tisfaction : ils vendent au Caire la résine yeux nouveaux. N'étant plus harcelé par
qu'ils trouvent dans les entrailles et dans la marche précipitée d'une armée, je me
le crânede ces momies, et rien ne peut les rendis compte du plan de ce groupe d'é-
empêcher de la leur arracher; ensuite la difices ( voyez planche XLVI ) ; je me per-
crainte d'en livrer une qui contînt quel- suadai encore davantage que ces grandes
ques trésors ( et ils n'en ont jamais trouvé cours, qui se trouvent être en ligne di-
dans de semblables fouilles) leur fait tou- recte du palais à deux étages, que j'ai
jours casser les enveloppes de bois, et dé- déjà décrit {n° 2 ,planche XLVI), pou-
chirer celles de toile peinte qui couvrent voient bien en être des dépendances,
les corps dans les grandsembaumements. ainsi que cette immense circonvallation
Le lecteur peut juger quelle journée de de deux cents pieds de long, dont on ne
délices c'étoit pour moi que celle où je voit plus qu'un des côtés ( voyez lettre J,
découvrois tant de nouveautés, d'autant figure IV ). J'avois déjà remarqué dans
que, reprenant mon ancien métier de le second portique que la catholicité s'y
diplomate, j'étois devenu l'homme de étoit fabriqué une église dont il ne reste
confiance, l'intermédiaire des bons of- plus que le soubassement de la niche du
fices et que c'étoit à moi qu'on recom- choeur et les colonnes de la nef; mais
,
mandoit les femmes et les enfants. Je me je découvris par nombre de petites
,
gardois bien de dire que les femmes n'a- portes décorées de croix fleuries, que le
( 2o8 y
corps - de - logis , de deux cents pieds , verses manières; ils sont vêtus de robes
avoit, suivant toute apparence, servi de longues et rayées ; leurs cheveux sont
couvent à quelque ordre de moines des longs et nattés, des panneaux d'hiéro-
premiers siècles. Dans le portique où étoit glyphes, de cinquante pieds de diamètre,
l'église {lettre Z) j'eus le temps d'obser- suivent, et expliquent sans doute ces pre-
ver que les sculptures du mur intérieur miers tableaux. Reprenant à gauche sur
( marqué V) représentaien t les exploits une autre face de ces galeries, on trouve
et le triomphe d'un héros qui avoit porté un long bas-relief représentant sur deux
la guerre dans des contrées lointaines, lignes une marche triomphale; c'est le
de Sésostris peut-être , et ses victoires même héros revenant sans doute de ses
dans l'Inde, comme tous ces bas-reliefs conquêtes ; quelques soldats couverts de
semblent l'indiquer. On y remarque un leurs armes attestent que le triomphe est
vainqueur poursuivant seul une armée militaire, car bientôt on ne voit plus que
qui fuit devant lui, et se jette, pour échap- des prêtres ou des personnages de la caste
per à ses coups, dans un fleuve, qui est des initiés, sans armes, avec des habits
peut-être l'Indus : ce héros, monté sur un longs et des tuniques transparentes; les
petit chariot où il n'y a place que pour armes du héros en sont recouvertes : il
lui, conduit deux chevaux dont les rênes est porté sur les épaules et sur un palan-
aboutissent à sa ceinture:des carquois,des quin avec tous les attributs de la divi-
masses d'armes, sont attachés à son char nité; devant et derrière lui marchent des
et tout autour de lui ; sa taille est gigan- prêtres portant des palmes et des calu-
tesque ; il tient un arc immense, dont mets ; on lui présente l'encens ; il arrive
il décoche des traits sur des ennemis bar- ainsi au temple de la grande divinité de
bus et à cheveux longs, qui ne tiennent Thebes que j'ai déjà décrite; il lui offre
,
en rien du caractère connu des jtêtes un sacrifice dont il est le sacrificateur :
égyptiennes. Plus loin, il est représenté la marche suit, et le héros devient cor-
assis au revers de son char, dont les tège; c'est le dieû*qui est porté par vingt-
chevaux sont retenus par des pages : on quatre prêtres ; le boeuf Apis avec les at-
compte devant lui les mains des vaincus tributs de la divinité marche devant le
morts au combat; un autre personnage héros ; une longue suite de personnages
les inscrit ; un troisième paroît en pro* tiennent chacun une enseigne, sur la
clamer le nombre. Quelques voyageurs plupart desquelles sont les images des
ont vu un second tas d'une autre espèce dieux. Arrivés à un autel, un enfant, les
de mutilation, qui annonceroit que ce bras attachés derrière le dos, va être sa-
n'étoit pas contre des amazones que le crifié devant le triomphateur, arrêté
héros auroit combattu ; mais les formes pour assister à cet horrible sacrifice, ou
de ces mutilatipns ne m'ont pas frappé, recevoir cet exécrable holocauste; un
et je ne les ai pas distinguées: des pri- prêtre qui brise la tige d'une fleur ,
sonniers sont amenés attachés de di- des oiseaux qui s'envolent, sont les en>
('a°9)
blêmes de la mort et de l'ame qui se sé- cier toute l'étendue d'une tellejouissance.
pare du corps. Ce que Longus et Apulée Je sentis.que j'en pâlissois; je vouloisque-'
nous ont dit des sacrifices humains chez relier ceux qui, malgré mes instantes
les Égyptiens dans leurs romans de Théa- prières, avoient violé l'intégrité de cette
genes et de l'Ane d'or est donc une vérité ! momie, lorsque j'apperçus dans sa main
les hommes policés ressemblent donc droite et sous son bras gauche le,manu-
par-tout aux hommes barbares! Ensuite scrit de papyrus en rouleau, que jen'au-
le héros fait lui-même au boeuf Apis le rois peut-être jamais vu sans cette viola-
sacrifice d'une gerbe de bled ; un génie tion : la voix me manqua; je bénis l'ava-
protecteur l'accompagne sans cesse ; il rice des Arabes, et sur-tout le hasard
change d'habits, de coiffures dans la cé- qui m'avoit ménagé cette bonne fortune ;
rémonie , ce qui peut être la marque de je ne savois que faire de mon trésor,
ses différentes dignités ou degrés d'ini- tant j'avois peur de lé détruire ; je n'o-
tiation : mais la même physionomie est sois toucher à ce livre, le plus ancien des
toujours conservée, ce qui prouve qu'elle livres connus jusqu'à ce jour ; je n'osois
est portrait; son air est noble, auguste, le confier à personne, le déposer nulle
et doux. Dans un tableau il tient neuf part; tout le coton de la couverture qui
personnages enchaînés du même lacs : me servoit de lit ne me parut pas suffisant
sont-ce les passions personnifiées? sont- pour l'emballer assez mollement : étoit-
ce neuf différentes nations vaincues par ce l'histoire du personnage? l'époque de
lui? on lui offre l'encens en l'honneur sa vie , le règne du souverain sous lequel
de l'une ou l'autre de ces victoires; un il avoit vécu y étoit-il inscrit? étoient-ce
prêtre écrit ses fastes et en consacre le quelques dogmes, quelques prières,, la
,
souvenir. C'étoit la première fois que consécration de quelque découverte? Sans
j%usse vu des figures dans l'acte d'écrire : penser que l'écriture de mon livre n'était
les Egyptiens avoient donc des livres; le pas plus connue que la langue dans la-
fameux toth étoit donc un livre, et non quelle il étoit écrit, je m'imaginai un
des panneaux d'inscriptionssculptées sur moment tenir le compendium de la litté-
des murailles, comme il étoit resté en rature égyptienne, le toth enfin. Je re-
doute. Je ne pouvois me défendre d'être grettais de n'avoir pu dessiner tout ce que
flatté en songeant que j'étois le premier j'avois vu dans cette journée si intéres-
qui eût fait une découverte si impor- sante; au reste ne devois-je pas être sa-
tante; mais je le fus bien davantage lors- tisfait? quel,autre voyageur avoit vu au-
que, quelques heures après, je fus nanti tant d'objets nouveaux? quel autre les
de la preuve de ma découverte par la avoit, comme moi, pu dessiner sur les
possession d'un manuscrit même que je lieux mêmes ?
trouvai dans la main d'une superbe mo- La négociation avançoit plus que je
mie qu'on m'apporta: il faut être cu- ne youlois; les cheikhs avoient été li-
rieux, amateur, et voyageur, pour appré- vrés, mais heureusement le miri n'ar-
27
(aïo)
rivoit pas. L'officier qui commandoit eut de l'eau fraîche, du pain, des dattes déjà
la bonté de me consulter: je ne répondis mûres, et des raisins ; et j'eus le temps de
pas à sa bonne foi, et l'égoïsme dicta dessiner tout ce que la veille je n'avois
ma réponse ; au surplus que cent hom- fait qu'observer {voyez pi. ÇXXXIV,
mes dont on n'avoit que faire à Kéné n° i et 2, et l'explication). J'avois avec
fussent à Thebes, l'inconvénient n'était moi des bougies, ce qui me donna la
pas grand ; j'allois irrévocablement quit- facilité d'aller visiter les endroits les plus
ter la haute Egypte. Les opérations mi- obscurs, dans lesquels je n'avois pu pé-
litaires avoient si souvent et si impérieu- nétrer lors dés autres voyages. Je trouvai
sement contrarié les miennes! je cédai (j^.XLVI, figure IV, lettres E, F, G)
à l'occasion de me venger un peu : je dis trois petites chambres couvertes de bas-
qu'on ne pouvoit mettre trop de circon- reliefs qui avoient été de tout temps
,
spection dans une circonstance aussi dé- privées de lumière ; au fond de la troi-
licate que je eroyois qu'on ne devoit rien sième il y avoit une espèce de buffet en
,
hasarder. On envoya un courier dont le pierre, dont les montants étoient encore
voyage m'assuroit quatre jours; pendant conservés; c'étoit tout ce qu'il y avoit
ce temps arrivèrent des ordres plus pres- de particulier-dans ce petit appartement
sants; il fut question d'envoyer réclamer soigné, et sur-tout fermé de trois portes
les habitants de Rournou par-tout où on aussi fortes que des murailles, ce qui
pourroit les avoir recelés. Je me mis en pourroit faire croire que c'étoit une espèce
chemin avec le détachement mis en tour- de trésor. Nous allâmes aussi visiter l'in-
née, dans l'espérance de faire quelques térieur obscur du petit temple voisin
nouvelles découvertes dans une contrée {voyez même planche, figure II ), où il
aussi fertile en ce genre. En chemin nous nous arriva une aventure : à côté du sanc-
apprîmes que les fuyards étoient à Har- tuaire étoit une petite pièce dont un
minte:jeconnoissoiscepays;ilyavoitune temple monolite de granit occupoit pres-
lieue et demie à faire, autant pour revenir, que tout l'espace ; il étoit renversé; nous
par un soleil ardent, et j'étois à pied : trois voulûmes en visiter l'intérieur, il en
soldats étoient sans souliers; j'offris de sortit tout-à-coup une bête assez grosse
les garder avec moi, et d'aller à Medinet- qui sauta au visage de celui qui portait
Abou, vis-à-vis duquel nous nous trou- la lumière, et le lui écorcha; je n'eus que
vions alors: heureusement l'officier ne le temps de cacher ma tête dans mes
calcula pas l'insuffisance d'une si foible deux mains, et de plier les épaules, sur
escorte; et tous quatre, bien contents, lesquelles je reçus le premier bond de
nous allâmes passer la journée au frais l'animal, qui du second me jeta par terre
sous les portiques de Medinet. Les habi- en passant entre mes jambes; il renversa
tants, qui me connoissoient par quel- mes deux compagnons qui fuyoient du
ques petites générosités, vinrent, au lieu côtéde la porte,et en un clin d'oeil nous mit
de nduschercher querelle, nous apporter tous hors de combat. Nous sortîmes tous
(an)
quatre riant de notre frayeur, sans avoir de proportion, cette simplicité de pose,
pu nous assurer de ce qui l'avoit causée; cette nullité d'expressiona quelque chose
c'étoit, suivant toute apparence, un cha- de grave et de grand qui en impose: si
cal qui avoit choisi cette retraite, et qui pour exprimer quelquepassion les mem-
,
venoit d'y être troublé pour la première bres de ces figures étoient contractés, la
fois. sagesse de leurs lignes en seroit altérée,
Dans une vérificationgénérale,j'entrai elles conserveroient moins de formes à
dans une fouille faite sous les fondements quatre lieues d'où on les apperçoit, et
de la pièce Z, figure IV, que je crois la d'où elles font déjà un grand effet. Pour
plus ancienne du monument; et cepen- prononcer sur le caractère de ces statues
dant, dans la bâtisse de la fondation il faut les avoir vues à plusieurs reprises,
d'un des principaux piliers de l'édifice, il faut y avoir long-temps réfléchi ; après
je trouvai des matériaux sur lesquels cela, il arrive quelquefoisque ce qui avoit
étoient sculptés des hiéroglyphes aussi paru les premiers efforts de l'art finit par
bien exécutés que ceux qui décoroient la en être une des perfections. Le groupe
partie extérieure. D'après cela, quelle an- du Laocoon, qui parle autant à l'âme
tiquité ne doit-on pas supposer aux édi- qu'aux yeux, exécuté de soixante pieds
fices qui en avoient été ornés! que de de proportion, placé dans un vaste, es-
siècles de civilisation pour produire de pace, perdroit toutes ses beautés, et ne
tels édifices! que de siècles avant qu'ils présenteroit pas une masse aussi heu-
fussent tombés en ruines ! que d'autres reuse que celle-ci : enfin plus agréables,
siècles depuis que leurs ruines servoient ces statues seroient moins belles; elles
de fondations ! comme les annales de ces cesseroient d'être ce qu'elles sont, c'est-
contrées sont mystérieuses, obscures, à-dire éminemment monumentales, ca-
infinies ! ractère qui appartient peut-être exclusi-
Au nord de ces temples, nous trouvâ- vement à la sculpture extérieure, à celle
mes la ruine de deux figures de granit ren- qui doit entrer en harmonie avec l'archi-
versées etbrisées;ellespeuvent avoir tren- tecture , à cette sculpture enfin que les
te-six pieds de proportion, toujours dans Égyptiens ont portée au plus haut degré
l'attitude ordinaire, le pied droit en avant, de perfection. J'appelle à l'appui de ce
les bras contre le corps ; elles ornoient système l'heureux résultat de l'emploi
sans doute la porte de quelques grands de ce style sévère toutes les fois que les
édifices détruits dont les ruines sont en- modernes l'ont employé, et l'espèce de
fouies. Je m'acheminai vers les deux co- partialité que tous les artistes de l'expé-
losses dits deMemnon; je fis un dessin dition ont prise pour ce genre austère,
détaillé de leur état actuel ( voyez pi. partialité qui est la preuve la plus évi-
XLIV, n° i et 2 ) : sans charme, sans dente de la réalité de sa beauté.
grâce, sans mouvement, ces deux statues J'examinai de nouveau le bloc de gra-
n'ont rien qui séduise ; mais sans défaut nit qui est entre ces deux statues, et me
O 12)
persuadai davantage qu'il étoit la ruine nous mîmes en route : ce fut d abord à
de ce colosse d'Ossimandue, dont l'in- plat-ventre, marchant avec les mains et
scription bravoit le temps et l'orgueil des les genoux; après une minute un des
hommes; que les deux figures qui sont nôtres nous cria qu'il étouffoil; nous l'en-
restées debout sont celles de sa femme voyâmes à la porte remplacerla sentinelle,
et de sa fille, et que, dans un temps bien avec ordre de la faire entrer avec sa lu-
postérieur, les voyageurs en ont choisi mière. Après nous être traînés pendant
une pour en faire la statue de Memnon, plus de cent pas sur un tas de corps morts
afin de n'être pas venus en Egypte sans et à demi consumés, la voûte s'éleva, le
avoir vu cette statue, et, selon la pro- lieu devint spacieux et décoré d'une ma-
gression ordinaire del'enthousiasme, sans nière recherchée: nous vîmes d'abordque
l'avoir entendue rendre des sons au lever ce tombeau avoit été fouillé, que ceux
dé l'aurore. qui y étoient entrés, n'ayant point de
Quelques uns de mes amis de Kournou flambeaux, s'étoient servis de fascines,
m'avùient joint : je calculois que la troupe qui avoient mis le feu d'abord au linge
étoit allée à Hermontis et ne pouvoit re- et bientôt à la résine des momies, et
venir que tard; nous nous remîmes de avoient causé un incendie qui avoit fait
nouveau à la recherche des tombeaux, éclater les pierres, couler les matières ré-
toujoursdans l'espéranced'en trouver qui sineuses,e l noirci tou t le souterrain. Nous
n'eussent pas été fouillés, afin d'y voir pûmes remarquer que le caveau avoit été
une momie vierge, et la manière dont fait pour la sépulture de deux hommes
elles étoient disposées dans les sépultu- considérables, dont les figures de rondes
res ; c'est ce que les habitants nous ca- bosses de sept pieds de proportion se te-
choîent avec obstination pareeque la
,
noient par la main : au-dessus de leurs
situation de leur village leur en fait une têtes étoit un bas-relief, où deux chiens
,
propriété qui est devenue pour eux une en laisse étoient couchés sur un autel,
branche de commerce presque exclusive. et deux figures à genoux avoient l'air de
Après de pénibles et infructueuses re- les adorer; ce qui pourroit faire présumer
cherches, nous arrivâmes cependant à que eette sépulture étoit celle de deux
un trou devant lequel étoient épars de amis qui n'avoient pas voulu être séparés
nombreux fragments de momies: l'ou- par la mort. Des chambres latérales sans
verture étoit étroite; nous nous regardâ- ornements étoient remplies de cadavres
mes pour savoir si nous risquerions d'y dont l'embaumement étoit plus ou moins
descendre : mes compagnons étoient cu- soigné ; ce qui me fit voir avec évidence
rieux ; nous réglâmes qu'un des volon que si les tombeaux étoient entrepris et
taires avec mon serviteur resteroient en décorés pour des chefs de famille, non
dehors, et garderaient les guides, avec seulement leurs corps y étoient déposés,
la précaution de ne les laisser ni partir mais ceux de leurs enfants, de leurs pa-
ni entrer; on battit le briquet, et nous rents, de leurs amis, de tous les serviteurs
(31.3)
de la maison. Des corps emmaillottés et qui viennent de faire une équipée ; nous
sans caisse étoient posés sur le sol, et il avions effectivement commis bien des
y en avoit autant que l'espace pouvoit en imprudences : mais j'étois si content du
contenir dans un ordre régulier : je vis là butin que j'avois fait dans ma journée,
pourquoi on trouvoit si fréquemment des que je ne sortis de mon enchantement
petites figures de terre vernissée, tenant que lorsque j'appris que l'officier com-
d'une mainun fléau, etde l'autre un bâton mandant, ne me consultant plus, avoit
crochu {y.pi. XCVI, n°[\§ ) : l'enthousias- pris sur lui de quitter la rive gauche, et
me religieux alloit jusqu'au point défaire d'aller à Luxor attendre des ordres ulté-
poser les momies sur des lits formés de ces rieurs: on le blâma dans la suite de ce
petites divinités; j'en remplis mes poches changement de position, mais certaine-
en les ramassant à la poignée. Nombre ment pas autant que je l'aurois voulu
de corps qui n'étaient point emmaillottés de m'avoir enlevé à un pays dontjen'avois
me laissèrentvoir que la circoncision étoit nullement à me plaindre, et avec les ha-
connue et d'un usage général, que l'épi- bitants duquel j'aurois continué de vivre
lation chez les femmes n'était point pra^ en bonne intelligence, eût-on continué
tiquée, comme à présent, que leurs che- la guerre encore un mois. Luxor n'était
veux étoient longs et lisses, que le carac- que magnifique et pittoresque; je passai
tère de tête de la plupart tenoit du beau trois jours à en faire les vues ( n° 2,
style; je rapportai une tête de vieille planche XLIX, et n° 2, planche L), le
femme qui étoit aussi belle que celles des plan, que je relevai de mon mieux à tra-
Sibylles de Michel-Ange, et leurressem- vers les habitations, et au milieu- d'hom-
bloit beaucoup. Nous descendîmes assez mes jaloux de la retraite obscure qu'ils
incommodément dans des puits très pro- avoient assignée à leurs femmes {voyez
fonds, où nous trouvâmes encore des mo- planche XLVIII, n° 2 ); je copiai les hié-
mies et de grands pots longs de terre roglyphes des obélisques {pi. CXVIII,
.
cuite, dont le couvercle représentait des n° i et 8), et quelques tableaux hiérogly-
têtes humaines ; il n'y avoit dedans que de phiques représentant des offrandes au
la matière résineuse. J'aurois bien voulu dieu de l'abondance ( pi. CXXIII, n° 7 ).
dessiner; mais j'étais trop à l'étroit, l'air Pendant mon séjour à Luxorje trouvai
manquoit, la.lumière ne pouvoit luire, quelques belles médaillesd'Auguste, d'A-
et sur-tout il étoit tard ; des patrouilles drien, et de Trajan, avec un crocodile au
nous avoient cherchés; on avoit battu la revers, frappées en Egypte en grand
générale; onvenoitde tirer le canon;enfin bronze, avec inscription grecque, et un
on nous comptait déjà au nombre de ceux *rand nombre de médaillesde Constantin.
dont nous venions de visiter les asyles, ^'achetai aussi une multitude de petites
lorsqu'une de nos sentinelles vint nous doles {voyezplanche XCVI). Je trouvai
avertir de l'alarmer A notre retour nous lans la cour d'un particulier un torse en
fûmes réprimandés comme des enfants jranit, de proportion plus grande que
(ai4)
nature, représentant les deux signes du Je m'embarquai le 16 messidor: je vis
lion et de la vierge; je l'achetai, et le fis avec regret disparaître Dindera etlaThé-
embarquer. baïde, ce sanctuaire où j'avois désespéré
Commeje me disposois à passer à Kar- si souvent de pénétrer, et que j'avois eu
nak, le détachement eut ordre de se rendre le bonheur de traverser tant de fois dans
dans d'autres villages où je n'avois que tous les sens, qui enfin étoit devenu le
faire; enfin je quittai pour toujours la pays de l'univers que je connusse le plus
grande Diospolis. minutieusement; les arbres, les pointes
Je repris avec quelques soldats malades de rochers, les canaux, les moindres mo-
la route de Kéné; en arrivant, je trouvai numents, tout étoit devenu reconnois-
deux barques prêtes à partir pour le sance pour moi; je pouvois nommer tout
Caire, et des compagnons de voyage ce que je pouvois appercevoir, et, de tous
qui m'attendoient.J'ignorais absolument les points où je me trouvois, je savois
quelles étoient ma situation et mes res- toujours combien j'étois éloigné de tel ou
sources;je n'avois depuis neufmois pensé tel autre lieu.
qu'à chercher, qu'à rassembler des objets Nous trouvâmes le Nil plus peuplé que
intéressants; je n'avois redouté aucuns jamais de toutes sortes d'oiseaux d'eau ;
dangers pour satisfaire ma curiosité: la les pélicans l'habitaient depuis un mois;
crainte de quitterla haute Egypte avant de lescicognes, les demoiselles de Numidie,
l'avoir vue m'en auroit fait braver encore toutes les espèces de canards, de railles,
davantage; mais quand les circonstances et de butors, couvroient les isles que le
au-devant desquelles j'avois marché ne fleuve n'avoit pas encore submergées.
m'auraient procuré que l'avantaged'abré- Nous vîmes de très grands crocodiles
ger les mêmes recherches pour ceux qui jusqu'au-dessous de Girgé; nous mîmes
dévoient me succéder dans un temps plus trente-huit heures à arriver jusqu'à cette
calme, je me serois encore applaudi que ville, que nous trouvâmes déjà tout ac-
mon ardeurm'eût mis dans le cas de ren- coutumée à notre domination: nous y
dre ce service aux arts. Ce ne fut pas sans passâmes la nuit du 17 au 18 pour faire
un sensible chagrin que je quittai tous quelques provisions, et pour y attendre
ceux dont j'avois partagé si immédiate- le vent; il vint, et nous eûmes en deux
ment la fortune dans toute l'expédition, heures atteint Minchiée, l'ancienne Ptp-
notamment le généralBelliard, dont l'éga- lémaïs ; il ne reste de cette grande ville
lité de caractère m'avoit rendu l'intimité grecque qu'un quai, dontj'ai déjaparlé, et
si douce : nous ne nous étions quittés de- qui est assez mal conservé, quoiqu'il soit
puis Zaoyeh que deux jours pour aller mieux construit que ne le sont les édifices
àEtfu, et huit jours pour ma dernière égyptiens de ce genre; sur ses ruines est
expédition de Thebes ; et dans ces courtes bâti un gros village habité par des catho-
absences j'avois chaque jour éprouvé le liques : trois milles plus bas on trouve à
désir de le rejoindre. droite du fleuve les ruines de Chemnisou
(«5)
Pannopolis, aujourd'hui Achmin ; on y Girgé,leclimat change d'une manièretrès
voit un édifice enfoui, m'a-t-on assuré, jus- sensible ; le soleil y conserve son empiré
qu'au comble, et dont on ne peut apper- tant qu'il est présent, mais dès qu'il dispa-
cevoir que la plate-forme:c'est sans doute raît ce n'est plus cette ardeur desséchante
le temple dédié au dieu Pan, autrefois que ne peut tempérer l'étroite vallée
consacré à la prostitution; on y rencontre de la Thébaïde. Après Maloui, on ren-
encore aujourdhui, comme à Métubis, contre sur la rive droite, près le village
nombre d'aimés et de femmes publiques, de Schech-Abade, les ruines d'Antinoë,
sinon protégées, au moins reconnues et bâtie par Adrien en l'honneur d'Antinous,
tolérées par le gouvernement : on m'a son favori, qui mourut en Egypte ayant
assuré que toutes les semaines elles se sacrifié sa vie pour sauver celle de son
rassembloient à un jour fixe dans une souverain. Il est sans doute malheureux
mosquée près du tombeau du cheikh Har- qu'un héroïsme sublime puisse s'allier
ridi, et que, mêlant le sacré au profane, avec une sale prostitution, et qu'il auto-
elles y commettaient entre elles toutes rise un grand homme, sous le titre sacré
sortes de lasciv'etés. de la reconnoissance, à afficher des re-
Achmin est grand, très bien situé sur grets naturellement proscrits et dévolus
une langue de terre, dont le Nil fait un d'avance au mystère de la honte. Au reste,
promontoire, adossé contre la chaîne du il est difficile de juger ce qui a fait choisir
Mokattam, qui se replie en cet endroit et la situation d'Antinoë au pied du triste
y forme une gorge profonde. Mokattam, entre deux étroits déserts, à
Nous passâmes la nuit devant Amtéo- moins que Besa, ville plus antique qu'An-
polis, qui conserve un portique assez tinoë, sur laquelle elle a été élevée, ne
élevé et très fruste : nous arrivâmes le i fût le lieu où l'empereur eût été arrêté
à trois heures de l'après-midi au port par la maladie qui menaça sa vie, et où
de Siuth : le général Desaix n'y étoit pas ; les prêtres fameux de cette ville, ayant
nous ne nous y arrêtâmes que pour re- été consultés, annoncèrent que le malade
nouveler nos provisions: nous ne faisions mourroit si quelqu'un ne se dévouoit à
plus que glisser devant les objets qui nous sa place.
avoient retenus si souvent. Depuis le Nil, on apperçoit une des
Nous passâmes de nuit devant Monfa- portes de la ville, qui paroît être un arc
lut; à la pointe du jour nous nous trou- de triomphe ; en effet elle est décorée de
vant es sous le Mokattam, dont le Nil vient huit colonnes d'ordre corinthien, entre
frôler la base taillée à pic : il y a eu là au- lesquelles sont trois arcs pris dans un
trefois des carrières, dont il reste encore massif orné de pilastres : ce groupe de
des grottes, qui ressemblent à celles de ruines est ce qu'il y a de plus considé-
Siuth, et paroissent avoir de même servi rable de ce qui reste d'Antinoë. A partir
de tombeaux aux anciens Égyptiens, et de de ce point, il y avoit une rue qui alloit,
retraite aux premiers solitaires'. Depuis suivant toute apparence, en traversant
(ai6)
toute la ville, joindre la porte opposée; arts, et le plus puissant qu'il y eût au
cette rue étoit décorée de droite et de monde ; et cependant, il faut le dire à la
gauche de colonnes d'ordre dorique, et gloire de l'architecture égyptienne, en-
formoit un portique où l'on marchoit à core tout imbu de l'impression que ve-
l'ombre ; on voit encore quelques uns de noient de me faire éprouver Latopolis,
leurs fûts, et quelques chapiteaux fort Apollinopolis, et Tentyra, je trouvai les
usés, à cause de la nature friable de la ruines d'Antinoë maigres et mesquines.
pierre calcaire employée à la construction Nous nous retirâmes sur nos barques,
de ces édifices. Les maisons étoient bâ- d'où je fis une petite vue de ce que du
ties en briques ; l'emplacement d'Antinoë bord du Nil on apperçoit des ruines et
étoit très grand, à moins que les ruines de de la situation d'Antinoë ( voyez plan-
Besa, mêlées aux siennes, n'en aient aug- che LXXXVI, n° i ) ; toute la rive droite
menté l'extension. Nous voulûmes mon- continue d'être à-peu-prèsnulle pour la
ter sur une éminence pour nous rendre culture jusqu'aux environs de Meinet.
compte de l'ensemble de ces ruines : nous Le coeur me battait en/ approchant de
apperçûmes les habitants du village qui cette ville, où je croyois trouver Desaix,
se rassembloientderrière un autre mon- lui montrer mes travaux, l'en faire jouir,
ticule; à peine nous virent-ils vis-à-vis " en jouir moi-mêmeauprès de lui ; mais

d'eux qu'ils nous crurent postés hostile- je ne devois plus revoir ce brave et res-
ment , et qu'ils appelèrent du secours en pectable ami : nous apprîmes qu'il pour-
jetant de la poussière en l'air et faisant suivoit encore cet infatigable Mourat-bey.
les cris de rassemblement. Nous n'étions Calme dans les malheurs, ce Fabius égyp-
que six, et je n'étais point armé; un tien, sachant allier à un courage patient
groupe marchoit sur les barques, que toutes les ressources d'une politique ac-
nous avions laissées dépourvues de dé- tive, avoit calculé ses moyens; il avoit
fenses : nous fûmes obligés de faire un apprécié le résultat de l'emploi qu'il en
mouvement pour empêcher qu'ils ne pouvoit faire au milieu des événements
nous coupassent la retraite; ce mouve- d'une guerre désastreuse; quoiqu'il eût
ment parut une autre hostilité; l'alarme à combattre à la fois un ennemi étranger et
se répandit ; on tira sur nous : nous n'é- tou tes les rivalités et les prétentions d'une
tions pas venus pour faire la guerre ; je jalouse égalité, il s'était immuablement
jetai à la hâte un regard sur la totalité conservé le chef de ceux dont il parta-
des ruines; je n'en vis pas^me qui me geoit les privations, la fui te, et les revers;
parût se grouper de manière à faire un il étoitresté leur seul point de ralliement,
dessin pittoresque : je ne regrettai que régloit leur sort, leurs mouvements, les
le plan intéressant qu'on pouvoit faire •
çommandoit encore comme au temps de
d'une ville bâtie dans le beau temps de sa prospérité : une longue expérience lui
l'architecture par les ordres et sous les avoit appris le grand art de temporiser ;
yeux du prince le plus amateur des beaux il avoit senti cette vérité que heurter
(2I7 )
l'écueil, c'est se briser contre lui, que le 1 aumône aux passants; on dit qu ils les
foible doit user le malheur, et ne le com- dévalisent lorsque cela leur paraît sans
battre qu'avec la faux du temps, qu'enfin danger et plus profitable : ce que j'ai pu
lorsqu'on ne peut plus commander aux remarquer, c'est que ce sont plutôt des
circonstances l'art est de savoir céder à amphibies que des nageurs ; ils remontent
celles qui commandent, et leur dérober le courant du fleuve comme des poissons.
encore les moyens d'en attendre de nou- Alternativement victimes de trois élé-
velles : c'est par ces ressources que Mou- ments, ils manquent absolument du qua-
rat-bey s'était montré le digne adversaire trième ; en effet, séparés de toute culture
de Desaix, et que l'on ne savoit plus ce par un immense désert, ils sont dévorés
qu'il falloit admirer davantage, ou des de l'air qui l'a traversé, et brûlés de l'ar-
ingénieuses et itératives attaques de l'un, deur du soleil qui frappe sur le rocher
ou de la calme et circonspecte résistance tout nu qu'ils habitent ; ce n'est que pé-
de l'autre. niblement et à la nage qu'ils obtiennent
Nous apprîmes que ce dernier avoit de petites et rares charités. On appelle
ménagé des intelligences dans la basse ce monastère le couvent de la Poulie,
Egypte, qu'il avoit fait en conséquence parcequ'ils ne s'approvisionnent de l'eau
un mouvement avec tout ce qui lui res- et des autres besoins de la vie que par le
tait de Mamelouks et d'Arabes, qu'il avoit secours de cette machine. Il nous parut,
traversé le Faïoum, et pénétré jusqu'au à en juger par les groupes des fabriques
désert des pyramides,pour y opérer une et par ceux des religieux que nous vîmes
diversion en cas d'une descente sur la sur le rocher, que la clôture du monas-
côte. Différents corps commandés par le tère est vaste, et que les moines en sont
général Friand, le général Boyer, et le gé- nombreux; ils ressemblent parfaitement
néral Jayomehck , après lui avoir pris aux solitaires qu'ils auront sans doute
quelques chameaux, tué quelques Ma- remplacés, et l'intérieur de ce couvent
melouks, l'avoient forcé de remonter du doit être le même que ceux de S. Antoine,
côté de Meniet, où Desaix F avoit repris du mont Kolzim, et des lacs Natron. Je
et le chassoit des positions où il cher- fis rapidement deux vues de ce lieu sau-
choit à s'établir. On nous prévint que vage; l'une du sud au nord, l'autre du
nous pourrions rencontrer, à quelques nord au sud ( voyez planche LXXXVI,
lieues au-dessous, des barques qu'il avoit n° 2 et 3). A une demi-lieue plus loin,
armées, et qui suivoient ses mouvements; la chaîne s'éloigne du Nil, et les deux
nous attendîmes la nuit pour les éviter, rives du fleuve deviennent basses et cul-
et passâmes sans voir ni être vus. A la tivées; je revis des nuages qui m'annon-
pointe du jour, nous nous trouvâmes au cèrent que je me rapprochois de la mer
monastère de la Poulie, qui est un couvent et d'un climat plus tempéré.
posé à pic sur les rochers du Mokattam : Nous vînmes coucher près d'Abuseifen,
les religieuxviennent demander à la nage monastère cophte, première position au-
28
(«8)
delà du Caire, où nos troupes se logèrent, sance de la position de l'ensemble de tous
et se fortifièrent après la bataille des ces lieux ; mais je ne sais rien que mes
pyramides. cam arades de voyage ne m'eussent accordé
Je repassai de nouveau devant les pyra- plutôt que de retarder notre arrivée de
mides de Saccara, devant ce nombre de quelques minutes. J'achevai de me per-
monuments qui décoroient le champ de suader dans cette traversée que c'est un
mort ou la nécropolis de Memphis, et mauvais moyen pour observer que de
bornoit cette ville au sud, comme les voyager en barques, que les rivages éle-
pyramides de Gisée la terminoient au vés empêchent de voir le pays, que la
nord. On chercherait encore le sol de crainte de perdre le Vent, ou celle de
cette cité superbe, qui avoit succédé à l'avoir contraire, changent tous les pro-
Thebes et en avoit fait oublier la magni- jets ou les font avorter, que le vent vous
ficence si ces fastueux tombeaux n'at- fait marcher quand vous voudriez vous
,
testaient son existence, et ne fixoient arrêter, et vous arrête quand il n'y a
irrévocablement l'étendue de l'emplace- plus rien à voir ; mais ce dont je fus en-
ment qu'elle occupoit. Toutes les discus- core plus convaincu, c'est que, lorsqu'on
sions publiées à cet égard, et qui rendent a des observations à faire ou des objets
sa situation incertaine, ont été faites par à dessiner, il ne faut pas voyager avec
des savants qui ne sont pas venus en des militaires, qui, toujours actifs et in-
Egypte, et qui n'ont pas pu juger com- quiets , veulent sans cesse partir et arri-
bien les descriptions faites par Hérodote ver, lors même que rien ne les chasseroit
et Strabon sont évidemment exactes : si de l'endroit où ils sont, ni ne les appel-
cette discussion n'est pas encore termi^ lerait ailleurs.
née, c'est que jusqu'à notre arrivée en J'étois le membre de l'institut qui le
Egypte, quelque près du Caire que soient premier fût revenu de la haute Egypte;
les pyramides, il avoit toujours été diffi- mes confrères m'entouraient, me pres-
cile d'y séjourner, parceque les Arabes soient de questions : ma première jouis-
avoient conservé la possession des envi- sance fut de me voir ainsi l'objet de leur
rons comme une propriété imprescrip- avide curiosité, et de m'instruire des
tible. observations qu'ils me faisoient ; je me
A la pointe du jour, nous nous trou- proposois de rédiger mon voyage sous
vâmes entre Alter-Anabi et Gisa, et vis- leurs yeux, et de les questionner à mon
à-vis Roda, ayant à droite le Caire et tour ; mais les événementsen disposèrent
Boulac, qui forment ensemble un coup- autrement. Mourat-bey avoit rassemblé
d'oeil riche de verdure, et qui se détache par ses intelligences quelques hordes
d'une manière brillante et fraîche sur le d'Arabes ; il avoit promis de les joindre
fond lisse et sauvage des deux chaînes près des lacs de Natron, dans la vallée du
qui terminent l'horizon. J'aurois voulu fleuve sans eau : le général Murât avoit
dessiner cette vue qui donne connois- été envoyé contre les Arabes, et avoit
(2I9)
empêché cette jonction ; le général en une partie fut sabrée, l'autre se jeta à la
chef étoit allé camper aux pyramides, mer, où elle se noya. Bonaparte sentait
pour comprimer Mourat-bey entre De- l'importance de s'emparer des fontaines
saix et lui, lorsqu'il apprit qu'une flotte et d'en priver l'ennemi ; le camp retran-
turque de deux cents voiles avoit paru ché qui les défendoit fut attaqué, et ne
devantAboukir. Dès-lors Bonaparte quitte tint pas long-temps; le corps qui y étoit
les pyramides, il revient à Gisée, prend logé eut le même sort que l'autre, et fut
des dispositions, donne ses ordres, pour- traité de même par la cavalerie: on se
voit à tout, marche sur Rahmanié, vient forma, et on attaqua le corps d'ennemis
prendre position à Birket, également dis- qui étoit en avant du faubourg ; il résista
tant d'Alexandrie et d'Aboukir. Pendant un moment, et se retira bientôt à travers
que les différents corps s'y rassemblent, les habitations : derrière les murailles et
il va à Alexandrie, en prépare la défense, dans des rues étroites il disputa quelque
donne les ordres pour tous les cas, en- temps le terrain ; mais poussé avec intré-
voie à l'armée celui de marcher à l'en- pidité, malgré l'avantage du lieu, il fut
nemi, et la rejoint à la pointe du jour, contraint à se replier de nouveau sur les
le 7 thermidor. Les Turcs avoient effectué retranchements, où l'artillerie et le feu
leur descente à Aboukir, et s'étaient em- de rempart arrêtèrent ceux qui l'y sui-
parés des retranchements construits en voient : nous nous ralliâmesdans le fau-
avant du château ; ils en avoient passé la bourg ; et après quelques moments nous
garnison au fil de l'épée : mille Turcs avec attaquâmes avec une ardeur égale les
deux canons occupoient un monticule à boyaux de droite et de gauche.
leur droite; deux autres mille étoient re- L'infanterie, commandée par le général
tranchés sur un autre monticule à gauche, Fugiere, faisoit des prodiges de valeur,
au poste des fontaines; un troisième corps tandis que la cavalerie à plusieurs reprises
étoit en avant du faubourg; l'armée étoit venoit se fondre sous le feu croisé des
dans les retranchements flanqués d'une batteries et des chaloupes canonnières.
artillerie formidable, et les espaces qui L'adjudant-général le Turcq en voulant
restoient étoient coupés par des boyaux précipiter ses compagnies dans les fossés
qui se prolongeoient de chaque côté jus- y resta engagé, et y périt. Par des sorties
qu'à la mer ; le quartier de réserve et nombreuses et répétées, l'ennemi repre-
l'état-major du pacha occupoient le ter- noit le terrain dont une poignée de nos
rain entre les retranchements et le châ- braves venoit de s'emparer par des pro-
teau dans lequel étoit une forte garnison diges de valeur ; l'acharnement étoit égal,
( voyez le plan, planche LXXXIX). et la victoire incertaine. Il y a toujours
L'ordre fut donné d'attaquerle premier un moment dans les batailles où, dans
avant-poste, qui fut culbuté par les demi- une lutte égale, les deux partis sentent
brigades commandées par le général Des- l'inertie de leurs moyens et l'inutilité de
taing ; la cavalerie leur coupa la retraite ; leurs efforts, où l'épuisement des forces
( 220 )
et le sentiment delà consei'vation.inspi- dans un moment d'enthousiasme : Géné-
rent aux-combattantsun même penchant ral, vous êtes grand comme le monde,
vers la retraite; ce moment de relâche- et il n'est pas assez grand pour vous.
ment saisi par l'homme supérieur qui Bonaparte m'ordonna de dessiner la
sait profiter de cette disposition morale bataille, et je me trouvai heureux de
pour employer les moyens qu'il a su ré- pouvoir donner une image vraie du théâ-
server détermine toujours la victoire en tre de sa gloire: je choisis pour le mo-
sa faveur. Le corps de réserve commandé ment de la scène celui où le pacha pri-
par Lanes eut ordre de charger. sonnier fut amené au général ( voyez
Au moment où les troupes turques pi. HC , le plan de la bataille LXXXIX ,
étoient sorties pour couper les têtes de et l'explication de cesplanches).
ceux qui étaient restés sur le champ de De retour au Caire Bonaparte examina
bataille, le brillant Murât, ranimant le attentivement tous les dessins que j'avois
courage des siens, effectue une nouvelle rapportés; il j ugea que ma mission étoit
charge ; il traverse avec autant de vélocité achevée, me proposa de partir, et de
que d'intrépidité tous les ouvrages de porter les trophées d'Aboukir à Alexan-
l'ennemi, le prend à dos, et lui coupe drie. Le général Berthier, dont j'avois
toute retraite. Ce mouvement téméraire éprouvé l'obligeance dans toutes les oc-
ranime l'action, qui devient générale : on casions, me rendit mon neveu pour mon
attaque:sur tous les points; ils sont tous retour aussi gracieusement que Dufalga
emportés; la déroute est entière; tout me 'l'avoit donné pour mon voyage. Il
ce qui n'a pas été tué est fait prisonnier: n'y avoit que quelques jours que j'avois
la cavalerie charge les fuyards jusque quitté Thebes, il me sembloit déjà voir
dans la mer, où ils s'étaient jetés pour Paris; mon départ que je n'entrevoyois
regagner leur flotte à la nage. Il y avoit que dans l'avenir fut arrêté pour le len-
vingt mille Turks; six mille furent faits demain; un rêve se réalisoit pour moi;
prisonniers, quatre mille périrent sur le poussé dans le sens de mes désirs je m'y
champ de bataille; tout le reste fut noyé. sentais précipité: je ne sais si j'en étais
De ce moment, plus d'ennemis: jamais épouvanté ; mais un sentiment dont je ne
bataille ne fut plus nécessaire, plus ab- saurais me rendre compte me faisoit re-
solue jamais victoire plus complète ; gretterle Caire; jenel'avoispresquejamais
,
c'étoit celle que Bonaparte avoit promise habité, et cependant je l'avois toujours
à ses braves en les ramenant de Syrie; ce quitté avec peine. Je connus alors com-
fut la dernière qu'il remporta en Egypte. bien, tout naturellement et sans qu'on
Ce fut sans doute ou son bon génie ou le s'en apperçoive, on est sensible à la jouis-
nôtre qui lui fit penser que la France et sance douce et égale que donne une tem-
l'Europe entière l'appeloient à des opéra- pérature délicieuse, qui, sans besoin
tions aussi glorieuses et plus utiles en- d'autres plaisirs, fait sentir à chaque in-
core. Kleber, en l'embrassant, lui dit stant le bonheur de l'existence ; sensation
( 221 )
quotidienne à laquelle il faut attribuer chaque instant à la même fenêtre, obser-
ce qui est arrivé souvent dans ce pays, vant la mer, questionnantle mouvement
c'est que des Européens, venus pour quel- du plus petit bateau, lorsqu'à une heure
ques mois au Caire, y ont vieilli, sans de nuit, le 6 fructidor, le général Menou
imaginer la possibilité d'en sortir. vint nous dire que Bonaparte nous atten-
Enfin, dans cet étrange voyage, le projet, doit en rade. Une heure après nous étions
le départ, le retour, tout fut une suite de hors du port : à la pointe du jour, un
surprises et de circonstances précipitées vent de nord-est nous mit en route ; ce
qui, soit pour aller, soit pour revenir, me même vent dura deux jours, et nous sor-
placèrent toujours à l'avant-garde. Je me tit des hauteurs de la croisière anglaise.
trouvai en deux jours embarqué clans un Obligés de masquer notre marche, nous
petit bâtiment armé qui nous attendoit serrâmes les parages arides de l'ancienne
à Boulac: je fis dans le chemin le dessin Cyrénaïque; contrariés par les courants
où le Nil se partage et forme le Delta, et qui portent à la côte dans ce golfe encore
celui de Ghebreis, où s'étoit donné le pre- inconnu et toujours évité, ce ne fut
mier combat contre les Mamelouks ( voy. qu'avec beaucoup de peine que , dans
pi. LXXXVII, n° i, 2, et 3 ) : le troisième cette saison de calme et de temps varia-
jour de notre départ nous arrivâmes à bles , nous pûmes doubler les caps de
Rahmanié; nous en repartîmes le lende- Derne et Doira ; à cette hauteur nous re-
main accompagnés d'un détachement de trouvâmes le vent d'est, qui nous fit tra-
dromadaires, et de cinquante hommes , verser le golfe de la Cidre ; enfin nous
avec lesquels nous nous rendîmes à De- doublâmes le cap Bon, et nous nous trou-
menhour; et, suivant le canal d'Alexan- vâmes par le travers des terres d'Europe,
drie , après avoir traversé la province de sans avoir encore apperçu une barque ;
Garbie, nous arrivâmes à Birket, où nous bien convaincus que nous avions une
passâmes la nuit. Le lendemain, nous étoile, rien ne troubloit notre-joie et no-
vînmes déjeunera la fontaine de Béda, tre sécurité : Bonaparte, comme un pas-
et dîner à Alexandrie. sager, s'occupoit de géométrie, de chi-
A mon arrivée, le premier objet qui mie et quelquefois jouoit et rioit avec
,
frappa ma vue fut l'équipement de deux nous.
de nos frégates; elles étoient à l'entrée Nous passâmes devant le golfe de Car-
du port neuf, et déjà sur une seule ancre : thage, devant le port de Bisertè : nous
je ne voyois plus de vaisseaux anglais en vînmes reconnoître la Lampedouze, ha-
croisière, et je commençai à croire aux bitée par un homme qui y nourrit quel-
prodiges: les généraux Lanes, Murât, ques moutons et des volailles; hermite
Marmont, étoient dans le trouble et dans et santon tout à la fois, il reçoit égale-
l'agitation; nous nous entendions sans ment bien tout ce qui aborde chez lui,
nous parler, nous ne pouvions nous oc- les catholiques dans une chapelle, les
cuper de rien ; nous nous retrouvions à musulmans dans une mosquée.
( 111 )
Le lendemain nous vîmes d'une lieue les suites à Ajaccio : notre séjour fut em-
le rocher sourcilleux de la Pantellerie ; ployé à la triste lecture de nos désastres
bientôt après, nous découvrîmes le som- dansla collection des papiers publics; tout
met de la Sardaigne, les bouches de Bo- le fruit de nos belles campagnes d'Italie
nifacio, autre point de croisière que nous avoit été dévoré par la perte de deux ba-
devions redouter ; par-tout un égal si- tailles : les Russes étoient à nos frontières;
lence dans l'espace, rien ne troubloit no- le désordre, le trouble, et la terreur, al-
tre sécurité ; nos deux barques portoient loient bientôt les leur ouvrir.
César et sa fortune. La Corse enfin nous Le vent devint favorable, et nous par-
offrit le premier aspect d'une terre amie : tîmes ; le surlendemain, vers la fin du
un vent fort nous porta sur Ajaccio : on jour, poussés par un vent frais, à la vue
envoya un petit bâtimentqui étoit de con- des côtes de France, lorsque nous nous
serve chercher des nouvelles de France, félicitions de notre fortune, nous décou-
et prendre connoissance des croisières vrons au vent deux voiles, puis cinq ,
ennemies sur nos côtes. Pendant que puis sept : nous baissons toutes nos hautes
nous attendions son retour, un coup oeuvres, et n'invoquons que l'obscurité,
de vent nous obligea de relâcher dans le qui nous fut encore propice ; la lune se
golfe et d'aller mouiller dans la patrie voila d'une brume épaisse qui nous sépara
,
de Bonaparte. On le croyoit perdu ; le les uns des autres : nous entendîmes au
hasard l'y faisoit aborder : rien ne fut si vent les signaux à coups de canons de
touchant que l'accueil qu'on lui fit; les la flotte ennemie tracer à nos côtés une
canons tiraient de toutes parts ; toute la demi-circonférence. On mettoit en ques-
population étoit dans des barques et en- tion si l'on retournerait en Corse, dont
tourait nos bâtiments. Je cherchois par- le cap nous étoit encore ouvert : heureu-
tout madame Bonaparte ; je me peignois sement Bonaparte reprit le commande-
l'émotion, le trouble, l'étendue du bon- ment, il eut une volonté ; c'étoit la pre-
heur d'une mère retrouvant tout-à-coup mière du voyage ; elle le rendit à sa for-
son fils, et quel fils ! mais lorsquej'ap- tune. Nous nous portâmes sur la côte de
pris qu'elle n'étoit pas à Ajaccio, je ne Provence, et à minuit nous en étions si
vis plus dans cette réception si brillante près que nous n'avions plus de flotte à
que de l'orgueil et que du bruit, et je craindre ; si un autre avis nous eût re-
me contentai de faire un dessin de cette menés en Corse, nous y serions peut-être
belle scène {voyezpi. XCI, n° i).L'en- encore. A la pointe du jour, nous vîmes
thousiasme avoit fait passer sur le danger Fréjus ; et nous entrâmes dans ce même
du contact ; les frégates avoient été plutôt port où,Tiuit siècles auparavant, S. Louis
assaillies qu'abordées. C'est nous qui s'était embarqué pour une expédition
avons la peste, disoient-ils à Bonaparte; dans le même pays que nous venions de
c'est à vous de nous guérir. Nous savions quitter.
nos défaites en Italie ; nous en apprîmes Rien de plus inopiné que notre arri-
( 223" )
vée en France ; la nouvelle s'en répandit aise, en rendant grâce au hasard de ce
avec la rapidité de l'éclair. A peine la que je pouvois y ajouter encore l'intérêt
bandiere de commandant en chef fut-elle d'un monument {voyez pi. XCI, n° 2).
signalée que la rive fut couverte d'habi- Ici se termine mon journal : mais je
tants qui nommoient Bonaparte avec ne veux point quitter mon lecteur sans
l'accent qui exprime un besoin ; l'en- lui présenter une dernière observation
thousiasmeétoit au comble , et produisit sur la forme et le but de cet ouvrage.
le désordre : la contagion fut oubliée ; Lorsqueje partis d'Alexandrie les mem-
toutes les barques à la mer couvrirent bres de l'institut étoient encoreau Caire :
en un instant nos deux bâtiments de arrivé en France, j'ignorais s'ils avoient
gens qui, ne craignant que de s'être trom- pu effectuer dans la haute Egypte le
pés dans l'espoir qui les amenoit, nous voyage ordonné par Bonaparte avant son
demandoient Bonaparte plus qu'ils ne départ; les circonstances de la guerre
s'informoient s'il leur était rendu. Élan avoient pu arrêter la marche de cette so-
sublime! c'étoit la France qui sembloit ciété savante, ou l'empêcher d'en rap-
s'élancer au-devant de celui qui devoit porter en France les précieux résul-
la rendre à sa splendeur, et qui de ses tats : alors je me fusse trouvé le seul
frontières lui demandoit déjà le 18 bru- qui eût été dans le cas d'écrire sur cette
maire. Notre héros fut porté à Fréjus; contrée, et sur-tout le seul qui eût réuni
une heure après, une voiture étoit prête, un grand nombre de dessins, où je n'of-
il en étoit déjà parti. frais pas seulement l'image du pays
,
Ravi de pouvoir faire enfin ma volon- mais le plus souvent celle des événe-
té, je laissai aller tout le monde , pour ments d'une des plus intéressantes ex-
jouir du bonheur de n'être plus pressé, péditions de cette guerre ; je ne pouvois
ce qui ne m'étoit pas arrivé depuis mon donc sans une espèce d'injustice ravir
départ de Paris. Dans un autre temps, à mes concitoyens ces nombreux fruits
me trouvant à Fréjus, je me serais cru de mes recherches et de mes pénibles
un voyageur ; mais arrivant d'Afrique, il travaux ; et je me déterminai à les pu-
me sembla que j'étois chez moi, que j'é- blier.
tois un des bourgeois de cette petite J'avois cru d'abord devoir ajouter à
ville c'est-à-dire que je n'avois plus rien mon journal quelques digressions cri-
,
à faire au monde. Je me levai tard; je dé- tiques sur les antiquités , joindre à mes
jeûnai méthodiquement ; j'allai me pro- descriptions des discussions sur les voya-
mener , je visitai l'amphithéâtre et les geurs qui m'avoient précédé; j'avois con-
ruines, regardant avec complaisance les sulté des personnes éclairées pour ajou-
frégates qui nous avoient apportés, sta- ter quelques notes érudites aux objets
tionnées dans le port qui nous avoit re- curieux dont je présentais l'image: mais
çus. Je fis le dernier dessin de mon à peine ai-je été informé que l'institut du
voyage, le premier que j'eusse fait à mon Caire avoit effectué son voyage dans le
(a*4-)
calme de la paix; que les membres n'a- poste à l'avant-garde, où je n'ai conservé
voient connu de bornes à leur ardeur, que la prétention d'avoir planté quelques
à leur émulation, que l'ordre établi par jalons sur la route, pour avertir ceux qui
leur chef de division; qu'ils revenoient avoient à me suivre , et, ne fût-ce que par
chargés de leur immense butin ; que le, mes erreurs, servir ainsi les rédacteurs
gouvernement, après avoir protégé leur du grand ouvrage.
voyage, faisoit avec magnificence les frais Heureux pour ma part, si, par mon
de la mise au jour d'une collection si pré- zèle et mon enthousiasme, je suis par-
cieuse sous tous les rapports, je n'ai plus venu à donner à mes lecteurs l'idée d'un
songé à suivre un plan que d'autres dé- pays si-important par lui-même et par
voient nécessairement mieux exécuter. les souvenirs qu'il retrace ; si j'ai pu lui
Réduit âmes foibles moyens, comment présenter avec vérité ses formes, sa cou-
aurois-je voulu mesurer mes travaux aux leur et le caractère qui lui est parti-
,
travaux de toute une société,émettre des culier ; si enfin, comme témoin oculaire,
hypothèses., lorsque sans doute on pour- je lui ai fait connoître les détails d'une
ra présenter des certitudes, enfin mar- grande et singulière campagne, qui fai-
cher, pour ainsi dire', à tâtons â côté soit partie principale de la vaste concep-
d'un faisceau de lumières! J'ai donc dé- tion de cette expédition célèbre ! Si j'ai
pouillé mon journal de ce que j'y avois atteint ce but, je le devrai sans doute
hasardé de recherches ; j'ai repris mon à l'avantage d'avoir tout dessiné et tout
uniforme de soldat éclaireur, et mon décrit d'après nature.

l?IIf BU JOURNAL.
DES PLANCHES.

JLi deux premières planches forment ensemble le N° 5. La partie sud de l'isle de Capraia, que
Es
portulan de la partie maritime de l'expédition, ou la nous laissions à notre gauche, roc à pie inaborda-
vue des côtes et isles apperçues par la flotte dans la ble dans cette partie ; les deux petits monuments de
traversée depuis Toulon jusqu'à Alexandrie. droite et de gauche sont des tours d'observation :
le rocher dans le lointain est l'isle de la Gorgone.
PLANCHE I«. N° 6. La côte orientale de la Corse. A droite,
N° i. La partie nord-ouest de l'isle de Corse. A où il y a un oiseau, le cap corse; au centre, le
gauche est le cap corse ; dans le centre, le cap de la cap Sagri ; à gauche, où il y a deux oiseaux, la rade
Cholle, derrière lequel est la baie S.-Florent; à et le port de Bastia.
droite, où est un oiseau, la côte sur laquelle est si- N° 7. La partie ouest de Monte-Christo, que nous
tuée Calvi; enfin, la partie supérieure des monta- laissionsà gauche, rocher inculte et inabordable.
gnes, toujours couverte de neiges. N° 8. Une vue générale de la partie est de l'isle
Le N° 2 représente le passage de la flotte et du de Corse. Le cap corse à droite, où il y a un oiseau;
convoi entre le cap corse et l'isle de Capraia; à gau- les bouches de Bonifacio à gauche, où il y en a deux;
che, où sont trois oiseaux, la partie la plus nord au centre, le cap Mescano, les petites isles de San-
de l'isle de Corse, dont le cap fait la pointe: le con- Cipriano ; et où il y a trois oiseaux,la partie des monta-
voi serre la côte en doublant le cap; au centre, où gnes les plus élevées, et toujours couvertesde neiges.
jl y a deux oiseaux; l'isle d'Elbe; à droite, l'isle de N° 9. Les bouches de Bonifacio, que nous lais-
Capraia, et les vaisseaux de guerre. sions à notre droite, et qui sont marquées par trois
N° 3. La partie nord de l'isle de Corse. Au centre, oiseaux; la pointela plus sud de la Corse, marquée par
où sont leux oiseaux, le cap; à droite, où il n'y en un; et les côtes de l'est de la Sardaigne, marquées
a qu'un, le golfe de S.-Florent; à gauche, où il y par deux.
en a trois, la partie de l'est où est Baslia. N0110. Une vue de notre flotte longeant les côtes
N° 4. La partie ouest de l'isle d'Elbe, que nous de l'est de la Sardaigne, laissant cette isle à droite.
laissions à gauche, ayant vis-à-vis et au centre de
PLANCHE II.
l'estampe le cap S.-Pierre. A droite et au revers,
où il y a deux oiseaux, Porto-Longone ; à gauche, N° 1. La Tolara, isle en avant de là côte de l'est
où il y en a un, Porto-Ferraio. de la Sardaigne.
29
( ii6)
N° 2. Côte de l'est de la Sardaigne, le soir, au PLANCHE IV.
moment d'un orage, vis-à-visla rade de la Guilastre.
N° 3. Partie estr de l'isle de la Sardaigne, depuis Diverses antiquités trouvées au Gose. Les figures
la petite isle Co jusqu'au cap Serpente, au revers 2 et 3 sont deux vues d'un même vase en terre cuite,
duquel est la rade de Cagliari, que nous abandonnâ- servant de lampe.
Les N° 1 et 4 sont le profil et la face de l'anse du
mes à notre droite..
N°4. Vue de Maretimo, que nous reconnûmes même vase, que j'ai dessinés avec détail, pour faire
connoitre plus exactement le caractère du travail de
par sa partie nord-ouest; sa sommité est presque
toujours couverte de nuages : le rocher qu'on apper- ce vase, et sur lequel il m'a paru difficile de pro-
çoit derrière est la Favayane, et dans le fond les noncer dans un pays où l'on trouve rassemblés
côtes de Sicile. des monuments phéniciens, grecs, puniques, et ro-
N° 5. La partie sud-ouest de Maretimo, marquée mains.
Les N° 5 et 7 même planche, sont les deux côtés
par deux oiseaux; la Favayane, marquée par un. ,
Au centre, le rocher de Levenzo; et tout au fond, d'une espèce de disque votif en pierre de Malte ; quoi-
le Mont-Erix, sur la côte de Sicile, près de Trapani. que le travail n'en soit pas précieux, le style en at-
N° 6. Vue de la Favayane, avec les côtes de la teste l'antiquité.
Sicile. N" 6. Un vase de verre de quinze pouces six lignes.
N° 7. Vue de la côte ouest de la Sicile, que nous
PLANCHE V.
laissions à notre gauche. Marsala dans le centre;
Mazzara à droite ; Mont-Erix et la pointe de Trapani ( Même feuille que planche IV ). Les vues per-
à gauche. - spectives,les plans, les détails, et les coupes d'un tom-
N° 8. La partie sud de Maretimo. beau et d'un sarcophage, trouvésdans l'isle de Malte,
N° 9. Vue prise à vingt lieues de distance de la près la Cité-Notable,dans un enclos appelé Earbasea.
partie ouest de l'isle de Candie, que nous laissions Ce monument, creusé dans le roc à dix-septpieds de
à notre gauche. profondeur, est composé de deux chambres ( voyez
N° 10. Partie sud de l'isle de Candie, vis-à-vis le le plan, n° 3, lettres A et B ). La porte qui commu-
grand et le petit Gose. A droite, le grand Gose; au nique d'une pièce à l'autre étoit murée et enduite ;
centre, le petit Gose ; à gauche, le mont Ida et le la pièce B contenoit le sarcophage, et trois niches
cap S.-Jean. carrées à hauteur d'appui, dans lesquelles étoient
trois lampes de terre en forme de coquille, grossière-
PLANCHE III.
ment travaillées ; un petit canalpartageoitcette pièce.
N° 1. Vue de la flotte et du convoi, dessinée au Il y a trente ans qu'on a déjà trouvé une chambre de
soleil couchant. même forme, partagée aussi par un même canal, dans
N°2. Vue de la ville de-Malte et de l'entrée de lequel il se trouva un manuscritpunique.
ses deux ports, à la partie nord-est de l'isle. Au La figure 1 est la vue perspective du sarcophage,
centre, la Cité-Valette; à gauche, l'entrée du grand de terre cuite, de six pieds de longueur sur trois de
port, la Cité-Vieille, et le fort S.-Ange; adroite, le large, e,t d'un seul morceau, par conséquent une des
port de Marza-Muchet, le lazaret dans le fond et du plus grandes pièces de terre cuite qui aient été exécu-
même côté de la Cité-Notable. tées; une feuillurerecevoitle couvercle,dont le n° 2 est
N° 3. Vue de Malte, au moment où la ville et la figure : les petits trous ronds qu'on peut remar-
les forts commencèrentà tirer sur la flotte française. quer à la partie supérieure de la bordure du sarco-
N° 4. L'intérieur du grand port. La Cité-Valetteà phage étoient peut-être destinés à scellerce couvercle.
droite ; à gauche , les batteries du fort S.-Ange. N° 4. Le fond du sarcophage, sur lequel posoit le
N° 5. L'entrée du grand port. La Cité-Valette à corps.
droite; à gauche, une partie du fort S.-Ange. N° 5 et 6. Les coupes de l'un et l'autre côté du
No 6. Le fort S.-Ange, et la Cité-Vieille. monument.
(117)
PLANCHE VI. le plus souvent sous la dictée.des nomenclateurs,
dont la prononciation offroit une grande variété,
N° r. La côte basse de l'Afrique, qui n'offre au- doivent nécessairementprésenter des erreurs que le
dessus de la surface des eaux qu'une ligne blanche, temps et une étude particulière de ces objets pourront
que l'on n'apperçoit que de très près, et qui disparoît seuls rectifier.
derrière les vagues dès qu'il y a du vent, ou dans la
vapeur lorsque le ciel est brumeux. Les fabriques
PLANCHE VIII.
qu'on voit au centre sont ce qu'on appelle la tour et le N° 1. Vue générale des isles de Malte, du Gose,
fort des Arabes (voyez le journal, pages i3 et 14). de Cumino, et de Cuminoto. Cette vue peut donner
N° 2. Là vue du fort du Marabou, où s'effectua la
une idée de la forme générale de ce groupe dans sa
descente: ce nom de Marabou lui vient de la mos- partie sud-est, et la mesure de sa surface sur l'ho-
quée sur le minaret de laquellefut déployé le premier rizon maritime : la fumée du coup de canon à gauche
pavillon tricolor en Afrique.
part du fort Slc-Catherine, à la pointe orientale de
N° 3. Une vue d'Alexandrie, prise dans son déve- l'isle de Malte ; le coup de canon du milieu est tiré du
loppement de l'est à l'ouest. A droite, le vieux port châteauqui dominela Cité-Valette ; ce que l'on apper-
JSunostiportus,renfermantle petit port de Kibotos, çoit au revers de la montagne la plus élevée est le
et derrière, le Maréotis: ensuite la ville moderne, sommet des fabriques de la Cité-Notable, l'ancienne
au-dessus de laquelle on voit la butte Sainte-Cathe- capitale^, située
au centre de l'isle : la partie à droite,
rine; les vaisseaux contenus dans le port neuf, ma- marquée d'un oiseau, est le Gose; celles marquées de
gnus portas, devant lequel s'avance la jetée ; et le deux et de trois oiseaux sont le Cumino et le Cumi-
château du Pharillon, anciennement le Phare. Dans noto l'aspect de ces isles est aride, et la couleur en
:
le lointain, la colonne de Pompée, la mosquée de est blanche.
S.-Athanase, le grand Morne, l'obélisque de Cléo- N° 2. Un plan figuré des ruines situées sur le bord
pâtre, les ruines du palais des Ptolomées, et enfin de la mer, dans l'emplacement de l'ancienne ville de
le petit Pharillon. Canope ; ces substructions, taillées dans le roc, doi-
N° 4. Une autre vue d'Alexandrie, prise à l'est vent être les ruines d'un bain pris sur l'emplacement
au moment de l'attaque et de la prise de cette ville. du sol de la mer, et devant lequel des blocs, "des
débris d'architecture et de sculpture, semblent avoir
PLANCHE VII.
été placés pour servir de jetée, et défendre cet édi-
Carte de l'Egypte inférieure, où sont tracées les fice de l'effort des vagues de la mer. Les parties qui
marches décrites dans le journal, et les batailles et excédent le niveau de l'eau conservent encore des
combats qui se sont donnés lors de la conquête de canaux en briques, recouverts en ciment et pouz-
cette partie de l'Egypte. Cette carte, qui ne peut zolane , qui distribùoient sans doute l'eau douce dans
être comparée à celle qui sera le résultat des opéra- les pièces marquées A, B, C, D, E, F. Voyez le reste
tions des ingénieurs-géographesde l'institut du Caire, de la description dans le journal, pag. 40 et suiv., etc.
a déjà l'avantage de présenter la forme réelle du N° 3. Une vue du grand port d'Alexandrie,
littoral de l'Egypte, des bouches par lesquelles le Nil magnus portas, depuis le petit Pharillon jusqu'à la
arrive dans la Méditerranée, des lacs Madier,Brùlos place des Francs ; à droite, le château du petit Pha-
et Menzaléh, d'après les reconnoissances faites par rillon, où l'on croit qu'étoit bâtie la fameuse biblio-
le général Andréossy; elle a encore celui d'être dres- thèque. Le soubassement du premier monument
sée d'après les observationsastronomiques du citoyen que l'on rencontre en suivant la ligne, et revenant
Moette, qui ont fixé les hauteurs d'Alexandrie, du à droite, faisoit partie des ruines du palais des
Caire, deRosette, deDamiette, des bouchesde Dybeh, Ptolomées: près de là, les deux aiguilles dites de
et d'Omm-faredje; opération qui attache l'Afrique à Cléopâtre, dont l'une est debout, et l'autre renver-
l'Asie, et fixe avec exactitude des points si impor- sée; derrière est la porte de Rosette, Porta canopica.
tants de la géographie. Les noms des villages, écrits. Tout ce qui suit offre les ruines de la circonvalla-
( aa-8 )
tion arabe ; la plage où arrive doucement. la mer ; mesurée dans tous ses détails par le citoyen Norry,
un bois de palmiers, derrière lequel est le grand qui a donné au public le résultatde ses opérations;
Morne, aujourd'huifortifié : ensuite, d'anciennescon- la dissertation qu'il y a jointe ne laisse rien à désirer
structions arabes, faites du temps des kalifes; un à la curiosité sur ce monument. Le simple trait que
palais arabe, où sont établis aujourd'hui les bains je donne ici pour faire connoître les principales di-
de vapeurs; une. mosquée, et une partie de la ville mensions de cette colonne est emprunté des opéra-
moderne. Sur le premier plan, une espèce d'espla- tions du citoyen Norry.
nade , qui sert de promenade à la factorerie euro- N° 3. C'est également un simple trait de l'obélis-
péenne, et où sont représentées les premières huttes que de Cléopâtre, d'après les mesures prises posté-
que nos soldats fabriquèrent en arrivant pour se rieurement à la fouille faite à sa base depuis notre
mettre à l'abri du soleil, de l'humidité, et de la fraî- séjour en Egypte.
cheur des nuits, égalementincommodes à Alexandrie.
La couleur généralement blanche de ce site,les
PLANCHE X.
ruines, qui en sont presque usées, offrent un aspect N° 1. La vue de trois colonnes que l'on rencontre
mélancolique, quiformeroitun tableau étrangeet pi- près de la mosquée de S.-Athanase: elles sont de
quant, si on pouvoit le rendre avec sa couleur natu- granit, et d'un beau travail. Aucun voyageur n'a
relle : les grands souvenirs d'ailleurs qu'il rappelleroit parlé de cette ruine: il faudroit faire des fouilles
à l'imagination ajouteroient sans doute un grand in- pour s'assurer de l'époque à laquelle elle appartient.
térêt à la singularité unique de ce tableau. A en juger par la délicatesse du trait de ces colon-

PLANCHE IX. nes , on ne peut mettre en doute qu'elles n'aient fait


partie de quelques monuments antiques; mais leur
N° i. Aboufaquir, mendiant égyptien. espacement exagéré doit faire croire qu'elles ne sont
N° 2. Vue d'une principale mosquée d'Alexandrie, pas placées à leur destination primitive. Quoi qu'il
connue sous le nom de S.-Athanase : quatre rangs de en soit, elles sont les restes d'un'grand et magnifique
colonnes antiques de marbres de toute espèce portent édifice : leur diamètre à l'arasement du sol, qui doit
des arcs qui soutiennent un plancher, et forment un être à-peu-près à la moitié de leur hauteur, est de
portique couvert, dont les trois murailles et le pavé quatre pieds six pouces; la fabrique qui est der-
sont revêtus de mosaïque en marbre, avec une frise rière est un casin arabe daus un jardin: dans le
où des sentences du Coran en grands caractères sont fond, on apperçoit le sommet de la colonne de
exécutées en mosaïque en émail. Ce portique ouvert Pompée.
donne sur une cour carrée, pavée en marbre, en- N" 2. L'obélisque de Cléopâtre. Le monument qui
tourée d'une galerie soutenue par des colonnes est derrière est moitié grec, moitié arabe; on dis-
de même nature que celles du portique (voyez le tingue encore des chapiteaux de colonnes engagées
plan N° 3 même planche). Les plus misérables fabri- d'ordre dorique, dont les fûts vont se perdre sous le
ques sont ajoutées par les Turcs aux magnificences niveau de la mer. Cette circonstancecoïncidant avec
sarrasines que je viens de décrire. Dans la cour, les ce que Strabon rapporte du palais des Ptolomées
plantes, ensuite les arbres, se sont fait jour, et ont battu par les vagues de la mer a fait croire que cette
soulevé le pavé de marbre; les éboulements ont rem- fabrique étoit une portion de ce palais : ce que les
placé les voûtes à l'endroit où elles se sont crevées, Arabes y ont ajouté n'est pas dénué de goût et- de
et quelques planches de sycomore qui ne se joignent magnificence. Le petit monument qu'on voit à gau-
point réparent les défauts de continuité de la clôture : che est la porte de Rosette; ce qu'on voit au pied de
le petit édifice octogone que l'on voit dans le milieu l'obélisque en est un autre qui est renversé.
de cette vue ( N°6) renferme le sarcophage antique N° 3. Le grand Pharillon, bâti au bout d'une jetée;
dont le N° 2 est le trait. Le N° 4 en est le plan. Voyez ehâteau turk de quelque apparence, plus utile, dans
sa description dans le journal, page 22. l'état où il est, à loger une garnison qu'à défendre
N° 2. La colonne de Pompée. Cette colonne a été la ville. Le rocher en avant est appelé le Diamant.
029;
On croit que c'étoit là qu'étoitbâti le fameux Phare, « ne font usage de leur feu qu'à demi-portée de la
une des merveilles du monde : on n'en apperçoit aucun « mitraille et de la mousqueterie. La valeur téméraire
vestige; ce n'est plus maintenant qu'un écueil battu « des Mamelouksessaie en vain de renverser ces mu-
et couvert des vagues de tous les vents. « railles de feu, ces remparts de baïonnettes: leurs
No 4. Une vue générale d'Alexandrie, prise des « rangs sont éclaircis par le grand nombre de morts et
galeries du minaret de la mosquée de S.-Athanase. « de blessés qui tombent sur le champ de bataille, et
Elle présente le grand port dans tout son développe- « bientôt ils s'éloignent en désordre, sans oser entre-
ment, les deux châteaux*du grand et du petit Pha- « prendre une nouvelle charge.
rillon, qui terminent les deux bouts du demi-cercle: « Pendant que les divisions Desaix et Reynier re-

en se rapprochant à droite, les ruines du palais des « poussoient avec tant de succès la cavalerie des Ma-
Ptolomées, le palais des Arabes, où sont les bains, «melouks, les divisions Bon et Menou, soutenues
la ville.moderne,bâtie sur le remblaiement qui a joint « par la division Kleber, commandée par le général
l'isle du Phare à la terre ferme, espace appelé autre- « Dugua, marchoient au pas de charge sur le village
fois Hepta stadium, et à gauche, une partie du « retranché d'Embabé ; deux bataillons des divisions
vieux port : sur le devant, les ruines d'une partie de « Bon et Menou, commandéspar les généraux Ram-
la circonvallationarabe, autrefois le Serapeum. « pon et Marmont, sont détachés avec ordre de
« tourner ce village, et de profiter d'un fossé pro-
PLANCHE XL
« fond pour se mettre à couvert de la cavalerie de
Plan de la bataille des pyramides. « l'ennemi, et lui dérober leurs mouvements jus-
J'y ai joint ceux de la ville du Caire, de Boulac, de te qu'au
Nil.
Djyzéh, du vieux Caire, et d'Embabé, des isles de « Les divisions, précédées de leurs flanqueurs,
Raoudhah et de Boulac, des pyramides, et du cours « continuent de s'avancer au pas de charge : les Ma-
du Nil; j'ai marqué le mouvement des troupes par te
meloùks attaquent sans succès les pelotons de nan-
des lignes, pour une plus facile intelligence, et j'ai ti queurs ; ils font jouer et démasquent quarante
mis des figures dans tous les points où il y a eu enga- « mauvaises pièces d'artillerie : les divisions se préci-
gement de combats, pour achever de donner une té
pitent alors avec plus d'impétuosité, et ne laissent
entière connoissance de cette importante bataille. « pas à l'ennemi le temps de recharger ses canons.
J'emprunte ici les détails qu'en a donnés le général te
Les retranchements sont enlevés à la baïonnette;
Berthier dans sa relation des campagnes du général te
le camp et le village d'Embabé sont au pouvoir des
Bonaparte en Egypte, et en Syrie. te
Français Quinze cents Mamelouks à cheval, et au-
« tant de fellahs, auxquels les généraux Marmont et
Rapportdu général Berthier.
« Rampon ont coupé toute retraite en tournant Em-

«Mille souvenirs se réveillent à la vue de ces it


babé, et en prenant uneposition retranchée derrière
« plaines, où le sort des armes a tant
de fois changé te un
fossé quijoignoit le Nil, font en vain des prodiges
* la destinée
des empires. L'armée, impatiente d'en ee
de valeur: aucun d'eux ne veut se rendre, aucun
« venir aux mains, est aussitôt rangée en ordre de ee
d'eux n'échappe à la fureur du soldat; ils sont tous
« bataille. Les dispositions sont les
mêmes qu'au et passés au
fil de l'épée, ou noyés dans le Nil. Qua-
« combat de Chebreisse. La ligne formée dans l'ordre « rante pièces
de canon, quatre cents chameaux, les
« par échelons et par divisionsqui se flanquent refu- «
bagages et les vivres de l'ennemi, tombent entre
« soit sa droite; Bonaparte ordonne à la ligne de et
les mains du vainqueur.
«
s'ébranler: mais les Mamelouks, qui jusqu'alors « Mourat-bey, voyant le
village d'Embabé ém-
« avoient paru
indécis, préviennent l'exécution de et
porté, ne songe plus qu'aux moyens d'assurer sa
« ce mouvement, menacent le centre, et se précipi- ee
retraite. Déjà les divisions Desaix et Reynier
« tent avec impétuosité sur les divisions Desaix et «
avoient forcé sa cavalerie de se replier; l'armée,
« Reynier qui formoient la droite ; ils chargent in- ee
quoiqu'ellemarchât depuis deux heures du matin,
« trépidement ces colonnes,qui, fermes et immobiles, ee et
qu'il en fût six du soir, le poursuit encorejusqu'à
O3o)
« Crizeh.Il n'y avoit plus de salut pour lui que dans le Mont-Libyque, dont \a. chaîne gît du sud au nord
« une prompte fuite; il en donne le signal, et l'armée jusqu'aux pyramides de Djyzeh, et d'où, changeant
« prend position à Gizeh après dix-neuf heures de tout-à-coup de direction à l'ouest, elle va se perdre
« marches ou de combats. dans les déserts de Barca.
ee Jamais victoire aussi importante ne coûta moins
PLANCHE XIII.
« de sang aux Français : ils n'eurent à regretter dans

« cette journée que dix hommes tués, et environ N° 1. Vue du château de Rachid, à l'ouest du Nil,
et trente
blessés; jamais avantage ne fit mieux sentir la première construction que l'on rencontre en re-
« la supériorité dé la tactique moderne des Euro- montant ce fleuve: fortifié depuis l'invention de la
« péens sur celle des orientaux, du courage discipliné poudre, on peut croire qu'il a été bâti au temps de
« sur la. valeur désordonnée. » la conquête de Sélim, et qu'il y laissa une garnison,
dont nous avons trouvé les descendants soldés et
PLANCHE XII. gardant encore le même château, qui est un grand
Bataille des pyramides. Ce tableau représente le bastion carré, flanqué de quatre tours ; dans le mi-
moment de la double action, où deux corps de Ma- lieu, des casernes, et une mosquée; de beaux jardins,
melouksfont chacun une sortie : l'un sur les divisions plantés d'orangers et de palmiers, entourent ac-
Dugua, Desaix, et Reynier; l'autre sur le bataillon tuellement cette fabrique démantelée, et enrendroient
commandé par le général Rampon (voyez dans le jour- le séjour agréable si l'intérieur en étoit logeable.
nal le récit de la bataille, page 26). J'ai tâché de N° 2. Une mauvaise batterie en ruines, construite
donner l'image d'une charge de Mamelouks, dontj'ai presque vis-à-vis le château de Rachid: il y reste
été plusieurs fois témoin, et dont la rapidité, l'aban- aussi quelques familles de Sorbadgi ou descendants
don , le dévouement, et la bravoure chevaleresque, de ces garnisons turques dont j'ai parlé à l'article ci-
m'ont toujours frappé; j'ai voulu rendre aussi l'effet dessus; le petit dôme qu'on apperçoit à droite est un
de la mitraille sur cette cavalerie, qui venoit la braver santon ou tombeau de personnage révéré.
jusqu'à la bouche du canon; j'ai fait voir les servi- N° 3. L'arrivée à Rosette.
teurs à pied à travers les combattants, leur manière N° 4. Un village du Delta, vis-à-vis Rosette.
d'emporter les blessés, de les éloigner du combat; N° 5. Le couvent d'Abou-Mandour, à une demi-
les chameaux portant les cartouches, et les instru- lieue de Rosette,.bâti à un angle du Jfil sur les rui-
ments guerriers; les palmiers avec leurs fruits, com- nes de l'antiqueBolbitine,situationaussiagréableque
me ils étoient à cette époque, et jusqu'à la gerçure pittoresque, entre un désert aride et brûlant, et tout
produite par l'inondationet l'ardeur du soleil; enfin ce que la nature peut offrir de plus frais et de plus
tout ce qui caractérise le pays, et contribue à lui abondant. Un tombeaurévéré y amené beaucoup de
donner une physionomie particulière. Le fond con- musulmans atteints de l'ophtalmie, et qui en revien-
tient tout ce que le vaste horizon offre d'intéressant : nent la vue rafraîchie des ablutions qu'ils font de
à droite de l'estampe, est la route qui conduit à Suez l'eau claire d'une citerne, que l'on y distribueabon-
et en Asie, où l'on voit le corps d'Ibrahim-bey; la damment pour une très petite rétribution.
ville du Caire, au pied du Mokattam, ou l'extrémité
de la chaîne arabique; le grand aqueduc, qui arrive
PLANCHE XIV.
jusqu'au vieux Caire, sur le bord du fleuve Boulac: N° 1. Vue d'une mosquée avec son minaret. Cha-
plus en avant, le Nil, avec les isles de Raoudhah, de que province a son goût particulier dans ces sortes
Boulac, et du Lazaret; le vaisseau amiral de la flotte de monuments : l'architecture mauresque n'ayant nL.
de Mourat-bey, auquel il fit mettre le feu pendant le principes ni règles fixes, la légèreté et l'élégance en
combat : de l'autre côté du Nil, Djyzeh, la maison de sont les seules lois, et, par suite, les productions en
Mourat-bey, la plaine et les pyramides deSsackarah; sont infiniment variées; les ornements surabondants
l'espace entre elles et celles de Djyzeh, qui est l'em- n'y sont jamais incohérents et conservent entre eux
,
placementqu'occupoit Memphis; et en dernièreligne, une harmoniequi n'est jamais dépourvue de grâce.
(a3i.)
Ces dômes, construitstrès rapidement, sont élevés N° a. Le passage de la Madié, l'ancienne bouche
avec- régularité par des maçons qui n'ont que quel- canôpite, dans laquelle entre la mer, et y forme un
ques outils, et n'emploient à ces constructions que lac de plus de quatre lieues de profondeur; ce qui
du plâtre, soutenu par quelques petits^morceaux de fait que les caravanes d'Alexandrie à Rosette traver-
bois. Le minaret n'a d'autre utilité que-de faire ap- sent ce lac à son embouchure, au lieu d'en faire le
percevoir de loin la mosquée à laquelle il tient, et de tour, quelque incommode que soit ce passage par
porter cette galerie d'où les irnans, toutes les quatre les bas-fonds des rives, et l'embarcationqu'il faut
heures, appellent les fidèles musulmans à la prière en faire au milieu de l'eau.
chantant des hymnes à l'Eternel et à son prophète. N° 3. Le fort d'Aboukir tel qu'il étoit à l'arrivée
A chaque mosquée, il y a une citerne, un bassin pour des Français en Egypte, avec son petit port pour 1er
les ablutions, et, toutes les fois que cela est possible, barques.
un petit enclos planté d'arbres pour faire la prière à N° 4- Carte à vol-d'oiseau de la péninsule d'Abou-
l'ombre. Celle qui est représentée ici est située à l'ex- kir. En avant, les rochersdu promontoire; à gauche,
trémité sud de Rosette; la fumée que l'on voit à sur cette même ligne, l'islot contre lequel étoit ap-
droite est produite perpétuellement par une fabrique puyée la flotte embossée; derrière le château, le vil-
de charbon, qui est une des denrées rares du pays : lage d'Aboukir; plusloin, le faubourg, entre lequel
l'importation de bois, qui, en temps de paix, se fait les retranchementsont été élevés ; au bout de la ligne
de Syrie à Rosette, est un article de commerceparti- de palmiers, les monticules où sont situées les trois
culier à cette ville. fontaines ; plus au fond, à gauche, le lac Madié, l'an-
N° 2. Vue d'une portion du port de Rosette. Les cienne embouchure de la bouche canôpite, la digue,
fabriques qui y sont représentées, appartenantà des et deux obélisques de construction arabe ; au fond
Francs, et la plupart bâties par eux, sont un mé- du lac Madié, la chaussée derrière laquelle passe le
lange de constructions qui ressemblent plus à nos canal qui porte les eaux du Nil à Alexandrie, celle
maisons du quatorzième siècle qu'aux fabriques que lesAnglais ont rompue après leur débarquement,
orientales des autres villes de l'Egypte; celle où est le en l'an g; ce qui a isolé la presqu'isle d'Aboukir, sub-
pavillon appartenoit à la maison Varsi, où étoit logé mergé le territoire d'Alexandrie, et renouvelé le lac
le général Menou. La scène représentéefut celle de Marèotis : l'extrémité de l'horizon, à droite, est l'em-
la prestation de serment du gouvernement du pays placement d'Alexandrie; en revenant le long de la
entre les mains de ce général : les coups* de bâton côte, celui de Nïcopolis, de Taposiris, et de'Canope.
distribués, un reste de pratique orientale générale- Ce point, déjà si important pour la géographie an-
ment établie pour écarter la foule, ennoblir la fonc- cienne, l'est devenu encore davantage pour l'histoire
tion, et avertir le foible de la présence du pouvoir, moderne par les événements qui s'y sont passés de-
et de l'éloignement dans lequel il doit l'envisager- puis notre arrivée en Egypte : le plan et la vue de la
Nous n'arrivions jamais dans un village, que le bataille gagnée par Bonaparte, le 7 thermidor, achè-
cheikh, pour nous faire honneur, n'en ordonnât une veront de le faire connoître sous tous ses aspects, et
distribution, qui ne cessoit qu'à notre réquisition, dans tous ses -détails.Voyez pi. LXXXIX et XC.
et lorsqu'il croyoit que sur cela lé témoignage de No 5. La tour d'Abou-Mandour, près Rosette,
son respect s'étoit suffisamment manifesté. A droite, avec la vue à sept lieues de distance des deux flottes
le Nil, sur lequel on voit un aviso armé, et dans le anglaise et française, le lendemain de la bataille na-
fond, l'isle de Varsi. vale d'Aboukir, du 14 fructidor, à dix heures du
matin, à l'instant où le Guillaume-Tell et le Géné-
PLANCHE XV.
reux , la Diane et la Justice, levèrent l'ancre, et s'é-
N° i. Vue d'Aboukir, prise de l'a mer, avec la loignèrentsans être inquiétés dans leur retraite.
flotte françaisetelle qu'elle étoitembosséeavant la ba- Cette tour, de constructionarabe, est bâtie sur un
taille du 14 fructidor: on apperçoit derrière le fort, la monticule de sable qui couvre les ruines de l'antique
yille,etdans le fond, le monticuleoù sontles fontaines. Bolbitine; la situation élevée au milieu d'une grande
( a3i )
plaine domine d'un côté un vaste désert, jaune et une grande pièce servant de magasin; au bout de la
aride, terminé à l'horizon par la mer. Lorsque l'ame galerie, la chambre d'honneur. La scène ressemble
s'est attristée de ces objets, elle peut, en se retour- à celle qui auroit pu avoir lieu si c'eût été un bey
nant, être consolée par l'aspect de tout ce que la na- qui eût été en tournée, et qui eût donné audience
ture peut déployer de verdure, de richesse, et par la fenêtre : sous la porte sont les gens qui ap-
d'abondance: les plaines du Delta couvertes de ri- portent le déjeûner fourni par le pays.
zières et de plantations de sucre, coupées d'innom- PLANCHE XVII.
brables canaux qui aboutissent au Nil, qui dans cet
endroit est toujours couvert de barques en mouve- N° 1. Plan des ruines et de la circonvallation d'un
.
ment dans tous les sens; enfin ces deux tableaux, temple d'Isis,près Beibeth, dans le Delta: je n'ai
d'une couleur si différente, offrent le contraste le pas vu cette ruine, dont je dois la carte au général
plus frappant; c'est là jeunesse de la nature, et sa Dugua, qui commandoit la province de Garbié
,
décrépitude: ces tableaux seroient aussi beaux à dans le Delta, où sont situés les monuments qu'elle
peindre qu'ils me parurent impossibles à rendre par contient.
des dessins. N° 2. Plan des ruines de Sann ou Zoan, l'ancienne
Tanis, dans la province de Charkié, près du lac
PLANCHE XVI.
Menzaléh, ancienne capitale et habitation royale.
N° i. Vue de Tfémi, gros village de la province Je tiens aussi cette carte du général Dugua; la
de Bahiré, situé sur le bord du Nil, vis-à-vis Mé- forme carrée qu'on distingue dans cette carte étoit
tabis. sans doute l'enceinte d'un temple ou d'un palais.
N° 2. Vue du Nil, d'où on apperçoittout àlafois, Le travail fini des hiéroglyphes et les riches matières
à droite, Sandion, bourg dans le Delta; au centre, employées dans ces édifices font foi qu'on avoit con-
Métabis, aussi dans le Delta; et Tfémi, de l'autre servé dans des temps postérieurs la même magnifi-
côté dû fleuve. cence dans la construction des monuments de la
N° 3. Métabis, petite ville de la province de basse Egypte que dans ceux de la haute : les frag-
.
Garbié,'dans le Delta, connue par ses moeurs disso- ments de lapis que l'on a trouvés dans celui-ci at-
lues, et le nombre d'aimés qui l'habitent. testent aussi que l'usage s'étoit introduit d'employer
No 4. Vue de Sandion dans le Delta, et de Deirut, des matières étrangères pour les décorer.
danslaprovincede Bahiré ; les villages dans le Delta, Je n'ai point vu les ruines de Sann, mais les dé-
à l'abri des incursions des Arabes, sont toujoursplus tails de son plan ne me laissent aucun doute sur
peuplés, plus riches, et mieux bâtis. son exactitude; tout ce que je dois observer, c'est
-'' N° 5. Cafr Schaabas-Ammers, petit village forti- que les ruisseaux que l'on a tracés à travers les col-
fié situé dans le Delta : cafr veut dire faubourg ou lines de sable ne peuvent exister que momentané-
,
hameauséparé, mais dépendant de la ville de Schaa- ment après quelques pluies d'hiver, toute l'Egypte
bas-Ammers. La fumée que l'on voit est la suite de étant absolument privée de sources jaillissantes, et
l'embrasementde cette petite forteresse: sur le devant, de tout ce qui peut perpétuer des ruisseaux.
la digue rompue, sur laquelle nous fûmes obligés de PLANCHE XVIII.
porter nos blessés. Voyez le journal, page 55.
N° 6. Un de nos logements dans le Delta ; c'é- N° 1. Le village d'Alcan,sur la rive gauche de la
toit à Deroulh. La maison s'appeloit le Palais : branche de Rosette, dans la province de Bahiré»
dans la partie intérieure étoit un angar, et une Lorsque je dessinai ce village, les habitants en
cour dans laquelle il y avoit un sycomore; il faut avoient été chassés pour avoir massacré Paide-de~
toujours compter l'abri d'un sycomore en'Egypte camp Julien, et le détachement qu'il commandoit :
comme un appartementd'été, ou un logement pour il n'y restoit que des volées innombrables de pigeons.
les gens de la suite ; un escalier montoit à une gale- Dans une partie des villages de l'Egypte, tout le
lie ouverte, qui étoit la pièce principale ; à droite, dessus des maisons est construit pour y loger des
(a33)
pigeons, et les y laisser se multiplier, pour le seul lesquels on avoit construit ces espèces d'édifices. G,
avantage d'en ramasser la fiente, qui sert principa- l'entrée de la première galerie, qui étoit recouverte
lement à la culture des pastèques et des melons, que par le parement général, et qui apparemmentavoit
l'on plante sur les bords du Nil immédiatementaprès à cet endroit quelque particularitéqui aura pu faire
l'inondation. découvrir cette entrée lorsqu'on en a tenté la fouille.
N° 2. Le villagede Demichelet, sur la même rive, La galerie G jusqu'à H se dirige vers le centre et à
dans la même province qu'Alcan, et d'un aspect tout- la base de l'édifice ; elle a soixante-cinq pas de lon-
à-fait différent. gueur , que l'on est obligé de faire d'une manière si
N° 3. Le même village vu de plus près. J'en ai incommode, que l'on ne doit les estimer qu'à cent
répété les fabriques avec plus de détails, pour faire soixantepieds : arrivé à H, l'incertitude, causée par
voir combien ces constructions modernes, faites de la rencontre de deux blocs de granit L, a égaré la
terre, tiennent du style des grands monuments de la fouille, et en a fait tenter une dirigée horizontale-
haute Egypte, et combien, sans projet d'imitation, ment dans la masse de la fabrique ; cette excavation
les traditions se conservent de proche en proche, abandonnée, on est revenu au point I; et, fouillant
et, pour ainsi dire, par consentement. autour des deux blocs jusqu'à vingt-deux pieds en
N° 4- Une vue de la maison de campagne de remontant, on a trouvé l'entrée de la rampe ascen-
Mourat-bey, prise du côté du nord. C'étoit dans dante K, qui, jusqu'à M, a cent vingt pieds: on
cette maison qu'il faisoit sa résidence ordinaire ; elle monte cette galerie étroite et rapide en s'aidant d'en-
étoit fortifiée : son enceinte contenoit les logements tailles faites dans le sol, et de ses bras contre les
militaires de ses Mamelouks; et ses fortifications l'y côtés de cette galerie étroite ; la fabrique en est de
mettoient à l'abri d'une surprise, ou d'un mouve- pierre calcaire, liée avec un ciment de brique. Arri-
ment départi. vé au haut de cette rampe, on trouve un nouveau
palier M, d'environ quinze pieds carrés; à droite
PLANCHE XIX.
est une ouverture N, qu'on est convenu d'appeler le
N° i, 2, 3, et 4- Vues des pyramides, d'aussi Puits, et qu'à l'irrégularité de son orifice on peut
loin qu'on puisse les appercevoir en remontant le croire être encore une tentative de fouille : il fau-
Nil. drait du temps , de la lumière, et des cordes, pour
N° 5. Vue de la ville du Caire, Boulac, Forstath, s'assurer avec exactitude de sa profondeur et de sa
qui ne forment qu'un seul ensemble à l'instant que direction; on entend qu'elle cesse bientôt d'être per-
l'on vient à les découvrir en remontant le Nil; la pendiculaire par le bruit qu'y fait la chute d'une
montagne que l'on apperçoit derrière est le Mokat- pierre: ce puits a deux pieds sur 18 pouces de
tam, contre lequel est appuyée cette ville. diamètre ; il faudroit faire une fouille pour pou-
voir hasarder quelque conjecture sur cette exca-
PLANCHE XX. vation ; à droite de ce trou, est une galerie ho-
N° i. Vue de Salmie, sur la rive gauche du Nil, rizontale O, de 170 pieds, se dirigeant au centre
dans le Delta. Voyez le journal, page 33. de l'édifice, au bout de laquelle est l'entrée d'une
N° 2. Vue des pyramides de Gizeh et de Ssakarah, chambre dite de la reine, E : sa forme est un
élevées sans doute aux extrémités nord et sud de carré long de 18 pieds 2 pouces sur i5 pieds 8
Memphis; l'espace qui est entre ces deux groupes pouces ; sa hauteur est incertaine, parcequ'une
de pyramides fixe l'étendue de cette ville dans avide curiosité en a fait bousculer le sol, et creuser
cette direction, tandis que le Nil et la chaîne libyque une des parties latérales, et que les décombres de
bornoient irrévocablement ses côtés est et sud. toutes ces violations ont été laissés sur la place.
N° 3. Coupe de la pyramide ouverte, appelée le La partie supérieure a la forme d'un toit d'angle
Chéops, par laquelle on peut prendre une idée des à-peu-près équilatéral; aucun ornement, aucun hié-.
galeries qui conduisent aux deux chambres sépul- roglyphe , aucun vestige de sarcophage : une pierre
crales, qui paraissent avoir été les seuls objets pour calcaire fine, et liée d'un appareil recherché, fait
3o
( *M )
tout l'ornement de cette pièce. Voyez même pi., le F, de 3 pieds 3 pouces, qui est l'entrée de la pièce
plan et la coupe de cette chambre, n° 4 et 5. A principale D, de forme carrée, longue de 16 pieds
"quoi cette chambre a-t-elle été destinée ? étoit-ce sur 32 de large, et de 18 pieds de hauteur ; la porte
pour mettre un corps? Dans ce cas, la pyramide, est à l'angle du grand côté, comme à la chambre
bâtie à dessein d'en mettre deux, n'a pas été fer- d'en-bas. Vers le fond, à droite en entrant, est un
mée à une seule époque; en cas d'attente, et que sarcophageisolé, de 6 pieds 11 pouces de long sur
cette seconde sépulture fût effectivement celle de la 3 pieds de large, et 3 pieds 1 pouee 6 lignes d'éléva-
reirie', les deux blocs de granit, dont j'ai déjà parlé, tion. Quand on aura dit que ce tombeau est d'un
et qui sont à l'entrée des deux galeries inclinées, seul morceau de granit, que cette chambre n'est
étoient donc réservés à clorre définitivement l'ou- qu'un coffre de même matière, avec un demi-poli
verture des deux chambres, et des galeries adja- d'un appareil assez précieux pour qu'il n'ait point
centes. nécessité de ciment dans tout son appareil, on aura
Revenons sur nos pas jusqu'à la plate-forme du décrit cet étrange monument, et donné l'idée de
puits M, où, en se hissant de quelques pieds, on l'austérité de sa magnificence.
se trouve au bas d'une grande et magnifique rampe, Le tombeau est ouvert et vide, sans qu'il soit
P Q, de 180 pieds de longueur, se dirigeant aussi resté aucun vestige de son couvercle; la seule dé-
vers le centre de l'édifice ; sa largeur est de 6 pieds gradation dans toute cette chambre est la tentative
6 pouces dans laquelle il faut comprendre deux d'une fouille à un des angles, et deux petits trous à-
parapets de i g pouces de diamètre, percés, par es- peu-près ronds, à hauteur d'appui, auxquels des
pace de 3 pieds 6 pouces, de trous longs de 22, lar- curieux ont attaché trop d'importance. C'est ici que
ges de 3. Cette rampe étoit sans doute destinée à se termine le voyage, comme c'est là qu'il paroit
monter le sarcophage; les trous avoient servi à assu- qu'ait été le but de,cetteimmense entreprise, où les
rer par quelque machine le hissement de cette masse hommes semblent avoir voulu se mesurer avec la
sur un plan aussi incliné ; la même machine avoit nature.
sans doute nécessité des entaillesau-dessus de la par- Le citoyen Grosbert, ingénieur, qui a séjourné
tie latérale de chacun de ces trous, qui ont été réparés aux Pyramides, qui en a fait un plan en relief, que
ensuite par un ragréement. Cette galerie se ferme l'on voit avec intérêt au Jardin national des plantes,
peu-à-peu jusqu'à son plafond par huit retraites de et une explication dans un livre intitulé, Descrip-
6 pieds de hauteur; ce qui, joint à 12 qu'il y a du tion des pyramides de Djyzeh, de la ville du Caire
sol jusqu'à la première plate-bande, donne 60 pieds et de ses environs, donne au Chéops 728 pieds de
de clefà cette étrange voûte (voyez sa coupe n° 6). base, et évalue sa hauteur à 448 pieds, en comptant
Arrivé au-dessus, en s'aidant d'entailles assez régu- la base par la moyenne proportionnelle de la lon-
lières mais modernes, on trouve une petite plate- gueur des pierres, et la hauteur par l'addition de la
,
forme, puis une espèce de coffre de granit C, dont mesure de chacune des diverses assises. D'après les
les parties latérales, soutenues par la masse générale calculs du citoyen Grosbert et'de M. Maillet, la
de l'édifice, étoient destinées à recevoir dans le vide chambre sépulcrale est à 160 pieds au-dessus du
qu'elles laissoient des blocs de même matière, qui, sol de la pyramide.
hersés dans des rainures saillantes et rentrantes, dé- La base de la pyramide appelée Chefrenes est
voient masquer et défendre à jamais la porte de la estimée par le même auteur de 655 pieds , et
principale sépulture( voyez lettre C, n° 7 et 8). Il a son élévation de 3g8 pieds; sa couverte, dont il
fallu sans doute des travaux immenses pour con- existe encore quelque chose à sa partie supérieure,
struire d'abord et détruire ensuite cette partie de est un enduit formé de gypse, de sable, et de cail-
l'édifice; ici, l'enthousiasme superstitieux s'est trou- loux. Le Miserinus, ou troisième pyramide, dit en-
vé aux prises avec l'ardente avarice et la dernière
, core le citoyen Grosbert, a 280 pieds de base, et
l'a emporté. Après la destruction de treize pieds d'é- 162 d'élévation: je renverrai mes lecteurs à cet écri-
paisseur de granit, on a découvert une porte carrée vain pour les plans et les détails que je n'ai pas en
( 235 )
le temps de prendre, et que ses connoissancesdans bondance , puisque le manque d'^au est le seul Seau
cette partie ont mis dans le cas de donner avec qui puisse amener la disette en Egypte.
l'exactitude'que mérite l'importance de ces édifices, Le jour de cette cérémonie, les beys étoient placés
et l'intérêt qu'ils inspirent. dans le kiosque que l'on voit dans cette planche: le
canal y est représenté dans le moment où il porté
PLANCHE XX (bis). les bateaux du Nil au Caire ; dans le fond est ï'isïé
N° i. Profil du Sphinx, qui rend compte de son de Rhaoudah; à gauche dé l'estampe sont des mon-
état de destruction, et du caractère de cette figure tagnes de décombres, et la prise d'eaù du gYand
dans les parties qui en sont conservées: les person- aqueduc. Tous les Voyageurs ont fait la description,
nages vivants servent d'échelle de proportion ; celle de l'ouverture du khalydge, et particulièrement
qui est au-dessus de la tête, et que l'on aide de la Savari.
main, sort d'une excavation étroite, terminée par N° 3. L'aqueduc qui conduit l'eau1 du Nil au
des décombres et qui n'a plus que 9 pieds de pro- Caire ; les colonnes que l'on voit en avant renver-
,
fondeur. Des échancrures taillées d'espace en es- sées et rompues sont les ruines d'un édifice, dont
pace dans les parties latérales de cette excavation l'institut me demanda un rapport, et dont je vais
y servent d'échelons pour monter et descendre dans rendre compte en citant le rapport liii-meme.
ce trou, dont l'usage est resté dans la nuit du Ces fûts de colonnes, éloignées d'environ 40 cen-
mystère; le monument que l'on apperçoit derrière timètres du minaret d'une mosquée en ruine, qui à
est une espèce de tombeau dans le genre des pe- été bien bâtie , et dont les arrachements prolongés
tites pyramides ; mais si dégradé, qu'il est difficile ont nécessairementenglobé ces débris, doivent por-
d'en rendre compte autrement que par la forme ter à croire, qu'ils en faisoient partie : la richesse' de
existante de sa ruine. la matière de ces fragments, la perfection d'une
N° 2. Entrée des galeries de la pyramide de partie de ces colonnes, l'inégalité absolue de leurs di-
Chéops; chaque pierre dessinée fidèlement peut mensions, l'empreinte des mains barbares marquée
donner une idée de l'appareil de cette partie de sur toutes leurs réparations, le style, plus barbare
l'édifice qui étoit recouverte d'un parement
, encore, de tous les détails qu'on y a ajoutés, font
semblable à la superficie générale de tout le monu- penser que s'il existoit quelques morceaux antiques
ment. dans cet édifice, ils y avoient été employés dans un
C'est au citoyen Rigo, membre de l'institut du temps rapproché de ces époques malheureuses, où
Caire, que je dois cette planche intéressante ; de re- la gloire des armes ne s'allioit point à la philosophie
tour de l'expédition, il a bien voulu me permettre et à l'amour des arts, où le caprice brutal, la bar-
de prendre dans son intéressant porte-feuille plu- bare adulation en régloient les déterminations poli-
sieurs objets, tels que celui-ci, et des costumes que tiques, faisoient bâtir une ville où Amroun avoit
j'annonceraià leur numéro. dressé sa tente, la faisoient abandonner pour aller
la rebâtir où Saladin avoit vaincu le dernier des
PLANCHE XXI. souverains Mamelouks. Dans ces temps, les beaux
N° 1. Une mosquée, avec plusieurs santons ou restes de la noble antiquité étoient groupés avec
tombeaux situés au nord de Rosette ; le mur à hau- de lourdes inepties, et formoient de monstrueuses
teur d'appui, qui est dans le milieu de l'estampe, magnificences,ainsi qu'on peut le remarquer dans
sert de chaussée, lors de l'inondation, pour commu- cette immense fabrique, appelée le Palais de Joseph,
niquer des habitations au Nil : dans le fond est l'isle construite, comme celle-ci, de morceaux précieux
Baschi. et inégaux, et raccordés par les mêmes moyens; dans
N° 2. Le khalydge, ou canal qui conduitl'eau du ces constructions, où les chapiteaux et les bases
Nil au Caire lorsque l'inondation est arrivée à une avec toutes sortes de profils vont chercher les co-
,
certaineélévation; l'ouverturede ce canal est une fête lonnes quand les colonnes n'arrivent pas jusqu'à eux.
annuelle, d'autant plus gaie qu'elle annonce l'a- Mais pour assigner un siècle à ces édifices, il fau-
( 236 )
droit connoître celui où ont régné les princesqui les le lointain; sur le devant, deux sycomores avec leurs
ont fait construire: peut-être est-il réservé à l'acti- formes surbaissées. On peut remarquer dans cette
vité française de rendre des annales aux Arabes ; estampel'usage que l'on fait de l'ombre de cet arbre,
plus instruits dans leur langue, de découvrir des l'utilité dont il est dans un climat si chaud', et les
manuscrits qui fixent des époques à leur histoire, établissements que l'on fait sous son abri : ies vues
et de jeter des lumières sur la ténébreuse antiquité naïves de ce genre peuvent peut-être suppléer à de
par la lecture des hiéroglyphes, de fixer le temps longues descriptions.
moyen par des recherches littéraires sur le règne
des kalifes, par là laisser la part qui appartient aux. PLANCHE XXIII.
siècles d'engourdissement où nous avons trouvé N° i. Tombeaux musulmans en briques, en pier-
l'Egypte, et de faire une nouvelle ipoque en rame- res ou en marbre : le corps est introduit par l'ouver-
nant les sciences et les arts dans leur pays natal. ture cintrée, et repose sur»une terre douce et tami-
sée : au-dessus du tombeau est figuré un turban, et
PLANCHE XXII.
vis-à-vis est une inscription contenant le nom, les
N° i. Tombeaux des kalifes. Ces monuments du titres, et quelquefois l'éloge du mort. Les figures
neuvième siècle sont bâtis hors des murs du Caire, pleurent et prient ; cérémonie qui se renouvelle cha-
à l'est de cette ville. Quoiqu'en ruines, ils sont en- que semaine, et qui devient le jour de fête pour les
core les témoignagesde l'irrégularité et de< l'élégance femmes : tant leur régime est dénué de tout ce qui
de l'architecture arabe: la richesse y est jointe-à la est agrément, puisque pleurer est compté au nom-
légèreté avec un goût très délicat, et forme des grou- bre des plaisirs de leur vie.
pes qu'aucune autre masse d'édifices de ce genre ne N° 2. Cimetière des Mamelouks, à l'est du Caire,
m'a jamais offerts. du côté de la porte d'El-Rerasé. Les monuments les
Le bâtiment qui occupe le milieu de l'estampe étoit plus considérables sont les tombeaux des beys en
une caserne de Mamelouks;l'emplacementsert encore marbre, avec des ornements peints et dorés, et d'un
de cimetière. Tout ce que l'on apperçoit de petit sur goût d'architecture plus agréable que régulier., mais
le premier plan sont des sépultures modernes: les dont les masses offrent un aspect de magnificence et
figuresreprésententun convoi,que l'on peutvoird'une de grâce, qui donneroit à qui arriveroit au Caire
manière plus développéedans la planche CIII, n° i. par ce côté une idée de splendeur de cette ville,
N° 2. Une vue du vieux Caire ou Forstah, bâti qui seroit bien démentie par la réalité : toutes ces
par Amroun; à gauche, une maisonà l'usage du pays, richesses sur un sol triste et âpre donnent à ce lieu
et bâtie sur la rue : les fenêtres grillées, les auvents calme et silencieux un caractère particulier, auquel
qui sont dans la partie supérieure, sont tournés au je n'ai rien vu de comparable. A droite est la mos-
nord pour en recevoir l'air frais, et le diriger dans un quée de Cheroiné; suit une partie de l'aqueduc qui
trou qui est au bas, pour être de là distribué dans porte l'eau du Nil au Caire ; tout le reste sont des
toutes les parties de la maison. tombeaux de particuliers : le petit groupe de figures
Dans le fond, l'isle de Rhaoudah, à la pointe de est un enterrement.
laquelle est le Mekkias ou nilometre; le petit mur en N° 3. Boulac, petite ville séparée du Caire, et que
rond, que l'on voit au premier plan, au milieu de l'on peut regarder comme son port ; c'est à ce port
l'estampe, est une bâtisse que l'on élevé autour des que se rendent toutes les embarcations de la basse
jeunes palmiers et des sycomores, pour les soigner Egypte et toutes les provisions et marchandises qui
et les arroser, jusqu'à ce qu'ils soient venus à un cer- viennent de la haute : Boulac, bâtie dans les premiers
tain degré de force pour se défendre eux-mêmes. siècles de l'hégire, a des monuments arabes d'une
N° 3. Vue prise du vieux Caire, où l'on voit d'une charmante exécution.
manière plus détaillée le Mekkias, et le palais qui y est La scène représente le marché aux bleds, que l'on
attenant, bâti dans le même temps de l'expédition de voit exposés en tas, et le marché aux poissons, qui
S. Louis en Egypte : on apperçoit les pyramides dans se fait aussi dans ce même lieu.
(a37)
Sur le dernierplan, derrière les barques, on apper- minoit la dispute, et la gaieté nous ramenoit tout
çoit Embabéh, villagedevenu fameux par la bataille au logis.
des pyramides.
PLANCHE XXVI.
PLANCHE XXIV. N° 1. Vue de la pyramide d'EUahoun, à l'entrée
N° i.Une autre vue des tombeaux des kalifes, de la province du. Fayoum, à l'extrémité du Bark
avec la caravane de Tor et du mont Sinaï, qui ap- Jusef; c'étoit peut - être la pyramide de Mendes, si le
porte au Caire du charbon, de la gomme arabique, lac Batheu étoit le Moeris : cette suite de rochers tail-
et des meules de moulins à bras. lés à pic, que l'on voit dans le dernier plan, rece-
N° 2. Attaque d'Arabes sous les murs du Caire, voit peut-être les efforts du Nil, si autrefois, par le
au soleil levant,, qui est lé moment où le plus sou- fleuve sans eau, il alloit se jeter à la mer par le Ma-
vent ils viennent enlever les passagers jusqu'aux réotis. Cette pyramide est bâtie en briques non cui-
portes de la ville. Dans l'estampe, ceux qui leur tes ; une construction en pierres calcaires lui servoit
ont échappé s'enfuient à la nage, pour éviter la de noyau.
poursuite des chevaux ; la montagne à gauche, for- N° 2. La pyramide de Médoun, prise du Nil,
mée de décombres, est maintenant couronnée du entre les villages de Rega à droite, et Cafr-êl-Rych.
fort de l'institut: les jardins que l'on voit dans le à gauche.
fond étoient ceux du palais de Cassim-bey,qui étoient N° 3. Autre vue de la même pyramide, à une demi-
devenus ceux de l'institut. lieue de distance. Voyez le journal, p. 75.
N° 4. Les pyramides de Saccara, comme 021 les
PLANCHE XXV. voit du Nil.
N° I. Vue du village de Zaouyéh, sur la rive gau-
che du Nil, prise au sud de ce village ; à droite, le
PLANCHE XXVII.
fleuve sur lequel deux avisos armés protégeoient le N° 1. Ka-van-ray ou karavanseray, établissement
convoi qui suivoit l'armée. bâti sur le bord des chemins par des êtres modestes
N° 2. Un arbre révéré, auquel on fait des offran- et bienfaisants, qui n'attachentpoint leur nom à cet
des. Voyez le journal,page 77 et 78. acte charitable : ouverts à tous les passants, ils y
N° 3. Vue intérieure du jardin de Cassim-bey, trouvent de l'ombre et de l'eau pour eux et pour
devenu le jardin 4e l'institut du Caire. Je l'ai prise ' leursbêtes de somme. L'édifice consiste en une citerne,
au moment de l'inondation, pendant laquelle on peut le premier motifde l'institution; deux chambres, une
également s'y pi'omener à pied et en bateau; les galerie ouverte, un abreuvoir, une fontaine, quel-
grands .arbres qui sont au milieu sont des épines ques pots, et des nattes. Point de propriétaire ,
d'Egypte, espèce de cassie , de la famille des mimo- personne qui mette aucune contribution à l'usage
sas , celui qui produit la gomme arabique : le petit qu'on en veut faire : bâti également pour le riche et
monument qui est dessous est un kiosque turc à pren- pour le pauvre, il est au premier occupant, et cette
dre du café, fumer et reposer sa nullité, faire des liberté est sans inconvénients dans un pays où les
calculs d'intérêt personnel, ourdir des trames en voyageurs sont rares, et les marches isolées ,se font
silence, prévoir ou concentrer le projet d'une conspi- toujours en troupes nombreuses.
ration , et ne s'émouvoir que pour l'exécuter. Quelle N° 2. Seconde vue de Zaouyéh, prise dans la
différence, depuis qu'il étoit devenu le point de partie nord de ce village ; la maison la plus élevée
ralliement des membres de l'institut ! que de mou- étoit la plus considérable, et celle du général qui y
vements ! que de rapides discussions! que de fran- commandoit. Les constructions terminées en pointe
ches communications ! que de projets proposés sont des colombiers: tons les cordons qui couron-
,
avortés, remplacés par de nouvelles conceptions, nent les maisons sont formés de mottes à brûler,
souvent utiles, et toujours brillantes ! L'étincelle composées de fiente de boeuf et de chameau, délayée
naissoit du choc de la pensée; la plaisanterie ter- avec un mélange de poussière et de paille hachée, et
(.*38)
séchée au soleil. Ce sont ces mottes, et la canne de précaution de l'ombre que l'on désire toujours.
dourach qui chauffent les fours, et font bouillir la N° 2. L'embrasement de Salmie, dont j'ai parlé
soupe ; les terrasses des maisons en sont les magasins, dans le voyage de la basse Egypte, et dont on peut
et de loin elles en paroissent décorées. voir la vue prise de jour, planche XX, n° 1. Cette
N° 3. Nahourah, ou machine à monter l'eau pour vue de nuit se trouve placée ici par analogie d'effet
arroser les nouvelles plantations, lorsque les eaux du avec le n° 1, et par analogiede facultés dans le talent
Nil se sont retirées. Ces roues à chaînes, à pots, et du graveur; circonstance à laquelle il m'a fallu qùelV
à caisses, sont d'un usage général dans toute l'Egypte: quefois céder lorsque l'inconvénient a pu être réparé
elles s'établissent d'ordinaire sous un arbre, afin que- par le rappel des numéro.
celui qui mené les chevaux se trouve à l'ombre PLANCHE XXIX.
pendant cet exercice. Dans cet heureux climat, le
tranquille propriétaire calcule sa première récolte N° 1. Bataille de Sediman.
.
sur l'élévation du débordement, et la seconde et troi- J'ai pris l'instant terrible où, obligé d'abandonner
sième sur le nombre d'arpents que la quantité d'ani- les blessés, le bataillon carré traverse la vallée pour
maux qu'il possède peut arroser. aller s'emparer de la batterie qui étoit sur la hauteur;
Le grand arbre à droite est un sycomore avec les Arabes courent sur la crête de l'éminence, exa-
sa forme surbaissée, qui est celle qui le caracté- minant sur qui ils doivent diriger leur charge, et
rise : quelquefois l'homme que l'on voit dessous, quelle partie leur offrira un plus sûr butin; sur le
au Heu de marcher en excitant les boeufs, est assis devant, les morts, et les blessés, plus malheureux
sur une espèce de fauteuil attaché à la barre, et encore. Un d'eux que son camarade veut emporter
tourne avec la machine. Voyez le plan n° 2, plan- lui fait voir l'inutilité de ce secours ; il lui montre
che XXXVI. l'ennemi qui approche, il lui observe qu'ils vont être
deux victimes, tandis qu'il peut encore échapper à la
PLANCHE XXVIII.
mort; Laisse-moi, disoit-il; tu pourras te sau-
N° 1. Un bivouac, pour donner une idée de ceux ver, je teferoispérir. Je tiens l'anecdote de l'ami,
d'Egypte. Des groupes de palmiers, éclairés au- qui, en pleurant, se reprochoit d'avoir cédé à
dessous par une multitude de feux, d'autres groupes l'amour de l'existence. L'autre blessé se couvre la
de personnages encore plus variés par le mouve- tête pour ne pas voir approcher la mort qui va
ment de leurs divers besoins, offroient le plus sou- l'atteindre; il prioit ses camarades de l'achever, et
vent les tableaux les plus brillants, auxquels les qu'il n'eût pas à périr sous les coups des barba-
formes pompeuses et élégantes du palmier donnoient res. La valeur a les mêmes expressions dans tous les
un air de fête, dont il auroit été délicieux de jouir siècles, et dans toutes les classes: Antoine expirant
dans ce beau séjour, si l'excès de lassitude des fati- disoit à Cléopâtre, Ne pleure pas sur moi ; après une
gues de la journée n'avoit fait passer les besoins glorieuse vie, je n'ai pu être vaincu que par un Ro-
impérieux avant ces jouissances superflues, et n'a- main. Cette générosité du soldat, qui engage son ca-
voit ôté jusqu'à la faculté de les appercevoir. Autant marade à l'abandonner, n'est-elle pas la même que
le. palmier est triste lorsque, dans un pays sec, il celle du chevalier de Lorda qui lâche le matelot qui
n'offre qu'une touffe pauvre au-dessusde son fût sec ne peut le reporterjusqu'au rivage? Si nos soldats
et grêle, autant il donne de pompe, d'élégance, et de laissent voir quelques passions brutales dans un
légèreté, aune masse d'arbres à tige basse et feuillée, moment de pillage, ils déploient toutes les vertus
ou seulement quand de jeunes plantations du même dans un jour de combat.
arbre sont mêlées aux anciennes. Mais un des incon- Dans le second plan sont les Arabes dans un
vénients de la végétation d'Egypte, c'est qu'il est nuage de poussière, tels qu'on les distingue à l'instant
difficile de l'habiter, attendu que les neuf dixièmes de leur charge: car si le talent m'a manqué pour
des arbres et des plantes sont armés d'inexorables rendre un moment si terrible, j'ai pour attestation
épines, qui ne laissent jouir qu'avee une inquiète de la vérité de mon tableau le cri de tous les témoins
( *h )
auxquels je l'ai montré. Dans celui-ci, on peut voir grande variété' dans la forme des tombeaux en
rassemblé tout ce que la guerre a de fureur, d'atro- Egypte, ainsi que dans celle des minarets chaque
:
cité, de courage, et de générosité: l'aide-de-camp province a les siens d'un goût qui les caractérise.
Rapp, à la tête des tirailleurs, s'étant précipité avec Les deux figures à droite sont deux santons ; nus
une bravoure qui le caractérise sur la batterie des sans indécence, ils passent la journée au soleil at-
ennemis, l'ayant enlevée et fait tourner les pièces tendant la charité sans la demander: les autres per-
contre eux, trouva les têtes des Français pris la sonnages sont des musulmans qui prient aux tom-
veille, qui étoient encore sur les affûts des canons. beaux de leurs proches.
Le n° 2 est le tableau d'un mouvement de la na-
PLANCHE XXXI.
ture moins généreux, et malheureusement tout aussi
vrai ; celui de l'amour de sa propre conservation, N° i.. Vue de Bénécé ou Bhéneséh, sur le canal
qui est irrésistible dans les moments extrêmes où la appelé le Bar-Juseph, l'antique Oxyrynchus,capitale
foiblesse humaine est tout à côté de l'héroïsme. Le du trente-troisième nome, citée par les premiers ca-
local est à-peu-près le même que dans le précédent, tholiques comme une ville considérable; elle à donné
parceque le lieu de la scène n'a changé que de quel- son nom à un poisson particulierà l'Egypte, ou en a
ques pas. Sur le devant, un soldat, qui emportait son reçu le sien : ce poisson d'une forme très extraordi-
camarade blessé, entendla cavalerie ennemie qui va naire est un de ceux qui composent la superbe'xol-
l'atteindre; celui qu'il vouloit sauver va le faire pé- lection des animaux du Nil qu'a peints avec autant de
rir; il le pose, et veut fuir: le malheureux blessé, vérité que de talent le citoyen Redouté, membre de
qui voit la mort dans cette séparation, a saisi son l'institut du Caire.
habit; il le lui abandonne, et s'échappe. La triste vue de Bénécé a cela cte particulierqu'elle
offre l'aspect de la marche des sables sur les villes et
PLANCHE XXX. villages : la partie de droite de l'estampe a été habitée,
N° i. Vue de la partie sud de Bénisouef, sur la et a disparu ; celle où est la colonne est presqueen-
rive gauche du Nil; à la rive opposée on voit l'entrée fouie ; celle où est le minaret est déjà abandonnée ;
de la vallée qui conduit à la plaine de Sannur ou du celle à gauche, où il y a deux oiseaux, est le village
Chat, dans laquelle est la gorge formée par le mont moderne, qui semble se retirer et fuir devant le dé-
Askar ou très dur, et le mont Culil ou du bien-aimé, sert qui marche sur lui.
au pied duquel sont les ruines d'une ville inconnue; Le n° 2 est la vue d'une ruine, qui paroit être
la plaine de l'Araba ou des Chariots, où l'on dit qu'é- celle de l'angle d'un grand portique d'ordre compo-
toient d'antiques carrières de marbre jaune; et enfin site dont il ne reste qu'une colonne et une partie de
,
le mont Kolzim, au pied duquel sont bâtis les monas- l'architrave: je n'avois point de moyens de mesurer
tères de S.-Pierre et S.-Paul hermites, d'où l'on dé- la hauteur de la colonne, mais son diamètre au quart
couvre les sommets du mont Hpreb et du mont du fût, à son départ des sables qui l'enfouissent, est
Sinaï. de quatre pieds et demi ; il en reste sept assises de
« N° 2. Vue de la partie de la ville de Siuth ou Ossiot visibles, de quarante pouces chacune. Cet édifice en
qui est sur le canal d'Abou-Assi, à une demi-lieue pierres étoit d'un travail médiocre ; le chapiteau en
du Nil, et à égale distance de la chaîne libyque. On est lourd, quoique privé de ses feuilles et de ses
croit que cette ville est bâtie sur l'emplacement de volutes, ce qui doit le faire juger romain, et posté-
Lycopolis ou la ville du Loup ; la quantité de tom- rieur à Dioclétien, c'est-à-dire du temps de la déca-
beaux que l'on trouve dans la montagne que l'on dence de l'architecture.
voit dans l'estampe, et leur magnificence, attestent
irrévocablement qu'il y a eu une grande ville près
PLANCHE XXXII.
de là. N° i. Deir Beyadh ou le couvent blanc, dont la
N° 3. Tombeaux de gens pauvres, construits en vue est prise du nord au sud sur le canal d'Abou-Assan.
terre, dans la province de Bénisouef. Il y a une N° a. Vue du même couvent, prise du sud au
( a4o)
nord; on apperçoit dans le lointain un édifice du N° 3. Miniet, que l'on croit être bâti sur les ruines
même genre, appelé le couvent rouge : ces deux mo- de Cô où éloit un temple dédié à Anubis : la chaîne
,
nastères sont à une demi-lieue de distance l'un de de montagnes que l'on voit dans le fond est toute
l'autre. percée de grottes, anciennementhabitées par les pre-
Au plan et à la décoration intérieure on rcconnoît miers cénobites ou les pères de l'église, qui, dans
facilement le goût de l'architecture du quatrième les temps de persécutions et de proscriptions, s'y re-
siècle, dans lequel la catholicité a commencé à bâtir tiraient, ou y étoient relégués lorsqu'on ne les en-
pour son culte : avec d'assezbeaux plans, de mauvais voyoitpas jusque dans les oasis; ensuite, par zèle,
détails, et l'emploi de matériaux antiques mal as- ceux de leur ordre venoient occuper les mêmes lieux
sortis, l'extérieur est plus simple; la cornicheet les por- qu'ils avoient habités.
tes tiennent plus du style égyptien que de tout autre ; Sur la rive du fleuve est une forêt de palmiers de
les grandes lignes et le talus général de tout l'édifice plusieurs lieuesde longueur,dans laquelle sont quatre
en sont encore des imitations ; c'est un carré long beaux villages, qui formoient une des plus riches
de a5o sur 125 pieds, percé de trois portes, et de propriétés de Mourat-bey.
deux rangées de vingt-six croisées pour chaque rang
PLANCHE XXXIII.
des grands côtés, et neuf sur l'autre face. Voyez le
plan, planche CXIII, n° 3. L'intérieurconsiste en une N° i. Ruines du templed'Hermopolis ou la grande
grande galerie latérale B, par laquelle on entre, et cité de Mercure, capitale du trente-cinquième nome,
qui pouvoit être le lieu où se tenoient les prosélytes bâtie par Ishmun, fils de Misraïm, à quelque dis-
qui n'avoient point été baptisés; cette pièce est dé- tance du Nil, tout près d'un gros bourg appelé
corée de portiques surmontés d'une corniche : paral- Ashmunein, et peu éloigné de Mélaui. Pour donner
lèlement à cette galerie étoit la nef C, décorée de une idée des proportions colossales de cet édifice, il
seize arcs et pilastres, et de deux rangs de seize co- suffit de dire que le diamètre des colonnes est de
lonnes chacun; le choeur, composé d'un cu-de-four 8 pieds io pouces, leur espacement égal; celui des
II, et de quatre chapelles EE et DD, décorées de deux colonnes du milieu, dans lequel la porte étoit
deux ordres de colonnes : dans le cu-de-four et les comprise, est de 'i 2 ; ce qui donne 120 pieds de face
deux chapelles voisines, les deux ordres sont sur- au portique : il en a 60 de hauteur. L'architrave est
montés d'une coquille qui leur sert de couronnement. composée de cinq pierres de 22 pieds de long, la
Toutes ces colonnes sont autant de fragments anti- frise d'autant ; la seule pierre qui reste de la corniche
ques rajustés de mauvais goût; la chaire pour l'épitre, a 34 pieds; ces détails peuvent faire juger à la fois
K, et l'escalier qui y monte, sont faits de deux mor- de la faculté que les Egyptiens avoient d'élever des
ceaux de granit énormes : ce qui reste de pavé dans masses énormes, et de la magnificence des matériaux
le choeur est en beau marbre de brèche, mais absolu- qu'ils employoient. Ces pierres sont d'un grès qui a
ment dégradé ; la nef est pavée de grands morceaux la finesse du marbre; elles ne sont liées que par la
de granit, où l'on apperçoit encore des hiéroglyphes. perfection de leurs assises : à l'égard du plan du
Au bout de la nef, sur la largeur du temple, est une temple, aucun arrachement ne peut rendre compte
chapelle, décorée de fort bon goût, d'un seul ordre: de son enceinte et de sa nef; le second rang de co-
derrière l'autel, L, cinq colonnesportant un entable- lonnes étoit engagé jusqu'à la hauteur de la porte,
ment couronné d'une coquille : les parties latérales le reste étoit à jour : il est à croire que ce qui suivoit
sont ornées de trois niches; le tout terminé par un immédiatementn'étoit pas encore la nef ou le sacre
portique carré, M, soutenu par quatre colonnes ; du temple, mais une enceinte ou espèce de cour qui
c'étoit peut-être le lieu où les chrétiensfaisoient leur le précédoit. Ce qui autorise à adopter cette opinion,
acte de foi : à côté, N, étoient le baptistaire, et une c'est que la frise et la corniche avoient de ce côté la
superbe citerne, P. même décoration, et la même saillie que du côté de
La montagne contre laquelleest appuyé ce couvent la façade de l'entrée. Le moment de la journée, et
fait partie de la chaîne libyque. cette particularité, me firent choisir ce côté poui;
(24l)
faire le dessin que je donne ici, où l'on peut remar- au style arabe de l'édifice, donnentà cette estampe-ci
quer l'arrachementde l'engagement des colonnes, et 'un aspect oriental, dont j'ai pensé qu'on me saurait
celui de la porte ; les fûts de colonnes semblent re- gré d'offrir le tableau.
présenter des faisceaux, et le bas le pied de la plante Dans un pays où tout est extraordinaire, le lecteur
du lotus au départ de la racine. Le chapiteau n'a aime à surprendre quelquefois le voyageur dans les
rien d'analogue à aucun autre chapiteau connu, mais circonstances qui lui paroissent les plus vraies, par
équivaut, pour la gravité dans l'architecture égyp- cela même qu'elles sont les moins importantes et les
tienne, au chapiteau dorique dans l'architecturegrec- plus imprévues; ce sont des portraits faits rapide-
que, et l'on peut dire que celui-ei est plus riche que ment, sans qu'on ait fait poser le modèle : ils frappent
l'autre. Tous les autres membres ont leur équivalent de vérité, et ils en ont toujours toute la grâce. C'est
dans tous les autres ordres : sur l'astragale de l'un et dans la même pensée que j'ai dessiné, même planche
l'autre côté du portique, et sous le plafond entre les n° 2, un quartier de la ville de Girgé., où j'ai mis,
deux colonnes du milieu, sont des globes ailés, em- comme je l'ai vu par hasard, un kiachef entouré du
blèmes répétés à la même place dans tous les temples faste de sa maison : des bâtonniers à pied, des bâ-
égyptiens. tonniers à cheval, marchent devant lui pour écarter
Les hiéroglyphes qui sont sur les dales qui cou- ceux qui s'en approcheroient ; il est suivi de ses Ma-
ronnent les chapiteaux sont tous les mêmes, et tous melouks.
les plafonds sont décorés d'un méandreformé d'étoiles Ce sont ces sortes de scènes, avec le portrait dû
peintes couleur aurore sur un fond bleu. lieu où elles se passent, qui font connoître la phy-
Le plan du portique est placé au-dessous de la sionomie d'un pays. Pour qu'un lecteur entende
vue. bien un voyageur, il faut qu'il marche avec lui, que
N° 3. Tombeau de Lycopolis. C'est un des plus le voyageur puisse lui dire, Quand j'étois là, voilà ce
considérables et le mieux conservé de ceux qui sont que je voyois ; voilà l'espèce d'arbre sous lequel j'étois
creusés dans la montagne auprès de Siuth ; le plan assis; voilà une maison de tel pays. Le coin d'une
qui est au-dessous en fait connoître l'intérieur et la rue pris au hasard donne plus l'idée d'une telle ville
distribution : l'espècede péristyle qui lui sert d'entrée que le dessin à prétention de ses principaux édifices ;
est, de même que le reste, taillé et creusé sans ma- on fait souvent' mieux connoître un personnage en
çonnerie à même dans le rocher; on a réparé les citant de lui un mot sentimental, une repartie-, qu'en
parties manquantes par un revêtissement de stuc en- en faisant un long et fastueuxpanégyrique.
core très bien conservé. D'abord il n'a pour ornement PLANCHE XXXV.
qu'un tore qui borde un cintre surbaissé ; mais, à
partir de là et jusqu'au fond de la dernière chambre, N° i. Plan des bains chauds en Egypte. CC, une
tout est couvert d'hiéroglyphes, et les plafonds d'or- galerie étroite, amenant au couloir D, qui sert d'en-
nements sculptés et peints : sur le parement des portes trée au bain; la lettre E est le comptoir de celui qui
il y a de grandes figures qui sont répétées sur l'épais- y commande, et qui reçoit le paiement en sortant;
seur du chambranle. Je n'y ai vu aucune trace de F, grande pièce octogone à demi-chauffée, au milieu
gonds ni autre fermeture : la partie supérieure de la de laquelle est une pièce d'eau, G, entourée d'une
porte est plus large que le bas; ce n'est qu'à la troi- rotonde en colonne ; H, estrades sur lesquelles sont
sième qu'on arrive à la chambre du fond, _où étoit des lits de repos. C'est dans cette pièce où l'on se
sans doute le principal sarcophage;le sol a été fouillé rassemble, et où particulièrementles femmes passent
presque par-tout. une partie de la journée qu'elles consacrent à cette
PLANCHE XXXIV. jouissance, où elles se parfument, se font tresser les
cheveux, étalent, leur magnificence, prennent des
N° i. Un karavanseray. Voyez l'explication que rafraîchissements; c'est aussi dans cette pièce qu'on
j'ai donnée d'un autre à la planche XXVII, n° i. Le laisse ses habits : de là on est conduitpar les couloirs,
palmier doum, le héné, et le palmier dattier, joints I R et B, à la pièce y, où, assis sur une dalle, on y
3i
( a.4a )
est inondé d'eau brûlante prise dans le bassin z. Un PLANCHE XXXVI.
ou deux baigneurs, les mains dans des petits sacs de N° i. Plan et élévation géométrale du naourat
flanelle, commencent une friction avec de la mousse
de savon, qui dégage les pores de la peau de tout ce ou machine à élever l'eau.
. A. Axe de la roue dentée horizontale.
qui peut les obstruer ; après cette opération, on est
B. Bras du levier, à l'extrémité duquel agit la puis-
conduit à la pièce V, qui est excessivement chaude,
et toujours remplie d'une vapeur humide, dont la sance.
C. La citerne.
-peau est imbibée en peu d'instants; on monte sur D. La roue à godet.
une petite plate-forme as, où la chaleur est étouffante; E. La roue dentée.
on descend dans un bain u, dont l'eau est brûlante, F. La roue motrice du mouvement.
et où on ne reste que quelquesinstants. Après toutes
ces épreuves, on est ramené doucement à la grande NOTE SUR LA ROUE À GODETS.
pièce F, où, étendu sur les lits de repos H, un autre
baigneur plus adroit vient avec dextérité couper les Le mécanisme de la roue est si simple, que la
ongles, rompre toutes les jointures, briser la roideurseule inspection du plan suffit pour le faire concevoir;
il y a seulement un mot à dire sur la charpente de
de toutes les articulations, et procurer une détention
si voluptueuse, qu'on est tenté de le remercier de la la grande roue.
sensationdouloureuse qu'il vous a faite en faveur de Quatre circonférences d'environquinzelignes d'é-
celle dans laquelle il vous laisse. Les pièces d, c, quarrissage chacune forment les arêtes; elles sont
O, S et T, sont des pièces particulièresque l'on n'estsoutenues par de petites pièces de bois du même
jamais en droit d'exiger que lorsqu'on les a retenues équarrissage, placées perpendiculairementau plan
_(l'avance; hh sont deux fourneaux extérieurs par de la roue, et distantes l'une de l'autre de la lon-
où l'os. entretient le feu qui chauffe les bains, gueur d'un godet : elles servent en même temps et
une cour où se tient la provision de bois et à soutenir les arêtes, et à appuyer les petites plan-
de paille de maïs pour chauffer les fourneaux; F, ches qui forment la séparation des godets. Cet as-
piçce à sécher et étendre le linge ; G, magasin à le semblage est consolidépar huit traverses clouées sur
serrer. le plan de la roue, et quelquefois liées ensemble
Ces édifices, construits avec magnificence, pavés par leurs extrémités, prolongées au-delà de la cir-
en marbre, décorés en mosaïque de même nature, conférence de la roue, avec une corde ou une pe-
entretenus avec de grands frais, sont ordinairement tite pièce de bois; ses traverses servent à assem-
les propriétés des principauxhabitants du pays, qui bler la roue avec son axe: quatre pièces de bois,
les font gérer par des êtres à eux, ourles afferment clouées obliquement sur les traverses, et fixées inté-
à des gens en sous-ordre. rieurement à la roue, augmentent encore la solidité.
N° 2 est un personnage distingué dans une cham- Cette charpente est recouverte de planches d'en-
bre particulière, assis sur une dalle à côté d'une viron quatre lignes d'épaisseur. Il paraît que les
Baignoire; un des baigneurs le masse en le frottant Égyptiens ne suivent point de méthode pour la
avec une main gantée d'un petit sac de pluche de coupe de ces planches ; ils les emploient de manière
laine; friction qui ouvre les pores, et en enlevé tout qu'il n'y ait rien de perdu, sans avoir égard à la
ce qui les obstruoit, et prépare à une transpiration forme ; deux rangs de tringles, appliquées sur cha-
facile : pendant que celui-là nettoie la peau, un autre que face servent encore à fixer ces planches, d'ail-
,
la lave en versant de l'eau chaude sur le corps du leurs clouées sur les arêtes.
baigné; un troisième fait une fumigation odorifé- L'ouverture de chaque godet a trois pouces carrés
rante ; le quatrième apporte du café, qui restaure de surface ; celle qui est destinée à faciliter l'entrée
et rétablit l'équilibre, et prévient l'affaissement que du fluide a quinze lignes de largeur, et pour lon-
ferait éprouver cette espèce de friction dans vme gueur l'épaisseur de la roue.
atmosphère htxative, Si l'o» fait abstraction du frottement dans cette
,
( *43 )
machine, on trouve que, dans le cas d'équilibre, la camp Rapp avec un détachement de cavalerie pour
puissance est à la résistance comme le produit du leur couper la retraite.
rayon de la roue principale par le rayon de la roue Un troisième détachement est envoyé contre ceux
horizontale est au produit du rayon de la roue den- qui occupent le village, et les en chasse. Dans le
tée verticale par le bras de levier : on peut donc fond, derrière Samânhout, est le camp de Mourat-
mettre la machine en mouvement avec une force bey, qui effectue sa retraite sur Farschout. La lon-
très médiocre en augmentant suffisammentle rayon gue ligne de cavalerie est composée des Mamelouks
de la roue dentée verticale et le bras de levier, ou l'une des différents beys, qui paradent, nous enveloppent,
seulementde ces deux dimensions, ou encore en di- et font des mouvements incertains pour découvrir
minuant le rayon de la roue horizontale ; mais dans sur quel point ils peuvent plus avantageusement
tous ces différents cas on perdra sur le temps ce que tenter une charge sur nous : à gauche, un de leurs
l'on gagnera sur la force. Les dimensions de la ma- chefs, blessé par un boulet, ne peut ni être secouru
chine doivent êtredéterminéespar la considérationde par les siens, ni reprendre son cheval pour nous
la force qu'on est en état d'employer. Il est probable échapper. Dans le dernier plan à droite, la côte sur
que les Égyptiens sontparvenus,parun tâtonnement, laquelle les Mamelouks firent leur retraite, et où
à se procurer les dimensions les plus convenables, notre cavalerie les poursuivit. A gauche, dans la
eu égard à la force des animaux dont ils se servent; plaine, les rassemblements d'infanterie, qui, voyant
ce sontordinairementdeuxbuffles oudeuxboeufs atte- la mauvaise issue de la bataille, se dispersent et
lés à la fourche qui forme l'extrémité du levier. Quand disparaissent.
les dimensions de la machine sont petites, comme de Cette vue, dessinée pendant l'action, peut don-
douzepieds ou environ pour le diamètrede la grande ner une idée très exacte de l'événement, et de notre
roue, un seul de ces animaux suffit ; ils emploient manière de combattre dans ce pays. Si la bataille
encore quelquefois un cheval ou un chameau; quel- des Pyramides offre le tableau de la charge des
quefois un âne tire,en avant, tandis qu'un homme Mamelouks, notre disposition dans celle-ci fait voir
ou une femme pousse derrière le levier ; quelque- notre manière de nous former pour la recevoir :
fois les paysans fatigués s'asseyent sur la fourche, l'artillerie, en avant et aux angles tant que l'ennemi
et se promènent ainsi en chassant leurs buffles de- étoit loin, étoit rentrée dans le bataillon'au mo-
vant eux. - ment de la charge.
Ce plan fait par un ingénieur, ainsi que la note
PLANCHE XXXVIII.
explicative, m'a été donné par le général Dugua.
Len° 2 est le tableau d'une anecdote, dont le récit N° i. Vue générale de Tintyra, qui fait connoître
est dans le journal, page 88. l'ensemble de ses monuments, leurs positions res-
pectives tels qu'on les voit en y arrivant du côté
PLANCHE XXXVII. ,
de l'est, l'éminence formée par les décombres de
Bataille de Samânhout. Voyez, dans le journal, la ville, et derrière, la chaîne libyque. Le désert ar-
.
le récit de cette bataille, page no. rive jusqu'au sol qui termine la planche. Les pal-
Sur le premier plan, la demi-brigade la vingt- miers que l'on voit sont les dernières productions
unième, commandée par le général Belliard; la du dernier champ atteint par l'inondation.
quatre-vingt-huitième, commandée par le général N° 2. Un petit monument carré-long, de quatre
Friand, et la cavalerie^ par le général Davoust-, colonnes de face, sur cinq de profondeur, devant
formées en trois bataillons' carrés marchant sur le
, porter un entablement et une corniche; les colonnes
village de Samânhout,derrière lequel étoit posté engagées jusqu'au tiers (voyez le plan, pi. XL,
Mourat-bey : à gauche, les volontaires de la Mecque, n° 7). Cet édifice n'a jamais été fini; les chapiteaux
retranchés dans un fossé, incommodent notre mar- n'offrent que la masse dans laquelle ils dévoient
che : l'aide-de-camp Clément est envoyé avec un dé- être travaillés; isolé il se trouve sittié tout vis-à-vis
tachement d'infanterie pour les déloger ; l'aide-de- la porte du grand temple.
( *44 )

.
N° 3. Un autre édifice en;ruine,qui, dans la vue - se mettre à l'abri des incursions des Bédouins., et de
générale, se trouve à droite du grand temple : le se loger sur ces monuments comme dans une forte-
vsanctuaire est précédé de deux grandes pièces cou- resse , ou bien pour s'éloigner du sol ardent, et aller
vertes de bas-reliefs, les plafonds décorés d'une chercher l'air dans une région plus élevée.
suite de globes ailés. Cette partie fermée est en- Le reste de ce que présente cette estampe n'est
tourée d'une galerie ouverte et d'un péristyle, dont plus que décombres, et arrachements de murailles
on n'apperçoit ici qu'un chapiteau très dégradé des fabriques les dernières construites avec les maté-
(voyez le plan n° 6, planche XL ) ; l'extérieur en riaux de la ville antique, qui, à l'exception des tem-
.est très enfoui, ce qui fait qu'il est difficile de se ples , étoit bâtie en briques. La quantité de monnoie
rendre compte de la galerie, et qu'il m'a été im- romaine du temps de Constantin et de Théodose,
possible d'avoir connoissance de la colonne en- l'on trouve tous les jours en fouillant pour
. que
tière. chercher du nitre, doit faire croire que Tintyra exis-
N° 4- Une vue de la partie sud du temple ; à toit encore à cette époque : j'y ai trouvé moi-même
droite dans le lointain, le petit monument n° z,
, des lampes romaines en terre cuite, mêlées dans les
qui est vis-à-vis la grande porte, contre laquelle décombres avec de petites divinités égyptiennes en
s'appuyoit sans doute l'enceinte qui fermoit le tem- pâte de verre et en porcelaine, avec une couverte
ple: cette porte ouvre vis-à-vis le centre du porr bleue.
tique ; elle est couverte d'hiéroglyphes en dedans N° 5. Le portique du temple tourné à l'est ; à
et en dehors. gauche, un fragment de la porte; à droite, le petit
Le portique est plus élevé que la celle ou nef; temple, n° 3; dans le fond, la chaîne libyque, à
une austère simplicité dans l'architecture est enrichie l'ouest de la ville.
d'une innombrable quantité de sculptures hiérogly-
phiques qui n'en troublent cependant pas les belles
PLANCHE XXXIX.
,
lignes: une large corniche couronne majestueuse- No i. Porte intérieure du sanctuaire du temple
ment tout l'édifice ; un tors , qui semble le cercler, ( voyez le plan fig. 8, planche XL ). J'ai mesuré avec
ajoute encore un aspect de solidité au talus qui existe soin toutes les parties, de ce superbe fragment de
par-tout i et sert d'empâtement, ce qui ôte la mai. l'architecture égyptienne; j'y ai placé avec exactitude
greur des angles répétés, sans ôter la précision et les différents genres d'hiéroglyphes : j'y ai exprimé
la fermeté de l'ensemble, puisque cette fermeté se la conservation parfaite de cette partie de l'édifice ;
manifeste où elle doit se prononcer, c'est-à-dire à ce qui fait que l'image que j'en donne devient tout à
l'extrémité des corniches. Trois têtes de sphinx sor- la fois une vue géométrale et une vue pittoresque.
tent du flanc de la celle ou nef; à leur forme et Le plan n» a, que j'ai ajouté au bas, donnera la
au gouleau qui est entre leurs pattes on doit croire mesure de la saillie des différents membres de ce
que. c'étoient des gouttières par lesquelles se se- morceau d'architecture.
raient écoulées les eaux que l'on auroit versées sur N° 3. La vue géométrale du portique du grand
la plate-forme du temple pour en rafraîchir les temple: sur la plinthe de la corniche on voit une
appartements qui y étoient construits car sous les
, inscription grecque, trop élevée et trop fruste pour
ruines des constructions arabes que l'on voit en- que ma vue m'ait permis de la copier; je la crois une
core sur ce monument, j'ai trouvé de petits temples dédicace faite postérieurement par quelques gouver-
particuliers, décorés des sculptures les plus soi- neurs de la province pour les Ptolomées: une autre
gnées et les plus scientifiques : c'est dans un de ces inscription grecque, placée de même sur la porte
appartements que j'ai vu et dessiné le zodiaque, et du sud, et que j'ai copiée exactement, pourrait ap-
autres détails intéressants, que j'expliquerai à l'ar- puyer cette opinion ; au milieu de la corniche est
ticle des hiéroglyphes. Les habitations modernes, en relief une tête d'Isis répétée par-tout : elle fait
dont on voit encore les ruines, auront sans doute voir que le temple étoit dédié à cette divinité ; au-
été construites à cette élévation dans la pensée de dessous, sur l'entablement} est le globe ailé qui oc->
(a45 ;
eupe cette place dans tous les édifices ; cette même dera ; les palmiers que l'on voit au bas désignentle
figure est répétée ici sur toutes les pierres en plates- point où arrive l'inondation et la culture : la vue
bandes qui forment le plafond de l'entre-colonne- générale de toute cette carte est planche XXXVIII,
ment du milieu du portique. Les chapiteaux des co- n'i.
lonnes, très extraordinaires par l'ornement qui les Le n° 1, petit sanctuaire, dont la paroi est dégra-
décore, produisent dans l'exécution un effet aussi dée, mais dont l'intérieur est aussi bien conservé
noble que riche. que bien travaillé : j'y ai pris divers tableaux hiéro-
La porte étoit formée de deux chambranles sans glyphiques, dont je rendrai compte dans la suite du
cymaise ; l'assise portant les gonds étoit en granit ; ce journal, et dans l'explication des planches de ce
qui pourrait faire soupçonner que cette partie du genre.
linteau recevoit à nu le frottementdu gond; le choix Le n° 3 est le plan particulier de l'entrée des trois
de cette matière plus dure annonçant que l'emboîte- chambres du temple ci-dessus.
ment du gond n'é toit point en bronze ou en fer, mais Le n° 6 est le plan d'un temple dédié à Typhon,
que le gond en bois rouloit dans l'emboîtement de la à en juger par les ornements des frises, où ce mau-
pierre même. La partie qui engage les colonnes est vais génie est toujours en attitude d'adoration de-
enfouie ; je n'ai pu en voir les ornements n'ayant vant la déesse Isis. Le portique fort enfoui et fort
jamais eu le temps d'en faire faire la fouille; j'y ai en ruine, est représenté n» 3, planche XXXVIII.
suppléé par ceux que j'ai trouvés sur le même mem- Le n° 7 est le plan du temple ouvert, qui n'a ja-
bre d'architecture au temple ouvert de Philée. mais été achevé, et dont on voit la ruine n° 2,
planche XXXVIII.
PLANCHE XL. Le n° 4 est une vue perspectived'une colonneiso-
Le n° g, que j'expliqueraid'abord, est la carte to- lée du péristyle du grand temple ; la partie carrée
pographique de l'emplacement général de la ville de du chapiteau représente un temple avec la divinité
Tentyra, de ses ruines, et du gisement de ses sous le portique du sanctuaire; quatre faces d'Isis,
temples dont on a les vues pittoresques et géo- avec des oreilles de vache , et la coiffure des femmes
,
métrales planches XXXVIII et XXXIX, et dont égyptiennes achèvent de composer ce chapiteau ;
le plan est détaillé sur cette même planche XL, n° 8. tous les ornements qui couvrent le fût sont exacts,
Le plus grand monument qui est au milieu de ainsi que la base de la colonne , que j'ai fait fouil-
la carte est le grand temple, dont on peut voir les ler pour m'en rendre compte.
détails n° 8 ; ce qui est en avant est une porte ; et Le n° 5, le chapiteau renversé, et vu en plan.
plus avant encore, dans la même direction, un petit Le n° 2, une des gouttières qui décorent les
temple qui n'a jamais été terminé, dont le plan est côtés de la nef.
n° 7, et la vue particulière, planche XXXVIII, Le n° 8, le plan du grand temple et de son por-
n° 2. Le petit monument qui est derrière le grand tique, soutenu de vingt-quatre colonnes semblables,.*
temple a son plan particulier no i, et les détails de à celles n° 4 ; les plafonds sculptés et peints sont les
son entrée n° 3. Le monument à droite est un Ty- zodiaques de la planche CXXXII, n° 1 et 2, et les
phonium , dont le plan est détaillé n» 6, et dont la n° 1 et 3 de la planche CXXXI. La pièce qui suit,
vue particulière est à la planche XXXVIII, n° 3. soutenue de six colonnes , est fort enfouie, et ne re-
Les deux autres monuments à gauche sont deux çoit de jour que de la porte ; les chapiteaux des co-
portes ; c'est sur celle qui est la plus proche des tem- lonnes qui soutiennent les plafonds de cette pièce
ples qu'est l'inscription grecque que j'ai citée dans sont composés du chapiteau de la colonne du por-
le journal, p. 17g. Tout le reste des ruines sont tique ; plus un chapiteau évasé , comme celui plan-
celles de constructions en briques qui n'ont conservé che LX, ii° 7; je n'ai pu juger du reste de la co-
aucunes formes. Les montagnes figurées au haut de lonne. La pièce qui suit, fort déblayée, est fort
cette carte sont celles de la chaîne libyque; la ligne obscure; celle au-delà, très ornée, recevoit un peu
blanche qui traverse est le chemin de Havv à Din- de jour|de larmiers situés auprès du plafond; la
(^46)
lumière est représentée en sculpture, sous l'embra- Ce que j'ai encore à décrire de ce que j'ai pu ra-
sure du larmier, par des gouttes triangulaires qui masser à-Tentyra consiste en détailshiéroglyphiques,
vont toujours en se chassant et en s'agrandissant aussi intéressants que ce que j'en ai déjà représenté:
( voyez les rayons du soleil,planche CXXXII, n° i ) ; j'y ai fait vingt voyages dans lesquels j'ai travaillé
toute la face du fond de cette pièce est décorée de autant qu'il m'a été possible ; je l'aurois habité six
la belle porte, dont je donne la vue n° i, plan- mois que je n'aurois pas achevé de rendre compte
che XXXIX; rien ne dénote quel en étoit l'usage. de tout ce qu'il y a d'intéressant.
La pièce du fond étoit sans doute le sanctuaire ; elle PLANCHE XLI.
ne recevoit de jour et d'air'que de Ja porte, qui
donnoit sur une pièce déjà fort obscure : s'il se fai- N° 1. Temple monolite ou d'une seule pierre, où
soit quelques fonctions dans l'intérieur de ces tem- étoient logés les oiseaux sacrés : j'ai dessiné celui-ci
ples, ce devoit être .de nuit, car si les cérémonies dans le grand temple de l'isle de Philée ; il y en a
religieuses n'eussent eu lieu qu'à l'extérieur, à quoi deux de même grandeur, ils sont placés au fond de
bon l'extrême magnificence des détails de la déco- deux sanctuaires.
ration intérieure ? le sanctuaire, absolument dé- N°' 2. Plan du même petit temple.
blayé a été fouillé jusque sous le sol de son pavé , N° 3. Porte latérale du palais attenant au tem-
,
qui portoit sur le rocher aplani ; cette pièce ple de Thebès , situé à Medinet-Abou ( voyez le
étoit isolée, comme tous les sanctuaires. Sans avoir temple, planche XLV, n° 2 ).
pu pénétrer dans l'espace qu'il y a entre le mur du N° 4. Soubassement très particulier des balcons
fond et celui de l'extérieur du temple, j'ai pu, par du même palais, où l'on trouve la première idée
la comparaison des mesures intérieures et extérieures, des cariatides.
juger de son espace : toutes les parties du plan qui N° 5. Fenêtredu même palais.
sont ombrées sont des pièces trop encombrées où je N° 6. Vue d'un temple de Thebes à Kournou; il
n'ai pu pénétrer ; une des trois pièces latérales con- est encombré de mauvaises fabriques modernes,
tient un escalier à palier, dont les marches n'ont qui se composent très pittoresquement avec la sévé-
que quatre pouces de hauteur, et qui monte sur la rité du style antique du monument et son état de
terrasse de la nef du temple, d'où un autre escalier délabrement ; sa forme, différente des autres tem-
latéral montoit encore sur la plate-forme la plus éle- ples, en auroit rendu le plan intéressant; mais, outre
vée du portique : les sculptures de ces escaliers sont la difficulté qu'opposoit la ruine de l'édifice, les cir-
aussi nombreuses et aussi soignées que celles du constances ne m'ont jamais permis de l'entrepren-
sanctuaire ; celles de l'escalier sont pour la plupart dre ; son enfouissement et la lourdeur de ses di-
des figures de prêtres et de militaires présentant des mensions ajoutent encore à l'aspect colossal de sa
offrandes ( voyez planche CXXI, n° 2 et 6 ). Le long grandeur effective.
des marches qui montoient à la plate-forme du pé-
ristyle étoient quatorze divinités sur quatorze mar-
PLANCHE XLII.
ches à-peu-près pareilles à celles représentées dans N° 1. Plan d'un des tombeaux des rois à Thebes,
,
le plafond du portique, n° 3, planche CXXXI. le premier que l'on rencontre à droite, dans la val-
A la partie extérieure du fond du temple il y a une lée des morts, à l'ouest de cette ville. A, l'entrée,
tête d'Isis semblable à celle de la corniche du pé- dont on voit la vue, même planche, n° 2, creusée
,
ristyle mais dans des dimensions colossales, à la- dans le rocher ; les parois en sont revêtues en stucs
,
quelle de chaque côté deux figures gigantesques décorés de peintures ; le plafond est une voûte dont
sculptées en bas-relief présentent l'encens. la ligne est surbaissée; les trois repos, dans cette
Le n° 2 est un sphinx à tête de lion, servant première galerie, peuvent avoir appuyé des por-
de gouttière à verser l'eau dont on arrosoit sans tes ; les espèces de tribunes, marquées B, doi-
doute la plate-forme du temple, soit pour la net- vent avoir servi à déposer, ou des corps, ou des
toyer soit pour la rafraîchir.
,
figures, ou des offrandes, d'autant qu'il y a une es-
047)
pece de soubassement à hauteur d'appui; les lettres derrière, des chambres sépulcrales; ces excavations
ÇC sont des espèces de niches au même usage; DD, sont innombrables, et occupent un espace de plus
d'autres niches plus grandes pour y placer peut-être d'une demi-lieue carrée; ils servent à présent de
de la musique dans les cérémonies,car j'en ai trouvé logement aux habitants du village de Kournou, et à
de peinte dans des pompes funèbres ; E, la chambre leurs nombreux troupeaux. Il serait très intéressant
sépulcrale avec le sarcophage de granit de 8 pieds de d'observer les détails de ces tombeaux : mais la pre-
longueur, sur 6 de hauteur, et 5 de largeur ; sur le mière fois que je les vis, j'y entrai avec Desaix, et
couvercle une figure en haut relief, couchée à-plat, nous pensâmes y être tués à coups de piques par les
coiffée et vêtue en habit sacerdotal, qui, selon toute habitants qui s'y étoient cachés; la-seconde fois on
apparence, étoit le costume de cérémonie des initiés; nous y tira des coups de fusils; la dernière fois nous
le sarcophage est ouvert, et le couvercle rompu; la y étions allés pour faire la guerre aux habitants, et,
pièce F paroît avoir eu une porte particulière, et la paix faite, on ne voulut pas les tourmenter par
avoir été un sanctuaire; celle marquée G, qui semble une visite domiciliaire.
aussi avoir été fermée, est terminée par une espèce N° 5. Vue de ce que l'on est convenu d'appeler le
d'autel qui tient tout le fond de la pièce, et paroît Memnonium sur la rive gauche du Nil ( voyez le
avoir été destiné à poser des offrandes ou des figures plan, planche XCIII, n° 5). A gauche de la vue est
sacrées ; trois lectisternes sont peints sur la paroi la ruine d'une grande porte, couverte de bas-reliefs
contre laquelle est appuyé cet autel. barbarement composés, représentant une bataille;
N° 2. Ouverture du rocher qui sert d'entrée au entre cette grande porte et une autre est un colosse
tombeau, dont le plan vient d'être décrit ; cette en- renversé, dont les fragments de la ruine ressemblent
trée paroît prise au hasard, et laissée à toute sa rus- au chantier d'une carrière ; la totalité de ce monu-
ticité : étoit-ce dans le dessein d'y apposer des rochers ment se dirige d'orient en occident, et arrivoit pres-
et de perdre ainsi la trace de l'existence de ces mo- que jusqu'à la base de la chaîne libyque: les arbres
numents pour les consacrer par l'oubli à un éternel que l'on voit sont des palmiers-doum; et au-dessous
repos ? mais alors pourquoi cette pompe intérieure ? des arbres est le pied de la statue, que l'on auroit pu
pourquoi cette vallée consacrée à cet usage? apporter en Europe, et qui auroit pu donner une
Avec la vue d'une de ces ouvertures on a l'image idée de la proportion colossale de ces espèces de mo-
de toutes les autres ; car il y a peu de différence entre numents égyptiens.
elles, ou ces différences ne sont d'aucuneimportance;
PLANCHE XLIII.
les portes se ressemblent toutes, elles sont toutes dé-
corées du même bas-reliefen forme d'attique (voyez N° i. Le voyageur aime à jouir du premier aspect
planche CXXII, n» 10). de l'objet qu'il cherche, à le voir de loin placé dans
N° 3. Plan d'un autre tombeau à deux issues : le un plus grand espace, à en comparer les masses, à
sarcophage, qui est brisé, étoit dans la pièce B, en embrasser l'ensemble, comme on aime à ob-
entre quatre piliers qui portent le plafond; c'est à la server le personnage auquel on va avoir affaire; le
lettre D que sont situées les petites chambres que j'ai lecteur doit avoir la même sensation: c'est ce qui
décrites, planche CXXXV, dans lesquelles sont peints m'a fait prendre souvent des vues très éloignées,
chacun à part les attributs des sciences, des arts, et qui semblent d'abord n'offrir qu'une ligne vague,
des métiers. et qui à l'examen deviennent de petites cartes topo-
N° 4- Nécropolis de Thebes, situé au nord-ouest graphiques, qui ont un genre d'intérêt particulier;
de cette ville, sur un plateau de la partie basse de la celle-ci offre toute la vallée de l'Egypte, terminée à
chaîne libyque: cette partie déserte et aride étoit par l'est, à gauche du spectateur,, par la chaîne arabique;
sa nature dévolue au silence de la mort. et à droite, à l'ouest, par la chaîne libyque ; le fleuve,
En taillant le rocher sur lin plan incliné, trois dans la traversée de l'emplacement de Thebes, court
côtes ont offert tout naturellementdes escarpements, d'abord du sud-est au nord-ouest, revient du sud-
dans lesquels on a creusé des doubles galeries1^ et ouest au nord - est, et paatage la ville. Sur la rive
(M8)
droite sont les ruines les plus apparentes de l'es- lonnes colossales; à droite de la porte du sud est
tampe, celles que l'on voit au milieu, et qui sont une citerne ; sur le premier plan à gauche une partie
connues sous la dénomination de Karnak, celles qui du villagede Karnak.
sont plus loin et du même bord, sont celles du tem- PLANCHE XLIV.
ple qui est à Luxor ; l'endroit où sont deux statues,
que l'on découvre de cinq lieues, est le Memnonium; Noi. Les deux statues qu'on est convenu d'appeler
derrière sont les temples du village de Medinet- les statues de Memnon, sur l'une desquelles sont
Abou, et en se rapprochant toujours sur la droite inscrits les noms des savants et illustres personnages
Kournou, qui sont les cinq points principaux de grecs et latins qui sont venus pour entendre les;sons
l'emplacement de l'ancienne Thebes, ceux où on re- qu'elle rendoit, dit-on, lorsqu'elle étoit frappée
trouve ses grandes ruines. des premiers rayons de l'aurore; parmi ces noms
N° 2. La vue du grand temple de Karnak et d'une on trouve celui de l'impératrice Sabine, femme
partie de l'emplacement de son enceinte; la qualité d'Adrien.
saline du terrain de cette partie du site de Thebes a J'ai choisi le moment du lever du soleil, celui où
décomposé les grès,-etproduit des éboulements, des des voyageurs arrivent pour entendre; ce qui tout
entassements, et une combustion qui troublent l'in- à la fois présente ces monuments d'une manière his-
telligence des plans de cette ruine immense, qui, torique, les oriente, et fait voir l'effet de la traînée
dans nombre d'aspects, n'offre plus que l'image d'un d'ombre se projetant jusque sur la base de la chaîne
chantier de matériaux, au milieu desquels commence libyque, couverte de tombeaux.
à s'élever l'édifice qu'ils doivent achever. En parcou- La ruine que l'on apperçoit au-delà des statues
rant à plusieurs reprises tous les points de vue que est celle du Memnonium.
présentent les parties de ce grand ensemble, celui N° 2 et 3. L'état de destruction des figures ci-
qui m'a paru laisser voir le plus de formes qui pus- dessus. J'ai fait le portrait fidèle des cassures, et mis
sent servir à l'intelligence de son plan est celui que les figures vivantes en proportion exacte. Le n° 2
j'ai pris de la porte de l'est: on voit d'abord sur le est celle qui est en avant dans la vue ; elle est dessi-
devant son mur d'enceinte couvert d'hiéroglyphes, née à sa partie nord; celle n° 3 est l'autre statue
les deux galeries, la grande cour, le sanctuaire, prise à sa partie sud, et qu'on est convenu, je ne sais
flanqué de deux portiques, les obélisques,les grandes par quelle préférence, d'appeler la statue de Mem-
avenues de colonnes, les portes, et au-delà de la non; du moins c'est sur les jambes de celle-ci que
eour les deux grands môles qui servent d'entrée à la sont inscrits en grec et en latin les noms de ceux qui
partie opposée; à gauche ce qui reste des pièces sont venus pour l'entendre. Il faut bien observer que
d'eau, des monticules, des ruines des autres édifices les n° 2 et 3 sont deux dessins faits à part, que la
contenus dans la même circonvallation, et tout au direction de ces deux figures est la même, et que si
fond, de l'autre côté du fleuve, la chaînelibyque, et ces dernières paraissent se tourner le dos, c'est que
ïa montagne où sont les tombeaux des rois'(voyez le soleil étoit si ardent lorsque j'en ai fait les dessins,
le plan, planche LXXXVIII.) I que ce n'a pu être que respectivementà l'ombre de
N° 3. Vue des mêmes monuments, prise de la l'une que j'ai pu dessiner l'autre.
porte du sud, la mieux conservée et la moins en- Elles ont 55 pieds d'élévation; elles sont d'un seul
fouie; on voit encore quelques sphinxs de l'immense bloc; posées sur un sol élevé, et s'apperçoivent de
avenue qui la précédoit, et qui arrivoit jusqu'à la cinq lieues.
porte d'un temple particulier, dont on voit la porte PLANCHE XLV.
flanquée de deux môles; dans le fond est la partie
latérale du grand temple, dont le n° a, même plan- N° 45. Le Memnonium, le même monument que
che, est la vue; on n'en voit que les deux grands j'ai déjà décrit planche XLII, n° 5 ; cette vue-ci a été
môles ruinés, la seule colonne qui reste dans la pre- faite à la partie opposée.
mière cour, et le commencementde l'avenue des co- N° 1. Le petit palais qui est près du grand temple
( a49 )
de Médinét-Abou ( voyez-enle plan, n° 3, pi. XLVI); ce qu'il est difficile de résoudre ; les. deux autres
c'est le seul monument qui évidemment ne soit pas môles F, F, sont plus anciens et presque en ruine.
un temple, et cependant il y étoit encore contigu; il Le temple, figurer, est entouré d'une galerie de
a un étage, des fenêtres, de petites portes, un esca- pilastres; ses chambres sont très obscures, et son
lier, des balcons (voyez-enles détails planche XLI, sanctuaire absolument privé de lumière.
n° 3, 4, et 5) aussi solidement construits que les édi- Le plan, figure 3, est celui dont la vue est donnée
fices sacrés ; il est également couvert de bas-reliefs : planche XLV, n° 2.
les circonstances ne m'ont jamais laissé la liberté de Figure 4- Plan d'un grand édifice,dont il est bien
les dessiner; les soubassements à porter les balcons difficile d'assigner l'usage, et dont une grandepartie
sont fort extraordinaires, et les seuls que j'aie vus de h est enfouie, et couverte de maisons actuellement
cette espèce ; c'est la même pensée que celle des ca- habitées; les deux galeries de la cour T sont portées,
,
riatides :. une autre singularité sont des parements l'une sur des colonnes, l'autre par des pilastres; la
crénelés, que l'on voit au milieu de l'estampe, que je cour Z est bordée de deux côtés par des pilastres der
n'ai retrouvés nulle.part ailleurs, et dont je n'ai pu vant lesquels sont des termes; la galerie V est celle
sur les lieux imaginer l'usage. On m'a dit depuis où est le grand bas-relief, planche CXXXIV; la ca-
que parmi les bas-reliefs il y en a qui représentent tholicité y avoit élevé dans cette cour une église,
des scènes licencieuses; ils m'ont échappé: lorsqu'on dont il n'y a plus que les colonnes qui soutenoient
aborde des monumentsd'une antiquité aussi extraor- la nef. Les pièces, i, 2, et.3, sont absolumentobs-
dinaire et d'une forme si particulière, on éprouve cures; la dernière a un soubassement creux; tout
une telle préoccupation,une curiosité si agitée, qu'on l'extérieur du mur, marqué J, est couvert de bas-
regarde sans voir, et que pour le plus souvent on les reliefs historiques, représentant des batailles entre
quitte avec autant d'inquiétude et de regrets que des Egyptiens et. des nations étrangères, coiffées
d'enthousiasme. d'espèces de mitres, comme les anciens Perses.
PLANCHE XLVI. PLANCHE XLVII.
N° i. Vue générale des temples et palais situés près N? i. Une vue de Karnak et Luxor, prise de la
le village de Médinet-Abou à Thebes; les plans qui rive gauche du Nil, à la premièrepointe du jour.
sont au-dessous peuvent en donner l'intelligence; la A ma seconde traversée de Thebes, bivouacquant
partie en avant est celle marquée-figure première; dans l'enceinte de cette ville, sans pouvoir approcher
elle n'a jamais été terminée, et l'on y voit encore en d'aucun de ses monuments, ne sachant pas si j'y re-
bossage ce qui étoit destiné à être sculpté en bas-re- viendrais jamais, je fis ce dessin de désespoir; c'est
lief; derrière, à gauche, marqué dans le plan fig. 3, sur les isles basses, comme celle qui est dans cette
est la ruine du petit palais, dont la vue est faite à vue, que l'on voit le plus souvent les crocodiles.
part, planche XLV, n° 2>.à droite est le temple, N° 2. Vue du temple de Luxor, et du quai bâti
figure 2 ; le grand monument qui est sous la monta- pour le défendre des invasions du fleuve; j'y ai joint
gne est celui qui dans le plan est marqué figure 4 5 l'aspect d'un tourbillon de poussière, comme je l'ai
une partie du village de Médinet-Abou est bâtie sur vu dans le moment où je finissois mon dessin. Ce
le comble de la partie h de ce temple. phénomène, particulier à ces contrées , offrirait à la
Au-dessous sont les plans des monuments de Mé- peinture une couleur et des effets nouveaux: tout ce
dinet-Abou, dans leurs situations et à leurs distances qui est ordinairement diaphane, comme le ciel et
respectives; celui figure première n'a jamais été ter- l'eau, prend une teinte terne et opaque; tous les
miné ; la cour B devoit-elle être entourée de colonnes corps solides et durs, se reflètent du peu de rayons
engagées comme on en voit à la partie D ? devoit-elle qui traversent la poussière, paroissent brillants, et
former un temple à la manière de celui de Philéè ? ou offrent l'image de la transparence; l'atmosphère, em-
ces six colonnes devoient-elles former un portique preinte d'une teinte jaune, décompose le verd des
devant les deux môles qui flanquoient la porte? c'est arbres, les fait paroître bleus, met ainsi en confu-
32
(a5o)
sion l'ordre connu de la nature, et en change tous ne vînt dégrader le monument; on a même à plusieurs
les effets. C'est ordinairementdans le temps du kam- fois augmenté cette construction ; car l'épaulement,
sin que ces phénomènes ont lieu. Privée du secours bâti en brique, est postérieur au quai revêtu; et,
de la couleur, la gravure ne peut qu'en indiquer malgré ces différentes précautions, le fleuve menace
très imparfaitement le résultat. Ce que l'on voit du encore de tourner Ces opérations, et de les détruire
monument en est la partie sud (voyez le plan n° 2, en les prenant au revers; la cour M, les galeries
planche XLVIII, depuisla lettre L jusqu'à X). NN, et l'avenue de colonnes colossales L, construites
ensuite, ont changé de direction, parcequ'on a été
PLANCHE XLVIII. obligé de suivre le plateau élevé, et le rocher cal-
"'>-ïî0-i. Vue générale de Thebes,, prise du sud-est caire qui pouvoit seul servir de fondement à de*
,
au nord-ouest, à la rive droite du fleuve, d'où l'on masses si lourdes ; il est possible aussi que ces par-
apperçoit tous les monuments de cette ville, excepté ties L, M, N, n'aient été faites que pour raccorder
celui du village de Damhout; à commencer à droite, et unir les deux édifices C,E G, à O, R, T, et Y:
,
où on voit six oiseaux, le village de Karnak, avec ce qui appuieroit cette dernière opinion, c'est que
ses ruines ( voyez lies vues prises de près, n° 2 et 3 , ces deux parties paraissent plus anciennes, soit par
planche XLIII, et le plan,n°2, planche XCIII); au le style, soit par la couleur des pierres; la troisième
milieu, sur une espèce de promontoire formé par opinion, qui est sans doute la plus hypothétique, est
un coude du fleuve, celui de Luxor (voyez le plan que les Égyptiens, ayant toujours paru sacrifier la
au-dessous de cette vue-ci, n° 2, et lés vues n° 1 rectitude géométrique et la symétrie régulière, ont
et 2, planche XLIX, et n° 1 et 2, planche L); im- pu préférer les effets de perspective: ce qu'il y a de
médiatementaprès sur le troisième plan, et à l'autre certain, c'est que l'étendue de ces édifices empêche
rive du fleuve, Kournou ( voyez la vue du monu- d'en distinguerd'abord les irrégularités du plan, et
ment, planche XLI, n°6); en suivant, sur la même que le faussement de la ligne centrale produit des
ligne, le Memnonium(voyez planche XLII, n° 5, et effets plus riches et plus piquants que le seul point
planche XLV, n° 1 ), les deux statues colossales de vue géométrale; que, ne tenant point aux petites
( voyez planche XLIV, n» 1, et n° 2 ) ; et Médinet- considérations, les Égyptiens n'ont tendu qu'aux
Abou (planche XLVI, n° 1), le tout couronné par les grands effets. On peut citer pour exemple la prin-
montagnes de la chaîne libyque: l'endroitoù l'on ap- cipale porte de ce monument,planche L ; il n'y a pas
perçoit deux oiseaux est celui où est la vallée qui de plus belle conception architecturale, composée
conduit aux tombeaux des rois ; à gauche, une isle de moins de lignes, et qui produisent un effet plus
cultivée, et au milieu, sur le premierplan, de ces grand ; et cependant les deux obélisques A A ne sont
isles basses sur lesquelles on voit souvent les croco- pas absolument égaux ; les deux statues BB ne sont
diles; cette vue, qui se trouve être une espèce de pas tout-à-fait les mêmes ; les sculptures qui couvrent
carte topographique de quatre lieues carrées, outre les môles DD ne sont pas symétriques : mais tout
l'extrême intérêt de ses monuments, offre un aspect cela est trop grand, trop magnifique pour qu'on ose
pittoresque par ses formes, par le mouvement du chercher à quereller sur des règles; on est étonné, et
sol, et parla variété de ses couleurs. l'on admire. Ce qui par la réflexion doit surprendre
N° 2. Plan du temple de Luxor. -encore, c'est qu'on ait su ajouter, d'une manière si
On est étonné d'abord de voir la ligne centrale de grandiose, des embellissements à des édifices déjà
cet édifice faussée à plusieurs reprises : on peuttrou- anciens. A la comparaison du travail et au style de
ver trois causes à cet effet; la première, c'est que, la sculpture il est évident que les'obélisques et les
construit à diverses époques, comme presque tous statues ont été ajoutés postérieurement devant la
les temples d'Egypte, on a bâti d'abord la partie du porte, déjà anciennement bâtie; il y a toute proba-
sanctuaire, qui est au sud, lettre T, agrandie des bilité qu'une avenue de sphynxs arrivoit du temple
parties R, X, Y; on aura fait le quai revêtu, pour de Karnak jusqu'à cette porte; j'ai suivi cette allée
empêcher que le courant, qui appuyoit sur la droite, dans cette direction, à plus de la moitié de l'espace
(»5'>
qu'il y a entre ces deux monuments, qui est au moins N° 2. Le même monument, vu de l'est à l'ouest,
d'un mille de chemin. De pareilles constructions et pris de plus près; ce monument, le plus conservé
semblent des rêves ou des contes de géants. La partie de tous ceux de Thebes, est aussi un des plus con-
E, la plus voisine des môles, sert encore aujourd'hui sidérables de l'Egypte; il contient encore une nom-
de mosquée au -village de Luxor, et en fait la plus breuse population, logée dans des cabanes, con-
belle mosquéede la haute Egypte. La partie F, pa- struites ou sur le comble du monument, ou dans les
rallèle à celle E, étoit sans doute symétrique; elle est embrasures des colonnes, comme les maisons d'été
détruite, et couverte d'habitations; G, H, I, étoit et les maisons d'hiver des habitants de Kamtchatka;
un sanctuaire particulier, dédié, suivant toute ap- au reste c'est la ruine de Thebes dont on a tiré le
parence, à quelque divinité particulière, comme plus de parti sans l'endommager', et qui offre l'as-
chez nous on voit la chapelle de S. Thomas dans pect le plus singulier dans son intérieur, par le mé-
l'église de S. Jean. La partie P a servi à une église lange et l'opposition de tout ce que l'architecture a
catholique ; il n'en reste que des niches cintrées, tail- de plus fastueux, et tout ce que l'industriehumaine
lées dans l'ancienne construction. Les couloirs Q a de plus misérable.
ne me semblentavoir été conservés que pour y éta- On peut se rendre compte des détails de ce monu*-
blir des escaliers pour monter sur les combles,où je ment en jetant un coup-d'oeil sur le plan n° 2, plan-
crois qu'il y avoit des tentes et des abris qui deve- che XLVIII: ce beau développement de la même
noient agréables à habiter à cause de la vue et de ruine, la plus riche,-la plus imposante, la plus con*
l'air; les habitants actuels en ont senti l'avantage, et servée, que nous aient laissée les siècles les plus re-
y ont construitdes maisons. Il est à croire que les par- culés, se détache sur le fond de paysage le plus
ties XZZ ont été les premières entrées de ce temple, brillant d'effet et le plus favorable à la peinture; le
que Y et X en étoient les péristyles et portiques ; le devant est aride, d'un jaune tranquille, sur lequel
corridor V, qui tourne autour du sanctuaire, et qui les groupes des figures se détachent d'une manière
l'isole,lui donnele sentimentmystérieuxet sacré d'un puissante; la couleur dorée de cette noble architec-
tabernacle; les ornements en sont très soignés; c'est ture, ses belles formes, ses larges ombres, ses
la partie la plus enrichie de sculpture, celle où l'ar- grandes lignes interrompues par ces pittoresques
chitecture est la plus riche de détails; c'est la pièce constructions arabes, ce beau fleuve réfléchissant
la plus petite, la plus magnifique, et celle qui a le l'azur du plus beau ciel," animé du mouvement des.
plus de caractère ; c'est le saint des saints. Les ar- barques.à grandes voiles, circulant à travers des
tistes égyptiensentendoientparfaitement cette partie isles cultivées ou sablonneuses, au-delà une plaine
des plans, cette magie de l'art agissant sur l'ame par verte et abondante,parsemée de groupes d'arbres et
les sens, ce développement de magnificence, cet ac- des plus imposants monuments, enfin l'horizon sur
croissement d'intérêt par le mystère d'une lumière lequel se découpe une chaîne de montagnes de la plus
sourde et presque éteinte, cette progression pour belle forme: tel est le sublimetableau que je n'ai pu
ainsi dire dramatique, faite pour produire les sen- rendre par une gravure, mais auquel la couleurd'un
sations les plus profondes, les plus analogues à la savant pinceau joindroit tout le charme de la nature
religion, au gouvernement des Égyptiens, à secon- et de l'art aux richesses des souvenirs de l'imagi-
der enfin l'empire du mystère. Et que l'on ose dire nation.
encore que c'étoit là l'enfance de l'art, quand c'est le PLANCHE L.
necplus ultra de ses moyens!
N° 1. L'entrée du village de Luxor : quel mélange
PLANCHE XLIX.
de mesquinerie et de magnificence ! quelle échelle des
N° i. Une vue du village de Luxor et de ses mo- siècles pour l'Egypte ! quelle grandeur et quelle sim-
numents , prise de l'ouest à l'est, comme il apparoît en plicité dans ce seul détail! il me parut tout à la fois
traversant le fleuve, et comme les voyageurs l'ont ap- le tableau le plus pittoresqueet la pièce comparative
percu lorsqu'ils n'ontpas eu la liberté d'y descendre. la plus probante de l'histoire des temps ; jamais mon
(4^2 )
imagination et mes yeux n'ont été plus vivement mière , no 1, est.une vue latérale, prise d'un bassin
frappés que par la vue de ce monument. Je suis venu antique, qui reçoit l'eau du Nil au temps de l'inon-
plusieurs fois rêver à cette place, y jouir du passé, dation,- et la retient encore malgré l'état de destruc-
dû présent,' y comparer les fabriques pour en pou- tion où il est arrivé; quatre escaliers descendent dans
voir comparer les habitants, et y entasser des volu- ce bassin ; c'étoit sans doute au milieu qu'étoit le ni-
mes de souvenirs et de réflexions: le cheikh du village, lometre dont parle Aristide le sophiste; il ne reste
m'abordant une fois dans cette préoccupation, me rien de la colonne où on dit qu'étoïent marqués les
demanda si c'étoient les Français ou les Anglais qui degrés de l'inondation; au-dessus de ce bassin est
avoient élevé tout cela; et cette note acheva mes mé- un escalier à découvert et très bien conservé, dont
moires. Les deux obélisques, de granit rose, ont en- les marches sont très basses, taillées dans un bloc
core 70 pieds hors du sol: à en juger par l'enfouisse- de grès énorme ; cet escalier montoit à une plate-for-
meht des figures, il doit y avoir 3o pieds de recou- me dont on voit encore de chaque côté quelque arra-
verts , ce qui en donnerait 100 à ces monuments; chement de revêtissement. Suivant toute apparence,
leur conservation est parfaite; l'arête et le fuselé en cette plate-forme servoit de terrasse au temple qui
est d'une pureté on peut dire inouie; les hiérogly- est derrière; le sanctuaire en est complètement con-
phes, profonds et en relief dans le fond, sont d'une servé; ce que l'on y avoit ajouté, et quin'a jamais été
touche franche et d'un fini précieux: quelle trempe fini, a éprouvé plus de destruction: ce qui est à gau-
pour les outils d'une pareille sculpture sur une telle che , près de la colonne isolée, est un tombeau mo-
matière! que de temps pour le travail! quelles ma- derne.
chines pour tirer de si énormes-blocs delà carrière, N° 2. Le plan de tout ce qui compose la vue no 1 ;
pour les transporter, pour les dresser! tout faits, ils ce qui n'est marqué que d'une taille est détruit jus-
coûteraient des millions pour les changer de place. qu'à rase du sol; la partie du portique n'a jamais
Les deux colosses du même granit sont dégradés, été ragréée; la sculpture des chapiteaux n'a pas été
mais les parties conservées annoncent qu'elles ont terminée, et l'on ne voit que le massif dans lequel
été terminées de la manière la plus soignée : on y devoit être pris le relief des hiéroglyphes qui dévoient
peut remarquer que l'usage de percer les oreilles étoit qpuvrir les panneaux de tout l'édifice: le sanctuaire,
connu des Égyptiens; celles de ces figures eu ont plus anciennement construit, a été complètement
l'empreinte. Les deux grands môles qui formoient achevé: il étoit divisé en trois parties; la première
la porte sont couverts de sculptures, représentantdes ouvre par une porte latérale sur un escalier qui con-
combats avec des chariots en lignes, montés de deux duit au comble; la seconde pièce, 4> ne reçoit de
chevaux et d'un seul conducteur. jour que par la porte, le sanctuaire, 5, en étoit ab-
Tout le reste de ce que l'on voit dans l'estampe solument privé, et n'en reçoit maintenant que par
sont des fabriques modernes. Entre les deux môles une petite dégradation qui s'est faite près du pla-
est la porte moderne du village, et derrière cette fond ; auparavant il ne recevoit d'air que par Une
porte les principales maisons , surmontées de co- petite porte latérale fort basse; cette pièce obscure
lombiers. est cependant tout aussi décorée que tout le reste,
N° 2. Vue de Luxor, prise de dessus le fleuve, du comme on peut le voir par le dessin que j'y ai fait
nord-ouest au sud-est; à la partie opposée à la vue, avec, beaucoup de peine, no 5, planche CXXVI;
n° 2, planche XLIX, à droite, à la pointe que forme le n° 7 du plan est l'arrachement d'un mur, qui doit
le cours du Nil, le petit port; dans le second plan, la être ce qui reste de celui de la circonvallation; il n'y
rive gauche du fleuve; au fond de la plaine on ap- a pas à douter que dans les premiers temps on
perçoit Médinet-Abou, et la chaîne libyque. n'avoit bâti que des sanctuaires, et que dans des
temps postérieurs on y avoit ajouté des portiques
PLANCHE LI.
ouverts, des circonvàllatiôns, des galeries, soit pour
Cette planche contient le plan et deux vues du rendre les cérémonies plus augustes, soit pour y
temple d'Hermontis, à présent Ermente; la pre- loger les prêtres, ou peut-être les rois.
(253)
N° 3. Vue du même temple, prise d'A en B sur le des ornements dont elles sont toutes couvertes, les
plan; tout ;ce que l'on -voit de droite et de gauche variétés des chapiteaux:, la beauté de leur exécution,
sont des tombeaux- et des enclos modernes. tous les tableaux scientifiques et mystérieux qui ta-
pissent l'extérieur et l'intérieur de ce monument :
PLANCHE LU. toutes les fois que les circonstances m'ont amené à
No i. Vue d'un temple isolé, à un mille au nord- Esnê, j'ai occupé tout le temps que l'armée y a sé-
ouest d'Esné (voyez son plan, pi. XCVII, lettreC, journé , à dessiner quelques parties de Ce seul reste
et la description dans le journal, page ig5 ). de l'antique Latopolis ( voyez divers chapiteaux,
Cette partie du portique est la plus conservée; planche LIX, n° i,5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, et
quelques affaissements ont cependant apporté des nombre d'hiéroglyphes, que l'on trouvera à leur
changements au niveau des colonnes, et dérangé les article ).
plates-bandes qui formoieut le plafond: les pierres Ce beau portique décore actuellementla principale
que l'on voit en avant, sont les décombres d'une place d'Esnè : cet embellissement, dû aux soins du
cour qui étoit devant ce portique, et qui est entière- général Belliard, est peut-être le seul monument que
ment détruite, ainsi que le sanctuaire qui étoit der-j nous aurons laissé dans la haute Egypte ; et il s'est
riere ; les bas-reliefs, sculptés au plafond du portique, opéré-en déblayant ce fragment des masures qui le
sont des tableaux astronomiques, dont le travail est couvroient et le masquoient, et en construisant de
fort négligé. droite et de gauche des boutiques qui forment un
N° 2. Djebelein ou les deux montagnes sur le re- beau bazard : j'ai vu les habitants, charmés de ce
vers du second rocher; il y a un santon très révéré, projet, contribuer avec plaisir à la dépense de son
et faisant journellement des miracles; à droite, la exécution.
route tracée sur le désert, dont le sol, balayé par le N° 2. Contra-Latopolis.
vent, est très dur en cet endroit, et parsemé de cail- Vue de la ruine d'un temple iâti vis-à-vis Lato-
loux roulés de fort belle matière, et très variés de polis , à la rive orientale du Nil ; c'est un des monu-
couleur; à gauche, le Nil, dont la rive opposée est ments les plus frustes de l'Egypte, c'est le seul por-
bordée d'une guirlande de production qui se détache tique où j'ai vu ensemble des chapiteauxà tête d'Isis,
très pittoresquement sur le fond jaune et aride des comme à Tintyra, et des chapiteaux évasés.
deux déserts, qui se rapprochent à ce point; au fond,
PLANCHE LIV.
la chaîne arabique," ou le Mokattam; sur le devant
est notre division faisant halte lors du premier pas- N° 1. Une tente et un ménage d'Arabe Bédouin;
sage en cet endroit. j'ai voulu mettre ce frêle établissementdes habitants
actuels de l'Egypte en opposition avec le plus solide
[- PLANCHE LUI.
et le plus parfait des édifices des anciens ; d'un côté
N° i. Vue du portique du temple de Latopolis sont les chameaux, de l'autre la jument du chef de
à Esnê, prise telle que nous l'avons trouvé la pre- la famille, du guerrier, de celui qui va en expédi-
mière fois que nous sommes arrivés à Esnê, c'est-à- tion , qui rapporte le produit de sa part du butin ;
dire encombré d'ordures, et des plus méchantes fa- à droite on voit deux Arabes reposant sur- leurs
briques, qui sembloient être là pour rehausser la lances, leurs habits, qui ne sont la plupart du temps
magnificencede cet édifice, que je crois le plus parfait que des haillons de près, ont une forme grave et
de proportion, et le plus pur d'exécution de tous les patriarchale de loin, qui est lout-à-fait du genre de
temples d'Egypte, un des plus beaux monuments de l'histoire. On trouvera dans le journal la description
l'antiquité (voyez le plan et la vue géométrale, plan-» des autres détails.
che LIV, n° 2 et 3 ) Pour donner le type de l'archi- N° 2. Le plan du beau portique de Latopolis, qui
tecture égyptienne il faudroit mesurer avec la plus précédoit sans doute une suite de pièces qui compo-,
grande exactitude toutes les parties de ce temple, soient le temple : lorsque je l'ai mesuréil n'étoit point
leur rapport, l'appareil des pierres, et les détajls encore déblayé, et je n'ai pu savoir si le portique
(a54T)
commùniquoit au reste par.une ou trois portes, et deux pistolets à deux coups, d'un sabre, de quelques
quelle étoit la largeur de leur ouverture, ce qui charges de balles, d'une ceinture où il y avoit cent
m'a empêché de rien marquer sur le plan; toute la louis d'or, pour me faire porter à la suite de l'armée
partie de derrière est détruite, autant que j'ai pu en en cas que je fusse blessé, d'une cuiller, d'une four-
juger dans l'état d'enfouissement où à mon départ chette et d'un gobelet d'argent, de papier à dessiner
,
étoit encore ce monument. et àécrire, ce que je faisois presque chaque fois que
No 3. Vue géométrale du portique du temple de dans les marches l'on-laissoit respirer un moment
Latopolis 3 déblayé de tout ce qui empêchoit de le l'infanterie: car c'est ainsi que j'ai fait mon journal
voir lorsque nous sommes arrivés à Esnê; voyez la et mes dessins, pour qu'ils eussent, sinon le mérite
description de ce portique à l'explication du n» i de de la pureté, au moins la naïveté du moment et la
la planche précédente. vérité de la nature.
PLANCHE LIV (bis). PLANCHE LV.
i
N° i. Au jour expirant un de nos maladesconduit N° i. Ruines d'un monument à deux lieues au
sur le bord du désert un de nos aveugles à travers sud-ouest de Qouss, sur un tertre élevé; il n'y a de
des tombeaux, et rencontre un ehakal disputant à vestiges autour de lui que ceux de sa destruction ;
un vautour les restes d'un des nôtres; voilà ce que on reeonnoit à ce qui reste de son élévation que son
j'ai vu, voilà ce que j'ai dessiné un soir d'après na- plan étoit celui d'un sanctuaire entouré d'une galerie,
ture : c'étoit par-tout la mort, et cependant tout ce précédée d'un portique en colonnes, engagées à l'ex-
qui respiroit encore ne s'occupait que de la vie. térieur jusqu'à la moitié de leur hauteur, et devant
Ce tableau chaque jour sous nos yeux, nous ressembler, avant sa destruction, à celui qui est au
,
frappe moins, parcequ'il ne se compose pas d'un nord de Chenabochion(voyez planche LXXV, n° i).
vautour, d'un ehakal, d'un cadavre, et d'un dé- Mes recherches ne m'ont donné aucun indice de
sert. la Ville antique à laquelle a pu appartenir cette
Les ruines d'Hiéraconpolîs: elles consistent en une ruine.
seule porte, fort dégradée, et d'une forme peu in- N° 2. Tombeau dans les carrières de Silsilis, le
téressante à conserver; autour de ce vestige isolé on plus grand et le plus conservé de tous ceux qui y
ne Y-PÏt que quelques chapiteaux très frustes, quel- sont creusés; la façade est de 55 pieds 8 pouces de
ques fragments de granit sans forme, et une grande longueur sur i5 à-peu-près de hauteur, avec un en-
quantité de matoni,qui annoncent l'antique existence tablement ; cinq portes, dont celle du milieu ornée
d'une ville considérable.Comme tout cela ne pourroit d'un chambranle couvert d'hiéroglyphes, deux ni-
former qu'un triste tableau, j'ai ajouté quelques ches carrées, avec des figures dedans ; derrière cela
groupes de tout ce qui formoit mon train à l'époque une galerie de 5o pieds de long et de io de large, au
de sa grande magnificence,mon serviteur, mon petit milieu de laquelle est une porte ouvrant sur une
nègre, mon cheval, mon âne, et mon pliant portatif, chambre, au fond de laquelle sont sept figures de-
qui composoit à lui seul l'établissement de mon ate- bout ; de chaque côté de cette porte intérieure, une
lier ; je me suis représenté avec toutes les ruines de niche, avec une figure aussi debout; et au fond de
mon costume, suite inséparable de mes marches con- la galerie, à droite en entrant, un autre groupe dé
tinuelles de la perte de mes équipages, et du peu trois figures; sur la façade extérieure sept niches,
,
de soin et de temps que j'avois à donner à ma per- trois grandes avec des figures, une petite aussi avec
sonne; occupé de mes dessins et de mon journal, je une figure, et deux plus petites encore et qui sont
ne soignois qu'eux; je n'ai jamais quitté mon porte- vides, le tout taillé à même, les statues aussi ; le
feuille je le portois par-tout, et la nuit il me servoit reste du rocher est conservé dans sa forme primitive.
,
d'oreiller, sur la fin du voyage son pbids avoit con- Ce que l'on voit à droite sont des ouvertures de tom-
sidérablement augmenté : celui de mon nécessaire, beaux plus petits, avec des figures dans l'intérieur
semblable à celui de Rohinson, étoit composé de (voyez planche LXXVI,n°j).
(a55)
PLANCHE LVI. qui entourent le sanctuaire sont décorés", sur la dalle
qui les surmonte , de quatre figures de la divi-
N» i. Vue d'Etfu du sud au nord. Cette vue gé- nité (voyez ce chapiteau à part, planche LX, n° 9.)
;
nérale, ainsi que celle n° 2, présente l'aspect impo- N° 2. Vue de l'intérieurdu grand temple d'Apolli-
sant de ce grand édifice , et de l'effet qu'il fait dans nopolis , prise de dessous le portique entre les deux,
l'espace, comparé avec les édifices modernes, avec premières colonnes de gauche (voyez le plan plan-
tout un village, avec les montagnes, avec toute là che LXI, lettre D ). Cette vue donne une idée de
nature environnante. On ne peut juger d'un tel l'intérieur de ce monument, de sa magnificence ,
objet qu'avec de telles comparaisons; dès que l'on de la recherchede son exécution, de ses plates-bandes
est tout auprès on n'a plus d'échelles, un fragment et de ses architraves, de la beauté et de la variété des
devient un monument, et il perd sa majesté parce-
chapiteaux, des colonnes, de leurs atterrissements
qu'on n'en distingue pas la forme. J'ai toujours pensé
progressifs causés par l'amoncellement des ordures
que les voyageurs ne pouvoient trop s'occuper de et des décombresdes maisons de ceux qui s'y logent
cette distinction, pour donner une idée juste de ce
qu'ils veulent faire connoître, et qu'avant de s'ap- encore; ces atterrissements, l'ouvrage des siècles,
sont produits par de chétives fabriques construites et
procher de l'objet et d'en attaquer les détails, ils dot détruites successivement sur le comble du temple, et
vent toujours en présenterla vue générale, qui tienne dans la cour qui est entre le portique et la porte
lieu de carte topographique du pays. Le n° i contient,
d'entrée, qui forme le second plan de cette vue}
sur le premier plan, le typhonium, dont on a la vue dans le fond sont les ruines de l'ancienne ville,
plus détaillée planche LVII, n° i. Le village d'Etfu,
qui recouvertes de sables forment maintenant des
le temple d'Apollinopolis magna, du côté de l'entrée,
monticules qui dominent le temple à l'ouest.
son portique, et son sanctuaire, son mur de circon-
vallation, dont on se rendra compte en voyant le PLANCHE LVIII.
plan, planche LXI; derrière est le Nil, et la vallée, N° 1. Vue d'Apollinopolismagna à Etfu, prise de
bordée à l'est par la chaîne arabique. l'ouest à l'est de ce temple sur des hauteurs qui le do-
N° 2. La vue du même temple, du nord au sud ; minent et d'où on voit tout à la fois son développe-
,
sur le devant la grande route qui amené d'Esnè à ment extérieur et quelques parties de son intérieur.
Etfu, bordée de tombeaux modernes ; le temple tout J'ai fait un voyage de plus de cinquante lieues dans
couvert d'hiéroglyphes, les fabriques modernes qui la seule pensée d'ajouter ce dessin à ma collection,
couvrent encore le comble du sanctuaire et du por- d'achever de faire connoître ce superbe édifice; et cer
tique ; de droite et de gauche, le village d'Etfu, la pendant, arrivé à Etfu, je fus au moment d'en repar-
chaînelibyque ; et dans le ciel une volée de cicognes, tir sans avoir pu le dessiner, par l'impossibilité de
dont le pays abonde.
supporter l'ardeur du soleil auquel il falloit que je
PLANCHE LVII. fusse exposé pour faire cette vue. Je dois à l'intelli-
gence du citoyen Baltard d'avoir rendu l'esquisse
N° i. Le typhonium d'Apollinopolis magna à très imparfaite, que j'avois faite comme j'avôis pu ,
Etfu; ce petit temple, quoiqu'enfoui dans les décom- tourmenté par les éblouissements que mes yeux
bres et les sables, est encore très intéressant dans éprouvoient de la vivacité du jour, et ceux que mon
ses détails ; ses ornements sont d'une exécution re- sang en ébullition me causoit à chaque instant; cette
cherchée ; il est situé au sud, et à peu de distance du estampe est une des nombreusesobligations que j'ai
grand temple, dont on voit la sommité des môles qui au citoyen Baltard, qui s'est prêté à l'exécution de
flanquent la porte d'entrée; en avant du sanctuaire mon ouvrage avec une exactitude, un zèle, et .une
du typhonium on apperçoit des arrachements de amitié, qui ont égalé le talent qu'il lui étoit si facile
construction qui attestent que ce petit temple avoit d'y mettre. Dans le développement de ce grand
eu son portique ; la colonne dont on voit le chapi- monument on peut remarquer à droite la porte
teau en est encore une preuve ; ceux de la galerie d'entrée ; entre les deux grands môles deux pierres
056)
avançant sur le chambranle, contre lequel venoient qu'une histoire, comme celle de l'urne de la prêtresse
sans doute appuyer les têtesde deux statues en forme de Corinthe,ou,.pourmieux dire, qu'ils n'ont pas be-
de cariatides ; les quatre niches longues devant les- soin d'histoirepareille à celle du chapiteaucorinthien,
quelles ont du être des obélisques,comme je suis au- pour avoir la même célébrité, et pour être une Su-
torisé à le croire par la répétition des mêmes niches perbe production de l'art. Les Egyptiens ont copié
derrière des obélisques que j'ai trouvés à Philée ; la nature; ils ont copié la leur; et les Grecs n'ont
sur les parois des môles trois ordres d'hiéroglyphes, qu'ajouté des fables aux vols qu'ils leur ont faits. Ici
devenant toujours plus gigantesques,et finissant par le calice d'une fleur, au-dessus d'un faisceau de sa
avoir vingt-cinq pieds de proportion ; la cour inté- tige, a fourni la forme de la colonne, de sa base, et
rieure, décorée d'une galerie de colonnes, portant de .son chapiteau: le lotus leur en a donné le premier
deux terrasses, qui aboutissentà deux portes, par les- modèle; cette plante exprimoit chez eux l'inondation}
quelles on arrive aux escaliers qui montent aux plates- elle étoit l'emblème de l'entrée du Nil dans les ca-
formes des môles ; dans la cour les édifices modernes, naux, d'un grand bienfait delà nature en Egypte;
-
qui font partie du village d'Etfu, dont on apperçoit ils l'ont fait entrer dans la décoration de leur temple
l'autre partie au-delà du temple ; le portique de des- comme un hommage de leur reconnoissance à Isis,
sous lequel j'ai fait le dessin, pi. LVII, n° i ; ce qui qui présidoit à ce bienfait; comme déesse de la
suit contient sans doute différents appartements, et terre, ils lui en ont dédié toutes les productions, des
le sanctuairedu temple enfoui, et maintenant encom- tiges de lotus, de joncs, de palmiers, de vignes, etc.,
bré d'ordures, à l'exception de quelques vides qui etc.
servent de magasin aux maisons bâties sur la plate- Je n'avois dessiné ces membres d'architecture que
forme du temple ; à l'arasement un mur de circonval- pour m'en rendre compte, et aider mes graveurs
lation, décoré en-dedans comme en-dehors d'innom- dans l'intelligence de mes vues pittoresques; mais ar-
brables hiéroglyphes, exécutés avec un soin recher- rivé à Paris, le citoyen Legrand, architecte éclairé,
ché ; tout à la partie gauche de l'estampe les tom- l'ami des arts et le mien, zélé pour tout ce qui peut
beaux arabes que l'on rencontre sur la route d'Esnê étendre le domaine de l'architecture, et propager les
à Etfu; le Nil dans le troisième plan, et tout au fond connoissances,m'enhardit à donner au public et mes
la chaîne arabique ; sur le devant le monticule de dé- plans et les détails architecturalsqui pouvoientajou-
eombres, sous lequel sont les restes de l'antique ville ter de l'intérêt à mon ouvrage : la crainte que le ci-
d'Apollinopolis, et le groupe des figures, le repas toyen Père ne pût faire ou ne pût rapporter les opé-
frugal d'une famille d'Arabes. rations qui lui avoient été attribuées par la commis-
N° 2. Vue de la situationdu temple d'Apollinopolis sion des arts en .Egypte acheva de me déterminerà
magna, prise de plusieurs lieues; ce temple, bâti donner la foible esquisse de mes foibles moyens ;
sur une éminence au milieu de la vallée, a l'air d'une mais, en attendant l'immortel ouvrage entrepris par
forteresse, placée ainsi pour commander au pays. le gouvernement, monument aussi colossal que les
colossals monuments qu'il présentera, le lecteur sera
PLANCHE LIX. bien-aise de voir une petite image des formes aussi
Divers chapiteaux de colonnes égyptiennes; cette gracieuses que variées de tous ces significatifs cha-
planche, ainsi que celle qui suit, est un rapprochement piteaux, qui ornent d'une manière explicative le culte
de tous les différents chapiteaux que j'ai rencontrés du dieu dont ils décorent le temple. Le n° i, sur un
offrant des particularitésremarquables.A voir tant de galbe très pur s'enlacenttrès agréablementles feuilles
formes différentes, unissant tant de richesses d'orne- et les tiges du jonc; le n° 2, composé de branches
ment à tant de grâces dans les contours, on es^ tout et de feuilles du palmier et du régime de son fruit,
étonné de s'être laissé aller à croire sur leur parole est peut-être le plus élégant de tous les chapiteaux
les Grecs inventeurs de l'architecture, et que trois connus; et, sans avoir ici le même intérêt qu'en
ordres soient les seules vérités de cet art; on peut Egypte, il feroit encore la décoration la plus fas-
dire qu'ii ne manque à chacun de ces chapiteaux-ci tueuse d'une salle de fêlef le n° 3 est composé de
(*57)
plusieurs calices de la fleur du lotus groupés avec les tout à la fois sous les yeux .tout ce qui constitue le
feuilles de cette plante;le n° 4,un faisceau de touffes genre égyptien , et le style de son architecture et de
de palmiers, lorsqu'au printemps les branches et les sa sculpture monumentale.
feuilles ne sont pas encore déployées, et où tout l'ar- N° 8. Une colonne des galeries du temple qui est
bre ressemble à un seul bouton de fleur; le h° 5 est près de Médinet-Abouà Thebes.
composé ingénieusement du culot de la plante du N° 5. Une des colonnes du temple de l'isle d'Élé-
lotus, de sa tige, et de sa fleur alternativement épa- phantine (voyez planche LXV, n° 2 ).
nouie et en bouton ; n° 9, les pampres de vigne mê- N°9. Une colonne du temple de Cnephdans l'isle
lés à des palmiers, etc., etc. Cette variété de chapi- d'Éléphantine (voyez planche LXVI, n° 2).
teaux si richement composés peut faire croire aux N° 11. Une colonne d'une des galeries du grand
pompeuses descriptions qui nous ont été transmises - temple de Thebes à Karnak ; elle ressemble tellement
de ceux du temple de Salomon, données dans l'écri- par sa dimension et sa cannelure à la colonne do-
.
ture comme des chapiteaux corinthiens à feuilles de rique , qu'elle peut en être l'origine.
palmiers. N° 2. Figures de prêtres ou de divinités, em-
ployées comme ornement dans divers édifices, et par-
PLANCHE LX. ticulièrement à celui qu'on est convenu d'appeler le
Cette estampe est une continuation de la planche Memnonium à Thebes : les cariatides n'en seroient-
précédente. Il est facile de remarquer dans le n° 3 elles pas encore une imitation ( voyez pi. XLV,
l'origine de la volute ionique, les caulicoles du chapi- n»i)?
teau corinthien, et les-gouttes de l'entablement"do- N° 12. Colonnes terminées par une tête de boeuf,
rique; n° 4 j 5 et 6 > que je crois pouvoir assurer il s'en trouve de ce genre à la porte d'un des tom-
être les plus anciens chapiteaux égyptiens, pour- beaux des rois à Thebes.
roient bien être l'image de la touffe du palmier avant N° 4- Une des pyramides dépouillée de sa cou-
d'être développée mais est en effet le chapiteau do- verte, et tfonquée comme le Chéops.
,
rique alongé; le fût, n° 5 est un faisceau cordé de N° 3. Un petit templemonolite, sanctuaire oùl'on
,
la tige triangulaire du papyrus, autre plante du tenoit enfermés les oiseaux sacrés.
Nil; le n<> 8, la tête d'Isis, avec tous ses attributs N° 7. Un obélisque.
couronnant les colonnes du temple de Tintyra, dé- N° 6. Deux figures colossales, dont on est conve-
dié à cette déesse; dans le n° 7, tous les' attributs de nu d'appeler une, la statue de Memnon; sur le
cette divinité ajoutés à l'emblème du débordement; premier plan, une statue enfouie; c'est une des deux
le n° 9 est tiré d'un temple qui paroît avoir été dédié figures placées à la porte du village de Luxor; le pied
à Typhon, dont on voit la figure sur un de, qui n'est qui est auprès est celui de la statue qui est devant le
qu'un prolongement de la colonne; ce membre d'ar- Memnonium, et qui avoit 75 pieds de proportion; la
chitecture que je n'ai vu que dans la colonne égyp- tête d'oiseau qui est devant est le couvercle d'un
tienne dégage le chapiteau, l'empêche de paroître vase canopite.
écrasé par l'architrave, et produit un si bon effet N° 2. Plan du temple d'Apollinopolismagna.
lorsque l'on est près de la colonne, que je suis éton- Deux grands môles de formes pyramidales, réunis
né qu'il n'ait jamais été imité ; le n° 10 est une espèce par une grande porte A, dont les battants venoient
de terme ne portant rien : j'en ai trouvé six comme poser sur les dormants du tambour B les battants
;
celui-là placés par trois aux deux côtés de la porte de ces portes avoient environ 45 à 5o pieds d'éléva-
d'un des tombeaux des rois à Thebes ; j'ai trouvé le tion et rouloient sur des gonds dont on ne voit
,
n° 12 dans une des galeries du grand temple de plus que l'entaille dans laquelle ils étoient fixés : en-
Karnak. dehors il est resté deux pierres saillantes, sous les-
PLANCHE LXI. quelles il est à croire que venoient appuyer deux
statues en forme de cariatides, dans le genre de celles
Réunion de fragments : ce rapprochement met
que l'on voit à la porte du Muséum Clementinum; à
33
(258)
côte sont deux niches LL, longues et étroites, de- l'antique voisinage d'une ville, puisque les escaliers
vant lesquelles étoient sans doute des obélisques. annoncent que ce quai avoit encore un autre usage
tels que j'en ai vu deux dans la même situation que celui de retenir les eaux; le fleuve a déchaussé
à coté de la porte du môle du principal temple de la culée de cette construction, et passe actuellement
Philée. derrière. Ce fragment intéressant en lui-même^ mais
La distribution intérieure de ces deux môles les offrant des formes peu pittoresques, j'ai cru devoir
partageoit également en trois parties ; II, le tambour y ajouter un groupe de jeunes personnages appelés
d'un escalier tournant, de foulées douces, qui amené Goubli ou d'au-delà, ou Barabra, qui est le nom
à des paliers qui donnent d'espace en espace dans générique de tous les peuples de l'Egypte qui sont
deux tristes chambres, H et K, dont il est bien diffi- d'au-delà des cataractes; leur costume, pour les hom-
cile d'imaginer l'usage, sinon pour éclairer et aérer mes, est la nudité absolue, à quoi ils ajoutent un
l'escalier, alléger la masse de l'édifice, et empêcher morceau de drap ou de toile de coton qu'Ds promè-
que, comme à Thebes, il ne s'écrasât de son propre nent à volonté sur ce qu'ils "veulent couvrir de leur
poids : ces escaliers aboutissent à deux plates-formes, personne; leurs cheveux, assez longs, quoique cré-
qui pouvoient servir d'observatoires ou de vedettes pus sont encore frisés et bouclés en long à la ma-
,
militaires pour éclairer tout le pays. La cour C est nière des anciennes figures égyptiennes ; ils oignent
entourée de trois côtés d'une galerie,faisant terrasseF, leur chevelure avec de l'huile de cèdre, dont ils
portée par des colonnes d'un diamètre et d'une éléva- aiment l'odeur, et qui prévient en même temps l'in-
tion moindres que celles du portique D , et qui sem- convénient de la vermine-, qui sans cela s'établiroit
blent en rehausser la majesté; cette belle cour est d'une manière indestructible dans des cheveux impos-
encombrée de méchantspetits habitacles, qui écrou- sibles à peigner. Les femmes et les enfants portent
lent et se rebâtissent depuis bien des siècles, exhaus- deux boucles à chaque oreille, l'une au-dessus, l'au-
sent le sol, ont déjà enfouiles belles colonnes du por- tre au-dessous, des colliers avec des franges formées
tique jusqu'auxdeux tiers de leur hauteur,et ferment de petites lanières de cuir, terminées par des grains
actuellement jusqu'à la cymaise la porte qui èntroit de verre colorés; une ceinture de même étoffe,
dansles différentes pièces de la partie E de la nef du terminée de même, et qui leur arrive jusqu'à la moi-
temple; cette partie de l'édifice sert dans ce moment- tié des cuisses, suffit pour tranquilliser leur pudeur,
ci de magasins à ceux qui ont leur maison sur le jusqu'au moment où elles deviennent nubiles. Les
comble : un mur de circonvallation forme un cou- femmes d'au-delà sont bien faites, ont les muscles
loir G, qui termine à deux fausses portes ; >ce mur, ronds et fermes, ont la peau fine, le contact frais,
moins élevé et tout aussi couvert de sculptures que et par cela ont un mérite particulier très apprécié
le reste de l'édifice, semble être pour sa décoration par des hommes dont l'amour est palpable, et la vo-
extérieure un magnifique soubassement ( voyez lupté toute matérielle, qui calculent et évaluent les
planché XLVI, n° 2); ce mur d'enceinte est terminé qualitésphysiques, et achètent dans les femmes d'au-
par une corniche, et couvert d'hiéroglyphesen-dedans delà des jouissances d'été, genre de luxe que nous
comme en-dehors ; enfin ce monument, qui a plus ne connoissons encore que pour nos vêtements : les
de 5oo pieds de longueur, construit avec un grès qui Russes bâtissent leurs maisons pour l'hiver, les
a l'égalité et presque la finesse du marbre, est couvert Italiens pour l'été, les Orientaux, comme les Kam-
d'hiéroglyphes, sculptés d'une manière si ferme et si chadals, croient avoir besoin d'une habitation d'hiver
précieuse, que le travail a plutôt l'air d'être coulé en et d'une habitation pour le temps des grandes cha-
bronze et ciselé que d'être sculpté. leurs.
N°2. Une vue de la dernière des pyramides, à
PLANCHE LXII.
cent trente lieues de celles de Gizeh, près d'un
N° 1. Les restes d'un quai revêtu, près Etfu; village bâti dans le désert, au-delà d'Etfu; cette
deux escaliers descendoientau Nil; nullesautres ruines pyramide, infiniment plus petite que les autres,
n'accompagnent ce fragment, qui indique cependant" construite de masses plus divisées, n'a pas opposé
(»5g)
la même résistance au temps, ou bien appartient mangée par les gazelles, le reste est dévoré par la
à une époque antérieure ; écroulée dans toutes ses sécheresse; défendus parleur amertume, les fruits
parties, elle ne parôit plus qu'un tas de moellons, restent isolés jusqu'à l'année d'ensuite, que la graine
que l'on voit cependantqui ont été façonnés et posés ensemence et perpétue cette végétation, la plus mar-
sur des assises régulières. Pour donner quelque in- quante du petit nombre de celles qui croissent dans
térêt à cette vue si sèche par elle-même, j'y ai ajoutéle désert. Un des hommes est occupé à tricoter un
l'habitation,prise aussi d'après nature, d'une famille turban de la laine de ses moutons : l'autre jouit
d'Arabescultivateurs sur le "bord du désert; j'ai voulupar cela seul qu'il ne fait rien ; calme,il rêve, il vit.
donner l'image de cette tranquillité monotone qui
n'est distraite par le choc d'aucune nouveauté; de
PLANCHE LXIII. ,
ce calme qui laisse un long-temps entre chaque évé- N° i. Vue de Contra-Syene, à deux milles d'Élé-
nement de la vie ; de cette tranquillité où tout se phantine et de Syene, sur la rive gauche du Nil.
succède paisiblement dans Tame, où peu-à-peu une A mi-côte de la montagne, à droite de l'estampe, est
émotion devient un sentiment, où une habitude de- un couvent cophte, au-dessus une guérite à placer
vient un principe, où enfin la plus légère impression une vedette, d'où on découvre tout le pays ; dans le
est analysée ; de telle sorte qu'en conversant avec troisième plan, à gauche du Nil, une forêt de pal-
cette espèce d'hommes, on est tout étonné de trouver miers par laquelle on arrive à Syene; et tout au fond
en lui les distinctions les plus délicates, et le senti- la ruine d'un château arabe, comme il y en a beau-
ment le plus fin à côté de l'ignorance la plus absolue. coup sur toute cette frontière de l'Egypte; sur le
Quelques pans de murailles de terre, auxquels ils devant à droite une touffe de palmiers, les uns por-
ajoutent une couverture de paille, suffisent pour leur tant des fruits, les autres dans leur première crois-
habitation. Là fabrique qui est au milieu est un sance ; au milieu un palmier-doum, avec ses bran-
colombier, construit en terre cuite au soleil; elle ches bifourchues, et ses feuilles sèches qui pendent
est divisée en petites cases dans l'intérieur pour sous les nouvelles.
chaque famille de pigeon ; la porte est ronde ; c'est N° 2. Un des temples d'Eléphantine vu de l'est à
ce qu'on voit ' au-dessous du colombier; il y a au l'ouest, avec les habitations modernes telles qu'elles
milieu une petite ouverture pour laisser passer l'air ; existent, et qui contrastent si pittoresquement avec
on l'applique chaque nuit pour mettre la colonie les monuments, qu'on ne pourroit les grouper avec
en sûreté contre les chakals. A droite est le poulailler, plus de goût.
moins élevé, plus petit, pareequ'il n'a point de N° 3. Vue de Philéé de l'ouest à l'est au soleil
'division intérieure; à gauche l'appartement princi- levant; cette isle est si pittoresque, que j'ai cherché
pal , celui des femmes, et où l'on se retire lorsqu'on à la présenter sous tous ses aspects et à tous—les
craint une nuit froide; au-dessus sont des chiens, instants du jour (voyez les autres numéro où il en
qui ne sont de rien dans la société amicale, et qui est question, planches LXXI et LXXH).
vivent à part comme alliés défensifs ; une gazelle,
PLANCHE LXIV.
un milan, qui sont aussi des associés libres; les
poulets et les pigeons sont les seuls domestiques : les N°i. L'entrée du Nil dans l'Egypte; cette vue
bardaks, qui sont les pots à boire, les baillasses ou est une espèce de carte qui présente tout à la fois
jarres à éclaircir l'eau, et quelques écuelles, sont l'aspect d'un site extraordinaire', dans lequel on voit
à-peu-près tous les ustensiles du ménage; la plante la situation de nombre de points intéressants.
que l'on voit est.une coloquinte, qui croît dans le Le Nil, après avoir' traversé les cataractes, cou-
désert, germe et se développe pendant la «aison des rant du sud-est au nord-ouest, tourne tout-à-coup au
nuits fraîches qui succèdent à l'inondation,et lorsque nord en traversant un banc de granit, dont il dé-
quelques pluies dans les montagnes amènent un peu chausse les roches, et dont son cours est déchiré:
d'eau dans la plaine; cette plante s'étend; les melons diverses oppositions rendent ce paysage aussi varié
qu'elle produit se forment; une partie des feuilles est qu'étrange; les deux chaînes libyque et arabique,
(260)
nues, jaunes, brûlées, et sablonneuses, contrastent portion de quai, portant les restes d'une galerie où-
merveilleusement avec les aiguilles noires et aiguës verte donnant sur le fleuve ; au niveau des eaux du
des roches de granit ; ces rochers, baignés par le fleuve une porte ouvrant sur un escalier en granit,
courant du fleuve, formant des isles que les allu- qui a pu servir de nilometre; au-dessus une suite de
vions arrosent perpétuellement, se couvrent alterna- ruines de monuments égyptiens, composés de cou- '
tivement de grands arbres et de champs de verdure, loirs ; de petites chambresornées de sculptures hiéro-
à travers desquels on apperçoit des ruines de tous les glyphiques très soignées; cette continuité de ruines
temps. Ce que l'on voit à droite de l'estampe, sur semble allerjoindre et arriver aux fabriques qui envi-
le premier plan, est ce qui reste d'un monastère ronnoient un temple, dont on peut voir la vue plus
des premiers siècles delà catholicité;au-dessus est la en grand, planche LXVI, n° 3 : les deux pointes qui
"vedette dite des quatre vents, d'où j'ai fait cette vue. dominent le tout sont les deux montants d'une su-
C'est au bas de ce premier plan qu'étoit l'antique perbe porte de granit (voyez planche LXV ,n«i);
Contra-Syene, à présent Garbi-Assuan ou Essuen- tout-à-fait à droite de l'estampe, parmi les palmiers
occidentale ; la grande isle, au milieu du Nil, est une chaîne à pot pour monter l'eau, posée sur une
l'Éléphantine,aujourd'huiGezifet-êl-Sag, l'isle Fleu- construction contre laquelle'estincrusté un bas-relief
rie ; au milieu, le village moderne; la partie supé- en marbre blanc, ouvrage romain, représentant la
rieure de l'isle couverte des ruines des monuments figure du Nil dans la même attitude de celle.de la
égyptiens; sur la rive droite du Nil un monument statue de ce fleuve qui est au belvédère à Rome.
romain qui arrive jusque dans le fleuve, et a résisté
à son courant; c'étaient des thermes, et nous en
PLANCHE LXV.
avions fait une batterie : sur les rochers,. au-dessus N° i. Reste de deux chambranles d'une porte,
de ce monument, sont les ruines de la ville arabe du aussi grande que magnifique, construite en granit,
temps des kalifes; dans le lointain des châteaux sur et couverte d'hiéroglyphes, située à la partie la plus
des pointes de rochers ; sur la plus grande plate-forme élevée de l'isle Eléphantine,près le temple de Cneph.
le fort que nous avons construit ; dans la petite val- N° 2. Vue de la ruine d'un temple de l'isle Elé-
lée et à travers des tombeaux,l'on voit les restes de phantine , prise à l'angle sud-est, d'où on voit la
la route antique qui passoit de Syene au-delà des ca- portion de galerie qui entouroit le temple ; on peut
taractes , et servoit de communicationpour le trans- voir un autre aspect du même temple, planche LXIII,
port des marchandises de l'Egypte en Ethiopie; au- n° 2.
devant de tout cela Assuan ou la Syene moderne, PLANCHE LXVI.
ses jardins, et son mauvais château turc.
N° 2. La vue pittoresque et perspective du pays, N° i. Ruines d'un temple à Syene ; il est situé sur
dont le n° i est la carte : le Nil traversantles rochers une hauteur qui dominoit la ville antique au nord,
de granit; à droite, l'isle d'Éléphantine; à gauche, la et les ruines de la ville arabe ; il est enfoui, comme
ville arabe ; au-dessous les thermes romains, servant on le voit, jusqu'au chapiteau de ses colonnes, qui
de môles pour le petit port d'Assùan. soutenoient une galerie-ajoutée postérieurement au
N° 3. Autre vue, prise du pied des rochers, sur sanctuaire du temple; les pierres renversées, que l'on
lesquels sont perchées les ruines de l'ancienne ville voit entassées, étoient celles d'un portique tout-à-
fortifiée des Arabes au temps des kalifes, où l'on voit fait détruit ; derrière on apperçoit le Nil, l'isle Élé-
«ncore des inscriptions égyptiennes sur les mamelons phantine; et sur le dernier plan, la chaîne libyque.
de granit qui servoientde base à cette ville ; à gauche N° 2. Le plan du temple de Cneph ou Chnuphis
dé l'estampe le profil dé l'isle Eléphantine, les ro- à Eléphantine; un sanctuaire décoré en beaux bas-
chers et les revêtissements antiques qui défendent la reliefs représentant dedans et dehors des sacrifices
,
partie sud des efforts du courant du Nil, et du poids offerts par un héros ; la seconde pièce a été ajoutée
de la masse de ses eaux au temps de l'inondation ; postérieurement, et n'est point ornée de sculpture
des mamelons de granit couverts d'hiéroglyphes; une dans son intérieur; la galerie et les deux portiques
( a6i )
ont été ajoutés aussi postérieurement, et sont revê- hiéroglyphiques. A gauche la plaine est traversée par
tus d'hiéroglyphes en relief, dont on peut voir le une espèce de monument appelé Hhait-al-Adjouz, la
dessin planche CXXVIII. muraille de la Vieille; les temples que l'on apperçoit
N° 3. Ruines d'un des temples d'Éléphantine, dont dans le milieu de l'estampe sont ceux de l'isle de
le plan est le n° 2. Ce monument est d'un grand Philée; les montagnes qui'bordent l'horizon sont
intérêt par sa célébrité, par sa conservation, par la celles de la chaîne arabique; l'arbre qui est au milieu
beauté de ses sculptures intérieures ( voyez planche de la plaine est un thérébinte, arbre qui croît d'es-
CXXVIII ) ; il occupoit le centre de l'isle Eléphan- pace en espace dans le désert, et dont la ramification
tine, consacré à la sagesse sous le nom de Cneph; légère divise les rayons du soleil, et dérobe un in-
conservépresque en entier au milieu des décombresdes stant la tête du voyageur à leurpoignante ardeur;
monuments dont il étoit entouré, il n'a de dégradé ce qui dans ces climats avares paroît aux être§,recon-
qu'un angle de sa galerie: les deux fragments paral- noissants un bienfait de la Providence.
lèles que l'on apperçoit derrière sont deux cham-
branles d'une porte en granit, qu'on peut voir plan- PLANCHE LXVIII.
che LXV, n° 1 : la statue qui est sur le second plan N° 1. Rochers de granit sur la grande route de
est celle d'un dieu, d'un prêtre ou d'un initié; elle Syene à Philée; l'inscription hiéroglyphique est ici
est trop fruste pour en distinguer les attributs; elle telle qu'elle existe là.
est en granit et de 10 pieds de proportion: les N° 2. Vue des carrières de granit, situées à un
pierres en avant sont les décombres d'un édifice mille au sud de Syene; les marques qui sont tracées
dont les substructions vont rejoindre la fabrique du horizontalement et verticalement sont d'antiques tra-
temple, et en dépendoient suivant toute apparence : vaux préparés pour détacher le bloc dont on voit la
cent toises en avant de cette vue et jusque sur le bord surface; ces travaux dévoient recevoir, ou des coins
du Nil tout l'espace est couvert de débris de fabri- dé fer que l'on frappoit tout à la fois, ou des coins de
ques dégradées et presque sans formes. bois sec que l'on mouilloit pour faire éclater et déli-
ter la partie destinée à être enlevée; tous les rochers
PLANCHE LXVII. avoisinants qui offrent des superficies planes ont été
N° 1. Bloc de granit destiné à être sculpté ; trans- travaillés de même, et les traces des travaux .s'y
porté hors de la carrière, il a été abandonné sur le sont conservées aussi vives que s'ils n'eussent été
grand chemin qui conduisoit de Philée à Syene ; les abandonnés que la veille.
hiéroglyphes dont il est couvert sont exacts dans
PLANCHE LXIX.
l'estampe; les figures en proportion peuvent servir
d'échellepour mesurer le bloc ; une telle masse trans- N° 1. La dernière cataracte, c'est-à-dire le dernier
portée par terre suppose des machines très puis- saut que fait le Nil marchant au nord; ce n'est pro-
santes : le petit monument à droite est un tombeau prementqu'une barre, forméepar Un banc de granit,
arabe, comme il y en a beaucoup dans cet espace de qui, traversant le fleuve pendant l'espace d'une lieue
Syene à Philée; les inscriptions qui sont sur les et demie, ne le laisse passer qu'en s'échappant à tra-
pierres sépulcrales, qui m'ont paru de caractères vers des rochers plus ou moins hauts, et plus ou
arabes,pourroientdonner l'époque de ces nombreux moins aigus, et qui d'espace en espace lui font faire
monuments, et par cela devenir intéressantes pour . de petites nappes de quatre pouces à un pied, pen-
l'histoire des bas siècles; je n'ai jamais eu assez de dant le temps de l'année que les eaux sont basses ;
temps, pour en copier. c'est dans ce temps que les bateaux rencontrent des
N° 2. Roches de granit de i5o pieds d'élévation, obstacles qu'ils ne peuvent franchir, et que les eaux
qui ressemblent à des restes de palais construits par du fleuve écumeuses et bruissantes prêtent en quel-
des géants, et sont en effet les ruines de la nature; que sorte aux idées qu'on s'est faites en Europe de
chaque'mamelon est monumenté par une inscription ces cataractes si fameuses: au reste le passage est
hiéroglyphiqueen caractères inscriptifsj et en figures fermé neuf mois de l'année pour tous bateaux
- (262 )
chargés, et six pour toutes espèces de barques : c'est autres; la figure assise, fumant sa pipe, est dans la
à ce gros rocher qui est au milieu que nous fûmes pièce principale, celle: des conférences ; au-dessous
arrêtés, quoique les eaux ne fussent pas encore arri- l'habitation des femmes, où l'on n'entre et où l'on
vées à leur grand décroissementet que notre barque ne peut se tenir qu'accroupi ; c'est là que sont re-
fût des plus légères. La route par terre depuis là légués les plus ehétifs et les plus vilains enfants que
.jusqu'à Philée passe à travers de petits villages com- l'on puisse imaginer : car il semble que les orientaux
posés de quelques maisons, de rochers, de petites deviennent beaux jusqu'à quatre-vingts ans et ne
,
portions de terre cultivée qui ressemblent à des jar- à
commencent être bien qu'à vingt ; les palmiers-dat-
dins, de parties sablonneuses et désertes, d'amas de tiers et les palmiers-doumfontles frais de la pompe et
ruines de la nature, de petites chûtes d'eaux s'éehap- de la décoration de cette habitation : mais j'ai pensé
pant de toutes parts avec fracas, et qui offrent une qu'on verroit avec intérêt sur le même sol les extrê-
variété tout-à-fait pittoresque. mes des résultats de l'industrie, l'homme s'agrandis-
N° 2. Autre aspect de ce qui forme la cataracte du sant de la majesté de ses palais et du faste du superflu
Nil (voyez l'article n° i, et le journal, page i33). dont il s'est couvert, et l'homme rendu presque à la
N° 3. Maison nubienne des plus somptueuses et classé des animaux en se rapprochant de la nature et
des plus complètes' dans sa distribution; celle-ci, se réduisant à ses seuls besoins.
ainsi que toutes les autres, est bâtie de terré, mêlée
de quelques morceaux de bois de palmiers, servant
PLANCHE LXX.
de chambranles aux portes ou ouvertures par les- Plan de l'isle de Philée, située au-delà des cata-
quelles on s'introduit dans les chambres et. maga- ractes du Nil, à un coude de ce fleuve, gisant dans sa
sins , le tout couvert à-peu-près de fagots de paille longueur du nord-ouest au sud-est; elle a à-
de dourac, qui servent de provision de'bois pour peu-près 3oo toisés de long sur 120 de large; elle
cuire : lorsque les maisons sont dépourvues d'arbres " est presque toute couverte des plus fastueux monu-
et construites dans les rochers, elles disparoissent ments de divers siècles ; le sud-ouest de sa partie
à l'oeil dès que le soleil levé ne laisse plus d'ombres supérieure est occupé par un beau rocher très pitto-
aux corps; et n'en dessine plus la forme: il m'est resque , dont l'aspect âpre et sauvage semble ajouter
arrivé plusieurs fois de chercher à midi un village que à sa magnificence, et faire valoir les belles lignes ré-
j'avois vu le matin, tandis que j'étois au milieu des gulières de l'architecture des temples qui l'avoisinent.
maisons. Une des étranges sensations du tropique est Le courant du fleuve, venant frapper jusqu'au
.
de se trouver à midi comme un centre de lumière pied du rocher,lettre &, a dispensé de faire un quai
dont on est le foyer, de voir la nature sans ombres dans cette partie ; au moment où manque le rocher
s'affaisser, s'aplanir, n'avoir plus de saillies appa- commence un quai revêtu Z , d'environ 36 pieds de
rentes, et tout un pays prendre un nouvel aspect, et "haut, décoré d'un tore, au-dessus duquel s'élève un
perdre ses formes devenues méconnoissables. parapet à hauteur d'appui ; sur ce parapet s'élèvent
La fabrique à gauche est le magasin des différents deux petits obélisques de grès, sans hiéroglyphes, et
grains, que l'on enferme hermétiquement dans des d'un travail médiocre; il n'y en a plus qu'un debout.
espèces de cipes, dont on les retire, à mesure qu'on -
.Le quai continue en talus, ala partie nord de l'isle,
en a besoin, par de petits trous qui sont au bas; ce •
avec des poternes (n° 28) qui ouvrent etembarquent
qui est de chaque côté de la porte sont des poulaillers sur le fleuve: ce fut par où passèrent les habitants
et des pigeonniers: le besoin, qui est le distributeur lorsqu'ils se sauvèrent, et nous abandonnèrent l'isle
des localités et l'architecte de chaque corps-de-logis, ( voyez le journal, page 137) : n° 27 est unéTampe
fait que toutes les maisons se ressemblent, sans qu'il qui amenoit du fleuve à une porte; le mur se pro-
y en ait deux qui soient de même. Ce que l'on voit longent jusqu'à une autre porte, où il reprend, et
à droite est la cuisine, toujours à l'angle d'un des v# se perdre en ruine; c'est là tout ce qui reste de la
murs , pour que le feu soit à l'abri de deux vents, et circonvallation égyptienne. Les deux portes sont
qu'on ne soit pas incommodéde la fumée par les deux belles et bien conservées ( voyez pi. LXXII, n° 2 ).
(263)
Le n° 3 est un temple périptere ; les colonnes enga- chambres de diverses grandeurs, se communiquant
* gées jusqu'au tiers, les chapiteaux à gobelet surmon- les unes aux autres, et s'ouvrant sur les portiques :
tés d'une quadruple tête d'Isis (voyez pi. LX, n° 7), c'est le seul que j'aie vu de ce genre ; s'il étoit plus
portant une architrave et une corniche sans couver- éclairé, on pourroit croire que c'auroit été un prin-
ture , et fermant de deux portes sans sommiers. N° 4, cipal appartement;son exécution est très soignée,.et
une galerie de 25o pieds de longueur; cette galerie son effet très pittoresque. Le n° i5 est encore un
étoit en colonnes assez bien sculptées, à chapiteaux sanctuaire, plus petit que tous les autres, appuyé
évasés,surmontés d'un dé, d'une architrave, et d'une contre deux autres môles en talus, d'un tiers moins
gorge ; il y a des différences à presque tous les cha- grands que les premiers et servant de portail à l'édi-
,
piteaux : cette partie de l'édifice étoit moins ancienne fice le plus grand et le plus régulier de tout ce groupe :
que le temple, mais plus que celle qui lui est parallèle, la pièce qui suit, n° 17 et n° 18, est une espèce de
n° 5, et qui, je crois, n'a jamais été achevée de'con- portique, décoré de dix colonnes et de huit pilastres
struire, quoiqu'elle soit plus en ruine que la pre- de 4 pieds de diamètre, aussi magnifique qu'élégant;
mière ; elles servoient de corridor à nombre de cel- les colonnes et les murs couverts en tableaux hiéro-
lules n° 6, que l'on peut croire avoir été des cham- glyphiques sculptés dans le massif, perfectionnésen
, ,
bres de prêtres. stucs, et peints ; le portique et deux retours couverts
Le n° 10 sont deux pièces formant un édifice à en plafonds en plate-bandes, sculptés et peints en
part, un sanctuaire des plus anciens, et sans doute tableau astronomique, ou en fond d'azur avec des
des plus révérés, car il paroit que c'est pour épar- étoiles blanches. La partie numérotée 17 est à ciel
gner son existence que l'on a gauchi toutes les lignes ouvert, qui produit un beau jour, et un des plus
du plan général; les sculptures sont en bas-reliefs beaux effets d'architecture : un tableau exact fait avec
précieusement sculptés. les couleurs naturelles seroit aussi imposant et aussi
Le n° g sont deux grands môles en talus , .de 47 agréable qu'il seroit neuf et curieux; le relief de l'ar-
pieds de large chacun et 22 pieds d'épaisseur, qui chitecture et de la sculpture donnant des ombres aux
flanquent une grande et magnifiqueporte. teintes plates de la peinture, achevé ici de la faire
Ils sont bordés aux angles par un tore, et sur- tourner; elle prend une harmonie et une magnifi-
montés d'une gorge ; les panneaux, couverts de deux cence dont je fus étonné : je ne pouvois m'arracher
rangs d'hiéroglyphesgigantesques,représentant cinq de cette superbe et étonnante pièce, dont il faudroit
grandes divinités; au bas, de grandes figures, tenant dessiner tous les détails,je n'eus le temps que d'en
d'une main une hache levée, et de l'autre les cheveux prendre le plan (voyez le journal, page i38 ).
d'un groupe de trentefigures à genoux implorant leur A ce portique ouvert succédoitla partie fermée du
clémence (voyez planche GXX, n° 7 ); au revers de temple, de 60 pieds de profondeur sur 3o de large,
cet édifice quatre figures de prêtres (planche CXXI, divisée dans la longueur en quatre pièces communi-
n° 9), portant un bateau, dans lequel est un emblè- quant par quatre portes diminuant d'ouverture ; la
me pareil à celui qui est dans le bateau du bas-relief première de 7—4 ? la seconde de 6—4 j la troisième
du temple d'Éléphahtine ( voyez planche CXXVIII, 4e 5—6, la quatrième de 4—8 ; un coup-d'oeil sur
n° 5) ; aux deux côtés de la porte il y avoit deux pe- le plan donne une idée plus nette qu'une description,
tits "obélisques en granit, de 18 pieds d'élévation, où la répétition des mêmes expressions distrait
couverts d'hiéroglyphes bien purement sculptés, et plutôt l'attention qu'elle n'éclaire l'imagination : il
devantétoient deux sphinxs de 7 pieds de proportion ; seroit bien difficile d'assigner l'usage de ces diverses
tout cela est renversé. pièces, dont il y en â de si longues, si élevées, si
Lé n° 11 est une autre cour, de 80 pieds sur 45, étroites , si ornées, et si obscures ; dans la pièce du
flanquée de deux galeries en colonnes, derrière les- fond est encore un autel ou un piédestalrenversé, et
quelles à droite est une suite de cellules de 1 o pieds à l'angle droit, n° 22, est une espèce de tabernacle
de profondeur, et à gauche un édifice particulier, ou temple monolite, portant pour décorationla porte
composé de deux portiques (n° i3 et 14), et de trois d'un temple de 7 pieds de hauteur sur 3. pieds de lar-
( 264 )
geur, et'2 pieds 8 pouces de profondeur,d'une seule tion parfaite ; la noblesse de ses proportions fait illu-
pierre de granit : on voit encore dans" la pierre le sion sur la petitesse de ses dimensions; il consiste en
creux où étoient scellés les gonds de la porte, qui un portique décoré de deux colonnes, et un sanc-
avoit 3 pieds de haut sur 1 pied 6 pouces de large ; tuaire de 11 pieds G pouces de profondeur sur S
dans la pièce latérale, à droite , il y avoit en même pieds de large ; les ornements en sont très finis et
matière un même monument, dont j'ai fait un dessin d'un goût exquis ; c'est un véritable temple,à antes,
àpart, n° 1, planche XLI. amphiprostyle(voyez sa frise,planche CXVI, n» 1).
Ces tabernacles étoient sans doute destinés, ou à Le n° 28 sont des parapets bastionnés, qui peu-
renfermer ce qu'il y avoit de plus précieux dans les vent faire croire que toute cette isle a été enceinte de
temples, comme les choses sacrées , l'or, ou les pier- murailles : il est pourtant possible que celle-ci soit de
reries , ou peut-être le dieu lui-même; dans ce cas ce construction romaine, comme l'est certainement la
ne pouvoit être qu'un reptile ou un oiseau, et la porte fabrique à laquelle elles viennent aboutir, lettre A,
.
auroit été une grille, pour laisser de l'air à l'animal, 'qui servoit de port ou d'arrivage; les voûtes et le
s'il étoit vivant. J'ai trouvé depuis, sur un lange de style dorique de ces ruines ne laissent aucun doute
momie, qui étoit de temps immémorial à la biblio- que ce ne sont plus ici des constructions égyptiennes :
thèque de l'académie française, et qui a passé depuis seroit-oe une douane romaine ? une rampe en gra-
à celle de l'institut, la représentation d'un de ces pe- din, et un petit écueil vis-à-vis en font encore une
tits temples, avec une porte grillée et fermée, et un petite rade pour les bateaux.
autre avec la porte ouverte, un oiseau dans le temple, La lettre D est une muraille, décorée de pilastres
et un homme qui lui apporte à manger, et un troi- doriques, vis-à-vis desquels dés bases de colonnes
sième , où le gardien des oiseaux les surveille pendant annoncent qu'il y avoit une galerie couverte, et der-
qu'ils prennent l'air ( voyez planche CXXV, n° i3 , rière la muraille d'autres édifices ruinés.
16 et 17). Cette découvertene me paroit laisser aucun Le monument de la lettre E est la ruine d'une
doute sur l'usage de ces sanctuairesmonolites. église grecque, avec sa nef et le choeur fermé ; elle '
Après cette suite d'édificesle monument le plus con- avoit été construite de matériaux antiques, aux scul-
sidérableest un portique carré-îong,n° 25, de 64pieds ptures desquelles on avoit ajouté des croix, des
de long sur 44 de large ; quatre colonnes de face, et rinceaux, et autres ornements dans le style du
cinq sur la partie latérale; deux portes de 9 pieds sans temps.
sommiers; cet édifice, ouvert pour le ciel, n'étoit clos Le reste de l'isle n'offre plus que quelques petites
que par un soubassement, qui n'arrivoit qu'à la cultures faites dans le terrain, amassées par les allu-
moitié de la hauteur de la colonne ; ce monu- vions du fleuve ; et quelques plantations d'arbres,
ment, élevé sans doute dans les derniers moments de qui se marient admirablementbien avec les rochers,
la puissance égyptienne, n'a jamais été fini; mais ce les monuments, le fleuve, et de beaux fonds, offrent
qui en existe atteste que l'art étoit arrivé alors à à chaque instant les tableaux les plus variés et les
son dernier degré de perfection : les chapiteaux sont plus intéressants.
les plus beaux, les plus ingénieusement composés, Au sud de l'isle, lettre K, au-delà du fleuve, le
et les mieux exécutés de tous ceux que j'ai vus en pays est cultivé et abondant; au nord, lettre M, est
Egypte ; le lotus y est enlacé avec une grâce infinie une autre isleJ beaucoup plus grande que Philée,
avec les volutes du chapiteauionique et composite ; tout hérissée de rochers de granit; dans une vallée,
il n'y a que deux panneaux de soubassement qui à travers des palmiers, on trouve la ruine, lettre H,
aient été achevés. Le lotus étoit l'ornement qui ré- composée d'un sanctuaire fort dégradé ; quatre co-
gnoit par-tout dans cet édifice. lonnes à chapiteau évasé et fort élégantformoient un
Le n° 23 est encore un sanctuaire, très difficile à portique devant le sanctuaire; des fabriques moins
séparer de ses propres décombres et de ceux des au- anciennes, et cependant plus détruites, sont encore
tres édifices. défigurées par un cintre repris.dans le massif, ou-
Le n° 24 est un petit sanctuaire d'une conserva- vrage de la catholicité;à la partie la plus orientale d*
(265)
la carte, lettre L, est un rocher en forme de siège, N° 3. Un rocher de granit à qui la nature a donné
figuré par deux pointes de granit. la forme d'un fauteuil, et sur lequel il est possible
que les Égyptiens, toujours colossals dans leurs
PLANCHE LXXI. entreprises aient eu le projet de placer une statue
,
N° i. Vue de l'isle de Philée; également pitto- gigantesque ; ils avoient déjà achevé ce que le ha-
resque sous tous les aspects : j'ai cru ne pouvoir trop sard avoit commencé en perfectionnant la foulée du
en répéter l'image; celle-ci est prise de l'est à l'ouest siège, en taillant dans le rocher un escalier pour
du soleil couchant, telle que je l'ai vue pour la pre- y parvenir, et en décorant ce rocher de belles inscrip-
mière fois ; les rochers qui sont à droite, et qui ont tionshiéroglyphiques;.cettesingularité de la nature
l'air de ruines, sont d'autres isles : dans la petite est située à l'est de Philée (voyezla carte, lettre L,
plaine.quiest au-dessous, on trouve encore des mo- planche LXX).
numents : il faut, pour l'intelligence des localités, PLANCHE LXXIIT.
consulter la carte, planche LXX, et son expli-
cation. N° i. Couvent cophte, près le village de Bénéadi,
N° 2. La même isle de Philée dans la partie op- à l'issue d'une des routes du désert qui conduit de
posée à la vue ci-dessus, éclairée de même par le Cpsséir au Nil, en passant par la fontaine de la
soleil couchant ; à côté des fabriques , à gauche de Kitta. Ce couvent, fortifié d'une circonvallation,
l'isle, les deux mamelons de granit, offrant la forme détruit et remplacé par des tombeaux musulmans,
d'un fauteuil ; voyez le même rocher, planche LXXII, nous servit de logement pendant que nous cher-
no 3. chions à bloquer lés Beys et leurs Mamelouks dans
N° 3. Autre vue de Philée dans le moment où le désert : cette vue, qui n'offre que quelques lignes,
les habitants, nus, et tenant en main de grands peut cependant donner l'idée de la tristesse et de
sabres, de longues piques, des fusils et des bou- l'isolement d'une telle habitation; l'intérieur étoit
cliers montés sur le haut du rocher, nous déclarè- spacieux et commode pour la circonstance où nous
,
rent guerre : ce tableau étoit aussi beau par la
la nous trouvions ; de grandes cours logeoient les
couleur, par les formes de la nature, que par les troupes, que de simples avant-postes et quelques
monuments et les groupes d'habitants qui les par- vedettes laissoient en sûreté, attendu que le plus
couroient. petit objet se distinguoit à un grand éloignement;
l'état - major y étoit assez commodément logé,
PLANCHE LXXII.
quoiqu'à travers les tombeaux et les chauves-souris,
N° i. Temple sur une isleaunordettout aujwèsde dont nous avions troublé le repos et le silence. On
celle de Philée (voyez la carte, lettre H, pi. LXX); peut prendre une idée de l'intérieur de ce monu-
il consiste en un sanctuaire, devant lequel on a ment dans la planche LXXIX. Les groupes de
ajouté un portique, dont on voit encore deux co- figures autour du retranchement représentent la
lonnes avec leurs chapiteaux, et plus en avant une cavalerie campée sous les murailles, la garde du
porte, qui tenoit sans doute à la circonvallation du camp , les postes avancés ; sur le troisième plan , à
temple ; la forme cintrée que l'on voit à cette porte gauche, un petit corps en marche pour faire une
a été ajoutée à la construction égyptienne dans les reconnoissance; tout-à-fait au fond, un cavalier en
siècles où la catholicité a fait des églises de ces sentinelle, que l'on voit d'une lieue ; un ciel sans
temples. vapeurs, qui arde sur un terrain aride, et pas un
N° 2. Partie nord de l'isle de Philée, avec le dé- signe de vie sur tout l'horizon.
veloppement de tous ses monuments (voyez la carte, N° 2. Vue de Nagadi, qui peut donner une idée
planche LXX, et son explication): on peut être des villages situés dans le désert, puisque celui-là,
étonné de trouver sur la frontière d'Ethiopie un par sa position, est un des plus grands et des plus
grand nombre de monuments de cette magnifi- riches, étant sur le passage des caravanes, à un dé-
cence, aussi bien conservés après tant de siècles. bouché d'une des routes de Cosséir au Nil, et par
34
(266)
conséquent de la Mekke en Egypte ; il contient nom- N° 2. Mamelons de granit déchaussés et arrondis
bre d'habitants riches faisant le commerce d'entre- parle temps; ils sont situés sur la grande isle, au
pôts et de fournisseurs de chameaux aux caravanes nord de celle de Philée; les figures peuvent servir
qui font perpétuellement la traversée; il y a des d'échelle pour prendre une idée de leur grosseur : ce
moments où l'on trouveroit à louer mille à douze qui paroît des tentes sont des habitations construites
cents chameaux à Nagadi; et, cependant, ce com- en nattes à travers ces blocs, et où sont logés les
merce actif ne change rien à l'aspect silencieux de ce pasteurs qui habitent cette isle sauvage. Le mamelon
village ; les maisons et le sol de la même couleur ; le pointu que l'on voit au milieu de l'estampe est le
village disparoît dès que le soleil perpendiculairene même qui termine la montagne de la planche LXVII,
laisse plus de projection à l'ombre ; quelques puits n°2.
et des citernes décident du choix de l'emplacement PLANCHE LXXV.
de ces sortes de villages : l'eau à délayer la terre,
dont on bâtit les maisons, est une des matières les N° 1. Ruines d'un temple près Chnubis, à sept
plus précieuses qui soient employées à leur construc- ou huit cents toises de l'enceinte de cette ville : ce
tion : le peu de femmes qu'on y apperçoit accroupies petit monument situé, comme un hermitage, sur le
aux angles des murailles, quoique voilées, disparois- bord du désert, a un caractère très imposant; un
soient comme des lapins dès que quelqu'un de nous sanctuaire de la plus haute antiquité a été entouré
arrivoit inopinément; elles se précipitoient dans les postérieurement d'une galerie tournante, qui étoit
trous qui servent de portes aux tanières qui les re- terminée par deux portiques qui sont détruits. J'au-
cèlent : chaque dôme sont autant de magasins à dé- rois désiré en faireplusieurs vues, car tous ses aspects
poser les marchandises apportées de la mer Rouge étoient également nobles et pittoresques ; la nudité
à travers le désert; les petits monuments qui ont du sol à l'entour de ce monument ne laisse aucun
l'air de vases ou cuvettes sont des espèces de ta- doute sur l'isolement où il a été de tous les temps,
bles concaves qui sont autant de bassins dans les- et ne doit point y faire chercher l'existence d'une
quels on fait manger les chameaux; chaque maison ville perdue dans la nuit des temps.
est un enclos isolé, et les espaces entre chaque en- N° 2. Vue des ruines d'Ombos, capitale du nome
clos sont les rues, dans lesquelles on se perdroit, si de ce nom, bâtie dans une situation théâtrale, do-
l'on ne voyoit toujours par-dessus les maisons: pour minant le Nil et toute cette région de la vallée; les
donner l'échelle de leur hauteur il suffit de dire qu'on débris de ses monuments sortent encore fastueuse-
voit presque toujours par- dessus le toit la tête du ment des briques et des tessons de ses édifices par-
chameau qui est accroupi dans la cour : le paysage ticuliers : on voit à droite le mur de sa circonval-
qui environne le village est aussi gai que celui que lation, avec une porte qui y est encore comprise; la
j'ai décrit n° i ; on ne voit pas jelair, et l'on étouffe seule fois que j'aie rencontré cette conservation; les
lorsque l'on est dans les maisons; on ne voit rien, deux môles, qui servoient sans doute d'entrée à
et l'on grille lorsque l'on en est dehors. l'enceinte du grand temple que l'on voit derrière,
N° 3. Ruines d'un couvent sur la rive gauche du bâtis sur un terrain mouvant, ou rapporté, avoient
Nil, vis-à-vis Syene, aune lieue dans le désert, dans des fondations qui descendoient jusqu'au niveau du
une vallée silencieuse, dont aucune description, au- fleuve ; le temple, très avantageusementsitué, devoit
cun tableau, ne peut peindre la mélancolie. J'ai ras- produire l'effet le plus imposant lorsqu'il étoit envi-
semblé sur la même planche tout ce que l'Egypte ronné de tous ses accessoires ; la ruine en est encore
offre de plus triste et de plus funeste-(voyez lé jour- admirable. Je ne la vis que pour avoir à regretter
nal, page 141 ). de ne pouvoir en faire une vue qui pût donner l'idée
de sa splendeur. A gauche, sur un monticule de
PLANCHE LXXIV.
briques rouges, qui sont les restes de la ville an-
N° 1. Une figure de femme dans le harem (voyez tique, on apperçoit quelques fabriques, qui sont les
le journal, page 5o), habitations d'Arabes pasteurs, qui vivent misera-
(267)
blement sur les ruines fastueuses des habitations les matériaux tirés de l'intérieur pour les embarquer
antiques. J'ai regretté de ne pouvoir chercher dans sur le Nil ; cette espèce de façade étoit décorée de
son enceinte s'il y auroit des vestiges de quelques petits portiquespris à même dans la masse et sculptés
bassins où auroient été nourris les croc* diles que avec soin, sans ragréer autrement les rochers dans
l'on adoroit à Ombos. lesquels ils étoient pris, comme on peut le voir à
N° 3. Vue des ruines de Chnubis, une des villes droite de l'estampe ; au milieu, où sont les quatre
dont les restes, quoique nombreux,donnentle moins personnages avec des piques, est l'entrée d'une des
d'idée de son plan et de-la disposition de ses édifices; rues de ces, carrières ; à gauche une inscription dé-
elle aura sans doute été bâtie ou reconstruite à di- corée d'un couronnement couvertd'emblèmessacrés;
verses époques : on y voit de très petits monuments et ce qu'il y a d'étrange dans ce monument, c'est
tout près des grands, et également soignés dans que les lignes parallèles entre elles ne sont pas per-
leurs détails. J'ai vu deux fois Chnubis, et toutes pendiculaires ; l'espèce de champignon qui est à
deux de la manière la plus incommode ( voyez le gauche a servi sans doute de témoin pour aider au
journal, page i65). calcul de l'exploitation de la carrière, comme nous
Les ruines à droite sont de petites formes, et n'ont en conservons de nos jours pour les déblaiementsdes
pu appartenirqu'à de très petits monuments ; ce qui terres ou le nivellement d'un sol : l'erreur que l'ima-
les termine, est un groupe de deux figures de granit gination enfante, et que l'amour du merveilleux
accolées et renversées : l'endroit où sont les deux propage, seroit le plus souvent détruite, si l'on vou-
personnages isolés est un parapet qui entoure un loit de bonne foi observer et se rendre compte du
bassin autour duquel étoit une galerie en colonnes. physique des choses, et ne pas leur prêter une ma-
Il reste encore de l'eau dans l'emplacement où l'on nière d'être qu'elles n'ont pas. Les voyageurs ont
voit un chasseur qui tire un coup de fusil sur un toujours vu ce morceau de rocher comme une des
des oiseaux qui étoient dans le marais. Le monument colonnes qui servoient à attacher une chaîne, que
auprès des hommes à cheval est une galerie de deux l'on croit qui devoit fermer le Nil à ce point, où ce
espèces de colonnes élevées à deux époques, unies fleuve est resserré par les montagnes; cependant il
cependant par la même plate-bande : seroient-ce les auroit fallu que cette chaîne eût été ou de corde ou
restes d'un temple auquel on auroit fait des augmen- de fer : si elle eût été de fer, son poids eût entraîné
tations? Tout près sont deux portes parallèles, de une colonne douze fois plus grosse que celle-ci; si
dimensions moins grandes, et ayant appartenu à un elle eût été de chanvre, on verroit encore les mar-
autre monument, le tout magnifiquement recouvert ques de l'endroit où elle auroit été attachée; elle
de nombreux hiéroglyphes; mais ce qu'il y a de plus auroit d'ailleurs bien vite dégradé par le frottement
particulier dans les ruines de cette ville, c'est la une pierre tendre; et puis, quelle auroit été la ma-
grande muraille en briques non cuites dont ses mo- chine qui eût pu tendre une corde qui auroit tra-
numents sont encore enceints; on voit tout à gauche versé ce grand fleuve? La meilleure preuve que ce
une ouverture, qui étoit sans doute une porte, dont n'étoitpoint là la colonne de la chaîne, c'est qu'une
on peut suivre la ligne tout le long du second plan ; chaîne ne pouvoit être attachée à cette colonne, et
derrière est la chaîne libyque; en avant du paysage que, si la chaîne a existé, c'est par d'autresmoyens
passe le Nil, devant lequel il y avoit un quai, dont qu'elle a été attachée et tendue.
il reste quelques ruines. NQ 2, 3 et 4. Figures dans les tombeaux, sur le
,
devant des carrières de Silsilis. Ces figures, de gran-
PLANCHE LXXVI. deur naturelle, sculptées à même dans la masse du
aocher, étoient le plus souvent à peine ébauchées:
N° i. Tombeaux dans les carrières de Silsilis : ces chaque chambre de ces tombeaux,de 7 sur 10, et de
carrières, prolongées dans la masse du rocher de 8 sur 11 pieds, eit constamment revêtue en stuc
grès, conservoient sur le rivage une espèce de façade avec des peintures, et contient une, deux, trois, ou
percée de portes, qui servent d'ouvertures à passer quatre figures.
(.68,
PLANCHE LXXVII. rive, et revenoit dans les habitations dès que nous
étions éloignés.
N° r. Vue d'une rue de Djirgée. A droite, la Les deux figures qui sont au-dessous de l'homme
maison d'un grand; le mur de circonvallation en fait qui est dans l'acte de passer sont celles du bateau et
un quartier qui se ferme, en cas d'inquiétude poli- de la rame pris géométralement.
tique ou de guerre ouverte, par la porte, dont le pas- N° 2. Une assemblée de cheikhs : le sentiment
sage reste libre dans toutes les autres circonstances. de vérité de ce petit dessin a donné au citoyen
Le Caireétoit obstrué denombre de ces portesjchaque Berteaux le désir de le graver; et il l'a fait avec tant
bey, chaque grande charge avoit son quartier : la de talent, quej'ai cru devoir lejoindre aux autrespro-
première opération du gouvernement français, en ductions dont cet habile artiste a décoré mon ou-
entrant dans cette ville, fut d'en enlever toutes bar- vrage.
rières intérieures. Derrière celle-ci on apperçoit une Il a été question de cette assemblée dans l'ex-
maison particulière, comme sont bâties toutes celles pédition de la basse Egypte ( voyez le journal,
de la haute Egypte ; tous les étages sont consacrés à
page 5i ).
la multiplicationdes pigeons,dont le rapport le plus N° 3. Combat de Birambar, et mort du général
utile-est le produit de la fiente, qui sert à la culture Duplessis (voyez le journal, page 160 ).
des pastèques et des melons. L'édifice à droite est
un minaret avec sa galerie, d'où les imans appellent PLANCHE LXXIX.
les fidèles à la prière; en tout, cette vue présente
N° 1. Fours égyptiens. Ces petites bâtisses, éle-
l'image naïve de la rencontre d'un coin de rue, ce
vées en un jour et pouvant servir le lendemain, sont
qu'on ne s'avise jamais de dessiner, et ce qui plus d'une grande commodité dans une expédition; les
qu'autre chose rend compte d'un pays; elle a été Arabes pour ces espèces de constructions sont d'une
gravée très spirituellement par le citoyen Pillément,
adresse et d'une célérité inconcevables : on est en-
artiste distingué.
core plus étonné du peu de combustibles qu'ils con-
N° 2. Le château de Benouthàh ou Benouth (voyez
somment pour cuire une très grande quantité de
le journal, page 149) : j'ai choisi le moment où le
pain ou biscuit (voyez le journal, page 107 ).
feu prend à une petite mosquée qui contenoit les
N° 2. Quartier-général dans les tombeaux, près
munitions de l'ennemi, et les fait sauter; sur le de-
Nagadi. Cette triste habitation, que nous avions été
vant est la seule pièce de canon que nous eussions, très heureux de trouver dans le désert, nous sauvoit
avec laquelle, dans l'impossibilité de faire brèche de l'ardeur d'un soleil presque insupportable : on
dans des murs de terre, nous brisions la porte pour
peut prendre une idée du dénuement de sa situation
faciliter l'assaut.
par la vue extérieure de cet édifice, planche LXXIII,
PLANCHE LXXVIII. n° 1 ; la scène représente le moment où les paysans
de Nagadi nous amènent des Mekkains, qui, après
N° 1. Manièrede passer le Nil assis sur un double leur déroute, étoient devenus autant de voleurs qui
faisceau de paille, avec une courte et double rame, désoloient le pays, et que les Égyptiens prenoient et
les jambes servant d'avirons ; les habitants de la tuoient par-tout où ils les rencontroient. La scène
haute Egypte traversent ainsi montant et descendant se passe au milieu de la nuit : les Arabes de Nagadi
le Nil; ils tiennent à l'eau deux et trois heures, jus- arrivent avec leurs prisonniers, éclairés par des es-
qu'à ce que la fascine soit absolumentimbibée. Lors- pèces de torches dont on fait beaucoup d'usage en
que nos marches se dirigeoîent vers les villages situés Egypte dans les marches de nuit : de l'autre côté
entre le désert et le fleuve et proche de l'un et de sont nos intendants cophtes et nos interprètes ; dans
l'autre, les femmes et les enfants étoient envoyés en le second plan, le général Belliard, son état-major
avant dans le désert; et le reste de la population, et moi : cet effet, assez piquant pour la lumière,
lorsqu'elle nous voyoit arriver, se lançoit à l'eau sur donne une image vraie de notre manière d'être à
autant de ces fagots, nous regardoitpasser de l'autre cette époque (voyez le journal, page 157),
(269)
PLANCHE LXXX. Quénéh etCosséir; la route traverse en cet endroit
N° 1. Un trait géométral du couronnementd'une la chaîne arabique, ou le Mokattam, qui borde toute
porte d'Apollinopolisparva, aujourd'hui Qouss, dont la partie orientale de l'Egypte supérieure entre le Nil
le n° 3 est la vue pittoresque. Ce fragment se trou- et la mer Rouge : ces rochers, de schiste verd parsemé
vant à portée, j'en ai mesuré avec exactitude toutes de quartz, ressemblent au marbre verd antique les
:
les courbures et les dimensions de ses détails : le plan montagnes du fond sont schisteuses et roussâtres ; au
et l'échelle sont au bas de la figure. milieu de l'estampe sont des excavations de la roche,
N° 2. Inscription qui est sur le listel du couron- et la fontaine, dont l'eau est fraîche et assez bonne :
nement de la porte de Qouss à sa partie sud, qui tous ces groupes sont des portraits fidèles de no-
étoit sans doute l'entrée du temple dont cette porte tre halte en allant à Cosséir (voyez le journal,
faisoit partie : cette dédicace, postérieurement faite page i83).
du temps des Ptolomées, est actuellementdans l'état N° 2. Arrivée des Français à Cosséir ; la mer
où je la donne ; le citoyen Parquoi, avec l'attention Rouge dans le fond; la rade de Cosséir avec les
et le soin dont il est capable, et avec les lumières barques de Iambo, telles qu'elles y étoient lors de
qu'une longue étude lui ont acquises, a fait aux notre arrivée ; à droite, le château arabe dans l'état
lettres fragmentées les restitutionsponctuées que l'on où nous l'avons trouvé, le canal, la ville, la plage
voit à la troisième et à la quatrième ligne, et la tra- blanche et nue, sur laquelle se découpoient les
duction qui suit. groupes, tels qu'ils se présentèrentlors de notre arri-
Il m'a accordé lés mêmes bontés pour l'inscription vée ; les Arabes qui nous avoient accompagnés sui-
que j'ai rapportée de Tintyra, que l'on peut voir vent la députation des habitants de Cosséir, qui
dans le journal page 179. abordent le général Belliard, commandant l'expédi-
N° 3. Vue pittoresquedu village de Qouss, et du tion; les Français, descendus de leurs chameaux,
monument que l'on voit au milieu de la place, le viennent de se former, et l'artillerie, marchant en
seul reste de la ville antique d'Apollinopolis parva ; ordre, va prendre possession du château.
le contraste de la gravité de ce seul fragment avec Cette estampe, gravée par Bertaux, est à mettre
tous les édifices arabes dont il est environné est à côté des ouvrages les plus distingués du célèbre
encore plus frappant dans la vérité que dans la gra- Callot.
vure: si l'on fouilloit en avant de cette ruine, on PLANCHE LXXXII.
trouveroit sûrement les restes du temple dont cette
porte faisoit partie ; l'exhaussement de cette place a N°j. Fontaine de la Kittah : cette vue présente le
été la suite des constructions, ruines, et reconstruc- tableau d'une caravane'en mouvement, et rappelle
tions de méchantes bàrraques arabes faites sur les ces marches si bien décrites dans les livres sacrés,
combles des antiques édifices, pour se loger d'une dans cette histoire si poétique et si colorée, qui gra-
manière plus assurée. Ce que l'on voit au-dessus vent si profondément dans l'imagination ces scènes
du listel de cette porte est encore un reste dot mur patriarchales près des fontaines du désert, où le plus
de ces espèces de fabriques. Le squelette de cha- petit abri devient un monument cité, précieux, dé-
siré, et cher à la mémoire. Je crus à Kittah voir la
meau qui est en avant rappelle un usage établi en
Orient de ne point traîner hors des villes et des fontaine du jurement où Abraham fit alliance avec
villages les corps des animaux qui y meurent, d'en Abimélec, le puits du voyant et du vivant où Isaac
laisser infecter lés habitations jusqu'à ce que les rencontra Rebecca; je crus assistera la séparation de
corbeaux, les vautours, ou les chiens, auxquels les Jacob et de Laban. J'ai représenté ici le moment
habitants ne donnent aucune autre nourriture, les où la caravane, ondoyant dans la plaine, se perd
délivrent de l'odeur infecte de ces cadavres hideux. déjà dans l'espace, tandis que les derniers de ceux
qui l'accompagnent pensent à peine encore à charger
PLANCHE LXXXI. leurs chameaux: l'édifice principal est une esp'ece de
N° 1. Fontaine d'El-Adhout, dans le désert, entre caravansérail pour abriter les chefs des caravanes;
(270)
le'sautres fabriques couvrent ou entourent les sour- journal, page 189 ). Au milieu de l'estampe un
ces des diverses fontaines; au milieu une d'elles, grand sycomore fait le plus bel abri de cette enceinte;
creusée en pente douce, abreuve les animaux; sur tous les cheikhs arabes des environs sont rassemblés
le devant, des cadavres de chameaux, dont la sub- pour traiter de projets utiles à la province, des tra-
stance , dévorée par l'ardente aspérité du sol, de- vaux à faire pour l'ouverture des canaux à recevoir
vient très vite d'une légèreté extraordinaire,et leurs l'inondation du Nil, et de la répartition des frais
os blanchis marquent pendant des siècles la route à imposer à chaque village en raison des avantages
aux voyageurs, et leur servent encore de guide dans du résultat des opérations. Ce conseil étoit présidé
l'obscurité des nuits, toujours transparentedans ces par le général français ; tout y étoit discuté avec tran-
climats brûlants. quillité, décence et dignité; tout ce qui étoit juste et
utile, de quelque part qu'il vînt, étoit aussitôt ap-
PLANCHE LXXXIII.
prouvé et adopté. Après le conseil le kaïmakan ou
N° r. Femme d'Egypte dans le harem. commandant de la gendarmerie, chez lequel il se te-
J'ai dessiné celle-ci d'après nature ; voyez dans le noit, donna à souper à tous les chefs, à nous et au
journal, page 5o, la circonstancequi m'en a fourni détachement qui nous accompagnoit; c'est ce qui fait
l'occasion: elle est assise à l'angle d'un divan, coiffée, le sujet de la planche, n° 2, où l'on voit la maison
et couverte de schals; près d'elle est un éventail de des champs du kaïmakan, homme riche, vieux, et
plumes, et ses sandales au bas du divan. en grande considération dans le pays; c'est lui qui,
N° 2. Vue de Cosséir, prise du nord au sud, avec à cause de son grand âge, est couché sur le lit qu'on
la triste vue des stériles côtes de la mer Rouge (i). voit au milieu de l'estampe; il est servi par ses en-
A gauche >sur le devant, on voit les ressifs qui for- fants, et ne mange qu'avec son petit-fils, le respect
ment la rade de Cosséir, et la défendent des vents filial ne permettant pas que le fils se mette à table
du nord nord-ouest, et dans le fond, le cap qui avec le père, et l'étiquette ne prononçant rien à l'é-
l'abrite au sud sud-est. Cette plage, toute de nou-r gard du petit-fils; un tapis étendu sur la terre, et
velle formation, n'est composée que de madrépores, tous les convives à l'entour ; le général et son état-
dont la plupart sont énormes; sa couleur blanche, major est à la partie supérieure : les domestiquesfont
réfléchie par le soleil, en rend l'aspect difficile à sou- lé" service en courant à travers les plats ; à droite ils
tenir. Ce que l'on apperçoit sur le premier plan sont apportent le riz et les autres mets : la fumée est l'en-
des établissementsarabes ; ils sont composés de quel- droit où se faisoit la cuisine. Toujours à droite une
quesmorceauxde bois soutenant de mauvaisesnattes, sentinelle en vedette, et deux estaffettes arabes en-
sous lesquelles de malheureux habitants vivent de voyées en commission. Derrière le mur d'enceinte
coquillages, dont les débris forment tous les usten- est un jardin avec un bois de palmiers; sur le devant
siles de leur ménage : j'y ai trouvé des coffres assez une partie du même sycomore qui est dans l'estampe
curieux faits d'écaillés de tortues; .mais ce que l'on ne de dessus. Cette habitation n'a l'air au premier coup-
peut ni peindre ni décrire, c'est la triste austérité du d'oeil que d'un emplacement où il y a un angar,
pays, c'est le rigide aspect du sol, et l'insupportable tenue propre et rafraîchie par de perpétuels arrose-
reflet de l'ardeur du soleil sur la blancheur de cette ments, décorée de beaux tapis, animée par une
plage : en voyant des êtres s'agitant sur ce point, et quantité de personnages ayant chacun une. suite, de
y formant des établissements, on peut prendre une la magnificence en chevaux, en armes,une gravité,
idée de ce que l'avarice peut faire braver de priva- une décence nobles, une profusion de serviteurs
tions pour obtenir le superflu. apportant à chaque instant quelque chose à manger
PLANCHE LXXXIV. ou à boire. On est surpris d'abord d'un luxe nou-
veau; on s'apperçoit bientôt qu'il a ses agréments
N° i. Conseil arabe près Sahmatah (voyez le
comme le nôtre, et l'on finit par céder à une mollesse
(i) Il s'est glissé une erreur dans l'annonce du titre de ce a": qui a bien quelque charme : j'y passai deux jours et
lisez, Vue de Cosséir, et des côtes de la mer Rouge. deux nuits, et déjà je m'y trouvois très bien.
(-271)
PLANCHE LXXXV. se sont constamment montrés très peu hospitaliers.
N° 2. Vue du couvent de la Poulie, prise du nord
N° i. Manière de faire le macaroni : la manufac- au sud, sur la rive droite du Nil (voyez le journal,
ture et tout à la fois la boutique sont dans la rue ; un page 217).
four, sur lequel une grande plaque de cuivre est N° 3. Autre vue du couvent de la Poulie, du sud
échauffée ; le marchand fait tomber une pâte fine et
au nord, prise dans la direction du cours du Nil; on
liquide, qui se tamise à travers les trous d'un vase voit le couvent isolé dominant le désert, qui est der-
qu'il promené sur la plaque ; au bout de quelques rière à l'ouest, le pays cultivé et le fleuve; il pourroit
minutes, les filons de pâte sont durcis, desséchés, devenir un poste militaire en y fabriquant un moyen
et cuits par une même chaleur entretenue sans relâ- d'y arriver et d'en sortir : les cavités de ces rochers
che par une égale quantité de branches de palmier, escarpés sont remplies d'oiseaux de toutes espèces
dont on chauffe perpétuellement le four. On donne, qui y font leurs nids ; on voit sur le devant la chaîne
dans le même espace de temps, le même degré de
avec laquelle les moines tirent l'eau dont leur terri-
cuisson au macaroni, que l'on renouvelle continuel- toire est absolument privé ; on voit aussi comment
lement sur la plaque, et qui se vend à mesure qu'il ils demandent la charité aux passagers, en suivant
se fait. à la nage les bateaux qui montent et descendent.
N° 2. Divan militaire; les causes dans lesquelles
les intérêts des Français entroientpour quelque chose, PLANCHE LXXXVII.
au lieu d'être jugées par la justice ordinaire, étoient N° 1. Bathen-êl-Baqarah ou le ventre de la vache;
portées au tribunal du commandant de la province ; c'est la pointe sud du triangle du Delta, qui sépare
et souvent même les habitants demandoient que leurs le Nil en deux branches, et l'envoie ainsi partagé
différents particuliers fussent jugés par le même tri-
se jeter dans la Méditerranée : cette position est une
bunal: ce tableau-ci est un jugement de ce genre. des plus belles de l'Egypte, celle qui seroit peut-être
Le général, près les drapeaux de la république, a préférable pour y établir la ville qui en deviendrait
derrière lui deux truchemans ou interprètes, frip- nécessairement la capitale ; au centre des plus riches
pons intéressés, trop ordinairement payés des deux provinces, à portée de tout, elle seroit approvision-
côtés ; à gauche, sur des sièges élevés, sont les accu- née tout naturellement par le commerce des ports
sateurs ou demandeurs; à terre, au milieu, l'appelé de la Méditerranée, et par toutes les productions de
ou accusé, et son défenseur; à droite, les témoins; l'Afrique que lui apporteroit le Nil : jusqu'à présent
tout le reste est l'assemblée. Cette manière expédi- il n'y a cependant dans cette situation privilégiée
tive et absolue de terminer les causes n'étoit jamais qu'un mauvais petit village qui n'a pas seulement un
suivie d'aucun murmure, malgré l'inconvénient des
petit port. A droite est la branche qui conduit à
truchemans, qui étoit bien sûrement le seul qui pût Damiette; à gauche, celle de Rosette, qui, pendant
altérer l'intégrité des jugements.
un moment de l'année, arrive jusqu'à Alexandrie
PLANCHE LXXXVI. par le canal de Rachmanier
N° 2. Vue de Chebreis, village où l'armée vint
N° i. Antinoë vue du Nil : on peut lire dans prendre position la première fois qu'elle aborda le
le journal, page 216, pourquoi je n'ai pas donné Nil. '
.
d'autres détails sur ce qui reste de cette ville; ce N° 3. Les ruines du combat de Chebreis, qui eut
qu'on en apperçoit est une porte ou un arc de triomphe lieu entre la flottille française, commandée par le
qui est à son extrémité sud ; ce que l'on voit à droite contre-amiral Pérès, et les forces navales des Ma-
sont quelques habitations arabes sur l'emplacement melouks; les deux groupes de fumée indiquent com-
de l'antique Besa, dont les ruines m'ont paru s'é- ment les troupes de terre vinrent respectivement au
tendre de là au sud-est : la forêt de palmiers est plan- secours des barques, et comment, après avoir perdu
tée entre les ruines d'Antinoë et le Nil ; au-delà le vil- et repris ses bâtiments, chacun emmena ce qui étoit
lage et sanctuaire duSchek-Abade, dont les habitants resté en état de faire route. Cette estampe, gravée
(272)
par le citoyen Croutelle, est d'un ton délicat et où il y avoit deux mille hommes, et six pièces de
transparent, qui donne une idée parfaite de la canon; deux escadrons de cavalerie ont l'ordre d'ob-
diaphanéité de l'atmosphère d'Egypte. server et de couper ce corps dans sa retraite.
Le reste de la cavalerie marche au centre.
PLANCHE LXXXVIII. La division Lanusse reste en seconde ligne.
La place de l'Elbequier, la plus grande place du Le général Destaing marche à l'ennemi au pas de
Caire, sans régularité, sans groupe d'édifices pitto- charge; celui-ci abandonne ses retranchements, et
resques ; elle a cependant deux moments agréa- se retire sur le village; la cavalerie sabre les fuyards.
bles dans l'année, celui où le Nil à sa grande hauteur Le corps sur lequel marchoit la division Lannes,
y introduit ses eaux et l'inonde, et celui où l'eau en voyant que la droite de sa première ligne est forcée
se retirant fait de toute la place un grand jardin cou- de se replier, et que la cavalerie tourne sa position,
vert de la plus belle verdure. C'est la première épo- veut se retirer; après avoir tiré quelques coups de
que que j'ai voulu représenter dansla pi. LXXXVIII; canon, deux escadrons de cavalerie et un peloton
c'est celle qui annonce une récolte abondante; c'est des guides coupent la retraite, et forcent à se noyer
la fête de tous les ordres de la société, celle de tout dans la mer ce corps de deux mille hommes; aucun
le monde. Cette place, devenue alors un vaste bas- n'évite la mort : le commandant des guides à cheval,
sin, est couverte de barques illuminées, dans les- Hercule, est blessé.
quelles les grands se promènent, jouissant du calme Le corps du général Destaing marche sur le vil-
et de la fraîcheur de la nuit : j'ai pensé d'ailleurs que lage, centre de la seconde ligne de l'ennemi; il le
moins on verrait les maisons, plus elles paroîtroient tourne en même temps que la trente-deuxièmedemi-
agréables : la principale est le palais d'Elfy-bey, que brigade l'attaque de front; l'ennemi fait une vive
l'on voit à droite, et qui est éclairé par des pots à résistance, sa seconde ligne détache un corps consi-
feu; elle est devenue un monument historique pour dérable par sa gauche pour venir au secours du
avoir été l'habitation de Bonaparte pendant son sé- village; la cavalerie le charge, le culbute, et pour-
jour en Egypte, et par l'insigne valeur avec laquelle suit les fuyards, dont une grande partie se précipite
elle a été défendue dans le temps du siège du Caire, dans la mer.
en l'an 8. Le village est emporté, l'ennemi est poursuivi jus-
qu'à la redoute , centre de sa seconde position;,
PLANCHE LXX XIX.
cette position étoit très forte, la redoute étoit flan-
Plan de la bataille d'Aboukir. quée par un boyau qui formoità droite la presqu'isle
Voyez le récit de cette bataille dans le journal, jusqu'à la mer; un autre boyau se prolongeoit Sur
page- 219 ; les renvois explicatifs sont au bas du la gauche, mais à peu de distance de la redoute ; le
plan. Je joins ici le rapport militaire fait par le gé- reste de l'espace étoit occupé par l'ennemi, qui
néral Berthier, dans son ouvrage intitulé, Relation étoit sur des mamelons de sable et dans des palmiers.
des campagnes du général Bonaparte en Egypte et Pendant que les troupes reprennent haleine, on
.
en Syrie, afin de ne rien laisser à désirer relative- met des canons en position au village et le long de
ment à cette intéressantebataille. la mer, on bat la droite de l'ennemi et sa redoute;
« Bonaparte arrête les colonnes, et fait ses dispo- les bataillons du général Destaing formoient au
sitions d'attaque. village qu'ils venoient d'enlever le centre d'attaque
Le général de brigade Destaing, avec ses trois en face de la redoute ; ils ont ordre d'attaquer.
bataillons, marche pour enlever la hauteur de la Le général Fugiere reçoit l'ordre de former en
droite de l'ennemi, occupée par mille hommes; en colonne ladix-huitieme demi-brigade, et démarcher
même temps un piquet de cavalerie a ordre de couper le long de la mer, pour enlever au pas de charge la
ce corps dans sa retraite sur le village. droite des Turks; la trente-deuxième, qui occupoit
La division Lannes se porte sur la montagne de la gauche du village, a l'ordre de tenir l'ennemi en
sable, à la gauche de la première ligne de l'ennemi, échec, et de soutenir la dix-huitieme.
( 273 )
La cavalerie, qui formoit la droite de l'armée, très vif. L'adjudant général le Turq, qui avoit fait
attaque l'ennemi par sa gauche ; elle le charge avec de vains efforts pour déterminer la colonne à se
impétuosité à plusieurs reprises; elle sabre et force jeter dans les retranchements ennemis, s'y précipite
à se jeter à la mer tout ce qui est devant elle : mais lui-même; mais il s'y trouve seul, et y reçoit une
elle ne pouvoit rester au-delà de la redoute; se mort glorieuse ; le chef de brigade Morangié est
trouvant entre son feu et celui des Canonniers en- blessé.
nemis, emportée par sa valeur dans ce défilé de feux, Une vingtaine de braves de la dix-huitieme reste
elle se replioit aussitôt qu'elle avoit chargé; et l'en- sur le terrain ; les Turks, malgré le feu meurtrier du
nemi renvoyoit de nouvelles forces sur les cadavres village, s'élancent des retranchements pour couper
de ses premiers soldats. la tête des morts et des blessés, et obtenir l'aigrette
Cette obstination et ces obstacles ne font qu'irri- d'argent que leur gouvernement donne à tout mili-
ter l'audace et la valeur de la cavalerie; elle s'é- taire qui apporte la tête d'un ennemi.
lance et charge jusque sur les fossés de la re- Le.général en chef avoit fait avancer un bataillon
doute , qu'elle dépasse ; le chef de brigade Duvivier de la vingt-deuxième légère, et un autre de la
est tué ; l'adjudant-généralRoze, qui dirige les mou- soixante-neuvième sur la gauche de l'ennemi; le gé-
vements avec autant de sang-froid que de talents, néral Lannes, qui étoit à leur tête, saisit le moment
le chef de brigade des guides à cheval, Bessieres, où les Turks étoient imprudemment sortis de leurs
l'adjudant-généralle Turq, sont à la tête des charges. retranchements; il fait attaquer la redoute de vive
L'artillerie de la cavalerie, celles des guides pren- force par sa gauche et par sa gorge; la vingt-
nent position sous la mousqueterieennemie, et par deuxième et la soixante-neuvième, un bataillon de
le feu de mitraille le plus ,vif concourent puissam- la soixante-quinzième, sautent dans le fossé, et
ment au succès de la bataille. sont bientôt sur le parapet et dans la redoute, en
L'adjudant-général le Turq juge qu'il faut un même temps que la dix-huitieme s'étoit élancée de
renfort d'infanterie; il vient rendre compte au gé- nouveau au pas de charge sur la droite de l'en-
néral en chef, qui lui donne un bataillon de la nemi.
soixante-quinzième;il rejoint la cavalerie; son cheval Le général Murât, qui commandoit l'avant-garde,
est tué ; alors il se met à la tête de l'infanterie; il qui suivoit tous les mouvements,et qui étoit con-
vole du centre à la gauche pour rejoindre la dix- stamment aux tirailleurs, saisit le moment où le
huitieme demi-brigade, qu'il voit en marche pour général Lannes lançoit sur la redoute les bataillons
attaquer les retranchements de la droite de l'en- de la vingt-deuxième et soixante-neuvième pour or-
nemi. donner à un escadron de charger, et de traverser
La dix-huitieme marche aux retranchements; toutes les positions de l'ennemi jusque sur les'fossés
l'ennemi sort en même temps par sa droite ; les têtes du fort ; ce mouvement est fait avec tant de préci-
des colonnes se battent corps à corps ; les Turks cher- sion avec tant d'impétuosité et d'à-propos, qu'au
,
chent à arracher les baïonnettes qui leur donnent la moment où la redoute est forcée, cet escadron se
mort; ils mettent le fusil en bandoulière, se battent trouvoit déjà pour couper à l'ennemi toute retraite
au sabre et au pistolet : enfin la dix-huitieme arrive dans le fort : la déroute est complète ; l'ennemi en
aux retranchements; mais le feu de la redoute , qui désordre, et frappé de terreur, trouve par-tout les
flanquoit du haut en bas le retranchement où l'en- baïonnettes et la mort; la cavalerie le sabre; il ne
nemi s'étoit rallié arrête la colonne : le général croit avoir de ressource que dans la mer; dix mille
,
Fugiere , l'adjudant-général le Turq, font des pro- hommes s'y précipitent, ils y sont fusillés et mi-
diges de valeur ; le premier reçoit une blessure à la traillés : jamais spectacle aussi terrible ne. s'est pré-
tête, il continue néanmoins à combattre; un boulet senté ; aucun ne se sauve ; les vaisseaux étoient à
lui emporte le bras gauche, il est forcé de suivre le deux lieues dans la rade d'Aboukir : Mustapha pacha,
mouvement de la dix-huitieme, qui se retire sur le commandant en chef l'armée turke, est pris avec
village dans le plus grand ordre en faisant un feu deux cents Turks ; deux mille restent sur le champ
35
(*74)
de bataille; toutes les tentes, tous les bagages restent les -barbiers orientaux, après avoir rasé la tête, par-
au pouvoir des Français ». fument la barbe, et lui donnent la tournure analogue
à la physionomie et au caractère du personnage au-
PLANCHE XC. quel ils ont affaire, le tout avec l'importance qu'une
Vue de la bataille d'Aboukir : j'ai pris le moment de nos marchandes de modes sait mettre en es-
où, les ennemis en déroute, on voit encore quelques sayant un bonnet à une de nos élégantes ; du reste ils
fuyards qui sont poursuivis par la cavalerie; la sont toujoursconteurs, nouvellistes,politiquescomme
grande masse, jetée à l'eau, cherche à regagner la dans les Contes arabes, et bavards en Egypte comme
flotte, dont elle est repoussée à coups de canon, et sur tout le reste du globe.
trouve au retour les batteries à mitraille et notre feu
de file ; les drapeaux, les trojmées apportés, tout
PLANCHE XCIII.
offre l'image d'une victoire complète. Bonaparte avec N° 1. Homme du peuple dans l'attitude qu'il
son état-major se trouve en ce moment au poste des prend aussitôt qu'il a à traiter de quelque chose
fontaines, qu'on venoit d'enlever aux Turks ; le pa- qui exige plus de deux ou trois phrases.
cha, blessé, et prisonnier, est amené devantlui. N° 2. Plan du temple de Karnak, le plus grand
Pour prendre une connoissance plus absolue du monumentde l'Egypte.
local d'Aboukir, devenu si célèbrepar les événements N'ayant jamais été dans le cas de pouvoir en me-
de cette guerre, on peut relire l'explication de la plan- surer les détails, j'en ai fait sur les lieux une image
che XV, etlejournal, pages 40 et 21g. pour pouvoir m'en rendre compte, en garder le
On peut voir aussi le portrait du pacha, plan- souvenir, et aider la description, qui paroît encore
che CVI, n» 1. fantastiqueà ceux même qui se sont trouvés à portée
de s'assurer de l'existence d'une aussi vaste concep-
PLANCHE XCI.
tion : situé à trois à quatre cents toises des bords du
N° 1. Vue d'Ajaccio^ petite ville devenue célèbre Nil, sa principale entrée est dirigée de l'ouest à
pour avoir été le berceau d'un grand homme ; j'y l'est; deux grands colosses, dont il ne reste que les
ai représenté notre arrivée ( voyez le Journal piédestaux,étoient placés en avant de la porte, flan-
>
page 222). quée de deux môles énormes ; ces derniers n'ont ja-
N° 2. Vue de Fréjus, du côté de la porte d'Aix ; mais été terminés : les Egyptiens commençoientpar
j'y ai représenté le moment où les deux frégates qui élever, des masses, dans lesquelles ils dressoient
rapportent Bonaparte en France entrent dans le port leurs lignes architecturales ; ils travailloient ensuite
de cette ville; événement qui appartient à l'histoire, leurs hiéroglyphes par le procédé que nous em-
et deviendra par elle un monument plus durable que ployons pour dégrossir, et terminer une statue co-
l'amphithéâtre romain dont on voit la ruine sur le lossale composée de plusieursquartiers de pierre ou
devant de l'estampe. de marbre. Derrière ces deux môles est une vaste
PLANCHE XCII. cour, qu'une avenue de colonnes, B, partage en
deux parties ; il n'y a plus qu'une de ces colonnes
N° 1. Un cheikh. Plus les gens en dignité en- debout: dans la cour à gauche une galerie couverte,C,
.
tassent d'habits, plus ils augmentent la considération avec de petits logements ou cellules ; à droite, D, un
et le respect qu'ils veulent commander: celui-ci, quoi- édifice particulier, qui ressemblerait plus à un palais
que maigre par nature, arrivé par ce moyen à pa- que toutes les autres parties de l'édifice, ayant une
raître plus large que long, étant de plus un iinbé- porte irpartrune cour intérieure décorée d'une ga-
cille, étoit parvenu à être révéré comme un saint. lerie, derrière ^laquelle sont une suite de chambres,
N° 2. Barbier égyptien dans sa boutique. On et une galerie latérale conduisant au grand portique;
ne
sait ce dont on doit-le plus s'étonner, ou de la
pa- au bout de la galerie B, deux autres môles EE,
tience calme de l'opéré, ou de la gravité imposante moins grands que les premiers, précédés aussi de
de celui qui opère : fort adroits à cette opération, deux colosses en granit; on en voit encore les torses
(>75)
renversés : ces seconds môles, qui ont été terminés, même dieu, qui est celui de l'abondance et de la ré-
se sont écrasés sous leurs masses; c'est derrière cette génération (voyez planche CXXVII, n° 10), divinité
seconde entrée qu'est le portique le plus vaste, le dont on trouve l'image répétée dans toutes les par-
monument le plus extraordinaire de la magnificence ties du temple avec les mêmes attributs toujours
égyptienne : une avenue de vingt colonnes,F, de n aussi prononcés. Le plafond est peint en bleu semé
pieds de diamètre, deux quinconces, GG, de qua- d'étoilesjaunes ; la porte de ce sanctuaire, I, est pré-
rante colonnes chacun, de 7 pieds de diamètre, por- cédée d'une autre porte dont les chambranles sont
tant architrave , platé-bande et plafond. On est plus formés de trois tiges de lotus terminées par leurs
que surpris de si énormes magnificences, on est hu- fleurs, ce que l'on a pris pour des colonnes accou-
milié de la comparaison de nos édifices avec ceux-ci: plées avec leurs chapiteaux. De chaque côté du sanc-
tout ce portique est encore debout ; le terrain a cédé tuaire il y a de petits appartements,LL, et derrière
dans quelques parties, et a fait gauchir l'à-plomb de sont d'autres pièces, MM, devant lesquellessont des
quelques colonnes, ce qui a ouvert le plafond dans portiques en colonnes, NN, quidonnent sur une im-
plusieurs endroits ; le comble de ces espaces couvert mense cour, O , bordée de galeries,P P, et terminée
devoit servir de terrasse et de promenoir lorsque le par une autre qui est ouverte, Q, portée par des co-
soleil n'étoit plus sur l'horizon. L'avenue, de co- lonnes et des pilastres avec chapiteaux et sans chapi-
lonnes plus grandes, avoit aussi sa plate-forme; le teaux (voy.pl. LX,n° 12, et pi. LXXI, n° n): la
tambour produit par son élévation étoit latéralement corniche, très saillantede cette galerie, forme une
décoré d'un attique en pilastre, surmonté de claires espèce d'auvent : une autre qui lui est parallèle laisse
voies en pierre, qui donnoient de l'air et un jour un espace ouvert entre celle Q et une suite de cellu-
mystérieux à cette forêt de colonnes; cette avenue les R : autour de tout cela est un mur de circonval-
étoit terminée par une troisième porte, qui est abso- lation couvert d'hiéroglyphes en-dedans et en-de-
,
lument en ruiner de droite et de gauche sont des hors : par-delà et en droite ligne est la porte de
chambres fort embarrassées de décombres, et dont l'est, S, encore très conservée; toutes les lignes ar-
la distribution embrouillée exigeoit des recherches chitecturales en sont arrêtées ; mais les ornements
embarrassantes. Vis-à-vis, K, sont quatre obélisques et les hiéroglyphes n'y sont sculptés qu'à sa partie su-
de granit parfaitement travaillés ; deux grands d'a- périeure, ce qui fait voir la marche de ces travaux :
bord , deux moins grands après, et tous quatre moins la porte du nord, U , étoit sans doute précédée de
couverts d'hiéroglyphes que ceux de Luxor : il y en sphinxs,dont on ne voit plus que les substructions
a encore trois debout; le quatrième, renversé, a été des socles qui les portaient ; le cheminqui y amenoit
morcelé pour faire des meules. Ces monuments si étoit pavé en larges pierres ; à la partie intérieure il
simples, si purs, si précieux dans leur exécution, y avoit des colonnes qui formoient ou une galerie
la plus parfaite et la plus élégante production de couverte ou un portique : au sud-est du grand tem-
l'architecture égyptienne, celle dont l'exécution pro- ple on trouve des ruines éparses, des cippes, des
nonce tout à la fois et sur la solidité de leur goût statues brisées ou renversées, des arrachements de
et sur la hardiesse de leur entreprise, celle que tous murs annonçant des constructions de plus petites
les arts perfectionnéspouvoient seuls exécuter,trans- proportions : étoit-ce la partie des habitations des
porter et dresser, étoient ici prodigués pour décorer rois, des grands, des prêtres ? En revenant à l'ouest,
l'entrée du petit sanctuaire, pour lequel il semble on trouve de grands môles éboulés, entre lesquels
cjue tout le reste de cet immense édifice ait été bâti ; sont des portes ruinées ; en-dedans et en-dehors il
ce qui produit un contraste qui est peut-être en- y a encore des torses de figures colossales en marbre
core une magie de l'art, celle de frapper l'ame de blanc et en grès rouge ; des galeries détruites for-
respect pour la sainteté du tabernacle qui occupe le moient une cour terminée par d'autres môles décorés
centre de tous ces édifices : ce saint des saints est de même ; la porte qui unissoit ceux-ci est tombée;
construit entièrement en granit, couvert de petits les chambranlesqui sont restés en place sont en gra-
hiéroglyphes représentanttoujours des offrandes au nit couvert d'hiéroglyphes d'une exécution extraor-
(276)
dinaire pour la franchise delà taille et le fini précieux là la statue de Menrnon, puisqu'elle se trouve de-
des figures. Les Égyptiens avoient sans doute quel- vant l'édifice qu'Hérodote et Strabon ont indiqué
rois
que trempe particulière pour les outils avec lesquels comme étant le Memnonium, puisque l'on a
ils travailloient le granit. Une autre cour, Z, ame- une grande volonté à la renverser ; ce qui suppose
noit à un sanctuaire ; cette partie est tellement dé- un projet de découvrir un mystère célèbre, ou dé-
truite que le plan en est effacé : l'extérieurde ce mo- truire un objet de culte, et parcequ'elle est seule
nument étoit précédé d'une de ces célèbres allées de au lieu des deux (planche XLIV), de l'une des-
Sphinxs; ceux-ci étoient à tête de taureau, ils arri- quelles on s'est obstiné à faire la statue de Memnon.
Toient à un embranchement d'une autre allée, b, La letlre C est un second môle, qui, avec un autre
de sphinxs à tête humaine: cette seconde allée ve- aussi détruit, formoit une seconde entrée à une
noit couper la grande avenue, d, qui, depuis le cour bordée d'une galerie de colonnes et de pi-
temple de Lnxor, à un mille de là, venoit aboutir à lastres , devant lesquels étoient des figures de prê-
la porte du sud, d; ceux-ci étoient à tête de bélier, tres bu divinités : les deux points carrés marquent
tenant entre les pattes de devant de petits sanctuaires la place de deuxstatues en granit noir d'un travail
où sont des figures d'Isis; les corps tronqués de ces recherché ; elles sont renversées et brisées : les dé-
sphinxs, sur leurs piédestaux enfouis, mêlés à des tails apportés auroient pu donner une idée de la
palmiers, offrent encore un aspect auguste et impo- perfection de la sculpture égyptienne. La lettre E
santjvoyez la porte, d, planche XLIII,n° 3, qui est étoit sans doute un portique comme celui du temple
en ligne directe des deux môles } l'espace qui est entre de Karnak ; les parties F, G, sont dans un état de
la porte et ces môles étoit encore garni de sphinxs ; destruction à ne pouvoir donner aucune idée de ce
il n'en reste que quelques uns : ces deux môles pré- que pouvoient être ces pièces.
cèdent un portique ouvert de vingt-huit colonnes, N° 4. Le musulman entouré de tout ce qu'il aime ;
qui formoit une cour intérieured'un style plus grave assis à l'ombre, avec sa pipe, son café, son chat,
importuné
encore que tout ce que nous avons décrit, un pé- ses oiseaux, il est tourmenté, et jamais
ristyle et un sanctuaire plus mystérieux que tout ce par ses petits enfants qu'il idolâtre : heureux de
que nous avons rencontré, une enceinte dans une jouissances si douces, il devrait être bon et ver-
enceinte; tout à côté, L, un autre temple; inmm, tueux ; et il le seroit sans l'orgueil et la paresse, qui
une enceinte générale, dont la ruine forme une petite enfantent' en lui l'intérêt, qui gâtent toutes ses
chaîne de montagnes enfermant deux lacs XX, et d'au- bonnes qualités.
tres ruines sans formes. On est fatigué de décrire, on PLANCHE XCIV.
est fatigué de lire, on est épouvanté de la pensée d'une
telle conception;on ne peut croire, même après l'avoir Ustensiles égyptiens de trois ordres : les premiers
vu, à la réalité de l'existence de tant de constructions sont les ustensiles de terre grossière pour l'eau; les
réunies sur un même point, à leur dimension, à la seconds, ceux de fer battu et étamé pour la cui-
constance obstinée qu'a exigée leur fabrication, aux sine et pour porter en voyage ; les troisièmes, les
dépenses incalculables de tant de somptuosité. bijoux et meubles de luxe: les premiers, que l'on
N° 3. Plan du monastère blanc ( voyez le Journal, nomme en général bardach, servent à contenir
page 89). l'eau, et avec lesquels on boit à même ; ils sont tous
N° 5. Plan du Memnonium, qui étoit un templeou fabriqués dans la haute Egypte, entre Dindera ,
nn palais.Lettre A, un môle, dont un pareil détruit Kéné, et Thebes, et plus particulièrement à Bal-
formoit la première entrée de l'édifice : B, la statue lasse, village qui a donné le nom aux jarres du genre
la plus colossalede l'Egypte (voy. sa ruine, pl.XLII, de celle qui est dans le milieu, n° 4; de temps immé-
n° 5, et pi. XLV, n» 1 ) ; elle avoit 75 pieds de pro- morial elle est d'un usage général dans toute l'E-
portion ; on en voit encore le torse et les cuisses ; gypte pour clarifier et rafraîchir l'eau du Nil. J'ai
il y a sur le bras une inscription hiéroglyphique vu les mêmes vases, dans les peintures antiques,
(voyez pi. CXVIII, n° 7 ):il est probableque c'était employés aux mêmes usages (voyez pi, CXXXVI);,
077)
la montagne où se prend la matière première de ces dinaires.Le n° 8 est l'assiette, le n° 9 le plat, le n° 10
vases est de roche argilleuse très tendre, que l'eau dé- la gamelle à faire bouillir la viande pour faire le
compose , et qui se pétrit en même temps qu'on l'inon- bouillon; le couvercle, en se retournant, devient,
de; ses parties grasses et sablonneuses sont tout na- n° i3, un plat creux à dresser la viande; j'ai vu pa-
turellement composées pour l'usage désiré; machi- reille forme en terre parmi les jattes dites étrusques:
née , elle se tourne facilement, se durcit d'abord à le n° 11 est la bouilloire, qui sert à tout dans toutes
l'ombre, puis au soleil, ensuite reçoit une demi- les occasions où l'eau chaude est employée, pour le
cuisson par un seul coup de feu de paille, et se riz, le bouillon, le café, etc. : le 11° 12 a aussi nom-
vend à la manufacture à si bon compte, que les habi- bre d'usages; on y prépare tous les breuvages frais
tants des environs ont meilleur marché d'en faire et sucrés, tous les ragoûts à longue sauce; le n° 14
des maisons et des murailles d'enclos, que d'em- est la tasse à boire tout ce qui n'est pas de l'eau pure.
ployer le pizet et la brique. Le n» 15 du troisièmerang est unplateaupour pré-
La nature spongieuse de cette terre fait transsuder senter avec cérémonie une tasse de café à un person-
l'eau, ce qui lui donne un mouvement qui attire la nage auquel on veut marquer durespect; ceplateau est
partie fangeuse aux parois du vase, et la partie exté- d'argent ou d'or, et même quelquefois garni de pier-
rieure se trouvant toujours mouillée de la transsu- reries ; on ne se sert pas de soucoupe en Orient, mais,
dation , pour peu que l'air frappe sur le vase, l'eau afin que la tasse ne brûle pas la main, on met celle de
en devient presque aussi fraîche que par l'usage de porcelaine,dans laquelle est le café, dans la fig. n° 17,
la glace , dont on est absolument privé par l'ab- qui est d'argent ou d'or : la fig. n° 16 est un aspersoir,
sence des hautes montagnes et la douceur des hi- avec lequel on jette de l'eau de rose sur ceux qu'on veut
vers ; à l'étranglement des bardachs qui servent bien traiter, après le repas, ou à la fin d'une visite,
pour boire il y a de petites grilles de même matière lorsqu'on paraît vouloir prendre ou donner congé :
qui empêchent d'arriver l'eau avec trop d'abon- _le n° 18.est l'aiguiere et sa jatte pour laver les mains
dance ; on les parfume souvent de fumigation de et la figure, avant, pendant, et après le repas, et en:
benjoin, ou d'autres aromates, ou d'eau de fleur général toutes les fois qu'on a touché quelque chose;
d'orange, pour varier la saveur insipide de l'eau, à la jatte il y a un double fond percé de trous, à
qui du reste, en sortant de ces vases, est la meil- travers lesquels passe l'eau, et qui empêche que celle
leure qui existe au monde. Dans mes voyages aux qui lui succède puisse faire rejaillir la première, et
environs de Kéné, j'ai été plusieurs fois à Ballasse; dérobe l'aspect de l'eau salie qui a lavé: le n° 19 est
j'en ai vu les manufactures et les chargements im- un profumatoire sur son plateau ; il s'ouvre par le
menses qui s'en font sur des bateaux, ou sur des milieu, et l'on y fait brûler sur des charbons des
trains composés des pots mêmes, commenos trains parfums de bois d'aloès, de benjoin ou pastilles
,
de bois, qui apportent leur marchand à l'endroit composées ; les grands profumatoires, de 2 à 3 pieds
pour lequel le chargement est destiné. de hauteur, sontconstammentau milieu de la cham-
La forme des bardachs et des ballasses est d'un bre, les petits se portent à la ronde, et chacun
assez bon style; ayant constammentété d'un usage avec la main en a! tire la fumée sur sa barbe ou sur
général et absolu, ces ustensiles se sont conservés ses habits. Ce superflu, dont nous ne nous somme*
d'un galbe pur: j'ai fait la remarque qne tout ce pas encore avisés, convient aux nations qui cher-
qui est d'usage de première nécessité dans les pays où chent des jouissances sans agitations,, qui écoutent
il a existé de bonnes formes à certaines époques posément leurs sensations, n'aiment point à parler,,
y
la tradilion s'en est conservée par succession d'imi- et trouvent dans ces sortes d'usages un hommage-
tation et d'usage. de plus à présenter à. celui qu'ils veulent fêter et
Les ustensiles en fer sont d'un tout autre genre; ils distinguer: ce sont les esclaves qui agissent; un signe
ont les formes indiennes: ce que l'on voit ici est ce de la main suffit pour en faire les honneurs,desorte,
qui compose le nécessaire du militaire, du voyageur, que dans une visite d'intérêt ou de respect, les con-
et qui, répété, forme la vaisselle plate des gens or- fitures, le sorbet, le café, la pipe permanente,l'eais.
(>78)
de rose et les parfums, remplissent à-peu-près le pièces, n° 6, la partie inférieure servant de gaine à
temps; ajoutez à cela quelques adages, tels que, Arous la partie supérieure, le tout damasquiné en argent,
vous portez bien; Dieu est grand, très grand; et au. et d'un travail recherché.
très propos qui ne les compromettent pas davantage : Le n° 2 est une hache de fer damasquiné en or,
on se sépare Sans grand désir de se revoir ; chacun avec inscription perse qui indique le pays où elle a
trouve chez soi le bonheur ineffable d'être à son aise, été travaillée ; le manche, en argent et en cuir, est
de ne rien faire, de se reposer. Cette mollesse, si de manufacture du Caire.
douce en apparence, est cependant la source de tous La lettre B est une cafetièredans un réchaud por-
les vices dont le caractère des orientaux est flétri ; tatif, pour remettre du café bouillant dans les tasses
c'est pour arriver à ce but chéri qu'ils sont cupides, où l'on en a déjà pris ; ces deux ustensiles en argent,
égoïstes, avares, cruels, tyrans, atroces enfin. manufacturés au Caire, sont du même genre que
PLANCHE XCV. ceux de la planche XCIV.
N° 11. Un arc en baleine d'un travail parfait : au
N° 22. Un bouclier de cuir de rhinocéros, à l'é- genre d'ornement et à sa dorure on doit croire que
preuve du sabre ; celui-ci est d'un travail exquis : on cette arme vient de l'Inde; sa corde est un faisceau
doit croire que cette arme vient de l'Inde au vernis de fil de soie non tordue, qui a plus de force que le
qui couvre le cuir et à la dorure des ornements ; le boyau le plus gros et le mieux filé.
petit coussinet de la partie du revers, n° a3, garde Les n° i3 et 14 sont deux ustensiles qui dépen-
la main du contre-coup frappé sur le dessus. dent de l'arme n° 11 ; l'un est une rainure dans la-
Le n° 21 est une seconde arme défensive, qui n'est quelle s'introduit la flèche ; il s'adapte au poignet
qu'un brassard avec son gantelet. Les Mamelouks qui tient l'arc, pour servir de direction à la flèche au
n'en portent qu'au bras gauche, dont ils tiennent la moment de son départ.
bride du cheval ; la main qui combat n'a qu'un gant Le n° i3 est un morceau d'ivoire, que le tireur
de buffle dans la forme de ceux des trabans; la four- d'arc passe à son pouce pour pouvoir tirer la corde
bissure est de l'ancien Damas ; les ornements en re- avec plus de force, et n'être pas blessé de la vibra-
lief sont modernes, en argent, et d'un travail médio- tion à l'instant de l'échappement.
cre; le gantelet est d'une double maille goupillée d'un Lettre A, un profumatoire; c'est un ouvrage en
travail minutieux et infini; le tout est matelassé d'une filigrane, d'une forme étrange, mais dont chaque
doublure en satin rouge. ornement à part est d'un goût exquis et d'un travail
Le n° 25 est un carquois, contenant trois jave- immense.
lots, que les Mamelouks ont coutume de lancer Lettre C, est un aspersoir; ce morceau d'orfèvre-*- '
avant d'en venir au sabre; ils sont très adroits à cette rie est très recherché par son travail, qui paroît être
sorte d'exercice, et leurs domestiques, qui courent indien: en général les Egyptiens modernes, quoi-
à travers les combattantslorsque le coup ne porte pas qu'ils aient un goût à eux, n'ayant que quelques ou-
et que le javelot tombe à terre, ont soin de le ramas- vriers et point de manufactures, admettent de chaque
ser et de le rapporter à leur maître ; cette arme a la pays tout ce qui peut convenir à leur usage ; et l'on a
pointe en fer battu, l'hast en bois, et les ornements trouvé dans des dépouilles de Mamelouks des trom-
en argent d'un travail moderne, d'un assez bon goût, blons anglais, des pistolets français du dernier siè-
et fait au Caire; le corps du carquois est en velours. cle, des sabres dont les lames étoient de Damas ou
Le n° 24, un javelot hors du carquois. de Perse, anciennes, avec la monture africaine, des
Le n° 4 est une masse ou bâton de commande- cottes dé mailles , des flèches et des arcs indiens ou
ment, en fer damasquiné en lame, d'un bon goût et chinois.
d'un travail précieux ; - cette marque de dignité peut N° i5 et 17. La bride et la selle d'un Mamelouk.
devenir une arme dans la mêlée, et peut servir à N° 8. Son casquet. Tous les autres numéro sont
briser les boucliers, et assommer les blessés ; le le reste de ses armes, dont le rassemblement se voit
manche, foré recelé une javeline de fer de deux
, à la figure, planche CI, n° 3.
079)
PLANCHE XCVI. olive foncée, d'un beau travail et duplufr grand style;
il a été trouvé à Thebes.
La collection de ce que j'ai rapporté d'antiquités N° 26. Figure d'une victime les bras attachés der-
d'Egypte. rière le dos : ce petit torse, d'une belle exécution,
N° i. Figure de prêtre ou divinité de grandeur paroît, pour le style, être du siècle de Michel-Ange,
naturelle, en pâte verte, avec de petits points jau- en porcelaine verte, et trouvé à Thebes.
nes, semblable un peu aux émaux que l'on fait à N° 27. Cette figure, en porcelaine bleue, n'a qu'un
Nevers; celle-ci trouvée à Tintyra, j'ai dû croire côté, l'autre est lisse; une particularité qui lui est
qu'elle y avoit été fabriquée, par la quantité que propre, c'est que l'émail est de deux couleurs, la
j'en ai trouvé là de la même manufacturequi n'avoient coiffure de la figure étant en émail noir.
jamais été portées ni achevées de réparer, et qui N° 28. Une tête en ardoise, trouvée à Tintyra; le
sembloient même sortir du fourneau où elles avoient style en paroit romain.
été fondues. N° 29. Ce morceau, en pâte non vitrifiée, paroît
N° 2. Un épervier, même pâte, même manufac- représenter l'os du crâne d'un hippopotame ; le tra-
ture. Presque tous ces morceaux sont gravés de la vail en est précieux ; il a été trouvé à Thebes.
grandeur de l'original. N° 3o. Un buste de cynocéphale en porcelaine
N° 3. Un lion en porcelaine. brute.
• K° 4- Un sphinx, manufacture
de Tintyra. N° 3i. Une figure assise, très aplatie, en'porce-
N° 5. Un cynocéphale en porcelaine. laine bleuâtre.
N° 6. Pâte de Tintyra. N° 32. La figure d'un ichrieumon en pierre de
N° 7. Un crapaud en terre, noir. touche; c'est la seule représentation que j'aie vue de
N° 8. Un hippopotame en porcelaine verte. cet animal; je l'ai acheté à l'isle d'Eléphantine où
N° 9. Le dieu Loup oU le Chakal, en pâte, manu- une femme le portoit à son cou ; c'est ainsi que j'ai
facture de Tintyra. trouvé et acheté nombre d'antiquités.
N° 10. En pâte de Tintyra. N° 33. Une tête d'Isis en pâte, manufacture de
N° 11. Idem. Tintyra.
N° 12. En pierre dure jaspée, couleur olive. N° 34- Une chouette, avec une tête de cynocé-
N° i3. Un Typhon en pâte. phale; sur la plinthe qui est sous la figure l'empreinte
N° i4- Un cynocéphale en terre noire. d'un homme en creux, ce qui donne à ce moreeaula
N° i5. Un Harpocrate en porcelaine. figure d'un cachet.
N° 16. Un vase en pierre dure. N° 35. Figure en porcelaine verte.
N" 17. Une pâte. N° 36. Une des deux figures de Typhon, celle
N° 18. Un nilometre en pâte bleue, de la manu- que l'on voit répétée sur les chapiteaux et sur les
facture de Tintyra, morceau non terminé, et comme frises des temples consacrés à ce dieu, en porcelaine
l'empreinte d'une de nos pâtes de camée qui n'auroit verte, et d'un travail fort recherché.
pas été réparée. N° 37. Autre figure de Typhon, en pâte verte,
N° 19. Un oeil sur une proue de vaisseau, en por- ressemblant au Bacchus indien, de la manufacture
celaine verte. de Tintyra.
N° 20. Un Priape en porcelaine bleue. N° 38. Autre Typhon presque semblableau n° 36*
N° 21. En porcelaine verte. N° 3g. Fragmentd'un Typhon en pâte, manufac-
N° 22. Le même Priape que le n° 21, vu de côté. ture de Tintyra.
N° 23. Un oeil en porcelaine bleue. N° 40. Cynocéphale en pierre ollaire, morceau
N° 24. Un épervier en pâte verte, manufacture très fruste.
de Tintyra. N° 41. Le dieu Chat en pâte, manufacture de
N° 25. Une tête d'aigle; ce morceau, qui n'est Tintyra.
point un fragment, est en pierre ollaire, couleur N° 42. En porcelaine d'un très beau bleu ; on
(*8o)
retrouve souvent cette espèce d'amulette au bas des momie, où étoit tracé cet ornement; celui qui est au
chaînes attachées au cou des statues. bas servoit de bordure en laine à une toile de lin.
N° 45- Figure de divinité en pierre de touche. Les hiéroglyphes B, D F, ont été pris dans lés
,
N° 44- Autre figure de prêtre ou de divinité, en grottes qui se trouvent au sud des pyramides, à une
pierre ollaire. distance d'environ i5o toises du sphinx.
• N° 45. Une figure d'enfant, assise sur un oiseau La lettre G est le jilan d'un temple au nord-est
qui paroît un oiseau de rivière, dessiné moitié de la d'Esnê, cité dans le journal, page ig5, et la vue,
grandeur de l'original. planche LU, n° 1.
N° 46. Une tête en porcelaine verte.
PLANCHE XCVIII.
N° 47. Une tête, que je crois celle d'Isis, en por-
celaine verte, moitié de la grandeur de l'original. Outre des manuscrits intéressants que m'a com-
N° 48 et 49. Figures de divinités ou de prêtres, muniqués le citoyenAmelin, il a eu aussi la complai-
en pierre ollaire, moitié de leur grandeur naturelle. sance de me confier les détails de la dépouille d'une
N° 5o. Une figure de Jupiter Ammon : ce morceau momie de femme, trouvée à Thebes, qu'il a dévelop-
en bronze est d'une grande perfection, soit par la pée lui-même avec soin ; opération dont il m'a trans-
fonte, soit par la manière dont il est réparé ; il peut mis des particularités fort étranges, telles qu'un
donner à lui seul une idée de la perfection où les Priape ayant eu existence, embauméà part, enve-
Egyptiens avoient porté cet art. loppé de bandelettes, et superposé sur la partie cor-
N° 5i. Autre figure en bronze, qui paroît avoir respondante de la momie ; sur l'estomac de la même
fait le dessus d'un bâton porté dans les cérémonies. momie étoit une petite plaque carrée d'argent la-
N° 52. La même figure de Jupiter au n° 5o, pré- miné, même grandeur que la gravure n° 34 : c'est le
sentée de côté pour la faire connoitre sous un autre seul morceau d'argent que l'on ait encore trouvé;
aspect: j'ai trouvé ce fragment à Eléphantine. il atteste à la fois un instrument de mécanique d'une
N° 53, 54- Figure d'un cynocéphale en bois de combinaison très avancée : cette plaque étoit percée
sycomore,ébauchéed'une manière très franche et très aux quatre angles, et cousue sur les vêtements; le
hardie, dessinéele tiers de la grandeur de l'original: covps de la momie étoit couvert d'une tunique d'un
je l'ai trouvée à Thebes dans les tombeaux des rois. tissu lâche, et composé d'un fil excessivement fin ; le
fil à faire la dentellen'est pas plus délié; plus mince
PLANCHE XCVII.
qu'un cheveu, il est retors , et composé de deux
Antiquités égyptiennes. brins, ce qui suppose, ou une adresseinouie dans la
Scarabées, emblèmes de la sagesse, de la force, de filature à la main, ou des machines très perfection-
l'industrie; son image se trouve par-tout, ainsi que nées ; autour des reins de cette momie étoit une cein-
celle du serpent; il occupe la place la plus distin- ture , n° 29, composée de tube d'émail, semblable à
guée dans les temples, non seulement comme orne- ceux qui se font encore aujourd'hui, près de Venise,
ment, comme attribut, mais comme objet de culte: à la manufacture de Mourano; ce tube, tressé en
ceux-ci se portoient au cou; ils sont faits en porce- losange, avoit un petit grain rond de même matière
laine de toute couleur, en pierre de touche, en cor- à son croisement; une bande de même tissu, et qui
naline, en jaspe, en pierre ollaire: je n'ai jamais vu descendoit par-devant, étoit terminée par huit gros
deux fois la même empreintedans le dessous; j e n'ai fait grains de même matière, formant huit glands, avec
graver que cette partie, les fig. 8 et 1 a servant pour le leur frange; autour du cou étoient six joyaux de
dessus de toutes celles sans variétés, comme celles bois doré, n° 23 jusqu'à 28, dont la préparation est
10, i5, et 16 , dont je n'ai pu deviner le sujet; ils la même que la dorure actuelle, c'est-à-dire une
sont tous de grandeur naturelle: celui E, au bas de impression blanche, couverte d'or battu au livret;
la planche, appartient à Bonaparte; il est en jaspe, particularité trèsremarquable relativementaux arts:
et a été bien évidemment gravé au touret. dans ce qui eomposoit les différentes enveloppes il y
La lettre A représente le dessous des pieds d'une avoit des toilesd'espècesabsolumentdifférentes; outre
(»8i)
le tissu lâche et simple, il y avoit un coutil dont les Les n° 35, 36, et 37, sont d'autres Priapes en
bords étoientterminés par une bordure précieusement marbre, en terre, et en bronze: sont-ils romains,
faite; une autre espèce de toile ouvrée composée de ou égyptiens, ou grecs? c'est ce qu'il est difficile
deux brins très retors pour la trame comme pour la de décider, n'ayant aucun de ces trois styles.
couverte, rayée à bandes de six pouces en six pouces Le n° i3 est un oeil, composé d'émaux, bleu,
par de gros brins , composés d'un faisceau de même blanc, et noir, posé sur champ, et lié à la manière
fil, tel que cela se pratique encore dans l'Orient. de certaines mosaïques trouvées à Pompéïa ; les cou-
On trouvepresque toutes ces toiles déchiréesou rac- ches subsistent dans toute l'épaisseur du diamètre
commodées avec des reprises* assez mal-adroitement que l'on peut rémarquer à cette petite figure, et
faites; ce qui indiqueroit que tout le vieuxlinge étoit les couleurs s'en trouvent répétées au revers. Il est
employé à ensevelir les morts; car on ne peut ima- bien difficile de savoir si cet oeil à lui seul est une
giner que la toile fût rare, à l'abus qu'on en faisoit chose, ou si c'est le fragment d'une figure entière;
pour les embaumements. mais ce seul petit morceau atteste un art à part qui
Outre les curiosités ci-dessus, j'ai joint tous les ne peut appartenir qu'à une nation très avancée.
scarabées que le citoyen Amelin a rapportés, qui Le n° 21 est un petit manuscrit, trouvé dans la
contenoient quelques particularités\. sous celui n° 16, main d'une momie, et lié,-comme on peut le remar-
est gravé un héros sur son char, dans l'acte de tirer quer, avec un fil qui semble être fait de chanvre
une flèche sur des ennemis vaincus, tels qu'on en d'aloès; ce manuscrit a trop souffert pour être dé-
voit de sculptés en bas-relief sur les portiques de veloppé et copié., j'ai pensé qu'il valoit mieux en
Thebes; le n° 18 est un boeufApis avec des bande- conserver l'image, et en donner la forme.
lettes ; autour de la gravure est un liseret semblable Le n° 3i est un vase, très lourd, très dur, ef-très
à celui que l'on trouve sur les pierres étrusques; le compacte; il ressemble assez à du grès; il,j%voit
n° 4 est un petit cube alongë et percé dans sa lon- deux anses, dont on ne voit plus que la fracture;
gueur , sur les quatre faces duquel sont représentées il ne pouvoit être d'aucun usage, par la petitesse
quatre divinités , plus précieusement travaillées que de son gouleau, qui n'est que d'une ligne de dia-
dans les autres pâtes, et ayant deux couleurs comme mettre, et par le peu de vide de son intérieur.
le nicolo ; ce qui prouve qu'ils étoient assez avancés J'ai pu remarquer en général, dans les ruines des
dans cet art pour faire des choses agréables. villes égyptiennes, que la poterie y étoit extrême-
L'empreinte n° 6 est une tête d'Isis, avec les ment abondante, mais que la grande majorité étoit
oreilles et les cornes dé vache, telle que celle qui mal cuite et commune, comme celle d'à présent;
est figurée aux chapiteaux du temple de Tintyra ; celle qui étoit plus fine étoit sans doute fort rare,
au lieu d'un scarabée c'est une grenouille qui fait . et
les fragments en ont disparu. :
.
le dessus: les n° 10, 12, .sont l'image d'un frag- " Le n° 38.est la figure d'un poisson dans la forme
ment d'une bague, contenantune inscription : je l'ai d'un scarabée; en porcelaine, de la grandeur de
fait répéter deux fois parceque c'est le seul joyau de l'original.
cette espèce, que j'aie rencontré.
PLANCHE XCIX.
Les n° 1, 7, sont deux têtes de béliers, telles
qu'on les remarque au tempie d'Esnê, surmontées Momie d'ibis. Les pots dans lesquels ces oiseaux
d'un disque de la lune; la première est de la même sont fermés,, et qui leur servent; de sarcophages,
pâte que les scarabées; la seconde est en cornaline, sont de terre rouge et.commune, de 14 à 18 pouces
et prouve qu'ils savoient aussi travailler les pierres de hauteur (voyez la forme de ce pot, lettre A);
dures, et avoient l'usage du touret. on les trouve en grand nombre à Saccara, dans des
La figure n° 32 et 33 est de faïence, en grosse chambres souterraines; ces chambres sont si saines,
terre, recouverte d'un émail bleu; elle représente que ces pots semblent encore neufs en en. sortant,
un Priape en forme circonflexe, sur lequel est ac- et qu'on douteroit de leur antiquité si la méthode
croupi un. petit enfant. de l'embaumement n'étoit perdue, et si l'oiseau
36
(282)
dont on trouve le squelette n'eût disparu du sol nous les découvrions ou que nous voulions les dé-
de l'Egypte: on dit que de temps à autre on en tacher de l'adhérence qu'ils avoient à la toile ou à
voit encore quelques individus dans le lac de Men- la matière embaumante. Le désir de rendre notre
zaleh, entre Damiette et Peluse; cependant, malgré opération complète nous fit ouvrir mon second pot ;
mes questions obstinées à tous les chasseurs du nous y trouvâmes une momie plus grande, plus
pays et à tous ceux qui s'occupent d'histoire natu- compacte et plus pesante : la seule différence que
relle, je n'ai trouvé personne qui m'ait assuré en nous trouvâmes dans les enveloppes de cette seconde
avoir vu. fut qu'au lieu d'un lange pour dernière couverte,
Je fis avec le cit. Jeoffroy l'ouverture de deux c'étaient des bandes de deux couleurs, alternative-
de ces^pots et des momies qu'ils contenoient: un ment posées et recouvertes par des fils enveloppant
léger effort fit céder la soudure du couvercle, qui symétriquement le petit maillot ( voyez figure C ).
n'est qu'une espèce de chaux; nous trouvâmes l'em- J'ai trouvé encore deux autres différences depuis
maillottement de l'oiseau ballottant dans le diamètre (voyez figures D et E):-dans celle figure B il y
du pot, ce qui est cause sans doute que presque avoit une espèce de petite cocarde, qui nous parut
toutes les momies de cette espèce, envoyées en d'abord un jeu de l'embaumeur; c'étoit un petit
Europe, y arrivent réduites en poussière par les morceau de bandelette plié et attaché au maillot
secousses de la route. Leur premier aspect est celui par le gluten de la matière: j'ai été dans le cas
de la momie d'un enfant qui vient de naître ( voyez de voir depuis que c'étoient, ainsi que les figures
les figures B, C,-D, E); une toile assez fine, bistrée, n° 12 et i3, de petits fragments de plumés, retrou-
et qui semble avoir été imbibée d'un fluide aro- vés peut-être après l'opération faite, et scrupuleu-
matique , après avoir été croisée à la partie infé- sement'enveloppés,et adaptés à la masse principale,
rieure-, en couvre tout un côté (voyez lettre B); pour que rien n'en fût séparé. Ce soin scrupuleux
sous "cette enveloppe un fil double serre horizon- peut faire voir combien les Egyptiens attachoient
talement et transversalement la momie dans toutes d'idées religieuses à ces embaumements, et m'a ex-
les parties .( voyez figure C ) ; sous ce fil la seconde pliqué dans la suite ce que c*etoit que de petites
enveloppe est comme la première, formée du même momies que j'ai trouvées depuis en dépouillant des
lange; ensuite on trouve de petites bandelettes d'un embaumements d'humains; on en peut voir une
pouce et demi de diamètre, qui, comme le fil, ser- figure de grandeur naturelle, et l'explication, n°5
rent l'oiseau dans tous les sens (voyez F, G, H), et 7, planche C. Toutes les autres enveloppes de
qui sont les deux côtés de la momie dans cet état; notre seconde momie étoient les mêmes que celles
ces bandelettes enlevées, on trouve encore un troi- de la première; la dernière n'étoit point adhérente,
sième lange, sous lequel sont de petits tampons et nous trouvâmes dessous le plus beau petit sque-
de toile adaptés à la partie inférieure, et placés là lette possible (voyez lettre G), pas une fracture
pour soutenir la forme de la momie, et lui donner des os même les plus délicats (voyez les os gravés de
plus de consistance; tout cela ôté,.la momie prend grandeur-naturelledans la partie supérieure de la
la figure d'une nymphe de chenille prête à devenir même planche); les pennes et les barbes étoient
un papillon (voyez figure I); cette dernière enve- conservées;on pouvoit juger, malgré la teinte altérée
loppe, beaucoup plus grossière que la première, par l'impressionde la liqueur balsamique, que la
trempée dans Un baume !plus compacte, en a partie supérieure en avoit été blanche, et les extré-
reçu une couleur plus brune et d'une consistance mités roux-brun ; la queue courte avec des pennes
plus forte, on commence alors à découvrir quel- de peu de consistance.
que forme de l'oiseau : nous ouvrîmescette enveloppe; Par cette double opération nous fûmes dans le cas
mais, comme si la matière: eût été employée trop de- nous rendre compte, du procédé employé dans
chaude, ou qu'elle eût eu quelque qualité corro- cette especedtembaumement;le voici en sens inverse
sive, elle avoit carbonisé tout cequ'elle avoit pé- de ce que-je viens de le présenter, et.tel qu'il devoit
nétré, et les os tomboient en poussière à mesure que s'effectuer. Celui qui opéroit ôtoit toutes les parties
(283)
intérieures de l'oiseau, les faisoit bouillir dans le bau- la main de la momie, dont la liqueur embaumante
me, et les replaçoit; ensuite il prenoit l'oiseau, en avoit imbibé et oxygéné des parties. La vignette que
plioit les ailes contre le corps, ce qui donnoit la j'ai trouvée à celui-ci représente une momie sur un lit-
grandeur totale de la momie; il replioit les jambes de repos, qui a la forme et le corps d'un lion; au-
en les relevant des deux côtés du sternum, lui rabat- dessus un vautour, les ailes déployées, à-peu-près
toit la tête entre les deux cuisses, de manière à ce semblable à la figure planche CXXVI, n° 11, et au-
que l'extrémité du bec arrivât à l'extrémité de la devant un homme invoquantune divinité qui tient un
queue, et, tenant d'une main par la partie inférieure fléau et Un crochet; entre les deux figures est un autel,
l'oiseau ainsi troussé, il adaptoit le premier linceul sur lequel sont des vases et des fleurs du lotus.
très imbibé de matière balsamique et glutineuse, et N° 5. Un résidu de matière balsamique, auquel
achevoit de l'envelopper par la partie inférieure, en on a donné la forme d'une momie, et qui avoit son
y ajoutant deux petits tampons, pour donner plus enveloppe à part; cette figure est gravée de grandeur
de consistance à cette partie, où il ne se trouvoit que naturelle; je l'ai trouvée dans la même momie où
la queue, les pennes des ailes, et le bec; ensuite ve- étoit le manuscrit. Cette momie étoit extrêmement
noit le grand linceul, de cinq pouces de large et trois soignée, ses enveloppes de toile rose aussi fine que
pieds de long, d'une toile plus fine, et trempée dans du taffetas, ses bandelettes couvertes de caractères,
une liqueur plus fluide; il l'appliquoit d'abord du et le dessus peint et doré. Il est à croire que c'étoient
haut en bas ; il tournoit sans ordre du fil autour pour les restes d'un personnage intéressant : cette petite
le fixer; ensuite il le tordoit au-dessous, puis adap- momie interposée étoit, suivant toute apparence, le
toit sur le linceul les bandelettes de deux à trois pou- résidu de la liqueur embaumante, dans laquelle
ces de large, dont les extrémités étoient toujours avoient trempé la cervelle et les entrailles, et qui,
fixées par le gluten de la matière noire et épaisse; pouvant en contenir quelque particule, étoit scru-
ensuite reprenant le linceul, il recouvrait les bande- puleusement ramassé et rejoint à la masse, afin qu'à
lettes, et les fils, comme je l'ai déjà énoncé. la résurrection il ne manquât rien au personnage
considérable qui avoit à ressusciter; de sorte que
PLANCHE C. manquant d'une, partie de leur existence les gens
N° i. Espèce de patere en terre cuite jaunâtre du peuple étoient destinés à- être aussi malheureux
très fine : je l'ai trouvée moi-même dans les tombeaux dans l'autre monde que dans celui-ci. Ma présomp-
des rois, à Thebes; les ornements en sont d'un goût tion à l'égard de cette momie est appuyée de la même
exquis, et l'exécution parfaite; les deux têtes sont observation faite sur l'embaumement des ibis, et
celles d'Isis et d'Osiris ; ce dernier, sous la figure d'un les fragments de plumes empaquetés et adaptés au
épervier, a le bec usé ; l'ornement qui est au-dessous maillot ( voyez planche XCIX, lettre B, et l'explica-
est la plante et le bouton du lotus. tion de cette planche ).
Le n° 2 est le dessous de la même patere; les oves, N° 6. Fragment d'une momie, que j'ai trouvé
de l'ordre dorique, ne sont autre chose que l'orne- dans les tombeaux des rois, à Thebes; il est ici des
ment qui sert de bordure à ce petit vase. deux tiers de sa grandeur naturelle : l'élégance, la
.Le n° 3 est la coupe de ce vase, dont le trait est délicatesse et la perfection de ses formes ne laissent
aussi pur que les ornements en sont agréables. pas douter que ce ne fût le pied d'une jeune fille
N° 4. Le portrait fidèle d'un rouleau manuscrit, adulte; son pouce relevé, son premier doigt alongé,
que j'ai trouvé dans la main d'une momie ( voyez le petit'doigtremonté, la courbure élégante du cou-
le journal, page-207); développé, il s'est trouvé de-pied sa virginale conservation, l'intégrité de ses
,
avoir 2 pieds 9 pouces de longueur; sa largeur et ongles, annoncent que celle à qui tout cela a appar-
sa grosseur avant d'être déroulé sont celles de la tenu étoit un personnage distingué, dont le pied
figure de l'estampe. J'ai préféré de faire graver les n'avoitjamais été ni fatigué par de longuesmarches, ni
manuscrits trouvés depuis, parcequ'ils sont plus con- froissé par aucune chaussure; on peut s'appercevoir
servés > n'ayant pas été compriméscomme celui-ci par encore que les ongles étoient teints avec le héiié, de
(284;
la même manière dont les femmes d'Egypte se teignent ses formes et rendent sa marche gauche et embar
encore aujourd'hui, non seulement les ongles, mais rassée, plus elle se croit dans le cas de penser qu'on
le dessous des pieds et le dedans des mains. doit la regarder comme une grande dame ; la ' der-
N° 7. Cette figure est le profil de celle n° 5 ; on y nière enveloppe est d'ordinaire en taffetas noir qui
apperçoit encore un fragment de son enveloppe. tombe jusqu'à terre, et ne laisse pas même voir le
bout des pieds ; de toute la personne on n'apperçoit
PLANCHE CI.
que les yeux, encore le plus souvent y suspendent-
N° 1. Un jeune Mamelouk en grand costume, les elles un anneau devant, qui a la vertu de repousser
mains cachées par respect sous ses longues manches, les enchantements et les mauvais sorts.
comme lorsque son maître lui adresse la parole ; le A droite, dans le fond, des psylles, faisant voir
turban de schal, l'habit en petit drap de toutes cou- des serpents et des lézards ; à gauche, un négociant
leurs, le plus souvent jaune ou pourpre ; la veste, musulman fumant sa pipe.
,qui a de si longues manches, en velours ou satin, Je dois ces cinq costumes au citoyen Rigo, mem-
le plus souvent rayés ; une grande culotte en pan- bre de l'institut du Caire, qui, de retour, a bien
talon immensément ample ; des chaussettes de cuir voulu me les communiquer.
jaune, et des sandales de même couleur; une cein- N° 6. Un paysan de la haute Egypte, mangeant
ture en schal, un sabre, un cangiard, un poignard, la première pousse de la luzerne (voyez le journal,
et à gauche une giberne à cartouches ; souvent page 95); à droite, deux santons; à gauche, l'accou-
dans un sac de même forme, des reliques, des talis- plement du chameau (voyez p. 187).
mans, de la vieille huile pour les blessures, ou un N° 7. Un santon, espèce d'imbécille, dont on a
livre du koran, qu'ils croient tous égalementpropre pitié pendant qu'il vit, et que l'on révère après sa
à prévenir les accidents de la guerre ou à y remé- mort; usage assez général et aussi ancien que le
dier : dans le fond une_femme du peuple dans la monde : derrière lui est un chien de l'espèce des
rue. mâtins, celle qui est l'espèce la plus nombreuse: à
N° 2. Une aimé ou bayadere d'Egypte (voyez droite est un vieillard aveugle conduit par son petit
le journal, page 51, article Métubis ) ; la robe en enfant, groupe attendrissant que l'on rencontre mal-
petit drap, la chemise en gaze, le turban et la heureusement trop souvent en Egypte.
ceinture en schal. Dans le fond une petite vue d'une N° 8. Une femme noble dans l'habit qu'elleporte
mosquée de Rosette. dans le harem, tenant un chasse-mouche; celle à
N° 3. Un Mamelouk en habit de guerre ( voyez le droite est dans l'acte de marcher, relevant ses habits
détail de ses armes, planche XCV ) : dans le fond pour pouvoir avancer les pieds; à gauche, jeunes
.
deux jeunes Mamelouks avec des bâtons, s'exerçant enfants barabras d'au-delà des cataractes; une femme
à espadonner : le paysage est celui où sont situées pauvre, qui préfère employer ce qu'elle a de vête-
les pyramides de Saccara. ment à s'envelopper le visage qu'à se cacher le der-
N° 4- Le, costume d'un marchand ; un turban de rière. !

laine rouge ou blanc, un gilet de drap, une culotte N° 9. Un habitant de Darfour, un conducteur de
lâche et courte de toile blanche, un surtout de toile caravanes qui amené les Nègres et les Négresses en
bleue, une ceinture de toile des Indes, rayée bleu Egypte; tout son costume consiste en une draperie
et blanc, qui sert à envelopper tout ce qu'il veut de laine blanche, qu'il promené alternativementsur
transporter. Dans le fond une boutique d'un bazard ; toutes les parties de son corps; sa chevelure est frisée
un marchand et deux acheteurs qui disputent sur le en tire-bouchon, à la manière des anciens Egyptiens.
prix, espèce de récréation, ou un moyen de ne rien Dans le fond est une conversation établie entre un
faire, auquel le vendeur se prête avec une extrême grand et un homme du peuple.
complaisance.
PLANCHE CIL
N° 5. Une dame allant à pied dans la rue; plus
l'ampleur et le nombre de ses habits lui font perdre N° 1. Vue du désert, et d'un camp de Bédouins,
( 285 )

avec différentes figures de Bédouins et de Bédouines tables ; les parents précèdent et suivent, exprimant
à pied et à cheval, également maigres et décharnés : leur douleur d'une manière plus grave. Les tom-
.la grande figure à cheval est celle d'un chef de horde beaux les plus ordinaires sont dans la forme de celui
dans toute sa magnificence. qu'on peut voir planche XXIII, n° i. Le corps est
N° 2. Manière d'éleverl'eau et d'arroser les terres déposé sur une terre molle et tamisée; et chaque se-
après l'inondation du Nil, puisée par des seaux de maine on vient s'entretenir du défunt et prier sur
jonc, et versée dans un canal qui la distribue dans son tombeau.
les terres par nombre de petites rigoles; le reste N° a. Le moment où la mariée vient de quitter la
arrive dans un bassin d'où, par la même opération, maison paternelle, et passe dans celle de son époux;
on l'élevé à quatre pieds de plus pour la faire couler toutes les femmes, parentes et amies, voilées comme
plus loin : cette machine ressemble absolument à celle elle, l'accompagnent, et marchent sous un dais ; des
des puits à bascule que l'on trouve dans nos villages musiciens et des saltimbanques précèdent le cortège;
d'Europe ; la manoeuvre s'en fait en mesure, soit en ce que l'on apperçoit à travers les figures est la vue
chantant, soit en prononçant des nombres, ou en ré- de Gizéh, et de la maison de Mourat-bey, prise de
citant des louanges de Dieu ou des vertus de Mahomet: l'isle de Raoudah.
l'homme assis et qui fume est le propriétaire, qui fait N° 3. Ecole d'enfants, encore plus bruyante que
travailler à l'arrosement de ses terres, compte les celles d'Europe; ils y apprennent à lire le koran, et
pouces d'eau qui règlent le produit de sa récolte : le à recevoir des coups de bâton sous la plante des
groupe du milieu représente l'ablution et la prière que pieds. Les orientaux sont trop corrompus pour oser
les musulmans font à la pointe du jour, en se tournant se permettre de donner le fouet aux enfants; ils crain-
à l'orient, où est la Mekke et le tombeaudu prophète: droient ou de les croire trop facilemeut coupables,
les femmes viennent à cette même heure puiser de ou de le devenir eux-mêmes.
l'eau dans le Nil ; occupation qui fait l'objet cte leur
PLANCHE CIV.
premier soin.
N° 3. Autre machine à élever l'eau ; les travailleurs N° i. Serpents dont les psylles se servent pour
sont disposés de manière qu'ils puisent en se bais- leurs jongleries; lorsqu'ils sont irrités ils se dressent,
sant , élèvent l'eau en se renversant en arrière, et la comme on peut le voir dans cette figure, leur gorge
versent en lâchant une des cordes ; la même har- se gonfle, se dilate, s'aplatit; du reste ils ne sont
monie est réglée par les mêmes moyens décrits en ni méchants ni dangereux : on peut voir dans le
l'article ci-dessus; les joncs qui reçoivent le choc de journal page 71, l'usage qu'en font les psylles
,
l'eau préviennent la dégradation de ces foibles con- modernes.
structions en terre: sur le devant, à gauche, une Pline dit que le tombeaude leur roiPsyllus subsis-
jeune fille dans le costume qui leur est ordinaire jus- tait encore de son tems; il ajouteque les psylles guéris-
qu'au moment de la puberté. soient de la morsure avec leur simple salive ou par le
Des femmes viennent au fleuve puiser de l'eau, seul attouchement, du moins ils lepublioient. Selon
cachant leur visage, parcequ'il n'y a que cela, qu'il le même auteur ces peuples furent taillés en pièces
leur soit ordonné de cacher; une autre porte son parles Nasamons, leurs voisins, qui s'emparèrent de
enfant à la manière du pays : la figure à droite est leurs demeures ; mais il en échappa quelques uns à
celle d'un'porteurd'eau; l'eau est contenue dans une la défaite générale; et de son temps il y en avoit en-
outre de peau de bouc dans laquelle il la porte. core qui descendoient de ces anciens psylles.
N° 2. Trois têtes d'Arabes.J'ai pensé qu'une suite
PLANCHE CIII. de têtes des différentes nations qui habitent l'Egypte
N° i. Enterrement d'un.musulman; le corps est pouvoit intéresser la curiosité des observateurs; ces
suivides femmes de lamaison, auxquelles ensontajou- têtes, dessinées rapidement et sans avoir fait poser
tées d'autres payées pour déchirer leurs vêtements, les personnages, ont conservé la naïveté du carac-
s'arracher les cheveux, et pousser des cris lamen- tère, qu'elles auroient peut-être perdu en acquérant
( 286 )
plus de fini ; la difficulté de lire dans de si légères tête n° 4 est celle de Koraim, schérifd'Alexandrie,
esquisses, à qui n'a pas vu les modèles, m'a déter- qui commandoit dans cette ville lorsque nous y arri-
miné à graver moi-même ces têtes avec la même vâmes[(voyez le journal, pag. 16, 17 et 18): ce fut
liberté avec laquelle elles ont été dessinées. l'avarice qui trompa son esprit naturel ; il nous
Ces trois personnages étoient frères, des plus ri- trahit par la crainte de compromettre sa fortune ; il
ches et des plus puissants de Kéné, fort raisonnables quitta notre parti qu'il avoit embrassé, il devint
et fort intelligents ; ils s'étoient fort attachés à nous, criminel, et fut puni comme traître.
et vénoient continuellement nous communiquer leurs N° 2. 1. Une tête de Cophte. 2. Un esclave de là
idées sur leur conduite personnelle, et nous aviser Mekke(voyez le journal, page i52 ) : je l'ai dessiné
sur ce qui pouvoit nous être plus avantageux: j'ai- lorsque, douloureusementaffecté, il regardoit son
lois journellement dans leur maison, et j'y ai mangé maître qu'il croyoit au moment d'expirer; je re-r
plusieurs fois familièrement,arrivant au moment du grette de ne l'avoir pas dessiné lorsqu'il apprit qu'il
repas; sans interprètenous étions parvenus à nous en- ne mourroit pas, pour faire connoître à quel degré
tendre, et àétablir entre nous gaieté et cordialité: celui le physique d'un être sensible peut être changé
du milieu,que j'aimois davantage, me dit quepour être par la différence de ses affections, et comment cette
plus libres ensembleil falloit que nous établissionsune physionomie si longue, si sévère, et si triste, pou-
parenté: jeluiproposai d'être sonpere; il accepta avec voit devenir aimable et gaie. 3. Un Arabe. 4- Un
attendrissement, et, se rangeantdès-lors à son devoir, homme de loi.
il en prit le prétexte de m'envoyer à tout moment N° 3. 1. Un Arabe qui a une fluxion sur l'oeil : dans
quelques galanteries, comme des fruits tant qu'ils ces cas fréquents ils baissent leurs turbans sur
étoient rares, des parfums, du café exquis et qu'on la partie affligée, et continuent à veiller à leurs in-
ne pouvoit trouver ailleurs ; il acceptait en retour térêts. 2. Un cheikh de village. 3. Un jeune homme
avec beaucoupde grâce des choses de nulle valeur, marié de l'année, auquelpar cela il vient d'être per-
me disant toujours que je ne lui devois que protec- mis déporter la barbe; cette figure, naïve et douce,
tion et tendresse. L'esprit délicat dicte le bon ton est peut-être l'expression et le caractère le plus gé-
et les mêmes manières en Afrique comme dans les néral des jeunes gens de cet âge. En Egypte les en-
cours les plus recherchées de l'Europe. fants sont laids et débiles, et presque tous les vieil-
N° 3. Têtes de négociants de la Mekke', que j'ai lards sont beaux. Les trois têtes qui suivent sont
dessinéesà Cosséïr; leurs turbans en soie jaune et" trois vieux Mamelouks. Celui n° 4 étoit un kiachef
rouge, avec de longues franges, les coiffent d'une d'Osman-bey que nous avions fait prisonnier: il
manière patriarchale, et leur donnent un air tout-à- étoit d'origine allemande,ce qu'on voit tout d'abord;
fait imposant ; ils ajoutent à l'habit ordinaire de cinquante ans d'expatriation, et la barbe, n'avoient
musulman une large et longue béniche en laine à point encore changé en lui le caractère national.
larges bandes noires et blanches. 5. Un grave Asiatique, Mamelouk réformé, et vi-
PLANCHE CY. vant d'une pension de son maître, comme il arrive
lorsque, faute de talents ou de circonstances heu-
N° i. A droite, n° i et 2, deux membres du gou- reuses , un Mamelouk n'a jamais été dans le cas
vernement d'Alexandi-ie, dessinés le jour de notre d'être avancé en grade ; une paie de retraite et quel-
entrée dans cette ville. La tête vue de face, n° 3, ques gratifications assurent à ses derniers jours une
est celle d'un Arabe; son caractère de dignité rap- douce tranquillité, soit dans la maison du bey au--
pelle celui des têtes de Raphaël et du Poussin: ces quel il a appartenu, soit dans la maison d'un paysan,
deux grands artistes avoient sans doute fait dessi- auquel il paie pension. 6. Vieux Mamelouk de race
ner les figures des orientaux pour en caractériser maure. 7. Un Mamelouken activité,de race espagnole.
leurs sublimes conceptions, ou bien le besoin de PLANCHE CVI.
rendre ce qu'ils vouloient exprimer leur en avoit
fait deviner les belles formes et la noble gravité. La N° 1. Portrait du pacha qui commandoit les
("87)
troupes turkes au débarquement à Aboukir , en à être un Mamelouk, et qui, lorsqu'il m'échut e«
l'an 7, et qui fut fait prisonnier à la bataille du partage, faisoit sa premièreéducation au service des
7 thermidor; blessé au bras gauche, et voyant la femmes, auquel sont employés les jeunes esclaves
déroute totale des siens, il se précipita sur celui qui jusqu'au temps où on commence à les exercer aux
la causoit, et blessa le général Murât d'un coup de armes et à l'équitation.
.pistolet (voyez le journal, page 219 ).
PLANCHE CVII.
N° 2. La tête à droite, coiffée d'un turban, est celle
d'un jeune prince arabe de la race des Ababdes, qui N° 1. Le portrait du vieux kaymacan ou comman-
vint faire alliance avec nous après la défaite des Ma- dant de la gendarmerie de la province de Kéné.,
melouks à Syene (voyez le journal, page 181). Ce chez lequel nous logeâmes près Samata (voyez le
fut celui qui nous accompagna la première fois que journal, p. 189 et 190). 2 et 3. Reys ou commandant
nous allâmes à Cossé-r, et qui me donna à diner dans de barques sur le Nil. 4- Un habitant des bords du
le désert (voyez page 187 ). La tête à côté est Nil au-delà des cataractes. 5. Le fellah, l'homme
celle de son oncle; ils étoient peu basanés, fort glo- de journée, le serviteur des serviteurs, la dernière
rieux, et fort intéressés ;• leurs manières étoient ce- classe de la société.
pendant douces et polies, et leur caractèretranquille. N° 2. Un mendiant de Boulac: il savoit qu'il avoit
Le jeune homme qui a la tête nue étoit un page fa- une belle figure, et ne s'étonna pas de me la voir
vori du jeune prince; il avoit de très beaux yeux, dessiner; il faisoit semblant d'être imbécille auprès
et au premier aspect paroissoitêtre une jeune fille; de ceux seulement auxquels il pensoit que cela in-
il montoit un petit dromadaire charmant; tout son spireroit plus d'intérêt. 2 et 3. Deux têtes d'adgis
vêtement consistoit en une saie rayée, qui lui cei- maugrabins ou pèlerins du nord, revenant de la
gnoit les reins; il avoit pour armure, une lance, Mekke ; un mendiant du Caire qui avoit la barbe et
un sabre, et sur le bras gauche une javeline; ses la chevelure du Jupiter des Grecs.
cheveux, crépus et non laineux, étoient parfumés ; N° 3. Muley-Salamé, le frère aîné du roi de Ma-
noués au-dessus de la tête, ils étoient toute sa coif- roc ; il revenoit de la Mekke, et retournoit dans le
fure malgré l'ardente chaleur du tropique et du royaume où il avoit été roi, pour savoir apparem-
désert. ment ce que le sort avoit ordonné de lui ; sa démar-
N° 3. La tête à droite est celle d'un Mamelouk che étoit aussi noble que sa personne. Deux Turks.
noir, d'une grande beauté, et offrant l'aspect d'un
PLANCHE CVIII.
de ces héros africains dont l'histoire et les contes
arabes nous font concevoir l'idée. Celui du milieu N° 1. L'ichneumon, connu aussi sous le nom de
étoit un Mamelouk, appartenant au chef Elbekri, rat de Pharaon, de la famille des mangoustes ; il se
un des grands seigneurs du Caire, descendant des cache le plus souvent à travers des joncs, et se tient
talifes ; ce Mameloukétoit un de ses favoris ; il devoit dans les marais, près des villages, dont il va dérober
épouser une fille de son maître, et faisoit les hon- les poules et les oeufs: j'en ai vu de la grosseur
neurs de sa maison, lorsque, quelques jours avant d'une loutre et du même poil. L'individu que j'ai
le départ de Bonaparte, ce seigneurlui donna une dessiné étoit jeune. Ce que l'on raconte de l'antipa-
fête, à l'issue de laquelle il imagina de lui faire thie de l'ichneumon et du crocodile, que le premier
présent*du jeune homme qui l'avoit servi: par ha- non seulement mange les oeufs de l'autre, mais que,
sard il fut celui qui accompagnoit Bonaparte le jour lorsqu'il dort laiouche ouverte, il franchit son go-
qu'il partit du Caire, et fut celui de sa maison qui fut sier et va lui dévorer les intestins, est une des nom-
amené en France ; tant le sort qui agit sur toutes nos breuses fables ridicules que l'on fait du crocodile :
destinées influe plus puissamment encore sur celle^ ces deux animaux n'ont jamais rien à démêler
de cette espèce d'hommes née pour appartenir jus- ensemble; ils n'habitent point les mêmes parages.;
qu'à ce qu'elle commande! Les deux têtes à gauche on ne voit point de crocodiles dans la basse Egypte ;
sont celles d'un jeune noir de Darfour,,destiné aussi on ne voit point d'iehneumon dans la haute.
( 288 )
N° 2. Deux moines copthes (voyezl'article Cophte que le gouvernement mamelouk quitta cette ville à
dans le journal, page 46 ): le troisième à droite est l'approché de notre armée: le premier, à gauche,
Malem Jacob, personnage distingué et d'un mérite fut choisi, parcequ'il était brave, et avoit ramené
remarquable ; -il avoit fait les campagnes de Mourat- une fois les femmes de Rosette, qui, allant pleurer
bey dans les guerres de ce bey contre les Turks, et hors la ville sur les tombeaux de-leurs, parents,
en étoit fort estimé et fort regretté ; il avoit embrassé avoient été enlevées par les Arabes du désert; le
notre parti, et y a été constamment fidèle; il respec- second, parcequ'il étoit le plus doux et le meilleur;
tait Desaix, et lui étoit très attaché; il fit avec lui, le troisième, parcequ'il étoit éclairé; le quatrième,
comme intendant-général, toute l'expédition de la parceque c'étoit le personnage le plus riche et le plus
haute Egypte, et nous fut toujours d'une grande distingué. Peut-on mieux composerun corps des 'dé-
utilité: il jouissoit d'une fortune considérable, et cisions duquel la société va dépendre? Si chacun de
d'une haute considérationdans le pays ; il déployoit ces hommes avoit eu les qualités de tous les quatre,
un faste oriental, qui étoit d'une opposition très re- l'harmonie de l'ensemble n'eût peut-être pas été aussi
marquable avec la simplicité de son général. Lors- parfaite.
qu'il apprit qu'après la mort de Desaix on s'occupoit
PLANCHE CX.
de lui élever un tombeau, il écrivit qu'à quelque
somme que pussent s'élever les frais de-ce monu- N° 1. Têtes d'Arabes.
ment , il s'engageoit à en payer le tiers, à condition Toute la première file a été prise à une assemblée
qu'on inscriroit sur le mausolée que Malem Jacob, de notables dans le moment qu'on leur faisoit lecture
l'ami de Desaix, avoit toujours combattu près de d'un manifeste.
lui. H y a dans le sentiment de cette phrase autant Les deux premiers de la seconde file, deux cheikhs
de sensibilité que d'amourde la belle gloire. Ce brave de Fua, dans la basse Egypte: le troisième, le do-
homme, ce prodige de sa race, qui avoit suivi les mestiquequi m'a servi dans toute l'expédition, aussi
Français dans leur retraite, mourut dans la traversée; distingué par le caractère moral que par la noblesse
et les "dernières paroles qu'il prononça furent pour des formes; il avoit non seulementtoutes les qualités
demander que son corps fût déposé dans le tombeau qu'on recherchedans un serviteur, mais toutes celles
de Desaix. qu'on peut désirer dans un ami : il n'a renoncé à me
• N° 3. 1, 2, 3. Trois autres Cophtes. 4, 5, sont suivre que parcequ'il n'a pu résister aux justes re-
des cheikhs arabes. 7. Le bon et honnête cheikh du grets et aux larmes de sa uiere ; c'est le seul être qui
village de Chaabbas-Amrs, dont je parle dans mon m'en ait fait verser en quittant l'Egypte: je ne me
journal, pages 56 et 57. consolaide le perdre qu'en lui donnant tant de choses,
PLANCHE CIX. que toutes rassembléesje pusse penser que je lui as-
surais une petite fortune.
N° 1. Un poisson du Nil, dont toute la peau du N° 2. 1. Un moine grec. 2. Un Juif de Jéru-
ventre fait une seconde vessie. salem (voyez le journal, page 48). 3. Un primat
N° 2. Etude d'une tête de chameau, qui crie lors- d'Alexandrie, homme plein d'esprit, de noblesse, et
qu'on le charge trop ou qu'on le charge mal ; car ce de grâce, mais dont toutes les qualités étoient gâ-
bon animal ne se plaint que de l'injustice, encore tées par un orgueil désordonné. 4- Un autre, Grec
faut-il qu'elle soit extrême. de Rosette ( voyez l'article des Grecs dans le journal,
N° 3. Tête d'un Arabe bédouin ( voyez le journal, page 47 )•
page 3i ). 2. Un cheikh de Fua; son teint brun et PLANCHE CXI.
sa barbe blanche faisoientun beau contraste ; ils m'of-
froient l'image de Laban. 3 et 4. Deux frères cheikhs N° 1. La sauterelle du désert, la plaie de l'E-
de Ballasse, d'un caractère raphaélesque. gypte. Elle ne doit point être confondue avec les
N° 4- Quatre Arabe». Ce furent ceux qui furent autres sauterelles grises, dont les champs , et parti-
,
nommés municipaux par le peuple de Rosette lors. culièrement ceux de la basse Egypte, sont couverts,
( **9 )
sans qu'elles'y causent aucun désastre : celles-ci, cou- d'un effet très favorable au mouvement de Pair ; celles
leur de rose et noir, de la même grandeur de l'es- qui dansent ont lé plus souveht à la main des casta-
tampe , sont vraiment un fléau ; elles sortent du dé- gnettes, qui ont la forme de petites cimbales du
sert, passent et ravagent comme un torrent dévasta- diamètre d'un écu (voyez l'article Aimés page 5i ).
,
teur. Je rie puis juger si dans une saison où elles au- N° 2. Toutes ces têtes sont celles de cheikhs de
raient trouvépâture elles se seroient fixées davantage; -Kournou, que j'ai dessinées pendant le dernier sé-
mais ,.dans la saison sèche où je vis arriver la colo- jour que j'ai fait à Thebes ( voyez le journal,
nie, elles avoient l'inquiétude et l'instabilité de la page212).
faim qui ne trouve rien à dévorer ; sauvages comme
le pays d'où elles sortent, elles sont sèches et vigou-
PLANCHE CXIII.
reuses comme les autres habitants du désert (voyez Des fragments d'hiéroglyphes quej'airapportésde
le journal, page i8ï). Thebes ; je les ai dessinés de grandeur'naturelle,
N° 2. Vieillard aveugle conduit par un enfant; pour faire connoitre le style, le caractère, et les dif-
groupe qui, pour être malheureusement trop répété férents genres de ces espèces de bas-reliefs soignés
,
en Egypte, n'en est pas moins touchant. dans leur exécution comme de l'orfèvrerie; ces frag-
N0 3. Tête d'un mendiant du Caire. Il parcou- ments viennent de tombeaux particuliers, situés à
rait les rues tout hu, et chaque partie de son corps mi-côte de la chaîne libyque, à l'ouest de Thebes,
avoit, comme sa tête, tout le caractère du Silène an- creusés dans une roche de pierre calcaire argilleuse,
tique ; je le vis le jour de l'insurrection, et j'espé- et sculptés dans la masse du rocher.
rois trouver un moment plus opportun pour le des- Toute fantastique qu'est la tête du lion, n° 2, le
siner tout entier : je ne sais s'il fut victime de cet earactere en est grand, sévère, et monumental; la
événement, mais je ne l'ai plus revu depuis. 2, tête de serpent, celle de gazelle, et celle d'épervier,
3, et 4, sont trois croisés de la Mekke ;" c'étaient sont pleines de vie, et ont la souplesse et le moel-
de beaux et vigoureux hommes, que le malheur des leux de la nature : on n'auroit qu'un seul fragment
circonstances nous obligeoit de regarder avec hor- antiquecomme un de ceux-là qu'il faudraitpenser que
reur. la nation qui l'a produit étoit très avancée dans les
Le n° 5 est un habitant de Benhoute; j'ai dessiné arts. ,.
tous ces personnages pendant et après le siège du La grosse tête qui est au milieu, sculptée en creux
château de ce village (voyez page i5i ). et relief, est peinte ; sa physionomie peut servir de
PLANCHE CXII. type au caractère des figures hiéroglyphiques,qui,
selon toute apparence, étoit national, les Egyptiens
N° 1. Fête dans l'intérieur du harem. Dans des in- paroissant n'avoir rien emprunté des autres nations
stants de faveur le mari, le maître, le seigneur, fait dans les arts.
venir des aimés pour réjouir la femme qui est deve- J'ai pensé que cette planche à la tête de la collec-
nue enceinte, ou qui lui a donné un fils ; celle-ci cou- tion des hiéroglyphes pourrait lui servir comme de
chée entre les jambes de son époux lui présente le frontispice, faire voir de près et presque toucher les
sorbet, tandis qu'il fume et fait exécuter des danses objets dont on n'alloit voir que le simple trait.
voluptueuses : les aimés alternativement dansent,
chantent, et jouent des instruments. Les figures à PLANCHE CXIV.
gauche sont des esclaves qui tiennent des rafraîchis- Cette planche est composée d'une espèce de col-
sements : sur le devant, une Négresse joue sur de lection de figures, prises isolément par-tout où j'en
petites timbales : plus en avant encore- est un profu- ai rencontré que je n'avois
pas encore vues. Le
matoire : à droite, un candélabre à l'usage du pays : nombre de serpents qui commencent du n° 1 jus-
l'instrument dont joue le dernier personnage à droite qu'au n° i3 sont pris à Latopolis,
au plafond du
est un petit tambour en terre cuite, sur lequel on portique du temple, qui est sur la place du ba-
frappe plus ou moins fort avec les doigts ce qui est zarda Esnê. On pourrait ranger toutes les autres
,
37
(290)
figures dans la classe de celles qui tiennentle milieu ceux qui voudront bien prendre mes figures pour
entre la figure hiéroglyphique et lé caractère cursif, autorité.
et l'on pourrait appeler cette catégorie caractères
ihscriptifs. Les n°. 18 et 21 sont des figures sim-
PLANCHE CXV.
plifiées se rapprochant du caractère de l'écriture : Une autre collection de toutes les coiffures em-
,
celle 22, est une espèce de lézard, particulier à blématiques et hiéroglyphiques, prises par-tout où
l'Egypte, et que l'on voit le plus souvent dans les j'ai trouvé des différences. J'ai pu remarquer que
maisons; je ne l'ai jamais vu sculpté qu'une fois, la plupart de ces coiffures non seulement étoient
à la partie extérieure du grand temple de Tintyra. posées sur la tête des divinités, mais encore sur celle
Le n° 23 est une étoile personnifiée; je ne l'ai vue des prêtres et des héros triomphateurs, et qu'elles
de même qu'une seule fois. Les n° 3i, 32, 34, et étoient différentes suivant la fonction ou la circon-
39, sont des figures souvent répétées, qui, plus stance de la fonction du culte de telle ou telle divi-
simplifiées, sont devenues des lettres. n° 40. Une nité : j'en ai trouvé en bois doré, en pierre dure, en
outre : je l'ai trouvée souvent. n° 41 • Deux figures pâte, et en porcelaine, ayant toutes un anneau qui
groupées, et dans un mouvement qui par-tout ail- les rendoit susceptibles d'être portées ; j'en ai vu
leurs les feroit croire du quinzième siècle, et de attachées au cou des momies, et qui pourraient faire
l'école de Michel-Ange: j'ai trouvé deux fois ce croire que c'étoient des amulettes indiquant telle ou
"Tnême caractère dans le temple d'Apollinopolis telle divinité, ou une marque dé dignité indiquant
magna à Etfu. Lés n° 47 et 54, l'emblème de la le grade d'initiation où étoit arrivé celui qui la.
.
génération; il me semble que les Égyptiens n'ont portait.
eu aucun scrupule à exprimer cette idée par la Même planche, au-dessous des têtes, est encore
figure de la chose même : j'ai trouvé ces signes scul- une autre collection faite de tous les vases que j'ai
ptés dans les temples, et souvent répétés. Je crois trouvés sculptés dans les tableaux hiéroglyphiques
les n° 5o et 71 un nilometre. Le n° 77 m'a semblé de tous les différents monuments de l'Egypte ; les
un ballot, qui pourroit être l'emblèmedu commerce ; n° 3,6,8, 10, 13, 1.9, ne sont pas moins élégants
78, une Isis, emblème de l'eau, ou le Nil lui-même; que les vases étrusques, ou, pour mieuxdire, les vases
79,un pigeon portant des tablettes; voilà des an- grecs, trouvés en Italie, et qui, comme on peut le
cêtres trouvés à ceux de Damas : je n'ai rencontré voir, ne sont autre chose que des vases égyptiens;
ce signe qu'une seule fois à Tintyra. n°~8o. Une tête et ainsi peu-à-peu les arts des autres nations ne sont
avec l'expression de l'effroi, qui sort du caractère que les dépouilles de ceuxdes Egyptiens. Le n° 3i
égyptien ; elle est cependant très souvent répétée est la jarre, de même forme, montée en charpente,
parmi les figures isolées, n° 100. Un temple mono- comme celle dont on se sert actuellement en
lite, fermé, etc., etc. Egypte.
Tout ce que j'ai hasardé sur ces.signes ne sont
PLANCHE CXVI.
que les idées que la vue,.le nombre, la comparai-
son, le lieu où je les ai trouvés, m'ont fait naître , Frises emblématiquesde différents temples égyp-
et je les abandonne absolument aux systèmes lumi- tiens.
neux des savants qui se sont occupés de ce genre N° 1. Hiéroglyphes qui décorent la corniche exté-
d'observation: je me trouveraiassez glorieux d'avoir rieure de la nef du grand temple de Tintyra ; cet
été dans le cas de fournir de nouveaux objets à leurs ornement, en se répétant, fait le tour de cette partie
doctes recherches. du monument. La figure du milieu est la tête d'Isis
J'ai écrit le nom en abrégé de tous les lieux où avec ses attributs ; on la trouve répétée par-tout
j'ai trouvé ces différents caractères; ceux où il n'y dans ce temple, qui lui étoit sans doute dédié. Les
a point de nom continuent d'être du même lieU d'où deux grands oiseaux ont une tête de vautour, sans
est le dernier inscrit. J'ai mis des numéro à tous , plumes, sortant d'une espèce d'oeuf qui lui sert de
pour aider les citations dans les dissertations de corps : cet oiseau est souvent répété dans toutes
091)
sortes d'attitudes.dans les plafonds, les ailes éten- de Tintyra ( voyez le plan de Tintyra, planche XL,
dues, tenant dans les pattes l'espèce de bâton avec n° 1 ). Cette décoration représente lé lotus dans trois
la palme que l'on voit ici en avant ; il accompagne instants du développement de la floraison de cette
aussi les héros et les rois dans les bas-reliefs repré- plante. L'épervier sur un autel est pris pour Osiris
sentant les victoires et les triomphes, et semble alors ou le soleil ; la lune de l'autre côté ; un ibis sur des lo-
un génie protecteur. tus , autre emblème de l'inondationou de l'entrée du
Le n» 2 est la frise intérieuredu temple près l'isle Nil dans les canaux; car le lotus n'a rapport qu'aux
de Philée (voyez planche LXXII, n° i ). canaux, puisqu'il ne croît que dans l'eau stagnante,
N° 3. Frise du typhonium de Tintyra ( voyez et ne se trouve jamais dans le courant du fleuve.
planche XXXVIII, n° 3 ), ou du templedédiéà Isis, Le n», 6, ornement de la frise intérieuredu typho-
victorieuse de Typhon le mauvais génie ou le vent nium d'Apollinopolis magna, petit temple, situé
,
d'ouest; il a une tête de vieillard, le corps gras et près du grand temple (voyez planche LVII, n° 1):
de la forme de celui d'un enfant, une queue qui va il doit avoir la même signification que celui ci-des-
en grossissant et qui est aussi longue que les jambes ; sus , n° 3. Il y a de plus trois figures, que, vu l'em-
il est toujours coiffé du même ornement: celui qui ploi répété le plus souvent lorsqu'il est question de
lui fait pendant est une divinité du même genre; l'inondation,je croirais être des vases d'eau lustrale
la tête a tout à la fois le caractère du chien, du ou offrandes d'eau du Nil lors de sa croissance.
cochon, et du crocodile; il aies mamelles pendantes N°7. Riche et très agréable frise, qui décore la
comme les femmes égyptiennes, un gros ventre, et pièce ouverte qui est près de celle où est le plani-
des pattes de lion : cette figure, aussi répétée que sphère céleste, dans le petit appartement situé sur le
l'autre et l'accompagnant pour le plus souvent, m'a grand temple de Tintyra (voyezle plan, pi. CXXX,
paru être la divinité du temple d'Hermontis ( voyez n° 1, lettre C ). Le globe qui est au centre doit être
planche CXX, n° 4 )• On trouve fréquemment des le soleil, d'où part le faisceau de lumière qui vient
figures de ces deux divinités en forme d'amulettes tomber sur la terre : j'ai été si souvent dans le cas
,
en pâte de verre de couleur, et en porcelaine : j'en de m'assurer de cette opinion sur ces deux figures,
ai rapporté que j'ai dessinées de grandeur naturelle que je crois pouvoir la donner comme irrévocable:
( voyez pi. XCVI, n° 37 et 38 ). Elles étoient très ré- cette espèce de pluie de globules triangulaires décore
vérées, soit pour le bien qu'on en attendoit, soit poul- l'embrasurede presque tous les larmiers ou fenêtres
ie mal qu'on en pouvoit craindre soit également qui donnent de la lumière dans l'intérieur des
,
pour les deux causes ; car je les crois l'emblème des temples.
deux vents qui produisent l'inondation, et peuvent Les n° 8 et 9 sont deux frises d'un temple qui est
la rendre ou insuffisante ou trop considérable. sur une isle près de celle de Philée (voy. pi. LXXII,
Il est à présumer que la figure qui est au milieu n° 1 ).
de ces deux monstres, assise sur une fleur de lotus N° 10. Cette figure, ainsi répétée, décore la cor-
à demi épanouie, est celle d'Isis, ou la bonne di- niche de la galerie qui est autour du Typhonium de
vinité qui a obtenu de ces deux redoutables dieux
,
Tintyra; c'est la tête du Typhon, avec les attributs
l'équilibre des eaux, qui fait fleurir le lotus dans de la divinité, tels que l'ornementdu dé qui est au-
les canaux quand l'inondation est parfaite. dessous des chapiteaux du grand temple dédié à Isis :
Le n° 4 est l'ornementvde la frise du tout petit les petites têtes de huppes, qui sont au-dessus des
temple de l'isle de Philée; l'effet dans la nature est bâtons, que tiennent le plus souvent les divinités
aussi riche qu'agréable : les artistes égyptiens ont égyptiennes, sont ajoutées ici au portique qui cou-,
avec un art tout particulier su allier la signification ronneledieu.
del'emblème au bon goût de la décoration.
Le n° 5 en est encoreune preuve; c'estla décoration
PLANCHE CXVII.
du soubassement intérieur de la chambre du milieu Une secondeplanche de frises emblématiques.
du petit temple qui est situé derrièrele grand temple N° i. L'ornement qui décore la partie supérieure
( m)
de ia principale porte de la nef du temple d'Apôlli- nativement, pouvoient être le soleil, la divinité,
nopolis magna : le soleil qui répand sa lumière
sur avec un attribut de circonstance:je croirais qu'ici
la terre; opinion d'kutantplus probable les ailes étoient le ciel qui enveloppe la terre; les sca-
que le tem-
ple étoit dédié à Apollou, et que le lieu où est cet rabées, la divinité ou le soleil; et le serpent, la pro-
or-
nement est-un des plus remarquables; des ailes au vidence ou la sagesse qui règle tout : ce qui déter-
soleil sont peut-être l'emblème de son mouvement, mine encore mon) yinion, c'est que cette figure est
de sa marche autour de la terre, dont la figure est voisine d'autres figures astronomiques.
au-dessous ; le scarabéeailé, surmonté de deux têtes N° 8. Autres ornements des colonnes du temple
de serpents, qui est sur la figure de la terre, autre de Tintyra, citées au n° 2 de cette planche.
emblème de la sagesse, du courage, et de l'industrie, N° 9. Soubassementdu temple qui est près de l'isle
qui sont les attributs de la terre; l'espèce de noeud de Philée : cet ajustement ingénieux de deux signes
qui forme un anneau autour de la queue du grand sacrés est d'un excellent effet; ce bâton terminé par
serpent ailé se trouve presque par-tout; il est joint une tête, qui a plus l'air d'une tête de huppe que
à toutes les palmes que l'on porte dans les cérémo- de toute autre chose, est toujours, à la main de quel-
nies, au bâton que l'on met à la main des divinités
; ques div/ lités. La huppe est un des oiseaux les plus
il enferme nombre d'inscriptions de celles qui abondants de l'Egypte, et y est familière jusqu'à
, pa-
raissent par leur position être les plus sentencieir«es. devenir presque domestique; les anciens Égyptiens
N° 2. Un des ornements qui entourent par bandes lui auront peut-être attribué quelque qualité dont
le fût des colonnes de Tintyra (planche XL, n° 4 )• elle sera devenue l'emblème. L'autre figure à laquelle
N° 3. Tables d'offrandes avec des vases, enlacés
sa forme a fait donner le nom du tau grec, et que
de fleurs de lotus en bouton ; cet ornement est scul- l'on a cru, je ne sais pourquoi, être un phallum, à
pté en bas-relief sur les tablettes qui engagent les tons les rapprochements que j'ai pu en faire, est la
colonnes du temple ouvert de Philée, et lui servoient clef des digues ou des canaux, l'emblème de l'inon-
de clôture. dation et pour l'Egypte le signe du plus grand biem-
,
N° 4- L'ornement du soubassementd'un des tem- fait de la divinité.
ples de Tintyra, composé de la tige du lotus, du
bouton, de cette fleur au moment où elle s'épanouit, PLANCHE C XVIII.
et à celui où la floraison est à sa perfection. N° 1. La face orientale de l'obélisque qui est
N° 5. L'ornement qui décore toutes les corniches devant le temple de Luxor (voyez planche L, n° 1 ).
du grand temple d'Apollinopolis magna. J'àurois désiré avoir le temps de dessiner les quatre-
N° 6. J'ai trouvé très souvent cette figure sans faces, qui différent entre elles, excepté pour les pre-
que rien ait pu m'en indiquerla signification ; je l'ai mières figures du sommet, qui sont sans doute une
trouvée en soubassementsrassemblés, comme on les espèce de protocole de la dédicace du monument'
voit ici; j'en ai trouvé d'isolées avec d'autres hiéro- j'ai pensé qu'il serait avantageux d'avoir cette in-
glyphes servant à l'écriture ; j'en ai trouvé scription pour l'ajouter à la suite de celles que l'on
en ta-
bleaux dans le sacré du temple d'Hermontis.
a des obélisques qui sont à Rome et ailleurs.
N° 7. Ornement peint dans le plafond du porti- Le travail de celles-ci est d'une telle franchise,
que du temple principal de Philée. La figure de des- que l'on doit croire que les Égyptiens avoient une
sous est celle de la terre sur une barque : ce qui si- trempe particulière pour les outils à tailler le granit;
gnifierait que les Égyptiens donnoient aussi toute cette sculpture est en creux et relief, de deux
un
à
mouvement la terre; la petite divinité à la pouppe pouces de profondeur, et d'une conservation mer-
,en dirige le mouvement. Les Égyptiens ont toujours veilleuse.
exprimé le mouvement par un bateau, ce qui est N° 2. Ce fragment est le torse d'une statue colos-

naturel à un peuple qui vit toute l'année, ou sur le sale, en marbre blanc, placée en dedans d'une des
bord d'un fleuve, ou au milieu d'un débordement ;" portes du grand temple de Karnak ; il a celte parti-
le scarabée, le vautour, le globe ailé, employés alter- cularité d'avoir une ceinture dans laquelle est passé.
( 293 )
ttn poignard à la manière orientale : j'ai mis au bas N° 7. Une inscription du même genre que la pré-
la petite inscription gravée sur le médaillon qui dé- cédente, gravée sur la partie supérieure du bras du
core cette ceinture. colosse renversé, qui est près du Memnonium, à
N° 3. Inscription, prise sûr le chambranle de la Thebes ( voyez planche XLII, n° 5, et pi. XLV,
porte, d'un petit temple monolite en granit noir, n° 2 ). Cette inscription, qui est sculptée d'un pouce
dont on trouve les restes à Apollinopoiis parva ou de profondeur, et qui a plus de 4 pieds de hauteur,
Kous. Ce fragment, si on parvient à le lire, indi- ne fait pas plus d'effet sur la masse totale de cette
quera l'usage de ces petits sanctuaires; la lettre A figure gigantesque qu'un chiffre tatoué sur le bras
indique le commencement de l'inscription, qui se d'un être vivant.
prolonge en droite ligne à la lettre B, et se continue S'il étoit possible de lire cette dédicace, elle apla-
à la lettre C jusqu'à la lettre D, n° 3 bis, que le nirait peut-être toutes les questions,. et lèverait
monumentest roriipu; la perfection de ces hiérogly- tous les doutes sur la situation des statues, palais,
phes est telle, soit par le style du dessin, soit par la tombeaux, et.temples de Memnon et d'Ossimandue.
précision de l'exécution, que, n'eût-on trouvé que
PLANCHE CXIX.
ce seul fragment en Egypte, il ne serait pas permis
de, douter que la nation qui l'a anciennement habitée Enseignes militaires,bâton augurai, et autres em-
n'eût connu les arts, et n'eût porté leur perfection blèmes.
à un haut degré. N° 1. Figure de vautour; l'aile est abaissée de
N° 4- Une inscription, trouvée à Thebes sur une cette manière, lorsque dans les combats ou dans le»
statue fragmentée. triomphes il accompagne, dirige, ou protègeles héros.
N° 5. Une grande figure en bas-relief, sur le pla- N° 2. C'est ainsi qu'on voit le même oiseau sur la
fond, de la chambre où est le planisphère céleste, frise des portiques des temples, ou sur les plates-
dans le petit appartementqui est sur le grand temple bandes des plafonds des portiques.
de Tintyra (voyez le plan, planche CXXX, n° i ); N° 3. Un épervier faisant le même office que le
cette figure tient tout le diamètre du plafond de vautour n° 1, et quelquefois conjointement avec lui.
cette pièce; quoique fragmentée comme on peut le N° 4. Une tête de chien, et une tête de loup ou
voir, elle offre encore un contour bien roulant, et chakalïur un corps d'épervier, en adoration devant
de belles proportions ; ses pieds,, conservés, sont du un scarabée à deux tètes de lien, pris sur une des
plus beau style ; elle né présente aucun attribut, frises du temple d'Apollinopolis.
excepté un collier, que j'ai vu souvent aux figures N° 7. Espèces d'enseignes, prises à Tintyra.
d'Isis ; la chevelure est frisée en forme de tire- N° 5. Ustensile à présenter l'encens ou autre of-
bouchon ; les deux inscriptionslatérales sont exactes. frande.
N° 6. Une inscription monumentale, gravée pro- N° 6. Autre espèce d'encensoirou vase à présenter
fondément et avec soin sur le rocher de granit qui une liqueur enflammée, dont on faisoit hommage
est auprès de l'isle de Philée (voyez la vue, plan- aux dieux dans les cérémonies religieuses, ou aux
che LXXII, n° 3, et la situationdans la carte, lettreL,. héros dans leurs triomphes ( voyez-en l'usage plan-
planche LXX ). Il y avoit plusieurs espèces de ces che CXXXIV, n° 9 et 29.); la petite figure à genoux
inscriptions; les unes qui n'étaient que tracées;, les achevé de l'indiquer : devant les portiques des tem-
autres qui étoient monumentales, comme celles-ci, ples , des figures colossales tiennent souvent de ces
gravées de près d'un pouce de profondeur : ces in- espèces d'instruments; les têtes d'animaux qui ter-
scriptions étoient sans doute des consécrations ou des minent leurs manches indiquent sans doute au culte
dédicaces.•Cette roche extraordinaire, à laquelle la de quelle divinité ils étoient consacrés.
nature avoit donné la forme d'un siège gigantesque, et N° 12. Ornements placés à côté des portes, et qui
auquel on avoit ajouté le travaild'un escalierpris dans par leurs formes redressoient la perpendiculaire,
la masse, étoit peut-être consacrée aux cinq divinités perdue par le talus des chambranles : j'ai pris celui-ci
dont les images sont tracées au-dessus de l'inscription. à côté de la porte du sanctuaire, dans le portique
{ 294 )
d'Apollinopoiis magna; il est aussi gracieux par sa N» i3. Bâton surmonté de la tête d'ïsis, et d'Un
forme qu'ingénieux par son usage; le serpent s'en- petit temple, dans lequel est la figure d'Osiris.
roule très agréablement autour de ces tiges de lotus
PLANCHE CXX.
portant les trois époques de la floraison de cette
plante. N° 1. Quatre hommes enchaînés et menacés d'un
Le n° i4 jusqu'à 24 sont des figures qui ont été dard. Est-ce un sacrifice humain? est-ce la puissance,
prises isolément dans le petit appartement qui est ou la domination? c'est ce que nous expliqueraient
sur le temple de Tintyra ( voyez le plan, 11° 1, plan- sans doute les deux petites inscriptions qui y sont
che CXXX, dans la chambrelettre A). A la forme de jointes. Ce sont ces inscriptions qui m'ont souvent
ces figures, à la banderolle qui est à chaque bâton, à . déterminé dans le choix que j'ai fait des tableaux
l'usage que j'en ai vu dans le triomphe sculpté dans hiéroglyphiques^ je les ai dessinées dans l'espérance
le palais de Médinet-Abou, n° 32, planche CXXXIV, que quelque jour on pourrait les lire, et qu'elles expli-
ce ne peut être que des bannières religieuses ou des queraientles figures : celle-ci est sur le mur extérieur
enseignes militaires; elles sont chargées de tous les du grand temple de Tintyra, à la partie latérale au>
animauxqui sontles emblèmesde la divinité.La figure sud.
19, très soignée d'exécution, doit donner l'idée juste. N° 4. Un génie bien ou mal-faisant, tenant des
de la forme de l'ibis, constatée par celle des osse- ciseaux à la main : lorsqu'il est représenté en action
ments que j'ai trouvés en développant une des mo- de faire usage de cet instrument, c'est le plus sou-
mies de cet oiseau ( voyez pi. XCIX ). Ces figures vent pour couper les tiges de lotus ; ce qui pourrait
d'animaux sont dessinées d'une manière bien supé- le faire prendre pour le dessèchement des canaUx,
rieure à celles des divinités et des figures humaines; pour le vent d'ouest, celui qui nuit au débordement,
j'ai cherché à les imiter avec fidélité, et en cela j'ai le grand fléau de l'Egypte, ou pour celui qui donne
été secondé dans la gravure par le citoyen Galien, le trop ou le trop peu de la pluie qui produit le dé-
jeune artiste plein de zèle, de talents, et de vertus, bordement; c'est peut-être sous cet emblème qu'il a
que j'ai été dans le cas de regretter pour lui, pour un gros ventre et de longues mamelles, donnant ou
moi, et pour mon ouvrage, au milieu de l'exécution retenant l'abondance : il est là comme divinité sous
duquel une mort prématurée l'a ravi inopinément à un portique qui a presque toujours cette forme dans
ses amis, et à une famille dont il étoit l'idole: je les bas-reliefs égyptiens. Cette figure, qui a été prise
voudrois pouvoir rendre à sa mémoire le tribut dans l'intérieur du temple d'Hermontis, y est si sou-
de reconnoissance que je dois à ses soins, et faire vent répétée qu'elle paroît en être la divinité.
oonnoître les regrets que les arts doivent à sa N° 6. Le sacrifice d'une antélope, espèce de ga-
perte. zelle , chèvre d'Afrique, commune dans l'Egypte :
N° 8. Bâton augurai, espèce de crosse que l'on le sacrificateur a une coiffure emblématique; l'in-
voit très souvent à la main des diverses divinités ; j'ai scription qui est au-dessous est sans doute expli-
dessiné celui-ci avec exactitude d'après une figure cative : j'ai pris ce tableau sur le mur extérieur de la
colossale qui est sculptée sur le mur extérieur du nef du grand temple de Tintyra.
fend du grand temple de Tintyra; la tête ressemble N° 2. Cet emblème extraordinaire est sculpté sur
à celle d'une huppe ou du canard huppé; il est tou- le mur de la troisièmechambre du petit appartement
jours terminé par une double pointe. qui est sur le comble du grand temple de Tintyra
N° 9. Un bâton à quadruple emblème, que j'ai ( voyez planche CXXX, n° 1, lettre A).
trouvé sculpté contre le mur intérieur du sacré du N° 3. Lafigured'ïsis avec tous ses attributs,ayant
temple d'Éléphantine. sur la tête un temple, le disque de lajune, les cornes
N° 10. Bâton terminé par une fleur de lotus, que de la vache, le vautour, dont les ailes lui servent de
portoient peut-être les simples initiés, les dieux, et coiffure, les cuisses et les jambes couvertes des ailes
les prêtres. de l'épervier, le corps et l'épaule gauche couverts
N° 11. Espèce d'enseigne(voyez n° 7 ). d'écaillés de poisson ; assise sur un tronc décoré de
(a95)
tige de lotus, en tenank.upe fleur pour sceptre, et N° a. La tête à part de la figure n° 6, même plan-
de l'autre main une clefdés canaux, enfin tout ce qui che ; je l'ai faite portrait, parcequ'elleen avoit le ca-
parle de l'eau, de l'inondation, de tout ce qui produit ractère, et qu'il m'a paru national par la compa-
et fait germer, le rassemblement de tous les attributs raison que j'ai été dans le cas d'en faire toutes les
de cette divinité bienfaisante : celle-ci, très bien fois que les figures étoient humaines et non emblé-
sculptée et très bien conservée, existe de grandeur matiques.
humaine au sud de la partie latérale du grand temple N° 3. Un temple sur un bateau; c'est la seule fois
de Tintyra. que j'ai vu un signe rayonnant. Si cette figure étoit
N° 5. Une divinité, qui ressemble à Harpocrate, celle du soleil, on pourroit penser que les Égyptiens,
accroupie sUr une fleur de lotus ; cette figure, trouvée dans leur système planétaire donnoient du mou-
pendant notre séjour à Syene dans l'isle d'Éléphan.- vement à cet astre, puisque la barque en est tou-
tine, appartient au général Belliard; elle est de la jours l'emblème. Cet emblème, posé sur un autel,
grandeur du dessin ; la tige de la fleur de lotus étoit étoit peut-être porté sur les épaules dans les fonc-
creusée pour recevoir un manche, et servir comme tions religieuses, comme on peut le présumer à sa
bâton dans quelques fonctions religieuses: ce bronze, forme; il est sculpté sur les murs de la troisième
du plus beau jet, parfaitement réparé, et couvert de chambre du petit appartement qui est sur le comble
la patine la plus moelleuse, peut servir de preuve du grand temple de Tintyra. Tout ce qui vient de
que l'art de la fonderie étoit dans sa perfection en ce réduit mérite la plus scrupuleuse attention, parce-
Egypte, si le monument est égyptien ; et s'il est ro- que la perfection de l'art dans tout ce qui y est exé-
main , que cette colonie y avoit adopté le culte du cuté est toujours ajoutée au mystère que le sujet
pays, et y avoit professé les arts du superflu. peut renfermer.
N° 7- J'ai rencontré plusieurs fois cette figure N° 4- Divinité, que j'ai rencontrée souvent dans
sculptée en proportion gigantesque à côté des portes les tableaux hiéroglyphiques représentée toujours
des temples des dieux et des palais des rois ; il est à grasse et sans avant-bras; ses deux jambes sont
présumer que c'est l'emblème de la force, ou du pou- réunies dans une gaine ; celle-ci a cela de particulier
voir attribué à la divinité, ou à la souveraineté; et qu'il lui sort de la nuque un lotus flétri. Seroit-ce
dans ce-cas on pourroit croire que le gouvernement encore un mauvais vent engraissé des désastres de
du pays, sans attendre l'obéissance de la persuasion, la terre?
la commandoit par la force et la terreur. N° 5. La terre au pouvoir de Typhon. Seroit-ce
N° 8. Figure de cinq pieds et demi, prise sur le l'emblème du vent dévorant, appelé maintenant le
comble du principal temple de l'isle de Philée. kamsin, qui règne dans les mois d'avril et mai, qui
précèdent l'inondation? pendant ces deux mois l'E-
PLANCHE CXXI.
gypte desséchée offre un aspect plus triste et plus
N° 1. Ce tableau a plutôt l'air de la représentation douloureux que celui des mois de nos plus rigou-
d'un événement que d'un emblème hiéroglyphique ; reux hivers : à côté est la figure de l'a reproduction
je l'ai trouvé contre le mur de la nef du petit temple ou la nature toujours en érection; elle est représentée
d'Éléphantine ( voyez planche LXV, n° 2 ) : il est tenant à la main un fléau : c'étoit une des-principales
fruste et dégradé; il m'a semblé représenter un héros divinités des-Égyptiens, celle à laquelleétoit consacré
qui vient de tuer un brigand, et des gens qui lui en le grand temple de Karnak, à Thebes. Elle est ici
rendent grâce, ou qui lui font un serment: c'est la portée par douze prêtres, couverte d'un tapis parse-
seule fois que j'ai vu de tels vêtements ; ils ne pa- mé de fleurs de lotus épanouies, qui annoncent
raissent point être égyptiens; c'est la seule fois que l'époque de la récolte ou de la maturité. Ce tableau
j'ai vu trois figures se grouper avec expression. Si est sculpté dans l'intérieur du temple d'Hermontis
je ne l'eusse vu en place, le style ne m'auroit point (voyez planche LI, n° 1, 2 et 3 ).
rappelé la sculpture égyptienne, et j'aurois douté de N° 6. Figure sculptée sur le mur de l'escalier
son intégrité. intérieur qui monte au comble du temple de Tintyra:
(296)
(voyezplanche XL, n° 8); elle est en acte d'adoration: différents degrés d'initiations pour, arriver à la con-
elle peut donner une idée du costume civil; une noissance parfaite des mystères d'ïsis, le principe
calotte juste remplace les cheveux, les bras et le de tout, dont les signes emblématiques sont au-dessus
corps'nus ou couverts d'une chemisette juste, par- du mât.
dessus laquelle deux bretelles portent un vêtement N° g. Figure d'un prêtre portant un emblème sa^-
croisé, rayé, et brodé; une ceinture en métal ciselé cré, sculpté sur une face intérieure d'un mur du
ou en broderie en relief, dans laquelle passe un poi- temple principal de l'isle de Philée.
gnard , dont le fourreau est décoré comme la cein- PLANCHE CXXII.
ture, et un seul bracelet à l'avant-bras droit.
N° 7. Un prêtre sculpté sur le mur de la pièce N° 1. Deux chevauxailés, sculptés sur la troisième
ouverte de l'appartement qui est sur le comble du plate-bande du plafond du portique du grand temple
grand temple de Tintyra ( voyez planche CXXX de Tintyra; c'est la seule fois que j'aie vu la figure
.
n° 1, lettre C ) : son bâton est terminé par une fleur d'un cheval dans des tableaux hiéroglyphiques : on
de lotus : l'ornement qui est sur. son justaucorps peut voir ici, comme dans les tableaux de batailles,
prouve que les parties de la figure qui paraissent que les Égyptiens les savoienttrès bien dessiner.
nues étoient couvertes d'un tissu en mailles ; la bor- N° 2. Ce tableau est sculpté en grand au fond du
dure de son vêtement ressemble au signe qui d'ordi- sanctuairedu temple qui est dans l'isle auprès de celle
naire représente l'eau; la chaussure est une semelle, de Philée, et semble être l'emblème de sa consécra-
portant un simple quartier, au bout duquel est atta- tion ; cette figure ne seroit-elle pas celle de la terre
ché un arc, qui passe sur le coude-pied; le devant environnée du ciel, au milieu duquel seroit le disque
de la semelle est fixé au bout par un second arc, qui du soleil ? j'ai déjà trouvé pareille figure sous le por-
part du sommet de celui qui passe sur le coude-pied, tique du temple d'Appollinopolismagna (voy. plan-
et par un cintre' élevé vient aboutir entre le pouce che CXVII, n» 1).
et le premier doigt à la naissance de l'un et .de N° 3. Le dieu Chat, auquel une figure à bec d'ibis
l'autre. offre un vase; il est dans un temple qui a-un demi-
N° 8. J'aurais cru que cette figure étoit la repré- .fronton ou une espèce de toit, que j'ai vu souvent
sentation d'un jeu, d'une cocagne, si la gravité du représenté en bas-relief, et que je n'ai jamais trouvé
lieu où je l'ai trouvé, les signes sacrés qui terminent en nature : celui-ci est sculpté dans l'intérieur du tem-
cette espèce de mât dressé, ne m'eusent averti qu'il ple d'Hermontis.
folloit y attacher un sens emblématique. J'ai trouvé N°4- Tableau sculpté dans l'intérieur du temple
deux fois cette même représentation: la première, d'Hermontis.
qui est celle-ci, sur la partie extérieure du mur laté- N° 5. Tableau sculpté dans le même lieu que le
ral de la nef du grand temple de Tintyra; l'autre précédent. ' •
fois dans la partie intérieure du temple. Le panache N° 6. Autre tableau sculpté dans le même temple;
que portent les personnages qui montent est celui les murs intérieurs de ce temple, partagés en compar-,
que les prêtres portaient dans les cérémonies : si ce tiinents inégaux, sont couverts de bas reliefs, placés
sont des prêtres, cela ne voudrait-il pas indiquer ainsi que dans une galerie où seraient rassemblés des
les efforts que cette caste faisoit pour parvenir à la tableaux de différents maîtres : n'ayant pu jamais
sagesse et à la connoissance des mystères d'ïsis, dont me flatter dans mes différents voyages à Hermontis
les emblèmes sont à la partie la plus élevée, tandis d'avoir le temps d'en dessiner des faces entières, j'ai
que les autres, sans y prétendre, ne font que leur pris à part tout ce qui m'a paru le plus intéressant.
prêter secours pour y parvenir? c'est-à-dire que les Celui-ci, représentant l'ibis entre deux divinités
uns représenteraientle peuple, dont les travaux aident grasses, ne feroit-il pas allusionà la-saison féconde,
ceux qui ne s'occupent'que de choses relevées, qui étoit celle du passage de cette espèce d'oiseau
et purement immatérielles; et les différents points en Egypte?
d'élévation de ceux qui montent indiqueraient' les N° 7. Un scarabée sur le disque du soleil ou de la
(>97)
lune; l'inscription au-dessous est exacte, les endroits rieur du portique du temple de Latopolis à Esné,
où elle manque sont fragmentés.' Ce bas-relief est est sans doute celle du dieu auquel était dédié ce
,
sculpté en grand à la partie extérieure du fond du monument, le Jupiter égyptien, celui adoré à
temple d'Hermontis. Ammon.
N« 8. Tableau fort remarquable; il est encore de N° 2. J'ai trouvé plusieurs fois cette grande figure
ceux de la collection qui décore l'intérieur du temple sculptée à côté de la porte des tombeaux, où il n'y
d'Hermontis: un épervier en sphynx, avec une queue avoit qu'un seul corps ; je l'ai toujours trouvée dans
très extraordinaire, le mauvais génie, devenu le cette attitude de pitié et d'attendrissement: seroit-ce
symbole de la propagation, et tenant le fléau de la veuve du mort exprimant ses regrets ? seroit-çe le
l'abondance. costume des femmes égyptiennes, que l'on ne trouve
;
N° 9. Un oiseau à tête de cheval, sculpté sur la nulle part ailleurs? dans ce cas il aurait été"aussi in-
même plate-bande que le n° 1 de cette même planche. commode à porter que désagréable à voir. Cette
N° 10. Bas-reliefsculpté au-dessus de la porte ex- figure-ci a été prise dans les tombeaux qui sont
térieure des grottes, qui étoient les tombeaux des rois
d'Egypte, tandis que Thebes en étoit la capitale
( voyez planche XLII, no 2, la vue de la grotte, et
la place qu'occupe ce bas-relief).
-.-
dans les carrières de Silsilis (voyez plancheLXXVI,
n»i).
N° 3. Ces figures, prises dans le même temple,
et près de celles planche CXXI, n° 1, pourraient
Ï

N° 11. Sphinx sculpté contre une des faces inté- bien être la suite de la représentation du même évé-
rieures des murs du temple de Tintyra. nement; ici ce serait l'encens présenté au, héros
,
N° 12. Emblème sculpté sur une des architraves qui auroit remporté une victoire : on peut remar-
du portique du temple d'Apollinopolis magna. quer, comme dans l'autre tableau, des particularités
N° i3. Tableau sculpté et peint sur une des archi- dans le costume, et plus de mouvement dans les
traves du grand temple de Tintyra; trois loups ou figures. ;
çhakals enchaînés à la figure d'ïsis, et trois Anubis N° 4. La tête d'ïsis, qui occupe le milieu de la
en adoration; les marques qui sont sur leurs corps corniche du frontispice du grand temple de Tintyra,
sont prononcées comme ici d'unemanièretrès remar- et qui placée là semble indiquer la consécration de
quable. ce monument à cette divinité (voyez pi. XXXIX,
N° 14. Cette figure, très souvent répétée dans n° 2 ). Cette même figure est sculptée d'une propor-
l'écriture inscriptive, a été dessinée avec exactitude tion gigantesque sur la partie extérieure du mur du
d'après une sculptée en grand sur une des archi- fond du temple.
traves du portique d'Apollinopolis magna. N° 5. Tableau sculpté dans l'intérieur du porti-
N° i5. Bas-relief sculpté sur la porte de la pièce que de Latopolis à Esnê. Est-ce une chasse au
ouverte de l'appartement bâti sur le-grand temple filet? en un pareil cas ils n'ont pas mis des .figures
de Tintyra. emblématiques (voyez planche CXXV, lettre F).
N° 16. Vase extraordinaire, avec une inscription Sont-ce trois mois pendant lesquels les ibis se répan-
sculptée sur un mur du temple d'Hermontis. doient dans l'Egypte, ou ceux de la retraite des eaux,
N° 17. Figure très remarquabled'une girafe, la ceux de l'abondance? la quatrième figure, avec une
seule que j'aie vue dans l'innombrable quantité tête d'ibis, et tenant une clef dès canaux, semblerait
d'hiéroglyphes ou de bas-reliefs que j'ai observés étayer cette dernière opinion.
pendant mon séjour dans la haute Egypte; elle est N° 6. Sistre avec la tête d'ïsis : on sait que cet in-
sculptée sur la partie extérieure de la muraille qui strument étoit employé aux cérémonies du culte de
fait le fond du temple d'Hermontis. cette déesse; celui-ci, sculpté avec soin, a été dessiné
PLANCHE CXXIII. avec exactitude dans le temple de Tintyra.
N°7- Offrande faite par un héros au dieu de
N° 1. Cette figure de trois quarts de nature, sculp- l'abondance ou de la reproduction, la grande divi-
tée de haut-relief sur la porte principale de l'inté- nité de Thebes; le héros est en habit militaire, dans
38
( »9» )
le costume des triomphateurs, accompagné d'un qui se sont faits des divinités les ont créées à leur
génie protecteur. Ce tableau est sculpté en grand image, et leur ont donné toutes leurs passions et tous
dans l'intérieur de la partie sacrée du temple de leurs vices.
Luxor. N° 3. Cette figure, qui réunit de grandes curio-
sités, m'a été communiquée par le général Dugua;.
PLANCHE CXXIV.
elle a été dessinée d'après un fragment de granit
N° i. Figure que je crois celle d'Orus ou de la près de Souês, et si naïvement, que je ne puis soup-
terre, fils d'ïsis ou d'Osiris; je l'ai vue le plus sou- çonner la main qui en a fait le dessin d'être capable
vent avec l'une et l'autre de ces divinités, ou leur de la malice d'un faux. L'écriture persépolitaine^
faisant une offrande, toujours avec une figure jeune jointe au caractère bien prononcé de la tête d'un
et d'une taille plus petite que les autres :. j'ai trouvé mage,_telle qu'on la voit sur les médailles antiques
celle-ci sur une des colonnes duportique de Tintyra; de Perse, et le signe égyptien du globe ailé, ce rap-
elle étoit recouverte en srue, et peinte: le.stuc, en prochement d'époques, ce mélange des arts de deux
partie écaillé, me laissa voir des lignes tracées com- nations rivales, que je n'ai jamais rencontréqu'ici,
me avec de la sanguine; la curiosité me fit achever m'a fait penser que, malgré la loi que je me suis
d'enlever le stuc^ et je trouvai le trait de la figure faite de ne présenter à mes lecteurs que ce que
tracé avec des repentirs de dessin, une division en j'aurais vu ou dessiné moi-même, je ne pouvois me
vingt-deuxparties, le départ des cuisses partageant dispenser d'offrir ce fragment à la curiosité des
la grandeur totale de la figure , et la tête en formant observateurs.
un peu moins de la septième partie ; les Égyptiens N° 4- C'est une espèce de chapelle ou d'ex-voto,
avoient donc un type, un mode, un canon? ils ou temple votif et portatif, d'une seule pierre de
avoient donc un art avec des principes fixes? Ce qui grès : celui-ci a été trouvé à Saccara; il est du double
me parut singulier, ce fut de trouver, tout auprès de la grandeur du dessin; il a été apporté en France
de cette figure si régulière, des traits tracés deux ou par le citoyen Descotil, qui a bien voulu me le
trois mille- ans après et par les mêmes catholiquesdes communiquer. Les n° 5 et 6 sont les côtés ; il fal-
premiers siècles, qui détruisoient si soigneusement loit sans doutequ'il fût appuyé contre quelque chose:,
les sculptures du culte égyptien, et qui, avec toute ear il n'y a rien de sculpté derrière : la figure du
la gaucherie de la barbarie la plus inepte, s'étaient milieu est la tête d'une divinité sur un corps de ser-
efforcés de dessiner fa figure d'un de leurs évêques pent ; aux deux côtés sont un homme et une femme-
avec la mitre et la croix : sans partialité pour l'his- faisant des offrandes.
toire de l'art,. j'ai tout pris avec la même exactitude, N° 7. Ce tableau d'un genre particulier m'a paru
et j'en ai conservé la comparaison telle qu'elle m'a être un jeu, et la représentation de tours de force
frappé. que l'on fait faire à des ânes, dont je n'ai trouvé
N° 2-. J'ai trouvé ce groupe très souvent répété la figure dans aucun tableau hiéroglyphique ; ceux-
dans les peintures qui décorent les tombeaux des ci sont sculptés dans, une grotte à mi-côte de lac
rois de Thebes; la figure attachée au poteau, termi- montagne libyque,. à l'ouest de- Thebes. Ce tableau,
née par une tête de loup ou de chakal, et qui a la travaillé sur le massif de la roche, sur la pierre cal-
tête coupée, est toujours noire avec le caractère nè- caire, est si fin et si recherché pour le travail, qu'il
gre, et celui qui tient le coutelas est toujous rouge. ressemble plutôt à de la ciselure d'orfèvrerie qu'à de
Il y avoit donc des sacrifices humains ? le poteau sa- la sculpture; ce sujet d'un genre tout-à-fait parti-
cré indiquerait que c'est une fonction religieuse, et culier a plus de souplesse dans les contours, et plus,
non un supplice;, que c'était une victime, et non un de grâce dans la pose qu'on n'en trouve ordinaire^-
coupable; que c'était un captif, etnonuneriminel; que ment dans les bas-reliefségyptiens. Ils avoient donc,
le rouge étoit la couleur nationale, et le noir la cou- une école, et un style à part exempt des inconsé-
leur étrangère. On trouve chez tous, les peuples des quences des figures hiéroglyphiques. L'usage existe-
divinités qui veulent du sang, parceque les hommes encore dans le pays de lever dans la même attitude
( *99 )
les ânes qui viennent de faire une course, afin de à part, pi. XLI, no 1, et le journal, p. i3get 140^
les délasser et de leur déroidir les membres. Le n° 2 est un épervier avec une tête d'homme, une
No 8. Ce tableau est de même nature que le pré- figure devant lui dans l'attitude de l'admiration,
cédent, il existe dans la même grotte; il est encore no 3. Un épervier sur une cage, no 4. Un épervier
plus évidemment un jeu: la figure du milieu va sur une dalle. n° 5. Un vanneau, oiseau très multi-
sauter sur la corde; elle a toute la naïveté de ce plié en Egypte, et dont il y a nombre d'espèces.
mouvement; les autres ne sont pas moins bien dans n° 6. Une demoiselle de Numidie. n° 7. Un serpent à
l'action, et prouvent que , lorsqu'ils en avoient une tête d'homme. n° 8. La consécration d'une fleur de
à exprimer, ils savoient prendre la nature sur le fait lotus. n° g. Une même consécrationdevant une tête qui
et en rendre l'expression. La roche sur laquelle tout sort de la plante du rotusv n° 10. Un homme pro-
cela est sculpté est friable, et s'est effeuillée d'elle- sterné devant trois diyinités qui semblent les mêmes.
même, ce qui a fragmenté tout naturellement cette n° 11. Un corbeau perché sur une demi-circonfé-
petite collection particulière et très précieuse : j'en rence toute marquée de points, qui peuvent être
aurois dessiné tout ce qui en reste de détails, si je ne des étoiles; ce qui pourroit être l'emblèmede la nuit.
l'eusse découvert le soir et à l'instant où j'étois obligé n° 12. Un bateau sur l'eau. n° i3. Un petit temple
de quitter ce lieu pour toujours. monolite; deux éperviers dehors du temple, posés
N° g. J'ai joint le développementde ce petit cippe sur le stylobate; une figure d'homme assise, tenant
persépolitain pour servir de comparaison avec l'écri- un bâton, et qui semble être leur gardien; le siège,
ture à clou du n° 3. très élégant, est formé d'un corps d'animal, de ses
jambes, de ses cuisses, et de sa queue, no 14. Une
PLANCHE CXXV. figure, que j'ai toujours cru devoir être celle de la
N° i. Un manuscrit en toile ou bandelette de mo- terre, posée et incrustée dans une dalle; un instru-
mie, trouvé dans un triage du magasin des curiosités ment tranchant semble la partager en deux parties.
de l'académie des sciences; il est composéd'une suite n° 15. Un homme à tête de loup, présentant à man-
de dix-neuf pages, séparées et encadrées avec autant ger à une divinité en forme de terme ; il porte en
de vignettes: la première a un titre écrit en rouge ; même temps la main sur la partie de la génération
le premier mot de chaque colonne est écrit de même de cette divinité, n° 16. Un sacrifice; sous l'autel,
couleur; la boule de la première vignette, ri° 1, sont des vases d'eau lustrale. n° 17. Une figure en
paroît être le soleil; il est coloré rouge; ce qui en admiration devant un tabernacle ou temple mono-
sort est sans doute un faisceau de lumière, com- lite, dont la porte est fermée; la porte est un treil-
pose alternativement de globules rouges et de glo- lage. n° 18. Un temple monolite, dont une figure
bules noirs; ensuite viennent des pages, dont les ouvre la porte, et présente à manger à l'oiseau qui
vignettes sont, des oiseaux : je n'ai figuré qu'une des y est enfermé. n° 19. La même vignette que le n° 10.
pages d'écriture, parceque la totalité aurait tenu un Après cela viennent quatre tableaux l'un dessus l'au-
grand espace, sans ajouter aucun intérêt à l'estampe tre, et qui tiennent tout le diamètre du manuscrit:
tant que l'on n'aura pas découvert le moyen de lire celui d'en-haut est un bateau; le second, un homme
ce manuscrit; il suffit d'en voir quelques uns pour sa- à genoux fait une offrande de quatre vases, et d'au-
tisfaire la curiosité,et savoir où les autres existent en tres choses, que je ne sais comment nommer, à une
cas qu'on parvienne à pouvoir leâ lire; jusque-là les divinité assise; le troisième, une autre offrande à
tableaux ont un intérêt plus particulier; comme ici, deux figures qui paraissent être deux divinités; le
les temples monolites n° i3, 17 et 18, qui prouvent quatrième est à moitié déchiré. Parallèlement sont
évidemmentque ces espèces de monuments ont servi quatre autres tableaux,'quine sont point terminés,
à tenir les oiseaux sacrés, ainsi que je l'avois pensé parcequ'à cet endroit la bandelette a été déchirée:
lorsque je trouvai le premier encore à sa place celui d'en-haut représente une offrande de la cuisse
dans le temple de Philée (voyez le plan de cette isle, d'un animal à trois divinités accroupies, dont celle
planche LXX, n°22, la figure que j'en ai dessinée du milieu est ronge; un bateau conduitparun homme
.( 3°° )
accroupi,'tenant une rame à deux mains, et dans la rieure de la principale porte du temple d'Hermontis:
même attitude pratiquée encore aujourd'hui en j'ai dessiné, ce groupe de tableaux pour faire voir
Egypte: le second tableau, une moisson en matu- comment ces rassemblements se composent; les in-
rité,-qu'un homme coupe avec une faucille;unautre scriptions ne pouvoieht être distinguées tant à cause
homme qui soigne une plante, qui n'est plus du de l'obscurité du lieu que de l'élévation où elles sont
-bled, mais du riz ou du cloura: dans le troisième, placées ; je ne les ai figurées ici que pour donner une
un homme qui laboure; il tient la corne "de la char- idée de leur distribution et de leur nombre. Le ta-
rue, et appuie le pied sur le soc; la charrue est traî- bleau principal représente deux figures d'ïsis en ac-
née par un boeuf; il y a des arbres très mal dessinés, tion de grâce devant un emblème d'Osiris, sur un
entre lesquels sont deux figures de la terre ; la pre- autel rayonnant de tiges de lotus, que de mauvais
mière bande est fort dégradée. ;
génies semblentvouloir couper; entre les cornes de
La dernière file, au bas de l'estampe, sont des la vache, qui est au-dessous, j'ai cru distinguer la
bas-reliefs pris dans de petits monuments qui sont figure du petit Orus,que l'on voit répétée sur les
près des pyramides de Gizéh, représentant diverses genoux des quatre divinités qui sont sur des autels;
actions de la vie privée, une suite d'occupations aux parties latérales sont des cochons, auxquels iL.
rurales, de transport de leurs productions aux semble qu'on fait la chasse.
marchés des villes, de pêche, de chasse, etc. On •
N°5. Ce tableau est sculpté dans le même temple,
peut remarquer que, lorsque les figures ne sont plus mais dans la partie secrète (voyez le plan, plan-
hiéroglyphiquesou emblématiques,la sculpture perd che LI, n° 2, chiffre 5 ), d'autant plus secrète qu'elle
la raideur de ses poses; que le mouvement indique n'est éclairée à présent que par une dégradation près
parfaitement l'action, et souvent d'une manière très du plafond, que la lumière n'en arrive pas jusqu'au
gracieuse, comme on peut le remarquer, lettre D, sol, et que pour appercevoir ce qui étoit sur le mur
dans le groupe de cette gazelle qui allaite son petit. j'étois obligé de fermer long-temps les yeux, et d'al-
ler dessiner dehors ce que j'avois pu entrevoir et ce
PLANCHE CXXVI.
que ma mémoire avoit retenu.
N° i. Figure d'ïsis sculptée sur la porte latérale Les figures desvaches sont-elles des signes célestes,
d'une des plates-bandes du portique du temple de des constellations ? est-ce Isis qui leur confie son fils
Tintyra : cette figure répétée trente fois de suite ne Orus pendant que le soleil est dans le signe du lion,
varie que par l'inscription, qui devient nulle par sur la peau duquel elles sont assises? au-dessous on
l'impossibilité d'en distinguer les caractères, et l'éloi- voit le même petit Orus allaité par deux vaches ;
gnement où ils sont placés; inconséquence dont il dans les figures de côté, Isis semble défendre son
est difficile de.rendre compte, et qui est aussi ridi- fils de Typhon en acte de couper les tiges de lotus.
cule qu'il le seroit de placer des livres sur des N° 6. Figure sculptée dans le portique du temple
rayons de bibliothèqueoù on ne pourroit }es aller de Latopolis, à Esnê, où il y a tant d'autres figure»
prendre, inconvénient répété cependant à chaque de serpents,
instant dans les monuments d'Egypte; ce qui y est NQ 7. Figure sculptée dans* le portique du grand
écrit ressemble à des dépôts d'archives qu'il suffit temple de Tintyra.
qui existent, et qu'on n'a jamais besoin de consulter. N° 8. Figure d'Osiris dans la pièce ouverte
N° 2. Cette figure n'a de particularité que la tête du petit appartement sur le grand temple de Tin-
d'ïsis sur une gaîne, ce que je n'ai vu que cette seule tyra.
fois; elle est dans la troisième pièce du petit appar- N° 9, 10, 11, 12. Ces tableaux sont tous quatre
tement sur le temple de Tintyra. sculptés dans la troisième chambre du petit appar-
N° 3. Une figure de divinité avec une tête de cro- tement qui est sur le grand temple de Tintyra
codile ; elle est sculptée dans le petit temple qui est (voyez planche CXXX, n° 1, lettre A); ils m'ont
derrière le grand à Tintyra. paru représenter l'état de.la terre ou de la nature à
N° 4- Tout ce numéro est sculpté sur la face inté- certaines époques de l'année.
(3oi)
N° 12. Serait-cela nature endormie, et toujours tableau hiéroglyphique , et des offrandes "au bout
•vivante, protégée par des emblèmes de la divinité d'un bâton.
bienfaisante? N° 6. Ce tableau extraordinaire est sculpté dans
-
Dans le n° n la même figure endormie sur le le petit temple qui est derrière le grand, à Tintyra;
signe du lion, représenté par la peau de cet animal; la figure sur laquelle est le serpent m'a semblé dans
les quatre figures qui sont dessous pourroient être le relief être une massue, qui paroît être au moment
des constellations, ou les mois du repos de la na- d'écraser le petit Orus, secouru par l'emblème d'ïsis;
ture; pendant ce temps une divinité protectrice sem- les cornes de la vache, la mesure du Nil, le débor-
ble veiller sur elle. dement , qui sauve la terre des atteintes de Ty-
Dans le n° 10 la même figure couchée de même phon, du vent du désert.
avec quatre nouveauxsignes sous le lit de repos; elle N° 7. Isis portée par des éperviers et par des cha-
paroît s'éveiller, et reçoit l'offrande d'un sacrifice;- kals, sous un portique formé de trois tiges de lotus.
ce qu'explique peut-être l'inscription qui y est Ce tableau est sculpté dans l'intérieur du portique
jointe. de Latopolis, à Esnê.
Dans le n° g la même figure, tout éveillée , et N° 8. Vase sculpté contre le mur de la partie in-
prête à se lever, tient le signe du pouvoir et de térieure du portique de Tintyra^
l'abondance; elle reçoit la clef des canaux, l'em- N° 9. Orus faisant une offrande à Isis et à Osiris,
blème du débordement, qui est le temps où cesse ou la terre reconnoissante des bienfaits du ciel :
le sommeil de la nature en Egypte. quoiqu'il me fût impossible de distinguer les petits
caractères à l'éloignement où ils étoient placés, j'ai
PLANCHE CXXVII. dessiné ce tableau avec toutes les inscriptions qui
N° i. Le tableau peint sur le plafond du portique l'accompagnent, pour donner une fois l'idée du
du principal temple de l'isle de Philée. nombre de celles dont ordinairement sont surchar-
N° 2. Le sacrifice d'un boeuf fait à. Osiris ; le sa- gés les tableauxhiéroglyphiques, et qui doivent leur
crificateur en présente la cuisse et le coeur à la-divi- servir d'ampliatifs ou être leurs explications. Celui-ci
nité. J'ai remarqué toutes les fois que j'ai rencontré est un des deux mille qui sont sculptés sur les murs
l'image de ces sacrifices ou celle des offrandes, que du grand temple de Tintyra.
c'étaient toujours ces deuxparties qui étoient offer- N° 10. La grande divinité du grand temple de
tes de préférence; la différence des costumes est très Karnak, à Thebes; le sanctuaire de ce temple, con-
remarquable entre le victimaire, les sacrificateurs, struit en granit, a tout son intérieur couvert en
et celui qui offre le sacrifice, d'où il résulte que l'ha- compartiments de petits tableaux de cette forme,
bit long aurait été l'habit noble, et le plus respecté. où cette divinité est toujours représentée dans la
Ce tableau est sculpté dans la pièce ouverte de l'ap- même attitude et recevant des offrandes de diffé-
partement qui est sur le grand temple de Tintyra. rents genres : il est probable que c'est dans ce sanc-
N° 3. Ce sujet est sculpté dans le grand temple tuaire que se faisoit l'étrange sacrifice dont une jeune
de Karnak, à Thebes ; Isis tenant Orus au milieu vierge étoit la victime, et les prêtres les sacrifica-
des lotus pourroit indiquer la terre couverte d'eau, teurs ; c'est-à-dire la cruauté mêlée de tous les
le temps de l'inondation. temps à la volupté, qu'il faut cacher et déguiser.
N° 4- Ce tableau m'a semblé représenter le lotus N° 11. Ce bas-relief hiéroglyphique,d'un dessin
flétri, et ravivé par l'eau qui est versée dessus%ou très agréable, est sculpté dans le sanctuaire du Ty-
les maux de la sécheresse réparés par l'inondation; phonium d'Apollinopolismagna, àEtfù; c'est Isis au
il est sculpté sur le mur dans l'intérieur du por- moment du. débordement recevant les clefs des ca-
tique du temple de Latopolis, à Esnê. naux du Nil.
N° 5. Ce tableau est sculpté dans la partie inté- N° 12. Deux divinités qui enfoncent une espèce
rieure du portique du grand temple de Karnak; de pieu dans le calice de deux fleurs de lotus; une
c'est la seule fois que j'aie vu un arbre dans un étoile surmontée de cornes,, le vêtement de la figure
(302)
de la femme recouvert d'une peau de panthère, bracelets, une ceinture, avec une agrafe représentant
sont des particularités que je n'ai vues que cette seule une tête servant à relever le tonnelet,une queue, qui
fois. étoit une marque de dignité. Chaque fonction d'une
N° i3. Je crois cette figure sans signification; même cérémonie avoit son habit particulier,
comme
dans ce cas elle seroit très remarquable, et feroit on peut le remarquermême planche, u° 5, et mieux
voir combien les Egyptiens, lorsqu'ils n'étaient pas encore planche CXXXIV; quelquefois par-dessus
retenus par un usage sacré, savoient donner un l'habit, n° 2, il y a une grande robe blanche de
mouvement gracieux à la pose de leurs figures ; la voile transparent, à travers laquelle on distingue les
souplesse et la gaieté sont répandues dans toute l'at- formes et même les couleurs des vêtements qui sont
titude de celle-ci ; on en feroit une statue sans rien dessous, comme on peut voir à la figure à droite
changer à sa pose; bien exécutée, elle pourroit pas- dans le bas-relief n° 5 ; une espèce de frange qui
ser pour une production grecque : j'appelle à l'appui partoit de la ceinture étoit terminée par sept figures
de cette opinion les deux tableaux faits dans le même de serpent ; le brodequin étoit, comme on le voit,
esprit ( planche CXXIV, n° 7, et n° 8 ) ; celle-ci est extrêmement simple.
sculptée dans la troisième chambre de l'appartement N° 3. Un des petits côtés des piliers qui sou-
qui est sur le grand temple de Tintyra. tiennent la galerie extérieure qui est autour du sanc-
N° 14. Le crocodile sur le couronnement du por- tuaire du temple.
tique d'un temple, un autel devant lui, et recevant une N° 4- Un des grands côtés des mêmes piliers.
offrande ; ce tableau est sculpté dans la partie inté- N° 5. Un grand tableau en bas-relief, qui tient
rieure du portique du temple de Latopolis à Esnê. tout un côté de l'intérieurdu sanctuaire du temple ;
N° i5. Un temple avec un fronton; il est sculpté il représente un sacrifice d'animaux domestiques,
dans le portique du grand temple de Tintyra. Les d'animaux sauvages d'oiseaux de poissons de
, , ,
édifices n'ayant pas besoin de toits en Egypte, où fleurs, de fruits ; le héros qui présente les offrandes
il ne pleut jamais, il en est résulté qu'il n'y a point tient d'une main l'encens, de l'autre l'eau lustrale.
de fronton dans l'architecture égyptienne ; la repré- Sur un grand autel est un bateau, dans lequel est
sentation de celui-ci est tenue par un personnage un temple qui paroît ne pouvoir pas contenir ce qui
qui en fait une offrande : c'étoit donc un temple y est consacré.
votif, un temple égyptien, à en juger par la porte, A gauche, sous une espèce de table de promis-
et peut-être érigé par un héros égyptien dans un sion , sont des fleurs de lotus, des palmes , et des.
pays éloigné de l'Egypte ? C'est la seule figure que figures emblématiquesd'ïsis ; et le groupe à droite,
j'aie vue de ce genre. l'apothéose ou la protection accordée au héros par
les deux grandes divinités : le tableau qui faisoit face
PLANCHE CXXVIII. à celui-ci n'a de différence que dans la figure qui
Toute cette planche a été dessinée d'après diffé- offre le sacrifice, et qui, au lieu de tenir un vase
rentes parties du temple de Cneph, à Éléphantine d'eau lustrale, tient un groupe de pigeons par les
( voyez planche LXVI, n° 2 et 3 ); les tableaux sem- ailes. J'ai pris toutes les inscriptions hiéroglyphiques
blent représenter la consécration de ce temple par avec une scrupuleuse exactitude.
un héros, ou des sacrifices, pour se rendre les divi-
nités propices et pour se mettre sous leur protection. PLANCHE CXXIX.
N° 1. La partie extérieure latérale nord dudit N° 1. Un mauvais génie qui menace Isis, assise
,
temple. sur des fleurs de lotus qui ne sont pas encore épa-
N° 2. La figure du héros prise à part, pour faire nouies : ne seroit-ce pas le vent du désert qui me-
connoître les détails du costume, de la coiffure, du nace la récolte avant sa maturité? Ce tableau est
bandeau, du collier: j'ai vu un seul fragment de ce sculpté dans l'intérieurdu temple d'Hermontis, qui
collier en nature; il appartenoit à l'adjudant-général m'a paru être consacré à cette divinité mal-fai-
Morand; il étoit en acier, damasquiné en or: des sante.
(. 3o3 )
N° a. Signes astronomiques sculptés sur le pla- ailleurs, mais qu'il étoit retenu dans des limites, et
fond de la partie sacrée du temple d'Hermontis astreint à des usages consacrés par des règlements
( voyez le plan, planche LI, n° 2, chiffre 5 ) : sur un sévères ; ce qui fait que les productions du genre
fond d'étoiles, qui est le firmament, une grande gracieux sont si rares, qu'avant notre expédition on
figure, que je crois être celle de l'année, enveloppe ne savoit pas s'il en existoit.
l'écliptique; le soleil, sous l'emblème de l'épervier, N° 7. Cette figure sans pieds est la seule que j'aie
a un de ses solstices au signe du scorpion, et l'autre vue: ces figures qui reparaissent si rarement, dé-
à celui du taureau ; la figure sur un bateau peut dé- voient apporter de grandes difficultés à la lecture
signer la marche du soleil, ou le mouvement des des hiéroglyphes, et introduire dans cette écriture
astres. tous les inconvénients de celle des Chinois, si nom-
N° 3. Tableau sculpté sur une des architraves du breuse et si pauvre.
portique du grand temple d'Apollinopolismagna. Cette figure-ci est sur la frise du portique du
N° 4. Ce bas-relief fait partie du même plafond grand temple de Tintyra; une autre, qui lui ressem-
où est sculpté le planisphèrecéleste, dans la seconde ble, est dans le zodiaque qui est sur le plafond du
chambre de l'appartement qui est sur le temple de même portique. v

Tintyra ( voyez planche CXXX, n° 1, lettre B); ce N° 8. Ce tableau est sculpté sur le plafond de la
doit être encore un tableau astronomique : ces qua- seconde chambre d'un second appartement, paral-
torze barques portant une boule ou un disque se- lèle à celui dont nous avons si souvent parlé, bâti
roient-elles les mois lunaires ? mais pourquoi qua- sur le comble du grand temple de Tintyra; cette
torze ? le nombre quatorze étoit consacré, comme vaste plate-forme, entourée de la corniche de l'édi-
on peut le voir, planche CXXXI, n° 2 et 3. fice qui lui servoit de parapet, contenoitdans la seule
Quel est ce globe ailé devant la bouche de la grande K
partie de la nef un petit temple ouvert à l'ouest; et à
figure ? J'ai retrouvé le même emblème dans le mê- l'est, en se rapprochant du portique, l'appartement où
me temple à une figure à-peu-près pareille(n° 1 et 2, est le zodiaque, et eelui dont il est question ici : ce
planche CXXXII ). Est-ce le départ du soleil en dernier est si encombré des ruines des mauvaises mai-
commençantson voyage pour parcourir les planètes? sons qu'on a bâties postérieurement sur ce temple,
N° 5. Tableau peint sur le plafond du portique du qu'il faut le chercher pour le trouver, et que ce n'est
grand temple de Philée. Sur un fond bleu les trois qu'après plusieurs voyages que je l'ai découvert. Ce
figures en couleur naturelle: est-ce l'espace dans le- tableau,'qui couvre toutle plafond de cette chambre,
quel le soleil et la lune enveloppentla terre, présen- donne 3o pieds de proportion à la grande figure de
tés sous les figures d'Osiris, d'Isis, et d'Orus ? femme: c'est peut-être celle de l'année; toutes les
No 6. Tableau qui occupe la moitié du plafond petites figures qui sont sur son bras et sur son corps
de la troisième chambrede l'appartement qui est sur peuvent le faire penser: ce globe qui a des jambes
le comble du grand temple de Tintyra (pi. CXXX, pourroit être la marche de la terre dans la révolu-
n° 1, lettre A). Il est difficile d'imaginer ce que ce tion de l'année ; le même globe passant de la figure-
peut être que ces trois figures de femmes dans de si du soleil à une autre figure pourroit bien être la
singulières attitudes, et qui étendent si étrangement terre entre le jour et la nuit; dans le globe la figure
leurs bras pour atteindre à cette petite figure d'O- pliée entre un homme et une femme ne seroit-elie
siris : ce que l'on peut remarquer de plus positif c'est pas celle de la terre, qui présente un côté au jour,
que les bras qui partent du cerveau prouvent bien tandis qu'elle offre la,.partie contraire à la nuit; Isis
évidemment que les Égyptiens avoient des conven- et Orisis,qui veillent sur elle, la gouvernent, en
tions pour exprimer certaines choses, auxquelles ils règlent les mouvements: peut-être rien de tout cela,
faisoient céder les lois les plus sacrées de l'art et et peut-être toute autre chose ; c'est ce que tout-à-coup
même de la nature ; qu'il ne faut donc pas juger décidera la découverte de l'écriture, c'est ce qui ser-
de l'art chez eux d'après les figures emblématiques; vira peut-être aussi à la faire déchiffrer. Je croirois la
qu'ils avoient un art à part, comme je l'ai fait voir figure qui est dessous, celle d'Orus ou delaterre.dont
(3o4)
le mouvementest en rond et sur elle-même; les figures réduite en principes, que la seule image de leurs
d'Osiris aux extrémitésde ses bras, le soleil au tropi* signes prouvoit évidemment que les Grecs avoient
que, s'approchant de chaquepôledans le cours de l'an- pris ces signes chez eux, et que par les "Romains ils
née ; tous ces rayons, des divisions de l'année, ses in- étoient arrivésjusqu'à nous ; j'ai cru enfin me mettre
fluences sur la terre, une espèce d'almanach: car il ne dans le cas d'offrir aux savants et aux antiquaires
faut pas s'éloignerde l'astronomiedans les explications de l'Europe un hommage digne d'eux, et mériter
hypothétiques que l'on cherche à donner à ces sortes leur reconnoissance*
de figures, qui étaient sans doute des signes et des
PLANCHE CXXXI.
systèmes astronomiques. J'ai relevé avec exactitude
toutes les divisions et toutes les figures caractérisées N° 1. Ce bas-relief est sculpté sur une des plates-
qui y restent tracées ; ce qui en manque a été em- bandes du portique du grand' temple de Tintyra
porté par une transsudation saline qui a détruit la (voyez le plan planche XL, n° 8 ). Entre les deux
,
masse de grès dans laquelle ils étoientpris. bandes, n° 1, il y avoit des caractères hiéroglyphi-
PLANCHE CXXX. ques , que je n'ai pas eu le temps de copier ; tous
les cartels qui accompagnent les figures sont exacts;
Le n° i est le plan du petit appartement qui est ceux que l'on ne peut distinguer dans la gravure
sur le comble du grand temple de Tintyra: il est sont de même inintelligibles dans la vérité, soit
bien difficile de dire quel en a été l'usage: étoit-ce qu'ils aient été rompus par l'impression des balles
un oratoire, un observatoire, un sanctuaire, un "de fusil que l'on a tirées dans ce plafond, soit par
appartement? à en juger par les sujets qui y sont des stalactites qui en ont couvert le relief: il en
sculptés on pourroit croire que c'était un lieu d'é- est de même de quelques figures que j'ai données
,
tude un lieu consacré à l'astronomie, ou consacré dans le même état où je les ai trouvées ; les étoiles
,
peut-être tout entier à la sépulture d'un personnage qui accompagnent chaque figure et chaque cartel
recommandable qui y auroit inscrit des découvertes, annoncent que l'objet de ces bas-reliefs est relatif à
le résultat des études de sa vie ; on y entroit par une l'astronomie; toute la première bande est occupée
petite porte, n° 4 : la premièrepièce, C, est sans pla- par des figures de serpents, comme au plafond du
fond, et a l'air d'une petite cour fermée, décorée portique du temple de Latopolis, à Esnê.
avec le même soin que les autres pièces; contre le Une particularité de la seconde bande est la figure
mur latéral de droite est représentée une momie du soleil sous l'emblème de l'épervier, au milieu de
couchée , sous laquelle est une longue inscription ; figures accpmpagnées d'étoiles, dont le nombre aug-
une porte, n° 2, entroit dans la pièce, B, éclairée de mente progressivementd'un à douze, excepté la der-
deux grandes croisées; sur le plafond de cette pièce nière, à laquelle il en manqueroit deux, qui auront
est sculpté le planisphère céleste, même planche, sans doute été détruites. Seroit-ce l'année, et le soleil
n° 2 ; une grande figure, planche CXVIII, n° 5, et au milieu de sa course? •
un autre bas-relief,planche CXXIX, n° 4 ; la pièce N° 2. Cette suite de divinités égyptiennes est sculp-
A, presque absolument obscure, ne reçoit d'air et tée dans cet ordre sur la frise de la porte qui est
de lumière que par la porte, n° 1 ; son plafond est sous le portique d'Apollinopolis magna, à Etfu ; j'y
décoré de deux bas-reliefs,dont on peut voir le des- ai joint avec une sévère exactitude tous les caractères,
sin d'une partie, planche CXXIX, n° 6: je n'ai pas qui paroissent être les noms, attributs ou qualités
eu le temps de dessiner l'autre à part ; il étoit de chacune de ces figures : il est à remarquer que
moins intéressant et très fruste : cette esquisse en quartorze d'elles sont prêtes à monter quatorze mar-
petit en est la masse sans détail. ches vides qui aboutissentà un signe, qui est un oeil
N° 2. Lorsque j'ai fait le dessin de ce planisphère, sur une proue de vaisseau dans un disque de la lune,
je n'ai pas espéré en donner l'explication, mais ap- porté sur un support, terminé par une fleur de lotus,
porter une preuve que les Égyptiens ont eu un sys- derrière laquelle est une petite divinité : que le même
tème planétaire, que leur connoissance du ciel étoit nombre de marches, le même nombre de divinités,
( 3o5 )
le même signe, et le même petit dieu, sont sculptés ment sur les petits objets isolés, auxquels les localités,
sur chaque marche du plafond du portique de Tin- les rapprochements, les circonstances, donnent de
tyra (même plan, no 3 ) : j'ai encore une fois trouvé l'intérêt, auxquels les détails de mes observations
la même chose le long des marches de l'escalier qui peuvent quelquefois donner de l'existence.
monte de la plate-forme de la nef à la plate-forme du Ces grandes plates-bandessont sculptées et peintes ;
portique du même temple, et le même nombre qua- les personnages en couleurs naturelles sur un fond
torze dans le petit appartement sur le comble du bleu semé d'étoiles jaunes : je n'ai marqué que celles
temple ( voyez le plan, planche CXXX, n° i, lettreB, qui sont en relief, les autres étant en nombre indé-
et la figure, planche CXXIX, no4). Dans le bas- fini, et ayant disparu pour la plupart par la dégra-
relief d'Apollinopolis les figures ont les jambes en- dation.
gagées ; dans celui de Tintyra il y a alternativement Les inscriptions sont exactes; j'ai marqué par de
une figure^d'homme, une figure de femme: j'ai cru petits traits les endroits où la dégradation ne m'a pas
devoir indiquer ces rapprochements et ces différences permis de distinguer les figures ; un grand éclat de
matérielles à ceux qui sauront y attacher des idées pierre qui est tombé en a emporté plusieurs de la
abstraites. secondebande.
N° 3. Je préviens le lecteur que tous les signes
des petits cartels intérieurs attachés aux figures sont
PLANCHE CXXXIII.
exacts, mais que toute la bordure ne l'est que dans Fragment de bas-reliefs historiques représentant
la forme des inscriptions, que je n'ai pas eu le temps diverses circonstances de l'expédition glorieuse d'un
de prendre, et qu'avec du temps je n'aurois pu don- même héros; dans le fragment n° i, il saisit par le
ner que très imparfaitement, soit par la petitesse des bras son adversaire, déjà blessé et terrassé; il est
caractères, soit par l'éloignement où ils sont placés, prêt à le percer d'un coup de lance; un calumet, signe
soit enfin par leur état de vétusté, accélérée par la de victoire ou de paix, est à côté de lui: ces bas-
filtration des eaux à l'usage de ceux qui ont habité reliefs sculptés sur les murs à l'extérieurdu temple
,
dans des temps plus rapprochés sur le comble de ce de Karnat, sont moins détruits par le temps que par
temple, et y ont bâti des maisons, dont les murailles des démolitions; c'en est une qui nous prive de la
en briques non cuites existent encore. tête du héros, dont il eût été curieux de voir l'ex-
pression.-1 Si ces bas-reliefs sont les plus anciens de
PLANCHE CXXXII.
ceux qui sont, arrivés jusqu'à nous, à coup sûr il y
Les deux parties d'un zodiaque sur les deux plates- avoit long-temps qu'on en faisoit lorsque ceux-ci ont
bandes les plus opposées du plafond du portique du été sculptés. Il y a une noble simplicité dans l'agen-
temple de Tintyra (voyez le plan, planche XL, n° 8): cement des figures, du style, et de l'expression, dans
les deux grandes figures enveloppantes paroissent la pose des deux personnages ; on pourroit plus soi-
être celles de l'année. Le signe ailé qui est devant gner les détails, mais on ne pourroit pas mieux com-
leur bouche est celui de l'éternité ou le passage du poser un groupe.
soleil aux solstices : le disque qui est à la jointure des N° 2. Le héros, x-emonté sur son char, poursuit
cuisses de la figure n« i, le soleil, d'où il part un l'ennemi, déjà en pleine déroute, fuyantdans les
faisceau de lumière qui tombe sur une tête d'Isis, bois et dans les marais pêle-mêle avec les habitants
qui représente ou la terre ou la lune; le soleil, placé du pays, et les animaux de la campagne; plusieurs, ré-
au signe du cancer, peut servir d'époque à l'érection fugiés dans une forteresse, sont presque aussi effrayés
du temple : les figuresjointes aux signes, les étoiles que les autres, et paroissent même atteints des traits
fixes; celles dans les bateaux, les étoiles mouvantes, du vainqueur. Ce bas-relief-ci,plus barbare que l'au-
les planètes, et les comètes. Plus les objets de ces tre, pèche absolument par la composition, et plus
tableaux sont importants, plus ils me paroissent de- encore par la perspective : mais la pose de chaque
voir être laissés aux savants à qui ils appartiennent; figure à part est vraie et expressive; elles sont toutes
mes observations doivent porter plus particulière- en fuite, blessées, effrayées, ou bien mortes; les
39
(3o6)
animaux en sont beaux et'pleins de style; les chevaux des prêtres, avec des habits longs, et des panaches ,
pleins de feu, de simplicité, et de noblesse: les Grecs marchent devant eux, tenant de longues palmes;
n'ont pas fait autre chose pour ceux qu'ils ont mis sur deux autres tiennent des tablettes, et des bâtons à
leurs médailles. fleurs de lotus; deux autres semblent faire des pro-
La forteresse n'a l'air que d'un enclos palissade; clamations.
l'inscription qui est dessus, si nous savions la lire, N° 3. Quatre personnages portent des gradins,
nous en apprendroit peut-être le nom; la forêt est pour monter sans doute à la chaise triomphale et en
représentée par quelques branches, et le marais par descendre.
quelques fleurs de lotus. N° 4- D'autres prêtres tiennent des plumes, et
N° 3. Le vainqueur sur son char, conduisant ses sont couverts de tuniques transparentes.
chevaux, dont les têtes sont panachées en signe de N° 5. Deux enfants tiennent des bâtons avec des
triomphe; il est entouré de toutes ses armes, de sa fleurs de lotus.
lance, de son javelot, de sa hache, de son carquois, N° 6. Douze personnages portent sur un brancard
de ses flèches, et de ses masses d'armes; deux génies le triomphateur, assis sur un trône, couvert d'un
protecteurs l'accompagnent et le couvrent de leurs baldaquin; le lion, le sphinx, l'épervier, le serpent,
ailes ; il ramené des captifs attachés ensemble par les sont les emblèmes de la force, du mystère, de la
bras et dans différentes attitudes ; ces captifs portent vélocité, et de la prudence, qui caractérisent le héros ;
une barbe entière, un habit long, une plume sur le calumet et les palmes sont ceux de la victoire et de
leur casque, et ont tout une autre physionomie que la paix : de plus petits enfants que les premiers mar-
les Égyptiens : l'une des inscriptions est peut-être le chent à côté'du siège, portant les armes du héros;
nom du héros , et l'autre celui des peuples vaincus ; le triomphateur est décoré des attributs de la grande
un calumet marque la paix ou la victoire. divinité de Thebes; il a un collier, et sur son vête-
N° 4- Le même héros présentant ses captifs aux ment est une tunique transparente comme celle des
dieux : l'inscription est peut-être le nom des divinités; prêtres ou des initiés; son nom ou ses victoires sont
le génie protecteur est encore là. peut-être inscrits à côté de sa figure.
Dans d'autres bas-reliefs du même genre le héros N° 9. Un prêtre en haut, un autre en bas, lui
reçoit les armes des mains de la divinité, ou du présentent l'encens.
prêtre qui la représente; ces rois, ces héros étoient N° 10. Deux autres en grand costume lisent et
très pieux, et jamais les prêtresn'étaient étrangers à proclament ses victoires, et huit autres tiennent de
leur fonction; ils recevoient les armes d'eux; c'étoit grandes plumes; couverts de tuniques, ils marchent
dans leurs mains qu'ils les rernettoient ; ils ordon- devant lui : ils arrivent au temple de la grande divi-
noient de la paix et de la guerre : c'étoit du temple nité ; elle est sous un portique formé de deux tiges
que partait le roi pour une expédition; c'étoit dans de lotus terminées par leur fleur, sur lesquelles pose
le temple qu'il en rapportait les trophées. une corniche,composée de serpents ; le héros, en habit
de guerre, recouvert d'une tunique sacerdotale, pré-
PLANCHE CXXXIV.
sente d'une main l'encens à la divinité, et de l'autre
N° i. Triomphe d'un.roi d'Egypte, de Sésostris, fait une libation sur les préparatifs d'un sacrifice,
d'Ossimandue, de Memnon, d'un des rois conqué- composé de vases, d'eau, de coeurs et de cuisses de
rants qui ont régné àThebes; ce bas-relief historique victimes, et de fleurs de lotus : ensuite la marche
est sculpté sur le mur intérieur d'une des galeries recommence; deux personnages, n° 21 , portent
d'une cour du temple, ou du palais de la partie sud- une espèce d'autel, sur lequel sont cinq vases ren-
ouest de Thebes, près le bourg de Médinet-Abou versés; figure que j'ai souvent trouvée à côté de la
( voyez le plan, no 4, planche XLVI, lettre Z ). grande divinité.
N° 2. Ce bas-relief commence à la lettre V; les Au-dessus, n° 20, deux autres personnages por-
trois premières figures de la ligne supérieure sont tent une grande tablette, sur laquelle étoient peut-
des soldats portant leurs lances et leurs boucliers
; être écrites les victoires du héros ; ensuite la grande
(3o7)
divinité, portée par vingt-quatre personnages, est souvent enfanter d'autres qui amènent des décou-
entourée de toute la pompe des cérémonies,de pana- vertes. C'est dans l'envie de satisfaire les questions
ches, de calumets, de trophées, de fleurs; le triom- de l'homme que tout intéresse que j'ai dessiné tant
phateur marche devant, coiffé d'un autre bonnet, et d'objets; c'est pour aller au-devant de sa curiosité
toujours accompagné de son génie tutélaire; il est que j'ai encore fait à part, et dans une proportion
précédé du boeuf Apis, décoré de bandelettes, por- plus grande, n° 42, la tête du triomphateur, qui est
tant le disque d'Isis entre ses cornes ; un enfant lui sans doute portrait, puisqu'elle est toujours la même
présentel'encens; vingt-une figures tiennent chacune dans toutes ses répétitions: si c'est celle de Sésostris,
une divinité ou l'attribut d'une divinité, ou des il est assez piquant d'en connoitre les formes, et de
biseaux, et autres animaux sacrés. Arrivés à une s'assurer non seulement qu'iln'avoitrien du caractère
espèce d'autel, un prêtre paroît être au moment africain, mais qu'il avoit toute la noblesse et l'élé-
de sacrifierdevant ce triomphateur une jeune victime gance des figures grecques.
humaine ; un autre laisse aller un oiseau, qui semble Après cette longue bande de bas-reliefs sans inter-
être l'emblème de l'ame qui se sépare du corps de là ruption, et qui appartient par conséquent au même
victime; ce qui attesteroitl'usage, que les Grecs nous sujet, suivent de grandes pages d'inscriptions, qui
"disent égyptien, de sacrifier après une victoire le plus sont sans doute l'explication de cette cérémonie, ou
jeune des captifs de l'un ou de l'autre sexe: l'in- l'histoire du héros qui en a été l'objet.
scription qui y est jointe en est peut-être la consé- Après ces inscriptions viennent des tableaux frac-
cration; le personnage qui est au-dessus, no 36, et turés, qui représentent des faits d'armes, des com-
qui tient une tige de lotus rompue dont la fleur n'est bats; à travers les dégradations j'ai pu reconnoitre
pas épanouie, est peut-être l'emblème de la mort le même héros poursuivant des ennemis qui fuient
prématurée de la victime. à la nage, n° 46; dans le fragment que j'ai pu
Vient après, n°-4o, un sacrifice moins barbare, dessiner j'ai rendu compte de la manière d'atteler
fait par le héros lui-même, d'un faisceau d'épis au les chevaux, d'en attacher les rênes à la ceinture
dieu Apis, porté sur les épaules des prêtres. pour laisser les deux mains libres, et les conserver
Dans une proportion plus petite, n° 41, le même pour combattre ; j'ai fait éonnoître la forme des chars,
héros tient une chaîne, supportée par neuf figures, leurs petites proportions, la manière d'y être placé,
qui pourroient bien être l'emblème des nations les carquois et la manière d'en faire usage.
vaincues par lui ; son génie protecteur tient le signe Dans le tableau qui suit et qui termine cette plan-
de la victoire : un personnage lui présente l'encens ; che, le héros, après la bataille, assis en arrière de
l'autre, marqué 43, semble inscrire ou proclamer ses son char, dont ses pages ou archers tiennent les
conquêtes. chevaux, fait compter devant lui le nombredes morts
Si je me permets de prononcer avec confiance sur par celui des mains qu'on leur a coupées; le person-
des "objets si importants et tellement perdus dans la nage qui les compte tient encore le coutelas sous son
nuit des temps, ce n'est pas par la prétention de bras, un autre les inscrit, Un autre, en grand habit,
convaincre mon lecteur de mes opinions, mais pour semble en proclamer le nombre : derrière lui sont des
l'arrêter un moment par des idées quelconques, pour prisonniersà longues chevelures, qui servent quel-
exciter sa curiosité, même sa contradiction : le voya- quefois à leur lier lés bras; leur coiffure, leur barbe,
geur observe, parcequ'il n'est occupé que de ce qu'il et leur costume, sont absolument étrangers à l'E-
est venu chercher, de ce qu'il a payé de tant de gypte; une longue suite de ces derniers se perd dans
peines et de soins ; le dessinateur, obligé de se traîner les dégradations occasionnéespar les différents usa-
lentement sur les objets, est contraint d'en considérer ges que l'on a faits de ces temples à diverses époques
tous les détails ; le curieux, qui le reçoit si commo- ( voyez le journal, pages 207 et ao8 ).
dément tout rédigé, glisse facilement sur eux, s'il
n'y est ramené par des observations minutieuses, par
PLANCHE CXXXV.
des observations même qui le blessent, et lui en font Cette planche ne contient que des objets peints
( 3o8 )
pour la plupart dans les tombeaux des rois à Thebes, N° 18. La chaise du fauteuil n» 16: dans la
et particulièrement dans quatre petites chambres peinture on distingue très bien que l'étoffe qui le
(voyez le plan, n° 3, planche XLII, lettre D); couvre est à fleurs, par conséquent brochée, peinte,
chacune de ces petites chambres est décorée d'objets
ou brodée; le bois est de. couleur de bois des Indes,
particuliers; l'une étoit eonsacrée à la musique,l'autre et la sculpture est dorée.
aux armes, l'autre aux ustensiles et meubles, une N° 19. Un coffre à couvercle.
autre à l'agriculture. N° 20. Un pliant à trois matelas.
Dans celle des armes je dessinai, n° i, un car- N° 21. Un pot à l'eau, et une aiguière.
quois, qui contenoit d'autres armes que les flèches, N° 22. Une espèce d'armoire.
et qui dans les combats s'attachoit en-dehors des N° 23. Une charrue qui ressemble à celles dont
chars (voyez planche CXXXIII, n° 3, et planche on se sert encore à présent ; derrière celui qui la-
CXXXIV, no 46). boure est un homme qui semé en jetant le grain
N° 2. Une des armes renfermées dans le carquois par-dessus sa tête : j'ai dessiné deux autres charrues
ci-dessus, et dont je n'ai pu deviner l'usage. (voyez planche CXXV, n°a6, et lettre E même
N° 3. Un bouclier : on peut voir dans les figures planche).
du bas-relief ( planche CXXXIV, n° ) la manière N° 24. Un tabouret couleur de bois des Indes,
1
dont il étoit porté; l'ouverture qui est à sa partie et doré.
supérieure pouvoit servir à le suspendre, ou à laisser N° 25. Une corbeille d'osier d'une jolie forme,
voir à celui qu'il couvroit les mouvements de celui et tressée très agréablement.
contre lequel il avoit à combattre. N° 26. Une harpe à vingt-une cordes ; le vêtement
N° 4- Un sabre, à la poignée duquel est un cordon de la figure qui en joue est étrange et désagréable,
avec un gland en cuir. mais il y a dans la pose de l'enthousiasme et de la
N° 5. Un autre sabre. vérité.
N° 6. Une cravache. N° 27, 28, 29. J'ai trouvé ce groupe peint dans
N° 7. Une cotte de mailles. des tombeaux sur la montagne à l'ouest de Thebes ;
N° 8. Un poignard dans la même forme la carnation des musiciennes est rouge : celle n° 27
que les
poignards de ceinture dont on se sert généralement
a une tunique juste, dont les manches sont amples ;
encore dans tout l'orient (voyezpi. XCV, n° 12). les tuniques des autres ne se distinguent qu'à la
N° 9. Une masse d'armes, avec une poignée à ca- couleur, qui est blanche, et devient rose en ce
cher la main. qu'elle participe de la teinte de la chair que l'on voit
N° 10. Un fouet. à travers; la gorge de ces femmes est de la même
N° 11. Un casque. forme que la gorge des Égyptiennes d'à présent. La
N° 12. Une hache d'arme, derrière la lame de figure n° 27 pince d'une espèce de théorbe; celle
laquelle est une masse, pour en rendre le coup n° 28, au mouvement du corps, de la tête, et des
plus lourd, et partant plus pénétrant. bras, joue d'un instrument à vent; il est à regret-
N° i3. Un carquois à flèches. ter qu'une lésion de l'enduit l'ait fait disparaître, car
N° 14 Pliant matelassé. il nous auroit donné un troisième instrument de

N° i5. Meuble à tiroir et à couvercle, avec des la musique des Égyptiens: j'ai consulté les plus petits
poignées pour lever l'un et tirer l'autre. fragments au bas du mur, je n'ai rien trouvé qui
N° 16. Un fauteuil, d'une si excellente forme, ait pu m'en rendre compte.
qu'il n'en existe pas qui soit d'un meilleur goût La pose de celle n° ag est très souple et très vraie ;
;
il est tapissé de la manière la plus commode.
tout bonnement et tout parallèlementque sont posées
N° 17. Lit dont nous avons admis la forme de-
ces trois figures, elles annoncent un sentiment très
puis que les architectes président à l'ameublement, délicat et très juste dans celui qui les a dessinées :
comme à la décoration des intérieurs des appar- Égyp-
on peut y voir la différence de style que les
tements. tiens adoptaient dans les figures hiéroglyphiques
( 3og )
par le contraste de la roideur de celle qui vient N° 36. Cette manière de porterest encore en usage
immédiatement après n° 3o. Elle est sculptée sur la en Egypte; les vases sont parfaitement composés.
frise du portique du temple de Tintyra.
N° 3i. Cette quatrième harpe, si ingénieusement
PLANCHE CXXXVI.
composée, est sculptée dans la troisième chambre Manuscrit trouvé dans l'enveloppe d'une momie.
du petit appartement qui est sur le comble de la La première observation que l'on peut faire sur ce
nef du temple de Tintyra. manuscrit, c'est que le papyrus en est préparé de la
N° 3a. Cette figure, et celle no 36, sont peintes même manière que celui qu'ont employé les Grecs et
dans des tombeaux qui sont creusés dans la mon- les Romains, c'est-à-dire de deux couches de la
tagne qui borde Thebes au sud-ouest ; ces porteurs moelle de "cette plante collées l'une sur l'autre, le
d'eau, de pain, et d'autres victuailles, sont si sou- fil de la moelle se croisant, et par cela donnant plus
vent répétés dans ces sortes de monuments, qu'il est de consistance à la feuille ; on peut y voir aussi
à croire que l'on portoit des comestibles dans les cé- que l'écriture va de droite à gauche, en commençant
rémonies funèbres avec les vases. les trophées d'ar- par le dessus de la page ; ce qui est constaté par
mes, et les images des dieux, et que ces espèces de l'alinéa de la sixième page, qui termine à la moitié
fonctions se faisoient avec le faste et la profusionpro- de la ligne, et qui est suivi d'un post-scriptum.
portionnés à la majesté du personnage qui en étoit Le premier tableau à droite représente un sa,-
l'objet. erifice à quatre divinités, dont la première est celle
N° 33. Ce vase, ainsi que les deux qui suivent, de l'abondance, tenant un fléau tel qu'on l'a ren-
sont pris dans la représentationpeinte des fonctions contré dans tous les temples de Thebes, et particu-
dont j'ai parlé à l'article ci-dessus , et copiés dans le lièrement dans le grand temple de Karnak, à laquelle
même tombeau: ce premier est peint en couleur d'or; ce temple étoit dédié : la seconde, une figure d'Isis,
c'étoit sans doute de l'orfèvrerie, et de la plus magni- coiffée des cornes de la vache, du disque de la lune,
fique ; si on a quelque chose à reprocher à la mai- et d'un serpent qui les traverse ; elle tient en main
greur de la forme de ce vase, on peut admirer sa les clefs des canaux du Nil : la troisième est Osiris,
magnificence et la richesse de sa décoration : ce sont tenant d'une main le bâton à tête de huppe, et de
des plantes aquatiques qui en sont les principaux l'autre une clef : la quatrième divinité est coiffée
ornements, une fleur de lotus lui sert de couver- d'un temple tenant aussi une clef. A la partie, droite
,
cle ; ce cheval passant, ces têtes de chèvres et de che- un grand-prêtre vêtu de blanc, avec une fourrure
,
vreaux, sont d'un beau style : cela n'a donc pu être et des brodequins, comme je les ai décrits à l'expli-
que la copie d'une belle ciselure. cation de la planche CXXI, n° 7 et 9 ; il est dans
N° 34. Un autre vase d'or, d'une forme ingrate et l'acte de faire une offrande ; devant lui est un autel
d'un style corrompu, comme celui dont nous faisions en forme de table, sur lequel est un faisceau que
usage dans l'autre siècle avant que les vases étrusques l'on peut croire être de fleurs de lotus ; le reste de
fussent venus redresser notre goût en ce genre de ce qui est sur la table est figuré d'une manière
magnificence; les branches de lotus indiquent que ce trop informe pour lui donner un nom ; sous cette
vase étoit destiné à contenir de l'eau du Nil, de celle table sont deux jarres à deux anses, terminées en
du débordement, et le globe ailé, que son usage pointe, d'une forme assez agréable, posées et sou-
étoit sacré. tenues sur des espèces de trépieds : ce qu'il y a de
N° 35. Ce vase d'une belle forme est peint dans le remarquable.àcet égard, c'est que la forme des jarres
même tombeau, et de couleur d'argent ; la richesse et la manière de les asseoir est la même que celle
est distribuée avec une noble simplicité ; la figure qui se pratique encore en Egypte; tant l'usage de ce
à genoux, et la tête de Jupiter qui lui sert de cou- qui est d'une absolue et continuelle nécessité fran-
vercle, annoncent qu'il devoit contenir quelque li- chit les siècles sans éprouver d'altération!
queur sacrée, et son gouleau qu'il servoit à des li- Tout le tableau est encadré d'un portique, com-
bations. posé de deux colonnes de forme bizarre, ressemblant
(3io)
au balustre, portant une courbe qui tient lieu d'ar- manuscrit, et semblerait être encore une troisième
chitrave et de corniche : ce tableau, dont les couleurs écriture. On pourroit comparer à notre écriture
et le contour ressemblent tout d'abord à nos cartes à majuscule les inscriptions sur les obélisques; celle
jouer, n'a que quatre teintes de couleurs entières ; qui est figurée par des objets, comme celles qui
une bleue, ressemblant à celle de l'azur, du rouge- sont en colonnes, avec les figures qui? ne sont que
brun, du jaune couleur de graine d'avignon, et un des diminutifs des autres, à notre écriture moulée
verd triste, qui sont les seules couleurs que j'aie ou ronde ; la troisième est une espèce de cursive
trouvées employées dans les peintures les plus re- consacrée aux manuscrits : dans cette dernière le
cherchées, dans les tombeaux des rois, et sur les nombre des caractères m'a paru infiniment nombreux
hiéroglyphes sculptés. Le trait de ce tableau, quoi- et varié ; on y reconnoît encore quelques uns des
qu'infiniment négligé, avoit cependant été tracé d'a- autres, tels que le serpent, les yeux et les oiseaux;
bord avec- une couleur rougeâtre claire, comme une mais ces caractères sont mêlés avec d'autres qui sont
première esquisse, dont on voit encore quelque re- conventionnels, et n'offrent plus aucune image. J'ai
pentir ; la tête d'épervier a un style et une fermeté trouvé, en gravant le manuscrit, le retour de phrases
qui prouvent qu'il y avoit des modèles bien faits de tout entières,et certains caractères tellement répétés,
ces copies médiocres , et qu'en suivant des conven- qu'ils ne peuventêtre autres que des articles, des con-
tions reçues elles ont été mal dessinées dans des jonctions, ou des verbes auxiliaires : il sera facile à
temps qui n'étaient déjà plus barbares. ceux qui font une étude particulièrede ce genre d'ob-
Le second tableau, à gauche du spectateur, est servationsde composerdes alphabets, ou des groupes
une offrande que fait un prêtre à Isis sous la figure de mots, des tableaux comparatifs, et par le rappro-
d'une vache, dont on voit les mamelles: elle est chement de ces trois écritures, de s'en aider pour
coiffée comme les figures humaines de cette divi- l'explication générale, qui, d'un moment à l'autre,
nité, et a sur le cou une espèce de joug, que j'ai peut cesser d'être hypothétique : un seul de ces ma-
trouvé à la figure du dieu Apis dans le bas-relief nuscrits devroit donner la totalité des caractères, si
historique du temple de Médinet-Abou, à Thebes , chaque caractère n'étoit qu'unelettre.
et que l'on peut voir planche CXXXIV, n° 28 : ce La figure d'un 3, que l'on rencontre à- chaque
qui est devant la figure de vache est peut-être un instant, ne peut être qu'un article ou la marque
autel; le tout est posé sur un portique sous lequel est d'un pluriel ; mais il y en a d'autres qui viennent si
une momie couchée, pareille à celle que j'ai cru être rarement, qu'on ne peut aussi les prendre que pour
la nature endormie , que l'on peut voir pi. CXXVI, des substantifs appellatifs, ou penser qu'à eux seuls
n° 11 ; au-dessus de la vache est un disque d'où des- "ils sont un mot'tout entier, et dans ce cas l'alphabet
cend un serpent : le prêtre est vêtu comme celui du seroit immense: au reste toutes mes opinions ne me
premier tableau, c'est-à-dire avec une tunique blan- sont dictées que par le zèle et par le désir d'accélérer
che et croisée, qui l'enveloppedepuis la moitié des les recherchesde ceux qui peuvent avoir déjà sur cela
reins jusqu'à la moitié des jambes, soutenue par des systèmes établis, et des connoissances acquises.
des bretelles qui passent sur son épaule droite, qui Ce manuscrit appartient au premier consul, qui a
est nue ainsi que ses bras ; sur la tête il a un capu- bien voulu me le communiquer.
chon juste, que l'on pourroit croire démailles, qui
PLANCHE CXXXVII.
tourne autour de ses oreilles, et les lui laisse dé-
couvertes ; il tient à la main un vase, d'où sortent Ce second manuscrit, beaucoup plus petit, roulé
deux espèces de fleurs, que j'ai trouvées souvent de gauche à droite, a pour particularitéun titre au
sans pouvoir déterminer ce qu'elles sont. Au-dessus revers , composé de neuf caractères, que j'ai placés à
du tableau ,est une inscription en sept colonnes la droite de l'estampe; le dedans représente un ta-
verticales, et quatre, horizontales : on peut remar- bleau de trois rangs de figures , parsemées d'inscrip-
quer que l'écriture de ces. inscriptions est encore tions à colonnes toutes verticales, à l'exception d'une
différente de celle qui compose les pages de ce seule ligne horizontale : il n'y a aucune partie qui
(3n)
soit cursive, comme dans l'autre manuscrit; et tous qué par le citoyen Amelin : il n'a de particularité
les caractères étant isolés, et l'un sur l'autre sans que le costume du sacrificateur, qui paroît être
qu'il y en ait jamais deux d'accolés, cela peut faire un guerrier ; sa coiffure surmontée, et traversée
croire que dans ces caractères d'inscription chaque par un couteau ; sa robe transparente , par-dessus
figure est un mot. Le tableau général semble être une laquelle est une peau de tigre qui indiquerait un
,
cérémonie mortuaire; dans la dernière bande on voit militaire ; il présente un vase dont il semble qu'il
évidemment une momie dans une barque, passantun sort une flamme. On peut remarquer encore dans
fleuve, le Styx peut-être : dans la partie droite la ce manuscrit, dont l'écriture est plus grosse et plus
même momie est reçue dans les bras d'une figui'e soignée, la différence des caractères d'inscription
d'Orus ou la terre ; dans la bande du milieu il y a qui sont au-dessus du tableau, et le caractère cur-
une autre barque portant un Jupiter Ammon, traîné sif du reste du manuscrit. Pour rendre raison des
par huit personnages alternativement masculins et couleurs de ces tableaux j'ai pris de même le parti
féminins. d'exprimer dans la gravure les couleurs par les
Il es t à remarquerque la divinité qui est sur la barque tailles, en avertissant le lecteur que la taille hori-
est enveloppée d'un serpent, et quatre divinités de zontale indique le rouge, la taille verticale le bleu ;
même forme dans la bande de dessous sont assises sur la taille inclinée le verd, et pour le noir une taille
des serpents, et des jets de lumière leur sortent de la croisée.
bouche, et descendent jusqu'à leurs pieds ; dans la
PLANCHE CXXXIX.
bande de dessus et dans celle de dessous,huit figures
humaines, qui semblentêtre des pré très, marchent en Diverses antiquités, la plupart apportées par le
avant les bras élevés dans l'attitude del'exclamation: le citoyen Descotil.
nombre de huit semble être consacré dans ce tableau, N° i. Vase d'albâtre du quart de la grandeur
puisqu'il se répète dans les trois bandes de figures. de l'original; il a été trouvé dans des tombeaux grecs,
Sur la bande du milieu, derrière la divinité en à Alexandrie.
bateau, est un autel, sur lequel est accroupi un N° 2. Vase égyptien du quart de la grandeur
chakal ou loup d'Egypte ; sur le panneau de l'autel de l'original, contenantde la résine semblable à celle
sont deux vases d'eau lustrale, au milieu desquels des momies.
est une figure représentant une mesure de l'accrois- N° 3. Dé en pierre ollaire de la grandeur de l'ori-
sement du Nil, ainsi que j'ai pu le présumer pour ginal ; il a plus l'air d'un poids que de toute autre
l'avoir vue souvent mieux prononcée dans des figures chose.
sculptées avec soin : on doit dire cependant que la N° 4. Petite figure de grandeur naturelle, en
négligence avec laquelle tout cela est fait tient plus gomme aromatique, trouvée dans des caisses de
à la vélocité de l'exécution qu'à l'ineptie, du dessina- momie.
teur ; car on peut remarquer dans ces gros traits peu N» 5. Un petit Anubïs de bois de sycomore de la
soignés une précision et un tact qui ne manquent ni grandeur de l'original; il est dans l'attitude de
de finesse ni de sûreté. tirer une flèche : c'est la première divinité égyp-
Ce manuscrit est dépourvu des couleurs des au- tienne que j'aie vue dans cet acte ; il a cela de
tres ; on n'y voit que du noir et du rouge : il se- particulier que dans ses deux grandes oreilles il y
roit bien difficile de déterminer quelle est la raison en a deux plus petites , comme on en voit à cer-
qui a pu motiver cette variété ; mais comme il peut y taines chauves-souris. Ce morceau de sculpture,
en avoir une, j'ai pris le parti de faire graver par coupé dans un bois tendre, a toute la fermeté de
deux lignes fines tout ce qui est en rouge, et une l'ébauche d'une pierre dure taillée par méplat dans
grosse ligne pleine ce qui est en noir. les plus graves principes ; on pourroit y compter
chaque incision de l'outil, et quoiqu'en très pe-
PLANCHE CXXXVIII. tite proportion pour une matière aussi grossière, tout
Un troisième manuscrit ; il m'a été communi- y est ménagé avec; autant de science que de dextérité.
(3«)
N° 6. Morceau de porcelaine bleue de moitié tiques? car il n'a jamais été questionnulle part d'hom
de la grandeur de l'original, avec un creux in- mes verds par leur nature. Il y a aussi de ces têtes
cliné absolument dans la forme des écritoires des entièrement dorées.
,
Chinois ; les caractères sont en émail noir. N° 12. Un petit tombeau de grandeur naturelle,
N° 8. Bouchon d'un vase en terre, du même en bois de sycomore, contenant un petit simulacrede
amalgame que le n° 10, avec une empreinte , no 7, momie en résine ou baume odoriférant et précieux :
qui fait voir que l'imprimerien'est pas une invention étoient-ce des tombeaux votifs ? étoient-ce des céno-
européenne , et que l'usage qu'on en devoit faire taphes de personnages morts dans des expéditions
un jour n'attendoit depuis quatre mille ans que lointaines, et ajoutés aux sépultures. des familles
l'invention d'un papier facile à fabriquer. contenant toute une lignée?
N° 9 et 11 est une tête de femme, sculptée en N° i3, 14, ï5, et 16. La serrure égyptienne:
bois, couverte d'une impression à la colle peinte elle ferme la porte de la ville, celle de la maison,
et vernie ; elle a cette particularité très remarqua- celle du plus petit meuble; je l'ai placée à travers les
ble , que la chevelure en est laineuse , les traits afri- antiquités, parcequ'elle est la même que celle dont
cains , quoique délicats , et la couleur parfaitement on se servoit il y a quatre mille ans ; j'en ai trouvé une
européenne ; les yeux étoient sans doute en métal, sculptée parmi les bas-reliefs qui décorent le grand
et auront été arrachés par l'avidité"des Arabes.. temple de Karnak : simple de conception, facile
N° 10. Tête moulée en terre, peinte, et appli- d'exécution, aussi sûre que toutes les autres serru-
quée sur les planches des caisses des momies de res , elle devrait servir à fermer toutes nos clô-
Ssakharah. Il y a plusieurs particularités à observer tures rurales ; le n° 13 est la clef, qui peut se com-
dans ces antiquités ; premièrement c'est qu'elles biner de mille manières différentes: n° 14, la ser-
,sont en terre non cuite, pétrie avec de la paille rure fermée, vue par l'intérieur, la clef dans l'acte
hachée très menue, ou de la fiente de vache: ce de repousser les pointes, qui en tombant arrêtent le
qui indiqueroit que les Égyptiens ont fait de toute pêne ; le n° 15, le pêne tiré, et la serrure ouverte ;
antiquité usage de cet amalgame ; que les grandes n° 16, la partie extérieure de la serrure fermée, le
murailles de Syene, certains monuments près des pêne arrêté dans la gâche.
pyramides, d'autres à Thebes, à Chnubis, et à Hi- N° 18. Lange de momie en toile brodée, et d'une
laum, bâtis en briques de terre non cuite, sont broderie de même style que celle adoptée tout ré-
des ruines égyptiennes ainsi que les temples; et cemmentpar nos brodeurs, c'est-à-dire en emportant
que si les maisons particulières , trop légèrement alternativement tantôt partie de la couverte, tantôt
bâties avec les mêmes matériaux, ont absolument partie de la trame ; les bouts des fils coupés sont cro-
disparu, les grands monuments ainsi construits chetés , et tout ce qui est enlevé est remplacé par un
n'ont éprouvé d'altérations que celles produites par tissu passé à l'aiguille, de sorte que la broderie
l'animosité et les efforts destructifs des mains enne- remplace le fil emporté, et a le triple avantage de
mies. n'avoir point d'envers, d'être sans épaisseur, et de
Ces sortes de têtes, peintes en détrempe,- sont de paroître par conséquent un broché double. Dans le
trois couleurs; il y en a de rouges, de couleur de morceau sur lequel je viens de faire la digression
chair Manche, et de vertes. Strabon a parlé d'hom- ci-dessus, la broderie est en laine, filée très fine,
mes rouges; étoit-ce une espèce d'hommes à part? teinte de couleurs tellement solides, que, malgré
Dans les tombeaux des rois, à Thebes, j'ai vu dans l'impression de la liqueur corrosive de l'embaume-
les peintures des hommes rouges et des hommes ment , et le laps d'au moins quarante siècles, les cou-
noirs; j'y ai vu des hommes rouges couper la tête leurs en sont encore très vives; il y a du verd, du
à des hommes noirs, et jamais des hommes noirs jaune, du rouge, et de l'orangé. J'ai pensé qu'il
couper la tête à des hommes rouges (voyez plan- seroit assez piquant de faire connoitre le goût du
che CXXIV, n° 2); j'ai vu des figures de divinités dessin d'une bordure égyptienne; le fragment en
avec une teinte verte: étoient-ce des divinités aqua- question est suffisamment grand pour y distinguer
( 3i3 )
un fond uni, trois bandes ouvrées dans le même PLANCHE CLXI.
tissu, et la bordure brodée: on peut remarquer dans Autre manuscrit trouvé à Thebes, et rapporté au
la forme des fleurs le même goût de dessin qui existe moment où j'achévois mon ouvrage : il a été donné au
encore dans les bordures des schals de l'Inde. général Andréossy, qui a bien voulu me le commu-
Le n° 17 est une bordure brochécen laine noire, niquer; c'est le plus considérable de tous ceux que
composée dans le meilleur goût. j'ai vus: il a douze pieds de longueur, et contient
Ces morceaux ajoutent encore quatre articles nou- dix-neuf pages d'écriture, qu'il sera très intéressant
veaux à l'industrie égyptienne;la filature de la laine, de publier dès qu'on sera parvenu à lire ces espèces
la teinture, la broderie, et la brochure, c'est-à-dire de manuscrits : je me suis contenté de prendre la vi-
des manufactures perfectionnées. Peut-être quelque gnette, qui m'a paru assez intéressante pour mériter
jour trouvera-t-on encore dans la dépouille de quel- d'être ajoutée à douze autres estampes que je donne
que momie de l'étoffebrochée en trois couleurs ; dès- de plus que celles que j'avois annoncées à mes sou-
lors il ne restera dans ce genre aucune invention à scripteurs. .. ; - ;
l'industrie européenne, et peu-à-peu on pourra se Ce dernier manuscrit a quelque analogie avec
convaincre que les hommes sont toujours' arrivés aux celui en toile ( planche CXXV ), qui a de même -dix-
mêmes résultats par les mêmes moyens, et que les neuf pages , un tableau, et une vignette ou espèce de
lacunes causées par les révolutions ont fourni à frise qui règne sur le dessus de toutes les pages ; celle-
l'amour-proprel'illusion de créations qui ne sont que ci est malheureusement trop fruste pour avoir con-
le retour des mêmes choses retrouvées sous la dictée servé de l'intérêt, ainsi qu'on peut le voir dans la
du même besoin : ceux du superflu sont immenses, et partie supérieuredu tableau ; j'ai remarqué dans les:
l'on pourroit peut-être déterminercombien telle pro- fragments qui restent, des crocodiles, Un scorpion,
duction industrielle donne de siècles à telle société une écrevisse:ce manuscrit, divisé par chapitres, le
sous tel climat, et par ce rapport présenter de nou- commencement de chacun d'eux; est écrit en rouge ;
velles époques potir l'histoire des peuples. trois des pages semblent être la.récapitulationou le
PLANCHE CLX. titre des chapitres : composés-chacun d'une demi-
N'ayant aucunes nouvelles observations géogra- ligne, le premier mût: qui commence la ligne est le
phiques à présenter au public relativement à la haute même tout le long de la page,: etsemble devoir être
Egypte, j'ai pensé devoir tracer sur la carte de Dan- un article ou unpronom; il y en a un différent à cha-
ville les marches de l'armée française dans- cette partie cune des-pages : je les ai copiés fidèlement tous les trois'
de l'Afrique, et ces marches ont tout naturellement ( voyez lettres A, B, et C ). Le papyrus de ce dernier
tracé celles de mon voyage ; au lieu de répéter les manuscritm'a paru plus fin, l'écritured'un plus beau
erreurs qui ont existé jusqu'à présent dans la nomen- caractère, et là touche du dessin un peu plus ferme,
clature des innombrables villages arabes qui sont et d'un style plus précis : je crois qu'il est de ces es-
situés le long du Nil, je n'ai inscrit que les villes an- pèces de dessins comme de ceux que nous voyons
tiques que j'ai reconnues, les lieux principaux de sur les vases étrusques, c'est-à-dire qu'il doit y avoir
nos stations, les batailles, et quelques monuments tout naturellementune grande variété dans la perfec-
épars ; j'ai remplacé le reste par.les numéro des des- tion de leur exécution, et qu'il est possible qu'il en
sins que j'ai faits ; ces numéro, placés aux lieux dont existe d'aussi purs et d'aussi précieux que la sculp-
ils indiquent les vues, pourront par leurs renvois sa- ture de certains hiéroglyphes qui ont la précision de
tisfaire la curiosité du lecteur sur l'aspect que chaque l'orfèvrerie. J'ai gravé celui-ci moi-même, et j'y ai
point offre à la vue, et faire de l'ensemble une carte mis une grande imitation de la touche ; ses couleurs
pittoresque de l'Egypte; quelque jour celle faite, sous se sont conservées très vives ; elles sont posées à plat ;
la direction du général Andréossy, par les citoyens je les ai blasonnées dans la gravure pour les faire
Nouette, Jacotin, le Père; et toute la société des,in- connoitre : la ligne verticale indique le rouge, la
génieurs-géographes de l'expédition, offrira le plus ligne horizontale le jaune, l'inclinée le verd, et la
beau résultat de l'opération la plus soignée qui ait croisée le noir ; la première disposition du ta-
jamais été faite en ce genre. bleau avoit été tracée au crayon gris ; il en paroit
4o
(314)
encore quelques traces près dés colonnes ( voyez les n'ai trouvée nulle part ailleurs; l'offranded'une fleur
lignes ponctuées). En humectant le papyrus pour le aquatique, €t d'un vase transparent à moitié plein
dérouler, il a répandu une odeur si forte et si péné- d'eau, n° 18 et 19, n'indiqueroit-elle pas l'invocation
trante, quoiqu'agréable, qu'il a fallu ouvrir les fe- à la divinité pour obtenir l'entière inondation dont
nêtres pour ne pas en être incommodé. J'ai cru trou- la terre altérée sollicite le secours? C'est toujours
ver dans les personnages une nouvelle raison de pour obtenir de l'eau que l'on prie en Egypte, par-
penser que ces coiffures étranges,présentant des têtes Ceque c'est toujours l'eau qui y produit tout, qui est
d'animaux sur des corps d'hommes, étoient des es- le principe de tout, l'objet de tous les voeux, la source
pèces de masques, des signes extérieurs qui indi- de toutes les craintes,parceque c'est le premierbesoin,
quoient la dignité attachée aux degrés d'initiations, le principe de la végétation et celui de l'abondance.
et dont les initiés étoient revêtus dans les cérémo- Chaque antiquité que l'on trouve fournit une as
nies. La figure n° 15, dans l'acte d'écrire, est un sertionqui souvent ne vientqu'à l'appui d'une erreur :
personnagevivant, dans un mouvement actif; pes jam- voulant donner une histoire à un grand peuple
bes et ses bras sont rouges, de couleur animée , et sa éclairé, puissant, qu'une longue suite de siècles a
tête, surmontée d'un bec d'oiseau, né 'doit être séparé de nous pendant nombre et nombre de siècles
qu'une figure superposée. La figure 3, entre deux par une barrière mystérieuse, chacun a voulu voir
divinités, est sans, marque de dignité, sans barbe; dans lés premiersfragmentsdes monumentségyptiens
elle a le simple habit sans couleur que portaienttous •apportésen Europe'l'applicationd'un système préma-
les Égyptiens; sa chair est rouge ; elle est dans l'atti- turé ; impatient, on a voulu y trouver l'explication du
tude d'un aspirant, et en est peut-être un : toutes les ciel, de la terre, les principes du gouvernementde ce
petites statues, trouvées étudiant sur des manuscrits, peuple, et le tableau de ses moeurs; celui des cérémo-
sont également sans marque de dignité , sans barbe, nies de son culte, de ses arts, de ses sciences, et de
et paroissent toutes être jeunes. Les deux figures son industrie: les formes hiéroglyphiques se sont
n° io et i3, qui sont sous le fléau de la balance, et prêtées'au délire de l'imagination; et, s'appuyant sur
qui semblent en régler l'équilibre, sont du genre de des hypothèses, chacun s'est avancé avec la même
la première ; tandis que la petite, n° 5, vêtue d'une autorité par des routes différentes, et toutes égale-
seule toile blanche, et qui met une divinité dans un ment obscures et hasardées. Un auteur, trouvantun
des bassins de là balance, est de la classe de celle jour une suite de vignettes, s'avisa de parodier ces
n° 3 ; elle paraît établir l'équilibre de l'autre bassin , estampes ; le roman se trouvant agréable, personne
dans lequel est l'emblème de la terre : les deux extré- ne s'avisa de revendiquer sa conquête: mais ici.que
mités du fléau de la balance sont terminées par deux l'histoire peut protester contre la parodie chaque fois
fleurs de lotus, peut-être signifiant l'équilibre des qu'on apporte une authenticité nouvelle,plus les ob-
eaux, qui fait seul fleurir cette plante; et la figure jets de comparaisonse multiplient, et plus on craint
du chien ou du cynocéphale, n° 8, qui est au-dessus de hasarder des rêves , et moins par conséquent
du support, qui est verte, qui a un gros ventre , et on ose écrire. Amasser sans système et rassembler
qui épanché de l'eau sur l'image de la terre qui lui des monuments qui offrent des rapprochements et
,
est présentée.par l'initié à la figure d'Osiris, est peut-, des rapports, si ce n'est pas donner la lumière,
être le vent de la pluie, celui qui presse les nuages c'est battre la pierre dont s'échappe l'étincelle qui lx
contre la chaîné des montagnes de la lune, celui qui produit. Bien pénétré de ce sentiment, j'ai trouvé en
produit le trop ou trop peu d'inondation ; cette figure moi ce courage passif qu'il falloit avoir pour faire
d'Osiris, n° io, paroît avec l'une et l'autre main en des dessins hiéroglyphiques, cette pieuse ardeur, ce
chercher l'équilibre. L'espèce de lion, n° 17, avec zèle aveugle enfin qui ne peut être comparé qu'à celui
des mamelles, qui est sur un autel, la gueule ouverte, de nos vestales, qui, naguère, dans une langue étran-
fet langue haletante, est aussi une particularité que je gère, prioient,croyoient,adoraient, sans comprendre.

FIN DE L'EXPLICATION DES PLANCHES.


DES PLANCHES ET DU JOURNAL.

JV. B. Indépendamment du renvoi qui est indiqué dans cet Index, soit aux Planches, soit
an Texte, le lecteur est invité à lire
l'explicationparticulière à chaquePlanche, où il trouvera le plus souvent de nouveaux détails, et des développements qu'il est
impossible de faire entrer dans le Journal sans en interromprela narration.

FLAWCHES. ' riGÏS. tLiKCBES. PAGES.


62,101,107.
AFRIQUE
....
6. .
Abcu-Mandour. . i3 .. .
i3.
. . "Voyez
l'explication.
Barâbras
Bains chauds
.......
... 35 • •
48, i32.
106.
Aboukir . .... ,
15,89,90. . . . 28, 35,41,44,219.
Ajacio (en Corse), i, 91- • • • • • 222.
Bivouac.
Birambarr .....
.

.... ..'...'.. 160,28


78
.
78.
182.
Alcan 18 58. -
.{l3£*' l6'1»'"»
Beibeth.
Bogaze
..... .........
...... ......... 1, 89, 17
39
.
57-
28.
Alexandrie. . . .6,8,10
Aimés
.... 5i.
CaffarelliDufalga.
{"'8**'
. . . .
"5;}S8, 63, 65,
'
» 3' 24'
.
18g.
112? 101. Caire 66, 220.'
Antinoé ...... 86 ......... . . .
Antiquités égypt. 97* 98I100, i3g.. Voyez l'explication.
92, 2i5. Canope S 42.
Carrières de la h.J55>68>76.
Aphrodilopolis
ApoUinopoli.m«-|56 58j.j
gna J
Apollin0polispar-,g0
" 196:

j l6 „ ^ Egypte .
Caravansérail.. .
Carte de la
. .
basse"!
"1 e e
c„ „
27,34
• . •
98.
, , 144.
97, i33, ,,

*48,i57, x7i, 172. ^ >• 7 ,rvoyez 1explication.


,, ,. .
va, on Kons. . J
Arabes ( assem--ig,
blée d') ...'./ ï ' 4'»
— de la h. Egypte. 140.
Cataractes du Nil. 69 ....... Idem.
i33.
Arabes bédouins 54,102,109. f l 4?> l 5'
<r 3! 6'
, ?-« Châteaude Benou-i
.PS ; -
.
.
84, io5, 167. . .
. . t 202. thak. '•• lSl\
„ ~

—: cultivateurs. . 47, 87. . . . .


Chapiteauxégypt. 60 5g, 167.
jnf.r ("84,921 i°4,io7,"jj " Chebreis 87
chenets .{ 108, 109, no, Vi85, 190. 221.
..... J io5.
.
— . . . I Cheikhs(àssemb.). 78,84 190.
— leurs contes..
112 Chnubis
Chameaux
75
.... .......
109
.
i45, i65.
158, 181, 187.
— leur jalousie
;
24. . . .
Chaîne libyque. 33 96.
Armes des Marne--> .,- Chien d'Egypte . 18.
. , 195 voyez 1„ explication.
Tr .. ..
Citerne.
Arbres sacrés, ta-1 . -. * . 21.
marisque. . . .
' /
J.25>• 77,
' 122.
Colonne de Pom--*
/' 9'
Bathen-êï-Backara
Batailles, d'Abôu-1
87
}i5,S9, »
.......
„ 90.
. 221.
pée
Cophtes
Cophtos
io5, 108. ....
• ; •
46, 196, 201-
148, 179.
ti,.. . . . 219. Corse 3,222.
_ 1, 91
—-navales
— Copbtos
35.
14g.
Cosséir.
ConventdelaPbu--) .....
81, 83
.} „.,••
.
i85.
— pyramides.
— Syene
.. n,12 26.
181.
lie 86 ai'"
Couvent Blanc. 32, g3
Birambarr....
100.
— Sédiman. 29 79. Couventp. Syene.. 73 14t.
78 160.
—- . .
— Samanhouth . 37
Contra Latopôlis. 53 ..164.
109. n . „ . .i" o3,'. 101,102,..
f 92,'"_ ' • y\5o.
— Benhouth. . . 78 14g. Costumes
. . L io3 _
Bénésech
Bénisoef 3o
31 00.
82.
Caractèresde têtes \
Bas-reliefshistor. i33,i34 169.
des habitantsde V104 jusqu'à
l'Egypte. .J ni .
46.
. . .
(3.rt>))
rtAscHES. SAGES. FLAITCHES. F AGES.

Crocodile
rn6,117,140, i75, Luxor,' Thebes. f' 4f' 5o'}i63,'
,/ 47'
\ Il8, 123 . " 7 2i3.
194, '] ;'
** I94- . . "
Djirdiéh ouGirgé. . 34, . 77.
Débarquement ..6 ... . . .16.
102. Maisons des
bes de
Ara-i
lahaute\77 ........

94.
Delta
Demichelat.
S7
18 ...
3o,
58.
5o,- 83. Egypte.
Malte
... -S
3,4,5,8.... 7,9.
Desa!X.
.
(78, 81, iô5, 109,
() in
l56>
,128,
^ 148-,
Ifl8.
Mamelouks.
Manuscrits. .. . .

..... 6........
Marabou
. .
101, io5, 106. . 49, 89, 16).
ï36,i37,i38,i4i. 209.
16.

'"-.
.
( 217- 4i, 45, 46,
Médinet-Abou . 121,198,207,210.- 134.
45,......
£82,90,91,124,141, .
Memnon 44
120,212.' :. .
i56 -, i57, g3. .... 121,198,207.
Desert 73,.81,82. . .
.J1 i45",
l6g5 lg0j l835
Memnonium. . . Cio5, ni, 148, i54,. :

( 188. Mekkains 104, 111 . . . .r( 155 , i5g , 172,


Desouk. 53: i85.
. Voyez l'explication.
Divan militaire. . 85 Métubis 16 32, 5i.
Divinités égypt. ; 96
Dupuis . 68. .......
Voyez l'explication. Mockattam.
Minyeh. ','
.
... .......
81
... 98, 100, i3g
32.
. 184, 188.
92.
Duplessis(combat-. Momies 201,207,209,213.
4i .......
./' Monolite.....
„ 160 . .
et mort de) . — d'ibis 99 69.

S.-\ .......
: .
Éléphantine
Emblèmes *. . . .
et usa-Y
61,63,64,65,66. 129.
. ,\ * ' - " 'TT
J122- jusqu'à
' -"'V* " 'i«"" V; """
129 . Voyez 1 explication.
Mosquïei de .
.- . .
Athanase . -.-'. J
-—prèsdèRosette. 14,21
; • .
.
-
14.0,210.
- ...
Voyez l'explication.
...--.. A

EsnêouLatopolis.-f52^3' 54 ' 97'}i22, 164,168, 194.


Etp^;pom:}5^'^'61-' .
Mourat-bey
„- ./rIOO,JIO,175,202,
'„ ' ' ' '
»'.*•* Musique
. .
45.
. . . .ma-)
. . .
Femmesd'Egypte. 74,"83. 5o,i37, i54,i75... Naourah, ou .

Fontaine d'êl-A--»)Sl chine à montera27,36 Voyez l'explication.


doute

• ' l84\
„, Veau ]
..........
"

— de Birambarr . 182. Nagadi(désertde)J 73, 79 I56,.I57,i58, 159.


— de l'Ambagi. . .*......... i85. NécropolisdeThe--i
— de la Kittab. . 82
Fours égyptiens .
.......
79,85..,,.. .
i33.
107.'
bes J
Nil;' manièrede le-.178n
g

,,Voyez lexpUcation.
Fragments d'ar-l^
chitect. egypt. .J
? Voyez l'explication. passer ....;J
(bouchesdu)
' -
28, 36.
., ,. ...
r

.......
_
Fréjus — Inondation. 88 ig5.
. '222.
.
gi .
Gibelin,' ou les "i>5a Nubie 69 48.
,
deax. montagn. J
, 122. ObéUsquedeCléo--.
Girgé ouDjirdiéh.
Hermontis .... 77
5i , . 102.
121, 146.
pâtre. .... ./ 9'
— de Luxor . . . 5o,ni8
21
i63,2i3.
Hermopolis. ...
Hiéraconpolis . .
33
54 . .
92.
ia3, 168.
— de Karnak . . 43
Ombos 75
Voyez l'explication.
143.

,-., 0, Jrv n33 Jinsqua ,


.. i32
.
)
178 , 191 , 200 ,
•'„ ' '
.
r 139,168,173, 177, Ophtalmie
Ossimandue
....
..... 54 bis 82.
109, 120, aia.
Hiéroglyphes. . . •
u .
<
, 206, 208,
204, 1
Oxyrincus . . '• 3i . . 90.
£ 211, 2l3. Peintures antiq. . i35 200.
I™cnpùons grec-|go Pèlerins 107 4g.
i73, 179. Philée '63,70,71,7a. i34, i36, i38,14».
. .
Jardin de l'insti-^ Planisphère. . . . i3o 116,177.
J25» Voyez ,,
_. ,. ..
1 explication.
, „ . Psylles 104 70.
Karnak, Thebes . 43, g3, i33 . i63,168, 169, ig3. Pyramides d'HUa--.^ g5
Kamsin.
Kéné ..... 47 .
. .
179.
i55, 173,179,214.
houn
— de Gjizéh . .
j
19,20
_ _ _
58,6o,6a.
.{"7, "8, 147, 198,
.
^-deMedoum. 26 74,75.
Kournou,Thehes. 41,4»-
'
Kous on Apolli--i _-
• • • • 204.
<-

,o-e n
— de Ssakharah , 26
Pyramide
.

61,62 ........ .
73,218.
123.
r Jlo5, 80 148,157,171,172.
,. parva
nopolis ,
Latopolis,ouEsnè{
„ '
' ' '
-*

" J122, 164,168,194.


i ? 1 > Quai antique
Repas
...
47 , 48, 62.
84 . '
. . .
164, 168.
34.
- Rochers 67,68,72,74 .. i33, i35, i38, i65.
116, i56. i3, 14, 21. . . . 3o.
Latonrnerie
Licopohs, ou
Siouth
|i y
Rosette
Salmie ...... .......
.......
Sann (ruines de) . 17
28 .
.
33.
57.
(3i7)
PliSCHES. PAGES. PI.AWCHES. PAGES.
1,2..'
\fII7'II 8' l47'Io8'
Sardaigne 4- ThebesJtournou. 41,42,
Sauterelles . . . .
Schaabas-Ammers 16
ni 181.
55.
. . . . . 204.
( 20, 20 bis, 22, 23, ^
Sépultures égypt.) a4,3o,33,4a,( g2 g3 gg g ^NaÏdT^6} 73' 7». «58:
etarabes. .\ 54 ««?, 55, 76,f • • • • •
. .
(79 ) — à Malte .... 4 10.
Serpents
Sicile
104
2. ........ .70.
5,6. —

à
à
Siouth
Thebes ...
,. .
33
n3
97.
204,212.
Silsilis (tombeau, % — des rois . . . . 42,
i35 198,201,207.
carriere,rocher, ?52, 55, 76. . . . 122,144,194. — des califes. . . 22, a3, 24 . . . 66.
gébel de )
Siouth
...
...... 3o .
*
96. J55^
— dans les carrie- -> - _ 6„
res de Silsilis • •
l 44"
Soulèvement du-» Traversée mariti- j
Caire / gg
me del'armée al->i, 2 3,4,5, 11.
Sphinxs 20 bis 62. lant en Egypte. |
Sulcowsky 68. Tour des Arabes. 6 14.
Syene 63,64,66. . . . 127,129. Ustensiles égyp-i
fJ/.)94,n5,i39.. , . . 201.
Temple monolite. 41, 125 . . . 140. tiens. . . ,
Tente d'Arabes. . 54 . . .
. .

("
76.
H7i ,i47»I6i, 164,
Usages
Vases ...... ......
102.
94, n5,i3g .
Voyez l'explication.
. . 202.
Thebes 41 jusqu'à 5o . .< 168, 171, ,198, Zaouyeh ouZaoyé a5, 27 74.
l a°3- ,

FIN.
POUR L'EDITION IN-FOLIO.

NOMBRE D'EXEVJPL.
FAP. VBI.. PÀP. ORD.
PAP. vkh. PAP. ORD.
BONAPARTE, général,ter Consul, afi ao S. A. le prince régnant de Anhalt-
CAMBACÉRÈS, second consul, i Dessau, î
LEBRUN, troisième consul, î S. A. le margrave d'Anspach,
.

MARET, secrétaire d'état,


î
i 1 S. A. le prince régnant Reuss Lobeins-
ten, î
.

il
ABRIAL, ministre de la justice, î S. A. le prince Lobkowitz, î
. .
TAIXEYRAND ministre des relations S. A. le prince Séhwarzenberg, î
, .
extérieures,
CHAPTAL, ministre de l'intérieur, î Le comte de Cobenzel, ambassadeur
GAUDIN
,
ministre des finances,
. î de S. M. l'empereur et roi, î ^
ALEJC.BERTHIER, ministre de la guerre, î Le comte de Kalitscheff, ministre plé-
DECRÈS, ministre de la marine et des nipotentiaire de S. M. I. de toutes
colonies, î les Russies, î
.
FOUCHÉ ministre de la police générale, î î Le chevalier d'Azara, ambassadeur de
,
BARBÉ-MARBOIS,minist. dutrésorpub., î S. M. C, î
.
PORTALIS, ministre, conseiller d'état, î Le marquis de Lucchesini, envoyé ex-
.
BONAPARTE (Joseph), ministre, con- traordin. de S. M. le roi de Prusse, . î
.
seiller d'état, î Jackson, ministre plén. d'Angleterre, î
MARESCALCHI,ministred'état de la Ré- Rufus-King, ministre plénipotentiaire
publiqueitalienne, î des États-Unis d'Amérique, r
. .

S. M. l'empereurd'Allemagne, î Aberdeen ( Earf of ), î


.
S. M. l'empereur de Russie, î Ambrasone, . î
S. M. le roi d'Espagne, î Anderson, major, î
.
S. M. la reine de Prusse, î Andréossy, général, î
.
S. M. la reine de JNaples, I Anker ( chambellan), î
.
S. A. R. l'archiduc Jean d'Autriche, î Armefeldt (le général), î
S. A. R. le prince Albert de Pologne, Arnaud, chef de l'instructionpublique
duc de Saxe-Tesclien, ' r au ministère de l'intérieur, . î
S. A. S. E. madameTélectricerégnante Artaria (Dom), libr. àManheim, i3 i3
Bavaro-Palatine, î Asserblad, secrétaire du roi de Suéde, î
.
S. A. S. Msr le prince Frédéric de Hesse- Aubourg, . î
Darmstadt, î Auguié, administrateurdes postes, . î
S. A. S. madame la Landgraverégnante Baccioky (madame), î
.
de Hesse-Darmstadt, î Barclay (sir Robert), . a
(3ao)
PAP. VBL. PAP. ORD. PAP. VÉL. PAP.OR».
Barlo-vf (J.), citoyen des États-Unis Coclers, libraire, " 3
.
d'Amérique,
Barrillon, banquier,
Barrois l'ainé, libraire,
' 1
. î
î
Gollot, banquier,
Coswai ( madame de ),
Courlande ( princesse de ),
.1
. ' 1

Bastereche, banquier,
Becman,
21
2

.1 Currie ( Jam. ), président of the athe-


naum of Liverpool,
1 2

x
,
Bekfort, 1 Deboffe, libraire, à Londres, 1 i5
Bélanger, architecte, 1 Debure, libraire, a 1
• -
Belliard, général, Ï Dechancenay (madame), 1
.
Bentinch (lord Williams),
Berard ( madame ),
Bergerot, commiss. de liquidation des
.1
. 1 Dedem de Gelder, envoyé extraord.
et ministre plénipot. de la républiq.
bataveprèsS.M. le roid'Étrurie,
. 1
émigrés, r Degen, libraire à Vienne, 3 3
Bertin,
Bibliothèquepublique de feu le géné-
ral Classen, à Copenhague,
1

. 1
Degotty, architecte,
Deharchies,
Dekreny (madame),
.1
.

.
1

1
Blake(W. ), 1 Delamardelle,
. 1
Bonaparte ( Lucien ), ambassadeur en Delarue (madame), 1
.
Espagne, 1 Depillon, commiss. de préfecture, 1
. -
Bonaparte (Louis ), 1 Depontis,
. 1
Borrel(radjudant-commandant), 1 De Praslin, sénateur, 1
- . .
Bottoy, . 1 Desgenettes, méd. en chefdes armées, 1
.
Boulongue, . 1 Desmarets, 1
.
Bourguignon, juge du trib. crim., . 1 Desporck(sonexcellence le comte de), 1
._
Bourrienne, conseiller d'état, . 1 Destaing,général, 1
.
Boyelleau,mairede Châlons-sur-Saône, . 1 Déterville, libraire, ' i3
.
Bozerian, relieur, 1 2 Deuros, conservât, de la bibliothèque
Brunet, adj. au maire de Châlons-sur- de Grenoble, x
.
Saône, 1 Devoize, commiss. gén. à Tunis, 1
. .
Burdett, 1 Didot l'aîné, imprimeur, 18
.
Cabarus, banquier, 1 Diwoff, née comtesse Boutourlin, 1
Caillard, ex-ambassadeur à Berlin, 1 Don Juan Maury, -. 1
Cambry, préfet, . 1 Douglas ( le marquis de ), 1
Camus, garde des archives du corps Doye (le major), 3
.
législatif, " 1 Dubreuil,
. . 1
Camus Dumartroy", 1 Dubuc, 1
.
Carbonnet, . 1 Dufalga (le général), 1
.
Catellan, 1 Dugua (le général), 2
. .
Chaltas,
Chatillon, artiste,
Chauvelin, tribun,
.
.
.
1
1
r
Dukerrnont, chef de la div. du secret.
de la guerre, -
Durand, bibliothécaire de l'école cen-
.1
Cherb, banquier à Lyon,
Clarke(le chev. ),
Cllaisse, commiss. du gouvern. près
.
.1 1 trale des Ardennes,
Duval ( Amaury ),
Duveyrier, tribun,
.1
.

.
1

1
le trib. de Forcalquier, . 1 Edwards, . 1
(32,)
Egremont (mylord),
Erskine ( monsignor),
PAP.VÉÏ.. PAP. ORD.

.

î
1
Jeanson, r .1
PAP.. VÉL. PAP. ORS.

Fauche,
Faucher ( César ), général,
-
.1

9 Jones (Milady),
Jouty, banquier,
1

. 1
Félix des Portes, secrétaire-généraldu
ministère de l'intérieur,
Fontaine,libraire, à Manheim,
.
.
1
i3
Junot, général,
KairsUnger,
,

Klostermann, libraire à Pétersbourg,


.1
1

.3
Foster (M. Thom. Esquire), à Londres-, Laborde ( Alexandre )^
Fouchet,
Frege, conseiller de la chambre des
11
» 1
Laborde Mereville,
Labouchere, associé de la maison de
.
. 1
1

Hope,
finances de S. A. E. de Saxe,
Fuchs, libraire,
Fulchiron, législateur,
.

.1 1
1
25 Lacase, banquier,
Lambert (le comte),
21
1

. 1
Gampelrhairne, 1 Langlès, membre de l'institut nat., 1
. .
Giguet, imprimeur-libraire, 1 2 Lavalette, commiss. du gouvern. près
Girard, ingénieur en chef des ponts et
.1 la poste aux lettres,
Lebegue Geiminy,
. 1

-,
chaussées, . 1
Gore, cit. des États-Unis d'Amérique,
Gonteau,
Graham, colonel,
.1
.

2
1 Lecoq, jurisconsulte,
Lecoulteuxde Canteleux, sénateur,
Lefevre Laroche, législateur,
1
1
. 1

Gregory Watte, . 1 Legrand, archit. des monuni.pub., . 1


Griffiths, littérateur, 1 Lehoc, ex-ambassadeur, . 1
.
Groen(M. W. ),
Gueigneux, administ. des postes,
Guillemart, citoyen des États - Unis
.1
1 Lenoir ( Alex. ), conservateur des mo-
numents français,
Lenoir, banquier, .1 . 1

d'Amérique,
Gurney,
Hairiguerlot, banquier,
.1
.

I
1 Lepere, ingénieur-direct, des ponts et
chaussées,
Lepretre Château-Giron, .1 . 1

Haller, banquier,
Harrington (Earl of),
. 1 Leroy, ex-préfetmaritime en Egypte,
Leroy, négociant, .1 . 1

Harville, sénateur,
Henry ( Mlle ), artiste du théâtre des
Arts,
'
. » 1 Leroy, de l'institut national,
Leroux,
Levrault frères, libraires,
.2
. 1

Herbouville, préfet des Deux-Nethes,


Hertault, inspect, des bâtiments des
1

. 1 Loesch (le conseiller),


Lom,
"

.1
2

.
12

2
Tuileries, . 1 Madden, major, . 1
Hoare, banquier, à Londres, . 1 Majou, adjudant, . 1
Holland(Lady), Mark-Davis( esquire ),
Holland(lord),
Hompten Rob,
.

.1
I
1
Marmont ( le général ),
Masson, statuaire,
11
.

.1
1

Hoodford ( chevalier ), 1 Maurice de Fries ( comte ), . 1


Horgniet, libraire à Bruxelles, . 1 Menou, général en chef, . 1
Hudson Gournay, 1 Meuricoffre, banquier, I
. .
Infantado(M. le duc del), àMadrid, .-..'.. 1 Metra, libraire à Berlin, 1 z
Izard, cit. des Etats-Unisd'Amérique, . 1 Metzger, . 1
4l
(.3.2*)

Michaux, ordonnât,en chef de l'armée


d'observation,
PAP.VÉL. PAP. ORn.

. *
Rivière, "

Rochefoucauld (madame de la),


.1
PAP.YéL. PAP. ORD.

. t
Milingin, ' i Roittiers, 1
. .
Molini, libraire, J Romana (M. le marquis de la), 1
• .
Montigny, receveur des rentes, î Ronus, banquier, . t
Montesson(madame de), » Rowley ( Henri ), 1
^
Morin, î Salsburi, t
.
Motteux,. î Santacrux (madamela marquise de), 1
.

.1
.
Murât, général en chef, i î Sauzay,préfet du dép. du Mont-Blanc, 1
.
Mycielschi(le comte Stanislas), î Savary, législateur,
.
Naigeon, de l'institut national,
Neergaard (baronde), hom. de lett.,
" î
. 2
Savoye Rollin, tribun,
Schoenborn ( le comte ), .1
.

11
1

Neny ( Goswen de ),
Nicolas, amateur,
Orselti de Luc,
.
.1
.

.1
1 Seguin, banquier,
Segur, législateur,
Seymour(le chevalier),
.1
. 1
Ossuna(M. le duc d'), à Madrid,
Osterwald l'aîné,
Otter ( esquire) t à Londres,
.2
. 1 Smith, Allen de la Caroline,
Smith (Spencer), ministre plénipot. de
S. M. B. près la Porte Ottomane,
. a

î
.s
. 1 .
Ourches ( d' ), ' 1 Smith ( le commodoresir Sydney ), 1
.
Paris, architecte, Smith ( Henri ), 1
. .
Payne et Mackinlay, libr. à Londres, ï5 i3 Sokolnicki (le général),
. i
.
Perregaux-, sénateur, 1 Sprengpôrten (le général), 1
.
Petiet, ancien ministre de la guerre, î Suchet, général, î
. .
Pezet Corval, notaire, 1. Suchet, chefd'escadron., 1
, . .
Pilner, à Lisbonne, 1 Taima, artiste du Théâtre Français, t
. .
Pommereul, préfet d'Indre et Loire, 1 Talon, 1
.
Poncet, préfet du Jura, a Taylord, libraire, à Londres, 2 9
.
Ponblom, marchand d'estampes, à
Anvers,
Portland (duchesse de), 1
.2 Tillard, libraire,
Traupract, à Bruges,
.

Treuttel et Wurtz, libraires, .


1
.
.
3
1

Pougens, membre de l'institut, 4 TronchinLabat, à Genève, 1
. .
Pourtalis, 1 Valence, général, 1
. .
Poussielgue, ministre des finances au
Caire,
Prunelle Deliere, hommede lettres
,
.
.
1
1
Vauborel (madame),
Volney, sénateur,
"Wans, libraire à Londres,
.a
. j
i3

.a
Pujet ( Jn. ) esquire, .
1 Weis, 1
Quatremere de Quincy, .
,
*,' î Wely,
Rapp, aide-de-campdu premier consul, 1 Wilkins,
. . .1
Real, conseiller d'état, 1 Whiltingham,
. . a
Renaud de S. Jean-d'Angely, conseiller William Maclure, citoyen des États-
d'état,
Reina, législateur italien,

.
.
• 1
1
Unis d'Amérique,
Winckter,. .1
. ï
Renouard, libraire,
Rigo, de l'institutdu Caire, .
.1 1 Woodford.(le chev.),
Wycombe(lord), .a
. 1

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