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Mathias Szpirglas - Comprendre Le Management Avec La Casa de Papel (2023) (1001ebooks - Club)
Mathias Szpirglas - Comprendre Le Management Avec La Casa de Papel (2023) (1001ebooks - Club)
Introduction
La casa de papel, un cours de management ?
Un manuel de management fondé sur La casa de papel
Les origines du management
Contenu et guide d’utilisation de l’ouvrage
Références
Tableau synthétique des épisodes analysés
4. Exercer le pouvoir
Les sources de la légitimité et de l’illégitimité du pouvoir dans La
casa de papel
La légitimité traditionnelle
La légitimité charismatique
La légitimité rationnelle-légale
Maintenir l’autorité
La politique : l’autorité en action
Les jeux politiques
Exercice du pouvoir et information
Exercice de l’autorité et maîtrise des asymétries d’information
Asymétries d’information et incitations
Références
5. Construire le sens
Le braquage, un épisode cosmologique pour les otages
Les processus de construction du sens dans La casa de papel
Ordonner le chaos
Construire du sens pour prendre des décisions ?
Les décisions rationnelles et irrationnelles dans La casa de papel
De la rationalité limitée à la désoptimisation de l’organisation dans La casa de papel
Le cadrage : les bases de la construction du sens dans le braquage de
la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre
Signes, indices et processus d’enquête pour construire le sens
La construction des cadres de l’expérience pour produire le sens
Agir pour épurer les cadres
L’action pour construire le sens
Faire sens dans La casa de papel
Agir pour construire le sens
Sens et management et management du sens dans La casa de papel
La construction du sens au service du management
Comment les organisations apprennent-elles dans La casa de papel ?
L’organisation comme outil de gestion de l’incertitude et de l’inconnu
Innover pour surprendre, tromper et réussir le casse de la Fabrique nationale de la
monnaie et du timbre
Références
6. Innover en management
Les leçons managériales du casse de la Fabrique nationale de la
monnaie et du timbre
Planifier, Organiser, Diriger, Contrôler, la matrice technique du
management
Quand le Professeur gère de l’extérieur : réinventer le PODC à
distance ?
Un plan, des plans
Déléguer pour aligner l’organisation et permettre le management à distance
Du contrôle des moyens au contrôle des résultats
Valeurs et difficultés du management à distance
Remettre en cause ses logiques managériales de prédilection pour
s’adapter à l’inconnu
Le « management technique », fondé sur la Raison
Le « management organique », s’appuie sur la tradition
Le management « charismatique », fondé sur le charisme du leader
Quand innover en management s’avère crucial pour sauver le casse
Innover en management pour rendre le casse plus fiable
L’innovation managériale : le cas des femmes en situation de gestion dans La casa de
papel
Références
Conclusion
Des séries télé au management…
Des scénarios pour aborder toutes les disciplines du management
La variété des formes de management selon les secteurs d’activité
Recherche en management et conseillers scientifiques pour écrire les fictions sérielles
Références
Postface
Remerciements
—
Avant-propos
—
La fabrique de la série
Les braqueurs
Le Professeur
Joué par l’acteur espagnol Álvaro Morte, Sergio Marquina de son
vrai nom – ou Salvador Martin, surnommé Salva, pour son identité
d’emprunt – est le cerveau du casse de la Fabrique nationale de la
monnaie et du timbre (saisons 1 et 2), puis de la Banque d’Espagne
(saisons 3 à 5). C’est un jeune quarantenaire, barbu, portant des lunettes
et qui s’habille le plus souvent de manière classique et discrète. Il est
un idéaliste, extrêmement intelligent, pour qui voler n’est pas la finalité
des braquages qu’il entreprend. Il est un brillant joueur d’échecs et un
stratège hors pair. Pour se détendre, il aime fabriquer des origamis,
qu’il laissera comme signature de ses actes au cours de la série. Enfin,
il est relativement athlétique et maîtrise les techniques classiques de
self-défense et des arts martiaux.
Tokyo
Silene Oliveira, de son vrai nom, est interprétée par l’actrice Úrsula
Corberó, sera, durant toute la série, la narratrice de cette histoire. C’est
une jeune femme impulsive, d’une trentaine d’années qui aime faire la
fête et s’amuser pour ne plus penser à sa vie. Elle est devenue
braqueuse dès son adolescence sous l’influence de son petit ami, René
qui est beaucoup plus âgé qu’elle. Auteur de 15 braquages et d’un
meurtre, Tokyo est devenue la fugitive la plus recherchée du pays
depuis le braquage avorté durant lequel René a été abattu par la police.
Pendant les longs mois de préparation du braquage de la Fabrique
nationale, elle devient l’amante de Rio dont nous allons parler
maintenant.
Rio
Aníbal Cortés (joué par Miguel Herrán) est hacker ; il a commencé à
programmer dès son plus jeune âge et est reconnu dans le milieu comme
un petit génie de l’informatique. Après avoir fait une école
d’informatique, il a trouvé plus rémunérateur d’être pirate informatique
que de travailler dans une entreprise en tant qu’ingénieur IT. Il est
recherché par Interpol, suite à la réalisation de piratages informatiques
et d’attaques de systèmes de sécurité, alors qu’il avait tout juste 19 ans.
Rio est un cœur d’artichaud qui aime profondément Tokyo, qui est
d’une dizaine d’années son aînée.
Berlin
Andrés de Fonollosa Gonzalves, alias Berlin, incarné à l’écran par
Pedro Alfonso, est recherché pour pas moins de 27 braquages de
bijouteries, maisons de ventes aux enchères ou encore de fourgons
blindés. Il est reconnu comme l’auteur d’un cambriolage d’exception de
434 diamants sur les Champs-Élysées à Paris. Il est intelligent, élégant
et cultivé. Il est autant misogyne et narcissique qu’il est froid et
cynique. Il est le demi-frère du Professeur, et c’est probablement la
raison pour laquelle il assumera la direction opérationnelle du casse de
la Fabrique nationale. Il est aussi à l’origine de la conception du plan
du braquage de la Banque d’Espagne (saisons 3 à 5).
Nairobi
Nairobi, jouée par l’actrice Alba Flores, de son vrai nom, Ágata
Jiménez, est fausse-monnayeuse depuis l’âge de 13 ans. Elle a un fils,
Axel, dont elle a été séparée lorsqu’elle a été emprisonnée pour
possession et transport de substances illicites. Elle aime rire et est très
enthousiaste pour le travail bien fait. Elle joue souvent le rôle de
conciliatrice et de tempérance dans l’équipe. Elle est aussi une
féministe convaincue et lutte pour exister dans ce monde d’hommes.
Nairobi est embauchée par le Professeur pour assurer l’impression des
billets de banque dans l’imprimerie de la Fabrique nationale.
Moscou
Paco Tous, habitué des productions d’Álex Pina, incarne le rôle d’un
ancien mineur des Asturies, Augustin Ramos, alias Moscou est
spécialiste dans le creusage des tunnels, le maniement des lances
thermiques. Atteint de silicose, il a commencé à enfreindre la loi pour
pouvoir survivre et a réalisé de nombreux cambriolages dans des
boutiques de fourrure, des bijouteries et des banques. Il s’engage dans
le casse pour offrir à Denver, son fils, une vie meilleure et est recruté
par le Professeur pour ses excellentes capacités à percer des coffres-
forts. On apprendra qu’il a été marié et a abandonné sa femme
toxicomane et dépressive, pour élever seul Denver.
Denver
Ricardo Ramos, incarné dans la série par Jaime Lorente, est
bagarreur et est coupable de nombreux délits avec violence. Pourtant
Denver est un sensible au grand cœur. Il est un peu naïf et peu cultivé,
mais plein de bonne volonté. Il tombera amoureux d’une otage, Monica
Gaztambide, qui sera intégrée à l’équipe pour le second braquage à la
Banque d’Espagne.
Helsinki et Oslo
Les otages
Arturo Román
Arturo Román, interprété par Enrique Arce, est le directeur de la
Fabrique nationale. Il est marié à Laura, et a trois enfants. Il entretient,
en outre, une liaison avec sa secrétaire Monica Gaztambide, qu’il dit
aimer mais refuse de quitter sa femme pour vivre avec elle. Malgré son
caractère peureux et lâche, Arturo Román va conduire les otages vers
la résistance et la révolte.
Monica Gaztambide
L’histoire
Le début du braquage se déroule presque conformément au plan fixé
par le Professeur. Les braqueurs pénètrent dans la Fabrique nationale
de la monnaie et du timbre par deux endroits distincts, rassemblent
rapidement les otages dans le hall de l’édifice et percent l’un des
coffres de l’institution. Le Professeur supervise les opérations depuis
un hangar situé à l’extérieur, mais à proximité de la Fabrique nationale.
L’équipe simule ainsi un braquage avorté qui l’oblige à se replier dans
l’édifice.
Les braqueurs mettent alors les otages au travail en leur faisant
creuser un tunnel et en faisant tourner les rotatives, afin d’imprimer les
précieux billets devant constituer le butin du casse.
Les négociations commencent entre les preneurs d’otages et la police
qui réalise plusieurs tentatives d’intervention pour libérer, coûte que
coûte, les otages. Celles-ci sont déjouées alors que l’équipe se délite à
l’intérieur de la Fabrique nationale. L’autorité de Berlin, à qui le
Professeur a confié la direction opérationnelle du braquage, est remise
en cause à de nombreuses reprises. Tokyo qui n’en est pas à sa
première tentative, défie Berlin une nouvelle fois et ce dernier la livre
à la police.
Les otages qui se trouvent maintenant un peu plus organisés, font une
tentative d’évasion qui entraîne la mort d’Oslo, et l’équipe des
braqueurs subit un assaut sévère de la part des forces de l’ordre.
Pendant ce temps-là, le Professeur tente de déjouer les tentatives des
enquêteurs de l’identifier. Il doit quitter, pendant quelques temps, son
poste pour aller traiter des problèmes qui se posent, laissant l’équipe
sans supervision. Il commence par ailleurs, à tomber amoureux de
l’inspectrice Raquel Murillo alors qu’il la rencontrait à des fins
stratégiques dans un café à proximité de la Fabrique nationale. Elle
aussi est séduite par celui qu’elle connaît sous le nom de Salva.
Le Professeur organise l’évasion de Tokyo qui, n’arrivant pas à le
joindre, décide de retourner dans la Fabrique nationale. Durant
l’opération, Moscou prend une balle perdue et est grièvement blessé.
Parallèlement, Raquel Murillo comprend que Salva est le Professeur et
le retient prisonnier afin de lui faire révéler l’étendue du plan qu’il a
conçu. Il parvient malgré tout à la convaincre de le relâcher en lui
expliquant l’intérêt et l’inoffensivité de son plan.
Les braqueurs achèvent d’imprimer les billets et s’apprêtent à sortir
de la Fabrique nationale alors que les forces de l’ordre mènent un
dernier assaut dans la Fabrique nationale. Berlin décide de se sacrifier
pour permettre à l’équipe de sortir, sans encombre, par un tunnel creusé
au préalable. L’équipe s’évade dans la nature avec un butin historique
qu’ils n’ont, techniquement, volé à personne.
1 Showrunner : Directeur de séries : « Personne qui supervise l’écriture et la production d’une série,
dont elle est souvent la créatrice », http://www.culture.fr/franceterme/terme/CULT739?
from=home&francetermeSearchTerme=directeur+de+série&franceterme
SearchDomaine=
2 Celui qui tombe. Série inédite dans les pays francophones.
3 Plus que des amis. Série inédite dans les pays francophones.
4 Les hommes de Paco. Série inédite dans les pays francophones.
5 Lejarreta P. et Alfaro L. (2020). La casa de papel : Le phénomène. Documentaire. Netflix.
6 https://hitek.fr/actualite/la-casa-de-papel-audience-netflix-record_16303
7 https://www.radiofrance.fr/mouv/la-casa-de-papel-un-spin-off-pour-berlin-en-2023-5216814
8 Nous avons retenu cette dénomination pour désigner la Fábrica Nacional de Moneda y Timbre,
parfois également appelée Maison royale de la monnaie d’Espagne.
9 https://casa-de-papel.hypnoweb.net/la-casa-de-papel/guide-des-episodes/resume-des-
parties-1-et-2.271.222/
10 La tutelle de cette unité n’est pas très claire. L’allégeance de fait que porte Suárez au colonel Prieto
ferait pencher l’interprétation d’un rattachement de l’unité à un groupement militaire (gendarmerie),
équivalent au GIGN, en France. Mais la tutelle et la gestion du braquage semblent vouloir placer le
groupe d’intervention sous la responsabilité de Raquel Murillo (police nationale) et donc de le rattacher à
une unité équivalente au RAID, en France.
—
Introduction
—
La casa de papel, un cours de management ?
Références
Agogué M. (2020). « Invité : Mathias Szpirglas. La casa de Papel ou le management à
distance », 30 octobre.
Damart S., David A. (2020). « Y a-t-il des invariants en management ? », Entreprises et
histoire, 100(3), p. 85-98.
David A. (2016). « Les mots du management : et si on faisait le ménage ? »,
The Conversation, 21 mars. Disponible à : https://theconversation.com/les-mots-du-
management-et-si-on-faisait-le-menage-56518
David A. (2017). « Préface », dans Mignon S., Chapellier P., Mazars-Chapelon A. et
Villesèque-Dubus F. (coord.), L’innovation managériale. Les multiples voies d’une spirale
vertueuse, Éditions EMS, Caen, p. 11-15.
Fayol H. (1916 [1962]). Administration industrielle et générale, prévoyance-organisation-
commandement-coordination. Extrait du bulletin de la Société de l’industrie minérale,
Dunod, Paris.
Mintzberg H. (1982). Structure et dynamique des organisations, traduit par Romelaer P.,
Éditions d’Organisation, Paris.
Szpirglas M. (2020a). « Épisode 1 – Comment former une organisation capable de réussir le
casse de la Manufacture de la monnaie dans La Casa de Papel »,
@MathSzpirglas.
Szpirglas M. (2020b). « Épisode 2 – Comment structurer l’organisation du casse afin
d’assurer la division et la coordination du travail dans La Casa de Papel », @MathSzpirglas.
Szpirglas M. (2020c). « Épisode 3 – Quelles sont les formes d’organisation impliquées dans le
braquage de la Manufacture de la monnaie dans La Casa de Papel ? », @MathSzpirglas.
Szpirglas M. (2020d). « Épisode 4 – Comment les logiques de pouvoirs vont-elles déstabiliser
les organisations dans La Casa de Papel ? », @MathSzpirglas.
Szpirglas M. (2020e). « Épisode 5 – Comment les organisations procurent aux protagonistes
les moyens de faire sens de leur environnement dans La Casa de Papel ? », @MathSzpirglas.
Avertissement au lecteur
Attention spoilers5 ! Il est fortement conseillé de voir ou d’avoir vu a minima les deux
premières saisons de La casa de papel, correspondant au braquage de la Fabrique nationale de
la monnaie et du timbre. Seuls les chapitres 5 et 6 contiennent des allusions au braquage de la
Banque d’Espagne (S03 à S05). Les situations sont décrites le plus précisément possible pour
permettre une compréhension fine des concepts et des notions présentées. Si certaines scènes
ont déjà été décrites et analysées dans l’ouvrage, elles seront de nouveaux présentées en notes
de bas de page. Chaque paragraphe de ce livre met en relation des notions et concepts de
management avec des situations repérées dans les épisodes de la série.
Ce manuel se base prioritairement sur les deux premières saisons de la série La casa de
papel, car celles-ci permettent de traiter de l’ensemble des notions classiques et moins
classiques du management. Le tableau synthétique ci-après, reprend les grandes notions
exposées dans le cadre de cet ouvrage et les épisodes qui leur ont servi d’exemples ou
d’illustrations.
1 Classe inversée : dispositif d’enseignement où les savoirs ne sont plus transmis par le professeur, mais
élaborée par les étudiants eux-mêmes dans une approche inductive.
2 Fil de discussions.
3 Source : CNRTL - https://www.cnrtl.fr/definition/management
4 Ménager, Le Dictionnaire Robert historique de la langue française.
5 Spoiler, de l’anglais to spoil : gâcher ; ou divulgâchage en français, consiste à dévoiler tout ou partie
de l’intrigue à des lecteurs et à gâcher l’effet de surprise du scénario.
—
1. Organiser les activités humaines
—
Une organisation pour faire le casse du siècle ?
La fiction s’intéresse souvent à des braquages spectaculaires, car elle
permet de montrer comment des acteurs transgressent des règles,
déplacent des buts ou se dépassent par rapport à leurs capacités
attendues. Ces ingrédients sont essentiels pour développer la
dramaturgie. Or, ces fictions de braquages mettent rarement en scène
des individus isolés qui, par la seule force de leur intelligence et de
leurs capacités corporelles, réussissent à réaliser de tels exploits. Que
cela soit dans la série de films Ocean’s de Steven Soderbergh (2001,
2004, 2007), dans Heat (1996) de Michael Mann, dans L’Ultime
Razzia (1956) de Stanley Kubrick, ou encore dans L’Arnaque (1974)
de George Roy Hill, les films racontant des casses réussis (ou non)
proposent au spectateur, l’exposé d’opérations savamment préparées,
réunissant des équipes plus ou moins grandes, et surtout organisées. Le
braquage de la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre, narré
dans les deux premières saisons de la série La casa de papel, n’y fait
pas exception et s’insère dans cette longue tradition de films et
d’histoires de casse. En effet, la série montre la conception et la
réalisation d’un braquage extraordinaire, par un collectif de
personnages hauts en couleur. Les braqueurs sont organisés et suivent
un plan soigneusement préparé à l’avance par un personnage
énigmatique et charismatique : le Professeur. Et, de fait, les deux
premières saisons de la série mettent en scène la naissance, la vie et la
mort de plusieurs organisations.
De l’équipe à l’organisation
Au-delà du fait qu’il est certainement plus palpitant pour le spectateur
d’observer un groupe d’individus qui réalisent ensemble un exploit, on
peut se demander pourquoi le Professeur réunit-il une équipe pour
réaliser ce casse extraordinaire ? N’aurait-il pas la possibilité ou les
capacités d’entreprendre seul cet exploit ? Pourquoi réunir des gens
comme Tokyo, qui n’ont plus rien à perdre ?
Alors que le générique de la série n’a pas encore débuté (S01E01), le
spectateur découvre que le Professeur a rassemblé, dans une grande
villa isolée près de Tolède, des individus aux compétences et
trajectoires diverses, et que rien, à part peut-être le crime, n’a l’air de
rapprocher. C’est l’acte fondateur de l’organisation. Durant cinq mois,
il leur fait la classe pour leur expliquer son plan pour braquer la
Fabrique nationale de la monnaie et du timbre. C’est par cette action de
formation que le Professeur produit ici son deuxième acte
d’organisation. Comment faire en sorte que des individus isolés, que
rien ne rapproche, puissent « faire organisation » ? Il met en place des
formes de socialisation qui permettent aux protagonistes de mieux se
connaître tout en introduisant quelques consignes élémentaires de
sécurité et de cloisonnement. Le Professeur conçoit, de fait, les
relations entre les différents protagonistes du casse, mais aussi celles
de son équipe avec le monde extérieur.
La constitution de ces relations est déterminante pour l’action
organisée. En effet, le Professeur va former son équipe et par là même,
la construction des savoirs et des compétences nécessaires à la réussite
de l’opération. Dans ses cours, le Professeur va construire les
connaissances des différents membres de l’équipe et définir comment
celles-ci vont pouvoir être utilisées dans l’action. Il va alors être en
mesure d’exposer le plan du braquage dans toute sa complexité.
En passant, il définit aussi les relations de l’équipe avec le monde
extérieur, de manière à contrôler l’image des braqueurs auprès de
l’opinion publique. « Dès la première goutte de sang, nous passerons
de la figure de Robins des Bois à celle de fils de pute. » (S01E01) On
voit dans ces scènes que les connaissances des acteurs se construisent
en établissant des ponts entre les différents espaces de savoirs.
Lors de l’un des cours, et pour élaborer le plan de fuite des braqueurs
de la Fabrique nationale, le Professeur et Moscou échangent sur les
moyens techniques nécessaires pour percer le fond du coffre-fort et le
béton qui est en dessous, afin de regagner le tunnel creusé quelques
semaines auparavant par de mystérieux Serbes. On voit ici qu’en
mettant en relation ses savoirs sur le sous-sol de la Fabrique nationale
avec les savoirs techniques de Moscou, le Professeur est en mesure
d’élaborer les connaissances nécessaires à l’action organisée. Cette
dynamique des savoirs et des relations entre les protagonistes,
forment donc le socle d’une organisation solide et efficace (Hatchuel,
1999). Le Professeur conçoit aussi ici la capacité des savoirs
mobilisés à se recomposer et à établir de nouvelles relations pour
permettre à l’organisation de s’adapter aux perturbations qui pourraient
survenir autour du plan initial.
Si on admet qu’ordonner les relations entre les protagonistes permet
d’assurer le développement de leurs connaissances, alors qu’est-ce
réellement qu’organiser ? Selon le CNRTL, organiser consiste à
« doter (quelque chose) d’une certaine structure ; combiner (les
éléments ensemble) d’une certaine manière »4. Les intentions du
Professeur sont semblables à cette structuration du groupe, de l’équipe
ou de la famille. Il établit les règles de vie en « société ». Il régule les
relations entre les individus.
Le Professeur établit des règles, car celles-ci sont constitutives de la
formation d’une organisation. En effet, celles-ci forment un socle
commun qui constitue un cadre de référence unique pour tous. Il faut se
doter de règles, pas nécessairement pour les respecter, mais plutôt pour
bâtir ensemble un avenir souhaitable. Lors du premier « cours » du
Professeur, après avoir exclu l’utilisation des nombres pour identifier
les membres de l’équipe, s’ensuit une discussion pour savoir de quels
alias les différents protagonistes vont s’affubler pour les besoins du
casse. En effet, pour la sécurité de l’opération, le Professeur leur
interdit de partager entre eux les détails de leurs vies passées, jusqu’à
leurs vrais noms. Il indique aussi qu’aucune relation personnelle ne
devra se nouer au sein de l’équipe. Cette règle est posée comme un acte
fondateur autour de laquelle l’organisation se cristallise et le sens
commun émerge.
Cependant, cette règle ne semble pas essentielle pour la réussite du
casse et les membres de l’équipe ne vont pas arrêter de l’enfreindre5.
La règle la plus importante, qui remettrait en cause l’ensemble de
l’opération, est celle de la nécessité absolue de ne pas faire de victime
durant le casse.
Le Professeur explique, ensuite, le déroulement du braquage. C’est ce
plan qui sera révélé au fur et à mesure du déroulement de l’aventure
pendant l’ensemble des épisodes de la série. Le Professeur a tout
prévu, ou presque, et le plan devrait se dérouler sans anicroche,
jusqu’à la résolution du casse. Il apparaît donc que la planification
fasse partie intégrante de l’action organisée. Or, organiser c’est
précisément « préparer selon un plan précis, en vue d’un résultat
déterminé ». Tokyo affirme d’ailleurs, juste après le générique que
l’équipe met en pratique le plan tel qu’il a été prévu (S01E01). Mais
celui-ci n’est pas seulement une vue d’ensemble de ce que va être le
casse, de son déroulement. Il définit précisément les rôles, et les
relations de chacun des protagonistes, leur position spatiale dans le
théâtre des opérations et les fonctions pour lesquelles ils ont été
choisis. Le plan permet donc aux personnages de jouer pleinement leurs
rôles, et en cohérence avec les actions des autres protagonistes.
Organiser c’est donc aussi ordonner les actions des différents
protagonistes afin qu’ils puissent réaliser leur activité en harmonie et
les conduire à l’objectif finale de l’équipe : réussir le casse de la
Fabrique nationale. Cela est cohérent avec la définition de la structure
d’une organisation donnée par Mintzberg (1982, p. 18), qui est la
« somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre
tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination nécessaire
entre ces tâches ». On approche ici les deux éléments qui fondent
l’organisation, à savoir, d’une part, la division du travail ou des
activités et, d’autre part, la coordination du travail pour harmoniser
les actions des différents membres de l’équipe en vue d’atteindre les
objectifs de l’organisation.
Comment faire pour que les protagonistes ne fassent pas passer leurs
objectifs et motivations personnelles avant celles de l’organisation ? Le
Professeur commence par résoudre cette redoutable équation en
s’assurant des profils qu’il veut accueillir dans l’équipe. Le préalable,
nous l’avons dit, est que les participants n’aient pas grand-chose à
perdre. Mais cela est loin de suffire. Dans chaque épisode, des
événements internes ou externes à la Fabrique nationale viennent
perturber l’harmonie de l’équipe. On citera par exemple, la fusillade
des policiers par Tokyo (S01E01), l’exécution de Monica Gaztambide
par Denver (S01E03) ou encore l’erreur de Rio concernant l’usage du
téléphone par Alison Parker (S01E03). La première réponse à ces
événements consiste, à appliquer les règles choisies par l’organisation.
Celles-ci sont rappelées par les membres eux-mêmes. Denver, par
exemple, crie : « putain, la première règle, putain » (S01E01). C’est
avant toute chose de ne pas verser de sang15. Par ailleurs, il y a une
primauté du plan, sur toute autre initiative individuelle. Après la
découverte de Monica Gaztambide vivante, Nairobi rappelle encore,
aux esprits échauffés de Denver, Berlin, Helsinki et Oslo, qu’il faut
s’en tenir au plan car celui-ci est parfait (S01E09).
Ces injonctions au respect des règles de fonctionnement de
l’organisation permettent d’assurer que les membres contribuent à la
réalisation de l’objectif de l’organisation. Or, il s’agit d’un échange de
bons procédés. Les protagonistes reçoivent en échange de leur travail,
une rétribution. L’organisation est donc un système où les membres
s’investissent et contribuent par leur force de travail à la réalisation
de ses objectifs, en échange d’avantages ou de rémunérations. Les
membres de l’équipe doivent, en effet, recevoir, en échange de leur
implication dans le casse, leur part du butin qui s’élève à des sommes
extravagantes et avec lesquelles ils pourront atteindre leurs objectifs
individuels. La série expose très rapidement les objectifs des membres
de l’équipe et les raisons de s’impliquer dans ce braquage. Ils
échangent de manière très informelle lors d’un repas sur ce qu’ils
feront du butin à l’issue du casse (S01E02).
Un autre enjeu est de contrôler l’implication des membres de l’équipe
tout au long du casse. Il faut donc que le Professeur mette en place des
dispositifs qui vont permettre d’ajuster les niveaux d’incitations, afin
que les membres de l’équipe continuent à exécuter le plan tel qu’il est
prévu. Dans un premier temps, le Professeur joue sur les variations de
connaissances de la situation qu’ont les différents membres de l’équipe.
Il organise le recrutement lui-même et est donc le seul à connaître
parfaitement l’ensemble des protagonistes (S01E01). De plus, comme
il interdit quiconque d’avoir des relations, ou de partager des
informations personnelles, il maintient les braqueurs dans une situation
d’asymétrie d’information qui va lui permettre de contrôler les actions
des membres de l’équipe et cela, même à distance. Il peut renforcer son
autorité en usant de cette information supplémentaire qu’il contrôle aux
dépends des autres membres de l’organisation (Crozier, 1963). D’un
point de vue strictement économique, la théorie des incitations permet,
par ailleurs, de comprendre comment des agents économiques peuvent
faire accomplir par d’autres, un ensemble d’activités en mobilisant les
incitations adéquates. La théorie de l’agence décrit de manière
formalisée ces comportements incitatifs que nous trouverons à de
nombreux moments dans La casa de papel (Akerlof, 1970).
Gestion de la complexité
L’organisation est, ensuite, une redoutable machine pour gérer la
complexité des situations rencontrées. Le braquage de la Fabrique
nationale de la monnaie et du timbre est exemplaire par l’ampleur de
son butin, mais aussi par la complexité de sa mise en œuvre. Nous
avons vu qu’il reposait sur deux hypothèses fondatrices. La première
est d’assurer à l’équipe de ne pas être délogée par les forces de
l’ordre, ou tout autre force extérieure, de l’enceinte du bâtiment. La
deuxième est de disposer d’un maximum de temps pour imprimer les
billets de banque qui constitue le butin du casse. Le braquage repose
sur une planification efficace réalisée en grande partie par le
Professeur. Mais, ce dernier n’est pas présent avec son équipe dans la
Fabrique nationale. Il laisse l’équipe prendre les décisions
opérationnelles, tout en contrôlant les comportements de l’équipe à
distance. Il n’y parvient que partiellement en rappelant, par exemple, à
Berlin qu’il ne veut pas d’improvisation (S01E04). C’est la condition
sine qua non pour que le braquage se déroule normalement, même
lorsqu’il n’est pas dans sa salle de contrôle. Il doit anticiper les
réactions imprévisibles des forces de police et la réponse des membres
de l’équipe. Comme un joueur d’échecs16, il prévoit ses mouvements
plusieurs coups à l’avance et introduit dans la situation encore plus de
complexité de manière à désemparer les enquêteurs.
Mais la complexité ne réside pas uniquement dans la planification du
casse. Elle découle aussi des actions des forces de l’ordre et est
amplifiée par la mobilisation d’une pluralité de points de vue dans la
prise de décision. Ainsi, le colonel Prieto veut en finir le plus vite
possible. À l’instar du lieutenant Suárez, il est partisan d’une
intervention immédiate pour sortir Alison Parker de la Fabrique
nationale (S01E02). La complexité des situations rencontrées est donc
la résultante directe de la multiplication des acteurs en présence. Or,
pour faire face à cette complexité, les membres de l’équipe doivent
faire preuve d’intelligence collective et ainsi pouvoir parer à toutes les
éventualités. Pour comprendre et agir dans un système complexe, dans
une situation en évolution permanente, il faut donc être en état de
mobiliser des ressources qui présentent elles-mêmes une complexité
importante. C’est le principe de « variété requise » développé par
Ashby (1979) : il faut doter l’organisation d’une structure qui présente
un niveau de complexité et une diversité comparables, aux situations
rencontrées. L’organisation de l’équipe de braqueurs répond bien à
cette nécessité. Elle met en présence des individus qui ont des
expériences, des origines sociales et des compétences variées, qui vont
permettre à l’équipe de faire face à des situations inextricables,
diverses et complexes.
Pour renforcer cette aptitude à décider et à agir dans cet
environnement incertain, le Professeur a même organisé de la
redondance dans les rôles et compétences à développer. Ainsi, Tokyo
et Berlin sont des braqueurs de banque mais présentent des profils
contrastés, hold-up versus cambriolage. Rio et Moscou sont des
voleurs qui développent une approche différente des systèmes de
sécurité : piratage de systèmes informatiques versus perçage de
coffres-forts. Enfin Helsinki, Oslo et Denver sont des mercenaires d’un
genre différent : respectivement soldats professionnels et amateur.
Cette capacité à gérer la complexité et la variabilité de
l’environnement à l’aide de ressources humaines, elles aussi diverses,
est ce qui va donner à l’organisation des braqueurs une certaine
résilience face aux actions imprévues des forces de l’ordre. La
« variété requise » est encore plus visible dans l’organisation des
forces de l’ordre. Le commissaire appelle Raquel Murillo afin qu’elle
prenne la direction des négociations avec les preneurs d’otages, elle
arrive dans une tente de crise embryonnaire où sont déjà réunis divers
métiers (S01E02). Outre les groupes d’intervention, il y a des membres
du renseignement militaire, des psychologues, des experts en
balistiques et en armement. Cette organisation pléthorique consiste à
mettre en regard d’une organisation dont on ignore tout, une
organisation suffisamment variée pour qu’elle soit en mesure de faire
face, sinon de comprendre, les intentions des preneurs d’otages. Le
Professeur va jouer de la connaissance des forces de l’ordre dont il
dispose, pour activer les stimuli qui vont provoquer les réactions
attendues des forces de l’ordre. Il va ainsi, aller dans le sens de
l’urgence perçue et vécue par le renseignement militaire pour le
pousser à une intervention immédiate (S01E02)17.
Moscou s’étant trouvé mal, Denver organise une sortie des otages sur
le toit de la Fabrique nationale (S01E04). Il leur donne l’instruction
d’enfiler les masques Dalí pour permettre à Moscou de se fondre dans
la masse et de voir le ciel. Ceci entraîne une mise sous pression sans
précédent des forces de l’ordre qui pousse Raquel Murillo à la faute.
Elle autorise le tir sur le groupe d’individus masqués en combinaison
rouge et portant des armes factices mais qui semblent être des
braqueurs. Arturo Román, ayant été identifié comme un individu hostile
reçoit une balle dans l’épaule. À partir de ce moment-là, la direction
des forces de l’ordre s’aperçoit que le personnage à l’origine du
braquage a toujours une longueur d’avance sur eux et qu’il sait
introduire toujours plus de complexité dans les situations qu’il propose.
L’organisation comme protection vis-à-vis de l’extérieur
L’organisation est aussi une formidable armure contre les agressions
extérieures. Dans la série, cette condition d’existence est mobilisée à
de nombreuses reprises. Les personnages eux-mêmes en sont conscients
et jouent constamment avec cette propriété. Le plan, et de ce fait
l’organisation du braquage, présente cette vertu. Quand Tokyo blesse
les policiers (S01E01), Denver, puis Berlin et enfin le Professeur la
réprimande. Mais comme les policiers ne sont que blessés, et que cela
ne remet pas le plan en cause, le sujet des remontrances se déplace vers
la relation supposée que Tokyo entretient avec Rio.
L’organisation se protège également des agissements des membres qui
ne respecteraient pas les règles. Lorsque Berlin ordonne à Denver
d’exécuter Monica Gaztambide sur laquelle on a retrouvé un téléphone
portable, il enfreint la première règle du braquage (S01E06). Celui-ci
demande au Professeur de le punir pour faire un exemple. Ce dernier
place un bouton avec une empreinte de Berlin dans une voiture fouillée
par les policiers (S01E07). Le Professeur permet ainsi à Berlin de
recevoir la punition qu’il mérite, tout en conservant son utilité pour
l’organisation. Juste après, s’en suit la célébration de la réunion de
l’équipe autour d’un verre dans l’un des bureaux de la Fabrique
nationale. C’est alors que Berlin rappelle la primauté du plan sur toute
autre préoccupation : l’organisation est remise sur ses rails.
L’organisation des forces de l’ordre protège aussi de manière répétée
ses dirigeants lorsque leurs actions aboutissent à des échecs
(intervention avortée (S01E02), ou infiltration avortée (S01E05)) ou à
une bavure18 (S01E04). En effet, à ces trois occasions, les forces de
l’ordre, loin de réprimer ses membres, leur accorde à nouveau sa
confiance, car ils ont respecté les règles, les ordres ou les protocoles
en vigueur. Les membres de l’organisation reçoivent des remarques de
la part de la tutelle de leur organisation (ministres, commissaire) mais
restent légitimes à diriger l’organisation de manière à arrêter le casse.
La question de la légitimité des dirigeants de l’organisation est centrale
et est relative à la responsabilité de leurs actions en situation
organisée.
Culture, expérience et tradition pour un casse réussi ou
pour un braquage déjoué
Chaque organisation mise en scène dans la série La casa de papel
contribue à renvoyer une image plus ou moins unifiée des
représentations de ses membres. En commençant par la Fabrique
nationale, on s’aperçoit qu’Arturo Román en tant que directeur de
l’usine, se présente durant toute la durée du braquage comme le
protecteur de ses employés ou des otages visiteurs de la Fabrique
nationale. À plusieurs reprises, il essaye de calmer ses employés
terrorisés à l’idée d’être abattus par les braqueurs. Il met en œuvre une
autre condition essentielle d’existence des organisations, mise en
évidence par Schein (2004), à savoir l’existence d’un contrat
psychologique entre l’organisation et son personnel (Desreumaux,
2005, p. 45). C’est le rôle qu’occupent les règles constitutives de
l’organisation. Leur partage et l’accord même tacite de leur respect
sont ce qui fait tenir ensemble l’organisation, qui répond aux
contributions de ses membres en leur apportant le soutien nécessaire
dont ils ont besoin. Il s’agit donc bien d’un engagement réciproque
entre les membres et l’organisation elle-même. Nous avons déjà
mentionné l’existence de contrats d’ordre économique et évoqué la
notion d’incitations dans les relations que tissent les organisations avec
leurs membres. Ce qui est intéressant, c’est qu’elles garantissent dans
leur fonctionnement une harmonie dans leurs valeurs, leurs normes,
leurs règles et cela, jusqu’au sein des activités qu’elles conduisent. Et
qu’elles assurent ainsi un certain confort à leurs membres.
Le Professeur évoque de manière répétée avec les membres de son
équipe, et avec Raquel Murillo, les valeurs qui animent l’organisation
qu’il dirige. Il dit être un voleur, certes, mais un voleur qui ne vole
personne et, certainement pas un assassin. Chez les braqueurs, il est
admis que le casse ne doit pas faire de victime. C’est la première règle
exposée par le Professeur et rappelée par Denver à la fin du premier
épisode. Les membres de l’équipe adhèrent à cette idée, tout en la
mettant en œuvre de manière différente selon la situation et le caractère
du protagoniste impliqué. La culture de l’organisation des braqueurs est
alors un ensemble de croyances et de comportements qui sont « acquis,
maintenus et éliminés ou évités » par des processus qui lui sont
propres et qui vont de la sélection aux rétributions et incitations en
passant par la formation (Desreumaux, 2005, p. 188-189).
L’organisation du braquage est un bon exemple de ce qu’est la culture
organisationnelle (Schein, 2004, p. 17) : « l’ensemble des hypothèses
fondamentales qu’elle a inventées, découvertes, élaborées par
l’expérience pour traiter ses problèmes d’adaptation externe et
d’intégration interne ». En effet, si les membres de cette organisation
partagent des modes d’action, des valeurs et de l’expérience, alors le
Professeur permet, en réunissant l’équipe, de valider des
comportements qui vont aller dans le sens de la réussite du casse.
Il existe pourtant une contradiction à l’origine du dispositif
organisationnel, mis en place par le Professeur. Rappelons-le, dans le
premier épisode, il annonce que les règles fondamentales de l’équipe
sont les suivantes : pas de nom, pas de relation personnelle, pas de
mort. Ces règles sont bien de nature culturelle puisqu’elles permettent,
à la fois, de spécifier les « buts et les valeurs vers lesquels
l’organisation est dirigée » (Desreumaux, 2005, p. 189), mais aussi de
garantir la sécurité de l’édifice organisationnel en assurant un
cloisonnement suffisamment strict, pour éviter l’effondrement de
l’ensemble si l’un des membres est capturé par les autorités. Il indique,
de plus, comment les comportements déviants à ces règles seront
contrôlés et sanctionnés.
Or, presque l’ensemble des membres de l’équipe enfreignent ces
règles. Rio et Tokyo sont amoureux et partagent, avant le braquage,
leurs noms. Moscou et Denver sont père et fils. Nairobi parle à Tokyo
de son fils Axel, dont la garde lui a été retirée (S01E06). Helsinki et
Oslo apparaissent comme étant plus que de simples frères d’arme.
Tokyo prend Moscou à la toute fin de la seconde saison pour père
adoptif. Il semble donc impossible à une organisation de se construire
en faisant table rase de l’expérience et des trajectoires de vie de ses
membres. La règle imposant l’absence de relations personnelles et de
connaissance des autres membres de l’équipe est pertinente du point de
vue de sa sécurité, mais introduit au cours du récit de nombreuses
incompréhensions quant aux motivations individuelles et collectives
des membres de l’organisation. Il est donc utile, en théorie, de
compartimenter l’équipe de manière à en assurer la sécurité.
Cependant, si l’organisation peut avoir la volonté d’être amnésique, il
est difficilement tenable d’exiger de ses membres une telle obligation.
Il est intéressant de noter qu’elle peut être mise en péril par la
révélation de faits relatifs à l’histoire personnelle de ses membres,
mais que celle-ci peut être aussi l’atout majeur de sa résilience et de ce
qui permet de la faire tenir ensemble. Ainsi, la maladie dégénérative de
Berlin contribue à saper son autorité sur l’équipe. Alors que, les
révélations de Moscou à Denver sur le sort laissé à sa mère constituent
un point de dissension entre les deux hommes avant que de former le
socle d’une entente profonde. L’organisation subit de profondes
perturbations quand Moscou sermonne Tokyo au sujet du jeu dangereux
qu’elle joue avec son fils. La conception d’une organisation qui fait
l’impasse de l’histoire personnelle de ses membres semble, dés lors,
impossible.
Cependant, lors de son acte fondateur, les membres de l’équipe font
comme s’ils pouvaient ne pas partager leur histoire personnelle afin de
maintenir cohérente l’organisation dont ils font partie. L’acte fondateur
d’organisation consiste donc aussi pour ses membres, à pouvoir
produire des représentations en harmonie. Celles-ci leur permettent
encore de décider de la répartition du travail entre eux. Ce qui nous
amène à parler de l’un des rôles fondamentaux de l’organisation : la
division du travail.
Diviser le travail
Nous avons déjà admis que le Professeur n’était pas en mesure de
réaliser le casse du siècle tout seul. Il est conscient qu’il n’arrivera à
rien accomplir s’il est isolé. De plus, on comprend assez vite que le
Professeur ne possède pas certaines compétences et qualités
spécifiques qui sont essentielles à la réalisation du plan. Il possède une
intelligence stratégique, un goût prononcé pour les sciences et
techniques, mais n’a jamais lui-même percé un coffre-fort ou installé un
système de communication inviolable. Il n’a d’ailleurs pas la prétention
de savoir et il invite Moscou ou Rio et les autres membres de l’équipe
à apporter à l’entreprise les compétences qui lui manque19. Le
Professeur va donc devoir diviser le travail, car cela est nécessaire à
toute activité organisée (Mintzberg, 1982, p. 18).
Mais la division du travail présente d’autres avantages que de
compenser les compétences manquantes d’un des membres de
l’organisation. Elle permet aussi, à l’équipe de mener des activités
simultanées. Ainsi, une partie de l’équipe prend d’assaut le convoi de
transport de papier à destination de l’usine de fabrication de billets
pour y pénétrer par les parties techniques du bâtiment. Alors que Tokyo
et Nairobi entrent par l’entrée publique du bâtiment comme si elles
venaient faire une visite de la Fabrique nationale (S01E01).
Mais, comment le Professeur divise-t-il le travail ? Sur quels critères
ou quelle logique ? Pour le comprendre, voici venu le moment de
présenter cette petite entreprise de braquage.
Coordonner le travail
Les braqueurs ont un certain nombre de préoccupations à prendre en
compte. Outre la gestion opérationnelle du casse, il faut réussir à faire
travailler ensemble tous ces individus aux compétences variées, aux
caractères et aspirations divers. La coordination du travail est la
deuxième exigence fondamentale de toute organisation. Elle va
permettre d’éviter que tout le monde ne fasse la même chose, que les
choses faites ne soient pas contradictoires et, enfin, qu’aucune tâche ne
soit oubliée afin de faire avancer l’organisation vers ses objectifs.
Mintzberg (1982, p. 19) identifie cinq mécanismes élémentaires de
coordination du travail : la standardisation par les qualifications,
par les résultats, par les procédés, la supervision directe et
l’ajustement mutuel. Ces mécanismes constituent ce qui fait que
l’organisation tient ensemble et qui va « coller » l’ensemble de ses
parties.
La standardisation des qualifications
Nous avons déjà mentionné le recrutement éclectique que réalise le
Professeur en vue de réaliser le casse de la Fabrique nationale. Il n’a
pas recruté n’importe qui : il a défini précisément ses besoins et les
compétences requises pour faire partie de l’équipe. Il fait l’hypothèse
que, s’il ne s’est pas trompé dans le recrutement, les personnes qu’il a
embauchées seront à même de réaliser les activités qu’il leur a confié
sans faute et en bonne intelligence avec les autres membres de
l’organisation. Leur qualification, leur formation initiale ou leur
expérience suffiront à agencer les activités de chacun des membres de
l’équipe. C’est la définition de la standardisation des qualifications
(Mintzberg, 1982, p. 22).
Le Professeur a sélectionné, par exemple, d’anciens braqueurs avec
des spécialités différentes. Ainsi Tokyo attaque des banques souvent
avec des armes de poing ou de guerre, elle est, a priori, la seule tueuse
civile de l’équipe. Il est probable que son recrutement n’a pas relevé
uniquement de cette compétence, mais révèle peut-être aussi un trait de
caractère qui pourrait être utile à l’équipe. Berlin est braqueur et
cambrioleur, probablement à mains armées, mais Tokyo ne le dit pas. Il
a de l’expérience, il a déjà exécuté 27 cambriolages sans faute et s’est
déjà attaqué à de gros coups : une affaire de 434 diamants volés à
Paris. Moscou a pour spécialité le maniement des chalumeaux et autres
perforateurs thermiques, ainsi que le creusage des tunnels. Ces
compétences il les a acquises dans les mines en Asturies.
Rio est recruté pour sa formation en informatique. C’est le seul
personnage dont Tokyo évoque les études : une école d’informatique.
Après avoir travaillé comme spécialiste des systèmes de sécurité
informatiques dans une entreprise, il a trouvé plus rémunérateur de
passer du côté des hackers. En tous les cas, s’il y a des problèmes
informatiques, il sera la personne qui saura les résoudre.
Helsinki et Oslo sont recrutés pour leur « formation » militaire. Ils
sont entraînés à obéir à l’autorité qu’ils jugent légitime : le Professeur,
puis Berlin. De plus, ils connaissent vraisemblablement le maniement
des armes lourdes. Helsinki apparaît aussi expert en médecine de
guerre, il soigne attentivement Arturo Román de sa blessure par balle
(S01E04 et suivants) et ne cède pas à la tentation de le tuer pour se
venger de la mort d’Oslo (S01E12).
Nairobi est recrutée pour ses compétences de faussaire. Elle connaît
avec précision le processus de fabrication des billets européens et est
capable d’en contrôler la fabrication. C’est pour cela que Tokyo
précise que Nairobi « sera [leur] responsable qualité » (S01E01).
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1 Il s’agit de faire la cuisine pour un équipage chinois sur le bateau sur lequel elle est censée s’enfuir.
2 C’est comme cela que Tokyo qualifiera dans la suite du braquage, le Professeur.
3 Ceci est rappelé par Nairobi lors de la préparation du braquage quand il s’agira de rallier les otages à
l’équipe (S01E13).
4 https://www.cnrtl.fr/definition/organiser
5 Berlin est le demi-frère du Professeur (S01E13). Moscou et Denver sont respectivement père et fils
(S01E01). Rio et Tokyo sont en couple (S01E01). Oslo et Helsinki se connaissent de longue date et ont
été frères d’armes dans différents conflits (S01E01).
6 L’équipe est présentée exhaustivement par Tokyo lors du premier cours (S01E01).
7 Arturo Román a été blessé par un tir policier alors qu’il maniait une arme factice sur le toit de la
Fabrique nationale de la monnaie et du timbre (S01E04).
8 On ne comprend d’ailleurs pas complètement comment les câbles de téléphone sont passés dans les
canalisations des toilettes de la Fabrique nationale. Mais, cela fait partie peut-être du mystère ou des
fantaisies de la fiction.
9 Raconté par Tokyo (S01E02).
10 On ne sait pas si les encres et les autres consommables sont livrés de la même façon. Et on ne sait
pas non plus ce qui permet de déclencher le réapprovisionnement pour ces ressources essentielles à la
réalisation des objectifs de l’usine.
11 Au premier rang duquel est Torres, contremaître de l’usine.
12 Helsinki et Oslo sont Serbes comme l’équipe qui permettra à Tokyo de s’échapper lors de son
transfert au tribunal pour y être interrogée (S02E06).
13 Une otage, secrétaire du directeur de la Fabrique nationale Arturo Román.
14 L’inspectrice en charge des négociations avec les braqueurs.
15 Car il est impératif de conserver le soutien de l’opinion publique et de ne pas passer de « Robins des
Bois à des fils de pute ».
16 Jeu, parabole de la stratégie, auquel le Professeur s’adonne à ses moments perdus. Il s’avère être un
fin joueur d’échecs, mais aussi un fin stratège, notamment lorsqu’il s’agit de désamorcer le piège tendu
par la police qui annonce le réveil d’Angel Rubio qui connaît son identité (S02E04).
17 Tout en sachant que l’équipe dispose du « petit agneau », sa pièce maîtresse en la personne de
Alison Parker, la fille de l’ambassadeur britannique.
18 Lorsque Raquel Murillo autorise le tir sur les otages ou braqueurs sur le toit de la Fabrique nationale
(S01E04), elle est traumatisée psychologiquement, mais l’organisation des forces de l’ordre la protège.
Elle est, en effet, reconnue comme ayant pris une décision rationnelle et légitime qui se justifiait au
regard des faits. Il y a bien une bavure policière, avec la blessure par balle de Arturo Román, mais
celle-ci est assumée par la hiérarchie des forces de l’ordre qui protègent à la fois la position et la
décision de l’inspectrice.
19 Rio va sortir de la villa où l’équipe prépare et se prépare au casse pour installer la partie informatique
de la salle de contrôle du hangar à proximité de la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre
(S02E03). Moscou va percer des coffres-forts et creuser des tunnels (S01E03). Nairobi va produire des
billets dans l’imprimerie de la Fabrique nationale (S01E02).
20 Des travaux récents montrent que Adam Smith propose bien plus d’éléments fondateurs du
management que la seule division du travail : notamment l’invention du management en tant
qu’argument pour remettre en cause l’esclavage. Pour cela on pourra se reporter à l’ouvrage :
Cummings S. et Bridgman T. (2017), A new history of management. New York: Cambridge University
Press.
21 Elle disparaît un moment et est agressée par Pablo Ruiz dans les toilettes de la Fabrique nationale
(S01E01).
22 Les braqueurs (dès la fin de S01E02) vont utiliser l’imprimerie pour produire les billets qui
constitueront leur butin.
—
2. Structurer une organisation
—
Les organisations qui apparaissent dans la série La casa de papel
font usage des cinq mécanismes de coordinations fondamentaux que
nous avons décrit au chapitre précédent. Nous allons maintenant nous
intéresser à leur architecture, à leur structuration, en vue de remplir
leurs missions. Nous allons voir, tout d’abord, comment sont constitués
les éléments fondamentaux de toute organisation. Nous décrirons
ensuite comment circulent les flux variés entre ces différents éléments.
Et cela nous conduira, enfin, à nous poser la question des formes
d’organisations rencontrées dans la série.
Les cinq parties de l’organisation, selon La casa de
papel
Nous allons tout d’abord aborder la question de la manière dont les
organisations se structurent autour de l’assemblage particulier de
plusieurs éléments. La littérature en sciences des organisations,
synthétisée dans Structure et dynamique des organisations (Mintzberg,
1982), décrit cinq éléments fondamentaux qui existent dans toute
organisation. Ces parties sont plus ou moins développées et structurées,
selon l’âge, la taille et les objectifs de l’organisation. Nous allons voir
que, dans La casa de papel, toutes les organisations en présence
peuvent être décrites précisément selon ces cinq éléments de base : le
sommet stratégique, le centre opérationnel, la ligne hiérarchique,
les fonctions de soutien logistique, et la technostructure. Mais, selon
qu’on se situe dans l’une ou l’autre de ces structures, ces éléments ne
seront pas de la même taille, et n’auront pas non plus, la même
importance. Mintzberg, dans un ouvrage plus récent rajoute à ces cinq
éléments de base, un élément supplémentaire nommé « idéologie » ou
culture (Mintzberg, 1990).
Le centre opérationnel
Un élément de l’organisation va occuper une place extrêmement
importante dans l’équipe des braqueurs. Cet élément va agir pour
« produire » et « réaliser » les objectifs de l’organisation. Or, dans
l’équipe du Professeur, chaque protagoniste va occuper, à tour de rôle,
l’ensemble des fonctions de production de l’équipe : soldat, gardien,
etc. afin de gagner du temps. Il faut, en effet, assurer le maintien de
l’ordre à l’intérieur de la Fabrique nationale de la monnaie et du
timbre, puis, remettre en marche son appareil de production en vue
d’imprimer le butin. Toutes ces activités vont contribuer à la réalisation
des deux objectifs principaux de l’organisation du casse de la Fabrique
nationale : gagner du temps pour permettre aux braqueurs de produire
un maximum de billets. L’exécution de ces missions est réalisée par des
membres de l’organisation réunis dans ce premier élément de base
appelé : centre opérationnel. Celui-ci « est composé des membres de
l’organisation – les opérateurs – dont le travail est directement lié à
la production de biens et services » (Mintzberg, 1982, p. 41).
Tokyo, Rio et Denver font, par exemple, partie de ce centre
opérationnel lorsqu’ils font croire à un braquage classique avorté
(S01E01). En effet, ils mènent les policiers sur une fausse piste, leur
poussant à croire qu’ils ont dû se retrancher dans la Fabrique nationale
alors qu’ils avaient l’intention de s’enfuir. Les braqueurs commencent,
ainsi, à gagner du temps afin de mettre en production les billets de
banque qui constitueront le butin de l’opération.
Toutes les actions de l’équipe qui permettent de prolonger la
présence de l’équipe dans la Fabrique nationale sont réalisées en tant
que membres du centre opérationnel. C’est pourquoi, contre toute
attente, les indices implantés par le Professeur de la villa de Tolède,
constituent aussi une action du centre opérationnel. Nous l’avons dit
chez les braqueurs, du fait de la taille restreinte de l’organisation, les
rôles et les appartenances aux éléments de base de l’organisation sont
temporaires : le Professeur doit assumer sa part dans la production des
objectifs de l’organisation.
On peut noter que, dans le centre opérationnel, les activités sont plus
ou moins standardisées. Dans l’équipe de braqueurs, par exemple, les
activités menées par chacun des membres sont minutées et prescrites à
chaque instant. Chaque membre de l’équipe sait ce qu’il doit faire et
quand il doit le faire. Il n’y a donc théoriquement pas de place pour
l’improvisation et les initiatives personnelles.
La distinction du centre opérationnel du reste de l’organisation est
plus claire chez les forces de l’ordre. Les gendarmes du groupe
d’intervention, par exemple, constituent la force de production de
services de protection des populations contre les braqueurs. Leur
« production » consiste à mettre fin au braquage le plus rapidement
possible et si possible sans que les otages ne soient blessés ou tués.
Contrairement à l’équipe du casse qui est de taille réduite, elles
présentent un centre opérationnel pléthorique et anonyme, supervisé par
des officiers. Là encore, le centre opérationnel des forces de l’ordre est
soumis à l’application de procédures pour la protection des otages et
les interventions. Si ces procédures échouent alors, la supervision
directe devient le mécanisme de coordination principal pour
coordonner le travail du groupe d’intervention.
Un dernier centre opérationnel identifiable dans la série est celui qui
appartient à une organisation préexistante au braquage : l’imprimerie
de billets de la Fabrique nationale. Les otages sont, pour partie, des
ouvriers et techniciens de l’imprimerie dont le travail semble être
contrôlé par Torres, son contremaître. Ils sont de simples exécutants et
leur travail est, dans l’ensemble, prescrit et standardisé. Les otages,
ouvriers de l’usine de la Fabrique nationale, ont été identifiés par les
braqueurs avant le casse et Nairobi les appelle afin qu’ils reprennent
leur place dans le centre opérationnel de la Fabrique nationale
(S01E02).
La technostructure
Nous avons vu que l’organisation utilisait cinq mécanismes de
coordination du travail : la supervision directe, l’ajustement mutuel et
la standardisation des qualifications, des résultats et des procédés. Il
s’agissait de concevoir le recrutement des membres de l’organisation,
leur formation, les manières de travailler et les résultats à atteindre.
Ces mécanismes de coordination du travail ne peuvent avoir lieu sans
qu’une partie de l’organisation ne se charge de concevoir et de
contrôler leur bonne application. C’est le rôle de la technostructure :
à savoir être « le moteur de la standardisation » (Mintzberg, 1982,
p. 47).
Nous avons vu que le Professeur avait pris en charge l’intégralité du
recrutement (S01E01) et de la formation de son équipe. Il a défini les
compétences nécessaires à la réalisation du braquage et a procédé à
des entretiens de recrutement un peu spéciaux, si on se réfère à celui
passé avec succès par Tokyo. Mais, il a pu être déçu par certaines de
ses recrues. En effet, on apprend que Rio a failli ne pas être retenu pour
faire le casse car il est considéré comme trop immature par le
Professeur (S02E03). Ce dernier l’a mis à l’épreuve pour installer sa
salle de contrôle dans un hangar à proximité de la Fabrique nationale et
lui a demandé d’acheter sur le dark web les armes nécessaires au
braquage. Rio est enthousiaste et propose d’acheter un char d’assaut
pour quelques millions de bitcoins. La plaisanterie n’est pas du goût du
Professeur qui prend la décision de le tenir à l’écart du braquage. On
apprend par la suite que Tokyo a intercédé en sa faveur en faisant une
sorte de chantage.
Le Professeur a aussi conçu les objectifs à atteindre dans leur plus
grand détail. Il mentionne tout d’abord (S01E08), le tunnel que
creuseront les otages au marteau-piqueur à partir de la chaufferie qui se
trouve à 13 m du premier conduit d’égout, afin de tromper la police sur
les intentions réelles des braqueurs. Moscou mentionne le fait que le
bruit sera détectable par les radars à pénétration perfectionnés que ne
manquera pas d’utiliser la police. Le Professeur précise que ces radars
ont une portée de 15 m et qu’au-delà les sismographes plus
traditionnels seront en mesure de « localiser les vibrations des outils ».
La police pensera par conséquent que les braqueurs souhaitent s’enfuir
par là. « Mais cela ne sera pas le cas » dit le Professeur. Le bruit des
engins de chantier doit masquer le creusage d’un autre tunnel autrement
plus important. Ainsi, il discute avec Moscou sur la faisabilité du
creusage du tunnel situé à 26 m de l’égout le plus proche et par lequel
l’équipe s’enfuira avec son butin à la fin du braquage. Il précise avec
lui, le temps qu’il faudra pour creuser un passage à travers les
16 centimètres d’acier et le béton armé du sol de la troisième salle des
coffres, pour atteindre un tunnel de maintenance absent de tous les
plans. Il fait 486 m et a été creusé 5 ans auparavant, dans le plus grand
secret, par des Serbes dont on notera, par ailleurs, le statut étrange vis-
à-vis de l’organisation du braquage2. Le Professeur conçoit les
objectifs à atteindre en discutant des procédés à employer avec
Moscou. Si Moscou perce le passage avec un chalumeau, il devra
s’attaquer à 16 cm d’acier puis 80 cm de béton armé, et enfin à de la
terre sur une distance de 6,70 m au total. Il pense qu’il faudra 10 à
12 jours pour creuser un tel tunnel ce qui permet de déterminer la durée
du séjour des braqueurs dans la Fabrique nationale de la monnaie et du
timbre. C’est le temps qui sera consacré, comme le précise Berlin, à
« imprimer 200 millions d’euros par jour ».
Le Professeur a conçu son plan de manière extrêmement précise. Il a
conçu le travail à réaliser par son équipe et de ce fait joue bien les
rôles de « moteur de la standardisation » sous toutes ses formes, dans
l’organisation des braqueurs. Il constitue à lui seul la technostructure de
l’équipe de braqueurs.
On peut observer la manifestation d’une autre technostructure dans la
série. Celle-ci prend place dans l’imprimerie de la Fabrique nationale.
Dans cette usine, le travail est aussi prescrit. Durant le braquage, les
ouvriers, techniciens et contremaître de la Fabrique nationale
retrouvent les postes qu’ils occupaient pour imprimer à la volée un
nombre maximum de billets de banque. Nairobi se charge de la
prescription du travail (S01E02) aidé dans la suite de la série par
Torres (S02E08), qui jouera le rôle de contrôleur du travail réalisé par
les otages-ouvriers de la Fabrique nationale : le contremaître
(Lefebvre, 2003)3.
Il existe aussi une technostructure dans l’organisation des forces de
l’ordre. En effet, le travail des forces d’intervention est conçu et
l’assaut est préparé et planifié, comme l’indique le Professeur à
l’équipe lors de l’école du casse (S01E02). Les forces d’intervention
entreront par l’entrée principale, l’entrée « fournisseurs », le toit et les
issues de secours. C’est ce que l’officier supervisant les équipes
d’intervention a prévu et qu’elles s’efforcent de réaliser lors de
l’assaut.
Un autre exemple emblématique des missions de la technostructure
dans les forces de l’ordre est la planification de l’infiltration pour
opérer Arturo Román, blessé grièvement par une balle policière
(S01E05). Raquel Murillo a décidé d’entrer dans la Fabrique nationale
et élabore un plan précis à l’aide de ses adjoints et des responsables du
renseignement militaire et du groupe d’intervention. « On s’infiltrera
avec l’équipe médicale », dit Raquel Murillo, qui précise que le coup
de feu des forces de l’ordre sur Arturo est bien la seule chose que les
braqueurs n’ont pas planifié. Suárez indique que le seul moyen d’entrer
sans être repéré par les caméras est d’emprunter un souterrain qui mène
à travers les caves et débouchent dans les conduits de ventilation de la
Fabrique nationale. C’est par là que le groupe d’intervention infiltrera
la Fabrique nationale en s’affublant de combinaisons rouges et de
masques Dalí. Les montres sont synchronisées et l’infiltration peut
commencer. L’équipe médicale entre dans le bâtiment au même moment
que l’équipe d’intervention.
Tout est planifié et se déroule comme prévu, jusqu’à ce que des
brouillages radios permettent au Professeur de comprendre ce qui est
en train de se passer. Angel Rubio devra attendre d’être sorti de la
Fabrique nationale pour pouvoir prévenir le groupe d’intervention
qu’ils seront inévitablement démasqués et qu’il faut annuler
l’opération. On voit bien ici le continuum de mécanismes de
coordination qui permet de pallier la défaillance de tous les autres :
Angel Rubio utilise l’ajustement mutuel pour signaler l’échec de
l’infiltration à Raquel Murillo qui ordonne, par supervision directe,
l’arrêt de l’opération.
Formel / Informel
Dans cet ouvrage on fera souvent la distinction entre ce qui est formel et ce qui est informel.
Il convient donc de définir précisément ces notions.
Ce qui est formel est tout d’abord ce qui est officiel, ce qui est écrit ou énoncé de « façon
déterminée, claire, sans équivoque »4. Lorsque le Professeur (S01E01) énonce les règles
essentielles de fonctionnement de l’équipe : « pas de nom, pas de questions personnelles, et a
fortiori, pas de relations personnelles », il énonce des règles formelles sur lesquelles va reposer
le fonctionnement de l’équipe. Il est admis aussi dans l’équipe que Berlin occupe une position
d’autorité formelle en tant que « responsable opérationnel du casse de la Fabrique nationale de la
monnaie et du timbre ».
Ces règles formelles vont s’opposer à l’informel qui n’est pas, par nature, contenu dans une
structure ou dans des règles officielles. L’informel est « spontané et flexible » et repose sur des
liens qu’entretiennent les membres de l’organisation et qui en sont étrangers. La relation
qu’entretiennent Rio et Tokyo est de fait, informelle. Les discussions qu’ont les membres de
l’équipe entre eux lorsqu’ils sont dans leur chambre de la villa de Tolède sont elles aussi
informelles. Lorsque Nairobi et Tokyo parlent d’Axel, le fils de Nairobi, on assiste à un
contournement des règles formelles de l’organisation par le recours à des communications
informelles qu’on ne peut contenir dans un format officiel. La narration faite par Tokyo durant
l’intégralité des cinq saisons de la série donne un caractère formel à l’ensemble des informations
transmises. En effet, elle révèle au monde les rouages de cette organisation dont le
fonctionnement est largement informel.
Elton Mayo est le premier à avoir théorisé les effets produits par les relations informelles.
Dans les années 1920, il mène avec son équipe des expériences de sociologie du travail pour
évaluer l’impact d’amélioration des conditions de travail sur la productivité dans l’usine de la
Western Electric de Cicero à Hawthorne aux États-Unis (Roethlisberger et Dickson, 1939).
Deux groupes d’ouvrières ont été créés dans un atelier de manière à constituer un groupe test et
un groupe de contrôle. Les chercheurs vont, tout d’abord, augmenter l’éclairage de l’atelier du
groupe test. Et ils constatent que la productivité du travail augmente. Ce qui est plus curieux,
c’est qu’ils constatent que la productivité du travail augmente aussi dans l’atelier du groupe de
contrôle qui n’a pas bénéficié de cette amélioration des conditions de travail. Plus étonnant
encore, quand les chercheurs diminuent l’éclairage dans l’atelier du groupe test, la productivité
continue à augmenter et de manière parallèle, celle du groupe de contrôle augmente aussi.
L’équipe d’Elton Mayo cherche donc des explications possibles à ce phénomène que les
chercheurs appelleront bientôt « effets Hawthorne ». L’une d’elles réside dans le fait que les
rapports formels ne sont pas les seuls éléments qui permettent de favoriser la motivation au
travail et donc l’augmentation de la productivité. Il existe d’autres modes de communication,
qu’on appellera « informelle » qui favorisent ces effets. Ainsi, Elton Mayo et son équipe
montreront que la motivation pouvait être accrue en portant une attention particulière à un
groupe d’opérateurs. Ils précisent que ces effets sont généralement de courte durée et plus
marqués sur les acteurs placés aux plus bas niveaux hiérarchiques.
Références
Fayol H. (1916 [1962]). Administration industrielle et générale, prévoyance-organisation-
commandement-coordination. Extrait du bulletin de la Société de l’industrie minérale,
Dunod, Paris.
Lefebvre P. (2003). L’invention de la grande entreprise : Travail, hiérarchie, marché,
PUF, Paris.
Mintzberg H. (1982). Structure et dynamique des organisations, traduit par Romelaer P.,
Éditions d’Organisation, Paris.
Mintzberg H. (1990). Le management. Voyage au centre des organisations, Editions
d’Organisation, Paris.
Roethlisberger F.J., Dickson W.J. (1939). Management and the Worker, Harvard University
Press (Oxford University Press), Cambrigde, Mass.
Weber M. (1922). Économie et société, Points Seuil, Paris.
1 Dans la traduction de Structure et dynamique des organisations, les fonctions de soutien logistique
sont appelées « fonctions de support logistique », qui est une traduction inexacte du terme employé et
qui trompe le lecteur sur la nature réelle de cette partie de l’organisation.
2 Les Serbes ne sont ni dans ni vraiment à l’extérieur de l’organisation du braquage. Ils interviennent
pour éteindre et limiter les conséquences de crises qui peuvent survenir : arrestation de Tokyo,
évacuation de la Fabrique nationale…
3 Pour plus de précisions sur les rôles et les missions du contremaître dans une organisation taylorisée
se reporter à l’ouvrage très complet de Lefebvre (2003).
4 CNRTL https://www.cnrtl.fr/definition/formel
5 C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques fondatrice de la bureaucratie, que Weber place comme
étant le système le plus efficace de gouvernement des organisations (Weber, 1922).
6 Le Professeur porte d’ailleurs des gants lors de toute cette intervention ce qui laisse un doute sur la
manière dont les policiers ont pu extraire une empreinte dans le véhicule. Rappelons-nous que celui-ci
devait à tout prix interrompre la réalisation d’un portrait-robot par l’employé de la casse automobile qui
l’avait pris sur le fait lors de sa tentative de destruction des empreintes dans la Seat que Helsinki n’avait
pas cru bon de détruire (S01E07). À partir de cette voiture de police, il passe un message en russe
menaçant l’employé de la casse de représailles sur sa fille, s’il produit un portrait-robot.
7 Inspirés du tableau Le cri de Edvard Munch et de tableaux de Francis Bacon.
—
3. Concevoir une organisation
—
Les paramètres de conception des organisations
Nous avons décrit comment pouvait être représentées et analysées les
organisations qui sont impliquées dans le casse de la Fabrique
nationale de la monnaie et du timbre. Mais la série La casa de papel
révèle aussi en partie comment sont conçues ces organisations. On peut
observer une constante dans leur élaboration : elles cherchent toutes à
définir la manière dont sera réalisé et coordonné le travail, mais aussi,
comment seront structurées leurs activités et leurs décisions. La série
La casa de papel n’échappe pas à cette tendance. Le Professeur,
lorsqu’il conçoit l’équipe du braquage, pense à la fois aux activités que
vont devoir exécuter les protagonistes et à la manière dont elles vont
pouvoir être coordonnées. On peut observer qu’il a limité son équipe à
huit membres, de manière à rendre plus simple et plus efficace la
coordination du travail. La cellule de crise des forces de l’ordre, visant
à gérer le casse de la Fabrique nationale, répond aussi à des nécessités
de confidentialité, de taille et de coordination des activités. Ainsi,
Raquel Murillo demande, par exemple, à ce que l’ensemble des
antennes relais de réseau mobile à proximité soient réservées à la
captation des communications sortantes de la Fabrique nationale. Et, à
plusieurs reprises dans la série, elle ordonne à tous les personnels non-
essentiels de quitter la tente qu’occupe la cellule de crise. C’est
pourquoi Mintzberg (1982) montre que chaque organisation peut être
élaborée à l’aide de quatre catégories fondamentales de paramètres de
conception : la conception des postes de travail, de la
superstructure, des liens latéraux et des systèmes de prise de
décision (Mintzberg, 1982, p. 85). Nous allons maintenant revenir sur
chacun de ces aspects.
La bureaucratie professionnelle
Mais l’organisation des braqueurs repose aussi sur un centre
opérationnel professionnalisé et orienté vers l’objectif de la mission.
Ainsi, nous avons déjà vu que les qualifications des membres de
l’équipe avaient été standardisées au moment de leur recrutement par le
Professeur (S01E01).
Tokyo et Berlin ont été recrutés pour leur performance dans la
réalisation de casses audacieux. Moscou a été choisi pour ses
compétences de perceur de coffres-forts et de creusage de tunnels.
Nairobi a rejoint l’équipe pour ses qualités exceptionnelles de
faussaires. Et enfin, Oslo et Helsinki sont sélectionnés par le
Professeur parce qu’ils sont d’anciens soldats. Cette
professionnalisation du centre opérationnel s’ajoute à l’existence dans
l’équipe des braqueurs, de règles qui s’appliquent à toutes et à tous :
pas de sang versé, pas de nom échangé, un organigramme clair et qui
doit perdurer dans les crises. L’activité de l’organisation est donc
régulée par le plan fixé et les règles élaborées qui y sont associés.
On dira alors que les braqueurs s’organisent à la manière d’une
bureaucratie, car les comportements sont coordonnés par « des
standards qui déterminent à l’avance ce qui doit être fait »
(Mintzberg, 1982, p. 311). De plus, celle-ci présente un centre
opérationnel constitué d’opérateurs hautement qualifiés « qui utilisent
des procédures qui sont difficiles à apprendre et qui sont bien
définies » : c’est-à-dire comme une bureaucratie professionnelle.
Forme organisationnelle de l’équipe de braqueurs vue comme une
bureaucratie professionnelle, d’après Mintzberg (1982)
Références
Crozier M., Friedberg E. (1977). L’acteur et le système : les contraintes de l’action
collective, Éditions du Seuil, Paris (Sociologie politique).
Darwin C. (1859). On the Origin of Species: By Means of Natural Selection, or the
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Peter Smith, Martino Publishing, Mansfield Centre, CT.
Mintzberg H. (1982). Structure et dynamique des organisations, traduit par Romelaer P.,
Éditions d’Organisation, Paris.
La légitimité traditionnelle
La première source de légitimité pour Weber repose « sur le
caractère sacré de dispositions transmises par le temps » (Weber,
1922, p. 301). « On obéit à la personne du détenteur du pouvoir
désigné par la tradition (…), en vertu du respect qui lui est dû dans
l’étendue de la coutume » (Weber, 1922, p. 289). Le monde est alors
divisé entre la « culture traditionnelle et la nature qui doit lui être
soumise » (Laufer, 1993, p. 42).
Les membres de l’équipe ne sont pas vierges de tout passé avec le
Professeur. On apprend, en effet, que Berlin n’est autre que le demi-
frère de Sergio Marquina et que ce dernier l’a placé à la tête des
opérations de l’organisation (S02E08). Cependant, les autres membres
de l’équipe ne connaissent pas le lien familial qui unit le Professeur
avec son directeur opérationnel. Cette source de légitimité apparaît
donc comme valide, uniquement pour le spectateur. Elle n’est en rien
suffisante pour les autres membres de l’équipe. Ceux-ci ne peuvent
reconnaître ce lien familial, puisqu’ils l’ignorent.
Du reste, l’équipe des braqueurs est une « famille » reconstituée et est
menée dans l’aventure par le Professeur, comme le ferait un père de
famille protecteur. Cet aspect du management de l’équipe renforce
encore le caractère traditionnel du système de légitimité qui fonde son
autorité.
Système de légitimité traditionnelle, d’après Laufer (1993)
C’est l’une des explications de la remise en cause de l’autorité de
Berlin sur l’équipe (S01E04, S02E04, S02E05). Il s’agit d’un défaut
dans les lunettes du « respect » de la tradition qui permettent de
distinguer ce qui en relève, de ce qui est juste de l’ordre de la nature. Il
s’agit là d’une crise du système de légitimité que Berlin devra résoudre
péniblement à trois reprises, après avoir largement mis en œuvre des
actions jugées illégitimes envers l’équipe et les otages.
La légitimité charismatique
Le Professeur fait usage d’un autre système de légitimité pour fonder
son autorité. Il va développer un charisme étonnant qui va subjuguer
ses partenaires. Dès le début de l’aventure, Tokyo décrit le Professeur
comme l’« ange gardien » de l’équipe du braquage qui va pouvoir les
faire sortir vivants de la Fabrique nationale (S01E01). Weber indique
que pour que les acteurs acceptent d’être dominés, il faut qu’il aient
« une croyance, croyance au “prestige” du ou des gouvernants »
(Weber (1922) in Agogué et Sardais, 2019, p. 26). Or, ce prestige se
construit par la réalisation d’actions extraordinaires qui vont placer le
lieu d’origine du pouvoir légitime dans la sphère du « sacré » ou du
surnaturel et le lieu d’application du pouvoir légitime dans la sphère du
« profane » (Laufer, 1993, p. 44). C’est cette croyance presque
religieuse que Tokyo place dans le personnage du Professeur, depuis
son recrutement jusqu’à la fin du braquage.
Système de légitimité charismatique, d’après Laufer (1993)
La légitimité rationnelle-légale
Mais le système de légitimité invoqué de manière privilégiée par le
Professeur pour fonder son autorité est encore différent des deux
premiers systèmes évoqués. Dans ce cas, le fondement de la légitimité
est la Raison et ce sont les lunettes de la science qui vont permettre de
distinguer ce qui est naturel – ce qui ne dépend pas de l’action humaine
– de ce qui est culturel – ce qui résulte de l’action humaine. On peut
appeler ce système de légitimité : la légitimité « technique » car il est
le résultat de la mise en œuvre d’outils de gestion élaborés
scientifiquement et rationnellement (Agogué et Sardais, 2019).
Système de légitimité rationnelle-légale, d’après Laufer (1993)
Maintenir l’autorité
Maintenant que nous avons vu les fondements qui légitiment
l’autorité, il nous faut analyser comment cette autorité peut permettre de
soumettre à la volonté d’un acteur, les actions d’autres acteurs. Pour
répondre à cette question, il faut établir comment se construit la relation
d’autorité et comment elle peut être maintenue au cours du temps.
Références
Agogué M., Sardais C. (2019). Petit traité de management pour les habitants d’Essos, de
Westeros et d’ailleurs, Éditions EMS, Caen.
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collective, Éditions du Seuil, Paris (Sociologie politique).
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d’Organisation, Paris.
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mars-avril, p. 137-145.
Tversky A., Kahneman D. (1991). “Loss Aversion in Riskless Choice: A Reference-
Dependent Model”, The Quarterly Journal of Economics, 106(4), p. 1039-1061.
Weber M. (1922). Économie et société, Points Seuil, Paris.
1 CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/pouvoir
2 I comme Icare, 1979, Henri Verneuil, début de l’extrait à 1h07’20’’.
3 Rappelons qu’elle est expédiée par Berlin scotchée sur une table à roulettes au dehors de la Fabrique
nationale, en guise de punition à son insubordination.
4 Conformément au plan fixé et élaboré par le Professeur.
5 Au péril de sa vie, le Professeur va aller implanter des preuves dans la Seat Ibiza, incriminant Berlin
afin de le punir d’avoir dérogé à la règle principale du braquage qui est de ne pas faire de victime
(S01E07-08).
6 Berlin dit d’abord qu’il allait protéger les otages. Il dit ensuite qu’il est « plus logique de les torturer »
(S02E05).
7 « Qu’est-ce qui unit les gens ? Le football, le sexe mais surtout l’argent. » Le Professeur veut
transformer les otages en associés.
8 C’est-à-dire ceux qui présentent le plus fort risque de sinistres.
9 Le contremaître de l’imprimerie de la Fabrique nationale.
10 Berlin fait du chantage à Ariadna en lui affirmant qu’elle et lui forment un couple qui s’aime et qu’ils
ne peuvent donc pas se séparer ainsi.
11 Elle assomme Arturo Román qui tient en joue Denver avec l’arme qu’elle a contribué à subtiliser
(S02E05).
—
5. Construire le sens
—
Le braquage de la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre est
le lieu d’exercice de forces contradictoires, de jeux de pouvoir et
d’autorité favorisés, entre autres, comme nous l’avons précisé dans le
chapitre précédent, par des décalages informationnels et de
représentations. Ces perturbations nuisent au bon fonctionnement des
organisations, car elles dégradent à la fois les processus de l’action
collective ainsi que leur compréhension. Elles conduisent notamment à
la perte du sens de leurs objectifs et à la création de décalages de sens
avec ceux de ses membres. Et, elles peuvent conduire au blocage
partiel ou complet de ses activités. Pour comprendre ces
problématiques organisationnelles, on peut s’intéresser à la manière
dont les organisations peuvent contrôler et piloter la construction des
représentations des acteurs qui la composent et de les proposer à leur
environnement de manière maîtrisée.
Dans le chapitre 1, nous avons vu que l’organisation avait pour rôle
de maîtriser l’incertitude et de réduire l’inconnu issus de
l’environnement. Quand les processus organisationnels viennent à
faillir, alors les membres de l’organisation se trouvent plongés dans
une impasse de l’action organisée, qui les conduit à défaire,
transformer ou abandonner ces organisations dont ils font partie, pour
éventuellement en construire d’autres. Pour être en mesure de continuer
à agir ensemble, il leur est donc nécessaire de produire des
représentations en concordance avec celles de l’organisation et qui
soient en mesure de supporter l’action collective.
La question du sens qu’on donne au travail est devenue
incontournable dans nos sociétés modernes. La mise en évidence
massive des problématiques de bien-être au travail, et des situations de
risques psychosociaux dans la vie quotidienne, contribue à donner à la
construction du sens un intérêt nouveau. Or, les sciences de gestion
instruisent cette question de manière plus large en développant des
cadres théoriques pertinents pour les analyser, les piloter et les
transformer. Il s’agit à la fois d’un enjeu pour l’action collective, mais
aussi pour rendre cohérente l’action organisée en vue de la réalisation
des objectifs de l’organisation. Nous verrons aussi, par la suite, les
enjeux pour les acteurs et spécialement ceux impliqués dans le casse de
la Fabrique nationale de se doter de processus robustes pour piloter
leurs activités dans un environnement incertain ou inconnu.
Ordonner le chaos
Le braquage constitue pour les otages comme pour les forces de
l’ordre un moment important de perte de sens, car il déjoue toutes les
tentatives de reconstruire le sens de la situation. Weick (1985) montre
que si les protagonistes ne parviennent pas à faire sens de leur
environnement, c’est qu’ « ils n’agissent pas, ne comparent pas, ne
socialisent pas, ne prennent pas suffisamment de recul, et ne
rattachent pas suffisamment ce qu’ils vivent à des contextes
identifiés » (Weick, 1985, p. 56), ou qu’on les empêche de le faire. Les
effets conjugués des actions des braqueurs, mais aussi des
circonstances du casse, montrent la puissance des organisations à
ordonner le chaos.
L’équipe des braqueurs fournit des cadres interprétatifs de son
environnement d’évolution, à ses membres. C’est le rôle des
combinaisons rouges et des masques Dalí5. Il s’agit bien pour
l’organisation du braquage d’apporter une tonalité, de produire et de
diffuser des représentations qui induiront une image spécifique de
l’équipe auprès du grand public et des forces de l’ordre6. L’hypothèse
évoquée plusieurs fois, dans la série, que les braqueurs sont fous est
corroborée en partie par l’usage de ce subterfuge. Les éléments
d’identification des braqueurs (combinaisons rouges, maques DalÍ,
armes de guerre, etc.) contribuent à donner à l’équipe l’image
cohérente d’une groupe de malfrats sympathiques mais complètement
fous.
Mais, nous l’avons dit, l’organisation produit aussi des règles qu’on
peut tenter d’enfreindre pour en tester la validité. Les règles de vie
commune avec les otages sont, par nature, intéressantes. Berlin souhaite
que la détention des otages se passe au mieux (S01E01), et il insiste
pour que celles ou ceux qui seraient stressés viennent lui en faire part.
Enfin, l’équipe va « mettre au travail » les otages afin d’achever
d’ordonner leur vie recluse. Cette activité donne un sens à ce qu’ils
vivent, contribue à les occuper et à ordonner leurs représentations en
adéquation avec les buts propres des braqueurs. Les décisions des
otages concernant leur attitude ou comportement durant cet épisode
cosmologique, sont conditionnées par les instructions qui leur sont
imposées. Comme l’ensemble des protagonistes, les otages mettent en
œuvre des actions qui leur sont avantageuses et pour cela utilisent les
informations dont ils disposent et les représentations qu’ils construisent
pour parvenir, au mieux, à sortir vivants de cette aventure.
Angel Rubio sait qui est le Professeur, ou en tous les cas, connaît la
personne qui aide les braqueurs depuis l’extérieur de la Fabrique
nationale. Ceci découle de l’enquête discrète qu’il mène au sujet de ce
mystérieux Salva, qui est devenu en peu de temps le meilleur ami et
amant de sa collègue, dont il est secrètement amoureux. Lorsqu’il
apprend que Raquel rencontre Salva, cet événement constitue une
interruption dans le cours de sa relation courante avec l’inspectrice. Il
s’engage donc dans un processus d’enquête plus poussé et lorsqu’il
obtient des réponses à ses interrogations, il ne peut les transmettre à sa
collègue. Il ne peut être qu’à l’origine des fuites qui informent les
braqueurs de l’avancement de l’enquête. Cela rompt l’amitié et la
confiance qui liaient ces deux personnages et entraîne ainsi une rupture
de cadre rendant illégitimes devant Raquel Murillo, toutes les avancées
qu’il a pu faire.
L’incertitude est un bon déclencheur de processus de construction du
sens. C’est d’ailleurs celle-ci qui, en introduisant de l’ambiguïté dans
les situations, va déclencher les processus d’enquête. Plus précisément,
c’est le mystère qui entoure la situation du Professeur vis-à-vis
d’Angel, qui va déclencher cette investigation approfondie, pour
dénoncer Salva. Le processus de construction du sens est donc à la fois
influencé par les évolutions de la situation et les interruptions qui
peuvent se produire en son sein.
Créer le sens à partir d’une référence culturelle commune
Le processus de construction de sens est aussi conditionné par les
règles et la culture qui régissent les comportements. Par exemple, lors
de la sortie des otages sur le toit pour accompagner Moscou qui a
besoin d’air, les armes factices, les combinaisons rouges et les
masques, font des otages et des braqueurs un groupe indéterminé. Dans
la série, comme dans la culture populaire, « l’habit fait le moine »
(S01E04). De fait, pour la police, une combinaison rouge, un masque et
une arme, font de l’homme un braqueur.
Faire sens d’une captation vidéo ambiguë et prendre une décision en
cohérence (S01E04)
Le fait de porter une arme, même factice, rend les otages plus vrais
braqueurs que les braqueurs eux-mêmes et cela à toutes les incursions
dans de la Fabrique nationale23. Lorsque Arturo est sur le toit et qu’il
s’agite avec le faux pistolet, ses gestes et son comportement ne peuvent
être interprétés autrement que comme étant agressifs. Il faut donc
l’abattre. Les braqueurs ont formulé un cadre ambigu qui ne peut laisser
la place qu’au doute et au questionnement. La balle démasque Arturo
Román et fait apparaître la bavure policière, et, par conséquent,
l’erreur de Raquel Murillo.
Références
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innovante : Éléments théoriques et pratiques de la théorie C-K, Presses de l’Ecole des
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Weick K.E. (1995). Sensemaking in Organizations, Sage Publications, Londres.
Weick K.E. (1996). “Drop your tools”, Administrative Science Quarterly, 41, p. 301-313.
1 Après les excuses de Berlin envers les otages, et qu’il a affirmé que les otages sont sous sa
protection, Denver, dit durement à Arturo Román « tu me donnes ce putain de PIN ou je te défonce la
tronche ». Puis « PIN » et Arturo Román obtempère et donne son code PIN « 1, 2, 3 ,4 ».
2 Les policiers essayent d’identifier les braqueurs parmi les otages, dès le discours de Monica
Gaztambide (S01E03). Puis, lorsque les otages sortent sur le toit de la Fabrique nationale (S01E04).
Enfin, les enquêteurs interrogent les otages évadés de la Fabrique nationale (S01E12) pour en savoir
plus sur ce qui se passe réellement à l’intérieur de la Fabrique nationale.
3 Dans lesquelles les otages sont supposés être plus à l’aise.
4 Artéfacts : tous les éléments construits par l’homme dans ses activités, d’après CNRTL :
https://www.cnrtl.fr/definition/artefact
5 La discussion dans le camion entre Berlin, Moscou, Rio et Denver au sujet de l’intérêt des masques
DalÍ est intéressante à ce titre (S01E01).
6 Et des otages eux-mêmes qui sont ainsi mis dans le même bateau que les braqueurs.
7 Rationalité : caractère de ce qui relève de la Raison, appartient à la Raison. D’après CNRTL :
https://www.cnrtl.fr/definition/rationalité
8 Cela inclus évidemment le Professeur qui est un très bon joueur d’échecs mais n’est évidemment pas
infaillible.
9 Le surnom de Sergio Marquina, le Professeur, est probablement aussi dû à l’usage immodéré de la
Raison et de la rationalité dans l’élaboration et la réalisation du plan du braquage de la Fabrique
nationale.
10 Le butin ne s’élèvera pas à 10 milliards d’euros et le braquage fera deux victimes au sein de
l’équipe.
11 « Satisfaying ».
12 Qui s’est trouvé mal suite à l’annonce du « crime » de Denver, qui aurait abattu une otage.
13 Sa secrétaire avec qui il entretenait une relation extra-conjugale.
14 Les otages se mettent à genoux avec les mains sur la tête, alors que le présumé braqueur se trouve
debout tenant une arme et gesticulant.
15 Le QG, salle de contrôle des opérations du Professeur.
16 Prélevé dans les coffres-forts de la Fabrique nationale par Moscou.
17 Angel Rubio pose l’hypothèse que celle ou celui qui a déclenché l’alarme manuelle est « sûrement un
employé ». Cette hypothèse qui n’est jamais vérifiée renforce l’idée d’un casse classique.
18 Les policiers surprennent des braqueurs chargés de sacs de billets sur le fronton de la Fabrique
nationale, ils les forcent à se replier à l’intérieur en laissant les sacs sur les marches : il s’agit donc d’un
casse classique qui a tourné court, grâce au courage des policiers de première intervention.
19 Frame.
20 La police tend un piège au Professeur en tentant de lui faire croire qu’Angel Rubio, accidenté de la
route et dans le coma, s’est réveillé. Il invente un stratagème plein de clowns pour pénétrer dans
l’hôpital et vérifier la situation d’Angel Rubio. Il débusque le plan des policiers, en étant à la fois présent
et absent de la chambre présumée d’Angel Rubio.
21 Prix Nobel d’économie en 2002.
22 « L’art d’inventer, de faire des découvertes » en résolvant des problèmes à partir de connaissances
incomplètes. Ce type d’analyse permet d’aboutir en un temps limité, à des solutions acceptables. Celles-
ci peuvent s’écarter de la solution optimale. https://fr.wikipedia.org/wiki/Heuristique
23 C’est le cas lors du discours de Monica Gaztambide pour décrire la situation des otages (S01E02).
De même, lorsque la télé entre dans la Fabrique nationale, pour faire un sujet avec Berlin (S02E04).
24 Cela est d’ailleurs peu montré dans la série.
25 Il s’agit aussi de la part des braqueurs d’une sorte de manipulation qui conduit les otages à avoir une
occupation et de fait de ne pas avoir le temps disponible pour se révolter : épuiser le corps et l’esprit
pour éviter la rébellion.
26 « Le Professeur ne nous avait pas dit que les policiers eux aussi tireraient sans prévenir. »
27 « Tu sais ce qu’il fallait faire, c’est respecter le plan, tu sais, celui qu’on avait répété un milliard de
fois. »
28 Raquel Murillo dit que c’est la première fois dans le casse que les braqueurs n’avaient pas prévu un
événement qui s’est produit. En effet, ils ne peuvent avoir anticipé la bavure policière dont elle est à
l’origine. S’offre aux forces de police une opportunité qui devrait leur permettre de remporter la victoire
sur les braqueurs.
29 Les otages ont été divisés en deux groupes : ceux qui ont choisi de recevoir 1 million d’euros et ceux
qui ont choisi la liberté. Le Professeur décide de donner la liberté promise à ce dernier groupe.
30 Le plan Tchernobyl consiste à larguer l’ensemble du butin (des millions d’euros) au-dessus de Madrid
afin de créer une panique et permettre aux braqueurs de s’éclipser de la Fabrique nationale et d’avoir la
vie sauve.
31 Le Professeur est retenu prisonnier et interrogé par Raquel Murillo dans la villa de Tolède.
—
6. Innover en management
—
Avec Marine Agogué1
Les leçons managériales du casse de la Fabrique
nationale de la monnaie et du timbre
Un casse, c’est avant tout la réalisation d’une idée que l’on mène
jusqu’au bout. Il faut planifier un coup d’éclat collectif, puis le mettre
en œuvre. Mais, entre le plan et la vie réelle, bien des choses peuvent
advenir – et c’est là que le management, à savoir le pilotage de l’action
collective (Hatchuel, 2019) entre en scène.
Au sein de l’équipe de braqueurs, plusieurs individus occupent des
fonctions managériales : le Professeur, bien évidemment, mais pas
seulement. Berlin, dès le début de l’aventure à l’entrée dans la
Fabrique nationale, doit manager le collectif : il oriente l’action des
braqueurs, coordonne les opérations, s’assure que les choses suivent
leur cours, et réagit – voire improvise – quand ce n’est pas le cas.
Nairobi, elle, encadre les otages qui sont mis à contribution à
l’imprimerie. Elle leur explique la mission (ou du moins une partie de
la mission), leur donne des tâches précises, vérifie la qualité du travail
produit. Elle prend aussi les commandes de l’équipe de braqueurs
lorsque les actions menées par Berlin lui pose des problèmes. Dans les
premières heures de vie du casse, le Professeur, Berlin et Nairobi
doivent aussi composer avec les écarts entre les plans initiaux et la
réalité vécue par le collectif. Parfois, ils utilisent des pratiques
managériales bien connues – ils planifient, organisent, dirigent et
contrôlent l’action collective en s’appuyant sur leurs forces et leur
expérience, et en mobilisant des mécanismes qu’ils maîtrisent. Cela
permet aux « gestionnaires » du casse de développer des routines
managériales, c’est-à-dire des comportements répétés qui sont liés par
des règles et coutumes et qui restent relativement stables d’une itération
à l’autre (Feldman, 2000). Ainsi, le Professeur entraîne son équipe à se
comporter d’une certaine façon, à mettre en place des automatismes
grâce à la répétition de séquences prédéterminées. Berlin s’adresse à
ses camarades d’une façon relativement homogène dans la villa et lors
du début du casse. Mais parfois, le Professeur, Berlin et Nairobi sont
confrontés à des situations inconnues qui rendent caduques ces routines
managériales qui les habitent, ce qui les amène à innover dans leur
façon de gérer les collectifs dont ils ont la charge. Ils se trouvent alors
dans une posture de concepteur et de producteur d’innovations
managériales.
Nous allons voir dans ce chapitre ce que gérer veut classiquement
dire, en repartant d’une matrice du management technique, matrice
fondatrice de la pensée managériale contemporaine : le Planifier-
Organiser-Diriger-Contrôler (PODC) de Henri Fayol (1916). Nous
décrirons ensuite comment ce PODC se décline dans le contexte de
management à distance que vit, de facto, le Professeur, chef d’une
équipe qui travaille dans un espace physique éloigné du sien. Cela nous
permettra d’ouvrir la porte vers la question de l’innovation en
management, et d’en caractériser les conditions d’émergence et de mise
en œuvre. Nous mettrons enfin à l’œuvre cette approche de l’innovation
managériale au regard des formes de management au féminin que nous
donnent à voir les différentes saisons de La casa de papel.
Références
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crisis episodes. A case study in a public transportation company”, Journal of Contingencies
and Crisis Management, 16(2), p. 101-114.
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https://podcasts.apple.com/fr/podcast/histoire-en-s%
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Histoire en séries (2022a). « Mad Men et le Marketing », 13 juillet 2022.
Histoire en séries (2022b). « Hippocrate avec Claire Edey Gamassou », 20 juillet 2022.
https://www.youtube.com/watch?v=AnXo_q7JnFA.
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EMS, Caen (Nouvelles pédagogies).
—
Postface
—
Albert David
Professeur à l’Université Paris Dauphine, Université PSL,
DRM, CNRS.
Il y a vraiment du management dans La casa de papel !
Au regard de ce qu’est fondamentalement le management, tout
d’abord : « une science de l’ajustement et de l’intégration sous
conditions toujours nouvelles »1. Un art du ménagement (l’étymologie
française de management) en même temps qu’une forme
d’arraisonnement (de l’italien managgiere, associé au manège, lieu de
dressage des chevaux). Mais aussi à travers des centaines de situations
pratiques qui illustrent ces fondamentaux. Citons par exemple le
moment où Tokyo décide de faire confiance au Professeur, lorsqu’il
tente de lui démontrer que la visite à sa mère serait un piège. Moment
fondateur d’une loyauté indispensable à la création d’une organisation
hautement fiable, nécessaire pour réussir le casse ! Mentionnons la
question des règles, également très présente dans la série, en particulier
la fameuse « règle n°1 » : éviter à tout prix de faire couler le sang.
Cette règle fonctionne comme un principe directeur, un peu comme les
règles qui programment les robots dans les romans d’Asimov : elle se
justifie ici, par le fait qu’à la première goutte de sang versé, l’équipe
passe du statut de « Robins des Bois » à celle, moins enviable, de « fils
de p… ». Mais bien entendu la série rend bien aussi une réalité
constante des règles : ce sont des guides, mais il faut aussi savoir leur
désobéir, et bien malin qui peut dire à l’avance quand, pourquoi et
comment.
Bien entendu, une série comme La casa de papel n’échappe pas à la
caricature. Les personnages ont tous un passé qui fait qu’« ils n’ont rien
à perdre ». L’omniscience du Professeur est irréaliste – même si la
série met en scène, à quelques moments, quelques lacunes et fragilité –
et il incarne un leadership poussé à un point qu’on ne rencontre pas
souvent dans les situations de la vie réelle. La façon dont Tom Hanks
construit progressivement son leadership dans Il faut sauver le soldat
Ryan, par exemple, est sensiblement plus subtile. Si l’on transpose à
des organisations réelles, la façon dont le Professeur constitue son
équipe est assez discutable et il y a à la fois de l’habileté et du cynisme
à procéder ainsi. La série fait, comme beaucoup de films d’action du
même genre, l’apologie d’une planification diabolique de l’action :
diabolique dans son degré de précision, diabolique dans sa capacité à
anticiper les réactions des autres parties prenantes et à prévoir tout une
série de « plans B » – sans d’ailleurs que l’équipe chargée du casse en
soit toujours informée. On retrouve ici, certes de façon un peu plus
sophistiquée, les improbabilités de Mission impossible ou de
Ocean’s 11 : dans la vraie vie, en général, l’histoire se termine
beaucoup plus vite, notamment parce qu’il est rare que le « méchant »,
dans la réalité, vous annonce à l’avance, comme dans les James Bond,
qu’il va vous tuer, ou vous laisse en vie parce que sa mégalomanie
l’amène à vous montrer comment il compte dominer le monde.
On voit donc que cette série, comme d’autres, intègre un certain
nombre de caricatures, et les mythes qui vont avec : le mythe de
l’omniscience, le mythe de la possibilité d’une planification sans faille,
le mythe du cerveau supérieurement sage. Et toujours en toile de fond
les bons et les méchants, même si ce point est ici traité avec une
certaine subtilité, due au fait que le projet est un « casse élégant » façon
Robin des Bois ou Arsène Lupin. Les catégories « bons » et
« méchants » sont donc davantage brouillées que dans Star Wars ou
James Bond, par exemple. Sur les personnages eux-mêmes, on retrouve
des caractéristiques qui existent tout de même aussi dans la vie
professionnelle : Tokyo, Berlin et les autres ont un passé, ils ont des
motivations diverses, des styles, des compétences. Mais dans la série
ils ne sont « que » membres de l’équipe du casse. Ils ne rentrent pas
chez eux le soir, ils n’ont pas de vie à côté. C’est plus subtil chez le
Professeur, mais on ne voit de lui que quelques facettes, on le voit, en
quelque sorte, « de face », il n’est pas supposé avoir une autre vie, il
n’est là que pour organiser le casse, comme si les raisons qui le
motivent, lui, n’avaient pas d’importance. Cela entraîne que sur une
question donnée, par exemple, celle des frontières de l’organisation,
certains aspects contemporains comme la frontière entre privé et
professionnel, ne seront pas abordées. Plus fondamentalement, le
caractère caricatural des personnages peut empêcher une transposition
suffisamment fine au monde réel. On pourrait même imaginer qu’un
décodage des types psychologiques induisent une typologie faite de
catégories auxquelles il serait risqué de s’identifier, un peu comme il y
a de la violence, dans certains tests psychologiques, à ressortir de là
avec une identité attribuée par trop décalée par rapport à l’identité
vécue.
Il est donc possible que, dans un contexte d’enseignement du
management, ces séries soient simplement illustratives : un moyen
pédagogique de faire passer des concepts et des règles de management.
Et avec, nous l’avons dit, un risque de caricaturer ces concepts et ces
règles, parce que le succès de la série tient au réalisme apparent des
situations et que ce réalisme est en partie aussi un simplisme, tant la
caricature a de bonnes propriétés. Cette vertu pédagogique ne peut
perdurer – l’ouvrage le démontre amplement – qu’à la condition d’un
recul critique, tant les modèles d’action portés par la série sont à la
fois réalistes sur le fond et partiels par rapport à l’ensemble des
modèles d’action possibles.
Mais cette vertu pédagogique tient peut-être aussi à une autre raison.
On pourra constater qu’en général, il est bien plus facile d’imiter un
imitateur que l’original – par exemple un humoriste qui imite un homme
ou une femme politique : l’imitateur a déjà effectué un travail de
décodage, il a accentué les défauts. On les reconnaît en même temps
qu’on peut, tout d’un coup, mieux les comprendre et les reproduire.
C’est d’ailleurs aussi ce qui fait rire le public ! Pour La casa de papel,
il se peut que la même chose se passe : ces séries présentent des
simplifications managériales et organisationnelles, parce que
précisément les situations et les personnages sont caricaturaux, et c’est
ce qui permet au spectateur de se repérer facilement, tout en appréciant,
par ailleurs, une mise en scène sophistiquée du casse lui-même. Ces
séries se situent donc logiquement dans une surenchère, comme les
fictions citées plus haut (Mission Impossible ou Ocean’s 11 par
exemple). Mais cette surenchère ne porte pas sur les situations de
management elles-mêmes : paradoxalement, et c’est peut-être
dommage, on aurait des situations de management finalement assez
standard, alors qu’on pourrait les croire exceptionnelles, parce que le
contexte d’action est, lui, dramatisé à l’extrême. Autrement dit, utiliser
La casa de papel, ou d’autres séries équivalentes, serait très efficace
pour faire comprendre des notions de management aujourd’hui
classiques – les composantes de l’administration selon Fayol, les
régimes de légitimité de Weber, les mécanismes de coordination tels
que synthétisés par Mintzberg, les principes de gestion de crise,
l’intérêt et les limites de la planification, les grandes catégories de
comportement organisationnel – mais pas pour y trouver de
l’innovation managériale, des modes inédits de gestion, des
configurations organisationnelles originales.
Une autre possibilité, néanmoins, serait de considérer, au contraire,
que le fait qu’il soit intéressant d’analyser La casa de papel avec une
grille managériale prouve à quel point manager est une activité
générale, qui consiste précisément à ajuster et à intégrer les actes
élémentaires de l’action collective, quelle que soit cette action. Ce qui
nous amène, pour conclure cette postface, à évoquer les extraordinaires
propriétés des romans dans la transmission des connaissances. Pas tous
les romans : ceux dont l’intrigue se déroule dans un contexte historique
bien documenté, validé par les historiens en quelque sorte. Ces romans-
là fonctionnent comme un signal en modulation de fréquence : l’intrigue
est l’onde porteuse, et les connaissances historiques sont la
connaissance portée, dans le contexte pédagogique qui nous intéresse
ici. Que savons-nous du monde ouvrier du XIXe siècle si ce n’est grâce
à notre lecture de Zola ? Que savons-nous du système judiciaire de la
dynastie des T’ang si ce n’est d’avoir lu Les aventures du juge Ti, de
Robert Van Gulik ? Que connaissons-nous du Paris un peu « anar » des
années cinquante si ce n’est à travers les Nestor Burma de Léo Malet ?
C’est exactement ce que dit Umberto Eco dans sa préface au livre de
David Lodge, Un tout petit monde : « Si on lit des romans, c’est
également pour acquérir les notions qui permettront de les lire. Ils
nous introduisent à des mondes qui nous étaient inconnus et nous les
rendent familiers. Pour lire un roman, on fait semblant de savoir, on
feint en accordant sa confiance à l’auteur qui, à un moment ou à un
autre, vous dira ce que vous devez savoir de l’univers dont il parle »2.
Quant à être conseiller scientifique en management pour des séries à
venir, comme l’évoque Mathias Szpirglas, je suis volontaire ! D’autant
que dans le monde qui vient, on aura à la fois besoin d’innover en
management… et de faire passer les bons messages. À cet égard,
l’audience planétaire de séries comme La casa de papel permet
probablement, même si les pièges sont nombreux, un « passage à
l’échelle » d’une efficacité redoutable !
Paris, septembre 2022.
1 O’Connor, E. (2011), Creating New Knowledge in Management – Appropriating the field’s lost
foundations, Stanford Business Books, Stanford University Press, Stanford, California, 224 p.
2 Eco U. (1984), Préface à Lodge, D., Un tout petit monde, Rivages, pour la traduction française.
—
Remerciements
—
Cet ouvrage n’aurait pas pu voir le jour sans les discussions autour de
la fiction et les séries télé que j’ai eues avec de nombreux collègues
durant les confinements liés à la pandémie de Covid-19. C’est
pourquoi, je souhaite, tout d’abord, remercier chaleureusement Marine
Agogué, pour ses relectures attentives et pour l’écriture créative du
chapitre 6 de cet ouvrage portant sur l’innovation managériale. Je ne
peux que remercier Céline Lamade qui a donné à ce manuel, avec ses
dessins, ce petit surcroît d’âme qui contribura à apprendre avec plaisir
une discipline aride. Enfin, celui-ci ne serait pas ce qu’il est devenu
sans la petite équipe de recherche agile et efficace, travaillant sur le
management et les séries télé. J’ai nommé Claire Edey Gamassou,
maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil et à l’Institut de
Recherche en Gestion, Florent Giordano, maître de conférences à
l’Université de Reims et au laboratoire Regards et Romain Pierronnet,
chargé d’appui à la politique scientifique du CEREFIGE, à l’Université
de Lorraine.
Il ne faut pas oublier Albéric Tellier, professeur à l’Université Paris
Dauphine, qui a parlé de mon travail sur Twitter à partir de La casa de
papel à Gaël Letranchant, des Éditions EMS. Je remercie aussi ce
dernier qui m’a proposé et fait confiance pour transformer ces threads
en un véritable manuel de management.
Je remercie ensuite, Albert David, professeur à l’Université Paris
Dauphine, qui a relu ce manuel et écrit la postface de cet ouvrage et
mettant en lumière tout l’intérêt d’une étude différente du management
par la fiction.
Je remercie enfin les équipes du CIPEN (Centre d’Innovation
Pédagogique et Numérique) de l’Université Gustave Eiffel, qui m’ont
accueilli durant l’année universitaire 2021-2022 durant mon congé pour
projet pédagogique (CPP) ; et bien évidemment, mes collègues de
l’IAE Paris-Est (ex-Gustave Eiffel), et de l’UFR de sciences
économiques et de gestion de l’Université Gustave Eiffel, notamment
Véronique Attias-Delattre, qui a été une source inépuisable de conseils
avisés, qui m’ont soutenu durant toute l’année universitaire dans la
réalisation de ce projet et la rédaction de ce manuel. Enfin, je remercie
Anne Carpentier pour sa relecture attentive des épreuves de ce livre.