Chapitre 6 Et Lectures Complémentaires 3

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Voltaire, Candide ou l’optimisme, chapitre 6 : « Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les

tremblements de terre et comment Candide fut fessé »


Candide est un jeune homme naïf élevé dans le château de son oncle par son maître Pangloss, qui soutient l’Optimisme.
Chassé du château pour avoir séduit sa cousine Cunégonde, il est enrôlé de force dans l’armée et fuit les combats. Arrivé en
Hollande, il rencontre l’anabaptiste Jacques et retrouve Pangloss qui lui annonce que toute sa famille a péri lors de l’attaque du
château. Ils partent tous les trois pour Lisbonne mais une tempête éclate et Jacques se noie en voulant sauver un marin. Parvenus
à Lisbonne, ils sont dénoncés à l’Inquisition car Pangloss a tenu des propos soutenant l’Optimisme et jugés comme étant
« hérétiques ».

Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un
moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé 1 ; il était décidé par l’université de
Coïmbre2 que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher
la terre de trembler.
On avait en conséquence saisi un Biscayen 3 convaincu d’avoir épousé sa commère 4, et deux Portugais qui en mangeant
un poulet en avaient arraché le lard 5 : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé,
et l’autre pour l’avoir écouté avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d’une extrême
fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil : huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un san-benito 6, et on
orna leurs têtes de mitres 7 de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées 8, et de diables qui
n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils
marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique 9, suivi d’une belle musique en faux-bourdon 10.
Candide fut fessé11 en cadence, pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger de lard
furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas
épouvantable.
Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si c’est ici le meilleur des
mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n’étais que fessé, je l’ai été chez les Bulgares 12 ; mais, ô mon cher
Pangloss, le plus grand des philosophes ! faut-il vous avoir vu pendre, sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste13, le
meilleur des hommes ! faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! ô mademoiselle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on
vous ait fendu le ventre ! »
Il s’en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni, lorsqu’une vieille l’aborda, et lui dit : « Mon fils,
prenez courage, suivez-moi. »

1. Exécution d’une sentence de l’Inquisition, littéralement « acte de foi » 2. Ville du nord de Lisbonne, célèbre par son université dirigée par des religieux 3.
Originaire de Biscaye, province basque de l’Espagne 4. La religion catholique interdit le mariage entre un homme et sa marraine 5. Ils ont ainsi révélé leur
appartenance à la religion juive qui interdit la consommation de porc 6. Espèce de casaque portée par-dessus les vêtements 7. Sorte de chapeau pointu 8. Ce qui
indique que le coupable s’est rétracté 9. Qui fait appel à la peur de la mort 10. Harmonisation improvisée du chant dans la liturgie catholique 11. Supplice inventé
par Voltaire 12. Allusion à la guerre subie par Candide au chapitre 2 13. Membre d’une secte protestante prônant le baptême volontaire et conscient

Inquisition : mode de procédure où l’action est engagée par un accusateur qui était puni s’il ne pouvait fournir la preuve des ses
dires ; tribunal dirigé par un évêque chargé par la papauté de lutter vs l’hérésie, au moyen de cette procédure. Elle débuta au XII°s
et subsiste jusqu’au XVI°, elle ne sera officiellement supprimée en France qu’en 1772 et Napoléon l’abolit en Espagne en 1802.

Lectures complémentaires :

- Thomas Corneille, article « Inquisition », Dictionnaire des termes d’art et de sciences, 1694

« Après qu’un accusé a été appelé plusieurs fois à l’audience, quoiqu’il ait toujours persisté à dire qu’il était innocent, le temps de
la condamnation approchant, ce qui s’appelle Auto-da-Fé, on lui déclare que comme convaincu négatif, c’est-à-dire qui n’avoue
pas, il sera livré au bras séculier 1 pour être brûlé selon les lois (…) ; si l’appréhension du supplice le porte à se déclarer coupable,
il s’exempte de la mort en déclarant miséricorde, tant pour les crimes dont on lui dit que l’accusent ses témoins, que pour son
opiniâtreté à ne les avoir pas voulu confesser d’abord. Cet aveu qu’on fait toujours passer pour sincère fait trouver de la justice à
la confiscation des biens du coupable prétendu. Il y a quelquefois jusqu’à cent cinquante ou deux cents personnes condamnées
dans un Auto-da-Fé, à qui l’on porte le matin dans leurs cachots une veste dont les manches viennent jusqu’au poignet, et un
caleçon qui leur descend sur les talons, le tout de toile noire rayée de blanc. (…) On leur donne à chacun un cierge de cire jaune
avec un habit fait en Dalmatique 2 ou grand Scapulaire qu’ils appellent San-benito. Il est de toile jaune avec une croix de Saint-
André3 peinte en rouge devant et derrière. On donne ces sortes de Scapulaires à ceux qui ont commis ou qui passent pour avoir
commis des crimes contre la Foi, soit Juifs, Mahométans, Sorciers ou Hérétiques qui ont été Catholiques auparavant.(…) Ceux qui
s’accusent (…) portent sur leur Samarra 4 des flammes renversées la pointe en bas. Les plus coupables d’entre eux qu’on accuse de
magie ont des bonnets de carton élevés en pointe comme un pain de sucre et couverts de diables et de flammes (…). »

1.justice du siècle, temporelle (roi, seigneur…) et non celle de l’église ecclésiastique 2.vêtements des diacres quand ils servant le prêtre pendant la messe 3. La
croix de saint André est une croix en forme de X. Son nom provient de la forme de la croix qui aurait été utilisée selon la tradition pour supplicier saint André. 4.
Scapulaire
- Montesquieu, Lettres persanes, Lettre XXIX

Rica à Ibben, à Smyrne


(…)
Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d'abord appelés hérétiques. Chaque hérésie a son nom, qui est, pour
ceux qui y sont engagés, comme le mot de ralliement. Mais n'est hérétique qui ne veut: il n'y a qu'à partager le différend par la
moitié, et donner une distinction à ceux qui accusent d'hérésie ; et, quelle que soit la distinction, intelligible ou non, elle rend un
homme blanc comme de la neige, et il peut se faire appeler orthodoxe.
Ce que je te dis est bon pour la France et l'Allemagne : car j'ai ouï dire qu'en Espagne et en Portugal il y a de certains dervis qui
n'entendent point raillerie, et qui font brûler un homme comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-là,
heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois à la main, qui a porté sur lui deux morceaux de drap attachés à
deux rubans, et qui a été quelquefois dans une province qu'on appelle la Galice ! Sans cela un pauvre diable est bien embarrassé.
Quand il jurerait comme un païen qu'il est orthodoxe, on pourrait bien ne pas demeurer d'accord des qualités, et le brûler comme
hérétique: il aurait beau donner sa distinction ; point de distinction ; il serait en cendres avant que l'on eût seulement pensé à
l'écouter.
Les autres juges présument qu'un accusé est innocent : ceux-ci le présument toujours coupable. Dans le doute, ils tiennent pour
règle de se déterminer du côté de la rigueur: apparemment parce qu'ils croient les hommes mauvais ; mais, d'un autre côté, ils en
ont si bonne opinion, qu'ils ne les jugent jamais capables de mentir ; car ils reçoivent le témoignage des ennemis capitaux, des
femmes de mauvaise vie, de ceux qui exercent une profession infâme. Ils font dans leur sentence un petit compliment à ceux qui
sont revêtus d'une chemise de soufre, et leur disent qu'ils sont bien fâchés de les voir si mal habillés, qu'ils sont doux et qu'ils
abhorrent le sang, et sont au désespoir de les avoir condamnés ; mais, pour se consoler, ils confisquent tous les biens de ces
malheureux à leur profit.
Heureuse la terre qui est habitée par les enfants des prophètes ! Ces tristes spectacles y sont inconnus. La sainte religion que les
anges y ont apportée se défend par sa vérité même ; elle n'a point besoin de ces moyens violents pour se maintenir.

A Paris, le 4 de la lune de Chalval, 1712.

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