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Balises conceptuelles autour des notions de « source du

droit », « force normative » et « soft law »


Isabelle Hachez
Dans Revue interdisciplinaire d'études juridiques 2010/2 (Volume 65), pages 1 à 64
Éditions Presses de l'Université Saint-Louis
ISSN 0770-2310
DOI 10.3917/riej.065.0001
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R.I.E.J, 2010.65

Balises conceptuelles autour des notions de


« source du droit », « force normative » et « soft law »
Isabelle HACHEZ
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis

1. Le présent texte s’inscrit dans le cadre de la nouvelle


thématique du Séminaire interdisciplinaire d’études juridiques sur les
sources du droit revisitées1. Après bientôt un an de travaux, il
ambitionne de clarifier certaines notions incontournables dans l’abord
de cette problématique, à commencer par la notion même de source du
droit qui constitue l’objet de ce séminaire (1). L’actualité scientifique
nous conduit par ailleurs à appréhender un nouveau concept, celui de
force normative (2). L’une et l’autre notions (celles de sources du
droit et de force normative) ont en commun d’inéluctablement mener
à l’examen d’une troisième notion : celle de soft law (3). La première
parce qu’elle peine à rendre compte de ces nouvelles « sources »2
émergentes que l’on regroupe, faute de mieux, sous l’appellation
générique de soft law ; la seconde parce qu’elle prétend précisément
en rendre compte.

1
La thématique retenue a d’ores et déjà donné lieu à onze séminaires, qui sont
destinés à déboucher, à terme, sur un ouvrage collectif. Une première version de ce
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texte a été présentée lors du séminaire du 24 septembre 2010. Il a ensuite subi
certaines modifications destinées à intégrer une partie des remarques et suggestions
formulées consécutivement à cette présentation. Nous profitons de l’occasion pour
remercier chaleureusement leurs auteurs, qui, trop nombreux pour être cités, se
reconnaîtront dans ces lignes, tout en adressant des remerciements personnalisés à
H. Dumont pour la relecture, comme toujours, attentive à laquelle il s’est livré et les
précieux conseils qui en ont résulté (voy. également infra, note 176). En l’état, le
texte que nous soumettons à la critique des lecteurs prend davantage la forme d’un
working paper que d’un article abouti : il constitue un premier essai de formalisation
d’une réflexion en cours, dont on espère qu’elle aura atteint la maturité souhaitée à
l’heure de l’insérer dans l’ouvrage collectif annoncé. Dans cette perspective, toutes
remarques ou suggestions relatives au présent texte peuvent être envoyées à
l’adresse suivante : hachez@fusl.ac.be.
2
Les guillemets entendent marquer la distinction avec les sources classiques du
droit, et témoignent de l’hésitation partagée par nombre d’auteurs à intégrer ces
nouveaux instruments dans une théorie des sources du droit.

1
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Outre un approfondissement de la connaissance de ces notions,


il s’agira de préciser le sens qu’on propose de leur conférer dans le
cadre de ces travaux.

1. Les sources du droit

2. Aux sources du droit, l’on pourrait aisément prêter le propos


tenu par Hart au sujet du droit lui-même : « je puis reconnaître un
éléphant quand j’en vois un, mais je ne puis le définir »3. Qui
n’aperçoit du reste que les contours des sources du droit sont
étroitement fonction de la conception du droit que l’on partage ?
C’est dire d’emblée la polysémie de cette notion (A), que la
doctrine préfère en général aborder sous la forme d’inventaires -
nombreux et diversifiés - (B) plutôt qu’en s’aventurant sur le terrain
d’une improbable définition.
C’est dire aussi le risque qu’on encourt à revisiter ce
fondamental de la théorie du droit. À l’heure où fleurissent de toutes
parts de nouvelles « sources du droit », comme on a pris l’habitude de
les nommer, ce retour aux sources apparaît cependant comme un point
de passage obligé4 (C).

A. Une notion polysémique


3. Au sens premier, le mot « source » désigne l’« eau qui sort de
la terre ; (l’) issue naturelle ou artificielle par laquelle une eau
souterraine se déverse à la surface du sol »5. De manière figurée, on
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vise sous ce terme l’« origine, (le) principe »6.
Accolée au mot « droit » (les sources du droit), cette métaphore
aquatique - que d’aucuns attribuent à Cicéron7 et qui doit ses lettres de

3
H.L.A. HART, Le concept de droit, traduit de l’anglais par M. van de Kerchove,
Bruxelles, F.U.S.L., 1976, deuxième édition augmentée, 2005, p. 13.
4
Voir, parmi d’autres, en ce sens : C. THIBIERGE, « Sources du droit, sources de
droit : une cartographie », in Mélanges en l’honneur de Philippe Jestaz. Libres
propos sur les sources du droit, Paris, Dalloz, 2006, p. 526 ; Ph. MALINVAUD, « Les
sources du droit de la construction », in Mélanges en l’honneur de Ph. Jestaz,
ibidem, p. 344.
5
Le Petit Robert de la langue française, 2006, v° « source ».
6
Ibidem.
7
En ce sens : J.-L. VULLIERME, « Les anastomoses du droit. (Spéculations sur les
sources du droit) », in Archives de philosophie du droit, T. 27 : « Sources » du droit,

2
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noblesse à l’École historique allemande8 - évoque les lieux d’où jaillit


le droit ou, autrement dit, les origines du droit9.
Pour commune qu’elle soit, cette notion est rarement définie par
ceux qui l’emploient. Comme si la métaphore se suffisait à elle-même.
Ou parce que la notion se révèle à ce point fuyante qu’il apparaît
hasardeux de vouloir la percer au-delà de la métaphore. Ceux qui s’y
sont néanmoins aventurés ont été jusqu’à dénombrer huit sens
susceptibles d’être conférés à la notion10.

1982, p. 7 ; P. AMSELEK, « Brèves réflexions sur la notion de ‘sources du droit’ », in


Arch. phil. dr., T. 27 : « Sources » du droit, 1982, p. 253 ; R. SEVE, « Brèves
réflexions sur le Droit et ses métaphores », in Arch. phil. dr., T. 27 : « sources » du
droit, 1982, p. 259 ; P. DEUMIER et Th. REVET, « Sources du droit », in Dictionnaire
de culture juridique, sous la direction de S. Rials, Paris, P.U.F., 2003, p. 1431. Voir
également sur les origines de la notion de « source » : A. DUFOUR, « La théorie des
sources du droit dans l’école de droit historique », in Droits de l’homme, droit
naturel et histoire, Paris, P.U.F., 1991, spéc. p. 258 ; B. FRYDMAN, Le sens des lois.
Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, Bruxelles, Bruylant, Paris,
L.G.D.J., 2005, n° 175, p. 355 et s.
8
Au 19e siècle, le droit français était dominé par l’École de l’Exégèse qui, au travers
de la codification, attribuait un rôle prédominant à la loi, rendant par là même
superflue toute réflexion sur l’existence d’autres sources du droit, qui, comme la
jurisprudence et la doctrine, feraient davantage en interprétant la loi que révéler la
seule volonté du législateur. S’opposant pour sa part à la codification allemande, et
identifiant l’origine du droit dans la conscience populaire, l’École historique du droit
- dont l’un des artisans les plus connus est von Savigny - fut conduite à élaborer une
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théorie alternative des sources du droit (en ce sens : Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du droit, v° « sources du droit », p. 578. À propos de l’École
historique du droit, voir : A. DUFOUR, op. cit., p. 221 et s.). Ce n’est qu’à la fin du
19e siècle que les théories pluralistes développées par cette École dans le cadre de
l’ordre juridique étatique furent introduites en France par Fr. Gény, qui
les « adapt(a) à la situation des pays où le droit privé était codifié, et (les) dépouill(a)
de leurs éléments romantiques et nationalistes » (in Dictionnaire… précité, p. 578.
Adde : Fr. GENY, Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, 1e éd.,
1899, 2e éd., 1919, réimpr. 1954, Paris, L.G.D.J., T.I).
9
En ce sens : Vocabulaire juridique, sous la direction de G. Cornu, Paris, P.U.F., 4e
éd. corrigée, 1994, v° « source », p. 773.
10
À savoir la source fondatrice, les forces créatrices, les instruments créateurs, les
organes créateurs, les créateurs, les processus créateurs, les activités créatrices et les
normes créées (C. THIBIERGE, op. cit., spéc. p. 529 à 531). Pour sa part, Ph. Jestaz
inventorie cinq significations de la notion « sources du droit » : le fondement
idéologique d’un système juridique donné, les forces sociales, les documents ou

3
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4. Parmi les divers sens du mot source, l’on retrouve en premier


lieu la distinction cardinale entre source formelle et source
matérielle11.
C’est Fr. Gény qui, le premier, semble avoir défini la notion de
source formelle12. Sous cette expression, il vise « les injonctions
d’autorités, extérieures à l’interprète et ayant qualité pour commander
à son jugement, quand ces injonctions, compétemment formées, ont
pour objet propre et immédiat la révélation d’une règle, qui serve à la
direction de la vie juridique »13. Comme le relève C. Thibierge, cette
définition « mêle (…) les deux pôles des sources du droit, c’est-à-dire
d’une part ce qui crée, à savoir les créateurs (les ‘autorités’) et la

supports linguistiques du droit, les normes juridiques dotées de force obligatoire et


les activités productrices de droit (Ph. JESTAZ, « Source délicieuse… Remarques en
cascades sur les sources du droit », in Rev. trim. dr. civ., 1993, spéc. p. 73 à 75).
Voir également : P. AMSELEK, op. cit., p. 252 et 253 ; B. FRYDMAN, op. cit., p. 356
et 357 ; Dictionnaire de droit international public, sous la direction de J. Salmon,
Bruxelles, Bruylant, 2001, v° « source formelle », p. 1042 ; Vocabulaire juridique,
op. cit., p. 773 et 774.
11
En Belgique, cette distinction est reprise dans les notes du cours de Sources et
principes du droit, tandis que les éventuelles autres significations de la notion de
« source » sont passées sous silence. Voir en tous cas en ce sens : B. FRYDMAN et
I. RORIVE, Introduction au droit et à la méthodologie juridique, Vol. 1, Faculté de
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droit, U.L.B., année académique 2007-2008, p. 151 et 152 ; I. HACHEZ et S. VAN
DROOGHENBROECK, Sources et principes du droit, notes de cours, T.I, Faculté de
droit, F.U.S.L., année académique 2009-2010, p. 29, n° 54 ; D. RENDERS,
H. SIMONART et M. VAN OVERSTRAETEN, Sources, principes et méthodes du droit,
Faculté de droit, U.C.L., Vol. I, année académique 2007-2008, p. 29 ; J. VELAERS,
Bronnen et beginselen van het recht, notes de cours, Universiteit Antwerpen, année
académique 2007-2008, p. 20.
12
Si l’école de droit historique allemande a, à propos de l’ordre juridique étatique,
développé la notion de source du droit dans une perspective pluraliste, elle n’a en
revanche pas introduit de distinction entre ce que nous qualifions, à la suite de Gény,
de source formelle et de source matérielle. « Force est (…) de reconnaître
l’indistinction fondamentale du concept de source du Droit, qui apparaît chez
Savigny comme chez Puchta comme un concept générique, recouvrant tantôt la
notion de source formelle, tantôt celle de source matérielle, et parfois l’une et
l’autre » (A. DUFOUR, op. cit., p. 244. Voir aussi p. 242 et 256).
13
Fr. GENY, op. cit., n° 91, p. 237.

4
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procédure (‘compétemment formées’), et d’autre part ce qui est créé


(les ‘injonctions’, la ‘règle’ juridique) »14.
Il reste que les critères retenus par Fr. Gény ne se vérifient pas
dans les quatre sources formelles qu’il énumère à la suite de sa
définition15 - à savoir la loi, la coutume16, et les autorités que
constituent la doctrine et la jurisprudence -, mais seulement à propos
de deux d’entre elles : la loi et la jurisprudence. En effet, si la doctrine
identifie les règles de droit et précise leur portée, elle ne reçoit, dans
l’ordre juridique étatique, aucun pouvoir d’édicter des règles
contraignantes en droit. À proprement parler, elle n’émet donc pas
d’« injonction »17. Quant à la coutume, elle n’émane pas d’une
autorité extérieure, son auteur (le corps social) se confondant
généralement avec son destinataire18. Par conséquent, ni la doctrine ni
la coutume ne peuvent en réalité prétendre à la qualification de source
formelle, au sens où Fr. Gény la définit.
Aussi est-ce davantage l’expression de source formelle que la
signification conférée à celle-ci par Fr. Gény qui fut promue par ses
héritiers, lesquels semblent lui reconnaître l’avantage de se distinguer
de ce qu’au départ elle prétendait exclure : les sources matérielles. Et
le sens de cette expression de varier en conséquence, selon ses
promoteurs. Ainsi, certains confèrent à la notion un sens restreint en

14
C. THIBIERGE, op. cit., p. 538. Comme l’écrit cet auteur, « l’expression ‘source du
droit’ (…) désigne d’une part d’où elles viennent, comme on dirait les sources des
monts d’Auvergne, et d’autre part ce qu’elles produisent, comme on dirait les
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sources d’eau gazeuse » (ibidem, p. 529) ; elle ne vise pas seulement l’origine mais
aussi le fruit (ibidem, p. 531).
15
En ce sens : C. THIBIERGE, op. cit., p. 538 ; Ph. JESTAZ, op. cit., p. 77 et s., qui
déconstruit la notion de source formelle pour lui préférer celle de source officielle.
Voir la réponse critique à cet article dans J. VANDERLINDEN, « Contribution en
forme de mascaret à une théorie des sources du droit au départ d’une source
délicieuse », in Rev. trim. dr. civ., 1995, p. 69 et s.
16
Et ce, sous l’influence de von Savigny et Puchta, qui défendent tous deux l’idée
d’un droit populaire spontané.
17
Ce qui explique qu’elle soit aujourd’hui souvent présentée comme une source
informelle du droit. Voir par exemple : Ph. JESTAZ et Ch. JAMIN, La doctrine, Paris,
Dalloz, 2004, e.a. p. 5 ; Ph. JESTAZ, « Genèse et structure du champ doctrinal », in
D., 2005, chron. 19.
18
Et ce, sous réserve des coutumes constitutionnelles. On aura par ailleurs égard au
fait qu’en droit international, une coutume s’impose aux États qui ne se sont pas
expressément opposés à elle, ainsi qu’aux nouveaux États.

5
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identifiant la source formelle à celle « adoptée par les pouvoirs


publics »19 ou « par une autorité institutionnelle investie du pouvoir
d’énoncer des propositions juridiques valides »20. Nous aurions, pour
notre part, tendance à privilégier une acception large de la notion,
entendant par là, de manière très générale, le processus de création
des règles juridiques, ou, pour le dire autrement, l’origine des règles
de droit du point de vue de leur auteur ou de leur mode
d’élaboration21. Ce faisant, nous visons, sous ce terme, aussi bien la
procédure d’élaboration de la loi, que le processus coutumier22. À la

19
P. ROUBIER, « L’ordre juridique et la théorie des sources du droit », in Mélanges
G. Ripert, Paris, L.G.D.J., 1950, T.1, p. 11, cité par C. Thibierge, op. cit., p. 538,
note 98.
20
V. VARNEROT, « Entre essentialisme et existentialisme de la théorie des sources :
les sources non formelles du droit fiscal », in Arch. phil. dr., T. 46 : L’impôt, p. 139,
cité par C. Thibierge, op. cit., p. 538, note 99. En ce sens également : B. FRYDMAN
et G. LEWKOWICZ, « Les codes de conduite, source du droit global ? », Intervention
du 1er avril 2010, non publiée, p. 3 et s., spéc. p. 5 (« l’essence même de la notion
[de source du droit] est d’établir un rapport intrinsèque, nécessaire et déterminant
entre la règle de droit et son origine, à savoir son auteur, l’autorité qui la formule,
l’impose et lui donne son sens et sa force obligatoire »). Voir encore : Vocabulaire
juridique, op. cit., p. 773, point 1, b) (« forme sous l’action de laquelle la règle naît
au Droit ; moule officiel dit source formelle qui préside, positivement, à
l’élaboration, à l’énoncé et à l’adoption d’une règle de Droit »).
21
Voir le sens n° 6 in C. THIBIERGE, op. cit., p. 530, qui ne cite pourtant comme
processus créateur que la coutume ou les usages. Voir également H. KELSEN,
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Théorie pure du droit, adaptée de l’allemand par H. Thévenaz, Boudry-Neuchâtel,
La Baconnière, 1953 et 1988, 2e éd. revue et mise à jour, p. 134, qui entend par
sources du droit les « modes de création des normes juridiques », tout en précisant
immédiatement que « cette image est équivoque, car elle peut aussi désigner le
fondement dernier de la validité d’un ordre juridique, à savoir sa norme
fondamentale » (sur cette autre signification, cf. infra, n° 7). Cette polysémie du
terme conduira du reste Kelsen à l’éviter. Voir à cet égard l’article de N. BOBBIO,
« Kelsen et les sources du droit », in Arch. phil. dr., T. 27 : « Sources » du droit,
1982, p. 135 et s. Voir enfin la définition - très classique, selon ses propres termes -
retenue par J.-M. JACQUET, proche de celle que nous proposons : « les modes de
production des normes juridiques admis dans un ordre juridique ou une branche du
droit déterminée » (« L’émergence du droit souple [ou le droit ‘réel’ dépassé par son
double] », in Études à la mémoire du Professeur B. Oppetit, Paris, Litec, 2009,
p. 345, n° 48).
22
Et ce, quand bien même, comme le précise P. DEUMIER, « il n’y a pas (en matière
de droit spontané) de réelle procédure d’établissement, au sens d’un enchaînement

6
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différence de la définition de Fr. Gény, celle que nous proposons ne


retient pas le caractère bipolaire de la notion de source, ni ne précise
les conditions auxquelles l’acte en question doit satisfaire pour
prétendre à la qualification de source formelle. On est attentif aux
formes sous lesquelles le droit se manifeste, laissant pour l’heure de
côté la question des critères présidant à sa validité23.
5. Avec les sources formelles, on a égard aux divers procédés
techniques d’édiction des règles de droit (ce sont les « contenants
juridiques »). L’examen des sources matérielles24 du droit conduit,

d’étapes formellement définies, mais bien plutôt un processus informel » (Le droit
spontané, Paris, Economica, 2002, p. 201, n° 219). On précise à cet égard que dans
la terminologie de P. Deumier, l’expression droit spontané recouvre à la fois les
usages et les coutumes (ibidem, p. 203, n° 221), étant entendu que ce qui, à l’estime
de l’auteur, distingue l’usage de la coutume est le degré de généralité de la règle
(ibidem, p. 186 et s.) : « est usage la règle spontanée adoptée par un groupe spécial,
limité par des intérêts particuliers. La coutume, en revanche, est reconnue par une
communauté plus vaste regroupant des intérêts divers, moins homogènes,
transcendant les solidarités particulières » (ibidem, p. 188). Cette distinction n’est
cependant pas transposable aux coutumes constitutionnelles.
23
Comparer avec le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du
droit, p. 578 : « une source du droit positif est un ensemble de moyens de
connaissance des normes juridiques en vigueur, caractérisé par le fait que ces
moyens doivent leur valeur informatique au même critère de validité juridique ».
Semblant reprendre à son compte la définition qu’en donne Fr. Gény (laquelle ne
permet pas d’inclure les contrats et la pratique dans la mesure où ils ne sont pas
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créés par des autorités extérieures), C. THIBIERGE propose, quant à elle, d’introduire
une nouvelle catégorie, aux côtés des sources formelles et matérielles : les sources
non formelles. « La source non formelle est celle qui ne présente pas les
caractéristiques des sources formelles dans au moins l’un de ses deux pôles : soit
l’absence de caractère formel de ‘ce qui crée’, en ce qu’elle n’émane pas d’une
autorité habilitée à dire le droit ; c’est le cas de la pratique. Soit l’absence de
caractère formel de ‘ce qui est créé’ : elle n’engendre pas de règles obligatoires ;
c’est le cas de la doctrine. Sources non formelles, ni la pratique, ni la doctrine ne
sont sources du droit positif. Elles sont cependant possiblement sources de droit : la
pratique source de droit vivant, la doctrine source de droit savant » (op. cit., p. 540).
24
Lesquelles sont parfois également qualifiées de « substantielles » (en ce sens :
C. THIBIERGE, op. cit., p. 537 et s.), « idéales » (P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit.,
p. 1431 ; Ph. MALAURIE et P. MORVAN, Introduction générale au droit, Defrénois,
2004, n° 29), voire de « réelles » (B. CUBERTAFOND, « Du droit enrichi par ses
sources », in R.D.P., 1992, p. 354) ou « brutes » (Vocabulaire juridique, op. cit.,
p. 773).

7
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pour sa part, à se pencher sur l’origine des règles de droit du point de


vue de leur contenu. Avec les sources matérielles, on se préoccupe de
la « matière » du droit, en recherchant ses fondements éthiques,
psychologiques, sociologiques, économiques, politiques… On se
soucie cette fois, pour reprendre l’expression de G. Ripert25, des
« forces créatrices à l’arrière-plan des normes juridiques »26. Alors
que l’auteur distinguait, en leur sein, les forces conservatrices et
réformatrices27, d’aucuns suggèrent aujourd’hui une nouvelle
distinction entre force des choses et force des idées, ou entre sources
pragmatiques et sources idéologiques, les secondes d’entre elles étant
également qualifiées de « forces imaginantes du droit » par
M. Delmas-Marty28. Pour illustrer ces distinctions, nous emprunterons
l’exemple suivant à C. Thibierge : « les règles de la responsabilité
objective de la responsabilité du fait des choses ont eu leurs sources
substantielles d’une part dans la nécessité pratique d’indemniser les
victimes de plus en plus nombreuses d’accidents du travail, puis de la
circulation, à partir de la fin du XIXe siècle (sources pragmatiques), et
d’autre part, dans l’idée de solidarité qui a inspiré la théorie du risque,
développée à cette même période (source idéologique) »29.
« Si les sources formelles du droit sont les seules par lesquelles
des normes accèdent au droit positif, les sources matérielles
intéressent directement le droit, en ce sens qu’elles participent au
processus d’émergence du droit positif »30. Sauf à s’inscrire dans une

25
Voir G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, L.G.D.J., 1955.
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26
C. THIBIERGE, op. cit., p. 541.
27
G. RIPERT, op. cit., p. 86, n° 31.
28
M. DELMAS-MARTY, Le relatif et l’universel, Seuil, coll. « Essais », 2005, p. 7
et 8.
29
C. THIBIERGE, op. cit., p 542. Sur ces distinctions, voir aussi la référence citée en
note infrapaginale 117 de l’article précité. On aura par ailleurs égard aux grilles de
lecture plus raffinées proposées par la théorie sociopolitique du droit. On songe
notamment à l’« avant-dire droit législatif » de A.-J. Arnaud, visant « ‘toutes les
composantes du faisceau de phénomènes’ qui conduisent un législateur ‘à privilégier
telle proposition de règle’, pour la consacrer en norme de droit étatique »
(H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie culturelle en droit public
belge, volume 2 : de 1970 à 1993, Bruxelles, F.U.S.L. - Bruylant, 1996, p. 86,
n° 612, et la référence citée. H. Dumont utilise ce concept pour analyser la genèse de
la loi du pacte culturel ; voir à cet égard, p. 91 et s. de l’ouvrage précité).
30
P. DAILLIER et A. PELLET, Droit international public, Paris, L.G.D.J., 7e éd.,
2002, p. 112, n° 58. En ce sens également : P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit.,

8
R.I.E.J, 2010.65

perspective interdisciplinaire, la majorité des juristes ont cependant


tendance à s’intéresser aux sources formelles, et à laisser l’examen des
sources matérielles aux autres disciplines31. C’est du reste pour mieux
exclure son contraire - les sources matérielles - et marquer le départ
entre le droit et le non droit que la notion de source formelle fut
forgée, et continue à être véhiculée par la mouvance positiviste32.
6. Au-delà de cette summa divisio entre sources formelles et
matérielles, on mentionnera un troisième sens du mot source : celui de
sources documentaires ou heuristiques. Celles-ci incluent les sources
formelles mais les dépassent pour englober toutes sources susceptibles
de fournir les renseignements utiles à l’examen d’une thématique
juridique déterminée. Les publications doctrinales constituent un
exemple de ce type de sources, tout comme les travaux préparatoires
d’une loi33.
7. Des auteurs comme Philippe Jestaz, ou, à sa suite, Catherine
Thibierge, identifient encore d’autres sens du mot source, parmi
lesquels l’on relèvera la source fondatrice d’un ordre juridique donné,
comme Dieu, la nature humaine34, l’État, ou encore la norme
fondamentale de Kelsen. Dans ce quatrième sens, il s’agit de la source
du droit, au singulier35.

p. 1431 (« […] les sources dites ‘matérielles’ ont […] beau être largement
indéterminables, et pour tout dire sans fin, elles doivent être incluses dans la
problématique générale des sources du droit ne serait-ce que comme garde-fou »).
31
Voir en ce sens : B. CUBERTAFOND, op. cit., p. 357, étant entendu que l’auteur
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déplore ce constat.
32
En ce sens : C. THIBIERGE, op. cit., p. 539.
33
Cf. le sens n° 3 in Ph. JESTAZ, « Sources délicieuses… », op. cit., p. 74, et les
exemples cités ; le point 1, d), in Vocabulaire juridique, op. cit., p. 774. Adde : N.
BERNARD, I. HACHEZ, et D. DE JONGHE, Méthodologie juridique, notes de cours,
année académique 2009-2010, Facultés universitaires Saint-Louis, Faculté de droit,
p. 14, n° 3. Délaissant la notion de sources documentaires, C. THIBIERGE répertorie
la doctrine sous la catégorie des sources non formelles (source de droit, et non du
droit) qu’elle propose de créer (cf. supra, note 23 ; op. cit., p. 541), sans -
bizarrement, mais il n’est pas davantage fait état comme telle de la notion de source
formelle à cet endroit - qu’elle n’en rende compte dans la liste des sources qu’elle
énumère aux pages 529 et 530 de son article précité.
34
Cf. X. DIJON, Droit naturel, Tome 1, Les questions du droit, Paris, P.U.F., 1998,
e.a. p. 36.
35
Voir, à propos de ce quatrième sens : le sens n° 1 dans Ph. JESTAZ, « Sources
délicieuses… », op. cit., p. 73 et 74, et C. THIBIERGE, op. cit., p. 530.

9
R.I.E.J, 2010.65

8. Le mot source s’entend parfois également des organes ou des


acteurs producteurs de droit, comme le Parlement et ses commissions,
voire, plus largement et comme le relève Ph. Jestaz, le notariat et
l’édition juridique36. C’est le cinquième sens de la notion que l’on
répertorie ici.
9. On signalera enfin une sixième et dernière signification de la
notion : les sources au sens des règles juridiques créées37.
10. Ce rapide inventaire des significations les plus couramment
attribuées à la notion de source(s) du droit - entendue au pluriel ou au
singulier pour la quatrième d’entre elles - suffit à témoigner de la
polysémie d’une notion qui, en son temps, conduisit H. Kelsen à la
considérer comme « inutilisable »38. De manière moins radicale mais
tout aussi significative, d’autres la qualifient de « passablement
obscure »39, voire de « problématique (…), déroutante et, en
définitive, dangereuse »40, lorsqu’ils ne la comparent pas au « bazaar,
ou (à) l’auberge espagnole »41.
Il convient cependant de rappeler que « la définition d’un terme
(…) autorise une pluralité de conceptions différentes et se trouve
affectée d’une valeur partiellement relative, contrairement à l’idée
souvent entretenue selon laquelle elle ne serait acceptable que si elle
était ‘unique’ et ‘vraie’ »42.

36
Voir le sens n° 5 dans Ph. JESTAZ, « Sources délicieuses… », op. cit., p. 74, et les
sens n° 4, 5 et 7 dans C. THIBIERGE, op. cit., p. 530. Voir encore le sens 1, c), dans
Vocabulaire juridique, op. cit., p. 774.
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37
Voir le sens n° 4 (d) dans Ph. JESTAZ, « Sources délicieuses… », op. cit., p. 74,
lequel retient à cet égard une conception classique des règles de droit : celles qui
sont « dotées de la force obligatoire » (ibidem, p. 74) ; le sens n° 8 dans C.
THIBIERGE, op. cit., p. 531. Pour rappel, cette signification est comprise dans la
définition de la source formelle proposée par F. Gény (cf. supra, n° 4).
38
H. KELSEN, Théorie pure du Droit, 2e éd., trad. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 314,
cité par P. Amselek, op. cit., p. 252. Cf. également supra, note 21.
39
En ce sens, et à propos de la notion de source formelle : Ph. JESTAZ, Les sources
du droit, Paris, Daloz, 2005, p. 4.
40
P. AMSELEK, op. cit., p. 251. Qualifient également la notion de « problématique »
P. DEUMIER et Th. REVET (op. cit., p. 1431).
41
J.-L. VULLIERME, op. cit., p. 7. Comme le relève C. Thibierge, toutes ces
significations ont en tout cas en commun d’œuvrer à « la création du droit » (op. cit.,
p. 531).
42
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie
dialectique du droit, Bruxelles, F.U.S.L., 2002, p. 285. Adde les pages suivantes.

10
R.I.E.J, 2010.65

En ce qui nous concerne, et dans le cadre du présent séminaire,


nous proposons de convenir que, lorsque le terme « source » est utilisé
sans autre précision, ce soit à la notion de source formelle, au sens
prédéfini43, qu’il sera fait allusion. On aura donc égard à l’origine des
règles de droit du point de vue de leur auteur ou de leur mode
d’élaboration. En privilégiant cette signification de la notion de source
du droit, nous nous inscrivons dans une perspective positiviste.

B. Typologies des sources du droit44


11. La polysémie de la notion de source du droit explique
l’inclination de la doctrine à préférer l’aborder sous la forme d’un
inventaire. C’est ainsi que, dans les différents manuels d’introduction
au droit, dont l’un des objets principaux est précisément
l’enseignement des sources du droit45, la réponse à la question de
savoir quelles sont les sources du droit se concentre généralement
dans une énumération des sources dites formelles 46.
43
Cf. supra, n° 4.
44
C’est de manière délibérée que nous ne nous livrerons pas, ici, à esquisser notre
propre typologie des sources formelles du droit. Cet essai eut, à notre estime, été
prématuré. Il appartiendra, en premier lieu, aux différents participants en charge
d’une contribution dans le cadre de l’ouvrage collectif sur lequel nos recherches sont
amenées à déboucher de rencontrer la question de savoir si l’instrument particulier
qu’ils étudient a vocation, ou non, à prétendre à la qualification de source formelle
du droit, sachant que la définition large de cette notion que nous proposons de
retenir (cf. supra, n° 4) laisse, à cet égard et intentionnellement, la porte grande
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ouverte. Ce n’est que dans un second temps, après avoir disposé de ces différentes
contributions et les avoir discutées, que nous serons amenée à rédiger notre propre
contribution définitive sur les sources du droit, qui, pour sa part, ne pourra sans
doute pas se soustraire à l’exercice de tenter une typologie des sources formelles du
droit.
45
Le cours d’Introduction au droit dispensé en première année de baccalauréat au
sein des Facultés universitaires Saint-Louis s’intitule du reste, de manière on ne peut
plus explicite, « Sources et principes du droit ».
46
À l’exception notoire de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice,
voire de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (voir
cependant, à cet égard, les réserves émises par L. GUILLOUD, qui souligne en tout
cas le caractère lacunaire de l’énumération des sources réalisée par cette disposition,
in « La nouvelle nomenclature dans le traité de Lisbonne », document provisoire
non publié présenté lors du séminaire du S.I.E.J. du 5 novembre 2010, p. 2) et de
certains codes étrangers comportant une liste des sources du droit (Voir P. DEUMIER
et Th. REVET, op. cit., p. 1431), la typologie des sources est une construction

11
R.I.E.J, 2010.65

12. Depuis Fr. Gény, dont la théorie mettait en cause la


conception étatiste et centralisée des sources qui prévalait alors, la
doctrine se rencontre de manière unanime sur la pluralité des sources.
Mais si on est éloigné du temps où la loi faisait office de source
unique, loin s’en faut cependant qu’un accord se dessine sur le
nombre de sources à lister.
À cet égard, l’assertion de P. Deumier et Th. Revet selon
laquelle, dans la mouvance de Fr. Gény, « un large accord (pour ne
pas dire plus) se fait sur l’admission de la loi, de la coutume et de la
jurisprudence comme sources du droit »47 ne doit pas occulter les
importantes divergences que cette trilogie est susceptible d’abriter.
Ainsi la source légale peut-elle recouvrir une étendue variable selon
que celui qui l’invoque la comprend au sens formel ou au sens
matériel48. Entendue au sens formel, il s’agit de l’acte pris sous la
forme d’une loi par le pouvoir législatif, qu’il présente ou non une
portée générale et abstraite. Comprise dans son acception matérielle,
la loi désigne, au contraire, tout acte qui, pris par une autorité
quelconque (législateur, administration...), s’applique de manière
générale et abstraite. Bien plus : même dans une conception matérielle
de la loi, l’inventaire des sources formelles du droit est susceptible de
variations, mentionnant ou omettant, par exemple, les conventions
collectives de travail. Quant à la jurisprudence, encore faut-il
s’entendre sur ce qu’on place sous ce label : a-t-on égard à l’ensemble
des décisions rendues par les différentes juridictions (la jurisprudence
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essentiellement doctrinale. Il n’en demeure pas moins que, même en l’absence d’une
disposition ayant expressément pour objet d’inventorier les différentes sources du
droit, la Constitution belge les énumère, en tout cas en partie, au travers des diverses
dispositions qui, conformément à l’article 33 de la Constitution, déterminent la
manière dont sont exercés les différents pouvoirs. Que l’on songe, par exemple, aux
articles 36 et 74 et suivants pour la loi fédérale, aux articles 37, 105 et 108 pour les
arrêtés royaux ou encore à l’article 195 de la Constitution concernant la procédure
de révision de la Constitution. C’est que, comme le rappelle A. Bailleux, « dans les
ordres juridiques modernes, (la règle de reconnaissance) prend généralement
l’apparence de la Constitution nationale » (« ‘Hart vs. Dworkin’ and its Progeny.
Actualité du ‘combat des chefs’ dans la littérature anglo-saxonne », in R.I.E.J.,
2007, numéro spécial : Hommage à H.L.A. Hart à l’occasion du centenaire de sa
naissance, p. 193).
47
P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit., p. 1431.
48
En ce sens : C. THIBIERGE, op. cit., p. 524. La distinction entre loi formelle et loi
matérielle remonte à H. KELSEN (op. cit., spéc. p. 133 et 134).

12
R.I.E.J, 2010.65

comme source documentaire49) ou aux enseignements communs


susceptibles d’être dégagés de celles-ci (la jurisprudence comme
source formelle et règle de droit) ?
Les potentielles divergences que l’on vient de relever ne se
cantonnent pas à l’intérieur de la trilogie présentée par les auteurs
précités, car, à celle-ci, certains auteurs ajouteront, de manière
cumulative ou isolée - toutes les combinaisons sont possibles - les
principes généraux du droit, le contrat individuel ou encore la doctrine
(en principe comme source documentaire ou informelle).
Au-delà d’un possible noyau dur - qu’il reste à identifier -, la
typologie des sources semble dès lors en proie à une grande diversité,
sa configuration étant de surcroît amenée à varier selon qu’on est en
présence d’un manuel d’introduction au droit50 ou d’une étude relative
à une branche du droit spécifique, et même d’un manuel à un autre51.

49
Cf. supra, n° 6.
50
Parmi ceux-ci, et à des fins que l’on suppose avant tout pédagogiques, certains
auteurs distinguent encore entre sources internationales et nationales, écrites et non
écrites… Sur les critères de classifications doctrinales, voir P. DEUMIER et
Th. REVET, op. cit., p. 1431 ; C. THIBIERGE, op. cit., p. 536.
51
En ce sens : Ph. JESTAZ, Les sources…, op. cit., p. 2 ; C. THIBIERGE, op. cit.,
p. 523 et s. Après avoir suggéré de les ramener à deux (le droit légiféré et les
précédents, voire les normes jurisprudentielles quand il s’agit d’un juge
suprême [voir : Ph. JESTAZ, « Sources délicieuses… », op. cit., p. 83 ; « Les sources
du droit : le déplacement d’un pôle à un autre », in Rev. trim. dr. civ., 1996, p. 299 et
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s.]), Ph. JESTAZ s’essaya, en 2005, à livrer « une grille de lecture plausible » des
sources, susceptible de valoir par delà la seule France à laquelle appartient l’auteur
(voir : Les sources…, op. cit.). Concrètement, Ph. Jestaz passe en revue six sources,
structurées autour de trois axes : les sources venues du sommet, celles venues de la
base, et une source inclassable : la doctrine. Parmi les sources venues du sommet, il
répertorie en premier lieu, dans une perspective qu’on n’hésitera pas à qualifier de
iusnaturaliste, la Révélation, qui recouvre également les droits de l’homme et les
principes - selon l’auteur, ces derniers sont rattachés à la Révélation, plutôt qu’à la
doctrine, lorsque les juristes n’ont pas participé comme tels à sa naissance ; ce sont
ceux qui viennent « de partout et nulle part » (Les sources …, op. cit., p. 24 à 26) -.
Toujours dans les sources venues du sommet, Ph. Jestaz identifie encore la loi - dans
le cadre de laquelle il aborde des actes de soft law - et le jugement. Quant aux
sources venues de la base, elles comptent l’acte juridique et la coutume. Comparer
avec les cinq catégories de sources évoquées de manière sommaire par
A. PIZZORUSSO, « La question des sources du droit au début du XXIe siècle », in En
hommage à Francis Delpérée. Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles, Paris,

13
R.I.E.J, 2010.65

Cette disparité ne fait évidemment que s’accroître avec la


diversification des « sources », suscitée par la perte de centralité de la
loi : sources internationales et européennes, mais aussi, au sein de
celles-ci et en droit interne, « sources » de soft law à côté du hard
law52. La doctrine récente ne manque pas de faire état de ces
prétendues nouvelles « sources », reconnaissant par là leur existence,
tout en soulignant l’incertitude qui plane sur la possibilité d’y voir de
véritables sources du droit53.
La diversité des typologies doctrinales est par ailleurs
encouragée - mais où est la cause, où est l’effet ? - par la polysémie de
la notion de source du droit. En fonction du sens privilégié, la liste
sera plus ou moins étendue, et comptera du reste parfois l’une ou
l’autre source(s) répondant à une signification distincte du sens
implicitement mobilisé, sans nécessairement que l’auteur cherche à
s’en expliquer. L’on songe par exemple à la doctrine (généralement
qualifiée de source documentaire ou informelle) qui, dans
l’énumération des sources, viendrait côtoyer des sources quant à elles
formelles (Constitution, loi, règlement…).
Enfin, et plus fondamentalement, cette diversité se conçoit si
l’on admet qu’une classification doctrinale des sources du droit - tout
comme d’ailleurs la définition de cette notion - est porteuse d’une
certaine idéologie, s’appuyant sur une représentation déterminée de
l’État et des modèles de rapports sociaux souhaitables54 : « une théorie
des sources du droit (…) est une idée : une idée relative à ce que
doivent être les modes de production des normes aptes à régir les
rapports sociaux ». En 1982, B. Oppetit complétait son propos par le
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Bruylant, L.G.D.J., 2007, p. 1216 et 1217. Voir également : J.-F. PERRIN, Pour une
théorie de la connaissance juridique, Genève, Droz, 1979, spéc. p. 117 à 121.
52
Cf. infra, chapitre 3.
53
Cf. infra, section C du présent chapitre.
54
Voir, par exemple, la théorie néolibérale des sources du droit de F.A. HAYEK
(Droit, législation et liberté, Vol. 1, Règles et ordre, Paris, P.U.F., 1980). L’auteur
prône un ordre spontané, reposant sur des « règles de droit (qui) tendent à un ordre
abstrait dont le contenu, vis-à-vis des cas individuels ou concrets, n’est connu ni
prévu par personne » (ibidem, p. 58). Fondé sur les valeurs de liberté individuelle,
de sécurité et d’efficacité, cet ordre spontané fait la part belle à la coutume, que le
juge doit découvrir, et entend cantonner à un rôle minimal les fonctions étatiques.
Hayek assume au demeurant le caractère dogmatique de la valorisation de la liberté
qu’il défend (ibidem, p. 72. Voir aussi, sur la nécessité d’une telle « idéologie »,
p. 68 et 69).

14
R.I.E.J, 2010.65

suivant : « une théorie des sources du droit procède d’une construction


doctrinale décrivant les modes d’élaboration des modèles de rapports
sociaux nécessaires. Cette doctrine devient elle-même une théorie des
sources lorsqu’elle a triomphé dans les faits et traduit dès lors son
aptitude à produire des normes ; en effet, la norme juridique, à la
différence de la norme sociale, susceptible de naître spontanément, se
spécifie par la nature de sa genèse : c’est celle qui, pour s’imposer en
tant que telle, suppose qu’elle soit ‘dite’ selon les modalités
prédéterminées, définies par la doctrine de ses sources, puis promues
par l’action politique. Et c’est son édiction en conformité de la théorie
des sources adoptée par le pouvoir qui confère la juridicité à une
norme » 55.
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55
B. OPPETIT, « La notion de source du droit et le droit du commerce
international », in Arch. phil. dr., T. 27 : « Sources » du droit, 1982, p. 45. E.-P.
HABA écrit en ce sens que, sur un plan sémantique, la définition des « sources du
droit » relève « d’un choix relativement arbitraire, c’est-à-dire de la façon dont
chacun aimera mieux utiliser cette expression », tout en précisant immédiatement
que, sur un plan qu’il qualifie de pragmatique, on glisse sur le « terrain des
idéologies politiques (…) (C)es idéologies socio-politiques, voire épistémologiques
ou méthodologiques (…) nous conduiront à ne pas accepter certaines conceptions
des ‘sources du droit’ et à juger plus acceptables telles autres’ » (« Logique et
idéologie dans la théorie des ‘ sources’ », in Arch. phil. dr., T. 27 : « Sources » du
droit, 1982, p. 238, 239 et 242. Adde : p. 243 et 244). Voir encore en ce sens : C.
PERES, « La réception du droit souple par les destinataires », in Le droit souple,
Actes du colloque organisé par l’Association Henri Capitant, Journées nationales, T.
XIII / Boulogne-sur-Mer, Paris, Dalloz, 2009, p. 112 ; J.-F. PERRIN, op. cit., spéc. p.
67 in fine et 68, 88 à 90, 100, 128 à 130, 137 et 138, 143 à 150 ; J.-M. JACQUET, op.
cit., p. 345 ; C. THIBIERGE, op. cit., p. 536 et 543.

15
R.I.E.J, 2010.65

C. Vers un renouvellement de la théorie des sources ?


13. Polysémie du terme qui rend la notion de source du droit
problématique - quoi qu’éclairante56, voire incontournable57 -, diver-
sité des classifications proposées : à cela, s’ajoute chez certains
auteurs un constat de crise58. Compte tenu de la prolifération
d’instruments en tous genres59, la théorie des sources échouerait
aujourd’hui à remplir ses fonctions, à savoir « révéler le fondement de
la règle de droit et permettre de repérer les prescriptions juridiques au
sein des normes sociales »60.
« Les paradigmes légicentrique, étatiste et positiviste qui sous-
tendent la théorie des sources »61 apparaissent en effet bien
impuissants à rendre compte de ces nouvelles « sources », de la même
manière que le principe de la hiérarchie des normes ne suffit plus à
ordonner la multiplication des sources auxquelles on est confronté62.
14. L’une des questions63 qui se pose aujourd’hui est alors de
savoir s’il convient ou non de ménager une place à tout ou partie des
instruments de soft law64 dans la théorie des sources du droit65. On l’a
56
P. AMSELEK, op. cit., p. 251.
57
P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit., p. 1433 et 1434.
58
Ibidem, p. 1433. D’autres, peut-être moins alarmistes, parlent d’une
« recomposition de l’éventail des sources » (J.-L. BERGEL, Théorie générale du
droit, 4e éd., Dalloz, 2003, n° 43-1, cité par C. Thibierge, op. cit., p. 523) ou
soulignent « un contexte général de bouleversement des sources du droit »
(C. PERES, op. cit., p. 106).
59
Cf. infra, chapitre 3.
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60
P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit., p. 1430. Voir également sur les fonctions
assignées aux sources : B. FRYDMAN et G. LEWKOWICZ, op. cit., p. 4 et 5.
61
C. THIBIERGE, op. cit., p. 522.
62
P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit., p. 1433. Voir aussi sur ce point : Fr. OST et
M. van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?..., op. cit. ; A. PIZZORUSSO, op.
cit., p. 1202, 1203 et 1215. En ce sens, c’est sans doute davantage la figure du
réseau que celle de la pyramide qu’évoqueraient aujourd’hui les sources du droit
(compar. B. FRYDMAN et G. LEWKOWICZ, op. cit., p. 24).
63
Parmi d’autres questions, comme celle des difficultés suscitées par le dépassement
de la fonction traditionnelle des Constitutions étatiques par les développements du
droit international et du droit européen (voir notamment en ce sens : X. DIJON, op.
cit., p. 523).
64
Cf. infra, chapitre 3.
65
B. OPPETIT se posait déjà cette question, il y a plus de trente ans, à propos des
« normes qui affluent de toutes parts dans les relations économiques
internationales » (op. cit., p. 43). De son côté, C. THIBIERGE prend le parti

16
R.I.E.J, 2010.65

souligné d’entrée de jeu66, la réponse à cette question est intimement


liée à la conception du droit que l’on défend : « dans la notion même
de ce qu’est le ‘droit’ se trouve déjà contenue, de façon relativement
analytique, l’idée de ce qui, ensuite, va être appelé ses ‘sources’ »67.
On aura l’occasion de revenir sur ce point ultérieurement68. Au
préalable, et dans cette perspective, il convient d’aborder un autre
concept, celui de force normative, qui entend notamment appréhender
ces nouvelles « sources » émergentes.

2. La force normative

15. La notion de force normative a récemment fait l’objet d’un


ouvrage collectif, en quête d’une élucidation de ce qu’est la force
d’une norme69. Au travers de cette question, les différents
contributeurs de l’ouvrage se sont efforcés de saisir la complexité du
droit contemporain et de la société qu’il régit, laquelle se traduit
notamment par un foisonnement de « sources » du droit hétérogènes.
Par ce biais, ils ont également mis en exergue le fait que le droit
« parvient à être respecté, et à assujettir ses destinataires au-delà de la
contrainte (…) »70.

« d’intégrer et d’ordonner (la) diversification des sources (dans la théorie générale


des sources qu’elle propose), sans préjuger pour autant des conditions de leur
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validité », « question qui », précise-t-elle en note infrapaginale, « ne relève pas du
tableau descriptif des sources qui est l’objet du présent texte » (op. cit., p. 528, en ce
compris la note 53 ; c’est nous qui soulignons). Ce faisant, et comme on l’a souligné
supra (note 23), elle suggère une catégorie complémentaire (les sources non
formelles) pour rendre compte de ces nouvelles sources de droit.
66
Cf. supra, n° 2.
67
E.-P. HABA, op. cit ., p. 236. Adde, p. 241 du même article : « la question des
sources est plus ou moins tautologique par rapport à la définition du droit ». Voir en
ce sens également : C. THIBIERGE, op. cit., p. 528 et 532.
68
Cf. infra, n° 60 et s.
69
C. THIBIERGE et al., La force normative. Naissance d’un concept, Bruxelles, Paris,
Bruylant, L.G.D.J., 2009, 891 p.
70
Et ce, « en vertu de la nature relationnelle de son pouvoir », ajoute I. DORE, qui
préfère, pour ces raisons, la notion de « force normative » à celle de « force
contraignante » (« La force normative du pouvoir étatique dans la philosophie de
Michel Foucault », in La force normative…, op. cit., p. 58).

17
R.I.E.J, 2010.65

Au fil des contributions, la « force normative » se révèle, elle


aussi, extrêmement polysémique (A). Ce constat tient sans doute en
partie à la manière dont l’ouvrage a été pensé. Au moment de rédiger
leurs contributions, les auteurs ne disposaient, en effet, comme balises
que d’un certain nombre de questions, conçues pour laisser libre cours
à leur créativité scientifique71. Ce n’est qu’en synthèse de l’ouvrage
que les différents sens dont ils chargèrent la notion furent reliés entre
eux par C. Thibierge, qui, dans ce prolongement et forte de cet outil,
propose une grille de lecture de la force normative (B).
À l’heure où nos propres travaux s’inscrivent dans une
perspective similaire, en prétendant embrasser le foisonnement de
sources diverses, on ne pouvait ignorer ceux consacrés à la force
normative. Intuitivement séduits par ce nouveau concept, les
responsables du Séminaire interdisciplinaire d’études juridiques y
avait même un temps fait écho dans l’intitulé de la nouvelle
thématique de celui-ci (« les sources du droit revisitées à la lumière de
la force normative »), avant de revenir à un intitulé plus classique72
pour ne pas préjuger de l’importance à conférer à ce concept. Dans
cette perspective, et afin d’en cerner les potentialités, on se livrera,
dans la troisième et dernière section de ce chapitre, à une comparaison
entre la notion de force normative et une théorie bien connue dans nos
murs, celle des trois pôles de la validité développée notamment par
Fr. Ost et M. van de Kerchove (C).

A. Une notion polysémique


16. De la même manière que la notion de source du droit est
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étroitement liée à l’idée que l’on se forge du droit73, celle de force
normative se fonde sur une préconception de la norme (A.1). C’est sur
fond d’une conception élargie de celle-ci que se déclinent les
différents sens de la force normative (A.2), laquelle se voit testée sur
des objets aussi divers que multiples (A.3).

A.1.Conception de la norme
17. Précisons d’abord que les auteurs de l’ouvrage sur la force
normative ne confèrent pas à la norme le sens d’une règle de droit
générale et abstraite, comme on a parfois pris l’habitude de le faire

71
Ces questions sont reprises aux p. 47 à 52 de l’ouvrage précité.
72
« Les sources du droit revisitées ».
73
Cf. supra, n° 14.

18
R.I.E.J, 2010.65

chez nous74, mais y voient, à la suite de Kelsen, un concept générique


recouvrant aussi bien les règles de droit générales qu’individuelles.
Dans leur terminologie, c’est la qualification de « règle de droit » qui
est réservée à la norme présentant les caractéristiques d’abstraction et
de généralité.
18. Au sens classique du terme, la norme est un commandement
(le droit ordonne, prescrit ou interdit), obligatoire et sanctionné,
appartenant à un ordre juridique déterminé. Dans une conception
positiviste et formelle, cette appartenance « suppose que (la norme)
émane de l’autorité compétente et qu’elle ait été édictée dans le
respect des procédures requises »75. Se caractérisant par sa force
obligatoire et contraignante76, pareille conception de la norme exclut
en principe le soft law77.
19. Dans une conception large78, l’accent est mis sur les
fonctions de la norme : la norme est un modèle, destiné à fournir une
référence pour l’organisation des rapports sociaux. Plus précisément,
la norme est un modèle pour l’action et/ou un modèle pour juger. En
tant que modèle pour l’action, « c’est (l)a vocation concrète (de la
norme) à être reproduite ou celle plus abstraite à être suivie, à inspirer
qui est mise en avant », tandis que comme modèle pour juger, la
norme « est prise dans sa vocation à permettre la comparaison, la

74
Cf. notamment I. HACHEZ et S. VAN DROOGHENBROECK, Sources et principes du
droit, op. cit., p. 55, n° 124.
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75
C. THIBIERGE, « Au cœur de la norme : le tracé et la mesure. Pour une distinction
entre normes et règles de droit », in Arch. phil. dr., 2008, p. 343.
76
Pour une clarification conceptuelle de ces deux notions, voir : A. AUDOLANT,
« Les lois de police en droit international privé : une force ‘super-impérative’ ? », in
La force normative…, op. cit., p. 315, notes 53 et 54 ; C. GROULIER, Normes
permissives et droit public, thèse, Limoge, 2006, p. 260 (disponible sur internet) ;
C. THIBIERGE, « Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit », in R.T.D. civ.,
2003, p. 610.
77
Cf. infra, chapitre 3.
78
Si l’on retrouve l’idée de modèle sous la plume de HART (op. cit., p. 115, n° 88 :
les règles comme « modèles pour la direction de la vie en société »), c’est à
P. AMSELEK qu’on doit son approfondissement (Méthode phénoménologique et
théorie du droit, Paris, L.G.D.J., 1964, p. 257 et s.). Voir par la suite :
A. JEANMAUD, « La règle de droit comme modèle », in D., 1990, chron. 199 ;
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, op. cit., p. 312 ; J.-F. PERRIN, op. cit., p. 33 et s. ;
C. THIBIERGE, « Au cœur… », op. cit., p. 343 et s.

19
R.I.E.J, 2010.65

vérification, la mesure »79. Alors que dans le premier cas, « deux


éléments coexistent : la norme et l’action de son destinataire, en train
de se faire (…), (i)l y a (dans le second cas) non plus deux mais trois
éléments : la norme, ce qui a été accompli, et celui qui mesure l’un par
rapport à l’autre. Il s’agit de comparer à la norme, de vérifier si elle a
été suivie, respectée »80.
Ainsi comprise, la fonction directive de la règle de droit peut
être assurée par des commandements aussi bien que par des
recommandations81. La règle peut être normative sans être
obligatoire82.
C’est cette conception de la norme qui prévaut dans l’ouvrage
sur la force normative. Il en résulte que la force d’une norme est sa
« capacité à fournir référence, c’est-à-dire à modeler les comporte-
ments, à réguler l’action, à guider l’interprétation des juges, à orienter
la création du droit par le législateur, voire à inspirer la pensée de la
doctrine et, plus largement encore, les représentations sociales du
droit »83. Il s’agit, autrement dit, d’une « ‘force de référence’, de
modèle ou de guide »84.

A.2. Déclinaisons de la force normative


79
C. THIBIERGE, ibidem, p. 346.
80
Ibidem, p. 347. D’après la terminologie retenue par C. Thibierge, la règle de droit
cumule ces deux fonctions, tandis que la norme remplit l’une ou l’autre de celles-ci
seulement (ibidem, p. 341 et s.), voire l’une et l’autre mais à des degrés moindres
(« Rapport de synthèse », in Le droit souple, op. cit., p. 151). Ainsi la
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recommandation et l’avis sont-ils tous deux des instruments de tracé (« Au
cœur… », p. 353 et 354), tandis que les standards ne seraient que des instruments de
mesure (ibidem, p. 356 et 357) ; ils ont tous trois en commun d’être des normes.
Voir également : P. AMSELEK, « Le droit dans les esprits », in Controverses autour
de l’ontologie du droit, Paris, P.U.F., 1989, spéc. p. 29, cité par C. THIBIERGE,
« Rapport de synthèse », op. cit., p. 150, note 54.
81
P. AMSELEK, « Libre avant-propos. Autopsie de la contrainte associée aux normes
juridiques », in La force normative…, op. cit., p. 7.
82
En ce sens, la force normative « constitue (…) une invitation à questionner
l’assimilation de la force de la norme juridique à la seule force obligatoire et
contraignante, la faisant passer du rang de postulat, par hypothèse indiscutable, à
celui d’une assertion scientifique susceptible d’être réfutée ou amendée »
(C. THIBIERGE, « Conclusion. Le concept de ‘force normative’», in La force
normative, op. cit., p. 819).
83
C. THIBIERGE, ibidem, p. 818.
84
C. THIBIERGE, « Introduction », La force normative …, op. cit., p. 42.

20
R.I.E.J, 2010.65

20. Loin de se résumer à la seule force obligatoire (sur le mode


impératif ou supplétif85), la force normative se décline au pluriel :
force contraignante ou coercitive, force exécutoire86, force décisoire,
force de chose jugée, force probante, force publique, force majeure87,
mais aussi force instituante88, force interprétative89, force recomman-
datoire ou informative90, force dissuasive91, force incitative92, force
harmonisatrice93, force expressive94, force pratique, force de
persuasion95, etc.96.

85
Force normative optionnelle selon l’expression de P. DEUMIER (« La force
normative optionnelle », in La force normative…, ibidem, p. 165).
86
Selon G. CANIVET, il s’agit de l’« exécution de la norme individualisée qu’est le
jugement. Elle procède de l’autorité exécutoire de l’ordre conféré par le juge, lequel
commande l’assistance de la force publique (…) puissance de contrainte » (« Le
juge et la force normative », in La force normative…, ibidem, p. 26). Voir également
C. SINTEZ, « Les propositions sur le droit sont-elles du droit ? De la force normative
du rapport Catala », in La force normative…, ibidem, p. 252.
87
L’inventaire des déclinaisons de la force normative qui précède est emprunté à
C. Thibierge.
88
E. NICOLAS et C. SINTEZ, « Par-delà le concept de force dans la philosophie de
Jacques Derrida », in La force normative…, ibidem, p. 107 et les références citées.
89
Sur la fonction interprétative de l’exposé des motifs, voir Fr. BRUNET, « La force
normative de la loi d’après la jurisprudence constitutionnelle », in La force
normative…, ibidem, p. 413.
90
A. DEZALLAI, « La force normative d’un guide juridique. Réflexion autour du
Guide de participation des victimes aux procédures de la Cour pénale
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internationale », in La force normative…, ibidem, p. 377.
91
J. LEROY, « La force dissuasive de la norme pénale de fond », in La force
normative…, op. cit., p. 389 et s. ; C. VINCENT, « La force normative des
communications et lignes directrices en droit européen de la concurrence », in La
force normative…, ibidem, p. 698.
92
C. VINCENT, ibidem, p. 698 ; P. SERRAND, « La force normative de la directive
administrative », in La force normative…, ibidem, p. 456.
93
C. VINCENT, op. cit., p. 699.
94
Fr. BRUNET, op. cit., p. 415.
95
P.-Y. CHARPENTIER, « Sécurité alimentaire et force normative des guides de
bonnes pratiques d’hygiène », in La force normative…, op. cit., p. 544.
96
Ajoutons que certains auteurs distinguent entre « les facteurs de la force
normative, tels l’énoncé en soi de la norme, aussi bien dans la forme (clarté,
vocabulaire, structure, mode de conjugaison) qu’au fond (existence et gravité des
effets juridiques, notamment des sanctions), et (…) les révélateurs de la force
normative, telle la justiciabilité » (M. ROBINEAU, « La force normative de l’article

21
R.I.E.J, 2010.65

21. En sus de toutes ces manifestations de la force de la norme


elle-même97, voire du droit, il faut encore relever les forces exercées
sur la norme et sur le droit98. Et la force normative d’incarner alors les
diverses forces sociales pour devenir force d’influence ou force
d’inspiration99. On retombe ici sur la notion de source du droit au sens
matériel du terme100.
22. Force inhérente à la norme pour les uns101, la force
normative est, pour d’autres, une force extérieure au droit, résultant de
sources extrajuridiques qui la transcendent, et puisant en définitive sa
source dans les êtres humains102. « Non pas dans l’Homme universel,
rationnel et abstrait des Lumières, mais dans les hommes dans toute

1964 du Code civil », in La force normative…, ibidem, p. 565 ; c’est nous qui
soulignons). D’autres encore associent la force normative aux effets de la norme, qui
peuvent être juridiques ou non (J. CAZALA, « La force normative des instruments du
Codex alimentarius dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », in La
force normative…, ibidem, p. 337). Sans compter que la force normative est parfois
appréhendée à différents moments du processus : force symbolique d’influence et
force pragmatique de séduction de la médiation (N. DION, « Les forces de la
médiation, variations libres », in La force normative…, ibidem, p. 711) ; force
normative du résultat de la médiation (ibidem, p. 716).
97
Qui est l’approche retenue par la majorité des contributions rassemblées dans
l’ouvrage collectif sur la force normative.
98
Sur cette distinction, voir C. CHARLOTTON, « La force d’attraction économique du
droit. De la séduction de l’entrepreneur en quête d’un site d’implantation », in La
force normative…, ibidem, p. 636 ; H. PICOT, « D’un degré de la force normative : la
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force impérative en droit international public. Observations autour de quelques
arrêts rendus par le tribunal de première instance des Communautés européennes
(Arrêts Yussuf et Kadi et Ayadi et Hassan) », in La force normative…, ibidem,
p. 358 ; C. THIBIERGE, « Synthèse », in ibidem, p. 745 à 749.
99
P. BELDA, « La force normative du référendum municipal : de la Révolution aux
premières décennies de la IIIe République », in ibidem, p. 273 ; A. CHEYNET DE
BEAUPRE, « Libres dialogues autour de l’éthique en droit de la santé », in ibidem,
p. 607 ; N. MOIZARD, « La force normative de l’accord national interprofessionnel
du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail », in ibidem, p. 598 ;
L. NEYRET, « La force normative des principes de droit européen de la
responsabilité civile », in ibidem, p. 536 ; A. POMADE, « La force normative d’un
avant-projet et la force normative de son émetteur : unité ou dissociation ?
L’exemple de l’avant-projet de CDB présenté par l’UICN », in ibidem, p. 511.
100
Cf. supra, n° 5.
101
Voir par exemple : C. SINTEZ, op. cit., p. 254.
102
C. THIBIERGE, « Synthèse », op. cit., p. 809 et s.

22
R.I.E.J, 2010.65

leur complexité humaine : dans leurs peurs, dans leurs espoirs et leurs
idéaux, dans leur langage, dans leur besoin de symboles et de mythes,
dans leur capacité d’adhésion et de résistance, dans leur croyance en
la force du droit, dans leur conviction ou leur sentiment d’obligation,
etc. »103. Ainsi comprise, et de l’avis de C. Thibierge, la « force
normative » pourrait conduire les juristes à renouveler leur approche
de la source fondatrice104.

A.3. Diversité d’objets de la force normative


23. Force normative du pouvoir étatique dans la philosophie de
M. Foucault et force normative des groupes d’intérêt ; force normative
du droit chez Derrida, force normative du paradigme juridique et force
normative des citations105 ; force normative de la normalité et de la
norme juridique, force normative optionnelle de la règle de droit ;
force normative des standards juridiques ; force normative des « droits
à », force normative de l’adage speciala generalibus derogant, force
normative du rapport Catala106 ; force normative des actes
municipaux ; force normative du référendum municipal ; force
normative de la loi canonique ; force normative du guide de
participation des victimes aux procédures de la Cour pénale
internationale ; force normative des vœux des conseils municipaux ;
force normative des propositions de la commission départementale,
force normative de la formule notariale en droit ; force normative de
la médiation…107.
Tout comme la force normative se décline de manières
diverses108, l’objet de la force normative est multiple. Cette notion se
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voit, dans l’ouvrage commenté, tantôt appliquée à un acteur, tantôt au
droit, à la règle de droit ou même à l’un de ses attributs potentiels,
tantôt encore à des « sources » diverses, voire à des « institutions ».

103
C. THIBIERGE, « Conclusion … », op. cit., p. 821.
104
C. THIBIERGE, ibidem, p. 821. Sur la notion de source fondatrice, cf. supra, n° 7
et les références citées.
105
Au point de forger le concept de « force intercitationnelle » (voir E. NICOLAS,
« Répétabilité et répétition des énoncés normatifs : la force intercitationnelle dans le
langage juridique », in La force normative …, op. cit., p. 69 et s.).
106
Il s’agit d’un avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription
en France.
107
Voir par ailleurs la synthèse des objets de la force normative réalisée par
C. THIBIERGE, « Synthèse », op. cit., p. 745 et 746.
108
Cf. supra, §A.2 (Déclinaisons de la force normative) de la présente section.

23
R.I.E.J, 2010.65

C. Thibierge, qui a dirigé l’ouvrage sur la force normative,


confirme d’ailleurs que « la force normative permet l’analyse d’objets
d’étude apparemment hétérogènes et sans liens »109. « Ce livre »,
ajoute-t-elle, « est un kaléidoscope de réponses au gré de la diversité
des matières, de la sensibilité de ses auteurs et de la variété des
normes dont ils ont traité. De la force, il nous délivre une vision
multiple et mouvante. Vivante. Avec des réponses aux antipodes. Et
d’autres qui se recoupent là où on s’y attendait le moins »110.

B. Un essai de théorie de la force normative


24. Comme un bouquet final, C. Thibierge propose en
conclusion de l’ouvrage une grille d’analyse de la force normative111.
Nourrie de l’intuition qu’il s’agit d’un concept fondamental de la
théorie du droit, et s’appuyant sur les multiples déclinaisons de la
notion dégagées par les contributeurs, l’auteur propose de les
discipliner autour de trois pôles, qui constituent autant de dimensions
du droit : la valeur normative, la portée normative et la garantie
normative112.
« En lien avec la source de la norme »113, le premier pôle de la
force normative, dénommé « valeur normative », s’identifie à la force
conférée à la norme par son émetteur. Pour la déterminer, il convient
de répondre aux questions suivantes. Quelle est la source de la
norme ? Quelle est la qualité et l’autorité de son émetteur ? Quelle
place occupe-t-il dans la hiérarchie des normes ? Comment son
énoncé est-il formulé ? Quelle est la légitimité de son contenu ? Etc.
Comme le laissent augurer ces différentes questions, « (l)a valeur
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normative est elle-même composée de (trois) sous-pôles : (…) un,
hiérarchique, en référence à sa validité par rapport aux normes
supérieures ; (un) autre déontique, en lien avec la formulation et le

109
C. THIBIERGE, « Synthèse », op. cit., p. 748.
110
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 817.
111
Voir spéc. les pages 822 à 837, qui, d’un point de vue conceptuel, concentrent la
substance de l’ouvrage.
112
Voir le schéma des trois pôles de la force normative reproduit aux pages 840 et
841 de l’ouvrage sur la force normative.
113
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 822. Le mot « source » doit se
comprendre dans un sens large, comme recouvrant aussi bien les sources du droit
que les sources de droit, selon la distinction inaugurée par C. Thibierge dans une
autre étude (« Sources du droit… », op. cit., p. 519 et s.).

24
R.I.E.J, 2010.65

contenu prohibitif, prescriptif ou permissif de la norme ; et un autre


encore, axiologique, en prenant en compte sa légitimité »114 .
Le deuxième pôle de la force normative, celui de la portée
normative, a quant à lui partie liée « avec les effets de la norme ».
Illustrant « son effectivité ‘sur le terrain’ »115, il incarne la force
perçue par les destinataires de la norme, « et plus largement par les
acteurs sociaux et les acteurs du droit, qu’ils soient auteurs de doctrine
ou praticiens »116. Plus concrètement, la portée normative d’une
norme est fonction des réponses apportées à des questions telles que le
type d’effets produits par celle-ci sur les conduites, voire le droit lui-
même, et le degré de réception de la norme par ses destinataires, la
doctrine et les praticiens du droit117.

114
C. THIBIERGE, « Conclusion … », op. cit., p. 822.
115
Et l’auteur de se référer, sans toutefois les définir, aux notions voisines
d’efficience et d’efficacité pour témoigner à la fois de la complexité et de la richesse
du pôle de la valeur normative (C. THIBIERGE, ibidem, p. 822). On notera à cet égard
que, dans les différentes contributions composant l’ouvrage et précédant les
conclusions de C. Thibierge, l’accent est - sans surprise, compte tenu des
instruments juridiques étudiés - placé de manière récurrente sur l’idée d’effectivité
(voir, par exemple, M. BOUTONNET, « La force normative des principes
environnementaux, entre droit de l’environnement et théorie générale du droit », in
La force normative, op cit., p. 498 ; C. CHATLIN-ERTUR et S. ONNEE, « Des forces
normatives des Codes de gouvernance des entreprises à la puissance normative du
paradigme en économie organisationnelle », in ibidem, spéc. p. 659 ; V. CHERITAT,
« La force normative de la formule notariale en droit », in ibidem, p. 525). Voir
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également : P.-Y. CHARPENTIER, op. cit., p. 552 et 553 ; P. DEUMIER, « La réception
du droit souple par l’ordre juridique », in Le droit souple, op. cit., spéc. 132 et 135,
137 à 139 ; J.-M. JACQUET, op. cit., p. 340 ; M. MEKKI, « Propos introductifs… », in
Le droit souple, op. cit., p. 9, en ce compris la référence citée, et p. 10 ; C.
THIBIERGE, « Rapport de synthèse », op. cit., p. 159 et 160.
116
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 822.
117
Sur l’adhésion des sujets de droit comme condition de la force normative, voir
Fr. BRUNET, op. cit., p. 416 ; P.-Y. CHARPENTIER, op. cit., p. 550 (« c’est dans ce
pouvoir de détermination sur la volonté, dans cette conviction, cette croyance d’être
obligé de la suivre et de lui obéir que la norme puise toute sa force ») ; C. PERES,
« La réception du droit souple par les destinataires », in Le droit souple, op. cit.,
p. 107 ; C. SINTEZ, op. cit., p. 255 (la « force inspiratoire (de la norme) (…) a pour
effet non juridique d’influencer le destinataire, et notamment l’obliger à se
positionner par rapport à elle »). Adde : F. EDDAZI, « La force normative des
propositions de la commission départementale de la coopération intercommunale »,
in La force normative…, op. cit., p. 440 (« plus la force normative de la proposition

25
R.I.E.J, 2010.65

Enfin, et c’est le troisième pôle de la force normative identifié


par C. Thibierge, la garantie normative a trait au « respect de la
norme ». Ce pôle renvoie plus précisément à « la garantie du respect
(de la norme par les acteurs du droit et les acteurs sociaux) et de la
validité de la norme (offerte) par le système juridique », ce dernier
étant en mesure d’attacher à la norme juridique un certain nombre
d’attributs, en fonction desquels la norme est ou non assortie de
contrainte, sanctionnable, contestable, utilisable pour contrôler la
légalité d’autres normes, opposable, mobilisable par le juge ou encore
invocable en justice. Ce troisième pôle de la force normative conduit
également à se demander si la norme « est effectivement sanctionnée,
contestée, opposée, mobilisée, invoquée »118.
Dans la théorie de C. Thibierge, les trois pôles de la force
normative que l’on vient de décrire correspondent à autant d’étapes
dans la « vie » d’une norme (sa genèse pour le pôle valeur normative,
sa réception pour le pôle portée normative et le contrôle dont, sa vie
durant, elle est susceptible de faire l’objet pour le pôle garantie
normative), étant entendu que chacun des trois pôles renvoie par
ailleurs à un acteur déterminé (l’émetteur de la norme pour la valeur
normative, ses destinataires pour la portée normative et le juge pour la
garantie normative119).

est importante, plus l’organe destinataire de la proposition sera lié par le modèle
pour agir qu’elle contiendra ») ; A. SERRAND, « La force normative de la directive
administrative », in La force normative, ibidem, p. 452. Voir également, en ce sens :
B. FRYDMAN et G. LEWKOWICZ, op. cit., p. 23 (« le code de conduite s’intéresse
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moins à son origine qu’à ses destinataires (…) Le code de conduite produit des
logiques d’apprentissage dont l’efficacité est, comme toujours, fonction de la
réceptivité des élèves »). Le « sentiment de droit », comme le nomme P. Deumier,
tend à devenir déterminant. L’auteur souligne à cet égard que, loin de caractériser la
seule coutume, dans son élément subjectif ou psychologique, l’opinio iuris fonde le
droit tout entier (P. DEUMIER, Le droit spontané, op. cit., p. 175). On se rapproche
en réalité de l’idée de légitimité, pourtant non expressément mentionnée dans le pôle
de la portée normative (sur l’invocation de la légitimité, en sus de la réception de la
norme : V. CHERITAT, op. cit., p. 526 ; cf. également infra, n° 29).
118
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 841.
119
Voir, à propos de l’émetteur et du destinataire, la distinction réalisée par
Th. MASSART entre force normative objective (« fondée sur le pouvoir normatif de
l’émetteur de la norme et sur sa volonté de conférer à cette dernière une certaine
force contraignante ») et force normative subjective (« dépendant de l’attitude des
destinataires de la norme ») (« Force normative : expérience cyclotronique sur des
statuts types de sociétés », in La force normative, op. cit., p. 689 et 690). Cette

26
R.I.E.J, 2010.65

25. Encore faut-il souligner la variabilité des pôles recensés, qui,


chacun, sont susceptibles de présenter une plus ou moins grande
intensité. Ainsi la valeur obligatoire de la norme correspond-elle au
plus haut degré de la valeur normative, laquelle peut cependant
également se traduire en une valeur recommandatoire, déclaratoire,
voire simplement inspiratoire120. Dans le même ordre d’idées, la
portée normative peut être forte, faible ou inexistante, étant entendu
qu’elle s’exprimera en « ‘force régulatrice’, dissuasive ou
persuasive » ou en « ‘force harmonisatrice’, unificatrice voire
inspiratrice », selon qu’elle « s’exerce(…) sur les conduites et les
pratiques (…) (ou) sur d’autres normes ou sur le droit lui-même » 121.
Quant à l’étendue de la garantie normative, elle dépend du nombre
d’attributs conférés à la norme par le système juridique. Selon les cas,
elle se traduit en « ‘force contraignante’, voire coercitive », en
« ‘force exécutoire’ », voire en « ‘simple force d’invocabilité’ pour les
normes non garanties par la contrainte juridique mais cependant
invocables devant le juge ou par lui pour étayer la motivation de ses
décisions »122.
26. S’ils sont autonomes et susceptibles de variations, les trois
pôles de la force normative n’en sont pas moins reliés entre eux par
divers canaux. Aucun de ces pôles ne concentre ou n’épuise toute la
force normative123.

C. Du concept de force normative à la théorie des trois cercles


de la validité (légalité, effectivité, légitimité), et inversement
27. Pour qui a connaissance des recherches menées aux Facultés
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universitaires Saint-Louis, les trois pôles de la force normative, issus
de récents travaux menés sous la direction de C. Thibierge, ne peuvent
manquer d’évoquer les trois cercles de la validité thématisés
notamment par Fr. Ost et M. van de Kerchove. Afin d’apprécier la

distinction est reprise par P.-Y. CHARPENTIER (op. cit., p. 554). Compar. :
C. CHARLOTTON, op. cit., p. 641 et 645 ; Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la
pyramide…, op. cit., spéc. p. 313 et 314 (à propos de la distinction que les auteurs
effectuent entre validité subjective et validité objective).
120
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 827.
121
Ibidem, p. 828. Adde p. 825.
122
Ibidem, p. 827 et 828. L’auteur identifie encore des forces extrajuridiques, à
savoir la force symbolique, la force de langage et la force de croyance dans la force
du droit (ibidem, p. 837).
123
Ibidem, p. 828 et s., et p. 837.

27
R.I.E.J, 2010.65

pertinence de ce rapprochement, il convient de rappeler les contours


de la théorie de la validité dessinée par ces auteurs (C.1), avant de la
confronter au modèle de la force normative (C.2) et d’évaluer leurs
fécondités respectives (C.3).

C.1. Les trois cercles de la validité


28. D’après une théorie développée dans les années quatre-
vingts par François Ost124, et enrichie depuis lors125, la validité d’une
norme et d’un acte juridique s’apprécie au départ de trois critères : la
légalité, l’effectivité et la légitimité126.
Privilégiée par les auteurs positivistes, la légalité renvoie à la
validité formelle. Elle « signifie appartenance au système juridique de
référence127. (…) Est valide la règle qui présente les signes
d’appartenance, les critères d’identification que retiennent les ‘règles
de reconnaissance’ (Hart) propres au système. Une telle validité
suppose la mise en œuvre de tests de dérivation (…) : on apprécie le
‘pedrigree’ de la règle (Dworkin), les sources dont elle dérive. Pour
l’essentiel, cet examen porte sur des questions procédurales (aussi
parle-t-on de validité ‘formelle’) : la règle a-t-elle été adoptée par un
auteur compétent et selon les procédures légales ? Sans doute faut-il,
de surcroît, que la règle inférieure ne contredise pas le contenu des
règles supérieures, mais ce critère de fond est lui-même dérivé par
rapport à l’ordonnancement institutionnel formel qui détermine le
rang des autorités créatrices de droit »128.
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124
Fr. OST, « Essai de définition et de caractérisation de la validité juridique », in
Droit et pouvoir, t. I, La validité, Études publiées sous la direction de F. Rigaux et
G. Haarscher par P. Vassart, Bruxelles, Centre interuniversitaire de philosophie du
droit, Story Scientia, 1987, p. 97 à 132, et les références faites à différents auteurs à
la note 13 de la page 105 ; Fr. OST et M. van de KERCHOVE, Jalons pour une théorie
critique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis,
1987, p. 257 et s. Voir également E. GARCIA MAYNEZ, Filosofia del derecho, Parrua
S.A., Mexico, 1974, p. 507 et s.
125
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ?, op. cit., p. 324 et s.
126
Conformément à la définition qu’en donnent les auteurs, la validité est « la
qualité qui s’attache à la norme dont on reconnaît, sur la base de divers critères,
qu’elle a les effets juridiques que ses auteurs prétendent lui attribuer », étant entendu
que le « on » renvoie à une multitude d’acteurs parmi lesquels le juge occupe une
place privilégiée (ibidem, p. 314).
127
Aussi est-elle parfois qualifiée de validité « interne » ou « systémique ».
128
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 326.

28
R.I.E.J, 2010.65

Associée aux courants réalistes et sociologiques, l’effectivité


incarne quant à elle la « validité empirique » ou « factuelle ». Dans le
sillage de la conception de la norme comme « modèle pour l’action »
retenue par P. Amselek129, F. Ost et M. van de Kerchove la définissent
de la manière suivante : « est effective la règle utilisée par ses
destinataires comme modèle pour orienter leur pratique »130. Et les
auteurs de souligner l’existence de deux types de destinataires : sujets
de droit, d’une part, et « autorités administratives et répressives
chargées d’assurer la mise en œuvre et le contrôle des règles
s’adressant aux (dits sujets de droit) »131, d’autre part132. On relèvera
en conséquence que, dans la théorie de Fr. Ost et M. van de Kerchove,
le critère d’effectivité embrasse le pôle de la garantie normative issu
de la théorie de C. Thibierge et que cette dernière définit comme « la
garantie du respect et de la validité de la norme (offerte) par le
système juridique ».
Valorisée par les iusnaturalistes, la légitimité illustre le versant
axiologique de la validité, qui est évaluée « à l’aune de valeurs méta-
positives »133.
29. Distincts, ces trois critères n’en sont pas moins en
interaction constante134. Chacun d’eux constitue « une condition
129
P. AMSELEK, Méthode…, op. cit., p. 257 et s. Cf. supra, n° 19.
130
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 330 et les
références citées.
131
Ibidem, p. 330. Dans le prolongement de cette distinction s’en inscrit une autre,
entre « effectivité des normes » et « effectivité des sanctions » (ibidem).
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132
Les auteurs insistent également sur l’intervention, dans le contexte de
l’évaluation des lois, de concepts voisins, comme l’efficacité (« la pertinence du
moyen choisi par le législateur en vue d’atteindre l’objectif visé »), l’efficience («le
coût engagé pour atteindre, par la règle choisie, le but visé »), et les effets de la loi
(recouvrant, de manière très large, « ‘toutes les résonances’ du texte étudié »)
(ibidem, p. 330 et 331). Ils proposent par ailleurs d’élargir la notion d’effectivité -
classiquement entendue au sens matériel ou comportemental - à une conception
symbolique de celle-ci, proche de l’idée de légitimité. Comprise en ce sens,
l’effectivité désigne « l’aptitude de la loi à marquer les représentations de ses
destinataires (en) offr(ant) des modèles de sens, diffus(ant) des valeurs collectives,
crédibilis(ant) des fictions fondatrices (…) » (ibidem, p. 334). Les auteurs ajoutent
qu’ « envisagée dans le chef des sujets de droit, cette action symbolique détermine
une adhésion beaucoup plus solide (et donc une effectivité plus durable) que celle
qui résulte du simple conformisme social ou de la peur du gendarme » (ibidem,
p. 335).
133
Ibidem, p. 337.

29
R.I.E.J, 2010.65

nécessaire, mais non suffisante de validité », à telle enseigne que


« celle-ci suppose toujours un degré d’implication minimal des trois
pôles de validité »135.
Il est du reste « impossible de mettre en œuvre chacun des trois
critères (de la validité) considérés isolément sans mobiliser
implicitement ou explicitement les deux autres »136. On notera à cet
égard que, si dans l’analyse de Fr. Ost et M. van de Kerchove,
l’intervention de la règle de reconnaissance - au sens hartien du terme
- semble cantonnée au pôle de la légalité, les auteurs soulignent
expressément que la règle de reconnaissance chez Hart n’autorise
aucune clôture du système juridique137. De l’aveu de Hart lui-même,
« la règle de reconnaissance n’existe que sous la forme d’une pratique
complexe, mais habituellement concordante, qui consiste dans le fait
que les tribunaux, les fonctionnaires et les simples particuliers
identifient le droit en se référant à certains critères. Son existence est
une question de fait »138 : c’est la manifestation du pôle « effectivité »
dans la théorie de Fr. Ost et M. van de Kerchove. Et Hart de montrer
également que la règle de reconnaissance « traduit, dans l’attitude de
la plupart des agents publics et privés qu’il a désignés, la présence du
‘point de vue interne’ que (F. Ost et M. van de Kerchove) appel(lent)
jugement de légitimité »139.
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134
D’où le schéma des cercles sécants dessiné par les auteurs pour figurer leur
théorie tridimensionnelle de la validité (ibidem, p. 352).
135
Ibidem, p. 360. Sur la compatibilité de cette position avec l’interdiction de
l’abrogation par désuétude déduite de l’article 33 de la Constitution, voir infra,
n° 33.
136
Ibidem, p. 325. Pour des illustrations et/ou développements de ce propos, voir
p. 327, 332 in fine à 337, 341.
137
Ibidem, p. 373.
138
H.L.A. HART, op. cit., p. 138.
139
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide …, op. cit., p. 373.

30
R.I.E.J, 2010.65

C.2. Le concept de force normative confronté à la théorie des


trois cercles
30. À première vue, on pourrait penser que la théorie de la force
normative de C. Thibierge ne se confond pas avec la théorie de la
validité développée par Fr. Ost et M. van de Kerchove. L’auteur
n’écrit-elle pas que la force normative devrait permettre « de repenser
les liens et les interactions entre les concepts juridiques de base tels
que ceux de source, d’obligation, de sanction, de contrainte, de
contrôle, d’effets de la norme et d’effectivité, de validité, de positivité,
etc. »140, donnant ainsi à penser que force normative et validité ne se
recouvrent point ? En réalité, cette impression est suscitée par le fait
que C. Thibierge retient une conception exclusivement formelle de la
validité141, identifiant celle-ci au seul pôle de la légalité de la théorie
tridimensionnelle de la validité. De leur côté, et à l’inverse, Fr. Ost et
M. van de Kerchove soulignent expressément le caractère souple et
englobant de la validité telle qu’ils la conçoivent, et qui inclut, faut-il
le rappeler, les pôles de l’effectivité et de la légitimité, en sus de celui
de la légalité142. Aussi pense-t-on pouvoir tenter une comparaison
entre ces deux grilles de lecture (celle de la force normative et celle de
la validité tridimensionnelle), permettant, nous semble-t-il, l’une et
l’autre de mesurer le degré de juridicité d’une norme143. Cette
prémisse gagnerait cependant à être confirmée.
31. Les deux théories partagent un certain nombre de points
communs. En plus de s’inscrire toutes deux dans une perspective
interdisciplinaire, elles ménagent chacune une place à la temporalité,
tout comme elles partagent une conception graduelle de la
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juridicité144. Il s’agit là d’un point essentiel et toujours difficile à

140
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 820 ; c’est nous qui soulignons.
141
C. THIBIERGE évoque en effet la validité de la norme « et donc sa conformité aux
autres normes du système juridique » (ibidem, p. 823).
142
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, Jalons …, op. cit., p. 269.
143
On précise à cet égard que, sauf erreur de notre part, l’ouvrage collectif sur la
force normative ne fait à aucun moment allusion à la théorie tridimensionnelle de la
validité de Fr. Ost et M. van de Kerchove. À notre connaissance, on n’y trouve pas
davantage de référence aux règles de reconnaissance de Hart.
144
Comme l’écrivaient, dès 1987, Fr. OST et M. van de KERCHOVE, « savoir si telle
règle vise tel cas précis, si telle norme relève de tel ordre juridique de référence ou
encore si telle solution présente tout simplement un caractère juridique suppose le
plus souvent une appréciation exprimée en degré d’appartenance plutôt qu’un
jugement catégorique qui ne manquerait pas de mutiler la souplesse et, pour tout

31
R.I.E.J, 2010.65

accepter par les juristes positivistes, enclins à s’arrêter au


raisonnement apparemment binaire du juge de la validité : la norme
est valide ou ne l’est pas. Derrière cette apparence se logent en réalité
bien des gradations. Ainsi le juge est-il tantôt habilité à annuler une
norme, tantôt simplement autorisé à en refuser l’application. Ainsi
encore peut-il déclarer une norme valide, sous réserve
d’interprétation.
Enfin, de la même façon que la théorie des trois cercles connaît
des variations en fonction des sources et des branches du droit145, la
réponse à la question de savoir ce qui fait la force d’une norme en
droit fluctue selon les branches du droit et les normes considérées146.
32. S’ils sont centraux dans la théorie de Fr. Ost et M. van de
Kerchove, les trois critères de la validité (légalité, effectivité,
légitimité) passent cependant au second plan dans celle de
C. Thibierge, où ils sont, pour partie, « éclatés » entre les trois pôles
de la force normative (valeur normative, portée normative, garantie
normative). Ainsi, le pôle de la valeur normative (qui renvoie à la
force conférée à la norme par son émetteur) et celui de la garantie
normative (correspondant à « la garantie du respect et de la validité de
la norme (offerte) par le système juridique »147) se partagent la validité
(formelle), tandis que l’effectivité se retrouve aussi bien dans le pôle
garantie normative - dont on vient de rappeler le contenu - que dans
celui de la portée normative (qui rassemble les effets de la norme), la

dire, la fluidité du système juridique » (Le système juridique entre ordre et désordre,
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Paris, P.U.F., 1988, p. 16). En ce qui concerne l’ouvrage sur la force normative, voir
notamment C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 818. Voir aussi
P. AMSELEK, « Libre avant-propos … », op. cit., p. 15 (la force normative « révèle le
caractère dynamique et mouvant du système juridique ». Elle « est d’intensité
variable, et susceptible de modulations en magnitude et dans le temps ») ; H. PICOT,
op. cit., p. 345 (« idée de degrés de normativité »). Adde : M. MEKKI, « Propos
introductifs sur le droit souple », in Le droit souple, op. cit., p. 6 et 7 et les
références citées.
145
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 358 à 360. Selon
ces auteurs, « il serait tout à fait trompeur de présenter la validité de(s) (…)
différentes sources (du droit) de façon indifférenciée, comme si tout le droit
procédait d’une volonté unique et se produisait selon une procédure uniforme »
(ibidem, p. 358).
146
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 816.
147
Ibidem, p. 823, « et donc », précise l’auteur, à « sa conformité aux autres normes
du système juridique » (ibidem, p. 823).

32
R.I.E.J, 2010.65

légitimité étant, quant à elle, cantonnée au seul pôle de la valeur


normative ou, autrement dit, à la force conférée à la norme par son
émetteur.
Davantage que sur les trois pôles de la théorie tridimensionnelle
de la validité, le modèle proposé par C. Thibierge met l’accent sur les
différentes étapes de la « vie » d’une norme (sa genèse pour le pôle
valeur normative, sa réception pour le pôle portée normative et le
contrôle auquel elle est susceptible d’être soumise pour le pôle
garantie normative)148. Comme ils le soulignent du reste expres-
sément, la théorie de la validité de Fr. Ost et M. van de Kerchove
permet, elle aussi, de distinguer « plusieurs séquences dans la ‘vie’
d’une norme juridique en rapportant chacune de celles-ci à une
dimension privilégiée de la validité »149, et, partant, « de penser le
passage d’une validité seulement virtuelle ou potentielle à une validité
réelle, en acte »150. Les auteurs ne manquent cependant pas d’attirer
l’attention sur les limites de cette déclinaison dynamique de leur
théorie : « s’il est vrai que le processus de validation se laisse
décomposer en séquences, il serait erroné de dissocier radicalement
les différentes dimensions de la validité qui ne cessent d’interagir tout
au long de la vie des textes juridiques »151. Ce propos permet de
pointer ce qui constitue, peut-être, une des faiblesses de la théorie de
la force normative, à savoir le fait qu’elle donne l’impression de se
départir de l’idée selon laquelle toute norme est la résultante d’une
interaction entre les trois pôles de la validité. C. Thibierge admet en
effet que « chacun des trois pôles (puisse) être compris comme une
voie d’accès spécifique à la juridicité »152. Recourant notamment à la
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148
Cf. supra, n° 24 in fine.
149
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 353 et s.
150
Ibidem, p. 356. Voir, en ce sens également, P. AMSELEK, « Libre avant-
propos… », op. cit., p. 15 ; A.-J. ARNAUD, « La force normative, pierre angulaire
d’une intelligence juridique », in La force normative…, op. cit., p. 13 ;
M. ROBINEAU, op. cit., p. 573 ; C. SINTEZ, op. cit., p. 254.
151
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 356.
152
C. THIBIERGE, « Conclusion … », op. cit., p. 827. Voir aussi p. 829 (« certaines
normes puisent leur force à l’un seul de ces trois pôles ou revêtent une force en
l’absence d’un des trois ») et p. 832 (« pour revêtir une certaine force normative, une
norme n’a donc pas besoin d’avoir de la force à chacun des trois pôles, ni que sa
force y soit portée à son plus haut degré d’intensité »). L’auteur reconnaît cependant
par ailleurs « une interaction entre ces pôles » (ibidem, p. 828 ; cf. supra, n° 26). Et,
à l’inverse, elle conçoit que ces trois pôles puissent « être en osmose » (ibidem,

33
R.I.E.J, 2010.65

norme spontanée pour illustrer son propos, elle écrit que celle-ci peut
devenir juridique « par la répétition des pratiques assortie d’opinio
necessitatis (pôle portée normative) »153. Or, pourrions-nous objecter,
l’opinio necessitatis, c’est-à-dire le sentiment d’obligatoriété qui
constitue l’élément subjectif de la coutume154, conduit à apprécier la
légitimité de celle-ci155, laquelle, dans la théorie de C. Thibierge,
semble pourtant absente du pôle de la portée normative. Seul
l’élément objectif, incarné par l’usage constant et renvoyant à l’idée
d’effectivité, est explicitement traduit par ce pôle. Sans compter que
les destinataires de la coutume (portée normative) s’identifient
généralement à l’émetteur de celle-ci (valeur normative)156. Au sujet
de la coutume en tout cas, le découpage entre les trois pôles de la
force normative et les compléments qui l’enrichissent nous paraît
quelque peu artificiel.
C. Thibierge n’apparaît pas davantage convaincue du fait que,
comme l’écrivent Fr. Ost et M. van de Kerchove, « chacun des trois

p. 828). Fr. Ost et M. van de Kerchove se montrent, pour leur part, extrêmement
réservés par rapport à l’hypothèse d’un recouvrement total des trois cercles, ou, à
l’inverse, d’une désarticulation totale de ceux-ci (voir Fr. OST et M. van de
KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 361 à 363).
153
C. THIBIERGE, « Conclusion … », op. cit., p. 827.
154
Compar. avec les références citées supra note 117.
155
Voir à cet égard Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit.,
p. 358, note 122 : « d’une coutume (…) on exige, en fait de test de validité, qu’elle
s’autorise d’un usage constant (effectivité) et d’une opinio iuris (légitimité)
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attestant, dans le chef de ses auteurs-destinataires, un sentiment d’obligatoriété et
non de simple convenance » (compar. avec P. DEUMIER, Le droit spontané, op. cit.,
p. 179, n° 198, pour qui « l’opinio iuris introdui(t) une part d’incertitude et de
confusion dans la matière, sans lui rendre de grand service en contrepartie »). On
ajoutera que l’application par le juge de la coutume - ou, plus généralement, de la
règle de droit spontané - lui confère l’onction étatique qui lui faisait jusqu’alors
défaut (en ce sens : J. DABIN, Théorie générale du droit, nouvelle édition, Paris,
Dalloz, 1969, p. 39 et 40, cité par F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide…,
op. cit., p. 284 ; P. DEUMIER, Le droit spontané, op. cit., p. 239, n° 259). Plus
généralement, F. Ost et M. van de Kerchove formulent l’hypothèse que la validité
des « sources du droit ‘originaires’ », comme la coutume, les principes généraux du
droit et la jurisprudence, s’apprécie essentiellement en termes d’effectivité et de
légitimité, tandis que celle des « sources du droit ‘dérivées’ » (la Constitution, la loi,
le règlement, le contrat) s’évalue principalement sous l’angle de leur légalité
(Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 358 et 359).
156
Cf. supra, note 18.

34
R.I.E.J, 2010.65

critères (de validité) considéré isolément » mobilise « implicitement


ou explicitement les deux autres »157. Ainsi écrit-elle, au détour d’une
note infrapaginale consacrée à l’effectivité, que « s’il n’est pas
complètement évident que l’effectivité soit une condition de validité
de la norme (cf . la place existante, mais tout de même secondaire, qui
est la sienne dans l’œuvre de Kelsen), il est en revanche certain
qu’elle est un aspect de la force normative. Ce n’est pas tant la validité
du droit ou de ses normes, mais leur force, que l’effectivité permet de
mesurer »158.
33. S’il faut être averti des divergences que l’on vient de
souligner, et si, sur certains points précis, le modèle des trois cercles
de la validité nous semble à ce stade plus abouti, il ne convient pas
pour autant de se priver des apports de la théorie de la force
normative, que du contraire.
On partage en effet l’intuition de C. Thibierge selon laquelle le
concept même de force normative a un bel avenir devant lui, et ce,
pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce concept porte merveilleuse-
ment en lui l’idée de gradualité et de dynamique, et, ce faisant, il
reflète à souhait la complexité du droit contemporain. En ses
conclusions, C. Thibierge apporte par ailleurs d’heureuses précisions,
lorsqu’elle met par exemple en exergue les différents degrés de la
garantie normative et les questions à se poser pour en identifier
l’étendue159. De ce point de vue, le modèle proposé par C. Thibierge
permet, à notre avis, d’affiner la théorie tridimensionnelle de la
validité, en particulier le critère d’effectivité développé par Fr. Ost et
M. van de Kerchove. Encore faut-il, dans cette perspective, s’entendre
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sur ce que recouvrent les différents termes destinés à mesurer la force
normative : force obligatoire, force contraignante, force exécutoire,
force d’invocabilité... Si cette clarification conceptuelle n’a pas été
réalisée de manière systématique dans le cadre de l’ouvrage collectif
sur la force normative - tel n’était du reste pas son objet principal -, il
semble que nous pourrons difficilement nous y soustraire dans le
cadre de nos propres travaux.
34. Quant à la théorie tridimensionnelle de la validité, on se
permet de formuler l’interrogation suivante. Dans cette théorie, la
validité objective, appréciée au départ des trois pôles de la validité par
les différents acteurs du système juridique, présuppose la validité

157
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 325.
158
C. THIBIERGE, « Conclusion… », op. cit., p. 820, note 17.
159
Voir supra, n° 24 et les références citées.

35
R.I.E.J, 2010.65

subjective : il faut que l’auteur de la norme ait eu l’intention de


s’obliger ou d’obliger autrui juridiquement160. Or, si l’on s’en réfère,
par exemple, à la thèse de P. Deumier sur le droit spontané, ce dernier
désigne « la règle dégagée par la répétition constante et générale d’un
comportement juridique adopté par les intéressés pour répondre à
leurs besoins »161, « sans volonté de leur part de créer du droit »162.
Cette dernière caractéristique se retrouve au demeurant dans certaines
manifestations du soft law163. Afin de pouvoir l’appliquer au droit
spontané et au soft law, n’y a-t-il pas lieu, à cet égard, d’apporter un
amendement à la théorie tridimensionnelle de la validité ?
Une autre question gagnerait selon nous à être résolue. C’est
celle de savoir comment concilier la thèse selon laquelle, en plus
d’être légale, une norme doit, pour voir sa validité confirmée,
bénéficier d’une certaine dose de légitimité et surtout, au regard de la
question qui nous intéresse, d’effectivité, avec l’article 33 de la
Constitution belge (« Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont
exercés de la manière établie par la Constitution »), qui s’oppose à
l’abrogation d’une norme impérative résultant de sa non-application
prolongée par ses destinataires, ou, autrement dit, à l’abrogation par
désuétude. En vertu de cette disposition constitutionnelle, en effet,
seule l’autorité compétente pour adopter une norme a le pouvoir, en
droit, de mettre un terme à ses effets. En conséquence, ne faut-il pas
considérer que l’interdiction de l’abrogation par désuétude déduite de
cette disposition constitutionnelle - à supposer qu’elle soit elle-même
effective - s’oppose à la prise en compte de l’effectivité pour apprécier
la validité d’une norme ? L’on peut d’ores et déjà avancer comme
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élément de réponse qu’en pratique, la personne qui se verrait
reprocher d’avoir transgressé un texte devenu lettre morte pourrait
toujours tenter d’invoquer l’existence d’une erreur invincible de droit
dans son chef. On relèvera par ailleurs que la Cour européenne des
droits de l’homme semble conditionner le constat d’une éventuelle
violation de la Convention dont elle assure le respect par une
législation nationale au caractère effectif de celle-ci164. Il reste que,

160
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 312 et 313.
161
P. DEUMIER, Le droit spontané, op. cit., p. 179.
162
Ibidem, p. 201 et 202, n° 220 ; c’est nous qui soulignons.
163
Voir les contributions respectives de B. Frydman et G. Lewkowicz, d’une part, et
de J. Cazala, d’autre part.
164
Voir en ce sens Cour eur. D.H., arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre
1981, spéc. cons. 14, 29 à 31 et 41.

36
R.I.E.J, 2010.65

pour répondre de façon complète et nuancée à la question soulevée, on


ne pourra faire l’économie d’un inventaire, par branche du droit, du
dernier état de la jurisprudence en matière d’abrogation par désuétude.
35. En définitive, c’est une utilisation combinée de ces deux
grilles de lecture (celle de la force normative et celle de la validité) qui
nous paraît la plus féconde pour appréhender le degré de juridicité des
différents instruments que nous serons conduits à examiner dans le
cadre de ce séminaire.
Dans un cas comme dans l’autre, que l’on s’inscrive dans le
prolongement des recherches menées sur la force normative ou dans le
cadre de la théorie tridimensionnelle de la validité, nos travaux - et
c’est un constat plutôt rassurant… - sont susceptibles d’apporter une
plus-value, dans la mesure où ni l’une ni l’autre des théories
présentées n’ont amplement été testées sur les nouvelles « sources »
du droit165. Concluant l’ouvrage, en ce compris d’un point de vue
temporel, l’approche conceptuelle de la force normative réalisée par
C. Thibierge n’a pas été appliquée comme telle par les différents
contributeurs. Quant à Fr. Ost et M. van de Kerchove, ils ménageaient
déjà en 2002 une place à l’actuelle thématique du S.I.E.J., lorsqu’ils
reconnaissaient dans leur ouvrage « De la pyramide au réseau ? »
qu’ « il serait très instructif d’étudier, à partir de cette grille d’analyse,

165
Voir cependant en ce qui concerne la théorie tridimensionnelle de la validité :
M.DELMAS-MARTY, http://www.reds.mshparis.fr/communication/textes/cplx01.htm,
cité par M. MEKKI, « Propos introductifs sur le droit souple », in Le droit souple, op.
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cit., p. 9, note 54 (M. Delmas-Marty appliquant cette théorie au droit souple). On
notera par ailleurs que la théorie tridimensionnelle de la validité avait, à l’époque de
sa formulation par Fr. Ost, été testée par H. DUMONT (« Des contrôles de
constitutionnalité et de légalité en droit public aux contrôles du pouvoir en droit
privé : pour une théorie critique des contrôles de la validité des actes unilatéraux
émanant d'un pouvoir public ou privé », in Droit et pouvoir, t. I, La validité, Études
publiées sous la direction de F. Rigaux et G. Haarscher par P. Vassart, Bruxelles,
Centre interuniversitaire de philosophie du droit, Story Scientia, 1987, p. 193 à 250),
Ph. GERARD (« Validité juridique et souveraineté », in ibidem, p. 53 à 80) et M. van
de KERCHOVE (« Les lois pénales sont-elles faites pour être appliquées ? Réflexions
sur les phénomènes de dissociation entre la validité formelle et l’effectivité des
normes juridiques », in ibidem, p. 327 à 346). Voir, enfin : H. DUMONT, « Coutumes
constitutionnelles, conventions de la Constitution et paralégalité », in Liber
Amicorum Paul Martens. L’humanisme dans la résolution des conflits. Utopie ou
réalité ?, Bruxelles, Larcier, 2007, spéc. p. 264 (qui mobilise la théorie des trois
cercles de la validité dans son analyse des coutumes constitutionnelles).

37
R.I.E.J, 2010.65

la nature de la validité qui s’attache à toute une série de nouvelles


sources du droit qui s’imposent de plus en plus largement
aujourd’hui : directives, circulaires, conventions collectives, contrats
d’adhésion, codes de bonne conduite, gentlemen’s agreements… »166.
Et les auteurs d’ajouter dans ce même ouvrage que « la prévalence
actuelle du critère de légalité ne devrait (…) pas faire oublier les
exigences d’effectivité et de légitimité, d’autant que la recomposition
contemporaine des systèmes juridiques dans le cadre du droit en
réseau et de la mondialisation entraîne une mise en question évidente
des institutions et régulations étatiques au profit de régulations
concurrentes dont la validité interfère avec celle des systèmes
officiels »167, tout en précisant que, dans le cadre de ce « droit en
réseau et de ses procédures diversifiées d’évaluation », la question de
savoir comment et jusqu’où les trois dimensions de la validité
interagissent « a pris (…) un regain d’intérêt »168.

3. Le soft law169

36. Le concept de soft law semble, pour sa part, avoir été forgé
dans les années trente par un grand juriste de common law, Lord
McNair. Ce dernier l’utilisa « pour désigner le droit en forme de

166
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 359.
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167
Ibidem, p. 370.
168
Ibidem, p. 383.
169
Pour rappel, cette notion a d’ores et déjà donné lieu à quatre exposés dans le
cadre du séminaire sur les sources du droit revisitées. L’un d’entre eux portait sur
« Les codes de conduite : source du droit global ? », et fut présenté le jeudi 1er avril
2010 par B. Frydman et G. Lewkowicz. Le deuxième, de J. Cazala, appréhendait
plus généralement le soft law en droit international, à l’exception des codes de
conduite. Le 29 octobre 2010, Françoise Tulkens et S. van Drooghenbroeck ont,
quant à eux, discuté l’interrogation suivante : « Le soft law des droits de l’homme
est-il vraiment si soft ? », sur la base d’un texte non publié, lui même inspiré de
l’article suivant : S. VAN DROOGHENBROECK et Fr. TULKENS, « Le soft law des
droits de l’homme est-il vraiment si soft ? Les développements de la pratique
interprétative récente de la Cour européenne des droits de l’homme », in Liber
amicorum M. Mahieu, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 505 à 526. Enfin, le 5 novembre
2010, N. de Sadeleer a abordé, dans le cadre de son exposé, les actes de droit dérivé
hors nomenclature et le soft law européen.

38
R.I.E.J, 2010.65

propositions ou principes abstraits, en opposition (au) hard law qui est


le droit concret, vécu ou opératoire, issu de l’épreuve judiciaire »170.
Vers la fin des années soixante, la littérature du droit
international chargea cette notion d’une tout autre signification, qui
est celle qu’on lui connaît encore aujourd’hui. Elle servit alors à
désigner les formes souples de régulation sociale171.
Ce phénomène n’a, depuis lors, cessé de s’intensifier en droit
international, tout comme il s’est propagé au sein des différents droits
nationaux, bousculant, ici et là, la représentation des sources
classiques du droit.
Si la notion de soft law demeure très usitée, elle est
concurrencée par d’autres expressions, comme celles de « droit
assourdi »172, « droit vert »…, ou tout simplement traduite en « droit
souple » par la littérature française173.
37. Il reste qu’au-delà de l’expression retenue pour la désigner,
et de la signification très générale qu’on peut lui conférer, la notion
recouvre des réalités on ne peut plus hétérogènes (hétérogénéité des
instruments, des acteurs, des destinataires…174) qui rendent malaisé
son approfondissement sur un plan conceptuel175. Dans cette
170
G. ABI-SAAB, « Éloge du ‘droit assourdi’. Quelques réflexions sur le rôle de la
soft law en droit international contemporain », in Nouveaux itinéraires en droit.
Hommage à François Rigaux, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 60. En ce sens
également : I. DUPLESSIS, « Le vertige et le soft law : réactions doctrinales en droit
international », in Revue québécoise de droit international, 2007, p. 252 et la
référence citée en note 23.
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171
L’émergence du soft law en droit international s’accompagna d’un certain
malaise, que traduit le célèbre article de P. Weil sur la normativité relative (P. WEIL,
« Vers une normativité relative en droit international ? », in Revue générale de droit
international public, 1982, p. 6 et s.).
172
F. RIGAUX, « Cours général de droit international privé », in Recueil des cours de
l’Académie de droit international de La Haye, t. 213, 1989-I, p. 362 et 375, cité par
G. Abi-Saab, op. cit., p. 59. Sur la clarification de la notion que cette expression
véhicule, voir G. ABI-SAAB, ibidem, p. 60.
173
C’est en tout cas l’expression recommandée par la Commission de terminologie
et de néologie en matière juridique, présidée par le Professeur F. Terré, cf. Les
Annonces de la Seine, 2008, n° 20, p. 4.
174
Voir C. THIBIERGE, « Rapport de synthèse », in Le droit souple, Actes du
colloque organisé par l’Association Henri Capitant, Journées nationales, t. XIII /
Boulogne-sur-Mer, Paris, Dalloz, 2009, p. 144.
175
En ce sens, J. CAZALA, « Le Soft Law international entre inspiration et
aspiration », intervention du 6 mai 2010, non publiée, p. 3, qui parlait à son égard

39
R.I.E.J, 2010.65

perspective, on s’aventurera cependant à proposer une typologie des


diverses manifestation du soft law (A), avant d’envisager les
différentes façons pour l’ordre juridique étatique de les accueillir (B).

A. Essai de typologie176
38. Nous ne sommes évidemment pas les premiers à tenter de
mettre de l’ordre dans le soft law. Ainsi le Dictionnaire de droit
international public dirigé par J. Salmon identifie-t-il deux hypothèses
de soft law dans la définition qu’il en livre. Il s’agit, selon ses termes,
de « règles dont la valeur normative177 est limitée soit parce que les
instruments qui les contiennent ne seraient pas juridiquement
obligatoires [première hypothèse], soit parce que les dispositions en
cause, bien que figurant dans un instrument contraignant, ne créeraient
pas d’obligations de droit positif, ou ne créeraient que des obligations
peu contraignantes [seconde hypothèse] »178.

d’ « énoncé attrape tout », avant de confirmer que « la pratique est en cette matière
particulièrement volatile, rétive à toute forme de systématisation ».
176
Cette section a subi plusieurs changements par rapport à la version présentée le
24 septembre 2010 dans le cadre du S.I.E.J. Les deux principaux changements
consistent en un réagencement de la typologie proposée autour des catégories
centrales de soft law para- et péri-législatifs, d’une part, et intra-législatif, d’autre
part, et en la suppression de la distinction entre manifestations normatives et non
normatives du soft law, qui se sont avérées complexifier inutilement l’appréhension
du soft law. Destinées à rencontrer certaines remarques formulées lors de cette
séance, ces modifications tiennent compte également, pour partie, des notes que
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Mathias El Berhoumi, Guido Gorgoni et Antoine Bailleux nous ont fait l’amitié de
nous communiquer au lendemain de celle-ci. Qu’ils trouvent ici l’expression de nos
remerciements sincères pour le dialogue qu’ils ont de la sorte contribué à alimenter,
et qu’on ne manquera pas de poursuivre.
177
La « valeur normative » dont il est question dans cette définition correspond
selon nous, dans le vocabulaire de C. Thibierge, à la notion de force normative.
178
J. SALMON (sous la direction de), Dictionnaire de droit international public,
Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 1039. Voir, par ailleurs, les déclinaisons du droit
souple en droit flou (norme indéterminée), droit doux (norme dépourvue de force
obligatoire) et droit mou (norme dépourvue de force contraignante) (C. THIBIERGE,
« Le droit souple…», op. cit., p. 599 et s.), ou encore le modèle tenté par ce même
auteur autour des différentes fonctions remplies par une norme (obligatoire - décliné
en impératif, supplétif, facultatif et incitatif -, recommandatoire - décliné en incitatif,
optatif et consultatif -, déclaratoire - décliné en proclamatoire et déclamatoire - et
inspiratoire) (« Rapport de synthèse », op. cit., p. 155 et s.).Voir également les
classifications répertoriées par J. CAZALA, « Le Soft Law … », op. cit., p. 4. Voir,

40
R.I.E.J, 2010.65

S’adossant à cette distinction, la typologie que nous proposons


d’adopter revient essentiellement à détailler la première de ces
hypothèses, en introduisant des sous-catégories destinées à rendre
compte de son hétérogénéité (A.1), et à requalifier la seconde d’entre
elles en « soft law intra-législatif » (A.2) 179.
Cet essai de typologie appelle cinq mises au point préalables.
Premièrement, les manifestations de soft law répertoriées dans
notre typologie ont en commun de proposer, de manière plus ou moins
aboutie, un modèle pour agir et/ou pour juger par le biais
d’instruments non juridiquement contraignants180.
Deuxièmement, en l’état actuel de nos recherches, on aurait
tendance à exclure du soft law le droit consultatif181, dans la mesure
où, tout en se caractérisant par son absence de force contraignante, il
ne relève pas à proprement parler de l’univers normatif, mais se
déploie parallèlement à celui-ci. Le droit consultatif ne remplit pas, en
tout cas dans son essence182, une fonction directive, mais une fonction
de conseil : il exprime l’opinion de son émetteur183. On pense aux avis
de la section de législation du Conseil d’État ou encore à ceux de la
Cour internationale de justice, voire aux rapports d’experts sollicités
dans le cadre d’un litige184.

enfin, la distinction établie par W. van Gerven et S. Lierman sur la base des
fonctions remplies par le soft law juridiquement non contraignant entre pre-law,
post-law et para-law (Algemeen Deel, veertig jaar later. Privaat- en publiekrecht in
een meergelaagd kader van regelgeving, rechtsvorming en regeltoepassing,
Kluwer , 2010, p. 148, et la référence citée).
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179
Il s’agit, au départ, d’une intuition partagée avec H. Dumont et alimentée par
Fr. Ost, qui, au cours d’une discussion, suggéra d’éventuellement y ajouter le soft
law méta-législatif (imaginaire qui inspire), voire cata-législatif.
180
Cf. supra, n° 19.
181
C. THIBIERGE, « Rapport de synthèse … », op. cit., p. 157.
182
Compar. F. TERRE, « Observations finales », in L’expertise, p. 136, cité par
Th. Revet, « Rapport introductif », in L’inflation des avis en droit, sous la direction
de Th. Revet, Paris, Economica, 1998, p. 8 : « l’avis porte en germe le rescrit ». Voir
également les « avis-pression » évoqués par Ph. JETSAZ, « Rapport de synthèse », in
L’inflation…, ibidem, p. 116 in fine.
183
P. AMSELEK, « Libre avant-propos… », op. cit., p. 7. Voir aussi, à propos de la
définition de l’avis, Fr. ZENATI, « La portée du développement des avis », in
L’inflation…, op. cit., p. 101 et 102. Précisons que la consultation populaire
représente sans doute un cas limite de cette catégorie.
184
Th. Revet écrit à cet égard que « l’avis s’inscrirait (…) dans un contexte de crise
des sources traditionnelles du droit – sinon du droit lui-même. Le besoin de

41
R.I.E.J, 2010.65

Troisièmement - et on aura l’occasion de le rappeler -, la


terminologie proposée (soft law para-, péri- et intralégislatifs) importe
moins, à ce stade, que les réalités qu’elle désigne, et il y a une part
certaine de convention dans les termes que l’on suggère d’arrêter.
Quatrièmement, loin d’être absolue, la frontière entre soft law et
hard law s’apparente à une zone grise, à telle enseigne que le passage
de l’un à l’autre se conçoit sous la forme d’un continuum, et non sous
celle du franchissement d’un seuil. Le soft law peut du reste émerger
ou disparaître à un moment donné. La notion de force normative, que
l’on ne manquera pas de mobiliser dans les développements qui
suivent, rend particulièrement bien compte de cette dimension
temporelle du droit185.
Cinquièmement, la légitimité des instruments de droit souple est
probablement aussi plurielle que les formes qu’il épouse. On ne
manquera toutefois pas de méditer le passage suivant, issu du
Dictionnaire international de droit public : « à vrai dire, sous couleur
de vouloir sauver une forme atténuée de juridicité pour les règles ainsi
qualifiées, l’emploi de cette notion a surtout pour effet de les
disqualifier au point de vue juridique. Le procédé n’est donc pas
dépourvu de finalités idéologiques »186.

A.1. Les instruments normatifs non juridiquement


contraignants : soft law para- et péri-législatifs
39. Soft law para-législatif (A.1.a) et soft law péri-législatif
(A.1.b) constituent des catégories destinées à expliciter la première
partie de la définition du soft law offerte par le Dictionnaire
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international de droit public : « des règles dont la valeur normative est
limitée (…) parce que les instruments qui les contiennent ne seraient

consultation ne signifie-t-il pas, en effet, que les voies traditionnelles d’accès à la


légitimité ne fonctionnent plus aussi bien que jadis ? Sans doute la légitimité est-elle
de plus en plus technique, ce qui ouvre, par principe, aux experts de toute nature »
(Th. REVET, op. cit., p. 6).
185
Sur la gradualité de la juridicité, voir supra, n° 31 et 33. Adde : A. PELLET, « Le
‘bon droit’ et l’ivraie - Plaidoyer pour l’ivraie (Remarques sur quelques problèmes
de méthode en droit international du développement) », in Le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes - Méthodes d’analyse du droit international - Mélanges
offerts à Charles Chaumont, Pedone, Paris, 1984, p. 487 et 488, n° 14.
186
J. SALMON (sous la direction de), op. cit., p. 1039.

42
R.I.E.J, 2010.65

pas juridiquement obligatoires (…) »187. En termes de force


normative, et de manière tout à fait générale188, ces deux catégories de
soft law se caractérisent par un déficit du pôle de la valeur normative,
dans la mesure, notamment, où elles ne sont pas portées par un
instrument juridiquement contraignant. Si elles présentent une certaine
densité normative, c’est avant tout à leur effectivité, voire à leur
efficacité, qu’elles la doivent, ou, autrement dit, à leur portée
normative plus ou moins affirmée189.
40. Adressée à des instruments normatifs non juridiquement
contraignants, la qualification de soft law apparaîtra comme une
contradiction dans les termes à ceux qui défendent une conception
classique de la normativité, se caractérisant entre autres par le
caractère obligatoire de la règle de droit190 : comment parler de droit
souple, lorsque la caractéristique commune de ces différentes
manifestations est l’absence de force obligatoire191 ? Ce n’est que si
on partage une conception large de la normativité, renvoyant à l’idée
187
Ibidem, p. 1039. Cette première partie de la définition du Dictionnaire de droit
international public correspond au « non-legal soft law » de Ch.-M. CHINKIN (« The
Challenge of Soft Law: Development and Change in International Law », in
International and Comparative Law Quarterly, 1989, p. 850 à 866), au « soft
instrumentum » de J. d’ASPREMONT (« Softness in International Law : A Self-
Serving Quest for New Legal Materials », in European Journal of International
Law, 2008, n° 5, p. 1081 à 1087), au droit doux, voire mou, de C. THIBIERGE (« Le
droit souple… », op. cit., p. 599 et s.), ou encore au droit souple non juridique de
J. CAZALA (« Le Soft Law… », op. cit., p. 4). Elle est également visée par la seconde
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hypothèse évoquée par G. ABI-SAAB à propos du droit international (op. cit, p. 66),
et, à sa suite, par I. DUPLESSIS (op. cit., p. 258). Voir, enfin, la première hypothèse
envisagée par J.-M. JACQUET à propos du droit souple de substitution (op. cit.,
p. 342, n° 38).
188
Dans le cadre de nos recherches ultérieures, il conviendra, pour chaque
instrument de soft law déterminé, d’évaluer le degré de force normative qu’il
présente, et/ou de le soumettre au « test » de la théorie des trois cercles de la
validité.
189
Quant à la garantie normative de ces instruments de soft law, cf. infra, B. On
précise cependant d’ores et déjà que le degré de garantie normative reconnu à un
instrument de soft law est de nature à rejaillir sur l’intensité de la force normative et
de la valeur normative de l’instrument en question.
190
Cf. supra, n° 18.
191
Selon J.-M. JACQUET, « il est visible que le droit souple se caractérise par une
certaine mise à l’écart, subie ou recherchée, du caractère obligatoire communément
reconnu comme propre à la règle de droit » (op. cit., p. 339, n° 28).

43
R.I.E.J, 2010.65

d’un modèle192, que l’expression se conçoit. Dans cette conception, en


effet, la règle de droit ne doit pas nécessairement imposer un
comportement déterminé, elle peut aussi se limiter à influencer la
conduite de ses destinataires ; de ce point de vue, la normativité
embrasse aussi bien le hard law que le soft law.
41. Encore faut-il s’entendre sur l’étendue des instruments
normatifs non juridiquement contraignants qu’on accepte de regrouper
sous la qualification de soft law, ou de droit souple, ce qui appelle, en
amont, à préciser la définition du droit que l’on promeut193.
Prend-on uniquement en compte, sous ce label, les instruments
qui, d’une manière ou d’une autre, sont identifiés par le droit étatique,
et, par extension, par le droit international et européen (comme les
recommandations visées à l’article 288 du TFUE), ou a-t-on
également égard aux instruments non juridiquement contraignants
émanant d’acteurs privés (comme des codes de conduite), que ces
derniers disposent ou non d’un degré d’autonomie suffisant pour
prétendre à la qualification d’ordre juridique non étatique ? Plus
fondamentalement, s’accorde-t-on pour exclure du droit, et donc du
soft law, les normes sociales?
En fonction des réponses apportées à ces questions, on aura
tendance à privilégier une conception plus ou moins stricte ou plus ou
moins large (tout est question de point de vue) de la notion de soft
law, comprise comme désignant des instruments non juridiquement
contraignants. Que l’on cantonne la notion aux instruments dépourvus
de force obligatoire adoptés par l’État ou dans le cadre d’une
organisation internationale, et l’utilisation de cette notion pour
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désigner des instruments de régulation pris par des acteurs privés
apparaîtra nécessairement abusive194.
Tout en soulignant que la définition du Dictionnaire
international de droit public autorise, à notre avis, l’une et l’autre
conceptions pour la première hypothèse qu’il envisage, il nous
importe plus, à ce stade, de conscientiser le lecteur à ces potentielles
divergences, que de trancher le débat. Aussi prendrons-nous pour
l’heure le parti de maintenir l’expression de soft law pour désigner
l’ensemble des normes juridiques dépourvues de force obligatoire,

192
Cf. supra, n° 19.
193
Cf. en ce sens, également, supra, n° 14. W. van Gerven et S. Lierman écrivent à
cet égard que le « soft law (…) verwijst naar instrumenten die zich in de schemer-
zone bevinden between law and politics » (op. cit., p. 148).
194
Se pose, en revanche, à leur égard la question de l’internormativité.

44
R.I.E.J, 2010.65

indépendamment de la qualité de leurs auteurs. On prendra cependant


soin de doubler la distinction entre soft law para- et périlégislatifs
d’une distinction entre droit étatique et non étatique, ou, plus
précisément, entre acteurs publics et privés. On précise également
adhérer à l’idée selon laquelle le hard law et le soft law ne se
partagent pas l’ensemble du droit étatique195, tout comme nous
sommes convaincue du fait que la juridicité ne recouvre pas
entièrement la normativité196.
42. Le soft law péri-législatif est lui-même décliné en différentes
sous-catégories. L’ordre de présentation de celles-ci, tout comme la
distinction principale entre soft law para- et périlégislatifs, tient aux
rapports ou ressemblances de plus en plus étroits qu’elles
entretiennent avec le hard law, obligatoire et formellement valide.
Aucune de ces catégories - pas davantage du reste que les sous-
catégories qu’on esquissera - n’est exclusive d’une autre : un acte
considéré peut relever de plusieurs catégories à la fois, ou basculer de
l’une à l’autre avec le temps, sans compter que les frontières entre
celles-ci - et c’est sans doute un signe de la limite de cette typologie -
demeurent passablement poreuses. Peut-être charrie-t-on d’ailleurs
une certaine illusion, en cherchant à rationaliser ce qui, précisément,
se caractérise par son indistinction. Au risque que la typologie
esquissée s’apparente « au plan d’architecte d’un champ de ruine »197,
nous nous livrons cependant à l’exercice198.
A.1.a. Le soft law para-législatif
43. Le soft law para-législatif se distancie des canaux
traditionnels du droit positif en offrant, dans le prolongement, dans le
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silence ou en opposition à celui-ci, un modèle formellement non
contraignant du point de vue de l’ordre juridique étatique pour agir

195
Cf., par exemple, l’existence parallèle du droit consultatif (supra, n° 38).
196
Cette assertion laisse entière la question de la frontière entre droit et non droit. Le
concept de force normative, complété par la théorie des trois cercles de validité,
pourrait, à cet égard, contribuer à tracer certaines lignes de démarcation.
197
Pour reprendre la belle formule que Nicolas de Sadeleer nous a adressée, non
sans une pointe d’humour, à la lecture de ce projet d’article…
198
Poussons l’utopie un cran plus loin encore : cet essai de rationalisation ne se
révèlerait réellement fécond que si, au-delà de la clarification conceptuelle, il
permettait d’esquisser un régime juridique propre à chacune des catégorisations
proposées. Dans cette perspective, on ne peut qu’espérer que les différents
participants à l’ouvrage collectif sur les sources du droit revisitées s’emparent de
cette typologie pour en apprécier l’éventuelle fécondité et l’alimenter en exemples.

45
R.I.E.J, 2010.65

et/ou pour juger, « une sorte de production alternative du droit »199. Il


peut aller jusqu’à menacer le mode formel de production du droit en
prétendant s’y substituer. C’est, si l’on veut, l’hypothèse la plus
extrême lorsqu’on envisage le soft law du point de vue des rapports
qu’il entretient avec le hard law. Comprise en ce sens, « (le) soft law
(constitue) le produit final et non seulement une étape ou une phase
intermédiaire dans le cycle de la vie du droit ; le produit voulu ou le
plus approprié pour l’utilisation instrumentale qu’on envisage pour
elle »200. D’où le recours au terme « para », qui, en grec, signifie à la
fois « contre » et « à côté de » et, en l’espèce, contre ou au moins en
concurrence avec le droit positif étatique201.
44. Ainsi compris, le soft law para-législatif se conçoit a priori
mal dans le chef d’un acteur public, sauf, pour lui, à saboter la
branche sur laquelle il repose…
Le droit souple para-législatif serait donc essentiellement le fait
d’acteurs privés divers202, intervenant pour répondre à des besoins
nouveaux, ou pallier l’absence de réglementation dans une matière où
le besoin s’en fait sentir.
Les instruments d’autorégulation, comme les codes de conduite
(ou en tout cas certains d’entre eux203), remplissent cette fonction204.

A.1.b. Le soft law péri-législatif

199
C. THIBIERGE, « Sources du droit… », op. cit., p. 527, citant A.-J. Arnaud en note
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infrapaginale 42. Voir pour une même qualification (para-law) désignant le soft law
remplissant « een (…) plaatsvervullende rol », W. van Gerven et S. Lierman, op.
cit., p. 148.
200
G. ABI-SAAB, op. cit., p. 66.
201
Voir, à cet égard, H. DUMONT, Le pluralisme idéologique et l'autonomie
culturelle en droit public belge, volume 1 : de 1830 à 1970, Bruxelles, F.U.S.L. -
Bruylant, 1996, spéc. p. 47. L’auteur y définit la para-légalité de la manière
suivante : « il s’agit des normes conçues et pratiquées par un mouvement social ou
par une élite, non conformes à la raison et à certaines des prescriptions du droit
étatique, formant un système juridique parallèle et concurrentiel à celui-ci, et aptes,
dans des conditions déterminées, à s’imposer à lui, plus ou moins largement ».
202
Voir, à propos des codes de conduite, la contribution précitée de B. FRYDMAN et
G. LEWKOWICZ, spéc. p. 6 et s.
203
Sachant que la notion de code de conduite recouvre elle-même des réalités
multiples. Voir à cet égard la contribution précitée de B. Frydman et G. Lewkowicz.
204
Étant entendu qu’on bascule rapidement dans la co-régulation.

46
R.I.E.J, 2010.65

45. Tout en étant dépourvu de force obligatoire et en proposant


toujours un modèle pour agir et/ou pour juger, le soft law péri-
législatif présente comme caractéristique de se déployer dans
l’environnement (« péri ») du droit positif en vigueur, avec lequel il
entretient trois types de rapports, qui constituent autant de sous-
catégories du soft law péri-législatif : le droit recommandé (A.1.b.1),
le droit proposé (A.1.b.2) et le hard law en puissance (A.1.b.3).
Compte tenu du caractère graduel de la juridicité, le degré de valeur
normative augmente au fil de ces sous-catégories, dont les chances de
pouvoir prétendre à l’acquisition de la validité formelle croissent
parallèlement205.
46. On peut bien sûr s’interroger sur la pertinence de rattacher
une catégorie comme le hard law en puissance (dont l’auteur est
nécessairement un acteur public) au soft law péri-législatif plutôt
qu’au hard law pur et dur. L’intitulé même de cette sous-catégorie
(hard law en puissance) porte au demeurant la trace de cet « entre
deux ». En tout état de cause, la ligne de partage à établir entre hard
law et soft law nous importe moins, à ce stade, que la compréhension
du phénomène juridique embrassée par la dénomination « hard law en
puissance »206.
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205
On entrevoit cependant la difficulté de distinguer, en pratique, le droit
recommandé du droit proposé.
206
La circonstance que le droit recommandé et le droit proposé ne soient pas
nécessairement le fait d’un acteur public, pouvant également émaner d’un acteur
privé, nous inclinerait toutefois à les maintenir dans le soft law, et ce, sans préjudice
de la question de savoir si le terme soft law est pertinent pour rendre compte d’un
instrument non juridiquement contraignant émanant d’un acteur privé (voir supra,
n° 41).

47
R.I.E.J, 2010.65

A.1.b.1. Première sous-catégorie : le droit recommandé207


47. Contrairement au droit souple para-législatif, le droit
recommandé ne se pose pas en concurrent du droit positif. Il le
devance, lui sert de relais ou même agit en synergie avec lui. Ainsi
peut-il encourager un rapprochement des législations dans le cadre de
l’Union européenne208, inscrire à l’agenda une question spécifique209,
« inciter à une action normative de la part des États210, ou encore
concourir à la connaissance du droit positif applicable dans un
domaine déterminé211.
« En remplissant ce (…) rôle d’étape dans l’évolution du droit,
le soft law d’aujourd’hui est ou énonce le hard law de demain ». Il

207
À distinguer du droit inspiratoire ou du soft law méta-législatif, qui ne peut
encore prétendre servir de modèle de conduite, même s’il peut inspirer sa
conception. Suivant, en partie, l’idée de C. Thibierge, on aurait tendance à ranger
dans cette catégorie les Livres verts de la Commission, que l’auteur situe en amont
du normatif (C. THIBIERGE, « Rapport de synthèse », op. cit., p. 153 et 154), par
contraste avec les Livres blancs davantage aboutis. On pourrait aussi penser au droit
comparé comme source d’inspiration du législateur ou du juge. L’expression « droit
inspiratoire » est reprise à C. Thibierge, qui l’utilisait cependant pour rendre compte
du droit proposé (« Nature juridique et force normative de la déclaration de Saint-
Quentin ? », in L.P.A., 21 août 2008 [n° spécial consacré à la Déclaration pour la
sauvegarde et la protection juridique de l’environnement proclamée le 3 juin 2008],
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p. 40 à 44).
208
Voir V. LASSERRE-KIESOW, « Les livres verts et les livres blancs de la
Commission européenne », in Le droit souple, op. cit., p. 87, note 46.
209
J. CAZALA, « Le Soft Law … », op. cit., p. 7.
210
I. DUPLESSSIS, op. cit., p. 247.
211
Voir P. DEUMIER, « Les sources de l’éthique des affaires. Codes de bonne
conduite, chartes et autres règles éthiques », in Libre droit. Hommage au professeur
Le Tourneau, Dalloz, Paris, 2007, p. 350 et 351. Compar. B. FRYDMAN et
G. LEWKOWICZ, op. cit., p. 24 : « Il n’est (…) pas rare qu’un code de conduite
reproduise purement et simplement tout ou partie d’une norme juridique applicable.
Cette tendance à la répétition est d’ailleurs très souvent perçue comme rassurante
par la doctrine qui y voit le signe que les codes de conduite – et autres instruments
de ‘droit doux’ – sont fondamentalement le relais des obligations juridiques. La
conclusion devrait pourtant être exactement inverse. La propension des codes de
conduite à reproduire jusqu’au prescrit des normes du droit positif démontre bien
que ceux-ci ne sauraient être réduits à de simples auxiliaires du droit ».

48
R.I.E.J, 2010.65

s’agit « d’un droit en gestation, trop jeune encore pour avoir tous les
attributs et la force de la maturité »212.
48. Le recours à cette forme de droit souple peut être le résultat
d’un choix délibéré. Tel est le cas lorsqu’une autorité publique
habilitée à légiférer privilégie d’initiative un instrument dépourvu de
force obligatoire. On songe, pour prendre un exemple précis, à la
communication de la commission sur le recours au principe de
précaution213.
Il peut aussi constituer la seule voie possible. Soit qu’une
autorité publique ne soit expressément habilitée à adopter une norme
que dans un instrument dépourvu de force obligatoire (cf. certaines
recommandations en droit européen, ou certaines résolutions de
l’Assemblée générale de l’ONU, voire les avis des institutions
européennes214), soit que son auteur ne se voie pas confier de pouvoir
normatif par le droit positif : c’est le cas des acteurs privés.

A.1.b.2. Deuxième sous-catégorie : le droit proposé


49. Le droit proposé rejoint plus nettement encore les circuits
traditionnels du droit positif qu’il espère intégrer tel quel. Avec cette
deuxième sous-catégorie, on se situe en effet en amont du processus
formel d’élaboration de la norme, le droit proposé entendant
essentiellement orienter l’action du législateur, en lui offrant de couler
dans les formes du droit positif le modèle « prêt à l’emploi » qu’il lui
soumet.
50. L’auteur de ce droit proposé peut être lié à l’autorité
habilitée à légiférer. Le droit proposé prendra alors la forme d’un
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projet préparatoire à la rédaction d’un projet ou d’une proposition de

212
G. ABI-SAAB, op. cit., p. 66 ; I. DUPLESSIS, op. cit. ; c’est la seconde hypothèse
du droit souple de substitution évoquée par J.-M. JACQUET, op. cit., p. 342, n° 38.
213
J. CAZALA, « Le Soft Law… », op. cit., p. 9.
214
Ainsi, pour G. Isaac et M. Blanquet, « les avis adressés par la Commission aux
entreprises ou aux États n’expriment qu’une opinion », tandis que « les
recommandations de la Commission et du Conseil sont des invitations à adopter
telle ou telle règle de conduite » (G. ISAAC, M. BLANQUET, Droit général de l’Union
européenne, p. 210, cité par L. Guilloud, op. cit., p. 25), à telle enseigne qu’elles se
rapprochent du droit proposé. Ainsi encore, pour R. Kovar, les recommandations
seraient des normes « quasi-législatives », étant donné qu’elles sont destinées à
« inviter les États membres à légiférer » « en tenant compte des objectifs qu’elles
contiennent » (R. KOVAR, « Recommandation », in Répertoire Dalloz. Droit
communautaire, 2000, p. 3, cité par L. Guilloud, op. cit., p. 25).

49
R.I.E.J, 2010.65

loi, comme le Pacte scolaire ou le Pacte culturel. On peut également


penser à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne au
stade de sa proclamation à Nice par le Conseil européen.
Mais le droit proposé peut tout aussi bien émaner d’un acteur
privé (comme, en France, les trente-sept professeurs de droit à
l’origine du Rapport Catala ou la fondation Cousteau à l’origine de la
Déclaration des droits des générations futures, voire encore la
cinquantaine d’étudiants en droit, encadrés par deux universitaires
juristes à l’origine de la Déclaration de Saint-Quentin215).
51. À la différence des forces créatrices du droit de G. Ripert216,
le droit proposé présente « un degré de formalisation certain en ce
qu’(il est) exprimé(…) sous forme d’articles », destinés à « inspirer
l’action du législateur et aussi des acteurs »217. « L’énoncé soft law a
toutes les caractéristiques (énoncé prescriptif, précision, etc.) d’un
énoncé hard law mais n’est pas obligatoire »218.

215
Ces exemples sont repris à C. THIBIERGE, « Nature juridique et force normative
de la déclaration de Saint-Quentin ? », in Les Petites Affiches, 21 août 2008, n° 168
(n° spécial consacré à la Déclaration pour la sauvegarde et la protection juridique de
l’environnement proclamée le 3 juin 2008), p. 42.
216
Cf. supra, n° 5.
217
C. THIBIERGE, « Nature juridique … », op. cit., p. 42 et 43. Aussi C. Thibierge
qualifie-t-elle ce genre normatif d’inspiratoire. J.-M. Jacquet l’évoque sous
l’appellation de « droit souple de proposition » (op. cit., p. 343, n° 44).
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218
J. CAZALA, « Le Soft Law… », op. cit., p. 8, qui donne l’exemple des lois types
de la Conférence des Nations Unies pour le droit commercial international
(CNUDCI). C’est sans doute sous cette rubrique qu’il convient également de verser
les constatations des Comités onusiens, qui, s’ils sont dépourvus de force
contraignante, sont aujourd’hui rédigés en des termes similaires à ceux d’un arrêt
doté de l’autorité de chose jugée, au point, pour certains, de lui reconnaître une
« autorité de chose constatée » (F. SUDRE, Droit international et européen des droits
de l'Homme, 4e éd., Paris, PUF, 1999, p. 442, n° 273). Quant aux observations
générales des Comités onusiens, on aurait tendance à les rapprocher de la doctrine.
Compar. S. VAN DROOGHENBROECK et F. TULKENS, texte non publié, op. cit., p. 3,
qui les mentionnent, aux côtés des constatations des comités onusiens, parmi les
instruments de « non legal soft law ». Précisons encore que l’appréciation de la
nature de hard law (en puissance) ou de soft law (péri-législatif, en l’occurrence)
d’une norme déterminée est susceptible de varier en fonction de ses destinataires.
Tel est, par exemple, le cas d’une directive pendant son délai de transposition : hard
law pour les États, et soft law, en partie en tout cas, pour les particuliers.

50
R.I.E.J, 2010.65

A.1.b.3. Troisième sous-catégorie : le hard law en puissance219


52. L’hypothèse envisagée suppose cette fois l’entrée dans le
processus d’élaboration d’une norme. On est face à ce qu’on pourrait
appeler une « présource du droit ». Adoptée par une autorité
habilitée220, la norme en devenir a vocation à fournir un modèle pour
agir et pour juger ; simplement, bien qu’entamée, la procédure à
suivre à cette fin n’est pas encore clôturée. Cette catégorie de soft law
ne poursuit aucun objectif particulier : elle est le point de passage
obligé pour donner naissance à une norme de hard law.
La norme en puissance n’en produit cependant pas moins déjà
certains effets, dont l’ampleur est susceptible de varier en fonction du
moment considéré. Que l’on songe aux effets produits par un traité
signé ou ratifié mais non encore entré en vigueur, à ceux déployés par
une directive pendant son délai de transposition, ou encore aux effets
qu’engendre la publication d’une loi avant son entrée en vigueur221.

A.2. Les instruments normatifs juridiquement contraignants, et


le soft law intra-législatif
53. Avec les instruments juridiquement contraignants, on est
évidemment au cœur du droit positif, le processus d’élaboration de la
norme étant arrivé à son terme au point pour celle-ci d’être entrée en
vigueur. La norme est formellement valide : elle a été adoptée par

219
L’expression est utilisée par J. CAZALA, « Le Soft Law… », p. 11.
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220
On pourrait cependant éventuellement songer à rattacher à cette sous-catégorie
l’usage en passe de devenir coutume, ou, dans les termes de P. Deumier (cf. supra,
note 22), la pratique (manifestation collective spontanée) en passe de devenir usage
ou coutume (P. DEUMIER, Le droit spontané, op. cit., p. 83, n° 90).
221
Voir, pour les trois dernières hypothèses répertoriées, I. HACHEZ, Le principe de
standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative,
Bruxelles, Bruylant, Athènes, Sakkoulas, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft,
2008, n° 292, n° 306 à 314, n° 529 et s., et les références citées. On se rappellera
également que, fin novembre 2009, la Cour d’assises du Hainaut avait, dans la ligne
de l’arrêt Taxquet de la Cour européenne des droits de l’homme, appliqué le projet
de réforme de la Cour d’assise, avant même que sa procédure d’adoption ne soit
achevée. Dans le même ordre d’idées, la ministre en charge de l’enseignement
secondaire avait rédigé et communiqué aux directeurs d’écoles une circulaire
expliquant le mécanisme instauré par la dernière version de la procédure réglant les
inscriptions dans le secondaire, sans attendre l’adoption du texte en question par le
Parlement.

51
R.I.E.J, 2010.65

l’autorité publique compétente222 selon la procédure requise, et porte


en conséquence l’habit du « hard law ».
Il reste que « l’habit ne fait pas (nécessairement) le moine », et
que si l’on se départit d’une approche purement procédurale pour
adopter dans un second temps un point de vue matériel, on est amené
à constater que certaines normes sont énoncées de manière fort
imprécise223. « Hard » dans leur forme, elles sont « soft » dans leur
contenu, en raison de l’imprécision qui caractérise leur libellé.
C’est le « legal soft law » de Ch.-A. Chinkin, et le « soft
negotium » de J. d’Aspremont, qui correspondent tous deux à la
deuxième partie de la définition du Dictionnaire de droit international
public : « des règles dont la valeur normative est limitée (…) parce
que les dispositions en cause, bien que figurant dans un instrument
contraignant, ne créeraient pas d’obligations de droit positif, ou ne
créeraient que des obligations peu contraignantes »224. Par contraste
avec les catégories de soft law para- et péri-législatifs, on propose,
pour notre part, de qualifier de soft law intra-législatif les normes qui,
en dépit de l’instrument contraignant qui les porte (hard law),
présentent une force normative affaiblie225 en raison de
l’indétermination de leur contenu. Le préfixe « intra » indique à
souhait que la souplesse du droit se loge dans son contenu, non dans
son contenant, dans le negotium, non dans l’instrumentum.

222
Les instruments juridiquement contraignants sont, par définition, adoptés par
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l’autorité publique compétente, qu’il s’agisse d’une collectivité politique étatique ou
d’une institution habilitée à légiférer en vertu du traité constitutif de l’organisation
internationale à laquelle elle appartient. Il n’y a dès lors pas lieu d’établir, ici, une
distinction entre acteurs publics et acteurs privés.
223
On relèvera à cet égard que, dans la théorie de la force normative, le pôle de la
valeur normative recouvre aussi bien des questions « procédurales » (« Quelle est la
qualité, l’autorité de l’émetteur de la norme ? », « Quelle est sa place dans la
hiérarchie des normes ? », « La norme est-elle formellement valide ? »…) que des
questions tenant davantage à son contenu (« Comment est formulé l’énoncé de la
norme ? », « Quelle est sa légitimité » ?) (cf. supra, n° 24).
224
Cette catégorie correspond également au droit souple de C. Thibierge, ou encore
au droit souple juridique de J. Cazala (voir les références à ces auteurs citées supra,
note 186). C’est la seule acception du soft law retenue par P. WEIL, op. cit., p. 6 et s.
225
Voire absente si l’on se fonde sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel
français (C.C.fr., décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, spéc. cons. 17. Voir, à
cet égard, Fr. BRUNET, op. cit., p. 403 et s., et les références citées).

52
R.I.E.J, 2010.65

Ici encore226, on peut évidemment discuter de la pertinence de


qualifier une norme formellement valide (hard law de ce point de vue)
de soft law, en raison de l’imprécision de son contenu. Ce qu’il
importe en réalité de percevoir est que, parmi les instruments
juridiquement contraignants, certains présentent, au départ, une force
normative affaiblie en raison du libellé de leur énoncé, et pâtissent
corrélativement d’un manque d’effectivité. Le reste (la qualification
de soft law ou de hard law) est fonction du point de vue privilégié (le
contenant ou le contenu), et est, en définitive, largement affaire de
conventions.
Dans ce débat, il convient également d’être averti de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel français, qui subordonne la
validité du hard law à certains « standards liés à la qualité de la loi »,
comme le principe de clarté de la loi, les objectifs d’intelligibilité et
d’accessibilité de la loi, le principe de normativité de la loi et
l’exigence de non complexité excessive des règles législatives227.
Enfin, rien n’empêche qu’une norme de soft law intra-législatif
bascule progressivement dans le hard law à la faveur de sa
reconnaissance par le juge, voire par un tiers228, venu en préciser la
portée. La garantie normative dont bénéficie une norme est de nature à
venir clarifier la formulation de son énoncé et augmenter, en retour, le
degré de valeur normative qu’elle présente, tout comme sa portée
normative. On ne rappellera jamais assez, à cet égard, le caractère
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226
Voir supra, n° 40 et 41, étant entendu que l’enjeu portait, dans ce cadre, sur le
caractère juridique ou non des instruments considérés, et non, comme ici et au n° 46,
sur la question de savoir s’il convient de qualifier l’instrument juridique en question
de soft ou de hard.
227
Cf. supra, note 225, et V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Les nouveaux commande-
ments du contrôle de la production législative », in L’architecture du droit.
Mélanges en l’honneur de Michel Troper, sous la direction de D. de Béchillon et al.,
Paris, Économica, 2006, p. 268. Voir, plus largement, l’ensemble de l’article précité,
p. 267 à 280. Voir également, et plus généralement, M. FATIN-ROUGE STEFANINI,
L. GAY et J. PINI (sous la direction de), Autour de la qualité des normes, Actes du
colloque d’Aix-en-Provence des 24 et 25 octobre 2008, Bruxelles, Bruylant, 2010.
228
« Doit-on, par exemple, interroge M. El Berhoumi, considérer que le législateur
décrétal en se référant systématiquement à l’objectif d’assurer à chacun des chances
égales d’émancipation sociale érige l’article 6 du décret ‘missions’ en hard law ? »
(« À propos du working paper ‘Balises conceptuelles autour des notions de ‘sources
du droit’, ‘force normative’ et ‘soft law’ », non publié, p. 2).

53
R.I.E.J, 2010.65

graduel et dynamique de la juridicité, dont rend parfaitement compte


la notion de force normative.
54. Relèveraient de cette catégorie de soft law intralégislatif les
articles proclamatoires, comme l’article 7 de la loi française
« Fillon », en vertu duquel « l’objectif de l’école est la réussite de tous
les enfants »229, ou, en droit belge, l’article 6 du décret de la
Communauté française du 24 juillet 1997 définissant les missions
prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement
secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, qui
dispose : « La Communauté française, pour l'enseignement qu'elle
organise, et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement
subventionné, poursuivent simultanément et sans hiérarchie les
objectifs suivants : 1°) promouvoir la confiance en soi et le
développement de la personne de chacun des élèves ; 2°) amener tous
les élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui
les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place
active dans la vie économique, sociale et culturelle ; 3°) préparer tous
les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au
développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et
ouverte aux autres cultures ; 4°) assurer à tous les élèves des chances
égales d'émancipation sociale »230.
Au niveau constitutionnel, on mentionnera l’article 7bis de la
Constitution belge, qui impose aux différentes autorités compétentes
de poursuivre les objectifs d’un développement durable, et l’article 23
de la Constitution, consacrant les droits économiques, sociaux et
culturels, à charge, pour les différents législateurs, de les réaliser231.
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229
C. THIBIERGE, « Rapport de synthèse », op. cit., p. 152.
230
Voir à ce sujet l’avis de la section de législation du Conseil d’État sur l’avant-
projet de décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental
et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre,
Doc., Parl. Comm. fr., sess. 1996-1997, n° 152/1, p. 70 et s. Voir aussi, pour un
autre exemple en droit belge, le titre préliminaire de la loi du 8 avril 1965 relative à
la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait
qualifié d’infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait, telle que
modifiée par la loi du 13 juin 2006.
231
Étant entendu que la jurisprudence a contribué à intensifier la force normative de
cette disposition, notamment en reconnaissant l’existence d’une obligation de
standstill découlant de ces droits, qui, sauf motifs impérieux, interdit au législateur
de diminuer de manière sensible le niveau de protection d’ores et déjà conféré à
ceux-ci. On ne résiste pas, à cet égard, à la tentation de citer les beaux mots de Paul

54
R.I.E.J, 2010.65

Loin de « trace(r) une route précise à suivre, l’article


proclamatoire (…) ne donne que la direction à suivre, l’objectif à
atteindre »232.
55. On serait également tentée de classer dans cette catégorie les
lois symboliques ou mémorielles, voire les préambules des traités.
Selon M. Mekki, ces lois auraient pour fonction de « réaffirmer (la)
hiérarchie de valeurs » d’un ordre juridique déterminé, « d’insister sur
les finalités du droit ». « En informant les destinataires sur un certain
nombre de principes ou de règles auxquelles les autorités publiques
attachent une importance majeure », elles chercheraient à la fois à
persuader ceux-ci et à faciliter « la connaissance et la compréhension
des règles primaires et secondaires »233.
On pourrait encore y ranger les lois expérimentales ou les Sunset
Laws, dont la souplesse se loge dans l’obligation d’évaluation ou la
limitation temporelle qu’elles comportent respectivement234. En jouant

Martens, couchés sur papier deux ans après la reconnaissance constitutionnelle des
droits économiques, sociaux et culturels : « c’est le propre des valeurs essentielles
de n’atteindre l’âge juridiquement adulte que par étapes successives : elles doivent
d’abord sortir du marécage des grands sentiments, puis elles accèdent à la
consistance rhétorique pour advenir ensuite à la consécration normative et
s’accomplir enfin dans l’effectivité juridique. Toutes nos grandes libertés ont connu,
parfois pendant des siècles, ce cheminement progressif. Les droits économiques et
sociaux ont franchi les deux premières étapes et, depuis peu, la troisième. Ils
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hésitent encore au seuil de la dernière » (P. MARTENS, « Les communes et les droits
économiques et sociaux », in Rev. dr. com., 1996, p. 219).
232
C. THIBIERGE, « Rapport de synthèse », op. cit., p. 152. Soulignant la force
expressive de la loi, Fr. BRUNET écrit à cet égard que « c’est (…) la fécondité du
sens d’un énoncé qui explique en droit positif la reconnaissance progressive de la
portée normative d’énoncés ‘déclaratoires’ » (op. cit., p. 415).
233
M. MEKKI, « Propos introductifs sur le droit souple », in Le droit souple, op. cit.,
n° 18, p. 12 et 13 ; adde n° 27 p. 20. Dans le prolongement de la terminologie de
Hart, M. Mekki les qualifie de règles « tertiaires » (ibidem, n° 18, p. 13).
234
Plus précisément, les Sunset Laws sont assorties « d’une clause d’auto-abrogation
(généralement après trois ou cinq ans), sauf si la preuve de la nécessité de leur
maintien au-delà de ce délai (mais jamais pour une période indéfinie) était apportée
par leurs défenseurs » (F. OST, « La régulation : des horloges et des nuages… », in
Élaborer la loi aujourd’hui, mission impossible ?, sous la direction de B. Jadot et
F. Ost, Bruxelles, F.U.S.L., 1999, p. 28). Sur les Sunset Laws, voir également
J. CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, L.G.D.J., 2003, p. 137.

55
R.I.E.J, 2010.65

« la carte de l’adaptabilité », le soft law remplirait cette fois une


fonction de « mise à l’épreuve »235.
56. Un auteur comme J.-M. Jacquet y ajoute aussi les normes à
contenu flexible, comme les standards236.

B. La réception du soft law par l’ordre juridique étatique


57. La réception du soft law par l’ordre juridique étatique ne se
pose pas à l’égard du soft law intra-législatif. Adopté par l’autorité
compétente selon la procédure requise, ce dernier fait partie des
sources formelles du droit étatique237. Simplement l’imprécision de
son contenu confère-t-elle a priori à ce droit un déficit d’effectivité
qui conduit à l’évoquer sous le label de soft law intra-législatif.
Comme l’écrit J.-M. Jacquet, « (l’)assouplissement du modèle de la
règle (engendré par cette catégorie de droit souple) ne produit pas de
conséquences immédiatement décelables au niveau des sources du
droit. On notera seulement que la fonction de médiation assumée par
la théorie des sources entre le fait et le droit s’en trouve affaiblie, en
proportion du devoir-être propre à la règle de droit »238.
C’est à la faveur de leur reconnaissance par un tiers, au rang
desquels le juge occupe la première place, que le soft law intra-
législatif gagnera la densité normative dont un libellé par trop
imprécis la privait au départ.
58. Dépourvus de force obligatoire, les instruments de soft law
para- et périlégislatifs semblent, pour leur part, échapper comme tels,
en l’état actuel du droit, à la sanction étatique. Ce n’est que par le
truchement des sources classiques du droit qu’ils conquièrent leur
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juridicité. Si les instruments de soft law para- et périlégislatifs
trouvent leur relais dans les sources classiques du droit, c’est que
celles-ci s’inspirent de celles-là. En ce sens, le soft law constitue une
source matérielle du hard law (B.1).

235
M. MEKKI, op. cit., n° 19, p. 13 et n° 27, p. 20.
236
Compar. avec J. CAZALA qui distingue le droit flou, comprenant les standards, du
soft law (« Le Soft Law… », op. cit., p. 3 : « il serait douteux de considérer qu’il est
possible de remiser dans une même catégorie des notions aussi essentielles que la
bonne foi, des standards comme le raisonnable et des énoncés programmatiques
comme l’affirmation d’un rôle vital des femmes dans la gestion de
l’environnement »).
237
Voir cependant la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel français
(supra, note 225 et 227).
238
J.-M. JACQUET, op. cit., p. 345, n° 49.

56
R.I.E.J, 2010.65

Faut-il pour autant exclure l’hypothèse selon laquelle un


instrument de soft law para- et périlégislatifs pourrait se voir ériger, à
part entière, en véritable source formelle du droit ? Pour qui accepte
notamment de reconnaître la part idéologique de la théorie des
sources, rien ne s’oppose en tout cas à la formulation de cette question
(B.2).
Dans un cas comme dans l’autre, les réponses apportées sont
susceptibles de varier, ou requerront d’être adaptées, en fonction du
type de soft law considéré.

B.1. Le soft law para- et périlégislatifs, source matérielle du


« hard law » (ou la récupération du soft law par les sources formelles
classiques du droit)239
59. Il devient traditionnel d’enseigner que le soft law gagne sa
juridicité à la faveur de sa réception par une source formelle classique
du droit240.
De fait, la loi241 peut incorporer un instrument de soft law - au
point de le transformer en hard law - ou y faire référence, et ce, qu’il
s’agisse d’un instrument juridiquement non contraignant émanant
d’une organisation internationale ou d’un acteur privé242. Cet
instrument peut aussi marquer le coup d’envoi d’un processus
coutumier, ou conforter l’élément subjectif de la coutume243.
L’instrument de soft law peut encore favoriser l’émergence d’un
principe général de droit244. Il peut également pénétrer le droit positif
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239
Voir à cet égard : J. CAZALA, « Le Soft Law… », op. cit., p. 5 et s. : « §1 – Soft
law facteur d’inspiration du hard law ».
240
Voir notamment en ce sens : S. VAN DROOGHENBROECK et F. TULKENS, « Le soft
law des droits de l’homme est-il vraiment si soft ?… », in Liber Amicorum
M. Mahieu, op. cit., spéc. p. 507 à 512 ; Ch. JUBAULT, « Les ‘codes de conduite
privés’ », in Le droit souple, op. cit., p. 36 et 49 et s. ; C. PERES, « La réception du
droit souple par les destinataires », in ibidem, p. 109 et s. ; P. DEUMIER, « La
réception du droit souple par l’ordre juridique », in ibidem, spéc. p. 121 in fine.
Concernant les codes de conduite, voir B. FRYDMAN et G. LEWKOWICZ, op. cit.,
spéc. p. 12 à 22.
241
Entendue au sens matériel du terme.
242
Avec la question de savoir si un simple mode de référence à des codes de
conduite par exemple, sans autre discussion de son contenu par les autorités
compétentes, est admissible dans une démocratie.
243
Voir J. CAZALA, « Le Soft Law… », op. cit.
244
Voir à cet égard : Ch. JUBAULT, op. cit., p. 36.

57
R.I.E.J, 2010.65

par le biais de qualifications juridiques disponibles, comme la


« faute » dans le cadre de la responsabilité juridique aquilienne245. Un
acte juridique privé peut y renvoyer, que des parties s’engagent
volontairement à se conformer à un instrument de soft law dans le
cadre d’un contrat, ou que l’auteur d’une déclaration unilatérale de
volonté entende devenir débiteur d’obligations décrites dans celui-
ci246. Sans compter qu’en vertu de la théorie de l’apparence ou de la
confiance légitime, l’attente dont un tiers charge un instrument de soft
law peut engendrer une obligation juridique dans le chef de l’État247.
Autant de canaux classiques du droit positif par lesquels le soft law
perd de sa souplesse au profit d’une juridicité plus affirmée.
Les instruments de soft law constituent par ailleurs une source
d’interprétation pour le juge248, qui les citera parfois expressément
dans la motivation de ses jugements, en prenant soin, dans ce cas, de
souligner leur caractère « soft »249. Il en va, à cet égard, de même pour
le soft law intra-législatif, qui peut acquérir un certain degré
d’effectivité par le biais de l’obligation d’interprétation conforme250.

245
En l’absence d’une norme légale ou réglementaire imposant un comportement
déterminé, et lorsqu’un instrument de soft law comporte des standards de bon
comportement, l’existence d’une éventuelle « faute » commise par ceux qui ont
déclaré l’appliquer pourra, le cas échéant, être appréciée à son aune. Pour le dire
autrement, les normes comportementales édictées par des codes de bonne conduite
permettront de préciser les critères de l’homme raisonnablement prudent et diligent
et du bon père de famille mobilisés dans le cadre des articles 1382 et 1383 du Code
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civil belge.
246
Il s’agit, plus précisément, de la déclaration de volonté d’une seule personne qui
tend à faire naître certains effets de droit sans le consentement d’autrui.
247
P. DEUMIER, « La réception… », op. cit., p. 135.
248
Voir à cet égard la contribution de S. VAN DROOGHENBROECK et F. TULKENS,
« Le soft law des droits de l’Homme est-il vraiment si soft ? », non publiée, spéc.
pp. 6 et s.
249
P. DEUMIER, « La réception… », op. cit., spéc. p. 128 et 129.
250
Ainsi, entre diverses interprétations possibles d’une législation, le juge, voire
l’administration, doit retenir celle qui se concilie le mieux avec le droit
constitutionnellement ou internationalement garanti. La directive d’interprétation
conforme - du nom qui lui est généralement réservée et qui puise ses origines dans
l’arrêt Waleffe de la Cour de cassation (Cass., 20 avril 1950, Pas., 1950, I, p. 560
et s., et les conclusions du Procureur général L. Cornil) - ne se limite pas aux
dispositions constitutionnelles directement applicables dans l’ordre juridique belge,
mais s’applique également à des dispositions telles que l’article 23 de la

58
R.I.E.J, 2010.65

60. Dans un cas comme dans l’autre, que le soft law se


transforme en hard law ou soit pris en compte dans l’interprétation de
celui-ci, il serait intéressant de vérifier si le soft law (en ce compris le
soft law intra-législatif) fait l’objet d’une prise en compte différenciée
par les organes de contrôle en fonction du type de soft law considéré
(para, péri, intra) et de la nature du contrôle exercé (préventif ou
curatif ; international, européen ou interne). Il serait tout aussi
instructif d’identifier, dans cette perspective, le degré de force
normative des diverses manifestations du soft law, et, plus encore,
d’examiner celles-ci sous l’angle de la sociologie politique du droit
(qui s’intéressera notamment à la puissance politique, économique,
sociale ou culturelle de l’émetteur) et de la théorie tridimensionnelle
de la validité.
Testés sur le soft law, ces angles d’approche fourniraient peut-
être une grille de lecture permettant de déterminer, avec une marge
d’erreur plus ou moins importante, ceux, parmi les instruments de soft
law, susceptibles de « prendre » auprès du juge, et, plus largement,
d’un organe de contrôle ou d’un tiers. Comment, en effet, faire le
départ, au sein du droit souple para- et péri-législatifs, entre le licite et
l’illicite251 ?

B.2. Le soft law para- et périlégislatifs, nouvelle source formelle


du droit ?
61. Plus fondamentalement, il faut se demander - et il
conviendrait de vérifier – si, du point de vue de l’ordre juridique
étatique, le soft law para- et péri-législatifs se limite réellement à
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inspirer le hard law, au point d’être parfois convoqué par ce dernier et
servir, de la sorte et par ce biais, de modèle de comportement au
départ duquel la solution sera trouvée.
P. Deumier ne considère-t-elle pas, à propos du soft law utilisé
pour apprécier l’existence d’une éventuelle faute dans le cadre de la

Constitution (voir par exemple en ce sens les travaux préparatoires de l’article 23 de


la Constitution).
251
P. DEUMIER, « La réception… », op. cit., p. 127 et s. Voir en ce sens également :
S. VAN DROOGHENBROECK et Fr. TULKENS, « Le soft law des droits de l’homme est-
il vraiment si soft ?… », op. cit., p. 524 et s., qui se demandent « où se situe la limite
du soft law à prendre en considération aux fins de nourrir l’interprétation de la
Convention européenne », et « comment arbitrer les contradictions du soft law »,
non sans expliciter leurs interrogations. On notera par ailleurs que le juge
« récupère » parfois, en les requalifiant, certaines normes de droit souple.

59
R.I.E.J, 2010.65

responsabilité extracontractuelle, qu’on « se situe à mi-chemin de son


usage pour l’interprétation de la règle et de son érection comme
norme »252 ?
Ne voit-on pas, avec les codes de conduite, se dessiner une
nouvelle source du droit, ces codes, dont la « réception » par l’ordre
juridique étatique « se traduit par (…) (un) retrait (de ce dernier), les
États s’engageant à ne pas chercher à durcir cette souplesse mais à
laisser se créer une sphère parallèle, dans laquelle ils se garderont de
toute intrusion »253 ? Prenant appui sur « le caractère au moins
partiellement idéologique des sources », J.-M. Jacquet estime en ce
sens que les codes de conduite privés « peuvent être considérés
comme un élément d’une source du droit dans la mesure où ils
correspondent à un mode de création d’un certain type de règles de
droit, celui-ci ne pouvant se confondre avec un autre ». Et l’auteur
d’interroger : « ne faut-il pas admettre qu’il se surajoute alors aux
autres sources, dans la mesure où celles-ci sont inaptes à rendre
compte de la production de cette catégorie de règles ? »254.
N’est-ce pas du reste par le biais de la pratique que la coutume
et les conventions collectives de travail ont acquis rang de cité parmi
les sources255 ?
En tout état de cause, la question n’appelle pas une réponse
tranchée et univoque pour l’ensemble du soft law, mais requiert au
contraire un traitement nuancé, au cas par cas, en fonction des
différentes configurations de ce droit.
62. À propos d’une éventuelle prise en compte des phénomènes
spontanés256 par la théorie des sources, B. Oppetit précisait dès 1982
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252
P. DEUMIER, « La réception… », op. cit., p. 123.
253
Ibidem, p. 126.
254
J.-M. JACQUET, op. cit., p. 346, n° 51. Compar. : B. FRYDMAN et G. LEWKOWICZ,
op. cit., spéc. p. 2 in fine et les références citées, p. 23 (« plutôt que de raccrocher
plus ou moins adroitement les codes de conduite à la théorie classique des sources,
quitte à amender celle-ci, voire à en redessiner les catégories, peut-être vaut-il mieux
tenter de comprendre la logique propre qui anime les codes de conduite et les porte à
s’inscrire précisément en dehors ou à côté du champ occupé par les sources
formelles du droit ») et p. 24.
255
Voir, pour d’autres exemples, certes limités, P. DEUMIER, « La réception… », op.
cit., p. 125.
256
« Le droit spontané se distingue du droit édicté par son origine alors que le droit
souple se différencie du droit dur par sa texture. Les deux caractères ne se recoupent

60
R.I.E.J, 2010.65

que la préservation de la spécificité du phénomène juridique passerait,


dans ce cas, par le maintien « d’un certain nombre d’exigences
relatives à l’autorité ou au groupe dont seraient issues ces normes
ainsi qu’à la nature des sanctions qui les assortissent »257. Sans doute
est-ce notamment dans ce sens qu’il faut travailler aujourd’hui, tout en
ayant par ailleurs à l’esprit le respect de l’exigence démocratique.
Enfin, il est clair qu’un éventuel élargissement de la théorie des
sources du droit doit nécessairement s’accompagner d’un
approfondissement des règles de reconnaissance, seul à même de
permettre l’identification de ceux, parmi ces phénomènes, qui sont
dignes de prétendre à la qualification de source formelle du droit258.

donc pas nécessairement » (C. THIBIERGE, « Sources du droit… », op. cit., p. 527,
note 40).
257
B. OPPETIT, op. cit., p. 53. Il est vrai qu’avec la multiplication des nouvelles
« sources » de droit, on assiste à une multiplication des « acteurs impliqués dans la
création du droit » (C. THIBIERGE, « Sources du droit… », op. cit., p. 527), au point
que certains se demandent « si, dans le monde juridique, il reste un intervenant qui
pourrait ne pas être reconnu comme ‘source de droit’ » (P. DEUMIER et Th. REVET,
op. cit., p. 1433). Ce propos gagne à être rapproché de celui de F. OST et M. van de
KERCHOVE, selon qui les zones d’incertitude sur le droit s’accroissent « dans les
sociétés (…) post-modernes, où se multiplient les frontières floues et les zones de
recouvrement entre les règles juridiques et les formes non juridiques de régulation
sociale. La conséquence limite en est que le droit, dans de telles sociétés, pourrait se
trouver aussi bien partout que nulle part » (De la pyramide au réseau ?, op. cit.,
p. 267).
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258
P. DEUMIER estime à cet égard que « droit posé et droit spontané étant deux
réalités différentes, ils ne doivent pas être approchés avec les mêmes outils
conceptuels. Vouloir identifier la positivité des règles spontanées en utilisant les
critères trouvés lors de l’étude des règles délibérées revient à vouloir quantifier un
litre d’eau à l’aide d’un double décimètre ou, pour revenir dans le domaine
juridique, à vouloir qualifier une possession d’état avec les critères de validité d’une
reconnaissance » (Le droit spontané, op. cit., p. 312 et 313, n° 324). Voir
également : H. DUMONT, « Coutumes… », op. cit., p. 267 (« autant une Constitution
écrite peut instituer les sources que la théorie générale du droit qualifie de ‘dérivées’
- ainsi les lois, les décrets, les règlements, les actes administratifs ou les contrats -,
autant elle est nécessairement impuissante à nier l’existence des sources du droit
‘originaires’ que sont les coutumes, les principes généraux du droit et la
jurisprudence. Dans certaines limites, la Constitution peut affirmer sa primauté à
l’égard de ces sources, mais elle ne saurait les vouer à l’inexistence juridique dans la
mesure où elle sont plus originaires qu’elle-même »). De notre côté, nous tenons à
préciser que, pour des raisons temporelles, nous n’avons pu approfondir à ce stade,

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Il reste que ces règles de reconnaissance étant elles-mêmes


affectées de plusieurs zones d’incertitude - comme le reconnaissait du
reste Hart lui-même259 -, c’est le juge (national, mais aussi européen et
international) qui, de manière ultime260, sera conduit à les lever.
« C’est (…) en ce sens seulement que le critère de justiciabilité
semble être l’indicateur le plus décisif de la juridicité d’une
norme »261. C’est en ce sens également que l’on doit comprendre le
constat élémentaire posé par P. Deumier et Th. Revet, selon lequel
« se confirme(ra) la montée en puissance de la figure du juge dans
l’actuelle séquence des sources du droit »262. À l’occasion d’un litige
déterminé, ce dernier pourrait en effet être amené « à reconnaître la
juridicité de règles ‘maquisards’ ou ‘hors la loi’, dont la validité ne
résultait d’aucun ‘test de pedigree’ préexistant »263. Encore faut-il
souligner l’existence de possibles divergences entre les juridictions
elles-mêmes, particulièrement en présence de « sources » du droit
émergentes. Plus fondamentalement, il convient d’accorder l’attention
qui leur est due aux autres acteurs du système juridique. Comme le
relève H. Dumont, « le juge étant a priori l’organe chargé de dire le
droit par application des règles de reconnaissance en vigueur, il est le
plus approprié des révélateurs de la juridicité des normes, mais il n’est
pas le seul. D’autres ‘tiers’ peuvent le remplacer dans cette tâche
d’attestation. Nous retrouvons ici la définition de la règle de
reconnaissance chez Hart qui renvoie à la pratique concordante des
organes d’application du droit »264.
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autant que nous le souhaitions, les liens à tisser entre les sources du droit et le soft
law, d’une part, et les règles de reconnaissance de Hart - qui ont fait l’objet de la
contribution de Ph. GERARD, publiée dans ce même numéro de la R.I.E.J. -, d’autre
part.
259
Voir à cet égard la contribution précitée de Ph. GERARD.
260
Sous réserve, cependant, d’une intervention du pouvoir constituant désireux de
reprendre la main.
261
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 303.
262
P. DEUMIER et Th. REVET, op. cit., p. 1433.
263
Fr. OST et M. van de KERCHOVE, De la pyramide…, op. cit., p. 304.
264
H. DUMONT, « Coutumes… », op. cit., p. 270.

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Conclusion

63. Se proposant de revisiter les sources du droit, le Séminaire


interdisciplinaire d’études juridiques ne peut se passer de définir, ne
serait-ce que conventionnellement, cette notion polysémique. Nous
suggérons de l’entendre dans une acception tout à la fois large et
relativement classique, qui fait appel au sens formel du terme. Par
« source », on vise l’origine des règles de droit du point de vue de leur
auteur ou de leur mode d’élaboration. Ce faisant, nous nous inscrivons
dans une perspective positiviste, sans préjuger du nombre et du type
de sources du droit que cette signification est susceptible d’abriter. La
question de savoir si une théorie des sources du droit doit englober
certaines manifestations du soft law demeure entière.
64. Afin d’évaluer, dans le cadre de nos travaux, le degré de
juridicité des sources classiques ou émergentes du droit, on pourra
utilement se tourner vers la théorie de la force normative esquissée par
C. Thibierge et celle des trois cercles de la validité (légalité,
effectivité, légitimité) développée entre autres par François Ost et
Michel van de Kerchove, l’une et l’autre théories se complétant fort
bien. Ainsi trouve-t-on notamment dans le modèle de la force
normative d’intéressants enseignements concernant le pôle de la
garantie normative - défini par C. Thibierge comme «la garantie du
respect et de la validité de la norme (offerte) par le système
juridique » -, qui, en mettant l’accent sur les différents degrés de
garantie normative qu’une norme peut présenter (la norme est-elle
sanctionnable, contestable, utilisable pour contrôler la légalité d’autres
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normes, opposable… ?), viennent opportunément préciser le pôle
« effectivité » de la théorie tridimensionnelle de la validité.
65. En invitant, en proposant, en dirigeant…, le soft law parie
sur l’acceptation et l’assentiment des destinataires ; la normativité
devient question d’adhésion265, et on y adhère parce qu’elle apparaît
légitime266. Le propos ne doit cependant pas masquer la diversité des
instruments de soft law, dont nous suggérons de rendre compte au
travers de différentes catégories s’articulant autour des instruments
normatifs non juridiquement contraignants (soft law para- et péri-
législatifs) et des instruments normatifs juridiquement contraignants
(soft law intra-législatif).

265
M. MEKKI, op. cit., p. 13.
266
Voir à cet égard : A.-S. BARTHEZ, « Les avis et recommandations des autorités
administratives indépendantes », in Le droit souple, op. cit., p. 66.

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Dominée par une approche positiviste légaliste, la théorie des


sources ne peut qu’être ébranlée par l’émergence et la prolifération de
ce droit souple (en particulier le soft law para- et péri-législatifs), qui
se revendique d’autres paradigmes que les siens. Cet ébranlement
doit-il conduire à ménager une place à ce droit, aux côtés des sources
traditionnelles du droit, ou l’édifice positiviste doit-il tenter de
résister ? Gageons que, dans la perspective d’une approche pluraliste
des sources, une réflexion menée au départ de la théorie
tridimensionnelle de la validité, complétée par les apports de la théorie
de la force normative, devrait en tout cas permettre de se forger une
idée, de la même manière que la prise en compte de l’exigence
démocratique devrait constituer un instrument d’évaluation critique de
ces « nouvelles » sources.
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