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Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 557
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556 Les Journées strasbourgeoises
CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 620
INTRODUCTION
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558 Les Journées strasbourgeoises
ment les juges parmi eux, n’ont pas le luxe d’oublier. Aussi, bien que
cette décision soit contestable, je tiendrai donc éthique et morale pour
des synonymes.
dans la plupart des cas, cette logique est en plutôt une « du raison-
nable »18. En toute hypothèse, ce qui est crucial dans le jugement judi-
ciaire est justement cette obligation de décider, bref de mettre un
point final au différend. Le juge Ian Binnie, de la Cour suprême du
Canada, rappelle d’ailleurs la logique décisionniste inspirant ce type
de jugement dans un des arrêts Marshall où, confronté à des inter-
prétations divergentes de l’histoire des relations entre Micmacs et
Britanniques et à la difficulté scientifique de déterminer une vérité
historique, il signalait que les tribunaux n’ont d’autre choix que d’a-
dopter l’une des interprétations proposées, fixant ainsi
l’interprétation historique à des fins juridiques19. La même logique se
déploie face aux controverses morales. J’ajouterai à cela que si les
juges ont l’obligation de juger « de leur mieux »20, les avocats ont, à
titre d’officiers de justice, l’obligation déontologique de les aider à
juger le mieux possible.
27. John STUART MILL, De la liberté, Zurich, Éditions du Grand Midi, 1987. Voir sur
cette question : Joel FEINBERG, The Moral Limits of Criminal Law, vol. 1, Harm
to Others, New York, Oxford University Press, 1984 ; Joel FEINBERG, The Moral
Limits of Criminal Law, vol. 2, Offense to Others, New York, Oxford University
Press, 1985.
28. La question de la perspective est ici cruciale, comme nous l’ont enseigné les fémi-
nistes juridiques. On peut par exemple affirmer que la détermination de l’exis-
tence et de la gravité du préjudice découlant potentiellement de la pornographie
hardcore variera considérablement selon que l’on est une femme ou non, encore
qu’il faille se prémunir contre l’essentialisation des identités et des perspectives.
29. Cette activité d’identification est loin de mener à des résultats univoques. Pen-
sons, en droit civil québécois, au « autrui » de l’arrêt Congrégation des Petits Frères
de Marie c. Regent Taxi and Transport Ltd., [1929] R.C.S. 650, et, en common law,
au « neighbour » du célébrissime arrêt Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562.
30. D. WEINSTOCK, op. cit., note 4, p. 17. Dans son rapport de synthèse des Journées
strasbourgeoises 2004, Marie-France Bich donnait cette illustration classique
d’une action inspirée par un déontologisme radical, en l’occurrence celle de l’indi-
vidu qui, moralement tenu de ne pas mentir, révèle à la Gestapo où se cache son
voisin juif, avec les conséquences prévisibles qui s’ensuivent. Voir : M.-F. BICH,
loc. cit., note 2, p. 776, note 14. On notera que cet exemple d’adhésion « pure » à une
telle conception morale met en évidence de ce que l’on appelle généralement, dans
le langage commun, un « manque de jugement ».
31. Chantal CUTAJAR, « L’État face au terrorisme : comment réagir ? », p. 321.
566 Les Journées strasbourgeoises
37. Dans l’arrêt R. c. D.D., [2000] 2 R.C.S. 275, la Cour suprême était entre autres
saisie de l’argument selon lequel le délai de dénonciation dans un cas d’agression
sexuelle d’une enfant mettait en doute la crédibilité de cette dernière. Contraire-
ment à la minorité qui aurait permis un témoignage d’expert pour contrer cet
argument sur la base de son opposition au consensus scientifique en vigueur, la
majorité affirme qu’une telle preuve n’est pas nécessaire. Sans se référer formelle-
ment à la connaissance d’office, la majorité tient pour un « fait » que le moment de
la dénonciation ne signifie rien, qualifiant au surplus ce « fait » d’« énoncé de prin-
cipe évident » (par. 59) ou de proposition « simple et irréfutable » ou « indéniable »
(par. 66). L’usage de ces qualificatifs m’inspire deux brèves remarques. D’une
part, même si l’on se réjouit de la position majoritaire qui refuse d’imposer à la vic-
time le fardeau de prouver que le délai ne devrait pas influer sur l’évaluation de sa
crédibilité, on note cependant que cette « évidence » n’en était pas une pour les
juges de la minorité. Certes utile sur le plan rhétorique, le discours de l’« évi-
dence » ou de l’« irréfutabilité » tend plutôt ici à occulter les considérations de
principe plus importantes pouvant légitimer la position majoritaire.
38. Voir particulièrement : Rodriguez c. Colombie-Britannique (P.G.), [1993] 3 R.C.S.
519, 591 ; R. c. Malmo-Levine ; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, par. 113.
39. Voir, récemment : Towne Cinema Theatres Ltd. c. R., [1985] 1 R.C.S. 494 ; R. c.
Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 ; R. c. Tremblay, [1993] 2 R.C.S. 932 ; R. c. Mara, [1997]
2 R.C.S. 630 ; R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728. On constatera cependant que le cri-
tère du préjudice semble prendre le pas sur celui des normes sociales de tolérance,
tel que formulé traditionnellement, ce que regrettent les juges Bastarache et
LeBel dans leur opinion dissidente dans l’affaire Labaye, opinion qui est du reste
fortement imprégnée d’une conception conventionnelle de la moralité.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 569
D’une part, il est probable que, dans une telle société, les
seuls consensus vraiment susceptibles d’émerger sont ceux que John
Rawls appelait des « consensus par recoupement » (« overlapping
consensus »). Plus que de simples modus vivendi ponctuels, les
consensus par recoupement reflètent une entente durable conclue à
propos des principes fondamentaux de justice politique devant régir
la société par des citoyens adhérant à des doctrines compréhensives
(ou des raisons ou arguments inspirés d’une conception particulière
du bien) parfois inconciliables44. Pour l’essentiel, ce qui importe est
que chacun, à partir des ressources que lui offre la doctrine compré-
hensive à laquelle il adhère, accepte les fondements d’une justice poli-
tique où liberté et égalité jouent un rôle central. On parle donc ici d’un
consensus véritablement libéral, où, pour reprendre le cliché, la
liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre. Répétons-le :
les participants à un tel consensus doivent accepter les fondements
d’une justice politique dont la liberté et l’égalité constituent les fonde-
ments, en plus d’être en mesure d’écouter, de comprendre et de res-
pecter, à défaut de les partager, les raisons de leurs concitoyens
adhérant à une doctrine compréhensive opposée à la leur. En ce sens,
Rawls ne convie à l’élaboration d’un consensus par recoupement que
les doctrines compréhensives qui se montrent « raisonnables », ce qui,
dans le concret, signifie qu’elles acceptent dans une certaine mesure
l’expression des choix individuels et tolèrent la contradiction. Cela
exige qu’elles ne s’érigent pas en systèmes idéologiques complète-
ment fermés, ce qui exclut, ipso facto, la plupart des idéologies
fondamentalistes45.
44. John RAWLS, Political Liberalism, New York, Columbia University Press, 1993,
p. 158-168.
45. Ibid., p. 170. Sur le fondamentalisme, voir : Malise RUTHVEN, Fundamentalism.
The Search for Meaning, Oxford, Oxford University Press, 2004.
46. À bien des égards, et même si Rawls serait certainement en désaccord avec cette
proposition, il ressemble plus à un compromis durable perçu et accepté comme un
pis-aller.
47. Voir à ce sujet la dimension normative de la « good faith thesis » défendue par Ste-
ven J. Burton, qui la résume ainsi : « [The good faith thesis] understands the law
as a provider of legal reasons, not necessarily results. It understands the legiti-
macy of adjudication to depend on respect for the reasons, not agreement with the
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 571
results, in cases. The good faith thesis claims that judges are bound in law to
uphold the conventional law, even when they have discretion, by acting only on
reasons warranted by that law as grounds for judicial decision. A companion the-
sis – the « permissible discretion thesis » – claims that, when exercised in good
faith, judicial discretion is compatible with the legitimacy of adjudication in a
constitutional democracy. » Voir : Steven J. BURTON, Judging in Good Faith,
Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. xii. La référence faite ici à la
« conventional law » désigne pour l’essentiel les normes, présupposés et pratiques
reconnus par les membres de la communauté juridique comme justifications
potentielles d’actions ou comme fondements d’une perspective critique légitime.
Voir : ibid., p. 234.
48. Voir généralement : Stéphane BERNATCHEZ, « La fonction paradoxale de la
morale et de l’éthique dans le discours judiciaire », (2006) 85 Revue du Barreau
canadien 221.
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l’usage de tels critères pour évaluer les actions ou les intentions d’un
individu (par exemple, sa bonne foi ou son intention coupable) de leur
usage pour estimer l’opinion d’une société dans son entier.
53. Mark VAN HOECKE, Law as Communication, Oxford, Hart Publishing, 2002,
p. 206.
54. Guy ROCHER, Études de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Éditions
Thémis, 1996, p. 8.
574 Les Journées strasbourgeoises
Une de ces pistes se trouve dans une citation du juge Ian Binnie,
de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Harvard College c.
Canada (Commissaire aux brevets). Le juge Binnie y affirmait en
effet ceci : « Je ne crois pas qu’une cour de justice soit l’instance
appropriée pour débattre du mystère de la vie d’une souris »55. Dans
son opinion minoritaire, à laquelle souscrivirent trois de ses collè-
gues, il estimait que la Loi sur les marques de commerce n’empêchait
pas le brevetage de l’« onco-souris », charmant rongeur porteur d’une
mutation génétique orchestrée par les chercheurs de Harvard et qui
le rendait moins résistant aux cancers de toutes sortes. Observant
perspicacement qu’« [i]l existe une distinction qualitative entre les
rongeurs et les êtres humains »56, le juge Binnie mettait en doute la
position majoritaire qui, en se fondant sur des arguments conséquen-
tialistes hypothétiques du genre « slippery slope » (« cela commence
par la souris, ce sera bientôt les humains qui seront modifiés généti-
quement »), avait interprété la loi comme ne permettant pas le
brevetage de la « Frankensouris » de Harvard.
55. Harvard College v. Canada (Commissioner of Patents), [2002] 4 R.C.S. 45, par. 78.
56. Ibid., par. 102.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 575
1. Le risque identitaire
57. Pour une intéressante étude des rapports entre confiance et droit, voir : Larry E.
RIBSTEIN, « Law v. Trust », (2001) 81 Boston University Law Review 553.
58. On lira avec profit là-dessus : Niklas LUHMAN, La confiance. Un mécanisme de
réduction de la complexité sociale, Paris, Économica, 2006.
576 Les Journées strasbourgeoises
beaucoup été question à Strasbourg, ou encore par ceux qui, dans une
perspective plus large, s’intéressent à la configuration des rapports
entre l’État et les religions.
62. J’emprunte ici au titre d’un célèbre ouvrage du philosophe Jean-François REVEL,
La tentation totalitaire, Paris, Robert Laffont, 1976.
578 Les Journées strasbourgeoises
les démontrées plutôt qu’à de simples conjectures. Or, dans une démo-
cratie où les institutions sont stables, le risque identitaire demeure
pour l’essentiel dans l’ordre de la conjecture, voire du « senti ».
66. Ibid.
67. Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.
68. Je me suis longuement exprimé là-dessus dans : Jean-François GAUDREAULT-
DESBIENS, « Quelques angles morts du débat sur l’accommodement raisonnable
à la lumière de la question du port de signes religieux à l’école publique : réflexions
en forme de points d’interrogation », dans : Myriam JÉZÉQUEL (dir.), Les accom-
modements raisonnables. Quoi, comment, jusqu’où ? Des outils pour tous, Cowans-
ville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 241. J’ajoute que l’opinion majoritaire de la
Cour suprême dans Bruker c. Markovitz, 2007 CSC 54, semble révéler un certain
malaise quant à la mise en application de l’approche subjectiviste préconisée dans
Amselem. En effet, la Cour s’y réfère à l’absence en droit hébraïque de toute norme
religieuse obligeant le mari à refuser le divorce religieux appelé « get ». Il convient
de citer la version originale anglaise de l’opinion de la juge Abella : « This conces-
sion confirms, in my view, that his refusal to provide the get was based less on reli-
gious conviction than on the fact that he was angry at Ms. Bruker. His religion
does not require him to refuse to give Ms. Bruker a get. The contrary is true. There
is no doubt that at Jewish law he could refuse to give one, but that is very different
from Mr. Marcovitz being prevented by a tenet of his religious beliefs from com-
plying with a legal obligation he voluntarily entered into and of which he took the
negotiated benefits. » (mes italiques) Tout se passe ici comme si une dimension
objective était réintroduite dans l’analyse. La Cour suprême sera éventuellement
appelée à éclaircir ce paradoxe.
69. Voir là-dessus : Sophie LATRAVERSE, « La mise en œuvre du principe de
non-discrimination en matière religieuse en France : une approche centrée sur
l’appréciation de la contrainte raisonnable », p. 45.
70. Je fais à cet égard l’hypothèse que, malgré les mises en garde que formule l’opinion
majoritaire de la Cour suprême dans l’arrêt Amselem quant à l’évaluation de la
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 581
tégé de ce qui doit l’être moins (ce qui ne veut pas dire « pas du tout
protégé »), notamment en ce qui a trait aux manifestations extérieu-
res de la croyance, peut jouer un rôle utile, particulièrement en vue de
valoriser les interprétations religieuses qui sont les plus compatibles
avec les valeurs libérales fondamentales. Cela rejoint en quelque
sorte l’exigence rawlsienne de la « raisonnabilité » des doctrines
compréhensives comme précondition de leur participation au consen-
sus par recoupement.
L’idée-force de ce qui précède est que, quelle que soit soit son
orientation, le droit a un rôle important à jouer dans la gestion des
risques identitaires. C’est d’ailleurs là une des thèses que défend
Stéphane Bernatchez dans son analyse du difficile rapport au droit
72. Sur l’idée d’éthique de la croyance dans sa formulation contemporaine, voir : Jac-
ques BOUVERESSE, Peut-on ne pas croire ?, Paris, Agone, 2007, p. 77 et s.
73. Gustavo ZAGREBELSKY, Le droit en douceur, Aix et Paris, Presses Universitai-
res d’Aix-Marseille et Économica, 2000, p. 143.
74. Pour une intéressante dissection de la pensée relativiste, on lira avec profit : Ray-
mond BOUDON, Renouveler la démocratie. Éloge du sens commun, Paris, Odile
Jacob, 2006, p. 57 et s.
75. Katherine SWINTON, « Multiculturalism and the Canadian Diversity » dans :
H. Patrick GLENN et Monique OUELLETTE (dir.), La culture, la justice et le
droit, Montréal, Institut canadien d’administration de la justice et Éditions Thé-
mis, 1994, p. 78, 92.
76. Sigmund FREUD, « Civilization and its Discontents », dans : Civilization, Society
and Religion : Group Psychology, Civilization and its Discontents and Other
Works, London / New York, Penguin Books, 1985, p. 251, 305.
77. Giovanni SARTORI, Pluralisme, multiculturalisme et étrangers, Paris, Éditions
des Syrthes, 2003, p. 52.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 583
risques que fait peser cette disposition sur la liberté d’expression sont tels qu’elle
devrait être abrogée. Voir : Richard MOON, Rapport présenté à la Commission
canadienne des droits de la personne concernant l’article 13 de la Loi canadienne
sur les droits de la personne et la réglementation de la propagande haineuse sur
internet, Commission canadienne des droits de la personne, 2008, en ligne :
<http://www.chrc-ccdp.ca/publications/report_moon_rapport/summary_ resume-
fr.asp>.
81. La disposition au complet se lit ainsi :
1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’o-
pinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées
sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de
frontière. Le présent article (art. 10) n’empêche pas les Etats de soumettre
les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autori-
sations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut
être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues
par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocra-
tique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la
morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher
la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’im-
partialité du pouvoir judiciaire.
82. E. DERIEUX, loc. cit., note 60, p. 297.
83. Otto-Preminger-Institut c. Autriche (1994), 295 C.E.D.H. (Sér. A) 19.
84. J’avoue être également fort sceptique à l’égard de certaines dispositions conte-
nues dans des codes des droits de la personne qui, bien que poursuivant l’objectif
louable de faire échec aux pratiques discriminatoires, sont néanmoins formulées
d’une manière tellement vague que toute expression potentiellement offensante
risque de tomber sous leur coupe. J’ai évoqué l’article 13 de la Loi canadienne
sur les droits de la personne, mais l’on trouve pire. À titre d’exemple, pensons à
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 585
l’article 14 du Saskatchewan Human Rights Code, S.S. 1979, c. S-24.1, qui se lit
ainsi :
« 14(1) No person shall publish or display, or cause or permit to be published or
displayed, on any lands or premises or in a newspaper, through a television or
radio broadcasting station or any other broadcasting device, or in any printed
matter or publication or by means of any other medium that the person owns, con-
trols, distributes or sells, any representation, including any notice, sign, symbol,
emblem, article, statement or other representation :
(a) tending or likely to tend to deprive, abridge or otherwise restrict the enjoyment
by any person or class of persons, on the basis of a prohibited ground, of any right
to which that person or class of persons is entitled under law ; or
(b) that exposes or tends to expose to hatred, ridicules, belittles or otherwise
affronts the dignity of any person or class of persons on the basis of a prohibited
ground.
(2) Nothing in subsection (1) restricts the right to freedom of expression under the
law upon any subject. »
La Cour d’appel de la Saskatchewan a malgré tout déclaré cette disposition valide
sur le plan constitutionnel. Bien qu’elle ait été reconnue comme violant l’alinéa
2(b) de la Charte canadienne des droits de la personne, elle a été validée, après
avoir fait l’objet d’une interprétation restrictive, sous l’empire de l’article 1 de la
Charte, tel qu’interprété à la lumière de l’arrêt Canada (C.D.P.) c. Taylor, supra,
note 76. Voir : Saskatchewan Human Rights Commission v. Bell, 1994 CanLII
4699 (C.A. Sask.).
85. Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théâtre du
Nouveau Monde, [1979] C.S. 181, confirmé à Jeunes Canadiens pour une civilisa-
tion chrétienne c. Fondation du Théâtre du Nouveau Monde, [1979] C.A. 491. Sur
cette affaire, voir : Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS, « La sexualisation
du sacré et la régulation des offenses à la religion. Un bref retour sur l’affaire des
Fées ont soif », (2006) 15(1) Bulletin d’histoire politique 34.
86. Voir l’article 319 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, tel qu’interprété dans
R. c. Krymowski, [2005] 1 R.C.S. 101. Sur la validité constitutionnelle de cette dis-
position législative, voir : R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697.
87. United States v. Schwimmer, 279 U.S. 644 (1929), p. 654-655.
586 Les Journées strasbourgeoises
et libertés exige sur ce plan que l’on évite tout exceptionnalisme, qu’il
soit religieux ou autre.
comme essentiel. Des opinions sur le préjudice que peut causer la conduite en
cause, si répandues soient-elles, ne suffisent pas pour fonder une condamna-
tion. Cela ne signifie pas que les valeurs sociales n’ont plus aucun rôle à jouer. Au
contraire, pour justifier une conclusion d’indécence, il faut démontrer que le pré-
judice se rattache à une valeur fondamentale exprimée dans la Constitution ou les
lois fondamentales semblables de notre société, telles les déclarations des droits,
par lesquelles la société reconnaît officiellement que le type de préjudice en cause
peut être incompatible avec son bon fonctionnement. Contrairement au test fondé
sur la norme de tolérance de la société, l’exigence de la reconnaissance officielle
permet de croire que les valeurs défendues par les juges et les jurés sont véritable-
ment celles de la société canadienne. L’autonomie, la liberté, l’égalité et la dignité
humaine comptent parmi ces valeurs.
La complexité du droit à la liberté de religion dans ce contexte appelle d’autres
commentaires. Prétendre qu’une conduite particulière porte atteinte à des règles
ou des valeurs religieuses particulières ne suffit pas en soi à établir cet élément du
test. La question est de savoir quelles sont les valeurs que la société canadienne a
reconnues officiellement. La société canadienne, dans sa Constitution et ses lois
fondamentales semblables, ne reconnaît pas officiellement d’opinions religieuses
particulières, mais plutôt la liberté d’avoir des opinions religieuses particulières.
Cette liberté n’appuie aucune opinion religieuse en particulier, mais affirme le
droit à une variété d’opinions différentes.
L’exigence d’une reconnaissance officielle empêche que quelqu’un puisse être
condamné et emprisonné pour avoir transgressé les règles et heurté les convic-
tions de personnes ou de groupes particuliers. Pour mériter la sanction ultime du
droit criminel, il faut avoir porté atteinte à des valeurs auxquelles l’ensemble de la
société canadienne a adhéré officiellement. » (Je souligne, alors que les italiques
sont de la Cour elle-même.)
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 591
d’ouverture de ces droits ainsi que par la force relative des raisons
acceptées pour en justifier la restriction. Cette hypothèse d’une
cosmétique juridique de la conciliation des droits mériterait d’être
vérifiée de manière plus systématique, mais la voilà lancée.
102. Simon NOËL, « Les mesures répressives dans la lutte au terrorisme », p. 355.
103. Voir généralement : Frederick P. HITZ, « Des erreurs qui coûtent trop cher »,
p. 351.
104. Voir Terminiello v. Chicago, 337 U.S. 1, 37 (1949) (juge Jackson, dissident) :
« This Court has gone far toward accepting the doctrine that civil liberty means
the removal of all restraints from these crowds and that all local attempts to
maintain order are impairments of the liberty of the citizen. The choice is not
between order and liberty. It is between liberty with order and anarchy without
either. There is danger that, if the Court does not temper its doctrinaire logic
with a little practical wisdom, it will convert the constitutional Bill of Rights
into a suicide pact. »
105. Jean-Claude MARIN, « Les expériences positives et négatives dans l’application
des mesures répressives dans la lutte contre le terrorisme », p. 371.
594 Les Journées strasbourgeoises
110. Alan M. DERSHOWITZ, Why Terrorism Works, Understanding the Threat, Res-
ponding to the Challenge, New Haven, Yale University Press, 2002.
111. D. WEINSTOCK, op. cit., note 4, p. 22.
596 Les Journées strasbourgeoises
Cela dit, malgré ses vices à mon avis rédhibitoires, une certaine
honnêteté intellectuelle se dégage de la thèse de Dershowitz. Puis-
que, même dans une société démocratique, il risque de toute façon d’y
avoir des cas de torture illégale en situation d’urgence, alors il vaut
mieux tenter d’en atténuer les effets les plus problématiques en en
112. Sur cette dichotomie « droit commun versus régime d’exception », voir les contri-
butions de C. CUTAJAR, loc. cit., note 31, et de J.-C. MARIN, loc. cit., note 105.
113. Aharon BARAK, The Judge in a Democracy, Princeton, Princeton University
Press, 2006, p. 285.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 597
3. Le risque financier
terait d’être mieux délimitée, nous dit Me William Brock dans une
étude fouillée de la question116.
1. Le marché économico-financier
teur. Nous verrons plus loin que cela renvoie à la nécessité de repenser
la manière dont nous concevons certains rapports d’internormativité.
Nous considérons qu’il est juste d’affirmer en droit que, pour détermi-
ner s’il agit au mieux des intérêts de la société, il peut être légitime pour
le conseil d’administration, vu l’ensemble des circonstances dans un
127. Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.
128. Magasin à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461.
129. Ibid., par. 42.
606 Les Journées strasbourgeoises
130. Ibid.
131. Ibid., par. 43.
132. 2008 CSC 69.
133. BCE Inc. (Arrangement relatif à), 2008 QCCA 935.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 607
134. BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, supra, note 132, par. 66.
608 Les Journées strasbourgeoises
Aucun principe n’établit que les intérêts d’un groupe – ceux des
actionnaires, par exemple – doivent prévaloir sur ceux d’un autre
groupe. Tout dépend des particularités de la situation dans laquelle se
trouvent les administrateurs et de la question de savoir si, dans les cir-
constances, ils ont agi de façon responsable dans leur appréciation com-
merciale.
Ce qui est clair, c’est que le courant jurisprudentiel dit Revlon n’a pas
remplacé la règle fondamentale selon laquelle l’obligation des adminis-
trateurs ne peut se réduire à l’application de règles de priorité particu-
lières, mais relève plutôt de l’appréciation commerciale de ce qui sert le
mieux les intérêts de la société, dans la situation où elle se trouve. [...]
Par ailleurs, l’arrêt Magasins à rayons Peoples n’établit pas non plus de
règle fixe qui ferait prévaloir les droits des créanciers.135
Selon l’arrêt Magasins à rayons Peoples de notre Cour, bien que les
administrateurs doivent agir au mieux des intérêts de la société, il peut
également être opportun, sans être obligatoire, qu’ils tiennent compte
de l’effet des décisions concernant la société sur l’actionnariat ou sur un
groupe particuliers de parties intéressées.
137. Raymonde CRÊTE et Stéphane ROUSSEAU, Droit des sociétés par actions,
Montréal, Éditions Thémis, 2008, p. 393, citant l’arrêt Magasin à rayons Peoples
inc. (Syndic de) c. Wise, supra, note 128, par. 67.
138. Pour une intéressante étude des différentes conceptions de la société, voir : Mar-
cel LIZÉE, « Le principe du meilleur intérêt de la société commerciale en droit
anglais et comparé », (1989) 34 McGill Law Journal 653.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 611
répandue dans le milieu des affaires est sans nul doute la conception
actionnariocentrique que j’ai évoquée plus tôt. De sorte que même si
le droit formel se montre désormais ouvert à une conception polycen-
trique de la société, les normes informelles en vigueur dans le milieu
des affaires pourraient malgré tout faire perdurer l’influence d’une
conception purement actionnariocentrique de celle-ci. D’autant, faut-
il ajouter, que cette conception polycentrique qu’adopte la Cour ne
saurait être formellement assimilée à une véritable définition de la
société.
139. BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, supra, note 132, par. 66 (mes itali-
ques).
140. Abrams v. United States, 40 S. Ct. 17 (1919).
141. C’est à dessein que je dis que cette métaphore « s’inspire » de celle du choc des
idées. En effet, contrairement à l’idée répandue, ni Milton ni Mill n’ont parlé de
« marché ». Comme l’a perspicacement remarqué un auteur, « [w]hile both Mil-
ton and Mill had Truth and Falsehood competing, more accurately battling, it
was not in the marketplace. » Voir : Haig BOSMAJIAN, Metaphor and Reason in
Judicial Opinions, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1992, p. 54.
612 Les Journées strasbourgeoises
1. Représentations du droit
152. Jean CARBONNIER, Essais sur les lois, Paris, Défrénois, 1979, p. 276.
153. Sur le fétichisme juridique, voir notamment : Isaac D. BALBUS, « Commodity
Form and Legal Form : An Essay on the “Relative Autonomy of the Law” »,
(1977) 11 Law & Society Review 571, 582.
154. Une telle disposition a en effet été adoptée. Il s’agit, en l’occurrence, de l’article
50.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, qui se lit
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 617
3. Droit et gouvernance
ainsi : « Les droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis éga-
lement aux femmes et aux hommes. »
155. Karim BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme. Les normativités
émergentes à l’heure de la mondialisation, Montréal, Éditions Thémis, 2008,
p. 838.
618 Les Journées strasbourgeoises
Or, malgré que l’État soit moins enclin que jadis à vouloir tout
régler et que plusieurs catégories d’acteurs socioéconomiques dispo-
sent d’un espace accru d’auto-régulation, on aborde encore assez peu
dans les colloques regroupant des professionnels du droit étatique la
question des modalités d’arrimage de ce droit avec d’autres droits,
non étatiques ceux-là – ce que l’on appelle des relations d’internor-
mativité. Pourtant, les opérateurs du droit étatique, comme par
exemple les juges, sont de plus en plus confrontés à ce genre de ques-
tion. Des arrêts comme, au Canada, Bruker c. Markovitz157, où droit
positif et droit religieux s’entremêlent dans le contexte d’un litige
familial, ou comme, au Royaume-Uni, Shamil Bank of Bahrain EC v.
Beximco Pharmaceuticals Limited158, où les principes de finance-
ment islamique interpellent l’interprétation d’un contrat internatio-
nal, en fournissent des illustrations éclatantes.
156. Guy ROCHER, « Pour une sociologie des ordres juridiques », (1988) 29 C. de D.
91, 104.
157. Bruker c. Markovitz, supra, note 68.
158. Shamil Bank of Bahrain EC v. Beximco Pharmaceuticals Limited, [2004] EWCA
Civ. 19. Je remercie mon collègue Jeffrey Talpis d’avoir attiré mon attention sur
ce jugement.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 619
CONCLUSION
161. Cette idée renvoie à ce que Ayelet Shachar appelle la « co-gouvernance » (joint
governance). Voir : Ayelet SHACHAR, Multicultural Jurisdictions. Cultural
Differences and Women’s Rights, Cambridge, Cambridge University Press,
2001.
162. Voir là-dessus : Gilles PAQUET, Deep Cultural Diversity. A Governance Chal-
lenge, Ottawa, University of Ottawa Press, 2008.
163. Michel VILLEY, op. cit., note 12, p. 293.
Splendeurs et misères de la gouvernance par le droit... 621
164. Voir : David C. THOMAS et Kerr INKSON, Cultural Intelligence. People Skills
for Global Business, San Francisco, Berrett-Koehler Publishers, 2004.
165. Ce paragraphe reprend des idées avancées dans : Jean-François GAU-
DREAULT-DESBIENS et Diane LABRÈCHE, Le contexte social du droit dans
le Québec contemporain. L’intelligence culturelle dans la pratique juridique,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, à paraître en 2009.
622 Les Journées strasbourgeoises
166. René SÈVE, « Douter c’est décider : nature et caractère constructifs du doute »,
dans : François TERRÉ (dir.), Le doute et le droit, Paris, Dalloz, 1994, p. 119,
124.
167. Arrivé à un certain stade, le droit n’a toutefois plus grand-chose à dire ou à faire,
n’en déplaise aux tenants de son hégémonie sur le social. Voir : Georges A.
LEGAULT, « L’émergence de l’éthique appliquée et les insuffisances du droit »,
dans : Actes de la XVIème Conférence des juristes de l’État, Cowansville, Éditions
Yvon Blais, 2004, p. 279.
168. Voir généralement : Sébastien CHARLES, L’hypermodernité expliquée aux
enfants, Montréal, Liber, 2007.