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Bienvenue en Enfer

Lugh Lamfota
24/07/2012

Le wagonnet lourdement chargé de pierres progresse lentement sur les rails. Un pas après
l'autre, l'homme le pousse en prenant appuie sur les traverses. Ses bras tendus commencent à
trembler sous l'effort alors qu'une douce fraicheur se fait sentir. Il est presque arrivé. Quand il
débouche de la galerie il est accueilli par cette atmosphère étrange où brille un soleil radieux en
même temps que tombe la pluie. « Le diable bat sa femme et marie sa fille » as-t-on coutume de
dire … Il fait encore quelques mètres jusqu'à ce que le chariot arrive en fin de voie. Une butée
déclenche automatiquement le basculement de la benne et le chargement se répand au sol. Alors
qu'il s'apprête à repartir ses jambes le trahissent et il tombe assis, épuisé. Il ne ressent aucune
douleur, c'est juste qu'elles semblent ne plus vouloir le porter. Hébété de fatigue, il reste là. Un
garde portant une armure légère et armé d'un simple gourdin s'approche alors en faisant
tournoyer une bourse en cuir par le lacet qui la tient fermée. L'homme retrouve le sourire. Tel un
mendiant, il lève la main vers le garde qui défait le lien et entrouvre la bourse. Il ne prête pas
attention au sourire narquois de son samaritain pas plus qu'à ses insultes. Il n'a d'yeux que pour la
poudre jaune qui se déverse dans sa paume. Quand la bourse se referme, l'homme s'empresse de
priser bruyamment sa maigre dose de gwilmine. Animé d'une vigueur retrouvée, il se relève et
attrape une poignée du chariot puis repart vers l'entrée de la mine. Il ne jette même pas un regard
au colosse devant lequel il venait de vider son chargement.

De son coté, le géant au crane rasé est en train de savourer la pluie, une simple pause
bienvenue dans cette journée harassante. L'eau ruisselle sur son visage pour descendre sur son
corps musculeux. Ce faisant, elle suit un trajet dessiné par d'épaisses spires violacées saillant à la
surface de la peau. Elles partent du cou, du torse ou de son dos puis convergent vers son épaule
droite. De là, c'est l'intégralité du bras qui présente un aspect hors du commun. Parcouru de
nodosités semblables à celles d'un vieux tronc et d'une peau pareille à l'écorce, il fait en effet
davantage penser à une plante imitant de façon grotesque un membre humain. Cela ne semble
pourtant pas perturber l'un des gardes cinglant de son fouet l'aberration comme il l'aurait fait
avec n'importe quel autre forçat rechignant à se remette au travail. Pour toute réponse, le géant
empoigne de son étrange main une lourde masse et la dresse au dessus de sa tête comme si elle ne
pesait rien. Il jette un rapide coup d'œil sur sa gauche et ce qu'il voit le dissuade toutefois d'assener
le terrible coup qu'il s'apprêtait à infliger. Avec une force inouïe, il retourne sa colère et son
imposant instrument contre le tas de pierres que l'on vient de jeter à ses pieds. Des éclats de roche
partent dans toutes les directions mais parmi eux on distingue très clairement quelques pépites
dorées qui accrochent la lumière du soleil.
Du haut de sa plateforme adossée à flanc de paroi rocheuse, le capitaine de la garde semble
satisfait. Il redresse l'arbalète qu'il pointait nonchalamment en direction du colosse et reprend la
mastication de la chique qui lui déforme la joue. Avec deux autres gardes également équipés
d'armes de trait, il surplombe de quelques mètres le camp de travail installé à la sortie de la mine
d'or. Concassage, tri et déblaiement sont exécutés par une quinzaine de bagnards sous la
surveillance de quelques hommes en arme. L'approvisionnement en minerai est quant à lui assuré
par les prisonniers affectés à la mine. Mais la joie de l'officier s'efface rapidement lorsque s'ouvre
la porte d'un cabanon de bois installé à l'autre bout de l'esplanade. Pipe fumante à la bouche, un
homme grand et sec en sort. Ses cheveux gris et ses rides trahissent un âge avancé tandis que son
regard émerveillé et son large sourire dénotent une certaine joie de vivre qui ne peut être que
malsaine dans un tel contexte. La pluie qui s'abat sur lui s'écoule sur son épais tablier de cuir et
sur ses étranges instruments tranchants attachés à sa ceinture. Le long de son trajet, l'eau se teinte
peu à peu de rouge pour finalement prendre la couleur du sang lorsqu'elle finie par goutter en
bas du tablier. Depuis sa sortie, l'ambiance a changé parmi les forçats. Une tension s'est installée.

Celui qui se fait appeler Yvon Joern ne manque pas de remarquer l'attention que lui porte le
capitaine depuis sa plateforme. Ils s'échangent des regards mauvais qui se concluent d'un coté par
un épais crachat marron et de l'autre par un nuage de fumée soufflé avec dédain. Le magientiste
préfère reporter son attention sur les prisonniers. Pointant le bec de sa pipe dans la direction de
l'un d'eux, il désigne son futur sujet d'expérience. Le malheureux n'en revient pas. Ses épaules
s'affaissent comme si le ciel venait de lui tomber dessus et il lâche les outils qu'il tenait en main.
Les deux gardes qui l'empoignent fermement agissent toutefois comme un électrochoc et
l'infortuné se débat avec l'énergie du désespoir, hurlant et s'agitant en tous sens. Ses compagnons
de bagne n'ont pour seul geste que celui de détourner le regard, quant aux gardes, ils le trainent
aisément dans la boue jusqu'à l'entrée du laboratoire de fortune. Joern leur emboite le pas mais,
juste avant de rentrer, il marque une pause le temps de tapoter le foyer de sa pipe contre le
chambranle de la porte et d'en extraire le reste de tabac encore incandescent. C'est alors qu'il
remarque pour la première fois le chariot pénitentiaire qui vient d'arriver à l'entrée du
campement. Derrière des barreaux, il distingue quelques nouveaux visages aux traits tirés, aux
regards effrayés. Mais il semble aussi déceler quelque chose de singulier chez certain d'entre-eux
car il les observe bien plus longuement que n'importe quel autre nouvel arrivant. Finalement, un
sourire encore plus franc se dessine sur son visage et il entre dans le cabanon en claquant la porte
derrière lui.

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