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CORRESPONDANCES GOLAUD Pourquoi pleures-tu? (Mélisande tressaille, se dresse et veut fuir.

)
N'ayez pas peur, vous n'avez rien à craindre.
Pourquoi pleurez-vous, ici, toute seule?
La Nature est un temple où de vivants piliers MÉLISANDE (presque sans voix) Ne me touchez pas! ne me touchez pas!
Laissent parfois sortir de confuses paroles ; GOLAUD N'ayez pas peur… (…)
L'homme y passe à travers des forêts de symboles Oh! vous êtes belle.
Qui l'observent avec des regards familiers. MÉLISANDE Ne me touchez pas! ne me touchez pas, ou je me jette à l'eau!
GOLAUD (…) Quelqu'un vous a-t-il fait du mal?
Comme de longs échos qui de loin se confondent MÉLISANDE Oh! oui! oui! oui! (Elle sanglote profondément.)
Dans une ténébreuse et profonde unité, GOLAUD Qui est-ce qui vous a fait du mal?
Vaste comme la nuit et comme la clarté, MÉLISANDE Tous! tous!
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. GOLAUD Quel mal vous a-t-on fait?
MÉLISANDE Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants, GOLAUD Voyons, ne pleurez pas ainsi.
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, D'où venez-vous?
– Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, MÉLISANDE Je me suis enfuie! enfuie…enfuie…
GOLAUD Oui, mais d'où vous êtes-vous enfuie?
Ayant l'expansion des choses infinies, MÉLISANDE Je suis perdue! perdue!
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Oh! oh! perdue ici…
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. Je ne suis pas d'ici…
Je ne suis pas née là… (…)
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) GOLAUD Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau?
MÉLISANDE Où donc? Ah!
C'est la couronne qu'il m'a donnée.
Elle est tombée en pleurant.
GOLAUD Une couronne?
Ennemie de l'enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description Qui est-ce qui vous a donné une couronne?
objective, la poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d'une forme sensible qui, Je vais essayer de la prendre…
néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à MÉLISANDE Non, non, je n'en veux plus! je n'en veux plus
exprimer l'Idée, demeurerait sujette. L'Idée, à son tour, ne doit point se laisser Je préfère mourir… mourir tout de suite!
voir privée des somptueuses simarres des analogies extérieures ; car le GOLAUD Je pourrais la retirer facilement;
caractère essentiel de l'art symbolique consiste à ne jamais aller jusqu'à la L'eau n'est pas très profonde.
concentration de l'Idée en soi. Ainsi, dans cet art, les tableaux de la nature, les MÉLISANDE Je n'en veux plus!
actions des humains, tous les phénomènes concrets ne sauraient se manifester Si vous la retirez, je me jette à sa place!
eux-mêmes ; ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs GOLAUD Non, non; je la laisserai là;
affinités ésotériques avec des Idées primordiales. On pourrait la prendre sans peine cependant.

Jean Moréas, «Manifeste du symbolisme», in Le Figaro (1886) Maurice Maeterlinck, Pélleas et Mélisande (1893)
CORRESPONDENCIAS GOLAUD Por que choras? (Mélisande estremece, levanta-se e vai fugir.)
Não tenhais medo, nada tedes a temer.
Por que chorais aqui sozinha?
A Natureza é um templo onde vivos pilares MÉLISANDE (quase sem voz) Não me toqueis! não me toqueis!
Pronunciam por vezes palavras ambíguas; GOLAUD Não tenhais medo… (…)
O homem passa por ela entre bosques de símbolos Oh! sois tão bela.
Que o vão observando em íntimos olhares. MÉLISANDE Não me toqueis! não me toqueis, ou atiro-me à água!
GOLAUD (…) Alguém vos fez mal?
Em prolongados ecos, confusos, ao longe, MÉLISANDE Sim! sim! sim! (Soluça profundamente.)
Numa só tenebrosa e profunda unidade, GOLAUD Quem vos fez mal?
Tão vasta como a noite e como a claridade, MÉLISANDE Todos! todos!
Correspondem-se as cores, os aromas e os sons. GOLAUD Que mal vos fizeram?
MÉLISANDE Não quero dizer! não posso dizer!
Há perfumes tão frescos como a jovem carne, GOLAUD Vamos, não choreis asssim.
Doces como oboés e verdes como prados, De onde vindes?
– E há outros triunfantes, ricos, corrompidos, MÉLISANDE Fugi! eu fugi… fugi…
GOLAUD Sim, mas de onde fugistes?
Que se expandem no ar como coisas sem fim, MÉLISANDE Perdi-me! Perdi-me!
Como o âmbar, o almíscar, o incenso, o benjoim, Oh! oh! perdida aqui…
E cantam os arroubos da alma e dos sentidos. Eu não sou daqui…
Não foi aqui que nasci… (…)
Charles Baudelaire, As Flores do Mal, 1857 GOLAUD Que está acolá a brilhar no fundo da água?
(trad. Fernando Pinto do Amaral) MÉLISANDE Onde? Ah!
É a coroa que ele me deu.
Caiu enquanto eu chorava.
GOLAUD Uma coroa?
Inimiga do ensino, da declamação, da falsa sensibilidade, da descrição Quem vos deu uma coroa?
objectiva, a poesia simbólica procura revestir a Ideia de uma forma sensível Vou tentar pegar nela…
que, contudo, não seria um fim em si própria, mas que, mesmo servindo para MÉLISANDE Não, não, já não a quero! já não a quero!
exprimir a Ideia, lhe permaneceria submetida. A Ideia, por seu turno, de Prefiro morrer… morrer agora mesmo!
maneira nenhuma se deve deixar privar das sumptuosas sotainas das analogias GOLAUD Eu poderia facilmente apanhá-la;
exteriores; pois o caráter essencial da arte simbólica consiste em nunca ir até à A água não é muito profunda.
concentração da Ideia em si. Assim, nesta arte, nenhuns quadros da natureza, MÉLISANDE Já não a quero!
nenhumas acções dos humanos, nenhuns fenómenos concretos poderiam Se a agarrardes, atiro-me em lugar dela!
manifestar-se por si próprios; são apenas aparências sensíveis destinadas a GOLAUD Não, não; vou deixá-la ficar;
representar as suas afinidades esotéricas com Ideias primordiais. Mas seria muito fácil apanhá-la.

Jean Moréas, «Manifesto do simbolismo», 1886 Maurice Maeterlinck, Pélleas e Mélisande, 1893

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