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Du même auteur

Aux éditions Philippe Rey


L’Évangile selon saint Loubard (repris chez Points)
L’Évangile, une parole invincible (repris chez Points)
Rallumez le feu ! (repris au Livre de Poche)
Et si on parlait de tes mômes ?
Réussis ta vie !
Mes plus belles prières
Ose l’amour !
Face à la souffrance
Lutte et aime, là où tu es ! (repris chez Points)
La magie des animaux
Apprends à pardonner
Cœur de prêtre, cœur de feu (repris chez Points)
La vieillesse, un émerveillement
Petit guide de prière
Éveilleur d’espérance
Le couple
Occupe-toi des autres !
Vagabond de la bonne nouvelle (repris chez Points)
Le Bonheur
Nos fragilités
Jésus, un regard d’amour
L’humilité
La nuit s’approche, l’aube va arriver
Aime à tout casser !
Les sept sacrements
Aux éditions Stock (repris au Livre de Poche)
Un prêtre chez les loubards
La rue est mon église
Des jeunes y entrent, des fauves en sortent
L’Espérance aux mains nues
Aventurier de l’Amour
Avec mon aube et mes santiags
Les petits pas de l’Amour
Jusqu’au bout !
Dieu mon premier Amour
Des loups dans la Bergerie
Dealer d’Amour
Passeurs de l’impossible
Ma religion, c’est l’Amour
Kamikaze de l’espérance
Et si je me confessais
Aux éditions Salvator (repris chez J’ai Lu)
Cris de jeunes
Aux éditions des Béatitudes
Chemin de croix
Le plus bel album de famille : le rosaire
Les mystères lumineux du rosaire
Aux éditions du Livre ouvert
La violence… un appel ?
Lutte, prie et aime
Aux éditions Coccinelle (bandes dessinées)
Aimer à tout casser
Des loups à Faucon
Si tu veux m’écrire, fais-le par le biais de mon éditeur ou de mon site internet www.guygilbert.net.
Si tu savais comme tu m’aides en me critiquant ou en m’engueulant. Ma plume alors s’enrichit.
Merci.
Ton frère

© 2015, Éditions Philippe Rey


7, rue Rougemont - 75009 Paris

www.philippe-rey.fr

ISBN 978-2-84876-460-3
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
Table des matières
Du même auteur

Copyright

Introduction - Où sont les nouveaux sages ?


Qu’est-ce que la sagesse ?

Domestique le temps
Ne bâcle rien

Le devoir : voie exigeante mais royale

Vivre dans le présent

Les petits bonheurs

À chacun son temps

Apprivoise la solitude et le silence


« Putain, le silence, ça craint ! »

Qui suis-je ? Où vais-je ?

Une part de solitude

Écouter les autres

Magie de la neige

Prends des vacances


Devoirs de vacances

« Que fais-je de ma vie ? »

Attention aux nouvelles technologies


Le doudou de leur adolescence

Dire les choses en face

Pour un nouvel art de vivre ensemble

Litanie nocturne

Libère-toi de la dictature de l’argent


Entrons dans une démarche de partage

L’argent de poche

L’argent maître ou serviteur ?

Mission impossible

Goûte à la beauté du monde


À quoi sert la beauté ?

Éclairs de feu

Invitation à la bonté

Fils de pub

Et vous ?

Visages, paysages

La beauté sauvera le monde

Émerveille-toi de la nature
Mes « Attila »

Fleurs de printemps

Histoire d’un chêne

Nous sommes tous des pollueurs

L’écologie : un défi personnel et spirituel


Pour une nouvelle alliance entre l’homme et la terre

Que faut-il faire ?

Chacun doit montrer l’exemple

Contemplons les animaux

Compagnons fidèles

À cheval sur Popeye

« Cette espèce de salope de mère lama… »

Les trois vérités

Apprendre la souffrance et la mort des bêtes

Un nouveau regard sur la Création

Deux histoires récentes

Développe tes cinq sens


Les odeurs

Le goût

La vue

Rééduquons nos oreilles !

Le toucher

Aime-toi, aime les autres


Le travail qui vous plaît

Une relation positive avec soi-même

L’amour est patient

Redonner confiance aux jeunes

L’animal les aime


Aime à tout casser pendant vingt-quatre heures

Conclusion - Mon silence, ma prière


Prière d’un vieux hibou

Je balbutie

Je redémarre

Le temps qu’on Lui offre

Prier, c’est arrêter le temps

Ma part de silence

« Où puisez-vous votre force ? »

Tant que chantera le rossignol

Conseils

Bibliographie
Pour les plus jeunes
Introduction

Où sont les nouveaux sages ?

Il est temps pour l’homme et la femme d’aujourd’hui de devenir sages.


Non pas des êtres ennuyeux, tristes, bardés de contraintes, mais des êtres
libres, respectueux des autres et d’eux-mêmes, sincères, joyeux, amoureux
du monde et de sa beauté. Des êtres qui prennent le temps de vivre.
Il y a peu de sages. Nos contemporains semblent être des automates
guidés par les ordres de la société de consommation : jouissance immédiate,
superficialité, dévalorisation de la liberté de conscience, vie au jour le jour,
réussite professionnelle exacerbée. Il est difficile de résister à tant de
mirages véhiculés par la publicité, on se sent pris dans une course effrénée à
laquelle on se croit obligé de participer sous peine d’être laissé de côté,
marginalisé. Et les médias en rajoutent en électrisant les populations de
nouvelles catastrophiques qui laissent prévoir une fin imminente de notre
société, un écroulement de notre économie : la crise, la crise, la crise… Ce
tableau très noir du futur est aussi une stratégie pour nous pousser à
consommer : « Défoulez-vous, achetez, profitez du moment présent,
puisque cela ne va pas durer ! »
Il est urgent de ne pas croire ces prophètes du malheur, de résister à
leurs pensées négatives, chacun de nous à notre manière. Ne tombons pas
dans ces pièges grossiers et redressons-nous, trouvons une nouvelle sagesse.

L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.


Aristote
Qu’est-ce que la sagesse ?

La sagesse, c’est d’abord maîtriser sa vie, faire ses choix seul, en toute
conscience, dans le silence intérieur, loin de toute influence qui nous
déposséderait de notre liberté.
La sagesse, c’est maîtriser sa langue. La puissance de la sagesse se
mesure à sa capacité d’écouter l’autre.
La sagesse, c’est maîtriser son sexe. Le sage est médecin du corps et
du cœur. Il saura la fulgurance du cœur et du sexe joints dans l’amour reçu
et donné.
Le sage est celui qui aime son corps. Le sent vibrer. Le choie. Le
commande. En est le maître.
Le sage prend conscience de son intelligence, quelle qu’elle soit. Il
l’éveille, la bûche, la perfectionne. Jusqu’à son dernier souffle.
Le sage se sent habité par son âme. Il cherche patiemment mais
fortement le sens de sa vie.
Le sage sait qu’il aura peu d’amis et beaucoup d’ennemis. Sa fidélité
ravira les premiers. Sa tolérance et son sens de la miséricorde lui
conquerront les derniers.
La sagesse est issue de l’expérience. À condition d’en faire un
tremplin pour aller plus haut.
La sagesse fait accéder aux formes les plus élevées de spiritualité.
Parce qu’elle converge, quelle que soit la culture humaniste ou spirituelle à
laquelle on appartient, vers ce qu’il y a de plus grand pour nous : le désir
d’être aimé et d’aimer.
La sagesse est, plus que jamais, une sorte de folie de notre temps. On
manque de fous.
Domestique le temps

« Le temps est de l’or », dit-on. Pas de l’argent, ni des dollars, ni des


euros, mais de l’« or ». Avoir sa part personnelle dans sa vie quotidienne est
inestimable. Si, dans nos vingt-quatre heures, nous savons prendre du temps
pour nous-même, alors nous saurons le prendre pour les autres. On sera
attentif à ses amis, à ses collègues et, dans le couple, l’un verra quand
l’autre aura besoin d’elle ou de lui.

Ne bâcle rien

Je me rappelle mon enfance où, le soir, nous, les quinze marmots,


faisions à tour de rôle le ménage et la vaisselle avant de nous coucher.
L’effort, le goût du travail bien fait, l’obéissance dans le dialogue avec nos
parents m’ont laissé des traces indélébiles.
Mon premier curé, Pierre, à Blida, me fascinait quand il prenait la
plume. Il s’appliquait comme si sa vie dépendait de chaque mot qu’il
écrivait. Il m’a appris la joie de m’investir dans la plus petite action. Rien
n’est inutile.
Commencez à accomplir les tâches les plus simples avec amour, dans
la durée et le calme, et vous vivrez d’extraordinaires choses. Ne bâclez rien.
Vous n’aimez pas balayer, alors faites-le avec conscience. Ni à toute vitesse
ni à contrecœur, vous gâcheriez tout. Lorsque vous mangez, savourez
chaque bouchée. Vos amis vous rendent une visite : ne les recevez pas à la
va-vite. Votre conjoint(e) a besoin de vous parler, sachez prendre du temps
pour l’écouter avec toute l’attention qu’il ou elle mérite. Vous préférez les
choses faciles, alors faites-les après. On vous demande de travailler vite, de
bouger vite, de manger vite, de penser vite… Sachez dire non. On peut tout
faire avec amour.
Le temps est le plus sage de tous les conseillers.
Périclès

Le devoir : voie exigeante mais royale

Repousser à demain ce qu’on a envisagé de faire aujourd’hui est


toujours source de faiblesse et de lassitude. En rejetant dans l’avenir ce
qu’on a projeté de faire dans le présent, on ne construit qu’une personnalité
bancale. Parce qu’on tente de rattraper sans cesse son manque de rigueur.
Les jeunes sont de ce point de vue souvent atrophiés.
À la Bergerie de Faucon, les « J’ai pas envie » (pour tout) ; « C’est
fatigant » (pour les travaux de la ferme) ; « C’est toujours la même chose »
(pour la vaisselle notamment) sont l’occasion de batailles rangées, montrant
combien l’éducation des jeunes a été sabordée.
Un soir, un de nos jeunes de service de vaisselle refuse de la faire. Il
était 22 heures. L’éducateur attend qu’il se décide. À minuit, le jeune tenant
toujours tête, l’éducateur va chercher deux matelas. Un pour lui, l’autre
pour le jeune et les met dans la cuisine. Quelques heures de sommeil et, à
7 heures, le jeune attaque la vaisselle !
Jamais je ne remercierai assez mes maîtres de s’être acharnés à me
montrer la voie du devoir. Voie exigeante, mais royale. Le devoir accompli
rend maître de soi et libre au-delà de l’imaginable.
Allez, parents, décrochez votre tenue de combat et apprenez à vos
petits, jour après jour, la beauté du devoir accompli !
À Faucon, voir comment les jeunes se comportent à leur arrivée est un
enseignement fort. Ils cassent nombre d’outils. Furieux, ils les laissent sur
place. Leur faire réparer les manches eux-mêmes chaque fois qu’ils les
brisent est affaire d’éducation. Mais quelle satisfaction de les voir travailler
au bout d’un certain temps ! Leurs gestes sont devenus précis. L’instrument
est utilisé non en force, mais avec sûreté, précision. La parole n’est plus
torrentielle, mais posée.
Vivre dans le présent

Je vois souvent des personnes d’une tristesse incroyable, et je me


demande comment elles ont pu perdre toute joie. Alors que d’autres ont des
moments joyeux toute la journée, quoi qu’il arrive.
Si vous vivez une telle mésaventure, dites-vous qu’il faut vivre dans le
présent, d’abord. Vous êtes souvent engloutis, perdus dans votre passé ou
projetés dans l’avenir. Alors vous n’éprouvez que remords ou craintes, et
vous manquez les joies de l’instant présent.
Vous ne voyez pas le temps qui passe. Aimez à fond, vivez pleinement
ces heures présentes, investissez-vous. Hier n’est pas meilleur, demain on
ne sait pas. Vous avez été créés pour une seule journée : celle d’aujourd’hui.

Pensons seulement à bien faire aujourd’hui, et quand le


jour de demain sera arrivé il s’appellera aujourd’hui,
et lors nous y penserons.
Saint François de Sales

Les petits bonheurs

La première recette de la joie est de puiser dans les choses simples et


naturelles de l’existence. Et puis de mitonner à feu doux. « Le bonheur n’est
pas un but que l’on poursuit âprement, c’est une fleur, c’est une feuille que
l’on cueille sur la route du devoir », disait Stuart Mill. Et puis il y a les
petits bonheurs de tous les jours qui, accumulés, peuvent faire la grande
rivière du bonheur.
Manger est un plaisir, boire aussi (avec modération évidemment), et
goûter le bonheur dans son travail…
La joie apparaît d’abord sous forme de plaisirs immédiats : quelques
jours de ski de fond… au printemps voir les fleurs s’épanouir sur le bord
des routes… entendre le chant des oiseaux dans les arbres, sur le toit…
respirer une rose délicatement odorante ou contempler un paysage… le
roucoulement d’un pigeon devant ma fenêtre… Tiens ! il y a une jolie carte
postale dans ma boîte, un beau texto qui va illuminer ma soirée… Ces
moments, nous en éprouvons une multitude dans nos journées… ils ne
dépendent que de notre regard.

À chacun son temps

Quelle est la mesure du temps ? Elle dépend de notre personnalité,


notre métier, nos goûts. À chacun son temps… comme le dit si joliment ce
poème.

Pour apprendre la valeur d’une année, demande à l’étudiant qui a raté


un examen.
Pour apprendre la valeur d’un mois, demande à la mère qui a mis un
enfant au monde trop tôt.
Pour apprendre la valeur d’une semaine, demande à l’éditeur d’un
journal hebdomadaire.
Pour apprendre la valeur d’une heure, demande aux fiancés qui
attendent de se revoir.
Pour apprendre la valeur d’une minute, demande à celui qui a raté son
train, son bus ou son avion.
Pour apprendre la valeur d’une seconde, demande à celui qui a perdu
quelqu’un dans un accident.
Pour apprendre la valeur d’une milliseconde, demande à celui qui a
gagné une médaille d’argent aux jeux Olympiques.
Le temps n’attend personne.
Rassemble tous les instants qu’il te reste, et ils seront de grande valeur.
Partage ces instants avec une personne de choix et ils deviendront
encore plus précieux.
Apprivoise la solitude et le silence

Être seul, ne serait-ce qu’un quart d’heure par jour, est une priorité
absolue. Le silence et la solitude sont liés. Je parle évidemment de la bonne
et belle solitude, pas de celle qui gagne du terrain aujourd’hui, à laquelle
beaucoup de gens semblent condamnés, cette solitude désolée qui, au lieu
d’apaiser l’esprit, l’encombre et l’angoisse.

« Putain, le silence, ça craint ! »

Je ramenais un jour à Faucon un jeune mec que le juge m’avait confié.


En arrivant, il me dit :
« Putain ! Le silence, curé… ça craint ! C’est mortel. Où est-ce qu’on
trouve une boîte de nuit ou un plan pour s’éclater ici ?
– À trente kilomètres.
– Et le bureau de tabac ?
– Cinq kilomètres.
– Un bistrot ?
– Pareil.
– Je vais pas rester longtemps dans ce trou… »
Il y est resté un an. Quand je l’ai ramené au tribunal de Paris, le juge,
humain et compréhensif, l’a amnistié pour bonne conduite :
« On passe sur tes conneries, pendant un an tu as été super. Allez… on
oublie. »
En sortant, le jeune me fait :
« Guy, foutons le camp ! Il y a trop de bruit et d’agitation ici ! »
Depuis qu’il avait vécu au milieu des montagnes majestueuses et des
forêts du Verdon, qu’il avait tant détestées durant les premières semaines, le
bruit et la fébrilité de la ville le faisaient fuir.
Se préparer au silence, s’habituer au silence. Voilà un véritable
apprentissage.

Quoi de plus complet que le silence ?


Honoré de Balzac

Qui suis-je ? Où vais-je ?

Un casque sur les oreilles, l’image de la télé dansant en face de lui, il


fait son devoir de maths… Délicatement, je déplace un de ses écouteurs
pour lui poser une question.
« Comment peux-tu réfléchir tout en regardant un film et en écoutant
ton lecteur mp3 ?
– Question d’habitude, me répond-il, ça m’aide à faire mes devoirs. »
Il replace l’écouteur. Ma question saugrenue trouble, à l’évidence, sa
triple concentration !
Le monde d’aujourd’hui a un besoin urgent de silence. Les jeunes
notamment. D’ailleurs, il suffit de les appeler au silence pour qu’ils en
découvrent la force incomparable.
Le silence porte, en lui-même, une force pas possible. Celle qui permet
de s’interroger sur soi d’abord. Les questions « Qui suis-je ? », « Où vais-
je ? », « Qu’est-ce qui me pousse à agir ? », on peut les esquiver toute une
vie, en courant après tout, sauf après soi-même, en refusant de se donner
des réponses à ces questions vitales. Peut-être avons-nous peur des
réponses, justement, à cause de l’engagement qu’elles peuvent susciter et
des virages à prendre.
Une part de solitude

J’aime beaucoup cette citation de frère Roger de Taizé :


« En tout homme et femme se trouve une part de solitude, qu’aucune
intimité humaine ne peut combler. Pas même l’amour le plus fort entre deux
êtres. Qui ne consent pas à ce lieu de solitude connaît la révolte contre les
humains, contre Dieu, contre lui-même. »
De plus, j’ai constaté ceci : un(e) jeune adulte qui assume sa solitude
avant de trouver son(sa) conjoint(e) réussira mieux sa vie de couple que
celui ou celle qui ne supporte pas sa solitude avant de convoler.
Emplir sa vie de solitude, de méditation, de temps pour soi renforce la
personnalité et permet de solidifier ses certitudes. Ne pas supporter d’être
seul déstabilise et empêche d’affirmer sa personnalité pour affronter la vie à
deux. Bûchez votre solitude, vivez-la comme une attente. Sachez qu’elle
n’est jamais stérile si vous pouvez la remplir positivement.

La solitude vivifie ; l’isolement tue.


Joseph Roux

Écouter les autres

Écoute. Écoute inlassablement. Notre monde crève de manque


d’écoute. Nous avons plus que jamais besoin de gens qui écoutent.
L’écoute, c’est accueillir l’autre à plein cœur, le regarder toutes antennes
dehors.
Écouter à plein cœur, c’est être le serviteur de l’autre, c’est se rendre
très humble. Pour être serviteur, il faut être pauvre soi-même. Que le patron
soit, par l’écoute, le serviteur de ses employés, de ses ouvriers.
À la maison, la femme qui s’occupe du ménage et des enfants est la
plus grande parce qu’elle sert les plus petits. Alors soyez son serviteur.
Celui qui sait véritablement écouter est un grand être de lumière parce
qu’il est l’humble serviteur de son interlocuteur. Soyez des êtres d’écoute et
soyez des serviteurs les uns des autres.
Écoutez vraiment. De l’intérieur. Pas entendre, mais écouter, rentrer à
l’intérieur de l’être, en révéler des choses incommunicables autrement.
Une simple lettre reçue ! Bien lire une lettre, c’est écouter palpiter à
travers les mots celui ou celle qui, souvent, écrit malhabilement. C’est
cibler, dans des phrases hachées, le sens caché.
Enfin s’écouter, soi, dans le silence absolu.

Magie de la neige

La neige est le plus beau symbole du silence. Même les oiseaux se


taisent quand elle tombe.
On hésite à crier tant ce silence est un cadeau du ciel.
La neige est la gratuité pure. Elle tombe, elle transforme, elle égalise,
elle pacifie, pare et habille le moindre objet.
La pire décharge prend une éphémère beauté.
La neige incite à la lenteur. Une lenteur merveilleuse. Les chauffards
ralentissent, les stressés de la ville réapprennent les gestes précautionneux.
Elle fait redécouvrir le jeu, la joie enfantine, l’esprit d’enfance, le gosse loin
derrière soi, même à quatre-vingt-dix ans…
Le désir de solitude peut offrir ce que la neige nous offre
gratuitement : une redécouverte du temps, du silence, de la beauté des
choses.
Prends des vacances

Notre monde est fou. Tout va trop vite. Pas seulement les transports,
les moyens de communication et les nouvelles technologies. On ne mange
même plus, on bouffe dans des « fast food ». On ne parle plus, on jacasse
sans arrêt. Les couples non plus n’ont pas le temps de s’écouter. Une
information-marchandise chasse la précédente. Nous sommes des clients
butineurs. On ne regarde pas, on zappe. On ne vit pas, on survit.
Les vacances sont le moment privilégié pour le dialogue avec vos
enfants.
Je répète inlassablement : « Quand ils sont dans le nid, c’est le temps
du dialogue. » Il faut donc être assez disponible pour aller à l’essentiel.
Dialoguer n’est pas forcément parler. Des gestes, des regards, un moment
de sport ensemble, des instants de détente suffisent.
Il est urgent de prendre le temps de la lenteur. Refusez la précipitation,
gardez le temps pour vous, conservez-le jalousement ! Je vois souvent des
gens rentrant bronzés de vacances, mais les yeux cernés. Leurs vacances les
ont crevés !
Ils ont dépensé tant d’énergie qui s’avère inutile.

La vacance des grandes valeurs n’enlève rien à la


valeur des grandes vacances.
Henri Weber

Devoirs de vacances
Si je devais te donner des devoirs de vacances, ce serait de redonner un
rythme humain à ta vie et à ton corps malmené pendant onze mois de
l’année.
N’envisage pas des vacances extravagantes et chères. Ton planning est
chargé toute l’année, alors planifie-le « cool ».
En vacances, évacue les réveils obligés, les journées éreintantes (sauf
s’il s’agit de partir en refuge de haute montagne)… Évite d’amener Internet
et de trimballer tout le bordel de smartphones, de tablettes, de réseaux wifi
et autres trucs technologiques. Consacre-toi à tes gosses, prends le temps de
faire de splendides châteaux de sable que tu verras, ravi, s’effondrer à la
marée montante. Sors du carcan de cette vie.
Peux-tu imaginer un gîte en pleine nature où te blottir avec ta famille ?
Peux-tu rêver de marches solitaires au cœur des forêts ? Peux-tu envisager
de faire deux kilomètres à pied sur une petite route de campagne pour aller
chez l’épicier du village et rapporter du pain de campagne et du fromage de
chèvre acheté à ce jeune couple qui vit dans la montagne ? Peux-tu
concevoir d’ouvrir un bon livre ? Peux-tu espérer te perdre dans les yeux de
ta femme que tu oublies si souvent de regarder ?
Perds-toi dans la montagne, perds-toi dans la forêt, perds-toi dans les
yeux de ton compagnon ou de ta compagne, de tes enfants, perds-toi sur
cette petite route de campagne. Perds-toi suffisamment longtemps pour te
retrouver et retrouver l’autre.

« Que fais-je de ma vie ? »

Mets le bruit en vacances. Le silence porte, en lui-même, une force


incroyable. Celle qui permet de s’interroger sur soi. Les questions « Que
fais-je de ma vie ? », « Qu’est-ce qui me pousse à agir ? », on peut les biffer
toute une vie en courant après toutes sortes de marottes, sauf après soi-
même, en refusant de se donner des réponses à ces questions vitales.
Peut-être avons-nous peur de ces réponses, justement à cause de
l’engagement qu’elles peuvent susciter, et des virages à prendre qu’elles
peuvent nous indiquer.
Un homme d’affaires m’interpelle un jour : « Tu as de la chance, Guy,
de pouvoir prendre quarante-huit heures tous les dix jours pour faire
silence. Moi, avec mon travail, ma femme et mes trois gosses, j’ai jamais
pu ! »
Ma réponse a jailli : « Parce que tu fais la bêtise de ne jamais t’arrêter
en prenant prétexte de ton boulot, de ta femme et de tes gosses. Ma vie à
moi est aussi torrentielle, si ce n’est plus, que la tienne. Si je n’avais pas
comme ascèse ces heures absolument consacrées à moi-même, je
manquerais l’essentiel de ce que je veux vivre. »
Attention aux nouvelles technologies

À notre époque, nous assistons à des victoires importantes sur le plan


matériel, à des conquêtes techniques sidérantes, mais elles sacrifient
l’humain. De plus, la vitesse et la multiplicité de l’information dépassent
notre capacité de réflexion et de jugement, et ne permettent pas une
expression mesurée et correcte de nous-même. L’environnement de la
communication, au lieu de nous aider à grandir, nous désoriente. Le désir de
numérique finit par nous isoler de notre prochain, de nos plus proches
voisins. Sans oublier ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas accès aux
médias sociaux.

Le doudou de leur adolescence

Lorsqu’un jeune nous est confié par le juge, parmi les règles de vie que
nous lui imposons, il y a le temps d’usage du portable. Nous lui disons
lorsqu’il arrive à Faucon : « Tu as droit à deux heures de portable par
semaine. » Une fois, un jeune que l’on devait prendre en charge a renoncé à
son téléphone en apprenant cette règle !
Parmi les jeunes interrogés 75 % avouent dormir avec le téléphone
près de leur oreiller. Rares sont ceux qui savent doser le temps passé sur
leur portable. Certains disent « se sentir nus » sans lui. La plupart
développent des symptômes de grande dépendance, et ne dorment pas
assez. Résultats scolaires en baisse, relations tendues avec leurs parents…
Le nombre de SMS échangés est délirant, surtout la nuit. Et à force
d’écrire en « langage SMS », certains élèves négligent un peu plus leur
grammaire.
Une utilisation intensive du téléphone cellulaire provoque maux de
tête, troubles auditifs, pertes de mémoire, bourdonnements d’oreilles,
raideur de la nuque et des épaules. Nous savons qu’au-delà de cinquante
minutes d’utilisation d’un portable, la consommation de sucre augmente
dans la zone cérébrale située à proximité de l’antenne du téléphone,
augmentant le risque de tumeur au cerveau.
Cela me navre de voir, dans le train, des gamins de six ou sept ans
munis d’un portable, les parents à côté. Avec ces engins, ils peuvent non
seulement téléphoner, mais aussi écouter de la musique au timbre
métallique, voir des dizaines de films en les piratant. L’une des pires
saloperies dont on oublie aujourd’hui de protéger les gosses est bien ce
bruit infernal qui bouche leurs oreilles et vide leur vie.

Il ne peut y avoir de progrès véritable qu’intérieur. Le


progrès matériel est un néant malgré ses merveilles.
Julien Green

Dire les choses en face

Ce portable nous coupe très souvent de notre relation avec les autres.
Dès que l’usage s’en est répandu, les gens se sont mis à raconter très fort
des trucs de rien du tout. Ils ont envahi tous les espaces : métro, train, café,
même la rue… Je me souviens d’avoir entendu, dans un aéroport, un type
qui s’en prenait à sa femme, braillant dans le combiné en arpentant les
couloirs. Excédé, je lui avais dit : « Ce que tu racontes à ta femme est
extrêmement passionnant… mais pour une engueulade, va plutôt dans les
W-C ! » Il est important de se voir, de s’aimer, de s’engueuler directement.
Se dire les choses en face, c’est beaucoup mieux.
Cette technologie nous atteint tous. Pour résister :
– Sachons empêcher le portable de nous envahir.
– Soyons brefs. Utilisons-le pour être informés, pour régler un
problème, sachons arrêter une conversation insipide. Le portable, c’est aussi
le risque de remplir nos journées de futilités verbales.
– Prenons en revanche le temps d’écouter l’autre.

Pour un nouvel art de vivre ensemble

À 80 %, les parents dînent avec leurs enfants le soir ; c’est bien, mais
dans quelles conditions ? Coupez la télé, fermez Internet, mettez en veille le
portable et tout le bordel. Coupez tout ! C’est le moment de la convivialité !
Je suis reçu un jour dans une famille de six enfants. Au moment du
souper, je leur demande des nouvelles d’un de leurs fils :
« Vincent ?
– Oui…
– Où est Vincent ? Il est en voyage scolaire ?
– Non, il est dans sa chambre à surfer sur Internet », me répond la
mère.
Atterré, je monte voir l’ado et je lui dis que sa mère ne lui apportera
rien à manger, et que je ne mangerai pas non plus, tant qu’il ne sera pas
descendu.
Vincent se décide finalement à se joindre à nous.
« C’est un miracle ! s’exclame la mère, bras au ciel.
– C’est un miracle que tu aurais pu réaliser lorsqu’il avait dix ou onze
ans », lui ai-je répondu.
Il est temps de prôner un « art de vivre ensemble ». Il faut chercher
l’une des sources des nombreuses incivilités de notre siècle dans la
« communication virtuelle ». L’homme n’est plus là. Autrefois, on ne
pouvait pas échapper à son lieu d’habitation et à son entourage.
Aujourd’hui, l’individu fuit dans des territoires virtuels.
Il se promène parmi ses semblables sans les voir. Et il n’y a rien de
plus terrible que de se juxtaposer sans faire attention à l’autre.
Un de mes amis africains me fit un jour cette réflexion très juste : « Ce
que je vois dans vos pays dits développés ne pourrait exister chez nous, au
Bénin. Humainement parlant, vous êtes très pauvres. Vous ne savez pas
vous parler. »
Quand je vois tous ces gens qui se promènent ou
mangent en téléphonant, tout en gardant un œil sur la
Bourse, ça me paraît l’image même de la barbarie.
Fabrice Luchini

Litanie nocturne

Que je sois chez moi ou en voyage, mon portable est allumé quatorze
heures par jour car je me dois d’être disponible à tout moment pour tous
ceux qui ont besoin de moi. Je me couche à 4 heures du matin, quand les
moines et les moniales se lèvent pour prendre ma relève et celle de tant
d’autres ! Je confie à Dieu le peuple turbulent que j’assume, puis je dors
comme un lézard. Quatorze heures de téléphone ouvert par jour avant de me
coucher : à 4 heures, je ferme mon portable jusqu’au lendemain 14 heures.
Après minuit, ce sont eux, adultes désespérés ou mourants, qui
m’appellent. Ils connaissent mes horaires nocturnes. Des cris de solitude,
d’angoisse de malades voyant la mort s’approcher et hurlant leur souffrance
dans la nuit.
En général ils ont rompu toute attache familiale ou amicale, car dans
leur déroute ils ont coupé les ponts. Je suis souvent le seul interlocuteur qui
leur reste. J’accepte de l’être parce que je connais leur cœur, leur destin,
leur enfance terrible qui revient à la surface. Leurs amours manquées. Leurs
gosses éparpillés. La maladie qui les dévore. « J’en peux plus », voilà leur
litanie nocturne.
Il faut que je m’accroche. Parfois désespérément. Longuement.
Qu’un ancien m’appelle à 3 heures du matin pour me demander de
mes nouvelles, c’est un miracle. C’est un sourire de Dieu, que j’apprécie
beaucoup.
Mon portable serait un cauchemar si chaque jour je ne le confiais pas à
Dieu. Je suis persuadé que, cinq minutes avant ma mort, des mecs
m’appelleront encore pour me demander de les aider.
Je leur dis déjà, en me marrant : « De là-haut, si telle est ma place, je
veillerai au grain. Mais, je vous en supplie, j’ai assez bossé sur terre pour ne
pas avoir un portable céleste bourré chaque jour de messages. Si Dieu a un
compte en banque bien garni, sollicitez-Le. Et Il vous donnera ce que vous
Lui demanderez : un discernement qui ne doit pas faiblir, une énergie sans
faille, un amour le plus gratuit possible et une espérance invincible. Tout le
reste arrivera naturellement si vous possédez l’amour et l’écoute profonde
de ceux que vous côtoyez. »
Libère-toi de la dictature de l’argent

La richesse, c’est comme la santé. Son absence engendre la misère et


sa possession ne garantit pas le bonheur. Si l’on en fait un dieu, l’argent
devient un maître tyrannique qui sèche le cœur, rend sourd et aveugle. Une
des raisons principales du malheur de nos contemporains, c’est cette course
effrénée pour gagner toujours plus, cet esclavage car nous sommes à
genoux devant le dieu consommation. Sachons prendre nos distances par
rapport à l’argent, retrouvons nos espaces de liberté.

Entrons dans une démarche de partage

Vous vous posez de nombreuses questions sur votre rapport à l’argent.


Savez-vous mieux donner ? Vous avez un super salaire, une grosse voiture
neuve, des gadgets inimaginables dans votre salon : êtes-vous pour autant
décomplexés face à l’argent ? Je ne le crois pas.
Comment pouvez-vous rester chez vous à amonceler les richesses, à
garder tout pour vous sans penser aux autres ? Il y a tant de pauvres dans
nos pays si riches : des sans-abri, des clochards, des sortis de prison, des
gens dans la peine.

L’argent de poche

Nous devons inventer et montrer aux jeunes des collèges que l’argent
n’est pas n’importe quoi. C’est à la maison que l’on apprend la valeur de
l’argent. Quand j’étais enfant, mon père et ma mère m’ont inculqué que
l’argent devait être au service des autres. L’éducation joue énormément. La
chance de ma vie a été de vivre, enfant, dans la pauvreté.
Notre trésor est dans notre cœur. Affichez cette pensée pour que vos
enfants s’en souviennent quand ils réclament sans cesse de nouveaux jeux.
Montrez-leur qu’il y a des gens qui crèvent de faim pas loin de chez vous.
Et demandez-leur de partager.
Alors vos enfants sauront ce qu’est vraiment l’argent.

L’argent est un bon valet et un mauvais maître.


Proverbe anglais

L’argent maître ou serviteur ?

L’argent mène-t-il le monde ? Dieu sait que l’argent s’étale de plus en


plus sous nos yeux, à la télévision et dans les journaux. La publicité est très
puissante. Les actionnaires se contentent de se remplir les poches.
Nous ne devons pas penser pour autant que nous vivons dans un
monde de pourriture : de nombreux exemples montrent que des initiatives
économiques positives peuvent aider lorsque l’argent est mis au service du
développement. Beaucoup de personnes donnent de leur temps dans des
associations, des syndicats, toutes sortes de mouvements citoyens ou
pastoraux. Ces bénévoles offrent de l’amour et du temps.
Certaines personnes, qui ont de l’argent, s’évertuent à le faire circuler
dans les mêmes mains, d’autres participent au progrès de l’homme. Je
trouve très intéressantes les initiatives relevant du commerce équitable.
Vous connaissez le principe : des boutiques où l’on trouve des produits
achetés directement aux producteurs du tiers-monde afin qu’ils puissent
vivre décemment de leur activité. C’est une chose magnifique parce qu’elle
est source de développement pour de nombreux villages à travers le monde.
Le système progresse bien.
Vous choisissez du café, du cacao, du riz : c’est un petit peu plus cher,
mais on sait qu’il n’y a pas d’intermédiaire et que le bénéfice revient, de
façon plus juste, à ceux qui ont travaillé pour fabriquer le produit.
Mission impossible

L’argent doit être au service de l’amour. Sans cela, il n’y aura ni paix,
ni bonheur, ni harmonie.
Nous avons envie de posséder toujours plus. Nous avons le désir
d’avoir raison. Nous sommes prisonniers de notre envie de confort. Nous
voudrions garder nos dons pour nous-mêmes. Nous préférons voir l’autre
sous son plus vilain jour. Nous nous considérons comme bien supérieurs à
tous ces pauvres idiots qui nous entourent. Et nous les jugeons avant même
de les connaître.
Changeons-nous, essayons de vivre différemment, apprenons l’oubli
de soi, le don aux autres, une ouverture toujours plus grande, une générosité
sans limite. Détruisons notre rêve fondé uniquement sur le gain, l’appât, le
bénéfice et le profit. Le monde du « Moi-d’abord-et-les-autres-je-m’en-
fous » rend l’univers ténébreux. Une autre vie est possible. L’autre, même si
nous ne sommes pas d’accord avec lui, est une personne sensée, capable de
nous apporter une lumière.
Utopie ? Non. Volonté chez de plus en plus de personnes ulcérées de
voir coexister les gains astronomiques de certains et la misère toujours plus
large dans les rues de Paris. Tous les jours.
Goûte à la beauté du monde

Les médias ne parlent que de violence, de laideur, de sang, d’actes


monstrueux. Parlons plutôt de la beauté. Elle est omniprésente. Et si on ne
la voit pas, on l’invente. Le tout-petit, avec spontanéité et liberté, peindra
des Chagall et des Picasso sur les murs de sa chambre.
La Charente-Maritime de mon enfance était une terre plate, plutôt
morne. Il n’y avait ni gorges ni montagnes. Avec ma soutane, en compagnie
de mes frères et sœurs, nous allions pêcher des anguilles dans les nombreux
canaux qui sillonnaient les champs alentour. La Charente était tout près de
chez nous. Malgré tout, j’aimais ma Charente.
L’année de mes quinze ans, mon père nous envoya en colonie de
vacances dans les Alpes. Je découvris la Haute-Savoie. Ce fut une
révélation. La montagne, les senteurs de la forêt, l’air pur m’envoûtaient. Je
grimpais quelquefois seul sur un sommet et je me rencognais dans un
rocher pour admirer le mont Blanc. J’y passais des heures. La beauté était
tout entière à ma portée.

À quoi sert la beauté ?

La beauté sert à l’émerveillement. Je m’émerveille d’abord de la


personne qui est devant moi. La présence unique d’une personne, comme la
beauté d’une fleur. Les roses d’un massif et leur parfum, comme les joues
d’un nouveau-né et son regard. Chaque coccinelle, chaque éléphant, chaque
bestiole provoquent chez moi l’émerveillement.
La beauté est invincible. Quel est l’être humain, croyant ou non, pour
lequel la beauté ne serait pas invincible ? Toutes les grandes religions ont
célébré la beauté de la création. Notre sens du sacré et du divin vient de là.
Qui a fait l’univers ? Voilà la question fondamentale. Qui a fait que
chaque aurore et chaque couchant soient des spectacles toujours différents ?
Je suis également ébahi devant les paysages autant que devant la beauté de
l’intelligence humaine. Cette intelligence qui a su construire Notre-Dame
de Paris, la cathédrale de Reims, la mosquée d’Istanbul ; qui a peint les
fresques de la cathédrale d’Albi…

La beauté des choses existe dans l’esprit de celui qui


les contemple.
David Hume

Éclairs de feu

Paradoxalement, j’ai découvert une forme de beauté en 1945, à la fin


de la guerre. J’avais dix ans. Quand les sirènes annonçaient les
bombardements, nous nous précipitions aux fenêtres pour apercevoir les
fusées éclairantes. Nous admirions les éclairs de feu et, quelques secondes
plus tard, les gares, les maisons et les trains qui volaient partout. Comme
tous les gosses, je ne pouvais pas quitter la fenêtre. Mon père nous arrachait
de notre poste d’observation pour nous obliger à nous protéger.
Mais la vraie beauté est à l’opposé du mal.
Le plus grand mystère de l’univers est sa beauté. L’arrangement de la
matière est trop merveilleux pour qu’il ne soit pas le fruit d’une pensée, et
qu’il n’ait pas un but. Moi croyant je pense que l’univers et la nature sont
un amour qui vient à notre rencontre.

Invitation à la bonté

La beauté invite à la reconnaissance et à la célébration. Elle suscite la


bonté. Allons-nous agresser quelqu’un après avoir contemplé un beau
paysage, visité une cathédrale ou écouté du Mozart ? (Pour le rap et le hard
rock, c’est autre chose…)
La beauté donne la paix. Henri Bergson disait que « c’est la grâce qui
se lit à travers la beauté, et que c’est la bonté qui transparaît sous la grâce ».
La beauté nous pousse à l’harmonie, au partage et à la communion.
Un jeune m’appelle un jour au téléphone.
« Guy, regarde la lune, regarde comme elle est belle ! »
Il était en Provence, et moi à Paris…
« Mais il y a des nuages ici !
– Attends que le nuage passe… »
J’ai attendu… et puis, à mille kilomètres de distance, nous avons
admiré la lune.
La beauté est physique, morale ou spirituelle. Les traits d’un homme
ou d’une femme peuvent être magnifiques et nous pouvons nous attarder à
sa contemplation. Le sourire apparemment grimaçant d’un handicapé est
parfois très beau lui aussi. La voix d’une personne, une pure merveille.
Pavarotti nous faisait fondre, moi et tant d’autres.
La bonté transfigure un visage. Ah ! Si nous pouvions regarder
autrement nos semblables. Si nous pouvions voir au-delà de l’enveloppe, de
la forme, de la plastique, nous percevrions leur beauté intérieure !
Ce défi, vous pouvez le relever dès aujourd’hui. Ne regardez pas la
couleur de peau, ne regardez pas l’âge, contemplez l’intérieur de l’autre.

Fils de pub

À l’opposé, il y a la pub. Dans notre société souvent si laide, on utilise


(hélas !) beaucoup la beauté comme instrument de conquête et de
tromperie. Alors cette beauté devient marchande, objet et instrument.
Mozart est remplacé par une musique de tiroir-caisse, la fille du coin fait
place à une anorexique de dix-sept ans sans formes ni expression, dont on
veut nous faire croire qu’elle correspond aux modèles idéaux de la beauté.
Pour vendre une voiture, un fromage ou une perceuse électrique, on nous
montre les formes aguichantes d’une fille de vingt ans…
La beauté alors devient pire que la laideur.
Et vous ?

Comment luttez-vous au service de la beauté ? Fleurissez-vous votre


balcon et votre jardin ? Comment recherchez-vous la beauté dans votre
intérieur et à l’extérieur ? Quel type de beauté recherchez-vous ?
Il n’y a pas de vérité au monde, sinon celle de l’amour partagé. Voilà la
plus grande beauté de la vie. Voilà l’aventure de l’amour. Il n’y a pas
d’autre oraison que celle de l’amour.
L’amour a une telle beauté que l’enfant qui sort du ventre de sa mère le
ressent, et le sentira jusqu’au dernier jour de sa vie. Même le vieillard qui
s’éteint, entouré de sa famille, cherche encore l’amour.

Un monde qui ne pourrait s’émouvoir de sa beauté


serait bien près de la faillite.
Edmond Gréville

Visages, paysages

Nous avons à apprendre à nos jeunes la beauté. Elle est liée au silence.
À chaque camp, j’invite les jeunes à faire halte au sommet d’un piton et à
admirer le paysage…
L’un d’eux, vingt ans après, me disait : « Guy, je n’ai jamais oublié ces
moments-là, même si je rigolais quand tu nous invitais au silence pour
admirer. »
Il propose à son fils de le faire aujourd’hui.
En Haute-Provence, les couchers de soleil sont féeriques.
Combien de fois ai-je contemplé avec un jeune la splendeur des
horizons roses, orange, écarlates !
« Regarde, Guy, regarde comme c’est beau… », me disent-ils.
Plus beaux que tout sont leurs visages. Quand je les vois la première
fois, leurs traits sont tristes, leurs yeux sont vides, angoissés. Les mois
passent et je contemple avec émerveillement, sans leur dire, l’éclat qui peu
à peu anime leur regard.
Aimer et être aimé rend incontestablement beau. La beauté intérieure
transpire et irradie.
Cette beauté-là dit tout, change tout, illumine tout !

La beauté sauvera le monde

La beauté sauvera le monde. Il y a quarante ans, mes jeunes m’ont


demandé d’acheter une ruine et de la rebâtir, et ils y ont réussi en dix ans.
En 1974, je ne pensais pas qu’ils arriveraient à ce résultat-là. Je voyais leurs
mains qui avaient attrapé, battu, volé, attaqué des gens et qui maintenant
soulevaient ces pierres pour élever ce mas provençal magnifique. Ils ont été
deux cent cinquante en dix ans. Je sentais aussi combien ces jeunes, qui
avaient passé leur temps à voler des portefeuilles, avaient appris autre
chose.
Encore aujourd’hui, au début de leur séjour, le silence de la nature les
interpelle très fortement. Mais, très vite, ils sont fascinés par la beauté de
l’hiver et des saisons qu’ils ne voient absolument pas dans leurs cités. Leurs
yeux sont émerveillés la première fois qu’ils cassent la glace de la mare par
moins vingt degrés. Ils sont subitement confrontés à la rigueur de la saison,
au froid glacial. Leurs mains ont des engelures. Au fond, ils en sont fiers.
Un autre jeune m’a beaucoup surpris. Il m’a dit une chose
merveilleuse alors que je le pensais inapte à comprendre la beauté du milieu
dans lequel je l’avais fait vivre pendant près de trois ans. Dix ans après, il
m’a dit : « Ah ! La beauté des arbres couverts de gel le matin ! Ces
myriades de perles de cristal au lever du jour ! Je me levais le plus tôt
possible pour regarder ce spectacle. » Je le pensais étranger à toute forme
d’émerveillement…
Je dis, après Dostoïevski, que « la beauté sauvera le monde ». Nos
jeunes en contact avec cette nature rude et splendide du Verdon se sauvent
et sauveront leur existence.
Émerveille-toi de la nature

Depuis que je suis tout petit, elle m’éblouit. Je suis franciscain dans
l’âme. Je passerais des heures à contempler un champ de fleurs ou un
paysage du haut d’une montagne. Je n’irai malheureusement pas jusqu’à
faire comme saint François. Un jour, un pêcheur du lac de Rieti lui offrit
une tanche. François la remit à l’eau en lui recommandant de ne plus se
laisser prendre. Allez demander à mes jeunes, quand ils ont pêché dans
notre vivier une superbe truite, de dire à leur « frère » poisson : « Allez,
retourne dans ton bassin et cache-toi bien ! »

Mes « Attila »

J’ai le culte des arbres. J’en ai planté beaucoup. Et malheur à nos


jeunes s’ils détruisent un pin ou y inscrivent deux prénoms entrelacés ! Leur
transmettre ma passion de la nature est impératif. Il faut du temps.
Nos jeunes citadins ignorent tout de la nature, de sa splendeur et de sa
fragilité. Ils nous arrivent, Attila en herbe, saccageant tout ce qui vit dans la
flore et les végétaux. Avec une innocence criminelle qui me fait bondir.
Demandez-leur de cueillir une fleur, ils arrachent la plante avec ses
racines ! Interdisez-leur de planter des pointes dans un arbre ! Dès qu’on a
le dos tourné, ils vous enfoncent un mégaclou dans un pin superbe.
Quelques années après, l’arbre s’étiole et meurt.
Le flagrant délit est assuré quand, pris d’un vertige amoureux, ils
blessent un arbre en sculptant un énorme cœur dans l’écorce. Leurs initiales
et celles de la belle convoitée sont la pièce à conviction irréfutable.
La sanction tombe alors, implacable. Leurs paies s’en ressentent. Rien
de tel que de toucher au portefeuille pour qu’ils deviennent des écologistes
distingués !
Leur montrer une orchidée rare est un enchantement.
L’un d’entre eux m’a émerveillé par un geste inédit. Il part de Faucon
en me disant : « Je t’ai préparé une surprise. Tu l’auras au printemps. »
Je découvre en effet sous le balcon de mon appartement des dizaines
de perce-neige et autres fleurs printanières dont il avait dissimulé les
oignons en novembre. Divine surprise !

Nature peut tout et fait tout.


Montaigne

Fleurs de printemps

Une fois de plus, je vais louper l’arrivée des fleurs du printemps de


Haute-Provence. J’ai pourtant tellement de hâte à les voir jaillir autour de la
Bergerie.
Je ne manque jamais, en automne, de demander à mes jeunes de
planter quelques oignons un peu partout. J’ai toujours la surprise de les voir
apparaître dans les endroits les plus inédits. Au gré des fantaisies
adolescentes et loubardes.
Mais cette année je vais manquer les parterres « Le Nôtre » des quatre
cents tulipes de Kader. Il les a amoureusement plantées, ce vieux loubard
devenu jardinier. Allez savoir où il les a trouvées, cet ancien piqueur de
portefeuilles qui s’est reconverti dans le repiquage des bulbes dont il est
devenu un professionnel ?
Les six jours par mois que je passe dans la lointaine Bergerie
coïncident avec l’arrivée de la saison qui introduit toutes les autres et qui en
porte la première parure étincelante.
Heureusement que j’ai d’autres printemps qui m’apportent des gerbes
de fleurs, tellement plus éclatantes que les plus belles des tulipes !

Histoire d’un chêne


Cet été, j’ai entrepris de débroussailler un terrain à la Bergerie de
Provence. Je l’avais laissé vierge intentionnellement depuis trente ans. Une
multitude d’essences florales lui donnait, en effet, un cachet particulier que
j’admirais en secret.
Las ! Les ronces le dévoraient. Avec un jeune, Mickaël, j’éradiquais
l’ivraie envahissante, quand je suis tombé sur un chêne minuscule qui,
miracle, survivait au milieu de cette jungle inextricable.
Je contemplai le chêne longuement. Mickaël, me voyant quasiment
hypnotisé devant cinq feuilles de chêne, me pensait quelque peu dérangé !
Je lui expliquai ce qu’était cet arbre sous l’ombre duquel Saint Louis
jugeait ses sujets. « Ses racines, Mickaël, peuvent atteindre trente mètres de
profondeur. » Je lui dis que seuls les chênes ont tenu ferme lorsque, il y a
huit ans, des pluies diluviennes avaient provoqué des glissements
importants de terrain dans notre propriété.
Je lui décrivis les blocs entiers de terre qui s’étaient détachés,
entraînant des pins de dix ou vingt ans avec eux. « Les racines des pins ne
sont qu’en surface ! »
Longuement, je lui narrai les qualités du chêne, sa puissance, sa
ramure ombrée. « Tu te reposeras sous la fraîcheur de cet arbre, Mickaël,
dans soixante ans. Et tu te souviendras. »

Nous sommes tous des pollueurs

Dieu a créé le plus beau des jardins : la terre. Nous, les hommes, qu’en
avons-nous fait ?
Les climatologues nous annoncent des catastrophes sur notre planète,
vous êtes au courant. Posons-nous cette question centrale : qu’avons-nous
fait de l’équilibre naturel de notre terre ?
La nature est devenue l’objet de toutes les entreprises de pillage. Les
icebergs dérivent et fondent à vitesse accélérée. Les ours bruns et les ours
blancs se retrouvent maintenant sur les mêmes territoires. Des signes
terribles apparaissent.

La nature, pour être commandée, doit être obéie.


Francis Bacon

L’écologie : un défi personnel et spirituel

J’aime le slogan du parti des Verts : « Moins de biens, plus de liens. »


L’homme se comporte comme un tyran vis-à-vis de la terre. Il faut que ça
change !
Nous commençons à développer notre responsabilité. Il y a quinze ans,
on emballait tout et n’importe quoi dans du plastique. Depuis, on a vu des
baleines, des cachalots et des dauphins morts échoués sur les plages, leurs
estomacs obstrués par des sacs de plastique et autres déchets. Nos
emballages ont été réduits de 30 %, et ils sont plus souvent recyclables.
Sachons-le, un plastique non recyclable met cinquante ans à se résorber
dans le sol.

Pour une nouvelle alliance entre l’homme et la terre

L’homme et la nature, c’est une histoire à trois étapes. Pour nos


lointains ancêtres, la nature dominait tout. L’homme se situait par rapport à
elle comme un enfant s’accroche au sein de sa mère. La nature pouvait se
faire dure, infidèle et capricieuse, et les anciens divinisaient la terre. Elle
était pour eux une forteresse imprenable.
Et puis nos aïeux ont commencé à ouvrir des clairières, de plus en plus
grandes. Paris est une immense clairière. Au début du xxe siècle, 70 % de
gens vivaient dans la nature. Maintenant, 70 % vivent dans les villes.
L’homme devient maître des villes. L’immense Chine a connu un
déboisement massif, le Liban a abattu des cèdres et des cyprès pour en faire
des bateaux naviguant sur toutes les mers. L’homme a-t-il agi ainsi
uniquement pour survivre ?
Le résultat actuel ressemble à une catastrophe. Après avoir vénéré la
nature comme une déesse, puis en avoir joui comme d’un splendide jardin,
l’espèce humaine en a dérobé les trésors. Comment essayer maintenant
d’élaborer un partenariat équilibré ? C’est l’enjeu auquel nous devons faire
face. Il s’agit d’établir une nouvelle alliance entre l’homme et la terre. Le
symbole de cette alliance est le jardin. Des petits jardins sont créés partout,
au cœur des villes comme en banlieue. Au lieu de faire de nouveaux
bâtiments, on réserve un espace pour un jardin. L’homme sème, plante,
arrose… Les habitants des villes aménagent même leurs balcons. Tout
jardinier est fier de ses mains, il éprouve un grand respect pour le sol qu’il
cultive. Adolescent, quand je sortais du séminaire pour les vacances, je me
précipitais dans le jardin familial pour y planter tomates et radis. Les gens
ont un besoin fou de retrouver la nature autour d’eux.

Que faut-il faire ?

Qui d’entre nous n’a pas été émerveillé par une fleur, les saisons ou un
lever de soleil ? J’admire les balcons couverts de fleurs en plein Paris.
J’admire les personnes qui cultivent ces paradis minuscules.
À Paris, j’ai toujours voulu un studio avec un balcon pour y mettre des
fleurs. Mon appartement actuel donne sur un HLM, mais mon rêve s’est
réalisé à Faucon depuis onze ans !
La création est l’affaire de tous. Le pollueur, ce n’est pas l’autre, c’est
tout le monde, et il faut d’urgence que nous changions nos pratiques. Quitte
à payer plus cher des produits dont le processus de production respecte le
milieu naturel. L’environnement n’est plus l’affaire de quelques
spécialistes, c’est l’affaire de tous : de nos dirigeants, de tous les présidents
du monde. C’est aussi notre affaire.
Le pollueur, c’est moi.
L’homme peut à sa convenance faire de la nature un paradis ou un
dépotoir ; de la terre, un théâtre de guerre ou un lieu de fraternité. C’est le
faire ou le défaire de tous et de toutes.
Chacun y peut quelque chose. Nos habitudes de gaspillage sont
dingues. Utilisons moins de bois, de plastique, d’acier, de caoutchouc,
d’eau… Concevons de véritables systèmes de sources d’énergie
renouvelable, des systèmes qui exploitent l’énergie naturelle non polluante.
Quand j’observe des panneaux solaires installés sur des toits pour produire
de l’électricité, j’applaudis.
Chacun doit montrer l’exemple

En mettant le paquet maintenant, nous pouvons encore renverser la


vapeur et limiter la catastrophe. Éteignons nos lampes, coupons nos
moteurs à l’arrêt, limitons l’utilisation des produits ménagers chimiques,
vérifions nos robinets d’eau, prenons des douches, limitons les piscines
privées, mangeons les légumes de saison qui ont poussé dans notre région,
diminuons notre consommation d’énergie en chauffant raisonnablement nos
intérieurs, marchons, allons à vélo… La pire des attitudes est de se dire que
c’est à l’autre de faire le premier pas.
Certains maires ont eu le courage de faire rouler des tramways dans
leur commune et la pollution a vraiment diminué. Nous râlons à cause des
travaux que cela nécessite, à Paris notamment, mais nous en mesurerons
très vite les avantages.
Si, dès ce soir, vous commencez à économiser l’énergie, alors vos
petits-enfants ne vivront pas dans cinquante ans avec un masque à gaz sur le
nez.
Quand, à la Bergerie de Provence, je demande à mes jeunes de
nettoyer ma voiture, ils foncent… avec tous les produits de merde possibles,
Ajax et autres saloperies qui attaquent la couche d’ozone. Je refuse : « Eh,
coco, prends une bassine, de l’eau et essuie avec des bouts de papier
journal. » Ils râlent sec, mais je maintiens mon choix écologique.
Leur apprendre, à nos jeunes, les gestes qui sauvent !

Tout est bien sortant des mains de la nature.


Jean-Jacques Rousseau

Contemplons les animaux

Contemplons les animaux, ils peuvent apporter énormément aux


humains. Un animal peut s’avérer excellent professeur, se révéler médecin.
Des expériences ont été menées avec des dauphins et des enfants
handicapés, autistes notamment. Ils ne les ont pas totalement guéris, mais
un enfant qui au départ ne pouvait lire que quatre ou cinq mots, arrivait
ensuite à en lire neuf ou dix, et son comportement changeait. Aux États-
Unis, pour assister les personnes en fauteuil, des équipes ont formé des
capucins. Ces singes peuvent décapsuler les bouteilles, soigner, gratter,
essuyer. Ils apprennent vingt-cinq à trente gestes précis qu’ils peuvent
accomplir sur commande.

Compagnons fidèles

L’animal est une présence pour les solitaires. Toutes ces mémés seules
ont une vie extraordinaire avec leurs bestioles. Je pars toujours en retraite
dans la nature avec mes clébards. Ce sont aussi des compagnons de jeu pour
les enfants. Un gosse qui avait vécu un véritable martyre m’a dit : « Dans
ma vie, je n’ai jamais aimé qu’un seul être, c’est mon chien. » Un jeune qui
avait vécu au Maroc m’a confié : « Mes parents se sont déchirés pendant
toute mon enfance. Celui qui m’a sorti de mon adolescence, c’est mon
chien. » C’était son compagnon fidèle, son confident.
Des chats peuvent donner leur vie pour leur maître. Lors d’un
incendie, un chat a réveillé sa maîtresse qui dormait profondément parce
qu’elle avait pris des somnifères. En griffant le lit, il a tiré la couverture et
la femme s’est réveillée pour apercevoir de la fumée qui passait sous la
porte : elle a pu sortir et être épargnée. Le chat est très proche de l’homme.
Les bêtes peuvent sauver des vies, et parfois donner la leur contre la nôtre.
Des dauphins ont sacrifié leur vie pour sauver des gens. Des labradors
peuvent aller à la limite de leurs forces pour sortir quelqu’un de l’eau.
Quand on voit le regard d’amour d’un chien pour son maître, on se dit
qu’il ne lui manque que la parole. Mais nous qui disposons de la parole,
avons-nous ce même regard d’amour ?

L’homme naît perfectible, l’animal naît parfait.


Louis de Bonald
À cheval sur Popeye

Vous savez que dans mon travail d’éducateur, j’ai découvert combien
ces jeunes qui détestent les humains aiment les bêtes. J’ai vu tout de suite
que notre action éducative pouvait passer par les animaux. Le dernier
arrivé, au bout d’un quart d’heure a déjà à la main un seau pour aller nourrir
les bêtes. Il s’en occupera chaque jour de la semaine. Dans un premier
temps, les jeunes choisissent la bête qu’ils aiment. Au bout d’un an, ils
savent nourrir les trente et une espèces que nous avons à Faucon : du canard
au poussin, du chameau au daim, etc.
C’est leur passion. Au début, les jeunes musulmans disent que les
sangliers c’est ahram, c’est-à-dire que c’est péché de les toucher. « Non,
non, jamais je ne m’en occuperai, c’est impossible. »
Et quand je reviens un mois plus tard, je vois parfois le jeune monté
fièrement sur Popeye le sanglier.
Si les jeunes aiment tant le sanglier, c’est probablement parce que ce
sont des animaux dangereux et violents. Face à eux, ils canalisent leur
violence. Mais ils restent prudents.

« Cette espèce de salope de mère lama… »

Le regard de nos jeunes sur les bêtes est stupéfiant. L’exemple du lama
est très significatif. Un jeune m’appelle : « Viens voir cette espèce de salope
de mère lama, elle vient juste d’accoucher et elle abandonne son petit dans
la neige, c’est exactement comme ma mère qui est une putain. » Je monte
sur la palissade pour me rendre compte. Je vois la mère lama à quatre
mètres de son petit. Elle avait fait son bébé dans la neige, ce qui est
habituel. Le nouveau-né se débrouille tout seul pour enlever l’enveloppe
fœtale, et la mère attend.
Je dis : « Mais non, mon pote, elle ne déteste pas son fils ! C’est
comme ça que font les lamas, simplement. La mère met bas et s’éloigne un
peu de son petit qui se démerde tout seul, et au bout de trois heures, le bébé
vient vers sa mère et ils ne se quittent plus pendant deux ans. J’ignore
pourquoi, mais c’est toujours comme ça. »
Les trois vérités

Un ancien se présente. On ne s’était pas vus depuis trois ans. Romain


débarque avec sa nana et son bébé, c’était merveilleux de le revoir. Je lui
demande ce qu’il a aimé au cours de son passage à Faucon.
« C’est les bêtes, Guy. »
Sa réponse a jailli. Pourtant on l’aimait bien, ce môme. Mais voilà, ce
sont les bêtes qui comptent d’abord.
Les jeunes nous disent ces trois vérités très importantes :
L’animal ne triche pas.
L’animal ne ment pas.
L’animal ne reprend jamais ce qu’il a donné.
Ils disent ça sans nuances, c’est leur style, mais je crois qu’ils ont
raison. Quand un enfant a été jeté dans la nature, à la rue, parce que après
un bel orgasme les parents n’en ont plus rien à foutre, je peux vous assurer
que les jeunes qu’on récupère comprennent parfaitement qu’ils ont été
abandonnés. Il y a pour eux une injustice fondamentale par rapport à la
famille. Dès le premier jour à Faucon, ils s’engouffrent dans la relation avec
l’animal. Mais on fait gaffe que l’attachement ne soit pas trop fort,
évidemment. Notre but est qu’il passe de l’animal à l’humain.

L’animal apporte une chose en plus : sa fidélité et son


désintéressement. Un amour total. Un amour sans
frontières, sans fin.
Brigitte Bardot

Apprendre la souffrance et la mort des bêtes

Ils découvrent que la bête souffre aussi. Ils ne le savaient pas avant.
Sur ce point nous sommes très exigeants vis-à-vis des jeunes. J’ai déjà
évoqué ce petit fait, événement minuscule, mais important. Je passe devant
l’enclos des pigeons et je m’aperçois qu’ils s’agrippent au grillage, chose
qu’ils ne font jamais habituellement. Je m’interroge donc. Qu’est-ce qui
leur prend ? Je cherche la raison de ce comportement : ils n’ont pas d’eau. Il
fait une chaleur terrible. J’appelle Salem : « C’est toi qui t’occupes des
pigeons. Viens voir : jamais les pigeons ne s’accrochent comme ça. Ils
crèvent de soif, alors tu vas leur donner de l’eau tout de suite. Et tu ne
boiras pas jusqu’à ce soir au coucher. Tu mangeras, mon pote, mais tu ne
boiras pas. Il faut que tu saches que la bête a soif et qu’elle souffre comme
nous. »
Ils découvrent aussi la mort. Le buffle Lulu, ce monstre d’une tonne et
demie, avec ses presque deux mètres de haut, ses cornes immenses, était si
doux que les jeunes adoraient le caresser. Ils le brossaient, le buffle aimait
ça, il se laissait faire en se couchant et les mecs lui montaient dessus. Alors
quand ils l’ont retrouvé mort, ça a été un événement terrible. Lulu a été
entièrement dépecé par les soixante vautours tout proches. Les jeunes qui
l’aimaient beaucoup ont été très frappés par ce départ vers le ciel.
Quand il a fallu euthanasier Fernand, le sanglier que nous avions eu
tout petit, je peux vous assurer que ça a été difficile. Ils ne voulaient pas,
mais la bête avait l’arrière-train au sol. Il fallait en finir. Les jeunes
n’assistent jamais à l’euthanasie de la bête. Mais ils ont réclamé les
défenses de l’être qu’ils aimaient.

Un nouveau regard sur la Création

Le jeune et l’animal, c’est un lien étrange et mystérieux. Chez mes


jeunes loubards, naît un nouveau regard sur la Création. Puis un nouveau
regard sur l’homme. Au milieu d’une centaine d’animaux, répartis en une
trentaine d’espèces, ces jeunes sauvageons qui nous sont confiés vivent de
plain-pied avec des bêtes. La magie opère à cent pour cent depuis quarante
ans. Le projet n’a pas pris un poil blanc, pas une ride. Comme des centaines
d’autres avant lui, le prochain jeune qui nous sera confié s’occupera dès son
arrivée de la nourriture des bêtes sans se rendre compte qu’il est déjà en
train de changer. À l’instant même où il s’engouffrera dans la relation avec
les animaux, il continuera à crier haut et fort qu’il ne bossera pas plus ici
qu’ailleurs. Mais aussitôt il prendra des seaux de grain et ira nourrir les
autruches, les daims et les poules, les wallabys, les chameaux et surtout les
sangliers.
De plus, les jeunes s’émerveillent de voir les animaux de races
différentes se mêler harmonieusement. Si tous les humains savaient adopter
ces comportements, le monde sentirait bon.
Il est vrai que les animaux n’ont pas de religion, n’appartiennent à
aucune nation, ne s’affichent pas propriétaires d’une culture, d’une
civilisation ou d’une race. Autant d’obstacles sur lesquels bute l’humanité.
La bête a cet avantage incontestable d’être citoyenne du monde
animal. Totalement libre et s’enrichissant de la différence de l’autre sans
oublier l’affrontement nécessaire à son équilibre.
À méditer…

Deux histoires récentes

Un jeune violent nous arrive : insultant, cassant les règles du matin au


soir. Il a, par contre, un don remarquable : l’amour des bêtes. Il passe avec
elles le maximum de temps. À mon étonnement, il découvre sous le poil
abondant d’un lama, une énorme plaie dévorée par les vers. Il a fallu du
temps pour débarrasser l’animal des centaines de parasites qui allaient le
tuer ! Sans lui, le lama courait à une mort certaine ! Durant son séjour, il a
eu l’art de détecter chez les bêtes maintes singularités importantes, que nous
ne voyons souvent pas.
Un autre s’approche du zébu nain, agressif et toujours prêt à charger
les bipèdes humains. Il entre dans l’enclos et le zébu s’approche calmement
de lui. Il le caresse d’instinct. Par contre, la bête charge systématiquement
les autres jeunes qui s’approchent. Ce lien inédit surprend toute la bande et
fait l’admiration de tous. Comprenne qui pourra ! L’animal comporte un
mystère qui est parfois très valorisant pour le jeune et inexplicable pour
moi.
Récemment, Jonathan, le dernier venu, a assisté à l’arrivée de Pépète,
un marcassin dont la mère a été tuée à la chasse. Apprivoisé, ce petit
sanglier le renifle et se laisse caresser par lui. Adopté ! Jonathan est chargé
de l’allaiter quatre fois par jour, tout en le caressant. Ce qu’il fait avec
tendresse et patience. Bienvenue à ce jeune dans le monde animal qu’il
ignorait totalement.
À Faucon, la plupart de nos jeunes rencontrent pour la première fois la
nature et les animaux. C’est pour nous un outil de travail qui peut les
orienter plus tard vers des carrières où ils continueront à happer la beauté de
la nature.
L’ancien qui revient à la Bergerie met ses affaires sur les marches de la
maison et fonce, parfois sans nous saluer d’abord, voir les bêtes qu’il
aimait.
C’est chouette de constater que nos amies les bêtes ne sont pas des
objets, mais des êtres vivants dont ils ont gardé le souvenir par l’affection
réciproque qu’ils se sont donnée.
Développe tes cinq sens

La nature nous a offert cinq sens. Nous vivons avec eux sans y prêter
attention. Il est bon de se souvenir que nos yeux nous permettent de voir les
visages heureux de ceux que nous aimons, que notre odorat sensible aux
parfums nous emporte et nous ravit, que nos oreilles nous donnent à
entendre les mélodies les plus exquises…
Nous vivons naturellement et quotidiennement en ne prêtant presque
aucune attention à nos sens. Je crois que nous devrions mieux les protéger
et les réapprivoiser. Sachons nous en servir avec un maximum d’efficacité.
Les médecins connaissent l’importance et la beauté des sens. Quand
une personne perd l’usage de l’un d’eux, les autres se développent souvent
très fortement.

Les odeurs

L’odorat est un sens souvent négligé. Il est très difficile de décrire une
odeur à quelqu’un qui ne l’a jamais sentie. L’odorat est indéfinissable et
mystérieux. Il existe sept catégories d’odeurs. Un spécialiste vous
expliquera que les molécules odorantes se dissolvent en pénétrant le long
des parois nasales. Et qu’ensuite les mêmes molécules rejoignent les
cellules sensorielles dans les fosses nasales, qui les transmettent grâce aux
nerfs sensoriels et aux bulbes olfactifs du cerveau (ouf !).
L’odeur nous submerge. Nous l’acceptons. On pointe le nez ou bien on
grimace. L’odorat et l’émotion sont étroitement liés. Je me souviens parfois
d’une odeur qui arrive sans que je m’y attende, aussitôt je m’interroge :
« Où ai-je pu la sentir ? » Elle me replonge dans ma mémoire. L’odeur des
tartines grillées de mon enfance, que faisait mon grand-père, me revient
chaque fois qu’en Provence, au bord de la cheminée, j’approche un
morceau de pain du feu pour y faire ensuite fondre un peu de beurre salé. Je
retrouve mon enfance immédiatement. Les souvenirs olfactifs sont
conservés au plus profond du cerveau.
Les sens sont plus vivants chez une personne qui ne mange plus. Elle
sent mieux. Une infirmière m’a expliqué qu’à une personne en fin de vie
qui ne se nourrit plus, les huiles essentielles apportent un bien-être certain.
Quand il n’y a plus de mots et que les mains sont vides, une odeur agréable
peut créer une ambiance de chaleur, de sécurité, d’amour.

En chaque sens sont les cinq autres.


Juan Ramon Jimenez

Le goût

Je mange peu. Je ne prends qu’un repas par jour, mais j’ai mes plats
préférés. J’adore le pot-au-feu. Si, par bonheur, je me rends à dîner chez des
amis qui m’ont préparé un bon pot-au-feu, je salive un kilomètre avant
d’arriver ! Sentir l’odeur de la cuisine avant de déguster votre mets favori
est un plaisir immédiat et sans pareil. Couper un fruit et le porter à sa
bouche, croquer un chocolat, le faire fondre lentement et découvrir toutes
les nuances de ses saveurs… Certains chocolats me ramènent
instantanément à mon enfance. Nous n’en mangions que deux fois par an.
Quand les Américains sont arrivés, je me souviens qu’ils nous en jetaient
des tablettes.
À l’inverse, des souvenirs désagréables surgissent à la simple vue d’un
navet. En 1945, les Allemands avaient tout pris, notamment les pommes de
terre. Je ne peux plus goûter un seul navet ou un rutabaga. C’est ce qu’ils
nous avaient laissé. Mais la pomme de terre est pour moi un mets de choix.
Le goût est un cadeau du ciel.

La vue
Contempler des paysages, des couleurs, des fleurs… quel plaisir pour
les yeux ! Mais la vue nous apporte aussi une désagréable sensation
d’impuissance et de dégoût à l’heure où nous regardons les infos à la
télévision, le spectacle de gens massacrés, affamés…
Regarder certaines choses peut provoquer des troubles et pousser à
l’acte. Les petits Anglais John et Robert, onze ans, avaient regardé des
cassettes violentes avec leur père. Ils ont voulu imiter les diables articulés
de la vidéo qui s’acharnaient à jeter des pierres sur une poupée miniature
avant de la mettre sous un train. Les gamins sont allés au supermarché, ils
ont trouvé le petit James, trois ans et demi, qui attendait à l’entrée. Ils l’ont
entraîné, l’ont frappé, l’ont lapidé et l’ont mis sous le train. La vision de
certaines choses peut être terrible…
J’observe les publicités sur les murs de Paris. Certaines sont laides et
agressives. Souvent elles sont drôles. D’autres sont très belles. J’adore
découvrir le dessin humoristique de Plantu à la une du Monde et me marrer
en commençant de lire le journal.
Voir vraiment, et non survoler, demande une forme de silence.

Rééduquons nos oreilles !

Le bruit, c’est la vie, mais il peut aussi s’apparenter à la mort. Le bruit


infernal qui nous environne est une des pires agressions qui nous soient
faites aujourd’hui. Nous ne sommes pas forcément coupables de la
pollution sonore qui nous envahit. On ne choisit pas toujours son lieu
d’habitation ou de travail. Notre culpabilité apparaît quand nous pouvons
nous éloigner du bruit et que nous refusons de le faire. Une famille peut
vivre dans la plus bucolique des maisons, mais connaître l’enfer à cause du
bruit. Les appareils modernes, pourtant nécessaires, s’incrustent partout et
déstabilisent jeunes, adultes et anciens.
Le pire est de s’habituer à ce poison. Il biffe ce que nous avons de plus
précieux en nous : nos espaces de profondeur et de vérité. Combien de
couples ont perdu pied en négligeant de jour en jour d’assumer cette part de
silence qui permet de s’interroger prioritairement sur l’autre, sur ses enfants
et son entourage ? Combien d’anciens vivent une vieillesse sclérosée
emplie de futilités et du refus de se poser et réfléchir ? Combien de jeunes
sont paumés parce qu’ils manquent de spiritualité, donc de silence ? Une de
nos carences les plus graves n’est-elle pas de refuser toute introspection,
tout retour sur soi, en s’entourant de bruit ?
Quel temps de silence prenez-vous chaque jour ? Cet inestimable
moment doit être un rendez-vous quotidien ! Il suffit de le programmer et
de le respecter toutes affaires cessantes. Acharnez-vous à le retrouver si
vous l’avez perdu, sinon vous passerez à côté de votre vie.
Comme il est chouette, en famille, avec les enfants et adolescents
réunis, d’apprécier tous ensemble quelques instants de silence en fin de
journée. Partageons aussi l’écoute de la nature, de la musique, de la poésie,
du chant des oiseaux… Je vous souhaite vraiment de vivre cela.

Rien dans notre intelligence qui ne soit passé par nos


sens.
Aristote

Le toucher

Quand les mains remplacent les mots… Une main qui touche, une voix
qui apaise, un silence qui accompagne… Par notre peau, grâce au toucher,
nous ressentons, aimons, détestons… Observons les amoureux ! Dans la
préparation de l’amour, combien compte l’approche tactile. Quand des
malades souffrent dans leur corps, dans leur âme, le merveilleux langage
gestuel qu’est le massage permet d’aller à leur rencontre, de leur donner ce
que l’on est, d’être une présence réelle et humaine. Caresser longuement le
corps de patients atteints de maladies graves, qui n’ont plus les mots pour
exprimer leur douleur, leurs angoisses… Ils ressentent très fortement ce
contact tactile.
Notre peau est messagère d’une infinité d’émotions, de notre vécu
psychologique, spirituel. Le massage permet de ressentir, ces émotions,
d’apporter un réconfort, un apaisement, une peur enfouie au fond de l’être.
Il donne au patient la sensation d’être encore une personne après tant de
traitements inconfortables, agressifs et débilitants. Toucher et être touché
pour ne pas devenir intouchable. Si, quand je touche un jeune, il bondit de
trois mètres, je comprends que sa peau n’a reçu que coups et maltraitances.
J’ai vu cela très souvent.
J’ai remarqué qu’au Québec les gens se touchaient plus que chez nous.
J’aime bien les voir s’embrasser, s’étreindre très naturellement. Les
Français ont généralement une trop grande pudeur. Se toucher, se serrer
n’est pas impudique. Le bébé raffole du contact. Il se blottit contre sa mère.
Il a tant besoin d’être câliné, caressé. Le pire des calvaires, pour certains de
nos jeunes, c’est qu’ils n’ont jamais été touchés par leurs parents.
Sentir la douceur d’un tissu sur sa peau ou la fluidité de l’eau en
nageant dans la rivière, apprécier la consistance de la neige… tant de
sensations de toucher différentes !
Jouissons de nos sens, maîtrisons nos sens, sans exagérer le plaisir que
nous en tirons.
Aime-toi, aime les autres

Nous naissons avec certains dons, mais nous avons parfois du mal à
savoir lesquels. Si nous les connaissions, nos vies seraient différentes.
Beaucoup de personnes cherchent à nous rabaisser, nous critiquer, nous
faire douter de nous-mêmes. Et elles y arrivent souvent, fabriquant des êtres
inhibés, apeurés, qui n’osent plus grand-chose de peur de se faire remettre à
leur place… Il y a tant de dons cachés et tant de vies manquées : des vies où
le don principal ne s’est pas dégagé.
Nous avons tendance à croire que tout est joué à partir du moment où
nous sommes entrés dans l’âge adulte, alors que même à quatre-vingts ans
nous avons encore la capacité de changer. Nous sommes faits d’ombres et
de lumières, de lacunes et de dérives, à cause de notre sacré caractère, à
cause de notre putain de tempérament.
Nous devons donc nous farcir ce paquet d’obstacles-là quand nous
voulons nous améliorer, ou lorsque les autres nous demandent de changer.
Peut-on changer ? Il y a des conditions pour y parvenir. La première
est le regard de l’autre sur nous : un regard d’amour, de miséricorde, de
force, de confiance, de discernement…
Le regard d’autrui et l’amour de soi.

J’aime ce qui est dans le travail l’occasion de se


découvrir soi-même.
Joseph Conrad

Le travail qui vous plaît


Quand je demande aux jeunes dont nous nous occupons : « Qu’est-ce
que tu veux faire comme travail ? », au début ils me répondent : « Rien ! »
Ils n’ont envie de rien, en dehors peut-être de s’amuser à voler des portables
et de considérer votre porte-monnaie comme le leur. Au bout de quelques
mois, j’entends des phrases telles que : « Je voudrais être menuisier,
maçon… »
Nous les aidons à faire des stages, qui finissent par leur plaire. C’est en
développant la solidarité et la fraternité enseignées par l’Évangile qu’il sera
possible de dépasser la crise économique et le chômage actuel, si durs.
Ce n’est pas en gagnant plus d’argent qu’on devient heureux. Je me
souviens d’un jeune qui adorait travailler le bois, mais qui souffrait et se
plaignait sans cesse que sa paie ne soit pas plus importante. Quant à son
patron, un chic type, mais petit artisan, il ne pouvait vraiment pas
l’augmenter. Un jour, je conseillai au jeune de ne pas seulement couper et
raboter son bois, mais de le sculpter. Pour le même salaire, il a fait ce travail
supplémentaire, et sa vie est devenue formidable !
Je me souviens aussi de ce collège de filles assez friquées où j’étais
intervenu. Je leur avais lancé : « Surtout, choisissez le métier que vous
aimez ! » Cinq ans plus tard, l’une de ces jeunes filles m’écrit : « Après ta
conférence, Guy, j’ai dit à mon père : “Je veux être éducatrice. Je ne veux
pas être ingénieur.” Mais lui ne pouvait l’admettre. “Tu préfères la 2 CV à
la Rolls ? À quoi ont servi les études qu’on t’a payées ?...” Nous nous
sommes disputés jusqu’à minuit. Au final, je suis devenue éducatrice et je
suis très, très heureuse. Ce que tu nous avais raconté m’avait donné la force
de dire “non” à mon père. »

Une relation positive avec soi-même

« Le bonheur est composé de tant de pièces qu’il en manque


toujours », disait Bossuet, mais il faut éviter de voir le verre à moitié vide.
On est toujours en train de se demander ce que l’on n’a pas.
Il faut que la réalité de ce que nous avons chaque jour arrive à nous
satisfaire, sans pourtant nous empêcher de désirer mieux.
Développer une relation positive avec soi-même est important. Il faut
voir ses intérêts, ses besoins, trouver les endroits où l’on est bien.
S’encourager, surtout. Nous allons passer le reste de notre vie avec nous-
même : il faut nous accepter, aimer l’être que nous sommes. L’enfer n’est
pas les autres, mais peut-être soi-même si on se méprise, si on se délaisse, si
on ne prend pas soin de sa propre personne. L’homme est le premier artisan
de son bonheur, comme il l’est de son tourment.

L’amour est patient

Je m’adresse à tous les amoureux du monde. Tous les jeunes


amoureux, les vieux amoureux, les pas encore amoureux et les futurs
amoureux : je veux dire que l’amour est patient.
Quelle est la plus belle aventure de la vie si ce n’est l’amour ? C’est la
plus grande, la plus belle, la plus noble, la plus ancienne et la plus neuve.
L’amour est quelque chose d’extraordinaire. Mais de fragile. Et il faut
une patience d’enfer pour maintenir l’amour, avant et pendant. Qui mieux
que les anciens peuvent le proclamer ? Des vieux dinosaures diront
combien, pendant trente, quarante, cinquante ans ou plus, ils ont cultivé la
patience vis-à-vis de leur conjoint. J’ai vu des couples qui s’aimaient
tellement que lorsque l’un mourait, l’autre le suivait très vite. Ou parfois
celui qui reste garde toute sa vie le parfum de celui qui est parti. C’est
superbe, l’amour !

Quand l’amour grandit en toi, la beauté fait de même.


Car l’amour est la beauté de l’âme.
Saint Augustin

Redonner confiance aux jeunes

Je connais beaucoup de jeunes vraiment pessimistes. Dans les


générations précédentes, les jeunes étaient beaucoup plus optimistes. Ils
comptaient sur une vie meilleure. Aujourd’hui, l’avenir leur paraît sombre,
parce que nous avons nous-mêmes, adultes, une défiance vis-à-vis de
l’avenir. Ce sentiment d’angoisse éprouvé par les parents pèse lourdement
sur nos jeunes. Ils ont besoin de rencontrer des adultes qui chantent le
bonheur, qui espèrent, qui croient en l’avenir.
Le rapport aux autres est souvent freiné par l’individualisme. Nos
jeunes sont atteints par cette maladie-là.
Le rapport au temps joue beaucoup. Les jeunes actuels sont marqués
par un mot d’ordre ravageur : « Tout et tout de suite. » Si possible sans
freins et sans règles. Il faut leur apprendre la puissance du temps, la
patience, le respect du mûrissement des choses, le souci du détail.
Alors ils retrouveront confiance en eux-mêmes, ils feront confiance
aux autres.

L’animal les aime

Au contact de jeunes très violents, je m’attache à leur faire sentir


l’importance du temps. Ils sont dangereux, parce qu’ils semblent n’avoir
rien à perdre. Pour réguler la violence, justement il faut créer le sentiment
d’avoir quelque chose à perdre. C’est sain et cela évite maintes dérives. Je
rencontre de plus en plus de jeunes qui disent : « J’en ai rien à foutre de toi,
de demain, de ma vie… » Ils arrivent à Faucon : « J’en ai rien à branler des
bestioles. » Ce sont leurs premiers mots. Le lendemain, ils se lèvent tôt pour
aller nourrir les animaux, les soigner et nettoyer leurs enclos. Une semaine
avant, dans leur cité, ils se couchaient à 4 heures du matin. À présent, ils
s’intéressent aux sangliers et aux buffles, les bêtes les séduisent sans qu’ils
s’en aperçoivent. Et ils restent…
L’animal leur a prouvé qu’on pouvait les aimer, qu’ils étaient eux-
mêmes capables d’amour. Ensuite ils pourront faire confiance aux hommes.

Aime à tout casser pendant vingt-quatre heures

Aime-toi et aime les autres, à tout casser, pendant vingt-quatre heures,


vis pleinement ces heures. Hier n’est pas meilleur, demain on ne sait pas.
Passé un certain âge, on regrette le passé… Quant aux jeunes et aux
moins jeunes, ils ont peur de l’avenir. Pour avoir une confiance absolue en
ce qui vient, il faut s’investir pleinement dans le moment présent. Le pire,
c’est de vivre hier ou demain.
Notre vie est faite de déchirures, de joies, de souffrances, de paresse et
de labeur. Dans une journée, que l’on soit jeune, adulte ou ancien, on fait
mille et un gestes, des tas de gestes répétitifs. Et si l’on mettait tout l’amour
possible dans ces gestes au lieu de les accomplir machinalement ?
Pour cela, il faut se posséder soi-même. Il faut être à sa place au
travail, dans le couple, etc.
Comme l’a joliment résumé la psy Catherine Bensaïd : « Aime-toi, la
vie t’aimera. »
Conclusion

Mon silence, ma prière

Quand, pris par le boulot inhumain et à la fois


merveilleusement humain de la rue, las et fatigué, je n’écoute plus
les mecs, il y en a souvent un pour me dire : « T’es pas branché.
Fous le camp chez tes religieuses. Va te reposer et faire tes
prières, tu reviens toujours tout neuf de là-bas. » Je ne manque
jamais de lui obéir. Ma survie en dépend.

Prière d’un vieux hibou

Il est 3 heures du matin.


Mes valises dans ma voiture et mes deux clébards, Vagabond
et Brigande, par-dessus, je fonce vers l’« essentiel ». Quelle joie,
ce moment ! Crevé mais heureux. Soixante-quinze kilomètres et
je vais retrouver ma cellule minuscule chez les religieuses.
L’urgence, c’est moi et moi seul dans l’intimité de Dieu
avec, comme seule compagnie, mes chiens, ravis quand ils me
voient embarquer mes valises.
Épuisé, j’arrive au couvent lové au cœur de la forêt. Je
dépose mes bagages et m’étends sous un arbre. Moment
merveilleux s’il en est. Je ne peux qu’offrir à Dieu mon silence et
ma fatigue.
Je remercie la chouette qui ulule sur la branche d’un pin.
Elle chante Dieu pour moi. Je n’en ai plus la force. Je préfère le
rossignol. Mais, cette nuit-là, il trille sans doute ailleurs.
J’entre ainsi dans la prière par chouette interposée. J’entre
surtout dans une merveilleuse symphonie. Après un long moment
sous le ciel étoilé, je pars me coucher, mes chiens sur les talons.
Le tout-petit que je suis va s’endormir dans les bras de son Père :
« Il comble Son bien-aimé qui dort… »
J’aime cette formule étonnante de saint Antoine : « Le moine
n’est jamais aussi près de la prière que lorsqu’il ne sait pas qu’il
prie. »

Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne,


inventez-la.
Saint Augustin

Je balbutie

Je ne sais pas prier. Je balbutie seulement. Je sais, par contre,


que seule la prière me construit. Surtout durant ces quarante-huit
heures que j’arrache à un planning lourd.
Dieu doit être sensible à cet aveu du serviteur qui dit : « J’en
peux plus. Trop de cris m’agressent, trop de choses me pressent.
J’arrive devant Toi sans autre désir que Toi. »
Ce temps consacré gratuitement à la prière est gagné pour les
autres. J’en ai une conviction absolue. C’est au milieu de ce
peuple loubard que je dois incarner, dans une tourmente
quotidienne, ma prière incessante. Ces pousses loubardes,
parfaitement adaptées au terrain des rues et de la violence, je me
dois de les arroser de l’eau vive divine. Partir d’elles pour monter
vers Dieu. Et non tout déraciner ou vouloir défricher à coups de
bulldozer.
Partir de la prière des musulmans avec qui je cohabite…
Partir de l’adolescent fragile et désarticulé qui nie Dieu
farouchement parce qu’il a été enfermé dans un placard pendant
quatre ans par des parents inhumains qui ont tué en lui, pour
longtemps, tout désir d’aimer et d’être aimé.
Le monde crève du manque d’êtres de miséricorde. Seule la
prière nous campe de façon certaine sur des prés d’herbe fraîche
pour nous réconcilier avec Dieu. Et, partant, avec les autres. Tous
les autres. Me réconcilier d’abord avec moi-même est le plus beau
sentier fleuri de ces quarante-huit heures de retraite.

Je redémarre

Mes chiens toujours avec moi, je monte dans ma voiture


pour filer vers Paris. Le plein de forces est fait. Ma jauge de
gazole m’avertit de stopper à la prochaine station. Pour rouler, il
me faut du carburant. Mon gazole intérieur, lui, est au max de sa
jauge spirituelle. Je démarre…
Quelle joie renouvelée de me replonger dans la tourmente de
la rue, avec au fond de moi-même l’immense lac de paix
retrouvée et de force qui en découle. Je peux revenir dans les bars
les plus malfamés de la capitale, à une heure qui n’est
certainement pas celle d’un bon curé. J’ai noté cependant qu’à
l’instant où je vais dormir, les contemplatifs attaquent matines.
C’est pour moi la certitude absolue que la relève se fait dans le
silence et la prière.

Le temps qu’on Lui offre

Dieu parle dans le silence, dans l’action aussi. Mais là,


j’avoue que je perds souvent Son numéro de téléphone, alors
qu’en retraite, à tous les coups, je me branche sur Sa ligne et Il ne
la quitte pas.
De plus, j’avoue que j’ai eu la grâce parfois d’avoir une
ligne directe, sans doute tenue par des anges.
Oui, le temps, Dieu doit en être amoureux. Pourtant, Il s’en
fout du temps. Mais le temps de la terre, ça doit compter pour
Lui. Pourquoi, en effet, nous a-t-Il donné vingt-quatre heures à
combler tous les jours ?
L’espace qu’on aime, le temps qu’on offre servent à Lui
rendre compte de ce qu’on a fait de nos jours et de nos nuits.
Trouver un lieu, une date (à noter d’urgence) pour se
retrouver, seul ou en couple, est un impératif que chaque être,
croyant ou non, se doit de réaliser. Programmer dix minutes de
solitude chaque jour, oui, c’est une urgence dans un monde qui
bouge à toute vitesse. Combien de couples, de jeunes, d’anciens,
peuvent savourer ces quelques instants au point de ne plus s’en
passer. Oh oui, c’est l’urgence, la priorité.

Prier, c’est arrêter le temps

Prier, c’est arrêter le temps et traverser l’écran, découvrir la


face cachée des êtres et des choses.
Prier, c’est pousser la porte et se retrouver au confluent des
univers, près de Dieu et près des hommes.
Prier, c’est briser la coquille de nos carapaces et se frayer un
chemin à travers les ronces.
Prier, c’est percer la réalité de multiples ouvertures où
s’engouffrera la lumière de l’Autre.
C’est ouvrir le passage comme on ouvre une cosse.
Prier, c’est communiquer.

Quelle musique, le silence !


Jean Anouilh
Ma part de silence

Le silence, enfin, pour moi, c’est tout quitter, tout laisser et


me réfugier, seul, dans le seul espace où Dieu nous emplit : le
vide qu’on fait en soi, loin de tous, en pleine nature. Ce silence-là
dit tout. Il dit que la créature que je suis est lasse du remue-
ménage incessant, bruyant, où j’assume ma tâche de prêtre
éducateur.
En Haute-Provence, monter sur des rochers escarpés,
découvrir le nid rare d’un aigle, respirer l’odeur du thym sauvage
et la lavande qui parfume la montagne, m’enchante, m’éblouit et
me sauve.
Je me tapis très haut dans l’anfractuosité d’un rocher. De très
loin, je vois la ferme où mes jeunes s’épanouissent. Je distingue le
nuage blanc des dizaines de pigeons-paons qui ne quittent jamais,
mystérieusement, le périmètre de la propriété.
Le brame lointain d’un chevreuil égaré perce le silence. Les
vautours, juste implantés dans la commune et sortis de leur cage,
osent timidement un vol groupé au-dessus d’un immense espace
qu’ils ont à apprivoiser.
Je m’arrache à ces lieux enchanteurs, porteurs d’éternité,
pour redescendre vers la Bergerie emplie du cri des jeunes
humains désarticulés. Si j’ose encore l’affronter après tant
d’années, c’est parce que je multiplie mes espaces de silence.
Parce qu’ils disent tout.
Parce qu’ils permettent le discernement, loin de la mêlée. Ils
sont la part inestimable que tout être doit conquérir de haute lutte.
Si le monde est si moche, c’est qu’il ne sait plus s’isoler et se
taire. Si tant d’êtres courent après le paraître et l’avoir, c’est qu’ils
ont biffé leur part de silence.
L’humain qui ose affronter le silence a l’éclat du diamant. Il
a une avance considérable parce qu’il sait se réfugier là où rien ni
personne ne peut l’atteindre.
Il peut tout endurer, tout assumer.
Le vrai bonheur est dans le calme de l’esprit et du cœur.
Charles Nodier

« Où puisez-vous votre force ? »

À l’homme d’affaires qui envie mes quarante-huit heures de


silence tous les quinze jours, ma réponse a jailli : « Parce que tu
fais la bêtise de ne jamais t’arrêter en prenant prétexte de ton
boulot, de ta femme et de tes gosses. Ma vie à moi est aussi
torrentielle, si ce n’est plus, que la tienne. »
Si je n’avais pas ménagé comme une ascèse ces heures
absolument consacrées à moi-même et à Dieu, je manquerais
l’essentiel de ce que je veux vivre.
C’est souvent dans les longues marches silencieuses en forêt,
avec mes chiens sur les talons, que j’ai compris que la prière était
l’action prioritaire de l’homme de Dieu. C’est la force des
contemplatifs. Sans oublier, bien sûr, leur vocation particulière, si
contestée par ceux et celles qui pensent que seul le concret, le
visible, fait avancer le monde.
J’ai constaté souvent que ma capacité de travail était accrue
après les heures de silence que je m’impose, parfois au point de
reporter des tas de rendez-vous quand je sens que je travaille dans
le vide et que l’écoute m’est par trop pénible. La fuite, dans ces
cas-là, est la seule réplique face à l’ennemi qui sommeille en moi
et qui me dit : « Tu es indispensable. Sans toi, comment ces
jeunes s’en sortiraient-ils ? »
Si la prière et le silence sont les atouts maîtres du chrétien
qui veut avancer dans la mission qui lui est confiée, l’autre atout
majeur dans une tâche comme la mienne est l’équipe. On n’a pas
assez d’une vie pour partager ses responsabilités. On n’aura
jamais assez de réserve d’humilité pour refuser de croire que seul
on peut tout.
À chacun sa capacité d’être ou de faire. À chacun aussi de
croire, parce qu’il le vérifie, qu’il est un maillon essentiel dans un
combat apostolique… mais jamais irremplaçable.
« Où puisez-vous votre force ? » me demandait un jour une
femme en fin de conférence. « Dans le silence et la prière. –
D’accord, mais physiquement, où la puisez-vous ? – Dans le
silence et la prière », fut ma deuxième et ultime réponse. Cette
dame voulait absolument que les épinards, les sardines à l’huile,
les yaourts ou je ne sais quelle vitamine soient mon secret
quotidien. Oui, faire du sport régulièrement, manger sainement,
dormir à la même heure, et suffisamment, c’est indispensables.
Mais ma force principale, qui sous-tend tout, est ailleurs. Le
silence dégage les essentiels de ma vie, la prière me donne la
force de les vivre. La puissance de ma vie : la prière.

Tant que chantera le rossignol

C’est vers 3 heures du matin que je quitte la permanence.


Les jambes lourdes, le cœur plein de cris d’espoir ou de détresse
de ma journée, je ferme la porte sur les museaux de Gangster,
Vagabonde et Brigand qui ne manquent jamais de
m’accompagner jusqu’au dernier mètre.
C’est alors que je l’entends ! Sa voix limpide, aux trilles
illimités, s’élance vers les tours des Orgues. Je marche lentement,
accompagné de ce chant mélodieux qui me saisit aux tripes.
Il m’arrive parfois de m’asseoir sur une borne et de t’écouter,
rossignol ! Que fais-tu là, dans ce petit jardin, chantant
inlassablement ? Ta voix résonne extraordinairement, répercutée
par les immenses tours du quartier parisien des Orgues de
Flandre.
Tu sais que tu me les fais aimer, ces tours, la nuit ! Le jour,
je les déteste, quand je trébuche sur tant de gosses de toutes
couleurs qui respirent hâtivement un peu d’air dans cet espace
trop petit pour la population énorme. Encore une fois, les
vautours de l’immobilier sont passés par là.
Tu chantes l’amour, rossignol ! Alors, j’oublie tout… Ou
plutôt je me souviens de l’amour donné et reçu aujourd’hui.
Tu chantes l’espoir, rossignol ! Tu sais, il ne me reste plus
que ça ! Tant de cris, jour après jour, me pousseraient au
désespoir… Mais ma pauvre carcasse, qui n’en peut plus certains
soirs, est animée, secouée, vrillée par Celui qui t’a fait, rossignol !
Alors, qu’ai-je à craindre ? Plus je suis petit, sans force, plus
Il grandit en moi. Plus je sens. Sa puissance m’envahir, plus ma
voix se consolide et est entendue.
Ta voix, à toi, dans ton corps minuscule, n’est-elle pas
perçue par les trois mille personnes qui peuplent notre cité ?
Pourtant, tu n’es pas plus gros que mon poing.
L’espoir que tu incarnes s’est multiplié, rossignol ! Tu étais
seul, il y a trois ou quatre ans… Vous êtes plusieurs maintenant.
Tu as fait des petits.
Je vais te quitter, rossignol ! Toi, je sais que tu ne dormiras
pas avant l’aube. Moi, il me faut dormir. Ne me quitte pas, je t’en
prie. J’ai besoin de ta voix joyeuse et forte pour rentrer dans ma
tanière.
Tant que chanteront les rossignols au cœur des capitales du
monde, tout espoir sera permis.
Conseils

• Fais tes choix seul.


• Maîtrise ton corps et ton esprit : c’est le chemin de la
sagesse.
• Ne bâcle rien !
• Agis toujours avec amour.
• Vis le moment présent, et savoure-le.
• Mange et bois avec modération.
• La solitude t’aidera à affirmer ta personnalité.
• Écoute-toi et écoute les autres.
• En vacances, débranche !
• Le silence t’aidera à te ressourcer.
• Ne laisse pas les nouvelles technologies t’éloigner de ceux
qui t’entourent.
• Ne deviens pas esclave de l’argent.
• Émerveille-toi de la nature et des êtres humains.
• Ne pollue pas cette si belle terre qui nous a été donnée.
• Les animaux ne sont qu’amour, occupe-t’en avec
bienveillance et chéris-les !
• Sois patient.
• Prends-le temps de prier.
• Prends confiance en toi, apprends à t’aimer.
• Montre l’exemple aux autres.
• Si as quelque chose à dire à quelqu’un, sois franc, dis-le-lui
en face !
• Sois tolérant.
• Respecte les autres, et sois bienveillant.
• Savoure chaque seconde pour ne pas avoir de regret.
• Le bonheur ne s’achète pas, sois vigilant dans ton rapport à
l’argent.
• Bouge-toi pour les autres !
Bibliographie

ANDRÉ CHRISTOPHE, De l’art du bonheur, L’Iconoclaste, 2010.


BABAUTA LEO, L’art d’aller à l’essentiel, Leduc, 2012.
BENSAÏD CATHERINE, Aime-toi, la vie t’aimera, Pocket, 1994.
BERLIET CATHERINE, Et si je prenais mon temps, Eyrolles, 2013.
COVEY STEPHEN, Priorité aux priorités, J’ai lu, 2010.
DEVIENNE ÉMILIE, 52 bonnes raisons de prendre son temps,
Mango, 2011.
HÉRIL ALAIN, Aimer. Comment s’aimer soi-même pour aimer les
autres, Flammarion, 2007.
LE BRETON NATHALIE, Vernin Marine, Prendre son temps avec
son enfant, La Martinière, 2012.
SOUTIF ARNAUD, Cahier d’exercices pour prendre son temps,
ESF, 2013.

Pour les plus jeunes

JADOU ÉMILE, Je compte jusqu’à trois, L’École des loisirs, 2009.


LABBÉ BRIGITTE, Puech Michel, Prendre son temps et perdre son
temps, Milan Jeunesse, 2006.
Table of Contents
Du même auteur
Copyright
Introduction - Où sont les nouveaux sages ?
Qu’est-ce que la sagesse ?
Domestique le temps
Ne bâcle rien
Le devoir : voie exigeante mais royale
Vivre dans le présent
Les petits bonheurs
À chacun son temps
Apprivoise la solitude et le silence
« Putain, le silence, ça craint ! »
Qui suis-je ? Où vais-je ?
Une part de solitude
Écouter les autres
Magie de la neige
Prends des vacances
Devoirs de vacances
« Que fais-je de ma vie ? »
Attention aux nouvelles technologies
Le doudou de leur adolescence
Dire les choses en face
Pour un nouvel art de vivre ensemble
Litanie nocturne
Libère-toi de la dictature de l’argent
Entrons dans une démarche de partage
L’argent de poche
L’argent maître ou serviteur ?
Mission impossible
Goûte à la beauté du monde
À quoi sert la beauté ?
Éclairs de feu
Invitation à la bonté
Fils de pub
Et vous ?
Visages, paysages
La beauté sauvera le monde
Émerveille-toi de la nature
Mes « Attila »
Fleurs de printemps
Histoire d’un chêne
Nous sommes tous des pollueurs
L’écologie : un défi personnel et spirituel
Pour une nouvelle alliance entre l’homme et la terre
Que faut-il faire ?
Chacun doit montrer l’exemple
Contemplons les animaux
Compagnons fidèles
À cheval sur Popeye
« Cette espèce de salope de mère lama… »
Les trois vérités
Apprendre la souffrance et la mort des bêtes
Un nouveau regard sur la Création
Deux histoires récentes
Développe tes cinq sens
Les odeurs
Le goût
La vue
Rééduquons nos oreilles !
Le toucher
Aime-toi, aime les autres
Le travail qui vous plaît
Une relation positive avec soi-même
L’amour est patient
Redonner confiance aux jeunes
L’animal les aime
Aime à tout casser pendant vingt-quatre heures
Conclusion - Mon silence, ma prière
Prière d’un vieux hibou
Je balbutie
Je redémarre
Le temps qu’on Lui offre
Prier, c’est arrêter le temps
Ma part de silence
« Où puisez-vous votre force ? »
Tant que chantera le rossignol
Conseils
Bibliographie
Pour les plus jeunes

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