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LOVE

LOVE
DEAL

ELISABETH BLYTHE
© ELISABETH BLYTHE 2017

IMAGE COUVERTURE FOTOLIA © FLUCAS


Cette histoire est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont le fruit
de l’imagination de l’auteure. Toute ressemblance avec des personnes réelles vivantes ou décédées, ne

serait que pure coïncidence.

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Tous droits réservés


Pour M.

On ne connaît la force de l'amour

qu'au moment qu'on l'éprouve.

Abbé Antoine Prévost ;

Pensées et maximes (1697-1763)


Chapitre 1

— Salaud ! craché-je violemment en claquant sèchement la porte derrière moi.

Je hais cet homme à un point inimaginable ! Je le déteste plus que tout ! Plus

que les cloportes, les araignées … et même plus que les égorgeurs !

La secrétaire qui m’avait introduite dans son bureau quelques minutes

auparavant me fixa tout d’abord surprise, puis une mimique d’exaspération

s’afficha sur son visage, presque complaisante. S’il est une espèce d’humains

que j’exècre tout particulièrement, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes,

c’est bien ce genre. Arrogant, vaniteux et nombriliste. Concernant Doug


Doherty qui réunit toutes ces qualités, c’est un coup à devenir misandre pour

sûr !!

Je ne le connais pourtant que depuis quelques toutes petites minutes, mais j’en
sais déjà suffisamment sur lui pour savoir que je ne supporterai pas bien

longtemps de travailler à ses côtés. Car il est tout bonnement imbuvable ! Je


sais déjà avec certitude, que dès que cela sera possible, je me tirerai d’ici !

Bon, ce n’est pas comme si là, tout de suite, je pouvais me le permettre, mais
ce qui est sûr, c’est que je ne ferai pas long feu dans cette boite ! Je m’en fais la

promesse.
En attendant, j’imagine déjà à quoi vont ressembler mes prochaines semaines –
mes prochains mois ? – ici. Je vais vivre un véritable enfer, parce que de nos

jours, au 21ème siècle, il existe toujours des tyrans usant de manières

préhistoriques ! Incroyable, mais vrai, hélas ! J’ai la conviction, et ce, malgré

le peu de temps que je viens de passer dans les locaux de cette horrible société,
que mes journées de travail vont virer en véritables cauchemars !

La secrétaire qui a replongé son nez dans ses papiers a eu un léger sourire

sardonique et j’en viens à présumer que c’est elle que je remplacerais. Je

suppose qu’elle a dû en voir des vertes et des pas mûres avant de lâcher

l’affaire. Pas sûr que je tienne autant qu’elle ! Et alors que je devrais, en toute

logique, me précipiter vers Abby pour la remercier du tuyau, l’état de nerfs


dans lequel je me trouve actuellement, m’empêche même, de me résoudre à lui

envoyer ne serait-ce qu’un petit message, comme nous l’avions convenu ce

matin avant de nous séparer.

Sitôt mon entretien d’embauche terminé, je lui avais promis de lui faire un

récit détaillé de mon entrevue avec le grand patron. Mais, ma sagesse


légendaire – non là, je pipote ! – ma colère profonde me recommande de m’en
abstenir pour l’instant. Je risquerais, bien au contraire, de me montrer plus

hargneuse et rancunière que polie et reconnaissante. Et ce ne serait pas rendre


hommage à ma meilleure amie que de l’agresser ainsi, tant je suis dans un état

avoisinant la folie. Folle de rage en fait, c’est bien le terme qui me définit pour
l’instant.
Alors, patientons encore un peu … et direction les toilettes pour me passer un
peu d’eau froide sur le visage afin de reprendre un peu mes esprits.

Et Abby, qui pensait sincèrement me rendre service ! Si elle savait à quel point

c’est raté !

Ce qui devait s’avérer être un super bon plan pour moi, se révèle n’être, en

fait, qu’une énorme farce de mauvais goût. Mais comment aurait-elle pu s’en
douter ?

A la vérité, l’emploi proposé par Doherty Press, qui devait selon les dires

d’Abby être une méga-super opportunité pour moi, n’est en fait qu’une
grossière galéjade. Evidemment, elle ne pouvait pas le deviner ! Mais il

s’avère que Doug Doherty, le dirigeant de cette énorme société de presse, ne

cherche pas véritablement une assistante. Ce n’est effectivement pas un bras

droit, compétent, sûr et efficace qu’il désire recruter. Non. Loin de toutes ces

considérations professionnelles, Monsieur le grand P.D.G de Doherty Press –

un pur macho comme l’on n’en fait plus, entre nous soit dit ! – est tout

simplement à la recherche d’une vulgaire bimbo. Et peu importe qu’elle soit


ou non une véritable potiche ! Tout ce qu’il semble souhaiter, c’est une femme

objet pour ornementer sa présence. Stupéfiant !

Alors, oubliées mes compétences professionnelles, qualifications ou même

mes aptitudes pour le poste. Seules lui importaient pendant notre entrevue mes
mensurations et mon style vestimentaire, histoire de le rendre encore plus
lumineux sans doute !?

Pfff, Quelle poisse ! Moi qui étais à la recherche d’un véritable emploi ! Pour
une fois, j’y croyais presque. J’espérais tellement de cet entretien … à tort

apparemment !

Honnêtement, s’il ne m’avait pas paru si sérieux, j’aurais presque pu croire à

une séquence de caméra cachée, comme on voit à la télé. Des gens que l’on met
dans une situation incroyablement désagréable, et que l’on fait marcher un

moment avant de leur apprendre que tout cela n’était en fait qu’une blague. Eh

bien, c’est exactement ce que je viens de vivre, sauf que malheureusement pour

moi, ce n’était pas une plaisanterie destinée à amuser les spectateurs du samedi

soir. Pour en être sûre, j’ai même regardé partout. Mais il n’y avait point de

caméra, hélas !

Mon futur patron a réussi à me plonger dans une situation si indélicate que je

peine encore à y croire. A la différence, que pour moi, il n’y a pas eu de

« happy end » à la fin de la séquence ! Par nécessité, je me sens obligée

d’accepter son offre, bien que ce soit la dernière chose que j’aurais faite, si
seulement j’avais pu me le permettre. J’en suis malade d’avance !

Titulaire de mon MBA marketing depuis quelques mois déjà, je me vois à


présent contrainte d’accepter le poste que propose cet odieux patron, faute de

meilleure offre pour l’heure. Mes études onéreuses m’ont laissé un crédit
colossal sur le dos et il va bien falloir le rembourser maintenant. Donc
équation à la portée de tous : ne pas faire la difficile et ratifier le contrat qui
m’est proposé, pour un temps qui sera, je l’espère, le plus court possible.

Encore, qu’à la réflexion, il aurait été beaucoup plus judicieux que je

poursuive des études d’esthétique - beaucoup moins coûteuses celles-ci - vu le


penchant du patron !

Enfin, bref ! Dans ces conditions et sans même comprendre comment j’ai pu

obtenir le poste après un entretien carrément foireux, me voici désormais

directement sous les ordres de Doug Doherty, propriétaire de la plus grande

société de presse de notre pays. Et alors que cette dernière jouit d’une

réputation internationale, j’avoue être restée totalement désemparée face à ses


critères de recrutement.

Evidemment, comme tout à chacun aux Etats-Unis, je connais les frasques de


Doherty. Qui pourrait d’ailleurs les ignorer ? Puisque pas une semaine ne se

passe sans qu’il fasse la une scandaleuse des tabloïds. L’héritier de cet empire a

en effet, une vie médiatique très intense, dirons-nous. Il est coutumier qu’il
parade lors de galas ou de festivités privées, toujours en très belle compagnie :

des mannequins ou des starlettes siliconées du moment s’agrippant à son bras.

Par son mode de vie légèrement débauché aussi, il fait alors tout aussi bien le
bonheur des paparazzi que celui des lectrices friandes de son actualité. Si je

parle de lectrices plus que de lecteurs, c’est parce que Monsieur Doherty a
effectivement une plastique de rêve qui en fait rêver plus d’une.
Cet homme au physique flatteur – je confirme - se joue si habilement des
médias qu’il a dans ses filets tout un tas de groupies qui bavent d’envie devant

le séducteur millionnaire.

C’est tout de même une attitude surprenante pour un dirigeant de société d’une

telle envergure que celle de Doherty Press ! D’ailleurs, je ne suis pas certaine
que ses dévergondages sentimentaux aux manières délirantes de jet setters

n’aient que des retombées positives sur la compagnie. Mais je suppose que son

chargé de communication doit s’en occuper à plein temps. Au moins ce dernier

est-il garanti de ne pas voir son poste disparaitre !

Enfin bref, tout ceci pour préciser que tout le monde aux Etats-Unis connait le

personnage public Doug Doherty. En revanche, suite à l’entretien que je viens

de subir – et le terme n’est pas trop fort - je m’interroge. J’ai, en effet,


réellement du mal à comprendre comment un homme aussi superficiel

parvient à mener avec sérieux ses affaires ! Car il peut bien tromper son

monde en s’affichant tout sourire devant les caméras, les flashs, les
journalistes ou bien même devant son fan club ; une seule rencontre en privé a

suffi pour que je me fasse une idée très différente du


personnage !

Cet homme tant adulé – par les femmes - est à la vérité un égocentrique, un

personnage hautain, qui plus est, méprisant envers son personnel. Et c’est
malheureusement ce que je viens de constater … Et de près !
Invitée ce matin à me présenter devant lui pour un entretien d’embauche, il n’a
cessé de s’amuser avec moi comme le font les chats avec une souris. C’est-à-

dire cruellement. Sauf que dans l’histoire, c’était moi la souris. Pendant les

quarante minutes passées dans son bureau, il n’a eu de cesse de me dévisager


d’une manière si insistante et si inconvenante, que j’en étais extrêmement

gênée. Puis, dévoilant peu à peu son côté le plus vil, il a eu cette moue
dédaigneuse, comme un rictus de dégoût qui m’a fait me sentir si moche et si

nulle que d’instinct j’en ai rentré ma tête dans mes épaules et prié pour que mes

souffrances s’arrêtent ! Tout ça pour quoi ? Pour obtenir un poste pour lequel

je n’aurais très certainement jamais postulé si j’avais eu auparavant

connaissance de ses attentes.

Seulement voilà, la dure réalité : j’ai, comme tout à chacun ma part de loyer à

payer, ainsi que les deux mois de retard qu’Abby m’a avancés ! Alors, à mon

grand regret, j’ai étouffé mes indignations et fini par accepter tacitement son

offre. Autant dire, que là, outre la colère qui m’anime face à l’homme le plus
odieux qui m’ait été donné de rencontrer, je fulmine. J’enrage contre moi

d’avoir ressenti une attirance physique pour cet être aussi abject et de m’être
fourvoyée à accepter de travailler auprès de lui, reniant ainsi tous mes

principes.

Mais que faire d’autre quand on se retrouve dans une situation où l’on est

redevable financièrement ? Il n’y a pas cent cinquante solutions : on tait sa


rancœur et on oublie de pinailler, se pliant à tolérer ce que l’on n’aurait jamais
admis dans une situation dite normale. Mais aussi, qui aurait pu deviner que cet
homme était d’une telle ignominie ?

Quand Abby m’a refilé le tuyau hier matin, en m’envoyant dès qu’elle l’a

appris un texto rapide de son lieu de travail, c’était une primeur. Le poste

n’avait pas encore été enregistré sur les sites officiels des offres d’emplois, il
fallait foncer. Alors, comme elle me le conseillait, j’ai sauté sur l’occasion et

j’ai proposé aussitôt une candidature spontanée.

Un homme, le DRH de la boite, je crois bien, m’a fixé un rendez-vous pour le

lendemain matin et m’a précisé que j’étais la première postulante inscrite. Une

véritable aubaine quoi ! Bien sûr, il avait pris le temps auparavant de me poser

quelques questions de base concernant mon cursus de formation, afin de

s’assurer que je disposais bien les compétences du job. A priori, il semblait


satisfait car le poste était effectivement en totale adéquation avec mes études

universitaires. Et étant titulaire du diplôme, forcément, c’était un plus.

Comment aurais-je pu seulement imaginer tomber sur une personne aussi

tordue ?

Enthousiaste et reboostée, j’avais du coup passé le reste de la journée à

effectuer des recherches plus poussées sur l’entreprise, à fureter des


renseignements plus professionnels et moins « médiatiques » sur l’actuel PDG

et évidemment travaillé mon entretien, listant les nombreux arguments qui


feraient de moi l’employée modèle à embaucher à tout prix. D’autant plus, que
compte tenu de ma conjoncture financière actuelle, il y avait réellement
urgence. Je devais coûte que coûte obtenir ce poste, ne pouvant décemment

plus continuer d’abuser de la bonté matérielle d’Abby. Déjà avait-elle eu

l’extrême gentillesse, ces derniers mois, de m’avancer les sommes qui me


faisaient cruellement défaut, il était temps que j’assainisse ma situation. Et cette

place paraissait indubitablement la réponse à mon problème. Sans compter que


le titre honorifique d’assistante du PDG, présageait que la rémunération serait

à la hauteur de mes espérances. Du moins, je l’espérais. La vie à New-York est

si chère …

Donc, voilà où j’en suis ce matin. Et même si mon employeur ne va pas


s’avérer être « le patron du siècle », être retenue signifie malgré tout pour moi,

la garantie de me sortir provisoirement de mes galères. Et ce n’est pas

négligeable !

Alors pourquoi dans ce cas-là, n’ai-je donc pas le sourire, puisque voilà des

mois que j’attends cette occasion ? Je parviens enfin à décrocher le pompon,


mais non seulement le cœur n’y est pas, mais en plus, j’ai les nerfs à cran.

Après cette traversée du désert, j’aurais dû sauter au plafond, et même dans ses
bras pour lui montrer ma reconnaissance, mais j’en ai été bien incapable, vu

son caractère exécrable !

Personne ne peut s’imaginer à quel point il peut être difficile de trouver du


travail New-York, surtout quand on n’a pas de relations. Ce qui est bien
évidemment mon cas. Cependant ma grande désillusion vient surtout de la

nature de mon diplôme dont j’étais pourtant si fière le jour de mon obtention.

Car en effet, depuis ma sortie d’université, non seulement, je n’ai pas croulé

sous les propositions d’emploi. C’est le moins qu’on puisse dire ! Mais en
plus, il semblerait que tous les étudiants des Etats-Unis le possèdent également,

le rendant du coup très peu recherché. Dieu sait pourtant, combien j’ai pu
courir après les offres. Mais au final, jamais rien de positif. Rien, Nada,

Nothing ! Essuyant les habituels discours de refus, que connaissent déjà tous

les guerriers de la chasse à l’emploi : soit la place venait tout juste d’être

pourvue, soit je n’avais pas l’expérience requise – la bonne blague ! - soit

encore on me rappellerait. Là aussi, la bonne blague !

Alors, qu’après tous les efforts et sacrifices que j’avais pu concéder pour

obtenir ce fameux saint diplôme, je m’attendais presque – naïve que je suis - à

ce que le monde du travail m’ouvre grand ses bras, ma candidature n’a, au

final, jamais semblé intéresser personne. Et en toute logique, au bout de cinq


mois de vaines recherches, il a bien fallu piocher dans mes petites économies,

qui se sont taries ici, aussi rapidement d’une flaque d’eau en plein désert.

D’où l’heure du grand bilan valable jusqu’à ce matin-même : un emprunt

étudiant de quarante mille dollars à rembourser que je traîne comme un boulet


et toujours pas de job. En contrepartie de quoi, je possède un merveilleux

diplôme que des milliers d’étudiants ont obtenu tout comme moi et qui s’avère
être d’une totale inutilité ici ! Génial quoi !
Donc, tout ça, pour en revenir à ma présence, ce matin, dans les locaux de
Doherty Press, où contre toute attente, je viens d’obtenir le poste d’assistante

de Monsieur Doug Doherty. Le titre est certes ronflant mais j’ai dans l’idée que

sa nature en sera toute autre, si je ne m’abuse. Alors autant me faire, dès à


présent à l’idée que je travaillerai dans des conditions très certainement

difficiles. De toute manière, si cela n’avait pas marché pour moi ce matin,

j’aurais très certainement fini par me rabattre sur un petit job de serveuse ou de

vendeuse à tiers temps, ce qui aurait quand même été comique, me connaissant.

Voilà pourquoi je devrais m’estimer heureuse d’avoir été enfin embauchée,

sautiller de joie, et même faire des pirouettes dans le couloir. Mais non. Ma

joie est totalement altérée par la nature même du type aux côtés duquel je vais
désormais devoir collaborer. Un sale type. Extrêmement beau mais

complètement insupportable. Et au sortir du bureau de Doherty, j’en suis au

point de devoir me cacher dans les toilettes afin de me calmer et d’effacer de


mon visage toute trace de cette épreuve surréaliste !

Bien évidemment, j’aurais pu avoir la chance d’être reçue par le DRH ou

quiconque de plus agréable. Mais non. Il a fallu ce soit le PDG de Doherty


Press en personne qui me torture.

Voici comment s’est déroulée cette entrevue.

Quand j’ai enfin été autorisée à pénétrer dans le bureau de Doherty avec plus
d’une demi-heure de retard sur l’heure de rendez-vous, une jeune femme

juchée sur de hauts talons aiguilles m’a enfin introduit dans la pièce et je me

suis avancée vers l’homme qui siégeait à quelques mètres devant moi. Mais à

peine étais-je rentrée qu’elle s’en retournait, me lâchant seule dans l’arène.
Aussi, la porte immédiatement refermée derrière elle, je me retournais vers

cette dernière, comme paniquée à l’idée de me retrouver seule avec cet homme
qui de loin me semblait très impressionnant.

Doherty a fini par lever les yeux de son ordinateur affichant un air on ne peut

plus sévère. On aurait dit que je le dérangeais. Et à la réflexion, je crois bien

que c’était le cas. Ses pupilles sombres ont scanné ma personne, m’examinant
de haut en bas, si bien que gênée, je ne savais plus quoi faire. Devais-je

continuer à me diriger vers lui ou attendre qu’il m’y invite ? Pour le coup, son

physique était absolument bluffant. Il aurait pu être mannequin ou icône de

mode tant il semblait parfait. En revanche, la dureté de son regard brun peu

amène me fit frissonner de trac.

Pendant de longues secondes – minutes ? - toujours sans prononcer aucun mot,

il a continué à me dévisager sans vergogne et j’étais de plus en plus mal à


l’aise, plantée là, debout, au centre de son vaste bureau. Sans doute était-ce là

une tactique pour m’impressionner avant l’entretien, mais toujours est-il,


qu’embarrassée, je me dandinais d’un pied sur l’autre, et n’osant bouger, je lui

adressais un sourire timide complètement niais, qui ne pouvait que trahir mon
inconfort.
N’importe quelle personne civilisée ayant un minimum d’éducation et de
savoir vivre, aurait cessé ce jeu sadique et m’aurait invitée à prendre place sur

l’un des fauteuils disposés face à son bureau, mais lui non !

Au bout de ce temps péniblement long, las, après un long soupir sonore

trahissant son exaspération, il s’est enfin décidé à se lever. Il a contourné très


lentement son bureau et s’est finalement approché de moi afin de poursuivre

son inspection de plus près. Je m’attendais à ce qu’il me tende la main pour me

saluer ou quelque chose de ce genre, mais il s’est simplement mis à tourner

silencieusement autour de moi, sa main portée au menton, jaugeant

vraisemblablement la marchandise. Je n’avais jamais rien connu de plus gênant


et d’humiliant que cet accueil pour le moins grossier. Je me serais crue au

marché aux bestiaux !! Et je n’exagère pas, son regard scrutait le moindre

détail de ma personne !

Et bien que mon apparence ne soit pas rebutante, - enfin on ne me l’a jamais

fait remarquer en tout cas – manifestement déçu par ce qu’il voyait, sa lèvre
supérieure s’est alors relevée d’un seul côté formant un rictus sur son visage,

qui criait haut et fort son « dégoût ». J’étais abasourdie par cet accueil des plus
grossiers, me recevant en plus, en pleine figure l’expression de son mépris.

Pour un accueil, j’avais connu mieux ! Mais la suite vaut également


l’anecdote !

Par fierté, il était absolument hors de question que je baisse le regard devant
lui. Je me renfrognais, le toisant à mon tour. Et nos deux regards s’affrontèrent

ainsi pendant un laps de temps plus ou moins long. Les yeux dans les yeux, une

drôle de sensation me saisit, créant un nœud dans mon ventre. Pourtant son

regard était si froid et tant inamical, que jamais je n’aurais pensé pouvoir
ressentir quoi que ce soit d’autre, pour cet homme, que du dédain ! Mais

apparemment, mes hormones féminines, elles, étaient sensibles à la beauté


plastique de Doherty. Et c’est sans aucun doute ce qui me perturba le plus ! Plus

que son air désabusé. Plus que de lire en lui son écœurement.

Alors que nos regards étaient ancrés l’un à l’autre hostilement et malgré son

incorrection totale, mon corps, lui, réagissait à la beauté de cet homme. Il est
vrai que Doug Doherty est très certainement le plus bel homme que je n’ai

jamais rencontré. Grand, bien bâti, les traits fins de son visage plus que

parfaits, je ne pouvais nier qu’il avait un charme fou. Jusqu’à ses cheveux

brun-foncé qui semblaient si doux que j’avais envie d’y passer mes doigts à

l’intérieur.

Comment était-il possible que mon enveloppe corporelle face bande à part

d’avec mon esprit ?

Pourtant, je ne pus réprimer un bref frisson qui électrisa mon échine. De


même, sans que j’en sois maître, mes seins se mirent à darder, dieu merci à

l’abri de mon chemisier. Mais étais-je vraiment à blâmer pour cette réaction
purement physique ? Aucune femme, j’en suis sûre, ne saurait rester insensible
au charme d’un tel homme. Mais comme je le disais, un homme très beau,

certes, mais aussi désagréable que splendide. Quel gâchis quand même !

Secrètement et ce malgré son air mal-aimable, je me fis la réflexion que les

clichés de lui que j’avais pu voir dans la presse ou sur internet jusqu’alors, ne

lui rendaient vraiment pas hommage. Il était encore plus beau « en vrai » !
Mais là, s’arrêtait tout ce qu’il pouvait y avoir de plaisant en lui.

Troublée par la proximité de son corps, je réussissais malgré tout, à rester

suffisamment lucide pour comprendre que mon admiration pour lui, n’avait

d’égale que l’aversion qu’il semblait ressentir pour moi. Car en effet, nos

sentiments n’étaient absolument pas partagés. J’aurais pu, ou sans doute dû,

tenter d’en faire abstraction mais malheureusement, je me sentais affectée par

son attitude si dédaigneuse. Cela me peinait sans que je puisse vraiment


l’expliquer. Peut-être une histoire d’égo ?!

Pourtant, après tout, je n’étais présente que pour l’emploi qu’il proposait et

non pour sortir avec lui. Mais j’étais tout bonnement incapable de prendre

suffisamment de recul. J’étais à la vérité vexée qu’il puisse ressentir une telle
répugnance à mon égard. C’est d’ailleurs, à ce moment-là, qu’en toute sagesse

j’aurais dû quitter son bureau. Mais je n’en ai rien fait, me condamnant à


continuer de souffrir de son mépris.

Cela dit, si j’avais fui avant même que l’entretien n’ait véritablement
commencé, Abby m’aurait très certainement trucidée dès mon retour. Et elle
aurait eu raison ! Après tout, ce qu’il pouvait ressentir à mon égard n’avait pas
à interférer avec le poste que je convoitais. Pas plus, que ce que moi je pouvais

ressentir.

Mais apparemment Monsieur Doherty s’attendait à ce que son assistante

ressemble à l’un de ses mannequins favoris ! Et dans ces conditions,


forcément, je n’étais pas la bonne personne. Et alors qu’en tant que PDG d’une

société aussi importante que la sienne, il aurait dû baser ses attentes sur des

critères de compétences, lui semblait privilégier plutôt des références …

esthétiques. Mais qu’espérait-il vraiment ? Miss monde pour l’assister ?!

Finalement, au bout d’un moment qui me sembla incroyablement long,

Doherty finit par m’indiquer d’un geste le fauteuil face à son bureau et je m’y

assis.

Il était temps !

L’entretien allait enfin véritablement commencer.

C’est là que je devais mettre le paquet pour vendre mes aptitudes si je voulais
remporter le poste.

— Mademoiselle Johns, quel âge avez-vous exactement ? me demanda-t-il sans


préambule.

Il ne sait pas lire un C.V ? Le mien est pourtant, justement sous ses yeux.

— Vingt-six ans Monsieur.


— Humm, prononça-t-il simplement dans sa barbe (qu’il n’a pas).

Quoi Humm ?

Qu’est-ce que c’était censé vouloir dire ? Que j’étais trop jeune ou trop
vieille ?

— Pourquoi vous présenter aujourd’hui devant moi ? me demanda-t-il blasé.

Faut-il vraiment que je réponde à cette question ? Pour avoir le job !!

— Je pense pouvoir répondre à l’offre d’emploi que vous proposez.

— Vous pensez ? s’inquiéta-t-il en relevant les yeux de ses notes et en me

fixant.

— Oui effectivement, me défendais-je avec assurance. Les compétences

acquises lors de ma préparation à mon MBA m’ont amenée à pouvoir

prétendre occuper ce genre de poste, ai-je répondu – pas si -humblement - que

ça -.

Evidemment, j’avais consciencieusement préparé cet entretien avec Abby la

veille au soir, d’où ma réponse peut-être un peu trop académique. Mais mon
but était de l’impressionner afin d’éviter la sempiternelle réponse « on vous
rappellera ». Alors, disposée comme jamais à obtenir le job, je ne me

dégonflais pas et répondais avec aplomb à chacune de ses questions. Mon amie
m’avait d’ailleurs apporté nombre d’éléments de connaissance utiles sur la

société, pour parer à certaines questions piège qu’il aurait pu me poser.


Ses différentes expressions de doutes, suivies de ricanements me
déstabilisaient sans cesse et je rageais intérieurement, jugeant sa façon de faire

odieuse voir insultante. Il est bien évidemment connu que certains recruteurs

usent et abusent de divers procédés techniques pour ébranler les candidats.


Mais l’air méprisant et hautain qu’affichait alors Doherty depuis mon arrivée

était particulièrement désagréable, si ce n’est odieuse. Je le fixais, atterrée qu’il


puisse se conduire ainsi. Et si je n’avais pas eu ce besoin urgent de me dégoter

un emploi, je me serais très certainement levée et aurais tourné les talons in

petto.

Voilà ce que j’aurais dû faire, et ce que j’aurais d’ailleurs fait, dans des
circonstances différentes ! Mais au lieu de ça - car on n’a pas toujours le choix

- je me suis mise à énumérer toutes les tâches afférentes à ce type de poste,

tentant de lui démontrer ainsi ma bonne maitrise du sujet afin de le convaincre

que j’étais absolument l’assistante qui lui fallait. Je débitais alors avec

conviction, tous les arguments que j’avais listés la veille, et ce, sans baisser les
yeux suggérant ainsi mon assurance dans le domaine.

Mais en réponse à mon argumentaire professionnel que je lui livrais avec


assurance, son attitude ennuyée et vaniteuse face à moi me fragilisait de plus en

plus. Evidemment.

Avait-il réellement besoin de dodeliner sans cesse de la tête tandis que je me


justifiais ?
Je finissais finalement en évitant de croiser son regard dédaigneux afin de
conserver un minimum de courage pour ne surtout pas perdre le fil de ma

dialectique. Les quelques brèves œillades que je lui adressais me perturbaient

trop. Comment était-il possible d’être aussi beau et aussi blessant à la fois ? Je
m’en voulais d’être ainsi sensible à ses charmes.

Alors qu’il se dressa à nouveau et se plaça face à moi, appuyé contre son

bureau, je le regardais les yeux grands ouverts. A quelques centimètres de moi,

Doug Doherty semblait encore plus grand – peut-être un mètre quatre-vingt-

cinq ou quatre-vingt-dix –, des épaules larges et un torse si magnifiquement

moulé sous sa chemise, qu’une vile pensée me traversa l’esprit. J’aurais eu


envie de laisser mon instinct naturel prendre le dessus pour faire sauter avec

fièvre les boutons de son vêtement afin de dévoiler ce buste qui me faisait

rêver. Mais bien évidemment, je n’en fis rien.

Difficile tout de même de se concentrer dans ces conditions !

Oh, mais non à la fin !

— Que vous arrive-t-il Mademoiselle Johns ? Vous rougissez ?

Oh non, pitié pas ça ! Il n’en fallait pas plus pour que mon visage se couvre
davantage de plaques rouges. J’avais soudain les pommettes en feu. Me sentant
complètement honteuse, je préférais encore baisser le regard. Comment avait-il

pu deviner mes pensées ? C’est impossible en théorie, non ?

— Euh, non, bégayé-je. Non, non. Il fait un peu chaud, non ?


Son regard s’égaya soudain et un léger rire sorti de sa bouche … qu’il avait de
superbe aussi. Des lèvres ourlées, parfaites. Sexy.

Stop, stop, STOP !!! Je suis en train de me saborder toute seule. Concentre-toi,

bon sang Scarlett !

— Tout dépend de ce qui vous donne chaud ?

— Euh, … le soleil, je répondais bêtement, ne trouvant rien de mieux à dire.

S’amusant de la situation, il fit mine de replacer une mèche de mes cheveux et

ma respiration se bloqua net à son contact. Je le fixais, complètement

bouleversée alors qu’il se tenait seulement quelques centimètres de moi et

j’ignorais si je devais me lever ou rester assise, trop troublée par sa proximité.

Allait-il m’embrasser ?

Emettant un petit rire, il eut un haussement d’épaules et il se tourna pour


reprendre sa place comme si de rien n’était. A quoi ceci rimait-il ? J’étais

carrément à l’ouest maintenant à cause de lui. Comment reprendre le fil ? Je

l’implorais de m’aider en relançant la conversation mais il n’en fit rien. Au

contraire, il me fixait sans rien dire. Un étrange silence s’était installé entre
nous et je sentais le poste s’éloigner de moi. J’avais foiré. Merde !

Puis soudain, Doherty sembla s’ébrouer mentalement, et plongea aussitôt le

nez sur mon curriculum. Son visage changea d’expression, redevenant plus
sérieux, voire plus sombre. Il ne semblait pas satisfait par ce qu’il lisait en

occurrence et dodelinait de nouveau la tête au fur et à mesure que ses yeux


avançaient en lecture.

Manifestement, je ne lui convenais pas. Alors pourquoi ne mettait-il tout


simplement pas fin à cette entrevue ? En ce qui me concernait, j’étais out,

complètement déconcentrée. Mes sens avaient pris le dessus sur mon esprit et

son parfum enivrait encore mes méninges. Je n’avais jamais été troublée à ce
point par un homme. Mais lui était tellement supérieur en beauté comparé aux

hommes que j’avais pu côtoyer. Je présume qu’il avait conscience de l’effet

qu’il me faisait – et qu’il devait d’ailleurs avoir sur toutes les femmes –.

Dommage qu’il n’ait pas seulement été un peu plus aimable.

J’attendais maintenant avec hâte qu’il mette un terme à ce simulacre

d’entretien, sous peine de me ridiculiser davantage. Vraiment. Je ne

l’intéressais assurément pas, alors autant abréger notre entrevue. D’ailleurs, la

seule chose dont j’étais vraiment sûre, c’était qu’il s’était amusé de moi, avec

un plaisir sadique.

Au fond de moi, je le soupçonnais même d’avoir déjà porté son choix sur une

autre personne plus qualifiée et qu’il s’était simplement délecté de me mettre


en posture difficile. Cela n’avait pas été très difficile pour lui de trouver une

proie avec laquelle s’amuser. Mon curriculum parlait pour moi ! Une jeune
fille de la campagne, tout nouvellement arrivée à New-York, sans doute un peu

naïve et déboussolée, à la recherche désespérée d’un job ! C’était pas bien


difficile, je suppose. Il avait très certainement bien ri de moi, alors que je lui
servais mon petit laïus savamment appris.

Je le détestais de s’être moqué de moi à ce point ! Evidemment, que je ne


l’avais pas impressionné ! Je ne voyais qu’une raison à ma présence ce matin

dans son bureau : se payer un peu de bon temps à mes frais ! J’avais dû

agrémenter sa matinée, ça c’est sûr.

Pour moi, Doug Doherty n’était qu’un sale sadique bourré de fric qui ne savait
plus comment se distraire !!! Et moi, comme l’imbécile que j’étais, je n’avais

pas vu le truc arriver. Mieux j’avais sauté des deux pieds dans le piège qu’il

m’avait posé !

Je râlais secrètement quand soudain, il leva les yeux de sa feuille et

m’interrogea d’un ton dubitatif.

— Et vous pensez sincèrement pouvoir gérer toutes ces tâches malgré le peu

ou devrais-je dire plutôt, malgré l’absence d’expérience qu’est la vôtre ?

Ok, il n’en avait pas eu assez manifestement !

Je n’en revenais toujours pas de me trouver devant ce même monsieur « ultra-

brite », qui veillait à véhiculer une image sympa de lui dans les médias, alors
qu’il n’était finalement qu’un sale con arrogant derrière son bureau.

— Oui, ai-je répondu d’une voix chevrotante, bien trop perturbée qu’il

continue encore de jouer avec moi.

Sur mes genoux, je triturais mes doigts à m’en faire mal. Je voulais que cet
entretien s’arrête et rentrer chez moi. Car j’avais trop envie de pleurer et il
était hors de question que je lui offre ce plaisir.

— Permettez-moi d’en douter, a-t-il répondu d’une voix froide.

Ok ! Bon bah au revoir alors, non ?!

Les larmes commençaient à forcer le barrage de mes paupières et je n’étais pas


certaine de pouvoir les contenir encore bien longtemps.

Si j’en avais eu le courage, je lui aurais demandé pourquoi il m’avait

convoqué dans ce cas-là ? Mais j’étais tellement émotionnée que j’étais à

présent incapable d’ouvrir la bouche. Je souhaitais seulement que mon calvaire

s’arrête. Me dénigrer l’amusait beaucoup apparemment. Pour ma part, je le

trouvais cruel et inhumain et je ne comprenais même pas ce qui avait pu


m’attirer en lui quelques minutes auparavant. Ce n’était pas parce qu’il était

riche, puissant et beau comme un dieu que cela lui donnait tous les droits. Abby

n’avait de cesse d’être élogieuse à son encontre, eh bien j’étais loin de penser

comme elle !

Bref, je jetais l’éponge, bien décidée à rester muette jusqu’à ce que le chat ait
fini de jouer avec sa souris.

— Bien, je suppose que je n’ai guère le choix, à vrai dire, finit-il par souffler.
Le temps de passer par une agence me laissera sans aucun doute encore

plusieurs jours sans assistante et ça je ne peux absolument pas me le permettre.


Donc ! Mon temps étant précieux, je vais donc cesser de nous en faire perdre

davantage. Enfin, le mien surtout.


Quoi ? ça voulait dire quoi ça ? Que j’avais le poste en définitive ?

Agitée intérieurement et ayant peur d’avoir mal interprété ses propos, je ne


bronchais pas, ne manifestant aucune émotion, par crainte d’avoir mal saisi.

— Vous vous présenterez ici demain à 8 heures. Ne comptez pas sur des

horaires fixes, ce ne sera pas votre cas. Vous êtes présente au bureau jusqu’à ce

que je vous donne l’autorisation de partir car je peux avoir besoin de vos
services à n’importe quel moment de la journée. Quand je suis en déplacement,

vous l’êtes également, cela va de soi. Pour le reste, Mary Donner, notre

directrice adjointe, vous expliquera le BA.BA de votre mission et tâchez de

vous mettre à la page rapidement. J’attends de vous de l’efficacité, de la

rigueur et de la discrétion.

J’ai hoché, par pur réflexe, la tête pour acquiescer, tout en blêmissant.

Qu’allait donc devenir ma vie durant ces prochains jours, … ces prochaines

semaines ou ces prochains mois, bref, d’ici à ce que je trouve dare-dare un


autre poste ? Un emploi normal avec des horaires définis et un patron

ordinaire à défaut d’être sympathique ?

En fin d’entretien, que je courais littéralement vers la porte après qu’il m’ait
invitée à disposer – et oui, certaines personnes parlent vraiment ainsi dans la
vraie vie ! – quand il m’a interpellée une dernière fois.

Zut !

— Mademoiselle Johns ?
A regret, je stoppais net ma fuite et me retournais.

— Oui ? ai-je répondu avec un sourire timide.

— Passez donc voir également Mademoiselle Stuart, notre styliste.

Je l’ai regardé avec hébètement. Une styliste ? Vraiment ? Enfin, une chose
cool dans cette entreprise ! Mais je n’eus pas vraiment eu le temps de me

réjouir qu’il ajoutait déjà, un rictus sardonique au coin des lèvres :

— Qu’elle voie ce qu’elle peut faire de vous. Vous comprendrez qu’en tant que

mon assistante personnelle, vous vous devez d’avoir un minimum de tenue, ce

qui ne semble pas vraiment inné chez vous. Enfin, à voir par la suite.

Connard ! pensais-je si fort que j’eus peur de l’avoir prononcé à voix haute. Et

dire, que je l’avais trouvé beau !

Apparemment, mon insulte n’avait pas fusé hors de ma bouche puisqu’il ne


releva rien et que j’acquiesçais, là encore machinalement, d’un signe de tête

malgré l’odieuse insulte dissimulée qu’il venait de me jeter au visage.

A mes yeux, il venait de remporter, avec un succès inégalé, le championnat

international de goujaterie, personne n’ayant jamais été à ce point odieux avec


moi ! Mais manifestement, il n’en avait pas encore fini avec moi. Et alors que
mon – faux – sourire s’effaçait de mon visage, le sien se reforma de manière

inversement proportionnelle.

— Vous venez de l’Oregon, n’est-ce pas ? me questionna-t-il encore.


Fumier ! Comme si je ne comprenais pas ton sous-entendu !

Pour toutes les personnes qui liraient et ne comprendraient pas son allusion,
j’expliquerais simplement que certains New-Yorkais ont la fâcheuse tendance à

penser qu’ils détiennent le monopole du bon goût, de la classe, de l’élégance,

de l’intelligence, … bref, le monopole de tout, pour faire court !

Aussi, à peine avais-je passé sa porte en le remerciant – je me demande bien de


quoi ? A la réflexion, sans doute parce que mes parents me l’ont appris – je

courais vers les toilettes.


Chapitre 2

Première chose à faire : me calmer. Sans quoi trop énervée et chamboulée, je

foncerais aussitôt pousser une gueulante auprès d’Abby à qui je dois ce si

merveilleux poste. Mais, je ne dois pas laisser ma colère me submerger. Abby

n’est aucunement responsable de la muflerie de son patron. Elle a simplement

voulu m’aider en me tuyautant sur ce poste fortuitement libéré la veille. A ce


titre, mémo : je ne dois pas lui en vouloir.

Alors pourquoi au fond de moi, avais-je envie de lui reprocher de m’avoir

poussée à postuler à Doherty Press ?

Tout m’avait semblé si différent la veille. Abby, elle-même, s’était

enthousiasmée sur l’opportunité de ce poste soudainement vacant. Fière que

j’aie obtenu un rendez-vous pour le lendemain, elle nous imaginait déjà

travailler ensemble dans la même société et honnêtement, j’avais peur qu’elle

me porte la poisse en vendant la peau de l’ours avant de l’avoir tué.


Finalement, c’est peut-être à cause de ça que j’ai vécu un enfer ce matin ?!

En attendant, hier soir donc, elle me confiait à quel point ce genre de poste était
convoité et combien nombre de personnes, y compris certaines travaillant déjà

au sein de la société auraient été prêtes à tout pour avoir l’honneur d’assister
Doug Doherty. Forcément, je m’étais esclaffée en délirant justement sur ce que

pourrait comprendre le « tout » et j’étais certaine que son admiration pour son
beau patron altérait son jugement. Elle abusait d’après moi. Abby en fait

toujours trop quand il s’agit de Doherty ! Evidemment, elle fait partie de son
fan club ! C’est la parfaite amoureuse … platonique.

Surtout, surtout, qu’elle ne vienne pas me rabâcher aujourd’hui, la chance que

j’ai de pouvoir travailler aux côtés de Doherty car je risquerais probablement


de lui sauter à la gorge.

Enfermée dans les toilettes de l’étage je reste un moment les mains appuyées

sur le lavabo à m’examiner consciencieusement. Ce qui me surprend en


premier, c’était la couleur livide de mon teint, comme si ma tête s’était

totalement vidée de mon sang. Moi qui rougis habituellement pour un rien, je

suis blanche comme un linge. Etrangement pâle même. Instinctivement, je

pince mes joues entre mon pouce et mon index afin de faire ré-affluer le sang.

Et cette technique ancestrale de maquillage naturel fonctionne relativement

bien puisqu’au sacrifice de quelques douleurs, je reprends rapidement des

couleurs. Mon souffle est encore irrégulier de m’être tant contenue mais je
m’applique alors à faire quelques exercices de respiration afin de retrouver

mon calme. Mes larmes ne sont pas loin mais je tente de les réprimer encore
un peu. Je ne veux pas pleurer ici. Il est hors de question que quelqu’un

travaillant ici me voie les yeux larmoyants dans ces locaux.

Cet entretien professionnel a été une véritable torture et je ne comprends


toujours pas comment j’ai pu obtenir la place.

Un peu plus tard, de retour chez moi, quand je enfin rejoins l’appartement
qu’Abby et moi partageons, je me sens réellement perdue. Mon état de colère

s’est peu à peu estompé au profit d’un sentiment beaucoup plus mitigé. Entre

désenchantement et pessimisme. Je n’arrive même plus à savoir si je devrais

finalement être heureuse d’avoir enfin décroché un job, ce qui me permettrait –

entre-autres – d’entrevoir la possibilité de commencer à rembourser mes


dettes ou si je viens de faire la pire connerie de ma vie, à savoir m’être

volontairement laissée humiliée et enchainée à un tortionnaire … qui ne me

laisse pas insensible, en plus de tout !

Aussi après m’être retournée la question un nombre incalculable de fois et

avant que mon mal de tête ne se transforme en migraine, je décide de mettre un


terme à toutes mes tergiversations, soulageant par là-même, mes méninges qui

surchauffaient déjà.

Ne dit-on pas : qui vivra verra ? Laissons faire les choses …

Me forçant à adopter une attitude salutaire, je décide donc de ne retenir qu’une

seule chose et c’est là, le vrai côté positif de cette journée : je vais enfin
pouvoir rembourser Abby, payer de nouveau ma quote-part de loyer et peut-

être, avec un peu de chance, retrouver un petit pouvoir d’achat. Enfin, pas
maintenant. Mais si mes calculs sont bons et à la condition expresse de résister

aux différents affronts que mon amour de patron n’hésitera pas à provoquer,

vu sa nature profondément clémente, je devrais pouvoir m’en sortir,

financièrement parlant, très bientôt. Et c’est, somme toute, une sacrée bonne
nouvelle ! Je prends alors seulement le temps de répondre au texto d’Abby qui

ne tenait qu’en un mot suivi de ponctuations : « Alors ???? »

J’en profite pour reléguer au fond de mon cerveau toutes mes digressions.

Inutile de me projeter dans les semaines à venir car je sais déjà qu’il me faudra

survivre à cette première journée qui ne manquera pas, j’en suis sûre, d’être

une véritable épreuve de force. Je m’attends d’ailleurs à ce que Doherty


déploie des trésors de maléfices pour me mettre en difficulté et m’en faire

baver un maximum, jusqu’au bouquet final où explosant, il me virera sans

aucun état d’âme, pour incompétence ou n’importe quel autre motif qui lui

passera en tête. Voilà pourquoi, ce soir, je me refuse aussi à trop d’optimisme.

Je suis toujours perdue dans mes insolubles pensées quand j’entends la clé
tourner dans la serrure de la porte d’entrée. L’après-midi a filé à la vitesse de

l’éclair, entre mes nombreux doutes, mes recherches plus poussées sur
« l’animal », allant de pages en pages sur les chroniques mondaines de New-

York city. C’est déjà le début de soirée quand Abby entre dans l’appartement,
un sourire radieux aux lèvres et agite devant mes yeux une bouteille de

champagne français, boisson qui n’est pas usuelle entre nous, compte tenu du
prix élevé de ce pur délice.
— Félicitations Scarlett ! Je. Le. Savais ! s’exclame-t-elle en détachant chaque
syllabe. J’étais sûre que ce poste était pour toi ! Tu vas voir, tu vas te régaler !

Quand j’y pense, tu en as de la chance !

Quoi de la chance ? Mais de quelle chance parle-t-elle ? Celle de revenir dans

le rang des consommateurs avec un salaire en fin de mois ou celle de travailler


non-stop aux côtés d’un tel enfoiré ?!

Je n’ai même pas le temps d’en placer une tant elle s’excite, heureuse pour moi

et tire mille plans sur la comète. Ce qui n’est pas plus mal, finalement ! Son

enthousiasme met finalement peu de temps à me dérider, comme toujours.

Comment pourrais-je d’ailleurs rester ronchon quand elle sautille tel un

kangourou dans le salon, se réjouissant pour moi ?

Au bout de quelques minutes, le champagne aidant, elle réussit même l’exploit

de me faire rire, alors que, franchement, c’était pas gagné. Mais honnêtement,

voir Abby entamer une danse qu’elle annonce, d’ores et déjà, sensuelle sur la

table basse, vaut tous les spectacles comiques du monde ! Et de bonne grâce, je

décide de me laisser contaminer par sa bonne humeur et d’oublier pendant


quelques heures l’angoisse de la journée à venir.

Une fois installées sur notre vieux canapé, verres en main, - nous n’avons ni
flûtes, ni coupes - Abby porte très cérémonieusement un toast en mon honneur.

— A toi, ma chère colocataire et très chère amie qui vient de décrocher le gros
lot !
Pouah !!!! Je manque de m’étouffer ! Alors, là non ! Vraiment non, Abby !
pensé-je. J’étais décidée à taire mes frustrations, mais là, quand même, elle

pousse le bouchon un peu trop loin, faisant ressurgir aussitôt en moi tous mes

griefs du début de journée. Ses grands yeux ronds ne réalisent pas encore la
tempête qu’elle vient de déclencher en moi. Malgré tous les efforts que j’étais

prête à consentir pour ne pas gâcher la soirée, c’en est tout de même un petit
peu trop pour moi après une telle journée. Et malgré toute la sympathie que je

lui voue, je me sens dans l’obligation – pour son propre intérêt - de l’informer

sur la véritable nature, plus que désagréable de son super héros, le beau Doug

Doherty.

Je lui relate aussitôt toutes les réflexions et mimiques désobligeantes qui ont

rythmé mon entretien. Je lui raconte également, son arrogance, son mépris, sa

suffisance et même sa muflerie. Et pour rester crédible, j’omets seulement de

lui parler de la petite faiblesse que j’ai ressentie face à cet Adonis. Inutile de

l’en informer. A quoi bon d’ailleurs ? Elle et moi savons que n’importe quelle
femme craquerait devant un tel homme et je ne suis tout simplement pas si

différente des autres. A la nuance majeure quand même, qu’il est tellement
odieux, que pour moi, ça gâche résolument tout !

Alors que je rentre dans les détails, m’énervant presque en lui relatant ce que
cet idiot m’a fait subir, j’observe Abby qui me regarde d’un drôle d’air : elle

est sceptique, je le vois bien. Je dois avouer que son attitude me déconcerte et
me déçoit aussi. Je n’aime pas contrarier mon amie car elle est la gentillesse
même, mais je ne peux pas non plus la laisser croire des conneries. D’ailleurs,
j’en profite, sans vouloir gâcher sa joie, pour l’informer sur la nature sans

doute précaire de mon embauche.

— Ne t’enthousiasme pas trop vite Abby, il y a fort à parier, tu sais, que je ne

passerai pas la première semaine et encore je suis large ! Je suis même


quasiment sûre que « super PDG » m’aura virée d’ici demain soir, avant même

que le soleil ne se soit couché, c’est tout dire !

Je vois alors son joli sourire quitter peu à peu son visage et le regard stupéfait

qu’elle m’adresse, me conforte dans l’idée, qu’elle ne m’a pas du tout prise au

sérieux.

Afin de poursuivre de la convaincre, je me mets alors en charge, cette fois-ci,

de lui raconter avec plus de détails l’attitude abjecte qu’a adoptée son idole

pour me contrer pendant l’entretien le plus horrible qui n’ait jamais existé dans

l’histoire des rendez-vous d’embauche. Et même s’il est exact que je n’ai pas

non plus, une grande expérience en la matière, je suppose quand même, que

peu de personnes ont dû subir un tel accueil lors d’un rendez-vous


professionnel. Enfin, je l’espère sincèrement pour eux !!

Mais alors que je m’agite en lui contant mes péripéties, n’omettant aucune de
ses railleries ni de ses moues si désagréables, je décèle une fois encore dans

son regard, cette lueur négative qui m’indique aussitôt, qu’elle ne croit pas un
traitre mot de tout ce que je viens de lui relater, et là, franchement : ça
m’énerve.

— Je suis sûre que tu exagères Scarlett, soupire-t-elle enfin.

Son visage retrouve rapidement les couleurs qu’il avait perdues l’espace de
quelques secondes, vraisemblablement rassurée par la version des faits qu’elle

préfère adopter.

— Tu étais sans doute impressionnée, c’est normal, tu sais. Il a tant de

charisme ! roucoule-t-elle les yeux énamourés, tandis que je lève les miens au

ciel devant tant d’adoration mal placée.

Comment peut-elle être aussi naïve ?

Ai-je précisé qu’Abby pourrait tenir bénévolement la présidence du fan club de

Doug Doherty si celui-ci existait ?

Bonne question d’ailleurs. Existe-t-il ?

Cela ne m’étonnerait pas vraiment, finalement ! Venant d’un être aussi

narcissique …

— Abby. Loin de moi l’idée de vouloir ternir l’image que tu te fais de lui,
vraiment. Mais je peux t’assurer que contrairement à ce que tu peux croire ou
lire dans les magazines, ton Doug Doherty n’est absolument pas comme tu

l’imagines ! rétorqué-je, indignée qu’elle préfère croire son idole plutôt que sa
meilleure amie.

Je suis bien sa meilleure amie au moins ?


Je vois bien que ma réflexion la contrarie, mais quand même ! Je ne vais tout
de même pas lui dire que Doherty est un gentleman sous prétexte que je lui ôte

ses illusions ! En tout cas, mine de rien, ce que je lui relate doit tout de même

faire, à un moment donné écho en elle, puisque le temps d’un bref instant, son
sourire pâlit de nouveau et son visage affiche fugacement une mine déçue, la

même que celui des enfants qui surprennent leurs parents au pied du sapin la
nuit de noël.

Mais contre toute attente, elle ne lâche pas, la coriace !!

— Tu verras quand tu y travailleras, se reprend-elle rapidement abandonnant

son court laps de trouble, tout le monde n’en dit que du bien. Il est exigeant,

c’est vrai, mais qui peut lui reprocher ? Il a un empire à gérer !! Je te jure que

c’est un patron qui s’assure que ses salariés travaillent dans de bonnes
conditions, nous bénéficions des meilleures assurances qui soient et en prime,

le comité patronal organise tout au long de l’année des sorties et des

manifestations culturelles pour ses employés. Je te jure que vraiment on n’est


pas à plaindre, plaide-t-elle sa cause. Et même si parfois, il peut arriver qu’il se

montre intransigeant, quoi qu’il arrive, il reste toujours juste dans toutes ses
décisions. C’est un excellent patron, tu verras…

Bla-bla-bla, bla-bla-bla …

— J’en doute fort ! je l’interromps un peu sèchement, maintenant agacée. Je


veux bien croire ce qui concerne les sorties, les assurances et tout le tra-la-la,
mais si tu avais vu le mépris qu’il avait dans les yeux pendant qu’il me
questionnait, tu changerais d’avis, crois-moi. On voit bien que tu n’as pas été

recrutée par lui, dis-je, en tout état de cause, exaspérée.

— Oui, dommage, continue-t-elle de rêver. Scarlett, franchement, je suis

certaine que tu te méprends. Il s’agit forcément d’un malentendu. Ça ne peut


être que ça. En tout cas, moi, je suis super contente pour toi, tu ne peux pas

savoir ! Tu commences quand ?

Inutile de poursuivre sur le sujet, Abby voit Doherty comme un prince

charmant du vingt et unième siècle et je crois bien que, quoi que je puisse dire,

elle ne le descendra jamais de son pied d’estale.

— Demain 8 heures, je soupire mélancoliquement.

— Pourquoi dis-tu ça sur ce ton Scarlett ? Au contraire, s’exclame-t-elle ! Tu

imagines, nous allons travailler dans la même société et toi, en plus de ça, tu

seras continuellement à ses côtés, te rends-tu compte de la chance que tu as ??


Tu vas croiser du beau monde, rencontrer des personnes que tu n’aurais jamais

eu la possibilité d’approcher sans lui. Honnêtement, tu n’imagines même pas


comme je t’envie Scarlett !

Oh que si !! Je vois ça !!

Alors même qu’elle peut lire sur mon visage tout l’inverse de son engouement,
cela ne l’empêche pas de soupirer de béatitude, faisant totalement abstraction

de mes états d’âme.


Comment peut-elle sincèrement être tombée sous le charme de ce type, certes
beau, mais tellement abject ?

Ça reste un mystère pour moi.

Doug Doherty est vraiment très beau, c’est un fait sur lequel je ne reviendrai

pas. D’ailleurs son visage ressemble pour beaucoup à l’acteur Ian

Somerhalder, c’est pour dire ! Seuls ses yeux diffèrent en fait de ceux de
l’acteur, car ceux de Doherty sont d’un brun si foncé qu’on pourrait même les

croire noirs Son corps n’est pas en reste non plus. Puisque grand et athlétique,

on devine aisément derrière ses vêtements que sa silhouette est ferme et

musclée. Attirante. Je le reconnais. Et comme si tous ses qualificatifs

valorisants ne suffisaient pas pour un seul homme, comme l’a judicieusement

fait remarquer Abby, il a du charisme en plus ! Ça aussi, c’est indéniable. Mais


là s’arrête la longue liste d’attributs de Monsieur Doherty ! Car sa personnalité

est si pourrie en fait, que jamais je ne pourrais m’extasier sur lui comme le fait

continuellement Abby.

D’ailleurs Doherty veille bien à cacher cette part d’obscurité de sa personne,


dans l’image qu’il s’évertue à colporter à travers les médias. Les magazines ne

font état que d’un businessman beau, à qui tout sourit, sympathique, souriant,
puissant, et ce qui ne gâche rien : toujours entouré de belles plantes, bien

évidemment ! Il vend du rêve quoi ! Un éternel célibataire qui charme toutes les
femmes et que toutes les mères souhaiteraient avoir pour gendre. C’est une
bien belle image !

Mais dans le cas présent, je peux assurer avec certitude que sous cette image
d’Épinal de séducteur à deux balles, se terre, et pas très loin, un véritable

malotrus, incorrect, méprisant et complètement mégalomane de surcroit. Et

tyrannique aussi !

Alors, bon ! Mon dieu que sa belle renommée sur papier glacé est écornée ! Si
seulement, les gens savaient !

Je profite qu’Abby semble avoir buggé sur notre cher patron, pour rejoindre

ma chambre. Autant me coucher de bonne heure pour être au meilleur de ma


forme demain matin. La journée sera longue, très longue et difficile aussi, je

n’ai aucun doute là-dessus !

Avant de refermer ma porte, je jette un dernier coup d’œil sur Abby qui,

bloquée en mode adoration vénérée, le regard doucereux, semble perdue au

loin, très loin, au pays des contes de fées.


Chapitre 3

Comme je m’y attendais, je passe une nuit absolument horrible ! A la fois

torturée par l’entrevue de la veille et l’angoisse du jour à venir. De même, je


passe en revue un nombre incalculable de fois le contenu de ma penderie,

allant même jusqu’à essayer de me rappeler si je n’aurais pas dans ma

corbeille de linge sale, une tenue qui pourrait faire l’affaire pour demain. En

effet, compte tenu des critiques non dissimulées que j’ai reçues sur mon allure,

je redoute maintenant de me présenter devant lui. Une petite machine de

dernière minute serait peut-être encore possible si je me levais un peu plus tôt

... enfin, bien plus tôt, en fait !

Ça m’énerve, car ça ne me ressemble pas du tout de cogiter ainsi pour des

fringues ! Je n’ai même pas encore commencé à travailler que ce boulot me

prend déjà la tête ! Tout ça pour quoi ? Pour une tenue qui de toute façon ne
répondra pas à ses exigences. Car à y réfléchir, je n’ai rien dans ma garde-robe

qui me donnerait l’allure si raffinée des new-yorkaises.

Et total, au lieu de me reposer afin d’être en forme demain, mon sommeil ne

me profite absolument pas puisque mon cerveau ne cesse de gamberger.


Qu’importe à la fin, ce que je porterai pour ce premier jour ! On s’en fout ! Je

ne vais quand même pas répéter ce cirque chaque veille de travail ! Sinon, il est
clair que ce job finira par avoir ma peau ! Et en peu de temps à ce rythme !
Enfin bref, c’est dire à quel point je suis anxieuse, et ce bien malgré moi !

J’ai beau essayer de me sermonner en m’intimant d’arrêter de me prendre la

tête pour des foutaises, rien n’y fait. Je me lève à deux reprises, histoire

d’essayer le lait chaud pour me détendre ou bien d’appliquer sur ma taie


d’oreiller quelques gouttes d’huiles essentielles de lavande, mais comme par

hasard, cette nuit, rien ne marche. Je ne parviens pas à me défaire de l’image

de Doherty Et les minutes passent … et les heures défilent … jusqu’au dernier

moment où je jette un œil au réveil : 4 h 37 du matin ! Merde ! faut que je

dorme !

Épuisée nerveusement, je ne sais plus si mon esprit est obsédé par son

physique d’apollon ou si ce sont ses remarques acerbes qui me contrarient


toujours. En tout cas, parce que l’heure tourne et qu’il m’est impossible de

trouver le sommeil, je cède à l’envie de calmer d’une manière imparable mais

non avouable.

Le visage de Doherty s’imprime dans mon esprit et je le revois si proche de


moi dans son bureau que je pouvais sentir son souffle dans ma nuque. Je me

souviens des frissons qui ont alors parcouru mon corps et il ne faut pas
longtemps à mon imaginaire pour prendre le relais, rêvant secrètement des

mains de cet homme sur moi.

Est-ce sa beauté scandaleuse qui me guide ou bien encore sa personnalité


tellement autoritaire et dominante, je ne saurais dire. En revanche, le manque
évident d’hommes dans mon lit depuis déjà trop longtemps s’impose

véritablement à moi et je dois absolument apaiser la tension sexuelle qui me

torture. A la vérité, je suppose que n’importe quel homme aurait pu déclencher


cette coupable envie de caresses pourvu qu’il ait une gueule d’ange. Toujours

est-il que c’est en pensant à Doug Doherty que ma main droite se dirige
lascivement vers le bas de mon corps. Je ressens simplement un instinct

bassement animal qui fait surgir de mon imagination un fantasme érotique où

Doherty et moi revivons différemment mon entretien. Son bureau si bien

ordonné me sert de support pour mettre en scène ce qui aurait pu être.

Ce qui aurait dû être ??

Mes doigts se fraient un passage lent entre mes cuisses, écartant avec
délicatesse la fine dentelle de mon string. Un besoin purement sexuel contracte

mon bas ventre, faisant aussitôt parcourir mon corps de mille et un

picotements. Il est bien évidemment impossible que cet homme aussi beau que
con ait pu me séduire, Doherty est juste présent dans mes pensées érotiques

pour alimenter mon fantasme, le temps de mon plaisir solitaire. Voilà tout.

Sans hâte mais avec des gestes mesurés, mes cuisses s’écartent peu à peu,
facilitant le passage de mes doigts vers les chairs tendres de mon intimité. De

manière presque instinctive, ma main gauche dégage tout naturellement la


bretelle droite de ma nuisette pour s‘emparer avidement de mon sein mis à nu,
qu’elle malaxe ardemment. Mes doigts au sud écartent avec précaution mes

tendres lèvres et très vite, mon désir se matérialise par un délicat nectar qui

humidifie mes parois. Ma main gauche s’amuse à soupeser mon globe, à le

masser et à prendre la mesure de son poids, tandis que mon téton sensible se
dresse, dardant son plaisir. La rapidité avec laquelle mon corps réagit me

révèle très clairement le besoin urgent qu’il avait de se satisfaire. Je suis prête.

Je n’ai qu’à faire rouler ce délicat téton entre mes doigts, tandis que mon index

et mon majeur s’évertuent à tracer de doux cercles avec une fine pression sur

mon clitoris. Le plaisir monte, je le sens. Après un baiser brutal – que

j’attendais - Doherty me bascule soudain sur son bureau et prend le temps


d’observer le spectacle que je lui offre, jambes écartées, mes talons reposant

sur le verre froid. Ma jupe a été remontée par son geste vif et mes bas semble

attirer le regard concupiscent de mon patron. Mon corps crie le besoin qu’il a

de se faire malmener par les gestes brusques de mon amant, mon entre-jambe

est trempé. Je ne pense pas qu’il l’ait jamais été à ce point. Mon bassin se tend
avec impatience vers mes doigts alors que mon souffle se fait de plus en plus

erratique. Je ne suis plus très loin de jouir, tous mes sens s’affolent. Mes doigts
s’agitent avec plus de frénésie encore, pinçant désormais mon téton turgescent

et l’incroyable musculature de Doug Doherty apparait désormais sous mes


paupières, me surplombant, son visage au-dessus du mien, son sexe contre le

mien. Mes doigts s’affolent et le sang pulse dans mon bouton de plaisir excitant
mon corps encore et encore. Mon téton est pressé jusqu’à m’en faire mal, mes
doigts se raidissent par cette montée du plaisir. Et alors que Doherty m’assène

de violents coups de reins, soudain … la délivrance.

Une vague de jouissance engourdit tout mon corps, se répandant en moi

comme une forte vague de bien-être. Je me laisse submerger, m’abandonnant

ainsi au plaisir que Doug me donne, les muscles de mes parois internes se
contractent tandis que mon désir urgent d’un sexe masculin me pénétrant guide

mes doigts instinctivement vers l’intérieur de mon intimité, les aspirant

puissamment dans une longue contraction. Mon bassin monte à la rencontre de

l’objet de son plaisir et soudain la libération de toutes mes tensions. La

jouissance. Je me cambre et pince mes lèvres pour étouffer tout gémissement


profitant des derniers spasmes qui secouent encore mon corps de plaisir. Une

dernière image de Doug Doherty me pénétrant profondément, puis le calme

après la tempête. L’épuisement physique de toutes mes tensions de la journée.

Essoufflée, je ferme les yeux pour garder quelques secondes encore l’image

de mon bel étalon m’ayant culbutée, puis dans un dernier sursaut d’énergie, je
jette un dernier coup d’œil au réveil : 4 h 56. Je m’endors enfin.
Chapitre 4

Eh bien, je vais être fraîche pour cette première journée. Et je confirme ! Au


petit matin, sortir du lit est un vrai calvaire. Si j’en avais les moyens,

j’enverrais bien le réveil s’échouer à l’autre bout de la pièce. Mais au

quatrième rappel, je dois me résoudre à me lever, plus fatiguée que jamais. Le

miroir de la salle de bain n’est pas plus sympa. J’ai une tête de zombie et je me

demande bien comment je vais parvenir à faire dégonfler mes yeux et masquer
tous ces cernes. Si je m’étais levée plus tôt, j’aurais pu tenter quelque masque

maison avec des cotons imbibés d’eau fraiche, mais voilà ce qui se passe

quand on attend la dernière minute pour se lever.

Seul luxe de cette matinée : mon café. Et devant mon troisième café, je parviens

enfin à émerger … enfin un peu. Je suis toujours partagée entre les deux

sentiments antagonistes qui m’animent depuis la veille. Celui - le plus


dynamique et motivant - qui m’invite à m’accrocher et persévérer afin de

parvenir à conserver ce poste coûte que coûte pour sortir définitivement de


mes galères et l’autre, beaucoup plus cool – et de loin mon préféré - qui me
suggère de relativiser la situation, et de prendre le temps de voir venir les

choses.

J’ai clos le chapitre des vêtements puisque, comme nous le savons tous : rien
ne conviendra. Digne citoyenne de l’Oregon, je m’habillerai comme bon me

semble et ce, même si mon style « made in Oregon » lui déplait. Affaire réglée
donc !

D’ailleurs, cela me fait penser que j’ai oublié de raconter cette anecdote

cocasse à Abby. Cela dit, je suis sûre qu’elle n’aurait pas pour autant changé
d’opinion. Donc inutile de lui en faire part.

Quand les grandes portes vitrées de la tour Doherty s’ouvrent devant moi, mon

cœur s’accélère soudainement, comme si mon corps me mettait en garde d’un


danger imminent – ce qui je présume n’est pas loin d’être le cas. Je me sens

extrêmement mal à l’aise. Pas à ma place, du tout, en fait. Comme un mauvais

pressentiment, une appréhension - ou un présage ? – qui m’inciterait à ne pas

me présenter aujourd’hui. Cette sensation d’inconfort associe aussitôt dans

mon esprit l’image dominatrice de Doug Doherty. Mes caresses intimes et

honteuses de la veille au soir accentuent encore davantage cette dualité de

sentiments totalement contradictoires le concernant. Je vois bien que je ne suis


pas au clair avec cet homme. Comment un homme peut-il à la fois répugner et

attirer ? C’est bien la première fois qu’une telle chose m’arrive.

Sans doute, la beauté virile de Doherty n’est-elle pas étrangère à cette

incohérence. Le système limbique de mon cerveau – autrement nommé le


cerveau de l’amour – semble être sollicité, m’envoyant, bien malgré moi, des
pulsions de désirs inconscients. En revanche, ce que mon esprit n’a sans doute
pas assimilé c’est que d’une part Monsieur Doherty est un sale bonhomme –

pour rester correcte – et que d’autre part, je ne lui inspire que du dégoût. Et je

ne me fais pas de fausses idées ! Il ne s’est absolument pas gêné pour me le


montrer. Alors quelle partie de mon encéphale ne fonctionne-t-elle pas pour

ainsi omettre de neutraliser mon fameux cerveau du plaisir ?

Chassant au plus vite toute pensée qui pourrait conduire mon imagination à

avoir, là tout de suite, des idées érotiques, je me concentre sur la traversée de

ce hall afin de rejoindre au plus vite mon amie.

Dieu merci, pour y être déjà venue plusieurs fois, je connais un peu les lieux et

m’approche avec hâte vers mon seul point de repère en cette terre hostile :

Abby.

Elle officie depuis plusieurs mois à l’accueil. Et je la trouve déjà en poste,

puisqu’aujourd’hui, elle travaille de 7.30 à 14 heures. A choisir j’aurais

volontiers échangé mon poste avec le sien. Et ce, pour différentes raisons. Si

seulement j’avais pu. J’aurais bénéficié d’horaires fixes pour commencer, et


puis, j’aurais pu ainsi m’épargner de la présence indélicate de mon patron que

j’aurais désormais tout le temps sur le dos.

Sur le dos ? Hum …Non, non, non !! Reste concentrée Scarlett et étouffe dans

l’œuf toute idée sexuelle que ta conscience t’envoie au moindre mot !

Je me reprends. Oui, un échange de poste aurait été l’idéal. Sans compter que
cela aurait fait deux heureuses d’un coup, en plus : Abby auprès de son prince

charmant et moi, toute seule à l’accueil, tranquille. Cette situation aurait été tout

simplement i.dyl.lique ! Mais, las, ce n’est pas le cas.

Je me rapproche donc – puisque je n’ai pas le choix - de l’espace accueil

délimité par un large comptoir blanc arrondi et j’adresse un timide sourire à


mon amie. Abby, occupée au téléphone me fait signe de patienter, mais elle me

jauge avec attention et je devine que mon maigre sourire ne la convainc pas.

Elle me connait parfaitement et elle sait très bien ce que cache cette grimace de

sourire. Sans efficacité, je tente malgré tout de cacher mon trac.

— Ça va ? Prête ?

— Oui, ça va, je réponds d’une petite voix.

Il n’en est évidemment rien.

— Je t’ai entendu cette nuit, tu avais du mal à dormir ?

Oh ! mon Dieu ! Pourvu qu’elle n’ait pas entendu mes gémissements

nocturnes ! Je pourrai toujours prétexter un cauchemar, non ?

— Oui, c’est vrai que j’ai eu une nuit agitée. Le stress sans doute.

Abby m’adresse une petite moue de compassion puis se saisit du téléphone.

— Bien, je préviens la directrice adjointe, m’informe-t-elle.

Courage !

Selon les instructions de Doherty, c’est effectivement elle que je dois


rencontrer en tout premier lieu, Mary Donner. C’est elle qui est censée assurer

mon accueil. Pour tout dire, je ne sens pas vraiment rassurée.

Quelques secondes sont nécessaires pour qu’Abby la prévienne de mon

arrivée. Mon stress monte d’un cran. C’est un peu comme une rentrée des

classes dans un nouvel établissement. On ne connait personne et l’on redoute


en plus les nouveaux profs. Il y a un peu de ça ce matin, même si cette époque –

finalement pas si mal - est maintenant révolue pour moi.

J’avoue que ma rencontre de la veille avec Doherty m’a laissé un goût amer et

sans doute serais-je plus à l’aise aujourd’hui si l’accueil qu’il m’avait réservé

hier avait été plus cordial.

Mais bon … Prenant mon courage à deux mains, j’adresse un signe de main à

Abby et me dirige vers l’ascenseur trainant les pieds comme une condamnée à

mort.

Il est huit heures pétantes et c’est l’heure où la plupart des employés


commencent leur journée. Aussi, à peine ai-je pénétré dans l’ascenseur qu’une

marée humaine de bureaucrates envahissent entièrement l’espace restreint de la


cabine, me confinant contre la paroi arrière de l’ascenseur. Complètement

écrasée, j’assiste au spectacle des retardataires qui arrivent en courant, passent


au dernier moment une main dans l’entrebâillement des portes qui, en train de

se refermer, s’ouvrent à nouveau. Tandis que d’autres crient du bout du hall de


leur retenir l’ascenseur et aussitôt une personne ayant accès au clavier appuie
sur le bouton de blocage des portes. Ce petit manège dure un certain temps, et
de plus en plus écrabouillée contre le miroir du fond, je tordrais volontiers le

cou à l’imbécile qui ne cesse de retarder notre montée. Dieu merci, quand

pressés comme des citrons, plus personne ne peut s’introduire dans la cabine,
nous montons enfin. Tant pis pour les retardataires ! Ils prendront le prochain.

Nous sommes tellement collés les uns aux autres, que tous les parfums, eaux de

toilettes et autres déodorants de la cabine se mélangent et se confondent pour

ne donner au final qu’un effluve complètement nauséabond. Cette odeur

abominable commence à me lever le cœur et je ne regrette pas d’avoir sauté

mon petit déjeuner ce matin ; car nul doute qu’entre le manque d’air frais, le
mélange puant de tous ces relents et la compression de mon estomac lors de la

montée supersonique de l’ascenseur, j’aurais très probablement tout rendu sur

l’un de mes compagnons de voyage. Et ça aurait fait désordre de bon matin !

Tentant d’orienter mes pensées vers quelque chose de moins ragoûtant, je me

prête provisoirement au jeu d’examiner avec plus d’attention mes voisins de


cabine. Mon regard en suit un, puis deux, puis trois … et cela me saute

brutalement aux yeux. Toutes les personnes de cet ascenseur sont habillées de
manière semblable, horriblement classique, horriblement austère ! Et

comparée à eux, eh bien … je contraste carrément. Tous sont vêtus


soigneusement, je ne peux pas dire le contraire, costumes et tailleurs de

rigueur, mais c’est tellement plus « adulte » par rapport à ce que je porte, que
soudain, je ne sais plus si dois rentrer me changer ou oser me présenter ainsi.
C’est vrai, je l’admets, je détonne.

Mais pourquoi les gens vont-ils travailler ainsi apprêtés ?

Même pour sortir, je n’ai pas de vêtements aussi habillés dans ma garde-robe !

Eventuellement, pour une soirée je pourrais comprendre, mais pour se rendre


au travail ?? Quel intérêt ?

Bien que je renâcle à l’avouer, je saisis mieux le regard dédaigneux de

Doherty la veille, même si je ne lui pardonne pas pour autant son manque de

manières. Car la façon dont il s’est comporté hier est absolument

impardonnable. Même dans un mauvais jour. Il était forcément obligé de

remarquer et de comparer ma tenue si différente de celles de ses fidèles


employés, mais il aurait pu user de davantage de tact. C’est ça aussi, avoir de la

classe !

On n’apprend pas les bonnes manières chez les Doherty ?

Complètement affolée d’une telle différence vestimentaire entre toutes ces

personnes et moi, je me sens encore plus mal que je ne l’étais, regrettant

vivement de n’avoir pas emprunté un tailleur à Abby. Et moi, qui pensais avoir,
malgré tout, obtenu un résultat satisfaisant, en quittant mon appartement ce
matin ! Je me suis littéralement plantée ! Et je suppose que mon employeur ne se

gênera pas pour me le faire remarquer, galant comme il est !

Pourtant, pour ce premier jour, j’avais choisi de jouer la sobriété : une petite

jupe noire un peu fantaisie mais point trop et un chemisier -imitation- soie de
couleur crème. Je trouvais l’ensemble assez réussi devant mon miroir. Mais
j’ai de sérieux doutes à présent. Je reconnais qu’une petite veste noire aurait

parfait l’ensemble, mais je n’en avais pas, alors j’ai fait comme je pouvais,

c’est-à-dire que je m’en suis passé. Je verrai à la fin du mois, quand ma paye
sera créditée si je peux me permettre quelques petits achats afin de mieux me

conformer au dress-code de la société, puisqu’il semble, en effet, que ce soit le


cas ici.

Mais pour l’heure, oublions. Il faudra bien faire aller. J’imagine déjà les

nombreuses remarques désobligeantes que je vais essuyer d’ici-là ! J’essaierai

de m’arranger avec Abby ce soir. Elle aura sûrement de quoi me dépanner en


vêtements en attendant mes nouveaux achats. Son armoire déborde et je sais

qu’elle ne rechignera pas à m’en prêter. Au contraire même, je suis sûre

qu’elle se fera une joie de me conseiller.

En ce qui concerne les chaussures que je porte ce matin, je suis loin du cliché

idéal de l’assistante de direction, perchée sur de hauts - très hauts - talons,


comme les portait la secrétaire de Doherty, mais il faut rester pragmatique :

comment tenir une journée entière sur des échasses, d’autant plus que je ne sais
même pas quand s’achèvera cette foutue journée ? Alors, du coup, j’ai mis mes

petits escarpins noirs de bonne facture, achetés l’hiver dernier en solde. Ils ne
sont pas bien hauts, mais ils sont confortables et ils s’accordent parfaitement à

ma tenue. C’est toujours ça.


« Vous resterez jusqu’à ce que je n’aie plus besoin de vous » je ricane
intérieurement en repensant aux paroles de super boss. Un sourire narquois

m’échappe et mon voisin de cabine m’adresse en retour un sourire qu’il pense

sans doute être charmeur, présumant sans doute que mon rictus lui était destiné.
Malheureusement, je ne veux pas me montrer désobligeante, mais son allure

débraillée de bon matin, montre qu’il a dû courir pour ne pas être en retard. Un
pan de sa chemise sort de son pantalon et son visage luit déjà de transpiration.

Un mouchoir en main, il s’éponge le crâne qu’il a en plus de dégarni. Le

pauvre, il n’est pas gâté. Mais parce que j’ai de l’éducation – moi - je me

retiens de lui montrer mon aversion.

Heureusement, l’ascenseur s’arrête au dixième et il sort avec hâte, tout en

continuant de s’embrailler en rejoignant à toute vitesse son bureau. Les autres

occupants s’échappent peu à peu au fil de la montée et je me retrouve

finalement seule pour les derniers étages à parcourir.

Je peux enfin respirer, l’air devient plus sain. J’en profite pour faire un petit
point contrôle sur mon allure et je suis finalement moins défaitiste qu’à peine.

Mes longs cheveux blonds attachés en un chignon souple sont toujours bien

maintenus par les épingles et les deux mèches, que j’ai volontairement laissé
tomber sur les côtés, adoucissent plutôt l’ovale de mon visage. Je passe juste

mes doigts dans ma frange pour la réajuster, puis contrôle ensuite mon
maquillage en approchant mon visage du miroir de la cabine. Dieu merci, rien
n’a bougé, mon khôl noir n’a pas bavé, cernant toujours parfaitement mes

yeux bleus, en revanche, il semblerait que j’ai quelque peu mangé mon gloss

rose, mais tant pis, ça ira assez comme ça !

Seule dans la cabine, examinant le tableau des étages qui défilent maintenant, je

réalise avec ironie que je touche quasiment le ciel et donc Dieu, quand la

cabine s’ouvre sur le 31ème étage, Doherty siégeant en maitre des lieux sur tout

le 32ème dont l’accès est privé et sécurisé.

Mary Donner m’accueille avec un sourire pincé et une seule parole, prononcée

du reste assez sèchement.

— Bienvenue.

Je la salue aussitôt en me présentant avec un certain enthousiasme, mais je


comprends bien vite qu’elle ne souhaite pas s’étaler davantage sur les

politesses d’usage.

— Bon, ne perdons pas de temps, suivez-moi.

Ok, bon ! bah ça c’était rapide au moins. Et cela a au moins le mérite de me

plonger immédiatement dans l’ambiance. A ce que j’en devine, cette Mary


Donner ne doit pas souvent sourire. Ses lèvres fines se courbent légèrement
vers le bas et les traits de son visage sont assez durs. C’est ce que l’on peut

appeler, - je présume - une belle femme, compte tenu de son âge, mais son air
austère ainsi que ses cheveux noirs tirés en un chignon - si serré que ses yeux

en sont étirés - lui donnent une allure non avenante. Vêtue d’un tailleur
pantalon noir, elle est certes élégante, mais carrément lugubre.

Ok, c’est clair, ce n’est pas avec elle, non plus, que je vais m’éclater au
quotidien !

— Bien, asseyez-vous, m’ordonne-t-elle plus qu’elle ne m’y invite quand elle

referme la porte de son bureau.

Je n’en reviens pas qu’il s’agisse d’un bureau ! Celui-ci est plus grand qu’un

appartement ! Sans blague ! L’immense baie vitrée donne sur la cinquième

avenue, c’est carrément fou. Je jette rapidement un coup d’œil panoramique et

constate que le peu de meubles présents dans la pièce est de style moderne. Un
peu froid à mon goût mais en parfaite cohérence avec le personnage. Vitre et

métal. Froid. Mary Donner marque, elle-aussi, un temps d’arrêt et me dévisage

de manière aussi incorrecte que son patron la veille.

Ils ont vraiment de drôles de manies dans cette boite.

Et comme j’aurais dû m’y attendre, ce que je lis sur son visage à ce moment-là,

reflète la même aversion que celle que j’ai pu lire hier sur celui de Doherty.

Ils commencent à me fatiguer tous ! Qu’ils sortent un peu de leur tour d’ivoire
et qu’ils observent comment les gens s’habillent et se coiffent de nos jours !

— Bon, se reprend elle en dodelinant de la tête comme pour chasser ses

pensées négatives. Vous passerez voir le DRH pour votre enregistrement dans
la journée. Vous vous renseignerez auprès de Betty, votre seconde, pour toute

information concernant les dossiers en cours, les habitudes de Monsieur


Doherty et ses désidératas.

Quoi ? J’ai une seconde ?? Vraiment ?

Waouh ! C’est de la bombe !

— Je suis votre supérieure directe. Ne dérangez pas Monsieur Doherty pour


tout ce qui est d’ordre d’intendance. En cas de questions, problèmes ou soucis

je suis votre seule et unique interlocutrice ! Mais bon, autant vous avouer dès

maintenant et sans chichis, que je ne m’estime pas là pour subir vos

continuelles jérémiades, aussi vous veillerez à m’épargner vos petits tracas,

ennuis ou désagréments. J’ai d’ailleurs, une conviction bien établie sur les
complications ou contretemps de nos employés. Souhaitez-vous entendre mon

point de vue ?

J’ose à peine faire un oui de la tête. J’imagine sa tête si j’avais dit non !

— Eh bien, voilà ma position et je vous invite à y réfléchir sérieusement

ultérieurement. Seules les personnes manquant de maitrise, de rigueur ou tout

simplement de compétences finissent par se retrouver empêtrées dans des


situations inextricables, incapables de résoudre leurs propres erreurs. Vous

constaterez par vous-même que ces mêmes employés se révèlent d’ailleurs


toujours, pour nous employeurs, un monumental échec de recrutement.
J’espère que vous ne ferez pas partie de cette catégorie de salariés,

Mademoiselle Johns.

— Oh ! commenté-je seulement, incapable d’ajouter autre chose.


— Oui. A méditer, comme je vous le disais. Enfin ! Continuons cet entretien
d’accueil.

Tu parles d’un accueil !

— Donc, quelques instructions de base maintenant. Vous arrivez avec le

sourire, vous repartez avec le sourire et toute la journée quoiqu’il se passe

vous conservez ce foutu sourire. Vous devez être agréable de contact, ne


manifester aucune lassitude ou émotion. Monsieur Doherty a d’ailleurs

suffisamment à faire, sans avoir à subir en plus les humeurs d’une secrétaire.

— Assistante, ne puis-je m’empêcher de la reprendre.

Son regard froid et agacé répond immédiatement pour elle et je me mords


aussitôt la langue quand ses yeux plissés me sondent subitement avec colère.

— De ceci également il faudra vous défaire, ajoute-t-elle.

— Pardon ? j’ose demander ne comprenant pas le sens de sa remarque.

— Vos manières campagnardes, me précise-t-elle sans prendre de gants. On


vous parle, vous écoutez. On vous attribue une tâche, vous exécutez. Pour le

reste, on n’attend de vous aucun commentaire, aucun jugement et surtout,


surtout aucune autre manifestation impertinente comme vous venez de le faire
Mademoiselle Johns. Suis-je claire ? me demande-t-elle en arquant un sourcil -

totalement épilé et redessiné - de manière à s’assurer que je comprenne bien ce


que l’on attend de moi.

Une fois encore, sans savoir vraiment pourquoi, je me retiens de rebéquer et


de lui dire, toute ma façon de penser sur leur manière de traiter les membres

du personnel, ici à Doherty Press.

Ah oui, je sais pourquoi je ne le fais pas : j’ai besoin de ce job à la con !

Au lieu de ça, je m’entends lui répondre, comme une jeune écolière attentive et

disciplinée :

— Oui, Madame.

— Bien, je vois que nous sommes d’accord. C’est donc un sujet sur lequel

nous ne reviendrons plus. Maintenant, jeune fille, avant de vous laisser, je me

dois de vous rappeler et j’espère que vous en avez conscience, à quel point

vous êtes chanceuse de pouvoir accéder à un tel poste malgré votre faible
bagage et votre manque d’expérience. Alors, sachez saisir cette opportunité. Ce

sera sans doute la seule fois où vous aurez une telle occasion.

Bah, merci !??

Je vais pour rappeler à la sorcière qui se tient devant moi, que je suis tout de

même titulaire d’un M.B.A marketing, et qu’en tant que telle, j’ai certaines

compétences qui seraient, malgré tout, susceptibles d’intéresser certaines


sociétés, mais son simple regard me fait aussitôt refermer ma bouche
entrouverte. Elle me toise me menaçant de son menton, stoppant net toute

réaction éventuelle de ma part.

Donc : aucun commentaire, voilà ce que l’on attend de moi. Exécuter et la

fermer.
Message reçu 5/5.

Au final, après cette mise au point extrêmement instructive, alors que je


m’attendais à ce qu’elle me précise les charges afférentes à mon poste, j’ai

plus l’impression d’être passée dans le bureau de mon ancienne directrice

d’école que d’avoir été « accueillie ». Le sens de ce mot fait manifestement


défaut chez les cadres de Doherty Press.

— Je vois que vous êtes d’accord avec moi, conclut-elle. Parfait ! D’ailleurs,

ajoute-t-elle à voix chuchotée en me scrutant, pour être tout à fait honnête avec

vous, je ne comprends toujours pas le choix de Monsieur Doherty, mais je

suppose qu’il doit avoir ses raisons, murmure-t-elle des regrets dans la voix.

Bon ! se reprend-elle en claquant des mains, chassant ses doutes à mon sujet, eh

bien, à présent, filez voir mademoiselle Stuart avant de prendre vos fonctions.
Je suppose qu’elle pourra faire quelque chose de vous, encore que cela ne me

paraisse plus relever du miracle que du talent ... Enfin, souffle-t-elle … avez-

vous des questions ?

Elle semble me le demander plus par formalité que par une véritable envie de
satisfaire ma curiosité ; et ce n’est pas pour m’encourager. Mais néanmoins,

j’en ai au moins une à lui poser.

— Dois-je dois au préalable passer au service des ressources humaines ?

— Ouh là, ciel, non ! Allons aux priorités Johns ! Dépêchez-vous de


rencontrer Mademoiselle Stuart avant que Monsieur Doherty n’arrive ! Voilà
l’urgence ! Il ne s’agirait pas que vous le placiez dans une situation

embarrassante avec votre dégaine. Enfin, j’espère au moins que vous serez

compétente, ponctue-t-elle si « aimablement ». Les assistantes de Monsieur

Doherty ne durent jamais très longtemps en poste, vous savez. C’est un homme
exigeant, vous devez donc vous y attendre. Il va de soi qu’il n’est pas là pour

entendre, lui non plus, vos pleurnicheries, ni même pour vous tendre un
mouchoir à la moindre contrariété, souvenez-vous en ! Et juste pour

information, épargnez-moi également vos doléances à venir, vous me ferez

plaisir. Beaucoup trop de femmes ne savent faire autrement que se plaindre à

longueur de temps. Par pitié, évitez-moi cet écueil ! Enfin, encore une fois, je

ne comprends toujours pas son choix …murmure-t-elle à soi-même en

dodelinant de la tête comme si je n’étais déjà plus présente devant elle.

Sa voix s’éteint sur ses derniers mots.

Sorcière va !!

— Quand devrai-je me rendre au service RH alors ? je m’enquiers, têtue.

Le ton de ma voix sonne un peu insolent, même si ce n’est pas mon intention. Il
me semblait juste, que la première chose à faire en étant embauchée était

justement de se faire inscrire légalement en tant qu’employée.

Non ?

Bon, c’est vrai qu’en la matière, là encore, je manque plutôt d’expérience mais

c’est pourtant l’une des premières règles que nous avions apprises en cours, il
me semble …

Les lois du travail auraient-elles changé en cinq mois de temps ?

La vieille chouette assise en face de moi, plisse de nouveau ses yeux en une
minuscule fente et d’un simple regard noir, elle parvient à me remettre en

place.

Comment fait-elle ça ??

— Bon, souffle-t-elle visiblement agacée, puisqu’il faut tout vous expliquer …

Bah oui, normal, non ? C’est soi-disant un entretien d’accueil.

— Si Monsieur Doherty n’a pas besoin de vos services sur votre pause

déjeuner, vous vous y rendrez à ce moment-là. Sinon attendez la fin de votre

journée, cela peut attendre. Et puis, on ne sait jamais … peut-être n’aurons-

nous même pas besoin de cette formalité, ajoute-t-elle tout en ricanant tout bas.
Sorcière va !! Enfin bref, je m’éloigne ... Sachez sinon que le bureau de

Monsieur Peel, notre D.R.H, reste ouvert sur une large amplitude horaire.

Tâchez simplement de vous y rendre aujourd’hui si seulement Monsieur

Doherty souhaite vous revoir demain.

Nous y voilà ! Merci, sympa !

Ça a au moins le mérite de me faire comprendre à qui j’ai à faire ! Je ne


perdrai donc pas de temps à me demander ce qu’elle peut penser de moi. Faut

voir le bon côté des choses !


Mais bon, je déjeune quand moi, dans tout ça ? Et je finis quand le soir ?

Mais c’est quoi cette boite franchement ??

Quand je rejoins le 20 ème étage, après que la directrice adjointe ait pris congé
de moi, je dois avouer que mon enthousiasme – qui n’était déjà pas très criant

en arrivant – vient encore de chuter.

Le 20 ème étage est « the étage » de Mademoiselle Stuart. Hallucinant ! Quand les

portes de l’ascenseur s’ouvrent, alors que je m’attends à trouver un couloir, un

secrétariat et des portes de bureaux, j’ai l’impression d’avoir été téléportée

dans la galerie marchande du Macy’s qui se trouve un plus haut sur la sixième

avenue. L’étage entier est consacré à la styliste qui officie en maitresse des
lieux pour Doherty Press Company.

Tout un tas de personnes s’agitent au milieu de portants d’habits et sur la

gauche un espace beauté semble même avoir été spécialement aménagé, tandis

que des salons que je devine privés occupent une partie de la surface sur ma

droite. On se croirait dans une ruche. Plusieurs femmes travaillent sur


machines, d’autres présentent des tissus devant une femme que je repère assez
vite comme étant la fameuse Mademoiselle Stuart. C’est une femme élégante et

snob – cela se devine au premier coup d’œil -.

Comme pour asseoir son règne, hautaine, elle donne des instructions aux
femmes qui se présentent devant elle avec autorité et impatience. A croire que
c’est une spécialité chez Doherty Press ! Les pauvres ouvrières totalement
stressées s’agitent et s’éparpillent pour revenir quelques instants plus tard en

présentant de nouveaux modèles.

D’autres se hâtent pour exécuter je ne sais quelle mission. Bref, tout le monde

court ici ! Impressionnant comme ambiance. Réellement. La cadence a l’air

infernale. Tout juste si elles ne sprintent pas à chaque ordre !

Hésitante, comme ces pauvres employées – je ne fais pas exception - je


m’avance vers celle qui incarne le pouvoir ici et elle ne met pas longtemps à

me repérer et à scanner mon image de son regard acéré. Ok, comme je l’ai

déjà dit, je détonne ici, mais peut-être encore plus sous son œil.

Je l’observe tandis qu’elle finit de crier ses ordres avec agitation et

souveraineté. Et je dois reconnaitre que malgré son air peu aimable, c’est une

très belle femme. Brune aux cheveux longs, elle doit avoir la trentaine et sa

silhouette est merveilleusement dessinée. C’est ce qui me marque le plus

d’ailleurs. Elle porte une robe qui ressemble énormément à celles portés dans

les années cinquante et sa taille extrêmement fine est stupéfiante. Je me

demande aussitôt si elle porte un corset ou quelque chose d’identique pour


parvenir à faire ainsi diminuer son tour de taille. Par réflexe, je lance un œil

vers la mienne et me trouve soudain particulièrement grosse.

Heureusement, au bout de longues minutes, elle semble enfin décidée à

s’occuper de moi. Je commençais vraiment à me sentir godiche, plantée là au


milieu de cette fourmilière. Et surtout, j’arrête de me comparer à miss-taille-
de-guêpe. Elle finit donc par s’avancer vers moi, son regard perçant détaillant
chaque parcelle de mon corps.

Ouh là là ! ça va faire mal là ! Je le sens !

— Bien, je suppose que vous êtes Miss Oregon ? me questionne-t-elle par-

dessus ses lunettes, qu’elle porte en bout de nez.

— Je …, je ….

Je suis incapable de lui répondre tant je reste atterrée par ce surnom.

Miss Oregon ? Comment seulement a-t-il pu oser ? Miss Oregon …quoi !! Je


bous littéralement.

Vais -je porter ce stupide sobriquet tout le temps où je resterai dans cette

société ?

— Bien suivez-moi, dit-elle finalement, exaspérée. Il y a du travail

effectivement. Ce n’était pas exagéré !

Les bras m’en tombent et je la suis, comme une potiche, sans savoir quoi lui

répondre, ni même pourquoi je la suis, à la vérité. Si mon corps se plie à ses


ordres, mon regard en revanche est si furieux qu’elle doit sentir les milliers
d’échardes de verre, que je lui envoie, se planter dans son dos.

Elle s’arrête soudainement et je manque de lui rentrer dedans, perdue dans les
pensées de tortures qu’elle m’inspire. Après un claquement de doigts, deux

jeunes femmes munies de mètres s’approchent aussitôt de moi, et se mettent à


me mesurer de toute part, l’une passant ses bras autour de moi tandis que la
seconde note toutes ces informations.

Je me sens évidemment grosse et c’est, d’ailleurs, bien le message que veut me

faire passer cette chère Mademoiselle Stuart. Surtout quand miss-mètre-

numéro-un annonce à voix haute mes mensurations. La styliste zélée souffle


bruyamment et se tient le front de son pouce et de son index comme si mon cas

était désespéré.

Est-ce si catastrophique que ça ? Vraiment ?

Quand même ! Faut pas abuser !

Je n’ai peut-être pas une taille mannequin mais quand même ! Une fois de plus
je suis furieuse et la folle envie de fuir cette société d’un autre monde me tente

de plus en plus, et c’est d’ailleurs ce que je ferais dans l’instant, si l’image

d’Abby ne flottait pas continuellement devant mes yeux, m’incitant à plus de

patience.

Allez, courage Scarlett, c’est pour la bonne cause !

Enfin quand même, j’ignorais que pour être assistante de « Môssieur »


Doherty, il fallait ressembler aux femmes avec lesquelles il s’affiche
constamment lors de ses soirées !

Est-ce ainsi dans toutes les grosses boites de New-York ?

Une fois cette formalité d’accueil « plaisante » réalisée, Mademoiselle Stuart


m’invite - c’est un mot très souvent employé ici, qui vous ordonne, plus qu’il ne
vous invite - à la suivre.

— Oregon suivez-moi, me lance-t-elle sèchement alors que je rêvassais sur


cette utilisation détournée du terme.

Elle semble en colère contre moi alors que je n’ai même pas eu le temps

d’échanger deux mots avec elle. Pourtant, encore une fois, sans me rebiffer, je

la suis, comme l’idiote que je suis depuis que j’ai franchi ces murs.

Les deux abeilles ouvrières partent avec hâte munies des informations métrées

et ô combien sacrées, tandis que la reine mère des lieux me dirige vers une

autre femme vêtue d’une blouse de travail blanche, ressemblant à l’identique à


celle portées par les infirmières. Je m’étonne de sa tenue en ces lieux, mais tout

est tellement bizarre ici, que j’en viens à ne plus trop me poser de questions.

Alors que Mademoiselle Stuart converse avec cette femme, sans même me

regarder, ni prêter attention à moi, elle lui retransmet les mesures et l’air

presque catastrophée, la femme en blouse saisit une feuille pré-imprimée.


M’ignorant toujours, cette dernière attrape le stylo rouge qui se trouve dans sa

poche et commence à barrer quasiment tous les mots inscrits sur la feuille. Je
ne réussis pas à lire ce qu’il y a dessus car les deux femmes sont tournées de

trois-quarts. Et cela m’intrigue vraiment. Mais que font-elles à la fin ?

Mais enfin, au bout d’un moment assez long, elles se retournent toutes les deux

vers moi, et Mademoiselle Stuart me tend la feuille raturée que j’attrape


automatiquement. A ce moment, je peux au moins lire sur la blouse blanche à
qui j’ai à faire : V. Clow diététicienne.

Quoi ? Une diététicienne ? Pour moi ? Mais pourquoi ? Vraiment ??

— Bon, c’est grave mais pas catastrophique m’annonce-t-elle à la manière


d’un médecin préparant son patient à accueillir la mauvaise nouvelle. Pour

vous, finalement ce sera très simple. Voici la liste de tout ce que vous avez le

droit de manger, tout le reste est barré.

— Quoi ? Mais pourquoi ? je m’indigne. Je postule en tant qu’assistante pas en

tant que mannequin, lui rappelé-je agacée.

Y aurait-il méprise ? Mais le souffle exagérément bruyant lâché par

Mademoiselle Stuart me confirme qu’apparemment non, il n’y a pas de


malentendu.

— Vous avez tous un problème ici, sérieux ! je m’énerve.

Tandis que je jette un œil rapide sur sa fameuse liste que j’ai en main, une rage

profonde et sans nom me saisit. Je suis outrée. Non ! Plus qu’outrée en fait ! Je

suis furieuse, furibarde, furibonde, dans une colère absolue encore jamais

atteinte auparavant ! La liste raturée de rouge ne laisse apparaitre plus que


quelques trois horribles mots tristes et terrifiants à la fois, haricots verts,
épinards et poissons.

Voilà à présent ce que je suis censée avoir le droit de manger ! Cette histoire de
boulot commence sérieusement à me prendre la tête et mes petits nerfs eux

aussi, commencent à se mettre en pelote, ce qui n’est généralement pas bon


signe quand ça m’arrive. Et encore, comme je l’ai dit, je crois n’avoir encore
jamais été autant en colère de toute ma vie.

Il est de moins en moins sûr que je revienne demain. J’ai vraiment fait de gros

efforts de contenance depuis hier, mais là, je bous quasiment et la cocotte n’est

pas loin d’exploser. C’est tellement surréaliste !! Je pense même que si je


m’avisais de raconter mon calvaire à quelqu’un – étranger à cette boite, cela

va de soi -, cette même personne ne miserait pas un seul miséreux cent sur la

véracité de cette histoire de fous. Et pourtant …

Outre, l’aspect burlesque de la situation, c’est carrément un odieux abus de

pouvoir, un insensé despotisme au nom de quoi ? Au nom de l’image de

marque d’une société qui souhaite que tous ses employés soient des esthètes !

Pauvres malades !!!

Je suis persuadée que je pourrais porter l’affaire devant les tribunaux … et

gagner en plus !

Non mais vraiment ! C’est quoi cette boite de malades ? je me redemande

consternée.

A la vérité, j’ignorais même que de telles choses pouvaient exister ! Enfin dans
la vraie vie, j’entends ! Il faudra, sans faute, que j’en reparle avec Abby ! A-t-
elle eu à subir le même traitement ?

Je n’ai même pas le temps de poursuivre ma plainte auprès de la diététicienne

que Mademoiselle Stuart me dirige par les épaules vers ce que je qualifierais le
coin beauté de l’étage. Compte tenu de mon état d’énervement, j’aurais sans

doute réellement apprécié, dans un autre contexte, pouvoir m’accorder cette

petite pause beauté. Mais là, je suis tellement contrariée que rien ne pourra me

détendre, je suis bien trop sur la défensive. Et j’ai mes raisons !!

Et je n’ai pas tort, je précise, car là encore, même scénario ! La styliste


s’adresse à des personnes m’ignorant totalement. Ça parle, ça agite les mains et

ça me jette quelques regards affolés. Je sens bien que je fatigue car je n’ai

presque plus la force de riposter, même si j’enrage de l’intérieur. Je ne

souhaite qu’une chose : mettre fin à cet horrible cauchemar !

Pitié ! Réveillez-moi !!!

A nouveau, Mademoiselle Stuart me laisse en plan, tandis qu’elle s’adresse

simultanément à deux personnes qui opinent de la tête, tout en me regardant. Je

devine avec certitude, qu’elle est en train de leur donner des instructions

précises concernant ma tête. Car en effet, même si je ne peux entendre ce

qu’elle dit, ses mains tournent rapidement et sèchement autour de son visage,

expliquant très probablement, ce qu’elle attend d’eux.

Un homme d’une trentaine d’années qui, lui, me semble à priori sympathique –

enfin un ! -s’approche de moi et me dirige vers le bac du coin coiffure. Il se


présente à moi- c’est le premier à le faire -. Peter. Et il m’explique ce qui va

suivre.

Mais à peine ai-je posé mes fesses sur le siège, dans un dernier sursaut
d’énergie et de révolte, je me redresse d’un bond.

Alors, là, non ! Non ! et … NON !! C’est ma tête, mon corps et mon physique à
la fin !!

Je n’ai jamais lu nulle part que pour occuper un emploi, un salarié devait se

soumettre à des ordres hiérarchiques concernant son physique ! Ce sont tous de

grands malades ici, c’est avéré ! Et mon idée première de foutre le camp d’ici
ressurgit brutalement, reprenant enfin le contrôle de mon corps !

J’arrache la blouse de coiffure que Peter m’a passée et me saisis de mon sac

que j’avais posé sur l’une des tablettes face aux miroirs. Surpris, mon coiffeur
reste hagard, tandis qu’une jeune coiffeuse, sans doute apprentie, me regarde,

horrifiée par l’audace de ma rébellion.

— Quoi ? je lui rétorque agressivement.

Alarmée par le haussement de ton, Mademoiselle Stuart qui s’était éloignée se

retourne vers l’origine du chaos.

— Que se passe-t-il Peter ? l’interroge-t-elle sèchement.

— Inutile de lui demander, adressez-vous à moi si vous souhaitez vraiment


savoir ce qui se passe ! je crie, complètement hors de moi.

Côté énervement, je suis au maximum, après avoir subi tous leurs simagrées.
Alors, mieux vaut ne pas trop me chatouiller sous risque que je commette un

homicide là, tout de suite ! Et peut-être même un génocide dans la foulée ! Pour
ma part, j’estime avoir fait preuve d’une patience plus que raisonnable, déjà
loin, si loin de mon caractère habituel.

— Du calme Oregon ! Votre réputation vous précède, on m’avait prévenue,


j’aurais dû m’y attendre, se reproche-t-elle soudain en haussant le ton. On

dirait la voix autoritaire d’un dompteur !

— Quelle réputation ? je crie. Et puis arrêtez de m’appeler ainsi à la fin ! Mon

nom est Scar-lett ! Scarlett Johns pour être exacte ! Ce ne doit pas être trop
difficile à retenir pour une personne aussi intelligente que vous ! Non ?

— Que vous arrive-t-il ? soupire-t-elle d’une voix lasse. Genre « allez, videz

votre sac, ça ira mieux après ».

— Vous plaisantez en me posant la question ou vous êtes si gravement atteinte


que vous ne vous en rendez même plus compte ?

— Oui effectivement, dodeline-t-elle de la tête se parlant à elle-même, vous

êtes à la hauteur de ce que l’on m’avait dit de vous. Aucune réserve, du brut,

cent pour cent zéro raffinage. Va y avoir du travail avec vous, souffle-t-elle à

nouveau. Enfin bref, là n’est pas votre problème, c’est le mien. Donc, vous
disiez ? Qu’est-ce qui vous dérange alors ? On s’apprête à vous

métamorphoser, laisser paraitre l’éclat qui est en vous … pour peu qu’il y en
ait un, alors quel est le problème exactement Ore … euh … Mademoiselle
Johns ?

— Sérieusement ? Oui, vous êtes grave atteinte ! Elle est atteinte ! je crie à la

volée complètement hors de moi. Ce qui me chagrine, vraiment ? Je viens pour


occuper un poste d’assistante dans une société que je pensais sérieuse ! Il est

dix heures, je n’ai pas encore foutu les pieds sous mon bureau, et au lieu de ça,

on me prend en main comme on le ferait pour un chien dans un salon de

toilettage ! Mais où vous croyez-vous ? je hurle.

Face à mon accès de colère, Mademoiselle Stuart ne prend même pas la peine
de me regarder, ses yeux se portent aussitôt vers ses pieds, où l’avant de sa

chaussure bat la mesure dans l’attente que cesse ma crise. Elle a croisé ses bras

et ses traits expriment un grand accablement.

— Miss O… euh … Mademoiselle Johns se reprend-elle.

Mais je ne lui laisse pas le temps de déclamer une fois encore la merveilleuse

chance que j’ai d’être prise en main par cette merveilleuse société et file en

direction des ascenseurs. J’appuie sur le voyant indiquant l’accueil et une

irrésistible envie de fuir à toutes jambes se saisit à nouveau de moi.

Mais lorsqu’arrivée au niveau du rez- de- chaussée, j’aperçois Abby derrière


son comptoir, bien que remontée à bloc, l’intensité de ma hargne faiblit face à

la sincérité du grand sourire qu’elle m’adresse. Au fur et à mesure que je


m’approche d’elle, la voyant si calme et si épanouie, mon pas ralentit et je

perds peu à peu tout courage de renoncer, me sermonnant encore une énième
fois. Je vis quasiment à ses crochets depuis plusieurs mois, je ne peux

décemment pas fuir sans avoir essayé. Pour elle, je renonce à prendre la
poudre d’escampette et m’oblige à persévérer une dernière fois. La journée ne
fait que commencer après tout, peut-être aurais-je de meilleurs moments sur le
reste du temps ? Je m’exhorte à me montrer adulte, retardant à ce soir ma

décision définitive. Je suppose que je peux quand même tenir une journée

entière à l’essai.

Si elle savait les efforts que je fais en son nom !


Chapitre 5

Je suis à quelques mètres du comptoir d’Abby et le sourire candide et radieux

qui reste affiché en permanence sur son visage a pour effet d’atténuer
progressivement cette rage qui me submergeait quelques minutes encore

auparavant. Mon rythme cardiaque se calme peu à peu et pour ne rien laisser

paraitre de mon énervement, je tente d’adopter un ton de voix qui soit le plus

posé possible afin de lui demander de bien vouloir prévenir Betty de mon

arrivée imminente. Betty ma seconde. Ma seconde !! C’est carrément de la

balle ! J’ai une assistante !! Comme je n’ai pas envie de faire ressurgir tout le

stress que je m’efforce de contenir pour tenir bon, je préfère ne pas me confier
à mon amie, ce qui aurait à coup sûr pour effet de me replonger illico dedans.

Donc, mieux vaut tenter d’en faire abstraction pour l’instant. Ce soir, en

revanche …

— Tu as couru ? m’interroge Abby étonnée.

— Hein ? quoi ?

— Je te demandais si tu avais couru ? Tu sembles toute essoufflée.

Agrrrrrr !!

Je hurlerais volontiers histoire d’évacuer toutes les ondes négatives qui


parcourent mon corps, me rongeant de l’intérieur depuis que je suis arrivée
dans cette boite de malades. Une longue plainte de rage qui résonnerait si bien
dans ce grand hall. Tout le monde serait ainsi témoin de mon exaspération et

peut-être même me diagnostiquerait-on un burn-out ! Ce qui en soit serait un

comble pour une personne qui n’a pas encore mis les pieds dans son bureau !

Et ce n’est pas, non plus, ma vie personnelle qui pourrait en être la cause. Car
dans le genre mer calme, on ne peut pas trouver mieux. Si peut-être … lac très

très calme.

Quoi qu’il en soit, ce coup de gueule hurlant à la mort n’arrangerait certes rien

à mon cas, mais il me soulagerait tellement, là, de suite ! Une façon simple et
peu couteuse pour moi de pouvoir évacuer tout ce stress !

— Y a un peu de ça, effectivement, je lui réponds volontairement floue.

— Ah ?

Abby me regarde surprise, écarquillant ses grands yeux de biche. Inutile de


rentrer dans les détails. Et puis, je suis déjà très en retard pour commencer ma

journée. Je lui raconterai plus tard mes péripéties matinales.

Sans insister, Abby appuie sur une touche de son téléphone et informe ma
seconde de mon arrivée puis repose le combiné, toujours en souriant.

Comment fait-elle pour conserver toujours le foutu sourire exigé par la


direction ? Elle porte un masque ? Où se vendent-ils que je coure en acheter

un ?!
— Voilà, c’est fait. Tu es sûre que ça va toi ? Je te trouve bizarre. Tout se passe
bien ? me demande-t-elle gentiment.

Il est évident qu’elle a remarqué que quelque chose clochait en moi, mais je ne

m’attarde pas sinon je lui crierais : NON !!! Rien ne va au contraire !!

— Oui oui, tout va bien, je lui réponds en souriant, c’est seulement le trac.

— Bon super alors ! Ne te mets dans un état pareil, Scarlett. Tu vas voir, tout va

bien se passer, me rassure-t-elle. C’est bon, tu peux monter maintenant, Betty

t’attend.

— Parfait. Comment dois-je faire pour l’ascenseur ?

— Appuie directement sur le 32, je te déverrouille l’accès. Je pense qu’ensuite

ils te donneront le code, me précise-t-elle. C’est toujours ainsi que ça se passe.

— Ok, merci Abby. A tout à l’heure ?

— Oui, bien sûr. Si tu es libre pour ta pause déjeuner, fais-moi signe,

d’accord ?

— Vu comme c’est parti, ça m’étonnerait … mais ok, ça marche, je conclus


d’un ton que je souhaite léger, inutile non plus de m’appesantir sur cet autre
sujet, qui pourrait lui aussi porter lieu à des revendications. C’est une société

où l’on ne mange pas !! Je comprends mieux maintenant leurs tailles de guêpes


à toutes !!

— Ah, ok. A plus, Scarlett.


Oui, c’est ça … à plus ! Enfin, je l’espère. Si mon cœur n’a pas lâché d’ici là.

Un sourire aimable égaie toujours son doux visage tandis que je commence à
me diriger vers l’ascenseur qui va de nouveau me mener vers l’antre de

l’enfer. Abby est vraiment une chic fille et elle mérite vraiment que je fasse

quelques efforts dans cette histoire de travail. Je ne peux oublier que lorsque
mes misères financières ont commencé, elle n’a pas hésité une seule seconde à

m’aider. Aussi, ce serait totalement inconvenant de jeter l’éponge aussi vite.

J’ai envie qu’elle soit fière de moi.

Nous nous sommes rencontrées toute deux à l’université et depuis, cette jolie

brunette joviale aux grands yeux bruns est ma meilleure amie. Il faut dire

qu’elle a un pouvoir extraordinaire sur les gens, un peu comme les fées. Non,

je ne plaisante pas. Elle parvient à transformer une journée pourrie en un fou


rire phénoménal, à faire rire quand rien ne s’y prête et elle réussit aussi à me

faire voir la vie en tellement plus jolie … que je ne pourrais plus me passer

d’elle, je l’avoue. J’aurais incontestablement aimé être dotée d’une nature aussi
agréable à vivre qu’elle. Résolument optimiste et dynamique. Elle a en plus ce

petit côté bienveillant qui fait, qu’être son amie s’avère finalement être un
véritable privilège. Et c’est ainsi que cette petite fée du bonheur est non

seulement devenue ma meilleure amie au fil des ans, mais également la sœur
que j’aurais aimée avoir si cela avait dû se faire.
Tandis que la cabine rejoint à la vitesse de l’éclair le 32ème étage, mon

appréhension de me retrouver face à Doherty croît de nouveau. Je vérifie une


dernière fois mon allure dans le reflet du miroir et me repasse en mémoire

l’image d’effroi de Mademoiselle Stuart et de son équipe quelques minutes

auparavant. Si cette affaire ne me contrariait pas tant, je crois bien que je


pourrais en rire. Mais dans le contexte qu’est le mien, j’ai dû mal à prendre
suffisamment de recul, pour ne serait-ce, qu’esquisser un timide sourire.

Peut-être était-ce une blague ou un genre de bizutage ? Non ?

Quoi qu’il en soit, première résolution : à réception de ma paie, je commence

à renouveler ma garde-robe. C’est une nécessité si dois travailler ici. Et puis,

rien que pour mon estime, ça me fera du bien, après avoir tant subi. En

revanche, un point sur lequel je ne transigerai pas, hors de question que je les
laisse intervenir sur « tout le reste », à savoir : ma silhouette et mes cheveux.

J’ai beau m’observer attentivement dans le miroir de cette cabine d’ascenseur –

l’éclairage blafard est d’ailleurs très peu avantageux - le reflet qui m’est

renvoyé ne me choque vraiment pas. Ou alors, je suis complètement à côté de


la plaque et je ne suis même plus capable d’avoir un regard objectif me
concernant. Si c’est le cas, cela m’angoisse plutôt.

Etant seule dans l’ascenseur, j’en profite pour m’examiner vraiment sous

différents angles, me tournant d’un côté, puis de l’autre, me rapprochant du


miroir, m’éloignant, me positionnant de trois quarts et même de dos et
pourtant, rien n’y fait. Je n’arrive toujours pas à comprendre le degré de

gravité de mon cas. Ok, je n’ai pas des mensurations de rêve – je le savais déjà

– mais je n’ai pas pour autant le sentiment d’être devenue un monstre. Est-ce le

cas ?

A moins que je me sois habituée à me voir ainsi … Mais depuis quand alors ?

De multiples doutes m’assaillent à présent remettant totalement en cause


l’image que j’avais jusqu’à présent de ma propre personne. C’est malin ! Des

rondeurs certes, mais je suis une femme après tout. Pas une gamine.

A moins que j’aie inconsciemment adopté cet argument pour excuser mes petits
bourrelets ?

Pourtant à m’examiner ainsi, je trouve que ma poitrine, de taille honnête, rend

mes décolletés suffisamment attractifs, mes hanches, certes rondes, aident mes

vêtements à tomber gracieusement. Alors où est le problème finalement ? Je ne

tiens pas, non plus, à ressembler à planche à pain ! Et de toute façon, même si
je le désirais, morphologiquement cela me serait impossible. Un trait

d’hérédité, parait-il. Tout comme le bleu de mon regard et la couleur miel de


mes cheveux, tous deux hérités de ma mère.

En tout cas, malgré l’examen critique que je m’inflige, coincée dans cet espace
confiné, il me semble que mon corps est, somme toute, bien équilibré, rien de

particulièrement effrayant, en tout cas. A l’inverse de beaucoup de jeunes


femmes, je n’ai jamais eu de véritables complexes concernant mon corps. Sans
doute, parce que je l’ai toujours trouvé communément acceptable. Et

aujourd’hui, c’est toujours le cas, aussi je réfute l’idée qu’une styliste inconnue

– de moi, en tout cas – puisse décider de mon corps. De toute manière, ce n’est

pas comme si je m’apprêtais à rompre une belle amitié. Car je sais d’avance
que nous n’aurons jamais d’affinités ensemble. Ça c’est sûr ! Aussi, pour ma

tranquillité d’esprit, je décide de remiser ses jugements aussi hostiles


qu’infondés au tréfonds de ma mémoire. Je suis là pour travailler et c’est ce

que je vais faire ! Ni plus, ni moins !

Le tintement de l’ascenseur m’avertit que je suis arrivée.

Les portes s’ouvrent, et je lisse une dernière fois, par réflexe, ma jupe. J’ai un

peu le trac, je l’avoue. Mais quand je redresse la tête pour sortir de la cabine,

mes yeux croisent ceux d’une jolie jeune femme brune au sourire accueillant et

ce visage amène me rassérène quelque peu après avoir vécu l’enfer du 20 ème

étage.

Ma seconde à l’air sympathique ouf !

— Bonjour, me salue-t-elle en me tendant la main. Je suis Betty Garner, votre


seconde. Je suis sous vos ordres directs et mon rôle est de vous faciliter la

tâche afin que vous puissiez assister Monsieur Doherty dans les meilleures
conditions, débite-t-elle à une allure extraordinaire.

Elle semble au moins aussi stressée que moi ! Ça nous fait au moins un point
commun ! Son sourire à la fois timide et franc me réconforte un peu quant à
ma présence à cet étage et je réponds à son salut me présentant à mon tour.

— Je propose de vous faire visiter ce niveau, puis si vous le souhaitez, je peux


vous montrer les différents services avec lesquels vous serez amenée à

travailler. Cela vous permettra de vous y retrouver plus facilement par la suite.

Qu’en pensez-vous ?

— Euh … oui, parfait, ça me semble être une excellente idée, balbutié-je,


encore surprise de tant de gentillesse. Merci.

Betty me fait donc visiter le 32ème étage, comme convenu. Elle commence par

mon bureau, le sien, adjacent au mien, la salle de réunion, le salon, les toilettes

et la tisanerie où me fait-elle remarquer on n’y prépare jusqu’à présent que du


café. Elle exclut précautionneusement la visite du bureau de mon boss,

m’indiquant qu’il est en train de travailler. Ce qui m’arrange bien, car dans le

moment présent, je n’ai absolument aucune envie de me retrouver face à lui. Et

pourtant … il le faudra bien !

Betty me met tellement en confiance, que je serais presque tentée de me laisser

aller à des confidences concernant mes craintes, mais ce serait prématuré.


Aussi je garde en moi mon anxiété, redoutant le moment fatidique où je

devrais me mettre à travailler de concert avec Doug Doherty.

Sans doute, serai-je plus détendue si je cernais davantage les tâches qui seront
les miennes, mais jusqu’ici, personne n’a pris le temps de m’expliquer la
nature exacte de mon poste, bien que je sois arrivée déjà, depuis plus de deux
heures. J’espère que Betty sera à même de m’éclairer sur le sujet.

Avec beaucoup de gentillesse, elle me promène donc ensuite dans quasiment


tous les étages de la tour, me présentant maintes et maintes personnes dont

j’oublie presqu’aussitôt les noms et les fonctions. Trop de nouveaux visages à

associer à des services variés, il va falloir que je prenne des notes si je veux
me souvenir de tout.

Le seul, dont je parvienne vraiment à enregistrer le nom, est le type croisé ce

matin plus tôt dans l’ascenseur, celui qui dégoulinait de sueur dès 8.00 heures.

Il s’agit en fait du D.R.H. monsieur Brian Peel. Je devrai donc – à regret -

retourner le voir un peu plus tard dans la journée … si tant est que je ne sois

pas virée d’ici là comme l’a si judicieusement fait remarquer la sorcière du

31ème, Mary Donner.

La visite effectuée, nous rejoignons ensuite notre étage et j’ai à peine le temps

de déposer mon sac dans un compartiment de mon bureau que mon interphone
sonne. Je regarde tour à tour le petit voyant rouge et Betty, embarrassée, car

j’ignore encore le fonctionnement de cet engin. Elle sourit, appuie sur le


bouton juste en dessous de la lumière et m’invite à répondre.

— Mademoiselle Johns ? j’entends appeler d’un ton sec.

Inutile de préciser que je reconnais aussitôt le ton non mélodieux de cette voix.

— Oui, Monsieur Doherty, je réponds d’une voix timide.

— Venez dans mon bureau. Maintenant !


S’il vous plait ?

Non, évidemment, c’est pas son truc.

— J’arrive, je réponds simplement.

J’adresse un regard anxieux à Betty qui me répond encore par un simple


sourire chaleureux. Je l’aime bien cette fille. Elle est naturelle et souriante, je

suis certaine que nous pourrons nous entendre. A contrario, je doute que cela

ne soit jamais le cas avec monsieur mal-aimable-du-32éme, avec lequel je ne

parviens même pas à entre-apercevoir des rapports ne seraient-ce que courtois.

Bien évidemment, je peux me tromper, mais j’en doute fortement. La première


impression est souvent la bonne, dit-on, non ? Oui et qu’en est-il de

l’impression de cette nuit me souffle mon insolente conscience, hein ?

Une erreur, une simple erreur due au stress, je lui réponds du tac au tac, lui

clouant ainsi son caquet.

Concentre-toi bon sang !

— Comment dois-je entrer Betty ? je me renseigne auprès de mon assistante,

souhaitant éviter tout incident diplomatique en ce premier jour. Je frappe et


rentre ou j’attends qu’il me réponde ?

C’est une question très simple mais pragmatique, et qui a son importance face

à mon énergumène de patron. Autant éviter de le froisser, enfin autant que


possible, surtout sur d’insignifiants détails. Car quelque chose me dit, qu’il

doit, tout à fait, être le genre d’homme à faire tout un tas d’histoires pour de
simples peccadilles.

— Quand il vous invite à venir, frappez simplement et rentrez sans attendre de


réponse.

— Merci Betty.

J’attrape aussitôt le bloc-notes qu’elle me tend ainsi que le stylo et me dirige

prestement vers le bureau du grand patron. Devant sa porte, je prends une

grande inspiration pour me donner courage et frappe, souhaitant absolument

afficher l’image d’une assistante sûre d’elle. Mais comment ne pas être

déstabilisée quand, à peine la porte passée, je l’entends soupirer.

Pourtant, moi, à des lieux de son exaspération, ce qui me marque, c’est l’image
de cet homme – sublime, grand et fort – assis derrière son bureau. Ses cheveux

presque noirs bouclés sont savamment coiffés en bataille et quand il lève son

regard vers moi : c’est Waouh !! Mon cœur saute un battement et un nœud tord

instantanément mon estomac. Il est canon, vraiment canon ! Et aussitôt, l’image


de son corps, penché au-dessus du mien, imaginée par mon esprit tordu cette

nuit, ressurgit. Je sens mes joues rosir et je prie le ciel pour qu’il ne s’en
aperçoive pas. Si jamais, je dois me justifier, j’allèguerai le trac.

Mais non seulement, il ne le remarque pas, mais en plus il me fait très vite
redescendre sur terre !

Honnêtement, qu’est-ce qui ne va chez moi ? Il est peut-être beau comme un

Dieu mais il est tellement détestable ! Comment mon cerveau peut-il faire
abstraction de ce dernier élément pourtant si capital ? Deviendrais-je

maso ???

— Il est onze heures passées Johns, puis-je enfin compter sur vos services ou

allez-vous encore trouver autre chose à faire ?

Quoi ? A peine trente secondes dans son bureau et déjà il éprouve mes nerfs.

J’ai bien envie de lui répondre qu’il s’agit de ma première matinée et que du
reste, je ne serais arrivée si tard si je n’avais pas dû me présenter à sa styliste,

mais j’y renonce. Si j’ai perdu un temps infini au 20 ème, c’est justement parce

que Mary Donner, rebaptisée par mes soins « la sorcière » et accessoirement la

directrice adjointe de Doherty Press m’a « invitée » selon sa formule

consacrée à m’y rendre immédiatement. Mais je suppose que tout ceci

n’intéresse guère Monsieur Doherty.

Quand bien même je lui expliquerais que cela ne changerait rien, il ne semble

pas, non plus, être homme à supporter les excuses.

— Je suis là Monsieur. En quoi puis-je vous aider ? je réponds poliment.

Trop forte Scarlett !!

— A la bonne heure ! Bon et bien cette demi-journée n’aura guère été très
rentable pour vous, je compte sur vous pour rétablir le tir. Et n’oubliez plus, je

vous veux présente à cet étage chaque jour dès 8 heures très précises. Suis-je
clair ?

— Oui, Monsieur.
— Bien. Passons au reste maintenant. Je dois me rendre à Atlanta la semaine
prochaine afin de rencontrer le dirigeant des éditions Folding dans le but

d’effectuer le rachat de leur presse. Vous trouverez la date dans mon agenda

qui figure dans votre ordinateur. Prévoyez donc le vol et le séjour à l’hôtel
pour 2 nuits sur place.

— Euh, oui … je réponds hésitante.

Il soupire et répond presque exaspéré.

Il n’en fait jamais trop ! Est-il toujours ainsi ? Ce trait de caractère est

horripilant.

Ce n’est que mon premier jour, ai-je envie de lui faire remarquer !

— Betty vous indiquera les coordonnées des établissements avec lesquels nous

travaillons, y compris pour la compagnie aérienne.

— Bien Monsieur. Autre chose ?

— Oui. Quand vous en aurez fini avec les réservations, revenez avec le dossier
Folding justement, je souhaiterais que nous y travaillions dessus. Disons dans

dix minutes ?

— Dix minutes ?

Mince ça m’a échappé !

— Quoi, ça vous semble insuffisant pour passer deux coups de téléphone ?

— Euh, non ... Bien sûr, je lui réponds docilement.


Les instructions en tête, je me dirige vers la porte afin de rejoindre mon
bureau quand il m’interpelle une dernière fois.

— Mademoiselle Johns ?

— Oui ? dis-je en me retournant.

— Avez-vous rencontré Mademoiselle Stuart ?

Grrrrr !!!

Si Doherty continue de me taper sur les nerfs ainsi, je crois bien que je vais

finir par lui sauter à la gorge ! Et pour info, rien que le fait d’évoquer le nom
de sa styliste fétiche me fait enrager. C’est bien la première fois que j’entends

parler d’un tel service dans une entreprise et le boss semble bien faire une

fixette sur elle.

Rien que le rappel de cette femme me renvoie l’image de son visage affolé
suivi de près par celui de sa diététicienne à l’annonce de mes mensurations.

Mais ayant réglé avec moi-même mes doutes concernant mon obésité latente,

je me retiens de rire en me souvenant de leur effroi.

Cachant ce qui pourrait vite dégénérer en fou rire, tant je suis stressée, je
décide de ne faire aucune allusion à ma visite. Mieux vaut éviter de contrarier
ce patron si lunatique et taire le fait que je me sois enfuie de cet étage de fous.

— Oui Monsieur.

— Bien. Faisons-lui confiance alors.


Merci, ça fait toujours plaisir !

Surtout venant d’un homme !

Cette fois-ci, alors que je souriais intérieurement quelques secondes


auparavant, en revivant la scène complètement ubuesque de mon passage au

20 ème, l’allusion non dissimulée de Doherty me fait me crisper les lèvres et je

ne vois vraiment pas pourquoi je laisserais passer une telle muflerie. Après
tout, je ne suis pas payée pour encaisser des insultes, même si celles-ci sont

implicites ! Mais dieu merci, il me reste encore un peu de discernement et j’en

viens à supposer que ce n’est peut-être pas une si bonne idée que ça de le

braquer en ce premier jour. Aussi, j’abandonne – pour l’instant du moins –

mon offensive. Mais ce n’est que partie remise. Pour l’heure, je me contente

juste de le toiser quelques secondes, lui adressant l’un de mes plus mauvais
regards. S’il est intelligent, il comprendra.

Aussitôt sortie de son bureau, je rejoins Betty, lui annonce les désidératas de
Monsieur, et sans que cette dernière ne m’interroge sur mon air renfrogné, elle

sort rapidement un grand porte-documents d’un des tiroirs de mon bureau.

— Vous trouverez dans ce classeur, toutes les entreprises avec lesquelles nous

travaillons de même que certaines informations particulières les concernant,


m’indique Betty.

Elle trouve, avec une habileté certaine, les coordonnées de la compagnie


aérienne de même que celles de la chaine d’hôtels qui travaillent avec Doherty
Press et je m’empresse de noter leurs numéros sur un bloc afin de passer mes

réservations. Gentiment, elle m’indique comment me servir de cet « annuaire »

et m’explique comment le tenir à jour, en y ajoutant toute nouvelle

information, à la manière des mises à jour informatiques. Pour l’instants, je


pige, ça va. Je comprends également, l’importance de ce document personnel,

bien conçu, et dont l’utilité est plus qu’évidente.

— Concernant les vols de Monsieur Doherty, me précise Betty, vous devez

toujours passer par la société Airfly, et insister pour obtenir le jet « Miracle ».

C’est celui que préfère Monsieur Doherty.

Voyez-vous ça !!

— Un jet vraiment ? je demande interloquée.

Je ne viens pas d’un monde où l’on parle de jets ou de palaces fréquemment,

alors forcément, je suis surprise. Mais j’imagine déjà que je ne suis pas au bout

de mes étonnements.

— Bien sûr, me répond-elle naturellement. Monsieur Doherty ne se déplace


qu’en jet.

Bah voyons !

Evidemment, question idiote, j’aurais dû m’y attendre.

Alors que je me saisis du combiné téléphonique et compose le numéro de la

chaine hôtelière, Betty me stoppe en coupant la communication.


— Vous l’accompagnez ?

— Hein ? Quoi ? je lui demande. Non ! Evidemment Non ! Il ne m’en a rien dit.

— Vous devriez vous en assurer car habituellement son assistante


l’accompagne toujours.

— Quoi ? Oh non ! je souffle. Me reviennent en mémoire ses paroles de la

veille, lors de l’entretien et je réalise que malheureusement, ce pourrait bien

être le cas. Dois-je l’interrompre pour lui demander ? j’interroge Betty,

presque timide, alors que c’est elle mon assistante.

— Je suis quasiment certaine que la réponse est positive, mais je pense plus sûr

de vous le faire confirmer, effectivement.

— Oui évidemment, je murmure.

Betty me montre comment le joindre par l’interphone et après trois sonneries,


Doug Doherty me répond d’un ton agacé.

— Oui ! sa voix est dure et bien peu avenante et si je m’écoutais je


raccrocherais aussi sec. Mais j’ai le sentiment qu’il va falloir que je m’y

habitue. D’ailleurs, cette fois, je suis déjà beaucoup moins surprise, je m’y
attendais presque.

— Excusez-moi de vous déranger Monsieur. Dois-je vous accompagner lors


de votre déplacement sur Atlanta ou cela ne sera pas nécessaire ?

Je croise les doigts pour qu’effectivement ce ne soit pas nécessaire.


J’entends le souffle de Doherty dans le combiné avant d’entendre sa réponse.

— M’avez-vous seulement écouté hier Oregon ou dois-je tout vous répéter en


double ? Votre présence est non seulement nécessaire mais obligatoire,

souffle-t-il. A quoi me servirait-il d’avoir une assistante qui ne m’assisterait

pas ?

Je coupe court à ses élucubrations, inutile d’en entendre davantage. Je me


contente simplement d’agréer tout en ronchonnant dans ma barbe.

Heureusement que je n’ai pas vraiment de vie privée en ce moment !

En revanche, la simple idée de partager trois jours à temps complet avec


Monsieur-de-mauvais-poil me file déjà la nausée. Je risque fort de faire une

overdose de « Doherty » d’ici la fin de notre séjour ! Et si toutefois je

parvenais à conserver mon poste jusque-là, ces trois jours de tête à tête

pourraient bien sonner le glas de mon contrat !

Malgré tout, bien décidée à faire des efforts – surtout pour Abby - j’effectue
donc les réservations et le rejoins avec le dossier en question quelques minutes

plus tard. Il est presque midi et mon ventre commence à gargouiller,


manifestement en demande de quelque pitance. Tandis que Doherty me

demande de lui sortir certaines pièces versées au dossier, un gros grognement


s’échappe de mon estomac comme si j’étais habitée par un monstre. Doherty

fait une pause et me fixe, un sourcil relevé. Gênée, je baisse les yeux sur les
documents et m’excuse rapidement d’un simple « pardon » murmuré.
Petite note à moi-même : penser à déjeuner le matin !

Aujourd’hui, j’avais l’estomac tellement noué dès le réveil, que j’ai zappé mon
petit-déj, mais je m’aperçois maintenant que ce n’était pas une si bonne idée

que de jeuner. Dieu merci, l’incident est vite oublié et nous poursuivons notre

travail, consultant les chiffres d’affaires des dernières années de l’entreprise en


perdition ; ceux-ci nous aideront très probablement dans notre argumentaire

pour racheter les presses Folding à bas prix. A sa demande, je prends note de

chaque donnée, quand soudain, au milieu d’un silence studieux, mon abdomen

émet alors un second râle stomacal tonitruant celui-ci. Un borborygme si

horrible qu’on pourrait le croire sorti d’un outre-tombe. Très peu classieux,
autant vous dire !

En temps habituel j’aurais probablement éclaté de rire, mais le regard brun qui
me sonde m’incite aussitôt à m’abstenir de toute plaisanterie. Cependant, ce

n’est pas pour intimider mon ventre qui semble avoir bien peu de

considération pour mon interlocuteur. Il se lance alors dans une longue plainte,
digne d’un véritable concert symphonique de tuyauteries. Je suis tétanisée, ne

sachant plus comment réagir cette fois. C’est sûr, il va me le reprocher cette
fois. Je suis si embarrassée que je n’ose même lever mon regard vers lui.

Mais à ma grande surprise, c’est Doherty lui-même qui met fin à ma gêne,

tandis que je prononce encore quelques difficiles excuses en évitant son


regard. Il éclate de rire si fort, que je reste toute étonnée qu’il en soit, ne serait-
ce que capable. Je l’observe alors en penchant la tête comme si se trouvait

devant moi un extra-terrestre. Avais-je vraiment besoin de ça pour me faire

remarquer davantage ?

Mon regard s’accroche alors au sien et je découvre un tout autre homme. Un

homme très très beau, certes, mais surtout un homme dont le regard s’illumine
quand il rit. Et ça, c’est une vraie nouveauté pour moi ! Je me décrispe alors un

peu et ose lui sourire en retour. Mes joues rosissent instantanément.

— Bien, finit-il par dire en riant encore.

Il claque le dossier que nous consultions et se lève.

— Message reçu Johns. Nous reprendrons en rentrant. Prenez votre sac, et


allons nourrir ce ventre.

J’ai envie de lui dire qu’Abby m’attend et que d’ailleurs je préfèrerais mille

fois aller déjeuner avec elle, mais pour une fois que je le vois de bonne

humeur, je n’ose pas gâcher le moment.

Mais malheureusement, ce que j’ai pris pour un moment de grâce ne dure

guère longtemps, puisqu’il m’examine à nouveau de haut en bas quand je me


lève à mon tour. Aucune parole n’est nécessaire pour que je lise dans son
regard à quel point ma personne lui déplait. En temps habituel, j’aurais

probablement éructé quelques paroles plus ou moins grossières et lui aurais


indiqué dans quelle région corporelle obscure, il aurait pu mettre son avis, de

même que ses remarques désobligeantes, mais comme il semblerait


qu’aujourd’hui je sois exceptionnellement diplomate – ou alors que j’aie

absolument besoin d’argent – et je laisse faire sans rien dire.

Et puis, comme je l’ai constaté plus tôt, même si je n’apprécie évidemment pas

sa goujaterie, je suis bien obligée de reconnaitre qu’il n’a pas tout à fait tort. Je

suis mal sapée, c’est un fait. J’ai au moins réalisé ça, ce matin. Cependant, si
j’accepte à présent la critique, nul n’est besoin qu’il me le fasse remarquer à

toute heure de la journée ! J’ai compris, ça va ! Je tenterai de rectifier le tir dès

demain. Abby trouvera bien de quoi me dépanner en vêtements, le temps pour

moi de pouvoir investir dans le textile.

Là encore, une nouveauté pour moi, d’autant que si j’ai bien compris, il va

réellement falloir que je dévalise les magasins, tant la tâche est grande !

Mais je ne suis pas inquiète ma meilleure amie est une véritable fashionista.

Elle saura me guider.

Quand nous quittons l’ascenseur et passons devant l’accueil, Abby est, elle-
aussi, en train de fermer son bureau, prête à rejoindre le restaurant de la

société. Les yeux souriants, elle me regarde suivre Doherty en retrait, deux pas
derrière lui. Encourageante, elle m’adresse un clin d’œil peu discret ainsi

qu’un pouce levé pour me rassurer. Sans doute a-t-elle remarqué mon air
morose. Je sais combien elle aurait aimé être à me place et c’est bien

volontiers que je la lui aurais cédée si seulement j’avais pu. Ne tenant pas à me
faire remarquer, je lui réponds par un simple sourire crispé et accélère le pas
car il ne m’attend décidément pas, traversant le hall à grandes enjambées.
Chapitre 6

Quelques petites minutes plus tard seulement, nous pénétrons dans un

établissement situé à une centaine de mètres de la tour et Doherty se dirige


d’office vers l’arrière de la salle, sans même attendre qu’un serveur vienne

nous placer, comme il est coutume dans ce genre d’établissement. Je trouve sa

manière de faire peu respectueuse mais je n’en suis pas vraiment surprise. Le

pub est un endroit chic et je dois reconnaitre que je ne me sens pas

particulièrement à l’aise au milieu de tous ces cadres qui se regroupent ici le

temps de leur pause déjeuner. Je ne suis pas dans mon élément et mon stress
croît d’autant plus à l’idée de me retrouver en tête à tête avec mon patron.

Alors que nous contournons plusieurs tables pour nous enfoncer vers le fond

de la salle, nous essuyons les regards furtifs de certains clients déjà attablés et
mon malaise s’accentue, ne me sentant réellement pas à ma place dans cet

univers si chic et majoritairement masculin. Une suée commence à parcourir


ma colonne vertébrale et à la vérité, je ferais n’importe quoi pour me trouver

ailleurs en ce moment.

Doug Doherty s’arrête enfin devant une table libre que je suppose lui être

quotidiennement réservée, et, galamment, il me tire la chaise afin que je prenne


place face à lui. Par cette proximité, je sens à nouveau son parfum diffuser son
arôme suave et quelques picotements se déclenchent dans mon bas ventre.

Purée ! Mais qu’est-ce qui m’arrive à la fin ? Je suis à ce point en manque de


sexe ou quoi ?

Comment est-il possible que cet homme me trouble par sa simple odeur alors

que son caractère profond est foncièrement puant ?

Tentant de me sortir de la tête, les idées – pas très catholiques, je le reconnais –

que m’inspire cette fragrance, je constate avec surprise que j’apprécie cette

galanterie extrême, issue d’un autre siècle ou peut-être plus simplement,

coutumière dans son monde. En tout cas, c’est la première fois que quelqu’un a
pour moi ce geste délicat et je rosis de plaisir, même si j’ai conscience qu’il ne

s’agisse, pour lui, que d’une simple habitude. Il est né dans ce monde de

conventions, et à ce titre, il pratique forcément depuis toujours les bonnes

manières.

Enfin en public, je suppose … parce que dans l’intimité de son bureau, c’est
une toute autre histoire !

— Je vous recommande la formule du jour, c’est généralement bon et rapide.

Cela vous convient-il ? me demande-t-il tandis qu’il m’indique une grande


ardoise sur laquelle est inscrite le menu du jour. Escalope-frites-salade.

— Ce sera parfait, je réponds.

Alors que je reste absorbée par l’ardoise et le cadre du restaurant,

soudainement mon esprit bifurque vers une voie terrorisante et extrêmement


angoissante pour moi : le prix !! Je n’ai qu’une crainte : que l’addition soit au-
delà de mes moyens. Rien ne peut me rassurer, car aucune indication de prix ne

figure sur l’ardoise. Je ne suis même pas sûre que ma carte bancaire passe

encore et je dois disposer en tout et pour tout d’une petite vingtaine de dollars
sur moi. Aurais-je seulement assez ?

Loin de toutes ces considérations, Doherty interrompt mes pensées bassement

matérielles.

— Bien, parlez-moi de vous miss Oregon. Comment avez-vous atterri ici à

New-York si loin de vos terres ?

Je n’apprécie pas plus le surnom dont Doug Doherty m’affuble que l’idée qu’il

véhicule. Il aurait tout autant pu dire « qu’est-ce qui vous a fait quitter votre

campagne bouseuse ? » que cela aurait eu le même effet sur moi. Ce type est

d’une arrogance incroyable. Que pense-t-il ? Que tous les américains qui

vivent hors de New-York sont des ploucs ? Je me pince la cuisse pour ne pas

ruer aussitôt dans les brancards. Comment peut-il être aussi beau qu’odieux ?

Comment est-ce seulement possible ??!!??

Je veille à rester courtoise, ce qui je ne le cache pas, me demande un énorme

effort de self-control, état dans lequel où je n’excelle pas particulièrement en


général. Mais quelque chose me dit que je vais rapidement progresser en la

matière s’il continue à jouer avec mes nerfs aussi fréquemment.

— J’ai effectué mes études dans l’Oregon effectivement, insisté-je


volontairement, puis je suis venue tenter ma chance à New-York, car il y avait

peu d’opportunités de travail dans mon domaine, là où j’habitais.

— J’en déduis qu’il n’a pas dû être simple de quitter vos attaches ?

— Je n’avais pas d’attaches à part mon père.

— Pas de petit ami ?

Et en quoi ça te regarde, hein ? Intéressé ??

— Non.

Je vois bien que ma réponse laconique ne le contente pas entièrement mais il

est hors de question de lui donner la moindre information sur ma vie privée.

Où a-t-il vu qu’un patron se renseigne sur la vie sentimentale de son

employée ? Ce type est un véritable maniaque du contrôle, il ressent ce besoin

de tout connaitre sur tout le monde pour mieux régner, mais c’est un point sur
lequel je ne cèderai pas, non plus. Ce qui m’est personnel reste privé. Qu’il

s’agisse de mon physique ou de mes histoires de cœur !

Afin de mettre fin à son interrogatoire, je décide de le contrer en l’interrogeant

en retour. Et rien de mieux que d’user de flatterie face à ce genre de personne.

— Et vous ? demandé-je - presque - innocemment, comment êtes-vous parvenu

là où vous en êtes actuellement ?

Si j’avais papillonné des cils, j’aurais ressemblé trait pour trait à l’une de ses

nombreuses groupies. Mais point trop n’en faut, non plus. D’ailleurs, Doug
Doherty esquisse un sourire narquois, me révélant ainsi qu’il n’est pas dupe de
ma stratégie d’évitement.

— Ce serait trop long et barbant à vous raconter.

— Non, je vous en prie, ça m’intéresse, insisté-je.

— Une autre fois, peut-être. Mais revenons à votre première journée.

Comment s’est passée votre matinée ?

Je veux bien faire des efforts, mais comment ose-t-il même me poser la

question alors qu’il a lui-même contribué à me la pourrir ?

Comment vous dire Monsieur Doherty ? Nulle ? Odieuse ? Inacceptable ?

— Bien, je vous remercie.

Son regard sombre me sonde un instant, plissant les yeux, comme s’il évaluait

la sincérité de ma réponse. L’intensité qu’il y porte est beaucoup plus

importante qu’il ne le devrait normalement. Et je me pose forcément des

questions quant à signification. Etre dévisagée ainsi est gênant. Qui plus est
lorsqu’il s’agit de son patron. Il n’est pas censé me regarder ainsi ! Il est

supposé faire preuve de bonnes manières, or là, son attitude est limite
embarrassante.

Est-ce de l’intérêt ? Je lui plairais ?

Non, résolument impossible !! Arrête de rêver Scarlett ! me crie une petite voix

insolente.
Mais c’est quoi toutes ces pensées désordonnées qui s’imposent dans ma tête
depuis que je le connais ? Il doit tout simplement estimer que je ne suis pas

digne de toutes ces civilités et se comporter, du coup, comme bon lui semble.

Voilà tout !

Ignorant l’étiquette due à son rang, Doug ne baisse pourtant pas les yeux. Et
nos deux regards se trouvent rivés l’un à l’autre. Son regard sombre est si

profond que quelque chose, à ma grande surprise, se passe en moi. Quelque

chose qui se répercute dans mon ventre et au niveau de mon cœur qui se serre

soudain. Il me trouble ???

Non, impossible !!!

A lui seul, il incarne à peu près tout ce que je peux détester chez un homme !

Donc, c’est bien ce que je disais : impossible !

D’ailleurs, je ne comprends même pas que cette idée ait pu me traverser

l’esprit, ne serait-ce qu’une seule seconde. Il a tellement de défauts ! C’est un


homme tyrannique, égocentrique et macho ! Alors, même avec une belle

gueule – ça, on ne peut pas lui lever – jamais, je dis bien, jamais, je ne pourrais
m’intéresser à un homme tel que lui. J’ai passé l’âge des simples coups de

cœur, qui grâce à une belle gueule m’amenaient irréversiblement vers des
coups d’un soir ! Aujourd’hui, Dieu merci, j’en ai un peu plus dans la caboche

et il m’en faut davantage pour succomber au premier séducteur venu. Et


comme sa personnalité est en totale opposition avec ce qui pourrait
m’intéresser désormais, l’affaire est réglée !

Même s’il est vrai qu’il émane de sa personne un certain charisme voire
même, un certain mystère qui aurait pu piquer ma curiosité en d’autres

circonstances, mais à être aussi désagréable : aucun risque que cela m’arrive !

Il me coupe net toute envie d’apprendre à mieux le connaitre.

D’ailleurs, c’est partagé, puisque lui-même a intentionnellement veillé à


instaurer, dès le départ, une distance telle, entre lui et moi, qu’aucun doute ne

peut planer concernant la nature de la relation qu’il souhaite imposer entre

nous. Et si sa volonté était de se montrer inaccessible eh bien, c’est réussi !

Sans doute, réserve-t-il l’accès à son intimité à ses amis du country-club … et

aux femmes qui l’accompagnent à chacune de ses sorties.

Mais ce n’est pas là mon problème. Je suis juste là pour travailler, alors il peut

bien continuer à se montrer hermétique, ce n’est pas moi que cela gênera !

Quand hier déjà, face à lui, j’avais ressenti ce même nœud au ventre, je l’avais
d’office mis sur le compte du stress. Il faut dire que Doherty me dévisageait,

comme aujourd’hui, abusivement, et que c’en était déstabilisant. Mais voilà,


que ça me reprend ! Aussi, pourquoi me fixe-t-il autant ? Essaie-t-il de
m’intimider, de lire en moi ou bien même de sonder mon âme.

Le peut-il d’ailleurs ? Toujours est-il qu’il n’est pas gêné quand même. On ne

lui a jamais appris que cela ne se faisait pas de dévisager ainsi les gens ?
En tout cas, j’espère ne pas être aussi transparente que ça car mes pensées ne
le regardent en aucun cas ! Surtout certaines en particulier qui traversent

parfois mon esprit volage. Celles qui ne sont pas avouables et qui feraient

rougir Abby. C’est pas joli, joli.

Et puis pourquoi je pense à tout ça à la fin ?!!

Probablement, parce que je suis particulièrement à cran depuis hier et que je


n’ai que très peu dormi cette nuit. Mes idées et mes pensées sont confuses

depuis que j’ai rencontré ce type et sans doute m’impressionne-t-il aussi un peu

… bon ok beaucoup. Il est si froid et si hautain. Je n’ai encore jamais rencontré

d’homme comme lui. C’est un dominant, ou en tout cas, l’idée que je m’en fais.

Mais bon ! En quoi tout ceci m’intéresse-t-il ? A bien y réfléchir, tout ce que

Doug Doherty parvient à déclencher en moi, c’est surtout de l’énervement. Et,


en la matière, il excelle ! Je suppose d’ailleurs, qu’il n’y a pas que dans ce

domaine qu’il puisse être performant.

Arrrhh ! Maudites pensées !

— Vous êtes avec moi Mademoiselle Johns ou vous ai-je perdu ?

Zut ! Il disait ? Depuis combien de temps suis-je en train de rêvasser ?

— Oui, oui bien sûr. Vous disiez ?

Doherty émet un sourire et porte un regard de connivence au serveur qui se


tient juste à côté de nous. Bah zut alors ! Je ne l’ai même pas vu arriver, celui-

là !
— Que désirez-vous boire Mademoiselle Johns ?

— Euh … de l’eau, ce sera parfait, je réponds en le regardant, puis en tournant


mon regard vers le jeune homme qui attendait, semble-t-il, ma réponse.

Pendant que Doherty dicte le reste de notre commande, j’en profite pour me

ressaisir, m’intimant l’ordre express de rester concentrée. Doherty n’est pas le

genre d’homme avec lequel on peut se permettre de se laisser aller. Au


contraire ! S’il repère la moindre faille, il en profitera pour prendre

l’avantage. Et ça, c’est hors de question, je ne lui donnerai pas ce plaisir. Donc,

reste vigilante Scarlett !!!

— Bien à nous, reprend Doherty, une fois le serveur parti. Je suis content que

votre matinée se soit bien passée. Cet après-midi, nous continuerons de

travailler sur le dossier Folding. C’est une transaction importante pour nous.

Elle permettra à Doherty Press d’acquérir un quasi-monopole sur les

industries de la presse dans notre pays. Voilà, pourquoi, nous ne pouvons nous

manquer. Nous devons mener des négociations efficaces, de manière à

fusionner à moindre coût. Et leurs chiffres d’affaires de ces dernières années


devraient nous faciliter la tâche, ricane-t-il. Leurs ventes sont à la baisse, leurs

équipements obsolètes et ce qui ne gâche rien pour nous, ils sont accablés de
dettes. Le rachat devrait donc se faire dans des conditions favorables. Mais

bon, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. N’est-ce pas ?

Je pensais que nous étions là pour déjeuner, mais visiblement, il n’y a pas de
coupure pour le boss. Et le sourire carnassier qu’il affiche à l’idée de conclure
cette belle prise l’excite manifestement. Par pur réflexe, j’ai de la peine pour

cette société familiale qui a mal su gérer ses affaires depuis le départ de son

fondateur. Ses deux fils aux commandes depuis huit ans n’ont su faire évoluer
la société et cette dernière se retrouve actuellement en faillite à la limite de la

liquidation judiciaire. Il est évident que Doherty ne va faire qu’une bouchée des
deux jeunes dirigeants. J’ai sincèrement une triste pensée pour leur père qui

voit le travail de toute une vie se faire engloutir par un consortium tel que celui

de Doherty, sans pitié ni remords.

— Donc, voilà pour notre programme de l’après-midi. Cela nous occupera un


bon moment, mais je tiens absolument à ce que nous soyons prêts pour les

négociations. Ensuite, vous vous rendrez au 20 ème à 18 heures. Je pense que

Cassie aura déjà fait une première sélection de vêtements pour vous.

Pfff ! C’est pas vrai ! Il revient là-dessus ! Il veut vraiment aborder le sujet

maintenant ? Je pensais pouvoir au moins déjeuner tranquille, mais

apparemment je me trompais. Très bien, eh bien allons-y alors ! Je suis prête.

Je ne peux pas espérer pouvoir le leurrer longtemps. Il apprendra très

rapidement mon pétage de plombs de ce matin, alors autant lui annoncer ma


version des faits. En intervenant, fine comme je suis, je sais très bien qu’il y a

de grands risques pour que je gâche définitivement l’ambiance du repas, mais


comment faire autrement ? Je ne pourrai pas éluder la question éternellement.
En revanche, arriverai-je à garder mon calme ? ça c’est une autre histoire. Car

ayant eu ma dose d’avanies pour la journée, je ne suis pas sûre de parvenir à

dire ce que j’ai sur le cœur sans m’énerver. Et nous ne sommes qu’à la mi-

journée, c’est tout dire ! Mais je ne m’appellerais pas Scarlett Johns si j’en
encaissais davantage sans rien dire !

Donc, Doherty souhaite aborder le sujet épineux de la belle styliste … J’ai beau

réfléchir rapidement à la manière de dire les choses avec tact, mais je ne vois

pas comment faire autrement que de lui dire franchement ma position sur le

sujet. Et comme, il est hors de question que je revienne sur ma décision de ne

pas transiger sur ses exigences esthétiques, ce qui va suivre risque fort de
froisser « Monsieur ». C’est un fait. Mais voyons le bon côté des choses, peut-

être que cette petite mise au point nous permettra de repartir sur de bonnes

bases … ou de ne pas repartir du tout aussi. C’est envisageable également.

Mais comme cet homme ne semble pas avoir de limites, il faut bien que

quelqu’un se dévoue pour les lui montrer. Et finalement, c’est presque un


sacrifice au nom de toute la cause féminine que je m’apprête à faire. Voyons ça

comme ça. Ça aide.

Se pourrait-il que Doherty ne soit en fait qu’un simple misogyne ? Cela


pourrait expliquer beaucoup de choses ! Cette obsession qu’il a de vouloir

modeler les femmes selon sa volonté …et sa manie d’exhiber de superbes


plantes à son bras, parfaites potiches ! Peut-être estime-t-il archaïquement que
le rôle des femmes ne peut être que purement décoratif ? Et qu’occuper un

poste stratégique dans une entreprise n’entre pas dans leurs attributions ?

En tout cas, et quelles que soient ses convictions, ce n’est pas moi qui lui

servirai d’apparat ! Nous sommes au 21ème siècle grand Dieu ! Il est plus que

temps que quelqu’un le lui fasse remarquer.

Un silence pesant s’est instauré entre nous tandis que mes réflexions
s’entrechoquent dans ma tête et je constate amèrement que depuis que j’ai fait

sa connaissance, je n’arrête pas de m’interroger et de me remettre en question.

Alors que ma vie auparavant – hormis le stress de cette fameuse recherche

d’emploi – était d’un calme monastique. Toutes ces prises de tête, tous ces

doutes et tout ce stress me montrent à quel point, il est pour moi totalement

inenvisageable d’entrevoir de rester travailler à ses côtés à long terme. Même


à moyen terme, d’ailleurs.

Dans ce cas, si tout semble si simple dans mon esprit, pourquoi avoir peur
alors de lui dire le fond de ma pensée ? Ce n’est pas comme si je prévoyais de

faire carrière dans sa société. Trop de choses nous séparent pour qu’une
alliance professionnelle puisse fonctionner efficacement. Doherty ne

m’apprécie pas – c’est un fait avéré - et c’est peut-être là, le seul et unique point
que nous ayons d’ailleurs en commun, car la réciproque est vraie.

La sorcière, elle-même, s’est bien empressée avec une certaine jubilation dans
la voix que les assistantes de Doherty ne restaient jamais très longtemps ...
Alors perdu pour perdu, autant que quelqu’un se dévoue pour lui faire
comprendre qu’il serait peut-être temps pour lui, de se remettre un peu en

question. Au moins, je me dis que je n’aurais pas totalement perdu ma journée.

Donc, pour la bonne cause, j’accepte - bien volontiers – de me sacrifier pour

cette tâche ingrate.

— Concernant votre styliste, comment vous dire, Monsieur, sans vous vexer ?

Doherty fronce les sourcils et me fixe. Ses pupilles sombres et menaçantes

s’ancrent à mon regard mais je ne baisse pas le regard. Il a déjà compris que ce

que je m’apprête à lui dire ne va pas lui plaire. Il n’est probablement pas
habitué à être contrarié. Mais tant pis, il faut bien une première fois et bien

qu’il n’en ait pas encore conscience, quelque part, je lui rends service. Et à ce

titre, il devrait même m’en être reconnaissant !

Seule précaution : y aller en douceur pour ne pas le braquer dès le début sinon

il ne me laissera pas en placer une.

— J’apprécie grandement le service de relooking que vous mettez à ma


disposition Monsieur Doherty ainsi qu’à certains autres personnels de la

société, soyez-en assuré. Et je tiens à préciser également que je n’ai aucun


doute concernant les capacités de Mademoiselle Stuart en matière de stylisme.
Cassie, c’est cela ? demandé-je hypocrite. Mais je préfère malgré tout, ne pas

recourir à ses services, même si j’en ai bien compris le besoin. Rassurez-vous,


je veillerai dès demain à me présenter avec une tenue plus adéquate.
Je sonde son regard. Ses yeux se sont durcis et son visage s’est crispé. Ouh là,
là, ça va chauffer ! Il a pris son air contrarié et je sens bien que ça va barder.

Aussi, je reprends vite la parole car si je tarde trop, il en profitera pour

prendre l’avantage et il ne me laissera pas la possibilité d’argumenter ma


décision.

— Tout d’abord, m’expliqué-je, je n’aurai pas la possibilité de me permettre

une garde-robe de luxe, or les habits qui m’ont été présentés, étaient réellement

d’une qualité supérieure à mes moyens financiers. Mais ce n’est pas

uniquement pour cette raison que je décline votre offre – ouah, je n’ai jamais

parlé aussi bien ! - je préfère être franche avec vous. Je ne désire pas participer
à ce programme, même si je vous en remercie. A la vérité, je ne tiens pas à ce

que l’on m’impose quoi que ce soit concernant mon physique. Pour être claire,

je n’ai aucune envie de me plier aux exigences d’une styliste, d’une

diététicienne ou de quiconque d’autre. Je ferai mon travail le mieux possible et

tâcherai de ne pas vous faire honte, mais pour le reste, cela relève de ma vie
privée et je tiens à en garder le contrôle.

Voilà, c’est dit ! Ouf ! Et en douceur qui plus est ! ça ne s’est pas trop mal
passé finalement.

Je suis super fière de moi. Et d’une, j’ai osé lui donner mon point de vue, et de

deux, je l’ai fait sans sortir de mes gonds alors que je bouillonnais carrément à
l’intérieur. C’est un exploit me concernant, et rien que pour cette raison,
j’exulte ! Pour peu, je m’applaudirais !

Encore impressionnée par mon talent diplomatique, je remarque, malgré tout,


le changement que le visage de Doherty a subi, le temps de mes explications.

Ses yeux se sont étrécis et ses mâchoires se sont contractées davantage : c’est

certain, je l’ai contrarié !!

Sur mes gardes, je m’attends à ce que la tempête souffle.

J’attends … j’attends … Mais rien ne vient. Rien, si ce n’est un voile de colère

qui a obscurci ses pupilles. Son regard est menaçant, mais il doit déployer des

efforts surhumains pour se contenir car il ne me hurle pas dessus. Pas encore,
du moins. Pourtant, ses mains qui étaient jusqu’alors simplement posées sur la

table se sont refermées et ses poings sont si serrés qu’apparaissent les marques

blanches de ses jointures. Sa colère va, semble-t-il crescendo, et je m’attends

cette fois-ci, à ce que la foudre tombe sur moi … Mais … encore une fois,

contre toute attente …toujours rien. Pour une raison que j’ignore, il n’explose

pas !!

Je mets un moment à saisir.

Nous sommes dans un restaurant et Doug Doherty est bien trop attentif aux
regards des autres pour laisser éclater sa rage en public. J’en déduis par
conséquent que celle-ci éclatera sitôt à l’intérieur de ses murs et cela

m’inquiète davantage, je l’avoue. Car j’ai peur qu’en privé, l’orage ne gronde
que plus fort dans l’intimité de son bureau. On ne m’a plus hurlé dessus depuis
un moment, et franchement j’appréhende.

A moins … à moins, qu’il ne me demande tout simplement de récupérer au


plus vite mes affaires et de bien vouloir vider les lieux au plus vite. Ce qui

finalement me soulagerait quelque part, car j’éviterais ainsi son coup de

gueule. En plus, je pourrais même remporter un prix : celui du plus court


contrat de travail jamais signé – dans la mesure où, justement, je n’ai encore

rien signé !

Face à l’expression de colère de mon patron, j’hésite un bref instant à faire


marche arrière. Ses yeux noirs furibonds me lancent des éclairs et son visage

est si fermé que je n’ai qu’une envie : détaler ! Je pourrais peut-être rattraper

le coup en tâchant de me justifier ? Je ne l’avais jamais vu en colère mais là, je

peux dire qu’il est vraiment impressionnant !

Note à moi-même : éviter de le mettre en colère !

Cette attente, longue et silencieuse, sous le regard agressif de Doherty me


mortifie. Et si je le pouvais, je me pencherais pour me cacher sous la table et je

rabattrais la nappe par-dessus moi en plus. J’ose un regard alentour, pour voir
si quelqu’un a remarqué ce qui se passe à notre table mais tous les clients sont
occupés à déjeuner et personne ne semble avoir constaté le malaise qu’est le

mien.

Doherty prend alors une profonde inspiration et expire lentement comme pour
se contrôler. Ses yeux couleur charbon ne m’ont pas quitté une seconde et la

voix dure et froide, qu’il prend pour m’adresser enfin la parole me fait

tressaillir.

— Mademoiselle Johns, je pense qu’une petite mise au point entre nous va être

nécessaire. Quand je vous adresse à Mademoiselle Stuart, il ne s’agit


certainement pas d’une offre de service, comme vous semblez le penser, mais

bien d’un ordre. Que ceci soit tout à fait clair entre nous. Ensuite, concernant la

partie financière vous n’avez pas à vous en faire, puisque tous les frais seront

pris en charge par Doherty Press dans la mesure où il s’agit de ma demande

expresse. Ceci doit vous rassurer. En revanche, ce n’est certes pas, comme si
vous aviez vraiment le choix, me comprenez-vous ? J’entends bien maîtriser et

contrôler l’image de la société comme il me sied, et si je juge que vous portez

tort, d’une manière ou d’une autre aux intérêts de l’entreprise, que ce soit par

vos tenues, votre style ou quoi que ce soit d’autre, j’entends, qu’en tant

qu’employée et à fortiori, en tant que mon assistante personnelle, vous vous


pliiez à mes demandes.

Et merde ! Doherty 1 – Johns 0

Super boss marque un temps d’arrêt, sans doute pour jubiler, mais sûrement
pour s’assurer également que je prenne bien la mesure de ses propos. Son

regard froid et perçant me tétanise. Sans doute espère-t-il lire en moi ma peur
et ma soumission. Et c’est probablement ce qu’il doit constater. Car ses yeux
sont si sombres et si durs qu’une suée froide parcourt toute ma colonne

vertébrale. Je sens mon visage blêmir et je regrette de lui offrir le signe

évident de ma défaite.

— Excusez-moi de prendre si peu de gants avec vous Oregon, se justifie-t-il,

mais vous m’y contraignez, dans la mesure où vous ne semblez pas bien saisir
l’importance de la situation. Dans une firme aussi réputée que l’est Doherty

Press, vous vous devez d’avoir une certaine classe dans le cadre professionnel,

pointe-t-il son index vers moi pour m’incriminer. Et ce, d’autant plus, que vous

travaillez à mes côtés. Il y va de la renommée et de l’image que nous

souhaitons donner et je ne vous cache pas que votre côté « petite


campagnarde » fraîchement sortie de sa prairie, bien que charmante et

rafraichissante ne peut en aucune façon convenir à la représentation que nous

visons. DONC ! Si je dois être plus explicite, sachez qu’aux yeux de tous nos

collaborateurs, vous êtes, en quelque sorte, mon prolongement et à partir de là,

il n’est absolument pas question que j’alimente tous les potins de couloirs à
cause de votre manque de goût évident. Je suis désolé de constater que tout ceci

vous dépasse. Enfin, s’il faut conclure, je tiens également à vous faire
remarquer que nombre de femmes seraient plus que ravies de pouvoir

bénéficier de tels services, et ce, gratuitement, je vous le rappelle. C’est


d’ailleurs l’un des grands avantages que nous offrons dans mon entreprise.

Sans ce service, je ne vous cache pas, que toute opportunité pour vous
d’obtenir ce poste, aurait été résolument inenvisageable. En bref, je
traduis, pour que tout soit bien clair pour vous : vous n’auriez pas été retenue.

Je vous dis les choses telles qu’elles sont de manière un peu abrupte, certes,

mais je tiens à éclairer votre lanterne puisqu’apparemment certains éléments

de base vous échappent. J’espère que cette petite clarification vous aura été
utile et que nous pourrons désormais commencer notre collaboration sans

qu’il n’y ait plus la moindre ambiguïté. Enfin et je finirai là-dessus, permettez-
moi de vous donner un conseil. Un conseil d’ordre personnel, si j’ose. Et

prenez un moment plus tard pour y réfléchir. Vous n’êtes plus une étudiante,

Mademoiselle Johns. Vous n’avez plus à user vos jeans sur les bancs de

l’amphi ! Alors rien que pour vous-même, apprenez à vous respecter en tant

que femme. Comprenez-vous ce que je veux vous faire comprendre cette fois-

ci ?

Oh !!! Le. Sale. Mufle !

L’air me manque soudain comme bloqué dans ma poitrine. Mais pour qui se

prend-il à la fin ?

Je ne crois pas avoir jamais été autant abaissée et offensée par le passé !

Je peine à reprendre mon souffle ayant l’impression d’avoir reçu un uppercut

en plein ventre. Comment ai-je pu le laisser prendre l’avantage à ce point ?

Son agression frontale, passé le choc, crée une furieuse colère qui enfle en

moi, cette fois-ci incontrôlable. Je pense que je pourrais même le tuer à ce


moment.
Sait-il au moins ce que pense la campagnarde de son esprit aussi primaire
qu’étriqué ?

Sale con, oui !!

Je dois me calmer. Respire Scarlett, respire …

Je suis au bord de l’apoplexie, pourtant, je parviens – je ne sais comment – à

agir dans une apparence de calme. Enfin, c’est l’impression que j’en ai.

Presque théâtralement et face au regard interloqué de Doug, qui exultait

quelques secondes auparavant, je prends la peine de m’essuyer légèrement les

commissures des lèvres en tapotant très lentement ma serviette sur mes coins

de bouche, puis soigneusement, je replie le tissu blanc devant moi presque


maniaquement. Et quand je pense avoir fini mon petit cérémonial, je me dresse

enfin fièrement tout en soulevant ma chaise avec beaucoup de précaution.

Toute cette grandiloquence ne me ressemble pas, et à la vérité, je tremble de

fureur et de rage à l’intérieur, mais je tente pourtant d’étouffer le cyclone

dévastateur qui envahit chaque centimètre carré de mon corps. Inutile de me


donner en spectacle, en plus.

Bien qu’exécutés avec maitrise, mes gestes sont lourds, mes bras me semblent
peser une tonne, mais je veux absolument résister à l’envie de lui jeter mon

verre d’eau en pleine figure, juste avant de l’étrangler ensuite de mes propres
mains.

Inutile d’attirer davantage l’attention sur moi, mes vêtements s’en sont déjà
chargés. M’éclaircissant la voix, je tente de reprendre la parole chassant au
maximum tout chevrotement de mes cordes vocales. Il est hors de question

qu’il devine à quel point, il m’a atteinte.

— Bien, effectivement, prononcé-je d’une voix relativement calme, ma colère

bloquée au niveau de ma gorge, mais les dents serrées par tant de retenue. Cette
petite mise au point s’avérait effectivement nécessaire. Vous aviez raison sur ce

point Monsieur.

Doug Doherty me fixe sans doute surpris par ma capitulation aussi rapide et je

peux lire dans son regard, le temps d’une fraction de seconde, l’arrogance de

sa réussite de m’avoir ainsi cloué le bec. Cependant, très vite, alors que je me

suis levée, son visage exprime son incertitude quant à la suite des événements.

Je vois à quel point il déteste ne pas tout maitriser dans sa globalité et son
inconfort est perceptible.

Probablement par habitude, sa bonne éducation - qui reste quand même très

limitée -, le pousse à se lever, pensant probablement que je me rends aux

toilettes « pour dames ». Mais alors que je souhaiterais fuir en courant le plus
vite possible, une dernière chose m’en retient ; je n’en ai pas tout à fait fini

avec lui. Ce serait trop facile de le laisser débiter ses méchancetés, blesser qui
bon lui semble et le laisser en paix par la suite. Il est absolument hors de

question qu’il ait le dernier mot sur cette histoire. Question de fierté !

Alors, s’il faut vraiment lui énoncer ses quatre vérités, et vu que je viens de me
griller complètement, autant en profiter pour finir le travail. Et c’est même
avec un plaisir presque délectable que je poursuis. Nous sommes debout face à

face, nos regards se toisent et je suppose qu’il prend à présent la mesure de ma

colère. Seule la table ronde nous sépare.

— Monsieur Doherty, je commence d’une voix froide en le regardant droit


dans les yeux. Il n’est nullement envisageable que quiconque, et je dis bien

quiconque, me force à m’habiller, me coiffer ou bien même à maigrir pour un

emploi. Et ce, entendez-vous, aussi mirifique soit le poste en question. Aussi, si

vous désirez qu’un mannequin officie à vos côtés, je vous suggère de recruter

une toute autre personne. Je suppose que des agences spécialisées en la matière
sauront vous dépanner ou bien encore, en désespoir de cause, il vous restera

toujours la possibilité d’embaucher l’une de vos anciennes connaissances

féminines, qui je suis sûre se prêtera volontiers à l’exercice. Je vais donc sur

ce, Monsieur, l’informé-je toujours avec emphase, passer récupérer le peu

d’affaires que j’ai eu le temps de déposer ce matin en arrivant et vous laisser le


champ libre. Je pense que vous trouverez aisément quelqu’un de beaucoup plus

convenant que moi, pour me remplacer. On m’a rapporté, d’ailleurs, que


certaines personnes, au sein même de votre entreprise, brigueraient avec

convoitise le poste d’assistante que vous offrez. Tant de femmes seraient


tellement heureuses de recevoir toutes les attentions de Cassie, je minaude

sarcastiquement, maintenant à bout.

Mesurant toujours au maximum mes gestes, je me dégage lentement de ma


chaise, place mon sac à main sur mon épaule et ajoute, juste avant de le quitter :

— Vous comprendrez, j’en suis sûre, continué-je ironiquement, que toute faim
me soit passée. Sur ce, bon appétit, Monsieur.

Le regard de Doug est à présent noir et menaçant. J’ai même l’impression que

des jets de fumée sortent par ses narines. J’hésite vraiment à détaler le plus vite

possible, craignant presque pour ma propre vie. Mais le fait que nous soyons
en public suffit à apaiser un peu mes craintes. Aussi et sans traîner, le buste

bombé et les épaules bien en arrière, je me dirige vers la sortie du restaurant

alors que mon corps tout entier est secoué de tremblements. Je me fraie un

chemin nerveusement parmi les tables, réussis l’exploit de traverser cette

immense salle sans m’empêtrer contre un pied de chaise et salue l’hôtesse

d’accueil.

Sitôt la porte passée, je relâche enfin tout l’air que j’avais comprimé dans mes

poumons. Encore choquée par cette impensable joute verbale, les seules

paroles qui me viennent alors que je me retrouve sur le trottoir au milieu des

passants, sont :

— Pauvre con ! que je lâche dans le vide.

Je suis dans un état de nerfs pas croyable. De nombreux employés, qui


s’empressent de rejoindre leur travail pour 13.30 heures, me contournent et au

milieu de ce flot humain, je m’autorise enfin à craquer, laissant les larmes


contenues pendant trop longtemps s’échapper de mes yeux.
Chapitre 7

Quand je passe devant l’accueil, le bureau d’Abby est toujours fermé. Je

suppose qu’elle est encore au restaurant de la société. C’est une sorte de


cafétéria dont les tickets sont effectivement proposés à prix modeste pour les

salariés. La voir m’aurait mis un peu de baume au cœur, et Dieu sait si j’en ai

besoin, mais il me faudra manifestement attendre ce soir.

De toute façon, je ne suis pas certaine qu’elle puisse me comprendre. Tout est

si spécial entre Doherty et moi, enfin était, devrais-je dire. Car cette fois-ci,
c’est bel et bien fini. Je récupère mes affaires et rentre directement à la maison.

L’idée d’avoir déçu mon amie me chagrine profondément, pourtant en

l’occurrence, rien de tout ce qui s’est passé ne peut m’être imputable. Abby en

prendra-t-elle conscience ? Elle a un tel parti pris concernant notre patron,

enfin …son patron, désormais.

Il est vrai que mon caractère entier et impétueux m’a parfois joué des tours

dans les années passées, et j’ai bien peur que ma meilleure amie pense, une fois
encore, que je n’ai pas su m’adapter à la situation. Mais c’est faux ! Je n’ai au

contraire jamais fait autant d’efforts et de compromis qu’en la présence de


Doherty. Pensera-t-elle que je n’ai pas été à la hauteur ? Si c’est le cas, cela

m’affectera très certainement. Mais elle m’a tellement surprise hier en prenant
systématiquement le parti de notre « si incroyable PDG » qu’à la vérité, je

redoute un peu sa réaction. Comment a-t-il fait pour lui retourner le cerveau
ainsi ? Je ne suis pas une handicapée sociale, c’est lui qui est tordu. Pas moi.

Toujours est-il que je me retrouve à présent de nouveau dans une situation


précaire et j’ai encore ce problème à régler.

J’espère juste la convaincre de ma bonne foi dans cette histoire, car je

souffrirai de lire en son regard de la déception. Son avis m’importe beaucoup.

Alors que je pénètre à l’intérieur de la cabine d’ascenseur, au moment de

sélectionner l’étage, je me rends compte que je suis bloquée comme une idiote.

Aucun accès possible au 32ème. On ne m’a toujours pas donné le code de

déverrouillage, si bien que je ne peux, par conséquent, pas accéder remonter

chercher mes affaires. Evidemment. Zut

Pourquoi, aussi, a-t-il besoin de verrouiller son étage ? Je me le demande bien.

On ne travaille pas non plus dans un laboratoire nucléaire !? A moins que ce ne


soit pour garder à distance les pauvres filles au cœur brisé qui viennent lui

réclamer des comptes. Sinon, je ne saisis pas vraiment la nécessité de fortifier


son étage !? Encore une lubie de ce despote mégalo.

En attendant, je peux bien émettre toutes sortes d’hypothèses, mon problème

reste entier. Comment vais-je atteindre le 32ème n’étant pas moi-même en

possession du saint code ? Avec impatience, je fouille mon sac, le mettant sens
dessus-dessous. Betty, m’a, un peu plus tôt ce matin, griffonné sur une petite
feuille mémo, son numéro de portable au cas où. J’espère juste ne pas l’avoir
laissé sur mon bureau. Après avoir tout retourné, par chance, je parviens à

mettre la main dessus. Sauvée ! Toujours avec précipitation, je me saisis de

mon téléphone et compose son numéro. Je suis en stress car je ne tiens


absolument pas croiser à nouveau Doherty.

Quoi qu’en y réfléchissant, le temps que ce dernier prenne son repas, je serai

déjà probablement rentrée chez moi. Je ne compte pas m’attarder non plus.

Dieu merci Betty me répond immédiatement. Elle avait dû, elle-même, rentrer

mon contact car elle m’identifie aussitôt.

— Oui, Mademoiselle Johns ?

J’ai envie de lui dire de m’appeler par mon prénom, mais je me rends bien vite

compte, que cela n’a plus vraiment d’intérêt, puisque quittant mon poste nous

n’aurons que peu de chances de nous croiser à l’avenir. Pour l’heure, tout ce

que je souhaite c’est juste récupérer mes affaires en vitesse et partir. Quitter au

plus vite cette drôle de boite où tous les cadres ont l’air plus tordus les uns que

les autres. Encore que « drôle » n’est vraiment pas le terme adéquat.

— Betty, Je suis vraiment désolée de vous déranger pendant votre pause

déjeuner, mais pourriez-vous, s’il vous plait me donner le code de l’ascenseur

afin de débloquer l’accès du 32ème ?

J’essaie d’adopter une voix neutre, inutile non plus qu’elle s’aperçoive que
mes nerfs ont pris le dessus ces dernières minutes. Que dis-je : ces dernières
heures !

— C’est que …, je voudrais bien mais …

— Oh ! J’ai compris. Vous avez ordre de ne pas me le communiquer, c’est ça ?

— C’est-à-dire que …oui, avoue-t-elle. Monsieur Doherty m’a demandé de


patienter avant de vous le donner, mais … j’arrive.

— Non, laissez. Finissez votre repas, je vais patienter, dis-je à contrecœur.

Malgré ma crainte de recroiser ce malade, je ne peux pas décemment pas, non

plus, demander à Betty d’abréger sa pause. Mes problèmes ne doivent pas


l’impacter.

— Non, ne vous inquiétez pas Mademoiselle Johns. J’ai fini de déjeuner et

c’est quasiment l’heure de reprendre de toute façon. Nous prendrons le café

ensemble au bureau, voilà tout.

— Merci Betty, vous êtes adorable.

C’est dommage car j’aurais vraiment apprécié d’apprendre à la connaitre

davantage. C’est une fille gentille. Mais hélas, cela ne se produira pas. Pas plus
que le café que nous prendrons d’ici quelques minutes. Je compte filer le plus

rapidement possible. Et si je n’avais pas sorti mes papiers d’identité de mon


sac en vue de mon inscription auprès du D.R.H, je n’aurais pas eu à revenir.

Tiens d’ailleurs, lui non plus, je ne le regretterai pas.

La montée s’effectue en quelques courtes minutes et Betty me fait la


conversation tentant de me persuader que d’ici peu, je serai tout à fait à l’aise
dans la société. Je ne veux pas gâcher son enthousiasme et la laisse poursuivre

l’énumération de tous les services mis à notre disposition. On croirait Abby !

Sitôt sorties de la cabine, alors qu’elle m’annonce qu’elle va préparer le café,


je longe le couloir menant à mon bureau. Rapidement, je récupère mes papiers,

les fourgue dans mon sac et remballe à la hâte les quelques deux-trois objets
personnels que j’avais déposés afin d‘agrémenter mon bureau.

Malgré tout, je ne peux pas partir comme une voleuse, aussi, je passe la tête

dans la tisanerie. Betty écarquille aussitôt ses grands yeux quand elle aperçoit

le petit carton que je tiens en mains.

— Betty, je viens vous dire au revoir. Je suis sûre que nous aurions pu faire du

bon travail ensemble mais il ne va pas m’être possible de rester ici. En tout cas,
je vous remercie sincèrement pour votre accueil chaleureux et je vous souhaite

une bonne continuation, je conclus tout en me retenant de lui souhaiter

également « bon courage » en prime.

— Mais … commence-t-elle à me répondre ahurie, … comment se fait-il que


vous partiez déjà ?

— Je pense juste que c’était une erreur pour moi de postuler ici. Vous êtes
quelqu’un de très agréable et je suis sûre que la personne qui me remplacera

vous appréciera à votre juste valeur. Je n’ai pas le moindre doute là-dessus,
ajouté-je sincèrement.
Je vois à son visage non seulement sa déception, mais aussi son
incompréhension. Je lui souris timidement et me dirige à nouveau vers

l’ascenseur. Inutile de palabrer, ce serait trop long à expliquer. Et comme, je ne

souhaite absolument pas faire de mauvaise rencontre, du style de celle de mon


adorable patron, par exemple, mieux vaut filer. D’un coup d’œil, je consulte

ma montre, Abby doit toujours être en train de manger, je garde les


explications pour ce soir.

Alors que les portes de la cabine d’ascenseur s’ouvrent rapidement après mon

appel, je m’écarte un peu de l’ouverture afin de laisser sortir un homme

relativement baraqué que je suppose être de la sécurité. Sur le côté de la porte,


je vais pour m’introduire à l’intérieur mais l’homme en question place son

bras en travers, me bloquant alors le passage. A mille lieux de comprendre son

geste, je le regarde en ouvrant de grands yeux incompréhensifs, mais déjà, il

s’explique.

— Désolé Mademoiselle Johns. Monsieur Doherty vous demande de l’attendre


dans son bureau.

Et il ouvre son bras gauche de façon à m’indiquer la direction. Toujours

surprise, il me faut quelques secondes pour comprendre. Doherty a appelé la


sécurité. Je fulmine d’être ainsi entravée par ce molosse mais aussi d’avoir été

assez naïve pour croire qu’il me laisserait avoir le dernier mot.

Je regrette amèrement d’être revenue. Pour le coup, j’ai été complètement


sotte. Abby aurait très bien pu me ramener mes affaires ce soir. Pourquoi n’y
ai-je pas pensé plus tôt ? En plus, je suis persuadée qu’elle aurait été plus que

ravie de se rendre à cet étage.

Quelle sotte ! Pour ne pas dire autre chose de plus vulgaire !

Comment n’ai-je pas pensé plus tôt que Doherty n’était pas le genre d’homme

à se laisser malmener par une femme. Ni par quiconque d’ailleurs, je suppose.


Par fierté, je suppose qu’il doit souhaiter avoir le dernier mot dans cette

histoire, une manière pour lui d’avoir le sentiment de ne pas perdre la face !

Alors, puisque je n’ai pas vraiment le choix, donnons-lui cet ultime plaisir ! En

espérant qu’il ne mette pas trois plombes à finir son repas, non plus !! Son

chien de garde, de toute façon, me dissuade de toute échappée. Je souffle

bruyamment pour bien lui faire comprendre mon mécontentement et me


résigne à suivre la direction du bureau de Doherty. Et loin de l’apparence

calme que je donne, je suis très, mais alors très en colère, car moi aussi, j’ai

ma fierté !

Tout en marchant, suivie de près par le mastodonte, qui doit faire un mètre de
carrure et presque un mètre de plus que moi en hauteur, je tente de me rassurer.

Doherty ne peut aucunement m’empêcher de partir si c’est tel est mon souhait.
Donc, c’est juste l’affaire de quelques minutes et ensuite, je serai libre. Et ces

derniers mots n’ont jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui, libre !

Sans compter qu’il ne pourra invoquer une quelconque clause de contrat


exigeant un pseudo préavis, vu que je n’ai rien signé. Dieu merci ! Il n’a donc,
à sa disposition, aucun moyen de pression pour me faire rester. De toute

manière, d’après ce que j’en ai vu, mon départ anticipé le soulagera

assurément !

Sitôt pénétrée dans le bureau, l’homme de Neandertal qui m’escortait, me


laisse enfin seule, sans surveillance à attendre dans la pièce. D’un autre côté, il

n’y a rien à fouiner vu que la surface de son bureau est totalement déserte. Pas

le moindre dossier, feuille ou stylo. Je n’ai jamais vu un bureau aussi

« dégagé ». On pourrait croire qu’il vient juste de se le faire livrer.

Prisonnière et n’ayant d’autre choix que d’attendre sa majesté Doherty, je

m’assieds sur le fauteuil réservé aux visiteurs, face à son assise et attends que

son seigneur et maitre des lieux daigne enfin faire son apparition. Le gorille
est en faction devant la porte et je n’ai guère d’autre alternative que d’attendre

son bon vouloir.

Histoire de patienter, je saisis machinalement – comme toujours - mon

portable et commence à y jeter un œil. Une notification m’indique un appel


manqué de mon père et j’écoute le message vocal laissé. Il semblerait qu’il ait

besoin de me joindre assez rapidement, aussi me prie-t-il de bien vouloir le


rappeler dès que possible. Je m’en chargerai sitôt sortie. Sa démarche est

suffisamment inhabituelle pour que cela m’inquiète un peu. Intriguée, j’espère


seulement que son appel ne concerne rien de grave.
Ce coup de fil rend mon attente de Doherty encore plus longue. J’exècre la
manière dont je suis retenue ici, dans cette pièce à perdre mon temps. Je

pourrais profiter de cette attente pour rappeler mon père, mais j’ai juste peur

d’être interrompue par l’arrivée de l’homme qui me séquestre précisément


dans son bureau. Alors je bous davantage. J’envoie juste un petit message.

« Coucou Papa, j’ai bien reçu ton message, je t’appelle dès que possible »

Je me garde bien d’ajouter : « Rien de grave ? », car à la réflexion, je n’ai pas

envie d’apprendre une mauvaise nouvelle – si c’est le cas – par messagerie.

J’essaie de cloisonner mon esprit afin de ne pas me perdre dans ce qui semble
si important. Je dois d’abord régler le problème Doherty. Les minutes à

l’attendre sont longues et seule dans ce bureau vide, je replace mon téléphone

dans mon sac et commence à réfléchir aux arguments que je pourrai alléguer

pour que mon ex-patron me fiche enfin la paix et me laisse sortir au plus vite.

Cet appel manqué de mon père ne cesse de m’interpeler et il me tarde

maintenant de l’avoir en ligne. S’il s’avérait que Doherty me mette des bâtons

dans les roues, je pourrais toujours, lui rappeler toutes les occasions où il a
usé d’abus de pouvoir manifeste depuis hier.

Car entre le relooking et son gorille, maintenant, je pense que non seulement,
il a dépassé les bornes, mais qu’en plus, je pourrais réussir à le trainer devant

les tribunaux, si tant est qu’un avocat accepte – gratuitement et c’est bien là
mon problème majeur - de s’affronter à l’un des plus puissants hommes
d’affaires de la city. Cette menace est utopique, je le sais, mais bon, ce petit
exercice me permet au moins de contribuer à faire passer le temps.

Cela doit bien faire une demi-heure que je patiente, quand enfin, la porte

s’ouvre. J’entends la voix de Doherty qui remercie mon geôlier puis il pénètre

dans la pièce comme si de rien n’était, en refermant la porte derrière lui.

— Je vous remercie de m’avoir attendu, lance-t-il en introduction.

De l’avoir attendu ? Vraiment ? C’est d’un comique ! Comme si j’avais eu le

choix !

Sa petite politesse déplacée réussit, en un quart de tour, à relancer mon état de

rage qui s’était pourtant calmé le temps de l’attente.

Non mais pour qui se prend-il à la fin ?

Si moi, je suis excédée d’avoir été retenue aussi longtemps, puisqu’en plus
Monsieur a bien pris son temps pour finir son déjeuner, lui, affiche au

contraire un air plutôt amusé, voire nargueur, qui m’agace encore bien plus. Je

le déteste carrément ! Il est royalement en train de se foutre de moi, et d’une

manière si délibérée que ça me rend folle !

— Vous plaisantez, je suppose ? Vous n’avez pas à me remercier dans la


mesure où votre gorille s’est chargé de me séquestrer selon vos ordres, vous

le savez très bien. Et c’est d’ailleurs, bien contre mon gré, que je me retrouve
encore coincée ici, soyez-en sûr ! je rétorque agacée.

Et alors que jusqu’ici, je n’avais pu lire sur son visage que du mépris ou de la
colère, la moue joueuse qu’il affiche depuis son arrivée a le don de m’énerver

encore plus, si tant est que cela soit encore possible. Comment peut-il s’amuser

et se moquer ainsi de moi, alors que la situation est tout simplement grotesque.

J’en suis maintenant persuadée : cet homme est dérangé. Mentalement dérangé,
je veux dire.

— Vous imaginiez-vous pouvoir partir ainsi, telle une voleuse ? ricane-t-il.

— Je n’ai rien volé, je nie in petto. Et dans la mesure où je n’ai même pas été

enregistrée comme l’une de vos employées auprès de votre service DRH, je ne

me considère, par conséquent, aucunement liée à votre entreprise, lui réponds-

je avec assurance.

Comme si ma réplique était d’un humour irrésistible, Doherty lâche un rire

franc, qui détonne ici dans son bureau. Et le fait que tout ceci puisse le distraire

à ce point me fait littéralement bouillonner. Je sens grossir en moi une

véritable colère, une tornade de rage si puissante et si dévastatrice que

franchement, je ne sais même pas comment je me retiens de lui foncer dessus

pour frapper son torse de mes petits poings. Mais jusqu’à quel point compte-t-
il me pousser à bout ?

Une chose est sûre, je dois sortir au plus vite de cette pièce sous peine de
craquer nerveusement devant lui. Et ça, je ne le veux pas. Me contrôlant au

maximum afin de ne pas verser dans l’hystérie, j’essaie secrètement de


relativiser cette histoire pour me convaincre de ne pas exploser. Plus que
quelques toutes petites minutes à tenir …

Continuer dans la voie présente ne fera qu’ajouter de l’eau à son moulin. Cet
homme est le diable incarné et jamais, il ne reconnaitra avoir tort. Par

conséquent, la meilleure façon que je trouve pour me libérer de son

ascendance, c’est de changer de stratégie.

— Ecoutez, je ne cherche pas d’histoires, tenté-je autrement. J’ai


manifestement fait une erreur en postulant pour ce poste et je le déplore. Le

mieux est que je ne m’obstine pas et que je cède la place à quelqu’un de plus

compétent – et plus jolie aussi, pensé-je. Nos caractères sont, c’est une

évidence, diamétralement incompatibles. Il est certain que vous trouverez chez

une autre personne plus qualifiée, l’employée qui vous convient. Je ne

demande bien évidemment aucune indemnité pour cette matinée et vous prie
juste de m’excuser pour cette méprise. Aussi, si vous êtes d’accord, dis-je en

me redressant, je vais vous libérer de vos obligations patronales et arrêter de

vous faire perdre votre temps que je sais être très précieux, conclus-je – en
rapport direct avec son allocution de la veille.

Waouh ! Je m’épate moi-même de tant d’humilité et de diplomatie !

Mon but principal est bien évidemment de déguerpir au plus vite, aussi, mon
discours visant à le convaincre qu’il s’agit finalement d’une simple erreur de

ma part, devrait plutôt le rassurer. Tout ce qui m’importe actuellement, c’est de


quitter cette entreprise de fadas – Abby et Betty n’étant pas incluses, bien
évidemment - et de rentrer chez moi pour me caler devant la télé, un bon thé
dans les mains et oublier toute cette regrettable histoire. Et appeler mon père

aussi.

Demain, je reprendrai mes investigations quitte à trouver un poste de serveuse

dans un bar, pour commencer, le temps pour moi de me retourner. Je ne fais


pas de fixation particulière sur les postes de serveuse, mais de nombreuses

affiches sur les devantures de bar, attestent que je devrais pouvoir retrouver

rapidement un petit job en attendant de trouver mieux. Après tout, je peux

momentanément revoir mes ambitions à la baisse tant que cela me permet de

payer ma part de loyer. Le prix de mes études me reste quand même en travers.
Tout ça pour ça !!

Mais tandis que j’essaie de me dépêtrer de cette situation infernale, - faut quand
même le vivre ! Supplier son patron de bien vouloir laisser partir son employée

qui n’est même pas légalement son employée ! - Doug Doherty ne prononce

aucun mot. Cependant, son sourire narquois a quitté peu à peu son visage et en
un laps de temps très court, il rechausse son attitude hautaine. Ses traits se sont

durcis simultanément. C’est une maigre consolation, mais au moins ai-je réussi
à faire disparaitre l’air railleur et supérieur qu’il affichait en entrant, c’est

toujours ça. Maintenant, est-ce bon signe ? Je n’en suis pas certaine.

Soudain, sans que je m’y attende, il se lève, contourne son bureau et sur le
coup, je suppose qu’il vient me saluer et me souhaiter une bonne continuation.
Je me lève alors, mais mon élan est vite coupé, quand je m’aperçois qu’il s’est

juste déplacé pour venir s’asseoir sur son bureau, face à moi, réduisant de fait,

la distance entre nous.

Cette proximité me gêne car malgré mon aplomb légendaire, je sens bien que

cet homme me déstabilise. Et c’est un fait avéré puisqu’aussitôt mon cœur


accélère ses battements et l’air semble peiner à s’infiltrer dans mes poumons.

Je déglutis difficilement, consciente que tous ces symptômes me rendent

vulnérables. Il me rend vulnérable ! Et je n’apprécie pas de me retrouver dans

cette situation. En fait, je ne me sens pas tranquille, il est trop proche de moi. Je

préfèrerais garder un minimum de distance entre nous mais je peux désormais


quasiment sentir son souffle quand il s’avance encore d’un pas vers moi. Je

sens le rouge envahir mes joues et j’ai chaud. Bordel ! Nous nous tenons l’un

devant l’autre avec quoi ? A peine une cinquantaine de centimètres entre nous ?

C’est trop peu. Il est beaucoup trop proche de moi.

Et puis que me veut-il encore ?

Comment lui faire entendre que je ne demande rien d’autre que de pouvoir
partir ? C’est pourtant simple et raisonnable comme demande, non ?

— C’est bon ? Vous avez dit ce que vous aviez à dire ? me demande soudain
Doug à voix murmurée.

Je relève mon regard que j’avais baissé par instinct de protection et waouh, son
visage est encore plus sublime de près. Un tel homme existe-t-il vraiment ?
Probablement conscient de l’effet qu’il me fait, il arbore de nouveau son

sourire insolent et j’ai de plus en plus de mal à rester de marbre face à lui. Je

sens bien que je suis en train de flancher. Mais qui résisterait ? Il est d’une

beauté stupéfiante et quand il sourit ainsi, difficile d’échapper à son charme.


Malgré tout, j’essaie de retrouver une contenance. Alors que je soutiens son

regard par fierté, en haussant le menton, à l’intérieur, je sens ma volonté de lui


tenir tête s’étioler. Pour me préserver, je souhaiterais juste reculer de quelques

pas afin de me défaire de l’emprise qu’il peut avoir sur moi, mais le fauteuil

qui cogne mes mollets m’en empêche et je ne suis qu’à quelques malheureux

centimètres de son torse. Sa chemise épouse magnifiquement son buste musclé

et la suavité de son parfum anime en moi des instincts de désir très primaires.

A-t-il seulement conscience de ce qu’il peut déclencher en moi ?

Et pourquoi ai-je tant de mal à rester moi-même lorsqu’il s’approche de trop

près ? Ma raison m’abandonnant totalement, des pensées érotiques naissent

aussitôt de mon imagination que j’ai de très délirante en ce moment. J’essaie


de m’ébrouer mentalement, mais un film défile bien malgré moi devant mes

paupières. Lui m’agrippant sauvagement et m’embrassant avec fougue. Lui


m’attrapant et me retournant aussi sec sur son bureau. Lui sur moi. Lui en moi

… STOP !!!!! Stop ! Stop !

Je suis dans un état d’excitation tel que je pourrais le basculer, là, tout de suite
sur son bureau et le violer même ! Mais que m’arrive-t-il à la fin ? Jamais
aucun homme ne m’a à ce point troublée ! Rectification : aucun homme ne m’a

jamais troublée pour être exacte. Suis-je donc tant en manque de sexe que ça ?

Ou est-ce le sex-appeal de cet homme qui me tourne la tête ainsi que de jolies

bulles de champagne ? Et dire que c’est une première pour moi et qu’il a fallu
que cela tombe sur Doherty !

Manifestement conscient du trouble qu’il jette en moi, Doherty m’adresse un

sourire de connivence comme s’il pouvait lire mes pensées … incorrectes. Le

peut-il vraiment ? C’est quand même la seconde fois que je me pose cette

question le concernant ! Me sentant aussitôt coupable, comme prise sur le fait,

je me mets à m’empourprer à nouveau. Et j’ai alors, sincèrement le sentiment


qu’il parvient à lire mes pensées quand d’un signe de tête, il se tourne vers le

plateau de son bureau en souriant sardoniquement. Zut !

C’est pourtant rationnellement impossible, mais je suis, pour l’heure, certaine,

qu’il y parvient … à moins que lui aussi ait eu cette pensée.

Trop troublée pour répondre, je me contente d’accrocher mon regard au sien.

Je dois chasser de mon esprit et de mon corps toutes ces sensations de désir
qu’il m’inspire et tenter de retrouver mon aplomb. En d’autres circonstances,

sans aucun doute, j’aurais apprécié ce regard si profond et sombre à la fois. Je


l’aurais même, très probablement trouvé très intéressant, voire carrément sexy,

au point de faire de son bureau une aire de jeu pour adultes, mais ce n’est ni le
bon moment, ni le bon endroit, ni même, le bon type.
Je peine vraiment à retrouver mes forces. Mais au prix d’un colossal effort, la
raison de ma présence ici me revient et je m’ébroue mentalement, chassant

avec rigueur tout ce que cet homme parvient à déclencher en moi.

Quel est ce paradoxe qui me fait d’une part fantasmer sur lui alors que je n’ai

finalement qu’une autre envie : lui tordre le cou ?!

— Bien, reprend-il après de longues secondes.

Je le devine en train de chercher ses arguments, s’étant apparemment égaré lui

aussi quelques instants, dans mes yeux bleus.

Mais il reprend bien vite le contrôle.

— Puisqu’il semble nécessaire d’expliciter davantage les choses avec vous, je

vais y aller directement sans prendre de détour.

Quoi encore ?

J’ai déjà eu droit au petit speech sur l’importance vestimentaire et sur l’impact

de celle-ci sur l’image de la société, celui aussi sur le fait que je n’étais plus
une étudiante et que je devais me respecter en tant que femme ; alors de quoi

veut-il me parler maintenant alors que je suis sur le départ ? De mon


incompétence ? De mon insolence ? De mon immaturité ? Quoi à la fin ?

— Vous m’intéressez et chaque chose à un prix. Donc je vous parle désormais


négociation.

— Co … comment ça négociation ? je demande en bégayant. Vous n’avez peut-


être pas compris mais je vous quitte.

Et comment ça je l’intéresse ? Il a besoin de cobayes humains pour tester de


nouveaux poisons ?

— C’est très simple Mademoiselle Johns. Vous vous croyez irremplaçable

mais ce n’est pas le cas. Mais compte tenu de l’urgence dans laquelle je me

trouve, vous ferez l’affaire. Donc, la seule et unique question est la suivante :
quel est votre prix ?

Merci, c’est toujours très sympa à entendre. Du Doherty tout craché ! Mais

même si je m’offusque devant lui, je dois reconnaitre que je ne comprends


absolument rien à ses paroles. Comment ça quel est votre prix ??? S’il a besoin

de petites gâteries particulières, il y a des professionnelles pour ça !! Face à

son insulte, je lève ma main, prête à le gifler. Pour qui me prend-il à présent ?

Pour une prostituée ? Vraiment ? Je n’ai jamais connu un tel mufle !

Mes yeux assassins lui expriment autant ma colère que mon offense. Je n’ai
jamais connu telle insulte. Profitant, probablement de mon émoi, Doug

Doherty attrape mon poignet au passage et me le maintient fermement à


hauteur de visage. Nos regards s’affrontent désormais. Mais au bout de

quelques secondes, rabaissant mon bras, comme souvent en ma présence, il se


met à souffler bruyamment, comme exaspéré. Il a tendance à oublier l’injure

qu’il vient de me jeter au visage.

— Pourquoi toujours tout prendre au premier degré ?


Hein ??

— Et comment suis-je censée interpréter vos propos ?

Il se met à rire tandis que je le fixe haineusement.

— Qu’allez-vous imaginer ? continue-t-il en riant.

— Je ne vois rien d’amusant dans la situation, tout au contraire. Vous venez de


m’insulter sans détour. J’en ai ma claque, je me tire !

— Attendez ! Je suis désolé si vous avez cru que je vous insultais. Ce n’était

pas volontaire, je vous prie de m’en excuser. Je me suis mal exprimé. Pardon.

Je le toise, furieuse. Il a l’air sincère mais je n’ai aucune confiance en lui.

— Dans ce cas, que souhaitiez-vous dire ?

— Ce que je vais vous dire, risque de vous froisser, vous étonner, peut-être,
mais en aucun cas ne vous injurie. Comme je vous l’ai dit : nous parlons

affaires désormais. Tâchez de ne pas l’oublier. A ce sujet, je dois vous faire

une confidence.

Doherty se recule alors et rejoint son fauteuil derrière son bureau, donnant
instantanément un cadre à ce qui va suivre. Quelque part, le fait qu’il s’éloigne
me permet de retrouver un peu mes moyens.

— Ne vous en offusquez pas Scarlett, mais si je vous ai employée, ce n’était

pas exactement pour le poste d’assistante.

Comment ça, pas pour le poste d’assistante ?


A la vérité, je ne suis pas certaine de vouloir l’écouter. Je décide alors de
quitter ma place et me dirige à grands pas vers la porte, bien décidée cette fois

à lever le camp. Je ne vois pas en quoi cette conversation pourrait m’intéresser.

Tout au plus a-t-il voulu s’amuser de moi comme je le présumais … je n’ai pas
besoin d’en apprendre davantage. Et si je n’avais déjà pas spécialement une

bonne opinion de tous ces jet-setters, richards, parvenus ou autres nouveaux


riches, ce n’est sûrement pas Doherty qui m’aura fait changé d’avis. Je n’ai, en

fait, plus rien à faire ici. J’en ai déjà bien suffisamment entendu !

— Bien. Merci de votre franchise, je lui réponds sarcastiquement. Je m’en

vais !

— Non ! hausse-t-il le ton. Maintenant vous m’écoutez Scarlett. Jusqu’au bout,

s’il vous plait, se radoucit-il. Asseyez-vous, vous pourriez être intéressée.

Non mais ! Pour qui se prend-il ? Je ne suis pas l’une de ses sous fifres

tremblant de peur devant lui, pas plus que l’une de ses groupies énamourées,

fascinée au point de lui obéir sans aucun discernement ! Malgré tout, il a

éveillé ma curiosité, je l’avoue.

— Non ! prononcé-je à mon tour, au moins aussi sèchement que lui. Ecoutez-

moi. J’ai d’abord pensé qu’il y avait méprise et que le mieux, pour nous deux
était de renoncer à ce poste. Je vous ai quasiment prié d’excuser mon erreur et

en tant que patron responsable, vous auriez dû au moins me remercier de nous


éviter à tous deux de rentrer dans une spirale nocive. Je passe sur votre sale
caractère et vos moyens plus que douteux de traiter vos personnels.
Maintenant, vous m’apprenez que vous m’avez embauchée pour autre chose

que le poste d’assistante, comment dois-je le prendre d’après vous ? Comme

vous me l’avez si bien fait remarquer, je ne suis pas irremplaçable et je ne


doute pas un instant que vous trouverez aisément une autre dinde à gruger.

D’autant plus que, d’après ce que je peux en comprendre, vous ne m’avez pas
choisie pour mes compétences ... Alors franchement, je me demande bien ce

qui a pu motiver mon embauche. Mais à la réflexion, je ne suis pas certaine de

vouloir le savoir.

Ses pupilles sombres me fixent et nous nous jaugeons un moment ainsi.

— Attendez au moins de savoir ce que je vous propose, rompt-il cette joute

visuelle. Nous sommes en affaires Mademoiselle Johns.

— Je ne me vois pas vraiment traiter d’affaires avec vous.

— Parce que vous ne savez pas ce que je vais vous proposer. Moi, je prédis
que cela vous intéressera Scarlett. Vous pourriez regretteriez de passer à côté,

croyez-moi.

— Soyez raisonnable Miss Johns et asseyez-vous.

D’un geste du bras, il me désigne le fauteuil où la veille je candidatais et après

un temps d’hésitation, curieuse, je m’exécute. Après tout, qu’ai-je à perdre de


plus ? Je ne suis plus à dix minutes près, je suppose.

— Bien. Sage décision. Et honnêtement, Mademoiselle Johns, si vous n’êtes


absolument pas la personne qu’il me faut au bureau, à contrario, vous êtes
exactement la femme dont j’ai besoin. Alors, voilà ce que je vous propose : je

vous embauche pour une durée que j’estime au premier abord d’un mois

moyennant quoi, je vous rétribue dix mille dollars. Si cette période devait
s’avérer insuffisante, je la reconduirais d’un mois supplémentaire, qui vous

serait, cette fois-ci, rétribuée quinze mille dollars. Durant cette période, vous
serez bien évidemment sous mes directives et devrez vous conformer à mes

exigences y compris si celles-ci doivent passer par les soins de Mademoiselle

Stuart. Concernant, Madame Clow la diététicienne, j’accepte de surseoir et

aviserai en temps voulu. En revanche, sachez que cette offre ne sera valable

qu’aujourd’hui et si vous la déclinez, il n’y aura pas de séance de rattrapage. Il

me faut quelqu’un immédiatement, quelqu’un sur lequel je puisse compter.

Vous avez exactement cinq minutes pour me poser les questions qui vous
chagrinent et au terme de celles-ci vous me donnerez votre réponse. Sachez

seulement, Mademoiselle Johns, que cette pratique ne m’est pas courante et

sans cet état d’absolue urgence, je n’aurai jamais eu à vous mettre à


contribution et encore moins à vous proposer cet arrangement, qui vous en

conviendrez, est plus qu’intéressant pour vous.

Je regarde Doherty choquée. Est-il sérieux ? Veut-il vraiment m’embaucher


pour un mois à ce tarif ? Et pour faire quoi d’ailleurs ? Les paroles de Mary

Donner, la sorcière de Doherty Press me reviennent soudain en tête : « Je ne


sais pas vraiment pourquoi il vous a employée mais bon, il doit avoir ses
raisons ».

Justement quelles sont ses raisons ? Dix mille dollars est une somme très
importante. Même très très conséquente alors que suis-je censée faire pour ce

prix ? Forcément, je m’inquiète à ce sujet. Rien qui ne défie la morale au

moins ? Et puis, c’est louche. Qui de nos jours propose de tels arrangements ?

Tout ceci me semble bien trop douteux et si mon idée première est de refuser
catégoriquement cette offre qui ne peut être que malsaine, l’alerte rouge de

mon compte en banque, elle, me rappelle à son bon souvenir. Il faut que je

sache. Après tout, se renseigner n’engage à rien, non ?

— Et que serais-je supposée faire pour mériter ce tarif exceptionnel ?

demandé-je sur la défensive. Parce que si vous me prenez pour une pute …

— Holà ! Du calme Johns. Restez correcte.

— Correcte ?? C’est à moi que vous dites ça ?! Vraiment ??!

— Bon, je constate au moins que vous avez la notion de l’argent, approuve-t-il.

Non sans blague !! Qui n’a pas la notion de l’argent quand son banquier passe

son temps à bloquer votre carte ?? Je ne viens pas de son monde scandaleux de
paillettes et de jets privés, moi !

— Il vous reviendra de jouer le rôle de ma petite amie, lâche-t-il comme une


bombe. Evidemment, vous aurez à cœur d’être convaincante cela va de soi, et

d’user de votre sens de persuasion.


— Quoi ? Dix mille dollars pour jouer le rôle de votre petite amie,
m’exclamai-je en riant. Vous êtes si seul que ça qu’il vous faut payer quelqu’un

pour en tenir le rôle ? Ça ne vous fait pas réfléchir un petit peu ? le nargué-je

en dessinant de petits cercles de mon index au niveau de mon crâne comme


pour l’interpeler.

Le regard sombre et aiguisé que m’adresse Doug alors me coupe soudain tout

sens du rire. Il ne partage pas ma plaisanterie apparemment. Ses traits se sont

tendus à nouveau et il semblerait bien que j’aie réussi à vexer notre séducteur

en remettant en doute ses propres comportements sentimentaux. Ses humeurs

sont si changeantes aussi, comment le suivre ? Il me déstabilise constamment.

— Sérieusement ? ajoutai-je encore, histoire d’en remettre une couche dans un

demi rire.

Il reste mutique, mais ses pupilles brunes sont brûlantes. Je présume qu’il doit

regretter de m’avoir proposé ce marché. A condition que cela ne soit pas une

farce de plus pour me faire marcher …

— Le pourquoi ne vous regarde pas. D’ailleurs, la véritable seule question est


la suivante : acceptez-vous ma proposition, et si oui, vous engagez-vous à

suivre mes instructions ? C’est aussi simple que cela. C’est un oui ou c’est un
non. Voilà tout.

Je le regarde hagarde. Il est réellement sérieux alors ? Il veut vraiment que je


joue le rôle de sa petite amie ? Mais qui utilise encore ce genre de subterfuge
de nos jours ? Et pourquoi ??

Quelque chose m’échappe. Bien qu’il ne soit pas mon genre, Doug Doherty est
comme je l’ai déjà précisé, un homme très séduisant, courtisé par de

nombreuses femmes, et un parti intéressant, si j’en crois le dernier Forbes.

Alors pourquoi en est-il réduit à payer une femme pour occuper ce rôle ? C’est
d’ailleurs à peu près ma question.

— Pourquoi payer si cher alors que vous pourriez avoir n’importe quelle

femme pour remplir gratuitement cette mission ? Cela cache forcément

quelque chose, je ne suis pas aussi naïve que semblez le penser ?

— Justement, répondit-il. Je ne veux pas de n’importe qui. Je ne veux pas

perdre le contrôle de la situation. Et j’ai précisément besoin que la femme en

question agisse selon mes directives et non selon son caractère futile et bavard.

Et misogyne en plus ! De mieux en mieux ! J’avais donc bien raison sur ce

point-là. Doherty est bien un phallocrate !

Je le regarde un instant, essayant d’analyser la situation avec le peu de recul


que je puis avoir. Dix mille dollars pour un mois maximum ! Au pire quinze

mille dollars pour le second mois. Voilà qui me remettrait bien dans mes
comptes. Et vu que de toute évidence, je viens de perdre mon emploi, accepter
ce « rôle » pourrait me permettre de patienter confortablement en attendant de

retrouver un vrai poste, cette fois-ci. J’avoue que cela mérite réflexion. J’ai
encore du mal à réaliser qu’il s’agit d’une véritable offre. Ce serait bien la
première fois que j’aurais de la chance.

Au vu de la rémunération, tenir deux mois, grand maximum à ses côtés, ça ne


doit pas être si insurmontable que ça ?! Si ??

Son sale caractère me laisse déjà entre-apercevoir que cela ne sera sans doute

pas une promenade de santé, c’est sûr, mais j’avoue que si l’offre est réelle, ça

vaut sacrément le coup ! Evidemment, vu sa personnalité, ça pourrait ne pas


être rose tous les jours. Mais dix mille dollars minimums quand même !!!

Combien de temps me faudrait-il travailler pour réussir à les gagner en temps

normal ? En tenant compte de mon expérience, qui équivaut au néant, huit


mois ? dix mois peut-être …

Je trouve forcément l’idée intéressante. Qui cracherait sur un telle somme,

honnêtement ? Ces dix mille dollars me permettraient de pouvoir prendre un

peu de recul sur mes ambitions professionnelles et de rembourser

partiellement une partie de mon crédit étudiant, ce qui ne serait pas négligeable
par les temps qui courent, surtout si l’on prend en compte le fait que j’ai grillé,

ces derniers mois, toutes mes économies.

— Si j’acceptais, admettons, ce n’est qu’une supposition, précisé-je prudente,


qu’aurai-je à faire exactement pour cette somme ? je demande quand même
suspicieuse.

Traduisez par : aurais-je à faire des trucs … sexuels ?

Encore que je ne sois même pas certaine que cela me gênerait …


Oh ! là, là ma fille, tu te fourvoies.

— Rien d’autre que je ne vous préciserai sur le contrat. Vous serez amenée à
rencontrer des membres de ma famille, des amis ou des partenaires

professionnels. En aucun cas, vous ne serez mise en situation délicate, vous

serez préparée pour chaque occasion. Il va de soi que vous conserverez les
tenues que vous aurez à porter, ajoute-t-il d’un air moqueur.

Mise à part son allusion mesquine concernant ma garde-robe, l’offre a l’air

trop belle pour être honnête et le peu que je connais de Doug m’amène

forcément à me méfier. Est-ce qu’il me cacherait quelque chose ?

— Y-a-t-il quelque chose d’autre que je devrais savoir ? je demande en plissant

les yeux tentant de le sonder.

— Non. Vous serez prévenue en temps et heures des informations importantes

qui vous seront nécessaires.

— Mon embauche pour le poste d’assistante était-elle basée sur ce … contrat ?

— Non. Enfin, pas vraiment. Disons que l’idée m’est venue après.

— Mais pourquoi moi alors ? Je veux dire pourquoi payer quelqu’un alors que
vous pourriez ne rien avoir à débourser ?

— Je vous l’ai dit, je préfère assurer mes arrières, et surtout, ne pas perdre le
contrôle de la situation, question de sûreté, se justifie-t-il.

Sa réponse me semble pour le moins … surprenante et vague, pas vraiment


convaincante. Redoutant quelque coup fourré, je préfère me renseigner sur tout
ce qu’inclut cet étrange contrat, avant de me prononcer, n’ayant absolument

aucune confiance en l’énergumène.

— Si, je dis bien si, si j’acceptais votre marché, que comprendrait exactement

ma mission ? Il me faut plus de détails, insisté-je.

Apparemment, peu surpris par mon insistance sur la question, Doug m’adresse
un sourire arrogant comme s’il était certain d’obtenir ce qu’il voulait.

— Si vous acceptiez, me répond-il d’un air entendu en insistant, vous devriez

vous faire passer pour ma compagne pour une durée qui, si tout va bien, serait
d’un mois, voire deux au grand maximum. Rien de plus.

— Humm, je hoche la tête. Et pourquoi serais-je à présent à votre goût, alors

que vous n’avez cessé de témoigner du mépris et du dégoût depuis notre

rencontre ?

— Cassie interviendra, rassurez-vous.

Sa réponse est tellement cassante et humiliante que je me vexe aussitôt.

— Cassie ? dites-vous ? je l’interroge bougonne.

— Mademoiselle Stuart, se reprend-il.

— Encore une fois, si je vous disais oui, devrais-je rester vingt-quatre heures
sur vingt-quatre à vos côtés ? demandé-je en grimaçant.

— Ce serait le cas, oui. Bien, assez parlementé. Vous avez obtenu suffisamment
d’informations me semble-t-il. Vous êtes donc libre soit de partir

immédiatement, soit d’accepter mon offre.

La question concernant le sexe me taraude toujours, car ses réponses sont

restées, malgré tout, assez floues. Cependant, compte tenu de tout ce qu’il a pu

me laisser deviner sur ce qu’il pense de moi, je pense avoir effectivement


obtenu d’une certaine manière sa réponse. Et puis, Doherty a parlé d’un

« contrat », tout en insistant bien sur le fait que je n’aurai d’autres choses à

faire que ce qui y figurera. Je devrai donc le lire avec attention avant de signer

quoique ce soit. Ce dernier point me rassure relativement. Alors, sans savoir

vraiment ce qui me passe par la tête à cet instant, peut-être par désespoir ou par
défi, je me surprends à m’exclamer :

— Quinze mille le premier mois, vingt mille si cela devait se poursuivre un


second mois.

Doug Doherty me fixe, d’abord surpris, puis un sourire moqueur s’accroche à

ses lèvres – qu’il a de magnifiques, soit dit en passant -.

Il n’a pas encore accepté ma demande, mais je lis très clairement un air de
victoire dans ses yeux. J’ai un doute subit sur le fait d’avoir peut-être pris un

risque en m’étant montrée un peu trop gourmande. Zut zut de flûte ! Avec ma
grande bouche, je viens peut-être de faire foirer l’affaire de ma vie.

Les pupilles brunes de Doug me fixent d’une nouvelle attention, comme s’il
me voyait tout à coup différemment. Mon marchandage ne semble pourtant pas
le rebuter. Enfin, je n’en ai pas le sentiment. Au contraire, j’ai comme

l’impression qu’il en est surpris et finalement amusé. Alors que de mon côté,

je croise les doigts dans mon dos pour que ma soudaine gourmandise vénale

ne m’ait pas fait louper cette bonne occasion de me faire de l’argent. Mais
peut-on vraiment parler d’une bonne affaire ? ça, c’est une autre question.

Mutique, Doug Doherty reste sans bouger, les bras croisés sur son torse, dans

la même posture un temps suffisamment long pour que je l’interprète comme

un refus.

Ne souhaitant pas plus que ça éterniser notre entretien et m’humilier davantage,

je me lève donc, assez mollement, récupère à nouveau mon sac et mon carton,

et m’apprête à partir, déçue.

— Très bien, j’accepte, finit-il par lâcher. Ce n’est pas non plus, comme si

j’avais vraiment le choix, marmonne-t-il comme pour se justifier, en fixant de

ses yeux bruns mon regard clair. Toutefois, vous me surprenez Oregon, je ne

vous savais pas si joueuse. Mais ça me plait, lance-t-il mystérieux.

J’aurais presque pu en être flattée, s’il ne m’avait pas une fois encore servi du
« ce n’est pas, non plus, comme si j’avais vraiment le choix ». L’idée de n’être

que la « moins pire des solutions » me vexe.

— J’accepte votre prix mais à mes conditions, précise-t-il aussitôt, histoire de

garder le contrôle du marché. Vous commencez immédiatement, vous


écouterez mes consignes à la lettre et vous plierez sans rien avoir à redire au
dress-code que je vous imposerai. Et de manière à ce que les choses soient

définitivement claires entre nous, ne vous avisez plus jamais de me fausser

compagnie.

— Sinon ? rétorquais-je par défi.

— Vous en subirez les conséquences, soyez-en sûre.

Son ton glacial appuyé de son regard ténébreux me fait frissonner. Que veut-il

dire par là ? Il n’irait tout de même pas jusqu’à des sévices corporels ?

Il doit lire en moi mes craintes, car il se met subitement à éclater d’un rire

franc.

Décidément, j’ai réellement l’impression d’être le bouffon du roi depuis que je

l’ai rencontré !

— Je ne vous taperai pas, si c’est ce dont vous avez peur, enfin … pas sans que
vous me le demandiez … se reprend-il, une lueur perverse illuminant son

regard.

Il n’en a pas assez ? A quoi joue-t-il avec ses allusions non dissimulées ? Mon

esprit s’emballe aussitôt suite à ses paroles implicites, faisant frémir mon
intimité, à la simple idée qu’il puisse me dominer. Je me reprends, toutefois
assez vite, ma raison, plus que rationnelle, se contentant de me rappeler à quel

point je ne suis et ne serai d’ailleurs jamais son genre de femme. Alors


pourquoi se divertit-il sans cesse en me plaçant dans une situation aussi

inconfortable ? A part que sa personnalité versatile aime profondément


déstabiliser les jeunes femmes, je ne vois pas …

Pour lui montrer néanmoins mon mécontentement, je le fixe moi aussi, comme
il a tant l’habitude de faire, soutenant son regard et le toisant menton relevé.

C’est la seule gestuelle dont je dispose pour lui affirmer mon caractère et je ne

sais d’ailleurs pas si cela sera suffisant ; mais je ne voudrais surtout pas qu’il
s’imagine avoir tout pouvoir sur moi parce qu’il paie. Même si en fait, ce n’est

pas loin de la vérité.

En attendant, je refuse de me trahir et il est hors de question qu’il devine que la

simple évocation d’un jeu sexuel avec lui, fait naitre en moi des picotements

d’excitation. Je sais avec assurance, désormais, que Doug Doherty aime jouer

et dominer.

Simultanément, je comprends, à ce moment très précis, que si je valide sa

proposition, c’est bien lui qui mènera le jeu. Un jeu dont je ne peux

évidemment pas prévoir l’issue, un jeu qui pourrait bien s’avérer dangereux

pour moi, si je ne prends garde à ne pas m’impliquer émotionnellement ou …

sexuellement. Culpabilisant quand même, d’avoir cédé à l’attrait cupide des


milliers de dollars, j’ai la triste sensation d’avoir vendu, quelque part, en

échange, mon âme au diable … pour au moins un mois, en tout cas. Mais qui,
du reste, aurait refusé une telle offre ? Alors, me concernant, suis-je prête à

passer à côté d’une telle somme ? Ma réponse s’impose immédiatement. Non.


La seule question restante est maintenant de savoir dans quel état
psychologique je serai au terme de cette alliance.
Chapitre 8

Le reste de l’après-midi, je suis contrainte de rejoindre le 20 ème afin de


retrouver cette chère Cassie, qui semble m’attendre, un sourire vainqueur

cloué aux lèvres.

— Bien, je vois que Doug a eu raison de votre obstination Oregon, me nargue-

t-elle.

Doug ? Cassie ? Quel est donc leur lien ? Auraient-ils eu une aventure

ensemble ? Sont-ils encore ensemble ?

— Je me nomme Scarlett Johns, râlé-je pour la énième fois.

— Peu importe, balaie-t-elle ma réplique d’un geste de main. Venez donc

essayer la première collection que je vous ai mise de côté.

Je la suis de mauvais gré et me prête aux essayages, tout en bougonnant. Bien

que je n’aie personnellement guère de vêtements, aucun de ceux que j’essaie ne


me convient, alors même qu’elle s’auto-félicite de ses propres choix. Je

grommèle et grimace, ne me reconnaissant dans aucune des tenues proposées,


mais Cassie s’en moque royalement, pleinement satisfaite de sa victoire et de
ses sélections. Pour ma part, j’ai l’impression de ressembler à une poule de

luxe, ce qui ne m’aide pas vraiment à redorer mon égo qui en a pris un coup
quand je me suis aperçue qu’effectivement, tout le monde a un prix !

Mon dieu ! Suis-je vraiment obligée d’en passer par-là ? Et avais-je réellement
besoin d’accepter son deal ?

La réponse est malheureusement très simple : oui.

— Je ne vois pas vraiment quelle occasion me permettrait de porter ces

tenues ? insisté-je en ricanant.

— Ne vous inquiétez pas, Doug sait ce qu’il fait.

— Quoi ? Comment ça Doug ? C’est lui qui vous a passé commande ?

— En quelque sorte.

Elle aussi commence à me courir sur le système avec ses Doug par ci, Doug

par-là, ses sous-entendus et ses minauderies. Finalement, c’est effectivement

tout à fait le genre de femme qui aurait pu séduire ce prétentieux despote.

Au moins, me consolé-je, je n’aurais plus à me retrouver face à la sorcière du

trente et unième étage. C’était une maigre consolation, mais je finis par m’en

réjouir compte tenu de l’inconnue vers laquelle je me dirige.

A dix-huit heures, je sors enfin de cet étage maudit et refuse de me regarder


dans un miroir. Ils ont changé mon style vestimentaire, ma coupe de cheveux et

rehaussé mes cheveux blonds d’une nuance plus chaude. Mon maquillage
habituellement discret et surtout réalisé en quelques minutes est désormais

savamment étudié, et je n’en vois absolument pas l’intérêt puisque je serais


bien incapable de le reproduire.

En fait, ce n’est pas tant le changement en lui-même qui me choque, car je


dirais plutôt qu’il doit s’agir de quelques petites améliorations - en ce qui

concerne mes cheveux tout du moins - mais c’est plutôt, le fait d’avoir dû

m’astreindre aux exigences de Doherty sans rechigner.

Si j’imagine que ma nouvelle coiffure ne me change pas trop, en qui concerne


la suite, c’est-à-dire vêtements et maquillage, là, je suppose que la

métamorphose doit être beaucoup plus conséquente ! Mais je ne peux pas le

constater, puisque têtue comme une bourrique, j’ai obstinément refusé de me

regarder dans le miroir qu’on me présentait à la fin.

Le fait de m’être soumise aux directives esthétiques de Doherty sans pouvoir

les discuter, comme si je n’étais qu’un jouet que l’on modèle et remodèle à

volonté, en plus de m’agacer, blesse mon orgueil. Et ce, même si je sais que ce

n’est que temporaire. J’ai le sentiment d’avoir d’ores et déjà perdu un peu de

mon amour propre. Et je suppose que ce n’est pas qu’une impression. Mais je

présume que pour la modique somme de 15 000 dollars, je dois bien me prêter
à quelques concessions tout de même. Ce ne sont que des détails finalement, et

dans un mois, je serai heureuse de toucher cet argent. Alors autant mettre de
côté, pour un temps, ma vanité.

Quand enfin les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le hall, j’aperçois en tout
premier lieu Abby. Elle est en train de parler à un homme adossé
nonchalamment sur sa banque. Je l’observe un moment et je la connais
suffisamment bien pour deviner qu’elle est en train de minauder. Ses manières,

son sourire et sa gestuelle m’indiquent qu’elle est sous le charme de son

interlocuteur. Malgré tout, son allure un peu figée me laisse à penser qu’elle
est impressionnée par lui. Alors que je la fixe, elle lève machinalement le

regard vers l’ascenseur qui vient de tinter et quand elle m’aperçoit, après un
bref moment de saisissement, elle ouvre des yeux gros comme des callots, la

bouche bée. L’homme accoudé doit se demander ce qui peut la faire grimacer

ainsi car il se retourne intrigué.

Merde Doherty !

Se redressant, un sourire de satisfaction nait lentement sur son visage et sans

plus calculer mon amie, il s’avance vers moi sous le regard médusé d’Abby.
Apparemment ma métamorphose lui plait, ses pupilles parlent pour lui. Et

alors que je devrais - ou tout du moins- je pourrais m’en réjouir, cette pensée

me vexe davantage, enfonçant encore un peu plus profond le clou, comme quoi
j’étais vraiment « au naturel », aux antipodes de ce qu’il peut aimer chez une

femme. Ça ne devrait me faire ni chaud ni froid, mais mon orgueil en est


pourtant blessé.

Me rapprochant de lui, je peux à présent, très facilement lire sur l’expression

de son visage, qu’il aime la femme que je suis devenue. Un pur produit de sa
création, mis en œuvre grâce aux talents de sa styliste. Et effectivement, cela
corrobore très clairement, par extension, qu’il n’appréciait pas du tout celle

que j’étais. A ce moment, seule l’idée vengeresse qu’il sera déçu de me voir au

réveil me réjouit. Cette pensée légère m’aide à atténuer la frustration que je

ressens. Quant à Abby, la bouche toujours grande ouverte, elle, ne semble


toujours pas en revenir. Doherty s’avance et se poste devant moi, d’un air ravi

et orgueilleux.

— Beau boulot Oregon, se contente-t-il de préciser.

Je rage intérieurement par sa remarque que je juge blessante. C’est tout sauf un

compliment ! Il aurait pu tout simplement se fendre d’un « vous êtes ravissante

Mademoiselle Johns », mais non ! Il ne fait que reconnaître les prouesses de

son équipe esthétique, gratifiant leur travail d’un « bon boulot » ! Si le jeu n’en

valait pas la chandelle, je suivrais mon instinct le plus vil, en le renvoyant


paitre publiquement. Mais le jeu en vaut la chandelle !

— Toujours aussi charmant, remerciez donc votre amie Cassie, bougonné-je.

— Jalouse ? ricane-t-il fier de lui.

— Hein ? je m’offusque. N’importe quoi ! Vous pouvez toujours rêver !

Sans tenir compte de mon humeur massacrante, il glisse son bras sous le mien
et nous dirige vers la sortie, sous le regard étonné des personnels présents

dans le hall – dont Abby, évidemment.

Je ne sais pas ce qui choque le plus mon amie, de mon relooking ou de me

voir partir bras dessus-bras-dessous avec Doherty, mais une chose est sûre, je
ne peux pas partir sans lui parler.

— Suis-je autorisée à adresser deux mots à ma colocataire ou ai-je perdu


également ce droit en pactisant avec Satan ? demandé-je effrontément.

Ma question insolente a au moins pour mérite de le faire sourire et ses yeux

s’illuminent en même temps, si bien qu’il aurait presque l’air sympathique, si

je ne le connaissais pas.

Evidemment, il n’en parait que plus beau, mais ça, même sous la torture, je ne

lui avouerais pas.

— Allez-y, je vous attends devant. Ne tardez pas trop.

— Monseigneur est trop bon. Merci, ricané-je insolemment.

Je ne sais pas d’où vient cette hargne que je porte en moi, mais je ne parviens

pas à rester aimable en sa compagnie. Sans doute, le fait qu’il me préfère ainsi
déguisée et parée comme ses poules me blesse-t-il. Mais il faudra bien que je

m’y fasse. Un mois, c’est long !

Je profite de sa largesse et me rapproche du comptoir d’accueil. Abby sort

enfin de sa torpeur et s’éveille soudain, prête à m’abreuver de questions.

— Mais c’est quoi ce truc ? Tu sors avec Doherty ? Mais depuis quand ? Tu

n’es là que depuis aujourd’hui ! Et tu t’es vue, comme tu es belle ? Oh, là, là …

— Ecoute Abby, je n’ai apparemment pas trop de temps pour tout te raconter,

mais je te texterai dès que possible.


— Mais qu’est-ce qui se passe Scarlett ? Explique-moi. Tu sors avec le patron ?
se répète-t-elle encore abasourdie.

— Tout n’est pas aussi simple qu’il n’y parait Abby, mais ne t’en fais pas, je

t’explique tout dès que possible.

— Mais tu travailles pour lui, oui ou non ? me demande-t-elle complètement

perdue.

— ça non plus, je ne peux pas vraiment te répondre à cette heure. La situation

est assez complexe, je t’avouerai.

Elle me regarde hagarde, complètement dépassée par les événements et elle a,

je l’avoue, de quoi se poser des questions. Moi-même, je ne maitrise pas tout.


Tout est allé tellement vite ...

— Je t’appelle ou je t’envoie un message. En tout cas, je te tiens au courant,

ok ? dis-je en me dirigeant vers la grande porte vitrée automatique.

— Mais tu rentres ce soir ? m’interroge-t-elle une dernière fois en élevant la

voix car je m’étais déjà éloignée d’elle, rejoignant Doherty.

— ça non plus, je ne le sais pas, crié-je. Je te tiens au courant. Promis.

Sitôt passée le seuil, je retrouve Doherty qui m’attend dehors sans manifester

aucune impatience, apparemment. Cela m’étonne assez pour que je m‘en fasse
la réflexion. C’est-à-dire qu’en moins de quarante-huit heures, je me suis

forgée une image de lui tellement négative que je m’attends à tout de sa part. Et
cela, il ne le doit qu’à lui-même. !
Je repère assez vite une grande voiture noire aux vitres opaques garée le long
du trottoir. Et Doherty s’adresse au chauffeur qui se tient légèrement sur le côté

du véhicule. D’un simple signe de tête, Doug lui fait comprendre qu’il peut

rejoindre le volant. Mon patron se penche alors pour m’ouvrir la portière.

Lui adressant un bref regard étonné, je me glisse sur les sièges les plus
confortables que je n’aie jamais testés. Et m’installant confortablement sur la

banquette, j’aperçois sur le volant le sigle et la marque de la berline : une

Lincoln. Rien que ça !

Quelque part, je ne suis pas surprise par son signe ostentatoire de richesse.

Rien d’étonnant finalement, connaissant le carriériste présomptueux qu’est

Doherty. Il est beau, riche et puissant et il entend bien le montrer. Forcément.

Aussitôt monté, Doherty, appuie sur un interrupteur et la paroi vitrée séparant

la cabine arrière de celle du chauffeur se dresse en silence, nous isolant

totalement. Je tourne mon regard vers lui, un peu affolée à l’idée de me

retrouver en tête à tête avec lui dans un espace aussi exigu. J’avoue que je n’ai

pas vraiment eu le temps d’envisager cette partie du contrat qui inclurait


forcément des moments plus intimes. Sur le coup, je peux bien l’avouer, j’ai

été plus attentive aux zéros du nombre allégué qu’aux réelles contraintes du
marché. Et je commence véritablement à me demander dans quelle histoire je

me suis embarquée.

La voiture démarre doucement puis s’insère avec habilité dans la circulation


dense de la cinquième avenue à cette heure-ci de la journée. J’en déduis, en
toute logique, que Doherty a dû donner des instructions au chauffeur pendant

qu’il m’attendait dehors.

Mais où allons-nous réellement ?

Bien que n’étant absolument pas claustrophobe, subitement, dans cet espace

clos, aux côtés de cet homme qui dégage autant de … de quoi d’ailleurs ? de
charisme ? Enfin bref, … je me sens soudain mal à l’aise, comme s’il

absorbait tout l’oxygène de l’espace confiné. Une mini crise d’angoisse me

prend, et j’essaie de ne rien en faire paraître, alors que l’air pénètre plus

difficilement dans mes poumons. Je commence à regretter mon engagement, je

ne sais pas si je serai à même d’aller jusqu’au bout de cette aventure. Peut-être

ai-je un peu présumé de mes forces ?

Doherty doit très certainement s’apercevoir de mon mal-être car au bout de

quelques secondes seulement, il pose sa main sur la mienne.

— ça va aller Scarlett. Détendez-vous. Tout va bien se passer. Vous n’avez pas à

avoir peur de moi.

Je remarque aussitôt que c’est la première fois qu’il emploie mon prénom et
ce dernier sonne plutôt drôle dans sa bouche. Je ne saurais vraiment
l’expliquer, mais un peu comme si nous étions davantage proches. C’est

étrange.

— Je n’ai pas peur de vous, je réponds, bien trop vite pour être crédible.
Sa main chaude recouvre la mienne, l’entourant de sa chaleur et de sa douceur.
C’est agréable et effectivement réconfortant. Doug m’adresse un sourire

joueur comme s’il n’en croyait pas un traitre mot et d’instinct, je rive mon

regard au sien. Il a l’air sincère, c’est presque rassurant. Pourtant, je n’ai


aucune idée du lieu vers lequel nous nous dirigeons et à la vérité, je ne connais

rien de cet homme si ce n’est sa mégalomanie. Comment savoir s’il n’est pas
psychologiquement perturbé ? Je réalise – bien trop tard- à présent qu’il

pourrait m’enlever en toute tranquillité sans que personne ne sache jamais où

j’ai pu disparaitre. Heureusement, Abby nous a vu quitter la tour ensemble.

Cela pourrait sans doute aider les enquêteurs dans un premier temps.

Alors même que la main de Doug est toujours posée sur la mienne, je détourne

le regard, gênée par l’intensité de ses prunelles. Bien que ne sachant rien de lui,

je ne me sens pas véritablement en danger, mais il s’est déjà vu que certains

psychopathes approchent et rassurent leur proie avec efficacité. Et si, je n’étais

pas plus maligne que certaines femmes qui se jettent carrément dans la gueule
du loup ??

Mauvaise idée que d’y penser car aussitôt, tout un tas de scenarios lugubres
assaillent mon esprit – merci les séries TV !! - et je délire tellement que j’en

arrive même à me dédoubler me découvrant enchainée au fond d’une cave


sombre et malodorante, isolée à des miles de toute autre habitation.

Je suis obligée d’ouvrir la fenêtre, soudainement en proie à une crise de


suffocation. La vitre s’abaisse et l’air qui pénètre l’habitacle nourrit mes

poumons affamés d’air. J’inspire exagérément l’air pollué de New-York

étouffant encore.

— Quelque chose ne va pas Scarlett ? s’inquiète Doug, me voyant me pencher

par-dessus la vitre ouverte.

Je ne réponds pas, me contentant sur mes mouvements respiratoires - inspirer


– expirer - pour chasser mon apnée nerveuse.

— Scarlett ? redemande-t-il avec douceur.

Je me retourne alors vers lui et son visage inquiet trahit effectivement son

intérêt, ayant perdu un temps, toute l’arrogance qui lui est coutumière.

— Ça va. Merci. J’ai juste manqué d’air, mais ça va mieux à présent. Puis-je

garder la fenêtre ouverte quelques temps encore, s’il vous plait ?

— Bien sûr, évidemment, répond Doug d’une voix compatissante.

Cet homme, que j’ai jusqu’ici classé dans la catégorie des hommes
véritablement beaux que je déteste, m’inspire subitement des sentiments

beaucoup plus ambigus, que j’ai dû mal à justifier. Non pas que je sois sensible
à son charme - Dieu m’en garde ! - mais j’avoue être peut-être un peu réceptive
à sa prestance et au magnétisme que transpirent de chacun de ses pores.

Ça et … sa façon aussi, de prononcer mon prénom. Bon rien d’extraordinaire

non plus, ne nous affolons pas, mais je suis sans doute plus vulnérable suite à la
petite crise d’angoisse que je viens de ressentir. Du coup, mes pensées sont
peut-être un peu plus confuses que d’ordinaire. Bon, il y a bien eu aussi, hier

soir ce dérapage érotique, seule dans mon lit, mais là-dessus, je sais avec

certitude qu’il ne s’agissait que d’un vulgaire manque de sexe et non d’une

attirance envers lui précisément.

Malgré tout, pourquoi l’idée que je pourrais être fascinée par cet homme fait-
elle son chemin en moi ?

N’importe quoi ! Vraiment n’importe quoi ! Il m’impressionne juste, c’est tout !

C’est normal.

Merde ! Je deviens schizo en plus de démente !

— Où allons-nous ? je finis par demander pour rompre le flux incessant de


mes pensées qui divaguent complètement et me perturbent tout aussi

assidument.

La fatigue de la journée et toutes ces dernières tensions sont indubitablement

responsables de mon trouble. Voilà tout.

— Nous allons diner et nous mettre d’accord sur les termes de notre accord.

Je hoche la tête et ne peux m’empêcher de lui demander afin de me rassurer.

— Aurais-je un contrat écrit de notre accord ?

La douceur qui illuminait quelques secondes auparavant encore ses prunelles


se mue subitement en un voile glacial que je trouve aussitôt intimidant. Je n’ai

pourtant pas pour habitude de me laisser marcher dessus, mais son regard
froid me fait baisser les yeux.

Finalement, après quelques instants d’un silence pesant, il change totalement


d’attitude et esquisse un sourire. Il est si versatile, faut suivre !!

Malgré tout … et surtout malgré moi, je suis bien obligée de reconnaitre que

lorsqu’il arbore ce magnifique sourire démoniaque où même ses yeux se

mettent à briller, il est vraiment très séduisant. Rien que le fait de m’en faire la
réflexion m’énerve mais c’est la vérité. En serais-je réduit au même état que

ses pauvres éternelles adoratrices ?

Non !!! Impossible. Je ne suis pas comme ça, moi.

J’ai bien plus de jugeote que toutes ces midinettes qui bavent devant n’importe
quel mâle aux beaux muscles mais à la cervelle de mollusque.

Enfin, je l’espère sincèrement pour moi !

Non, non, non, Doherty ! Ton charme n’agira pas sur moi ! Sois-en sûr ! lui

adressé-je secrètement en vue de conjurer tout sort qui m’aurait été lancé.

Je deviens réellement azimutée à tenir des conversations entre moi et moi. Ça

commence à m’inquiéter.

— Est-ce que cela vous rassurerait ? me demande-t-il soudain.

— Hein ?

Putain ! Reprends-toi Scarlett.

— Est-ce que cela vous rassurerait que nous établissions un contrat écrit ?
J’opine de la tête.

— Bien dans ce cas, je le ferai rédiger demain. En revanche sachez que ce


dernier vous liera davantage à moi.

Effectivement, je n’avais pas pensé à cette contrepartie, n’ayant en tête que le

fait que ma rétribution soit bien indiquée – on n’est jamais assez prudente ! – et

que les limites de notre marché soient également écrites noir sur blanc.
Traduisez, …est-il en droit d’exiger des … des …, enfin certaines faveurs en

retour ?

A cette simple pensée, bien malgré moi, de doux picotements se diffusent à la


base de mon ventre et je ne peux m’empêcher de bouger sur mon siège pour

cacher ma gêne.

— Un problème ?

— Euh, … non, pourquoi ? réponds-je innocemment.

— Je ne sais pas justement, mais vous sembliez soudain embarrassée.

— Il n’en est rien.

— Bien, parfait alors, si tout va bien.

— C’est le cas, je réponds sèchement.

Heureusement, la sonnerie de mon téléphone sonne et lorsque je m’en saisis,

apparait le nom de mon père. Zut ! J’ai totalement oublié de le rappeler.

Doherty ne semble pas ravi d’être interrompu par l’appel, toutefois, je dois y
répondre.

— Excusez-moi. Je suis désolée, mais puis-je prendre l’appel ? C’est mon


père. Il a déjà essayé de me joindre tout à l’heure et m’a laissé un message

comme quoi c’était important.

— Bien sûr, allez-y.

Doherty se radoucit et sort un document de sa serviette qu’il étudie, respectant

semble-t-il l’intimité de mon appel.

Je reste quelques minutes en ligne et mon humeur s’assombrit au fur et à

mesure de la conversation. Et quand je raccroche, je suis carrément de

méchante humeur. Doug range ses papiers, sitôt mon appel terminé et alors que
je replace le téléphone dans mon sac, je l’aperçois qui me dévisage, soucieux.

— Un problème ?

— Non, rien qui vaille la peine d’en parler.

— Bien.

Nous restons quelques instants sans parler, l’ambiance dans l’habitacle est
lourd et j’ai conscience d’en être responsable. Mais je suis incapable d’agir
autrement, la nouvelle que je viens d’apprendre me secoue trop pour l’instant

pour pouvoir en débattre. Alors je me contente de regarder le paysage, les


yeux dans le vague. Au bout d’un moment Doug qui semble tourmenté tente

une seconde tentative pour me faire parler.


— Comment se fait-il alors que vous sembliez à la fois triste et en colère si ce
n’est rien ? Je peux peut-être vous aider, non ?

Sa voix est chaleureuse et il me semble sincère. Ses yeux se sont adoucis et il

parait même affecté par ma réaction. Mais à quoi bon me confier. Puisque de

toute manière, malgré sa bonne volonté de m’aider, malgré tout le pouvoir que
puisse avoir cet homme, il ne pourra rien faire pour moi.

A la vérité, je ne sais même pas pourquoi je réagis ainsi. C’est probablement

disproportionné, alors que j’avais redouté pire. La nouvelle sous cet angle

n’est pas si mauvaise finalement. C’est juste que je me sens tellement en colère

après mon père.

— Scarlett, je n’aime pas vous savoir tracassée ainsi. Je sais que nous ne

sommes pas les meilleurs amis qui soient et que je ne suis pas non plus, le

mieux placé pour que vous vous confiiez à moi, mais je peux peut-être vous

apporter mon aide ou vous conseiller. Vous avez l’air si triste. J’ai peur de

vous avoir un peu trop bousculée récemment et je suppose être aussi à

l’origine de plusieurs de vos contrariétés, n’est-ce pas ? Mais quoi qu’il en


soit, si je peux faire quoi que ce soit, d’une quelconque façon, j’aimerais

vraiment que vous me fassiez suffisamment confiance pour m’en parler. Et


puis vous savez, nous allons passer pas mal de temps ensemble ces trente

prochains jours. Alors peut-être pourrions-nous au moins tenter d’être un


minimum cordiaux l’un envers l’autre. Non ? Qu’en pensez-vous ?
Les mots de Doug me touchent sans doute plus que de raison. Probablement
parce que je me sens fatiguée. Son visage me dit qu’il est sincère et comme

pour enterrer la hache de guerre, face à ce premier pas de gentillesse, je décide

effectivement de me confier à lui. Il ne pourra pas m’aider, mais je lui montre


ainsi ma bonne volonté. Et puis je suis épuisée de nous chamailler ainsi. Je

cherche son regard et quand je commence à lui parler il enserre de nouveau


ma main dans la sienne. Ce simple geste réchauffe mon cœur, même s’il n’en

est pas conscient.

— Vous m’avez un peu bousculée ? Seulement un peu ? je le chambre

gentiment.

— Bon ok, peut-être un peu plus que ça, rit-il.

Son rire est communicatif et un sourire nait sur mon visage alors que je n’étais

absolument pas d’humeur quelques minutes auparavant. C’est déjà un bon

départ de dialogue. Sans doute le meilleur que nous ayons eu depuis notre

rencontre. J’aimerais que cette légèreté entre nous dure quelques temps encore.

Ce ne sera vraisemblablement pas le cas, mais ce soir, j’ai envie d’une trêve.

— Alors on fait la paix ? je demande plus sérieusement.

— On fait la paix.

Mes yeux sont attirés par les siens qui brillent magnifiquement et une fois
encore, je me retrouve sous le charme de cet homme. Celui qui est face à moi

ce soir dans cette voiture. Pas le PDG de Doherty Press.


— Vous allez vous moquer de moi quand je vous dirais ce qui m’a contrarié au
téléphone.

— Votre père ?

— Oui, mon père.

Je baisse mes yeux et me confie. J’ai envie d’effleurer de mes doigts le dessus

la peau douce de sa main mais je n’en fais évidemment rien.

— Mes parents sont divorcés depuis trois mois. En fait, ils se sont séparés

quand j’ai décidé de quitter Silver Falls city pour New-York. Ils faisaient de

leur mieux pour se supporter, mais la fin de mes études a été pour mon père

une véritable délivrance. Je suppose que ma mère l’avait enjoint de ne pas


partir tant que mes examens n’étaient pas terminés, mais sitôt les dernières

épreuves passées, il a fini par fuir pour rejoindre sa maitresse.

Je marque une pause afin d’examiner Doug. Il m’écoute avec attention sans

intervenir. Une simple pression de sa main sur la mienne se veut rassurante et

m’incite à poursuivre.

— La nouvelle importante que mon père avait hâte de m’annoncer était en fait
… l’annonce de son prochain mariage. Ils prévoient l’événement pour début
août, je précise pensive, en secouant la tête.

Doug ne cesse de me regarder avec douceur. Et alors que je m’attendais à ce


qu’il explose de rire, il ne commente pas, il ne juge pas ma réaction, du moins

pas à voix haute.


— A peine a-t-il été libre qu’il a couru dans les bras de sa Nicole, et le divorce
tout juste prononcé, se remarie-t-il avec elle. Je suis tellement dégoûtée.

— Cela vous fait mal ?

Sa question est si simple. Comme s’il parvenait à me comprendre.

— Oui. Je suis ridicule, n’est-ce pas ? Je suis grande, je devrais comprendre. Et

pourtant, ça me donne envie de pleurer.

— Laissez-vous aller alors, si vous le souhaitez.

— Non, je ne vais quand même pas abîmer ce beau maquillage, je réponds, me


forçant à faire une pointe d’humour et l’accompagnant d’un rire forcé.

Je retiens quelques larmes qui naissent dans mes yeux.

— Non, il ne mérite pas que je pleure pour lui. Vous voyez, je vous avais dit :

c’est stupide.

— Non, cela ne l’est pas. Au contraire. Et moi aussi, je suis aussi très attaché à

la famille et une telle nouvelle m’aurait sans doute mis dans une humeur

beaucoup moins modérée que la vôtre.

— Vraiment ?

— C’est certain. Vous êtes quelqu’un de sensible, ce trait de caractère vous


honore Scarlett.

— Non, cela m’empoisonne la vie plutôt. J’aimerais tant parfois avoir votre
impassibilité.
— Je ne suis sans doute pas celui que vous imaginez, croyez-moi.

La voiture se gare et nous restons quelques instants encore à nous fixer, les
yeux dans les yeux, sans qu’aucun mot supplémentaire ne soit nécessaire. C’est

le chauffeur que je sais désormais s’appeler Harry, qui interrompt cet étrange

moment en ouvrant la porte de Doug.

Attentionné, ce dernier sort en premier et contourne la voiture en courant pour


venir m’ouvrir la porte. Je m’extrais alors du véhicule avec plus ou moins de

grâce, juchée sur mes talons de douze centimètres - que Cassie m’a imposés, je

précise. Je ne suis pas du tout à l’aise, aussi j’avance prudemment en suivant le

maitre d’hôtel qui nous mène à notre table, de peur de m’étaler au sol. Une

humiliation publique est tout sauf ce dont j’ai besoin maintenant. Doug a su me

rassurer et je pense avoir eu ma dose d’émotions pour la journée. Que dis-je,


pour un mois entier. Une année, peut-être même !

Comble du comble, comme s’il n’y avait aucune limite dans la poisse, le

restaurant que Doug Doherty a choisi ce soir, est tout sauf convivial. Alors que

j’aurais adoré un lieu intimiste pour pouvoir poursuivre notre soirée en toute
tranquillité, il règne ici un silence de mort et à voir les assiettes sur mon

passage, on ne doit pas s’y faire bien gras !

Voilà que mon mauvais esprit me reprend ! Quelque part, c’est plutôt bon

signe, mais c’est surtout la déception qui m’aigrit. Je ne peux m’empêcher de


me demander si Doug a sélectionné plus tôt dans la journée cette adresse dans
le seul but de m’intimider davantage, moi et mes origines « campagnardes » ?
Le regrette-t-il à présent ?

Il m’a semblé que notre conversation d’à peine avait changé quelque chose

entre nous. Et j’aurais tendance à la croire. Pourtant ce restaurant me rappelle

malheureusement qui est véritablement Doug Doherty. Un homme évoluant


dans une sphère sociale bien différente de la mienne.

Mais fatiguée, je préfère arrêter là toute digression, je suis suffisamment

irritée par mon père pour l’heure, et le sentiment de peine que je ressens pour

ma mère va bien au-delà de la place que doivent prendre mes propres

contrariétés. Peu m’importe après tout si l’établissement est à mon goût ou

non, et si cela plait à mon patron de se faire plumer ou non, en fréquentant un

endroit en vue du gotha New-Yorkais. Ce ne sont pas mes affaires.

Après tout, il en a les moyens, et pour ma part, tout appétit ma quitté depuis
l’appel de mon père.

Une fois installés à une table en plein centre de la salle, cette fois-ci, un silence

pesant s’installe entre nous. Je crois que j’aurais préféré manger un sandwich
dans la voiture et garder la magie des derniers instants passés ensemble.

Alors que Doug donne d’office les instructions pour le repas sans même
regarder le menu, j’en profite pour étudier les personnes attablées autour de

nous. Elles sont à la même image que le lieu : snobs et superficielles. Je ne me


sens pas du tout à l’aise ici, et j’ai la curieuse impression que tous ceux qui

nous entourent me regardent étrangement. Pourtant je suis à peu près certaine

qu’il n’en est rien et qu’il s’agit d’une simple vue de mon imagination. Je me

fais très probablement des idées, un tenace sentiment de manque d’assurance en


moi ressurgissant tel un diable en boîte, au milieu de cette faune maniérée.

— Bien, parlons maintenant, interrompt-il mon examen des lieux.

Je me retourne vers lui et mes yeux croisent les siens. Son regard, si sombre et

intense à la fois, s’attarde un moment sur le mien, et là encore, je me fais la

réflexion secrète que je ne peux nier qu’il est extrêmement séduisant. Pas mon

style, certes, mais j’arrive finalement à comprendre que certaines femmes

puissent tomber sous son charme. Ses yeux ont quelque chose d’envoutant.

Ses cheveux bruns, légèrement trop longs rebiquent sur le col de sa chemise

blanche et son visage légèrement mat ressort davantage par contraste. Ses traits

sont assez fins pour un homme mais ses mâchoires saillantes dévoilent dès le

premier coup d’œil qu’il s’agit d’un homme de tempérament. C’est flagrant.

— Scarlett, vous emménagerez chez moi demain soir finalement. Je vois bien
que vous êtes secouée par la nouvelle. Mieux vaut que vous restiez en présence

de votre amie. Je suppose qu’elle saura être, une bien meilleure épaule que moi
pour vous consoler.

— Emménager chez vous ? Mais pourquoi ?

— Je vous l’ai dit, cela fait partie du contrat. Vous apprécierez quand même
que je vous laisse ces quelques heures pour prévenir votre amie et prendre

deux trois affaires auxquelles vous tenez. Bien entendu, inutile de vous

encombrer de vos vêtements, ils ne vous seront d’aucune utilité, vous les

retrouverez à votre retour.

Alors que je commençais tout juste à l’apprécier, je réalise que son côté obscur
n’était pas très loin finalement. Pourquoi faut-il qu’il soit toujours cinglant

quand son autorité est en jeu ? J’hésite à rebondir mal aimablement sur ses

propos, mais il ne me laisse pas le temps de prendre la parole. Il continue de

me dicter les conditions de son deal qu’il a apparemment déjà bien mûri.

— Aux yeux de tous, vous serez ma petite amie.

C’est plus fort que moi, je pouffe de rire si fort que les convives attablés non

loin de nous relèvent la tête et m’adressent un regard réprobateur. Mais je ne

peux, hélas, pas m’arrêter. Une sorte de rire nerveux qui s’empare de moi

quand j’imagine le couple le plus mal assorti que nous pourrions offrir.

— Qu’est-ce qui vous fait rire ainsi ? me demande-t-il lui-même amusé.

— Rien. Enfin, si. Personne n’y croira jamais ! C’est tellement évident ! Je

pensais que vous souhaitiez que je vous assiste davantage pendant cette durée,
lors de soirées, peut-être ou que sais-je encore, mais certainement pas que
vous aviez besoin d’une véritable petite amie ! Enfin, vous me l’aviez dit mais

je pensais que c’était un trait d’humour. Et puis à la fin, êtes-vous si associable


qu’il vous faille payer pour être accompagné ? Vous savez, il existe dans cette
ville de très bons services d’escorts girls qui sauraient sans doute vous

dépanner ?

Mince ! Sitôt sorties de ma bouche, je regrette mes paroles. Mais qu’est-ce qui

m’a pris ?? En trois secondes chrono, je viens de tout gâcher ! Mais quelle

conne alors !!

Le regard menaçant que Doug m’adresse en retour me confirme bien que je


suis allée trop loin. Je ne sais pas ce qui m’a pris de lui balancer ça à la figure.

La situation entre nous s’était un tant soit peu améliorée et je viens de réduire à

néant tous les efforts que nous étions tous deux prêts à faire. Ses yeux

assombris me reprennent immédiatement à l’ordre. Bientôt suivi de ses

paroles.

— Oregon, vous avez tellement à apprendre encore ! se navre-t-il en

dodelinant de la tête. Voici peut-être la première leçon que vous recevrez

aujourd’hui de ma part : modérez vos élans et vos paroles. J’avoue ne pas être

spécialement patient, mais sachez qu’un jour ou l’autre votre impertinence

vous jouera des tours. Vous êtes à la ville ici, non plus dans vos pâturages.
Veillez donc à surveiller vos propos. Je me suis trompé dans la voiture. Je

vous pensais sensible, mais il n’en est rien. Vous n’êtes qu’une fillette égoïste,
sans aucune attention pour autrui. Mais le monde ne tourne pas autour de vous !

Et pour votre gouverne, bien que cela ne vous regarde absolument pas, je n’ai
pas pour habitude de payer pour me faire accompagner. Si j’ai tenu à vous
faire cette offre, c’est que d’une part, je vous jugeais suffisamment intelligente

pour ce marché et d’autre part, parce que justement lorsque je mène un projet,

je souhaite maitriser l’entièreté de celui-ci. De A à Z. Alors par pitié, cessez

vos babillages inutiles et faites-nous gagner un temps précieux. Ne me faites


pas regretter mon choix.

Comment ma langue a-t-elle pu fourcher ainsi ? Je n’en reviens pas de m’être

laissée aller ainsi.

Je devrais m’excuser aussitôt et c’est d’ailleurs ce que j’aurais fait s’il m’en

avait seulement laissé le temps. Mais après avoir écouté le fond de sa pensée

sur ma personne, je n’en ai soudainement plus envie. Mais pour qui se prend-il

à la fin ?

— Je reprends donc là où vous m’avez interrompu, tâchez de votre côté de ne

plus reproduire les mêmes erreurs ! Apprenez Oregon, mais apprenez vite !

Cassie vous aidera effectivement à paraitre plus crédible, car comme vous

l’avez, cette fois, justement fait remarquer, sans son aide, vous ne seriez

absolument pas convaincante.

— Merci, charmant, comme toujours, je rétorque vexée.

Et même si cette fois, je garde ma langue dans ma bouche, mon esprit lui, ne
peut s’empêcher d’insulter ce sale type, que je déteste cette fois encore plus

qu’auparavant. Un vrai goujat ! Je ne m’étais pas trompée sur son compte.


C’est bien la peine d’avoir de belles manières, de se la jouer de la haute quand
on est encore plus plouc que les ploucs !!

— Cassie évidemment, soufflé-je exaspérée.

Doherty m’adresse un regard amusé quittant un dixième de secondes son


expression de colère. Je ne vois absolument pas ce qu’il peut y avoir d’amusant

dans notre conversation. Mais apparemment, m’humilier fait partie de ses

distractions préférées ! Belle mentalité. Si déjà la veille, il m’avait dégouté,


aujourd’hui, il m’écœure carrément. Pour peu, j’en vomirais sur la belle nappe

blanche. Beurk !!!

Loin de se démonter, il poursuit pourtant ses instructions, comme si de rien


n’était.

— Donc, vous disais-je, dès demain vous intégrerez mon appartement,

l’équipe de Cassie s’occupera de vous et vous vous montrerez docile et

amoureuse lors de nos sorties. Vous devrez être convaincante sans quoi, je

considérerai que vous ne remplissez pas votre part du marché. Suis-je clair ?

Je ne réponds rien, me contentant seulement de fixer son regard autoritaire. Il


règle notre affaire comme il régit son entreprise, avec poigne et froideur.

Finalement, je me suis méprise, nous ne sommes pas en train de partager un


repas ordinaire, il s’agit encore une fois d’un repas d’affaires. N’ayant pas
répondu à sa question, il prend mon silence pour un acquis.

— Bien évidemment, vous éviterez toute prise de parole, afin de limiter les

dégâts.
Cette fois, c’en est trop ! Il dépasse vraiment les bornes et je ne vais pas me
laisser humilier encore et encore. Tout Doherty qu’il soit, et si minuscule que

je sois face à lui, je ne suis pas prête à supporter davantage ses insultes. Il me

reste, Dieu merci, un minimum d’amour propre auquel je ne compte


certainement pas renoncer pour lui. Ma décision est prise et je préfère encore

dénoncer notre accord avant que je ne me perde entièrement dans ses


manigances.

Je recule brutalement ma chaise et les pieds crissent bruyamment sur le

parquet. Je m’écarte de la table en jetant avec dégoût ma serviette sur la nappe.

Mon regard est chargé de colère, mais il ne semble pas y être sensible, son
attitude ne change en rien, si ce n’est qu’il assiste imperturbable à ma petite

crise, ce qui a pour effet naturellement de me déstabiliser un peu plus.

— Vous éviterez également toute saute d’humeur, je vous le rappelle une fois

de plus, vous n’êtes plus chez vous. Ici les gens savent se tenir, m’assène-t-il

froidement.

— Non mais vous êtes sérieux là ou vous me cherchez volontairement ?!? crié-
je, me foutant royalement de déranger le sacro-saint silence qui règne dans ce

foutu restaurant de m…. .

Alors que je m’attends à une énième réprimande encore plus glaciale que les

précédentes, ses yeux reprennent contre toute attente un air amusé.

Et hop ! Retournement de situation, once again !


Ce type est en train de me rendre totalement chèvre ! Et je suis incapable de le
suivre. Il est tantôt presque « normal » et tantôt aussi froid que peut l’être la

glace. A part chercher à me rabaisser, il ne sait rien faire d’autre ; c’est un

cruel mais tellement réel constat que cela en est désolant. Il n’est même pas
capable de rester courtois le temps d’un diner. A se demander comment il

réussit à mener ses affaires !? En attendant, me concernant, je jette l’éponge et


renonce au jeu et … au quinze mille dollars ! J’ai beau être à court d’argent, je

ne suis pas prête pour autant à perdre toute estime de moi. Et avant que je n’y

perde également la raison, je préfère arrêter là les dégâts. Basta cosi !

— Bien, attaqué-je d’un ton formel en posant mes deux mains bien à plat. Vous
allez être ravi, je n’en doute pas un instant, je vous libère de toute obligation

vis-à-vis de moi. Je m’en voudrais de faire tâche à vos côtés et de ruiner votre

réputation. Je suppose que votre Cassie fera une bien meilleure petite amie que

moi. Sur ce, monsieur Doherty, bonsoir !

Je finis de me lever, déployant mon corps, j’attrape nerveusement mon sac


pendu sur le dossier de chaise et quitte le plus fièrement mais surtout le plus

rapidement possible la salle, sous le regard étonné de nos voisins de table qui
ont plus ou moins assisté à notre joute. Je hâte le pas, tout en prenant garde de

ne pas m’étaler au sol avec les échasses qui me servent de chaussures, ne


désirant qu’une chose partir d’ici et retrouver le nid sécurisant de mon

appartement.
Putain ! Quelle journée !!

Abby va être déçue pour moi, je m’y attends, mais je me remettrai à chercher
un emploi dès demain, quitte à accepter n’importe quel poste dans un premier

temps. Finalement cette petite mise au point, bien que m’ayant énervée, m’a

redonné la niaque. Allez comprendre !

Le maître d’hôtel me salue d’un timide « bonsoir Mademoiselle » sans doute


peu habitué à vivre autant d’agitation dans son établissement aussi calme que

mortel.

Parvenue sur le trottoir, j’agite frénétiquement la main devant plusieurs taxis,


mais en trouver un de libre à cette heure-ci relève carrément du défi. Mais

comme je ne souhaite pas être rejointe par Monsieur Connard, je décide de me

diriger à la hâte vers la station de métro qui se trouve à quelques deux cents

mètres de là.

Juchée sur mes talons, j’accélère le pas, regrettant vivement mes ballerines. Il
ne manquerait plus que je me pète une cheville en plus, ça serait le pompon !

Mais qu’ai-je donc fait pour avoir eu à subir toutes ces offenses ces deux

derniers jours ?

C’était un test, c’est ça ? m’adressé-je directement à Dieu en levant les yeux au

ciel. Bien évidemment, il ne me répond pas et je reste seule avec mes questions
sans réponses.
Chapitre 9

Alors que je cours quasiment en direction du métro, soudain, brutalement, une


main m’attrape par le bras et je manque de tomber, coupée dans mon élan. Je

lâche un cri de surprise et me retourne vivement, prête à en découdre avec

l’abruti qui a failli me faire tomber. Mais, malheureusement pour moi, je me

retrouve face à des pupilles aussi brunes que furieuses ; je ne les connais déjà

que trop.

— Je crois que l’on ne s’est pas vraiment compris vous et moi, Oregon,

m’assène-t-il froidement. Alors, tant pis pour vous et changement de

programme : votre apprentissage commence dès ce soir. A présent, suivez-

moi.

— Effectivement, nous ne nous comprenons pas tous les deux : je vous ai dit

que cela ne m’intéressait plus. Vous n’êtes sans doute pas habitué à ce que l’on
vous dise non, c’est pourtant bien ce que je suis en train de faire monsieur le

grand P.D.G. Chez nous, dans nos campagnes, comme vous le dites si bien, on
respecte les gens en général et les femmes en particulier, aussi, je vous
souhaite une bonne chasse à la prétendante et ciao bello !

Alors, que je me retourne aussi sec pour me diriger enfin vers la station de

métro tant convoitée, son emprise sur mon poignet se renforce m’empêchant
de faire un second pas. Ses doigts se resserrent autour de mes os fins ; il me

fait mal.

Je n’ai pas eu le temps de repérer la Lincoln noire stationnée en double file le

long du trottoir, que je sens mes jambes se soulever et mon buste balancer par-

dessus son épaule.

J’hallucine ! Il fait quoi là ?

— Lâchez-moi ! Lâchez-moi immédiatement ou je crie, je m’exclame furieuse.

Mes cheveux flottent le long de ses jambes et son bras me maintient juste en

dessous de mes fesses pour que je ne bascule pas. Je commence à gigoter en

battant des pieds et c’est alors que sa seconde main s’abat fortement sur mon
derrière, me coupant le souffle.

Comment ose-t-il ?

— Est-ce là vos bonnes manières ? je lui demande outrée. Reposez-moi au sol

immédiatement, je crie. Je vous préviens, je vais crier ! je l’informe tentant

d’agripper au passage le regard compatissant d’un passant.

Hélas ! New-York reste New-York ! Un groupe de jeunes qui nous croise se


met à rire, tandis que toutes les autres personnes qui battent le pavé passent,
imperturbables et totalement indifférents à la scène qui se déroule devant leurs

yeux.

Alors que son chauffeur lui ouvre la porte arrière du véhicule, un sourire aux
lèvres, Doherty me balance tel un sac de farine sur la banquette sans aucun
ménagement. Je rebondis et me récupère tant bien que mal sur le cuir

heureusement souple du véhicule. Mes cheveux sont sens dessus-dessous et je

rajuste en vitesse ma robe qui est remontée lors de mon plongeon dans

l’habitacle. Le regard que je lui adresse est sans soute, le regard le plus
haineux que je n’ai jamais eu. Il a peut-être réussi à me contraindre par la

force, mais qu’il ne pense surtout pas avoir gagné la partie !

Manifestement satisfait de sa prouesse, Doherty reprend cette arrogance qu’il

le qualifie si bien.

— Je vous avais prévenu de ne pas renouveler votre geste, mais manifestement

vous n’enregistrez pas si vite que je le pensais Oregon. De même je vous avais

informé qu’il y aurait des conséquences à vos actes. Ne vous en prenez qu’à

vous-même !

Je le regarde ahurie et furibonde. Mes yeux pourraient le tuer sur place en un

rien de temps, si seulement ils pouvaient être équipés d’un chargeur de

mitraillette.

Qui se comporte ainsi de nos jours ? Même dans nos vallées, les hommes sont
plus évolués que cet australopithèque ! Telle une furie, le surprenant, je me

mets à hurler dans l’entrebâillement de la porte.

— Au secours ! A l’aide ! On m’enlève ! Au secours !!!

Mais déjà il rit, alors que son chauffeur referme la porte du véhicule, lui-

même hilare.
Pauvres mecs va !!

Alors, c’est comme ça que ça se passe, ici à New-York ?

N’importe qui peut vous enlever sans que personne ne bouge le petit
doigt pour vous ?! je pense incrédule, totalement choquée de l’indifférence

totale du flux de passants sur le trottoir. Certains au mieux hasardent un regard

discret, tandis que la majorité des piétons préfèrent tourner la tête pour s’éviter
tout tracas. En cette fin de journée si éprouvante, mes nerfs commencent à

lâcher peu à peu et des larmes s’échappent sans mon accord de mes yeux. Or,

s’il y a un plaisir que je ne souhaitais pas lui offrir, c’était bien celui de pleurer

devant lui ! D’un geste brutal, je passe ma main sur mon visage pour sécher

rapidement toute trace de ma faiblesse.

Sans aucune parole, Doherty s’installe plus confortablement sur la banquette,

me poussant de fait vers l’autre bout du siège.

— Lâchez-moi, laissez-moi repartir et je ne porterai pas plainte contre vous,


tenté-je de négocier en réprimant les sanglots qui s’accumulent à présent dans

ma gorge.

Doherty rit à présent, insensible à ma détresse.

C’est vrai que la situation est vraiment HI-LA-RAN-TE !

Rien que pour son rire moqueur, je pourrais l’étrangler !

— Et arrêtez de rire ! je lui crie complètement hors de moi. Je veux que vous
me relâchiez, vous entendez ?! Immédiatement ! j’ordonne.
Alors qu’il presse le bouton pour faire remonter la séparation vitrée entre le
chauffeur et nous, je commence vraiment à m’inquiéter, ma rage se muant

alors en une angoisse oppressante.

Va-t-il vraiment me retenir contre mon gré ? Au bout de combien de temps

Abby s’inquiétera-t-elle et donnera-t-elle l’alerte ? Encore heureux, je pense à


nouveau, qu’elle m’ait vue partir en compagnie de mon ravisseur ! Compte-t-il

me séquestrer dans sa cave ? Combien de temps ?

Finalement, mon pressentiment était le bon quand j’avais divagué tout à l’heure

sur le fait que Doherty puisse être un dangereux psychopathe. N’ai-je donc rien

retenu tandis que mes parents m’instruisaient de ne jamais suivre un étranger ?

Où vais-je atterrir à présent ?

Et alors que je pensais délirer en début de soirée, je me rends compte –

maintenant trop tard - à quel point j’étais proche de la vérité !

Je suis mal, terriblement mal et horriblement inquiète. C’est d’ailleurs peut-


être la première fois que je m’inquiète autant pour mon intégrité physique. Ce

mec est un malade, un véritable taré ! J’ai lu plusieurs articles de journaux,


déjà, relatant combien nombre de dégénérés de cette espèce se fondaient dans

la société, étant même qualifiés par des proches comme de parfaits citoyens,
d’excellents pères de famille ou encore d’excellents employés, dont les voisins

louaient jusqu’au dernier moment leur gentillesse et leur discrétion.

Doherty est-il l’un de ces malades ? Vais-je trouver d’autres femmes


séquestrées ou bien serais-je la seule ? Arriverais-je à m’échapper ou bien

m’attachera-t-il ?

Merde de merde de merde ! Dans quel guêpier me suis-je encore fourrée ?

Alors que je me recule au maximum de lui, m’écrasant littéralement contre la

portière, je suis encore plus anxieuse quand je le vois s’approcher de moi, les

yeux brûlants. Sa main s’avance vers moi et je soupçonne même un moment


qu’il puisse tenter de m’étrangler. Mais au lieu de ça, Doherty attrape

fermement mes cheveux sur l’arrière de ma tête et exerce une pression sur

mon crâne pour que ma tête s’approche de la sienne.

Qu’est-ce qu’il fabrique ? Veut-il me violer aussi ???!

Sa main m’étreignant si fermement et son visage si proche du mien, je n’ai

d’autre choix que de porter mon regard vers lui. Ses yeux ne rient plus, il ne

me semble plus en colère non plus, pourtant ses pupilles ténébreuses expriment

quelque chose de différent que je n’arrive pas à déchiffrer sur le moment.

Avec une extrême lenteur, il vient poser ses lèvres sur les miennes et je le
regarde faire, les yeux grands écarquillés. Je vais pour gifler le malotru, mais

il intercepte aussitôt mon poignet avec sa seconde main. Ses yeux embrasés ne
quittent pas les miens et je crois halluciner quand il me semble y déchiffrer
cette fois … du … désir ??

Ça y est, je déraisonne à nouveau !

De ses lèvres, Doherty se saisit de ma bouche avec violence, et coincée par sa


main qui maintient l’arrière de mon crâne, je n’ai d’autre choix que de subir
son contact. Sa langue, s’infiltre par ma bouche restée entre-ouverte et elle

s’insinue alors en moi, prenant brutalement possession de la mienne.

Cette fois, c’est sûr, il va me violer ! Je suis cuite !

Son baiser est brutal et je ne sais pourquoi j’y participe alors même qu’il me

malmène et qu’il m’effraie également. Probablement par automatisme, je ne


vois que cela. Car c’est effectivement ce qui se passe : je réponds à son baiser.

Et alors qu’il approfondit son excursion intrusive dans ma cavité buccale, des

sensations, que je ne devrais certainement pas ressentir en ce moment, se

déploient dans tout mon corps, faisant naitre un désir dans mon bas ventre.

M’y voilà !! Le syndrome de Stockholm !

Je voudrais résister, le repousser ou bien même lui mordre la langue mais j’en

suis tout bonnement incapable. A mon grand désespoir. Je ne parviens pas à

retrouver la raison, ni même à contrôler le drôle de phénomène de l’onde qui


se diffuse en moi.

Doherty doit s’apercevoir du trouble qu’il déclenche en moi me faisant baisser

toute résistance, car au bout de quelques secondes, son baiser s’adoucit. Puis,
délicatement, cette fois-ci, sa langue dessine plusieurs fois la courbe de mes
lèvres pour s’arrêter enfin. Il s’écarte alors légèrement de moi, je regrette déjà

la moiteur de sa bouche suave tandis que son front vient se poser contre le
mien, sa main faisant toujours pression sur l’arrière de ma tête.
Ayant conscience d’avoir gagné un set en me faisant plier, Doug dégaine son
fameux sourire carnassier. Et je vois dans ses yeux qu’il est fier de lui et là, je

me maudis de ne pas l’avoir repoussé. Pourquoi ai-je cédé ? Quelle imbécile je

suis !!

Mue par une colère indicible aussi bien contre lui que contre moi, je rapproche
à nouveau mes lèvres des siennes et simulant le désir d’un nouveau baiser,

j’atteins sa bouche. Doug ne se méfie pas et cède à mon avance, me prodiguant

un baiser profond qui une seconde fois secoue mon corps. Malgré tout, cette

fois-ci, je parviens à ne pas m’abandonner à cette douce étreinte et quand nos

langues se séparent le temps de reprendre notre souffle, je ne résiste pas, cette


fois, à l’idée d’une douce vengeance. Puissamment, je mords la pulpe de sa

lèvre inférieure.

— Aïe, crie-t-il tout en portant son doigt à sa bouche.

Ses yeux se dirigent vers son index et ils s’arrondissent quand Doherty y

aperçoit un léger filet de sang. Implacable, je me redresse sur le siège et le

toise.

— Les femmes savent se défendre dans l’Oregon, je jubile. Prenez note, lui

dis-je railleuse.

— Je saurai vous dresser Oregon, n’ayez crainte, me menace-t-il. Le jeu me

semble décidément plus amusant que prévu, se parle-t-il à lui-même, tout en se


munissant d’un carré de mouchoir pour effacer toute trace de morsure.
— Mon amie ne va pas tarder à porter plainte et vous finirez en prison, je le
menace.

— Vous aurez succombé avant.

Je pars dans un rire nerveux. J’ai l’impression d’halluciner ! Comment ce type

fait-il pour être aussi arrogant ?

Il compte vraiment me garder contre mon gré ?

Déjà, la voiture s’arrête devant un immeuble situé dans une avenue que je

devine huppée. Trop énervée, je n’ai pas vraiment prêté attention au trajet, mais

je présume que nous sommes dans un quartier de Manhattan. Le chauffeur

ouvre la portière du côté de Doherty et ce dernier attrape fermement mon


poignet. Il sort du véhicule me trainant derrière lui ce qui n’est pas des plus

aisé. Ce macho outrecuidant aurait au moins pu me faire descendre de mon

côté, il voit bien qu’avec la robe que je porte, je n’ai aucune ampleur de

mouvement !

Nous nous retrouvons face à un immeuble luxueux et un portier, visiblement


amusé par le spectacle que nous donnons, nous salue. Il est vrai qu’avec ses

grandes enjambées et mes petits pas de tonkinoises derrière lui, toute échevelée
et geignant, le réceptionniste de l’immeuble a vraiment trouvé-là de quoi
distraire sa soirée.

Parvenus dans la cabine d’ascenseur, Doherty insère une clé ronde dans une

serrure discrète placée sur le bas du pavé numérique des étages et sélectionne
le vingt-cinquième étage. Evidemment Monsieur à ses appartements privés !

J’aurais dû m’en douter.

La montée ne dure qu’une petite minute, que nous effectuons dans le plus grand

silence. De toute façon, je suis résolue à ne plus lui adresser la parole. Les

portes s’ouvrent alors sur un vaste corridor blanc, directement à l’intérieur de


son appartement. Quelques toiles colorées apportent avec bon goût une touche

gaie aux murs, alors que j’aurais souhaité que son intérieur soit aussi décevant

que lui. Mais non. On pourrait presque penser qu’une femme s’est occupée de

sa décoration, car elle ne semble pas typiquement masculine. C’est presque

trop beau pour lui. Et alors, que je m’avance vers les tableaux, afin d’éviter
toute relation avec lui, j’aperçois du coin de l’œil, Doherty réinsérer la clé

dans la serrure et composer un code. Pourquoi ? Je n’en sais strictement rien.

Je suppose qu’il s’agit du système de sécurité qu’il active.

Intriguée malgré tout, je l’épie discrètement et alors qu’il me surprend, je

hausse nonchalamment les épaules d’un air désintéressé et lui tourne le dos
feignant une soudaine fascination pour ses toiles suspendues sur les murs

blancs.

Un vrai paranoïaque ce type ! Il ne doit pas avoir la conscience tranquille !


Probablement redoute-t-il qu’une de ses ex au cœur brisé vienne lui faire la

peau.

Cette pensée sadique me fait sourire.


Bon, reprenant mes esprits, je note un premier bon point pour moi, je ne suis
pas dans une cave sombre et malodorante ! De toute façon, j’essaie de me

rassurer, il ne pourra guère me retenir bien longtemps contre ma volonté, en

plus, le portier m’a vu rentrer.

En revanche, ce qui m’interpelle davantage, c’est la faiblesse momentanée que


j’ai eue en me laissant aller à son baiser dans la voiture. Son baiser n’était

pourtant ni tendre, ni plaisant, plutôt avide et violent, aux antipodes de mes

goûts et je n’en reviens toujours pas d’y avoir participé. C’est précisément

cette étrange réaction de ma part qui me fait me poser certaines questions.

Heureusement, je me suis assez vite reprise, il en gardera d’ailleurs un amer

souvenir sur sa lèvre gonflée pour les deux-trois jours à venir. Bien fait !

Afin de soulager mon esprit déjà passablement surmené, je préfère occulter

momentanément ma surprenante faiblesse en la mettant sur le compte de la

peur.

Un peu facile certes, mais tout semble dérailler depuis que j’ai eu le malheur

de rencontrer cet homme !

— Mettez-vous à l’aise, je vais nous chercher des rafraîchissements et de quoi


grignoter vu que par votre faute nous n’avons pas pu finir notre diner, me
reproche-t-il. Une fois de plus devrais-je préciser. Ça devient une habitude avec

vous !

— Ne vous donnez pas ce mal pour moi, je n’ai ni faim, ni soif, d’ailleurs je
ne reste pas.

Un léger rire s’empare de lui et sans se donner la peine de me répondre, il se


dirige vers l’espace cuisine, ouvert sur le salon. Tous les murs de

l’appartement, enfin ce que j’en aperçois, sont blancs, la déco est soignée. Des

teintes vertes et taupes égaient les lieux par des accessoires bien choisis. C’est
réellement un très beau lieu de vie. Et au moins, je n’y vois toujours aucun

accès pouvant mener à une cave ! Enfin, pour l’instant …

Evidemment qu’il est décoré avec goût ! râle ma conscience. Quand on a de

l’argent … ça aide, on peut se payer tous les professionnels qu’on veut ! Quant

à la cave, sérieux Scarlett ? Une cave au 25éme étage ??!!

Il est vraiment temps que je reprenne ma vie tranquille d’avant afin de

retrouver tous mes esprits ! Depuis que j’ai fait ça connaissance, je vois bien

que je ne suis plus tout à fait moi-même. Tout dérape, je ne suis plus maîtresse

de moi.

Doherty revient et me fait signe de m’asseoir sur le magnifique canapé en cuir

blanc. Je ne savais même pas qu’il en existait de si grands. Et son cuir est si
doux et éclatant que j’en aurais presque peur de m’y asseoir dessus.

En tout cas, vu le blanc qui règne partout dans son loft, de même que la qualité
des meubles et des accessoires, on comprend au premier coup d’œil qu’aucun

enfant, ni animal ne vit ici. Subitement, je me demande à quoi ressemble sa vie,


en dehors du travail, j’entends.
Mais je n’ai pas trop le temps de me l’imaginer car Doherty revient et prend
place à mes côtés. Instinctivement, dans un réflexe de protection, je suppose, je

m’éloigne de lui, me faisant glisser sur le coussin de cuir voisin.

— Bien, reprenons à présent et cessez vos enfantillages, s’il vous plait. Vous

nous épargnerez un temps précieux, entame-t-il la conversation.

Je ne réponds pas à sa provocation et m’applique à ce qu’il remarque bien que


je lui fais la tête ... en silence.

— Vous boudez ?? me demande-t-il en riant et en secouant la tête comme si lui-

même n’y croyait pas. Vous êtes incroyable quand même !!

J’imagine que dans son beau monde, personne n’adopte d’attitude aussi
puérile, mais je m’en contre-fous. Au moins, sait-il à quoi s’attendre : le

message est on ne peut plus clair. Simple et efficace. Je refuse de lui parler !

— Parfait, vous ne risquez plus de me couper la parole au moins. Alors voici

les règles : dès aujourd’hui vous m’appellerez par mon prénom et moi de

même. Nous nous tutoierons, cela va de soi. Notre couple doit donner
l’illusion d’un couple moderne et amoureux. Et comme, je vous l’ai dit, Cassie

et son équipe vous assisteront. D’ailleurs, à ce sujet, je n’ai pas eu


l’opportunité, à cause de vos facéties, de vous dire à quel point vous étiez
ravissante ce soir. Ces quelques changements vous rendent éclatante, me

confie-t-il en ancrant son regard au mien.

C’est ça, cause toujours, je ne suis pas dupe que ta flatterie n’a pour but que de
servir tes intérêts ! Eclatante ?! La bonne blague !

Je tourne la tête, refusant de me laisser embobiner par cet homme tellement


habitué à jouer de ses charmes.

— Remerciez directement votre amie pour son travail, lui conseillé-je.

— Humm, hoche-t-il de la tête d’un air entendu. Ça y est ? Vous reparlez ?

Il va pour ajouter quelque chose, mais se ravise aussitôt. Je suppose que je le

fatigue et ma foi, j’en jubile.

— Demain, Harry ira chez vous chercher vos affaires. Vous auriez pu le faire
vous-même ce soir, mais comme je vous l’ai dit précédemment, les règles ont

changé. Et jusqu’à nouvel ordre, je ne vous fais plus confiance, vous serez

donc étroitement surveillée et c’est à Harry que reviendra cette lourde tâche. Il

en sera ravi, j’en suis sûr ! Autre détail : si jamais, vous ressentiez autre chose

que du mépris envers votre prochain, évitez de lui fausser compagnie car c’est

bien sûr lui qui en pâtirait en tout premier lieu. Je vous dis juste ça au cas où

cela vous ressentiriez quelque empathie pour lui. Son job est dans la balance.
Sinon concrètement, je vais vous montrer la chambre que vous occuperez

pendant la durée de notre accord. Il est évident, que si nous devions nous
déplacer chez quelqu’un, pour rendre notre couple crédible, nous devrions
alors partager la chambre.

— Quoi ? Mais pour qui me prenez-vous ? Il est hors de question que je

partage une chambre avec vous ! D’ailleurs, vous avez beau vouloir l’ignorer,
mais je vous l’ai dit, je ne souhaite plus participer à votre magouille.

— Qui a parlé de magouille ? C’est un marché, c’est aussi simple que cela. Un
marché entre deux adultes consentants. N’ayez crainte, si c’est cela qui vous

effraie. Il s’agira uniquement de donner l’illusion, rien de plus.

— Encore heureux ! m’exclamé-je ! Je ne suis pas une prostituée que l’on

achète !

— Je vous rassure, nous sommes au moins d’accord sur ce point-là, conclut-il

sèchement. De toute manière, vous n’êtes absolument pas mon style, alors

n’ayez crainte, il ne vous arrivera rien ! ajoute-t-il en ricanant moqueusement.

C’est officiel, je hais cet homme !

Mais comme il semble toujours vouloir ignorer ma décision de rompre ce

« marché » comme il le nomme si bien, il risque fort de rire jaune très bientôt,

car je compte bien le mettre dans des postures indélicates. Je ne compte pas lui

faciliter la tâche ! Et il pourrait bien regretter, voire se mordre les doigts,

d’avoir voulu me contraindre ainsi. Je l’ai pourtant prévenu : je réfute notre


accord ! Et puis d’ailleurs rien n’est signé ! Comment peut-il l’oublier, lui, le

brillant homme d’affaires ?

Cependant, et ce, malgré tous les plans de vengeance que mon esprit échafaude

les uns après les autres, j’essaie une ultime fois de lui faire entendre raison,
dans l’idée de sortir au plus vite de ce guêpier. Car j’ai bien compris que si

jamais, l’état de guerre était déclaré entre nous, je n’aurais de répit que de
déjouer ses plans maléfiques. Et n’étant pas masochiste, enfin jusqu’ici, s’il

existe encore le moindre espoir de clore cette histoire ce soir, je me dois de

tenter l’apaisement.

— Je vous l’ai affirmé et réaffirmé encore et encore : je ne suis plus partante,

je lui répète pour la énième fois. Vous m’entendez ? Pourquoi ne pouvez-vous


admettre pour une fois que quelqu’un n’agisse pas selon vos propres règles ?

Est-ce si difficile ? Alors je vous le redis encore : je ne veux pas jouer le rôle

de votre petite amie ! C’est clair cette fois ? Trouvez quelqu’un d’autre et priez

Harry ou je ne sais qui de bien vouloir me raccompagner s’il vous plait. Ou

bien encore mieux ! Laissez-moi juste appeler un taxi et je disparais de votre


vie, vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Promis, insisté-je en

plongeant ma main dans mon sac afin de saisir mon téléphone.

— Non, répond-il simplement.

— Comment ça, non ? Vous avez justement relevé, à peine, que nous étions

deux adultes consentants ! Moi, je vous dis au contraire que ce n’est plus le cas.

Je ne suis plus consentante donc je romps notre accord, qui d’ailleurs n’a pas
été formalisé, donc … trouvez-vous quelqu’un d’autre !

— Mademoiselle Johns, quelque chose vous échappe manifestement. Nous


avions tous deux un accord oral, autant que je sache, et comme vous l’avez très

probablement appris lors de la préparation de votre MBA, ceux-ci sont d’usage


dans le monde des affaires et font lois. Je suppose que vous le savez tout aussi
bien que moi, non ? Mais au cas où cela ne suffirait pas, dois-je vous rappeler
que votre amie … Abby ? Je crois que c’est ainsi qu’elle s’appelle. Oui, c’est

ça. Donc, disait-je, votre amie travaille bien chez nous, n’est-ce pas ? Je

reconnais qu’elle est ravissante de surcroit. Il serait dommage d’embuer ses


beaux yeux noisette en nous quittant subitement. Il y a tellement de jolies filles

qui postulent de nos jours ...

— Espèce de salaud ! m’enflammé-je. Vous n’oseriez pas !?! Et vous n’avez

pas le droit d’ailleurs ! C’est de l’abus de pouvoir !

— Merci pour le compliment, ricane-t-il, arrogant comme toujours quand il a

conscience de son emprise. En affaires, tous les moyens sont bons, souvenez-

vous. Croyez-vous naïvement qu’une telle réussite, comme celle de Doherty

Press se fonde uniquement sur la gentillesse et la crédulité ? Non,


Mademoiselle Johns, je suis au regret de vous apprendre que le monde des

affaires est tout autre. Un véritable monde de requins et non de bisounours. Je

m’étonne d’ailleurs de devoir vous le rappeler. Alors, maintenant, prenez le


temps de bien réfléchir aux prochaines paroles qui vont sortir de votre

magnifique bouche. Souhaitez-vous réellement rompre notre accord ? Il me


semble avoir été suffisamment généreux pour notre contrat. La question est

donc la suivante : le signerez-vous demain ?

A cet instant, mon seul désir est de me laisser aller à le traiter de tous les noms
de cloportes et de cafards que la terre puisse porter. Comment peut-il oser
menacer ainsi l’emploi d’Abby ? Elle qui n’a rien fait et qui s’évertue à donner

le meilleur d’elle-même au travail. Ce n’est absolument pas loyal ! Comment

peut-il utiliser cet argument comme une arme contre moi ?

Je pense à mon amie, à tout ce qu’elle a pu galérer pour obtenir enfin ce job. Je

pense également à la manière dont elle vénère cet enfoiré et franchement, cela
m’attriste pour elle, si seulement elle savait qu’il se sert d’elle pour faire

pression sur moi. Si seulement elle connaissait le vrai Doug Doherty …

Bien que je sache qu’elle me le pardonnerait au vu des circonstances, je ne me

sens pas le droit, au nom de ma fierté de mettre son emploi sur la table de jeu.

J’ai fait une erreur en pactisant avec le diable, à moi d’en assumer les

responsabilités. D’autant plus que trouver un job à New-York relève du défi. Ce

marché était entre lui et moi et je ne vois pas pourquoi j’impliquerais mon
amie. Son odieux chantage me dégoûte. Je n’avais déjà pas une bonne opinion

de lui, mais là, il vient vraiment d’atteindre les abysses de mon estime.

— Veuillez m’indiquer ma chambre, je lui demande simplement d’une voix

morne.

Un sourire de contentement nait sur son visage et j’aurais envie de lui cracher

à la figure pour le voir quitter son air triomphal. Manifestement il est très fier
de lui.

Pauvre con ! Il n’y a vraiment pas de quoi !

Tu le regretteras, tôt ou tard, telle est ma promesse. Car si nous sommes peut-
être moins distingués chez nous - j’entends dans mon état de l’Oregon - nous

n’en sommes pas moins loyaux et honnêtes, et ce qu’il vient de faire est loin

d’être honorable. Ni pardonnable du reste.


Chapitre 10

Le lendemain matin, lorsque je me réveille, je mets un certain temps à me

resituer. Ah oui ! Tout me revient ! Zut ! Ce n’était pas un mauvais rêve ! Je


souffle d’exaspération. Nous ne sommes que le matin, il est encore tôt et déjà

je me sens accablée dès le saut du lit. Contrairement à ce que j’aurais pu croire,

j’ai bien dormi, cette guerre des nerfs de la veille m’ayant littéralement

lessivée.

D’urgence et avant de réfléchir à quoi que ce soit, il me faut un café ! Il m’est


impossible de commencer ma journée, sans cette boisson énergisante devenue

au fil des ans ma drogue du matin. De toute façon, je ne sais même pas si je

dois retourner à mon bureau, notre discussion de la veille ayant tourné court.

Je crois ne jamais avoir détesté quiconque aussi fort que la personne de Doug

Doherty. Et s’il se croit, attirant, supérieur ou tout autre qualificatif enjôleur,


cela ne fonctionne pas chez moi ! Pour être claire, je ne ressens à son égard

que du mépris. Il peut bien d’ailleurs être aussi beau qu’un Dieu vivant qu’il ne
m’intéresse pas, tant il est laid de l’intérieur.

La seule chose qui me rassure, c’est que Dieu merci, je n’ai actuellement
personne dans ma vie et qu’ainsi, je n’aurai donc pas à me justifier pour mes
prochaines absences. Je dois juste gérer Abby et je ne sais même pas ce que je

vais inventer comme excuse pour le mois à venir.

D’un côté, je ne me sens pas le courage de lui avouer la vérité tant je me sens

salie. D’un autre côté, lui mentir me déplait fortement.

Ok, je n’interviens pas véritablement en tant qu’escort mais le fait d’être

achetée de la sorte me fait honte même si je ne suis pas réellement responsable


de tout ce qui m’arrive.

En outre, la menace de cet être abject de virer Abby de son poste si je ne

m’astreignais pas à lui obéir m’est insoutenable. Si seulement elle savait que
l’homme qu’elle admire autant se sert d’elle pour me contraindre à accepter

son stupide marché ! Finalement, je ne suis pas certaine d’avoir suffisamment

de cran pour lui avouer. Elle serait tellement déçue. Et dire, qu’il badinait avec

elle quelques heures auparavant ! C’est dégeulasse !

A peine réveillée que mon cerveau commence déjà à ressasser tous les
événements de la veille et à s’alarmer également, à juste titre, contre la

situation. Je dois temporiser. Interdiction de paniquer ou de prendre une


quelconque décision avant d’avoir les idées bien claires. La situation est

beaucoup trop complexe pour cela, surtout au réveil.

Pas besoin de chercher mon chemin dans cet immense loft, très vite l’odeur

agréable du café me guide vers la cuisine. N’ayant aucunes affaires ici, je


revêts alors à regret mes vêtements de la veille. J’ai dormi en sous-vêtements,
donc ça devrait le faire, ils ne seront pas froissés, mais en revanche, ceux-ci ne

sont absolument pas adaptés au moment de la journée, beaucoup trop

sophistiqués. Cassie s’est amusée à me déguiser, résultat : je ne peux

décemment pas sortir en ville en robe de soirée. Il faut absolument que je


rentre me changer chez moi.

Même si je n’ai d’autre choix que de renfiler l’unique tenue que j’ai à portée,

je refuse tout net, en revanche, de rechausser ces chaussures du diable. Je me

rends donc pieds-nus jusque dans la cuisine, ignorant si Doherty est encore

présent ou non. Peut-être y-a-t-il aussi un personnel de maison, je l’imagine

très difficilement se charger des tâches quotidiennes d’entretien ou bien même


de ses repas.

Mal à l’aise de me présenter ainsi, ayant conscience du ridicule de cette robe au


matin, je descends les marches, espérant juste ne croiser personne. Je n’ai pas

pensé à regarder l’heure, mais j’avance tranquille, persuadée que monsieur

« je-commande-le-monde » a déjà rejoint le bureau. Pour ma part, la seule


décision que j’ai valablement prise jusque-là, est de ne pas m’y rendre. Nous

n’avons pas abordé le sujet hier, j’attends donc de voir ce qu’il exigera de moi
à ce sujet. Et puis, je ne suis plus à un sermon prêt.

Cependant, contre toute attente, quand je me rapproche de l’ilot central de la

cuisine, je le trouve accoudé au comptoir en train de pianoter sur son


ordinateur portable, une tasse de café à ses côtés. Je reste un moment à le
reluquer avec plus d’attention et bien que je rechigne à le dire, force est de

constater, qu’il est vraiment superbe et ce, dès le matin. Aujourd’hui, il porte

un pantalon de costume gris et une chemise blanche, parfaitement amidonnée,

qui moule à la perfection son buste athlétique.

M’apercevant soudain, il interrompt sa tâche et me fixe intensément, sans


bouger, ni parler. Je ne sais pourquoi il a cette sale manie de me dévisager tout

le temps, mais je suppose que s’il agit de même lorsqu’il traite ses affaires, ses

partenaires doivent être drôlement mal à l’aise. Et c’est exactement ce que je

ressens devant lui. Ça ne se fait pas de fixer les gens autant d’insistance. Il a

sans doute entendu ma prière secrète puisqu’il cesse alors son inspection et se
lève pour me servir obligeamment une tasse.

— Café ?

— Euh … oui. Mais laissez, je peux me servir, n’interrompez pas ce que vous

faites.

— C’est avec plaisir.

— Humm, je me contente de bougonner sarcastiquement, jugeant improbable

qu’il puisse faire quelque chose pour moi avec plaisir.

Monseigneur est trop bon, aurai-je envie de le remercier, mais je n’en fais rien.

La leçon d’hier, d’ouvrir sans cesse ma grande bouche sans même réfléchir,
m’a suffi. Inutile d’entamer les hostilités de si bon matin. Et puis, je suis déjà

trop en colère contre lui pour avoir envie de parlementer. J’ai


malheureusement pu constater qu’il était buté et je sais que rien ne le fera

changer d’attitude, j’en ai déjà la certitude. Alors autant m’éviter un

emportement inutile au réveil. Il exige que j’exécute mon rôle de charmante

petite amie et bien soit, je vais le faire puisque j’y suis quasiment contrainte
mais ce sera de mauvaise guerre. Je viens de prendre ma décision en quelques

secondes, rien qu’en l’observant. M’épuiser pour lui faire entendre raison, ne
sert à rien. Je vais donc adopter une toute autre méthode : celle du mépris.

Servile, je vais me conformer à sa demande, mais qu’il ne compte pas sur moi

pour y mettre de la conviction. Je serai sa petite amie soit. Mais une petite amie

qui fait la gueule !

Sans un sourire, je lui adresse aussitôt un regard chargé de reproches, pour

tout ce qu’il m’inflige. J’espère juste qu’il sera assez intelligent pour

comprendre mon état d’esprit.

Quand Doherty me tend le mug fumant, je le saisis sans aucun remerciement,

tout en me calant à l’opposé de lui, sur un tabouret haut situé à l’autre bout du
comptoir.

— Bonjour Mademoiselle Johns ou plutôt devrais-je prendre l’habitude de

vous appeler Scarlett ? Avez-vous bien dormi ? coupe-t-il le silence.

Mon impolitesse matinale ne lui a pas échappée.

Parce qu’il est correct lui ?

Sans ouvrir la bouche, je lui adresse un coup de menton qui vise à lui
répondre.

— Auriez-vous perdu votre verve durant la nuit, Oregon ?

Bien que j’aie décidé de l’excéder en ne lui adressant plus la parole, je ne peux
m’empêcher d’intervenir car déjà, il me tape sur les nerfs. Et la journée ne fait

que commencer ! Pfff ! Celle-ci va être longue, même extrêmement longue, je

dirais !

Mais à voir l’air satisfait qu’il affiche, je comprends immédiatement – mais

trop tard - qu’il avait anticipé ma mauvaise humeur et qu’il était facile pour lui,

de me faire sortir de mes gonds en m’attaquant par ce biais. C’était assurément


un moyen efficace pour lui de me faire quitter mon mutisme et moi comme

une gourde, je plonge la tête première.

Suis-je si prévisible que ça ?

Faut croire !

— Mon nom est Johns, Scarlett Johns, Monsieur Doherty, et je m’étonne qu’un

homme aussi brillant que vous ne parvienne pas à s’en souvenir. A la réflexion

d’ailleurs, il semblerait que ces derniers temps, votre mémoire connaisse


quelques défaillances. Vous devriez songer à consulter, lui réponds-je
sarcastique.

Il m’énerve ! Je n’ai même pas absorbé ma première tasse de café – en général,


il m’en faut d’office deux pour que mon cerveau accepte de démarrer - que déjà

il attaque avec ses railleries.


Pitié ! Puis-je boire mon café tranquille sans être déjà au front ?

— Quelle heure est-il, s’il vous plait ? je demande, le nez plongé dans ma
tasse.

— Cinq heures trente.

— Pouah ! Si tôt ? m’exclamé-je en crachant le contenu de ma bouche, ce qui

ne manque pas de l’amuser.

Ses yeux se plissent, accompagnés aussitôt de sa bouche qui s’étire en un large

sourire et c’est la première fois que je le vois rire aussi spontanément. S’il ne

m’agaçait pas autant, j’aurais sans doute partagé son enthousiasme, riant de

moi-même, mais là en l’occurrence, j’ai davantage le sentiment d’être une fois


de plus la risée ; mon manque de délicatesse et de tenue étant incontestablement

mis en avant, une fois encore. Son contentement n’a pour origine que sa

moquerie, et son attitude exprime limpidement l’image qu’il se fait de moi.

Comment ne pas se moquer d’une campagnarde si gauche et si peu distinguée ?

Je pensais qu’un homme de sa classe aurait davantage de retenue compte tenu


de son éducation, mais ce n‘est malheureusement pas son cas. Combien je dois

le distraire !! Il est vrai que dans son beau monde, il ne doit pas si souvent
rencontrer de femme aussi peu délicate qui recrache ainsi sa gorgée. Quelque
part, il doit se croire au cirque en ma présence et c’est tout simplement blessant

et horripilant !

— Votre robe vous seyait à merveille hier, mais il serait de bon ton de vous
changer aujourd’hui, cesse-t-il enfin de rire.

Ah ! Ah ! Ah ! Très drôle !

— Merci ! Je n’avais pas remarqué, je rétorque avec un soupçon d’insolence.


Dois-je vous rappeler également que je n’ai pas eu l’opportunité de prendre

des affaires ?

— Faux ! répond-il d’une voix implacable. Vous avez eu cette opportunité,

m’assène-t-il accusateur. Vous l’avez simplement gaspillée.

Je le regarde abasourdie par la véhémence de son ton.

— Je vais demander à Cassie de passer de toute urgence, se reprend-il soudain

plus calme.

— Ah oui, Cassie évidemment, pensé-je à voix haute, amère.

Je ne saisis pas vraiment le sens de mon exaspération. Je n’ai aucune raison

valable de lui en vouloir sinon son air méprisant et sa ferme volonté de me

transformer entièrement, mais pour une raison qui m’échappe, elle me court le
système. Sans doute parce que Doherty n’arrête pas de m’en rabâcher les

oreilles ! Cassie par-ci, Cassie par-là ! Son prénom revient un peu trop souvent
dans nos conversations, je trouve.

— Oui, Cassie, rétorque-t-il amusé.

Merde, il est quand même beau quand il a cet air enfantin moqueur … Mais

n’empêche qu’il m’énerve quand même !


Hors contexte, je comprends de mieux en mieux Abby qui se pâme devant lui.
Bien sûr, je ne le ferai pas. Mais je peux assez bien imaginer que ce genre

d’homme a son public. Néanmoins, si elle savait le peu de cas qu’il fait de sa

propre personne, je pense que sa vision changerait de point de vue ! Il a beau


être enjôleur et charmant à ses heures, la vérité est qu’il est faux comme

Judas ! Hier encore, il la charmait à l’accueil et quelques heures plus tard, il


n’hésitait pas à menacer son poste si je ne me pliais pas à ses exigences. C’est

tout simplement un sale type, oui !

Bon sale type, c’est vrai, mais avec du charme, enfin ce matin, tout du moins.

Ou alors c’est moi qui commence à délirer. Vite mon café !! Je préfère encore
replonger mon nez dans ma tasse que de laisser mes sens reprendre le dessus.

— Donc, Scarlett, puisqu’il faut bien que je prenne l’habitude de t’appeler


ainsi ! Tu vas attendre Cassie, qui va passer ce matin. Elle tâchera de

t’apprendre quelques bases d’élégance qui s’avéreront utiles pour nos sorties à

venir, puis je reviendrai te chercher pour déjeuner ensemble. En espérant, cette


fois-ci que nous puissions réellement prendre le temps d’attendre d’être servis.

Son allusion ne me touche même pas ! En revanche, le fait qu’il m’appelle par

mon prénom et me tutoie, me fait tout drôle. D’emblée, il semblerait que nous
soyons plus proches, alors qu’il n’en est rien. Loin … loin, loin de là même !

Voilà pourquoi tout ceci est si contrastant.

Aussi, n’ayant guère le choix des armes, et toujours à la recherche de celle qui
me permettra enfin de le mettre à terre. Et puisque je suis incapable de rester
impassible lorsqu’il m’attaque, je vais tenter une nouvelle offensive qui

pourrait peut-être fonctionner : celle de l’humilité et de la soumission. Pas

vraiment mon genre, mais bon, qui ne tente rien n’a rien ! En me montrant trop
docile, peut-être se lassera-t-il de moi et portera-t-il son choix sur une autre

femme ? Car j’ai bien analysé sa façon de faire et il semblerait que jouer au
chat et à la souris avec moi l’amuse énormément. Qu’en serait-il si subitement,

je me pliais servilement à ses volontés ?

— Ne serait-il pas possible, que je passe chez moi, chercher quelques affaires,

notamment pour la nuit ?

— Bien, vous – il marque une pause et se reprend - Tu enregistres vite et pour

te récompenser de tes efforts, je vais faire quelque chose que je ne fais que très
rarement : je vais revenir sur ma parole. Harry te mènera dès que possible chez

toi. Inutile de prendre des vêtements comme je te l’ai dit, y compris ceux de

nuit. Je te veux sexy 24 heures sur 24.

Alors que je le regarde, la bouche grande ouverte et les yeux exorbités, un vol
de papillons se déploie simultanément dans mon bas ventre suite à ses paroles

prometteuses. Mais mon imagination n’a pas le temps de s’enthousiasmer car


déjà, Doherty se justifie, réduisant à néant les espoirs secrets de mes sens.

Pourquoi a-t-il cet effet sur mon corps alors que je le déteste tant ?

— Oh ! Ne t’inquiète pas ! N’aie crainte ! Il ne t’arrivera rien … enfin rien que


tu ne veuilles véritablement. C’est juste par mesure de précaution. Juste au cas
où quelqu’un passerait au loft à l’improviste. Je ne veux pas que le doute

s’insinue dans les esprits et personne ne pourrait croire que la femme qui

partage mon lit soit vêtue d’un pyjama en pilou.

— Je n’ai pas de pyjama en pilou, je rétorque faussement indignée.

Bon d’accord ! J’ai un pyjama pilou ! Mais il n’a pas besoin de le savoir !
D’autant plus que je ne sais pas à quoi rime cet élan de haine des hommes à

l’encontre de ces vêtements si agréables à porter ! C’est vrai ça ! Est-ce qu’on

s’occupe de leurs caleçons nous ? Bon ok, certaines femmes le font. Mais pas

moi ! Alors, je peux bien porter ce qui me chante le soir !

Cependant, je m’indigne un peu vite et à tort car sa justification concernant ma

tenue me ramène aussitôt à la véritable nature de notre histoire. Il dirige,

j’exécute, c’est la base même de notre contrat. Donc : tenue sexy le soir !

— Mieux vaut être prudents, rajoute-t-il au cas où je n’aurais pas saisi.

Je laisse passer quelques secondes puis je m’adresse de nouveau à lui car


vraiment quelque chose m’échappe dans cette histoire.

— Me direz-vous …

Doherty me fait les gros yeux et je comprends immédiatement mon erreur : je

dois passer au tutoiement.

Je fronce les sourcils et grimace comme si l’effort me coûtait, ce qui n’est pas
loin d’être le cas. Cette marque de familiarité m’est très difficile à appliquer à
une personne comme lui. Comment tutoyer une personne que l’on hait ? Je

déglutis comme pour avaler ma rancœur et reformule.

— Me diras-tu quel est le but de toutes ces simagrées ?

— Plus tard, sans doute. Pour l’instant, je dois partir. Prends un bon bain, tu

trouveras des peignoirs dans le meuble à côté de l’évier, Je me charge de

Cassie et lui demande de passer pour neuf heures trente. Sois prête.

Comme cela devient une habitude pour moi, Doherty me donne des ordres.

J’ignore s’il sait faire autre chose que de diriger. J’opine simplement d’un

mouvement de tête, déçue une fois de plus de ne pas avoir obtenu de réponse.

Soudain pressé, il dépose sa tasse dans le lave-vaisselle, se saisit de sa veste, de


sa serviette et se dirige vers le vestibule. Je le regarde s’éloigner, admirant

secrètement sa carrure, quand subitement, il revient sur ses pas, décidé, et se

rapproche de moi jusqu’à me frôler. Sa proximité me fait frissonner quand il

ancre son regard au mien. Son regard est si profond, si chaud. Sans une parole,
les yeux dans les yeux, Doherty avance lentement sa main vers ma nuque et

attire ma tête vers la sienne. Nos deux fronts se collent l’un à l’autre et il
entrouvre la bouche pour me dire quelque chose mais se ravise en poussant un

soupir. Comme avec regret, il se redresse alors, mettant fin à notre contact puis
m’embrasse le front d’une simple et chaste bise.

— J’oubliais, précise-t-il pour se justifier, avant de s’éloigner, presque fier de


lui.
Je reste plantée là, seule dans son appartement, un peu paumée, complètement
partagée entre deux sentiments. Une part de moi, c’est indéniable, est sensible

au charme de cet homme, à sa gestuelle, à sa manière de se déplacer et à l’aura

qui l’entoure. Je ne parviens d’ailleurs pas à réprimer un certain attrait


physique quand il me frôle ou me touche, aussi bizarre soit-il. Cependant, il

faut être honnête. Aucune conversation entre nous ne peut se dérouler sans que
joutes, disputes ou même pire, mépris ne sorte de sa bouche. C’est la première

fois que je suis confrontée à ce genre de situation et franchement c’est

éprouvant. Il a un don certain pour user de mes nerfs et à la vérité, j’ai

beaucoup de mal à le supporter. Alors, comment est-ce possible de ressentir

des sentiments aussi antagonistes vis-à-vis d’une personne ?

Et puis, autre question : comment se fait-il qu’un homme aussi superbe que lui

soit obligé de jouer cette mascarade, alors qu’il pourrait avoir n’importe

quelle femme ? Et quand bien même, dans le pire des cas, si comme il le dit, il

ressent ce besoin absolu de maitriser la situation, pourquoi ne pas louer les


services d’une professionnelle ? Non seulement, elle se serait conformée bien

scrupuleusement à exécuter tous ses ordres. En outre, sans doute, pour ce prix-
là, aurait-il pu profiter de ses faveurs, chose qui est absolument exclue me

concernant. Alors pourquoi moi ? … Ce ne sont pas les prétendantes qui


doivent lui faire défaut !! ça c’est sûr ! Alors, pour qui met-il en place tout ce

stratagème ? Et quel est le fin mot de cette histoire ?

Serait-ce pour une femme ? Et dans quel but ? La rendre jalouse ? …


Catégoriquement impossible ! Il ne m’aurait pas choisi moi !!

Encore que, comme il se plait à me le répéter, il n’a pas vraiment le choix ! Je


serais, semble-t-il son ultime recours …

Arghhh !! Il m’énerve ! Je passe mon temps à me poser des questions depuis

que je l’ai rencontré !

Afin d’éviter à mon cerveau de saturer, je quitte la cuisine, après avoir, moi

aussi, déposé ma tasse dans le lave-vaisselle et entreprends de visiter les lieux

qui vont m’accueillir le prochain mois. Je n’éprouve aucun scrupule à

m’immiscer dans son confort intime, dans la mesure où il n’a pas jugé utile de
m’organiser une visite de bienvenue en bonne et due forme. Enfin, malgré tout,

c’est presque avec culpabilité que j’ouvre la porte de sa chambre, trop curieuse

de découvrir à quoi elle peut ressembler. Je sais que, de par l’éducation que

j’ai reçue, je ne devrais pas y pénétrer, tout au plus y jeter un œil, du seuil de la

porte, mais je n’y résiste pas. D’ailleurs, la pièce est si vaste que je ne peux tout

voir d’où je suis. Alors ma curiosité est plus grande que mes bonnes manières.

Et quand j’avance dans sa chambre, je ne suis pas du tout étonnée.

C’est un très bel espace, décoré avec beaucoup de goût. Son lit est déjà fait,

recouvert d’un dessus de lit en soie, me semble-t-il, dans des tons chamarrés de
bleus et de verts. Le mobilier choisi est moderne et sobre, le tout donnant un

aperçu classique mais de grande classe. Tandis que je m’avance lentement dans
la pièce, je me retrouve face à une porte intérieure que j’ouvre doucement,
comme par peur de me faire surprendre.

Je découvre alors un grand dressing attenant à sa chambre. Ce dernier est


presque anormalement rangé, tant tout y est organisé avec maniaquerie. Jamais

vu d’étagères aussi bien soignées. Pas un polo ne dépasse l’autre, pas un pull

ne fait pencher la pile. Les chemises sont suspendues sur deux niveaux, rangées
par teintes et ses costumes griffés occupent tout un mur de la pièce.

Une colonne de tiroirs fait face et machinalement, j’en entrouvre un. Des

dizaines de boxers sont pliés avec une extrême précision et alignés eux aussi

par couleurs. Je n’ai jamais vu de tiroir aussi bien rangé. Un picotement me

saisit à la vue de ses caleçons, une image de Doug les portant me faisant

frémir. Instantanément, je referme le tiroir comme s’il m’avait brûlé. Mais ça

va pas d’avoir de telles pensées !!???

Honteuse de mon intérêt malsain à fouiner dans ses affaires, je quitte au plus

vite la pièce puis sa chambre.

Depuis quand, est-ce que je viole l’intimité des gens ainsi ?

Stupéfaite par ce trait de caractère que je ne me connaissais pas mais surtout

par mes pensées sournoises, je me dirige aussitôt vers ma chambre, me


rendant immédiatement dans la salle de bain la jouxtant. L’immense baignoire
semble m’appeler et je ne résiste pas à l’idée de me plonger dans une eau bien

chaude qui je l’espère m’aidera à chasser toutes les tensions de ces derniers
jours ainsi que la foule de réflexions qui occupe mon esprit.
Pour le bonheur des yeux et de mes narines, de jolis flacons de toutes les
couleurs et de toutes les senteurs ornent le contour de la baignoire et c’est avec

délice, après les avoir humés une à une que je me laisse tenter par l’odeur

apaisante et relaxante du jasmin. L’odeur se diffuse peu à peu dans la pièce


tandis que la salle de bain s’embue et que les effluves m’aident effectivement à

me détendre, le temps d’un interlude divin.

C’est le froid qui me sort de cette torpeur bienfaisante, quand enfin l’eau

rafraîchie, me fait frissonner. Je sors alors, à regret du bain, complètement

relaxée et parfumée par la délicieuse fragrance. C’est agréable. Je me sens

mieux, plus calme et détendue. Objectif atteint.

Je n’ai pas vu l’heure passer et c’est presque surprise que je me rends vers

l’ascenseur quand la sonnerie m’avertit d’un visiteur. Evidemment, comment


avais-je pu oublier Cassie et son armada qui débarquent telle une armée de

fantassins dans le loft ?

Encore enveloppée dans cet état d’apaisement, je l’entends aussitôt chambouler

ma relative paix intérieure, en donnant des ordres à tout-va, ses troupes se


déployant aussi sec de part et d’autre de l’appartement. J’assiste interdite à ce

spectacle digne d’une cérémonie d’ouverture des jeux olympiques, tant leur
entrée parait orchestrée. Chaque personnel semble connaitre sa tâche avec

précision, se dirigeant avec hâte vers les différentes pièces du logement. Quant
à Cassie, sans la moindre hésitation, elle leur ordonne ses dernières
instructions.

Complètement à l’aise dans son rôle de stratège en chef répartissant avec


autorité ses troupes, la styliste met en place une sorte de quartier général

répondant à une situation de crise. Suis-je la « crise » ? Elle n’a pas

l’indélicatesse de me le dire, mais une chose est certaine : elle connait


parfaitement les lieux.

Et je ne sais pas pourquoi, mais cette idée me déplait.

Et alors ? En quoi, cela est-il ton problème ? me morigéné-je.

Mademoiselle Stuart, la fameuse Cassie, est une jeune femme d’une trentaine

d’années, élancée et très soignée sur elle. Je la qualifierais de belle femme,


bien que trop maquillée et vêtue d’une manière beaucoup trop classique à mon

goût. Mais on m’a déjà fait remarquer que mes goûts n’étaient justement pas

vraiment des plus heureux, alors je ne sais plus trop du coup … En tout cas,

une chose est sûre : elle est le genre de femme dont la gent masculine raffole
en général. Ce constat n’a pu échapper à Doug, à fortiori.

Ou veux-je en venir exactement à digresser ainsi ? Qu’elle est ou a été la

maîtresse de Doherty ? Et alors ??! La vérité est qu’il peut bien l’avoir baisée
sur chaque surface de son loft, j’en ai rien à faire ! Enfin … en théorie.

Cette pensée m’irrite, mais jamais je ne l’avouerai. D’ailleurs, je ne me


l’explique pas. Je n’ai absolument aucune raison d’être chagrinée. Il peut bien

coucher avec toutes les femmes jeunes, belles et minces qu’il croise ! C’est lui
que ça regarde. Pas moi. Cependant, plissant les yeux, comme pour la faire

sortir de cette catégorie plus que flatteuse, je reporte mon regard sur elle et

l’observe avec plus d’attention, avec un œil beaucoup plus affûté en fait. Et la

preuve en est : qui cherche … trouve.

Camouflée sous son épaisse couche de fond de teint, les yeux excessivement
noircis de khôl, elle manque de naturel, c’est moche, maugréé-je de mauvaise

foi. Mais là s’arrêtent bien vite mes critiques car je suis bien obligée de

reconnaitre que sa silhouette est tout simplement à damner un saint. Sa taille est

si menue …

Bon ok ! Elle est belle. Vraiment belle et alors ?

En fait, je connais la cause de mon agacement mais comme je l’ai dit : jamais

je ne l’avouerai publiquement, pas même sous la torture.

Je suis tout simplement jalouse et ce, sans aucun fondement. Ça ne peut être

qu’une réaction réflexe, proprement féminine, comme inscrite dans nos gênes.
Rien de plus.

Sinon comment pourrais-je justifier que je suis jalouse d’une femme qui est ou

a été la maitresse de l’homme que je déteste le plus au monde ? ça ne rime à


rien.

Cette ambiguïté dans mes sentiments ne peut trouver son origine que dans l’état
de nerfs dans lequel je me trouve depuis que j’ai fait la connaissance de

Doherty !
L’observant tandis qu’elle continue de distribuer, tel un général, ses consignes,
l’idée qu’elle et Doherty aient pu avoir une aventure continue stupidement à

m’indisposer.

Tu le détestes, c’est bien ça, Scarlett ?

Assurément oui !

Je pense qu’il est grand temps pour moi de re-fréquenter quelques mâles car je

sens bien certaines de mes hormones me jouent des tours depuis quelques

jours. Aussi, on n’a pas idée d’être aussi beau ! Forcément, ça embrouille

l’esprit. Je ne suis qu’une femme après tout ! Une femme en manque, faut
croire !!

Ma curiosité malsaine refuse de lâcher l’affaire et je me prends à les imaginer

tous deux, côte à côte, et selon toute évidence, ils formeraient un couple des

plus glamours qui soient.

Ouh !! Ce que je peux m’agacer toute seule là ! Qu’est-ce que cela peut bien me

faire à la fin !

Moi qui étais détendue quelques minutes auparavant, je viens de perdre, en


quelques instants seulement, tout le bénéfice de mon bain.

Dieu merci, l’effervescence autour de moi me tire de mes pensées délirantes et

j’aperçois soudain l’objet de mon malaise, une fois ses fantassins déployés et
opérationnels, s’approcher de moi, semblant, subitement s’être aperçue de ma

présence en ces lieux.


Ce n’est que le début de matinée et déjà mes nerfs saturent.

Je leur dirais bien à tous, de bien vouloir prendre la porte aussi vite que
possible, mais je me sens bel et bien pieds et poings liés. Dieu sait, que si je

m’écoutais, j’en subirais aussitôt, les conséquences belliqueuses de Doherty. Et

je suis lasse de tout ça. Donc, alors que mon cerveau fort créatif ce matin
insiste pour que je déserte les lieux instamment, j’hésite un moment avant

d’abandonner avec regret cette tentative morte dans l’œuf. Je n’ai d’autre choix

que de subir l’impératrice-ma-aimable. Dieu qu’elle ressemble à Doherty !!

Une pagaille monstrueuse bourdonne dans l’appartement, quand soudainement

mes tympans sont crevés par une Cassie hystérique, hurlant hargneusement sur

une jeune femme. Le courroux de ce despote de la mode crache des reproches

sur la mollesse et le manque d’initiative de la pauvre jeune femme, qui


intimidée, a les joues qui s’enflamment aussitôt. Sans piper mot, elle repart en

courant afin de réparer son erreur eu plus vite. Et deux minutes seulement plus

tard, la piètre assistante que je devine émotive, au vu des taches rouges qui ont
recouvert son visage et son cou, réapparait avec deux nouveaux portants

d’habits pleins à s’écrouler, les gestes encore maladroits.

Hautaine et manifestement très à l’aise dans ce rôle de père fouettard, Cassie


pince à présent ses lèvres fines, me scrutant une énième fois des pieds à la tête

et grimace, me faisant ainsi comprendre une fois de plus, que je ne


corresponds en rien à ses diktats. Des fois que je ne l’aie pas
saisi précédemment !!

Me tirant subitement par la manche, elle m’entraîne brutalement vers la


chambre que Doherty m’a attribuée et une fois rentrées, elle referme d’un

geste sec la porte. Alors que je remets en place ma manche toute détendue, sans

prévenir, elle ouvre d’un geste brusque le peignoir que je porte et je laisse
échapper un cri de consternation alors que je suis nue sous le vêtement.

— Eh !! ça va pas où quoi ! je crie, tout en refermant d’un mouvement rapide

les pans en éponge.

Elle rit, hautaine, comme si mon indignation n’était pas justifiée.

— Oh là ! là ! Madame est pudique ? J’en ai vu d’autres Oregon !

Quelqu’un sait-il ici que j’ai été enregistrée auprès des services de l’état civil

sous un prénom et un nom de famille comme tout citoyen américain ?

— Dégagez-moi ce peignoir ! Il est hors de question que vous revêtiez un

vêtement aussi informe que celui-ci, même au réveil ! Certaines femmes

pourraient se le permettre, pas vous, assurément ! me sermonne-t-elle, acide.

Merci, une fois de plus, cela fait toujours plaisir ! Alors pourquoi s’évertuent-
ils tous à essayer de m’apprêter si mon cas est si désespéré ?

Parce que Doherty leur a demandé, évidemment.

Suis-je donc si éloignée des standards ? A force de remarques désobligeantes,

je commence vraiment à douter de moi. Moi, qui ne me trouvais pas si mal


lotie que ça, des doutes s’insinuent peu à peu en moi, à présent. Merci bien !

— Doug les préfère habituellement brunes et moins grosses, j’ai du mal à le


comprendre sur ce coup-là, enfin … souffle-t-elle d’un ton las.

Oh ! Quelle coïncidence ! Brunes et fines … comme elle !! Pourquoi, ne pas lui

avoir confié cette mission dans ce cas ? Je suis certaine qu’elle aurait été ravie

de jouer le rôle de sa petite amie !

Alors qu’une assistante de la signora Stuart, présente différentes robes devant

moi, celle-ci arrête son choix sur une robe légère rose pâle qui me semble

assez jolie, du reste. Mais il est hors de question pour moi que je coopère de
bonne grâce. Donc, je ne fais aucun commentaire.

De toute façon, ce serait bien inutile car tout le monde autour de moi s’agite,

parle, observe et commente, comme si je n’étais précisément pas là, juste

devant eux. J’en suis réduite à l’état de mannequin de couture, et encore « hors

gabarit » !

— Parfait, se réjouit-elle. Cette robe mettra au moins vos formes en valeur, si


tant est que cela soit possible. Vous savez que vous serez forcément amenée à

rencontrer plus tard notre diététicienne Mademoiselle Clow ? Nous avons déjà
abordé le sujet, n’est-ce pas ? Espérons simplement qu’elle aussi soit capable
de miracles ! ricane-t-elle.

Vieille bique frustrée, ai-je envie de riposter. Mais inutile de me fatiguer, cela

ne servirait à rien. L’ambiance est déjà suffisamment nauséabonde ici.


Je dois la jouer plus fine.

Si je veux échapper à la phase régime, mon seul espoir réside en Doherty.


Reste encore à trouver un moyen de le convaincre ! Cependant, j’ai ma petite

idée. Si je pouvais juste lui faire admettre le peu d’intérêt qu’il aurait à payer

pour une chose dont les effets ne seront visibles qu’après la fin escomptée de
notre contrat, je suis quasiment certaine, qu’il agirait en homme d’affaires et

pourrait y renoncer. Bien présenté et enrubanné, l’argument pourrait faire

mouche … avec un peu de chance.

Peter, le coiffeur qui m’avait paru sympathique lors de notre première

rencontre, fait partie de cette joyeuse escadrille armée de l’esthétique qui a

envahi les lieux. Et donc, comme une étape évidente, je passe ensuite entre ses

mains habiles. Il est le seul ici à écouter mon avis et, au moins, a-t-il cette

gentillesse de respecter mon souhait de ne pas effectuer de changements trop

radicaux sur ma chevelure. Je redoute en fait, qu’il vienne à l’esprit ma

relookeuse préférée de me teindre en brune pour me conformer aux


habituelles conquêtes de Doherty. Dieu merci, Peter me rassure. Il a reçu des

instructions directement de Monsieur Doherty et il tient apparemment à ce que


je conserve ma couleur naturelle, juste rehaussée la veille du léger balayage

plus chaud.

Vraiment ? J’ignorais que mon bourreau s’était impliqué lui-même dans mon
relooking !

Pour mon poids aussi ? me demandé-je immédiatement.

En tout cas, je suis soulagée et reconnaissante envers Peter de ne pas malmener


mon cuir chevelu. Le temps d’un instant, je prends même plaisir à me faire

tripoter les cheveux.

Et quand enfin, après plusieurs minutes, Peter me présente un miroir, je

l’accepte cette fois et la saisit. Je suis carrément époustouflée par la magnifique

coiffure sophistiquée qu’il a pu réaliser, et ce sans me tirer le moindre cheveu.

Rien que pour ça, je l’en apprécie davantage. D’ailleurs, c’est la seule
personne, depuis cette invasion offensive des troupes de Cassie Stuart, à

m’avoir parlé gentiment et rassurée. A vrai dire, c’est en fait, la seule personne

à m’avoir tout simplement écoutée et adressé directement la parole.

Lui, Abby et Betty sont probablement les trois seules personnes sympathiques

de cette boite. Ce sont d’ailleurs également mes seuls alliés sur le terrain miné
des éditions Doherty.

Je souris encore au miroir, quand je surprends le regard inquisiteur de la


générale en chef Stuart, qui m’examine avec attention, puis qui opine

finalement, donnant ainsi sans aucune parole, son assentiment au gentil


coiffeur. Près de trois heures ce sont écoulées, quand fin prête, j’observe cette

fois le résultat final dans la psyché. Et je dois avouer que je suis surprise par
mon reflet. La robe est tout simplement magnifique. En mousseline légère, le

décolleté, ni trop, ni trop peu échancré, met en valeur ma poitrine et le tissu

fluide semble glisser sur mes formes. Le tout est très flatteur. Pour être exacte,

c’est bien l’une des rares fois où je me trouve vraiment aussi jolie. Je m’évalue
généralement dans une bonne moyenne, mais rien à voir avec la prestation du

jour.

Peter a réussi l’exploit de discipliner mes cheveux en un chignon souple et

travaillé plusieurs mèches qui retombent en les bouclant légèrement. La

coiffure me donne un air romantique et tout à fait féminin. J’adore !

Cela ne reflète bien évidemment pas ma nature profonde, car je n’ai jamais eu

l’âme fleur bleue, mais le rendu est vraiment superbe.

Côté maquillage, Tess la maquilleuse a affiné ses coups de pinceaux par

rapport à la veille et le résultat beaucoup plus discret me convient beaucoup

mieux. Le surcharge de poudre compacte appliquée sur mon visage hier ne me

plaisait pas du tout, ressemblant davantage aux poupées que fréquente Doherty

plutôt qu’à moi-même. Mais aujourd’hui, c’est juste parfait !

— Bien, pas mal, approuve finalement Cassie. Chaussez-vous et voyons le

résultat final à présent. Doug ne devrait plus tarder à arriver.

A mon grand plaisir, elle a sélectionné pour moi, une paire de sandales argent

au talon modéré cette fois-ci, ce qui m’évitera de ressembler à une dinde sur
échasses. Sans doute a-t-elle réalisé à quel point j’étais empruntée sur ces
échasses.

D’un coup, l’interphone sonne, Cassie se précipite vers le combiné et après


quelques brèves réponses, elle indique à son interlocuteur que je descends.

— C’est bon, Oregon. Nous ne pourrons faire mieux de toute façon, vous

pouvez y aller.

Toujours aussi charmante ! Je lui adresse une grimace de sourire de manière à

ce qu’elle comprenne bien ce que je ressens à son encontre.

— Descendez le rejoindre en bas, Doug vous attend, lâche-t-elle presque

mauvaise.

Je ne me fais pas prier ! Je saisis aussitôt mon sac, une petite pochette très

finement travaillée, décorée de mille strass scintillants et me dirige vers

l’ascenseur. Cassie compose un code sur le pavé numérique, puis me tient la

porte ouverte quand la cabine s’ouvre. Je pénètre à l’intérieur et vérifie encore

une fois mon allure devant le miroir. Je me trouve jolie.

Je ne désire bien sûr aucunement charmer mon geôlier, mais me savoir à mon

avantage me donne comme à toute femme de l’assurance !


Chapitre 11

Quand je sors du hall, je repère très vite la Lincoln noire garée devant l’entrée,

Doug Doherty m’attend nonchalamment appuyé contre la porte du véhicule. Il


est habillé d’une manière relativement décontractée et je dois reconnaitre que

ce style lui va bien aussi. Son jeans noir met en valeur ses longues jambes

musclées tandis que sa chemise blanche moule à souhait son torse que l’on

devine superbement dessiné. Simple et classe.

J’essaie de ne montrer aucune de mes appréciations personnelles que je


préfère garder secrètes et le rejoins lascivement. Il m’accueille avec un

splendide sourire et je peux aisément lire dans son regard qu’il apprécie ce

qu’il voit. C’est bien la première fois ! Et j’avoue que cela me flatte même si je

devrais y être totalement indifférente. De toute façon, lui comme moi savons

que tout le mérite en revient à « Cassie », alors ...

Mais je suis tout de même obligée, même si je n’apprécie absolument pas cette

pimbêche, de lui reconnaitre, au moins, certaines compétences.

— Très jolie. Vraiment très jolie lance-t-il appréciateur.

Je ne lui réponds pas mais je sens mes joues rougir de satisfaction.

— Alors ? Comment s’est passée ta matinée ? m’interroge Doug les yeux


toujours brillants.

Peu habituée à recevoir des phrases gentilles de sa part, je reste toutefois sur
mes gardes.

— Bien. Mademoiselle Stuart a investi les lieux.

— J’imagine, commente-t-il à voix basse sans me quitter des yeux.

Nous restons quelques secondes ainsi les yeux dans les yeux et une boule vient

nouer mon estomac. Je préfère interrompre notre échange. Cet homme est trop

dangereux pour moi.

— Où allons-nous ? tenté-je d’effacer le trouble que je viens de ressentir.

— Un nouvel établissement vient d’ouvrir, j’ai pensé que nous pourrions nous

y rendre.

Je ne sais si ce sont mes propres émotions qui altèrent mon jugement, mais il

me semble que Doug a également ressenti la même sensation déstabilisante que

moi. Ou bien me fais-je des illusions ? C’est une éventualité aussi. Déconcertée
par ce constat, je lui adresse un sourire timide et me hisse sur la banquette. Mes

pommettes ont dû rougir, c’est sûr !

A l’intérieur de l’habitacle, par précaution, je me colle immédiatement à la

fenêtre opposée, souhaitant volontairement mettre le plus d’espace possible


entre nous. Quelque chose a changé. Je le sens. L’ambiance entre nous est

différente et je ne m’explique pas moi-même d’où peut venir ce changement.


Tout ce que je sais, c’est que c’est troublant, suffisamment, en tout cas, pour
m’interpeler. Je chasse immédiatement toute idée romantique qui pourrait

assaillir mon esprit vulnérable, sitôt que cette suggestion me frappe.

Cet homme ne correspond en rien à mes attentes en matière sentimentale et je

ne suis pas son style non plus. Il n’a d’ailleurs cessé de me le répéter. Lui et ses

employées du reste…

Nous ne sommes d’ailleurs pas dans une relation intime. La seule raison qui
explique que nous soyons réunis est d’ordre conventionnel. Je dois juste ne pas

l’oublier. Et même, si mon corps a l’air de se laisser abuser par la beauté quasi

insolente de cet homme, mon esprit doit lui, maintenir le cap. Et puis, ce ne

sont pas deux minutes d’amabilité, qui doivent me tourner la tête non plus.

Le restaurant est chic et raffiné et l’on devine la clientèle ciblée. Avec sa

galanterie que je devine coutumière, Doug me recule la chaise et je prends

place face à lui. Très rapidement, un serveur nous apporte la carte des menus et
sans le calculer, Doug s’en saisit, absent, et la pose machinalement sur le côté

de la table, ses yeux ancrés aux miens.

Son regard brun foncé est si intense que mes yeux clairs s’y noient
littéralement, me faisant oublier tout ce qui se passe autour de nous. La salle de
restaurant est pourtant comble, mais j’oublie tout, comme hypnotisée par ses

sombres prunelles. Et nous restons ainsi, les yeux dans les yeux, sans rien nous
dire pendant un certain temps.
Quand un rire profond en salle attire mon attention, je sursaute et sors aussitôt
de la bulle dans laquelle nous étions plongés. Que s’est-il passé ? Je me sens

soudain déstabilisée et gênée de m’être ainsi oubliée dans ses yeux. Merde !

Doherty se reprend lui aussi, apparemment autant troublé que moi. Et il lui faut

quelques secondes pour enchainer et entamer la discussion. Sa voix est calme


et douce … délicieusement grave.

— Je pense que nous sommes partis sur de mauvaises bases Scarlett. Je

souhaiterais que nous enterrions la hache de guerre, ne serait-ce que pour

rendre crédible notre relation. Qu’en dis-tu ?

Je ne réponds rien, je me contente seulement d’opiner d’un geste du menton.

Ce tête à tête est tellement différent de celui de la veille, que mon esprit ne

cesse de chercher d’où peut venir un tel changement. Les yeux de Doug

expriment aujourd’hui, autre chose que de la colère ou du mépris et c’est très

déstabilisant pour moi ; d’autant plus que je n’ai pas l’impression qu’il feigne
quoique ce soit.

Une fraction de seconde, je pense à Abby pour qui, Doherty représente presque

un demi-dieu.

Merde, Abby ! J’ai oublié de lui donner de mes nouvelles !

Doug se racle la gorge.

— Es-tu avec moi Scarlett ?


— Oui pardon. Je suis avec toi, Doug, je me hâte de répondre.

Ses simples mots résonnent bizarrement dans ma bouche et je vois que lui
aussi y est sensible. Le tutoyer et l’appeler par son prénom me font tout drôle.

Comme auparavant, comme si nous étions davantage proches. Doug semble

apprécier de son côté puisqu’il me gratifie d’un sourire de contentement avant


de préciser :

— Je pensais justement que nous pourrions mettre au point quelques stratégies

lors de ce déjeuner.

Je tâche de ne pas montrer ma déception en lui souriant en retour. Mais le


simple fait qu’il ait tenu à aborder d’entrée notre marché, me fait redescendre

de manière brutale de mon nuage. Le temps d’un instant, je m’étais perdu dans

ses yeux, à quoi m’attendais-je exactement ?? Qu’il partage ce que j’avais

ressenti ? Il y a vraiment des fois, où je mériterais des baffes à me faire mal

ainsi toute seule.

— Enfin, j’espère qu’aujourd’hui nous aurons vraiment l’occasion de partager

un déjeuner ensemble, parce qu’apparemment, les restaurants ne nous


réussissent guère, on dirait, précise-t-il non sans humour.

Je me contente de lui renvoyer un sourire timide. Ma tentative de voiler ma


désillusion ne doit pas être très efficace, puisqu’aussitôt Doug s’inquiète.

— Quelque chose ne va pas Scarlett ?

— Non, non, tout va bien, je mens en souriant. Pardon, j’étais ailleurs.


— J’ai plutôt le sentiment que quelque chose te contrarie. Tu as subitement
changé d’humeur. Que se passe-t-il ? Tu préfères attendre ce soir pour que

nous parlions de notre accord ?

— Non, non, ce midi, ce sera parfait. Autant en fixer les conditions au plus tôt.

— Je te sens tendue. Tu semblais aller bien mieux, il y a quelques minutes

encore. Ai-je encore manqué de tact ? Je m’étais promis d’être plus diligent
aujourd’hui.

— Non, rien de tout ça. Tout va très bien. Je repensais juste à la conversation

que j’ai eu avec mon père, je mens.

— Je sais que cela t’attriste. J’en suis désolé. Souhaites-tu que nous en
parlions ?

— Non merci, c’est gentil. Parlons de notre accord, cela me changera les

idées, au contraire.

Doug m’examine attentivement et je ne suis pas sûre de l’avoir convaincu. Ses

yeux semblent me sonder et j’ai l’impression qu’il n’est pas dupe, mais au

moins, n’insiste-t-il pas.

— Afin que je puisse être au mieux du rôle que tu me demandes de tenir, serait-
il possible que je sache dans quel contexte, nous allons devoir jouer cette

comédie ? je l’interroge souhaitant enfin aborder de manière plus concrète le


sujet de notre accord.

— Justement, c’est là, toute la subtilité. Je ne veux absolument pas que notre
relation soit perçue comme une comédie aux yeux de tous. Au contraire, je

souhaite que celle-ci leur semble tout à fait plausible, voire naturelle, comme

évidente.

Je l’écoute et je ne sais pourquoi mais ces deux derniers propos me touchent.

Doug veut que notre relation paraisse « naturelle, évidente. » Je ne veux pas
paraitre naïve, mais lorsqu’il a prononcé ces mots, il m’a donné l’impression

qu’il s’adressait directement à moi et non à sa pseudo petite amie. Mais il s’agit

probablement d’une des conséquences du changement de cap de notre

« relation ». Il semblerait que pour un fois, nous parvenions à mettre notre

inimitié de côté. Et ça ajouté au tutoiement que nous nous efforçons d’adopter


me font presque penser que nous sommes dans les faits devenus plus proches.

Evidemment, il n’en est rien.

Il n’a pas vraiment répondu à ma question mais la façon dont il entrevoit notre

« couple » me plait bien.

Allo Scarlett !!Réveille-toi ma vieille ! Doherty te parle affaires, pas sentiments

— Je lis dans vos grands yeux que je n’ai pas vraiment répondu à votre

question. Laissons le serveur venir prendre notre commande et je vous en


apprendrai davantage ensuite. Promis.

A ce mot, je relève mon regard et le fixe. Son « promis » sonne comme une
promesse juvénile et j’en suis touchée. C’est tellement différent de son attitude
habituelle. Ses yeux se rivent à leur tour aux miens et le sourire qui

accompagne son serment me fait en l’espace d’une fraction de seconde

complètement craquer. Là, oui, je le trouve sublime. Comme éveillé, vivant. En

tout cas, loin de cette carapace derrière laquelle il semble avoir pris l’habitude
de se cacher.

Merde ! Mais qu’est-ce que j’ai aujourd’hui ?!

Heureusement, un sommelier s’approche de lui, suivi d’une serveuse pour

prendre la commande ce qui me permet de me reprendre quelque peu. Pour le

repas, je tente quelque chose de léger, une salade et un plat de gambas grillées,

qui me conviendront parfaitement. Quant à Doherty - ou plutôt devrais-je

commencer à m’habituer par l’appeler par son prénom – donc, quant à Doug,

il commande un plat de viande accompagné de légumes.

— Bien, souffle-t-il enfin, venons-en au cœur du sujet. Evidemment, tout ce qui

va suivre restera strictement confidentiel et ne devra sous aucun prétexte

s’ébruiter. Comprends-tu ?

— Oui c’est évident Doug, confirmé-je, appuyée d’un sourire auquel il me


répond.

Oui craquant.

Zut et zut, je suis mal !

Je dois absolument intégrer dans ma cervelle de moineau que nous parlons

affaires !! Et je dois aussi me rappeler que Doug n’est pas - mais alors,
absolument pas - mon style de mec. Ni moi le sien, non plus ! Depuis deux
jours, Cassie s’évertue à me le répéter. Cela devrait bien finir par rentrer, non ?

— J’aime entendre mon prénom dans ta bouche. Redis-le s’il te plait.

— Quoi ? Doug ?

— Oui, c’est bien ce que je disais. J’aime la façon dont tu le prononces. Sans

artifice, sincère.

— Sûrement mon accent de l’Oregon, ne puis-je m’empêcher de lâcher.

Aussitôt, je regrette ma remarque perfide. Doug fait apparemment des efforts


pour nous poursuivions au moins des relations cordiales et là, franchement, je

viens de balancer un grand coup de pied dans l’édifice encore fragile. Mais à

mon grand étonnement, il ne prend pas la mouche, il m’observe quelque temps

et se met à sourire. Je relâche mon souffle en suspension.

— C’était de bonne guerre ! Je l’avoue, rit-il légèrement. Donc, revenons à nos

moutons. Nous allons devoir nous afficher lors de plusieurs sorties afin de

rendre publique notre relation. Ce sera le moyen le plus efficace de

l’officialiser, Scarlett. Tu seras amenée à rencontrer certains membres de ma


famille également et c’est d’ailleurs devant eux que nous devrons être les plus
convaincants. J’y ai bien réfléchi, crois-moi. D’après toi, qu’est-ce qui peut

faire qu’une relation paraisse crédible au regard des autres ? me demande-t-il


soudain, alors que je ne m’y attendais pas.

— Euh … je ne sais pas. Non, enfin, … euh, je ne me suis jamais posée la


question en fait, je bredouille comme toute réponse.

— Eh bien, moi, vois-tu, j’y pense depuis plusieurs jours déjà. Je n’avais
jamais eu, jusqu’à présent, l’occasion de me pencher sur la question, mais à la

réflexion, j’ai trouvé pas mal de faisceaux d’indices.

Le fait que Doug me tutoie dorénavant, me fait bizarre, mettant en exergue la

contradiction qu’est la nôtre. Nous ne sommes même pas amis et nous devons
simuler une relation amoureuse, nous nous détestons et pourtant nous devons

paraitre intimes.

— Plusieurs facteurs conjoints sont nécessaires en fait, poursuit-il. Et


justement, tout doit être orchestré en finesse. Un regard, une caresse, une

parole, un baiser, une certaine gestuelle du corps, tous ces petits détails

accumulés vont transmette à autrui les indices nécessaires pour effectivement

croire en la réalité de cette relation. Me suis-tu toujours, Scarlett ?

— Euh … oui, je pense. En tout cas, une chose est sûre, il semble,
qu’effectivement, vous … euh … tu aies étudié la question.

— C’est exact. Généralement, quand je travaille sur un projet, je me concentre

dessus, l’approfondis et l’étudie jusqu’en maitriser la totalité.

— Je vois ça, je commente avec une arrière-pensée.

J’ai en effet, un peu de mal à me resituer. Parlons-nous travail, contrat ou


sentiments ? Doug semble assimiler notre pseudo relation à un dossier

quelconque à traiter, mais il y mêle aussi tous les signaux amoureux qu’ont les
couples entre eux, ce qui me perd totalement.

J’avais évidemment, pensé à de petits gestes comme se tenir la main, se sourire


ou bien même que Doug passe son bras autour de mes épaules, mais je n’avais

absolument pas envisagé que nous pourrions être amenés à échanger des

paroles tendres ou pire encore des baisers. Subitement, je ressens comme un


malaise et je suis sur le point de lui avouer que je ne pourrai être à la hauteur

du défi qu’il me lance.

Pourtant, et bien que l’idée me dérange, je suis bien obligée d’admettre qu’il

n’a pas tort. La véritable question est maintenant : y arriverais-je ? Hier encore,

j’aurais bondi refusant tout net ce compromis, mais aujourd’hui je ne sais

pourquoi je me montre plus conciliante. Ce qui me contrarie le plus,

incontestablement, est le doute que j’ai d’y parvenir. Difficile déjà, de feindre
une affection. Alors, de là à démontrer une intimité entre nous, il y a un fossé

Car ne nous y trompons pas. Aujourd’hui, il y a comme une trêve entre nous,

mais que se passera-t-il quand il redeviendra le Doug Doherty abject ? Pas sûr
que je parvienne à jouer mon rôle à la perfection. Enfin, je préfère laisser de

côté cette question cruciale pour l’instant pour en revenir à ma question


première, à laquelle il n’a finalement toujours pas répondu.

— Je ne voudrais pas faire preuve d’une curiosité excessive, mais je ne


comprends toujours pas pourquoi un homme comme toi a besoin de louer les
services d’une personne comme moi.

— Un homme comme moi ? Une personne comme toi ? relève-t-il tout en


esquissant son fameux sourire canaille.

— Oui, enfin …heu, tu comprends ce que je veux dire, hein, je bégaye en

rougissant.

— J’ai décidé de ne pas te mettre mal à l’aise aujourd’hui, alors je ne

chercherai pas à te taquiner bien que j’aurais moi-même été curieux de te faire

expliciter ce que tu entendais par ces deux expressions.

Une sensation de chaleur m’apprend que mon visage entier doit être carmin et

pas seulement mes joues. Je lui suis réellement reconnaissante de renoncer à


m’asticoter aujourd’hui. Pour cacher la gêne du masque rouge qui doit

recouvrir mon visage, j’abaisse la tête quelques secondes comme si cela allait

me cacher de son regard. Geste aussi stupide que naïf, car je suis sûre qu’il l’a

de toute façon déjà remarqué.

— J’adore quand tu rougis Scarlett.

Et vlan ! Qu’est-ce que je disais !

— Ne t’en cache pas s’il te plait. C’est adorable et peu de femmes ont ton
naturel. C’est vraiment plaisant. Le sais-tu ?

Pitié !! Qu’il arrête ! Il ne fait qu’empirer mon mal !!

— Bien, j’arrête, je vois bien que je te mets mal à l’aise, rit-il gentiment tandis
que ses yeux brillent en me fixant.

Ouh là là !! Télé-transportez-moi s’il vous plait !!

— Je reviens à notre sujet principal et te laisse tranquille ... pour le moment. Tu


souhaites une réponse à ta question et bien que je ne te la doive pas forcément,

je peux comprendre ta curiosité. Evidemment, ce que je m’apprête à te dire,

tout comme notre arrangement d’ailleurs, doit rester confidentiel. Tu en


comprendras l’intérêt, je pense. Il est donc évident que rien de ce que nous

échangerons à ce sujet ne doit ou ne devra jamais être divulgué à qui que ce

soit.

Il fait une pause et s’assure que j’accepte de voir les choses ainsi. Je lui

confirme d’un hochement de tête.

— Bien. Je vais essayer de synthétiser pour ne pas t’endormir. Pour faire bref,

tu dois savoir que mes parents sont issus d’une ancienne bourgeoisie très

conservatrice et voici quelques temps déjà, qu’ils estiment que je devrais me


ranger et fonder une famille. C’est vieillot, complètement désuet de nos jours,

mais c’est ainsi. Aussi, ma mère s’est-elle mise en tête de m’aider dans cette
lourde tâche, doutant probablement de mon goût en la matière.

Doug se met à rire en secouant la tête. Ses boucles souples bougent et couvrent
une partie de son visage alors que son sourire illumine son visage. Ses yeux

profitent eux aussi de son humeur joyeuse et il est absolument à tomber. Mon
regard est un peu insistant mais j’ai du mal à ne pas le dévisager tant il est
craquant. A chaque mouvement, sa chemise suit ses muscles et sa carrure

athlétique commence à me donner des suées.

Merde ! Calme-toi Scarlett ! Ne t’engouffre pas là-dedans. Il n’en sortirait rien

de bon.

— Enfin, voilà pourquoi, j’aurais besoin de tes services. Dès que ma mère me

croira sérieusement casé, elle cessera de me poursuivre avec cette histoire. Elle
arrêtera également de me présenter toutes les filles célibataires de ses amies

bien pensantes et surtout intéressées. C’est donc là où tu interviens. Je sais

qu’elle pense bien faire mais honnêtement, j’en ai marre de feindre de ne rien

remarquer. Elle se pense discrète, vois-tu, organisant des rencontres fortuites,

mais en fait, elle n’est pas vraiment bonne à ce jeu. Je ne lui en veux pas. Je

peux même la comprendre. Mais je reconnais que je fatigue un peu de simuler


la surprise, puis d’éconduire à chaque fois, toutes ces jeunes femmes, cupides

et avides de notoriété. Et cela, d’autant plus que toutes ont pour la plupart

d’autres desseins que ma mère ignore, hélas.

— C’est-à-dire ? Je ne comprends pas trop, j’interromps Doug.

— Eh bien disons que nombre de ces dames ne perdent pas le nord et qu’elles

ont certaines attentes. Bon nombre d’entre elles voient en moi un beau
portefeuille garni et un répertoire de personnalités très intéressant pour leurs

projets d’avenir. Enfin, celles-là, je les repère généralement assez facilement et


les écarte tout aussi aisément. En revanche, et c’est ce qui m’a poussé à agir,
c’est que j’ai appris dernièrement, que ma mère s’était mis en tête, cette fois-ci,
de me présenter une femme que je déjà connais quelque peu. Les présentations

doivent avoir lieu lors de notre prochaine réunion de famille qui est prévue à

la fin du mois. Et ce n’est pas un hasard si ma mère a programmé cette


rencontre lors d’un événement clé de notre famille. Notre réunion annuelle.

Alors … alors, se reprend Doug en frottant sa barbe naissante d’une main, j’ai
pensé … qu’en arrivant « casé », pardonne-moi l’expression, je pourrais enfin

espérer qu’elle abandonne définitivement ses projets d’une part et que cela

écarterait la jeune femme en question d’autre part. C’est donc précisément là

où tu deviens indispensable à mon projet.

Je le regarde ahurie. Le grand Doug Doherty redouterait-il sa mère ?!?

Il me prend une envie soudaine d’éclater de rire que je m’efforce de maitriser,


sous peine de ravager une fois encore l’ambiance qui est restée plutôt plaisante

jusqu’ici. Mes lèvres, contenues, ne laissent échapper qu’un petit sourire, qui

par chance, n’irrite pas Doug. Ouf !

— Quand a lieu précisément cette réunion ? demandé-je, me concentrant à


nouveau, l’idée que Doherty appréhende sa mère ne cessant de venir taquiner

mon esprit.

— C’est une réunion annuelle, comme je te l’ai indiqué, qui réunit toute notre

famille la dernière semaine du mois de mai. Mes parents vivant désormais en


Floride, il tient à cœur à ma mère de réunir toute la famille pour nous
retrouver tous au moins une fois par an. Hormis, le fait qu’elle se soit mise en
tête cette année de passer à l’offensive me concernant, si je puis dire, tu verras

que c’est une fête très agréable.

Je l’écoute attentivement et l’idée d’en rire me lâche enfin. A la réflexion,

j’arrive même à comprendre l’inquiétude de sa mère, qui chaque semaine, doit


subir l’affront de retrouver son fils à la une des tabloïds. Cette femme, sans

doute d’une certaine classe, ne s’attendait certainement pas un jour à devoir

subir hebdomadairement la photo de son fils ayant à son bras, chaque semaine

une femme différente. Sans compter que dans la variété de ses compagnes d’un

soir, on ne peut pas dire que Doherty ait toujours fait dans la sobriété. Car pour
les avoir aperçues - comme tout le monde ici - ces « demoiselles » la plupart

issues du monde télévisuel ou de la mode donnent d’elle-même une image plus

ou moins délurée. Je peux donc comprendre l’embarras de ses parents. Mais

quand même, de là à jouer les entremetteuses, c’est assez osé. Elle a du

tempérament maman Doherty !

Doug n’a plus 15 ans, c’est un homme quand même !!

Encore que des fois, on pourrait se le demander en regardant ses choix

féminins ! Nombre de ses « amies » accrochées à lui sur les couvertures


scandaleuses auraient pu davantage éveiller les hormones en fusion

d’adolescents que ceux d’hommes murs. Mais comme on dit : tous les goûts
sont dans la nature !
La stratégie que son fils a mis au point n’est pas si insensée en définitive, bien
que je reste persuadée qu’une bonne discussion entre eux eût été plus efficace.

Mais il semblerait justement, que, concernant les femmes, Doherty n’ait pas

toute sa raison. Et sa mère, qui le connait mieux que quiconque, pense sans
doute pouvoir l’aider à se poser.

Pour ce que je connais de Doug, c’est-à-dire à travers les médias, je dois

avouer, compatissante, que l’inquiétude de ses parents me semble tout à fait

légitime car on ne peut pas dire que leur fils les ait épargnés ou même montré

beaucoup de jugeote dans ses choix féminins. Maintenant, reste à savoir si la

bonne volonté de sa mère se limite à l’aider ou plus pernicieusement à choisir


sa bru. Ce qui m’amène aussitôt à me demander si l’intrusion de cette femme

dans la vie de son fils est uniquement motivée par son amour maternel

bienveillant.

— Sans te paraitre indiscrète, quel âge as-tu Doug ?

— Ce n’est pas indiscret et cela fait même partie des choses que tu vas devoir

apprendre sur mon compte et la réciproque sera aussi nécessaire, même si je


sais que cela ne se fait pas de demander son âge à une femme, me sourit-il. J’ai

trente-quatre ans. Ce n’est pas si vieux que ça, non ? m’interroge-t-il.

Son regard me trouble une fois encore.

Pourquoi ai-je cette stupide impression que tous ses propos sont ambigus ?
Entre ses œillades appuyées et ses paroles à double sens, je suis constamment
prise de doutes, chamboulée.

Tu délires ma vieille, et surtout tu te fais des idées. Alors reprends-toi et


concentre-toi.

Oui. Me concentrer. Nous parlons juste affaires.

— En fait, poursuit Doug, je pense qu’au fond d’eux-mêmes, mes parents

désespèrent que je leur offre à mon tour d’adorables petits enfants. Je suis

l’aîné, ma sœur est déjà mariée, elle a d’ailleurs une petite fille à croquer.

Quant à mon frère … comment dire ? réfléchit-il un moment aux mots qu’il va

utiliser. Mon frère est le cadet et il semble bien parti pour suivre mes traces,
me confie-t-il un sourire canaille aux lèvres. Je pense que c’est en partie pour

cette raison que ma mère a décidé d’attraper le taureau par les cornes en me

contraignant à me calmer. Elle pense sans doute que je suis de mauvaise

influence pour lui.

Cette idée semble, somme toute, le toucher car je remarque à ce moment,


pendant un laps de temps très furtif, qu’un voile d’amertume a ombragé son

regard.

— Ok, je comprends mieux à présent. Mais pourquoi moi alors ? je demande


intriguée. Je suppose que tu aurais aisément pu trouver quelqu’un d’autre pour
ce rôle très … spécial, non ? Tu es habituellement quelqu’un de très bien …

entouré, je cherche mes mots pour ne pas le froisser.

Pour une fois qu’il est d’humeur agréable …


Et apparemment, mes paroles ne le vexent pas puisqu’il se met à rire en
secouant la tête. Je ne comprends pas pourquoi, mais j’attends qu’il me

réponde.

— Alors, comment te répondre le plus simplement …

Il souffle, réfléchit quelques secondes et se lance.

— Je suppose qu’effectivement, tu n’es pas sans m’avoir aperçu à plusieurs

reprises à la une de certains magazines peu glorieux. Ça fait plus ou moins

partie du jeu quand on est un tant soit peu connu. Jusque-là, je me suis plus ou

moins plié à cette règle, ne cherchant pas vraiment à cacher, disons … (il
cherche encore une fois ses mots) … ma vie dissolue. Je sors souvent avec des

filles qui apprécient cette notoriété de bas étage, je m’amuse avec elles, sans

me soustraire aux photographes et finalement tout le monde est content. Cela

s’arrête là.

Je le fixe, surprise qu’il se dévoile aussi facilement. Honnêtement, je ne


m’attendais pas à ce qu’il se confie aussi facilement que ça. Mais apparemment,

son projet doit lui tenir à cœur car Doherty joue pour la première fois la carte
de la franchise et de la transparence. Et j’apprécie. Il se révèle sans faux

semblants, avec naturel et sincérité. Et face à sa nouvelle attitude, j’en arrive


même à oublier le sale type qu’il était encore ce matin. La confiance qu’il a

décidé de m’accorder ce soir me touche. C’est qu’il en deviendrait presque


agréable et touchant le boss.
— La grande différence cette année par rapport aux précédentes, continue-t-il,
est que mes parents semblent juger que j’ai largement dépassé les bornes

dernièrement. Je ne peux pas les en blâmer …, soupire-t-il songeur. Bref,

toujours est-il qu’ils m’ont fait comprendre très explicitement – je te passe


l’engueulade - que mes agissements de « débauché » selon leurs termes

commencent à devenir préjudiciables à Doherty Press, société créée par mon


père, il y a plus de vingt ans. Je suppose qu’ils estiment que les retombées

qu’ont ces feuilles de choux sur eux ou sur l’entreprise leur sont

dommageables, surtout vis-à-vis de nos partenaires d’affaires, je suppose.

Peut-être ont-ils raison … c’est vraisemblable, effectivement. Personnellement,

je voyais les choses vraiment différemment, mais bon … là, n’est finalement

pas notre sujet. Donc, - Doug se racle la gorge presque gêné - je t’expliquais

que quoi qu’il en soit, tous deux ont manifesté leur désaccord quant à mon
mode de vie, peut-être un peu trop dévergondé à leur goût et quelque part,

comme je te l’ai dit, je peux comprendre leur position. Ma mère m’a

clairement exprimé sa lassitude et la nécessité pour moi de cesser mes


provocations médiatiques. C’est vrai que j’en ai bien profité, je n’avais

simplement pas réalisé que tout ce battage médiatique pouvait les affecter.

Surprise par l’importance des parents de Doug dans sa vie, je l’écoute sans
l’interrompre.

— Tu es peut-être surprise par leur intrusion dans ma vie privée, et tu penses


peut-être que je devrais gentiment les remettre à leur place, mais je sais qu’ils
sont sincères et qu’ils s’inquiètent réellement pour moi. Tu verras quand tu les
rencontreras, mes parents sont des personnes absolument adorables, vraiment,

et à vrai dire, j’en suis même parvenu à me dire qu’ils avaient été, quand même

extrêmement patients jusqu’ici. Je ne les ai pas épargnés, c’est vrai. Alors, ne


serait-ce que pour eux, pour l’amour que je leur porte, j’ai décidé de ne plus

leur infliger mes extravagances. J’ai conscience d’être allé trop loin, et à la
vérité, je n’avais jamais vraiment envisagé qu’ils puissent souffrir des

conséquences de mes écarts. Donc ! Voilà comment je vois les choses, Scarlett.

Nous allons nous présenter devant eux comme un jeune couple amoureux, ce

qui aura pour effet de les apaiser d’une part et de couper aussitôt, d’autre part,

l’herbe sous le pied de ma mère dorénavant, reconvertie entremetteuse. Idem

pour les projets de la merveilleuse femme qu’elle entend me coller dans les

bras. Puis, une fois notre fête de famille passée, je retournerai à ma vie, mais
beaucoup plus discrètement cette fois-ci. Ils n’ont pas vraiment tort sur ce

point, souffle-t-il, je n’ai plus 20 ans, c’était ridicule de m’exposer ainsi et puis

ça me lasse aussi ce mode de vie déjantée à la fin. A croire que je vieillis, se


met-il à rire, tout en me fixant de ses magnifiques prunelles brunes. Tu vois,

c’est assez simple finalement comme histoire et je te demande juste


d’envisager notre deal comme un simple contrat au sortir duquel nous

sortirons tous les deux gagnants. Il n’y a pas de piège là-dessous, je t’assure.

Je le fixe et suis touchée par ses explications. Je découvre un Doug Doherty


profondément respectueux de ses parents, conscient d’être allé trop loin et qui
cherche à se rattraper auprès de sa famille. Effectivement, j’ai eu l’occasion

d’apercevoir certains des clichés en question, et ces derniers ne le mettaient pas

nécessairement à son avantage. La publicité faite par cette presse people le

présente généralement comme un jet setter beau et riche appréciant les jeunes
et jolies femmes, mais quand est-il de ces retombées sur les presses Doherty ?

Pas sûr que cela serve véritablement ses intérêts.

Son image de séducteur instable fait effectivement la une régulière de leurs

choux gras et je peux tout à fait comprendre l’inconfort de ses parents chaque

nouvelle semaine quand les gros titres diffusent les soirées extravagantes de

leur fils. J’imagine qu’ils doivent même appréhender chaque lundi la sortie des
nouveaux tirages. Et là, pour le coup, Doug est le seul et unique responsable sa

renommée sulfureuse.

J’écoute attentivement les informations que Doug distille au compte-goutte

mais malgré ses dernières confessions, je ne sais toujours pas, pourquoi il

s’est adressé à moi précisément, d’autant – et comment l’oublier- que selon


toute vraisemblance, je ne suis absolument pas son genre de femme. Je me sens

obligée de lui poser la question puisque nous en sommes aux aveux, mais
avant que j’aie le temps d’ouvrir la bouche, Doug me devance tout en

accrochant son regard au mien en même temps qu’il saisit ma main posée sur
la table. C’est une sensation exquise. Sa main chaude recouvre la mienne et son

regard est si tendre que je pourrais presque croire qu’il éprouve autre chose
que du ressentiment pour moi. Mais tout ça fait partie de sa petite mise en
scène. Je ne dois pas m’égarer.

— Pourquoi supposes-tu que tu n’es pas mon genre ? me questionne-t-il


soudain comme étonné.

Je le regarde hébétée. Comment fait-il ça ? Comment devine-t-il mes pensées ?

Je n’ai pas le temps d’en chercher la réponse qu’il y répond de lui-même.

— Tu es un livre ouvert Scarlett. Tu fronces les sourcils quand tu t’interroges

et tes yeux sont si clairs et si limpides qu’ils révèlent ton âme.

Vraiment ? ça existe vraiment ça ?

J’approfondis davantage l’intensité de mon regard scrutant avec détail ses iris

si bruns. Je veux voir s’il se moque de moi en me balançant des phrases

romantiques pour la galerie ou s’il est tout simplement sincère. Mais son

regard est si puissant et troublant à la fois que je me sens rapidement obligée

de détourner les yeux, troublée.

Aucun doute maintenant, cet homme que j’abhorre la plupart du temps

parvient, je ne sais comment, à m’affecter émotionnellement. Zut ! Je dois

absolument éviter de me perdre dans ses yeux sous peine de me retrouver


vulnérable, chose que je ne souhaite absolument pas face à un homme tel que
lui. Il représente le danger à lui tout seul. Comme un mantra, je me lave le

cerveau et répète en boucle : nous parlons affaires, nous parlons affaires, nous
….

Il sait être si plaisant quand il quitte son costume de P.D.G, que je pourrais, je
suppose, finir par apprécier cet autre Doug. Mais à cette simple pensée tous
mes signaux d’alerte clignotent en rouge dans mon esprit. Pour ma sécurité,

finalement, je préfère encore quand il se montre désagréable, car sur mes

gardes, je maitrise davantage mes émotions et c’est un avantage plutôt


rassurant pour moi.

— Pour répondre à la question que tu me poses, dis-je en m’ébrouant

rapidement, si je pense ne pas être ton style de femme, c’est sans doute, parce

que tu t’es chargé toi-même, très délicatement de me le dire en face hier et

peut-être aussi, parce que ta charmante amie Cassie s’est empressée elle-aussi,

de me le préciser, au cas où le message n’aurait pas été assez clair pour moi, je
réponds avec sarcasme.

Ouf ! Je me ressaisis.

Le regard de Doug s’assombrit alors et je discerne à présent un voile de colère

sur ses pupilles.

— Je te présente mes excuses pour mon manque de tact, Scarlett. Je sais que je

ne suis pas toujours très … comment dire ? … très correct, selon mes humeurs
et j’ai conscience que je peux même me montrer très con aussi, parfois. Quant

à Cassie, qui n’est pas mon amie Cassie, soit dit en passant, elle n’avait
certainement pas à te faire part de son avis personnel. Je règlerai le problème

avec elle plus tard, ajoute-t-il contrarié. Sois en sûre !

Je regrette d’avoir laissé mes émotions prendre le dessus lors de ma réponse,


car Doug a changé subitement d’humeur, revêtant de nouveau sa carapace de

guerrier froid. J’aurais dû mesurer l’impact de mes paroles, mais à la vérité, je

ne sais pas vraiment faire dans la dentelle. Je ne suis pas spécialement une

personne très délicate non plus, chose que je regrette présentement puisque je
me retrouve à nouveau maintenant face au P.D.G. de Doherty Press.

Souhaitant retrouver l’ambiance du début de repas, j’essaie de désamorcer la

bombe que j’ai moi-même armée. Car à la vérité et contrairement à ce que

j’essayais de me convaincre quelques secondes auparavant, même si je sens le

danger en moi, je préfère de loin l’homme aimable qui conversait avec moi

quelques instants auparavant.

— Non, n’en fais rien, ce n’est pas si important de toute façon. Ce que je veux

dire en fait, c’est que si Mademoiselle Stuart a jugé nécessaire de me le faire


remarquer, elle t’a peut-être rendu service sans le savoir.

Doug s’apaise et me regarde étonné, ne voyant vraisemblablement pas là où je

veux en venir. Je lui précise donc ma pensée.

— Ce que je veux te faire comprendre, c’est que si Cassie a remarqué que je ne


correspondais pas à tes critères physiques habituels, il y a de fortes chances

pour que ta famille le pense aussi. Tu ne crois pas ?

Le tutoyer en conversant de notre relation me fait vraiment bizarre. Ça ne me

vient pas naturellement, contrairement à Doug qui semble lui, s’y être habitué
relativement vite. La raison de ce blocage est manifestement le manque de
complicité entre nous, besoin nécessaire à mon mode de fonctionnement pour

passer cette barrière usuelle du vouvoiement automatique. Ça a toujours été

ainsi, et pour l’heure, malgré les efforts récents de Doug pour se montrer

agréable, je suis, dans les faits, obligée de réfléchir avant chaque parole pour y
parvenir, ce qui n’est pas évident. Et puis, Doug est un patron impressionnant,

ce qui ne me facilite pas la tâche non plus. Souhaitons juste que cela devienne
plus naturel pour moi d’ici la fin du mois, date de leur réunion familiale.

D’une main, Doug frotte son menton, réfléchissant visiblement sérieusement à

mon questionnement pendant quelques secondes. J’ai déjà remarqué que

lorsqu’il est embarrassé, il a ce genre de petit tic, celui de se frotter le menton.


Moi aussi, je vais finir par pouvoir lire en lui.

— Effectivement, sur le principe Cassie n’a pas tort, mais elle n’avait pas à te
donner son avis, je le répète. Tu es …, tu es différente des femmes que je

fréquente habituellement, c’est vrai.

Comment dois-je le prendre ? C’est bien ou non ?

— Mais c’est aussi l’effet recherché, poursuit-il aussitôt. Tu es une femme


intelligente, jolie et tu as du répondant. Et je pense qu’au contraire, tu conviens

parfaitement à l’idée de femme que mes parents espèrent pour moi. Je suis
d’ailleurs certain qu’ils t’apprécieront.

Ces dernières paroles glissent avec plaisir dans mes oreilles malgré un léger
pincement. « Tu conviens parfaitement à l’idée de femme que mes parents
espèrent pour moi ». A quoi m’attendais-je ? Non mais vraiment !? A une

déclaration ???

Les idées confuses, afin de contrer le rouge qui me monte aux joues après ce

que je prends malgré tout comme un compliment, je lui demande aussitôt.

— N’avais-tu personne d’autre dans tes relations qui aurait pu t’aider à

exécuter ton projet ?

— Humm, réfléchit Doug pendant quelques secondes avant de répondre.

Comment te dire Scarlett ? Pas vraiment, en fait. Je côtoie au quotidien trois

sortes de femmes, à vrai dire. Il y a d’abord, les femmes avec qui j’ai un lien
professionnel, et là, il est hors de question de les impliquer dans une histoire

d’ordre privé, là, c’est vite vu. Ensuite il y a toutes ces femmes avec qui je

sors habituellement : mannequins, pseudo-chanteuses ou autres avec qui je

m’amuse, c’est vrai, mais qui ne présentent pour moi aucun intérêt autre que

celui du divertissement. Puis enfin une dernière catégorie de femmes, que je

connais ou pas encore, mais à venir, qui elles, souhaiteraient effectivement

mettre la main sur un bon parti. Financier, j’entends. La toute dernière


prétendante que ma mère souhaite me présenter à la fin du mois, appartient

d’ailleurs à cette dernière catégorie de femmes cupides. Et autant te dire que je


fuis ce genre de femmes comme la peste. Avec toi, poursuit Doug, rivant son

regard au mien, tout est beaucoup plus simple. Nous avons un contrat et nous
savons que chacun de nous y trouvera son compte. Quand nous arriverons au
terme de celui-ci, nous reprendrons notre route chacun de notre côté. C’est

aussi simple que ça. Simple et efficace.

Je baisse le visage, troublée pas ses yeux beaux yeux bruns, c’est vrai, mais

aussi peinée quelque part. Son argumentation tient la route et je le comprends

maintenant un peu mieux, mais surtout, il me rappelle une fois encore, la


véritable nature de notre relation. Et si celui-ci ne m’avait pourtant pas

échappé, sans savoir pourquoi, cette petite piqure de rappel me blesse au fond

de moi-même.

Il faudrait peut-être que j’enregistre une bonne fois pour toute qu’on ne parle

que d’un job !!!

— Que se passera-t-il par la suite ? je l’interroge hésitante.

Doug me regarde surpris, et je lui précise aussitôt ma pensée ne souhaitant pas

qu’il s’imagine un moment que j’attende plus de lui. Ce qui en soit est

complètement stupide car dans son esprit, les choses semblent, au contraire de
moi, être bien claires.

— Je veux dire quand tes parents sauront que nous ne sommes plus ensemble.

— Je n’aurai qu’à leur expliquer que cela n’a pas collé entre nous et cela leur
suffira comme explication. Dans un premier temps, ils n’oseront pas me

contrarier davantage, je suppose ; et d’ici l’an prochain, l’eau aura coulé sous
les ponts. A moi par la suite de rester le plus discret possible sur mes

aventures, ajoute-t-il songeur.


Effectivement, tout parait cadré et très net dans son esprit. J’opine, chassant le
sentiment d’insatisfaction qui s’est installé en moi depuis quelques minutes

maintenant. Je ne me reconnais pas moi-même et pour dire vrai, je l’avoue : je

suis un peu paumée. D’un côté, cet homme aux antipodes de mon idéal
masculin arrogant et si crispant et de l’autre, ce même homme pour lequel je

ressens une attraction certaine alors même que rien ne se passera jamais entre
nous. C’est tout moi ça !

Je dois absolument refouler ce foutu sentiment nostalgique qui vient de

s’emparer de moi, et accepter que le charme incroyable de Doug aussi fort

soit-il, ne m’est pas exclusivement destiné. Ses regards si appuyés, ses


attentions, ses paroles – quand elles sont douces, seulement ! – font partie

intégrante de lui. Aussi, je ne dois pas les interpréter comme une approche de

séduction même si sa proximité, son contact ou son souffle sur moi accélèrent

mes battements, sans que je n’y puisse rien y faire.

C’est là l’effet « Doug Doherty », je suppose !

Allez zou ! Reprends-toi Scarlett !

Il reste moult détails et arrangements à régler encore et si j’ai bien compris,

c’est bien l’objectif de cette journée. Alors le plus simple pour moi est sans
doute de rester concentrer sur ce qui nous relie – le contrat – et de m’y tenir.

— Qu’en est-il ou qu’en sera-t-il de mon poste au sein de la société ? je précise


ma question.
Doug se passe à nouveau la main sous le menton et réfléchit un instant.

— Oui, effectivement, nous n’avons pas abordé ce point.

Je redoute un peu sa réponse, car même si je vais toucher une belle somme à la
fin du mois, j’ai réellement besoin d’un job à terme, et recommencer le

parcours du combattant pour espérer obtenir ne serait-ce qu’un entretien

m’effraie un peu. Enfin … beaucoup en fait.

— Je comprends ton interrogation à ce sujet. Et disons que même si je

n’apprécie guère effectivement de donner l’image du patron qui sort avec son

assistante, je suppose que tu as besoin de ce travail, n’est-ce pas ?

Sa réponse a au moins le mérite de me faire redescendre directement sur terre


et de retrouver ma bonne humeur. J’acquiesce tout en me retenant d’exploser

de rire. Est-il à ce point naïf, qu’il ignore que tout le monde est au courant

qu’il se tape la majorité de ses assistantes ?

Ses scrupules me paraissent si ridicules … comment ose-t-il me sortir de telles

réponses.

— Bien. Alors voici comment nous allons procéder. Dès demain tu te


présenteras, de nouveau, à ton poste et tu occuperas ce dernier tout le reste du
mois. A la fin de notre accord, je m’engage soit à te maintenir sur ton poste,

soit à te changer de service si tu en ressens le besoin. En partant du fait, cela va


de soi, que j’attends de toi que tu sois à la hauteur du travail exigé par le poste,

comme n’importe quel salarié.


Ah revoilà le patron qui parle. Je me disais bien … mais son deal me semble
acceptable.

— Est-ce que cela te convient Scarlett ?

— Oui, tout à fait. Ça me parait correct, j’accepte, je lui réponds en partie

soulagée. Cependant, je me demandais …

— Je t’écoute.

— Je me demandais seulement comment je devais faire avec Abby. C’est ma

colocataire bien sûr, mais c’est surtout ma meilleure amie aussi. Comment

vais-je justifier l’emballement de notre aventure sentimentale ? Elle ne sera pas

dupe, je la connais assez pour ça. Personne n’emménage chez son petit ami dès
le premier jour de leur rencontre.

Il me fixe en plissant les yeux et je devine qu’il n’avait pas du tout envisagé que

je puisse avoir une vie privée. Il réfléchit de nouveau un instant, toujours en

effleurant sa barbe naissante de sa main.

Un vrai tic Monsieur le PDG ! Pourtant, je me surprends à penser que moi

aussi, j’aimerais effleurer du bout des doigts son menton, sentir la sensation de
ces poils drus sur ma main.

Concentre-toi !

— C’est vrai, tu as raison, j’ai omis ce point. Est-elle une amie de confiance ?

Je lui réponds par l’affirmative sans aucune hésitation.


— Bien dans ce cas-là, je pense que tu peux la mettre dans la confidence. Ce
sera moins risqué que si elle confie ses doutes à quelqu’un d’autre. J’insiste

cependant sur l’extrême discrétion dont elle devra faire preuve et sur la valeur

de sa parole.

— Ce sera le cas, tu n’as pas à t’en faire.


Chapitre 12

Le déjeuner s’achève dans la même ambiance harmonieuse et jamais je ne me

serais aventurée à parier un dollar sur le fait que j’aurais pu apprécier ce tête à
tête. Presque déçue que cesse cet instant, je demande, alors que Doug recule

avec galanterie ma chaise de la table :

— Dois-tu rejoindre le bureau ?

— En fait pas vraiment, j’avais pensé que nous pourrions passer l’après-midi
ensemble afin d’apprendre à mieux nous connaître. Et puis, mon avocat m’a

remis le contrat selon notre accord et j’aurais souhaité te le soumettre ce soir.

Qu’en penses-tu ? Ce programme te convient-il ?

— Absolument, ce sera parfait, je réponds, une joie immense embaumant mon

cœur.

C’est à cet instant très précis que je comprends que Doug Doherty occupe
davantage de place dans mon cœur qu’il ne le devrait.

Harry qui devait patienter non loin de là, se gare soudain alors que nous
sortons à peine du restaurant et toujours avec la même galanterie, Doug

m’ouvre la porte tandis que je pénètre à l’intérieur de la luxueuse Lincoln. On


est loin de la veille où il m’avait littéralement jetée sur la banquette en cuir.
Nous sillonnons pendant quelques instants les rues de New-York et j’en profite
pour ouvrir grands mes yeux car nous traversons des rues et des quartiers que
je n’ai encore jamais eu l’occasion de parcourir. Mais bien vite, la voiture se

range devant l’un des portails de Central Parc nous déposant devant une entrée

arrière, beaucoup moins fréquentée par les touristes. En tant que nouvelle

arrivante, je suis déjà bien évidemment venue visiter ce magnifique espace vert
au cœur de la ville, mais le parc est si grand qu’il est quasiment impossible

d’en faire le tour. 341 hectares d’oxygène en plein centre de Manhattan, le

poumon de New-York en quelque sorte.

C’est aussi le lieu de rendez-vous de nombreux sportifs, promeneurs ou


simples curieux qui s’évadent le temps de quelques minutes dans cette nature

improbable située au cœur d’une ville qui ne dort jamais. En attendant, je n’ai

jamais foulé l’allée de ce côté de Central Parc et du coup, je m’en réjouis

également ... à moins que ce ne soit principalement le fait de rester encore un

peu avec Doug.

— Profitons de ce bel après-midi pour essayer d’en apprendre davantage l’un

sur l’autre et tâchons de faire en sorte que le tutoiement se fasse le plus


naturellement du monde pour commencer. Ce sera déjà un bon point. Je sens

bien que cela ne t’est pas facile mais c’est essentiel, comme je te l’ai expliqué,
notre relation doit sembler aussi simple qu’évidente aux yeux de tous.

C’est aussi le moment que choisit Doug pour me prendre la main d’une
manière très naturelle, un peu comme le font les amoureux, instinctivement. Je

fais comme si de rien n’était, pourtant, ce simple petit geste anodin provoque

immédiatement en moi une curieuse sensation. Difficile à expliquer, mais

comme si un sentiment de bien-être ou de plénitude m’emplissait


soudainement. Je sais que c’est complétement stupide et surtout très gnan-gnan

comme explication et c’est d’ailleurs la première chose qui me serait venue à


l’esprit si l’on m’avait rapporté de tels propos, mais c’est pourtant bien ce que

je ressens. Une certaine sérénité, un sentiment de sécurité auprès de lui.

Outre l’attrait manifeste que mon corps ressent aux côtés de Doug, je tiens

malgré tout à rester le plus pragmatique possible et justifier cette agréable


quiétude par le fait que Doug est un homme grand et fort et probablement aussi

parce qu’il y a bien – trop - longtemps qu’un homme ne m’a pas tenu par la

main, aussi. Depuis l’obtention de mon diplôme pour être exacte. Quoi d’autre

sinon ?

Il y a de ça cinq mois, Kevin, mon ex petit ami, et moi avons rompu le jour des
résultats d’examens de notre diplôme. La suite de ses études étaient

programmées en Californie afin de poursuivre son cursus, tandis que pour ma


part, je pensais que seule New-York pourrait m’offrir le travail de mes rêves,

comme nombre de jeunes diplômés du reste.

Alors finalement, face à nos divergences de projets, nous n’avions rien d’autre
envisagé que de mettre fin à notre relation. A croire que notre amour n’était
sans doute pas un aussi fort que nous le pensions … Aussi d’un commun

accord, nous avons rompu, presque naturellement, abandonnant derrière nous,

sur le parvis de la fac, notre relation sentimentale, triste reflet de notre union,

en fin de compte. Avec le recul, je réalise que notre relation était bel et bien
vouée à s’arrêter à ce moment-là. Nous ne nous sommes d’ailleurs pas séparés

hurlant de désespoir ou encore inconsolables. Non, seules quelques larmes de


regrets avaient brouillé notre vue, sans doute plus affectés par la déception de

ne plus nous voir régulièrement que pas nos cœurs réellement brisés. Comme

deux amis finalement.

Les semaines, puis les mois ont passé, et occupée à trouver un travail, j’ai
volontairement laissé ma vie sentimentale de côté. J’avais d’autres priorités

d’ailleurs, comme celle par exemple, de développer ma carrière

professionnelle. Parallèlement, pendant tout ce temps, une idée pugnace

s’incrustait en moi, comme celle que je n’étais probablement pas faite pour

connaitre de véritable histoire d’amour. Un psy justifierait probablement cette


idée saugrenue par l’impact de l’échec cuisant du mariage de mes parents sur

moi, mais à la vérité, et même si effectivement il devait bien y avoir là une


piste à creuser de cause à effet, la vérité est que j’ai toujours ressenti au plus

profond de moi ce sentiment que les grandes histoires d’amour n’étaient pas
faites pour moi. D’ailleurs existent elles seulement dans la vraie vie ?

Enfin, quoi qu’il en soit, ceci explique probablement le fait que je n’ai jamais
vraiment pris la peine de m’investir dans le peu de relations que j’ai pu avoir.
Cependant là, dans ce magnifique parc, contre toute attente, le contact de ma
main dans celle de Doug me trouble suffisamment pour que je m’arrête de

marcher sans même le décider. Doug s’en étonne et porte alors sur moi un

regard interrogateur, tandis que je reste comme figée. Il se passe quelque


chose. Quelque chose de différent, quelque chose que je ne connais pas. Je ne

saurais dire ce dont il s’agit exactement, et je cherche dans les pupilles brunes
de Doug une réponse à ma question. Réponse qu’il n’a probablement pas.

Cependant, la chaleur de ses iris me rassure et soudain, comme par

enchantement, je me sens totalement seule avec lui. Les promeneurs ont

disparu, les joggeurs sont partis, tout est en demi-teinte autour de nous. Seuls

me captivent les plus beaux yeux brun-foncé que je n’ai jamais vus. Cette

sensation est troublante - pour moi en toute cas – et je reste d’ailleurs quelques

temps encore complètement transportée dans cette faille spatio-temporelle.


C’est comme si le monde s’était arrêté de tourner un moment autour de nous.

Doug ne détourne pas les yeux non plus. Et pour la première fois, totalement

noyée dans son regard, je discerne de minuscules petites pépites d’or qui
illuminent et adoucissent en même temps son regard. Je ne les avais jamais

remarquées auparavant, pourtant ce n’est pas faute d’avoir observé ce regard si


particulier.

Mais alors que nous sommes plantés là, au milieu de cette allée, pour ainsi dire

seuls au monde, mon estomac se vrille alors quand ses superbes pupilles
sombres s’étrécissent pour se noyer avec encore plus d’intensité dans mes
yeux clairs, fascinés. Notre échange est si intense qu’il remue énormément de

choses en moi. C’est un peu comme si je le découvrais pour la première fois

ou plutôt comme si je le rencontrais pour la première fois et que je tombais

immédiatement sous son charme, subitement, à l’image d’un coup de foudre.


Oui, c’est tout à fait ça ! Un puissant coup de foudre qui me tombe dessus, là, à

cet instant très précis.

J’ignore totalement si Doug ressent quelque chose d’aussi profond que moi ou

si je suis la seule à qui ça arrive, mais lui aussi, en tout cas, reste figé, perdu

dans mes yeux. Mon corps tout entier réagit physiquement comme si c’était une

évidence que c’était lui. Lui, qui serait l’élu de mon cœur, lui qui m’était
destiné, lui le bon ! Je suis moi-même surprise par cette impression car je n’ai

jamais accordé la moindre attention à toutes ces niaiseries romantiques. Et

pourtant, là, il se passe quelque chose de spécial, de différent, d’inhabituel.

La veille encore nous étions comme chat et chien. Et tout me semble

complètement dissemblable aujourd’hui. Nous ne prononçons aucun mot


pourtant un étrange lien se tisse entre nous. Quelque chose de furtif que je ne

connais pas et que je ne saurais expliquer d’ailleurs. Mais c’est suffisamment


puissant pour que j’en prenne conscience. Mon corps d’ailleurs suit ce

phénomène. Mon estomac est contracté au maximum comme dans un manège à


sensations et mon bas ventre est chatouillé par une nuée délicate de papillons

qui en battant des ailes me caressent allègrement. Curieuse expérience.


Un ballon qui vient rebondir contre ma jambe nous tire tous deux de notre
étrange torpeur et Doug, refait surface en premier. Le sourire franc et

généreux qu’il m’adresse alors, est lumineux et waouh qu’il est beau ! Il

semble réaliser l’engourdissement quasi fantastique dans lequel nous étions


plongés. Et face à ce sourire si éclatant, j’ai bien du mal à m’ébrouer

mentalement. Je lui souris en retour. Je suis bien. Tellement bien, que la


première pensée qui traverse mon esprit encore embrumé, est de me laisser

succomber à la beauté virile de cet homme et de saisir ses lèvres pour en

gouter la douceur. J’ai subitement besoin de ce contact et mes yeux d’ailleurs

ne peuvent s’empêcher de faire un arrêt sur ses commissures si délicieusement

ourlées.

C’est complètement fou et inattendu pour moi. Pour ceux qui nous voient, à

l’instant dans le parc, je suppose que nous ressemblons à un couple tout ce

qu’il y a plus d’ordinaire en train de profiter des premiers rayons de soleil que

nous offre cette journée de printemps. Et curieusement, cette idée me plait. Ça


aussi, c’est nouveau.

Avant de reprendre une distance plus raisonnable entre nous, je ne peux


empêcher mes doigts de venir caresser sa joue. Très délicatement. Un simple

effleurement qui achève mon corps de désir.

Pourquoi lui ? Pourquoi aujourd’hui ? Je n’en ai pas la moindre idée si ce


n’est que j’ai aimé la part infime qu’il a pu me dévoiler de lui quelques instants
plutôt. J’ai aimé cette facette cachée de sa personnalité. Ce Doug Doherty

complètement différent de l’idée que je m’en faisais. Plus sensible, plus

vulnérable aussi. Et j’ai conscience aussi que peu de personnes – de femmes ? –

ont eu ce privilège avant moi. C’est une certitude et je n’en suis que davantage
touchée.

Doug recouvre alors de sa main chaude la mienne qui s’était posée

délicatement en coupe sur sa joue et nous restons comme ça, figés, les yeux

dans les yeux. Hélas, l’arrivée du petit garnement, propriétaire du ballon vient

mettre un terme, définitivement, à cette parenthèse enchantée, tout comme une

bulle de savon qui éclate.

Pour ma part, je parviens difficilement à rejoindre la réalité, encore toute

chamboulée par ce qui vient de se passer. Je suis incapable de parler et je


suppose – peut-être à tort – qu’il en est de même pour Doug qui, sans un mot,

se contente de reprendre ma main dans la sienne et de reprendre notre balade

silencieuse.

J’essaie de ne pas me poser trop de questions. Tout ce que je désire,


finalement, c’est profiter aussi simplement que possible du moment, oubliant

un temps tous les questionnements que notre connexion a fait naître en moi.
Seulement jouir de l’instant présent ...
Chapitre 13

Nous marchons encore main dans la main, un long moment, ainsi, sans aucun

but précis que celui de se promener l’un à côté de l’autre ; quand enfin je
ressens le besoin de combler ce silence. Je n’ai aucune idée de ce que Doug

peut avoir ressenti mais néanmoins j’éprouve, moi, le besoin de le remercier

pour cet instant si extraordinaire.

— Merci pour cette journée, j’apprécie beaucoup. Je sais que ça n’a pas dû être

facile pour toi de dégager toutes ces heures, c’est gentil. Et merci aussi pour
tes efforts de patience aujourd’hui, finis-je sur une touche d’humour. Cela n’a

pas dû être aisé, je suppose, mais j’apprécie.

— C’est avec plaisir. Et détrompe-toi, je n’ai pas eu à faire tant d’efforts que

ça. Au contraire, je dirai. Je passe sincèrement un bon moment en ta présence.

Je baisse la tête alors que le rouge me monte une fois encore aux joues mais je

ne peux empêcher un sourire de ravissement de naitre sur mon visage. Je ne


reçois pas de compliments tous les jours, mais celui-ci, en particulier, me

touche encore bien plus.

— C’est amusant de voir tes joues s’empourprer ainsi. Tu es si fraîche Scarlett,

commente-t-il en passant l’index sur l’une de mes joues devenue maintenant


cramoisie.

C’est malin !

Devinant mon trouble, Doug change de sujet.

— Ok, j’arrête. Parle-moi de toi, Scarlett.

Je suis sur le coup surprise par sa demande, mais bien vite, je comprends qu’il
cherche simplement à apprendre un minimum de choses sur moi. Cela fait

partie de notre accord. Evidemment.

— Oh ! Il n’y a pas grand-chose à dire en fait. Je suis née à Salem et j’ai passé
toute ma jeunesse à Silver Falls City. J’étais une enfant unique, assez docile,

somme toute, pendant toute mon enfance. Puis je suis partie à la fac. C’est là

que j’ai rencontré Kevin, mon ex petit ami avec lequel je suis restée trois ans.

Par la suite, à la fin de mes examens, j’ai appris que le couple de mes parents

avait déjà commencé à décliner …

Je marque une pause car cela m’affecte encore et mes yeux s’embuent

légèrement tandis qu’un nœud se forme dans ma gorge. Tout est encore trop

nouveau pour moi, j’ai du mal à prendre du recul.

— … Enfin mon père s’en était chargé, mais je l’ignorais alors. J’ai d’ailleurs
tout ignoré jusqu’à la fin de mes examens. Pendant tout le temps de ma

scolarité, je ne me suis jamais doutée de rien, tu t’en rends compte, je


l’interpelle.

Doug me regarde avec attention, d’un air sérieux. Je ne lis ni pitié ni


atermoiement dans son regard, seulement un simple sentiment de

compréhension, comme s’il comprenait ma peine.

— Enfin, … Jamais, je ne me serais imaginée que cela puisse leur arriver. Non

pas que c’était la mélodie du bonheur, mais je ne sais pas ... Je suppose que je

les voyais encore avec mes yeux d’enfants. Je n’avais rien vu venir. Enfin, bref.
A présent ma mère habite désormais à Washington et mon père est resté sur

place où il tient toujours son cabinet de comptabilité. Il vit désormais avec

celle pour qui il a chassé ma mère. Nicole. Je ne l’apprécie pas spécialement

mais à sa décharge, je le reconnais, je n’ai jamais véritablement fait d’efforts

pour apprendre à la connaitre. Je suppose que je lui en veux toujours un peu.


Enfin voilà ! Une fois mon MBA en poche, j’ai cherché dans un premier temps

à trouver un travail dans les alentours, mais comme rien ne venait, j’ai fait mes

valises et mis le cap sur New-York. Je ne m’entendais absolument pas avec

Nicole, alors quitte à patienter pour trouver un job, j’ai supposé que ce serait

mieux ici. Et puis à l’époque, j’avais encore plein d’espoirs en tête. Et me voilà
à présent, là devant toi, cinq mois plus tard. C’est une histoire assez banale en

fait, je réalise.

Doug maintient son attention et replace une mèche de cheveux venue se coller

sur mes lèvres.

— Quel âge as-tu Scarlett ? m’interroge au bout de quelques secondes Doug.

Pendant que je lui parlais de moi, il ne m’a pas échappé qu’il me scrutait,
attentif, semblant enregistrer tous les éléments que je lui donnais.

— J’aurais pu regarder dans ton C.V, avoue-t-il, mais je ne l’ai pas vraiment
approfondi en fait, tout du moins pas ta date de naissance.

— J’ai vingt-six ans pour quelques semaines encore. Je suis née fin juin pour

être exacte.

— Et donc, plus de petit ami ou de nouveau fiancé ?

— Non. C’est exact. Ça n’a pas changé depuis hier.

— J’étais pas certain que tu m’aies dit la vérité en fait. C’est surprenant ... Si je
te repose la question aujourd’hui, c’est juste pour savoir si je dois me préparer

à recevoir un coup de poing en pleine face ou si je peux dormir sereinement,

précise-t-il d’un ton plus léger.

Je souris.

— Ne t’inquiète pas. Tu peux dormir tranquille.

Pourquoi est-ce si surprenant que je sois seule ? Parce qu’à mon âge, rares
sont les femmes qui sont seules ?

C’est vrai que la plupart de mes amies sont soit mariées avec enfants soit en
couples. Et moi, je suis toujours là, célibataire. Doug doit très certainement

s’imaginer que j’ai des vices cachés. C’est bien ce que l’on dit dans ce cas-là :
« les meilleurs sont déjà pris », non ? Pour ma part, je pense juste ne pas être
pas tombée sur le bon, tout simplement. Et puis, il faut dire ce qui est : je n’ai

pas, non plus, vraiment cherché. Peut-être aurait-ce été mon cas si je m’étais un

peu plus investit dans mes précédentes relations. Mais je ne regrette rien. C’est

comme ça ...

J’observe Doug et je ne sais pour quelle raison, il me semble lire dans ses
yeux que ma réponse le satisfait. J’aperçois même le petit sourire qu’il

esquisse discrètement, sourire que je qualifierais de contentement. Sur une

lancée délirante, je m’imagine même pendant un dixième de seconde que le fait

de me savoir célibataire et complètement libre lui fait plaisir. Mais restons

lucides, son ravissement n’est vraisemblablement que l’expression du


soulagement qu’il ressent à l’idée de ne risquer aucun conflit avec un autre

homme. Pourtant ce fameux sourire égaie mon cœur.

Nous continuons notre promenade, côte à côte, main dans la main, qu’il

resserre plus fermement lorsqu’il se déplace d’un côté ou l’autre pour

observer quelques écureuils qui se donnent en spectacle. Son contact est doux
et fort à la fois et je présume qu’au moins pour les promeneurs du parc, nous

donnons vraiment l’illusion d’un couple heureux.

— Et toi ? je demande. Que dois-je savoir sur toi ? je m’enquiers.

— Tout comme toi, c’est somme toute, assez simple.

Je souris en moi-même car non Monsieur Doherty, nous ne pouvons dire que
ce soit la même chose. Doug est né avec une cuillère en argent dans la bouche,
il n’a jamais galéré pour quoi que ce soit. Et il peut même, en plus, se targuer

d’être sorti avec les plus belles femmes de la terre ! Donc non, résolument non,

il ne peut comparer nos parcours. Je ne lui exprime cependant pas le fond de

ma pensée et le laisse se raconter. C’est si rare qu’il se livre que je n’ose


l’interrompre.

— Mon père a fondé Doherty Press alors que personne ne donnait cher de sa

réussite. Ma mère vient d’une ancienne famille aristocratique de Boston et

comme je te l’ai dit et je suis l’ainé des trois enfants. Ma sœur, Janet qui est la

seconde enfant, a trente ans et elle est mariée avec Mike. Ils ont une petite fille,

ma nièce donc, dont je suis absolument gaga. Elle s’appelle Jess et a cinq ans.
Sinon mon frère, Paul est le benjamin, il est âgé de vingt-sept ans et il semble

suivre ma trace, c’est un bringueur notoire.

Je suis avec attention toutes ses informations en tâchant de les mémoriser en

même temps car elles risquent de m’être utiles pour la suite de notre

arrangement.

— Travaillent-ils dans l’entreprise également ?

— Effectivement. Je pense qu’il n’aurait pas été envisageable pour mon père

que ses enfants abandonnent l’entreprise qu’il s’était acharné à bâtir. Janet
s’occupe du département des auteurs, tandis que Paul gère tout ce qui concerne

nos partenaires d’impression depuis peu.

— Il ne me semble pas les avoir vu avant-hier lorsque Betty m’a fait visiter les
locaux.

— Non, c’est exact. Paul est actuellement en déplacement sur Houston en train
de négocier de nouveaux contrats auprès d’une imprimerie plus grande et plus

moderne, tandis que Janet se trouve au salon du livre fantastique à Seattle. Elle

devrait d’ailleurs rentrer d’ici deux ou trois jours, je pense. Je l’aie eu ce matin
au téléphone et elle était toute enthousiaste car elle avait déniché de nouveaux

auteurs qui d’après elle – je cite – sont de véritables perles.

Je découvre, avec une certaine tendresse, derrière l’impitoyable dirigeant des

éditions Doherty, un homme presque ordinaire qui semble aimer sa famille et

respecter les valeurs familiales que ses parents lui ont inculquées. Si je n’avais

pas eu à l’affronter l’avant-veille dans une joute verbale plutôt musclée, je

douterais que l’on parle du même homme. Il est si détendu et tranquille


aujourd’hui … Et cette journée est si agréable. Bien sûr, difficile d’oublier

l’homme arrogant qui deux jours auparavant seulement m’accueillait dans son

bureau. Idem pour ses odieuses manières autoritaires, sans parler du


kidnapping en pleine rue ou bien même de ses moyens coercitifs pour me

retenir à Doherty Press. Mais aujourd’hui, il est si différent ...

Nous ne sommes qu’aux prémices du printemps, aussi quand le soleil

commence à se coucher, vers la fin d’après-midi, l’air se rafraîchit subitement


et un frisson me saisit. Doug s’en inquiète aussitôt.
— Tu as froid. Rentrons.

Il sort son téléphone de sa poche, passe un appel et nous dirige vers la sortie du
parc la plus proche, sa main emprisonnant toujours la mienne. Je réalise avec

surprise que nous avons marché plus de deux heures côte à côte et que j’ai

passé un moment très agréable.

Harry s’arrête quelques courtes minutes après le long du trottoir et nous nous
glissons sur la banquette arrière, avant que la voiture ne s’insère à nouveau

dans la circulation dense du début de soirée. Quand Doug, au bout d’un petit

moment, demande au chauffeur de le déposer au bureau, je ressens

immédiatement un sentiment de déception. Je ne l’aurais jamais cru.

Naïvement, je m’étais attendue à ce que nous poursuivions le reste de notre

journée « au chaud ».

— Je dois repasser au bureau pour régler deux trois choses et je risque de

rentrer tard Scarlett. Harry va te déposer chez toi pour la soirée et il reviendra

te chercher demain matin pour vous mener toi et Abby à la tour.

— Oh, bien, fais-je encore plus déçue de ne pas le revoir de la soirée.

J’aurais pu l’attendre chez lui, mais apparemment, il en décide autrement.

— Je croyais que tu souhaitais que je m’emménage chez toi dès ce soir.

— C’est ce que j’avais prévu, effectivement, mais je sais aussi me montrer


conciliant parfois, me répond-il avec un sourire complice. Non, plus

sérieusement, je suis dans l’obligation de retourner travailler quelques heures.


Je suis désolé.

Dire que je ne suis pas désappointée serait mentir. Mais je comprends que c’est
aussi l’occasion pour moi de pouvoir prévenir Abby que mes habitudes de vie

vont très prochainement changer. Et je sais d’avance que la soirée ne sera pas

trop longue pour venir à bout de toutes ses interrogations.

Déjà la voiture s’arrête et je suis surprise que le trajet ait pu passer aussi
rapidement.

— Cela te permettra de prendre tes affaires et de parler à ta colocataire. Je te

vois demain à 8 heures.

Cette simple allusion à Abby me rappelle aussitôt son caractère vif et


impétueux voire carrément détestable, à l’opposé des heures que nous venons

de partager. C’est pourtant bien le même homme qui, hier, n’avait pas hésité à

user de chantage à l’encontre de mon amie afin que j’accepte son marché. Le

Doug Doherty autoritaire, redoutable adversaire. Aussi, malgré la magnifique


journée que nous avons partagée, je ne dois surtout pas perdre de vue qui est

véritablement Doug Doherty. Un homme complexe, à deux visages, sachant se


montrer autant plaisant et agréable que dur et féroce.

— C’est gentil, vraiment. Mais je n’aurai pas besoin de Harry demain. Abby et
moi prendrons le métro comme d’habitude, réponds-je sur un ton un peu plus

sec que désiré.

J’ai conscience que ma déception en est la cause. Mais ce brusque retour à nos
rôles respectifs m’est, sur le moment difficile, et pour le coup ma voix trahit à

mon insu ma déception. J’avais seulement oublié quelle était véritablement ma

place. Sans m’en apercevoir, le temps d’un instant volé, je m’étais laissée

glisser avec plénitude, dans cette bulle aussi moelleuse qu’éphémère. Alors
forcément le retour à la réalité est plus difficile.

— Il n’en est pas question, répond-il à son tour de manière assez directive, son

regard s’est durci face à mon obstination de refuser les services de Harry.

Bien que plus modéré, je retrouve le même ton cassant que j’ai détesté en lui le

premier jour.

— C’est inutile, insisté-je plus doucement. Je t’assure et puis toi ? Comment

feras-tu ?

— C’est déjà tout vu, Scarlett. Harry a reçu mes instructions. Je prendrai mon

autre voiture, plus sportive celle-là, ça me donnera l’occasion, du reste, de la

sortir un peu. Et puis, qui d’ailleurs croirait vraiment que je laisse ma petite
amie voyager en métro ?

Evidemment. Son argument est imparable.

Ce n’est bien sûr que dans l’unique but de rendre son scénario crédible qu’il
nous attribue son chauffeur. Pourquoi s’inquièterait-il sinon ?

— A demain Scarlett, prononce-t-il en ouvrant la porte du véhicule.

Il sort alors de la voiture prestement, traverse le flot des piétions et disparait


ensuite dans le hall d’entrée de Doherty Press. A peine l’ai-je perdu des yeux
que simultanément, Harry redémarre, cette fois en direction de chez moi.

Quelques minutes plus tard, je quitte à mon tour la berline et pénètre aussitôt
dans mon appartement. Je ne sais pourquoi mais je m’arrête d’avancer sitôt la

porte passée. Je jette un vaste regard périphérique sur l’intérieur de notre petit

appartement et je l’observe avec attention comme si c’était la première fois que


je découvrais les lieux. Il m’est pourtant coutumier mais c’est mon regard qui

diffère. Tout me semble plus petit. Forcément comparé au loft de Doug, tout est

ridiculement exigu ici.

Comme épuisée par cette journée, je me laisse enfin tomber sur notre bon

vieux canapé dont quelques ressorts commencent à fatiguer et réalise soudain

ce qui m’arrive depuis deux jours.

L’accueil glacial avec lequel Doug m’a reçue, sa proposition pour le moins

peu commune, l’équipe de Cassie, l’épisode du repas avorté et pour finir la

magnifique après-midi passée ensemble.

Sortie de la tourmente de ces deux derniers jours, des questions fusent et

s’immiscent dans mon esprit. Serai-je réellement à la hauteur du poste


d’assistante qu’il me propose de garder ? Parviendrai-je à donner le change en

tant que petite amie du grand séducteur Doug Doherty ? Il s’est passé tellement
de choses en quarante-huit heures que moi-même, j’ai du mal à prendre un

recul nécessaire sur la situation. Il me tarde vraiment qu’Abby revienne et que


je lui raconte tout, elle saura m’écouter et me conseiller. D’ailleurs, confuse, je
réalise que je ne lui ai toujours pas donné de mes nouvelles comme je lui avais
promis. Aïe !

Je saisis aussitôt mon téléphone et lui envoie rapidement un petit message pour

la rassurer, même si c’est un peu tard. J’en profite également pour lui donner

rendez-vous après sa journée de travail chez nous pour un apéro dinatoire. J’ai
tellement de choses à lui apprendre ! Par chance, sa réponse ne met pas

longtemps à me parvenir.

« Yes ! Soirée filles ce soir ! »

C’est l’assurance pour nous de passer un bon moment ensemble et ce sera


d’ailleurs, très probablement, l’une de nos dernières soirées avant un bon bout

de temps. A moins que Doug ne se montre à nouveau clément., qui sait … ?

Quand Abby arrive un peu plus tard qu’habituellement, vers dix-neuf heures,

elle a les bras chargés de victuailles achetées sur le chemin du retour. Elle

dépose le tout sur notre table basse et encore abasourdie par mon départ de la
veille avec Doug, elle se lance alors dans une multitude de questions

auxquelles, elle ne me laisse même pas le temps de répondre tant elle


m’assaille.

— Calme-toi, lui intimé-je. Je te promets de répondre à toutes tes questions


mais laisse-moi tout t’expliquer depuis le début. Ce sera plus simple, je pense.

J’essaie d’être la plus fidèle possible en relatant les événements depuis mon

premier jour de travail et je ne manque pas de lui raconter également les


paroles blessantes qu’il a pu avoir à mon encontre. Malgré cela, fidèle à elle-

même, Abby garde son air angélique et énamouré. On voit bien qu’elle ignore

l’odieux chantage dont elle a été l’objet ! Je n’ai pas le cœur de lui ôter ses

illusions, d’ailleurs cela ne servirait à rien. Tandis que je lui narre mes
récentes péripéties, je décèle comme l’autre soir, le doute sur son visage. Et je

suis persuadée qu’elle pense que j’en rajoute. Exaspérée qu’elle remette sans
cesse mes dires en question, à chaque fois que notre adorable patron est

concerné, je me décide enfin à lui confier l’étrange proposition de Doug.

Enfin, c’est ce que je m’apprête à faire. Car dans un sursaut d’orgueil, alors

qu’Abby reste encore et toujours campée sur ses positions concernant Doug, je
craque. Comme un barrage qui cèderait sous la pression, sous le coup de

l’énervement, je lui révèle même alors, comment j’en suis venue à accepter le

marché de Doug, en échange de sa place chez Doherty Press. Sans aucun

ménagement, qu’elle comprenne enfin à qui elle a à faire !

Ce n’est pas cool, je sais, et je n’en suis pas fière non plus, mais elle a fini par
me blesser. Je veux juste qu’elle comprenne à quel point l’image qu’elle se fait

de Doug est édulcorée. Aussi, emportée, je lui raconte tout, absolument tout
cette fois.

Bien sûr, je n’oublie pas de lui confier le montant de la rémunération pour

cette tâche.

— Quoi ??!! s’écrie-t-elle en entendant la somme. Non mais tu te rends


compte ?! Et tout ça pour jouer le rôle de sa petite amie ? Mais quelle chance,
tu as !

Elle n’a rien compris ou quoi ??

— Tu plaisantes là ou tu n’as absolument rien écouté de ce que je t’ai dit ?

soufflé-je d’exaspération.

— Mais tu ne comprends pas ! C’est toi qui ne comprends rien ! me lance-t-elle

avec force. Doug te demande de sortir avec lui et il te paie grassement pour

cela en plus ! Oh là là, quelle chance ! se répète-t-elle. Moi, je l’aurais fait pour

rien, si seulement, il me l’avait proposé, ajoute-t-elle déçue.

Abby restera toujours Abby ! Son cas est désespéré !

— Puis-je te rappeler, quand même, que j’ai accepté son offre uniquement pour

que tu puisses conserver ton poste ?

— Sortir avec Doug … murmure-t-elle songeuse.

— Allo la terre Abby !! m’agacé-je. Bon, décidément, tu es irrécupérable !


Tout ça pour te prévenir, que pendant un mois entier, je ne rentrerai pas à

l’appartement ou si peu de temps qu’il ne sera pas évident que l’on se croise.

— Mais tu m’as dit qu’aujourd’hui, il avait été adorable, non ? continue-t-elle

ses pensées.

— Non, je n’ai pas dit adorable. Nuance, j’ai dit agréable. C’est vrai qu’il

s’était mieux comporté.


C’est étrange, mais pour une fois, je n’ai pas envie de confier à mon amie, ce
que j’ai pu ressentir un peu plus tôt. Cet étrange sentiment de connexion, cette

illusion probablement délirante qu’il pourrait être « le bon ». Moi-même, je

reste dubitative à propos de tout ça. Peut-être ai-je donné trop d’importance à
mes ressentis. Doug était si différent de la veille, que j’ai peut-être

involontairement extrapolé mes émotions ? Enfin, je ne sais plus … Juste un


besoin de garder ceci encore un peu pour moi. Et d’y réfléchir, peut-être aussi

...

Et puis surtout, je n’ai aucune envie ce soir qu’Abby m’assène d’un : « Ah, tu

vois ! Je te l’avais dit !! ».

Pas ce soir. Pas si tôt. Et puis, j’aurais l’air bien cruche devant mon amie de

venir maintenant grossir, à mon tour, le rang des groupies du PDG


milliardaire ! J’ai avant tout besoin de comprendre le trouble qu’il déclenche

en moi. Et puis quoi ? Quand bien même, il me troublerait vraiment ! A quoi

m’attendre, hein ? Pour le coup, je me sens ridicule. Je pouvais bien me


moquer des autres !!

Et puis, je peux aussi me poser la question suivante : aurai-je eu la même

réaction après ces heures délicieuses si j’avais fréquenté davantage d’hommes


dernièrement ? Il y a fort à parier que non car je sens bien que le manque de

relation sentimentale depuis plusieurs mois a pu altérer ma perception des


événements. Pourtant, bien que j’essaie de trouver toute une batterie de
réponses qui justifieraient l’exacerbation de mes sens au contact de Doug, rien

ne parvient cependant à expliquer véritablement le trouble qu’il a fait naitre en

moi.

Ce que j’ai ressenti cet après-midi était spécial. D’un tout autre ordre. Quelque

chose de profond et d’intense, quelque chose que je n’avais jamais ressenti


auparavant.

Ce que je vais en faire est une autre chose. Car même si mon cœur et mon être

ont été secoués, bouleversés, qu’ai-je vraiment à espérer de tout ceci ?

Franchement, je n’entrevois rien de bon. Et je ne crois vraiment pas que cela


soit une bonne chose pour moi. D’ailleurs, rien que le fait de me retrouver

chez moi ce soir, me permet de mieux réaliser la différence de mondes dans

lesquels Doug et moi évoluons. Et puis, tout connement, comment Doug

pourrait s’intéresser à une femme comme moi ? C’est vrai quoi ! Gardons les

pieds sur terre !! Je ne ferai jamais le poids à côté de ses compagnes

habituelles ! Il me faut absolument, je ne sais comment encore, parvenir à me

défaire de ce sentiment qui nait tout juste en moi, tuer ce béguin dans l’œuf
avant que celui-ci évolue et ne me fasse souffrir et que je me ridiculise

davantage aussi.

— Eh bien, moi je dis que tu as une sacrée veine quand même ! ça n’aurait pas

pu m’arriver à moi ça ? se désole presque Abby qui semble ne toujours pas en


revenir. Tu te rends compte que tu vas vivre avec lui pendant UN mois !! La
chaaaaance !!

Finalement, j’en viens à me dire qu’effectivement les choses auraient été plus
faciles pour moi si Abby avait eu à endosser ce rôle. Elle aurait été carrément

aux anges et moi, je n’aurais pas eu à supporter tout ce chamboulement

émotionnel. Je ne comprends d’ailleurs toujours pas ce qu’il m’arrive en fait,


et honnêtement, j’ai peur à présent de m’être montée la tête toute seule. D’avoir

donné trop d’importance à de simples gestes qui m’ont émue, certes, mais

somme toute très banals. Et à ce sujet d’ailleurs, il y a d’ailleurs fort à parier

que Doug n’ait absolument rien remarqué de spécial aujourd’hui. J’en mettrais

ma main à couper. La vérité est que toute cette situation est trop nouvelle pour
moi, en fait. Un homme inaccessible, beau comme un Dieu, qui me demande de

tenir le rôle de sa petite amie, des sensations étranges qui secouent mon âme et

mon corps quand il me regarde de ses yeux de braise et aussi un caractère

épouvantable à supporter … bref, beaucoup trop de bouleversements dans ma

vie si habituellement si calme, qui viennent bousculer un peu trop fort mon
petit monde !

Les heures ont passé et je décide de prendre congé d’Abby afin de rejoindre
ma chambre. Il est tard déjà et je ressens la fatigue de cette journée riche en

émotions. Une bonne nuit de sommeil me profitera, c’est sûr. Mon cerveau va
se mettre au boulot et replacer tous les derniers événements dans les bonnes

cases, mettant de côté tout l’affect que j’ai pu y associer. Car là, franchement, je
me sens un peu perdue. Les choses m’apparaitront très certainement beaucoup
plus claires et simples demain au réveil.

Aussi, lasse, j’abandonne la partie auprès d’Abby – une vraie cause perdue – et
me lève du canapé pour remettre rapidement l’appartement en ordre. Je range

les restes de notre repas, passe un coup d’éponge sur la table basse puis rejoins

ma chambre. Ou plutôt devrais-je dire ma minuscule chambre, laissant Abby


qui s’est perdue, une fois encore, dans ses rêves de contes de fées et de prince.

Sitôt la porte de ma chambre refermée, je me mets à fouiller mon armoire,

cherchant dans mes affaires une tenue pour le lendemain. Tenue qui pourrait,

bien évidemment, convenir à mon impitoyable patron et c’est là que l’affaire

se corse. Car j’ai beau chercher, je constate de nouveau, à mon grand regret,

qu’aucun de mes habits ne fera l’affaire. Tout est trop « sportwear », jeans,

sweats et pulls et le peu qui pourrait donner une allure un peu plus habillée
manque cruellement de classe. La qualité même des tissus est atroce, trop

« cheap ». Quelle galère !

Mais comme il faudra bien malgré tout que je m’habille demain matin, je

remets au lendemain cette tâche, je suis trop fatiguée pour l’heure. Le plus
simple est probablement que j’emprunte de quoi me vêtir à Abby. Mais je la

connais. Si je retourne là, la rejoindre pour lui demander conseils, elle va se


lancer dans une tournée d’essayages et franchement, je n’en ai pas le courage à

cette heure. Aussi, rapidement, je me prépare à la nuit et me glisse lascivement


avec soulagement dans mon lit. Cela me fait drôle de penser que je ne
l’utiliserai pas pendant les trente jours à venir.

Mon corps s’engourdit rapidement et mon esprit sombre tout aussi vite. Mes
dernières pensées repassant en brèves séquences mon déjeuner suivi de la

promenade avec Doug.

Quand le réveil sonne le lendemain matin à 6 h 30, j’ai du mal à sortir de mes
rêveries alors qu’il me semble avoir passé ma nuit entière à rêver de Doug. Et

bien que cette nuit de songes ait été très agréable, je mentirais en affirmant le

contraire, je me morigène de tant de sentimentalisme. Je suis certaine qu’Abby

est responsable de mon état émotionnel nocturne, m’ayant probablement

envoyé des ondes romantiques durant mon sommeil ! Je ne vois que ça,

puisque jamais cela ne m’arrive.

Mais peu importe, s’il y a une chose que j’ai bien compris hier, c’est que si je

tiens à conserver mon poste au-delà de notre accord, j’ai plutôt intérêt à
assurer au bureau. Là, pour peu, il n’y avait pas matière à interpréter. Doug a
été très clair sur cette condition. Et je sais qu’il ne me fera pas de cadeau là-

dessus non plus. C’est l’homme d’affaires qui s’est adressé à moi quand nous
avons abordé le sujet. Pas le pseudo petit ami ! Et comme je n’ai pas l’intention

dans l’immédiat de reprendre cette course effrénée au marché de l’emploi, je


compte bien lui apporter la preuve incontestable de mes compétences. La

situation est déjà suffisamment complexe entre nous, il ne manquerait plus que

je perde mon poste en plus !

Cessant là toutes mes conjectures, je me hâte de rejoindre la douche puis me

rue dans la chambre d’Abby tout en lui demandant à travers la cloison si je


peux lui emprunter son tailleur bleu marine. Comme je m’y attendais, elle mon

donne son accord et je la rejoins relativement rapidement ensuite dans la

cuisine où je la trouve encore dans un demi-sommeil, les mains enroulées sur

son mug de café fumant.

— Hey ! Déjà prête ? s’étonne-t-elle.

— Pour mon premier vrai jour de travail, j’ai intérêt à être à l’heure, je lui

réponds tout en me servant à mon tour une tasse.

— Attends, ce n’est pas comme si tu étais une employée comme les autres, me

fait-elle remarquer un sourire aux lèvres.

— Concernant mon poste, si. Doherty a été très clair là-dessus, crois-moi. Il
m’a bien prévenue. Il ne me gardera que si je suis à la hauteur.

— Si tu veux mon avis, tu n’occuperas pas longtemps ce rôle d’assistante,


ajoute-t-elle tandis que je prends un sucre dans le placard.

Je me retourne et la regarde ahurie.

— Eh bien merci.
— Non, je me suis mal exprimée, se reprend Abby. Je veux simplement te dire
que tu occuperas bientôt plus vite son lit que son bureau.

Je dodeline de la tête en la fixant, elle est exaspérante à voir des histoires

d’amour partout ! Cet aspect de son caractère me crispe parfois, comme hier

par exemple, mais c’est aussi pour ça que je l’aime. Elle est si passionnée et
optimiste qu’elle m’apporte chaque jour une bouffée d’air rafraîchissant dont

je ne saurais me passer désormais.

— Ressers-toi un café. Tu n’es apparemment pas bien réveillée princesse. Et

cesse de croire que Doherty est un prince charmant. Il ne pense qu’à ses

intérêts. Voilà la vérité ma chère et au risque d’anéantir tous tes rêves, sache

qu’il serait prêt à tout pour les servir. Tu vois, il n’y a aucun conte de fées dans

cette histoire, juste du pragmatisme.

— Humm, grogne-t-elle. Tu es vraiment aveugle ma pauvre Scarlett.

Sans me laisser le temps de lui répondre, elle saute du tabouret haut et


s’échappe en courant vers la salle d’eau tout en faisant mine de me fuir.

Forcément, elle me fait sourire. Comment se fâcher avec elle ? Abby est

probablement la personne la plus gentille et la plus loyale qu’il m’est été donné
de rencontrer, mais comme je l’ai déjà dit, c’est aussi la plus grande rêveuse et
romantique qui soit ! Ses cheveux bruns bouclés, coupés au carré, lui donne

une bouille pleine de malices et ses yeux rieurs incitent d’ailleurs sans cesse
ses interlocuteurs à lui rendre ses nombreux sourires.
J’espère sincèrement qu’un jour elle rencontrera son véritable prince
charmant. Encore une fois, le fait que Doug n’ait pas pensé à elle pour incarner

sa magnifique petite amie me surprend, car il ne peut ignorer la dévotion

qu’elle lui porte. Cela aurait été tellement plus simple pour lui !

Mais ce n’est peut-être pas plus mal finalement, car Abby aurait pu souffrir de
cet étrange marché allant de désillusions en désillusions et ça, je ne lui souhaite

pas.

Jetant un œil à notre grosse horloge suspendue dans la cuisine, je décide de me

bouger si je ne veux pas prendre le risque d’arriver en retard même de

quelques minutes. Je dépose ma tasse machinalement dans l’évier, puis me

reprends et la place directement au lave-vaisselle. Pour une fois, Abby ne

râlera pas !

— Cendrillon, c’est l’heure ! je lui crie du couloir tout en enfilant mes

escarpins.

— Je ne suis pas prête. Pars, je prendrai le métro.

— Bah non, c’est stupide, Harry est censé nous déposer toutes les deux.
— Vas-y je te dis ! Je ne suis pas encore maquillée et puis c’est toi la

petite amie du boss, pas moi ! Les choses doivent être claires pour
quiconque te verra arriver.

— Tu es sûre ?

J’insiste car je sais qu’elle aurait adoré bénéficier de la voiture de Doug


mais je la soupçonne de se « sacrifier » pour me laisser jouer pleinement

mon rôle. Je la connais si bien que je suis intimement persuadée qu’elle

s’obstine à croire qu’il pourrait y avoir autre chose qu’un contrat entre

Doherty et moi. Sacrée rêveuse !

— Oui, oui ! D’ailleurs avec la circulation qu’il y a le matin en centre-


ville, il y a de fortes chances pour que j’arrive avant toi au bureau.

Là, elle n’a pas tort ! Mais si je suis en retard, cette fois au moins, Doherty ne

pourra pas me le reprocher ! Après tout, c’est lui qui a insisté pour que je me

fasse accompagner par son chauffeur. Redoutant l’irascibilité de mon parton,

je stocke dans un coin de mon esprit cet argument de défense au cas où il aurait

la mauvaise idée de me réprimander sur un éventuel retard.

— Ok, bien j’y vais. Il est là, je l’avertis, alors que je viens d’apercevoir par la

fenêtre la Lincoln se garer. A midi, j’espère. Je te tiens au courant.

— Ok, me répond-elle en passant la tête par l’entrebâillement de la porte de sa


chambre, mais quelque chose me dit que tu seras occupée ce midi !

— Ah ! Ah ! Ah ! Très drôle Abby ! Tu n’arrêteras donc jamais ! Allez, je file.

Bye !
Chapitre 14

L’ascenseur ouvre ses portes, je vérifie une dernière dans le miroir ma tenue,

mon maquillage et mes cheveux attachés bas dans ma nuque et sors la cabine,
non sans avoir poussé un long soupir. Je n’en mène pas large. En fait, je ne sais

absolument pas qui je vais trouver ce matin derrière la porte de son bureau. Le

Doug du premier jour ou celui d’hier, beaucoup plus aimable ?

Pour être plus « convenable », aujourd’hui, je porte donc le tailleur bleu griffé

d’Abby et un chemisier écru que j’avais dans ma penderie. Le résultat est très

satisfaisant selon moi. A la seule différence, que je ne me sens pas moi du tout.

La dualité du caractère de Doug me sidère. C’est comme si j’avais à faire à

deux personnes complètement distinctes. D’un côté le patron dur et

intransigeant qui règne d’une main de fer sur ses affaires et d’un autre côté,
extrêmement dissimulé, l’homme, celui qui peut se montrer agréable et

souriant, du moins quelques heures au moins, quand il parvient à lâcher prise.


C’est quand même surprenant de posséder deux traits de caractère si

antagonistes. Ce qui explique mon stress en arrivant à mon bureau. Qui sera là
ce matin ? Doherty l’abruti ou Doug l’attentionné ?

Etant dans la tour, sur mon lieu de travail, j’aurais plutôt tendance à retenir la
première hypothèse et je dois avouer que je le redoute un peu. Sitôt parvenue à
mon bureau, je pose mon sac sur ma chaise et allume mon ordinateur dans un
premier réflexe. Betty n’est pas encore arrivée, je vais donc en profiter pour
aller préparer le café. Passant devant le bureau de Doug, la porte est entre-

ouverte et je passe timidement la tête par l’entrebâillement.

— Bonjour,

Doug redresse la tête de ses dossiers, me regarde longuement, comme s’il était
surpris de me voir ici, puis m’adresse un sourire en retour.

— Bonjour Scarlett.

A mon regret, je suis obligée de reconnaitre qu’il est toujours aussi craquant et

que le voir ce matin, éveille aujourd’hui encore quelque chose en moi. Je


n’aperçois que son buste, mais mon estomac se contracte à la simple vue de

son torse moulé dans sa chemise grise. Ses manches sont relevées sur ses

avant-bras et son sourire illumine son visage. Il est absolument magnifique

quand ses traits sont détendus comme ce matin.

— Je vais préparer du café. En souhaitez-vous une tasse ? Enfin, en veux-tu une


tasse ?

Il réfléchit quelques secondes et me répond encore avec ce sourire franc que je


trouve décidément si charmant.

— Oui, merci. Noir, sans sucre.

J’esquisse à mon tour un sourire, ravie de constater que j’ai devant moi ce
matin, le même Doug que la veille, celui qui était si agréable. Je m’en réjouis.
Si seulement toute la journée pouvait se dérouler de la sorte ! Pas de miss

Oregon aujourd’hui, ni même d’Oregon tout seul. Mon prénom seul sorti de sa

bouche. Et curieusement, ça me trouble un peu plus, je l’avoue.

Doug.

Depuis quand apparait-il dans mes pensées sous le pseudonyme de Doug et non

sous celui de Doherty ? Quand suis-je passée de son patronyme à son simple
prénom dans mes pensées ?

Le temps que la cafetière passe, je retourne à mon bureau, l’ordinateur s’est

mis en marche, mais je suis bien vite bloquée par le mot de passe qui m’est
demandé et qui est forcément nécessaire pour accéder aux dossiers. Mince !

J’aurais dû penser à le demander à Betty.

Je pourrais l’attendre mais comme celle-ci ne commence que dans une demi-

heure. Je me décide donc de retourner vers le bureau de Doug au risque de le

déranger.

— Pardonnez-moi Monsieur ?

Il lève un sourcil interrogateur vers moi, suivi de son sourire de séducteur,


comme s’il se moquait de mon interpellation cérémonieuse. Sans dire un mot,
seuls ses yeux charmeurs me fixent et pour rompre cette intimité, incongrue

sur un lieu de travail, banalement, je l’interroge sur mon mot de passe.

— Entre Scarlett, nous devons parler, m’invite-t-il au lieu de me répondre.

Je pénètre timidement dans son antre, toujours impressionnée.


En fait, ce lieu me rappelle trop le jour de mon entretien et j’en garde un si
mauvais souvenir que je ne m’y sens pas en sécurité. Aussi, j’entre comme il

me le demande mais je reste toutefois en retrait, presque sur la défensive.

— Et ferme la porte derrière toi, m’invective-t-il.

Hum, je n’aime pas trop ce ton qui me laisse présager un moment sans doute

peu plaisant. Son ton autoritaire m’effraie toujours un peu et j’avale avec
difficulté ma salive, redoutant de nouveau un face à face difficile. Mais ce qui

me trouble sans doute davantage, c’est qu’outre son attitude directive qu’il

maitrise si bien, de surprenantes sensations m’envahissent au simple son de sa

voix grave. Il ne s’agit ni de crainte, ni même d’une appréhension quelconque.

Non, au contraire, sa voix éveille en moi, quelque chose de différent. Une

émotion dont que je ne parviens pas à définir la nature.

J’avance dans la pièce, jusqu’à me présenter face à lui. Doug, qui n’a ajouté

d’autres paroles, m’examine avec attention. Je m’attends à tout instant à

recevoir une réprimande sur ma tenue ou que sais-je encore ... Cependant,

après son long silence, il finit finalement par se lever, contourne son bureau, et
vient se placer face à moi, à quelques centimètres seulement. Bien plus près

que ne le dicterait la bienséance, notamment dans une simple entrevue patron-


employée.

Avec fermeté, il se saisit de mes deux poignets et les enserre de ses deux mains.
Son regard est comme illuminé alors qu’il me fixe dans les yeux. Et je devrais
incontestablement reculer et mettre quelques centimètres de plus entre nous,
mais je n’y arrive pas, subjuguée par son regard si sombre. Mon estomac se

noue et mon souffle se fait irrégulier alors même que ses yeux semblent

scruter mon âme.

Merde qu’est-ce qui m’arrive ?

Bien que je ne sois guère habituée à analyser en détail toutes mes émotions, je
remarque sans conteste la nature étrange de ces symptômes qui ont tendance à

se renouveler en sa présence.

— Bien dormi ?

Sa question me surprend et je réponds hésitante.

— Euh … oui.

Il m’adresse alors un sourire et commente.

— Moi aussi.

Je ne sais pas ce que je suis censée répondre aussi, je lui adresse un sourire

timide, gênée.

— Comment te sens-tu aujourd’hui ?

J’hésite un moment à lui répondre en le tutoyant et en l’appelant Doug, mais je


me souviens que nous sommes au bureau.

— Très bien monsieur.

— En d’autres circonstances, j’aurais vraiment apprécier l’emphase de cette


réponse, mais nous n’en sommes pas là. Appelle-moi par mon prénom, cela
suffira pour aujourd’hui.

Que veut-il insinuer par-là ? Ai-je l’esprit mal placé ou pense-t-il à quelque

chose de beaucoup plus osé, lui aussi ? Quelque chose de nature ….

Sexuelle, façon dominant ???

— C’est-à-dire que nous nous sommes au bureau, je pensais que nous devions
garder …

Doug m’interrompt.

— Notre relation est vouée à devenir publique, souviens-t-en. Nous en avons

parlé hier, alors rien ne sert de nous cacher, autant commencer dès maintenant.
Nous n’aurons que finalement peu de temps pour être crédibles aux yeux de

tous.

Tout en me parlant, il s’est approché lentement encore plus près de moi et son

visage frôle mes cheveux tandis qu’il me parle à l’oreille. Je sens son souffle

chaud dans mon cou et quelque chose en moi frissonne. Il s’en rend compte et
je sens son sourire dans mon oreille.

Je ne bouge pas d’un poil, mais lui demande en murmurant :

— Devons-nous également faire semblant quand il n’y a personne d’autre que

nous ?

— Oui. Sans ces entraînements, nous paraitrons gauches et empruntés et


personne n’y croira, me répond-il en chuchotant à mon oreille ce qui a pour
effet de me faire frissonner une seconde fois.

— Est-ce moi qui te fait frissonner ainsi ? me demande-t-il toujours à voix


murmurée, visiblement ravi.

Je préfère ne pas répondre, réalisant seulement que pour donner du crédit à

notre pseudo relation, nous allons quasiment devoir entretenir une véritable

liaison. Enfin pas véritablement au sens noble du terme, mais nous allons
tellement devoir simuler que je comprends que tous nos gestes seront proches

des ceux des amoureux. Et cela me trouble, trouvant directement écho aux

nouvelles émotions qui m’animent depuis ces dernières vingt-quatre heures. Je

n’avais pas vraiment envisagé les choses ainsi. Je pensais qu’il suffirait de

nous montrer ensemble à plusieurs reprises et que le tour serait joué, mais

Doug ne semble pas l’entendre ainsi apparemment, et cette nouvelle donne me


chamboule un peu plus car je ne suis pas sans remarquer l’effet qu’il peut

avoir sur moi.

Sans pouvoir véritablement analyser ce qui m’arrive, je ne peux portant pas

ignorer ce qui se passe en moi, depuis hier. Je supposais que ma fatigue


nerveuse pouvait en être la cause, mais le fait qu’aujourd’hui encore, la

proximité de Doug éveille en moi de curieuses sensations, mes signaux


d’alarme retentissent. Ma perception est exacerbée à son contact. C’est si peu

usuel chez moi. Pour exemple : depuis quand une voix grave me fait-elle de
l’effet ?
Pourquoi me semble-t-il que la situation m’échappe alors que je n’ai rien
provoqué ? Je n’aime pas ça car je me sens bien trop exposée, vulnérable. Et

pourtant, son souffle, là sur ma nuque, me fait frissonner sans que je ne puisse

réprimer ce délicat sursaut. Peut-être, dans un autre contexte, loin, loin de celui
actuel, me serais-je laissée aller à découvrir ces nouvelles émotions, mais dans

la situation qu’est la nôtre, je ne peux me le permettre, même si je sais déjà que


ce ne sera pas simple. Doug en tant que séducteur aguerri ne va pas me faciliter

la tâche, c’est certain.

Outre sa beauté indécente, qui ne peut laisser aucune femme indifférente, cet

homme a quelque chose de différent. Quelque chose de spécial qui fait que je
ne réagis pas du tout comme j’en ai l’habitude aux côtés d’un homme. Un

magnétisme, certes mais pas seulement ...

Je vais pour reculer un peu afin de rétablir une distance de protection

honorable entre nous, mais Doug me rapproche de lui, alors qu’il me tient

toujours fermement les poignets.

— Dois-je t’attacher pour te garder auprès de moi ? me murmure-t-il un


sourire narquois aux lèvres.

Cette manière aussi, qu’il a de s’exprimer avec des paroles, la plupart du


temps, plus ou moins ambiguës a un effet percutant sur mon esprit et sur mon

corps. Le visage de Doug est maintenant si proche du mien que, comme


hypnotisée, je ne peux lever mes yeux de ses lèvres qui me frôlent. Je devrais
reculer à nouveau ou tourner la tête mais j’en suis tout bonnement incapable.
Bien au contraire, je suis dans l’attente, n’espérant finalement qu’une chose :

celle de sentir ses lèvres ourlées sur les miennes. Et Doug doit entendre ma

prière secrète car sa bouche vient effectivement se poser sur la mienne avec
infinie douceur. Abdiquant et avouant mon manque évident de contrôle, je

pousse un soupir de reddition avant de fermer les yeux.

— Je te l’ai dit avant-hier, nous serons probablement amenés à devoir faire des

démonstrations de tendresse l’un envers l’autre pour que l’on croie en notre

relation, me susurre-t-il doucement alors qu’il abandonne mes lèvres.

Déçue qu’il s’arrête en si bon chemin, je butine ses lèvres tandis qu’il parle,

pour l’inciter à me revenir. Et c’est d’ailleurs ce que fait Doug après un sourire

devant ma bouche. Jouant lui aussi, sa langue parcourt à plusieurs reprises le

contour de mes lèvres, tout en langueur, d’une manière extrêmement sensuelle.

Cette caresse suspend mon souffle qui devient erratique dans l’attente de son

baiser. J’halète, mes lèvres cherchant désespérément à capturer les siennes. Nos
souffles si proches se mélangent empressés et avides de se rencontrer. Tandis

que dans ce même moment, mon estomac se vrille, réveillant en moi une
délicieuse sensation de désir.

Malheureusement, l’état fébrile qui nous consume tous deux s’interrompt


quand, tout à coup, quelqu’un toque à la porte.
Immédiatement, je m’écarte de Doug comme si je réalisais soudain ma bêtise.
Sa proximité me mettant subitement mal à l’aise, je lisse nerveusement mes

vêtements comme pour effacer notre presque étreinte. Je réalise seulement ce

qui vient de se passer. J’étais complètement transportée dans ses bras dans un
état de semi-conscience. Que se passe-t-il pour que je me laisse aller à ce

point quand je suis proche de lui ?

Alors que Doug ne met que quelques secondes à se reprendre, mes joues se

rosissent d’embarras. Je suis persuadée que quiconque entrera à présent pourra

lire sur mon visage ce qui vient de se passer ; et c’est alors un énorme

sentiment de honte qui m’envahit, chassant la torpeur d’il y a quelques instants.

Doug réajuste dans un geste automatique sa cravate et retrouve sa voix grave

de P.D.G pour répondre sèchement.

— Entrez ! ordonne-t-il un brin … agacé ?

En toute innocence, Betty apparait, tout sourire, munie d’une tasse de café ;
celle que j’aurais dû normalement apporter à Doug, si je ne m’étais pas

attardée entre ses bras. Je ne sais pas si elle se rend compte de quoique ce soit,
mais elle bégaie légèrement.

— Oh, pardonnez-moi. Je pensais que vous étiez seul, je vous apportais votre
café Monsieur. En souhaitez-vous un Mademoiselle Johns ?

— Scarlett, je la reprends. Non merci, ça ira, je réponds d’une voix trouble.

— Merci Betty. Veuillez-vous assurer que l’on ne nous dérange plus, s’il vous
plait, assène Doug d’un ton autoritaire.

— Oui … bien sûr, répond-elle gênée.

Alors que je compte profiter de sa venue fortuite pour fuir au plus vite et
rejoindre avec hâte mon bureau, je comprends aux dernières paroles de Doug

qu’apparemment, nous n’en avons pas fini ! J’aurais pourtant bien besoin de

m’isoler quelques instants afin de me ressaisir et d’analyser ce qui vient


réellement de se passer, mais Doug semble en avoir décidé autrement.

Extrêmement gênée, me tordant les doigts, je le regarde, impuissante, tandis

que Betty dépose sa tasse devant lui et repart le plus discrètement possible.

— Peut-être devrais-je me mettre au travail, suggéré-je dans une tentative de

détournement.

— Ton principal travail jusqu’à nouvel ordre consiste en ton contrat, répond-il

d’un ton sec.

Adieu joli cœur, revoici super patron !

— Approche-toi d’ailleurs et finissons-en avec la paperasse au plus vite.

Il sort de l’un de ses tiroirs le contrat préparé et je vais pour apposer ma


signature sans le lire quand Doug saisit de nouveau mon poignet droit
fermement.

— Ne signe jamais un contrat sans le lire. Reste ici, lis-le tranquillement puis

signe-le si tout est ok pour toi. Je dois me rendre en réunion, Mary Donner
m’accompagnera. Tu as fait sa connaissance, je pense ?
Je hoche le menton pour acquiescer. Oh ! que oui ! Comment oublier « la
sorcière » ?

— Quand tu auras signé, retourne auprès de Betty, elle t’aidera à mieux

t’installer.

Doug me quitte non sans avoir déposé au passage avec tendresse, un baiser sur

mon front. Son geste, déplacé ici en ces lieux, m’amène naturellement à lui
poser une dernière question avant qu’il ne quitte le bureau.

— Et si Betty se doutait de quelque chose ?

— Quelque chose comme … ? me demande-t-il d’expliciter sans même lever

un regard vers moi, affairé à empiler un dossier sur son ordinateur portable.

Je rougis de nouveau et suis soulagée qu’il ne me voie pas m’empourprer. Je

déteste ces horribles plaques rouges qui trahissent à tout moment mes instants

de gêne. A sa demande, je précise ma question.

— Si elle se doutait … qu’il se passe quelque chose entre nous, je veux dire.

— Il y a quelque chose entre nous, me précise-t-il avec amusement.

Je souffle : il m’énerve quand il décide de se jouer de moi, c’est si facile pour


lui. S’apercevant, que je reste silencieuse, il reprend la parole.

— Si Betty s’apercevait que nous partageons plus que des moments purement
professionnels, cela serait plutôt une bonne chose, sourit-il. Rien de tel qu’une

bonne rumeur pour faire accélérer les choses. De toute façon, ce soir nous
sortons et ce sera pour nous le lancement officiel de notre relation.

Je reste coite.

Nous sortons ? Officialiser notre relation ?

Subitement, j’ai le sentiment que toute cette histoire me dépasse. Je n’aime pas
particulièrement être l’objet de toutes les attentions et m’exposer publiquement

ne m’emballe pas, mais alors pas du tout. Quelque chose m’échappe forcément

puisque j’avais cru comprendre que nous devions convaincre sa famille et

uniquement celle-ci.

Sans aucune autre précision, Doug sort du bureau et referme la porte derrière

lui, me laissant toute à mes craintes. Fébrilement, je saisis le contrat resté sur le
bureau, ce dernier ne tient que sur une seule et simple page. Je m’assieds sur le

fauteuil à mes côtés pour en faire la lecture.

Je lis avec attention chaque libellé et à première vue, tout semble conforme à

notre accord verbal. Mes émoluments sont bien indiqués comme je l’avais

demandé : quinze mille pour un mois, vingt mille pour le second mois si cela
s’avérait nécessaire. Moyennant quoi, je dois assumer le rôle de sa petite amie

de manière la plus convaincante possible. Il est fait allusion aux paroles


gentilles et aux gestes tendres qui conforteront en public notre relation aux
yeux de notre entourage. Le contrat prévoit de même que les participants

peuvent être amenés à partager une même chambre selon le contexte. Enfin, le
dernier chapitre évoque mon emploi où Doug s’engage à me maintenir sur
mon poste actuel ou sur un poste équivalent à l’issue du contrat, sauf à ce que

je ne présente pas les qualités nécessaires pour l’exercer.

Par précaution, je relis une seconde fois le contrat mais tout me semble très

clair, aucun alinéa alambiqué qui pourrait se retourner contre moi. Ma main

tremblote un peu au moment où j’appose ma signature en bas de page. Doug


l’a déjà signé. Je pose le stylo en travers sur la feuille et rejoins enfin mon

bureau, l’air de rien. Ou tout du moins, en essayant d’être le plus naturelle

possible. Malgré tout, si mon apparence est aussi neutre que je le souhaite, mon

cerveau, lui, mouline dur. Prise de doutes, une question cruciale martèle mon

esprit - mais il est déjà trop tard pour ça - : ai-je fait une monumentale bêtise en
validant ce marché ?
Chapitre 15

Le reste de la matinée file à toute vitesse car je suis bien occupée et c’est très

bien ainsi : cela m’évite de trop réfléchir. Je ressens un sentiment assez


surprenant. Pas une peur mais plutôt un étrange questionnement. J’ai peu

d’expérience avec les hommes, et à vrai dire, les seules aventures que j’aie pu

avoir auparavant ont toujours été avec des jeunes hommes qui avaient plus ou

moins mon âge. Doug n’est pas un jeune homme. C’est un homme. Et c’est

sans doute cela qui m’inquiète à présent. Ai-je les manières d’une femme ou

comme l’a si bien fait remarquer Doug lors de mon entretien une allure

d’étudiante attardée ?

Bon, une chose me rassure malgré tout : nous n’aurons pas à coucher

ensemble. Rien n’y fait allusion dans le contrat, ce qui me réconforte un peu et

rehausse mon estime. Apparemment, je n’ai aucune inquiétude particulière à


avoir. Il s’agit d’un simple jeu de rôle.

Et si c’était moi qui désirais plus ?

Je secoue la tête pour chasser de mon esprit cette pensée délirante et tente de
me concentrer à nouveau sur ce que Betty est en train de m’expliquer avec une
extrême patience. Pourtant une petite voix perfide issue de ma conscience
revient à la charge, narquoise.

Tu le désirais ce baiser, non ?

Malgré toutes les turpitudes de mon esprit, je lutte pour rester attentive aux
instructions de ma seconde qui fait tout pour me faciliter la tâche, mais ce n’est

vraiment pas simple. Comme si un duel se jouait en moi. Me sachant peu

opérationnelle, je prends un maximum de notes machinalement comme


dédoublée de ma propre personnalité. Les rouages de Doherty Press sont déjà

complexes et cumulés au combat intérieur que je tente de faire taire, je crains

bien de ne pas réussir à tout assimiler du premier coup. Dieu merci, la

gentillesse de Betty est sans limite et si elle s’aperçoit de mon manque de

concentration, en tout cas, elle ne m’en touche pas un mot. Je lui en suis

reconnaissante.

Depuis quand n’avais-tu pas ressenti ces spasmes si délicieux au creux de ton

ventre ?

Malgré cette dernière question stupide qui s’est insinuée dans ma tête, je

m’accroche pour suivre coûte que coûte les explications de Betty, chassant le
traitre qui discourt en moi. Mais comment travailler dans ces conditions ?

Betty est une jeune femme intelligente et elle doit forcément s’apercevoir que
quelque chose ne tourne pas rond en moi aujourd’hui. Je m’attends à tout

moment à ce qu’elle s’interrompe pour me questionner sur mon état de


confusion et de distraction, mais elle n’en fait toujours rien.
Remisant à grand peine, au tréfonds de mon esprit, la question lancinante et
obsédante de mes émotions vis-à-vis de Doug Doherty, je me cramponne aux

mots que prononce un à un Betty dans un ultime espoir de faire bonne figure.

Feignant parfois de ne pas saisir, alors que j’ai l’esprit occupé ailleurs, avec
toute la patience qu’il est possible de distiller, mon adorable assistante, répète

et réexplique autant de fois qu’il est possible de le faire, sans aucune lassitude.

Vous ai-je dit à quel point Betty est formidable ? Passionnée et compétente

comme elle l’est, je m’interroge même sur la raison qui fait qu’elle n’ait pas

hérité du poste tant elle semble maitriser le sujet.

Enfin, arrive midi et je suis presque déçue que Doug ne m’ait pas contactée

depuis la fin de sa réunion. Betty, Abby et moi-même nous rendons à la

cafétéria de l’entreprise pour le déjeuner et j’avoue que vu le prix modique


versé, le repas est de réelle qualité, ce qui est plutôt réconfortant quand on ne

peut rentrer chez soi. Abby avait raison au moins sur ce point-là : Doug

Doherty veille à ce que ses salariés exercent dans les meilleures conditions.
Sûrement un savant calcul de rentabilité, mais peu importe, en attendant, je dois

avouer que cette pause déjeuner est bien agréable. Abby et Betty semblent bien
s’apprécier et l’ambiance du repas est joyeuse et bon enfant.

Le déjeuner achevé, nous déposons nos plateaux sur les clayettes du charriot

prévu à cet effet, puis je prends congé de mes deux amies pour me rendre
directement au bureau du D.R.H afin de signer enfin mon contrat d’embauche
comme me l’a demandé Doug. Deux contrats en une journée, c’est peu banal !

L’idée de me présenter devant ce type libidineux me repousse un peu, mais je


n’ai pas d’autre choix que de passer par lui. Brian Peel est tout sauf un sex-

symbol. Il passe régulièrement un mouchoir sur son front brillant, son gros

ventre tire sur les boutons de sa chemise et la main moite et molle qu’il me
tend est tout simplement « beurk » !! Instinctivement, je frotte mes doigts sur

l’arrière de ma jupe. C’est dégoûtant.

Lui, en revanche, semble aux anges. Il m’adresse de grands sourires baveux

tout au long de notre entrevue et je suis intimement persuadée que des idées

perverses traversent son esprit tandis qu’il me détaille le contrat d’embauche. A

moins que ce soit moi qui me les imagine ... Mon monde est tellement

chamboulé ces derniers jours, qu’il est finalement possible que je me fasse des
idées après tout …

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que je ne peux ignorer, qu’à sa façon, il tente de

me faire du gringue. Mais le pauvre, passer après Doug, n’est pas pour lui

faciliter la tâche. Un océan, que dis-je, un univers les sépare. Par pure charité,
j’ai beau me dire que cet homme doit bien avoir certaines qualités qui

pourraient plaire à certaines femmes, mais rien n’y fait, je ne lui trouve que
des aspects repoussants. C’est même pire puisqu’il m’inspire franchement du

dégoût. Mon côté miséricordieux s’offense d’un tel jugement.

Qui suis-je pour porter de tels jugement ? Ma morale reprend le dessus,


m’incriminant de tant de méchanceté vis-à-vis d’un homme que je ne connais
même pas. Peut-être est-ce un homme d’une gentillesse incroyable,

profondément respectueux à l’égard des femmes, lui ? Je ne me connaissais

pas autant dans le jugement. Enfin, quoi qu’il en soit, il devrait s’en tenir à son
rôle de D.R.H et ne pas chercher à m’impressionner avec ses blagues

graveleuses et ses petits yeux enfoncés de pervers.

Dieu merci, au bout d’une bonne demi-heure, les formalités administratives

sont achevées, et il en informe Betty afin que cette dernière me débloque

l’accès du 32ème.

Le reste de l’après-midi, ma seconde et moi continuons de travailler et Dieu

merci, je suis beaucoup plus concentrée que ce matin. Consciencieuse, Betty

me renseigne sur tous les dossiers en cours, distillant à chaque fois toutes les
informations qui pourraient s’avérer être utiles pour moi. Nous passons pas

mal de temps également sur les différents logiciels utilisés au sein de la

compagnie et notamment sur le fonctionnement très particulier de l’agenda de

Doug qui doit être absolument renseigné avec précision.

Enfin, à plusieurs occasions, je dois me rendre vers d’autres services et ne

disposant toujours pas du code de l’ascenseur, je suis obligée de la solliciter à


chacun de mes déplacements pour rejoindre mon bureau, ce qui est très

agaçant, en plus de la perte de temps notable. Je note dans un coin de ma tête de


penser à demander à Doug de me le donner car c’est réellement handicapant,
d’autant plus que je suis maintenant officiellement son assistante. C’est acté.

Donc à ce titre, je dois pouvoir évoluer librement dans la tour.

Finalement, l’après-midi s’écoule à une vitesse éclair et la dernière heure est

consacrée au fameux dossier Folding. C’est une affaire très importante pour

Doherty Press puisque Doug travaille actuellement sur le projet de fusion avec
la vieille maison d’édition d’Atlanta, qui justement, devrait être entériné lors

de notre prochain voyage sur place.

Compte tenu de l’importance du sujet, j’écoute avec attention toutes les

informations que Betty peut m’apporter, car notre patron est semble-t-il

intraitable envers ses assistantes, exigeant d’elles – aux dires de Betty – une

parfaite maitrise des affaires en cours. Aussi désireuse de conserver mon

poste, je m’enquiers des multiples renseignements de l’affaire qui font qu’il


appréciera mon sérieux et mon implication au travail. Enfin, je l’espère.

A diverses occasions, Betty ne manque pas de me rapporter plusieurs

anecdotes concernant certaines de ses anciennes assistantes qui se sont vues

mises plus bas que terre lors de réunions par un Doug Doherty froid et
implacable qui leur reprochait, acide, leur manque de connaissance sur les

dossiers. Je n’ai absolument aucune difficulté à m’imaginer Doug s’emportant


sur ces pauvres femmes. Quant à moi, je sais à quoi m’attendre.

Quand enfin vient l’heure de nous quitter, Betty m’adresse un grand sourire et
m’assure à voix basse combien elle est contente que j’occupe désormais ce
poste. Satisfaite de cette première journée, c’est presque heureuse que j’éteins
mon ordinateur vers 18.30. Je n’ai eu aucune nouvelle de Doug depuis ce

matin et j’ignore si je dois continuer à l’attendre ou si je peux rentrer chez

moi.

Je vais finalement pour me décider à quitter les locaux quand une question très
pratique me saisit. Rentrer oui mais où ? Je sais que je suis censée partager dès

ce soir son appartement, mais je n’en connais même pas l’adresse ! Je pourrais

peut-être rentrer directement à mon appartement et attendre qu’il me joigne,

mais j’ai l’étrange sentiment que Doug n’apprécierait et qu’il me le

reprocherait. Or, s’il est bien une chose dont je ne me hâte pas, c’est bien de le
mettre en colère. J’ai déjà testé sa mauvaise humeur et franchement : non

merci. Je décide donc de prendre mon mal en patience et de l’attendre au

bureau.

Histoire de mettre à profit mon temps d’attente, j’en profite pour me pencher

une fois encore sur les dossiers qui seront abordés cette semaine jusqu’à en
mémoriser quasiment toutes les données essentielles. Ce sera toujours ça de

fait.

Alors que je fournis de derniers efforts de mémorisation sur l’affaire en


cours, mon téléphone émet un léger bip m’informant d’une notification de

message. Je jette un coup d’œil rapide sur l’écran et aperçois un message


venant de Doug. Mon cœur s’emballe quelques secondes, même si je ne
m’explique pas cette agitation qui me remue.

« En bas dans cinq minutes ».

Bon et bien première chose, j’ai bien fait d’attendre car il ne lui est même pas
venu à l’esprit que j’aurais déjà dû avoir quitté mon poste depuis pratiquement

une heure ; et seconde chose, il m’énerve à toujours me donner des ordres

ainsi. Est-ce trop demander que d’exiger un minimum de politesse ? Ce qui est
sûr, c’est qu’il ne s’étouffera pas avec !

Malgré l’agacement, je me résous à lui obéir et range rapidement mes affaires.

Puis, je me dirige vers les toilettes afin de vérifier mon allure juste avant de
descendre.

Pourquoi ?

Le clavier du pavé numérique a été débloqué et je presse sur le niveau zéro, un

peu inquiète sur la soirée à venir. Non en fait, très inquiète !

Quand les portes s’ouvrent sur le hall, je l’aperçois immédiatement et ne vois

quasiment que lui, parmi le nombre important de salariés qui quittent leur

poste, parlant et riant bruyamment comme pour évacuer les dernières tensions
de la journée avant de se quitter. Lui seul émerge de ce flot humain.

J’aurais presque envie de dire que son charisme y est pour quelque chose mais

cette idée me dérange, surtout venant de moi. Je ne fais pas partie de ses
groupies aveuglées et je m’en défends bien d’ailleurs !

Et pourtant ! C’est la vérité, je ne vois que lui parmi cette foule amassée dans
le hall.

Sa taille élancée et musclée lui donne fière allure au milieu des autres hommes
présents. D’ailleurs, il les dépasse tous d’une tête environ, il est donc

impossible de le louper !

Alors que je me rapproche de lui, je distingue avec plaisir que son visage est

détendu. C’est un bon présage pour ma soirée à venir. Ses belles boucles
brunes commencent à s’indiscipliner en cette fin de journée et quand il

m’aperçoit enfin, nos deux regards se trouvent et s’accrochent l’un à l’autre,

effaçant toute l’agitation qui nous entoure. Comme hypnotisée, les battements

de mon cœur s’accélèrent à mon insu et complètement niaise, je ne trouve rien

de mieux à faire que de lui sourire béatement.

A ce moment-là, une petite voix intérieure me crie que je suis foutue si je ne

rectifie pas immédiatement le tir et je comprends aussitôt que je pourrais bien

avoir beaucoup plus à perdre que mon job dans cette histoire.

Sans rompre notre lien visuel, Doug se fraie un chemin parmi la foule restée

agglutinée et répond à mon sourire quand il parvient juste devant moi. Le


regard tendre qu’il m’adresse me chavire, je croirais vraiment y lire la joie de

me retrouver si je ne savais pas que nous sommes, quelque part, en affaires


tous les deux. C’est un excellent acteur, bluffant de réalité. Et s’il n’avait pas un

aussi sale caractère, je lui soumettrais sûrement l’idée de se reconvertir dans le


cinéma. Beau comme il est et aussi persuasif, assurément il ferait un tabac.
Toujours sous le charme de ses prunelles ardentes, Doug me prend par la main
et nous dirige vers la sortie sous le regard médusé des premiers employés qui

nous aperçoivent et se retournent sur nous. Là pour le coup, si mon pseudo

petit ami comptait sur les rumeurs pour diffuser la nouvelle, eh bien, je pense
que c’est réussi ! Nul doute que dès ce soir, le bruit de couloir va se gorger et

se répandre à la vitesse de la lumière ; si bien qu’il est fort probable que dès
demain matin, tout le monde sera au courant de notre relation. Bien joué

Doug !

Sans un mot, Doug nous fait sortir, tenant fermement ma main et nous

rejoignons la Lincoln noire garée devant l’entrée, Harry se trouvant devant la


porte arrière, prêt à nous accueillir. Alors que Doug se tourne pour me faire

rentrer dans le véhicule, j’attrape son poignet libre pour l’obliger à me faire

face un instant. Je le dévisage un moment puis soulève un sourcil interrogateur,

comptant bien qu’il explique ce qui vient de se passer. Mais sans aucune parole,

il ancre à nouveaux ses magnifiques yeux sombres aux miens et d’un simple
haussement d’épaules, il m’adresse sans retenue son sublime sourire de beau

gosse. Il semble fier de l’effet qu’il a laissé dans le hall de la société et son
visage rayonne.

Dieu qu’il est beau !

Assise à ses côtés sur la banquette arrière, je vais pour lui demander si ce geste
délibérément ostentatoire n’était pas trop précoce devant les salariés de son
entreprise, mais il me devance en me racontant le menu de la soirée.

— Nous rentrons prendre une douche rapide et ressortons aussitôt. J’ai réservé
une table chez « Alfredo » pour 21 heures, m’annonce-t-il fièrement.

Humm. Je déteste.

Sortir chez Alfredo revient à s’exposer, à se pavaner.

De nombreux paparazzi y gagnent très grassement leur vie avec une facilité

déconcertante. Il leur suffit de monter la garde devant l’établissement et de

patienter. Le restaurant accueille nombre de jet-setters, stars et starlettes du

moment ou bien encore des politiciens en mal de publicité.

— Pourquoi ce choix ? demandé-je malgré tout, bien que j’en connaisse déjà la

réponse.

— Le but est que nous soyons vus ensemble. Tout comme au bureau, les
rumeurs répandront la bonne nouvelle, ce diner chez Alfredo nous facilitera la

tâche et nous fera gagner de nombreux jours. C’est une publicité non

seulement facile mais extrêmement efficace.

— Est-ce vraiment nécessaire ?

Je le vois interloqué par ma question et je ressens le besoin de m’en expliquer.

— Je veux dire, le but est de convaincre vos, … (je me reprends), tes parents.
Est-il vraiment besoin de nous offrir en pâture aux médias ? Je pensais qu’il

suffirait que nous arrivions main dans la main chez ta famille pour que cela
aille de soi.

Doug parait décontenancé par ma question. Il me dévisage alors avec


insistance comme s’il essayait de sonder mon esprit.

— Tu es vraiment spéciale Scarlett. Tu n’es pas comme les autres.

— Ah oui ? bougonné-je presque vexée en abaissant mon visage vers mes

doigts que je triture.

Il se soulève de son siège pour se tourner vers moi. Puis d’un doigt sous le

menton, il me force à lever mon regard vers lui.

— Oui, tu es vraiment différente des autres femmes et n’en sois pas vexée,

c’est un compliment.

Vraiment ? Un compliment de Doug Doherty ? C’est bien le premier alors !

J’aurais presque envie de crier « champagne !! », s’il ne m’intimidait pas

autant. Et puis, il semble être de bonne humeur ce soir, alors pourquoi le

contrarier avec mes railleries infantiles ?

— Toutes les femmes, sans exception, avec lesquelles je sors habituellement


sautent au plafond de joie, quand je leur annonce que nous sortons chez
Alfredo. Leur seule et unique préoccupation étant de trouver « la » tenue pour

l’occasion. Pas toi. Pourquoi Scarlett ?

Mon regard se noie dans ses yeux sombres et je m’y perds un instant avant de

lui répondre. Ses yeux expriment tant de sincérité et de tendresse à ce moment-


là, que mon cœur rate un battement, chamboulant mon équilibre intérieur. Nous
sommes face à face sur cette banquette arrière du véhicule, les yeux dans les

yeux et le temps d’un bref instant, le temps semble s’arrêter pour nous. Je

n’entends plus les bruits extérieurs du trafic, j’oublie carrément où je me


trouve, tout mon être étant concentré sur mes émotions intérieures. Et ce que je

ressens est très spécial. Une espèce d’alchimie entre Doug et moi qui le temps
de ce bref instant, nous lie l’un à l’autre. Ce sentiment profond me trouble bien

évidemment. Nos regards restent rivés l’un à l’autre et ni lui, ni moi, ne

ressentons le besoin de sortir de cette torpeur envoutante.

Quand soudain, Harry pile au milieu d’un carrefour, évitant de peu un


chauffard qui vient de griller un feu de circulation, je m’échappe de cette

étrange mais si agréable bulle dans laquelle nous nous étions enfermés. Je suis

confuse, réalisant à peine ce qui vient de se passer entre nous et à voir Doug, je

dirais qu’il a l’air au moins aussi déconcerté que moi. Encore troublée, je

m’ébroue, chassant derechef, cette illusion d’un temps. C’est Doug qui me
permet de reprendre pied en insistant pour obtenir une réponse.

— Explique-moi pourquoi tu es si différente des autres, Scarlett.

— Je …, je, je ne sais pas. Peut-être parce que je ne pense simplement pas être
à ma place devant leurs objectifs, je réponds encore secouée. Du reste, peut-

être aussi, parce que remplir les pages de ces magazines cela ne fait pas partie
des choses auxquelles j’aspire.
— Et à quelles choses aspire alors Mademoiselle Johns ?

Sa question me surprend et me déconcerte aussi. C’est vrai : à quoi j’aspire


vraiment ? Je crois que je n’y ai jamais vraiment réfléchi en fait.

— A trouver un bon job, pour commencer, je suppose.

Un sourire nait sur son beau visage, ma réponse parait l’amuser.

— C’est en bonne voie de ce côté-là, tu ne crois pas ?

— Il est trop tôt pour répondre, mais je l’espère en tout cas.

— Et sinon, quelles autres choses te feraient rêver à part un bon job ?

— Vraiment ? je lui demande.

Il hoche affirmativement la tête, le sourire aux lèvres, ses yeux rieurs ne

quittant pas les miens, ce qui me secoue un peu plus.

— Je ne sais pas, bafouillé-je. Peut-être que j’aimerais voyager un jour. Peut-


être Paris quand j’en aurai les moyens. Sinon, je suis quelqu’un de modeste et

si ce n’est pas Paris, j’essaierai au moins d’aller en Californie une fois. Enfin,

quoiqu’il en soit, ce dont je suis sûre, c’est que je ne rêve pas de gloire. En tout
cas, une chose est certaine : parader devant les journalistes ne fait pas partie de
mes rêves.

— Etrange Mademoiselle Johns … soupire-t-il à voix basse de manière

énigmatique.

A la vérité, je me demande bien ce qu’il entend par-là. Etrange, parce que mes
aspirations sont modestes ? Ou étrange parce qu’il estime que je ne sais pas

profiter de l’occasion qu’il m’offre ?

Le silence qui suit n’est interrompu que par Harry qui vient nous ouvrir la

porte. Nous sommes arrivés devant l’immeuble de Doug.

Doug descend en premier du véhicule puis m’aide galamment à m’en extraire

en me tendant la main. Une fois hissée au-dehors, au lieu de me lâcher, au


contraire, Doug resserre sa poigne, emprisonnant davantage ma main dans la

sienne. C’est une sensation plaisante, sa paume est chaude et forte et je ne

saurais dire pourquoi, je ressens un sentiment de protection lorsqu’il capture

ainsi ma main dans la sienne.

En silence, main dans la main, nous gagnons le luxueux hall de l’immeuble où

un gardien bienveillant nous souhaite la bienvenue tout en appelant l’ascenseur

pour nous. Le sol en marbre blanc est un véritable miroir et un luminaire en

cristal imposant et magnifique surplombe le vaste espace. Une petite sonnerie

nous informe de l’arrivée de l’ascenseur et aussitôt les portes ouvertes, nous

nous engouffrons dans la cabine. Doug compose son code sur le pavé
numérique et les portes se referment sur nous.

C’est à ce moment-là, alors que la cabine entame sa montée que mon esprit
complètement divaguant se met à me jouer des tours. Je ne saurais dire si la

présence de Doug à mes côtés dans l’exiguïté de cette cabine en est la cause ou
si je cède seulement au fantasme de l’ascenseur ; toujours est-il qu’alors que
nos deux corps se frôlent presque, une sorte de tension électrique vient exciter
mon imagination décidément fertile ces derniers jours. Peu à peu, un scénario

des plus sensuels défile devant mes yeux tandis que je me mords la lèvre de

tant d’excitation.

Comment un simple baiser dans cet ascenseur purement né de ma propre


imagination peut-il entrainer dans ma tête des pensées si extravagantes que je

pourrais en avoir honte. La fougue illusoire de ses lèvres sur ma bouche puis

sur mon corps devient très vite l’auteur d’une folle étreinte où ses mains

caressent ma peau, où mes sens s’exaltent passionnément. L’odeur subtile du

parfum de Doug, sa silhouette si imposante et athlétique fondant sur moi font


naitre dans mon esprit de folles pensées érotiques qui me donnent soudain

chaud. Dieu du ciel !

J’imagine si bien le corps puissant et viril de Doug me plaquant contre le

miroir intérieur, avide de baiser chaque parcelle de mon visage et de mon cou

que mes mains se perdent dans ses boucles, froissant et tirant ses magnifiques
cheveux, totalement emportée par cette tornade ardente née de ma seule

imagination. Son buste musclé bloque le mien, calant sa jambe entre mes
cuisses et instinctivement, ma jambe s’enroule autour de sa taille pressant

davantage sa virilité contre mon bas ventre. Bon sang, j’ai chaud !

La température de mon corps augmente proportionnellement à la montée de la


cabine et le rouge qui s’étale sur mes joues ne tarde pas à trahir mes pensées
inavouables.

Soudain, alors que l’ascenseur diminue sa vitesse d’ascension, je surprends


Doug en train de m’observer. Mais depuis combien de temps me fixe-t-il

exactement ?

Confuse d’être surprise en flagrant délit d’hallucination licencieuse, ma lèvre

toujours mordue comme pour réprimer les sons de mon excitation, je baisse le
regard, souhaitant qu’il n’ait deviné l’agitation qui me secouait. Mais la lueur

qui brille dans ses pupilles et le sourire entendu qu’il m’adresse, me laisse

supposer que bien au contraire, Doug a deviné avec exactitude les pensées

frivoles qui me troublaient. Et bien que je tente de maitriser avec difficulté

toute cette montée d’hormones, je peine à réguler ma respiration devenue

haletante sous le coup de ma propre surexcitation. La scène m’est apparue un


temps si réelle qu’à l’instar d’un cauchemar, je mets quelques instants à m’en

remettre.

Putain ! Mais que m’est-il arrivé ? Je deviens folle ou quoi ?

Dieu merci, le tintement du signal d’arrivée met un terme à mon délire et à ma


confusion. Mais pas, en revanche, à la couleur pourpre qui a envahi par

plaques mes pommettes et mon cou, achevant de révéler à l’homme


magnifique qui se trouve à mes côtés, mes plus vils désirs.

Je ne pense pas que Doug ait eu de telles idées en tête pendant le même temps et
je ressens un véritable sentiment de honte. Au moins espéré-je ne pas avoir
gémi ...

S’il se rapprochait de moi, là, maintenant, jusqu’à sentir son souffle sur moi,
s’il décidait de m’embrasser subitement, je sais que je le laisserais faire sans

opposer la moindre résistance.

En fait, je réalise que j’aurais aimé qu’il le fasse.

Mon Dieu ! Que m’arrive-t-il ? Pourquoi de telles pensées me traversent et

pourquoi Doug me trouble-t-il autant ? Quelque chose ne tourne définitivement

pas rond chez moi ? Mais quoi ??!!

Cela m’effraie. Serais-je, moi aussi, en train de tomber petit à petit sous son

charme ou n’est-ce que le manque d’hommes dans ma vie qui se manifeste


ainsi soudainement, à mon corps défendant ?

Le problème est que justement, je n’ai pas le sentiment que mon corps veuille

se défendre.

Bien vite – bien trop vite ? - les portes de l’ascenseur s’ouvrent et alors que,

complètement embarrassée d’avoir été si transparente, je sors à la hâte de la

cabine, Doug me stoppe en me saisissant par le bras.

— Un verre avant de nous préparer ? propose-t-il, ses yeux bruns ancrés aux
miens.

Comme j’essaie d’éviter l’attraction qu’il exerce depuis peu sur moi, je

commence par refuser. Mais Doug insiste en précisant :


— Juste un petit verre pour décompresser.

J’hésite encore puis accepte finalement face à son regard insistant et au sourire
qu’il m’adresse.

Tout ce que j’espère, c’est qu’il n’a pas vraiment réalisé ce qui se passait en

moi dans ce maudit ascenseur. Peut-être qu’effectivement, un verre m’aidera à

faire passer l’inconfort que je ressens face à lui.

Doug m’attrape la main qu’il avait lâchée un moment, et m’amène jusqu’au

salon, me plaçant devant le magnifique canapé blanc. Tandis qu’il se dirige

vers la cuisine ouverte pour nous préparer les verres, je me laisse tomber
mollement sur le cuir moelleux, mes jambes ne me portant quasiment plus

suite à toutes ces émotions intérieures. Tandis qu’il me tourne le dos en

préparant les verres, j’en profite pour l’observer discrètement. Sa carrure est

imposante et remarquablement bien bâtie. Il doit, sans aucun doute, pratiquer

un sport pour avoir une telle silhouette. Ses épaules sont si larges, ses bras si

musclés et … son fessier mon Dieu !!!

Non mais qu’est-ce qui m’arrive là ? Depuis quand est-ce que je mate le cul des
hommes ?

N’empêche que le sien est rebondi et qu’il a l’air si ferme que j’aurais bien
envie d’y passer ma main dessus juste pour en suivre la courbe.

C’est la première fois – je le jure – qu’une telle envie me prend !

Aussi incroyable cela soit-il, je suis obligée de constater que cet homme
déclenche en moi de drôles de pensées ainsi que de surprenantes
concupiscences. Plongée dans l’analyse de ce curieux constat, je tente pourtant

de me rassurer. Doug est un très bel homme, possédant un charme fou, il est

donc normal que j’éprouve de telles sensations à ses côtés. Toute femme
réagirait ainsi ! Et, l’absence de relation sentimentale, depuis un bon moment

déjà, doit également peser dans tout ça, même si je n’en ai pas réellement
conscience. Aussi, tout ce désordre interne m’amène à prendre une résolution

très sérieuse. Celle de reprendre en main ma vie de femme sitôt que j’en aurai

fini avec Doug.

Je viens seulement de réaliser que j’avais totalement occulté cet aspect de ma


vie, depuis plus de cinq mois. Et à en croire mes récentes hallucinations ou

pensées érotiques, il y a urgence !! Donc, si je veux retrouver un semblant

d’équilibre ; il va bien falloir que je me penche sérieusement sur le problème.

Mais seulement après Doug ...

Heureuse d’avoir trouvé une explication rationnelle justifiant mes récents


troubles, c’est presque soulagée, que j’accepte le verre que Doug me tend.

M’offrant son magnifique sourire – qu’il n’expose pas suffisamment selon


moi – il prend ensuite place à côté de moi sur le canapé.

— Qu’est-ce que c’est ? je demande, observant la boisson transparente dans

mon verre.

— Gin tonic. Tu aimes ?


— Oui, c’est parfait merci.

Doug lève alors son verre, l’avance à la rencontre du mien et propose de


porter un toast.

— A notre entente contractuelle, que celle-ci s’avère convaincante, souhaite-t-

il.

Je souris et porte le verre à mes lèvres. Mais au fond de moi, un voile de

déception couvre mon cœur. Bien sûr, il ne s’agit que du contrat !

Quelle idiote je fais !

Finalement, j’ai l’impression de me retrouver en pleine adolescence quand je

fantasmais sur le plus beau prof du lycée alors que lui ne connaissais même

pas mon nom. Je suis pitoyable ! J’essaie de ne pas montrer ma déception. Je

me dois rester professionnelle, même si l’on ne parle pas vraiment d’un

contrat de travail traditionnel. Boulot-Boulot ! Voilà tout.

— Devrai-je suivre certaines consignes ce soir au restaurant ? je demande

soudain pour chasser de moi tout malaise.

— Non. Ne t’inquiète de rien Scarlett. Tu n’auras rien à dire, laisse-moi tout


gérer pour toi.

— Tu aimes gérer n’est-ce pas ? je l’interroge tout en regrettant aussitôt mes


paroles.

— C’est si évident que ça ? me répond-il amusé.


— Oui je crois.

Je baisse les yeux, son regard m’étant de plus en plus difficile à soutenir.

Merde ! Reprends toi Scarlett nom d’un chien !

On dit toujours qu’avec des si on referait le monde, eh bien, je le confirme !

Si je le pouvais, je romprais immédiatement ce contrat et je m’enfuirais bien


loin de cet homme que j’estime à présent bien trop dangereux pour moi. Car

j’ai peur. Peur de me prendre dans les filets de son petit jeu. Il y a fort à parier

que lui ne s’en apercevrait certainement pas, mais ce que je risque moi, c’est de

me retrouver au trente-sixième dessous en quelques temps seulement. C’est

Abby qui avait raison. Cet homme est magnétique.

Magnétique et dangereux.

Il n’y a pas que son physique qui soit superbe, il y a aussi tout ce qu’il dégage
et c’est sans aucun doute cette facette qui est la plus périlleuse pour moi. C’est

indéniable, Doug a l’étoffe d’un homme qui dirige, un homme déterminé et

puissant qui mène ses troupes là où il le souhaite. Et j’appréhende l’issue de

notre histoire. Qu’en sera-t-il de mon pauvre petit cœur quand tout sera fini ?
Vais-je m’en sortir indemne ?

Alors que mon esprit s’évade, tourné vers mes propres craintes quant à l’après

Doug, je ne résiste pas à l’envie d’imaginer le temps d’un instant, si nous nous
étions rencontrés dans un contexte différent, si j’avais été son genre de femme,

si ….
Foutu Si !

Je suis cuite, je m’en rends compte et il est déjà trop tard. Tel un prédateur, il a
réussi, je ne sais comment, à me prendre dans les mailles de la toile qu’il a

tissée.

Merde et re-merde !

Alors que j’ai instinctivement fermé mes yeux, le temps de mes interrogations,

Doug interrompt mes divagations et c’est tant mieux.

— As-tu peur de moi Scarlett ? murmure-t-il à mon oreille, alors qu’il replace

derrière mon oreille une mèche de cheveux échappée de mon chignon.

Complètement perdue dans mes songes, je ne m’étais même pas aperçue que

Doug s’était rapproché de moi. Lirait-il dans mes pensées ou bien est-il, tant

que ça, habitué à l’emprise qu’il exerce sur les femmes ?

J’opte pour la seconde option. Evidemment qu’il sait ! Beau comme un Dieu, il

occupe une place de prestige et aucune femme ne peut échapper à son pouvoir

magnétique, et contre toute attente … pas même moi ! Alors oui, j’ai peur ! Je

ne redoute pas une blessure physique, qui elle passerait avec le temps. Non ! Ce
que je crains c’est une meurtrissure beaucoup plus profonde, beaucoup plus
vicieuse, de celles qui mettent des mois et des mois à guérir. L’un de ces

traumas qui atteignent le cœur et l’esprit jusqu’à vous plonger dans un gouffre
profond.

Voilà de quoi j’ai peur ! C’est dit ! Jamais je n’aurais pensé être aussi
vulnérable devant un homme, mais c’est pourtant le cas aujourd’hui.

Je préfère encore ne pas lui répondre. Tout ceci est beaucoup trop personnel et
inutile de lui exposer ma faiblesse.

— Je monte me préparer, lui indiqué-je en reposant mon verre auquel je n’ai

pas touché.

Il semble s’étonner de ma fuite

— Cassie a dû déposer sur ton lit une tenue adaptée pour notre soirée.

Je stoppe net ma progression et me retourne vers lui, m’apprêtant à lui lâcher


une vacherie sur sa styliste préférée et son manque de tact évident à ne jamais

me consulter sur mes envies vestimentaires, mais je suis fatiguée de tout ça.

Alors, je lui réponds simplement et très laconiquement :

— Merci.

Je laisse de côté tout ressentiment à l’encontre de celle qui reçoit apparemment

en permanence les honneurs de Doherty même si l’envie est là. La vérité étant
que je n’ai aucunement envie de m’avouer le véritable sentiment que je ressens

à son encontre car c’est peu glorieux. Si loin de ce que je suis habituellement,
si loin de mes principes, et pourtant …

La jalousie est bien le sentiment qui prédomine à chaque fois que Doug
prononce son prénom : Cassie. Je suis bel et bien jalouse et cette simple idée

m’énerve. Jalouse tout simplement parce que je suis persuadée que tous deux
ont eu une aventure et que les minauderies ainsi que tous les sous-entendus de
Mademoiselle la styliste-peau-de vache m’irritent.
Chapitre 16

Notre arrivée au restaurant se fait, évidemment et comme souhaité, de manière

peu discrète. C’était le but recherché. Harry ouvre la porte de Doug qui a son
tour, contourne le véhicule pour m’aider à descendre. Sitôt ma porte ouverte, il

m’adresse un sourire d’encouragement que son regard appuie. Doug sait que

je redoute ce moment, il le comprend immédiatement en me voyant. Quant à

moi, mon estomac se noue tant j’ai le trac. Mais rassurant, Doug saisit ma main

en ajoutant une pression de sa paume qui vise à m’indiquer qu’il est là et qu’il

ne me lâchera pas. A peine ai-je mis le premier pied en dehors du véhicule que

je suis aussitôt aveuglée par une multitude de flashs qui crépitent


instantanément, illuminant l’obscurité de la nuit. D’instinct, j’ai envie de parer

de ma main libre les lumières qui m’éblouissent, mais je sais que je dois

fournir l’effort de les affronter.

J’imagine très vite avec appréhension, les photos qui en seront tirées. Et je vais

très surement être la risée des commérages dans les jours à venir. Je ne sais
pas faire ça. Je peux faire nombre de choses, mais pas ça : m’exposer et garder

un sourire ultra-brite à toute épreuve. Je me vois déjà grimaçante, ridicule sur


chaque cliché.

Pas sûr que Doug ait eu une idée géniale en jouant la carte des médias car cela
pourrait bien se retourner contre lui. Le pauvre, lui aussi risque d’être touché

par les titres assassins à venir, genre : « Le nouveau monstre de Doug Doherty »
ou bien encore « Allez courage Doug, tu peux le faire ! »

Je me force à maintenir mes yeux grands ouverts et à sourire, mais rien n’y

fait ! A chaque éclair je me retrouve complètement aveuglée. Je pense que


Doug a sous-estimé mon manque d’expérience et bien malgré lui, il m’a placée

dans une posture bien inconfortable. Tout ce qui risque de se passer, c’est que

je vais me ridiculiser aux yeux de l’Amérique entière ! Et à présent, Doug doit

craindre d’avoir à essuyer dès demain les moqueries de ses pairs. Quant à mon

amour-propre, je n’en parle même pas ! Et dire que j’ai toujours refusé d’être
sur les simples photos de famille car je ne suis pas photogénique, là pour le

coup, je fais fort !

Repérant rapidement ma détresse, Doug m’adresse alors un regard

compatissant et un sourire chaleureux. Et comme pour manifester son

empathie, il pose aussitôt sa main sur ma hanche dénudée, et dans un geste


protecteur me rapproche de lui, me tenant bien serré contre lui. Le contact de

sa main sur ma peau nue a pour effet de me faire aussitôt frissonner. Je ne


pense pas qu’il s’en soit aperçu au milieu de toute cette agitation. Pourtant, il

prend le temps de me faire face, offrant aux journalistes un beau cliché de nous
deux, et je lis dans ce regard qu’il a perçu mon tressautement. Son sourire

canaille et insolent me le prouve. Cabotin, il se tourne alors vers les


photographes qui ne cessent de l’appeler et il a alors cette attitude de prédateur,
leur adressant une mimique vantarde, comme s’il souhaitait démontrer à tous
qu’il avait réussi à obtenir mes faveurs. Je ne sais pas si je dois m’en offusquer

ou au contraire être fière de l’attitude de vainqueur possessif qu’il affiche car

pour ma part, je n’ai pour l’instant qu’un seul souhait : celui de pénétrer au
plus vite dans le restaurant.

Bien sûr, son petit effet déclenche une nouvelle vague de crépitements et son

nom ne cesse maintenant d’être appelé pour qu’il se tourne vers eux afin de

prendre la pose face aux appareils, l’implorant de bien vouloir répondre à

leurs questions. La plupart de celles-ci concernent mon identité. A savoir qui

est l’inconnue présente à ses côtés ce soir. Certains vont même jusqu’à le
féliciter, tandis que Doug leur offre nonchalamment plusieurs poses me serrant

toujours fort contre lui.

Arrogant au possible, je ne suis pas sans admirer à quel point il peut être beau

sous les flashs, tout sourire. Il semble avoir lié toutes ces années une certaine

connivence avec tous ces paparazzis et c’est volontiers qu’il se prête à volonté
aux poses que ceux-ci lui réclament. J’ai l’impression que cette entrée dure des

siècles. Cela n’en finit pas ! Et moi qui trouvais que mon père mettait trois
plombes pour prendre une photo, je suis servie ce soir !

Doug, lui, semble, contrairement à moi, tout à fait dans son élément et je ne

peux que constater qu’il maitrise à la perfection sa communication


événementielle. Il sait vendre son image. Plusieurs paparazzi insistent toujours
pour obtenir mon nom, mais Doug ne leur répond pas, se contentant de sourire

et d’avoir l’air si fier de m’exhiber à ses côtés tel un trophée. Tu parles d’un

trophée ! Une grosse patate posant à ses côtés oui !

En plus, je suis mal à l’aise dans cette robe biscornue qui a une découpe sur

les hanches. Sa styliste ne pouvait choisir une robe plus discrète ? J’ai
l’impression d’être un porte manteau présentant une robe de couturier ! En

attendant, je ne sais pas pourquoi, il se refuse à leur donner mon nom, puisque

justement c’était le but d’officialiser notre « couple », mais je suppose qu’il

sait ce qu’il fait. Toujours est-il que j’ai bien peur que Doug ne face la grimace

quand paraitront les clichés de la soirée. Il risque fort d’ailleurs de regretter de


m’avoir fait parader à ses côtés. La presse ne va pas gêner pour commenter les

clichés et je doute que ce soit flatteur ! Moi-même, je ne sais pas comment je

réagirai aux railleries.

A la vérité, je redoute déjà qu’il m’en incombe la faute alors que je l’avais

prévenu que je n’étais pas photogénique et puis même … je ne pouvais pas


rivaliser avec les femmes sublimes avec lesquelles il s’expose habituellement.

C’était perdu d’avance !

A vrai dire, et même si je ne suis pas du tout à l’aise avec, seule la robe que je
porte force l’admiration, mais il aurait fallu un autre corps dedans pour la

mettre en valeur. Si seulement, j’avais refusé cette sortie ! C’est une véritable
épreuve. J’ai envie de me terrer et d’oublier jusqu’à l’endroit où je me trouve,
tant j’ai honte de ma prestation. Mais qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ? Et

aussi, Doug croyait-il vraiment que je m’en sortirais, livrée ainsi en pâture ?

Alors que nous sommes – enfin ! - sur le point de pénétrer dans le restaurant,

je pense mon calvaire fini, mais contre toute attente, Doug nous fait faire

habilement un demi-tour et nous prenons encore un moment la pose, nous


présentant de nouveau devant leurs objectifs juste devant la porte d’entrée de

l’établissement. Doug leur offre un magnifique sourire comme il sait si bien

faire et me présente alors officiellement.

— Vous vous demandiez qui m’accompagnait ce soir ? Eh bien, je vais vous la

présenter, soyez rassurés. J’ai la chance d’être accompagné ce soir par la

merveilleuse Scarlett Johns. C’est une amie qui m’est très précieuse, ajoute-t-il

à l’assemblée qui nous mitraille encore.

Enfin, Doug daigne se retourner et nous pénétrons cette fois-ci dans

l’établissement, ce qui représente pour moi, un réel soulagement. La première

partie de notre show est terminée. Quinze minutes pour faire quoi ? vingt

mètres ? Je pousse un énorme soupir quand enfin nous nous retrouvons à


l’abri. C’était la partie de la soirée que je redoutais le plus et pour cause !

Dans ma tête résonnent les dernières paroles que Doug a prononcées à la


presse : « la merveilleuse Scarlett Johns … c’est une amie qui m’est très

précieuse ». Et bien que je sache que cela fait partie du plan, elles ont malgré
tout, pour moi la saveur d’une douceur. Personne n’a jamais eu de mots aussi
tendres à mon égard ….

Qui d’ailleurs le fait dans la vraie vie ?

Je sors de mes pensées quand très rapidement, nous sommes pris en charge par
un maître d’hôtel qui nous guide vers notre table.

— Tu as été parfaite Scarlett, me rassure Doug.

— Je ne crois pas, non, je réponds sèchement.

— Si et tu t’y feras, tu verras.

— J’en doute fort, je le contre.

Mais peu importe puisque, de toute façon, je n’aurais pas le temps de m’y

habituer.

— J’ai manqué à tous mes devoirs en ne te complimentant pas sur ta beauté ce


soir.

— Tu pourras féliciter Cassie pour son choix de robe, si tu le veux, lâché-je

plus sèchement que voulu. Personnellement, je ne m’y sens pas à l’aise, mais si

elle te convient, alors c’est parfait.

Je le sens qui se referme aussitôt. Je n’aurais pas dû, c’est vrai. Mais c’est

instinctif, je lui en veux tellement de m’avoir placée dans cette situation si


inconfortable. Cette entrée était si humiliante pour moi. Elle me renvoyait en

pleine figure combien je suis fade et insignifiante face à toutes les femmes qui
entourent habituellement Doug.
— Je ne parlais pas de la robe, Scarlett. Mais simplement de toi.

Son regard attristé semble sincère et je pense que je l’ai vexé. Vraiment ? Je
m’excuse derechef auprès de lui, invoquant le malaise qui était le mien sur le

tapis rouge, mais son humeur a changé. Le mal est fait. Doug est si susceptible

aussi ! Le froisser n’était pas mon but, cette pique étant d’ailleurs, à vrai dire,
davantage dirigée vers moi que contre lui, c’est juste qu’idiotement j’ai mal

interprété son compliment le prenant pour une simple politesse d’usage. Et si

colère, il doit y avoir c’est uniquement à mon encontre. Je me trouve si

quelconque comparée à ses habituelles compagnes, que sur la défensive, je n’ai

rien trouvé de mieux que ce réflexe défensif.

Je ne suis pas maligne et j’ai suffisamment de recul pour comprendre que je

manque sérieusement de maturité. Ce n’était pourtant pas si compliqué de


recevoir ce compliment. En temps habituel, j’en aurais même été flattée. Mais

venant de Doug, j’ai dû mal, car en fait, je n’arrive pas à le croire sincère. Il

m’est tellement difficile d’admettre qu’il puisse me trouver jolie que ça me fait
mal. Car à la vérité, j’aimerais qu’il me trouve jolie. Vraiment jolie, je veux

dire. J’ai beaucoup changé ces derniers jours. Je m‘en rends bien compte.

— Pardon, je n’aurais pas dû répondre ainsi, Doug. Merci pour le compliment.

Ma mine contrite doit probablement l’attendrir, puisqu’il finit par me sourire.

Et c’est tant mieux car je n’avais pas envie de gâcher cette soirée. Je suis
heureuse de diner avec lui.
— Mais tu ne me crois pas, c’est cela ? comprend-il.

Je baisse le regard en aveu, sans répondre.

— Regarde-moi Scarlett et dis-moi pourquoi, tu ne me crois pas. Je veux


savoir.

Timidement, je lève mon regard vers lui et plonge dans ses yeux tendres, mais

Doug ne s’en contente pas et m’encourage à m’expliquer.

— Tu sais, je ne suis pas sotte et j’ai des yeux pour voir.

— Pour voir quoi Scarlett ? Explique-moi. Je veux savoir. Vraiment.

— Depuis toujours, tu sors avec de vraies beautés et il faut être honnête, je fais

pale figure à côté. Tu n’y es pour rien, c’est comme ça, je le rassure en

haussant les épaules en signe de résignation.

— ça, c’est ce que tu penses. Si je te dis que je te trouve belle, c’est que je le

pense. Tu n’as pas à en douter. Tu es belle, Scarlett. Vraiment. N’en doute

jamais.

— C’est gentil de ta part. Je sais qu’habituellement, tu aimes les femmes


complètement différentes de moi. C’est pour ça que j’ai douté de ta sincérité.
Pardon.

— Ah oui ? J’aime les femmes complètement différentes de toi ? Et quel est


mon genre de femmes, je te prie, puisque tu sembles si bien renseignée ? me

demande Doug le regard malicieux.


— Eh bien, généralement tu les préfères brunes, fines et grandes, je débite d’un
seul trait. Tout mon contraire en fait, mais je te remercie pour ton compliment.

C’était gentil de ta part. Mais ne t’inquiète pas, cela ne me vexe pas. Ne dit-on

pas que tous les goûts sont dans la nature ?

— Tu es à mon goût. Alors qui t’a mis cette stupide idée dans la tête ?

— Ce n’est pas une idée stupide. Tout le monde le sait.

— Tout le monde ? s’esclaffe Doug, manifestement surpris.

— Oui, tout le monde, je lui réponds avec aplomb. Il n’y a qu’à regarder ton

palmarès pour commencer. Pas une semaine sans que tu ne sortes une brune

incendiaire de ta poche. Et puis, Cassie aussi …

Mais là, Doug lève sa main paume vers moi, et m’interrompt, l’air

complètement agacé. Simultanément, je remarque que son autre main qui était

simplement posée sur la table vient de se fermer en poing.

— Alors, là, je t’arrête tout de suite Scarlett, que les choses soient claires entre

nous. Personne, tu entends, personne n’est mieux à même que moi de juger si

une femme me convient ou non. Tu comprends ? me demande-t-il, afin de


s’assurer que je le suis bien. Par ailleurs, écoute-moi bien. J’ai de nombreux
défauts comme tu as pu déjà t’en apercevoir, mais si une chose est certaine,

c’est que je ne suis pas hypocrite. Personne ne peut me faire dire ce que je ne
souhaite dire, et cela vaut également pour flatter une femme. Suis-je vraiment

clair à présent ?
Je hoche la tête en opinant et discrètement, esquissant un timide sourire en
baissant les yeux. Doug s’est un peu emballé en me donnant une leçon, mais ses

propos me font plaisir. Et si je suis totalement honnête, je me sens flattée.

Le reste du repas se déroule de manière très agréable. Doug se montre très

plaisant et son coup d’irritation a bien vite disparu, pour mon plus grand
plaisir. Certaines de ses connaissances viennent le saluer et il ne manque pas de

me présenter à chaque fois, comme étant son amie. Ce qui me touche, je dois le

reconnaitre. Doug se montre particulièrement attentionné et même si je sais

que nous jouons une comédie, j’apprécie réellement le moment. Un moment de

trêve au milieu de nos querelles habituelles.

En fin de repas, quand nous quittons la table, j’ai la désagréable surprise de

constater que je titube légèrement en me levant. Zut ! C’est vrai que j’ai partagé
avec lui quelques verres de ce si bon vin qu’il a su choisir et que je ne suis pas

vraiment habituée à en consommer. Mais je pensais pourtant avoir été

raisonnable. Mais c’était probablement encore trop pour moi.

Doug s’aperçoit tout de suite de mon léger vacillement et par chance, il ne


semble pas s’en contrarier. D’un geste rapide, son bras fort vient enserrer ma

taille et sa main agrippe ma hanche pour me caler contre lui. Là encore, la


douceur de sa main sur ma peau me procure immédiatement une sensation de

bien-être et de sécurité. Sans savoir l’expliquer, j’aime son contact. De petits


frissons suivent ma colonne vertébrale.
Nous apercevant en train de partir, le chef cuisinier, qui est également le patron
de l’établissement, s’avance vers nous et vient nous saluer avant notre départ,

s’assurant que le diner était à notre convenance. Evidemment, c’était le cas. Le

vin aussi, pensé-je. Mais je me garde bien de lui dire.

Fidèle au poste, Harry nous attend devant la porte. Quelques journalistes sont
encore présents, mais bien moins qu’à notre arrivée et parmi ceux-ci, l’un

d’entre eux se tend au-dessus de la corde tressée d’or qui délimite l’espace

presse du tapis rouge d’entrée, afin de m’interpeler. Moi et non Doug comme

précédemment.

— Mademoiselle Johns, Mademoiselle Johns ! Quelle est la nature de votre

relation avec Monsieur Doherty ?

Je lui souris, sans doute sous les effets de l’alcool, mais je suis incapable de lui

répondre. Mon regard anxieux se tourne vers Doug qui prend aussitôt la

parole, me soulageant de fait.

— Monsieur Baxter ! lui répond Doug, le connaissant manifestement. Puisque

vous avez été assez courageux pour patienter, je vais vous répondre. Je vais
même faire mieux ! Je vais vous donner la primeur d’un scoop ! La charmante

jeune femme que vous voyez à mes côtés, Mademoiselle Johns, est ma petite
amie et bientôt plus si la chance me sourit, lui annonce-t-il en lui adressant un

clin d’œil complice.

Je ne suis pas suffisamment sobre pour relever et puis d’ailleurs, je serais bien
en peine de rétorquer quoi que ce soit, tant son « scoop » me prend de court.

Mais je le fixe complètement hébétée. Je ne m’attendais certes pas à ce que

Doug pousse le jeu jusqu’à laisser entendre qu’un mariage pourrait être

envisageable. Me sentant déstabilisée, sa main puissante me recolle


vigoureusement contre lui puis Doug nous guide vers la voiture abandonnant

les curieux. Juste avant de nous engouffrer à l’arrière de la Lincoln qu’Harry a


avancée, Doug se retourne une dernière fois pour leur adresser un dernier

signe de main ainsi que son plus beau sourire.

Le retour s’effectue en silence, trop absorbée que je suis par mes pensées. Je

croise dans ma tête les derniers propos que Doug a avancés au journaliste avec
sa fameuse mise au point en début de repas. Mais tout est embrouillé dans ma

tête et je suis à la vérité bien incapable de comprendre pourquoi il s’est senti

obligé d’annoncer de telles choses. Son « scoop » était bien inutile, nous étions

suffisamment crédibles ! Mais il a fallu qu’il fasse son « show » et je le

déplore. De toute évidence, Doug est homme à se parjurer : sa règle de


franchise ne s’applique pas à ses numéros médiatiques !

J’y attache sûrement trop d’importance, mais ça me déçoit un peu.

Le silence qui règne dans l’habitacle n’est interrompu ni par moi, ni par Doug
qui lui aussi semble happé par ses pensées. Ereintée, je finis par m’assoupir

pendant le reste du trajet. Et je reste surprise quand au bout d’un moment, Doug
me réveille délicatement, alors que ma tête repose sur son épaule.
— Scarlett, Scarlett, murmure-t-il. Réveille-toi, princesse endormie, nous
sommes arrivés.

J’émerge doucement et redresse ma tête encore surprise qu’elle ait pu atterrir

contre lui. Je ne me suis même pas aperçue que je m’endormais.

— Veux-tu que je te porte ou tu te sens de marcher ? me demande-t-il

gentiment.

Je manque de m’étouffer. Me porter ? Moi ? M’a-t-il bien vu ? Sa question a au

moins le mérite de m’éveiller entièrement.

— C’est bon, lui réponds-je. Je suis réveillée. Merci. Je peux marcher.

Doug remercie Harry puis lui donne congé tandis qu’il m’aide à sortir du

véhicule. Il me serre contre lui et même si je tangue toujours légèrement, je me

sens en sécurité. D’une pression, Doug appelle l’ascenseur et pour patienter le

temps que la cabine arrive, avec sa main, il appuie ma tête contre son épaule

pour que je me repose. J’ai l’impression qu’il aime bien. A moins qu’il ne

cherche qu’à m’être agréable. Quand nous entrons dans la cabine, je ressens la
même oppression que plus tôt dans la soirée, comme si l’espace était empli

d’électricité. Ce qui n’est évidemment pas le cas. C’est seulement l’effet de nos
deux êtres dans cet espace confiné. Nous restons ainsi dans cette drôle
d’ambiance pendant quelques instants, quand subitement, il appuie sur le

bouton rouge et stoppe la cabine.

Tout d’abord paniquée par l’arrêt brutal de la cabine, je le regarde sans


vraiment comprendre son geste, mais alors que les traits de mon visage

doivent exprimer mon hébètement, Doug attrape mon visage de ses deux mains

et le rapproche du sien.

— J’en ai envie depuis ce matin, me susurre-t-il.

Je le fixe sans rien dire même si mes yeux lui crient « moi aussi » me laissant

simplement guider. J’ai envie de profiter de cet instant.

Oui, c’est ça : simplement profiter du moment sans me poser de questions.

Sa bouche se pose sur la mienne et déjà tous mes sens s’éveillent. Ses lèvres

sont si douces et fermes à la fois …Je sens son souffle erratique et cela me

procure des sensations exquises. Une de ses mains se perd dans mes cheveux,
tandis que l’autre se pose dans mon dos. Je suis prête. Prête à recevoir son

baiser, prête à prendre le risque de me perdre dans ses bras.

Profiter, juste profiter.

Doug lape avec une délicieuse langueur mes lèvres que j’entre-ouvre à peine,

haletante. Mais quand sa langue s’insinue dans ma bouche et qu’elle rencontre

enfin ma langue, une véritable explosion de saveurs explose dans ma tête. Je


n’ai jamais ressenti une telle chose avec un simple baiser. Mais justement, ce
n’est pas un simple baiser. Doug embrasse à merveille !

D’abord tout en douceur, puis avec plus d’exigence, son baiser se fait plus
possessif et j’aime cette sensation. La tête me tourne et je ne suis pas sûre qu’il

s’agisse du vin cette fois-ci. Tout mon corps réagit à cette étreinte et très vite,
j’en veux davantage. Cette façon qu’il a d’embrasser est grisante et
émoustillante aussi. Mes seins se dressent à son contact et je ressens dans mon

bas ventre, un besoin beaucoup plus pressant de son corps. Besoin, semble-t-il

partagé puisque je sens contre mon bassin, son impressionnante érection.

Déjà, j’imagine plus, beaucoup plus ...

Au bout d’un temps, où justement le temps n’a plus cours, Doug appuie de
nouveau sur le bouton et la cabine redémarre avant de s’arrêter quelques

secondes plus tard. Sa bouche ne s’est pas écartée de la mienne et je n’ai pas

envie qu’il s’arrête. J’oublie un moment que tout ceci n’est que contractuel,

pour me concentrer uniquement sur l’instant présent.

Depuis combien de temps n’ai-je pas pu raviver de telles émotions ? C’était il y

a un siècle me semble-t-il. De petites aventures sans saveurs, jamais égales à la

hauteur de mes désirs. Mais là, avec Doug, je suis certaine de pouvoir être

comblée. Je le sens.

Quand nous sortons de la cabine, toujours collés l’un à l’autre, nous nous

retrouvons dans le vestibule de son appartement. Doug m’embrasse toujours,


ses caresses pressent mon corps qui hurle son envie d’être possédé par cet

homme. Je n’ai qu’une envie qu’il m’amène directement à sa chambre et me


dévête, j’ai envie de lui. Terriblement envie. Et Doug partage manifestement le

même désir que moi. Nous montons l’escalier, essoufflés, nos corps affolés.
Nos bouches ne se séparent pas.
Son corps puissant me plaque tantôt sur un mur, tantôt sur l’autre et j’aime
cette ardeur presque sauvage. Personne n’a jamais montré tant de passion en

m’embrassant. Cela dit, mon expérience reste, je l’ai déjà précisé, limitée. Ses

mains qui s’égarent avec délice sur moi, se montrent davantage audacieuses et
mon corps entier frémit à son contact si sensuel. Doug émet un râle de désir

qui s’échappe de sa gorge et mon corps entier frétille sous ses caresses dans
l’attente de le recevoir. Mon bas ventre se noue sous l’ardeur de ses mains et

mon intimité humide l’invite à me prendre. Là. Maintenant.

Aussi quand il ouvre une porte, je m’attends à découvrir sa chambre, mais

entre deux baisers, je m’aperçois qu’il s’agit de la mienne.

Pas de souci ! Qu’importe le lieu pourvu que cela se fasse ! Impatiente, je ne

vais pas tenir bien longtemps, tant mon corps se consume et se déhanche contre
le sien. J’ai besoin de lui ! Tellement !

Quand il me pousse avec presque sauvagerie sur le lit, je le regarde avec envie.

Tel un félin, son regard enfiévré rivé au mien, il retire sa veste et commence à

dénouer sa cravate. Il est beau. Terriblement beau. Et j’ai diablement envie de


lui. Je voudrais me déshabiller et consommer avec appétit le corps qui s’offre

à moi, renvoyant au diable les préliminaires. Je les garde pour un autre jour.
Là, à cet instant, j’ai juste besoin d’assouvir ce désir bestial que mon corps

excité réclame.

Je ferme les yeux et patiente pour qu’il me rejoigne sur le lit. Je patiente. Et
patiente encore, mais rien ne vient. J’ouvre alors les yeux et le fixe presque
suppliante. Il est là, à côté du lit, mais ne bouge pas. Il me regarde simplement.

Ses pupilles sombres ancrées aux miennes, il se baisse vers moi, mais déjà

l’ardeur l’a quitté. Je ne peux décrocher mon regard, hagarde et pleine

d’espoir, mais il se contente de déposer un baiser sur mon front et de se


redresser. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Ai-je fait quelque chose qui

l’aurait froissé ?

— Il vaut mieux s’arrêter là, me dit-il encore essoufflé.

— Mais pourquoi ? gémis-je.

— Parce que lorsque je t’aurai, tu seras pleinement consentante, me donne-t-il


comme excuse.

— Quoi ? Mais non ! je râle. Tu ne peux pas me faire ça, râlé-je. Pas

maintenant ! Mais je suis consentante ! Tu ne le vois pas ?!?

— Je te veux Scarlett, sois en sûre, me dit-il en caressant ma joue de ses doigts

fins. Mais je te veux pleinement consciente. Je ne veux pas que tu regrettes

demain matin. Bonne nuit ma belle.

Il se recule déjà, se dirigeant vers la porte.

Complètement désorientée, vexée et en colère, je lui balance l’oreiller qui était


sous ma tête, mais celui-ci s’échoue lamentablement devant lui. Je l’entends

émettre un léger rire, puis il referme la porte derrière lui.


Je me sens complètement idiote et humiliée également.

Le lendemain matin quand l’alarme de mon téléphone sonne, je me lève avec


un mal au crâne qui tient plus de la contrariété de la veille que du peu d’alcool

que j’ai bien pu boire. Je suis d’une humeur massacrante et une colère certaine

coule dans mes veines. J’attends avec impatience de me retrouver face à Doug

pour lui exprimer tout le mal que je pense de lui suite à sa goujaterie de la

veille. Je n’ai peut-être jamais connu de grandes amours, et n’ai guère


d’expérience en la matière, mais je sais une chose : c’est que je n’ai jamais été

aussi humiliée de ma vie, à part peut-être lors de ma « première fois », où le

jeune garçon que je pensais alors aimer avait eu ce qu’on appelle une panne –

ce qui était extrêmement vexant pour une première fois - Mais outre cet
incident de départ, je ne me suis jamais sentie aussi ridicule qu’hier.

Ce que m’a infligé Doherty hier est plus qu’abaissant et jamais je ne lui

pardonnerai cette muflerie. Je ne lui avais rien demandé et s’il m’avait ignorée,
je n’en aurais pas pris ombrage. Alors pourquoi m’allumer ainsi pour ensuite
me laisser en plan ! Je ne connais guère plus cinglant comme échec !

Salaud !

Il s’attendait à quoi le grand P.D.G ? A trouver un mannequin à la place dans


son lit ? Forcément, qu’il a dû être déçu quand il a ouvert les yeux ! Et je le
déteste, rien que pour ça !

Je me hâte de prendre une douche, saisit dans le dressing, des sous-vêtements

et la première robe venue et après un temps très bref de maquillage, je brosse

activement mes cheveux que je laisse détachés. Non pas par coquetterie, mais
simplement pour aller au plus vite.

Aura-t-il au moins le courage de se confronter à moi ? Je rejoins avec hâte la

cuisine où je compte bien l’y trouver mais un simple regard me permet très

vite de constater qu’il n’y a personne. En revanche, un simple mot est déposé

contre la cafetière qui m’informe qu’il est déjà parti. Non sans blague !

Et lâche en plus de ça !

« Scarlett,

J’ai une réunion ce matin en salle de conférence au Hilton à 8 heures.

Prends ton temps, la matinée n’est pas chargée au bureau.

A plus,

Doug.

Je pousse alors un cri à mi-chemin entre le hurlement de rage et celui de


l’hyène.
Salaud ! Salaud ! Et salaud encore !!

Même pas le courage de s’expliquer ! Je hais ce type ! Je hais son contrat ! Et je


hais son entreprise aussi !

C’est simple, ce matin j’ai le sentiment de détester le monde entier !

Voilà, ce qui aurait dû se passer et je regrette vraiment d’avoir manqué de

discernement sur ce coup-là. Dès le départ, j’aurais dû mieux cerner l’homme

qui se tenait devant moi et m’éloigner de lui au plus vite au lieu de rester sur

son territoire. Je n’avais simplement pas conscience du potentiel de

dangerosité de ce malade du commandement ! Et c’est à moi que j’en veux


finalement. Moi et ma légendaire naïveté ! Moi et mon cœur d’artichaut

d’avoir pu penser, ne serait-ce qu’une seconde, que quelque chose pourrait être

possible entre lui et moi !

Je quitte son appartement, après qu’il m’ait laissé le code pour utiliser

l’ascenseur sur son mot.

Monsieur est trop bon !!

D’humeur assassine, je me rends directement au bureau faisant fi de son mot.


Je me force à paraitre le plus naturelle possible, comme si de rien n’était.
Manifestement, je n’y arrive pas très bien, puisque dès qu’Abby m’aperçoit,

elle devine d’un simple regard ma mauvaise humeur. Elle tente bien d’essayer
de me tirer les vers du nez mais je ne lâche rien. Je ne veux absolument pas en

parler, tout du moins pas maintenant !


Me connaissant suffisamment, elle renonce assez rapidement à obtenir des
réponses face à mon obstination de ne pas en parler. Elle sait que je ne suis pas

encore prête à lui expliquer les raisons. Je suis encore trop en colère.

Tout ce que je souhaite pour l’instant, c’est me concentrer sur mon travail et

oublier tout le reste sachant que dans « tout le reste » je désigne plus
précisément Monsieur Doug Doherty en personne.

Je monte machinalement dans l’ascenseur mais m’aperçois trop tard que je

n’ai pas demandé à Betty de me débloquer le 32ème étage. Et merde ! Mais

quelle journée !! Elle démarre décidément très mal ! Bien évidemment, la

cabine est pleine et avant de pouvoir rejoindre le niveau zéro, j’effectue à peu

près tous les étages de la tour sans exception suivant les montagnes russes.

Monte, descend, monte, …

Et un bonheur n’arrivant jamais seul, Brian Peel, D.R.H. libidineux de Doherty

Press se retrouve à mes côtés dans la cabine bien exigüe en cette heure
matinale. Il me salue d’une bise et je réprime un haut le cœur à son contact. Je

parviens à contrôler ma main, au prix d’un effort presque surhumain, de


m’essuyer les joues d’un geste instinctif.

Quelle . Journée. De. Merde !!!

Heureusement, une fois ma ronde des étages effectuée et un nouvel arrêt au


bureau d’Abby, je peux enfin atteindre le septième ciel - façon de parler, bien
évidemment – et rejoindre mon bureau. Quelle galère ! Et puis, je ne vois pas
pourquoi le grand manitou des lieux renâcle à me donner son foutu code ! Ça

aussi, ça m’énerve ! Il faudrait savoir si oui ou non je travaille ici à la fin !?!

Mais alors que je pense mes peines enfin derrière moi et que je n’aspire plus

qu’à une chose, me noyer dans le travail, je suis loin d’en avoir terminé,

puisque, sitôt mon sac déposé dans le tiroir de mon bureau, Mary Donner,
rebaptisée très justement la sorcière par mes soins se pointe devant moi.

D’après ce que je peux en deviner, je ne suis pas la seule, elle aussi à l’air

d’être d’une humeur de chien. Cela dit, je me demande, à contrario, s’il lui

arrive d’avoir de bonnes journées. En tout cas, pas aujourd’hui, c’est certain et

quelque chose me dit que je ne vais pas échapper, une fois de plus, à ses
sarcasmes, vu l’air avenant qu’elle affiche !

Putain ! Y a des jours comme ça où quand ça veut pas, ça veut pas !! Et


aujourd’hui, j’ai le sentiment que la journée risque de s’avérer très très

longue !

Seulement voilà, malheureusement pour elle, aujourd’hui, je ne suis pas

d’humeur ! Et une chose est sûre : elle n’a pas intérêt à trop me chatouiller non
plus !

Son air chic et coincé ne détonne pas des autres jours et plantée devant mon
bureau, elle m’adresse l’un de ses regards noirs tout en tapotant sa montre, son

pied battant lui aussi le tempo ! Merde à la fin ! Ils ont décidé de tous me faire
chier aujourd’hui ou quoi ?!
— Ne commencez-vous pas votre service à 8 heures ? me reproche-t-elle d’un
ton acerbe.

Comment lui répondre ? Ou plutôt comment lui dire que … j’ai une

autorisation spéciale du patron ?

— C’est exact, je réponds tout aussi mal aimablement. Et j’aurais été à l’heure,

si je n’avais pas eu à prendre l’omnibus qu’est votre ascenseur avant de


redescendre à l’accueil pour que l’on me débloque le dernier étage !

— C’est donc bien de votre faute. Anticipation Mademoiselle Johns !

Anticipation ! me sermonne-t-elle son index levé.

J’ai l’impression de me retrouver face au proviseur de mon collège. Un


comble ! D’ailleurs, je me demanderais même s’ils n’ont pas tous deux un lien

de parenté, si je ne venais pas d’aussi loin que l’Oregon.

— Quant à l’accès au 32ème, ajoute-t-elle méprisante, voyez avec Monsieur

Doherty directement. A moins qu’il ne vous juge pas encore suffisamment de

confiance ...

Je préfère l’ignorer car je sais très bien que cela ne servirait à rien de me
justifier devant elle. Elle m’a dans le nez depuis mon arrivée et elle ne s’est pas
gênée pour me l’avouer très clairement, et ce, dès le jour de mon embauche.

Elle n’approuve pas le choix de Doug, inutile donc d’essayer de la convaincre


du contraire.

Je hausse les épaules insolemment et m’assieds à mon bureau. J’allume mon


ordinateur, comme si elle ne se trouvait pas précisément devant moi, tandis que
Betty me dépose une tasse de café tout en m’adressant un clin d’œil de

connivence. Cette petite attention me fait chaud au cœur. Voilà ce dont j’avais

absolument besoin ce matin : d’un peu de réconfort.

Exaspérée mais furieuse, la sorcière s’éloigne de moi, non sans se retourner


une dernière fois.

— Je vous ai à l’œil Oregon et ne vous croyez pas au-dessus des règlements en

vous sentant protégée par Monsieur Doherty ! tonne-t-elle.

Dans son dos, je ne peux m’empêcher de lui tirer la langue, tout comme je le
faisais … au collège. Attitude totalement puérile mais extrêmement libératrice.

Me vient seulement après, l’idée que l’étage comme tous les autres d’ailleurs,

doit sans aucun doute, être surveillé continuellement par des caméras. Alors,

j’espère seulement que celui qui se trouve à la sécurité n’ira pas cafeter.

Encore que, tout bien réfléchi, ce serait peut-être une bonne chose. Me faire

virer et fuir cet endroit maudit que je ne sens pas depuis le départ ! Ce ne serait

peut-être pas une si mauvaise chose finalement ! D’ailleurs, une idée en


amenant une autre, je suis prise soudain d’une inspiration lumineuse !

Je sais pertinemment que je ne ferai pas de vieux os dans cette boite. Et je ne


serais d’ailleurs plus leur salariée si Doherty ne m’avait pas fait cet odieux

chantage en échange de son deal à la noix !

Aujourd’hui, me semble être le jour parfait pour reprendre le contrôle de ma


vie et pour mettre en application le sermon de la sorcière « Anticipation ! ».

Mes neurones carburent comme jamais ! Et Donner sera doublement

heureuse car d’une part, je vais suivre ses conseils : anticiper ; et d’autre part :

dégager au plus vite de ce nid de vipères !

Concentrée, je profite du peu d’activité au bureau ce matin pour consulter les


offres d’emplois disponibles. Je suis légalement toujours embauchée et c’est

un plus pour postuler. Le fait d’être en poste est toujours plus vendeur qu’être

inscrit sur les listes de demandeurs d’emploi. C’est un paradoxe, certes, mais

ici, à New-York cela marche comme ça !

Après lecture, plusieurs propositions me semblent d’ailleurs intéressantes. Et

même s’il s’agit d’entreprises de moindres renommées, certains postes

pourraient me convenir. Dans un élan d’excitation, je postule aussitôt en ligne


après avoir modifié mon CV en rajoutant Doherty Press au titre de mes

expériences. C’est toujours une référence de plus, et non des moindres !

Bon ok, je ne travaille ici que depuis quelques jours, mais si je tourne

habilement les faits, je pourrais peut-être en tirer profit. A moi de la jouer fine
sur le coup ! Et je tiens à préciser que je n’ai aucun scrupule ! Ni à postuler

dans leur dos, ni à m’engager de quitter cette boite de fous et encore moins à
trafiquer quelque peu mon expérience professionnelle en trichant sur les dates.

Doherty m’en a fait suffisamment bavé. Ce soir, je me confierai à Abby et lui


expliquerai que je ne peux continuer à travailler ici. Elle sera probablement
déçue pour moi, mais je ne cèderai pas. Quant à la menace de licenciement qui
la concerne, nous trouverons une solution. Peut-être pourrions-nous nous

tourner vers une association de défense de type prud’homale ou bien même

directement vers un avocat qui n’aurait pas peur d’affronter Doherty Press ?
Enfin, bref, toujours est-il que nous trouverons une solution.

Soudain, pleine d’espoir, je me sens plus légère et la morosité qui m’avait

assaillie de bon matin semble s’évanouir comme le font les gros nuages noirs

après un bon coup de vent. Je retrouve peu à peu ma sérénité, persuadée que je

vis là mes derniers moments difficiles. J’ai déjà déposé cinq candidatures et je

pense avoir ma chance. J’ai juste hâte d’être contactée. Vraiment trop hâte ! Cet
épisode de ma vie sera bientôt fini et je me sens curieusement soulagée. Je dois

juste faire quelques efforts de patience encore et tout ira bien. Je programme

d’ailleurs de poursuivre mes recherches un peu plus tard puisqu’il est presque

l’heure de notre pause déjeuner et que je suis satisfaite de moi.

D’ailleurs, le fait que Doherty n’ait pas remis les pieds au bureau ce matin
contribue à me maintenir dans cet état d’excitation. J’ignore où il peut bien se

trouver puisqu’aucun autre rendez-vous ne figure sur son agenda mais cela ne
me dérange aucunement. Au contraire, ça me ferait plutôt des vacances ! J’ai

remis à cet après-midi le travail que je devais faire ce matin et sans aucune
culpabilité, je découvre les bienfaits de la procrastination.

Le midi, ma colère du matin m’ayant totalement quittée, je déjeune avec


bonheur en présence d’Abby et de Betty, et je constate alors que nous

conversons toutes les trois avec facilité et enthousiasme. Notre trio semble

bien fonctionner. Nous parlons, rions et évoquons certains événements

coquasses de nos passés qui nous font parfois pousser de grands rires, ce qui
nous vaut d’attirer le regard réprobateur de certains employés qui nous jugent

probablement trop délurées. Mais nous les ignorons et j’avoue que cette pause
déjeuner est divertissante et récréative. Bref, ça me fait un bien fou !

Quand j’aperçois Brian Peel, - celui qui restera pour moi à vie le D.R.H le plus

libidineux de la terre - qui se pointe avec son plateau en direction de notre

table, je presse les filles de quitter à toute vitesse le self, ce qui nous vaut
encore un grand éclat de rire tandis que nous débarrassons nos plateaux et c’est

en gloussant que nous quittons finalement la salle de restaurant comme de

grands enfants.

Cette bouffée de bonne humeur m’a apporté un tel bien-être que l’après-midi

se déroule de manière toute aussi agréable, d’autant plus qu’aucune anicroche


supplémentaire – type la sorcière ou autre – ne vient contrarier mon état quasi

euphorique. Betty et moi partageons à présent une certaine complicité et je suis


heureuse que nous nous entendions aussi bien. C’est fou le pouvoir qu’ont

certaines décisions sur nous ! J’ai le sentiment d’avoir fait ce que j’avais à
faire et je me sens bien dans mes pompes comme disait ma grand-mère.

A 18.30, Doug n’étant toujours pas revenu et n’ayant aucune nouvelle de lui, je
décide de quitter le bureau. Je ne vais pas dormir sur place non plus !

J’appelle Abby qui me libère de l’étage et c’est ensemble que nous quittons les
presses Doherty. Sans même culpabiliser, je la suis et rejoins avec bonheur

notre appartement. Et aussi minuscule soit-il comparé à celui de Doug, je m’y

sens extrêmement bien !

Histoire de poursuivre notre discussion extrêmement fascinante sur la


rencontre d’Abby avec un charmant jeune homme, nous ouvrons une bouteille

de vin et continuons de converser telles deux adolescentes toutes excitées. Nous

sommes si bien que je remets au lendemain la discussion que nous aurons à

avoir sur mes candidatures et ma démission de Doherty Press. Pour l’heure, ça

peut attendre.

Il doit être aux environs de 20 heures quand mon téléphone émet le tintement

m’annonçant un message. En temps habituels, je m’en réjouirais, mais là, j’ai

comme une intuition plutôt négative, ayant de fortes présomptions sur celui qui

pourrait bien en être l’expéditeur.

Bingo !

Doug.

Le ton est peu aimable, on s’en serait douté, mais je m’en fous. D’ailleurs,

pour être franche, je me fous de lui, de son job et de son contrat également.
Légèrement éméchée par la douceur du vin, je prends même l’audace de lire à

voix haute le message, tout en singeant Doherty.


« Où êtes-vous Oregon ? Rappliquez immédiatement ! »

Suite aux fous rires qu’entraîne ma grosse voix autoritaire, qui répète son
message sur différents tons menaçants, nos rires finissent par s’apaiser au bout

de quelques imitations.

Merde ! Il va encore falloir que je gère ça ! Son texte si minimaliste me laisse

entrevoir très clairement son humeur de chien. Décidément, il était dit que cette
journée devait finir comme elle avait commencé !

Abby reprend ses esprits la première et elle quitte instantanément son état

euphorique, palissant légèrement.

— Va le retrouver maintenant Scarlett, il t’attend.

— Tu plaisantes, j’espère ? Tu crois vraiment que je vais accourir dès qu’il

m’en donne l’ordre ? Non, mais sincèrement, pour qui il se prend ce mec ? J’ai

peine à croire que toi, tu me conseilles de le rejoindre après un tel message. Je

ne suis pas son chien, je réplique consternée.

— C’est notre patron, me répond Abby timidement.

— Et alors ? Nous ne sommes pas au bureau que je sache ?

Me gardant bien de lui annoncer comme ça, à la va-vite, qu’il ne serait bientôt

plus le mien !

— Oui, mais tu as signé un contrat avec lui, me rappelle-t-elle, dès fois que j’ai

oublié.
— Oui, tu as raison sur ce point. J’ai pactisé avec le diable, je souffle regrettant
toute cette histoire.

— Oui, mais quel diable !! murmure-t-elle une étincelle de concupiscence dans

le regard et la voix enchanteresse.

— Tu es indécrottable Abby ! je m’énerve aussitôt oubliant bien vite notre

précédente rigolade. Tu ne vois donc pas qu’il ne s’agit en aucun cas d’un
prince charmant ? Satan lui siérait à merveille, je plaisante amère.

— Vas-y Scarlett, je t’en prie. Il va se mettre en colère, me dit-elle presque

apeurée.

Non mais je rêve, là !

— Non, mais tu te vois, lui dis-je agacée. Tu as peur de lui ? sans blague,

insisté-je d’un rire amer.

Je regrette aussitôt mon sarcasme, Abby et moi ne nous sommes jamais

disputées et c’est la première fois que je lui parle sur ce ton. C’est une jeune

femme très sensible et nul doute que mon excès de virulence a dû la blesser.

Mais aussi ! La voir craindre ainsi Doherty, ça m’insupporte ! J’en viens à


détester davantage encore – si c’est possible- ce tyran qui est à l’origine de
cette tension, alors que nous passions jusqu’alors une excellente soirée.

Cela ne nous est encore jamais arrivé et même si je sais que demain tout sera
oublié, le simple fait qu’il puisse semer la zizanie entre nous me rend folle !

— Encore faudrait-il que je connaisse son adresse pour le rejoindre,


prononcé-je en tentant de calmer mon irritation.

Je la rassure quand je lui confie que je m’exécuterais volontiers si je le


pouvais. Mais je n’ai pas son adresse et je ne vais pas partir comme ça à

l’aveuglette ! Je saisis mon téléphone et envoie parallèlement un message. Et

comme je n’ai pas l’intention de me soumettre à ce tyran avec trop de facilité.


Je me joue des mots. Ça lui apprendra à me parler comme ça !!

« Encore eût-il fallu que je connusse votre adresse », réponds-je avec

insolence.

Je jubile à la tournure sophistiquée de ma réponse et au vouvoiement qui


réinstaure in petto la distance qui n’aurait jamais dû nous quitter.

« Quant à rappliquer : je ne suis pas votre chien ! Bien cordialement,

Monsieur », finis-je en beauté.

Et toc, voilà pour lui !

Je tape avec force l’écran comme pour ponctuer ma réponse. Envoyer.

La sienne ne se fait guère attendre.

« Dans 15 minutes en bas de chez toi. Harry t’attendra. Je te conseille


vivement d’y être ».

Sinon quoi ? Hein ? Sinon quoi ?

Encore des menaces, toujours des menaces ! Forcément ! Evidemment, ai-je


même envie de préciser ! Toute l’autorité de cet homme repose sur ses
manières coercitives : autoritarisme – pression – répression. Limité quand

même !

J’ai bien envie de lui texter ma façon de penser, mais finalement j’opte pour

une discussion en « live » ! J’aime les prises de risques et les feux d’artifices !

Non, je rigole, je veux juste clarifier les choses. Donc, je vais effectivement
me conformer à ses ordres, m’y rendre et après avoir dénoncé son foutu

contrat, je rentrerai chez moi, au calme ! Quant à ses menaces précédentes

concernant l’emploi d’Abby, elles ne m’effraient plus.

Après tout, les tribunaux ne sont pas faits pour les chiens, et je suis sidérée

devant ma bêtise de m’être ainsi faite manipulée par sa majesté le roi des

tyrans.

Pauvre naze, va !

J’enlace avec tendresse Abby et m’excuse de mettre emportée contre elle.

— Je vais régler cette histoire et je reviens. Ne m’attends pas, Abby, je risque

de rentrer tard.

— Je doute que tu rentres tout court, me précise-t-elle ironiquement.

Je ne prends même pas la peine de lui répondre, elle sous-estime très nettement
mes facultés d’opiniâtreté, mais je ne peux pas l’en blâmer puisque j’ai eu

quelques défaillances dernièrement et puis surtout, je ne souhaite pas me


quereller avec elle de nouveau. Je récupère donc mon sac, une veste et

descends attendre avec résignation mon carrosse.


Chapitre 17

Harry arrive quasiment en même temps que moi, à croire qu’il tournait autour
du pâté de maison à m’attendre ! Sitôt garé, il sort en vitesse pour m’ouvrir la

porte et m’adresse un sourire gêné, moins franc que les fois passées. Je le

trouve un tantinet inquiet. Mais si jamais il s’en fait pour moi, qu’il se rassure,

je ne me laisserai pas marcher sur les pieds cette fois. D’ailleurs, presque par

défi, je n’attends pas qu’il m’ouvre la porte, et m’engouffre à l’intérieur du


véhicule où je me cale brutalement sur le siège arrière, bien décidée à lui

montrer, à lui aussi, mon état d’esprit !

En fait, je suis passablement énervée et pour être tout à fait honnête, ils

commencent tous à me courir sur le haricot ! Cette journée semble s’étirer

pour ne jamais se finir ! A cet instant, seule sur la banquette, renfrognée, j’en

veux à la terre entière ! J’en veux tout d’abord à Doherty de me manipuler


ainsi et de me traiter comme son esclave. J’en veux à Abby de ne cesser de le

voir tel qu’il n’est pas, c’est-à-dire comme le gentleman qu’il n’est pas. Et
enfin j’en veux à Harry de compatir, comme si je devais moi aussi craindre la
fureur de son égocentrique patron !

Et puis à la sorcière aussi, puisqu’on y est ! Elle qui, hautaine et aussi froide
que la glace n’arrête pas de me critiquer et de me rabaisser depuis le départ !!
Finalement, tout le monde en prend pour son grade aujourd’hui ! Vivement que
cette foutue journée s’achève !

Pendant le trajet, et ce malgré la mauvaise humeur que doit afficher mon

visage, je sens bien qu’Harry ressent le besoin de me parler. Il m’adresse

quelques œillades timides par le rétroviseur intérieur. Probablement attend-il


que je lui en donne l’occasion.

— Qu’y-a-t-il Harry ? l’incité-je soudain lasse en soufflant.

Après tout, je n’ai pas de réelles raisons de lui en vouloir. Harry a toujours été

agréable avec moi et ce n’est pas parce que son patron est un con que je dois
lui en faire payer le fruit de mon ressentiment.

— Je ne sais pas si je peux me permettre Mademoiselle, me répond-il avec

pudeur.

— Allez-y Harry, cette discussion restera entre nous. Et votre avis m’intéresse.

Sincèrement, précisé-je.

Il marque un temps d’hésitation mais le léger sourire que je lui adresse en

retour, l’incite à se lancer.

— Monsieur est différent avec vous. Je veux dire comparé avec les femmes
avec qui il sort habituellement.

Comment dois-je le prendre ?

— Ah oui ? Différent ? Mais différent … comment ? demandé-je plus par


curiosité que par conviction.

Il semble encore hésiter un peu, peu enclin habituellement à faire des


confidences, ses yeux me fixent dans le rétro et finalement il ose.

— Il semble vous porter une attention différente, répond-il d’une voix si basse

que je dois tendre l’oreille pour l’entendre.

Même si je regrette de m’être emportée contre lui, car au fond, c’est une

gentille personne, je décide de ne pas porter plus loin la conversation, car je

risquerais de me montrer une fois encore désagréable à son encontre. Il prend

gain de cause pour son employeur, quoi de plus normal !

Mais si je me laissais aller à lui répondre franchement, je serais tentée de lui


répondre que oui ! ça c’est sûr, il me porte une attention vraiment différente ! Il

se montre absolument odieux et abject avec moi et j’ai pour idée que je suis

bien la seule femme dans son entourage à bénéficier de ce traitement de faveur

Mais ce n’est pas la peine que je mette davantage Harry mal à l’aise, même si
mes lèvres me brûlent de commenter ses dires et de lui démontrer à quel point

il fait fausse route. D’ailleurs, je pourrais également lui faire part de mon
interprétation du mot « différente », mais à quoi bon ? Il n’est pas responsable
des agissements exécrables de son boss, et finalement, d’une certaine façon, il

n’a pas tort. Doherty est probablement différent avec moi, dans la mesure où il
réserve, très probablement, ses belles manières élégantes à ses autres aventures
! De même, je doute fort qu’il leur intime de « rappliquer » d’un ton aussi

menaçant qu’il le fait avec moi !

Perdue dans toutes mes pensées, le trajet s’achève malheureusement trop vite et

la voiture se gare face à son immeuble. Après qu’Harry m’ait ouvert la porte et

souhaité une bonne soirée, je m’engouffre anxieuse dans l’ascenseur.

Ma rage semble s’être apaisée au profit d’un état général plus inquiet qui me
gagne peu à peu. Ce n’est pas bon pour moi car je me sens, du coup, davantage

vulnérable. A choisir, je préférais encore me sentir forte de l’emportement qui

me saisissait encore quelques minutes auparavant.

Instinctivement, je vérifie mon reflet dans le miroir de la cabine d’ascenseur et

réalise que je n’ai même pas pris le temps de me donner un coup de frais avant

de quitter mon appart. Peu m’importe de toute façon, ma présence ici n’a pas

pour objectif de le séduire mais bien de mettre un terme à toute cette

mascarade qui n’a que trop duré.

Je ne lui appartiens pas et à ce titre, il n’a pas à me dicter quoi faire en dehors

du travail. Aussi, quand je quitterai les lieux, d’ici quelques minutes, je


recouvrerai ma liberté et rien que cette idée me donne la force d’affronter

Doug.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent juste alors que je me retourne pour faire

face aux portes, prête à en découdre. Face à moi, Doug m’attend, les bras
croisés. Ses traits sont tirés et ça ne m’inspire rien de bon. Mais s’il faut en
passer par-là, allons-y et ne perdons pas de temps. Réglons cette affaire au plus

vite !

Je sors le plus dignement possible et le toise tout en le frôlant. L’attitude que

j’adopte vise à lui montrer qu’il ne m’impressionne aucunement et surtout

qu’il ne s’imagine pas pouvoir encore me manipuler. C’est en terminé Mister


Doherty ! Scarlett redevient Scarlett !

Lentement, je progresse dans l’appartement en l’ignorant et me dirige

directement vers le salon. Parvenue en plein milieu de la pièce, je m’arrête,

inspire fortement et lui fais face, prête à avoir cette discussion.

— Scarlett, souffle-t-il comme soulagé.

— Tu voulais me voir rappliquer, je suis là, lui réponds-je sèchement.

— Scarlett, répète-t-il ennuyé. Je suis désolé, je ne voulais pas te parler ainsi.

J’ai eu peur, c’est tout. Je ne savais pas où tu étais et …

— Peur ? je l’interromps d’un rire amer. Non mais laisse-moi rire Doug ! Le

grand Doug Doherty n’a jamais peur de rien ! La vérité, c’est que ce qui

t’affole en fait, c’est l’idée même de perdre le pouvoir ! Voilà ce qui t’inquiète
vraiment ! Alors cesse ton manège ! Pas avec moi Doug, je souffle. Enfin bref,
puisque tu voulais me voir, je suis là et c’est peut-être mieux finalement,

finissons-en !

Doug s’avance vers moi, mais son air n’est pas hautain comme je l’imaginais.

Je le sens … différent. Vulnérable ?? Non, impossible ! Je me fais forcément


des idées car c’est un état qu’il ne doit même pas connaitre.

— Scarlett écoute-moi s’il te plait.

— Que comptes-tu me dire Doug que je ne sache déjà ? je lui demande,


fatiguée par cet état de guerre permanent. Mais vas-y, ne t’en prive pas, car ce

sera la dernière fois que nous nous adresserons la parole et tu peux menacer

l’emploi d’Abby si ça te chante, nous trouverons bien un avocat qui acceptera


de contrer le grand Doug Doherty sur un licenciement plus qu’abusif ! je

m’emporte en lui parlant.

— Scarlett, s’il te plait, répète-t-il encore une fois doucement.

— Quoi ? crié-je. Tu t’es laissé emballé par tes sens et quand tu as réalisé qui
se tenait réellement devant toi allongée sur le lit, tu as pris peur ?

— Ne dis pas n’importe quoi Scarlett. Tu sais très bien que ce n’est pas le cas.

Doug est curieusement calme et j’avoue être quelque peu décontenancée par

son attitude si lasse. Ça non plus, cela ne lui ressemble pas.

— Alors quoi ? m’exclamé-je en m’agitant devant lui. Tu t’es trouvé comme

un con ? Oregon n’est pas assez bien pour toi ? C’est ça ? Forcément, je ne
ressemble en rien à tes habituelles poupées, mais tu le savais dès le départ ça !
Il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise, que je sache ?! Alors pourquoi ne

pas avoir choisi une femme qui te plaisait davantage ? Hein ? Tu avais le choix
pourtant parmi toutes tes fréquentations ? Je suis sûre qu’elles auraient toutes

été très fières et très heureuses de te rendre ce service. Mais non, voyons, suis-
je bête ! C’était tellement plus amusant et distrayant pour toi de prendre une
innocente campagnarde. Comment disais-tu déjà ? Hmm … attends, laisse-moi

réfléchir. Ah oui !! Je me souviens ! « Rafraichissante » !! C’est bien le terme

que tu as employé : rafraichissante ! C’est sûr que je faisais folklorique auprès


de tes amis ! ça va, vous vous êtes bien marrés ? lui demandé-je les larmes aux

yeux, me sentant plus humiliée et plus conne que jamais.

— Arrête Scarlett, arrête et calme-toi. Laisse-moi au moins t’expliquer, s’il te

plait, me supplie-t-il.

Je m’écroule sur le canapé, fatiguée. Je suis épuisée et dépassée par l’ampleur

qu’ont pris les choses. Je tremble tandis que je tente de réprimer des sanglots

qui s’échappent de ma gorge. Je veux que tout ça s’arrête, je n’en peux plus.

Trop de tensions, trop de situations pourries, je ne me sens plus le courage de


poursuivre. Exténuée, je me résigne à l’écouter afin que l’on en finisse au plus

tôt. Ensuite, je repartirai aussi dignement que je le pourrai – c’est mal parti - et

je retrouverai au plus vite possible, je l’espère, ma petite vie certes banale mais
beaucoup plus tranquille et agréable que celle que j’endure depuis ces derniers

jours.

L’entrée de Doug dans ma vie n’a entrainé rien de moins que des frustrations et
des humiliations et j’attends avec hâte le moment où tout redeviendra normal et

où je pourrai enfin reprendre le cours de mon existence, refermant ainsi


définitivement cette horrible parenthèse.
Ma crise étant passée, Doug marque une pause et se dirige lentement vers le
bar sans mot dire. Il semble songeur et je n’ai plus le courage de m’attaquer

encore à lui. Mes sanglots se sont calmés, mais mes larmes, elles, continuent

de s’échapper de mes yeux, sans que je ne parvienne à les contrôler. Très


calmement, Doug sert deux coupes de champagne et revient muni des deux

verres s’asseoir à mes côtés, les déposant sur la table basse devant nous. Après
un silence lourd, il se décide à parler. Lui aussi semble épuisé.

— Scarlett. Tu me rends fou. Tu m’évites sans cesse, tu joues perpétuellement

avec mes nerfs et le plus incroyable dans tout ça, vois-tu, rit-il amèrement,

c’est que tu ne vois même pas que tu mets tout mon monde sens dessus-
dessous.

Je le regarde sceptique. Me croit-il si dupe ?

Qu’est-il vraiment en train de me dire ? Et surtout où est le piège ?

J’essaie de lire dans son regard s’il parle-t-il sincèrement ou si c’est là, une
énième tentative de manipulation visant à servir ses intérêts ? Mais il semble de

prime abord sincère. Cependant, je reste sur mes gardes car il est tellement
doué pour user de stratagèmes que je ne suis pas certaine de pouvoir lui faire

confiance.

— Arrête Doug. Arrête. S’il te plait, je l’implore. Je suis fatiguée de tout ça. Ne

me sors pas le grand jeu. Toi et moi ne sommes pas dupes, alors encore une
fois je te le demande, ne me prends pas pour plus idiote que je ne le suis. Je
sais que tu me considères comme une arriérée comparée à tes relations, mais,

juste ce soir, par égard pour moi, si tu le peux, arrête de te moquer de moi. Il

est évident que je suis trop naïve et il est également fort probable que tu aies

raison en disant que New-York n’est pas faite pour moi. Alors, laisse-moi
partir s’il te plait et je te promets que nos chemins ne se rencontreront plus. Tu

n’entendras plus jamais parler de moi. Laisse-moi juste partir …je l’implore
usée.

— Mais … ? … Tu ne comprends donc pas ce que j’essaie de te dire ou tu le

fais exprès Scarlett ? s’exclame Doug surpris.

Etrangement, mon prénom prononcé par lui à ce moment-là me trouble. Si

seulement dans un autre contexte, dans une autre vie, les choses avaient été plus

simples !

— Ta fraîcheur, ton insolence, ta beauté me rendent fou Scarlett ! Pourquoi ne

le vois -tu pas ? ou plutôt devrais-je dire, pourquoi choisis-tu de ne pas le voir

Pendant quelques secondes, je reste encore hésitante. Ses paroles touchent mon
cœur et je cherche à lire une fois encore sa sincérité dans ses beaux yeux

bruns. Je serais tentée de le croire, il a l’air si honnête. Mais je dois raison


garder. Comme chacun sait, Doug Doherty n’est pas connu pour son

sentimentalisme et tous les préjugés que j’ai à son encontre mettent à bas, sans
aucune hésitation, sa bonne foi.
Doherty est un requin dans les affaires et un séducteur émérite et je doute
entièrement qu’il puisse, ne serait-ce qu’un instant, se mettre à nu devant une

femme … enfin devant moi. Soyons réaliste, Doug est le genre d’homme à

pouvoir conquérir toutes les femmes d’un simple sourire et à fortiori tous les
canons qui lui tournent autour, alors pourquoi l’intéresserais-je ?

Note à moi-même : je ne suis pas un canon ! Malheureusement pour moi.

Merci la génétique !

Enfin, bref, je m’éloigne. Sa question était ? Ah oui ! Pourquoi je ne vois pas

que je le rends fou ?!?!

— Euh … fais-je mine de réfléchir en me grattant le menton de manière

théâtrale. Peut-être parce que tu m’as laissée en plan hier soir après m’avoir

chauffée ? Ou bien encore, peut-être parce qu’à peine avais-je mis un pied dans

ton bureau que déjà tu me rembarrais ? Ou non, je sais !! Je sais !! m’excité-je.

Peut -être est-ce parce que ton premier instinct a été de m’adresser à ta cohorte

de relooking pour que je ne te fasse pas honte ? Dois-je poursuivre ? je

m’adresse à Doug le menton levé, le défiant.

— Tu m’exaspères Scarlett ! J’ai commis des erreurs avec toi, je le sais. Mais

tu es si différente, si vivifiante que je ne sais pas comment m’y prendre avec


toi. Tu es tellement à l’opposé des femmes que je fréquente habituellement. La

vérité est que tu ne veux pas me donner une chance.

— Pardon ?? Non mais tu plaisantes, j’espère ?!! Ta chance tu l’as eue et pas
qu’une fois !! Hier encore, tu l’avais ! Et si tu avais eu pour moi quelque

attirance, eh bien c’était le moment ! Et tu le sais aussi bien que moi ! Alors ne

viens pas me dire que toute cette situation pourrie est de ma faute ! A moins

que tu ne saches plus comment t’y prendre ? Ou je te faisais trop honte


finalement ! Ahrrrr, laisse tomber, va !! Oublie. Tout ça ne sert à rien de toute

façon !

— Ne dis pas ça Scarlett. Je suis probablement le plus gros abruti qu’il t’ait été

donné de rencontrer. Je ne sais pas comment m’y prendre avec toi, c’est

certain, mais ne me fais pas dire que tu me fais honte ou que tu es beaucoup

moins bien que les femmes que je fréquentais avant toi. Car c’est faux ! Tu
entends ? C’est faux ! C’est tout l’inverse en fait ! Et non, ce n’est pas de ta

faute, bien sûr. C’est uniquement de la mienne, j’en ai bien conscience. Je ne

sais tout simplement pas comment tu fonctionnes, tu comprends ? Tu remets

tout en cause en moi, tout ce que j’avais l’habitude de faire ou plus exactement

tout ce que j’étais. Quoi que je fasse, je n’y arrive pas ! Soit je me comporte
comme le roi des cons et tu ne manques pas de me le faire remarquer à juste

titre, soit tu ne me comprends pas et on s’engueule, soit pire encore, tu t’enfuis.


J’ai l’impression de toujours avoir faux avec toi. Je ne te demande pas de me

pardonner mes erreurs, mais juste de me laisser au moins une chance de me


rattraper. S’il te plait, murmure-t-il.

— Oh si ! Contrairement à ce que tu penses, je te comprends très bien Doug !


Et ne m’insulte pas en me prenant pour plus « naïve » que je ne le suis ! Car
vois-tu, s’il y a quelque chose que j’ai bien intégrée – car, vois-tu, j’ai eu un
très bon maître – c’est que la naïveté était, ici à New-York, une grosse tare. Tu

veux la vérité Doug ? Ce que tu prends pour un intérêt pour moi n’est en fait

qu’un triste divertissement. Je l’ai appris à mes dépens, pas plus loin qu’hier,
vois-tu ? Ça aussi d’ailleurs, tu me l’as fait remarquer ! Je suis divertissante, tu

te souviens ? Ce qui est vraiment triste en revanche c’est que toi, tu as fait le
tour de ton horizon avec les femmes, alors forcément, une fille de l’Oregon,

ça te divertit, quelle riche expérience bucolique, n’est-ce pas ? Mais je ne suis

pas une femme pour toi Doug. Car après ? Qu’est-ce que je deviendrai, moi,

quand tu te seras lassé de cette relation champêtre ? Je suis désolée Doug, mais

je dois aussi me protéger. Et toi et moi ce ne sera jamais possible. Pour des

raisons qui sont tellement évidentes. Tes discours sont beaux et j’aurais aimé

pouvoir … je marque une pause, éreintée par ma tirade. J’aurais aimé y croire,
voilà ma vérité à moi Doug, mais tu seras toujours ainsi. Tu seras toujours un

homme à femmes, un incorrigible séducteur et moi, je ne veux pas être celle

qui pleurera ensuite.

Je m’arrête épuisée. Les larmes ont coulé sur mes joues et je me cache le
visage dans mes mains. Je suis fatiguée. Je dois m’en tenir à ma résolution

initiale et ne pas tenir compte de ce que vient de m’avouer Doug. Ça ne rentre


pas dans mes plans. Tout a été dit. Je ne comprends même pas pourquoi je

palabre ainsi. Je suis venue pour clore cette histoire pas pour parlementer. Et
même si ses paroles charment mon cœur, même si Doug est sincère, même s’il
y croit, je sais qu’il se trompe. Il se trompe.

Doug Doherty n’est tout simplement pas un homme pour moi. Je ne suis pas à
la hauteur pour affronter un homme de cette trempe. Et je ne suis pas la femme

qu’il lui faut. Je ne suis pas celle qu’il pourra présenter dans ses cercles avec

fierté. Je n’en ai ni la beauté, ni la classe, ni même le talent. Je ne suis tout


simplement pas née pour cette vie-là.

— Ecoute Doug. Si je suis venue jusqu’ici, je reprends chamboulée, c’est

seulement pour te dire en face que non seulement je démissionne mais aussi

que je décide de rompre notre accord. Engage toutes les démarches que tu

jugeras utiles contre moi, si c’est ce que tu veux, mais je m’en vais … loin de

toi et de toutes tes manigances. Et si ça peut te rassurer, je suis sûre que tu ne

mettras pas longtemps à m’oublier. Je suis certaine aussi que la femme que
t’aura choisie ta mère sera sans doute très bien. Ce sera très probablement une

femme de grande beauté, brillante, élégante et … de ton monde surtout. Et si

elle ne te plait pas, je te conseille dans ce cas-là d’avoir une franche discussion
avec ta mère. C’est à coup sûr une femme intelligente, elle comprendra son

fils. Voilà, j’ai dit à peu près tout ce que j’avais à te dire. Je te demanderai juste
de saluer Harry de ma part, le seul qui ait vraiment été sincère et sympathique

avec moi, et Betty aussi si tu peux.

Plus troublée que je ne l’aurais cru, je me lève du canapé, en tâchant de


dissimuler mes tremblements. Je repose la flûte que j’avais en main et à
laquelle je n’ai pas touché et me dirige le plus vite possible vers l’ascenseur

sans un regard arrière pour Doug. Tout ce que je souhaite à présent, c’est

partir au plus vite et tourner cette page. La journée a été longue. J’ai hâte d’être

à demain, jour où je pourrai enfin reprendre le cours – ordinaire – de ma vie.

— Non ! s’écrie soudain Doug me faisant sursauter.

Je me retourne vers lui, la colère s’emparant à nouveau de moi. Ce que je viens


de faire est déjà suffisamment difficile pour moi. Comment peut-il encore

jouer à ce rôle du mâle dominant avec moi ? Il n’a pas compris que je rendais

les armes ? Que lui faut-il de plus ? Je suis allée jusqu’à tout prendre à mon

compte, même si en réalité, il est tout aussi impliqué dans la responsabilité de

l’échec de notre accord, alors quoi ?? Sur la défensive et toujours dans un

réflexe de protection, je lui adresse un regard excédé.

— Comment ça non ?

— Non, répète-t-il cette fois plus doucement.

— Tu ne me retiendras pas de force cette fois-ci, Doug. Alors cesse tout de


suite cela ! Tu veux toujours tout régenter ? Parfait !! Mais ce sera sans moi

cette fois ! Je ne t’appartiens pas et dois-je te le rappeler, je ne suis plus sous


tes ordres. Je viens de démissionner. Alors laisse-moi partir maintenant. C’est
fini Doug, plus rien ne nous relie l’un à l’autre. Alors, fais attention, je le

menace.

De quoi, je ne sais pas trop, mais en tout cas, j’ose le faire !


— Et toi ? m’interroge-t-il de retour, fais-tu attention à ce que je ressens pour
toi ?

— Arrête ! Arrête ça tout de suite Doug. Le chantage affectif n’est pas ton

genre ! Tu n’es pas crédible. Tu es juste vexé car pour une fois, tu perds le

contrôle. Tu n’en as certes pas l’habitude, mais tu verras, on s’y fait très bien,
je ricane pour me donner plus d’assurance.

J’use d’audace, mais je n’en mène pas large face à lui. Non pas qu’il m’effraie,

non ; mais je redoute plutôt qu’il ne me garde une fois encore prisonnière dans

sa tour d’argent. Avec son système de code de verrouillage de l’ascenseur,

c’est tout de même lui qui a l’avantage. Et puis, je dois l’avouer, j’ai peur que

ma volonté ne se débine une fois encore, s’il me sort le grand numéro, peur

que mes sens ne s’imposent à ma raison. Le mieux est encore de ne pas trop
trainer.

Alors que je finis à peine de lui asséner mon sarcasme, je prends juste la peine

de l’examiner. Les traits de sa mâchoire sont tendus trahissant sa nervosité.

Pourtant ses yeux, eux, expriment une toute autre chose. De l’affliction, certes
mais une certaine vulnérabilité aussi que je ne lui connais pas.

— Si tu avais ne serait-ce qu’une once de respect pour moi, je reprends comme


pour le convaincre, tu n’aurais pas agi, avec moi, comme tu l’as fait hier soir

et sans doute encore moins comme aujourd’hui. Tu m’as complètement


ignorée toute la journée, comme si je n’existais tout simplement pas. Nous
aurions peut-être pu parler de ce qui s’était passé hier, mais tu n’en as pas
éprouvé le besoin. Cherche l’erreur Doug ! Le seul et unique message reçu de

toi me sommait de rappliquer comme tu aurais pu le faire pour un chien ! Et

encore ... je n’ai jamais parlé ainsi à un chien, moi, ni même à un quelconque
animal d’ailleurs ! Je ne suis peut-être pas à l’image de tes poupées, je te

l’accorde, mais je n’en suis pas moins une femme. Une femme et non … (je
cherche mes mots) … et non un de tes sujets. Jamais, tu entends, jamais on ne

m’a traitée comme tu l’as fait ! Alors désolée, si ça te contrarie, mais pour ma

part, il me reste suffisamment d’amour propre pour te dire ciao ! Tu me

remplaceras vite, tu verras. Et puis, à quoi bon, à la fin … De toute évidence,

tout a été dit, Doug, je soupire. J’étais juste venue pour te dire en face que notre

marché était devenu caduque et que tu ne me reverrais plus. Je vais y aller

maintenant, je n’ai plus rien à faire ici.

Doug parait sous le choc, mais je suis certaine que c’est uniquement parce

qu’il n’est pas habitué à ce que l’on lui tienne tête. Ses yeux sont écarquillés et
sa bouche est restée entre-ouverte mais je m’attends à tout moment, à ce qu’il

mesure la nature de mes paroles et qu’il se mette à cracher sa colère en retour.


Cependant, quand il se décide enfin à parler, son ton est calme, étonnement

calme, je dirais.

— Oseras-tu me dire que tu ne ressens rien de particulier quand nous sommes

ensemble ?
Sa question me prend au dépourvu et je reste un temps sans répondre, les yeux
ronds comme des billes. Pourquoi continue-t-il à jouer la comédie, alors que

nous n’avons plus de public ?

— Doug, ne retourne pas la discussion, s’il te plait. Ce qui s’est passé hier était

en fait … une bêtise. Et tu avais raison. Le vin m’avait sûrement tourné la tête.
Et si à un moment, j’ai effectivement cru, qu’il aurait pu se passer quelque

chose entre nous, c’était manifestement une erreur. Tu as bien fait d’y mettre un

terme.

Alors, que je souhaite mettre de la conviction dans ma voix, pour clore

définitivement tout ce qui aurait pu naitre entre nous, ma voix, tout au

contraire, se débine, se faisant chevrotante. Des larmes perlent stupidement aux

coins de mes yeux.

Je dois partir. Eviter toute effusion de sentimentalisme. Doug et moi sommes

trop différents. Et c’était idiot de penser le contraire. Tellement naïf d’imaginer

que nous aurions pu aplanir nos différences. Et puis, quand bien même, nous

aurions consommé hier … Que ce serait-il passé ensuite ? Une autre starlette
aurait bien fini par apparaitre dans le paysage et que serai-je devenue, moi ?

J’aurais été son coup d’un soir ou deux ? Non. Je ne suis pas comme ça. Je ne
l’ai d’ailleurs jamais été. Alors même si je suis un peu perdue en ce moment, je

sais que ce n’est pas la vie que je veux. Je mérite mieux. Dès le départ, tout était
perdu d’avance, nous n’avions ni présent ni futur.
— Arrête tes conneries Scarlett ! me lance Doug d’un regard mauvais. Tu sais
très bien pourquoi j’ai tout arrêté, je te l’ai dit d’ailleurs. Mais je peux me

répéter, s’il n’y a que ça. Je te voulais consciente et consentante, entièrement

mienne ! Et c’est toujours le cas, ajoute-t-il plus calme.

— Oui et moi, je n’ai jamais été tant humiliée de ma vie. Tu veux te donner le
bon rôle, celui d’un gentleman, mais ne te retranche pas derrière tes faux

prétextes, s’il te plait car je n’étais pas saoule. La vérité est que tu t’es retrouvé

comme un con quand tu as réalisé qui se trouvait dans ton lit ! Parce que c’est

ça la réalité Doug ! Je ne suis, ni ne serai jamais comme tes poules fardées. Je

n’ai ni leur beauté, ni leur classe, la voilà la triste vérité ! Alors ne te cherche
pas d’excuses bidon, s’il te plait. Tout est très clair pour moi et ne t’inquiète

pas, je peux l’assumer ! haussé-je la voix. Maintenant, laisse-moi partir.

Totalement exaspéré, Doug passe nerveusement sa main sur son menton et

lâche un juron. Je le trouve impressionnant en colère et je commence à

regretter de l’avoir poussé si loin. Menaçant, les pupilles étrécies, je le vois


s’approcher de moi en une seule et grande enjambée et mon premier réflexe

est de reculer d’un pas. Prestement, il lève son bras droit et place sa main
derrière ma nuque tandis que dans le même temps, sa main gauche agrippe

fermement ma taille, rapprochant brutalement mon corps du sien.

Etonnée, je lâche un cri de surprise.

— Eh merde Scarlett, tu ne me laisses vraiment pas le choix ! grogne-t-il d’une


voix rauque.

Je vais pour riposter, mais avant que je n’aie pu prononcer le premier mot,
Doug resserre son étreinte, plaquant brusquement ma poitrine contre son torse

et étouffant mes protestations de sa bouche. Ses lèvres fermes et veloutées

s’apposent sauvagement sur les miennes et je ne peux réprimer un frisson


même si son baiser est brutal. Je retrouve aussitôt la saveur de sa bouche et ne

peut m’empêcher d’y goûter une dernière fois. Une dernière fois, juste pour en

garder le souvenir.

Après que sa langue ait engagée une danse sensuelle et sauvage avec la mienne,

son baiser s’approfondit, me chamboulant davantage. Je sais que je dois me

détacher de lui, refuser une attitude aussi cavalière que primaire, mais noyée

dans les sensations que déclenche son baiser, toute volonté me lâche.

Suis-je faible à ce point-là ?!


Chapitre 18

Mon corps semble étayer cette thèse si j’en crois mon incapacité à m’écarter de
lui.

Le peu de résolution qui me restait cède peu à peu pour finalement déclarer

forfait, refusant obstinément de rompre ce contact si savoureux. Sans pouvoir


l’expliquer, mes sens s’exaltent à son contact, prenant définitivement le

pouvoir sur ma raison. Complètement happée par le magnétisme de cet

homme, je me retrouve sans aucune volonté, alors que j’aurais aimé,

justement, pouvoir lui tenir tête et lui montrer qu’il n’était pas le maître du

monde et encore moins le maître de mon monde !

Mais non ! Rien ! Aucune fermeté, ni constance !

Son corps est plaqué contre le mien et l’expression de son désir pressé contre

mon bassin, excite ma sensualité qui crie sa volonté de poursuivre. Tel un

aimant, mon corps refusant de m’obéir, reste irrésistiblement collé au sien. Ma


défense (enfin celle de mon esprit) a fini par faiblir jusqu’à s’évanouir
entièrement. Car à présent, chaque centimètre carré de ma peau est innervé par

les sensations de désir que Doug suscite en moi.

Je suis foutue. Voilà la dernière chose sensée qui me vient en tête alors que ma

lucidité, elle aussi, s’inscrit aux abonnés absents.


Sans détacher ses lèvres, alors que sa bouche mange voracement la mienne,
Doug soulève une de mes jambes et la passe autour de sa taille. Mon corps

pulse son désir dans mon intimité et instinctivement ma féminité vient se coller

contre lui à la recherche de ce qu’elle réclame haut et fort. Son sexe.

D’un geste preste, l’autre main de Doug se saisit de ma seconde jambe et


naturellement, je plaque ma poitrine contre son torse. Sans rompre le contact et

sans un mot, Doug s’approche de l’escalier et monte les marches me soulevant,

ses mains sous mes fesses.

Nous traversons le long couloir sans interrompre notre baiser affamé et d’un

geste du coude, Doug ouvre soudain une porte que je devine être celle de sa

chambre, la pièce étant embaumée par son parfum. Je garde les yeux fermés

savourant de mes autres sens cette multitude de sensations qui ont envahi tout
mon être.

A l’intérieur de mon corps, un feu d’artifice crie sa joie. D’un coup de pied

brusque, Doug referme la porte, tout en continuant de m’embrasser avec

passion. Ses baisers couvrent mon visage, mon cou, mes épaules. J’ai chaud.
Très chaud ! Cette étreinte est si animale que coule dans mon corps une lave en

fusion. La vache ! Il embrasse si bien que son baiser m’embrase littéralement !


Soudain, sans que je m’y attende, Doug me jette sans ménagement sur le lit et

surprise, je lâche un cri. Je dégage, d’une main, les cheveux de devant mes
yeux et me redresse sur mes coudes, déjà en manque de sa proximité.
Va-t-il me refaire le même coup que la veille ?

Face à moi, Doug me regarde de toute sa hauteur. Grand, viril, magnétique,


magnifique.

Ses yeux brillent de désir et il n’a jamais été aussi beau que ce soir … enfin, je

crois. Ses cheveux bruns sont ébouriffés et quelques petites mèches collent à

son front. Il est superbe. Je l’observe attentivement mi-amusée, mi-inquiète.


Son air est indéfinissable à la fois prédateur et concupiscent et devant un tel

spectacle, je reste à la fois fascinée et avide. Je n’ai qu’un désir : qu’il rompe

cette distance entre nous, impatiente de ce qui va venir.

Une seule crainte m’étreint : qu’il me laisse en plan comme la veille.

— C’est ça que tu voulais hier ? m’interroge-t-il les yeux brûlants de désir.

— Ça dépend de ce que tu proposes, le provoqué-je, encore essoufflée.

Lentement, devant moi, Doug commence à défaire ses boutons de manchettes,

sort sa chemise de son jeans et la déboutonne avec une telle sensualité que ma

langue passe instinctivement sur mes lèvres. Les chippendales à côté c’est pour

les écolières ! Il est terriblement séduisant. Sexy même ! Et moi, j’ai cette
chance d’assister à ce spectacle donné uniquement en mon honneur.

Heureusement d’ailleurs !! Il y a des choses qui ne se partagent pas, celle-ci en

fait incontestablement partie !

La lune apporte juste ce qu’il faut de lumière dans la pièce et même si je ne


peux pas voir tous les traits de son visage, son sourire, en revanche, luit,
carnassier.

— A ton tour, désigne-t-il d’un geste ma tenue.

Le sourire aux lèvres, amusée par le jeu érotique qu’il me propose, je me lève
rapidement du lit et me soumets à son ordre sans aucune hésitation. Je

déboutonne alors le plus lentement possible mon chemisier puis dégage les

pans de tissus de ma jupe. Je me prête pour la première fois à un effeuillage et


j’aime ça, alors que je ne m’en serais jamais cru capable. J’espère juste être le

plus sexy possible.

Ses yeux ne me quittent pas et son sourire me dit qu’il a l’air d’apprécier. Doug
penche la tête sur le côté, ses yeux luisent de désir. Tout en continuant de

m’observer, il quitte sa chemise et d’un ample geste la balance à travers la

pièce. J’éclate de rire, et il me gratifie à son tour de son beau sourire canaille.

Mais loin de se déconcentrer, d’un geste du doigt, il m’incite à procéder de

même. Je laisse alors glisser le textile le long de mes bras jusqu’à ce qu’il

tombe au sol. Je m’enhardie et procède de même avec ma jupe qui forme en

tombant au sol une corolle autour de mes pieds. En talons et sous-vêtements,


les yeux de Doug s’illuminent davantage, gourmands.

Son torse musclé et quadrillé me fait me mordre les lèvres d’envie. Un canon.
Un véritable apollon ! Et bien que le moment soit peu approprié, j’ai une

infime pensée pour Abby : Dieu qu’elle avait raison ! C’est un Dieu ! Un
véritable Adonis.
Mais le must de cet érotisme vient un geste plus tard, quand souplement, il
envoie son pantalon valser à l’autre bout de la pièce. D’un sourcil relevé, il

m’intime l’ordre de l’imiter. J’hésite un instant à l’idée de me dévêtir

intégralement sous son regard. Je ne l’ai jamais fait et ne suis pas très à l’aise.
Mais son regard ancré au mien, il m’adresse un sourire d’encouragement. Je

décide de commencer par mes escarpins, mais contre toute attente, Doug me
stoppe.

— Garde tes talons Scarlett et ton collier. Bon sang, ce que tu es belle !

Ce n’est absolument pas ce que je pense de moi, mais je m’exécute, dégrafant

en premier mon soutien-gorge et le laissant choir. Doug ne manque pas une

miette du spectacle que je lui offre. Il a l’air si émerveillé que je deviens

audacieuse. Je le fixe sensuellement alors que mes deux pouces passent sous la
dentelle de chaque côté de mon tanga. A le regarder, j’ai l’impression d’être

sublime à travers ses yeux. Lentement, je descends petit à petit le tissu qui finit

par tomber au sol. Doug me tend alors la main et m’aide à enjamber l’étoffe
qui repose sur le tapis.

Il m’écarte de lui quelques instants et me contemple, un sourire de satisfaction

au visage. Je suis belle dans ses yeux. Je n’avais jamais ressenti cette
impression auparavant. Simplement habillée de mes chaussures et de mon

collier de perles, j’ai abandonné ma pudeur, m’exposant impudiquement à ses


prunelles brûlantes. Quand soudain, alors que je ne m’y attends pas, Doug me
repousse brutalement sur le lit. J’éclate de rire en tombant allongée sur le dos

sur le dessus de lit soyeux. Mais le feu que je lis dans son regard me fait bien

vite cesser. Ses iris brûlent de désir au point que je le trouve dangereux à ce

moment-là. Pas dangereux au point de craindre quelque chose pour mon


intégrité physique. Mais plutôt, une fièvre qui l’anime, rendant Doug presque

animal, prédateur. Il ne met guère de temps à me rejoindre, rampant tel un


félin, et moi, j’ai l’impression d’être sa proie consentante. Il se positionne au-

dessus de moi, les bras tendus et m’examine tout en entier, dominateur.

Manifestement satisfait de sa prise, ses lèvres se retroussent pour esquisser un

sourire quasi carnassier. J’aime !!

Mes yeux ébahis par la musculature de son corps ne peuvent s’empêcher de le

reluquer à mon tour, sans aucune discrétion. Je ne pense pas l’avoir jamais fait

aussi ouvertement, mais sa beauté est tellement captivante, enivrante, que j’en

oublie les conventions. Jamais je n’ai rencontré d’homme aussi parfait.

Physiquement j’entends - car côté caractère, c’est une toute autre histoire -
mais là, ce soir, à cet instant précis, son caractère n’est pas exactement ce qui

m’obnubile le plus, je dois l’avouer !

Son parfum boisé, associé à une note de musc m’envoute et je sais d’ores et

déjà, que désormais cette fragrance me rappellera Doug Doherty, à tout jamais.

Je vois ses yeux qui étincèlent, malgré la faible lumière, trahissant avec
certitude l’intensité de son désir.
J’aurais aimé avoir la force de le fuir à ce moment, ne serait-ce que pour lui
rendre la monnaie de sa pièce, en souvenir de la veille, mais cela m’est

absolument impossible. Tout mon être se consume de désir pour cet homme,

aussi méprisable et autoritaire soit-il. Et je dois bien l’admettre, à cet instant


précis, rien ne m’importe plus que de sentir son corps sur le mien, de frémir

sous ses caresses, de me soumettre à lui le temps de cette étreinte charnelle.

Alors, que son corps s’abaisse vers le mien, le couvrant de sa douceur, toute la

chaleur de sa peau se diffuse agréablement dans mon être. Ses lèvres

s’emparent à nouveau de ma bouche avec avidité. Son baiser me renverse, me

chamboule, me fait perdre la tête. Je suis comme ivre. Ivre de cet homme. Sans
interrompre notre baiser, le bras de Doug s’étend sur le côté et soudain la

lampe de chevet, située juste sur le côté du lit, s’allume. Je grogne dans sa

bouche, préférant l’obscurité pour cacher l’imperfection de mon corps, mais

Doug ne cède pas.

— Je veux te voir Scarlett. Je veux voir ton corps onduler sous mes caresses et
lire dans tes yeux le plaisir que je vais te donner.

Prétentieux ! je pense.

Et alors que je me recule pour gronder à nouveau mon mécontentement, Doug


m’en coupe immédiatement l’occasion, sa bouche se saisissant de la mienne

goulument et affamée. Et soudain ma priorité n’est plus de gâcher cet intense


moment. Je le désire trop. Tout mon corps le désire trop.
Ses baisers aussi fougueux que sauvages déclenchent en mon bas ventre de
furieuses contractions et mes seins n’attendent qu’une chose : que Doug s’en

occupe. C’est brut et cru comme attente et pourtant …

Sans doute, devine-t-il mes désirs les plus intimes, puisque d’une main experte,

il enserre un de mes seins et le pétrit sans ménagement, tandis que sa bouche se


pose sur mon autre mamelon, le malmenant de sa langue et de ses dents. Purée

que c’est bon !! Au bout d’un certain temps, Doug se redresse soudain et fige

son regard sur mes seins, qui se dressent vers lui, reconnaissants.

— Ta poitrine avait besoin de moi, semblerait-il. Dis-moi quels sont tes désirs

Scarlett, me demande-t-il d’une voix suave tellement sexy.

Je ne réponds pas, la réponse est si évidente, je le désire lui, tout entier ; et je

pense que mon corps qui se frotte à lui avec langueur lui parle directement.

Aucune parole n’est réellement nécessaire. Pourtant, je ne peux nier que mon

être entier est particulièrement sensible au timbre de sa voix grave. Jamais une

voix ne m’a fait frémir ainsi auparavant. Et personne ne m’a jamais demandé,

non plus, de lui exprimer mes désirs …

Sans attendre que je verbalise mes attentes, les lèvres de Doug se dirigent à

nouveau vers ma poitrine en suivant un chemin de baisers, plus doux, plus


sensuel. Impatiente de recevoir à nouveau ses faveurs, je me cambre pour

rapprocher mes tétons de sa bouche tout en guidant son parcours en


cramponnant mes mains à ses cheveux. Tour à tour, il porte son attention sur
chacun de mes globes tandis que je me meurs de plaisir. Comme une réponse
salvatrice à mon appel d’urgence, ses lèvres se posent alors, avec cérémonie,

sur chacun de mes mamelons comme une solution apaisante et immédiate, née

du feu de l’urgence. Chacun de mes seins accueille avec bienfaisance et


soulagement ses faveurs et le bruit gourmand de succion qu’émet sa bouche

m’excite encore davantage, si tant est que cela encore possible. Doug suçote et
aspire avidement mes tétons rosis érigés pour lui. Il les mordille, les lèche, les

mord, mettant tout mon être au supplice. Il besogne tout en émettant des râles

de satisfaction ce qui a pour effet de déclencher en moi une excitation

ahurissante. Son sexe fort et impressionnant m’effleure à plusieurs reprises et

mon bas ventre palpite d’impatience, incitant ma vulve à en battre le tempo. Je

deviens folle !! Totalement folle !

J’en veux plus. Beaucoup plus encore. Le désir et l’impatience de mon corps

sont tels que j’en perds la raison. Seule m’importe désormais la satisfaction

imminente de ce violent besoin qui m’étreint. Mon corps ondoie naturellement


en cadence sous ses caresses habiles et un feu de désir se diffuse maintenant

dans mes veines, irrigant mon corps tout entier de plaisir.

Mon bas-ventre trépigne d’impatience, ondulant en se frottant contre le bassin

de Doug, réclamant avec ardeur son sexe.

Suivant le feu sacré qui me dévore, la main de Doug chemine alors vers
l’intérieur de mes cuisses, les forçant à s’ouvrir pour lui. Enfin !!!
La proximité de ses doigts me rend folle et je tremble tant l’attente est longue
et pourtant si délicieuse. Lentement, il écarte davantage mes jambes,

m’exposant ainsi tout à sa vue. Et je réalise qu’il ne m’est jamais arrivé d’être

aussi impudique devant un homme. Malgré ma toute nouvelle audace, par


pruderie instinctive, je pose mon poignet sur mes yeux tandis que Doug me

reluque sans vergogne.

— Ne te cache pas Scarlett, tu es si belle. Regarde comme tu es belle.

Délicatement, il saisit la main qui barre mon front et la dépose à côté de ma

tête. J’ouvre alors les yeux, pour le regarder, lui. Une lueur d’admiration

illumine son regard et il reste un moment, installé entre mes cuisses à

m’observer avec vénération, sans s’en cacher.

Il me trouve belle ?

C’est en tout cas ainsi que j’interprète son regard concupiscent.

— Tu n’as pas à avoir honte, tu sais. Tu es magnifique à regarder, me rassure-

t-il d’une voix douce.

J’émets un sourire timide, très sceptique auquel il me répond. Puis d’un bond
rapide, il se dégage de moi, saute du lit et défait son boxer avec hâte. Son sexe
bondit avec fierté et mes yeux restent fixés un moment sur ce dernier à le

mater, effrontément. Ce n’est pas, bien sûr, le premier sexe masculin que je
vois, mais le sien me semble si impressionnant que l’envie de toucher sa peau

soyeuse et de le caresser me rend impatiente. Et ça, en revanche, c’est une


première pour moi car je n’ai absolument jamais ressenti ce besoin urgent de

participer à l’acte sexuel. De manière active, je veux dire. Non pas que je sois

désintéressée ou frigide, loin de là ! Je m’y suis pliée lorsqu’on exigeait de

moi plus de participation, évidemment.

Mais comment dire ? … disons juste que lors de mes précédents rapports, eh
bien … je m’exécutais quand mes partenaires m’y incitaient, mais je peux

l’avouer aujourd’hui, pour être franche, disons simplement que je n’y retirais

pas de plaisir particulier, le plus souvent, gênée et honteuse.

Or, c’est tout le contraire ce soir.

J’allonge une main envieuse, sans y être invitée, pour assouvir ce besoin

presque instinctif, tout nouveau pour moi, de le toucher. Mais Doug me coupe

tout élan, se mettant à rire doucement tout en secouant négativement la tête.

— Pas ce soir Scarlett. Ce soir, c’est tout pour toi.

Déçue de ne pouvoir satisfaire mon envie, je grogne et insiste, mais Doug

m’écarte la main, la plaçant à proximité de ma tête. Positionné à présent entre


mes cuisses, il me domine, superbe et lumineux. Son regard hypnotique me

sonde, s’assurant de mon obéissance. Pourtant, mes yeux, irrésistiblement


attirés par son large membre, ne peuvent se détourner de lui. Je trouve sa
manière de se tenir ainsi devant moi, me dominant, terriblement érotique. Mes

lèvres s’humidifient et je déglutis, avalant difficilement ma salive tant sa


posture me trouble. Son sexe fièrement dressé y est également pour beaucoup,
effectuant de petits soubresauts, impatient de me trouver.

Doug me retire le droit de caresser cette colonne de soie me narguant alors


que j’en meurs tout simplement d’envie. Frustrée, c’est seulement à ce

moment-là, que je réalise que tout ce que j’ai pu partager avec mes anciens

partenaires n’était que fadeur et ennui. Preuve en est, l’état d’excitation qui me
secoue entièrement. Ma tête et mon corps s’allient, le désirant si fort, que cela

en devient une véritable torture. Mon sexe, mouillé de désir et d’attente tremble

d’excitation, les battements de mon cœur pulsant même au creux de mon

intimité. Je n’ai jamais autant désiré un homme. Alors pourquoi me laisse-t-il

languir à ce point ?

Si mes ex-amants devaient fournir au préalable quelques efforts pour que mon

fourreau délicat puisse les accueillir, nul n’en est besoin ce soir. Tout se fait
naturellement, comme une évidence. Il m’observe avec un tel regard admiratif,

que j’ai dû mal à croire que c’est moi qu’il regarde. Pourtant, il est manifeste

que je lui fais quelque effet.

Son index vient alors se poser au niveau de mon nombril et un doux frisson
me parcourt, tant sa caresse est délicate. Le chemin sensuel vers le sud que

prend son doigt, avec une extrême lenteur, effleure à peine ma peau comme
s’il désirait s’imprégner du grain soyeux de ma peau. Réceptive au possible,

mon souffle devient irrégulier alors qu’il se rapproche petit à petit de mon
sexe. A plusieurs reprises, sa main contourne en douceur le triangle de mon
intimité et ma respiration se suspend le temps de cette doucereuse attente. Ses

doigts délicats provoquent en moi de telles réactions que, fébrile, je meurs

d’envie de le sentir en moi, qu’il prenne enfin possession de mon corps. Doug,

en revanche, semble en décider autrement puisqu’il fait durer cette


douloureuse attente, jusqu’à l’intolérable, concentrant toute son attention sur la

partie intime de mon anatomie, émerveillé par ma réceptivité à fleur de peau.

Quand quelques secondes ou minutes plus tard – je perds toute notion du temps

- son index s’égare le long de ma fente, je tremble. Doug me gratifie d’un

sourire satisfait fier du pouvoir qu’il a sur moi. Son doigt parcourt de haut en

bas, puis de bas en haut, ma fente humide hypersensible.

— Mon dieu Scarlett, ce que tu es désirable. Tu sembles si pressée de me

recevoir.

Avec beaucoup de sensualité, il retire son doigt mouillé de mon désir,

l’observe avec attention et d’un geste quasiment obscène, et pourtant si

érotique, le porte à sa bouche. Ses lèvres s’enserrent autour de l’objet et il le

lèche si sensuellement que je sens mon sexe tambouriner.

Je ne suis que sensations et frissons, n’ayant plus aucune idée cohérente,

complètement transportée dans un nouvel univers cotonneux où seul désir et


plaisir se côtoient. Ma perle de jouissance pulse les battements de mon cœur

tant elle s’affole, avide. Tous mes sens s’enflamment littéralement et je brûle
du désir de son corps, comme jamais auparavant.
Doug exerce sur moi une emprise incroyable, mon corps répondant avec
exaltation à chacun de ses effleurements. Il est désormais le maître de mon

univers, le maitre de mon plaisir.

Envoutée et languide, je m’abandonne dans les bras de cet extraordinaire

amant qui parvient à faire monter en moi une félicité impudique. Montant en
pression chaque terminaison nerveuse de mon être s’affole et réagit jusqu’à ne

plus pouvoir supporter cette onde délicieuse qui me ravage. Je ne parviens plus

à contrôler ni mon souffle, ni les gémissements, ni même l’agitation de mon

corps qui ondoie avec passion sous ses caresses. Je le désire à la folie.

Je n’ai aucune comparaison possible, les seuls amants m’ayant fait l’amour

jusqu’ici n’ayant jamais atteint un tel degré de sensualité. N’ayant jamais réussi

à me faire ressentir de semblables sensations. Et c’est au-delà de ce que je


pensais imaginable.

En fait, je ne me suis jamais abandonnée ainsi. M’exposer m’a toujours été

difficile, alors autant dire que c’est une découverte pour moi. Je ne m’en serais

jamais cru capable. Pourtant avec Doug, tout semble si naturel. Il n’hésite pas à
s’exprimer à voix haute et son timbre de voix rauque m’ensorcèle tandis que

ses caresses me grisent de tant de sensations.

Pour la première fois, je m’offre à un homme. Entièrement, véritablement. Et

ce qu’il me dit ou me prodigue est si délicieusement licencieux que j’en


demande encore.
Suis-je devenue délurée pour autant ou est-ce simplement mon amant qui me
rend folle ? Je pourrais certes, me poser la question, mais mon esprit a choisi

de laisser mes sens prendre le pouvoir, savourant avec avidité toutes les

étourdissantes sensations qu’il reçoit en cadeau.

— Tu es si délicieuse Scarlett, murmure Doug comme s’il dégustait une


douceur. Goûte-toi, me propose-t-il, replongeant son doigt sur mon humidité

et me le présentant.

Je le fixe à présent terriblement gênée, mes joues doivent être cramoisies et

j’ose espérer qu’il ne s’en aperçoive pas. Mais bien qu’emportée avec délice

dans ce jeu sensuel, je ne suis pas sûre d’être prête à me lâcher autant. Cela fait

déjà beaucoup pour une novice comme moi et honnêtement, je ne pense pas

être capable d’abandonner mes dernières réserves. Stoppée par mon blocage
que certains pourraient penser rigide, la magie de l’instant se suspend soudain.

Ce que Doug me demande est au-delà de ce que je suis capable de faire, je ne

suis pas suffisamment libre dans ma tête pour m’autoriser ce genre de folie.

C’est si cochon !!

Pourtant, devinant ma gêne, Doug dépose malgré tout, le nectar de mon désir

sur mes lèvres tel un gloss. C’est osé, la vache ! J’en ai presque honte, mais
tout en sondant mes grands yeux écarquillés, il rive son regard sombre au

mien et ajoute d’une voix suave :

— Passe ta langue sur tes lèvres maintenant. On ira doucement si tu as besoin


de temps.

Sa voix délicieusement grave réveille aussitôt en moi toutes les divines


sensations qu’il vient de m’offrir, chatouillant mon bas ventre, et abattant en

même temps ma dernière barrière. J’en ai envie. Bien que timide et gauche, j’ai

envie de prendre ce risque. Il ira doucement m’a-t-il promis. Je bous tellement


de désir pour lui, que ce soir, devant lui, j’ose.

Tous les couples font-ils « ça » ou seulement les hommes de la trempe de Doug

Je me sens si maladroite face à lui, j’imagine qu’il doit avoir l’habitude que les
autres femmes suivent ses règles de jeu. Me trouve-t-il ridicule ?

C’est un drôle de sentiment que de découvrir pour la première fois ce que faire

l’amour est véritablement, comme si toutes mes expériences précédentes

n’avaient été que de pâles contrefaçons.

Pourtant, Doug ne semble ni me reprocher ma maladresse, ni même se moquer

de mon inexpérience. Au contraire, au travers de ses actes et de ses paroles,


j’ai le sentiment qu’il prend plaisir à m’initier, m’éduquer en quelque sorte

afin de me former à une pratique dont j’ignore encore tant de choses. Malgré
la peur, malgré mon embarras, j’ai envie de m’y soumettre, envie de le suivre
dans cette voie qu’il m’ouvre, envie de me donner entièrement à lui. Je me sens

rassurée et je crois que je ne pourrais plus me passer cette intensité.

Cette réflexion, bien qu’aboutie, ne me prend guère plus que quelques


secondes avant que je ne m’exécute docilement. Franchissant ainsi une limite

supplémentaire, je m’offre totalement à lui, passant ma langue sur mes lèvres.

Je ne suis pas sûre de le faire avec suffisamment de sensualité, mais il me

regarde faire et mon sexe se mouille davantage tandis que son membre
effectue quelques soubresauts supplémentaires à la vue de ce gloss si spécial

que je lèche.

Dire que je me sens à l’aise serait mentir. Un court moment même, la honte me

submerge, probablement un reste de morale sociale bien enfoui au tréfonds de

mon esprit. Mais alors que ma langue passe puis repasse timidement sur mes

lèvres parfumées et que je découvre, pour la première fois, le goût de mon

désir, j’oublie très vite toute pudeur quand je lis dans le regard de Doug, qui ne
cesse d’observer mes lèvres, tant d’admiration que cela m’émeut.

Aussi étrange soit-il, il parait si captivé et ses yeux sont tellement étincelants,

que je m’étonne d’être moi-même à l’origine de son émerveillement. Ses

magnifiques prunelles sombres oscillent entre fierté et excitation et pour la


première fois dans une relation sexuelle, je me sens belle. Devant tant de

ravissement de sa part, je dévie mon regard pour risquer un œil vers son sexe
agité de petits soubresauts terriblement érotiques.

Mon amant de ce soir parvient à me libérer, m’offrant la possibilité de


découvrir tout un nouveau monde que j’ignorais jusque-là. J’ose pour la
première fois franchir ces frontières inconnues, guidée par cet homme
sublime qui me regarde telle une déesse ... que je ne suis pas.

Et pourtant, ses yeux sont si expressifs, ses iris si brillantes que je ne doute pas

un instant d’être à l’origine de son enchantement. Jamais, je ne me serais sentie

capable d’évoluer vers ce nouveau monde et j’aurais même, très certainement,


été offusquée par ces gestes si … lubriques ? … pervers ? … non, tout

simplement sensuels et érotiques.

Heureuse de l’émerveiller ainsi, je parviens même à en retirer un certain

orgueil à voir son membre palpiter ainsi alors que je finis de lécher,

maintenant avec délectation, mes fluides corporels.

— Tu vois comme tu es bonne ?

Je hoche machinalement le menton, sans oser prononcer une réponse à voix

haute. A la vérité, je suis incapable de dire si j’ai réellement apprécié la saveur

de mon nectar intime, tant le plaisir que j’en ai retiré était de constater l’effet
que j’avais sur Doug.

Etait-ce bon d’ailleurs ?

Je crois que finalement je pourrais répondre oui.

— Tu t’y feras et même plus, tu en raffoleras, tu verras. Je t’apprendrai, me

promet-il

Cette dernière phrase fait aussitôt naitre en moi deux espoirs d’un coup.
L’espoir fou que nous puissions recommencer encore et encore et celui qu’il
envisage également de poursuivre mon initiation.

Jusqu’à parfaire ma formation ?

Son visage plonge tout à coup dans mon entre-jambe et de délicieux coups de
langue me coupent immédiatement le souffle tant ils m’apportent du plaisir. Du

plaisir à l’état pur. Je suis peut-être ridicule en le disant, mais là encore, c’est

une première pour moi car jamais aucun homme ne s’est ainsi aventuré dans
mes chairs rose. Et c’est … absolument grandiose !

Je ne peux réprimer de petits geignements qui s’échappent seuls de ma gorge.

Mais quand, la langue de Doug se met à redoubler d’ardeur en lapant par de


petits coups brefs et fermes mes petites lèvres et mon bouton de plaisir, mes

gémissements se font alors cris, geignant sous cette incroyable torture. Je ne

vais plus pouvoir tenir bien longtemps maintenant. Tout mon être s’embrase

furieusement, hurlant cette montée du plaisir.

Pour la première fois, depuis le début de notre étreinte, j’ose prendre la parole
et ce n’est pas bien glorieux car j’ai beaucoup de mal à articuler, emportée par

la foule d’émotions qui m’animent.

— Doug …, bégayé-je, je vais …je vais …

— Jouir Scarlett ? m’aide-t-il.

— Oh, oui…oui …

Déjà, le feu qui crépite dans mon intimité commence à tout ravager sur son
chemin.
— Vas-y chérie. Jouis pour moi Scarlett, laisse-toi complètement aller à ton
plaisir.

Deux de ses doigts s’introduisent en moi, imitant les va et vient de la

pénétration et mon souffle devient alors complètement irrégulier, tout étant

désordonné en moi. Mon esprit s’enfonce peu à peu dans un état second tandis
que la langue de Doug poursuit ses lapements envoûtants. Seules quelques

secondes sous ce divin traitement suffisent à ce que je perde totalement pied.

Mon corps entier se contracte sous l’impulsion d’un pur plaisir dévastateur. Un

véritable raz de marée qui me submerge si puissamment que j’en perds tout

contrôle. Je hurle sans même essayer de me maitriser tant la secousse est


puissante, tant l’onde de jouissance est extraordinaire.

Quelques minutes passent avant que je ne puisse retrouver mes moyens et

retrouver un rythme cardiaque plus régulier tant la bourrasque de plaisir m’a

emportée. Quelque chose de si intense que c’en est même incroyable ! Jamais

je n’aurais cru ça possible.

Mais quand enfin, je parviens à rouvrir les yeux, toujours essoufflée et

chamboulée, la première chose que j’aperçois est le sourire pleinement


satisfait de Doug. Un sourire insolent doublé d’orgueil.

Il est juste à tomber par terre tant il est radieux.

Une lueur dans ses yeux trahit son émerveillement et j’en reste toute chose. Il
semble si fier ! Cependant mes pupilles sont alors soudainement attirées par la

vue de son sexe imposant. J’avoue m’être laissée emportée par cette déferlante

de jouissance sans m’être préoccupée de Doug. Je l’ai lâchement négligé et je

culpabilise à présent alors d’avoir pris du plaisir seule, quand lui me menait
jusqu’à cet orgasme ravageur. Son érection est si impressionnante !

— Et toi ? demandé-je, confuse.

— Ne t’inquiète pas pour moi chérie. Tu vas me donner tout le plaisir dont j’ai

besoin.

Chérie ? Vraiment ?

Ses propos me surprennent. Je n’ai jamais imaginé Doug pouvoir prononcer


des mots si tendres. Sans doute, le contexte explique-t-il son excès de tendresse.

Je vais lui donner tout le plaisir dont il a besoin, a-t-il dit ?

Comment ?

Je me sens si inexpérimentée pour cet homme. Comment pourrais-je parvenir


à le mener à un tel état de jouissance ? Je pense que malheureusement Doug

surestime mes capacités en matière de sexe et soudain l’angoisse d’être


incapable de lui rendre ce qu’il vient de m’offrir me contrarie.

Doug jette un œil furtif sur son sexe et sourit. D’un geste tendre, il caresse avec
douceur ma joue, me fixant droit dans les yeux.

— La prochaine fois, c’est toi qui t’en chargera, me prévient-il.


Je ne perds pas une miette du spectacle qu’il m’offre. Son sexe n’a pas perdu
de sa vigueur et les mouvements de son membre pulsant son désir font renaitre

en moi immédiatement un désir renouvelé.

Si tôt ?

Son corps d’Adonis est absolument parfait et regarder sa hampe frétiller

m’excite de nouveau. Une furieuse envie de le caresser se diffuse dans mon


esprit et j’ai du mal à le croire, mais oui : mon intimité en redemande ! Je le

veux en moi cette fois. Oh, oui, je le désire fortement.

D’un doigt curieux, Doug teste à nouveau mon niveau d’excitation et satisfait,
il arbore son magnifique sourire canaille.

Putain qu’il est beau !

— C’est bien, tu apprends vite chérie, commente-t-il avec satisfaction.

Soudain Doug se tourne vers la table de chevet, ouvre un tiroir et attrape un

petit étui carré.

Non ? Nous allons vraiment le refaire ?

Mon cœur fait une pirouette dans ma poitrine à la simple idée que cette fois, il
va vraiment venir en moi. Je n’arrive pas à contrôler mes yeux qui ne perdent

pas une miette du spectacle de Doug enfilant sa protection. Je l’observe sans


aucune discrétion, ne résistant pas au plaisir de l’admirer. Il gaine son pénis

avec tellement d’habileté que l’exhibition ne dure que quelques secondes à mon
grand regret. Son sexe a atteint une proportion considérable, et sous le léger
éclairage de la lampe de chevet, il capte la lumière avec tant d’esthétisme, que

j’ai bien du mal à me retenir de le caresser. Je ne désire toutefois pas que Doug

me prenne pour une nympho, révélant ainsi mon manque évident de sexe.

Aussi, voyeuse, j’assiste avec le plus de retenue possible au spectacle

merveilleux qu’il m’offre, me réjouissant d’avance. Mais me surprenant en


plein matage, Doug relève alors son regard vers moi et me sourit.

— La vue te plait ? La prochaine fois, c’est toi qui t’en chargera.

Ouh là là ! La simple idée que je puisse, moi, le guiper diffuse instantanément,

dans tout mon corps, une délicieuse onde de chaleur. Je commence à avoir
chaud. En serai-je capable au moins ? C’est que … je n’ai jamais fait ça !!

Soudainement je me mets stupidement à stresser, redoutant de ne pas être à la

hauteur face à lui.

Mais bien heureusement pour moi, Doug me permet de chasser mes doutes,

quoi que réjouissants, quand il se déplace pour venir se poser délicatement au-
dessus de mon corps. Lentement, avec une langueur parfaitement maitrisée,

son corps athlétique me recouvre, me donnant l’illusion d’une douce et


enjôleuse couverture.

Ses avant-bras si musclés reposent de chaque côté de ma tête et son torse, tout
simplement sublime, frôle le mien qui réagit aussitôt à ce doux contact. Ma

poitrine réactive frissonne et se dresse déjà, reconnaissant sûrement l’homme


qui lui a prodigué tant d’attentions.
Son sexe se positionne alors naturellement contre le mien, avec une telle
évidence que cela me surprend. Comme si nos deux corps allongés se

complétaient à merveille. Et après quelques délicieuses caresses où nos deux

sexes se frottent l’un contre l’autre en une danse sensuelle d’une manière plus
qu’évidente, sa colonne large et longue me pénètre d’un coup, révélant sa

force et sa vigueur.

Waouh ! Quelle sensation !

Instantanément, toutes les terminaisons nerveuses de mon corps éclatent à la

manière d’un feu d’artifice, mon désir pulsant de toute part. Un incroyable

courant électrique vient éveiller avec force chaque parcelle de mon anatomie.

Mes muscles internes se resserrent d’instinct autour de son membre imposant,

comme pour le retenir. Sa douceur et sa force cumulées sont absolument


délicieuses et enivrantes et je me laisse porter par cette multitude de sensations

grisantes. J’ai l’impression de flotter au-dessus d’un nuage.

— Bon sang que tu es bonne, souffle-t-il alors à mon oreille quand il

commence à bouger en moi. Si douce et si chaude Scarlett, tu vas me rendre


fou ! balbutie-t-il alors que ses estocs buttent dans mon intimité.

Si auparavant, j’aurais pu me froisser de ses propos, cette fois-ci, je ne m’en


formalise absolument pas, les accueillant même, comme un compliment

sincère. Je n’y vois aucune vulgarité seulement le plaisir d’un homme me


faisant l’amour. Il faut dire que ma tête recommence à tourner et je sens de
nouveau monter en moi cette douce folie des sens.

Mes yeux restent grands ouverts, Doug est si magnifique dans l’effort. Ses
épaules larges et fortes se recouvrent peu à peu d’une fine bruine de sueur et

quelques boucles de ses cheveux se collent à son front. Il est si beau !

Ses coups de reins redoublent bien vite d’intensité et je m’abandonne, dérivant

avec délice vers cet état cotonneux, abandonnant toute maitrise. Je ne cherche
absolument pas à résister, je me laisse, au contraire, emporter vers cet état

voluptueux où seuls importent Doug et moi faisant l’amour. Plus rien ne

compte davantage que nous deux unis, ne faisant plus qu’un. Mes mains

caressent avec délectation son dos athlétique, jouant des creux et des bosses de

ses muscles qui roulent sous mes doigts, alors que son bassin frappe le mien

avec de plus en plus de puissance. J’aime la douceur de sa peau. J’aime sa


force. J’aime les sensations qui parcourent mon corps et mon esprit, me

délivrant peu à peu de toute autre considération. Juste Doug. Juste Doug et moi

faisant l’amour.

Si j’avais quelques années de moins, je pense que je partirais très vite graver
dans l’écorce d’un arbre la plus belle déclaration adolescente : D + S, inscrit

dans un cœur transpercé d’une flèche.

Alors que Doug se saisit avec ardeur de ma bouche, je passe une de mes mains

dans ses cheveux et les ébouriffe avec un plaisir non dissimulé. Ses boucles
soyeuses glissent entre mes doigts, je m’y agrippe et je savoure ce geste si
quelconque et pourtant si intime. Je ressens un besoin irrépressible de le
toucher, de le caresser et de profiter de chaque centimètre carré de sa peau. Je

m’imprègne de son odeur mélange subtil de son parfum et de sa transpiration.

Un puissant aphrodisiaque. Dans un autre temps, cette simple sensation


m’aurait sans doute levé le cœur, mais pas ce soir. Pas avec Doug. J’en raffole

au contraire.

Subitement, mon corps sollicité, caressé et aimé s’embrase et mes muscles

intimes se contractent avec force autour de son pénis qui me donne tant de

plaisir. Ils l’enserrent si fort que j’ai même peur, un instant, de le compresser.

Mais ce n’est, bien évidemment, pas le cas. Quasiment aussitôt, Doug


m’adresse un sourire vainqueur, juste avant d’exploser, lui aussi, quelques

toutes petites secondes après moi, en une jouissance extatique.

Un râle rauque et viril, s’échappe de sa gorge comme une longue plainte de

plaisir, tandis qu’il plaque instinctivement son bassin contre le mien, pour ne

se séparer que pour trois derniers estocs encore plus puissants, et bestiaux,
plongeant au plus profond de mes entrailles.

Cette fusion absolue de nos deux corps est si musclée qu’en cet instant, nous ne

faisons plus qu’un, collés l’un à l’autre. Nos regards s’ancrent l’un à l’autre
dans cette ultime pulsion où l’extase a investi nos êtres avec force, ses pupilles

brunes, enflammées par le plaisir me confirment que Doug a - tout comme


moi - atteint un état de parfaite plénitude.
L’histoire d’un instant, plus rien ne compte, vraiment plus rien, sinon que le
bonheur absolu que nous partageons. C’est absolument parfait ! Fabuleux !

Magique ! Je n’avais jamais connu ça. Vraiment jamais ! Et je souhaiterais que

cet instant ne s’arrête jamais et qu’il reste gravé pour toujours dans ma
mémoire.

C’est alors que je comprends seulement que je viens de vivre mon tout

premier, véritable orgasme.

Epuisé, vidé, Doug s’affaisse sur moi avec mille précautions pour ne pas

m’écraser. Mais même si c’était le cas, je suis tellement bien que je suis sûre

que je ne sentirais rien, tant je plane. Jamais, je n’avais pensé pouvoir ressentir

un plaisir aussi intense que profond. Tout mon être est encore imprégné de

cette volupté que seuls peuvent apporter un trop plein d’endorphines.

Le mythe de l’orgasme dévastateur qui n’était pour moi, jusqu’à présent, que

de simples fadaises nées de l’imagination débordante de journalistes en mal

d’articles dans les magazines féminins, teinte aujourd’hui mon esprit d’un

magnifique enivrement lascif. Je peux donc en attester aujourd’hui, cet


orgasme si puissant et si jouissif existe bel et bien et c’est juste Waouh !

Complètement hallucinant, incroyablement stupéfiant !

Les hormones du plaisir qui se sont répandues dans tout mon corps me laissent

un moment encore dans cet état orgastique, une véritable explosion des sens
ayant envahi tout mon être.
Chapitre 19

Sans même m’en apercevoir, dans un état de béatitude qui me berce encore, je

m’endors sereine dans les bras sécurisants de Doug, ma tête nichée dans le

creux de son épaule. Epuisée et soulagée de toute cette tension sexuelle qui
crépitait entre nous depuis quelques jours déjà. Je laisse la torpeur dans

laquelle je me trouve, m’envahir et me détendre jusqu’à l’abandon total.

C’est un rayon de soleil, quelques heures plus tard, qui m’éveille et quelques

secondes me sont nécessaires pour réaliser où je me trouve vraiment. Dans la

chambre de Doug. La tête toujours appuyée sur son torse, son bras ceint mon
ventre, lourd et possessif.

Pendant les tous premiers instants, encore à demi endormie, je m’attarde à


observer la pièce dans laquelle je me trouve, chambre que je n’ai pas vraiment

eu l’opportunité d’observer la veille. Peinte en blanc, des touches de couleur


marron réchauffent de manière virile l’ambiance de son antre. Chaque meuble,
tableau ou bibelot semblent avoir été pensés et placés de manière réfléchie.

Toute cette pièce respire Doug. Sa chambre est immense et au premier coup
d’œil, je dirais que l’appartement qu’Abby et moi partageons doit facilement
rentrer deux ou trois fois à l’intérieur de cette pièce.

Une immense baie vitrée donne sur l’emblématique central Park et sur le mur
adjacent j’entre-aperçois une alcôve qui doit probablement donner sur une

salle de bain ou sur un dressing, peut-être. En tout cas, je n’ai jamais vu de

chambre aussi grande.

Curieuse d’en connaitre davantage sur l’homme qui dort encore à mes côtés,
j’examine avec plus d’attention les quelques objets rares qui décorent la pièce

et je devine aussitôt qu’ils doivent tous être précieux, de même que les

quelques tableaux qui ornent avec raffinement les murs. Tout dans sa chambre

est beau, mâle et sophistiqué.

A son image, finalement.

Pendant un instant, une légère panique me presse, réfléchissant sur la conduite

à tenir. Dois-je attendre que Doug se réveille ? Prendre une douche et aller

préparer le déjeuner ou bien simplement m’en aller ? Je ne sais pas, en fait, ce


que Doug attend de moi et j’hésite du coup sur l’attitude à adopter.

Ce qui devrait être aussi simple que restée blottie dans ses bras et profiter de

cet état de grâce, le temps qu’il se réveille, ne l’est pourtant pas. La situation
entre nous est si complexe ! Entre les multiples agitations qui nous animaient
jusqu’hier et cette histoire bancale de contrat que j’ai tout d’abord signé puis

réfuté la veille au soir, le moins que l’on puisse dire est que notre relation n’est
pas commune. Me posant probablement trop de questions, je me demande
pourquoi ne pourrions-nous pas nous comporter simplement comme le ferait

deux personnes ordinaires qui auraient partagé leur nuit de manière aussi

intime ? Pourtant, tout me semble si différent et si compliqué à la fois. Et

pourtant !! L’alchimie de nos corps que j’ai ressentie alors que Doug me faisait
l’amour était bien réelle ! Mais Doug l’aura-t-il ressentie aussi intensément que

moi ?

A vrai dire, peut-être présomptueusement, je serais tentée de répondre par

l’affirmative, mais ce qui a été extraordinaire pour moi l’a-t-il tout autant été

pour lui ? Mais Doug est-il si habitué à cet état de grâce qu’il n’en aura pas été

bluffé ?

Face à ce dilemme du réveil post baise, ce qui me contrarie le plus est

incontestablement la vulnérabilité dont je fais preuve maintenant. Pour me


protéger, j’ai toujours fourni de réels efforts pour compenser mes faiblesses,

ayant toujours la crainte de m’exposer et de souffrir par la suite. Ma nature

profonde est toute autre que celle que j’affiche au quotidien. D’un tempérament
naturellement timide et réservé, j’ai vite compris que ces défauts

constitueraient des handicaps pour construire ma vie. Aussi avec force et


conviction, je me suis attelée à me forger une nouvelle personnalité, beaucoup

plus sûre d’elle, quasi invincible. Le mot est bien sûr trop fort, mais il indique
au moins le sens vers lequel je souhaitais tendre. J’ai donc composé depuis

plusieurs années pour donner de moi l’image d’une femme au fort


tempérament.
L’une de mes stratégies était, en outre, de maitriser les situations. Ainsi, tous
les beaux gosses, légèrement crâneurs qui auraient voulu s’intéresser à moi,

étaient systématiquement balayés d’un revers de main : inutile de chercher les

ennuis. Ce qui explique sûrement aussi, que les quelques relations intimes que
j’ai eues étaient pâles et sans saveur. Aucune séparation n’a été déroutante pour

moi dans la mesure où je n’y accordais finalement pas beaucoup d’importance.


En somme, un nouvel homme dans ma vie chassait sans grand mal son

prédécesseur sans que je ne m’y attarde vraiment.

C’est un peu ce qui s’est passé avec Kevin. Notre rupture à la fin de nos études

s’est faite presque naturellement, chacun suivant le chemin qu’il s’était préparé.
Pas de disputes, pas de pleurs, un simple sentiment de nécessité pour chacun de

poursuivre sa voie. Et je dois dire que jusqu’à présent, cela avait assez bien

fonctionné.

Or cette annihilation de force et de volonté que créée par sa simple présence

Doug m’irrite et me déstabilise à la fois, car j’exècre de me retrouver ainsi


dans cet état de fragilité. Mais pour une raison qui m’échappe totalement, il est

parvenu à faire sauter mes défenses et à toucher mon véritable « moi ».

Je sais pertinemment que Doug est un homme trop dangereux pour moi et
curieusement, je l’ai laissé m’approcher. Or il est évident que j’aurai beaucoup

plus à perdre à son contact que l’inverse. Je dois quitter ne serait-ce que
quelques instants mes ornières et faire le morne constat que tout est différent
avec Doug. Il m’attire bien plus que cela ne devrait être et c’est bien là que

réside le danger pour moi. Or, toute tentative d’évitement de ma part a échoué.

Nous n’avons plus reparlé du deal depuis notre nuit, mais je redoute encore

plus ce matin, les conséquences que pourraient avoir cet étrange compromis.
Je risquerais de me méprendre et de perdre le contrôle de mes sentiments.

Tomber dans ce piège pourrait m’être fatal, à savoir y laisser un morceau de


mon cœur. Et connaissant mes faiblesses secrètes, je n’aurais jamais dû me

lancer dans ce challenge. Je ne parviens seulement que depuis quelques temps à

être celle que j’aurais souhaité être, forte et pugnace, et là, à ses côtés, à

l’inverse, ma carapace s’est fissurée peu à peu.

A ma décharge, c’est lui qui m’a mise au pied du mur en menaçant le poste

d’Abby. Mais à la réflexion ai-je réellement accepté son deal à cause de cette

menace ou pour une raison beaucoup plus obscure qui pourrait m’impliquer

« moi » personnellement ?

Je me redresse délicatement du lit, de façon à ne pas le réveiller et déplace son


bras lourd posé sur mon ventre. Je ne peux résister à l’envie de le regarder

endormi quelques secondes encore tant il est beau et terriblement séduisant.


Dans cet état d’inconscience, quelque chose en lui est fascinant. Ses traits sont

détendus et ses lèvres entre-ouvertes sourient presque lui donnant un air


sensible, presque fragile. En tout cas, bien loin de l’image du P.D.G hautain et

arrogant qu’il donne de lui à Doherty Press.


Chassant mes douces pensées romantiques, je me lève enfin, sans faire de bruit,
récupère mes vêtements éparpillés au sol et m’habille rapidement, veillant à ne

pas le réveiller. Je stoppe immédiatement quand je l’entends soudain gémir en

se retournant dans le lit, mais sa respiration régulière reprend quelques


secondes plus tard et Doug ne se réveille pas.

Je jette un dernier coup d’œil au réveil, il est déjà six heures et il est grand

temps que je parte. Avant de franchir la porte, je me retourne une dernière fois

pour l’admirer puis quitte la chambre, mes chaussures à la main.

Je suis soudain prise d’une légère panique arrivée devant l’ascenseur.

Comment vais-je descendre sans le code ou la clé ? Doug m’a lui-même avoué

que le code était changé quotidiennement par l’entreprise de sécurité qui est en

charge de son appartement. Et chaque jour, un nouveau code lui est adressé sur
son smartphone, ce qui rend quasiment impossible à quiconque de pénétrer

chez lui sauf à se munir de la clé qui déverrouille l’ascenseur en toute

situation.

Je jette un regard circulaire dans le vestibule et par une chance inouïe, sur la
console, j’aperçois la fameuse petite clé, accrochée à son trousseau.

Délicatement, je l’insère dans la serrure prévue à cet effet et pénètre dans la


cabine.

Quand enfin, j’arrive dans mon appartement, quarante minutes plus tard,
l’arôme du café envahit déjà plaisamment l’espace. Le sourire habituel d’Abby

m’accueille et son œillade mutine me fait immédiatement comprendre qu’elle

ne me laissera pas tranquille tant que je ne lui aurais pas donné quelques

informations croustillantes. Calmement, je prends place à ses côtés, prête à


subir l’assaut de sa curiosité.

— Quoi ? lui demandé-je feignant l’agacement, alors qu’elle reste plantée

devant moi, son sourire narquois aux lèvres, sans rien dire.

Abby pouffe alors de rire, plissant ses magnifiques yeux en deux petites fentes,

comme le font les chats. Son regard insistant me scrute avec attention.

— Tu l’as fait !!! Oh mon Dieu, tu l’as fait !!! s’exclama-t-elle.

Le rouge me monte aussitôt aux joues et je baisse les yeux vers ma tasse de

café, me contentant d’approuver d’un signe de tête.

— Alors ? Alors ??? répète-t-elle impatiente.

— Alors quoi ? Que veux-tu savoir Abby ? je souffle exaspérée et surtout

gênée.

Ce n’est pas que je n’ai pas envie de lui répondre, non, c’est juste que je
ressens un petit pincement au cœur vis-à-vis d’elle. Abby idolâtre Doug
Doherty, depuis son arrivée à Doherty Press, pas une journée ne se passe sans

qu’elle parle de lui en termes élogieux et rêve de lui éveillée. Elle le voit
comme le prince charmant des temps modernes, l’idéal même de l’homme.

Alors oui, ça me gêne de lui raconter quelques détails de ma nuit avec lui,
sachant pertinemment qu’elle aurait tout donné pour être à ma place.

— Et bien, raconte !! Tu me dois bien ça, non !?

D’emblée, je m’interdis d’être trop explicite. Et puis, je n’oserais pas non plus.

— C’était bien, réponds-je laconiquement.

— Bien ?? C’est tout ??!! Arrête Scarlett. Je n’en crois pas un mot ! Faire
l’amour avec Doug ne peut être que simplement bien !! Je ne te crois pas !

— Ok Abby, je capitule sinon je sens que tu ne me lâcheras pas. Alors si tu

veux savoir, c’était très très bien. Voilà, tu es satisfaite ?

Abby hausse les épaules nonchalamment et descends du tabouret afin de placer

sa tasse dans le lave-vaisselle.

— Abby, soufflé-je. Je suis désolée, vraiment, m’excusé-je. Je sais que tu es

amoureuse de Doug et je ne veux simplement pas te faire souffrir en t’en

parlant. C’est tout. De toute façon, nous deux c’est fini, rajouté-je en baissant la

voix.

Abby se retourne d’un mouvement preste et me fixe tout à coup, les yeux
écarquillés.

— Comment ça fini ? Mais tu es folle ou quoi ?! s’exclame-t-elle. Mais

pourquoi ? me demande-t-elle incrédule. Si c’est à cause de moi …

— Ce n’est pas à cause de toi, c’est simplement que …

J’hésite à lui répondre franchement.


— Abby, tu sais très bien que tout cela ne mènera à rien. Ce n’est qu’une
mascarade, un leurre ! Tu le sais bien ! Tout l’intérêt que me porte Doug est

uniquement lié à notre contrat. Il n’y a rien de réel dans notre « relation »,

accompagné-je ce dernier mot de guillemets gestuels. D’ailleurs, ce dernier


mot « relation » n’est même pas adéquat. Il n’y a rien de vrai entre nous, rien,

insisté-je déçue. Tout ce que Doug attend de moi, c’est que je lui sauve la mise
devant sa famille. Et quelle que soit la suite de ce qui s’est passé cette nuit, toi et

moi savons très bien que tout s’arrêtera à la fin du mois. Au grand maximum

le mois suivant, me répété-je pour moi, comme si je devais intégrer cette

donnée et l’assimiler.

— Je tiens à te rassurer et être honnête avec toi Scarlett, je ne suis ni jalouse, ni

envieuse. Je sais très bien que Doug n’est pas un homme pour moi, m’avoue-t-

elle avec fatalisme.

Et ça me blesse qu’elle puisse le penser.

— Ne dis pas ça Abby, je lui réponds tristement. Tu es une jeune femme

merveilleuse et je pense qu’au contraire ce genre d’homme ne te mériterait


pas.

Je ne peux supporter qu’elle se sous-estime ainsi. Abby est une personne


extraordinaire, pétillante et très jolie en plus de ça. Alors, pourquoi ne

pourrait-elle pas, elle aussi, prétendre à obtenir l’amour d’un homme digne
d’elle ?
D’ailleurs qui pourrait bien prétendre à recevoir l’amour de cet homme ?

Doug est tellement dans le contrôle. Qui saurait-être capable de capturer son
cœur ? Je me le demande bien. En tout cas pas une femme aussi insignifiante

que moi, ça c’est sûr ! Finalement, je ne suis pas si loin du fatalisme d’Abby.

Il n’est pas une semaine sans qu’il ne fasse la une des tabloïds, chaque fois en

compagnie d’une jeune femme toujours plus belle et toujours plus aguichante.
Alors pourquoi s’enticherait-il de quelqu’un d’ordinaire ? Cette idée est

résolument stupide et non recevable.

Pourtant, comme si je m’accrochais à cette éventualité totalement illusoire, je


me fais la remarque qu’aucune de ses compagnes, aussi sublimes soient-elles,

ne semble obtenir suffisamment longtemps ses grâces pour apparaitre la

semaine suivante sur ce même journal. Alors, c’est quoi son problème ?

Pourquoi n’arrive-t-il donc pas à trouver la perle rare ?

Est-il simplement un séducteur-collectionneur qui veut profiter de toutes


femmes qui s’offrent à lui ? Ou bien son caractère si impétueux fait-il fuir

toutes ses prétendantes ?

Mince ! Je suis encore partie dans mes digressions romantiques ! Comme si


j’étais précisément celle qu’il aurait cherchée tout ce temps !! Abby me fixe de
ses grands yeux noisette innocents.

— Tu mérites tellement mieux Abby, je lui réponds finalement.

Elle est si gentille et si loyale que je la vois difficilement partager sa vie avec
un compagnon aussi retors et tyrannique que peut être Doug. Qui pourrait bien
l’être d’ailleurs ? Et ce n’est pas davantage à lui que j’imaginerais donner mon

cœur un jour !

Comme son regard semble s’apitoyer sur moi, je tente de rassurer aussitôt

mon amie.

— Ne te soucie pas pour moi Abby. C’était juste l’histoire d’une fois et ça ne
se reproduira pas, je lui précise, il ne peut en être autrement.

Elle me regarde, sceptique et je vois bien qu’elle réfléchit mais je ne parviens

pas à déchiffrer ses pensées.

— Tu sais que j’ai rencontré quelqu’un récemment ? me demande-t-elle les


yeux soudain illuminés.

— Tu parles du dernier type dont tu m’avais parlé ?

— Oui, Sean. On s’est revus tous les deux.

Je la regarde et prend plaisir à lire dans son regard une étincelle rêveuse.

— Alors ? Je t’écoute, je lui demande à mon tour curieuse. Il semblerait que tu


aies, toi aussi, des choses à me raconter.

— Alors, comme je te le disais, il s’appelle Sean, me répond-elle en

rougissant.

— Et ? demandé-je, impatiente d’en apprendre davantage sur celui qui fait


rougir mon amie rien qu’en prononçant son prénom.
— Nous devons nous revoir ce soir, ajoute-t-elle gênée.

— Et que fait ce monsieur Sean dans la vie, m’informé-je en riant, car vois-tu,
je ne lui accorderai pas le droit de courtiser mon amie, sans m’être assurée

auparavant que ses intentions sont louables.

Abby glousse de plaisir et c’est un véritable bonheur de la voir rougir autant.

— Il travaille également chez Doherty Press. Au service juridique, plus

précisément, m’informe-t-elle. En fait, il fait partie de l’équipe qui instruit tous

les contrats que passe la société. Il n’a été recruté que dernièrement par Doug.

— Bien, j’approuve, et ses intentions sont-elles louables alors ? m’amusé-je.

Tu sais qu’il va devoir me montrer patte blanche avant de te courtiser.

Abby, enthousiaste, joue le jeu.

— C’est un homme charmant, je te ferai dire. Il a trente ans et il est avocat


depuis trois ans. Et au demeurant, c’est un très bel homme et il me fait rire, se

justifie-t-elle.

Je plaisante avec elle mais je vois bien dans son regard la petite lueur qui

illumine ses pupilles. Abby serait-elle tombée sous le charme de ce fameux


Sean ? Un sentiment de protection me saisit presque immédiatement et je
ressens tout aussi vite le besoin de rencontrer cet homme pour m’assurer par

moi-même s’il n’est pas du genre à briser le cœur de mon amie. Une vraie
maman poule !

— Et que dirais-tu de me le présenter ? proposé-je.


Elle me toise quelques instants cherchant à lire dans mes pensées.

— Tu n’as pas confiance en moi ? s’étonne-t-elle.

— En toi ? Bien sûr que si ! je rétorque aussitôt. Je veux juste m’assurer que ce
charmant jeune homme est digne de confiance.

— Il l’est, m’assure-t-elle aussitôt.

Sans doute un peu trop vite, et elle s’en rend compte car elle se met à rougir de

nouveau et glousse adorablement comme une jeune enfant prise sur le fait. Je

rigole à la voir ainsi.

— Tu es adorable Abby, je lui dis et je ne laisserai jamais personne te faire du

mal. Tu es comme une sœur pour moi, tu sais, je lui avoue avec sincérité. Tu es

la sœur que je n’ai jamais eue.

— C’est toi qui es adorable Scarlett et je te considère également comme ma


sœur et moi non plus, je ne tolèrerai pas que l’on te fasse souffrir. Alors, fais

bien attention à toi et à ton petit cœur aussi, me dit-elle tout en m’enlaçant.

Cette belle preuve d’amour de si bon matin me va droit au cœur. Ses paroles si

gentilles replongent mon esprit vers Doug. Risque-t-il vraiment de me briser le


cœur ? Non c’est stupide ! Complètement idiot, puisque comme je l’ai annoncé
plus tôt à Abby, c’était l’histoire d’une nuit. Une seule et unique nuit.

Plusieurs scènes de notre nuit torride défilent devant mes yeux et si cela doit

rester notre seule et unique étreinte, je souhaite en garder longtemps le


souvenir. Ça été pour moi un moment extraordinaire.
Evidemment, je mentirais en taisant le fait que j’aimerais que cela se
reproduise encore et encore, mais j’aurai au moins, une fois dans ma vie,

ressenti le grand frisson. Et rien que pour cette raison, je ne regrette pas ce qui

s’est passé la veille. A présent, j’ai matière à comparer et je sais que je ne me


satisferai plus de médiocrité. J’ai mon point de repère. Et puis, qui sait de quoi

l’avenir sera fait ? Peut-être un jour, rencontrerai-je moi aussi un homme qui,
lui aussi, parviendra à me hisser aussi intensément dans les nimbes de

l’amour ?

Enfin, quoi qu’il en soit, pour l’heure, c’est Abby qui a raison : je dois rester

vigilante. Car si Doug a bien été le premier, effectivement, à me faire


découvrir toutes ces fantastiques sensations, il pourrait bien également,

s’avérer être le premier à me faire pleurer à gros sanglots. Et c’est de notoriété

publique, que Doug est un séducteur invétéré, et il y a de grandes chances pour

qu’il le reste à jamais. Tout du moins … jusqu’à ce qu’il tombe sur la femme

qui parviendra à capturer son cœur. Ou bien … peut-être finira-t-il par céder
aux injonctions de ses parents en épousant celle qu’on lui destinera. Enfin …

quel que soit cet avenir, ce que je sais d’ores et déjà avec certitude, c’est que je
n’en ferai pas partie. Alors autant faire preuve de jugeote et de raison dès à

présent. Abandonner toute forme d’espoir mal placé est très sûrement la chose
la plus sensée à faire. Doug poursuivra son mode de vie de jet setter, encore un

bon moment, et moi … ma route … sans lui.

Honnêtement, je doute qu’il se conforme un jour aux souhaits de ses parents et


qu’il se range aussi facilement. En tout cas, j’ai beaucoup de mal à le croire
aussi docile que ça. D’ailleurs, à cet effet, ne suis-je justement pas payée pour

contrer les plans d’entremetteuse de sa mère ? Encore, qu’à la vérité, je ne suis

plus vraiment où nous sommes. Doug s’est-il enfin résigné à me laisser


partir ? Nous n’en avons plus parlé dans la soirée, alors qu’en est-il

actuellement de ma situation ? De mon travail ?

— Tu travailles en définitive ce matin ou non ? me tire Abby de mes pensées.

— Euh …eh bien, à vrai dire, je l’ignore.

— Tu l’ignores ? m’interroge amusée mon amie.

— Eh bien oui, en fait. C’est-à-dire que je lui ai bien annoncé ma démission,


mais il l’a refusée et puis après …

— Hum, je comprends. Après ce n’était plus vraiment à l’ordre du jour, c’est

ça ? me questionne-t-elle mutine.

— Effectivement, j’approuve.

— Bon eh bien, puisqu’il l’a refusée, je dirais que … eh bien qu’en fait, oui. Tu

fais toujours partie de la team Doherty.

— Tu crois ? Je ne sais pas …

— Taratata, pas à moi Scarlett. Doug te veut. Et il te veut omniprésente à ses


côtés, alors je dirais qu’effectivement, tu es toujours employée.

— Tu penses ?
— Allez, dépêche-toi, file te préparer ! On va finir par être en retard !

Sans être certaine que ma présence soit vraiment appréciée, je me laisse


convaincre et me voici en train de courir, en toute vitesse vers la douche pour

me préparer en deux-deux. Sans réfléchir davantage, j’attrape dans ma

penderie une petite robe d’été blanche et rouge, très simple, mais que je trouve
très mignonne. Ce n’est bien évidemment pas une robe de couturier. Et elle ne

coûte pas bien cher mais je l’aime bien. Cintrée à la taille, elle présente un beau

décolleté qui met en valeur ma poitrine et sa jupe évasée, juste au-dessus de

mes genoux, allonge ma silhouette pour peu que je porte quelques petits talons.

Après une mise en beauté expresse, je rejoins enfin Abby qui se tient déjà
devant la porte d’entrée à m’attendre.

Nous faisons le voyage ensemble en parlant davantage de Sean que de Doug –


ce qui me convient parfaitement - et nous nous séparons dans le hall de

Doherty Press. Comme à l’accoutumée, Abby me débloque l’accès du 32ème et

je monte rejoindre mon bureau. L’étage est encore vide. Je suis seule et ma

toute première tâche est d’allumer mon ordinateur pour vérifier l’agenda de
Doug, afin d’anticiper la journée. J’aime le calme qui règne ici. Tout est feutré
et j’apprécie particulièrement l’esprit des lieux avant que tout ne s’éveille.

J’ai autant hâte de revoir Doug que je redoute le moment. Comment va-t-il

réagir ce matin en me retrouvant ? Des tas de scénarios s’esquissent en moi,


frôlant tout aussi bien les extrêmes de la joie que celle de la colère de me
retrouver ici, dans les bureaux de Doherty Press. Doug est si lunatique, que

franchement, je ne sais absolument pas comment appréhender sa réaction.

Aujourd’hui encore, le planning prévu me laisse supposer que la journée

devrait être relativement calme et cela me rassure un peu. En revanche, les

cases des jours suivants sont grisées, me rappelant aussitôt que nous devons
nous rendre à Atlanta dans deux jours pour tenter le rachat des éditions

Folding. Mince ! Je l’avais presque oublié ! Et je ne sais si je dois m’en réjouir

ou au contraire le craindre. Passer trois jours en tête à tête avec Doug pourrait

s’avérer si agréables si nos jours ressemblaient à notre nuit. Mais si Doug

revêt, comme je le pense, son uniforme de P.D.G pendant ces trois journées –
comprenez professionnel et autoritaire – alors, je doute y prendre plaisir.

Je prends conscience qu’en ayant couché avec lui cette nuit, j’ai tout bonnement
compliqué davantage encore nos rapports qui n’étaient déjà pas si simples à la

base !

Concernant sa matinée, une réunion est prévue en salle de conférence à 10

heures et il est fort probable qu’il passera par le bureau avant de s’y rendre. Si
j’avais l’opportunité de disparaître de l’étage ce matin, je n’hésiterais pas une

seconde. Il y a les personnes qui affrontent courageusement les événements et


puis, les plus faibles, ceux qui choisissent la fuite. Et étrangement, depuis que

j’ai rencontré Doug, j’ai tendance à faire partie de cette seconde catégorie.
Malheureusement, mes tâches de la journée ne justifient en aucun cas que je me
rendre dans un autre service ou mieux encore aux archives où je pourrais me

planquer. La couardise n’a jamais été l’un de mes défauts, mais depuis

quelques temps, oui.

Si j’étais un tant soit peu intelligente, je l’affronterais aussitôt que possible, au

lieu de chercher à tout prix à retarder la confrontation qui sera de toute


évidence nécessaire. Il faudra bien que nous parlions tôt ou tard de ce qui s’est

passé hier. Et finalement, le plus tôt sera le mieux. Avec toutes les tensions que

nous avons supportées, il nous faut absolument mettre à plat notre situation.

Peut-être pourrai-je espérer un changement de service ? Au pire, je pourrais

même envisager de me déraciner de New-York et accepter un poste qui en


vaudrait la peine dans l’une des succursales, je suppose. Ce n’est pas vraiment

ce que je souhaite, mais bon, tout reste envisageable … Je ne suis pas attachée à

cette grande ville, alors … Malgré tout, je préférerais rester auprès d’Abby.

Donc après réflexion, j’opte pour un changement d’étage et de supérieur,

n’importe lequel, cela m’est égal, sauf à me retrouver sous les ordres de la
sorcière, second despote de la société !

Avec l’arrivée de Betty, l’étage s’éveille aussitôt sous son sourire lumineux.
Son enthousiasme, communicatif égaie instantanément le silence des lieux,

comme si les bureaux sortaient enfin de leur nuit. L’observant s’installer avec
bonne humeur, je réalise que j’aurai aimé apprendre à mieux la connaitre, mais

Dieu sait maintenant si j’en aurais vraiment l’occasion ?


Grande avec de jolis cheveux bruns qui lui arrivent aux épaules, elle est jolie
certes, mais ce qui la rend plus appréciable encore, c’est cette joie de vivre qui

la suit partout où elle se rend. Un peu comme Abby finalement. Performante au

bureau, elle est d’une aide précieuse.

Après nous être saluées et avoir échangé quelques paroles sympathiques, je


l’interroge afin de régler avec elle, ce problème d’ascenseur. Ceci, bien sûr, en

anticipant sur le fait que je vais rester en poste. Mais si tel est le cas, alors

j’exige à présent vraiment, de disposer du code pour pouvoir me déplacer à

mon aise dans la tour. Je suis ici pour travailler et je refuse de rester la

prisonnière de cet étage, de toujours dépendre de quelqu’un pour pouvoir


circuler.

— Je suis désolée Scarlett, mais Monsieur Doherty m’a expressément signifié


qu’il s’en occuperait lui-même.

— Oh ? fis-je surprise. Très bien, je verrai donc avec lui quand il arrivera.

Je me suis peut-être emballée et sans doute mon exigence est-elle stupide voire

puérile, puisqu’il y a fort à parier que je changerai de service très


prochainement. Je me demande naturellement qui me remplacera. Je repense

aussi candidatures que j’ai envoyées la veille. Elles n’ont encore rien donné,
bien sûr, mais c’est aussi une éventuelle solution pour moi. Bref, je suis en

plein doute en ce qui concerne mon futur et je comprends qu’au plus tôt je
parlerai avec Doug, au mieux ce sera finalement.
L’heure suivante, un appel de notre principale imprimerie située à Houston
nous informe de la levée d’un mouvement social important sur le site. Ce

dernier risque d’occasionner d’importants retards d’édition, aussi Betty et moi

tâchons de limiter ceux-ci en contactant immédiatement certains de nos autres


partenaires afin de répartir puis d’augmenter leurs tirages. Cette situation de

« crise » est bien évidemment aussitôt signalée à Doug. Chacune dans nos
bureaux, à force d’appels et d’échanges, nous multiplions les contacts et

gérons la nouvelle logistique mise en place. Ainsi, il n’est pas loin de midi

quand enfin tout semble sous contrôle. Heureusement que Betty maitrisait la

procédure car c’est en effet sous ses directives que le problème a pu être

résolu dans les temps. Grâce à elle, bien sûr, mais surtout grâce à Doug qui dès

son arrivée à Doherty Press avait recensé tous les problèmes techniques usuels

et mis en place des stratégies de contournement envisageables. Sur ces


conclusions, Doug avait alors participé à l’élaboration du logiciel « Doherty

safe », prévoyant l’ensemble des procédures à appliquer en cas de

dysfonctionnement. Quand Betty m’a présenté cet outil, j’ai immédiatement


reconnu l’empreinte de Doug. Judicieusement pensé et fonctionnant sous

schéma heuristique, une fois de plus, le logiciel nous a permis d’éviter une
catastrophe en matière d’impression. Enfin, bref, après avoir reçu

confirmation que tout est à présent sous contrôle, nous soufflons toutes deux
de soulagement quand nous posons au même moment nos téléphones. L’esprit

cartésien de Doug vient semble-t-il, une fois de plus, de sauver la situation.


— Ouf ! Et bien quelle matinée ! je souffle, alors que l’ascenseur tinte au
même instant.

Avant même de l’avoir aperçu, je sais qu’il s’agit de Doug. Quand il apparait

dans mon champ de vision, vêtu de son costume gris foncé Armani, il dégage

un tel charisme que je me surprends encore à l’admirer. Il se présente d’abord


face à Betty et lui demande des nouvelles sur le problème Houston. Ma seconde

le rassure puis lui indique que les procédures ont été suivies à la lettre.

Soucieux, Doug l’informe qu’il prendra contact avec les syndicats en début

d’après-midi. Je le fixe attendant patiemment qu’il s’adresse à moi. Je suppose

que je suis censée lui faire un topo un peu plus précis, je prépare donc mon
bloc qui recense toutes les stratégies que nous avons mises en place. Mais

contre toute attente, Doug m’ignore et se dirige directement vers son bureau

sans s’arrêter devant le mien. Je suis un peu désemparée par son attitude mais

alors qu’il arrive devant sa porte, j’entends soudain crier.

— Johns dans mon bureau, de suite ! grogne-t-il.

Ok, il est en colère. Mais contre moi ou contre les salariés en grève ?

Vidant bruyamment mes poumons de leur air, je me prépare à affronter l’ogre

sur son propre terrain. Je me lève de mon siège emmenant mon bloc avec moi.
Compatissante, Betty m’adresse un sourire timide d’encouragement. Je lui

réponds d’un autre léger sourire quand je l’entends beugler à nouveau.

— Johns ! J’ai dit immédiatement !


Sans même prendre la peine de lui répondre, je souffle et lève les yeux au ciel.
Quand je le vois ainsi, je doute vraiment d’avoir envie de me rendre à Atlanta.

Non merci ! Quarante-huit heures de huis-clos avec lui m’achèveraient. Je

risquerais de craquer et de lui planter mon stylo plume entre les omoplates ! Et
ne souhaitant pas particulièrement revêtir le bel uniforme orange commun à

nombre de nos établissements pénitentiaires, je préfère encore être raisonnable


et choisir de ne pas l’accompagner. Ma santé mentale, que dis-je, ma liberté,

vaut bien plus qu’un job !

Cette simple pensée me soulage et me donne le courage nécessaire pour le

suivre dans son bureau.

— Fermez la porte, m’ordonne-t-il d’une voix très légèrement adoucie alors

que je franchis le seuil de son bureau.

Je l’avais volontairement laissée ouverte pour qu’il limite les cris, mais ça n’a

pas marché. Je recule alors de deux pas, ferme la porte, comme il me l’a si

gentiment demandé, tout en me retenant de la claquer, alors que mes doigts me

démangent. Doug est repassé au vouvoiement, en plus du ton autoritaire de sa


voix, cela n’augure rien de bon. Pour me donner du courage, je redresse les

épaules, grandit mon dos, me tenant aussi droite que possible, prête à
l’affronter. Enfin, c’est en tout cas, l’image que je veux donner.

Je m’étonne moi-même de ne pas me sentir plus inquiète que ça, finalement. Il


m’impressionne toujours, certes, mais moins que je ne l’aurais à priori pensé.
Sans doute, parce que ma décision est prise. A la moindre attaque directe de sa
part, je lui réitérerai ma décision de partir. Voilà tout. Ma démission suivra

dans les heures qui suivent. Hors de question de continuer à me faire malmener

ainsi ! J’ai suffisamment donné, je pense. En tout cas, plus que de raison.

Quelques jours auparavant, j’aurais sans doute tremblé, mais plus


aujourd’hui ! Quelques jours ont suffi pour que je parvienne à voir les choses

différemment et à m’endurcir aussi. En outre, le fait d’avoir postulé sur

d’autres postes me rassure également sur mon devenir : il y aura un « après

Doherty ». Et ce, même si je dois me contenter au départ d’un job en deçà de

mes qualifications. J’ai aussi intégré que pour me faire une place à New-York,
la route ne serait peut-être pas linéaire. Je suis donc désormais plus ouverte sur

toute proposition.

Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère avait pour habitude de me répéter, qu’il

n’y avait pas de sots métiers, mais seulement de sottes gens, eh bien, il est sans

doute temps, pour moi, d’expérimenter cette maxime.

Forcément, cela me fait un peu suer de mettre endettée autant pour payer mes
études, si au final je ne trouve qu’un job de serveuse ou de même type dans un

premier temps, mais bizarrement je m’en sens maintenant le courage et l’idée


ne m’effraie plus autant, certaine qu’il ne s’agira-là, que d’une phase

intermédiaire.

Alors que je patiente avec une certaine fatalité au milieu du bureau. Doug est
positionné face à sa baie vitrée, me tournant le dos. Un long silence envahit la
pièce, mais j’attends qu’il ouvre les hostilités. Mon cerveau mouline dur, me

préparant au duel, mais des scènes de la veille reviennent me hanter et je me

demande comment il peut avoir cette capacité à oublier ce qui s’est passé hier.
Comment peut-il me considérer de nouveau comme une simple employée

alors que quelques heures seulement nous séparent de notre nuit d’amour ? Je
me prépare mentalement à entendre sa longue litanie de reproches, mais

curieusement, rien ne vient. Le silence qui a empli la pièce me donne

l’impression que les minutes durent des heures en parfait contraste avec

l’agitation de la cinquième avenue, que Doug semble observer du haut de sa

tour. A moins qu’il ne s’agisse simplement que du calme avant la tempête.

— Scarlett, souffle-t-il d’un ton exaspéré.

Il se retourne enfin et me fait face. Ses yeux s’ancrent aux miens tandis qu’il

s’avance vers moi. Maintenant à quelques centimètres de moi, ses mains

saisissent alors les miennes, et sa voix se radoucit.

— Scarlett, répète-t-il à nouveau, embarrassé. Je pensais que tu avais passé un


bon moment hier.

— C’était le cas, lui réponds-je tout en le fixant.

— Alors, pourquoi ? Pourquoi être partie ainsi comme une voleuse ? Tu aurais

pu me réveiller, tu aurais pu me dire que tu souhaitais partir, ou mieux encore


rester dans mes bras.
Pour la première fois, je le sens hésitant, moins sûr de lui.

— Tu pouvais également te préparer dans ta chambre si tu le souhaitais. Tu sais


qu’il y a toutes tes affaires, non ? J’aurais même pu rêver d’un petit câlin au

réveil, mais au lieu de ça, j’ai trouvé un lit vide et froid, pas un mot, pas un

signe de toi. Alors pourquoi ?

Ce n’est plus Doug le PDG qui se trouve face à moi, mais simplement un
homme qui vraisemblablement n’a pas compris.

— Doug, soufflé-je. Comment t’expliquer … ?

Je me sens mal à l’aise car soudain c’est moi qui ai le mauvais rôle. Cela aurait

été nettement plus facile pour moi s’il avait conservé sa colère. Mais le voir
ainsi, presque triste en évoquant ma fuite me rend la tâche plus difficile.

Beaucoup plus difficile même. Doug hausse un sourcil, attendant, semble-t-il,

ma réponse.

— Doug, ce qui s’est passé entre nous hier soir … ça, enfin je veux dire … tout

ça n’aurait jamais dû se produire, balbutié-je en baissant les yeux.

Son regard devenu extrêmement sombre et dur me toise et je quitte ses


pupilles, n’ayant pas le courage de les affronter plus encore. Mes yeux balaient
alors le sol, aussi bêtement que gênée, tandis que je triture nerveusement mes

doigts, preuve incontestable de ma nervosité et de mon inconfort.

— Tu plaisantes ? me demande-t-il sèchement, incrédule.

Je relève alors les yeux vers lui et j’y lis aussitôt la stupéfaction qui est la
sienne. Son expression affligée me surprend et me peine aussi. Pour la

première fois, je le trouve entièrement transparent. Son visage exprime sans

faux-semblants ses sentiments. Serait-ce seulement possible que je l’ai peiné ?

— Je suis désolée Doug. Vraiment. Mais je ne savais pas ce que tu attendais de

moi pour ce matin. Et je ne pensais pas ce que je viens de te dire. Je ne regrette


rien en réalité. Mais je suis toujours entre-deux avec toi. Ce n’est pas facile

pour moi. Mets-toi un peu à ma place. Je sais très bien que rien ne sera jamais

possible entre nous. Et moi, je ne suis pas comme ça. Je veux dire que je ne

peux me contenter d’être un plan cul d’un soir. Je n’y peux rien, c’est comme

ça. C’est pour ça que je t’ai dit que cela n’aurait jamais dû se produire. Nous ne
fonctionnons pas pareil. Tu as ton monde, tes amis, ta vie. Et tout ceci est

tellement éloigné de la mienne, Doug. Tu enchaines les conquêtes, c’est ainsi.

Et moi, je ne veux simplement pas être un numéro dans ta longue liste.

Mon ton est sincèrement mélancolique. Car c’est exactement ce que je ressens.

Nous sommes si viscéralement différents, que je sais avec certitude, qu’une


relation entre nous serait totalement inenvisageable. Du moins pas comme je

l’entends.

Je le regarde furtivement et son visage affligé m’attriste. J’aurais presque


envie de faire marche arrière et de me jeter dans ses bras, en oubliant tout le

reste. Mais non ! Ce ne serait que se voiler la face et je finirais par en souffrir.
Alors autant stopper immédiatement, ce qui de toute façon, se solderait par un
cuisant échec, tout arrêter avant que des sentiments profonds ne s’installent

vraiment. Car je sais très bien que je pourrais tomber amoureuse de cet homme

et c’est là le principal danger pour moi. Malgré ses défauts, malgré son

caractère soupe au lait, ce que Doug m’inspire est tellement fort que je
pressens que je pourrais l’aimer. Lui, Doug Doherty. Alors même que la

réciproque ne sera jamais d’actualité. Ce serait tellement stupide de croire en


quelque chose d’utopique. Je serais la seule à en souffrir, si je feignais tout

simplement d’ignorer tout ce qui nous sépare.

Combien de temps tiendrait-il avant que je ne le lasse et qu’il se retourne sur la

première bombe venue ?

Les pupilles brunes de Doug me fixent intensément et je sens la puissance de

son regard qui me détaille, oscillant entre consternation et emportement. Je


devine malgré tout, qu’il fait de réels efforts pour ne pas céder à sa colère.

Une seule femme lui a-t-elle seulement dit non une fois dans sa vie ? Ne

pouvant supporter davantage ses pupilles brûlantes, j’abaisse de nouveau

rapidement mes yeux.

— C’est donc ce que tu penses ? m’interroge-t-il. Une erreur de parcours … Et

c’est ainsi que tu me vois …

— Oui, je lui réponds à voix basse, peu fière.

Il inspire un grand coup ravalant sa rancœur.

— Bien. Pas de problème, émet-il détaché.


Le fait qu’il approuve et renonce si vite me crève le cœur. Mais que pouvais-je
répondre d’autre ? Au fond de moi, je sais que j’ai raison de prendre cette

décision maintenant. Je dois aussi me protéger. Il me toise un moment et très

vite, je m’aperçois qu’il change de comportement. Ses traits se tendent, se


durcissent et ses épaules se redressent en même temps. Et plus aucune

vulnérabilité ne transpire à présent de lui : il est redevenu l’implacable Doug


Doherty, P.D.G de Doherty Press.

— Ok. Je compte sur toi pour notre accord et te libère de toute autre contrainte

me concernant, ajoute-t-il froidement.

— Doug, s’il te plait, ne le prends pas comme ça …

Il m’interrompt immédiatement.

— La question est simple. Vas-tu m’aider concernant notre marché ou dois-je

trouver quelqu’un d’autre ?

Je le regarde ahurie.

Vraiment ? Il me remplacerait ?

Je suis déçue. Tellement déçue d’en être arrivée là. Et pourtant, je sais que
c’était le mieux à faire, ce n’est pas comme si j’avais réellement eu le choix. Je
souffre de ma décision mais sans doute moins que si j’avais attendu encore.

— Oui. Je serai là, comme je te l’ai promis.

— Très bien. Dans ce cas, tu peux retourner travailler. De toute façon, j’ai ce
conflit social à régler, me congédie-t-il en retournant se placer face à sa baie
vitrée.

— Tu n’as pas besoin de mon aide ? je m’étonne.

— Non, c’est bon, je m’en arrangerai seul. Tu peux retourner à ton bureau.

Je le fixe une dernière fois, les larmes aux yeux. Putain que ça fait mal ! Il ne

peut pas voir la peine qui m’affecte et c’est très bien ainsi. Lasse et blessée, je

me retourne et me dirige vers la porte.

— Nous sortirons ce soir pour nous rendre, comme prévu, au gala de charité

organisé par Johnson and Bike. Harry te récupérera à la sortie du travail et

l’équipe de Cassie t’attendra à 18 heures chez moi.

— Bien, réponds-je simplement.

En réponse à son ton froid et détaché, mes larmes commencent à s’échapper de


mes yeux et à glisser sur mes joues. Je les retiens autant que possible mais le

flot est maintenant continu, rien n’y fait. Je m’empresse alors de quitter son

bureau, filant me réfugier en vitesse dans les toilettes. J’ai juste besoin d’un

petit moment pour moi, le temps de chasser ces foutues larmes ainsi que mes
espoirs déçus. Juste un moment pour me reprendre.

Quelle conne !

Je me suis faite avoir comme une bleue et rien que pour ça, je me déteste. Je le

déteste !
Chapitre 20

Quand je pénètre dans l’appartement de Doug, en fin d’après-midi, je ne peux

m’empêcher de repenser à notre soirée de la veille. Tout me rappelle hier et ça


me fait stupidement mal. Pourquoi est-ce que je souffre alors que c’est moi qui

ai souhaité cette situation ? Sans doute, parce que, naïve, je n’ai pu empêcher

d’imaginer une fin sentimentale. Foutue Abby et ses rêves de contes de fées !

Elle a réussi à me contaminer !

Dieu merci, quelque part, je pense avoir rectifié le tir suffisamment tôt pour
éviter le pire. Mais en attendant, ça fait toujours mal. Je me doutais que Doug

était dangereux pour moi, j’ignorais juste à quel point, j’en souffrirais. A

présent, je dois me recentrer sur l’essentiel. M’assurer de respecter les termes

de mon contrat et oublier tout le reste. Ne garder en tête que le rôle pour lequel

je suis payée et chasser toute autre pensée. Juste une relation d’affaires dans
laquelle, je me suis engagée. Mais rien que cette idée me semble pour l’heure

insurmontable. J’aurais simplement dû lui signifier que je refusais. Tout


m’apparait maintenant trop difficile. Me retrouver dans son loft, devoir sortir à

ses côtés et encore une fois oublier ce qui a pu être entre nous.

Et même s’il m’a semblé affecté, un peu plus tôt, dans son bureau, je suppose

finalement que seul son amour propre était blessé. Quoi d’autre ? Monsieur
Doherty n’est tout bonnement pas homme à supporter d’échouer et sans doute

encore moins face à une femme. C’est d’ailleurs aussi, son instinct de chasseur
qui l’avait poussé à me séduire alors que je lui offrais de la résistance. Sinon
quoi d’autre, encore une fois ?

Comme Doug m’avait prévenue, sitôt le seuil de son appartement franchi, c’est
toute la « team Cassie » qui m’attend, pinceaux et sèche-cheveux en main. Ce

qui me confirme également que sa précieuse styliste possède un double de la

clé de l’ascenseur puisque c’est elle qui me permet d’accéder à l’appartement.

Et même si cette idée me dérange, je n’ai plus rien à en dire. C’est ainsi.

Comme à son habitude, tous s’agitent et s’affolent autour de moi et là. Je me

sens comme une poupée de chiffon entre leurs mains et je me laisse faire,

passivement, sans même objecter. Mes larmes ne sont pas loin, mais je

parviens à les contenir. Putain ! Pourquoi ça fait si mal ? Fait chier !

Je me laisse apprêter alors même que je n’ai absolument aucune envie de m’y

rendre. Tous ces galas, ces soirées et autres petites « sauteries » mondaines non
seulement me déplaisent mais me coûtent à présent. Déjà, parce que je ne m’y

sens résolument pas à ma place mais aussi parce que passer la soirée aux côtés
de Doug risque de m’être très difficile. Beaucoup plus difficile que je ne

l’avais tout d’abord escompté. Parader à son bras et donner l’illusion d’un
couple heureux aux yeux de tous les convives, alors même que je souffre, me
semblent désormais totalement impossible. La vérité étant que je ne me sens
tout simplement pas la force de me retrouver à ses côtés. Donner le change va

s’avérer extrêmement délicat et je songe même un instant à tout annuler.

Mais je comprends bien vite que se décommander aussi tard ne ferait que le

mettre en difficulté. Ça ne se fait pas. D’autant plus que Doug m’a donné, lors
de notre dernier entretien, l’opportunité de renoncer au contrat. Or, je ne l’ai

pas fait. Alors, au nom de ma parole donnée, je m’en dissuade. Je me suis

engagée à aller jusqu’au bout, alors j’irai. Enfin, je vais essayer …

Quand l’équipe de choc me ramène dans le salon, quelques heures plus tard, je

suis surprise de voir Doug. Je ne l’ai pas entendu rentrer. Il est assis dans

l’angle du canapé, travaillant sur sa tablette. Cassie m’amène fièrement face à

lui comme pour obtenir son approbation. Elle attend le verdict final, guettant
fébrilement une réaction de sa part, suspendant très certainement sa respiration.

En ce qui me concerne, j’ai l’impression d’être réduite à l’état d’objet,

véritable marionnette, coiffée, maquillée et habillée, présentée, là devant lui, à


attendre son agrément. En d’autres circonstances, j’en aurais sans doute ri.

Mais pas ce soir. Je ne suis pas d’humeur. Au lieu de ça, je patiente, tout
comme Cassie d’ailleurs. Attendant que Doug daigne oublier sa tablette un

moment pour lever son regard vers moi. Dans l’attente de son jugement. Au
bout de quelques instants, ses yeux sombres se redressent enfin. Je suis son

regard parcourir ma silhouette et d’un hochement de tête envers Cassie, sans


prononcer aucune parole, il valide la tenue, évitant soigneusement de croiser
mon regard. Son visage est si fermé ! Je redoute la soirée.

Vexée par l’attitude froide et inexpressive de Doug, Cassie qui s’attendait


probablement à recevoir des compliments, tourne les talons sans mots dire et

disparait très rapidement du loft, emmenant avec elle ses troupes.

Quand l’appartement s’est vidé, aussitôt un silence pesant envahit la pièce et

moi, plantée là comme une sotte face à lui, je ne sais quoi faire. Doug se lève
alors du canapé et … waouh ! il est à tomber. Il porte pour l’occasion un

smoking, vêtement probablement taillé sur mesure tant il rend hommage à sa

silhouette si parfaite. Ses épaules larges et fortes sont impressionnantes et je

comprends alors l’effet qu’il peut avoir sur les femmes et même sur les

hommes du reste. Ses cheveux bruns bouclés auréolent avec grâce son visage.

En revanche, son air est si sévère que je doute que nous puissions convaincre
grand monde lors de cette soirée.

— Tu es prête ? me demande-t-il froidement.

— Ecoute Doug, je murmure, je ne sais pas si nous deux, c’est une bonne idée

de poursuivre. Je vois bien dans tes yeux le mépris que tu ressens vis-à-vis de
moi. Et pour être honnête, je doute que nous présentions un couple crédible ce

soir.

— Tu veux revenir sur notre accord ? me demande-t-il âprement.

— Ce n’est pas ça Doug, enfin peut-être … je ne sais pas. Mais regarde-nous !

Tu vois bien que tu n’as pas l’air amoureux de moi ce soir. Qui crois-tu
tromper ?

— Comptes-tu revenir sur notre marché ? Oui ou non ? me redemande-t-il à


nouveau sèchement en haussant légèrement le ton.

Sa voix aussi est si froide.

— Je ne sais plus Doug ! Voilà !! Tu es content ? Tu as ta réponse ! je

m’énerve. Prends le temps de nous regarder un peu, à la fin ! A-t-on vraiment

l’apparence d’un couple heureux ?? Non ! Bien sûr que non. Rends-toi à

l’évidence : ça ne fonctionne plus entre toi et moi ! Et ça ne fonctionnera plus

du reste.

Les traits tirés et le regard inquiet, Doug me rejoint en quelques enjambées et


se poste face à moi. Instinctivement, je recule d’un pas, mais Doug, après avoir

ancré son regard au mien un instant, avance de nouveau pour se retrouver qu’à

quelques petits centimètres. Nos regards se toisent et sans que je ne m’y

attende, il s’abat alors sur moi en une fraction de seconde.

Ses lèvres chaudes se posent brutalement sur les miennes et sans attendre mon
approbation, il investit ma bouche voracement. D’abord surprise par son geste

qui est en totale contradiction avec son humeur du moment, mon corps reste un
moment inerte, pour succomber finalement dans les secondes qui suivent aux
douces sensations que son baiser me procure. Comme par magie, mes griefs

s’envolent, ne songeant plus, un instant de plus, à me refuser à lui.

Ma langue accueille la sienne timidement quand lui, m’embrasse avec une telle
fougue que je me perds aussitôt dans cette tornade de sensations. Ce qui est sûr,

c’est que Doug est bien la seule personne à embrasser ainsi. Ni doux, ni

romantique, son baiser éveille en moi mille émotions me chavirant

littéralement. Affamé, voire brutal, il prend, sans le savoir, possession de tout


mon être par ce simple baiser. Et de doux picotements s’insinuent en moi. En

théorie, je sais que je devrais y mettre fin, mais j’en suis tout bonnement
incapable, complètement entrainée par son étreinte animale. Au contraire, je

resserre mon corps contre le sien, et plonge mes mains dans ses boucles pour

le tenir encore plus près de moi. A son contact, mes sens se réveillent comme

près une longue absence et une chaleur intense, totalement nouvelle pour moi,

se répand dans tout mon corps. La température a dû monter dans la pièce car

j’ai subitement chaud.

Pourtant, une dernière lueur de détermination, bien enfouie aux tréfonds de ma

raison, refait surface et je tente, malgré tout le plaisir que me procure son

baiser, de m’extirper de son emprise.

— Doug … la soirée ? dis-je entre deux apnées.

— M’en fous, répond-il dans ma bouche me resserrant davantage contre son

corps puissant.

Je sens le fruit de son plaisir contre ma jambe et chaque partie de mon

anatomie se met en mode alerte. Chaque terminaison nerveuse, chaque parcelle


de peau s’enflamment aussitôt tel un fétu de paille.
Je suis foutue.

Je cède.

Avec la douceur d’un homme de Cro-Magnon, Doug m’attrape dans ses bras et
monte les marches deux à deux en direction de sa chambre. Je pense

immédiatement aux nombreux soins de l’équipe qui est intervenue sur moi :

ma robe fourreau rouge, mon chignon travaillé et les touches délicates de


maquillage posées çà et là.

Il me porte presque avec rage et je sens son cœur battre contre le mien alors

qu’il ouvre d’un coup de pied la porte.

Je devrais sans doute dire quelque chose, mais rien ne me vient si ce n’est cette
envie de fusionner encore une fois avec son corps. D’un second coup de pied,

il referme la porte en la claquant et parvenu devant son lit, Doug me remet

enfin sur mes pieds. Ses pupilles noires se rivent aux miennes et je peux lire un

instant la fièvre qui l’habite. Ses mains viennent se placer en coupe sur mes
joues et après m’avoir adressé un regard intense, il approche mon visage du

sien et plaque ses lèvres contre les miennes, avant de m’embrasser à nouveau
avec ardeur.

Mais alors, que je suis entièrement transportée par la saveur de sa bouche, au


bout de quelques instants, subitement, ses lèvres quittent les miennes. Je rouvre

les yeux, étonnée et déçue à la fois.

Mais je n’ai finalement pas le temps de m’interroger plus en avant, qu’il me


pousse sans retenue sur le lit et se jette sur moi avec la même violence,

m’empêchant de rebondir sur le matelas. Il m’embrasse et m’embrasse encore

avec tant de vigueur que j’ai parfois du mal à reprendre mon souffle. Son

corps contre le mien est tendu et il émane de lui une force virile, bestiale.

— Scarlett. Scarlett … tu me rends fou, dit-il tout bas, tout en continuant ses
baisers le long de mon cou.

C’est lui qui me rend folle, mais il ne le sait même pas.

Depuis quand aimé-je les hommes tyranniques et méprisants … mais

terriblement beaux et incroyablement sexy ?

Ses mains saisissent soudain la partie de tissu qui relie mes épaules et d’un
geste fort et violent, il l’écarte et déchire par là-même le sublime décolleté de

la robe.

— Doug ?! je crie indignée. Tu sais que c’est une robe de couturier ?

A ce moment, ses prunelles embrasées me dévisagent et je peux deviner la

fureur brûlante qui est sienne. Il est comme possédé et pourtant je ne me sens

pas en danger.

— M’en fous, répond-il de nouveau en continuant de m’embrasser


frénétiquement.

Je m’écarte quelques secondes de lui et me noie dans son regard enflammé. Je

ne peux résister à l’envie d’attraper son beau visage et de caresser du bout de


mes doigts ses joues fraichement rasées, souhaitant garder en mémoire la
douceur de sa peau. Il sent bon son parfum et tout mon corps réagit. Sa peau est

si douce ; elle contraste tellement avec l’ardeur du moment et son caractère si

fort.

— Ne me refais plus jamais ça, Scarlett annone-t-il alors que sa bouche se

dirige vers mes seins maintenant dénudés.

Je ne réponds pas. Je ne peux pas répondre, je ne suis plus en mesure de le


faire. Sa bouche agace avec ardeur mes tétons qui ne résistent pas plus à

l’assaut de ses lèvres chaudes et déjà mon corps se tort d’envie, se frottant

autant que possible contre lui.

Avec empressement, je fais passer sa veste par-dessus ses épaules et n’ai pas la

patience de déboutonner sa chemise. J’use de la même violence que lui et fais

sauter tous les boutons qui s’éparpillent sur le lit comme de parfaits confettis.

Jamais, je n’aurais pensé faire preuve d’autant d’impatience et d’audace. Mais

il semblerait bien que son caractère impétueux déteigne sur moi. Surpris, Doug

s’arrête un instant pour me regarder, admiratif. Un léger rire adorable

s’échappe alors de sa gorge quand il secoue la tête, ne s’attendant certainement


pas à un tel geste de ma part.

Il se défait du tissu désormais inutile et poursuit mon dénuement en prenant ce


qui reste de la robe pour la faire glisser avec une extrême lenteur le long de

mon corps. Son geste est devenu doux et lascif, caressant ma peau avec
délicatesse, ses doigts suivant mes courbes en accompagnant la soie vers le sol.
J’ai une micro pensée pour Cassie qui ferait probablement une crise cardiaque
en voyant l’état de la robe à l’heure actuelle.

Puis Doug se redresse et quitte son pantalon ainsi que ce qui lui reste de

vêtements. Nu, superbe, je suis subjuguée par son corps tout en muscles. Et

magnifique, il fond sur moi tel un oiseau de proie. Mon corps tout entier
frissonne sous lui. J’aime sentir sa peau contre la mienne de même que la

puissance de son corps sur le mien.

Sans préliminaire ni douceur aucune, d’un geste emballé, Doug arrache mon

string rouge si bien assorti à ma robe et plonge son sexe érigé et dur à

l’intérieur de mon intimité qui n’attendait que ça depuis un moment déjà.

L’amour qu’il me fait n’a rien à voir avec celui de la veille. Il me possède

impétueusement et durement, ses puissants estocs venant buter brutalement au

fond de mon ventre et atteignant très vite le cœur de mon extase. Sans retenue

aucune, je m’abandonne à lui en criant mon plaisir tandis que deux ou trois

coups de reins supplémentaires le font fondre à son tour, dans un râle rauque et

viril.

Essoufflé, épuisé et manifestement contenté, il s’abat ensuite sur moi, comme

soulagé.

— Ne me refais plus jamais ça, Scarlett me redit-il à nouveau encore haletant.

Je devrais réfléchir à ce qu’il entend par là, car cela fait tout de même deux

fois qu’il me le répète ce soir, mais je n’en ai pas la force maintenant, toujours
secouée par l’orgasme le plus puissant que je n’ai jamais connu ... enfin, avant

de le connaître.

D’un geste possessif, il se retourne et m’attire à lui fermement, plaquant ma

tête dans le creux de son épaule. Le battement de son cœur, encore agité,

résonne en moi, percutant mon oreille en rythme. Je ne bouge pas, ne parle


pas, car j’en suis tout bonnement incapable. L’onde de plaisir circule encore

dans mes veines et pour le moment, je veux juste profiter de ce que j’ai, c’est-

à-dire Doug.

A cet instant très précis, peu m’importe si cette idylle est une folie, peu

m’importe s’il a réellement des sentiments pour moi ou si cet homme ressent

singulièrement le besoin de me posséder ; je veux juste penser à lui et à moi

dans ce lit, maintenant.

Demain sera un autre jour et comme le dit la maxime populaire à chaque jour

suffit sa peine. Seul me distrait le fait que nous n’ayons pas utilisé de

protection dans l’ardeur du moment, mais après un calcul rapide, j’écarte cette

crainte. Je ne suis vraisemblablement pas en période de risque de grossesse et


connaissant Doug, je suppose qu’il est ok côtés analyses. Enfin, c’est ce que je

veux croire avant de m’endormir dans ses bras.


Chapitre 21

Le lendemain matin, alors que j’ouvre à peine une paupière, je sens le lit

s’affaisser à mes côtés et ma première vision de la journée est le magnifique


sourire ravageur de celui qui fut mon amant cette nuit. Il dépose entre nous un

plateau et une délicieuse odeur de café finit de m’éveiller.

— Déjeune, tu en as besoin, me dit-il après m’avoir déposé un baiser sur les

lèvres.

Je pince la bouche, n’ayant pas eu le temps de passer par la salle de bain et je

lève un sourcil interrogateur.

— Nous sortons dès que tu seras prête. Mais mange avant.

Je souris et décide de ne pas poser de questions ne souhaitant pas gâcher ce

réveil matinal si agréable. Pas de conflit, pas de prise de bec, juste lui et moi
partageant un petit déjeuner. Je pourrais m’y habituer, je crois.

— Quelle heure est-il ? je m’enquiers béatement en m’étirant bras en l’air.

— Presque neuf heures.

— Quoi ? Déjà ?

Je me lève en toute hâte, affolée, sous le regard amusé de Doug qui retient de
justesse le plateau et me laisse m’agiter un bon moment avant d’intervenir.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Viens déjeuner, m’ordonne -t-il d’une voix déjà
envoutante.

Je m’étonne moi-même de trouver sa voix « envoutante » alors qu’il m’assène

déjà un énième ordre et ce dès le matin. Pourtant, docilement, je me rassieds

aux pieds du lit et le regarde afin qu’il m’explique.

— Pourquoi t’affoles-tu ainsi ? rit-il. Ou plutôt de qui as-tu peur pour stresser

ainsi au réveil ?

— Tu sembles oublier que je travaille et que j’embauche à 8 heures.

Il renverse la tête en arrière et part à exploser de rire. Quelque chose doit

m’échapper car je ne vois rien de comique en la situation sinon que je vais me

faire remonter les bretelles, une fois de plus !

— Ton patron n’est-il devant toi ? s’exclame-t-il d’un air taquin.

— Oui, ça j’avais remarqué, imagine-toi. Mais la sorcière ne va pas me louper,


elle, crois-moi !

— La sorcière ? reprend-il amusé. Quelle est donc cette vilaine sorcière que tu
sembles tant redouter ? Je te rappelle que tu es mon assistante personnelle et

qu’à ce titre, ta place est à mes côtés. Sinon à quoi me servirait-il d’avoir une
employée rien que pour me servir ?

— Une employée rien que pour te servir ? je reprends aussitôt outrée.


— Parfaitement … me servir.

— Toutes tes assistantes finissent-elles, toutes, à tes côtés dans ce lit ?


demandé-je soudainement choquée.

Le charme vient de tomber tel un soufflé raté. Il aura suffi de quelques mots

seulement pour que le ravissement de la matinée ne s’évapore d’un coup. Doug

s’aperçoit immédiatement que la situation lui échappe car exaspéré, il souffle


d’agacement.

— Scarlett, … s’il te plait ...

— Réponds, j’exige en soutenant son regard.

Je sais que je devrais laisser tomber, car quelque part, je connais déjà sa

réponse, mais une force étrangère m’incite à poursuivre et à l’entendre de sa

bouche. Je suis ridicule, je sais. Encore plus, sans doute, par mon attitude

bornée, nue devant lui, croisant les bras et le toisant de toute ma hauteur. En

même temps, je me morigène d’exiger des comptes, nous ne sommes pas un

couple : il n’a pas à se justifier. Pourtant, malgré tous les signaux qui
m’exhortent à cesser mon inquisition, je ne parviens pas à lâcher prise, mon

esprit ayant une vision de Doug baisant toutes ses assistantes dans ce même lit.
Je suis blessée. Quelle conne ! A quoi, je m’attendais exactement ?

Manifestement surpris et déçu, Doug se redresse, abandonnant sa bonne


humeur matinale, un air de contrariété sur le visage. Ses pupilles se sont

assombries et ses traits durcis devant la nouvelle tournure de la situation. Moi


aussi, je suis déçue, vraiment déçue mais son allusion est si vexante que je le

somme de me répondre.

— J’attends, lui dis-je pour l’encourager.

— Scarlett, souffle-t-il, repoussant le plateau. Pourquoi faut-il toujours que tu

gâches les bons moments ? Que veux-tu que je te dise ?

— La vérité, seulement.

— Si je couche avec mes toutes assistantes ?

J’opine d’un signe de tête et réprime les quelques larmes qui se créent peu à
peu dans mes yeux alors que sa réplique ne pouvait que me heurter.

— Par exemple, oui. Je réponds avec détermination.

Prendre conscience de ma stupide naïveté me blesse au moins autant que la

réponse qu’il va me donner. J’aurais dû simplement me contenter de profiter

de ce moment de tête à tête avec lui. Sans me donner de faux espoirs, genre

super-plan-cul-avec-le-patron ! Mais non ! Il a fallu que je l’ouvre, suite à une


simple parole malheureuse de sa part. Et si je le regrette maintenant, c’est trop

tard, car mon cerveau, lui, ne lâche pas l’affaire aussi facilement, me projetant
en continu des images de Doug d’avec ses conquêtes dans ce même lit où nous
avons fait l’amour. Oui, comme je disais : stupide. Nous avons forcément eu

des partenaires avant de nous rencontrer …

— Que veux-tu vraiment que je te dise Scarlett ? répète-t-il d’une voix gênée.
Forcément, j’ai eu des aventures avant toi, comme toi d’ailleurs. Quelques-
unes des femmes avec lesquelles je suis sorti ont effectivement travaillé pour

moi, mais ça ne veut rien dire …

— Quelle conne ! je jure.

Je me hâte vers la chambre qui m’est soi-disant attribuée et que je n’aurais

d’ailleurs jamais dû quitter, avec la ferme intention de me vêtir et de partir au

plus vite. Je me sens subitement comme la reine des idiotes ! Et à la vérité, je


ne vaux pas mieux que les autres ! Je pouvais bien me moquer de ces dernières,

je suis tout aussi bêtement tombée dans le panneau ! Embobinée par ce don

juan de pacotilles, qui n’en a, manifestement, jamais suffisamment dans son lit.

PA.THE.TIQUE !! Oui complétement pathétique !

Je peste contre moi-même et tambourine des talons tandis que je me dirige

vers le dressing. J’ai conscience de l’image ridicule que je renvoie : nue et en

colère, mais je m’en fiche royalement ! Et à la vérité, je me ficherais bien

quelques baffes !

Doug s’empresse de me suivre, aussi je hâte le pas, afin d’aller m’enfermer

dans ma chambre. Enfin, celle qui était encore la mienne quelques minutes
auparavant. Malheureusement je ne suis pas assez rapide pour lui échapper et

en quelques enjambées seulement, il me rejoint, saisissant mon poignet.


Subitement, je suis freinée dans ma fuite et mon corps lancé effectue aussitôt

un demi-tour express me postant face à lui. La première chose que je remarque


est son regard furibond.
— Pourquoi faut-il toujours que tu gâches tout ? semble-t-il s’étonner.

Sans blague !!

J’ai envie de lui répondre que dans mon monde, les hommes respectent les
femmes et ne sautent pas sur tout ce qui porte une jupe aux alentours ! Mais à

quoi bon ! Doug est ainsi, il ne comprendrait même pas ! Furieuse, j’essaie de

dégager ma main, mais sa poigne est trop ferme.

— Tu as dû bien te marrer de sauter la petite nouvelle ! je ricane amère. Voilà,

c’est fait ! Cours prévenir tes potes, tu as gagné ton pari !

— Mais qu’est-ce que tu racontes à la fin Scarlett ? s’exaspère-t-il semblant

effectivement ne rien comprendre à ma réaction.

— Lâche-moi ! hurlé-je. Tu as entendu ? Lâche-moi !

Lamentable ! Un vrai cliché de cinéma ! La naïve secrétaire qui s’éprend de


son patron et qui finit dans son lit : c’est un tel stéréotype que je me sens

pitoyable ! C’est un grand classique, je suppose !

Quelle conne ! Mais quelle conne alors !

En y réfléchissant, il n’avait même pas à inventer cette histoire de contrat !


Stupide comme je suis, j’aurais sûrement cédé tout aussi facilement à ses

avances et serais venue très docilement allonger la liste de son tableau de


chasse !

Il y a des moments où je m’écœure toute seule ! Et celui-ci en est un !


Complètement ahuri par ma soudaine crise, Doug me délivre enfin, sentant
qu’il ne maitrise plus du tout la situation.

— Je te ferai retourner les habits après le pressing, dis-je en claquant la porte.

Quand je repasse devant lui quelques minutes plus tard, habillée et chaussée,

pour accéder aux ascenseurs, Doug se lève du canapé et tente une nouvelle fois

de m’apaiser.

— Scarlett, arrête s’il te plait. Tu gâches quelque chose …

— Quoi ? Je gâche quoi ? je hurle, hors de moi. Tu avais parié sur un nombre

de fois, c’est ça ? Ou bien encore au bout de combien de temps je cèderais ?

Quelque chose comme ça ? Tu sais quoi Doug ? Tu me dégoûtes !

— Quoi ?? Mais qu’est-ce que tu vas inventer-là ? Enfin, Scarlett ?!!

Doug tend son bras vers moi, mais je me recule, ignorant volontairement sa
main tendue.

— Allez, Monsieur Doherty, soyez bon joueur, vous ne pouvez pas gagner à
tous les coups ! lui rétorqué-je ironiquement.

— Bien, dit-il d’une voix étonnement calme. Je suppose que tu as besoin de te


calmer. Quand ce sera le cas, fais-moi signe.

Je trouve bizarre qu’il abandonne aussi facilement, mais sachant qu’il doit bien
avoir dans ses tiroirs une très longue liste de noms de très jolies jeunes

femmes prêtes à tout pour finir dans son lit, je ne m’en étonne finalement pas
plus que ça.

— Je suis vraiment trop conne, marmonné-je dans ma barbe pendant que je


presse pour la troisième fois le bouton d’ascenseur avec insistance.

Je reste plantée devant et m’impatiente en talonnant du pied. J’ignore si Doug

me regarde ou non et je m’en fiche d’ailleurs, pourvu que je puisse me tirer

loin de lui le plus vite possible.

Alors que je frappe quasiment sur la touche avec violence, je percute

seulement ! Je comprends pourquoi il a capitulé aussi facilement. J’aurais dû

me douter qu’il n’était pas homme à abandonner aussi rapidement. Le code !!!
Il a changé ! Merde !

Je me retourne furieuse, cherchant d’un regard périphérique son trousseau de

clés, mais au lieu de trouver, j’aperçois du coin de l’œil, Doug assis

tranquillement sur un tabouret haut de la cuisine en train de lire le journal. Il a

l’air serein ce qui m’excède davantage. Je m’avance vers lui d’un pas assuré,
mes talons claquant sur le marbre.

— Ouvre-moi ! je lui crie dessus.

Nonchalamment, il se dresse du tabouret, me contourne et se dirige vers la


cafetière, puis insère avec calme sa capsule.

— Ouvre-moi ! je répète en criant davantage au cas où il ne m’aurait pas


entendue.

— Tu prends un café finalement ? me nargue-t-il.


— Non ! Donne-moi ta clé ou le code ou je ne sais quoi encore qui puisse
appeler ce foutu ascenseur !

— Tu veux ma clé ? Déjà chérie ? Cela me semble un peu tôt, non ? Nous ne

faisons que débuter notre relation, mais si tu y tiens, c’est d’accord pour moi,

me sourit-il.

— Grrrr ! je fulmine. Arrête de te foutre de moi et file-moi la clé de


l’ascenseur !

— Chérie, un peu de distinction quand même.

— Quoi ? On ne comprend pas ces mots chez les snobinards ? Sais-tu qu’il est

interdit de kidnapper les gens, Doug ? Et cette interdiction s’applique à tout le


monde, vois-tu ! Même à toi !!! Alors je te donne deux minutes pour m’ouvrir

CE PUTAIN D’ASCENSEUR !! m’écrié-je.

Insensible à tout ce que je peux lui dire, et même au ton hystérique que

j’emploie, Doug prépare un second café et le dépose face à moi sur le

comptoir.

— Je vais t’ouvrir, mais auparavant une explication s’impose. Assieds-toi.

Malgré un énième ordre, la voix de Doug, curieusement calme et posée,


contraste radicalement avec la mienne. Je pense un instant me saisir de mon

téléphone afin d’appeler la police. Ça lui ferait bien les pieds ! Mais après
réflexion, je réalise que cela me prendrait sans doute beaucoup plus de temps.

Le temps qu’ils arrivent, m’interrogent, enregistrent ma déclaration, … Enfin,


beaucoup trop de temps, et justement, moi, je ne désire rien davantage que de
partir au plus vite. Aussi, raisonnable, j’essaie de me calmer. Je dois

absolument reprendre mes esprits et rester le plus pragmatique possible.

D’autant plus que rien ne me permet d’être certaine que la police se déplacera
sachant que « monsieur » Doug Doherty est impliqué. Peut-être a-t-il le bras

long ? Rectification : il a sans doute le bras long !

Rageuse, je me résolus à m’assoir d’une seule fesse sur le tabouret à côté du

sien en soufflant.

— Bon écoute Doug, … commencé-je d’une voix lasse.

Changement de tactique ! Hé ! Hé !

— Chuuuuut susurre-t-il doucement. Prends le temps de boire ton café. Je vais

appeler la sorcière, me murmure-t-il à l’oreille en souriant.

Doug allonge son bras pour attraper son téléphone resté de l’autre côté du

comptoir et fortuitement – enfin, je crois – son bras frôle ma poitrine au

passage. Penché vers moi, les effluves de son parfum viennent de nouveau
narguer mes sens et au contact de son bras, mon téton se dresse

immédiatement, ce qui m’énerve encore plus ! Je déteste être aussi sensible que
ça à son contact ! J’ai le sentiment que même mon corps se ligue contre moi !

Sale traitre !!

Soudain, je réagis. La sorcière … Merde !

Doug passe son appel – probablement à la sorcière comme il me l’a annoncé,


c’est-à-dire à Mary Donner - et invoque un dossier sur lequel nous sommes en

train de travailler pour justifier mon absence au bureau.

Tu parles ! Un dossier chez lui à quoi ? 9 heures 15 du matin ? Comme si elle

était dupe !

De mieux en mieux ! Comme ça, toutes les éditions Doherty sauront que je

couche avec le patron ! Super génial !!

Toujours énervée, je finis ma tasse de café et la pose suffisamment

bruyamment sur le comptoir pour qu’il comprenne bien que j’ai terminé et que

je souhaite désormais m’en aller.

— Voilà ! C’est fait ! J’ai finis de boire mon café. Je peux y aller maintenant ?

Le seul remord que j’éprouve est de lui avoir révélé à quel point je pouvais

être naïve d’avoir cru en quelque chose, pour nous. Mon orgueil en a pris un

coup. Bien évidemment, il ne peut pas comprendre ce que j’ai ressenti quand il

a sous-entendu qu’au titre de son assistante, il était quasi normal que je finisse

dans son lit ! C’est une situation courante, voire habituelle pour lui ! Et
pourtant cinglante et humiliante pour moi.

Deux mondes parallèles si différents, c’est bien ce que je disais. Nous n’avons
absolument rien en commun en fait. Voilà pourquoi qu’avoir cru que lui et moi

pouvions ressentir les mêmes choses relève carrément de l’ineptie. Et


malheureusement, je ne le comprends que trop tard.

Cette évidence soudaine me jette un froid, calmant du coup, la colère qui


grondait en moi. Je suis subitement triste. Triste, parce que malgré mes beaux
discours, mes tentatives de raisonnements diverses, je m’aperçois que je me

suis leurrée depuis le départ. J’avais envie d’y croire. Vraiment envie. Je suis

trop stupide.

— Doug, je suis fatiguée de tout ça. Et je suis désolée aussi d’avoir été
hystérique comme je l’étais à peine. Vraiment, tu peux me croire. Je n’aurais

jamais dû réagir ainsi. Je réalise que c’était vraiment « too much ». Je peux

admettre que tu n’es rien compris à la situation. En fait, je n’ai rien à te

reprocher. C’est moi qui suis conne. Ne cherche pas …

— Ne dis pas ça, Scarlett. On peut en parler ?

— ça ne servirait pas à grand-chose … Nous évoluons dans des univers si

dissemblables, que je doute que nous puissions nous comprendre un jour, en

fait. La vérité est que nous ne serons jamais sur la même longueur d’ondes toi

et moi, et je n’ai pas le droit de te le reprocher aujourd’hui … et ce qui s’est

passé hier, entre nous, je veux dire … c’était stupide de ma part. Je suis désolée

car je ne le comprends qu’aujourd’hui en fait. Cela n’aurait jamais dû se


produire à la vérité, c’était une …, enfin …

J’ai du mal à lâcher mes mots.

— Dis-le, n’aie pas peur. Une erreur ? suggère-t-il d’un ton sec, un voile de

colère troublant ses iris.

Je baisse les yeux, ne souhaitant pas soutenir son regard furibond. Il est en
colère. Et je peux comprendre. Je suis en fait, juste étonnée qu’il ne se soit pas

aperçu lui-même que ce que nous faisions était non seulement bête mais

complètement irréfléchi. Mais Doug est un homme, alors je suppose qu’il ne se

pose pas réellement ce genre de questions. Il semblerait d’ailleurs que ce genre


de réflexions soient exclusivement féminin ! Les hommes se contentent d’agir

tandis que nous, les femmes, nous analysons et décortiquons tout. Finalement,
j’envie leur légèreté. Enfin, bon … Mais maintenant que j’ai exprimé le fond

de ma pensée, je souhaiterais pouvoir partir. Je suis usée. Et de foutues larmes

floutent mon regard et je refuse de pleurnicher une fois encore devant lui. Ça

en devient presque une habitude ! ça suffit à présent.

— Alors ? Réponds, exige-t-il sèchement.

Je dois réfléchir un moment car à force de me perdre en pensées, j’en ai oublié


le sens de sa question. Mais très vite, je m’en souviens. « Erreur ». Oui

effectivement, c’en était une. J’opine juste d’un simple geste de tête.

— Tttttt, dodeline-t-il de la tête. Mauvaise réponse.

Je lève alors mon regard vers lui, totalement surprise par non seulement sa
réponse mais aussi le ton de sa voix, qui ne semble plus en colère. Au

contraire, ses yeux brillent comme si tout cela l’amusait finalement. Comment
peut-il si versatile ? Il a ce don de changer d’humeur en si peu de temps que

j’avoue avoir du mal à le suivre.

— Tu t’attendais à quoi exactement Scarlett ? Tu crois que tu peux coucher


avec moi, puis subitement le matin me faire une crise sur mon passé et

m’annoncer finalement que nous deux c’était une erreur ? Est-ce que je te

reproche ton passé, moi ? Comment peux-tu me le reprocher alors que je ne te

connaissais pas ?

Plus étonnée encore par la nature de ses propos que par son subit changement
de ton, je le dévisage davantage, tentant de lire dans ses yeux leur exacte

signification. Comment dois-je interpréter ça ? Il est si … compliqué et … si

beau aussi ! Je reste, un temps, ébahie, la bouche entre-ouverte à gober les

mouches tandis que lui aussi m’observe attentivement.

— Ne gâche pas tout Scarlett … s’il te plait, complète-t-il avec plus de douceur.

Pour bien faire, il me faudrait quelques instants supplémentaires, juste pour

réfléchir à la situation et déchiffrer à tête reposée, ce que Doug vient de me

dire. Je suis sensible à sa voix implorante et à son regard qui me parait sincère.

Mais je sais aussi que j’ai toujours été incapable de réagir dans l’urgence. Il

me faut immuablement ce petit temps de réflexion nécessaire et indispensable

pour ne pas agir à chaud. Car malheureusement, les faits parlent pour moi : à
chaque fois que j’ai pris une décision dans l’urgence, dans cent pour cent des

cas, on peut dire que j’ai marché à côté de la plaque et que je m’en suis voulue
!

Alors là, dans l’instant présent, je suis perdue. Je ne sais pas ce que je dois
comprendre en fait. Doug est toujours si énigmatique que je ne suis pas sûre
d’interpréter correctement ses propos. Cet homme a tellement l’habitude de
souffler le chaud et le froid en même temps que cela en est déconcertant ...

Est-ce que j’interprète de travers ?

Car enfin, pourquoi un homme si complexe, si gâté par la nature et si convoité

s’intéresserait-il sincèrement à une femme telle que moi ? Là est justement la

question.

— Bien, tu sembles calmée maintenant. Je pense que tu es prête, constate-t-il en

considérant ma robe à fleurs. Alors puisque tu as loupé l’excellent petit

déjeuner que je t’avais préparé, tu n’échapperas certainement pas au pique-


nique de ce midi.

— Tu as …, tu as préparé un pique-nique ? je l’interroge, incrédule.

Aujourd’hui ? Mais je travaille moi, aujourd’hui, je bégaie alors que tout se

bouscule dans ma tête.

Doug sourit et je suis presque sûre qu’au fond de lui, il prend un malin plaisir

à me déstabiliser ainsi. Pourtant, il est beau à tomber quand il affiche ce


sourire franc qui monte jusqu’à ses yeux. Craquant même.

— Pour répondre à tes questions dans l’ordre, ce n’est pas vraiment moi qui ai
techniquement préparé le pique-nique, mais j’en suis l’instigateur. Ensuite, une

journée qui débute de manière aussi catastrophique que celle-ci, doit


absolument être rattrapée. Aussi, il me semble plus que nécessaire de corriger

le tir. Nous devons nous changer les idées. Et nous savons tous deux, que dans
l’état de stress où tu te trouves, rien de bon ne sortira de ce si joli minois au

bureau. Aussi, puisque je suis ton patron et que ta mission, insiste-t-il sur ces

deux derniers mots, est justement de m’assister, je décrète qu’aujourd’hui, j’ai

besoin de me détendre. Et j’ai besoin que tu sois là également. Allez, viens !


Allons-y maintenant, il y a un peu de route, mais je suis sûr que tu vas

apprécier le lieu. Je l’ai spécialement choisi pour toi. Et tu pourras te reposer


en voiture, si tu le souhaites. Tu vois que je sais être bon, ajoute-t-il avec

humour, je ne t’impose même pas de me faire la conversation.


Chapitre 22

Encore chamboulée par l’agitation de la matinée, et face au retournement de


situation, je laisse Doug me persuader qu’une pause nous fera du bien. Enfin,

je le suis, sans objecter est plus exact. Et nous quittons l’appartement dans le

plus grand silence. Je suis beaucoup trop bouleversée pour réagir. Et surtout,

malgré moi, mon attention reste focalisée sur les paroles qu’a eues Doug

quelques instants plus tôt. On aurait dit qu’il tenait à moi … enfin c’est ainsi
que je l’ai interprété mais est-ce que je n’en suis pas plutôt à prendre mes

désirs pour la réalité ?

Je sors de cette torpeur quand, étonnée, nous sortons de l’ascenseur au niveau

moins un, le parking. Doug se dirige aussitôt vers un véhicule garé sur la

droite, une berline, différente des autres fois. Même couleur, même classe,

mais plus petite comparée à celle que conduit habituellement Harry. Avec
galanterie, il m’ouvre la porte, place le panier qu’il a récupéré avant de quitter

l’appartement dans le coffre du véhicule et s’installe au volant. Sitôt la route


rejointe, Doug se saisit de ma main, la gardant prisonnière et nous quittons
New-York. Les premiers panneaux indiquent la direction du Vermont.

Je n’ai pas ouvert la bouche depuis notre départ. J’observe discrètement Doug
alors qu’il concentre son attention sur la route. Son profil est superbe, ses traits
sont détendus et j’ai l’impression qu’il arbore un léger sourire. Les panneaux

défilent et j’essaie de deviner où il peut bien nous conduire. Je n’ai pas envie
de faire la conversation comme il dit, car tout est encore trop confus pour moi.

Alors je reste pensive. Je suis incapable de chasser de mon esprit la

conversation que nous venons d’avoir. Doug ne m’a jamais parlé avec cette
douceur et cette sensibilité. Cela ne veut pas dire que je lui pardonne pour

autant, encore que … finalement les griefs que j’ai à son égard sont de moins

en moins clairs dans mon esprit. Si ce n’est qu’il doit comprendre une bonne

fois pour toute qu’on ne peut pas retenir les personnes contre leur gré et

admettre également qu’il ne peut pas, non plus, contrôler tout son entourage,
même s’il s’avère que ces personnes sont ses employées.

Pendant ce temps de silence, particulièrement bénéfique pour moi, puisque je

parviens à retrouver un semblant de calme, j’essaie de comprendre ce qui peut

bien l’animer aujourd’hui à être aussi patient avec moi, lui qui est autant connu

pour ses excès de colère, que pour la valse incessante de ses petites amies.
Alors que je jette vers lui une énième œillade, je le vois sourire alors qu’il me

surprend.

— Tu crois que je ne te vois pas me reluquer depuis que nous sommes partis ?

me demande-t-il amusé.

— Je ne te reluque pas, je me défends aussitôt avec aplomb, je regarde le


paysage, c’est différent. Tu t’accordes beaucoup trop d’importance Doug.
Doug émet un léger rire moqueur tandis que je m’empourpre, mal à l’aise
d’avoir été prise en flagrant délit de matage.

— Où allons-nous ? je m’empresse de demander afin d’orienter la

conversation sur un autre sujet.

— C’est une surprise, me répond-il d’un timbre de voix rauque qui me trouble.

Mes sens se laissent si facilement abusés par sa beauté et son charisme que c’en

est désarmant ! C’est tellement facile pour lui. Tout est tellement facile pour

lui ! Depuis que je le connais, j’ai l’impression de m’être transformée, en

quelques jours à peine, en une vraie guimauve rose ! Je pourrais très


probablement plaider la folie passagère ... Devant un jury de femmes, ça

fonctionnerait à coup sûr ! Et puis, ce serait plus facile pour moi à accepter que

d’admettre que son parfum m’enivre, que son contact m’électrise et que … sa

voix me trouble ! Autant de niaiseries auxquelles je me refuse de croire ! Tout

est si nouveau pour moi.

Moi, mon style d’hommes, c’était le genre décontracté, beau gosse, à l’aise en

toute situation, souriant voire rieur et surtout … surtout extrêmement


sympathique. Voilà bien pourquoi, tout ce que je vis depuis quelques temps est

difficile à admettre. Comment ai-je donc pu tomber sous le charme d’un tel
homme ? Pour l’heure, je n’ai qu’une explication plausible : ma vue a pris le

commandement de mes quatre autres sens ! Mais quand mon cerveau daignera
enfin se remettre en marche, alors tout redeviendra en ordre. Je ne vois que ça

En fin de compte, le trajet en voiture qui s’effectue dans le grand plus silence
présente au moins un avantage certain : pendant ce temps-là, au moins, nous ne

nous querellons pas ! Ce qui n’est pas plus mal ! Et puis, cela me permet

également de me calmer et de relativiser un peu les événements liés à notre


histoire. Je suis bien obligée de constater, aussi, que sur de nombreux points,

mon état émotionnel carrément fragile ces derniers temps, est en partie

responsable de l’agitation qui me secoue depuis peu. Doherty a, sans même

s’en apercevoir, réussi à perturber tout petit mon monde qui, s’il était

réconfortant et prévisible manquait certainement de saveur, c’est sûr. Je


m’étonne encore du mélange explosif qu’ont pu donner nos deux personnalités

conjointes. Mais ce qui me surprend sans doute le plus, au-delà de tout, c’est

bien d’avoir pu être sensible à sa personne. Il est si … à l’opposé de ce que

j’apprécie généralement chez un homme.

Quand la voiture se range soudain sur un parking, j’en suis surprise, ayant été
complètement accaparée par mes réflexions pendant toute la route. Je n’ai pas

fait attention aux panneaux ces derniers kilomètres si bien que j’ignore
totalement où nous sommes. Je me suis docilement laissée transporter, laissant

de côté toute curiosité, ce qu’a probablement apprécié mon chauffeur.

— Où sommes-nous ? demandé-je en observant les alentours, à la recherche


d’indices.
— Nous sommes au parc d’état du Vermont et aujourd’hui, dans ce cadre
magnifique, nous allons apprendre à nous connaître. Nous allons tâcher de

remettre les choses dans l’ordre.

— Dans l’ordre ?

— C’est ça, oui. Dans l’ordre, répond-il sérieusement. Car à la réflexion, je

m’aperçois que nous avons tout fait à l’envers. Il est normal que notre relation
ait pris l’eau. Mais nous allons y remédier. Aujourd’hui.

— Notre relation ?

— Oui. Ne bouge pas.

Doug descend de voiture, la contourne et vient m’ouvrir la porte. Et même si

auparavant, j’ai pu me moquer de ces pratiques de galanteries d’un autre

temps, je dois avouer que je trouve ça assez classe, finalement. Je ne le constate

que maintenant, mais aujourd’hui, Doug ne porte pas l’un de ses superbes

costumes griffés. Il est vêtu de manière beaucoup plus décontractée : un simple

short de lin kaki et une chemise écrue de la même matière dont il a roulé les
manches. Sa tenue détendue donne de lui une image moins hautaine, plus

abordable. Pour peu, il semblerait presque normal !

Mais je m’oblige, toutefois, à ne pas me laisser abuser par son allure « cool »,

car dans le fond, Doug est et restera toujours le même. Et le côté « zen et
sympathique » ne colle pas vraiment avec sa nature profonde. Avec ou sans

costume. Disons plutôt que tout ce que j’espère pour aujourd’hui, c’est
simplement parvenir à passer un moment agréable. J’ai envie d’abaisser les

armes et de sortir mon drapeau blanc. Car j’en ai besoin. Besoin de me poser

un moment, sans stress ni prise de tête. Nous avons roulé pendant près de deux

heures de route et j’ignore à vrai dire dans quel état d’esprit il se trouve à
présent. A priori, il a l’air calme, sa voix est posée – voire plaisante - mais

avec lui, je me méfie toujours de ses revirements d’humeur. L’idéal, dans


l’absolu, serait de réussir à passer un moment plaisant. Ce devrait être

possible, non ?

Note à moi-même : ne pas l’énerver. En plus, nous sommes loin de New-York et

il me faudrait trouver un moyen de retour si jamais l’ambiance se dégradait


encore une fois entre nous.

Doug s’empare du panier resté dans la malle et nous nous dirigeons vers un
immense parc, magnifique, dont les berges du lac ont été aménagées.

Aujourd’hui est une belle journée et quelques familles ont déjà pris place sur la

pelouse qui fait face à l’espace plage, preuve que le printemps est
véritablement installé maintenant. D’ailleurs quelques enfants audacieux

s’amusent à patauger en bordure du lac, sous le regard bienveillant de leurs


parents.

Doug, qui n’a pas lâché ma main depuis notre départ, hormis pour m’ouvrir la

porte, me traine à sa suite, préférant manifestement un endroit plus calme à


l’écart.
Des tables de pique-nique sont également installées pour permettre aux
visiteurs de profiter de l’ombre des arbres pour déjeuner, mais une fois de

plus, nous les dépassons pour finalement nous arrêter au pied d’un grand

érable. Debout, Doug prend le temps d’apprécier le lieu, en regardant alentour


et sans doute satisfait, il me lâche la main pour se baisser et ouvrir le panier

pique-nique. Il ne s’agit pas d’un véritable panier, mais plutôt d’un genre de
petite malle, spécialement dédiée à cet usage et parfaitement conçue. Je

reconnais, apposé sur une pièce de cuir, le logo d’une grande maison de

couture française. Evidemment.

Chez moi, quand j’étais enfant, ma mère organisait, elle aussi, assez
régulièrement des pique-niques. Elle utilisait alors un panier en osier, dans

lequel couteaux, chips et essuie-tout s’entassaient, tandis que mon père plaçait

dans la grande glacière familiale toutes les salades et sandwiches préparés à

l’avance. Chez les Doherty, forcément, il faut que le luxe se montre à chaque

occasion.

Doug étend le plaid au sol et s’assied après avoir pris soin d’ôter ses

chaussures et de les avoir placées un peu en retrait, sur l’herbe.

— Viens t’asseoir près de moi, m’invite Doug d’un geste de main.

Debout, j’observe encore une fois le magnifique paysage et prends place à côté

de lui, face au lac, en me déchaussant également.

— C’est vraiment très beau ici, lui dis-je sincèrement. Je ne connaissais pas.
— Mes parents nous y emmenaient souvent quand nous étions gosses,
m’apprend-t-il.

— On a du mal à s’imaginer que nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de

New-York.

— C’est vrai, répond-il pensivement. J’ai toujours aimé cet endroit et j’ai

pensé que tu pourrais l’apprécier toi aussi.

— C’est le cas. Merci de m’avoir fait connaitre un si bel endroit. J’aime

beaucoup.

Sa main s’est posée sur la mienne et d’un geste doux, son pouce caresse mes

doigts un à un. Ce contact me trouble et je l’observe tandis que Doug semble à


mille lieux de moi, le regard perdu vers un groupe d’enfants. Je n’ose pas

l’interrompre et contemple moi aussi la beauté du lieu.

De majestueux mais farouches cygnes se déplacent avec grâce au centre du lac,

bien loin des barbotages des jeunes enfants qui s’ébrouent en riant. Çà et là des

familles de canards se suivent et la magie du lieu opère sur moi, m’apportant


effectivement calme et sérénité.

Je suis bien ici, je m’y sens bien. Je suis déjà certaine que j’y reviendrai car
j’aime vraiment cet endroit.

Soudain, le cliquetis de la malle me tire de mes songeries et Doug dégrafe


deux verres attachés à leurs emplacements et se saisit de l’autre main d’une

bouteille de champagne gardée fraiche dans un compartiment glacé. Il dépose


les flûtes sur la nappe, puis ouvre la bouteille qui émet ce si joli « pop »
caractéristique de cette boisson si prisée.

Tandis qu’il s’apprête à remplir les flûtes, je lui maintiens les verres afin que

ces derniers ne basculent pas. Puis se saisissant d’une flûte et me tendant

l’autre, il marque une pause, puis tout en me fixant de son beau regard brun, il
porte un toast.

— A toi Scarlett, à notre entente et à notre relation, prononce-t-il en levant son

verre.

Instinctivement, je lève mon verre et le cogne légèrement contre le sien en lui


adressant un sourire léger. Je réfléchis un bref instant à son toast. Mais nul est

besoin de pousser la réflexion bien loin pour comprendre que tout se rapporte

à notre marché, y compris notre « relation » à laquelle il fait sans cesse

allusion et qui n’est en fait que celle « fictive » que nous défendrons devant sa

famille.

— Bien commençons, Scarlett.

Je le regarde les yeux écarquillés, anxieuse.

S’apercevant de mon étonnement, Doug me regarde intensément avec


tendresse puis me sourit.

— Apprenons à nous connaître, m’explique-t-il. Si nous voulons être crédibles


vis-à-vis de ma famille, il me semble nécessaire de nous connaitre au moins un

minimum, n’est-ce pas ? Tu dois apprendre des choses sur moi et inversement
je dois aussi connaitre certains éléments sur toi, non ? m’interroge-t-il

Son visage est détendu, certaines de ses boucles brunes bougent avec l’air et
ses yeux brillants lui donnent un air presque enfantin que je trouve craquant.

Je me demande d’ailleurs quel genre d’enfant il pouvait être. Etait-il déjà aussi

sérieux et autoritaire que maintenant ou à contrario un tout autre enfant ?

J’essaie de l’imaginer.

— Scarlett ?

— Hein ? Heu … Oui. Bien sûr.

— Très bien. Alors, tu m’as dit avoir vingt-six ans, quand es-tu née

exactement ?

— Le 21 juin. Et toi ? demandé-je.

— le 4 janvier. Parle-moi de toi. Quels rêves avais-tu ? Quelle jeune fille étais-

tu ?

Capricorne. Pourquoi ne suis-je pas étonnée ?

Je comprends mieux cette force de caractère qui lui colle tant à la peau. Un
bourreau de travail, meneur de troupes, quasi despotique. Un caractère fort que
je retrouve également chez mon père et chez mon oncle Joe, tous deux du

même signe.

— Moi ? Oh, rien de bien exaltant. J’étais en fait une jeune fille tout ce qu’il y a
de plus ordinaire, je suppose. A l’époque, j’étais seulement un peu plus naïve et
innocente aussi. J’avais tendance à m’enflammer très vite contre les injustices ;

je cherchais sans cesse les limites et comme nombre de filles de mon âge, je

faisais tout mon possible pour me différencier des autres. C’est bien résumé, je

crois. Et toi ?

— Intéressant, me répond-il. Ça ne m’étonne pas vraiment de toi. Moi, c’était


presque tout l’inverse. J’étais, on me l’a dit, le plus sage des trois enfants.

A ce moment, il émet un rire quand je lui adresse une moue sceptique.

— C’est vrai, je te jure ! Mes parents me l’ont toujours dit ! se défend-il. Janet,

en revanche, était un peu comme toi, fougueuse et entière, elle ne supportait


aucun compromis et passait son temps à partir en guerre. Contre les injustices

du monde entier, les essais pharmaceutiques sur les animaux, la pauvreté dans

le monde … enfin, tout ce qui lui semblait insoutenable à l’époque ... et c’est

toujours le cas, je te rassure. Je me souviens, mon père la surnommait

l’avocate au grand cœur. Et tous les jours, elle épousait une nouvelle cause,

que mes parents devaient subir avec patience. Je crois qu’en ces temps, Janet

était finalement en guerre contre le monde entier ! Un jour, elle devenait


végétarienne, le lendemain, elle s’alarmait contre les industries qui polluaient,

puis venait le tour des sales capitalistes qui regroupaient à eux seuls toutes les
richesses de la terre … enfin, tout y passait, je me souviens. Pas un jour sans un

combat ! Ce devait être sa devise, je pense.

Je le regarde parler avec autant d’animation et je comprends spontanément


qu’il a lien très fort avec sa sœur. Son regard s’illumine rien qu’en
replongeant dans ses souvenirs.

— Et ton frère ? je demande.

— Paul ?

J’acquiesce d’un hochement de tête.

— Alors Paul, lui, comment dire … En fait, avec le recul, je pense que c’était

le plus malin de nous tous. Il parvenait à faire exactement ce qu’il voulait en

toute quiétude. Et c’est toujours le cas, je dirais. Calme et discret, à l’époque,

mes parents ne se sont jamais doutés de toutes les bêtises qu’il avait pu faire. Et

Dieu sait, s’il a fait sa part ! A la vérité, il cachait déjà bien son jeu ! Jamais de
conflit, jamais de rébellion, sa tactique était toute autre. Il se contentait de dire

oui à tout, pour finalement n’en faire qu’à sa tête. Et si jamais, il lui arrivait de

se faire prendre, car quand même, ça arrivait parfois, il sortait sa petite moue

contrite, tellement attendrissante que mes parents lui pardonnaient aussitôt.


Oui ! Il était très fort pour ça ! Il menait son petit monde par le bout du nez et

mes parents n’y voyaient que du feu ! Tu le crois ça ?! Inutile de te préciser que
c’était le petit dernier ...

Nous continuons un long moment par le biais de ce jeu de questions réponses à


essayer d’en apprendre davantage l’un sur l’autre et le déjeuner s’avère être

très agréable finalement. Peut-être est-ce le fait de discuter en apprenant à


mieux se connaitre ou le cadre qui est si reposant ? Je ne sais pas, mais
toujours est-il que Doug est si décontracté et plaisant que j’ai l’impression de

discourir avec un autre homme. Beaucoup plus intéressant, celui-ci.

Le repas puis l’après-midi se poursuivent ainsi agréablement entre souvenirs

cocasses et moments plus intimes et il est plus de 18 heures, quand nous

prenons conscience de l’heure. Le parc s’est peu à peu déserté sans que nous
nous apercevions et c’est le fond de l’air frais qui me fait frissonner attirant

mon attention sur l’heure. Pendant tout ce temps, j’étais bien, un peu comme

dans une bulle, conversant simplement avec un homme sympathique.

Qui l’eût cru ?

Alors que nous remballons la couverture et tout le matériel dans la mallette, je

reste encore un instant en admiration devant le coucher de soleil sur le lac qui

est absolument magnifique. Le ciel rougeoie et tout un nuancier de couleurs se

reflète sur l’eau paisible, maintenant que les enfants ont fini de l’agiter. Tout

est devenu calme et la nature semble reprendre ses droits, les canards et les

cygnes s’appropriant à présent les berges aménagées.

Alors que je contemple avec fascination la beauté du coucher de soleil, la main


chaude et rassurante de Doug se pose sur mon épaule, tandis que son buste

vient se coller contre mon dos. Sa chaleur se répand aussitôt dans mon dos,
m’emplissant d’un sentiment de plénitude, encore jamais égalé. Ce geste si

simple et pourtant si intime diffuse en moi une douce sensation de bien-être. Il


ne prononce aucun mot, ni moi non plus et nous observons ensemble le
paysage au déclin du jour. Le lieu aussi semble avoir retrouvé sa quiétude. Je
me sens bien, extrêmement bien même. Si bien que j’en oublierais presque que

le seul lien qui nous lie est un stupide marché.

Nos corps s’imbriquent merveilleusement bien comme si nous avions été

conçus comme étant les deux mêmes moitiés d’un tout. Nous restons un
moment ainsi savourant la sérénité de l’instant et la majesté du lac. Au bout de

quelques minutes, alors que l’air froid me fait frissonner à nouveau, Doug se

saisit de ma main pour me guider vers la voiture. Par sa douceur, il ne rompt

pas vraiment l’ambiance si spéciale, mais mon esprit et mon corps regrettent

déjà cette parenthèse de bien-être.

Aurais-je à nouveau l’occasion de goûter un de ces moments rares et

magiques ? Sûrement. Avec lui ? Rien n’est moins sûr, mais au fond de moi, je
l’espère sincèrement.

Alors que nous avons repris la route, après une si bonne journée à l’air libre,

je ne mets pas bien longtemps avant de m’assoupir sur le chemin du retour,

confortablement lovée dans le siège en cuir de la luxueuse voiture. Toutes mes


tensions sont tombées et la conduite souple de Doug m’aide peu à peu à

sombrer dans un sommeil bienfaisant après m’être laissée porter par les
souvenirs de cette merveilleuse journée que j’aimerais garder en mémoire.

Une journée spéciale pour moi.

Je ne refais surface que lorsque Doug passe sa main avec douceur sur ma joue
pour me réveiller. Et je mets quelques temps à sortir de la torpeur qui
m’entourait. Nous sommes devant l’immeuble de Doug et il est plus de vingt et

une heures. Le trafic est toujours dense en début de soirée et nous avons mis

bien plus de temps pour revenir qu’à l’aller. Doug donne ses clés au concierge
et lui demande de bien vouloir appeler le voiturier, tandis que toute

ensommeillée, son bras autour de ma taille me soutient pour rejoindre son loft.
Je refuse le plateau repas qu’il me propose et me dirige directement vers ma

chambre pour continuer mon somme. Cette belle journée m’a littéralement

épuisée. Sans doute parce que je n’avais pas pris autant d’air pur depuis mon

arrivée à New-York, c’est-à-dire depuis plus de cinq mois.

Parfois mon Oregon, dont les new-yorkais se moquent tant, me manque. Je

regrette ses paysages, la simplicité et la gentillesse des gens et surtout l’art de

vivre que chaque habitant s’applique toujours à conserver. Et même si tout

n’était pas simple à mon départ, avec la séparation puis le divorce de mes

parents, je constate que je suis de plus en plus nostalgique. Peut-être parce que,
désillusionnée, New-York ne m’a pas apporté ce que je cherchais finalement.

Fatiguée, je prends à peine le temps de me changer et de passer par la salle de


bain avant de me glisser dans mes draps. Et aussitôt ma tête posée sur

l’oreiller, je m’évade au pays des songes, avec Doug en fond d’écran.


Chapitre 23

Les jours qui suivent sont laborieux au sens propre du terme. Beaucoup de

travail, de rendez-vous et de réunions. Quand nous rentrons le soir, Doug et


moi, nous sommes généralement éreintés. Nous partageons désormais chaque

fin de journée un verre pour nous détendre et dinons rapidement.

Nous n’avons plus couché ensemble et je ne sais pas si je dois considérer cela
comme une bonne ou une mauvaise chose. Mon désir aurait tendance à se

languir de son corps et de revivre ces moments de pure extase, mais ma raison

me rappelle sans cesse, qu’il en est sans doute mieux ainsi et je la crois

sincèrement.

Toujours est-il, que Doug n’a plus spécialement manifesté, non plus, le désir

de recréer des instants d’intimité et nous nous comportons davantage comme


deux colocataires plutôt que deux amants.

Pour être honnête, je subodore que Doug ait fini par prendre conscience de

l’erreur qu’il avait faite en mêlant le plaisir aux affaires. Forcément, d’une
certaine façon, j’en ressens de la tristesse, mais j’imagine que c’est la conduite
à tenir. Enfin, peut-être ...

En tout cas, tous les instants que nous partageons dorénavant lors de nos
soirées « sages » nous permettent chaque jour, petit à petit, d’apprendre à

mieux nous connaitre. Mon regard sur lui évolue peu à peu. Loin du patron
tyrannique, il m’apparait désormais comme un homme très cultivé et très

intéressant aussi. Non pas que j’aie pu douter de ça auparavant, mais je sais

désormais que derrière cette apparence froide et dure qu’il affiche au bureau,
il sait aussi se montrer curieux, sympathique et même comique, à ses heures. Il

me questionne énormément sur mon passé et j’ignore si c’est pour mieux

s’imprégner de son rôle de petit ami ou par simple curiosité. En tout cas, par

moments, il parvient même à me faire croire qu’il s’intéresse à ce qui me


touche et j’avoue que j’aime ça.

Donc, comme je l’exprimais, pendant tous les jours qui suivent notre

merveilleux pique-nique, nous parlons beaucoup. Ce sont toujours des instants

agréables, calmes, sans querelles ni crêpages de chignons, de simples

conversations, que pourraient tout naturellement partager deux nouveaux amis.

Et j’ai le sentiment que nous progressons. Tout ceci nous permet aussi,
indiscutablement, de mieux nous apprécier.

Enfin, c’est mon cas, à moi.

Une complicité s’est installée entre nous et force est de constater que nous
formons de bien meilleurs amis que petits amis. Je sais que cet état ne durera

que l’espace du temps qui nous est imparti, mais tous ces moments de partages
sont si plaisants que je devine qu’ils me manqueront par la suite.
Bien sûr, je retrouverai Abby et sa bonne humeur naturelle, mais je pressens
aussi, déjà, un manque à l’idée que tout ceci s’arrête. Les journées sont

tellement remplies au bureau qu’elles défilent à une vitesse incroyable.

J’aimerais comme Lamartine demander au temps de suspendre son vol pour


capturer quelques-uns de ces instants magiques où seuls les doigts de Doug

caressent ma main avec tendresse comme pour m’apprivoiser, mais je dois


accepter que tout prendra fin, à un moment donné. Bien trop vite, à la vérité.

Nos deux mondes se sépareront inéluctablement après s’être côtoyés en

harmonie.

Qui l’aurait cru ? Pas moi, assurément !

Arrive, forcément, la veille de notre départ pour Atlanta et Doug m’a conseillé

ce soir de quitter le bureau un peu plus tôt afin de profiter d’Abby quelques
heures et me saisir, si je le souhaite, de quelques affaires que je souhaiterais

emporter. Pas de vêtements, évidemment, mais éventuellement quelques

babioles que je souhaiterais emporter avec moi. A part peut-être un livre pour
occuper les temps morts, s’il y en a, je ne vois pas vraiment ce que je pourrais

prendre d’autre. Mais je suis surtout heureuse d’avoir l’occasion de passer


quelques instants avec mon amie que j’ai délaissée depuis quelques jours.

Notre complicité me manque. Et même si nous avons toujours l’occasion


d’échanger quelques mots le midi quand nous déjeunons ensemble, ce n’est pas

pareil. Nos soirées ensemble à refaire le monde ou simplement à rire de


bêtises me manquent, je constate.
Je devrais sans doute culpabiliser de l’avoir un peu écartée de ma vie ces
derniers temps, mais tout est si intense en ce moment. Et puis sincèrement, je

ne pense pas qu’Abby en souffre, car d’après les quelques bribes qu’elle me

confie régulièrement, son aventure avec Sean, son nouveau petit ami, se
poursuit et l’accapare pas mal.

Est-ce que cela va déboucher sur quelque chose de sérieux entre eux ? Je ne

peux évidemment pas le savoir, mais en revanche, à la manière dont ses yeux

s’animent quand elle me parle de lui, je vois bien que mon amie est totalement

tombée sous le charme du jeune homme. D’ailleurs, à l’entendre, il s’agit

vraiment d’un spécimen rare, qui en plus d’être la copie d’un apollon, s’avère
être un homme absolument merveilleux, doté d’un sens de l’humour

incroyable et d’une gentillesse inouïe.

J’ai hâte de rencontrer cet être rare !

En attendant de retrouver Abby ce soir, au bureau, j’essaie de clore un

maximum de dossiers puisque Doug n’a pas vraiment besoin de moi à ses

côtés ce matin. Je repose à peine le téléphone quand une femme pleine


d’assurance et très élégante se présente face à moi. Je ne la connais pas mais je

ne peux m’empêcher d’admirer sa beauté et sa distinction. L’observant plus


attentivement, je suis obligée de me comparer à elle. Elle est de toute beauté et

je doute, qu’elle aussi ait eu à suivre un relooking express !! Y a vraiment pas


photo ! Cette femme, elle, est probablement née avec cette élégance naturelle et
n’aura très vraisemblablement jamais besoin des services d’une

Cassie quelconque !

Néanmoins, si une toute petite chose, mais néanmoins importante, devait

gâcher en partie ses flagrantes qualités physiques, ce serait sans aucun doute, la

vanité et cet air supérieur qu’elle arbore et qui transpirent de chacun de ses
pores.

Elle est belle et elle le sait !

De même, elle affiche, avec malfaisance, un tel sentiment de supériorité, alors

qu’elle porte son regard hautain sur Betty, que ses traits se contractent, figeant
une expression peu heureuse sur un si beau visage. Sentiment, que je

n’apprécie absolument pas, du reste. J’ignore comment elle a réussi à atteindre

le trente-deuxième étage mais sûrement pas grâce à Abby qui m’aurait aussitôt

avertie de l’arrivée de notre mystérieuse visiteuse.

— Je souhaiterais voir Doug, m’informe-t-elle de toute sa hauteur, les pointes


de ses doigts parfaitement manucurés posés en corolle sur mon bureau et son

buste légèrement penché vers moi.

Elle me surplombe avec fierté, mais elle n’a pas grand mal, vu la hauteur de
ses talons et le fait que je sois moi-même assise sur ma chaise de bureau.
Evidemment, ni bonjour, ni autre formule de politesse. Mais je ne m’en étonne

pas, m’imaginant tout à fait ce genre de femme, impolie et snobinarde,


dédaigneuse face au petit personnel. Et subitement, je lui trouve beaucoup,
mais alors, beaucoup moins de classe que quelques secondes auparavant.

— Qui dois-je annoncer ? je demande sans même relever son impolitesse.

— Sa fiancée, m’informe-t-elle avec un sourire narquois, alors que je reste


coite devant elle.

Ferme la bouche Scarlett !

— Je … je vais voir si …Monsieur Doherty est disponible, j’annone

difficilement.

Elle me toise quelques secondes prenant le temps de me considérer non


discrètement, puis décide soudainement de tourner ses talons et se diriger seule

vers le bureau de Doug.

La fiancée de Doug ??

Sa fiancée !!

Je me lève subitement, reprenant conscience, histoire de la précéder, mais du

haut de ses grandes jambes fines, elle me devance et ouvre subitement la porte

du bureau de Doug, le surprenant en pleine conversation téléphonique.

— Doug !? je l’interpelle impuissante pour lui montrer que je n’ai pas réussi à
la retenir.

Doug regarde avec surprise la femme qui pénètre dans son bureau, sans

paraitre plus affecté que ça. Il prend rapidement congé de son interlocuteur et
se lève aussitôt pour se rapprocher de ... sa fiancée ???
— Dieu merci Doug, tu es là ! Je souhaitais que l’on puisse parler de notre
mariage, le traiteur n’arrête pas de me relancer pour fixer une date et comme

tu ne me rappelles pas, j’ai préféré venir te voir en personne !

Je le regarde complètement hagarde et ne retiens en tout et pour tout, que ces

deux mots : fiancée, mariage !!

Je vois bien que lui aussi à l’air surpris, mais je suppose que concernant ces
deux nouvelles, il devait bien être au courant ! D’ailleurs, il semble davantage

perturbé par cette entrée en fanfare que par cette histoire de mariage.

Oh ! mon Dieu ! Mariage ! Doug est donc bien fiancé ! Il va se marier !

Il s’est bien fichu de moi ! Une fois de plus, ai-je envie de me sermonner.

Je ne vais pas rester là, à regarder les deux tourtereaux flirter et mettre au

point leur cérémonie de mariage, je préfère encore les laisser tout à leurs

retrouvailles ! Les yeux me piquent soudainement et il est hors de question

qu’ils se satisfassent de mon air hébété. Lui, d’avoir inventé n’importe quelle

excuse pour me mettre dans son lit et elle, de se moquer de la candide


secrétaire tombée amoureuse de son parton.

Suis-je réellement tombée amoureuse de Doug ?

Pour l’instant, je n’ai pas le temps de me concerter sur le sujet. Je me tourne

aussi vite que possible et rejoins en toute hâte mon bureau afin de récupérer
mes affaires. Mes yeux sont embués et tout ce qui me vient à l’idée est de ficher

le camp aussi vite que possible, tant je me sens humiliée et blessée. Quitter
définitivement de cette boite pourrie et son patron qui l’est tout autant !

— Scarlett ! m’appelle-t-il alors que je cours presque vers mon poste de


travail.

Je ne lui réponds pas, je ne le regarde pas, je ne veux plus rien avoir à faire

avec ce sale type qui commençait seulement à m’apprivoiser. Il s’est tellement

fichu de moi !

Alors que je devine qu’il tente de me rattraper, j’entends juste une dernière fois

la voix de sa très chère fiancée derrière moi.

— Douggy, Douggy chéri, est-ce ainsi que tu accueilles ta fiancée ?

Je perçois plus que je n’entends Doug lui répondre sèchement :

— Fous-moi la paix Candy !

Trop tard, je suis partie. Betty a aussitôt activé l’ouverture des portes de

l’ascenseur alors que je me ruais vers ce dernier et je peux enfin lâcher les

larmes que je retenais avec effort.

Adios Doherty Press ! Je me casse !

A jamais.

§
Voilà trois jours que je suis couchée chez moi - entendez dans mon minuscule
appartement que je partage avec Abby. Elle-même, n’en est pas revenue de

l’arrivée impromptue de la fameuse fiancée sortie de nulle part. Et pourtant,

toujours au courant de tous les potins ou rumeurs de Doherty Press, elle n’en
avait d’ailleurs jamais entendu parler. Mais peu importe, finalement. Ça ne

change pas grand-chose, en fait.

Doug était fiancé et le reste n’est que détail.

Et puis, c’est bien connu : les fiancées sont comme les princes charmants, elles
peuvent surgir à tout moment dans les contes ! Et tant qu’à faire dans les

moments où l’on ne s’y attend le moins ! C’est encore plus drôle !

Bien évidemment, je ne suis pas partie à Atlanta et j’ai coupé mon portable

alors que « Douggy chéri » tentait de me joindre à plusieurs reprises suite à

mon départ anticipé. J’ai reçu la notification de plusieurs messages vocaux


laissés sur le répondeur et j’imagine tout à fait le ton de ces derniers qui

devaient, à coup sûr, tous me menacer de renvoi si je ne me pointais pas à


l’aéroport dès le lendemain. Mais rien à foutre ! J’ai fini par éteindre mon
téléphone après que Doug n’ait eu de cesse de m’envoyer également des

messages textes que je refusais de lire.

Rien à foutre d’Atlanta, de ses menaces, de Doherty Press et de son grand


manitou, qui soit dit en passant cache bien son jeu ! Et dire que j’étais prête à

lui accorder mon estime ces derniers jours ! Dieu merci, je ne lui en ai rien dit.

Ça sera toujours ça de moins dans mon humiliation !

Je devine qu’il a dû tenter de se disculper, ses messages doivent d’ailleurs

contenir moult et moult excuses qui expliquent assurément la situation –


effectivement ça fait désordre la fiancée qui débarque quand on se dit

célibataire - mais au final et après trois jours de pleurs sans discontinuer, j’ai

bien compris que s’il devait n’y avoir qu’une cruche dans cette histoire, il

s’agissait bien de moi !

A quoi devais-je m’attendre d’autre de sa part, d’ailleurs ?

Je savais dès le départ que Doherty était un sale type et bien que notre relation

platonique soit devenue amicale, j’aurais dû rester sur mes gardes. Je le

comprends mais trop tard. Pourquoi cette nouvelle donne -la fiancé, le mariage

- me fait-elle aussi mal ? Après tout, rien ne pouvait me laisser espérer autre

chose que ce que nous avions conclu. Alors pourquoi je souffre autant ?

Sans doute le choc de la trahison, je ne vois que ça. Ou alors …

Ou alors, je suis tout simplement tombée dans le piège du plus vieux cliché qui
soit. Et ça me blesse davantage de l’admettre. Mais il semblerait bien que, sans
m’en rendre compte, je sois tombée amoureuse de lui. Je suis tombée

amoureuse de Doug. Voilà la triste vérité. Comment peut-on être aussi naïve
que moi ? C’en est accablant !
Ces derniers trois jours, Abby a eu beau être gentille et rassurante avec moi, je
sais que toute cette histoire n’est due qu’à mon immense stupidité d’avoir cru

qu’un homme comme lui pouvait s’intéresser au moucheron que je suis. Je

savais pourtant au fond de moi que Doug était dangereux pour moi. Alors
pourquoi n’ai-je pas, raisonnablement, écouté toutes les sirènes d’alarme qui

sonnaient jour après jour ? Me voilà bien avancée maintenant !

N’importe qui aurait vu venir le coup. N’importe qui mais pas moi,

évidemment !

Au quatrième jour, je décide enfin de sortir la tête de l’eau et de me bouger, car

à bien y réfléchir, je n’ai guère les moyens non plus, de pouvoir m’atermoyer

trop longtemps sur moi-même. Il me faut un job. Car non seulement, je dois

faire une croix sur la somme rondelette que je briguais, mais je dois
également, impérativement, me débrouiller pour trouver un nouvel emploi et

ce, très rapidement. Malgré ma blessure, malgré mon incroyable naïveté,

malgré le goût amer de trahison qui ne me quitte pas.

Forte de tous ces constats, je décide donc au terme de ces trois jours de pleurs
et d’apitoiement de m’activer au lieu de continuer à pleurer sur moi-même,

chose qui ne me fera sûrement pas avancer. « The show must go on » dit-on
chez nous. Et oui, même si cela est difficile, la vie continue. La vie doit

continuer ! Aussi, faisant un effort surhumain, encore vêtu de mon pyjama et


les cheveux toujours emmêlés de la nuit, je me mets enfin en quête de trouver
le poste qui me permettra de couvrir au minimum mes frais, à savoir payer

mon loyer et de quoi remplir régulièrement mon réfrigérateur.

Prenant divers contacts, je suis bien obligée de rallumer mon téléphone, si

jamais quelque employeur avait la bonne idée de me joindre. Mon premier

réflexe est d’effacer aussitôt toute trace de Doug : messages et numéros de


téléphone compris. Comme si le sortir de mon mobile, allait le faire sortir tout

aussi simplement de ma vie.

Si seulement …

Stupide et niais, je le concède, mais je ne supporte plus de voir son prénom


s’inscrire sur mon écran. Je veux rayer cet homme de ma vie et reprendre

celle-ci là où je m’étais arrêtée avant de le rencontrer. C’est assez simple

comme résolution et si je m’y tiens, je devrais y parvenir relativement

rapidement. Le tout est de le vouloir.

Parfois d’agréables souvenirs ressurgissent dans mon esprit, sans m’en avoir
demandé l’autorisation, me rappelant les quelques bons moments que nous

avons partagés. Et outre les deux fois où Doug m’avait fait l’amour, véritables
instants de passion pour moi, cette magnifique journée au lac revient en

permanence me hanter. De même que toutes ces soirées passées en tête à tête
que je pensais être de sublimes moments de partage. Mais apparemment, je me

trompais. Alors, aussitôt, je m’admoneste, me refusant de sombrer dans la


mélancolie et m’intimant l’ordre de regarder les choses telles qu’elles sont et
non comme j’aurais souhaité qu’elles soient. Tout ceci n’était finalement
qu’illusions et leurres.

Une semaine passe entre prises de contact, refus et échecs et si je n’ai pas

entièrement oublié Doug, je ne pleure plus en tout cas. Ce n’est déjà pas si mal.

Finalement dans l’urgence, je dois revoir mes ambitions à la baisse et parviens


enfin à décrocher, ce que j’appellerais un job provisoire. Il s’agit d’un poste de

serveuse dans une brasserie et si cela ne correspond en rien à mes ambitions

professionnelles - quarante mille dollars de frais d’université quand même !! -

cela me permettra au moins de payer ma part de frais ce mois-ci.

Les premiers jours sont vraiment difficiles. D’une part, parce que je ne

maitrise pas du tout l’art de porter un plateau rempli de verres sans en

renverser une partie du contenu ; et d’autre part, car je suis obligée de


reconnaitre que je ressens un très grand vide au fond de moi.

Bien malgré moi, je m’étais habituée à partager le quotidien de Doug, à

travailler à ses côtés et même à supporter son sale caractère d’homme

primitif ! Cependant, nos discussions du soir, où fatigués mais sereins, nous


partagions un verre en apprenant toujours à mieux nous connaitre, nous

intéressant l’un à l’autre ; tous ces petits rituels, ces moments de complicité où
nous riions même de nous-mêmes parfois, me manquent terriblement. Je me

dis tantôt que je n’ai peut-être pas suffisamment apprécié tous ces doux
instants. Tandis qu’à d’autres moments de la journée, je rechigne à croire que
tout était faux, simulé.

Son sourire me manque, il me manque …

Le manque, voilà exactement ce que je ressens à présent. Ça passera, bien sûr


… tout finit toujours par passer, dit-on. Il suffit juste d’être patient. Les

souvenirs eux aussi finiront bien par s’estomper.

Pour ne pas tomber dans l’abattement, à chaque résurgence nostalgique, je

m’efforce à présent d’y associer une image négative de Doug. C’est une

nouvelle technique que j’expérimente, piochant dans sa personnalité, les

aspects les moins flatteurs de son caractère. Mais à la vérité, ses nombreuses
sautes d’humeur ont beau alimenter mon vivier, rien ne parvient réellement à

le chasser de mon esprit. Malgré tous mes efforts, je continue de souffrir de

son absence.

Je suppose que quelque part, une partie de moi aurait aimé qu’il vienne

s’excuser ou mieux encore qu’il me dise qu’il s’agissait d’une mauvaise


blague. Mais le véritable coup de poignard au cœur survient ce mardi, lors de

la parution hebdomadaire du tabloïd le plus en vogue actuellement « Sin city ».

Alors que j’effectue mon service au milieu des clients comme chaque matin,
sans passion ni motivation, mon regard est porté vers une table où deux jeunes
filles lisent et commentent en riant la une d’un journal. Toutes deux ricanent et

cherchent activement dans les pages intérieures du magazine de quoi alimenter


leurs cancanages. Je les regarde avec envie. Elles ont cette fraicheur et cette
liberté propres à l’adolescence. Elles gloussent et rient fort sans se soucier de

leur entourage.

Alors que je suis en train de les servir, machinalement, elles referment le

journal et le placent sur le côté de la table et j’aperçois enfin ce qui les

intéressait tant. Mon cœur s’arrête aussitôt. C’est un véritable choc me


percutant plus violemment qu’un trente-six tonnes.

« Doug Doherty, enfin fiancé !!

L’incorrigible séducteur a enfin trouvé celle qui va le changer !

Après la belle inconnue du gala de charité, Doherty ne résiste pas au charme

de Candy West, la célèbre propriétaire de la galerie d’arts Skyfull de


Manhattan.

Ils se seraient fiancés dans la plus grande intimité. »

Deux photos illustrent la une à scandale et ce qui a amusé plutôt les deux jeunes

filles me crève cruellement le cœur. A croire que je vais moins bien que ce que

je pensais. Merde !

Doug est absolument magnifique sur la photo du journal. Il affiche son sourire
canaille que j’apprécie tant, et son regard rieur me donne l’impression de
l’avoir face à moi. Sans même m’en rendre compte, je suis prise d’une suée,

tant la photo de Doug me bouleverse. Le revoir, là, si beau …

Bien évidemment, sa fiancée … Candy, elle est plus lumineuse que jamais.
Accolée contre Doug, elle sourit au photographe donnant l’air d’être la femme
la plus heureuse au monde. Voilà, ce que je vois, ce que tout le monde peut voir

d’ailleurs : un jeune couple, beau, heureux d’être ensemble et … amoureux.

Leurs deux corps sont proches, et tous deux offrent au photographe un sourire

qui reflète ….

Qui reflète quoi ? … leur bonheur ??

Subitement, je me sens mal. J’ai l’impression que le sang quitte mon visage et

la tête commence à me tourner. Je sens que je vais tourner de l’œil d’ici peu. Je

m’éloigne de la table, la respiration difficile, luttant pour ne pas éclater en

sanglots en pleine salle. Mon cœur est si contracté, comme pressé par un poing
vigoureux, qu’une terrible douleur me saisit à la poitrine. Chancelante, je n’ai

d’autre solution que de me réfugier dans les toilettes de service pour récupérer.

Je me sens si mal. J’ai si mal !

Jamais je n’aurais pensé qu’une simple couverture de presse puisse m’atteindre

à ce point. Car la douleur que je ressens est bien un mal physique. Un


élancement dans la poitrine si acéré que je me demande même si je ne suis pas

en train de faire un accident cardiaque. Mon souffle est entrecoupé, difficile et


je serais incapable de sortir un mot de ma bouche s’il le fallait. C’est la

première fois qu’un tel malaise me prend. J’ai chaud, pourtant je grelotte.

Appuyée sur le lavabo, je regarde mon reflet dans le miroir des toilettes. Mon

visage a changé de teinte. Je suis livide. Et ce n’était pas qu’une simple


impression, le sang a bien quitté mon visage. Je m’asperge d’eau pendant
quelques secondes, puis me redresse pour finalement m’affaler quasiment sur

la porcelaine du lavabo. J’ai mal. Tellement mal ! Je ne pense pas avoir jamais

autant souffert qu’en ce moment ! Ni physiquement, ni émotionnellement.

Le temps que passe mon malaise, je m’applique à pratiquer des exercices de

respiration, me concentrant sur la circulation de l’air dans mes poumons.


Inspirant puis expirant pour ne pas m’effondrer au sol. Je ne cesse de fixer

mon reflet dans le miroir, je suis méconnaissable. Mes yeux sont cernés et

bouffis d’avoir tant pleuré ces derniers jours ; mes traits tirés. Mais ce qui

m’effraie sans doute le plus est la frayeur qu’expriment mes yeux ainsi que la

couleur blême de mon visage. Honnêtement, je fais peur.

J’ai pourtant tout fait depuis ces derniers jours pour refouler ma douleur au

tréfonds de mon être, mais à présent, celle-ci saute aux yeux ! La vérité est si
évidente ! Je suis amoureuse de Doug Doherty !! Je veux dire vraiment

amoureuse. Amoureuse comme je ne l’ai jamais été auparavant !

Et ça ne passe pas ... Comment est-ce arrivé ?

J’avais bien décelé les premiers symptômes de cette maladie d’amour, mais je
pensais sincèrement que le fait de ne plus le voir m’aiderait à oublier cette

histoire. J’espérais que cela passerait avec le temps, loin de lui. Mais ce n’est
pas le cas justement. Et putain que ça fait mal !! Cette photo, pourtant identique

en tous points à toutes celles qui paraissent chaque semaine dans le magazine,
me tue littéralement. Personne ne peut comprendre, si ce n’est moi. Preuve en
est ces deux jeunes filles qui riaient de l’article, se moquant probablement de la
nouvelle venue dans le cœur de Doug. Mon Doug. Moi seule peux souffrir à la

vue de leur complicité amoureuse si évidente sur le cliché, de leurs sourires,

du texte qui les accompagne, et de cette une de journal qui me perfore le cœur.
Tous les sentiments que je me suis acharnée à enfouir ces derniers jours

reviennent me percuter à la manière d’un boomerang en pleine tête. Et c’est


douloureux.

Une nouvelle vague de suée ressurgit me faisant grelotter davantage et mon

équilibre devient précaire, tandis que je me cramponne toujours au lavabo.

Comment ai-je pu me laisser aller ainsi jusqu’à tomber amoureuse du plus

grand salaud de la ville ? Comment se fait-il d’ailleurs que mon cœur ait

précisément choisi cet homme ? Tout ça me dépasse !

Prise de nausées, et tant que j’en ai encore la force, je décide de quitter les

toilettes et me dirige fébrilement vers mon patron, lui demandant l’autorisation

de quitter mon poste pour cause de malaise.

— Quoi ? me répond-il hargneusement. Mademoiselle Johns, vous n’êtes ici


que depuis trois jours et déjà vous me sortez la carte de la maladie ??!! Vous

vous foutez de moi ?? s’énerve-t-il. Vous pensez déjà à quitter votre poste ?
Mais pourquoi croyez-vous que je vous aie embauchée à la fin ? Pour

remplacer celle qui vous précédait, justement MALADE elle aussi !! crie-t-il si
fort que toute la salle peut profiter de sa colère.
En d’autres circonstances, je lui aurais probablement répondu sur le même ton
que je n’y étais pour rien, mais je ne suis vraiment pas d’humeur et je n’en ai

d’ailleurs pas la force. Cette une de journal est imprimée devant mes yeux et je

relis en boucle les mots assassins écrits qui me meurtrissent un peu plus à
chaque passage de mes yeux sur eux.

Sans plus attendre son autorisation, je récupère mes affaires que j’avais

déposées dans le local arrière ce matin en arrivant et sors de l’établissement

sous les menaces hurlantes du patron qui crache que ce n’est plus la peine que

je refoute les pieds chez lui.

Je l’avais compris. Merci.

J’ai un besoin vital de respirer de l’air frais. J’étouffe.


Chapitre 24

Accablée, je me mets à courir comme une folle pendant quelques centaines de

mètres, inspirant le plus possible. Je manque d’oxygène et j’ai besoin de sentir


l’air s’engouffrer dans mes poumons, sans quoi il me semble que je vais

m’asphyxier. Je fuis je ne sais quoi mais je cours, délivrant ma gorge du petit

foulard que j’avais mis plus tôt ce matin pour tenter de reprendre une allure

soignée. Pourtant là, je ne le supporte plus, j’ai l’impression qu’il enserre ma

gorge bloquant tout appel d’oxygène. Je le laisse s’échapper dans ma hâte de

me découvrir. Tant pis, il n’était pas si joli que ça, de toute façon.

Au bout d’un moment, n’étant pas sportive, je suis pourtant bien contrainte de

m’arrêter tant mes poumons me brûlent et qu’un point de côté me blesse.

Haletante, je me plie en deux comme le font les marathoniens pour récupérer

après une longue course, les mains sur mes genoux. Je reste dans cette position
un certain temps sous l’indifférence totale des passants qui me croisent sans me

voir. Je dois rentrer. Je ne supporte plus l’anonymat de cette ville, ni même ses
habitants. Je me redresse et erre quelques temps encore, sans plus me

préoccuper de l’agitation qui m’entoure. Les larmes coulent toutes seules,


telles un torrent se déversant sur mes joues, lâchant le trop plein accumulé et
refoulé de ces derniers jours. Je n’ose même pas songer à mon visage qui doit
être ravagé par mon maquillage dégoulinant. Mais je m’en fiche, de toute

façon.

C’est en déambulant ainsi, pendant de longues minutes encore, au milieu de

cette faune new-yorkaise, que la solution s’impose tout à coup à moi. C’est

d’une telle évidence ! Je dois partir. Quitter New-York ! J’ai laissé derrière moi
mon Oregon natal, pensant trouver dans cette grande ville l’opportunité de me

construire, mais finalement, qu’en est-il ? Qu’en est-il vraiment à présent ?

Tout va de mal en pis depuis que je suis ici.

La preuve. Je suis triste à mourir, je pleure ici en plein milieu du trottoir, mais

personne ne me voit, personne n’a d’attention pour moi, si ce n’est pour

m’éviter ou m’adresser seulement un regard réprobateur. Je dois partir. C’est

une nécessité absolue. J’aurais dû le deviner avant. Je dois quitter cette maudite

ville qui ne m’apporte rien d’autre que des ennuis depuis que j’y ai mis les

pieds. Mon avenir n’est pas ici. Je dois poursuivre ma route, en oubliant le plus

rapidement possible l’épisode Doherty qui ne sera bientôt plus qu’un mauvais
souvenir.

Cette subite révélation induit malheureusement l’idée de me séparer d’Abby et


cela m’affecte réellement. Mais je sens bien que je ne peux plus rester dans

cette ville.

A tout instant, des lieux, des personnes ou que sais-je encore vont
inéluctablement me ramener vers Doug et ça, ce n’est pas bon pour moi. Ni

pour ma santé mentale. Alors autant franchir le pas le plus rapidement possible.

New-York est devenue trop petite pour moi. Honnêtement, je ne me sens pas le

courage de découvrir chaque semaine, par voie de presse interposée, les


nouvelles aventures de « Doug le séducteur ». Et suivre une à une les étapes de

son mariage m’effraie carrément. Je n’y résisterai pas, je le sais.

Jusqu’ici, je n’étais encore jamais tombée amoureuse de quiconque, à part

peut-être de Joe au lycée et encore platoniquement ! Mais voilà que quand cela

m’arrive enfin, il faut que cela tombe sur le plus grand séducteur de New-

York, fiancé qui plus est !

Non, c’est bien ce que je disais, cette ville est résolument trop petite pour nous

deux et mieux vaut que j’aille voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs, de
toute manière ici, l’air est devenu irrespirable pour moi.

Quand je rejoins mon appartement, ma décision est prise.

Abby, qui a vu la une du tabloïd, m’attend depuis un moment, inquiète. Il est

assez tard car j’ai traîné un bon moment au hasard de mes pas. Je la rassure et
dans la foulée lui annonce mon départ imminent. Elle tente dans un premier

temps de me convaincre de temporiser, que je suis sous le choc et que c’est


normal, mais que j’y verrai plus clair d’ici quelques jours, mais bien décidée,

je n’en démords pas.

C’est à ce moment que je lis dans ses yeux le chagrin que lui impose ma
décision car elle a bien compris que j’étais déterminée. Et effectivement, je le

suis. Plus que jamais. Elle m’écoute et de petites perles d’eau quittent ses

magnifiques yeux bleus. Abby, mon amie. Ma meilleure amie depuis toutes ces

longues années. Moi aussi, j’ai de la peine, mais elle comprend que je ne
puisse rester là à suivre les amours d’un homme dont je me suis éprise. Pour la

première fois, elle en vient même à injurier celui qu’elle prenait pour un
véritable dieu vivant, il y a quelques jours encore.

J’ai même réussi à lui briser ses rêves, à elle.

Nous passons la soirée tristement car nous savons toutes deux que la fin est

proche pour nous. Nos rares sourires sont timides et forcés. Une page vient de

se tourner et nous en sommes pleinement conscientes. Peut-être qu’il était

évident que nous ne pouvions continuer à vivre éternellement ensemble ? Que


l’heure de notre séparation avait sonné ? Cela me fait mal, même si je sais avec

certitude que notre amitié perdurera bien au-delà des kilomètres. Mais,

forcément notre éloignement dissipera peu à peu notre tendre complicité, ça


aussi, c’est une évidence. C’est ainsi et je dois l’accepter. Nous devons

l’accepter. Le seul point qui me rassure c’est que sa relation avec Sean semble
solide, comme un coup de foudre évident, et que par conséquent, je ne la

laisserai pas vraiment seule.

La véritable question maintenant, pour moi, est de savoir où vais-je poursuivre


mon chemin ? Où commencera ma nouvelle vie ? Et ça, c’est une autre
question.

Je passe donc les deux jours suivants à essayer de me reprendre en main et à


tenter de me projeter sur mon prochain lieu de vie. L’une de mes nombreuses

interrogations, entre autres, est de savoir si oui ou non je devrais retourner en

Oregon ? J’avoue que cette question m’obsède.

A bien y réfléchir, c’est le seul endroit où je me sois toujours sentie bien.

Aimée, protégée et heureuse. Ce pourrait donc être une bonne idée. Mais

quelque chose me dit que revenir à Silver Falls City n’est pas la solution. En

tout cas, pas la meilleure. A dire vrai, je pense que je le vivrais comme un total

échec de mon émancipation, un véritable retour en arrière. Et je ne suis pas

certaine d’avoir envie de ressentir cette frustration en plus de mes problèmes

actuels. Enfin, je ne peux ignorer non plus, que les choses ne sont plus aussi
simples maintenant, depuis que mes parents ont divorcé. Les choses ont

changé. La situation n’est plus la même et le bonheur réconfortant de mon


enfance est désormais loin derrière moi.

Aussi, pour cette raison, au bout de deux jours de tergiversations, j’exclus


définitivement cette hypothèse. Ma mère d’ailleurs n’y réside plus, et

maintenant que mon père et Nicole vont bientôt se marier, je ne vois plus
vraiment où serait ma place désormais. Dans un peu plus de trois semaines,

Nicole deviendra officiellement ma belle-mère, et pour ma part, je ne suis pas

encore prête pour ça. Pas encore. Ma situation personnelle est déjà assez

compliquée comme ça, sans que je me rajoute une contrainte supplémentaire.


J’ai bien conscience que je manque très certainement de maturité et de

discernement sur ce point, mais à mes yeux, Nicole représente toujours celle
par qui le malheur est arrivé dans notre famille, celle qui a chassé ma mère de

chez nous.

Aussi, compte tenu de mon état affectif émotionnel fragile, je préfère encore

écarter cette éventualité. Ma priorité actuelle est de me reconstruire et non de


m’imposer d’autres charges affectives difficiles. Un jour, peut-être, en effet,

serai-je prête à l’accueillir, mais ce n’est pas encore le cas.

Et même, si en ce moment, je ressens de la nostalgie envers mon Oregon natal,

envers la beauté de ses paysages et de cette magnifique nature omniprésente,

mon objectif premier est tout d’abord de me concentrer sur moi et mon avenir.
Et je doute qu’en l’espace de ces cinq derniers mois, les opportunités

professionnelles se soient multipliées là-bas.

Quant à l’idée de me rapprocher de ma mère, malgré tout l’amour que je lui


porte, cela ne me semble pas opportun. Non pas à cause de ma mère elle-même

- grand Dieu non ! - mais plutôt parce que je redoute dorénavant de me


retrouver à nouveau dans une ville qui serait aussi grande qu’impersonnelle. Et
j’ai peur que Washington ne me réussisse pas plus que New-York en définitive.

Je viens seulement de le saisir ; aussi, autant éviter de retomber dans le même

travers.

Ne trouvant finalement pas ma destination de « rêve » par le simple fruit de

mes réflexions, j’opte alors pour un second axe de recherche, en prenant le


problème à l’envers. Si j’ai quitté quelques mois plus tôt Silver Falls City,

c’était pour trouver du travail ? Alors, justement, je vais me servir de cet

indicateur, et me rendre là, où il y aura précisément du travail. Car enfin, si je

me suis endettée à ce point pour mes études, autant que cela ait été d’une

quelconque utilité.

Aussi, les jours qui suivent j’examine avec une extrême attention toutes les

offres du marché actuel et parviens même à envisager de devenir plus ou


moins nomade dans l’avenir, si des emplois intéressants venaient à se

présenter. Rien ne doit plus me détourner de ma tâche, à savoir privilégier

avant toute autre chose ma carrière.

Forte de cette nouvelle détermination, je postule aussitôt sur diverses


annonces, ma seule restriction étant de m’interdire toute ville que je jugerais

trop grande ou trop anonyme. Ce nouvel axe de recherche me permet enfin


d’entrevoir les choses sous un regard différent et une lueur d’espoir renait à

nouveau. Je suis alors persuadée de faire le bon choix. Il est coutume que les
jeunes diplômés américains orientent principalement leurs recherches vers les
grandes cités, escomptant des perspectives d’évolution plus rapides, à

contrario, peut-être trouverai-je, moi, dans ces villes de tailles moyennes, un

poste qui correspondra parfaitement à mes attentes professionnelles, où

chaleur humaine et respect d’autrui seront autre chose que de vains mots.

Et mes efforts semblent productifs quand seulement deux jours plus tard, je
reçois un premier appel d’une société informatique sise en Pennsylvanie, qui

souhaite me proposer un entretien, après examen de ma candidature. Il s’agit

d’une succursale d’un grand groupe qui propose un poste situé à Warren, une

ville de quarante mille habitants. Parfait !

Malgré sa gentillesse coutumière, Abby ne parvient pas à se réjouir pour moi,

même si elle m’encourage à renfort de sourires rassurants. Je vois bien qu’elle

fait ce qu’elle peut, mais c’est difficile pour elle. Pour moi aussi du reste, mais
je m’accroche à cette nouvelle vie que je me prépare comme à une bouée de

sauvetage. Me concentrer sur mes recherches, m’aide à estomper la douleur, à

défaut d’oublier Doug. Je sais que j’en garderai une cicatrice, mais je suis
forte et je me dis, qu’en me concentrant sur mon travail, j’arriverai à

surmonter cette blessure … avec le temps.

Nous sommes le mercredi 25 mai et je ne peux m’empêcher de penser au


week-end qui suit, celui où je devais justement jouer la représentation de ma

vie : le rôle de la petite amie de Doug. Mon entretien est prévu pour après
demain, vendredi.
Une idée m’est venue cette nuit, mais je dois au préalable consulter mon
compte en banque. Si j’en ai la possibilité financière, je resterai tout le week-

end à Warren et commencerai à m’intéresser aux offres immobilières au cas

où ... on ne sait jamais.

Non pas que je présume de mes chances à obtenir le poste, mais ce séjour
improvisé a surtout pour objectif de m’éviter de ressasser ce qu’aurait dû être

ce week-end, si tout n’avait pas dérapé … si Candy n’avait pas été sa fiancée, si

… si tout ça n’avait pas été qu’une stupide histoire de contrat. Au moins, Doug

n’a pas mis ses menaces à exécution de licencier Abby, ce qui aurait été très

mal venu compte tenu du tour de mufle qu’il m’a joué.

Après plusieurs manipulations informatiques, j’accède enfin à mon compte

bancaire et le solde affiché m’hallucine tant et si bien que je mets même un


certain temps à le lire. Je n’ai jamais disposé d’une telle somme durant toute

ma vie ! Il semblerait bien que monsieur Doherty n’ait pas eu la conscience

tranquille puisqu’il m’a fait un virement de 50 000 mille dollars. Soit


beaucoup plus que ce qui était convenu pour les deux mois, si cela avait duré

aussi longtemps.

D’un premier coup d’orgueil, je m’enflamme et me refuse tout bonnement à


accepter de conserver le moindre cent venant de sa part. Je ne m’abaisserais

certainement pas à lui demander l’aumône ! J’ai ma fierté moi aussi ! Croit-il
vraiment se racheter en versant une telle somme ? Si j’en avais la possibilité, je
lui enverrais ses billets à la figure et ne me gênerais nullement pour lui faire

savoir ma façon de penser ... Enfin, si je ne redoutais pas autant de me

retrouver de nouveau face à lui.

Pendant quelques secondes encore, je pense sérieusement à lui faire retourner

cette somme astronomique afin de n’avoir rien à lui devoir. Mais mes yeux
restent fixés sur ce chiffre exorbitant et passée la surprise, un genre de

réflexions tout autre m’assaille. Je ne résiste pas à l’envie de réfléchir à tout ce

que je pourrais faire avec cet argent. Tout d’abord, je pourrais liquider mon

crédit étudiant, ce serait déjà une très bonne chose. Ensuite avec les dix mille

dollars restants, je pourrais m’installer dans ma nouvelle vie, trouver un petit


logement décent à louer et acheter quelques meubles pour le meubler, voire me

reconstituer une petite garde-robe modeste, certes, mais quand même un peu

plus moderne. Et je dois avouer que l’idée est bien tentante car je pourrais ainsi

redémarrer sur des bases saines.

Je ne tarde pas à m’endormir, le sourire aux lèvres, le premier depuis bien


longtemps. Après tout, qu’est-ce que 50 000 dollars pour cet homme ? Et si

l’on considère les dégâts que Doug a causés dans ma vie ! Finalement, à la
réflexion, ce n’est pas si cher payé ! Je n’ai plus de travail, il m’a utilisée,

dupée et humiliée d’une manière telle que je mettrai sûrement de longs mois à
m’en remettre. Et côté vie amoureuse, je suppose qu’il me faudra beaucoup de

temps avant d’accorder de nouveau ma confiance à un futur partenaire. Alors,


compte tenu de tous ces préjudices, et vu le montant de sa fortune estimé par le
magazine Forbes dernièrement, le montant crédité sur mon compte bancaire
n’est peut-être pas si exubérant, finalement.

Vendredi 27 mai. Warren, Pennsylvanie.

Je sors de Carson and Smith Corporation le sourire aux lèvres. J’ai été reçu

par l’un des dirigeants et l’entretien s’est, dans l’ensemble, bien passé. Je l’ai

bien vu loucher un peu sur mon décolleté et porter plusieurs fois son regard

sur mes jambes, mais je pense que ce sont mes aptitudes professionnelles qui

ont fait la différence.

Enfin, j’ose l’espérer !

Bien évidemment, je n’ai pas eu de réponse immédiate car il doit se concerter

avec son associé, mais j’ai eu bon espoir quand, à la fin de l’entretien,
l’homme qui m’a reçu m’a proposé de me faire visiter la région, une fois
installée. Sachant, qu’il est au courant, que je réside actuellement à New-York

et que je ne m’installerai à Warren uniquement si j’obtiens le poste, c’est donc


avec un magnifique sourire que je salue l’hôtesse d’accueil en quittant cette

grande société informatique spécialisée dans la conception d’anti-virus, dont la


succursale est installée ici dans cette petite ville. Grâce à la nouvelle politique
de dynamisation des campagnes actuellement mise en œuvre par notre

gouvernement, la maison mère bénéficie ainsi de remises fiscales en

développant sa société en dehors des grandes villes. Ce poste semble parfait

pour moi. Et si cela devait se concrétiser, je serais employée sur un poste


correspondant totalement à mes compétences, c’est-à-dire dans la lignée

directe de mes études. Ce qui me réjouit.

Le job semble intéressant, c’est un nouveau domaine d’activité pour moi, mais

je suis certaine de m’y rôder très vite. C’est relativement bien payé et plusieurs

avantages sont ajoutés au contrat d’embauche dont celui de la prise en charge

des soins, ainsi que plusieurs primes d’intéressement en fin d’année.

Finalement, je ne regrette pas d’avoir tenté le coup et j’avoue que maintenant je

serais déçue si cela ne se faisait pas. Transportée par mon enthousiasme, alors
que je passe devant une agence immobilière, je m’arrête devant la vitrine et

m’attarde quelques instants, afin de me renseigner sur les tarifs en vigueur ici

pour les locations d’appartements. Et là encore, superbe surprise ! Je suis super


ravie de constater que les prix sont véritablement inférieurs à ceux de New-

York.

Je reprends un peu espoir, ayant enfin l’impression d’entre-apercevoir la


lumière au bout du tunnel après cette dernière période particulièrement

chaotique. Et finalement, je me surprends à réellement espérer, à présent,


pouvoir m’installer au plus vite à Warren. Je sais que je pourrais me
reconstruire ici, du moins je le présume.

Toute réjouie, j’effectue un premier tour de la ville en me promenant et j’en


retire immédiatement une sensation plutôt agréable. Les gens d’ici prennent,

semble-t-il, le temps de vivre, certains conversent, rient, se saluent, bref une

vie normale, quoi !

Quand je rejoins la chambre d’hôtel que j’ai réservée la veille, je me jette sur
le lit les bras grands ouverts, et je souris en regardant le plafond à m’en

crisper les maxillaires : je suis heureuse.

J’ai mis fin à mes doutes en décidant de conserver l’argent que Doug m’a
versé. Ce n’est peut-être pas très correct, mais cet argent ne représente

finalement pas grand-chose pour lui. Tandis que pour moi, cette somme va

réellement m’aider. Et si je tiens compte de la manière dont il m’a tourné en

ridicule, j’estime que ce dédommagement est finalement bien mérité même s’il

est un peu excessif. Et je n’oublie pas non plus, que si j’avais porté l’affaire

devant un tribunal, j’aurais très probablement réussi à obtenir une somme

assez conséquente, pour m’avoir ainsi abusée.

Et puis après tout, je ne lui ai rien demandé moi ! Il a effectué le virement de

son propre chef, sans doute pour apaiser sa conscience, si tant est qu’il en
possède une. Je compte du coup passer le week-end ici en croisant les doigts,

très fort pour que j’obtienne ce nouveau poste.

Carson, l’associé qui m’a reçue, m’a affirmé que lui et son associé me
donneraient leur réponse très rapidement, vu que l’embauche est prévue au 1er

juin, soit dans une semaine ; et comme il m’a précisé qu’il était difficile
d’attirer les jeunes diplômés dans ces terres un peu reculées, j’espère avoir ma

chance. Je l’espère vraiment, pour être franche. J’ai décidé de tourner la page

New-York et Warren me semble être l’endroit idéal pour aborder ce nouveau


chapitre de ma vie.

Le monde ne tourne pas autour de la grosse pomme et encore moins autour de

monsieur Doherty ! Je serai bien ici. Je le sens. Avec le recul, je réalise

combien New-York était une erreur pour moi et si ce n’est ma colocation avec

Abby, rien ne m’a réussi là-bas.

Je quitte ma position extatique et me retourne au bout d’un moment. Allongée

sur le ventre, en appui sur les coudes, je passe justement un appel à Abby pour
la rassurer et lui raconter ma journée comme elle me l’avait demandé avant de

partir. Et même si je sais qu’elle est triste que je déménage d’ici peu, elle me

manifeste malgré tout sa joie, me souhaitant sincèrement d’obtenir ce travail.

Une fois notre heure de papotage passée, je raccroche, mettant fin à notre
appel.

Je réfléchis déjà à une organisation que nous pourrions mettre en œuvre pour
nous voir le souvent possible. J’ai plein d’idées et il faudra que nous en

débattions. Mais l’appel de mon estomac interrompt mes projections, me


rappelant que je n’ai pas déjeuner le midi. Affamée, je descends dans la salle de
restaurant de l’hôtel qui est encore ouverte. J’ai subitement grandement faim,

sans doute parce que je n’ai rien pu avaler ces derniers jours ! Je fais alors une

chose qui ne m’est jamais arrivée auparavant : je m’installe à une table, seule,

et commande un menu entier. L’appétit me revient enfin, mes nausées sont


apparemment finies !

Les plats sont bons, simples et copieux, et je me dis que finalement, Warren

pourrait bien devenir ma ville préférée, si tant est que j’obtienne la place. Il est

21 heures passées quand mon téléphone sonne, alors que je rejoins ma

chambre. Instinctivement, je regarde l’écran pour lire qui est mon

interlocuteur. Mais il s’agit d’un numéro de portable que je ne connais pas et


j’hésite quelques secondes avant de décrocher, car maligne comme je suis, j’ai

effacé le contact de Doug de mon répertoire et ne connaissant pas de mémoire

son numéro, je suis incapable de savoir s’il s’agit de lui ou d’une autre

personne.

Mais refusant de vivre dans la crainte que ce dernier ne me rappelle et attendant


personnellement un appel important concernant mon avenir, confiante, je

décide de décrocher. Je serai bien à temps de raccrocher si c’est lui, mais je


m’égare très probablement puisque voilà bien deux jours qu’il a cessé de me

joindre.

— Mademoiselle Johns ? Scarlett ?

— Euh … oui ?
— C’est Matt. Matthew Carson.

Oh là là, mon ventre se noue !

Il va me donner la réponse ! En tout cas, c’est un homme de parole puisque peu


importe la réponse il m’avait promis de me la faire savoir rapidement. Je

croise les doigts et prie en même temps - même si je ne suis pas vraiment

croyante - pour que sa réponse soit positive.

J’écoute à peine les excuses qu’il me présente concernant l’heure tardive, trop

impatiente d’entendre ce que je souhaite le plus actuellement : avoir obtenu le

poste.

Ses premières paroles me semblent durer une éternité alors que je n’attends
qu’une chose : sa réponse.

— …. , alors bienvenue chez nous, conclut-il.

Hein ? Quoi ? J’ai pas écouté. Mince !! Ça veut dire quoi ? Que … c’est oui ?

— Pardon ? je redemande d’une voix timide, je n’ai pas bien entendu.

— Ah. Et bien je vous disais que vous aviez le poste Scarlett, répète Matt
gentiment.

YES !!!!

Je suis folle de joie et je sautille sur place le sourire aux lèvres. Pour la

première fois depuis l’obtention de mon diplôme, je suis fière de moi. J’ai
enfin décroché le poste rêvé, dans une ville que je saurai apprécier ! Je sais que
tout va aller mieux à présent. Seul l’éloignement d’avec Abby ternit ma joie

mais nous nous organiserons. Promis.

— Je vous remercie de votre confiance Monsieur Carson. Vous ne regretterez

pas votre choix, je vais tout faire pour m’intégrer très rapidement et vous

donner entière satisfaction.

Sitôt sortis de ma bouche, je regrette ces derniers mots qui pourraient être mal
interprétés, surtout si je repense à la manière dont les yeux de Matthew Carson

me suivaient pendant l’entretien.

— Mais j’en suis tout à fait sûr Scarlett. Vous permettez que je vous appelle par
votre prénom maintenant que vous faites partie de l’équipe ?

—Euh …oui, bien sûr, balbutié-je.

— Parfait. Alors comme promis, je voudrais vous faire connaitre une

excellente table sur Warren, accepteriez-vous mon invitation ?

— Ce serait avec plaisir, mais je dois repartir dimanche dans l’après-midi,

m’excusé-je.

— Et que diriez-vous de demain soir alors ?

Mince, je suis bloquée et je ne peux pas vraiment refuser, d’une part ce serait

incorrect et d’autre part, je ne dois pas oublier que rien n’est signé encore et je
veux ce poste. Vraiment. Et puis, il est possible aussi que je me fasse des idées,

Matt veut peut-être tout simplement me faire visiter la région comme il me l’a
promis.
C’est un bel homme qui doit avoisiner la petite quarantaine, je ne lui ai pas vu
d’alliance ni même de trace d’alliance au doigt, mais je ne suis pas prête

encore à me lancer dans une nouvelle histoire, si tant est qu’il y ait réellement

eu « une histoire » entre Doug et moi.

Comme je mets un certain temps à répondre, Matt reprend la parole.

— Ce sera l’occasion pour vous de signer votre contrat, comme ça nous


ferons d’une pierre deux coups. Sans compter que vous repartirez sur New-

York l’esprit tranquille et vous pourrez organiser votre déménagement.

Pas bête, il a raison.

— Ce sera avec plaisir monsieur Carson, évidemment j’accepte votre


invitation.

— Bien. Super ! semble-t-il s’enthousiasmer. En revanche appelez-moi Matt,

s’il vous plait. Vous verrez nous nous tutoyons tous dans l’entreprise, entre

collègues c’est normal et franchement, quand vous m’appelez monsieur

Carson, j’ai l’impression à tout moment que mon père se trouve derrière moi.

Sa réflexion me fait aussitôt sourire, me rappelant la même anecdote


concernant ma mère, qui jeune mariée, avait toujours l’impression que l’on
s’adressait à sa belle-mère lorsque quelqu’un l’appelait « Madame Johns ».

— Vous m’avez dit être descendue au Royal Hôtel, n’est-ce pas ?

— Oui, c’est exact.


— Bien, alors si dix-neuf heures vous convient, je passerai vous chercher
demain.

— Je serai prête, je vous attendrai dans le hall d’entrée.

— Super, à demain Scarlett.

— A demain Monsieur …, Matthew, je me reprends avant de raccrocher.

Je pousse un cri de victoire et mon sourire s’étale sur tout mon visage. Je suis

heureuse, très heureuse et je ne peux m’empêcher d’envoyer un message à

Abby tant je suis excitée.

Très vite, ma tête se met en mode opérationnel, listant toutes les formalités ou

affaires que j’aurais à régler la semaine prochaine. Il ne me reste que peu de

jours pour m’organiser, mais ce doit être jouable car finalement toutes mes

affaires tiennent dans une grosse valise, les meubles appartenant à Abby. Et

puis, en ce qui concerne les formalités administratives, je réaliserai tous mes

changements d’adresse par internet, ce qui me fera gagner un temps

considérable.

Totalement excitée, cependant, je mets un certain moment avant de


m’endormir. En abandonnant New-York, je sais que je laisse définitivement
Doug derrière moi et malgré la colère que je ressens toujours à son encontre,

un sentiment de peine m’assaille pourtant. C’est encore trop sensible mais le


temps jouera son rôle. Je sais que j’ai pris la bonne décision.

Et même si des images de lui me reviennent par flash, je tente de les chasser
définitivement. Doug n’est pas un homme pour moi et il ne le sera jamais. J’ai
eu un coup de cœur, c’est vrai, mais nous n’étions pas compatibles. Voilà tout.

La journée du pique-nique et les bons moments passés ensemble étaient hors

du temps, magiques, c’est vrai ; mais je dois à présent aller de l’avant. Oubliant
Doug et sa magnifique fiancée, qui lui ressemble tellement, finalement. Dès le

départ, tout était faussé entre nous, mais je n’en avais pas conscience encore.
Donc, cette fois-ci, fin de la parenthèse New-York ! Fin de l’épisode Doug

Doherty !

Son sourire canaille me manque toujours, caresser sa peau de me doigts me

manque encore. Mais tout finira bien par passer pour ne rester qu’un bref
souvenir … un beau souvenir.

Il me manque.
Chapitre 25

Lorsque je m’éveille le lendemain matin, je m’étire en douceur comme un chat

au réveil. Mon énorme sourire banane n’a pas disparu, comme s’il m’avait
accompagné toute la nuit. Cela fait bien longtemps qu’un tel état d’apaisement

et de sérénité ne m’était pas arrivé. Je sais que je suis à un carrefour de ma vie

et bien que sentimentalement, soyons honnête, ce soit une catastrophe, j’ai

enfin la chance de prouver ce que je vaux professionnellement. Je vais pouvoir

renaître puis me reconstruire en tant qu’adulte, ce qui n’est déjà pas si mal.

Ce sera aussi mon premier appartement, enfin le premier que j’occuperai

seule !

Sans Abby tout sera différent, mais je suppose qu’il était inéluctable que nos

routes se séparent un jour, pour mieux nous construire individuellement. Le

moment était simplement venu. C’est enfin ma chance de grandir, de devenir


une véritable adulte.

Ce matin, dans la chambre douillette de l’hôtel, je prends tout mon temps pour

me préparer, sans hâte, sans stress. Ce n’est pas le grand luxe, mais l’ambiance
familiale qui règne dans les lieux le rend immédiatement sécurisant et
rassurant, un peu comme un cocon douillet ; et quand je suis fin prête, je
descends l’étage afin de rejoindre la salle des déjeuners.

Mary, la propriétaire m’accueille amicalement et m’explique comment profiter


du buffet mis à notre disposition, elle me demande également si je souhaite

qu’elle me prépare des œufs en plus. Je décline sa proposition car le buffet me

semble déjà suffisamment garni pour une personne comme moi, qui n’est pas
habituée à petit-déjeuner. Ce qui m’est proposé sera largement suffisant.

Et effectivement, une bonne demi-heure plus tard, je me lève l’estomac plein à

craquer, tant je me suis laissée tenter par toutes les pâtisseries maison qui

étaient disposées sur le buffet. Afin d’avoir un minimum d’appétit pour le soir,

je décide de sauter le repas du midi, de toute façon, je crois bien que je serai

incapable d’ingurgiter quoique ce soit avant plusieurs heures.

A ce sujet d’ailleurs, je dois absolument me renseigner sur l’établissement où

Matt désire m’emmener diner. En effet, je n’ai pas pris beaucoup d’affaires

dans mon sac et je ne souhaiterais pas me ridiculiser selon le restaurant choisi.

Avant de quitter l’hôtel, je me saisis de mon portable, récupère le numéro de

Matthew dans le journal de mes appels et compose un message.

« Bonjour, Matt

C’est Scarlett. Sauriez-vous me dire dans quel restaurant vous souhaitez

m’inviter ce soir ? C’est juste pour une question vestimentaire, » m’excusé-je.

Sa réponse ne tarde pas, quelques secondes plus tard, je reçois la notification.

« Bonjour Scarlett,
Votre message m’a fait plaisir,

J’avais pensé vous amener au Black Moon. Mais ne vous en faites pas, vous
êtes parfaite comme vous êtes.

Hâte d’être à ce soir.

Matt ».

J’accuse le coup pendant quelques instants, à moins qu’il ne soit extrêmement

galant, il me semble que Matt ne cache aucunement ses projets quant à cette

soirée et franchement, cette idée me met un peu mal à l’aise. Pourtant je ne

peux décliner le rendez-vous ! D’autant plus que je suis censée signer mon

contrat par la même occasion. L’idée même de flirter avec mon futur patron ne
m’est pas spécialement agréable. C’est pourtant un bel homme et peut-être

qu’en d’autres circonstances, j’aurais pu me laisser tenter, je ne dis pas, mais

mélanger vie privée et vie professionnelle ne me semble vraiment pas

judicieux, d’autant plus que je n’ai même pas encore commencé à travailler.

Et puis, de toute façon, je ne me sens pas disponible, même si cela est faux dans
les faits. Mon petit cœur sensible n’a juste pas encore fait le deuil de ce qui

s’est passé entre Doug et moi.

Et puis … et puis, Matt est un homme mature, et bien que l’argument soit

stupide, je le trouve un peu trop « vieux » pour moi. Matt attend probablement
autre chose en matière de sentiments que ce que je pourrai lui offrir.

Abby serait à mes côtés, elle m’inciterait à me remettre en selle le plus vite
possible, mais vraiment, je m’en sens incapable. Il va donc falloir que je
parvienne à tenir Matt à distance, tout en lui faisant comprendre avec une

grande diplomatie que je ne suis pas prête pour une nouvelle aventure.

Mary, mon hôtesse, qui passe devant moi s’inquiète de mon air contrarié.

— Tout va bien Mademoiselle Johns ?

— Oui, oui, pardon, j’étais perdue dans mes pensées.

— Ah, ça m’arrive aussi, me répond-elle de son air chaleureux avec un grand

sourire.

— Au fait, Mary ? Connaissez-vous le Black Moon ?

— Oh oui, bien sûr, c’est un nouvel établissement qui a ouvert il y a peu.

— Savez-vous quel est le code vestimentaire de ce restaurant ? J’y suis invitée

ce soir, et je ne voudrais pas être ridicule.

— Oh, vous n’êtes pas le genre de femme à être ridicule mon petit, me répond-

elle affectueusement. C’est un établissement assez chic, mais jeune. Attendez,

fait-elle mine de réfléchir, je cherche le mot qu’utiliserait ma petite fille …


Hmm … ah ! oui ! Branché ! Voilà, c’est ça, elle dirait que c’est un endroit
branché.

Mary me fait rire, c’est une femme d’un certain âge, mais entre son visage
poupin et jovial et sa gentillesse, elle est vraiment touchante.

— Ah, merci Mary pour vos renseignements, je vous laisse à présent, je vais
aller faire un tour en ville et voir si je peux me trouver un appartement qui

serait disponible assez rapidement.

— Oh alors, vous avez réussi votre entretien mon petit ? Et vous allez rester

parmi nous ?! me demande-t-elle ravie, je suis si heureuse pour vous

Mademoiselle Johns, vous verrez vous allez vous plaire ici.

— J’en suis sûre Mary, je suis très heureuse de m’installer ici, mais faites-moi
plaisir s’il vous plait, appelez-moi Scarlett.

— Entendu Scarlett. Et bien je suis vraiment contente pour vous ! Bien, ajoute-

t-elle en jetant un coup d’œil au buffet de la salle de restaurant qui s’est


amenuisé, je dois aller recharger le petit déjeuner, nous avons des ogres

aujourd’hui ! Je ne vous retiens pas davantage, allez vite vous trouver un

appartement mon petit, m’encourage-t-elle en s’éloignant de moi avec un

grand sourire.

Je quitte aussitôt l’hôtel et me promène dans la ville, découvrant un très joli


centre-ville. La société Carson and Smith corporation est installée en

périphérie du centre dans un quartier d’affaires récemment crée lors du


dernier projet de développement des zones rurales.

Pour ma part, ma première mission est de me rendre au centre info-tourisme


sur l’artère principale afin de me munir d’un plan de ville et de me renseigner

sur la disponibilité des offres de locations actuelles. La jeune hôtesse qui me


reçoit est charmante. Elle m’indique un panneau d’information sur le côté de la
salle et me fournit une carte de la ville, situant les principaux bâtiments

officiels ainsi que la grande zone commerciale située au sud de la ville.

Tout me semble parfait. Cette ville à taille humaine semble bénéficier de tous

les services nécessaires et cela me conforte davantage dans l’idée que je serai

bien ici.

Alors que je commence à examiner les différentes offres de locations


d’appartements disponibles sur le grand panneau d’information, une femme

assez âgée m’accoste soudain pour requérir mon aide pour épingler une petite

feuille rose.

Tandis que je punaise celle-ci, je lis l’annonce qui concerne justement une

offre locative.

— Merci mademoiselle, me remercie-t-elle, vous êtes bien gentille. Hélas, les

seules places disponibles se situaient tout en haut du panneau et je ne suis plus

bien grande !

— Je vous en prie Madame. Vous louez un rez-de jardin ? je l’interroge.

— C’est exact, mademoiselle. Mon défunt mari avait aménagé le bas de notre
maison pour notre fils à l’époque, mais il est grand maintenant et il vit à
Boston, vous savez, alors autant louer maintenant et puis ça me fera aussi un

peu de compagnie ma foi.

— 450 dollars ? c’est ce que vous demandez ?

— Euh …oui, acquiesce cette petite mamie sympathique. Vous pensez que j’en
demande trop ? doute-t-elle soudain.

— Trop ? Oh non ! Je ne pense pas, mais je ne suis pas de la région, alors peut-
être devriez-vous demander conseil.

— Je l’ai déjà fait en fait, la demoiselle ici à l’accueil, en a estimé le prix

comparativement aux autres annonces. Alors j’ai suivi son conseil.

— Je suis moi-même à la recherche d’un logement Madame, pensez-vous que

je pourrais le visiter demain ?

— Mais certainement mademoiselle, ce serait avec plaisir. Vous m’êtes bien

sympathique, me répond la vieille dame en plissant les yeux.

— Scarlett, je l’interromps en lui tendant la main. C’est très gentil à vous,

merci.

Toutes deux, nous convenons d’une visite pour le lendemain après-midi, juste
avant que je ne rejoigne l’aéroport. Satisfaite de l’efficacité de ce week-end et

soulagée que tout se soit aussi bien déroulé, je prends enfin le temps de flâner

un peu en ville, juste pour le plaisir de découvrir mon « bientôt chez moi ».

Le diner du soir m’inquiète un peu, je l’avoue. Je souhaite me tromper car je


ne voudrais pas que Matt ait en tête des idées autres que celles qui nous
intéressent, à savoir professionnelles. Je ne souhaiterais pas qu’il se vexe, non

plus, ou me tienne rigueur d’un refus d’entamer quoique ce soit côté cœur. Je
ne suis tout bonnement pas prête pour ça. Et puis, je n’en ai pas le désir non

plus. Je suis juste venue trouver un travail ici, j’espère qu’il le comprendra. Ce
serait dommage qu’il y ait quiproquo.

L’empreinte de Doug est encore bien ancrée en moi. Et même si je dois me


faire à l’idée qu’il a une fiancée et que son mariage est déjà programmé, cela

ne part pas comme ça d’un claquement de doigts. Mon cœur, lui, fait de la

résistance. Des pensées lancinantes hantent sans discontinuer mon esprit, mais
je suppose qu’elles finiront bien par s’effacer … plus tard.

Au détour de mes cheminements en ville entre rêveries et découvertes, mes

yeux sont subitement attirés par une très jolie robe bleue exposée dans une

vitrine de prêt à porter haut de gamme. Je la trouve absolument magnifique.

Instinctivement, je jette un œil sur le petit carton au sol indiquant son prix et

comme je m’en doutais, celui-ci est un peu élevé pour mon budget. Mais ses

empiècements de soie et de dentelle bleu roi donne un tel effet … que je la


trouve absolument superbe. Je ne suis pas habituée à m’offrir de telles folies,

mais si une chose positive est sortie de ma rencontre d’avec Doug, c’est bien

que je dois davantage prêter attention à ma manière de me vêtir et de me


préparer. Et même si j’ai pu maudire Cassie et ses sarcasmes, je reconnais

qu’elle m’a ouvert, elle aussi les yeux là-dessus. Les vêtements qu’elle
sélectionnait étaient toujours très flatteurs, je dois essayer de m’en inspirer. A

moindre budget, évidemment.

Je mets quelques minutes avant de franchir la porte de la boutique, tiraillée


entre la beauté de la robe et son prix malgré tout élevé. Mais finalement, je
cède, finissant par m’autoriser cette folie. Après tout, je m’apprête à signer un

nouveau contrat de travail, je peux me permettre cet extra. Et mon compte en

banque me le permet également, alors pour une fois, je décide de prendre soin

de moi, cette robe symbolisera aussi mon renouveau, ma nouvelle vie. Sachant
qu’il est hors de question que je récupère chez Doug les vêtements couteux

qu’il avait mis à ma disposition, alors pour une fois, je peux bien me faire
plaisir !

Doug …

Je secoue la tête tentant de le chasser de mes pensées, mais toujours son image

traverse mes pensées. Son visage et son corps si parfait. Nos merveilleuses

nuits passées ensemble et la multitude de sensations extatiques qu’il m’a fait

découvrir.

Pourquoi a-t-il fallu que l’homme qui parviendrait à me transcender soit un

type aussi exécrable que … fiancé ? Un homme sur le point de se marier à une

beauté plus que parfaite, qui plus est ?

Après mes essayages en boutique et l’achat de ce petit bijou vestimentaire, je


décide de mettre fin à ma promenade pour rejoindre de bonne heure l’hôtel et

entreprendre de me préparer pour la soirée. Je profite de la baignoire dont la


salle de bain est équipée et me surprends à espérer qu’il y en ait une dans mon

nouveau logement. C’est peu probable, mais sait-on jamais ?

Je crois n’avoir jamais pris autant de temps pour me préparer. Je brushe


patiemment chaque mèche de mes cheveux longs, me laque les ongles de mes

vingt doigts, me maquille soigneusement de manière à ce que le résultat final

soit appliqué mais discret malgré tout et finalement je me rends compte que je

suis prête juste à temps.

J’ai juste le temps de me saisir d’une étole et descends attendre Matt dans le
hall comme convenu. Mon regard ne se perd pas longtemps à scruter les lieux

car je l’aperçois arrivant un bouquet de fleurs à la main. Il arbore un large

sourire chaleureux et j’apprécie la manière dont il s’est habillé. Il porte un

jeans, une chemise blanche et un blazer. C’est élégant et décontracté à la fois.

— Bonjour Scarlett, m’accueille-t-il tout sourire.

— Bonjour Matthew, je ne vous ai pas fait attendre ? je demande inquiète.

— Non, comme vous voyez j’arrive seulement. Nous sommes synchros tous

deux, rajoute-t-il d’un air de connivence. Mais appelez-moi Matt, je préfère et

tenez.

Il me tend le bouquet de fleurs, de magnifiques roses jaunes.

— Merci, Matt, mais il ne fallait pas, dis-je en rougissant gênée.

— Nous allons demander à l’accueil de les monter dans votre chambre,


voulez-vous ?

A ce moment, Mary s’approche et je lui demande s’il est effectivement possible

de me les installer dans un vase.


— Ne vous inquiétez pas mon petit, je m’en occupe. Passez une bonne soirée
tous les deux, rajoute-t-elle tout en m’adressant un clin d’œil.

Cela se voit-il autant qu’il s’agit d’un rencard ou est-ce seulement le bouquet

de fleurs qui induit ses paroles qui ne trompent personne ?

Matt et moi, nous retournons ensuite et prenons naturellement le chemin de la

sortie. Je ris encore du clin d’œil de Mary, quand Matt pose sa main sur le bas
de mon dos, me guidant vers la porte de sortie. Rien de choquant, juste de la

prévenance. Pourtant, subitement, mon sourire s’efface de mon visage et je

sens mon sang quitter mon visage, qui se glace instantanément quand je

l’aperçois. Je stoppe net.

Que fait-il ici ?

Matt s’aperçoit aussitôt de mon trouble.

— Scarlett ? Que se passe-t-il ? On dirait que vous avez vu un fantôme. Vous ne

vous sentez pas bien ? commence-t-il à paniquer alors que je ne lui réponds

pas immédiatement.

Je le vois chercher Mary des yeux, redoutant sans doute que je ne fasse un
malaise dans les secondes qui suivent.

Suis-je aussi pâle que ça ?

— Je vais bien Matt, je vais bien, je vous assure, j’essaie de me reprendre.

Sortons, s’il vous plait. Effectivement, je viens de voir un revenant, mais tout
va bien.
Matt m’examine dubitatif, mais face à mon sourire - forcé, je l’avoue - il se
détend, me sourit en retour et s’assure juste une dernière fois.

— Vous en êtes sûre Scarlett ? Vous préférez peut-être vous reposer un peu et

reporter notre rendez-vous ?

— Non, non. Ne changeons rien de nos projets. Je vais bien Matt. Allons-y à

maintenant, voulez-vous ?

Doug m’a vue. J’ai croisé son regard et je sais qu’il m’a repérée !

Mais qu’est-ce qu’il fait ici ?

De là où je suis, soit à une dizaine de mètres de Doug, je peux repérer la lueur

de colère qui voile son regard, assombrissant ses pupilles. Je connais ce

regard. Aussi, je sais immédiatement dans quelle humeur il se trouve, mais peu

m’importe, car quelle que soit la raison de sa présence ici, il est tout

simplement hors de question qu’il anéantisse à nouveau mes projets ou bien

même, qu’il tente de s’en mêler.

Aussi, reprenant la maitrise de mes émotions, je redresse mon dos, regarde

droit devant moi et fais mine de l’ignorer totalement, alors que nous nous
acheminons vers la sortie.

Non mais sans blague ! Quelle était la probabilité pour que Doug se retrouve

ici aujourd’hui ?

Et puis … et puis … que fait-il à Warren d’abord, alors que c’est ce week-end
précisément que doit avoir lieu sa fameuse réunion de famille ?
— Scarlett ! m’appelle-t-il d’un ton sec.

Je feins de l’ignorer et remercie Matt qui me félicite sur mon élégance.


J’entends Doug mais je refuse de l’écouter. Je maintiens mon effort pour que

toute mon attention soit rivée sur Matt.

Nom d’un chien, que fait-il ici ? Je ne crois guère aux coïncidences ! Et puis où

est sa fiancée d’ailleurs ?

Redoutant que celle-ci ne surgisse de derrière une banquette comme un diable

en boite, mon cerveau turbine à toute vitesse pour comprendre la raison de sa

présence ici. Je ne parviens absolument pas à la justifier, si ce n’est …, si ce


n’est qu’il m’ait suivi ? Il n’y a mathématiquement aucune probabilité pour que

sa présence relève du fruit du hasard !

J’aimerais avoir la force de contraindre mon regard à ne pas quitter Matt des

yeux, mais alors que ce dernier poursuit avec galanterie ses compliments, je ne

peux m’empêcher malheureusement de jeter quelques œillades en direction de


l’homme qui m’a tant fait pleurer. Je l’observe discrètement une dernière fois

alors que nous approchons de la porte tournante de l’hôtel. Il semble fatigué,


peut-être même amaigri. Je ricane amèrement en mon fort intérieur : sa fiancée

doit l’épuiser !

Oh et puis qu’est-ce que j’en ai à faire après tout ? Ce ne sont pas mes affaires.

Comme une ultime vengeance puérile avant de quitter l’hôtel, je me force alors
à sourire outrageusement à Matt, qui ravi, pose son regard envieux sur moi. Je
ne sais pas vraiment pourquoi je réagis aussi stupidement alors que c’est

l’attitude inverse que j’aurais souhaité adopter en cas de rencontre fortuite,

mais étrangement, la présence de Doug trouble avec certitude mon

discernement.

Les yeux de Matt sont d’un bleu magnifique. Je n’y avais pas spécialement
prêté cas lors de l’entretien, trop stressée que j’étais. Mais, je dois avouer que

c’est un bel homme et son regard azur ne gâche rien.

— Scarlett ! je discerne la voix de Doug m’appeler plus fort.

Son ton n’est ni gentil ni même normal. Sa voix est rauque et agressive à la
fois. Je me sens gênée qu’il crie ainsi dans le petit hôtel de Mary alors je

décide de lui répondre avant qu’il ne fasse un esclandre. Je m’arrête, stoppant

Matt en posant ma main sur son bras alors que je me retourne.

— Quoi Doug ? je réponds d’un ton peu amène.

Ma voix est plus agacée et forte qu’elle ne le devrait en public, mais à la vérité,

je n’ai aucune envie de converser avec lui. Je n’ai pas décidé de m’éloigner de
lui pour le retrouver ensuite dans la future ville où je souhaite me reconstruire

D’ailleurs qu’aurais-je donc à lui dire ? Tout a été dit, me semble-t-il. Je n’ai

pas besoin d’une explication de texte pour comprendre qui est réellement
Candy West, ni même de dessin ! Tout est on ne peut plus clair, bien au

contraire.
— Va chercher tes affaires, tu rentres avec moi, m’ordonne Doug de manière
très directive.

— Quoi ? je pouffe d’un rire nerveux. Non mais tu plaisantes là, Doug !? Au

fait comment va ta très jolie fiancée ? Où est-elle d’ailleurs ? Candy, c’est bien

ça ? demandé-je nerveusement.

Doug s’approche de moi, à grandes enjambées. Ses traits tirés le rendent


davantage impressionnant. Ses pupilles noires me sondent avec dureté, aucune

gentillesse ni même bienveillance, bien au contraire ! Ses yeux ne sont que

haine et froideur. Si en plus, il est de mauvais poil, ça ne va pas le faire du

tout !

Matt, pour l’instant ne réagit pas, il reste un pas en arrière par discrétion. Et je

me dis qu’en plus d’être de charmante compagnie, c’est un homme qui a des

manières. J’apprécie. Prends-en de la graine Doug Doherty !

— Allons chercher tes affaires. Où est ta chambre ? m’interroge Doug


impassiblement.

— Je ne pars pas avec toi Doug, rétorqué-je fermement, agacée. Et pour tout te

dire, puisque tu sembles soudain intéressé par mon cas, je te présente Matt
Carson, mon futur patron. Comme tu peux le constater j’ai trouvé un nouveau
travail et si je repars demain en direction de New-York, c’est uniquement pour

dire au revoir à Abby et récupérer mes quelques affaires qui me suivront ici.
J’ai même trouvé un logement tout à fait parfait pour moi, m’avancé-je un peu.
Tu vois ? Tout va pour le mieux, alors si cela ne t’embête pas Matt et moi

souhaiterions aller diner maintenant. Nous avons une soirée de prévue.

Matt qui s’était avancé lors des présentations, me regarde un sourcil

interrogateur levé.

— Matt, je vous … je te, me reprends-je afin d’accentuer notre intimité - même

si je pipote un peu – je te présente Doug Doherty, le grand Doug Doherty des


éditions du même nom, précisé-je sarcastique. Mon ancien patron.

Matt soupire de soulagement et un sourire aux lèvres, il tend sa main droite

afin de saluer Doug. Mais ce dernier, peu soucieux des conventions sociales,
ne le regarde même pas et ignore cette main tendue, que Matt finit par reposer

le long de son corps.

— Bon, les présentations sont faites, alors allons prendre tes affaires.

Maintenant, ordonne Doug.

— Mais tu es sourd ou quoi ? Je crois que tu ne m’as pas bien comprise, Doug.

Il est hors de question que je rentre avec toi. Même pas en rêve !! je pouffe
nerveusement. Alors cours rejoindre mademoiselle West, elle doit s’inquiéter

de ne pas te voir revenir.

— Fous-moi la paix avec Candy, Scarlett. Pour la dernière fois, je te le

redemande. Va chercher tes affaires ou bien je te ramène sans elles.

Matt s’avance légèrement et se mêle pour la première fois de la discussion.

— Je pense avoir compris Monsieur, que Mademoiselle Johns ne souhaitait pas


vraiment vous accompagner, dit-il poliment.

— Vous la ferme ! répond Doug sans même le regarder. Occupez-vous de vos


oignons ! Ceci concerne Scarlett et moi. Restez en dehors.

— Doug ! je m’insurge. Excuse-toi tout de suite. Crois-tu que ton poste de

P.D.G à New-York te donne le droit d’insulter les gens ici ? je lui demande

furieuse. Je suis désolée Matt. Sincèrement, m’excusé-je contrite.

Ça la fout bien ! Je n’ai même pas encore signé mon contrat que mon futur

boss se fait déjà insulter par mon ancien patron, pour une histoire qui ne le

concerne absolument pas, en plus !

— Ce n’est rien Scarlett, tu n’y es pour rien. En revanche, je comprends


maintenant ton souhait de quitter New-York et cette grande entreprise.

— Justement, rebondit Doug, les yeux presque noirs. Tu n’as pas le droit de

partir. Tu fais toujours partie du personnel de Doherty Press.

— Et bien, je démissionne, voilà c’est fait ! Allons-y Matt, ce divertissement

m’a donné davantage hâte de passer la soirée à tes côtés.

Je note bien la fierté de mâle de Matt s’afficher sur son sourire.

— Reste là Scarlett ! m’intime Doug, d’une voix si autoritaire qu’on pourrait

croire qu’il parle à son chien, si tant est que l’on parle sur ce ton à son animal
de compagnie. Tu ne vas nulle part !

— Mais pour qui te prends-tu à la fin, Doug ? Je ne t’appartiens pas, je suis


libre comme l’air et je fais ce que je veux ! le toisé-je en pointant mon index
sous son nez.

— Non ! Tu n’es pas libre ! hausse-t-il le ton. Tu t’es engagée vis-à-vis de moi

et tu dois tenir ton engagement. Je t’ai payée pour ça, comme tu pourras le

constater si tu consultes tes comptes.

— Aaah, voilà donc où tu voulais en venir !! Il est donc question d’argent !! Je


comprends mieux, effectivement. Eh bien, sois rassuré, dès lundi l’argent sera

recrédité sur ton compte. J’en ai rien à foutre de ton fric Doug ! Et je ne suis

pas à vendre ! j’ajoute hors de moi. Donc me voilà libre, dis-je en tournant les

talons tout en adressant un sourire ultra-brite à Matt qui a la gentillesse de

subir tout ceci, très courtoisement. Et sans s’enfuir !

— Scarlett, reprend plus doucement Doug, s’il te plait.

Le son de sa voix, trainant et sincère fait écho en moi, ravivant des moments

intimes que nous avons partagés, mais très vite la silhouette parfaite de Candy
West demandant à voir son fiancé vient interrompre le charme de sa voix.

— Ecoute Doug, je ne veux pas faire de scandale ici, ni ailleurs du reste, dis-je

un ton plus bas, mais notre contrat est rompu, tu le sais très bien. Je devais
jouer le rôle de ta petite amie auprès de ta famille et ta fiancée s’est pointée.
Alors, même si quelque chose m’échappe dans cette histoire et que je ne

comprends pas tout, je dirai seulement que ton problème est … résolu. Tu as
quelqu’un manifestement à présenter à ta mère. Quelqu’un de beaucoup plus
crédible que moi, d’ailleurs ! Soyons honnêtes ! Voilà qui devrait te satisfaire.

Maintenant, fiche-moi la paix et retourne à New-York !

— Qu’entends-tu par-là ? bougonne-t-il.

A mon côté, je sens que Matt commence à s’impatienter, à juste titre du reste. Il

jette un œil à sa montre manifestant silencieusement son impatience. Je dois

reconnaitre qu’il a déjà été plus que patient. Il faut absolument que
j’interrompe cette explication en public sur le champ, car je ne dois pas oublier

non plus que j’ai un contrat à signer ce soir, précisément.

— Ecoute Doug, ce n’est ni le moment ni le lieu pour en parler, lui dis-je en lui
montrant d’un vaste geste le hall de l’hôtel. Si tu le souhaites, je rentre demain

et je t’appellerai. Je ne peux pas te dire mieux. Mais pour l’heure, je dois partir.

Matt reprend son sourire, réajuste sa veste vraisemblablement soulagé de

partir.

— Tu ne vas nulle part Scarlett ! Explique-toi ! me somme-t-il.

— Expliquer quoi à la fin ? soufflé-je agacée. Tu me fatigues Doug.

— Pourquoi dis-tu que Candy est beaucoup plus crédible que toi ?

Je me mets à rire en haussant les épaules. Il ose vraiment me poser la

question ?

— M’enfin, Doug ! C’est évident ! Tout est tellement criant ! Elle vient de ton

monde ! Tout ton entourage en conviendra ! Elle est belle, élégante, connait les
usages et les bonnes manières ! Ce n’est d’ailleurs, probablement pas pour rien
que tu lui as demandé de t’épouser. L’aurais-tu oublié ? Je suis au courant

maintenant, alors tu peux cesser de faire semblant Doug, tu sais.

A ces mots, des larmes viennent se planter au coin de mes yeux et je ne veux

surtout pas que Doug, ni même Matt d’ailleurs me voient pleurer. Dieu merci,
Matt vient à mon secours.

— Pouvons-nous y aller Scarlett ? Notre réservation est pour 19.30 heures.

— Oui, bien sûr Matt, je réponds. Désolée.

Matt me pousse légèrement en direction de la porte sans même un regard pour

Doug qui ne l’avait de toute manière pas salué.

— Je t’appelle, je préviens Doug par-dessus mon épaule, soulagée d’échapper

enfin à son courroux. Son attitude est tellement injustifiée et déplacée ! Car

enfin, si quelqu’un ici a bien des raisons d’être en colère, c’est bien de moi

qu’il s’agit.

Alors, que je me retourne vers Matt pour lui signifier que nous pouvons à

présent partir, soudain, une main puissante saisit mon poignet me faisant me
retourner brutalement. Matt s’impatiente vraiment à présent. Et franchement, il
y a de quoi. Il souffle son exaspération.

— Ecoutez mon vieux, dans la vie il faut savoir perdre des fois, et
manifestement la jeune femme ne veut plus de vous si j’ai bien compris. Alors,

ne vous ridiculisez pas et soyez bon joueur, ajoute-il crânement un sourire


prétentieux aux lèvres, tout en m’adressant un regard de convoitise.

Il ne se passe pas trente secondes que le poing de Doug vient s’échouer


violement sur la joue de Matt qui perd aussitôt de sa superbe en même temps

que son équilibre.

— Toi ta gueule, le menace-t-il d’un doigt, c’est pas tes affaires je t’ai dit !

Compris ?? Et ne t’imagine même pas poser tes sales pattes sur elle. T’as
compris ?? hurle-t-il maintenant.

Je suis complètement abasourdie par ce que je viens de voir. Je n’ai jamais vu

Doug perdre son sang-froid. Je me dirige aussitôt vers Matt qui s’est rattrapé
au mur suite au coup violent qu’il vient de recevoir. Comment Doug,

habituellement si maître de ses émotions, a-t-il pu ainsi perdre la raison et le

frapper ?

— Oh mon dieu, crié-je en voyant le sang s’écouler du nez de Matt ainsi

qu’une grosse rougeur apparaitre sur sa pommette, annonçant d’ores et déjà un


bel hématome. Mais tu es devenu fou ?? je hurle sur Doug. Tu as complètement

perdu la tête ou quoi ?!??

Je suis complètement effarée et pétrifiée. Je le regarde avec de grands yeux


écarquillés, complètement consternée par ce qui vient de se passer.
Heureusement, Mary est plus réactive que moi puisqu’elle se précipite vers

Matt avec un tissu propre.

— Venez avec moi en cuisine, Monsieur, je vais arranger ça, le réconforte-t-


elle tout en l’entrainant à sa suite.

Matt me jette un regard furieux et suit Mary tout en jurant.

Je crois bien que je viens de perdre ma place.


Chapitre 26

— Non mais ça va pas ?!! Tu es un grand malade, Doug ! Faut te faire soigner !
Vraiment !! hurlé-je sur lui. Tu fais chier Doug !! En plus de casser la gueule à

mon futur employeur, tu viens de bousiller toutes mes chances de signer mon

contrat d’embauche. Je te déteste !! je crie à tue-tête. Je te déteste !

— Tu n’as pas besoin de travailler, répond calmement Doug et c’était un

connard, ça se voit immédiatement, me répond-il. Il ne t’aurait rien fait signer

avant de t’avoir sautée.

— Ah, c’est ce que tu penses ? Est-ce parce que tu remets une fois encore en

cause mes compétences ou tout simplement parce que tu es coutumier du fait ?

lui lâché-je furibonde.

Mes mots ont au moins le mérite de le laisser coi un instant. J’en profite pour

attaquer. Il est temps d’en finir, de toute façon !

— Tu m’emmerdes Doug, c’est clair ?? Peut-être comprends-tu mieux de cette


manière ? Va retrouver ta poule de luxe, je te rends l’argent dès demain et
oublie-moi ! C’est tout ce que je te demande ! Tu ne m’avais pas suffisamment

humiliée, il a fallu que tu viennes jusqu’ici pour continuer ! C’est ça ? Que


fais-tu là d’ailleurs ? Hein ? Ne me dis pas que tu es venu passé un petit week-

end romantique avec madame Parfaite, précisément dans cet hôtel, hein ? Je ne
te croirais pas !

— Scarlett, calme-toi, me souffle Doug en saisissant mes deux bras qui


s’agitent comme des moulins à vent, tandis que je crie.

Cela ne me calme pas du coup, mais vraiment pas du tout ! De toute façon, là

maintenant, je crois bien que rien ne pourrait me calmer. Doug vient de réduire

à néant tous mes projets. Je m’étais surprise à rêver de cette nouvelle vie que je
m’apprêtais à commencer. Et il a fallu qu’il se pointe ! En quelques minutes, il

a tout balayé ! Je le déteste ! Et jamais, je ne lui pardonnerai.

— Me calmer ? Me calmer ? je redemande stupéfaite. Mais tu plaisantes ou


quoi ?? C’est toi qui viens de casser la gueule à une personne que tu ne

connaissais ni d’Adam ni d’Eve et tu me demandes de me calmer ? Ahhrrr !! je

souffle incrédule. Si j’en avais le cœur, je rirais, mais là vois-tu, je ne demande

qu’une chose : que tu me foutes la paix. Tu entends ? La paix ! P.A.I.X !! Sinon ?

Que viens-tu foutre ici à part m’emmerder ?

Les yeux de Doug se sont assombris jusqu’à paraitre presque noirs. Je sais

qu’il déteste quand je deviens vulgaire, mais quand je suis en colère, je me


lâche, c’est comme ça. Et si cela ne lui convient pas, eh bien je m’en contre-

fous !

— Je te l’ai dit, je suis venu te chercher. Le premier repas de famille a lieu

demain midi, je tiens à ce que tu aies suffisamment de temps de repos avant. Tu


dois te reposer Scarlett.
— Mais tu vas me rendre folle Doug ! C’est ça que tu cherches ? Tu veux me
rendre folle ? A moins que cela ne soit toi qui sois pris de folie ! Tu sembles

oublier une chose ! TU ES FIANCE, je te rappelle ! Comment un homme

comme toi peut-il oublier sa si merveilleuse fiancée, hein Doug ? Alors fous-
moi la paix et tire-toi ! C’est tout ce que je te demande ! L’argent sera sur ton

compte dès demain !

— Je m’en fous du fric Scarlett ! Et je n’ai pas de fiancée non plus, alors arrête

de parlementer et allons-y maintenant, me répond-il calmement mais

fermement.

Je le regarde hébétée. Il me décontenance, je l’avoue.

— Comment ça tu n’as pas de fiancée ? Elle a foutu le camp ? je ris moqueuse.

Forcément, elle n’a pas dû apprécier la secrétaire que s’envoie son futur

époux, logique ! je ricane sarcastique.

— Bon, puisque manifestement tu ne comprends rien à rien, nous parlerons


après ! souffle Doug lassé.

Subitement, deux mains puissantes m’enserrent la taille, me soulèvent et me

chargent sur son épaule comme un vulgaire sac de patates. Je pousse un cri de
surprise. Tout en tentant de maintenir d’une main ma robe qui remonte à
l’arrière, et j’intime l’ordre à Doug de me reposer immédiatement, tandis que

les badauds qui assistent depuis un moment déjà à notre dispute, profitent du
spectacle désolant de mon humiliation. Certains rient, d’autres applaudissent,
alors que des larmes de colère coulent de mes yeux.

J’ai juste le temps d’apercevoir Matt qui revient de la cuisine, un torchon


probablement garni de glace sur sa pommette avant que nous passions la porte

tambour. J’ai tellement honte qu’il assiste à cette démonstration primaire que

jamais plus, je n’oserai me présenter devant lui. Je déteste, je hais Doug


Doherty !

Je fulmine et me débats tout en assénant à Doug de violents coups de poings

dans le dos. De même, j’agite mes pieds dans l’espoir de l’atteindre là où ça lui

ferait bien mal. Mais son bras me maintenant au niveau des cuisses m’empêche

toute attaque. Je lui hurle de me lâcher encore et encore et de me poser, le

menaçant même d’appeler la police s’il ne s’y résout pas. En vain.

J’aperçois mon reflet dans une des vitres de l’hôtel et franchement, je

ressemble à une vraie folle ! J’ai tellement honte ! Mes cheveux se sont

échappés de mon chignon et ils pendent le long des jambes de Doug de

manière si désordonnée et brouillon que je voudrais me cacher tant j’ai honte !

Tellement honte de me donner en spectacle comme ça ! Je lui ferai payer cette


humiliation supplémentaire ! D’ailleurs, je le menace.

— Tu me le paieras Doug ! Sois en sûr, tu me le paieras !

Comme s’il n’y avait rien de plus normal, Doug sort aussi tranquillement que

possible de l’hôtel, avec moi, chargée sur son épaule, me maintenant avec la
même désinvolture que s’il maintenait sa veste d’une main. Et tandis que je
m’essouffle à le menacer, dans cette position si inconfortable, je sens

maintenant le sang affluer vers mon visage, offrant ainsi aux badauds une

figure aussi rouge qu’une tomate ! Pas assez d’être humiliée, je suis en plus

tournée au ridicule ! Je le déteste !! Je le hais ! Pour tout ce qu’il m’inflige,


pour son sans-gêne avéré, pour se croire au-dessus des lois, … pour tout !!

Je reste ainsi balancée sur son épaule, tel un objet hurlant, jusqu’à ce qu’une

voiture noire ne vienne se garer devant nous. Sans me laisser poser pied à

terre, Doug me bascule alors sur le devant de son torse puis me jette sur la

banquette arrière du véhicule en prenant soin auparavant de protéger ma tête du

toit de la voiture. Puis, rapidement, avec souplesse, il se hisse également à mes


côtés alors qu’Harry, son fidèle chauffeur et garde du corps referme la porte

derrière lui.

Aussitôt, je tente de m’échapper par mon côté, mais la portière est verrouillée.

Naturellement.

Je jette un regard mauvais à Harry qui pourrait être mortel si seulement j’en

avais le pouvoir ! Moi qui avais toujours eu pour lui de la considération, là, je
lui en veux au moins autant qu’à son despote de patron. Et même, si je

considère qu’il n’a, peut-être pas vraiment, eu le choix, je le hais, lui aussi à ce
moment. D’ailleurs, quand nos regards se croisent dans le rétroviseur

intérieur, alors qu’il m’adresse un petit sourire narquois, je lui réponds par
mon regard meurtrier, croisant les bras sous ma poitrine.
Alors comme ça, la situation l’amuse, lui aussi ?! Et bien pas moi !! Et je ferai
en sorte de lui faire savoir ! Complice d’un enlèvement, ça va chercher dans les

combien ça ? Hein ?

Alors que le véhicule démarre et s’insère dans la circulation, je m’éloigne au

maximum de Doug, me collant contre la vitre opposée. Je garde mes bras


croiser ne décolérant pas. Je viens de louper la meilleure proposition de travail

que je pouvais trouver, alors autant dire à quel point, j’en veux à Doherty et à

son complice ! Je les ignore à présent, réfléchissant au meilleur moyen de

pouvoir m’enfuir, même si j’ai conscience qu’il est dorénavant inutile que je

tente un quelconque rapprochement de Matt ! Il me faudra trouver quelque


chose d’autre ailleurs et je fulmine ! Quand se représentera une telle

opportunité pour moi ?

— Et puis-je savoir où nous allons ? demandé-je très sèchement au bout d’un

certain temps de route.

— Tu ne m’écoutes vraiment pas quand je te parle, plaisante presque Doug,

nous allons à notre réunion de famille te présenter à ma famille.

— Tu plaisantes, j’espère ?

— Pas le moins du monde, me répond-il tranquillement, un sourire aux coins


des lèvres.

Comment peut-il ne serait-ce qu’espérer un instant que je joue gentiment mon

rôle après tout ce qu’il m’a fait subir ? D’une certaine façon, je me rassure.
Même s’il parvenait à me trainer jusque là-bas par la force, il ne pourrait pas

me forcer à faire bonne figure, et là, rira bien qui rira le dernier ! Monsieur le

grand PDG risque bien de regretter amèrement son abus de pouvoir. Car

autant dire que si je peux me montrer à mes heures douce et gentille, autant
mieux vaut éviter de me prendre pour une dinde ! Doug semble oublier un fait :

je suis une fille de l’Oregon ! Il en a suffisamment ri les jours précédents, il


risque bien à présent d’en découvrir la force de caractère de ses natives !

Et pour son information, les femmes de chez moi ne sont pas réduites à l’état

de pauvres petits êtres fragiles. Ah ça non ! Nous apprenons à nous défendre et

à affronter les obstacles dès notre prime enfance quand ceux-ci surviennent.
C’est notre force et Doug est mon obstacle !

Quand je repère enfin des panneaux de signalisation annonçant l’aéroport, je


comprends immédiatement qu’en effet, il ne plaisante pas.

— Tu ne vas tout de même pas m’enlever ? ricané-je incrédule.

Doug me regarde en souriant comme s’il n’y avait pas pensé auparavant mais

que l’idée ne lui déplairait pas, somme toute.

— Tu n’en as pas le droit ! Te crois-tu tant que ça au-dessus des lois Doug
Doherty ?

— Tu t’es engagée envers moi, me rappelle-t-il.

— Et toi, tu t’es bien foutu de ma gueule ! Car tu n’avais aucunement besoin de

moi ! Tu m’as fait marcher, tout ça pour me mettre dans ton lit, je rétorque.
— Tu as eu l’air d’apprécier, commente-t-il.

— Là n’est pas le problème Doug et tu le sais très bien !

— Alors où est le problème ?

— Où est le problème ? Non mais je rêve ! Tu le fais exprès ou tu es tout


simplement borné ? Tu me fais prendre des vessies pour des lanternes me

sortant une histoire abracadabrante comme quoi « ta maman » veut soi-disant

te marier contre ton gré et moi comme la reine des connes, je ne marche pas,

je cours !

— Tu n’es pas la reine des connes, loin de là, m’interrompt-il.

— Si. Mais bon, passons là-dessus. Tu menaces de virer Abby, alors qu’est-ce

que je fais ? Je tombe en plein dans le piège, qui ne visait qu’un seul et unique

but : parvenir à tes fins ! Et moi, naïve comme je suis : je t’ai cru ! et jusqu’au

bout en plus ! jusqu’à ce que ta fiancée se pointe pour arranger cette histoire de

traiteur, alors, s’il te plait, reconnait que plus gourde que moi tu meurs ! En

revanche, ce que je ne comprends pas, c’est ce que tu fais ici. Pourquoi ne dis-
tu pas à Mademoiselle West de t’accompagner ? Elle devrait convenir à tes

parents, non ? je l’interroge sarcastique.

— Je ne lui demande tout simplement pas de venir parce qu’elle n’est pas ma

fiancée, Scarlett et quoiqu’elle annonce, ce n’est pas la vérité.

Je le fixe tâchant de lire dans son regard si Doug cherche encore une fois à se

foutre de moi, mais la pénombre régnant dans la voiture ne me permet pas de


voir s’il est sincère ou non. Mais quoi qu’il en soit, il m’a tellement menti que
je ne vois pas pourquoi je lui accorderais le bénéfice du doute. Et puis, enfin,

je suis peut-être naïve, mais j’ai mes limites aussi. Une fiancée qui vient

rejoindre son amoureux pour préparer leur mariage ! Il faudrait être plus que
gourde pour croire encore à ses mensonges.

Devinant mon scepticisme, Doug enchaine pourtant.

— Vas-tu enfin m’écouter ou veux-tu encore continuer ton monologue Scarlett

La voiture s’est arrêtée et surprise, je jette un œil par la fenêtre. Je ne le crois


pas, nous sommes sur une piste d’aéroport !

Que fout-on en voiture sur un tarmac ?

Evidemment !

Il ne me faut que quelques secondes pour me rappeler que Monsieur Doherty

ne se déplace qu’en jet ! Le « Miracle » de la compagnie Airfly si ma mémoire

est bonne ! Je me retourne vers lui encore plus irritée.

— Je ne viendrais pas, tu le sais Doug, je l’avertis bornée.

— Et moi, je te dis que tu viendras …de gré ou de force, rit-il en secouant la

tête d’une manière extrêmement … sexy.

C’est là où je réalise combien je ne suis pas tout au clair avec moi-même !

Dans l’absolu, comment peut-on trouver un homme qui vous a humiliée, sexy ?
Ridicule !

— Ne t’imagine pas ça, le menacé-je en sortant mon téléphone de mon sac. Je


ne veux pas spécialement te créer de soucis Doug, alors ne me force pas.

Appelle-moi un taxi et laisse-moi partir ou j’appelle les flics. Tu viens déjà de

me faire perdre pour la seconde fois en moins d’un mois mon job alors laisse-
moi retourner chercher mes affaires et VIVRE MA VIE !! je hurle.

— Ecoute Scarlett, tu ne te poses pas les bonnes questions, répond-il

calmement, alors que je m’attendais à une énième remontrance musclée. T’es-

tu demandé pourquoi je tenais absolument à te voir emménager chez moi ?

Penses-tu réellement que c’était uniquement pour te mettre dans mon lit ? Je me

serais donné bien du mal ! Et surtout, j’aurais pu le faire sans te sortir toute

cette histoire, tu sais ?

— Prétentieux, râlé-je en croisant de nouveau mes bras sous ma poitrine.

Doug se met à rire mais cette fois-ci l’éclairage de l’habitacle est suffisant
pour que j’arrive à voir qu’il n’y a plus une once de colère dans ses yeux.

— Ok alors imaginons. Peut-être parce que tu es un maniaque du contrôle ?

proposé-je.

— Et je n’aurais pas eu peur d’après toi que ma fiancée me surprenne ?

— Tu es peut-être tellement sûr de toi que tu pensais qu’elle resterait sagement


planquée là où tu le souhaitais. C’est ce que font les salauds en général, je lui

réponds avec aplomb.


A ce moment, une lumière rouge s’allume sur la console centrale et Doug
presse un voyant.

— Monsieur, l’équipage est quasiment prêt, prévient Harry.

— Bien. Merci Harry.

Doug se retourne sur moi. Il a perdu de sa désinvolture, son air devient aussitôt

plus sérieux. Il me fixe de son regard devenu soudainement grave.

— Bien Scarlett, maintenant tu vas m’écouter car nous n’avons plus le temps

de jouer aux devinettes. Alors, si je te dis que je n’ai pas de fiancée, c’est que je

n’en ai pas. Candy West est seulement la femme que ma mère s’était imaginée

me présenter. Cependant, il semblerait que celle-ci, très intéressée par cette


alliance qu’elle juge bénéfique pour nous deux, ait pris les devants et quelque

peu hâté les choses. Mais elle n’est rien pour moi. Absolument rien, tu

entends Scarlett ? Je ne suis jamais sorti avec elle, je ne l’ai même jamais

draguée et encore moins désirée. Elle ne m’intéresse tout bonnement pas. Tu


comprends ?

Doug n’est pas fiancé ?

Candy ne l’intéresse pas ?

Comment une femme si belle qu’elle pourrait-elle ne pas l’intéresser ? Je n’ai

pas besoin de réfléchir bien longtemps. Je ne suis pas aussi naïve qu’il le
pense. C’est tout simplement du grand n’importe quoi et Doug est tout

simplement en train de s’emmêler au milieu de tous ses mensonges.


Conclusion : il se fout encore de moi.

En revanche, ce qui m’intrigue bien au-delà de son aberrante histoire c’est


plutôt : pourquoi ne se contente-t-il pas de présenter Candy à sa famille ? Où

est ma place dans tout ça ? Qu’est-ce que je viens faire dans leur histoire et

quel est mon rôle ?

Je ne réponds pas à sa demande, parce que non, je ne comprends rien à ce qui


se passe. Et tandis que des dizaines de questions tournent dans ma tête, je sens

bien qu’il accélère le tempo de nos retrouvailles et tout va à présent bien trop

vite pour moi.

Comme à mon accoutumée, j’aurais besoin de davantage de temps pour

analyser ses paroles afin de comprendre où Doug veut en venir, mais

malheureusement, il semblerait justement que nous en manquions, de temps.

Sans me laisser la moindre minute pour poser toutes les questions qui me

taraudent, Doug, toujours aussi sérieux, poursuit.

— Ecoute bien cette histoire Scarlett car c’est une histoire on ne peut plus vraie

et je souhaiterais réellement que tu me croies sur parole. Nous n’avons plus


beaucoup de temps, comme je te l’ai dit, alors concentre-toi sur ce que je vais

te dire et accorde-moi au moins le bénéfice du doute.

La bouche entre-ouverte et les yeux grands écarquillés, je ne parviens pas à

détacher mon regard de Doug. Au fond de moi, j’aimerais tellement le croire,


je l’ai tellement souhaité ces derniers jours, mais je ne peux m’empêcher
d’adopter une attitude sceptique. Il m’a tellement fait souffrir. Je m’en veux

d’être si vulnérable devant lui. Je l’écoute comme il me le demande, je n’ai

d’ailleurs pas vraiment le choix, mais c’est surtout avec crainte que je m’y

prête. Car même si tout ce qui se passe depuis quelques minutes est totalement
abracadabrant et que je n’y comprends strictement rien, j’ai par-dessus tout

peur de me faire avoir encore une fois. Peur que mes sentiments pour lui
m’aveuglent, rallumant une minuscule lueur d’espoir ; et ça, je ne peux pas me

le permettre ! Surtout pas.

Cette situation est au bord du soutenable pour moi. J’avais pris soin de mettre

des kilomètres et des jours sans aucune nouvelles de Doug et il ignore à quel
point, il m’est difficile de me retrouver là à côté de lui, alors que j’ai tout fait

ces derniers temps, pour l’oublier justement.

Pour une des rares fois de ma vie, je ne ressens pas le besoin de railler en

retour. Mes forces s’amenuisent. Probablement, parce qu’une partie de moi

aimerait tellement entendre n’importes quelles paroles rassurantes qui


justifieraient l’arrivée fantasque de sa fiancée. C’est complètement stupide et

naïf, j’en ai conscience. A croire que je ne suis pas vraiment guérie de Doug.

L’ambiance dans l’habitacle a soudainement changé, plus lourde, plus sérieuse.


Pour la première fois depuis ce début de soirée, j’ai envie de le croire sincère.

Mais est-ce bien raisonnable ? Malgré tous mes sentiments contradictoires,


entre crainte de souffrir et un infime espoir, je lui donne cette ultime chance de
pouvoir s’expliquer. Peut-être le regretterai-je par la suite … Il n’y a peut-être,

en fait, rien de bon à attendre de lui.

Mais bon, de toute façon, coincée là dans cette voiture avec lui, qu’ai-je donc

de plus à perdre ? Sans doute, pas grand-chose, puisqu’il a déjà ruiné ma

soirée et avec celle-ci tous mes espoirs de signer mon contrat. Alors foutue
pour foutue autant l’écouter. Il a fait tout ce voyage pour me parler, je suppose

que je peux bien prendre le risque de l’écouter se justifier.

— La première fois que je t’ai vue, Scarlett, tu étais accoudée dans le hall

d’entrée, devant le comptoir d’accueil et tu parlais avec Abby. J’ai été

littéralement subjugué par ton apparition. Ne me demande pas de m’en

expliquer car j’en serais bien incapable. Mais subitement, j’ai su que c’était toi

que je te voulais. Au départ, c’est vrai, je te le concède : je te voulais


absolument dans mon lit et le challenge de t’obtenir me tenait en alerte. Je te

voulais, je ne te connaissais pas, le défi m’a plu, lassé depuis quelques temps

déjà, des filles faciles que je draguais et obtenais sans grande peine.

Un défi ! Voilà, ce que je représentais pour lui …

— Ensuite, tu es passée d’un challenge pour moi à une obsession. Je pensais

sans cesse à l’inconnue que tu étais et j’étais intrigué par le pouvoir que tu
semblais avoir sur moi alors que je ne te connaissais même pas. Je t’explique

comme je l’ai ressenti alors ne te formalise pas si je suis un peu maladroit. Je


veux juste que tu comprennes comment tout ça a commencé. Tu m’attirais
certes, mais c’était bien plus que ça, en fait. Alors, dans un premier temps, j’ai
tenté de repérer avec précision quand tu passais voir Abby. Ton image

m’obsédait de plus en plus sans que j’en comprenne la raison. Ainsi, je savais

que tous les lundis midi, tu la rejoignais pour le déjeuner et parfois, tu passais
la prendre le soir. A chaque fois, que je te voyais, les battements de mon cœur

s’affolaient, mais j’étais persuadé que c’était mon instinct de chasseur que tu
éveillais. Tu étais si différente des femmes que je fréquentais habituellement. Je

te trouvais rafraichissante. Chaque jour, je pensais à toi et à ton corps que je

souhaitais posséder de multiples manières et dans de multiples lieux. Je

t’observais discrètement et j’emmagasinais des images de toi qui défilaient

devant mes yeux tout au long de la journée. C’était la première fois qu’une

femme avait tant d’emprise sur moi et cela m’interpelait. Forcément. J’aurais

pu demander à Abby de me présenter, mais ça ne m’intéressait pas de t’avoir


ainsi. Je ne te voulais pas simplement consentante, comme toutes celles que je

ramenais. Non, j’en voulais davantage. Je te jure que pour un homme comme

moi c’était même flippant. Pourtant, et c’est vrai, je te voulais en exclusivité. Je


te voulais toute à moi. Je voulais te posséder entièrement. Ne me demande pas

non plus pourquoi car aujourd’hui encore, je ne pourrais te répondre. C’était


la première fois que je ressentais ce besoin de possession et d’exclusivité. Je

n’avais jamais eu ce genre de fantasme auparavant et tout en me prenant au jeu,


tu es très vite devenue mon unique intérêt, mon unique quête. Etonné moi-

même de mon comportement, j’ai en immédiatement déduis que j’avais besoin


d’un peu plus de piment dans mes relations, la facilité m’ayant lassé. Et je
pense qu’il y avait sûrement un peu de ça dans ma démarche, au début tout du

moins.

— Ouais, je n’étais qu’un jeu pour toi, un défi quoi ? j’interromps Doug vexée

et refroidie.

Si je n’avais jamais eu l’impression d’être rabaissée au niveau de jouet


auparavant, les paroles de Doug, que je devine - hélas - sincères, me blessent

au plus profond de moi. Mon amour-propre vient d’en prendre un sacré coup,

j’avoue. Et je ne vois pas pourquoi, j’écouterais la suite de ses propos

insultants. Furieuse contre lui, mais surtout contre moi, je me tourne très vite

vers ma portière et tire sur la poignée comme une furie. J’avais raison de

redouter ce qu’il avait à me dire et j’en suis pour une bonne leçon ! La
minuscule lueur d’espoir qui m’animait vient de s’éteindre à tout jamais, cette

fois. Je dois partir à tout prix, avant que les larmes qui ont embué mes yeux ne

se mettent à couler. Je tire et retire avec acharnement sur cette foutue poignée
de porte, mais évidemment, elle n’a pas été déverrouillée.

Tout ce que je demande pour l’instant, c’est de pouvoir sortir le plus vite

possible de cette voiture et fuir au plus loin de ce monstre égocentrique.


Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir encore croire en lui ? Cet homme n’a

vraiment aucun cœur ! Ce n’est qu’un minable fils de riche qui s’ennuie, lassé
de tout obtenir facilement. Et qui pour pimenter sa vie, n’hésite pas à se jouer
des autres, au mépris de toute considération. Pourquoi a-t-il seulement fallu

que je croise sa route, moi la minuscule particule qui a eu la faiblesse de

s’amouracher d’un tel homme ? Je ne veux plus rien entendre de sa part. J’ai eu

mon compte !! Comment ai-je pu seulement un instant croire en ses bons


sentiments ? Je fulmine de rage, contre moi principalement !

Mais aussi misérable soit ma vie à côté de la sienne, j’ai encore suffisamment

d’amour propre pour comprendre que je dois définitivement m’éloigner de

Doug, l’oublier et tenter de me reconstruire, ailleurs. Où ? je ne sais plus

vraiment, mais c’est en tout cas, ce que je dois faire. Et maintenant !

Franchement, qu’ai-je donc fait dans une vie précédente pour mériter un karma
aussi pourri ?

Car même, si je n’ai pas une très grande expérience en matière sentimentale ni
même sexuelle, je sais au moins une chose, c’est que lors des quelques

relations que j’ai pu entretenir par le passé, aucun et je dis bien, aucun des

hommes que j’ai pu fréquenter ne m’a jamais donné l’impression d’être


rabaissée et utilisée comme l’a fait Doug Doherty. Et rien que pour cette raison

: je le déteste encore plus si tant est que cela soit encore possible ! Alors, que
mes yeux humides sont sur le point, maintenant de lâcher le flot de larmes que

je contiens par fierté, je m’escrime encore une fois à tenter d’ouvrir cette
fichue porte. Je lui tourne le dos et c’est très bien ainsi, je ne veux plus jamais

le revoir.
— Attends Scarlett, laisse-moi finir, me coupe Doug tout en agrippant
fermement mon bras.

— Lâche-moi Doug et trouve-toi un autre jouet ! crié-je énervée. Quand je

pense que pendant tout ce temps, tu as utilisé cette pauvre Abby qui t‘idolâtrait !

Tu as beau être riche, beau et sexy, tu n’en es pas moins un sale mufle, Doug
Doherty ! Et je te hais du plus profond de mon âme !

— Pour te servir ma chère, me répond-il ironiquement.

Je ne sais pas comment il fait - et il doit avoir un don, ça c’est sûr - mais une

chose est certaine, ce type odieux a le chic pour me mettre les nerfs en boule
sitôt en sa présence. C’en est quasiment épidermique. Voilà donc une raison

supplémentaire pour que je bâtisse une carapace encore plus efficace contre les

hommes d’un tel acabit. Et que cela me serve de leçon cette fois ! Et dire, que

j’étais sur le point de commencer une nouvelle vie à Warren.

— Goujat dégénéré, va !

— Alors comme ça, tu me trouves beau et sexy ? m’interroge-t-il flatté, un


sourire ravageur aux lèvres.

— Pas tant que ça finalement ! Tu es pourri de l’intérieur Doug !

Un rictus sur son visage m’avertit que son humeur vient de changer. Ses

pupilles brunes se sont assombries lui donnant un air davantage menaçant,


mais je commence à m’y faire et je m’en fiche royalement. Il ne

m’impressionne plus. J’avais juste, quelques instants, oublié son caractère


soupe au lait. Mais qu’importe après tout, il ne me fait plus peur. Je suis libre –
enfin pas vraiment maintenant – et je n’ai pas à me soumettre à ce tyran sans

manières.

— Tu as beaucoup de chance Scarlett que le temps nous manque. Car je

t’avouerai que j’hésite beaucoup en ce moment entre t’enlever ou te donner


une correction qui ferait rougir ton si joli cul.

— Pervers ! Va te faire soigner !

— Avec toi en infirmière ? Je vais y réfléchir, susurre Doug d’une voix trop

sensuelle.

— Maintenant ouvre cette porte ! je hurle.

— Je n’ai pas fini.

— Eh bien moi, oui ! Je n’ai plus envie de t’entendre, alors OUVRE MOI
CETTE FOUTUE PORTE OU JE CRIE !

— Personne ne t’entendra ici. Tu le sais très bien.

— S’il te plait Doug, je demande soudain d’une voix plus suppliante, plus
suave aussi, ouvrant grand mes yeux larmoyants.

Je pose ma main sur son torse et dessine des arabesques de mes ongles tendant

mes lèvres vers lui, afin de l’amadouer. Peut-être pourrais-je arriver à mes fins
de cette façon-ci ? En effet, Doug réagit. Ses yeux s’illuminent alors d’une

toute autre lueur et je peux sentir son souffle saccadé sur mon visage, tandis
que ma main descend peu à peu vers sa ceinture. Même si c’est moi qui dirige
le jeu, je n’en reste pour autant pas de glace. Son corps me manque toujours.

Doug me manque encore, et j’ai peur de me trahir dans ma diversion. Hélas !

— Tu crois que je ne vois pas clair en ton jeu Scarlett Johns ? murmure-t-il à

mon oreille. Et dis-toi bien qu’à jouer ainsi avec moi, si j’en avais la
possibilité, je te prendrais là tout de suite, dans cette voiture, sans sommation, à

sec rien que pour te montrer qui mène la danse entre nous deux.

Sa voix réveille en moi nombre de sensations enfouies ces derniers temps,

depuis mon départ de Doherty Press. Nombre de sentiments refoulés pour tenir

le coup et ne pas plonger dans les abimes de la dépression. Mais la vérité est là,

toute simple, sans fioritures aucunes : Doug me manque et mon corps l’appelle

malgré ma déception et ma tristesse.

— Et d’une Doug, tu manques de temps, je te le rappelle et de deux, qui te dis

que je n’apprécierais pas moi aussi ce petit divertissement. Enfin, de trois, dans

ce dernier cas, qui mène vraiment la danse, d’après toi ? lui demandé-je

impertinente.

Je vois au visage de Doug, qu’il a toutes les peines à garder ses esprits. J’ai

hasardeusement fait dévier la conversation et il rame à présent pour reprendre


le cours de sa discussion qu’il voulait m’imposer. J’ai simplement joué ma

dernière carte, pour qu’il s’apitoie et me donne une chance de partir. Même si
mes sens se prennent, eux aussi, à ce stupide jeu de séduction. Mais je suis
lasse. Lasse de toutes ces joutes verbales, lasse de batailler constamment contre
lui, lasse de cette relation trop compliquée à mon goût. Trop de doutes, trop de

non-dits, trop de tout en fait. Alors, c’est moi la première qui met fin à ce petit

jeu dangereux, qui au final me fatigue. Finissons-en. Je voulais juste lui


signifier qu’il n’avait pas tant le dessus que ça sur moi et qu’il comprenne bien

que je pouvais lui donner du fil à retordre si je le souhaitais.

Pari gagné. Mais pari inutile désormais.

— Bon, tu es pressé et moi j’en ai marre de tout ça, finis-je par lui dire en

reddition. Je veux partir Doug. Alors finis de me dire ce que tu voulais que

j’entende et qu’on en finisse ! Tu voulais mettre les choses au point, ok. C’est

fait, je pense ? Je peux y aller maintenant ? Ne te donne pas la peine de me

raccompagner, j’appellerai un taxi. Allez file maintenant, tu as un avion à


prendre.

— Je n’ai pas fini Scarlett et si tu ne m’avais pas interrompu, ce serait déjà

chose faite. J’ai peu de temps effectivement, le décollage est programmé dans

quelques minutes et tu sais que je ne peux le faire retarder faute de créneaux de


décollage. Peux-tu enfin m’écouter sérieusement ? Pour une fois ? S’il te plait,

me demande Doug d’un air grave.

Son attitude aussi me fatigue. Il me donne sans cesse l’impression d’être une

fillette mal élevée que son père réprimanderait. Je lui ferais bien remarquer la
complexité de nos rapports mais ça n’aurait pour but que de rallonger notre
entrevue, aussi volontairement docile, j’acquiesce d’un signe de tête.

— Je te disais donc, avant que tu ne m’interrompes que jour après jour, tu étais
devenue une obsession pour moi, accaparant la moindre de mes pensées. J’ai

même eu droit à un rappel de mon conseil d’administration, ayant loupé

quelques occasions en or d’agrandir notre capital. Mais bref, ce n’est pas ce


qui importe actuellement. C’était juste pour illustrer ce que je te confiais.

Va te faire soigner Doug ! pensé-je silencieusement. La seule chose qui

t’intéressait en moi était cette proie que tu n’arrivais pas à saisir.

— Et puis, Katherine, mon assistante a déposé sa démission sur mon bureau un


beau matin.

Tu m’étonnes !! Personne ne supporte ton caractère de cochon !

Faisant une pause, Doug me fixe comme s’il s’attendait à une remarque de ma

part, mais je n’en fais rien. Je me contente seulement de penser

silencieusement. Il lâche un petit rire, comme s’il devinait ma dernière pensée

et poursuit.

— Et c’est là, que j’ai pensé à t’embaucher. Juste pour avoir l’opportunité de
t’avoir à mes côtés. Je savais par Abby que tu galérais pour trouver un job et la
situation ne pouvait mieux tomber.

— C’est pour cette raison que tu as été plus qu’odieux quand je me suis
présentée à toi, je suppose, lui fais-je remarquer sardoniquement.

Doug exprime un soupir, puis ses lèvres s’étirent lentement comme s’il se
remémorait la scène.

— J’ai été con, je sais.

Bien ! On progresse ! soupiré-je intérieurement.

Mais bien malgré moi, malgré tout, je me prends à essayer de le comprendre.


La vérité est que je ne peux m’empêcher d’espérer. Ce foutu infime espoir se

refuse à me quitter !

— Tu as quand même une drôle de manière de montrer à une femme qu’elle te

plait, si ce que tu dis est vrai.

— J’ai merdé grave, je le sais Scarlett. J’étais tellement en colère après moi de

perdre ainsi la raison. Jamais je n’ai fait interférer mes affaires et mon plaisir,

en tout cas pas en ce qui concernait mes sentiments. Et si j’ai bien eu quelques

aventures avec certaines de mes collaboratrices, elles comme moi, savions que

ce n’était que purement sexuel. Pourtant, avec toi, deux sentiments

contradictoires s’affrontaient constamment en moi. J’étais heureux d’avoir

réussi à te rapprocher de moi, mais d’un autre côté j’avais agi avec tellement
peu de professionnalisme que je me serais fichu des baffes.

— ça, je peux le faire pour toi, si ça t’arrange, me proposé-je.

Doug sourit, mais son regard reste figé, comme captif de cette période.

— Quand je t’ai fait embaucher, ton expérience n’était pas suffisante pour un

poste de ce niveau. Je le savais très clairement. Et j’ai dû subir les reproches


amers de nombre de personnes autour de moi dont ceux de mon père en tout
premier lieu, puis ceux de Mary Donner, tu sais, la sorcière, en second lieu. En

conseil d’administration, j’ai eu droit au reste dont la très flatteuse

remontrance de penser avec ma bite. Et rien que pour toutes ses remarques, je

m’en voulais d’avoir agi ainsi, par simple intérêt personnel occultant
volontairement la tâche qui m’imputait de diriger intelligemment cette société.

Merci ! Rappelle-moi encore une fois à quel point mes compétences

professionnelles sont inexistantes ! Effectivement Doug, tu es particulièrement

gauche si ton but est de me prouver tes sentiments.

Sans se rendre compte de sa maladresse, Doug poursuit.

— Je t’ai involontairement fait subir tous les torts que l’on me reprochait …

que je me reprochais. J’aurais pu me reprendre et avouer mon erreur, mais

non : je n’y parvenais pas. Je te voulais à mes côtés coûte que coûte, même si je

devais en subir les conséquences.

Je fixe Doug estomaquée. Mais le problème avec lui, c’est que je ne sais jamais
si je peux croire en lui ou non. Je serais prête à passer sur son attitude plus

qu’odieuse de mes débuts à Doherty Press, mais dit-il seulement la vérité ? Le


fait que Doug soit un homme si intelligent et si complexe me laisse sans cesse

dans une indécise situation.

N’essaie-t-il pas simplement de m’embobiner encore une fois ? Et si c’était le

cas, quel serait son intérêt ? Que je revienne ? Mais pourquoi alors ?

Ma conscience semble le croire, surlignant de fluo tous les indices qui


paraissent converger vers un même point : celui qu’il prétend, à savoir

ressentir des sentiments pour moi. Mais je ne suis pas certaine d’être fiable

quand il s’agit de Doug. Et si je me trompais encore …

Doug n’attend pourtant aucune réponse de ma part. Il se contente de continue

de caresser de son pouce ma main, son regard fixé sur ses doigts. Je le trouve
différent, plus naturel, plus authentique … Mais peut-être que je ne suis pas la

mieux placée pour juger.

— Je n’avais jamais agi ainsi auparavant, tu sais, rajoute Doug. Je n’ai jamais

fait passer une femme devant tout le reste et encore moins devant mes affaires

et je sais pertinemment que je ne l’aurais jamais fait pour une autre femme …

que toi. Tu avais, … tu as ce quelque chose de si différent, qui m’attire

tellement que c’en est presque magnétique. J’ai besoin de toi à mes côtés
Scarlett. Ce n’est pas un caprice ou une simple envie. Ne crois pas ça. J’y ai

longuement réfléchi, tu sais. J’ai essayé de comprendre ce qui m’arrivait. Mais

c’est en fait, très difficile à expliquer car ce n’est tellement pas rationnel. Et
pourtant, tout ce que je peux te dire, c’est que ce que je ressens pour toi est en

fait un besoin indicible de t’avoir à mes côtés. Comme si je ne pouvais plus


fonctionner quand tu es loin de moi. J’ai besoin de toi. Tu entends, Scarlett,

c’est comme un besoin urgent. Quelque chose de vital pour moi. Aussi, quand
à force de merder devant toi, tu as voulu partir, j’ai dû en quelques secondes,

trouver une parade pour que tu ne m’échappes pas. Je ne pouvais pas renoncer
à toi et je devais absolument trouver un moyen de t’empêcher de partir. Mon
idée m’a semblé lumineuse sur le moment. Tout ce que je t’ai dit alors sur le
souhait de mes parents de me voir me poser est vrai. Et effectivement, la fille

d’une amie de ma mère, Candy West était, elle aussi, intéressée par un projet de

mariage dit contractuel.

Rien que d’entendre le nom de celle que j’ai rangé dans la boite de mes
ennemies à vie, sortir de la bouche de Doug, me fait serrer les mâchoires.

C’est un réflexe quasiment pavlovien. Doug poursuit ses explications, sans

s’apercevoir, je pense, de mon attitude désormais crispée.

— Cette union était pour elle, l’occasion d’allier son nom au mien et de

développer tout un réseau de galeries d’art à travers les Etats-Unis. Un projet

audacieux qui demandait des fonds importants.

Je regarde, avec attention, Doug, complètement abasourdie. Je ne suis pas sûre

de tout comprendre. Ou plutôt, j’ai peur d’interpréter ses propos et de me


reprendre une gamelle d’ici peu.

Dois-je reconsidérer mon jugement ? J’ignore si peux réellement lui faire

confiance ou non. Cette peur, toujours cette peur de souffrir me retient de lui
sauter au cou.

Doug irait-il jusqu’à inventer une nouvelle supercherie pour m’amadouer ?

— Tu … tu n’es pas fiancé ? Enfin, je veux dire vraiment fiancé ? bredouillé-je

bêtement, complètement chamboulée par cette masse de nouvelles


informations.

— Je ne l’ai jamais été Scarlett. Jamais. Je te le jure.

— Mais pourquoi disait-elle alors, que vous étiez fiancés et qu’elle attendait de
fixer une date pour le traiteur ?

Tout n’est pas clair dans son histoire.

— Je suppose qu’elle était persuadée que j’adhérais à cette suggestion de

conclure un mariage de raison qui lui aurait grandement profité. Mais quel que

soit son fondement, je peux te jurer Scarlett que jamais, je ne lui ai demandé de

m’épouser. Tu dois me croire Scarlett, m’implore Doug d’un regard suppliant.

Il n’y a que toi pour moi. Rien que toi. S’il te plait, accepte de me croire, je
trouverai le moyen de t’apporter des preuves de la sincérité de mes sentiments

pour toi, mais pour l’instant je n’ai que mes mots pour t’en convaincre. Je te

demande de m’accorder ta confiance. Je te promets de te prouver par la suite

chaque allégation. S’il te plait, Scarlett, crois en moi.

Les yeux de Doug brillent, presque larmoyants. Je mettrais ma main à couper


qu’il est sincère. Cependant certaines questions qui me taraudent encore

m’empêchent de lui sauter dessus pour l’embrasser. Je sens bien qu’il a réussi
à craqueler ma carapace de défense d’une fine brèche.

— Si tu ne lui as jamais as jamais demandé de l’épouser, alors à quoi rimait


son numéro théâtral au bureau ? je demande sceptique.

Malgré mes doutes, malgré les nombreuses questions qui restent encore sans
réponses, je n’arrive pas à contenir l’indicible espoir qui renait soudainement
en moi. Je devrais être plus circonspecte, mais je ne peux empêcher cette

minuscule lueur de se rallumer. C’est comme si mon cœur se remettait à battre

lentement dans l’attente d’une issue heureuse. J’ai tellement envie d’y croire !!
Pourtant, une peur tenace me retient d’exploser de joie, ce qui fait que je reste

sur la réserve. Je voudrais tant y croire ! Mais le puis-je vraiment ? Mon cœur
se serre et ma gorge se noue, souhaitant tellement que tout ceci soit réel et non

je ne sais quel rêve farceur.

— Sa fabuleuse prestation d’actrice, tu veux dire ? m’interroge Doug. C’est

tout simple. Quand Candy a vu la une du magazine où nous étions ensemble au


gala de charité, elle a immédiatement saisi que tu avais le pouvoir de

compromettre ses projets. C’était d’ailleurs le but véritable de sa venue au

bureau. Elle voulait des explications. Mais elle a été prise au dépourvu quand

elle s’est présentée à ton bureau. Elle ignorait qu’il s’agissait de toi. Aussi

quand elle t’a reconnue, je suppose que là, véritablement elle a pris peur. Bien
que je ne sois pas irréprochable concernant mes précédentes assistantes, quand

elle t’a vue, elle a compris que tu avais un intérêt certain pour moi. Car jamais
dans le passé, je n’avais invité une de mes employées à parader ainsi devant les

médias. Ni même devant ma famille ou bien encore devant mes relations


d’affaires. Aussi, Candy a tout de suite fait le rapprochement. Et ce simulacre

de comédie, où ma soi-disant fiancée préparait activement notre mariage


n’avait pour but que de te blesser et de t’éliminer de mon champ d’horizon.
Elle espérait bien te faire comprendre que tu n’étais qu’une vulgaire aventure

pour moi et que jamais tu n’obtiendrais de véritable place dans mon cœur. Et

ça a marché sur le coup, puisque tu t’es enfuie.

Une véritable place dans son cœur ? C’est bien ce qu’il a dit ? Ai-je

véritablement une place dans son cœur ?

— Mais, bredouillé-je, …il n’y a jamais eu de « Douggy chéri » alors ?


demandé-je les yeux encore humides.

La fine brèche de ma carapace est cette fois-ci devenue une véritable crevasse

par laquelle toutes mes émotions sont en train de s’échapper, me submergeant


comme un raz de marée. Je dois pourtant résister encore, tant que je n’aurais

obtenu toutes les réponses à mes questions. Mais je sens bien que ma résistance

s’amenuise de plus en plus. Je souhaiterais tellement que tout ceci soit vrai. J’ai

l’impression de vivre un véritable rêve dont je redoute toujours le réveil

douloureux.

— Non, s’esclaffe Doug, non et je crois bien d’ailleurs que je n’aurais jamais

supporté d’être affublé d’un tel surnom, finit-il en caressant ma joue de ses
doigts. Dis-moi que jamais tu ne m’appelleras ainsi, me demande-t-il en

souriant.

Malgré l’obscurité, son sourire entier et franc est éblouissant. Ses yeux brillent

en me fixant avec tant de tendresse que mon intuition me dicte, à ce moment-là,


qu’il dit vrai. Mon cœur fait une embardée.
— Alors, tu rentres avec moi ? me demande Doug trop brutalement.

Je n’ai pas encore tout intégré qu’il lui faut déjà une réponse immédiate. Et
moi, justement, je n’aime pas la précipitation, surtout quand celle-ci concerne

mes sentiments. D’ailleurs quels sont ses sentiments à mon égard justement ?

M’aime-t-il réellement ? Il ne me l’a pas encore directement dit et j’ai


tellement peur de n’être qu’une passade de plus pour lui. J’admets le fait que,

contre toute attente, je l’intéresse vraiment. Mais ensuite, que va-t-il se passer ?

Qu’attend véritablement Doug de moi ?

Que je sois sa maitresse attitrée pendant quelques temps ?

J’ai bien compris que ses anciennes errances sentimentales ou sexuelles

devrais-je plutôt dire le fatiguent, mais moi, où est ma place dans tout ceci ?

Car si je dois pleurer mon âme dans quelques semaines parce qu’il se sera

lassé de moi ou même pire, si d’ici quelques temps il s’apercevait que

finalement, il ne peut renoncer à ses rencontres éphémères, le jeu en vaudrait-il

vraiment la chandelle pour moi ? Je ne me sens pas le courage de revivre ce

que j’ai subi ces derniers jours. Alors même si Doug me semble sincère
aujourd’hui, je ne peux m’abandonner entièrement à lui avec cette crainte qui

me menace comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête.

— Je …je ne sais pas Doug. J’ai besoin de réfléchir, je lui réponds encore trop

dans l’incertitude.

— Scarlett, l’avion s’apprête à décoller. Tu peux venir avec moi ou rester là à


me regarder partir, c’est toi qui décide.

— C’est tellement … tellement soudain, je réponds sans justement pouvoir


prendre de décision aussi rapidement.

Tout est si … soudain. Nous avons besoin de parler encore, de nous expliquer,

de comparer nos attentes …

J’essaie de faire rapidement le point, mais comment décider aussi vite ? Il y a

tellement d’incertitudes. La nature véritable de ses sentiments étant

probablement la question qui importe le plus pour moi. Souhaite-t-il que je

rentre avec lui juste pour lui sauver la mise ou me veut-il moi vraiment ?
Durablement, j’entends.

Alors que mon cerveau carbure à toute vitesse pour analyser la situation et

trouver la solution la plus équitable en réponse à mon dilemme persistant,

Harry rappelle la cabine.

— Oui ! répond sèchement Doug.

— Monsieur Doherty, il faudrait y aller à présent. Le commandant ne pourra

tenir le créneau encore longtemps.

— Deux minutes Harry, nous arrivons, coupe-t-il net la conversation.

— Ecoute Scarlett. Je n’avais pas imaginé te dire les choses ainsi dans ces
circonstances. Je crois même, à vrai dire, que je n’avais pas du temps imaginé

les dire un jour, mais j’ai changé depuis que je t’ai vue la première fois et je
vois bien que tu hésites.
Je le regarde indécise, c’est vrai. Car même si mon esprit essaie de fonctionner
en mode accéléré, je ne suis incapable de lui répondre. Pas encore, en tout cas.

La réponse est pourtant simple : oui ou non.

Doug doit sentir mon dilemme car il reprend son argumentation.

— Scarlett, je suis obligé de te dire tout ceci rapidement. Mais sache que je suis

littéralement tombé sous ton charme dès le premier jour où je t’ai vue. Puis je

t’ai mieux connue, toi et ton caractère enflammé et là, je me suis dit : wouah,

quel tempérament ! Quelle fille ! Mais j’étais loin, bien loin, de me douter de

ce qui allait m’arriver. Une véritable tornade est entrée dans ma vie. Un bout de
femme hors du commun, vive, spontanée, sincère, généreuse et aimante et j’ai

connu alors des émotions que je n’avais jamais ressenties auparavant. Quelque

chose de fou et de si fort, que j’en ai été totalement chamboulé. Alors, oui. Je

me suis interrogé quand tu es partie. Et c’est là que j’ai véritablement compris.

Ça n’a pas été évident pour moi de l’admettre au début. C’était si soudain, si

nouveau pour moi tout ça.

J’écoute attentivement Doug, surprise qu’il se livre aussi facilement. Je sais


que ce n’est pas habituel chez lui et je suis touchée par son geste. Il a l’air

sincère et j’ai du mal à réaliser qu’il parle de moi. Mais pressé par le temps,
Doug poursuit.

— Ecoute Scarlett, il m’a fallu un certain temps pour comprendre ce qui


m’arrivait vraiment. Puis tout s’est mis en place dans ma tête comme dans un
jeu d’assemblage. Alors, quand j’ai compris, je t’ai appelé, je t’ai envoyé des

messages, mais tu n’as jamais voulu y répondre. Il m’a fallu plus de temps

pour te retrouver mais heureusement, je suis arrivé à temps. Et quand arrivé à

l’hôtel, j’ai vu ce connard avec ses airs mielleux qui se la jouait playboy
devant toi, j’ai failli lui exploser la tête. Je me suis contenu pour toi, mais je te

jure que j’ai bien cru que jamais je n’arriverais à résister à l’envie folle que
j’avais de lui péter la gueule.

— Tu lui as pété la gueule, commenté-je.

— Oh non ! Crois-moi ! Ce n’était rien. Et si je ne m’étais pas retenu, je

t’assure que même sa mère ne l’aurait pas reconnu. Il s’en sort vraiment bien,

crois-moi

Je n’arrive pas à retenir un gloussement que je déteste. Je ne devrais pas me

moquer aussi facilement de Matt. Le pauvre ! Et pourtant, le fait de revoir

mentalement la scène me fait rire. C’est probablement nerveux.

L’inquiétude qui était affichée sur le visage de Doug le quitte un moment et son

regard s’ancre à présent au mien, avec plus d’intensité, plus de sérieux aussi.
Doug se tait et nous nous fixons quelques secondes. Les yeux dans les yeux. Et

subitement, aucune parole n’est plus nécessaire. Il a approché son visage du


mien et je lis un merveilleux sentiment dans ses yeux. De l’amour ? Sa main

effleure ma joue et je ne résiste pas à l’envie de coucher mon visage dans sa


paume si douce et accueillante.
— Scarlett, ce que je veux te dire, c’est que je deviens fou sans toi. J’ai passé
dix jours de calvaire. Au départ, je ne m’inquiétais pas car je pensais que tu

finirais par me répondre, mais quand j’ai appris que tu étais partie, là je suis

devenu dingue, vraiment dingue, je veux dire.

Je le regarde complètement éberluée. Ses mots sont si forts de sens. J’ai le


sentiment que tout va trop vraiment vite pour moi ce soir bien que je

n’attendais que ça, à la vérité.

— Nous n’avons que peu de temps Scarlett, mais ne comprends-tu pas ce que je

suis en train de te dire ? Je ne voulais vraiment pas le faire ainsi, dans

l’urgence, à l’arrière d’une voiture, mais je n’ai pas trop le choix. Je t’aime

Scarlett. La vérité est que je suis devenu complètement accro à toi. Tu as réussi

sans le vouloir, ce qu’aucune femme n’avait jamais réussi avant toi : capturer
mon cœur, Scarlett. Voilà ce que tu as fait de moi : un homme raide dingue

amoureux de toi. Je t’aime. Fais-moi confiance, si tu as un minimum de

sentiments pour moi, je t’en prie Scarlett. Jamais, je n’ai supplié de femme
pour qu’elle me donne une chance, mais ce soir, je le fais parce je ne veux pas

que tu me laisses seul, je tiens trop à toi ma chérie. Laisse-moi juste le temps
de te le prouver. Accorde-moi au moins le bénéfice du doute Scarlett et je te

promets de te démontrer chaque jour mes dires. Ce n’est vraiment pas ainsi que
j’avais prévu de te dévoiler mes sentiments, mais je vois bien que tu as besoin

d’être rassurée et je le conçois. Je t’aime Scarlett, tu comprends ?


Ma chérie ? Il m’aime ! Il me l’a dit : il m’aime ! Jamais Doug ne mentirait en
prononçant des mots de cette importance, je le connais suffisamment pour le

savoir. Il a dit qu’il m’aimait, Doug m’aime. Oh ! mon Dieu !! C’est trop beau

pour être vrai ! Merci, merci, merci. Mes prières sont exaucées !

Waouh ! Mon souffle se coupe. Je suis carrément estomaquée ! Quelle


déclaration ! Encore une fois, les larmes me viennent aux yeux et je rive mon

regard à ses pupilles brunes et si limpides pourtant ce soir. Mon cœur n’est

plus à une embardée près et il fait un sursaut supplémentaire dans ma poitrine.

A la différence que cette fois-ci, je tiens ma réponse.

Le voyant rouge clignote à nouveau et Doug presse le bouton, nous mettant en

relation directe avec le chauffeur.

— Je suis désolé Monsieur, mais nous devons vraiment y aller maintenant,

prévient Harry d’une voix navrée.

Doug hoche brièvement la tête sans lui répondre et ses yeux se noient à
nouveau avec force dans les miens. Mes yeux sondent son regard aussi

profond que les abîmes et je me rive à ses prunelles, comme pour m’y arrimer,
sans bouger, sans un mot, sans rien faire d’autre que de me laisser perdre dans

cet océan sombre et pourtant si merveilleux. Nous sommes hors du temps, hors
de tout repère spatio-temporel, comme propulsé en apesanteur pendant ces

quelques instants où nous nous perdons l’un dans l’autre.

Il vient de se passer quelque chose de très spécial entre nous, quelque chose
que je n’ai jamais connu auparavant. Une sorte de communion intense de …

nos âmes ? … de nos cœurs ? En tout cas un échange ou un partage plutôt,

d’une nature vraiment unique, vraiment bouleversante.

Sans pouvoir l’expliquer concrètement, soudain tout m’apparait plus clair. La

sensation que Doug et moi représentons un « Tout », une unité indicible, une
entité. Je suis la prisonnière consentante de son aura et il me semble que rien

ne m’arrivera, tant que Doug sera à mes côtés. Etrange impression, surtout

pour quelqu’un comme moi qui n’ai jamais voulu dépendre de quiconque.

Mais subitement, je ne vois plus l’autre comme un risque de me perdre mais

comme une force nécessaire et vitale.

Doug semble aussi troublé que moi quand son regard quitte le mien. Sans

ajouter aucun mot, il se saisit de ma main et commence à embrasser


tendrement chacun de mes doigts qu’il garde captifs, enserrant ensuite ma main

entre les deux siennes. Il semble préoccupé ou tout du moins me donne-t-il

l’impression de réfléchir. Je ne l’interroge pas sur ses pensées, n’osant pas


rompre cet instant magique. Nos regards accrochés l’un à l’autre, de fines

larmes viennent couvrir mes yeux tant l’émotion me submerge.

Doug soupire finalement bruyamment. Une de ses mains revient se poser en


coupe sur ma joue droite et je m’y appuie tout en fermant les yeux, savourant

la pureté de ce moment. Son pouce lisse alors avec douceur ma joue afin d’en
faire disparaitre toute trace de chagrin. Et à son tour, Doug ferme les yeux,
resserrant fermement son étreinte, me plaquant contre son torse. Mais cette

fois, il pourrait me lâcher que je ne partirais pas. Les choses ont changé. Je

n’en serais tout simplement pas capable. Je veux juste rester contre lui et ne

plus en bouger. Rester dans ses bras pour ne plus jamais en partir.

De nouvelles larmes s’écoulent silencieusement de mes yeux, mais ce sont des


larmes de bonheur cette fois-ci.

J’entends Doug déglutir et alors que le voyant rouge clignote à nouveau, il

s’éclaircit la voix pour chuchoter contre mon oreille.

— Ne pleure pas Scarlett. Ne pleure pas ma chérie. Je veux te parler d’amour et


de bonheur, je veux te parler de nous, murmure-t-il d’une voix douce.

Incapable de sortir le moindre mot, je me contente d’opiner, sans vraiment

comprendre la portée de ses mots. Ma seule certitude, à cet instant, est celle que

je suis bel et bien amoureuse de cet homme. Et que je l’aime à la folie.

Je n’ai finalement obtenu qu’une seule réponse sur toutes celles qui

taraudaient, mais j’ai reçu, ce soir, la plus belle qui soit, celle qui me manquait,
celle qui fait de moi, désormais, la plus heureuse des femmes. Viendra le

temps, où Doug aura l’occasion d’épancher ma soif de questionnements, mais


pas ce soir. Pour l’heure, je n’ai nulle envie de rompre le charme qui nous
entoure. Je veux profiter intensément de cet instant. Le reste attendra plus tard.

Parmi les interrogations qui me préoccupent toujours, certaines n’auront sans

doute jamais de réponse, je m’en doute. Car il est tout simplement fort
probable que Doug ne soit malheureusement jamais en mesure d’y répondre

car nul ne le pourrait, à vrai dire. Mais s’il parvient seulement à m’apaiser,

voire à me rassurer, alors je sais que cela me suffira pour vivre heureuse à ses

côtés.

Aurais-je perpétuellement à redouter les nombreuses groupies de mon homme ?

Doug finira-t-il par se lasser de cette relation somme toute ordinaire avec
moi ?

Sera-t-il alors tenté de retrouver ses aventures badines ?

Cela induit-il alors que je devrai constamment craindre de le perdre ?

Comme je le disais, je ne pense pas, que quiconque puisse un jour y répondre.

Et je suppose que toute relation sentimentale contient cette part d’inconnue

doublée d’une prise de risque. Mais s’il y a une chose dont je sois absolument

sûre ce soir, c’est que j’ai sacrément envie de tenter l’aventure. Pour la

première fois, j’ai envie d’y croire. J’ai envie de nous accorder cette seconde

chance, car je crois en notre amour désormais. Et ce, malgré tout ce qui nous
éloigne.

Compte tenu de nos caractères impétueux, j’ai d’ores et déjà conscience que
nous connaitrons très certainement des périodes de doutes, des disputes, des

crises ou bien même des angoisses, mais je sais aussi, que ce que me promet
Doug, c’est une expérience amoureuse extraordinaire version XXL, une

aventure hors du commun et sans pareille pour ma part. Je m’attends à vibrer


d’intensité, à me nourrir de son amour et à explorer mille moments d’intimité

charnelle.

Nous composerons avec le reste et tout ce qui est autre ne sera que détail.

Sans ajouter la moindre parole, perdue dans ce tourbillon d’émotions, je

donne une légère pression sur la main de Doug et fixe son beau visage si viril,

m’en remettant entièrement à lui. Par ce simple regard amoureux, humble et


admiratif, je lui fais comprendre que je choisis de m’abandonner à lui. Je lui

accorde ma confiance. Je sais qu’il fera tout son possible pour me protéger et

m’honorer.

Lentement, Doug ouvre la porte de la voiture puis sans me lâcher, il me guide

avec tendresse vers l’escalier installé devant le jet et nous pénétrons à

l’intérieur de la cabine. Aussitôt, une hôtesse nous accueille en nous saluant,

puis elle referme aussitôt la porte derrière nous.


Epilogue

Depuis le perron, de joyeux cris d’enfants se font entendre et un léger

brouhaha laisse supposer qu’une fête se déroule à l’intérieur de la demeure.


Mes mains sont moites et Doug le sent.

— Ne soit pas inquiète Scarlett. Tout le monde va t’adorer, sois en sûre.

Je lui souris timidement alors que mon ventre se tord d’angoisse. C’est pour

moi, la première occasion d’être présentée au clan Doherty et je ne sais pas

vraiment pourquoi cela me rend si inquiète. Peut-être tout simplement parce

que je ne voudrais pas décevoir celui que j’admire le plus …

A peine les signaux dans l’avion, nous y autorisant, Doug avait détaché sa

ceinture, puis la mienne.

— Viens, m’avait-il dit doucement.

Comme un être fragile, complètement bouleversée par ce trop-plein d’amour

si soudain, j’avais été incapable de parler ou de prendre des initiatives. Il me


fallait le temps d’assimiler tout ce que Doug m’avait dit en si peu de temps. Ses

mots avaient fusé comme s’ils attendaient le bon moment pour sortir. Et en
quelques minutes à peine, j’avais découvert un homme différent, un homme
qui avait bataillé pour m’avoir et qui me ramenait là où je devais être : à ses

côtés.

Je le suivais docilement, me levant de mon siège. Doug se dirigea vers

l’arrière de la cabine et ouvrit une porte. Il s’agissait d’une chambre, une

magnifique chambre devrais-je préciser.

Peu habituée au luxe, mes yeux s’ouvraient en grand, déjà éblouie. Tout ceci
était si loin de mon quotidien. J’avoue que depuis que nous étions montés à

bord, mes sens déjà perturbés par ce brusque retour de situation, encore

engourdie des paroles d’amour que m’avait adressées Doug, j’étais

littéralement en état de choc. Les mots qu’il avait prononcés étaient si forts, si

puissants que je peinais à en réaliser leurs incidences. Jamais je ne m’étais

imaginée une seule seconde qu’un homme comme Doug pourrait ressentir un
jour quoi que ce soit envers moi si ce n’était de l’indifférence voire du mépris.

Alors forcément, en ce début de soirée, je suis encore complètement

abasourdie par tout ce qu’il a pu me révéler. Ma prétendue embauche, la nature

sincère de ses sentiments. Toutes ses paroles d’amour étaient si belles et si


profondes que je souhaiterais les garder tout contre mon cœur pour ne jamais

les oublier. Doug m’aime. Il est amoureux de moi. Et non, je ne rêve pas cette
fois-ci. C’est bel et bien la vérité et la réalité aussi.

Aussi, après avoir pénétré dans la chambre du jet, je ne m’extasiais pas comme
je l’aurais fait sans doute, si mon cœur n’avait pas déjà loupé des battements
lors de sa si belle déclaration. Avec douceur, Doug me rapprocha de lui et
colla son corps contre le mien. Son contact m’apaisa immédiatement,

m’apportant le réconfort de ses bras et sa douce chaleur qui se diffusait dans

mon corps. Son parfum aussi que j’associerai toujours à l’homme que j’aime.
Car moi aussi, je l’aime. Passionnément. A la folie même. Tout est tellement

beau que je doute encore que tout ceci puisse être vrai.

— Je ne t’aurais jamais laissé m’échapper Scarlett, me chuchote-t-il à l’oreille,

déclenchant en même temps un frisson le long de ma colonne vertébrale.

Je lui souris sans savoir si je dois être fière de sa pugnacité ou si au contraire

je dois m’en inquiéter. Doug a une personnalité si forte qu’il peut parfois être

effrayant par les méthodes dont il use. C’était le cas lors de ma séquestration

dans son appartement ou bien encore lors de mon « kidnapping » ce soir à


l’hôtel de Warren. Il est tellement excessif dans tout ce qu’il fait. Pourtant, à

contrario, il sait se montrer d’une telle douceur parfois. Je me souviens de

cette merveilleuse journée que nous avions passée au lac, et ce soir aussi,
lorsqu’il m’a ouvert son cœur que j’en minimiserais presque ses nombreux

défauts. Blottie contre lui, j’oublie tout dans ses bras.

Doug est le feu et la glace, il est un tout si puissant que je peux parfois, malgré
ma verve, me sentir vulnérable devant lui. Non pas de peur mais plutôt

aveuglée par mon amour pour lui.

Dans la chambre du jet, Doug a refermé la porte et s’est retourné vers moi, nos
deux corps collés l’un à l’autre. Son index a alors tracé le contour de mon
visage, ses yeux brûlants de désir.

— Tu es si belle, mon Oregon.

Malgré tout le bonheur dont il venait d’emplir mon cœur, je ne pouvais que

tiquer sur le surnom dont il m’affligeait une fois encore. Il m’avait déjà

tellement dénigrée avec ses allusions péjoratives. J’aurais probablement pu


réagir, mais non, pas ce soir. Tout était tellement différent maintenant. Ce

simple petit déterminant possessif « mon Oregon » changeait tout. Il donnait à

ses paroles une toute autre signification, beaucoup plus tendre, beaucoup plus

affectueuse. Je n’avais d’ailleurs pas vraiment eu le temps de répliquer que sa

main se plaquait déjà sauvagement sur l’arrière de ma tête et rapprochait mon

visage du sien. Ses lèvres prenaient alors goulument possession des miennes,
comme un désir resté longtemps inassouvi, sa langue forçant immédiatement

le passage. Son baiser n’était pas tendre comme j’aurais pu me l’imaginer ou

même le souhaiter aux vues des circonstances. Non, il m’embrassait


voracement comme pour écumer une puissante colère enfouie en lui.

— Ne me refais plus jamais ça, Scarlett, prononça-t-il alors avec inquiétude

dans ma bouche. Je ne pourrais supporter de te perdre une fois encore.

Sa main pressait si fortement mon dos contre son torse que je manquais

quasiment d’air. Son sexe dressé de désir butait vigoureusement contre ma


jambe déclenchant en moi une montée identique à la sienne. Dieu du ciel, qu’il
m’avait manqué ! Après les magnifiques mots d’amour que Doug m’avait
offerts, je ne pouvais pas nier que j’aurais été sensible à ce qu’il me fasse

l’amour tendrement, mais sitôt le contact de son membre érigé contre moi, son

ardeur me fit perdre toute raison, le désirant plus que jamais, et ce quelle que
soit sa manière de m’aimer, ne pensant plus qu’à m’abandonner entièrement à

lui. Alors, peu importait finalement que cela soit tendrement ou non. Le désir
que j’avais de lui était brut, presque sauvage, un besoin quasi vital qu’il prenne

possession de moi, que je lui appartienne enfin.

Quand nous pénétrons dans la demeure familiale, Doug ouvre la marche,

tendant la tête vers le salon. Je suis derrière lui, presque cachée tant je redoute

ce moment. J’invoque une prière secrète qui donne chez moi - une non
croyante - à peu près les paroles suivantes : « mon Dieu faites qu’ils

m’apprécient ! ».

— Ohé, y a quelqu’un dans cette maison ? lance Doug en riant.

Soudainement, un silence emplit la maison, immédiatement chassé par de

grandes acclamations scandant son arrivée. Une personne que je devine être
son frère, tant ils ont de traits communs, se présente devant nous et donne à

Doug une franche accolade, le sourire aux lèvres. Quand il se dégage il pose
un regard si scrutateur sur moi que ce dernier me met aussitôt dans l’embarras.

Je devine devenir rouge cramoisie, alors qu’à contrario, j’aurais tout donné

pour devenir transparente.

— Eh, eh ! Mais qui caches-tu derrière ton dos ? rit cet homme tout en

m’attrapant le bras, me faisant sortir de l’ombre de Doug.

Gênée, je lui souris alors et me présente.

— Scarlett Johns, enchantée.

Son regard affûté continue de me dévisager sans vergogne et je pense lire de la

satisfaction dans ses yeux, mais peut-être que je me leurre. Je suis tellement

nerveuse qu’il est possible que j’interprète de travers.

— Ooohhh ! maman, s’écrie aussitôt le jeune homme en se moquant, Doug est

venu avec une femme !!

J’entends une voix étouffée que je suppose être celle de sa mère.

— Paul !! Laisse ton frère tranquille ! s’exclame-elle de loin.

— Heureux de voir que mon frère a enfin retrouvé son bon goût, m’adresse
enfin Paul, le regard concupiscent.

— Ta gueule Paul ! Fiche lui la paix, souffle Doug.

— Oh, du calme ! Je ne l’agresse pas, que je sache. Au contraire, je suis ravi de

voir que tu aies délaissé tes poupées siliconées au profit d’une …. Hum, …, au
profit d’une très belle femme. Une vraie quoi !
— Hé ! Doug ! s’exclame soudain, celle que je suppose être sa sœur, Janet. Elle
porte dans ses bras, une petite fille qui n’est autre que son mini double. Doug !!

Comme je suis heureuse de te revoir ! s’écrie-t-elle tout en fonçant dans les

bras de son frère. Alooors ?? demande-t-elle ses yeux balayant plusieurs fois
Doug et moi-même. Eh bien dis donc, grand frère ! Deviendrais-tu enfin

adulte ? s’adresse-t-elle à son frère en m’observant le sourire aux lèvres.

Je la regarde avec attention et surprends dans son regard toute la bienveillance

qu’une sœur peut offrir à son frère. Je lui rends son sourire, bien que je ne sois

pas vraiment à l’aise. Je ne connais personne, hormis Doug, et cette famille a

l’air si soudée qu’il ne doit pas être aisé de s’y intégrer. Pourtant, à l’instant, je
ne ressens aucune hostilité, bien au contraire ! Mais je n’ai pas encore

rencontré ses parents, alors je reste tout de même sur mes gardes. Et s’ils ne

m’appréciaient pas, eux ?

— Doug ! appelle sa mère, probablement de la cuisine.

Doug s’oriente vers moi et me sourit pour me rassurer.

— Viens que je te présente le reste de la famille, me dit-il enjoué en me tirant


par la main.

Je lui souris et le suis constatant alors combien il semble heureux de retrouver


les siens. Dans cet univers, autour des siens, il me semble beaucoup moins

impressionnant. Son frère et sa sœur le charrient et lui, reste décontracté. Je ne


l’ai jamais vu l’air aussi insouciant. C’est comme si, auprès de sa famille, il
reprenait sa place de fils ainé et retrouvait en même temps sa légèreté d’enfant.

— He Doug ! Ne la lâche surtout pas ! le menace son frère en riant.

Inconsciemment, Doug resserre sa main sur la mienne.

— Ta gueule Paul ! Tu ne la touches pas, tu ne la regardes pas, tu ne lui parles


pas ! Elle est mienne. Suis-je clair ?

— Ho ! Ho ! s’égosille Paul en levant ses mains en signe de reddition. Du

calme ! Je déconne mec !

— Bien, rappelle-t’en bien alors, lui répond Doug en fronçant les sourcils.
Viens, m’ordonne-t-il manifestement contrarié.

Finalement, son insouciance n’aura pas duré bien longtemps !

Avec de grandes enjambées, il rejoint ses parents qui semblent nous attendre

debout dans le salon.

— Papa, maman, je suis heureux de vous revoir, s’avance Doug vers eux.

— Nous aussi fils, répond son père, l’accueillant bras ouverts.

Les deux hommes se donnent une accolade puis son père me fixe tandis que
Doug se recule.

Je sais désormais de qui Doug tient son assurance et sa prestance. L’homme qui

se tient devant nous est très grand et malgré son âge que j’estimerais à une
petite soixantaine, il est encore très séduisant ; ses cheveux poivre et sel sont
coupés courts et son regard est tout aussi puissant que celui de son fils. Je peux
immédiatement deviner que c’est un homme de caractère. De même, je peux

me faire une idée exacte de la façon dont Doug vieillira. Et l’image que

j’entrevois me plait.

— Doug, présente-nous donc, demande sa mère d’une voix douce après que

son fils l’ait embrassée tendrement sur la joue.

Elle sourit et je vois l’intérêt manifeste qu’elle me porte quand son regard sur
pose sur moi.

— Papa, maman, je vous présente Scarlett, mon amie, précise-t-il

naturellement.

Mes joues s’empourprent aussitôt, redoutant le jugement de ses parents. Je


n’aurais pas pensé qu’il me présente ainsi et je dois dire qu’à ce moment, je lui

en veux un peu. Il aurait au moins pu me prévenir pour que je m’y prépare.

— Enchantée Scarlett, s’approche-t-elle, me prenant dans ses bras

spontanément. Très joli prénom. Votre mère est-elle une fervente admiratrice

du film « Autant en emporte le vent » ?

— Oui, c’est le cas, je réponds rougissant. Ma mère est une romantique dans
l’âme et outre le film, elle a bien dû lire le livre une bonne dizaine de fois,
avoué-je.

Doug me regarde surpris. Son regard va de sa mère à moi et je vois bien que
le sujet lui échappe.

Je parie même qu’il n’a jamais vu le film ! Pas son genre, je suppose.
— Nous avons alors au moins un point en commun, me précise gentiment
Madame Doherty.

Je redoutais qu’elle se moque de la naïveté de ma mère, ce qui m’aurait

réellement attristée, mais il n’en est rien, au contraire, malgré nos différences

de statut social, elle tente un rapprochement et je lui en sais grée.

— Et vous Scarlett ? me demande-t-elle en scrutant mon regard, êtes-vous,


vous aussi une grande romantique ?

Cette question pourtant simple me semble si intime que j’hésite à répondre. Je

porte mon regard vers Doug. Tant de choses ont tellement changé ces derniers
temps ! Il y a quelques semaines, je me serais défendue de croire à de telles

mièvreries, mais aujourd’hui, je n’en suis plus aussi sûre. Doug m’a fait

entrevoir la vie différemment et tout compte fait, je ressemble peut-être

davantage à ma mère que je ne l’aurais tout d’abord cru.

— Je vous mets mal à l’aise, pardon. Ne répondez pas, mon enfant, ce n’est pas
si important, s’excuse-t-elle.

Non seulement cette femme a une classe folle mais on devine dès le premier

contact qu’elle est d’une gentillesse incroyable. Ses traits fins et doux l’attestent
du reste. En fait, je ne me l’étais pas du tout imaginée ainsi et fort
heureusement, elle est bien mieux que l’idée que j’avais pu m’en faire. Je ne

sais pas pourquoi, je la voyais plus sophistiquée et plus froide mais au lieu de
ça, elle m’inspire immédiatement de la bienveillance et un amour fort pour les
siens, cela ne fait aucun doute. Quant à son aspect physique, c’est une très belle

femme avec une silhouette parfaite. Elle est gracieuse et son élégance est

naturelle.

— Appelez-moi Cora, Scarlett. Mon prénom est Coraly mais tous mes amis

m’appellent ainsi. Et voici Michael, mon époux.

— Enchantée Monsieur. Je suis heureuse de vous rencontrer, dis-je un peu plus


à l’aise qu’en pénétrant quelques minutes plus tôt.

— Moi de même Scarlett, mais je vous en prie, appelez-moi Michael. Pas de

protocole entre nous. Vous êtes la petite amie de notre fils et à ce titre, vous
faites partie des nôtres.

— Oh ! réponds-je surprise. Merci mons… Michael, rectifié-je

immédiatement.

La petite amie de Doug. Ces mots sonnent si bien à mon oreille.

D’entrée, je trouve ses parents sympathiques et avenants. Ils ont l’air heureux

pour leur fils. Et l’accueil qu’ils me font est incroyablement gentil.

— C’est un véritable plaisir pour nous de vous accueillir aujourd’hui, Scarlett.


Humm, j’aime prononcer ce si joli prénom. Il vous va très bien. Savez-vous
que vous êtes la première femme que Doug nous présente officiellement, me

confie-t-elle à voix basse en posant son bras sur le mien. J’en déduis donc
naturellement que vous devez beaucoup compter aux yeux de mon fils, sans

quoi, vous ne seriez pas là, je présume.


Et c’est reparti ! Mes joues redeviennent cramoisies en moins de temps qu’il ne
faut pour le dire. Je ne trouve rien à répondre à sa gentille remarque même si

intérieurement, j’en suis très flattée. Doug et son père se sont un peu reculés et

sont apparemment en train de parler d’un dossier de client. Ils n’ont pu par
conséquent entendre la confidence de Cora. Je préfère finalement.

Subitement, un flash malveillant surgit devant mes yeux. Et me reviennent en

mémoire les projets de la mère de Doug pour le forcer à s’assagir et à se

poser. Et soudain, malgré la gentillesse évidente de Cora à mon égard, je laisse

un doute s’insinuer en moi. Je n’aurais en théorie aucune raison de

m’inquiéter, car l’accueil de Cora et de Mickaël a été on ne peut plus convivial,


mais malgré cela, je ne peux m’empêcher de penser que, quelque part, j’ai dû

contrarier leurs desseins. Je ne suis sans doute pas la femme qu’ils auraient

préféré voir au bras de leur fils. Et peut-être, ont-ils pour cette raison, quelques

réserves me concernant. Je pourrais le comprendre. J’imagine assez aisément

qu’ils devaient espérer que Doug fréquente une femme issue de leur milieu
social et non une pauvre roturière comme moi. Et cette pensée m’attriste même

si, comme je l’ai dit, tous deux n’ont jusqu’ici manifesté aucun signe
quelconque de leur déception.

La pensée que je puisse leur déplaire me blesse subitement. Sont-ils déçus ?

Ayant visiblement abandonné leur discussion professionnelle, Doug est à


présent en train d’échanger joyeusement avec son père et préoccupée par mes
propres pensées, je ne me suis même pas aperçue que Cora s’était encore

rapprochée de moi.

— Ne réfléchissez pas tant, Scarlett. La réponse est si évidente, me dit-elle

d’une voix rassurante, en reposant sa main délicate sur mon bras.

J’avoue rester perplexe, ne parvenant pas à comprendre. A-t-elle réussi à lire

dans mes pensées ? Ou fait-elle allusion à autre chose ? Mais à quoi alors ?

Elle se serre davantage contre moi, jusqu’à me frôler et me saisit la main de

ses doigts frêles. Penchant son visage vers le mien, elle m’adresse un regard

bienveillant, puis me murmure à l’oreille.

— Vous savez Scarlett, il faut parfois savoir aider un peu le destin.

Je jette un regard alentour, mais personne dans la salle ne s’est aperçu de notre

aparté. Je lui adresse en retour un regard interrogateur, ne saisissant pas

vraiment ses propos énigmatiques, mais elle s’éloigne un sourire aux lèvres.

Le reste de la journée se passe admirablement bien. Je ne cesse d’observer, tout

sourire, tout ce qui se passe autour de moi, prenant parfois part à de grands

éclats de rire ou conversant simplement avec l’un ou l’autre. Je suis la


spectatrice d’une folle troupe où tous les membres de la famille de Doug
évoluent gaiement dans cette grande maison animée, échangeant tour à tour des

propos sérieux et des taquineries. Et je ne peux m’empêcher de les envier. Ils


forment une si belle famille, unie et chaleureuse. Je réalise à quel point ils sont

chanceux.
Pour être honnête, anxieuse, je redoutais cette première rencontre, je ne les
avais en fait, absolument pas imaginés ainsi. Par préjugé sans doute, je les

pensais plus froids et cérémonieux, alors qu’il n’en est rien. Et je dois

reconnaitre, que je ris à de nombreuses reprises et de bon cœur en plus ! Je ne


dirais pas que je me sens totalement à l’aise, mais je me trouve bien parmi eux.

Loin de m’ignorer ou plus modérément de me maintenir un peu à l’écart,

chaque membre m’interpelle régulièrement afin que je participe à leurs

discussions ou à leurs espiègleries. En aucun cas, je me sens mise de côté. En

fait, je les trouve tous adorables. Paul ne cesse de tourmenter gentiment son

frère et ce dernier, naïvement démarre à chaque fois au quart de tour. Qui eut
cru que Doug pouvait être à ce point déstabilisé par ce trublion de Paul ?

Janet, elle, est de loin la plus calme et la plus posée de la fratrie. Elle suit avec
un peu de recul les échanges de ses deux frères tout en souriant. Il ne m’est

nullement besoin de les connaitre davantage pour m’apercevoir qu’elle et son

mari Mike sont heureux et très amoureux. Tous deux posent régulièrement des
regards emplis d’amour sur leur petite fille et finissent toujours par s’adresser

le même regard, satisfaits et pleinement ravis.

Eux aussi, je les envie. Et au milieu de toute cette agitation et de ce joyeux


brouhaha, Cora et Mickaël veillent avec tendresse et bonté sur leur

progéniture, même si je ne suis pas sûre qu’ils parviennent vraiment à dompter


leurs deux fils maintenant. Il règne dans cette maison une ambiance vraiment
chaleureuse.

Finalement, c’est un foyer heureux, ordinaire, où frères et sœurs, malgré leur


âge adulte se taquinent et où les parents tentent d’intervenir régulièrement pour

les assagir ; comme ils ont dû le faire des milliers de fois les années passées.

Et là où j’attendais une famille stricte et austère, je découvre avec fascination


une merveilleuse tribu où l’amour et la simplicité règnent de toute évidence

malgré le rang social qu’ils ont pu acquérir.

Quand nous quittons la demeure, quelques heures plus tard, tout en me saluant,

le père de Doug m’étreint très paternellement dans ses bras et me chuchote

discrètement à l’oreille.

— A très bientôt Scarlett, je sens que nous aurons l’occasion de nous revoir

souvent.

Surprise par cette marque chaleureuse et par ses paroles affectueuses, je lui

souris en retour sans savoir trop répondre ; mais ses propos me vont droit au
cœur. Je salue ensuite Janet, puis Paul, qui le temps de cette rencontre s’est

avéré très joueur mais aussi très proche de Doug. Tous semblent m’avoir bien
acceptée et je les quitte beaucoup plus rassérénée qu’à mon arrivée.

Une fois installés dans la voiture, Doug se retourne vers moi, un grand sourire
aux lèvres. Il avance en douceur sa main vers mon visage et saisit une mèche

de cheveux échappée de ma queue de cheval pour l’entortiller autour de ses


doigts.
— Alors ? Pas trop difficile ? me demande-t-il.

Son regard sombre et magnétique a toujours ce même pouvoir de changer


l’atmosphère ambiante en quelques secondes seulement. C’est complètement

dingue, cette emprise qu’il peut avoir sur moi rien qu’en me fixant.

— Tu leur as plu.

— Vraiment ? j’ose demander.

Mon impression personnelle était plutôt bonne, mais le fait que Doug me le

confirme lui-même, me rassure davantage, car lui seul connait suffisamment

les siens, pour poser ce constat.

— Oh oui ! sois en sûre. Je les connais tous et si cela n’avait été le cas, je peux

te promettre que l’ambiance aurait été toute autre aujourd’hui. Mais rassure-

toi, je n’avais absolument aucun doute là-dessus.

— Tu crois vraiment ? je l’interroge à nouveau.

— Oui vraiment, sourit-il. Rentrons, tu veux ?

J’oscille d’un mouvement de tête pour donner mon accord et reste songeuse
pendant tout le trajet retour, la tête sur son épaule. Je sais que nous devons tous
nous retrouver demain midi et l’appréciation de Doug sur ce repas me

tranquillise. C’est vrai, que tous ont été plus que gentils avec moi. A aucun
moment, je n’ai senti d’indifférence ou d’hostilité de leur part. Pourtant, l’idée

que je ne fasse pas partie de leur monde d’une part et que Cora et Mickaël aient
pu avoir d’autres attentes concernant la petite amie de leur fils d’autre part,
continue déraisonnablement à me tracasser.

Est-ce que ce problème risque de ressortir à un moment donné ? Après tout,


peut-être ne réagissent-ils pas à présent car je ne représente finalement qu’une

des nombreuses petites amies de Doug ? Les choses se corseraient-elles si notre

relation venait à évoluer ?

Je me morigène immédiatement pour ces pensées stupides et négatives. Nous


n’en sommes pas là et d’ailleurs, sans doute, n’en serons-nous jamais là. Je

dois seulement apprendre à profiter du moment présent et m’estimer

simplement heureuse de vivre quelque chose de merveilleux avec Doug. Nul

n’est besoin de m’inquiéter du futur maintenant.

Perdue dans mes réflexions, je suis tout d’abord surprise quand le moteur

s’éteint, car je n’ai pas vu le trajet passer, mais en revanche, je ne suis pas

vraiment étonnée quand je découvre que nous sommes arrêtés devant

l’immeuble de Doug.

— Attends-moi, me dit-il alors que je m’apprête à ouvrir la porte.

Je me replace sur mon siège, alors qu’il fait le tour du véhicule en courant. Ce

temps supplémentaire me permet de l’examiner une fois encore et je ne m’en


lasserais jamais : il est absolument irrésistible.

Quand j’y pense, quelle chance pouvais-je avoir qu’un homme aussi séduisant
que lui puisse s’intéresser à une femme comme moi ? Aucune, selon mon

propre jugement.
Doug se penche un sourire aux lèvres pour ouvrir la porte et me tend sa main
pour que j’y prenne appui pour sortir de l’habitacle.

Quand nous arrivons devant l’ascenseur, il pianote le fameux code secret sur le

pavé numérique et nous entrons tous deux dans la cabine. Peut-être est-ce le fait

du confinement ou bien celui du lourd silence qui règne à l’intérieur, mais je


sens immédiatement l’atmosphère évoluer. Cette dernière se charge en

électricité et une certaine tension sexuelle s’impose entre nous.

Tel un félin, Doug se rapproche de moi et pose ses mains sur mes hanches tout

en me tirant à lui. Un petit rire nerveux s’échappe de ma gorge et je ne peux

résister à l’appel de ses lèvres qui se posent sur les miennes. Son baiser

d’abord tendre se transforme très vite en un autre beaucoup fougueux et

impatient, et déjà mes sens commencent à s’affoler. Mais hélas, la montée


s’achève déjà, nous invitant à pénétrer dans son penthouse.

Dommage. Une prochaine fois, peut-être ?

Je crois lire dans ses yeux la même déception que la mienne et durant quelques

secondes, je lui trouve un air attendrissant, le même qu’il devait avoir quand
enfant, il n’était pas satisfait. Ce même regard qui devait forcément émouvoir

ses parents, j’imagine.

— Viens, nous avons à parler, me tire de mes rêveries Doug, qui semble avoir

subitement changé d’humeur.

Ses traits se sont tendus et tout en cherchant ce que j’ai pu faire ou dire de
travers depuis notre départ de chez ses parents, je le suis, redoutant une

conversation difficile, alors qu’après une journée si agréable, j’aurais

simplement souhaité me fondre dans ses bras sitôt arrivés.

Je tente de ne rien laisser percevoir de mon affliction et prends place sur le

canapé où il m’invite à m’asseoir. Son air sérieux m’informe qu’il a revêtu son
masque de P.D.G et je regrette déjà, le beau séducteur qui faisait battre avec

impatience mon cœur dans la cabine d’ascenseur.

Toutes sortes d’idées saugrenues m’assaillent, notamment celle d’une étreinte

sulfureuse dans cet ascenseur qui revient me hanter et je suis obligée de

m’ébrouer mentalement pour chasser mes pensées coquines, quand il se

retrouve face à moi, me tendant une coupe de champagne.

— Nous avons à parler ? je demande de façon à ce que mon esprit cesse ses

digressions et se remette en marche.

Il vient se placer à côté de moi sur son superbe canapé.

— Oui, me répond-il d’un ton ferme.

Ses sourcils sont froncés, ce qui me confirme qu’il est incontestablement


soucieux et l’idée que je puisse être à l’origine de sa contrariété non seulement
me peine mais m’inquiète également.

Ai-je pu le froisser ?

Je m’en veux immédiatement d’être la cause de sa soudaine mauvaise humeur


et je me bafferais d’avoir réussi à gâcher l’entente que nous avions, je pense,
atteinte.

— Ce soir était une première pour moi, commence Doug.

Ses mains saisissent les deux miennes et machinalement ses pouces en


caressent la peau fine, tandis que son regard se porte sur ses mouvements

circulaires.

— Je n’avais jamais présenté de femme à mes parents, tu sais.

— J’ai été surprise de l’apprendre en effet, je lui réponds doucement, me

rappelant les propos tenus par Cora à ce sujet.

— C’était bien que tu puisses rencontrer ma famille, poursuit-il. C’était bien

que tu puisses apprendre à mieux me connaitre au travers de mes proches

aussi.

— C’était très instructif, c’est vrai.

Je fixe moi aussi mes mains emprisonnées, détaillant ses pouces qui continuent

de me caresser.

— Qu’en as-tu pensé ? me demande soudain Doug en relevant son regard vers
moi.

— J’en ai pensé, … euh, … j’en ai pensé que tu avais beaucoup de chance

d’avoir grandi dans une famille aussi aimante. Et tu es toujours chanceux


puisque tu as le bonheur de toujours les avoir à tes côtés, je réponds, d’un seul

élan, encore surprise par sa question.


— C’est vrai. J’en ai conscience, me répond Doug en retour, tout en hochant la
tête. Tu as pu sentir, je suppose, tout l’amour que mes parents se portent et celui

si fort qu’ils partagent avec nous, leurs enfants.

— Indubitablement, j’approuve sans même réfléchir. J’ai surpris tout au long

de la soirée, les regards amoureux que Cora et Michael échangeaient. Et


pareillement pour ta sœur et Mike, j’ajoute. Quelle chance de connaitre, au

moins une fois dans sa vie, le grand amour ! Vous êtes sacrément chanceux

dans votre famille ! Ce n’est pas le cas de tous les couples, fais-je remarquer.

C’est vraiment une grande chance.

— As-tu déjà connu quelque chose s’en approchant ? m’interroge soudain

Doug plongeant son regard dans le mien.

Ses yeux ont le même pouvoir habituel sur moi et mon cœur se serre, alors

que je pense à lui répondre. Cette simple question ne devrait pas me déranger

puisque ma réponse est aussi simple que ça : non.

Sauf, qu’une nouvelle donne me déstabilise et embellit mon cœur désormais,

aussi je pourrais tout de go lui répondre sincèrement : non, je n’ai jamais


connu tel sentiment … à part depuis que je te connais, toi.

Repassant les images de ses parents ainsi que celles de sa sœur et de Mike et
devant l’amour évident qui règne entre eux, je me demande aussitôt si Doug

pourrait m’aimer de la sorte. Serait-il capable de m’aimer aussi


inconditionnellement ? Mais je me pose certainement beaucoup trop de
questions pour l’heure, car nous n’en sommes qu’au début de notre relation.

— Tu me demandes si j’ai déjà connu quelque chose de semblable auparavant


dans mes relations et bien, je peux te répondre avec la plus grande franchise,

Doug. Jamais, je réponds enfin. Tu es la seule personne dont je sois tombée

amoureuse. C’est la première fois que mon cœur s’affole ainsi et ça me fait un
peu peur aussi, pour tout t’avouer Doug. C’est si intense et si nouveau pour

moi. Je ne sais pas où tout ceci va nous nous conduire, qui le pourrait

d’ailleurs, mais j’ai réellement envie de tenter cette aventure avec toi. Je t’aime

si fort Doug, je lui réponds avec une sincérité presqu’audacieuse.

— Nous n’allons pas nous contenter de la tenter, Scarlett, me reprend Doug

toujours aussi grave, juste le temps pour moi d’abaisser mon sourire. Nous

allons la vivre, insiste-t-il.

Il a exactement la même manière énigmatique de s’exprimer que sa mère. Il

tient ceci d’elle, c’est certain. Une façon curieuse de prononcer des réponses

dont la compréhension est tellement subjective. Mais puisque nous en sommes

au jeu des questionnements, j’ai moi aussi une question pour lui.

— Comment m’as-tu retrouvée Doug ? C’est Abby, c’est ça ?

— En partie, oui, m’avoue-t-il, mais pas seulement.

Arquant un sourcil, je l’incite à poursuivre.

— Pour tout t’avouer, Abby ne voulait rien lâcher et j’ai dû user de mon

influence pour obtenir la réponse que j’attendais.


— Non ? Tu n’as pas fait ça ? Pas encore ! je le regarde soudain exaspérée. Tu
ne l’aurais pas menacée pour obtenir ses aveux, n’est-ce pas ?

— Je n’en suis pas fier, mais oui, sourit-il en me répondant, le regard

malicieux. L’enjeu était trop important, mais ... mais ! se reprend-il

immédiatement, je saurai me faire pardonner plus tard, je te le promets,


s’excuse-t-il presque et puisque nous en sommes à l’heure de vérité, je dois

également t’avouer que je lui avais aussi fait promettre de ne pas t’avertir. Je

ne voulais pas que tu t’échappes une fois encore avant même que je n’aie eu le

temps d’arriver.

Doug marque une légère pause et caresse ma joue du bout de ses doigts et je ne

peux m’empêcher de me laisser aller en fermant les yeux, savourant sa caresse.

— En revanche, poursuit-il tout en continuant de frôler mon visage de ses

doigts, je savais que tu étais à Warren, mais Abby n’avait aucune idée de

l’endroit où tu logeais, j’ai eu beaucoup de chance : il n’y avait qu’un hôtel !

sourit-il en rivant son regard au mien. Tu es si belle Scarlett, murmure-t-il

presque pour lui-même.

Ses paroles me touchent. Beaucoup plus qu’il ne peut l’imaginer.

— Y-a-t-il autre chose que je devrais savoir ? je lui demande, ayant le


sentiment qu’il ne m’a pas encore tout dit.

— Oui, rit-il comme si je l’avais percé à jour. Effectivement. C’est ma mère

qui m’a envoyé te chercher si tu veux tout savoir. Car si tu veux la vérité,
passés les premiers jours, comme je te l’ai dit, j’étais au trente-deuxième

dessous.

Je ne peux m’empêcher de relever son léger trait d’humour, associant son

étage au bureau à son état sous terre et j’ai franchement du mal à imaginer que

Doug ait pu perdre à ce point de sa superbe, à fortiori à cause de mon départ.


Je le regarde en plissant les yeux, dubitative. Je n’aurais jamais pensé qu’il

puisse être ce genre d’homme à souffrir pour une simple histoire de cœur. Je

doute encore quand il enchaine.

— J’étais accablé quand j’ai compris que tu ne me répondrais pas et j’ai

vraiment cru t’avoir perdue pour de bon. Mais au lieu de réagir, de courir te

chercher et de tout faire pour te retrouver, je me suis écroulé ne cessant de

ressasser les innombrables conneries que j’avais faites depuis que je te


connaissais. Et Dieu sait s’il y en avait ! Crois-moi ! Mais à ma décharge et je

te l’ai dit, je n’avais jamais connu de femme comme toi, Scarlett. Aucune

femme qui me tienne tête comme toi, qui n’hésite pas à me remettre à ma place
quand je déraille. Non, aucune, vois-tu, dont je sois tombé amoureux, non plus.

Je manque d’expérience en la matière ! rit Doug en secouant la tête. C’est ma


mère qui m’a secoué et ordonné de me battre pour une chose à laquelle je

tenais tant.

Je le regarde avec tendresse alors qu’il m’avoue humblement sa faiblesse et


mon cœur s’emplit davantage d’amour encore, si tant est que cela soit possible.
Doug caresse mes cheveux, étirant mes mèches folles et les entourant autour de

ses doigts. Je suis surprise que Cora lui ait conseillé de me retrouver. Je

l’écoute avec attention tout en contemplant la beauté de ses traits rendus plus

beaux par l’amour.

— Tu sais elle était complètement différente des autres jours. Elle ne s’est pas
montrée douce comme elle en a l’habitude et je préciserai même : loin de là !

Mais imagine-toi qu’elle s’est pointée au bureau environ une semaine après

que tu sois partie. Apparemment Janet l’avait avertie que je n’étais pas bien.

Elle est arrivée déterminée, alors que cela ne lui arrive quasiment jamais

depuis que mon père s’est retiré des affaires. Aussi j’étais surpris de sa visite.
Elle s’est alors adressée à moi fermement sur un ton que je ne lui connaissais

même pas, sans aucune compassion d’ailleurs pour mon état. Et là où

j’attendais de ma mère un soutien, voire de l’apitoiement, elle s’est comportée

tout à fait différemment. Et en tout état de cause, je me suis fait engueuler

comme j’étais gosse. Tu le crois ça ? interjette-t-il.

Naturellement, j’émets un gloussement imaginant Doug hagard devant une

Cora habituellement empathique. Doug poursuit son récit que je trouve de plus
en plus intéressant. L’intervention de sa mère me surprend et je veux en savoir

davantage.

— Eh bien, comme je te dis, elle s’est adressée à moi d’une voix qui ne
souffrait pas que je l’interrompe. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais le
contenu était le suivant : elle m’a fait judicieusement fait remarquer que si

j’étais capable de diriger les éditions avec brio, si j’avais la force de me battre

pour faire prospérer l’affaire, alors à fortiori, je devais être à même de réunir

l’énergie nécessaire pour obtenir ce qui me tenait le plus à cœur. Je ne


m’attendais pas à ça, crois-moi, s’étonne encore Doug. Mais aussi brutal qu’ait

été le choc de son attitude, sa visite a été malgré tout efficace, puisque c’est
après sa venue que j’ai alors seulement réalisé qu’effectivement, tu étais

absolument tout ce que je voulais. Et c’est là, que je me suis secoué et que je

suis mis à te chercher, renonçant à te perdre.

Je fixe Doug d’un regard nouveau, découvrant un autre homme, un homme


capable d’être pris de détresse, capable de se retrouver anéanti par un chagrin

d’amour. Un homme merveilleux en somme et ce Doug-là me plait

énormément.

Repensant au rôle de Cora dans notre histoire et à l’amour qu’elle partage avec

Michael, je me surprends à souhaiter devenir une femme comme elle, sensible


et forte à la fois, prête à se mobiliser pour sauver une quête qu’elle juge

essentielle, comme l’amour des siens par exemple.

Doug m’enveloppe alors d’un regard si tendre et si aimant que mon cœur
bondit à nouveau à l’intérieur de ma poitrine. Et alors que je pense que nous en

avons fini de nos confessions pour la soirée et que je vais pouvoir me blottir
dans ses bras, Doug, lui, poursuit ses explications.
— Candy a très mal réagi quand sa mère lui a appris que je n’étais plus un
cœur à prendre. Par loyauté, ma mère avait préféré en avertir son amie afin

qu’il n’y ait pas de quiproquo, mais ça n’a pas arrêté Candy pour autant.

— Ta mère savait que tu …, que tu avais des sentiments pour moi ? je

l’interroge en bégayant, trop surprise. Tu lui en avais parlé ?

Doug se met à rire, probablement en constatant mon air effaré.

— Non, répond-il en riant, mais je crois qu’elle avait reconnu, bien avant moi,

les tous premiers symptômes de ce drôle de mal.

— Mais alors, à quoi rimait tous ces titres de journaux dans ce cas ? Je ne

comprends plus …

— C’est Candy elle-même qui a contacté la presse. Je suppose que c’était une

façon pour elle d’essayer de me rattraper et de me lier à elle de manière

publique. Tu ne la connais pas et ne perds rien d’ailleurs. Tu es si différente

d’elle Scarlett. Candy est une femme manipulatrice et extrêmement déterminée

quand elle le veut. J’imagine qu’elle espérait que son audace me scotche, mais
cela n’a pas été le cas. Loin de là, je dirais même.

— J’ai vu la couverture, Doug, je l’interromps, mon cœur se comprimant au


souvenir de cette funeste découverte. Vous étiez pourtant enlacés et vous riiez

comme le feraient de jeunes amoureux.

— Photoshop ! répond Doug in petto. Tu n’imagines même pas le nombre de

photos retravaillées qui sont diffusées. Je n’ai jamais posé avec Candy. Nous ne
sommes d’ailleurs jamais sortis ensemble. Cette photo était un montage de
toute pièce, Scarlett. Tu pourras vérifier si tu le souhaites. Je ne suis

absolument jamais sortie en sa compagnie, ce sera facile à te prouver.

Mon cœur se décontracte et reprend peu à peu son rythme de croisière. Est-ce

vrai ? Tout ceci n’était que le résultat d’un immonde montage à la demande
d’une femme jalouse ? Il est vrai que je n’avais effectivement pas pris la peine

d’observer avec attention la photo, elle me faisait si mal. Peut-être aurais-je pu

deviner qu’il s’agissait d’un montage si je l’avais fait. Quoique j’en doute,

aveuglée que j’étais par le chagrin que me procurait cette une de journal.

— Mais ce que tu dois savoir, poursuit Doug, je te l’ai déjà dit, je sais, mais je

veux que tout soit bien clair entre nous, c’est que Candy ne ressentait pas de

sentiments amoureux vis-à-vis de moi, ni moi pour elle, cela va de soi. Le seul
intérêt que je représentais à ses yeux était bien d’ordre professionnel. Et je

veux que tu saches aussi et que tu comprennes bien, que jamais, je dis bien

jamais, je ne me serais fiancé à elle. J’ai beaucoup d’autres projets pour ma


part, m’apprend Doug les pupilles soudain brillantes.

Je le fixe, surprise et je craque complètement pour cet homme.

— Moi, dit-il en se montrant de l’index, ce que je souhaite par-dessus tout,


c’est obtenir l’amour d’une femme que j’aime et pour laquelle je serais

capable de gravir toutes les montagnes du monde si elle me le demandait. Je


veux une femme qui m’aime inconditionnellement et qui n’ait pas peur de se
confronter à moi quand je déconne sur toute la ligne. Et … et tu es cette
femme, Scarlett.

Je noie mon regard dans ses pupilles et je ne sais si ce sont les bulles de

champagne qui en sont cause ou bien les paroles si douces que Doug me

distille, mais mes yeux s’humidifient. Jamais aucun homme ne m’a ainsi
déclaré sa flamme et à la vérité, je pense même, que si de telles paroles

m’avaient été rapportées par une tierce personne - comme Abby par exemple,

sentimentaliste au possible - je n’aurais tout simplement pu m’empêcher de

lâcher un rire moqueur, l’invitant à revenir sur terre.

Pourtant bizarrement, ces mots, sortis de la bouche de Doug, qui me sont

directement adressés, me font fondre littéralement.

— Vois-tu les choses comme moi Scarlett ? me demande subitement Doug

d’une voix ferme. Je prends de gros risques ce soir, tu sais, en t’avouant tout

comme hier soir à quel point je suis tombé sous ton charme et à quel point je

suis fou amoureux de toi. Mais c’est important pour moi de savoir si nous

entrevoyons l’avenir de la même manière. Alors, pour une fois, je vais te


demander de quitter ton habituelle réserve et de me répondre franchement.

Jamais, je ne te ferai intentionnellement souffrir d’aucune manière, tu sais.


Alors dis-moi sincèrement ce que tu penses, toi, de notre relation à ton tour,

mon amour.

J’ai l’impression de rêver. Je lui ai déjà avoué mon amour. Mais ce soir, Doug
voit plus loin. Ce soir, il en demande davantage et je comprends le risque qu’il
vient de prendre en m’avouant m’aimer à ce point. Je l’aime. Oh oui je l’aime,

à la folie même !!

— J’ai vraiment besoin de savoir, insiste-t-il ses yeux plongés dans les miens.

Je lis son inquiétude dans ses yeux et peut-être pour la première fois que je le

connais, c’est lui qui me semble vulnérable ce soir. Doug vient de m’avouer la
force de son amour et je me dois d’être honnête avec lui. Je ne peux pas le

laisser dans cette position inconfortable. J’inspire alors profondément

rassemblant mon courage et pour la première fois, je décide de faire confiance

à un homme. Je décide de ne plus rien lui cacher de mes sentiments. Aussi

forts, soient-ils. Pour la première fois, je décide donc d’être moi-même,

exposée en toute lumière. Mon regard s’intensifie et je ne quitte ses si jolies


prunelles car je veux, que lui aussi, puisse lire en moi ma sincérité. Doug a

trouvé la force de se dévoiler, de se mettre à nu devant moi, alors je lui dois

aussi la même franchise.

— Je t’aime Doug. Je t’aime à la folie. Et je veux que tu saches ceci. Dès notre
première rencontre ton charme a agi sur moi et dès le départ, j’ai nourri des

rêves secrets t’incluant. Mais tu étais si désopilant ! Je ressentais des sentiments


si totalement contradictoires en ta présence. J’étais complètement perdue face à

toi. Je peux t’assurer que toi, Doug Doherty, tu es sans conteste l’homme le
plus déconcertant qui soit ! Et pourtant, jamais je n’ai ressenti d’émotions aussi
intenses auprès d’un homme. Un simple frôlement de toi m’électrise, tes yeux

pénètrent mon âme et mon cœur s’emballe dès que tu t’approches de moi.

Même mon esprit est devenu servile ne me laissant aucun répit tant mes

pensées se tournent vers toi. Je t’aime Doug ! Je t’aime si fort. J’ai cette
surprenante sensation de me sentir si forte à tes côtés et si faible loin de toi,

que cet état de dépendance m’effraie parfois. Tu es devenu si essentiel à mon


bonheur, que je me sens vulnérable et franchement, ça me fout la frousse aussi.

Penser que je pourrais te perdre me tue d’avance et honnêtement, je ne pense

pas que je pourrais m’en remettre, Doug.

— Tu ne me perdras pas, m’interrompt Doug en caressant ma joue de ses


doigts. Tu ne me perdras jamais, mon amour, je te le jure.

L’émotion qui passe entre nous est si intense à ce moment-là, que mes yeux
s’emplissent doucement de larmes de bonheur, tant je suis heureuse. Je veux

juste avoir la force d’aller au bout de ma déclaration pour ensuite céder aux

gestes d’amour de Doug. Que nos corps témoignent d’eux-mêmes de notre


profonde affection.

— Tu sais Doug, je ne me suis jamais abandonnée à aucun homme mais

aujourd’hui, j’en ai envie car je t’aime et je veux pouvoir te faire confiance.


J’ai envie de vivre quelque chose d’unique et de merveilleux avec toi. Alors si

tu penses que tout ce que je t’ai dit est conforme à ce que tu attends de moi,
alors oui, je vois effectivement les choses comme toi, je finis presque
essoufflée ma déclaration d’amour.

Ce sont à présent les yeux de Doug, emplis d’amour, qui s’embuent, le rendant
encore plus irrésistible que jamais.

— Je ne pourrais plus jamais vivre sans toi, Doug. Le sais-tu seulement ? J’ai

cru mourir quand j’ai vu les couvertures des journaux. Je l’ai vraiment cru. Un

coup de poignard en plein cœur ne m’aurait pas fait plus mal. Alors, oui,
Doug, je pense que nous sommes sur la même longueur d’ondes, enfin, je

l’espère. Vraiment.

Sans que je comprenne pourquoi, complètement retournée par cet amour


débordant qui nous réunit, Doug se laisse glisser du canapé. Il ne me quitte pas

des yeux et nos regards sont toujours ancrés l’un à l’autre. Et je crois que rien

ne pourrait couper ce lien d’amour à ce moment-là, quand je réalise soudain

que Doug se tient devant moi, un genou au sol.

Non ?! Est-il vraiment en train de faire ce à quoi je pense ?

Non ce n’est tout simplement pas possible car nous ne nous connaissons pas
suffisamment !

Mais alors pourquoi met-il son genou au sol, face à moi ??? Oh là là là là !!!

— Oh ma Scarlett ! Mon Dieu que je t’aime ma chérie ! Nous sommes alors

effectivement en phase tous les deux. Ma mère avait vu juste, comme toujours.
Elle me l’a confirmé quand nous sommes partis et c’est en partie, grâce à elle

si j’ai décidé de m’ouvrir à toi, ce soir. Je ne pouvais plus attendre mon amour.
J’observe discrètement sa main se glisser dans sa poche et farfouiller alors que
mes yeux se mouillent de tant d’émotions. Quand enfin il saisit quelque chose

se trouvant à l’intérieur, son regard s’illumine tout à coup. Un énorme sourire

nait sur son visage et quand il en ressort sa main je crois bien n’avoir jamais
vu quelqu’un sourire autant. Ses yeux pétillent et je souris de le voir si heureux.

Puis je le vois se concentrer, ses yeux me scrutent et je devine qu’il a peur. Moi
aussi. Le visage soudain sérieux, solennel, Doug m’adresse cette fois un

sourire inquiet et après une inspiration profonde, il s’adresse de nouveau à

moi.

— Scarlett … Scarlett Johns, je t’aime et je sais que tu es celle que j’attendais


depuis toujours. Je l’ai su dès la première fois où je t’ai aperçue à l’accueil des

bureaux de Doherty Press. Je n’ai eu de cesse que de t’approcher et de

conquérir ton cœur, même si j’ai dû pas mal batailler avec moi-même en tout

premier lieu, rigole-t-il, puis contre toi en second lieu. Mais je sais, je sais, se

reprend-il que je ferai toujours tout pour te rendre heureuse. Je te protègerai et


je prendrai soin de toi à chaque heure de ma vie. Aussi, même si tu penses que

c’est prématuré, moi je sais que tu es celle qui comblera mon cœur et je ferai
de toi ma princesse, ma reine. Alors, accepterais-tu, mon amour, de devenir la

compagne de ma vie ? Accepterais-tu d’être celle qui remplira pour toujours


mon cœur de bonheur ? Accepterais-tu enfin de m’épouser Scarlett Johns ?

Soudain le silence remplit la pièce et seuls les bruits étouffés de la cinquième


avenue bourdonnent dans le salon. Mon cœur bat à un rythme effréné et je suis
même étonnée que Doug ne puisse l’entendre. Je me concentre pendant
quelques micro secondes. L’enjeu est si important ! Et moi qui n’aime pas agir

à la hâte, je suis gâtée ce soir. Vite, vite, vite …

Serai-je capable d’aimer Doug toute ma vie ?

Indubitablement.

Je vois Doug chercher dans mon regard un signe, un indice de réponse et je

sais que ma réponse tarde à venir pour lui mais j’ai besoin de ce temps

supplémentaire. Ses yeux inquiets cherchent à deviner mes desseins. Je pense à

toute vitesse et j’ai une pensée pour ma grand-mère que j’aimais tant. Serait-
elle heureuse pour moi ? Approuverait-elle un homme tel que Doug à mes

côtés ? Là encore, la réponse est la même : indubitablement. J’ai même

l’impression qu’elle m’adresse un clin d’œil de connivence m’invitant à

accepter sa demande. J’ai ma réponse. Je suis intimement convaincue que Doug

est celui qui m’était destiné.

— Scarlett ? m’appelle Doug la voix chevrotante.

Je sors de mon hébétude et un sourire immense s’empare de mon visage

remontant jusqu’à mes yeux. Il s’agit d’un sourire de bonheur et j’ai soudain
envie de lui crier ma réponse.

— OUUUUI !!

Les traits de Doug se décontractent aussitôt et ses yeux se mettent à rire eux

aussi. Très rapidement, il saisit la bague accrochée dans l’écrin et attrape ma


main pour y glisser le magnifique solitaire qui reflète mille éclats sur les murs
du salon. Je le regarde faire, souhaitant ne jamais oublier cet instant si

magique. Doug me regarde fièrement, toujours le sourire aux lèvres.

Oh mon dieu comme j’aime cet homme !

— Maintenant tu es mienne Scarlett et j’interdis à quiconque de poser

désormais ses yeux sur toi !

— Eh ! je râle. Je ne t’appartiens pas ! je lui signale.

— Oh que si ! Tu n’as pas idée à quel point ! réplique-t-il. Et maintenant,

femme, il est temps de consommer notre alliance.

Doug se redresse tout en passant un de ses bras dans mon dos tandis que l’autre

soulève mes jambes.

— Eh ! mais que fais-tu ? je lui demande tout en riant.

— Je vais te montrer à quel point tu m’appartiens et à quel point tu vas adorer

ça, future Madame Doherty.

Je ne peux m’empêcher de glousser. Je l’aime, je l'aime et je l’aime encore ! Et


j’ai hâte de profiter de notre nuit de fiançailles et de toutes les autres à venir.
Mais malgré tout, mon honnêteté me pousse à une dernière confidence.

— Doug ?

— Humm ?

— Tu sais que la dernière fois nous n’avons pas protégé notre rapport et je ne
pense pas que …

Il ne me laisse même pas le temps de finir et saisissant ma bouche il se contente


de murmurer :

— Cela n’a plus aucune importance à présent. Au contraire …

Personne - et surtout pas moi - n’aurait parié sur une telle alliance compte tenu

de nos caractères respectivement volcaniques. Pourtant je sais avec certitude

que nous saurons nous compléter à merveille.

L’aventure ne fait que commencer …

FIN
Remerciements

Un grand grand merci à vous lecteurs-lectrices pour


votre fidélité et votre soutien sans qui ce livre n’aurait

aucun but.

J’espère que cette petite romance sans prétention aura su


vous divertir le temps d’une pause sentimentale. Grâce à
vous, je réalise mon rêve d’écrire, grâce à vous, je
m’épanouis.

Comme toute auteure auto-publiée, je vous serais


reconnaissante de prendre le temps de noter un avis si
vous avez apprécié ce livre, car comme vous le savez, vos

commentaires sont notre seule publicité.

Je souhaiterais adresser également des remerciements à


mon mari qui me (supporte) soutient quotidiennement et

Dieu sait, s’il doit être patient quand je me plonge dans


une nouvelle histoire (ou alors peut-être est-il légèrement

sourd, ce qui lui éviterait d’entendre tous mes états


d’âmes- sombres - parfois (souvent !)

Merci également à mes enfants qui m’encouragent

continuellement en me félicitant. Je crois surtout qu’ils


apprécient toutes ces heures où lorsque j’écris, je m’isole
et qu’ils ne m’ont -par conséquent - pas sur leur dos !

Et enfin, mention spéciale à mon « coach-agent » qui


veille au grain. C’est elle qui tient le chrono et qui
n’hésite pas à me mettre au boulot afin de garder la

cadence ;)

Bref ! Sincèrement un grand Merci à vous tous et je vous


donne rendez-vous pour une nouvelle romance à paraitre

… très bientôt.
Du même auteur

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Les frères Slider


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