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TEXTE 1

Nous nous assîmes l'un près de l'autre. Je pris ses mains dans les miennes.
- Ah ! Manon, lui dis-je en al regardant d'un œil triste, je ne m'étais pas attendu à la noire trahison
dont vous avez payé mon amour. Il vous était bien facile de tromper un cœur dont vous étiez la
souveraine absolue, et qui mettait toute sa félicité à vous plaire et à vous obéir. Dites- moi
maintenant si vous en avez trouvé d'aussi tendres et d'aussi soumis. Non, non, la nature n'en fait
guère de la même trempe que le mien. Dites-moi, du moins, si vous l'avez quelquefois regretté.
Quel fond dois-je faire sur ce retour de bonté qui vous ramène aujourd'hui pour le consoler ? Je
ne vois que trop que vous êtes plus charmante que jamais ; mais au nom de toutes les peines
que j'ai sou ertes pour vous, belle Manon, dites-moi si vous serez plus dèle.
Elle me répondit des choses si touchantes sur son repentir et elle s'engagea à la délité par tant
de protestations et de serments, qu'elle m'attendrit à un degré inexprimable.
-Chère Manon ! lui dis-je, avec un mélange profane d'expressions amoureuses et théologiques, tu
es trop adorable pour une créature. Je me sens le cœur emporté par une délectation
victorieuse. Tout ce qu'on dit de la liberté à Saint-Sulpice est une chimère. Je vais perdre ma
fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien; je lis ma destinée dans tes beaux yeux; mais
de quelles pertes ne serai-je pas consolé par ton amour ! Les faveurs de la fortune ne me
touchent point; la gloire me paraît une fumée ; tous mes projets de vie ecclésiastique étaient de
folles imaginations; en n tous les biens di érents de ceux que j'espère avec toi sont des biens
méprisables, puisqu'ils ne sauraient tenir un moment, dans mon cœur contre un seul de tes
regards

TEXTE 2

Vous serez donc la plus riche personne de l'univers, me répondit-elle, car s'il n'y eut jamais
d'amour tel que le vôtre, il est impossible aussi d'être aimé plus tendrement que vous l'êtes. Je
me rends justice, continua-t-elle. Je sens bien que je n'ai jamais mérité ce prodigieux
attachement que vous avez pour moi. Je vous ai causé des chagrins, que vous n'avez pu me
pardonner sans une bonté extrême. J'ai été légère et volage, et même en vous aimant
éperdument, comme j'ai toujours fait, je n'étais qu'une ingrate. Mais vous ne sauriez croire
combien je suis changée. Mes larmes, que vous avez vues couler si souvent depuis notre départ
de France, n'ont pas eu une seule fois mes malheurs pour objet. J'ai cessé de les sentir aussitôt
que vous avez commence à les partager. Je n'ai pleuré que de tendresse et de compassion pour
vous. Je ne me console point d'avoir pu vous chagriner un moment dans ma vie. Je ne cesse
point de me reprocher mes inconstances et de m'attendrir en admirant de quoi l'amour vous a
rendu capable pour une malheureuse qui n'en était pas digne, et qui ne payerait pas bien de tout
son sang, ajouta-t-elle avec une abondance de larmes, la moitié des peines qu'elle vous a
causées.
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Ses pleurs, son discours et le ton dont elle le prononça rent sur moi une impression si étonnante,
que je crus sentir une espèce de division dans mon âme.
Prends garde, lui dis-je, prends garde, ma chère Manon. Je n'ai point assez de force pour
supporter des marques si vives de ton a ection; je ne suis point accoutumé à ces excès de joie.
Ô Dieu! m'écriai-je, je n e vous demande plus rien. Je suis assuré du cœur de Manon. Il est tel
que je l'ai souhaité pour être heureux; je ne puis plus cesser de l'être à présent. Voilà ma félicité
bien établie. Elle l'est, reprit-elle, si vous la faites dépendre de moi, et je sais où je puis compter
aussi de trouver toujours la mienne.
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TEXTE 3

Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie
et j n'osais pousser le moindre sou e, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m'aperçus dès
le point du jour', en touchant ses mains, qu’elles les avait froides et tremblantes. Je les approchai
de mon sein, pour les échau er .Elle sentit ce mouvement, et, faisant un e ort pour saisir les
miennes , elle me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d'abord
ce discours que pour un langage ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par les tendres
consolations de l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations , le
serrement de ses mains, dans les quelle elle continuait de tenir les miennes, me rent connaître
que la n de ses malheurs approchait.
N'exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions. Je la perdis; je reçus d'elle des marques d'amour au moment même qu'elle expirait.
C’est tout ce que j'ai al force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement.
Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement
puni. lI a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce
volontairement a la mener jamais plus heureuse.
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