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Expressionnisme abstrait

L'expressionnisme abstrait est un mouvement artistique qui s'est développé peu après la Seconde
Guerre mondiale aux États-Unis. C'est aussi un élément central de l'école de New York, « école » qui
a rassemblé les artistes (poètes, peintres, musiciens...) d'avant-garde actifs à New York et aux États-
Unis avant et après la Seconde Guerre mondiale.

On parle d'expressionnisme abstrait pour un certain type de peinture, de sculpture et de photographie.

Le mouvement est « né » dans le milieu artistique new-yorkais dans les années 1940. Plusieurs
dénominations sont apparues pour évoquer certains aspects de l'expressionnisme abstrait américain :
l'action painting, la colorfield painting ou la Post-painterly Abstraction (en) (de Sam Francis). Mais la
peinture de Willem de Kooning, pour ne citer que cet artiste majeur du mouvement expressionniste
abstrait, ne relève d'aucune de ces catégories.

Le terme « Expressionnisme abstrait »


En 1946, le critique d’art Robert Coates, écrivant dans The New Yorker, utilisa pour la première fois le
terme «expressionnisme abstrait». Les deux mots combinent l'intensité émotionnelle des
expressionnistes allemands avec l'esthétique anti-figurative des écoles abstraites européennes.

Des origines et des influences discutées


Les origines de l'expressionnisme abstrait font l'objet de controverses : s'agit-il d'un art spécifiquement
américain ou doit-il beaucoup aux avant-gardes européennes?

En 1929 est inauguré le MoMA le museum of Modern Art de New York pour présenter au public l'Art
Moderne. À la suite de la crise économique, en 1935, le président Roosevelt met en place un
programme d'aides aux artistes WPA dans le cadre du New Deal. C'est dans le cadre de ce vaste
projet qui touche 10000 artistes de 1935 à 1943 que vont se rencontrer les expressionnistes abstraits.

En 1936 les artistes américains abstraits s'organisent en une association de promotion AAA
(acronyme de American Abstract Artists). Ils publient manifestes et articles et réclament l'ouverture
des musées américains aux artistes abstraits américains, parmi ses membres Clement Greenberg,
Lee Krasner, Piet Mondrian, Ben Nicholson, David Smith, Ad Reinhardt, etc.

À partir de 1933, les États-Unis accueillent des artistes ayant fui l'Allemagne nazie : Hans Hofmann
(1880-1966) enseigne l'art moderne à l’université de Californie (Berkeley) et à l’Art Student League de
New York. Lee Krasner, Clement Greenberg, Mark Rothko sont de ses élèves.

Hofmann a eu une certaine influence sur le développement de l'expressionnisme abstrait, bien qu'il se
soit appuyé sur le formalisme cubiste. Il introduit la troisième dimension dans ses tableaux en les
transformant en champs de forces dynamiques, très structurés. Hofmann pense que l'acte de peindre
comporte des significations psychologiques. Dans son cas, l'opulence de la couleur et de la surface
sont des signes d'une personnalité hédoniste. Il se distingue de la peinture « pessimiste » des
peintres expressionnistes de son époque par l'expression de sa joie de vivre. Il est à l'origine de la
technique du « push and pull », synthèse des théories de la couleur des avant-gardes parisienne et
européennes.

Josef Albers (1888-1976) enseigne au Bauhaus de 1923 à 1933, il est membre fondateur du Salon
des Réalités Nouvelles à Paris avant d'émigrer aux États-Unis. Il est considéré comme un des
initiateurs de l'art optique (ou « Op art »). Entre 1939 et 1942, Marc Chagall, Max Ernst, Fernand
Léger, Piet Mondrian, Yves Tanguy, Roberto Matta, André Masson, Marcel Duchamp et André Breton
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émigrent à leur tour .
En réalité, si l'on met de côté Matta, Masson et Duchamp, les artistes européens eurent peu de
contact avec leurs homologues américains. Dès 1948, ces derniers fondent les bases d'une voie
propre aux États-Unis. En 1949, c'est au cours des discussions passionnées qui agitent le Club, au 39
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de la 8 rue Est, à New York, que sort la notion d'« expressionnisme abstrait ». Le Club, fondé par de
Kooning, Franz Kline et quelques autres attire rapidement des personnalités aussi diverses que Ad
Reinhardt et Jackson Pollock, dans un climat fortement hostile à Clement Greenberg et au
formalisme. Dans cette après-guerre qui entraîne le boom économique aux États-Unis, New York
devient la capitale mondiale de l'avant-garde et, plus généralement, de l'art moderne. Et
l'expressionnisme abstrait y est au centre des débats.

Les expressionnistes abstraits puisent leur inspiration et leur technique dans plusieurs sources. Ils
sont marqués par les influences du surréalisme (subconscient, écriture automatique, dripping), ainsi
que par l’abstraction de Wassily Kandinsky et d'Arshile Gorky ou par les œuvres de Hans Hofmann.

Les irascibles
Clyfford Still, déjà très irascible à l'époque et très proche de Pollock, fait partie de ces « 18 Irascibles »
qui font publier, le 22 mai 1950, une lettre de protestation adressée au président du Metropolitan
Museum of Art rejetant l’exposition American Painting Today (1950) et boycottant par avance
l’exposition que le musée avait en préparation.

Pour contextualiser cet évènement, il faut dire que le Met n'avait créé un département consacré à l'art
américain qu'en 1948, et American Painting Today devait être la première exposition de ce projet. Par
ailleurs, en 1948, William Baziotes, David Hare, Robert Motherwell et Mark Rothko avaient fondé une
académie d'art, Subjects of the Artist, structure qui organise des discussions entre artistes dans un loft
du 35 de la 8e rue, à Manhattan, connu sous le nom de Studio 35, le légendaire « Club ». Une réunion
a eu lieu du 21 au 23 avril 1950. Elle a été organisée par Robert Goodnough et animée par Richard
Lippold, Robert Motherwell et Alfred H. Barr, directeur du Museum of Modern Art (MoMA). Le but était
de poser le cadre d'un mouvement artistique. À la fin de la séance à huis clos, Adolph Gottlieb a
suggéré que les artistes réunis protestent contre le parti pris conservateur du jury lors du prochain
concours au Metropolitan ; d'où la lettre, en date du 20 mai, envoyée au New York Times et signée
par Jimmy Ernst (le fils de Max Ernst), Adolph Gottlieb, Robert Motherwell, William Baziotes, Hans
Hofmann, Barnett Newman, Clyfford Still, Richard Pousette-Dart, Theodoros Stamos, Ad Reinhardt,
Jackson Pollock, Mark Rothko, Hedda Sterne, James Brooks, Weldon Kees et Fritz Bultman. Les
sculpteurs qui les soutenaient étaient Herbert Ferber, David Smith, Ibram Lassaw, Mary Callery, Day
Schnabel, Seymour Lipton, Peter Grippe, Theodore Roszak, David Hare et Louise Bourgeois. Des
conservateurs bien précis avaient été retenus pour faire la sélection des artistes, et ce choix disait, par
avance, qu'aucun artiste d'avant-garde ne pourrait y exposer. Et de souligner ce fait « que, depuis
environ un siècle, seul l'art d'avant-garde a offert une contribution conséquente à la civilisation ». Le
journal la publie en première page le 22 mai. La réponse paraît le 23 dans The Herald Tribune où
Emily Genauer, critique d'art, écrit l'éditorial en donnant ce nom au groupe et attaque les artistes pour
"distorsion de fait" en prétendant que le Metropolitan aurait eu du "mépris" pour la peinture moderne.
Gottlieb, aidé par Newman et Reinhardt, rédige alors une réfutation, signée par douze peintres et trois
sculpteurs et adressée au rédacteur en chef du Tribune ; lettre qui n'est jamais publiée. Mais la
polémique s'est poursuivie.

Alfred Barr, cherchant à distinguer le MoMA du Met., a encore électrisé la situation en choisissant
Arshile Gorky, Willem de Kooning et Jackson Pollock pour le pavillon américain de la 25e Biennale de
Venise, qui se tenait de juin à octobre 1950. Dans le numéro de juin 1950 de ARTnews il a qualifié les
peintres en question de "leaders" d'une "avant-garde prédominante". L'acte de Barr a signalé au
monde de l'art que l'Expressionnisme abstrait devrait être sérieusement pris en compte par les
musées. Pour son édition du 15 janvier 1951, le magazine Life a décidé de publier un reportage photo
qui documenterait les résultats du concours du Met. et comporterait une photographie des opposants.
La rédactrice en chef de Life, Dorothy Seiberling, a envoyé la photographe Nina Leen pour les
photographier dans un studio de la 44ème rue. Ils se sont rassemblés le 24 novembre. Seuls trois des
signataires originaux étaient absents : Weldon Kees, Hans Hofmann et Fritz Bultman. Pollock a fait un
voyage spécial avec James Brooks pour la photo. Hedda Sterne, arrivée en retard, est vue au
sommet de la pyramide (debout sur une table). Elle est la seule femme sur la photo et décrira plus
tard l'expérience comme «probablement la pire chose qui me soit arrivée», disant d'elle-même qu'elle
ne relevait pas de l'Expressionnisme abstrait. La peintre Lee Krasner pense que Sterne a été
introduite par l'insistance de la marchande d'art Betty Parsons, laquelle représentait une bonne partie
du groupe.

La légende de la photo publiée mentionnait que le groupe était « solennel ». Barnett Newman avait
insisté pour que le groupe soit photographié "comme des banquiers". Et il est vrai que bon nombre
des membres du groupe avaient des réserves quant à leur présence dans une publication de presse
traditionnelle ; Rothko en particulier. Pourtant, personne ne pouvait se tromper sur les conséquences
de la publication de Pollock dans Life du 8 août 1949. L'exposition suivante de Pollock, qui avait
débuté le 21 novembre 1949 à la Betty Parsons Gallery, avait été un triomphe incontestable. Il avait
« brisé la glace », selon la formule de Willem de Kooning. Au cours de l’année suivante, Betty
Parsons a envoyé des chèques de 6 508,23 $ à Pollock sur des ventes brutes de plus de 10 000 $,
alors que plus des deux tiers des familles américaines vivaient alors avec moins de 4 000 $. Pollock
semble avoir été invité à signer la lettre ouverte de Studio 35, au moins en partie, en raison de sa
notoriété, presque entièrement attribuable à l’article de Life du 8 août. En fin de compte, la séance de
photographie de groupe était un compromis désagréable entre le système de valeurs dans lequel les
artistes avaient travaillé et leur désir de réussir dans leur carrière.

La couverture médiatique ultérieure à la protestation elle-même, et cette photographie de groupe


désormais emblématique, apparue dans le magazine Life, leur ont donné de la notoriété, popularisé
l'expression «expressionniste abstrait» et établi ce que l'on appelle la première génération du
mouvement.

Contexte de l'après-guerre
Après la Seconde Guerre mondiale, les conditions économiques, politiques et artistiques suscitent
une nouvelle manière de peindre, de voir et de donner à voir aux États-Unis. Après des années de
crise, l'économie américaine repart. Avec le début de la guerre froide, la peinture américaine est un
des éléments de la politique culturelle et diplomatique des États-Unis avec le cinéma, la musique ou la
littérature.

Le développement de l'expressionnisme abstrait est associé à l'après-guerre, d'une part à 1948 (date
de la création du club Subjects of the Artists). D'autre part à 1950 année de la protestation des
« irascibles », et après le succès de l'exposition Pollock, la même année, tandis que c'étaient trois
expressionnistes abstraits qui étaient choisis pour représenter les États-Unis à la Biennale de Venise.
Ces évènements avaient été précédés par des années de pratiques qui relèvent déjà des critères
appliqués à l'expressionnisme abstrait, au moins dès 1944 pour Clyfford Still (1944-N N°1), alors que
Pollock et Rothko pratiquaient encore une peinture figurative.

Cet art qui se voulait avant-gardiste, cosmopolite et apolitique fait se déplacer le cœur de l'art
moderne de Paris à New York. Cependant, l'expressionnisme abstrait suscite des débats au sein de la
classe politique américaine. Les Républicains attaquent violemment ce courant et l'accusent d'être
communiste. Au Congrès, ils dénoncent en outre les financements fédéraux qui sont attribués aux
peintres expressionnistes. Le début des années 1950 voit le renforcement de cette opposition à cause
du maccarthisme, les artistes soupçonnés de sympathies communistes deviennent l'objet d'enquêtes
(« chasse aux sorcières »). Pourtant, la période est aussi marquée par le soutien du MoMA de New
York, lui-même financé par la fondation Rockefeller. En 1952, le musée organise même un
programme international de diffusion mondiale de l'expressionnisme abstrait. L'exposition « The New
American Painting » n'a pas d'autres buts. Les peintres de l'expressionnisme abstrait sont également
défendus par Peggy Guggenheim.

Caractéristiques et courants
Comme le dit David Anfam, spécialiste du sujet (on lui doit plusieurs ouvrages de références sur la
question), « l’Expressionnisme abstrait n’était pas un mouvement mais un "phénomène". Un groupe
d’artistes américains et immigrés, construisant un art nouveau sur les ruines du monde. Une
communauté élargie qui tailla en pièces la peinture d’avant pour en faire quelque chose d’autre, plus
brut, plus grand ».

L'expressionnisme abstrait s’impose avec une nouvelle génération d’artistes vivant, au moins
partiellement, à New York. Il se caractérise par des toiles immenses, ou simplement de grande taille,
mais pas exclusivement. Certaines sont entièrement peintes all-over (où les éléments picturaux sont
er
disposés de manière égale sur toute la surface disponible) (Clement Greenberg : The Nation, 1
février 1947 : an over-all evenness [une uniformité bord à bord]). Dans ces toiles exceptionnelles,
chaque coup de pinceau annule le précédent et le rapport de celui-ci avec la surface du fond. Procédé
qui conduit à une répartition plus ou moins uniforme des éléments picturaux sur la totalité de la
surface du tableau qui semble se prolonger au-delà des bords. Bien plus généralement, le tableau
expressionniste abstrait met en valeur la matière et la couleur utilisée comme matière.

Certains artistes qualifiés d'expressionnistes abstraits ont été « regroupés » en deux courants, pour
simplifier : l'action painting qui valorise l'action du peintre, ses gestes, et la colorfield painting qui mise
sur des effets de surface de couleurs, plus ou moins unies, plates. Par ailleurs, le critique Clement
Greenberg qualifiait aussi la peinture des expressionnistes abstraits, en général, de painterly,
présentant pour la plupart des effets de peinture qui allaient à l'encontre de la planéité du tableau.

Les peintres de l'action painting (au sens strict, seul Jackson Pollock a pratiqué l'action painting)
produisent apparemment de façon violente, avec des gestes rapides voire manifestement spontanés.
C'est en effet la pratique de Jackson Pollock, à partir de sa série de 1946 « The Sounds in the
Grass » (« Les sons dans l'herbe ») et de la mise au point, en 1947, de la technique du dripping,
initiée dès 1943, De Kooning à partir de 1952 ou Franz Kline. Les peintres s’attachaient à la texture et
à la consistance de la peinture ainsi qu’aux gestes de l’artiste. L'expression action painting fut créée
en 1952 par le critique d’art américain Harold Rosenberg (1906-1978). Ce dernier écrit, dans un article
du magazine Art News publié en 1952 : « (...) l’un après l’autre, les peintres américains
commencèrent à considérer la toile comme une arène dans laquelle agir, plutôt que comme un
espace où reproduire, redessiner, analyser ou exprimer un objet, réel ou imaginaire. Ce qui naissait
sur la toile n'était plus une image mais un événement ».

Le terme Color Field painting a été, à l'origine, appliqué à l'œuvre de trois peintres expressionnistes
abstraits américains Mark Rothko, Barnett Newman et Clyfford Still, autour de 1950. Plus
généralement, le terme Color Field Painting est appliqué au travail de peintres abstraits travaillant
dans les années 1950 et 1960, caractérisé par de grandes zones d'une couleur unique, plus ou moins
plate. Le MoMA donne cette définition : « Peintures qui présentent de grandes zones de couleur,
généralement sans contraste fort de ton ou lieu qui centralise l'attention de manière évidente. ». Ce
musée applique le terme à Barnett Newman, The Voice de 1950, et Vir Heroicus Sublimis de 1950–
51, ainsi qu'à Mark Rothko No. 16 (Red, Brown, and Black) de 1958. Ce qui rapprocherait les
Expressionnistes abstraits de la première génération de ce concept de color field painting est, par
exemple, la peinture de Mark Rothko depuis 1946 avec ses peintures Multiform (surfaces quasi en
aplats peu nuancés sur les marges), celles de Clyfford Still vers 1946 (vastes surfaces quasi
monochromes) et certaines toiles ultérieures, ou de Barnett Newman à partir de 1948 (en aplats).
Selon Clement Greenberg, « « la conscience en tant que leitmotiv est née d’une idée de soi très
profonde chez ces artistes » ».

Le Color Field painting movement (« mouvement de la peinture du champ coloré ») est aussi un
concept utilisé par Clement Greenberg : les peintres du Color Field painting movement , envisagés
d'une manière plus restrictive, utilisent alors des champs de couleurs imprégnées ( stained into ) ou
diffusées ( spread across ). Jackson Pollock, Adolph Gottlieb, Hans Hofmann, Barnett Newman,
Clyfford Still, Mark Rothko, Robert Motherwell, Ad Reinhardt et les dernières œuvres d'Arshile Gorky
ont été considérées par Greenberg comme en relation avec la Color Field painting. Mais en règle
générale Clement Greenberg préférait parler de Post Painterly Abstraction pour désigner les nouvelles
tendances issues de cette première génération (expressionniste) qui avait pratiqué une abstraction en
général très « picturale ». La nouvelle génération du Color Field movement ne relève pas, en général,
de l'Expressionnisme abstrait : ce sont Helen Frankenthaler, Morris Louis, Kenneth Noland, Jules
Olitsky, Sam Francis…
Financements par la CIA et implications politiques
En 1995, d'anciens fonctionnaires américains confirment les rumeurs qui circulent depuis plusieurs
années selon lesquelles les artistes de ce mouvement ont été financés par l'administration des États-
Unis via l'un de ses services secrets, la CIA, en vue d'en faire une arme idéologique pour le bloc
occidental dans le contexte de la guerre froide.

Cette stratégie culturelle voyait dans l'expressionnisme abstrait un moyen d'affirmer la créativité, la
liberté intellectuelle et le rayonnement artistique des États-Unis, en faisant apparaître par contraste
l'art officiel des pays communistes, le réalisme socialiste soviétique, comme codifié, rigide et fermé.
Thomas Braden, ancien chef de la division des relations internationales de la CIA et ancien secrétaire
exécutif du Museum of Modern Art de New York (MoMA), déclare dans un entretien : « Je pense qu'il
s'agissait de la plus importante division de la CIA et je pense que cela a joué un rôle déterminant dans
la Guerre froide. »

Cela ne signifie pas qu'il s'agissait d'une création pure et simple de la CIA, les artistes ayant pu
ignorer d'où provenait l'argent qui les finançait. L'ancien agent Donald Jameson indique ainsi que, si
les artistes en question avaient des sympathies pour le communisme ou l'URSS, c'était encore mieux
du point de vue de l'Agence.

Cette volonté de la part des dirigeants américains de présenter l'abstraction new-yorkaise comme la
réelle avant-garde artistique et la nouvelle référence culturelle s'est concrétisée par un très vaste
programme mis en place avec d'importants moyens financiers par la CIA. Est né de cette manière
« un système inédit de consécration de l'art » et de fabrication de la valeur financière des œuvres en
réseau, qui impliquait fondations, musées, universités, mécènes et associations diverses. Des
galeristes tels que Leo Castelli et les liens qu'il entretenait avec la direction du MoMA ont joué un rôle
essentiel dans ce dispositif. Analysant cette période, l'historienne britannique Frances Stonor
Saunders avance que l'expressionnisme abstrait n'aurait pas été reconnu et célébré comme il l'a été
sans l'aide de la CIA.

Selon Michael Kimmelman, critique du New York Times, la thèse d'une manipulation par la CIA est
réductionniste. Dans un article titré « Revisiting the Revisionists: The Modern, Its Critics and the Cold
War », il s'attache à démontrer qu'une telle vision est simplement fausse ou décontextualisée, les
artistes américains de l'expressionnisme abstrait n'ayant été ni plus ni moins défendus que les artistes
figuratifs, les cinéastes, les écrivains... américains de la même époque par les différents
gouvernements. Le livre de Christine Lindey, Art in the Cold War, qui décrit l'art soviétique de la même
époque, ou Pollock and After, de Francis Frascina, reprennent la démonstration de Michael
Kimmelman, soulignant que la reconnaissance internationale des artistes américains est intervenue
en 1964 à la Biennale de Venise avec le pop art et Robert Rauschenberg.

Reconnaissance que Serge Guilbaut présente comme l'aboutissement de la politique culturelle menée
par les États-Unis, le pop art remplaçant toute proposition esthétique par une adhésion à la société de
consommation et réduisant l'art au design. La jonction entre l'expressionnisme abstrait et le pop art
donne naissance à la fin du XXe siècle à l'« art contemporain », une production entièrement soumise
aux lois du marché et animée par des « créateurs » désormais dépourvus de tout savoir-faire et
indépendants de toute tradition esthétique.

Principaux représentants, en bref


• Jackson Pollock (1912-1956) fut l'artiste de l'expressionnisme abstrait connu au niveau
international bien avant tous les autres. Il puise son inspiration dans ses souvenirs plus ou
moins traumatiques. Les dessins rituels exécutés sur le sable par les Navajos l'inspirent
également ainsi que les totems des Indiens de la côte Ouest, faits d'assemblages de figures
composites ; de même les fresquistes mexicains par leurs formats et pour les
expérimentations auxquelles ils se risquent ; les dessins et les peintures de Picasso (de
l'époque de Guernica, de Marie-Thérèse et du Minotaure) aux figures déformées ; enfin,
l'écriture automatique surréaliste le concerne moins que l'interprétation de ses dessins qu'il
effectue avec son psychanalyste formé auprès de Jung. Pollock utilise, entre autres, la
technique du dripping, inventée par Janet Sobel, qui consiste à faire gicler de la peinture du
bout d'un bâton ; il verse aussi la peinture directement du pot sur de grandes toiles disposées
au sol. Il emploie des outils non conventionnels pour peindre (couteaux, truelle, bâton,
seringue).
• Franz Kline (1910-1962) produit de vastes surfaces noires ou blanches très instinctives. Il
utilise des fragments de ses propres dessins qu'il agrandit et reporte sur des grands formats.
Il privilégie le contraste du noir et du blanc favorisé par des bandes de peinture.
,
• Bien que Willem de Kooning (1904-1997) refuse d'être classé dans l'expressionnisme abstrait
ses œuvres majeures (Excavation ou Woman I de 1950) relèvent, pour ses contemporains,
de cette tendance. En effet, la défiguration poussée, grotesque, jointe à une structure « post-
cubiste », qui tend à unifier le tableau tout en s'abstenant de tout effet de représentation du
volume, poussent les formes encore identifiables vers l'abstraction et le tableau vers la
planéité. L'expressionnisme avec lequel les « Femmes » (américaines modernes) sont
représentées les amène à ressembler à des idoles néolithiques.
• Mark Rothko (1903-1970), dans sa période "classique", peint des bandes plus ou moins
larges et mitoyennes de couleurs intenses sur des toiles de plus en plus grandes qui invitent à
la contemplation ou à la méditation. Avec Barnett Newman, Clyfford Still et Ad Reinhardt, il
devient l'un des artistes les plus représentatifs de la colorfield painting.
• Bradley Walker Tomlin
• Philip Guston
• Robert Motherwell
• Adolph Gottlieb
• L'œuvre de Robert Rauschenberg (1925-2008) qui appartient au pop-art et au néo dadaïsme,
a tiré de nombreux enseignements de l'expressionnisme abstrait qu'il cite par certaines
pratiques picturales. Il s'en est symboliquement nettement démarqué en effaçant un dessin
qu'il était allé demander à de Kooning. Il s'est efforcé de faire disparaître le dessin en usant
plusieurs gommes.
• Les ignorés : Ann Eden Gibson a publié, en 1999, un essai dans lequel elle montre que
l'expressionnisme abstrait a été peu à peu défini et développé par les artistes blancs de sexe
masculin qui sont devenus ses porte-parole, par la critique et par les partisans privés et
institutionnels. Elle propose une argumentation pour repenser la définition de
l’expressionnisme abstrait à travers le travail de contemporains célèbres tels que Romare
Bearden, Louise Bourgeois, Lee Krasner, Norman Lewis, Alfonso Ossorio, Aaron Siskind,
Leon Polk Smith, Anne Ryan et Hale Woodruff, ainsi que des artistes moins connus tels que
Ruth Abrams, Ronald Joseph et Thelma Johnson Streat.

Principaux artistes de l'expressionnisme abstrait

Peintres

• Mary Abbott (en) (1921-2019)


• William Baziotes (1912-1963)
• Bernice Bing (1936-1998)
• James-Jacques Brown (1918-1991)
• Hans E. Deutsch (1927-2014)
• Perle Fine (en) (1905-1988)
• Sam Francis (1923-1994)
• Jane Frank (1918-1986)
• Helen Frankenthaler (1928-2011)
• Sonia Gechtoff (1926-2018)
• Robert Goodnough (en) (1917-2010)
• Arshile Gorky (1904-1948)
• Adolph Gottlieb (1903-1974)
• Jacques Grinberg (1941-2011)
• Philip Guston (1913-1980)
• Elaine Hamilton (1920-2010)
• Grace Hartigan (1922-2008)
• Hans Hofmann (1880-1966)
• Laurent Jiménez-Balaguer (1928-2015)
• Franz Kline (1910-1962)
• Willem de Kooning (1904-1997)
• Elaine de Kooning (1918-1989)
• Lee Krasner (1908-1984)
• John Levee (1924-2017)
• Knox Martin (1923-2022)
• Joan Mitchell (1925-1992)
• Antoine Mortier (1908-1999)
• Robert Motherwell (1915-1991)
• Giuseppe Napoli (1929-1967)
• Barnett Newman (1905-1970)
• Jackson Pollock (1912-1956)
• Richard Pousette-Dart (1916-1992)
• Robert Rauschenberg (1925-2008)
• Milton Resnick (1917-2004)
• Jean-Paul Riopelle (1929-2002)
• Mark Rothko (1903-1970)
• Anne Ryan (1889-1954)
• Clyfford Still (1904-1980)
• Waldemar Smolarek (1937-2010)
• Augustus Vincent Tack (en) (1870-1949)
• Bradley Walker Tomlin (1899-1953)
• Louis Van Lint (1909-1986)
• Corinne Michelle West (1908-1991)

Sculpteurs

• David Smith (1906-1965)


• Richard Stankiewicz (1922-1983)
• Mark di Suvero (1933)
• Louise Nevelson (1899-1988)

Photographes

• Aaron Siskind (1903-1991)


• Pedro M Cabral (1955)

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