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75 ()()5Paris
Editions L'Hannattan
5-7 rue de l'Ecole-Polytechnique
EN AFRIQUE NOIRE
LA NOTION DE PERSONNE
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LISTE DES PARTICIPANTS

Participants étrangers:

M. Wa,nde ABIMBOLA,Professeur à l'Université de Lagos (Nigéria).


M. y oussouf CISSÉ, Institut des Sciences Humaines, Bamako (Mali).
Mmp,Agnès DIARRA,Institut Fondamental d'Afrique Noire, Dakar (Sénégal).
M. Deoscoredes M. Dos SANTOS,Salvador, Bahia (Brésil).
Mme Juana Dos SANTOS-ELBEIN,Salvador, Bahia (Brésil).
M. Meyer FORTES, Professeur à l'Université de Calnbridge (Grande-Breta-
gne) .
Son Excellence M. Amadou HAMPATÉBA, Ancien Ambassadeur du Mali
en Côte d'Ivoire, Abidjan (Côte d'Ivoire).
M. Luc de HEUSCH,Professeur à l'Université Libre de Bruxelles (Belgique).
D. Diouldé LAYA, Directeur du Centre Nigérien de Recherches en Sciences
Hunlaines, Niarney (Niger).
M. John MIDDLETON,Professeur à la «School of Oriental and African
Studies », Londres (Grande-Bretagne).
M. G.K. NUKUNYA,University of Ghana, Department of Sociology, Accra
(Ghana).

Participants français:

M. Marc AUGÉ, Sous-Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes


Etudes, 6e Section, Paris.
M. Roger BASTIDE, Professeur honoraire à la Sorbonne, Directeur d'Etudes
à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, 6(' Section" Paris.
Milito Jeanne BISILLIAT, Paris.
M. J. BROUSTRA,neuropsychiatre, Bordeaux.
M. Michel CARTRY,Chargé- de Recherche au C.N.R.S., Paris.
Mnw Germaine DIETERLEN, Directeur de Recherche au C.N.R.S., Directeur
d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes" Se Section, Paris.
M. Otto GOLLNHOFER,Attaché de Recherche au C.N.R.S., Paris.
Mm.> Françoise HÉRITIER-IzARD, Chargée de Recherche au C.N.R.S., Paris.
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MIHPAnnie M.D. LEBEUF~Maître de Recherche au C.N.R.S., Paris.


M. Jean-Paul LEBEUF, Directeur de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. Paul MARTINO, neuropsychiatre, Bordeaux.
M. Guy LE MOAL, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris.
MIlleJacqueline MONFOUGA~ Attachée de Recherche au C.N.R.S., Bordeaux.
M. Albert NÉRON DE SURGY,Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN,Attaché de Recherche au C.N.R.S.,
Paris.
M. Edmond ORTIGUES, Professeur à la Faculté des Lettres de Rennes.
MIIIPMontserrat PALAUMARTI, Chargée de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. Marc PIAULT, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. Jean ROUCH, Directeur de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. Lajos SAGHY,Paris.
M. Roger SILLANS, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. M. SIMON, neuropsychiatre~ Bordeaux.
M Pierre SMITH, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. L.V. THOMAS,Professeur à l'Université de Paris 5.
M. Roger VERDIER, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris.
M. Pierre VERGER, Ancien Directeur de Recherche au C.N.R.S., Salvador,
Bahia (Brésil).
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ALLOCUTION D'OUVERTURE

Monsieur le Directeur Général, Mesdanlcs, Messieurs


et chers coIlègues~

Je dois tout d'abord remercier le C.N.R.S. et sa direction qui ont bien


voulu accueillir notre Colloque et l'ont inscrit dans leur programme, éga-
lement les membres de la commission dont relèvent nos travaux qui ont
tous approuvé le projet que nous avions formé de cette réunion; adresser
nos remerciements aux coHègues qui ont travaillé sur ce thème au sein
du GR 11 et au séminaire de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, enfin à
tous nos collègues français et étrangers qui se sont intéressés au sujet et
qui ont bien voulu nous apporter leur participation. Je les remercie de nous
avoir envoyé des communications et d'être venus pour nous assister dans
ce travai1.
Je désire vous entretenir maintenant du sujet lui-même et des recher-
ches qu'il a suscitées. Ce CoIJoque est le résultat de travaux anciens,
dans une certaine mesure~ il a bien entendu pour but - c'est un truisme -
de prom-ouvoir une recherche future. Un rapide historique nle paraît utile.
Pour nombre d'entre nous et pour moi-même - je m'excuse d'en parler -
cette recherche a débuté il y a longtemps au cours des missions dirigées
par Marcel GriauJe. Elle n'a pas été systématique dès le départ, mais eHe
s'est développée assez rapidement pour deux raisons principales. Nous
étions tous, à l'époque~ élèves de Marcel Mauss; je n'ai pas besoin de
rappeler ici aux participants ce qu'a été son enseignement; l'un des premiers
articles qui ait traité du sujet fut une contribution célèbre de notre maître
intitulée: «Une catégorie de l'esprit humain~ la notion de personne~ celle
de moi » f 1 ,.
Marcel Mauss n'a cessé, pendant ses cours et quelle que soit la
nlatière de ses conférences, aussi hien au Collège de France, à la Sorbonne
et à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. de souligner à quel point ce sujet

(1) M. MAUSS. Jourllul of lhe ROYal A nthropological Institute, LXVIII. 1938.


p. 263-81.
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était important. Bien qu'il n'ait pas fait de sa part l'objet d'un questionnaire
systématique, il faisait partie de son enseignement, riche foisonnement de
renseignements ethnographiques, de culture occidentale, en même temps que
des produits de sa curiosité d'esprit.
Ce problème a été, vous le savez, également abordé par son successeur,
le professeur Maurice Leenhardt, qui a publié un ouvrage traitant de la
{~).
notion de personne chez les Canaques
Donc, nous étions déjà amenés à penser que les problèmes qui nous
seraient posés sur le terrain - même en regard des questions plus classiques
envisagées à l'époque - comporteraient certainement l'examen de divers
aspects de la notion de personne, même si nous n'y étions qu'accessoire-
ment préparés. Pendant les enquêtes la chose s'est présentée de façon paral-
lèle. Elle s'est imposée progressivement à nous. Il faut ici rappeler que
les missions dirigées par M. Griaule ont été confrontées, dès le début, avec
les cérémonies spectaculaires des Dogon: il y a peu de populations où les
sorties de masques, les funérailles et cérémonies qui entourent la mort
soient aussi démonstratives. Il ne faut donc pas s'étonner que les premiers
travaux aient consisté justement à analyser les cultes funéraires, les sociétés
de masques et parallèlement le culte des ancêtres, en même temps qu'étaient
étudiées l'implantation territoriale, l'organisation sociale, les techniques, la
langue, etc.
Dès le début se sont posées des questions relatives au sujet: il a
été abordé dans tous les articles et les ouvrages consacrés aux Dogon,
dans des chapitres plus ou moins longs, avec des développements plus ou
moins grands. Naturellement l'étude s'est poursuivie au fur et à mesure
du déroulement des enquêtes: toutes les premières publications qui ont
suivi les missions d'avant-guerre et même d'après-guerre ont abordé la
notion de personne: Marcel Griaule, Solange de Ganay, Denise Paulme,
Deborah Lifchitz, Michel Leiris, J.P. Lebeuf, Dominique Zahan, Gene-
viève Calame, etc.
D'autres articles ont ensuite paru sur des sujets spécifiques: l'impu-
reté, le sacrifice, le matériel rituel ou profane, la cosmologie, etc. Plus
tard, ceci s'est encore développé lorsque les missions Griaule ont abordé
l'étude des Bambara, des Bozo, des Malinké, des Kouroumba, et ont mené
leurs enquêtes jusqu'au Tchad. Bien entendu cela s'est enrichi, au fur et
à mesure, de lectures d'articles et d'ouvrages réalisés par d'autres cher-
cheurs travaillant en Afrique Noire qui avaient reconnu, eux aussL l'intérêt
du sujet. Il s'est ainsi révélé de plus en plus important.
Je vous ai apporté une note manuscrite que j'ai trouvée dans les docu-
ments inédits de Marcel Griaule, pour conclure la première partie de ce

(2) M. LEENHARDT. Do Kan1o. La perSO/lne et le f11\'the dans le f1u)llde 111éla-


Ilésien, Paris. Gallimard, 1947. 259 p.
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Il

que j'avais à vous dire. Elle n'a pas encore été publiée: «La personne
- ce sont des notes prises au courant de la plume - problème central:
l'étude de toutes les populations de la Terre ramène finalement à une
étude de la personne. Quelle que soit J'idée que l'on se fasse d'une société,
quels que soient les rapports réels ou imaginés que soutiennent les indi-
vidus ou les communautés, il n'en reste pas moins qu.e la notion de personne
est centrale, qu'elle est présente dans toutes les institutions, représentations
et rites et qu'elle en est même souvent l'objet principal. Il se peut que cette
proposition aille à l'encontre des idées reçues concernant l'individu et son
indépendance à l'intérieur des sociétés «primitives» e~). Le développe-
ment de cette indépendance paraît impossible dans le climat de solidarité
constaté actuellement dans ces milieux. On suppose, peut-être gratuite-
ment, qu'il faut des moments exceptionnels pour créer des conditions de
fonnation d'individualités, par exemple comme celles des chefs. Et encore,
ne voit-on là que la projection, dans un contenant rare, de tous les éléments
formant la communauté. Le chef serait le vicaire ou le substitut du groupe
ce qui revient à ne reconnaître sa personne que comme une somme indi-
visible, exactement comme on conçoit le groupe. Il faudrait attendre un
élargissement des perspectives tribales pour observer les premières mani-
festations de l'individualité: migrations qui mettent le groupe de migrants
dans l'obligation de se concevoir autre que le noyau dont il se sépare;
formation des agglomérations; apparition de classes qui constituent des
fractions de plus en plus différenciées obéissant à des règles remaniées. Le
développement des techniques contribue aussi à précipiter ces phénomènes.
Elevage, agriculture, artisanat. ~rout cela est possible et au demeurant je
me suis défendu d'aborder le problème historique pour le moment. II
nous suffira de constater que dans les sociétés de ce type, dont la structure
ne semble pas avoir été sérieusement modifiée, la notion de personne est
d'une importance capitale».
Le problème que je viens d'évoquer dans le passé, nous l'avons vécu
au sein du Groupe de recherche Il du C.N .R.S. qui s'intéresse aux reli-
gions d'Afrique Noire. Un très grand nombre de nos collègues ont été
confrontés aux conceptions reJatÎves à la personne dans les ethnies où ils
poursuivaient leurs enquêtes, exactement comn1e nous l'avions été autrefois.
Nombre d'entre eux exposèrent le problème au cours des séminaires qui
se tenaient à l'Ecole des Hautes Etudes. Je ne peux que souligner à que]
point ces séminaires ont été utHes~ car le problèn1e de la personne a
été évoqué très souvent et commenté par des- auditeurs dont les compétences,
ne se IÏmitant pas à l'aire culturelle que je viens d'évoquer, débordaient
largement r Afrique. Ils ont apporté leur optique, leurs renseignements~ leurs

(3) Cf. J. MURPHY, The development of individuality in the ancient civilizations.


/\1élallges F. CU11101ld,11.
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hypothèses, enrichissant constamment le débat. Ce développement qui ne


s'est pas réalisé de façon systématique, mais empiriquement, peut-on dire,
a finalement conduit l'un de nos collègues, Michel Cartry, à établir
un questionnaire sur la notion de personne qui a été distribué à tous les
chercheurs qui s'intéressaient au problème et qui devaient se rendre sur
leur terrain de travail; également à ceux qui, venant d'Afrique, et assis-
taient aux conférences de l'E.P.H.E., désiraient traiter divers aspects du
sujet en partant des connaissances acquises dans leurs ethnies respectives.
Enfin, à la suite de ces travaux, ]a décision a été prise en commun,
au sein du G.R. I I, de préparer un colloque. Nous avons pensé qu'en effet,
après des débats qui restaient non coordonnés, dans lesquels les différents
aspects de la notion de personne étaient abordés sous des angles divers, il
serait très utile d'essayer de cerner davantage ce problème et par consé-
quent de le confronter avec les apports de tous ceux qui voudraient bien
s'intéresser à ce sujet. L'exemple nous avait été donné par l'organisation,
la préparation et la tenue du Colloque sur 1es phénomènes de possession
organisé par notre coIJègue Jean Rouch, et au cours duquel, justement,
les participants s'étaient tous heurtés à ce problème. On peut dire que
J'un des résultats intéressants du Colloque sur la possession - et il y en
a eu plusieurs - a été de souligner la nécessité d'un examen approfondi
de l'état de la recherche sur la notion de personne. De qui, de quoi
parle-t-on quand on parle de crise de possession? Quels sont les éléments de
la personne qui entrent en jeu? Quels sont les facteurs déterminants qui
interviennent? Tous les aspects du problème avaient plus ou moins été
évoqués par divers participants Jars du Colloque. La question a donc été
reprise par ceux-là n1ên1es qui avaient contribué à cette manifestation. Pen-
dant plus d'un an, depuis le printemps 1970 exactement, des réunions
hebdomadaires ont eu lieu et nous avons tous travaillé ensemble à la
préparation du Colloque qui se tient aujourd'hui. Vous avez pu lire les
résultats de ces débats qui ont été envoyés à ceux d'entre vous qui ont bien
voulu aujourd'hui nous honorer de leur présence f -t I.
Nous avions même pensé examiner le sujet en débordant l'aire géo-
graphique qui nous occupe aujourd'hui, sur deux points principaux:
1) Qu'est-ce que la notion de personne au sein de notre propre culture?
Nous avons réalisé qu'il serait bon de rechercher nos propres sources pour
savoir si, en abordant le problème en Afrique, nous employons des termes
adéquats - il Y a là une question de terminologie fort importante. En Occi-
dent, la notion de personne qui avait été exposée de façon si intéressante
par Marcel Mauss dans rarticle déjà cité. est liée à deux traditions: la

(4) Nalls reIllercions tout particulièrement MIlII' C. Cartry. M. K. Szendy et


]\;1111"
M. L. Ramanoelina qui ont contribué avec efficacité et dévouement à la prépa-
ration et à la tenue de ce colloque.
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tradition gréco-latine d'une part. la tradition judéo-chrétienne d'autre part.


L'une d'elles a été partieHement examinée au cours des séminaires de
l'E.P.H.E. Le ten1ps nous a manqué pour poursuivre (et ce n'était pas là
notre sujet stricto sensu), mais je tenais à dire que ce point particulier
avait fait partie de nos préoccupations.
2) Le second point envisagé et traité également partieUement au cours
des séminaires de l'E.P.H.E., concernait J'exan1en des théories ethnologiques
publiées par des auteurs anciens. que vous connaissez tous, et qui avaient
traité de la notion de personne: Frazer, Taylor, Durkhein1, Lévy-Bruhl,
Mauss, etc. Ceci sera repris dans une certaine n1csure, le dernier jour de
ce Colloque, par notre collègue M. L. Saghy, qui a bien voulu s'y inté-
resser et qui nous apportera ses observations. Je pense que les échanges
que nous devons avoir, ici, pendant la semaine qui va s'écouler, nous
permettront d'aborder pendant quelques instants - ce sera certainement
trop court - certains aspects des problèmes théoriques.
Je n'ai plus qu'à vous remercier encore, souhaiter que ces échanges
soient fructueux et renouveler à tous nlCS meiJleurs voeux de travai].

Germaine DIETERLEN.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N 1\
544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

INTRODUCTION

Il Y a maintenant plus de trente ans, Marcel Mauss tentait de dresser


un catalogue des formes que la notion de personne a prises en diverses
civilisations (1). Sans autre ambition que d'esquisser sur ce sujet ce qu'il
appelait «une ébauche de glaise», il invitait historiens et ethnologues à
en poursuivre l'étude approfondie en divers points du monde et du temps.
Mais cette fois son appel ne fut pas entendu, du moins du côté des ethno-
logues. Alors que l'Essai sur le Don donnait une impulsion décisive aux
recherches sur ~es formes archaïques de l'échange, la conférence de 1938
n'eut d'écho que chez de trop rares chercheurs. Il n'est pour s'en convaincre
que de parcourir les bibliographies d'ethnologie des religions de ces der-
nières décennies et d'y constater le peu de place qu'y occupent les titres
des travaux se rapportant à la notion de personne.
Certes de nombreuses Illonographies donnent des renseignements sur
le sujet, mais on en retire souvent l'impression que leurs auteurs n'abordent
ce thème qu'« en passant» et comme pressés d'arriver à l'examen de pro-
blèmes jugés plus dignes de se prêter à un traitement scientifique plus
rigoureqx ; rites funéraires, cultes des ancêtres, cérémonies d'initiation, etc...
Quelques pages, parfois seulement quelques lignes, sur les noms donnés aux
différentes « âmes», ou sur l'itinéraire de ces «âmes» après la mort,
quelques considérations sur les rapports du nom et de la personne et l'on
se tiendra quitte.
Comment expliquer cet état d'abandon? Pourquoi l'Anthropologie
sociale a-t-elle laissé en friche un champ de recherches auquel Lévy-Bruhl,
Mauss et Leenhardt avaient porté une attention si passionnée? Le souci de
se démarquer de l'ancienne anthropologie philosophique~ la peur de ne
pouvoir conceptualiser les faits autrement qu'en forgeant une nouvel1e
version de la théorie de la «mentalité primitive», comme aussi la crainte
d'être infidèle à l'idéal de positivité que comme toute science naissante,
elle revendique hautement pour elle-même, ne sont probablement pas les

(]) «Une catégorie de l'esprit humain=- la notion de personne, celle de «moi ».


un plan de travail ». Journal of the Royal A Ilthropological Institute (68). 1938:
263-281. Repris dans Sociologie et A llthropoLogie, Paris, P.U .F.. 1960: 331-362.
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JTIoindres des raisons à mettre en avant. Peut-être que la distance prise à


l'égard de ce genre de recherches était pour un temps nécessaire et comme
la condition d'un progrès. Peut-être lui doit-on l'avancement des études de
ces dernières décennies portant sur certaines institutions religieuses.
On peut néanmoins se demander si «l'état de stagnation générale» où,
comme on le constatait récen1n1ent, se trouve à nouveau l'ethnologie des
religions I:! I, ne doit pas lui être attribué.
Même si, pour diverses raisons, on ne peut plus aujourd'hui accepter
sans réserve les analyses sur la notion de personne menées par l'Ecole
Française de Sociologie, on ne peut contester ni l'intérêt théorique de la
problématique d'ensemble qui était soulevée, ni la pertinence des questions
posées pour quiconque est confronté à l'expérience du terrain. Ces ques-
tions, aucun ethnologue ne peut les éluder, dusse-t-il les formuler dans un
.
cadre conceptuel et un langage très différents.
Dans les représentations collectives de la « pensée sauvage» ûne place
importante est toujours laissée à ce que provisoirement on se contentera
d'appeler « une image de l'homme ». Même si le Bororo peut dire « Je suis
un ara», il se sait en même temps distinct de tout autre objet du monde
échappant toujours, en un lieu ou en un temps de lui-même, à l'un ou
l'autre de ses «doubles». Mais de plus. loin de rester dans l'impensé,
cette différence qu'il saisit fait pour lui l'objet d'un questionnement pas-
sionné. Pour lui comme pour tout autre Amérindien, pour l'Australien,
le Mélanésien, 1'Africain.
Parfois ce questionnement va si loin qu'il donne lieu à de véritables
spéculations théologiques et nlétaphysiques; parfois il s'exprime uniquement
dans Je langage du mythe; toujours~ et là même où la réflexion n'est pas
unifiée dans de pareilles constructions, il donne naissance à un foisonnement
de représentations, de notions et de signes d'une étonnante complexité.
De quelle source précieuse de renseignements se prive l'ethnologue des reli-
gions ou Je théoricien de la « pensée primitive» en n'accordant qu'un intérêt
marginal à ces manifestations de resprit.
Mais en se privant d'une telle source, J'ethnologue ne pêche pas
seulement par omission, il fausse gravement l'optique même de la science
dont il se réclame. Plus qu'une autre, pareille omission donne au chercheur,
le plus souvent étranger à la société qu'il étudie, une vision étroitement
ethnocentrique de son objet. En étudiant les institutions d'une popula-
tion donnée sans en même temps dévoiler les catégories au moyen des-
quelles y sont spécifiqueInent appréhendés l'être de l'homme autant que les
rapports de l'homme au monde et à J'institution, il subit les effets des méca-

(2) GEERTZ C., «Religion as a Cultural System », pp. 1-44 in Anthropological


A pproaches to the study of Religion. London. Tavistock Pub1ications, 1966,
Xl.I + 176 p. (A.S.A.~1onographs. 3).
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nismes bien connus de projection inconsciente de soi sur l'autre et, dans
ses descriptions apparemment les plus objectives, introduit une conception
du moi, du sujet, du corps et de l'âme héritée de sa propre culture.
Sans le formuler explicitement, Lévi-Strauss a profondément mesuré
ce risque en montrant que les démarches intellectuelles mises en œuvre
dans le totémisme des sociétés «archaïques» auraient perdu en grande
partie de leur mystère si les ethnologues qui s'en étonnaient s'étaient avisés
que dans notre civilisation «chaque individu avait sa propre personnalité
pour totem» (3). Quel que soit le groupe de faits sociaux étudiés, il n'est
peut-être pas de meilleur moyen pour évjter le piège de l'ethnocentrisme
que de prêter une attention scrupuleuse aux représentations indigènes
concernant le sujet, le corps et tous les principes ou entités qu'on classe
ordinairement sous la rubrique «âme». Pour peu que le chercheur sache
l'entendre, le discours de la «pensée sauvage» sur l'être de l'homme aura
pour effet en retour de lui permettre de prendre un véritable recul par
rapport au credo métaphysique de base que lui a légué sa propre culture
en pareil domaine.
Un véritable travail d'auto-analyse commencera ainsi pour lui comme
homo ethnographicus et il verra avec beaucoup plus de netteté que, loin
d'être fondée sur des concepts ou de prétendues «données immédiates de
la conscience», la conception occidentale de la personne repose sur un
ensemble de croyances qui n'est ni plus rationnel, ni plus naturel que
l'ensemble des représentations sous tendant l'image de l'homme que s'est
construite la «pensée sauvage» ou sous-jacent à des institutions, comme
le totémisme, le culte des ancêtres ou la sorcellerie.
Ce n'est pas un ethnologue, mais un théoricien de la psychanalyse qui
a su avec le plus de vigueur marquer la forme de naïveté ethnocentrique
à laquelle est nécessairement conduit l'analyste de la pensée «primitive»
lorsqu;n se transporte dans son champ d'étude avec la conviction que dans
l'évolution de la pensée occidentale, le moi et la personne sont devenus
des idées claires et distinctes: «seule la mentalité antidialectique d'une
culture qui... tend à réduire à l'être du moi toute l'activité subjective peut
justifier l'étonnement produit chez un Van den Steinen par le Bororo qui
profère: «J e suis un ara» ». Et tous les sociologues de la «mentalité
primitive» de s'affairer autour de cette profession d'identité qui pourtant
n'a rien de plus surprenant pour la réflexion que d'affirmer: «Je suis
médecin»... et présente sûrement moins de difficultés logiques que de
promulguer: «Je suis un homme» ... (4). Si le moi est par essence le

(3) La pensée sauvage. Paris, Plon, 1962, p. 285.


(4) LACANJ., «L'agressivité en psychanalyse ». Revue Française de psychanalyse,
3, juill.-sept. 1948: 367-388 [Repris dans Ecrits, Paris, Seuil, 1966, 117-118].

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lieu de la méconnaissance et du leurre (5), il en résulte en effet que la


promotion de ce moi par notre culture masque plutôt qu'elle ne dévoile
l'être de l'homme. Analyser cette promotion non comme un progrès dans
la conscience que l'homme a de lui-même, mais comme le produit d'une
aliénation propre à notre histoire sociale et culturelle, permet à l'ethno-
logue d'opérer un véritable changement de perspective dans l'approche des
notions liées à la catégorie de la personne. Autrefois on voyait dans le
fait des «appartenances» et des «participations» l'indice d'une capacité
inférieure de synthèse propre à «l'homme primitif» face aux sensations
qui le font réagir à la réalité externe et interne. Cette évolution autorisait
tous les rapprochements avec le monde de l'enfant et le monde désorganisé
de la «conscience morbide». Mais si l'on s'avise qu'il appartient à
l'essence de ce moi, de négliger, de «scotomiser» et de méconnaître bien
des aspects de la réalité, alors les «positions d'identité» qui se manifestent
dans les jugements d'appartenance peuvent nous apparaître comme plus
riches d'enseignement sur le fonctionnement des mécanismes primordiaux
d'identification à autrui et au monde, que les expériences des psychologues
sur les fonctions de synthèse du moi. Ainsi une distance critique sans
cesse accrue de l'ethnologue par rapport à « l'idolâtrie» du moi, le rendra
plus disponible pour écouter librement le dire des « sauvages» sur l'homme.

1. Les différents aspects de la notion de personne.

Ces premiers éclaircissements donnés sur les raisons théoriques qui


ont conduit certains membres du GR Il à proposer la tenue d'un Colloque
sur le thème de la notion de personne, nous devons maintenant apporter
quelques précisions sur le sens qu'il fut convenu de donner à ce terme
et par là même indiquer les principales orientations du programme de
cette réunion scientifique.
~
Dans les pages précédentes, nous avons posé sans discussion qu'une
recherche sur la notion de personne devait porter sur l'ensemble des repré-
sentations au moyen desquelles une société se forge une certaine image de
l'homme, de son corps, de ses « âmes» et de ses différents principes «spi-
rituels». En prenant le terme de personne dans une acception aussi large,
et donc aussi vague, que celle «d'image de l'homme» et en proposant
ce sujet comme thème de Colloque, n'avons-nous pas empêché la
naissance d'un débat centré sur une problématique précise? Le terme
de personne a suivi une évolution complexe et a pris des sens assez diffé-

(5) Voir notamment: «Le stade du miroir comme formateur de la fonction


du Je ». Revue Française de Psychanalyse, oct.-déc. 1949: 449-455 [Repris dans
Ecrits: 93-100].
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rents. N'aurait-il pas été plus intéressant de ne retenir qu'un des usages du
terme, l'un des moins imprécis? Parce qu'il est trop marqué par l'histoire
du Christianisme, l'on pouvait à priori exclure l'usage qu'il a pris en théo-
logie avec le sens de «substance rationnelle, indivisible et individuelle».
Mais le choix restait possible entre plusieurs autres usages différenciés. On
pouvait opter pour l'usage juridique, le plus proche du sens du mot grec
prosopon, dont dérive probablement le mot étrusque perso, puis le mot
latin persona. Prise dans cet usage, celui-là même retenu par Mauss dans
la plus grande partie .de son étude, la notion de personne impliquait une
recherche sur les liens possibles entre l'idée de rang, de statut, de dignité
ou d'état, d'une part, l'idée de masque (celui qu'on porte devant soi
ou à travers lequel résonne la voix de l'acteur (6», de porteur de
masque, ou encore de personnage jouant un rôle dans un drame
social et sacré, d'autre part. On pouvait également retenir l'usage moral
et psychologique du terme, la personne impliquant ici l'idée d'un être
individuel, conscient de soi, raisonnable et responsable, capable, quels que
soient son « état» ou sa condition, de se déterminer par des motifs dont il
puisse justifier la valeur devant d'autres êtres raisonnables. Enfin le choix
pouvait porter sur la catégorie voisine du «moi» à laquelle, depuis Fichte,
la catégorie de la personne finit par s'identifier (7).
Certains membres du GR Il estimaient qu'il était préférable de res-
treindre ainsi le sujet du Colloque et de limiter l'investigation à l'une ou
l'autre des acceptions de la notion de personne. Mais, après de nombreuses
discussions, une opinion majoritaire se dessina pour laisser toute liberté
aux participants dans le traitement du thème proposé. Il apparut, en effet,
qu'en prenant pour point de départ l'un des sens que la tradition occiden-
tale a donné à la notion, l'on risquait de s'enfermer dans une problématique
d'inspiration judéo-chrétienne qui était peut-être complètement étrangère
aux modes de pensée des sociétés d'Afrique Noire. Dans une première
étape, il était indispensable que les chercheurs puissent aborder l'étude de
la notion sous tel ou tel de ses aspects, celui-là même sous lequel les maté-
riaux recueillis se laisseraient le mieux analyser.
Si une problématique spécifique existait, liée à cette notion, qui soit
propre à l'Afrique, ou à telle ou telle de ses aires culturelles, ce serait pré-
cisément le but du Colloque de la dégager en termes précis afin de la
proposer comme prochain thème pour une éventuelle réunion scientifique
ultérieure.
Mais une autre objection se présentait. Si le but du Colloque était de

(6) On sait que cette explication étymologique de persona a probablement été


inventée après coup.
(7) Pour ces différents sens de la notion de personne, voir notamment:
LALANDEA., Vocabulaire technique et critique de la Philosophie. Paris, P.U.F., 1973.
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solliciter des travaux prenant pour objet les systèmes de représentations


concernant l'image de l'homme (son corps, ses « âmes», ses «principes»),
pourquoi avoir retenu le terme de personne et non une expression moins
marquée par l'histoire de la pensée occidentale. Si des débats du Colloque,
il devait ressortir que la notion de personne, dans l'une ou l'autre de ses
acceptions, était complètement étrangère à la pensée africaine, alors nous
courrions le risque de proposer un débat scientifique autour d'un faux
problème. A cette objection, on ne peut répondre de front. Provisoirement,
on invoquera seulement la reprise d'une tradition terminologique qui s'est
progressivement fixée dans l'ethnologie française. Notre programme de
travail recouvrant à peu près l'ensemble des questions que s'étaient
posées Mauss, Leenhardt et Griaule dans des travaux dé90rmais classiques,
pourquoi ne pas reprendre la rubrique qu'ils avaient eux-même retenue
pour traiter ces questions.

2. Composition de l'ouvrage.

Cet ouvrage rassemble 32 études qu'on peut répartir eh différents


genres selon la façon dont elles utilisent le matériel ethnographique.
Deux études se présentent comme des essais d'évaluation critique de
la notion de personne en général. Sans référence spéciale à l'Afrique, elles
s'interrogent, l'une, sur les présupposées théoriques qui président à l'emploi
de cette notion dans toute société humaine (E. Ortigues), l'autre, sur la
valeur et les limites des analyses de l'Ecole Française de Sociologie
(L. Saghy).
Trois autres études prennent la forme d'essais de synthèse. Par des
références multiples, mais seulement allusives, à un très grand nombre de
sociétés africaines, elles tendent à formuler des propositions générales appli-
cables à l'ensemble de l'Afrique Noire, et ceci, soit à propos d'un problème
théorique particulier (étude de R. Bastide sur le principe d'individuation),
soit au sujet des formes variées que prend, ici ou là, la notion de personne
(A. Hampate Ba et L.-V. Thomas).
Se situant dans une perspective ethna-psychiatrique, l'étude de Mme
J. Monfouga prend également pour objet un problème théorique (l'orga-
nisation spatio-temporelle de la personne) mais, cette fois, à partir de l'ana-
lyse clinique d'un cas individuel.
Reste un ensemble de 25 contributions qui, malgré la diversité des
angles de vue, ont en commun de rester très proches du matériel
ethnographique, d'un matériel géographiquement bien circonscrit, et, le plus
souvent, recueilli de première main. Parmi ces dernières contributions, quatre
d'entre elles adoptent un point de vue comparatif: soit en s'efforçant de
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dégager un modèle structurel commun dans l'organisation d'un groupe de


croyances et d'institutions propres à un ensemble régional culturellement
ho'mogène (M. Augé, L. de Heusch, P. Smith), soit en analysant les
ressemblances et les différences entre les représentations de la personne
du souverain que se sont données des sociétés appartenant à des régions
de culture totalement différentes (Mme A. M.-D. Lebeuf). Les 21 autres
contributions de cette dernière série peuvent être considérées comme des
monographies, même si elles ne traitent de la notion de personne que dans
un contexte institutionnel particulier (le système politique, ou les rites
funéraires, ou la magie-sorcellerie).

3. Distribution des ethnies.

Abstraction faite des matériaux de seconde main, puisés ici ou là


dans la littérature ethnographique, la documentation qui est présentée et
traitée dans cet ouvrage provient d'environ vingt trois groupes ethniques (1).
La liste des ethnies a été établie progressivement durant les phases prépa-
ratoires du Colloque et sa composition finale est beaucoup plus le résultat
du hasard que de la volonté de constituer un échantillon représentatif de
l'ensemble des sociétés d'Afrique Noire, sur la base de tel ou tel critère
déterminé. Il ne pouvait en être autrement, car aurions-nous su à priori
quelles étaient les variables intéressantes à retenir (culturelle, socio-écono-
mique, degré de changement sous l'influence d'une grande religion, etc.), il
est peu probable qu'on eût réussi à s'assurer la collaboration des spécialistes
des populations entrant dans notre échantillon idéal.
La carte hors-texte qui suit montre clairement que la distribution géo-
graphique des ethnies considérées est très inégale. Alors que l'Afrique de
l'Ouest est représentée par 17 groupes ethniques, l'Afrique centrale et équa-
toriale, d"une part, l'Afrique orientale~ d'autre part, ne le sont seulement
que par cinq groupes (Kotoko, Mitsogo, Batetela et Baluba pour l'Afrique
centrale et équatoriale, Lugbara pour l'Afrique orientale). N'y figure par
ailleurs aucune population d'Afrique australe.
Du point de vue «du genre de vie », cette liste n'est pas non plus
représentative de l'ensemble de l'Afrique sub-saharienne, puisqu'elle ne
comprend presque exclusivement que des populations d'agriculteurs. Des
matériaux précis sur les croyances et les institutions liées à la notion de
personne dans des groupes de chasseurs-cueilleurs ou d'éleveurs nomades
auraient peut-être soulevé des questions théoriques entièrement nouvelles.

(8) Vingt-cinq si l'on traite comme des entités différentes les Yoruba de dia-
]ecte oyo et les Nago respectivement étudiés par M. W. Abimbola, d'une part, par
Mme et M. Dos Santos, d'autre part.
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Une carte de la distribution des ethnies en fonction des grands types


de civilisation ou «d'aires culturelles» diverses, ferait également appa-
raître de grandes zones vides. On ne relève notamment aucune monographie
sur les sociétés de l'Afrique de l'Est appartenant au contexte pastoral
nilotique.
Beaucoup de participants au Colloque ont déploré l'extrême rareté
des communications portant sur le monde bantou. Si du point de vue
linguistique, la frontière séparant les Bantous, des Soudanais occjdentaux,
est beaucoup moins nette qu'on ne le pensait autrefois, elle garde proba-
blement une grande importance dans le domaine des représentations et des
pratiques religieuses ou magiques. L'étude de L. de Heusch met vigoureu-
sement l'accent sur cette distinction et parle même d'opposition à propos
des systèmes de représentations liés à une notion aussi capitale que celle
de gémellité. Pour étayer ou nuancer cette thèse, il aurait été souhaitable
d'avoir sur les sociétés bantous, et notamment sur les Bantous méridionaux,
une documentation aussi variée que celle dont nous djsposions sur les
sociétés d'Afrique occidentale.
Trop restreinte pour autoriser des généralisations applicables à l'en-
semble de l'Afrique Noire, la liste des ethnies retenues nous offre, en
revanche, une base sérieuse pour une étude comparative des formes prises
par la notion de personne dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Parmi
les 18 populations de l'Afrique de l'Ouest ici considérées, 15 appartiennent
à la vaste famille linguistique dite «nigéro-congolaise» et se distribuent de
façon assez équilibrée dans 3 de ses sous-familles constituantes. Les 3 autres
groupes d'Afrique de l'Ouest, Rausa, d'une part, Zerma-Songhay, d'autre
part, appartiennent à des familles linguistiques qui sont surtout représentées
dans d'autres parties du Continent (la famille afro-asiatique et la famille
nilo-saharienne) mais des liens historiques très anciens les rattachent inti-
mement aux sociétés mandé et voltaïques de la famille nigéro-congolaise.
Ces 18 sociétés d'Afrique de l'Ouest présentant un certain degré
d'homogénéité culturelIe, il eût été jntéressant de comparer leurs diffé-
rentes conceptions de la personne en prenant comme variable les diffé-
rences relatives aux modes d'organisation sociale et politique. Des dis-
cussions du Colloque, il ressortit que les différences tenant au degré de
stratification sociale, à la présence. ou à l'absence de groupes ordonnés
dans un système hiérarchique (présence ou absence de classes ou de
castes) pouvaient fournir une variable particulièrement significative (cf.
notamment la communication de J.P. Olivier de Sardan montrant qu'on
ne pouvait traiter le système de représentations lié à la personne chez les
Songhay-Zerma sans faire intervenir les différences de points de vue entre
les maîtres et les captifs).
Mais d'autres critères pouvaient être retenus pour la comparaison et
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notamment celui des changements intervenus sous l'effet des modèles


introduits par l'Islam ou le Christianisme. Certains participants firent des
suggestions dans ce sens et, en particulier, pour proposer des études prenant
pour objet les effets des modèles d'inspiration arabe sur ce que Mauss
appelait les « techniques du corps» et l'image du corps qui leur est associée.

4. Les différents modes d'approche.

Trois directions de recherche ont prévalu. Pour les uns, le but recherché
était de restituer aussi fidèlement et aussi complètement que possible les
systèmes de pensées ou de représentations indigènes et d'en dégager la cohé-
rence interne. Le champ des problèmes abordés dans cette perspective est
très vaste et recouvre presque totalement les différents aspects de la notion
de personne que nous avons rappelés plus haut. Si l'accent fut surtout mis
sur l'image du corps et les différentes composantes «psychiques» de l'indi-
vidu, les notions de personnage, de personnalité ou de caractère furent
également considérées et analysées. Ce qu'on pourrait appeler «l'eschato-
logie » de la personne (préexistence de l'âme au corps, choix pré-natal
du destin, devenir des âmes après la Inort) est l'un des autres thèmes qui
retint particulièrement l'attention. Dans l'ensemble de ces travaux centrés
sur l'étude des représentations, les vastes et impressionantes synthèses qui
nous furent données sur les Malinké, les Bambara et les Dogon occupent
une place à part car la conception de la personne et en particulier l'image
du corps y furent étudiées en liaison directe avec la cosmogonie.
Pour une autre catégorie de chercheurs, il s'agissait moins de dégager
la cohérence d'une doctrine que d'analyser comment telle ou telle notion
liée à la personne est comprise et utilisée dans un cadre institutionnel précis
ou en tel 'ou tel point du système des relations sociales.
Enfin, pour un petit nombre de participants, le souci majeur fut de
chercher à repérer derrière les modèles indigènes une structure inconsciente
plus profonde.
Les participants qui n'avaient pas eu l'occasion d'enquêter de manière
systématique sur le thème de la personne furent naturellement enclins à
adopter la seconde optique. Pour expliquer le choix des uns et des autres,
on peut également invoquer des différences tenant à la nature même des
sociétés étudiées quant au degré de raffinement ou de cohérence de leurs
spéculations centrées sur la personne. A propos des Tallensi, Songhay-
Djerma et des Rausa, Meyer Fortes, Olivier de Sardan et Piault ont
souligné ce point en faisant remarquer que face à la complexité des pra-
tiques rituelles, les représentations concernant la personne paraissaient rela-
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tivement pauvres; d'autant plus pauvres qu'on les mesurait à l'échelle « des
édifices majestueux» construits par les sociétés dogon, malinké et, dans
une moindre mesure, yoruba.
Mais la différence des optiques tient aussi, et pour une large part,
à des options théoriques et méthodologiques divergentes où l'on retrouve
parfois des divergences d'école (fonctionnaliste ou structuraliste).
Des discussions eurent lieu sur ces problèmes d'orientation théorique
et méthodologique. Si elles ont trop souvent tourné court, cela tient prin-
cipalement au fait que les conférenciers ont pour la plupart négligé de
rappeler leurs exigences de principe en matière d'explication ethnologique,
puis, ce modèle idéal défini, d'indiquer clairement la portée et les limites
de leurs contributions. Ces précisions préalables auraient évité' bien des
malentendus: au lieu de prendre acte de divergences irréductibles, on
serait peut-être parvenu à dégager des liens de complémentarité entre ces
différentes approches.
Des représentants de ce que nous appellerons la première tendance, on
eut aimé savoir quelle est la place et la portée qu'il convenait, selon eux,
de donner aux constructions spéculatives et aux mythes indigènes dans
la connaissance ethnologique qu'on peut prendre d'une société. A cette
question, je pense que deux types de réponses auraient été apportés.
Certains chercheurs auraient volontiers reconnu qu'il n'y avait pas
lieu d'accorder un privilège absolu au niveau stratégique qu'ils avaient
choisi et au genre de matériaux qu'ils avaient collectés. Exprimée à la
première personne, leur argumentation aurait probablement pris la forme
suivante: nous avons relevé des traces nombreuses d'un système de pensée
fortement structuré à propos de la notion de personne et nous nous sommes
assignés comme but quasi-exclusif d'en restituer toutes les articulations et
d'en rendre toute la richesse. Ce faisant, nous sommes prêts à admettre
que ce système n'est pas connu de tous mais seulement d'un nombre
restreint de «docteurs indigènes». Certes ce système présente à nos yeux
d'autant plus de valeur qu'il fournit l'explication la plus économique et la
plus élégante des pratiques rituelles nombreuses liées à la personne. Néan-
moins, il ne permet pas d'expliquer toutes ces pratiques et il n'épuise
pas le sens de toutes celles qu'il contribue à expliquer.
Mais d'autres chercheurs de la même tendance auraient probablement
donné une réponse plus ambitieuse. C'est du moins ce qu'on peut induire
de leurs communications puisqu'on y fait clairement entendre qu'il n'est
pas de geste ou de formule rituelle, qu'il n'est pas d'institution qui ne
trouve son explication dans tel ou tel épisode du mythe d'origine.
Face à cette dernière attitude, la critique d'inspiration fonctionnaliste
reprend ses droits. En rassemblant des matériaux de provenance diverse
et en les intégrant dans un discours unique, est-ce qu'on ne risque pas de
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créer une nouvelle structure mythique? En admettant qu'il y ait un mythe


unique, est-il concevable d'admettre qu'il fasse vraiment partie du savoir
public de la communauté et ceci en raison même de sa complexité? N'est-il
pas plutôt transmis qu'à un petit nombre d'initiés? Si tel est le cas, est-ce
qu'il n'existe pas à côté de ce savoir ésotérique, un savoir populaire qui
pour expliquer rites et institutions met en œuvre un tout autre type de
causalité? Ne peut-on notamment repérer un savoir de «classe» ou de
caste, qui, sur bien des points, est en contradiction avec le discours des
initiés? Est-ce que les catégories du mythe sont vraiment vécues et infor-
ment-elles réellement la vie des gens? Enfin et surtout, est-ce que le
mythe ne fait pas lui-même partie de la réalité sociale à expliquer? Est-ce
qu'il ne remplit pas une fonction qui échappe aux intéressés eux-mêmes?
Certaines de ces questions surgirent au cours des débats du Colloque.
Soucieux de déployer tous les raffinements du système de pensée souvent
extraordinaire qu'ils présentaient, les chercheurs auxquels elles s'adressaient,
n'y ont pas toujours répondu.
Mais les chercheurs de la tendance fonctionnaliste ont eux-mêmes
laissé bien des zones d'ombre dans l'exposé de leur méthodologie. En
réduisant le mythe à sa fonction de charte sociale légitimant les rapports
d'inégalité d'une société et en ne retenant du complexe notionnel et insti-
tutionnel lié à la personne que des «stéréotypes» ou des recettes opéra-
toires utilisés comme réponses à des situations sociales conflictuelles, n'ont-ils
pas forgé une grille sociologique qui ne retient que peu de choses
des données à expliquer? En morcellant le discours indigène sur la personne
en autant «d'idéologies» qu'il y a de groupes distincts du point de vue
du rôle joué dans la reproduction sociale, dans la distribution des richesses
ou dans la répartition du pouvoir (maîtres-captifs, nobles-roturiers, aînés-
cadets, hommes et femmes), l'optique fonctionnaliste ne se ferme-t-eIle
pas l'accès à des catégories inconscientes plus originaires communes à
l'ensemble du corps social et qui font partie de la substance même d'une
culture? '

L'optique structuraliste n'a guère été représentée pendant le Colloque.


Dans son inspiration générale, elle a néanmoins été illustrée par les brillants
essais de synthèse de P. Smith et L. de Heusch. Une représentation plus
large de cette école aurait peut-être permis une confrontation plus féconde
entre les chercheurs des deux premières tendances. De la première ten-
dance, elle se serait sans doute rapprochée dans le refus d'assigner une
origine sociale aux catégories comme le fait une sociologie de la connais-
sance d'inspiration durkheimienne. En revanche elle aurait probablement
récusé son mode de lecture des mythes et la façon dont elle utilise ce
dernier pour expliquer les institutions sociales.
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5. Quelques directions de recherche.

Les études ici rassemblées abordent l'analyse de la notion de personne


sous des angles de vue trop diversifiés pour qu'il soit possible d'en dégager
une synthèse valable. Dans ce «polypier d'images ~, dans cette mosaique
de notions, de connaissances et de comportements, on peut néanmoins
opérer quelques regroupements. Des faisceaux. de croyances, des préoccu-
pations métaphysiques identiques, des courants de pensée voisins se laissent
.
repérer ici ou là, concernant tel ou tel aspect de la notion. Ce sont ces
quelques points de rencontre que nous voudrions signaler en espérant ainsi
poser quelques jalons en vue d'un véritable travail comparatif.

5.1. La personne et le nombre.

Les communications de Hampate Ba, Y. Cissé,G. Dieterlen et A.


Néron de Surgy montrent que les spéculations centrées sur les rapports
de l'homme et du monde ont parfois donné naissance en Afrique Noire
à une arithmologie savante. «Le mystère de la création se trouve dans le
nombre », dit une devise bambara rapportée et commentée par Y. Cissé.
Deux figures tracées sur le sol, le banangolo et le sumangolo, donnent une
représentation sensible -de ce mystère. Elles servent d'abord d'armature à
un jeu auquel s'adonnent les enfants bambara et qui permet aux adultes
de tester leur degré d'intelligence. Mais en étudiant progressivement la
loi de composition formelle de ces figures complexes, l'adulte s'initie gra-
duellement à la connaissance du mystère lui-même. En examinant atten-
tiveement les figures et en dénombrant ses éléments constitutifs, il re-
trouve les nombres de base de la création et les rapports numériques
communs à la structure de l'homme et à la structure du monde. Il apprend
ainsi qu'aux 266 catégories entre lesquelles s'ordonnent les différents élé-
ments de l'univers, répondent les 266 jours du cycle de la gestation
humaine et les 266 éléments dont se compose le caractère de l'homme (son
tere). Il comprend également qu'il y a d'intimes correspondances entre
la structure anatomique du corps humain et certains cycles astronomiques:
aux 33 segments du banangolo correspondent les 33 pièces osseuses de la
colonne vertébrale «< le centre de gravité de l'homme») et les 33 années
lunaires au terme desquelles calendrier solaire et calendrier lunaire coinci-
dent de nouveau.
D'où provient cette arithmologie complexe? De tout un jeu de spécu-
lations centrées sur la structure formelle des figures géomantiques, nous
répondent Y. Cissé et A. Néron de Surgy. A propos des Ewé, une popu-
lation située en dehors de la sphère d'influence connue des Malinké, ce
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dernier chercheur nous propose un schéma qui permettrait d'expli-


quer ce modèle de la genèse d'un monde dont tous les composants se
laisseraient subsumer sous 266 catégories et qui fournirait en même temps
une hypothèse sur l'origine des 256 figures des géomancies africaines de
type IF A.

5.2. La structure de la personne et l'image du placenta.

Plusieurs chercheurs ont mis l'accent sur l'importance des modèles


de type « biologique» dans l'élaboration des idées africaines relatives à la
structure de la personne. Ce point nous apparaît comme l'une des princi-
pales acquisitions du Colloque.. Dans plusieurs sociétés, la création est
beaucoup plus conçue sur le modèle de la reproduction biologique que
sur celui de la création artisanale et c'est ce qui explique sans doute les
développements parfois extraordinaires concernant la notion de placenta
qu'on trouve non seulement chez les Mandé mais également chez les
y oruba, les Ewé et les Gourmantché. La conception qu'on se fait de cette
substance vivante nous invite à reconsidérer les analyses habituelles des
notions liées aux composantes «psychiques» de la personne. Les entités
qu'on appelle ordinairement «principes spirituels» sont parfois d'abord
conçues comme des signes inscrits dans le placenta. L'ontogénèse répète ici la
phylogénèse. Le développement de l'individu dépend de la nature du signe
inscrit dans la substance qui le rattachait à sa mère comme le développe-
ment de l'espèce humaine dépend des signes inscrits dans le placenta
primordial dont résulte toute la création. Cette idée a probablement des
implications beaucoup plus vastes qu'on ne peut d'abord le soupçonner et
conditionne peut-être certaines représentaitons liées à la sorcellerie. Et
G. Dieterlen a pu proposer cette hypothèse: est-ce que le manque per-
manent qu'on attribue au sorcier et qui le pousse à s'approprier la substance
de ses victimes n'est pas conçu par la pensée africaine comme un manque
ontologique originel lié à quelque bouleversement survenu dans son histoire
placentaire?

5.3. La notion d'un choix prénatal.

Dans Oedipus and Job, M. Fortes avait su établir qu'en Afrique occi-
dentale, la notion de chance et de malchance était intimement associée à
(9).
l'idée d'une destinée choisie par «l'âme» dans sa vie pré-terrestre
Plusieurs études de cet ouvrage montrent tout le bien fondé de cette thèse.
Autour de cette notion de choix prénatal, on trouve chez les Yoruba,

(9) FORTESM., Oedipus and Job in West African Religion. Cambridge, University
Press, 1959, 81 p.
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les Tallensi, les Sarno et les Gourmantché des croyances extrêmement voi-
sines. Quelque chose de l'individu qui lui préexiste choisit son futur destin
terrestre et c'est en invoquant ce choix que le devin peut expliquer les
succès répétés des uns, les échecs en série des autres dans des domaines
aussi divers que l'acquisition des richesses, la recherche du pouvoir ou le
désir de procréer. Certaines «âmes» ne demandent rien, d'autres deman-
dent trop, certaines encore choisissent un destin funeste (la maladie, la
stérilité ou la mort).
Ces versions africaines du mythe d'Er nous fournissent une riche
matière comparative et il serait intéressant d'étudier notamment les
variations de ce même complexe de croyances quant aux possibilités
rituelles prévues par les différentes sociétés pour infléchir cette destinée
dans un sens favorable. L'approfondissement de cette doctrine nous ramè-
nerait peut-être à l'idée d'un signe individuel inscrit dans le placenta.
C'est en tout cas ce que suggèrent les études consacrées aux Yoruba et
aux Gourmantché.

6. Une idée directrice: la gémellité.

La notion de gémellité apparaît comme le thème dominant du Colloque.


Presque toutes les communications s'y réfèrent et certaines d'entre elles y
consacrent de si longs développements qu'on ne peut s'empêcher d'y voir
comme une idée directrice autour de laquelle s'ordonnent toutes les
croyances principales relatives à la personne.
Il n'est pas une société d'Afrique Noire qui n'ait élaboré un système
complexe de représentations et de rites concernant les jumeaux. Qu'elle
soit attendue avec joie ou appréhendée dans la crainte, la naissance de
jumeaux est toujours perçue comme un présage à decrypter, comme une
sorte de prodige dont le surgissement ébranle l'ensemble de l'ordre cosmi-
que et de l'ordre social, soit qu'elle les compromette, soit, au contraire,
qu'elle les régénère.
Pour les Dogon, les Bambara et les Malinké, les jumeaux rappellent
et incarnent l'idéal mythique. Ils sont comme les représentants d'un état
de perfection ontologique, état que les non-jumeaux ont définitivement
perdu. Les premières créatures vivantes étaient des couples de jumeaux
de sexe opposé. La perte de la gémellité et de la gémelliparité est le prix
que les hommes durent payer pour la faute commise par l'un des ancêtres.
Mais la naissance de jumeaux rappelle cette condition heureuse et c'est
pourquoi elle est partout célébrée avec joie. Les jumeaux sont censés
invulnérables et ils jouent un rôle décisif dans tous les rites liés à la fécon-
dité.
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Mais il Y a davantage, car l'idée de gémellité déborde largement le


champ des croyances liées aux jumeaux proprement dits. La structure de
la personne de l'individu né unique est de type gémellaire. Ses principes
« spirituels» sont conçus selon le modèle de couples de jumeaux de sexe
opposé. La structure des institutions sociales (relations à plaisanterie,
commerce, initiation) comme la structure du monde, sont elles-mêmes
fondées sur ce modèle.
Les Bobo Fing semblent avoir une conception très voisine. Non seu-
lement les jumeaux sont reçus avec joie, mais ils interviennent de façon
essentielle pour protéger l'âme du mil. Et G. Le Moal nous décrit en détail
une cérémonie complexe dont l~ finalité est de réaliser une mise en contact
de l'âme des jumeaux et des semences de mil, avant que celles-ci ne soient
confiées à la terre.
La conception ewe de la gémellité se présente comme un groupe de
transformation du modèle dogon-bambara. La cosmologie ewe est elle-
même basée sur le principe de gémellité. Aux quatre couples de jumeaux
de sexe opposé conçus dans le placenta d'Amma correspondent quatre
paires de signes de même polarité, puis de polarité opposée, créées par
une Déesse-mère, au sein du placenta primordial. Les jumeaux rappellent
donc également le mystère le plus reculé de la création.
Mais avec les Ewe, les jumeaux semblent passer du côté du désordre.
Alors que les jumeaux dogon symbolisent le triomphe du Nommo sur le
Renard et célèbrent la substitution d'un monde ordonné, humide et fécond,
à un monde sec et stérile, les jumeaux ewe sont placés sous le signe de
« puissances sataniques» liées au désordre, à la stérilité et à la sécheresse.
Certes, ces puissances coopèrent à l'œuvre de Dieu, mais elles sont toujours
susceptibles d'échapper à son contrôle et de compromettre sa création.
Comme ces «puissances sataniques» dont ils rappellent l'irruption dans
le règne humain, les jumeaux ne sauraient être abandonnés à eux-mêmes,
car alors, leur milieu d'élection, la brousse, recouvrirait le monde humain
du village.
Un autre groupe de transformation nous est donné par certaines
populations bantous considérées par L. de Heusch (Baluba, Ndembu, Lele,
Thonga) et par une population d'Afrique orientale, les Lugbara, étudiée
par J. Middleton. Qu'ils soient « des enfants du malheur» (Baluba), «des
fils du ciel» (Thonga), des métamorphoses d'animaux (Ndembu et Lele),
les jumeaux sont avant tout des puissances dangereuses car ils représentent
comme l'abolition d'une distance nécessaire à maintenir entre des termes
opposés (l'homme et l'animal, le ciel et la terre, etc...). Mais comme l'abo-
lition momentanée de cette distance s'impose parfois pour faire venir la
pluie ou pour que la chasse soit fructueuse, ils retrouvent une certaine
positivité. Avec les Lugbara, les jumeaux représentent des créatures telle-
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ment exceptionnelles qu'ils rejoignent la classe des «hommes-choses» et


s'opposent à la classe des «hommes-personnes ».
Comment interpréter ces ressemblances et ces différences? Pour y
parvenir, il ne suffit pas d'opposer les systèmes d'attitudes dans l'accueil
fait aux jumeaux. Il faudrait étudier le principe de gémellité en fonction des
conceptions variables que se font les sociétés africaines de la création et
de l'ordre cosmique. Il faudrait également analyser ce principe dans la
perspective d'une étude centrée sur l'image du corps afin de repérer les
modalités diverses d'un idéal spécifique de corps redoublé et multiplié.

7. L'homme et le monde.

TI serait vain de chercher à dégager comme une sorte de profil moyen


de la conception africaine de la personne. En s'inspirant étroite1)1ent des
réflexions de Augé, dans l'étude qu'il a consacrée à l'analyse des résis-
tances opposées par les sociétés lagunaires de Côte d'! voire aux tentatives
de «subversion» idéologique opérées par les divers propagandistes du
modèle occidental et chrétien de la personne, on peut tenter de présenter
quelques remarques d'ordre général sur ce qui peut apparaître comme un
substrat commun dans l'idée générale qu'on se fait en Afrique des rapports
de l'homme et du monde.
Derrière la diversité des modèles, on retrouve toujours, nous dit Augé,
une référence constante aux notions d'entourage, d'héritage et d'innéité.
Les explications données pour situer l'origine, la nature ou les effets de
tel ou tel élément de la personne (principe, force, pouvoir, disposition) font
toujours jouer l'une et l'autre (ou l'une ou l'autre) de ces notions. Et l'on
retrouve le même souci d'un tel cadre référentiel dans les conceptions mises
en œuvre dans certains contextes conflictuels et destinées à rechercher la
cause d'une infortune. Par l'un ou l'autre des éléments de sa personne, par
son corps également, l'individu est, d'emblée et toujours, situé en un ou
plusieurs points d'une chaîne d'ancêtres, ainsi qu'en plusieurs lieux du
cosmos ou de son entourage naturel et social. En même temps, il est
marqué dès sa naissance - ou avant sa naissance - par quelque parole
ou quelque signe originaires qui orienteront sa destinée.
Certes cette double référence n'est pas totalement absente des systèmes
de représentation du monde occidental et l'on pourrait retrouver des
préoccupations de même nature dans certains courants de pensée européens
et notamment dans certaines mystiques. L'on remarquera néanmoins que
là où la notion de personne s'est constituée comme «concept », à savoir
dans le monde juridique romain, l'on assiste à un effort radical pour épurer
cette notion de toutes les déterminations relatives aux diverses «apparte-
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nances» de l'individu. Avec l'achèvement de ce mouvement, la personne,


nous dit Mauss, finit par devenir « une entité indépendante de tout, sauf de
Dieu ». Dans ses leçons sur la philosophie de l'Histoire, Hegel a bien marqué
cette mutation. Rome, nous dit-il, s'oppose à la conception grecque d'une
libre individualité, formant avec le monde et la cité, une unité substantielle
(Sittlichkeit). A cette conception, le juridisme romain substitue la «person-
nalité », «la liberté du moi en soi», c'est-à-dire l'idée que «pour moi,
je suis pour moi infini». Et Rome accomplit ce renversement dans le mou-
vement même où elle se constitue en Etat impérial et despotique, un état
subordonnant sous sa loi, l'individu et toutes les manifestations « de l'esprit
vivant» .
Cette idée romaine d'une personne existant en soi, qui doit pouvoir
en même temps se rendre libre de tout héritage et s'affranchir de l'environne-
ment, a pesé d'un poids décisif sur toute l'évolution de la pensée et du
droit. Comme M. Augé l'a montré, on la retrouve dans les politiques de
développement et dans les tentatives des missionnaires visant à couper
l'individu du cercle de ses «appartenances», à le détacher des différents
héritages qui étaient censés le constituer, pour faire apparaître à la place la
notion d'une personne unitaire et isolée, libre de sa force de travail et
devant chercher en elle-même «la cause du mal qui l'accable ».

M. CARTRY.
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..
D

DISTRIBUTION DES POPULATIONS DONT IL EST QUESTION DANS CET

OUVRAGE.

1. ALLADIAN - 2. BALUBA - 3. BAMBARA - 4. BATETELA .5. BEDIK - 6. BOBO -


7. DIAKHANKE 8. DOGON 9. EBRI~ . 10. EWE Il. GOURMANTCHE . 12. HAUSA .
- - -
13. KABRE - 14. KOTOKO - 15. LUGBARA - 16. MALlNKE - 17. MITSOGO - 18. SABE -

19. SAMO-. 20. SONGHAY. 21. TALLENSI - 22. YORUBA - 23. ZARMA.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTIONDE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

LE PRINCIPE D'INDIVIDUATION
(contribution à une philosophie africaine)

Roger BASTIDE

Le problème de l'individuation est un problème philosophique et vous


me pardonnerez si, dans cet exposé1 tout en partant naturellement des
données de l'ethnologie africaine, je le traite philosophiquement.
Ce problème se pose-t-il dans les sociétés traditionnelles? Et si oui,
comment? C'est ce que nous aurons à voir dans un instant. Mais en tout
cas, il se pose dans les sociétés touchées par le christianisme ou l'Occident,
il entre dans la réflexion des Mélanésiens et des Africains d'aujourd'hui,
et ceux-ci redécouvrent, à partir de ce contact, tout en restant branchés sur
leurs propres traditions, les solutions que la scolastique chrétienne a données
au problème: l'individuation par la matière - l'individuation par la
forme.
L'individuation par la matière. C'est la réflexion qui a tant étonné
Leenhardt, qui croyait avoir enseigné la réalité de l'Arne aux Canaques
et qui s'entend dire par l'un d'eux: «ce que vous avez appris, c'est que
nous avons un corps». Et en effet, le Mélanésien ne se concevait pas autre-
ment que comme un nœud de participations; il était en dehors plus qu'au
dedans de lui-même, dans son totem, dans son lignage, dans la nature
et dans le social; ce que le chrétien lui apprend, c'est de couper ces alté-
rités pour découvrir son identité - et cette identité est marquée par les
frontières de son corps, qui l'isolent des autres corps C). C'est retrouver
la solution thomiste, et par delà aristotélicienne., de l'individuation par la
matière en tant que la matière est quantité, c'est-à-dire addition d'unités
autonomes découpées dans une même étendue.
L'individuation par la forme. Le mouvement charismatique Jamaa
qui s'est développé à partir des centres industriels du sud-Katenga au

(1) Maurice LEENHARDT, Do Kama. La personne et le mythe dans le monde


mélanésien, Gallimard, 1947.
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cours de ces dernières années dans la plupart des régions du sud-est du


Congo soutient qu'avant sa création, l'homme était déjà présent dans le
Mawazo (pluriel de wazo, idée, pensée) de Dieu et n'était ni homme
ni femme, ni jeune ni vieux, ni blanc ni noir; il était pure forme, dirions-
nous, de l'intelligence divine. Et c'est pourquoi le mawazo devient une
sorte de lien spirituel unissant l'humanité, au-delà du tribalisme, en une
seule famille, en un unique Jamaa (2). C'est retrouver la solution augusti-
nienne, et par delà platonicienne, qui fonde l'individuation de l'homme
dans la pensée divine, en tant qu'Idée (avec un I majuscule).
Mais sans doute, dans ces deux cas, s'agit-il de sociétés en mutations.
On comprend dès lors que le problème de l'individuation se pose et qu'il
retrouve certaines des solutions de notre pensée occidentale. Nous devons
donc dépasser ce moment de mutation pour voir si le problème se pose
aussi dans les sociétés d'Afrique restées plus traditionnelles et où, s'il se
pose, il ne peut naturellement pas se poser de la même façon que chez
nous. Bien que, croyons-nous, nous pouvons toujours traduire les termes
indigènes de sa solution en langage moderne, afin de mieux saisir - par
analogie (car il ne peut être question que d'analogies sémantiques) --- le
sens profond de la pensée africaine, ou des pensées africaines, au pluriel.
Nous commencerons par la géomancie, parce que cette divination,
étant à la fois fortement intégrée à un certain nombre de populations de
l'Ouest africain et de Madagascar, tout en étant par ailleurs d'origine arabe,
mais fortement transformée par des peuples paiens, est une transition toute
naturelle entre les sociétés d'aujourd'hui, en mutation, et les sociétés plus
archaïques, mais ayant pourtant assimilé déjà des éléments étrangers.
Ce problème de la géomancie, nous l'avons déjà étudié, mais dans
une autre perspective, celle du devin qui est consulté et qui ne peut
répondre au consultant qu'en définissant d'abord et en classant ensuite
l'ensemble des évènements possibles en un petit nombre de catégories (~).
Il nous faut l'aborder maintenant dans la perspective inverse, celle du
sujet qui s'adresse au devin. Ce qu'il lui demande, c'est, telle condition
étant donnée, ce qui va lui arriver: s'il part en voyage, ce voyage se
passera-t-il bien? - s'il est marié, aura-t-il un enfant, etc. En un mot,
ce qu'il cherche, c'est - dirions-nous - sa définition diachronique. Chaque
être concret est impliqué dans tout un système, - c'est la géomancie qui,
par la lecture des signes, définit ce système, - d'actions et de réactions
réciproques avec le monde environnant (la maladie, la mort, l'enfantement)
et le monde social (l'alliance ou la guerre, l'inimitié ou la prospérité);

(2) Johannes FABrAN, Dream and Charisma: "Theories of dreams" in the


Jamaa-movement (Congo), A Ilthropos, 61, 3/6. 1966.
(3) R. BASTIDE, La connaissance de l'évènement, Perspectives de la Sociologie
cOlltel11poraille, P. U .F., 1968 (p. 159-] 68).
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en tant qu'être vivant, il se trouve sous la dépendance de ce qu'il appelle


son Destin, et qui est une suite d'évènements, qui sont pour lui les paroles
des Dieux sur son être. Mais qui ne voit que, sous une autre forme, c'est
le problème que nous posons, dans la philosophie contemporaine, dans les
termes des rapports entre la substance et les accidents. Je dis en d'autres
termes, car chez nous il se pose en termes d'adjectifs qualificatifs (être
blanc ou noir, être fils de X ou fils de Y) alors qu'il se pose ici en termes
de verbes, passifs (devenir malade, être frappé par la mort) ou actifs
(voyager, se marier). Mais le principe est le même. Est-ce que les acci-
dents (ou les évènements) s'ajoutent au sujet pour définir ce dernier
comme une espèce de mosaïque? Ou, au contraire, est-ce le sujet qui unifie
les accidents en se les rapportant à lui-même, en les structurant et en les
individualisant? D'un côté, pour découvrir l'origine vraie des diversités
individuelles, il faut bien aller jusqu'à l'existence des évènement, qui le
distinguent lui des autres - mais d'un autre côté, sous la mobilité chrono-
logique de ces évènements, l'être individuel demeure. Le problème des
rapports entre la substance et l'accident devient, chez les Africains, le
problème des rapports entre notre personne et sa biographie (celle que réci-
teront plus tard les griots ou celle que les tapisseries dahoméennes résument
en un certain nombre de dessins découpés).
Nous devons noter ici un certain nombre de données:
10) Chaque évènement constitue une catégorie en quelque sorte trans-
cendante aux individus et par conséquent chacune de ces «classes» peut
toujours être commune à plusieurs individus. Le rôle du devin est juste-
ment de subsumer le consultant dans une de ces classes générales. Chaque
classe est liée à un des signes de la géomancie et son sens est donné par
le ou par les mythes qui accompagnent ce signe. L'histoire de l'homme
répète l'histoire des dieux. Cette dernière constitue la liste archétypale des
évènements possibles qui p,euvent nous définir dans notre existence con-
crète. Nous dirions en termes platoniciens que chacun de nos « accidents»
existe d'abord comme une Idée de Dieu.
2 0) Mais alors si chaque accident, où évènement, existe en quelque
sorte comme un Universel qui peut s'appliquer à une multiplicité d'indi-
vidus, c'est la collection de certains de ces universels, ou plus exactement
c'est l'ordre dans lequel ils se réalisent, la loi de leurs séquences, qui
est particulière: c'est cette loi d'une biographie qui constitue, pour cette
personne, le principe de son individuation.
30) Il faut enfin faire une autre remarque; c'est que dans la géo-
mancie, on pratique un certain nombre de coups successifs et que la signi-
fication est donnée finalement par un ensemble de signes, non par un seul;
chacun tend à «particulariser» l'évènement, qui est du général, pour lui
faire rejoindre le particulier: mais s'il en est bien ainsi, pouvons-nous
nous contenter de dire que c'est la collection ordonnée des évènements qui
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constitue le principe d'individuation? Ne faudrait-il pas dire au contraire


que c'est le sujet individuel qui est antérieur à la diversité des évènements
dans lesquels il sera impliqué. La biographie d'un homme serait alors le
signe de sa personnalité « différente », mais seulement son signe - pas du
tout son principe.
Nous avons dit que la géomancie nous faisait passer d'une pensée
en mutation à la pensée traditionnelle, puisqu'elle était d'origine non-noire.
En fait, nous pensons qu'avec elle, nous sommes déjà pleinement dans la
pensée traditionnelle. Car si nous examinions les autres formes de divination,
comme par l'araignée mygdale par exemple, nous verrions qu'elles obéissent
toutes aux mêmes règles: chaque objet mis devant le trou de l'araignée
est signe d'un évènement, les évènements sont classés, et ils ne sont pas
en nombre infini - le devin n'énumère pas seulement, pour rendre sa
consultation, les objets qui ont été touchés ou déplacés par l'araignée et
ceux qui ne l'ont pas été, il les regarde tous dans le nouvel ensemble qu'ils
forment, le sens des parties est déterminé par le tout, c'est-à-dire qu'il y
a passage des évènements en tant que catégories universelles de la pensée
à leur particularisation (la façon dont ils se présenteront) dans un sujet
déterminé - l'ambiguïté finalement subsiste entre les deux solutions possibles:
l'individuation est-elle la suite ordonnée chronologiquement des évènements
qui arrivent à tel individu, et qui est différente de leur ordonnancement dans
un autre; ou réside-t-elle au contraire dans l'unité préalable du sujet qui
particularise ces évènements?
La divination nous a certainement rapproché de la façon dont le
principe d'individuation est pensé par les Africains. Mais elle ne nous
apporte pas la solution de notre problème, car elle s'achève par une ambi-
guité, que nous n'arriverons à lever qu'en suivant une autre route.
Nous allons par conséquent nous engager sur un autre chemin, celui
qui est cher à l'ethnologie traditionnelle, et qui fait de la société africaine
un «ordre» d'inter-relations entre des personnages et non entre des indi-
vidus. Non que les ethnologues nient la diversité des individus en les
noyant tous dans une communauté qui serait première, qui serait la seule
réalité véritable; ils reconnaissent qu'il y a des gens timides et des gens
audacieux, des gens cruels et des personnes aimables; mais ces caractères
s'organisent dans un même univers, constituent l'unité dernière des choses,
qui est l'unité d'un ordre. Un ordre dans lequel la personne s'efface derrière
le personnage, puisqu'il est celui qui s'établit entre des «statuts» diffé-
rentiels et non celui de la complémentarité contingente de tempéraments
multiples. En termes contemporains nous dirions que le problème qui va
nous préoccuper maintenant n'est plus celui des rapports entre la sub-
stance et les accidents, mais celui des rapports entre la forme (les statuts
prescrits aux individus par leur position dans une structure) et la matière
(la diversité des caractères ou des existences particulières).
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Il est évident que l'Africain se définit d'abord par sa position, il est fils
cadet ou fils aîné, il est mari, il est père, il est chef. Quand on lui demande
ce qu'il est, il se situe dans un lignage, il marque sa place dans un arbre
généalogique. Mais il faut bien noter que ces statuts définissent l'individu
dans ses relations avec quelque chose qui lui est extérieur, l'ordre social
dans lequel il s'insère. Certes chaque statut étant lié à un rôle, le statut
détermine certaines attitudes, certains comportements, modèle donc la con-
duite, et par delà la conduite, l'affectivité ou la mentalité. Il n'en reste pas
moins qu'au cours de sa vie, une même personne change de statut; il est
d'abord enfant, il passe ensuite au statut d'adulte, d'époux, de père, de
vieillard. Bref, on change de personnage. Ce qui ne change pas, c'est
l'ordre lui-même, en tant qu'il constitue une certaine structure globale
de la société. Ce qui fait que si nous voulions trouver le principe d'indivi-
duation à partir des rôles joués ou des personnages, la seule unité que
nous atteindrions serait celle de la société globale. Saisir l'Africain comme
personnage, c'est le saisir en tant que masque. Mais derrière les masques,
il faut bien qu'il y ait le visage. Le fait que les individus s'organisent dans
un même univers prouve qu'à côté de l'individualité de la personne_ il y
a, à un autre niveau, l'unité dernière des choses. Il ne peut par contre
détruire cet autre fait que les individus, changeant de statuts au fur et
à mesure de leurs promotions, constituent aussi des « unités ».
Au fond, ce qui se passe pour les Africains n'est pas très éloigné
de ce qui se passe chez nous. Les psychologues qui se sont posés le pro-
blème de l'unité et de l'identité de l'individu accrochent cette unité et cette
identité à des éléments sociaux, la permanence d'un nom, l'existence d'un
curriculum vitae, la possession d'une Carte Nationale d'Identité. Sinon,
nous sommes comme le couteau, dont on a d'abord changé le manche,
puis, plus tard, la lame, et dont nous disons qu'il est le même couteau,
alors qu'en fait aucun des éléments anciens ne demeure... Mais nous dirions,
quant à nous, que ces éléments sociaux, comme les évènements de la divi-
nation, ne sont que des signes; ils n'ont de réalité, significative d'unité ou
d'identité, que parce qu'ils renvoient, par delà, à l'individuation d'un sujet.
Le second chemin suivi ne nous paraît donc pas pouvoir nous conduire
beaucoup plus loin que le premier; il nous montre que la matière, pour
se réaliser dans la vie concrète, doh passer par la forme ou une succession
de formes unifiantes; mais unifiantes de quoi? Ce n'est pas, comme chez
St Thomas, par soi-même que la forme du statut devient particulière et
déterminée. Et s'il est vrai qu'il est impossible de saisir un individu en
dehors de son rapport avec les autres, ce n'est pas qu'il soit cet ensemble
de relations, c'est qu'en tant que sujet individuel ,il est impliqué dans un
ordre qui le dépasse, de dépendances réciproques (4). Ce qui est tout autre

(4) Commentaire d'A. FOREST sur St Thomas d'Aquin.


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chose. Cette dialectique de la forme (statutaire) et de la matière (quantifiée


en individus) nous apparaît bien lorsque nous réfléchissons sur les deux
phénomènes qui constituent les deux pôles d'un continuum.
Les ancêtres se divisent en deux groupes, ceux des Ancêtres rappro-
chés, que l'on appelle parfois « les morts vivants» et les ancêtres lointains
dont on ne connait que le nom et la place dans une généalogie. Or ces
ancêtres lointains ne sont que cela, une position dans une lignée, ils sont
dépourvus de personnalité (r)). Le sujet disparaît, il n'a qu'une forme pure.
Par contre, dans la doctrine de la réincarnation, ce qui revit du grand père
dans son petit fils, ce n'est pas forcément un sujet ancien; si on prend le
nom de son grand père, cela ne veut pas dire qu'on lui ressemble (bien
que l'on cherche toujours après coup des ressemblances physiques, des tics,
ou des analogies de caractère); mais par contre bien souvent ce qu'on réin-
carne, c'est 1e statut du grand-père, par exemple on hérite de certains de
ses pouvoirs religieux et il arrive que le Père ait une attitude de respect
envers son fils puisque ce fils réincarne le Père du Père. Au second pôle
du continuun nous aurions donc une forme constituante, constituante tout
au moins d'une certaine partie du sujet. Pour nous résumer, le second
chemin, sans nous mener encore au principe d'individuation nous en rap-
proche tout de même; nous avons fait, je crois, un pas en avant.
Ce n'est pas impunément que cet exposé se situe dans un ensemble
qui porte sur la notion de Personne en Afrique et qu'une vaste enquête
a été menée sur les composantes de la Personne dans les plus diverses
ethnies africaines. Ce qui semble ressortir de cet inventaire ethnologique,
c'est la pluralité des éléments constituants de la personne; le principe d'indi-
viduation se pose donc, en dernière analyse pour la plupart des ethnies
africaines de la façon suivante: qu'est-ce qui constitue l'unité de cette
pluralité?
Mais il faut aller encore plus loin. Certains de ces éléments font sortir
l'individu de lui-même pour le faire participer à des réalités autres. Par
exemple dans la mesure où il réincarne un Ancêtre, il y a en lui une
portion du lignage. Dans la mesure où il est lié à un totem, il a, à côté
de son âme intérieure, une «âme extérieure», suivant l'expression de
Frazer. Dans la mesure où il est possédé par un Génie, il est à la fois lui
et Autre. Dans la mesure où il est un Jumeau, dont le frère est le jumeau
de la brousse, il rompt la distance qui le sépare de l'espace sacré, du monde
mystérieux qui palpite auprès de lui. Bref, l'individu est plus qu'une plu-.
ralité d'âmes corporelles (âme du gros orteil, âme de l'estomac, âme du
cœur...) et d'âmes psychiques (l'Ombre, le Double, le Souffle...). il n'existe
que dans la mesure où il est « en dehors» et « différent» de lui. Comment

(5) Par exemple John S. MBITI. A Irieans Religions and Philosophy, Londres -
Ibadan - Nairohi. 1969.
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peut-on dès lors, sinon par ethnocentrisme et en généralisant aux Africains


nos propres conceptions, parler même d'individu? En dehors du nom
qui lui a été donné, il n'existe concrètement que par et dans le réseau
qui le relie au temps des Ancêtres, à l'espace du Mystère vivant, aux Totems
et aux Dieux. Sorti de ce réseau, il n'est plus rien. Qu'est-ce qui peut
constituer l'unité de ces participations à autre chose, en dehors desquelles
il n'y a plus, semble-t-iI, que le plein d'un vide.
La conception occidentale définit l'individu à la fois par son unité
intrinsèque; il est indivisum in se; et d'un autre côté par son autonomie;
il se pose en s'opposant; il est ab alia distinctum. Or ces deux caractères
manquent à la personne telle que la conçoivent les Africains, qui est divi-
sible et qui n'est pas distincte. Je vous ai dit que je voulais vous entraîner
sur le terrain de la philosophie. Peu nous importe en effet que, suivant
les ethnies, nous ayons un corps et plusieurs âmes, voire même plusieurs
principes de vie corp0relle, trois, quatre, cinq ou sept, même plus; peu
nous importe que l'idee du jumeau de la brousse n'existe pas partout, qu'il
soit ici lié au placenta et autre part non, que la carte d'Afrique ait ses
zones de réincarnation, celles du totémisme, et d'autres zones sans réincar-
nation ou sans totémisme. C equi est important, c'ets l'existence dans toutes
les sociétés traditionnelles, du moins à ma connaissance, de ce que nous
appellerions les deux anti-principes d'individuation: la pluralité des élé-
ments constitutifs de la personnalité - la fusion de l'individu dans son
environnement ou son passé, bref dans son altérité.
Et cependant, il est évident que les Africains comme nous reconnais-
sent les individus en tant qu'individus. Et peut-être même plus que nous.
Depuis Lévy-Brühl, et à partir de la linguistique, on l'a bien souvent
souligné. Leur connaissance du monde est une connaissance plus concrète
qu'abstraite, plus d'images que de concepts. Là où nous voyons un trou-
peau, le Nuer voit des vaches. Là où nous voyons la forêt, le Bantou voit
des Arbres. Nous sommes donc en face d'une aporie, que nous ne pou-
vons résoudre que progressivement, l'unité de l'individu supposant comme
nécessaire préalable l'unité de la personne humaine. Celle-ci est-elle l'unité
d'un agrégat, d'un nœud de participations, ou d'une structure? Telle sera
notre première question.
Il faut tout d'abord remarquer que les divers constituants de la per-
sonne n'apparaissent pas du premier coup, au moment de la naissance; ils
se mettent le plus souvent en place les uns après les autres. Identification
du nouveau-né au lignage par le Nom. A l'ancêtre qu'il réincarne par la
divination. A la source de vie totémique. Incorporation de la forme du
« Personnage» dans les virtualités de la « personne» enfantine au moment
de l'initiation tribale. Achèvement de l'âme féminine, incomplète chez les
jeunes filles, par le mariage qui lui permet de s'accomplir par participation
à l'âme masculine. Achèvement de l'âme masculine par sa praxis au sein
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de la société. Or cette idée de la Personne comme création continue est


en parfait accord avec les mythes de la création de l'Univers, qui compor-
tent toujours des «périodes» et se situent dans une perspective diachro-
nique, la Parole n'étant pas instantanéité, mais ne pouvant exister qu'en
se déroulant dans un Discours. En tout cas, que cette création progressive
de la personne ne soit qu'analogique ou qu'elle soit une répétition de la
création du cosmos, un fait demeure, une certaine unité de la Personne
s'en dégage, ou plus exactement: elle est postulée par le Cycle de Vie de
l'individu.
Mais cette unité postulée est-elle une unité pensée? Pour l'Africain,
on ne peut dire que le principe d'unité soit le corps, puisqu'il y a plusieurs
âmes corporelles, et même s'il existait une unité corporelle, le corps ne
pourrait conlIDuniquer à l'âme son unité. Car il y a plusieurs âmes spi-
rituelles: force vitale, ombre, double... et nous devons reconnaître l'indé-
pendance de ces divers principes. On sait que la pensée africaine est une
pensée par correspondances mystiques et non pas, comme la nôtre, par
« emboîtements» logiques. Nous ne pourrons donc pas rencontrer chez
eux, comme chez les scolastiques qui partaient de l'existence des trois âmes,
une âme végétative, une âme sensible, une âme intellectuelle, la solution
de l'emboîtement: elles sont l'une dans l'autre comme le triangle est dans
le tétragone et le tétragone dans le pentagone. Nous ne pouvons découvrir
qu'une solution dans les correspondances. C'est-à-dire qu'il faut rechercher
la clef de la réalité individuelle dans l'ensemble des rapports, qui lient
l'homme aux divers principes constitutifs du Cosmos et à l'ensemble des
rapports sociaux (y compris, bien entendu, ceux qu'il nourrit avec les
Morts). L'ancienne ethnologie, plus préoccupée de nous différencier des
primitifs et de chercher ce qui nous en distingue, ne s'est pas intéressée
à découvrir cette «clef»; elle s'est appesantie sur l'idée de pluralité des
âmes. Elle ne veut voir qu'une unité d'agrégation. L'ethnologie contem-
poraine, à partir des travaux de Griaule, trouve la clef d'une unité struc-
turelle dans l'ordre du symbolique. Bien entendu, cette unité structurelle
variera suivant les peuples, c'est-à-dire suivant les diverses logiques de la
correspondance entre les éléments du cosmos (ou du social) et les éléments
de la personne (ou de l'individu). Mais il me semble que ces variations
pourraient s'exprimer, géométriquement ou mécaniquement, par un seul
système, qui serait un système de «composition des forces» - ou bien
encore, philosophiquement, par un seul système, qui serait celui du jeu
des dialectiques, de complémentarité, de conflits, de renforcement, d'exclu-
sion, entre des principes discontinus. L'impureté nous prive momentané-
ment de tel principe qu'il nous faudra réintroduire pour que la personne
reste intacte. Le sommeil permet à un de nos principes de s'échapper
l'espace d'une nuit pour nous revenir au petit matin. La mort nous atteint
progressivement, simplifiant le théorème de la composition des forces par
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la disparition, ou tout au moins l'affaiblissement, de quelques-unes de ces


forces.
Le pluralisme des Ames n'empêche donc pas l'unité de la Personne.
Mais c'est une unité formelle. Celle d'un équilibre. Concrètement, il n'y a
que des états succsesifs d'équilibration, de déséquilibration, et de ré-équi-
libration, entre des forces, qui plongent au-delà de nous-même tout en
étant en nous-même, tout en étant nous-même. Mme Calame-Griaule écrit
que chez les Dogon la personnalité est soumise à huit «pôles d'identifica-
tion » qui semblent se neutraliser deux à deux, et qui se déplacent, de lieux
extérieurs à la personne, où ils se tiennent en réserve, à des organes dans
le corps, où ils séjournent. La vie psychique personnelle se définit alors
par des itinéraires (HI.
Le P. Tempels écrit à propos des Bantou que le
corps, le souffle, l'ombre ... ne sont que les manifestations sensibles de la
personne vivante, muntu et il fait de ces forces vitales particulières, déter-
minées, des « moments ou des nœuds de haute tension vitale» (7). Ces deux
citations nous suffisent. Elles nous montrent en effet que les diverses popu-
lations africaines peuvent avoir des systèmes différents - à moins que
ce ne soient les expressions de ces systèmes en langage occidental qui soient
différentes, ce que nous serions assez porté à penser personnellement. Mais
que la définition de l'unité de la personne est toujours donnée en termes
d'unité formelle ou structurelle, que ce soit en «itinéraires» ou chemins,
que ce soit en « tensions» et en « nœuds».
Mais. cette unité ne peut être que la base du principe d'individuation
et non ce principe lui-même, puisqu'il s'agit d'une structure ou de la forme
que revêt le jeu dialectique de principes ou d'éléments différents, ceux que
les ethnologues désignent du nom d'âmes simples. Une comparaison avec
la psychanalyse de Lacan éclairera ce que nous voulons dire. Lacan distin-
gue l'ordre du symbolique, qui donne la loi de composition formelle de
toute structure subjective, le Père ou Grand Autre - le Moi - le ça ou
objet indéterminé - et l'ordre imaginaire, qui forme une combinatoire de
signifiants différenciés, distinguant un individu d'un autre. Si nous compre-
nons bien, il y a dans toute personne par exemple le pôle d'identification
au Père, qui peut constituer de l'identité à partir de l'altérité (la chaîne
des générations dans le lignage), mais ce Père auquel on s'identifie peut se
manifester par les plus multiples fantasmes, suivant les diverses circons-
tances à travers lesquelles on a pu vivre Je complexe d'Œdipe ou sa liqui-
dation, voire même, comme dans le cas des paranoïaques, n'exister dans
l'individu que comme « vide» que peut venir combler une Mère phallique.

(6) G. CALAME-GRIAULE. Ethnologie et Langage. La parole chez les Dogon,


Gallimard, 1965.
(7) R.P. Placide TEMPELS, La Philosophie Bantoue, tr. fr.. Présence Africaine,
1949.
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Eh bien, en cherchant la structure formelle de la Personne humaine, nous


sommes restés dans l'ordre du symbolique; il nous faut passer maintenant
- pour définir ce qui nous différencie les uns des autres - dans ce que
Lacan appelle l'ordre de l'imaginaire.
Mais, bien entendu, cet ordre de l'imaginaire ne peut se déployer que
dans l'ordre du symbolique: il n'en est que l'explication dans la concrétude
d'un Etre. Par exemple, pour ce qui est du principe spirituel « réincarnation
d'un Ancêtre », suivant que l'individu réincarnera tel ou tel Ancêtre, son
arrière-grand-père paternel par exemple ou le chef de la lignée, il mani-
festera dans sa vie tel ou tel caractère - pour ce qui est de l'âme exté-
rieure ou totem auquel nous participons, quelques-uns des caractères de
l'animal totémique devront forcément se répercuter au niveau du tempéra-
ment individuel, tempérament royal en ce qui concerne les Fan pour les
membres du lignage qui prend sa source dans la panthère Agasu, tempé-
raments roturiers pour les individus des clans qui se relient au cheval,
au porc, ou autres animaux domestiqués. Nous ne voulons pas entrer ici
dans la discussion entre Seligman qui parle de l' « identification» du Noir
avec le bœuf dont il porte le nom et Evans-Pritchard qui pense que le pro-
cessus, c'est celui de la communication, à travers un animal, avec le Trou-
peau et par delà, la divinité; il semble bien tout de même d'abord que le
choix d'un bœuf déterminé doive avoir quelque retentissement dans l'éla-
boration d'une personnalité particulière et en second lieu que le passage du
bœuf donné par le père au bœuf donné pour l'initiation se traduise dans la
genèse de l'individu, pour en particulariser le développement dans la
durée (R) - dans les confréries à possession, le supplément d'âme qui
provient de ce qu'un Dieu habite dans son Epouse mystique ne se traduit
pas seulement au cours de la transe, où l'on mime l'histoire archétypale
du Dieu, mais, comme je l'ai expliqué pour les Afro-Brésiliens, par une
remodélation de la personnalité qui va, dans ses comportements les plus
quotidiens, agir selon le caractère de la Divinité (9); ici encore nous ne
rentrerons pas dans les discussions possibles, pour savoir s'il s'agit d'une
remodélation volontaire, un peu comme le Chrétien qui fait de sa vie une
«imitation de N.S. Jésus-Christ» ou si l'initiation a pour but de faire
ressurgir de l'inconscient la personnalité véritable de l'individu, que la
société avait refoulée ou réprimée, et qui peut dès lors, en se divinisant,
se déployer dans l'acceptation de la communauté; peu nous importe; ce qui
est essentiel, dans cet exposé, c'est - en termes psychanalytiques - que
le Mythe devienne Fantasme, c'est-à-dire principe d'actions particularisées.
Avec la possession, nous passons, dans une certaine mesure, de l'individuel
au générique. Ce que nous avons traduit en disant que l'on trouve chez les

(8) E.E. EVANS-PRITCHARD,Nuer Religions, Oxford, 1956.


(9) R. BASTIDE. Le Candonzhlé de Bahia, Mouton. 1958.
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Yoruba les filles du Feu, les filles de l'Eau, les filles de la Terre, et par là
une certaine identification aux qualités du feu, de l'eau, de la terre. L'entrée
dans une Confrérie traduit le passage de l'adjectif qualificatif en substantif
ontologisé. Mais ce n'est pas le seul cas de rapport possible entre l'indi-
viduel et le générique. L'étude de l'organisation sociale des Africains nous
montre qu'en plusieurs de ces formes d'organisation, le caractère des indi-
vidus est déterminé, en quelque sorte topologiquement, par leur naissance
dans telle ou telle moitié, tel ou tel quartier; suivant en effet que l'on est
du quartier du haut ou du bas, on fera montre d'un caractère plus viril
ou plus féminisé - plus guerrier ou plus sensible (10). Nous retrouvons
ainsi, à un autre niveau, le pluralisme. Ici des «genres» dont l'individu
n'est qu'un cas particulier. Et la solution naturellement de l'antinomie
plural-singulier est du même type que celle qui nous est apparue valable
pour la notion de personne. L'unité de l'individu peut se traduire par une
formule, qui énumèrera les diverses espèces qui le subsument; c'est pour-
quoi d'ailleurs il reçoit plusieurs noms, chacun d'eux le rangeant à l'inté-
rieur d'une de ces catégories. Les noms ne créent donc pas la personnalité,
ils sont seulement les marques qui l'identifient à une classe et s'ils sont
multiples, c'est que nous rentrons dans toute une série de classes différentes.
Ainsi se dégage, à côté d'une logique de la relation, une logique de l'attri-
bution, lorsque l'on passe de la notion de personne à celle d'individualité
singularisée. Dans les deux cas certes, et c'est ce qui fait que les solutions
sont analogues, nous n'avons d'unités que structurelles; mais pour ce qui
est de la Personne, il s'agit d'une structure de relations entre des principes
vitaux extérieurs et intérieurs et quant à leurs vies dans l'intérieur, de leurs
rapports dialectiques. Pour ce qui est de l'individu, il s'agit d'une structure
de classifications (avec cette différence par rapport à nous peut-être qu'il
ne s'agit point de classes qui s'emboîtent, auquel cas d'ailleurs l'individu
ne pourrait finalement pas expliquer sa singularité - mais de classes indé-
pendantes, appartenant à des systèmes divers de classifications, écologiques,
sociales, cosmologiques, métaphysiques, ce qui fait que la singularité résulte
de la formule, qui change d'une personne à l'autre, de ses appartenances).
On sera peut-être étonné qu'après avoir proclamé la spécificité du prin-
cipe d'individuation en Afrique, nous l'avons toujours traduit en termes
occidentaux. C'est qu'il n'y a qu'une seule Raison qui pense partout par
concepts et images ou par symboles et signes. Ce qui fait que, pour mieux
se faire comprendre, il est toujours loisible de transcrire un même processus
logique, ou philosophique, en des systèmes conceptuels, équivalents quant
à leurs significations profondes.

(10) On en trouver~. plusieurs exemples dans RADCLIFFE-BROWN and FaRDE,


African Systenls of Kinship and Marriage, Oxford, 1950. LÉVI-STRAUSS a très bien
saisi ce modelage de la personne et de ses conduites à propos des Amérindiens dans
La Pensée Sauvage, Plon. 1962.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

, ,
E~U BARA, PRINCIPLE OF INDIVIDUAL LIFE
IN THE NÀGO SYSTEM

Juana ELBEIN DOS SANTOS


and
Deoscoredes M. DOS SANTOS

Résumé
Après une courte analyse des caractéristiques principales des composantes de
la personne humaine dans le système N àg6 - chacune de ces composantes étant
représentée comme détachée ou dérivée d'une entité ou matière originelle -
la comn1unication qui suit traHe des représentations associées à È~'Ù Bara. Comme
tous les autres éléments constitutifs de la personne humaine, È~Ù a deux aspects:
sous son aspect collectif, il représente le principe dynamique de l'existence indivi-
dualisée et de la communication; sous son aspect individuel, il représente l'élément
moteur du destin personnel. Chaque individu porte en lui-même son propre È~Ù qui
l'a amené à l'existence et qui lui pern1ettra de se développer, de se reproduire et
d'accomplir son cycle de vie. È~'Ù symbolise le procréé; il est lié à l'émergence de
l'existence différenciée.

This study proposes to develop a few ideas to complement a recent,


(]),
more comprehensive essay on È~Ù one of the most complex entities
(2)
in the Nàg6 religious system. Whereas the work mentioned aims at an
analysis of È~'ù as a basic symbol of the system in general, the object of
the present essay is restricted to an examination of È~ù as one of the
component elements of human personality. This aspect of È~ù is a conse-

(1) Juana ELBEIN DOS SANTOS & Deoscoredes M. DOS SANTOS, È~Ù Bara Laroyè
- a conlparative study, Institute of African Studies. University of Ibadan, May 1971.
(2) The name NàgÔ or A nàgo denotes a Y orÙbâ ethnic sub-group which has
acquired in Brazil a far wider connotation. Like the word Y orÙbâ for Nigeria and
Luculni for Cuba. the word NÛg(1 has come to apply collectively to all those groups
linked by a cornlnon language.. claiming mythical descendence from a common
progenitor. OdÙduwà and who migrated from a mythical place of origin. I/~ Ifè.
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quence of his synlbolical role and of the structure of some Yorùbd entities
in particular.
These entities simultaneously represent: (a) an aspect of the cosmos,
either one of its fundamental elements such as air, water, earth, fire, or
combinations or interactions of these, mud, wind, rainbow, etc.; and its
personified, mythical, collective symbols whose genesis and mythology are
preserved in the oracular textes of the Odù lid (al; (b) a social aspect,
illustrated by the myths and dramatized during the rituals; and (c) an
individual aspect, as they are component elements of the person~ this aspect
being evidenced by liturgical practice and sustained by the traditional texts.
To each of these entities was delegated a specific mission which
contributed to the formation of the world and of the beings which inhabit
it, and which define and establish the principles governing the world,
human beings and their mutual relationships. Each orl~à, r:bQra or irun-
malg (41 has a cosmic, social and personal function. To his role in the
cosmos corresponds one in the group and in the individual. Each entity
can act separately at anyone of the three levels or simultaneously at all
three.
Although we are concerned here only with È~ù as one of the structural
components of the human personality, it will be necessary to refer briefly
to those other aspects of his complex symbology which have been dealt
with in the previous work.
Before tackling È~ù Bara specifically, we must also present a few
generalities concerning the characteristics of the component elements of
personality in the N àgo system.
1. To each' spiritual' element corresponds a material or corporeal
representation. Thus Or; (the head) is the material representation of Or£
inu (the inside of the head), embodying the individual and untransferable
components intimately linked with personal destiny.
2. Each component of the personality system is derived from an
original entity, a constitutive element which transfers its material charac-
teristics and symbolical significance. Thus, for instance, Èmi is the prin-
ciple of existence which resides in the breast and the lungs and represents
respiration. Its original element is (}IQrun, the supreme entity, the dispenser
of existence - J;lt~mi -, the air mass, the protomatter of the universe.

(3) lfd is the name of the oracular system and its ruling deity. The Odù Ifd
are the oracular texts which accumulate the universal teaching of the YorÙbd,
theological and cosmological. Each of them has a nanle and a sign.
(4) The divine or supernatural entities of the Y orÙhd religious system. Althought
the names are all lIsed with an equivalent meaning. generally translated as 'gods'
or 'deities'. there are important distinctions hetween thenl.
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In the words of a Babaldwo, a priest versed in the texts and secrets of


U
the lia oracle, each person has his own QLQrun in his body".
These original entities are the matter or parents, ancestors or collective
mythical symbols from which individualized parts are severed to form the
elements of the person. These elements have a double existence: while one
part resides in the Qrun, the infinite vastness of the supernatural world,
the other part resides in the individual, in particular areas of his body
or in close contact with it. The individualized double which resides in the
àrun can be invoked or represented. If we return to the Ori example,
we may examine all these characteristics. Each individual possesses his
own untransferable Ori-inu.
This Ori-inu is the living element materialized by the head and
possessing its spiritual counterpart in the prune In fact, it is the double
of the personal Orf of the Qrun which shall be transferred to the àiyé (the
earth) where he shall be born. Literally the text says: eléyi ti 6 ha dé ode
lsalayé (when that one comes to the vastness of the earth or to this world).
Each Ori is moulded in the Qrun and its parent mythical matter varies. That
portion of original or ancestral matter with which each head is moulded
is the ipQri of the person. This concept is fundamental, as it establishes
a series of relations between the individual and his original mythical matter.
It determines the Orl~yà or deified entity which he shaH worship; it wi]]
establish his possibilities and choices, and above all it will indicate his
{'robibitions (?wQ), particularly his alimentary prohibitions. The personal
IpQri has its material representation which, duly prepared and sacralized,
receives offerings and is worshipped. We shal1 return to this concept later-
when we deal with È~ù Bara.
The Orf of the (Jrun is also represented and venerated. During the
Brri ceremonies (Bpri = he + ori == to worship the head), he is invoked
and sacrifices are offered to the Ori-inu, on the head of the person, and
to the Igba-orf, the symbolic calabash which represents its counterpart in
the ?Jrun.
In view of the importance of the Ipori, constitutive element of the
personal system, we shall hereafter transcribe a part of the Odù Itd which
explains his role:
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IPQRI - ODÙ ÈJI - OGBÉ (u)

1. 'l pQrl.
'"
,
Ti wQn ri pè ni àkè IpQri
Ti wQn si ri pè ni àkè IpQri èniyàn
Èyi ni bii
Ibi tf odô gbé s~
T'a ri pè ni i pQri Odô
Ni bi ti Odo gbé s~l~
To fi di omi riIa titi IQ
B~~ nâà ni ènlyàn
Ni bi ti àri~à gbe buii
To fi dâ èniyàn
Ni bè ni wQn Ii pè ni ipc)ri èniyàn

2. WQn bùii QP~ da ~lomHn "@Iomiràn "


Iru çni ti wQn bu QP~ ti wQn fi dà
EIéyi ti 6 bâ dé ode I~alayé
Ifa ni 0 mpQ ~e
Wgn bu okuta
WQn fi dà ~làmnn h
çlomiran "
ti eléyi ta ba dé àde i~âlayé
àgun ni Oluwar~ yia sin
Ti 0 si jé pé àgun ni 0 le gbàâlà rôde i~âlayé

3. Wpn bu erùp~
WQn fi dâ ~lomnn
Eléyf kQ gbodô huwà èké
Ogboni Iyâ wa Qrp MQl~
Ni eléyi, ni 0 rnQQ gbaalà l'ode ayé
Ni cS SI j~ àkè IpQri r~
4. WQn bu omi
WQn fi da ~Iomnn
Qsun !
y ém6nja àbi Erinl~ abi Qya
Ajé, Olokun
ÀWQn bayi-bâyi gbogbo
Ni 6 j~~ àkè Ipgrf fun Oluwar~

(5) This OdÙ was recited to the authors by the Babalawo Ifatoogun of Ilobu,
Nigeria.
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5. WQn si fi Af~r~ da ~làrnnn


Eléyi yig j~ pé Qranf~, Sàngo àbi Qya naà
Awpn b~ç ni p j~ Okè Ipgri fun Oluwar~
Ifa ti 0 sp àlàyé wQnyf ni Q~~tùa àti Ejiogbè
o sQ bayi wipé :
" Ori ni da ni
çnl kankan à i dori
bri~à ni panidà layé
Eni kankan , kii p' o~aà dà
\
Awon Jg difa fun Ajàla
Ti se rnQrf m'Qri gbogbo ayé lalàde Qrun
6. AjàIa ni yi
bun ni 016dùmarè fi si àde Qrun wipé ni
Kg rnQQ rnQ ori
o si j~ Agbà àrl~à
Ori ni imQQ sHè ni joojumg
G bogbo eni ti nba wa ri ti ikàlé grun bQ wa si t'ayé
Dandan ni kg IQ si gdg Ajàlâ
Kg 12 rèé gba orf
7. Tg ba si dé b~
YiQ gbé èyi tg ba wu ni
Bi ènlyàn ba f~
6 le fun Àjàla ni ilkan
Bi èniyàn ko si fun ni nkankan
bi owo tàbi gbogbo ilkan ~bùn m'iràn
T'éniyàn kg ba fun, kà ni bHéèrè
Kà si ni pé ko mo gbè ~yi tg ba wù
SùgbQn ~ni t2 ba ti fun Ajàla ni owo
àbi ohun àlo tt won n IQ l'Qrun
ÀjàIa yio siju ànu wo
8. Yio ba wa ori tg ba dara pupgjù
Iyeju àwgn ti nwgn Ii fun Àjàla ni ilkan ~bùn
T'Ajàla fQwg ara r~ yan ori fun
Awon ni Ort wgn ri dara d'ode ayé, ti wQn ri là
ti won ri Iowo
tàbi ti wQn ri darugbo wgn 6 to kti
tàbi wgn ri fi jgba
Àti ~ni ti 0 ni gbogbo ohun
Ti Q ba wa layé
9. ~ni ti kQ ba bi A)àlâ lérèè
Jati fun ni il kankan
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Ori ti Q ba WU, ti 6 ba gbé


BQya 0 le jori rere~ bpya 0 si le j~ orf k'ori
Nftoripé Àjàla ni ri rnQ orf wQn yi sil~
10. ÀWQn ~bogbo tf wQn tun j~~ àWQn ti ri ba Àjàla si~~ PQ
Ejiogbè
àri~àa]a àti àyèku-méji
Iwori-méji
Odi-méjl
Irosùn méji
àWQnrin-méjl
Qbàra-méji
àkànràn-méji
àgunda-méji
Qsà-méji
Ikà-méjl
OturupQn-méji
Otùa-méjl
Ir~t~-méjI
à~~-méji
àfûn-méji, ÉÉpà Odù.
Il. À won Odù wQnyi gbogbo, ti wQn j~ m~tàdlnlogun
ÀWQn ni wQn ri ba Àjàla si~~ PQ
I~é orf mfmo lojoojumo
Iru ibi ti wgn ba ti bà da
Orf kalùkù ni egun Ipgri yi
Irù ~na b~~ ni Oluwar~ 6 to, ti 6 fi là layé
Tàbi ni Q j~ igbàlà fun

12. Ni bi iru il kan


tl wQn ba fi mg ori olukâlùkù naà
Ni wgn tii mgo iru i~~ ti 6 y~
Ki Olukalùkù 0 ~e t6 le rQ lQrùn
Àti irû il kan tg ba j~ ~w~ rÈ, ti kQ gbpdQ j~
Ni tori wipé gbogbo bi wgn ti ~e mg or]
Nkan tl wpn fi ~e ~dâ ori mimQ
N IQ ni àp~r~, kH sU ~e pé
N kankan lasan ~aa ri kQ
13. ItumQ ta fi j~ pe ni
~ni ti g ba dé ayé
tî kQ ba mQ Ojutù Qràn dfd r~ mg
Nigbàti a bâ ti bi Ifâ léreè, Ifâ 0 SI mu àpejuwe
il kan tQ ba jg ohun tL wQn fi rnQ ori r~ yi
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14. À ni, Iru .çbQra bayi, àun ni k6 rnQQ t~lé


Tabi iru ~wQ il kan bayi, ni Q gbQdQ j~,
Ka IDQ baà j~~ lara il kan ti wQn fi rnQ, orf r~
K6 rnQ baà j~ pé
Yio ya Oluwar~ ni wèrè
Tàbi yio paku, tàbi ko ni j~ kà nÎ il kan layé
Oun ni wQn ri fi ri pe
Iru i1 kan tg ba j~ àdimu tni YI ni Okè IpQri
15. Ni ibi ti wQn ba bù
ti wQn ba fi rnQ ori ~n)yàn ni IpQrf
àun na SI ni IpQri ~ni
Èyùn ni pé
] 6. Ni bi ti wQn ti bu
il kan ti wQn fi mg orf ~ni
L'à ri pè ni Ipgri ~ni
Bi Èjiogbè ati Q~~tùa bi wgn ti ~e j~ ri
tI wpn si fi hàn wa gbaagba ohun ni yi.
Àbpru - Àboye

IPQRf

" 1. The /p{}ri is what is called Okè lppri; Okè lpèri is the deified
spirit of origin of every human being. It is like the place where the river
takes its source that we call j pèri Odo, the source of a river. The origin
of a river from where it becomes a large, flowing stream. So also the same
corresponds for human beings. It is the place where the Orl*à take of a
portion to create people. It is that place that is called /PVri for people.
2. They take of a part of the paJm-tree to create somebody. That
kind of person that they take palm-tree to create with, when he is born
(lit. when that one comes to the earth) he should worship lfa. They take
of a part of stone to create some other type of people. When that person
is born (comes to the earth), that sort of person should worship Ogun.
To the extent that Ogun will be his salvation in the world.
3. They take of a part of clay (mud) to create some other type of
people .Such person must not be a liar. Because àgb6ni, lyda wa (our
ancestral mother), 9rQ M Qlè are his progenitors and will be his protectors
on Earth. Ond would be his Okè /p{}ri, original deified spirit.
4. They take of a part of water to create other type of people.
9~un, Yémonja, Erinl~, Qya, Ajé. O/6kun and so on and so forth would
be his Okè Ipèri - originaJ deified spirit.
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5. They use breeze to create some other type of people. It will happen
that Oranf~, ~àng6, Qya or others similar would be the Okè lpf?ri-original
deified spirit for such person. The Odù of lfd which explain these to us
are 9~~tùd and Èjlogbè.
He says as follows:
" Ort creates everyone of us,
Nobody can create Orf.
àrl~à can change anybody on Earth
Nobody can change àrl~à ".
They casted lfd for Ajàld who is the maker of all heads at àde-Qrun.
6. Àjald is one whom 016dùmarè put at Ode Ç>run to mould Orle
He is a senior àrl~à. He moulds Ori every day laying them on the ground.
\hose who go from j kolé-Qrun to the world, it is compulsory to go to
Ajàld, in order to have a head.
7. When he reaches there he would make his choice. If somebody
wants, he can give À jàld something. If he do not want he may not give
him anything. It may be money, or any other gift. If people do not give
him something (Àjàld) would not require and would not debar anybody
to carry his choice. But those who give Àjàlâ money or anything that is
used at (Jrun, Àjàld will sympathise with him.
8., He will help him find the best Orle Those who give Àjàld some
gifts, Ajàld himself choose Ori for and will become fortunate on Earth.
They will become weaJthy or they will reach old age or they will be
enthroned as kings. And will be able to get whatever they need on Earth.
9. Those who do not bother to ask Àjàld and to give him something~
the Ori which he will choose and will
, carry it may be perhaps a good Ori
or it may be a bad Orle Because Ajàld moulds all the Ori.
10. Those who are working together with Àjàld are: Èjlogbè, Orl~àdla
and, Oyèku-méjl, /worl-méjl, Odi-méjl, , Irosùn-méjl, àW6nrin-méjl,
\
, Qbàrà-
>.... '
méjl,
, ukànràn-méjl,
, Ogundd-méj/,
, (Jsd-méjl, lkd-méjl, Otùrupen-méjl,
>.
Otùd-méjl, Jr~t~-méjl, 9~~-méjl, ufun-méjl. Eépà
' a! (due respect to all I).
Il. All these Odù that are seventeen work together with Àjàld to
mould Ori everyday. The part taken off with which any Orf is moulded
is the Egun ) pQri (ancestral materia!). The person should worship his
ancestral material to become wealthy in the world so as to be his saviour.
12. The kind of thing from where they mould individual Ori, will
indicate what kind of work is suitable for each one that can please them,
which will make him become wealthy. And all things prescribed as
prohibitions - fWQ - to him that he is forbidden from eating because
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of the way they moulded Ori. The material which is used to create Ori
has some distinguishing sign and is not mere material.

13. The reason why it is so, is that the person who is alive, that has
not got solution to his condition, when he consults Itd, Itd would bring
forth some example of the nature from which his head is moulded.

14. Ita would say, this kind of fbera you should follow or a certain
forbidden thing you must not eat. So that you cann not eat out of the
same kind of material from which your head is moulded. (lit. cannot eat
from the same body from which his head was buill). So as not to turn
such person to be mad or to kill him or let him live a misery life. That
is why, it is called such kind of peculiar thing of a person - àdimu -
as the original deified spirit (àkè lpèri).

15. The place where they take of a part of the original material to
mould the heads of people is /pQri. And that is the /pèri of that person.
16. It means that the place where they take of things to mould one's
head is what we call /pQri of a person. This is how Èjlogbè and ÇJs{tùa
witness and reveal it vividly to us liek this".

By extension, IpQri applies to a person's direct ancestors, to the


immediate constitutive elements and particularly to the dead father or
mother. The feet, being in contact with the earth, are the parts of the
body through which ancestors' mount', the big toe representing, the right
the male parent and the left the female. This is the reason why Lucas,
with some ingenuity, maintains that} pQri is 'the path of the head' or
(f));
'the locus of the head when it moves on the feet' and Abraham,
taking his cue from Lucas, even further simplifies this fundamental personal
element when he says: 'Lucas states that j pgrÎ is a deified spirit living
in the toe'.
3. Some of the personality components of the ~run transmit their
counterparts to be incorporated in an individual in the àiyé; each counter-
part then assumes in turn a double existence: one part represents the
collective aspect and the other the individual, exclusive aspect of the
person, that which develops concurrently with the human person. If we put
it differently, we can say that the corporeaJized or 'earthy' elements of
the person in the N àg6 system simultaneously elicit an ancestral, collective
or impersonal aspect and a new aspect, an individual interaction or result.
Thus, for instance: the lyè represents memory. Each person has two kinds
of lyè: (a) the lyè which accompanies the ~mi, the existential principle,

(6) J. Olumide LUCAS, The Religion of Ihe Yoruba (C.M.S. Bookshop. Lagos,
1948), p. 250.
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and is transmitted with it. It bears the ancestral memory and conducts
the ~mi through the land of dreams, accompanies it when it partially
forsakes the body, when we slumber or dream and also after death when
the tnli returns to the Ikele-Qrun. That is why it is said:
Orf ohùn kan naa ni Iyè ati èmi wà
(lyè and tmi are at the same level)
Cb) The other kind of lyè is that which enables experiences to be
remembered, studied and accumulated. It accompanies persons when they
are awake. Lucas calls it 'the mental body or mind' and says that it is
'the conscious part of man and depends on the soundness of the brain'.
When the child is born, it does not possess its' diurnal' lyè in a devel~ped
form: growing and learning develops it. It is compared to a pouch (A po-
lyè) in which are gradually accumulated the knowledge and memory of
an individual. After death, the Àpo-lyè disappears with the body. It enables
thought and intelligence to be formed, and traditional medicine knows of
many' works' through which it is fortified. It is supposed that many
problems of mental unbalance are generated when the individual Iyè is
impeded by, or is in conflict with, the ancestral Iyè. When a person is
in doubt, it is customary to say:
6 n~e ni'yè méji
(The two Iyè are not in agreement)

È~ù, like all the elements of the person, comprises two aspects. In his
collective aspect he represents the dynamic principle and the prin-
ciple of individualized life. In his individual aspect, be represents the
driving element in personal fate. His individual role is directly derived
from his caracteristics as collective symbol. È~ù therefore has two
well differentiated kinds of materia] representations in the Nàg6 cult-
houses: those which symbolize È~ù Àgbà, Èsù ÇJbasin or È~ù Yangi, the
collective principle, the foot of the OkOfO (ï), to which the authors have
refered in another place; and those which symbolize È~ù Bara, the per-
sonal È~ù which accompanies every individual. Whereas È~ù Àgbà and his
representations are objects of public and collective cults, his ojubQ (places
of worship) being localized in appropriate temples, at the entrance to
townships and villages or in the middle of compounds, the individual Bara
is worshipped privately by the person he 'accompanies' and the vessel
which represents him is kept in the person's own place of worship.
Le Hérissé wrote as far back as 1911 : 'There are two other vodun,
Legba and Fa, which are personal to each individuaL are born and
disappear with him. The public manifestations of worship do not require

(7) The symbolical meaning of the OkotÔ, a variety of snaB which is used as a
top. has been amply dealt by the authors in È~'Ù Bara Laroyè. Op. cit.. p. 8-9.
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grand sacerdotal rites. But devotion is none the less fervent, being
intimate and directly concerned with the person. Legba is the occult
companion of each individual' (H). The jar mentioned earlier and its
contents represent the person's Bara-Qrun, its counterpart the Bara-àiyé
resides in the body of each individual. The Bara-àiyé disappears at the
same time as the body after death. In Bahia, the Bara-(Jrun is ritually
destroyed and despatched together with the grù'ku, the dead one's load.
In Kétu-Dahomey, the Bara is buried with the' human remains.
All priestesses at their initiation receive two kinds of sacralized
symbol-vessels: (a) those which represent their àri~à, the divine entities
of the N àg6 pantheons, and (b) those which represent their personal È~ù.
In reality, the accompanying È~ù is ready, and they will receive it, even
before they receive their àri~'à. This priority is a result of È~ù's function
and will be analyzed later.
Only after the personality elements of the Qrun have been' seated'
in the proper vessels do the priests proceed to prepare the novice or the
elements of her person corporealized in the àiyé. In the traditional N àg6
cult-houses of Bahia, the Bara is represented by a small terracotta vessel
with a wide aperture and a lid, called Kàlàbo and containing 21 cowries.
These represent the constitutive elements of the individual's fate as de-
termined by the Ori at the [Jrun. It is with these cowries that the person
shall consult and obtain the oracular responses which £oncern his entire
destiny. Of these 21 symbols, 16 represent the Irunmalè-Agbà, the principal
ancestor-àrl~à, 4 represent the fundamental elements and their collective
representations and 1 represents È~ù, the dynamic principle and principle
of individualized life, the new entity which inherits and restructures all
the former elements. The priestess, in consulting her Bara, divides the
cowries into groups of 4, 16 and 1. She can cast either the four or the
sixteen the latter called €rindilogun. The one remaining cowry alternately
the 17th or 21st member of the set, is the offspring resulting from the
interaction of all the prior ones contained in the vessel, which is a sym-
bolical displacement or representation of the fertilized mythical womb.
It is the guardian, charged with the function of mobilizing and inter-
connecting the entire personal Bara system. It therefore' moves' the cowry-
shells to make them assume particular configurations or signs by which
the requisite answers and ways are given to direct and resolve the requests
presented by the consultant. È~ù Bara is the one who' speaks' and
guides and indicates the ways of the individual. The individual È$Ù Bara
emphasizes the fundamental aspects of È~ù collective symbol, of whom

(8) LE HÉRISSÉ, L'A Ilcien Royaume du Dahomev: Mœurs, Religion, Histoire


(éd. Emile Larose, Paris. 1911).
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he is a part. The concept of divided and differentiated matter which


recreates inherited elements is implicit in all È~ù's symbology.
If we repeat once more the words of Ita, 'if someone did not have
his È~ù in his body, he could not exist, he would not know that he is
alive; therefore everybody must have his individual È~ù '. He would not
know that he is alive: in other words, he would not recognize himself
as a being with its own life, he would continue to belong to the mass of
undifferentiated matter. È'~Ù is an inseparable part of any differentiated
being or matter. He is the principle of individualized life. But at the
same time, he is the dynamic principle of the N àg6 system, the active ele-
ment of the universe and the one who impels the mechanisms and relations
of the various elements of the individual, the community and the system.
It is well-known in the cult-houses that each entity, each orl~à, each
individual has his own È~ù. Matter, its severed and recreated parts, its
collective and individual representatives, would remain motionless and
deprived of dynamic existence without È~ù. In order to mobilize any
ritual action, individual or collective, È~ù is the first to be invoked and
the only one capable of 'starting' and developing the action of the
orl~à. This aspect of È~ù as dynamic and vital principle of each indivi-
dualized being' makes him the element which helps to form, develop,
mobilize, grow, change, communicate' f!q.
È~ù is not only the propelling agent of procreation, being as such
closely associated with sexual activity; he also represents at the same
time the result of this activity, the procreated part.
Many oral myths and texts clearly refer to his role as the result of
the interaction of the male and female elements, to his offspring symbo-
logy and to his sonship status. He is the first differentiated form of the
unIverse.
'Before him, only air and water existed. At the very beginning,
there was only air. ÇJlQrun was an infinite mass of air. When it began
to move slowly, to breathe, a part of the air changed into a mass of
water and thus originated Orl~ànld. The air and the waters moved and
a part changed into watery mud. From this mud there rose an elevation,
a small mound, the first matter endowed with form, rising like a reddish"
muddy rock. ÇJlQrun admired the form. He breathed over the small
mound, insufflated his breath into it, and it came to life. This form, the
first form of existence, laterite stone, was È~ù '. In another myth, the child-
È~ù of the Qrun is transferred to the àiyé and is born of the copulation
of Ç)runnÛla and his wife Yéhliru (Y é + hi + iru == mother who gives

(9) Juana ELBEIN DOS SANTOS & Deoscoredes M. DOS SANTOS, È~Ù Bora Laroyè,
op. cil., p. 7.
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birth to children of many kinds). He is the first child to be born in the


world and he is to be the principle that will allow the severance of all
(1 ())
future children .
In another story, È~ù is begotten by the à~~, the supernatural power,
of the sixteen main mythical ancestors, the sixteen lrunmal~ Odù-Àgbà and
Q~un, the àrl~à which collectively represents the ancestral mothers. He is
born of her \vomb fertilized by the à~g of the lrunmal~ (11).
Varied are the characteristics of È~ù-offspring which the texts exhibit
and clarify. In various myths, È~ù appears as a voracious scion who
devours all the food of the world, including his own mother, and who
later, having been infinitely divided by his father's sword, populates natural
and supernatural space and agrees to making restitution to his parents
of the incorporated matter which allows his fabulous expansion (12).
È~ù is not only the procreated, the principle of individualized life,
he is at the same time the principle of reparation. He is the Oji~~-~bQJ
the unique entity of the N àg6 system, one of whose specific functions is
to carry the sacrifices to the mythical parents, the devolution of the intro-
jected, of the matter which shall restore the parts severed to form new
beings.
Every individual, by bearing within himself his own È~ù, bears
the element which enabled him to be born and which will allow him to
develop, reproduce and accomplish his life cycJe. In order that this process
may be accomplished without accident, it is imperative that the individual
make restitution through offerings of the' food' which, in a real or meta-
phorical sense, his life principle has consumed. It is as though a balanced
life process, moved and controlled by È~ù, were founded on the constant
introjection and restitution of matter. È~ù is profoundly associated with
the secret of transforming original matter into differentiated individuals.
In fact, he represents the secret and the occult, the' physiology' of that
wich takes place in the inu, the inside, of all the cavities of the human
body. This is precisely the role of the individual È~ù àiyè, whose (Jrun
counterpart is 'seated' in the vessel of the Bara. It will be seen that
the elements which constitute the Bara explain the symbology of È~ù,
the individual element.
1. Being associated with, and a mover of, personal fate, he is related
to the Ori-in~, the inside of the head. He is also the individual È~ù
accompanying the Ori, charged with carrying offerings to their recipients
during the Beri rites, the worship of the head.

(10) I bid.. p. 29.


(11) Ibid., p. 49-84.
(12) I hid.. p. 29-48.
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2. Being concerned with the function of introjecting food, he is


related to the mouth and the stomach. This aspect appears in many sayings
and proverbs linking È~Ù's anger with the sensations of hunger and
thirst, etc. Le Herissé states that Legba 'inhabits the navel' is called
Rondon, 'navelshaker' and Homesingan, 'Lord of anger, because anger
comes from the belly, Hke joy, pain, pity (Home: belly; homesin: anger;
gan: lord)'.
The mouth is also strongly emphasized in many carvings and bas-
reliefs which represent È~ù introducing into his mouth a pipe, a flute,
a human being, or sucking a finger. This aspect has been amply dealt
with by the authors in another place (1 a J. At the same time, È~ù is related
to the mouth in his a spect of
Enu-gbaraj{?
(coIJective mouth).
This is a reference to the fact that all 400 lrunmal~ decided to give
a piece of their own mouth to È~ù on the day when the latter was to have
represented them at 9lQrun's feet. È~ù took those pieces and stuck them
to his own mouth: since that time, È~'ù speaks for all of them and his
(14).
mouth represents them
In this sense, the mouth is the cavity which transmits the message.
È~ù is the interpreter and linguist, the principle of communication. In his
collective aspect, he causes the (Jrun to communicate with the àiyé, the
orl~à among themselves and with human beings. In his individual aspect,
he links all the personal elements of the [Jrun and the àiyé, and these
elements with the outside entities and with the whole system. Teeth are
sym boIized by cowries:
Ejile lQgbèn owo fYQ ni mb~ l'gnu:
J;rindilogun Ori ni mb~ l'èJkè ~nu,
~rindilogun àrl~à ni mb~ ni sàlg.
(There are 32 cowries - owo ~YQ - in the mouth: 16 cowries of the
upper plate belong to Ori, 16 cowries of the lower plate belong to
Ori~àla). It would serve no useful purpose to dwell on this important
revelation of the Odù lfa, beyond calling attention to the fact that the
cowries of the Bara are the symbolical representatives which take shape
and body in the mouth, so that it is through them that the Bara' speaks'
with his sign messages linked to the fate of the Orle
3. Being, through his sonship function, a promoter of the procreation
of new beings, È~ù is intimately connected with the womb, Inu, i.e. the
cavity and its physiology. He is related to the secret of individualized

(13) Ibid., p. 88-89.


(J 4) I hid., p. 92.
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life transferred from the (Jrun and developed .in the womb. He is related
to sexual activity and with the interaction of semen and ovula. And he
is fundamental1y linked with the fertilized placenta. Whereas the semen
and the womb represent original matter, the mythical male and female
ancestors, the placenta transmits the principle of individualized life. It is
the double of the person that develops together with the foetus and,
separated from the mother's body, represents È~ù, the È~ù of the rrun,
the counterpart of the new individual È~ù embodied in the newborn.
The placenta, representing the individualized portion severed from
the womb, represents the lprri, of which mention was made at the
(1;)),
beginning of this essay that is to say it transmits the mythical original
matter and its ancestral representatives.
(Jrunmllà 16 nti ) kple (Jrun b[J wa si 1'aiyet

cf fg Okè Ipèri r~ tira jtt,


A dila fun A boyun
A bù fun pj!! lbi
Njç Okè Ipgri mi 0
j bi ni I1l0 dei padà .vii 00 Èkejl È~ù.

When Ç)runmllà was coming from the supernatural spaces to the


world,
He laid beside him gently his Okè I pQri (portion of his creative
mound).
This was the oracle cast for Aboyun (a pregnant woman),
And repeated to rj~ lbi (the day of birth),
Hence, my materia of origin
This placenta is what I retourn which is my deputy È~ù.

This Odù is illustrated by the story which reveals what is and how
is prepared the material representation of the Ip{}ri. We shall give a
shortened version, related to us by the Babalawo: 'When ÇJrunmllàwas
conceived, his mother began to suffer and it appeared that she would
lose her child; lia having been consulted, it came to light that Ç)runmllà
had not brought his placenta with him and could not survive. An offering,
with various sacrifices of pregnant animals, was performed. A boyun, 9run-
mllà's mother, ate portions from the important parts of the sacrifices.
After that, her placenta became attached to the conceived child and.
got big and heavy and powerful. On the day of delivery, the placenta
issued first and it became difficult for the child to be born. After Qrunmllà
was born, his placenta was lying beside him when it was cut off and
put in a ceramic pot with a lid and buried on a mound bed (pepe le)
where 9runmilà's mother used to sleep. From that mound, when 9rÛn-

(15) Ihid., p. 3-11.


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ml/à became adult he took a small quantity from the spot where his
placenta was buried and performed the same sacrifices as his mother, with
the blood from which he moulded a kind of head, small, not round, like
the heart of a human being. It is called Okè ippri and it is put in a bag
to be carried. It is as if the placenta is escorting him when he leaves
the house. It is the symbol of his own È~ù' f1HI.
The Okè IpQri and the Bara are two representations of the individual
È~ù: the first represents his collective aspect, accompanying a portion of
original matter, the placenta buried and reintegrated in the undifferentiated
mass; the Bara directly represents the individualized element, the small mud
vessel, the Kà/aba, symbolizing the cavities of the body and the 21 cowries,
the original elements recreated and placed at the service of individual fate
which he impels and directs.
To conclude, È~Ù as dynamic principle and as principle of indivi-
dualized life, symbolizes the procreated and promotes the conditions which
are necessary for differentiated existence to come into being and accomplish
its life cycle.

(16) Related to the authors by Mr D. Agboola Adeniji, Elder of Iwo, Nigeria.


Colloques Jnternatiollaux du C.N.R .S.
N/)
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544. - LA NOTION OF PERSONNF. EN AFRIQUE NOIRE

NOTION DE PERSONNE ET LIGNÉE FAMILIALE


CHEZ LES YORUBA

Pierre VERGER

La notion de personne chez les Yoruba, comme dans de nombreuses


autres ethnies africaines, est profondément liée à l'organisation sociale du
groupe dont elle fait partie.
Les idées que nous passerons en revue, celle des âmes multiples,
celle de la diversité des noms, celle de crise de possession par le dieu
(Ori~a) soulignent toutes cette dépendance de l'individu à la lignée fami-
liale, à la communauté qui englobe les vivants et les morts, les ancêtres
proches et lointains qui se perpétuent dans leurs descendants auxquels ils
ont transmis leurs gènes.
« Pour l'Africain, écrit Hubert Deschamps 111, l'isolement est inconce-
vable. Sa force vitale est en relation constante avec celle des ancêtres
et des membres du groupe. La plus grande calamité consiste à en être
retranché et réduit ainsi à une existence déficiente, sans protection, vouée
au néant».

¥mi, l'âme, le souffle vital et Oj1ji, l'ombre.

Le corps des gens fut créé, disent les Yoruba, et pétri dans la glaise
par 016dùmarèJ Dieu ou Force Suprème. La tête (ort) fut moulée par
Qbàtald, qui reçut d'Ol6dùmarè le pouvoir de créer et de façonner les
yeux, le nez, la bouche et les oreilles. Le souffle (~mi) fut alors insufflé
par 016dùmarè.
Dans d'autres légendes, ÇJbàldld joue un rôle plus important comme
divinité de la création et il est appelé A ldhala~e (i] suggère, il a le pouvoir);

( 1) DESCHAMPS. p. 19.
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lorsqu'il parle, ce qu'il propose devient réalité. Il est aussi salué par l' orikt
-(phrase de louange) ÇJbàtdld ald~(! (Qbàtdld propriétaire du pouvoir) (21.
Les gens sont formés d'une partie matérielle, le corps (ara) et d'une
partie immatérielle (~mi), le souffle, l'âme, le principe vital, l'esprit. On
dit" tmi ol6jà ninu ara", le souffle est roi dans le corps.
" La différence entre un corps vivant et un cadavre est la présence
ou l'absence d'~mi Ia,.
~mi est représenté par ojlji, l'ombre des gens. C'est ce que les Fan
appellent y~.
Ojiji est relativement vulnérable, on peut faire du mal aux gens en
faisant des « travaux» sur leur ombre.
« Il y a trois sortes d'ombres, dit-on; de bon lTIatin, les gens en ont
deux, une à gauche et l'autre à droite; à midi, eHe devient unique; après .
six heures du soir, il y en a trois» {41.

L'ombre (ojlji) est enterrée avec le mort et devient du sable, au


bout de trois jours, au fond de la tombe; le neuvième jour, l'âme (?mi)
la quitte avec ce sable pour devenir l'ombre d'un nouveau-né. Chaque jour,
il y a en principe deux cents enterrements et deux cents naissances (deux
cents représentait autrefois un chiffre considérable dans la numération
yoruba).

Ori, la tête.

L'âme (~mi) peut aller dans n'importe quelle famille. La tête (orO,
revient dans la même famille lorsqu'il y a un nouveau-né.
art réside alternativement sur terre (aiyé) où la personne est araiyé
(habitant de la terre) et au pays des morts (Qrun) où elle devient araiJrun
(habitant de l'au-delà).
Chez les Yoruba, de nombreux enfants sont appelés Babatundé (le
père est r~venu) ou Iyâtundé (1a mère est revenue); ils sont acceptés à
leur naissance comme la réincarnation du grand-père ou de la grand'mère
récemment décédés.
Cette notion d'allers et retours entre l'au delà et la terre se retrouve
chez les Fan sous le nom de dj{Jt(J,l'enfant revenu avec l'âme d'un ancêtre.
Cet enfant est indifféremment appelé dans son jeune âge par son nom ou
par celui de l'ancêtre. C'est ainsi que dans la famille royale d'Abomey, on

(2) VERGER, I, p. 416.


(3) IDowu, p. 169.
(4) VERGER. I. p. 508.
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sait que le yç (correspondant à çmi et non à orE) de Madokun est passé


successivement après sa mort dans Ganhesu, Agadja (mort en 1740),
Agonglo (mort en 1797), Béhanzin (détrôné en 1892), et que celui de
Lande passa à T~gbt:su mort en 1774), puis à Adandozan (détrôné en
1818). De même MatinpQn fut le djQtQ successif d'Akaba (mort en 1708),
Kpgngla (mort en 1789) et Aboliagbo (détrôné en 1900).
Ori est le siège de l'intelligence (Qgbgn). Un culte lui est rendu.
Tous les ans, dans une ville yoruba, le roi fait à une date donnée des
offrandes à sa tête (ibp orf). Le jour suivant, tous les dignitaires et gens
titrés du lieu font leur propre ib(!ri et leur exemple est suivi ensuite par
les divers chefs de famille.
« Or; est, suivant William Bascom I:)),
le gardien de l'âme des ancêtres.
D'après certains informateurs ce gardien de l'âme des ancêtres réside au
sommet de la tête (àtari, awùjç). Un informateur d'1ft;' lui expliquait
que l'on peut voir battre le paul en ce point chez les enfants nouveaux-nés
et que de là également s'en allait la respiration (çmi) hors du corps lors
de la mort. Suivant d'autres informateurs, il (le gardien de l'âme des
ancêtres) réside dans le front (iwdju orl). Le front serait associé avec la
chance individuelle qui est une partie de la destinée. Le gardien ancestral
est aussi associé avec l'arrière de la tête, l'occiput (ipakQ erun) qui regarde
vers l'arrière et le passé. Il protège contre le mal fait en des endroits où
la personne est passée autrefois».
Pour évoquer l'idée d'âme, d'esprit.. de conscience, on emploie quel-
quefois le mot Qkàn, cœur, ou le mot inu, ventre, estomac, matrice,
entrailles, impliquant la notion d'intériorité (ninuninu). La joie s'exprime
par l'expression «inu mi dùn », mon ventre est doux, dé1icieux, plaisant..
agréable; sentiments ressentis intérieurement.

Egûngun, les âmes des morts.

Les âmes des Inorts sont censées revenir sur terre dans certaines
familles sous forme d'Egungun I HI. Elles apparaissent à leurs descendants
sous de beaux pagnes décorés d'étoffe découpée, brodée et ornementée
de cauris et de paillettes. Des sociétés, strictement réservées aux hommes
prennent soin de ces Egungun, les appellent au cours de cérémonies où
les morts de la famille doivent être honorés. Les Egungun, sortant de
l'igbal~, viennent saluer leurs descendants d'une voix rauque et profonde
(segi), les assurer de leur protection et leur faire des bénédictions. Ils dan-
sent volontiers au son des tambours hala et ogbon. Le contact des pagnes

(5) BASCOM.. p. 408.


(6) VfRGER. 1. p. 507.
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des Egungun passe pour être fatal aux vivants, aussi les mariwo et {Jj~,
membres de la société, les accompagnent-ils toujours, munis de grandes
baguettes (i~an) pour écarter les imprudents. Le vent soulevé par ses
pagnes lorsqu'un Egungun danse en tourbillonnant est au contraire tenu
pour bénéfique.
Lors des funérailles d'un nzariwo, d'un Qj~ ou d'un ol6ri~a (personne
dédiée à un ori~a), une cérémonie nocturne a lieu le neuvième jour,
lorsque l'èmi abandonne son corps au fond de la tombe. Les Qj~ et
membres de la société FgÛngun vont en un lieu désert aux confins de la
ville briser une calebas_,e contenant certains éléments, soulignant ainsi la
libération de l'âme de leur ancien compagnon.
Parmi ces éléments figure de l'eau utilisée dans une forge pour
refroidir les fers du forgeron et dont on a lavé le corps du défunt, effaçant
ainsi symboliquement tous les tatouages, scarifications diverses, coupes de
cheveux et blessures reçues à la guerre. Toutes ces marques sont dues à
l'action d'Ogun, dieu des forgerons, des guerriers, des barbiers, des agri-
culteurs et de tous ceux dont les activités les amènent à employer du fer.

,
Ipiltf~, l'origine.

ipil~~~ (ce que nous rencontrons, venant de nos ancêtres, à notre


arrivée au monde) est lié avec la notion d'is~~~. Les Yoruba déclarent
«lpil~~~ ènia ni a npè is~~~ », «l'origine de quelqu'un est ce que nous
appelons is~~~ où se trouvent inclus à la fois orî, la tête, le père, la mère
et lid.
Lorsque meurt un personnage très vieux, père de beaucoup de petits
enfants, ayant pleinen1ent accompli ce qu'il était venu faire sur terre
(aiyé), on installe sur l'autel familial une statuette d'argile dans une assiette
blanche. On incorpore à cet argile un peu du sable de la tombe (repré-
sentant son ~mi) et on le façonne en forme de cône sur lequel on ébauche
de vagues traits humains, consistant en dépressions pour les yeux et la
bouche et une saillie pour le nez. C'est l'isC~~ du vieillard défunt auquel
on fait chaque année des offrandes de béliers.
Js~*ç est, dit-on, un peu du pouvoir d'016dùmarè qui reste à la maison.
Ceci peut être rapproché du s~ personnel concrétisé des Fon, qui de
leur vivant ont chez eux un cône d'argile (semblable à celui d'i~e.}'ç)
mélangé de kaolin, posé sur une assiette blanche.
Pour Bernard Maupoil (71 ~ l'ensemble des petits ~e personnels imma-
(7) M AUPOJL, p. 401.
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(8)
tériels forment le grand S~, notion que le R.P. Segurola traduit par
Dieu, partie puissante et essentielle d'un être, esprit, principe vital, destin,
sort.

Ifâ, le sort, la destinée.

(H)
liâ chez les Yoruba (Fa chez les Fan) est un système divinatoire
permettant au babald11'o, père du secret (bokonon chez les Fan) de résoudre
pour les gens les divers problèmes qu'ils peuvent avoir. Les solutions lui
sont dictées par les signes (odù) d'lia obtenus par la manipulation, suivant
certaines règles, de noix de palmier à huile (elaeis guineensis, var. idola-
trica). Ces odù sont au nombre de deux cent cinquante six.
Chaque personne dépend de l'un d'eux.
Au moment de la naissance d'un enfant, les parents font chercher
par le babalawo quel est le signe (odù) régissant la destinée du nouveau-né.
Il saura plus tard quels sont ses interdits et aura la révélation de son
identité profonde.
«iiâ ou Fa ouvre à chaque homme (JO, la possibilité d'entendre de
quel destin a été marquée son âme avant de l'incarner sur cette terre et de
rendre un culte à cette âme. Il ne s'agit pas pour lia ou Fa d'une divinité
secourable; c'est la voix de Dieu, enfermant j'homme dans son détermi-
nisme.
La possession d'un signe d'lia ou de Fa est conçue comme une alliance
avec une divinité personnellement attachée à l'allié mortel, et satisfait en
l'homme le besoin de sécurité, de certitude. Il devient comme un ancêtre
l'intime témoin de l'être qui le possède».

IpQnri, origine et destinée.

IpQnri (KpQli chez les Fan) est lié à l'origine et à la destinée. Il est
à la fois le signe d'lia (ou de Fa) obtenu par l'initié, arrivé à l'âge d'homme,
après consultation dans la forêt sacrée et I]l' «le symbole de son âme
extérieure et de son esprit tutélaire» .
Matériellement IpQnri (ou KpQIi) est constitué par le sable ou la

(8) SEGUROLA, p. 460.


(9) VERGER, I, p. 568.
( 10) MAUPOIL, p. 17.
(11) MAUPOIL, p. 16.
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poudre iyçrosùn où le signe d'lia (ou de Fa) de l'initié a été tracé dans
la forêt. Cet lyçrosùn, pétri avec du kaolin et des feuilles particulières au
signe, est enfermé dans un sachet de toile blanche décoré à l'extérieur
par des perles et des cauris.
D'autres fois, la tête, les pieds et les mains de l'initié sont placés
sur cette poudre. Tous les devins babaldwo présents saluent le signe (odù)
obtenu, racontent ses histoires Otan), donnent des indications sur sa signi-
fication, sur les interdits qu'il comporte. Ils font des vœux de bonheur à
l'initié en saisissant chaque fois une pincée de l'ly€rosùn et le placent peu
à peu dans une petite calebasse qui sera la représentation matérielle de
1'lPQnri. Cette calebasse sera placée sur l'autel d' lid particulier de l'initié
et recevra par la suite des offrandes et sacrifices lorsque les indications
en seront données par le jeu de la divination.
IpQnri est lié avec la notion d'origine des gens et représente les six
générations précédentes; le propriétaire de l'IPQnri étant le septième.
On donne ce même nom d'IPQnri aux ancêtres, censés résider dans
les gros orteils des gens. Lors des offrandes à la tête (ib(Jrî), des sacrifices
sont offerts aux parents ou grand-parents défunts, quelques gouttes de
sang des animaux sacrifiés sont versées sur les gros orteils droit et gauche,
représentant l'âme du père (ou grand-père) et de la mère (ou grand-
mère) s'ils sont morts. Les esprits des ancêres ainsi évoqués sont présents
à la cérémonie et sont salués des orikl iprnri (121, les salutations élogieuses
faites à la fois aux ancêtres et par droit de filiation à la personne faisant
les offrandes à sa tête.
Bolaji ldowu na 1 propose l'étymologie de [pin orf pour lponri, qui
signifierait: le choix de la tête.

Ortrun, origine de la tête, ~wp, cordon ombilical, placenta.

Il Y a relation entre lPQnri et celle de orlrun, origine de la tête; c'est


le cordon ombilical de la personne (lwf5). lw(5 a été placé après la nais-
sance dans un pot (isasùn) et installé dans l'arrière cour de la maison,
au lieu où les gens vont faire leurs ablutions, afin qu' orlrun soit dans un
endroit frais (14); le tout est couvert de jeunes feuilles de palmier appelées
mariwo et de cauris.
Ce lieu est salué de la phrase suivante: «nlé 0, 0 to balùw€, at'ldi
j~gbin omo tuntun»: « hala, salle de bains, source origine de l'enfant

(12) BASCOM, p. 408.


( 13) l DOWU, p. 17 1.
(14) VERGER. II. p. 1454.
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(elle) mange les saletés du derrière de l'enfant nouveau»; formule qui,


par un curieux raccourci, associe des notions de très respectables spécu-
lations sur l'origine des êtres humains et celle de fonctions organiques
moins nobles.
Le cordon ombilical est aussi quelquefois enterré non loin de la maison
et un palmier à huile planté au-dessus. L'enfant une fois arrivé à l'âge
d'homme en prendra toujours grand soin.

\
Aiyalé, poitrine de la maison.

Sur la place située devant la maison familiale en pays yoruba, se


trouve un point appelé àiyalé (la poitrine de la maison) ou IjQriwol~
(rencontre avec les morts sur terre). C'est l'endroit où l'on plante les
osun (asen chez les Fan) constitués par des tiges de fer ornementées,
for.mant des autels portatifs pour faire le culte des morts. C'est en ce lieu
que les vivants « rencontrent les morts de la famille pour les adorer». L'em-
placement est en général abrité par des plantes d'akoko (dracaena fragrans)
ou d' ologun~~~~ (erythrina senegalensis).
Devant les temples des ori~a, cet endroit s'appelle idomosun. Les
dieux incarnés dans les ol6ri~a viennent à diverses reprises saluer rituel-
lement au cours des cérémonies les osun, plantés là pour représenter les
âmes des Ol6ri~a défunts.
Dans les maisons, chez les Yoruba, le culte des morts se fait dans
l'ilésein où les morts sont représentés par des poteries posées sur une ban-
quette de terre. Des filières de cauris sont suspendues au-dessus et un
i~an, baguette d'atori (glyphe a laterifolia) est appuyé au mur; chez les
Fan, ce culte est fait dans le dehoho où sont plantés les asen, là où sont
faites les libations pour les morts.

Diversité des noms.

L'identité des gens est définie par les noms. Ils prennent une valeur
particulière dans les sociétés basées sur l'oralité où un grand pouvoir est
attribué à la parole (la parole agissante). Les noms y sont considérés
comme de véritables locutions incantatoires douées de pouvoir et capables
d'influencer le futur.
Nous verrons combien les noms d'un individu sont liés, en pays yoruba
(pays autrefois sans écriture), à ceux de ses ancêtres.
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Les Yoruba reçoivent de trois à quatre noms (15, dont trois au moins
sont indispensables; le premier de la liste ci-après est facultatif.

I. Oruk(J an111ntprunwd est le nom apporté par l'enfant avec lui de


l'au-delà, lorsque les circonstances particulières de la naissance peuvent
être exprimées par un nom applicable .à tous les enfants nés dans les
mêmes circonstances. Citons entre eux: Taiwo et Kghindé donnés aux ju-
meaux, ldowu à l'enfant né après eux. On nomme Igé les enfants nés les
pieds en avant; Ojo pour les garçons, Aina pour les filles, ceux qui sont
nés avec le cordon ombilical enroulé autour du cour; Dada ceux qui ont
les cheveux bouclés, etc.

II. OrukQ àbisQ est un nom basé sur des considérations relatives
à l'enfant lui-même et en rapport avec la situation de la famille au moment
de la naissance.
Samuel Johnson classe les àbis() en (Hi I :
a. noms se référant directement à l'enfant lui-même et indirecte-
ment à la famille: pour les garçons, AYQdélé (la joie entre dans
la maison), Akîny~lé (un enfant énergique convient à la maison)~
pour une fille, Morénikf (j'ai quelqu'un à dorloter), etc.
b. noms se référant davantage à la famille qu'à l'enfant: OgundalénÙ
(notre maison a été dévastée par la guerre), DtfgbfY~ (l'es ennemis
nous ont retiré l'honneur), ()ldbisl (l'honneur a augmenté), etc.
c. les noms composés avec Adé (couronne), Olu (chef), Oyè (titre)
dénotent l'appartenance de l'enfant à une famille princière ou
titrée: A débiyli (la couronne a fait naître celui-ci), Oyéygmi (le
titre me convient), etc.
d. les noms où interviennent un nom d'ori~a indiquent l'appartenance
de la famiIle à son culte : ~àng6bùnmi (~àng6 dieu du tonnerre me
l'a donné), ÇJ~untQki (9~un vaut d'être honorée), Ogundip~ (Ogun
dieu des forgerons me console avec celui-ci), etc.

III. Oriki est un nom qualificatif indiquant les caractéristiques de


l'enfant ou celles qui lui sont souhaitées dans l'avenir. Dans les oriki des
garçons interviennent les notions de bravoure et de force: Àjàmu (celui
qui saisit après la bataille), Àjàni (celui qui possède après la bataille),
Alào (celui qui divise et écrase).
Les oriki des fiJles évoquent la tendresse et la grâce: Aypkd (celle
qui fait la joie autour d'elle), Àb~hi (celle qui est née après des suppli-
cations).

(15) JOHNSON, p. 79.


(16) JOHNSON. p. 8 t.
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Les parents appellent souvent leurs enfants par leurs orikl mais il
y aurait faute d'étiquette grave et impolitesse inconcevable si un enfant
appelait ses parents par leur oriki.

IV. OrU~. Ce n'est pas un nom à proprement parler, l'oril~ indique


l'origine lointaine de la lignée familiale. Appellation d'une importance très
grande pour retrouver le «pedigree» de quelqu'un.
Lorsque l'oruk{J, l'orikl et l'oril~ d'une personne sont donnés, elle est
identifiée et sa famille est connue.
Ces orUg sont en général des noms d'animaux: Erin (éléphant), J;kùn
(léopard), Qkin (aigrette), ou celui d'un objet: Gpo (poteau).
Chacun de ces oril~ ont de longs orikl, salutations dont le sens reste
quelquefois obscur Il ï I. Les mères les récitent à leurs enfants, les femmes
de la maison en saluent un membre éloigné de la famille venu en visite,
ou encore Egungân les prononce de sa voix rauque lorsqu'il complimente
ses descendants au cours des cérémonies faites pour l'évoquer.

\
Ori~a (et V odun ).

En dehors des ancêtres directs de la famille, les Yoruba dépendent


des Ori~a (V odun pour les Fon), leurs ancêtres lointains dont le souvenir
s'est plus ou moins perdu dans la nuit des temps et dont le caractère
divin est surtout retenu par ses descendants actuels.
Reprenant les textes de certains auteurs, rappelons que, confirmant
ce point de vue, A. Le Hérissé IIH 1 déclare: «tous les V odun sont les
ancêtres merveilleux des tribus qui ont contribué à la formation du
Dahomey». Léa Frobenius (1!)1 écrit: «Le système religieux des Yoruba
est basé sur le concept que chaque personne est le représentant de Dieu
(àri~a) ancêtre. La filiation est par la ligne masculine. Tous les membres
d'une même famille sont la postérité d'un même Dieu»; Bernard Mau-
poil f201 confirme: «nombreuses paraissent être parmi ces divinités celles
qui vécurent autrefois sur terre: L'élément terrestre et le céleste ne s'en
reconnaissent que mieux l'un dans l'autre, et cette croyance exprime la
secrète et réciproque nostalgie qui paraît incliner les Vodun à redevenir
hommes, et les hommes à s'élever à la connaissance ou à l'exercice des
chases divines»; WilHam Bascom de son côté pense (211 que «un ori~a est

(17) VERGER, III, p. 239.


(18) LE HÉRISSÉ, p. 97.
(19) FROBENIUS, t. 1. p. 154.
(20) MAUPOIL, p. 57.
(21) BASCOM.p. 21.
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une personne qui a vécu sur terre quand elle fut créée à l'origine, et de
laquelle descendent les gens d'à présent. Quand ces ori~a ont disparu, leurs
enfants commencèrent à leur faire des sacrifices et à continuer toutes les
cérémonies qu'ils avaient eux-mêmes accomplies quand ils étaient sur terre.
Ce culte a été passé de génération en génération et aujourd'hui un individu
considère l'{)ri~a qu'il adore comme un ancêtre dont il est le descendant ».
A la différence des morts de la famille directe, les ori~a (et vodun)
se manifestent aux êtres humains par des transes de possession chez cer-
tains de leurs descendants élus par les dieux pour leur servir de médium.
Ce sont les ()l6ri~a (ou vodunsi).
Ici encore, Bernard Maupoil ajoute (22): «Le caractère essentiel de
la divinité (ori~a ou vodun) semble être sa propriété de lui monter à la
tête: « vodun wata tiwe me », «le vodun venir (à la) tête sienne».
La possession par le Dieu au cours des cérémonies célébrées pour les
àri~a et vodun met admirablement en évidence la liaison étroite existant
entre la personne yoruba (ou fon) et ses ancêtres.
L' ol6ri~a (ou le vodunsi) en état de transe exhibe dans son compor-
tement les caractéristiques qu'avait cet ancêtre (ori~a ou vodun) dont hérédi-
tairement il porte en lui les gènes.
Les circonstances de l'existence et les pressions de l'organisation
sociale du milieu dont il fait partie ont « favorisé la prédominance de cer-
tains gènes accentués par telle ou telle paternité (28)>> au détriment de
certains autres, avec les comportements qui en sont la conséquence.
L'initiation permet à certains d'entre eux, ceux de la personne cachée
(l'ancêtre ori~a) de se manifester et se révéler au grand jour. Il n'y a dans
cet état second, rien qui soit étranger à la nature profonde de l'oI6ri~a.
L'initiation a sur lui un effet comparable à celui de certaines drogues.
Nous savons (21) «qu'aucune drogue n'introduit une fonction nouvelle
dans l'organisme, mais simplement accentue, inhibe, ou modifie d'une cer-
taine façon des fonctions existant déjà. On ne peut espérer que les drogues
introduisent rien de nouveau dans le cerveau ou le comportement, mais
à peine qu'il accentue ou supprime les fonctions de comportement déjà
existantes ».
On peut penser que lors de l'initiation, les bains et breuvages à base
de plantes administrées aux novices contiennent des drogues. Drogues
destinées non tellement à faire entrer les initiés en transe que de provoquer
un état d'hébétude (~-tI pendant une longue période de temps (plusieurs

(22) MAUPOIL, p. 53.


(23) AUCHER, p. 65.
(24) KETY,
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7]

mois), au cours de laquelle les novices sont entraînés à acquérir les réflexes
conditionnés, comme celui d'entrer en transe à l'audition de certains
rythmes de tambours et à se comporter alors comme l'ancêtre. Compor-
tement qui ne serait au fond qu'un des aspects de sa propre personnalité
« accentuée, inhibée ou modifiée d'une certaine façon» pour arriver à cel1e
qu'ils avaient en eux à l'état latent.
En d'autres mots, suivant que la personne est à l'état de veille ou en
transe, elle représente alternativement sa personnalité actuelle ou celle de
~U)}
l'ancêtre I .

Bibliographie.

AUCHERM.L. - Les plans d'expression, Paris, 1968.


BASCOMW. - y oruba concept of the soul, in Fifth International Congress
of Anthropological Sciences, Sept. 1956.
DESCHAMPSH. - Les religions d'Afrique Noire, Paris, 1954, cité par
Pierre D. Coco, Notion de personne dans la philosophie yoruba~
in Développement et Culture, Porto Novo, 1965.
FROBENIUSLéo. - The voice of Africa, Londres, 1913.
IDowu E. Bolaji. - Ol6dÙmarè, God in Yoruba belief, Londres, 1962.
JOHNSONSamuel. - The history of the Yoruhas, Londres, 1921.
KETY Seymour S. - Limits of psychopharmacology, San Francisco, 1961.
LE HÉRISSÉ A. - L'ancien royaume du Dahomey, Paris, 1911.
MAUPOILBernard. - La géomancie à l'ancienne Côte des Esclaves, Paris,
1943.
SEGUROLAR.P.B. - Dictionnaire Fan-Français, Cotonou, 1963.
VERGER Pierre (I). - Notes sur le culte des Ori~a et Vodun... Mémoire
de l'I.F.A.N., n° 51, Dakar, 1957.
VERGER Pierre (II). - La société çgbt (Jrun des dbiku, in Bulletin de
l'I.F.A.N., 1968.
VERGERPierre (III). - Oriki et Mlenmlen, in Textes sacrés d'Afrique Noire.
présentés par Germaine Dieterlen, Paris, 1965.
VERGER Pierre (IV). - Rôle joué par l'état d'hébétude au cours de l'ini-
tiation des novices aux cultes des Orisha et Vodun, in Bulletin de
I 954.
l' I ~F.A .N .
,

(25) VERGER. IV. p. 338.


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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION OF. PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

THE YORUBA CONCEPT


OF HUMAN PERSONALITY

Wande ABIMBOLA

Résumé
Après une brève introduction à la cosmologie Yoruba, l'auteur analyse les repré-
sentations associées aux principales composantes de la personne humaine. A ra (le
corps) désigne l'ensemble des éléments physiques. Les composantes «spirituelles» tes
plus importantes sont: fmi (l'âm~), ori (la tête intérieure) et fSf (la jambe). ~mi,
élément impérissabfe, est créé par OlôdÙmarè (l'Etre Suprême). C'est, en chaque indi-
vidu, une parcelle du «souffle divin ». Or; (la tête intérieure) est associé au destin
personnel. Chaque être humain le choisit librement avant de venir au monde. ~sf
(la jambe) représente l'activité et )a puissance. C'est l'élément qui permet d'actualiser
les potentialités reçues avec J'ori. L'analyse s'appuie sur des textes poétiques extraits
de la littérature orale relative à lia (système divinatoire des Yoruba).

The Yoruba, numbering about 14 millions, are to be found in three


West African countries namely, Nigeria, Dahomey and Togoland. The
bulk of their population is concentrated in Nigeria where they are about
thirteen millions strong. Within Nigeria, the Yoruba are scattered over
Lagos, Western and Kwara states. The Western State, with a population
of about nine millions is- almost completely inhabited by the Yoruba.
In Dahomey, the Yoruba are an important ethnic group and they number
about half a million of that country's population of two millions. In Togoland,
the Yoruba are als-Oto be found in fairly large numbers. In addition to the
West African countries already mentioned, Creole culture of Sierra Leone
which has a very strong Yoruba influence, should also be mentioned.
Of greater importance than Creole culture of Sierra Leone are the survivals
of Yoruba culture in South America and the Caribbean Islands. The most
notable of these survivals of Yoruba culture from the slave-trade era are
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to be found in Bahia (BraziJ) and Cuba where Yoruba language has been
preserved as ritual dialects and where Yoruba religion is still being actively
embraced.
It is not surprising that a language which is so greatly scattered about
in several parts of the world should have several dialects. In Nigeria alone~
Yoruba has at least ten major dialects of which the most dominant is the
QYé dialect spoken by more than half of the population. This paper is
based mainly on research among the Yoruba-speaking peoples of Nigeria
especially in the ÇJYQdialect area.
In order to have a thorough understanding of the Yoruba concept
of human personality, it is necessary first to discuss the Yoruba world-
view and the structure of the Yoruba cosmos. The Yoruba conceive of the
world as comprising of physical, human and spiritual elements. The
physical elements are broadly divided into two planes of existence - ayé
(earth) and èrun (heaven). Ayé which is also sometimes known as lsalayé,
is the domain of human beings, the witches, animals, birds, insects, rivers,
hills, etc. {Jrun, which is otherwise known as Isal{5run, is the seat of
Ol6dùmarè (the Almighty God) who is also known as Ql{jrun (meaning
literally" the -owner of the heavens "). (Jrun is also the domain of the
Orl$à (<livinities), who .are regarded as the deputies of Ol6dùmarè, and the
ancestors. Yoruba mythology, like the mythologies of several other cultures
recognises a time in the past when both ayé andrrun formed part of the
same territory but were separated -only by a border gate manned by a
lonesome gate-keeper. At that time, 016dùmarè was probably an earth-
bonded god. .But when, later, prun moved skywards and became com-
pletely (Le. physically) separated from ayé, 016dùmarè became a sky-
bound god.
The orl$à are believed to have come to ayé shortly after its creation
which event, took place at lf~, the cradle of humanity, according to Yoruba
belief. On earth, the orl$à performed functions similar to their functions
in grun. For example, Orl$àhld (the creation god) was responsible for the
moulding of human beings whereas Qrunmila also known as Ifa (the god
of divination and wisdom), was charged with the use of wisdom for the.
interpretation of the past, the present and the future and also for the
general ordering of the earth. Qgun (the iron god) was charged with
responsibility for war and heroic exploits while E$Ù, also known as
~lfgbtira, (the trickster god) who keeps the divine and vital power called
à$~, performed the duty of the ubiquitous policeman who punishes or
protects human beings and the gods as well according to their conformity
or deviation from the divine will. It is believed that after performing these
various functions for a long time, the orl$à returned to (Jrun where they
are now still helping Ol6dùmarè as deputies.
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75

The orl~à are generally believed to be helpers of human beings


(1) (*literally meaning
against the forces of evil known collectively as ajogun
"warriors against man "). They play the role of intermediaries between
human beings and Ol6dùmarè. The orl~à however will protect only those
who lead moral and just lives. They punish evil practices on the side of
human beings. When they are angry with human beings, they can be
appeased with sacrifice which È~ù usually accepts on their behalf.
The 'ancestors, collectively called oku-èrun, are believed by the Yoruba
also to be in (Jrun. Among the Yoruba, every adult who dies automa-
tically becomes an ancestor and a small àrl~à in his own right. Death.
therefore, is viewed as a medium for the transformation of human beings
from one level of existence in ayé to another level of existence in ~rull.
When a man moves from one plane to the other, he automatically acquires
greater authority and becomes an orl$à to his own family or lineage.
Therefore, every Yoruba whose father or mother has died makes sacrifices
to him or her periodically with prayers for a good and prosperous life.
The ancestors, like the orl$à, are believed to be friends of man.
They protect him from the ajogun and act as intercessors between man
and the orl~à. The retation and conCern of the ancestors with human beings'
is more intimate but they, like the orl$à, must be propitiated with sacrifice.
They could also be _angr~' with a man who fails in his filial or mora]
responsabilities.
Unlike the orl$à and the ancestors, the witches known variously as
àj~, iyàmi or rlt~y~, who are believed to exist here on ayé (earth), are the
intractable enemies of man. Indeed, their main fun-ction on earth is believed
to be the spoliation of man's handiwork. They ally themselves with the
ojogun. for the sole purpose of destroying man and his properties. Further-
more, unlike the orl.~à and the ancestors, the witches cannot be easily
appeased with sacrifice. Among the Yaruba, women are believed to be
witches although some men are believed to be associated with their craft.
The most important symbol of the witches is èhurù (2), a bird which comes
out mostly at night.
The Yoruba cosmos is based on a hierarchical order at the top of
which sits Ol6dùmarè (the Almighty God) who is assisted by the orl$à

(1) Ajogull is a collective name for eight evils namely, iku (death), àrùn (disease),
0/0 (loss), rgbà (paralysis), rràn (trouble), èpè (curse), ~wèn (imprisonment), and
è~e (affliction of any type). which the Yoruba believe to be the most important
enemies of man.
(2) f,hurÙ is believed to be the bird of the witches. It is the most important
symbol of the witches and it is believed that this bird comes out at- night. The
witches themselves are believed to have the ability to turn themselves into birds
wherever they want to do havoc.
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(gods). Next to the orl$à, in a descending order of importance, are the


ancestors. The three elements mentioned above are believed to be in (Jrun.
On earth, the power of Qba (king) is supreme over his subjects. Th~ major
Yoruba kings are believed to be directly descended from Odùduwà, the
great mythical ancestor of the Yoruba. They therefore have divine authority.
The Qba (kings) are assisted by a paraphernalia of town and village heads
known as baàlç who are in turn assisted by lineage or family heads known
as bacHé. The bacHé takes his decisions with the approval of the household
adults who are known as àgbà I~~). In this hierarchical order, children and
young people occupy the lowest position. They have no authority what-
soever, and if they die before they become elders, they cannot become
ances tors.
Since, as mentioned above, the àghà (adults) at death go to ~run
(heaven) and immediately change their status to become okuQrun (ances-
tors) and the orlsà also actively influence human activity on earth, it means
that spiritually speaking, the Yoruba do not conceive of any separation
between ayé (earth) and prun (heaven). One can therefore represent the
hierarchical structure of authority on the two planes of existence as
discussed above on a rough sketch as follows.
OJ6dùmarè (Almighty God)
bri~ (divinities)
Oku-Qrun (ancestors)
Qba (king)
B.aalt village and town heads)
Baâlé (household heads)
Àgbà (elders)
QmQdé (children and young people).
It is against this background discussion of the Yoruba world-view
and the hierarchical structure of the Yoruba cosmos that an analysis of the
Yoruba concept of human personality becomes meaningful. The limitation
of this paper in terms of space will not permit a detailed examination of
all the elements of the Yoruba personality system but a discussion of the
major elements in this system will now follow.
The Yoruba believe that human personality has two main elements
- physical and spiritual. The physical element, which is collectively
known as ara (body) is, as mentioned above, the handiwork of Orl$ànla
(the Yoruba god of creation) who is charged by Ol6dùrnarè with the

(3) In traditional Yoruba society, the term àgbà means more than an adult.
It actually refers to an elderly person (i.e. someone above fifty years old). The term
QdfJ is used for adults who are between twenty-five and fifty ,years old while the
term (}m(}dé refers to someone below the age of twenty-five.
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responsability for moulding human beings with clay. Orl$àrild is responsible


for moulding the beautiful and the ugly, the tall and the short, the albino,
the cripple and the deformed. That is why he is regarded as:

" AlâgbÇd~ orun.


QkQ abuké,
Qkg arQ,
Ç>kp aràra bort p~t~ ".
(The heaven blacksmith.
Husband of the hunchback,
Husband of the cripple,
Husband of the dwarf with the big, flat head).

In traditional Yoruba. society, children born with deformities such as


hunch-back, cripple, dwarf and albino, are regarded as "çni-orl~à"
(kinsmen of the god of creation). Such children are therefore deposited
with the high-priest of Orl~àizla who carries the title of A bQrl.~à. It is the
duty of the A bQri.5àto take care of such children and make use of them
as part of his domestic and religious staff. Indeed, the "~ni-àrl?à" are
usually the most enthusiastic members of the cult of Orl$àhld. Since they are
banished from their own lineage househoulds, it means that such deformed
men are denied thel full opportunities open to normal people within the
narrow limits of the hierarchical system of the society. They cannot, for
example function as badlé (heads of households) or as. hacllr (village or
town-head) or as (Jba (king). At death, they cannot become ancestors
because they are not buried inside the lineage household.
This is not to say that deformed people have no places in Yoruba
society. Indeed, as already mentioned, they perform important religious
duties as functionaries of Orl..vàrila.Some of them are men of great material
means. This is not surpri~ing since they are banished from the communalistic
atmosphere of the lineage household which makes it difficult for normal
individuals functioning adequately within the family framweork to acquire
a large wealth. The point that is being made, however, is that deformed
people cannot function adequately in the hierarchical structure of authority
of Yoru ba society.
The spiritual elements of human personality consist mainly of ~mi
(soul) which has its physical realisation in the human heart which bears
the same name; ori (the inner head) which has its physical counterpart in
the human head; and fsè (legs) which is also known by the same name on
the physical plane. A detailed discussion of these three important elements
of the spiritual aspect of human personaJity now follows.
016dùmarè himself is believed to be responsible for the creation of
{mi (soul) after Orl~àrlld has moulded all the physical elements including
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the human heart which is known by the same name. Indeed, it could be said
that the act of creation by 016dùmarè lies in the process of putting çmi into
the finished work of Orl~'àrila. tmi is believed to be a fraction of the
divine breath which Ol6dùmarè puts into every individual in order to make
him a proper human being. Just as ~mi (heart) is the most important
element of human physical make up, it is also believed that in the spiritual
plane, ~mi (soul) is of supreme importance because it is an imperishable
element of human personality. When a man dies, his spiritual èmi (soul)
does not perish, rather it goes to Qrun where it enters a new ara and thus
takes its proper place among the ancestors.
While on earth, ~n1i ensures that every individual who continues to
have it enjoys the hope and confidence that his life can still be better and
improved. This is the point raised in the following Ifa poem which calls
~mi " the offspring of Ol6dùmarè "~ a thing which a man must possess and
" mary " as a wife in order to have the hope of having all the good things
of life - money, houses~ wives and children. The poem now follows:
" G bogbo-ori-àfin-ewu.
Abuké-lQ-rçrù -oo$à - mp-sQ.
Lààlàgbàjà-16-ti k6$e-~-dé.
A dia fun Qrunmilà,
5 NijQ tf riJQ r~mf,
QmQ Ol6dùmarè, ~obinrin.
~mf, pmQ Ol6dùmarè,
QmQ at~ni lçg~lçg~ fori $apeji.
Qrunmila gbg rfru ~bQ,
10 0 ru.
o gbQ ~rù àtùkè$ù,
o tù.
o gbQ ikara, çbg ha run un.
o ni à$é bçmii Q ba bQ,
15 Ow6 rfib~.
Hiin hiin,
Owo rfib~.
A$é bçmlf Q ba bp,
Aya rfib~.
20 Hiin hiin.
Aya rfib~.
A$é b~mH p ba bg,
QmQ mb~.
Hiin hiin,
25 QmQ mb~.
A$é b~mH 0 ba b6,
Ire gbogbo rfib~.
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HUn hiin,
(4).
Ire gbogbo Ifibç "
(AI bino' s- head -is- full-of -grey -hairs.
The hunch back -carries-the-burden-of -oo~à-without -relief.
It - is- from- Lààlàgbà j à-that - he- has- brought -all- his-doings.
These were the priests who performed divination for
QrÛnmllà.
5 When he was going to buy àmi,
Offspring of Ol6dÙmarè, as a wife.
i;mi, offspring of 016dùmarè,
Descendants of those who sit on the slender mat and whose
head lies bare and unprotected from rain.
Qrunmllâ was told to perform sacrifice.
10 He performed it.
He was told to give sacrifice to E~ù,
He gave it.
His sacrifice was immediately accepted by the gods.
He said, " I did not realise that if çmi does not fail,
15 There is hope of having money.
l'hat is right,
There is hope of having money.
If çmi does not fail,
There is hope of having wives.
20 That is right,
There is hope of having wives.
If çmi does not fail,
There is hope of having children.
That is right,
25 There is hope of having children.
If èmi does not fail,
There is hope of having all the goods things of life.
That is right,
There is hope of having all the good things of life).
While Orl$àhld is the maker of ara and Ol6dùmarè is responsible for
the creation of ~mi (sou)), Ajàld. " the potter who makes heads" in heaven
is responsible for the creation of ort (the inner head). After Orl$àhld has
moulded human beings, he passes the lifeless figures to Ol6dùmarè, who
by giving them fnzi, gives them their souls and vital life force. The human
beings so created then move on to the house of Ajàld who gives them orle

(4) ABIMBQLA Wande. Ijllllf OhÙn ~nu lfa, A pa KHni, Collins. Glasgow. 1968,
p. 22.
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Ajàld, "the potter", is believed to be an incorrigible debtor and a


careless and irresponsible creature. Probably for this reason, he is not
regarded as an ori~à (divinity). In any case, when Ajàld finishes moulding
heads, he puts them inside his store-house. But most of the heads are
never carefully made, for he sometimes forgets to fire some of them while
some of them are badly shaped and some are overburnt. Since he is a
debtor to many people, he sometimes hides himself away in the ceiling
to avoid his creditors thereby neglecting some of the heads he has placed
on fire and leaving them overburnt. Ajàld is therefore, through his utter
carelessness responsible for moulding many bad heads and only some good
ones.
The act of selecting art from the house of Ajàld is regarded as one
of free choice. Every individual is free to select any type of ori he desires
whether big or small, fired or unfired. Since most of the heads moulded
by Ajàld are bad and useless, it follows that most individuals who go to
the house of Ajàld to make a selection would chose bad and useless heads.
Apart from Ajàld himself, only Qrunlnllà (the god of divination and
wisdom) is the other witness of the act of free choice of heads. Hence
the importance of consulting Qrunmllà from time to time to find out the
wishes of one's ori (51.
Once the choice of ori has been made, the individual (now a
complete human being) is free to travel from Qrùn (heaven) to ayé (earth).
His success or failure in life depends, to a very large extent, on the type
of ort he has picked up in Ajàld's store-house of heads. Orl, therefore,
is the element which represents human destiny. The choice of a good ori
ensures that the individual concerned would lead a successful and prosperous
life on earth while the choice of a bad ori condemns the individual concerned
to a life of failure. Thus, if a man achieves great success in life, the Yoruba
usually attribute his attainment to the choice of a good ori; but if a man
fails in an important endeavour or if he fails to catch up with his
colleagues, his failure is attributed to the choice of a bad ori.
Furthermore, ori, which is also known as(()
okè-ipQrl or lpinr is regarded
as an orlsà in its own right by the Yoruba I. Ori is regarded as an indi-
vidual personal god who caters for individual and personal interests while
the orlsà exist for the interest of the whole tribe or clan or lineage. For

(5) For full discussion about the theme or Ori in Ifâ divination poetry, see
Wande ABIMBQLA, A n Exposition of lfa Literary Corpus, thesis presented for the
degree of Ph. D., University of Lagos, 1970.
(6) As an àrl~à, or! has its own paraphernalia the most important of which is
a conical material made of leather to which cowries are sewn in rows. This
material is known as lbQri and sacrifices are put on it during the process of the
propitiation of ort.
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this purpose, Ifa divination poetry rates ori much higher than the other
orlsà. Whatever or1 does not sanction cannot be given to any person by
the orlsà or even by 016dùmarè himself. Orf is therefore an intermediary
between each individual and the orisà. The orlsà will not attend to any
request which has not been sanctioned by a man's ori. Hence, the following
passage from Ifa divination poetry:
«Orf, p~l~,
Atèté niran.
Atètè gbeni koèsà.
Ko s6à~à tH danii gbè
L~Yln ori ~ni.
Orf, pçl~,
Orl àbiyè.
I;ni ori bâ gb~bQQ r~,
K6 yo ~~~~» (7).
(Orl, I salute you.
You, who always remembers your own people.
You, who blesses a man before any orlsà.
No orÎsà blesses a man
Without the consent of his orf.
Ori, I salute you.
You, who allows children to be born alive.
He whose sacrifice is accepted by or;
Should rejoice exceedingly).
In the folJowing excerpt from Ifa divination poetry, ori is depicted
as an orl~à who is more sympathetic to individuals than all the other
orl~à. Therefore, if a man is in need of anything, he should first of aU
make his desires known to his ori before he approaches any other orl~à
for assistance. In the excerpt. the story is told of an Ifa priest who lacked
many good things. He approached Qrunmllà, his orl~à, whom he worship-
ped, for assistance. But ()runm.llà referred him to E~ù (the trickster god)
\
who acts as spokesman for the former. The verdict of E..~ùwas that Qrun-
mllà was not in sympathy with the devotee concerning the things he wanted.
Esù therefore advised the devotee to tell his heart's desires to orle When
the devotee did as he was told, he had all the things he previously lacked.
The full excerpt now follows:
« Ol6à6tQ ti r11bç ]ayé à p6gun.
~ikà$ika ibç wQn g rnQnlwQn ~gb~fà.
QjQ ~san Q 19 titf,
KQ j~ kQràn dun ni.

(7) ABIMBOLA, /jin/è OhÙn Enu lId. A pd Kilnl, p. ] 00.


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5 A dia fun Qràn gbogbo tl ndun akâpo


B~~ ni wQn 0 dun 'Fa.
Qràn ow6 Iidun akâpà,
Qràn omo-bibi ridun akâpà,
Qràn oblnrin ridun akât?à. '
10 Akapà waâ 19 SQ fun Qrunmilà,
Q ni gbogbo ire gbogbo ni oun riwâ.
Qrunmilà ni ki akapà Q lQ SQ fÙn E5Ù.
E~ù ni gbogbo gràn ti ridun iWQ akâpà yi,
Kô dun Ifa.
15 È~ù ni iWQ akapà,
Orfi r~ ni ki Q IQ ro fun.
~igbà tf akapo ~e b~ç tân,
Qràan r~é waa b~r~ sH daa.
Ij6 ni akapo rij6,
20 AYQ ni nYQ.
Q riyin àWQn awoo r~,
Awon awoo r~ riyin Ifa.
o ni bçç g~g~
Ni àwon awo oun Wl...
25 Nj~, ohun gbogbo tQ ba ridùn mi,
N Q maa ra f6rii mi.
Ori ~ni ni alagbQràndùn.
Orfi mi, là mi o.
I WQ lalagbQràndùn» 'HI .
(Truthful men are not up to twenty on earth.
Wicked men are more than sixty score.
The day of vengeance is not long,
That is why one is not aggrieved.
5 Ifa was consulted on account of all matters
which a certain Ifa priest desired
But which Ifa did not desire.
The Ifa priest lacked money.
The Ifa priest lacked a wife.
The Ifa priest lacked children.
10 He therefore complained to Qrunmllà.
~e stated that he was in need of aU good things.
Qrunmilà asked the Ifa priest to make his complaints to
Èsù.
But 'È$Ù told the Ifa priest that all the things he desired.
Were not desired by Ifa.

(8) ABIMBOLA Wande. ljinlè Olliln Enu llâ, Apa Keta, p. 20-21.
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15 È$Ù then advised him thus, « You, Ifa priest,


Go and complain to your ori»
When the Ifa priest did as he was ordered,
His life became good.
He started to dance,
20 He started to rejoice.
He was praising his Ifa priests
While his Ifa priests praised Ifa.
He said that was exactly
What his Ifa priest predicted...
25 From now on, all the things I desire,
I will disclose to my ori.
A man's ori is his sympatizer.
My ori, save me,
You are the sympathizer.)
The next excerpt amplified the point made earlier that the success or
failure of any person depends to a large extent on the type of orf that
person selected for himself in (Jrun, and that once a person has chosen
his destiny by the selection of an ori, it becomes almost impossible to
alter it on earth. Indeed, the gods are not in a position to alter a man's
destiny. In the excerpt, there is a story of an Ifa priest who complained
to 016dùmarè that he received no support from Qrunmllà who he wor-
shipped day and night. Ol6dùmarè interviewed Qrunmllà to hear his own
version of the case. ÇJrunmllà told 016dùmarè that he had tried his best
for the devotee but that the bad ori chosen by the latter prevented him
from achieving success. The excerpt now follows:
« QWQ èwe ô t6 p~p~,
Ti àgbàlagbà. Q WQ akèrègbè.
I~~ èwé b~ àgbà,
Ki Q ma 5e kQ mQ.
5 Gbogbo wa la ni$~ a jQ rf1b~ 'raa wa.
A dia fun QrunrnHà,
Eyî ti akapoo r~
o pè l~jQ IQdQ 016dùmarè.
016dùrnarèé waa ranri~ç si Qrunmilà
10 Pé ki Q wââ SQ idi nâà
Ti ko fi gbe akapoo rç.
~igbà ti Qrunrnilà dé iwâju 016dùmarè
o ni oun $a gbogbo agbâra oun fun akapo.
6 ni tpin akapo ni Q gbQ.
15 Nigbà naà ni c)rQ naà
T60 waâ yé 016dùmaré yékéyéké.
Inun r~~ si dùn
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Pé oun kô da ~jQ eékun kan » (9).


(A child's arms cannot reach the high shelf.
An adult's hand cannot enter the mouth of a gourd.
The work an adult begs a child to do,
Let him not refuse.
5 We all have obligations to ask of ,each other.
Ifa divination was performed for Qrunmilà
About whom a devotee
Would make a complaint to Ol6dùmarè.
Ol6dùmarè then sent for Qrunmlla
10 To explain the reason
Why h~ did not support his devotee
When Qrunmllà got to the presence of Ol6dÙmarè,
He explained that he had done his best for the devotee
But that the bad orf chosen by the devotee made all
his efforts fruitless.
15 It was then that the matter
Became quite clear to Ol6dùmarè,
And he was happy
That he did not make a hasty judgement on the
evidence of only one of the two parties).
The Yoruba concept of ori also states categorically that many people
chose bad destinies in Qrùn. It therefore means that only very few people
acquired good ori which is the element representing potentiality for success.
But since human beings do not naturally want to accept failure, they
engage in an endless, albeit fruitless, struggle to achieve the impossible
- to improve their chosen bad destinies. The following excerpts illustrate
the points made above.
« Bi 9 ba ~e wi pé ori gbogbo nii sun posi,
Iroka gbogbo iba ti tan nfgbo.
A dia fun igba çni,
Ti rittkQlé prun bQ wa si tayé.
5 Bi Q ba ~e wi pé orf gbogbo nH sun posi,
Ir6kà gbogbo lba ti tan nigbo.
A dia fun àwèrè,
Ti rittkQlé Qrun bQ wa si tayé.
àwèrè là rijà,
10 Gbogbo wa
Owèrè là rijà.
~ni tQ yanri rere kQ wQPQ.

(9) Ihid., p. 23.


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Owèrè là rijà,
Gbogbo wa
15 Owèrè là Iijà».
(If all men were destined to be buried with coffins,
All lroka trees would have been exhausted in the forest.
Ifà divination was performed for two hundred men
Who were coming from heaven to earth.
5 If all men were destined to be buried with coffins,
All lrokà trees would have been exhausted in the forest.
Ifâ divination was performed for struggle
Who was coming from heaven to earth.
We are only struggling.
10 All of us.
We are anIy struggHng.
Those who chose good destinies are not many.
We are only struggling~
AlI of us.
15 We are only struggling.)
The discussion in the last few pages has centred around ori as an
important element of human personality. We have also made an examina-
tion of the process by which ori is selected in (Jrun and the consequences
of this irrevokable choice for every individual. All this has been supported
with excerpts from Ifâ literary corpus.
It must be emphasized, however ~ that the Yoruba concept of the
choice of destiny through ori also emphasizes the need for hard work
to bring to fruition the potentiality for success represented by the choice
of a good ori. This leads us to the belief in çs~ (leg) as an important
ingredient of human personality. f:s~ (leg) is regarded by the Yoruba
as a vital part of the human personality make-up both in a physical and
spiritual sense. f,s~, for the Yoruba, is the symbol of power and activity.
It is therefore the element which enables a man to struggle and function
adequately in life so that he may bring to reaJisation whatever has been
marked out for him by the choice of ori. Like orf, fS~ is regarded as an
orl$à which must be catered for in order to achieve success. Therefore,
when a man makes sacrifices to his ori, part of the sacrifice is also offered
to fS~.
Once again, we will make use of an excerpt Ifâ divination poetry
for a further elucidation of the place of ~s~ in the Yoruba concept
of human personality. The foI1owing excerpt tells the story of a day
when all orl gathered themselves together to deliberate on something they
wanted to bring to fruition. They did not invite çs~ to the meeting. After
making all their deliberations, they discovered that there was nobody to
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carry them about. They were therefore forced to recognize the importance
of rs? in the execution of their plans. The point of the story is that even
if one is predestined to success by the choice of a good orf, one cannot
actually achieve success without the use of one's 'Èsç, which is the symbol
of power and activity. The full excerpt now follows.

" Qpçb~, awo esè


Lü diâ fçsç,
NijQ tl ntikQlé grun bQ wayé.
Gbogbo àWQn orl $a araa wQn jQ,
5 WQn 0 pe çs~ si i.
È$U ni, Uç 0 pe ~s~ si i,
Bi 6 ti $e gun naà nù un ".
Ijà ni wQn fi tukâ nib~.
Ni wQn t66 wââ ranri$~ si çs~.
10 Nigbà naà imQràn ti wQn rigbà t66 waa gun.
WQn ni b~~ g~g~
Ni àWQn awo àWQn wi.
Qp~b~, awo ~s~,
Lü dia f~s~,
15 NijQ t1 ntikQlé Qrun bQ wâyé.
Qp~bç me) mQ dé 0,
Awo ~s~ "
ç:nikan kH gbimQràn
KQ YQ t~s~~ /t~.
20 Qp~b~ mg mg dé 0,
Awo ~sç.

(The flat one, Ifa priest of ~sç,


Performed Ifa divination for çs~,
On the day he was coming from heaven to earth.
All ort gathered themselves together to deliberate,
5 But they did not invite ~sç.
È$U (the trickster god) said, " You do not invite ~sç,
We will see how you would be able to achieve success".
The meeting ended in a quarrel.
They then sent for ~s~
10 It was then that their deliberations were successful.
They said that was exactly
What their Ifa priests had predicted.
The flat one, Ifa priest of ~s~,
Performed Ifa divination for ~s~,
15 On the day he was coming from heaven to earth.
The flat one has surely come,
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Ifa priest of çsç.


Nobody makes a plan
And leaves out ~s?
20 The flat one has surely come.
Ifa priest of fS?).
In the preceeding pages, we have attempted an analysis of the main
elements of the Yoruba concept of human personality. We have recognised
two broad elements Le. the physical elements collectiveJy known as ara
(body) and the spiritual elements which include fmi (soul), ori (inner head)
and ~sç (leg). It must be pointed out that there are other minor elements
which could be discussed such as ojlljl (shadow) and Ibinu (temper) but
which the limitations of this paper will not permit us to discuss.
The relationship of all the elements stated above to status and function
has been directly or indirectly mentioned under the discussion of the
physical and spiritual elements. For purposes of clarity, this will now be
summarized. Since all the elements in the Yoruba personality make-up are
pre-destined, the status and function of each individual on earth in relation
to these pre-destined elements, is determined by what type of personal
qualities each individual selects from {Jrun (heaven). As already mentioned,
deformed people have little place in the Yoruba hierarchical system of
authority. As for the able-bodied people, how far they can go on the
hierarchical structure depends to a very large extent on the type of ori
they selected for themselves in heaven. Those who chose the best of the
ori made by Ajàld would, if they combine this potentially with hard work,
become successful whereas those who chose bad ori are doomed to failure.
In the same way, the Yoruba believe that those who would become
great and important men on earth, have chosen all the potentialities to
become great in Qrun (heaven) when their choice of ori was being made.
Greatness in life is therefore one of those things one chooses in heaven
with one's ori. Those who would be kings as well as those who would
be slaves chose all these status elements in Qrun.
But the following Ifa poem stresses that nobody can tell who has
chosen a good or a bad orf. The shape or size of a bad ori is not necessarily
different from that of a good one. The type of ori chosen by a particular
Rerson remains unknown to him and to all other men (except, of course,
Qrunmllà who was the only witness of the act of chaise of ori in heaven).
The poem now follows.
Hari buruku kli wu tuulu.
A kli dâ ~s~ a~iwèrèé rnQ 16ju Qnà.
A kif mQrl oloyè lâwùjQ.
A diâ fun MQ~6wÙ
5 TH ~e oblnrin Ogun.
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Orf ti Q jQba IQla,


I;nikan Q mQ.
Ki tQkQtaya Q rnQ peraa wQn ni wère rnQ.
Ori ti Q jQba lQla,
10 çnlrkan Q rn{>. "
(A bad ori does not swell up.
Nobody knows the footprints of a mad man on the road.
Nobody can distinguish the head destined to wear a crown
in a gathering.
Ifa divination was perfqrrned for Mpb6wu
5 Who was the wife of Ogun.
The ori that will be crowned king tomorrow,
Nobody knows it.
Let husband and wife stop calling each other crazy.
The head that will be crowned king tomorrow
10 Nobody knows it).

Bibliography.

[1] ABIMBQLAWande. - ljinlè Hhùn Enu lfa, Apd Klint, Collins,


Glasgow, 1968.
[2] ABIMBQLA Wande. - Ijlnlè OhÙn Enu lfa, Apd Kejz, Collins.
Glasgow, 1969.
[3] ABIMBQLA
Wande. - Ijinlè Ohùn Enu lfa, Apa Keta, mimeographed.
[4] ABIMBQLA Wande. - The Place of Ifa in Yoruba Traditional
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[5] ABIMBQLA Wande. - Ifa as a Body of Knowledge and as an
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University Press, 1966.
[7] BASCOMW.R. - Ifa Divination, Communication between Gods and
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[8] ELLIS A.B. - The Yoruba Speaking Peoples of the Slave Coast of
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[10] FORDE Daryl!. - The Yoruba Speaking Peoples of South-Western
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[11] IDOWU E. Bolaji. - 016dùmarè, God in Yoruba Belief, Longmans,


1962.
[12] LUCAS Olumide. - The Religion of the Yorubas, Lagos, C.M.S.
Bookshop, 1948.
[13] STONE R.H. - The Yoruba Lore and the Universe, Institute of
Education, University of Ibadan, 1965.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

LES P-UISSANCES DU DÉSORDRE


AU SEIN DE LA PERSONNE EVHÉ

Albert DE SURGY

1. Peut-on parler de la personne chez les Evhé ?

Avant de parler de la personne humaine chez les Evhé, je dois


avouer qu'aucun terme Evhé ne me paraît pouvoir correspondre à notre
terme de personne et qu'il me semble bien que la notion de personne,
qui reste liée à une philosophie particulière de l'être humain, est be] et bien
étrangère à leur mentalité.
Cette constatation n'est aucunement faite pour les dicsréditer, car la
« personne » ne semble résister ni à une critique de la connaissance (la réalité
que nous imaginions saisir sous ce mot s'effrite et s'évanouit sous un regard
un tant soit peu attentif), ni aux démarches de la psychologie expérimentale
(qui n'est jamais arrivée à dégager ou à mettre en facteur quoi que ce soit
qui puisse correspondre à ce mot).
Puisque la réalité, telle qu'elle nous apparaît à la réflexion comme à
J'expérience, n'implique nullement ce que l'on nomme une personne,
qu'est-ce à dire sinon que cette notion est une notion purement opéra-
tionnelle. Il s'agit d'un outil conceptuel, d'une « catégorie» dont nous nous
servons pour appréhender le réel, pour en classer les éléments avec plus ou
moins de bonheur et nous livrer ensuite avec eux à toutes les manipulations
de la pensée. Ceci dit, il est évident qu'on peut aussi bien se livrer à ces
manipulations au moyen d'autres catégories ou « notions».
Nos catégories mentales, nos cadres conceptuels, nous les tirons, en
fait, de l'expérience, d'où nous les avons abstraits, à la longue, après nous
en être laissés imprégner. Et quant à la notion de personne, elle a vu le
jour dans une civi1isation méditerranéenne où J'on appréciait grandement
l'éloquence, le théâtre, et la poésie... où chacun apprenait à briller par la
rhétorique. C'était par le discours public que la personne se manifestait
avec le plus d'ostentation.
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Dans ces conditions, par une longue familiarité avec les arts de la
parole, s'est imposée aux esprits la notion de « masque» (en latin Persona),
c'est-à-dire de support expressif et d'amplificateur ou de résonateur de la
vibration sonore, de telle manière qu'elle porte au loin et puisse, par sym-
pathie, éveiller chez les autres des énergies et des attitudes analogues à
celles qui en étaient à l'origine.
Dérivé du terme latin «Persona», et ne trouvant quelque précision
que dans son analogie avec le masque du comédien, la personne est, du
point de vue étymologique, ce qui apparaît en avant de soi, au cours de la
communication avec autrui. Réciproquernent, elle est ce que l'autre distin-
gue à l'avant du moi profond du sujet en train de s'exprimer.
Elle correspond à une manière d'analyser les communications entre
les hommes en distinguant systématiquement: - des forces ou des types
qu'un acteur exprime ou qui s'expriment à travers quelqu'un - le masque
ou support matériel nécessaire à l'expression de ces forces - puis la trans-
mission matérielle du message et sa réception.
Pour nous, cette façon de considérer les choses va de soi; mais au
sein d'une civilisation où les plus grands personnages n'ont pas à briller
par leur éloquence, nlais doivent recourir à des porte-paroles, on conçoit
fort bien qu'aucune notion semblable n'ait vu le jour.
Les Evhé sont parfaitenlent conscients de toutes les forces à l'œuvre
dans ce que nous nommons la personne humaine, mais, essentiellement
pragmatiques, ils n'ont pas éprouvé le besoin de se forger un concept tel
que celui de personne qui risque de conférer une certaine rigidité à ce
qu'ils savent être essentiellement plastique ou changeant. Pour eux le
masque est indissociable de ce qu'il exprime comme pour d'autres la
matière est indissociable de la forme.
Mais cela n'empêche pas ceux qui le désirent de penser en opposant
toute puissance au «masque» qui l'exprime, comme on oppose la poten-
tialité à l'acte ou la matière à la forme. Nous sommes parfaitement autorisés,
si nous le jugeons utile, à analyser les Evhé et leur société en recourant
à notre concept de personne.

2. L'œuvre de Satan dans la personne humaine.

La personne sert l'expression, à travers l'homme, de certaines forces


qui se partagent le gouvernement de l'univers, et plus particluièrement des
sociétés humaines. Elle est l' (1~uvrede puissances qui nous arrivent d'ailleurs
ou que nous appelons du dehors, qui nous travaiLLent profondément, se
n1anijestent par nos gestes et par notre voix, et réalisent à travers nous leurs
desseins.
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Dans la mesure où les dieux ne sont qu'une représentation, le plus


souvent imagée, de ces puissances, toute notre personne ou toutes nos
personnes, peuvent être décrites en termes de dieux, chacun .affecté d'un
coefficient proportionnel au degré de familiarité que nous avons avec lui,
c'est-à-dire de pénétration en nous de la force qu'il symbolise.
Je ne m'attarderai pas à ces rapports des dieux et de la personne que
d'autres que moi ne manqueront pas de traiter.
Apparentée aux dieux, bien que s'en distinguant très nettement il est
un certain type de puissance, à laquelle nous servons aussi de canal, cons-
tamment à l'œuvre dans nos personnes, et reconnue conlme telle par de
nombreuses civilisations, trop souvent passée sous silence, mais sur laquelle
je voudrais au contraire insister. Il s'agit de la puissance représentée par
Je personnage de Satan ou du diable.
Du point de vue chrétien, Satan est toujours là pour nous orienter
vers des œuvres contraires aux desseins de Dieu et le premier sacrement
catholique, Je baptême, a précisément pour but d'armer les fidèles contre lui.
Le degré d'audience que nous lui accordons, la liberté avec laquelle nous
Je laissons agir à travers nous, détermine largement le visage que nous
offrons à autrui.
Il est devenu de bon ton de ne plus croire au diable, sous peine de
p~sser pour un faible d'esprit; mais après n'avoir accordé, moi aussi,
qu'une oreille amusée à tout ce qui pouvait être dit de ce personnage, je me
suis aperçu que la notion de Satan demeurait à l'arrière-plan de plusieurs
rituels magico-religieux Evhé, se trouvait au fondement même de leur
représentation du monde, et s'avérait indispensable à la compréhension de
Jeur pensée et de leur religion traditionneJJe.
Si nous voulons bien revenir à l'analogie de la personne et du masque
du comédien, nous allons nous apercevoir que cette notion est le reflet d'une
opposition conceptuelle entre la matière et la forme.
Le masque n~a pu être réalisé que par la matière qui s'est imposée
comme !e premier donné, disons la matière première, aHant permettre
J'expression des personnages typiques du théâtre. Le masque a été fait
grâce à la matière, mais aussi contre la matière qui a résisté et qui a dû
être maîtrisée.
De ce point de vue d'artisan ou de fabricant, la matière a préexisté
à la forme, elle a rendu possible la genèse de la forme; mais elle n'a cessé
de s'opposer à eHe et eHe emportera finalement la forme avec elle dans sa
tendance à J'effondrement. Support de la forme, eHe est une menace per-
manente, insidieuse, contre la forme, contre J'Idée, nécessitant une lutte
permanente qui ne s'achèvera qu'à la fin des temps.
Cette opposition est encore plus nette si l'on considère Je masque au
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sens figuré, formé par le visage simp~.ement maquillé de l'acteur. Ce masque


est, en effet:
- d'une part expressif: on se fait une tête de Polichinelle ou de
Pierrot,
- mais d'autre part fait de chair fragile, c'est-à-dire constamment
menacé par l'incapacité de la Inatière à ne pas être finalement la proie
de l'érosion, de l'effondrement, du chaos.
C'est ici que la comparaison se fait plus subtile et nous rapproche
davantage de Satan: car ce masque, cette expression que nous sommes
capables de prendre, qu'est-c,e qui la menace au premier chef si ce n'est
notre incapacité à nous concentrer sur 1'idée que nous voulons exprimer.
Ce sont les idées incontrôlées qui nous assaillent et que nous sommes
incapables de réduire au silence qui, accompagnées de leurs charges affec-
tives, ont finalement raison de la fidélité de notre masque au modèle que
nous nous étions donné. La capacité de demeurer longtemps parfaitement
i~mobi1e (que l'on peut cultiver pour acquérir la maîtrise de soi) est un
test infaillible du degré de maîtrise que nous avons sur les puissances du
désordre qui nous travaillent de l'intérieur. Ces puissances du désordre,
ce chaos initial, mais ce chaos actif, toujours présent en nous pour nous
séduire, nous distraire, nous disperser, nous faire gâcher notre énergie dans
les vanités de ce monde ou ce à quoi nous ne nous sommes pas voués,
pour ruiner notre œuvre et ruiner l'œuvre de la société ... ce n'est autre
que le diable, ou le peuple des diablotins dont nous comprendrons plus
loin (notamment grâce aux Evhé) pourquoi ils ont une queue, une fourche
et ils sont rouges.
Une distinction tout à fait semblable, qui se présente ainsi comme une
sorte de «catégorie de l'entendement» au sens Kantien du terme, se
retrouve dans la cosmloogie. Beaucoup de peuples - et les rituels Evhé
supposent aussi un tel schéma -- ont l'idée que la création s'est effectuée
en deux temps. Dieu créa d'abord un premier monde imparfait, ne par-
venant à exprimer que le mal, car il était placé sous la domination de
Satan et sous le signe du feu. Puis Dieu, sans anéantir le premier monde,
dut le parfaire dans un second acte créateur, en le prenant comme la
matière première d'un vaste plan devant aboutir à la prospérité de l'homme
sur une terre féconde. Ce monde fut placé sous la royauté du fils de Dieu
et sous le signe de l'eau. Mais dès lors une lutte sans merci s'engagea entre
le fils de Dieu et Satan, mettant en ligne les armées de l'un et de l'autre.
Au premier monde correspond la terre stérile, le désert brûlé, la brousse
non cultivée, l'humanité d'avant le déluge, l'homme d'avant le baptême...
Au second monde correspond la terre féconde, la verdure, les champs
cultivés, l'humanité d'après le déluge, l'homme d'après le baptême...
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Satan appartient à la catégorie de la matière opposée à la forme ou


à l'Idée.
- à la catégorie du mal opposé au bien,
- à la catégorie du premier .mouvement ou de l'impulsion première
opposé à la pensée réfléchie,
- à celle de la fièvre des commencements opposée à la plénitude
stable de l' œuvre accomplie,
- à celle de l'excitation opposée au calme, f 11,
- à celle du désordre ou du chaos opposé à l'ordre triomphant
- à celle de la multiplicité opposée à l'unité,
- à celle de la dispersion opposée à ]a concentration,
- à celle du feu opposée à l'eau,
- à celle du désert ou de la brousse inculte opposé au sol limoneux
ou aux terres cultivées,
- à celle de l'appétit de richesses opposé au goût de la sobriété,
- à celle de la femme (allumeuse des désirs érotiques de l'homme
et multiplicatrice des corps) opposée à l'homme qui subsiste plus aisément
seul.
II est corrélatif d'une manière d'appréhender les phénomènes en les
concevant inévitablement comme. le fruit d'une lutte sans fin entre la forme,
l'image, l'Idée... et le support matériel, périssable de cette forme; en ce
qui concerne le composé humain, en le concevant comme le fruit d'une
lutte entre l'âme, qui appartient à Dieu, et qui doit nécessairement être
immortelle si l'on veut que le bien triomphe, et te corps, fait de chair fra-
gile, mortelle, toujours porté au péché et donc foncièrement mauvais.
On voit qu'il est inévitablement engendré par un mode de pensée
Manichéiste ou dualiste f~I. Or la grande influence sur la pensée africajne
de la géomancie - que J auIin qualifie à juste titre de «duo-mancie » car
elle se fonde sur deux signes opposés - devrait déjà nous laisser soup-
çonner que, d'une manière plus ou moins explicite, il occupe en Afrique
Noire une place éminente.

( I) Dans la mesure où la politique est envisagée comme le résultat d'un conflit


entre deux forces opposées: la majorité et l'opposition, la droite et la gauche, on
voit immédiatement pourquoi la droite représente l'ordre, la gauche le désordre et
ja fièvre. et pourquoi le clergé. en lutte continuelle contre les œuvres de Satan. ne
peut manquer de se situer du côté de l'ordre conservateur.
(2) On ne peut véritablement éliminer Satan qu'en dépassant le dualisme et.
en ce qui concerne J'homme, en réhabilitant Je corps par où Satan est supposé s'in-
troduire en lui et régner sur lui. Paradoxalement. c'est ainsi la gymnité et le matéria-
lisme qui figurent parmi les meilleurs moyens de don1ination de Satan.
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3. Satan dans la magie et dans la médecine traditionnelle des Evhé.

Les Evhé classent les plantes à usage magique ou médicinal en deux


grandes catégories:

- la catégorie des plantes dzodzo ou excitantes, le terme dzo dési-


gnant lui-même le feu ou la chaleur.
A cette catégorie appartiennent notamment toutes les plantes dont le
contact est irritant ou qui présentent de nombreuses pointes ou épines.

- la catégorie des plantes fafa ou calmantes, le terme fa désignant


lui-même la fraîcheur ou la paix.
A cette catégorie appartiennent notamment toutes les plantes aqua-
tiques.
Ces plantes sont froissées et mises à macérer un certain temps dans
de l'eau. Il est alors demandé au sujet de venir se laver avec cette eau
et, parfois aussi, d'en boire quelques gorgées.
Le traitement des maladies chroniques se fait toujours ainsi en deux
temps:
Il requiert tout d'abord l'utilisation des plantes dzodzo. Il requiert
ensuite l'utilisation des plantes fafa.
Cette succession s'explique par la conception dualiste que nous venons
d'évoquer.

- Les plantes dzodzo sont utilisées les premières parce qu'elles corres-
pondent à l'orgueilleuse excitation des commencements, au feu purificateur,
à la dispersion, à l'effritement ou à la dissolution de toute chose. En effet,
pour vaincre une maladie, il faut d'abord l'assécher, la réduire en ses par-
ticules, la disperser... il faut provoquer la fièvre comme le fait spontané-
(H
ment la nature I .
Ces plantes sont le reflet de la première création, brûlante, excitante,
stérilisante. Elles appartiennent aux royaume de Satan.

- Les plantes fafa sont utilisées les secondes parce qu'elles corres-
pondent à la concentration qui rétablit l'unité, à l'eau régénératrice de toute
vie, au calme définitif de l'œuvre accomplie... En effet, pour éliminer toute
séquelle d'une maladie déjà dispersée, il faut redonner des forces au patient,
l'inonder à nouveau de vie, l'installer un certain temps dans la tranquillité
d'une convalescence.

(3) Pour traiter une maladie à l'état aigu, état qui est lui-même de qualité dzodzo,
jl n'est généralement pas besoin d'utiliser de plantes dzodzo.
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Ces plantes sont le reflet de la seconde création, la création paisible,


bien irriguée, féconde. Elles appartiennent au royaume de Dieu ou de ]a
grande Déesse Mère.
Le principe d'une telle médecine, qui reprend et commémore le schéma
en deux temps de la genèse permanente du monde, ne peut manquer d'être
rapproché de la célèbre devise alchimiste: solve et coagula, car, pour elle
aussi, en vue d'améliorer l'homme, J'effritement, la dissolution générale,
fruit de l'intervention dzodzo, doit toujours précéder ragglutination et
la coagulation des éléments, restauratrice de J'unité, qui est le fruit de
J'intervention fafa.
Considérant, après le domaine de la médecine, celui de la magie, nous
pouvons y noter la même dualité, celle qui correspond à notre distinction
entre magie blanche et magie noire.
Il existe, en effet, chez les Evhé, deux grandes classes de mages:
- les premiers ne sont autres que les prêtres traditionnels. Ce sont
les plus grands, les plus respectés, et ils sont seuls mis en vedette. Leur
qualité de mages n'est d'aiJleurs qu'accessoire par rapport à leur rôle de
prêtres. Ils opèrent à l'aide de leurs dieux ou des entités attachées au
service de leurs dieux.
- les seconds forment ]a catégorie des dzotg. Tout au moins aujour-
d'hui ils n'opèrent plus à découvert, au point qu'il est impossible d'en
rencontrer un qui revendique officiellement ce titre. Le nom même qui sert
à les désigner en est venu à être considéré comme une des injures les plus
graves, méritant réparation, aussi n'opèrent-ils que sous d'autres étiquettes.
DzotQ signifie: «détenteur, ou maître (Tg) du feu (Dzo) ». Mais il ne
s'agit pas du feu au sens vulgaire; il s'agit du feu principiel, de celui qui
est en quelque sorte l'âme ou le prince de la première création. Le dzotg
opère avec ce que nos magiciens ont appelé les «esprits élémentaires» ou
« élémentaux », entités censées correspondre au tout premier mouvement
créateur de Dieu, au désordre enfiévré de sa première expansion, et censées
préexister ainsi aux fornles stables de J'univers.
Arrêtant, nouant sur eUes-mêmes ces forces expansives, il les contraint
à agir dans le sens voulu, et son action est appelée dzosasa, ou l'acte de lier
(sa) dzo, le feu principiel. Lorsqu'il les contraint par la parole, il pro-
nonce des gbesa, c'est-à-dire qu'il ]je ou qu'il noue (sa) la paroJe (gbe), au
contraire du prêtre traditionnel qui, lui, ne fait que prier, c'est-à-dire
« envoyer la parole» (gbedhodha) aux dieux ou aux ancêtres qui, en défi-
nitive, en disposent à leur gré.
Le- dzotg fabrique aussi des amulettes ou gris-gris appelés dzoka,
c'est-à-dire «cordon (ka) de dzo» car elles SOAt Je moyen de J'asservir à
ses fins.
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Mais on comprend que, manipulant ainsi les puissances premières du


monde, les puissances du désordre, bien que son action n'aboutisse pas
nécessairement au mal ,en s'appuyant sur le jeu de Satan, il le favorise.
Dzo est d'ailleurs parfois personnalisé et directement traduit en français
par les autochtones par notre terme de Diable. Il serait vain de s'opposer
à une telle assimilation car c'est certainement, dans ce cas, la traduction
la plus fidèle qu'on puisse en donner.

4. Le traitement « infernal » réservé par les Evhé aux mauvais morts.

Les Evhé, qui partagent cette croyance avec de nombreux autres


groupes ethniques d'Afrique Occidentale, considèrent que les individus qui
ont été frappés de mort violente ou qui ont succombé à une maladie conta-
gieuse ou, tout simplement, affreuse, ne méritent ni le même enterrement
ni les mêmes funérailles que les autres morts.
Je me résous, pour les désigner, à employer le terme de «mauvais
morts» car, d'une part, seules les circonstances de leur mort et non la
conduite qu'ils ont eu durant leur vie permettent de les classer comme tels;
car, d'autre part, nos conceptions européennes admettent difficilement une
liaison quelconque entre la valeur de quelqu'un et les circonstances de
son décès.
Il semble cependant que, dans les conceptions traditionnelles des Evhé,
ceux qui ont été frappés de «mauvaise mort» soient considérés comme
l'ayant, en quelque sorte, pleinement méritée, à tel point qu'on les qualifie
tout simplement de «mauvais hommes» (amevge).
Pour ne pas qu'ils souillent de leur présence les mânes des autres
défunts, on les enterre, selon des rites distincts, en des lieux désignés glo-
balement sous le nom d'amevQedhiphe (mot à mot: le cimetière (dhiphe)
des mauvais hommes), mais qui sont essentiellement de deux sortes: les
uns situés dans une savane exposée aux rigueurs du soleil, pour ceux qui
ont péri de mort violente, en pleine possession de leur force vitale, les
autres situés dans des lieux ombragés, pour ceux qui ont péri des suites
d'une maladie contagieuse ou affreuse.
On leur réserve à tous des funérailles spéciales organisées à l'extérieur
du village, Je plus souvent à un carrefour, funérailles que l'on qualifie de
kpuxaluvi, c'est-à-dire de funérailles (avi) de derrière la clôture (kpo) ou
J'enceinte du village.
Je dois rappeler que les autres morts sont enterrés dans des cimetières
situés en forêt. sous Je couvert des arbres. et que tous les nl0rts de queI-
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qu'importance étaient autrefois enterrés sous le sol de leur case, c'est-à-dire


à l'om bre de leur case.
Laissons de côté le cas des «mauvais morts» ayant péri de nlaladie
contagieuse ou affreuse et qui sont enterrés, de nuit, sous le couvert. On
les qualifie plus précisément d'ezâmeku, c'est-à-dire de «cadavres de la
nuit» et ils font l'objet de rituels qui paraissent obéir essentiellement à
un souci de discrétion et de prophylaxie.
Les véritables mauvais morts sont, en fait, ceux de la première caté-
gorie, ceux qui ont péri de mort violente. Ils sont enterrés de jour, en
pleine savane (dzogbe), là où ne se trouve aucun ombrage, là où pousse
surtout l'herbe ebe, la «paille» dont on fait les toits de chaume. En
conséquence, on les qualifie plus précisément de dzogbeku ou «cadavres
de dzogbe ».
Dzogbe est un terme composé de dzo qui signifie feu ou chaleur, et
de egbe qui signifie herbe, et, par extension, l'étendue d'herbe de la savane.
Ils sont placés là pour y être purHiés par le feu ou la chaleur, de façon
que les ardeurs du soleil dessèchent, détruisent, stérilisent, toutes les éma-
nations de la force vitale qu'ils n'avaient pas eu le temps d'user en eux
au cours de leur existence ou au cours d'une longue maladie ayant peu
à peu épuisé leurs forces.
Le parallélisme avec nos propres conceptions traditionnelles mérite
d'être souligné.
En eftet, la mort violente a souvent été considérée, dans notre civili-
sation, comme le juste châtiment d'une violence exercée par celui qui la
subit, le sort venant faire lui-même office de bourreau. Jésus ne proclamait-il
pas que «celui qui tue par l'épée périra par l'épée » ?
Or la violence - qui représente le mal par excellence et est donc
inspirée par Je diable -. mène après la mort en enfer, ou, tout au moins,
au purgatoire. Mais qu'est-ce que l'enfer sinon ce domaine du diable où
l'on brûle, ou l'on grille éternellement? Il n"y règne aucune fraîcheur,
on ne peut s'y désaltérer. Et qu'est ce que le purgatoire sinon un lieu de
purification, d'épuisement des passions par le feu jusqu'à ce que l'âme
puisse enfin s'élever en Paradis?
Si nous croyons pouvoir comprendre la raison du traitement parti-
culier que les Evhé réservent à leurs «mauvais morts» par le souci de
disperser une énergie vitale restée accumulée jusqu'au dernier moment
dans le corps du sujet et par Je souci concommitant de se préserver des
retombées d'une telle dispersion en plaçant le cadavre loin du village,
en un lieu exposé aux ardeurs stérilisantes du soleil, peut-être mettons-
nous là en évidence ]a racine de notre vieilJe croyance à l'enfer ou au
purgatoire, les deux notions n'en ayant probablement fait qu'une seule
à l'origine.
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5. Le caractère satanique des naissances gémellaires chez les Evhé.

C'est en examinant l'attitude des Evhé envers les jumeaux que nous
allons pouvoir beaucoup mieux mettre en relief toutes les implications de
la puissance satanique dans la vie et dans la pratique religieuse.
Nous serons amenés à constater la profonde unité de pensée qui
unit, sur ce point, les Evhé, aux traditions des peuples de l'antiquité médi-
terranéenne et du monde celtique.

Les Vena, parents de jumeaux.

Une mère, comme d'ailleurs par extension un père de jumeaux, reçoit,


chez les Evhé, le qualificatif ou titre de Vena. Quant aux jumeaux eux-
mêmes, ils se nomment des Venavi, c'est-à-dire des enfants (vi) de Vena.
La première syllabe du mot vena n'est autre que eve qui signifie deux.
Mais la seconde syllabe (na) a une signification plus complexe.
a) na est, tout d'abord, dans le langage cultuel, une variété (féminine)
d'adze, terme généralement traduit par «sorcier» mais qui désigne plus
précisément l'esprit ou l'entité qui permet aux «sorciers» d'accomplir
leurs mauvaises actions, les sorciers eux-mêmes étant des adze-tg, c'est-à-
dire des individus qui possèdent adze.
Nous le trouvons employé dans le même sens dans l'appellation ana
de l'idole à deux faces opposées'! installée chez les géomanciens de la
secte dzisa, au cours de leurs cérémonies de fin d'initiation, pour les
protéger de J'action des sorciers soupçonnés de voir aussi bien par derrière
que par devant.
b) mais na est aussi un qualificatif de la femme, plus particulièrement
de la femme d'avant, n'ayant pas directement, engendré.
Na signifie tout simplement, en Evhé, la tante maternelle (naga désigne
la sœur aînée de la mère et nadhi la sœur cadette de la mère). Na signifie
de même «tante» dans le langage de Ketou. Ainsi, na baokolo désigne
une vieille sorcière dont la mémoire a été conservée dans la tradition d'ori-
gine de la ville.
On le rencontre'! sous forme redoublée il est vrai, dans l'appellation
de Nana Bruku, la grande déesse Bruku de l'Adele, considérée par certains,
à Abomey, comme la mère du couple Mawu-Lisa, donc comme antérieure
au couple générateur Mawu-Lisa. On le rencontre sous la même forme,
dans le qualificatif nana qui est une marque de respect dans les sociétés
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matriarcales Akan et qui, sans doute, devait, à l'origine, s'adresser plus


spécialement à ce qu'ils appellent leurs «reines-mères» (queen mothers
chez les auteurs anglais). Ces femmes étaient habituellement des tantes
maternelles ou des cousines des rois et les rois étaient appelés leurs fils en
raison du contrôle qu'elles exerçaient sur eux.
Ce double sens de femme des origines et de sorcIère de la syllabe
na ne doit pas tant nous surprendre. Dans le domaine yorouba, P. Verger (4)
a déjà bien mis en évidence combien la grande déesse mère Odudua était
liée à la sorcellerie, ayant reçu le «pouvoir de l'oiseau» qui caractérise
le pouvoir de la sorcière (r».
Vena pourrait donc se comprendre comme la femme des origines ou
la mère sorcière qui engendre deux. Et la naissance des jumeaux exprimerait
ainsi, sur le plan humain, le mystère le plus reculé de la création du
monde par une grande déesse qui accoucherait d'une dualité primordiale
aux propriétés sataniques.
Mais le terme na ou ana nous incline à des rapprocnements plus auda-
cieux et plus significatifs qui vont nous amener jusqu'au dieu latin Janus
et jusqu'à la déesse celtique Anna transformée par le christianisme en
Sainte Anne. Nous verrons que ce vaste détour ne sera pas inutile pour
mieux comprendre la conception que les Evhé se font des jumeaux et les
rituels qu'ils mettent en œuvre à leur intention.
En effet, il mettra en évidence une sorte d'archétype de la déesse-
mère des origines, commun au monde celtique, à l'Asie Mineure et aux
populations riveraines du Golfe de Guinée; et c'est cet archétype qui
nous permettra de dégager la signification profonde des données ethno-
logiques.

Ana ou Nana.

Dans l'ancien monde sémitique et indo-européen, parmi les popula-


tions qu'on appelle, suivant les régions, «préhelléniques, asianiques, ou
pré-aryennes», Ana ou Nana, fut incontestablement le qualificatif de la
grande déesse Mère.
Après Emile Benveniste, Jean Przyluski, dans le chapitre «Les noms
de la grande déesse» de son ouvrage « La grande déesse» - Paris - Payot -
1950, nous en fournit une excellente iJlustration (de la parge 34 à 39):
NanaÏ est le nom sémitique de la déesse.

(4) VERGER P., Grandeur et décadence du culle de Iyami Osronga (ma nlère
la sorcière) chez les YoFoha. Journal de la Société des Africanistes. ] 965, pp. 141-243.
(5) Tout comme en Europe, l'oiseau de la sorcière est le hibou ou la chouette.
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102

Le mot attesté dans les textes cunéïformes est transcrit N anâ.


Les Iraniens l'appelaient Anahita.
Les grecs l'appellent Anaïtis.
En Asie Mineure, le mot est écrit parfois Tanaïs, ce qui nous rap-
proche de Tanit.
La déesse sémitique Anat est appelée (sur une stèle trouvée à Beïsan)
« reine du ciel et dame de tous les dieux».
Jean Przyluski (page 37) fait observer que TanaÏs désigne, au pays
des Scythes, le fleuve qui, plus tard, fut appelé le Dôn, et il pense que
le Danube (Dânuvius) a, lui aussi, été nommé d'après la grande déesse.
Un second type de noms servant à désigner la grande déesse nous
est donné (Jean Przyluski, op. cil., p. 39) par les noms d'Artémis et Ardvi,
communément usités en Grèce et en Iran. Diane est d'ailleurs le nom
romain d'Artémis.
Diane-Artémis est une déesse ambigüe, bénéfique et maléfique, dont
nous sont parvenues des représentations contradictoires (fi). Elle nous est
décrite comme une chasseresse « amante des bois et des montagnes». Elle
était la «Dame des animaux sauvages ». Protectrice des couvées, «on
l'honorait partout comme la protectrice de la jeunesse». Néanmoins... bien
d'autres récits nous la montrent cruelle et vindicative ».
En particulier «chez les poètes tardifs, Artémis s'identifie avec He-
cate... ». «Déesse des carrefours, elle (Hécate) était associée à tous les
actes obscurs », et c'est alors une déesse des enfers ».
Nous trouvons le même type de déesse à l'extrême occident de
l'Europe. Avant d'être occupée par les Celtes, l'Irlande fut habitée par
les tuatha dé danann, c'est-à-dire par « les gens de la déesse Dana », encore
appelée Danu, ou tout simplement Ana.
Jean Markale (Les Celtes et la civilisation celtique - Paris - Payot -
1969, pp. 61-62) estime qu'il s'agit là d'un peuple d'extraction mystérieuse,
habitant les confins du monde, constructeurs de mégalithes - les esprits
de leurs morts sont censés habiter aujourd'hui les Dolmens -, « initiateurs
des «cultes solaires» de Stonehenge et de Delphes». On les qualifie
d'Hyperboréens, mais on les fait aussi bien venir du Bosphore ou des
rives de la Mer Noire.
(p. 61) «Les légendes, confuses, font apparaître une identification
entre les Cimmériens et les Hyperboréens, d'une part, entre les Cimn1é-

(6) Diane-Artémis nOlls est brièvement présentée aux pages 27 et 28 de l'ollvrage


d'Edith HAMILTON: La lvlythologie (Marabout-Université, 1962; original en langue
anglaise paru en 1940 et 1942 sous le titre" Mythology").
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riens et les Cimbres d'autre part, sans compter la confusion entre Celtes et
Cimbres, et aussi le voisinage des Scythes, étant donné que la Scythie est
un pays mystérieux, une sorte d'autre monde ».
(p. 54) Strabon (VII - 2) assure que le Bosphore a été appelé Cim-
mérien.
(p. 55) Plutarque, dans la « Vie de Marius » (chap. XI) n'hésite pas
à assimiler les Cimbres-Cimmériens du Bosphore et les Cimmériens occi-
dentaux: «Une proportion de ces Cimmériens, écrit-il, qui furent les
premiers connus des anciens Grecs... prit la fuite et fut chassée de son
pays par les Scythes... Les autres habitaient aux extrémités de la terre,
près de l'océan Hyperboréen. dans un pays couvert partout de bois et
d'ombres épaisses... sous cette partie du ciel où l'inclinaison des cercles
parallèles donne au pôle une telle élévation quïI est presque le zénith
de ces peu pIes» .
Par ailleurs, on trouve dans la triade 107 du «Mabinogion 2, 295
(J. Loth, Les Mabinogion.s, 1913) que « Hu Kadarn vint le premier avec
la nation des Cymry, dans l'Île de Bretagne (i). Ils venaient du pays de
l'été, là où est Constantinople. Ils traversèrent la mer Brumeuse et par-
vinrent en l'île de Bretagne et en Armorique~ où ils s'arrêtèrent».
Cette liaison entre l'Asie Mineure (Bosphore et rives de la Mer Noire)
et le Monde Celtique (pays de Galles et Irlande) doit être soulignée, car
elle explique qu'une réflexion sur la pensée et la religion celtique puisse
nous éclairer sur la signification des rites religieux de l'ancienne Côte de
Guinée, rites qui doivent eux aussi beaucoup au monde Asianique.
Revenons à notre Dana ou Ana irlandais~, qui n'est autre que la
Dôn Galloise (dont le nom nous ramène Jui aussi directement au pays
des Scythes, à l'embouchure du fleuve Dôn).
« Anna règne sur les morts, et son peuple, en Armorique, s'appelle
Anaon (= les trépassés). Et, précisément, c'est en Armorique, écrit Jean
Markale (op. cit., p. 434), que la Dgure de Dana-Anna va prendre Je relief
le plus saisissant. En effet, dans la tradition syncrétique bretonne, mélange
de paganisme et de christianisme, on la retrouve tout sinlplement sous le
nom de Sainte Anne... ).

Sainte Anne.

«Ni l'écriture, ni les pères des trois premiers siècles ne nomment


Sainte Anne. En 1550, Justinien élève une égJise qui lui est dédiée, à
Bysance, mais on n'était pas encore sûr que la mère de la vierge s'appelait

(7) On trouve des Cynlru aux sources de la Severn, en Pays de Galles.


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ainsi. C'est en 1382 qu'elle figure au calendrier; mais sa fête ne fut fixée
qu'en 1584.
«En 1625, un paysan, Nicolazic, d'un hameau de Plunéret, près
d'Auray (Morbihan) découvrit une statue de «Sainte Anne »... Or, avant
cette découverte de Nicolazic~ il y en avait eu une autre à Commana
(Finistère) où on avait trouvé une statue grossière. Or, Commana veut dire
« creux d'Anna » et, comme par hasard, le hameau de Nicolazic s'appelait
Keranna (la ville d'Anna) ».
(p. 435) «Il s'agissait vraisemblablement, commente J. Markal~,
d'une statue de la déesse-Mère Gauloise~ comme la plupart des Vierges
Noires retrouvées miraculeusement I~I... ».
« ... il y a eu volonté évidente de faire coïncider la Mère de la
Vierge avec la déesse Anna dont le souvenir devait encore traîner dans
les campagnes reculées de la Basse-Bretagne».
(p. 436) «La précision selon laqueIJe Anna est la mère de la Vierge
Marie est un ajout chrétien sur une donnée plus ancienne qui prouve
que les chrétiens, ne pouvant se débarrasser du personnage encombrant de
la Mère des dieux, en ont fait tantôt 1a Vierge-Marie elle-même, sous
forme de Vierge Noire C'), tantôt la mère de la Vierge, c'est-à-dire l'an-
cêtre, la vieille femme.
« Ainsi, le culte de Sainte Anne, en Bretagne, qui est un culte impor-
tant, n'est autre que la christianisation d'un culte païen~ celtique, le culte
de la Déesse-Mère ».
Notons que le mythe de Sainte Anne se relie à l'antique notion de
l'activité primitivement stérile de la grande Déesse-Mère. Anne est le
symbole du monde d'avant, desséché, stérile, brûlant, en attente de la
nouvelle effusion divine, celle des eaux fécondes qui lui permettra de
faire fleurir la vie.

Morgane.

« Si Sainte Anne, poursuit Jean Markale (op. cil., p. 436), représente


la christianisation du personnage... Morgane est l'aspect dangereux~ dia-

(8) Sortes de déesses à l'enfant qu'on retrouve à la Côte de l'Or» sous le


nom d'Oycnc Maa (la mère qui prend soin d'un enfant) et à la «Côte des Esclaves»
sous le nom d'lyagba (la mère qui reçoit), qualificatif de la grande déesse Odudua.
(9) Au Folgoët (Finistère), un autre Nicolazic, un «fou de la vierge» est à
J'origine d'un grand «pardon» annuel en l'honneur de Notre Dame. Une chapelle
qui abrite une vierge noire lui a été dédiée, près d'une fontaine miraculeuse où l'on se
rend faire des vœux.
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lOS

bolique de ce personnage, ravalé au rang de fée, puis tout simplement


au rang de sorcière »... \~C'est aussi l'image de la femme fatale ».
La Morrigane Irlandaise est de la Inême espèce: «(p. 437). Si elle
est chaude et luxurieuse, cela n'a rien d'étonnant, puisqu'elle est la déesse
Mère qui attend, en proie à l'assèchement, l'arrivée de celui qui l'inondera...
Elle est la prostituée sacrée bien connue des orientaux... Morgane est
Matrona, c'est-à-dire celle qui appelle l'acte de procréation parce que la
divinité ne peut être que créatrice» (10).
(p. 438) «Le domaine de Morgane, c'est l'île d'A vallon... sorte de
nombril du monde, mais aussi nlatrice.
«Cette île (royaume des pomn1iers)... c'est le royaume sacré par
excellence. Mais c'est aussi le jardin d'Eden, image projetée du ventre
maternel. Morgane, maîtresse d'A vallon, ne peut-être autre chose que la
mère des dieux, du moins la transposition médiévale d'un mythe de la
déesse Mère».
Mère de la création, Morgane est aussi une sorcière, ce qui lui donne
deux aspects opposés (comme le vodu Ana des bokos Dzisa du pays
Evhé); et, fait curieux, comme les sorciers (ana) de l'ancienne côte de
Guinée, elle possède aussi ce que le& Yorouba appel1ent «le pouvoir de
l'oiseau» (1]). C'est un «démon de la nuit », une déesse guerrière, qui se
manifeste sous forme d'oiseau - le plus souvent -, mais pas toujours,
sous forme de corbeau.
« Le roman de Didot-PercevaJ (Edition Roach, v. 200-202) raconte...
qu'une troupe d'oiseaux «plus noirs qu'autre chose qu~il avait jamais'
vue» vient défendre Urbain. Perceval tue un des oiseaux qui se méta-
morphose en cadavre de jeune fille. Renseignement pris, il s'agit d'une
troupe formée par les sœurs de l'épouse d'Urbain, Modron, déesse Galloise,
en qui il est aisé de reconnaître la déesse gauloise Matrona (La Marne)
autrement dit la Morrigane irlandaise, ou encore la fée Morgane du cycle
arthurien. Une aventure à peu près identique se déroule dans la «Quête
du Saint Graal» (trad. A. Pauphilet, p. 54); et il est question de femmes
oiseaux dans de nombreuses épopées (1:!), en particulier dans la «Concep-
tion de Cûchulainn» (OGAM, XXIII. p. 274) » (1:~).

(10) On notera que la Nana, reine-mère (queen-mother). chez les Akan. peut
aussi s'offrir tous les hommes qu'elle veut.
(] ) Ce trait nous ajde à comprendre pourquoi. en Afrique occidentale, tout
au ITIoi-ns du Niger à la Volta, ce sont principalement les femnles privées d'enfants:
soit les jeunes filles, soit les femmes stériles. soit les vieilles femnles incapables d'en-
fanter, qui s'accusent ou sont accusées de nléfaits de sorcellerie.
(12) Dans la campagne du Léon (Nord-Finistère), l'apparition d'un corbeau à la
fenêtre d'un malade est signe que Je démon de )a nuit va venir Je chercher bientôt
pour entraîner son âme dans J'Anaon.
(13) Jean MARKALE (Les Celte ). p. MO.
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Janus.

Au même complexe Ana, Morgane, Sainte Anne, se rattache encore


le dieu Janus. J anus était Je dieu des commencements - le mois de jan-
vier, premier mois de l'année, lui doit son nom -, mais encore des
commencements fiévreux, désordonnés et destructeurs: son temple était
fermé en temps de paix et l'ouverture des portes signifiait une déclaration
de guerre, ouvrait une période de ravages, était suivie de sons de trom-
pettes et de grand cris.
Jean Markale (Les Celtes...), nous en dresse ainsi le portrait: (p. 43 I)
« C'est le dieu des commencenlents (Initia), des essences (Prima), des pre-
mières manifestations (Primordia). C'est J'initiateur, l'introducteur, le por-
tier céleste (Janitor). Ovide, dans ses «Fastes» (v. 125) le fait parler
ainsi: «Je siège devant les portes du ciel, avec les douces saisons; quand
il sort, quand il rentre, Jupiter lui-même a recours à moi, d'où mon nom
de Janus »... Janus a toujours une sorte de préséance sur Jupiter. A Rome,
la colline seuil, le Janicule, lui est dédiée; et c'est seulement la colline
citadelle qui est vouée à Jupiter. D'après les légendes romaines, Janus est
le premier roi du Latium, le roi de l'âge d'or (Ovide~ «Fastes» I, 247),
ce qui nous ramène au paradis terrestre. «Il est le primordium absolu»,
conlme dit Dumézil. Et, d'après Ovide «<Fastes», I, 102) «Les anciens
J'appelaient Chaos; car il est la chose ancienne (res prisca) ».
(p. 432) «Il est tout-à-fait probable que la forme primitive du nom
ait été D-yanus, que l'on retrouve dans Dianus, que l'on peut décomposer
en Di-Anus. Or, ce n'est pas la moindre surprise, Anus signifie vieille
femme. Pourquoi? Parce que la divinité primordiale était une femme, une
très vieille femme, bien entendu. Comme la terminaison en us prêtait elle
aussi à confusion (H'), la déesse est devenue un dieu mâle. Janus-Dianus
est donc, en réalité, une déesse femme, la Res-Prisca».
« On peut trouver une autre preuve de cette substitution du deus mas
à une déa fémina dans le fait qu'il existe une déesse Diana. Elle paraît
être une romanisation d'Artémis (14), donc une création récente. Mais
pourquoi lui avait-on choisi le nom de Diana? Cela ne peut s'expliquer
que par le souvenir d'une divinité féminine autrefois contenue dans le
concept de Janus. »
Ce qui est remarquable, en J anus, c'est son double visage, l'un vieux,
l'autre jeune. Il est à la fois le bien et le mal; il connaît le passé et
l'avenir. Il est ouvert aux deux pôles opposés de l'infini. Or, précisément,

(14) Selon Plutarque (Isis el Osiris, trad. Mario Meunier. p. 48), les pythagori-
ciens appelaient Artémis la Dyade. Or. 1a Dyade (l sis et Osiris, p. 154) représentait
Je principe du mal.
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le vodu Ana, installé à la fin de leur initiation, chez les bokQs (géoman-
ciens) de la tradition Dzisa (la plus ancienne tradition d'Afa chez les" Evhé)
se présente sous la forme d'une idole grossière à deux visages opposés.
Notons, dès à présent, qu'Ana s'installe en utilisant, notamment:
- des plantes de la seule catégorie dzodzo (excitantes) au nombre
de quatre,
- une tête de chouette (en Evhé adzexe, c'est-à-dire «l'oiseau (xe)
des sorciers (adze) ».
des têtes de serpents très venimeux,
- et du haricot bouilli.
Notons aussi qu'il ne convient pas, selon certains informateurs, de le
laisser mouiller par la pluie; aussi l'abrite-t-on généralement sous un toit
ou le prépare-t-on dans une grande assiette de façon à pouvoir l'entreposer
dans une case...
Ces traits l'apparentent bien à Morgane, et, nous le verrons, aux
aspects sataniques de la grande déesse Mère des origines.

La «première création ».

I.Ja signification métaphysique des deux visages opposés de J anus ou


d'Ana me paraît être la suivante:
A l'origine, il n'y avait que la grande déesse-Mère. CeIIe-ci, dans le
premier acte qu'elle fit pour créer le monde, engendra des jumeaux de même
polarité (nous considérerons cette polarité comme positive).
Attendu que deux éléments de même signe se repoussent, ces jumeaux
s'opposèrent l'un à l'autre. En se rejetant aux extrémités de l'univers, ils
meublèrent et définirent tout l'espace-temps. En principe, donc, iJ en fallut
au minimum quatre paires, une sur chacun des trois axes de l'espace et une
sur l'axe du temps.
La grande déesse-Mère, dans un premier stade, ne pouvait procéder
autrement. Car si elle avait immédiatement créé des couples de jumeaux
de polarités opposées, le + attirant le -, la création se serait immédia-
tement agglutinée sur elle-même.
Bien que le premier acte créateur fut nécessaire à l'œuvre divine, il
n'en était pas moins, à lui seul, fondamentalement imparfait, car il ne pou-
vait donner lieu à la vie. On se représente son aboutissement, la première
création, comme une terre stérile, à prédominance minérale, se laissant
brûler par le soleil, comme une étendue désertique aux teintes rousses.
C'est le domaine de la multiplicité sans limites, sans au-delà, sans mort,
ni renaissance, celle même de raccumulation écrasante et desséchante qui
caractérise la richesse du diable.
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Il fallait que la grande déesse-Mère complétat son œuvre par une


seconde initiative qui allait permettre l'agglutination de la matière en
choses, et non plus son effritement perpétuel, la formation d'unités orga-
niques qui iraient à l'encontre des lois de Carnot sur l'Entropie. Il lui restait,
en bref, à insuffler la Vie au monde.
Mais l'accomplissement de ce que nous pouvons appeler cette « seconde
création» n'allait pas manquer de se heurter aux forces toujours à l'œuvre
qu'elle avait déclanchées à J'origine et qui allaient se révéler comme l'in-
dispensable partenaire ennemi du monde vivant.

Satan, Seth-Typhon et le Renard Dogon.

Ces forces, nous les trouvons représentées dans la notion de Diable


ou de Satan - un dérivé du dieu égyptien Seth-Typhon - mais encore,
chez les Dogon, dans le personnage du Renard, dont la couleur du poil
et l'habitat, dans des terriers, en brousse, en font incontestablement un
animal «typhonien».

a) Le renard du mythe dogon est en effet, un principe du mal associé


à la première création, celle qui ne put donner la vie. On en trouve l'illus-
tration à chaque page du chapitre du «Renard Pâle» (de G. Dieterlen
et M. Griaule) traitant d'Ogo, dont je ne vais citer que quelques extraits
suffisamment révélateurs.
L'arbre, symbole de la première création, est l'acacia (sene) qui
verdoie en saison sèche et perd ses feuilles en saison des pluies, à l'inverse
des autres arbres; et c'est un arbre de brousse.
Or (p. 176) on dit que « les racines du sene sont les quatre membres
du renard et (que) les épines (sont) ses griffes».
(p. 92) Les évènements liés à la première création, qui ne fut pas
viable, «sont représentés par une figure exécutée sous l'autel du renard,
à sa fondation. Elle associe «la n1ain du renard» et les quatre éléments
contenus dans le sene, conservés par Amma».
(p. 94) «Le sene (Acacia) est le témoin présent de l'ancienne créa-
tion ».

b) Le caractère du renard est celui que nous attribuons à Satan ou


au diable: orgueil, opposition au créateur. Il veut égaler Amma comme
Satan veut égaler Dieu.
(p. 205) «Amma avait permis à Ogo de descendre et de former la
terre avant l'arrivée des hommes. Il lui avait confié le sort du monde.
Mais Ogo, dans son orgueil, s'étant cru le plus fort... ».
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(p. 176) «ago se mit alors en mouvement dans l'intention de sur-


prendre les secrets de l'univers en formation».
(p. 178) «Ayant réalisé son périple (qu'il accomplit en sens contraire
d'Amma - évidemment!) Ogo «se déclara savant comme Amma et
capable de créer, à son tour, un monde».
(p. 179) « Amma redoutait, le voyant faire, qu'Ogo ne parvint à faire
un monde comme lui-même en faisait un ».
Comme le Diable, ago détruit (p. 180) « agité, inquiet, anxieux, ~rop
rapide, ago était de plus un prématuré ».
Comme le Diable, ago détient une connaissance supérieure à celle
des dieux, car il fut créé avant eux. Il fut le partenaire ennemi de Dieu
dans la suite de la création du monde (1:»).

c) Le renard est un autre symbole du dieu Seth-Typhon, dont Satan


n'est qu'un dérivé.
(p. 182) « les végétaux créés par Ogo ,descendu, seront soit les arbres
épineux, comme le sene, soit des végétaux dont le fruit n'est généralement
pas comestible».
Or Seth fait porter à Osiris, avant sa mise à mort, une couronne
d'épines d'Acacia. Osiris est appelé, dans ses litanies, «Seigneur des épines
d'Acacia». Il parviendra à dominer Seth comme Jésus, couronné lui-
aussi d'épines, surmontera l'empire du Diable.
Plutarque, dans son «Isis et Osiris» (trad. Mario Meunier - Paris,
l'Artisan du livre - 1924, p. 114) écrit que: «T'yphon est, selon eux (les
Egyptiens), le principe de tout ce qui est desséchement, de tout ce qui est
brûlant, de tout ce qui est sec. de tout ce qui est hostile à l'humide».
C'est bien là le principe de la première création d'avant J'apparition de
la vie; et c'est bien là aussi, le domaine de l'enfer, tel que se le représen-
tent les Evhé : un pays aride et consumant, symbolisé par un terrain brûlé
par le soleil où l'on enterre les « mauvais morts».
Typhon portait des cheveux roux. Il avait la peau rouge ou rousse.
IJ était prédisposé à la colère et à la violence, comme le diable (et
comme la mère-sorcière Iyarni, chez les Yorouba, d'après P. Verger -

(15) Edouard LANGTON (La DéJ1101l%gie, Paris.. Payot. 1951. pp. 62-63) nOtls
apprend que Je non1 de Satan «est dérivé d'une racine Sâtan, signifiant «s'opposer
se comporter en adversaire». C'est un 010t purement sémitique d'usage très ancien
chez les Israëlites...». «II (Satan) n.agit jamais sans la permission de Dieu et son
ministère fait évidemment partie intégrante de la volonté' divine >}. Cependant. «dans
le caractère de Satan apparait comnle un élénlent contraire à la volonté de Dieu ».
C'est dire que Satan, cet ange des origines. devint bien Je partenaire ennemi de Dieu
dans la création du Inonde.
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article cité p. 145). Sa couleur était celle des sables du désert, de l'aridité.
L'âne, à cause de son poi], était un animal typhonien (si bien que le
Christ, chevauchant l'âne avant sa passion, est un symbole du dieu sau-
veur maîtrisant Satan). Les bœufs roux étaient immolés à Typhon, car la
terre rouge du désert était Typhon (Isis et Osiris, op. cil., p. 107).
E. Lefebure (Le sacrifice humain d'après les rites de Busiris et
d'A bydos, Sphinx, vol. III, fasc. 3, pp. 129-164) nous apprend (142-144)
que tous les animaux roux finirent par être considérés comme des animaux
typhoniens, mais aussi toutes les bêtes du désert, et en particulier la
gazelle du désert.
Des hommes roux ou blonds étaient sacrifiés à Typhon: on les brûlait
(comme on brûlait les sorcières et les hérétiques, suppôts de Satan, au
Moyen-Age) et on dispersait leurs cendres à tous vents.
Les Egyptiens figuraient Seth-Typhon par un hiéroglyphe qui était la
stylisation d'un animal dénommé l'animal typhonien. Cet animal, qui n'a
pu être formellement identifié, n'était peut-être qu'une créature symbolique
de rêve.

Le hiéroglyphe «Seth ».

E. Lefebure (L'animal typhol1Îen - Sphinx - tome II, pp. 63-74)


nous apprend que «sa couleur jaune est celle des fauves. On le chassait
avec les bêtes du désert» et « qu'à la basse époque, on le remplaça habi-
tuellement par l'âne».
Une des principales caractéristiques de l'animal typhonien est de
posséder une queue fourchue dressée en l'air. «Sous sa forme typique.
remarque-t-il, la queue du Set donne l'impression d'une fourche plantée
dans les reins de la bête... ». «Le papyrus Harris assimile la queue à un
bâton... Le papyrus parle, pour sa part, de frapper avec la queue ».
Parmi les animaux typhoniens, nous pouvons encore ranger, à coup
sûr, le scorpion: car il a la couleur des sables, car il pique avec sa queue
dressée, et car il appartient à la brousse, au monde maudit de la désolation
meurtrière.
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IIl

Notre représentation des diables, rouges comme le feu, sentant le


roussi, munis d'une queue et armés d'une fourche, rejetés pour toujours
dans un monde privé d'eau ou régnant sur des régions stériles... a conservé
les caractéristiques essentielJes de ces animaux typhoniens.
Plutarque précise bien que la dévastation et la désolation brûlantes
engendrées par Typhon n'ont nullement pour cause l'action - au contraire
vitalisante - du soleil. Il écrit (Isis et Osiris, op. cit., p~ 161): «... Il
faut à bon droit rejeter l'opinion de ceux qui assignent à Typhon la sphère
du soleiL.. une sécheresse brûlante ne doit pas être regardée comme
l'image du soleil, eHe est au contraire produite par les vents et les eaux
qui ne se mêlent pas à propos dans la terre et dans J'air, lorsque la domi-
nation de la puissance irréguHère et indéterminée provoque le désordre et
étouffe les exhalaisons qui pourraient tempérer la chaleur du soleil».
Il s'agit bien d'un défaut d'agglutination de la matière, dont les
éléments complémentaires ont tendance à se dissocier les uns des autres,
les vents et les eaux s'écartant de la terre et du feu pour nous présenter
ce visage de désert, privé de limon et de souffle, en attente de l'esprit
qui souffle sur la boue.

La «seconde création».

La seconde création, qui dût compter avec la première, et qui


se fit avec la participation des forces sataniques initialement déclen-
chées, peut être schématisée comme suit, en utilisant les symboles
manipulés par les géomanciens: au sein de la Monade, ou grande
déesse-Mère Cosmique, se différencia tout d'abord une bipolarité primor-
diale (la circonférence et son centre, le + et le -, le mâle et la femelle,
l'en-haut et J'en-bas...). Puis y apparurent bientôt les germes des 4 élé-
ments ou substances de toute chose~ chacun d'eux pouvant être affecté
de la même bipolarité primordiale, ce qui nous offre une ganlme de
8 possibi1ités pour constituer chaque chose. La Matrice Primordiale d'où
sortira toute la création_ est ainsi représentée par Je nombre 10 (== 2 + 8),
celui de la décade pythagoricienne dont elle présente - comment pourrait-on
s'en étonner? - toutes les caractéristiques.

La Monade_ hipolarisée dès l'origine.


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112

La Matrice Prin10n.tiale.

C'est ce mystère là qui est révélé aux géomanciens avancés lorsqu'on


leur installe Gbadu qui est leur divinité suprême.
G badu, ou G baadu, vient de Igbâ ùdù qui signifie «la calebasse
d'Odù; Odù étant l'abréviation de la déesse-Mère yorouba Odùdua. Il est
matérialisé par quatre petites. calebasses couvertes contenue à l'intérieur
d'une grande calebasse couverte - la bipolarité se trouvant ainsi repré-
sentée par l'en-haut et J'en-bas. Chacune des quatre petites calebasses cou-
vertes est associée à l'un des quatre éléments:
- l'une contient notamment du kaolin (blancheur caractéristique de
l'élément le plus subtil: l'air),
- l'autre contient notamment de la poudre végétale rouge (élément
feu),
- la troisième contient notamment de la boue de la rivière (élément
eau),

Représentation de Gbadu
(4 petites ca]ebasses couvertes. chacune associée à l'un des 4 éléments,
contenues dans une grande calebasse couverte).
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l J3

- la quatrième contient notamment du noir de fumée (élément


terre) CH).
Dans un premier stade, la Matrice Primordiale engendra un monde
où toute chose, étant composée de 4 éléments affectés de l'une ou de l'autre
polarité, pouvait être représentée par une demi-figure géomantique du
genre:

Il I dont le nombre total était 16.


I
I
C'est ce mystère là, moins profond que le premier, qui est révélé
au néophyte, sur le point de recevoir Afa dans le «bois sacré », lorsqu'on
lui présente solennellement la planchette appelée dukpo sur laquelle se
trouvent gravées les 16 principales figures géomantjques~

La M atrjce PrinlordiaJe accouche d'un n)onde figé. non viable.


représenté par] 6 demi-figures géomantiques africaines.

C'est très certainement aussi à ce mystère là que se rattache l'obser-


vation de B. MaupoiJ eLa géomancie à l'ancienne Côte des Esclaves,
p. 262) selon laquelle: «Gedegbe (un grand géomancien) demandait, iJ
y a une quinzaine d'années à un Babalawo venu du Yorouba pour le défier:
«Les 12 paroles de Fè.. les connais-tu? Les 4 paroles de Fè qui viennent
les premières, Jes connais-tu? Les 16 personnes qui sont à Fè~ connais-tu

(16) On peut consulter à ce propos MAUPOll B.o La f.!éOmlll1cie il l'ancien,,e CÔte


de.fi EJclu\'e.\. p. 97 et VERGER P.. np. l'it.. p. 155.
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114

leurs noms? ». Enfin, quatre fois par an il se rendait dans sa cour, par
une nuit de pleine lune, pour y tracer la figure suivante» :

88 8 8
8
8
I

8 8 8 8

I
8
8
8 8 88
Mais le monde ainsi réalisé ne formait pas encore une création viable,
car il y manquait le devenir, le passage du passé au futur, la transformation
de chaque chose. Dans un monde vivant, en constante métamorphose,
chaque chose devait être caractérisée par deux de ces demi-figures: l'une
représentant l'état révolu, et l'autre l'état à venir, c'est-à-dire par des dou-
blets du genre:

,II ',I dont le nombre total est 256 (c'est-à-dire 2H) et qui
se distribuent sur une pyramide à 8 degrés.
I I II
I I
Pour y parvenir, il fallut la médiation du désordre qui déchira tout,
et maria, deux à deux, les 16 demi-figures en leur insufflant un violent
instinct érotique ou génésique (17). Alors apparut enfin le monde viable
qui est le nôtre, où toute chose, tout évènement, est caractérisé, en son
état, de façon privilégiée, par l'une ou l'autre des 256 figures géoman-
tiques africaines.
Nous voyons ainsi que les puissance du désordre, c'est-à-dire l'action
satanique dans notre monde s'illustre au premier chef dans les déborde-
ments érotiques. L'attrait entre deux éléments, l'attrait «sexuel» est
nécessaire au mariage des éléments, à leur coagulation indispensable à
la formation d'un univers viable. En ce sens Satan a bien coopéré à
l'œuvre de Dieu. Dieu l'a fait intervenir pour l'accomplissement de sa

(17) Legda (Eshu) parfois considéré comn1e générateur de désordre, est alors
représenté avec un énorme sexe mâle qui symbolise l'excitation érotique qu'il pro-
voqua.
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115

création. Cependant Satan n'en a pas moins triomphé d'une certaine


manière. Il s'est réservé dans cette création un vaste empire dont la puis-
sance ne pourra être anéantie qu'à la fin des temps. En effet, si la quasi
permanence de la forme a pu être acquise, elle n'a cependant pu l'être
qu'au profit de l'espèce et non au profit des individus. Les individus sont
restés mortels et ils ne peuvent assurer la pérennité de leur espèce qu'en
cédant à leurs inclinations sataniques: en se livrant aux joies érotiques
et en se multipliant dans leurs enfants.
Par là il est aisé de comprendre pourquoi la morale cathare, inspirée
de manichéisme, recommandait aux « parfaits» l'abstention de tout rapport
sexue] et l'abstention corrélative de toute génération.
Pourquoi la morale d'une religion (par exemple celle du CathoJicisme
jusqu'à une époque récente) où la figure de Satan est mise en relief consi-
dère dans la même proportion que les manifestations de la sexualité sont
directement inspirées par Satan, ce grand tentateur e~).

Traits sataniques relevés dans les cérémonies évhé pour les jUfneaux.

Si l'accouchement de jumeaux, chez les Evhé, engendre tant de tabous


et de précautions rituelles, c'est, je le crois, parce qu'il répète, sur le plan
humain, le tout premier mystère de la création du monde par la grande-
déesse-Mère cosmique qui engendra tout d'abord les forces sataniques qui
allaient par la suite collaborer, en s'y opposant, à la poursuite de son œuvre.
A plus d'un titre, les interdits proclamés et les rituels mis en œuvre
par les Evhé à l'occasion de la naissance de Jumeaux, nlontrent que
ceux-ci sont étroitement associés au complexe primordial: Satan, Seth,
le Renard dogon, Ana, Janus, Sainte Anne... et nous renvoient ainsi aux
plus profonds mystères des origines (lH).

( J8) Paradoxalement, J'anéantissement de Satan ne pouvant être acquis que par


le dépassement du dualisme qui Je fait apparaître, la dédramatisation et la réhabili-
tation de l'acte sexuel comptent aussi parmi les meilleurs moyens de vaincre Satan.
(19) Les Evhé ne sont pas les seuls à attribuer aux jumeaux une super-puissance
ayant l'ambiguïté de la puissance diabolique, Un mythe de l'antiquité, rapporté par
Homère (l'Odyssée), VirgHe (l'Enéj'de), et exposé plus en détail par Apollodore, nous
présente les deux jumeaux Otos et Ephialtès comme étant des géants, par conséquent
des êtres qui appartenaient au monde d'avant (on trouve un résumé de ce nlythe
dans l'ouvrage d'Edith HAMILTON: «La mythologie ». Marabout-Université, 1962,
p. ] 63-64). Virgile nous fait part de leur «anlbition insensée », Il les présente comme
des «jumeaux gigantesques qui, de leurs mains, tentèrent de détruire la voûte céleste »
et de renverser Jupiter de son trône surnaturel. Tout jeunes encore, Otos et Ophialtès
«décidèrent de prouver leur supériorité sur les dieux... Ils menacèrent d'entasser Je
mont Pelion sur le n10nt Ossa et d'escalader Je ciel. comme dans les temps anciens
Jes géants avaient entassé J'Ossa sur le Péli-on »,
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- Ce sont toujours des chasseurs qui ont appris à faire les céré-
monies pour les jumeaux en observant un jour, par hasard, ce qui se
passait chez les animaux de la brousse (le chasseur est un individu qui
s'aventure dans le monde d'avant, le monde non cultivé où règne le
désordre. Il est donc évident que c'est lui qui devait percer le mystère et
découvrir - en brousse - ce qu'il fallait faire). Les animaux de qui
le chasseur apprend le rituel sont, en général, des animaux rouges ou
roux, qu'il s'agisse de gazelles, de singes ou d'écureuils fouisseurs... c'est-à-
dire, probablement, à ce titre, d'animaux «typhoniens» (:W). Le chasseur
leur dérobe un sifflet ou une corne dont il faudra jouer lors des cérémonies.
pour les jumeaux et qui est probablement le symbole de la vibration fon-
damentale.
- Après l'accouchement, les parents de jumeaux (vena) deviennent
tabou:
. Ils ne peuvent serrer la main de personne.
. Ils ne peuvent participer à des cérémonies d'enterrements ou de
funérailles.
. Ils ne doivent pas aller travailler aux champs, ni aller à la chasse.
. Ils ne doivent pas se rendre au marché.
. Bien souvent., ils ne peuvent, non plus, se raser.
Les rituels en vigueur semblent indiquer, en outre, que, dans les
temps anciens:
. Ils ne pouvaient pas se nourrir eux-mêmes (lors des rituels décrits
à Ative, au Ghana, l'officiant doit leur mettre lui-même les premiers
morceaux dans la bouche) ou bien ne pouvaient manger, contraire-
ment à l'ordinaire, que la n1ain gauche (ce qui semble impliqué
par le rituel d'A lototro, signifiant « changement de main », à Anloga
au cours duquel, ayant mangé de la main gauche, ils remangent
ensuite, à nouveau, normalement, de la main droite).
. Ils ne pouvaient parler à personne et devaient s'exprimer par
gestes (car, avant la cérémonie, on leur met dans la bouche une
herbe spéciale qui est le signe qu'ils ne peuvent adresser la parole
à quelqu'un et ne peuvent même pas desserrer les lèvres pour
rire) .
Plutôt que de voir là une réaction de «primitifs», face à une situa-
tion « numineuse », je préfère supposer que les intéressés distinguent dans
le fait d'avoir eu des jumeaux l'irruption, dans leur vie, de la dangereuse

(20) A ce propos, beaucoup de traditions locales portant mention d'hommes


rouges, qu'il s'agisse de géants, de petits hommes ou d'hommes à queue, font proba-
blement allusion au monde d'avant, non humanisé au sens du groupe qui parle,
perçu donc comnle «typhonien ». plutôt qu'à d'authentiques pygmées, sortes de
Rusmen. ou Berbères.
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puissance satanique qui fut à l'origine du monde. Cette puissance, explo-


sive et stérilisante, ne saurait être abandonnée à elle-même sans précau-
tions. Il faut donc que ceux qui ont déjà eu des jumeaux - ayant connu
le même danger et déjà par conséquent prémunis contre lui - viennent
le circonscrire et réintroduisent les parents dans la vie normale, les faisant
passer de la gauche (principe du mal selon Pythagore) à la droite (prin-
cipe du bien selon Pythagore), de la nuit de leur case à l'activité quoti-
dienne qui était la leur.

. - Lorsqu'un chasseur a tué, pour la première fois, un gros animal


sauvage (léopard, rhinocéros, buffle, etc... ou encore l'oiseau dzogbelosu,
un oiseau noir dont le cri s'entend à plusieurs kilomètres de distance), il
doit prendre à peu près exactement les mêmes précautions que des parents
de jumeaux, en particulier se metre dans la bouche la même herbe vena-
vigbe (l'herbe des jumeaux) et ne parler à personne.
Pourquoi cette similitude de précautions? Probablement parce qu'en
libérant l'âme de l'animal, il a libéré une force qui appartenait à l'empire
de la Grande Mère, reine de la nature non cultivée, c'est-à-dire du monde
d'avant la civilisation (rappelons-nous Diane «reine des animaux sau-
vages ») et parce que la force libérée avec les jumeaux tient aussi, comme
nous l'avons vu, de cette grande Mère là.
N'est-il pas écrit dans «Le renard pâle» (p. 215) que «tous les
animaux sauvages sont sortis de la feuille du Séné» (cet arbre témoin de
l'imparfaite création première)?

- Les jumeaux ont pour interdit de ne jamais faire de feu avec des
épineux (ces arbres qui rappellent la première création et sont associés à
Seth ou au Renard dogon). Or on a généralement l'interdit de son totem
ou de ce qui fut singulièrement Hé à l'histoire de ses ancêtres.

- Lors des cérémonies pour les jumeaux, on leur installe, selon les
cas, un ou deux pots contenant des plantes n1agico-médicinales. Or, tandis
que les cultes des vodus font généralement intervenir des plantes de la caté-
gorie dzodzo (excitantes), puis des plantes de la catégorie lala ,calmantes),
il est remarquable qu'on ne fait intervenir aucune plante dzodzo lors des
cérémonies effectuées pour les jumeaux. Comment concevoir qu'on puisse
en utiliser puisque la puissance manifestée dans les jumeaux est le prin-
cipe même du déssèchement et de la fièvre qui fut à l'œuvre dans le
développement de la première création?

- Au village de Dzolo (Togo), les pots des jumeaux, lors de leur


installation, sont enduits d'un mélange de haricot cru et de rouge éta,
écrasés ensemble et liés avec un peu d'~au. Les jun1eaux eux-nlên1es sont
ensuite enduits du même n1élange. Lors des sacrifices effectués en l'hon-
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neur des pots, tandis que les invités consomment du poulet, on offre
seulement aux pots un plat de haricot. Ainsi voyons-nous associés aux
pots des jumeaux le rouge (couleur de l'élément feu) et le haricot (légumi-
neuse intervenant dans l'installation du vodu Ana, et légumineuse associée
au Renard Ogo (~1) car il est écrit dans «Le Renard pâle{'» (p. 179) que
le « bonnet du renard» fut appelé, par dérision pour l'échec d'Ogo « bonnet
des haricots»; et (p. 192) que «l'arche d~Ogo est également représentée
par un panier servant à filtrer les haricots (nûkoko) ou «caisse des hari-
cots »).

- Au cours des rituels évhé, il est de coutume de compter un objet


ou une offrande un certain nombre de fois avant de le poser quelque part
ou de le confier à quelqu'un. Dans la plupart des cas, on compte sept fois.
Pour les cérémonies des jumeaux, cependant, on compte quatre fois:
. pour tendre les jumeaux à leur mère,
. pour leur attacher leurs perles au poignet gauche et au cou,
. pour mettre les mains de leurs parents en contact avec la nourri-
ture,
. pour mettre leurs mains en contact avec leur pot sacré,
. etc...
Le bracelet des jumeaux se compose de séries de quatre perles brunes
séparées les unes des autres par un cauri (et le collier ou la ceinture
semble se composer de séries de 16 perles séparées de même par un
cauri) .
A Anloga, après avoir enduit de rouge (provenant, cette fois, de la
pierre rouge friable ade) le pot des jumeaux, on y trace quatre paires
de traits blancs.
Pourquoi cette mise en vaieur du chiffre quatre? Vraisemblablement
parce qu'à l'origine de toutes choses, il y eut, comme nous l'avons expliqué,
quatre couples de jumeaux; peut-être encore parce que dans beaucoup de
traditions, le chiffre quatre est le chiffre représentatif de la terre matérielle,
ou du volume, c'est-à-dire de l'espace servant de cadre à une création.

(21) Nous touchons peut-être là le n10tif pour lequel les disciples de Pythagore
ne consommaient pas de haricot.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

SOME UNDERLYING BELIEFS


IN ANCESTOR WORSHIP
AND MORTUARY RITES AMONG THE EWE

G.K. NUKUNYA

Abstract
The concept of the human personality among the Ewe, here represented by the
Anlo, is closely related to their beliefs on ancestor worship and mortuary rites, which
in turn are dependent on the notion of the soul.
The Anlo belief is that at birth a number of psychic elements come together
to form one complex entity, the entire animating principle in a person's material
body, referred to periphrasticaIly as anlea nu/o, the person himeslf. The three
principal components of this complex entity are luvo, death soul; gbogbo, life soul;
and vovoli, shadow. Other soul components believed to be joined in this complex
entity are first, the father soul, which is part of the father's personality he passes
on to each of his chi1dren at birth; the mother soul, the female counterpart of the
former which is given by the mother. It is the presence of these soul elements which
makes for resemblance between a child and his parents. Finally there is also present
in the complex entity part of the personality of an ancestor who is reincarnated in
the child. It is further believed that the father. mother and ancestral soul
components are inextricably bound with the dealth soul so that only three major
components, the death soul, the Hfe soul and shadow are discernible in a person's
spiritual life.
At death when the complex entity disintegrates the life soul goes to the Supreme
Being, its original place. while the death soul goes to the land of spirist to join the
ancestors and become the object of worship during the ancestral rites. The vovo/i,
on the other hand disintegrates.
All ancestral rites are directed to the death soul in the spirit world from where
it is also summoned during auditions and necromancy. It is because of these post
mortem activities that the lu}/o is referred to as the death souL

Résumé
Chez les Ewe, et plus particulièrement chez les Anlo dont nous parlerons ici.
la notion de personnalité humaine est en rapport étroit avec les représentations
relatives au cuJte des ancêtres et aux rites funéraires. ces représentations étant elles-
mêmes associées à la notion d'âme.
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Les Anlo pensent, qu'à la naissance, un certain nombre d'éléments psychiques


s'assemblent et forment une entité complexe qui anime le corps et qu'on désigne,
en périphrase, comn1e amea muto, la «personne elle-même ». Les trois principales
composantes de cette entité complexe sont: luvo, «l'âme de mort »; gbogbo, «l'âme
de vie»; vovoli, J'onlbre. Les autres composantes sont: «l'âme paternelle» qui est
une partie de la personne du père, reçue à la naissance par chacun de ses enfants;
«l'ânle maternelle », donnée par la mère, équivalent féminin de la précédente. C'est
la présence de ces élén1ents spirituels qui explique la ressemblance entre un enfant
et ses parents. Enfin, il faut aussi mentionner l'ancêtre ou plus exactement la com-
posante de la personne d'un ancêtre qui s'est réincarnée dans l'enfant. Toutefois,
ces trois derniers éléments (les âmes parternelle, maternelle et ancestrale) sont inex-
tricablement liés à l'âme de mort, de sorte que seules les trois composantes princi-
pales sont distinguées dans la vie spirituel1e.
Au moment de la mort. l'entité complexe se désagrège. L'âme de vie retourne
à son lieu d'origine, auprès de l'Etre Suprême; l'âme de mort rejoint le pays des
esprits ancestraux et devient l'objet de rituels liés au culte des ancêtres. Le vovo/i
(l'ombre) se dissout. Tous les rites du culte des ancêtres s'adressent à l'âme de mort
séjournant dans le pays des esprits ancestraux d'où elJe est rappelée pendant les
séances d'évocation. C'est à cause de ces activités post-mortem que le /uvo est dit
«âme de mort» .

The home of the Ewe-speaking people now lies in south-eastern


Ghana and the southern half of Togo, but they have not been living
here for more than five centuries. Oral tradition, identifiable locations and
historical records e) suggest that the Ewe had lived in or around Ketu
near the present Dahomey-Nigeria border in Yoruba country before mi-
grating in separate groups to their present country. It is not known for
certain for how long they had been living in Ketu or whether they had
moved there from another country. The details of their migratory move-
ments from Ketu and the socio-economic conditions of the period are
also not clear apart from their settlement in the ancient wal1ed city of
Notsie (Nuatja) in centra] Togo under the tyrranical rule of King Ago-
koli. How and why they came to live under Agokoli also remain a mystery.
N or are we certain about the sequence or time of their settlement in Ewe-
land. What is known is that by the middle of the 17th century the Anlo,
the most numerous and perhaps the best known Ewe sub-group had esta-
blished themselves in their present country surrounding the Keta Lagoon,
east of the Volta estuary. Today the Ewe speak one language with slight
local variations, and share the consciousness of being one people although
they never lived under one political authority (2). But while forming a

(1) For detailed history of Ewe migration refer to D.E.K. AMENUMEY, 1964, The
Ewe people and the cOining of European Rule, 1850-/9/4, Unpublished M.A. Thesis,
London, pp. ] -50.
(2) J. SPIETH mentioned 120 independent political units in his Die Ewe Stamme,
Berl in, 1906.
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121

broad cultural group, differences do exist in their social and political


institutions, making generalizations very misleading. What follows refers
specifically to the Anlo (~), one of the fe\\' sub-groups to have been sub-
jected to anthropological study.
Anlo country lies in the extreme south-eastern corner of Ghana im-
mediately east of the Volta River and has an area of about 900 square
miles and a population of nearly 250,000. Like the other Ewe-speaking
groups, the Anlo are patrilineal, having fifteen exogamous dispersed totemic
clans whose local segments form exogamous lineages. Two of the clans
form royal dynasties whose lineages at the traditional capital of Anloga
provide the King whose title is A woamefia, that is, "the King who lives
in a sacred place made holy by the presence of the gods".
As the various levels of Anlo religion are closely inter-related, we
begin our discussion with a look at the general religious system. There
is a belief in a Supreme Being called Mawu, who like many other such
West African Gods had to leave this earthly world after creating the
world because of the frequent demands on him by his people while he
lived near them. There is no organised worship for him: no priesthood,
shrine or congregation. Rather he is invoked by individuals in every day
life and in times of crises. Consequently he is dubbed a "god of the
thoughtful, not of the multitude".
Next to him are the snlall gods or trowo (singular tro) which are
his creations, deriving their powers from him and residing in nature objects
like rivers, streams, lagoons, ponds and forests. Unlike the Supreme Being,
they have organised worship with shrines, priesthoods and congregations.
There are also a number of cults or vodu}1t'o (singular vodu) owned by
certain individuals many of which are of foreign origin, mainly Togolese,
and the individual desirous of establishing one travels to its place of
origin where the necessary fees are paid and the rites perforn1ed. Menlber-
ship of both tro and vodu cuts across lineage and clan lines, though children
usually join the gods and cult groups served by their parents. There is
also the deity known as Afa (4) which is worshipped by diviners. Its
importance in the religious system stenlS from the fact that it is the
principal means in Anlo by which the wishes of all the other gods and
supernaturaJ beings are revealed.
But by far the most important supernatural forces among the AnIo
are the ancestral spirits, fogbenoliawo, worshipped in a body by lineages

(3) For details of Anlo Social Organisation see G.K. NUKUNYA. 1969(a), Kinship
and marriage afnong the An/o Ewe, London School of Economics, Monographs on
Social Anthropology, No. 37.
(4) See G.K. NUKUNYA, 1969(b), ,~ Afa Divination in AnJo
" in Research Review,
Institute of African Studies. Legon. Vo1. 5, No.2, 1969.
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J22

and clans at annual festivals and weekly meetings and also by individuals
who normally show their reverence by offering them the first morsel
of food or the first drop of water or alcohol before satisfying themselves.
Individuals may also ask specific favours from their ancestors through
their lineage heads. In the same way the ancestors can demand favuurs
such as sacrifice from their Jiving descendants both as a group and as
individuals.
While the primary function of the supernatural forces just enumerated
is to protect, and give prosperity to, their adherents, they are also capable
of sending death, sickness and other misfortune on them if they are
neglected or offended in any way. But on the other hand their own
powers can be neutralized by witches and sorcerers who may harm anyone
regardless of his devotion to Mawu, fro, vodu, the ancestors or Afa.
Perhaps it is also pertinent to mention here that life expectancy in
Anlo is not high due probably to malnutrition and widespread alcoho1ism.
On a rough estimate it averages about forty-five to fifty years for those
who do not die in infancy or early childhood. Almost every mother before
the completion of her reproductive activities experiences either a still birth
or the death of an infant. Moreover in the fishing areas, drowning and other
accidents associated with this occupation are quite common. The Anja
themselves generally attribute death to these supernatural forces as well
as to witchcraft and sorcery, but only rarely to natural causes. Conse-
quently soon after the funeral ceremonies are conlpleted the relations of
the deceased approach a diviner to find out which of these forces has
caused death. Almost invariably one or more of them will be mentioned,
which is just the answer the relatives themselves expect. It is only in
the case of a very old man that it is said Mawu has called him the equi-
valence of a natural death.

The Ancestors.

As has just been mentioned, ancestor worship occupies an important


position in Anlo religion. The term" ancestor" here refers to any person
who led a normal life and reached adulthood before departing this life in
a manner acceptable to AnIo world view. Another definition is perhaps
the roundabout one of saying h ancestors" are the dead who are capable
of being reincarnated, that is those who die in the ordinary way, a category
which excluded the following:
(a) Those who died in infancy.
(b) Those who died in accidents and
(c) Those who died from certain diseases such as leprosy, insanity
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123

and diseases which result in swelling of the body. All these can
only return into the world as deities not as human beings.
Ancestor worship among the Anlo is based on their belief in the
efficacy and power of the ancestral spirits in the lives of their living
descendants. The doctrine of reincarnation, whereby some ancestors are
re-born into their earthly kin groups, is also emphasized. The dead are
believed to live somewhere in the world of spirits, Tsiefe, from where
they watch their living descendants in the earthly world, Kodzogbe. They
are believed to possess supernatural powers of one sort or another coupled
with a kindly interest in their descendants as well as the ability to do them
harm if they are neglected. What they cherish most is unity and peace
among their living descendants. On the other hand they are believed to
punish quarrelling among kinsmen, adultery by won1en married into the
lineage and incest, the disruptive forces within the group. Such punishments
take the form of serious sickness or even death, and the wrath of the
ancestors is revealed through divination.
Though the ancestors are believed to be living far away in the land
of spirits, their presence is always felt in this material world among
their living relatives and descendants. The practice of feeding the dead
with food and drinks which has just been mentioned shows if anything
at aH the ability of the dead to come and visit the material world to
partake of the offerings. But this is by no means the only apparent mani-
festation of their presence in this material world. In fact the whole life
of the Anlo is led with the presence and importance of the dead always
fresh in their minds. A few more examples will suffice. Many Anlo espe-
cial1y the sick report of visions of and auditions with dead relatives, and
dreams of the dead are very common. Some even claim to have seen
thenl, though in all cases the dead person disappears before the relative
tries to accost him. StiJl others are said to have received messages and
injunction from the dead. In the evening and especially at night when the
dead are said to be most active everything is done to give them their due
respect. Sitting on the steps is forbidden and no sweeping is allowed.
Water should not be thrown carelessly about, but if it is considered
necessary for this to be done, the dead must be respecfully asked to give
way. Cooking pots must remain unwashed and water must be left outside,
with calabash ready for use.
All these practices must have some significance for the living, and
by looking closely at them it will be possible for us to ask certain questions.
Looking at the problem from the spiritual angle, it may be asked, for
instance, what is the nature of man? \Vhat is his relationship with the
Supreme Being? What is the land of spirits and where is it located? And
what is the nature of the Hereafter? In finding answers for these questions,
one key concept that stands out clearly is the" soul ~'. It is an understanding
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of this that will lead us to the gateway of Anlo views on the human
personality. This in turn is related to ancestral practices and mortuary
institutions.

The Soul.

The concept of the soul which is one of the key elements in Anlo
religion is as complex as the religious system itself. However it is possible
to isolate certain levels at which the Anlo themselves conceive it.
The Anlo belief is that at birth a number of psychic elements come
together to form one complex entity, that is, the entire animating principle
in a person's material body. For this complex entity the Anlo have no
name as such except the periphrastical term amea nuto, the person him-
self.
But whenever the complex entity is named it derives these names,
by metonymy, from names specially used for two major components namely
the death (personality) sou] and the life soul. The third name is the
Ewe for shadow. These words are luvo, soul, gbogbo, spirit, and vovoli,
shadow.
Other soul components are believed to be joined in this complex
entity. The first, paternal soul, is part of the father's personality or death
sou] which at birth the father passes on to each of his children, while the
next, the materna~ soul, is the female counterpart of the former and is
given by the mother. It is said that the presence of these soul elements
is responsible for resemblance between a child and his parents. Finally,
there is also present in the complex entity part of the personaHty soul of
an ancestor or any dead relative when it is established by divination that
either an ancestor or dead relative has re-incarnated in a person.
It is further believed that, the paternal, maternal and ancestral souls
are inextricably joined with a person's death soul, so that only two major
con1ponents are discernible in a person's spiritual life, that is, the death/
personality soul and the life soul. These two and the third, shadow will
bé described presently.
Gbogbo, the life souL which also connotes breath, spirit, and even
flatulence, has direct origin from the Supreme Being and is regarded as
the little bit of the Supreme Being that dwells in every person. It also
gives conscience, coming as it is from the Supreme Being. But although
it comes from one and the same source and performs the same function
in all, the life soul becomes individuaUzed in various people with different
death souls, and this greatly affects the life soul. In essence however, it
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never loses its identity in the complex entity, the complex soul, but remains
as much as possible its own, fighting against the lower spiritual elenlents in
defence of the good and beneficial to man as conscience, dzitsinya, until
its return to the Supreme Being soon after death completely takes place.
The life soul is believed to be sent back into the materia] world but
may not be attached again to the same personality soul of a previous
earthly existence especially where the personality soul is condemned by
the Supreme Being in his capacity as the final judge of all man's actions.
Rather it is attached to a different personality soul for another earthly
existence. But where the Supreme Being is satisfied with the personality
soul, the same life soul may later, but not immediately, be joined with
the same personality soul of a previous earthty existence to form a complex
soul. This may happen after the life soul in question has had at least one
other earthly existence with another personality soul.
The life soul is immortal in the sense that it cannot be destroyed even
in part by reason of its nature as part of the immortal Supreme Being.
And finally as the real animating principle in the complex soul, it never
leaves the physical body even temporarily as does the personality sou] in
dreams. When it does, then death ensues.
Luvo, the death/personality soul is also known as vovoli, shadow,
because of the belief that the shadow has a special spiritual relationship
with the personality soul and the complex soul itself. Anlo belief further
holds that before birth, the personality soul ha~ had a previous existence
in a spirit world, Amedzofe, where life is almost the same as what obtains
in the material world. A successful earthly life results when a person has
the same relations and employement as he had in his pre-earthly days in
the spirit world. In short a person's earthly life must as far as possible
conform to his pre-earthly existence in the spirit world.
From the pre-earthly world, at birth, the personality soul is led by
relatives, friends and companions to the exit of the spirit world where it is
met by a dead relative who escorts it as far as the entrance to the material
world. The guides, who are usually the ancestors reincarnated in the per-
sonality soul are of the same sex as the personality souls they escort.
It is possible for one ancestor to escort more than one person, this being
given as the reason for a dead relative reincarnating in more than one
person.
At death when the complex soul disintegrates, the personality soul
goes to the land of the dead, Tsiefe, while the life soul returns to Mawu,
the Supreme Being. The pre-earthly and post-earthly homes appear to be
two quite different places, though some inconsistences and confusions appear
here and there. In any case it is the personality soul that is capable of
reincarnation and the same that receives attention in the cuit of the dead.
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In necromancy, again it is the personality soul that is summoned. It is


because of these post-mortem activities that this soul element is referred
to as the death soul (il). Again in dreams, visions and auditions it is the
personality soul that is at work. Thus unlike the life soul, the personality
soul can leave the material body at any time in sleep especially at night
to engage in spiritual activities which are later remembered as dreams.
Finally Anlo belief about this soul component holds that a strong personality
soul makes for a strong life soul and vice versa.
VovoU, shadow, is another name for the complex soul, and is freely
interchanged with luvo, meaning the personality/death soul, because in
shadow, like the personality soul, the owner can be recognised. But it is
never applied to the life soul.
These then are some of the concepts subsumed under the general
term of "soul". They show that in spiritual life the Anlo believe that
every person is a complex soul basically composed of two principal elements.
First, there is the immortal life soul, gbogbo, which comes directly at birth
from the Supreme Being and is the real animating force in every human
person. Then comes the personality or death soul, luvo, which has already
been living a life in the pre-earthly spirit world, while vovoU, shadow, is the
visible form of the personality soul in the material world.

The Hereafter.

In Anlo thought the hereafter is referred to as Tsiefe (or Tsinyefe


which literally means where I live forever or simply my real home). The
personality soul does not have to cross a river when it is earth-bound, but
after its life on earth it must of necessity be ferried across a river in order
to get into the Hereafter. And as is the case in many belief systems death
is the inevitable gateway to the Hereafter, hence the physical body is not
necessary for entry.
An important figure always mentioned in connection with this concept
is the Ferryman known in Anlo as Kutsiami, the spokesman of death.
Without him no one may be ferried across to the next world. As a rule
he demands a fare, a fact held responsible for the inclusion of cowrie shells
in the past and coins at present among the articles buried with the corpse.
It is not clear whether the boat of the Ferryman has apartments on the
basis of social status or performance on earth. What is known is that
regardless of any distinction, aH are ferried across provided the prescribed
fare is paid.

(5) See J. SPIETH. Die Religion der Eweer in Sud- Togo, Berlin. 1911. p. 229.
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It is also not known where the Hereafter is situated, but it is known


to exist neither in the sky nor in the under world. One thing however is
certain, it lies very far away from the present world. This long distance
however does not affect the speed with which the dead themselves travel to
this world. In popular thought and belief a number of. places are mentioned
as possible locations of Tsiefe the most persistent of which is Yorubaland.
U
Indeed the Ewe name for Lagos is Noli ", or Ghost, meaning the home
of ghosts. How or when this popular conception took shape is difficult
to ascertain, but it is striking to note that the Ewe have a history of
migration from around the present Yoruba country. Also until quite
recently many Anlo visitors to Nigeria were said to have seen dead kinsmen
in Nigerian markets, but the deceased disappeared when their identity
became known. In this connection the meaning of Kutonu (Cotonou, the
capital of Dahomey), the shore of the death river, both in Fan and Ewe,
is very instructive because it lies on the estuary of the Oueme river which
serves as the boundary between the Ewe and their eastern neighbours.
Wherever it might be, the Anlo claim to know something about life
in the Hereafter. For all practical purposes life there is modelled on the
earthly one. The dead are met on the way by relatives hence the need
to inform the ancestors of any new deaths before the newly dead is buried.

Mortuary and ancestral rites.

We are now in a position to mention the sequence and conduct of


some of the key practices associated with death and the dead. Only those
relevant to the theme of the paper will be described. On the day death
occurs several activities take place none of which however concerns the
person's spiritual nature. The only practice that comes to mind concerns
the widows of the deceased. As soon as a wife learns of the husband's death,
unless she is pregnant, she must start wearing her red-cloth more securely
around her private parts as precaution against attempts by the husband's
spirit to copulate with her. Should the spirit succeed, the widow will become
permanently pregnant. She is expected to follow this observance until her
ceremonial mourning period is over. She must also begin observing the
practice of putting a piece of charcoal into her food to prevent the spirit
from partaking of the food, and thereby harming her. This last practice is
also observed by widowers.
In the past burial took place in the ancestral home of the lineage.
Even today when it takes place at a public or lineage cemetery outside
the ancestral home, the person's" luvo ", comprising bits of finger nails
and hair from the private parts are buried in the ancestral home. Two
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important addresses are made for the corpse on the day of burial. One is
a prayer to the ancestors while the other is directed to the deceased himself.
In the first, the dead man is commended to the care of the ancestors, while
in the second he is advised as to his immediate course of action with regard
to the circumstances leading to his death. A typical address runs: " Yester-
day you suddenly left us for our grandfathers and grandmothers in the land
of spirits. If your death was a natural one, then you must leave everything
to Mawu, but if it was caused by a fellow human being then, the water and
drink we offer you now should serve as your weapons for revenge».
The next important rite takes place some few days after the burial of
(6).
the corpse, the actual date depending on the clan of the deceased Two
rituals of sacrifice are performed, the first at the graveside and the second
in the ancestral home of the deceased. Two old women, one a clanswoman
and the other from the mother's clan, visit the grave-side to bring the spirit
of the dead man to join the ancestral home where the luvo is buried.
This ceremony is known as yofofo.
The importance of this ritual is seen in the fact that even when burial
takes place outside the home-town of the dead man as is common these
days, the luvo is alwoys brought home for burial in the ancestral home.
The only other ritual of importance is yodzogbonono, drinking the
ceremonial pap, performed to determine the widow's innocence or otherwise
of her husband's death. After the yololo and associated rituals and
ceremonies which may all take a total of six weeks f 71 the relatives and
spouses undergo a ceremonial mourning exercise which lasts for at least
sixteen months. The spouses and immediate relatives wear nothing but
black or dark clothing. The rules, prohibitions and taboos governing this
period of mourning are more severe for spouses than for other relatives (8,
but all show their grief by their dark appearances and reserved behaviour.
After the conclusion of the ceremonial mourning, another ritual is performed
after which all restrictions are removed. As far as the living are concerned
this concludes their mourning for all practical purposes.
It is however considered that these rituals are not sufficient to take the
dead person completely into the fold of the dead. As such every lineage
holds what for want of a better term may be called" a grand funeral" at
which all the recently dead nlembers are finally initiated into the society
of the dead. This ceremony known as yolewowo, ideally must take
place once in a decade usually after the death of an important person in
the lineage such as a chief or a lineage head, but most lineages have not
performed th is now for more than two generations.

(6) NUKUNYA, 1969(a), p. 200.


(7) Ibid.. pp. 34-35.
(R) Ihid.. pp. 205-208.
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As already mentioned during ancestral rites when sacrifices are offered


to the ancestors, it is that part of the soul in Tsiefe, the death soul, which
returns to feed. The spirit of a king or chief returns to inhabit the stool
(9)
during the sacrificial offerings, while the spirit of a wealthy stool founder
returns to the stool as its temporary shrine.
F or most of the lineages, there are no specific periods for ancestral
rites, and therefore it is circumstances that determine the timing of their
rites. A run of misfortunes in the lineage may be interpreted by the diviner
as a sign of the displeasure of the ancestors. Probably the ancestral spirits
have been neglected for too long or the lineage could have been remiss in
the performance of traditional customs. After ascertaining the specific
desires of the spirits, the lineage head summons a meeting of the lineage
and reveals the wishes of the dead. Funds are collected and a day is fixed
for the offerings. There is need for the meticulous compliance with the
wishes of the spirits, lest deviation should occasion further displeasures.
Thus only the animals demanded are sacrificed. The animals are slaughtered
and drinks offered with supplications to the ancestors to pardon offences
against them, winding up with prayers for long life and prosperity of the
lineage members. It is important that all the ancestors be mentioned by
name, or at least references made to them in order to avoid the displeasure
of a forgotten spirit. To play safe, the lineage head calls the well known
ones and lumps the others together as " the known and the unknown ones"
with the excuse that it is impossible for the human mind to remember
everything.
Ancestral rites may also be performed on the eve of an adventure,
or when a member of the cult has met with a piece of good fortune. The
rites may be as simple as libation of maize flour and water poured at the
entrance to one's house or in a field; the aim is always the same, to
acknowledge the patronage of the ancestral spirits.
Offerings to the ancestors of chiefly lineages are held mostly between
July and September when the stools are washed and fed.
The ancestral rites are usually organised on lineage basis. There are
also in addition to those described weekly consultations which take place
on Thursdays and Saturdays when the stool house is opened by the keeper

(9) There are three kinds of stools in Anlo namely Togbezl, avazi, and hozÎ.
A founder of a town who was himself a leader of his people would establish a stool
and become a chief. Such a stool is called togbezi, ancestral stool. Where a
distinguished leader led his people in battle he would also be allowed to establish
a stool known as avazi, or war stool. A wealthy man who played an important role
in the social life of the community was also aIlowed to establish a hozl, or stool of
wealth. All these stooJs have become the focus of attention during ancestral rites.
Although it is the ancestors who are said to be the objects of worship, they are
inextricably tied up with stools belonging to their lineages.
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to members. On making a small offering to the lineage head an individual


may solicit special blessings from the ancestors. A stool thus performs the
role of a shrine for an ancestor and also serves as the symbol of authority
of a chief. As guardians for the living members of the lineage, the ancestors
provide for the welfare of the living descendants good harvest, children
and general prosperity. They punish intra-lineage crimes and offences
against themselves. The lineage head as the celebrant of the rites is respected
for his position in the line of descent from these ancestors as the nearest
to them in age. Hence one of the important functions of ancestral worship
is to support the existing social order in matters of lineage and kinship.
When the ancestral and mortuary rites are considered alongside the
concept of the soul and its various components they would be seen to
perform specific functions. Both are based on the belief that death is
not the end of man. 1'he ancestral rites show that certain parts of man,
the spiritual parts, live on and must not be forgotten by the relations of
the dead. Also through the ancestral rites a link is forged between the
living and the dead. The mortuary rites on the other and seem to have two
important functions. First, they are meant to finalise the earthly departure
of the dead person. In other words they are aimed at ensuring a safe and
peaceful preparation for the personality soul. Secondly, having dispatched
them from the eathly world, steps are taken to ensure that the departed
spirits safely reach the post-earthly land of spirits and are accepted into
the society of the ancestors. This is exactly the function of both the yofofa
and the grand funeral. Beliefs about the causes of death are also brought
into the picture and are taken care of in the mortuary rites by the address
to the dead man to take revenge.
On the whole both the ancestral and mortuary rites emphasise the
belief held in most societies and belief systems that the ancestral spirits
are supernatural in character and are therefore capable of harming or
rewarding their living descendants.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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(I

N 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

SIGNES GRAPHIQUES, REPRÉSENTATIONS,


CONCEPTS ET T'ESTS RELA TIFS A LA PERSONNE
CHEZ LES MALINKE
ET LES BAMBARA DU MALI

y oussouf CISSÉ

dyi dQ ka fisa
ni so dQ ye
nga yçrç dô ka fisa
ni ni bç ye.
yçrç dQ ye ko ba ye:
mgkpya daminç do;
bç tii yçr~ dQ
wa bç ti mQkp ye (11.
Trad. : « Savoir nager vaut mieux
Que savoir monter à cheval,
Mais se connaître soi-même vaut mieux
Que tout cela.
Se connaître soi-même est une grande chose (une chose
primordiale) :
C'est le commencement de la «personnalité»;
(car) tout le monde ne se connaît pas soi-même;
Et tout le monde n'est pas une personne (par consé-
quent) ».

(1) Textuellement: «Connaître l'eau vaut mieux que connaître le cheval, mais se
connaître soi-même vaut mieux que tout cela. Connaître soi-même est une grande chose:
c'est le commencement de la personnalité, tout le monde ne connaît pas soi-même et tout le
monde n'est pas une personne ». On explique ceci par cela: «Tout le monde n'a pas la
ressource de posséder une monture et il nous arrive au cours de notre vie d'avoir des rivières
ou des fleuves à traverser pour poursuivre notre route. Mais vivant souvent en tête à tête
avec elle-même, toute personne se doit de se connaitre afin de devenir une vraie personne,
une personne consciente de ses devoirs et de ses actes».
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132

C'est par les vers ci-dessus que débute chez les Malinké et les Bambara
l'étude de la personne humaine, m(!kQ.
Dans le système d'initiation et d'enseignement de ces deux peuples
qui ont la même origine historique, la même langue (à quelques variantes
près) et les mêmes institutions sociales, politiques et religieuses, la concep-
tion de l'être humain, de la personne en soi, mQkQ y~r~ y~re, «la personne
soi-même» considérée tant dans ses composantes corporelles globales que
dans l'ensemble de ses principes spirituels, constitue une des pierres angu-
laires du savoir traditionnel en général, de la philosophie et de la psycho-
logie en particulier. Elle est indissolublement liée à la cosmogonie et fonde
ses grands principes sur les signes graphiques relevant de cette cosmogonie.
«La personne est le terme (l'aboutissement, l'achèvement) et la lumi-
(~)
nescence de la création et le sosie du créateur ». Il ne pouvait en être
autrement, vu l'importance sans précédent de la cosmogonie et de la cosmo-
biologie (cf. fig. 3 et 5) dans la pensée bambara et malinké.

Le signe du néant, fu ti, et l'origine de la vie.

Evidemment ce qui préoccupe au premier chef les responsables des


sociétés d'initiation et notamment ces spécialistes que sont les «généa-
logistes », burudyugosilaw ou burudyutilaw (3) et les «psychologues »,
terefolaw (4J, c'est « l'origine de la personne» m(}kQ dyudYQ (;)), la matière
dont cette personne est faite, la nature de l'énergie, du principe de vie,
ni qui l'anime et de l'esprit, de l'intelligence, dont elle est douée et qui la
rend supérieure aux autres êtres. Une leçon dit: «Le signe premier de
«l'édification ou fondement» [de l'origine] de la personne est le néant
[le signe du néant] sur lequel repose le substrat de toutes les choses
concrètes, (néant) dont « l'âme» ni et le «double de l'âme » dya sont nés
(()
et dont la pensée et la réflexion sont issues» I. Le signe tu «néant»

(2) meke ye dali laba naa manaka ye, ani dâbaabisigi. Nous traduisons ici manaka (de
mana, lumière, lueur, et de ka, ciel empyrée), «lumière du ciel» ou « lumière supérieure»
par luminescence, et bisigi, «ressemblance» par sosie.
(3) Composé de burudyu, contraction de be YQrQ dyu (b{>,sortir, yerQ, lieu, dyu, fonde-
ment) «fondement du lieu d'où sort. naît une chose» qui signifie généalogie au propre et
au figuré; et gosilaw ou tilaw, «ceux qui frappent » ou «ceux qui font éclater»; les mots
burudyugosilaw ou burudyutilaw s'appliquent en général aux généalogistes d'une même
famille ou d'un clan. Mais au niveau des sociétés d'initiation, ils désignent des initiés capables
de retracer l'origine des signes, des rites, des mots même, etc. C'est ainsi qu'un étymologiste
est appelé kumaburudyufola ou kumaburudyutila «qui dit ou fait éclater l'origine de la
parole», des mots.
(4) De tere, caractère, et f~, dire. A propos de tere, voir infra, p. 34.
(5) De mekQ, personne, dyu, fondement et dYQ, édifier. Nous traduisons ce mot par
origine.
(6) MQkt; dyudy~ siti
.'le fu ye f~ b~ ba sigilë b~ mi kâ, nI ni dya biigela ml na, mUri ni
taasi bera mi na.
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(cf. fig. 1) se compose de trois croix - deux croix de Saint-André soudées


aux extrémités de la branche horizontale d'une croix droite - qui signifient,
de gauche à droite:
a) damÙ1€, « commencement»; s(Jrç fi, « signe de l'émergence»;
buga ti, «signe de la multiplication, de la reproduction», etc.;
b) ty€maty€, «milieu, juste milieu» ; ty~ kisC (7) «grain central,
taille »; rü (7), «principe de vie ou âme»; balo, «existence, vie», etc.;
c) laba, « terme»; taasi (7), « réflexion »; sçsij ti, « signe de la conver-
gence »; tuna fi, « signe de la disparition», etc... A ces trois croix, on
donne le nom de mrkQ ba saba (k), «les trois substrats de la personne:
la pensée, l'âme et la réflexion sans lesquelles il n'y a ni vie ni person-
nalité ».

x x c

FIG. 1. - Signe du néant, lu fi.

Le signe du néant apparaît ainsi comme un véritable précipité du


destin de la personne qui, après avoir émergé à l'un des pôles du néant,
acquiert pensée et réflexion (esprit) et âme, avant de disparaître à l'autre
pôle une fois accompJie sa vie, «sa traversée de l'univers» ln) selon
l'expression bambara.
La personne tiendrait donc son origine du néant primordial qui est
devenu entre temps notre univers; ce néant dont on dit « qu'il était à
l'origine des temps obscur, frais, lourd (dense), uni et calme (statique)
avant de vibrer, se rompre, s'illuminer et s'animer dans toutes ses parties
sous l'effet de l'étincelle initiale» t10) est, on s'en doute, la matière.
Comme celle-ci, dit une tirade du Komo, «la personne n'est autre chose
que eau et terre, feu et air», m(JkÇ?t~ fç wr-'€ ye dyi ni haga kQ, ta ni
finy€ k().
Cet axiome une fois avancé, on en vient à l'origine même de la vie,
du principe de vie, ni, qui anime la personne. Le ni provient, tout comme
«l'énergie radiante » nyii-nyii 1111 qui anime l'univers dans l'étendue et

(7) Voir plus loin les composantes spirituelles de la personne.


(8) Voir plus loin la seconde signification de ce concept.
(9) Celle-ci est matérialisée sur le dessin par la ligne horizontale qui « va du commence-
ment au terme ».
(10) Ceci est un fragment du mythe bambara de la création dont la traduction est
en cours.
(11) Cf. le ni, infra p. 149.
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134

la profondeur incommensurables de ses couches, de la «vibration», y~r~-


y~r~ (121, ce vocable signifiant par ailleurs « soi-même ». Ce qui permet aux
Malinké et aux Bambara d'affirmer: «là où il n'y a pas de vibration~
il n'y a point de mouvement; là où il n'y a pas de mouvement, il n'y a
point de chaleur (d'énergie); et là où il n'y a pas de chaleur, il n'y a ni
âme (ni principe de vie), ni vie. ni mort» (IH).
N'est-ce pas pour cette raison essentielle que pour matérialiser le
«tournoiement (le mouvement) primordial », munu folo, et le premier
signe de vie, d'existence, les Malinké et les Bambara choisirent le cercle
parfait, kara, l'aboutissement final et logique - pour eux - de toute
vibration et le symbole par excellence de la rotation!

Le cercle, kara, et l'origine de l'esprit.

Dans la pensée des peuples qui retiennent ici notre attention le cercle
kara, microcosme par son centre et macrocosme par sa circonférence, est
rempli de notions (une vingtaine au moins) :
- il est le signe sacré de l'esprit qui conçut l'univers; d'où son nom
de dye fa, «l'œuf du monde» symbolisé par la sphère universelle;
- il représente le soleil, kara ha ou kara blè, «le grand cercle ou
le cercle rouge» qui matérialise la grandeur et l'ardeur de l'esprit divin;
- par les deux demi-cercles qui le composent, il connote la pensée
et la réflexion divines et humaines, ma miiri ni ma taasi;
- son centre et sa circonférence portent respectivement les noms,
très révélateurs, de:
a) ko b€ dyu ni ka b~ kÜ « le fondement et la raison de toute chose»;
b) ka b~ ba ni ka b€ fa, « le substrat et la plénitude de toute chose»;
c) dali kQr~ ba ni dali kara ba «le grand dessous et le grand cercle
de la création;
d) nali kQre ba ni naZi kara ba «le grand dessous et le grand cercle
de la venue (de la naissance) >.'>;
e) ni ni dya, «l'âme et son double»;
f) dakii ni nakii, «la voix de la création et de la venue (de la nais-
sance) » - ces deux mots signifiant par ailleurs destin et avenir;
g) taas; ni miir; ou taa.ç; maasi, «réflexion et pensée»;

(12) Cette vibration serait elle-même issue d'un «éclat», mieux d'un «signe» fi.
Autant dire que la vie est issue du signe (on trouvera dans le banongolo le signe symbolisant
l'unicité de la création et de l'esprit créateur). C'est d'ailleurs ce qui est dit au niveau du
Komo : « la création est issue des signes, des signes divins », dali bpra tiw la, ma ti.
(13) y~rf-Yfrf t( Yf!rQ ml na, lamakali Ii yë; lamakali t~ YQrfJ ml na, jüteni ti yë; jü/eni
te yer" mi na, ni ti yë.. balo ti yë, saya ti yë.
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135

h) dü ko ni siiko~ «choses des profondeurs et choses de l'en-haut» et


par analogie dÜko ni sako « désir et volonté»;
i) dit ba koro bo bali ni dii ba kara ba bali, «grande profondeur au-
dessous «indégageable» et grande limite irréductible (dans ses dimen-
sions) » (14);

o
etc.. .

Fig. 2 - kara, le "cercle parfait".

De cette foule de notions, les Malinké et les Bambara tirent trois


constatations fondamentales qu'ils expriment par les leçons ci-dessous:
- «la personnalité (la notion de personne) est attachée (inhérente)
à la pensée et à la réflexion» (15);
(lH);
- «toute personne a son destin et son avenir»
- «la volonté et le désir de la personne résident dans sa pensée
et sa réflexion» (17I ;
et ils concluent par cette autre leçon: «L'âme, ni, est sortie du cercle
kara: l'âme est un secret (un mystère), un secret inviolable » (1H).
Ainsi donc le cercle, signe essentiel de dynamisme, apparaît comme
le vrai symbole de vie; et les concepts de «pensée et réflexion», «destin
et avenir», et «volonté et désir» qui s'y attachent et que les Soudanais
considèrent comme les premières manifestations de l'existence de la per-
sonne (tH), sont, comme lui, incoercibles, irréductibles. C'est ce que l'on
traduit par le proverbe «quitte ta place! Cela peut se concevoir; mais
quitte ton destin! Toute personne a son destin» (20) qu'elle accomplit et
assure à tous les instants de la vie.

(14) Nous ne donnons ici qu'une seule acception des expressions ci-dessus.
(15) maaya sirUébt mUrini taasila
(16) mek~ be naa naka naa daka do
(17) meke sako naa dükr baa mUri naa taasi la
(18) ni bera kara la: ni ye güdo ye, giido bgrQtg baU
(19) Ces six notions sont à rapprocher des « six essences de la personne », cf. infra, p. 9.
(20) he i .rigiyerg la, 0 ye tiny€! ye; be i naka ka, ty€ b€ naa naka do. Liu.: «Quitte
le lieu où tu es assis, cela est vérité; quitte ton destin, tout homme a son destin ».
(20 bis) Ce signe est encore appelé dya ou sumalikfltl, nom bambara et malinké de la
balance.
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]36

Le signe tozo ni bara dyuru et la vie embryonnaire.

Après le signe du néant et le cercle kara, la troisième représentation


relative à la personne est ia graphie «placenta et cordon ombilical»,
taza ni bara dyuru (cf. fig. 3).
Elle est composée de quatre parties:
- un segment vertical appelé «attache», siri, ou «cordon ombi-
lical », bara dyuru, ou « cou ou voix », ka;
- un rond dit «devant de la poitrine» - c'est-à-dire l'ensemble
sternum et plexus solaire -, ou « graine de la noix de karité », k{Jlp kis€
(probablement à cause de sa forme);
- deux crochets dénommés l'un « œuf ou appel du père», fa kili, et
l'autre «œuf ou appel de la mère, ba kili.

siri, bara dyuru, ka

kç>kQ ny~, kQIQ kisfi

fa kili ba k ili

FIG. 3. - tozo ni bara dyuru (21).

La présente graphie pose en terme concis le fondement biologique de


la personne, à savoir que tout être humain dès le stade embryonnaire:
- jouit d'une attache génétique, siri, porteuse d'une «voix», d'un
message, qui s'exprimera plus tard dans et par le corps tout entier (cf.
le tere, infra, p. 36);
- possède un « noyau» de vie qui porte ici le nom du plexus solaire"
l'un des centres vitaux de l'homme;
- est le fruit de la part de ses parents, d'un apport égal de vie qui
se fait sentir, au niveau du placenta, par des pulsations continues loca-
lisées au cordon ombilical et quL dès les premiers mois de la conception,
préfigurent ce que les Malinké et les Bambara nomment «l'appel dans
l'âme ou l'appel de l'âme», nI na kili, c'est-à-dire la respiration.
D'autre part, sur le plan purement fonctionnel, les quatre parties de
la graphie schématisent respectivement la trachée artère, le cœur et les
poumons.
(21) i tozo nU bara dyuru bi yerfJ mi na, 0 de yU jaso ye.
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137

Réceptacle de vie et de destin, le placenta est l'objet, après la déli-


vrance, d'un traitement spécial chez les Maliens: il est partout enterré dans
la cour de la maison familiale; on le ~. rafraîchit », - en l'arrosant -
jusqu'à la dation du nom, soit sept ou huit jours après la naissance de
l'enfant, ou jusqu'au quarantième jour, date à la quelle la nouvelle accou-
chée retrouve son rythme normal de fécondité. D'où le dicton «là où se
(21) qui
trouvent tes délivres et ton cordon ombilical, c'est là ta patrie»
souligne entre autre la valeur sociale et juridique liée aux rites relatifs au
placenta et expliquerait l'attachement presque maladif du Malinké et du
Bambara à leur jaso, la «maison de leur père », leur patrie.

dyp ti et la vie fœtale.

Le signe dYQ fi (22), «signe de l'arrêt, de la station debout ou de


l'édification» est une croix grecque dont les quatre extrémités portent les
noms suivants: kit, «tête, raison»; dyu, «fondement, sexe»; ty€ bolo.
«bras de l'homme» (la droite)~ muso bolo, «bras de la femme» (la
gauche). A ces quatre parties du signe sont respectivement associés les
quatre éléments air, terre, feu et eau dont la conjugaison crée un centre
vital ou de gravité appelé ty~kis~, «grain de la taille ou du milieu », ou
ty€maty~, «taille, milieu, juste mliieu» (cf. fig. 4).
Le signe symbolise le stade où l'embryon devient fœtus - c'est-à-dire
une véritable petite personne qui réagit déjà et enregistre les influences
auxquelles sa mère est soumise - en même temps qu'il préfigure la station
verticale qui est le propre de l'homme. Ce stade de la gestation est considéré
comme le plus délicat.

Ku
(air)

ty~ bolo
(feu)
~ dyu
(terre)
",
",
muso bolo
(eau)
ty~mihYe
ou ty~kis~

FIG. 4. - dYQ fi.

(22) Ce signe est pareil à celui qui figure au milieu de la graphie du néant (cf. supra,
p. 133).
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138

mpkp dyp wPVTQ ou « l'essence de la personne ».

Alors que le cercle kara pose le principe de la gémelléité fondamen-


tale au niveau des composantes spirituelles de la personne, la graphie mÇJk{J
dy{J wCJ{>rQ «les six essences de la personne» met, quant à elle, l'accent
sur les correspondances physiologiques, c'est-à-dire sur cette gémelléité bio-
logique manifeste chez un fœtus de six mois, donc chez un être capable
de survivre s'il venait à quitter prématurément le sein maternel. Elle se
décompose comme suit:
V bolo fia, «les deux bras »;
A sé fIa, «les deux pieds» (les deux jambes);
T ka, «la tête~) (le cerveau, la raison);
! dyu, «le fondement» (le sexe) ou tyçya, «la masculinité» (le
membre viril).
Ce sont véritablement là les «six essences de la personne » à qui il
faut:
- un cerveau pour créer,
- un sexe pour procréer,
- deux bras pour travailler,
- deux jambes pour se déplacer.

I
I I
~
a) m(!k~ (l'homme). b)
>K
kf!m<l (la femme).
I

Signe de géomancie
sym bolisan t la personne
sans considération de sexe.
FIG. 5. - m(JkQ dY9 w{JQrQ.
Nota: Le nom du signe représentant la femme est l'inverse de celui réservé à
I'homme.

Ces six parties de l'être humain sont considérées comme étant deux
à deux et directement opposées, et complémentaires à la fois - bras droit-
jambe gauche; bras gauche - jambe droite; tête - sexe - (cf. fig. 5); l'affec-
tion de l'une des parties opposées influant infailliblement sur l'autre.
« De l'harmonie de ces six essences, disent les Bambara, dépendent « l'équi-
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139

libre corporel et psychique», ha si!?i, et la «complétude», dafalëya, de la


personne » (~a).
Il est à noter que l'une des bases de la médecine et de la psychologie
traditionnelles réside dans cette loi des correspondances anatomiques et
organiques. C'est la raison pour laquelle les guérisseurs et les géomanciens,
pour mieux agir sur leurs clients, ont souvent recours au signe géomantique
symbolisant la personne et ses «six essences», sans considération cette
fois-ci de sexe (cf. fig. 5 bis).
A la graphie mQkQ dy{5 wQQrQs'attachent d'autres concepts que l'on
ne saurait négliger dans la pensée soudanaise. Décomposée comme suit,
elle signifie:
V siif~la, «dans l'en-haut », en haut; ascendants, miisaw (parents
et aînés classificatoires morts ou vivants);
/\ dyukrrçla, « dans le dessous du fondement», en-bas; « inférieurs »
(cadets et enfants au sens classificatoire);
kinibolo k~r~, «côté droit », la droite; les compagnons d'âge, fUi
bolo ty~w,.
numii bolo kr;r~, «côté gauche », la gauche; les compagnes d'âge,
fia bolo musow;
- la graphie vue de face: ny~, «yeux, face », avant, devant; ny~f~,
nyçfrla, par devant; nyçmQkQw, devanciers (gens de devant, c'est-
à-dire les ancêtres);
- la graphie vue de dos: kp, «dos, arrière»; k(Jf~, kpf€la, après,
par derrière; k(Jm(!kf!w, «gens de derrière», les descendants.
Les acceptions ci-dessus que connote le signe, outre qu'elles insèrent
la personne dans un cadre spatial donné et dans un milieu défini, soulignent
l'importance que les Malinké et les Bambara accordent aux concepts d'en
haut et d'en bas, de droite et de gauche et d'avant et d'arrière, qui se tra-
duisent dans les faits par les mouvements du corps en marche.

banangolo ou l'enfantement.

Le baniingolo (de ba mère, na venir, naître, et de ngolo, premier


homme) ou « naissance du premier homme» symbolise une femme couchée
sur le dos en prise avec les douleurs de J'accouchement». Il représente

(23) mf!ke basigi nU ka dafalëya bU dyë wf!e'e bolo. Liu.: «l'équilibre et la complé-
tude de la personne sont entre les mains de ses six essences». A ce propos, il convient de
noter que pour le profane, les «six essences de la personne» sont les deux bras, les deux
jambes et les deux yeux; « Celui qui n'a qu'un bras ou une jambe est certes un déséquilibré;
quant au borgne il croit que le monde est d'un seul côté ».
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140

FIG. 6. - Tracé du baniingolo


(En traits pleins les segments dessinés par l'index).

implicitement le terme de la conception biologique et «la manière dont


naît la personne » 1:l4). Tracé de bas en haut à l'aide de l'index et du médius
(cf. fig. 6), mais se lisant de haut en bas, il comporte en effet:
1. - 9 étages correspondant un à un aux 9 mois lunaires de 30 et
29 jours alternés, soit 266 jours, durée de la gestation chez la femme;
2. - 33 segments unis les uns aux autres symbolisant l'agencement
des 33 vertèbres;
3. - 1 segment isolé représentant l'os du pubis et dit «signe de
(2~);
l'enfantement », 'H,-'oLoti
4. - une ligne centrale brisée appelée « support (ontologique) ou axe
(de gravité) de la personne », m(Jkp dyigi ou m(JkQ kala (2H);
5. - un étage supérieur représentant la tête, kü;
6. - un étage inférieur du nom de «fondement, vagin », dyu;
7. - entre ces deux étages, 3 et 4 segments verticaux déterminent
respectivement le « côté 111ascuIin(la droite) et le côté féminin (la gauche)
de la personne », mQkQ ty~ bolo ni mpkQ muso bolo. Selon G. Dieterlen,
«le chiffre 3 représente dans le corps de l'homme la verge et les deux
testicules, le chiffre 4 les quatre lèvres chez la femme » (27).
La graphie est considérée comme dynamique, car sa gauche, compte
tenu du nombre de segments qu'elle comporte, J'emporte sur sa droite,

(24) On fait observer à ce propos que l'ouverture de l'étage du bas correspond au vagin
de la femme alors que les deux segments de l'étage supérieur matérialisent les deux jambes
du bébé, car « les enfants viennent au monde sur la tête ~.
(25) Sur le plan cosmogonique ce segment porte différents noms: «unicité de la créa-
tion et du créateur », dali ni dâba ka kelénya, « raison et fondement de tout ~, ko b~ ka ni
ko be dyu, etc. qui sont des attributs de Dieu.
(26) Cf. infra, p. 153.
(27) G. DI~TERLEN, Signes graphiques soudanais, Paris, Hermann et Cie, Editeurs,
1951, p. 44.
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141

ce qui vient corroborer la loi si chère aux Malinké et aux Bambara selon
laquelle il n'y a pas de vie en dehors du mouvement. Avec le baniingolo,
nous rentrons non seulement dans l'organisation anatomique de -la per-
sonne, mais aussi et surtout de plain-pied dans l'édifice de la pensée bam-
bara et malinké. En effet, pour ces deux peuples, «Dieu pour créer l'uni-
vers, eut recours à ses 266 noms et attributs propres qui, véhiculés par sa
parole, devinrent les 266 signes de la création. Et l'homme, créé en 266
jours et à l'image de Dieu, reçut naturellement ces 266 signes qui consti-
tuent son armature corporelle et spirituelle» (~~'.
D'autre part, le baniingolo évoque pour les Bambara et les Malinké,
l'une des origines des signes de la géomancie qui, comme on le sait, est
une pratique divinatoire courante dans l'Ouest Africain.

fa
(père)
\III
(I I
ba
(mère)
\I :
I
(I I
:
de \I I
( III
(enfant)

FIG. 6 bis. - dyabç.

En effet, l'agencement (fig. 6 bis) des dix-huit segments verticaux du


baniingolo permet d'obtenir trois signes géomantiques de la personne
appelés fa, père, ba, mère et dé, enfant, ou encore m{Jkp ba saba, les « trois
substrats de ~a personne» (2H). L'opération par laquelle on obtient la figure
ci-dessus est appelée dyab(), «sortir le dya », révéler le «double malin»,
le principe spirituel qui incarne la personnalité et la raison de l'homme;
dyabÇJ, et parfois dyâba, est aussi le nom initiatique de la géomancie.

Le corps de la personne.

« L'édifice corporel de la personne, m()ke dye Iii (de mÇ!k(}, personne,


dYQ, arrêter, tenir debout, édifier, construire), «ce dont la personne est

(28) Pour plus de détails, on se reportera à G. DIETERLEN, «Essai sur la religion bam-
bara », op. cit., et G. DIETERLEN et Y. CISSÉ, «Les fondements de la société initiatique du
Komo chez les Bambara du Mali», Cahiers de l'Homme, Paris-La Haye, Mouton, 1972,
329 p., 31 fig., 6 pl.
(29) Cf. infra, p. 152.
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142

construite, édifiée», se compose comme suit dans la tradition initiatique


(30) :
du Komo
1. - 33 vertèbres formant «l'axe et le support de la personne»;
2. - 33 os du bras droit (5 ongles, 5 phalangettes, 5 phalangines,
5 métacarpiens, 8 os du carpe, 1 radius, 1 cubitus, 1 clavicule et 1 omo-
plate);
3. - 33 os du bras gauche;
4. - 33 os de la jambe droite (5 ongles, 5 phalangettes, 5 pha-
langes, 5 métatarsiens, 3 cunéiformes, 1 scaphoïde, 1 cuboïde, 1 astragale,
1 calcanéum, 1 tibia, 1 péroné, 1 rotule, 1 fémur, 1 ischion et 1 os iliaque);
5. - 33 os de la jambe gauche;
6. - 32 dents + 1 mâchoire inférieure mobile, dageleke;
7. - 33 muscles majeurs, jasa küba (an;
8. - 33 artères et veines majeures appelées «chemins du sang»
dyoli sira.
Etages Mois lunaires de
ka (tête)
1 30 jours
2 29
muso bolo - 3 30
la gauche
ty~ bolo (bras féminin)4 29
(bras masc.)
5 30
la droite 6 29
7 30
8 29

I
9 30
dyu (fondement)
I
woloti
/ j vagin
total = 266 jours

(signe de l'enfantement)

FIG. 7. - Les différentes parties du banangolo.

Soit en tout 264 éléments auxquels il faut joindre la boîte crânienne


kü kola «os de la tête» et le sternum, disi kolo, «os de la poitrine»,
ce qui fait 266.
A cette armature certes conventionnelle, «sont attachées» 50 autres
parties du corps», 50 éléments et organes (notons que le chiffre 50 corres-
pond à l'âge d'un homme qui a accompli le cycle de 7 X 7, 49 ans,

(30) Pour plus de détails, on se reportera à G. DIETERLEN, «Essai sur la religion


bambara », op. cit., et G. DIETERLENet Y. CISSÉ, Les fondements de la société initiatique du
Komo chez les Bambara du Mali, op. cit.
(31) fasa désigne à la fois les nerfs, les muscles et leurs tendons.
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un homme en pleine possession de ses facultés physiques et intellectuelles


et qui est dit « plein de sa chair et de son âme», tyç mi faalé bç a soko
naa ni na: C'est cet homme qui sert par conséquent de modèle à l'étude
de la personne).
Les 50 parties complémentaires du corps sont donc:
1. - 24 côtes (12 mâles - celles de la droite - et 12 femelles)
formant la cage thoracique, kpkQ ou kwa, «maturité», ou ni so «la
maison de vie» (car elle abrite des organes tels que les poumons, le cœur),
ou ni na kili so, «maison de l'appel de la vie, de l'âme », de la respira-
tion;
2. - 12 organes essentiels (2 poumons, 1 cœur, 1 foie, 1 vésicule
biliaire, 1 pancréas, 1 rate, 2 reins, 1 vessie et 2 testicules - 2 ovaires
chez la femme);
3. - 12 «ouvertures» (2 yeux, 2 oreilles, 2 narines, 1 bouche,
2 seins, I nombril, l méat urinaire et 1 anus);
4. - 1 tube digestif, nugu (nom générique des boyaux);
5. - 1 moelle, sçmç, groupant le cerveau ou «moelle de la tête »,
kü s(?mç, la moelle épinière et la moelle des os.
S'ajoutent à ces 50 parties deux organes singuliers auxquels on
accorde les plus grandes vertus à cause de leur fonction:
- la langue, symbole du verbe créateur et organe d'expression de
la conception intellectuelle;
- le sexe (ou plus exactement le gland chez l'homme et Je clitoris
chez la femme), le « témoin », seere, de la création biologique.
Il convient de noter que la langue et le sexe reçoivent respectivement
pour la circonstance les noms de «fondement et raison de la création
(de la procréation) », dali kü ni dali dyu (:-\21,deux unités fondamentales
chères aux Malinké et aux Bambara.
L'ensemble que forment l'armature de la personne et les organes
qui lui sont associés reçoit le nom de fari, «(corps) chaud» ou fari kolo
soko, «chair de l'ossature du (corps) chaud ». Il est enveloppé dans une
peau, golo, parsemée d'une multitude de pores garnis de poils, si ou si,
qui sont les témoins visibles des milliards de cellules, soko kis~, «grains
de chair», qui composent la personne (i\H).
Voici organiquement constitué l'être humain, J'individu de l'espèce

(32) Nous avons vu à propos du banangolo que cette expression était réservée au
segment isolé symbolisant à la fois l'os du pubis et l'unicité de la création et du créateur. C'est
à cause de son caractère sacré que cet os n'entre pas dans le décompte ci-dessous; «il est
le témoin (la marque) du créateur dans la personne », wolo ti ye dabaa taamasYf ye m~k~ la.
(33) On va même jusqu'à comparer les pores et les poj]s
- toutes proportions gardées
d'ailleurs - aux étoiles du firmament.
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144

humaine sans distinction de sexe ou de race, l'homme opposé aux autres


êtres créés, daf?w, notamment aux êtres animés et doués de vie, nlmaf~w,
et plus particulièrement aux animaux sauvages et domestiques, hakiiw ni
daahaw, bref la personne, cet être social et moral qu'est l'homme en soi
et que les Malinké et les Bambara désignent sous le nom de m(Jgg ou
m{Jk{J, maa ou mQQ (:.\4).
Ce n'est certes pas cet agencement d'os et d'organes hétéroclites qui
fait la personne dont nous avons déjà dit qu'elle se singularisait par la
«pensée et la réflexjon, la parole et l'autorité, la volonté et le désir»,
dont elle est l'incarnation au plus haut degré d'expression. Au corps de
la personne, les Bambara et les Malinké joignent 60 « principes spirituels »,
m{Jk(J taala hi wQQrQet 266 éléments composant le caractère, tere (cf. infra,
p. 34) de chaque individu.

mpkp taalii bi wpprp ou mpkp dyogo bi w{JQr{).

« Les 60 qui font partir la personne », m(Jk(J taala hi wQQrg (35) ou


« les 60 choses essentieUes de la personne», m(Jk(J dyogo hi wf}{)rg, autre-
ment dit «les 60 principes dynamiques de la personne ou «les 60 prin-
cipes qui constituent l'essence de la personne », jumelés deux à deux (36)
(Hn
- l'un étant masculin et l'autre féminin -, sont dans l'ordre suivant:

(:Uq
1.2. mÛri ni taasi : «pensée et réflexion» (M - F).
«Quelle est la chose concrète, qui, dans l'univers est plus grande.
plus haute, plus élevée que toutes les (autres) choses concrètes?»
« La pensée».
« Quelle est la chose concrète qui, dans l'univers, est plus rapide que
toutes les (autres) choses concrètes? »

(34) Et parfois m{Jke ni fi «la petite personne noire », sé fia niw «les deux petits
pieds », Radama déw, «les enfants d'Adam », etc.
(35) m~kÇJ taalâ hi wÇJÇJr~ ou mQk~ taalà man; kfmf; de m(Jk~, personne, tao (contrac-
tion de taka), partir, mouvoir, la suffixe du nom d'agent, hi (ou mani k~m~ : mani, manding,
keme «cent», cent du Manding), w~~r~, six.
(36) Certains de ces principes sont même groupés par quatre, ou par six: c'est le cas
des «six essences de la personne» (cf. supra, p. 138). Nous nous demandons d'ailleurs s'il n'en
est pas de même pour tous les autres.
(37) Le nom de chaque groupe de notions sera suivi des lettres M et F définissant dans
l'ordre le genre des termes qui le composent.
(38) Ces deux termes sont généralement remplacés par le seul mot hakili d'origine
arabe qui signifie alors intelligence, pensée, réflexion, attention, mémoire, etc.
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145

« La pensée».
« Quelle est la chose concrète qui, dans l'univers, est plus «grosse ~,
plus vaste que toutes les (autres) choses concrètes? »
«La réflexion».
« Quelle' est la chose concrète qui, dans l'univers, est plus profonde
que toutes les (autres) choses concrètes? »
«La réflexion» (39).

Ces leçons en disent suffisamment sur l'idée que les Malinké et les
Bambara se font de la nature et du degré de la « pensée et de la réflexion »
qui confinent pour ainsi dire aux deux pôles de l'infini, l'infiniment grand
et l'infiniment petit, matérialisés comme nous j'avons vu, par Je cercle
qui est le symbole de l'esprit (cf. supra, p. 134).
« La pensée accède à tous les lieux; toutes les choses tiennent dans
la réflexion; rien ne saurait les arrêter; rien ne saurait les remplir; d'où
leur nom «caché», secret de taasi-maasi, «semence (essence) du feu
(divin) - semence (essence) du maître (Dieu)>>
(40);

« Là où ne parviennent pas la pensée et la réflexion de la personne,


là s'arrête son uni vers ».
Pour comprendre Je mécanisme de la pensée et de la réflexion chez
les Malinké et les Bambara, il faut nécessairement connaître le rôle que
joue au niveau de la personne, le cerveau dont on dit qu'il est le siège
de la pensée et de la réflexion et de bien d'autres principes encore.
En effet, pour l'homme «complet», conscient, le cerveau est le
carrefour de deux activités importantes appelées « choses de l'en-haut - ou
de la volonté - et choses de l'en-bas - ou du désir - de l'âme» ni sa
ko ou ni sako et ni dü ko ou nT düko, autrement dit les influences ou les
activités extérieures à l'âme ou de l'âme et les influences ou les activités
intimes à l'âme ou de l'âme.
« Par les sept ouvertures de la tête - les deux yeux, les deux oreilles,
les deux narines et la bouche -- arrivent au cerveau, par le seul inter-
médiaire du bulbe rachidien ou «menteur de la nuque» to kule, quatre
perceptions extérieures: la lumière~ yeelë, le son, miikii, l'odeur, suma et

(39) If dyumf ka dyii ni f~ bf ye dYf na? mi iri


fç dyurnç ka ted ni f~ b~ ye dy~ na? mi iri
fç dyumç ka bô ni fç b~ ye dy~ na? taasi
f~ dyum~ ka dü ni f~ bç ye dyç na? taasi.
(40) mi iri bi taa YQrQb~; fë be bi kü taasi kQnQ; foyi ti se kuu kù dQ; foyi ti se kuu lafa;
u güdo tQkQ ye ko taasi maasi.
taasi-maasi (de ta, feu, ou taa (taka) partir, mettre en mouvement, si semence, et maa ou
maka, maître, maître du ciel) est un attribut de J'esprit créateur, et Ja manière de Je prononcer
traduirait l'idée de mouvement ou plus exactement de va-et-vient.

10
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le goût, timiya, qui s'y installent en l'impressionnant avant d'être instan-


tanément transmises à toutes les cellules du corps par le relai du bulbe
rachidien à nouveau, de la moelle épinière ou «corde du dos», k(J dyuru,
et des nerfs, Jasa ».
«Quant aux autres sensations qui parviennent de l'extérieur ou de
toute autre partie du corps, elles parcourent le chemin inverse: de la
surface de la peau, ou d'un organe quelconque, elles passent successive-
ment dans les nerfs, la moelle épinière et le bulbe rachidien pour aboutir
enfin au cerveau ~>.
«Celui-ci, dont la constitution est comparée à celle de la farine du
fruit de baobab, est de nature à conserver dans les minuscules et innom-
brables «grains» qu'il emporte, toutes les informations qui lui parvien-
nent du dehors comme du dedans».
« C'est par ces « deux courants de l'âme» (ces deux courants de vie),
ni dyuru fia (lit1. les deux cordes de l'âme, de la vie) que marchent (che-
minent) la pensée et la réflexion. Car le cerveau n'est pas qu'un simple
réceptacle de perceptions qu'il enregistre, il est aussi et surtout un centre
de vibrations permanentes, y~r~-y~r~li, tout comme le tube digestif est un
(41).
lieu de pulsations continues Il émet deux courants dits «corde de la
pensée et corde de la réflexion », mUri dyuru ni taasi dyuru qui doublent
ou suivent les «deux courants de l'âme ». Le premier courant (pensée)
part du cerveau proprement dit, passe à travers le front (42), suit le
courant de vie extérieur, accède aux objets perçus ou sentis par les sept
ouvertures de la tête et revient par le chemin inverse au cerveau où il
dépose les informations recueillies. Cette opération est le propre de la
pensée» .
«Le second courant qui naît lui aussi au cerveau proprement dit,
descend jusqu'au « niveau des poils et à la limite (au plus profond) de la
personne» par l'intermédiaire du bulbe rachidien, de la moelle épinière
et des nerfs - doublant ainsi le courant de vie intérieure - et revient
par le chemin inverse apporter au cerveau les données collectées qui sont
alors visualisées. C'est le processus de la réflexion».
« La pensée et la réflexion sont aidées dans leurs actions par le cer-
velet, tv dé, « l'enfant de la nuque» qui a une grande influence sur les yeux,
la langue et les membres 14:11 ».

(41) On notera la comparaison entre cerveau et intestin qui est très courante chez les
Bambara et qu'un même mot, k(JnfJ, désigne à la fois la mémoire, la vie intime et le ventre.
(42) Dans les sociétés d'initiation malinké et bambara, un rôle de premier plan est
accordé au front. C'est ainsi que le front du masque du NDomo est très saillant et que ceux
du Komo et du Koré, plus bombés encore, sont presque toujours surmontés d'une houppe qui
est signe d'intelligence (cf. D. ZAHAN, op. cit., pl. XIV, les masques de l'hyène du Korè).
(43) On croit savoir qu'un choc violent à l'occiput traumatise le cervelet et peut
provoquer par la suite, surtout chez Jes jeunes sujets, des troubles graves: paralysie, cécité,
défaut d'élocution, surdité, asthénie intellectuelle.
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«La pensée (penser) et la réflexion (réfléchir), disent les Malinké


et les Bambara, sont deux phénomènes non concomitants (nous dirons
qu'elles sont comme les périodes d'un courant alternatif): il faut que
(44).
l'une soit arrêtée pour que l'autre marche»
Mais c'est de la capacité du cerveau à garder longtemps les messages
reçus, et surtout de l'intensité et du dynamisme de ses pulsations qui
permettent à la pensée et à la réflexion de percevoir la nature intime des
choses et d'appréhender les liens qui les unissent que découle le degré
d'intelligence d'un individu: «C'est la «santé», le dynamisme de la
moelle de la tête (du cerveau) qui fait que la pensée et la réflexion
connaissent la semence (l'essence, la nature) et le dessous de toute
(46)
chose» (45). Cette «santé» est favorisée par «l'huile du corps»
dont la rareté, due à la maladie ou à la vieillesse, diminue la faculté
d'action du cerveau en même temps qu'elle provoque d'ailleurs l'affaiblisse-
ment des os, le dessèchement de la peau et le blanchiment des cheveux. »
Ces quelques lignes sur la conception bambara et malinké de la
« pensée et de la réflexion» appellent trois observations:
- «Pensée et réflexion» ~ont deux phénomènes de courants opposés
qui naissent de la perception sans laquelle il n'y a pas intelligence des
faits, ni vie par conséquent; leurs activités aboutissent à la formation
« de la chose connue de la personne» mpkg dg ko.
- Il n'y a pas dans ce système d'opposition tranchée entre corps,
âme et esprit (comme nous Je verrons plus loin, la plupart des principes
spirituels, tout comme la pensée et la réflexion, ont pour support ou
lieu de manifestation, des parties bien précises du corps);
- L'importance accordée aux cellules du corps par les. Bambara
et les Malinké dans le processus de la pensée est très grande: à entendre
les vieux prêtres deviser sur l'esprit, l'intelligence, on a souvent l'impres-
sion que la pensée et la réflexion se trouvent partout dans la personne
où la vie existe.

3.4. kuma ni mara: «parole et autorité» (F - M).


Abstraction faite de son origine divine, les Malinké et les Bambara
lient la naissance de la parole au développement et surtout à l'activité

(44) mUri ni taasi ti se kuu ka baara k~ nYÇJk~f, : ni kelê ma de, kelê ti se ka taama;
Hu. «La pensée et la réflexion ne peuvent pas faire leur travail ensemble: si l'un ne s'arrête
pas, l'autre ne peut pas marcher».
(45) kü srmr k,n€ya de baa to mUri ni taasi bi f€ br siya de ani' f€ b€ dyukQrQla.
(46) Véhiculée par le sang, cette «huile», fa ri kolola tulu «huile dans l'ossature du
corps» ne doit pas être confondue avec la graisse, kë, dont l'abondance provoquerait au
contraire une apathie physique et intellectuelle.
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débordante du cerveau - c'est-à-dire de la pensée et de la réflexion -


qui, à un certain stade, ne peut plus être rendue par les «manières», les
gestes, tyogo ou tyoko (47).
« La parole apparaît à «l'intérieur de la personne », sous forme de
« boule» (de tension) kuru qui, une fois dans la «maison de vie» (la
cage thoracique) et notamment dans les poumons, grossit et acquiert force.
Elle est alors expulsée par la trachée artère grâce à l'expiration. L'air qui
la véhicule et qui s'échappe par la bouche et les narines, subit de la
part des cordes vocales, de la Jangue, du palais et des lèvres, une série
de traitements: vibrations, tournoiements. modulations.
Les multiples gestes qui président à son achèvement font que l'on dit
que la parole est elle aussi un geste (d'ailleurs n'est-elle pas la traduction
d'un geste. Car la pensée et la réflexion en tant que mouvements, ne sont-
elles pas elles-mêmes des gestes ?) (4R). Mieux qu'un geste, la parole est un
« acte», wale, appelé à agir, à produire de l'effet, ou à se transformer
en «actes concrets», k~ wale, si elle ne veut pas demeurer une «parole
vide et sans grain » (4H). Toute parole néanmoins, disent les Malinké, est
chargée de nyama (;.(», de «force vitale», véhiculée de l' « intérieur».
De l'influence de la parole sur la personne dont elle émane et sur
l'entourage de cette personne, naît une série de comportements et de rela-
tions. C'est ainsi que, véhicule de sentiments humains, la parole est à la
fois le meilleur instrument social et un outil irremplaçable de domination:
« sans la parole, il n'y a pas de pouvoir, se, ni d'autorité, mara».
La relation entre la pensée, la «parole», l'autorité et le pouvoir est
indéniable aux yeux des Bambara: «Que serait devenue la personne si
elle parvenait à rendre ses pensées par la parole et transformer ses dires
(inI.
en actes concrets? Un dieu, peut-être! »

5.6. sako ni dükÇJ: «volonté et désir» (M - F).


La volonté et le désir relèvent de la pensée et de la réflexion, c'est-à-
dire en fait de « la vie extérieure et de la vie intérieure» (cf. supra, p. 18).
Alors que la première naît d'un «besoin intellectuel» extérieur, mako,

(47) Cf. infra, p. 154.


(48) «La pensée est geste, la réflexion est geste, la parole aussi est geste» disent les
K(Jr€duga ,. mUri ye dyogo ye, taasi ye dyogo ye, kuma fana ye dyogo ye.
(49) Les propos incohérents, inconsistants et sans portée, sont appelés «paroles vides,
sans grain, sans axe ou sans tête», kuma lakolo, kuma kis~ nta, kuma kala nta ou kuma ha
nta. On prête donc à la parole «contenu, noyau, axe et raison».
(50) Cf. kQng nyama, infra, p. 160.
(51) Les leçons relatives à la parole sont aussi nombreuses que variées. Celle que nous
résumons ici souligne l'écart irréductible existant entre la pensée, la parole, et l'acte
accompli qui est la matérialisation finale de la pensée.
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la seconde trouve sa source dans les pulsions organiques, nege, et notam-


ment sexuelles. D'où ces étymologies que l'on prête aux termes siiko
«chose du ciel», «chose de l'en-haut» ou «chose pour laquelle on est
prêt à mourir» et dük(> « chose des profondeurs» (;-)2).

7.8. ni ni di: «âme et vie physique» (M - F).

Le ni, dit quelquefois nyi, est le principe de vie immatérielle, la source


de vie impalpable, par opposition au di « la vie physique, ce qu'il y a de
palpable, d'agréable au toucher» chez la personne. Le premier tient au
feu et à l'air, et le second à l'eau et à la terre. En simplifiant les choses,
on peut dire que ces deux notions indiquent respectivement le corps et
l'énergie qui anime ce corps. «Le ni est partout dans le corps, et notam-
ment dans le bulbe rachidien, le cerveau, le cœur, et le sang qui le véhicule
au niveau de la moindre cenule».
Deux organes, de par leurs noms et leurs fonctions, sont considérés
comme étant des sièges importants du ni. Il s'agit de la rate, ni naana,
« l'âme est venue », et des poumons qui assurent la respiration, nI na kili,
« l'appel de l'âme ou l'appel dans l'âme».
Les concepts et expressions se rapportant au ni et au di et qui tra-
duisent tous les états d'âme possibles de la personne sont légion dans
les langues bambara et malinké. Parmi eux, le nyii et le dya (prononcé
dyii dans certaines expressions) (r)X I occupent une position exceptionnelle.

9.10. nyii ni dya: «flux vital et flux corporel» (M - F).

Le nyii (de ni, principe de vie immatérielle, et de yii, au-delà, en


deçà) est la radiation qui, à partir de l'âme, cette source de vie, crée
dans le for intérieur et autour de la personne, un «flux intermittent»,
nyii-nyà, extrêmement rapide, une sorte de champ vital délimité par les
« cordes intérieures et extérieures de vie », ni dyuru (cf. supra, p. 146).
«Plus intense dans la tête (le cerveau), il se propage à travers et
dans le corps en suivant la moelle épinière et les nerfs. Son témoin est
le regard, nya ou nYf/, dans lequel se lit son intensité ».
«Ses manifestations deviennent très vives avec la joie, nyakari ou
nyii-nyaari et les frissons, yrrr-yerr, «vibrations, tremblements».

(52) sako, de sii, ciel, en-haut, ka, chose abstraite; ou de sa, mourir, et ko, chose
abstraite; düko, de dü, profondeur, vie intérieure, ka, chose abstraite.
(53) dyâto, veiller à, faire attention; dyÜkalima, «qui a un 'double' chaud », syno-
nyme d'effronté, de bâtard.
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«Le nyii, que l'on pourrait dans une certaine mesure assimiler à
l'énergie vitale, disparaît à la mort pour faire place, lorsque le corps se
refroidit, au nyama (54) » (cf. infra, p. 160).
En ce qui concerne le dya (de di, principe de vie matérielle et yii,
au-delà, en deçà), communément appelé «double de la personne», il est
selon sa nature, la projection extérieure du corps et la représentation inté-
rieure et extérieure de l'être intime. Il existe en effet quatre sortes de
dya.
Le premier dit dya «bête, inintelligent», dya nalomii, est Pombre
que projette le corps lorsqu'il intercepte la lumière; il est toujours noir,
sombre, et quelle que soit sa taille - plus grande, plus petite, ou égale au
corps dont il relève - il est inversé par rapport au corps dont il imite
« bêtement» les gestes.
Le deuxième dya ou «dya vrai, réel», dya y~r~-yçrç (55), représente
l'image réelle d'un corps qui se mire dans l'eau ou dans une glace par
exemple. Comme le précédent, il est inversé par rapport au corps dont il
reproduit également les gestes.
Le troisième est appelé «le petit dya intelligent», dya ni kekü.
Minuscule reproduction de la personne, il se tapirait quelque part dans
le corps: dans le cerveau selon certains, dans le pancréas, fyé-fyé (;>6),
selon d'autres. Quoiqu'il en soit, c'est le dya intelligent qui dicte ses gestes
à la personne qui les reproduit fidèlement et non pas à la manière dont
s'y prennent les dya précédents à l'égard du corps: «Toutes les affaires
(57)
(tous les actes) de la personne relèvent du dya intelligent » qui apparaît
de ce fait comme étant le véritable être intérieur, et qui, dit-on, «a des
rapports intimes avec la pensée et la réflexion» (58) qui ne peuvent nor-
malement exercer leurs actions que lorsqu'il est «assis», stable (59).

(54) Les Bambara rendent la nuance entre le ni, le nyll et le nyama par cette image:
le ni est comparable à la boule de feu d'un foyer dont les flammes et la chaleur radiante
représenteraient le nyll. Les bouffées de chaleur emportées par le vent - donc coupées de
leur source - et la chaleur qui subsiste après que le foyer se soit éteint sont semblables
au nyama.
(55) On assimile à cette catégorie de dya les photographies et les projections cinéma-
tographiques qui portent du reste le nom de dya.
(56) Pour les Bambara, il existe une relation étroite entre le cerveau et le pancréas.
Une personne qui a le «pancréas trouble» (une personne essouflée) n'a pas, dit-on, son
dya « tranquille », d'où son incapacité de penser et d'agir.
(57) m()kp ka ko b, yU dya ye.
(58) m(>kfJdya ni mUri ni taasi bi nYÇ!ke na, liu. «Le dya de la personne et la pensée
et la réflexion sont les uns dans les autres».
(59) De multiples expressions rendent compte de l'état du dya : dya sig;, «dya assis»;
dyapâ, «envol du dya»; dyabÇ!, «sortie du dya », dyatikc, «coupure du dya », dyana,
retour du dya », dyasirâ, «peur du dya », etc., sont autant de manifestations du dya qui
correspondent à des états psychologiques bien précis de la personne.
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Le dya «intelligent» dont l'absence prolongée entraîne l'agonie, puis


la mort de la personne, peut momentanément quitter le corps. C'est par
exemple le cas au cours du sommeil où, prenant l'allure d'un souffle de
vent très rapide, il parcourt des distances extraordinaires; c'est aussi le
cas lors des rêves: il est alors identique à tout point de vue à la personne
elle-même.
Il est à noter que c'est le dya ni kekü qui est «mangé» par les
sorciers, qui doivent pour cela quitter leur corps; autant dire qu'ils agissent
eux aussi par leur dya intelligent.
Le quatrième et dernier dya, du nom de «dya du défunt », su dya,
est la métamorphose du dya intelligent qui, dès la mort~ rejoint la mare
sacrée du village. Fréquentant seulement la maison familiale du disparu
et uniquement le soir, il acquiert à partir du septième jour suivant le
décès, sa forme définitive visible qui est très grande et toute blanche.
Ombre des revenants ou «esprit des ancêtres» sur la terre, le sudya
serait doué de forces surhumaines.
(()C)),
Chacun des dya ci-dessus (à l'exception du quatrième) sont por-
teurs d'une partie du flux de la personne; les posséder par la magie ou
la sorcellerie, c'est atteindre par voie de conséquence la personne elle-
même.

Il.12. ba ni fa: «substrat et plénitude» (F - M).


Toute personne évolue à partir d'un substrat, ba (61), biologique, cul-
turel et spirituel et dans un contexte social donné et tend vers sa réalisa-
tion, son épanouissement, bref vers sa propre plénitude~ fa (61). C'est ce
que signifie cette leçon: «La personne a trois ba: un ba qui l'enfante;
un ba qui l'élève, l'éduque, et un ba qui «l'entretient»; mais toute l'atti-
tude (tout le comportement moral, social et intellectuel) de la personne
dépend de deux choses: le lieu où elle (cette personne) a été élevée et
la façon dont elle a été élevée» (H2).
Pour peu qu'une tare ou un déséquilibre notable affectent l'un ou
l'autre de ces points d'appui qui constituent somme toute la vie de l'in-

(60) Celui-ci, restant en liaison directe et suivie avec le ni, monté au ciel après la mort
(cf. infra, p. 54) ne peut être atteint par aucun moyen magique.
(61 ) Voir plus haut les premières acceptions de ces concepts.
(62) ba saba bi mf!kf! la: i woloba, i lamQba ani i ladoba,. nga m(Jk(J ka konyç bf
bi ko fia bolo: i lam(J Y(Jre ani i lamQ tyoko. On a recours ici à un jeu de mots, entre ba,
mère, ba substrat et ba suffixe d'agent; waloba, « la mère qui enfante» et aussi les géniteurs;
1ameba, «la mère qui élève» et aussi les éducateurs; ladoba, «la mère qui entretient»
et aussi toute personne qui apporte une assistance matérielle, morale ou spirituelle à un
individu donné.
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dividu, celui-ci devient «incomplet» ou «instable», basigibali, ou même


fou, fat{J.
La constatation que ron fait de cette leçon est que «nulle personne
n'est en réalité complète », maa si dafaié tç ty? na.

13 à 18. m(JkÇJdYQ }1J(J(Jr(J:«les six essences de la personne».

13.14, ki{ ni dyu: «raison et fondement» (M - F).

15.16, k(l ni ny~: «arrière et avant», ou «envers et endroit».


(M - F).

17.18, ty€ bolo ni musa bolo (6a) : «droite et gauche» (M - F).


Nous avons vu plus haut la signification et la représentation relatives
à ces notions (cf. supra, p. 9). On notera ici cependant la leçon qui accom-
pagne ces dernières et qui sert généralement d'introduction à la cosmo-
gonie bambara et malinké:
« Une chose ne se fait pas en dehors d'une chose (première).
« Une chose ne se fait pas sans raison,
« Si une chose ne se fait pas, une (autre) chose ne se fait pas (64) ».
Leçon que l'on pourra traduire par « il n'y a pas de cause sans effet,
et il n'y a pas de raison sans une raison première».

19.20. kolo ni kis~: «noyau et grain» (F - M).


Ces deux notions sont très importantes à cause de leur symbolisme.
Elles représentent:
- d'une part, l'ovule et le spermatozoïde qui sont à l'origine de la
formation de la personne (nous retrouvons ici encore un concept
lié au cercle dont la circonférence et le centre connotent l'ovule
et le spermatozoïde, d'où l'expression m(Jk(> b(J kolo, «le noyau
d'où est sorti la personne» servant à désigner les ascendants);
- et d'autre part l'ossature du corps et la moelle contenue dans les
os: «la force, tiika, et l'ardeur~ kis~ya, de la personne, se trou-

(63) Liu.: bras masculin et bras féminin.


(64) ka ti kfi ka ke
k~ ti kf ni kü taa la
ni ko ma kfi ko ti k,.
Dieu et la personne étant cette chose et cette raison premières, au regard de la création
et de la procréation.
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vent dans les os et la moelle, et son «grain» (son centre vital)


(1;.} (notons ici que l'os porte aussi le
dans le bulbe rachidien»
nom de kolo).
Et une tirade ajoute: «la personne est un «grain», un grain incon-
(()6),
naissable » ce qui signifie que la nature de la vie échappera toujours
à l'homme.

21.22. dyigi ni kala: «support et axe» (F - M).


Pour les Bambara et les Malinké, la colonne vertébrale à laquelle
se fixent et autour de laquelle gravitent les autres composantes du corps,
est le «support et l'axe») à la fois biologiques et ontologiques de la
'personne: «Lorsque la colonne vertébrale est affectée, c'est tout l'être
qui est touché au plus profond de lui-n1ême, et à toute déviation de la
colonne vertébrale correspond une déviation psychologique et sexuelle» (H7}.
D'autre part, les difficultés d'ordre sexuel et les chocs psychologiques
se traduisent souvent par des douleurs à la colonne vertébrale. D'où
l'expression dyigi-tik~ «coupure du support» et aussi de «l'axe» pour
traduire les déceptions de toute nature.
On comprend mieux la portée de ces deux notions lorsqu'on sait que
maa kala ntii «personne sans axe», qualifie l'état d'un vagabond, d'un
être vil et que dyigi désigne par ailleurs l'espoir, l'espérance. Deux leçons
connotent cette acception:
- «N'est pas saine! N'est pas saine! N'est pas saine!
« la personne en qui il n'y a pas d'espoir
« celle-ci (cette personne) n'est pas saine (6~ I .
- «Dieu n'a rien créé
«Qu'il aima autant que l'espérance
« Dieu n'a rien créé
« Qu'il honora autant que l'espérance
« Dieu n'a rien créé
« Qu'il fortifia autant que l'espérance
« Dieu n'a rien créé

(65) m~kÇJ fâka naa ka kis~ya bi kolo ni sCm~ na, a kisg bi tëku1e la.
(66) mf!kf! ye kis~ ye, kisg debali.
(67) C'est notamment le cas de ceux qui souffrent de gibbosité, dat(Jw, de ceux qui
ont le dos voûté, k~ kuruniw, et des paralysés des jambes qui ont tous la colonne vertébrale
plus ou moins déformée.
(68) mii kgng! mâ krnf mil k,ng~!
dyigi t~ mQkQ mi na
o mâ k€n€f!
(Chant diffusé très souvent sur les antennes de Radio-Mali.)
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J54
((i9)
« Qu'il éleva autant que l'espérance
etc.

23.24. galabu ni tarabasu: «dynamisme et vivacité» (F - M).

Le galabu (de kala, chaud et de bp « sortir », se manifester) ou « mani-


festation de la chaleur» désigne l'énergie tant physique qu'intellectuelle
qui anime la personne; il a pour synonyme kgngya, «santé, dynamisme»;
c'est la raison pour laquelle on le rencontre presque toujours dans l'expres-
sion karisa galabu ka k~ng «l'énergie d'un tel est dynamique».
Le tarabasu (de tara, chaleur ardente, bal grande, so, maison) ou
« maison de la grande chaleur », est la vivacité, la promptitude avec laquelle
l'homme pense et agit surtout.
Ces deux principes siègent respectivement dans le foie et la vésicule
biliaire dont l'affection - par exemple en cas d'accès de paludisme que
les Soudanais connaissent bien - provoque une faiblesse générale du
corps, une très grande fatigue du cerveau et un ralentissement de l'activité
sexuelle. Pour ces considérations, les profanes les situent volontiers dans
les muscles et les os.

25.26. k(Jr(J ni dyogo (70): «dessous et habitudes» (intrinsèques)


(M - F).

Ces deux notions groupent l'ensemble des facultés inhérentes à la


personne, facultés qui sont révélées par la «manière» , tyogo ou dyogo,
dont l'individu se comporte, ce comportement étant du reste déterminé par
les gestes et les actes relevant de la nature même de la personne.
Les expressions mQkQ kQr{Jb(} «dégager le dessous d'une personne»
(mettre quelqu'un à l'épreuve, éprouver ses dons et ses capacités), mQkp
kprpfQ, «dire le dessous de la personne », la sermonner, critiquer, et mQkÇ}

(69) {aama ma fi da
ka f~ mi kanu ka t~m~ dyigi ka
faama ma f~ da
ka f~ mi bonya ka t~m~ dyigi ka
faama ma f~ dâ
ka f~ mi barkaya ka t~m~ dyigi ka
faama ma f~ dâ
ka f~ mi kQrQta ka t~m~ dyigi ka.
Cette litanie qui nous a été communiquée par Wa Kamissoko fait partie de l'enseignement
du Kama relatif à la descente, dyigl, des signes de la création (cf. G. DIETERLEN et Y. CISSÉ,
« Les Fondements de la société d'initiation du Komo », op. cft.).
(70) dyogo ou dyoko (de dyo, ce qui est caché, intime, et de ko, choses abstraites)
peut fidèlement être traduit par «essence intime de la personne», car c'est le même mot
nasalisé que l'on retrouve dans meke dyV weere (cf. supra,p. 138).
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dyogo lakali, « raconter, révéler les qualités et les défauts de la personne »,


confirment le sens que l'on prête à kÇJr{Jet dyogo.

27.28. kaana et 1Janiya: «inflexibilité et foi» (M - F).


Le kaana ou tout simplement kaa (de ka, force, et de na, venir) «qui
fait venir ou produit la force», est la «force», le tonus qui assure au
corps son maintien dans telle ou telle position. Il est au niveau de tous
les muscles et plus particulièrement au niveau des muscles dorsaux, son
principal siège étant le cou, kil, et plus précisément «les gros nerfs de la
nuque », tp fasa kaba. «Lorsque le kali tombe - ce qui correspond au
renversement de la tête au terme de l'agonie - il provoque automatique-
ment la mort ».
Mais le kaana n'est pas seulement le tonus musculaire; il est aussi
et surtout cette force qui caractérise chez l'homme son inflexibilité intel-
lectuelle, sa détermination, son intransigeance et sa combativité.
Le 1Janiya qui lui est associé est la foi, cette croyance intérieure
ferme en ce que l'on fait et en ce que l'on pense. «Quelle différence y
a-t-il entre «confiance» (la croyance en quelqu'un) danaya, foi, 1Janiya
et «foi en la création (en Dieu) dâ1Janiya?» (i1). Telle est la question
que, à propos du terme 1}aniya, les maîtres du Komo soumettent à la
réflexion de leurs disciples.

29.30. taka ni siri 1;21 : «force et attache» (M - F).

Selon les avis les plus autorisés, le mot taka serait formé de fa (73)
«contenant, contenu, plein, plénitude..., et de ka, force, et signifierait
« force contenue» dans un être, un objet. C'est cette force là qui assure
aux différents composants de la personne leur cohésion: elle constitue leur
« attache», siri, commune.
« La force est partout dans l'homme; dans les os et les nerfs notam-
ment, dans les muscles, la poitrine, la langue, le cœur, le cerveau, le sexe,
l'âme... et même dans la parole; sa diminution entraîne l'affaiblissement
et le vieil1issement et son absence la mort de la personne».
Les trente principes ci-dessus sont en eux-mêmes suffisants pour
caractériser la personne. Néanmoins, on leur adjoint trente autres principes
qui ne sont pas à négliger dans la mesure où ils complètent le sens des
premiers.

(71) mi{ bi danaya ni vaniya ni davaniya bQ nyuwa na.


(72) Voir supra, p. 136, la première acception de siri.
(73) Il est à noter que le mot fa signifie «plénitude» et connaissance en malinké et
bambara anciens.
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31.32. sokçnQla ni k€n~mala: «intérieur et extérieur» ou «dedans


et dehors) (F - M).

SokQnQla (de so, maison (74), k()nQ Iï;), intérieur, et la, dans, «dans
l'intérieur de la maison», et k€n~mala (de k{!nc, espace dynamique, ou
k~n~ma, dehors et la, dans) «dans l'espace extérieur» désignent respecti-
vement la vie intérieure, intime, et la vie extérieure, le dedans et le dehors
de la personne»: «ils sont liés à la pensée et à la réflexion, et ont,
comme celles-ci, leur siège dans le cerveau» .
Leçon: «Ce qui importe pour une personne, c'est de n'être en
contradiction ni avec son dedans~ ni avec son dehors; c'est d'être d'accord
intérieurement avec elle-même, et extérieurement avec ses semblables ».
Trois expressions courantes, kpnQla jili, «égarement intérieur, em-
barras », kQnQla nyakami, «brassage intérieur, confusion intérieure ou
mentale», et kQnQla su koole « nuit intérieure accomplie, étourderie» ren-
dent mieux le sens de la notion de kQn(Jla et partant celui de ktgntgmala qui
Jui est opposé.

33.34. ty~ya ni musoya: «masculinité et féminité» (M - F).


«La masculinité est un mystère tout comme la féminité; c'est le
mystère de la création (ï6) et de la procréation», dit une tirade du Kama.
Elément unique de différenciation physique et constitutive chez les sujets
d'une même espèce, la sexualité, et en tout cas sa nature, se retrouve,
disent les Bambara, à tous les niveaux de la personne. Tel ou tel organe,
selon sa nature, ses fonctions ou son emplacement dans le corps, est
masculin ou féminin; il en est de même des 60 « principes spirituels» qui,
accouplés deux à deux, sont des jumeaux de sexes opposés.

35.36. s{5 ni dusu: « caractère et passion» (F - M).


SQ désigne le cœur; il signifie aussi «soumission, consentement» et
est considéré comme étant le siège du caractère féminin, c'est-à-dire de la
passion amoureuse, cette impulsion caractéristique qui est plus forte chez
la femme que chez l'homme et qui fait que, dans l'amour comme dans la
haine, la première se montre toujours supérieure au second. Dusu désigne
quant à lui le « courage», cette foJie de l'homme, la passion, sans laquelle
(74) Pour les Bambara et les Malinké, il n'y a pas plus bel édifice que cet édifice humain.
«Aucune maison n'égale l'intérieur de la maison de la personne, la maison dans laquelle
tout peut tenir », so si t€ mQkQ sokQnela bQ, f~ bf bi kü so ml kpne.
(75) M. Delafosse, dans son dictionnaire des langues mandingues, donne, p. 395, cette
définition de kenQ: «Ventre, intérieur, for intérieur, pensée intime, fond du caractère ».
(76) ty~ya ye gado ye, musoya ye güdo ye, dali gado do.
(77) Une passion excessive est dite «folie du petit homme », tYfnifa.
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il n'y a pas de courage véritable. Il siège immédiatement au-dessous du


sternum, dans le plexus solaire, «le lieu où se rencontrent le foie et le
cœur» selon l'expression ma1inké.

37.38. tpkp ni dyamu: «prénom et nom» (F - M).

Le prénom et le nom sont deux éléments très importants de la per-


sonne auxquels s'attachent de nombreux rites et croyances qu'il serait long
d'évoquer ici. Le premier est la contraction de t(} n'kQ « (ce que) je laisse
après moi» en mourant, c'est-à-dire la renommée; et le second signifie
« caresser, flatter le dya» (il s'agit ici du dya intelligent: cf. supra, p. 24).
Le prénom est lié à la « personnalité», maaya et .le nom au « double intelli-
gent» de la personne.
Leçon: « La mort épuise la chair, le corps~ les os; elle épuise même
l'âme; la seule chose qu'elle ne peut pas détruire est le prénom (la re-
nommée) » (7HI. «Sans renommée, la vie d'un homme ne serait que
« sortir pour rien et mourir pour rien» (naître pour rien et mourir pour
rien) » (79).
Le nom patronymique tient surtout son importance du fait que lui est
étroitement liée une devise (HO), madyamuli, dont les éléments constituent
un raccourci saisissant de l'histoire du clan (Hl) :
- «Koné, de Sankaran! Une armée qui ne comporte pas en son
(H21,
sein un Koné est une armée vide » une armée sans grandeur (les Koné,
alliés seniikü des empereurs du Mali - la mère des Soundiata Kéita, fon-
dateur de cet empire, était une Koné - se sont il1ustrés sur tous les champs
de bataille du Soudan depuis le 12e siècle jusqu'à la conquête française);
- «Cissé, de la race des (rois) magnanimes du Wagadou (fondé par
les descendants) de Nyamè (la grande reine) ! Dieu, dans sa grandeur, vous
fit don de la pluie d'argent, de la pluie d'or et de la pluie de diamant avant
(Ha)
de vous gratifier de la pluie de la foi » (Les Cissé, après avoir longtemps
régné sur l'empire de Wagadou ou Ghana, leur fondation, grâce à un
contrôle strict de l'exploitation et de la commercialisation de l'or, devinrent
par la suite de fervents propagandistes de l'Islam qu'ils répandirent dans

(78) saya bf buu ba, ka sok(! ba, ka kolo ba; a bi ni fana ba; a ti se f~ mi k~r~, 0 ye
tflk(! ye.
(79) ni tQkQ sQrQ t~, mQkQ ka dyçlatik~ bi k~ bQ fu sa fu.
(80) Voir notamment S. de GANAY, «Les Devises des Dogons », Travaux et Mémoires
de l'Institut d'Ethnologie, 1. XXLI, 1942, et G. DIETERLEN, op. cit., p. 76 et suivantes.
(81) Les familles bambara et malinké sont patrilinéaires et patrilocales, et les individus
portent le nom de leur père; ceci est vrai pour les femmes qui, même mariées, ne se départissent
en aucun cas de leur nom patronymique.
(82) kQn~ sâkarâ ka ! KQnç k~ t~ k~l~ mi na, k~l~ bolo lâkolô.
(83) sise kaaresi, wagadu nyaam~ ! ala yaa to a ka masaya la ka wad sâdyi dyigi aw ye.
ka sanu sâdyi dyigi aw ye, ka lulu sâdyi dyigi aw ye, ka segi ka dananiya sâdyi dyigi aw ye.
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l'Ouest africain. Ils sont en Guinée, au Sénégal et dans le sud du Mali,


honorés du titre de « Marabouts du Manding, miidëmori).
Que de folies ne commet pas le Malien pour «avoir un nom », se
faire une renommée, ou lorsqu'il entend Je griot clamer sa devise! «Un tel
a eu un nom», karisa ye toko sora, «le nom d'un tel est sorti», karisa
taka boora, telles sont les expressions traduisant toute réussite, tout exploit.
Enfin, s'attachent également au nom un ou plusieurs «interdits» ou
totems, fana ou tn~, généralement liés à l'origine mythique ou légendaire
du clan (cet élément du nom est suffisamment connu pour que l'on s'y
attarde).

39.40. nakii ni dakii: «avenir et destin» (F - M).


Nous avons déjà vu comment le « destin et l'avenir» étaient préfigurés
à l'origine même de la vie et comment, dès les premiers instants de la
fécondation, ils s'inscrivaient dans l'embryon de la personne (cf. supra,
p. 7).
A ce destin et à cet avenir ontologiques et «biologiques» dont
l'origine reste aussi mystérieuse que celle de la vie elle-même, s'ajoutent
un destin et un avenir « vécus» au fur et à mesure que s'écoule l'existence
de la personne: «ce que nous avons nous-mêmes acquis et ce qui nous
(R4).
a acquis (ce qui nous est arrivé) constituent notre destin et notre avenir »
Cette boutade des K or~duga, les « bouffons sacrés» des sociétés d'initiations
bambara et malinké, vient en porte-à-faux sur les croyances établies selon
lesquelles le destin et l'avenir aussi bien des hommes que des choses et
des nations ont été une fois pour toutes fixées par Dieu dès l'origine de
(85).
la création

41.42. tere ni nyama (R61: «caractère et force vitale» (F. - M).

Le terme tere «< ce qui adhère fortement, qui est en contact perma-
nent ») désigne à la fois l'ensemble des caractères inhérents à la personne,

(84) aâ y~r~ ye mi sQrQ ani mi yaâ y~rç sQrQ, 0 de yaâ dakâ naâ nakâ ye.
(85) Le refrain d'un chant de chasseurs insiste sur le caractère immuable du destin et
de l'avenir: nakii! boU t€ nakana! «Destin! Les «fétiches» ne peuvent rien contre le
destin ». En somme, même les fétiches, c'est-à-dire les autels qui sont la matérialisation des
266 signes sacrés de la création et l'incarnation vivante des 266 attributs de Dieu (cf.
G. DIETERLEN et Y. CISSÉ, Les fondements de la société d'initiation du Koma) ne sauraient
infléchir le cours du destin!
(86) G. DIETERLEN(cf. Essai sur la religion bambara, op. cit., p. 61 et suivantes) rapporte
l'origine mythique du tere: «le tere fut infligé par Pemba à Mousso Koroni, tandis qu'il la
poursuivait pour diminuer son pouvoir». En effet, pour les Bambara et les Malinké, muso
koroni kildYf, « la petite vieille femme à la tête blanche », la mégère chenue, fut la première
personnaJité mythique à porter le mauvais tere à cause de ses multiples excentricités.
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chacun de ces caractères pris isolément et le principe qui détermine ces


caractères.
Matérialisé par 266 particularités physiques classées réparties dans les
différentes parties du corps, il se manifeste tant dans les traits morpho-
logiques que dans les gestes, les attitudes psychologiques, le timbre de la
voix, l'éclat des yeux, la couleur et l'abondance des cheveux, la disposition
des dents, etc. Mais c'est la tête qui comporte le plus grand nombre de
signes permettant de déterminer le caractère dominant d'un individu donné;
d'où l'expression kü tere, «tere de la tête», souvent employée pour dési-
gner l'ensemble des caractères d'une personne. Un front large annonce un
homme intelligent et réfléchi; un front bombé une intelligence vive; un front
haut un homme d'action; ]es mâchoires ramassées un discuteur et un esprit
querelleur; le strabisme est signe de ténacité et très souvent d'intrigue.
Le port de la tête est aussi significatif que les traits du visage: une tête
haute portée par un cou raide signale un homme intransigeant; un homme
qui tique de la tête est généralement très intelligent mais enclin à l'auto-
ritarisme; il sera impitoyable envers ses rivaux s'il devient chef.
C'est surtout chez la femme que le tere fait l'objet d'études poussées.
En effet, toute démarche en vue d'une demande en mariage s'accompagne
chez les Malinké et les Bambara d'un examen du tere de la jeune fille.
« La femme (idéale) est (caractérisée par) quatre fois trois choses:
- trois rondeurs (la tête suffisamment grosse, les seins bien galbés et
les fesses bien arrondies),
- trois attaches (le cou bien dégagé, la taille bien dessinée et les atta-
ches fines),
- trois noirceurs (les cheveux noirs et abondants, les yeux grands et
.
noirs et les gencives et les lèvres noires),
- et trois blancheurs (87) (le blanc de l'œil pur, les dents blanches et
une vie intérieure sans tache)>>.
Notons que la microcéphalie, l'effacement des seins et des fesses,
l'aspect terne de la couleur des yeux et des dents et surtout l'absence de
douceur dans les sentiments sont considérés comme des signes patents de
mauvais tere chez la femme, de même que le rétrécissement du bassin qui
dénote, sinon une stérilité caractérisée, du moins un obstacle, au terme de
la gestation, à la descente de l'enfant.
Véhiculé par le sang, le tere - ou plutôt son principe - qui est bon

(87) muso ye f~ saba sigiYQfQma naani ye:


kuru saba
siri saba
fi saba
ani dy~ saba.
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(tere nyumêi) ou mauvais (tere dyugu) n'agit que par le contact physique
et la cohabitation.
« Le sang d'une victime sacrificielle doué d'un mauvais tere fait perdre
aux autels leur nyama et leur force: il les «gâte» dit-on.
«Vivre avec une personne porteuse de mauvais tere (une personne
qui a la guigne) expose à bien des malheurs».
Tout le long de la vie, le tere se développe et s'affirme en même temps
que se raffermissent les traits caractéristiques de l'homme (H81.
Selon l'opinion populaire, il se transformerait en nyama après la mort;
mais d'aucuns croient qu'il disparaitrait avec le corps (HU). Quoi qu'il en soit,
le mauvais tere s'accompagne toujours d'un nyama destructeur.
Le concept nyan1a (de ni, principe de vie, de yà, au delà ou en deçà
(du corps) a déjà fait couler beaucoup d'encre; cependant il demanderait
à être mieux analysé.
Au niveau de la personne, il représente plusieurs choses. Selon les
Bambara et les Malinké, toute source d'énergie émet des radiations qui
à leur tour produisent des effluves. Celles-ci portent, en ce qui concerne
le ni ou principe de vie, Je nom de nyama. Situé au dehors et au dedans
de l'être, et jamais en tout cas dans le corps qui reste le domaine privilégié
du nyii durant la vie, le nyama reste toujours doué d'un esprit agissant.
A l' extérieur, il répare durant la vie comme après la mort, les torts subis
par la personne dont l'âme, à la moindre offense, émet en direction de
l'offenseur un flux vital qui devient précisément le nyama. Au dedans de
l'être, il constitue la somme des faits qui se sont en un moment donné,
imposés à l'intelligence et à la conscience de la personne et y demeurent
jusqu'à la mort même s'ils s'estompaient pour une raison ou une autre
de la mémoire au cours de la vie: d'où son nom de nyama intérieur,
kQnQ nyama. Ce dépôt intérieur peut, à l'occasion d'une agitation fièvreuse,
d'une anesthésie générale, d'un rêve, de l'agonie, ou en cas de folie, faire
surface. Son siège est le cerveau. (On notera que le complexe de culpabilité
se dit « morsure du nyama », nyama-kl; d'autre part, si les grands chasseurs
sont obsédés par le nyama de leurs victimes au point de présenter des
troubles psychiques et même physiologiques qui rejaillissent parfois sur
leurs enfants, c'est bien parce que leur crime s'impose à leur conscience) (90).
La notion de nyama est donc complexe: «force vengeresse», esprit

(88) Les malformations congénitales et accidentelles sont considérées comme des « mani-
festations du tere », tere mayira.
(89) L'expression «casser (détruire) le tere de quelqu'un dans sa bouche» en le tuant,
karisa tere fi a da la laisse supposer que le tere cesse d'agir avec la mort.
(90) Dans un article sur la « société des chasseurs malinké » op. cit., j'ai fait une première
analyse du concept nyama qui reste valable dans ses grandes lignes.
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des morts et des vivants, le nyama évoque aussi par certains de ses aspects
la vie intime, la conscience, l'inconscient et le subconscient.

43.44. waazo (UII ni kaiizo (U2).

Le waiizo (de waka ou waa, ouvrir largement, écarteler, et de zo (93),


vie intérieure), également appelé kpn{J nyama «force vitale intérieure» est
cette force obscure et désordonnée qui agite les enfants et les adolescents
et leur procure cependant une vitalité exceptionnelle. Il réside à la fois
dans le cerveau et le sexe «et plus particulièrement dans le prépuce chez
l'homme, le clitoris chez la femme, et représente dans l'individu le désor-
dre: «il fait que l'homme ne peut vivre avec personne, ne peut supporter
personne et ne peut se supporter lui-même». De plus, il s'oppose à la fécon-
dité. Pour devenir un être stable, pour se marier, procréer, sacrifier,
l'enfant doit être débarrassé de son wanzo. Cet effet est obtenu au cours
de la circoncision ou de l'excision et des rites qui terminent la retraite
des opérés» (94).
C'est au sortir de l'adolescence, lorsque son « substrat se serait assis»,
stabilisé, basigi, que l'individu perdra définitivement son wallZo qui fait
alors place à une nouvelle force dite kallZo (de kaii force et zo vie inté-
rierue) «force de la vie intérieure».
Force de maturité physique et intellectuelle, l'acquisition du kaâzo
confère à l'homme qui est alors à même d'assumer toutes ses obligations,
son véritable statut social et juridique.

45.46. faiizo ni maâzo

Lorsque la personne atteint, à tous égards, son plein épanouissement,


ce qui, selon les Malinké, se produit à 7 X 7, 49 ans, son kaiizo disparaît
au profit de la « force de plénitude », faiizo (de fa, plénitude, ou tiika, force
contenue dans l'être, et de lO, vie intérieure) qui est aussi une force de
pondération: «le sens, l'attitude qu'implique l'âge est la pondération»,
kçr{J ka ye nyamadp ye, dit un proverbe bambara.
A cet âge, l'attitude et le maintien de l'homme, sans changer fonda-
mentalement, s'imprègnent alors d'une certaine réserve pour ne pas dire
d'une certaine dignité. Les tempes grisonnent en même temps que s'accusent
les traits du visage.

(91) A propos de waÜzo, on lira avec beaucoup d'intérêt 1es lignes que G. DIETERLEN.
op. cit., p. 64, consacre à l'origine de ce principe spirituel.
(92) waiizo et maâzo sont des «forces» spéciales androgynes dans lesquelles wac1,
kali fail et mail représente J'élément masculin et zo J'éJément féminin.
(93) zo ou so, «maison », désigne ici le «dedans de la personne », la vie intime (cf.
sokQngla, supra, p. 31).
(94) Cf. G. DIETERLEN, op. cil., p. 64.

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A 60 ans apparaît la «force de spiritualité», mailzo ou maaniizo


(de maana (95), luminescence, et de zv, vie intérieure) qui incite à la
réflexion. L'homme est alors admis dans la compagnie des «grandes per-
sonnes du village», dugu maa baw, celles-là qui dirigent la vie sociale~
politique et religieuse des communautés bambara et malinké.
Jusqu'au XIVe siècle - et de nos jours encore dans quelques grands
centres religieux comme Tiko, près de Kangaba - on célébrait partout
dans le Manding, le «soixantième anniversaire des hommes» par une
cérémonie spéciale appelée sigi (asseoir, introniser, consacrer). Les réci-
piendaires, proprement rasés, revêtaient une tunique spéciale bardée de
gris-gris dite «tunique du sigi », sigi dloki et coiffaient le bonnet à deux
pans, hamada, «gueule du caïman» fHH) , que portent encore les vieux
Malinké et Bambara.
Notons enfin que le terme ultime de l'enchaînement de ces forces
spéciales que sont le waâzo, le kailzo, le failzo et le mailzo est le stade
de nyiikarii, «vie ou âme ardente», titre conféré aux hommes de plus
de 76 années solaires révolues et qui accèdent pour ainsi dire de leur vivant
au rang d'ancêtres: ils ne sont soumis à aucune loi et peuvent même
rompre sans risque aucun, les interdits, tana, majeurs de leur clan.

*
**

Il est à remarquer que la naissance et la disparition successives des


quatre principes ci-dessus correspondent à des stades d'évolution biologique
bien précis et à un changement du statut social, juridique et religieux de
la personne. Est-ce à dire que ces « forces» ont une influence déterminante
sur les autres composantes de l'homme, ou bien qu'elles sont la résultante
de celles-ci? Cette question que nous n'avons pas posée à nos informa-
teurs mériterait une réponse.

47.48. kara ni n~ri: «intrépidité et guigne» (M - F).


Nous avons déjà vu que le terme kara désignait l'esprit créateur, la
force divine. Les individus qui sont dits « possédés ou poursuivis par cette
force », les karat{J, se caractérisent sinon par leur vivacité d'esprit, du moins
par leurs activités débordantes et périlleuses. Curieux et sceptiques de
nature, «ils veulent toujours tout entreprendre, tout vérifier». Comme le

(95) Cf. p. 164 et SSe


(96) Le caïman tient une place importante dans la mythologie bambara. Il aurait amarré
de sa gueule l'arche de la création à bord de laquelle Faaro, la déesse de l'eau veillait sur les
signes divins. Son symbole est ici précis: il emprisonne dans la tête des sages, leur science.
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veut le proverbe «N'a pas longue vie qui veut tout mettre à l'épreuve»
(tout mettre en cause) 197), le karat(J, l'intrépide, est exposé à maints périls.
A l'opposé du kara se trouve le n~ri (98), la fatalité qui poursuit et
frappe certains individus, les n~ritp: « rien ne réussit à ces derniers: entre
leurs mains, le bon devient mauvais» (H9).
Contrairement à l'intrépide que l'on reconnaît facilement à ses actes,
à son «instabilité », basigibaliya, à son état de perpétuelle agitation, rien
par contre ne permet à priori d'identifier le « malchanceux».

49-50. kunadiya ni kunagoya: «chance et malchance» (M - F).


« la chance siège dans la tête
« la malchance siège dans la tête
« le plaisir siège dans l'âme
«le déplaisir siège dans l'âme» (H7).
Cette leçon rendue populaire par le chant Nina «< dans l'âme») enre-
gistré par la troupe de Fodéba Kéita se passe de commentaire. D'ailleurs
kunadiya (de ka, tête, na, en, diya, doux, agréable, bon) et kunagoya (goya:
désagréable, mauvais) signifient «ce qu'il y a de bon dans la tête» et
« ce qu'il y a de mauvais dans la tête». Enfin ils seraient en rapport avec
certains signes caractéristiques du «tere de la tête» (cf. supra, p. 159),
quoique leurs liens avec le kara et le n~ri soient indiscutables.

51 .52. nyumâya ni dyuguya: «bonté et méchanceté» (M - F).


« La bonté et la méchanceté n'ont aucun rapport avec la beauté et la
laideur; elles sont inhérentes à l'essence, à la nature intime même de la
personne. Mais la bonté est (signe) d'élection, et la méchanceté (signe) de
damnation» 11(0). Elles sont de plus liées au tere, et davantage encore à la
« vie intérieure»: «L'homme ne peut être bon que lorsqu'il a l'intérieur
(Ie for intérieur) blanc» et «pur comme l'or» (101).

53.54. tyçnya ni ty~dyuguya: «beauté et laideur physiques» (F - M).


Composés de ty~, taille, nya, agréable à la vue, beau, et dyugu, mé-
chant, mauvais, ty~nya et ty~dyuguya, que 1'01)pourrait traduire par « belle
taille» et «mauvaise taille», désignent la beauté et la laideur physiques.

(97) ko kprÇJbela si mâ tya.


(98) Contrairement à ce que l'on croit généralement, le kara et le neri ne peuvent pas
exister chez un même individu.
(99) foyi ma di n~ritÇJla : ko nyumâ bi kaa bolo ko dyugu ye.
(100) nyurnaya ni tYfnya t~ sira kelë f~, dyuguya ni ty~dyuguya t~ fa këlë f~: u bç
rnQkQ dyogo y~r~ de la. nga nyumaya ye kunawolo ye, dyujuya ye kunagoya yé.
(101) mQkQ ti se ka ny~ ka sQrQ i kQnQ ma dy~, kaa saniya.
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corporelles, qui, on s'en doute, sont deux éléments de choix de la per-


sonnalité dans la mesure où elles créent de multiples attitudes et complexes
et provoquent de nombreuses réactions.
« Qui n'est pas sensible à la beauté? Et qui n'est pas choqué par la
laideur? ». Réactions certes humaines, mais stupides en définitive car quels
rapports y a-t-il entre l'aspect physique d'une personne et ses qualités
intrinsèques? «Toutes les belles personnes ne sont pas bonnes, toutes
les personnes laides ne sont pas mauvaises (méchantes) », mrkfJ tyçnyi b~
ma nyi, mpk(J ty€ dyugu b€ ma dyugu.

55.56. sara ni diibe: «beauté et décence» (F. - M).

Le terme sara qui est un des attributs de Dieu, signifie beauté divine.
Il sert de qualificatif à Faro, la déesse des eaux et à toute femme qui,
comme cette dernière, allie à une beauté exceptionnel1e des qualités morales
également exceptionnelles, et notamment la décence, dabe.

57.58. npÇ?r(Jni maaya : «charme et personnalité» ou n(Jçrp ni maana :


« charme et luminescence» (F - M).

Pour les Bambara et les Malinké, un corps - beau ou non - auréolé


de charme, cette luminosité épidermique propre à certains individus, enve-
loppe indiscutablement une âme toute de vertu. C'est pourquoi on dit des
personnes charmantes que «leur luminescence est grande», u maana (1021
ka bo, ou que « leur lumière est agréable », U yeelé ka di.
Alors que le sara provient de l'extérieur pour imprégner l'être tout
entier, le n(JQr(Jtrouve sa source dans le tréfonds de la personne d'où elle
jaillit et éclate à la surface de la peau en mille petits feux (lOa). «Comparé
aux autres composantes spirituelles (104, de la personne, le nÇJ{JrQest comme
le diamant parmi les (autres) bijoux» (lOf)). Au «charme» s'attache la
« personnalité», c'est-à-dire la «notabilité, la grandeur», bref la sabesse~
maabaya, qui est le stade suprême auquel puisse s'élever la personne
humaine.

(102) Sur un autre plan, le maana désigne la parcelle de lumière divine qui préside au
destin et qui remonte au ciel à la mort d'un individu donné. Ainsi « les destins exceptionnels
sont-ils annoncés par des évènements astronomiques (apparition des comètes, ou d'étoiles
nouveHes...) et la disparition des certains grands hommes par des chutes de météorites et des
étoiles filantes».
Nous reviendrons sur ce concept de maana dans nos travaux sur les signes graphiques.
(103) Le mot neer{! a pour racine ne «trace », le verbe nerg signifiant coller. Il a la
même construction que maana, «luminescence » qui vient de mana, allumer.
(104) Faute de mieux, nous traduisons ici le terme dyogo (cf. p. 144) par « composantes
spirituelles» .
(105) neere bi maa dyogo tew la i naa te lulu bi masiriw ty€ la tyoko mi na.
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165

59.60. yoo ni yaa: «voix intérieure et voix extérieure» (F - M).


En analysant les mythes de la création chez les Bambara, G. Dieterlen
consacre au yo cinq pages d'où nous tirons les définitions suivantes:
«esprit, plus exactement le penser et l'agir» no.)); «voix créatrice» (l07),
«progression du penser, tasi» (107); «parole interne, esprit invisible et
voix inaudible» (lOi); «voix intérieure et secrète» (107), «ce qui vient de
lui-même, est connu de lui-même, est sorti de lui-même, du rien qui est
lui-même» (lOR).
De son côté, D. Zahan écrit: «kiikayo, litt.: yo de la voix de la
voix (le mot yo est un terme mystique qui désigne ce que l'on pourrait
dénommer «l'appel de l'âme», désir profond et secret de Dieu que
l'homme porte en lui-même ») (J09).
Après ces deux auteurs, nous disons avec les prêtres malinké que
« la personne acquiert le yoo dès le pren1jer jour de sa conception; yoo est
dans l'âme; c'est la voix du créateur tout puissant; c'est la première voix
du monde; c'est la voix initiale de la vie» (110). N'est-ce pas cette voix
que D. Zahan appelle «ka galiya, litt.: antériorité de la voix (Dieu est
cette toute première voix que, sans même le savoir, l'homme porte en
lui » (111)!)
A cette voix intérieure «chargée de nyama» s'oppose une seconde
voix, le yaa, par laquelle l'homme s'interroge sur son propre destin et le
sens de la vie.
On dit à propos du yoo et du yaa: «que ton édifice intérieur (ta vie
intime, ta conscience) ne te contredise pas; que ton extérieur ne te contre-
dise pas; que ton intérieur soit d'accord avec toi; que ton extérieur soit
d'accord avec tes semblables: là réside le secret d'être la «propriété» de
soi-même» (112).

Comment parvenir à cet équilibre et atteindre cette perfection, chaque


personne étant un véritable magma d'expériences vécues et de legs de ses
ascendants? A cette question, les Bambara et les Malinké répondent:

(106) G. DIETERLEN, op. cit., p. 4.


(107) G. DIETERLEN, op. cit., p. 5.
(108) G. DIÉTERLEN, op. cit., p. 6.
(109) D. ZAHAN, Sociétés d'initiation bambara, Paris,
- La Haye, Mouton et Cie,
1960, p. 290.
(110) rngkQ bi yoo sQrQ kabini i kQngta do; yoo bi ni na; dabaa mas a ka do; dy~
ka gale do; balo ka fQIQ do.
(111) D. ZAHAN,op. cit., p. 291.
(112) i sokQnQla ka nii sQsQ; i k~n~maIa ka nii sQsQ; i sQkQnQla ka kii f~; i k~n~rnala ka
kii mQkQ-nYQwf~ : kf; n 'y~r~ ta ye güdo boo kQnQ.
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166

«connais-toi toi-même; sache te «supporter» (te maîtriser) toi-même;


[apprends à] connaître tes semblables [et] sois patient avec eux» (lIa).

Le métier à tisser et l'harmonie des principes de la personne.

A propos des composantes corporelles et spirituelles de la personne,


de la conjugaison de leurs mouvements et de leurs activités, et de l'équi-
libre tant biologique que psychologique qui en résulte, les Malinké et les
Bambara évoquent toujours le métier à tisser, k(Jl~(114 t qu'ils tiennent pour
le plus beau symbole pour ne pas dire la plus belIe expression de la créa-
tion et de la vie: «il recèle la voix qui présida à la création de l'uni-
vers» (11;') et aussi tous les mouvements (l1HI. «Ses quatorze parties corres-
pondent une à une à quatorze parties de la personne» :
- kooro, l'ensemble contrepoids-traîneau, désigne par analogie kQr(),
« dessous» de la personne;
- le rouleau de fils gese kuru" posé sur le traîneau, symbolise le
tissu embryonnaire, toozo;
- les deux rangées de fils superposés de la chaîne dites « corde mère
et corde père» ba dyuru ni fa dyuru, matérialisent les liens indestructibles
qui unissent la personne à ses géniteurs;
- les deux éléments de la lice (nUri fia) par leurs mouvement&
contraires de bas en haut et de haut en bas, connotent la pensée et la
réflexion, milri ni taasi;
- la poulie, kuma (grue couronnée) vulgairement connue sous le
nom de so/ani (petit perroquet), par son nom et son grincement, rappelle
la parole, kuma;
- les deux pédales qui portent le nom collectif de se, pied, évo-
quent le pouvoir, se, et partant l'autorité mara dont dispose la personne
sur les autres êtres;

(113) i kii y~r~ dQ (toi - que toi - même - connaître)


i ka se i y~r~ kQrQ
i kii maa nYQw dQ
i kii munyu u kQrQ
(114) kel~ traduit la notion de collectivité, de communauté d'action, de vie et de destin
-
c'est le nom donné à la famille étendue par les Malinké - et dali ou dani, tisser, tissage,
signifie aussi créer, création.
(115) dy~ sigi ka ni dy~ wili ka bi dali kQnQ. Textuellement: «la voix de l'assise (de
l'univers et la voix de la levée (de la fin) de l'univers se trouve dans le tissage ».
(116) Parmi ces mouvements, notons la rotation munü (poulie), le mouvement héli-
coïdal, munu ka y~l~ « tourner en montant» (la torsade des fils), le va et vient, taa ka seki
(navette), les mouvements en zigzag (fils de la trame), la montée et la descente (lices)... et bien
sûr la vibration, Yf.r€-Yft.rf.li.
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167

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168

- le peigne, kafa (force divine, rassembler) évoque la notion de


« force», fiika;
- la navette, kurÜni, la petite pirogue, par ses va-et-vient d'une main
à l'autre détermine la droite et la gauche;
- la bande tissée, fini rnugu ou fini kono, symbolise par ses multi-
ples «grains » les cellules composant le tissu du corps;
- l'ensouple, biigalama ou bakala, autour duquel s'enroule la bande
tissée, matérialise l'axe, kala, qui soutient la personne;
- enfin la traction, sarna, résultant du mouvement de rotation que
le tisserand imprime à l'ensouple pour faire avancer l'ouvrage, correspond
à l'énergie, nI, qui fait mouvoir la personne.
De même que ces parties s'inscrivent dans un cadre fait de montants
de bois appelés «ailes du métier à tisser», kolr kamii, de même la per-
(117 J.
sonne elle aussi s'insère dans un milieu familial dit kol€
De tous les n10uvements qui font vibrer le métier à tisser, les Bambara
et les Malinké en retiennent six qui sont à leurs yeux essentiels dans la
mesure où ils correspondent aux gestes exécutés par le tisserand:
- les mouvements que font les pieds et qui connotent les notions
d'avant et d'arrière (11 H J ;
- Jes mouvements des bras qui mettent en relief la droite et la gauche;
- les mouvements des deux éléments de la lisse qui déterminent l'en-
haut et l'en-bas.
A ces mouvements qui déterminent la «voix (le bruit) de la marche
du monde et de la personne» (1111 J est associée une leçon que les sages
aiment à répéter, par humilité:
« Quelqu'un sait quelque chose
«que quelqu'un d'autre ne sait pas;
« quelqu'un ne sait pas quelque chose
«que quelqu'un d'autre sait (dit la navette);
«l'un est devant l'autre;
«l'autre est derrière le premier;
«l'autre est devant le premier;

(117) D. ZAHAN(op. cil., p. 248) donne à propos de l'enseignement du Korè, le sens qui
s'attache dans cette société d'initiation, à certaines parties du métier à tisser: « Kafa, peigne
du métier à tisser », «be, accord}). Niri, lices. «Miri, esprit, pensée ». Solo ni, poulie du
métier à tisser. « Kuma, parole »~ etc. Il est permis de penser que le symbolisme du métier à
tisser n'est pas propre à telle ou telle confrérie religieuse ou à telle région; mais qu'il est
partout le même chez les Bambara et les Malinké.
(118) Notons que dans le métier à tisser, l'avant n'est pas la direction à laquelle fait
place le tisserand, mais Je sens dans lequel évolue l'ouvrage, c'est-à-dire du côté de l'ensouple;
il est du reste déterminé par la statuette qui surmonte la poulie et qui fait place au tisserand.
(119) dy~ taama kâ ni mQkQ taama ka.
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169

« le premier est derrière l'autre (marquent les pas);


«que l'un monte,
«que l'autre descende;
«que l'un descende,
« que l'autre monte (répètent tour à tour les éléments de la lice).
« Entente! Entente!
« Entendons-nous!
«Rien ne vaut l'attente (cadence le peigne).
« Ainsi progresse le monde!
«Ainsi s'édifie le monde!
« Ainsi finit le monde (120) (crie inlassablement la poulie).
« C'est ce chant de vie qui fait vibrer l'ensemble du métier
à tisser, de même qu'il anime l'humanité».

Les tests ou la « révélation de l'essence' de la personne », m{Jkp dyogo


dyira.

L'étude de la personne dans le domaine de l'enseignement fait appel


à certaines techniques dont la valeur rationnelle ne fait aucun doute aux
yeux des Malinké et des Bambara. Il s'agit des tests dont deux, le baniingolo
et le sumangolo, en raison de leur importance didactique, et surtout de
leur extension (on les rencontre du Sénégal à la Haute V oIta, et ils exis-
teraient même au Dahomey et au Cameroun) retiendront ici notre attention.
Le banangolo: Nous avons déjà vu ce que représentait cette graphie
sur le plan de la représentation de certaines composantes de la personne
(cf. supra, p. 139). Au point de vue pédagogique, il sert de test psychotech-
nique, car dit-on, «il montre (révèle) les choses intimes (l'essence ou le
caractère intime) de la personne» (1211. Il n'y a pas longtemps encore,
tous les enfants bambara et malinké étaient soumis à ce test (nous avons
vu cette année un peu partout à travers le Mali les jeunes «jouer» au
baniingolo). On leur demandait alors de tracer non seulement la graphie
comme il se doit, mais de compter en même temps des yeux les étages
tracés tout en récitant correctement le petit texte suivant: bana sé, pororo
banaba sé pororo (band se et baniiba sé accompagnant le mouvement des
doigts dans le tracé des branches verticales de la graphie, et pororo le mou-
vement des doigts traçant les branches horizontales; cf. supra, fig. 6, p. 140).

(120) dQ bi dQ dQ, dQ too dQ; dQ ti dQ dQ, dQ boo dQ; dQ bi dQ ny~; dQ boo kQ; dQ bi dQ
kQ, dQ boo ny~; dQ ka y~l~, dQ ka dyigi; dQ ka dyigi, dQ ka y~l~; b~ ! bç ! aa ka b~, f~ t~ b~
bQ; dy~ taa ka dQ, dy~ sigi ka dQ, dy~ wili kâ do.
(121) banàgolo hi mpkp dyogo dyira.
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170

L'interprétation des résultats obtenus tient compte, entre autres choses~


de la rapidité avec laquelle est exécuté le tracé, de la régularité et de
l'épaisseur de la figure obtenue et de l'élocution du texte.
Mobilisant à la fois les facultés intellectuelles, gestuelles et d'élocution~
le test du baniingolo paraît être un test relativement complet.
Le sumiingolo: Comme le baniingoLo, le sumiingoLo, du nom du
« premier homme qui voyagea à travers l'univers à la recherche de la
source du savoir» est un dessin tracé par terre. Il se compose de douze
sillons, neuf carrés et douze trous marqués chacun d'un bâtonnet ou d'un
petit caillou (cf. fig. 8).

trou

/
OVII VIO

OVIIIO vO
IX 1VO 10

A C

B B

C A
Sillon

OX III0 6-9
OXI Il 0 -3-5-8
OXII 10
. '-2-4-7
-------------
Réponses

FIG. 8. - Le sumanRolo.

Le test se déroule comme suit: tournant le dos au dessin, le sujet


à tester doit répondre aux questions que lui pose un de ses compagnons
qui, après avoir récité un petit texte, désigne les trous dans un ordre donné.
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171

]l'r opération:

Le récitant: « Le petit bonhomme est entré dans la danse!


« Le vilain petit bonhomme est entré dans la danse!
« Un autre bonhomme hormis celui-là n'a dansé!
« Est-ce celui-ci? » (il indique le premier trou).
Le testé: « Oui! Soumângolo!» (à cette première réponse juste le
récitant ôte le bâtonnet du premier trou).

2P- opération:

Le récitant: (reprenant son texte, il interroge de nouveau). « Est-ce celui-


ci ?» (il indique le premier trou).
Le testé: «Non Soumângolo!» (2e réponse juste, le 11'1'trou, sans
bâtonnet, ne saurait recevoir de réponse positive).
Le récitant: «Est-ce celui-là?» (il indique le 2t' trou).
Le testé: « Oui! Soumangolo!» (Ie récitant arrache le bâtonnet du
trou). On procède de la même manière pour le troisième trou,
en commençant le jeu des questions et réponses par le pre-
mier trou.

4e opération: Au quatrième tour, intervjent une modification.

Le récitant: (reprenant toujours son texte, interroge: «Est-ce celui-là? »


(il indique le premier trou).
Le testé: « Non! Soumângolo! »

Le récitant: «Est-ce celui-là?» (iJ indique Je 2e trou).


Le testé: « Non! Soumangolo! »

Le récitant: « Est-ce celui-là?» (il indique le 3e trou).


Le testé: « Non! Soumângolo! »
Le récitant: «Est-ce celui-là?» (cette fois, il indique le premier sillon).
Le testé: «Traverse le fleuve! Soumângolo! »

Le récitant: « Est-ce celui-là?» (il indique le 2e sillon).


Le testé: «Traverse le marigot! Soumângolo! »

Le récitant: «Est-ce celui-là?»


Le testé: « Soumangolo! Descends! Soumângolo! »

Le récitant: «Est-ce celui-là?» (il jndique le 4(' trou qui n'a pas encore
été désigné).
Le testé: « Oui! Soumangolo».
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172

Le jeu des questions et réponses reprend de nouveau à partir du


premier trou et se poursuH de cette manjère jusqu'au douzième et dernier
trou où il prendra fin.
On veille tout le long du déroulement du test à ce que le sujet en
cause ne fasse aucun geste et surtout qu'il ne compte pas sur ses doigts.
Il doit dit-on «asseoir son dya et faire marcher sa pensée» (il s'agit ici
du «petit double intelligent» de la personne; cf. supra, p. 150).
Pour les Bambara et les Malinké, le sumângolo n'est donc pas seule-
ment un test mnémotechnique mais aussi et surtout un test d'intelligence.
« Autrefois, nous disent nos informateurs, tous les «gens du savoir »,
domaw, étaient définitivement sélectionnés, dès leur jeune âge, à partir
du test du sumângolo qui confirmait toujours les résultats obtenus avec
celui du baniingolo. »
Le sumângolo doit son importance spécifique à deux considérations:
- d'une part son exécution complète exige 264 questions et réponses
(132 de chaque), chiffre auquel, en ajoutant les deux unités fondamentales
chères aux Bambara - à savoir la «raison et le fondement de toute
chose» - on obtient le nombre sacré 266 que fournit le banângolo
(cf. supra, p. 142, et fig. 7).

1
2 3
4 5 6
7 8 9 10
Il 12 13 14 15
16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30 31 32 33 34 35 36
37 38 39 40 41 42 43 44 45
46 47 48 49 50 51 52 53 54 55
56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66
67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78

FIG. 9. - Tab1e des nombres obtenue par l'exécution du test du sumiingolo.

- d'autre part il fournit une table des nombres (cf. fig. 9) qui
constitue l'une des bases fondamentales de la philosophie, de la mathéma-
tique et de la géomancie soudanaises, et qui pour cette raison, reçoit
différentes appellations:
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173

- diiba, «le créateur, le grand compte, la grande limite, le grand


terme », etc.
- dani folo « la première création, la première numération », etc.
- dani gudo ou dali gada, «le mystère de la création, le mystère
de la numération ou du compte», etc.
Les devises, autrement dit les leçons qui accompagnent cette table
des nombres sont les suivantes:
- «l'univers est progression jusqu'à l'immuable, l'illimité et l'in-
créé » (122);
112H
I,
- «le mystère de la création se trouve dans la numération»
dans les nombres; etc.
De la «tab]e des nombres de la création», les Malinké et les
Bambara tirent plusieurs lois et constatations (nous ne retiendrons ici que
les constatations relatives à la personne et portant sur les nombres 33
et 78).
33 est - à très peu de chose près - le centre de gravité, «le juste
milieu », ty~maty~, du triangle des nombres du sumiingolo, de même que
les 33 vertèbres constituent le support ontologique et l'axe de gravité de
la personne.
Il correspond par ailleurs au nombre d'années lunaires au terme
duquel les calendriers lunaires et solaires coïncident de nouveau (l'année
bambara et malinké débute au solstice d'hiver; si la nouvelle lune appa-
raît ce jour-là, il s'écoulera 33 années lunaires (soit 32 années solaires)
avant qu'il y ait solstice d'hiver un jour de nouvelJe lune). Ce cycle porte
le nom de y~lg'na-ko kele, «un retour, une révolution», expression dési-
gnant également la génération (1~4).
Cette révolution est symbolisée par les
chiffres qui délimitent le triangle du sumiingolo et qui sont au nombre
de 33. On dit: «le tour du compte de sumGngolo est de 33 points» (12;-)).
Quant à 78, il symbolise dans la «table des nombres» la révolution
en années lunaires de la comète de Halley Il:!/))
qui apparaît tous les 76 ans.

(122) dyf ye taa ye fa taabali dà ntà dabali la.


(123) dali güdo hf dali kQne.
(124) Selon les Bambara, «les hommes changent tous les 33 ans », mekgw bi
y~lfma sa mukiinitii ni saba woo sa muka ni la ni saba, ce qui signifie d'autre part que
l'humanité subit tous les 33 ans des changements importants.
(125) sumangolo dani lamini ye sigiy(!rgma mukii ni tii ni saba ye.
(126) Cette comète porte le nom de stina do% ou 10010 ku dya, « étoile à longue queue
du ciel » ou siina doolo ou 10010ku ba, « étoile à grande ou grosse queue du ciel», et sa devise,
clamée par les prêtres et les griots au cours des grandes cérémonies, ne laisse subsister aucun
doute sur son importance dans les civilisations mandingues:
sa na 100]0 ku dyâ Trad : «Etoile à longue queue du ciel!
nii taara kQrQ na «Si tu vas à l'est
kQrQ na masa nii saraka «Le roi de l'est te fera des offrandes
nii taara klebe «Si tu vas à l'ouest
klebe masa nii saraka «Le roi de l'ouest te fera des offrandes ».
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J74

Découverte depuis fort longtemps par les Malinké gui ont fait de la durée
de sa révolution la base de leur calendrier (et l'année longue gui fixe
tous les sept ans les cérémonies des sanctuaires kamabolo relèverait elle
aussi du cycle de «l'étoile à longue queue du ciel) (127), la comète de
Halley est le symbole des hommes de 77 ans appelés «âmes ardentes»,
nya karâw (cf. supra, p. ] 62) (ces personnes ont 76 années solaires ou
78 années lunaires révolues).
Ainsi donc, après les relations cosmobiologiques sur lesquelles ils
fondent leur conception de l'être humain, les Malinké et les Bambara éta-
blissent de véritables corrélations entre l'astronomie, les nombres et la
personne.

La mort et la destination des composantes de la personne.

nabaa b~ ye taabaa ye
dYQf~ b~ ye dafç ye
dâf~ b~ ye bâfç ye
kunüfç bç ye saf~ ye
T rad. :
«tout arrivant est un partant (virtuel)
« tout édifice est appelé à se «coucher» (s'écrouler)
« toute chose créée est appelée à finir
« toute chose éveillée est appelée à s'éteindre (à mourir)
C'est par ces sentences que les Malinké et les Bambara évoquent le
terme fatal de la vie terrestre de la personne, la mort, saya, « J'extinction»
dans le corps du principe de vie, ni.
«La mort, cette «grande chose» gui frappe également et avec le
même bâton aussi bien le riche que le pauvre, le vieillard et l'enfant,
l'animal et la plante, intervient dans les conditions normales de la manière
suivante (12~): par l'agonie, nimakara «échauffement dans l'âme, ou de
l'âme », le ni agite le corps de toute son énergie, provoquant ainsi une
tension /12H) sans précédent dans la personne.

(127) Ce qui laisse supposer qu'il existerait pour les Malinké des rapports entre le cycle
de cette comète et celui de Vénus dite « étoile de la circoncision», s;gi 10010.
(128) Le processus ci-dessus n'est pas valable pour les autres cas de mort. Les foudroyés
perdent instantanément sous l'action conjuguée de « la vibration (des chocs d'ondes), du feu
(de l'électricité) et du bruit de la foudre» leur dya et leur nI qui se trouvent brutalement
éjectés au loin. Alors que chez les noyés, ces deux principes sont comme étouffés dans la
personne.
(129) C'est par l'expression mQke YQre b~ bi te, « toutes les parties de la personne se
ballonnent» que l'on traduit cette tension intérieure.
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175

Dès lors, le « petit double intelligent» quitte le corps par les pupilles
fortement dilatées pour regagner la mare sacrée du village où il sera sous
la garde de Faaro, la déesse de l'eau.
Avec son absence commencent les affres de la mort: privée du prin-
cipe qui fait à la fois sa raison et sa conscience, la personne délire. C'est
« la sortie du nyama intérieur» kQnQ nyama bg (cf. nyama, supra, p. 160)
par laquelle le mourant essaie, dans un ultime effort, de faire surgir sa
vie intime constituée de dépôts les plus divers (180). De temps à autre,
un relâchement de la tension au niveau du cerveau lui permet d'articuler
quelques paroles intelligibles.
Mais dès que la tête se renverse et que le kali tombe, coupant ainsi
du reste du corps le cerveau et le bulbe rachidien dont les vibrations et les
irradiations ne peuvent plus passer dans la moelle épinière et par consé-
quent dans les tissus, le ni quitte la personne avec le dernier souffle, par
les narines et la bouche. Il ira se fixer sur l'autel des ancêtres ou sur un
grenier, ou errer dans l'atmosphère s'il s'agit d'une âme en peine.
Mais la mort ne sera effective que lorsque les spasmes dûs à l'énergie
vitale, nyii-nyil, cesseront de secouer le corps, ce qui entraîne le refroi-
dissement et la rigidité de ce dernier.
L'annonce du décès, siikati, « éclater haut la mort», faite par les
cris et les lamentations d'usage, est suivie de trois rites principaux:
- une libation d'eau, dyibp «verser l'eau», destinée à «rafraîchir
l'âme », est faite sur le sol de la cour;
- un sacrifice sanglant, effectué sur l'autel des ancêtres, ou à même
le sol, a pour but de purifier et de revivifier le ni ou âme;
- le bain mortuaire, l'embaumement et l'encensement du cadavre
permettent, le premier de drainer la majeure partie du nyama
contenu dans le corps, et les seconds «d'éventer», de chasser
le nyafna Ilan le plus tenace qui, dit-on, s'étend à tout le champ
vital du défunt.
Le corps ainsi purifié à son tour, peut alors être enterré: il disparaît
avec «tout ce qui, dans la personne, est eau et terre » (IH2 \.
Sept jours après le décès, on procède de nouveau à des libations
d'eau et à des sacrifices sanglants destinés à séparer définitivement le
corps du ni et du dya (on croit savoir qu'à cette date « la chair se détache
des os »).

(130) Cf. Y. CISSÉ,« La société des chasseurs malinké », Journ. de La Soc. des African.,
1964, p. 208.
(131) Ce rite porte le nom de nyama fi ija « éventer le nyama» (cf. Y. CISSÉ, op. cil.,
p. 205).
(132) Il s'agit en somme de toutes les composantes corporelles.
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176

Les mêmes rites sont exécutés une troisième fois quarante jours
après la mort pour permettre au ni d'entreprendre son ascension vers le
« ciel de la conservation des âmes», nI mara kaba, où il demeurera pour
l'éternité.

nT mara kaba
(ciel de la con-
servation des i
âmes)
le ciel
)

Be ciel
1

Se ciel

4e ciel

3e ciel
1

2e ciel

1er ciel

i
kaba nQgQ
(ciel des nuages) \
ou impuretés
du ciel)
( 0
FrG. ] O. - Les dédales du hanânf?% et l'ascension des âmes.

L'âme, après s'être «désaltérée» de la substance des offrandes


- en compagnie du double dya -, peut ou non s'introduire dans une
femme de la famille pour la «féconder» avant de s'engager dans les
dédales du baniingolo (cf. fig. 10). La durée de son ascension sera fonction
de sa pureté. Les âmes d'adultes pures de tout nyama trouveront facile-
ment le chemin le plus court (en l'occurrence la voie centrale du baniingolo)
et arriveront rapidement à destination. Celles qui restent encore chargées
de nyama malgré les rites ci-dessus, devront pour accomplir leur ascension,
grimper le long des parois du baniingolo (elles auront ainsi à parcourir un
trajet deux fois plus long que celui des âmes pures). Après avoir franchi
le «ciel des nuages», le 1PI', le 2p, puis le 3f' ciel, elles peineront au
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177

4e ciel dit «ciel de l'impondérabilité », foroko-faraka kaba (1a:~" où leurs


impuretés les quitteront définitivement pour retomber sur la Terre. Au Se ciel
ou «ciel des choses rouges, critiques») koblé kaba - c'est le ciel du
soleil, symbole de l'ardeur de l'esprit divin - les âmes retrouveront leur
pureté originelle. Après un repos au 6e, et une attente plus ou moins
longue au 7(\ elles accèderont enfin au «ciel de la conservation des
)
âmes» Il H4 .
Quant aux âmes des personnes qui ont commis des torts irréparables
envers leurs semblables, ou des actes graves contre l'humanité et qui
se sont pour ces raisons attiré des nyama aussi inextingibles que virulents,
elles n'entreverront même pas l'entrée du banangolo à l'instar de celles
(lai)).
des premiers hommes qui furent anéantis par le déluge Elles erreront
pour l'éternité durant, au voisinage immédiat de la Terre, allant d'un arbre
à un rocher, d'un tas d'ordures à un trou d'eau croupie. Leur demeure
est semblable au creuset d'un haut fourneau en activité, n~g€ so dyo/i, «la
maison du fer en sang», nom malinké de l'enfer matérialisé par le bas
étage du baniingolo.
Dans leur séjour céleste, les âmes restent pendant cinq générations
selon certains, six ou sept selon d'autres Il:'HiI,en contact permanent avec
la Terre, grâce à leur flux ou irridiations, nyii-nya, qui ont acquis depuis
une intensité extraordinaire. Ces flux, en atteignant notre planète, se trans-
forment en nyama qui peut soit marquer de l'empreinte du ni un enfant
à naître (1:ri" soit aider dans leurs entreprises les descendants du défunt
ou toutes autres personnes qui invoqueraient ce dernier. Les vœux formulés
avec promesses d'offrandes, les prières, et les sacrifices, sont alors les seuls
moyens permettant de mobiliser les morts en faveur des vivants.

(133) foroka-faraka est Je nom d'une plante rampante; employé comme verbe, il décrit
un mouvement désordonné, lent et pénible. «Dans le ciel de l'impondérabilité, toutes les âmes
flottent » disent les Bambara: ni bg bi foko foroko faraka kaba la.
(134) La voie lactée, nyuku-nyuküba, « le grand plissement» dont les étoiles matéria-
]iseront les ni des êtres vivants, symboliserait le 7p ciel par ses rep1is visibles et par ses replis
cachés le « ciel de la conservation des âmes».
(135) C'est pour avoir désobéi à Dieu que les premiers hommes furent anéantis par
le déluge et « leurs signes propres détruits». Leurs âmes sont demeurées là où elles ont échoué
après le déluge et sont devenues par la suite les génies que nous connaissons.
(136) Il y a tout lieu de croire que c'est cinq générations. En effet les termes désignant
les générations successives sont au nombre de cinq: ne, moi, dë, enfant; medé, petit-fils;
thomasana, arrière petit-fils; fufafu, arrière arrière-petit-fils. Il est à noter qu'un père peut
se réincarner dans un de ses fils conçu au mamen t de sa mort.
(137) La croyance la plus répandue et notée par la plupart des chercheurs laisse entendre
que c'est l'âme elle-même qui revient se réincarner dans un membre de la famine du défunt.
Et pourtant, la réponse des prêtres malinké et bambara est catégorique à ce sujet: «l'âme
ne redescend point du haut du banângolo ». Est-ce la même idée qu'expriment les griots
dans ce couplet d'un de leurs chants: «celui qui créa la vie, c'est celui-là qui créa la mort,
ceux qui sont morts n'ont rien fait à Dieu. Ceux qui sont présents ici-bas n'ont rien donné
à Dieu. Ainsi la mort est une vérité, la résurrection un mensonge».
12
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178

L'âme reste également en communication avec son «double» dya


demeuré sous la garde de Faaro, dans l'eau. Pour manifester ses désirs -
car elle reste douée de raison et de passion - elle alertera son répondant
terrestre. Celui-ci, au cours de la nuit, viendra hanter soit un arbre ou
le toit de la maison du défunt sous sa forme de fantôme blanc appelé
«double du mort », su dya, soit le sommeil d'un membre de la famille
concernée sous les traits du disparu {13H,. Cette dernière manifestation du
défunt constitue aux yeux des Bambara et des Malinké le «vrai» rêve,
suko (139), ou «chose du mort», terme désignant aussi les autres formes
de rêve.
Si elle n'obtient pas satisfaction à la suite de ses apparitions répétées,
l'âme agit directement et sans tarder en affectant de son nyama un membre
ou des biens de sa famille, par exemple.
A la lumière de ce qui vient d'être dit à propos de la mort, on notera
que par delà la vie, survivent à la personne son ni ou âme, son «double
intelligent», dya ni keku, et son nyarna ou «esprit» qui forment une
véritable unité de pensée et d'action. Véhiculent-ils les autres composantes
spirituelles du défunt? A cette question, les Bambara et les Malinké répon-
dent unanimement: «La mort ne transforme pas «l'essence», le carac-
tère de la personne », saya t~ mQkg dyogo y€l€ma.

*
**
La présente communication est une simple ~squisse de la conception
de la personne chez les Malinké et les Bambara. Néanmoins, elle montre
tout l'intérêt que représenterait pour la recherche africaniste et pour
les peuples africains eux-mêmes, J'étude systématique des notions et des
concepts relatifs à l'homme.
L'Afrique est en effet en pleine mutation sociale, politique, écono-
mique, culturelle et religieuse. Cela n'est pas sans influer sur l'homme
noir, sur son comportement, ses habitudes de vie et de penser; mais cela
ne doit pas «le couper de ses origines et faire de lui une chauve-
souris » (140'.
Pour mieux appréhender cet homme en re-devenir et comprendre du
dedans la philosophie africaine de l'être - qui doit demeurer le ressort

(138) Selon plusieurs de nos informateurs, les défunts figurant dans les rêves ne possèdent
pas d'ombre (?).
(139) En dehors de ce rêve, on distingue le «rêve d'enfant», demis~nisuko, «le reve
de jour », tleffsuko, et le « rêve d'inquiétude, de préoccupation », dypprpna suko ou hamian
suko (le mot ham; est d'origine arabe). Notons que le sommeil au cours duquel se déroule le
rêve est appelé suneke (de su, mort, cadavre, m~ke, envie) « envie de faire le mort».
(140) Expression bambara et malinké exprimant une déchéance spirituelle consécutive à
une malédiction divine.
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179

de sa pensée - le chercheur devra indubitablement recourir à la cosmo-


gonie, aux mythes, aux légendes, aux représentations graphiques, à la sta-
tuaire, aux rites et même aux contes qui fournissent par exemple à la psy-
chologie et à la caractérologie bambara et malinké des données inestimables.
Les Malinké et les Bambara, tout comme certainement les autres
Noirs d'Afrique, aspirent au changement dans la paix et l'ordre et non
dans les bouleversements; c'est ainsi qu'aux yeux de leurs sages, la per-
sonne humaine, cet être social pensant, parlant et agissant, bâti aux dimen-
sions de l'univers, symbolise ce qui serait le destin de l'humanité en pro-
grès: l'entente et la concorde entre tous les hommes que proclan1e le
métier à tisser.
« Entente !Entente !
« Entendons-nous
« Rien ne vaut l'entente».
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

LA NOTION DE PERSONNE
EN AFRIQUE NOIRE

Amadou Hampaté BA

Plan de l'expo~é liminaire,


appelé à être développé au cours des échanges

A) Entrée en n1atière; définition de la personne.


B) Son existence:
a) conception,
b) naissance,
c) développement physique et psychique. les différents âges de la vie.

C) Qu'est-ce que la personne? S'agit-il d'une unité monolithique, limitée au corps


physique, ou d'une multiplicité en remous permanent au sein des tendances psy-
chiques qui l'habitent?
Est-elle statique ou évolutive, c'est-à-dire achevée ou potentielle?
D) Puisqu'elle est composée en premier lieu d'un corps physique, quel est le rôle,
la signification et le symbolisme de ce corps physique?
E) Son psychisme.
Quelles sont ces forces qui habitent la personne et qui sont en perpétuel mouve-
ment en elle?
F) L'homme est-il cJos sur Iui-nlêITle. ou en relation avec des nlondes extérieurs à lui:

- avec les autres hommes,


- avec le monde de la nature,
- avec des mondes invisibles.
G) Conclusion.
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182

Je me garderai de céder au piège des prototypes standardisés. C'est


pourquoi je ne prétends pas présenter ici une notion de la personne valable
pour toute l'Afrique noire, mais limitée aux traditions maliennes, et
notamment celles des ethnies peule et bambara.
Qu'est-ce que la personne?
Les Peul et les Bambara ont chacun deux termes pour désigner la
personne. Ce sont:
a) neââo et neââaaku.
b) maa et maaya.
Le premier mot de chacun des quatre termes ci-dessus signifie «per-
sonne» et le second «les personnes de ]a personne».
Pourquoi «les personnes» ?
La tradition enseigne, en effet, qu'il y a d'abord maa: personne-
réceptacle, et maaya: divers aspects de maa contenus dans le maa-
réceptacle.
L'expression de langue bambara « maa ka maaya ka ca a yere kono »
signifie: «Les personnes de la personne sont multiples dans la personne».
La même idée se retrouve chez les Peul. Je citerai à ce propos une
anecdote qui illustre bien ce fait: ma propre mère, chaque fois qu'elle
désirait me parler, faisait tout d'abord venir ma femme ou ma sœur et leur
disait: «J'ai le désir de parler à mon fils Amadou, mais je voudrais,
auparavant, savoir lequel des Amadou qui l'habitent est là en ce moment ».
Dès l'abord, on voit donc qu'il s'agit d'une notion très complexe,
comportant une multiplicité intérieure, des plans d'existence différents
ou superposés, et une dynamique constante.

B. - Existence

Le maa pourrait être considéré comme le réceptacle visible et


palpable servant d'enveloppe et de support à d'autres aspects, plus subtils,
de la personne humaine.
Cet être est à la fois simple et multiple. Il comporte des éléments
physiques, psychiques et spirituels.
Celui qui semble le plus aisé à saisir est l'existence physique. Elle va
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183

de la conception de l'enfant, lasiri, à son changement d'habitat, somayelema


- autrement dit sa mort.

a) Conception.

L'existence physique qui débute avec la conception est précédée d'une


préexistence cosmique. Dans cet état, l'homme est censé résider dans
le royaume de l'amour et de l'harmonie, dit benke-so.
benke est devenu le mot qui sert à désigner l'oncle maternel.
N'est-il pas permis de supposer que le rôle sacré et très prépondérant
dévolu à l'oncle dans la vie de l'enfant, et toute la loi matriarcale, tirent
leur origine de cette conception?
En effet, l'oncle symbolise la force masculine dans la force maternelle,
qui est féminine. Ceci en vertu d'une loi traditionnelle qui veut que le mas-
culin et le féminin soient inséparables. Ils se trouvent à la fois dans la
femme et dans l'homme. Ainsi, la tante paternelle est considérée comme
l'image de la force féminine qui siège dans la force paternel1e masculine.

b) La naissance.

Le rôle de la mère dans la procréation et après la naissance est


beaucoup plus grand, dans la tradition africaine, que celui du père.
La mère, après avoir élaboré l'enfant dans sa matrice durant neuf-
mois, continue à le nourrir, traditionnellement, durant vingt-quatre mois.
Ce n'est donc qu'après trente-trois mois d'existence seulement que l'enfant
cessera d'avoir besoin de sa mère pour s'alimenter et pourra le faire direc-
tement sans prendre un complément quelconque venant de sa mère.
Jadis, l'enfant bambara n'était sevré qu'à deux ans. L'accouchée restait
interdite à son mari durant toute la période d'allaitement.
La venue d'un enfant au monde est un événement grave. Il y a trois
sortes de naissances:
1 - le ji-bon (eau versée): avortement,
2 - banngi (accouchement) : naissance à terme,
3 - menkono, ou nyanguan (longtemps-ventre): naissance après terme.

1. - L'accouchement ji-bon est maléfique. Il révèle que de mauvais


esprits, au moment de la copulation, ont réussi à pénétrer dans le vagin de
la mère et à déformer le moule de la matrice. La femme est alors soumise
à un exorcisme spécial qui comporte rites et remèdes, en vue de remettre
les choses en place. Ce traitement peut comporter un isolement total de
la malade.
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184

2. - L'accouchement bangi est un événement heureux, non seulement


pour les parents du nouveau-né mais pour son village, sa tribu, le pays et,
sur un plan plus vaste, l'humanité tout entière.
La naissance d'un enfant est la preuve palpable qu'une parcelle de
l'existence anonyme s'est détachée et incarnée en vue d'accomplir une
mission sur notre Terre.
Le baptême est une cérémonie au cours de laquelle on donne un
togo (prénom) au nouveau-né. Le togo définit le petit individu. Il le
situe dans la grande communauté. C'est pourquoi son attribution est consa-
crée par un rite spécial dit kun-di (rase-tête).

3. - L'accouchement menkono prélude à la naissance d'un être


extraordinaire: le nyanguan (sur-sorcier).
L'enfant menkono vient au monde nanti d'un puissant potentiel.
La tradition exige que ]'on prenne des précautions pour orienter la voie
du menkono-nyanguan. Des prières rituelles, des bains et des nourritures
sacrées doivent être administrées au menkono afin que son être profond
ne soit pas entraîné dans les remous néfastes qui créent les grands génies
du mal.
Après ces quelques mots rapides sur la conception et les trois sortes
de naissance, je vais succinctement parler du développement.

c) Développement.

Le développement physique s'accomplit selon les grandes périodes de


la croissance du corps, dont chacune correspond à un degré d'initiation.
L'initiation a pour but de donner à la personne psychique une puissance
morale et mentale qui conditionne et aide la réalisation parfaite et totale
de l'individu.
La vie physique de la personne comporte 18 phases, dont 9 ascen-
dantes et 9 descendantes. Chacune de ces phases comporte 7 périodes
d'un an.
La première phase s'étend de la naissance à 7 ans. C'est la petite
enfance, période où la personne en formation requiert le plus de soins
possibles. La mère est le grand agent de cette époque fondamentale.
A cet âge, l'enfant dépend totalement de sa mère. Elle est à ses yeux
la plus grande force et l'être le plus instruit du monde. Il ne se réfère,
en tout et pour tout, qu'à elle. Elle est son critère, son refuge, son instruc-
teur, son tout à la fois.
Dans cette phase de sa vie, l'enfant est, telle une terre à poterie,
f~çonnable à volonté.
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185

L'enfant restera longtemps sous l'influence et sur la voie tracée par


sa mère.
Pour cette raison, l'adage malien nous dit: «Tout ce que nous
sommes et tout ce que nous avons, nous le devons une fois à notre père,
mais deux fois à notre mère. »
La seconde phase va de 8 à 14 ans
La troisième de 15 à 21 ans
La quatrième de 22 à 28 ans
La cinquième de 29 à 35 ans
La sixième de 36 à 42 ans
La septième de 43 à 49 ans
La huitième de 50 à 56 ans
La neuvième de 57 à 63 ans.
Ici finit la période ascendante. L'homme, à cet âge, atteint le point
culminant de sa vie. C'est le zénith du ciel de sa vie. Il entame alors la
phase descendante, qui s'effectuera en 9 périodes parallèles aux 9 énumé-
rées ci-dessus.
Le schéma suivant, dû à Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, mettra
mieux en évidence les phases ascendantes et descendantes de la vie de
l'homme: la période ascendante de 63 ans est subdivisée en trois phases de
21 ans chacune. Elle constitue la période de développement des forces
physiques et psychiques de la personne. A partir de cet âge, l'homme
amorce son déclin, et l'on assiste à une diminution progressive de ses forces
physiques et psychiques (voir le schéma page 186).
Bien entendu, ce schéma n'est pas impératif. Un homme peut mourir
à n'importe quel stade de sa vie. Mais s'il vivait jusqu'à 126 ans -
ou plus! - la règle générale voudrait qu'j} retombe dans l'enfance de
l'esprit et la faiblesse du corps.

Il ressort de tout ce qui précède que, selon les traditions considérées,


l'homme n'est pas une unité monolithique, limitée à son corps physique,
mais bien un être complexe habité par une multiplicité en mouvement
permanent. Il ne s'agit donc pas d'un être statique, ou achevé. La per-
sonne humaine, telle la graine végétale, évolue à partir d'un capital
premier qui est son potentiel propre et qui va se développer tout au long
de la phase ascendante de sa vie, en fonction du terrain et des circons-
tances rencontrées. Les forces dégagées par cette potentialité, sont en
perpétuel mouvement, tout comme le cosmos lui-même.
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jS6

c
77

84
42
41
40
39
38
37
36 91
35
34
33
8 32
31
30
98

21
20
19
18
17
16
15 112
14
13
12
A 11
10
9
119
7
6
5
4
3
2
1

Schéma des étapes de la vie humaine, d'après Tierno Bokar.


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187

Le corps physique, dont est dotée la personne, a-t-il un rôle autre


que sa fonction végétative?
La tradition considère le corps humain comme la reproduction en
miniature de la terre, et, par extension, du monde entier.
Il serait trop long d'entrer ici dans le détail des analogies que la
tradition a établies entre le corps de l'homme et la terre, considéré~ comme
mère et nourricière des animaux, végétaux et minéraux.
La tradition considère symboliquement le ciel comme le père, l'agent
masculin portant en lui l'eau de la vie, et la terre comme la mère, dotée
d'une matrice fécondable.
Quant au corps de l'homme, la tradition le considère comme un petit
édifice, miniature de dinya, le monde, qui, lui, est l'immensément
infini. De là l'expression: «maa ye dinye meremin de ye » (L'homme
c'est l'univers en moindre).
Dans la tradition bambara, Maa-nala (Dieu-Maître), s'autocréa, puis
il créa vingt êtres: il s'aperçut qu'aucune, parmi ses vingt premières créa-
tures, n'était apte à devenir son interlocuteur, kuma-nyon. Alors il pré-
leva « un brin» sur chacun des êtres existants, qui constituaient l'ensemble
de l'univers. Il mélangea le tout. Il s'en servit pour créer un vingt-deuxième
être hybride, l'homme, auquel il donna le nom de maa - c'est-à-dire le
premier mot composant son propre nom divin.
Maa, l'être « tout en un », ne pouvait être contenu par n'importe quelle
enveloppe. Aussi M aa-nala conçut-il un corps spécial, capable de contenir
à la fois un brin de tous les êtres existants.
Ce corps, appelé tari, fut agencé d'une manière verticale et symé-
trique. Il symbolise un sanctuaire où tous les êtres se retrouvent en inter-
relations.
Maa, lieu de rencontre de toutes les forces de l'univers, investi du
nom de Dieu - donc participant de lui - mais également constitué des
éléments les plus lourds, a donc pour vocation essentielle d'être «l'interlo-
cuteur» de M aa-nala. Mais s'il peut devenir un être essentiellement reli-
gieux et adorateur, et par là retrouver le chemin de sa vocation première,
il est également capable d'aimer ou de haïr avec une très grande passion,
parce que tout est en lui.
Quant au symbolisme du corps, je ne puis le traiter ici en entier,
mais donnerai quelques indications rapides au sujet de la tête.
La tête représente l'étag~ supérieur de l'être. Cet étage est percé de
7 grandes ouvertures. Chacune d'elles correspond à une entrée de 7 états
d'être, ou mondes.
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188

Le visage est considéré comme la façade principale de l'habitat des


personnes «profondes» de maa. Des signes extérieurs permettent de
déceler les possibilités morales et psychiques de ces personnes habitant à
l'intérieur de maa. Ces signes sont tracés sur le visage, c'est-à-dire sur la
façade principale de sa demeure.
i nye da yira nna
nki kana rnaaw kog<.)fo i ye
«montre-moi ton visage, et je te dirai la manière d'être de tes personnes
intérjeures ».
Le front, les sourcils, les yeux, les oreilles, le nez, la bouche et le
menton expriment, chacun pour leur part, les sept êtres qui sont dans cha-
que maa.
Chaque être correspond à un monde qui tourne autour d'un axe ou
point central.

Si la constitution du corps de l'homme est un chef-d'œuvre d'archi-


tecture et de mécanisme, son psychisme est un ensemble complexe,
d'une amplitude telle que ce qui en est connu n'est rien par rapport
à ce qui reste à connaître.
Pour les traditionalistes maliens, l'expression: maa te don kaa ban,
« On ne finit pas de connaitre la personne (maa) », en dit long. Pourquoi
ne finit-on pas de connaître maa? Parce que, comme nous venons de
l'indiquer précédemment maa, c'est «tout en un». Nous avons vu que
Maa-nala avait réuni en lui un fragment de chacun des vingt premiers êtres
qui existaient déjà et qui symbolisaient la connaissance et les forces totales.
Ces êtres avaient des oreilles pour écouter et recevoir la connais-
sance et la force émanant de Maa-nala, mais ils n'avaient point la bouche
ni l'amour pour transmettre cette connaissance à une postérité aimée.
La grandeur de maa vint donc de ce qu'il fut le confluent de toutes
les forces cosmiques.
En outre, par la vertu du nom divin dont il fut investi, il fut doué
de l'esprit, qui lui permit d'acquérir une parcelle de la force suprême.
Par contre, son drame et sa passion furent d'être projeté dans les
courants contradictoires des grands conflits nés de la dualité des forces
habitant en lui: harmonie cosmique et rupture d'équilibre, espoir enivrant
et désespoir déprimant, amour et haine, amour de la paix et poussées
animales de violence, spiritualité et matérialité, joies et peines, certitudes
apaisantes et doutes déchirants, etc.
A cela viennent s'ajouter les sentiments contradictoires apparaissant
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189

au contact de ses semblables: amour, amitié, désirs, haine, aspirations


morales, etc...
Le tout en perpétuel mouvement, dans l'univers caché de maa.
L'âme de maa et son esprit sont semblables à l'élément feu. Celui-ci
s'allume, s'enflamme, brille, éclaire et s'éteint, sans que nous puissions
dire avec certitude où est passée la flamme, qui réintègre son «réservoir».
De même, l'ân1e et l'esprit de maa quittent le corps, mais cela ne
signifie pas qu'ils sont «Inorts».
Pour la tradition peule, il n'y a pas d'équivoque quant à l'immor-
talité de l'âme - et de son corollaire, l'esprit. Un adage dit :
maayde timminta wonki
juutal balde hortinta hakkil]e
«La mort n'épuise pas 1'ân1e,
La longueur du temps ne tarit pas l'esprit ».
Les forces cachées qui se meuvent en maa sont, comme nous l'avons
vu, multiples et variées. Elles constituent des états, ou personnes psychi-
ques, émanant de l'esprit de maa lui-même.
Ce principe immatériel et immortel n'est pas un être imaginaire. Il
existe. Il crée l'imagination (faculté mystérieuse et réelle à ne pas confondre
avec les phantasmes de l' « imaginaire»). Quand cette imagination a atteint
un certain degré, maa devient capable de visions. Il entre en rapport avec
des esprits habitant hors de lui~ tels que génies~ gnômes, farfadets, âmes
des morts, etc... Pour reprendre une expression de mon ami Boubou Hama,
il «concrétise l'abstrait» qui prend pour lui image et forme.
L'esprit de maa lui permet de connaître, de comprendre, de renforcer
son attention, en développant ses aptitudes, maa devient apte à juger.
L'enseignement traditionnel a toujours préconisé l'éducation physique
et spirituelle de l'enfant, afin de favoriser en lui l'apparition des aptitudes
fondamentales qui font la grandeur de maa, et de l'aider à trouver son
équilibre au sein des forces qui habitent en lui et dans le monde environ-
nant.
Parmi les écoles de ce type~ une des plus grandes fut l'école dite
des korojuba (mot à mot: grand tronc des choses).
La connaissance de l'univers, de l'homme physique et psychique,
constituait le haut enseignement ou « grand tronc des choses ». Cet ensei-
gnement de base était complété par un enseignement sur les végétaux et
les minéraux.
L'application aux études était exigée avec une grande rigueur. Les
mauvais élèves subissaient parfois des châtiments corporels, qui seraient
très mal vus à notre époque... En dépit de ces châtiments corporels,
l'école korojuba n'étaÎt pas une école austère. Au contraire, .les relations
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entre les disciples korojuba et la masse étaient fondées sur la base d'un
usage de plaisanteries très osées.
Les korojuba, plus encore que les tonjon (captifs) apprenaient la
manière plaisante de dire les choses en utilisant des jeux de mots. Les
termes en étaient toujours vifs et très ingénieux. Ils avaient le droit tradi-
tionnel de «mettre en boîte» tout le monde, y compris le roi. Ils étaient
humoristiques, mais jamais grossiers.
L'un de ces korojuba, nommé Korojuba Nji, fut mon camarade
d'âge. C'était un excellent pantomime et un grand artiste dans l'art d'imiter
tous les sons possibles: sons d'objets divers et tous les cris d'animaux.
Conteur hors pair, il débutait ainsi ses propos: «Fils de ma mère!
Tenez-vous bien, car vous allez voir comment le maanin (petit Dieu)
que je suis, va terrasser le plus gros gibier créé par Maa-nala, et comment
je vais tirer du gros gibier sa partie la plus volatile pour vous égayer à
en mourir».
Ce gros gibier était la parole. En effet, Maa-nala n'a rien créé de
plus grand et de plus opératoire que la parole. La parole est si
forte que, sans elle, il n'y aurait pas de transmission des connaissances
acquises par les ancêtres.
La parole, kuma, permet d'extérioriser le génie des grands esprits.
C'est par eUe que la haute pensée prend un beau corps. Quelles que
soient la qualité ou la rudesse d'un esprit, si kuma n'intervenait, il
passerait inaperçu. C'est grâce à kuma que la pensée prend corps et
devient langage.
La tradition peule, de son côté, enseigne qu'il existe 9 catégories de
personnes, en relation avec les 9 ouvertures symboliques du corps, les
9 os du crâne et les 9 nombres-mères fondamentaux. Ces 9 catégories se
subdivisent en trois parties, de trois fractions chacune.
La partie la plus élevée correspond aux sages, aux êtres supérieurs,
élevés par la qualité de leur être et de leur intelligence. Ce sont ceux que
Gueno (Dieu) a envoyés et qui se dévouent pour le bien des hommes.
La partie médiane correspond à ceux que l'on appelle des «per-
sonnes», ou des «humains ». Ils se purifient de leurs désirs et de leurs
avidités, ceux du corps comme ceux du cœur. Ils suivent les enseigne-
ments et l'exemple des sages de la partie supérieure. Tout en eux est
mesuré.
La partie inférieure correspond aux vauriens, sans foi ni loi, à tous
ceux qui n'ont d'humain que la parole et ne cherchent pas à l'élever
au-dessus du rang des animaux.
A l'origine, les trois portions furent mélangées et, devenues semences,
tombèrent en terre. Elles s'interpénétrèrent et se mélangèrent si bien, avant
de tomber en terre, que personne ne peut plus les réintégrer dans leur
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ordre originel. Ainsi le monde est-il tel un champ ensemencé d'arachides,


de haricots, d'oignons et de maïs...
« Qui que tu sois devenu, dit l'enseignement traditionnel, tu ne sais
pas ce que tu es. L'esprit ne te sera donné que lorsque tu sauras diffé-
rencier ce qui a été mélangé, puis jeté, et qui a germé, donnant naIssance
aux 9 grandes positions:
. un sage (supérieur) parmi les vauriens (inférieurs),
. un sage (supérieur) parmi les personnes (médians),
. un sage (supérieur) parmi les sages (supérieurs).
. un humain (médian) parmi les vauriens,
. un humain (médian) parmi les humains comme lui,
. un humain (médian) parmi les sages.
. un vaurien (inférieur) parmi les vauriens,
. un vaurien (inférieur) parmi les humains,
. un vaurien (inférieur) parmi les sages. »
Tu ne saurais connaître ta propre essence, est-il dit, si tu ne sais
différencier les natures des hommes».
Et encore: « Quand tu seras, « réveillé», tu sauras reconnaître chaque
homnle, en quelque groupe qu'il se trouve. Alors tu pourras comprendre
ce monde, et ne seras plus en opposition avec personne ».

Comme on a pu s'en apercevoir, la personne n'est pas close, telle


une boîte fermée. Elle ouvre sur plusieurs directions, internes et externes.
Les divers êtres, ou états, qui sont en elle, et qui correspondent aux
mondes qui s'étagent entre l'homme et son créateur, sont en relation
entre eux et en relation avec les mondes extérieurs.
Au premier chef, la personne est reliée à ses semblables. On ne la
conçoit pas isolée, indépendante. De même que la vie est unité, la commu-
nauté humaine est une et interdépendante.
Les relations humaines, codifiées, donnèrent naissance à un protocole,
à un savoir-vivre, et engendrèrent une civilisation sociale dont les règles
se transmettent de bouche à oreille et prennent corps à l'épreuve même
de la vie.
Toujours en raison du sentiment profond de l'unité de la vie, la
personne humaine n'est pas coupée du monde naturel qui l'entoure et
entretient avec lui des relations de dépendance et d'équilibre.
Si certaines croyances à l'égard du monde naturel relèvent de la crainte
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ou de l'ignorance, une croyance traditionnelle, basée sur l'enseignement


de Maa-nala lui-même et léguée par les ancêtres, reçut le nom de
bembaw-sira.
Le bembaw-sira détermine le comportement de l'homme vis-à-vis de
tous les autres êtres de la «dinye ni-ma yoro », c'est-à-dire de la partie
vitale de la terre.
La tradition divise en effet la terre en deux zones concentriques. La
première est appelée dugukolo-fara : écorce de l'os de la Terre; la deuxième
est appelée duguma dolo: l'os de la Terre.
Les êtres ne peuvent vivre que sur ou dans le dugukolo-fara, l'écorce
de l'os de la terre. Les forces situées dans le duguma kola, J'os de la
terre, sont inconnues des maaw (les personnes-hommes).
En vertu des règles établies par le bembaw-sira, ou croyance tradi-
tionnelle, on ne peut, par simple fantaisie ou par simple envie de «se
remuer», couper les végétaux et les arbres, creuser la terre, polluer les
eaux, tuer les animaux, etc. Des lois précises déterminent le comporte-
ment de maa en ces domaines, lois qu'il ne peut violer sous peine de
provoquer au sein de l'équilibre de la nature et des forces qui la sous-
tendent, une perturbation qui se retournera contrè lui.
La notion d'unité de la vie s'accompagne de la notion fondamentale
d'équilibre et d'échange, et maa, qui contient en lui un élément de toutes
choses existantes, est le garant de cet équilibre.
L'homme apparaît, dans le monde~ comme l'axe appelé à préserver
la multiplicité extérieure de tomber dans le chaos. Ainsi, de la conduite
des rois ou des chefs religieux~ conformes ou non à la loi sacrée des
ancêtres, dépendra la prospérité du sol, l'équilibre des forces de la nature,
etc.

Conclusion

En raison de l'amplitude du sujet et du temps limité réservé à cet


exposé, je concIuerai en attirant l'attention sur le fait que la tradition
se préoccupe de la personne humaine en tant que multiplicité intérieure
appelée à s'ordonner et à s'unifier, comme à trouver sa juste place au
sein des unités plus vastes que sont la communauté humaine et l'ensemble
du monde vivant.
Synthèse de l'univers et carrefour des forces de vie, l'homme est
ainsi appelé à devenir le point d'équilibre où pourront se conjoindre, à
travers lui, les diverses dimensions dont il est porteur. Alors méritera-t-il
vraiment le nom de maa, interlocuteur de Maa-nala et garant de l'équilibre
de la création.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTrON DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

QUELQUES APERÇUS
SUR LA NOTION DE PERSONNE
CHEZ LES BOBO

Guy LE MOAL

Les Bobo peuvent être, à bien des égards, considérés comme proches
des grands peuples du Mandé: Bambara et Malinké.
La langue bobo est rattachée par les linguistes au groupe mandé et
nombre de croyances et de notions relevées chez les Bobo sont partagées
par les autres ethnies qui composent ce groupe. Les Bobo ont cependant
développé, sur ces bases communes, un système de pensée qui possède sa
propre originalité.
Il sera essentiellement question ici de la conception que les Bobo
ont de la personne humaine, des éléments qui la composent et des traite-
ments auxquels ceux-ci peuvent être soumis par des procédés rituels.
Nous tenons toutefois à souligner qu'en cette matière nos recherches
sont à peine amorcées et que nos connaissances ne sont encore que très
fragmentaires, ayant été acquises moins par des enquêtes directes et systé-
matiques que par l'analyse des documents recueillis lors de l'étude des
grandes institutions socio-religieuses (notamment l'initiation et les rites
agraires) .
Pour les Bobo, l'homme est composé de trois éléments que nous
tenterons de définir tour à tour.

1) ka.

C'est le corps dans son entier, organes et enveloppe charnelle~ mais


le terme est souvent employé dans le langage courant pour désigner seule-
ment la peau. Dans la mort, le corps disparaît complètement; il devient,
dit-on, du banco (pisé). Il semble d'ailleurs que la matière du corps soit.

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même lorsqu'il est vivant, assimilée à de la terre; on dit: so kG vere «le


corps de I'homme est de la terre ».

2) meleke

Ce terme recouvre de très complexes notions, le traduire par le mot


« âme» est sans doute commode, mais appelle bien des réserves.
me/eke vient de l'arabe mlk «ange». La présence de ce terme arabe
dans une langue qui en compte bien peu d'autres est d'autant plus embar-
rassante que les Bobo, fort résistants à l'islam et fort jaloux de l'intégrité
de leur religion traditionnelle, l'emploient précisément pour désigner un
principe spirituel dont la conception est l'expression authentique et per-
sonnelle de leur culture profonde. En fait, l'emprunt, de la part des Bobo,
paraît bien s'être limité à celui du terme seul; l'interprétation qu'en don-
nent les deux religions concernées étant, à quelques éléments près, sensi-
blement différente. Les éléments similaires, que nous signalerons au pas-
sage, ne préjugent d'ailleurs pas d'une influence proprement musulmane
sur la pensée religieuse bobo dans la mesure où certains constituants de la
notion «d'ange» peuvent avoir eux-mêmes été puisés par les musulmans
dans un très ancien fond pré-islamique.
En tout état de cause, les Bobo connaissent aussi le terme ni, authen-
tiquement mandé, et, bien qu'ils ne l'emploient pas couramment, ils estiment
qu'il est l'équivalent de meleke - ce que les faits vérifient (l).
Pour les Bobo, me/eke est un principe spirituel immortel et indestruc-
tible présent dans tous les êtres humains et dans quelques rares espèces
végétales.
meleke jouit d'une certaine autonomie, il peut s'affranchir provisoire-
ment de l'homme durant son sommeil et agir librement; en particulier,
me/eke a le pouvoir de rencontrer les ancêtres et de côtoyer les êtres
surnaturels.
Les rêves sont l'image que perçoit l'homme des pérégrinations et
des actions diverses que son me/eke est en train d'accomplir. Au réveil,
lorsque m.eleke a réintégré le corps, les rêves sont retenus le plus souvent
comme des avertissements dont il importe de tenir compte. Il existe toute
une science de l'interprétation des rêves.

(1) Chez les Malinké ,selon Y. CISSÉ (Journal de la Société des Africanistes,
t. XXXIV, fasc. II, 1964, p. 184), le mot meleke est employé parfois, mais il rem-
place non pas ni, comme chez les Bobo, mais dya, le « double », notion que les
Bobo, eux, traduisent par YE:, ainsi que nous le verrons plus loin. Dans le cas des
Malinké, toujours selon le même. auteur, cette adoption d'un terme arabe est claire-
ment un fait de syncrétisme, résultat d'une récente islamisation.
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En cas de maladie très grave, me/eke peut également se séparer de


l'individu (qui entre alors dans une sorte de coma) afin d'aller voir les
ancêtres dans l'Au-delà pour obtenir le pardon de ses fautes éventuelles
et la guérison. Il s'agit là d'une démarche risquée car les ancêtres peuvent
fort bien refuser leur pardon et garder meleke auprès d'eux, ce qui entraîne
immanquablement la mort. Il existe toutefois une possibilité d'arrêter
meleke en cours de chemin. A Bankouma, village situé à l'entrée de la
«route des morts», dont nous parlerons plus loin, certains hommes ont
des dons de voyance qu'ils obtiennent grâce à une mixture fumée dans une
pipe, ils voient alors les âmes des morts passer; s'ils reconnaissent parmi
(2)
elles celle d'un homme seulement moribond et si quelque signe leur
fait augurer de l'insuccès de sa mission, ils peuvent s'en saisir avec un filet.
Dûment ligoté et empaqueté de fibres, meleke est restitué à son possesseur.
Il s'agit bien là d'interventions réelles, maintes personnes en ont été le
témoin, et qui ne laissent pas d'être confondantes si l'on songe que ces
hommes de Bankouma sont ainsi en mesure de retrouver le domicile d'un
mourant en quelque lieu, aussi lointain soit-il, du pays bobo.
En temps normal meleke est, dit-on, assis sur les épaules de J'homme,
à califourchon en quelque sorte. On notera que selon les musulmans, mlk,
« l'ange », se tient également perché sur l'épaule; c'est là l'un de ces traits
commun aux deux religions que nous signalions plus haut.
meleke serait fait à l'image de l'homme auquel il est attaché, mais il
est parfaitement invisible de tous, sauf du chien, du chat et du lièvre.
La mort est provoquée par la séparation définitive de meleke et du
corps. Peu avant la mort, me/eke s'agite beaucoup, va en tous sens dans
le village et entreprend parfois même, nous l'avons dit, de longs voyages.
Au moment de la mort, juste avant le dernier souffle, meleke court par
trois fois derrière le vil]age, au dernier retour il ne réintègre pas le corps,
c'est alors que l'homme meurt vraiment.
meleke reste à côté du cadavre et assiste à toutes les opérations
rituelles (toilette, creusement de la tombe, etc...). Si le statut de l'individu
ou les circonstances de sa mort l'exigent, on procède au rite de la «pro-
menade du cadavre », meleke est alors sur le brancard et c'est lui qui est
censé diriger les porteurs; le sens des déplacements imposés, le lieu des
stations, sont considérés comme autant de messages de meleke: c'est ainsi
par exemple qu'il désigne l'éventuel meurtrier.
meleke assiste à l'ensevelissement, à ce moment les meleke des ancêtres
de la famille sont également présents, ils surveillent les opérations et
donnent toutes les instructions nécessaires au me/eke du mort.

(2) Un moribond porte à la main une boulette de gâteau de mil...


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Si le mort est jeune, dès après l'enterrement, meleke part directement


vers le sud en direction du village des morts (sasara kiri), situé au-delà de
cette frontière du monde sensible que constitue, pour les Bobo du nord
et du centre, la rivière VoHa (ku).
Si le mort a droit à des funéraiHes solennelles (homme âgé, chef de
famille, dignitaire...), meleke reste près de la tombe jusqu'au moment de la
fête annuelle des morts (ye kwa diiga) qui est célébrée à l'apparition de la
« Lune-mère» (yesa) dite: «Lune des morts». Après les cérémonies,
meleke s'éloigne et gagne le village de Bankouma, précédemment cité, où
s'amorce la route des morts, menant par une brousse déserte à un gué'
de la Volta (sasara kure do «le gué des morts»), passage obligé des
meleke pour atteindre l'Au-delà. meleke ne franchit pas la Volta, il attend
sur la rive que le temps soit venu de ses funérailles solennelles (sy£kw£).
Lorsque la famille est sur le point de célébrer les funérailles, elle prévient
me/eke par le canal des ancêtres; il retourne chez lui et assiste à toutes les
cérémonies. A l'issue de celles-ci, me/eke reprend la route des morts, il est,
censé emmener avec lui tous les biens que, symboliquement, on lui a
donnés pour son voyage et pour son séjour dans l'autre monde: des cauris
pour payer le passeur de la Volta, un chien pour chasser, un bouc pour
offrir aux ancêtres, des nourritures, etc. Arrivé au gué des morts, meleke
trouve un piroguier (sasara ku kure }vera, « celui qui fait traverser la Volta
aux morts») qui, moyennant quelques cauris, lui fait enfin atteindre les
rives du pays des trépassés. Accueilli par les ancêtres, meleke est emmené
dans le village des morts, réplique presque exacte du village natal.
Tel est, brièvement résumé {:~I, le périple de meleke dans les temps
qui suivent la mort.
Le séjour des morts est un lieu de paix et de relative félicité où nul
châtiment n'attend ceux qui, sur terre, ont commis quelque faute. Il existe
toutefois une exception pour les hommes tués par Dwo (41 (dwo br£ s01jJJ
:<les hommes avalés par Dwo»), auxquels est réservée une résidence
séparée, dans une tranchée cruciforme (à l'image de leur tombe), où gisent
des dépouilles de masques et où brûle un feu éternel.
Il existe la possibilité pour me/eke de se «réincarner», mais cela
n'est en rien une obligation et il semble qu'il n'en dépende que de lui;
il peut alors choisir de sc manifester soit en la personne de l'un de ses
propres descendants, soit en celle de l'enfant d'une quelconque femme.

(3) Les traditions bobo fourn1illent de détails extrêmement précis sur les
conditions dans lesquelles s'effectue ce périple, sur les itinéraires - lesquels sont
matérialisés par des sentiers ou signalés par des arbres, des accidents topographiques.
etc. - et sur les activités des «voyants» de Bankouma. Nous en rendrons compte
dans un travail ultérieur sur les rites funéraires et l'eschatologie bobo.
(4) «fils» du Dieu suprême wuro, il est l'une des figures majeures de la religion
bobo.
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On voit que, d'une façon générale, la vision qu'ont les Bobo de


meleke a des dehors très concrets et que les comportements qui lui sont
prêtés ne sont pas bien différents de ceux qu'affecte habituellement ce
corps charnel qu'il habite et auquel, en définitive, il s'identifie étroitement.
Ce mode de référence anthropomorphique ne doit cependant pas faire
penser que la description des tribulations de l'âme n'est qu'anecdotes ou
croyances populaires. En fait, tout ce qui a trait aux composants de la
personne trouve sa justification dans le corpus des mythes cosmogoniques,
lesquels rendent compte de l'organisation de l'univers, de la mise en place
et de la répartition des forces vitales, de l'origine des espèces, etc. Toutes
ces connaissances sont perpétuées en même temps que revivifiées par des
rites et notamment par ceux qui interviennent aux moments où s'effectuent
ces «passages» essentiels dans le cours d'une vie humaine que sont la
naissance, l'initiation et la mort. La mise en œuvre de rites à ces moments
cruciaux, provoque d'ailleurs tout un jeu de transformations au niveau des
composants de la personne; nous aurons à en reparler.
Au total, meleke est certainement un principe de nature assez abstraite
et qui est loin de se présenter comme une entité simple. Au stade actuel de
nos connaissances, on peut dire en effet qu'avec meleke, à la fois indivi-
dualisés et confondus en lui, doivent être comptés deux principes annexes:
sabl, le souffle et kakiri, l'intelligence.
a) sabl. C'est un mot composé. sa est la contraction de s01);), pluriel
de sa, «les hommes, l'humanité». bl désigne le nez, mais ~st employé ici
par métonymie; le nez est l'organe par lequel transite la respiration,
laquelle est le phénomène caractéristique de la vie. sabl est donc en défi-
nitive le souffle - avec, sans doute, l'idée sous-jacente d'une sorte de
masse globale et finie de souffle, donc de vie, dont chaque individu détient
une parcelle impérissable.
Il est à noter qu'en elle-même la notion de sabl est complexe, en
effet le lien existe entre le souffle et la salive ainsi que, d'une façon
générale, entre le souffle et tout ce qui est aqueux (eau, sève, sang) consi-
déré comme étant, à l'égal du souffle) un véhicule de vie (la mort est, par
opposition, assimilée à l'état de sécheresse).
Les rituels bobo sont nombreux dans lesquels on utilise, pour mani-
puler les principes constituants de la personne, ces vecteurs que sont le
souffle (interruption momentanée de celui-ci pour symboliser la mort ini-
tiatique, par exemple) et la salive (consignation de crachats, et donc d'une
part de soi, dans un trou du sol, à titre de caution sacrée).
(;)).
sabl est indissolublement Hé à Ineleke A la mort de l'homme,

(5) Dans le rêve toutefois, il y a séparation momentanée, le souffle entretenant


la vie de l'homme pendant que divague !He/eke.
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sabï quitte le corps et accompagne meleke dans toutes ses pérégrinations.


Dans l'au-delà, meleke et sabï restent confondus, ensemble également ils
se réincarnent.
b) kakiri. Ce terme vient, lui aussi, de l'arabe (Eql). En bobo il dési-
gne l'intelligence, l'entendement, mais aussi la réflexion, la mémoire.
En quelque sorte, kakiri est une fonction de meleke. Cependant kakiri fait
preuve d'une réelle individualité: par le fait tout d'abord que les facultés
intellectuelles ne sont pas, en qualité ou en quantité, les mêmes pour tous
- en chacun se développe donc un kakiri original; par le fait aussi que
kakiri a dans le corps humain une localisation précise, différente de celle,
assez mal définie, de meleke. kakiri, en effet, se situe dans la vésicule
biliaire.

3) YE.

Le troisième élément fondamental de la personne est YE, l'ombre.


YE est positivement l'ombre portée du corps, mais elle n'est pas qu'un
phénomène physique. Les Bobo en effet semblent prêter à YE certains
caractères qu'en d'autres populations on qualifie d'un terme différent de
celui d'ombre et que souvent en français on rapproche de l'idée de
« double». Ainsi, YE serait à la fois ce que suma et dya sont pour les
Bambara.
Naturellement, YE est attaché au corps durant la vie et ne peut,
comme meleke, s'évader pendant le sommeil. Au moment de la mort,
tandis que meleke se déplace et court e.n divers lieux, YE reste immobile
à côté du cadavre et cela jusqu'à l'enterrement. Ensuite, YE se tient près
de la tombe, dans la maison du mort, tandis que meleke est parti jusqu'à
la VoIta pour attendre les funérailles solennelles. Durant tout ce temps,
YE est témoin des actes de tous les parents du mort et il reçoit des
offrandes régulières. Certaines personnes, les YE zye (de zye «voir» ),
ont a faculté de voir l'ombre lorsqu'elle rôde dans le village.
Après les cérémonies de levée de deuil, YE et meleke, enfin réunis,
gagnent d'Au-delà par l'itinéraire déjà décrit. YE reste définitivement au
village des morts et ne se joint pas à me/eke si celui-ci se réincarne.
S'agissant de l'étude des représentations ayant trait à la personne, on
ne saurait se limiter à la seule description des éléments constitutifs consi-
dérés, en quelque sorte, à l'état brut. Il faudrait aussi examiner comment
ces éléments évoluent, quels troubles ils peuvent subir et surtout par quels
moyens on peut agir sur eux.
Les Bobo connaissent par exemple le nyama, notion présente il est
vrai dans les croyances de toutes les populations du Mandé et que l'on
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retrouve, bien au-delà de leur aire culturelle, chez les Lobi comme chez
les Gourmantché.
A proprement parler, le nyama n'est sans doute pas exactement un
« principe» spirituel de la personne humaine, il est une force répandue
dans tout l'univers mais qui peut être «réfléchie» par l'âme ou par
quelque être doué de vie et se trouver ainsi dangereusement condensée
en un point. C'est ainsi que le conçoivent les Bobo, qui insistent du reste
surtout sur l'aspect essentiellement nocif du nyama. Notamment, on consi-
dère que la brousse est un lieu éminemment favorable au nyama et que
celui-ci se concentre plus particulièrement dans l'homme qui meurt hors
de son village, dans le lion tué à la chasse, ou dans la personne des génies
qui hantent les lieux inhabités.
Ces idées, nous l'avons souJigné, ne sont pas propres aux Bobo. Plus
intéressantes sans doute sont les opérations rituelles auxquelles se livrent les
Bobo et qui mettent en lumière leurs conceptions personnelles de la nature
et des propriétés des composantes spirituelles de l'être humain.
Ne pouvant, dans le cadre d'un exposé aussi bref, aborder le domaine
complexe de l'initiation - institution dont pourtant l'un des buts essentiels
est bien la transformation de la personne des adolescents - nous ferons
état ici d'un rituel qui offre l'intérêt de montrer clairement de quelles sortes
de manipulations une âme peut être l'objet. Il s'agira en l'occurrence de
l'âme des jumeaux et de sa mise en conjonction avec l'âme du mil aux
fins de protection du processus germinatif.
Nous avons déjà faÏt aHusion au fait qu'en dehors de l'espèce humaine,
certains végétaux pouvaient être dotés d'une âme et plus exactement d'une
« ombre», YE et d'une «âme», meleke, cette dernière un peu particulière
puisque privée de « souffle »~ sabl.
L'igname, mais surtout le mil sont ainsi censés posséder une âme et
sont, de ce fait, considérés comme des êtres vivants qui naissent et qui
meurent.
Parmi les nombreuses variétés de mil, seuls le « petit mil» (Pennisetum,
en bobo: du go furu) et le sorgho rouge (en bobo: ma pene) sont assortis
d'une âme. Ce sont des plantes sacrées par excellence, elles ont été, dit-on,
les premières plantes cultivées conn~ié:3 de l'homme et c'est du Dieu
suprême lui-même que les Bobo en ont reçu le don. Il en résulte une
extrême ritualisation de toutes les opérations agraires.
Les circonstances dans lesquelles le mil a été donné aux hommes
sont décrites dans le grand mythe cosmogonique bobo. Lassés de vivre
d'herbes et de fruits, les premiers hommes réclament une autre nourriture
à Dieu. Celui-ci les ~nvoie chez les fournlis qui leur révèlent et le mil et
les techniques de l'agriculture.
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Il existe une variante de ce mythe, d'influence probablement dyula,


dans laquelle ce sont les premiers jumeaux de l'espèce humaine qui ont
reçu personnellement le don du mil. Une relation étroite s'établit dès lors
entre le mil et les jumeaux, relation traduite par l'idée couramment exprimée
que les âmes des jumeaux seraient en affinité profonde avec celle du mil.
Les Bobo manifestent un grand intérêt pour le phénomène de la
gémelléité. Les jumeaux sont accueillis avec joie dans la famille et sont,
leur vie durant, entourés de beaucoup de respect.
Les jumeaux portent toujours les mêmes prénoms aux sens symbo-
liques clairs: le garçon s'appel1e si, en bobo «la semence, le principe
mâle»; la fille s'appelle zo, en bobo «l'eau, le principe femelle ». Si les
jumeaux sont de même sexe, l'enfant né le premier (considéré comme
aîné) est appelé si quel que soit son sexe; l'enfant né le second (consi-
déré comme cadet) est appelé zoo Le terme bobo pour jumeaux est küiye.
Notons que sont considérés comme jumeaux les enfants de deux femmes
d'un même mari nés ensemble ou à très peu d'intervaHe; on appelle ces
enfants wura ma küiye «jumeaux de Dieu». Toutefois seuls les vrais
jumeaux sont l'objet de rites développés.
A la mort des jun1eaux est confectionné un autel portant lui-même
le simple nom de küiye et qui est composé de deux cupules de terre cuite
accolées auxquelles sont joints divers objets: deux répliques minatures des
paniers de femmes, deux minuscules cruches, deux épis de maïs, deux
colliers de jumeaux et une cordelette. Le tout est empaqueté dans de la
toile et accroché, en temps normal, à une poutre du toit de la maison de
lignage.
Dans cet autel vient se fixer une part, tout au moins, des meleke des
jumeaux défunts et elle y réside définitivement. Ainsi, confondues avec leur
support matériel, les âmes des jumeaux deviennent-elles aisément manipu-
lables - ce que démontrent les rites que nous allons décrire.
Le mil, avons-nous dit, a une âme mais cette âme est très vulnérable.
Il est vrai que toute culture, et celle du mil en particulier, nécessite des
interventions techniques humainès qui sont autant d'atteintes à ce milieu
sacré qu'est la brousse~ domaine théoriquement exclusif de la végétation
spontanée. Sans une protection spéciale, saxo, divinité de la brousse,
pourrait s'attaquer au mil, arracher son âme et par là même faire mourir
les plants. Pour les raisons énoncées précédemment, les âmes des jumeaux
sont toutes désignées pour venir protéger l'âme du mil et même pour lui
infuser des forces nouvelles qui se traduiront par un pouvoir germinatif
accru (la gémeIléité n'est-elle pas symbole de profusion ?).
Le moment des semailles du petit mil venu, on prend donc l'autel
küiye et on le place dans l'un des grands paniers contenant la semence.
Arrivé sur le champ, dès que sont faits les sacrifices propitiatoires, le chef
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o panier si
1,2 . . , ordre de
colonne colonne distribution
de si de zo
Ft G, 1

de famille entreprend de semer le grain du panier dans lequel est déposé


l'autel küiye. Cela fait, le contenu de chacun des autres paniers est versé
tour à tour dans le premier panier, où l'autel se trouve toujours; puis le
grain est semé. Toute la semence a ainsi été mise en contact avec l'autel
et donc avec les âmes des jumeaux avant d'être confiée à la terre, Ce contact
provoque le transfert dans les grains de mil des âmes des jumeaux et leur
conjonction avec celle du mil.
Les semailles achevées~ l'autel, vide de son contenu spirituel, est
ramené au village.
Pendant le temps de la croissance du mil, les âmes des jumeaux pro-
tègent celui-ci. Lorsque les épis ont atteint leur maturité, on les coupe et
on les transporte sur l'aire sacrée (pati) où on les dispose en deux tas:
le premier est constitué par du mil de seconde quaJité (nlwë soro), il sera
battu, vanné et stocké sans rites particuliers; le second tas ne comprend
que du mil de première qualité (mwe 5 ma), on le battra en dernier lieu.
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Lorsque ce mil de première qualité est battu, on le dispose au centre


du pati en un grand tas conique. Cela fait, le chef de famille va dans la
maison de lignage où il prend l'autel küiye. Après prières et sacrifices,
l'autel est apporté sur le pati et posé sur le faîte du tas de mil; à cet
instant même, les âmes des jumeaux, confiées au mil depuis plusieurs mois
réintègrent leur demeure: Je petit autel qui porte leur nom. Dès lors, toutes
les opérations vont se dérouler sous la protection des jumeaux personnifiés
par leur autel.
Durant le vannage, l'autel est placé à l'est de l'aire afin de faire
écran aux forces mauvaises~ censées venir toujours de cette direction.
Lorsque tout le mil est vanné, il est réuni en un grand tas au sommet
duquel, à nouveau, on place J'autel, mais les tout derniers grains vannés
sont disposés en deux petits tas séparés, représentant eux-mêmes les
jumeaux et que l'on appelle de ce fait respectivement sI et lO (cf. fig. 1).
Le transport du mil au village, pour être stocké dans les grands
greniers spéciaux (molo), se fait encore sous le signe des jumeaux, mais
aussi sous celui des ancêtres en général.
Un jeune homme, ou même une jeune fille, est désigné par le devin
pour être le ramasseur de mil (dugo t:Jra). Dès le moment où il se place,
assis à terre, face au grand tas de mil, il devient la vivante personnification
des ancêtres, c'est pourquoi il est astreint à la nudité totale, à un mutisme
absolu et à la chasteté; sa nourriture est celle qu'on offre aux ancêtres:
du mil écrasé arrosé d'eau claire, de la bière de mil.
Le ramasseur a deux petits paniers: l'un, à sa droite, est déclaré être
le panier de la jumelle zo; l'autre, à sa gauche, est le panier du jumeau si.
Derrière le ramasseur se place l'une de ses sœurs. Deux colonnes de
femmes porteuses de paniers se constituent: la colonne de droite est la
colonne de zo, l'autre colonne est celle de si (cf. fig. 1).
Le ramasseur puise tout d'abord dans le tas de grains avec le panier zo,
sa sœur le prend et le vide dans le panier de la première femme de la
colonne de droite. Puis le ramasseur emplit le panier si, dont le contenu
est vidé à son tour par sa sœur dans le panier de la première femme;
celle-ci verra donc son panier se remplir peu à peu d'autant de mil du
signe zo que de mil du signe sl. La même opération se répète ensuite,
mais au bénéfice cette fois de la fenlme placée en tête de la colonne de
gauche, celle de si. On repassera alors à droite et ainsi, alternativement,
toutes les femmes empliront leur panier d'un mil reçu, en quelque sorte,
de la main des ancêtres et qui, de plus, a subi le contact fécondant de
la substance spirituelle des jumeaux.
Une fois emplis, les paniers sont portés au village et vidés dans les'
greniers. A ce rythme, l'opération dure plusieurs jours. Lorsque tout le
mil du tas principal a été distribué, l'autel küiye gît à terre, mais non loin
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de lui se trouvent encore les deux petits tas latéraux s1 et zoo On en place
les grains dans un dernier panier et l'on y dépose l'autel.
Après un sacrifice fait sur l'autel, on va procéder au transport céré-
moniel du panier au village. Durant l'opération, le panier est l'objet d'un
conflit rituel. En effet, le contenu du panier est précieux car les femmes
pensent que sa possession ou même le simple contact avec ce qu'il recèle
pourrait faire que les jumeaux se réincarnent en leur sein.
Le panier est surtout convoité par les filles qui sont allées se marier
dans un lignage étranger et qui veulent faire bénéficier celui-ci d'une nais-
sance éventuelle - glorieuse pour elles - de jumeaux. Contre elles se
dressent les femmes épousées par les hommes du lignage et qui entendent
bien ne pas se laisser dessaisir d'une chance possible de fécondité excep-
tionnelle.
Les deux partis en viennent donc aux mains et, bien qu'il s'agisse
malgré tout d'un jeu, les coups pleuvent drus et le porteur est sérieusement
houspillé. Aux approches du village, un koronate (intercesseur coutumier)
sépare les antagonistes.
Une ultime cérémonie aura lieu à l'occasion du retour de l'autel
kÜiye dans la maison de lignage et c'est le ramasseur de mil, substitut
vivant des ancêtres avons-nous dit, qui seul peut faire franchir le seuil au
réceptacle des âmes des jumeaux.
De nouveaux sacrifices seront faits en présence des mères de jumeaux
et des jumeaux du village et ce sont eux qui consommeront enfin le mil sI
et za du dernier panier.
Ainsi, par cet exemple puisé dans les croyances relatives à ces êtres
un peu exceptionnels que sont les jumeaux, voyons-nous qu'il est postulé
la possibilité d'une manipulation des principes spirituels c.onstituant la per-
sonne. Grâce à des procédés rituels relativement simples, les Bobo pensent
s'assurer un certain pouvoir sur les phénomènes naturels comme sur le
desti n des êtres.
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Collqques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

L'IMAGE DU CORPS
ET LES COMPOSANTES DE LA PERSONNE
CHEZ LES DOGON

Germaine DIETERLEN

Notre propos est d'examiner ici les principales composantes de la


personne telle qu'elle est conçue chez les Dogon et les représentations qui
leur sont attachées.
Un grand nombre d'informations sur ces composantes ont déjà été
publiées (1); elles sont partiellement reprises' dans cet exposé. Nous y
ajoutons la documentation recueillie depuis leur parution, documentation
que nous pensons pouvoir contribuer à donner une nouvelle orientation
aux recherches sur ce problème complexe.

(1) GRIAULE M.: Rôle du silure Clarias Senegalensis. dans la procréation au


Soudan Français, Deutsche Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Institut für
Orientforschung, 26, Atrikanistiche Studien. Berlin, 1955, p. 299-311.
GRIAULE M. et DIETERLEN G.: Le Renard Pâle. Tome I - Le mythe cosmogo-
nique. Fascicule I: La création du monde. Paris. Institut d'Ethnologie, 1965, LXXII,
541 p.
GANAY S. DE: Les Devises des Dogon. Paris. Institut d'Ethnologie, 1941, XLI,
194 p.
DIETERLEN G.: Les âmes des Dogon. Paris. Institut d'Ethnologie, 1941, XL,
268 p.
- Mécanisme de l'impureté chez les Dogon. Journal de la Société des A trica-
nistes, Paris, XVII, 1947, 81-90.
- Correspondances cosma-biologiques chez les Soudanais. Journal de psycho-
logie normale et pathologique, Le Havre, 3, juil.-sept. 1950, p. 350-366.
- Parenté et mariage chez les Dogon. A frica, Londres, XXVII, 2, 1957,
p. 107-148.
- Les cérémonies soixantenaires du Signi chez les Dogon. Africa, Londres,
XLI, 1, 1971, p. 1-11.
CALAME-GRIAULE G.: Ethnologie et langage. La parole chez les Dogon. Paris,
Gallimard, 1965. Bibliothèque des Sciences Humaines, 589 p.
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Nous exposerons également le rôle de ces composantes au cours des


étapes de la formation du corps humain dans le sein maternel ainsi que
durant la vie des premiers âges de l'individu.
La notion de personne (ine, pl. ineü) est très élaborée. L'homme est
constitué: a) d'un corps (g6du); b) de quatre principes dits «de corps»
que nous nommerons « âmes» faute d'un meilleur terme: un couple d'âmes
jumelles de sexe opposé, kindu kindu say, «âmes intelligentes» et son
reflet composé d'un couple comparable, kindu kindu humanE, «âmes
rampantes »; de quatre «âmes de sexe» classées comme les précédentes;
c) du symbole des nourritures de base placé dans les clavicules comparées
à deux greniers et contenant chacune quatre graines; d) d'une force vitale
composite (]1àma) conçue comme une énergie, un fluide qui circule conjoin-
tement avec le sang dans les veines et les organes internes.

A. Dans la première partie de cet exposé, nous examinerons séparé-


ment les divers principes qui animent le corps humain et les représentations
dont ils sont l'objet.

I. Les 8 kikinu

Le terme kikinu employé communément est une contraction de l'ex-


pression kindu kindu (2) désignant le principe directeur de la personne.
Cette répétition n'est pas fortuite; elle exprime l'existence dans l'être humain
de couples d' « âmes», l'une mâle, l'autre femelle. Qu'il s'agisse des âmes
de corps ou des âmes de sexe, le terme say a le sens de savant intelligent;
il qualifie l'âme en tant que siège de la connaissance et de la conscience
de soi. Mais il rappelle aussi, sous une autre forme, le principe fonda-
mental de la gémelléité. En effet, say est une déformation volontaire, au
dire des informateurs, de soy désignant le chiffre 7. Or 7 est la somme
de 3, symbole mâle, et de 4, symbole femelle. On exprime ainsi que
l'âme double, kindu kindu, est mâle et femelle (3 + 4), c'est-à-dire forme
un couple générateur par excellence.
Le kikinu say est «l'âme savante, intelligente », l'esprit, la volonté,
la pensée consciente de l'individu. Il ne semble pas localisé dans un organe
mais répandu dans l'ensemble du corps dont il est le double mobile yàlabile,
terme qui exprime l'indépendance de ce double et la faculté qu'il a de
quitter son contenant.
Le kikinu bumanE, «âme rampante», ou bornanE, «âme inintelli-
gente» est le reflet du kikinu say. Il peut se manifester dans l'ombre
portée par le corps et qui est considérée comme un couple; en effet, la

(2) Rattaché par certains informtaeurs à kinu, «nez », souffle.


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lumière du foyer projette sur les parois une forme nette entourée d'un
liseré de pénombre, ces deux zones exprimant la qualité de l'âme. Mais
à l'inverse du kikinu say, il se sépare rarement de son support; après la
mort, il est attaché à la dépouille jusqu'à la dernière poussière et à
l'ultime ombre portée par elle.
Ces 8 principes, «souffles» ou «essences», ne sont pas tous en
permanence liés au corps de l'individu auquel ils ont été attribués. En
ce qui concerne les kikinu de corps: pour un homme, le say mâle séjourne
dans le corps du porteur, le say femelle dans l'eau de la mare familiale
sous la protection du Nommo. Les sexes des âmes sont inversés pour une
femme.
Les kikinu bumont de corps fixent, dans une large mesure, ses rapports
avec son clan: pour un homme, le bÛmont ya siège dans le sanctuaire
totémique, le bumont ana avec l'animal interdit du clan.
Doublets des âmes de corps, et de ~ême essence qu'elles, les âmes
de sexe sont associées à la procréation et à la gestation donc à la fécon-
dité de leurs porteurs. Les kikinu bumont quittent rarement le sexe alors
que les kikinu say sont mobHes et n'interviendront effectivement qu'après
la circoncision et l'excision et au moment du mariage. Ils participent aux
cultes rendus sur les autels individuels (kutogolo et jabye) consacrés à ce
moment-là par les pères des conjoints respectifs.
Il convient de souligner les caractéristiques principales de ces prin-
cipes :
10) leur stricte appartenance à celui auquel ils sont affectés.
Tous les kikinu siègent dans l'eau et particulièrement dans les mares
sacrées dites «de famille» , réservées à chaque lignage étendu, sous la
garde du géniteur mythique de l'humanité, le Nommo, maître de l'eau.
C'est ce dernier qui octroiera à l'enfant ses kikinu dès le début de sa
vie intra-utérine. Chaque être humain reçoit des kikinu, qui lui sont per-
sonnellenlerit affectés et le resteront pendant toute sa vie comme après
sa mort: ils seront les bénéficiaires des rites funéraires et des cultes rendus
aux ancêtres. Les kikinu participent à l'individualité de l'être, car ils ne
sont jamais transmis à ses descendants.
2°) leur bi-sexualité.
Elle implique, au niveau spirituel, la présence dans chaque individu
du principe fondamental de la gémelléité. L'homme et la femme possèdent
grâce à eux une bi-sexualité permanente laquelle leur confère d'une part
la complétude voulue aux origines par le Créateur qui réalisa androgyne
le premier être vivant (la graine de po pi/u - image de l'atome); d'autre
part la fécondité, sur le plan physique comme sur le plan intellectuel et
psychique.
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3°) leurs sièges.


Ils sont localisés dans le corps pour certains d'entre eux, dans le
sanctuaire totémique, l'animal interdit, les autels individuels placés dans
la maison du lignage pour d'autres. Ces localisations ont pour effet prin-
cipal de mettre le porteur en rapport direct avec les puissances surnatu-
relles et les ancêtres de son lignage, lesquels, par leur truchement, influent
sur son comportement, l'aident, l'avertissent des dangers qu'il court et
interviennent, à tous les niveaux, pendant sa vie et jusqu'après sa mort.
4 0) leur extrême mobilité.
Tout rite de passage (dation du nom, circoncision ou excision, mariage,
funérailles, etc.) provoque le déplacement de l'un ou de plusieurs d'entre
eux. Il en est de même pendant l'exécution de toute cérémonie collective
à laquelle l'intéressé prendra part (fête des semailles, cérémonies du solstice
d'hiver dans le ginna, port du masque pendant le dama, fête soixantenaire
du Sigui, etc...). Bien entendu il en sera de même pour celles qui sont
exécutées pour ou par l'intéressé lui-même (rite des jumeaux et des kUJlo,
imposition du dug;) de nani, pose de la poterie funéraire d'un ascen-
dant défunt, etc...).

*
**

L'essence subtile des kikinu, auxquels ne sont attribués ni forme, ni


matière, ni aucun autre aspect particulier, est lié par les Dogon à leur
réalisation avant la première étape de la genèse.
Les signes abstraits, bumo, premier acte de Dieu, Amma, qui sont
l'expression de sa pensée et préfiguraient tout ce qu'il voulait et devait
créer, furent réalisés par la manipulation des 4 «éléments» de base:
l'air, le feu, l'eau et la terre.
Sur le plan graphique, le signe, bien que formant un tout, comporte
4 parties: «Le signe d'Amma, disent les Dogon, est un tout; il l'a
décomposé en parties présentant l'image des 4 éléments; la chose qu'il
représente existera en formant un tout ». Etant promise à l'existence, elle
prendra conscience d'elle-même, témoignant de l'action fondamentale, lors
de la réalisation du signe par la manipulation des 4 éléments, de la présence
dans le signe de leurs témoins, les kikinu et notamment des kikinu sây,
« âmes intelligentes».
Les « signes» furent inscrits dans le «sein» du Créateur, assimilé à
une matrice et à un placenta dans lesquels devaient par la suite gester
les êtres et les choses qu'ils préfiguraient. Parallèlement le signe de chaque
individu sera inscrit dans son propre placenta. «Le placenta est toujours
vivant, toujours pur». Cette phrase répétée par les informateurs, souligne
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les caractéristiques attribuées au placenta d'Anlma, et qui sont celles du


placenta de tous les êtres vivants.
Les kikin.u sont, pour l'homme comme pour le grain, l'image et
à la fois l'essence des 4 élé,nents de hase; ils sont de la nature du signe
lequel témoigne de la pensée organisatrice et de la volonté créatrice
d'Amma. Doubles immatériels en même temps qu'esprits inlmortels dans
lesquels sont situées toutes les facultés (spirituelles, intellectuelles, nl0rales,
etc.) de l'homme, ils resteront intangibles durant la vie, quoi qu'il arrive.
comme après la mort et ne dépendront que de la volonté divine.

))
II. Les « graines des clavicules

Pour les Dogon, la formation de l'enfant dans la matrice commence


par celle du crâne et des clavicules. L'être formé est d'abord comparable
au silure an.ag6n.o (Clarias senegalensis); quelques semaines avant la nais-
sance il quitte la forme de poisson pour prendre forme humaine.
La première place accordée à la clavicule dans la formation de
l'être humain souligne son importance. On dit: «le principal (tête) os du
Nomma (est) l'os de la clavicule et le crâne. Amma a fait ]'os de la clavi-
cule en premier. Le reste des os, il l'a fait en le suspendant à eHe. Le
mûrissement (vieillissement) de l'os de la clavicule, (c'est) jusqu'à ce qu'il
devienne jeune homme. »
Pour les Dogon, en effet:
10) La clavicule constitue le système de suspension de l'ensclnble du
squelette. On dit: «la clavicule, c'est l'équipement du corps suspendu».
La liaison de la clavicule avec l'ensemble du squelette a lieu vers 22 ans,
âge du mariage chez les Dogon.
2 0) Les deux clavicules contiendront théoriquement les symboles des
huit graines primordiales réalisées par le créateur au début de la genèse:
pa, [l'né ya, ara, yu, [l'ni pi/ut nÙ, nàlllll, â]lU, soit quatre par clavicule.
En effet l'os de la clavicule se dit a]1i gÙ)'O kit c'est-à-dire, «os du grenier
d'aJ1i» et la salière aJ1i gÙyo. L'ensemble est assimilé à un grenier;
l'os étant l'armature du grenier, contient les graines. On dit: «les graines
sont sorties de l'os des clavicules 1/ et aussi: «AnIma a pétri 'es clavicules
en forme de houe. L,a clavicule est (comnle) la houe (le fer) avec laquelle
on fait tout le travail du chanlp ».
Ces inlages sont une aHusion au travail de l'homme sur la Terre, à
l'agriculture - technique de base et à la vie - entretenue par la
~

nourriture de base, les plantes cultivées La présence des sYInboles dans


les clavicules apporte à l'individu la force vita!c. .flâna. des plantes al i-
mentaires qu'il consomJne.

14
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Le contenu claviculaire et son ordonnance varient suivant le sexe, les


tribus, les castes, les fonctions, etc... et situent J'individu dans la société.
Les enfants ont, dans les clavicules, les mêmes graines que leurs
parents. Dans le cas le plus courant, chaque individu reçoit 4 graines
« masculines» dans la clavicule droite comme son père et ses ascendants
agnatiques, le petit mil yu étant placé en tête de liste; 4 graines «fémi-
nines» dans la clavicule gauche, comme sa mère et ses ascendants utérins,
le sorgho femelle Emi ya étant placé en tête de liste. Ainsi est soulignée,
dans un symbolisme d'ordre biologique, la présence d'une double filiation.
La position des graines dans l'os claviculaire se réalise au fur et à
mesure du développement de l'individu et n'est complètement fixée que
lorsque l'os sera définitivement soudé au reste du squelette, c'est-à-dire
à 22 ans, âge de la maturité. Lorsque l'individu est adulte, on dit que
«les graines sont en place»; les 4 graines sont réparties dans l'os en
3 points, aux deux extrémités et au centre.
Mais depuis la vie intra-utérine et jusqu'à la mort, au cours de
l'évolution physique et sociale de la personne, associée à des rites indi-
viduels (naissance, imposition du nom, circoncision, mariage, décès) comme
au déroulement de rites collec6fs (Sigui), la position des graines à l'inté-
rieur de l'os sera momentanément modifiée suivant un processus précis.
Les mouvements des graines sont, dans ce cas, associés au changement de
statut du porteur.
La stabilité du contenu claviculaire est gravement perturbée lorsque
l'individu, ayant rompu un interdit, est en état d'impureté pùru.
Ce terme, en langue dogon, s'oppose toujours à Sm:J, vivant. On
serait donc tenté de le traduire par mort. Mais ce dernier terme se traduit
par yimu; tous les morts (y/mu) sont pùru. Ce mot exprime quelque
chose de plus; on peut le traduire par impur, à condition d'ajouter à la
notion de souillure, de miasme, incluse dans la définition habituelle, celle
d'instabilité, de dispersion, de désordre des forces spirituelles de l'être
devenu tel. L'état de pùru est, pour un homme, celui qui le conduit direc-
tement à la mort, mais non pas la mort elle-même.
Lorsque l'individu est en état d'impureté, on dit que les graines «se
battent»; elles peuvent aussi quitter leur place et «sortir des clavicules».
L'intéressé est alors privé des symboles essentiels de ses nourritures de
base, et vidé parallèlement d'une partie de sa force vitale, .J1àma. Seule
la purification aura pour effet de réintégrer les graines dans leur support
et de rétablir son intégrité.
Tous les éléments d'un groupe hunlain ne présentant pas les mêmes
qualités, n'exerçant pas les mêmes fonctions, le contenu de leurs clavicules
n'est pas comparable soit dès la naissance, soit après la consécration dans
une situation religieuse déterminée.
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2I1

Ainsi les jumeaux et les enfants dits kU1Jo (nés sans que leur mère
ait eu des menstrues depuis la parturition précédente), symboles des jumeaux
primordiaux, reçoivent une double dotation. Il en est de même du for-
geron. D'où le rôle considérable des premiers dans les rites agraires et
du second dans les rites cathartiques qui ont tous pour but l'accroissement
du rendement, des richesses, la prospérité du commerce et des échanges.
C'est ainsi qu'un don fait à des jumeaux est profitable au donateur
qui reçoit en retour, symboliquement, un bénéfice double de celui qu'il
eût reçu dans un cas ordinaire: sa récolte sera plus belle, ses troupeaux
prolifiques.
Le gaucher est placé dès sa naissance dans un cas spécial: cette
particularité est interprétée comme due au fait que la mère enceinte de deux
jumeaux mâles a rompu un interdit de clan. Nomma la punit en unissant
dans son sein les deux enfants pour n'en faire qu'un, mais gaucher, afin
d'en prévenir la mère. Considéré comme le plus fort et le plus adroit des
hommes, puisque sa main gauche est l'égale de sa main droite, il inau-
gure tous les travaux. Cette égalité lui donne de plus, la qualité théorique,
et religieusement parlant, d'androgyne.
Certaines fonctions religieuses confèrent à leurs agents un contingent
analogue à celui des jumeaux. Les prêtres des cultes de Binou et du Lébé
reçoivent, en même temps que les perles dug;), insignes de leurs fonctions~
huit graines supplémentaires au moment de leur intronisation.
Un certain nombre d'individus sont privés de l'[mi ya qui est
remplacée par l'une des variétés de fonio, le p6 ban (Digitaria exilis).
Cet état - qui leur est transmis par l'ascendant dont ils ont hérité une
part de Jlàma, leur nani ancêtre - les place dans une situation parti-
culière au sein de la société: de nombreux interdits frappent les autres
hommes vis-à-vis d'eux.
Pour des raisons dont l'exposé déborderait le cadre de cet article, la
graine pa ban est privée de son âme femeHe; eUe ne détient qu'une âme
mâle et n'est composée que de deux des quatre éléments, à savoir air et
terre; elle n'a point de .f1àma. Cet état d'incomplétude la rend impure,
pùru. De plus, son âme mâ1e séjourne avec elle pendant le temps de la
germination, tandis que pour les autres céréales, l'âme mâle, qui réside
habituellement en eUes, est remplacée par l'ân1e femelle, normalement
détenue dans l'eau par Nomma entre la récolte précédente et les premières
pluies. Celles-ci apportent cette âme femelle aux semences enfouies dans
la terre.
Pour ces raisons, le porteur de pa ban est privé de l' [mi ya et consi-
déré comme en état d'impureté vis-à-vis de tout individu détenant cette
dernière graine. De ce fait~ la société dogon est divisée en deux grands
groupes: les ine 3m:J (litt. : hommes vivants) porteurs de l' [mi ya, et les
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fne pÙru (litt. : homn1es in1purs) porteurs du pa impur. Les premiers, dont
l'interdit principal est justement le fonio impur, sont seuls habilités à
consomn1er la chair des victimes offertes au Binou de leur clan comme à
devenir prêtres de ce culte. Ils sont soumis~ de plus, à un certain nombre
d'abstentions dont sont déchargés les ine pÙru du fait de leur relative
in1pureté. Ceux-ci sont relevés de tous les interdits des Ene 6m:J concernant
la mort: ils lavent les cadavres, les vêtent, les portent à la nécropole et
conson1n1ent la chair des victimes offertes aux funérailles. Ils interviennent
également dans les cas de morts particulièrement graves (mort violente,
foudroiement, mort durant l'accouchement ou pendant la période mens-
truelle). Ils sont égalen1ent habilités à la construction et à l'entretien de la
demeure où séjournent les femmes chaque Inois.
En effet, une femme en état de menstruation perd l'emi ya qui est
remplacé par la Digitaria. Pendant sa retraite de cinq jours, dans la maison
affectée aux femmes, elle peut se nourrir de cette dernière graine, même si
d'habitude celle-ci est son interdit. Le délai écoulé, elle se purifie pour
éliminer la graminée. puis, après une ablution au point d'eau, elle croque
une graine d'emi ya, afin de rétablir l'état antérieur de ses clavicules.
Dans la même situation que les Ene pùru sont placés les griots, les
travailleurs du cuir, les travailleurs du bois, les fabricants de vannerie.
Ces artisans forment des castes endogames et sont, dans une large mesure,
tenus à l'écart des cultes principaux. De plus, aucun ine :Jm:J ne saurait
boire dans la mên1e calebasse que l'un d'eux, sous peine de perdre l'Emi ya
de ses clavicules, c'est-à-dire de devenir impur. Nul ne leur donne jamais
d' fIni ya et, s'ils cultivent des champs qui leur sont propres, ils ne sau-
raient attendre de récolte fructueuse que de la seule Digitaria.
Il convient de citer ici Je cas spécial du magu « parent à plaisanterie»
et « aJJié cathartique ». L'analyse de la situation réciproque des alliés, les
représentations comportant certains aspects du principe de gémelléité qui
sont associées à ces relations dépassent Je cadre de cet exposé.
I-,'alJiance se traduit par- des interdits dont la rupture entraîne les plus
graves conséquences: le miigu ne doit, en aucun cas, verser le sang de son
allié. L'jnlpuissance sanctionnerait l'infraction. Quant au meurtre, il est
censé entraîner la mort du coupable. Tout rapport sexuel est également
prohibé entre les deux groupes; iJ constituerait un véritable inceste qui
aurait pour effet de vider complètement les deux complices des nourritures
de leurs clavicules. C'est dire que le Dogon y perdrait même le petit mil, yu,
céréaJe de base qu'aucune autre infraction ne saurait atteindre. De ce fait,
le coupab]e serait comme vidé de sa substance.
CarnIne tout autre individu. le Inagu ne possède normalement que huit
graines, mais en présence de son partenaire et dans l'exercice de ses préro-
gatives, tout se passe comme s'il en avait seize. « Ce qui est le plus important
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dans la chose (l'institution) du mâgu, disent les Dogon, ce sont les graines
des clavicules ». La fonction cathartique de l'allié, vis-à-vis de son parte-
naire intervient en cas de rupture d'interdit: il procède lui-n1ên1e à la puri-
fication, sa présence ayant pour effet de favoriser la réintégration des graines
dans les clavicules du fautif et 1e rétablissement de ses forces perturbées.

.~
::~
*

Quelle que soit la composition du contenu claviculaire - associé à


certains caractères physiques, à certains statuts, à certaines fonctions -
il témoigne dans chaque individu de la présence et de l'action de ses
nourritures de base: les Dogon sont des cultivateurs.
Le symbolisme et le rôle de ce contenu est rattaché, dans la pensée
indigène, à la première étape de la genèse - c'est-à-dire à la création par
Dieu, Amma, de la première graine - le pb pilu - et à son animation.
La première « parole» d'Amma est la vibration qui donna la vie à la graine
de pb. Cette «parole» s'articula, formant 7 vibrations internes qui sym-
bolisaient la double sexualité (3 mâle et 4 femelle) conférée à la graine:
la vie se développant elles se mirent à tourner en spirale; une 8e vibration
émergea, externe à l'enveloppe, préfigurant le germe, c'est-à-dire la fécon-
dité de la graine androgyne qui donnera u1térieurement naissance à d'autres
variétés.
Les 8 graines des clavicules sont le symbole des 8 vibrations de la
première «parole» d'Amma. Elles confèrent à l'homme la vie organique
comme ces vibrations l'avaient octroyée à la première graine vivante. Les
« articulations de la parole» d'Amma seront présentes dans les «articula-
tions» du squelette du corps humain, résumées symboliquement dans les
clavicules. L'homme, de ce fait, est consubstantiel au grain. Dans la vie
courante et quelle que soit sa composition, la stabilité du contenu clavi-
cuIaire témoigne de l'intégrité physique du porteur; son instabilité (ou son
départ) témoigne de la présence de désordres portant gravement atteinte à
cette intégrité.

III. Le Jlùma

Le J1àma, qui constitue ce que l'on peut appeler provisoirement la


force vitale, est placé directement sous l'autorité des «âmes» kikinu.
Les principales caractéristiques du .l'là/na sont les suivantes: il est
divisible et transmissible, susceptible de variations quantitatives et qualita-
tives, sensible à toute impureté dont il s'imprègne et qu'il communique
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immédiatement à son support, dangereux lorsqu'il est libéré de son support


habituel (3).

Le JZàma ne siège pas exactement dans le sang de l'homme, mais


circule avec lui dans ses veines. Quand l'homme est dans son état normal,
il est distinct du sang sur lequel il surnage comme de l'huile sur de l'eau.
Mais tout désordre physique ou psychique détruit cette harmonie. Sous
l'effet de la colère, par exemple, le Jlàma «s'agite, devient chaud» et au
lieu de couler à la surface du sang, il se mélange avec lui: «le sang bout,
le foie devient rouge». Cet état insolite crée un malaise profond dont
souffre l'individu. Quand il se calme, c'est qu'une séparation s'est opérée,
que l'ordre est rétabli. La santé est conçue comme un équilibre, une stabilité
physique du Jlàma par rapport au sang.
Cette relation des deux substances fait que tout écoulement de sang
entraîne avec lui un écoulement proportionnel de Jlàma, particularité
qui joue un rôle fondamental dans l'institution du sacrifice sanglant.
Le Jlàma d'un homme n'est pas une masse confuse et indifférenciée:
il est une somme de parcelles diverses dont l'ensemble contribuera à former
sa personnalité. En premier lieu l'individu est doté d'un JZàma en quelque
sorte de base qui lui est octroyé par Nomma, géniteur mythique de l'huma-
nité, détenteur de la vie, du verbe et des âmes. Il reçoit une part de Jlà1na
provenant de son père et une part provenant de sa mère.
Théoriquement, il est constitué d'une somme de quatre-vingts parcelles
qui lient l'individu à ses ascendants directs et indirects. Sous l'égide du
kikinu de corps mâle sont groupés quarante Jlàma ayant à leur tête celui
du père; sous l'égide du kikinu de corps femelle, quarante autres ont à leur
tête celui de la mère.
Les premiers sont faits de l'apport du nani de l'enfant, c'est-à-dire de
l'ascendant - en ligne consanguine pour un garçon, utérine pour une fine
- qui, après sa mort lui a transmis son propre )1àma; à cette part vient
s'ajouter celui de son propre nani, et ainsi de suite en remontant les géné-
rations. Dans l'enfant sont donc présentes les forces de ses ascendants
directs (ceux d'un lignage) formant une série de nani.
Les quarante autres proviennent de l'ancêtre immortel binu, intermé-
diaire entre le Nomma et ses descendants, protecteur du clan (nous rappe-
lons que les Dogon étant patrilinéaires et patrilocaux, une fille relève du
clan de son père); du dernier prêtre défunt de ce culte et de tous les prêtres
qui l'ont précédé. Dans l'enfant sont ainsi présentes les forces émanant des

(3) D'une façon générale «le J1àma est une énergie en instance, impersonnelle,
inconsciente, répartie dans tous les animaux, végétaux, dans les êtres surnaturels,
dans les choses de la nature et qui tend à faire persévérer dans son être le support
auquel elle est affectée temporairement (être mortel) ou éternellement (être in1morte1) ».
GRIAULE, Masques Dogons, p. 160 et ss.
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ascendants relevant d'une parenté plus large que celle du lignage, le clan
(parenté dite mÈnE, de mÈ:, placenta).
En principe, chaque jour, une paire de ces éléments, provenant de
ces deux séries, veille sur l'individu, occupant son corps entier; le reste des
deux séries séjournent dans les clavicules, le pàma étant de ce fait lié au
contenu claviculaire symbole de la vie organique. Ainsi, les forces de l'inté-
ressé opèreront-elles pendant la vie selon un cycle de 40 jours.
Plus tard, si l'enfant assiste aux fêtes du Sigui, sa personnalité s'accroît
d'une part du )1àma du Grand Masque, c'est-à-dire de l'ancêtre mythique
qui, le premier, subit la mort. Enfin, au cours des sacrifices auxquels il
participe, sa personnalité s'augmente de parts octroyées par chacune des
puissances auxquelles il rend un culte: dieu Amma, Nomma, Lébé, etc...
Ces parts, qui sont d'importances différentes, celles du nani et du
Binou étant les principales, restent indépendantes les unes des autres et
ne se mélangent point, étant parfois incompatibles. Un homme a donc en
réalité, non pas un, mais des 1Jàma, et si l'on emploie ce mot au singulier
il faut le concevoir comme définissant un amalgame d'éléments distincts,
et non un mélange. Un individu est en relations constantes avec tous les
êtres (parents, ancêtres et puissances surnaturelles) qui lui ont octroyé ces
forces, chacune d'elles contribuant à assurer son intégrité spirituelle et, de
ce fait, à maintenir l'équilibre de ses forces physiques.
Le )1àina croît régulièrement avec les années et se fortifie de celui
qu'apportent les nourritures, notamment celles dont les symboles siègent
dans les clavicules. Mais il est susceptible d'usure, de diminution, du fait
du travail, des efforts, des accidents et des fautes rituelles, ces modifications
se répercutant sur le contenu substantiel des clavicules. Pour conserver
son intégrité, l'homme entretient son Jlàma en offrant régulièrement des
sacrifices ou des libations aux donateurs dont il est le ressortissant. Les rites
comportent communion en même temps qu'offrande; tout individu qui sacri-
fie à l'une des personnalités dont il détient le J1àma en reçoit le bénéfice sur
cette part même.
Ces liens, noués dès la naissance ou au cours de la vie et entretenus
par le culte, sont sanctionnés. Les ancêtres et les puissances surnaturelles
contrôlent la conduite de celui auquel est donnée une part de leurs forces:
des interdits, dama, sont attachés à chacune d'elles. Un individu se trouve, de
ce fait, dès sa naissance et jusqu'à sa mort, dans l'obligation absolue, à la fois
religieuse et sociale, de respecter les interdits des êtres auxquels il participe
ainsi que ceux des puissances surnatureHes dont lui-même et le groupe dont
il est membre sont tributaires. C'est dire qu'il lui faudra observer les
interdits de son père, de son nani, de son Binou, du Grand Masque, du
Lébé, du Nommo, du dieu Amn1a et de toutes les puissances sur les autels
desquelles il sacrifie.
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L'éventail des obligations est vaste: pour chacune des personnalités


surnaturelles dont il dépend, l'intéressé observe des interdits alimentaires
et sexuels, de lieu et de temps. Il ne doit ni consommer ni détruire certaines
plantes et certains animaux. Il respecte les interdits des lieux où séjournent
]es forces des puissances surnaturelles: sanctuaires, autels, champs cultivés,
lieux sacrés du village ou de la brousse. Des actès qui ne sauraient être
exécutés à tel moment sont licites à tel autre. Le métier auquel il .se livre
Je contraint à respecter ceux qui se rapportent à son activité. Enfin, s'il est
appelé à remplir une fonction religieuse qui fait participer plus intimement
encore son )îà/rla à celui de la puissance dont jl devient le prêtre, il est
tenu de préserver cel1e-ci de tout contact impur pour elle: les interdits
qu'il lui faut observer sont alors plus stricts et plus nombreux.
L'homme paraît ainsi enserré dans un réseau qui devrait, semble-t-il,
paralyser son action. La réalité est toute autre: le fait qu'un individu soit
ainsi contraint prouve qu'il a reçu et porte constamment en lui des Jlàma
divers. Il en est d'autant plus fort; il est aussi d'autant plus protégé;
car il demande à ceux dont il dépend leur appui et leur protection par la
prière, les offrandes, les sacrifices. Les individus apparemment libres sont
au contraire dépourvus de forces, en buttc à tous les dangers et moins aptes
à lutter contre eux. La noblesse d'un homme est en fonction du nombre
d'interdits qu'il observe et le mépris relatif où sont tenus certains individus
castés (griots, cordonniers) vient de ce qu'ils sont soumis à moins d'obliga-
tions que les autres.
Le respect de ces règles dépend pour la plus grande part de la volonté
et de la conscience de l'individu, c'est-à-dire de ses âmes, kikinu, qui main-
tiennent l'intégrité, la stabilité de son Jlàma. La rupture des interdits confère
au coupable l'état d'impureté pùru. Cet état, nous l'avons vu, a pour effet
de vider le contenu claviculaire de l'intéressé, donc, d'attenter à sa vie
organique. ParaJlèJement le .J1àma est perturbé, la parcelle en relation avec
la personnalité lésée quitte son sang, le privant d'une part de ses forces.
Seule, la purification, permettant la réintégration du contenu claviculaire,
rétablira l'équilibre rompu; le ]1à/11apourra à nouveau croître et se déve-
Jopper et l'individu retrouver I"intégrité de sa personne.

**

Ensembles d'énergies distinctes, mais conçues comme un tout, le Jlàma,


qui circule avec le sang dans les veines fait que l'être a vie, mouvement
ct parole.

] (J) Pour les Dogon, la vie qui anime le corps et se développera en


nlênle temps que lui dans chaque individu est comparable au mouvement
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tourbillonnaire qui anima le monde. De même qu'à l'intérieur de la graine,


le germe tourne pour se développer, de même «l'enfant au moment où il
commence à vivre, commence comme un tourbillon». Le mil, lorsqu'il
pousse, fait de même. «Le mil, s'il grandit, monte en tournant comme un
tourbillon. Toutes les choses qui vivent commencent ainsi».
Le Jîàma n'est pas une « matière» en mouvement constant. Il est le
mouvement lui-même et précisément celui qui fut imprimé aux 7 premières
vibrations de la «parole» d'Am ma à l'intérieur du grain de pa pilu. Ce
mouvement en spirale vibratoire provoqua la naissance et la sortie hors de
l'enveloppe de la 8e vibration, préfigurant le germe futur de la graine,
c'est-à-dire sa fécondité.

2°) Placé sous l'autorité des kikinu, en relations directes avec le


contenu claviculaire - vie «végétative» et «parole» primordiale -
le J1àma est associé pour les Dogon à une autre étape de la «parole»
d'Amma.
Sous l'impulsion du cœur le Jlàma traverse avec le sang tous les
organes internes de l'homme. La «parole» acquiert de ce fait des carac-
téristiques qui la distinguent de la précédente. On dit: « La parole qui n'est
pas parlée est gardée par les clavicules; au moment où l'on parle, la parole
passe à l'extérieur par les organes du ventre. Le mouvement du sang du
corps qui circule à l'intérieur des organes du ventre, d'un côté le sang
« clair» (sérum), de l'autre J'huile (plasma), garde les deux réunis: c'est
cela la marche de la parole. Le sang-eau - ou clair - passe par le cœur,
puis par les poumons, le foie, la rate; le sang huileux passe par le pancréas,
les reins, l'intestin et Je sexe. La parole est entrée dans les organes internes.
La parole «parlée», sortie de la mâchoire passe par les intervalles des
dents ».
Le cœur, premier organe qui soit en rapport direct avec le contenu
claviculaire, a un rôle actif et distributif; le foie - siège privilégié du J1àma
- confère à la parole sa force - bonne ou mauvaise -; la rate a un rôle
régulateur des paroles et peut « purifier » les « mauvaises paroles» éjectées
par le foie et rétablir la sérénité de la pensée; le pancréas dit «œil du
cœur» sera le siège de l'intujtion, de l'inspiration, du psychisme de l'indi-
vidu; les poumons participeront à l'émission des paroles, au langage et au
chant; les reins sont associés à la procréation et aux naissances, c'est-à-dire
à la vie sexuelle et familiale; les intestins au partage, à la distribution des
paroles car « c'est par l'intestin que les nourritures passent dans le sang et
les articulations». Pour que J'homme soit fécond, les organes sexuels ont
reçu la «parole du sexe» fondement de la création; cette dernière reste
dans le secret, mais sa présence dans l'organe de reproduction témoigne
ici néanmoins de sa future «sortie» sous la forme de l'enfant qui naîtra
d'elle.
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Le Jlàma de l'individu hérité de ses ascendants directs et indirects est


porteur de toutes les caractéristiques de la « parole» mise en relation avec
les organes internes. Siège de l'hérédité, il est en même temps celui du
caractère de son porteur; il manifeste son tempérament, ses tendances, ses
impulsions, ses actes. Le ]làma est le témoin en même temps que l'agent
de la vie active de tout individu.

3°) Les Dogon établissent un rapprochement entre les naissances et


l'expression verbale, tous deux conçus comme une extériorisation de la
« parole». Cette extériorisation est assimilée à la fécondité du grain, sou-
lignant le lien consubstantiel établi entre l'homme et les céréales. «Les
grains des semailles sont comme la parole non parlée: quand les céréales
ont germé et après le mûrissement, c'est comme la parole qui est « parlée».
Nous rappelons que c'est par l'adjonction des dents qu'Amma permit
au géniteur de 'l'humanité, le Nomma, de «parler la parole» qu'il devait
ensuite révéler aux hommes. Il s'agit là du stade où la «parole» devient
expression verbale, langage. Prenant appui sur la mâchoire, elle passe par
les intervalles des dents. «Les paroles, telles les rivières découpant une
région, sont comparables à la circulation de l'eau entre les îlots, formés de
terre, qui sont les dents. )

Les dents de lait de l'enfant sont assimilées aux dents du Nomma.


Destinées à tomber, elles seront remplacées par d'autres qui sont les sym-
boles des catégories dans lesq ueUes sont classés toutes les choses et tous
les êtres créés par Amma. Toutes les catégories et le développement de la
pensée se traduiront dans les articulations du langage.
L'une des plus courantes, mais aussi des plus puissantes manifestations
du Jlàma se traduira lors de l'extériorisation de cette force qui accompagne
toute parole orale, la «parole parlée». De là la valeur du discours sous
toutes ses formes et pour l'individu celle de l'énoncé de ses noms, et des
devises - tigt - qui lui sont dévolues.
Nous avons vu que l'individu est rattaché, par son Jlàma, aux ancêtres
mythiques, à ses ancêtres historiques, à ses ascendants vivants. Les devises
dont il hérite évoquent ces relations. Leur ensemble (tigi de peuple, de tribu,
de région, de village, figi individuel, etc...) énumère la série des groupes
auquel il appartient. Par elles, l'homme est situé dans l'espace et dans
la société; d'autre part, sa place et l'accroissement auquel est parvenue sa
personnalité y sont comme délimités. L'action fondamentale de la criée des
devises s'exerce sur le :rlàma de celui auquel on s'adresse - et au béné-
fice de ce dernier.

B. Dans la seconde partie est exposée la façon dont les Dogon conçoi-
vent la foro1ation du corps humain pendant la vie intra-utérine, l'action et
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l'intégration des composantes de la personne avant et après la naissance


ainsi que certains rites relatifs à cette intégration.

Procréation.

Dans la région de Sanga, un silure est offert par le mari à sa future


femme lors de l'apparition des premières règles, silure qui porte le nom
de pùnu[u idu: « poisson des règles».
En fait, c'est le patriarche du lignage de l'époux qui offre le poisson
gardé depuis la dernière pêche collective pratiquée à la main dans la mare
familiale dès qu'elle tarit. A cette occasion le vieil homme a reçu une part
composée des plus grosses pièces capturées par ses descendants mâles,
parmi lesquels figure le mari. L'animal est ouvert et pendu à un bois dépas-
sant de la charpente où il subit un séchage naturel. Dans cette position,
il est le témoin de la mare et des âmes qu'elle contient. Il rappelle aussi
que l'un des titres du patriarche est J bava, «maître de la mare ».
Dans la maison des femmes menstruées, la jeune fille consomme le
poisson en entier, tête comprise, à l'exception des arêtes, avec un plat de riz
(cette céréale pousse dans l'eau). Le poisson est censé se placer verticale-
ment dans le sein, la tête touchant la matrice. Il formera ainsi un fœtus
en instance, détenant les quatre «âmes de sexe», :Jg:Jkikinu, de l'enfant
possible, formant deux couples de sexes différents, l'un portant le nom de
say: «intelligent», J'autre de humant: «rampant». Les âmes say seront
situées dans les nageoires pectorales, femelle à gauche, mâle à droite;
les deux human€. seront dans la queue, en même position. C'est pourquoi
l'on dit: «la matrice est comme une mare; le poisson est mis dedans car
le mari, aidé par le Nommo, a mis dans l'eau le poisson qu'il a attrapé».
Mais ce futur fœtus n'est en réalité présent, dans le corps de la jeune
fille, que comme du sang, qui formera un cartilage lequel prendra d'abord
l'aspect de la nageoire pectorale du silure.
Après le mariage et les rapports sexuels interviendra la fécondation
de la jeune femme qui provoquera l'évolution du poisson-fœtus qu'elle porte
déjà.
(4)
Entre le sexe et le nombril se trouve un emplacement dit Inrmrnt
considéré comme l'une des parties essentielles du corps; c'est chez la femme
l'emplacement de la matrice où se formera l'enfant et, chez l'homme,
le siège de la semence. El1e stationne comme dans un petit sac: m£m£ni giri,
« œil du mrm£ni, de couleur claire, qui a la forme d'une petite personne ver-
ticale, quand l'homme est debout, et orienté comme lui. Au moment de

(4) Il conviendra d'établir l'étymologie indigène de ce mot.


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220

l'éjaculation, celle-ci est considérée comme le « vomissement» du mrmrni


giri.
Dans la matrice, la semence du mari - qui est feu - provoquera
le développement du fœtus-poisson en instance dans la matrice de sa femme.
7 semaines dogon (de 5 jours) après la fécondation la nageoire pectorale
est complètement formée; 10 semaines, soit 50 jours après, le corps du
poisson est entièrement ébauché.
Le développement du fœtus dans le sein maternel est considéré comme
mû par un mouvement hélicoïdal - comparable à celui qui se passe dans
le grain de mil lorsqu'il mûrit -. On dit, nous le rappelons: «l'enfant,
au moment où il commence à vivre commence comme un tourbillon ».
Le poisson se replie alors en boucle, la queue rejoignant la tête et
coiffant la nageoire gauche. De ce fait, les quatre âmes sont réunies:
la boucle symbolise la fermeture du monde par le Créateur. Cette position
durera huit semaines (de cinq jours).

Grossesse.

A partir du moment où l'absence des règles est constatée, on dit que


« la femme a des règles longues (à venir) ».
La jeune femme va puiser de l'eau à la mare de la famille de son
mari et l'apporte au ginna de ce dernier. Ce geste, qu'elle n'accompagne
d'aucun message oral, témoigne de son état. Le ginna ba1Ja lui donne alors
un poisson izu ya que lui avait procuré le mari et qu'elle consomme.
La matrice de la femme devient alors symboliquement le « témoin, le rem-
placement» de l'izu ya, et la réplique de la mare familiale.
Dans le mois qui suit, le mari offre deux silures, dont l'un est
consommé par les femmes de sa belle famille et dont l'autre, consommé
par l'intéressée, est dit: «poisson du ventre», bere izu. Celui-ci enveloppe
le premier, reçu auparavant et qui forme le fœtus.
Le second poisson donne à l'enfant quatre autres âmes, dites «âmes
du corps » godu kikinu et réparties en deux couples comme celles du sexe.
Elles se placent dans le cœur du fœtus qui se formera de la manière sui-
vante: les deux nageoires pectorales considérées comme les clavicules du
poisson deviendront les bras, dont le point de départ est la clavicule. Les
jambes seront faites des deux pointes de la queue ouverte, le sexe étant
placé dans le fond de l'échancrure. Les barbillons seront les oreilles. La tête
sera celle même du poisson.
Les quatre âmes de sexe se placeront alors dans le sexe du fœtus qui
est déjà formé: l'âme «intelligente femelle», dans le testicule gauche;
l'âme mâle dans le droit, le couple humanE « rampant » dans la verge, pour
un garçon; les quatre âmes dans les quatre lèvres ,du sexe, pour une fille.
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221

Dans les deux occasions, le mari, en offrant les poissons à sa femme,


fait égorger sur l'autel totémique un coq et une poule qui sont dits papagu
é)le «poulets du papagu ».
La formule d'offrande: «Nommo voici (tes) poissons », marque
l'identité des victimes et des pojssons offerts par le mari qui les a pêchés
dans la mare de famille, habitat du Nommo; «les poissons que la femme
a mangés par deux fois, les deux poulets de papagu, qu'on donne au binu,
sont le remplacement de ces poissons».
Les dons de poissons et leur consommation ont un rôle fondamental
en ce qui concerne les quatre éléments de base octroyés à l'enfant:
Le «poisson des règles» est le feu.
Les deux « poissons du ventre» sont l'air et la terre.
Le poisson donné par le patriarche dit: «poisson des ancêtres donné
à la femme qui a puisé et posé l'eau» est l'eau.
L'enfant, formé par ces 4 poissons, aura donc reçu les 4 éléments.
On dit: «Les 4 poissons pour vivre que le mari donne à la femme, c'est
comme réunir dans le corps de l'enfant les 4 éléments». Et, parallèlement
il aura reçu ses 8 kikinu de corps et de sexe.
Dans les mois qui suivent l'action du second poisson offert par le
mari, un mort de sa famille qui sera le nani-ancêtre de l'enfant, vient
« toucher le ventre» de la femme durant son sommeil. Son action a pour
effet:
10) de transmettre au fœtus une part de son )làma,
2°) de renverser le foetus dans Je sein maternel et placer sa tête au
bas du ventre de la mère.
Dans le même temps il appuie sur le vertex, ce qui détermine un
transfert des deux groupes de quatre âmes. Concernant celles du sexe, le
bÛmonr mâle se joint au say femelle et le bÛmonc femelle au say mâle.
Chaque nouveau couple est placé comme pour une union: «lorsque vient
le nani, dans le ventre de la femme~ les âmes de sexe de l'enfant se réu-
nissent chacune à chacune >~.
Quant aux âmes de corps qui résidaient dans le cœur, s'il s'agit d'un
garçon, le say mâle reste à sa place; le say femelle se rend dans la mare
de la famille paternel1e où il est pris en charge par le Nammo, moniteur
du monde; le h(lll1onr male va rejoindre j'anin1al interdit totémique de
la famille, tandis que la femelle prend place dans le sanctuaire totémique
(et inversement pour une fille).
Les âmes de l'enfant sont donc déjà situées comme elles le seront
après la naissance et durant sa vie. Mais 60 jours avant la naissance, le
kikinu say de corps qui siège dans la mare de famille, apporte à l'enfant
le }1ànlCl des graines des clavicules - car un enfant peut vivre même
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222

s'il naît prématurément... Cet octroi prépare la fixation du contenu clavi-


culaire de l'intéressé.
Pendant les derniers mois de la grossesse, on dit que: «l'enfant
dans le ventre de sa mère nage»; car l'(être) humain qui est (existe)
dans le sein de sa mère est comme un poisson». Lorsqu'il naîtra il sera
«comme un poisson frais».
Mais, quel que soit le sexe de l'enfant qui vient de naître, ce
« poisson» est encore androgyne. Le prépuce chez le garçon témoigne
de sa féminité, le clitoris chez la fille de sa masculinité. Ce statut se
poursuivra jusqu'au moment de la circoncision et de l'excision; l'ablation
de ces organes supprimera la présence des symboles corporels, faisant alors
de ces «poissons», jusque là ambivalents et bi-sexués, une fille ou un
garçon.

Accouchement.

Lorsqu'elle est près d'accoucher, la femme se pend par les mains à


une poutre «pour qu'Amma la tienne»; une vieille femme lui masse
le ventre depuis les seins jusqu'en bas tandis qu'une autre matrone aide à
l'expulsion. Cette dernière prend alors de l'eau dans sa bouche et crache
sur le nouveau-né pour qu'il reçoive, ultérieurement, les «paroles» du
Nommo. Elle fait ensuite toucher le sol à l'enfant, avant de le laver, en
le posant sur ses pieds, trois fois pour un garçon, quatre fois pour une
fille. Ce geste, comparé à celui qui consiste, pour un adulte, à poser ses
coudes sur le sol, est un remerciement au kikinu say ya, qui est venu
de la mare pour la naissance de J'enfant.
Au moment de l'accouchement, la jeune femme, qui perd du sang,
et le nouveau-né sont impurs pùru. Les graines des clavicules de l'enfant
quittent leur support et sont prises en charge par le binu du mari auquel
celui-ci avait offert le sacrifice (dit papagu) qui devait l'intégrer à son
clan. Dès les premières dou]eurs le mari s'est rendu au sanctuaire: le
prêtre lui a remis de l'écorce de caïlcédrat, que l'on placera dans
l'eau qui servira à laver le corps de l'enfant. Le contenu claviculaire
est transporté par le binu dans la mare de famille: il sera rendu à
l'enfant le jour où lui sera conféré son premier nom.
Le nani intervient à nouveau et «touche» le nouveau-né au poignet.
On mettra à ce poignet une attache faite d'une tige de yu/j. (Parkia biglo-
bosa). Cette attache est le signe de Poctroi du Jlàma de l'ascendant: elle
est dite yunugu. Mettre le yunugu constitue une purification de l'enfant,
comparable à celle qui sera réalisée ultérieurement dans la demeure de
l'accouchée.
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223

Tant qu'une femme n'a pas expulsé le placenta on ne dit pas qu'elle
a accouché, on ne prévient pas le père. On dit: «on a eu l'enfant, on
n'a pas eu son petit frère». Car le placenta (mi) est comme le jumeau
de l'enfant.
Lorsqu'il a été expulsé, le cordon ombilical est coupé au rasoir ou
au couteau par l'une des matrones.
Le placenta et le cordon ombilical adhérent sont déposés dans une
poterie que l'on place dans la cour, sous le fumier constitué de tiges de
mil qui restent là à pourrir. Une pierre plate la recouvre: la poterie est
assimilée à une mare; la pierre plate qui la recouvre dite «pierre du
Nomma» au Nommo qui y séjourne. L'accouchée procède à ses ablutions
matinales sur cette pierre, et y lave également le nouveau-né, ceci durant
7 semaines. La poterie, qui reçoit théoriquement l'eau, est abandonnée en
ce lieu et finit par se casser. Laisser pendant 7 semaines - 7 étant le
nombre affecté à la multiplication de «la parole» - le placenta «dans
l'eau de la mare», l'abandonner sous le fumier qui contient la force
vitale, Jlàma des céréales, revient à le maintenir indéfiniment vivant.
On dit: « la femme qui a enfanté, le placenta reste pendant 7 (semaines)
à la place où ils se laveront; il est (là) comme vivant dans l'eau; il est
comme vivant dans l'eau avec le Nomma ».
«Le placenta est toujours vivant, toujours pur». Cette affirmation
- que nous avons déjà relatée - souligne la sacralisation du placenta
et justifie les actes rituels exposés ci-dessus. Elle ne peut se comprendre
que si le problème est posé en fonction des représentations dont il est
l'objet. Tout placenta est, sur la Terre, le doublet du placenta du «sein
d'Amma» où furent inscrits les «signes» préfigurant toute sa création.
Sa fonction au cours du développement du foetus est associée à son essence,
celle qui fait de lui le porteur des signes sacrés. De très nombreux exemples
de ces rapprochements pourraient être donnés.
Le «signe» de l'enfant qui vient de naître est préalablement inscrit
dans son placenta. A ce titre l'organe est la garantie de sa vie intra-utérine;
son action directe cesse, mais le symbole demeure même après son expul-
sion. D'où le traitement du délivre conservé à l'abri pendant une période
de temps (7 semaines) impliquant symboliquement la pérennité.
En relation avec l'intégrité de tout placenta, un être, un objet qui
n'est jamais susceptible d'impureté est dit kidé mint, «chose (dans) le pla-
centa ». Le nouveau-né est vivant~ son placenta est, et reste, son jumeau
vivant.
Pendant les 7 semaines de réclusion, l'accouchée est impure - pùru -
car elle perd du sang comparable à celui des règles. Elle ne peut sortir
et doit manger seule: l'entrée de la pièce où elle vit est interdite aux
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hommes. Elle consomme des bouillies de graine de yù et d'Emt ya : lorsque


l'enfant tête son lait il assimile le J1àma de ces graines qui seront ultérieu-
rement symboliquement placées en tête de liste dans ses propres clavi-
cules. Quand il cessera de têter - environ vers l'âge de 2 ans - sa
première nourriture sera constituée d'une bouillie d'Emi ya.
C'est après la période de réclusion de la femme que les noms seront
octroyés à l'enfant.

Im,position des noms.

l 0) Lorsque les 7 semaines de réclusion sont écoulées, la mère de


l'enfant jette les cendres du foyer où elle cuisinait seule et purifie la
pièce où elle a vécu (en brûlant des feuilles de yu/d, des graines de coton
et des gousses de pedifie). Elle vide toutes les poteries de l'eau qu'elle
contenait, les rince avec une eau dans laquelle elle a mis de l'écorce de
caïlcédrat et les fait sécher au soleil.
S'il s'agit d'un garçon, on a préparé un petit pagne de trois bandes
de coton blanc (quatre pour une fille). La mère lave le nouveau-né, pro-
cède à des ablutions et met un pagne neuf. Elle peut alors porter elle-même
l'enfant au sanctuaire du Binou de son mari en même temps qu'une gourde
qu'elle a remplie de mil (une proche parente peut aussi la remplacer).
Le prêtre, qui a été prévenu, a puisé de l'eau à la mare et l'a versée
dans la meule dormante placée dans le cour du sanctuaire. Il prend la
gourde apportée par la mère et jette une partie des graines à l'intérieur
du sanctuaire dont la porte est ouverte. Il prend l'enfant sur ses genoux,
récite la devise du Binou, puis dit: «Ton enfant est venu, voici son eau.
Je te demande (pour lui) les graines.)
Il fait goûter l'eau de la meule à l'enfant, récite la devise de la
tribu dont relève son père et donne un nom au nouveau-né.
Le kikinu sdy ya du nouveau-né est venu avec J'eau puisée à la
mare; il est là pour recevoir le nom qui appartient au Nommo. C'est
pourquoi ce nom dit binu bÔy «nom du binu », dit aussi boy dama
«nom interdit» restera rigoureusement secret. Il ne sera jamais proféré
par personne, sauf par le prêtre qui l'a impartL
Le kikinu sdy J'a a apporté avec lui les «graines» octroyées à
l'enfant qui, au moment où il goÙte l'eau de la meule dormante prélevée
dans la mare, pénètrent dans ses clavicules. Lorsque l'enfant a bu cette
eau et reçu son premier nom, il cesse d'être impur, pùru, et devient
« vivant », :Jm:J. Il est dans le même temps intégré au clan de son père,
et devient « parent par le placenta (mÈnE) » de tous les membres de ce clan.
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Le prétre donne quelques cauris à la femme pour acheter de J'huile


de sâ (Lannea acida) dont elle oindra l'enfant. Les cauris sont symbolique-
ment donnés par le Nomma; l'onction ll1ettra l'enfant sous sa protection.
Le prêtre se rendra ensuite à la mare où l'eau a été puisée, et alignera
en rang sur le bord les 8 graines des plantes alimentaires que contiennent
symboliquen1ent les clavicules. Il priera pour demander au Nomma d'ac-
corder au nouveau-né biens et santé.

2°) Le lendemain du jour où l'enfant a reçu son premier nom, une


cérémonie parallèle a lieu dans la «maison de famille» ginà du lignage
de son père. Le patriarche a fait puiser de l'eau à la mare de famille, et
l'a versée dans la meule dorlnante placée dans la cour du ginà.
Le patriarche a reçu de la mère du petit mil, du coton et des graines
de sâ; il s'assied à côté de la mare, prend le nouveau-né sur ses genoux
et dit:
«Amma, salut du matin, ancêtres, salut du matin; votre enfant est
venu. Faites (le marcher) en glissant sur la fiente de poulet. »
Il verse de l'eau sur la tête de l'enfant et lui donne le non1 dit
vagéu boy, «nom des ancêtres», ou hÔy toy «nom semence ».
C'est le kikinu sây ana, présent dans le nouveau-né, qui reçoit le
boy toy; l'enfant est ainsi intégré au lignage paternel.
Après cette cérémonie, la mère procède à une onction d'huile de
sâ. ElJe n'est plus impure et peut à nouveau faire la cuisine pour son
mari lequel peut aussi pénétrer dans la pièce où elle a vécu avec le
nouveau-né.

3°) Quelques jours après, la mère se rend dans sa famille. Dans le


ginna paternel, le père ou la mère donne au nouveau-né le na b6y, «nom
de la mère». C'est Je kikinu bûmonE ya, venu du sanctuaire totémique,
qui « reçoit» ce nom, lequel consacre les liens de l'enfant avec son lignage
maternel.

4 0) Plus tard, les camarades de classe d'âge de l'enfant lui donneront


un nom, le tonna hÔy, «nom de camaraderie». Ce nom est associé au
kikinu bÛ111011f.ana de l'enfant, qui siège avec ranin1al interdit de son
clan (babinu dânut) et à sa vie dans la brousse qu'il a inaugurée en tra-
vaillant, chassant et jouant avec ses frères et ses amis aux alentours du
village paternel.
Les quatre noms consacrent donc l'octroi des principes spirituels
fondamentaux, les kikinu de corps qui sont, nous le rappelons, la
pensée, la conscience et la volonté de l'individu. Ces quatre noms,
d'autre part, intègrent l'enfant à tous les niveaux de sa vie familiale et

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sociale: la parenté consanguine la plus large, celle de son clan; son


lignage paternel, son lignage maternel, sa classe d'âge.
« Pour l'homme, pour toutes les choses, pour chaque chose, disent
les Dogon, on a choisi quatre noms ensemble» : sur le plan de la cosmo-
gonie dogon, les quatre noms correspondent à l'un des quatre éléments de
base. Les Dogon associent également ces octrois successifs au développe-
ment de l'être, comme à son intégration dans la vie sociale: ils les assi-
milent à la réalisation progressive des êtres et des choses lors de la
genèse, réalisation qui est traduite par les «signes» d'Amma et les
graphies successives connotant cette réalisation. On peut établir un tableau
de ces relations:
Nom Arne Elément Graphie
binu boyau kikinu say ya air bumo (signe abstrait)
boy dama
vageu boy ou kikinu say ana feu yàla (tracé en pointillé)
boy toy
na boy kikinu bumonE ya eau t8flu (schéma)
tonno boy kikinu burnont: ana terre t6y (dessin réaliste)
Doublets des kikinu de corps~ en rapport comme eux avec les 4 élé-
ments de base, octroyés à l'enfant dans la vie intra-utérine, les kikinu
de sexe sont associés à la fonction reproductrice de l'homme; ils n'inter-
viennent pas lors de l'octroi des noms.
Nous avons déjà souligné que l'enfant, quel que soit son sexe, reste
ambivalent jusqu'à la circoncision ou l'excision. Le prépuce et le clitoris
sont symboliquement les supports respectifs de la féminité du garçon et
de la masculinité de la fi]]e et les témoins de l'androgynie originelle du
foetus poisson.
L'opération a pour but de supprimer ces symboles corporels: dès ce
moment l'enfant devient réellement garçon ou fille.
Les kikinu de sexe - qui n'avaient jusqu'ici pas de rôle actif -
interviendront seulement après ces rites de passage effectués à la puberté.
Des autels individuels, consacrés aux kikinu say de sexe, seront édifiés
par les parents au moment du mariage et en vue de la procréation de
leur descendance.

L'image du corps.

L'enfant dont nous avons suivi le développement dans le sein maternel


a passé progressivement du stade de poisson androgyne au stade d'être
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humain sexué, muni de membres lui permettant de se mouvoir sur la Terre.


L'image du poisson et les représentations qui lui sont associées vont-elles
disparaître au cours de la vie, avec le temps, l'âge, la vie familiale, les
fonctions sociales ou religieuses, etc.? Il n'en est rien; elle se poursuivra
et nous en donnons ci-dessous quelques exemples.

10) La coiffure des jeunes filles et des femmes, leurs parures, souli-
gnent l'assimilation du fœtus au poisson.
Jusqu'à ses premières règles la fillette portait ses cheveux relevés et
tressés en forme de crête au sommet de la tête, celle-ci représentant un
silure: les tresses partant de la nuque formaient la tête du poisson, puis
son corps, la dernière, très longue, descendait sur son front formant une
queue, celle du poisson.
Après ses premières règles, la coiffure était réalisée dans l'autre sens,
la tête du «poisson» au sommet du front et ]a queue derrière: la tresse
enroulée formait une sorte de chignon sur la nuque, dans lequel la jeune
fille piquait l'arête d'un silure.
En effet, la jeune fine décortiquait avec soin et mangeait la chair qui
entoure l'attache hélicoïdale de la nageoire pectorale (dite, chez le silure,
ta i «serrure» et qui correspond à la clavicule de l'espèce humaine) du
« poisson des règles » qu'elle avait consommé avec un plat de riz. Aujour-
d'hui, elle n'utilise plus l'organe ainsi dégarni, mais autrefois, elle l'em-
ployait comme ornement, piqué dans les cheveux, derrière le chignon,
après l'avoir fait décaper par le forgeron, qui en formait une sorte de
petit peigne étroit à trois dents inégales. Cet objet qui servait également
de démêloir, était planté sur le devant de la coiffure pour la nuit.
Plus tard, elle mettra autour de sa coiffure un «mouchoir de tête»
noir, cette couleur symbolisant l'eau. Ainsi la jeune femme porte sur sa
tête le poisson-f(~tus qu'elle souhaite engendrer, préfiguré dans les eaux
matricielles.
Le symbolisme du poisson se traduit aussi dans les parures. Les
oreilles ornées des femmes représentent l'intérieur des branchies. Les perles
rouges de nez sont les barbillons latéraux et le labret, les barbillons du
dessous. Autrefois, l'ornementation était compJétée à l'aide de végétaux
ayant joué un rôle au début de la création.
Si la grossesse se faisait attendre, la jeune femme faisait exécuter sur
son abdomen des scarifications représentant schématiquement les arêtes
dorsales du silure, pour favoriser la procréation. On réalisait généralement
quatre schémas placés en étoi1e autour du nombril, soit deux paires des
jumeaux souhaités.

2°) Les jeunes gens et les jeunes filles, ayant atteint la maturité et
qui avaient reçu l'enseignement traditionnel se faisaient autrefois Hiller les
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incisives, ceci pour que leurs dents ressemblent aux dents pointues du
poisson, et particulièrement à celles du Nommo qui révéla dans l'eau de
la mare la « parole orale», le langage, aux ancêtres primordiaux.
Témoignage de l'acquisition du savoir - assimilé aux «articulations
de la parole», c'est-à-dire à sa richesse et à son pouvoir - cette coutume
avait aussi pour but de favoriser l'émission du langage et la formulation
du discours.

3°) En même temps qu'elles consacrent la promotion de toute une


génération (celle des hommes de 60 ans révolus et de tous ceux qui ont
moins de 60 ans) les cérémonies soixantenaires du Sigui ont pour but prin-
cipal la commémoration de la révélation de la « parole orale» aux hommes
qui leur fut octroyée à l'aube de la vie sur la Terre.
Dans la nuit qui précède la cérémonie, tous les participants mâles
se rendent en brousse - dans une caverne ou un lieu isolé - et ne
consomment plus ni boisson ni nourriture. Ce jeûne a un sens positif:
ils sont comme dans le «placenta primordial» ou le sein de leur mère
(où l'on n'a besoin ni de boire, ni de manger). Le matin de l'ouverture
des cérémonies on leur rase la tête, acte qui les assimile à des nouveaux-
nés. Ils endossent ensuite le costume traditionnel du Sigui et sont vêtus
de façon à ressembler à des poissons: un bonnet blanc représentant la
tête du silure; un large pantalon noir resserré aux chevilles, sa queue
bifide, le noir rappelant l'eau; sur la poitrine une sorte de baudrier orné
de cauris qui sont les œufs du poisson. Ils seront parés de tous les bijoux
de leurs sœurs: colliers, bracelets, labrets, pendants d'oreilles, etc... et
parfois de leur « mouchoir de tête» enveloppant le bonnet.
Par le port du vêtement et des parures, les participants mâles du
Sigui sont en Inên1e temps des hommes et « comme des femmes enceintes»,
c'est-à-dire androgynes et féconds.
Ils porteront dans la main gauche une crosse-siège, symbole du sexe
du Nomma géniteur mythique de l'humanité, et une demi calebasse qui
servira à boire la bière du Sigui: cette dernière est l'image du «sein
d'Amma» où s'est poursuivie la gestation de l'univers, comme dans une
matrice.
Ainsi vêtus, ils s'asseyeront sur leur crosse-siège - sexe de leur
géniteur - et boiront la bière de mil communielle dans la calebasse -
image du placenta d'Amma - pour commémorer l'octroi aux ancêtres
primordiaux de la «parole» qui leur donna la vie et sa révélation sous
sa forme «orale», qui leur accorda le langage.
La cérémonie s'accompagne de danses, de chants, de prières, d'invoca-
tions, etc... en langue dogon et en langue du Sigui, qui font du Sigui
une remarquable et émouvante démonstration de la puissance de la
« parQle », sous toutes ses formes.
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4°) Présente dans les rites de procréation, pendant la vie, pendant


certaines cérémonies, l'image du poisson l'est également dans les rites de
funérailles durant lesquels le défunt poursuit sa destinée.
La bouche du mort est recouverte d'un baillon qui symbolise les
barbillons du silure; sa tête d'une bande blanche entourant la calotte cra-
nienne formant le haut de la tête du poisson. Le cadavre est enveloppé
d'une couverture blanche qui l'enserre conlplètement, à l'exception des
deux pieds qui émergent: ils figurent la queue bifide du silure. «Lorsqu'on
attache un mort, disent les Dogon, c'est comme si les kikinu du mort,
ensemble, se transformaient en poisson ».
Toutes les danses rituelles des fenlmes et des jeunes filles, exécutées
pendant les funérailles, rappellent, par les mouvements très souples des
bras et des mains placés en avant, la nage du poisson.
L'assimilation se poursuit, car .on dit que le défunt, qui conserve
toujours ses kikinu (c'est-à-dire ses éléments de base) jusque dans l'au-delà,
est comme un « poisson du ciel».
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STATUETTE DE SANCTUAIRE TOTEMIQUE

En haut, au Ciel, le Nommo ressuscité, géniteur mythique des hommes et sa jumelle


(au dos); en bas, sur la Terre, l'homme;.son "fils" encore attaché à son placenta (les excrois-

sances ménagées au dos et à la poitrine). L'allongement des bras du Nommo et la partie


ménagée qui relie sa tête à celle de son "fils" connotent sa descenk du Ciel sur la Terre

et les liens génétiques unissant le "père" au "fils" (Hauteur: 64 cm 1/2).


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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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NI/ 544. LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE


-

LE SORCIER, LE PÈRE TEMPELS


ET' LES JUMEAUX MAL VENUS

Luc de HEUSCH

Les affinités linguistiques entre les nations bantoues portent la marque


d'une évidence historique: issus d'un même berceau, la plupart des
peuples de l'Afrique centrale et australe ont pris possession de l'immense
espace de forêts, de savanes et de hauts-plateaux qu'ils occupent actuelle-
ment au terme d'une expansion relativement rapide. Il semblerait donc
que l'histoire des religions se trouve ici sur un terrain favorable. Malheu-
reusement les recherches sur les systèmes magico-re1igieux bantous ont été
entreprises selon des méthodes et des idéologies divergentes qui rendent
malaisées les tentatives de comparaison. En tout état de cause, l'extrême
diversité des informations exclut la possibilité d'esquisser actuellement une
anthropo-cosmogonie ou une «philosophie» bantoue. Tout porte à croire
qu'un système symbolique commun ordonne les mythes de fondation de
l'Etat et les rituels initiatiques en Afrique centrale (1); si les rapports de
l'homme au monde en constituent de manière voilée le centre de gravité,
l'on perçoit mal encore comment les aspects multiples de la personne
humaine s'articulent sur cette symbolique. L'homme s'y laisse appréhender
comme une totalité engagée dans l'histoire, affrontant la mort et la fécon-
dité d'une part, une nouvelle forme de civilisation d'autre part: l'organisa-
tion étatique. Les interrogations métaphysiques semblent d'un tout autre
ordre que celles qui animent le mouvement de la pensée dans les civilisations
traditionnelles de l'Afrique occidentale (Mandé ou Yoruba). A certains
égards elles paraissent plus proches des préoccupations des Songhay. La
préservation de la vie par les voies diverses de la magie, l'emporte, en
effet, sur la synthèse religieuse.
Les récentes recherches ne confirment guère la thèse séduisante que
le père Tempels proposait il y a une vingtaine d'années sur l'ontologie
( 1) L. DE HEUSCH. 1972.
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bantoue. J'ai tenté ailleurs de montrer qu'elle ne résistait pas à un examen


sérieux des faits luba sur lesquels l'auteur s'appuie presqu'exclusivement,
en dépit du titre falJacieux de l'ouvrage (La philosophie bantoue) (2). La
conception d'un univers peuplé d'êtres-forces rigoureusement hiérarchisés
est une pure vision de l'esprit que les travaux récents de Theuws en parti-
culier ne confirment guère, quand bien même la perspective théorique
adoptée par cet auteur prolonge-t-elle parfois celle de Tempels. Cette thèse
repose sur une interprétation erronée des processus symboliques en œuvre
dans la magie bantoue et sur un coup de force philosophique concernant
le concept de « force vitale». La démonstration de Tempels gravite autour
des charmes magiques Inanga que les Luba confectionnent à partir de
fragments du monde animal, végétal et minéral. Or ces charmes se rédui-
sent en fin de compte à des objets-discours auxquels un esprit est invité à
prêter sa puissance transcendante. Les composantes matérielles du bwanga
ne sont qu'une façon de parler, de parler avec véhémence en utilisant les
signes de l'univers pour se donner l'illusion d'être fort. D'un charme magique
sans esprit les Luba eux-mêmes ne disent-ils pas qu'il est « un grand charme
d'huile», c'est-à-dire inefficace? t;~). Bref, les choses en tant que telles,
n'ont pas d'âlne. Quand bien même les animaux possèderaient-ils l'une all
l'autre composante spirituelle de J'homme, rien n'autorise à croire que les
magiciens luba l'emprisonne purement et simplement dans le bwanga lors-
qu'ils y incluent poils ou becs. Cette observation peut être étendue à d'autres
sociétés bantoues d'Afrique centrale. Décrivant les charmes magiques
nnY€Eng utilisés par les Kuba, Vansina constate que ceux-ci ne se sont
jamais posés la question de savoir s'ils manipulent des forces aveugles
ou des forces «appartenant à des êtres doués de libre volonté» (4). D'un
examen attentif, il conclut que le choix des ingrédients obéit à des critères
purement symboliques, fondés sur le principe d'analogie. Plus radicale
encore est la prise de position de Doutreloux, observateur attentif des
y ombe: « Rien ne permet de penser que, de manière générale, les êtres
animés ou inanimés de la nature, en dehors de l'homme, possèdent une
sorte de principe spirituel» f ;'1. Les objets appelés nkisi sont pour les
y ombe fexact équivalent fonctionnel des charmes manga chez les Luba.
Or, ce qui confère sa puissance magique au nkisi, ce n'est pas l'ensemble
des «forces vitales» de ses composantes, mais le sacrifice humain qui
fixe dans l'objet rune des « âmes» de la victime, le kinyumba, de manière
à «l'armer» selon la formule utilisée par Doutreloux (fi). Le mot mwanda
qui désigne la force autonome spécifique du charme est extrêmement inté-

(2) L. DE HEUSCH, ] 97 L pp. 270 et sq.


(3) THEUWS, 1954, p. 49.
(4) V ANSINA, 1958, p. 752.
(5) DOUTRELOUX, 1967, p. 238.
(6) [denl, p. 240.
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ressant à étudier car il permet de dégager le concept de force vitale du


brouillard métaphysique dont Tempels l'a entouré. Mwanda désigne aussi
bien la puissance de Dieu que la vitalité surprenante d'un vieillard encore
capable d'engendrer « ou la force étrange qui fait sauter le bouchon d'une
bouteille» (7I. Le concept relève évidemment de la même catégorie linguis-
tique que le mana mélanésien et, à ce titre, il relève de l'interprétation
nominaliste que suggère Lévi-Strauss (H}. Ceci ne signifie pas que cette
philosophie implicite ne soit susceptible de se convertir au substantialisme
dans d'autres sociétés bantoues, les signes devenant effectiven1ent des êtres
vivants. Il suffit à notre propos que les Yombe et les Kuba refusent cette
démarche intellectuelle pour que la théorie des forces vitales cesse d'appa-
raître comme le fondement métaphysique obligé de la magie bantoue.
Doutreloux rejoint la conclusion précédente de Vansina: «Sans doute le
choix des ingrédients, Longo, ou de la matière dont est faite le fétiche n'est-
il pas absolument indifférent. Tel bois est préféré à d'autres, ou telle
plante ou telle partie de tel animal, ou tel minéral. Rien pourtant n'indique
qu'en choisissant ses matériaux, le féticheur capte un N kisi [esprit] de
l'animal, de la plante ou du minéral utilisé. C'est un langage symbolique
soumis à des associations d'idées, ancien mais toujours capable d'invention,
(nI.
de modification, d'emprunts»
Chez les Luba le mot qui désigne la force en tant qu'attribut de la
(ln I. Il signifie emportement, violence, audace,
personne humaine est bulàbo
ardeur, passion, courage, force physique, animosité (111; mais ce sens pre-
mier connaît une extension métaphorique puisque l'expression malwà a
bulàbo désigne une bière capiteuse. Or Tempels construit apparemment
toute sa théorie sur ce jeu de mots qui n'engage nuJ1ement la pensée luba.
Mais, par un curieux lapsus, le concept de «force» qu'il utilise ~i
généreusement, n'est jamais mis en rapport avec le terme luba corres-
pondant (bulôbo), sauf une fois, dans un contexte péjoratif: d'un
homme aveuglé par l'emportement, les Luba disent: «Bulàbo bwamu-
kwata» (l'excitation s'est emparée de lui) f 1:!i. En utilisant une vague éti-
quette mécaniste, qui renvoie à une substance fictive (l'être-force), Tempels
simplifie de manière inacceptable une réalité spirituelle complexe dont
(1 i{
Theuws entreprend l'analyse I. La personne est pour les Luba la réunion
et la synthèse d'au moins trois « ombres» (umvwe). La première, l'ombre
solaire, a évidemment servi de modèle aux deux autres, plus intimes:

(7) Idem, p. 240.


(8) LÉVI-STRAUSS. 1950.
(9) DOUTRELOUX, 1967, p. 241.
( 10) THE UWS, 1961, p. 17.
(1]) VAN AVERMAET. 1954, pp. 357-358.
(12) TEMPELS. 1949, p. 85.
(13) THEUWS. 196 J et J 962.
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l'ombre attachée au corps appelle un prolongement métaphysique; elle


fournit immédiatement l'image fascinante du double, elle est la source iné-
puisable d'une rêverie philosophique universelle car elle est le lieu de ren-
contre du visible et de l'invisible~ du matériel et de l'immatériel; elle apparaît
et disparaît, elle est comme l'image abstraite du corps, privé de ses couleurs
et de sa troisième dimension. Elle est ouverture mobile sur l'univers des
fantasmes. Aux yeux des Luba cette image évanescente du corps est suscep-
tible d'accueillir temporairement les autres principes vitaux: une opération
magique permet à la personne tout entière de s'y réfugier, de telle sorte
que le corps déserté devient momentanément invulnérable. L'on ne saurait
dire plus clairement que la vie est une réalité d'ordre spiritueL
La seconde « ombre », umvwe wa kimano, l'ombre de la taille, est en
quelque sorte une Idée platonicienne, le n10dèle intérieur auquel se conforme
l'être en devenir, lui donnant son apparence physique particulière, son indi-
vidualité. Mais l'on verra que cette ombre d'une Idée, étroitement associée
à la forme du corps, est elle-même périssable. 1'heuws dit excellemment:
« Ainsi, on dirait que la deuxième ombre est une sorte de principe déter-
minant la forme du corps dans ses phases successives jusqu'à sa disparition
complète » (14). C'est dans ce sens qu'on attribue une ombre complète à
l'homme adulte. Mais le corps peut ne pas réaliser le modèle auquel il
est voué: d'un être jeune mort prématurément, les Luba affirment qu'on
lui a coupé l'ombre. Les auteurs ne nous disent pas si les Luba considèrent
que la diversité des corps ainsi façonnés par la deuxième ombre renvoie
à des archétypes qui permettraient d'esquisser une morpho-physiologie ou
une caractérologie humaine.
La troisième ombre, umvwe wa bumi, «l'ombre de vie », est le noyau
indestructible de la personne. Douée de mobilité, indépendante du corps,
(1;)). Après
sujet et objet de la sorcellerie, elle «déborde dans la parole»
la mort elle erre quelque temps autour de la tombe avant de se fixer
dans l'au-delà, le mystérieux Kalunga. Mais que devient l'ombre de la
taille? Les Luba sont partagés sur son sort. Qualifiée aussi «d'ombre de
mort» (umvwe wa lulu), elle s'anéantirait, selon certains informateurs,
avec la totale décomposition du cadavre; c'est pourquoi l'on peut la voir
errer pendant quelque temps autour de la tombe sous une forme fanto-
matique, livide. Van Avermaet se réfère apparemment à cette âme péris-
sable lorsqu'il rapporte la croyance selon laquelle l'ombre est présente
près du cadavre «jusqu'à la dislocation des os » (10). C'est pourquoi, selon
le témoignage concordant de cet auteur et de Theuws, les membres d'une
secte magico-religieuse se chargeaient jadis de déterrer le cadavre des

(14) THEUWS, 1961, p. 14.


(15) ldenl, p. 17.
( 16) VAN A VERMAET, 1954, p. 793.
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mauvais morts et d'en brûler les ossements (17). Van Avermaet s'étonne
d'une apparente difficulté logique: la pensée luba admet que le défunt
(mufu), l'homme privé du souffle (mÛya) réside simultanément près de
son cadavre et au Kalunga. Or la contradiction s'évanouit dès que l'on
considère la théorie de la pluralité des âmes, dont l'éminent linguiste ne
semble pas soupçonner l'existence. Theuws, plus attentif à la complexité
des représentations luba, en esquisse un tableau cohérent où subsiste néan-
moins quelques ambiguïtés. Lorsqu'il indique que l'haleine de vie, le mûya
« continu à vivre sous forme d'ombre» il faut probablement comprendre
que le souffle est indissolublement lié au principe vital indestructible, la
troisième ombre, dont il serait en quelque sorte la manifestation sensible (18).
La douleur physique se définit comme une perte de souffle: si l'on souffre
à l'épaule, c'est que l'haleine de vie abandonne cette partie du corps. L'on
voit ainsi que la maladie est métaphysique ment l'inauguration de la mort,
une perte d'âme. Le souffle particulièrement puissant de certains hommes
prestigieux se transforule purement et simplement en génie de la nature
(vidye) : un lac, par exemple se forme à l'endroit où le mort fut enterré {lB);
son ombre «habite» une chute d'eau, une montagne, une source d'eau
chaude (~O). Mais il s'agit là d'un phénomène exceptionnel. Seuls les grands
ancêtres d'un lointain passé historico-mythique, les guerriers ou les devins
fameux, connaissent cette métamorphose qui les rapproche d'une certaine
façon de l'Etre suprême auquel le terme Vidye s'applique par excellence.
Les esprits vidye communiquent avec les devins par la voie de la possession
médiumnique. Les vidye comme les morts ordinaires séjournant au Kalunga
sont susceptibles de « suivre les vivants, hommes et femmes » (Vidye ulonda
bana, ba/ume ne bakazi) (:~11. Nous nous séparerons de Van Avermaet et de
Theuws lorsqu'ils déchiffrent dans cette formule la croyance à la réincar-
nation. Les Luba disent exactement qu'un esprit ou un défunt «suit» un
enfant et rien d'autre. Ce rapport de contiguïté se manifeste par l'homo-
nymie et la protection: le même mot ngudi désigne cette double relation
privilégiée qui relève clairement du parrainage (221. Lorsque les Luba
affirment que le défunt renait «selon Je nom), ils indiquent clairement
que cette «réincarnation» est une façon de parler, éliminant toute idée
de métempsychose. Sans que l'on soit autorisé à généraliser cette conception
à l'ensemble du n10nde bantou, l'on pourrait relever maintes conceptions
voisines. C'est ainsi que les parents Thonga se plaisent à évoquer la
mémoire de leurs ancêtres en choisissant le nom de leurs enfants; lorsque

(17) THEUWS, 1961, p. 14; VAN A VERMAET. 1954, p. 793.


(18) THEUWS, 1961, p. 7.
(19) Iden1.
(20) VAN A VERMAET, 1954, pp. 783-784.
(21) Idel11, p. 784~ THEUWS, 1960, pp. 119-121.
(22) VAN AVERMAET. 1954. p. 436.
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le parrain est un ami qui s'est « nommé lui-même dans l'enfant »" il offrira
des cadeaux une fois par an à son filleul, c'est-à-dire «à son nom» (231.
Hadelin Roland a parfaitement saisi le mécanisme de la dation du nom
dans une tribu lubaïsée, les Sanga: quand bien même le père et la mère
s'adressent-ils à l'enfant en utilisant le terme de parenté dont ils usaient
à l'égard du défunt, « celui-ci ne réside pas pers.onnellement dans son ngudi,
il n'y est présent qu'en esprit, par la pensée, par l'intention» (241. Sur ce
point au moins, l'on donnera raison à rTempels, contre Theuws (2:) I. Les
Sanga vont jusqu'à prendre de singulières libertés avec l'esprit protecteur:
s'ils ne sont pas satisfaits de l'influence qu'il exerce sur l'enfant, ils n'hési-
teront pas à briser la relation et à faire appel à un autre défunt. Mais chez
les Luba le lien semble plus impérieux: un pi'oche parent défunt apparaît
en rêve et révèle à la future mère ses intentions beinveillantes à l'égard de
l'enfant qui portera dès lors son nom. Le devin
(~()
peut aussi être le médiateur
entre le parrain de l'au-delà et son filleul I. Le nom de l'ancêtre, «reçu
à l'intérieur, dans le sein de la mère», est véritablement sacré, frappé
d'interdit. C'est pourquoi les Luba utilisent dans la vie quotidienne un
sobriquet, «un nom pour l'appeler» (:.!ïI. L'on ne peut s'elnpêcher de
mettre en rapport cette double dénomination avec la dualité de la personne.
En effet, l'ombre solaire et l'ombre de la taille sont étroitement associées
au corps et à ce titre sont immédiatement perceptibles, alors que l'ombre
de vie constitue réellement l'âme invisible. Or le nom caché dénote l'être
immatériel, tandis que le sobriquet désigne le paraître. Au plan sociologique
le premier relie la personne aux morts, le second aux vivants. En vérité la
fonction du nom chez les Luba semble être de transformer la personne
en personnage; il n'est nullement le véhicule d'un principe spirituel auto-
nome. Le sobriquet est d'une certaine façon un masque, engageant la
personne dans le présent, dérobant aux atteintes de la sorcellerie le per-
sonnage secret, inséré dans la trame des ancêtres. L'on notera cependant
que le mécanisme aléatoire de la dation du nom secret, par le truchement
du rêve ou de la divination, ne renforce pas nécessairement la solidarité
du lignage patrilinéaire; l'interprétation fonctionnaliste n'a guère prise sur
le phénomène puisque les parents de la mère comme ceux du père sont
susceptibles de sortir dans cette loterie qui mériterait une analyse statis-
tique (:.!H,.En tout état de cause, loin que les morts se réincarnent, l'on
pourrait plutôt dire que les vivants se projettent sur les morts proches et

(23) JUNOD, 1936, p. 43.


(24) ROLAND, 1952, p. 24.
(25) TEMPELS, 1949, p. 75: «L'ancêtre prédécédé ou l'esprit, n'est pas l'agent
de la conception. et ce n'est pas non plus sa personne qui renaît au sens propre du
fi 0 t. »
(26) THEUWS, 1960, p. 120; 1961, p. Il ; VAN A VERMAET,1954. p. 784.
(27) THEUWS, 1961, p. 1.
(28) VAN A VERMAET. 1954, p. 785; THEU\\'S, 1954, p. 43.
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familiers pour se garantir des incertitudes de l'avenir. Mais la conjoncture


sociale nouvelle, l'intervention des colonisateurs dans le déroulement des
affaires humaines, appelait un nouveau masque, en liaison avec des rôles
sociaux inédits; c'est pourquoi un troisième nom, d'inspiration technologique,
est venu s'ajouter aux autres: nlashini (machine), petrol, motocar, etc. (2!H.

Le rêve, le crime et l'éternité

La scène du rêve est le lieu de la survie des ombres, le royaume où


les vivants décident souverainement du destin des ancêtres. Les femmes
et les devins luba détiennent le singulier privilège de condamner à mort
les morts. L'oubli entr'ouvre en effet les sinistres oubliettes du Kalunga.
Les Luba ne conservent le souvenir que des morts bienveillants: ceux-là
seuls habitent l'étage supérieur de l'au-delà, le Kalunga Nyembo où leur
existence terrestre se poursuit sous une autre forme. En revanche, le vent
glacial de l'oubli souffle sur les mauvais morts dont nulle femme ne rêve,
que nul devin ne signale à l'attention de leurs descendants. Ceux-ci ont
été précipités dans l'étage inférieur des enfers, le Kalunga ka musono
(le Kalunga du panaris) où règne un froid intense I:W I. Dans cet au-delà
de l'au-delà, personne et personnage, ombre de vie et nom s'anéantissent
véritablement. Le culte des morts, chez les Luba, n'est en aucune façon
un culte des ancêtres. En fin de compte~ l'homme tient dans ses mains le
destin des ombres de vie. Le rêve et la divination sont les deux ports d'atta-
che des morts bienveillants. En rêvant le dormeur abolit le temp& et invente
l'éternité pour ceux qu'il élit. Si les grands ancêtres du début, les génies
vidye sont immortels, c'est parce qu'ils poursuivent inlassablement les
(:i 1 )
femmes enceintes .
Centrale de l'oubli et de l'éternité, le rêve est aussi le lieu du crime:
c'est là que se joue le drame de la sorcellerie. Obsession majeure des
sociétés bantoues, la sorcellerie f :~:! I obéit à un schème constant: Je sommeil
livre sans défense une victime endormie à la terrifiante agression d'un autre
dormeur. Elle est, pour l'essentÎel, vanlpirisation de l'âme. Dans la nuit luba~
l'ombre de vie du sorcier, se détachant du corps, se rue sur sa victime pour
la dévorer (a:-II. Cette anthropophagie ne doit pas être entendue au sens

(29) TEMPELS, 1949, p. 73.


(30) THEUWS. 1954. p. 40; PEERAER. 1936. pp. 199-200.
(31) THEUWS. 1954, p. 44.
(32) NOllS entendons par ce ternle la nlise en œuvre. volontaire ou involontaire,
des forces destructrices (sorcerv ou witcltcraft selon la tradition de l'anthropologie
bri tann ique).
C~3) THEUWS. 1961. p. 19.
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propre; il s'agit d'une opération métaphysique à vrai dire indescriptible,


que le langage tente de circonscrire métaphoriquement. Le sorcier s'empare
de l'ombre vitale de sa victime, qui se trouve ainsi dépossédée de sa
substance spirituelle. La sorcellerie se manifeste encore chez les Luba
selon une seconde modalité, responsable de la folie. En utilisant des
fragments du corps (cheveux, rognures d'ongles, etc.), le sorcier «lie»
(:14).
l'ombre vitale de sa victime en brousse A la suite de cet envoûte-
ment (kuyola), le corps vidé de sa substance dépérit lentement et la raison
se brouille. De même que l'agression précédente, celle-ci se laisse décrire
comme dépossession. Mais le champ de la folie se dédouble à son tour:
si la capture de l'âme provoque l'hébétude, la possession de l'âme par
une âme animale, la projection magique de l'ombre vitale d'un animal dans
le corps d'un ennemi, rend la victime agressive et méchante, trouble son
comportement et la conduit bientôt à la déchéance totale (R:i).
Hébétude: dépossession de l'ombre vitale,
Folie agressive: possession par l'ombre vitale d'un animal.
Mais par une démarche inverse de la précédente, le magicien peut « cacher»
l'ombre vitale de son client dans le corps d'un fauve pour la mettre à l'abri
temporairement (Hn I. Cependant la faculté de s'introduire dans le corps d'un
animal est par excellence le propre des sorciers. Quittant leur enveloppe
corporelle pour leurs sinistres expéditions nocturnes, les sorcières luba
prennent l'apparence d'un oiseau, d'un insecte; dans cet état de dédouble-
ment actif, la personne ne perd nullement son unité car toute blessure qui
surviendrait au support animal transitoire de l'ombre errante se commu-
niquerait au corps abandonné (Wi). Cette familiarité quasi chamanistique des
sorciers et des animaux est aux yeux des Bantous un intolérable scandale
car l'homme se distingue radicalement de l'animal. C'est sans doute chez
les Lele du Kasaï que cette dichotomie ontologique a été étudiée avec le
plus de soin: MUll' Douglas a excellemment montré que la spécificité de
l'espèce humaine est, aux yeux des Lele, la pudeur, la sensibilité à la honte
(buhonyi) dont les animaux sont dépourvus car ils ne se cachent pas pour
uriner, ils ne sont pas dégoÎ1tés par l'ordure, ils s'accouplent incestueuse-
ment, etc. (;181.Le buhonyi s'acquiert par l'éducation, il est ie fondement
du code éthique. Bien que cette importante question ne semble pas avoir
été exantinée chez les Luba, l'on vient de voir que la présence d'une ânle
animale dans le corps de l'homme provoque la folje. Aussi bien, la méta-
morphose volontaire de l'homme en bête~ qui est l'une des caractéristiques
les plus remarquables de la sorcellerie, roérite-t-elIe d'être considérée

( 3 4) Id (!
171.

(35) T'HEUWS. 1961, p. 28.


(3 6) Ide 111, P . 21.
(37) Ide111, p. 19.
(38) DOUGLAS. 1955.
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comme une véritable transgression, une violation de la frontière établie


entre le monde humain et le monde animal; ce scandale intellectuel est
analogue, nous le verrons, à la naissance des jumeaux.

Les jumeaux mal venus

Si maintes cultures d'Afrique occidentale présentent la gémellité


comme l'idéal de la perfection ontologique rappelant au moins partielle-
ment les temps mythiques heureux, celui des naissances doubles d'êtres
eux-mêmes bisexués, la pensée luba, et peut-être d'une manière générale
la pensée bantoue, développe une idéologie à maints égards opposée. Exa-
minons à cet égard le mythe luba. Le héros Kalala Ilunga, fondateur de
la royauté sacrée, marque les débuts véritables de l'histoire, l'instauration
d'une civilisation plus raffinée qui tranche sur l'ordre culturel antérieur.
Kalala est l'unique enfant de sa mère, mais la sœur et co-épouse de celle-ci
met au monde des jumeaux, un fils, Kisula, et une fille, Shimbi. Kalala le
héros solitaire et son demi-frère Kisula, qui est doté d'une jumelle, s'oppo-
sent à un autre titre: Je premier est agile et intelligent, le second est un
géant à l'esprit lent. Ils s'affrontent en un combat singulier dont la royauté
est l'enjeu. Kisula est sur le point de triompher quand, poussant un cri,
Shimbi, qui aime secrètement Kalala, se jette sur son frère jumeau, l'obli-
geant à lâcher prise. Profitant de cette diversion, Kalala n'a aucune peine
à tuer son adversaire (~n). Cet épilogue d'un mythe complexe que nous
analysons ailleurs (-W), consacre la fin des temps primordiaux, la fin du règne
insipide des jumeaux voués à l'inceste. Le véritable héritier du héros Mbidi
Kiluwe, qui a apporté aux Luba le principe même de la royauté sacrée
(bulopwe) en contractant chez eux un mariage hyperexogamique, ne pou-
vait être qu'un fils solitaire, privé de jumelle. La relation incestueuse qui
unissait jadis sans heurt les jumeaux s'altère profondément: elle devient la
passion tragique d'une sœur qui préfère son demi-frère, fils unique, à son
propre frère jumeau. Ce déplacement sans issue annonce la fin de l'endo-
gamie qui n'avait cessé de caractériser la société humaine depuis les ori-
gines. Il se pourrait que le nom de Kisula dérive du verbe -sula qui signifie
notamment «être à J'origine du malheur~) (sula bya malwa), c'est-à-dire
avoir des rapports incestueux (41).
Or les Luba appellent précisément «enfants du malheur» (bana ba
malwa) les jumeaux qu'ils considèrent avec aversion (4:!). Toute naissance

(39) BURTON, 1961. pp. 11-12.


(40) L. DE HEUSCH, 1972.
(41) VAN A VERMAET, 1954, p. 644.
(42) THEUWS, 1962, p. 27.
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gémellaire plonge le village dans une situation dangereuse. C'est pourquoi


le père doit s'acquitter d'une amende et subir des injures obscènes. Les
jumeaux sont les enfants de la lune, considérée comme la source d'une
fécondité excessive (-1;:,. Cette idéologie est singulièrement proche de celle
des Ndembu que Turner a très finement analysée dans une étude consacrée
aux paradoxes de la gémellité (-1-t
'. Si la naissance gémellaire est « un mys-
tère, une absurdité» aux yeux des Ndembu, c'est notamment parce qu'elle
appartient en propre au monde animal. Cette explication semble obéir à
une certaine constance en Afrique centrale car on la retrouve chez les Lele
du Kasaï (-LiI. Les Lele tirent le meilleur parti de cette anomalie en assi-
gnant un rôle rituel aux parents de jumeaux qui sont les médiateurs privi-
légiés entre les hommes et les animaux, entre le viJlage et la forêt, lieu
de la chasse. Néanmoins, comme chez les Ndembu, les parents de jumeaux
doivent se conformer à des rites purificateurs extrêmement stricts dont
(.}t)).
l'inobservance mettrait le village tout entier en posiiton critique Plus
radicaux, les Thonga du Mozambique considèrent toute naissance gémellaire
comme une souillure, source de grands malheurs. L'impureté de la mère
est pire que celle d'une veuve (.}'j,. Elle doit se soumettre à un rituel
complexe et ne pourra pas reprendre sa vie sexuelle avec son mari avant
d'avoir eu un enfant d'un amant. L'anomalie n'est pas imputée ici à
l'irruption de l'ordre animal dans la fécondité humaine; les Thonga y lisent
l'inquiétante abolition de la distance qui sépare le ciel de la terre; les
jumeaux sont appelés « fils du ciel >.)ou encore leur mère est censée avoir
mis le ciel au monde ou y être lTIontée. On déchiffrera dans ces figures
symboliques une transformation de la croyance luba qui fait des jumeaux
les fils de la lune. rréatures célestes, nées par erreur sur la terre, pourrait-on
dire, les jumeaux ont une relation privilégiée avec la pluie: les femmes
s'efforcent de la faire tomber en versant de l'eau sur une mère de jumeaux
dans un bois sacré. On notera dans le même ordre d'idées que la lune est
directement associée à la pluie chez les Luba où la mère des jumeaux est
appelée Mère-Lune, au même titre qu'elle est identifiée au Ciel chez les
Thonga ('}H'. Si l'on y réfléchit, le système de pensée des Thonga et des
Luba est le même que celui des Lele. Les parents de jumeaux sont les
médiateurs entre deux pôles antinomiques et complémentaires: le ciel et la
terre dans le premier cas, village et forêt dans le second. Mais en passant
de l'axe cosmogonique horizontal à l'axe vertical, l'horreur et la crainte que
suscitent les jumeaux grandit: jadis les Thonga étranglaient celui des deux

(43) Iden1, p. 302.


(44) TURNER, 1969.
(45) DOUGLAS, 195ï, p. 50; voir L. DE HEUSCH, 1971, p. 70 .
(46) DOUGLAS, 1963, p. 212.
(47) JUNOD, 1936, II, pp. 387-392.
(48) THEUWS, 1962, p. 302~ JUNOD, 1936, II, p. 387.
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241

qui paraissait le plus faible. Si cette règle a été abolie, on prête toujours
mauvais caractère aux jumeaux; chez les Luba, ils ne sont pas complète-
(4H).
ment responsables de leurs actes
La personne ne se réfère donc en aucune façon à l'idéal gémellaire
dans le monde bantou. Bien au contraire, et quel que soit le jeu dialectique
auquel ils se prêtent, les jumeaux menacent d'abord l'ordre culturel ou
cosmogonique, soit qu'on interprète le mystère de leur origine comme une
projection monstrueuse de l'animalité dans la fécondité féminine, soit qu'on
y déchiffre un rapprochement du ciel et de la terre. Si les Bantous admettent
sans difficulté la multipJicité spirituelle de l'être, la duplication du corps est
à leurs yeux une véritable monstruosité. Mais l'ombre intérieure, noyau d(;
la personne luba, est elle-même source d'angoisse puisqu'elle est tantôt
l'objet tantôt le sujet de la sorcellerie. Le rêve, lieu de dissociation de l'âme
et du corps est la scène de tous les crimes: non seulement les sorciers
affamés de chair humaine s'y ruent sur les ombres de vie, mais encore,
c'est là que se décide véritablement la survie ou l'anéantissement des morts.
Dévoreuse d'âmes, la mémoire est aussi à sa façon, sorcière. Mais lorsque
sa tiède lumière, semblable à celle d'une lanterne magique, 'anime de
manière illusoire le peuple des ombres sur l'écran du sommeil, les malé-
ficiers s'écartent des petits enfants luba que bercent les invisibles parrains
de l'au-delà.

Ouvrages cités

BURTONW.F.P., 1961. - Luba Religion and Magic in Custom and Belief,


Musée Royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1961.
DOUGLASMary, 1955. - "Social and religious Symbo1ism of the Lele
of the Kasaï". Zaz're, IX, 4, 385-402.
DOUGLASMary, 1957. - " Animals in Lele religious Symbolism", Africa,
XXVII, I, 46-58.
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NI' 544. - LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

UNIVERS FÉMININ ET DESTIN INDIVIDUEL


CHEZ LES SAMO

Françoise HERITIER-IZARD

Des différentes composantes de la personne chez les Sarno (population


du nord-ouest de la Haute- VoIta), je ne retiens comme objet de cet exposé
que celle traduite inlparfaitement par le terme « destin individuel », en sarno
lt;pt;rt;. Mon propos est de montrer, à partir de l'analyse de cette notion
et de rituels associés, qu'elle manifeste le point sensible du contact entre
deux mondes radicalement distincts, le monde socialisé sur bases agnatiques
de la masculinité, le monde anomique en apparence, par référence au pré-
cédent, de la féminité. Néanmoins, je serai amenée à faire appel à d'autres
éléments, composantes ou attributs de la personne, aussi convient-il tout
d'abord de les présenter.
Dans tout être humain (mit yi, au sens de horrlo), les Sarno recon-
naissent la présence de neuf composantes, nécessaires à des degrés divers,
certaines pouvant n'être que des signes de l'existence des autres, mais
dont l'association fait l'unité de la personne. A ces neuf composantes
s'adjoignent ce que j'appelle des attributs, qui soit précisent son identité
sociale, soit étabHssent un lien entre !'honlme lui-même et le monde extra-
humain.
Tout être humain est fait de '.a conjonction d'un corps (mt;), de sang
(rni:ya), de l'ombre portée (nyisi/t;), de chaleur et de sueur (tàtare) (1),
du souffle (sisi), de la vie (nyzni), de la pensée (yi:ri), du double (mErE)
et enfin du destin individuel (lfPt;rt;) (:!).
A ces neuf composantes s'ajoutent des attributs: le nom (t), la puis-
sance extra-humaine dont dérive tout enfant, identifiée par des devins et
désignée sous le nom d'holTIonyme (torna) (c'est également le terme par

( I) Les accents sont réservés à la notation des tons.


(2) Ces traductions françaises, pOUf approximatives qu'elles soient, sont avancées
ici dans la mesure où enes offrent l'avantage d'être pour l'auditeur ou le lecteur
plus évocatrices que les termes vernaculaires employés seuls.
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lequel se désignent et s'interpellent deux personnes portant le même nom),


la partie d'un ancêtre qui peut s'incarner dans un nouveau-né (b:JrE;)et
dans un seul (mais toute personne n'est pas nécessairement le b:Jr[b:>d'un
ancêtre: certains enfants n'ont pas de b:JrE;et certains ancêtres choisissent
délibérélnent de ne pas « revenir»), enfin la présence de génies de brousse
ou domestiques (patara) venant par couples et choisissant un individu
comme support particulier.
ME, le corps, et particulièren1ent la chair, est donné à l'enfant par
la mère, le sang (mi:ya) lui est fourni par le père. Sisi, le souffle, pénètre
dans l'enfant en suivant Je rythme de la respiration maternelle, au troi-
sième stade reconnu de la grossesse5 c'est-à-dire au moment où l'embryon
prend la forme humaine (abandonnant les formes premières de margouillat
ou 'de crapaud) définitivement et où les cheveux commencent à pousser.
Il est véhiculé dans l'être humain par le sang du cœur, qui ne se mélange
pas au sang du corps, lequel véhicule nYlni, la vie. NYlni est donné par
Dieu (lé l:Jr:J, la bunkunu; l:Jr:J ou lara signifie à la fois toute puissance
surnaturelle et l'autel qui la représente; lé l:Jr:J signifie le dieu du ciel;
la bunkunu dieu «recouvreur», dieu «par-dessus») à la naissance, au
moment du premier éternuement. NYlni baigne le monde, et tout être vivant,
de quelque ordre que ce soit, en détient une parcelle. Il est absolument
individuel, non transmis par les parents. Rien de particulier ne manifeste
sa présence, mais sans cette présence on ne peut vivre. Il ne quitte jamais
le corps, sauf deux ou trois jours avant ]a mort pour pleurer dans la nuit
sa fin prochaine. Il meurt avec le corps, noircit dans le sang, pourrit avec
la chair dans la tom be et persiste de façon atténuée dans les ossements.
Si on les brûle, nYlni disparaît alors totalement. Tàtare, la chaleur du corps
et la sueur, sont les signes évidents de sa présence dans le corps et sont
acquis de façon naturelle à la naissance. Yi:ri, la pensée.. n'est pas néces-
saire à l'accomplissement de la vie; cet élément a lui-même deux aspects:
yéyéra, l'entendement, la faculté de concevoir et de comprendre, et ta:se, la
conscience de soi et la faculté imaginative se traduisant essentiellement
dans les actes de se remérorer et de prévoir.
Nyisilc est l'ombre portée du corps. Elle existe de façon nécessaire,
bien que n'ayant pas de rôle particulier, mais l'existence d'une ombre
double et parfois triple, sous certaines conditions (deux ombres pâles,
légèrement décalées, encadrant une ombre centrale, sombre) est la preuve
évidente d'une caractéristique du mErE (double), dont nous parlerons ci-
après.
M ErE est ce qui est immortel dans rholnme. Il lui est remis par Dieu
dans le sein de la mère, en même temps que sisi, c'est-à-dire au moment
de la pousse des cheveux. Comme nYlni, ce n'est pas une composante propre
à J'homme et à lui seul. Les plantes, particulièrement les grands arbres et
les céréales, les animaux, certains éléments inertes, comme l'argile et le fer,
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ont aussi un mErE. La Terre également. Le mErE quitte le corps de l'homme


endormi chaque nuit pour des pérégrinations qui lui font connaître des
aventures dont il communique la substance à l'homme par l'intermédiaire
du rêve; il se réinsère naturellement dans le corps, à condition que l'on n'ait
pas modifié la position du dormeur ou qu'il n'ait pas été réveillé en sursaut.
Pendant ces sorties, il contracte les maladies qu'il transmet ensuite au corps
et il est aussi l'objet des attaques des sorciers, sortis également sous leur
forme de mErE. L'attaque de sorcellerie est l'emprise d'un ,nErt fort sur un
mErE faible. Il quitte définitivement l'homme, trois ou quatre ans avant la
mort réelle, selon le sexe, dans tous les cas qui ne relèvent pas de la mort
brutale (accidents, guerre, foudroiement, etc.). Il peut alors être vu de jour,
pendant qu'il chemine pour rejoindre la route du village des morts, par
ceux que l'on appelle ,~clairvoyants» (ye diEndie uleno). Il a la même
apparence que l'homme vivant, apparence vêtue d'apparences de vêtements,
mais sa chair est consistante si on le touche et son sang coule si on le
frappe (les meurtrissures qu'il pourrait subir sont transposées ipso facto au
corps). Mais il n'a pas la parole et ses poings sont fermés. Ce sont ces
signes distinctifs qui permettent aux clairvoyants de connaître sa nature
de mErE. S'ils s'approchent et lui ouvrent la main, ils y trouveront soit des
excréments, ce qui veut dire que le voyage en début d'accomplissement est
sans retour possible, soit des objets qui indiquent la nature du sacrifice que
l'homme, averti par le clairvoyant, doit faire pour que son mErE le réin-
tègre. Tout homme ayant obtenu de la sorte un sursis porte un bracelet
spécial, le dwà:zane, litt. le « bracelet qui attache», dit « bracelet de retour
d'âme». Les clairvoyants sont fréquemment des enfants. Certains animaux,
les chevaux, les bœufs et surtout les chats, ont aussi ce pouvoir de sentir
et reconnaître la présence de mErE sur leur route, ou, pour le chat, de
reconnaître l'absence du mErE des gens de la maison.
Après la mort où disparaissent définitivement les huit autres compo-
santes qui l'ont accompagné pendant la vie, le mErE entame la première vie
des morts au premier village des morts. Il actualise alors huit nouvelles
composantes qu'il possédait virtuellement pendant la vie de vivant et recrée
de la sorte une personne. Dans cette «vie de mort», l'homme renouvelle
les liens qu'il avait dans sa vie précédente avec son entourage familial,
si celui-ci l'a précédé dans la tombe, ou se crée de nouveaux liens matri-
moniaux ou de résidence. De la sorte naissent au village des morts des
êtres nouveaux qui n'ont pas connu la vie de vivant. L'homme meurt ensuite
d'une deuxième mort qui est la première mort de mort (diE f:J diE), où
disparaît la deuxième série de huit composantes qui accompagnaient son
mErE, et ce dernier passe au deuxième village des morts, où il actualise à
nouveau huit composantes également en puissance dans ses deux vies pré-
cédentes. Il mourra, après avoir mené une vie analogue à la vie de vivant,
de la deuxième mort de mort, où périront ses huit dernières composantes.
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Après cette succession d'ascèses, le mErE éternel de l'homme passe soit dans
un arbre et changera de support tout en restant dans la même variété à
chaque fois que son support meurt, soit, et moins fréquemment, se trans-
forme en génie d'une espèce particulière, les dyirin' patara, ou génies des
morts, qui sont purement domestiques. Dans l'arbre, le mErE de l'homme
cohabite avec le mEre de l'arbre, également immortel. Il ne s'agit pas de
n'importe quels arbres, mais de grands arbres où la sève (da yému, litt.
l'eau de l'œil de l'arbre) ne coule pas de façon apparente lorsqu'ils sont
blessés: tamarinier, raisinnier, caïlcédrat, baobab, néré, poupartia birrea,
gardenia esculantus, et non porteurs d'épines (les mErE des hommes ne
vont pas de la sorte dans les balanzans, au tronc épineux).
Bien qu'il n'y ait pas de correspondance temporelle exacte avec le
monde des vivants, les deux vies de mort correspondent au temps où les
hommes sacrifient nommément sur les auteuls ya l:Jr:J (autel du père) et
yilo l:Jr:J(autel du père du père). Lorsque d'une série de frères qui sacri-
fiaient à l'autel de leur père et du père de leur père, le dernier meurt à son
tour, les autels se trouvent si l'on peut dire, décalés d'un cran. La géné-
ration suivante sacrifiera au yi/o l:Jr:Jpour l'ancêtre q~i résidait au ya l:Jr:J
de la génération précédente. L'arrière-grand-père, pour qui on cesse alors de
sacrifier nommément, rejoint tous les ancêtres lignagers au grand autel
des morts (dirimba l:Jdolo), l'un des trois principaux autels de la maison
des morts. On admet de la sorte qu'il a épuisé, peut-être dans une tempo-
ralité différente, ses deux vies de mort et qu'il a entamé sa vie éternelle
d'arbre. C'est seulement pendant le temps où il réside au premier village
des morts qu'un ancêtre peut revenir, s'il le désire, dans un support neuf,
sous l'aspect du b:JrE. Ce retour se fait, en général, dans un délai de six
ans maximum après la mort. Ce qui revient dans l'enfant est le yi:ri du
défunt, sa pensée, dont on reconnaît la marque dans les actions de l'enfant.
Il ne lui dicte pas ses actes, mais leur donne une forme et une orientation
particulières, aisément discernables par ceux qui ont connu le défunt de son
vivant. Le yi:ri n'a pas d'autres connaissances que celles que l'homme a
eues de son vivant. Un homme revient dans les fils ou les petits-fils de
ses fils ou de ses frères, une femme revient dans les filles de ses fils ou
les filles de ses filles.
Au moment où il vient au monde~. à l'instant où la vie le pénètre,
l'homme déclare ce que sera sa mort. LEpErE signifie textuellement « la bou-
che parle». C'est le sceau irrémédiable de sa vie et de sa mort que le
nouveau-né détermine en naissant. Dieu fait prononcer son destin à l'enfant.
Dans le ventre de la mère, on considère que le fœtus est en communication
directe avec Dieu, seul stade où cela soit possible. Une fois qu'il l'a pris
en charge, quand sa bouche a parlé, l'homme devient responsable de son
destin, qui est un destin de mort, car tous les hommes doivent mourir et
ce sont eux-mêmes qui l'ont voulu. Lorsque les hommes vivaient au ciel,
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ils ne mouraient pas. Comme ils se multipliaient par trop, sur l'initiative
divine un certain nombre d'entre eux est descendu sur terre avec l'aide du
forgeron. Des mythes détaillés racontent cette descente sur la terre et l'orga-
nisation sociale qui en est résultée. Sur terre, les hommes ne mouraient
pas non plus. Se rendant compte que l'immortalité, de pair avec la vieillesse
et l'impuissance totale qui l'accompagne, était insupportable, ils ont désiré
et cherché la mort. Dans certains zumbri de fossoyeurs (noms d'éloge ligna-
gers), on raconte comment les fossoyeurs ont reçu mission d'aller acheter
la mort contre un chat noir et ont ensuite inventé les techniques qui l'accom-
pagnent. Si donc Dieu a bien voulu la mort, c'est à la demande des hommes.
Chaque être hun1ain la reprend à chaque fois en charge, inscrite dans son
destin individuel. A chacune des actualisations de composantes que suscite
le mErE aux différents seuils mortuaires qu'il franchit (mort de vivant, pre-
mière mort de mort), un nouveau lEpErE est décrété, qui ne doit rien au
précédent. Un enfant mort en bas-âge dans sa vie de vivant peut avoir de
la sorte de longues et fructueuses vies dans ses vies successives de mort.
Au tut:Jmbo, interrogatoire du cadavre pour connaître la cause de la
mort, la première question qu'on pose au corps concerne son IEpErE:
«Regarde tous ces gens rassemblés pour toi, ils t'ont mis sur ce
brancard, si tu as quelque chose à dire, viens d'abord prendre l'eau et boire.
« Tu es venu et tu as bu l'eau. Cette chose (i.e. la mort) qui t'a trouvé,
si c'est ton L5r3 (autel personnel représentant le IEPErE), approche; si c'est
ton lEpErE qui t'a tué, avance. »
Si la réponse est négative, si ce n'est pas la volonté pure du LEpErE qui
est en cause, mais un accident particulier, également déterminé par le
lEpErE, on poursuivra l'interrogatoire:
« Si c'est une affaire avec ton père, approche
« Si c'est une affaire avec ta mère, approche
« Si c'est une affaire qui te concerne toi seul, approche (transgression
d'un interdit, prise d'un autel justicier sans avoir demandé l'avis des pro-
ches, etc.)
«Si quelqu'un t'a tué, approche
« Si tu connais l'homme_ va sur lui. »
Dans tous les cas, même si la mort est le fait d'un crime de sorcellerie,
reconnu au tut3mbo, l'auteur n'en est jamais que l'instrument de la volonté
exprimée par le LEPErEde la victime. Ceci explique qu'aucune sanction
n'est prise à l'encontre du sorcier reconnu lors de cette cérémonie. Il n'est
pas chassé du village et il n'y aura pas d'exercice de la vengeance. Le
sorcier apparaît ainsi comme J'instrument nécessaire du destin.
Comme le mErE, le LEpErE appartient à l'individu en propre. Cepen-
dant une lourde contrainte pèse sur la décision oraculaire du nouveau-né.
Le LEpErEde l'enfant est fonction du lEpfrE de la mère; il ne peut jamais
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être contradictoire avec lui. Si le LEpErEde la mère a décidé que l'enfant


qu'elle porte doit mourir en bas-âge, celui de l'enfant n'a pas le libre choix:
il décrétera sa propre mort. La femme kuna, stérile, est stérile du fait de
son LEpErE.Le LEpErEd'une femme décrète à la fois le nombre d'enfants
qu'elle mettra au monde et leur destin de mort, alors que le LEpErEmasculin
ne décrète rien de tel (certains informateurs disent que le LEpErE de
l'homme peut être porteur du nombre des enfants qu'il concevra dans ses
ma~iages successifs, mais cela ne va pas plus loin). Aussi bien, autrefois,
avant de prendre une épouse légitime, consultait-on soigneusement les devins
pour essayer de savoir si le LEpErE de la femme était bon, si elle devait
mettre au monde de nombreux enfants susceptibles de vivre et si elle-
même avait de par 30n LEpErE la grâce de vivre longtemps. Jusqu'à la
puberté, avant l'âge d'homme et la possibilité de procréer à son tour, le
LEPErEde l'enfant est totalement soumis à celui de la mère. L'enfant est
en état permanent de danger de mort, ce qui est dit explicitement par
l'adjonction de l'épithète furu, chaud, dangereux ou en danger, à l'état
d'enfance et de pré-puberté. S'il arrive normalement à la puberté, on sait
de la sorte que le LEpErEde la mère a voulu qu'il vive. A ce moment, le
LEpErEde l'enfant cesse d'être soumis à celui de la mère. Garçons et filles
pubères prennent alors leur propre destin en charge après le sacrifice de
puberté, [EpErE kâ (ka, sacrifice), ou lÉpErE bJ «< faire sortir le [EperE).
Ce sacrifice porte aussi, et plus spécialement pour les filles, le nom de
mé:>ra (litt. «caresse du corps») ou W.JS.Jmé.Jra (méJra du soleil ou du
mariage; W.Js.? a les deux sens).
Le sacrifice de puberté est accompli par le père. Cependant, la
jeune fille doit avoir deux sacrifices de puberté, le premier accompli par
le père, le deuxième accompli deux ou trois ans après par le mari légitime
avant de prendre possession de sa femme et de l'enfant (le tu kos:Jd:J, la
«part de la Terre») qu'elle aura eu dans l'intervalle d'un géniteur
autre que lui-même (sandana, amant institutionnel). Ce sacrifice, au rituel
complexe, présente de nombreuses variantes en pays sarno. Selon les villages,
le mot mé .Jra désigne expressément la caresse faite par le sacrificateur sur
le corps de l'enfant au moyen de trois ou quatre épis de mil rouge, ou
la caresse manuelle faite par le sacrificateur sur le corps d'un animal sau-
vage déterlniné par le devin (biche, pigeon, lapin, mais plus généralement
python royal, qui porte le nom de l:Jda mimini, la «jeune femme sucrée,
douce»), animal qui n?est pas sacrifié mais relâché ensuite en brousse. Les
animaux de sacrifice (poulets et chiens rouges) sont consommés par les
assistants sur place, la mère veillant soigneusement à ce qu'aucun déchet
ne soit détourné aux fins de sorcellerie. Le sacrifice accompli, le jeune
homme ou la jeune fille part sans se retourner chez ses maternels, où il
passera quelques jours. Les relations sexuelles sont totalement interdites
avant l'accomplissement du LEpErE kii.
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On notera que la responsabilité personnelle de la femme en tant que


personne humaine n'est pas engagée lorsque s'accomplit pour elle un
lEpErE contraire à la procréation. Nul ne lui en fera jamais grief. La
femme subit ce destin oraculaire comme totalement distinct de sa volonté
qui est d'avoir des enfants, et accomplira toutes les démarches (consulta-
tion de devins, port de bandes rituelles, action de se vouer aux grands
autels villageois, etc.) susceptibles d'influer sur son destin, s'il n'est pas
celui, définitif, de stérilité.
Cette correction faite, les femmes apparaissent comme maîtresses abso-
lues de la vie. Le LEPErE féminin non seulement peut interdire toute nais-
sance (cas des femmes stériles) mais décide souverainement du cours de
la vie des enfants mis au monde. Corollairement, les ancêtres agnatiques
sont totalement impuissants à la fois à faire naître (ce n'est pas leur volonté
qui fait l'enchaînement des générations), et à briser le sceau du LEpErE
maternel inscrit sur leur descendance. Parallèlement, on considère, notam-
ment dans les cas de malchance familiale (séries d'enfants morts en bas-
âge) ou villageoise (épidémies meurtrières d'enfants) que c'est de, la brousse,
le monde sauvage, qui manifeste de la sorte son hostilité au village, au
monde des hommes. La femme, par l'expression de son destin que nul
ne peut transformer, en accord avec la volonté de la brousse, relève ainsi
du monde des forces brutes et indomestiquées sur lesquelles l'homme n'a
que peu de prise.
Cependant, jamais la brousse n'a voulu la disparition totale d'un
village. et tous les LEpErE féminins ne sont pas radicalement hostiles à la
transmission de la vie. Il existe quelques possibilités d'action.
Tout d'abord, s'il ne peut rien pour changer son dictat de mort (la
nature de la mort), l'homme a la possibilité d'en retarder la date, mais
seulement à partir du moment où il a pris son destin en charge après le
sacrifice de la puberté. Nous avons vu que le double (rfl£rE) se laissait
voir à des clairvoyants et que des sacrifices appropriés pouvaient l'amener
à réintégrer son corps. De la même façon, tout individu mâle pubère
construit un autel (l:Jr:J) qui représente son lEpErE et auquel il sacrifie à
chaque fois que le LEPErEréclame un sacrifice, ce que l'on sait par le devin.
Ces sacrifices ont pour but de retarder l'échéance de la mort. Un homme
peut être tué par son [fpfrE parce qu'il n'a pu fournir l'animal sacrificiel
demandé. Il y a là un enchaînement circulaire tel qu'il fut écrit à la fois,
après que ]a mort ait fait son œuvre) que le [EpErf ferait cette demande
que l'homme chercherait en vain à satisfaire. Mais il aurait pu être écrit
que l'homme parviendrait à ]a satisfaire. Les femmes quant à elles, n'ont
pas de l:Jr:J personnel. Au moment du mariage, le mari construit de
chaque côté de la porte de la case conjugale, à l'intérieur, deux [:Jr:J,
un pour sa femme, un pour lui-même, qui représentent l'accomplissement
de leur bonheur conjugal. Un homme a donc, en plus de son l:Jr:J per-
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sonnel, autant de l:Jr:Jconjugaux qu'iJ a d'épouses. Les sacrifices conjoints


qui y sont faits ont pour fonction de se rendre propice le destin féminin
inconnu de l'épouse, selon le même mode d'enchaînement circulaire décrit
ci-dessus. (On notera également là l'existence d'une certaine conception
d'un temps immanent, non soumis aux règles du découpage chronologique).
Plus particulièrement, deux institutions permettent d'influer sur la
création de la vie: ce sont respectivement toma et nyiséd:Jr:J.
Ce qui fait l'homme n'est pas le seul rapport sexuel; il y faut néces-
sairement la rencontre des deux «eaux de sexe», mais tous les rapports
sexuels ne sont pas féconds. Il y faut surtout l'absence de la barrière qui
peut être placée par le l£p£rr féminin et l'absence de celle qui peut être
placée par les forces m~lveil1antes de la brousse. Eu égard à ce deuxième
point, toute naissance est fonction de l'intervention d'une puissance exté-
rieure, le toma, soit qu'elle ait été sollicitée par la femme, soit qu'elle soit
intervenue de son propre ch,~f; l'identité du torna est alors connue par la
divination.
Les toma sont des lieux ou objets sacrés: l'autel de la Terre, le
même sous sa forme de feu (Tiétra), les autels de la pluie, les grands
arbres sacrés, la forge, la mine de fer (en tant qu'objets sacrés, objets de
cuIte), etc., ainsi qu'une grande variété d'autels mineurs, dont la fonction
est de contrecarrer l'action néfaste d'une partie de la brousse. Ainsi le
dundud:Jnlo (1iu. canari du ver de terre), qui se trouve en un seul village
du pays sarno, est '_e lÔma d'où proviennent, après que la divination ait
fait connaître la cause de la stérilité temporaire de leur mère et les sacri-
fices appropriés, les enfants nés de femlnes ayant écrasé par mégarde en
brousse une certaine variété de ver de terre (dundu) particulièrement dan-
gereuse. Le lama est donc un objet culturel, médiateur entre le monde
de la brousse et le monde des humains, chenal ouvert capable de neutra-
liser, par la force des sacrifices qui lui sont rendus, la puissance naturelle
mauvaise qui empêche la conception de se faire. Toute sa vie, l'être humain
rendra un sacrifice annuel à son lama, sans la bienveillance duquel il ne
serait pas et qui continue de le protéger. Le sacrificateur dit: «on ne peut
rentrer dans l'eau et en ressortir sale», on ne peut se confier à son
toma et en être repoussé. Toute naissance est de ce point de vue le fait
d'une tolérance particulière de la brousse ou d'une victoire sur la brousse.
Le nyiséd:Jr:J (litt. plat à médicament) est une écuelle, enfoncée dans
le sol, où sont placés des paquets de racines d'arbres indiqués par le devin,
racines prélevées selon un certain rituel, et mises à macérer dans de l'eau.
L'eau y est constamment renouvelée. On prélève plus particulièrement des
racines de ,nitragyna inermis (qui pousse au bord des marigots, sorte d'osier)
lannea microcarpa (raisinnier), detarium senegalensis, diospyros mespili-
formis. Au propre, les nyiséd:Jr:J sont des relais féminins de fécondité,
véh~culés par des plantes. Lorsqu'une fille est marip.e et a rejoint sa famille
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d'alliance, le mari part sacrifier au nyiséd:Jr:J de la mère de sa femme,


et cette dernière, pendant quatre jours, boit de cette eau et se lave le
corps avec; parallèlement, il sacrifie au nyiséd:Jr:J de sa propre mère, en
« témoignage» de sa propre naissance, mais sa femme ne boit pas de
cette eau et ne se lave pas le corps avec. Si le sacrifice au nyiséd:Jr:J de
la mère de la femme a été efficace, c'est-à-dire si la jeune femme a
conçu rapidement, elle renouvellera désormais tous les ans, comme sacri-
liante, le sacrifice au nyiséd:Jr:J de sa lnère, et se lavera avec cette eau,
sans plus jamais la boire; parallèlement, le mari continuera de faire un
sacrifice annuel au nyiséd:Jr:J de sa propre mère, mais toujours en témoi-
gnage de sa naissance et non pour sa femme, laquelle en voie de consé-
quence ne boira pas de cette eau et ne se lavera pas avec. Si le sacrifice
au nyiséd:Jr:J de la mère de la femme a été inefficace, le mari renouvelle
un sacrifice au nyiséd:Jr:J de sa propre mère, mais cette fois-ci pour sa
femme qui, en conséquence, boit de cette eau et se lave le corps. Si ce
sacrifice se révèle efficace et que la jeune femme conçoive rapidement, tous
les ans son mari renouve)Jera comme sacrifiant le sacrifice au nyiséd:Jr:J
de sa mère pour sa femme qui se lavera avec cette eau sans plus jamais
la boire. S'il s'est révélé inefficace, après consultation du devin le mari
constitue à sa femme son propre nyiséd:Jr:J où il sacrifie, sa femme buvant
l'eau et se lavant le corps. Tous les ans, ce même sacrifice sera renouvelé
(s'il s'est montré efficace), la femme se lavant, mais ne buvant pas. Les
conjoints abandonnent alors définitivement le nyiséd:Jr:J de la mère de
la femme, inefficace pour elle. Le mari continue de sacrifier au nyiséd:Jr:J
de sa mère, mais en témoignage de sa naissance et non pour sa femme.
On sollicite donc, pour chaque nouvelle épouse, et dans la mesure
où son lrprrr ne lui interdit pas totalement de concevoir, des forces géné-
siques, provenant ou appuyées sur des plantes de brousse, et transmises
par les femmes selon des chaînes plus ou moins continues. On sollicite
tout d'abord la force génésique résidant dans la chaîne maternelle ascen-
dante de l'épouse, puis, à défaut, dans la chaîne maternelle ascendante de
l'époux. Le relais de fécondité ne passe donc pas par les hommes, puis-
qu'elle peut être transmise directement, par la consommation d'une même
eau, d'une mère à sa fille, d'une belle-mère à sa bru. De proche en proche,
et à supposer (cas extrême) qu'à chaque génération ce soit le nyiséd:Jr:J
de la mère de l'époux (ou de la mère de l'épouse) qui soit efficace, se
constituent des chaînes de fécondité, radicalement coupées de la filiation
agnatique, passant obliquement de lignage en lignage. L'enfant tient sa
naissance de la mère de son père ou de la mère de sa mère, qui tenaient
elles-mêmes la leur de leurs propres mère de père ou mère de mère.
On voit se dessiner ainsi un univers proprement féminin, avec ses
lois propres de transmission, distinctes de celles impliquées par la patri-
linéarité et la solidarité lignagère. Bien d'autres signes de cette autonomie
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peuvent être énumérés, tous à mettre en relation avec l'existence rituelle-


ment reconnue des chaînes de fécondité. Ainsi le fait que le b:Jr£ d'une
femme ne s'incarne jamais dans son lignage d'origine (dans la fille d'un
frère par exemple), mais uniquement dans les filles de ses fils ou les filles
de ses filles, c'est-à-dire dans des lignages étrangers à son sang, tel qu'il
est défini patrilinéairement (alors qu'un homme ne revient jamais, par
définition lignagère, dans les fils des filles, mais peut revenir dans les
petit-fils de ses frères, alors qu'il n'y a pas de rapport direct d'engendre-
ment entre lui et eux). Cette transmission du b:Jr£ féminin suit très exacte-
ment les lignes possibles de transmission du relais de fécondité. De la même
manière, un homme ne fait pas de sacrifices aux mânes de sa mère ou de
ses grand'mères. Il n'existe d'ailleurs pas d'autels d'ancêtres féminins,
puisqu'ils ne sauraient trouver place logiquement ni dans le lignage d'ori-
gine,' ni dans le lignage d'accueil. Si une défunte «réclame» un sacrifice
(à base d'épinards de brousse cuisinés), elle le réclame à une de ses filles
ou de ses petites-filles par le fiJs ou la fille. Ainsi également le fait, aisé-
ment noté lors d'enquêtes généalogiques, de la mémorisation des chaînes
utérines, de mère en mère, sans la mémorisation adventice des individus
mâles de leurs lignages d'appartenance. Ainsi et surtout l'existence, que
je cherche dans un autre travaiJ à montrer statistiquement, d'une redupli-
cation des destins matrimoniaux féminins, reduplication que les hommes
perçoivent de façon extrêmement nette, en se reconnaissant impuissants à
l'enrayer. Quand une fille est donnée en mariage primaire légitime, elle est
donnée par son père, en fonction d'un choix qu'il exerce dans le cadre des
règles prohibitives d'alliance. La tendance étant à l'endogamie villageoise,
les sœurs, réeHes ou classificatoires, sont de la sorte, la plupart du temps,
mariées dans. le même village, qui est celui de leur naissance. Lorsque
l'une d'entre elles, plus fréquemment l'aînée, quitte son mari pour contracter
une alliance secondaire à l'extérieur, généralement au loin, on note que
dans les années suivantes, ses sœurs ont tendance à aller contracter elles
aussi une alliance secondaire dans le même village où l'aînée est remariée.
La même chose se passe si la mère est retournée dans son village d'origine
ou est allée contracter une union secondaire ailleurs; ses filles mariées
auront tendance à l'y rejoindre. Le phénomène outrepasse la simple filiation
utérine, puisque des demi-sœurs. ou même simplement des cousines paral-
lèles patrilatérales ont également tendance à dupliquer leurs destins matri-
moniaux, et manifeste l'existence d'une solidarité féminine aux effets plus
forts que le sentiment de l'appartenance lignagère. On notera également que
le système de parenté sarno, de type omaha, permet par l'appellation la
reconnaissance de cette solidarité. De la même manière que des fils de
frères sont toujours des «frères», à quelque génération que ce soit, le
même principe d'identité des siblings de même sexe fait que des filles de
sœurs, et des filles de filles de sœurs, sont toujours entre elles des « sœurs»,
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bien qu'appartenant, par la coexistence de la règle de filiation patrilinéaire


et de celle du choix du conjoint hors des quatre lignages fondamentaux
d'Ego (E, M, FM et MM), à des lignages étrangers les uns aux autres.
Croyances et histoires mythiques ou mythico-historiques dévoilent la
crainte masculine du monde féminin. Nous avons parlé plus haut de l'assi-
milation qui peut être faite des femmes à la brousse, à travers leurs desseins
(inconscients; le dessein du lfpfrf) contraires à la transmission de la vie.
Dans le même ordre d'idée, les femmes sont conçues comme particulière-
ment réceptrices aux génies de brousse. Certaines sont même socialement
déterminées à être réceptrices: toutes les filles des lignages fossoyeurs de
certains villages possèdent ainsi, statutairement pourrait-on dire, des génies.
On considère très généralement que ]es sorciers sont dans la famille de la
femme. Mais de plus, des deux sortes de sorciers (kwëkwe, qui attaque les
mtrt la nuit, pour les emprisonner et les dominer; mW:Jlt, qui vole dans
la nuit sous forme de feu, au ras du sol, éventre et retire les entrailles,
le foie et le cœur des mtrt qu'il a maîtrisés, tient son pouvoir d'une sub-
stance ingérée volontairement, est capable de donner son premier-né en
sacrifice à la confrérie des sorciers)~ le plus néfaste, le mW:Jlt, ne peut
être qu'une femme. Il n'y a pas d'homme mW:Jlt. C'est la mère-sorcière.
Inversement, les détecteurs de sorciers et les clairvoyants sont des hommes
(les clairvoyants qui ne tirent pas leur pouvoir d'une hérédité lignagère
peuvent être des enfants des deux sexes). Ils ne transmettent leurs pouvoirs
qu'à leurs fils, en tenant soigneusement à l'écart les épouses (qui viennent
d'ailleurs) et les filles (qui se marieront ailleurs).
Une histoire de caractère mythique, très brève, raconte comment
autrefois les hommes et les femmes vivaient séparés. Quand l'homme vou-
lait rejoindre la femme la nuit, il devait ruser et aller vers elle en silence,
rampant sur le sol et mouillant la terre devant lui pour ouvrir sa route.
Dans de nombreuses traditions d'origine lignagères, il apparaît que la con-
duite du groupe familial migrant était laissée à l'initiative des ditdifrf,
filles de la famiBe, eu égard à leur maîtrise parfaite des secrets magiques,
à leurs capacités de patience et de réflexion.
Les femmes transmettent une force génésique où les hommes n'ont rien
à voir. Cependant, ils en dépendent dans l'arrêt qui les fait naître, comme
dans celui, dicté par le IÉPfrf de la mère qui leur permet de vivre. Cette
force génésique non lignagère entraîne une solidarité d'une autre espèce,
d'ordre quasi-mystique, que celle qui est déterminée par les rapports de
parenté qui traduisent l'organisation d'un monde socialisé masculin. Bien
qu'elles soient incluses terminologiquement dans la parenté agnatique de
par l'idéologie patrilinéaire de la filiation, les ]ignes de force dont elles
participent et qui relèvent de la nature, perturbent l'ordre social établi, le
remettent perpétuellement en cause et l'alliance exogame~ telle qu'elle est
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culturellement établie, achève de cimenter la cohésion féminine en dehors


du champ de la solidarité lignagère.
Etre entre soi dans les canons de l'idéologie patrilinéaire, c'est être
entre hommes. La solidarité lignagère, l'application du mariage légitime,
le culte des ancêtres, les sacrifices mainteneurs villageois, sont marqués du
sceau masculin; la transmission de la fécondité par ligne utérine, la rupture
du lien légitime exprimant l'accord des lignages pour recréer des commu-
nautés affectives non fondées à coup sûr ni sur la filiation, ni sur l'accord
des familles, la communication directe avec les puissances de brousse, sont
marquées du sceau féminin. La crainte que l'on éprouve à l'égard des
femmes tient à ce que, de façon inéluctable, il n'est pas possible de les
intégrer totalement au monde organisé, car, de par la régulation matri-
moniale exogame, elles ne peuvent être et agir qu'à l'envers des hommes.
On retrouve là, dans la société sarno, sous une forme voilée, l'éternel regret
dogon: que le monde eut été plus facile à penser et à réaliser si la femme
n'avait pas été distincte, si l'homme avait gardé sa condition primitive
d'androgyne, à tout Je moins si la sœur avait été l'unique épouse possible
conservant par devers le lignage les forces naturelles dont elle est pourvue.
La prohibition de l'inceste fonde ainsi aussi bien la structure de la personne
que celle de la société.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

LE LIEN A LA MÈRE
ET LA NOTION DE DESTIN INDIVIDUEL
(1)
CHEZ LES GOURMANTCHÉ

M. CARTRY

Les Gourmantché pensent que le destin de l'individu est pour une


large part déterminé avant sa naissance sous les effets conjugués des désirs
exprimés par son «âme» et «l'âme» de ses parents au cours de leur
vie pré-terrestre. C'est cette croyance que je vais décrire, ainsi que les rites
qui y sont associés. Je proposerai ensuite une hypothèse pour tenter d'expli-
quer pourquoi « l'âme» de la mère est la seule instance auprès de laquelle
il soit possible d'intervenir pour modifier le cours de ce destin. L'examen
de cette hypothèse nous ramènera, je l'espère, au centre des débats théori-
ques de ce Colloque.

1. La nature du choix prénatal.

Quelques précisions d'abord sur la nature de cette «âme» qui pré-


existe à l'homme et qui choisit le futur destin terrestre de ce dernier. Les
Gourmantché l'appellent kd-kikilga, notion complexe qu'on peut approxi-
mativement traduire par l'expression de « petit être commençant» (2). Créé

(1) Au nombre d'environ 250 000, les Gourmantché occupent principalement la


partie orientale de la Haute-V o]ta. Ils sont restés en grande partie réfractaires à
l'Islam et au Christianisme. Ils formaient autrefois un royaume dont la capitale était
Nungu-Fada N'Gourma. La société est patrilinéaire et l'unité résidentieHe (u-diegu)
y est formée par la descendance agnatique du fondateur, les épouses des agnats et
les filles non mariées. Les matériaux utilisés dans cette étude ont été recueillis dans
la région du Gobnangou (cercle de Diapaga).
(2) Kikilga vient de ki/i, «commencer ». Le suffixe ga ~st un indice de l'appar-
tenance de ce terme aux noms de la 7" classe dans laquelle sont groupés les petits
êtres, les petites choses.
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dans l'eau par Dieu (o-tiEnu) au moment même de la conception, le kikilga,


c'est «l'homme dès son premier commencement ». Il n'est pas le produit
de la conception comme l'embryon ou le foetus (li-tugubili) mais la cause,
du moins l'une des causes. De ce premier commencement de l'homme, les
informateurs disent qu'il «est déjà le tout de l'homme». A la recherche
d'un point de repère, on pense d'abord au terme de germe tel qu'il était
compris dans la préhistoire de l'embryologie. Entre la doctrine du «pré-
formisme» et la conception gourmantché de la procréation, il y a bien,
en effet, un point commun, à savoir une même répugnance à admettre
qu'une formation puisse contenir à la fin de son processus d'achèvement,
des propriétés qui n'auraient pas été présentes dès le départ. Mais là s'arrê-
tent les ressemblances car au lieu d'un germe contenant le tout de l'homme
sous la forme d'un « homoncule» dont le déploiement produirait l'homme,
nous avons une entité fixe et distincte qui après la naissance de l'homme
continue à mener une existence indépendante.
Durant la vie terrestre, le kikilga, est, en effet, pour l'homme, comme
une sorte de « génie» tutélaire tour à tOUf protecteur et persécuteur. Habi-
tuellement fixé sur l'épaule de son « pupille », il peut brusquement changer
de lieu tantôt en s'introduisant dans le corps, tantôt en rejoignant l'eau de
la rivière dont il est issu I ~). Pour tenter de se le concilier, son «pupille»
lui dessert un culte, l'associant dans sa prière à d'autres puissances que
nous décrirons plus loin.
Dans certains cas le devin peut prescrire l'édification d'un autel lié
à ce principe et il en est notamment ainsi lorsqu'une femme n'a pu avoir
d'enfants depuis longtemps. La fonction de l'autel est alors de précipiter
la formation d'un nouvel être humain, soit en incitant Dieu à créer un
nouveau kikilga, soit en invitant le kikiLga lui-même à quitter prématuré-
ment son séjour aquatique. L'autel, soulignons-le, est fait d'une boule
d'argile pur prélevée dans la rivière de la Pendjari (4). La mort est inter-
prétée comme la disjonction de ce couple formé par l'homme et son kikilga,
ce dernier ayant désormais définitivement réintégré l'eau de la rivière. Mais
un nouveau couple se forme associant cette fois au kikilga, le défunt, main-
tenant devenu ancêtre. Dans les sacrifices aux ancêtres, on s'adresse aux
deux termes du couple comme à deux puissances séparées.
Dans le milieu aquatique où il surgit d'abord, le nouveau kikilga

(3) Certains informateurs disent qu'il ne se rend dans la rivière que pendant la
saison sèche. Dès le retour de l'hivernage, il suivrait le courant des eaux et ainsi
reprendrait contact avec l'homme.
(4) Située à quelques dizaines de kilomètres du Gobnangou, la Pendjari (lit.
.
Kpenjoari, «fleuve mâle») est un affluent de ] a Volta qui marque sur 180 km la
frontière Haute-Volta --Dahomey. C'est dans cette rivière que les habitants du
Gobnangou vont pêcher et c'est sur ses berges que les chasseurs se mettent à l'affût
pour surprendre le gros gibier.
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reste en communication directe avec son créateur. Etalant devant lui la


totalité des biens et des maux possibles, Dieu lui demande de choisir ce
qu'il désire avoir sur terre: de nombreuses épouses, une nombreuse progé-
niture, la richesse,' le pouvoir, ou simplement une longue vie. Le kikilga
peut choisir un destin funeste et par une sorte d'étrange aberration, désirer
«la folie», «la maladie», «la pauvreté », «la stérilité», «la mort tra-
gique ». C'est à cette conclusion que parvient le devin quand malgré les
sacrifices prescrits, la personne qu'il traite ne cesse d'être poursuivie par
l'adversité. Parfois aucune demande n'est formulée, comme si l'instance
priée de choisir' n'avait aucun désir ou aucun désir déterminé. Le choix
se fait en présence du tif,ndo ou kikilga, une puissance déléguée, une sorte
d'émissaire devant servir de relais dans les rapports entre Dieu et le
kikilga (fi).

A cette option pré-natale, les Gourmantché donnent le nom de li-


ycmiali, «la demande à Dieu» (6). Mais à cette notion de yf,miali, deux
autres sont étroitement associées qui se rapportent à deux autres genres
d'options que le kikilga est amené à prendre simultanément: u-Yf,nu et
li-cyabli. y f,nu c'est «le soleil» car, en présence du soleil, Dieu demande
également au kikilga s'il veut qu'un jour déterminé le soleil brille exclusi-
vement pour l'homme à venir dont il est le commencement. Ce jour,
l'homme commandera au soleil. La plupart des hommes ne verront jamais
ce jour. D'autres ne verront le soleil sortir pour eux qu'après leur mort,
le jour des secondes funérailles, à la cérémonie publique de levée de deuil.
Aux yeux des Gourmantché, ils auront eu leur part de chance car s'ils
ont droit aux secondes funérailles c'est qu'ils ont atteint un âge avancé et
qu'ils ont laissé des enfants vivants L'homme qui accède à la chefferie
(Î).

commandera au soleil le jour de sa nomination. Quant à la jeune fille, son


jour de chance sera celui où se tiendra, le cas échéant, la grande cérémonie
de mariage dite li-pwoparli (8). Il n'y a que le nunbaro, le roi de Nungu-
Fada N'Gourma qui commandera au soleil chaque vendredi, le jour du
sacrifice offert à ses prédécesseurs. Sur la troisième grande option, il y a
peu à dire sinon qu'elle concerne J'échéance de la mort, le kikilga devant
fixer la date de son retour (9).
(5) Chaque puissance du panthéon gourmantché a son tifl1do, «son émissaire ».
Entre la divinité et l'homme, les Gourmantché se sont ingéniés à multiplier les relais.
(6) y fmiali vient du verbe gi-n1ia, «demander » et du n10t ytnu qui, selon le
contexte, désigne Dieu ou le soleil. Li est le suffixe.
(7) Les défunts (hommes ou femn1es) n'ayant laissé aucun enfant, ne sont pas
enterrés devant la maison et les rites accomplis s'effectuent dans ce cas dans la plus
grande discrétion.
(8) Cette forme de mariage n'est pas pratiquée par tous les clans. Dans certains
clans, elle n'est accomplie que pour la fille aînée.
(9) La signification littérale de ce terme de cyabli est incertaine. Pour certains
informateurs, ce terme est associé à n'cyaba, la formule d'« au revoir» qu'on pro-
nonce en un lieu où l'on est destiné à revenir.

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Le YEmiali, le YEnu et le cyabli sont des engagements solennels pris


par le kikilga. Adoptant le langage de la génétique, on pourrait dire qu'ils
fixent le « programme» prénatal où est inscrit tout le devenir de l'individu.
Mais tout se passe comme si ces paroles originelles émanant du kikilga se
détachaient rapidement de leur source et étaient appréhendées comme des
puissances indépendantes (sauf de Dieu). C'est comme à des puissances en
tout cas que l'homme s'adressera lorsqu'il tentera par des rites de changer
le « programme» fixé par ces paroles. Lors de ces rites de propitiation, les
trois puissances seront fréquemment associées, comme le montrent nette-
ment les textes des paroles prononcées.

2. Le y£miali des géniteurs.

Dans le champ du désir qui s'offre au choix prénatal, la fécondité et


la procréation occupent une place essentielle, Dans une société où la
position statutaire et symbolique de l'homme comme de la femme, la consi-
dération dont ils jouissent, sont largement fonction du nombre d'enfants
mis au monde et maintenus en vie, on ne peut s'étonner qu'une réussite en
ce domaine soit l'un des critères essentiels de l'accomplissement d'un bon
destin. Mais comme l'accomplissement d'un bon destin est ici principalement
interprétée comme l'effet d'un choix prénatal judicieux (d'un bon y[miali).,
il en résulte qu'un individu est censé devoir sa vie non seulement au choix
prénatal d'une longue vie qu'il a fait pour lui-même, mais encore au choix
prénatal fait par ses géniteurs d'avoir un enfant (lui-même), et un enfant
qui reste en vie le plus longtemps possible. Au moins en droit, le fait
même d'être en vie et de conserver sa vie est autant imputable à son
propre y[miali qu'à celui de ses géniteurs, père et mère.
En ce point, plusieurs questions se posent. Le y[mali d'Ego peut-il se
trouver en contradiction avec celui de ses parents? Se peut-il que dans
son propre programme prénatal soit inscrite une vie brève, alors que le
programme de ses géniteurs (ou de l'un seulement d'entre eux) comporte
pour lui-même une inscription contraire? Et si une telle contradiction est
possible, quel est des trois programmes concernés celui qui sera exécuté?
A ces questions particulières, comme au problème général des rapports
entr~ le y[miali d'Ego et celui de ses géniteurs, les Gourmantché n'ont
fourni qu'une réponse globale centrée autour des trois points suivants:
1) le Y[lniali d'Ego ne lui apporte presque rien en propre sauf parfois le
mal; 2) si Ego a un bon y[miali, ce sont ses enfants qui en ressentiront
les effets bénéfiques; 3) si Ego, et particulièrement un Ego masculin,
connaît une destinée exceptionnelle, c'est presque toujours au y£miali de
sa mère qu'il le doit.
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Selon le schéma général de la doctrine que nous avons retracée. plus


haut sur le choix prénatal, tout semblait également possible pour l'homme
comme pour la femn1e. Mais dès qu'on porte son attention sur les formes
concrètes que prend cette doctrine, des différences importantes apparaissent,
liées aux dimensions du sexe et de la génération. Ainsi tout se passe comme
si dans sa vie prénatale, l'homme aussi bien que la femme étaient aveugles
à leurs intérêts propres et ne se montraient capables de discernement que
pour autant que leur choix concernait la transmission et la perpétuation
de la vie. Mais sous ce dernier rapport, il faut noter les différences essen-
tielles entre le choix de l'homme et celui de la femme, tant en ce qui
concerne les objets sur lesquels ils portent que les catégories de descendants
amenés à en recevoir les effets. Le y£miali d'un homme ne semble avoir
d'effets bénéfiques que sur ses seuls enfants et seulement du point de vue
de leur santé. Le Yfmiali d'une femme pose sa marque sur tous les objets
fondamentaux où peuvent s'investir les désirs de ses enfants, y compris et
peut-être même principalement, le désir de se perpétuer (santé, richesse,
réussite matrimoniale, le cas échéant, chefferie (1tJ), fécondité, engendrement
de nombreux enfants et conservation de la vie de ces derniers). Pour
l'essentiel, on peut donc dire que le destin d'un homme considéré dans ses
intérêts propres et dans son désir de se survivre dans ses enfants, est déter-
miné par son nay€miali (le y€/niali de sa mère). Le cas de la femme est
plus complexe car, comme nous le verrons, l'accomplissement de son destin
de procréatrice dépend moins du y€miali de sa mère que des effets indi-
rects du y€miali de la mère de son mari. En outre, d'autres déterminations
s'ajoutent, la concernant, dont nous parlerons dans un instant. Peu élo-
quents sur leur propre y€miali ou sur celui de leur père, les Gourmantché
sont intarissables sur le nay€miali. Cela ressort notamment avec un vif
relief des chants de louanges des griots adressés au chef, l'homme le plus
chanceux d'entre tous. Le leitmotiv de ces chants est une formule célébrant
le naY€J1'ziali«< c'est ta mère qui t'a fait chef, remercie ta mère et son
y€miali... ta mère voulait un enfant qui devienne chef, elle ne voulait rien
d'autre... remercie. ton nay€miali»).
Il existe un rituel complexe pour agir sur le y€miali de sa mère, soit
pour tenter de le modifier dans un sens favorable, soit pour qu'il «déclen-
che» dans un temps voulu les effets bénéfiques qu'il contient en puissance.
Aucun rituel de ce genre n'existe pour le yt:miali du père; on se contente

(10) Dans les villages du Gobnangou, la succession à la chefferie est de frère


aîné en frère cadet, jusqu'à épuisement d'une génération. On ne peut postuler la
charge que si son père a régné; si ce dernier est nlort avant d'avoir été chef, on
est définitivenlent éliminé. Il y a toujours plusieurs candidats légitimes (ou plus ou
moins légitimes), d'où la nécessité d'une sélection opérée par un collège de roturiers.
On comprend donc pourquoi l'obtention de la charge est toujours interprétée dans
le registre de la chance et notamnlent du Y£111iali.
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de l'invoquer de façon assez vague lors du sacrifice qu'on offre à son père
défunt. En ce qui concerne le propre YEmiali d'Ego, il est invoqué en
même temps que le kikilga et que le 1Jali"l'ancêtre qui, entre autres agents,
a rendu la conception possible en imprimant une forme à la matrice- de la
(111. Le rite
gestatrice et qui joue également le rôle de puissance tutélaire
dit tampugu qui a lieu au pied du lit de l'intéressé est une sorte de sacrifice
d'expiation, où le sacrificiant, après avoir demandé pardon à toutes ces
puissances pour les fautes commises à leur égard, fait appel à leur aide et
à leur protection: «Je demande pardon à mon VaU, à mon kikilga, à mon
YEnu, à mon cyabU, à mon YEmiaU... Donnez-moi le bon sommeil, le corps
dispos, terrassez pour moi l'ennemi, homme ou femme ... ».
Mais ce rite tampugu n'a d'efficacité sur le YEmiaU que si ce dernier
a une orientation virtuellement favorable. Il ne peut «redresser» un mau-
vais YEmiali en en changeant en quelque sorte le signe. Pour opérer un tel
renversement, l'unique solution qui s'offre à l'individu est d'en faire la
demande au y€miali de sa mère. Ce nay€miali est bien la clef de voûte du
système et nous devons maintenant tenter d'en approfondir la signification.
Mais avant de prolonger notre analyse, nous résumerons les résultats acquis
à l'aide d'un schéma (fig. 1).

Possibilités d'interven-
Effets "naturels" sur Ego
tion rituelle

rite dit tampugu non


spécifique et à effi-
y€miali d'Ego nu Is ou défavorables
cacité incertaine (pour
Ego masculin)

y€miali du père invocation vague (pour


maintien de la vie (santé)
Ego masculin)

maintien de la vie (santé) rite spécifique per-


réussite matrimoniale mettant une modifica-
(pour Ego masculin) tion véritable, y com-
chefferie (pour Ego mas- prise une modification
culint fécondité (princi- entraînant des effets
paiement pour Ego mas- sur le propre y€miali
y€miali de la mère culin), mise au monde de d'Ego.
nombreux enfants (prin-
cipalement pour Ego mas-
culin), maintien de la vie
des enfants (principale-
ment pour Ego masculin)

FIG. 1

(11) L'analyse de cette notion de VaU justifierait à elle seule une longue étude.
Il nous suffit ici d'indiquer que J'ancêtre donne une forme mais ne se réincarne pas
à proprement parler.
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3. Le yrmiali de la mère.

L'analyse détaillée des rites va nous permettre d'approfondir la notion


de nayrmiali. Décrivons d'abord les deux catégories «d'autels» utilisés
dans ces rites.
L'un des autels est fait de quatre pierres délimitant une petite enceinte
recouverte de sable, d'un sable fin provenant du lit d'une rivière. Sous
chacune des pierres est enterré un échantillon de toutes les graines
consommées par les Gourmantché. Dans chaque maison (diegu), il y a
plusieurs autels de ce genre placés auprès des portes des cases de certaines
catégories de femmes (121. Il s'agit seulement des femmes qui sont dans la
maison en position d'épouses et qui ont un fils vivant f la I. L'autel porte un
double nom: nayrmiajienguili (le «lienguili du y€miali de la mère») et
napomarjienguili (le «fienguili de la mère, femme qui a engendré») (14).
Pour simplifier, nous l'appelerons <de jienguili de la mère» mais il faudra
(1;)
garder à l'esprit que l'autel est associé au yrmiali I.

Appelé naburcyabu, «le burcyabu de la mère» (16), le second autel


a une structure plus complexe. JI s'agit d'un objet métallique fabriqué par
le forgeron et qui a la forme d'un petit anneau non fermé dont les deux
extrémités recourbées amorcent un nouvel anneau. Il résulte lui-même de
la fusion de quatre anneaux forgés à partir d'un morceau de fer de houe,
d'un morceau d'aiguille à couture dont le chas a été cassé et de la pointe
d'une flèche ayant tué un animal sauvage. Lorsque le forgeron fond ces
quatre anneaux, il introduit dans le métal en fusion un échantillon de toutes
les graines alimentaires. L'avis des informateurs est partagé sur la réalité
qui est symbolisée par la forme de l'objet: selon les uns, la matrice de la
femme; selon les autres, les deux bras levés vers le ciel de la première
femme de la création implorant Dieu de la soulager des douleurs de l'enfan-
tement et de faciliter la descente de l'enfant. Recevant le sala (bouillie de
mil) et le sang des nombreux sacrifices qui sont accomplis sur luL l'anneau

(12) L'autel est à gauche de la case en sortant.


(13) Ce n'est qu'exceptionnellement qu'une femme qui n'a qu'une fille reçoit
pareil autel.
(14) On verra que du côté paterne1. les aïeules d'Ego ont également un jienguili.
Dans ce cas on l'appellera «jienguili de l'aïeule. femme qui a engendré ».
(15) En dehors de celui que nous venons de décrire, tous les autels en pierre
de forme circulaire reçoivent le non1 de jienguili. Les Gourmantché disent que pour
la confection de ces autels. iJs se sont inspirés des mosquées rudimentaires des Matba,
étrangers d'origine Mandé maintenant assimilés mais ayant conservé la religion
musulmane.
(16) Burcyabu vient de cyabi, «transmis ». et de bu[o, terme que nous expli-
quons plus loin.
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métallique finit par être complètement recouvert et on n'aperçoit plus


bientôt qu'un conglomérat de bouillie de mil et de sang séchés. Sauf au
moment des sacrifices, l'objet est enferlné dans une petite calebasse recou-
verte d'un couvercle. L'ensemble (l'objet et sa boîte) est caché dans la case
de l'homme qui l'a reçu en dépôt (généralement près de son lit).
Mais les termes de napomarJienguili et de burcyabu de la mère ne
désignent pas que les autels ci-dessus décrits mais également les puissances
invisibles qui viennent les «habiter», puissances que les Gourmantché
appellent buri (sing. buro). Les buri sont des puissances intermédiaires
entre Dieu et les hommes qui ont pour « habitacles» ou supports soit des
êtres naturels (arbres, pierres), soit des objets fabriqués par les hommes
(anneaux métalliques de différentes formes, cercles de pierres, poteries) (17).
La tradition nous parle de 333 buri mais dans cet ensemble à 333
éléments, des regroupements sont opérés selon un mode de classement de
type génétique. On peut ainsi repérer plusieurs «familles», les représen-
tants d'une même famille se ressemblant par leur fonction majeure (assurer
la protection de la maison, favoriser la procréation, etc.), par l'origine de
leur lieu de séjour privilégié (un arbre comme l'Afzélia africana, une pierre
granitique, etc.) ou encore par le mode de composition et la forme de
l'objet fabriqué par les hommes, qui va leur servir de «support». Le
napomarJienguili et le naburcyabu sont des représentants de. deux familles
différentes. Les autres représentants de chacune de ces familles sont des
jienga (plur. de jienguili) et des burcyadi (plur. de burcyabu) qui se carac-
térisent par le fait qu'ils sont associés, non plus' à la mère, mais à différentes
catégories d'aïeules de la maison paternelle (voir p. 271).
Pour définir et situer une quelconque espèce de buro, il suffit géné-
ralement de répondre à des questions simples: qui en est le maître ou le
propriétaire (dano)? Qui est le sacrificateur? Quelles sont les catégories
de personnes qui reçoivent les effets du sacrifice? Avec le Jienguili de la
mère et le naburcyabu, le problème devient beaucoup plus complexe.
Les Gourmantché disent que de tous les buri, ce sont les seuls «buri de
femmes ». Mais la marque du génitif indique ici une modalité très parti-
culière de possession car la femme n'est ni la gardienne, ni l'utilisatrice des
autels (1 k I. Le seul titulaire du droit de garde et d'usage est le fils aîné de
la femme. C'est lui, et lui seul, qui après consultation du devin, décide
de la date de construction ou d'édification; c'est lui seul qui sacrifie; enfin~
c'est dans sa propre chambre qu'est déposé le burcyabu. C'est par la
fonction attribuée à ces deux sortes de buri définis ici comme puissances
(17) La forme est rarement indifférente à la fonction prédominante de la puis-
sance qui vient «habiter» l'objet.
(18) Chaque fois que cela sera nécessaire (quand le contexte laisse une équi.
voque) nous préciserons si nous nous référons au huro comme autel. all au hUfO
comme puissance qui «l'habite ».
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qu'on peut comprendre la marque du génitif. Ce sont des buri de femmes


en tant qu'ils ont le pouvoir d'agir sur le YEmiali de la femme. Sans eux,
le destin décidé par la femme dans sa vie pénatale suivrait inexorablement
son cours. Grâce à eux, ce destin peut être canalisé, modifié, voire même
inversé et ceci grâce au sacrifice et conformément aux vœux terrestres, non
de la femme elle-même, mais de tous les enfants qu'elle a mis au monde,
garçons et filles. Ainsi ces buri ne sont pas tant en relation avec la génitrice
terrestre qu'avec quelque chose. d'elle-même qui lui échappe complètement
et sur lequel seuls ses enfants ont prise par le moyen du sacrifice. Mais
avant de préciser ces différents points, décrivons les circonstances qui
président à la fabrication de ces huri et voyons comment y sont effectués
les sacrifices.
C'est le devin géomancien qui en prescrit la confection. Ce sont des
buri de «mères génitrices» et non seulement des burl de femmes et en
aucun cas pareille prescription ne peut être faite pour une femme n'ayant
jamais eu d'enfant ou ayant perdu ses enfants. Même dans le cas où le
but recherché est un effet sur la femme, la prescription ne s'adresse qu'aux
enfants de cette femme et d'abord au fils aîné (que nous appelerons Ego).
Elle peut être faite du vivant de la femme, ou après la mort de celle-ci.
En fonction du statut d'Ego, trois cas principaux peuvent être distingués.
Voyons dans chaque cas à quel but répond la prescription, en prenant
d'abord l'exemple d'une prescription portant sur le jienguili de la mère.

3.1. Les rites liés au jienguiLi de la mère.

Premier cas (Ego n'a pas encore l'âge de procréer).


La prescription est rare mais le devin peut y être conduit dans les
circonstances suivantes: 1) la mère d'Ego n'arrive plus à concevoir ou les
enfants qu'elle met au monde meurent les uns après les autres; 2) Ego est
malade. Ayant cherché toutes les causes possibles de l'une ou l'autre de
ces infortunes, le devin finit par découvrir que l'agent causal est le
naYEmiali.

Deuxièn'le cas (Ego a maintenant l'âge de se marier).


La prescription est plus fréquente et a généralement pour but d'aider
Ego à acquérir une première épouse ou de lever les obstacles « mystiques»
qui s'opposent à la réalisation de ses projets matrimoniaux. Si pendant la
période où il va, à cette fin, interroger le devin, sa mère est malade, la
guérison de celle-ci sera également recherchée comme effet secondaire.
Exemple connu: un célibataire d'une trentaine d'années rentrant au pays
après un long séjour au Ghana trouve sa mère malade; il consulte le devin
à plusieurs reprises pour découvrir les opérations rituelles ou magiques
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qu'il faut accomplir pour acquérir sans tarder une première épouse.
Le devin finit par lui dire que son mariage et la guérison de sa mère,
dépendent du Jienguili de sa mère et qu'il lui faut sans tarder édifier l'autel.

Troisième cas (Ego vient d'acquérir une première épouse).


C'est le cas où la prescription est la plus fréquente, le but recherché
étant ici de favoriser la procréation d'Ego en rendant féconde son union
avec sa nouvelle épouse. Là encore il s'agit soit de s'appuyer sur le nay£miali
comme sur un adjuvant, soit de lever l'obstacle dressé par le nay£miali.
La pose du jienguili de la mère est un rite complexe que nous ne
(1~)
pouvons ici décrire en détail. Un spécialiste d'une famille de Marba est
chargé de la direction des opérations mais Ego doit être présent, quelque
soit son âge: fut-il encore un nouveau-né, on dit que c'est lui qui a posé
le Jienguili de sa mère. Si la mère est vivante, l'autel est posé auprès de
la porte de sa case; si elle est décédée, il est posé auprès de la porte de
la case d'Ego (20).
L'autel une fois posé, Ego fait une première offrande de sala (21) et
un premier sacrifice de poulet. S'il est célibataire, c'est sa propre mère qui,
agenouillée auprès de l'autel, tient la calebasse de sala où il puise avec sa
louche pour en répandre le contenu sur les pierres sacrées. S'il est marié,
c'est à sa femme qu'incombera cette tâche. S'il n'a pas encore atteint l'âge
de sacrifier, le spécialiste officiera à sa place mais Ego devra répéter les
formules sacrificielles et pourra éventuellement verser le sala.
Lorsqu'il a des frères et (ou) des sœurs cadets (issus de même père
et de même mère, ou issus de même mère seulement), Ego doit les convo-
quer pour la célébration du rite. Chaque frère avec, le cas échéant, son
épouse et ses enfants, se rend sur les lieux avec un poulet sacrificiel;
chaque sœur fait de même mais elle ne vient, le cas échéant, qu'avec ses
enfants (jamais avec son mari). Chacun participe à l'édification en jetant
du sable à l'intérieur de l'autel. Au moment du sacrifice, Ego immole
chaque poulet et l'offre au jienguili, d'abord en son nom, puis au nom de
chacun de ses frères et sœurs cadets. En aucun cas, le père n'est présent.
Désormais l'autel ne cessera de recevoir des offrandes de sala ou des
sacrifices de poulets. Dans la région du pays gourmantché où j'ai enquêté,
je n'ai guère vu de type de sacrifice qui soit plus fréquemment exécuté que

(19) Cf. note 15.


(20) Si l'autel a été posé du vivant de la mère. il faudra, après sa mort, le
changer d'emplacement et ce déplacement entraînera des rites aussi complexes que
ceux accomplis lors de la première pose.
(21) Bouillie de nlil d'une blancheur éclatante offerte dans la plupart des
sacrifices pour obtenir les effets apaisants qui, dans la symbolique gourmantché, sont
Jiés à la couleur blanche «< le cœur blanc », le «pays blanc»).
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celui qui est offert au jienguili de la mère. Que la mère d'Ego soit malade,
que la maladie frappe Ego lui-même, son épouse ou ses enfants, qu'il
veuille acquérir une nouvel1e épouse, que son épouse actuelle ait une
grossesse difficile, qu'il convoite une charge importante, voire simplement
qu'il se prépare à un voyage, le message divinatoire fourni en réponse à
ces différents problèmes fera souvent état du naytlniali; le géomancien
consulté remettra à son client - ou lui fera remettre - un kOYtjienga
portant les signes du nayrmiali et du napom.ar.iienguili ainsi que les signes
des offrandes sacrificielles requises en la circonstance (221.

Lorsqu'une pareille prescription est donnée en réponse à l'infortune


qui frappe Ego, soit en sa propre personne (maladie, difficulté à trouver
une femme, etc...), soit en la personne de l'un de ses proches (grossesse
difficile pour sa femme, maladie de ses enfants, etc.), cela n'implique pas
nécessairement que le malheur était inscrit dans le programme prénatal de
la mère et qu'il est venu inexorablement s'accomplir en son temps et heure.
Ou plutôt tout se passe comme si le programme fixé par la mère compor-
tait plusieurs «plans de vie» pour ses futurs enfants terrestres, la mise
en œuvre de tel ou tel plan étant fonction de la conduite qu'auront effec-
tivement ses enfants. «Que mon fils devienne chef mais s'il devait oublier
ses devoirs envers moi, de mon vivant ou après ma mort, qu'il soit bruta-
lement destitué de sa charge et qu'il tombe à jamais dans la pauvreté ».
Tel est le genre de formule solennelle qu'on attribue à la mère pré-terrestre
pour arriver à imaginer la forme conditionnelle de son Ytmiali. L'infor-
tune dont la mère originelle frappe son enfant ne frappe donc pas toujours
un innocent. Elle n'est pas nécessairement fatale mais n'est souvent qu'un
avertissement ou une sanction contre un manquement à un devoir. C'est
aussi pour tenter de lever cette sanction que le géomancien prescrit un
sacrifice au jienguili de la mère.
Si la sanction est toujours dirigée contre l'un des enfants, il est rare
qu'elle l'atteigne directement de manière profonde en son être propre.
En ce qui concerne les fils (nous réservons le cas des filles), la sanction
qui les frappe les atteint surtout dans la personne de leurs épouses ou de
leurs enfants. Si grâce au géomancien, Je fils tient compte de l'avertisse-
ment, la sanction peut être levée. Il en est au moins ainsi dans la plupart
des cas. Parfois, malgré des sacrifices répétés, le mal, imputé au Ytmiali
de la mère, continue à exercer ses effets. On pense alors que dans son choix
prénatal, la femme a lancé comme une terrible malédiction contre tous ses

(22) Le koy€jienga (lit. «poulet. lnorceau de calebasse») est un fragment de


calebasse sur lequel, au terme de sa consultation, le géomancien grave des signes
qui indiquent la nature du sacrifice à effectuer. Dans le cadre de cette étude, nous
ne pouvons analyser les signes qui se rapportent au y£miali. Cf. CARTRY, M. «Notes
sur les signes graphiques du géomancien gourmantché ». J.S.A.J 33 (2), 1963: 275-
306.
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enfants, voire contre toute sa descendance. Les burl sont impuissants. C'est
désormais l'affaire de Dieu (23I .
On peut classer les fautes sanctionnées en quatre catégories: 1) les
fautes commises envers la mère elle-même ou ses mânes; 2) celles commises
envers les frères ou les sœurs germains; 3) celles commises envers les parents
maternels et notamment envers les oncles maternels; 4) celles commises
envers les épouses. Bien que cela puisse sembler paradoxal, cette dernière
catégorie de faute (par exemple un comportement brutal à l'égard de
l'épouse) peut être sanctionnée en rendant difficile la grossesse de l'épouse
en question. La mentalité gourmantché ne voit aucune anomalie dans le
fait que la souffrance infligée pour sanctionner un dommage, atteigne aussi
la victime du dommage.
Mais le sacrifice au jienguili de la mère peut aussi avoir pour fonction
d'obtenir une aide exceptionnelle pour la réalisation d'un désir ou l'exé-
cution d'un projet. Si l'aide est consentie, tous les moyens indispensables
sont mis en œuvre par le nay£miali et ses buri pour obtenir le résultat
souhaité. Si tel rival d'Ego fait obstacle à la réalisation de ses projets,
le y£miali de la mère n'hésitera pas à procéder à son élimination, y compris
son élimination physique. Cette assistance dans le crime va si loin qu'elle
ne recule pas devant l'élimination de ces rivaux par excellence d'Ego que
sont ses parents agnatiques. On dit même que pour permettre à son fils de
succéder à une charge importante (chefferie ou diedandi (24), la ft.mme
pré-terrestre avec son YE:miali peut faire «tomber» son propre mari,
voire J'un des fils que son mari a eu d'un autre Iit (donc respectivement
le père et le demi frère d'Ego).
Face à toutes les interventions de son YEmiali, la mère réelle, si elle
est encore vivante, reste parfaitement étrangère. Elle aura éventuellement
sous les yeux le spectacle des malheurs de son fils, de sa bru, ou de ses
petits enfants (par les fils); elle pourra éventuellement savoir que son propre
y£miali est l'agent causal de toutes ces infortunes, mais elle n'en restera pas
moins parfaitement impuissante à changer quelque chose. S'il y a quelque
chose à faire, c'est du ressort de son fils; c'est entre son fils comme sacri-
fiant et quelque chose d'elle-même qui lui échappe que la partie est engagée.
Le sacrifice se déroule de ]a manière suivante. S'agenouillant près de
l'autel, avec à ses côtés, soit son épouse, soit sa mère, Ego offre le sala
et les divers poulets sacrificiels que lui indique le koyejienga. Sur chaque
pierre de l'autel, il verse à plusieurs reprises un peu de sala et de sang,
et colle des touffes de duvets des poulets immolés. Variable selon la nature

(23) C'est la formule employée par le géomancien lorsqu'ayant testé toutes


sortes de prescriptions, il ne voit plus aucun remède pour enrayer le mal (on dit:
«là. c'est la place de Dieu»).
(24) Le diedalldi est le pouvoir détenu par le diedano, le maitre de la maison.
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de la demande, la prière s'adresse toujours aux mêmes puissances. Si la


mère est vivante: uniquement au «jienguili de la demande à Dieu de la
femme «génitrice», la mère» (an napomarYl'miajienguili); si la mère est
défunte: à cette mère défunte elle-même et au buro de son y£miali. Dans
le premier cas, si le sacrifice est accepté, le jienguili va intervenir auprès
du y£miali pour lui demander de modifier dans un sens favorable J'exécu-
tion du programme originel fixé par la mère pré-terrestre. Les changements
intervenus auront des effets non seulement' sur la vie d'Ego et de ses proches
(épouses et enfants) mais aussi sur celle de la mère (fig. 2). Dans le second
cas, on dit que c'est la mère défunte elle-même qui s'agenouillant au milieu
de l'autel prie le jienguili de modifier son y£miali au bénéfice d'Ego et de
ses proches (fig. 3). Dans les deux cas, les effets du changement provoqué
par le y£miali de la mère atteignent la vie d'Ego soit directement, soit en
modifiant l'exécution du programme originel fixé par lui comme être pré-
terrestre (fig. 2 et 3). C'est pourquoi au terme du sacrifice, Ego ne man-
quera jamais de demander au jienguili du y£miali de sa mère de mùdifier
dans un sens favorable son propre choix prénatal «< donne-moi un bon
yt:miali »).
., yemiali mère d'Ego

iiengr7
E90~
~ mère d'Ego

yemiali d'Ego
- - -.. direction de la prière
di recti on des effets

FIG. 2

, ,
mère décédée dEgo

/
Y. .,
- - - - - - - j'engu,,_
/
' '
yemlallmered Ego

~"""'"

Ego

~
- - -. directionde la prière
direction des effets

FIG. 3
~ yemiali d'Ego
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Nous n'avons envisagé jusqu'à présent que les rapports entre le


ycmiali de la mère et le fils aîné. Les rapports avec les fils cadets ne sont
pas différents mais ces derniers ne peuvent jamais être les officiants du rite.
Lorsque l'un de ces cadets se voit prescrire par le géomancien un sacrifice
au jienguili de sa mère, il doit aller trouver son aîné, lequel, en sa présence,
officiera en son nom.
Le problème des rapports entre le ycmiali de la mère et la (ou les)
filles de cel1e-ci doit être examiné séparément. Si Ego femme a un frère
germain (un aîné, ou, un cadet si elle n'a pas de frère aîné), c'est ce dernier
qui officiera en son nom. La prescription de sacrifice aura été commu-
niquée à son père si elle est encore célibataire, à son mari dans le cas
contraire. Dans ce dernier cas, Ego se rendra seule (non accompagnée de
son mari) dans la maison paternelle et s'agenouillera auprès du jienguili
de sa mère à côté de l'officiant, son frère. Mais que se passe-t-il si Ego est
enfant unique (de la même mère) ou n'a que des sœurs germaines? Dans
ce contexte, aucun jienguili de mère n'a pu encore être posé; dès lors
comment faire pour intervenir auprès du naycmiali? Deux cas doivent être
distingués. Tant qu'elle est célibataire, il n'y a aucune circonstance qui
conduise le géomancien à prescrire pour elle l'édification d'un autel pour
le ycmiali de sa mère. Après son mariage, une telle éventualité peut se
produire, mais son occurrence est rare. Si elle se produit, c'est exclusive-
ment pour des motifs de stérilité ou à la suite de décès successifs de ses
enfants. Pour remédier à ce mal, son mari fait d'abord de nombreux sacri-
fices au y£miali de sa propre mère; constatant leur inefficacité, il recon-
suIte le géomancien qui finit par découvrir que ce qui fait obstacle à la
procréation est le ycmiali de la mère d'Ego. Le mari se rend alors chez sa
belle-mère, l'informe des résultats des consultations et lui annonce que son
épouse (sa propre fil1e) viendra tel ou tel jour poser son jienguili. Le jour
fixé, Ego, accompagné, le cas échéant, de ses sœurs germaines, viendra poser
l'autel sous la direction d'un spécialiste de la famille des Marba. Au moment
du sacrifice, c'est le spécialiste qui immolera mais c'est Ego qui prononcera
la prière.
Nous apercevons mieux désormais la distinction introduite par la
dimension du sexe dans les rapports d'un individu avec le ycmiali de sa
mère. Soulignons d'abord qu'une fille unique n'a pas la possibilité de modi-
fier le programme que sa mère pré-terrestre a fixé pour la période de sa
vie qui précède son mariage. En excluant dans ce cas toute possibilité
d'intervention, les Gourmantché ont-ils voulu signifier qu'une fille était
moins directement soumise à l'emprise du yrmiali de sa mère que ne l'est
un garçon, comme si le programme originel la concernant était en quelque
sorte plus flou, plus indistinct? Ou faut-il dire que par cette exclusion,
ils manifestent comme une indifférence plus grande aux coups. du sort pou-
vant frapper les filles? Il est difficile de répondre. Mais la différence la
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plus importante fille/garçon, sous ce rapport, n'est pas là; elle est dans le
fait qu'en se mariant, la fille effectue un passage qui la destinant à subir
dans sa chair et dans son pouvoir de procréatrice les effets de l'emprise
considérable qu'exerce sur son mari le y£miali de sa belle-mère se libère
du même coup partiellement du y£miali de sa propre mère. Les rites de
mariage effectués dans la maison paternelle juste avant qu'elle rejoigne la
maison de son mari, ont, entre autres, pour but, de faire converger vers
elle tous les flux de procréation contrôlées par les puissances et les ancêtres
de cette maison, comme si on voulait lui assurer le meilleur viatique de
départ en cette matière (2;-)). Mais quand elle est entrée dans la maison de
son mari, elle tombe désormais sous l'emprise de sa belle-mère tant sur
le plan réel que sur le plan mystique. Si, malgré son bon viatique de départ,
elle ne peut procréer, c'est que le yt:miali de sa belle-mère bloque les flux
de procréation dont devrait d'abord bénéficier son mari.

3.2. Les rites liés au nahurcyabu.

Comme le jienguili de la mère, le naburcyabu est un buro de femme


dont le pouvoir tient également dans la possibilité d'agir sur le y£miali de
la femme. Mais sa fonction est plus spécialisée car il intervient exclusive-
ment pour infléchir le yemiali dans un sens favorable à la procréation. Grâce
à son intervention, on peut parvenir à lever l'obstacle dressé par le y£miali
de la mère pour bloquer le passage des flux de procréation. Là aussi c'est
le fils aîné de la femme, qui, après prescription du géomancien, prend l'ini-
tiative d'aller trouver le forgeron pour lui demander de lui fabriquer
« l'autel» de ce buro. Mais en raison même de la fonction de ce dernier,
il ne peut entreprendre cette démarche qu'après son mariage, quand il est
en mesure de procréer. Même du vivant de sa mère, c'est lui qui garde
l'autel dans sa case. Il officie au nom de ses frères et sœurs germains cadets
quand ces derniers lui en adressent la demande.
La fabrication du naburcyabu suit généralement l'édification du
jienguili de la mère, ceci après un temps plus ou moins long; il est très rare
qu'elle la précède. Quand les deux autels ont été construits, il arrive fré-
quemment que le géomancien prescrive un sacrifice au jienguili de la mère
sans faire intervenir le nabrcyabu. L'inverse se produit rarement car, sauf
circonstance exceptionnelle, on ne peut sacrifier auprès du naburcyabu

(25) Les puissances concernées sont des buri: soit des buri d'ancêtres paternels,
soit des buti d'aïeules de la maison paternelle (mère du père, mère du grand père
et surtout mère du fondateur de la maison). Dans les prières adressées à ces derniers
bu[i, on trouve notamment cette formule: «Enlevez la procréation de là où elle
n'est pas rare et donnez la lui» (à la jeune fille). Pour les bu[f d'aïeules de la
maison paternelle, voir p. 27].
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qu'après avoir introduit l'autel qui y est associé dans l'autel du jienguili
de la mère (26). Cette association dans le rite est figurée sur le koyejienga
que le géomancien remet à l'intéressé, par une combinaison des signes gra-
phiques représentant les deux autels. Quand tel est le cas, cela implique
que le sacrifiant doive associer les deux burt dans sa prière pour leur
demander de joindre leurs interventions auprès du y€miali de la mère. En
dehors des particularités que nous venons de mettre en évidence, le culte
adressé au nabufcyabu est soumis aux mêmes règles que celui qui est
adressé au jienguili de la mère.

4. Le y€miali des aïeules de la maison paternelle.

Nous avons vu que dans son y€miali, la femme peut atteindre son fils
en la personne de ses enfants. On sait donc déjà que le y€miali d'une
femme a une influence de fait sur ses petits-enfants par les fils. Mais les
croyances gourmantché concernant le y€miali vont au-delà de cette simple
constatation. Durant sa vie pré-terrestre, la femme peut émettre des vœux
concernant directement la descendance que lui donnera éventuellement son
fils et ceci jusqu'à quatre générations au-dessous d'elle. C'est ainsi qu'en
dehors de ses enfants, ses vœux peuvent concerner les catégories de per-
sonnes suivantes: 1) les enfants (garçons et filles) de ses fils et de manière
plus indirecte les enfants de ses filles; 2) les enfants des fils de ses fils
(jamais les enfants des enfants de ses filles); 3) les enfants des fils des fils
de ses fils. A l'exception des enfants des filles (d'ailleurs très peu concernés),
on voit que la descendance prise ici en considération est uniquement la
descendance masculine, la descendance agnatique des fils (27).

(26) Quand par exception, le jienguili de la mère n'a pas été posé avant la
fabrication du bu!,cyabu, on sacrifie auprès de ce dernier bu!o en déposant l'autel
sur le seuil de la case.
(27) Les enfants des filles ne sont que très peu marqués par le y€miali de leur
grand mère maternelle. Dans les sacrifices qu'ils font à leurs ancêtres maternels, ils
ne doivent certes pas l'oublier, mais un peu par dérision. ils remplacent J'offrande
habituelle de sala par de l'eau simple. L'appellation humoristique de bidoyala
qu'ils lui donnent dans ce contexte du sacrifiçe, est une moquerie à son encontre.
Elle signifie que comparée à la grand mère paternelle, elle a fait une mauvaise mise
dans 'le jeu de la procréation. Cette mauvaise nlise, elle l'a faite au profit de la
n1ère de son gendre (leur grand mère paternelle), car devant donner sa fille à son
gendre. elle a placé sa fille et les enfants de sa fille sous la coupe de cette femme.
D'où bidoyala qui signifie littéralement: «elle (la grand mère materneJle) a gâté
son affaire (sa procréation) à son profit» (au profit de la grand mère paternelle).
Ces données, on l'aura remarqué. sont congruentes avec l'idée énoncée plus haut
(p. 269) selon laqueJle une femme. au fur et à mesure qu'elle se dégageait de
J'emprise du }'fmiali de sa n1ère. tombait sous l'emprise du YEn1iali de la mère de
son mari. Il aurait été intéressant d'étudier l'ensemble de ces données en relation
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Si dans notre exposé général du y£miali, nous n'avons pas mentionné


ces faits, c'est parce qu'ils nous éloignaient de la notion de destin individuel
à laquelle cette communication est. consacrée. Dès qu'on descend au-
dessous de la génération des enfants, le nombre de descendants (ou descen-
dantes) marqués par l'emprise du y£miali d'une femme s'accroît et la
marque reçue par chacun ne prend plus la forme d'un destin individuel
aux contours précis. Les petits enfants, les arrière-petits-enfants et a fortiori
les arrière-arrière petits enfants ne sont plus ici concernés dans leur indi-
vidualité propre (leur «tête eHe-même», disent les Gourmantché) mais
comme représentants d'une lignée d'agnats dont les membres se situent par
référence à une aieule commune (lignée que l'on pourrait appeler un matri-
segment de patrilignage). Cela revient à dire que si une femme a formulé
des vœux de prospérité pour sa descendance ou a, au contraire, lancé une
malédiction contre cette même descendance, les effets de ses paroles pour-
ront bien atteindre l'un de ses descendants en particulier, mais ils l'attein-
dront à titre de maillon anonyme de la chaîne filiative. Sans trop nous
étendre sur une catégorie de faits qui nous éloigne de notre thème principal,
je pense qu'il est indispensable de donner à leur sujet quelques précisions.
En dégageant dans toute son extension la notion de y£miali, la spécificité
des liens entre Ego et le y£miali de sa mère n'en apparaîtra que plus
clairement.
Directement placé sous l'emprise du y£miali de sa mère, tout individu
dépend donc également du y£miali de la mère de son père (ha na y£miaU),
de la mère de son grand père paternel (yadja na y£miali) et enfin du y£miaLi
de la mère de son arrière grand père paternel (ba yadja na y£miali). Bien
qu'à un moindre degré, une femme sera également soumise à ces mêmes
instances. Après son mariage, elle s'en libérera en partie mais pour tomber
sous la dépendance des y£miana (plur. de y£miali) de toutes les catégories
correspondantes des ascendantes de son mari. Mais de même qu'il existe
un jienguili et un burcyabu pour agir sur le y£miali de la mère, il existe
un jienguili et un bu{cyabu pour agir sur le y£miali de chacune des aïeules
mentionnées (1 HI. A chacun de ces burl est associé un autel de même forme
et de même structure que les autels liés au y£miali de la mère. La charge

avec le système de parenté. Faute de temps, indiquons seulement que membre d'un
patricIan déterminé, Ego est apparenté avec les lignées agnatiques de sa mère, de
la mère de son père et de la mère de sa mère. Mais la profondeur et l'extension
de la lignée cbncernée changent selon les cas et cela a des implications sur les
règles de nlariage. Toute femme du patricIan de sa mère est pour un Ego masculin
une épouse prohibée. En ce qui concerne la lignée agnatique de la mère du père.
l'interdit ne porte que sur le patrilignage maximal. Mais pour la lignée agnatique
de la nlère de la mère, la prohibition ne porte plus que sur le patrilignage mineur.
(28) On aura ainsi les buti suivants: 1) le ba /la bu,"cyabu et le ba na jienguili;
2) le yadja na bu!"(:yabu et le yadja 11a jienguili; 3) le ba yadja na hurcyalju
. et le
ha yadja na jienguili.
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de chacun de ces autels ainsi que le droit d'y sacrifier échoit à celui des
descendants qui est le membre le plus âgé de la génération la plus proche
de l'aïeule concernée. A la mort de ce dernier, c'est un cadet de la même
génération, descendant de la même aïeule, qui succède à la charge. Après
l'épuisement de la génération, la charge de l'autel revient aux membres
de la génération suivante, toujours selon la loi de succession d'aîné en
cadet. En ce qui concerne le burcyabu, l'officiant est en même temps le
gardien d~ l'autel (comme dans le cas du naburcyabu, l'autel est conservé
dans la chambre de celui qui en a la charge).
L'un des autels principaux de la maison collective est celui qui est
associé au jienguili d'une aïeule dont descendent (par les fils) tous les
membres du segment de patrilignage correspondant à cette maison. On
l'appelle o-tingkpipwa jienguili, ce qui signifie littéralement «le jienguili
de la femme parente de la terre». Placé au milieu de la maison (on l'appelle
aussi le «jienguili du milieu»), il est conçu sur le même modèle que le
jienguili de la mère mais il est de plus vaste dimension. C'est le maître
de la maison (le diedano), le membre le plus âgé de la plus ancienne géné-
ration du segment de lignage de la maison, qui en a la charge. Les sacri-
fices qu'il y fait sont principalement destinés à assurer la prospérité de
l'ensemble de la maison. Néanmoins, un membre quelconque du segment
de lignage, peut, pour des motifs personnels, demander au diedano d'y
officier en son nom (2H,. Théoriquement on doit promouvoir au rang de
tingkpipwa jienguili, le jienguili de l'aïeule qui est située à quatre généra-
tions au-dessus des enfants du segment de 'lignage appartenant à la dernière
génération (descendante). Comme nous l'avons déjà indiqué, quatre géné-
rations représentent la limite au-delà de laquelle Je y£miali d'une aïeule
(30).
n'a plus d'efficacité sur ses descendants En principe, à chaque géné-
ration nouvelle apparue dans la maison, on devrait changer de tlngkplpwa
jlenguili et ériger à ce rang le jienguili d'une aïeule de la génération qui
suit immédiatement celle de la précédente «parente de la terre» . Nous ne
pouvons pas affirmer qu'il en soit toujours ainsi en pratique. Ajoutons
qu'à l'aïeule «parente de la terre» correspond également une variété de
burcyabu détenue également par le diedano. Le jour du mariage d'une
des filles du segment de lignage de la maison, le diedano introduira cette
variété de burcyabu dans la variété de jienguili correspondante et fera un
sacrifice pour dell1ander à la « parente de la terre» et à ses burl de donner

(29) Cette dépendance rituelle par rapport au diedano exclut, du moins en


principe, tous les types de sacrifices qui seraient destinés à nuire à l'un quelconque
des membres de la maison.
(30) Trois ou quatre générations, selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme,
constituent également la limite au-delà de laquelle un ascendant ou une ascendante
de la maison ne peuvent plus «se réincarner» ou plus exactement donner forme
(valli) aux nouveaux enfants du segment de lignage.
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à la jeune fille qui s'apprête à rejoindre la maison de son mari, le meilleur


pouvoir de procréation possible (voir p. 269).
Les deux catégories de buri d'aïeule confèrent à leurs détenteurs un
pouvoir considérable. Certes la charge des buri par l'aîné d'une génération
n'implique pas que celui-ci soit le seul à recevoir la jouissance des effets
bénéfiques dispensés par le yemiali d'une aïeule déterminée de la maison.
L'aîné n'a pas le droit de refuser de sacrifier au nom de son cadet; il
peut même lui laisser pour un temps la libre disposition de l'autel concerné.
De l'examen des faits, il ressort cependant avec netteté que l'absence de
conflit entre les descendants d'une femme quant à la possibilité d'entrer
en contact avec ces buri et avec les yemiana qui leur correspondent, ne
se vérifie qu'au niveau des enfants directs de la femme (31). Entre les
petits enfants ou arrière-petits-enfants d'une femme et à fortiori entre les
arrière-arrière petits enfants, les conflits surgissent entre aînés et cadets et
prennent parfois la forme de luttes exacerbées. Après consultation du
géomancien, un individu X demande à son aîné de faire un sacrifice en
son nom auprès de l'un de ces buri d'aïeules, disons par exemple, auprès
du ba na burcyabu (buro du yemiali de la mère du père). L'aîné refuse
en prétextant un manque de temps. Devant l'insistance de X, il finit par
lui prêter l'autel. X fait son sacrifice mais alléguant lui aussi toutes sortes
de mauvaises raisons, il cherche à garder l'autel le plus longtemps possible.
TI ne le rendra que sous la menace. Autour de la possession de ces bUfi,
des tensions considérables se font jour à l'intérieur des différents matri-
segments dont se compose le même segment de patrilignage de la mai-
son (32).
Bien qu'il soit illicite, il existe cependant un moyen pour tenter de
sortir de la dépendance de l'aîné. Disposant pour un temps de l'autel~
on prélève sur ce dernier de petits fragments de matière, puis après sacri-
fices sur ces fragments, on demande au buro de venir les «habiter» (33).
On rendra alors l'autel en espérant que les prélèvements passeront inaperçus.
Dès lors on aura la jouissance exclusive du buro dans son intégralité.
Appelé boaadi, ce genre d'opération est souvent pratiqué par un groupe
de frères germains qui, à partÏr, d'une aïeule déterminée, est en position

(31) Cela ne se vérifie pas toujours pour les enfants de même mère issus de
pères différents.
(32) Comme dans toute organisation segmentaire, solidarités et conflits ne peu-
vent être décrits qu'en termes relationnels. Les membres d'un matrisegment A ayant
pour aïeule commune la mère de leur père pourront se disputer le burcyabu associée
à cette aïeule. Mais ils pourront agir de manière solidaire contre les membres du
matrisegment B dès lors qu'il s'agira de s'assurer la possession du bu'[cyabu de l'aïeule
qui leur est commune (la mère de leurs grands-pères respectifs).
(33) Dans la prière associée à ce rite, on demande pardon au buro de le
« diminuer» mais en échange de sa venue, on lui promet par de nombreuses
offrandes, un «accroissement» «une extension». Le buro est censé se diviser et se
partager entre les deux supports.
18
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de cadet par rapport à un autre groupe de frères germains. Mais l'acte


de boaadi n'est pas toujours une pratique illicite. Elle peut être faite après
commun accord des intéressés, notamment quand elle porte sur le jien-
guili de la «parente de la terre». Cela correspond alors à une segmen-
tation de la lignée agnatique de la maison et à la fondation d'une nouvelle
maison.
Lorsqu'une femme a eu des enfants de lits différents et que ses maris
successifs ont appartenu à des clans différents, cela donne naissance à deux
groupes de descendance dont les membres sont étrangers les uns aux
autres du point de vue de la parenté agnatique. Ayant une aïeule commune
ces deux groupes de descendance auront en commun une variété de jien-
guili et une variété de burcyabu. Dans ce cas, on parvient difficilement à
un accord et plusieurs exemples nous furent cités de véritables batailles
rangées pour la captation des buri en litige.
Connaissant les effets respectifs du y~miali du père et des y~miana
des différentes catégories d'aïeules de la maison paternelle, nous 'Sommes
maintenant en mesure de dégager la spécificité de la relation qui se joue
entre le y~miali d'une femme, la femme elle-même, et son enfant. Mais
avant de conclure sur ce point, nous devons encore donner quelques préci-
sions 'Sur la façon dont l'institution sociale et familiale fixe le cadre général
de la relation mère-enfant (34).
Ce n'est qu'à la naissance de son premier enfant qu'une femme a
droit à une case personnelle dans la maison de son mari. Auparavant elle
vit dans la case d'une autre femme: dans la case de la mère de son mari
si celle-ci est encore en vie, autrement dans la case de sa co-épouse (si
elle n'a pas de co-épouse, dans la case de l'épouse du diedano). Ses
enfants partagent sa case, sa fille jusqu'à l'âge du mariage, son fils jusqu'à
l'âge de sept, huit ans. Si elle rompt avec son mari alors qu'elle a encore
des enfants en bas âge, elle peut pour un temps les amener avec elle dans
sa nouvelle résidence (soit dans la maison paternelle qu'elle réintègre, soit
dans la maison de son nouveau mari). Avec sa fille, elle a un contact étroit
et quotidien qui se maintient jusqu'à son mariage: elle dort avec elle,
partage avec elle ses repas en compagnie d'autres femmes, lui enseigne à
piler le mil, à faire] a cuisine, à filer le coton, etc. Avec son fils, les liens
quotidiens d'abord très étroits se relâchent dès la période où le garçonnet
est absorbé dans le groupe de ses frères aînés et va rejoindre les bandes
de camarades de son âge. Mais malgré cette distance accrue, la sollicitude
à l'égard du fils reste très grande et se manifeste notamment dans la
vigilance dont elle fait preuve pour qu'il ne manque de rien, notamment
en ce qui concerne la nourriture et les habits. Un orphelin de mère n'est
pas seulement privé d'affection; il manque de mille petites choses matérielles

(34) Cf. CARTRYM., «Attitudes familiales chez le Gourmantché ». L'Homme.


(3), juil.-sept. 1966: 41-67.
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et à l'heure du repas de midi attend souvent en vain qu'on lui apporte son
plat (35). La fin de l'initiation (entre 14 et 16 ans) marque une autre
rupture. Pendant le début de l'initiation, on dit qu'elle réabsorbe son fils
dans son ventre et prépare une nouvelle gestation (36). A la fin du camp,
l'enfant transformé renaît comme membre à part entière du lignage de son
père. Mais pas plus que la précédente, cette dernière coupure ne met
fin à la relation de dépendance entre la mère et le fils. A chaque change-
. ment de statut du fils correspond une modification du couple mère fils.
D'anciens liens se relâchent, mais de nouveaux se tissent. C'est un
peu comme si à chaque fois que le fils changeait de statut, il était réen-
gendré par sa mère.
Mais le changement de statut du fils peut aussi entraîner un change-
ment de statut pour la mère. Le mariage de son fils produit en effet pour
une femme une transformation décisive tant en ce qui concerne sa position
statutaire et symbolique que le rythme de ses activités quotidiennes. Elle
devient maintenant une pwokiamo, «une vieille femme », c'est-à-dire une
femme qui ne peut plus engendrer ou qui n'a plus le droit d'engendrer.
Que le mariage de son fils intervienne avant ou après le cap de la méno-
pause, il signale le moment où elle doit cesser d'avoir des relations sexuelles
avec son mari. Son fils étant désormais en mesure d'engendrer, elle doit
elle-même renoncer à toute activité reproductrice. Je reviendrai sur cet
étrange interdit mais je veux déjà relever deux de ses implications. En
continuant à engendrer, la mère monopoliserait à son profit les flux de
procréation qui dans l'intérêt du fils doivent maintenant passer à sa bru.
La nouvelle «machine» reproductrice qu'amène avec elle la personne de
sa bru ne peut vraiment produire que pour autant que la sienne propre
s'arrête de fonctionner. Ces deux machines s'excluent réciproquement et
s'il advenait qu'elles produisent ensemble, un prodigieux désordre en résul-
terait. Un désordre tel, disent les Gourmantché, que les enfants du fils
seraient en même temps les enfants de la mère, et les enfants de la mère,
les enfants du fils (37).

(35) Le repas de midi est comme facultatif et les responsables des unités de pro-
duction de la maison ne sont pas tenus d'y pourvoir. Pour calmer la faim de ses
enfants, une femme fera réchauffer les restes de la veille ou confectionnera hâtive-
ment quelque mets, en prélevant sur son propre stock.
(36) On dit la même chose pour un chef nouvellement nommé qui accomplit
sa retraite d'investiture dans une case sans ouverture qui symbolise le ventre maternel.
(37) Autrefois l'âge moyen du mariage pour un homme était très tardif (rare-
ment avant 30 ans). Les femmes se mariant très jeunes (15 ou 16 ans), elles avaient
au minimum 45 ans lorsque leurs fils étaient en âge de se marier. Elles avaient donc
dépassé le cap de la ménopause. Mais si limitées que soient en fait les possibilités
pour une femme de pouvoir encore procréer après le mariage de son fils, la société
gourmantché a estimé qu'elle ne pouvait prendre le risque de lui permettre une pro-
longation de ses activités sexuelles. Elle a donc édicté un interdit.
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En même temps que des tâches reproductrices, la nouvelle pwokiamo


se voit écartée des tâches de cuisson et de préparation du « gâteau de mil »,
la nourriture de base des Gourmantché. Je ne peux m'étendre là-dessus
mais il y a ici une relation profonde entre la gestation des enfants et la
cuisson du gâteau de mil (une pwokiamo qui s'adonnerait à cette tâche
serait assimilée à une sorcière). Cette tâche revient désormais à la bru
qui reprend à sa belle mère le pouvoir de cuire les enfants et de cuire la
nourriture.
Désormais la femme va partager sa vie entre son fils, sa bru et ses
petits enfants. Se déchargeant sur sa bru de toutes les corvées pénibles
(puisage de l'eau, portage du bois, etc.), elle est moins occupée qu'autre-
fois et peut consacrer le temps libre dont elle dispose aux soins et à
l'éducation de ses petits-enfants. Son autorité sur sa bru est considérable
mais est pondérée par une étiquette rigide l'obligeant à faire preuve à
son égard de beaucoup de déférence et de courtoisie (nous avons vu que
son y£miali surveillait le comportement de son fils à l'égard de sa bru et
pouvait sanctionner sa brutalité). Comme son propre mari, elle appelle sa
bru sa biyuaga, la «petite bergère de ses enfants ». Sa bru n'est, en effet,
que la gardienne des enfants qu'elle a mis au monde; pour elle, au contraire,
ces mêmes enfants sont « ses enfants» presqu'au même titre qu'ils sont les
enfants de son mari. Ajouté à d'autres, ce dernier indice montre bien que
la pwokiamo est .quasiment absorbée dans le lignage de son mari, à mi-
chemin entre la position d'alliée et celle de membre du lignage à part
entière (38).
Le couple formé par une femme et son fils marié est tellement indes-
tructible que si pour une raison quelconque, celui-ci est amené à quitter
la maison paternelle (installation dans un campement de culture, départ
en ville, etc.), celle-là n'hésitera pas à quitter son mari pour aller demeurer
avec lui. Inversement si une femme a depuis longtemps quitté la maison
de son mari en y laissant ses enfants, elle ne manquera pas d'y revenir
le jour où son fils aîné, maintenant marié, le lui en aura fait la demande (39).
Elle viendra finir sa vie avec son fils et sa bru. Son ex-mari l'aurait-il autre-
fois répudiée, qu'il ne pourrait s'opposer à ce retour, sans transgresser un
interdit très strict. Dans la grande maison collective, la pwokiamo et sa
bru auront leur portion d'espace réservée. Elles y occuperont deux cases
voisines et auront un foyer et des greniers communs.

(38) Une pwokiamo est enterrée devant la maison de son mari et l'ancêtre
(ancestress) qu'elle est appelée à devenir doit normalement se «réincarner» dans le
segment de lignage de son mari. Ces faits tendent à confirmer l'hypothèse d'une très
forte intégration dans le lignage du mari.
(39) Si la femme s'est remariée et a eu un autre fils, les demi-frères utérins
une fois mariés se disputeront la présence de leur mère. La règle veut cependant
que la pwokiamo rejoigne son fils aîné.
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Les relations d'une femme avec sa fille mariée restent également très
étroites mais en raison même des règles de résidence sont beaucoup plus
espacées dans le temps. La jeune femme rend visite à sa mère mais l'inverse
ne se produit qu'exceptionnellement. Si une veuve n'a pas de fils et si elle
a par ailleurs perdu toute attache avec les maisons de son ex-mari et de
son père, elle devra se résoudre à aller rejoindre sa fille dans la maison
de son gendre. C'est là l'un des pires destins que puisse connaître une
pwokiamo. Si forts que soient les liens entre une mère et sa fille, on ne
peut parler d'un couple mère-fille comme on peut parler d'un couple mère-
fils. Cela ne tient pas seulement à l'éloignement dans l'espace mais au
relâchement des liens mystiques qui unissent une femme à sa fille, dès lors
que celle-ci tombe sous l'emprise de la mère de son mari.

Après leur mort, l'homme et la femme redeviennent pour un temps des


nouveaux-nés et bien des détails des rites funéraires rappellent les rites
de naissance. Au moment où les deuilleurs demandent au défunt (ou à
la défunte) de s'éloigner définitivement du village, on appelle la mère
défunte du défunt. Celle-ci vient, prend son enfant, le charge sur son dos
comme de son vivant elle chargeait son bébé et s'éloigne avec lui dans la
grande nuit des morts.

Au moment de conclure, je repense à mes premiers mois d'enquête


sur le terrain et à cet état d'extrême perplexité où me plongeait le spectacle
répété d'un homme faisant du vivant de sa mère un sacrifice sur l'autel de
sa mère. On me disait qu'il priait sa mère d'écarter le malheur qu'elle
avait elle-même attiré sur lui mais que les bonnes intentions dont sa mère
réelle était animée à son égard ne pouvaient rien changer à l'issue de son
aventure. On ajoutait que son sacrifice pouvait avoir des effets sur sa mère
réelle elle-même. Comment comprendre le mécanisme mis en jeu par cet
autel? Désignant les jienga (plur. de jienguili) posés devant les cases
et demandant qu'on m'explique leur fonction, je m'attirais toujours, les
mêmes réponses laconiques. «C'est l'autel de mère gestatrice d'Ansata
ou de Possibo. C'est pour son fils, pour la chance de son fils... ». M'étant
moi-même enfermé dans une fausse alternative, je n'arrivais pas à poser
les questions pertinentes. A mes yeux, le génitif de, précédant ici un nom
de femme, ne pouvait rien désigner d'autre que le détenteur de l'autel
ou le destinataire du sacrifice. Le premier terme de l'alternative étant
de fait exclu (je savais que la charge de l'autel revenait au fils aîné), je
n'avais plus de choix. Dans le cas d'Ansata, mère décédée de Yempabu,
je pouvais à la rigueur interpréter le sacrifice offert par celui-ci comme
un sacrifice fait aux «mânes» de sa mère. Mais dans le cas de Possibo,
mère vivante de Danani, le sacrifice de Danani me plaçait devant l'absurde:
comment une personne vivante pouvait être le destinataire d'un sacrifice
au même titre qu'un ancêtre ou une divinité?
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Quand les informateurs se décidèrent enfin à me livrer la doctrine du


yemiali, j'aperçus plus clairement les motifs, la nature et la portée de ces
étranges sacrifices à la mère. Le destinataire n'était évidemment pas la
mère vivante mais n'était pas non plus «l'âme» de la mère défunte. C'était
quelque chose d'elle-même qui lui avait préexisté et qui, de son vivant,
lui échappait complétement comme il devrait lui échapper après sa mort,
lorsqu'elle serait promue au rang d'ancêtre. Mais cette entité pré-terrestre
n'était pas sans détermination. Définie dès le départ comme préfigurant une
personne de sexe féminin, elle était, en outre, déjà marquée par cette fonc-
tion maternelle que son «double» terrestre allait être amené à remplir.
Avec la doctrine du nayemiali se dessinait ainsi la figure d'une «Mère
primordiale» vivant comme en symbiose avec l'enfant de son «double»
terrestre. Recevant passivement les effets continus dispensés par cette Mère
primordiale, l'enfant, surtout le fils, n'arrivait à canaliser ces mêmes effets
qu'en entrant dans l'espace et le temps sacrés du sacrifice. En accomplis-
sant son sacrifice au jienguili, il remontait pour ainsi dire vers la Mère
primordiale comme à la source des flux émis et pouvait ainsi en contrôler
les manifestations dirigées sur lui-même et sur sa mère terrestre.
Cherchant dans le lien biologique mère-enfant le fondement réel de
cette doctrine mystique, je pensais, en particulier, à ce système d'osmose
qui par l'intermédiaire du placenta règle les échanges entre l'enfant et sa
mère. Comme tant d'autres populations africaines, les Gourmantché ont
beaucoup réfléchi sur la vie intra-utérine et notamment sur la nature de
cette membrane mystérieuse qu'est le placenta. Traitant ce dernier comme
un jumeau ou un double de l'enfant dont la sortie est attendue avec encore
plus d'anxiété que celle de l'enfant lui-même, ils savent, par ailleurs, que
par lui s'effectuent les échanges vitaux entre l'enfant et sa mère. En
me remémorant ces données, la doctrine du yemiali m'apparut comme
une transposition de ce modèle d'échange par osmose au moyen duquel
on se représente les rapports du foetus au corps de la mère. J'en
vins ainsi à attribuer aux Gourmantché l'idée qu'entre la mère et son
enfant, ce mode d'échange par osmose ne s'interrompait pas avec le déta-
chenlent de l'enfant du corps de sa mère mais se prolongeait durant toute
la vie et peut-être même après la mort. Autant que comme un échange
entre des personnes, la relation entre la mère et l'enfant aurait été conçue
comme un échange continu entre des corps, un échange tel que chacun des
mouvements, chacune des vibrations qui anime l'un de ces corps se rép~r-
cute immédiatement sur l'autre. Deux modèles auraient ainsi coexisté pour
penser la relation mère-enfant: le modèle d'un échange entre des per-
sonnes, applicable seulement à la relation entre la mère terrestre et son
enfant détaché; le modèle d'un échange par osmose continue entre des
corps, applicable à la relation entre la «Mère primordiale» et l'enfant
de son «double» terrestre. J'en arrivais ainsi à traiter l'ensemble des
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croyances relatives au nayemiali comme l'expression sur le plan mystique


d'une donnée biologique dont l'évidence paraît s'imposer à toutes les so-
ciétés: produit direct du corps de sa mère comme tous les vivipares,
l'homme, en outre, est de tous les animaux, celui qui reste le plus longtemps
sous la dépendance étroite de ce corps (40).
Mais ce schéma était encore trop vague pour rendre compte de la
doctrine du nayemiali et de la pratique rituelle qui lui est associée. TI per-
mettait de comprendre pourquoi, malgré la coupure de la naissance, l'être
humain restait toujours marqué par son destin fœtal de produit dépendant
du corps de sa mère. Il ne permettait pas vraiment de saisir l'un des
aspects essentiels de la doctrine du nayemiali, à savoir que l'enfant-produit
puisse agir sur sa cause, par le moyen d'une opération rituelle. En outre,
il laissait inexpliquée la position spécifique occupée par le fils. J'en vins
donc à formuler une autre hypothèse. Ne parviendrait-on pas à une
meilleure intelligence des faits si, renonçant à traiter les corps de la mère
et du fils comme une cause et un effet, on les appréhendait tous deux
comme produits dérivés d'une même substance?
Cette hypothèse serait restée comme en suspens si, me documentant
sur les conceptions génétiques d'autres populations africaines, je n'avais pas
retrouvé une expression pleinement élaborée de cette idée .dans la mytho-
logie des Dogon. On connaît la richesse des développements du mythe du
Renard Pâle concernant la notion de placenta (41). Matière cosmique ori-
ginelle, matière créatrice par excellence dont est fait l'œuf du monde ou
le sein du Dieu créateur Amma, c'est dans le placenta primordial que
s'ébauchent les Nomma, les premières créatures gémellaires de sexe opposé.
Avant d'avoir atteint son achèvement, l'une de ces créatures, le futur
Renard Pâle, sort brusquement de l'œuf en arrachant un morceau de son
propre placenta et se servant de celui-ci comme d'une arche, se précipite
dans l'obscurité primordiale. Le morceau de placenta volé s'étant trans-
formé en Terre, le futur Renard y pénètre dans l'espoir d'y retrouver la
jumelle qu'il croyait avoir également arraché au Ciel et, par là, s'unit
à ce qui est à la fois une partie du corps de sa mère et une partie de lui-
même. Cette aventure du Renard donne sous une forme accusée une
expression adéquate du contenu latent de la relation à la mère telle qu'elle
est pensée chez les Dogon. Cette relation est pensée sous deux registres que

(40) Dans notre étude de 1966 consacrée aux attitudes familiales (op. cit., p. 274),
nous voyions surtout dans le nayemiali une solution élaborée par l'inconscient col-
lectif pour ne pas abandonner «au hasard des sentiments individuels la réalisation
de l'exigence de réciprocité qui est requise d'un fils en réponse à l'amour de sa mère ».
(41) En collaboration avec Alfred ADLER,nous avons longuement commenté ces
développements dans une étude consacrée à la relation avunculaire chez les Dogon.
Cf. ADLER A., CARTRYM., «La transgression et sa dérision », L'Homme, Il (3),
juil.-sept. 1971: 5-63.
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nous appellerons le registre de la filiation sociale et celui de la filiation


mythique. Sous le premier registre, Ego est une personne discernabilisée
et en tant que telle, se voit assigner la génération qui suit celle de sa
génitrice. Sous le second registre, il est comme le Renard emportant une
partie de son placenta. Même si, à la différence du Renard, il quitte à terme
le sein de sa mère, il reste encore une partie de sa mère ou, comme dit
Griaule, il « continue à posséder son caractère prénatal comme une partie
du corps de sa mère». Ainsi identifié à sa génitrice, il est considéré comme
appartenant à sa génération. A ce dernier niveau, la mère et le fils ne
sont plus pensés comme personnes séparées, mais comme des entités pré-
personnelles, des variations minimales, à peine ébauchées, de la même
substance placentaire.
Les Dogon se sont formé une représentation assez distincte de la
double nature de la substance placentaire issue à la fois du corps de la
mère et du fœtus. Centrant leurs spéculations théoriques sur cette dualité
biologique, ils en ont tiré l'idée d'une substance placentaire originelle dont
seraient dérivés tous les corps et notamment les corps de la mère et du fils.
Par rapport à cette même substance, il n'y a plus d'Ego, mais une entité
pré-personnelle qui est à la fois sa mère et son fils (42). Penser la filiation
sous le seul registre de la filiation sociale, traiter ce qu'on pourrait appeler
la «logique placentaire» du mythe dogon comme une expression idéolo...
gique transposée de la relation de parenté «réelle» entre la mère et le fils,

(42) Dans un ouvrage à paraître sous le titre «Capitalisme et Schizophrénie »,


Gilles DELEUZEet Félix GUATTARI,reprenant l'analyse des croyances dogon concer-
nant le placenta, n'hésitent pas à parler à leur sujet d'un véritable «weismannisme
mythique» où le plasma germinatif forme une lignée immortelle et continue qui ne
dépend pas des corps mais dont dépendent au contraire les corps des parents comme
ceux des enfants. De l'ensemble de leur analyse, nous ne pouvons donner ici qu'un
bref aperçu. La distinction que nous avons introduite entre une filiation mythique
et une filiation sociale recouvre à leurs yeux une opposition entre une «filiation
germinale intense... marquée de signes ambigus de la gémellité et de la bisexualité»
et «une filiation extensive et discontinue» soumise à la succession des générations.
A ces deux lignées correspondent deux ordres dont le mode d'articulation détermine
l'essence même de toute formation sociale: l'ordre du système intensif et l'ordre du
système extensif. Plus proche de «la production désirante », le premier est soumis
à une logique de la « disjonction inclusive» ou logique des signes neutres (ou ambigus)
qui ignore la distinction des sexes et des générations et donc ne connait pas de
«fonctions discernables» comme mère, fils, sœur. A ce niveau, les noms, les appela-
tions de personnes ne sont que des «états intensifs », «des variations intensives»
d'un seul et même être passant sur l'œuf cosmique. Le second ordre, celui du
système extensif, nait du refoulement et de la répression opérés sur le premier. A
l'inverse du précédent, c'est l'ordre où règne souverainement la logique de la «dis-
jonction exclusive », «limitative », la logique des signes positifs et négatifs. S'instau-
rant dans et par le mouvement qui fait apparaître la prohibition de l'inceste, cet ordre
instaure par là-même des personnes discernabilisées comme mère, fils, sœurs, etc.
H faudrait de longs développements pour montrer toute la fécondité des concepts
logiques ici utilisés de «disjonction inclusive» et de «disjonction exclusive ».
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c'est se barrer l'accès à l'intelligence de cette relation elle-même comme


d'autres catégories de relations de parenté (notamment la relation avun-
cul aire) .
Bien qu'ils aient une idée précise de la fonction du placenta et qu'ils
traitent cet organe au moyen de rites aussi méticuleux que les Dogon, les
Gourmantché n'ont pas élaboré de mythe où l'on pourrait relever sous une
forme explicite la même «logique placentaire». Dans la mesure où une
logique semblable se laisse pressentir dans la doctrine du nay£miali, je me
crois néanmoins autorisé à prendre comme paradigmes certaines catégories
du mythe dogon.
Par son action rituelle, le fils modifie le programme prénatal de sa
mère et par là change son propre programme prénatal. Il change ainsi
son destin et transforme également la vie de sa mère. Ces données suggèrent
bien l'idée d'une filiation mythique où la mère et le fils seraient l'un pour
l'autre dans le même rapport que le Renard et son placenta (un rapport
de «disjonction inclusive»). Pensés à travers le schème de cette filiation
mythique, les personnages de la mère et du fils ne constituent pas des
personnes disjointes et exclusives l'une de l'autre mais forment un seul et
même être soumis à des «variations intensives» d'écart maximum, c'est-
à-dire à des variations préfigurant des individus de sexe opposé et de géné-
ration distincte. Par son action rituelle, le fUs opère un passage qui, l'arra-
chant à l'ordre de la filiation sociale, le réinscrit dans l'ordre de la filiation
intensive. Remontant l'échelle du temps et des générations, il se hisse au
niveau de sa mère, rencontre sa «Mère primordiale» et par là se rejoint
en quelque sorte lui-même. C'est parce que sa mère «intensive» est aussi
bien lui-même, qu'il peut modifier les données du programme, d'un pro-
gramme inscrit dans un œuf initial où il n'y aurait encore ni mère, ni fils.
Indifférent à la distinction des personnes et des générations, ce règne
de la filiation mythique n'est pas seulement présent dans la mémoire des
hommes. Il affleure constamment dans le réel et exerce une menace perma-
nente sur le système des relations sociales qui ne peut fonctionner que sur
la base de « disjonctions exclusives » telles, qu'Ego ne puisse être à la fois
et la mère et le fils. Cette menace, les Gourmantché la formulent nettement,
quand, évoquant la possibilité pour une femme d'avoir encore des relations
sexuelles après le mariage de son fils, ils disent qu'un formidable désordre
en résulterait puisque les enfants de la mère seraient aussi les enfants
du fils et les enfants du fils, les enfants de la mère. Comment comprendre
l'interdit portant sur la prolongation de la vie sexuelle de la mère sinon
comme un moyen destiné à conjurer ce règne chaotique de la filiation
mythique et ainsi réaffirmer les droits de la filiation sociale?
Mon analyse n'épuise nullement les problèmes posés par cette notion
gourmantché de nay£miali. En vue d'un Colloque consacré à la notion de
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personne, et où, de nombreuses communications devaient être centrées sur


les conceptions embryologiques et génétiques des sociétés africaines, mon
propos était de montrer que pour comprendre la nature du lien mère-
enfant, il fallait parfois faire intervenir une logique totalement indifférente
à la distinction des personnes. Cette logique sauvage, je n'en ai pas trouvé
de meilleur modèle que dans la «logique placentaire» des Dogon.
Colloques lnternationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

ON THE CONCEPT OF THE PERSON


AMONG THE TALLENSI

Meyer FORTES

Résumé
Chez les Tallensi du Nord du Ghana, de même que dans les populations vol-
taïques voisines auxquelles ils sont apparentés par la langue et la culture, la notion
de personne correspond bien au concept de «personne morale» dans la théorie de
Mauss. D'un point de vue objectif, les Tallensi considèrent que la personne est créée
par la société et la culture. De ce fait, les animaux, les plantes, les êtres spirituels
et d'autres entités non-humaines peuvent être investis, dans certaines circonstances,
du statut de personne. Toutefois, le modèle idéal est l'humain. Les -composantes
significatives de la personne, à savoir le corps, la vie et l'âme sont distinguées lin-
guistiquement, de même que les étapes du cycle de vie. Idéalement, le statut de
personne complète ne peut être acquis que par les mâles à qui un destin favorable
a permis d'avoir des descendants. Toutefois, les femmes peuvent aussi devenir des
personnes, bien qu'à un degré moindre. La naissance normale, légitime, protégée
par les ancêtres au sein du patrilignage est une condition indispensable. Cependant,
l'épreuve réelle est à la fin de la vie. En effet, une personne complète doit nécessaire-
ment avoir une mort normale ainsi que des descendants mâles qui puissent le
promouvoir au rang d'ancêtre et lui rendre un culte. Une telle fin est la preuve de
l'acquisition d'un statut de personne complète durant la vie. TI semble donc que,
chez les Tallensi, la personne soit externe à l'individu et que ce statut s'acquiert
davantage par la chance que par l'effort individuel ou par la bonne conduite. Cela
pose le problème de l'assimi1ation, par l'individu, des rôles constitutifs de sa «per-
sonne ». Chez les Tallensi, la notion de moi n'est pas tout à fait équivalente à
celle de personne. L'usage de noms distinctifs, de titres et, avant tout, les pratiques
religieuses relevant du totémisme constituent les principaux moyens d'assimilation
des attributs et des rôles liés au statut de personne.
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Since everyone here is acquainted with the famous essay by Marcel


Mauss:
" Une catégorie de l'esprit humaine: la notion de personne, celle de Moi, "
J. Roy. Anth. Inst., 1938.
I shall not linger over it. I must, however, remind you that it was given in
London, as the Huxley Memorial Lecture for 1938. I mention this for the
personal reason that I had on this occasion the privilege and the exhilara-
tion of meeting Mauss, for the first and only time, and also of attending
his lecture. I had just got back from my second expedition to the Tallensi.
In the afternoon before the lecture, Evans-Pritchard and I called on Mauss
at his hotel. And I remember particularly sitting with him on the terrace
and discussing his topic. He asked kindly about my field research and it
was then that he made a comment which has remained engraved on my
memory. Ethnology, he said, is like the ocean. All you need is a net, any
kind of net; and then if you step into the sea and swing your net about,
you are sure to catch some kind of fish. As for field work, he continued,
shaking his head and laughing jovially, you say you have spent two and a
half years with one tribe? Poor man. It will take twenty years to write it up.
Alas, Mauss's prophecy has been more than borne out. All the same,
it is to the field work of that period in particular that I shall return in this
paper. I shall try to give an account of the Tallensi notion of the person
(in the Maussian sense) and of some of its correlates and implications,
as the actors see it. I shall try to show how the ideas, the beliefs, the
linguistic usages, the dogmas and so forth, - in short what the ethnographer
represents as a conceptual scheme - are accessible to discovery primarily
by reason of their realisation in the customary or institutionalised activities
of people. We have examples, among the peoples whose systems of thought
we are discussing today, of élites of priests, doctors, men of wisdom and
learning, who have a specialised, in some respects esoteric knowledge of
the subject of our Conference. There were no such specialists, either on
the side of ritual and religious thought and practices, or on the side of
secular matters, among the Tallensi in the nineteen thirties. It was only
by observing and conversing with the common man, so to speak, that one
could see how the ideas and beliefs relating to such abstract notions as
that of the person were channelled through his daily activities. They were
more commonly exhibited in action and utterance than being formulated in
explicit terms. It was in the way people carried on their lives from day
to day and in the way they died, too, that the concepts and beliefs I shall
try to present here were made manifest.
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I have described the most important features of the social organization


and the religious and ritual practices and beliefs of the T allensi in earlier
publications (Fortes, 1945, 1949, 1959) and need only add here that I have
found it necessary before this to try to understand their notion of the
person in order to understand their social organization and system of
thought (cf. Fortes, 1959, 1961).
Schools and literacy have brought acquaintance with the modern
European-oriented world views and patterns of living to the Tallensi in
the past twenty-five years. Christianity is slowly spreading among them.
Recourse to a hospital and to modern medicine is becoming an accepted
way of dealing with certain kinds of sickness among them. And yet the
traditional concepts and beliefs I shall be discussing are by no means
merely of antiquarian interest.

Il

I spent a few days visiting my Tallensi friends earlier this year; and
right beside the striking Catholic church that now stands within a stone's
throw of the central t01Jgban (Earth shrine) at Tongo, I found myself in
the midst of a ritual crisis of the kind I had only heard of in 1934-37.
A tense and anxious divination session was in progress at the sacred
pool of the Zubiung clan. All the elders, still traditionalist, of course, and
quite a few of the younger men, were present, and the problem was one
that Mauss would have been greatly intrigued by. It appeared that spilt
blood and other signs had been found showing that one of the crocodiles
which have from time immemorial dwelt in the pool, had been wantonly
killed in the night. As one elder explained té>me, in these days it has been
found that crocodile skins and claws are worth a lot of money. So thieves
and rascals have been known to come from the neighbouring cosmopolitan
town to the sacred pool to trap and kill the crocodiles. He affirmed that
no local man, indeed no Tallensi, would commit the crime and sacrilege
of injuring these animals. Every Tallensi knows that these crocodiles are
the incarnation of important clan ancestors (see Fortes, 1945, p. 142).
To kill one of these is like killing a person. It is murder of the most
heinous kind and it would bring disaster on the whole clan. The divination
session was aimed at finding out what sins of omission or commission on
the part of the clan had brought down this calamity on them.
A consideration of this crisis points to the heart of my inquiry.
It appears that in some contexts and some situations a crocodile from a
certain special place is a person (nit), to a particular group of Tallensi -
as, of course, also happens amongst other Voltaic peoples who share the
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the same broad cultural system. A crocodile in the bush, in the wild
(rnoog) however - for instance, in the rivers that are fished in the dry
season - is not a person, not sacred. It can be killed and eaten as the
home crocodile must not be by those people of Zubiung for whom the
whole species is not a totem.
Here, then, we have a peculiar and striking illustration of Mauss's
recurrent emphasis on the social derivation of the category of personhood.
A decade before the 1938 paper (commenting in 1929, on Lévy-Bruhl's
L'Arne Primitive) he drew attention to the Roman transformation of the
notion of the mask - " personnalité mythique" - into the notion of the
" personne morale", best glossed, in English, as the social person. (See
Mauss, Œuvres, 1969, p. 132.) Noting the importance of names for
placing the individual in society, for defining his personality, and perhaps
his destiny, he propounded the generalisation that" la personnaltié, l'âme,
viennent avec Ie nom, de la société". In other words, it is the society
that creates, defines, indeed imposes the distinctive signs and indices that
characterise, and the moral and jural capacities and qualities that constitute,
the personne morale as we find it in that society.
The concept of the personne morale is central to Mauss's analysis;
and the significant feature is its social derivation. If personhood is socially
generated and culturally defined, how then is it experienced by its bearer,
the individual? This is the question of the awareness of the self, moi of
Mauss' analysis, that is of the connection between the "inner man" (the
Unatural man" some would say) and the " outer" socially formed person;
and it has occupied men of learning from ancient times until today in the
Orient as well as in the West, as Krader has shown (1967). It is worth
nothing that Durkheim and Mauss were not the only social theorists of
modern times who gave precedence to the social sources of person and self.
The American sociologist C. H. Cooley had a similar point of view. His
countryman, G. H. Mead, in an early paper in 1913 sketched a theory,
later elaborated in a famous book (1934) which he summed up in the
U
formula the 'l' of introspection is the self which enters into social
relations with other selves".
Ethnologists like Hallowell (1955) and Margaret Mead (1949) and
psychologists like E. Goffman (1959) have carried the analysis further.
They have brought together observational and field data showing how
social organization and culture shape the expression of personhood~ and
channel the correlative awareness, in contexts as diverse as those of the
Ojibway Indians, New Guinea tribes and custodial institutions in urban
America; and the same questions are also occupying the attention of various
philosophers.
It is evident, therefore, that our theme has wider theoretical implica-
tions than merely to add to the ethnographical confirmation of Mauss's
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main thesis. It concerns the perennial problem of how individual and


society are interconnected in mutual regulation. The African data are,
I believe, especially relevant on account of the explicit representation in
custom and social organization of some critical features of this inter-
connection. The approach I am adopting was introduced into British
anthropology by Radcliffe-Brown in 1922 by way of his concept of the
social personality which was, I presume, a direct adaptation of the Maussian
concept of the" personne morale" (Radcliffe-Brown, 1922).

III

So far I have emphaised the actor's situation, seeing him as the


recipient and bearer of personhood. But Mauss's concept implies that we
could also start from the opposite side. We could start with an inventory
of "masks" available in a given society and inquire into their modes of
allocation to individuals or groups. This approach brings the Maussian
concept into line with the Weberian concept of "office". As I have
suggested elsewhere (Fortes, 1962) though we usually associate the concept
of "office" with such institutions as kingship or chiefship or priesthood,
it can in fact, quite appropriately be extended to include any juridically and
socially fixed status.
Thus, from whichever way we approach our enquiry we see how
important it is to keep in mind the two aspects of personhood. Looking
at it from the objective side, the distinctive qualities, capacities and roles
with which society endows a person enable the person to be known to be,
and also to show himself to be the person he is supposed to be. Looked
at from the subjective side, it is a question of how the individual, as actor,
knows himself to be - or not to be - the person he is expected to be
in a given situation and status. The individual is not a passive bearer of
personhood; he must appropriate the qualities and capacities, and the norms
governing its expression to himself. The name is an important cultural
device for ensuring this and for fusing together the two aspects; but
occupations, rank, and other such office-like attributes also serve this end.
Ritual observances such as totemic avoidances are particularly significant
foci for the conjunction of the internal awareness and the external
expressions of personhood (cf. Fortes, 1966). Initiation ceremonies bring
out another important feature of this conjunction. They dramatize the pro-
cesses by which an individual is invested with the capacities of personhood
specific to defined roles and statuses. A beautiful account of how the change
of social personality is experienced and appropriated by the individual is
given in Camara Laye's classic L'enfant noir. The Chisungu of the Bemba
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(Richards, 1956) and the Koumen of the Fulbe (Hampate Ba & Dieterlen,
1966) reveal the other side. Initiation ceremonies are aimed as. much at
legitimizing for the individual his rights to assume and to exercise openly
the capacities that pertain to the status acquired by initiation, as at imparting
esoteric knowledge Bemba girls are well acquainted with the facts of
sexual life and procreation before their chisungu but it is only after the
ceremony that they are free to act as sexually mature persons fit for
marriage and motherhood.
It is not surprising, perhaps, that what I have been here so laboriously
expounding is brought vividly to life by a Parisian novelist of Durkheim's
and Mauss's generation. I refer, of course, to Proust who was doubtless
responding to the same intellectual climate as they were. In Du Côté de
chez Swann, there is a gem of a digression on the fille de cuisine who is
sent up with the coffee. This is what he says:

" La fille de cuisine était une personne morale, une institution permanente
à qui des attributions invariables assuraient une sorte de continuité et
d'identité, à travers la succession des formes passagères en lesquelles elle
s'incarnait, car nous n'eûmes jamais la même deux ans de suite. "
(Editions Gallimard, Paris, 1954, p. 97).
Mauss himself could hardly have put this more elegantly. And what
is specially interesting about this statement is C. K. Scott-Moncrieff's
brilliant English translation of it (in Swann's Way, The Modern Library
edition, New York, 1928, p. 99). This is how it goes:

"The kitchen-maid was an abstract personality, a permanent institution to


which an invariable set of attributes assured a sort of fixity and continuity
and identity throughout the long series of transitory human shapes in
which that personality was incarnate; for we never found the same girl
there two years running. "
His rendering of Proust's personne morale as " abstract personality" lends
point to the institutional character of the kitchen maid's role. We are made
to realise that it is a kind of office, distinct from the individual who
temporarily fills it - or rather, as Proust more profoundly puts it,
incarnates it. And let us note how exquisitely Proust draws out the
distinction, one might almost say the contradiction, between the individual
and the office by giving the hapless incumbent of that moment exaggerated
individuality by reason of her pregnancy and her feeble character.
To sum up, I would maintain that the notion of the person in the
Maussian sense is intrinsic to the very nature and structure of human
society and human social behaviour everywhere.
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289

IV

After this digression, let me return to the slain crocodile. If society is


the source of personhood it follows that society can confer it on any
object it chooses, human or non-human, the living or the dead, animate
or inanimate, materially tangible or imagined, above all, both on singular
and on collective objects. Defining a descent group, or even a political
community such as a tribe as a " person", in the manner that is common
throughout West Africa, is perfectly consistent with this mode of thought.
And of course there is nothing bizarre from the actor's point of view about
defining a particular crocodile as a person. Nevertheless, the elementary
model and primary reference of the notion of the person is the human
person; and this is convincingley shown in the African data. There is always
a terminology of description and reference for the attributes, components
and functions of the person and these are also tangibly exhibited in the
cognitive categories, in the beliefs and in the juridical and ritual institutions
of the society. The now classical studies among the Dogan, the Bambarra,
and other Sudanic peoples by Madame Dieterlen and her colleagues amply
document this.
The Tallensi also have a distinct vocabulary for these aspects of the
person; and the most superficial examination shows that this vocabulary
is based on the same lexical roots as appear in the corresponding termino-
logies of the other Gur-speaking peoples of the Voltaic region and indeed
of many other West African peoples, which I take to indicate common
underlying beliefs and concepts. But it is, I believe, not unfair to my
Tallensi friends and teachers to say that their attitude in matters of this
sort is practical and instrumental. They do not have complex myths of
the kind that have been reported from other Voltaic groups; and they
are relatively uninterested - or so it seemed to me - in the kind of
exegetic and conceptual elaborations that have been reported from else-
where. One has to infer their theories and beliefs, as I have said, from
the practices in which they are embedded. Theirs is a schematic variant,
with the emphasis on the patterns of action rather than on belief and
ideology, of the common underlying Sudanic world view.
The Tallensi term I am translating as "person" is (as in all Gur
dialects) nit, pl. niriba (cf. also the Akan ni-pa, persan; cf. Fortes, 1969,
p. 167). This term has a very wide range of refence, often meaning' people'
in the most general sense. Questioned about cases such as that of the
murdered crocodile, Tallensi say this crocodile (ba1J) was a kind of
person, nit. The most significant indication of this is the fact that the
sacred crocodiles of this pool are given burial and a symbolic funeral, if
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found dead, just as human persons are. Nevertheless, the murdered cro-
codile though a person would not be described as human. There is a
special term for this, ni-saale The obvious etymology of this word suggests
an inference that being human presupposes the possibility of personhood
(nit). It is difficult to elicit from informants a precise definition of nisaal.
The synonym nin-voo (literally person-alive) often used for it, indicates
that it is presumed to imply life and personhood. It also implies certain
attributes of normality to which I will presently come.
But the best way of indicating the significance of the concept of
nisaal, human, is to note how it contrasts with other constituents of the
more general category of living things, bon-var (pl. bon-voya) (etymo-
logically bon, thing, var, alive) on the one hand and with inanimate objects
on the other. Among bonvoya, living things, contrasted with humans,
animals come first. The most general term for an animal is duu, yini-duus,
home-animals like cattle often being in turn contrasted with yeog-duus,
animals of the wild, that is, game. However, whereas nisaal is a single,
universal category, the animal world is split up among a diversity of eco-
logically -ordered classes or species - earth creatures, water creatures, birds,
etc., etc.
Tallensi connect life with the breath, va-hem, hence bon-var. Humans
and animals are the possessors of life par excellence and the living humans
(vo-pa) are contrasted with the dead (kpeem) as in the common proverb,
zorn kpeem ka di zo vopa. (One must fear the dead (ancestors) and not
fear the living.) At the same time, as we shall presently see, qualities of
livingness, and not merely metaphorically, are attributed to certain quasi-
personified religious entities, notably the Earth and ancestral shrines.
Furthermore, trees and plants are described as belonging to the living
part of the non-animate world as opposed to stones, clay, rivers, etc. (1).
To return to animals, it is accepted that they do not differ from
humans in the biological sense. They move of themselves and mate and
breed, live and die in the same way. The anatomical and physiological
isomorphism is well understood since it is principally from animal hus-
bandry and from sacrificing and butchering animals that the details are

(1) I often talked about these matters with Tallensi of all ages. They were
unanimous that animals are" living things" because (a) they move about of their
own accord - in contrast to, for instance, an automobile, which can only move about
when driven; (b) they grow and change - in contrast to non-living things like stones,
which neither move about voluntarily, nor grow and change; (c) they die like humans.
Trees and plants were said to be living things, though they do not move about,
on the grounds that they grow from seed, undergo changes, shed leaves and
regenerate like humans. Some Tallensi insisted also that the sun and the moon must
be living things since they move and the moon changes, dies as it were and is reborn
every month, but others disagreed.
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learnt. Animals and humans have the same bodily substances of flesh
(numût), blood (zeem), bones (koba), etc.
Wherein, then, does the critical difference lie? A good test lies in
the attitudes about depriving its bearer of life. If a human is killed,
whether in war or in a private quarrel, the killer must be prophylactically
treated with a special ritual medication; but so must he be if he kills
certain large animals of the bush believed to be by nature capable of
aggressive retaliation. These include not on1y the big carnivores such as
lions and leopards, but also large antelopes. The purpose of the prophy-
laxis in both cases is to prevent the' soul' (sU) of the slain human or
animal from becoming magically dangerous. There is, however, a fundamental
difference, -in that to kill a human, individually, not in war, is sinful, a
desecration of the Earth to be atoned for by sacrifice i.e. purificatory ritual,
whereas killing an animal is thought of as a justifiable, through possibly
dangerous act, a kind of wrong, perhaps, but not a sin.
Not only is there an overlap between animals and humans on the
biological side, there is believed to be some connection between them
also on the cultural side. In Tallensi folk tales and myths animals are
often presented as speaking, and as acting in a quasi-human manner in
other respects too. Dogs and to a lesser extent cats are regarded as
quasi-human. They live with humans, eat the same kind of food, and
- dogs in particular - respond to human speech. In other ways, too,
they behave like humans. Dogs have humanlike traits such as loyalty,
courage, intelligence and on the other side greed and thievishness.
Cattle, sheep and goats and poultry are domestic animals without qualifica-
tions. But some animals of the bush are represented in folktales as living
in families and communities like humans.
It is difficult to elicit definite statements as to where the critical
difference lies. My inference is that it lies in the facts epitomised by the
observation that animals have no genealogies. Though animal species have
continuity by reproductive succession, animals do not have descent and
kinship credentials. They do not have social organization with the implica-
tions of moral and jural rules. They have no ritual practices, no ancestors;
they have life and individuality and continuity as species, but not their
own forms of society or morality. All the same, animals have attributes
and capacities that make them potentially humanisable, if I might coin
a word to convey the Tallensi idea. They can be partially incorporated
in human society, for example in the totemistic ideology that confers
kinship morality on selected species.
And yet, Tallensi are emphatic that animals as animals are not
humans and definitely not persons (niriba). This is true even of those
animals that are partially incorporated as a species subject to totemic
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taboos as the mythologically commemorated saviours of the founding


ancestors of lineages and clans to which they count as quasi-kinsfolk
(Fortes, 1966). Crocodiles, as a species, in their animal mode of existence
in the wild, are not persons. Only the particular crocodiles abiding in the
particular sacred pool and associated with the particular collective person,
that is, the clan whose dead elders rise up again (as Tallensi say) in these
crocodiles - on1y these sanctified and in a sense quasi-domesticated
crocodiles are invested with personhood. The prohibition on killing them
is represented in the same terms as are applied to humans, and the funeral
ritual - albeit just symbolical - accorded to a dead crocodile testifies
further to this. It is interesting to contrast dogs which, in spite of their
quasi-human characteristics, are killed in sacrifice and eaten like any
other domestic animal. (But not cats, which are women's mascots).
The key lies in the belief - more accurately the doctrine - that
these crocodiles are the vehicles of ancestral spiritual immortality, the
living shrines, as it were, of the ancestors.

Now in the Tallensi cult of the ancestors and the Earth almost any
item of the natural or the social environment is capable of becoming a
vehicle of ancestral or other mystical presence to those who are under its
power. A tree, a stone, an artefact, thus comes to be ritually charged
with what appear to be elements of personification. However, this does
not amount to personhood, in the specific sense. Tallensi say categorically
that the tree, the stone, the old hoe, and so on, which serves as the altar
(bagher) for the offering of sacrifices to particular named ancestors or the
Earth, is not the ancestor but is only his or her sitting place (zi-ziiga),
his locus of accessibility to prayer and other ritual acts. It is comparable
to the homestead where a living elder is accessible. Medicine (teem) {which
refers both to substances and prescriptions for treating disease and states
of pollution, and to purely magical agencies, defensive or aggressive, is
also made manifest in material objects and paraphernalia. These are
usually of a symbolic kind, similar to the constituents of ancestral shrines.
Magical medicines are often said to wander about and to catch or tie up
their victims (magically of course) as if they were alive in some way, and
Tallensi often speak in the same way of the Earth. Nevertheless, they are
quite clear that it is not the material objects as such that are" alive"
but the mystical agencies located in them; and it is equally clear that the
livingness attributed to them is only analagous to but not indentical with
the livingness of physically alive creatures. Ancestors, medicines, and the
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Earth are personified but not invested with the kind of personhood that
accrues primarily to living humans, though it may be conferred in cur-
tailed form and in special circumstances, on a particular animal. Let us
look at this a little more closely.
When ancestors and other mystical agencies are credited with forces
analagous to life, they may be said to be bon-voya, living things, but
they are not said to have 1)o-vor, the life that is made manifest in breath,
that is, biological life. They are not embodied in flesh and blood. To have
a body (neng) thus constituted is the indispensable foundation for being
alive in the way humans have to be to become persons, even though they
share this property with other living creatues. A crucial feature of this is
that living creatures come into being by birth and what is almost more
important, that they are mortal. The significant point here, as I shall have
to repeat in different contexts, is the paradox that, according to the
Tallensi theory of the person, no one can be certainly known to have
been a full human person until he is shown, at the time of his death, to
have been slain by his ancestors and therefore to deserve a proper funeral.
This carries the implication that the person thus marked is qualified to
join his ancestors and become one of them. So one can say that the real
test of having achieved personhood is to have had the potentiality, all
through life, of becoming a worshipped ancestor - or of incorporating
one.
The limiting principle then, for personhood, strictly defined, is to
begin or rather to be born with a mortal body. To this I will return again
presently. Ancestors and other mystical agencies are not thus endowed.
When they are said to be alive, the allusion is to their powers of mystical
intervention in human affairs. Tallensi refer to ancestors by kinship terms
used for living forbears, such as banam, fathers, yaanam, grandfathers,
manam, mothers. Nevertheless, these usages do not reflect the merging
or identification of the living with the ancestors. The latter are among men
but not of mankind. They belong to the world of the dead, the kpeem, and
intervene in human affairs in modes of action reserved for those who have
mystical not mundane power. The kinship terms by which they are addressed
in prayer and sacrifice and the associated ritual usages reflect their genea-
logical origins and the attributes and powers assigned to them in Tallensi
religious doctrine. They are represented as endowed with untrammelled
power and authority over human existence, ultimately over life and death.
It is as if they were endowed with the quintessence of parental autocracy
purged of the elements of affection, solicitude and devotion, and unen-
cumbered by the rational constraints and material sanctions that human
parenthood is of necessity subject to.
Ancestors are the dominant supernatural agencies believed to control
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human existence. In conjunction with the Earth and other mystical agencies
they are believed also to be instrumental in regulating the course of nature
as it affects human existence. But it is not only by reason of the arbitrary,
quasi-juridical powers projected on them that they have this aura of
personification. It is also because they are believed to respond to men's
needs and claims and to take cognizance of human conduct, in ways
analogous to those of human parents and elders. But this is where a critical
distinction arises. Ancestors and other supernatural agencies have their
sitting places in the homes and settlements of living people; to this extent
they are incorporated in the social order. But not as humans are. Their
place in their dependants' homes and communities is behind an invisible
but precisely defined conceptual and dogmatic screen, as it were. This is
the screen of religious ideology and ritual prescription, which can only
be penetrated at proper times and places by the special instrumentality of
prayer and sacrifice and the associated practices and observances which
Tallensi call taboo rules (kihar). Tallensi identify this domain by gene-
ralising the concept of baghêJr, the term primarily signifying the objective
vehicle of mystical agencies, as I have mentioned above, in other words,
which refers to personified mystical agencies of all kinds as they are fixed
in their tangible and material loci of accessibility. It is contrasted with the
domain of mundane life with its routines of direct contacts in family and
community relations, in work, and in the general affairs of society and its
material, rational, framework of order. This is the everyday, normal
universe of action for which there is no special label and where ritual is
inappropriate. The Tallensi think of the two spheres as mutually com-
plementary, rather than opposed, locked together in the inescapable mutual
coercion attempted by the living and the mystical agencies upon one another.
But whereas on the human side, future persons are recruited biologically
by birth and shed by death, the bagher entities can only be brought into
being by the deliberate social actions of rituals' malung' establishing them
and of the jural allocation of the rights and duties to their custody and
service to persons entitled to it.
Considering therefore what I said earlier, namely that full personhood
is only finally validated by proper death and qualification for ancestorhood,
it emerges that the human persons who make up society remain the
ultimate arbiters of personhood. To be sure they are not free to act
against the dictates of their religious and metaphysical beliefs and values;
but they are the responsible agents; and they fulfil their task by conferring
what looks like quasi personhood on the dead who become ancestors. It
is of interest, by the way, that ancestors are, in my experience, never
referred to by the term niriba, persons. I have heard nonancestral mystical
agencies so alluded to but the contexts showed that it was in a metaphorical
sense exactly like our use of the pronoun" she" to refer to a ship.
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VI

The spectrum of personhood is not yet complete, however. For there


is another contrast between true, human personhood and the apparent
personhood of supernatural agencies that needs to be considered. As we
have seen, animals that cannot be redefined as kinds of persons fall into
two main categories, those of the home and those of the wild. It is worth
nothing that only those of the home may be sacrificed to ancestors and
other mystical agencies associated with family and community organization.
In a parallel manner, the wild (bush, mo'o) also has what appear at
first sight to be its characteristic mystical denizens. These are the Kolkpaarôs,
the" bush sprites". Unlike the ancestral dead on the Earth, however,
KolkpaarCJs cannot be invested with qualities of personhood. They cannot
be personified. For one thing, they are ab initio bodiless and thus devoid
of the fundamental attribute of biological embodiment that is the essential
starting point for personhood to be achieved. They are not mystical agencies
ritually incorporated in the total system of human social life and therefore
having mystical rights to intervene in human affairs. There are no shrines
or altars at which they can be approached. In short, they do not
complement or even contrast with humanity; they simply negate all that is
human, being totally lawless and without any moral capacity, such as is
vested in the socially incorporated mystical agencies. Their malice and
caprice is typically shown in relation to plural births. It is believed that
Kolkpaares sometimes quite wantonly enter a woman's womb and are born
as t\vins or triplets, masquerading as incipient humans. Plural births are
regarded as anomalous and both the parents and the babies have quickly
to be treated with medicine to "peg them down" (ba') as human.
If a twin dies in very early infancy this is evidence that it was in reality a
Kolkpaarag. But there are circumstances, never foreseeable, in which a
bush-sprite can masquerade as human for many years and not be found
out until its host dies, as we shall see. Hysterical fugues and even madness
are sometimes attributed to persecution by Kolkpaarôs.
There is no need to labour the aptness of the symbolism which thus
locates lawless and immoral caprice in these faceless creatures of the wild.
I cite them here to emphasize that model personhood among the Tallensi
postulates biological embodiment on the one hand and legal, moral and
ritual status on the other. The concept of nit, person, presupposes living
humanity contained in a social system.
Incidental evidence for this comes from a belief in ghosts (kok). These
are said to mimic humans but to be like wraiths, and some people claim
to have seen them. However, knowledgeable men and women deride these
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claims as gross superstition. Niriba, human persons, are embodied in


tangible, visible, material flesh and blood. The dead, Kpeem, who are
contrasted with them have their allotted place. The alleged ghosts belong
to neither world and must therefore be figments of overheated imagination.

VII

To return to twins, they exemplify an important rule. To become a


person one must be properly and normally born and this, ideally, means
singly born, head first, of parents licitly permitted to procreate. A breech
presentation is feared, is magically medicated and classed with twins, but
anyone successfully born thus is treated as a singlet eventually.
It is characteristic of Tallensi thought and institutions that full
personhood is only attained by degrees over the whole course of life. Birth
marks only the starting point, the minimum quantum of personhood, as it
were. Indeed it is not until an infant is weaned and has a following sibling
(nyeer) that it can be said to be set on the road to eventual full personhood.
It is sometimes not named or placed Ïn the ritual care of its ancestor
guradian till then. And, in this connection, even an adult who dies without
leaving a following sibling is buried in a way that suggests some lack
of full personhood.
To become a person therefore one must begin with normal and
legitimate birth into a family, lineage and clan which automatically stamps
upon the individual his patrilineal status and binds him in advance to the
observances and prescriptions that go with this. He comes equipped with
a body, the Tallensi term for which is neng (obviously cognate with nung,
flesh), or nengbin (flesh + skin). The skin is a very significant feature of
the individual's constitution. Tallensi contrast themselves with Europeans as
people of black skin (ghansableg) against people of white skin (gbanpeeleg).
A fresh and glowing (farr) skin is the most admired sign of beauty in a
maiden. When I was in Taleland earlier this year a young man of my
acquaintance complained sadly that it is nowadays impossible to tell what
a girl's skin is like because they all wear clothes. Skin diseases, especially
leprosy, are particularly abhorred as the spoiling of the body (neng
nsagham). Ideally, then, a whole body is one with an unblemished skin.
It is not only the foundation of personhood but the seat of the self (meng)
which I shall presently consider more fully.
I have said that birth is the starting point of personhood, but this needs
some qualification. Actually the potentiality of birth is sufficient for the
ritual and moral recognition of initial personhood. Thus the pregnancy of
a child's own mother counts as its next following sibling even if there is
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a miscarriage; and if the stillbirth is at a stage of foetal development where


its sex can be recognised, it counts as a minimal person. It will not be
named but will be given normal burial and the parents will have to go
through curtailed and symbolic rites of mourning and of the removal of
the pollution of bereavement.
Here we have a striking indication of two important structural features.
First, as I have previously implied, it is, paradoxically, in the circumstances
and the ritual interpretation of an individual's death, and the obsequies
accorded to him, that the personhood he attained in life is retrospectively
validated. The sacred crocodiles of Zubiung are known to be some kind
of persons because they must be buried as, and receive obsequies like those
of human persons as I have already noted. This, too, is a theme I will
presently return to.
The second feature is more obvious. From the very outset of life
difference of sex is a significant element of personhood. Though all the
terms by which components of the person are distinguished - nit, ninvoo,
vohem, neng, sU, etc. - are common to both sexes, the difference is
constantly brought to notice. Traditionally, it was exhibited in differences
of everyday clothing, men always wearing loincloths and women naked till
their first pregnancy and being thereafter always girded with a perineal belt.
Occupational specialisation and the allocation of space for working, eating,
sleeping and rtiual activities in the homestead also reflect this division
(cf. Fortes, 1949). One sees it in the normal postures of men and women.
Baby girls are admonished to sit properly with their legs tucked under and
not sprawllike boys. Women stoop to greet a senior male and kneel when
offering food and drink to a visitor. Most striking is the ritual association
of the number three with males and four with females. All ritual per-
formances concerned with males are carried out in threes, for females in
fours. Clearly, differentiation by sex is a critical factor in a person's whole
life cycle from birth and, as we shall see, to death and the attainment of
ancestorhood. More than this, it is a basic premise of Tallensi social structure
at all levels. The complementary opposition of patrilineal descent and
matrilateral filiation which underlies the whole system of familial, lineage
and clan relations is rooted in the opposition between the unity by descent
and the distinction by sex of brother and sister. In particular, marriage and
parenthood and the complementary patterns of jural and ritual rights and
duties that follow for offspring are regulated by this.
It is the more necessary to emphasize that, by contrast, the distinction
between males and females is not significant in respect to the ultimate and
irreducible determinants of jural and ritual status, those that establish the
primary rights to personhood in its various dimensions. I refer to member-
ship of the lineage and clan and such other kinship connections as arise
through matrilateral links. These accrue to the individual regardless of sex,
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by right of birth. To be sure exogamous marriage and lifelong jural minority


in relation to father or husband deprive a woman of property and political
rights in her natal lineage. But her membership of it never lapses and is
even transmitted to her children in a derivative form. It is of interest in
this connection, as I have already indicated, that the Tallensi do not have
special passage rites for the admission into adulthood of either sex. They
would scoff at the Bemba Chisingu ritual, as they do at the female excision
rites of some neighbouring tribes. Sexuality is a commonplace matter to
Tallensi.
The only form of initiation ritual practised among them is found among
the Hill Talis (cf. Fortes, 1945, p. 137). There is a ritual of induction into
the cult of the External Boghar - that is, the cult of the collective
ancestors - which every male must undergo before he is allowed in to
the cult centre as a full member. This rite can be undergone at any age
from about 6 to adulthood. Except for the fact that he is naked like a new
born babe, is bullied mildly by his guards, and is intimidated by the
administration of the oath of secrecy required of him, the novice suffers
no hardship or pain. Clients coming from other tribes, both male and
female, to solicit mystical help from the Boghar, also undergo an induction
ceremony. But no wives or daughters of members of this cult have this
privilege. From the point of view of the Hill Talis a man is an incomplete
person devoid of critical ritual capacities and elements of jural status,
until he has been inducted into the External Boghar Cult. It will make
no apparent difference to his everyday life if he is thus incomplete. It will
not impede his economic activities or, for instance, prevent him from
marrying; but marriage and parenthood would be regarded as somewhat
anomalous. For until he is ritually placed under the surveillance of the
collective ancestors in the Boghar Cult, he counts as a jural minor without
the right to a responsible opinion or autonomous role in lineage affairs and
with restrictions on his ritual standing in offering sacrifices to the ancestors
on his own behalf. It is only men who have lived away from the home
settlement from infancy for many years who are inducted after adolescence.
A father who has failed to have his son inducted before adolescence would
be laying himself open to punishment by the ancestors.
The position of stranger clients is instructive. They are of course
pledged to secrecy, on pain of severe mystical penalties if they default,
but they are not considered to be members of the cult on an equal footing
with those who are members by right of patrilineal descent. Like the patients
of any owner of a medicine, they may benefit from the cult's magical powers,
and therefore have to abide by its rules and restrictions, but are never
admitted to all its n1ysteries. Namoos have no truck, as they would put it,
with these Hill Talis cults. They have no induction ceremonies corresponding
to those of the Hill Talis.
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299

As I have mentioned, women remain all their lives in a status of jural


and ritual minority. It would appear, therefore, that they can never attain
the complete personhood that a male can attain, especially if he reaches
elderhood or becomes the holder of a ritual or political office. Certainly
for the Tallensi the ideal of the complete person is an adult male who has
reached old age and lineage eldership, who has male descendants in the
patrilineal line and who is qualified by a proper death to become their
worshipped ancestor. Nevertheless women are not wholly debarred from
attaining a degree of personhood corresponding, in their sphere of life,
to that of any man. Throughout life they have sanctioned rights, duties,
privileges, and capacities. They receive the same kind of mortuary and
funeral ceremonies as me.n and they can also become worshipped an-
cestresses. It is as mothers and grandmothers, through their children and
descendants, that they are elevated to ancestral status in all respects as
significant as those of the men. This is characteristic of Tallensi culture,
reflecting the complementary relationship of males and females, of paternal
and maternal kinship and ancestry in the secular as well as in the religious
order of society.
There is one further condition that needs to be noted. It concerns
men primarily, since jural and ritual authority and responsibility are vested
exclusively in them, but women are also directly affected by it. Favoured
by this Destiny, as Tallensi would put it, a man may have reached individual
maturity with his children and even grandchildren around him. But if his
own or a proxy father is still alive (and I have known such cases) he is
still, strictly speaking, under paternal authority. It is only after his father's
death that he gains the unencumbered jural and ritual autonomy that marks
truly complete personhood. Similar norms apply to women in relation to
their own mothers, within the circle of their kinship relations in their natal
family and lineage (see Fortes, 1949, p. 147-150). One cannot emphasize
too much the principle that familial and lineage status is an inescapable
determinant of personhood at every stage. The person emerges through the
dialectic interplay of individual and social structure.

VIII

This brings me back to the apparent paradox that the crucial test of
personhood comes at the end of life as we saw with the crocodile. Goody's
analysis of the mortuary and funeral ceremonies of the Lo Dagaba (Goody.
1962) helps to explain why. The basic reason, as he shows, is that it is
only when the person is dissolved into his or her constituent parts and
statuses that his claims to genuine personhood can be evaluated. He may
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300

all his life have been very efficiently masquerading, leading a double life
as a non-person concealed under the outward trappings of personhood.
He might not even have been conscious of this, in his capacity as an
individual, for the cause - necessarily a supernatural agency from the
Tallensi point of view - would very likely have been undisclosed until
revealed by divination at his death.
For the Tallensi, death kum (from ku = to kill, hence the killed
thing) is the end of an individual life (1Jovor) in the first place. The word
for corpse is also kum, though death is often referred to in the abstract,
e.g. in proverbs. It is significant that a dying individual must be propped
up in the arms of close kin or a spouse. For a person to die unppropped
up is a sin that pollutes the whole household and all its goods. This
pollution must be immediately removed by a ritual specialist else more
deaths will ensue. Having seen these happenings, I can testify to the anxiety
of the deceased's relatives and their relief after the medication. Tallensi
describe this as a very serious ancestral taboo which they cannot explain.
One can see, however, from the context, and from comparable customs,
that if an individual is left to die without such support it would be treating
him like an animal which, by definition, has no kin. A dying person's
kinsfolk must demonstrate their acknowledgment that he belongs to them
and their consequential obligatory concern for him at the moment when
he is about to leave them.
Tallensi say that the corpse, kum, is like a husk, foreng, which they
compare to the skin cast by a snake. What, then, has left it that was the
source of its life? Firstly, the breath, vohem. Death is known to have
supervened when the breath stops, but breath is considered to be the
expression, not the source, of life. What is essentially lost by death is the
soul, sU.
It is convenient to translate this notion by the conventional Tylorian
term, the soul, but the classical Greek concept of the psyche (as explained
for example, by Onians, page 93 ff) seems to me to come nearer to the
relatively diffuse and of course much less sophisticated, Tallensi idea.
The sU is not identified with the breath. As with similar entities that figure
in other West African systems of thought, the sU is sometimes spoken
of as if it were a double of the individual, accompanying him rather than
being integral with him. Correspondingly" the sU can wander about leaving
its embodiment behind in sleep and appear in dreams to someone else.
It is definitely not identified with the ghost-like wraith (kok) I mentioned
earlier; it is part of a living person's constitution having a reality of its own.
The sU is vulnerable to magical injury. Thus, when a grave is being dug,
souls of people attending the mortuary ceremonies are apt to be enticed
into the grave without the persons thus affected being aware. It is difficult
to get explanations of how this is brought about. The most plausible is that
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301

the soul of the deceased, whose body is still lying in his house, has entered
the grave which will be his" home" in due course, and is enticing souls
of people the person was attached to in his life to accompany him in death.
At all events, it is believed that clairvoyant buriers of the dead (bayaase)
can detect these souls and rescue them. Medicinal roots and herbs are burnt
in the grave to drive out these souls and thus prevent death from overtaking
their owners.
These beliefs correspond to an illuminating usage of the notion that
can not inappropriately be translated by a term like" personal identity".
It is put forward to account for special attachments and aversions of
individuals, both those that are conventional and those that are idiosyncratic.
A person's most intimate belongings are said to be his or her normal
clothing, a man's bow and arrows, and such normal tools as a hoe or an
axe and for a woman, personal ornaments such as brass armlets and
beadwork. These are all said to be imbued with the owner's sU. More
particularly, a man's sU is said to be specially associated with his granary
and a woman's with a selection of her choicest calabashes and storage pots.
Sii, therefore, in one of its aspects, is the focus, one might almost say the
medium, of personal identity which is objectively represented in possessions
characteristic of a person's sex and status. In accordance with these
representations, when a deceased parent or ancestor reveals himself or
herself as an agency claiming service from a particular descendant, the
chosen vehicle is usually some such intimate and characteristic possession,
or its replica, owned by the descendant.
I have .described elsewhere (Fortes, 1949, ch. 8) the Namoo taboo on
a first-born son's looking into his father's granary or wearing his clothes or
using his tools or weapons, during his lifetime, and the parallel taboo on a
first-born daughter's opening her mother's storage pot or wearing her clothing
during her lifetime. These are represented as rules for preventing a hostile
confrontation between their respective sUs. It is in keeping also with these
beliefs that a feeling of strong affinity with another person is accounted for
by the mutual attraction of their sUs; and, by contrast, a marked aversion is
accounted for by the revulsion of the sUs. Sii, in this context, reflects traits
of character and disposition.
What seems paradoxical about the notion of the sU is that it is
credited with a kind of existence in its own right, yet must always remain
integrally part of the living person. His very life depends on this until death
parts them; yet one could describe the sU as a spiritual double of the person.
Thus when discussing dreams, Tallensi give the impression that they think
of them as nocturnal encounters, during sleep, with the sUs of people seen
in a dream. But they are generally vague as to how this comes about.
It is not quite certain how they conceive of the sU of a sleeper detaching
itself temporarily from his body or of a deceased person returning and
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wandering over to the dreamer. It is more as if they think of dreams as a


special mode of communication between sUs. I have never heard Tallensi
associate the sU with the shadow (yilenyilug) - the behaviour of which
in light coming from different directions they are well ware of, but to
which they seem to attach no mystical significance. But it is tempting to
think of the sU, as Tallensi regard it, as having a shadow-like connection
with the living person.
It is to be noted that the sU is there from the moment of birth, and
not only in humans but also, as we have seen, in certain species of big
game animals of the bush. It seems to be a rule of cardinal importance
that a sU must have an abode. That is why a human homicide and a slayer
of any of these big, sU-endowed animasl must be ritually purified. But this
is only a necessary preliminary. To avoid being persecuted mystically by
his victim's sU, the slayer must enshrine the victim - accept him as a
mystical presence, as Tallensi might put it - and give him ritual service
for the rest of his life.
Sii and life are obviously closely interlocked. But they are not
coterminous even if sometimes equated in reference. Thus the critical change
when life ends for the individual is said to be the severance of the bond
between his sU and his body. Tallensi have no precise doctrines to explain
how the change occurs or to account for the post-mortem immortality which
their ancestor cult seems, to the outside observer, to presuppose. But some
informants conjecture that it must be the sii that, in some way not
understood by them, persists after death and is eventually re-incorporated
in an ancestor shrine. This gives it an abode parallel to the abode it had
in the body of its original possessor. A totally disembodied and anonymous
sii wandering about wraith-like is not conceivable to Tallensi. It would be
so anomalous as to be felt to be mystically very dangerous.
I hesitate to attempt a summary definition of the Tallensi notion of the
sU. The nearest thing would be to say that it is their representation and
objectification of the unity and continuity of the individual as he experiences
this waking and sleeping, in his relationships with others, in his feelings
about his most personal private possessions, in his image of his connection
with his forbears and with his expected posterity. As an individual he is
identified to himself and to others most commonly by his names or titles
and often also by particular ritual observances relating to food or clothing
or permitted and prohibited activities that he does not share with others.
I return to this topic presently. For the Tallensi, there is no other way
open to them to conceptualise this syndrome than in the concrete and
mystically interpreted imagery distinctive of their modes of thought.
Assuming lodgement in an individual body, sU is also bound up with
notions of the self, meng. One's tools, weapons, granary, clothes and so
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forth, myoId friend Naabdiya once declared, 1Jgman ni i meng, stand for
(resemble) yourself. A polite way of saying that someone is ill is to say
, u pu so u meng' he does not own himself. To enquire of someone politely
how he is one asks' i so i meng? ' do you own yourself? that is, are you
well. Truth is yel mengr a thing in itself; a personal possession is u meng
bon} his own thing. It is a notion that embraces the whole person, the
way he is at a given time and over time.
The picture that emerges can be summed up as follows:
(1) Breath (vohem) plus body (nengbin) = a living creature (bonvor).
(2) Human living creature (nisaal) plus soul (sU) = the individual.
Though he is normally fused with the person the two are quite
clearly distinguished by institutional as well as linguistic and
customary indices. Expressions such as 'u a nit pam' which we
can translate as 'he is a fine person' as opposed to 'u ka nit'
(' he is not a person '), that is to say, he has discreditable qualities,
reflects the disjunction. It is the individual who is credited with
qualities like courage (suhkpeemer), truth (yelmengr), kindness
(sugeru) and their opposites. It is the individual for whom a whole,
healthy body and a long life is the most desired goal.

IX

Understandably, it is in funeral rites that the intersection of individual,


self and person is most dramatically represented. For example, after the
burial of a mature person the rite of secreting his" dirt" (daghat) is carried
out. A small strip of the deceased's daily clothing, torn off an old loin
cloth or a woman's perineal belt, is tied round a piece of reed and ritually
secreted in the thatch roof of his or her room. This is the deceased's" dirt"
in a mystical sense because it is imbued with the sweat of his body. Tallensi
say it stands for the deceased. Thus it is brought out by a special ritual act
to be placed by the diviner's bag when the ancestral agency responsible for
the death is divined for. It represents the dead during the interval between
the mortuary and the final funeral ceremonies, while, it is said he is
straddling the world of the living and the world of the dead" one leg on
this side and one leg on the other". It is finally disposed of when a collec-
tion of his personal utensils, such as dishes for food and water, is ritually
destroyed, to dispatch him finally to the ancestors. This clears the way for
him to be brought back into his family and lineage in the character of an
ancestor, that is not a human person, endowed with mystical and spiritual
powers, and therefore with rights to worship and service. (Cf. Goody, op.
cit.) p. 58-60).
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304

It is significant that only the intimate, private, bodily exudations -


sweat, sexual fluids and bodily odour - are regarded as mystical" dirt "
distinctive of the individual. These are all, it will be noted, involuntary
exudations through the skin and the reproductive (i.e. "good") orifices.
Other secretions such as saliva, tears, nasal mucus are not" dirt" in this
sense. The excretory products (urine and faeces) are" dirt" in a mundane
and profane sense only, comparable to the commonplace sense of the
English word" dirt". There is mystical" good' dirt'" distinctive of its
individual possessor and mundane" bad' dirt' " to be disposed of outside
the home. The head and facial hair and the nail parings of important chiefs
are also associated with their mystical dirt and must not be thrown away,
as in a commoner's case, in their lifetime. Only chiefs are believed to be
vulnerable to sorcery through these items, commoners are not. Mystical
" dirt" is innocuous where there is mutual trust, especially in the procreative
relations of husband and wife. It is dangerous where there is enmity as
between an adulterer and the woman's husband. Contact with an individual's
mystical" dirt" can be fatal to his enemy, and it is dangerous also if the
individual has an incurable disease. Leprosy, for example, is believed
to be transmitted contagiously by the sweat of the sufferer.
When we turn from the individual to the person, the critical factor is
ancestry operating at the two limits of the life cycle, birth and death.
To become a person, the individual human (nisaal) must, I repeat, be
normally born of a properly married mother in his father's house, as a
legitimate member of his father's patrilineage and clan. He must, then,
remain alive long enough to achieve personhood and this is believed to be
ensured by the benevolence of his ancestral guardian (segher). Given life,
the individual gradually appropriates to himself, and exhibits in his social
relations and activities, the statuses, offices, and positions in society he is
born to achieve. Totemistic and other ritual observances such as the
specifications of familial position by the avoidances between parent and
first born by the Same Sex are the most important media for this.
To achieve full personhood with maximum jural and ritual autonomy,
prototypically as realised by the male head of a family, occupying his own
house, vested with unencumbered ownership of productive resources, with
jural control over female and filial dependants, and with ritual responsibility
on behalf of himself and his dependants in relation to the ancestors and
other supernatural agencies, - to achieve this takes a lifetime. It is indeed
not finally proven to have succeeded until it is confirmed in the funeral
divination at the time of his death.
Tallensi emphasize that every life history is unique in significant ways,
being subject to both unforseeable hazards and unexpected rewards. There-
fore what an individual makes of his life depends in the last resort on his
inborn Destiny, his Yin. (Cf. Fortes, 1959).
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305

Given a propitious Destiny, and good relationships with other ancestral


and supernatural agencies, a man will have children and grandchildren,
wellbeing and prosperity, and reach old age and eldership before death
overtakes him. This marks the acme of personhood. The succession of the
parental and filial generations has a crucial role. The Tallensi perceive
and experience the succession of the generations as loaded with inevitable
ambivalence. As I have already noted, no man can attain jural and ritual
autonomy until his father is dead. This is dramatised, among Namoos at
a father's funeral by the ritual of dressing the eldest son in the tunic of
his father, turned inside out, and with mock force compelling him to look
into his father's granary (cf. Fortes, 1949, chap. 8). The combination of
mutual dependence and rivalry in the relations of parents and children is
rationalized in their theory of how Destiny works. Thus it is said that
the Destinies of a man and of his firstborn son, who is of course his
prospective heir, are antagonistic to one another. As his son advances
to maturity under the protection of his Destiny, so the father becomes
increasingly vulnerable and in need of his Destiny's support. The prescribed
avoidances between them prevent a mortal clash of their Destinies. Strangely
enough, it would be unthinkable, and regarded as equivalent to the sin
of parricide for a father's death to be attributed to the power of ihs son's
Destiny. The dilemma resolved in these notions is an obvious and universal
one. The individual's time span, as it is lived out in his own life, is
an indispensable component of, yet in conflict with, the collective time
span of the lineage and the clan. The individual's life cycle is indispensable
for the task of social reproduction in lineage and clan; but however he
clings to it - chiefly by proper ritual attention to his ancestors - he
must accept the inevitability of declining powers and ultimately of death
to make place for the next generation. Fortunately for the Tallensi, and
con3istently with the relative stability sought for and maintained in their
traditional social system, there is a way out. The parental authority that
must be relinquished and superseded in life is transposed, by the very
fact of the death that overturns it, into the transcendant power and authority
of the ancestor. The deposed parents get their own back, so to speak, as
transposed ancestors (cf. Fortes, 1959).

Against this background it is understandable why, paradoxical as it


may seem, the conclusive test of genuine personhood is the kind of death
a person achieves. Regardless of how one has lived, one must end life
in a proper and legitimate way, appropriate to one's status, and one's

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attainment of genuine personhood must be retrospectively validated by the


attainment of ancestorhood.
What, then, are the marks of a proper and normal human death?
A Tallensi friend once summed it up pithily in the comment: Nit pu kpiit
wari; bagher nkuut, a person does not die for nothing (i.e. casually) an
ancestral agent (must) kill him. My friend was contrasting the death of
a person with that of a mere animal. Likewise, just as a proper birth
should take place in the father's house, under the spiritual aegis of the
father's ancestors, so a normal death should take place in the deceased's
own home under the same spiritual aegis, thus completing the circle. Nowa-
days, when it happens not infrequently that people living and working
far away from home die in strange places, a special atonement sacrifice
has to be made to the ancestors.
Catastrophic deaths are, therefore, regarded as abnormal or as
Tallensi say bad deaths (kum biog). The extreme examples are death by
smallpox or by drowning or by suicide. The victim is not given a normal
burial at home, or a normal funeral. His body is interred outside the
community, as if he were not a person in it. He is thrust out of clan
and community and in theory is debarred from joining the ancestors. Even
if he leaves descendants he cannot, it is said, achieve ancestorhood. His
name is erased from the social memory by his never being given the spiritual
guardianship of any of his descendants. Retrospectively, someone dying
thus must have fallen short somewhere of genuine personhood. It is
significant however that actual cases are extremely difficult to trace and
there are indications of inconsistent attitudes among different people. There
is evidence that the actual descendants of a victim may, privately, and in
indirect ways, acknowledge and set up such a forbear as a worshipped
ancestor.
As has already been indicated, a normal death must be attributable
to an ancestral or other mystical agency - the very agencies that are
supposed to reward loyal ritual service and good conduct with blessings
and watchful care. Two revealing cases observed in the field in 1934-37
bring home the point. The first was that of a childless young man who
had been a strapping and vigorous farmer with what seemed like a bright
future ahead of him. During a stay in Southern Ghana he contracted
sleeping sickness. He returned home sick and slowly wasted away, as
Tallensi put it, until death supervened. At the divination session it emerged
that the supernatural agency responsible for his death was his Bad Pre-
destiny (Noor Yin). This signified that before his birth he had declared
in Heaven that he did not want parents or possessions of any kind if
or when he would be born alive. Early in his illness efforts to exorcise
the Bad Yin had failed and now it had slain him. He had been human,
he had been a named individual with an admirable character. But having
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originally, pre-natally, rejected the essential primary attributes of person-


hood i.e. parentage and its complement, parenthood, as well as the most
significant signs of maturity, i.e. marriage and possessions, it was inevitable
that he should die thus, long before he could have reached full personhood.
From the point of view of his bereaved family, deep as was the shock of
his death, incidentally looking back over the failure of their efforts to find
a cure for his illness, it was a comforting finding.
The second case was that of an old man who died wifeless and
childless. The diviner's diagnosis was an unusual one. Heaven (Nayin)
was revealed to have decided to end his life. In other words, unlike a
normal person, he had simply died of natural causes. I was puzzled by
this, for he had lived what had seemed to me an ordinary sort of life,
until a friend explained it to me privately. He had been a slave (da'aber)
bought in his very early youth, at least fifty years earlier, by the then Chief.
He had lived in the family, ostensibly as a full member of it, but in fact
attached to it only by fictitious kinship. Strictly speaking, therefore, he
had no ancestors in the community and had therefore never succeeded in
acquiring the fundamental credentials of personhood, that is to say, legi-
timate parentage in a lineage. Had he left a son, especially if the mother
was a legitimate member of a Tallensi lineage, this might have been the
starting point for an attached lineage (Fortes 1945, Chapter V). But dying
thus, without ancestry or progeny, he had proved to be, retrospectively, not
a genuine person but a kind of kolkpaarag, who had, as the Tallensi saying
goes, "returned to the hills" (du zoor) at his death. Here we see that a
human individual can have achieved all the external qualifications of
personhood. He might have shown admirable qualities of character such
as wisdom, courage, truthfulness and industry. He might well, therefore,
have had the reputation of being a "fine person" (nit pam). But he
cannot be authentically a person without the basic jural credentials that
are conferred only by fight of birth as a member of a lineage and clan.
There are, to be sure, indirect ways of getting this status through maternal
connections, but they are all linked up with the basic patrilineal principle.
There is no way to circumvent the limiting condition of kinship credentials
for the individual to be a complete person. This is the implication of the
phrase ti nit (our person) meaning a member of our family or lineage or
clan, which one often hears. As I have mentioned, a woman, though exo-
gamously and virilocally married, never loses her membership of her natal
lineage. She has what amounts to a dual social personality as wife on the
one hand and daughter on the other. This is nicely dramatised at the
time of her death. A woman, in effect, receives two funerals, one in her
husband's community where she is buried- and, later on, a short symbolic
one at her father's house. This is why a woman passes on to her descendants
the matrilateral connections with her natal lineage that are the basis of
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the moral claims and sentiments of amity that bind mother's brother and
sister' s son in a classical patrilineal avunculate.

XI

Virtuous and admirable traits of character certainly enhance one's


standing as a person; they are not, however, as I have noted, critical or
ever necessary for the attainment of personhood. Similarly, a bad character
or vicious habits cannot deprive a person of his lineage status and of the
consequential jural and ritual attributes that make him a person. A man
may be, as Tallensi put it, bon wari (a good for nothing), a thief or an
adulterer, incurring censure or even contempt; he cannot upon this account
be deprived of his jural status or the citizenship in the community that goes
with it.
Here again the final test is whether or not he is transposed after death
into an ancestor. To put this the other way round, only a full person is
qualified to become an ancestor. And this, too, is regardless of his individual
character and disposition. Provided only that he leaves sons, he can join
the ancestors (paa banam) after death. In other words, as long as there
is a successor to perpetuate his status by descent and kinship, he can become
an ancestor amongst all the other ancestors. Ancestors and descendants
are, as it were, united in complementary continuity, laced with opposition,
as if they were mirror images of one another. The structural embodiment
of this continuity is the patrilineallineage. The lineage is conceptualised and
represented in its genealogy and in the ancestor cult as the perpetuation
of a single founding ancestor, that is to say, of a single person, and this
is what makes it logical to accept the lineage as a unitary collective person
in jural, political and ritual action. This jmage is sustained by, and in turn
sustains the role of the ancestors as essentially the projections of the jural
and moral authority vested in parents in relation to their children (cf. Fortes
1961). Though the lineage emerges as a collective person primarily in its
external relations to other like persons, it is important to bear in mind
that its members must and do also visualise it as such from within. They
are made aware of this in the ritual practices of the ancestor cult and
through the medium of the totemistic and similar observances that distin-
guish lineage from lineage.
It is of interest, in this connection, to recall that a child cannot be
a full person. This is sometimes emphasized by pointing out that a child
cannot be required or expected to conform to totemistic observances until
it becomes capable of the responsibility to herd goats and sheep and
to help in other simple economic tasks. According to my observations this
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would be around the age of seven to eight years. Here the criterion of
maturity counts. A pre-adolescent boy, even if he is fatherless, would still
be thought of as only incipiently a person. The criterion of responsibility
comes out in another context. A madman is not regarded as a person,
in the full sense. Like a child, he is said to "have no sense" (u ka yam)
which means, in this context, no sense of right and wrong, no capacity
for responsibility. The notion of yam deserves further comment. According
to context it can be glossed as wisdom or good judgment, but it also
implies a sense of responsibility and of reality, and an understanding of
customary norms. In part, it is supposed to grow with experience of life,
but it is also, in part, thought of as an inborn trait. A mature person
should have yam and the wiser, more responsible he is, the higher the
esteem in which he will be held; but though yam enhances, deficiency
in this respect does not extinguish personhood, as its ostensible absence in
a madman does.
I might add that yam is located inside the body, pooni, in the region
of the abdomen. This is where thought and imagination (poteem) as well
as moral dispositions like goodness and kindness (popelem) or its contrary,
wickedness, (potoog) are deemed to reside. The physiological basis of these
ideas is indicated by the general term, poo, for all abdominal illnesses.
Furthermore, yam can suffer not only deterioration, as in madness, but
acute disturbance, as in terror or despair when it is said u yam akme, his
yam leapt up distraught. (Whether or not this is associated with the bile,
as M. Cartry states, is difficult to be certain about. I was unable to find
out for certain whether or not the Tallensi word yam for the bile is the
same morpheme as their word for wisdom, or rather a homonym.) However,
while I am on this theme I might as well note that in contrast with poo,
the abdominal region, the head, zug, is regarded as the seat of luck (zugsong,
good luck or zugbiog, bad luck); illness, if accompanied by headache is
" head illness". To the best of my knowledge no functions are attributed
to the brain, zopoot. The heart, suh or sensuh, is believed to be the seat
of fortitude (suhkpemer) and courage and their opposites, fear and co-
wardice as well as of a wide range of emotional states and dispositions,
such as mercy (sugeru), repose (sumahem) chagrin (suhkpeleg), anger (suur).
In all these respects individuals are expected to be as .different as they
are in appearance, in their habits and in their likes and dislikes.
I have noted that a madman stops being a person. This needs qualifica-
tion. Life and the soul are at some risk where there is severe emotional
disturbance or disruption of personality. But the connection is indirect.
Madness does not rob a person of them. What is more important, it does
not extinguish credentials of status by kinship and lineage or generation.
But above all, a man might well have achieved a high level of personhood
before his unpropitious Destiny or offended ancestors permitted madness
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to overtake him. He (or she) might have had, and might still have, a
spouse and children, not to speak of possessions and property appropriate
to his or her age. He might thus, at his death, qualify for ancesterhood
and so be recognized as having been at one time a full person. In brief,
a madman is not a non-person, like an animal or thing, he is human and,
as it were, a fragmented and marginal person. That is why he cannot be
thrown out but must be cared for by his kinsfolk at home like any ordinary
member of a family (cf. Fortes and Mayer, 1966). Similar considerations
apply to the very old. A person who becomes senile is treated like a child
who is not capable of responsibility, but with the respect and motions of
compliance that recognize his seniority and the authority this entitles him to.
The rule for the elderly is that once a person has attained a given
degree of personhood he cannot be deprived of it during his lifetime. It
is not without significance that, whereas mental infirmity diminishes person-
hood, physical disease does not. For example, his body (nengbin) which is
the indispensable vessel of his personhood, may deteriorate (sagham) and
wither away to death owing to a disease like leprosy (kunkomer), which
is known to be incurable. But he cannot be disowned by his family or
deprived of any of his rights and capacities as a person. Modern drugs
have enabled leprosy to be successfully controlled in Northern Ghana.
Before the war this treatment was not available, but lepers lived at home
with their families even though, as I have noted, there was some under-
standing that it was a contagious disease. Not being catastrophic, like
smallpox, death by leprosy was not classified as a bad death. Nevertheless,
a leper was buried separately as if to obviate magical contagion. By contrast,
a person can endanger his personhood by acts of sacrilege (such as shedding
human blood by homicide on the earth) or by mortal sins (such a fratricide)
or even lesser wrongdoing such as adultery with a father's wife. Such trans-
gressions destroy kinship amity and the community of worship in the
ancestor cult that goes with it. Unless properly atoned for, the outcome
is believed to be a childless and forlorn death which means, of course,
eventual extinction. Bad deaths carry a worse taint implying as they do
transgression on the part of tbe victim, or of someone responsible for
him, that cannot be atoned for. Behind such a death may well be the
person's evil Destiny which has prevented his fulfilling his potentialities
as a person, or else an irreparable breach of relationship with the ancestral
guardian of his life. The supposedly inborn predisposition figured in the
notion of Destiny can be the enemy of the long processes of development
that lead to personhood.
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311

XII

So far, I have been concerned principally with the objective features


and characteristics of the person, individual or collective, as these are
presented to an observer. In the language of Mauss and Proust my concern
has been with aspects and dimensions of the personne morale. This is
evident if we remind ourselves that no man can choose his parents or
which lineage he is born into or even, acording to Tallensi thought, the
kind of Destiny that will direct the course of his life. Conversely, he cannot
renounce his lineage membership yet remain in the community as a full
citizen. Converts to Christianity nowadays stop taking an active part in
ancestor worship; they cannot marry in breach of the laws of lineage
exogamy. There are other such similarly imposed limiting factors though
Tallensi culture has always been tolerant of deviations from conventional
norms and practices that do not threaten other people's conformity and
well-being. A man can enrich himself by enterprise and hard work, winning
wealth and esteem, but this does not make him a person in the full sense
of the concept, if for example he has no children. A man is a person
inter alia more by reason of the place he is fortunate enough to hold in
the succession and alternation of the generations that make up the continuity
of lineage and clan, than by reason of his own efforts.
This brings up the question I raised at the outset, as to how the
individual knows himself to be the person he is made to be by what
amounts, in the last resort, to the combination of the unconscious forces
of Destiny and the fiat of society. And likewise, how does he show to
others that he is the person he is supposed to be, that he has not simply
put on the mask but has taken upon himself the identity it proclaims.
For it is surely only by appropriating to himself his socially given person-
hood that he can exercise the qualities, the rights, the duties and the capa-
cities that are distinctive of it.
These questions are difficult to deal with and in many respects lie
outside the range of an ethnographic account. They take us back to the
facts of names and titles and other insignia of who and what one is,
what is one's due from society and what is due from one to society.
Tallensi have no discriminative facial cicatrizations other than the slash
on the cheek (ben) they share with the tribes adjacent to them. Nor do
they have other bodily marks distinguishing clan from clan or person from
person. It is primarily through moral, jural and ritual rules and observances
and by means of special apparel and other distinctive possessions, corres-
ponding to sex, age, rank, office, etc., that they declare themselves as
persons.
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I have given some account of Tallensi naming customs elsewhere


(Fortes 1955) and will only say here that it is common for a person
to have two names. The first is a public name that usually records some
state of mind, or some happening, at the time of the person's birth, that
seemed significant then to the head of his or her family or marked an
important stage of his life cycle. The first child born to a Chief of Tonga
after his accession is always named Soghat, which signifies" hidden away",
an allusion to the fact that the Chief was formerly hidden in the obscurity
of ordinary life but has now come into the open in triumph. My friend
Onmara was so named because at the time of his birth his father was
a poor young man and declared that whether a man has any property
(on mar sie!) at all or none (on ka sie!) does not matter. As long as he
is a man of good character people will hold him in esteem. A man who
becomes a Chief or a Tendaana assumes a new name by which he will
thereafter be known. The late Chief of Tongo assumed the name Na
Leeb Sale ma, 'will become gold' signifying that as a commoner he had
been no better than a stone but had now become like gold.
The second name is a private one often known only to members of
the family. It is a name referring to the bearer's segher, his ancestor
guardian, and it registers his unique and specific dependence on that
ancestor for the preservation of his life. It is by this name that a person
is exhorted to depart and join his ancestors when the severance offerings
are made to him at the end of his funeral, and it is by this name,
not her married name, that a dead woman is given a second funeral at
her father's house. His public name declares the significance of a person's
birth as an event in the life history and career of his parental family, the
private name marks him as an individual distinguished from other individuals
in his lineage and family by the specific surveillance of the ancestors to
whose guardianship he is committed. It is as the bearer of this private
name that his Destiny shapes the course of his life and it is in this capacity
that he appropriates to himself the roles and the incidents of status that
make him a person, though he exhibits his personhood to the outside
world as bearer of his public name. The unique individuality implied in
this name is often symbolised in the taboos related to dress or occupation
or food laid on him by his Destiny or other ancestral agencies to which
I refer later.
I have earlier remarked on the differences of clothing that customarily
distinguish males from females, and maidens from matrons. However, the
significance of names, apparel and other external signs of personhood is
most clearly shown in connection with the politico-ritual offices of Chief-
ship (Naam) and of the Custodian of the Earth (Tendaana). The rites of
installation to these offices show up sharply how society confers and con-
firms distinctive forms of personhood. On the other side, taking on and
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exercising the roles of office and the prescribed patterns of behaviour and
observance that go with them show up how individuals appropriate to them-
selves the attributes and capacities of personhood.
When holders of such high offices are selected and installed they
become new persons, transformed as it were from ordinary citizens into
their new status (cf. Fortes 1962). A conspicuous element in these installa-
tion ceremonies is the public robing of the new Chief in his tunic of
Chiefship and the girding of the new Tendaana with the antelope skins
that Tendaanas must wear. It is then that they announce the new names
they will take and will subsequently be kno~Nn by in their lifetime and
to their descendants. From now on they must carry themselves with
gravity even in the privacy of their home and never appear in public
without the garb and other insigna of their office. Most important of
all are the new ritual observances in the form of taboos and injunctions
that devolve on them by reason of their office. There are new food taboos
symbolising their separation from the mundane life of ordinary people,
taboos restricting their movements to keep them from contamination by
death and misfortune, new injunctions concerning their duties to offer
sacrifice and libation to ancestors and the Earth in order to ensure the
well-being of the community, and the prescriptions of moral conduct and
social behaviour calculated to emphasize the authority and the ritual
responsibilities now vested in them. They are thus constantly reminded
of their duties and their responsibilities and thus also are they constantly
declaring to society who they are and receiving in return recognition of
their office and its significance from society.
Applying this analysis to ordinary people, I believe it is through such
institutions as their totemistic observances, as I have previously pointed out,
that they are constantly reminded and made aware of who and what they
are as persons, of the sources of these attributes in their descent group
membership and other kinship connections, of their dependence on their
ancestors, of the rights and duties, both secular and ritual that bind
them. The representation and the implementation of personhood in all
its aspects, in these ways, are carried through with great consistency in
Tallensi culture. Every conceptually and institutionally distinguished consti-
tuent of the complex whole that is a person is identified to the individual
by this means. As I mentioned earlier, a man's Destiny ancestor might
impose special obligations on him, for example, to wear only white garments
or to give up farming on pain of sickness or even death if he refuses to
comply. Particular ritual observances are associated with parenthood and
filiation, as we have aJready seen. Connections with matrilateral kin are
similarly marked for each individual. The totemistic observances I have
previously referred to play an important part in this connection. Con-
formity to the taboos on killing and eating animals of the species respected
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for having miraculously protected the founding ancestor of a clan or lineage


(cf. Fortes 1945, chap. 8) is collectively enjoined but must be individually
observed. This holds also for such associated injunctions as the lineage
oaths and forms of funeral ritual. As with the obligations imposed by
their office on a Chief or a Tendaana, so with these rules. Adherence to
them is as much a matter of the individual conscience as of social pressure.
This, at bottom, is the basis of each individual's knowledge of who he
is and where he belongs as a person identified by kinship, descent and
status. It is the principal medium for appropriating to himself - for inter-
nalising we might say - the capacity for exercising the rights and duties,
the roles and all the proper patterns of behaviour, that pertain to his status
as a person. It is the medium, also, by which he at the same time exhibits
himself as a person to others. (cf. Fortes 1966). When young children and
madmen are said to be devoid of sense, this refers primarily to their not
being expected to have the understanding to conform to these prescriptions.
It is a concession to their marginal personhood. Thus it devolves upon
parents and older siblings, true and classificatory, to guard them against
inadvertent wrongdoing in these matters.

XIII

Let me try to recapitulate briefly my discussion of this topic. We can


put it this way: observance of prohibitions and injunctions relating to
the killing and eating of animals, to distinctions of dress, to speech and
etiquette, to a wide range of ritual norms, to the jural regulations concerning
marriage, property, office, inheritance and succession, playa key part in
the identification of persons. Persons are kept aware of who they are and
where they fit into society by criteria of age, sex, and descent, and by
other indices of status, through acting in accordance with these norms.
By these actions and forms of conduct they, at the same time, show to
others who they are and where they fit into society. Self-awareness, or
more exactly self discrimination in contraposition to others, must make use
of the externally distinctive patterns of conduct and observance that serve
for the public identification of persons and groups. Pride of lineage, rein-
forced by the parity of status among all Tallensi clans acknowledged by
such institutional arrangements as the balanced distribution of offices and
ritual duties in the Great Festivals (cf. Fortes 1945) conduces to this
even nowadays.
Individual and collective are not mutually exclusive but are rather
two sides of the same structural complex. The scheme of identification
employed for individual persons is the same scheme of identification as
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serves to distinguish lineages and clans. The mechanics of this pattern is


obvious if we bear in mind that the individual person is constantly obliged
to be aware of himself and to present himself as a member and representative
of such a collective unit. The first question a stranger is asked is "where
do you come from and of whose house are you a member?". In
ceremonial situations, such as funerals, sacrifices, and the rituals of the
Great Festivals, those attending perform their duties and receive their
portions of the libations and the sacrificial animals primarily in their re-
presentative capacity as members of lineages and clans and politico-ritual
groups. Indeed, no matter what kind of transactions an individual or a group
is engaged in, be it, for instance, over marriage and bride price, or at the
other extreme, over the installation of a matrilateral ancestor shrine, the
context of the collective interest is always present. This is patent, of course,
whenever the ancestors have to be invoked either in secular terms of genea-
logical refence or in ritual terms. But the idea that a lineage is a collective
person because it is the perpetuation of its founding ancestor in each of
his descendants, is seen in other ways too. It is vividly shown in ceremonial
and political situations when the head of a lineage or clan is apt to speak
and act as if he were the founding ancestor himself, reincarnated or rather
immortally present. It is a characteristic expression of the principle
that these descent-based collectivities are perpetual corporate bodies, re-
plicating on the collective level the model of the person on the individual
level.
To conclude this account I must mention one component, alluded to
earlie en passant that particularly emphasises the consistency with which
every critical feature of the social structure is reflected in the definition
of the person. Side by side with the patrilineal principle, the Tallensi attach
special value. to the parallel uterine relationship of soog, that links descen-
dants in the female line from a common ancestress usually four or five
generations back (cf. Fortes, 1949, p. 31 fi.). Soog kin do not, like patri-
lineal kin, live together in one clan locality. They tend to be widely scattered.
Soog kinship does not confer politico-jural or ritual status, nor does it
establish membership in corporate descent groups with rights to office and
property, in the same way as patrilineal kinship does. Soog kinship is based
on the extension, outside the framework of the lineage and clan and in
complementary opposition to it, of the elementary tie of matrifiliation.
It creates purely interpersonal bonds of self-contained, mutual trust and
amity, free of jural or ritual constraints. Soog ancestresses cannot, by virtue
of uterine kinship only, become worshipped ancestresses.
This irreducibly moral relationship is symbolically represented in the
belief in the hereditary transmission of the trait of the clairvoyant eye
(ni!). Tallensi say of a soog kinsman or kinswoman, 'if he sees, so do I,
because we have one mother'. This seeing is a presumed mystical faculty,
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which is of itself morally neutral. The Tallensi do not have a belief in


the' evil eye' - the comparable belief among them is in the' evil mouth'.
The mystically clairvoyant eye carries with it, however, a different poten-
tiality for ill-doing. This is the potentiality for witchcraft, (soi), which
therefore is also an inborn trait passing from mother to child by heredity.
But witchcraft is almost as marginal to the Tallensi scheme of mystical
thought as the belief in ghosts. There is no theory of how it works, and
cases have always been extremely rare. The stereotypical case is that of
a woman distraught at the death of a young child accusing a cowife of
causing this by her witchcraft, in a manner reminiscent of such accusations
in some other African patrilineal family systems. Ordeal by stabbing with
a poisoned arrow might formerly have been resorted to. The issue is thought
of as one of extreme personal rancour and jealousy such as may be expected
of rival cowives in a crisis.
What is most significant is that withcraft cannot ever be legitimately
identified as the cause of death by the due process of divination. This puts
it on a par with aggressive medicine, not with the authoritative intervention
of ancestors. It is simply the obverse of the prescriptive altruism and love
soog kin must have for one another, directed away from the so~g-by-birth
(who cannot injure one another by witchcraft) to the pseudo-soog of
co-wives. It is said that the clairvoyant eye can detect wtihcraft in non-soog,
but as the possession of these traits is unknowable to its bearers or others
until they become manifest, it is all entirely hypothetical. It is a purely
symbolical way of identifying the unique bonds of matri-siblingship regarded
as carried on, ideally, forever by uterine descent. It sands for bonds of pure
disinterested altruism as opposed to the jurally and ritually sanctioned bonds
of patriliny. It stands for the idea taken for granted as absolutely given
and beyond any questioning, that motherhood is the source of elementary
relationships of unconstrained mutuality between persons. These are
assumed to exist and to be binding absolutely, in their own right, by virtue
of inborn dispositions that are ultimately inexplicable and would only be
flouted by perverted people. Tallensi enjoy and are adepts in
discussing their social customs, their religious beliefs and practices and the
structure of their society at all levels. But they fight shy of metaphysical
exegeses. I have never succeeded in eliciting from a Tallensi friend any
exegesis on the subjet of soog relationships. But there is a special glow
on the face and in the eyes of a person introducing a soog kinsman,
a special tone of pride and pleasure in describing the significance of this
relationship that only its prototype, the relations of mother and child, and
no other relationship, evokes. For this is the only relationship between
persons that is free of all external social constraints, including those that
identify persons as persons by their descent and standing. It connects
individual with individual by a mystical bond which they have to accept
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as given and which transcends and opposes the diversification of person


Jrom person by other social and cultural criteria.
I have confined myself to an ethnographical analysis in the foregoing
account of the Tallensi notion of the person. I should like to finish off by
adding a few general remarks. First, let me emphasise the basic realism
of Tallensi culture. By this I mean that for them the external world has a
permanence and reality that is not subject to control by the will or the
wishes of mankind. This applies not only to the order of nature but in an
important sense also to the social order. The centre of gravity of all the
constraints, mystical and material, that shape a person's life are felt to lie
outside him - in the mystical powers of Earth and ancestors and Fate,
in the determinance of descent and kinship and so forth. Personhood comes
thus to be in its essence externally oriented. Self awareness means, in the
first place, awareness of oneself as a personne morale rather than as an
idiosyncratic individual. The moral conscience is externally validated, being
vested, ultimately, in the ancestors, on the other side of the ritual curtain.
The soul, image as it is of the focal element of individuality, is projected
on to material objects that will outlast the living person. Person is perceived
as a microcosm of the social order, incorporating its distinctive principles
of structure and norms of value and implementing a pattern of life that
finds satisfaction in its consonance with the constraints and realities (as
defined by Tallensi culture) of the social and material world. This is very
different, it seems to me, from some other West African societies where the
pesron is conceptualised as incarnating a mythological genesis of culture and.
humanity and where he is supposed to implement a pattern of life
modelled on that mythological design.

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among the Bemba of N. Rhodesia. London, Faber and Faber.

Acknowledgements

I am indebted to the Nuffield Foundation for a grant which provided


research and secretarial assistance towards the completion of this study.
I wish also to record my debt to Germaine Dieterlen for the stimulus that
led to this study.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTIONDE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

LE NOM ET LA PERSONNE
CHEZ LES SAB~ (DAHOMEY)

Montserrat PALAU MARTI

La notion de nom est relativement riche et complexe chez les ~abç


du Moyen-Dahomey (11. Il existe, dans cette ethnie, une grande variété
d'appellations possibles, cependant, un nom n'est jamais attribué ni choisi
au hasard; en effet, le nom reflète, explique, dévoile le caractère et la
personnalité de son porteur.
Les noms ~abç peuvent se classer dans deux grandes catégories, celle
des eékfJ et celle des eékl (21; pour les besoins du discours, nous écrirons,
en français, nom ou appellation, sans toutefois prétendre traduire ou donner
une équivalence des termes $ab~ indiqués, correspondant à des notions
sui generis.
Quand on arrive chez les $abç, on est tout de suite frappé par la
fréquence de certains noms, tels que Wbu, Sàbi et Biyàu. A partir de là,
on peut expliquer comment tant de personnes ont été inscrites sur le

(1) Les ~ab~ sont une ethnie qui habite la région du Dahomey central, de part
et d'autre du 8(' parallèle; vers l'ouest ils s'étendent jusqu'au fleuve Qfç (appelé Wemé
par les Fon et qui est noté Ouémé sur les cartes géographiques); à l'est, l'ancien
royaume de ~abç possédait de nombreux villages au-delà de l'Op ara (cours d'eau qui
constitue actuellement la frontière entre le Dahomey et la Nigéria). lIé ~abç (Savé
sur les cartes géographiques) est la capitale du pays.
(2) Les ~abç se rattachent, par la langue. au grand groupe yoruba. bien que le
parler ~ab~ garde des caractères spécifiques et particuliers. Par exemple, les termes
eék9 et eéki sont notés oruk9 et orikL respectivement, dans le dictionnaire d'Abraham.
Pour l'écriture. nous nous sommes conformés aux règles préconisées par cet auteur.
Les principales correspondances de cette notation avec les français sont les suivantes:
g toujours dur (gâcher), j ~ dj (djinn). p kp, u
== == coup). s == ch (châle); e et 0
représentent les voyelles fermées correspondantes, ~ et <) les voyelles ouvertes corres-
pondantes. Les tons sont indiqués par l'accent aigu (ton haut) et l'accent grave (ton
bas). les voyelJes non accentuées se prononçant sur un ton moyen.

21
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registre d'état-civil sous des noms de famille tels que Ouo, Chabi, Biaou (3).
En effet, les administrations coloniales et les églises chrétiennes, parmi
d'autres innovations, introduisirent le registre d'état civil en Afrique selon
les modèles européens, en attribuant aux individus un prénom personnel, plus
le nom du père, pris comme nom de famille. Or, le nombre de personnes
dont le père peut s'appeler Wbû, Sàbi ou Biyàu est assez considérable puis-
que ce sont là les appellations qui correspondent, automatiquement, aux
trois premiers garçons d'une même mère.
Ces eék9, qui sont des appellations qui indiquent le rang de naissance
des enfants par relation à la mère (qu'ils soient issus d'un ou de différents
géniteurs masculins) comptent deux séries de cinq noms, une pour chaque
sexe, et qui sont obligatoirement attribués dans l'ordre prévu; si l'un des
enfants vient à mourir, la mère ne pourra pas attribuer le nom resté ainsi
disponible à un autre enfant né par la suite; de toutes façons, lorsque la
série des cinq noms est épuisée, on la recommence si un sixième enfant
du sexe correspondant vient à naître de la même femme, et les noms ainsi
nouvellement attribués sont accompagnés du mot kejl qui signifie deuxième.
Voici la double série des noms de rang de naissance:
garçons filles
1er enfant NiYQQn
Wbu
2e » Sàbi B6né
3e » Biyàu Sàku
4e » O.,
B9ni (ou Dim<.)n) . JQ
Se » Agé Belu
6e » Wou keji Niyo6n kejl
7e » Sàbi keji BçSné kejl
etc., etc.

Par relation à son père, la position de l'enfant n'est jamais précisée,


dans la terminologie prévue, d'une façon comparable ou parallèle. Des
noms comme Yayi, Dâudù, S~néyin, etc., sont donnés, certes, par rapport
au père, mais la relation s'inscrit surtout alors dans le cadre plus général
de l'èyilé (le lignage patrilinéaire exogame).
De nombreux èyilé :)ab~ ont des eék9 spéciaux pour leurs enfants,
de l'un ou l'autre sexe, qui leur son propres; a droit à ces noms le premier
né (ou garçon et fille aînés) d'un èyilé. On peut ainsi remarquer que, par
exemple, un garçon qu'on appelle Yayf est également Wbu (par sa mère);
en pratique, lorsqu'un autre nom est choisi, l'appellation correspondant à
l'ordre de naissance est abandonnée, même si, en théorie, ce nom qui

(3) Ces noms sont écrits suivant l'orthographe française, lorsqu'ils sont employés
en guise de nom de type européen, comme nous venons de le faire ici. Autrement,
nous utilisons l'orthographe phonétique yoruba classique (cf. note 2).
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précise la relation d'un individu avec sa mère et ses frères utérins, peut tou-
jours lui être appliqué. L'eékr qui lui correspond au titre d'aîné ou premier
enfant de son père peut également être délaissé pour adopter un autre
nom de la catégorie eékp choisi spécialement pour l'enfant.
Il y a des « noms qui ont été apportés du ciel» par leurs possesseurs
eux-mêmes en venant au monde; il s'agit des « eékp àmun t'Qun wa» dont
l'attribution est automatique et correspond à certaines circonstances parti-
culières en relation avec la naissance. Font partie de cette classe les noms
de jumeaux, toujours prévus par paires, aves indication précise du desti-
nataire, aîné ou cadet des jumeaux (4). Il existe ensuite toute une série de
noms se référant à des observations plus proprement obstétricales; ainsi,
par.. exemple, on nommera Igè l'enfant qui est né les pieds en avant,
ou Ajàyf celui qui s'est présenté par le siège, etc.
Un nouveau-né peut être considéré comme la réincarnation d'un
grand-père ou d'une grand'mère, suivant son sexe; pour confirmer ce fait
aux yeux de tous, on appellera le garçon Babatundé «< le grand-père est
revenu») ou la fille Ina bÇ>dé «<la grand'mère qui revient») (G).
Un enfant peut recevoir un nom par référence à un événement conco-
mitant ou rapproché de sa venue au monde, par règle générale, intéressant
la famille; on pourra aussi le nommer de façon à perpétuer le souvenir d'un
petit frère ou une petite sœur morts; ainsi, Rèmilékun est une fillette « venue
pour chasser les larmes» et consoler sa mère de la perte de l'autre enfant.
Il existe des eék9 dans, lesquels on trouve le nom d'une divinité:
un chasseur et adorateur de Ogun (qui est le dieu de la chasse et de la
forge) pourra choisir pour son garçon le nom d'àgun~ola, ce qui veut dire
« àgun fait la gloire», et plus explicitement, Ogun fait ia gloire et l'honneur
de notre famille, il nous apporte la gloire, etc.
Les eékl représentent une catégorie de noms ou appellations plus spé-
cifiques, individualisées et intimes que les eékp; ils évoquent des traits de
caractère, des circonstances liées de façon particulière à l'individu qui les
porte. Ces noms sont choisis avec beaucoup de soin par les parents ou
aînés de la famille; on s'inspire souvent des révélations du babalawo
qui consulte l'oracle d'Ifâ sur l'avenir .de l'enfant le jour de la cérémonie
«()).
de dation de }'eék(J Si Ifa indique qu'une heureuse existence sera celle

(4) On ne fait pas de distinction entre les jumeaux vrais. venus dans le même
placenta et obligatoirement de même sexe, et les faux jumeaux qui peuvent être de
sexe différent. Est considéré l'aîné des jumeaux celui qui est né le dernier.
(5) Baba signifie père, à strictement parler. Mais on peut appeler de la même
façon le grand-père, ou n'importe quel autre homme âgé, parent ou non. Les termes
propres pour grand-père et grand-mère sont, respectivement, baballldkâ et llldlakÛ.
(6) Cette cérémonie a lieu le 9" ou le 7C jour après la naissance d'un garçon ou
d'une fille. respectivement. et au 8l' jour, s'il s'agit de jumeaux.
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du nouveau-né, on pourra lui donner un eéki aussi beau qu'AbiQlâ, «celui


qui est né pour (ou avec) la gloire et les honneurs» et à qui la vie sourira
toujours.
Le caractère fondamental de l'eékl est sa relation directe avec son
possesseur et qui est surtout évidente - par.ce que connue - pour les
intimes et les proches de l'individu intéressé. Ce n'est pas un nom secret,
à proprement parler; cependant, l'eékl n'est pas divulgué inconsidérément,
car il fait partie de la personne. On est toujours content d'entendre dire son
eékl, et il y a, certes, une intention de faire plaisir de la part de l'autre
qui le dit. Effectivement, le verbe ki signifie flatter, louer quelqu'un. Cette
connotation qui correspond aux eéki individuels caractérise également les
eékl èyilé qui sont les noms et devises des lignages ~ab~.
Les eékl èyilé comportent une phrase ou bien plusieurs, certains sont
relativement longs. Ils représentent la devise distinctive du lignage et con-
tiennent un condensé de son histoire et de ses origines. Mais, comme il s'agit
d'un langage stéréotypé et archaïsant, il est souvent très difficile de pouvoir
interpréter ces devises.
A travers son eékl èyilé l'individu se sent solidaire de tous les membres
de son lignage, morts ou vivants, voire ceux à venir. Ce sont des noms et
des salutations qui constituent le patrimoine commun de tous les gens de
son lignage et qui les lient les uns aux autres en faisant sentir la qualité de
personne sociale. Lorsque le père ou la mère adresse à son enfant la salu-
tation-devise du lignage, ce dernier est content et flatté, il se sent solidaire
de toute sa parenté, avec des droits et des obligations en commun (7).
L'eéki èyilé fait partie du patrimoine lignager, c'est la propriété privée de
tous et de chacun des membres de l'èyilé; on tient comme une indiscrétion,
pour le moins, de conlffiuniquer à un tiers l'eékl d\ln autre lignage (à suppo-
ser que ce théorique étranger le connaîtrait).
Le nom qui contient et révèle une partie de la personne peut être
parfois donné dans l'intention expresse de cacher cette personne, de la dissi-
muler. Tel est le cas pour les enfants dits àbiku, ces «êtres nés pour
mourir» . Lorsqu'une femme a perdu plusieurs enfants en bas âge, on
pense qu'elle met au monde des àbikû, ou, plus exactement, un àbtku;
il s'agit, dit-on, toujours du même enfant qui se réincarne dans le sein de
sa mère pour mourir tout jeune encore, une et autre fois, sollicité par les
autres àhiku morts.
On s'efforce, par divers moyens, d'éloigner les esprits àbikti qui rôdent
constamment autour de leurs compagnons réincarnés dans le village. L'un

(7) La mère peut saluer ses enfants en leur adressant son propre eékl; il s'agit
done de l'eékl du grand-père maternel des enfants mais qui ne leur eorre~pond pas,
selon les règles strictes de parenté (en effet, les lignages ~abç sont patrilinéaires).
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de ces moyens consiste à donner un nom dépréciatif à l'enfant qu'on vou-


drait empêcher de mourir à nouveau; on pense que les esprits àbiku ne
voudront pas attirer avec eux «une ordure» (èkùdz), «un morceau de
calebasse cassée», ou autre chose du même genre et sans valeur ni intérêt
aucuns; les esprits seront déroutés devant une montagne (àkuta) ou face à
un imposant dôme rocheux (pta) (~). On peut aussi s'efforcer d'agir sur le
caractère de l'intéressé lui-même et fortifier sa volonté; on appellera l'àbiku
de noms l'enjoignant de «ne plus partir» (maàI9mp), de «rester assis et
tranquille» (bdnjokô), ou lui lancer un avertissement tel que «la terre est
bouchée» (ilçdi), ce qui équivaut à dire qu'il ne doit pas mourir puisqu'on
ne serait plus en mesure de creuser un tombeau pour pouvoir décemment
J'enterrer.
Outre l'eékp, dit dans l'intention de dissimuler l'individu d'une façon
ou d'une autre, l'àbikl1 reçoit aussi un eékz, comme tout autre enfant
normal. Mais nous savons que l'eékz, qui n'est jamais destiné à être dévoilé
à tout le monde, sera prononcé avec plus de prudence encore dans ces cas
et que les esprits àbiku auront peu de chances d'entendre ainsi le vrai nom
de leur petit compagnon retourné dans la vie.
La force évocatrice de la parole est telle que l'on pourrait causer la
mort d'une personne en lui adressant un nom qui ne doit plus jamais lui
être dit. C'est le cas, notamment, des ol6$à, les initiés au culte d'une divi-
nité. L'initiation à un culte implique la mort rituelle de l'impétrant qui peut,
de la sorte, naître à une vie nouvelle, celle de son dieu; cela entraîne un
changement complet de la personnalité qui inclut l'abandon de l'ancien
nom - qui ne devra plus jamais être prononcé - pour en recevoir un
autre. Si, par ignorance ou intention malveiIJante, quelqu'un adressait son
ancien nom à l'o16$à, il commettrait une faute très grave et pourrait faire
mourir l'initié par cette seule évocation de sa personnalité d'avant, et qui
était morte et oubliée.
La vertu et la force du nom, de l'eékl plus en particulier, intéresse les
humains, mais aussi bien tout ce qui est de leur entourage: animaux,
plantes, objets divers. Lorsqu'un spécialiste (devin ou médecin) prépare un
remède, il utiise toujours des plantes. Parmi les rites et précautions néces-
saires, il faut compter la prononciation de l'eékl des espèces employées;
c'est grâce à la récitation du nom (eékl) adéquat que la plante deviendra
active et réellement efficace. Les chasseurs connaissent les eékl des ani-
maux sauvages, et ils les récitent, ce qui doit leur donner plus de chances
à la chasse.
Pour ce qui est de l'eékl des personnes. on ne peut pas dire qu'il
s'agisse de noms secrets, à proprement parler; il est cependant vrai que ce

(8) Qta désigne une fornle arrondie, et les dômes de granit qui se dressent à
différents endroits du pays ~abç sont ainsi appelés.
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nom ne doit pas être divulgué à tout propos, et il ne doit pas être employé
par ceux qui ne sont pas dans l'intimité de l'intéressé. Même s'il connaissait
l'eékl d'un autre, il serait malséant qu'un étranger ou un inconnu l'adresse
à celui qu'il n'a pas l'habitude de fréquenter. Dans l'eékl, on trouve ce côté
d'intimité et aussi un contenu de louange et de flatterie, voire de cajolerie,
très bien senti par tout le monde. Cela permet de marquer, de façon discrète,
son mécontentement envers un ami ou un familier en lui adressant son
eékp, au lieu de lui dire l'eékl, comme d'habitude.
Le nom (eékfJ et eékl) fait partie de l'individu. Celui qui connaît bien
les noms d'un autre peut exercer sur lui un pouvoir ou une influence, en
bien ou en mal (Ie sorcier demande toujours qu'on lui livre les noms de
celui sur qui il se propose d'exercer son art).
Les Sabç, qui disposent de divers types de noms, ne les attribuent
jamais aux enfants au hasard, il existe des règles et des signes bien précis
auxquels il est indispensable de se conformer. Les noms révèlent et affirment
la condition, situation, etc. de l'individu par rapport à lui-même et en rela-
tion avec les autres et sa société. La notion de nom chez les Sab~ semble
coïncider assez bien avec la notion de personne proprement dite.
Paris, juillet 1971 .

Bibliographie

ABRAHAMR.C. - Dictionary of modern yoruba. London, Dniv. of London


press, [1958], XLI, 776 p. illus.
BABALOLAS.A. - The Content and form of Yoruba ijala. Oxford, Cla-
rendon press, 1966. XIV, 395 p. (Oxford library of African literature).
LIFCHITZ Deborah et PAULMEDenise. - Les noms individuels chez les
Dogons (Soudan français), p. 309-357 (in: Mélanges ethnologiques.
Mémoires de l'Institut français d'Afrique Noire, 1. 23. Dakar, 1954).
MAUSS Marcel. - Une catégorie de l'esprit humain: la notion de per-
sonne, celle de «moi» (Huxley memorial lecture, 1938), p. 263-281
(J .R.A.I., 68, London, 1938).
PALAU MARTI Montserrat. - Notes sur les noms et les lignages chez les
Sab~ (Moyen-Dahomey). Journal de la Société des Africanistes, 38,
Paris, 1968, p. 59-88, ill.
PAULMEDenise. - Voir LIFCHITZ Deborah et
VERGERPierre. - La Société ~gbç brun des àbiku, les enfants qui naissent
pour mourir maintes fois. Bulletin de /'I.F.A .N., série B, 30, Dakar,
1968, p. 1448-1487.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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NU 544. LA NOTIONDE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE


-

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DE LA NOTION D'ÊTRE HUMAIN
DANS LA PENSÉE
ET LA SOCIÉTÉ KABRÈ (TOGO)

R. VERDIER

La vie humaine est devenir et transformation, celle de l'animal est


simple reproduction. Le propre de l'homme est de recueillir un héritage,
de le faire fructifier et de le transmettre; cet héritage, c'est la vie Wezu;
le destin du vivant par excellence, fhomme, Eyu, est de recevoir et de
promouvoir la vie.
La vie humaine prit source dans le Cosmos, quand Dieu Eso fit
descendre son envoyé Esotisa. L'être humain, en tant que créature de Dieu,
est parcelle de l'énergie cosmique, de la Puissance vitale Dung. Son œuvre
créatrice consiste à humaniser, socialiser cette énergie naturelle. Cette huma-
nisation et socialisation, dont le prêtre Jojo et le devin Tiwu sont les
garants, s'opposent à l'œuvre destructrice d'animalisation de l'énergie par
le sorcier Efelu.
C'est en tant qu'être spirituel et social lié fondamentalement à autrui,

Ce texte est une version provisoire et schématique d'une étude en cours sur
l'ontologie Kabrè. II n'a pas été relu et vérifié par mes amis et collaborateurs du
Centre d'Etudes et de Recherches de Kara (C.E.R.K.).
Je dois donc en assumer s~ul la responsabilité, tout en exprimant mes profonds
remerciements à Mme Bagnah, MM. B. Karma et P. Kitema pour m'avoir fait
partager leur savoir.
Le lecteur pourra se référer à mon étude: «Structures socio-religieuses des
Kabrè du Nord Togo» (Thèse de sciences religieuses. Paris, 1962, dactylo), à divers
articles parus dans les Documents du C.E.R.K. et à «Ontology of the judicial thought
of the Kabrè », in Law in culture and society, éd. L. Nader. 1969, pp. 14]-146.
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sous un double rapport, que l'homme va affirme: son humanité supé-


rieure :
- rapport d'une part aux lignées de vie, paternelle et maternelle,
- rapport d'autre part au cycle vital de l'initiation et aux compagnons
de classe d'âge.
Cette double appartenance ordonne l'être à la fois sur le plan spirituel
et socia]; spiritualité et socialité concourent solidairement à la constitution
formeHe de l'unité de l'être comme structure de relations entre principes
vitaux et sociaux.

I. Aspects cosmologiques

L'être humain est formé, dès la naissance, de deux principes, l'un,


le souffle vital Kaliza, qui disparaît à la mort du corps, l'autre, le double
Wayitu qui lui survit. La coexistence de ces deux principes différencie
l'être humain, tant des choses que des autres êtres vivants.

1. Les êtres se distinguent des choses par la possession du Kaliza.

. Il Y a d'un côté le monde animé~ en mouvement (homme, animal,


végétal), de l'autre, le monde inanimé, inerte. L'animation, le mouvement
découlent de la présence du Kaliza.
. Le Kaliza quitte momentanément le corps quand l'homme rêve. Les
sorciers Afela tentent alors de l'attraper. Le devin Tiwu devra intervenir à
temps pour le délivrer.
. Le Kaliza soutient le vivant jusqu'au moment où il se détache d'en
haut pour tomber dans l'eau des mares sacrées. Le Kaliza est figuré au
Ciel par une étoile et sur terre par J'araignée. L'étoile filante présage la
mort qui est la chute du Kaliza.

2. Les êtres humains se différencient des autres êtres vivants par la


possession du Wayitu, cccelui de derrière».

. Certaines mares sont sacrées: en elles résident les esprits Limda-


nyima, «ceux de l'eau», parmi lesquels les Waynyma (pl. de Wayitu) qui
participent à la procréation humaine; il faut en effet l'intervention d'un
Wayitu pour que le rapport sexuel soit fécond, sinon « la semence ne
germe pas».
. A la suite du rituel funéraire, le défunt devenu ancêtre A tètu, «celui
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de sous la terre», poursuit son existence dans le monde invisible; son


WayituJ qui a été libéré à la mort physique, va «sortir» dans l'un de ses
descendants.
. Le premier enfant qui naît est du côté de ses oncles maternels,
ekpena; ceux-ci ont en effet donné leur sœur en mariage et il convient que
le mari donne d'abord «l'eau» à ses beaux-parents: E ha yetena Urn;
la femme, dit-on, n'est pas esclave.
C'est donc d'a bord à un ancêtre de la ligne paternelle de la mère de
sortir; ancêtre masculin si l'enfant est un garçon, ancêtre féminin, si l'enfant
est une fille. C'est ensuite au tour d'un ancêtre de la ligne paternelle du
père de sortir. Pour le troisième enfant, c'est à nouveau un ancêtre de
la ligne paternelle de la mère qui doit sortir et pour le quatrième, un
ancêtre de la ligne paternelle du père.
En cas de querelle d'ancêtres, qui cherchent à sortir ensemble dans
le même enfant, le devin devra faire patienter celui qui veut sortir avant
son tour.
. La transmission du Wayitu assure donc la continuité des lignées
parentales: la mort, si elle frappe l'individu, n'a pas de prise sur elles.
Dès la naissance, l'enfant se trouve donc intégré dans le cadre parental;
il portera le nom de l'ancêtre sorti, révélé par le devin, ou à défaut, celui
que lui donneront ses parents. Ce nom, le grand nom, Yidè sosoyèJ a un
usage strictement familial; il sera solennellement prononcé lors de la pre-
mière initiation.
. Par son WayituJ l'être se trouve rattaché non seulement aux lignées
mais il est encore appelé à une androgynie spirituelle. En effet, le Wayitu
est sexué et de sexe opposé à celui de l'individu qui le possède: l'homme
a un Wayitu féminin, la femme un Wayitu masculÏn.
L'être est ainsi spirituellement appelé à l'union conjugale. C'est dans
et par le couple qu'il se réalise pleinement. Le célibataire est un être incom-
plet, le mariage confère la complétude.
. Mais avant de parvenir à l'état matrimonial, l'adolescent va devoir
apprendre à maîtriser son corps. Pour accéder à la vie adulte et parvenir
à la vie civique, il lui faut d'abord surmonter de difficiles épreuves qui
visent à socialiser son être.

II. Aspects sociologiques

. Dans les trois ou quatre années qui suivent la puberté, le garçon


subit sa première initiation Efatu. Le jeune initié va manger «la pâte des
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larmes », esidalim-mutu, mourir à l'enfance et renaître comme une nouvelle


feuille de baobab (Katoyu). Tatouages et retraite de case font de lui un
homme nouveau. Il porte désormais un nom nouveau Efayidè, nom propre
qu'il se donne. Son Wayitu devient le sien propre et réclame dorénavant
un animal particulier, d'une couleur déterminée. Lors du sacrifice à son
Wayitu, l'oncle maternel et le père vont demander pour lui la santé et le
mariage.
Durant trois années, le jeune initié va manger la viande du chien,
apprendre à lutter et à discipliner son corps. Il doit marcher tête baissée,
cure-dent à la bouche et s'abstenir de manger au champ. Toutes plaisan-
teries et tous gestes érotiques lui sont alors interdits.
. A la fin de cette première période, il devient Sankayiu: pendant
quelques mois, entre la fête du mil, Sankayin, et celle de l'igname, Kiyena,
il jouira d'une grande liberté de parole et de geste et marchera tête haute.
Cette émancipation est de courte durée et une nouvelle période de
contrainte et de soumission va lui succéder.
. La classe des Ezakpa dure jusqu'au jour de la grande initiation,
le Wah, qui a lieu tous les cinq ans. Avant d'accéder à la classe des
adultes, il lui faut se comporter avec réserve et docilité, à l'instar des
femmes; il doit alors marcher tête baissée et en silence et s'abstenir de
tout libertinage.
. La classe des grands initiés Kondona met fin à l'adolescence, comme
celle des jeunes initiés avait mis un terme à l'enfance. Lors de la grande
initiation quinquennale, le Kondo va naître à la vie adulte, se montrer
capable de défendre le village et de fonder son propre foyer.
Pour devenir homme nouveau, il lui faut triompher des forces hostiles
qui menacent le groupe: guerrier, il doit capturer l'ennemi; chasseur, il doit
surmonter les dangers de la brousse, vaincre l'animal sauvage; il avance par
bonds, se tenant courbé et portant sur la tête les cornes de buffle ou
d'antilope.
A la fin de l'initiation, il se présente devant tout le peuple des villages
alliés qu'il doit désormais défendre; gravissant une haute butte de terre,
il se relève au sommet et frappe sa lourde cloche d'initié. Il est, durant les
quatre années qui suivent, au service du village: il assure alors les grands
travaux agricoles avec Je concours des classes d'âge des cadets et veille
à défendre le village contre les raids extérieurs.
Au terme de cette longue marche de l'enfance à l'âge adulte, l'homme
parvient à la maturité et devient un citoyen à part entière, appelé à gou-
verner avec ses pairs. Il a alors acquis sa plénitude d'être parce qu'il est
devenu un être pleinement social. Son être spirituel et son être social se
correspondent.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

REPRÉSENTATIONS
ET CONNAISSANCES DU CORPS
CHEZ LES SONGHAY-ZARMA :
ANALYSE D'UNE SUITE D'ENTRETIENS
AVEC UN GUÉRISSEUR

Jeanne BISILLIA T et Dioulde LA Y A

Nous avons voulu essayer de rendre compte, aussi fidèlement que


possible, de la pensée d'un sonance, c'est-à-dire d'un magicien guérisseur,
sur Je corps et ce qui le maintient en vie. En effet, la profession du sonance
et les connaissances qui la fondent ainsi que la réflexion qui la met en
œuvre sont représentatives d'un groupe dont le statut est privilégié, dans
la mesure où leur puissance - perçue par le peuple comme magique -
s'allie à une connaissance: ils savent qu'ils savent et savent qu'ils peuvent
transmettre ce savoir.
Nous sommes conscients cependant qu'il s'agit ici d'une toute première
approche de cette étude, qu'elle est donc maladroite et incomplète sur bien
des points.
Notre projet nous conduira à poursuivre ces entretiens avec d'autres
sonances d'une part, et d'autre part, avec un autre type de représentants
d'un savoir magico-religieux, les zimas. Mais, pour des raisons d'ordre
matériel, l'enquête n'a pu être menée qu'auprès de ce seul sonance, vivant
dans le village de Kobanda dans le Zarmaganda, près de Simiri.
Cependant, il nous a sem blé intéressant, dans un premier temps,
d'analyser le contenu d'un seul entretien sans faire référence à d'autres
éléments de connaissances fournies soit par des travaux antérieurs, soit
par nos propres enquêtes.
Vous pourrez examiner à loisir les extraits choisis. Ils décrivent un
certain nombre de réalités physiques sur lesquelles nous n'avons pas ici
le temps d'insister, mais aussi des réalités spirituelles telles que le biya, vie
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lui-même et principe de vie, sur lesquelles nous dirons quelques mots.


Nous espérons que l'ensemble de cette documentation permettra de se faire
une idée du mode de connaissance particulier aux sonances: constitution
de l'homme en bonne santé, nature de la maladie, univers mental; enfin,
manière de concevoir ces réalités sous le jour du traitement des maladies.
Ces informations réunies nous permettent d'aborder la question des
normes sociales dans leurs relations concrètes avec les perturbations plus
ou moins graves du comportement, elles-mêmes presque toujours liées à
un dérèglement de la vie affective ou mentale dont le cœur est le siège.
Un certain nombre de maladies font de la personne atteinte un être
accepté mais distinct. On n'attendra pas en effet d'un homme malade émo-
tivement ou d'un homme privé de lakkal un comportement qui réponde en
tous points aux usages et aux coutumes. La société environnante n'applique
ni sanctions ni exclusions et considère pratiquement l'anormalité de l'indi-
vidu comme un fait normal, non menaçant pour le groupe ou pour lui-même.
D'autres maladies, au contraire, exposent le malade aux entreprises
mortelIes de ce que nous appellerons la société secrète des sorciers.
Le malade et son entourage vivent alors dans la peur et l'angoisse. Pour
ces derniers, la société a mis en place un système de protection dont la
responsabilité est confiée aux magiciens sonance et aux zimas. Vus sous
cet angle, les êtres dont le biya est fragile: les circoncis, les jeunes mariées,
les femmes en couches, les veuves, constituent une seule et même catégorie
exposée pour laquelle on n'imagine pas une absence de protection ou
de soins.
Enfin, la société a mis également en place un autre système de
protection: le culte de possession, pour neutraliser l'action perturbatrice
des génies sur le plan du comportement II existe cependant une catégorie
particulière de génies dont la nocivité ne peut être maîtrisée par les mêmes
moyens. Ce sont eux qui produisent la folie par exemple. Là encore, le zima
a la charge de guérir et, s'il échoue, la société se protège de la conduite
dangereuse du fou par le moyen de Ja contrainte physique.
Dans l'état actuel de nos connaissances, on peut dire que la société
n'accuse en aucun cas, ni le malade d'être malade, ni le médecin d'avoir
échoué. La maladie n'entraîne donc aucune sanction sociale, mais ses
perturbations sont très fortement ressenties. Les savoirs du sonance et du
zima sont, dans cette optique, des nécessités sociales.
Nous allons tenter maintenant de dégager du texte que nous vous
soumettons quelques lignes de force qui paraissent sous-tendre la repré-
sentation que les sonances se font de la personne.
Il faut souligner tout de suite que deux notions doivent être pensées
ensemble: le corps et Je biya puisque l'un ne peut exister sans l'autre et
vice versa. Ces deux réalités ne se présentent pas sous le même aspect pour
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le médecin, pour le sorcier et pour les autres hommes. En effet, pour les
deux premiers, le biya est une évidence puisqu'ils ont reçu l'un et l'autre,
de sources différentes il est vrai, le pouvoir de voir le biya. Pour les autres
hommes, le biya est un objet de croyance ce qui crée chez le malade par
rapport au médecin une dépendance de foi qui le met dans l'impossibilité
de juger et de critiquer les principes qui guident la connaissance sur
lesquels se fonde la thérapeutique utilisée à son égard.
Ces deux notions qui sont pensées comme analogues en entraînent
une troisième appelée hundi que nous avons traduite dans le texte par « vie »
et qui est inextricablement liée aux deux autres: «le biya, c'est lui la vie
de la personne ».
Cependant, lorsque le médecin a été interrogé sur le biya - réalité
visible pour lui - aucune tentative d'image figurative n'a été fournie, et
son refus d'assimiler le biya à l'ombre, comme cela est souvent fait, fut
formel.
Toutes les descriptions du biya sont positionnelles, qu'il s'agisse d'un
espace où l'on pourrait disposer des objets et que nous dirions concret
(contre, autour, éloigné, parti) ou d'un espace non mesurable où les deux
réalités se superposent, sans être dans un même lieu: n'est-il pas, sans
être aucunement divisé, dedans et dehors?
Ce système implique tout d'abord une certaine manière de voir
l'homme. En effet, l'homme complet, c'est-à-dire l'ensemble corps et biya
n'est visible qu'à des initiés, qu'ils soient bénéfiques ou maléfiques. D'autre
part, il implique une certaine façon de concevoir les troubles qui peuvent
affecter la vie physique et la vie mentale. Si, très souvent, l'explication des
troubles requiert l'intervention des deux réalités, il reste un bon nombre de
maladies qui paraissent être traitées en utilisant seulement la notion du
corps. Dans cette optique, il est concevable d'imaginer, après une enquête
rigoureuse, que l'on puisse aboutir à une classification des maladies en
fonction de ces deux types généraux. Enfin, ce système entraîne une
conception particulière de la vie et de la mort.
Dans le système où l'on ne se réfère qu'aux notions physiques, la
maladie se comporte comme un être matériel qui a un logement, qui circule,
qui entre et qui sort. Cela implique toute une médecine de l'expulsion à
base de vomissements, d'éternuements, de purgations et des thérapeutiques
capables à la fois de provoquer, de contrô1er et d'arrêter ces expulsions.
Dans ce système, le rôle curatif des plantes est essentiel; ce sont elles uni-
quement qui, sous forme de poudres aspirées ou ingérées ou d'onguents,
assurent la guérison.
Dans le système où l'on se réfère aux deux notions du corps et du
biya, la thérapeutique consiste essentiellement à lutter contre les forces de
dissociation, de séparation qui peuvent les disjoindre. Cela explique que
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la lutte contre certaines maladies soit liée à la lutte contre les sorciers
et les génies, c'est-à-dire contre ceux qui ont le pouvoir d'opérer le rapt
du biya.
Cela explique également qu'une grande partie de cette médecine soit
consacrée à la lutte contre la peur et ses conséquences qui peuvent être
mortelles. Il nous paraît significatif que, dans le texte, le seul classement
élaboré assez finement soit celui qui s'applique aux différentes sortes de
peurs.
Une autre caractéristique intéressante de cette catégorie de maladies
consiste dans le fait que le médecin affronte des délits sociaux commis
collectivement par les sorciers: ces derniers se réunissent pour «manger»
le biya volé; ou bien, lorsque l'un d'entre eux n'a pas réussi à arracher
le biya qu'il convoitait, un autre fait don à la collectivité du biya d'un de
ses propres enfants, etc. Cependant, les procédés par lesquels les sorciers
opèrent la dévoration du biya, nous voulons dire la métamorphose du biya
en poulet ou en un animal de troupeau, rappellent ceux que la société
utilise dans ses rites animistes ou musulmans de propiation, de protection,
de remerciement où prend place le sacrifice de ces mêmes animaux.
La manière dont le médecin voit l'homme lui présente donc deux
plans d'évidences. Le premier est celui des connaissances assurées par
l'apprentissage, lequel est extrêmement long puisqu'il est, semble-t-il~ tou-
jours lié aux circonstances. Cela rend le contenu de cet apprentissage
fluctuant selon les moments et échappant à toute classification organisée
selon des concepts directeurs.
Ces évidences des connaissances n'épuisent d'ailleurs pas les plans de
référence. Il y a celui de la volonté de Dieu liée à l'idée de chance qui
intervient pour expliquer l'origine, le cours ou la fin des maladies ainsi que
l'impossibilité de les soigner dans certains cas. Le médecin peut ainsi
toujours reporter la responsabilité de l'échec éventuel de ses cures sur la
tradition et les limitations des connaissances acquises «< nous ne savons
pas... nous avons hérité d'un certain chemin», nous répond-on souvent)
où, de manière encore plus inéluctable, sur l'intervention divine. Deux
explications que le malade accepte et ne remet pas en caus'e; pour lui,
son seul souci est de trouver le médecin dont le chemin est le plus long
et le plus complet.
Nous nous trouvons donc jci en face d'une connaissance de l'homme
d'où sont absentes les hypothèses aussi bien que les doutes et les confron-
tations. Cette connaissance accepte la coexistence avec d'autres connais-
sances aussi bien que ses propres limites sans ressentir le besoin d'appro-
fondir le champ des savoirs traditionnels. Cette connaissance sans angoisse,
sans curiosité - si le médecin constate son ignorance, il ne demande jamais
à augmenter son savoir - n'implique nullement qu'il s'agisse d'un savoir
rudimentaire mais, au contraire, d'un savoir très vaste, acquis lentement,
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sans recours au discours ou à l'exposé. C'est pourquoi l'on obtient bien


souvent des distorsions, voire même des contradictions dans les réponses,
ce qui pose pour ce genre d'enquête un problème méthodologique difficile
à résoudre.
C'est aussi probablement pourquoi les explications fournies sur la
pensée sont limitées à un jeu d'organes dont le rôle n'est d'ailleurs pas
analysé dans la perspective de la création de la pensée. La pensée est
localisée dans le cœur, elle traverse la cervelle avant de ressortir par la
bouche sous forme de paroles. Sa santé se traduit par une parole droite,
c'est-à-dire convenable ou conforme aux normes sociales et ses troubles par
une parole d'autrui c'est-à-dire déréglée. Le mécanisme même de ce dérè-
glement semble ne pas intéresser le médecin qui, cependant, aime à s'arrêter
sur les lieux possibles de ce dérèglement dans la mesure où ce sont ces
lieux qu'il pourra soigner.
Nous ne pouvons parler de la pensée sans aborder le lakkal, notion
(1),
fort complexe sur laquelle une première étude a déjà été faite ce qui
nous a permis de ne pas trop nous étendre sur ce problème avec le médecin.
Le contenu de l'entretien, bien qu'assez pauvre, est très intéressant par
la netteté des prises de position. Selon le médecin, le lakkal est distinct
de la pensée sur le plan biologique même puisque, dit-il, la cervelle n'inter-
vient pas dans son fonctionnement. Il n'est pas lié non plus à l'organe de
la bouche mais au contraire à une conduite socialisée et, de ce fait, aux
troubles affectifs. Si, comme dans la pensée, le lakkal est lié au cœur,
sa relation avec cet organe paraît bien différente. «C'est le cœur qui pense
et le lakkal se manifeste, mais ce n'est pas le lakkal qui fait que le cœur
pense». La pensée est dans le cœur, elle part du cœur; le lakkal, lui, ne
peut pas être localisé d'une manière précise: «personne ne connaît son
emplacement », nous dit le médecin. Il s'agit donc là d'une réalité qui
paraît jouir d'un statut tout à fait exceptionnel puisqu'elle est la seule à ne
pas avoir de maison ou de position.
Enl1n, l'existence du biya ne peut suppléer à l'absence de lakkal car,
si la personne n'a pas de lakkal, le biya n'en possède pas non plus. Du point
de vue social, cette notion a des applications morales très nettes, ce qui
n'est pas le cas pour le biya.
Nous aimerions, pour finir, parler d'une autre caractéristique de cette
médecine d'où le toucher et J'auscultation semblent exclus. Puisque le
médecin voit la maladie, il n'a pas besoin d'avoir recours à des connais-
sances anatomiques qui établissent une coordination des organes, mais aussi
il ne conçoit pas de manière globale ce qui .correspondrait pour nous à la
notion de fonction. C'est essentiellement une médecine des organes plutôt
que de l'organisme.

(1) Revue de psychopathologie africaine, vol. III. n° 2.


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Nous allons maintenant mettre un terme à cet exposé général et


tenter d'analyser de manière plus complète un des thèmes. Nous espérons
ainsi mettre en relief, au risque de quelques répétitions dont on voudra
bien nous excuser, con1ment le sonance interrogé organise ses connaissances
pour décrire des éléments essentiels constitutifs de la personne physique
et mentale.
Nous allons tenter de rendre compte de ce que le médecin dit du cœur.
Le rôle du cœur dans la pulsion du sang ne semble pas l'intéresser.
A aucun moment, le cœur n'apparaît comme lié à ce qui serait une véritable
fonction circulatoire. En revanche il préfère s'étendre sur l'importance du
cœur considéré comme lieu privilégié: c'est du cœur que viennent la pensée,
les paroles, la peur, la bravoure, la compréhension, la volonté et proba-
blement les sentiments. Le cœur, nous dit-iL «permet à chacun de penser
dans son propre cœ.ur mais personne ne sait comment cette pensée se
produit» .
Si dans la genèse de la pensée, le cœur joue un rôle fondamental,
il faut cependant tenir compte de deux autres éléments de natures très
différentes pour comprendre le statut de celle-ci: la cervelle d'abord,
organe du corps et le lakkal ensuite., constituant immatériel et invisible
de la personne. Nous ne pouvons pour le moment qu'émettre des hypothèses
sur les interrelations de ces trois éléments.
L'homme en bonne santé a une pensée bonne et des paroles droites;
la cervelle ne joue aucun rôle dans l'élaboration de cette pensée. Si la
maladie affecte le cœur, la pensée reste bonne. Dans le cas où la cervelle
est malade, seules la cervelle et la bouche travaillent, le cœur «ne pense
plus» et les paroles deviennent alors « les paroles d'autrui». Il se produit
donc dans certains cas une grave solution de continuité entre le cœur et
la cervelle qui accède alors à une espèce d'autonomie productrice du désordre
de la parole et de la conduite. La maladie localisée dans la cervelle semble
être donc un obstacle à l'élaboration d'une pensée saine.
Un autre élément est, par contre, indissociable du fonctionnement du
cœur; il s'agit du lakkal: «Je cœur pense le lakkal» et produit alors des
actes bons ou, plus précisément, « le cœur pense et le lakkal se manifeste».
Mais il arrive que dans certains cas le lakkal n'obéisse plus au cœur ou
ne traduise plus exactement la volonté du cœur, et l'homme commet alors
les actes mauvais. La folie est un des cas les plus frappants de cette rupture
d'équilibre entre le cœur et le !akkal.
Deux éléments sont donc nécessaires pour que le cœur demeure le
siège d'une pensée cohérente: une cervelle en bonne santé et un lakka]
obéissant. Ces conditions réunies, le lakkal pourra mettre en action une
pensée qui sera reconnue comme normale par le groupe social.
IJ est pour l'instant impossible d'expliquer le double rôle de la cer-
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velIe malade ou saine. Cependant, nous pouvons peut-être faire le rappro-


chement avec ce que le médecin dit de la parole: «c'est la corde du cœur
qui vient rejoindre les tendons du cou pour aller jusque dans la tête et
venir à la bouche». Est-ce que cette parole en mouvement a besoin de
traverser un milieu parfaitement neutre ou offrant une circulation libre -
la maladie étant souvent un engorgement - pour rester fidèle au cœur?
Nous espérons que nos futures enquêtes nous permettront de répondre
plus précisément à ces questions.
Quant au rôle du cœur dans l'élaboration des sentiments que nous
avons mentionnés précédemment, l'entretien ne nous permet pas de conclure
de manière formelle. Aucun mot de la langue songhay ne traduisant notre
concept « sentiment», il n'a pas été possible de poser une question directe.
Nous avons donc recueilli certaines expressions de la langue forgées à partir
du mot cœur et qui recouvrent d'une manière plus ou moins complète
certains de nos sentiments, comme par exemple « bine kaani» le cœur qui
a du goût, c'est-à-dire la joie, et nous avons demandé leur sens. A ce type
de question, le médecin a répondu de façon constante qu'il s'agissait là
d'une manière de parler et de rien d'autre.
Nous ne pouvons donc que noter l'existence, qui ne relève certaine-
ment pas du hasard, de deux catégories d'expressions: d'une part, celles
formées du mot cœur et d'un qualificatif, qui sert à exprimer la joie,
la tristesse, le dégoût, l'avarice, le souci, la méchanceté, la nervosité;
d'autre part, celle formée du mot lakkal et d'un qualificatif qui sert à
exprimer la concentration, la dispersion, le repos de l'esprit, l'oubli d'une
chose ou d'une règle de savoir-vivre.
Une enquête et une réflexion sur le contenu de ces expressions nous
permettrait peut-être d'aborder le rôle du corps comme source d'images
pour le langage des sentiments et du comportement. On notera au passage
que le médecin traite de «faits» et ne recourt guère à la métaphore.
Ces brèves remarques nous laissent entrevoir qu'il reste encore, sur
le terrain abordé" presque tout à faire. Recueillir, comparer, certes, mais
aussi tenter d'établir un vocabulaire qui permette de nommer les faits et
de les grouper, ceci, sans tomber dans un décalque de notre propre taxi-
nomie. On doutera si des termes tels que «personne», «notion»,
« double», «fonction», par exemple, sont bien adéquats. On hésitera à
placer les mouvements, aussi bien des réalités tangibles que de celles qui
nous paraissent immatérielles dans un espace tridimensionnel, tel que le
sens commun nous l'impose dans notre propre çulture. Mais on peut
atteindre quelques hypothèses solides. Nous sommes en face d'un savoir
véritable, fruit de l'expérience tout autant que de l'initiation. Ce savoir se
place sur le plan du réel et ne fait pas appel au mystère pour le médecin
- bien que la référence à la volonté divine soit fréquente. Enfin, ce
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savoir ne s'affirme pas comme universel: il est individuel autant que tradi-
tionnel et social. Tout ceci fait penser qu'une cohérence interne rigoureuse
organise ce savoir. Mais de quelle cohérence s'agit-il? Peut-être peut-on
espérer du travail futur quelque lumière sur cette question.

ENTRETIENS AVEC UN SONANCE


DE KO BANDA DANS LE ZARMAGANDA

GUIDE DE LECTURE

Biya: IXa, IXb, IXc, IXd, IXe, IXf, IXg.


Cervelle: VI, VIII, XIX.
Circulation: I, IXd, XVI, XVII.
Cœur: V, VI, VIII, XIV, XV, XXI, XXII.
Connaissance des Sonance: I, II, IVa, IVb, XI, IXc, IXg, XIla, XV.
Entrées et chemins de la maladie: VIla, VIIb.
Estomac: VII.
Foie: II.
Folie: XIX.
Lait: XIIa, XVII.
Lakkal: XIV.
Odeur: XVI.
Parole: VIII, XV.
Pensée: VI.
Peur: VIla, Xlla, XX.
Rêve: XI.
Salive: XIII.
Sorciers: XIIa, XIIb.
Vie: XXI.

Q: Quel est le rôle du sang dans le corps?


R: Le sang, c'est l'homme; par exemple, lorsqu'on est atteint d'une
maladie, le sang circule et cette maladie le fait noircir. Lorsque la
maladie a noirci le sang, les signes de la maladie deviennent mani-
festes. Il faut alors le soigner. S'il s'agit d'un noir (borD hl) qui
vient me voir, je pile des plantes pour en faire un médicament que
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je fais boire au malade. Quand il l'a bu, le sang qui avait noirci se
sépare de sa noirceur et redevient rouge. Dès que le sang devient
rouge, le patient retrouve la santé. Si la maladie a rassemblé le sang
dans le ventre, je fais avaler au malade une poudre qui le fait vomir.
Lorsqu'il a vomi, je lui donne une décoction (bakandi) d'herbes
(subu) prises près des racines des arbres situés près des pierres sur
lesquelles coule l'eau pour descendre dans un petit cauri. Cette décoc-
tion arrête le vomissement. Après l'arrêt des vomissements le malade
se remet à manger, à manger jusqu'à ce qu'il ait du sang nouveau.
Q: Où se trouve le sang dans le corps?
R: Chez nous les noirs, car je ne sais rien des blancs, le sang se trouve
dans les reins (dumize). Les reins sont situés entre la colonne verté-
brale (zanzan) et la hanche (ankoro). Parce que lorsqu'une maladie
attrape l'homme à cet endroit-là elle arrête rapidement le sang qui
noircit vite. De même, lorsqu'une personne a eu peur, le corps
s'arrête de faire du sang qui devient noir et la personne se met à
dépérir. Si on la soigne à ce moment, elle retrouve sa santé, si
c'est un noir et si c'est moi qui administre mon médicament.
Q: Bien que l'on pense que le sang se trouve dans les reins, est-ce que,
à votre avis, il circule dans le corps?
R: Il marche dans le corps; s'il ne marche pas et s'arrête, la personne
devient malade.
Q: Quand la personne est malade et que le sang ne circule pas, est-ce
qu'il va s'installer là-bas dans les reins? Si la personne se coupe,
le sang ne vient-il pas jusqu'à la blessure?
R: Naturellement si la personne est tombée malade et qu'on l'a coupée
sans que le sang vienne la personne ne va pas du tout. Car, même
si on est malade et qu'on se coupe on voit le sang, en petite quantité;
il est noir et pas rouge.
Q: Au cours de sa circulation, le sang passe-t-il par le ventre avant
d'arriver aux reins?
R: Le sang va partout, il va au cœur, aux poumons, au foie; s'il n'allait
pas dans toutes ces parties la personne ne serait pas. Toutes ces parties
ont des chemins par lesquels le sang passe pour aller en elles et
leur être utile.
Q: Est-ce que le centre du sang se trouve dans la région des reins?
R: Sa maison est là-bas.
Q: Explique-lui la vie du sang, son fonctionnement, ce qui fait qu'il
sort pour aller circuler dans le corps.
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R: Ça, Muusa, je ne le sais pas. Je sais bien que sa maison se trouve


dans les reins et les vertèbres (gurumbu), mais comment il réussit à
marcher pour aller se promener dans le corps, je ne le sais pas.
Q: Tu as dit que lorsqu'une personne est malade elle a du sang noir,
pourquoi dit-on d'une personne que «son sang est amer» (kuru
hottu) ?
R: On le dit d'une personne qu'on n'aime pas. Qu'elle fasse mal ou
pas, ses moindres propos déplaisent aux gens. Tout ce qu'elle dit
remplit les gens d'indignation.
Q: C'est donc une simple expression qui n'a rien à voir avec le sang.
R: C'est cela.
Q: Est-ce que tu sais pourquoi les Zarmas appellent une telle personne
« kuri hotto », associant le sang et l'amertume?
R: En vérité, en ce qui concerne la connaissance de l'homme, nous
avons hérité d'un certain chemin (fondo). Nos pères nous ont fait
(2) que nous avons mangé; cela
certaines choses sous forme de kusu
nous permet, lorsque nous rencontrons une personne méchante, les
sorciers (cerkaw) (3), par exemple, de la reconnaître. Quand c'est une
personne mauvaise (mauvaise = futu, lalo), nous la reconnaissons,
mais en ce qui concerne le sang nous n'avons jamais eu d'explication
sur le rapport entre kuri et «kuri hotlO».
Q: Est-ce qu'une personne «kuri hotto» cherche un moyen qui lui per-
mette d'avoir du gakuri (sympathie~ considération) aux yeux des -gens?
R: Oui, on lui fait un médicament.
Q: Est-ce que l'on fait entrer ce médicament dans son sang, ou bien
fait-on simplement des prières à Dieu?
R: On fait simplement des prières à Dieu: il se lave avec, le reste il le
boit (4). Grâce à cela il va acquérir de la considération.
Q: On ne touche donc pas à son sang?
R: Non, son sang est sang.

(2) kusu: poterie; ici le médicament cuit dans un kusu.


(3) cerkaw: sorcier qui mange le «double» (biya) et qui ne pratique pas la
guérison.
(4) Allusion à une pratique qui consiste à écrire un ou plusieurs versets cora-
niques sur une tablette de bois et à diluer ensuite l'encre de l'écriture avec de l'eau.
Le malade se passe une partie de cette eau sur le corps et boit le reste. Seuls les
marabouts utilisent ce procédé; il est donc fort probable que le sonance yaye ne
parle pas ici de lui-même.
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Q: Est-ce que toutes les maladies font noircir le sang ou bien y en a-t-il
qui transforment le sang en eau et d'autres qui le font blanchir?
R: Selon mon héritage (fondo), lorsqu'un sorcier a attrapé une personne
et l'a rendue malade, le sang de cette dernière devient noir. Il y a
aussi d'autres maladies qui noircissent le sang. Si on te soigne, tu
retrouves la santé et ton sang devient rouge; par ailleurs il y a des
maladies dues à des génies (gangi) au cours desquelles le corps de
l'individu devient frais, c'est cette fraîcheur qui lui donne froid mais
son sang ne noircit pas bien qu'il soit malade. Nous savons aussi,
lorsqu'une personne est malade et que son sang a noirci, cela veut
dire que la maladie a saisi tout son corps, qu'elle est en train de
souffrir et que, même si elle se tient debout elle est malade, même
si elle est couchée nous savons que la maladie a envahi tout son corps.
Si, après avoir mangé les plantes, le malade retrouve goût à la nour-
riture, son sang redevient rouge, c'est-à-dire que la noirceur disparaît.
Nous savons que certains sangs peuvent devenir comme de l'eau;
c'est comme si le corps du malade ne contenait pas de sang. Dans
ces cas-là, tout le sang se trouve réuni dans le ventre.
Q: A quel endroit du ventre va se rassembler son sang?
R: Il va dans les intestins, je le dis parce que, lorsque nous lui donnons
des plantes, il a la diarrhée.

II

Q: Où les Zarmas situent-ils le foie et quel est son rôle?


R: Vous me posez là un problème car, à moins qu'on ne dépèce une
personne, on ne peut pas Je savoir. Les blancs le savent car ils le
font. Je vous ai répondu ce que mes ancêtres nl'ont appris.
Q: Quel rôle joue le foie dans la vie d'un homme?
R: Je ne le sais pas, ce que je connais je te l'ai dit.
Q: Quelles sont les maladies qui peuvent affecter le foie?
R: Il y a seture. Quand cette maladie attrape le foie, le malade a des
boutons (gugusi) sur Je foie. En outre, lorsqu'un individu a bien
mangé et que la bile s'est déversée un peu sur le foie, les gugusi
apparaissent, bleuissent et provoquent des douleurs dans le foie.
Q: Pourquoi dit-on d'une personne qu'elle a un «cœur noir» «< bine
hi ») ?
R: Quand une personne est mauvaise et se fâche, qu'on lui ait fait
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quelque chose ou non, en bien ou en mal, elle se fâche; les Zarmas


disent alors qu'il a un cœur noir, mais son cœur n'est pas noir, en
fait.

Q: Pourquoi dit-on d'une personne qu'elle a le «foie mûr» (<<hamma


ga nin»)?
R: Mettons qu'une personne soit blessée, tout le monde viendra près
d'elle, la tête baissée de pitié (baka), mais une personne viendra qui
n'aura pas pitié; s'il faut couper que~que chose sur le corps du blessé
il coupera, s'il faut extraire quelque chose du corps du blessé il
ouvrira les chairs pour l'extraire. Par exemple, si c'est un morceau
de bois pointu, il le tire et l'enlève; on dit de lui que «son foie est
mûr ». C'est la même chose que le «cœur sec» «< bine kogu »).

III

Q: Quel est le rôle de l'estomac?


R: Nous ne le savons pas, nous savons que les aliments vont dans
l'estomac, mais les intestins en reçoivent une partie, le pancréas
(yomey) en reçoit une autre. Par ailleurs, lorsqu'une maladie atteint
l'estomac elle affecte également les intestins et le pancréas.
Q: Quelles sont les maladies qui attrapent l'estomac?
R: Je ne connais pas de maladie qui attrape d'abord l'estomac.

Q: Donne-nous des exemples de maladies qui affectent les intestins et le


pancréas.
R: Qu'il s'agisse d'un homme ou d'un animal, l'estomac a un «cœur
rouge» (partie rouge) et mince. Quand on a avalé un aliment, il
entre dans l'œsophage (kara cirey); que la maladie soit dans une
herbe, un aliment ou sur la main, elle suit l'œsophage jusque dans
l'estomac. L'estomac a un pancréas qui est collé à lui, près de la
vésicule biliaire (hawgi nwarl) et le pancréas est collé aux intestins.
Tous ces organes reçoivent un peu des aliments venus de l'estomac.
Lorsque la maladie est passée par l'œsophage, elle descend jusqu'au
cœur et attrape les cordes du cœur (bine korfey). Chez nous les noirs,
il y a des maladies qui attrapent les gens, provoquées par des sorciers,
par des génies et par l'oiseau qui vole. Celui-ci s'empare d'un enfant
dont les pieds et les mains deviennent secs. Les yeux sont révulsés,
il bave. Cet enfant, on l'amène presque mort chez nous, on le soigne,
nous lui donnons des médicaments, il urine et retrouve la santé; nous
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343

faisons une ceinture de gris-gris (gurum) qu'il porte: la maladie ne


revient plus chez lui, c'est ainsi que nous le soignons (5).

IV

Q: Comment reconnaissez-vous les différentes maladies pour pouvoir


déterminer les remèdes appropriés?
R: Cette connaissance-là, on nous l'a donnée depuis notre enfance en
nous faisant manger un charme. Dès qu'on nous présente un malade
nous identifions la maladie grâce au lieu où elle a son siège et nous
allons chercher son remède pour soigner le malade.
Q: De quelle manière observez-vous pour identifier le lieu où il a mal?
R (Sodiya, le fils): Après avoir bu trois fois de ce charme et t'être lavé
le visage avec, si tu te promènes la nuit, même si c'est un génie qui
est en train de marcher, tu le vois comme tu es en train de me voir;
mais si tu ne l'as pas mangé, cela ne peut se faire. Même si tu es
possédé, si tu n'as pas cherché ce médicament auprès des personnes
qui le connaissent (wanz) tu ne peux rien voir; on est réduit à passer
la nuit «le cœur en pleurs» (<<bine henandi») ou en rêvant; c'est
ce médicament qui permet de reconnaître la maladie. On t'a amené
un malade, dès que tu le vois, si la maladie est due à un sorcier,
tu le sais, si c'est une maladie due à un génie, tu le sais, si un
de ses camarades a fait un médicament contre lui (durkunu), tu le
sais.

Q: Comment parvenez-vous à différencier les maladies?


R (Yaye) : Les maladies sont nombreuses; certaines attrapent le visage, au
point de se manifester dans les yeux; d'autres saisissent la poitrine et
même si on veut manger on n'y parvient pas; d'autres échauffent le
corps et entraînent les maux de tête; d'autres font transpirer à grosses
gouttes et c'est seulement le ,malade qui sait qu'il est malade.
Q: Comment faites-vous pour savoir que la personne a la fièvre, vous
la touchez ou vous vous contentez de la regarder?
R: Dès que nous voyons son corps nous savons qu'il a la fièvre, nous
ne le touchons pas.

(5) Il s'agit probablement d'une description de l'épilepsie.


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Q: Et la maladie qui sort dans les yeux?


R: Elle se trouve dans le ventre, elle peut suivre le dos pour attraper
la tête et descendre dans les yeux qu'elle rend vert bleu (y,ergey bogu).
On déterre une racine d'arbre qu'on fait bouillir et qu'on donne à
boire au malade. Pour d'autres maladies, on casse les branches qu'on
fait bouillir et qu'on donne à boire au malade; s'il le boit pendant 4
ou 5 jours on s'aperçoit que ses yeux deviennent propres comme des
yeux d'être humain. Dans le cas d'une telle maladie, l'urine a la
même couleur que les yeux ('6).

Q: Quel est le rôle du cœur?


R: Lorsque certaines personnes ont une petite maladie, dès qu'on leur
parle leur « cœur se lève» «< bine tun») (7).

Q: Qu'est-ce qui fait cela?


R: La maladie. Par exemple, le weyno qui peut rendre fou. Il quitte le
ventre pour aller attraper le cœur car le cœur c'est l'homme (boro).
Lorsque le weyno a atteint le cœur et que l'individu veut respirer,
le cœur donne l'impression d'avoir envie de se fermer, la fermeture
se produit pour un court instant puis il retrouve la santé et peu de
temps après la fermeture revient; dans de telles conditions, son cœur
peut « se lever» facilement car le ~alade ne supporte pas les paroles.
Q: Qu'est-ce que c'est que «bine kani» (le cœur joyeux)?
R: «bine kani », c'est par exemple pendant que nous sommes assis ainsi,
quelqu'un apporte quelque chose de bien (parole ou chose) à laquelle
on ne s'attendait pas, ou une bonne nouvelle, cette chose est appelée
«bine kaani», c'est une simple expression.

VI

Q: Est-ce le cœur ou la tête qui pense?


R: Le cœur.
Q: Comment le cœur peut-il penser?
R: C'est l'affaire de Dieu car nous sommes tous des êtres humains et
notre cœur nous permet à chacun de penser dans son propre cœur
mais personne ne sait comment cette pensée se produit.

(6) Il s'agit probablement d'une certaine forme d'ictère.


(7) Signe d'~rnotiont
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Q: Est-ce que les Zarmas pense~t que tout ce qu'on apprend, qu'il
s'agisse de la lecture ou de la pensée, est du ressort du cœur?
R: Oui, c'est le cœur qui permet d'apprendre vite. C'est le cœur qui
permet d' « avoir une tête» «< a gonda bon») (de comprendre).
Q: Est-ce que la peur est provoquée par le cœur?
R: La peur ordinaire, la compréhension, la bravoure, tout cela vient du
cœur.

Q: Quel est le rôle de la cervelle?


R : Je ne connais pas le travail de la cervelle.
Q: Ne dit-on pas que la folie est située dans la cervelle?
R: Il y a plusieurs sortes de folies (holey): la folie due aux génies, la
folie provoquée par certaines maladies lorsqu'elles ont atteint la cer-
velle; ces maladies sont produites par les génies qui atteignent la
cervelle.
R: Par exemple, lorsqu'une mauvaise peur (humburukumey lalo) s'est
emparée de quelqu'un, son corps est chaud, il maigrit, on pense alors
que la peur a transformé son sang avant d'atteindre la cervelle. A ce
stade, à moins que la chance soit avec lui, il peut arriver qu'il parle
« la langue d'autrui» (il parle de manière incohérente). Lorsqu'on est
saisi par certaines fièvres, quand on dort, on a des hallucinations ou
le délire, c'est que la fièvre a envahi la personne et a attrapé la cer-
velle.
Q: Donc, le - cœur ne pense plus lorsqu'on dit « les paroles d'autrui» ?
R: Effectivement, puisque toute la maladie est là-haut, le cœur ne peut
plus penser. La personne n'est plus en possession d'elle-même, sa
tête est un peu tournée. Le cœur ne pense plus et tout le travail est
fait par la bouche et la cervelle. Un tel malade quand on me l'amène,
il y a une plante que je broie et que je donne à priser au patient;
il éternue pendant longtemps, il se mouche et tout ce qui est en
haut descend petit à petit. Il y a une autre plante qu'on lui administre
au moment du coucher du soleil: on lui en met des gouttes dans les
yeux, dans les oreilles (pour soigner la cervelle). Si Dieu accorde son
pardon, en 2 ou 3 jours, cet état passe: l'abondance de la parole
disparaît.
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346

VIla

Q: Comment la maladie pénètre-t-elle dans le corps pour aller jusque


dans le sang?
R: Il y a plusieurs sortes de maladies, celle de la peur causée par un
génie, par exemple.
Q: Par où entre-t-elle?
R: Quand un individu rencontre un génie, la peur commence du côté
de la tête pour se répandre dans le corps; s'il s'agit de la peur donnée
par un sorcier, cette peur saisit la poitrine pour aller vers le haut.
Il y a plusieurs sortes de peurs provoquées par le sorcier: pour
l'une, la personne est couchée, ne fait rien, et on se dit que d'un
instant à l'autre elle va mourir. Si le guérisseur la soigne_elle se lèvera.
Une autre peur n'a pas de patience et tue sur place si les sorciers ont
pu prendre le biya; une autre peut persister pendant une année, ce
qui n'empêche pas, si la personne a longtemps à vivre, qu'un guérisseur
puisse la guérir.
Q: Elle veut savoir comment la maladie entre dans le corps.
R: S'il s'agit de la peur, elle entre par les yeux pour se répandre dans
tout le corps.
Q: Est-ce que vous localisez la maladie lorsqu'on est malade?
R: Chaque maladie a sa manière de saisir; il yale mal du ... (enregistre-
ment inaudible), le mal de la poitrine, le mal de la tête; chaque maladie
a son chemin; quand on dit qu'une personne est sérieusement malade,
c'est que la maladie se situe de la poitrine jusqu'à la tête.

VIII

Q: Quelle est la partie du corps qui fait dire des «paroles droites» (cohé-
rentes) ?
R: C'est la cervelle qui, lorsqu'elle a été touchée par quelque chose,
provoque «la parole d'autrui»; par exemple, si elle a été blessée
ou fatiguée par une maladie.
Q: Quand la personne n'a rien, qu'est-ce qui fait penser, la cervelle ou
le cœur?
R: Le cœur. C'est le cœur qui pense et la parole entre (existe); la cervelle
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ne joue aucun rôle dans la parole. Si son cœur est sain et si sa cer-
velle est malade il ne peut pas dire de «paroles droites» mais si
sa cervelle est saine et son cœur malade, il peut dire des «paroles
droites». Si tous les deux se portent bien, c'est le cœur qui parle.

IXa

Q: Qu'est-ce que le biya ? (8)


R: Le biya existe, différent de la personne. Chaque être humain en a;
les sorciers et les génies opèrent à partir du biya, c'est le biya qu'ils
saisissent, car même si une personne en hait une autre, elle ne peut
pas la poignarder en la rencontrant, ou lui jeter une lance pour la
frapper, ou lui donner un coup sur la tête avec les doigts. Dieu a
donné aux sorciers le pouvoir de voir le biya.
Q: Où se trouve le biya de la personne?
R: Il est contre la personne, il n'est pas dans le corps de la personne.
Q: Le biya ressemble-t-il à la personne?
R: C'est la personne. L'état de sorcier provient de Binta (9), ce sont
ses descendants qui voient Je biya, les génies le voient peut-être aussi
ainsi que ceux qui se lavent les yeux avec un charme (sibilz).
Q: Le biya est-il à droite ou à gauche?
R: Il n'est pas d'endroit où il ne se trouve pas.
Q: Est-il dans l'ombre du corps? (10)

R: Le biya est contre le corps.


Q: Peut-on vivre sans biya?
R: Respirer et être vivant alors que le biya n'est pas là, cela est impos-
sible. Dès qu'on meurt, le biya n'est plus là et dès que le biya n'est
plus là on est mort. La personne et le biya ne peuvent pas partir

(8) biya, «double» en comprenant ce terme de la manière suivante: réplique


invisible - sauf pour le sonance et le sorcier - de l'être humain dont la vie ne
peut se concevoir hors de sa présence. Ce mot ne sera plus traduit dans la suite du
texte.
(9) Binta: femme marabout connue par plusieurs récits de la tradition orale
(cf. J. ROUCH,La religion et la magie chez les Songhay), et dont est issue la sor-
cellerie.
(10) Ombre: en songhay zarma le mot biya signifie également ombre, qu'il
s'agisse d'un homme, d'un être animé ou d'une chose.
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348

l'un sans l'autre. Après la mort, le biya ne va pas chez quelqu'un


d'autre, il reste avec le corps, quand la personne est vivante elle est
avec son biya.
Q: Dans ce cas lorsque les sorciers saisissent le biya, le mangent-ils tel
qu'il est ou le transforment-ils auparavant?
R: Ils le transforment en poulet, en un animal de troupeau (aiman) et le
jour où ils veulent le tuer, ils se réunissent en groupe, la nuit, sur
un terrain de latérite (ganganz), ils le tuent et dès qu'ils l'ont tué,
la personne meurt.
Q: Dans ce cas, c'est pendant le temps où ils détiennent le biya que la
personne est malade.
R: Exactement. Si la personne obtient de l'aide le guérisseur cherche,
au moyen des plantes avec lesquelles il la traite, à faire revenir le
biya; la personne recouvre la santé.
Q: Le biya est-il vivant?
R: C'est en fait lui qui est vivant, c'est lui la vie (hundi) de la personne.
Q: Tu dis que le biya est la vie; est-ce que la vie se trouve dans la per-
sonne elle-n1ême ou dans son biya?
R: Tous les deux ont la vie, mais si l'une est absente l'autre ne sert à rien.
Q: Pourquoi ces deux vies sont-elles séparées?
R: C'est ainsi que nous avons été créés; le biya a sa propre vie et le
propriétaire du biya a la sienne) mais dès que l'une meurt, l'autre
meurt; c'est la création divine.

IXb

Q: Pourquoi dit-on que le biya des circoncis, d'une femme qui vient
d'accoucher, d'une jeune mariée, d'une veuve, est «fragile» (peut
être facilement pris par les sorcières) ?
R: Parce que le sang n'est pas loin d'eux.
Q: Dans ces conditions, s'il y a du sang à côté d'une personne, son
biya est un peu éloigné d'elle?
R: Non, le biya ne va pas loin, et c'est cela que le sorcier aime.
Q: Est-ce que le biya abandonne la personne pour aller se promener?
R: Le biya ne quitte pas la personne, il ne s'éloigne pas de son corps.
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349

Q: Pourquoi les sorciers attrapent plus facilement le biya de ces gens-là?


R: En ce qui concerne le circoncis, les sorciers viennent la nuit, même
là où une goutte de sang est tombée à la suite de l'opération, à plus
forte raison le sorcier est-il excité par une personne qui a une telle
plaie; le sorcier se met à le chercher et s'il réussit à s'emparer de
son biya, il le tue. Quant à la veuve, le malheur n'est jamais loin
d'elle, elle attire le malheur. Cet état ne se termine que lorsqu'elle
sort de la période de réclusion; elle aussi, le sorcier ou le mauvais
génie qui la voit, la tue facilement. La jeune accouchée a elle aussi
du sang et les sorciers et les mauvais génies dont nous avons parlé ne
s'éloignent pas d'elle à cause de ce sang. Voilà pourquoi on dit que
ces personnes ont un biya fragile, elles attirent toutes le malheur.
N'as-tu pas remarqué qu'on fait des médicaments qu'on met à l'entrée
des cases de circoncis, de jeunes accouchées et de veuves? En ce qui
concerne les circoncis, il y a des paroles que nous prononçons une
fois que nous avons tiré la peau pour la couper; c'est pourquoi, même
si le sorcier voit le circoncis il ne voit pas son biya.

XI

Q: Qu'est-ce qui provoque le rêve?


R : Je ne sais rien sur le rêve; (Sodiya) chaque personne, je ne sais pas
pour les blancs, mais tous les noirs ont chacun un ange (maleka) qui
le suit; lorsqu'une mauvaise chose va se produire, comme une maladie,
le maleka de certains les fait rêver, par exemple telle maladie est dans
tel village et va venir ici. Au réveil, on sait qu'on a rêvé, grâce à ce
qu'on a réussi à retenir du rêve. Si on connaît l'aumône qu'il convient
de faire, on possède le médicament contre le mal annoncé par le rêve.
Mais si on n'a pas réussi à connaître les aumônes adéquates, c'est
comme si on n'avait rien appris dans le rêve. Ceux qui ont un génie
(holey) - le holey est descendu sur eux et ils ont été initiés -
ceux-là voient les choses mauvaises si le holey les aime, car il les fait
rêver sur ces choses, il explique dans le rêve ce qui va se produire.
On retient une partie du rêve, si on peut y porter remède, le rêveur
déclare: «j'ai rêvé de ceci et de cela, et il faut donner en aumône
ceci ou cela ». Si Dieu a décidé que cette personne doit échapper au
mal, elle en entend parler mais la chose mauvaise ne l'attaque pas.

Q: On nous a dit au cours de nos précédentes enquêtes que ce que le


biya a vu ou entendu en se promenant pendant le sommeil de l'homme,
c'est ce qui apparaît sous forme de rêve.
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350

R (Sodiya): Chacun a sa connaissance. Si le biya quitte une personne qui


est en train de dormir et va se promener, à coup sûr, il ne reviendra
pas, car un sorcier ou un génie l'attrapera.

IXc

Q: Est-ce qu'un sorcier possède un biya comme les autres hommes?


R (Yaye): Oui.
Q: Est-ce que son biya est le même que celui des autres?
R: Oui.

Q: Est-ce que vous, vous voyez le biya des sorciers?


R: Dis-lui que quand on parle de Sonance, cela veut dire qu'il voit le
biya de celui qui est sorcier et de celui qui ne l'est pas. C'est grâce
au médicament dont j'ai déjà parlé. Quand on appelle un Sonance près
d'un malade, même si le biya du malade s'est un peu écarté de lui,
le Sonance le voit. Quand un Sonance voit une personne, il sait si son
biya est contre elle ou non. C'est en cela que consiste la connaissance
des Sonance. En dehors de lui, il n'y a que les sorciers et les génies
qui voient le biya.

XIIa

Q: Comment le sorcier réussit-il à voler?


R: Nous le savons parce que c'est notre champ. Le sorcier tête la sor-
cellerie au sein de sa mère mais si son père est sorcier alors que sa
mère ne l'est pas, il ne peut pas voler; c'est seulement son cœur qui
n'a pas de pitié pour personne. Dans la sorcellerie il faut distinguer
le fait de voler, l'obscurité et la possibilité de se métamorphoser.
Concernant le fait de voler, certaines personnes se mettent à mentir,
disant qu'il enlève sa peau; ça, ce n'est pas la vérité. L'aptitude du
sorcier à voler est un don de Dieu; il y a 4 feux, 2 se trouvent dans
la région du bas-ventre, les 2 autres sont sous les aisselles. Quand il
doit s'envoler, il s'élève et ce sont les 4 feux qui le conduisent à
destination. Il descend. Quand il appuie ses bras contre son corps
tous les feux s'éteignent et apparaît l'obscurité dans laquelle on ne
voit rien. S'il n'a pas trouvé ce qu'il cherchait il repart à nouveau
grâce à ses feux pour une autre destination. Lorsque l'aube approche,
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les feux le ramènent tout près du village, il se métamorphose et il


reprend sa première forme une fois entré dans sa concession. Si la
mère ne connaît pas la sorcellerie et si le père la connaît il ne peut
pas voler mais son cœur n'a pitié de personne.
Q: Est-ce que ces feux brûlent les herbes?
R: Non, la seule fonction du feu est de l'amener là où il veut.
Q: Lorsqu'il veut s'envoler, comment obtient-il le feu? Comment le
fait-il sortir?
R: C'est Dieu qui lui en donne les moyens. Mais il peut effrayer une
personne dans un village même quand il est dans son état normal.
S'il marche et rejoint un individu, même si le sorcier ne fait qu'un
petit signe, l'autre a peur. Si le sorcier s'agenouille et qu'un individu
vienne à passer et si le sorcier lui crie «ah» il a peur. Certains se
transforment en chiennes dont les mamelles sont très grandes et
effraient les gens.
Q: C'est cela qui est hérité de la mère?
R: Oui. Il peut se transformer en une poule suivie de ses poussins lorsque
la terre se refroidit (vers une heure du matin), il peut se transformer
en outre pleine d'eau et qui roule la nuit. Quand on aperçoit cette
outre, si on n'est pas Sonance, Zima ou quelqu'un à qui Dieu a donné
une protection, le biya prend peur et on tombe malade.
Q: Est-ce lorsque le biya a eu peur qu'il s'écarte de l'individu?
R: Non; dès -que le biya qui est contre la personne a pris peur son corps
tombe malade, mais si on connaît quelque chose, on peut frapper
l'outre et le sorcier retrouve sa première forme.
Q: Est-ce qu'ils ont des incantations qui leur permettent de se métamor-
phoser.
R: Non, c'est un don de Dieu.

Q: Ils n'ont donc aucune incantation pour les métamorphoses?


R: Au nom de Dieu, nous les Sonance nous ne la connaissons pas. Mais
nous les reconnaissons à travers leurs métamorphoses.

Q: Est-ce qu'au moment où ils se sont métamorphosés pour faire le mal


leur cœur s'est transformé en un cœur d'animal malfaisant ou bien
gardent -ils leur cœur d'êtres humains?
R: Quand ils sont sur le point de faire le mal, c'est le lait qu'ils ont têté
qui bouillonne; lorsque le lait bouillonne ils ne peuvent faire que le
mal, rien ne peut les retenir. C'est donc le lait qui entraîne le mal.
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lis ne cherchent qu'à manger ce qu'ils ont attrapé. S'ils y parviennent,


le lait descend (se calme).
Q: Comment reconnaît-on un sorcier?
R: Je t'ai déjà dit que nos pères nous font manger un médicament, c'est
cela qui fait l'état de Sonance. Grâce à cela, même par ses yeux nous
reconnaissons un sorcier. Il n'y a que le Sonance qui ait ce pouvoir
ou bien celui qui a mangé ce médicament. Dans les cils du sorcier,
il y en a quelques-uns qui sont particuliers et qui permettent de l'iden-
tifier; même s'il n'a jamais mangé personne, tu as la certitude qu'il
est un sorcier.

IXd

Q: Est-ce qu'il y a des maladies qui prennent le biya au malade?


R: Lorsqu'une maladie du corps est devenue grave au point que l'individu
est sur le point de mourir, son biya ne s'en approche pas.
Q: Est-ce que toutes les maladies de corps le font?
R: Non non; voici un exemple de maladie qui éloigne le biya de l'indi-
vidu: celle qui a bien attrapé la région du cœur pour se diriger vers
la nuque puis vers la tête et à la suite de laquelle le malade ne
reconnaît plus rien.

XIII

Q: Elle constate que les Zima et les Sonances et tous ceux qui soignent
disent des paroles et crachotent, après. Dans ce cas cas-là, qu'est-ce qu'il
y a dans la salive?
R: Les paroles qu'on a prononcées, les paroles qu'on a prononcées, ce
sont elles qui suivent la salive.

IXe

Q: Les Zarma disent: un tel a du biya, un tel n'a pas de biya, pourquoi?
R: Ceci n'a rien à voir avec le biya dont on t'a parlé; un tel n'a pas de
biya veut dire qu'il n'a pas d'ascendant (gakuTz) auprès des autres.
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XIV

Q: Qu'est-ce que le lakkal?


R: Le lakkal vient du cœur, c'est le cœur qui pense le lakkal; par exemple
quelqu'un a du lakal s'il arrive à savoir ce que son supérieur désire
et le fait sans que son supérieur le lui ait demandé en sachant que ce
qu'il va faire correspond à une préoccupation du supérieur. L'individu
le fait donc, cela fait plaisir au supérieur, on dit qu'il a fait preuve
de lakkaI. Ou encore, un enfant voit un adulte, il l'insulte ou lui fait
quelque chose de désagréable; cet enfant n'a pas de lakkaI. Celui qui
a du lakkal ne fait pas cela, il maîtrise sa bouche et ne se mêle pas
de ce qui ne le regarde pas.

Q: Est-ce le lakkal qui fait que le cœur pense ou est-ce le cœur qui fait
que le lakkal se manifeste?
R: C'est le cœur qui pense et le lakkal se manifeste.
Q: On dit souvent «le lakkal d'un tel s'est levé », pourquoi? «< lakkalo
tun» ).
R: On le dit lorsqu'une personne fait ce qu'elle n'aurait pas fait si son
lakkal était complet.

Q: Comment le lakkal peut-il se détacher d'un individu?


R: Il se détache du cœur.

Q: Comment le lakkal peut-il se lever?


R: Lorsque le cœur a pensé et que l'individu se met à faire uniquement
des choses qui ne sont pas bien, il n'a plus de lakkal; les gens sont
surpris et disent: «le lakkal d'un tel s'est levé».

Q: Souvent on le dit même pour des fous.


R: Oui, en effet.

Q: Est-ce que le lakkal se trouve dans le cœur, vivant de la même vie que
le cœur ou bien est-ce qu'il est comme le biya ?
R: Non, il ne ressemble pas au biya; le cœur pense de bonnes choses et
lorsque la personne fait ces bonnes choses on dit qu'il a du lakkaI.

Q: Donc, tout acte bon du cœur est produit par le lakkal ?


R: Oui, si le cœur pense de mauvaises pensées que l'individu traduit en
actes mauvais, on dit qu'il n'a pas de lakkal, mais le lakkal n'a pas
de vie autonome.

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Q: Et le lakkal n'est pas une chose dont on connaît l'emplacement dans


le corps?
R: Personne ne connaît son emplacement, c'est le cœur qui le pense et
le fait se manifester.
Q: Est-ce que le biya a aussi un lakkal ?
R: Tout ce qui est dans la personne est dans le biya; le biya ne possède
rien en propre, c'est seulement ce que possède la personne qu'il
possède; si la personne n'a pas de lakkal le biya n'en a pas.

xv

Q: Est-ce que les Zarma savent pourquoi et comment l'homme parle?


R: Au nom de Dieu je ne connais pas.
Q: Qu'est-ce qui permet à un individu de parler?
R: Selon notre connaissance, je ne parle pas de la connaissance des blancs,
c'est la corde du cœur qui permet de parler parce que c'est la corde
du cœur qui vient rejoindre les tendons du cou pour aller jusqu'à la
tête et venir à la bouche ce qui permet à l'homme de parler.

XVI

Q: Comment les odeurs peuvent-elles rendre malade?


R: N'est-ce pas que tu sais que les oreilles, le nez, la bouche et la tête
ont le même tendon? nous ne savons rien de la respiration mais une
odeur est différente de l'air dans la mesure où elle pèse dans le nez.
Quand cette odeur arrive dans la tête elle suit les veines pour se répan-
dre dans le corps où elle provoque la maladie. On peut distinguer l'air
de l'odeur et les odeurs entre elles: odeurs lourdes, odeurs de sorciers,
odeurs de génies - je parle de ceux qui connaissent et qui peuvent les
distinguer.

XVII

Q: D'où vient le lait qui descend dans le sein?


R: Je ne sais pas. Nous savons que c'est dans le lait que l'on tête le
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courage, la sorcellerie et d'autres qualités, mais je ne sais pas d'où il


part pour venir sous forme de lait.
Q: Si on a têté cela dans le lait, où est-ce que cela reste dans la personne?
R: Dans la poche du lait. C'est à partir de cette poche que cela se répand
dans le sang.
Q: Où se situe la poche de lait?
R: C'est l'estomac qui est la poche du lait, car tu sais qu'à partir de
l'estomac il n'y a que des chemins le pancréas (inaudible), les intes-
tins, etc. Le lait emprunte ces chemins quand il entre dans le sang.
Les tisanes (gitti) que l'enfant boit entrent dans le sang. Nous appelons
donc poche de lait l'estomac dans lequel le lait se couche.

XIIb

Q: Est-ce qu'un sorcier reconnaît un autre sorcier?


R: Oui, il le reconnaît.

Q: Se prennent-ils leur biya entre eux?


R: Ils s'entre-tuent même; ils se rendent mutuellement service en tuant
l'un pour l'autre; un sorcier cherche à manger une personne sans y
parvenir, l'un d'entre eux donne alors son enfant à manger; ils atten-
dent que -Ia personne qu'ils n'ont pas pu manger ait un enfant, ou ils
attendent le jour du mariage de la personne, et ils se réunissent pour
aller tuer la victime.

XIX

Q: Qu'est-ce qui provoque la folie?


R (Sodiya) : C'est Dieu qui fait descendre la folie sur l'individu et quoiqu'il
fasse la folie le saisit. Quand elle s'est emparée de lui, ce n'est pas la
même chose que lorsqu'un génie veut un cheval.
(Yaye): Le génie qui se trouve dans la cervelle est à part, le malade
dont la cervelle a été très fatiguée par une maladie peut être fou.
Si un individu tombe et que sa cervelle se blesse il devient fou. Quant
au génie qui lance des objets sur les gens ou qui blesse avec un couteau
ou celui qui ne dit rien ce sont des mauvais génies que Dieu envoie
pour attraper les gens. Si une personne a été attrapée par un de ces
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génies on l'amène chez un Zima. Le Zima la soigne et avec l'aide de


Dieu elle guérit; il y a des personnes que l'on amène chez un Zima
et qui ne guérissent pas. Tout cela est différent des maladies qui
tournent (11) la cervelle.
Q: Est-ce qu'une personne à qui la tête a échappé garde son biya der-
rière lui?
R: Tant que la personne n'est pas morte, son biya ne la quitte pas.
Q: Et son cœur, a-t-il changé ou est-il resté le même?
R: Naturellement son cœur a changé parce que s'il était resté le même
il aurait été conscient. Son cœur est détraqué et son lakkal s'est levé
et n'est plus contre le c.œur.

VIIb

Q: Y a-t-il des maladies qui pénètrent dans le corps ailleurs que par le
nez ou par la bouche?
R: On peut contracter une maladie par l'anus (inaudible) qui remonte
alors dans le corps et peut même rendre fou; une telle maladie, les
Rausa l'appellent Dankanoma (inaudible) et nous, nous l'appelons
weyno beeri. Tu peux même voir qu'on le lave avec du savon noir
(sa/un solio); cette maladie mange, mange et tire sur l'individu; elle
peut même « emporter sa tête» (le rendre fou).

xx

Q: Par où la peur pénètre-t-elle dans le corps?


R: Chaque espèce de peur a sa route. La peur provoquée par les sorciers
qu'on a vus la nuit ou par les sorciers qu'on n'a pas vus car ils ont
(12) du
fait l'obscurité, se produit de la manière suivant: tout le biya
corps s'affaisse, et une fois que le corps s'est affaissé, cela veut dire
que la peur a pénétré dans le sang et on devient malade.
Q: C'est donc par le corps que pénètre cette peur?
R: Oui.

(11) Maladies qui tournent la cervelle: il s'agit probablement de l'expression


d'un mouvement conçu comme réel.
(12) biya: ici le terme a un sens proche de «tonus~, c tonicité ».
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Q: . Par les pores de la peau ou bien...


R: Par les pores (hamni June).
Q: Dès que le tonus s'en va les pores s'ouvrent; si le biya est loin de la
personne, le sorcier s'en empare. Et les autres peurs?
R: Quand un individu tombe sur un génie, la peur pénètre dans la région
de la tête, du fait que les yeux l'ont vu. On tombe alors malade, il faut
être soigné, après les soins on peut guérir.
Q: Est-ce que l'enfant qui est dans le ventre a un biya ou bien faut-il
être né pour l'avoir?
R: Il faut naître pour avoir un biya.
Q: Est-ce que l'on sait après combien de mois le cœur se forme?
R: Nous ne savons pas.

IVb

Q: Quand les Sonance sentent son odeur ils reconnaissent un sorcier?


R: Nous n'avons pas besoin de son odeur, dès que nous le voyons nous
le reconnaissons.

VIIb

Q: Comment reconnaît-on que c'est la maladie du weyno?


R: Parce qu'il commence par le bas du dos à partir de la moelle épinière
(hansi Londi) pour monter jusque derrière le cou, puis dans la tête
pour redescendre dans les yeux et provoquer alors le sommeil. Le
malade n'a pas de force et seul le sommeil lui plaît.

IXf

Q: Pense-t-on que l'enfant qui est dans le ventre de sa mère a un biya?


R: L'individu naît avec son biya.
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IXg

Q: Que faut-il enlever à un individupour qu'il meure?


R: Dès qu'un individu meurt, son biya meurt mais je ne sais pas comment
arrive la mort.

XXI

Q: Où se situe la vie (hundl)?


R: Elle est près du cœur car, lorsque la vie est sur le point de s'en aller,
elle quitte le cœur pour aller vers le haut. Arrivée en haut, la vie sort
par le nez.

XXII

Q: Où se trouve l'intention? (anniya) (13).


R: Dans le cœur.

(13) On n'a pas trouvé de mot qui traduise exactement notre mot «volonté ».
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

LA'. N'OTION
-
DE PERSONNE
.

CHEZ. LES ZARMA


-

Agnès DIARRA

Il existe, en zarma, deux termes pour désigner la personne: borD


et bunadamizé. Le premier mot provient du vocabulaire traditionnel le
plus ancien, c'est d'ailleurs lui qui est le plus employé. Le second, qui
signifie littéralement enfant d'Adam, est apparu dans la langue avec
l'introduction de l'Islâm.
C'est donc, en raison de son ancienneté, le mot boro qui retiendra
tout spécialement notre attention. On notera que les Songhay l'emploient
eux aussi dans le même sens et que par là se trouvent confirmées à la fois
une certaine communauté linguistique et une certaine communauté reli-
gieuse.
L'analyse- de la notion de personne borD chez les Zarma sera faite
ici d'abord à travers les relations que les hommes entretiennent entre eux
dans le cadre de la vie sociale, ensuite à travers ce qu'est la personne
boro dans sa relation au monde.
Selon les Zarma on naît «bonne personne» borD hanno ou «mau-
vaise personne» boro lalo, tout cela étant fonction des traits caractériels
qui sont innés, mais aussi de l'intelligence lakkal (1). L'expression borD
hanno sera utilisée chaque fois que l'on voudra désigner un individu qui
présente des qualités morales telles que la générosité, la discrétion, etc.
Pour désigner une personne ayant une dimension sociale importante,
soit pour sa bonne éducation, soit pour sa fortune matérielle, on pourra
dire tout simplement « c'est quelqu'un», boro ya boro no.
L'expression boro no kan ga nga bon bey, c'est-à-dire c'est «une

(1) J. BISILLIAT,D. LAYA,E. PIERRE,Ch. PIDOUX,La notion de lakkal dans la


culture Djerma-Songhay (introduction à une recherche multidisciplinaire), in Bull. de
la Soc. de Psycholopathologie et d'Hyg. Mental. de Dakar, vol. III, n° 2, 1967, p. 209.
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personne qui se connaît», est employée pour parler de l'individu qui


respecte les autres à travers le respect qu'il a pour lui-même!
On dira de quelqu'un qu'il est boro kan ga hawi bey, c'est-à-dire une
personne qui éprouve une manière de gêne déférente et de confusion res-
pectueuse, hawi. Enfin, en parlant de quelqu'un on pourra dire: boro kan
ga nda lakkal, personne qui a du lakkal ou boro kan ga wani andamizétarey,
personne qui pratique l'art du savoir vivre, pour désigner une personne
qui sait faire preuve d'intelligence, de jugement et de mesure.
La notion de personne chez les Zarma est perçue à travers les normes
que son l'intelligence, lakkal (à travers lui le savoir beyrey), et la gêne
déférente hawi qui prévalent dans les relations interpersonnelles.
Par ailleurs il est tout-à-fait impossible de comprendre les activités
et les représentations religieuses des Zarma sans connaître ce que signifie
pour eux la réalité humaine, c'est-à-dire la personne. Boro, entendons la
personne, est conçu comme un composé ou comme une. unité de trois
éléments: le ga, qui est le corps, le bya, qui est le double et le fundi, ou
force vitale, animant à la fois le ga et le bya.
En réalité, on parle du ga en vertu d'une certaine simplification; plus
profondément, il s'agit du ga ham ou chair du corps qui est précisément
l'aspeèt charnel de la personne. On se sert de cette même expression pour
désigner, par exemple, la réalité corporelle des animaux
De même, le bya n'est pas un aspect réservé à la seule personne
humaine. Certains vont même jusqu'à penser que toutes les réalités, vivantes
et non vivantes, sont pourvues d'un double. Ce double est invisible, du
moins pour le commun des mortels. Il ne saurait être confondu avec l'âme
des Gréco-Latins, car le bya n'est ni un principe de vie ni un principe
de mouvement. Il nous apparaît plutôt comme un principe d'individuation
puisque, en s'installant dans l'être vivant une semaine après sa naissance,
il lui confère sa réalité singulière. C'est pourquoi on n'a pas le droit avant
ce délai de donner un nom à l'enfant.
Si l'on voulait à tout prix procéder à des comparaisons interculturelles,
il faudrait rapprocher la relation du bya et du ga non de la relation chré-
tienne de l'âme et du corps mais plutôt du rapport aristotélicien de la
forme et de la matière, sans oublier toutefois que le bya ne possède pas
la puissance animatrice de la: forme ou eidos.
L'animation du composé qu'est boro, provient du' fund,}, c'est-à-dire
d'une force vitale très généralement exprimée par les religions tradition-
nelles de l'Afrique. Précisons, à ce propos, que la religion traditionnelle
zarma ne nous paraît pas correctement désignée par le terme d'animisme et
encore moins par celui de fétichisme.
Il est généralement admis de nos jours que le fétichisme ne définit
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correctement ni les religions de l'Afrique, ni d'ailleurs aucun autre système


religieux (2). Le fétichisme permet tout au plus de rendre compte de cer-
tains phénomènes de dégénérescence spirituelle qui ne sont le propre
d'aucune religion comme telle. L'emploi du terme d'animisme présente
en apparence moins d'inconvénients. Il n'en est pas moins vrai qu'il tend
à intellectualiser abusivement les représentations religieuses africaines. Dans
la mesure où précisément nous refusons de confondre le bya zarma avec
l'âme (anima) ou avec l'esprit (animus), le terme d'animisme nous paraît
peu satisfaisant en tant qu'il pourrait ramener à une métaphysique étran-
gère la vision africaine de la personne propre aux Zarma.
La conception de la personne qui prévaut encore en Occident et qui
provient à la fois de l'héritage gréco-latin et de l'héritage judéo-chrétien,
est, on le sait, un dualisme. Au contraire, la représentation zarma de la
personne est une représentation triadique selon laquelle les fonctions d'indi-
viduation et d'animation sont assurées respectivement par le bya et par le
(3).
fundi
La réalité, normalement invisible mais toujours certaine, des byey
(pluriel de bya) montre que les Zarma ont traditionnellement cru à l'exis-
tence d'un arrière monde, celui des doubles. Ainsi leur vision de l'univers
et de l'homme ne consiste pas seulement en une croyance aux forces
vitales. Elle consiste en même temps en une croyance aux doubles se trou-
vant attachés à la réalité de tout ce qui possède l'existence individuelle.
La conception triadique de la personne dont nous venons de faire
état, permet de comprendre le jeu des puissances qui a cours dans le
culte des foleyey, dans le traitement des maladies et dans la sorcellerie.
Bien que le bya ne soit pas un principe de vie, il est néanmoins vivant,
c'est donc sur lui qu'opèrent les ganjey (génies), les hargey (froids) et
le zima pour traiter les personnes que ceux-là ont rendu malades. Il

(2) «La traite des Noirs ne fut jamais une affaire de tout repos; elle exigeait
sa justification; aussi fit-on du Nègre un demi-animal, une marchandise. Et c'est ainsi
que l'on inventa la notion de fétiche comme symbole d'une religion africaine. Marque
de fabrique européenne! Quant à moi, je n'ai vu dans aucune partie de l'Afrique
noire les indigènes adorer les fétiches. L'idée du «Nègre barbare» est une invention
européenne qui a par contre-coup dominé l'Europe jusqu'au début de ce siècle ».
Léa FROBENIUS,in Histoire de la civilisation africaine, tr. fro Gallimard, Paris, 1952,
p. 15.
(3) «Il y aurait donc bien de naïveté ou d'absence d'esprit critique, en tous cas
beaucoup d'ignorance, à croire que la personne, conçue à l'occidentale, est une «réa-
lité », qu'il suffira d'observer et de décrire. Encore plus ethnocentrique est l'attitude
de ceux qui pensent qui'l y a une «évolution» et que cette évolution aboutit comme
dernier stade à ce que nous sommes nous-mêmes. A ces interprétations visiblement
trop étroites, on serait tenté d'opposer une théorie fonctionnaliste: chaque conception
du moi dans une société donnée est reliée aux institutions et aux valeurs de cette
société à la fois comme effet et comme cause ». J. STOETZEL,La psychologie sociale,
Flammarion, Paris, 1963, pp. 155-156.
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en est de même de l'action du cerkow, sorcier mangeur de doubles, enfin


du sonance, magicien qui sait récupérer les doubles. On distingue, dans la
tradition zarma deux conceptions de la maladie. Ou bien il s'agit de
troubles purement somatiques qui sont traités selon la médication tradi-
tionnelle puisque seul le ga est affecté, ou bien il s'agit de troubles du
comportement qui sont par conséquent relatifs au bya. Dans ce dernier
cas, la cause des troubles est imputée aux foleyey et c'est le culte de ces
génies qui peut permettre la mise en œuvre des thérapeutiques appropriées.
On ajoutera que si les médications n'arrivent pas à guérir le patient de
ses troubles somatiques, on se trouve également obligé de recourir aux
foleyey.
La maladie, d'une manière générale, est perçue en milieu zarma
comme le fait de Dieu. Pour la traiter, on se réfère soit au zima qui
négocie avec les foleyey, intermédiaires entre Dieu et les humains, soit
avec le marabout qui intercède auprès du Créateur Suprême.
Lorsque le traitement est assuré par le zima, ce sont les foleyey qui
lui donnent les prescriptions nécessaires à la guérison du cas considéré.
Il se peut aussi que ce soient les génies eux-mêmes qui apportent au zima
les médicaments à employer pour soigner le patient.

La possession et le traitement.

Le culte des foleyey apparaît comme un moyen privilégié du réta-


blissement de l'ordre dans l'individu et dans la société. Ainsi la maladie
qui est à l'échelle de l'individu un désordre à la fois psychique et soma-
tique, est traitée à la faveur de cérémonies dont certains aspects relèvent
de la psychothérapie de groupe. Ainsi le désordre qui est comme une
maladie dont souffre ou peut souffrir l'organisme social, se trouve surmonté
par la puissance purificatrice et harmonisante de ces mêmes cérémonies.
Le traitement du malade que l'on présente au zima (prêtre du culte)
s'effectue de la manière suivante: au crépuscule, le malade est conduit
sur une fourmilière où il devra rester assis face à l'ouest (4). Sorka Simiri
nous a expliqué que les fourmis ne piquent pas le malade puisqu'il leur a
été confié par le zima et que toute chose confiée étant sacrée il ne se
passe rien. Avec la plante du pi~d, le zima trace, à partir de la fourmilière,
quatre chemins dans le sens des quatre points cardinaux. Ensuite il lance
dans ces mêmes directions une poignée de graines variées mélangées les-

(4) On choisit une fourmilière parce que les fourmis symbolisent le savoir et que,
par extension, la fourmilière représente la maison du savoir. Lorsque les génies dans
leur langage parlent de maison, c'est de la fourmilière qu'il s'agit.
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unes aux autres. Le lancement des graines s'effectue à partir de l'ouest


en suivant le sens inverse des aiguilles d'une montre. Le musicien, gojekari,
joue alors l'air que l'on appelle sagaji goje et, si le zima ne réussit pas
à déclencher la crise élémentaire qui lui permettra d'identifier le génie
perturbant la santé du malade, il fait jouer un autre air plus rapide gawey-
gawey. Le prêtre du culte plante une lance, hangakoy que le patient attrape
de la main en se tenant debout. Le zima choisit ensuite parmi les poulets
qu'il a fait apporter un poulet blanc. Il le promène sur le corps du malade
et l'on dit qu'il balaie (haabu) le patient. Cette opération s'accomplit en
allant de la tête aux pieds (5). En effet il est interdit d'agir en sens inverse,
au risque de faire remonter dans les cieux le foley dont les agissements
permettent au zima de gagner sa vie. Après le «balayage », haabuyan,
le poulet est maintenu au-dessus de la tête du patient jusqu'au commen-
cement de la transe. Lorsque celle-ci tarde à se déclencher, il prend un
autre poulet, le noir par 'exemple, et recommence la même opération que
précédemment. Le prêtre du culte procède donc par étapes successives
pour arriver à identifier le génie auquel il a affaire. Ce dernier, par la
voix du malade dont il emprunte le corps, peut se définir de trois manières:
il est soit un génie méchant, soit un petit génie turbulent soit enfin un
génie qui aime son bari, cheval, et entend le posséder (6). Trois possibilités
se présentent alors quant au traitement du patient. Si le foley refuse de
quitter son cheval et rejette toute solution d'arrangement, le malade devient
incurable. Le foley peut aussi manifester le désir de disparaître définitive-
ment, à condition qu'on lui sacrifie un animal, chèvre, mouton ou vache;
il peut arracher la tête et boire le sang du poulet que l'on a promené sur
le corps du malade avant le début de la transe. Le patient recouvre alors
sa santé, sans' plus manifester aucun signe du mal qui a provoqué le
traitement. Enfin, dans le dernier cas, le foley exige que, au terme d'un
délai variable, le malade soit mis en couveuse (goumendi), ce qui signifie
qu'il doit être installé dans la case initiatique, afin qu'il retrouve la santé.
En attendant le jour fixé par le génie, en accord avec le zima et les
parents du malade, celui-ci retourne à la vie normale. Mais si le génie ne
veut pas accorder le délai indispensable aux parents du patient en vue
de se procurer les moyens nécessaires au paiement du zima, ce dernier
entreprend le traitement à crédit. Avant de quitter la fourmilière, la bawiya
(servante du culte) donne un bain au malade ou encore les foleyize,
c'est-à-dire ceux qui sont déjà initiés, lui font des ablutions. Pour rétablir
hanse, le malade, le zima fait construire une case dont les bois de soutène-
ment ont été bénis par lui. Dès que la personne en voie de traitement

(5) Chaque variété de plumage de poulet correspond à une famille déterminée


de foleyey (génies).
(6) Rappelons que tout individu possédé par un foley est le barf (cheval) de
celui.ci.
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jitalizé entre dans la case, le zima prend des petits cailloux ou du sable
qu'il bénit et dépose aux quatre coins d'une natte étalée à l'envers et sur
laquelle le patient devra s'asseoir ou se coucher pendant tout le temps
que durera son traitement (7). La bawiya est chargée de la surveillance
et de l'entretien du patient. L'homme bawiya (servant du culte) surveille
le jitalizé du sexe masculin de même que c'est la femme bawiya qui veille
sur les femmes à initier. C'est seulement à partir de 50 ans qu'une femme
bawiya peut surveiller indifféremment les hommes et les femmes.
C'est la femme bawiya qui préparera le repas de l'initiée avec les
plantes et les poudres magiques. Elle pilera le mil nécessaire à la prépara-
tion du repas dans un mortier béni par le zima et enterré devant la case
d'initiation. C'est également elle qui effectuera, pendant huit jours, la toi-
lette de l'initiée avec des bains magiques préparés par le zima à la demande
des parents. Ces bains auront pour propriété de rendre ce dernier agréable,
plaisant, prestigieux aux yeux de tous.
Non loin de la case, on bâtit un hangar (tanda) sous lequel s'installeront
les musiciens goje kari, et les batteurs de calebasses. On prépare le jitalizé,
on l'habille et on lui confectionne une ceinture faite de trois bandes de
cotonnade: une bande noire, une blanche et une autre en noir et blanc.
Cette ceinture permet de le retenir pour lui éviter des chutes mais aussi
pour e.mpêcher que de méchants zima fassent disparaître son foley. Sur
cette ceinture sont cousus des cauris, symbole de la richesse d'autrefois,
des fleurs éclatantes de liseron talahana et de sinsan. Le mot bosi, fleur,
est à rapprocher de bosu (enfler, écumer), car le foleyizé, enfant du foley,
doit pouvoir bien écumer pour faire honneur au zima qui le fait boire
hanandi. Il faut que tout ce que prédira le jitalizé puisse se réaliser. Ainsi
il plaira comme les fleurs éclatantes plaisent aux regards de tous.
Les musiciens jouent l'air appelé sagaji goje. Le jitalizé s'apprête à sor-
tir. Chaque fois qu'il tentera de le faire, le zima le ramènera dans la case et
cela par trois fois, s'il est du sexe masculin, et par quatre fois s'il s'agit
de l'initiation d'une femme. Lorsqu'il sort, il a la tête recouverte d'un
pagne bongouln; les musiciens changent d'air et jouent yabi yabo wey
talata. Le jitalizé apprend à danser, encadré par deux personnes déjà
initiées et possédées par le même génie que lui et qui sont seules à pouvoir
l'approcher . Tous les trois dansent en cercle (windi). Généralement, après
quelques mesures jouées par les musiciens, le génie arrive. Ce n'est plus
alors un homme ou une femme qui danse, c'est le foley qui s'empare
de son cheval Chari) et qui le possède tandis que, à travers la danse de
possession, l'homme ou la femme cesse d'être lui-même pour être le génie.
L'identification est totale.

(7) La natte est retournée pour préserver le jitalize des mauvais sorts et des
mauvais génies.
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A ce moment là, l'initié placé devant le jitalizé s'efface tandis que


reste l'initié placé derrière, afin de protéger le novice contre les méchants
zimay qui pourraient compromettre le déroulement de ]a procession sim-
plement en enfonçant leur gros orteil dans le sol.
C'est d'après le comportement de l'initié en transe que l'on identifie
le génie qui ne quittera son cheval (bari) que dans la case d'initiation.
Tous les jours suivants, on fait danser le nouveau foleyizé, enfant du
foley, et le septième jour, on procède au darendi (enjambée par le zima
des animaux à sacrifier). En effet, ce jour est considéré comme un jour
de mariage; on apporte l'animal à sacrifier (darimi), on le couche et le
zima l'enjambe trois ou quatre fois, selon que l'initié est du sexe masculin
ou féminin. Chaque enjambée s'accompagne d'un coup de talon à la bête,
car le pied du génie est à l'inverse de celui de l'homme. Après cette
opération, le zima égorge l'animal, face à l'est, en récitant des paroles
magiques et en prenant soin de verser le sang au-dessus du trou qui
contient les bagues sacrées des zimay (8).
Les quatre pattes et la tête de l'animal abattu sont scrupuleusement
confiées à la bawiya; c'est elle qui les nettoiera, les accommodera, mélangées
aux racines et aux écorces magiques. Elle y ajoutera quelques morceaux
prélevés par le zima sur les diverses parties de l'animal. En aucun cas,
l'initié ne devra manger de la viande non préparée par la bawiya.
Lorsque le repas est prêt, le zima fait un trou dans la paroi latérale
de la case; à l'intérieur de celle-ci se trouve la personne en cours d'initia-
tion et à l'extérieur la bawiya; les deux communiquent par le trou ainsi
aménagé. On ,explique au sujet qu'il ne doit surtout pas avoir peur. «Tu
ne dois pas t'inquiéter de ce qui peut te coûter la vie! »
La bawiya fait passer un morceau de viande par le trou en disant:
- «Un tel, voici un envoi qui t'est destiné; l'as-tu vu ? »
- «Non », répond l'initié qui prend le morceau et le mange.
- «Tu n'as vraiment rien vu?»
- «Non! »
« Et si par hasard tu l'as vu et que tu en as pris possession que
doit-il t'arriver? »
- «Que je contracte toutes les maladies qui peuvent me coûter la
vie ! »
- «Puisque tu nies la réception de ce premier envoi, en voici un
autre! l'as tu vu ? »
- «Oui, je l'ai vu! »
- «L'as-tu bien vu ? »

(8) L'orientation vers l'Est est probablement un apport de l'Islâm.


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- «Non! »
- «Et si tu l'as vu que doit-il t'arriver? »
- «Que je sois déchiqueté par n'importe quelle maladie! »
Ce jeu au mensonge continue jusqu'à épuisement de la préparation.
C'est à partir de cet instant que le foleyizé peut jurer par toutes sortes de
calamités sans que cela prête à conséquence.
Ce qui précède se déroule à partir du crépuscule du septième jour.
Le huitième jour, au matin, c'est hamni si zumbu a ga (9), les autres
foleyizey, qui participent à l'initiation, se répandent dans le village et attra-
pent tout ce qu'ils voient comme volaille et bétail, sans que les proprié-
taires puissent aller se plaindre au chef du village. On organise un festin
tandis que le zima habille l'initié et le fait danser. Au cours de cette
danse, on promènera au-dessus de la tête de ce dernier un mélange de
graines afin que tout ce que sémera la collectivité produise bien. Par
ailleurs, le zima promènera au-dessus de la tête de l'initié chacun des
cadeaux apportés par les membres de la communauté villageoise, s'expri-
mant ainsi: «Vois, génie, ce que telle personne t'a apporté pour ton
bon windi (tour de tête); que cette année soit pour elle une année de
bonheur (10) ».
La cérémonie terminée le zima fait jurer (zee) le génie, il le met au
pied du mur (gongormendi) en ces termes: «Voici ton cheval! Toutes
les fois qu'il se disputera avec quelqu'un d'autre, tu n'as pas à intervenir.
Si tu es ganji, tu dois rester dans la brousse. Si un jour le père ou la
mère de cet enfant lui porte la main dessus, ce n'est pas toi qu'il aura
frappé, mais son enfant. En revanche, si, par exemple, quelqu'un en
s'adressant à cette personne lui dit: «Ah! c'est donc à cause de ton
génie que tu te comportes de la sorte? » alors tu peux intervenir, car c'est
cet interlocuteur qui t'aura appelé en prononçant ton nom dans cette cir-
constance. '

Par ailleurs, ce n'est pas à n'importe quelle cérémonie que tu dois


te présenter. Tu viendras seulement si tu vois quelque chose de mal en
train de s'accomplir et si tu peux agir contre cela. Chaque fois que tu
peux agir contre le mal, fais-le.
Lorsque le génie a été informé de ce qu'il doit ou ne doit pas faire,
un groupe de foleyizey ramène l'initié chez lui. Les parents de ce dernier
font un cadeau aux accompagnateurs. Il convient de remarquer que la
personne qui vient de subir cette initiation, entretient des relations étroites

(9) hamni si zumbu a ga, littéralement = la mouche ne se pose pas dessus.


Ce qui voudra dire que cette action est sacrée et ne tire pourtant pas à conséquence.
(10) Conformément à la tradition le cadeau doit être offert au génie en le faisant
tourner autour de la tête.
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avec le zima auquel elle rendra souvent des visites, auquel elle apportera
des cadeaux. En retour, le zima lui donne des produits magiques destinés
à assurer son prestige.
Après l'initiation, le sujet foleyize qui est appelé également foleytam,
esclave du foley, assistera désormais aux cérémonies des foleyey au cours
desquelles il pourra entrer en crise, c'est-à-dire en état de possession par
son génie. Comment se manifeste la possession chez les foleytamey ? Vu de
l'extérieur, le phénomène se traduit par l'entrée en transe de l'intéressé.
Ce processus de la crise est déclenché par un ensemble de faits tels que
la musique rythmée, la forte résonance des calebasses battues avec des tiges
rassemblées en éventail et la danse accompagnée de balancements du corps.
On voit alors un sujet calme auparavant s'agiter en poussant des hurlements.
Cette agitation s'accélère et le sujet transpire et bave. C'est alors que le
génie s'incarne dans le possédé. Ce dernier reçoit les habits réservés au
génie dont il adopte aussi le comportelnent. S'il s'agit, par exemple du génie
Nyaberi, le possédé se conduit à la manière d'un paralytique et s'il s'agit
de Cirey, le sujet fait le borgne, etc... En effet, de même que chaque génie
a ses vêtements qui le distinguent des autres, il a un trait physique ou
un comportement qui permet son identification.
D'après les travaux du Dr Ch. Pidoux, comme autre manifestation
de l'état de transe, on peut constater une variation du diamètre de la
pupille (11).
On peut souhaiter la poursuite de tels travaux afin que soient mieux
connus les effets physiologiques des danses de possession et leurs réper-
cussions psychiques. Certes la valeur psycho-thérapique du rituel dont nous
venons de parler, est indéniable, mais il importerait que des recherches
soient entreprises pour mesurer avec précision la part des sonorités instru-
mentales, celle des rythmes de la danse, enfin celle des louanges adressées
aux génies, avec une virtuosité remarquable par le zima.
En plus de la valeur psycho-thérapique, on notera que le culte des
foleyey est un moyen de régulation et de résorption des déséquilibres
sociaux. Aussi au terme du septième mois de l'année se déroulent les
cérémonies de yenendi (rafraîchissement). Au cours du yenendi on demande
aux torey qu'il pleuve abondamment, que les récoltes soient bonnes, que la
foudre ne tombe pas et qu'il n'y ait pas trop de vent, enfin que la société
soit préservée de tous les fléaux possibles. Les initiés sont invités à parti-
ciper à ces cérémonies, qui durent sept jours. On notera que le yenendi
ne se déroule pas simultanément dans deux endroits, de même qu'un même
génie ne possède jamais simultanément deux foleyize.

(11) Dr Ch. PIDOUX,Aspects psychiatriques de la possession chez les Songhay


et les Djerma, texte ronéographié, p. 2.
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Au cours de nos recherches, nous avons été frappée par le nombre


considérable de femmes foleyizé comparé à celui des hommes. Nous en
avons demandé l'explication à notre zima. Voilà ce qu'il nous a répondu:
« Les femmes, dès qu'elles aperçoivent des choses étranges, elles prennent
peur, alors que les hommes ne sont pas peureux de la même manière.
Lorsque le ganji fait peur à quelqu'un et que la personne n'arrive pas à
garder la chose secrète, quoi qu'elle fasse, il la suit et s'empare d'elle.
Bien des hommes n'expriment ce qu'ils ont vu que lorsqu'ils sont réelle-
ment trop malades. La femme, quant à elle, tout ce qu'elle voit elle le dit
aussitôt. Or, le ganji, dès qu'on parle de lui, il vous possède». Nous voyons
que la peur est bien envisagée comme une déroute psychophysiologique
qui rend la personne (bora) vulnérable non seulement aux ganjey mais aux
cerkowey et aux hargey.

La sorcellerie.

La plus grave menace dont puisse souffrir la personne, et plus parti-


culièrement la personne féminine dans l'univers mental zarma, c'est celle
du cerkow, sorcier mangeur de doubles.
L'origine du cerkow se rattache elle aussi à un mythe. La sorcellerie
cerkowterey a commencé à l'époque où Moise (Annabi Musa) se battait
contre les pharaons firaoun. Après une de ses guerres, Moïse victorieux fut
suivi par beaucoup de personnes qui passèrent à proximité d'une mare alors
qu'elles avaient soif. Certaines d'entre elles s'y précipitèrent pour se désal-
térer. Ceux qui burent de cette eau devinrent cerkowey et c'est par le lait
maternel que cette condition singulière s'est transmise et continue à se
transmettre. Le même thème est traité par Féraud qui fait débuter la
sorcellerie à l'époque de la tour de Babel (12).
Un autre mythe rapporte ceci: «L'ancêtre des tyarkow est une femme
qui ne voulait plus voir aucun homme pour se consacrer uniquement à
Dieu. Elle avait quitté le village et s'était construit une petite case en brousse.
Elle s'appelait Hadiza. Et toutes les femmes du voisinage venaient la voir.
Un jour, un garçon apprit le nom de cette femme «marabout». Il alla
la voir. La femme en le voyant lui dit: «Eh! toi, si tu ne connais pas
Dieu et son Prophète, il ne faut pas t'approcher de moi ». L'homme dit:
« C'est vrai, toi tu dis que tu connais Dieu, tu es à cause de lui ici, laisse-
moi, par le nom de Dieu, entrer dans ta case». Il entra. Elle le laissa
approcher. Ils continuèrent à parler ainsi, au nom de Dieu, jusqu'au moment
où l'homme s'assit sur le lit. Alors il se coucha avec la femme et jusqu'au

(12) B. FÉRAUD,Les peuples de la Sénégambie, Paris, 1879, 420 p.


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matin ils couchèrent. Les femmes amies, en venant le matin, les réveillèrent.
Hadiza dit: « Par Dieu, parce que tu es venu, il ne faut pas te laisser voir,
car j'ai juré que je n'approcherai jamais un homme », et elle le cacha
sous le lit. Les femmes entrèrent et s'assirent. Elles bavardèrent. Mais
l'homme, sous le lit, faisait beaucoup de bruit. Hadiza eut peur, elle lui
frappa la tête et il se transforma en mouton. Mais certaines femmes avaient
vu que c'était un homme. Une d'elles dit: «Si on mangeait ce mouton».
Hadiza égorga le mouton, le fit cuire et le donna à manger à tout le monde.
Elle en mangea aussi. Mais elle était enceinte de l'homme qu'elle avait
mangé. Elle en eut une fille, qui est l'ancêtre de tous les tyarkow, qui se
sont répandus dans le monde entier (13).
En dépit de la diversité des récits qui racontent l'origine des cerkowey,
il semble généralement admis que c'est uniquement par le lait maternel
que se transmet le don de mangeur de doubles. Cependant, il existe des
cerkowey du sexe masculin et féminin. Lorsque nous avons voulu savoir
comment le cerkow s'emparait du double d'une personne, voici ce que
Sarka Simiri nous a répondu: «Quand un individu est couché, le cerkow
vient se pencher au-dessus de lui. Si la personne ne prend pas peur, il ne
se passe rien. Mais si elle est effrayée et se redresse vivement, le sorcier
s'empare de son double». Tout se passe donc comme si, au moment de
la déroute psycho-physiologique qu'est la peur, il se produisait un dédoubl~-
ment de l'ensemble gal bia (corps/double). L'individu privé de son double
tombe malade: il souffre le plus souvent de diarrhée et son regard devient
terne comme si sa vue était altérée. Si les parents du malade font appel à
un zima ou un sonance} celui-ci n'aura pas de peine à découvrir l'origine
du mal qui est le fait du cerkow. Notre informateur so1iance Adamu Jeni
Tango ne nous a pas donné plus de précisions quant à la démarche au
terme de laqueIJe il établit son diagnostic.
Lorsqu'après de vaines recherches le sor'lance n'arrive pas à retrouver
le double ,il brûle dans la brousse de l'encens spécialement préparé par lui.
Irrésistiblement attiré par l'odeur de l'encens, le cerkow accourt. A ce
moment-là, le Sa/lance s'empare de sa personne et le presse au risque de
l'étouffer. Le sorcier indique alors l'endroit où il a caché le double qui
sera récupéré et rendu à son propriétaire.
Nous avons cherché à savoir la différence entre le cerkow du sexe
masculin et le cerkow du sexe féminin. Voici ce qui nous a été répondu:
«La femme est plus mauvaise que l'homme, car l'homme, lui, a honte
(se gêne), alors que la femme, non; elle se moque de tout, n'a d'égard pour
rien. Les jeunes filles passent pour plus intraitables que les «femmes».
En effet, il semble que celles-ci n'ayant pas eu d'enfants ou étant consi-
dérées comme telles sont moins conciliantes que celles-là.

(13) Jean ROUCH, La reliRion et la !nagie songhay. Paris, 1960, p. 218.

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D'après les indications que nous avons pu recueillir, il apparaît que,


dans la sorcellerie, il y a une répartition des tâches selon les sexes. En effet,
la femme cerkow n'exécute jamais le double dont elle s'est emparé. Elle
va d'abord le confier à un hargu (froid). Elle choisira pour cela de préfé-
rence la tombe d'une femme morte en couches (14). Si le sonance ou le
zima n'a pas encore découvert la cachette, alors elle transforme le double
en un animal qui sera tué en dernier ressort par un homme cerkow. Ainsi
donc, l'homme et la la femlne cerkow attrapent chacun le double, le cachent
et le transforment; mais la femme n'a pas le droit de le tuer. On peut se
demander si cette interdiction de tuer ne se rattache pas à quelque influence
islamique. Dès que le double transformé est tué, il est accommodé et mangé
par un groupe de cerkowey. En effet, un cerkow ne mange jamais seul la
proie qu'il a capturée. Aussi est-il tenu de « rembourser » ce qu'il a mangé
chez les autres.
Les sorciers mangeurs de doubles sont attirés par l'odeur du sang;
c'est pour cette raison que les femmes en couches et les nouvelles mariées
qui ont perdu, de ce fait, leur virginité, sont des victimes de choix. Il reste
que le zima ou le sonance est là pour les protéger.

La mort.

En étudiant le culte des foleyey et la sorcellerie nous avans montré


comment le système religieux des Zarma leur fournissait une vision de la
hiérarchie des êtres tout en luttant contre les troubles pathologiques et en
assurant la régulation de la vie sociale. Ce système religieux s'est en outre
efforcé d'interpréter le phénomène de la mort (buyan) et de résoudre les
problèmes spirituels et existentiels que ce phénomène pose.
La mort, selon la tradition zarma, consiste dans la décomposition des
éléments constitutifs de la personne. Non seulement la force vitale se retire
du mourant mais encore~ une fois l'agonie achevée, le double cesse d'exister
et le corps entre en décomposition. Faut-il en conclure qu'il n'existe dans
cette perspective aucune place pour la survie? Ce serait un jugement
erroné, car au moment où s'effectue le passage de la vie à la mort, un froid
(hargu) s'empare de l'être et c'est précisément ce froid qui va lui survivre
en prolongeant l'existence individuelle.
Les morts continuent à exister en tant que froids et ces froids font

(14) Les femmes mortes en couches sont tenues pour des symboles de malheur.
A ce titre, elles sont enterrées hors du village, tandis que les autres sont enterrées
à l'intérieur. D'une manière générale, chaque fois que le sonance ou le zima aura
un double à récupéer, il ira le chercher dans les tombes et plus particulièrement
dans les tombes des femmes mortes en couches.
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partie, avec les foleyey, du monde des génies. A travers l'existence des
froids, les morts poursuivent une sorte d'odyssée dans un monde qui leur
est propre et sur lequel la tradition ésotérique ne nous dit presque rien.
Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le hargu ne peut continuer son
œuvre de mort, après l'avoir accomplie une première fois, qu'en subissant
une forme particulière d'initiation dont se chargent les autres hargey.
Cette initiation au pays des morts s'accomplit dans une case spéciale
dont on dit qu'elle consiste seulement en un toit posé sur une charpente.
C'est là que le froid est couvé par les autres froids. Au bout de sept jours,
il sort de la case initiatique et il est à nouveau capable de s'emparer du
double d'un être humain.
Une autre preuve de l'existence des hargey nous est fournie par les
contacts qui se produisent parfois entre eux et le zima. Ainsi, lorsqu'un
homme est en péril de mort et que le zima constate la disparition de son
double, il peut être amené à constater qu'un froid s'est emparé de ce
double. Pour tenter de sauver le malade, à supposer que Dieu consente à
ce qu'il vive, le zima s'entretient avec les hargey afin de leur faire savoir
qu'il connaît le nom et l'emplacement de leur case initiatique. Cela lui
permet de demander au froid qui s'est emparé du double du malade,
J'endroit où ce double a été caché.
Au cours de ce dialogue entre le zima et le hargu, le prêtre révèle
au génie le nom du malade et lui propose de s'emparer, à la place de
celui qu'il veut sauver, d'autres personnes portant le même nom et habitant
dans d'autres endroits. Une fois le marché conclu, le hargu se rend dans
les rues d'un village indiqué par le zima pour écouter les conversations
et entendre appeler une personne portant le même nom que sa victime
antérieure. Il tentera de s'emparer d'un nouveau double.
En somme, un être humain dont le double est pris par un hargu peut
connaître trois destinées: ou bien il meurt, ou bien il guérit tandis que le
hargu s'empare de l'un de ses homonymes, ou bien encore, il échappe à la
mort en devenant un possédé, c'est-à-dire, en passant par une initiation
qui le met dans un rapport privilégié avec son hargu. Dans ce dernier cas,
l'homme se comporte vis-à-vis du hargu comme d'autres possédés se com-
portent vis-à-vis de leur foley.
D'une manière générale, la mort, selon la tradition zarma n'est pas
essentiellement imputée à des causes naturelles. Pour le moins, on estime
qu'à ces causes naturelles s'en ajoutent d'autres qui sont infiniment plus
importantes. Ce sont les génies, spécialement les hargey et les cerkowey
qui font passer les humains de la vie à la mort et qui les entraînent dans
leur monde mystérieux. Ainsi, non seulement les morts ne disparaissent
pas, mais encore ils demeurent liés aux vivants sans que ceux-ci connaissent
le plus souvent la nature de ces liens.
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372

Il ne faut pas oublier que les cadavres sont enterrés non pas dans
des cimetières, mais dans le village même, parfois tout près des cases,
à l'exception des femmes mortes en couches dont nous avons déjà dit
qu'elles portaient malheur.
Aujourd'hui, les funérailles sont célébrées conformément au rituel
musulman et nous ne disposons d'aucun indice qui nous permettrait de
savoir comment se déroulaient les funérailles avant la venue de l'Islâm.
Finalement, le problème du salut et de la damnation se pose aujourd'hui
en termes musulmans de telle sorte que nous ne savons pas si, au cours
des périodes anté-islamiques, les Zarma nourrissaient une inquiétude spé-
cifique relativement à leur survie spiritue11e.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
NI)
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544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

PERSONNE ET SYSTÈME DU MONDE


CHEZ LES KOTOKO

Jean-Paul LEBEUF

Les Kotoko considèrent que la personne (mi.cam ou misam) est com-


posée de huit éléments, le corps, un métal et six principes, qui constituent
l'homme entier, complet, le me (1). Ce sont, dans l'ordre:
1) dQno, une force mâle,
2) sahe, le double, qùi est une force femelle,
3) visi, le cœur immatériel,
4) vusi, le souffle,
5) rsesi, l'ombre (qui est double),
6) zëzÉ, le corps,
7) hal, le caractère,
8) salan -ha z~y, le bronze.
(2)
Le placenta (vane wawn, litt. : maison [de la] naissance et le cada-
vre (bl~mti pour un homme, malmÛ pour une femme I), choses mauvaises,
(:-~

n'appartiennent pas à la personne.


1) dQno (gudra, ar.) est une force «violente», considérée comme
sèche, bénéfique, qui donne la puissance, l'énergie (klaha), l'aptitude au
commandement (dQno fanawn, litt.: force [de l'] autorité); elle est popu-
lairement comparée au courant électrique. dQno, qui est prononcé sur le
ton haut, est complémentaire de dQno, sur le ton bas, qui signifie cerveau.

(1) En pays mandagué, me désigne également le Prince.


Tous les termes kotoko fournis ici appartiennent, sauf avis contraire, au
lagouané, langue du Sud, les mots arabes, au parler des Arabes du Tchad.
(2) Le placenta est enterré hors de la maion à proximité de la porte.
(3) Au pluriel masculin et féminin, mimti (en ar., maïte, au masculin, maÏf, au
féminin, maïtin, au pluriel pour les deux genres).
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374

2) sahe est une force « douce», désignée parfois par le terme kanadi
(litt.: calme), qui permet de résister aux iblisa, êtres invisibles initiateurs
d'actes répréhensibles (4). C'est le double, qui se dit: sahe na ni pour
l'homme, sahe na hi pour la femme. Dans l'union sexuelle, les sahe de
l'homme et de la femme « communiquent» en s'unissant à la semence et
à l'humidité féminine pour assurer la fécondité (il).

Ces deux forces, dQno et sahe, de sexe opposé chez un même individu,
sont complémentaires et constituent un couple. dQno donne la force de
combattre tandis que sahe permet de se maîtriser et incite l'être humain
à la conciliation. Chez les adultes, le premier est mâle pour l'homme,
femelle pour la femme alors que les sahe sont dans le rapport contraire.
dQno, qui est féminin chez les incirconcis, devient mâle après l'opération
et il le demeure jusqu'à la mort de l'intéressé tandis que sahe, sans changer
de sexe, disparaît après que l'homme est sorti de la septième et ultjme
classe d'âge (baIe bala) qui précède l'extrême vieillesse (têi1Jgukale), époque
après laquelle les hommes sont considérés comme incomplets «()). Chez les
femmes, dQno est mâle jusqu'à l'apparition des premières règles, époque
à laquelle il devient femelle pour disparaître après la ménopause qui fait
des femmes des êtres considérés comme asexués. Les eunuques sont réputés
ne pas avoir de dQno.
3) visi est le « cœur» immatériel qui assure la respiration, le souffle
(vusi); on en dit qu'il « tient l'homme, attire l'air et le repousse» (inspirer
se dit srçl visi, expirer, dégonfler, pousser, riçl visi) (7\ .
4) vusi est le souffle (nardS, ar., litt.: âme); pendant le sommeil, il
fait sortir le sahe qui, en vagabondant, provoque le rêve (swane; hilim, ar.)
dont une partie correspond à la réalité présente et dont l'autre, réputée
être fausse, se développe sous l'influence du souffle.
5) r.~el5isert à désigner les deux ombres, l'une visible, l'autre invi-

(4) ihlisa, (de Iblis, Satan, en ar.) est un terme général qui sert à d~signer les
invisibles parmi lesquels on distingue notamment les gw~gw~y, les aljin (ar.) et maryan1
kurugu.
(5) L'acte sexuel est comparé à une re-création du Monde, à un renouvellement
des temps nlythiques, à un retour à cette période de la vie de l'humanité; en outre,
pendant la saison des pluies, il est assioli1é à l'accouplement de la femme primordiale
et du Serpent tandis que, pendant la saison sèche. il connote j'union de cette même
femnle avec le Varan.
(6) Dans l'expression baIe bala, le terme hala désigne la région qui s'étend au
pied du mur de la ville et à l'extérieur; sa présence ici s'explique par le fait que
les vieillards très âgés sont exclus de la communauté aux activités de laquelle ils sont
devenus incapables de participer. (Les détritus sont déposés au pied de la muraille
mais à l'intérieur de la viI1e).
(7) Le cœur. organe, se dit /lulu à Logone Birni. gelh en arabe.
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sible (8); l'ombre d'un homme se dit rsesi na ni, celle. d'une femme,
rsesi na i (ou hi); l'ombre invisible n'est sensible que pour les mudann~
(masas, ar.), rares hommes soupçonnés de pratiquer la « sorcellerie».
6) zezi est le corps humain (on dit zezi a balam, litt.: [le] corps de
[1'] homme) qui est censé compter deux-cent-soixante os chez l'homme, les
femmes étant réputées en posséder un moins grand nombre en raison de
la constitution particulière attribuée à leur colonne vertébrale qui «com-
prend un nombre de vertèbres inférieur à celui des hommes».
7) hal désigne le caractère.
8) salan ha z~y (litt. : cuivre [qui] est rouge (H)), le bronze - qu'il
faut entendre par l'essence, l'esprit de l'alliage - est présent dans les
clavicules avec lesquelles il forme un couple où le bronze, salan (ton haut)
ha Z€y est mâle, la clavicule, salan (ton bas) ha zçy, femelle.
La présence de bronze - et non de fer - dans les clavicules montre
le lien unissant les Kotoko à leurs plus lointains ancêtres reconnus dont
une partie de la personne leur est transmise par ce truchement. Autrement
dit, l'alliage marque la continuité entre les 7 fois 7 générations mythiques
- total des ancêtres -, qui comptaient seulement des bronziers parmi les
métallurgistes, et les 7 fois 7 générations. «actuelles» - somme des
humains vivants et à naître - héritières du premier forgeron du fer, lui-
même successeur - antithétique - des bronziers, manipulateur imprudent
(1()}.
de l'enclume céleste
Cette répartition primaire du corps et des sept principes sexués peut
se schématiser comme suit:

éléments homme femme

dono ci 9
sahe 9 ci
.....
VlSl ci 9
vusi ci 9
to v.
rseSl ci 9
zézi ci 9
hal ci
~salanha zçy ci

(8) Aucun terme n'a été fourni pour ces deux catégories qui semblent bien être
désignées par le même mot.
(9) Opposé au salan ha paw (Htt.: cuivre [qui] est blanc), de la «couleur des
cartouches », qui est le laiton. Confondu couramment avec l'or, le bronze est aussi
appelé dinar (J.-P. LEBEUF, Archéologie tchadienne, Paris, Hermann, 1962, p. 108-114).
(10) A. et J.-P. LEBEUF, Monuments symboliques du palais royal de Logone-
Birni (Nord-Cameroun). J. Soc. Africanistes, 1. XXV, 1955, p. 33.
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Mais, tout con1me l'être humain considéré dans sa totalité comporte


une particule de sexe opposé, femelle chez l'homme, mâle chez la femme,
chacun des huit éléments de la personne renferme une parcelle de féminité
pour ceux qui sont mâles, de masculinité pour les autres:
éléments homme femme

dono d (9) 9 (d)


sahe 9 (d) d (9)
visi d (9) 9 (d)
vusi d (9) 9 (d)
.,
rseSl '11'.
d (9) 9 (d)
zèzi d (9) 9 (d)
hal d (9) 9 (d) )
I 11
salan ha z~y d (9) 9 (d)
Suivant la même conception, le couple constitué par: le bronze et
les clavicules est formé de deux fois deux éléments sexués:
chez l'homme, chez la femme,
bronze 6 (~) bronze ç (6)
clavicules ç (6) clavicules 6 (ç).
La place attribuée dans Je corps humain aux principes varie avec leur
nature. Le dQno, force mâle, est partout, en particulier dans les os et le
sang (on dit alors dQno rsi, litt. : force [du] sang). Le sahe, force femelle,
bien que présent dans tout l'être, se trouve plus spécialement entre la
peau (kanhi, ton haut) et la chair (su). Le viJi (ton haut) est placé au
plexus solaire, ge vi'Si (litt.: en face [du] cœur immatériel). Le vusi (le
souffle) n'occupe pas d'emplacement déterminé, «il entre.. il sort », le hal
(le caractère), non plus.

Quand l'enfant naît, Ja structure de sa personne est complète dans sa


constitution (on a vu plus haut que la nature de certains de ses compo-
sants se modifie sexuellement). Il tient les éléments qui la constituent,
pour sept d'entre eux, de son ancêtre paternel (milrwada (12)) de la septième
génération précédant la sienne; !e bronze lui est transmis par son ancêtre

(11) Ce mélange, chez tout être humain, de masculinité et de féminité, fait que
les jeunes enfants et les vieillards très âgés n'ont pas encore et n'ont plus de sexe
défini, ce dernier l'étant après la circoncision ou après l'apparition des premières
règles (époque à laquelle la coiffure des jeunes filles est modifiée: la chevelure est
alors répartie en douze nattes, trois sur le front, trois sur la nuque et autant de
chaque côté de la tête).
(12) Liu. : homme (de la) terre; au pluriel: mia/[wada; il n'existerait pas de terme
féminin équivalent.
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maternel de la même génération. Les principes sont tous présents sous


forme de germe (dinar (18)), dans la semence masculine (sawa) pour six
d'entre eux et dans l'humidité féminine (sawa) pour le bronze bien que
l'on dise que « la mère ne donne rien » et qu'après la naissance de l'enfant,
elle est « comme un grenier ou une gourde (muhôlay»> vides (14). Les
éléments de la personne parviennent à maturité de façon échelonnée, dQno,
au cours du troisième mois de la gestation, visi (cœur immatériel), du
sixième, vusi (souffle), du neuvième, les autres peu avant la naissance.
Après la mort, la répartition des principes de la personne s'établit en
concordance avec le système du Monde tel que le conçoivent les Kotoko.
dont un aperçu, limité au présent exposé, est fourni ci-après.

Les Kotoko considèrent que la terre sur laquelle nous vivons


(mawde (1:))) est inscrite dans un volume composé de 15 «terres» super-
posées, soit 7 + 1 + 7, dont l'ensemble dit dunia - terme désignant à
la fois la totalité du Monde et le cycle de l'existence terrestre et extra-
terrestre - a la forme de l'œuf primordial (que l'on compare familière-
ment à deux pains de sucre opposés par ]a base) (fig. 1). Nées de la brume
primordiale, sept terres « dans leur état terrestre», planes~ sont surmontées
d'autant de terres « dans leur état céleste» en forme de calotte; la terre
des hommes s'étend entre ces deux ensembles. Les huit (7 + 1) terres sont
(16).
carrées de même que les ciels malgré la rotondité sensible de l'horizon
On désigne toujours les terres par des termes arabes: la 11'P~alls; la 2e, baYs;
la 3c, nabu; la 4e, madaha; la 5(', rahama; la 6e, laala; la 7e, sare; aucun
terme kotoko n'a été fourni; seuls les sept terres ensemble et les ciels
ensemble égale!J}ent sont dits rwada et mdçlga. Les ciels sont dits chacun
asama (sema, ar.). Le ciel supérieur, désigné couramment par « la terrasse »,
est dit rwadô md~lga (lht. : terre [du] ciel), la terre inférieure, la huitième,
(17 t. Six des terres prennent
est dite rwad? }valJn (litt. : terre [d'] en bas)
appui, « à l'emplacement de la Kaaba» sur la tête d'une Gazelle (mulali)
dressée sur la terre inférieure. Cette dernière repose sur les cornes d'un
taureau (durumi) dont les pattes sont posées sur un lac (llJremÎ ha kawe).

(13) C'est à ce germe - élément dynanlique, créateur


- que l'on doit notam-
ment de voir et d'être fécond; hors du corps humain, on le retrouve dans l'eau
poissonneuse, la teinture à l'indigo, la terre, à la surface du soleil, etc. (J .-P. LEBEUF,
A rché%gie tchadienne, p. 108).
(14) Le terme rnuh21ay (ar.) désigne littéralement le grand sac de peau en forme
de bouteille servant à la conservation du grain.
(15) Liu.: milieu?
(16) Pour les Kotoko, comme pour beaucoup de peuples africains, le carré et le
cercle sont des figures équivalentes s'inscrivant l'une dans l'autre et constituant un
couple où le premier est masculin. le second, féminin.
(17) Ciel se dit sanle à Makari. sarno à Goulfeil. rndfilga à Logone Birni.
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rwada mdalga

BRISURE DE
----
l'IIUF PRIMORDIAL

madaha
I
rahama
I
taata
/
Gazelle (mutali)
/
sare ourwada watan

Taureau (durumi)

laremi ha kawe

FIG. 1. - Le monde mythique des Kotoko.

comparé à une source qui est l'origine de l'ensemble du monde aquatique


et des eaux, courantes et dormantes, lesquelles sont appelées s;; I am (s;;,
ton haut; litt.: [les] yeux de [1'] eau [primordiale]). Le «taureau porte le
Monde comme le poteau central (i'Se kala) - auquel ses cornes sont assi-
milées - soutient la toiture de la maison », et l'habitation tout entière (qui
est l'image du monde). laremi ha kal,1t'esignifie « (le) lac (qui est) comme
(le) kawe», nom de la paroi, placée dans l'ombre, devant laquelle les
femmes disposent des échafaudages de marmites et, parfois, élèvent un silo
à grains.
Les ciels sont censés être faits de matières particulières qui les colorent:
le 1pr (same), le plus proche, est de neige (ou de glace), le second est en
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Laiton (salan ha paw), le 3e est usa maba (lH) (arfawn, ar.) (19)), le 4e est
fait de fer rsafu (litt. : sang [du] fer), le Sc, d'argent (tuzi), le 6e, de quartz
(matkan), le 7e, «plus beau que l'or» (dinar) », est appelé marvisa, du
nom d'une petite graine rouge marquée d'une tache noire (Arbus preca-
torus). (En mandagué, les appellations correspondantes sont: mdulgo,
ngarkeme, samee, sya~v, pilla, barta et ebam).
Les terres et les ciels sont très éloignés les uns des autres et l'on
estime que «cinq cents ans sont nécessaires pour aller de l'un à l'autre»
comme pour parvenir à l'horizon. Les ciels sont réputés avoir une tempé-
rature très élevée sauf le plus proche. Tous sont vides à l'exception de
celui qui est visible où se trouvent les étoiles «< rondes comme du beurre
de vache » ?) (20 I et la lune, du troisième où se déploie l'arc-en-ciel, qui est
appelé populairement « )a queue du singe rouge » (21), et du quatrième où
briIle le soleil (sa, ton bas).
La tradition orale des Peuls (du Tchad). les FêJ/latye (ar.), mentionne des faits
qui, avec quelques variantes, rappeHent les précédents. Les terres et les ciels reposent
5ur l'écume d'une vaste étendue d'eau au fond de laquelle vit «un taureau aux
:}uarante mille cornes» sur 'le dos duquel un homnle «rouge» (22) debout maintient
à bout de bras l'ensemble du monde. On ajoute que les peuples «rouges» auxquels
appartiennent les Peuls sont tombés du premier ciel.
Les sept terres, !,"wadfln katul (litt.: terres sept), sont toutes censées
être habitées par des êtres humains qui y vivent de la même manière que sur
notre terre. Groupés en famille dans des agglomérations, ils cultivent leurs
champs, pêchent, chassent, etc.; la population de chacune des terres peut
contempler le dessous de celle qui lui est directement supérieure.
En outre, les sept terres et les sept ciels constituent sept couples de
jumeaux formés des ciels, masculins, et des terres, féminines; la terre sur
laquelle nous vivons, comptée seul~, est mâle et femelle à la fois. A ces
sept couples, il faut ajouter celui que forment l'échafaudage des sept terres
et le groupe des sept ciels. L'ensemble connote les huit couples de jumeaux
primordiaux. Encore, le pays kotoko, réparti en trois principautés, est assi-
milé à cette représentation du monde dans laquelle les ciels correspondent
à la zone septentrionale halaka (principauté de Makari), mâle, les terres,
à la zone méridionale alage (principauté de Logone Birni), femelle, de la
région, tandis que notre 1erre, placée au milieu, correspond à la Limite
(principauté de msar, Kousseri) qui est androgyne (fig. 2).

(18) Ce terme désigne également la femel1e du Singe pleureur au pelage rouge


(cf. n. 21, p. 379).
(19) Les termes arabes ne sont pas toujours connus (ou fournis).
(20) Les étoiles sont censées chasser les nlauvais esprits qui, selon une version
populaire, écoutent «parler les âmes».
(21) Moins couralnment, il est dit rnra zan1an (lÜt.: chef [d']autrefois) à Logone
Birni; à GouJfei} on l'appelle pafê1dfali (lit. : queue du singe ?) (cf. n. 18. p. 378).
(22) Les intéressés disent indifféremment rouges ou blancs.
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380

CIE LS

cf "Nord.
haut

LIMITE
mil ieu
cent re

~Sud.
Q bas

TERRES

FIG. 2. - Correspondance entre Je système du monde et la division politique du


pays kotdko.

Les principes quittent le corps après l'exhalation du dernier souffle.


Le quarantième jour après la mort, le sahe (le double) est fixé par une
offrande de lait et de miel, breuvage dit bQlplo, dans un simulacre d'argile
cuite, statuette ou masque suivant le rang social du défunt (2:i); le vusi
(souffle) monte au premier ciel, celui que nous voyons, les autres éléments,
dQno, visi, rsesi, hal, s(Jlan ha zfY, rejoignent la première terre. Ils y demeu-
reront pendant sept ans, puis ils rejoindront le ciel et la terre immédiate-
ment supérieur et inférieure pour y séjourner le même laps de temps, et
ainsi de suite jusqu'à ce qu'ils aient atteint, le vusi, la « terrasse» au-dessus
du septième ciel, les autres principes, le lac primordia1. En revanche, les
principes constituant la personne des forgerons sont censés se fixer dans
une enclume.

(23) Depuis que, sous l'influence de l'islam, les Kotoko ont renoncé à modeler
des représentations humaines, on considère que le sahe accompagne les autres prin-
cipes pendant leur déambulation chtonienne.
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Les déplacements qui affectent les principes de la personne après la


mort s'opèrent suivant deux mouvements circulaires contraires, sénestrogyre
pour la partie céleste du cycle, dextrogyre pour l'autre, correspondant aux

TERRASSE

CIELS

halaka

vusi

mzaga

1
~)
2

3
~)
TERRES
4
~) d9no
visi
rsesi

alage
5
~) hal
salan ha paw
sahe
~)
6
~)
LAC
7
~)
FIG. 3. - Déambulation post mortem des principes de ]a personne.
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382

rotations qui sont censées animer les deux parties, septentrionale ou halaka
et méridionale ou alage) du pays kotoko (fig. 3). Ces mouvements concer-
nent l'être humain complet, principes spirituels et enveloppe charnelle
laquelle s'intègre progressivement et en totalité à la terre (sous ses 7 + 1
formes) au cours de sa décomposition. Une fois parvenus au ciel supérieur
pour l'un, à la terre inférieure pour les autres, après une nouvelle période
de sept années, le souffle rejoindra la «terrasse» et, les autres principes,
les eaux primordiales pour ensuite se réincarner dans un être humain à
naître. Les éléments de la personne mettent donc ainsi sept fois sept soit
quarante-neuf années, plus une période finale sur la terrasse ou dans le lac
primordial, pour accomplir un cycle fermé qui correspond à la succession
chronologique complète des classes d'âge, au nombre de 7 + 1, entre
lesquelles est divisée l'existence humaine. Le séjour sur les plus proches
des ciels et des terres est associé à la première de ces classes d'âge, le ciel
et la terre les plus lointains à la dernière des catégories sociales, ce qui
est résumé dans le tableau ci-dessous (:24).

Classes d'âge Terres Ciels


I ra/i tàfJgukale de la naissance à la terre des homn1es atis (ar.) (ciel visible sanle
circoncision
2 r aU barewa de 8 à 15-16 ans bais (ar.) salan ha paw
3 b (a) le z~ngali de I 5-16 à 20- 25 ans nabu (ar.) arfawn (ar.)
4 b ( a) le galaka de 20-25 à 30-35 ans madaha (ar.) {safu
5 mufaale ou mufulmi de 30-35 à 45-50 ans rahama (ar.) tuzi
6 maalegeni de 45-50 à 65 ans taata Car.) matkan
7 b (a)le bala après 65 ans sall (ar.) marv isa
(8) téJf}gukale extrême vieillesse laremi ou kawe rwade md~lga

Ces passages, d'une terre à l'autre, d'un ciel à l'autre, déclenchent un


mouvement général de l'espèce humaine, vivante et défunte - dont le
(~;))
nombre est constant - vers le haut et vers le bas, assurant ainsi à
chaque décès un cycle complet de renouvellenlent, ce que les Kotoko
expriment par un terme signifiant agitation, grouillement.
Le double mouvement contrarié des principes de la personne, vertical,
correspond à la rotation, également double et contrariée~ horizontale, des
deux parties supérieure et inférieure (ou dràite et gauche) du pays kotoko.
Et quand on étudie ces notions dans une autre perspective, plus philoso-
phique, on observe que les passages échelonnés d'une classe d'âge à une
autre correspondent avec évidence à l'écoulement du temps matérieL

(24) A.M.D. LEBEUF~ Les principautés kotoko, p. 109-115.


(25) Les femmes sont censées être plus nombreuses que les hommes~ ce qui popu~
lairement expliquerait la polygamie.
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succession horizontale, que les déambulations contrariées des principes


d'une terre à une autre, d'un ciel à l'autre, s'effectuent, verticalement, dans
un temps supraterrestre, mythique, que tous ces mouvements liés intimement
les uns aux autres s'inscrivent dans un volume ovoïdal qui est celui de
l'œuf primordial.
La répartition post mortem des principes de la personne s'échelonne
de la même manière pour tous les humains, Prince, notables, autres cita-
dins, à l'exception des forgerons du fer qui sont réputés «flotter» parce
que «sans famille».

Le système du Monde est matérialisé de diverses façons, un instru-


ment de musique, un mode d'inhumation, des simulacres de céramique.
Le tambour des regalia (ngQlo) de Logone Birni figure les deux parties
du Monde (~()). Sa membrane supérieure, unique, est l'image du ciel (les
sept ciels), la terre (les sept terres) est symbolisée par la caisse de l'instru-
ment qui est l'équivalent des urnes funéraires (et des silos à grains).
La nature fécondante attribuée à Ja «voix» de l'instrument - en forme
de mortier - associé étroitement au Prince, générateur suprême, l'asso-
ciation dans certains sanctuaires (Bouta Kabira) de vases et de figurines
de terre cuite, la nature de certaines sépultures, ces faits montrent que le
système du Monde, auquel 1a personne est liée intimement, correspond à
une économie des générations donc de la fécondité assurant le renouvelle-
ment et la continuité de l'espèce humaine comme elle permet la croissance
des graines.
Les sépultures en urnes symbolisent le Monde et le sein maternel,
équivalents l'un de l'autre. Chaque sépulture symbolise l'œuf primordial
fait de deux parties, céleste et terrestre (fig. 1). L'urne supérieure corres-
pond aux sept terres célestes et les sept terres terrestres sont représentées
par la jarre inférieure. L'absence d'urne inférieure dans certaines nécro-
poles, où le corps était déposé à même la terre, trouve sa justification
dans la conception que les Kotoko se font de l'être humain qui appartient
essentiellement à la terre d'où il tire son origine et dont il est censé être
composé. C'est la raison pour laquelle le récipient inférieur de nom-
breuses sépultures à deux jarres était percé à sa base d'un orifice réservé
au cours du modelage ou sa partie inférieure sciée après cuisson (27);
ce passage était censé permettre aux restes humains de s'intégrer plus
intimement à la terre tandis que l'orifice percé parfois au sommet de
l'urne servant de couvercle à la tombe facilitait la montée au ciel du
vusi (souffle).
(26) A.M.D. LEBEUF, Les principautés kotoko, p. 261-263.
(27) Ceci a été confirmé matérieIJement par les fouilles entreprises à Midigué,
notamment (M. GRIAULE et J .-P. LEBEUF. FouiIJes dans la région du Tchad, III.
J. Soc. A fricGnistes. t. 20. 1950, p. 41).
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384

Cette représentation du système du Monde par une sépulture trouve


sa correspondance et son complément dans des sanctuaires comme celui
(~HI
de Bouta Kabira où des masques de céramique symbolisant des défunts
reposent dans des récipients. Chaque ensemble y connote l'Homme retourné
à la fin de son existence dans la terre originelle, autrement dit dans le
sein maternel.
On sait encore de façon sûre que certaines représentations humaines
de terre cuite étaient façonnées dès le lendemain de la mort par les
hommes et les femmes chargés des sacrifices au Serpent et au Varan (29).
L'offrande avait pour objet, comme l'on sait, de faire pénétrer le sahe,
force femelle, dans l'objet par l'orifice creusé au sommet des statuettes
ou de certains masques. Le sahe s'étant réincarné après la disparition
de la septième génération, l'objet était alors considéré comme désacralisé (30).
Cette conception du système du monde symbolisé par le déroulement
de la vie de l'être humain, céleste et chtonien à la fois, s'éclaire encore
par des actes rituels accomplis par le souverain. Le Miarré Lagouane,
assis nu sur une des termitières primordiales ou monté sur le guti qui
symbolise la partie supérieure, céleste, de l'œuf primordial, fait face suc-
cessivement aux quatre côtés de l'espace suivant un mouvement de rota-
tion opposé à la direction de la marche apparente du soleil; il relance le
cycle tournoyant de l'existence individuelle mais aussi celui de l'ensemble
du peuple lagouanais, connotant l'humanité tout entière, assurant la fécon-
dité du monde par la pérennité de l'existence humaine, la succession harmo-
nieuse des saisons et le déroulement ordonné des activités agricoles nour-
ricières. Le mouvement ainsi déclenché par le Miarré Lagouane se maté-
rialise par un tourbillon de poussière qui, en s'élevant, prend la forme
d'une courbe dont le sens correspond à la gesticulation royale et au mou-
vement apparent de la terre.

*
**
Les idées que possèdent les Kotoko sur la personne et le système du
monde, qui allient étroitement être humain et cosmos, correspondent à
une vision dynamique de l'univers. Les déambulations verticales des prin-

(28) J. COURTIN, Le sanctuaire sao de Bout-AI-Kabir (Fort Lamy, Tchad).


B.S.P.F., 1. 62, n(' 2, fév. 1965, p. LXX-LXXV,carte, phot.
(29) Certaines femmes remplissaient cet office dans le cas où le prêtre, en mou-
rant, ne laissait que des fils trop jeunes pour être investis, et c'est alors leur fille
aînée qui en était chargée; dans la suite, la succession se faisait de fille à fille.
(30) Bien que les Kotoko estiment que les musées où sont exposées de semblables
figurations soient chargés de sahe, aucun de ceux qui participèrent aux fouilles
archéologiques ne manifesta d'émotion lors de leur exhumation, en raison de l'ancien-
neté qui leur était ipso facto attribuée.
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385

cipes de la personne et les mouvements horizontaux du pays sont associés


au point de se confondre, et leurs sens contrariés, loin de les séparer,
les unit dans la construction d'un système complet qui constitue une éco-
nomie de renouvellement perpétuel de. la société.
Les Kotoko instruits ont pleinement conscience de l'influence de
J'islam dans la construction de leur système du Monde. Ils reconnaissent
volontiers que des conceptions musulmanes ont été plaquées sur des
croyances anciennes très profondes et il n'y a pas de doute pour eux
que leur mythologie s'est enrichie de nombreux emprunts à la religion
im.portée. Les sourates du Coran relatant la création du Monde leur sont
parfaitement connues: « ... [Dieu] se dirigea vers les cieux et les partagea
en sept cieux» (Sourate de la génisse, verset 27), «C'est Allah qui a
créé sept cieux et autant de terres... » (Sourate du divorce, verset 12) lin),
comme el1es le sont des Arabes de la région. La Kaaba, le bœuf soutenant
le monde, la constitution, neige ou glace, quartz, de deux des ciels, sont
reconnus comme d'origine mahométane, le taureau sustentateur se retrouve
dans les mythes des Kanouri et des Peuls, conquérants musulmans, comme
en Afrique du Nord. La composition du corps humain, fait d'humus,
peut être un autre emprunt à l'islam oriental':12) ?
En revanche, le lac placé à l'origine des eaux dont il est la source
et la présence de bronze dans les clavicules humaines appartiennent à
d'antiques croyances africaines, de même que la répartition de l'existence
humaine entre sept classes d'âges; à moins que cette division septénaire
n'ait remplacé le fractionnement originel en seulement cinq époques que
J'on trouve chez d'autres peuples africains, les Fali et les Dogon pris entre
autres exemples t 3R). L'origine de la division de l'humanité dans le temps
en 7 fois 7 soit 49 générations peut être attribuée à l'islam si l'on se
(:14,.
réfère au rôle joué par ces nombres dans le shî'isme Et il est éclairant
pour l'étude des rapports entre cette religion étrangère et la foi tradition-
nelle, d'observer la concordance étab1ie par les Kotoko entre le nombre
des terres (et des ciels) et les étapes de la vie humaine. Il n'y a guère de
doute non plus quant à J'origine musulmane des mouvements de déam-
bulation post m,ortem attribués aux éléments de la personne: «la pensée
philosophique en Islam... se meut par un double mouvement: de progres-
sion depuis J'Origine (mahda') et de retour à rOrigine (ma' âd), dans la

(31) MAHOMET. Le Coran! trad. E. Montet, Paris, Payot. 1958.


(32) Cf. notamnlnet L. GAUTHIER, JbIZ Thofaïl, sa vie, ses œuvres, Paris,
E, Leroux, J909. p. 62: « Dans une îJe déserte de rI nde... du sein de J'argiJe en
fermentation. un enfant est né, sans père ni mère... ».
(33) D. PAULME. Organisation ,\ociale des Dogon. Paris, Domat-Montchrestien,
1940. p. 247; J.-P. LEBEUF. L'habitation des Fali, Paris, Hachette, 1961, p. 346-347.
(34) D'après H. CORRIN. Histoire de la philosophie islamique, Paris. N .R.F.,
1964. p, 125.

25
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dimension verticale. Les formes sont pensées dans l'espace plutôt que
dans le temps. Nos penseurs ne voient pas le monde en « évolution» dans
un sens rectiligne horizontal, mais en ascension; le passé n'est pas derrière
nous mais sous nos pieds » (:1:)
\. Au double mouvement vertical des prin-
cipes de la personne s'allient les déplacements horizontaux des principautés~
c'est-à-dire, dans cette perspective philosophique, l'ensemble des terres
et des ciels, et la conjonction de ces deux fois deux mouvements, verticaux
et horizontaux, donne au système le volume sans lequel il ne pourrait être
complet. Ce système total est figuré sans conteste pour les actuels Kotoko
par les sépultures en urnes unanimement considérées dans le pays comme
autant d'images des ensembles céleste et terrestre. Nous serions alors en
présence d'un mode d'inhumation qui, tout en étant reconnu sans conteste
comme pré-islamique, concrétise pourtant des notions empruntées aux
mahométans, ce qui pourrait être aberrant si l'on n'était pas en droit
d'estimer que cette explication, forgée après coup, n'a fait que recouvrir
-- partiellement - un symbolisme voisin. On sait en effet que ces sépul-
tures constituent traditionnellement des figurations du sein maternel et de
la Terre, équivalents dans la pensée kokoko. Ces tombes sont d'ailleurs
aménagées de telle façon que le corps en putréfaction se trouve en contact
direct avec le sol auquel il s'intègre d'autant plus sûrement et complète-
ment qu'il est considéré mythiquement comme étant lui-même fait de terre.
On peut donc estimer que le double symbolisme originel de ces sépultures
aurait, sous l'éclairage de la nouvelle religion, été réinterprété comme
constituant des représentations totales du monde tel que le conçoivent les
musulmans. Tout en ayant adopté les croyances importées, les penseurs
demeurent fidèles ainsi à leurs conceptions traditionnelles, la nouvelle reli-
gion n'étant pas assez forte à tout prendre pour faire disparaître une foi
(:-H;,.
ancienne qu'elle a estompée sans sérieusement l'atteindre
Paris (C.N.R.S.) et Fort Lamy (LN.T.S.H.)
(Travaux de la R.C.P. 117).

(35) D'après H. CORBIN, ouv. cité, p. 18.


(36) II n'a pu être traité ici des liens établis par les Kotoko entre la personne
humaine et les animaux (mammifères sauvages, reptiles, poissons, oiseaux) parmi
lesquels certains poissons sont censés passer au cours de leur développelnent par des
étapes qui correspondent à autant de classes d'âge. Cette question sera reprise à
l'occasion d'une étude, en cours, consacrée au système classificatoire en vigueur dans
la principauté de Logone Birni.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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Nil 544. LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE


-

LE PLURALISME COHÉRENT
DE LA NOTION DE PERSONNE
EN AFRIQUE NOIRE TRADITIONNELLE

L. V. THOMAS

L'ethnopsychologie comporte deux dimensions qu'il semble difficile


de séparer. D'une part toute société conçoit d'une certaine manière l'orga-
nisation de la personnalité: corps, âmes lourdes et âmes légères, principes
vitaux, ombres, participations totémiques, pluralité des noms, parcelles
ontologiques d'ancêtres réincarnés... qui peuvent se conjuguer différem-
ment. D'autre part la coutume et les patterns socio-culturels imposent
généralement des systèmes d'attitudes: on sait, par exemple, avec A.
Kardiner «qu'il est possible de démontrer que certaines pratiques éduca-
tives sont significatives pour l'individu pendant sa période de croissance
et que les constellations ainsi formées restent un élément constant de la
personnalité ». Parmi les moyens d'intégration de l'individu au système
culturel de son groupe, il faut avant tout citer les disciplines éd~catives
auxquel1es l'enfant est soumis dès sa naissance ou institutions primaires;
quant aux institutions secondaires, elles «expriment la réaction de l'indi-
vidu au milieu et résultent de l'effet des institutions primaires sur la
structure de la personnalité de base»... )
(
Comment se présente, dans cette double optique, la personne 1

négro-africaine traditionnelle? En quoi son analyse permet-elle d'enrichir.


voire de renouveler, la psychologie occidentale? Telle est la double inter-
rogation à laquelle il faut essayer de répondre.
En fait l'étude de la personnalité comporte deux niveaux fondamentaux.
Le premier est in1pressionniste ou plutôt empirique et ne déborde guère le
domaine du discours nlême s'il suscite quelques interrogations capitales.

(1) Ce ternle doit être entendu au sens le plus général, celui que donne notam-
ment Gordon W. ALLPORT (Personality. A psychologie Interpretation. Holt, New-
Yark 47. XIV): La personnalité est l'organisation dynamique des systèn1es psycho-
physiques qui. dans un individu, déterminent son adaptation oriRinale à SOil /11iliell.
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388

C'est sur ce plan que se situe la présente étude, laquelle vise à rassembler
des matériaux typiques concernant l'idée que l'homme noir d'Afrique se
fait de la personne (bien qu'aucun terme ne corresponde à cette réalité dans
la plupart des langues locales). Le second seul est vraiment scientifique
qui voit, dans la personnalité, un système vivant de rapports sociaux entre
les conduites: «Mais en même temps, dès que les conduites s'insèrent
dans le monde des rapports sociaux, et d'abord au titre de travail social,
elles deviennent aussi quelque chose qui produit et reproduit ces rapports
sociaux, et de ce point de vue, elles ne sont plus les conduites d'un sujet,
mais les conduites d'une formation sociale déterminée. Elles sont alors
sociales dans leur contenu et biologiques dans leur forme» (2). Il ne suffit
plus donc de souligner que la personne négro-africaine reste inséparable
de ses dimensions sociales, ni même qu'elle est relative aux systèmes socio-
culturels «< idéologie» du groupe ethnique considéré); encore faut-il expli-
quer quel mode de production à la fois elle exprime et occulte, quelle
formation sociale elle prolonge et justifie. L'état actuel de .la psychologie
et de la socio-économie africaines permettent difficilement d'envisager ce
second aspect du problème.

I. UNITÉ ET PLURALITÉ DANS/DE LA PERSONNE

S'il est un point sur lequel l'anthropologie peut apporter à la psycho-


logie des données intéressantes, sources de réflexions fructueuses, c'est
incontestablement celui de la personne négro-africaine à propos de laquel1e
il n'est pas abusif de parler de pluralisme cohérent.

A. Les données de base

Différents traits caractérisent ce que J'on pourrait appeler la dimension


spécifique de la notion de personne en Afrique noire traditionnelle.

1. Pluralité des éléments constitu,tifs.

La personne yoruba (Nigéria), par exemple, comporte des compo-


santes matérielles, des composantes immatérielles périssables, des compo-
santes immatérielles impérissables. - Parmi les composantes matérielles,
citons le corps (ara) == partie intégrante du moi, il est cependant fait
(2) L. SEVE, A1arxislne et théorie de la personnalité. Editions Sociales, 1969, p. 265.
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d'argile et devient poussière après la mort; l'ojiji, c'est-à-dire l'ombre qui


accompagne le corps et ne périt qu'après l'inhumation du cadavre: agir
sur l'ojiji, c'est viser la personne dans son unité; l'ikpin-ij~un ou «distri-
buteur de nourriture» == il faut y voir l'intérieur du corps et pas seule-
ment, comme on l'a cru, les intestins. - Les composantes immatérielles
périssables se réduisent à l'iye ou esprit qui se loca1ise dans la tête (derrière
le front) et que l'homme perd dans la folie; on le distingue parfois de
l'ero ou intelligence, réflexion. - Les composantes immatérielles et impé-
rissables se ramènent à trois. L'çkan ou cœur, siège par excellence de la
pe1"sonne comme valeur; c'est l'instance la plus représentative de la per-
sonne dans sa totalité bien qu'il puisse quitter' le moi durant le sommeil;
jadis le nouveau roi devait consommer le cœur réduit en poudre de son
prédécesseur afin de l'incorporer l'essence de son être. C'est l'ok an qui
assistera au jugement dernier et sera châtié ou récompensé selon ses
œuvres. Puis l'emin, ou souffle vital, c'est le «spritual soul» qui aban-
donne le corps dès que s'arrête la respiration: sa destinée est de rejoindre
l'Etre suprême à qui il appartient. Enfin l'eri (tête), voire oIori (seigneur
de la tête) ou partie impérissable qui se réincarne dans le nouveau-né
que l'ancêtre «appelle à exister».
Pour donner une idée du caractère général de ces croyances, rappelons
brièvement quelques données topiques: les Fan (Gabon) admettent sept
types d'âmes: l'eba ou principe vital, créateur; le nlfm, conscience, cœur,
volonté; l'edzU ou nom; le ki ou le nldfn, force et signe de l'individu;
le ngZEl, puissance active de l'âme substance; le nsissim à la fois ombre
et âme; le khun, âme désincarnée. - Les Dogon (Mali) connaissent le
Jlàma ou prin~ipe vital, l'âme ou plutôt huit âmes (4 âmes de corps,
2 mâles et 2 femelles; 4 âmes de sexe: 2 mâles et 2 femeHes) et huit
graines claviculaires, etc. - Les Ga (Ghana) distinguent l'âme individuelle
(susama) qui rappelle le tarne des Esquimaux, le principe vital (kla ou inna
des Esquimaux) et le nom (atka des Esquimaux). Les Kikuyu (Kenya) se
contentent de deux âmes, une qui est rigoureusement individuelle, l'autre
se confond avec l'esprit de famille «ou sorte d'âme collective». -::: 1\tlême
dichotomie chez les Ewé (Ghana, Togo) qui opposent l'esprit de vie qUI
après la mort va au cie] et l'esprit de mort qui se rend sous terre, au-delà
d'une «grande rivière». - Les M osi (H aute- \l olta) estiment que l'âme
ou siiga est constituée par l'union de deux principes invisibles, un mâle
(hUma), une femelle (tuule); la mort résulte précisément de leur désunion.
- Un cas particulier nous est fourni par les Ashanti (Ghana) pour qui
il existe sept espèces d'âmes différentes d'après les jours de la semaine~
d'où la coutume qui consiste à donner à J'enfant «le nom du jour qui
correspond à son âme». Il est possible de fournir d'autr~s exemples. ~
Les Kabré du Togo pensent que l'esprit (kalisah) peut simultanément se
réincarner dans plusieurs nouveau-nés tout en demeurant au Paradis
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(heirye) tandis que le principe vital (ciyam) retourne à Dieu. - Pour le


Sénufo de Côte-d'Ivoire, le corps (tYEr) est détruit dans la tombe; l'âme
(pU) anime le premier-né qui, dans le clan, verra le jour; enfin la force
vitale (nEr), souvent vindicative et vengeresse après la mort, rappelle le
Jlàma des Bambara (Mali). - Les Kotoko/i du Togo parlent du corps
(tonu) mortel; du nom ou caractère qui se transmet par héritage; de l'esprit
(adelo) qui rejoint les ancêtres; de la volonté (hezena) qui ne survit que
peu de temps après la mort; enfin du doni, force vitale qui assure la
cohésion des forces précédentes, son destin s'avère confus. A leur tour les
Nzima du Ghana affirment que l'homme possède trois âmes: nlyga «âme
de consanguinité », symbole de matrilignage; ntero, personnification du
patrilignage; okra, «âme divine» procédant de l'une des sept divinités
planétaires maîtressse des jours de la semaine. Les Konkomba du Togo
séparent à leur tour le corps, le kina principe immatériel, sorte de double
qui loge dans le foie et le sang, l'ilâdar «< le petit homme qui parle dans
la tête») ou pensée et le nvi à la fois force vitale, santé, chance; c'est
le nvi qui, pénétrant dans le ventre des femmes enceintes, anime le fœtus;
le nvi des animaux tués à la chasse peut être dangereux (il donne des cau-
chemars, les maladies de peau, ...) mais différents objets magiques per-
mettent d'échapper à son emprise. Rappelons encore l'exemple des Fan
du Dahomey qui distinguent le Se, âme personnelle, principe de cohésion,
raison transcendante, puiss"nce, destin (notion donc nettement sur-déter-
minée); le Se-Lindon, «âme» qui maintient le lien avec le «Dispensateur
de vie » et qui retourne à lui après la mort; le Kpoli qui permet la réincar-
nation et assure la protection du nouveau né; le Fe ou ombre qui disparaît
avec le corps; le Du, concentration du programme de vie donné par le Fa
(divination)... Ce qui suggère plusieurs questions. Quelle est l'importance
hiérarchique de ces éléments constitutifs? Existent-ils simultanément et en
permanence? Ces termes désignent-ils des réalités ontologiques absolument
différentes ou seulement des rôles~ des fonctions spécifiques d'un principe
unique ?.., etc.

~. Eléments étrangers et localisa,tion hors dtt moi.

La réalité devient encore plus complexe si nous rappelons que le


« moi» négro-africain peut intégrer des éléments étrangers (ancêtre réin-
carné; participation à l'être d'une personne appartenant à une ethnie autre)
mais associés soit par le pacte de sang~ soit par l'alliance cathartique: c'est
ainsi qu'il y a du Bozo dans tout Dogon (Mali) et réciproquement; d'où
Je sens profond qu'on peut accorder à la parenté à plaisanterie.
Inversement, il arrive que des «parcelles» fondamentales du moi
soient localisées à titre définitif ou temporaire en dehors des limites «visi-
bles» de la personne. Les exemples de ce genre sont légion, mais le
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tableau suivant, valable pour le Dogon et que nous empruntons à G.


Calame-Griaule s'avère, sur ce point, particulièrement significatif (:{) :

kikinu correspondan t résidence organe lieu


c.à.d (âme) psychologique théorique d'action d'attente
+~ raison H tê te cerveau dos
F mare
+0 affectivité H mare foie H épaule
âmes
I bonne F foie droite
de F épaule
corps gauche
-~ anti-raison H animal crâne
interdit
F sanctu-
aire
-0 aff ec tivi té H eau du
mauvaise sanctuaire foie pénom bre
F animal
interdit
dynamisme H autel de pancréas H testi-
sexuel tête cules
+~ - procréation F autel de F seins
corps
âmes +0 amour désir H autel de pancréas H testi-
de corps cuIes
sexe F autel de Freins
tête
-~ frigidité H sexe rate restent
- stérilité F sexe dans les
(règles organes
sexuels
-0 désaccord H sexe rate restent
- impuissance F sexe dans les
sexuelle organes
sexuels

N.B. : + = intelligent o = femelle


- = béte H = Homme
~ = mâle F = Femme
(3) G. CALAME-GRIAULE. Ethnologie et Langage. La parole chez les Dogon.
Paris, Gallimard, 1965, p. 350.
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392

On devine, par ailleurs, les multiples incidences que peuvent avoir


sur la notion de personne les jeux de correspondances et de participations
exprimant les idées forces des systèmes cosmologiques, d'autant que les
taxonomies négro-africaines sont délibérément homo-morphiques et homo-
centriques (G. Dieterlen et les Dogon, A. Lebeuf et les Fali, L. V. Thomas
et les Diola...).

3. Sytèmes de relations spécifiques.

Nous savons qu'il existe des lieux soit d'attente, soit de localisation
des âmes (de c'orps ou de sexe) singulièrement chez les Dogon (Mali),
et que le moi reste en étroite connexion avec certaines forces de la nature
(jeu de correspondances et de participations bien connues des FaLl -
Cameroun - ou des Ka/oko - Tchad). A ces attaches cosmiques s'ajou-
tent les liens sociaux: avec le génie qui nous possède, notre jumeau,
le double totémique, certains membres privilégiés du clan (l'Ancêtre iné-
galable, le défunt réincarné, le Père initiateur, l'homme avec qui on a
conclu un pacte de sang ou qui est notre parent à plaisanterie, voire le
sorcier avec qui s'engage un singulier rapport de forces) f41. Il peut se faire
encore que le Moi ait des rapports privilégiés avec le placenta ou le cordon
ombilical qui furent les siens... «Placenta et cordon sont organiquement
liés au nouveau-né. Comme ils servent, d'autre part, aux phénomènes mys-
térieux entre tous de la gestation, ils baignent dans une atmosphère de

(4) Une distinction s'inlpose entre la pensée populaire, attachée davantage au


signe qu'au sens, à l'image qu'à sa fonction, éloignée du langage ésotérique et celle
des sages, initiés. détenteurs du 'savoir profond'. C'est en fait dans une perspective
symbolique que le sage bantu parle de métamorphoses d'homme en animal, même
s'il laisse croire le contraire. Comme le souligne Meinrad HEBGA (Le concept de
métamorphoses d'hotrlmes animaux chez les Basa, Duala, Ewondo, Bantu du Sud-
Cameroun. Doctorat de 3" Cycle. Rennes, 1968, 1. ), p. 279): «Le problème de la
réalité physique des métamorphoses est un faux problème. Il ne s'est jamais posé
à la conscience de l'élite intellectuelle et morale de la société basa, ewondo ou duala ».
V oir encore p. 275: «L'intuition de la structure de l'univers transmise par l'ensei-
gnement initiatique fait partie d'un savoir ésotérique que le commun des Bantu ne
possédait pas. La notion de Jnétamorphoses d'hommes en animaux devait avoir une
résonance différente dans la conscience d'un sage et dans celle du menu peuple.
Le premier savait que, sans se confondre avec l'animal l'homme est son frère d'uni-
vers.
. tout autant que la plante ou que la pierre. Il savait que tous ces êtres deviennent
de la poussière. que finalenlent ils ont un substrat commun. Les ignorants croyaient
que des hommes se changeaient physiquement en des animaux authentiques, mais ni
les uns ni les autres n'avaient le sentiment diffus d'être n'importe quoi. c'est-à-dire
en sonlme rien du tout. L'homme et l'anin1é\1 sont différents. Ainsi donc le concept
de métamorphoses d'hommes en animaux, qu'on le prenne dans son acception sym-
bolique ou physique, reste sous la mouvance de la raison. Il s'intègre dans une
vision cosnlique dans laquelle la personne humaine apparaît vraiment comme partie.
intégrante de l'univers ».
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sacralité, donc d'ambuiguïté. Ils devront être soustraits à toute entreprise


malveillante, cachés et enterrés dans le secret, afin qu'aucun maléfice ne
puisse être exercé par leur intermédiaire. Leur liaison particulièrement
intime et étroite avec le corps de l'enfant permettrait, à qui le voudrait,
d'avoir grâce à eux prise sur lui. Ce lien explique aussi que l'endroit où ces
organes sont enterrés aura pour l'enfant et le futur homme une importance
particulière. Celui-ci peut même y être attaché par une sorte de fraternité,
de solidarité entologique. Comme le placenta ac<;ompagne l'enfant dans sa
naissance après s'être développé en même temps que lui dans Je sein
maternel, il fait figure de «jumeau» du nouveau-né. C'est ainsi que les
H éréro Ui I considèrent le cordon ombilical et le délivre comme des
« jumeaux », des sortes de doubles de l'enfant. De même quand l'enfant
muhaya 10) naît les pieds les premiers, on ]'appe}]e jumeau et c'est Je
placenta qui est considéré comme son frère» I; I

4. De la synchronie à la diachronie.

Non seulement on doit parler de la pluralité des éléments du moi


mais encore de la multiplicité des étapes successives (naissance, première
enfance, sevrage, jeune enfance, période de latence, initiation, état adulte,
vieillesse, mort) par lesquelles l'individu passe généralement et à propos
desquelles nous reviendrons plus loin Uq. Jnsistons sur un certain nombre

(5) Nambie au Sud-Ouest africain.


(6) Tanzanie, Kenya.
(7) P. ERNY. Placenta et cordon ombilical dans la tradition africaine. Psycho-
pathologie africaine, V, 1, 1969, p. 140.
(8) Un exem'ple intéressant du caractère diachronique de la personne lié à l'évé-
nement de portée psycho-sociale et en relation avec le cosmos nous est fourni par
les Venda du Transvaal (étudiés par J. Roumeguere-Eberhardt: Pensée et Société
africaine. Mouton. ] 963) que nous pouvons représenter de la façon que voici:

Evénemen t Psycho-social Correspondan t


Etat (ou traduction culturelle du
cosmique
fait biologique)
a Bebe-eau Naissance Zone cosnÛque : brousse
b Enfant Appari tion des den ts Zone intermédiaire:
champ cultivé

c Adul te Initiation Zone sociale: vil1age_


lieu des procréateurs
d Vieillard Ménopause Zone intermédiaire:
Région

e Ancêtre Mort Zone cosmique: Royaume

On notera la correspondance entre a et e et entre b et d.


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de données qui nous semblent particulièrement topiques. Ainsi peut-on


avancer que les substrats noétiques eux-mêmes n'ont rien de stable puis-
qu'ils peuvent s'accroître ou s'amenuiser, disparaître et réapparaître,
se rapprocher ou s'éloigner selon des schémas parfois très complexes.
Des permutations s'avèrent possibles, par exemple entre l'âme et le
double, lors des réincarnations notamment chez les Bambara (Mali). Des
substitutions partielles s'organisent lors des pactes de sang ou des pactes
d'union dans la mort que connaissent bien les Bantu. Des métamorphoses
fondamentales s'opèrent à titre définitif (singulièrement lors des initiations)
ou provisoirement (port de masques, mutations du sorcier lors des sabbats
nocturnes ou de l'homme-léopard dans les cérémonies propres aux sociétés
secrètes) ~ soit socialement et rituellement (sacrifice qui renforce; transfor-
mations d'homme en animal dans les rituels initiatiques bulu et beti du
Cameroun), soit anomiquement (sorcellerie). Tandis que dans la mort en
instance, l'homme continue de vivre alors qu'un élément important de
son moi (l'âme chez les Dogon) a déjà entrepris le long -voyage; en un
sens et à des titres différents, le sommeil, la folie, l'émotion violente, voire
J'impureté peuvent s'interpréter comme une perte ontologique (folie, émo-
tion, sommeil) ou une déperdition de force (impureté). Et l'on sait encore
que dans la sorcellerie, l'âme, le principe vital, le plus souvent le double
risquent d'être progressivement détruits (phantasme de dévoration) soit
à des fins de vengeance, d'agression gratuite ou parce que le sorcier lui-
même doit compléter un manque (les Bamhara disent parfois qu'il veut
acquérir le dya qui lui manque).
Ces départs (sommeil, émotion, impureté, dévoration imaginaire, perte
de la force du pouvoir chez les défunts ban tu) et ces arrivées (soit retour
lors du réveil, après l'émotion; soit acquisitÏon == sacrifice qui revitalise,
possession bénéfique, promotion iniatique, force du savoir chez les ancêtres
hanfu nouvellement promus) nullement incompatibles avec la prise de
conscience de soi, font que la personne n'est jamais entièrement vivante
(degrés de la mort) ni entièrement morte (degrès dans la vie), qu'elle
demeure toujours elle-même et autre chose qu'elle même, qu'elle est tou-
jours ici et en même temps ail1eurs (vagabondage de l'âme, bi)ocation des
morts). ..

B. - Les questions qui se posent

Il ne sert à rien d'énumérer les principes constitutifs du moi, leur


origine diverse, leur localisation dispersée, leurs transformations dans la
durée. Encore faut-il spécifier les liens qui les unissent et que précisément
la mort vient détruire de manière anarchique. Ou plutôt ce problème com-
porte trois aspects.
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1. Les sources possibles du pluralisme.

Théoriquement la pluralité des éléments de la personne procède de


façon inégale mais difficilement pondérable de trois causes. - Une philo-
sophie du plein qui répudie le vide des formes (le vide étant lui-même
extraordinairement actif, ce qui est pour lui sa manière d'exister) et
recherche la plus grande richesse et variété possible des êtres. - Les phé-
nomènes de rencontre des cultures suscitant en réalité plus d'emprunts que
de pertes en vertu du principe précédent (la place manque pour fournir les
témoignages) et aussi des mutations de sens ou de fonction. - Les mala-
dresses de l'enquêteur. N'oublions pas qu'un même élément peut être homo-
logué sous des noms différents selon les villages ou aussi selon les moments
de I'histoire individuelle tandis qu'un terme unique, éventuaJité plus rare,
rassemble des principes différents; ce qui est source dans les deux cas
de confusions multiples. En outre ne risque-t-on pas de réifier ce qui n'est
que représentations, de glisser de l'image à la réalité ontologique, de prendre
pour des entiéts séparées ce qui n'est qu'abondance de symboles pour
exprimer l'intériorité/extériorité? Il est indéniable que le point de vue du
sage ou du «philosophe» local, diffère notoirement sur ce thème de ce
que peut croire la majorité des villageois.

2. Les trois dimensions clefs du. p.roblème.

T autefois cette pluralité est un fait et tout spécialement un fait spé-


cifiquement négro-africain. Mais le problème qui se pose, lui, est absolu-
ment universel. En termes de psychologie classique, la question de la per-
sonne comporte trois dimensions clefs. - L'Unité (synchronie). Comment
l'individu se reconnaît-il comme sujet unique à travers la pluralité des élé-
ments constitutifs d'origine diverse et la multiplicité des états psychologiques
(ambivalence et plurivalence)? - L'identité (diachronie). Comment J'indi-
vidu se reconnaît-il comme sujet permanent à travers la multiplicité suces-
sive des états et les métamorphoses que subit son moi au cours de sa
formation (la personne africaine «comme'nce» bien avant la naissance et
ne « s'achève » pas avec la mort) ou de son histoire? - La mise en situa-
tion (endo ou périchronie). Qu~jJ s'agisse d'unité ou d'identité, l'individu
(personne ou personnage) ne se définit qu'en référence avec des médiats
privilégiés expliquant à la fois et son originalité et sa non-interchangeabilité:
le corps? Le destin? Le nom? L'entourage (famille, rapport aîné/cadet,
place dans la caste ou dans la classe d'âge, rôle et statut)? Ainsi la mise
en situation psycho-sociale devient un moment fondamental pour la déter-
mination de la personne.
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Ces trois dimensions s'imposent aussi bien dans la perspective du Moi


(ce-que-je-suis) que dans celle d'A utrui (ce-que-je-suis-pour-I'autre).

3. De quelques oppositions pertinentes.

Dans la perspective négro-africaine «traditionnelle» - il faut bien


conserver ce qualificatif si lourd de préjugés puisqu'il connote l'idée de
pureté, de permanence et qu'on l'oppose volontiers à l'occidental synonyme
de progrès, car il n'y a rien à mettre à la place - on se trouve en présence
de couples importants dont voici les principaux, lesquels risquent en fait
d'interférer plus ou moins. - Donne/ Acquis. Le donné est à la fois l'inné,
principe de la spécificité du moi (Téré des Bambara, Du des Fon) et l'hérité
soit lors de la conception (par exemple les os du père et le sang de la
mère chez les Ashanti du Ghana), soit à propos de la réincarnation.
L'acquis procède soit de J'entourage (initiation et détermination des rôles
ou des statuts, promotions diverses), soit de la promotion individuelle
(auto-création, sacrifice, possession, pactes de sang ou d'alliance dans la
mort). - Possédé/Perdu. Le moi se définit comme bilan sans cesse remis
en question (on doit parler ici d'inachèvement) entre le possédé (donné
ou acquis: voir le couple précédent) et le perdu épisodique (émotion et
folie; impureté mineure) ou définitif (mort en instance, dévoration fantas-
matique c'est-à-dire sorcellerie, impureté irréparable). - Désiré/Rejeté. Non
seulement le sujet peut désirer Ufi surcroît d'être (promotion initiatique ou
statutaire, effets du sacrifice) mais encore d'être possédé par un génie ou
un ancêtre (adorcisme). En revanche, il peut être amené à rejeter un prin-
cipe maléfique (techniques de purification, thérapeuties, rites d'exorcisme).
Ainsi, pour reprendre l'expression de R. Bastide, nous dirions que le moi
négro-africain n'existe que «dans la mesure où il est en dehors et diffé-
rent», inséré à la fois dans la continuité temporelle (présentification de
J'ancêtre) et la diversité spatiale (localisation des âmes, relations privilégiées
avec certains lieux, certains objets, certains génies, certains vivants). Dans
cette philosophie, l'Etre ne se conçoit pas, cette règle semble générale, en
dehors de ses dimensions cosmiques et sociales (sans s'y réduire comme on
l'a parfois bêtement affirmé); il est authentiquement, comme dirait Et. Sou-
riau, suspendu en abaliété ou mjeux encore, nous pensons avec R. Bastide
qu'il y a là «fusion dans l'altérité ».
Comment alors justifier l'unité et l'identité du Moi? Ou si l'on pré-
fère: l'homme est-il avec les éléments qui le constituent en relation d'être
ou en relation d'avoir? Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point.
Pour expliquer ce pluralisme cohérent plusieurs éventualités se présentent.
Faut-il parler de correspondances? de participations ontologique's ou seu-
lement existentielles? de liens symboliques ou analogiques? ou plus sim-
plement de synthèse organisée, chaque élément accomplissant une fonction
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ou n'étant qu'une fonction spécifique, donc nommée, d'une réalité uni-


taire (9) ? Dans l'état actuel de nos connaissances, rien ne peut être avancé
avec certitude et il semble même que le Négro-africain n'ait pas sur ce
point dépassé la phase purement énonciatrice.

II. LE VERBE ET LA PERSONNE OU LA PUISSANCE DU NOM

Une civilisation de l'oralité ne pouvait manquer d'octroyer aux tech-


niques de dénomination une place de choix dans la constitution de la
personne.

1. La personne et le -nom.

On peùt affirmer, sans crainte du paradoxe, que la personnalité du


Noir est composée d'un corps, d'une âme, d'un totem et d'une pluralité de
noms. Il serait bien difficile de savoir lequel de ces quatre éléments possède
un rôle prépondérant. En réalité, chacun représente à sa façon un aspect
de l'individu: le corps est la forme somatique; l'âme, la donnée métaphy-
sique; le totem, l'élément cosmologique; le nom - qui les résume tous
avec force et concision - l'aspect social, pour ne pas dire sociologique.
Le nom, en effet, représente le corps quand il en traduit la force ou quand
il souligne l'allure générale du geste ou de l'attitude, voire l'utilisation du
membre; l'âme quand il en dessine les qualités, les travers ou les défauts;
le totem quand il connote les participations entre le moi et le reste des
choses. Mais, avant tout, il place l'homme dans le groupe: il est alors
l'indicateur qui permet de le reconnaître, le tableau qui le qualifie, le signe
de sa situation, de son origine, de son activité, de ses rapports avec les
autres. Le prénom, notamment, qualifie la personne par une phrase
condensée et symbolique. Il est conduite du portrait. D'origine concrète,
il ne fait pas que nommer: il explique. C'est plus qu'un signe: il devient
une figuration symbolique. Il illustre en résumant. En ce sens, il est vrai de
dire qu'il révèle l'être. Aussi, prononc~r le prénom, c'est agir sur l'âme,
la provoquer, la contraindre à une action, la confiner dans un état. C'est

(9) C'est pourquoi R. Bastide peut parler de l'unité forn1elle de la personne


par delà la pluralité des âmes corporelles (de la tête, du foie, du cœur...) ou des
âmes psychiques (double. ombre, souffle.~.): «Celle d'un équilbre. Concrètement il
n'y a que des états successifs d'équilibration, de déséquilibration et de rééquHibration
entre des forces qui plongent au-delà de nous-nlênles tout en étant en nous-mêmes.
tout en étant nous-mêmes ».
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pourquoi la cérémonie d'imposition du nom peut avoir une grande impor-


tance sociale dans la mesure où elle situe l'individu avec précision. D'où
l'habitude de donner à l'individu plusieurs noms décelant la pluralité de
ses origines (nom de l'ancêtre réincarné; nom du clan féminin, du clan
masculin; nom exprimant sa propre essence) et rappelant les temps forts
de son existence (initiations diverses). Il est fréquent que la dation de
nom s'effectue après L'apparition des premières dents; avant cette date
l'enfant n'est qu'un être cosmique, un bébé-eau comme disent les Bantu,
non un être social eO). Pour exprimer l'importance de la dénomination,
donnons quelques exemples: M. Houis a publié une étude remarquable
autant que fort intéressante sur la signification et la portée des noms el).
Il existe, en principe, pour chaque individu, deux noms appelés respecti-
vement yure et sondre. Le premier se rapporte au nom individuel et le
second au nom clanique. Plus encore que le sandre, le yure est un message
adressé aux puissances sacrées et vise à protéger celui qui le porte. En ce
qui concerne les noms individuels qui ne sont pas liés à up statut social
particulier ou à une dignité politique - les noms de guerre ou les noms
d'initiation par exemple - les Most, nOllS dit-on, distinguent, à l'instar
d'autres populations du même type culturel, entre les «noms vrais» et
les « noms blancs». La dation du nom donne lieu à une cérémonie fami-
liale: premier rasage de la tête (liquider l'impureté initiale) et sacrifices.
Parmi ses multiples fonctions, le nom peut donc être envisagé comme
« signe antinomique de la mort». En effet, la fécondité semble constituer
l'une des valeurs fondamentales de l'éthique mosi pour qui la stérilité va
«à l'encontre de l'ordre cosmique». Avoir des enfants et les garder
vivants est un idéal auquel tous aspirent.
Le Yoruba (Nigéria, Dahomey) possède trois noms< Le premier fait
allusion aux circonstances dans lesquelles est né l'enfant. On le désigne
sous le vocable Amuntorunwa == qui est «venu avec les prédispositions du
ciel». Ainsi le premier garçon qui naît après le décès de son grand-père
paternel s'appelle Babatunde « le père est revenu»; la première fille qui voit
le jour après la mort de sa grand'mère ou de sa grand'tante paternelle' se
prénommera lyabo == «notre mère est revenue ~~; une fille qui vient au
monde après la période normale de l'utérogestation porte le nom de
Dmonpe « enfant née avec un certain retard »; Abiba est le nom que porte
une fille (ou un garçon) née pendant une absence prolongée de son père;
Djo est le prénom d'un garçon et A inon celui d'une fille qui naissent avec
le cordon ombilical autour du cou. Le deuxième nom, Abiso, correspond
d'ordinaire à l'état des affaires de la famille à la naissance de l'enfant;
ce nom est toujours donné par le membre le plus vieux de la génération

(10) Les lacaniens d'aujourd'hui définissent de façon assez proche le bébé qui
n'a pas atteint le stade de l'échange symbolique (langage).
(11) M. Houls. Le nom individuel chez les Mossi. tF.A.N.. Dakar. 1963.
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la plus ancienne de la lignée paternelle. Ainsi M onrenike signifiant «j'ai


trouvé qui choyer»; Monbolaton «je pensais que l'honneur avait cessé »,
s'appliquent à des filles nées après une longue période d'attente; Olaniyonu
« l'honneur est dur à gagner», est porté par un garçon né grâce aux nom-
breuses interventions des prêtres détenteurs de recettes pharmaceutiques.
Mais c'est le troisième nom qui semble le plus important et le plus déter-
minant dans la vie de l'individu. C'est le «nom attributif» exprimant
J'identité de l'enfant et ce qu'on attend de lui: il rappelle l'ancêtre dont
le nouveau-né possède l'esprit tutélaire, la force dynamique et l'esprit qui
siège dans les orteils. C'est pour cela que seuls les gens assez avancés
en âge peuvent appeler l'individu par son troisième nom que les Yoruba
qualifient de Oriki, c'est-à-dire «respect dû à l'esprit tutélaire» . Voici à
titre d'exemple certains Oriki yoruba: Abebi est porté par celui (ou celle)
qui naît après des supplications adressées aux divinités; Ajamum signifie
celui «qui sait lutter pour obtenir ce qu'il veut»; Adigun veut dire «fer-
mement lié »; A lade signifiant «celui qui interrompt une séquence» est
porté par un garçon qui naît après une série de filles. Changer ce troisième
nom, c'est convertir l'honlme lui-même. Dans les cérémonies au cours
desquelles on modifie le nom attributif de l'individu, c'est ce dernier qui
est invité à se transformer, à changer de comportement et d'attitude car i1
jouit dorénavant de la volonté, de la valence de chance et de l'esprit des
orteils d'un autre ancêtre. On pourrait croire que la société agit ici comme
provocatrice d'incarnation des esprits d'ancêtres. Il n'en est rien. En effet,
c'est la divinité de l'oracle lfa, qui par l'intermédiaire de son prêtre Bala-
lawo, indique l'ancêtre dont les trois forces Orl, Ok9n, lP9ri, se réincar-
nent sur l'ordre de l'Ori$a familial. Même dans le changement de ces trois
esprits, la soc'iété n'intervient que pour provoquer une mort et une renais-
sance rituelles rendant possible cette métamorphose. Le rôle du milieu
social semble être d'imposer au nouveau possesseur de forces ancestrales
les modèles de comportements et d'attitudes fournis par la tradition.
Le nouveau-né est pour a~nsi dire éduqué en vue de ressembler aux normes
mythiques consacrées par l'ancêtre dont iJ possède les tr(}is forces ou esprits,
Ori, OkÇJn, IpÇJri. Ainsi, alors que le souffle vital opère sur le physique de
l'individu, les trois esprits que possède tout Yoruba agissent plutôt sur son
caractère. C'est pour cela que le nouveau-né porte la devise de IJancêtre
dont il détient ces trois dernières forces. Un enfant qui possède les trois
esprits Ori, OkÇJn, IpÇJri, d'un prêtre de la divinité de la foudre appelé
$ango, par exernple, sera brutal, turbulent, impérieux. Mais cela ne se
révèle pas toujours vrai. Pourquoi s'en étonner si l'on sait qu'il n'est pas
rare de voir deux frères consanguins différer complètement l'un de l'autre?
Notons que la possession d'un souffle vital ancestral, emi, ne donne droit
qu'à quelque déférence et pas plus, car cette force n'est l'objet d'aucune
attention culturelle; celle-ci se concentre sur les trois esprits Ori, OkÇJn.
lpÇJri ...
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2. La portée exacte du nom.

Il appert des analyses précédentes:


a) Que le nom est un élément fondamental de la personne et non une
simple étiquette; chaque nom correspond d'ailleurs à un fragment ontolo-
gique ou symbolique d'être qui rattache celui qui le porte à des représen-
tants défunts du lignage tandis que la possession d'un patronyme secret
préserve l'individu et assure la spécificité du moi: malheur au sujet
qui, par indiscrétion ou maladresse, livre son nom secret; sa personne
devient alors particulièrement vulnérable puisque prononcer le nom, avons-
nous dit, c'est agir sur l'âme (12).
b) Que changer de nom consacre la disparition de l'ancienne per-
sonnalité, celle du «vieil homme», au profit de l'être nouveau régénéré
par le rite initiatique: il arrive même que la mutation nominale provoque
des traumatismes graves au sein de l'équilibre psychique (lors du baptême
chrétien par exemple). En outre, la mort de la personne entraîne fré-
quemment la mort du non1; ce dernier ne peut plus être prononcé par les
membres du clan; et si d'aventure quelqu'un du lignage détient le même
patronyme que le défunt, il doit changer de répondant verbal. Enfin
n'oublions pas que la mort sociale et eschatologique se produit quand les
vivants ont perdu le souvenir (== perte du nom) du mort et quand ce
dernier se dissout dans l'anonymat des ancêtres.
c) Que le nom enfin vérifie la puissance du Verbe dans les civilisa-
tions africaines de l'oralité (lH) et souligne l'aspect participàtif et dynamique
de la personne: participatif puisque les noms connotent le lien du «moi»
avec les éléments privilgiés du phylum clanique ou lignager qu'il réincarne
ou remémore; dynamique puisque les principales étapes de la personne
marquées par les «rites de passage» (apparition des dents, puberté,
mariage, ménopause et sénescence) sont spécifiées par le port d'un vocable
nouveau. Une fois encore on peut parler d'un pluralisme cohérent de la

(12) Connaître le nom secret d'une personne, c'est le «posséder» disent les
y oruba, c'est être capable de lui faire faire n'importe quoi et même de le «contraindre
à mourir ». Chez les Fon (Dahomey), l'enfant reçoit un nom qui rappelle son' du '
(parole ou signe du Fa); c'est le nom d'enfance, vu-iii, nécessairement imposé. «Alors,
comme si ce nom était impersonnel pour lui, l'individu entrant dans la vie, commen-
çant sa propre histoire, prend un nom (so-ni-ko == prend-nom)... Ce nom devient
celui que l'individu a intérêt à cacher au 'vulgaire', car il est ce qui révèle son
être nu (la nudité de son être). Alors pour jouer son rôle dans la société... l'individu
personnalise son entrée dans l'histoire, 'se fait exister' en se donnant un nom».
B.T. Kossou. Sè et Gbê. Dynamique de l'existence chez les Fon (Dahomey). Thèse
de Doctorat, Paris, 1971, ronéoté, p. 156.
(13) Au double sens de civiHsation du Verbe (sans appui de l'écriture) et dans
la perspective analytique.
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personne négro-africaine. Ce qui frappe en effet c'est que le nom en


Afrique, reste chargé de puissance. C'est dans cette perspective que les
Mosi, nous l'avons signalé, parlent de patronymes' antinomiques de la
mort'. Il est permis d'aller plus loin en ce sens. C'est ainsi que pour le
Fon du Dahomey, le nom exprime la vocation première de l'enfant. Au
moment même où l'enfant est encore ~
inconscient', cette cérémonie du
nom «le fait exister (nommer c'est faire exister...), il porte à son insu la
marque que ce nom lui imprime, qui n'est au fond que l'empreinte sur sa
personne du chemin (sê-li) par lequel son sê est passé, en vue de son
existence. Dès lors, l'être existe. Désormais l'enfant a un sens, il commence
d'exister pour son milieu social, malgré son inconscience. Ce qui est à
noter, c'est le caractère «efficient» à sa manière de ce nom, de cette
parole par laquelle le père signifie l'être 'de son enfant et le fait exister.
Nous retrouvons ici une analogie avec l'efficience du verbe créateur originel.
Analogie en effet car le nom donné est l'équivalent du souffle' animé et
animant' (rorant étant ici le père), et le rapport d'identité verbe-être se
retrouve ici dans la forme nom-existence» (14).

III. LA PERSON.NE ET LA MORT

La mort africaine si elle n'est pas destruction de tout (Ie moi com-
porte, avons-nous dit, des éléments impérissables), elle implique toutefois
la destruction - du tout (séparation et nouveau destin de chaque élément
constitutif). Percer les secrets de la mort, c'est partiellement appréhender
le mystère de la vie et singulièrement celui de la personne.

1. La mort et les éléments du moi.

L'esprit et la mort.

On sait peu de chose sur ]es rapports de l'esprit et de la mort si ce


n'est que le défunt perd toute capacité de réflexion et de parole. C'est
pourquoi la folie s'apparente à la mort: toutes deux sont singularisantes
et traumatisantes; toutes deux créent, dans le groupe, un sentiment d'urgence
concrétisé par un resserrement du consensus social. Le destin de l'esprit

(14) B.T. Kossou. Sê et Gbê. Dynanlique de l'existence chez les Fon. Thèse de
Doctorat, Paris, 1971, ronéoté. p. 140. Sê == principe' spirituel' fondamental,
essence du moi.

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(animus) se confond parfois avec celui de l'âme (anima) mais peut s'en
dissocier sans qu'il soit permis d'en indiquer la raison. Toutefois n'oublions
pas que, dans l'au-delà, si le défunt a perdu la force du pouvoir, il
peut néanmoins guider les survivants car il possède toujours la force du
savoir: ne doit-il pas rester pleinement conscient pour juger de son état
et apprécier le comportement de ses descendants?

Le double et la mort.

La notion de double s'avère particulièrement multivoque. Si l'on


entend par double l'animal totémique (l'ewuum diola par exemple), la
parenté de destin est flagrante entre l'homme et son double symbolique:
la mort de l'un entraîne irrévocablement la disparition de l'autre (parti-
cipation ontologique et existentielle). D'où la stricte interdiction de tuer
son totem et à plus forte raison de s'en nourrir (malgré certains sacrilèges
rituels). Quand le double qualifie l'ombre, on peut rapprocher celle-ci de
l'âme légère ou de l' ' âme oiseau' : lorsque l'ombre se raccourcit pensent
les Zulu (Natal, Transvaal), c'est que la mort approche: le double «se
contracte alors en quelque chose de très petit »; le cadavre ne conserve plus
«qu'une ombre minuscule qui disparaîtra avec lui». Enfin, le double se
définit encore comme élément fondamental du moi: tel est le cas du
dya des Bambara (Mali) à la fois souffle, «jumeau de l'être humain»,
« ombre sur le sol», «reflet dans l'eau», etc.; il faut y voir, en dernière
analyse, à la fois une ombre, un principe vital et une âme légère qui
voyage durant le sommeil (nous savons que celui-ci s'apparente à la mort),
quitte le corps au moment du décès et se réincarne sous forme inversée
(Ie dya devient ni, le ni se fait dya). En fait, il existe plusieurs variétés
d'ombres ou de doubles. Soit l'exemple du Dahomey. Les Mina, les Fon,
les Gun parlent du }'E, « grande ombre», ombre claire et lointaine
toujours suit le corps, même la nuit quand elle est invisible ~t du wésagu,
«ombre opaque », le noyau même de l'ombre, messager qui annonce à
MaWll (Dieu) le trépas de l'homme. Y E et WésagÜ souvent confondus
retournent généralement vers l'Etre suprême lors du décès, sans cesser de
surveiller étroitement les vivants.

L'âme et la mort.

Nous savons qu'il faut absolument parler des âmes au pluriel. Perdre
momentanément l'âme légère, apparentée parfois à l'ombre, n'a rien de
grave, puisque tel est l'état normal du sommeil (pseudo-mort), du rêve
qui l'accompagne ou seulement de la rêverie; encore que, durant ses péré-
grinations, l'âme légère risque de se heurter au 'sorcier' ou à de mul-
tiples ennemis: les traumatismes du cauchemar qui expriment ces ren-
contres peuvent, dans certains cas, provoquer le trépas. C'est encore au
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départ provisoire de l'âme légère qu'il faut imputer les évanouissements,


les syncopes, certaines folies et les états cataleptiques si familiers aux rites
de la mort symbolique. Quant à l'âme lourde, elle reste, la plupart du
temps, l'unique responsable de la mort en instance ou mort-en-train-de-se-
faire. Plusieurs possibilités se présentent. Dès le début de l'agonie, le
Lindon des Fon (Dahomey) abandonne le corps pour rejoindre le Dieu
Mawu quelques jours ou quelques heures avant la mort effective. En
pays dogon, c'est un an avant la mort physique que l'âme abandonne
son enveloppe pour entreprendre le grand voyage, visite la maison des
femmes en règles, erre dans la ~rousse et se repose sous l'arbre gobu (le
premier créé et qui servait d'abri aux hommes avant l'invention des
cases). Quant aux Pygmées (Afrique du Sud), ils croient en l'existence
des yate, âmes voyageuses qui se désincarnent pour s'emparer d'autres
âmes et se les soumettre: les corps, privés de principe vital par leurs
maléfices finissent, à plus ou moins long terme, par périr. La mort donc
ne se conçoit pas en dehors de la séparation de l'âme lourde - égorgée
par Amma disent les Dogon - et du corps; la dissociation du lien qui
unit les âmes entre elles n'intervenant que de manière seconde.

La mort et le principe vital.

Le principe vital, parfois non différencié de l'âme (anima) suffit à


entretenir la vie humaine singulièrement durant la période de mort-en-
instance. Tout se passe comme si la vieillesse coïncidait avec l'affaiblisse-
ment de ce J1àma, tandis que la mort consiste en sa rupture d'avec le
corps. En fait, trois types de croyances s'imposent en ce domaine. Pour
_

les uns, le principe vital quitte le premier le corps de l'homme (c'est


le cas du hunde des Songhay du Niger), tandis que l'âme reste encore
autour du cadavre. Popr les autres, l'âme se sépare du corps, avant que
le souffle vital s'en aille (Dogon, Serer, Ba-Il/a, Pygmées). Enfin, dernière
éventualité, l'âme et le principe vital abandonnent simultanément leur
enveloppe charnelle lors de la mort effective (Diala). Bien que le principe
vital soit souvent unique ou plutôt unifié, il n'en résulte pas moins du
rassemblement de plusieurs parcelles issues des engendreurs, puis des
ancêtres et de l'être incarné, des aliments ingérés, des initiations subies.
Or la mort a pour effet de provoquer à nouveau ce morcellement suivi
d'éparpillement. Deux exemples nous suffiront pour l'immédiat. Le m€gbe
ou force vitale des Pyglnées se dichotomise; une partie s'intègre à l'animal
totémique; l'autre est recueillie par le fils aîné qui se penche sur son
père, la bouche ouverte, afin de recueillir son dernier soupir (== âme).
En pays ashanti (Ghana), la force vitale qui vient de la mère se réincarne
en ligne utérine et celle qui procède du père en ligne masculine; quant
au souffle vital émanant de Dieu, il y retourne.
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404

Le corps et la mort.

On ne peut manquer d'être frappé par la situation passive de la cor-


poréité dans l'eschatologie négro-africaine (1;)). Partout le corps apparaît
comme le laissé pour compte: il subit la mort puisque celle-ci résulte
de la disparition du principe vital qui l'animait ou de l'esprit qui l'infor-
mait; même son nom, sa devise, son emblème disparaîtront. Que l'âme
quitte le corps par la bouche, par les cheveux, par les oreilles ou les
narines par exemple, le buzima comme disent les Bantu, abandonne le
monde de la culture pour retourner à l'univers de la nature (dissolution
dans le cosmos). Certes, il ne s'agit jamais d'une rupture brusque: le
corps pourra présider ses propres funérailles, il sera l'objet de soins vigi-
lants - pour peu de temps il est vrai -; plus tard certaines parties nobles
deviendront éventuellement l'objet d'un culte (tibia, crâne); il est même
assuré d'une survie partielle par héritage (tout homme a le sang de sa
mère et les os de son père disent les Ashanti); enfin, il n'est 'pas impossible
que, sous une forme sublimée, il ne subisse les affres de la douleur
«< enfer ») ou ne vive les joies de la récompense «< paradis »).

2. Signification de la mort.

Donc la mort qu'elle soit bonne ou mauvaise, achevée ou en instance,


réelle ou symbolique, implique toujours division et vérifie l'étonnante
complexité de la personne. En outre, toute séparation dans l'espace (sinon
réelle, du moins symbolique) suppose aussi une dimension temporelle
puisqu'elle est vécue comme interruption ou plus exactement comme

(15) Le corps, selon la tradition, est de sable ou d'argile. Dans quelle mesure
parlera-t-on à son sujet de destruction lors de la mort? D'une maison qui s'écroule
«il demeure les matériaux qui sont entrés en organisation pour en donner la combi-
naison structurelle globale. Les matériaux de cette maison ou plus essentiellement
'la matière' de cette maison, c'est la terre dont elle a été pétrie. Or, ce n'est pas
la terre qui se détruirait dans cet écroulement, elle demeure comme une substance
impérissable. Il en est de même quant à la substance de la matérialité corporelle.
Tout ce qui est matériel. semble-t-il, s'origine et s'achève dans la terre, ce qui
reviendrait à dire que même la matière se 'survit' dans son retour à la substance-
terre. Dans la putréfaction du corps, se réalise la substantialisation du matériel,
condition nécesaire pour le rétablissement imaginaire de l'équilibre post-mortem.
Car comment pourrait-on expliquer qu'un corps absolun1ent anéanti puisse appartenir
encore à un individu seulement transformé dans l'autre vie. Nous pensons que, pour
répondre aux nouvelles exigences d'un état spirituel ou numineux correspondrait
ainsi dans l'implicite de l'imagination fan, une substantialisation de la matière cor-
porelle, ce à quoi sert sa déliquescence réelle. Cette substantialisation du corps
confère à la déliquescence réelle une signification positive. B.T. Kossou. Sê et Gbê.
Dynamique de l'existence chez les Fan. Thèse Doctorat. Paris, 1971, ronéoté,
p. 272-73.
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405

réduction de la durée à l'instantanéité. En second lieu, cette séparation,


provisoire ou définitive, n'est subite que du point de vue de l'expérience
sensible, c'est-à-dire de l'imaginaire social. Mais, imaginalement, ou si
l'on préfère symboliquement (ici les termes se recouvrent nous le verrons),
la mort se définit comme passage ou transition; elle n'est pas, elle se fait;
or, l'homme ne perçoit que des états: d'où l'illusion de l'immédiateté. C'est
ainsi qu'il peut exister une période de latence ou de prémortalité (bien
connue du Dogon, du Serer, du Ba-lIa), dans laquelle nous prenons le
mort pour un vivant; une période de transformation plus profonde qui
fait de l'à peine-mort un mort authentique; enfin, une période de subli-
mation qui transforme celui que nous croyons mort en existant qui, s'il
échappe à 'la mort eschatologique, survivra éternellement dans la mémoire
des hommes (ancêtre nommé), éventuellement dans l'inconscient collectif
(ancêtre anonyme). Mieux encore, il semble que la mort en tant qu'état
ne soit pas la négation de la vie, mais plutôt une médiation et un change-
ment d'état pouvant comporter une destruction relative qui porterait plus
spécialement sur l'aspect matériel (corps + ombre) de la personne: des-
truction du tout peut-être, mais rarement destruction de tout. Signalons,
le tableau qui suit l'illustre sans réticence, la très grande crédibilité qui
s'attache à la non-destruction des âmes, de l'esprit et surtout du principe
vital CH).

destruction destruction
totale partielle aucune
(%) (%) destruction

corps 58 Il 31
om bre 50 9 41
âmes 8 18 74
principe vital 6 6 88
esp ri t 7 17 76

La modification afférente au décès est tout d'abord perçue: passage


du corps chaud, souple et en mouvement au cadavre froid, rigide, inerte;
ou passage de la présence à l'absence. D'où les signes de la nI0rt; toute-
fois seul le magicien (ou le devin) sait reconnaître l'humain en état de
mort-en-instance. Cette appréhension suppose tantôt tristesse, répugnance

(16) Enquête sur 1 000 personens. Voir L.V. THOMAS. Cinq essais sur la Mort
Africaine, Dakar, Faculté de Lettres, 1968, 502 p.
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406

ou dégoût (décomposition, pourriture; cas de mauvaIses morts), tantôt


sérénité et respect (cuIte des os, du crâne).
Mais la mutation est aussi conçue, ainsi que le prouvent les nom-
breuses croyances en la pérégrination de l'âme (chez les Dogon du Mali
notamment), en la transfiguration du défunt par sublimation, en la méta-
morphose du numineux impur en sacré purifié et purifiant, en la réincarna-
tion ontologique ou symbolique. Les divergences propres aux ethnies n'altè-
rent pas sensiblement ces différentes remarques.
Ce changement (destruction, séparation, absence) suppose, en fait, la
continuité temporelle d'ordre ontologique ou la ressemblance qui en est
l'aspect symbolique. Le R.P. Tempels l'a souligné clairement (17): «Ce
qui subsiste après la mort n'est pas désigné chez les Bantous par un
terme indiquant une fraction de l'homme. J'ai entendu les anciens le
nommer' l'homme même', 'lui-même', àye mwiné». Sans doute ne
s'agit-il ici que d'un cas extrême; sans doute y a-t-il des destructions
réelles: quand le sorcier' dévore l'âme'
(]
HI ou s'il y a eu -mauvaise mort
(âme mangée par une hyène ou qui périt engloutie dans le poto-poto,
l'eau du fleuve, ou dans les flammes); incapacité, pour les mânes qui n'ont
plus de survivants pour sacrifier - c'est pourquoi rien n'est pire que de
ne pas avoir d'enfants - d'accéder à l'état d'ancêtre. Mais, dans la
majorité des cas, le changement signifie tout autant la permanence de la
vie que son extinction. Ce qui subsiste de l'état ancien dans l'état nouveau
n'est pas conçu de la même manière dans toutes les ethnies (âme ou
fraction d'âme, double, esprit, principe vital, etc.). Toutefois, le nouveau
est très souvent répétition symbolique de l'ancien; la vie dans l'au-delà
reste identique à la vie d'ici-bas (les morts mangent, boivent, cultivent
leurs champs et même, bien que le fait soit très rare, dans certaines cir-
constances, se reproduisent !) : le nouveau-né rappelle les traits de l'ancêtre
qu'il réincarne (enfant nit-ku-bon des Jt'olof du Sénégal), l'âme purifiée
et le corps sublimé' resemblent' à l'âme et au corps du vivant, etc.
Reproduction intégrale (identité chez les Bantu), affinité ontologique (iden-
tité partielle: Diola, Lebu, fVolof) voire symbolique (participation: par-
tout en Afrique traditionnelle), ou simplement appartenances, caractérisent
cette continuité fondamentale qui se traduit socialement par le port du
même nom quand il y a réincarnation reconnue. En un sens, le glissement
vers l'imaginai (19) - conceptions eschatologiques parfois décrites avec
force détails et répétitions symboliques rÏtuelles - compense la dureté de
l'évidence (pourriture, absence). «Ceux qui sont morts ne sont jamais

(17) TEMPELS (R.P.). La philosophie bantoue. Prés. Afric., 1949, p. 37-38.


(18) Mode de persécution correspondant au fantasme de dévoration en psycha-
nalyse.
(19) Nous entendons par imaginaI un imaginaire collectif et fortement opéra-
toire (monde du rite et du symbole). L'imaginaire ne joue qu'au niveau individuel.
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partis... Les morts ne sont pas sous la terre... Les morts ne sont pas
morts », déclame le poète. Nul n'a mieux que Van der Leeuw décrit et
expliqué cette conception qui semble devoir s'appliquer à toutes les reli-
gions dites archaïques (20): «Il en est à peu près du mort comme du
vivant; il n'a perdu ni la donnée, ni la possibilité. Sa survivance va de
soi, précisément parce que les rites la garantissent... L'enterrement marque
ainsi le commencement de la vie nouvelle... La mort n'est pas un fait,
mais un état, différent de celui de la vie... La différence entre l'état anté-
rieur à la mort et la survivance n'a rien de plus surprenant que celle qui
distingue de l'âge adulte l'existence précédant l'initiation à la puberté...
Mais essentiellement la mort n'est qu'un passage ,comme un autre et le
défunt n'est pas un individu rayé des rôles... Il est tout au plus quelqu'un
qui revient et, en règle générale, quelqu'un qui est présent».
En un mot:
1 toute mort implique une destruction partielle, une libération par-
0

tielle et une recomposition partielle des éléments constitutifs de l'ancien


vivant vérifiant ainsi le mode spécifique de composition du moi.
20 si nous laissons de côté les avatars du corps (conservation, trans-
formation, transfiguration, altération, annihilation...), il est loisible d'intro-
duire, ne serait-ce que pour faciliter la compréhension de l'eschatologie
les distinctions suivantes:
- destruction ontologique de certains éléments du moi, donc de la
personne en tant que synthèse avec disparition concomittante du
souvenir du défunt: mort définitive totale \mauvaise mort) ou
partielle, à la lois biologique, sociale, métaphysique.
- amenuisement du souvenir du défunt par disparition progressive
des survivants (ancêtres anonymes implicitement vénérés) ou par
absence immédiate de survivants avec perte de force pour le
mort par carence de sacrifice (mort sociale, voire métaphysique,
des mânes).
- altération progressive de l'être et de la force d'être (== force de
vivre) compensée par l'accroissement du savoir (ancêtres ano-
nymes explicitement vénérés);
- accroissement de la force d'être avec exaltation de la mémoire
individuelle et collective (ancêtres nommés tout spécialement
vénérés) ;
Pour mieux situer la notion de personne, il importe d'insister plus
spécialement sur l'opposition mort réelle (physique, sociale) / mort sym-
bolique (rituel d'initiation). La première est subie, individuelle et indivi-
dualisante. La seconde, au contraire, est voulue, collective et communau-

(20) V AN DER LEEUW. La religion dans son essence et ses manifestations. Payot
1955~ p. 206-207.
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tarisante. Avec celle-là on reste malgré tout du côté de la nature; mais


celle-ci nous introduit en plein cœur de la culture. En outre, la naissance
biologique qui n'aura de sens social vrai qu'avec l'initiation, aboutit néces-
sairement à la mort biologique tandis que la mort culturelle permet au
groupe rituellement, donc symboliquement (imaginalement) de se régénérer
par la naissance (ou re-naissance) initiatique. Ce que pourrait exprimer
le tableau que voici:

Individu Communauté
Naissance biologique --. Mort symbolique
(utérine) jouée socialement
t
Mort biologique
t
Re-Naissance
(absence ~mutation)
~ ~
domaine du subi domaine de l'institué
domaine de l'imaginaire domaine de l'imaginai
(apparence individuelle) (symbole et rite)
authentifie la naissance
en la socialisant
lutte contre l'effet
dissolvant de la mort
NATURE CULTURE
C'est donc par la vertu du symbole ou de la démarche utopique
(l'idéel, l'imaginaI) et la conduite con1munielle (union communautaire)
que le Noir échappe à la naturalité de sa condition (21}.

(21) On est en droit de rapprocher de la naissance initiatique (avec mise à mort


symbolique) l'imposition du nom au tout jeune enfant, bien avant l'âge des épreuves
dans le bois sacré... Ainsi P. Vidal peut l'écrire: «La naissance est la conséquence
d'une mort considérée comme initiatique mais qui était naturelle, et la cérémonie
d'imposition du nom est l'équivalent des rites de re-naissance en cours et à la fin
d'une initiation. Rappelons une partie de son déroulement ( ): le bébé est déposé
à une croisée de chemins, et c'est la mise en scène, et il est découvert par la femme
qui a aidé à l'accouchement, et c'est la réalité: on fait comme si le bébé appa-
raissait miraculeusement hors du territoire habité (en brousse) mais déjà en un lieu
fréquenté par les hommes (une croisée de chemins). Et ce bébé tout nu et tout
« sauvage », comme un initié au début de la retraite, est la conséquence de la mani-
festation d'un ancêtre; c'est pourquoi il va lui être donné de préférence le nom
d'un ancêtre de son nam (lignage). Et le rite de re-naissance de cet enfant, rite
considéré comme une sortie d'initiation, est essentiellement ce bain - cette douche
plus exactement - purificateur dans une natte, sous l'auvent de la case» (Garçons
et fliles. Le passage à l'âge d' hom/ne chez les Gbaya Kara, thèse de doctorat 3e cycle,
Univers. de Nanterre. 1971. p. 291. Signalons que chez les Gbaya «mort initiatique
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IV. CARACTÈRES FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE

La personne négro-africaine apparaît bien et simultanément, ainsi que


(22),
l'a souligné Issiaka P. Lalèyê comme auto-création ou plutôt auto-
recréation (car seul Olodumare ou Etre suprême a le pouvoir de créer),
comme équilibre et- accord, comme valeur enfin.

1. Comme auto-création d'abord.

D'où le sens des conduites que tout homme entretient soit naturelle-
ment c'est-à-dire quotidiennement, soit rituellement, à l'endr~!t du monde
(village, place du marché, rivière, forêt, forces telluriques), envers les
autres (semblables, proches et singulièrement les ancêtres, puis les géni-
teurs, les oncles et les tantes, les frères et s'œurs, les membres du clan
(malédiction ou bénédiction peuvent dé-forcer ou renforcer l'être, donc la
force de vivre). D'où également le rôle imparti à certaines cérémonies qui
permettent à l'individu de réussir sa vie. Justement parce qu'elle se sent
libre, «la personne doit mettre tout en jeu pour inscrire sa liberté dans
et à travers les multiples failles que laissent entre eux les divers secteurs
du déterminisme. Ainsi donc, aux divers déterminismes' inscrits' dans
sa nature s'ajoutent ceux que comporte la vie sociale, et la personne ne
peut s'accompl.ir qu'en utilisant ces mêmes déterminismes (ou leurs lacunes)
pour créer de }'indéterminisme, c'est-à-dire la liberté».

2. Comme équilibre et accord ensu.ite.

Qui dit liberté et pluralité des déterminismes dit, par là même, possi-
bilité du désordre, donc exigence de cohérence, de re-structuration. Tout
d'abord la personne négro-africaine doit résoudre le problème de l'har-
monie - 'topologique' et 'métaphysique' - entre les éléments consti-
tutifs ou non. Nous savons, en effet, que non seulement ces derniers. sont
au pluriel mais encore que certains viennent d'ailleurs, soit épisodiquement
(possession), soit durablement (type de ré-incarnation, participation toté-

et mort naturel1e ne peuvent se télescoper sur un même territoire habité », p. 244.


Si une personne agonise lors de l'initiation (bana des filles ou labi des garçons), elle
est transportée chez un parent ou un allié résidant dans un village voisin.
(22) J.P. LALÈYÊ. La conception de la personne dans la pensée traditionnelle
yoruba; approche phénofl1énologique. H. Lang et Cie, S.A., Berne, 1970, p. 207-221.
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mique); que d'autres peuvent exister hors du moi (âmes ou fragments


d'âme qui séjournent dans la mare, dans l'aute!.oo ou chez l'autre: alliance
cathartique); tandis que simultanément il en est qui, parfois, abandonnent
la personne au moment du sommeil, de l'émotion vive, de la folie (mode
épisodique) ou bien s'il s'agit de sorcellerie (le principe vital - ou l'âme -
est' attiré', 'incité' à quitter le 'moi' puis est' dévoré') et de mort
en instance (stade de pré-mortalité des Dogon du Mali ou des Ba-lia de
Rhodésie) Si nous exceptons les deux dernières éventualités où le désordre
°
semble irréparable, la personne peut cohérer la pluralité de ses consti-
tuants: soit qu'une hiérarchie - le principe dominant manifeste alors un
pouvoir éminent de liaison ontologique, existentielle, symbolique ou seule-
ment formelle selon les cas - s'établisse entre eux; soit que certains
puissent, d'une certaine manière, être considérés comme le 'moi' intégra]
(la cohésion est alors purement méta-physique, voire para-physique, admise
a priori mais non expliquée); soit, enfin, que la réification de chaque prin-
cipe reste une illusion du langage ou ne corresponde qu'à un principe
sériateur à base fonctionnelle: il s'agit alors moins d'éléments différents
que de fonctions différentes d'un élément unique (2:-0 En outre, puisque
°

(23) Revenons à l'exemple des populations du sud Cameroun. Quatre instances


(corps, cœur, souffle. ombre) constituent par leur union le muntu (personne) s'il faut
en croire les Duala, ies Ba~'a, les Ewondo. Il semblerait que ces différents consti..
tuants soient juxtaposés et nOaient que des liens assez lâches entre eux. Il faut
souligner avec force l'unité de l'être humain tel qu'il est conçu par les Bantu
camerounais: en tant qu'il s'offre à l'expérience sensible il peut être désigné méto-
nymiquement par le corps seul (nyuu == couleur, apparence), ou par le cœur
(connaisance et affectivité) mais souffle - et ombre n'ont pas dans la langue idio-
matique un statut semblable à celui des deux autres constituants: on ne les emploie
jamais substantivement. La théologie chrétienne ayant retenu les termes «fflbuu,
/nudi et I1sisim» pour traduire «âme ». le souffle chez les Duala et Basa, l'ombre
chez les Ewondo ont con1mencé à être traités comme des substances au sens aristo-
télicien. Le souffle-âme et l'on1bre-ân1e sont dans cette perspective les co-principes
du corps avec lequel ils forn1ent un tout substantiel. On leur attribue les qualités
de l'âme: invisibilité, indivisibilité, in1mortalité. Il pourrait sembler que la théologie
chrétienne ait ainsi conféré à l'on1bre et au souffle une substantialité qu'ils n'avaient
pas dans la pensée bantu. En réalité, il n'en est rien. Pour n'être jamais employés
substantiven1ent ces termes avaient une signification très profonde. Au lieu de dési-
gner directement la personne comme le corps ou le cœur, ils passent par la médiation
d'un substitut homonyme. l'ombre portée, le souffle des narines, comme si l'on voulait
exprimer par ce détour le caractère ineffable de l'instance centrale de la personnalité.
Le cœur était déjà une intériorité, nlais l'au-delà du souffle sensible et de l'ombre
visible c'est-à-dire en somme la vie est comme le centre de cette intériorité même.
Lorsque les Basa disent: «C'est au-dedans qu'est l'homme », ils veulent sans doute
signifier que la pensée et les sentiments intimes sont plus importants que l'appa-
rence extérieure dans l'appréciation que nous pouvons faire d'une personne, mais
ils veulent surtout laisser entendre que la vie, source invisible et mystérieuse d'où
procèdent la pensée, la parole et les affections se cache au plus intime de l'homme
(M. HEBGA. op. cit., p. 245).
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certains constituants bien qu'appartenant au «moi» (relation d'avoir) ou


étant le «moi» (relation d'être) proviennent d'ailleurs, puisque la per-
sonne n'existe que par l'acte créateur de Dieu, par le désir de l'ancêtre
qui l'a' appelé à naître' et grâce à l'action de ses géniteurs, puisque
chaque membre du groupe n'accède à la personnalité sociale authentique
que par le biais des institutions (intégration aux divers sous-groupes, initia-
tion), l'harmonie interne se trouve dans une certaine mesure conditionnée
par l'accord de chaque individu avec les membres du lignage, du clan,
du village - singulièrement les vieillards - (2:~)avec les ancêtres (surtout
celui qui est partiellement ou totalement réincarné), avec des génies tuté-
laires du groupe, avec les forces telluriques, avec Dieu enfin ou ce qui en
tient compte. Chaque fois qu'un signe annoncera le désordre, donc l'anomie
(maladie, sécheresse, épizootie, mort), il faudra consulter le devin, se
confesser publiquement, offrir un sacrifice, s'initier à un Génie ou se
laisser' monter' par lui (adorcisme): alors la pyramide des êtres retrou-
vera son équilibre, chaque force-puissance reprendra sa place, la société
connaîtra à nouveau la paix, l'individu éprouvera une fois encore la pléni-
tude d'être. Et comme il n'y a pas de plus grand bien que la vie et la
paix «le sentiment de dépendance qui relie la personne aux différents
foyers de forces, à commencer par l'Etre suprême, n'aboutit pas chez elle
à un fatalisme impénitent ou à un pessimisme. L'être humain se sent ]ibre,
certes; mais il n'y a pas de mei]]eur usage à faire de cette liberté que de
rechercher constamment aussi bien J'équilibre de diverses forces qui consti-
tuent la nature humaine que l'accord entre toutes les forces de l'uni-
(24).
vers »

3. Comme valeur enfin.

En Afrique noire traditionnelle, l'homme apparaît tout unîment comme


'le capital le plus précieux'. Non seulement le cosmos prend souvent
forme humaine (par exemple dans la pensée des Fali, au Nord-~ameroun
ou chez les Bambara), mais encore l'homme occupe le centre de l'univers
et c'est pour l'homme que Dieu a créé les champs, les rivières, les animaux
et les génies qui servent d'jntermédiaires entre Je Créateur et ses créatures.
Pour ces cosmologies franchement homo-morphiques et homo-centriques,
l'homme «apparaît comme la valeur fondamentale, comme la valeur pre-
mière, celle autour de laquel1e s'érigent toutes les valeurs, celle autour
de laquelle gravitent tous les problèmes... ». Dans ces systèmes il n'y a
pas d'abord un ordre de l'être qui ensuite inclut ou exclut l'ordre du
monde tout court; «il y a d'abord un ordre du monde où j'homme
trouve d'emblée sa place, où l'homme trouve d'emblée son autonomie, où

(24) J.P. LALÈYÊ. op. cit.


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l'homme trouve d'emblée son être ». En d'autres termes, c'est comme être-
situé-dans-le-monde que se saisit l'homme, «non pas en tant que partie du
tout, mais comme ce tout lui-même, dans un tout où se saisit l'homme
absolu. Nous dirions même que c'est dans ce tout complet qu'émerge
l'homme, pas seulement en tant que conscience, c'est là encore une diffé-
rence, mais en tant qu'être, mais un être qui refuse de passer par ['inves-
titure de la conscience, qui ne veut pas d'abord passer devant le miroir
(2;)I.
de la conscience avant de se proclamer être»
Ainsi, la cohérence de l'Etre trouve sa raison profonde dans la valeur:
valeur en soi de l'homme en tant que créature privilégiée (26); va[eur-
tension de la personne qui conquiert un surcroît d'être par la nourriture
source de force, par l'initiation et l'apport d'un nouveau nom, par l'ador-
cisme où la possession devient une épiphanie qui grandit, par la mise au
monde de nombreux enfants ...
L'éthique négro-africaine vise l'homme dans sa dimension presque
cosmique d'homme total, eHe est' un pont entre l'être de l'homme et
l'être du monde', tandis que le rite du sacrifice et celui de l'adorcisme
permettent à la personne de ren-forcer son être ou sa force de vivre:
la transe, par exemple, peut se définir comme une véritable re-naissance,
comme une authentique re-création. Et de même qu'il y a dans l'univers
des zones privilégiées de concentration des forces (lieux sacrés, résidences
des Génies, autels claniques), de même il existe des personnes qui concen-
trent en elles des puissances supérieures, qui par là même ne sont pas
seulement sacrées, mais sacralisantes; non seulement des modèles d'unifi-
cation dynamique, mais des unités dynamisantes de cohésion ou d'ordre.
Le roi bantu, par exemple~ entraîne par sa mort «la mort du royaume»
«< Le Mwami est absent, Je peuple meurt - Le Mwami revient, le peuple
vit», dit-on chez les Bafulero du Rwanda); durant l'interrègne, le temps
est suspendu, les interdits abolis, les hiérarchies renversées, le désordre
ritualisé se substitue à l'ordre tandis que les taureaux sont séparés des
vaches: il s'agit en quelque sorte d'une démonstration par l'absurde de
ce que nous avancions plus haut.

(25) N'Sougan AGBLEMAGNON. L'Afrique noire: la Métaphysique, l'Ethique,


l'Evolution actuelle, in Comprendre, Soc. Europ. de Culture, Venise, '961, p. 5.
(26) C'est ainsi que Lalèyê écrit à propos du Yoruba: «Ce qui est sacré dans
l'être humain, c'est la vie. le souffle de vie que Olodumare a pu mettre en lui. La
personne est donc une valeur sacrée pour cette première raison.
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v. LA FORMATION DE LA PERSONNE

1. Les milieux éducatifs.

La place nous manque pour entrer dans le détail des systèmes


éducatifs africains dont le but évident est d'unifier puis de ren-forcer le moi
tout en l'aidant à se situer dans l'univers cosmique et le monde social.
- En ce qui concerne le rôle de la famille (lignage, parenté classi-
ficatoire...), trois traits semblent devoir s'imposer (27'. Tout d'abord et
nous y insistons à bon escient l'importance primordiale des contacts phy-
siques qui favorisent le dialogue des corps par les stimulations réciproques
extero et proprio-ceptives (contacts étroits diurnes et nocturnes sur une
large surface de corps de la mère et de l'enfant jusqu'au sevrage: entre
18 mois et trois ans); jeux du corps avec les autres adultes et les enfants.
Si la mère remplit un rôle privilégié, il n'est pas exclusif; en effet, l'enfant
est manipulé encore par les tantes, les sœurs, les voisines: son corps se
(2H) en quelque sorte dans une collectivité dynamique. Enfin cette
fond
éducation frappe par son absence de frustration: le bébé prend le sein
quand il le désire; son agressivité est tolérée, l'apprentissage de la disci-
pline sphinctérienne se fait sans heurt... Ainsi, la multiplicité des images
paternelles et maternelles, l'appartenance verticale (réincarnation) et hori-
zontale (liens étroits de participation), la difficulté d'affronter le père
(patrilignage) ou l'oncle (matrilignage) en tant qu'il représente l'ancêtre
inégalable singularisent la situation négro-africaine (29).

(27) Sur le double rôle du lien parents-enfants (apprentissage du rôle sexué;


apprentissage de l'amour), voir A. HESNARD, Psychanalyse du lien interhumain,
P.D.F., 1957, p. 66 et suivantes.
(28) Expression que ne renierait pas un lacanien. C'est ce lien interhumain,
cette «intersubjectivité primordiale» - l'être humain ne pouvant être compris
«que dans le lien qui funit à son milieu interhulnain» selon ]a formule de
A. HESNARD (Psychanalyse du lien interhu/1zain, P.U .F., 1957, p. 20) - qui fait ici
problèn1e. L'échec des liens avec autrui engendre une frustration source de culpabilité
et d'agressivité. Celle-ci résulte «d'une interdiction de pensée plus ou moins trouble...
Cette culpabilité rentrée se manifeste socialement par un mécanisme de projection
qui donne au sujet l'impression, la hantise - sans conviction - qu'il est le centre
d'une intention InalveiIJante d'autrui» (A. HESNARD, op .cit., p. 117).
(29) A. ROBERGE (Formation de la personnalité chez les Bassa. In: Cultures
et Dé~'eloppeI11ellt, n° 1. 1971, p. 111) oppose et rapproche à la fois la participation
et l'identification qui, en fait. procèdent du n1ême dynamisme. «La participation est
une identification qui n'atteint pas la profondeur de l'individuation tandis que l'iden-
tification privée est Je prolongement n1ême de la participation, la capacité d'objec-
tiver davantage sa perception d'Autrui et par conséquent ]a perception du soi. »
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414

- Deux groupes sociaux, en dehors du cadre familial interviennent


fréquemment dans le processus éducatif: les classes d'âge et les sociétés
initiatiques. Les associations d'enfants et d'adolescents suppléant partielle-
ment les adultes dans leur tâche éducative, développent le sens de la vie
collective, de la responsabilité individuelle et stimulent le désir d'être utile
au groupe; elles constituent, en outre, des centres d'apprentisage techno-
logique, social, voire religieux, d'une incontestable efficacité. Organisées
selon les classes d'âge (dont la répartition varie avec l'importance numé-
fique des enfants) au niveau des quartiers ou du village, elles groupent des
individus de 6, 7 ans, jusqu'à l'époque du mariage (20-25 ans). Leur
finalité est à la fois ludique (sociétés de luttes, sociétés de spectacles,
sociétés de danses et de chants) et utilitaire (sociétés de travail ou assem-
blées permanentes de main-d'œuvre qui restent à la disposition du village
pour les courses et les menus travaux domestiques, pour la culture,
la récolte, la réfection des cases... selon les possibilités psychomotrices
d'un chacun). Elles peuvent avoir un rôle de bienfaisance et pratiquer
l'entr'aide sociale. Ainsi, chaque enfant appartient autant à ces classes
d'âge qu'à sa famille et à lui-même; c'est pour lui une sensation 'terrible
que d'en être rejeté. Il est, en tout cas, curieux de remarquer que
même dans les sociétés fortement hiérarchisées, les classes d'âge cons-
titu~nt toujours un groupement fraternel égalitaire, démocratique, haute-
ment éducatif (no). L'initiation a également une valeur éducative de premier
ordre. Des brimades multiples et variées sont prévues durant le séjour dans
le 'bois sacré'. La circoncision, par exemple, est une école de courage:
crier pendant l'opération est un déshonneur qui poursuit le délinquant
jusqu'à sa mort et lui vaut dans l'immédiat des horions supplémentaires.
Il importe de lutter contre ses nerfs: se lever en pleine nuit, se livrer à
des travaux pénibles, exercer sa mémoire, son habileté ou son adresse,
ne pas se laver, manger une nourriture grossière sont autant d'épreuves
quotidiennes. Il faut encore apprendre la soumission la plus totale aux
ordres des aînés, ne pas se révolter contre leurs désirs ou leurs décisions
mêmes injustes, ne pas protester contre les injures, les offenses ou les
coups. A chaque instant, l'initié doit se convaincre de la nécessité de la vie
collective et du rôle social du courage (devant le danger ou le travail).
Deux mots caractérisent sur ce point la circoncision: résistance et obéis-
sance. Douleurs et brimades ont plusieurs sens: elles facilitent la destruc-
tion de l'ancienne personnalité tout en fortifiant l'être nouveau; elles
accrois8ent les forces vitales de l'initié, développent son courage et sa
résistance à la douleur, lui donnent le sens de la discipline sociale et de

(30) Nous ne parlons bien sûr que de l'age-set et non de l'age-grade que l'on
rencontre
, en Afrique de l'Est, chez les Kikuyu du Kenya par exemple (J.H. DRIBERG.
Age-grades'. Encyclopaedia Britannica, 14th. edn.~ 1929).
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415

(aIl. En même temps, il se crée entre les initiés


l'obéissance aux anciens
qui ont lutté ensemble non seulement une amitié solide qui durera jusqu'à
la mort, mais des liens de parenté étroits pouvant àller jusqu'à l'interdiction
d'épouser la so~ur d'un compagnon de circoncision. En un mot, l'école de
la brousse est authentiquement une socialisation sans dépersonnalisation.

2. La portée de l'éd1Lcation.

- Trois idées-clefs expriment schématiquement l'éducation tradi-


tionnelle: elle ne sépare pas instruction et formation de la personnalité;
elle vise à intégrer et selon des paliers rigoureux l'individu aux divers
groupes sociaux qui lui sont destinés selon sa naissance et ses mérites;
elle consiste dans la soumission aux aînés et dans le respect de la tradition
(séniorité, gérontocratie, tradition). Sur ce dernier point, on comprend
aisément que, dans une civilisation orale, une place de choix soit laissée
aux patriarches, qui, ayant une longue expérience et ayant subi les épreuves
initiatiques se trouvent, par là même, au COUlant des divers secrets concer-
nant la vie de la collectivité f :~2 J. Par extension, on en vient à idéaliser les
ancêtres et à privilégier ]a génération qui reste le plus près d'eux, celle
des aînés. C'est ainsi qu'en amont de Bamako (Mali), l'âge moyen des
chefs de village qui disposent de toutes les ressources de la communauté
atteignent ou dépassent 70 ans, tandis que les jeunes - qui sont les plus
entreprenants et les plus ouverts - n'ont ni capitaux, ni pouvoir. De nos
jours, deux fajts importants se manifestent. Le premier est démographique.
L'espérance de vie encore courte, la diminution très sensible de la mor-
talité infantile,- l'établissement d'une sécurité quasi totale expliquent la
grande jeunesse de la population. Le second est socio-culturel. Grâce à
l'école et à la lecture, les jeunes deviennent sinon les détenteurs de la
vérité, du moins ceux qui savent le plus de choses et qui sont au courant
des techniques l~s plus efficaces: le lien de dépendance qui les rattache
aux vieux risque alors de n'être plus que sentimental, quand il n'est pas
violemment contesté. Ce double état de fait (l'importance numérique des
jeunes et leur situation intellectuelle privilégiée) traduit peut-être l'aspect
le plus intéressant de l'évolution des rapports entre les générations.

(31) Voir sur ce point L.V. THOMAS, L'Etre et le Paraître. Essai sur la signi-
fication de l'initiation en Afrique noire. In: Tra\'aux collectifs sur l'Inconscient et
la Culture, nU II, « Fantaslne ef tornlation ». sous 1a direction de D. Anzieu; Dunod,
1973.
(32) Cette prédominance de la 'classe' des aînés peut conduire à une exploi-
tation de la 'c1asse' des cadets, les prenliers accumulant les surpJus et profitant du
prestige que leur confère leur posiiton (REY, DUPRÉ). Voir L.V. . THOMAS. L'être et le
paraître, op. cit.
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VI. PERSONNE ET SOCIÉTÉ

La possession d'un nom secret symbole de ce «mur infranchissable


de la propriété privée du moi» pour reprendre la célèbre expression de
W. J ames, la spécificité individualisante de l'ancêtre réincarné, la somma-
tion originale de la pluralité toujours unique des éléments constitutifs du
moi, l'impact d'un milieu affectif déterminé suffisent à définir une per-
sonnalité irréductible, dans son unicité, à qui que ce soit d'autre.
Et pourtant, la personnalité négro~africaine, sans se réduire au masque
(persona) ou à la fonction qui lui est assignée dans l'ensemble groupaI
présente une dimension sociologique éminente. Celle-ci apparaît singuliè-
rement dans les rites de passage (dations de noms, initiations graduelles et
graduantes, mariage, funérailles, rites post-mortem) et lors - de cérémonies
à fin thérapeutique où le groupe prend le malade (le possédé surtout) en
charge, le materne, le sécurise et s'efforce de le réintégrer au sein de la
collectivité (ndoep des Lebu et Wolof, lup des Serer). Comme l'écrit
I.L. Lalèyê, individu et société s'avèrent inséparables et inséparés. «Ainsi
donc, l'intégration au groupe que commencent si minutieusement les rites
du « baptême», que continuent les diverses étapes de l'éducation et que pro-
longent diverses initiations à divers moments de la vie, reste la même
lorsqu'il s'agit de guérir un malade ou d'aider l'âme des morts à effectuer
le voyage qui doit la conduire auprès de ses ancêtres. La société se saisit
donc de l'individu dès sa naissance, le marque de diverses manières et ne
le lâche plus, jusqu'à sa mort; bien au contraire, le salut de son être
ne se trouve nuUe part ailleurs qu'au sein de cette même société qui lui
assurera les funérailles et le culte et qui le divinisera peut être même à
son tour. Tout se passe comme si la société était capable de suggérer à
chacun des individus qui la composent la mort immédiate ou médiate,
la maladie corporelle ou mentale (la folie équivaut à une mort sociale)
si par sa faute l'individu désobéissait aux lois qui régissent la vie au sein
du groupe et qui en garantissent la survie» (Hi1).
Un point toutefois mériterait une longue analyse: la puissance de cet
imaginal déjà évoqué et qui épouse des formes diverses autant que subtiles:
tromperie et mensonge, insincérité et mauvaise foi au sens sartrien de
l'expression, évasion vers l'utopie et auto-suggestion consentie, crédit donné

(33) J.P. LALÈYÊ, op. cif., p. 149. Par ailleurs, Th. LETTENS a bien montré que
l'attitude de l'individu oscille entre «d'une part une dépendance fondamentale et
d'autre part une révolte inefficace et purement verbale ». Le Moi et la Société au
Burundi. In: Culturfs et Dëveloppement, I IL L Louvain. 1971. p. 93.
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au mythe ou au symbole et puissance accordée au verbe. «L'initiation est


une tromperie, disent parfois les Sara, non seulement parce qu'il s'agit de
faire accroîre aux femmes le trépas réel de leurs enfants mais encore parce
que cet échafaudage n'empêche pas la mort d'être la négation de la vie.
C'est là, pourtant, une façon pour la culture de s'affirmer» (R. J auIin).
Le rêve est-il plus probant que la réalité? L'idéel que le factuel? La valeur
a-t-elle plus d'être que le comportement qui essaie de l'incarner? La voie
des génies plus de force ou de pouvoir que la voix humaine? Et pourquoi,
dans la hiérarchie des modes d'existence, le verbe créateur n'aurait-il pas
plus d'authenticité que la positivité plate et banale de la chose? Qu'importe
après tout la fabulation si tout le monde y croit et a besoin d'y croire
pour vivre en paix!
Qu'il s'agisse des croyances et des symboles (domaine de l'imaginai),
des structures sociales, des attitudes (métaphysiques, religieuses, techniques),
nous sommes toujours en présence de systèmes socio-culturels soucieux de
l'homme, être privilégié par excellence, centre et but à la fois de la création.
Une société prévenante qui: 1° intègre l'individu et veille sur lui lors des
moments critiques de son existence (rites de passage); ~ 0
prend en charge
sa maladie et singulièrement ses troubles psychiques; 3 ° multiplie les voies
de salut sous forme de conduites apaisantes ou d'institutions équilibrantes
- rapport tension/détente -; 4 ° définit un univers comme ensemble de
messages et de symboles motivés qu'il appartient à quiconque de traduire
selon son degré d'ouverture sur le savoir profond; 5° fait de la personne
un être en participation tant avec les êtres de son lignage, mieux de son
phylum, qu'avec les forces telluriques; 6° conç,oit des rapports possibles
entre les vivants et les ancêtres, entre les hommes et les dieux; 7° imagine
des mythes justifiant ce qui est et ordonnant ce qui doit être; 8 ° utilise une
pensée dichotomique mais pourtant résolument unifiante (symboles, dia-
lectique de complémentarité) et désireuse de ne rien perdre de la richesse
du tout qu'il soit matériel ou spirituel - pour autant que ces termes aient
ici un sens -; 9° parvient astucieusement à maîtriser le temps, voire à le
mettre entre parenthèse (;.H); 10° octroie enfin au verbe «ouvreur» ou
« civilisateur» un pouvoir qu'il n'a pas dans le reste du monde... telles
sont les principales caractérsitiques de la culture négro-africaine. Nul grou-
pement humain n'a peut-être jamais fait autant pour assurer le parfait équi-
libre et le plein épanouissement de ses membres que la collectivité noire
traditionnelle. Il est vrai qu'il s'agissait pour elle de vaincre une nature

(34) On se rappelle ce film de J. Rouch où l'Empereur des MosÎ, le Moro-Naba.


interrompt une cérémonie in1portante et se dévêt pour rencontrer le Gouverneur,
puis reprend, quelques heures après le départ du visiteur, la cérémonie exactement
au point où il l'avait laissée, non sans avoir revêtu sa tenue liturgique. L'événement
étranger (arrivée du Gouverneur) et la durée où il s'insérait n'ont pas été niés nlais
mis entre parenthèses.

27
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parfois difficile et avec des moyens rudimentaires quant à leur efficacité


technique, au même titre qu'il fallait lutter contre les hommes, singuliè-
rement les étrangers en quête d'esclaves ou désireux d'imposer, et non
sans brutalité, leur loi ou leur religion.
Sans doute de lourdes erreurs furent-elles commises; des dérivations
imprévues virent le jour. Le recours à l'imaginai s'est heurté souvent à la
brutalité des faits et a connu de cruels échecs; lors de certaines crises,
le groupe en désarroi s'est même retourné contre ses membres. En bref,
les n'lalades lnen taux existent, parfois victimes de cette Société qui a tout
fait pour les protéger ou peut-être à cause de cela! En outre, et sous la
triple influence des religions importées, de la modernité véhiculée, à l'ori-
gine du moins, par le régime colonial et de l'urbanisation, le système pro-
tecteur s'effrite et voici qu'apparaissent des situations traumatisantes jus-
que-là inconnues. Alors des hommes nouveaux se manifestent (marabouts,
prophètes, guérisseurs), des techniques insolites de défense s'organisent
telles les danses de possession, des symbioses curieuses s?établissent qui
mêlent la médecine indigène aux techniques d'Europe tandis qu'il arrive au
guérisseur d'hier de conseiller l'agrégé de médecine d'aujourd'hui...
En bref, malades et plus encore peut-être médecins se trouvent
conjointement en pleine mutation. Une grave question alors se pose: les
« fous» de demain, à défaut d'une société prévenante ou équilibrante,
auront-ils les psychiatres qu'ils mérÏtent?

VII. CONCLUSION

A l'instar de la chimie moderne (8i)}, c'est une véritable révolution


épistémologique qui s'opère si l'on veut appréhender le pluralisme cohérent
du moi, lequel semble devoir caractériser la structure complexe et dyna-
mique de la personnalité négro-africaine.
Certes, notre optique restait l'Afrique traditionnelle qui subit actuelle-
ment, comme chacun le sait, l'assaut des forces modernistes (acculturation)
et y résiste de multiples manières, mais avec un bonheur inégal (maintien
des traditions, démarquage et emprunt, syncrétisme, symbiose, création
d'une culture originale...). Ce que nous avons décrit ou analysé risque
donc de n'avoir plus qu'une signification précaire bien que des survivances
nombreuses vont se manifester.

(35) Nous faisons allusion à l'analyse prestigieuse de G. Bachelard sur «le plu-
ralisme cohérent de la chin1Ïe moderne ».
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Dans l'immédiat, une réflexion méthodologique se présente. En ce qui


concerne la personnalité négro-africaine, quelle discipline a plus de chance
de s'imposer? L'anthropologue par formation et par vocation s'intéresse
surtout aux jeux de croyances, aux systèmes de représentations, de normes
et de valeurs dont on sait de quelle façon ils informent les comportements
(des rites canoniques aux conduites quotidiennes spontanées) plutôt qu'à
ces comportements en eux-mên1es et pour eux-mêmes qu'analyse le psy-
chologue. C'est pourquoi, sans évidemment s'en contenter, il accordera une
importance certaine au 'sage', au 'détenteur du savoir profond' comme
disent les Bamhara, à l'informateur privilégié (Griaule et Ogôtemmeli).
Toutefois, les résultats qu'il propose (rôle éminent du social à la fois
dans les éléments constitutifs du moi et dans sa formation, place de pre-
mier choix dévolue à une personnalité essentiellement plurale...) seront
enrichissants pour le psychologue occidental, trop habitué concrètement
à ne saisir que des individualités séparées, existant en soi et pour soi, avec
un minimum de liens réels avec les autres et avec le monde. Encore
n'avons-nous pas évoqué ]a dimension ethno-psychiatrique du problème:
c'est peut-être dans ce domaine que l'anthropologue est le plus utile au
psychologue. Aussi note-t-on, en Afrique la rareté des mélancoliques, des
paranoïaques, des obsessionnels UH)); le déplacement de l'Œdipe vers la
phratrie, le groupe de frères se substituant au père, ancêtre inégalable;
enfin l'existence de sociothérapies traditionnel]es, directement branchées sur
le culte des esprits et les rites de possession (ndoep des Wolof au Sénégal,
lup des Serer, déjà cités).
Ainsi, la principale leçon, si tant est qu'il puisse donner une leçon,
de l'anthropologue, c'est qu'il prouve sans équivoque et dans une perspec-
tive résolument dynamique et relativiste la double nécessité d'éviter le
subjectif (projection inconsciente de ses propres patterns mentaux) et le
parcellaire (non seulement les différents phénomènes culturels sont liés (37)

(36) En revanche, notons la prépondérance des interprétations persécutives:


la sorcellerie (anthropophagie imaginaire qui se situe au niveau prégénital et oral);
la magie (niveau génital phallique); la possession (plan religieux, la magie étant
a-religieuse et la sorcellerie anti-religieuse; la possession est inséparable du culte des
esprits ancestraux). Très schématiquement, se dire attaqué par un sorcier équivaut
à se sentir menacé de Inort-exclusion. se dire marabouté (magie) équivaut à exprimer
une angoisse de castration, se dire tourmenté par les rab (esprits ancestraux) équivaut
à se sentir invité à resserrer les liens avec ses ascendants (M.C. et E. ORTIGUES,
Œdipe africain, Plon, 1966. p. 265.
(37) Nous souscrivons totalement à la judicieuse rell1arque de R. BASTIDE: Psy-
chologie et Ethnologie, in Ethnologie générale. Pléiade, Gallimard, 1968, p. 1644:
«Les Freudiens par exemple ont bien mis en lumière les effets de la carence des
soins maternels sur le psychisme des enfants; mais cette carence a-t-elle les mêmes
effets dans une population où elle est culturellement obligatoire? Ne faut-il pas,
avant toute généralisation, examiner l'univers structuré de règles au lieu de n'en
considérer qu'une seule isolément. Le tort peut-être de Kardiner a-t-il été de découper
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mais c'est à travers le tout de la culture qu'il faut appréhender la per-


sonnalité - modale ou de base -). En outre, l'expérience ethnologique,
mieux, anthropologique, souligne l'inséparabilité des comportements, du
langage et de la culture. Trop souvent, les méthodes de mesure utilisées
par le psychologue occidental ne font qu'apprécier le degré d'acculturation
alors qu'il croit trouver l'intelligence ou la mémoire! Comme l'écrit
R. Bastide: «N'oubHons pas qu'il y a des' techniques du corps' et qu'un
test de construction, symbolique d'une culture architecturale comme la nôtre,
ne peut rien signifier pour une culture musicienne, où la construction n'est
jamais qu'une technique de bricolage, tandis que les muscles de la main
sont dressés pour les rythmes du tambour» (38,. Même les tests projectifs
les plus riches et les plus efficaces - tel le Rorschach - supposent une
parfaite connaissance des systèmes socio-culturels propres aux populations
auxquelles on les applique (signification de l'espace et du temps; perception
des formes, bonnes ou mauvaises, originales ou banales; sens des couleurs;
nomenclature des interdits...).
C'est, en fait, au point de rencontre de différentes méthodes (psycho-
logique, anthropologique, phénoménologique...), que se situera une meilleure
compréhension de la personnalité négro-africaine. Il est à espérer que
celle-ci aidera la psychologie générale à réviser ses concepts et ses normes
de référence trop uniment européo-centriques.

un système en ses éléments et d'étudier le rôle de chaque élément l'un après l'autre
sur la formation de la société de base, au lieu de partir du système comme un tout
organisé. Le psychologue risque, dans les analyses qu'il fait d'une culture en relation
avec le psychisme de suivre des voies dangereuses s'il n'a pas, à ses côtés, la critique
de l'ethnologue. »
(38) R. BASTIDE, op. cil., p. 164.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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Nil 544.
- LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

PERSONNALIT'É ET STRUCTURES SOCIALES


(A propos des Songhays)

J.P. OLIVIER DE SARDAN

J. De la personne à la personnalité

La notion de personne semble renvoyer pour l'essentiel, dans l'accep-


tion du colloque, aux composantes spirituelles de l'être humain, telles qu'un
groupe se les représente. Ces composantes spirituelles (principes, âme,
double, ombre, forces vitales, etc.) sont à des degrés divers localisés d'une
part dans le corps, d'autre part dans le -temps et l'espace (récits mythiques
et cosmogoniques, rites, sanctuaires...).
Nous voudrions insister sur un troisième aspect: leur localisation dans
la société, le_urs déterminations sociales, ce qui amène à envisager, outre
les composantes spirituelles de la personne, ses composantes psychologiques
et mêmes physiques.
Méfiante à l'égard des interprétations réductrices et parfois arbitraires
du fonctionnalisme ou du structuralisme, une certaine école de l'ethnologie
française, à la suite des travaux de Griaule sur les Dogons, s'attache à resti-
tuer dans son intégralité les systèmes de croyance à l'œuvre dans plusieurs
sociétés africaines. L'importance, dans les représentations de ces groupes,
de notions ou même de concepts qui tournent autour de la « personne» est
sans doute à l'origine de ce colloque.
Partant nous-même d'un postulat méthodologique voisin (respecter au
maximum les représentations collectives, les croyances et le savoir popu-
laire, en évitant d'y substituer prématurément les interprétations et les
modèles théoriques), mais sans limiter la collecte aux seuls phénomènes
religieux, nous avons abouti cependant à des résultats forts différents.
En effet, dans le groupe Songhay-Zerma (Est du Mali et Ouest du
Niger), et, pour autant que nous ayions pu en juger, dans les groupes
voisins, Touaregs, Peuls, Haoussas, le système de rites et croyances por-
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tant sur la personne n'a rien de ces édifices majestueux et secrets qui sem-
blent prévaloir en pays Bambara, Dogon, Gourmantché...
Magie, rites, sorcellerie, mythes, ne font appel qu'à des notions
simples dont le contenu semble vite épuisé. Seules les procédures sont
complexes, et non leur substrat métaphysique. Si les techniques magiques
font certes l'objet d'une connaissance ésotérique (c'est-à-dire sont le fait
de spécialistes divers: zima, sohance, forgerons, certains captifs horso...)~
il n'y a pas un corps de connaissances pures, un savoir initiatique, une
explication du monde dont seul un petit nombre détiendrait les clefs.
Jean Rouch a fait, depuis longtemps, J'inventaire des quelques
notions de base chez les Songhays :
- hunde, la vie, le souffle vital, qui distingue les être animés des
êtres inanimés,
- biya, l'ombre (== l'âme, le double), qui, au contraire du souffle, est
une notion plus psychologique et métaphysique que physiologique. Le rêve,
c'est le voyage du biya pendant le sommeil. La possession, è'est la substi-
tution du génie holey au biya. La sorcellerie, c'est l'agression sur le biya,
son rapt.
- certains traits de caractère: lak kal (intelligence, compréhension,
savoir), bine (üœur, courage), hawi (honte)...
A l'encontre de cette apparente pauvreté, les représentations et tra-
ditions font intervenir incessamment des rôles et clivages sociaux et la
« religion» renvoie avec insistance à la société, non comme simple entité~
mais dans sa différenciation concrète. Ainsi, les biographies des holey,
génies des danses de possession, qui constituent le noyau du savoir mythi-
que, sont constamment modelées sur celles des hommes; y interviennent
guerres, querelles, mariages, groupes ethniques, chefs, captifs, etc...
Loin d'expliquer la société sous sa forme originelIe, elles utilisent
au contraire la configuration sociale existante comme cadre de référence:
ainsi Dongo, génie de la foudre, et personnage central des danses de
possession, aurait passé son enfance chez les Bellas (captifs Touaregs),
avant de commencer, lors d'une crise de dépit, à foudroyer pour la pre-
mière fois les hommes. A la limite, on pourrait dire que dans les mythes
songhays~ la société (la société constituée et organisée, divisée en ethnies
et en groupes) précède les forces surnaturelles!
Par contre, nul ne peut recueillir un mythe de la création, ou la
légende qui préside à ]a découverte des premiers sortilèges. Aucune média-
tion ne rend compte de l'apparition des ethnies et des castes, celles-ci
étant données d'emblée.
Les sorciers prennent « l'ombre» de leurs victimes pour la manger ou
la donner aux puissances qui se partagent la brousse, tels les zin; mais nu)
ne connaît leur ancêtre et Je pourquoi de leurs relations avec les zin,
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423

ni même d'où ce pouvoir maléfique tire son origine. La notion d'ombre se


suffit en outre à elle-même et ne s'explique que par les effets de son
absence: privé d'ombre un homme devient gravement malade, tombe dans
la léthargie, et mO,urra dès qu'elle sera consommée par le sorcier.
D'explication de l'ombre, aucune. Les opérations magiques sont plus
un ensemble de recettes opératoires, que l'application pratique d'une
science fondamentale.
En fait, seules les notions de base évoquées plus haut forment le tronc
commun du savoir des divers praticiens religieux et magiques. De ce pilier
partent de multiples «voies ». C'est le terme songhay, fonda, chemin, qui
désigne les diverses spécialités: il y a la voie du magicien, celle du prêtre
des cultes de possession, celle du marabout, celle du forgeron, etc... Chacun
peut donc choisir la voie qu'il va emprunter, le spécialiste auquel il va
s'adresser.
Le classement de ces voies est presque impossible, dans la mesure où
elles sont tout à la fois parallèles, complémentaires, contradictoires, sui-
vant les cas ou les informateurs. Les descriptions varient non seulement
en fonction des catégories de praticiens, mais aussi selon les individus.
Tant les techniques de prévention que celles de guérison sont inextricables;
quant au classement des diverses puissances surnaturelles, chacun a le sien.
Quelques exemples: dans certains cas, on s'adressera pour le même
problème aussi bien au do (maître du fleuve), au zima (prêtre de la posses-
sion), au sohance (magicien de haut rang), au zem (forgeron) ou à tout
autre détenteur de charme (kotte koy) plus ou moins improvisé.
D'autre part, les termes holey (génies de la possession, et leurs
successeurs récents, hauka, mangey), hargey «<froid»), zin (djinn), ganji
(puissances de la brousse), seytan (satan, diable) sont souvent, mais pas
toujours, permutables.
Enfin, pour certains, le sorcier (cerkaw) mange seul l'âme qu'il a
dérobée; pour d'autres, il la mange exclusivement avec d'autres sorciers.
Parfois on dit qu'il la donne aux zin, sans la manger lui-même. Mais, selon
certaines versions, ce seraient les holey, ou les hargey, parfois les seytan,
qui en bénéficieraient...
On peut cependant rendre compte de ce foisonnement imprécis et.
contradictoire en quittant la description classificatoire, et en s'intéressant
aux fonctions de ces savoirs. Chaque technicien du religieux dispose les
éléments métaphysiques selon des figures qui justifient sa propre technique.
Les relations de base sont simples: d'un côté le biya, l'ombre, lieu privi-
légié des agres~ions extérieures, bénéfiques ou maléfiques; de l'autre, les
puissances surnaturelles qui sont avant tout les symboles de ces forces
d'agression. Le système magico-religieux songhay repose sur un accord
général quant à ces présupposés. De là, chaque «voie» s'en arrange à sa
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manière. Le zima mettra en valeur les holey, sa spécialité, soit comme cause
d'agression, soit comme médiation nécessaire pour récupérer une «ombre»
en péril; le sohance, lui, insistera sur le duel qu'il est capable de mener
lui-même à bien contre le sorcier qui a dérobé un biya. Certains jouent sur
plusieurs tableaux: ainsi un sohance de Koutougou est en même temps
zlma par sa mère, do par son grand-père et allié aux ganji, puissances
de la brousse, par un ancêtre qui aurait épousé un génie. Mais si les spé-
cialistes reconnus doivent justifier leur compétence par un système minimum
de liens avec le surnaturel (ce qui implique une construction théorique
ad-hoc), bien des détenteurs de charmes ordinaires n'ont pas besoin d'y
avoir recours, et n'invoquent, pour vanter leur «produit», que l'expérience
prouvée de son efficacité.
Cette grande souplesse tactique s'organise, on l'a vu, autour de la
notion de biya, point stratégique de la personne dans ses relations avec
l'au-delà, le surnaturel. Mais il est intéressant de remarquer que biya
connote non seulement un élément de la personne (<<l'ombre») mais aussi
la personne toute entière, prise au sens de personnalité. On dira ainsi de
quelqu'un: a sinda biya, il n'a pas de personnalité.
C'est ce domaine de l'idéologie spontanée que nous voudrions explorer,
ce qu'on pourrait appeler les «stéréotypes» de la personnalité chez les
Songhays-Zermas. La société reconnaît deux types fondamentaux de per-
sonnalité, qui correspondent aux deux pôles sociaux principaux. Il y a un
« portrait-robot» du maître et un autre du captif. Pour être moins élaborée
que les systèmes de la personne spirituelle décrits dans d'autres groupes,
la conception qu'ont les Songhays de la personnalité sociale n'en est pas
moins précise.

II. Quelques données sociales de base

La compréhension des archétypes populaires qui définissent la per-


sonnalité sociale exige que nous présentions, cela va de soi, les principales
structures sociales, du moins celles qui concerneront directement notre
sujet.
Le système traditionnel des divers groupes songhays-zermas (et il nous
semble qu'ils n'en ont pas l'exclusivité, tant s'en faut) est dominé par Je
phénomène de la captivité.
Nous en signalerons brièvement les caractéristiques principales:
1) Plus des 2/3 de la population, avant la colonisation, était de
condition servile (banya, captif).
2) Le statut-type du captif est la captivité domestique. Le captif de
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case (horso) est intégré à la famille de son maître. Elevé avec les enfants
du maître, il ne peut être vendu. C'est une sorte de cadet perpétuel. Il peut
même obtenir parfois le droit de cultiver en partie à son propre compte.
3) Les nouveaux captifs, razziés, achetés, ou pris à la guerre, ont
une situation beaucoup plus instable. Ils peuvent être vendus, échangés,
donnés, ou même rendus à leur famille contre rançon.
4) Les castes (forgerons, tisserands, cordonniers...) nécessiteraient une
étude particulière. Nous pouvons en faire ici l'économie, dans la mesure
où ils se rangent tous, chez les Songhays, dans la catégorie générale des
captifs, cette détermination semblant principale.
5) Contrairement au régime patriarcal et patrilinéaire en vigueur chez
les nobles, les captifs sont soumis à une règle d'ordre matrilinéaire, et en
tout cas matrilocale. En effet, en cas de mariage de deux captifs de
maîtres différents, les enfants sont la propriété du maître de la mère
(comme le croît du bétail appartient au propriétaire de la génisse) (1).
Les captifs ne peuvent en aucun cas épouser une femme noble. Cet
interdit fondamental subsiste aujourd'hui, plus de 60 ans après l'abolition
de l'esclavage. Dans la mesure où les règles de mariage songhays sont par-
ticulièrement imprécises, on peut dire qu'enes se limitent à deux interdits
absolus: l'inceste réel et l'hypogamie sociale.
7) Outre cet interdit, les traces idéologiques de l'esclavage sont nom-
breuses de nos jours: chacun peut être désigné encore comme captif ou
maître; et tout ce qui concernera plus loin, à ce sujet, les représentations
collectives et les comportements est encore vivace.
8) Les traces économiques, moins évidentes et moins contraignantes,
existent néanmoins: dépourvus de terres lors de leur libération par le colo-
nisateur, les captifs fournissent une grande part de la paysannerie pauvre.
La promotion est possible, certes, mais à titre individuel.

III. La personnalité sociale chez les Songhay

Celle-ci est donc d'emblée différenciée. Elle ne se manifeste qu'à


travers deux archétypes précis, le captif et le maître. En dehors des géné-
ralités sur la personne (souffle, ombre), l'homme ne peut être décrit
qu'actualisé dans un des deux statuts qui se partagent l'humanité.

(1) On peut se demander, si l'on voit l'extension géographique du système de la


captivité en Afrique. cornhien de monographies laissent en fait de côté la plus grande
partie de la population, en décrivant comme système de parenté de l'ethnie toute
entière le système de parenté de la seule fraction noble de la population...
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Ceci se manifeste tant dans la morphologie que la psychologie.

A. Morphologie comparée du captif et du maître.

Captif et maître sont perçus comme ayant chacun des caractéris-


tiques physiques différentes. Le tableau ci-dessous présente quelques-uns des
stéréotypes les plus courants.

cap tif maître

doigts (main et pied) tordus effilés et pa-


rallèlles
orteil écarté des accolé aux au-
au tres doigts tres doigts
ongles épais min-ces
muscles durs et nou- souples et
eux; plus profilés
vigoureux
cou gros mince
démarche raide, plus sou pIe
disgracieuse
chair dure sou pIe
peau rugueuse lisse

On voit aisément que les critères se recoupent. Tout ce qui concerne


le maître renvoie aux notions de souplesse, de finesse, tandis que la
morphologie du captif serait un mélange de force et de rusticité. Il y a
donc une valorisation évidente du maître, et l'on retrouve, dans une
société paysanne simple, Je mécanisme de tous les racismes et discrimi-
nations.
La division est ici à la fois sociale et raciale, et se reflète en tant
que telle dans l'idéologie.

1) Elle est raciale dans la mesure où les captifs sont en général


les produits de razzias dans les ethnies voisines et exprime le mépris des
Songhays à l'égard de celles-ci, mépris visible dans les attitudes de tous
ordres à J'égard, par exemple, des Gourmantchés et des Mossis.
Mais, en outre, le «modèle» du maître est en fait celui des deux
groupes hégémoniques au XIXe siècle, les Touaregs et les Peuls, et c'est
de leur type anthropologique que la description s'inspire manifestement.
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En effet, il n'est pas rare d'entendre que, parmi les nobles, ceux qui sont
véritablement «purs» sont les Touaregs et les Peuls.
La suprématie politique s'infiltre ainsi peu à peu jusque dans les
aspects les plus profonds, et parfois même inconscients, de la psychologie
collective, d'où elle tire en retour une justification d'autant plus solide
qu'elle se présente, par un tour de passe-passe, comme «naturelle» et
parée des vertus d'une «évidence».
IJ faut noter par aiIJeurs que l'endogamie respective des nobles et
des captifs pourrait constituer un fondement objectif au maintien de carac-
téristiques physiques différentes. Mais il est évident que les critères retenus
s'éloignent de toute description anthropologique sérieuse, même approxima-
tive.
2) Cette classification devient sociale, dans la mesure où sa base
ethnique est masquée, et où elle se projette sur des réalités qui n'ont
plus rien d'ethnique. Entre des captifs gourmantchés ou peuls amenés à
la fin du XIXI' siècle et des horso songhays dont l'origine est depuis des
générations confondue à un tel point avec celle de leurs maîtres qu'il n'y
a plus aucune trace d'une quelconque autre appartenance ethnique, on
ne peut évidemment parler de caractéristiques physiques objectivement
communes. De même, les nobles songhays, bien que fort différents anthro-
po logiquement des Touaregs et des Peuls bénéficient en quelque sorte
des traits affectés aux maîtres, queIJe que soit la réalité scientifique de
leur apparence.
On a donc le processus suivant: l'ethnie songhay se décompose en
fait en deux. groupes distincts. Seul le groupe des nobles peut, par le
jeu des règles du mariage, préserver une certaine «pureté», se traduisant
par des caractéristiques anthropologiques spécifiques. Par contre, le groupe
des captifs provient de la fusion de couches multiples; chaque génération
s'accroît de nouveaux venus, originaires d'ethnies variables suivant les
époques: noyaux de captifs songhays venus depuis Gao; Gourmantchés
capturés lors de J'éviction de ces derniers de la région du fleuve, après
la dispersion de J'empire songhay; produits de la traite locale ou régionale;
voltaïques ou maliens emmenés vers l'Est; captifs ou nobles songhays des
chefferies voisines, razziés au cours des guerres.
C'est dire à quel point les caractéristiques raciales ne sont qu'un
prétexte aux représentations de la personne physique~ celles-cj ayant
d'abord leur fondement dans les exigences de l'idéologie dominante; il
s'agit ici de trouver dans l'ordre de la nature une légitimation (ou une
preuve) de la division de la société.
Deux types de contradiction se trouvent imbriqués. D'abord la contra-
diction principale entre captifs et maîtres. Ensuite, des contradictions
secondaires entre maÎtres. Le stéréotype physique du noble repose sur ces
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contradictions secondaires et s'actualise dans la contradiction principa1e.


Autrement dit, les différences concrètes entre «ethnies nobles» amènent
le «modèle» du noble à se fonder sur le type physique du groupe qui
est au sommet de la hiérarchie du pouvoir. Mais l'unité fondamentale et
la solidarité de l'ensemble des nobles face aux captifs font que ce modèle
s'applique à tous et que inversement le modèle du captif est le négatif
de celui du noble.

B. Psychologie comparée du maître et du captif.

Ceci est encore plus clair dans le domaine des représentations «psy-
chologiques ». Là aussi, le caractère et le comportement affectés aux
nobles et aux captifs divergent radicalement. Il nous faut ici dissiper tout
malentendu. Nous ne prétendons pas à une analyse scientifique de la
« personnalité» chez les Songhay. Nalls nous limitons aux représenta-
tions les plus significatives qui circulent chez les intéressés, et c'est leur
fonction idéologique qui nous intéresse. Nous sommes donc aux antipodes
de la notion de «personnalité de base» de Kardiner, par exemple.
Celle-ci se veut objective et s'appuie sur la convergence entre .les obser-
vations de l'anthropologue et le résultat de batteries de tests; elle est
donc fondée sur les concepts de la psychologie occidentale, et même sur
certaines de ses méthodes (tests) les plus contestables. En outre elle prend
la société ou le groupe étudié comme un tout indifférencié soumis à des
valeurs communes, et ne tient pas compte des divisions et des contradic-
tions sociales, du fait du postulat implicite que les sociétés primitives ne les
connaissent pas.
Chez les Songhays, la notion-clé est celle de «honte» (hawi). L'atti-
tude idéale du noble est définie en négatif par un concept psychologique,
la honte. La honte, c'est le sentiment qu'engendre un comportement
non conforme à une sorte de code d'honneur implicite. Le mot est d'ailleurs
impropre dans la mesure où les motifs de honte sont d'ordre très divers;
là aussi, il n'y a pas un corpus de croyances élaboré en système. En
demandant à divers informateurs de définir la honte, nous n'avons recueilli
qu'une série de situations concrètes: ne pas recevoir comme il se doit
un étranger; faire l'objet de critiques ou de moqueries en public; être
surpris avec la fen1me d'autrui; oubUer de tenir une promesse; proférer une
injure en présence de son beau-père...
Dans notre système conceptuel, la honte pourrait apparaître comme
le manquement à l'honneur, à la générosité ou à la bienséance. Mais il
est frappant qu'il n'y ait aucun terme en songhay pour connoter l'envers
de la honte. C'est qu'il s'agit de la normalité. C'est le simple fait «d'être
un homme >-"'1 aru tare.
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Cette notion générale de «l'état» 12) d'homme se précise d'ailleurs


vite. On parle alors, dans le même sens, de borcin tare, «état de noble ».
L'homme-type, le véritable homme, c'est le noble. Aussi le langage cou-
rant emploiera-t-il, à propos de l'éthique quotidienne, aussi bien aru tare
que borcin tare, sous forme de commentaire approbateur à tout geste
généreux ou à tout acte juste (cf., en français: il a eu une noble attitude).
Mais la honte n'est une notion que de morale sociale, et non de
morale individuelle ou religieuse. C'est le regard des autres qui suscite
la honte. Par exemple, qui boit de l'alcool en cachette ne sera sujet à
la honte que dans la mesure où son fils le surprend. Voler est honteux
pour le noble s'il se fait attraper. Si le vol ou la boisson peuvent être
blamés en eux-mêmes, c'est au nom de l'Islam, par exemple, de la morale
religieuse, et la honte n'intervient pas à ce niveau. La honte, c'est une
certaine défaillance publique dans l'accomplissement des obligations sociales
courantes. Le terme «confusion», en français, bien que trop faible,
marque plus le caractère essentiellement social de ce sentiment.
Ce rôle social qui doit être tenu, c'est un privilège de classe. Car la
générosité - toujours au sens social - c'est l'apanage du noble; le captif
se définit au contraire par sa dépendance.
On caractérise très souvent le captif en disant qu'il n'a pas honte,
qu'il ne connait pas la honte. Un captif injurie, vole, quémande. Il n'a
pas de rang à tenir. Bien plus, le rôle qu'implique son statut, c'est la
recherche incessante de biens et d'avantages, de la part de son maître;
la relation maître-captif ne prend pas la forme d'un statut juridique, mais
d'une relation personnelle, proche du type de la «clientèle», où l'un
demande et l'autre donne. L'un demande parce qu'il n'a pas honte,
l'autre donne pour éviter la honte.
On atteint ici le cœur de l'asservissement idéologique des captifs. La
société - celle des nobles - leur impose une morale différente, et donc
ses présupposés psychologiques, avec une force de pression telle que cette
morale est acceptée, assumée, intériorisée par le captif. Le captif qui
juridiquement ne possède rien ne peut obtenir ce qu'i] désire que de la
bienveillance de son maître. Mais il ne s'agit pas d'une succession de
cas individuels, dont chacun ressort du «libre arbitre» du maître. La
société codifie, de façon implicite, le rôle du maître et du captif, et au
niveau le plus profond et le plus subtil, celui des habitudes psycholo-
giques, en faisant à l'un obligation de réclamer et à l'autre obligation de
donner.

(2) «tare» signifie plus qu'« état» qui est trop statique. C'est en même temps
toutes les pratiques liées à cet état. C'est le «fait d'être », et tout ce qu'implique
tel statut. Cf. sorko tare, le fait d'être pêcheur. et par par là même. le savoir du
pêcheur. la pratique de la pêche.
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C'est pourquoi tout captif est plus ou moins un varekwo, un qué-


mandeur, et c'est pourquoi les griots, du moins les griots «ordinaires» (à
la différence des spécia1istes sil/ince et de leurs disciples) ne représentent
qu'une certaine exacerbation de la condition générale des captifs.
Il est évident que dans cc type de don à sens unique, celui qui
donne manifeste indéfinime.nt sa supériorité, et celui qui reçoit reconnaît
indéfiniment son infériorité, et que c'est là l'origine de la ligne de partage
que la honte trace au sein de la psychologie collective.
Au cœur de cet asservissement idéologique se trouve la notion de
famille.
En effet, si la honte naît du regard des autres, les autres ce sont
essentiellement les parents, non seulement les parents consanguins, et parmi
eux surtout les générations supérieures (pères et mères classificatoires,
oncles maternels...), mais aussi les parents par alliance (anzurey, beaux-
parents), réels ou potentiels. Ces liens imposent un savoir-vivre inculqué
dès le plus jeune âge. Le mariage en est l'illustration frappante, car à la
fois il sanctionne une maturité sociale reconnue par la famiUe du marié,
qui fournit la dot, et il marque l'accès à une nouvelle série d'obligations
(contre-partie de l'accès à un statut supérieur), dont la relation d'évitement
avec le beau-père, et ce qu'elle implique, est un signe manifeste.
La morale sociale, - et donc le modèle de personnalité qu'elle pro-
pose - passe avant tout par le réseau des liens familiaux.
Or le captif est celui qui en fait n'a pas de famille, et ne connaît
guère ces obligations. S'il est fraîchement razzié ou acheté, il n'a pas
même de nom, donc d'existence sociale, et ses nouveaux maîtres lui
trouvent un sobriquet de circonstance que ses propres enfants garderont
comme une marque. Qu'on en pèse les conséquences, si l'on considère
que le nom est l'attribut ou le signe par excellence de la personne...
S'il est captif de case, horso, depuis plusieurs générations, il est
défini plus par la famille de son maître que par ses propres parents.
D'ailleurs, son propre père est souvent captif dans une autre concession
et sans aucun pouvoir sur lui.
Nombreux sont en outre les bâtards parmi les captifs, enfants illé-
gitimes du maître auquel les captives ne pourraient refuser la nuit.
Le mariage du captif~ quant à lui, ne signifie pas l'union de deux
fan1ilIes, et toutes ses conséquences sociales, mais l'accord de deux maîtres.
Certes, peu à peu, les horso reproduisent les institutions des nobles.
Mais c'est inéluctablement au rabais, car que signifie par exemple un
mariage qui ne fait accéder à aucun nouveau statut, et une paternité qui
ne donne pas de droits réels sur ses enfants?
Ainsi la famille est non seulement le lieu de l'apprentissage des
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rôles sociaux (le cadre dans lequel jeune maître et jeune captif décou-
vrent peu à peu leur relation), mais encore, par son existence ou son
absence, elle surdétermine ces rôles. A la limite, privé de famille, le
captif est privé de honte. Car la honte, c'est ne pas être fidèle à son
nom, ne pas reproduire l'image prestigieuse des ancêtres, la transmettre
déformée à ses descendants. D'ancêtre et de nom, le captif n'en a pas. II
vit dès son enfance dans une sujétion sans appel, et la manifestation
permanente de cette dépendance, c'est la relation psychologique qui le
lie au maître.
Par contre, il est des aspects du comportement où le captif peut
rivaliser avec le maître.
Un exemple caractéristique en est la notion de courage (bine == cœur).
Le captif peut avoir du cœur, et devenir un guerrier redoutable. Plusieurs
légendes évoquent l'épopée d'un maître et de son captif, qui tous deux
accomplissent de multiples exploits, où triomphent leur vaillance et leur
intrépidité.
Cet héroïsme partagé trouve en général sa source dans l'éducation
commune du jeune captif et du jeune maître, éducation qui prend ainsi
une signification ambivalente: fondement de la sujétion du captif, elle
porte également en elle-même une apparente relation égalitaire. Sans aller
jusqu'au cas exceptionnel de l'apprentissage mutuel de l'héroïsme, il est
fréquent que se noue une certaine relation d'amitié, plus ou moins exclu-
sive, entre le captif et le maître.
Ce paradoxe s'interprète à un double niveau:
- l'éducation con1prend non seulement l'assimilation des normes et
idéaux sociaux qui vont orienter dans des voies différentes le captif et le
maître, mais également l'apprenti~sage des rapports avec la nature - entre
autres - où s'abolissent dans une grande mesure les distinctions sociales.
Ensemble, jeunes captifs et jeunes maîtres apprennent à cultiver, chasser?
pêcher. ..
- en second lieu, et surtout, le type de dépendance idéologique du
captif appelle un certain nombre de mécanismes de compensation, qui
permettent au captif de ressentir tout à la fois son existence comme être
humain, au même tjtre que le, noble (et donc susceptible d'amitié ou de
courage, toutes barrières sociales «oubliées»), et d'accepter, par là même,
la différence de nature qui l'en isole.
L'éducation est un pilier de ces mécanismes. ElIe est au centre de
la norian de horso. Celui-ci, privé de famille propre, n'en retrouve une
qu'à travers celle du maître, et dans l'acceptation, au sein de celle-ci,
de sa propre infériorité. Il n'acquiert de statut que par ce biais, son inté-
gration est en même temps le signe de sa dépendance. Le couple «asser-
vissement/ compensation» est donc indissociable, et à l'œuvre dès le plus
jeune âge.
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Mais il existe d'autres manifestations de ce couple, en particulier


dans la sphère des représentations et croyances, qui nous concerne plus
spécialement ici. Il semblerait que c'est dans les domaines où la société
risque sa propre existence, réellement ou mythiquement dans la guerre et
la religion, qu'elle accorde aux captifs les plus grandes possibilités de pro-
motion, voire d'inversion des rôles, à l'opposé de ce qui se passe dans
la vie quotidienne, où la pesanteur sociale se montre implacable.

IV. Pouvoir politique et pouvoir magico-religieux

Il Y a une lecture nouvelle des phénomènes religieux qui se révèle


possible à partir du point de vue de la division captifs/maîtres.
Nous évoquerons surtout Je cas des danses de possession.

A. Les danses de possession comme phénomène d'inversion sociale.

La seule explication fonctionnelle qui ait été tentée à propos des


danses de possession est d'ordre psychiatrique. Elle y voit une solution
sociale apportée aux tendances épileptoïdes, et fait du zima «< prêtre »
des danses) un thérapeute.
Cette interprétation choisit comme terrain une certaine forme de
liaison entre l'individu et la société: la possession est une institution sociale
qui résoud des cas individuels. A ce niveau-là elle réussit indubitablement
mieux que le système asilaire occidental...
Nous voulons aborder le phénomène sous un autre angle, en restant
exclusivement au niveau social, c'est-à-dire en rejetant délibérément - pour
le moment - tout point de vue mythologique (analyse traditionnelle sous
ses diverses formes) et tout point de vue psychologique ou psychiatrique.
Autrement dit, si la possession est indubitablement liée à la personne,
nous ne ferons appel ni à la personne métaphysique, ni à la personne
psychologique mais à la personne sociale.
C'est pourquoi nous proposons d'envisager les danses de possession
comme une forme particulière de rituel d'inversion sociale.
Nous ne nous éloignons pas ainsi du thème du colloque, dans la
mesure où J'inversion se situe au niveau de la personnalité.
Les génies qui viennent «sur» leurs danseurs sont tous nommés,
classifiés et décrits à l'image des hommes. Ils sont groupés par familles
et unis par des liens de parenté très précis. Les biographies de ces génies
sont bâties sur le modèle de celles des ancêtres, c'est-à-dire un mélange
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d'anectodes concrètes, de situations habituelles et d'interventions du sur-


naturel. Le caractère même de chaque génie est très précis: tel est capri-
cieux, telle est coquette, tel autre jaloux. Le danseur possédé perd sa
propre personnalité et acquiert, le temps de la possession, celle du génie
qui l'habite. C'est le spectacle étonnant et significatif d'une vieille femme
ordinairement effacée et en haillons qui, possédée par le génie Nyalya la
coquette, passe une heure à s'admirer dans une glace et à minauder.
Que se passe-t-il si nous considérons ces changements de personnalité,
souvent notés par les observateurs, non plus comme la simple substitution
aléatoire de certains traits de caractère isolés à d'autres, mais en tenant
compte des déterminations sociales de base de la personnalité?
Les génies, eux aussi, se divisent en captifs et en nobles. Parmi les
sept principaux groupes de holey, deux jouent un rôle nettement plus
important. Ce sont les toru, les génies principaux, qui ont une suprématie
incontestée, et qui sont nobles. Et ce sont les badeyize, captifs des précé-
dents. Ainsi il arrive souvent qu'un génie toru apparaisse avec son captif
badeyize correspondant, chacun sur un danseur...
Les possédés, qu'ils soient captifs ou nobles, étant censés participer
ensemble et de façon identique aux danses, il y a donc la possibilité pour
un captif d'être possédé par un génie noble, et pour un noble d'être
possédé par un génie captif.
C'est-à-dire qu'un captif peut acquérir, l'espace d'une demie heure
ou de trois heures, la personnalité d'un noble, en avoir le comportement,
et vice-versa.
C'est à notre connaissance le seul cas où puisse s'opérer une telle
substitution des rôles. Il s'agit bien là d'une forme d'inversion sociale.
Les danses de possession n'ayant jamais été analysées de ce point
de vue (3), nous manquons de données quant aux modes de réalisation
concrets de cette inversion. Il nous a été donné de la voir souvent. Mais il
faudrait, pour aller plus loin, avoir quelques précisions chiffrées.
Seuls les éléments statistiques pourraient enrichir l'inforn1ation. La
théorie sociale est en effet simple, ce que disent les Songhay quant au
rapport captivité-possession peut s'exprimer en deux points:
1. Captifs et nobles peuvent indifféremment être choisis commê che-

(3) Cependant, la description donnée par J. Rouch des récents génies hauka,
qui représentent les personnages-type de la colonisation, fait bien ressortir (et plus
encore le film «Les Maîtres-Fous») à quel point, sous l'empire de la possession,
les colonisés jouent à être les colonisateurs, les opprimés à prendre la place des
oppresseurs. Pourquoi ce qui apparaît là évident n'a-t-il jamais été évoqué en ce qui
concerne les génies traditionnels? N'y a-t-il pas une double barrière, la sous-estima-
tion des contradictions sociales pré-coloniales d'une part, une vision un peu idyllique
de la religion traditionnelle d'autre part?

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vaux par les génies. De même les zima se recrutent dans les deux classes.
2. Un génie, qu'il soit captif ou noble, peut choisir aussi bien un
captif qu'un noble pour cheval.
Il faudrait donc savoir si la réalité se conforme à la théorie.
Jean Rouch avait déjà noté que les «chevaux» et les zima sem-
blaient être plus nombreux parmi les captifs. C'est également notre impres-
sion. Mais est-ce que ce déséquilibre est significatif au point de vue sta-
tistique ?
D'autre part, quelle est la répartition exacte, parmi les possédés, et
selon leur classe, des chevaux de « génies-captifs» et des chevaux de
«génies nobles » ?
Nous pouvons déjà noter en tout cas que, alors que les captifs sem-
blent être plus impliqués dans les cultes de possession, la société par
contre met explicitement, sur ce point, captifs et maîtres sur le même
plan. Les hommes sont censés disparaître devant les génies (mythique-
ment, ce sont les génies qui choisissent, délibérément, leurs danseurs, alors
que réellement ce sont les danseurs qui choisissent, inconsciemment, leurs
génies). Et les catégories sociales des hommes sont censées s'effacer au
profit des catégories mythiques des génies.
Si l'inversion est réelle, elle n'est donc pas reconnue comme telle,
elle n'est pas «consciente».
Il semble d'ailleurs que ce soit une caractéristique de l'ensemble des
mécanismes de compensation auxquels nous avons affaire que de se
camoufler derrière une neutralité officieHe. La différence par rapport aux
structures de domination habituelles n'est pas que tout à coup les captifs
soient privilégiés, mais qu'ils soient el égalité. Un peu comme une course
où l'un laisserait secrètement gagner l'autre...
Il est banal, en fait, de voir dans les phénomènes religieux des méca-
nismes de compensation sociale. Ce qui est intéressant, ici, c'est non
seulement qu'on puisse les analyser de ce point de vue pour des sociétés
dites primitives, où la relÏgion apparaît souvent « pure» des contamina-
tions politico-socia1es, mais c'est surtout la forme concrète que prend le
mécanisme de compensation.
Si l'on met de côté les mouvements religieux porteurs d'aspirations
et de révoltes populaires (tels de nombreux mouvements messianiques), les
religions de l'ordre établi, c'est-à-dire celles dont les fonctions jouent au
profit des classes ou couches dominantes, utilisent en général des méca-
nismes d'évasion, lesquels supportent une morale au service des structures
sociales cxistantes. C'est le cas, dans la zone sahélienne, de l'Islam. A la
limite, il s'agirait d'une inversion différée ou utopique, projetée dans
l'au-delà ou à la fin du monde.
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Ici, au contraire, il n'y a aucune éthique sociale qui découle directe-


ment des danses de possession (les prescriptions des génies ne concernent
que les relations entre eux et les hommes et non les relations des hommes
entre eux). L'égalité n'est pas promise, mais réalisée dans le temps des
possessions, et l'inversion est immédiate, bien que masquée.
Ce n'est sans doute pas un hasard si dans une société où le clivage
social principal se manifeste par une bi-polarisation de la personnalité, la
compensation religieuse prend la forme d'une inversion temporaire, occa-
sionnelle et inconsciente de cette personnalité, à la différence des rituels
d'inversion recensés le plus souvent, qui sont institutionnalisés et explicites.

B. D'autres aspects de la compensation dans le domaine religieux.

Il serait possible de déchiffrer, avec ce point de vue, de nombreux


rites et pratiques.
En dehors de l'Islam, dont les significations sociales sont évidentes,
du fait de son lien ouvert avec les féodalités en place, n'est-il pas possible
d'analyser la sorcellerie à partir d'un angle voisin?
La théorie du groupe, pas plus que pour la possession, ne voit là de
différence entre captif et maître, les sorciers peuvent a-priori se trouver
dans les deux groupes. Notons cependant, à titre indicatif, la réflexion
suivante d'un informateur: les Peuls nobles, auparavant, ne comportaient
jamais de sorciers en leurs rangs; mais aujourd'hui les mariages inter-
ethniques se multiplient; si l'on épouse une femme zerma venant d'un
village lointain; comment être sûr que ce n'est pas une sorcière ? Voilà
comment la sorcellerie peut rentrer dans la famille des Peuls nobles, par
le mariage avec une inconnue...
Quelques remarques peuvent éclairer cette impression:
- la sorcellerie se transmet essentiellement par le lait de la mère,
- les famil1es de sorciers étant connues dans un village, leurs filles
ne trouvaient en général de mari que parmi des étrangers non
avertis.
On peut donc avancer l'hypothèse selon laquelle la sorcellerie aurait
trouvé un large terrain de développement parmi les captifs, dont la famille
est souvent inconnue et qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences en
ce qui concerne le mariage, alors qu'elle aurait été beaucoup plus facile-
ment circonscrite chez les nobles en raison du caractère beaucoup plus
sélectif du mariage.
Cette explication de type «historique» permettrait, si elle était véri-
fiée statistiquement, d'étayer l'explication «fonctionnelle» voyant dans la
sorcellerie une autre forme de compensation.
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Une objection pertinente nous a été faite par Luc de Heusch: cette
démonstration suppose... que les sorciers existent! Or, outre que rien ne
permet de le prouver, l'essentiel dans la sorcellerie serait l'accusation de
sorcellerie. Non pas qui est sorcier, mais qui accuse qui d'être sorcier?
Cependant, les sorciers songhay sont, pourrait-on dire, différents des
sorciers de la côte ou des sorciers bantous en ce qu'ils ont une existence
sociale légitime (à défaut «d'exercer» réellement); par contre~ en ce qui
concerne l'accusation, elle, elle n'a pas d'existence sociale (alors que son
objet est réel). Expliquons-nous: la société refuse tout procédé d'accusation
des sorciers. Si l'on attribue une mort à l'action d'un sorcier, il n'est pas
question de savoir qui est l'auteur du méfait. Et si l'on s'en doute, il n'est
pas question de le dire. Ainsi, à la suite d'un décès au village de Tessa,
un génie hauka a brusquement possédé son cheval et a déclaré vouloir
dénoncer le sorcier responsable. On l'a immédiatement fait taire et ceux
là même qui avaient des soupçons très précis (portant sur un des sorciers
connus du village) nous en ont expliqué les raisons: ce serait une source
« d'histoires», la famille de l'accusé interviendrait, cela «gâterait» la
vie du village... Le sorcier n'est d'ailleurs pas considéré comme respon-
sable, il est assimilé, dans la fraction de sa vie - en général nocturne -
où il opère, à une de ces diverses puissances d'au-delà dont nous avons
déjà vu qu'elles sont les symboles de l'agression imaginaire. Il y a, autre-
ment dit, un cloisonnement très strict entre la vie sociale et la sorcellerie,
sans interférences possibles. Cependant, chaque village a ses sorciers, ses
familles de sorciers, dont on vous révèlera un jour, en confidence le J

nom. Pour la société, les sorciers ont une existence réelle et naturelle:
ce sont tel et tel paysan, avec qui l'on plaisante et travaille" et qui, le
soir venu, entreront dans ce monde parallèle et terrifiant des forces sur-
naturelles.
Le sorcier, en tant que personne physique, n'est donc pas agent de
désordre; il n'est, à la limite, que le support d'une puissance qui l'envahit
aussi clandestinement que le génie envahit, lui, publiquement, son cheval.
C'est, mettons, un homme comme les autres, à ceci près qu'il porte, aux
(4)
yeux des autres, une sorte de marque de ce pouvoir ou de cette fata-
lité: il peut être désigné. Il n'est qu'un domaine où le sorcier présumé
soit réellement victime d'ostracisme: celui qui concerne sa descendance,
essentiellement pour les femmes. Car c'est là le moyen privilégié d'une
contagion dont, quoi qu'il en soit, on se garde à tout prix. Par ce biais,
il est donc effectif que les nobles aient la possibilité de se préserver d'un

(4) Sorcier et D1agicien (cerkaw et sohance) sont les seuls cas d'hommes qui
entrent quotidiennement de plein pied dans le monde des forces surnaturelles, et peu-
vent se situer au niveau même d'intervention habituelle des génies. Aussi ont-ils,
et eux seuls, un signe concret de ce pouvoir, inscrit dans leur corps: une chaîne
dans l'estomac du magicien. un œuf dans J'anus du sorcier.
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mariage avec une femme sorcière (réputée telle). Il est donc plausible
que les sorciers (ceux que l'on dit être sorciers) soient surtout circonscrits
aux captifs.
Ce que nous appelions l'explication «historique» n'est donc pas for-
cément mis en question par l'objection dont nous faisions état. Par contre,
l'explication «fonctionnelle » pose problème. Car, si l'on refuse de se
situer sur le terrain de l'existence réelle des sorciers, il n'est plus possible
de dire: «la sorcellerie est une compensation offerte aux captifs» . Par
contre, il est légitime de supposer que «la société (qui «croit» aux
sorciers) estime que la condition des captifs les porte plus particulièrement
à être sorciers» .
Ceci - qui, rappelons-le, reste un exercice d'hypothèse - peut
s'éclairer si l'on ne prend plus la sorcellerie dans sa spécificité, mais
comme une des formes parmi d'autres du «pouvoir magique », qui nous
apparaît, par des indices beaucoup plus probants que ce cas de la sor-
cellerie, exister comme contre-partie de l'éviction du pouvoir politique t f)) .
Nous allons voir que cette théorie de la contre-partie est une théorie
songhay authentique.
A l'opposé de la sorcellerie (qui n'est que malfaisante) mais au
même niveau, les horso (captifs de case) sont réputés comme magiciens
et détenteurs de charmes (en général bénéfiques ou d'auto-défense).
Certes les «purs» magiciens, les sohance, sont des nobles, descen-
dants de Si Ali. Mais ce fait pourrait au contraire confirmer notre hypo-
thèse:
- parce qu'il s'agit là d'une corporation restreinte, aux contours très
_

définis, du fait n1ême du jeu des mariages chez les nobles. Les familles
de sohance sont connues et peu nombreuses. Alors que sorciers ou déten-
teurs de charmes sont légion, les sohance forment une aristocratie de la
magie très fermée.
- parce que surtout il y a là, au sein même du groupe des nobles,
déjà un phénomène de compensation. Les sohance représentent plus ou
moins la lignée écartée du pouvoir par l'Askya Mohammed. Et c'est la
tradition elle-même qui définit deux «voies» (et non l'interprétation de
l'ethnologue) : celle du pouvoÎr, empruntée par les descendants de }'Askya
(et à laquelle se rattachent toutes les petites chefferies songhay), et celle
de la magie, suivie par ceux qui n'ont pas eu accès au pouvoir, les
sohance (H'.

(5) Notons que les captifs détiennent également le pouvoir technique, puisque
tous les artisans sont captifs. Mais le systèl11e des castes limite justement toute
extension de cette compétence vers la sphère du pouvoir politique.
(6) On peut à ce sujet remarquer qu'on ne rencontre que deux types de généa-
logies qui remontent très loin dans le passé: celles des chefs qui, toutes, prouvent
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On aboutirait donc à la situation suivante: dans la vie quotidienne,


dans le domaine «temporel», la division de la société en deux groupes
aboutit, par le jeu des règles sociales et politiques d'une part (mariage,
formes du pouvoir, statut d'ensemble des captifs...), et par le biais du
système idéologique d'autre part (psychologie collective spontanée, repré-
sentations et stéréotypes...) à la constitution de deux modèles de person-
nalité hétérogènes, à la fois opposés et complémentaires (7).
Dans le domaine religieux et magique, par contre, il y a une théo-
rique égalité, une suppression de principe des clivages sociaux. Ce système
permet en fait aux captifs l'accès à diverses formes de pouvoir « spirituel »,
qui sont autant de solutions de compensation.
L'absence de critères «temporels» ouvre ce «chemin» aux captifs;
et en même temps la pression des clivages sociaux les incite plus particu-
lièrement à s'y engager en leur fournissant la possibilité d'y développer
des aspects de leur personnalité normalement brimés ou annihilés: géné-
rosité du génie possédant un danseur, pouvoir respecté dù détenteur de
charmes, transgression des règles par le sorcier, etc.
La nécessité toutefois pour les nobles de garder un contrôle sur le
pouvoir magique expliquerait le rôle de cette aristocratie sohance qui ne
joue qu'un rôle minime au point de vue quantitatif, dans le total des
opérations magiques, mais un grand rôle qualitatif, par sa réputation et
son ascendance. Un charme était en particulier leur propriété exclusive:
celui qui empêche un captif de ~'évader...

c. A nouveau sur la personne.

Il est temps de réexaminer, à la lumière de ce qui a été analysé, la


notion de personne, à la fois en elle-même et dans ses composantes.
Dans les divers exposés présentés, le mot vernaculaire traduit par
« personne» correspond en fait le plus souvent au mot «homme », dans le
sens de «être humain». Le songhay n'échappe pas à la règle: boro
signifie la personne, l'être humain, l'homme, quelqu'un...
Nous avons déjà vu que horcin, noble, peut être, dès qu'il y a

]a fi]iation avec l'Askya Mohammed; celles des Sohance, qui, toutes, prouvent la
filiation avec Si Ali.
(7) Dans quelle n1esure cet édifice bâti d'une façon ou d'une autre par la couche
dominante est totalement accept.é par la couche dominée, c'est une autre question.
Il l'est, certes. Mais l'absence d'une enquête systématique, et les modifications sur-
venues depuis la colonisation. laissent ouverte l'hypothèse d'une révolte idéologique
croissante, sous des formes diverses, des anciens captifs. C'est un problème capital,
rendu plus complexe encore par la politique équivoque des autorités coloniales, puis
de la nouvelle bourgeoisie dominante. sur ce sujet.
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jugement de valeur, même infime et masqué, permutable avec boro. A


son niveau le plus général, le concept de personne est donc déjà marqué
socialement.
Nous voudrions ici, bien que le songhay ne permette pas de pousser
la comparaison jusqu'au bout car il différencie sexuellement la personne
en a/boro (homme) et weyboro (femme), mettre en parallèle la situation
des captifs et la situation des femmes. En effet le français n'est pas la
seule langue à assimiler l'être humain et l'être masculin dans un même
terme, homme; le songhay lui-même peut remplacer boro tare (être un
homme, au sens laudatif) par aru tare (être un mâle). A un certain niveau,
(H
boro == borcin == aru (a/bora) '. Ce n'est pas un hasard: le pouvoir
politique, source principale du système de valeurs, est concentré dans les
mains d'hommes (masculin) et de nobles. C'est-à-dire que deux groupes
sont écartés du pouvoir: les captifs et les femmes (soit près de 80 %
minimum de la population). I]s sont écartés du pouvoir non seulement
dans son sens restreint et concret, la cheffede, mais dans tout ce qu'il repré-
sente potentiellement: le statut d'être humain accompli socialement.
L'exposé de Françoise Izard, mettant en valeur l'univers parallèle des
femmes samos face à leur éviction de fait de l'ordre masculin dominant,
permet d'intéressants rapprochements avec la condition des captifs. Et il
est frappant que dans les deux cas, ces sortes de minorités (ou majorités
silencieuses...) acquièrent des positions privilégiées dans le domaine magico
religieux, corrélativement à leur dépendance dans le domaine politico-
social.
Quant aux composantes de la personne, le plus simple est d'en pré-
senter un tableau récapitulatif.

principes spirituels = personne métaphysique 1. gaham (corps) captif/noble

2. hunde (souf- Ianim é/


fie vital) inanimé
3. biya (ombre, ? (9)
âme)

attributs ==personne psychologique lakkal (in tel- ~indifférenciés


ligence) socialement
bine (courage) )
hawi (honte) noble seulement

sta tu t == personne sociale borcin/banya captif/noble

(8) L'homme, le noble, sont la personne. La femme, le captif. ne sont personne.


(9) Le biya, en tant que la personnalité tout entière, reprend les attributs. et se
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Nous en sommes maintenant revenu au point de départ, mais avec


une image de la personne enrichie de ses multiples implications sociales.
Il est temps d'élargir la perspective et d'examiner le contexte d'ensemble
qui affecte de telle ou tel1e signification les représentations qui ont été
évoquées.

v. Fonctions sociales des phénomènes religieux

Histoire et société n'étant que les aspects diachroniques et synchro-


niques d'une même réalité, il est normal, dès lors qu 'on ne se limite pas
à l'examen des phénomènes religieux dans leur seule organisation interne,
d'aborder de pair les fonctions sociales de ceux -ci, et la période historique
où ils se situent.
En particulier, une ethnologie religieuse conséquente ne .saurait étudier
les systèmes traditionnels en dehors d'une part de l'Islam et de la «civi-
lisation musulmane », d'autre part des bouleversements sociaux du xxe siècle.
Pour ce faire, il est légitime de distinguer deux types fondamentaux
de situation:
- les périodes où l'ordre social, au sens le plus général, et indépen-
damment des fluctuations politiques internes, n'est pas remis en cause:
la religion est alors un élément stable de cet ordre social. Tout ce dont
nous avons parlé jusqu'ici se situait, par définition, dans un tel contexte.
- les périodes de crise du système social, de mutations profondes.
Si J'on pense immédiatement à l'ère coloniale et post-coloniale, il ne faut
pas oublier que, dans la région soudanienne, l'éclatement de l'empire son-
ghay sous les coups des marocains a sans doute constitué une crise d'enver-
gure, et que le passé en a connu plusieurs.

A. La religion comme aspect de l'ordre social.

Dans ce cas la religion détient, outre ses fonctions symboliques, ou


imaginaires, certaines fonctions sociales ou politiques dont le principe

trouve donc soumis aux différenciations sociales: c'est en ce sens que la possession,
en étant une changement de biya, est un changement de personnalité, avec ce que cela
implique comnle changement de statut.
Mais le biya, en tant que principe spirituel, distingue l'homme des autres êtres
animés. C'est également le point de jonction entre l'homme et le surnaturel, en
général lieu d'impa.ct du surnaturel (parfois mênle élément de ce surnaturel, chez
le sorcier ou le magicien). De ce point de vue, le biya fonde théoriquement le prin-
cipe d'égalité, en étant neutre socialement, du fait même de son appartenance au
surnaturel.
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commun est d'assurer la perpétuation de l'ordre. Les modalités sont mul-


tiples: parfois le pouvoir politique aura lui-même une assise religieuse
(culte des ancêtres lignagers, roi-prêtre, etc.); parfois la hiérarchie politique
sera doublée d'une hiérarchie religieuse, ce qui assure une relative division
du travail idéologique (cultes locaux réservés aux anciens détenteurs du
sol, marabouts...).
Mais l'on peut différencier deux fonctions politiques de base. D'un
côté le renforcement et la réaffirmation du pouvoir politique; de l'autre
la neutralisation des contradictions potentielles. Dans le premier cas, le
système religieux renvoie constamment au système social, dont il fait sien
les principes et qu'il invite clairement à respecter. Dans le second cas, le
système religieux masque ou renverse les clivages sociaux. L'un sert direc-
tement l'ordre, l'autre le sert indirectement.
Les deux fonctions complémentaires se retrouvent parfois au sein
d'un même système religieux (cf. le christianisme). Mais, chez les Songhays,
chaque fonction correspond à un système différent. Il y a d'un côté l'Islam,
étroitement lié à la structure disons «féodale» et de l'autre côté la religion
et la magie «traditionnelles» (?) Celles-ci sont fondées, on l'a vu, sur
un «principe d'égalité» qui tranche avec l'organisation dichotomique de la
société. C'est ce que nous avons sommairement appelé mécanismes de
compensation. Ce principe d'égalité est d'ailleurs à rapprocher d'un «prin-
cipe d'inversion» qui n'est qu'une autre forme de neutralisation religieuse
des contradictions sociales. La similitude de fonction de ces deux principes
explique d'ailleurs qu'on puisse facilement passer de l'un à l'autre comme
dans le cas de la possession songhay.
Quant à la complémentarité entre le principe d'éga]ité (fonction de
neutralisation des contradictions) et le principe de hiérarchie (renforce-
ment des clivages) elle explique la longue coexistence entre Islam et pos-
session.
Cependant cet équilibre n'est pas éternel. Il a eu un début, et il a
une fin, qui est proche. Les périodes de transition, dues à des bouleverse-
ments sociaux importants, se caractérisent toujours par l'émergence d'équi-
libres religieux nouveaux aux dépens d'équHibres anciens.

B. Religion et crises sociales.

Dans de telles situations, tandis que certains aspects du système reli-


gieux disparaissent, d'autres se trouvent chargés de fonctions nouvelles
(cf. le développement de la sorcellerie côtière avec la colonisation). En
même temps, de nouvelles formes religieuses apparaissent dans le, ou à
côté du système ancien (cf. mouvements messianiques, hauka, etc.).
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En ce qui concerne le XX~siècle, on constate chez les Songhay une


désaffection progressive à l'égard de la possession traditionnelle, alors que
des formes inédites de possession surgissent, souvent éphémères. Les hauka,
génies représentant les personnages types de la colonisation, génies vio-
lents et écumants, sont en perte de vitesse depuis une dizaine d'années. Le
néocolonialisme et l'indépendance ont-ils suscité à leur tour de nouveaux
génies? Sous une forme directe, analogue aux hauka, non. Assistants tech-
niques et bourgeois africains n'ont pas leur panthéon, à la différence des
militaires et administrateurs d'antan. Cependant, une nouvelle catégorie
de génies a fait son apparition, les mangey (que Rouch a présentés sous
le nom de holey-sassale), qui se caractérisent par leurs injures, leur gros-
siéreté, leurs obscénités. Ce sont des génies «sans honte », qui déclenchent
]a peur, car nul ne sait, semble-t-il, comment les amadouer.
Le dépérissement des hole~v s'explique bien: leur organisation était
fondée sur les structures sociales et ethniques pré-coloniales. Le dépé-
rissement des hauka s'explique tout aussi bien. Nous pensons que l'appa-
rition des mangey ne peut être le fruit du hasard. Qu'il ne s'agisse plus
de génies tainés à l'image des principales forces sociales peut s'expliquer
par les caractéristiques de la période actuelle, vue au niveau des paysans:
le pouvoir n'a plus de signe distinctif (ou en tout cas pas encore) et se
dissout dans une administration lointaine «impersonnalisable»; il n'y a
plus de projection, d'inversion, d'assimilation possible. Une oppression sans
symboles clairs (ce qui ne signifie pas sans responsables connus) ne peut
s'exprimer directement dans le langage religieux; un ordre social changeant
et incertain ne peut se donner une transcription symbolique qui exige sta-
bilité et précision.
Aussi les signes qui se déguisent sous les transes ne sont-ils plus ni
ceux de l'ordre social, nj ceux de l'oppression: ce sont ceux du grand
désarroi paysan. Dans l'incontestable dénuement qui est leur lot actuel,
teinté de peur, de désespoir ou d'angoisse, les villageois recourent à un
langage sauvage, qui se trouve précisément être celui des captifs: le
langage de ]a non-honte, celui du sexe, et de la provocation..
Pour éclairer ces remarques, voici résumée l'explication qu'un infor-
mateur nous donna de la situation politique présente: «de même que les
captifs, libérés au début du siècle, restèrent désorientés et sans pouvoir
réel face à leurs anciens maîtres, de même sommes-nous aujourd'hui dans
une te]Je situation après que les blancs nous aient donné l'indépendance... ».
Ajoutons enfin, en ce qui concerne la crise contemporaine, que des
voies nouvelles d'évasion ou de compensation ont été ouvertes par la
« civilisation », à l'extérieur des circuits religieux: alcool et drogue plus
précisément. L'étude de la « personne» ne saura bientôt plus s'envisager en
dehors de ces phénomènes, à moins d'être elle-même hors de l'histoire
réelle.
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Mais l'histoire n'est pas que contemporaine. Envisager la société «tra-


ditionnelle » comme dotée d'un passé, et ce passé comme affecté de crises,
peut être fructueux y compris pour rendre compte des phénomènes reli-
gIeux.
Peut-être pouvons-nous trouver là une explication au contraste si
frappant entre la pauvreté symbolique des Songhays et la richesse des
systèmes cosmogoniques dogon ou bambara.
En effet les Songhays ont la double particularité d'une part d'avoir
été le seul empire du Soudan Occidental au Moyen-Age à être doté de
l'Islam comme religion d'état, empire ayant procédé à un prosélytisme
massif, et ayant atteint par ailleurs un haut degré de stratification sociale,
et d'autre part de s'être essaimé en de multiples chefferies soumises à la
pression constante des Touaregs succédant aux Marocains. L'éclatement
succédant à l'islamisation intensive a sans doute peu permis le maintien de
systèmes religieux élaborés~ de même d'ailleurs qu'ont volé en éclats bien
des structures sociales considérées comme typiquement africaines: il n'y a
chez les Songhay ni lignages, ni initiation, ni règles de mariage. C'est dire
à quel point le processus de grandeur et décadence de l'empire songhay
a eu des effets profonds.
Nous pensons donc que, en ce qui concerne les Songhay, et contraire-
ment à l'analyse communément admise, il n'y a pas eu simplement super-
position de l'Islam aux religions traditionnelles, mais création d'un équi-
libre tout-à-fait nouveau:
- l'Islam aurait détruit le système religieux à son niveau «méta-
physique », c'est-à-dire dans ses parties les moins opératoires, ce qUI
explique la pàuvreté du savoir théorique,
- la résistance à l'Islam se serait manifestée par la prolifération des
savoirs pratiques, et ceci dans les «points faibles» du système islamique.
Car, en effet, sur quel point l'enseignement du prophète et les acquis de
la tradition sont-ils les plus vagues, si ce n'est dans le domaine des
« djinn », personnages surnaturels capab1es de proliférer selon les lieux
et les besoins? Or c'est justement à ce niveau que se situe l'essentiel des
forces qu'impliquent re1igion et magie songhay (10),
- la fréquence des bouleversements politiques dans la région du
fleuve, le fait que ce dernier soit un lieu de passage et de brassage,
auraient abouti à la constitution d'un système religieux souple, capable
d'intégrer les techniques multiples d'origines diverses, et reposant sur des
notions de base pouvant jouer le rôle de plus petit dénominateur commun;

(10) Nous pensons en outre que J'introduction des danses de possession pourrait
être non pas antérieure nlais contemporaine ou consécutive à l'islamisation (comnle
par exemple le harrisme à J'égard du christianisme), mais place et preuves manquent
ici pour développer cette hypothèse.
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de même, ces contraintes géo-politiques auraient exigées que la fonction


sociale de compensation assurée par la religion soit remplie par le «prin-
cipe d'égalÏté », faute de pouvoir développer des rituels stables et rigides.

VI. Conclusion

Nous voudrions finir par des remarques de méthode, reprenant ce qui


n'est que tentatives éparses dans l'exposé:
1) L'importance même à attacher aux représentations que se font les
sociétés d'elles-mêmes exige à notre avis d'élargir cette notion.
En effet, le souci qu'avait Griaule de restituer le système de pensée
d'un groupe, d'accorder la priorité aux explications des intéressés eux-
mêmes, nous semble avoir constitué le deuxième grand bond de l'ethno-
graphie (Ie premier ayant été le primat progressif accordé à l'enquête sur
le terrain). Mais il nous sem ble indispensable d'élargir les représentations
à d'autres couches que les seuls spécialistes du savoir. De même qu'en
histoire il ne faut pas limiter la tradition orale aux seuls traditionnalistes,
généalogistes ou griots, mais recueillir le savoir des simples paysans, sou-
vent plus riche, de même en ethnologie religieuse, il nous semble capital
de voir la religion « du point de vue de la base», telle que la population
se la représente et la vit réellement: qu'est-ce qui, dans le système religieux,
est opératoire quotidiennement pour le simple cultivateur?
2) Il nous semble de même indispensable que l'étude des phénomènes
religieux fasse place à la notion de contradiction: contradictions internes
à cette sphère, contradiction sociales également. Le système religieux n'est
pas forcément un édifice harmonieux qui n'admettrait qu'une orthodoxie,
c'est aussi un domaine où les cultures s'affrontent, où les écoles rivalisent,
où les théologiens controversent, et où l'ancien résiste inégalement au
nouveau. Imbriquée dans les alliances et les conflits multiples propres au
niveau de l'idéologie, la religion n'y échappe pas. Encore moins échappe-
t-eIle aux clivages sociaux~ qui lui affectent des significations différentes
suivant le statut des uns ou des autres.
3) En même temps que pour la contradiction, nous plaidons pour
l'histoire. C'est sans doute une caractéristique des systèmes religieux que
de se présenter comme éternels, mais c'est un des devoirs du chercheur
que de ne pas tomber dans le piège.
4) Proclamer la liaison dialectique entre religion et société n'a rien
d'original. C'est en outre une profession de foi qui ne coûte rien. Mais
la peur, souvent justifiée, d'un certain «mécanisme» marxiste, le rejet
unanime de la trop fameuse théorie du «reflet », ont maintenu dans le
sous-développement l'étude des fonctions sociales de la religion. Sans nier
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l'importance du symbolisme et de sa logique propre, quelle qu'elle soit,


ne pourrait-on envisager les liens entre religion et société autrement que
comme l'expJication par le symbolique des faits sociaux, ou comme les
relations entre un cadre (la société) et son tableau (le symbolisme)?
Cette «autre lecture» de la religion ne serait ni à sens unique (car
les liens sont réciproques), ni exclusive (car il y a une autonomie de
J'idéologique et du symbolique), mais constituerait une composante
nécessaire de J'étude des faits religieux, comme elle nous semble l'être éga-
lement pour la personne.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION OE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

LE PERSONNAGE DU ROI
ET' LES STR UCTURES SPA TIO- TEMPORELLES

ANNIE M.D. LEBEUF

La documentation rassemblée dans le Nord-Cameroun relative à


l'organisation politique et religieuse des principautés kotoko attira notre
attention sur l'intime relation existant entre la personnalité princière,
le temps.
et l'espace, ou plus exactenlent, sur le fait que le personnage du
prÎnce se trouve doté au niveau de l'ensemble du pays des vertus de la
portion d'espace qu'il dirige et au niveau de sa propre principauté de cel1es
attribuées aux différentes périodes de l'année.
Cela nous amenait à considérer l'existence, dans l'idéologie des
intéressés, d'une complémentarité des personnages pdnciers dans l'espace
et d'un renouvellement de la personnalité de chacun suivant le cycle des
saisons.
Nous avons alors conduit nos investigations dans d'autres régions,
rassemblant une documentation relative aux nonlbreux rituels et méca-
nismes politieo-religieux qui établissent une relation entre ces trois élé-
ments. Etant donné son ampleur, nous avons été amenée à limiter présen-
tement notre démarche à l'étude de cette conjonction telle que la font
apparaître les seules règles de succession et de résidence, et ce dans trois
royaumes seulement, Noupé, Rwanda et Swazi (11.
Bien que ces procédures complexes aient fait l'objet d'analyç;es minu-
tieuses (21, l'attention
des auteurs n'a généraJen1cnt pas été retenue par
l'exposition des conceptions auxquelles elles donnent lieu. L'interprétation

(1) Nous nous réservons d'élargir nos infofIl1ations à une aire géographique plus
large et à des exen1ples empruntés à d'autres institutions dans une publication qui
paraîtra ultérieurenlent.
(2) Cf. en particulier, Sllcces,~i()1l to high Office, éd. par J. GOODY, Cambridge
U'niversity Press, 1966, et M. FORTES, Of Installation Cerenlonies. Proceedings of the
Royal A nthro[J%gica/ Institute of (]reat Britain and Ire/and, 1967, p. 5-20.
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des systèmes de relation qu'elles créent entre la personne du Roi - per-


sonne étant compris dans l'acception de personnage - et les divisions spa-
tiales et temporelles devrait nous permettre une première approche des
idéologies sous-jacentes.
Examinons rapidement l'exemple kotoko. Les riverains des basses
vallées du Chari et du Logone divisent tout espace habité, que ce soit leur
pays, leurs villes ou leurs habitations, en deux régions principales, halaka,
le Nord, et alage, le Sud, séparées par une zone intermédiaire, mzaga,
la limite. A cette tripartition spatiale correspondent sur le plan politique
deux grandes principautés, le Mandage au Nord, le Lagwane au Sud,
séparées par la petite principauté de Kousseri. Nous réservons pour le
moment le cas de cette dernière où nos recherches sont en cours.
A Makari et à Logone-Birni, capitales des deux régions principales,
réside un prince dont la fonction est héréditaire suivant un système
linéaire les familles régnantes n'entretenant entre elles aucun lien de
(:-~),

parenté. Sa demeure s'élève toujours au centre de l'agglomération, sur la


limite, et jusqu'à une date récente, il y menait une existence semi-
recluse (4 I .
L'étude comparée du mythe de fondation de ces deux capitales, Nord
et Sud, et des rites accompagnant la nomination et J'investiture princière
fait apparaître une série d'oppositions particu1ièrement significatives en
ce sens qu'elles mettent l'accent sur deux aspects distincts du personnage
princier UiI.

En résumé, le Prince du Nord est le descendant d'un héros conqué-


rant qui fonde son autorité sur le meurtre du serpent mythique, auquel il
se substitue. Ce sacrifice permet l'aménagement de l'espace urbain depuis
un centre où il s'établit, sur la limite, entre les quartiers Nord et Sud qui
rayonnent jusqu'à l'enceinte. Le Prince du Sud rattache sa généalogie au
sage qui à l'origine des temps éleva sa demeure sur l'espace privilégié
séparant les quartiers Nord et Sud qui obéissent à un plan linéaire.
Lors de la vacance du trône, dans le Nord, l'héritier est désigné à la
suite d'un exploit, il est celui qui le premier parmi les postulants gravit les
marches du trône, dans le Sud, ce sont les puissances surnaturelles qui le
désignent directement.

(3) La succession se faisait autrefois en ligne horizontale; aujourd'hui, les frères


ont tendance à être évincés au profilt des fils. Parmi ceux-ci, sont éliminés ceux dont
la mère fut une épouse légitime du Roi; la primogéniture n'implique aucun droit
particulier.
(4) Considéré comme une sorte de pivot cosmique le Prince ne pouvait quitter
sa demeure sous peine de désaxer l'univers.
(5) Cf. A.M.D. LEBEUF, Les principautés kotoko. Essai sur le caractère sacré
de l'autorité. Ed. du C.N. R.S., 1969.
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Dans les deux régions considérées, les cérémonies d'investiture


obéissent au même schéma: une retraite, une sortie avec présentation
aux ancêtres et aux animaux tutélaires, la remise d'emblèmes, l'hommage
de la population. Mais, dans Je Nord la retraite dure 6 jours (chiffre
céleste), elle se déroule dans une habitation légère construite sur la plus
haute terrasse du palais, dans le Sud sa durée est de 7 jours (chiffre
terrestre), dans une maison à demi-souterraine; à leur sortie, le prince de
Makari est habillé en blanc, celui de Logone est dissimulé sous des vête-
ments noirs, le premier après avoir reçu trois principaux emblèmes, un arc,
une sagaie) une épée, prend à pied la tête d'un cortège qui le mène au
lieu du meurtre du serpent mythique où il procède lui-même à un sacrifice
devant la foule assemblée; le second reçoit un «chasse-mouche» et un
bâton de commandement puis est emmené en litière au principal sanctuaire
de la cité où sa présentation aux ancêtres se fait à huis clos. Dans le Nord,
le cortège effectue une circumambulation dextrogyre, dans le Sud, cette
même marche est lévogyre.
Toutes ces manifestations mettent l'accent sur le caractère viril,
guerrier, dynamique du prince septentrional, et le caractère passif, conci-
liateur, féminin de celui du Sud; l'un et l'autre se trouvant investis des
qualités et des vertus que J'idéologie kotoko attribue aux domaines de
l'espace dont ils ont la charge. Au niveau du pays tout entier conçu ~
l'image du monde, ils incarnent respectivement les deux principes fonda.
mentaux qui animent l'Univers.
Si nous nous situons maintenant au niveau de chaque principauté,
chacune est la réplique du système de représentation dans son entier et la
personnalité du prince va se modeler sur le rythme du temps.
L'année kotoko se divist; en trois saisons qui sont respectivement
associées aux mouvements des eaux: montée, décrue, étiage. Chacune de
ces périodes possède sa propre nature qu'épouse la personne du Roi.
Leur symbiose est si intime que l'on ne peut dire si c'est la venue d'une
nouvelle saison qui règle son comportement ou si, au contraire, ce sont
ses changements d'attitude qui assurent son apparition.
L'année s'ouvre avec deman, saison des pluies, qui est une période
féminine; on dit « deman est comme la femme qui accouche d'un enfant».
Le Prince du pays lagouané réside alors dans la chambre centrale du
palais, pièce à demi-souterraine, massive, dont les parois intérieures sont
ornées de motifs symbolisant les alvéoles de la termitière, matrice du genre
humain. Comparé à la reine termite, il est supposé procréer sans répit,
engendrer tout ce qui va renaître.
Dès que les eaux ont atteint leur maximum, il quitte cette habitation
et va s'établir dans une petite construction légère édifiée sur la plus haute
terrasse de sa demeure.

29
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Sa sortie de la pièce du rez-de-chaussée simule un véritable accou-


chement. Elle correspond non seulement à la renaissance de la nature qu'il
est censé avoir assurée, mais encore elle marque sa propre renaissance,
et c'est du pas lent et indécis de l'enfant qu'il rejoint sa nouvelle chambre.
Le chemin qu'il emprunte porte un nom: darba mare, la voie du
serpent. Son tracé décrit à 6 reprises un angle droit épousant les ondu-
lations du corps du python, image du mouvement de la vie; les Kotoko
le désignent également en ces termes, lown na m.isamme, (la) marche pour
les humains (t».
Le Prince a alors quitté la terre pour s'établir sur les hauteurs,
c'est-à-dire dans le ciel. Il y demeure jusqu'à l'étiage, pendant toute la
saison de sima, qui, comparée à l'enfance, est à la fois masculine et fémi-
nine. Aucun des traits qui appartiennent en propre à l'un ou l'autre sexe
ne doit, dans son caractère, dominer; il est à la fois homme et femme;
période de repos, de visites, d'abondance, il récolte ce qu'il a semé et
assure la distribution des richesses.
Dès que les eaux sont basses, le Prince va redescendre et réintégrer
n'importe quelle chambre du rez-de-chaussée. S'ouvre la saison dite klesa,
période virile, sèche comme l'homme, par opposition à la femme qui est
humide. Il revêt alors l'aspect du géniteur par excellence.
Ainsi, au cours d'une année ce personnage est successivement placé
sous les signes de la féminÜé, de l'androgynie puis de la virilité. II engendre
toute la création, reçoit et distribue toutes les richesses puis féconde la
nature entière; trois comportements successifs différents auxquels corres-
pondent, comme nous venons de le voir, trois chambres à coucher dans
le palais, la première à demi-souterraine, la seconde sur la hauteur, la der-
nière, sur terre (fig. 1).
Sur un autre plan, chaque cycle annuel entraîne une révolution com-
plète de sa propre existence: il naît, croît et atteint l'âge d'homme avant
de renaître au cycle suivant. Son habillement, son régime alimentaire
suivaient autrefois le même rythme et encore actuellement certaines survi-
vances sont observables (71.
Dans les royaumes où l'autorité suprême est dévolue alternativement
à deux familles ou successivement à plusieurs suivant un système tournant,
(H I
la relation qui nous intéresse est clairement mise en évidence

(6) A.M.D. LEBEUF, ouv. cit., p. 285.


(7) Il existe également un cycle septennal marqué par des cérémonies impli-
quant l'autosacrifice du personnage princier et sa régénérescence liée à la réfection
de l'espace urbain, cf. A.M.D. LEBElJF, ouv. cit., p. 308 et s.
(8) Sur les très nombreux systèmes successoraux dans lesquels le transfert de
l'autorité s'accompagne d'un déplacetnent spatial, cf. J. GOODY, Circulating succession
among the Gonja, in Succession to high office, p. 157. 172 et s.
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451

~ jCie. d~ d

PLUIES! SAIS~E~~~~CHE I I
I SAISO~~E: SA1:~~~~AUDE

MOUVEMENT DES EAUX ET PIECES D'HABITATION DU PRINCE

FIG. 1

Chez les Noupé, par exemple, depuis l'installation peuIe au siècle


dernier, la royauté est entre les mains de trois familles qui, suivant un
cycle régulier, ont, à tour de rôle, un héritier sur le trône. D'après Nadel,
ces trois dynasties remontent aux fils de Mallam Dendo: Usman Zaki et
Masaba, et à son petit-fils, Vmaru, lui-même fils de Majigi, frère des pré-
cédents. Chacune est établie dans un des trois principaux quartiers (ekpii)
de la capitale1 Bida, et cette tripartition de l'espace urbain se prolonge
dans la province qui entoure la ville de telle sorte que la famille d'Usman
Zaki possède la région orientale, celle de Masaba, la région occidentale
et celle d'Umaru Majigi, celle du Sud (H).
Les héritiers de chacune de ces maisons se succèdent au trône suivant
une stricte rotation; de plus, lorsque le chef de l'une d'elle prend le titre
de Roi, Etsu, le dignitaire qui est à la tête de la maison suivante dans la
succession prend celui de Shaba, héritier présomptif, et le responsable de
la troisième maison celui de Kpotu (fig. 2).
Si Nadel insiste sur ce double mouvement rotatif et le fait que « chaque
privilège ou possession liée à la royauté montre un arrangement tripartite»,
il ne nous dit malheureusement rien sur l'idéologie sous-jacente. Néanmoins,
à plusieurs reprises il insiste sur le fait que chaque souverain mène une
politique opposée à celle de son prédécesseur et fournit un certain nombre
d'informations relatives à la biographie et au comportement de plusieurs

(9) Ph. D. NADEL, A Black Byzancium, Oxford University Press, Londres, 1942,
p. 81. 88. 89.
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d'entre eux (10). De leur confrontation il semble ressortir que la politique


royale ne s'oppose pas au niveau des individus mais des familles, de telle
sorte que chaque roi, suivant la maison à laquel1e il appartient - stricte-
ment liée à une région de l'espace -, mène une politique qui paraît
conforme à celle du fondateur de sa lignée. Usman Zaki aurait donné un
essor particulier au développement agricole et commercial, tandis que
Masaba apparaît comme un homme de guerre, un conquérant et Umaru
Majigi comme un «musulman fanatique» (11); d'après les quelques indi-
cations fournies, leurs descendants semblent se conformer aux mêmes
caractères (12).
Ces remarques demandent à être vérifiées davantage, approfondies et

(10) Ph. D. NADEL, ouv. cit., p. 90. 118, 119, 199.


(11) Ph. D. NADEL, ouv. cil., p. 80, 82, 199, 201.
(12) Cette hypothèse de complémentarité fonctionnelle des familles régnantes
s'appuie également sur les observations faites par D.J. STENNING chez les Peuls du
Fouta Djalon, selon lesquelles ces derniers confiaient alternativement les fonctions
administratives aux représentants de deux groupes, les Soriya et les Alfaya, associés,
le premier, à la guerre, le second, à la religion (Savannah Nomads. Londres. 1959.
p. 14).
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étendues mais il paraît difficile de vouloir les négliger, les impératifs poli-
tico-économiques invoqués généralement pour expliquer ces systèmes poly-
dynastiques nous paraissant insuffisants.
Examinons maintenant un autre type de succession cyclique ou tour-
nante pour lequel la rotation ne s'établit plus au niveau de l'appartenance
de l'héritier à une branche dynastique particulière, mais à celui du nom
que reçoivent à tour de rôle les descendants d'une même lignée.
L'ancien Rwanda nous offre ainsi l'exemple d'une institution où sont
hautement valorisées les relations entre un personnage royal dont le nom
infère un comportement idéal, et la position qu'il occupe dans le cycle
successoral.
On ne relève pas comme dans les systèmes précédents cette intime
~orrélation entre Temps et Espace ou, tout au moins, si cette corrélation
existe, l'un et l'autre ne procèdent pas du même découpage: il n'y a pas
identité entre domaine spatial et domaine temporel mais déroulement
cyclique du temps décomposé en quatre périodes dans un espace bipartite.
D'après d'Hertefelt et Coupez, depuis le XVIICsiècle «les règnes des
souverains étaient périodisés en cycles de quatre rois dont les noms dynas-
tiques se suivaient dans un ordre fixe. Chaque cycle était ouvert par un
Roi Vacher -- nous nous permettons de préférer à ce dernier terme celui
de Pasteur - qui portait alternativement le nom de Cyirima ou de Mu-
tara», lui succédaient deux Rois Guerriers portant les noms de Kigeri et
de Mibamwe qui étaient suivis par un Roi Forgeron, Yuhi, «de telle sorte
que la succession se structurait selon le modèle suivant: Cyirima.. Kigeri,
Mibamwe, Yuhi, Mutara, Kigeri, Mibamwe, Yuhi, Cyirima, etc.» (1::1)
(fig. 3). -

D'Hertefelt ajoute, d'autre part, qu'à «la périodisation cyclique du


temps correspond une division rituelle de l'espace en deux moitiés, séparées
l'une de l'autre par la rivière Nyabarongo qui décrit une large boucle à
travers le Rwanda central ». L'auteur désigne la région sise à l'intérieur de
cette boucle «première moitié sacrée» et la partie extérieure à ce péri-
mètre «seconde moitié sacrée» (14).
Ceci étant posé, il existe des règles de résidence strictes en liaison
avec ces différents règnes ou plus exactement avec le personnage de chaque
Roi.

(13) M. D'HERTEFELT et A. COUPEZ, La royauté sacrée de l'ancien Rwanda,


Musée Royal de l'Afrique Central, Annales, Série in-811 Sciences Humaines, n° 52,
Tervuren, 1964, p. 478.
(14) D'HERTEFELT, ou\'o cit., p. 51, 479. Cette seconde moitié correspondant à
la région où sont situés tous les cimetières royaux, il semble permis de mettre ces
deux zones respectivement en relation avec «le monde des vivants» et le «monde
des morts».
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MUTARA (Pasteur)
(Guerrier)
3. MI BAMWE ( Guerrier)
4. YUHI (Forgeron)
1'. CYIRIMA(Pasteur)

FIG. 3

Cyirima et Mutara, les Rois Pasteurs qui alternativement ouvrent le


cycle, étaient, nous dit-on, avant tout préoccupés d'assurer la prospérité de
l'élevage et de l'agriculture; il leur était interdit de s'associer à une expé-
dition guerrière quelle qu'elle fût. Ils étaient tenus de résider, la première
partie de leur règne dans la première moitié du pays, et la seconde dans
l'autre, ne pouvant franchir la Nyabarongo qu'une fois dans leur vie (15).
Ces deux périodes étaient séparées par un rituel extrêmement important
dÏt «rituel de l'abreuvage» à l'occasion duquel le Roi Pasteur vivant
reconduisait la dépouille du .Roi Pasteur du cycle précédent jusqu'au cime-
tière situé dans la seconde moitié où elle n'était définitivement enterrée
qu'après la mort du Roi vivant (16). Ce double transfert, et de la dépouille
mortuaire du Roi Pasteur et de la capitale du Roi vivant entraînait
«le renouvellement total du temps dynastique et de la royauté» (17).

(15) D'HERTEFELT, ouv. cit., p. 70-71, 454, 474.


(16) Ceci met l'accent sur le chavauchement ou l'intime imbrication des cycles
les uns avec les autres.
(17) D'HERTEFELT, ouv. cit., p. 52, 94 et ss., 213 et 340. Ce grand rituel ne
pouvant être exécuté du vivant de la Reine-Mère (M. D'HERTEFELT et A. COUPEZ,
ouv. cil., p. 328), le problème des relations entre le Roi et cette dernière tel qu'il
fut exposé par J.J. MAQuET (Le système des relations sociales dans le Ruanda ancien,
Annales du Musée Royal du Congo Belge, Tervuren, 1954, p. 147-]48) et L. DE
HEUSCH (Essais sur le symbolisme de l'inceste royal en Afrique, Université Libre de
Bruxelles, Institut de Sociologie Solvay, Bruxelles, 1958, p. 55 et s.), entre autres,
demanderait à être reconsidéré: la présence de la reine-mère n'est plus «essentielle»
et il est même obligatoire que le Roi Pasteur gouverne sans elle pendant toute la
seconde partie de son règne.
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Il faut savoir, de plus, que les rois pasteurs étaient les seuls à être associés
après leur mort aux règnes de leurs quatre héritiers successifs ~ quand
un roi pasteur mourait (dans la moitié II) sa dépouille boucanée était
ramenée dans la moitié I par son fils, le premier des rois guerriers, où elle
demeurait jusqu'à l'avènement du fils de son arrière petit-fils qui, dans
le milieu de son' règne, comme nous venons de le voir, la transférait au
(1S)
« pays des morts» .
Les deux rois suivants étaient des rois guerriers « avides de conquêtes»
écrit Kagamé qui ajoute que «sous leur gouvernement, le rythme normal
(1H). Ils n'étaient soumis à aucune
du pays est celui de la guerre incessante»
restriction dans le choix de leur résidence. Yuhi, leur successeur, le Roi
Forgeron, ne pouvait, à son tour) mener d'action militaire ni quitter, durant
son règne, la province centrale, le franchissement du fleuve lui était stricte-
ment interdit (20).
Ainsi la fixité du Roi Forgeron s'opposait à la mobilité des Rois
Guerriers tandis que les Rois Pasteurs étaient astreints à deux résidences
successives (fig. 4).
On aimerait être en mesure d'étudier les conceptions qui tendent à
justifier ce détern1Înisme et, d'autre part, pouvoir analyser les incidences
de ces manières d'être successives sur l'histoire de l'institution elle-même,
son fonctionnement et le système de relations dans lequel est impliqué
chaque personnage royal, en particulier.
Un dernier exemple illustre le cas d'un personnage royal non plus
associé dans le temps ou dans l'espace avec un ou plusieurs autres per-
sonnages mais dont le règne se décompose en autant de périodes que de
nouveaux dom-aines spatiaux. Les Swazi possèdent un système successoraJ
unilinéaire et les rois semblent être toujours investis de fonctions compa-
rables mais ils ont une vision du développement physiologique de la per-
sonne du Roi qui se traduit par l'extension de l'espace où il vit. H. Kuper
insiste sur cette évolution parallèle du plan des villages royaux et de la
croissance du roi: à chaque étape de son développement corporel corres-

(18) Cette association de quatre rois sllccessifs au Roi Pasteur précédent dont la
dépouille réside temporairement dans la n10itié I est à rapprocher, pensons-nous,
du fait que ces quatre rois sont également soun1is dans le choix de leur épouse prin-
cipale à la volonté de ce Roi Pasteur cornn1e le signale A. KAGAME (La /lotion de
génération appliquée el la {:énéalogie dynastique et à J'histoire du Rwanda des X-XIe
siècles à nos jours, Mén10ire de l'Acadén1ie Royale des Sciences Soloniales, N .S.T.,
IX. fasc. 5, Bruxelles, 1959, p. Il) et surtout M. D'HERTEFELT et A. COUPEZ (ouvr.
cit., p. 334) contrairen1ent à l'avis de L. DE HEUSCH qui estin1e que cette obligation
ne touche que trois rois (Le Rwanda et la civilisation interlacllstre, Université Libre
de Bruxelles, Institut de Sociologie. Bruxelles, 1966. p. 124).
(19) A. KAGAME, op. cÏt., p. 67.
(20) D'HERTEFELD, ouv. cit., p. 49, 55, 495. Contrairement à tous les auteurs,
L. DE HEUSCH attribue à Yuhi la fonction de «roi vacher ». ou\'. cit., p. 125.
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456
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1 : ROI PASTEURMUTARA
l' : ROI PASTEURCYIRIMA
2 1 ROIGUERRIER
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0 ROI VIVANT
DEPOUILLE
DEPOUillEDUROIPASTEUR
DU ROI PASTEUR MUTARA
CYIRIMA(1')
(1)

3 : ROI GUERRIER MIBAMWË DEAMBULATION DES ROIS VIVANTS


--+
4 :ROI FORGERON YUHI __-+ DEAMBULATION DES ROIS MORTS

FI(,. 4

pond une nouveIJe résidence et l'emploi dans la construction même des


bâtiments d'espèces végétales correspondantes. L'auteur ajoutant, d'autre
part, que périodiquement les rois vont réoccuper les capitales abandonnées
par leurs prédécesseurs (21" il est permis de supposer que s'établit alors
une relation privilégiée non seulement entre espaces et temps mais égale-
ment entre personnages royaux; en l'absence de données sur l'emplace-
ment de ces capitales, les itinéraires tracés par leurs déplacements et
leurs réoccupations successives, la question demeure ouverte.

Le temps se décompose en périodes, l'espace se partage en domaines


liés à autant de personnages qui mis en relation les uns avec les autres
illustrent chacun des vertus dont sont dépourvus tous les autres, comme
si le Roi était toujours la somme d'un certain nombre de personnages.
Il est soit associé à plusieurs partenaires dont les fonctions se complètent,
soit soumis individuellement à des comportements successifs qui, dans les
deux cas, obéissent à ce découpage~ les unités spatiales et temporelles
étant ou dissociées ou confondues.
Le prince kotoko est à la fois celui de Makari et celui de Logone,
celui qui incarne les vertus septentrionales et méridionales (22), de même

(21) H. KUPER, A n A friean A ristoeraey, International African Institute Oxford


University Press, Londres, Oxford, Toronto, 1969, p. 72 et s.
(22) Sur un autre p]an il est également ]ui-même et son prédécesseur, mais étant
donné le développement que demanderait ce sujet il ne peut être abordé ici.
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l'Etsu est la somme des trois personnages qui tour à tour règnent à l'orient,
à l'occident et au sud, valorisant, semble-t-il, chaque fois une fonction
spécifique.
Au Rwanda, plusieurs personnages échelonnés dans le temps font le
M wami, et les règles assignées à sa résidence se conforment aux modèles
qu'il représente successivement: le pasteur, le guerrier et le forgeron. Tandis
qu'au Swaziland, le découpage s'opère au niveau de l'individu, mais là
encore, chaque période va s'inscrire dans un domaine correspondant.
Il en est de la composition de la personnalité du Roi comme de celle
de tout espace sacralisé qui est à la fois une représentation de l'univers
dans sa totalité et une des parties constitutives de cet univers. Les notions
qui ordonnent les systèmes qui fractionnent l'étendue et rythment le temps
sont loin d'être maîtrisées. Mais il convient de reconnaître qu'un même
personnage va revêtir des aspects contradictoires si les architectures tem-
porelles et spatiales dans lesquelles les idéologies considérées appliquent le
jeu des corrélations ne sont pas cernées, et nous aurons de lui une image
incomplète si notre observation n'opère pas à ces différents niveaux.
C.N.R.S. (R.C.P. 117) et I.N.T.S.H.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTIONDE PERSONNEEN AFRTQUE NOIRE

LA PERSONNE DU POUVOIR
OU LA SOUVERAINET'É DU SOUVERAIN
EN PA YS MAWRI
(Rausa du Niger)

M.H. PIAUL T

Ce qu'est, ce que représente, ce qu'assume un souverain dans une


société donnée, dépend de nombreux facteurs parmi lesquels interviennent
essentiellement l'idéologie dominante et son rapport avec les idéologies des
sous-cultures qu'elle englobe, les fondements pratiques de cette idéologie
ainsi que les rapports de production et les relations sociales qu'elle exprime,
le moment particulier de J'histoire qui incarne en un individu particulier
l'un des modes possibles de réalisation de la souveraineté. C'est ce dernier
facteur qui rend difficile l'approche de la personne du souverain en ce
qu'il renvoie aux différentes effectuations du pouvoir qui, sans mettre
nécessairement en cause la représentation même de ce pouvoir dans une
société donnée, définissent 1e champ de ses modalités ainsi que les ruptures
normatives qu'entraînent éventuellement certaines de ses réalisations.
Un balancement continu s'opère entre la règle du pouvoir souverain
et les gestes qui le réalisent, les actes qui le rendent visible, le démontrent,
et par là même démontent l'ordre théorique; il y a un permanent jeu de
miroir entre la personnalité vécue du souverain (vécue par lui-même et par
la société qui s'exprime en lui et sur laquelle il imprime sa marque) et l'idée
ou représentation du souverain en tant que personnification de l'ensemble
social définissant sa maîtrise de lui-même et de J'espace géo-politique qu'il
domine. Dans les sociétés hiérachisées où s'est instaurée une évidente stra-
tification sociale déterminée par le rapport de chacun à la production,
le gouvernement est toujours l'expression de la classe sociale dominante
qui tend à s'identifier à l'ensemble qu'eHe domine. Là où les distinctions
entre classes sociales ne sont pas opératoires et cèdent le pas à des distinc-
tions historico-fonctionnelles inscrites dans des statuts impératifs, théori-
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quement fixés et quasiment héréditaires (l'absence de mobilité sociale est


alors un principe reconnu et fondamental à «l'ordre des choses») et
lorsqu'il existe un domaine spécifique du politique, le souverain représente
lui aussi cet «ordre des choses», mais sa place et son appartenance
échappent à l'analyse du seul rapport des forces. Le souverain réunit et
par là même distingue les deux domaines du religieux et du politique et
c'est précisément la nature de cette union dans un office qui définit la
personne du souverain, symbole nécessairement actif de l'édifice dont il est
la clef de voûte: achèvement puisque sa domination constitue véritable-
ment l'ensemble mais aussi principe d'une totalité dont il assume et assure
le déroulement.
En pays mawri (1 J) la notion de pouvoir politique ne s'est dégagée
que très lentement et en définitive très récemment de celle de puissance.
Toute puissance, naturelle ou sociale, est sans limite et par là même trans-
cende les valeurs normatives qui nous sont familières, de bien et de ma1.
La puissance est simplement dangereuse, elle n'est ni bonne, ni mauvaise
et l'entreprise des hommes et de la société consiste, au mieux, à la contrôler,
en général à s'en accommoder par des actes qui tentent d'en canaliser les
effets ou d'en neutraliser les conséquences. Dans les chants de louanges
adressés au souverain, l'on dit: «zuma ya daDi ga f. ada », c'est-à-dire
« le miel (du pouvoir) est bon et il est dangereux ». Ainsi le pouvoir sou-
verain lorsqu'il est investi en un individu, transforme son dépositaire et
en fait en quelque sorte le réceptacle des forces à l'œuvre dans l'espace
géo-politique et social occupé par l'ensemble mawri.
Le souverain mawri apparaît comme à la fois responsable et manifeste
de l'équilibre dynamique de la société, tout désordre grave lui étant impu-
table, au point que son existence individuelle puisse être en ce cas suppri-
mée. En tant qu'être humain, le souverain doit sans cesse prouver sa
capacité à assumer le pouvoir: son existence doit être une provocation
permanente à l'égard de l'ensemble des prétendants possibles. En tant que
souverain son pouvoir est pratiquement sans limite si ce n'est la survie
même de la société qu'il ne peut provoquer que dans la limite de sa capacité
à subsister. La conduite même du souverain n'est pas soumise à la normalité
(na kullum) et bien au contraire marque par ses infractions une capacité
à surmonter la contrainte à laquelle tous les hommes sont soumis. Il y a
donc un va-et-vient permanent entre l'individu et la souveraineté qu'il
assume, la mise en question de l'un assurant la totalité de l'autre qui ne
peut s'exercer qu'en ce qu'elle recense tout pouvoir et toutes les puissances.
Comment accède-t-on au pouvoir? cela est bien entendu déterminé

(1) Le pays mawri est situé au Niger à 300 km à l'Est de la capitale, Niamey,
entre le 13'! et le 15(- parallèle; il constitue la limite occidentale de l'aire d'expression
ha usa.
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par des règles mais dont l'énoncé permet de réaliser qu'elles ne sont géné-
ralement pas appliquées au point qu'il m'a longtemps paru qu'en pays
mawri les principes mêmes d'accession à la souveraineté avaient pour fonc-
tion d'être transgressés. Je ne m~étais cependant pas interrogé sur la nature
exacte de cette transgression non plus que sur le sens qu'elle pouvait avoir.
Cette rupture dont l'importance était d'autant plus évidente que sa cons-
tance aurait dû renvoyer à la formulation d'autres règles, me paraissait
distinctive du système mawri; malgré cela, je ne faisais pas autre chose
qu'en reconnaître l'importance alors qu'elle paraissait aller de soi et sans
prendre tout son sens de transgression pour mes informateurs que la contra-
diction entre les règles, impératives, qu'ils m'énonçaient, et les événements
qui auraient dû en être l'illustration, n'embarrassait nullement. C'est sans
doute que ce qui m'apparaissait comme une contradiction entre théorie
et pratique de l'héritage souverain n'était de ma part qu'une confusion et
une identification abusive de l'énoncé des modalités rituelles de la succession
avec des règles opératoires qui en réalité se trouvaient investies dans ce
rapport entre rite et pratique. Mais regardons plus précisément ce qu'étaient
les «règles» énoncées et quelques exemples de leur mise en pratique.
Nous verrons en chemin éclairée une contradiction de même ordre et qui
se révèle en de nombreuses sociétés, contradiction toujours apparente
lorsque l'on aborde les relations entre les maîtres du sol et les maîtres des
hommes, entre prêtres et souverains, entre autochtones et conquérants,
entre religion et politique.
En pays mawri, deux groupes constituent l'ensemble désigné sous ce
nom: d'une part les Gubawa, premiers occupants du sol, chasseurs peu à
peu sédentarisés, obéissant aux règles d'une organisation clanique sous la
direction de prêtres-doyens responsables de cultes liés aux ancêtres et à
l'environnement naturel; d'autre part les Arewa, conquérants progressifs,
instigateurs d'une organisation politique sur le modèle des Etats hausa sous
l'autorité d'un souverain, le Sarki'n Arewa dont le pouvoir séculier est en
quelque sorte légitimé par l'accord nécessaire et cependant non suffisant
des prêtres-doyens des Gubawa. En essayant de distinguer rapidement ce
qu'est le prêtre-doyen et comment il est nommé, puis les règles et le mode
explicite d'accession au pouvoir du Sarki, peut-être sera-t-il possible de
formuler quelques hypothèses sur ce qu'on pourrait appeler la personne
du souverain; sans doute est-elle identifiable à l'idée de souveraineté en ce
qu'elle reflète et exprime une notion de totalité ou d'ensemble socio-poli-
tique inscrite dans les personnes, dans l'espace et peut-être aussi dans le
temps.
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Les prêtres-doyens

Incarnation de l'ancêtre fondatrice et première occupante du sol, une


femme, la Sarauniya, exprime la permanence d'un accord entre la Nature
et ses occupants. Garante de la fécondité et de la possibilité de germina-
tion pour l'ensemble du territoire qu'occupent les Mawri, elle vit cloîtrée,
dégagée de tous liens familiaux et son existence renvoie à la relation
fondamentale des hommes et de la terre. A la suite de la première Sarau-
niya, de petits groupes d'origines diverses sont venus s'installer dans la
région. Les prêtres-doyens de ces clans recevaient de la Sarauniya une
sorte de délégation de pouvoir pour une portion définie de territoire sur
laquelle ils agissaient, ou plutôt à l'intérieur de laquelle ils assuraient leur
insertion par des actes sacrificiels. Le premier de ces prêtres, le Bawra,
forgeron ayant abandonné la pratique de son métier sur .les injonctions
de la Sarauniya, outre les fonctions qu'il assume comme tout prêtre pour
son propre clan et qui couvrent la totalité des activités de production
sociale et économique, assume pour l'ensemble mawri les rituels et sacri-
fices de préservation à l'égard de la nature non cultivée. C'est en ce sens
que les hommes, qu'ils appartiennent à son clan ou non, font appel à
lui pour préserver la Nature cultivée des dangers que représente la Nature
naturelle avant, pendant et après les travaux des champs.
Le groupe des premiers occupants du territoire, les Gubawa, qu'on
peut appeler «maîtres du sol» en ce sens qu'ils ont les premiers consti-
tué les alliances avec les forces de la nature, ceux qui s'appellent eux-
mêmes 'yan Kasa, les enfants de la terre, se trouvent donc régis d'abord
par l'ordre d'arrivée des sous-groupes qui le constituent; ceci implique une
préséance dans l'ordre religieux que masque opportunément la distribu-
tion dans le temps, au cours du cycle annuel, des fonctions sacrificielles.
A cet ordre correspond celui de l'alliance et de la parenté où la relation
entre aîné et cadet et la relation entre 'yan maza et 'yan mata, fils des
hommes et fils des femmes, commandent le partage des responsabilités.
Le prêtre-doyen résume d'une certaine façon l'organisation de la
parenté et l'ordre religieux. Ces deux niveaux cependant, même dans la
personne du prêtre, ne se développent pas avec un parallélisme absolu:
le prêtre, s'i1 appartient au lignage le plus ancien, n'est pas obligatoirement
l'aîné du lignage car son office n'est pas seulement une fonction qu'il
assume, mais un sacerdoce qui peut transformer la nature de son digni-
taire. Il est à la fois agent de l'esprit du sous-groupe, déposé dans ce
que l'on appelle « les affaires du sacrifice», abubuwan sahi, et il mani-
feste de façon permanente cet esprit dont il porte en lui la puissance
dangereuse. Officiant du culte, il incarne en même temps ce en quoi le
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clan se reconnait, le sahi, le sacrifice, dont il porte le nom, abandonnant


ainsi son identité propre et en tant que prêtre, mai sahi, ce qui désigne
tout homme, son appartepance à une gida, sa mai~on ou son lignage
(dangi). Le prêtre est aussi le signe de l'ancienneté du groupe et son
mode de désignation fait de lui le doyen, celui qui aux premiers temps
a conclu une alliance avec les puissances naturelles qui occupaient l'endroit
où le clan s'est installé. Son mode de désignation échappe en effet à la
manipulation humaine. C'est le cadavre même du prêtre décédé qui, porté
sur un lit de tiges de mil, entraîne ses porteurs vers celui qui doit lui
succéder, au cours d'une cérémonie appelée tarkama. Désormais esprit
incarné de son clan, c'est à travers lui et quelles que soient les distances,
les dispersions dans l'espace, que chaque individu vivra son appartenance
au clan, dans le partage d'un même tada, d'une même série d'interdits,
et dans la participation nécessaire aux sacrifices opérés par le prêtre-
doyen.
Les différents clans formant le groupe des Gubawa, engagés les uns
avec les autres par les al1iances matrimoniales, disposant de terres assez
vastes pour éviter les compétitions territoriales, fondaient leurs relations
sur l'antériorité d'occupation du sol, exprimée en terme de parenté et
manifestée par la complémentarité des fonctions sacrificielles des prêtres-
doyens. Au centre, la femme germinatrice, Sarauniya, solitaire et silen-
cieuse, sans postérité ni ascendance biologique, eHe ne doit avoir ni mari,
ni enfant, et sa désignation par tarkama l'identifie à celle qui l'a précédée,
comme si elle s'instaurait dans un temps immuable marqué seulement
par la série répétitive des saisons. On lui fait des offrandes de sel et de
coton écru ~ais elle ne sacrifie à personne qu'à elle-même, à l'esprit
Sarauniya. Autour d'elle se distribuent les clans dont les prêtres assument
les sacrifices nécessaires, chacun pour un moment particulier de l'année
et pour un secteur de l'univers. Ces prêtres, identifiés à leur propre clan
par le nom qu'ils portent, sont cependant aussi des officiants sacrificateurs,
agissant par délégation de la Sarauniya et en ce sens intermédiaires entre
les hommes et la nature. Ils manient la parole et leur intervention à
ce niveau n'est plus la présence médiatisée de l'esprit en qui se reconnaît
leur propre clan, mais la manipulation d'un pouvoir dont la source est
en dehors d'eux et dont jls sont les agents.

La souveraineté

Une étape nouvelle est franchie dans la spécification du pouvoir lors-


qu'intervient le second groupe constitutif de l'ensemble mawri, et dont il
n'est pas possible de préciser ici les modalités d'installation. Il est cepen-
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dant nécessaire de savoir que les Arewa ont entraîné l'application d'un
système hiérarchique différent de celui des Gubawa fondé sur l'antériorité
dans le temps. Les Arewa étaient des guerriers et ils introduisirent le
cheval. Dès lors ce que l'on appelle le «couteau du sacrifice» devenait
incoITlpatible avec le «miel du pouvoir». Il s'instaurait une relation entre
les maîtres du sol et les souverains que l'on a souvent trop vite confondue
avec une séparation du religieux et du politique. En effet, il est dit que
les souverains sont désignés par l'assemblée des prêtres au cours d'un
rituel divinatoire qui. semble fonder la légitimité du souverain, Sarki, dans
le pouvoir, Sarauta; mais cette désignation s'opère à l'intérieur des règles
de succession des Arewa qui fixent une rotation théorique du pouvoir
entre quatre lignages royaux. En outre il y a un débat bien réel entre
les prétendants à l'héritage, compétition qui peut aller jusqu'à la guerre
et souvent réglée par l'arbitrage d'une autorité politique extérieure plus
puissante. Ainsi il paraîtrait bien qu'il y ait clivage entre le niveau reli-
gieux et le niveau politique où s'établit avant tout un rapport de forces.
Cependant à ce niveau même le souverain n'est pas seulement un homme
qui s'impose par la force, son accession au pouvoir est une accession à
l'ordre des choses. La légitimité que reconnaissent les prêtres dans ce
qui est non pas une nomination mais en quelque sorte une intronistaion,
ne suffit pas à maintenir le souverain en place, elle lui donne seulement
accès à la souveraineté. Par ]a suite, c'est le bien-être même de la société,
son arziki, qui est prospérité, bonne fortune, chance, qui démontre l'iden-
tité et l'accès réel du sarki dans le sarauta. En out~.e la compétition qui
était au départ de son accession, doit être maintenue présente et la
vocation du Sarki au pouvoir qui était appelée au moment de sa désigna-
tion son «amour du pouvoir» doit être sans cesse démontrée par une
provocation à l'égard de prétendants possibles. A tout moment un prince
peut entrer en guerre contre le souverain, à tout moment le souverain
défie des prétendants: ainsi les sonneries de trompettes qui retentissent
chaque jeudi soir devant la porte du Palais royal et présagent à la sérénade
que donneront les griots du souverain, sont une provocation à l'égard des
princes: les trompettes disent: «voilà le Sarki, ceux qui veulent la guerre
n'ont qu'à venir!» La vocation d'un Sarki au pouvoir peut donc être
mise en cause lors de dérèglements naturels graves ainsi que par la
contestation qu'il doit provoquer lui-même de ]a part des Princes. Cette
mise en question permanente est la condition essentielle au maintien du
souverain, cikin arziki, dans la prospérité, la validation nécessaire du
pouvoir.
Il est donc admis que le souverain se situe à l'intérieur même de cet
arziki dont par lui bénéficie l'ensemble de la société. Il est alors zaki,
le lion, mai-girma, celui qui a la grandeur, le prestige, celui dont l'auto-
rité, iko, s'étend sur tout. En pays mawri où s'est développé le culte de
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la possession bori, le souverain est aussi le dépositaire, le propriétaire de


tous les génies, mai dogwa dubu da arba miniya, celui qui a 1040 dogwa,
et il doit aussi donner les animaux sacrificiels aux esprits qui habitent
autour de sa capitale. En ce sens on retrouve ce qui est généralement dit
des souverains hausa, qu'ils résument l'ensemble des forces à l'œuvre
dans l'univers qu'ils contrôlent. Il demeure cependant révélateur que le
souverain mawri, Sarkin Arewa, n'ait pas accès au pouvoir des prêtres
gubawa et que l'image donnée par l'expression Sarki ran duniya: le sou-
verain est la vie du monde, exprime bien une idéologie dominante que
contestent à leur niveau les prêtres de la nature, les 'yan Kasa dont
l'alliance
. fondamentale contredit l'identification du souverain à la société.
Les' 'yan Kasa relativisent l'universalité du souverain et si l'on dit de lui
mai komi mai kowa, celui qui a tout, celui qui a tout le monde, si la
mort même du souverain est masquée par la permanence de la souveraineté,
cela signifie seulement que pour surmonter la contradiction qui subsiste
entre l'univers pratique où l'agriculteur doit se concilier les forces concrètes
de la nature, et celui de la domination sur les hommes qui instaure le
pouvoir politique, le souverain tente de s'identifier à la personne sociale
dont il est le principe animateur, rai, vie, l'énergie, la prospérité. Symbo-
lisant toute personne et toutes les personnes, il 'est l'accomplissement et
la source, il est bien l'ordre des choses et ce qui l'instaure, sarki mai yau
da gobe, souverain qui a aujourd'hui et demain, mais aussi Sarki dan
mayya, souverain fils de sorcière.

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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

PRINCIPES DE LA PERSONNE
ET CATÉGORIES SOCIALES

Pierre SMITH

Lorsqu'on distingue dans la personne plusieurs composantes et qu'on


les ordonne selon un certain modèle, ce n'est sans doute pas sans arrière-
pensées. Un modèle de la personne est toujours, d'une façon ou d'une
autre, le corollaire d'un modèle des relations entre personnes. Les axes
qui traversent les personnes ont toutes les chances d'être perpendiculaires
sur ceux qui les relient entre elles. C'est ce point de rencontre qui est sans
doute aussi le point d'origine où s'engendrent simultanément les deux types
de modèles, que je voudrajs essayer de cerner à propos d'une aire cultu-
relle dont je connais mal encore les limites précises mais qui pourrait
correspondre à toute l'aire d'influence de l'ancien empire du Mali et
engloberait au minimum les Dogon, les Bambara, les Ma1inké et les popu-
lations qui leur sont apparentées, les Soninké, une partie de la Mauritanie,
les Wolof, les Toucouleur et les Peul de ces régions.
Un trait essentiel me paraît être commun à l'organisation sociale
traditionnelle de toutes ces populations, la division en trois grandes caté-
gories sociales: une catégorie supérieure composée d'agriculteurs ou d'éle-
veurs et de tous ceux d'entre eux qui ont pu conquérir un prestige politique
ou religieux; une catégorie intermédiaire regroupant toutes les castes endo-
games d'artisans et de griots et dont la condition d'hommes libres n'em-
pêche pas qu'ils soient considérés pourtant comme relativement dépen-
dants des premiers; une catégorie inférieure mais moins imperméable que
la précédente, où se classaient les différents types de captifs, qu'ils aient
at?partenu aux premiers ou aùx seconds. D'autre part, même là où l'expres-
sion de la pensée spécifiquement soudanaise a été partiellement étouffée
par l'Islam, il semble J,ien que Je schéma essentiel des composantes de la
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personne, marqué par la notion du double, l'intérêt porté aux jumeaux,


l'institution de la parenté à plaisanterie et la référence à cette sorte de
force vitale qu'est le nyama, soit partout le même.
Laissant provisoirement de côté les développements particuliers à
telle ou telle culture, j'essaierai de faire apparaître un modèle dont le
principe, commun à l'ensemble d'entre elles, s'applique aussi bien à leur
organisation sociale qu'à, si l'on peut dire, leur organisation psychologique.

II

Comme on le sait, les peuples auxquels nous nous référons, et notam-


ment les Dogon et les Bambara, conçoivent la personne comme douée
_

d'au moins deux principes spirituels: l'un, qu'on a traduit généralement


par âme, est un principe vital associé au souffle, tandis que l'autre, un
double matérialisé par l'ombre sur le sol ou le reflet dans l'eau, est conçu
comme un jumeau de sexe opposé à celui de l'individu considéré. Or,
comme on le sait aussi, la relation du jumeau à sa jumelle est, dans cette
aire culturelle, au centre de bien d'autres spéculations. Le mythe dogon
enseigne qu'à l'origine les humains naissaient toujours par couples de
jumeaux mixtes jusqu'au jour où une faute originelle vint interrompre cet
ordre des choses; à cette loi naturelle de la formation des couples, il fallut
dès lors substituer une règle et c'est la cousine croisée qui fut désignée
comme suppléante de la jumelle absente, c'est-à-dire comme épouse pré-
férentielle. Le modèle symbolique du mariage est donc la reconstitution
du couple primordial de jumeaux mixtes. Il n'est cependant possible que
si le garçon a été circoncis et la fille excisée, opérations qui, selon l'inter-
prétation devenue classique fournie à Griaule, visent à fixer la personne
dans son propre sexe. Avant l'ablation du prépuce, support de la féminité
chez l'homme, et du clitoris, représentant de la masculinité chez la femme,
l'alliance est impossible. Les Bambara qui partagent exactement la même
conception font intervenir ici une force néfaste, marquée d'hnpureté, le
wanzo, dont l'enfant doit être débarrassé et qui s'écoule dans la terre avec
le sang de la circoncision et de l'excision. Selon un informateur cité par
Mme Dieterlen (1), la présence de cette force, responsable par ailleurs de
la stérilité et de l'impuissance, «fait que l'homme ne peut vivre avec
personne, ne peut supporter personne et ne peut se supporter lui-même ».
On nous dit donc clairement que pour pouv<>ir se marier et avoir des
enfants, pour se réaliser en tant qu'être social, la personne doit renoncer

(1) Essai sur la religion Bambara, Paris, 1950, p. 64.


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469

à une partie d'elle-même, et plus précisément à cette partie d'elle-même


qui représente l'autre avec qui elle veut entrer en relation. Le double,
cette sorte de négatif de soi qu'on pourrait cependant être tenté de
développer, doit être écarté nettement pour faire place au partenaire. La
complémentarité implique ici un renoncement mutuel.

III

Ce schéma conceptuel est très répandu dans toute l'aire culturelle


considérée et on le retrouve appliqué à d'autres types de relations de
niveau plus nettement sociologique. Je l'ai ainsi relevé chez les Bedik
du Sénégal Oriental qui ont subi l'influence du groupe voisin des Malinké
animistes du Niokholo. Tous les lignages bedik se répartissent entre deux
moitiés dont les noms ont été empruntés aux Malinke, les Keita et les
Kamara. La participation des deux moitiés est nécessaire pour constituer
un village de même que pour l'accomplissement des diverses cérémonies;
néanmoins le chef du village et les chefs des classes d'âge qui assument
en commun la responsabilité des rituels liés à la vie du village et aux
travaux des champs sont toujours des Keita tandis que les Kamara qui
incluent entre autres les lignages de forgerons, ont la haute main sur la
chasse, les masques et l'initiation, c'est-à-dire sur tout ce qui est lié à
la brousse (2). Voici le mythe d'origine de cette institution qui est aussi
celui de la société elle-même: «A l'origine les Kamara habitaient seuls
sur le plateau où se trouvent encore maintenant les villages bedik. Un
jour les Keita arrivèrent au pied de la montagne et s'installèrent là en
pleine brousse; ils n'avaient pas de village. Les Kamara leur proposèrent
de monter vivre au village avec eux mais les Keita hésitaient. Les Kamara,
pour les convaincre, leur offrirent alors le commandement du village et
les Keita leur donnèrent en retour le commandement de la brousse. Les
Keita, grâce à leur longue affinité avec les animaux et les plantes de la
brousse purent, une fois installés au village, instaurer l'élevage et l'agri-
culture, tandis que les Kamara qui, grâce à leur vie au village avaient pu
découvrir les techniques, maîtrisèrent toutes les activités de brousse (chasse,
initiation, fabrication des masques».
Ainsi chacun, en renonçant à son domaine au profit de l'autre, put
enfin mettre en œuvre ses aptitudes pour le bien de tous. A la différence

(2) Cf. P. SMITH,«Les échelons d'âge dans l'organisation sociale et rituelle des
Bedik », in D. PAULME(édit.), Classes et associations d'âge en Afrique de ['Ouest,
Paris, 171, pp. 185-204.
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470

d'une complémentarité qui serait envisagée comme le simple rapproche-


ment de deux groupes aux aptitudes différentes, celle-ci paraît à là fois
indissoluble ou, si l'on veut, inextricable, et plus fructueuse. Le renonce-
ment mutuel à ce qui sera le domaine de l'autre engage le fonctionnement
de la société.
On retrouve un schéma identique chez les Diakhanke de la même
région. Les Diakhanke qui sont de langue et de culture malinke mais
d'origine soninke, constituent moins un peuple qu'une confédération de
clans à vocation maraboutique et commerciale; leurs villages disséminés
sur une grande superficie (on les trouve au Mali, au Sénégal, en Gambie,
en Guinée et même en Côte d'Ivoire et en Sierra-Leone) sont situés sur
ce qui constituait les axes principaux du commerce traditionnel dans le
monde mandingue dont ils se considèrent comme les plus anciens islamisés.
La confédération elle-même serait née dans la région aurifère du Bambouk
sous l'impulsion d'un saint ancêtre, Bemba Laye Soare, autour duquel se
regroupèrent les premiers convertis. Ainsi, bien que tous les Diakhanke,
même les simples agriculteurs, aient tendance à se présenter comme des
marabouts, les Soare sont considérés comme les plus éminents de tous.
Nulle part, cependant, les Diakhanke ne revendiquent un quelconque pou-
voir politique; partout ils se considèrent comme tributaires des puissants,
Malinke, Peul ou autres, sous la protection desquels ils se sont placés.
Professant un pacifisme qui dut autrefois profiter à leurs activités commer-
ciales, ils ne revendiquent que le prestige religieux. Dans la région de
Kédougou, leurs villages se trouvent en pays maIinke musulman dans une
région dominée par la famille des Sissokho qui se disent descendants d'un
lieutenant de Soundjata (3). Le mythe dit qu'autrefois Bemba Laye Soare
emmena avec lui à la Mecque Moussa, l'ancêtre des Sissokho Koromago
qu'il avait converti. Là-bas, Soare reçut le bâton du commandement et
Sissokho celui de la sainteté. Mais comme cela ne correspondait pas à
leurs dispositions profondes, ils décidèrent d'échanger les bâtons et c'est
ainsi que les Soare, et avec eux tous les Diakhanke, renoncèrent définitive-
ment aux ambitions politiques et aux entreprises militaires au profit des
Sissokho qui s'engagèrent pour leur part à protéger et respecter les mara-
bou ts.
Encore une fois, l'échange ici ajoute quelque chose à la complémen-
tarité des fonctions. La mention même du double renoncement implique
que chacun avait originairement droit à la fonction de l'autre et qu'il ne
tient la sienne que du renoncement de son partenaire. Or, nous avons là
un mythe caractéristique d'origine de la parenté à plaisanterie entre deux

(3) Cf. P. SMITH, «Les Diakhanke. Histoire d'une dispersion» et «Notes sur
l'organisation sociale des Diakhanke », in Cahiers du Centre de Recherches Anthro-
pologiques, n° 4, 1965, pp. 231-302.
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groupes. Quels sont ces groupes? En principe, tous les Soare et tous les
Sissokho, quelle que soit leur origine géographique ou sociale, doivent
s'appeler entre eux sanaku, s'insulter quand ils se rencontrent, se prêter
assistance en diverses occasions et ils ne peuvent contracter de mariages
entre eux. En fait, cette relation spéciale entre Soare et Sissokho ne prend
son sens que dans la région précise où ces derniers dominent mais, en
revanche, elle tend aussi à rendre compte, à travers la relation des deux
familles les plus éminentes de chaque groupe, du rapport entre l'ensemble
des marabouts Diakhanke et l'ensemble des nobles Malinke. Cette indé-
termination ou plutôt cette souplesse est tout à fait caractéristique de la
relation de parenté à plaisanterie dans toute l'aire culturelle considérée
ici, des Dogon aux Wolof. C'est cette même institution qu'on voit jouer
partout pour articuler entre eux, selon les cas, des peuples, des clans,
des lignages, des fonctions et aussi des catégories de parents.

IV

En ce qui concerne les Dogon, le modèle en a été décrit à propos


du rapport qu'entretiennent entre eux les pêcheurs Bozo et les agricul-
teurs Dogon dans un article célèbre (4) où Griaule met en valeur le rapport
étroit qu'entretient cette institution avec les principes spirituels. Compo-
santes essentielles de la personne dogon, les huit graines disposées dans
leurs clavicules marquent en quelque sorte la consubstantialité de l'agri-
culteur à sa production et à sa nourriture. Les Bozo pour leur part ont
huit poissons dans leurs clavicules. Ainsi, rapporte Griaule, les alliés à
plaisanterie, les mangu, ont chacun la partie manquant à l'autre. Jumeaux
à l'origine, ils se firent un serment réciproque par lequel ils reconnais-
saient leur complémentarité, et les paroles échangées firent que désormais
Dogon et Bozo eurent chacun une parcelle de la personne de l'autre en
eux. C'est ainsi que les injures qu'échangent les mangu s'adressent en
fait à la partie d'eux-mêmes qui est en l'autre. C'est ce qui induit la fonc-
tion purificatrice de ces injures, chacun, nous dit encore Griaule, s'efforçant
de se reprendre en s'appropriant une partie des graines ou des poissons
de l'autre (5). Sur ce dernier point, on peut proposer une interprétation
légèrement différente qui a, je pense, une valeur plus générale dans le
cadre de l'aire culturelle où nous nous plaçons. En effet on peut rapporter
directement le modèle de la relation ainsi décrite d'une part à la relation

(4) «L'alliance cathartique ». Africa, oct. 1948, pp. 242-258.


(5) "The Dogon", in D. FORDE(édit.), African Worlds, p. 109.
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de complémentarité fonctionnelle entre marabouts Soarè et nobles Sisso-


kho, d'autre part à la conception dogon de l'alliance fondée sur le modèle
du couple de jumeaux mixtes. On pourra alors voir le mythe ainsi: à
l'origine, l'ancêtre des Dogon et l'ancêtre des Bozo formaient un couple
de jumeaux dont chacun était de caractère aussi ambigü que le garçon
incirconcis ou la fille non excisée; chacun pouvait théoriquement faire les
mêmes choses que l'autre, pêche ou agriculture. Le serment de recon-
naissance de leur complémentarité a dû donc être en même temps et
d'abord un serment de renonciation à la virtualité qu'allait réaliser l'autre.
L'injure s'adresse à la force de soi qui est dans l'autre, c'est-à-dire, pour
l'agriculteur, à son double pêcheur qu'il a dû repousser au profit du Bozo.
Pourquoi dès lors voudrait-il par l'injure reprendre des éléments clavicu-
laires de l'autre et avec eux sa parole, et en quoi cela serait-il purificateur?
Au contraire si, comme le dit Ogotommeli, le mangu «se reprend» en
insultant son allié, en se moquant de sa spécialité de pêcheur, c'est que
devant l'ambiguïté originelle évoquée par la rencontre qe son jumeau
pêcheur, il souligne qu'il reste dans les limites du serment primordial en
se sentant marqué par sa différence au point que son double n'attire de
sa part qu'insultes, moqueries et grossièretés. De même si, comme le
disent encore les Dogon en se référant à la fonction cathartique de ces
deux types de paroles, l'injure est dans ce cas l'inverse de la proclama-
tion de la devise, n'est-ce pas parce que celle-ci augmente le nyama de
celui auquel elle est adressée en évoquant l'honneur particulier de son
clan ou de sa fonction, alors que celle-là augmente le nyama de celui qui
injurie dans la mesure où il réaffirme ainsi sa propre particularité qui est
son honneur? Si enfin il faut faire appel au mangu pour lever l'impureté
dont vous affecte une rupture d'interdit ou pour lever provisoirement
votre interdit totémique, n'est-ce pas parce que la rupture d'interdit est un
débordement hors des limites qui vous sont assignées et auxquelles le
mangu est le principal intéressé puisqu'il tient sa définition du respect
que vous avez de la vôtre?
La référence à une confusion originelle dont je viens de me servir
se retrouve dans un autre mythe d'origine de la parenté à plaisanterie
entre clans très répandu dans toute l'aire d'influence malinke. Il s'applique
par exemple chez les Diakhanke à la relaJion entre les Kaba et les Gui-
rassi: «Un jour deux mères appartenant à ces deux clans périrent dans
un incendie laissant ensemble leurs deux bébés en bas âge dont on ne
sut plus de quel clan chacun relevait. Il fallut les répartir au hasard mais
dorénavant, de peur de commettre l'inceste, le mariage fut prohibé entre
les deux clans. La parenté à plaisanterie marque ici le renoncement définitif
à reprendre le sang qu'on a pu laisser à l'autre par l'échange des bébés.
Ce mythe n'est d'ailleurs qu'une variante de celui plus répandu encore
qui assigne à l'origine de ]a parenté à plaisanterie une pacte scellé par
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l'échange des sangs. L'interdiction qui en découle de refaire couler le sang


de l'autre par la guerre ou le mariage (allusion à la défloration et à l'accou-
chement), marque la volonté de ne pas reprendre la parole donnée qui
instaure un nouveau type de complémentarité, fût-ce le simple fait de se
devoir assistance en toutes circonstances. Le sang donné ici symbolise,
comme celui de la circoncision, le double qu'on écarte de soi, cette partie
de soi-même qui aurait pu porter à agresser ou concurrencer le parte-
naire.

J'ai appliqué plus haut le modèle de l'alliance entre les sexes à


l'alliance entre parents à plaisanterie mais c'est en fait le processus inverse
qui est premier. En effet, chez des peuples de traditions linguistiques et
culturelles aussi différentes que les Malinké d'une part, les Toucouleur et
les Peul d'autre part, on retrouve la même institution appliquée sous le
même nom aux rapports entre cousins croisés. Les termes de sanaku et
de dendiraagu sont mêmes les seuls, semble-t-il, dont disposent respective-
ment ces groupes pour désigner les cousins croisés des deux sexes. Les
mêmes prérogatives rituelles que dans la relation entre groupes sociaux
jouent entre cousins croisés. Or ici aussi le mariage avec la cousine croisée
est théoriquement le mariage préférentiel. Si le même modèle institutionnel
implique dans un cas le mariage et dans l'autre sa prohibition, il devient
évident qu'il ne s'agit pas d'une simple extension aux groupes de la
relation entre cousins, ou vice versa. C'est bien qu'il existe un modèle
plus abstrait, celui qu'on essaye ici de définir, susceptible d'intégrer dans
un même cadre des types d'alliance différents et même contradictoires.
Sans retrouver la référence littérale aux jumeaux, j'ai entendu les
Malinke francophones de Kédougou désigner leurs sanaku (cousins ou
autres) comme «mon calque». Le sanaku, m'a-t-on expliqué, est une
mauvaise copie de soi-même, une copie à l'envers qui est dévalorisée à
(6) par la
vos yeux. Cette idée est soulignée chez les Malinke de Guinée
coutume qui veut que lorsque quelqu'un met par inadvertance son habit
à l'envers, le sanaku qui le remarque se l'approprie. Etre l'envers de l'autre
marque bien à la fois, et d'une autre façon, la gémelléité primordiale, et la
complémentarité fondée d'une part sur le renoncement à ce que fait l'autre
et d'autre part sur l'identification à ce que n'est pas l'autre.

(6) S. CAMARA,Gens de la Parole, thèse ronéot., Bordeaux, 1969, p. 35.


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L'inversion dans le cas des cousins croisés est marquée par le fait
que les uns sont les enfants de la sœur et les autres les enfants du frère.
De la même façon qu'il a fallu renoncer à être à la fois homme et femme,
il a fallu renoncer, suite à l'interruption des naissances gémellaires, à être
à la fois enfants du frère et de la sœur, c'est-à-dire à l'ambiguïté. Les
enfants de la sœur ne peuvent se réclamer du lignage du frère vis-à-vis
duquel ils sont en outre en position de débiteurs du point de vue de
l'échange des femmes.
La relation à plaisanterie entre cousins croisés, c'est-à-dire impliquant
le mariage préférentiel, peut dans certains cas, comme chez les Peul du
Sénégal (7), être étendue au rapport entre deux lignages descendant de
deux cousins croisés mâles. Comment passe-t-on alors à la prohibition
du mariage? Les mythes d'origine de la senankuya abordent aussi cette
question. L'un raconte que l'ancêtre des Kaba venait souvent partager le
repas de l'ancêtre des Diakhabi qui était père d'une fille à marier. Un
jour, Diakhabi garnit bien sa table, fit venir sa fille et il proposa à Kaba :
« Choisis le repas ou la femme » - « Mangeons d'abord, répondit l'autre»
- «Puisque tu as choisi le riz, dit Diakhabi, tu n'auras plus le droit de
te marier avec nos filles et nous de même avec les vôtres». Il faut donc
choisir entre le rôle de gendre et celui de commensal. Un autre récit dont
on trouvera une variante dans la légende de Soundjata pour la relation
entre les Traore et les Konde (8), dit que l'ancêtre des Soare offrit un
jour sa fille à son plus proche disciple, l'ancêtre des Diabi qu'il avait lui-
même converti à l'Islam. Mais Diabi après plusieurs nuits ne savait tou-
jours pas, dit le mythe, si son épouse était une femme ou un hom~e. Il
ne se sentait pas capable de la posséder; il lui semblait qu'elle prenait
un aspect terrifiant. Finalement, il rendit la fille à son père, disant: «Je
vous rends votre fille car je suis votre disciple et je ne voudrais pas que
quelque chose puisse se dresser entre nous ». La variante sus-mentionnée
précise que ce qui mettait en difficulté l'époux n'était autre que le double
de la jeune fille, double de sexe opposé, comme il se doit, qui lui donnait
cet aspect terrifiant et qui explique l'incertitude de Diabi sur le sexe de
sa partenaire. Il paraît assez évident que ce double masculin qui s'interpose
est suscité dans son esprit par la relation déjà privilégiée qu'il entretient
avec son maître spirituel. Ce nlythe, comme le précédent, nous dit claire-
ment qu'on ne peut épouser à la fois le père et sa fille. Là aussi l'ambi-
guïté est proscrite. Dès que l'alliance a un contenu autre que l'échange des
femmes, celui-ci est prohibé car il ne permettrait pas de respecter les
limites strictes qu'assigne l'autre complémentarité.

(7) M. Du PIRE, ()rganisation sociale des Peul, Paris, 1970, p. 350.


(8) D.T. NIANE,Soundjata, Paris, 1960, p. 27-32.
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VI

Les cas choisis par ces deux derniers mythes sont, pour la valeur de
la démonstratoin, des cas limites; il n'y a guère de différenciation fonc-
tionnelle entre les deux commensaux ou les deux marabouts si ce n'est que
chaque fois, comme dans le mariage, l'un donne et l'autre reçoit. Cette
petite dissymétrie introduit un principe hiérarchique qui est un autre trait
essentiel de la senankuya. En effet, cette relation implique toujours qu'un
des partenaires soit symboliquement le maître et l'autre l'esclave et c'est
même sur ces rôles que jouent souvent les plaisanteries échangées, chacun
revendiquant la position de maître. Dans les cas comme celui du rapport
entre marabouts Soare et nobles Sissokho, ou dans ceux illustrés par
l'échange originel des bébés ou du sang, rien ne permet d'introduire une
dissymétrie; chacun estime avoir droit au titre de maître. Mais dans tous
les autres cas, il est clair aux yeux des tiers que les maîtres symboliques
sont toujours ceux qui sont en position de donner, les esclaves ceux qui
sont en position de recevoir, c'est-à-dire les enfants de la sœur, le disciple,
l'invité. A certaines fêtes, les «esclaves» jouent leur rôle en effectuant
des prestations serviles pour leurs «maîtres» qui les remercient par des
cadeaux.
Ce jeu n'est pas sans importance pour la compréhension du statut par
ailleurs assez mal connu des membres de la troisième catégorie sociale.
Devenait captif, semble-t-il, au niveau de l'idéologie, celui qui ne pouvait
rembourser sa dette, de guerre, ou autre, qu'avec sa propre personne.
Ainsi, chez les Wolof et les Toucouleur, le captif qui voulait changer de
maître n'avait qu'à réussir à trancher l'oreille du maître qu'il se souhaitait,
ou celle de son cheval, pour qu'aussitôt sa personne lui soit dûe comme
seule réparation possible à ce dommage (9).
Entre ce débiteur absolu, puisque c'est lui-même qu'il doit, et le débi-
teur symbolique qui est de même rang que le créancier, se situent tous
ceux dont la personne est relativement dévalorisée par le fait qu'ils ne
sont pas en mesure de rendre quelque chose qui ait la même valeur que
ce qu'ils reçoivent et qu'ils peuvent donc être considérés d'un certain point
de vue comme d'éternels débiteurs et quémandeurs, presque des parasites,
c'est-à-dire les membres de la catégorie sociale intermédiaire, les gens de
caste.
On aura déjà pu relever les affinités profondes entre le mécanisme de

(9) L. LY, Le sentÎ1nent de l'honneur..., D.E.S. dactyl., Paris, 1964, p. 55.


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la parenté à plaisanterie et un système de castes qui tendrait à s'instaurer,


aussi bien entre les peuples que dans leur sein, quand une complémentarité
est reconnue. Si tous les lignages de marabouts Diakhanke entretenaient
avec tous les nobles Malinke voisins le même rapport que les Soare avec
les Sissokho, on aurait une caste endogame de marabouts s'opposant à
une caste de politiques; l'existence même d'une confédération de clans de
marabouts Diakhanke distincte au sein du monde Malinke va dans ce
sens dans la mesure où elle correspond à la reconnaissance d'une spécia-
lisation religieuse. Le processus de mise en caste ne va cependant pas très
loin, car si les Soare et les Sissoko ne peuvent se marier entre eux,
d'autres clans, diakhanke et maHnke, leur sont cependant ouverts à tous
deux et ils communiquent ainsi indirectement entre eux. Tel n'est pas le
cas pour les rapports entre la première et la seconde catégorie sociale.
Là, le même processus est poussé jusqu'au bout et appliqué avec la plus
grande rigueur. D'une certaine façon l'ensemble des forgerons, par exemple,
des diverses ethnies de l'aire considérée est conçu comme constituant une
« race» à part. Ainsi l'ensemble des pasteurs Peul entretient une relation
de parenté à plaisanterie avec l'ensemble des forgerons, de quelqu'ethnie
qu'ils relèvent, sur le même mode que celle qu'entretient l'ensemble du
peuple Toucouleur avec l'ensemble du peuple Sérère. Certains mythes (10)
disent même que le bétail appartenait à l'origine aux forgerons, ou dans
d'autres versions aux boisseliers, et que les Peul s'en -emparèrent par ruse.
Ce thème qui rappelle celui de l'échange primordial des fonctions n'est
cependant guère poussé et l'idée du vol par ruse plutôt qu'un échange
volontaire marque bien que les partenaires ne sont pas ici sur le même
plan; la possession du bétail est une marque de supériorité.
C'est pourtant la même institution de la parenté à plaisanterie qui
partout articule entre elles les deux catégories sociales supérieures. Le mythe
typique de l'origine des castes est en même temps celui qui rend compte
de l'origine de la parenté à plaisanterie entre gens de castes et gens bien nés.
Les deux choses se confondent et le mythe, commun à toute cette partie
du Soudan, peut s'appliquer, selon le cas, à l'origine de l'ensemble des gens
de caste, d'une caste particulière ou du rapport spécifique entre tel clan
casté et tel clan dit noble. Les castes se définissent uniquement par le
rapport qu'elles entretiennent avec les membres de la catégorie supérieure
alors que les relations de ces castes entre elles restent confuses tant sur Je
plan de la hiérarchie que sur celui des rapports fonctionnels.

(10) M. DUPIRE,op. cit., p. 433.


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VII

Le mythe se résume ainsi: «Deux frères voyageaient en période de


sécheresse et de disette. Le plus jeune finit par tomber d'inanition, inca-
pable de continuer. L'aîné s'enfonça alors dans la brousse et, n'ayant rien
trouvé, se coupa un morceau de mollet (ou de cuisse), le fit cuire et l'offrit
à son cadet qui put ainsi se restaurer et reprendre la route. Plus tard,
voyant son aîné boîter, il comprit par quel procédé ce dernier venait de
lui sauver la vie et, éperdu de gratitude, il se mit à son service et chanta
ses louanges. Dès lors ils décidèrent pour eux-mêmes et leurs descendants
de ne plus jamais faire couler le sang entre eux, de ne plus manger
ensemble, de ne plus se marier entre eux et de se porter mutuellement
assistance» .
En tant que parent à plaisanterie l'homme de caste est lui aussi un
jumeau, un double; mais ici, à la différence des cas précédents, le ressort
second de l'institution, le principe hiérachique lié au don, a pris un tour
que le mythe rend dramatique.
Qu'il s'agisse de forgerons, de cordonniers ou de griots, les différences
ne sont pas significatives bien que le mythe semble plutôt se référer au
rôle de chanteur de louanges des derniers. Mais, qu'on ne s'y trompe pas,
le fait de marquer sa gratitude au noble, de proclamer son éloge, de jouer
pour lui le rôle de porte-parole, d'intermédiaire et d'homme de confiance
incombe à tous. Et ces fonctions sont justement aussi celles des parents
à plaisanterie en général, qu'il s'agisse de cousins croisés ou de clans
alliés à l'intérieur de la catégorie sociale supérieure. La simple intervention
d'un homme de caste comme le forgeron, même si on n'est pas explicite-
ment dans une relation de plaisanterie avec lui, apaise immédiatement la
querelle au même titre que celle d'un mangu d'un autre type. L'un comme
l'autre, par leur seule présence, vous contraignent à rentrer en vous-même,
à vous «reprendre ». Et le parent à plaisanterie est lui aussi le médiateur
privilégié dans toutes les négociations délicates. Enfin, les louanges que
vous adressent les gens de caste ont le même effet de renforcement du
nyama que les échanges d'injures avec les sanaku castés ou non. D'un cer-
tain point de vue on pourrait dire que l'homme de caste est le parent à
plaisanterie par excellence dans la mesure où les deux dimensions de
l'institution, la différenciation des fonctions et la hiérarchie, sont toutes deux
au maximum de leur tension. C'est ici qu'elles sont le moins symboliques,
au sens d'inoffensives.
Il n'est plus question, dans le mythe, d'un échange volontaire au
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même niveau, mais d'un don auquel on est acculé par les circonstances,
don, non plus d'une goutte de sang symbolique, mais d'un morceau de
chair qui nourrit.
Celui qui donne est avant tout l'agriculteur, ou l'éleveur, qu'il soit
revêtu ou non d'un prestige politique ou religieux. Le statut privilégié de
l'agriculteur dans ces sociétés est sans doute à mettre en rapport avec la
situation démographique qui a permis dans la plupart des cas que soit
évitée l'appropriation privée de la terre, mais il est aussi lié à la notion
de personne dont, on l'a vu, une composante essentielle est constituée par
les graines claviculaires. La nourriture produite est consubstantielle à
l'homme, elle est sa chair et son sang. Les castes d'artisans et de griots
regroupent au contraire tous ceux que leur spécialité écarte de ce type de
production. Si les Bozo, eux, ont des poissons dans leurs clavicules, on ne
trouve pas par contre de minerai de fer dans celles des forgerons; l'homme
ne se nourrit pas de fer. Dans sa description très fouillée de la stratification
sociale des Toucouleur, Yaya Wane (11) s'étonne du fait que le groupe très
spécialisé et fermé des pêcheurs appartienne pourtant à la catégorie sociale
supérieure, comme les agriculteurs et les nobles marabouts et non à celle
des groupes de spécialistes castés. Mais n'est-ce pas justement que leur
type de production les rend autonomes? Comme les Bozo, ils se nourris-
sent eux-mêmes, et, peut-on dire, d'eux-mêmes. Dès lors, c'est littéralement
qu'il faut prendre le mythe qui dit que l'agriculteur nourrit les gens de
caste d'une partie de lui-même, d'un morceau de sa chair considéré comme
superflu, c'est-à-dire, du surplus de sa production agricole. Mais c'est ce
don qui fait aussi l'honneur et la noblesse de l'agriculteur dont les dépen-
dants proclament les louanges. L'honneur est lui aussi fonction de la com-
plémentarité; il ne se fixe dans les uns que face au renoncement des autres
à l'autonomie; et c'est pourquoi il est nécessaire que le griot vienne sans
cesse marquer sa dépendance, quémander et louer pour augmenter le
nyama du noble.
L'éloge et l'insulte institlltionnalisés ont donc la même fonction et, de
même que l'éloge correspond au don qui le suscite et lui répond, l'insulte
est le pendant de la coutume qui autorise votre parent à plaisanterie à
s'approprier par le vol une partie de vos biens; ici aussi parents à plaisan-
terie et gens de caste se rejoignent dans la mesure où la frontière entre ce
don obligé qu'est le vol autorisé et ce vol consenti qu'est le don obligatoire
tend à s'effacer. La même ambiguïté ressort bien d'une expression courante
dans la bouche des nobles, tant Malinké que Peul, de la région de Kédougou
quand ils font référence aux fonctions spécialisées qu'ils laissent à leurs
inférieurs et qui appellent rétribution: «Nous leur permettons de nous
manger! ». Assumer ce risque est le propre du noble.

(11) Les Toucouleur du Fouta Tooro, Dakar, 1969, p. 46.


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Trois anecdotes vont illustrer notre propos. La première vient des


Peul de la Haute-Volta (12). Un chef Peul, nous dit-on, voyant que depuis
quatre jours les griots n'étaient pas venus quémander auprès de lui, fut
rempli d'amertume et les ayant convoqués il leur demanda s'ils étaient repus
à ce point. Il ordonna alors à ses serviteurs d'aller brûler toutes leurs cases
et ce qu'elles contenaient. Les griots se remirent alors à chanter les louanges
du chef qui leur fit remarquer: «Ah! Enfin vous avez ressenti la pau-
vreté ! ». La seconde est sénégalaise. Il s'agit du cas d'un jeune Peul pauvre
sollicité par les griots. Ses cousins donnent des pièces d'étoffe, des bœufs,
ses parents donnent une pièce d'étoffe, mais les griots la refusent. Pour
échapper à la honte, il rentre alors dans sa hutte, se tranche un doigt d'un
coup de couteau et va le donner aux griots (13). La troisième est mauri-
tanienne. Un griot avait inventé un morceau merveilleux et désirait lui
donner le nom d'une personne qui méritât véritablement une telle marque
d'honneur. Mais ses conditions étaient terribles; le bénéficiaire devait
accepter du musicien qu'il lui prît un morceau de chair dans le ventre.
Les plus grands guerriers proposèrent des cadeaux considérables mais
refusèrent de telles conditions. Seul l'un d'entre eux fit aussitôt chercher
un couteau pour procéder à l'opération. Le griot l'arrêta. Il avait simple-
ment voulu démontrer que l'argent l'intéressait moins que de servir un
homme dont l'honneur fût digne de sa musique (14).
Ces anecdotes sont frappantes par l'insistance, que nous aurions
tendance à qualifier d'abusive, que mettent les personnages à exiger du
partenaire qu'il joue son rôle à fond. Le chef oblige les griots à le louer
et à bénéficier de sa générosité. Les griots exigent, malgré sa pauvreté,
un cadeau ,du -Peul, fut-ce un morceau de sa chair. Ces prestations ne
peuvent être l'objet d'un marchandage, ou alors, comme dans le cas des
Maures, ce ne peut-être qu'un marchandage inversé, du genre potlatch.
Ce type de relation ne ressemble pas à celles qui naissent de la libre ren-
contre de deux volontés; il ne s'agit pas d'un contrat. Dans la mesure où
la totalité prend le pas sur l'individu, où la gémelléité reste sous-jacente,
le rapport est placé sous le signe de la contrainte; l'un est contraint de
donner, l'autre contraint de recevoir. Le griot ne peut pas honorer mieux
le noble qu'en lui redemandant un morceau de sa chair, en se faisant le
cannibale de son nourricier, et en en faisant même partiellement son captif
puisqu'il capte une partie de sa personne. Mais ce morceau auquel renonce
le noble n'est pour lui qu'un surplus, un relief, presqu'un déchet. C'est ce
qui explique sans doute cette attitude ambiguë à l'égard des gens de caste,
si souvent décrite comme faite d'un mélange de mépris et de crainte.

(12) P. RIESMAN,Société et liberté..., Thèse ronéote Paris, 1970, pp. 20-21.


(13) H. GADEN,Proverbes et maximes..., Paris, 1931, p. 105.
(14) M. GUIGNARD,Musique, honneur et plaisir, Thèse ronéote E.P.H.E., 6e section,
p. 79.
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480

VIII

Reste le problème de l'affinité particulière, et reconnue, des gens de


caste avec le nyama marquée par le nom de nyamakala qui les désigne
notamment chez les Malinké et les Bambara. Ce terme signifie, nous dit
y oussouf Cissé, «antidote du nyama ». Pour le comprendre on peut faire
par exemple référence au système des castes de l'Inde: les gens des castes
inférieures, impures, pourraient en effet y être désignés de même par ceux
des castes supérieures con1me les antidotes de l'impureté dans la mesure
où, assumant en tant que blanchisseurs, barbiers, éboueurs, fossoyeurs, etc...
l'impureté des autres, ils les en préservent (15). Là aussi ce sont les supé-
rieurs qui doivent se garder des inférieurs, les craindre, s'ils veulent
conserver leur statut de purs. Dans les deux cas, enfin, l'impureté est liée
à tout ce qui émane du corps; mais alors qu'en Inde c'est la vie organique
tout entière qui semble être du côté de l'impur, en Afrique occidentale
la pureté est liée à l'intégrité physique, à la vie comme telle, à la stabilité
du nyama qui constitue en quelque sorte la vigueur du sang. Quand cette
intégrité, cet équilibre sont mis en cause ou détruits, comme dans la mort,
le nyama se dégage et ses effluves sont porteuses d'impureté nocive.
Le principal véhicule du nyama est le sang, et du sang qu'on perd se
dégage toujours du nyama. L'économie de celui-ci est d'une certaine façon
inverse de celle du wanzo; en effet, lorsque, comme nous l'avons vu, ce
dernier se dégage avec le sang de l'excision ou de la circoncision, l'ado-
lescent en est fortifié, purifié, renforcé dans son intégrité sexuelle; au
contraire quand, dans toutes les autres occasions, le nyama s'écoule hors
du corps avec le sang, c'est le signe d'un affaiblissement et du danger
d'impureté. Or l'origine des nyamakala est, dans les mythes, liée elle aussi
au sang qui s'écoule. Pour les Dogon, les ancêtres du forgeron et du griot,
à la différence de ceux des autres hommes qui furent créés avec le seul
placenta du démiurge sacrifié, proviennent, le premier «du cordon ombi-
lical resté attaché au placenta du sacrifié et du sang qui avait coulé à la
fois du cordon et du sexe, tranchés en même temps », le second «du pla-
centa et du sang sacrificiel pris au lieu où le nomma fut égorgé»; d'où il
est dit: «Le forgeron fut créé avec le cordon» et «Le griot fut fait avec
le chemin du sang du nommo sacrifié» (16). Notons que le cordon est
lui-même un «chemin du sang»; mais alors que le griot est marqué par
le sang de la parole, le forgeron lui est fait de ce qu'on pourrait appeler

(15) On se réfère ici à l'ouvrage de Louis DUMONT,Homo hierarchicus, Paris,


1966, dont l'orientation théorique générale a fortifié notre propre démarche.
(16) M. GRIAULEet G. DIETERLEN,Le renard pâle, Paris 1965, p. 375.
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le sang de la fabrication (sexe et cordon) ainsi que le souligne un peu plus


loin le même mythe qui fait du pénis et des testicules du sacrifié l'origine
de la tuyère et des soufflets de la forge. Si une variante fidèle de ce mythe
se retrouve chez les Malinké (17), une autre version est plus répandue parmi
les islamisés de ces régions et, tout en s'appliquant plus spécialement au
griot, fait le lien entre le mythe de création dogon et le mythe d'origine
des castes par la consommation d'un morceau de chair: «Le prophète
Mahomet avait la jambe enflée. On demanda quelqu'un pour la lui percer.
Malik le fit, recueillit le sang et puis voulut le répandre par terre. Mais la
terre s'entr'ouvrit et dit: «J'ai été créée pour le prophète, il ne faut pas
verser son sang sur moi! ». Alors il voulut le jeter au ciel, mais le ciel
s'entr'ouvrit et refusa pour les mêmes raisons. Alors, le frère de Malik,
Zuracata, le prit et le but et rien ne se passa sinon qu'il s"est mis à chanter
les louanges du prophète et que celui-ci fut satisfait et lui donna beaucoup
d'or. C'est de là que viennent les griots» (18). Ainsi le nyamakala, «che-
min du sang» et «antidote du nyama», assume le sang impur du pro-
phète et y trouve la force de le chanter. Rappelons enfin que le rôle du
sang se retrouve dans le plus courant des mythes d'origine de la parenté
à plaisanterie, celui qui se réfère à un échange de sang entre les ancêtres,
ou à un échange de bébés qui en est l'équivalent. Le sang est certes
symbole de vie et de force, mais il est aussi dans le corps le modèle de
ce qui circule, transmet, relie, purifie et il est enfin ce qui peut s'écouler
au dehors ou s'échanger. Le nyamakala pour sa part est celui qui, par son
renoncement à l'autonomie des producteurs de nourriture, est obligé de se
tendre constamment vers les autres et qui, par sa spécialisation, provoque
la nécessité d'échanges impliquant un certain risque d'impureté. Comme le
sang, les nyamàkala sont des condensateurs de nyama; comme le sang mais
aussi comme cet autre symbole caractéristique qu'est le tas de fumier où
se concentrent les forces dégagées avant d'être remises dans le circuit de
la vie et de la fertilité. Les forces qui émanent du noble, le surplus de sa
production dont sa générosité le déleste sans cesse, trouvent à travers
le nyamakala qui les capte un chemin de vie et de purification. Aussi
celui-ci est-il partout et en toute occasion, quelle que soit la caste particu-
lière dont il relève, chargé de faire en outre circuler la parole, de servir
d'intermédiaire et de négociateur et de procéder au partage de tout ce qui
circule. Ainsi s'explique le rôle du forgeron dans «les rites cathartiques
qui ont tous pour but l'accroissement du rendement, des richesses, la pros-
périté du commerce et des échanges» (19).
(17) G. DIETERLEN, Mythe et organisation sociale au Soudan français, Journal
de la Société des Africanistes, 1. XXV, 1955, p. 43-45.
(18) Cfr. P. SMITH, Notes..., op. cit., p. 288, et H. ZEMP, La légende des griots
malinké, Cahiers d'études africaines, vol. VI, 1966, p. 611-642.
(19) G. DIETERLEN, L'image du corps et les composantes de la personne chez
les Dogon, Communication au colloque, p. 211.

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Si manger avec un nyamakala, toucher ses outils, etc... rendent le


noble impur, c'est que la stabilité du nyama dans le sang requiert un
certain degré de tension et d'absence d'ambiguïté de la relation. C'est pour
la même raison que, comme nous l'avons vu, le mariage est interdit entre
sanaku liés par un autre type de solidarité (maître et disciple, chef et
marabout...). L'insulte et l'éloge sont donc des régulateurs du nyama;
l'échange des premières assure la juste tension entre les partenaires
« jumeaux », tandis que le second rend au sang du noble le nyama que
son activité et ses dons ont permis de capter.
Comme dans toute régulation cependant, l'excès peut être aUSSI
néfaste que la déperdition. Dans certains cas, l'éloge du griot, s'il n'est pas
arrêté à temps par un don adéquat, peut provoquer un trop plein de nyama.
«Alors, me disait un chasseur du clan du lion, les Keita, je commence à
sentir les poils qui poussent dans mes oreilles et mes lèvres devenir des
babines; les yeux me brûlent. Si le griot ne s'arrêtait à temps, je me trans-
formerais complètement en lion». C'est-à-dire, pour tous ceux qui n'appar-
tiennent pas à ce clan, en sorcier. En effet, les Malinké de la région de
Kedougou croient que les sorciers se manifestent par la métamorphose en
l'espèce animale dont est issu leur clan. Les méfaits du lion sont alors
systématiquement attribués, non à l'animal, mais au sorcier Keita, ceux de
la hyène à un sorcier cordonnier, etc... Pour rester sociable, il faut donc
parfois tempérer l'ardeur du sang et offrir aux autres hommes un visage
d'homme. Ces espèces totémiques ont des affinités profondes avec le système
des castes car l'identification à l'espèce connote des caractéristiques fonc-
tionnelles: ainsi tous les clans ayant un prestige politique ont tendance à
se réclamer du lion, tous les clans de marabouts à se réclamer du python,
et tous les gens de caste sont renvoyés à l'hyène. A l'inverse~ aucune iden-
tification n'est faite avec les animaux lana, c'est-à-dire les interdits par
lesquels se distinguent les nombreux clans, sous-clans et lignages. Cet ani-
mal n'est pas le même que le premier (ainsi, pour les Keita, c'est l'hippo-
potame). Non seulement on ne s'identifie pas à lui mais on s'en écarte
absolument car c'est un double mortifère, l'espèce en laquelle s'est méta-
morphosé l'ancêtre après sa mort (Soundyata en hippopotame par exemple).
Ainsi le lion pour les Keita représente l'ancêtre qui les a engendrés, auquel
ils s'identifient et qui est le garant de leur vitalité spécifique, tandis que
l'hippopotame représente l'ancêtre mort, la promesse de leur propre mort,
le double à écarter tant qu'on vit. On retrouve ici transposé au niveau du
système totémique le modèle de l'âme et de son double inversé (20).

(20) Pour plus de détails sur ce point, efr. P. SMITH,Notes..., op. cit., p. 265-
77 et L. TAUXIER,La religion Bambara, Paris, 1927, p. 113-138.
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IX

Cette référence au double est donc liée à toutes les articulations, tant
psychologiques que sociologiques, de la pensée soudanaise. Le couple de
jumeaux n'en est en quelque sorte qu'une concrétisation. Or, de même
qu'on n'a pas assez insisté dans la littérature ethnographique sur la diffé-
rence d'attitude qu'il peut y avoir à l'égard des jumeaux de sexes opposés
et de ceux de même sexe, - et chez les Diakhanké, cette différence est
nette, les premiers représentant une bénédiction pour les parents, les
seconds un danger pour le parent de sexe opposé -, de même on n'a pas
assez insisté sur le fait qu'il fallait recourir à une définition structurale
du double. Le double en effet ne se définit que par la relation d'inversion
ou d'opposition à ce dont il est le double, et plus spécialement à celui des
traits distinctifs de la personne qui est mis en valeur dans le contexte donné.
Cette conception ne devrait pas trop nous étonner puisque c'est elle
que nous retrouvons dans notre littérature: dans Le Double de Dostoievski,
le sosie de Goliadkine possède la désinvolture, le charme, I'habileté dont
il souffre d'être lui-même dépourvu et quand il perdra sa place au bureau,
c'est son double qui la prendra; ils sont donc en tous points pareils sauf
que tous les traits à marquer (-) chez Goliadkine sont à marquer (+)
chez son double et que cette inversion fait tout le sujet du livre; de même,
dans le Portrait de Dorian Gray d'O. Wilde, les stigmates de l'âge et de
la corruption _sont épargnés au héros dans la mesure où ils marquent pro-
gressivement son portrait jusqu'au dénouement où la situation s'inverse;
Mr. Hyde est tout ce que n'est pas le Dr. Jekyll et le double du William
Wilson d'E. Poe, présenté clairement comme une incarnation de la voix
de la conscience, se dresse au pire moment pour faire apparaître l'écart
radical entre la vraie personne du héros et l'image inverse qu'il s'efforçait
d'en donner.
Le double est donc toujours en quelque sorte un adversaire, celui qui
en soi aurait pu vaincre, cette tendance de soi réprimée et réalisée par un
autre. Dire que deux êtres dissemblables forment un couple de jumeaux
complémentaires ou des copies inversées l'un de l'autre, c'est dire que
chacun correspond à une tendance à laquelle l'autre a dû renoncer ou qu'il
n'a pu réaliser. Au modèle naturel de cette situation qui est offert dans la
complémentarité des sexes, on ajoute le renoncement symbolique et la recon-
naissance mutuelle que marquent la circoncision et l'excision d'une part,
la senankuya entre cousins croisés d'autre part. A l'autre bout du système,
le renoncement effectif qu'impliquent la spécialisation des fonctions écono-
miques et sociales et la complémentarité contractuelle qu'elle engendre sont
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traduits en termes biologiques par les références au sang échangé ou au


morceau de chair consommé.
Chacune des cultures considérées ici brode à sa façon sur cette trame
unique. Ainsi les Dogon combinent-ils trois couples d'oppositions pour
obtenir huit principes spirituels (âmes et doubles), tandis que les sages
Malinké et Bambara n'énumèrent pas moins de soixante principes qui,
jumelés deux à deux, l'un étant chaque fois masculin et l'autre féminin,
constituent l'essence de la personne (21). Un certain nombre de ces couples
s'opposent entre eux, comme il fallait s'y attendre, sur le mode de l'inver-
sion: masculinité/féminité, endroit/ envers, avant/arrière, droite/ gauche,
intérieur/extérieur, chance/malchance, etc... Pour d'autres la signification
de l'opposition est à première vue moins claire: pensée/réflexion, volonté/
désir, axe/support, etc... On peut cependant inférer que les oppositions du
second groupe sont branchées sur celles du premier et se pensent de la
même façon: tourné vers l'extérieur / tourné vers l'intérieur, mis en
avant / laissé en retrait, etc... Il est d'ailleurs dit clairement que les deux
principes d'un couple ne peuvent fonctionner en même temps: «La pensée
et la réflexion ne peuvent pas faire leur travail ensemble: il faut que l'une
soit arrêtée pour que l'autre marche». Et ailleurs, de celui qui passe un
test d'intelligence traditionnel, on dit: «Il doit asseoir son dya (c.-à-d. son
double) et faire marcher sa pensée» (22). La plus belle illustration de cette
façon de voir est enfin la référence au métier à tisser qui par la coordina-
tion des divers mouvements alternatifs qui l'animent est le symbole de
« la marche du monde et de la personne» et, plus précisément, le modèle
de la conjugaison des principes spirituels (23).

Nous avons vu comment les différents principes de la personne -


les âmes et leurs doubles, le contenu des clavicules, le nyama - s'articu-
lent avec le modèle des relations entre catégories sociales de divers
niveaux selon un dispositif conceptuel très simple, partout récurrent, qu'on
pourrait baptiser la complémentarisation des jumeaux et qui s'incarne clai-
rement dans l'institution de la parenté à plaisanterie. On pouvait s'attendre
à trouver quelque chose de ce genre dans une société qui s'oriente vers
le système des castes et où chacun doit donc s'accepter comme l'élément

(21) Y. CISSÉ, Signes graphiques... (communication au colloque).


(22) Ibid., p. 172.
(23) Ibid., pp. 166-169.
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irrémédiablement partiel d'un tout, tenant son essence de sa complémen-


tarité avec celle des autres. Il est normal dès lors qu'on ait recours à un
modèle différencié de principes spirituels permettant à chacun d'intérioriser
sans ambiguïté sa position et la figure de son destin. D'autre part, la réfé-
rence soudanaise à la gémelléité et la croyance indienne en la transmigra-
tion des âmes sont solidaires de cette nécessité: il faut bien que d'une
façon ou d'une autre on puisse aussi quelque part être l'autre. L'intérêt
du modèle soudanais par opposition au modèle indien, c'est qu'il met
l'accent sur une complicité originelle qui conteste et enraye le processus
de hiérarchisation. Le jeu équivoque de la parenté à plaisanterie sur les
notions de maître et d'esclave ainsi que les privautés qu'elle autorise sont
bien là pour en témoigner. De tels dispositifs symboliques qui induisent à
assumer l'être de l'autre se retrouvent ailleurs, dans les cultes de possession
par exemple, mais aussi dans le précepte chrétien selon lequel «les pre-
miers seront les derniers et les derniers seront les premiers», ou même
dans l'aspiration au renversement des positions qu'implique l'idéal révo-
lutionnaire. Or, il est clair qu'à cette charnière des relations intra- et inter-
personnelles la façon de penser le rapport entre les sex.es fournit un
modèle privilégié. La fonction symbolique de la référence à la complémen-
tarité des jumeaux qui permet de passer du partenaire sexuel à cet autre
intériorisé qu'est le double d'une part, aux partenaires sociaux d'autre part,
trouve des équivalents formels non seulement dans le mythe du salut et de
la fusion par l'amour, ou dans le modèle œdipien, mais, de façon bien plus
significative, dans l'.œuvre du jeune Marx quand, pour circonscrire la
notion d'aliénation, il aligne dans une même visée le rapport de l'homme
à lui-même, le rapport entre les sexes et les rapports sociaux: «le secret
du rapport dè l'homme à lui-même trouve son expression non-équivoque,
décisive, manifeste, dévoilée dans le rapport de l'homme à la femme et
dans la manière dont est saisi ce rapport générique naturel et immé-
diat... » (24); mais d'un autre côté «la division du travail n'était originai-
rement pas autre chose que la division du travail dans l'acte sexuel» (25).
Ces propositions de Marx prises dans leur contexte visaient à montrer que
la dégradation primitive du rapport entre les sexes, la femme étant consi-
dérée comme une esclave ou un objet, impliquait l'aliénation complémen-
taire de l'homme d'une part, et la dégradation progressive d'autre part de
tous les rapports sociaux fondés sur la division du travail et le développe-
ment de la propriété privée qui l'accompagne. Dans cette dernière situa-
tion, bien que «le besoin d'une chose soit la preuve évidente, irréfutable
que la chose appartient à mon être» ... «nos rapports sociaux, mon travail
pour ton besoin, ne sont qu'une apparence; ce n'est qu'en apparence que

(24) Manuscrits de 1844, tr. fro de E. Bottigelli, édit. sociales, Paris, 1968,
p. 86.
(25) L'idéologie allemande, tr. fro de R. Cartelle, éd. sociales, Paris, 1953, p. 22.
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nous nous complétons mutuellement, en réalité notre échange repose sur


le pillage réciproque» (26); et Marx se prend alors à imaginer un monde
où les êtres humains pourraient produire sans être aliénés: «dans ce cas,
chacun de nous s'affirme, dans sa production, soi-même et l'autre double-
ment... J'aurais la joie d'avoir été pour toi le médiateur entre toi et l'espèce
humaine, donc d'être reconnu et ressenti par toi-même comme un complé-
ment de ta propre nature et comme une partie nécessaire de ton être, donc
de me savoir affirmé dans ta pensée comme dans ton amour. Enfin, la joie
d'avoir produit dans la manifestation individuelle de ma vie la manifesta-
tion directe de ta vie, donc d'avoir affirmé et réalisé dans mon activité
individuelle ma vraie nature, ma nature humaine, mon être social. Nos pro-
ductions seraient autant de miroirs où se réfléchirait notre être» (27).
Que nous nous trouvions là dans le même ordre de problèmes que
ceux évoqués plus haut, il suffit pour s'en convaincre de relire les deux
chapitres du Dieu d'eau de 1\11.Griaule intitulés «Les jumeaux et le
commerce » où Ogotomméli développe l'idée que non seulement les choses
qu'on échange mais aussi les hommes qui échangent doivent être jumeaux.
Mais un dernier commentaire nous sera proposé par un autre mythe d'ori-
gine de la parenté à plaisanterie, recueilli chez les Toucouleur: «Les hom-
mes, groupés jadis en hordes nomades étaient caractérisés notamment par
la pudeur, l'égoïsme, la réserve et la crainte, la seule violence réglant leurs
rapports au moyen de la spoliation, de la guerre, du rapt et de l'asservisse-
ment. Or, un jour, un individu innova en demandant ce qu'il convoitait au
lieu de se l'approprier par la force, et le propriétaire sollicité répondit favo-
rablement: «Prends: ce bien nous appartient à tous les deux». Le solli-
citeur surpris et ne voulant pas demeurer en reste répondit: «Désormais
ce qui appartenait à chacun de nous appartient à tous les deux». Ainsi
naquirent l'échange, le partage et la générosité. La réserve naturelle entre
voisins, la trop grande pudeur et l'égoïsme disparurent progressivement
pour céder le pas à d'autres types de rapports humains. On n'eut plus
scrupule à solliciter son voisin puisqu'on n'était plus acculé à voler et à
être volé » (28). On tend donc ici aussi vers un modèle où la division du
travail ne serait pas gâchée par la propriété privée. Ceci est d'ailleurs
souligné par le fait que ce mythe prétend en n1ême temps justifier la lati-
tude reconnue à chaque parent à plaisanterie de soutirer ou de voler à.
son homologue une partie de son bien, coutume fort répandue à laquelle
il a été fait allusion plus haut et qui est rarement si bien expliquée. II y a
cependant une petite ombre discrète au tableau, la perte de la réserve et

(26) Extraits des Manuscrits de 1844 non inclus dans public. des édit. sociales,
cfr. trade de M. Rubel, in Pages choisies pour une éthique socialiste, Paris, 1948,
p. 316-317.
(27) Ibid., p. 317-318.
(28) Yaya WANE, Les Toucouleur du Fouta Tooro, Dakar, 1969, p. 132-133.
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de la pudeur, l'évocation de l'impudent quémandeur, qui confirment bien


que l'instauration de ces nouveaux rapports fondés sur l'échange, aussi
idylliques soient-ils, ne peut manquer d'impliquer un certain degré d'impu-
reté, un dégagement de nyamaJ une perte d'être, un début d'aliénation.
Ce mythe qui rend compte du passage de la séparation radicale entre
les hordes primitives à la constitution d'une société fondée sur la division
du travail et l'échange suit, pour aboutir au même résultat, une démarche
inverse du mythe d'origine de la complémentarité entre parents à plaisan-
terie Dogon et Bozo où le problème est au contraire d'introduire entre
les jumeaux la distance, la séparation indispensables aux échanges. Entre
ces deux versions s'intercalent sur les plans logique et géographique tous
les mythes qui partent d'un échange ou d'une inversion originelle des
fonctions (cfr. mythes diakhanké, malinké, bedik...) connotant à la fois
une conjugaison des êtres et une complémentarité des rôles sur le modèle
du décalquage, ou de l'envers et de l'endroit, ou encore du cannibale et
du nourricier. D'un bout à l'autre de l'aire envisagée d'ailleurs, les versions
dogon qui disent que l'ancêtre des forgerons est celui qui apporta les
premières graines cultivables aux hommes et les mythes Peul qui attribuent
la possession originelle du bétail soit aux boisseliers (Sénégal), soit aux
forgerons (Mali), soit encore aux agriculteurs autochtones (Niger), parti-
cipent de cette version intermédiaire (29).

XI

Les rapprochements qui viennent d'être faits, les allusions aux con-
traintes économiques incitent sans doute à se demander à quel niveau de
l'explication il faut situer le modèle qu'on vient de démonter et qui s'in-
carne de la façon la plus nette dans l'institution de la parenté à plai-
santerie. Notons d'abord qu'à travers celle-ci, il est ce qui fait doublement
l'unité de l'aire culturelle envisagée puisqu'il permet aux divers éléments
qui la composent de s'inscrire dans un ensemble dont ils maîtrisent les
articulations. En effet, il est non seulement le plus original des traits
communs à tous ces peuples en dépit de leur grande diversité tant sur
le plan économique que religieux, mais en s'appuyant justement sur cette
diversité il institue de façon explicite les relations inter-ethniques elles-
mêmes (cfr. parenté à plaisanterie entre Dogon et Bozo, Toucouleur et
Sérères, Peul et forgerons de toutes origines, Diakhanké et Malinké, etc...);
c'est lui en outre qui donne son cadre au tableau d'équivalences entre

(29) M. DUPIRE, op. cit., p. 433,


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dyamu de divers peuples (ainsi par exemple, on sait qu'un Keita chez les
Malinké devient un N'diaye chez les Wolof et vice versa, chacun assumant
dès lors les parentés à plaisanterie propres au nom de l' autre); c'est lui
enfin qui commande les phénomènes de mutation ethnique proprement
dite: par exemple, un Peul se met à la forge et il perd sa qualité de
Peul, change de «race»; ou cet autre qui pêche sur les bords du lac
Korienzé se déclare maintenant Bozo; ces Bozo en revanche qui cultivent
sur les rives du lac Débo refusent d'être classés comme Bozo: «Regarde
nos mains, tu vois la marque de la daba et du travail du riz! Maintenant
nous sommes SonraÏ»; ou encore les habitants de ce village fraîchement
islamisé dont les voisins disent: «L'année dernière ils étaient Bambara,
et maintenant ils sont Marka» (30). Cette règle est d'ailleurs moins faite
pour encourager l'assimilation des uns par les autres que pour limiter
au maximum de tels transferts d'activité qui, s'ils ne s'accompagnaient
pas d'un transfert de statut, auraient tôt fait d'abolir la complémentarité
des différentes ethnies.
Cette philosophie du nyama qui tend à faire persévérer dans la par-
tialité de son être le support auquel il est affecté, qui vise à l'équilibre
en maintenant une tension suffisante dans les rapports sociaux, beaucoup
voudront sans doute n'y voir qu'un cas typique d'idéologie faite pour
masquer les inégalités. Comment alors expliquer l'absence presque totale
dans cette même région de développements idéologiques de ce type concer-
nant les rapports avec les captifs qui étaient les seuls vrais exploités du
système. Il n'aurait pas été difficile pourtant de transférer à leur cas un
modèle qui s'applique si aisément aussi bien aux rapports psychologiques
qu'aux rapports de parenté et aux rapports de production. Or cela n'est
esquissé nulle part. En fait, le captif ne semble pas, au niveau symbolique,
avoir été considéré comme un élément constitutif de la société; on deve-
nait captif par accident et cet état, à l'échelle des générations, était transi-
toire. La position de captif, loin d'être expliquée et excusée par l'idéologie
dominante, était au contraire la manifestation du mauvais fonctionnement
d'un modèle utopique de la complémentarité qui devait à sa propre logique
d'exclure aussi bien l'endettement irréversible à J'intérieur de l'ethnie, que
la guerre entre les ethnies. Si le nyamakala est un captif symbolique, il
n'est dit nulle part que le captif véritable soit en tant que tel un jumeau
ou un sanaku; il reste certes pris dans le réseau de parentés à plaisanterie
que son dyamu d'origine noble continue à faire jouer mais cela ne fait
que souligner sa déchéance plutôt que de la lui masquer. Loin de s'en-
fermer dans leur rôle, les captifs semblent d'ailleurs avoir eu tendance
soit à retrouver pour eux-mêmes ou leurs enfants le statut d'hommes libres

(30) Exemples tirés de J. Gallais, Signification du groupe ethnique au Mali,


L'Honl1ne, tome II, 1962, 2, p. 107, 108, 115.
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en s'intégrant jusqu'à l'alliance matrimoniale dans la famille du noble qui


les détenait, soit à se spécialiser dans des rôles qui leur donnaient le statut
de quasi-nyamakala (tisserands et teinturiers, coiffeuses et tatoueuses, divers
types de musiciens qui restent distingués des griots proprement dits, etc.).
Il est donc nécessaire de distinguer un dispositif symbolique qui est
d'abord mise en place de la pensée, matrice des significations et des rap-
ports humains, de l'utilisation idéologique qui peut en être faite à des fins
diverses et souvent opposées entre elles. Le même ensemble de mythes,
de croyances et de rites qui constituent un système religieux, peut être ici
facteur d'ordre, et là ferment révolutionnaire; et toute utopie peut tourner
au cauchemar. Ce qui définit un modèle comme celui qui est discuté ici
n'est donc pas l'usage secondaire qu'on en fait mais sa cohérence symbo-
lique. Or celle-ci m'apparaît moins comme une émanation ou un revête-
ment de ce qu'on a coutume d'objectiver sous le nom de structure sociale
que comme le fruit du creuset où cette dernière peut aussi se dissoudre
en purs systèmes de références justiciables des mêmes méthodes d'analyse
que les diverses productions culturelles.
L'institution de la senankuya est certes un élément essentiel de l'orga-
nisation sociale mais les hommes n'y sont pas pris comme dans du
ciment; c'est plutôt une sorte de jeu ou d'exercice dont la pratique cimente
leur pensée. La meilleure preuve en est que la senankuya est très loin
de s'appliquer à toutes les relations qui en seraient théoriquement justi-
ciables mais qu'il suffit que chacun soit pris dans quelques relations de
parenté à plaisanterie privilégiées avec ses cousins croisés, avec tel clan
noble, avec te.l et tel lignage de nyamakala, avec tel peuple voisin, pour
que toutes les autres relations de ce type soient appréhendées implicite-
ment sur le même mode. En revanche, on peut, si les circonstances s'y
prêtent, l'étendre à un domaine qu'elle ne prévoyait pas: ainsi les rapports
de plaisanterie entre villages qu'on trouve aussi bien chez les Dogon que
chez les Toucouleur. En fait, le fonctionnement même du modèle implique
qu'il ne soit pas généralisé à toutes les relations concernées; en attirant
l'attention sur les plus spéciales d'entre elles il indique de la façon la plus
efficace de quoi il ressort quand on parle de complémentarité et peut ainsi
être abstrait d'un contexte pour être reporté sur d'autres.
La force d'un modèle symbolique tient, d'autre part, à sa cohérence
par rapport aux contraintes propres du champ qu'il commande et le fait
de ne pas se référer à une sorte de complicité entre jumeaux ou de soli-
darité entre doubles peut être considéré comme tout aussi significatif que
le fait inverse pour la définition d'un ordre social. Les rapports humains,
en effet, doivent être déterminés d'une certaine façon avant de pouvoir
être exploités de plusieurs manières et il faut voir que si, avec les idées,
comme avec la langue, on peut faire de tout, du pire et du meilleur, la
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symbolisation des rapports humains joue par contre sur un registre aux
possibilités limitées et dont aucune n'est exempte d'ambiguïtés.
Dès lors, notre modèle, présent sous ses diverses formes dans la
pensée de millions d'hommes de cultures, de langues et de statuts sociaux
divers, et commandant en eux, à un niveau où les dimensions propres
à la personne, à la société et à la culture sont encore confondues, un
grand nombre de réflexions, d'attitudes, de sentiments et d'actions, ne
peut être considéré ni comme une description satisfaisante de la réalité,
ni comme le simple reflet de configurations sociales déterminées par une
géométrie aveugle, ni comme une pure rationalisation après coup. Il n'y
a pas de configurations sociales sans modèle préalable comme d'ailleurs il
n'y a pas de modèles sans la perception préalable d'une conjugaison de
contraintes diverses. S'il fallait une image, j'évoquerais les racines à demi-
cachées qui à la fois nourrissent et expliquent l'apparent désordre dans
l'immense frondaison d'un arbre sous lequel les hommes se retrouvent et
dont l'ombre protège toute la vie du village.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

THE CONCEPT' OF THE PERSON


AMONG THE LUGBARA OF UGANDA

John MIDDLETON

Abstract
The concepts of "person" and" non-person" and their relationships to various
spiritual powers are central to our understanding of Lugbara society. "Persons" are
adult men and ancestors and contrasted to "things" (women, children, and strangers).
But some" persons" are also" non-persons" in certain situations: first-born female
siblings, rainmakers, and others. "Persons" and" non-persons" have different rela-
tionships to time and to truth. The concept of "self" is related to that of "person".
Essentially "persons" are associated with social stability and perpetuity, whereas
" non-persons" are associated with forms of radical change and with the expression
of evil.
Résumé
Les notions de «personne» et de «non-personne» et leurs rapports avec les
diverses puissanœs spirituelles sont essentiels pour comprendre la société Lugbara.
Ce sont les hommes adultes et les ancêtres qui sont considérés comme des «per-
sonnes », ce concept s'opposant à -celui de «chose» (les femmes, les enfants, les
étrangers). Toutefois, il existe des «personnes» qui sont aussi des «non-personnes»
dans certaines situations: les filles nées les premières dans une famille, les faiseurs
de pluie, etc... Les «personnes» et les «non-personnes» ont des rapports différents
avec le temps et avec la «vérité». La notion de «moi» est liée à celle de «per-
sonne ». Les «personnes» sont associées à la stabilité et la perpétuité sociale, les
« non-personnes» au changement radical et à l'expression du mal.

There is not space in this brief paper to discuss earlier work on


the subject of the Person, including that of Mauss (1938), Maine (1861),
Hobhouse (1906), Radcliffe-Brown (1940), MacBeath (1952), Linton
(1945), Read (1955), and others. But fronl the point of view of anthro-
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pology at the present time, there are two distinctive ways of analyzing
ethnographic data on the topic - although they are closely linked. The
first is to construct a cosmological or theological pattern of the concepts
used in a given culture, as a pattern or structure of thought sui generis.
The classic and justly famed example of this work is that of Marcel Griaule
and those who worked with and after him among the Dogon and neigh-
boring peoples of West Africa. This work presents, in a sophisticated and
unique manner, a system of thought of a complexity and a logical beauty
of a kind that previously was virtually unknown from preliterate societies
outside the spheres of the" world" religions. The second way of analyzing
the concept of the Person is that of observing the religious and jural
notions of a given people within the social context in which they are
expressed and translated into actual behavior; it is this aspect of the
problem with which I am here primarily concerned.
The concept of "person" is central to any conceptualization and
understanding of social relations. It would appear that whether or not
any system of belief is concerned with such notions as immortality, rein-
carnation, or afterlife, all peoples are concerned with the nature of the
living members of society and with their relationship to a Creator or
Divinity that is in one way or another not bounded in time or space nor
even in obligations to his creatures. The notions of a living person and
a timeless divinity are complementary and although in most theological
systems it is held that the former is contingent on the latter, most anthropo-
logical analyses have considered the two notions as of equivalent socio-
logical significance. In this short paper on the Lugbara concepts of the
person and the non-person and their relationship to divinity, I shall be
concerned only with their significance for the comprehension of the nature
of Lugbara society (1).
The concept of the person among the Lugbara of Uganda has various
meanings. The significance of each of these is defined by a particular
situation or phase in the developmental cycle of lineage, family, or wider
territorial cluster. In each situation its usage is limited to certain categories
of people but the usages overlap in different situations. The principal factor
in the definition of its correct usage is whether or not the particular situa-
tion is one of continuity and stability or of marked and radical change
in everyday social relations. This paper is concerned to analyze these usages
and the associated situations of stability or change.

(1) Field research among the Lugbara was carried out between 1949 and 1953~
\vith assistance from the Worshipful Company of Goldsmiths and the Colonial Social
Science Research Council, London. Initial preparation of the material for publication
was made possible by a grant from the Wenner-Gren Foundation for Anthropo-
logical Research, New )Pork. I am grateful to Dr T.O. Beidelman for his comments
on an early draft of this paper.
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Only a brief outline of Lugbara social organization is required here (2).


The 250,000 Lugbara are agriculturistes living at a density of population
of some 200 to the square mile. They lack kings and traditional chiefs.
The largest indigenous political group is the sub-tribe of some 40,000
people based on a core provided by a patrilineal sub-clan, the localized
segment of a dispersed clan. The sub-tribe comprises major and minor
sections each based on a patrilineal lineage. The minor section comprises
several family clusters each based on a three to five generation minimal
lineage; this cluster is the smallest separate residential, political, and reli-
gious group and is headed by its" elder" ('ba wara, literally" big man ").
Each sub-clan has a rainmaker. Today there are government-appointed
chiefs and sub-chiefs supervising units usually much larger than the sub-
tribes. It is thus a society very small in the scale of social relations, each
petty community being largely autonomous in political situations.

II

In Lugbara thought there are certain elements that compose a human


being. As I shall show, not every human being is attributed all of them,
their attribution or non-attribution being part of the means of defining
individuals and persons.
An individual has first a body (rua), composed of the many material
elements and - organs - blood, bone, stomach, and so on. The lack of
any of these (e.g. an arm or a leg) is considered destructive to the efficacy
of the individual in everyday life, and is thought also to have certain
mystical implications. The chief of these is that a deformed or mutilated
individual is likely to be a witch, since he is likely to be envious of
others. This is true also of such infirmities as an ugly face, squinting
eyes, and the like, which are taken as signs of a propensity to witchcraft.
But such signs are not considered particularly important. At death the
body b'ecomes a corpse (avu) and is placed in the grave and there rots
away: 'It is nothing, it is finished'.
There are then several immaterial elements. The most important is
that known as orindi, which I translate as " soul". The soul is that element
that endows its" owner" (eipi) with social responsibility in lineage matters;
it is weak at birth and increases in strength with age. It is said to dwell
in the asi, an unspecified seat of the emotions and generally thought to

(2) For accounts of Lugbara social organization see MIDDLETON 1965, 1958,
1960b.
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be in the stomach or liver (there being also distinct anatomical terms for
these organs). After death the orindi becomes a ghost, that is, a responsible
lineage ancestor whose identity is remembered; the word for ghost is ori,
so that orindi means literally" the essence of the ghost".
Besides the soul an individual possesses the two elements known as
adro and tali. Adro is the word used for spirit or divinity in the sense
of a Supreme Creator Divinity. The Creator is referred to as Adroa or
Adronga, linguistically a diminutive form because it is remote from the
human world, far above it in the heavens. There is also the immanent
aspect of divinity, Adro (I use the capital letter here for convenience but
of course this would be meaningless for a Lugbara in everyday speech
where the context determines the precise meaning), a white anthropo-
morphic figure, cut in half and so having only half a body, one arm, one
leg, that dwells in the bushland, mountains, and river valleys and is
greatly feared. The adro of an individual refers to the" divine spark"
that is carried by every human being as a sign of his divine creation.
TaU is an element that gives an individual the power to influence other
people, especially those of the lineage but not emphatically so. After
death the adro becomes a nature spirit dwelling in the bushland and
feared by living people; tali joins the collectivity of previous lineage tali
in a special taU shrine.
Lastly, an individual possesses breath (ava), a sign of life that
vanishes into the air at death, and a shadow (endrilendrz) that also vanishes
at death. It is thought that a witch may not have a shadow and can
harm other people by stepping on their shadows. Neither breath nor
shadow are very important concepts and Lugbara pay little attention to
them.

III

I turn now to a consideration of the concept of "person" itself. I


am here deliberately restricting the usage of "person" to that defined by
Radcliffe-Brown and others. I therefore distinguish a person from an
individual; and any given individual human being is defined as either
a "person" or a "non-person" in a particular context. I do this in
order to make easily comprehensible some basic Lugbara concepts, possibly
at the risk, which I quite admit, both of over-formalizing their actual
usage and also of too narrow ly restricting the usage of "person", a
general and useful word. Perhaps I should use a term such as "social
personality", but this would be clumsy. The Lugbara word for" person"
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is 'ha. The word is used generally for" people" but has more specific
references which become clear in the particular situations of usage. The
first of these is the distinction from a/a (" thing "). In this usage a
" person" is a mature adult as distinct from an infant who is referred
to as a "thing" (there are of course also specific terms for" infant"
[odekua], "child" [mva], and so on). A "person" is fully socialized,
a " thing" is not. The word" thing" is similarly used for a stranger who
has not yet been assimilated into a domestic group as a client (again,
there are specific words for strangers). There are two points of significance
in this usage: although all are living human beings, an unsocialized human
being is not socially important or responsible; the second is that the
process of development from" thing" to "person" is gradual and not a
sudden step (Lugbara have few rites de passage and no initiation at
puberty); the two terms are thus not totally mutually exclusive. Lastly
in this category of usage, a man (agu) past the age of childhood is always
a "person" but a woman (oku) may be referred to as a "thing". In
this case of course there is no process of development from" thing" to
" person". Again, the usage refers essentially to lineage responsibility
and authority, as may be seen from the distinction made between men as
'ha akua (" persons of the home") and women as afa asea (" things of
the bushland "). The distinction between home and bushland, domestic
and wild, order and disorder, runs through Lugbara cosmological notions
and is central to an understanding of what is meant by "person".
" Persons" include the dead of the 1ineage as well as the living
members. They are distinguished by the use of such terms as 'ba oro dri
(" persons of. the surface of the world", or living people) as against 'ba
nyakua (" persons of the soil", or dead people). The recent lineage dead
are regarded as b'elonging to the" home"; they are buried within its
compounds. The very senior and remote ancestors are given special
shrines outside the compounds and they have a marginal position in this
respect.
Ideally a person has certain clearly defined attributes. He is socially
and physically adult, he can marry and beget children, he can own pro-
perty and he can take part in lineage sacrifice rituals. All these attributes
are acquired gradually, from the age when a child has his lower incisors
removed and his forehead scarified (at about eight years), through the
stage of puberty, when he is regarded as being able to court girls (Lugbara
have no initiation at puberty), to the full acquisition of "personality" by
marrying and begetting children. If at any phase of this development his
father dies then he is given full" personality" even if too young fully to
exercise it.
The position of men with regard to responsibility and authority is
central to the main thesis of this paper. The basic social group of Lugbara
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society is the lineage, a segment of a clan and sub-clan. The members


of a lineage include men and women born into it, both living and dead;
wives are not members of their husbands' lineages although they are
of course members of the family clusters based upon them. Men, both
living and dead, hold authority and conversely are expected to behave
with a sense of responsibility for lineage welfare and perpetuation. Details
of authority and responsibility need not be given here. But they are repre-
sented symbolically by the attribution to men of a "soul" (orindi). At
death the soul is transformed into a "ghost» (ori), the particularized
aspect of an ancestor (a'bi), that is held to act responsibly towards its
living descendants. Women are not attributed souls and male infants are
not thought to have more than the potentiality of developing souls when
they become adult. Women and males who die young become" ancestors"
(3)
but except for anomalous women (see below) do not become" ghosts" 4

A concept that is relevant here is that of " blood" (ari). Lugbara say
that they" are all of one blood" but" with different bodies". They hold
no very specific notions about any mystical significance of blood except
that it represents a spiritual unity of all Lugbara. "Blood" never changes,
only the individual physical and psychological characteristics of individuals.
However if asked whether women and children share in this blood, Lugbara
men said that" perhaps it is only men who share this blood; who can
know these things?" Men have this mystical link at least to a greater
extent than do women or children; that is, "blood" is a significant aspect
of being a " person" and a link in the everlasting chain of descent from
the clan founders to those to be born in the future.

IV

An important question is that of the position of a "person" in the


social system in terms of space, of time, and of morality. To understand
this it is convenient first to take account of "non-persons", that is, those
living people who are not generally considered to be "persons" at all,
or only in certain situations.
The first category is that of women (oku) as opposed to men.
Although in everyday speech women are subsumed with men as 'ba, this
is only in the context of speaking of "people" (e.g. "people say" or
"people do "). As mentioned above, women are said to lack souls, to
lack social responsibility, to be "things" , and generally to be if not

(3) An account of Lugbara religion is given in MIDDLETON1960a.


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asocial beings at least not as fully socialized as men. They are said to be
" of the bushland " and" evil" (onzz), notions that link them with divinity (4)
in its immanent form of Adro or Adro-onzi, the form of Divine Spirit
that dwells in the bushland in semi-anthropomorphic shape. Essentially,
women are individuals but not" persons". After death women join the
collectivity of lineage ancestors but do not generally become ghosts.
Lacking souls they cannot become responsible beings after death any more
than they can during their lifetimes.
However there is one exception. This is the position of those women
who are first-born siblings. Lugbara say that Spirit should or would have
created them men but for unknown reasons created them women. Genea-
logically they should be "persons" but physically they are women. Such
a woman, although she marries and bears children, is in an anomalous
position. This is recognized by her being attributed a dangerous power
of cursing, of always being summoned to participate in lineage sacrifices
and other rituals, and of becoming a special kind of "ghost" (oku-ori,
woman-ghost) at death instead of becoming merely part of the ancestral
collectivity. This is especially so if she is the elder sister of a lineage elder
and less so if her brother in in a junior lineage position. She is said to
be " like a man", "like a brother", and" perhaps" to have a soul.
The distinction between person and individual lies essentially in two
factors. One has already been mentioned: persons have lineage and family
authority and moral responsibility (or may do so if genealogically senior
enough). The other, perhaps the same in other terms, is that a person
is, actually or potentially, at the center of a constellation of lineage relation-
ships and positions of both living and dead; an individual is not so.
I am of course here discussing the actual spoken genealogies that are
stated by Lugbara in relevant situations and not to the anthropologist's
formally written down genealogies in which the distinction may not be
easily apparent (5). Those remembered in lineage genealogies are men and
those women who are first-born siblings; those not remembered are other
women and dead infants. All become ancestors not distinguished indivi-
dually but rather merged into a collectivity; only" persons" also maintain
their genealogical and moral individuality in the form of ghosts. A genera-
tion or so after death only a ghost is likely to be remembered in a
genealogy. Males who die young and unassimilated clients are rarely
remembered in genealogies. "Persons" are therefore those who are in

(4) Adroa. In MIDDLETON1960a I translated this term as "God" but it is better


to use the terms Divine Spirit, Creator Spirit, or Spirit.
(5) Any given genealogy may be changed by Lugbara according to the situations
in which it is used. It is significant that Lugbara conceive of genealogies (e.g. if
trying to discuss them by drawing diagrams of them) in the form of spoke-like lines
of descent and kinship centered on the hub provided by a present-day elder.

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themselves at keypoints in lineage genealogies; they hold specific positions


in that conceptualization of society that we call a genealogy. Since a genea-
logy is a statement of the patterns of authority recognized within a lineage
at any given point in history it is clear that persons in genealogies hold
positions that rationalize and validate the actual patterns of authority at
a given time.
The second relevant category of ambiguous persons is that of rain-
makers. Rainmakers are structurally highly anomalous. On the one hand
they hold senior genealogical status within the sub-clan and thus provide
a focal point for all the lineages that compose it. On the other, they are
given cosmological attributes that mark them off conceptually from ordinary
" persons". The apparent paradox is similar to that in the position of
" divine kings" : they are both socialized human beings and vehicles for
divine powers. They are both" persons" and" non-persons".
There is one rainmaker in every sub-clan. He is the most senior
member of the senior descent line of the sub-clan and the position may
pass to the sister's son if the sister is the eldest sister of the rainmaker. He
thus has direct spiritual or mystical descent from the clan-founders, the
sons of the original Hero-ancestors. His descent is of a different order
from that of ordinary men. His powers include those of controlling rain;
of controlling epidemics (sent direct from Divine Spirit and not the
consequence of petty sins of ordinary people); he could in the past stop
feud and warfare; he has powerful curses that are thought to cause sterility
and barrenness in humans and livestock; he could provide sanctuary for
homicides. In brief, his powers have to do with fertility and the prevention
of death. He is not concerned with lineage and family disputes that are
dealt with by lineage elders; and he is not concerned with individual
lineage ancestors and their propitiation which is also the duty of elders.
A rainmaker is not buried as are ordinary people. The corpses of
ordinary people (except for those of infants which are merely thrown
into the bushland) are placed in a grave and there insulted by their
agnatic kin to desocialize and dehumanize them and to reduce them to
primeval matter. The corpse is then" nothing" and is covered with earth
to dancing, drumming, and singing. A rainmaker is placed in his grave
at night in total silence; he is not insulted or cursed by the living; at
any sound he will turn into a leopard and kill those attending the rite.
But he is insulted by other rainmakers at his initiation when he succeeds
to his predecessor. We may say that a rainmaker is in a sense socially
already dead although not physically so and removed from ordinary rela-
tions of authority and obligation in lineage terms during his lifetime (6).

(6) Rainmakers are discussed in MIDDLETON 1971.


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A significant point is that of the position of these various persons


and non-persons relative to concepts of time and truth. Lugbara see their
world as being divided into a sphere of order, authority, and sociality on
the one hand and beyond or outside this sphere the realm of chaos, un-
certainty, and divine power on the other. The former is the sphere of
stability, the latter of change. This sphere of the" outside" (amve) has
no time in the sense of the structured time of everyday life - that of
the passing of the generations, seasons, months, days, and nights. It is
a sphere of asocial and amoral timelessness. Rainmakers are associated
with timelessness; their activities to do with fertility and death are like
those of the personages of myth who who transmitted their mystical powers
down the descent lines of rainmakers and who knew no kinship, no mar-
riage, no feud or warfare, no legitimacy of sexual relations, and (it is
sometimes said) no death.
There is also a link in Lugbara thought between timelessness and
absolute truth. "Truth" (a'da) has two connotations. Elders are said to
speak" words of truth" when formally practicing ritually and hedged
with taboos that remove them from the ordinary world of social relations
and time. Rainmakers however are said always to speak the truth. The
notion here is that in ordinary situations men cannot speak or think the
absolute truth although they speak what they may consider to be the
truth. But they are ignorant of it and see their society only in sectional
terms, in terms of the processes of lineage segmentation and structured
time only. Rainmakers on the other hand do know the absolute truth
that is denied to ordinary people. They are concerned with the perpetuity
of clans that compose the total society without reference to the petty
changes within these groups. They are linked with and are, as it were,
extensions of the Heroes of myth, eternally" true" and outside the vicis-
situdes of change, growth, and death.
It is significant here that the absolute truth may also be known by
those who are temporarily in a state of trance or possession. These are
prophets and diviners, who are mentioned later in this paper.
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500

VI

To summarize so far, the" person" in Lugbara thought is an indi-


vidual who is localized in space (i.e. in genealogical space), in time (i.e.
in genealogical time), and as regards moral obligations and authority. The
schema involved is not a simple duality but rather a pattern of positions
each of which may change and shift to some extent within a continuum.
At the center is the elder, a man of genealogical seniority in his lineage.
He is the focal point of convergence of lines of descent and of kinship
both from the dead and from the living. He is typically without specific
age in reckoning of years. Lugbara say that one does not even try to
count the years of an elder, that is, it is pointless and unimportant to do
so. He is old and senior; he is typically past the age when he is likely
to beget children; he is already" like an ancestor"; and all elders are
" like brothers", their relative ages being irrelevant. The elder is the quiet
center of the realm of stability.
Close to the elder are on one side the other living men of the lineage
group who are all "persons" if adult. And on the other side are the
dead of the lineage among whom the ghosts are also" persons" with
great authority and responsibility. However they are in a condition of
at least near-timelessness (they do not produce more children, nor die
again in the after-world which is thus without time). Although the dead
do not know the absolute truth for several generations after their deaths,
they do so increasingly as they become more remote from the living. The
very senior lineage ghosts are given special shrines outside the compounds,
a representation of their having gained virtually complete timelessness and
truth (they do not become specifically merged with divinity as among some
other African peoples but this process has something of that quality).
Outside this central area, or (in another dimension) toward the other
end of the continuum, are the" non-persons" mentioned above (and others
mentioned below), the rainmakers and the women. Both are said to be
" outside" (amve) although in different ways. Rainmakers are in a sense
non-social beings in their roles as rainmakers and in a state of timelessness
and absolute truth. Women are rather merely negative and certainly not
timeless nor knowing the absolute truth. Both are regarded as in many
ways uncanny and often bizarre and rainmakers are certainly regarded
with awe. Men say that the" words" or moral qualities of both are not
comprehensible - rainmakers control fertility and death, and the essential
quality of women is their fertility and power to give life.
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VII

I turn now briefly to mention the other" non-persons" in Lugbara


thought. Some of these are persons who become non-persons temporarily
by their ritual behavior and observance of taboos; others are always non-
persons. The former include prophets, elders while sacrificing, blacksmiths,
hunters, and witches; the later include diviners, lepers, twins, and those
killed by epidemics. There is not the space here to describe them in any
detail (7). They have in common that they are thought to be able to move
from the sphere of the social to that of the divine and back again. Many
of them are given asexual characteristics so that men become" like
women" (prophets who are given homosexual attributes; sacrificing elders,
who observe sexual taboos) and the women become" like men" (diviners
practice on1y after the menopause or if barren). Blacksmiths are Ndu, not
Lugbara at all; hunters go into the bushland and return and must be
purified to make them social beings again. Witches are men who are
thought to pervert their mystical authority in lineage relations to harm
others for their own ambitions and selfish ends. It is often said that in
such a man his spirit (adro) becomes more powerful than his soul (orindz).
That it to say, the divine, "external" element of power in him becomes
temporarily in charge of the social, "internal") element of authority. He
thus moves, i_n a certain sense, from the one sphere to the other and
back again.
Lepers and twins are uncanny and regarded as creatures of divine
whim; lepers are merely thrown into the bushland at death, as are thos.e
who die of meningitis and other epidemics sent by Divine Spirit; twins
were formerly put to death.
In brief, these people are or temporarily become non-persons when
" outside" the sphere of social and moral order and are thus associated
directly with Divine Spirit, their sociality being then in abeyance. They
are all associated in one way or another with forms of creative activity and
social change.

(7) These are described more fully in MIDDLETON 1968; prophets are described
in MIDDLETON 1963a, witches in 1963b, and diviners in 1969.
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502

VIII

I have discussed something of the structural aspects of the notions


of person and non-person in Lugbara. But there is also that aspect that
may be called the" self", the "me". It is convenient here to consider
views of what is thought to be proper behavior for and toward the
categories I have mentioned.
The basic principle in respect of behavior expected of someone is
that a "thing" is "natural", unsocialized or asocial (i.e. socialized but
later desocialized in some way). The more re~ote "things" are members
of other tribes and their beha vior is like that of the original mythical
beings: unpredictable, "inverted" and reversed, wild and savage (8).
Strangers' and children's behavior is similar in that it is often unpredictable
and its motivation is not apparent to an ordinary person. The behavior
of women is more complex. Women, as non-persons, are regarded as
" evil" or irresponsible in lineage affairs, often as azazaa (" crazy", a
term used of women who go into trances, wander about the countryside,
or are sexually promiscuous), and as largely unpredictable in whim and
mood. They have the divine-like power of procreation which is called
adro, the term for" spirit"; their most essential characteristic is thus itself
behond the comprehension and control of ordinary men. A complementary
factor is that a woman does not own herself but rights in her are vested in
a "person" - her father, brother, or husband. This is not to say that
she has no rights as an individual but they are jurally those of her
guardian. Women do not have" souls" but they, like men and children,
have" spirits", adro, a sign that they are divinely created. Thus an
injury to them is not an1y an offence against their guardians but also a sign
of lack of respect towards Divine Spirit. However this is not an important
belief as may be seen from the fact that an unassimilated stranger (who
also has a " spirit ") may be killed with with impunity.
An adult man who is a "person" is rather different. A man is a
creature of Divine Spirit possessing his own" spirit" (adro). But he is
also a " person" with a soul and defined as the possessor of social rights
and obligations, authority, and responsibility. There is no need to present
a long account of these factors since they are reported from all societies.
Ideally a young man should be ambitious and aggressive, as a repre-
sentative of his lineage, family, and sub-tribe. An older man should learn

(8) See MIDDLETON 1954.


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503

to curb the expression of these qualities and be "slow" and thoughtful


in speech and action. At these different periods in his life a man thus
behaves properly and effectively for the wellbeing of his group; and much
of the petty conflict within the group is a consequence of the clash between
these forms of behavior, especially by young middle-aged men who are
uncertain of which is expected of them. A man who behaves contrary
to this expected behavior does so because his" spirit" is too strong and
out of control, and if it is too blatant he may be thought a witch. Unlike
a woman who is expected to behave according to whim a man must
control and canalize his emotions and wishes in order for his behavior to
be congruent with his" personality" (9).
The situation of the anomalous figures, the first-born sisters and the
rainmakers, is more complex. Both are in one sense" persons" and play
roles of quiet strength and slowness as representatives of lineages and,
in the case of rainmakers, of sub-clans. But they are also" non-persons",
feared, uncanny, and in contact with spiritual powers beyond the com-
prehension of ordinary people.

IX

We may summarize the main argument by saying that" persons"


are those who are defined in space, in time, and by the obligation to
act with an established morality. They form the" moral community" of
the Lugbara. They are the center of lineage ties between the dead and
the living and represent the perpetuity (by" blood") and stability of the
lineage and lineage group. The elders control the lineage group and have
the ritual authority to deal with the growth and repetitive change in expected
lineage and family processes. An individual elder's view is limited to his
own lineage and what he believes to be the truth about its growth and
history; he is not concerned with the wider social system nor with radical
structural change in either it or a segment of it.
Beyond, either invariably (as with women) or situationally (as with
rainmakers and first-born female siblings), are the non-persons. They
occupy various marginal, liminal, and pivotal posÜions in the total cosmo-
logical schema. They are all associated closely with radical change in social
relations. Lugbara wish their society not to change and find it inconceivable
that it should change for any good reason or of its own internal momentum.

(9) This pattern is described at length in MIDDLETON 1960a.


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504

Change is "evil" (onzz). Yet society does change over and above the
everyday processes of lineage growth controlled by the elders. Divine
Spirit created the world and today causes radical structural change by
the intervention of divine power from" outside" into the internal affairs
of the community. Lugbara respond to this occurrence by the use of
human agents who can move from the sphere of order to the" outside"
and back again. These are the various" non-persons" mentioned above:
prophets and rainmakers both represent divine power among men; diviners
redomesticate the dead into ancestors and ghosts; smiths and hunters turn
wild materials and animals into ones for domestic use; witches are
persons who temporarily forget their sociality or " personness ", and others
(lepers, twins, and victims of epidemics) are singled out and depersonalized
by Spirit.
I have briefly presented some ethnographic data from a single African
people. How are we to understand these facts? There would seem to be
at least three levels of comprehension, each associated with further and
different kinds of analysis.
The first is to take the moral, cosmological, theological attributes
of individuals and persons and to form them into a coherent pattern of
thought by which this particular people conceives of the nature of the
individual existence. This the Lugbara do by the use of the notions of
divinity, soul, spirit, time, and so on. These are not very different in
essence from those presented for other peoples in the papers of this Collo-
quium, although they are arranged according to a different logical pattern.
They may easily be arranged into a dualistic pattern, as I have shown. I
find that this is interesting and enlightening, yet it is a static analysis and
would seem not to lead to further analysis nor to valid cross-cultural
analysis.
The second way is to show that the Lugbara also use these notions
as a means of understanding and explaining certain problems to do with
areas of uncertainty and ambiguity in their experience of social life. There
is a danger here, in that I suspect that this analysis is one that is made
more by the anthropologist than by the people themselves, in a conscious
sense. But this is true of any analysis of symbols: presumably people use
symbols because they do not wish or cannot refer directly to whatever
reality lies behind them and is represented by them.
There would seem here to be two main areas of uncertainty in the
sense that I am using the term. The first is that of radical change in the
structure of society. Lugbara see their society as a stable and structured
network of defined social statuses and composed basically of the relations
between" persons". But society and social order are fragile, continually
beset by the" evil" engendered by Divine Spirit in the" outside" sphere
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of chaos. The various forms of evil and change that threaten society and
at times overwhelm it are associated indirectly with Spirit and directly
with the various categories of "non-person". By these notions Lugbara
are able to make sense of the existence of evil and change. The second
area of uncertainty lies in the behavior of individual people, whether
" persons" or not. Lugbara society is based, according to the people,
upon the proper observance of authority and responsibility between
people in formal positions due to age, genealogical seniority, descent,
and sex. Yet in fact they know very well that this proper observance is
not in fact performed. People are different from one another; some are
more or less responsible than others; some behave in selfish and idio-
syncratic and eccentric ways; some are more or less successful than others,
whether in material or mystical terms; some have more influence over
others than their formal status warrants; despite parenthood, some off-
spring are not like their parents in either physical appearance or in
behavior; some are more or less conscientious than others; some people
are simply evil, while others are unnaturally or unexpectedly good people.
It would appear that Lugbara explain and so cope with these unexpected,
uncertain, ambiguous, and often anomalous behaviors by reference to the
notions of non-person that I have mentioned. This analysis needs much
more space than I have been able to give it in this brief paper, and I
present it here as an hypothesis for further work rather than as a proved
conclusion from the facts presented.
The third level is to see whether there are congruences, on a com-
parative level, between these patterns, these ways of understanding un-
certainty and ambiguity, and the forms of social structure and organization
that give rise to them. For example, if either the Yoruba, the Dogan, or
the Lugbara (to mention three peoples discussed in this Colloquium) give
greater social and political importance to influence or intrigue in everyday
life, do they use concepts of the kind discussed in this paper to a greater
or lesser extent than in other societies? To what extent among these three
peoples can idiosyncratic and eccentric behavior be accepted or tolerated?
To what extent among these peoples are inter-generational conflicts impor..
tant and/or disruptive, and are they dealt with in these terms? Are
there differences in the degrees to which these societies have been affected
radically by the impact of colonial change, and do they react by the use
of these kinds of notions? To what extent do these societies tolerate or
accomodate anti-social behavior expressed in terms of witchcraft or sor-
cery? I do not have the answers to these and similar questions; but I
think that a consideration of the notion of the person, as has been made
at this Colloquium, can begin to resolve these problems and by doing so
continue our progress in understanding the nature of human society.
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Refel.ences

L.T. HOBHOUSE, 1906. - Morals in Evolution. London.


R. LINTON, 1945. - The Cultural Background of Personality. London.
A. MACBEATH, 1952. - Experiments in Living. London.
Sir Henry MAINE, 1861. - Ancient Law. London.
Marcel MAUSS, 1958. - "Une catégorie de l'esprit humain: la notion de
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S.F. NADEL, 1951. - Foundations of Social Anthropology. London.
A.R. RADCLIFFE-BROWN, 1940. - "On social structure", I.R.A.I., 70,
1-12.
K.E. READ, 1955. - "Morality in the concept of the person among the
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John MIDDLETON, 1954. - "Some social aspects of Lugbara myth".
Africa, 24 (3), 189-199.
John MIDDLETON,1958. - "The polititical system of the Lugbara of the
Nile-Congo Divide", Tribes Without Rulers, Middleton and Tait (eds).
London. 203-229.
John MIDDLETON, 1960a. - Lugbara Religion: Ritual Authority among
an East African People. London.
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Richards (ed.). London. 326-343.
John MIDDLETON, 1963a. - "The Yakan or Allah Water Cult among
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craft and" Sorcery in East Africa, Middleton and Winter (eds). London.
257-275.
John MIDDLETON, 1965. - The Lugbara of Uganda. New York.
John MIDDLETON, 1968. - "Some categories of dual classification among
the Lugbara of Uganda", History of Religions, 7 (3), 187-208.
John MIDDLETON, 1969. - "Oracles and divination among the Lugbara",
Man in Africa, Douglas and Kaberry (eds). London. 261-278.
John MIDDLETON, 1971. - "Prophets and rainmakers: the agents of
social change among the Lugbara ", Translation of Culture, T.O. Bei-
delman (ed.). London. 179-201.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

RÉFLEXIONS ETHNOPSYCHIA TRIQUES


SUR L'ORGANISATION TEMPS ESPACE
DE LA PERSONNE

J. MONFOUGA, J. BROUSTRA, P. MARTINO


et M. SIMON

I. Données générales sur le temps et l'espace mythiques

Nous rappellerons, pour mémoire, en quelques lignes schématiques,


les problèmes soulevés au niveau du temps et de l'espace mythiques.
Dans l'univers mythique, «les espaces sont tou jours de véritables
temples et les temps sont des fêtes» disait M. Mauss. La relation entre
le temps et le domaine sacré est, nous le savons bien, évidente. Les rites,
qui réactualisënt les mythes, abolissent le temps profane, introduisant au
temps primordial restauré, véritablement revécu et non pas simplement
commémoré. Il s'agit là d'un temps qualitatif, justement sous-tendu par
ces rites qui font revivre l'univers mythique. Pour reprendre encore M.
Mauss: «les qualités du temps ne sont pas autre chose que des degrés
ou des modalités du sacré». A ce niveau, le temps que vit l'individu ne
dépasse pas ce qu'il peut éprouver et concevoir, de même que l'espace
ne dépasse pas les horizons qu'il saisit. Le temps vécu se traduit en une
série de temps juxtaposés. Tout est donné dans chaque maintenant, le
temps est véritablement un «maintenant». Et ce temps est intimement lié
à un espace également très proche. Chaque évènement dans lequel se trans-
pose l'individu a son temps propre qui est aussi celui de l'individu lui-
même. Dans cet univers mythique nous assistons à une fusion temporaire
du sujet et du monde. A l'intérieur de ces temps juxtaposés, l'individu
peut se trouver successivement dans chacun d-eux ou simultanément dans
plusieurs à la fois. M. Leenhardt faisait remarquer que le Canaque,
chaque fois qu'il agissait, se trouvait transporté en autant de domaines
spatio-temporels, où s'affirmaient les mobiles qui allaient le déterminer,
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ces mobiles ne venant d'ailleurs pas de lui, mais lui étant imposés. Et,
disait-il, «chacun de ces temps juxtaposés où le sujet se transporte, est
un temps de caractère mythique. Et ses domaines où son esprit se répand
sont des domaines que nous appellerons spatio-mythiques» . Ainsi la
notion de temps et la notÏon d'être ne se distinguent pas l'une de l'autre.
Le mythe est véritablement une manifestation de l'être, il est une parole.
Il est une réalité dont l'être est pénétré au point de conformer à elle son
comportement. Il correspond à un mode de connaissance affective.
Pourtant ce temps et cet espace mythiques ne sont pas, nous le
savons bien, permanents. Ils sont coupés de temps et d'espaces «laïques»
ou vécus simultanément avec eux, en interpénétration constante. Le même
individu défrichant, avec un rituel adapté, l'espace spatio-mythique de la
brousse, peut être, l'instant d'après, l'habile commerçant, le prêteur sur
gage multiple, au budget complexe, et à la mémoire « économique» dépas-
sant largement les bornes du «maintenant». Mais il faut aussi concevoir
que l'univers mythique n'est pas le seul fait d'individus de- certaines cul-
tures bien déterminées, l'univers rationnel étant réservé aux autres. Dans
toutes les cultures, quelles qu'elles soient, il y a des temps et des espaces
vécus, qualitativement différents, où de toute façon affectivité et objectivité
sont toujours intimement liées, mais où chacune de ces composantes prend
plus de poids selon les circonstances et... la bonne foi des individus. Tout
au plus peut-on dire que, dans certaines cultures, le pôle mythique (le
mode de connaissance affective) est organisé, existe sur un plan formel et
explicité, alors que dans d'autres, il reste informel, en principe d'origine
individuelle et non plus sociale, nié par un recouvrement de rationalisation.
Or rationalisation n'est pas pas rationalité assumée. Une des principales
attitudes magiques des cultures occidentales tient justement dans la néga-
tion de ses propres pôles mythiques 'en tant que facteurs dynamiques dans
les comportements sociaux. Mauvaise magie d'ailleurs, assez peu efficace,
leur négation n'ayant jamais empêché les réalités d'exister!
Nous avons rappelé ces temps et espaces mythiques dont l'analyse
est classiquement connue. Nous avons souligné l'existence des deux pôles
affectifs et rationnels en tant que soubassement de modèles explicatifs du
monde. Nous avons indiqué que ces pôles sont parfaitement interpéné-
trables et peuvent être conjointement vécus, et ce, dans toutes les cultures,
bien qu'à des degrés différents par le fait de structures sociales favorisant
plus ou moins l'épanouissement de l'une ou de l'autre. Est-ce dire que
dans toutes les cultures, pôle mythique et pôle rationnel étant également
présents, nous devons alors avoir affaire à une même perception, dans un
vécu corporel identique, du temps et de l'espace? Il est bien évident
que non. Si l'unité de la nature humaine nous paraît devoir ne pas être
mise en doute, elle ne s'en exprime pas moins sur des modes variables
selon les cultures.
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Nous allons voir, ainsi, comment sont vécus le temps et l'espace,


comment ils sont appris, chez l'enfant africain.

II. Genèse du temps et de l'espace chez l'enfant africain

Les observations, longues et minutieuses, de l'enfant africain élevé en


milieu traditionnel (en particulier celles de l'école de Fann à Dakar) ont
en effet bien défini les conditions de vie où et par qui s'organisent le
temps et l'espace du petit enfant. L'aspect le mieux connu en est la
relation de corps à corps entre le corps-objet de l'enfant et les multiples
corps-porteurs du groupe (la mère certes, mais aussi de multiples mères-
porteuses vivant dans le groupe).
Dans cette relation particulière, et dans un mouvement que scandent
le pas, le geste, le travail, la danse de la mère-porteuse, sur ce corps et à
travers ce corps, l'enfant découvre un espace qui est celui de la concession,
lieu de vie du groupe, un espace fini qui est celui des autres, et dont les
limites sont les limites et les interdits de l'espace des autres. Dans cet
espace relationnel fondamental où tout est à tous et où l'enfant est l'objet
de tous (il est important de souligner la variation normale et habituelle
du nombre des personnages en présence), le temps du petit enfant est
celui de sa faim, de sa soif, de son sommeil, découvert dans l'absence de
contrainte ou de rythmes artificiels, mais dans le temps du groupe (du
soleil, de la nuit, du froid, etc.) et toujours dans le mouvement et le
rythme des corps.
Il nous semble possible de dire que dans cette relation multiple, fonda-
mentale, avec une pluralité de mères et de pères, donc dans un monde
fragmenté, aux repères multiples, le petit enfant vit, découvre, construit
un temps qui est le temps de son désir dans une succession de temps
centrée sur la satisfaction du désir, un espace qui est un espace relationnel
sans repères fixes, fragmenté dans sa signification première d'espace rela-
tionnel.
Ce temps et cet espace qui sont temps et espace du groupe, sont
aussi temps et espace du danger, du rite, du mythe, reproductions stéréo-
typées du temps et de l'espace ancestraux, éternellement renouvelés dans la
pérennité du culte, et que l'enfant découvre peu à peu après le sevrage. L'âge
de l'école (islamique et officielle) vient « ajouter» d'autres temps, d'autres
espaces, mais aussi la découverte d'autres interdits, de la contrainte, de
l'autorité, comme en un emboîtement concentrique non fini de temps et
d'espaces nouveaux.
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Peut-être pourrait-on dire que l'importance du corps (corps propre


et corps des autres, perception de soi et de l'autre, de soi par l'autre,
etc.) comme élément médiateur privilégié de base de découverte du temps
et de l'espace (peau, muscles, mais aussi regard) dans une proximité
maxima des êtres, organise (autour du désir et dans l'absence de repères
fixes) un espace-temps fini, à court diamètre, bati à l'échelle du corps et
du regard de l'homme, reproduction stéréotypée de. l'espace-temps ancestral,
mais aussi modèle-étalon pour la découverte de la relation sociale, pour
la découverte d'autres espace-temps.
Ainsi après cette première approche du vécu par la personne du
temps et de l'espace mythiques et, plus précisément en milieu africain, de
sa formation au niveau de l'éducation de l'enfant, nous voudrions aborder,
avant de présenter le cas clinique qui a servi de soubassement concret aux
réflexions d'ordre ethno-psychiatriques que l'on voudra bien trouver dans
cet exposé, nous voudrions aborder le problème plus général des bouffées
délirantes. Si ce thème psycho-pathologique a préférentiellement retenu
notre attention, c'est que d'une part, sa fréquence est particulièrement im-
portante en Afrique, et que, d'autre part, il met en cause justement ce
vécu espace-temps, qui nous paraît être une composante essentielle de
la personne.

III. Les bouffées délirantes. Perspectives ethnopsychiatriques

Les bouffées délirantes peuvent être définies comme des crises déli-
rantes transitoires, à thèmes variables (de la persécution jusqu'aux états
mystiques), avec des hallucinations très mouvantes, comme dans un rêve.
Elles sont caractérisées par la soudaineté de leur apparition et leur résolu-
tion, en général rapide, surtout après l'utilisation des médicaments neu-
roleptiques. On parle ainsi de «bouffées». En psychiatrie occidentale, elles
constituent un mode de discussion privilégiée entre psychiatres et, depuis
le XIXesiècle, l'accord n'a pas été trouvé sur leur fréquence, leur situation
nosographique, et leur valeur pronostique. Elles ne sont pas reconnues
dans le cadre nosographique anglo-saxon et en France on admet qu'elles
représentent 5 % des états psychotiques, ce qui est peu. Pour la majorité
des auteurs anglo-saxons, il n'existe pas de crises hallucinatoires chroni-
ques, schizophrénie et paranoïa tout particulièrement. C'est ainsi qu'ils par-
lent de schizophrénie et de paranoïa aiguës, même si l'individu, ultérieure-
ment, ne s'organise pas réellement dans ces deux psychoses, selon le mode
chronique. En France, on admet qu'elles existent comme telles, uniques ou
répétées dans la vie de l'individu, bien qu'un certain nombre d'entre elles
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puissent être inaugurales d'une psychose chronique qui apparaîtra comme


telle ultérieurement. H. Ey dans son traité (1960) les isole et parle de
désorganisation de l'espace vécu, et Follin en 1963 au Congrès de Neuro-
psychiatrie de Langue Française, a présenté un important rapport mettant
en évidence leur originalité structurale et génétique. Pendant de nombreuses
années, en France, la bouffée délirante a été corrélative de la notion de
dégénérescence introduite par Magnan. Elles constituaient l'expression
favorite des sujets à faible maturité corticale, en particulier des débiles,
et leur polymorphisme thématique, associé à leur labilité, laissait apparaître
comme logique qu'elles soient issues d'individus peu maturés, au sens péjo-
ratifs de porteurs d'incapacités cérébrales organiques.
En 1965, H. Collomb, dans un important article de «Psychopatho-
logie Africaine », signalait qu'elles représentaient, dans le cas particulier
des malades admis à l'hôptial de Fann, 30 à 40 % des états psychoti-
ques. Il existe une importante différence numérique qu'il va tenter de
justifier. Il souligne qu'elles correspondent, sur un plan psychopathologique,
à un mode privilégié d'expression étroitement relié à la culture africaine,
au sens où ces crises hallucinatoires peuvent être réintégrées dans la tra-
dition. Il aboutit à l'hypothèse qu'elles constituent une sorte de soupape
cathartique qui rendrait moins favorable l'organisation des psychoses chro-
niques, en particulier la schizophrénie. Pour lui, elles constituent véritable-
ment un espace salvateur qui s'oppose à l'éclosion temporalisée d'un pro-
cessus délirant chronique. Ce sont des crises dynamiques et salutaires dans
la mesure où la culture les rétintègre et leur donne signification maturante.
A ce point de vue on pourrait presque dire que l'Afrique, grâce à ses
possibilités de reprises culturelles par le groupe social, se situe en position
d'hygiène mentale par rapport à l'Europe, en ce qui concerne la prophy-
laxie des maladies mentales. Il nous a paru intéressant de reprendre la ques-
tion en posant le problème à partir d'une réflexion phénoménologique
utilisant les concepts de temps et d'espace, ce qui nous permet d'aborder
aussi nos propres attitudes occidentales. Nous n'éluderons pas la question
de savoir comment notre propre organisation du temps et de l'espace peut
infléchir la manière dont nous construisons notre propre savoir, ce qui
n'apparaît pas dans l'étude de Collomb. En ce sens, l'épistémologie de
nos concepts analytiques traduit le souci de ne pas oublier nos attitudes
lorsqu'on choisit une perspective transculturelle.
Si nous reprenons le rapport de Follin consacré à l'étude structurale
de la bouffée délirante en Occident, nous remarquons que la particularité
des sujets ayant présenté une bouffée délirante est précisément de ne pas
manifester, pendant les périodes intercritiques, ce que nous appellerions
volontiers des névroses fortement déterminées par leurs caractères temporo-
spatiaux, nous voulons parler des névroses obsessionnelles, phobiques et
hystériques. Ces trois grandes névroses se présentent sur une trajectoire
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temporo-spatiale où le présent s'efforce sans cesse de différer un futur qui


dissimule la menace d'un passé à la fois ignoré, menaçant, et qui a force
de répétition selon une obscure détermination. Elles constituent un mode
de défense en général très efficace, si on en croit leur nombre toujours
croissant en Europe. Comme nous le disions, ces névrosés bien défendus
en termes de temps et d'espace, présentent exceptionnellement des bouffées
délirantes. Par contre la personnalité des sujets présentant de tels accidents
est très différente. Ce sont des personnalités immaturées, au sens où ce
terme définit une étroite dépendance par rapport à leur cadre affectif de
référence. Ce sont des sujets incertains d'eux-mêmes, éprouvant un senti-
ment d'incomplétude psychique et somatique, qu'on définit volontiers
comme des personnalités psychasthènes, mais ressentant aussi dans leur
corps, une tension diffuse mal localisée, avec des phénomènes spasmodi-
ques divers. Ces sujets mènent une existence dysharmonique et peu créa-
tive, sans autonomie réelle, oscillent dans un temps et dans un espace mal
définis, mais qui ne s'organise jamais en termes de dangers précis comme
chez les névrosés phobiques, par exemple. En général cette manière d'être,
accompagnée d'un sentiment taciturne ou morose de l'existence (l'ancienne
neurasthénie) présente une certaine stabilité, si les conditions d'existence
(vie sociale, inter-relations familiales...) restent suffisamment monotones pour
constituer un certain compromis entre l'éprouvé intérieur du sujet et sa
réalité existentielle. Leur périmètre relationnel, pour rester stable, doit se
maintenir restreint.
En effet, tout traumatisme affectif, toute redistribution d'un rôle social,
amène très facilement ces sujets à une «explosion psychotique» dans les
termes de la bouffée délirante, explosion qui aboutit, en général, à une
reprise d'un style d'existence très comparable à celle qui précédait la crise.
En général ces sujets très ambivalents, fondamentalement indécis, doivent
affronter une situation dont l'urgence de résolution (urgence au sens où ils
l'éprouvent ainsi) ne permet en aucun cas l'aménagement de distances suffi-
samment efficaces (car il faudrait qu'ils les inventent dans l'instant) pour
différer ou éloigner la menace. Aucune distance de type phobo-obsession-
neUe ne leur est possible. Au contraire nous assistons à une dislocation
brutale des coordonnées temporo-spatiales, caractérisées:
1. Par un blocage complet de tout projet existentiel. Le futur ne
peut être différé: il devient impossible.
2. Par un envahissement complet de l'espace, qui actualise, dans un
présent menaçant toute la fantasmatique de l'être. En ce sens le futur
contient une telle puissance de menace qu'il s'abolit dans un présent spa-
tialement posé, où la problématique de l'être censuré sur le plan temporel,
se déploie toute entière selon les illusions sans fin d'un espace non
coordonné au temps.
La rupture du temps, selon l'impossibilité existentielle du projet,
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introduit d'une manière radicale les métamorphoses hallucinatoires d'un


espace livré à la seule emprise d'un passé qui encercle littéralement
l'individu dans un «maintenant» terrifiant où les limites entre soi et le
monde s'estompent. Nous avons donc ici, sur un mode pathologique, une
réversibilité ou une mutation absolue du temps dans l'espace, la rupture
de la dimension temporelle amenant une inflation absolue de l'espace.
C'est une fonction essentielle du mythe que de permettre la résolution,
au niveau collectif, des problématiques personnelles, lorsqu'elles demeurent
dans certaines limites, voir dans une certaine généralité. Si la problémati-
que devient plus originale, si elle se pose selon des contradictions propres
à l'histoire précise du sujet, la reprise mythique peut être insuffisante,
et l'angoisse envahit le champ d'existence au point que l'imaginajre privé
déborde l'imaginaire proposé par la culture. Cette facilité de migrer ou
de s'élargir dans l'espace mythique, rendrait compte, selon H. Collomb,
de la fréquence des bouffées délirantes en Afrique. L'univers mythique,
au sens d'espace compensateur, intervient donc encore pour rendre compte
d'une priorité de la bouffée délirante en Afrique par rapport à l'Europe.
On peut dire que si l'Européen en difficulté choisit de respecter la
problématique du temps en s'installant de manière privilégiée dans la
névrose, l'Africain, lui, utilise un espace compensateur qui, dans un premier
temps, sera très subjectif et halluciné sous l'effet de l'angoisse, mais qui
retrouvera vite sa signification culturelle par la reprise mythique qui s'opère
rapidement pour intégrer ,et donc désaliéner, cet épisode. D'une certaine
manière il pourrait y avoir une certaine analogie entre l'immaturité de nos
sujets européens qui aménagent leurs désirs selon des coordonnées tem-
poro-spatiale~ bien limitées, et le conditionnement éducatif et culturel qui
imprime à l'individu, en Afrique, une certaine stabilité (au sens des limites
temporo-spatiales) .
Rappelons que la pensée psychiatrique européenne reste marquée par
la notion de dégénérescence, au sens d'immaturité organique du cerveau,
terrain favorable à l'éclosion de bouffées délirantes polymorphes. D'autre
part, nous avons vu que la plupart des manifestations délirantes aiguës ne
sont pas retenues comme des bouffées délirantes, mais comme l'expression,
sur une modalité aiguë, d'une psychose chronique déjà en puissance dans
l'individu, qui est déterminé par un processus. De plus, au moment même
où elle apparaît, la bouffée est «ineffable» et hétérogène à toute com-
préhension culturelle. On repère donc deux continuations possibles où la
pensée peut être entraînée:
1. Il Y a analogie entre l'immaturité quasi organique des sujets
présentant des bouffées délirantes en Europe, et les mêmes sujets
africains. Comme les bouffées délirantes sont nombreuses en Afrique,
il existerait une immaturité globale de l'homme africain. A la limite
il, serait immaturé par rapport à notre vécu temporel et on arriverait

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à dire qu'il se décompose selon la structure de la bouffée délirante


car il est encore incapable d'accéder à la dimension temporelle des
psycho- névroses.
2. Au contraire, et cela est la perspective de Collomb, cette
osmose privilégiée entre le temps et l'espace, constituerait une barrière
efficace contre l'installation des névroses et des psychoses chroniques.
La bouffée délirante aurait donc une efficacité cathartique que notre
culture, par l'effondrement du mythe collectif, ne peut assumer.
Il s'agit d'une expérience signifiante au moment même où elle se
déploie.
En réalité il nous est apparu que ces deux conceptions manquent de
se reprendre dans une réflexion qui poserait le problème de leur contenu
ethnocentrique. On peut se poser la question de savoir si notre propre
organisation temporo-spatiale n'amène pas à reconnaître aux Africains un
excès de spatialisation, dans une mesure exacteinent opposée à notre pré-
férence implicite à dérouler le savoir en termes bio-temporels (processus
organique se déroulant dans le temps). Ceci rendrait compte de la faible
place que nous accordons à la bouffée délirante conlme « crise de l'espace»,
au profit de processus déterminés dans le temps, pour obéir en particulier
à une certaine fatalité organique, dont la dégénérescence est le concept type.
Peut-être admettons-nous, en fait, difficilement que l'espace mythique puisse
à nous aussi nous venir en aide.
En effet la dynamiq ue de la bouffée délirante (si bien analysée par
Follin en termes de crise de personnation) est apparue tardiveme~t, et ne
s'impose pas complètement, dans l'esprit psychiatrique européen. Il faut
citer l'étude de Binswanger « le cas Suzanne Urban» en 1957 qui décri-
vait déjà, d'une manière très précise, comment la perception d'un futur
impossible engageait la personnalité vers une expansion hallucinatoire de
l'espace. A propos du délire de persécution, organisé en bouffée réversible,
il disait que «la présence du malade délirant persécuté confrontée à celle
de l'homme sain s'explique par une modification de la spatiaIité origi-
naire ». On peut dire, pour introduire notre propre variable culturelle qui
a ici tout son poids, que l'effacement des bouffées délirantes à J'intérieur'
des grandes psychoses chroniques correspond sans doute, en Occident,
à une moindre possibilité d'admettre que la pathologie puisse quitter la
trajectoire temporel1e pour s'éloigner dans l'espace selon la dynamique des
crises cathartiques. Cet aspect a été repris dans la thèse d'un d'entre nous
sur les bouffées délirantes persécutives. On pourrait parler en Occident
d'une suspicion ou d'une «méfiance» pour l'espace, ce qui a peut-être
sa source dans nos propres modalités éducatives. De là à penser que le
savoir reste influencé par l'éprouvé originaire, il y a peut-être une audace
que nous trouvons chez Merleau-Ponty lorsqu'il parJe de pensée anté-
prédicative et qui d'une façon générale se retrouve dans tout le courant
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phénoménologique et psychanalytique. Donc il nous paraît possible de dire


que les bouffées délirantes sont peu reconnues en Europe dans la mesure
où il leur est accordé difficilement droit de cité, et qu'une approche diffé-
rente de la psychopathologie pourrait les restituer dans une plus grande
fréquence. Inversement, elles sont peut-être surestimées en Afrique par une
attitude compensatrice opposée.
Pour mieux illustrer un exposé qui, sous son aspect général, peut
paraître un peu abstrait, nous allons aborder maintenant un cas clinique,
qui, nous l'espérons, clarifiera ces quelques données théoriques.

IV. Un cas de bouffée délirante en milieu africain

I.G. est admis dans le service de psychiatrie de l'hôpital Fann, à


Dakar, en avril 1967. L'histoire est la suivante:
I.G., âgé de 30 ans, est un petit commerçant établi dans un village
au bord de la mer. Il ne s'est lancé dans le commerce qu'après avoir
exercé pendant plusieurs années -le métier de tailleur à Dakar. Ayant cons-
titué un petit pécule, il monta un fonds, laissant sa machine à coudre à
l'un de ses petits frères, avec un sens particulier de la famille que l'on
retrouve, après ses trois mariages, dans la considération dont il jouit géné-
ralement pour ses qualités de père et d'époux. De plus, musulman prati-
quant scrupuleux, il appartient à la secte des Mourid et ne manque jamais
de remettre ses bénéfices à son marabout, déduction faite des sommes
nécessaires à l'entretien des siens (il sait que le marabout lui donnera en
retour de quoi couvrir d'éventuels besoins inattendus).
Or, justement, depuis Je début de l'année 1967, I.G. a quelques dettes
(auprès de fournisseurs notamment) qu'il n'arrive pas à régler: la saison
agricole n'a pas été très bonne et la chute des cours de l'arachide invite
le paysan à restreindre sa consommation. Le petit commerce local s'en
ressent. LG. se trouve donc en passe d'ennuis qui certes gêneraient ses
activités commerciales, mais aussi (et surtout?) risqueraient de porter
atteinte à son état d'homme respectable et respecté «< c'est la honte»).
Mais il n'est pas très inquiet: le marabout n'est-il pas là ? II lui rend visite.
Hélas la saison a été mauvaise pour tous, et le marabout veille avec
une attention féroce aux fonds collectifs qu'il a réunis; peut-être les a-t-il
épuisés. Il refuse son aide (qui aurait été normale pourtant nous l'avons vu).
Quelques jours se passent. La ferveur religieuse d'I.G., habituellement
fort convenable, semble s'exacerber. Brusquement, un matin, il se rend au
domicile du marabout et invective ce dernier avec violence, sans l'agresser
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physiquement. Dans un grand mouvement d'exaltation qui affole l'assis-


tance, il tient des propos variés à multiples thèmes, dont l'un surtout
étonne: il se dit Dieu lui-même, venu pour faire le bonheur de tous.
Agité, son discours et son comportement paraissent si étranges et anormaux
que l'hospitalisation est immédiatement conseillée par le marabout lui-même.
A son arrivée à l'hôpital le sujet est plus calme. Les systèmes de
contention utilisés pour le voyage peuvent être supprimés sans inconvé-
nient. I.G. se dit «très fatigué». Il a perdu de sa loquacité mais, par
bribes, un discours (comparable à celui qui est décrit par l'entourage)
laisse émerger des idées délirantes mal structurées où domine un thème
mystique.
L'examen somatique, les examens conlplémentaires, ne laissent cons-
tater aucune anomalie. Un traitement neuroleptique est mis en place.
Le résultat est rapide: trois semaines plus tard I.G. peut sortir, très calme,
critiquant l'épisode présenté par lui-même comme pathologique. Quelques
points toutefois ne sont pas réglés; l'agression (verbale) du' marabout est
maintenant très fortement culpabilisée «< je l'ai regardé dans les yeux»);
c'est pourquoi il choisit de lui faire d'abord une visite.
Résumons l'étonnant résultat des deux ou trois rencontres qu'I.G. fit
avec son marabout:
- I.G. reconnaît publiquement l'avoir «regardé dans les yeux».
- Le marabout, tout aussi publiquement, et dans l'immédiat, par-
donne.
- Puis il proclame qu'I.G. a été réellement habité par Dieu un
instant (les conduites discutables sont dès lors à rapporter à un désarroi
compréhensible devant l'ineffable).
- I.G. devient un personnage privilégié. Il déménagea, réinstalla son
commerce tout près de la mosquée et obtint sans la moindre difficulté les
délais ou aménagements nécessaires au remboursement de ses dettes. Il fut
revu à plusieurs reprises en consultation à des intervalles espacés. Rien
n'autorisait dans sa présentation, son discours ou ses comportements, à le
considérer comme un malade mental.
Cette observation a donné lieu, en son temps, à de nombreux commen-
taires au sein de l'équipe saignante. Par souci de concision nous avons dû
omettre un certain nombre d'éléments. Indiquons-en rapidement deux:
(1)
il était possible qu'IG. ait été qualifié d'enfant «nit ku bon» dans son
enfance; d'un autre côté ses rapports à son père (extrêmement orthodoxes
de façon générale) se trouvaient, au moment de l'épisode~ douloureusement

(1) L'enfant" nit ku bon" est, en milieu sénégalais, un enfant qui présente un
syndrome psychopathologique très particulier. vécu comme pouvant être la revi-
viscence d'un ancêtre réincarné, et promis à un grand avenir ou à une mort immi-
nente.
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imprégnés par une maladie du père, mal soigné de façon traditionnelle.


Ces points toutefois nous paraissent importants surtout au plan de la genèse
de l'état présenté, en fonction de l'organisation de la personnalité. Nous
voudrions ici suggérer plutôt une autre réflexion, centrée sur la perte bru-
tale des références temporo-spatiales.
Disons d'emblée que, d'un point de vue nosologique, I.G. a présenté
une bouffée délirante. Cet état représente une rupture brutale du temps
vécu; la déstructuration de la conscience entraîne une perte de référence
stable à la temporalité et une dilution des limites du corps dans le champ
spatial où peuvent s'épandre les fantasmes. Il nous semble que cet événe-
ment ne peut survenir que si l'organisation temporelle normale du sujet
est déjà construite selon un modèle particulier où les articulations entre
expériences passées et anticipées n'autorise pas d'étagement temporel des
défenses (comme cela serait le cas de la personnalité névrotique). La mise
en cause brutale et globale des références vécues, avec explosion d'une
bouffée délirante pourrait laisser supposer une organisation de la personne
où, en périphérie d'un noyau à structure temporo-spatiale stable et tradi-
tionnelle, se détachent les conduites actuelles socialisées d'un « personnage»
qui est en permanence totalement et successivement impliqué (2).
Mais la
mise en cause d'un quelconque des aspects de ce personnage ne peut se
résoudre par une stratégie temporelle étagée et explose plutôt dans une
crise aiguë où la personne toute entière est engagée, selon cette structure
bien particulière de la bouffée délirante où l'espace envahit le champ de
la conscience au détriment du temps. La réconciliation des systèmes tem-
poro-spatiaux intriqués de la personne nucléaire et d'un nouveau «per-
sonnage» organisé dans un nouveau «maintenant» est le retour à la
normale.
L'aspect étonnant de l'histoire présentée nous paraît être que ce
retour à la norme, pour I.G., s'est fait dans une sorte de connivence collec-
tive qui n'est raisonnablement concevable que si, pour tout l'entourage
d'I.G., l'intégration du moment privilégié dans les dimensions mythiques
de la personne est du domaine de l'évidence (même si pèse sur la réflexion
de chacun le poids fatidique de la parole du marabout).
Dans ses dimensions temporo-spatiales la bouffée délirante d'I.G.
devient riche de sens (et non plus seulement dans son contenu). L'hypo-
thèse fragile que nous suggérons nous semble ainsi du moins utile pour
permettre, par le biais de la psychopathologie, une réflexion plus large sur
l'organisation temporo-spatjale de l'homme normal.
- En guise de conclusion peut-être pourrait-on avancer que notre
manière d'organiser le savoir selon les instances qui ont été développées

(2) Cette conception est celle de Follin reprise par Collomb.


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plus haut, s'éclaire-t-elle ainsi d'une réflexion phonoménologique sur notre


introjection éducative du temps et de J'espace, et qu'ainsi la réflexion
psychopathologique pose le problème de la personne qui existe et se
perpétue implicitement par rapport au savoir qu'elle explicite.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

SORCIERS NOIRS ET DIABLES BLANCS


La notion de personne, les croyances à la sorcellerie
et leur évolution dans les sociétés lagunaires
de basse Côte-d'Ivoire (Alladian et Ébrié)

Marc AUGÉ

L'enquête que j'ai conduite depuis 1965 en pays lagunaire et plus


précisément dans les sociétés alladian, avikam et ébrié de Basse Côte-
d'Ivoire avait commencé par J'étude monographique des Alladian. L'impor-
tance des croyances à la sorcellerie chez ceux -ci, le rôle de ces croyances
dans la formulation et la résolution des conflits intra ou interlignagers,
la fréquence du recours aux explications faisant intervenir ces croyances
pour l'explication des aléas de l'existence quotidienne m'ont incité d'une
part à m'informer plus précisément sur les systèmes de représentations
dont elles faisaient partie -- principalement auprès des anciens et des
spécialistes, clairvoyants et contre-sorciers -, d'autre part à comparer les
matériaux alladian avec ceux des sociétés voisines - les Avikam et surtout
les Ebrié, ces derniers ayant eu avec la colonisation et avec la «moderni-
sation» un contact plus rude que les Alladian. La représentation de la
personne commune à ces populations se manifeste partiellement et complé-
mentairement dans diverses théories dont la cohérence d'ensemble apparaît
à la réflexion: on pourrait ainsi parler d'une théorie de l'hérédité, d'une
théorie de la force,' et d'une théorie de la sorcellerie qui se recoupent mais
ne se recouvrent pas, et dont l'ensemble ébauche une théorie de la
connaissance.
La personne, c'est en définitive la référence par rapport à laquelle
l'individu pense son rapport à la société et celle-ci son rapport à l'individu:
double système de renvoi qui tend à confondre personne et personnage
dans la mesure où l'individu est toujours invité à se situer par rapport
aux autres (c'est tout l'art du savoir-vivre) et où l'événement somme les
autres de le situer par rapport à eux (c'est tout l'art de savoir comprendre).
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Il n'est dès lors pas étonnant que les politiques de colonisation puis de
développement, et au plan idéologique la subversion chrétienne, aient pour
conséquence, sinon pour but, de changer à la fois l'individu et la société,
le rapport de l'un à l'autre et, par là, la conception même de la personne.
C'est pourquoi j'étudierai successivement la définition théorique de la per-
sonne (abstraite des différentes théories développées par les spécialistes),
les conceptions de la personne mises en œuvre à l'occasion d'événements
à interpréter et dont il faut chercher les responsables, enfin la conception
de la personne qui se dégage progressivement des efforts du christianisme,
de ses avatars (les prophétismes) et des résistances qui leur sont opposées;
si l'on veut: la personne définie, la personne constituée, la personne ins-
tituée.
Théoriquement la notion de personne chez les lagunaires se comprend
en fonction des notions d'héritage, d'entourage et d'innéité. Dans la concep-
tion akan l'appareil psychique est composé de deux «instances», s'il est
permis d'emprunter ce terme à la psychanalyse; la littérature de langue
anglaise (Rattray, Parrinder, Christaller, Debrunner, Mary Kingseley, Miss
Field) parle de deux «âmes» (souls); sur la fonction et la transmission
de ces deux âmes les auteurs ne sont pas toujours d'accord. L'équivalence
abusuaJ sang, lignage maternel, kraJ «life soul» d'une part, ntoroJ lignage
paternel, sunsumJ «personality soul» d'autre part, telle qu'elle est affirmée
par Debrunner, ne fait pas l'unanimité. Rattray notamment avait, sans doute
à juste titre, dissocié l'abusua «< clan soul») du kraJ ce dernier constituant
à ses yeux une manière de. troisième âme, un signe personnel lié au jour
de la naissance, l'un des sept jours de la semaine ashanti. Si nous passons
de la société ashanti aux sociétés lagunaires nous remarquons, outre une
grande ressemblance dans les représentations, une certaine continuité lin-
guistique (Cf. tableau ci-dessous).

Ashan ti Agni Alladian Avikam E brié

Kra ékala wawi wawe n'simpi

Sunsum* woawo~ eé* enë* nanagbi*


*Ombre portée d'un être vivant

Le terme qui se substitue à un autre ne conserve pas pour autant


toutes les significations de celui-ci. Ainsi, linguistiquement, les Alladian et
Avikam conservent le wawe des Agni (noté woawoé par Amon d'Aby), mais
le terme change de sens: l'ombre portée de l'homme se dit wawe en agni
et ee en alladian, où le terme }-vawi(wawe en avikam) désigne l'autre « âme».
Chez les Alladian et Ebrié en effet l'une des «âmes», celle-là qui
précisément est associée à la notion de vie, de principe vital, est désignée
par un terme qui signifie également «ombre portée» de l'homme ou de
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tout être vivant. Le eé aI1adian, le niiniigbi ébrié ne sont pas hérités:


nul informateur ne m'a rien affirmé d'assuré qui concerne son origine ou
son destin; il est à la fois l'élément le plus individuel et le plus indistinct
de la personnalité. Néanmoins la possession d'un wawi fort (en ébrié:
n' simpl) ne se conçoit pas sans celle d'un eé ou niiniigbi équivalent, qui
en quelque sorte fasse le poids. Une maladie consécutive à la mort d'un
père ou d'un grand-père paternel peut être interprétée comme le signe du
retour du wawi du défunt sur la personne du fils ou du petit-fils et de
l'incapacité du eé de ce dernier à supporter une charge trop forte pour lui.
Si le problème de l'origine et du destin du ee n'est ni résolu ni même posé
(un clairvoyant indique que, comme le wawi, il rejoint à terme le village
des morts mais qu'il n'en revient pas - mais c'est là sans doute une opinion
personnelle), il est toujours clairement précisé que le sang ne se transmet
qu'en ligne paternelle. Le fait est d'autant plus remarquable qu'il distingue
radicalement les représentations lagunaires de celles des Ashanti alors même
que socialement on ne fait jamais référence, pour l'essentiel, qu'à des
matrilignages - lorsqu'on parle de la parenté paternelle d'un individu,
on désigne, sauf précision explicite, le matrilignage de son père. Le sang
(n' krr en alladian, n' ka en ébrié) est censé être inclus dans le sperme,
l'eau de l'homme (n' liona n Ji en alladian, ake n'du en ébrié); la femme
n'est qu'un sac ou une pirogue, précisent des métaphores plus ou moins
gracieuses. Quant au wawi, ou n'simpe, principe actif du complexe psy-
chique, il est censé se transmettre préférentiellement dans la ligne pater-
nelle et s'y réincarner, et mieux encore, comme le nom, passer du grand-
père au petit-fils. Il a son siège dans le front; il ne quitte pas immédiatement
le cadavre de son possesseur, et c'est sa force qui pousse ce cadavre à
répondre lorsqù'on l'interroge; il peut être transmis d'un grand-père à son
petit-fils, avant même la mort du premier, par une opération de transfusion,
front contre front.
Héritée ou transmise, la partie active de ]a personnalité est, toute une
vie durant et dès la naissance, soumise aux lois de l'entourage social dans
lequel elle s'inscrit. De façon générale toute faute, c'est-à-dire toute erreur
sociale, est censée affaiblir la résistance de celui qui la commet et le rendre
plus vulnérable aux attaques des sorciers; cela est vrai des fautes à
l'encontre de la famille et de l'alliance (témoigner plus d'égards à son oncle
maternel qu'à son père ou à l'héritier de son père, négliger la parenté du
conjoint ou tromper celui-ci) mais aussi des fautes à l'égard des usages
sociaux (insulter un vieillard) ou des règles socio-politiques (négliger ses
obligations à l'intérieur de la classe d'âge, trahir ou tromper un promo-
tionnaire). Plus particulièrement certaines fautes ou erreurs sont censées
entraîner une sanction automatique: la malédiction du père, l'ensorcelle-
ment par l'oncle, l'attaque des ancêtres. Sa situation dans la constellation
socoi-fami1iale im~ose à un individu des obligations et des règles de con-
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duite: morts et vivants, parents et alliés composent une structure qui


définit ,avec parfois une certaine marge d'incertitude, la limite de ses droits
et l'étendue de ses devoirs. L~important, c'est que les atteintes que peuvent
porter parents, sorciers ou ancêtres à leur victime, ne visent sa vie qu'à
travers sa personnalité. Le principe actif est censé défendre le principe
vital, et l'affaiblissement de celui-ci passe par l'ébranlement de celui-là;
une atteinte au seul principe actif entraîne la folie. La personnalité, pour
son bonheur ou pour son malheur, est conçue comme perméable aux
influences extérieures; la notion de «moi» est relative, non seulement du
fait des règles de l'hérédité et de ce qu'il faudrait appeler «hémi-métem-
psychose» mais parce que sa relation à l'entourage est censée contraindre
la personnalité selon les circonstances à se définir ou à se défaire.
Dans la mesure où l'héritage et l'entourage lui imposent les rôles qu'elle
doit tenir, la personne participe, par définition, du personnage. Elle ne s'y
réduit pas entièrement pour autant, ou plutôt d'autres contraintes pèsent
sur elle, qui seront éventuellement manifestées en cours - d'existence ou
révélées à la naissance, et qui sont plus spécifiques, plus individualisées
et moins directement fonction de la situation sociale. Un individu donné
naît sous le signe de l'eau, sous le signe de la forêt ou sous le signe des
morts; une double appartenance n'est pas exclue. Une appartenance donnée
implique des compétences particulières. La notion de destin individuel
était traditionnellement matérialisée et symbolisée par le naSi alladian et
le mpayengwe ébrié (sous la forme d'un petit plat comprenant un nombre
de boules d'argile correspondant au jour de la semaine où était né l'individu
concerné): ce nail ou mpayengwe était censé porter toute la chance d'un
individu, non seulement sa part de destin hérité mais aussi ses virtualités
les plus individuelles, les plus personneHes et les plus irréductibles à la
notion d'hérédité ou d'héritage. Mais ces qualités (talents particuliers ou
à l'inverse fragilité spécifique) n'existaient qu'une fois mises à l'épreuve,
ne se révélaient que dans la relation à l'extérieur, à l'entourage naturel et
social. La part la plus essentiellement individuelle de la personne n'a
d'existence que sociale. Aussi bien le sort le moins enviable qui puisse
frapper un homme n'est-il pas la mort (qui ne rompt pas le système des
relations) mais la mort inachevée du sorcier reconnu et exécuté, dont
le wawi hors circuit erre à l'entour du village des vivants, incapable de
rejoindre celui des morts: représentation d'une mise à l'écart effective
encore aujourd'hui, parfois, dans la pratique des villageois à l'encontre des
individus suspects et assez désarmés pour être dénoncés. L'enfer ce n'est
pas les autres, c'est !a solitude. Mais l'isolement vient des autres.
Nous touchons ici au problème des croyances à la sorcellerie. Qui
isoJe-t-on et pourquoi? Si la personne se définit théoriquement comme
composite, la société la constitue comme alternative. L'ambiguïté du pouvoir
du sorcier est souvent évoquée dans la littérature, mais J'ambiguïté n'existe,
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au moins dans le cas des lagunaires ,qu'au niveau théorique ou pour mieux
dire abstrait: les mêmes manifestations peuvent être interprétées a priori
indifféremment comme l'effet d'un pouvoir maléfique ou l'effet d'un pouvoir
bénéfique, d'un pouvoir d'agression ou de défense; mais c'est précisément
la situation de l'individu concerné par rapport à l'entourage qui se pro-
nonce (ou significativement, ne se prononce pas) sur sa conduite, qui
commande le jugement de cet entourage.
Les représentations du monde de la sorcellerie rappellent celles de
nombre d'autres sociétés africaines; elles correspondent pour l'ensemble
à un schéma de type persécutif; le malheur ou la maladie qui frappent Ego
sont rapportés par lui à une cause extérieure et le plus fréquemment à la
volonté mauvaise (l'intention vaut l'action) d'un individu (sorcier) de son
matrilignage. Il existe un terme pour désigner ce pouvoir d'agression:
QWUalladian, le logho ébrié sont définis comme le pouvoir spécifique du
l'
wawi (alladian) ou n'simpl (ébrié). L'Qwa ana, le [ogbo lekpa, l'homme
du pouvoir d'agression, est censé pouvoir se porter «en double» sur les
gens de son lignage et se livrer sur eux à une manière d'exorcisme malé-
fique; son principe actif, chargé d'agression, se porte sur le principe vital
de sa victime et le dévore; on dira aussi qu'il le vide de son sang - ce qui
se manifeste dans la vie courante par l'affaiblissement progressif, la mort
lente de la victime. Il est en théorie possible à un sorcier d'attaquer un
homme d'un autre lignage, plus exactement de se faire aider, relayer par
un associé appartenant, lui, au lignage de la victime choisie. La consé-
quence pratique de la croyance aux sociétés de sorciers (villageoises ou
intervillageoise~) c'est 'que personne n'est a priori à l'abri d'une accusation
et qu'un ind~vidu accusé peut toujours porter une contre-accusation, pré-
tendre avoir agi pour le compte d'un autre. La rivalité entre matrilignage
et matrilignage du père d'un individu donné semble avoir souvent pris
cette forme en milieu alladian.
Le pouvoir d'agression est censé se transmettre préférentiellement
dans le matri1ignage, encore qu'il puisse s'acquérir par hasard (un individu
devient sorcier malgré lui en mangeant à son insu de la chair humaine) ou
par éducation (laquelle suppose néanmoins un minimum de dons innés)
A l'inverse le pouvoir de défense (sekr) est censé se transmettre préféren-
tiellement en ligne paternelle, de père en fils ou de grand-père paternel
à petit-fils, encore qu'il puisse aussi s'acquérir par éducation à partir d'un
don inné; le sekr est conçu comme plus fort que l'Qwa ou le logbo; lui
aussi, en quelque sorte, au même titre que le pouvoir d'agression, qualifie
et mesure la force du principe actif (tvawi, nsimpl) du complexe psychique.
La transmission du sekr, une manière d'adorcisme bénéfique, peut se mani-
fester de plusieurs façons et peut expliquer par exemple un changement de
personnalité évident ou une réussite soudaine. L'importap.t est que, d'un
événement; deux interprétations puissent être données a priori: l'une en
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termes d'agression, l'autre en termes de défense; la force d'un pouvoir est


jugée à ses effets, mais elle n'est pas qualifiée pour autant automatiquement
d'agressive ou de défensive; si quelqu'un entre dans ma cour et meurt sou-
dainement, ce peut être que je l'ai attaqué, ce peut être que j'ai brisé son
attaque. Qui en décidera? Mon entourage, qui, compte tenu de ma situa-
tion par rapport à lui, se prononcera sur la nature du schéma (schéma
de la sorcellerie ou schéma de la contre-sorcellerie) qu'il convient d'appli-
quer à mon cas.
Il est significatif que le chef de lignage soit seul habilité à décider
s'il convient d'interroger le cadavre d'un mort de ce lignage. S'il refuse,
il est le premier soupçonné, mais si sa santé, sa fortune, sa réussite, inter-
disent de l'accuser impunément, nul n'ouvrira la bouche; au mieux, si une
relation de cause à effet est affirmée entre la force de l'un et la mort de
l'autre, c'est le mort qui sera tenu pour responsable d'une initiative qu'il
n'avait pas la force de mener à bien. l'oute accusation témoigne d'une
faille dans la personnalité sociale de l'accusé (riche trop jeune, vieux et
pauvre, riche et malade, etc. ..), faille par où se fait jour la possibilité de
le constituer en bouc émissaire et de lui appliquer un schéma d'interpréta-
tion qui rendra compte, au besoin en les réinterprétant, de tous les événe-
ments passés de son existence. Sur les aléas de l'existence d'un individu
se lit l'état de sa relation à l'entourage: et à partir de là la nature du
pouvoir qui lui est reconnu. Les deux systèmes de représentations dont
dispose l'entourage social, auteur-interprète en quête de personnages, lui
fournissent le moyen d'une distribution de rôles à laquelle tous les individus
ne peuvent pas échapper. Le savoir-vivre, à la lettre, relève de l'art de
paraître: de savoir suggérer sans trop parler, indiquer sans trop montrer;
les fêtes ostentatoires, par exemple, ne mettent un individu en valeur qu'en
lui faisant signifier la richesse de ses parents: nul ne peut distinguer dans
ce qu'il expose entre ses biens propres et ceux du lignage de son père et
du lignage de sa mère, signes de richesse, mais d'une richesse presque
anonyme, à tout le moins partagée. Le port du masque est obligatoire et
la force de la personne se mesure au talent de l'acteur; celui-ci, s'il ne
veut pas se voir imposer un rôle, doit savoir composer son personnage.
Allié objectif de la colonisation, qui faisait sentir aux lagunaires très
concrètement la relativité de leur force, le christianisme s'est attaqué très
tôt, mais efficacement à compter de 1914, sous sa variante harriste, à
l'esprit des représentations locales. Harris, «prophète» venu du Libéria,
sur l'histoire duquel il n'est pas utile d'insister ici, ne niait pas la réalité
des forces traditionnelles - ni des «génies», ni des «fétiches», ni des
sorciers - mais mettait en doute leur puissance: il entendait convertir
au nom d'une force supérieure; c'était frapper au cœur même des repré-
sentations traditionnelles, en maintenant leur logique à l'heure où l'évi-
dence du pouvoir blanc s'affirmait sans nuance. Il y a dans la prédication
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de Harris la prophétie de temps nouveaux où les Noirs vaudront les


Blancs, et cette référence à la supériorité du sang blanc n'est pas absente,
tant s'en faut, des prédications actuelles des prêtres harristes ou du propos
d'Albert Atcho lorsqu'il révèle que les temps annoncés par Harris sont
venus. Les succès économiques de la Côte d'Ivoire et la politique de
développement prônée par son gouvernement sont présentés comme le
signe d'une échéance; le noir, enfin, vaut le blanc, mais non n'importe quel
noir: c'est l'entrepreneur, le planteur dynamique, capable d'initiatives indi-
viduelles, qui fait la force de la Côte d'! voire, et les «prophètes» de
Basse Côte, Atcho à Bregbo (en pays ébrié), Papa Nouveau à Toukouzou
(en pays avikam) se présentent comme des agents du «développement»
dont la réussite matérielle participe de celle de la Côte d'Ivoire (réalise
la prophétie de Harris), et sanctionne, la fondant en vérité, leur réussite
spirituelle.
Cette réussite est celle de l'individu seul; au moins se présente-t-elle
comme telle. Parallèlement les actions de développement, en Basse Côte,
effacent l'inscription sur le sol de la structure sociale précoloniale, le
terroir aux frontières strictes, partagé entre lignages. Assez remarquable-
ment, l'entreprise harriste vise à instituer une conception unitaire de la
personne, à l'heure où disparait le fondement économique des solidarités
lignagères ou villageoises, où l'offre d'emploi, quand elle existe, s'adresse
à des individus libérés des contraintes traditionnelles, libres de vendre
leur force de travail - et par exemple de remplacer la main-d'œuvre
voltaïque salariée sur les grandes plantations qui ont envahi une bonne
part du terroir ancien. C'est l'autre volet du panégyrique de l'individu.
Atcho n'a pas lu Weber, mais son propos, comme celui de ses représentants
ou des prêtres harristes en général, tend à détruire la conception de la
personne fonction d'un héritage et d'un entourage. Le plus spectaculaire
de son action, lié à son rôle de clairvoyant-guérisseur, est dans le retourne-
ment du schéma persécutif traditionnel: comme le prêtre de Nietzsche
Atcho invite le malade à ne plus chercher qu'en lui-même la cause du
mal qui l'accable; il veut culpabiliser l'individu (car la maladie c'est tou-
jours le mal) pour individualiser la personne. Porter atteinte à la théorie
de la sorcellerie, c'est du même coup toucher à l'ensemble des représenta-
tions qui lui sont liées, aux conceptions traditionnelles de l'hérédité, de
la force et de la personne. On peut noter comme un indice intéressant
que chez les Ebrié, plus tôt et plus durement atteints matériellement et
idéologiquement que leurs voisins insulaires, la notion de nàniigbi tend à
être utilisée indifféremment pour traduire la notion chrétienne d'âme et
désigner les différents principes traditionnellement constitutifs du complexe
psychique; il faut du temps, de patientes mises au point. avec des hommes
âgés et compétents pour faire rectifier des formules telles que: «le nanagbi
de Untel a attaqué celui de te] autre »" et retrouver la notion de n'simpI
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(le wawi alladian). Or le niiniigbi, on s'en souvient, n'est pas conçu comme
hérité; en faire l'agresseur d'autrui sans mentionner ni le n'simpl (instance
transmise en ligne paternelle) ni le lagba (pouvoir porté par et qualifiant
le n'simpi mais hérité en ligne maternelle), c'est tout à la fois unifier
la notion de personne, la détacher des différents héritages qui étaient
censés la constituer, et culpabiliser l'individu: la chaîne des responsa-
bilités est cassée, un seul maillon tient attachés ensemble la prétendue
victime et l'agresseur supposé.
L'entreprise de conversion d'Atcho n'a pas pour autant partie gagnée.
Elle invite bien l'individu à un retour sur soi; mais elle ne l'invite à se
prendre en charge lui-même que dans la logique d'une problématique du
péché; or la force du schéma persécutif est telle que la représentation
de l'échec se substitue à celle du péché; si je suis malade, ce n'est pas que
quelqu'un m'a attaqué: c'est que j'ai moi-mên1e attaqué quelqu'un, qui
était trop fort pour moi. Au besoin, comme en témoignent les confessions
de Bregbo, les guerriers de Dieu, le prophète Atcho ou le président
Houphouet-Boigny lui-mên1e précipitent la défaite et la déroute du « diable»
présomptueux. La faute est ressentie comme une erreur technique, une
erreur d'appréciation. Faute de pouvoir désigner les responsables des
malheurs propres aux temps modernes - échecs scolaires, chômage, etc. -
les malheureux pour guérir allongent la liste de leurs victimes suppos~es.
Ainsi, en pratique, et apparemment à une assez grande échelle en Basse
Côte d'Ivoire, le schéma ancien de la personnalité composite, de la double
appartenance, fait place au sentiment douloureusement vécu du dédou-
blement de la personnalité, au schéma auto-persécutif: je suis moi-même
le bourreau de moi-même, faute de mieux.
Aujourd'hui comme hier, pour incertaines qu'elles soient et sujettes
à transformation, les représentations intéressant la notion de personne sont
conçues comme des éléments servant à interpréter le réel et plus précisé-
ment J'événementiel. L'actualité ivoirienne est affectée, au moins en Basse
Côte, par la pratique et l'idéologie d'une politique de développement qui
dans l'ensemble ignorent délibérément et nécessairement l'organisation et
les représentations antérieures. Cette double contrainte pèse sur la repré-
sentation de la notion de personne: la concept~on chrétienne, unitaire, et
la conception ancienne, composite, ne correspondent ni l'une ni l'autre
à la situation historique de la Basse Côte d'Ivoire, et, significativement,
n'y sont encore pas ou déjà plus pleinement présentes ni l'une ni J'autre.
Une demande s'exerce sur les actuels « prophètes» touchant les raisons des
difficultés du jour: si l'individu peut penser son échec, il peut plus diffi-
cilement se tenir pour responsable d'une situation qui déborde à l'évidence
le cadre de son' entourage habituel; d'un autre côté, cet entourage lui-
même se défait et, en quelque sorte, ne suffit plus aux tâches de l'inter-
prétation: le quotidien regorge de signifiants irréductibles en fin de
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compte aux seules intrigues de la parenté et de l'alliance, au dialogue


silencieux des vivants et des morts; ce recours est toujours pourtant le
seul possible: l'identité de l'individu se perçoit encore mieux par référence
approximative à la pluralité d'un entourage délabré que dans le désordre
d'une construction nationale en chantiers, aux architectes lointains; être
seul, c'est encore avoir perdu son âme et n'être plus personne.
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Colloques lnternationa'lx du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

ESSAI
SUR LES AVA TARS DE LA PERSONNE
DU POSSÉDÉ, DU MAGICIEN, DU SORCIER,
DU CINÉASTE ET DE L'ETHNOGRAPHE

Jean ROUCH

Cet essai est basé, d'une part, sur les connaissances acquises auprès
des Songhay-Zarma de la boucle du Niger depuis une trentaine d'années,
et, d'autre part, sur l'expérimentation du « cinéma direct» (dont la théorie
a été magistralement prophétisée dès 1927 par le Soviétique Dziga Vertov
sous le nom de «cinéma-vérité~.) utilisé par moi depuis vingt ans comme
un outil privilégié de recherche ethnographique chez ces mêmes populations
d'Afrique Occidentale.
Si la notion de personne est effectivement l'une des clés des faits
religieux faisant appel à la transe (danse de possession, magie, sorcellerie),
il m'a semblé qu'il serait malhonnête d'en rester là, et que la personne
de l'observateur face à de tels phénomènes méritait également un examen
critique, surtout lorsque cet observateur enregistre et restitue les images
visuelles et sonores des sujets de ces transes, images que les gens filmés
considèrent comme un reflet d'eux-mêmes ou de leurs divinités, c'est-à-
dire comme une partie de la personne des hommes ou des dieux.
C'est donc une première contribution à «l'anthropologie partagée»
que je voudrais présenter ici. Je tenterai tout d'abord de faire le point,
dans les limites de mes connaissances actuelles, sur la notion de personne
chez les Songhay-Zarma à certains moments critiques:
- danse de possession personne du «possédé»
personne du génie «possédant»;
- magie personne du sohantye en état de clairvoyance;
état de clairvoyance;
- sorcellerie personne du tyarkaw «mangeur d'âme»;
personne de sa victime.

~4
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Puis je montrerai comment l'observateur cinéaste, en enregistrant ces


phénomènes, les modifie à son insu et se modifie à leur contact. Ensuite,
lorsqu'il les restitue, comment s'ébauche un étrange dialogue où le «ciné-
vérité» du film rejoint la représentation mythique.
Enfin, cette mise en évidence du rôle actif involontaire de l'obser-
vateur l11econduira à essayer de cerner de plus près la situation de l'etno-
graphe sur son terrain même.

1. La personne dans la danse de possession

Un précédent colloque international du CNRS a permis de faire le


bilan de nos connaissances sur les phénomènes de possession. Il y est
apparu que, si nous disposons maintenant d'une série d'informations très
complètes sur différentes manifestations de possession dans le monde - et,
en particulier, en Afrique Noire -, il n'est pas encore possible d'en établir
une typologie précise, ni d'en ébaucher une théorie satisfaisante. Mais, dès
maintenant, il semble que le phénomène de la transe (sauvage ou maîtrisée)
soit l'un des moteurs essentiels des grands mouvements religieux, et, peut-
être, des grands mouvements de la création artistique: par exemple, depuis
vingt ans, des écoles théâtrales utilisent nos informations ethnographiques
sur la possession, pour tenter d'en dégager des méthodes applicables à
l'entrainement des acteurs (Julian Beck et le Living Theatre, Peter Brooke"
Roger Blin, Grotowsky...).
Je ne reviendrai pas ici sur la mécanique particulière de la possession
Songhay mais sur les métamorphoses de la personne du sujet possédé et
du «génie» qui le possède. Rappelons simplement que, dans cette région
de la vallée du Niger, la possession est le moyen de communication privi-
légié (car réciproque) entre les hommes et leurs dieux.
Les possédés, les «chevaux de génies», en majorité de sexe féminin,
sont des spécialistes, entrés dans un colJège reconnu,' après une initiation
longue et difficile; après celle-ci, les « transes sauvages», qui en faisaient des
malades exclus de la société, sont maîtrisées par les prêtres et ne se pro-
duiront qu'au cours de cérémonies publiques organisées régulièrement par
et pour la société.
Une centaine de divinités forment le panthéon qui se manifeste ainsi.
Ces dieux sont invisibles mais semblables aux hommes: comme eux, ils
ont des races différentes, des caractères particuliers, des «maîtrises» spé-
ciales (le fleuve, le vent, la brousse, le tonnerre, la pluie, l'arc-en-ciel...),
des traditions et des aventures compliquées' qui forment une très riche
mythologie qui s'enrichit à chaque nouveau rituel, à chaque nouvelle révé-
lation.
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Après l'initiation, chaque danseur est un « cheval» spécialisé d'un


(ou plusieurs) «cavalier» qui «monte sur lui» pendant la transe et qui,
pendant plusieurs minutes ou plusieurs heures, agira par le corps et parlera
par la bouche de son «cheval». Pour le Songhay-Zarma, c'est, contraire-
ment à d'autres systèmes voisins~ ce dialogue avec les dieux qui est le but
essentiel des cérémonies de possession.
Il y a donc une métamorphose profonde de la personne du « cheval»,
qui cède une partie d'eUe-même à une partie de la personne du dieu qui
s'incarne dans son corps.
Si l'observation du phénomène de possession est aisée, puisque les
cérémonies sont essentiellement publiques, leur interprétation est beaucoup
plus délicate, car, chez les Songhay-Zarma, le possédé n'a plus (théorique-
ment) aucun souvenir de la transe et, même, il est réfractaire à toute allu-
sion au dieu qui l'a possédé. Bien sûr, à l'état normal, il voit d'autres
collègues dans un état qu'il sait être semblab]e au sien, mais il ne semble
pas s'en soucier.
Les sources d'information se limitent donc aux prêtres, aux zima,
responsables de l'initiation, possédés eux-mêmes, mais ayant acquis la
maîtrise de la possession des autres (j'ai tenté quelquefois de questionner
les dieux eux-mêmes sur leur «cheval» lorsqu'ils les possèdent mais cette
information singulière m'a semblé dangereuse et, à tout prendre, trop
incohérente) .
La théorie zima la plus répandue est que dans la possession le
« double» (bia) du dieu a pris la place du «double» du cheval: c'est cet
échange de «.double» que je voudrais essayer d'analyser.
La notion même du bia est très floue, elle désigne tout à la fois
« l'ombre» (c'est la signification littérale «Je sombre»), le «reflet» (dans
un miroir ou une nappe d'eau), «l'âme», principe spirituel des «êtres
animés »... Ce «bia» est lié au corps pendant toute la vie, il peut s'en
éloigner temporairement au cours du sommeil (rêves), quelquefois à l'état
de veille (imagination, réflexion, possession); il le quitte au moment de la
mort pour suivre son aventure propre dans l'au-delà.
Curieusement, certains placent ce double un peu en arrière du corps,
sur le côté gauche (les rêveurs doivent dormir couchés sur le côté droit),
et c'est là que viendrait se mettre temporairement le dieu possesseur (ou
son double).
Les dieux invisibles ont-ils en effet un double ou ne sont-ils eux-
mêmes qu'un double? La question reste posée car, dans certaines circons-
tances, pour certaines personnes (les grands Zima), ces dieux peuvent se
matérialiser et se montrer sous une forme humaine (ayant alors ou n'ayant
pas une ombre, un reflet, un double ?..).
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Cependant, il semble que la possession ne soit que l'affaire des dieux


(ou assimilés) et qu'il n'y ait jamais possession d'un homme par le « double»
d'un autre homme vivant.
Mais même à ce niveau du « double», le phénomène de la possession
mérite un examen attentif. J'ai assisté à plusieurs centaines de cérémonies
de possession (j'en ai filmé une vingtaine) et j'ai pu observer, dans les
meilleures conditions, cette métamorphose étrange de la transe, du vertige,
d'une perte apparente de conscience, puis de la lente apparition d'un nou-
veau personnage d'abord tremblant et hurlant, puis se calmant, se compor-
tant d'une manière différente, parlant d'une autre voix (et souvent une
autre langue), personnage qu'une longue habitude permet d'identifier du
premier coup: c'est Dongo, Je génie du tonnerre, ou Zatao, le captif de
Peul. ..
En janvier-février 1971, à la suite de la réalisation et de la projection
d'un film « H orendi » sur les sept jours d'initiation à la danse de possession,
musiciens, prêtres zima, et pêcheurs sorko de la région de Niamey, appor-
tèrent des précisions importantes sur cette métamorphose. En voici les traits
principaux:
C'est la main gauche du joueur de vièle (violon godye) qui est «ins-
pirée» (conduite) par les génies appelés collectivement au début de la
cérémonie par «l'air des chasseurs» (gawey-gawey). Les ,batteurs de cale-
basse (ou les tambours) suivent le jeu de la main gauche et la vibration
des notes basses donne «la force» au danseur. Et c'est encore dans sa
main gauche que le violoniste ressent le premier symptome de l'arrivée du
génie dans le corps du danseur. Il donne un coup de pied au batteur de
calebasse qui est devant lui, lequel, en accentuant le rythme et en l'accé-
lérant «force» le danseur et «renforce» le génie qui a commencé à le
chevaucher.
Que se passe-t-il alors chez le danseur? Suivant de nombreux témoi-
gnages indirects (il a déjà été dit que le danseur ne doit plus se souvenir
de sa crise), le danseur voit le génie (éventuellement les grands initiés le
voient aussi) pénétrer dans le cercle de danse et se diriger vers lui; le
génie tient dans ses deux mains une peau d'animal fraîchement sacrifiée
dont il tend le côté sanglant vers le danseur, trois fois de suite:
- la première fois, les yeux du danseur pleurent;
- la seconde fois~ le nez du danseur coule;
- la troisième fois, le danseur hurle.
S'il y a plusieurs « chevaux» de ce même génie sur la piste de danse,
ils le voient tous, ils peuvent avoir ensemble la même réaction, mais une
sélection se fait au cours des trois provocations.
Alors, le génie s'approche une quatrième fois, recouvre la tête du dan-
seur de la peau sanglante; le danseur étouffe: c'est le paroxysme de la
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crise. Le génie enferme ainsi le «double» (bia) du danseur et prend sa


place: il est «monté sur son cheval», il le possède.
Pendant tout le temps de la possession le bia du possédé reste
enfermé et protégé par la peau sanglante (en particu1ier contre les sorciersr
Quand le génie veut s'en aller~ il ouvre la peau, libère le bia : le « cheval»
ouvre les yeux, il est ébloui, il tousse comme à la fin d'un étouffement, il
s'ébrouè pour enlever de son visage les traces de cette peau ensanglantée.

La théorie songhay de la personne en crise de possession est donc:


- un substitut temporaire du double de la personne par le double
du génie (ou par le génie lui-même);
- la mise en réserve du double substitué dans une peau fraiche de
protection;
- le rôle de la musique et de ]a danse comme appel du génie non
encore incarné.

2. La personne du magicien

Contrairement à la danse de possession, ou, par l'intermédiaire d'un


« cheval-medium », les hommes peuvent communiquer directement et publi-
quement avec leurs dieux, dans le cas de la magie, il s'agit d'une consul-
tation indirecte et pri vée des forces invisibles où le magicien joue, tout
seul, un rôle privilégié et difficiJe.
Le magicien sohantye, descendant par son père de Sonni Ali, le Si,
fondateur de l'empire songhay, choisi et initié par lui, ou par un
parent plus habile (un maître), entraîné à la difficile gymnastique du contact
permanent avec les forces invisibles, ne peut exercer son art qu'après la
mort de son père (ou de son initiateur) dont il a reçu une petite chaîne
initiatique en métal qu'il a dû avaler et qu'il vomira à son tour quelques
jours avant sa mort.
C'est un personnage étrange et solitaire, redouté mais indispensable,
maître des gestes, des mots, des arbres et des pierres, gardien de l'ordre
spirituel du village et capable de concilier les génies aux hommes qui osent
le leur demander.
Ces «voyants» permanents sont, sans intermédiaire, les maîtres de
leur «double», de leur bfa, qu'ils envoient, sous forme de vautour, ren-
contrer les génies alliés ou reconnaître dans l'espace et dans le temps, le
trajet de certaines entreprises.
On vient les consulter avec certaines réticences et seulement pour des
choses graves car, une fois la démarche commencée, il n'est guère possible
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de revenir en arrière; malheur à l'imprudent qui se fourvoie sans recours


sur les routes dangereuses de l'invisible.
La consultation est longue et difficile: le magicien doit prendre toutes
les précautions, étudier son client, en découvrir les buts inavoués et, après
plusieurs jours de conversation et de contact, couper court et le renvoyer
si un geste ou une parole maladroite ont révélé la fourberie de l'entreprise
réelle.
Qu'il s'agisse de divination (géomancie, jet de cauris, prophétie
directe) ou de la préparation d'un korte «< charme magique»), la trajec-
toire est toujours la même: par ses paroles, par ses gestes, le magicien
sohantye sublinle son double bia, l'envoie quérir les matériaux nécessaires
à son travail, ou le projette simplement à côté du double du client pour
savoir ce que celui-ci ne dit pas, ou peut-être même ce dont il n'a pas
conscience.
Les textes récités (et que j'ai, par ailleurs, longuemment commentés)
sont, à ce niveau, admirables. Le magicien se place d'abord dans l'espace
(par rapport aux six directions cardinales) puis il se situe par rapport à
sa chaîne initiatique. Et c'est cette identification dite à haute voix qui,
en renforçant sa personne, donne à son double bia l'énergie nécessaire
pour entreprendre la voie, le voyage.
En effet, comme l'a si justement noté Luc de Heusch, c'est bien là
davantage une entreprise shamanistique qu'une possession plus ou moins
déguisée. A partir de ce Inoment, le texte dit est un récit de ce voyage
dangereux où le «double» bia du magicien, face aux bia des génies
bénéfiques ou malfaisants, face aux bia des autres magiciens qui tentent
de faire échouer son travail, face, surtout, aux bia du démiurge Ndebi
et de Dieu lui-même, doit triompher des épreuves successives, se rendre
supérieur à tous, pour, pendant quelques instants, non pas requérir
l'assistance de ces puissances secrètes, mais bien les contraindre à réaliser
ce que le magicien leur demande. Puis, quand tout est décidé, en suivant
le chemin inverse, le double revient auprès de celui qui n'en a jamais
perdu le contrôle.
Ce pouvoir, bref mais total, se manifeste parfois d'une manière publique
et dramatique au cours des sohantye hori, des fêtes de magiciens. C'est à
l'occasion d'une circoncision, du gossi (cérémonie archaïque d'initiation des
jeunes filles) ou, plus simplement pour purifier un village impur, que les
magiciens sohantye se réunissent pour la fête. Au son des tambours d'ais-
selle, les magiciens dansent, brandissant d'une main un sabre ou le /0/0
(lances à piquer les «doubles» des sorciers) et, de l'autre, une branche
d'euphorbe.
Cette danse est un mime dramatique d'un combat avec les forces du
mal. Les magiciens dansent l'un après l'autre, jusqu'au moment où celui
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qui s'estime le plus fort, entre en transe. La transe a peu de rapport avec
la crise de possession: le magicien tremble violemment et, de sa bouche,
jaillit une partie de la chaîne métallique qu'il a avalée au moment de la
mort de son père (ou de son initiateur).
En fait, cette chaîne est celle de son initiation, c'e.st son «identité
supérieure», la chaîne matérialisée de ses ancêtres initiatiques. Et, pendant
les courts instants où la chaine est visible, le «double» bia du magicien
accomplit rapidement (sous forme de vautour) le voyage au pays des génies
et des «doubles», afin de découvrir la cause de l'impureté du village (ou
de la communauté) et de l'annihiler.
Ici, le risque est considérable: si un ennemi (ou un rival) a plus de
pouvoir que celui qui a « craché sa chaîne », il peut l'empêcher de l'avaler
à nouveau, coupant ainsi toute retraite au «double» du magicien qui
mourra de la perte de ce principe essentiel.

On peut ébaucher ainsi la théorie songhay de la personne du magicien


sohantye :
- le «double» quitte le corps du magicien, mais sans substitution
par un autre «double»;
- ce «double» entreprend un voyage risqué chez les génies et les
puissances invisibles;
- la parole du magicien (ou la musique des tambourinaires griots),
les gestes privés (ou la danse rituelle), sont les moteurs de ce voyage de
type shamanistique;
- la communication avec les autres hommes se fait par la prépara-
tion matérielle de charmes, par la prophétie directe, par l'exhibition drama-
tique de la chaîne;
- cette projection volontaire du « double » peut être suivie de risques
mortels.

3. La personne du tyarkaw, « sorcier mangeur d'âmes»

Le sorcier tyarkaw est très proche du magicien mais, au lieu d'exercer


son pouvoir pour défendre ou guider les autres hommes, il l'utilise pour
causer le mal, voler des «doubles», dont la perte entraînera la mort de
ses victimes.
Le pouvoir du sorcier, comme celui du magicien, se transmet hérédi-
tairement, mais par la voie du lait: un enfant dont la nourrice est tyarka11'
sera tyarkaw. Les mythes songhay soulignent ce caractère irrémédiable:
une femme sainte, responsable d'une communauté de femmes ayant fait
vœu de chasteté, cède à un visiteur qui passe la nuit avec elle. Le lendemain
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matin, el1e le métamorphose en mouton mais ses campagnes demandent


à manger ce mystérieux mouton. La femme en mange aussi. Or elle est
enceinte de celui qu'elle a ainsi mangé. De cette union d'une femme et
d'un homme qu'elle a dévoré naît un enfant, une fille «mangeuse de
doubles», une sorcière tyarkaw, d'où descendent, par la voie du lait tous
les sorciers et sorcières actuels.
Depuis lors, dans chaque village, il y a une proportion plus ou moins
grande de sorciers tyarkaMJ. Bien sûr, tout le monde les connaît mais per-
sonne n'en parle et, s'ils font le mal, c'est parce qu'ils sont obligés de le
faire. En fait, ce sont des criminels irresponsables.
La notion de personne peut seule permettre de comprendre ce mysté-
rieux système mais, dans ce domaine, les enquêtes sont tellement risquées
qu'elles sont presque impossibles.
Comme le magicien, le sorcier a l'art de diriger son «double» bia
et c'est ce «double» qui est, en fait, l'agent réel de la sorçellerie. C'est
lui qui part à la chasse des autres «doubles ».
Souvent, la nuit, près de certains villages, on aperçoit, dans la brousse,
des feux se déplaçant rapidement, s'arrêtant et repartant par bonds
successifs. Ces lumières suspectes (dont l'explication n'est pas claire) sont
interprétées comme des sorciers tyarkaw en maraude. En effet, ceux-ci
auraient le pouvoir de se propulser dans l'air grâce à la réaction de feux
leur sortant des aisselles et de l'anus. Les quelques enquêtes qui ont pu
être menées font apparaître que ces manifestations du sorcier sont le fait
de son «double» bia. C'est ce «double» en déplacement que l'on aper-
çoit sous la forme de ces feux mouvants.
Le corps du sorcier est, au moment même, chez lui, au village «dans
un état de profonde rêverie».
Ce « double» fulgurant peut se métamorphoser en calebasse, en bébé
criard, en âne à deux têtes... formes qu'il prend pour effrayer ses futures
victimes: en volant, le «double» tyarkaw a aperçu un voyageur attardé;
il prend ces formes successives que le voyageur croisera sur son chemin et,
malheur à lui s'il ramasse la calebasse, s'il touche le bébé, s'il frappe
l'âne à deux têtes L..: une peur «panique» lui fait perdre la raison,
c'est-à-dire le contrôle de son propre «double», et le sorcier tyarkaw
(ou plus exactement son «double») profite de cette perte de contrôle
pour s'emparer du «double» bia de sa victime et le «manger».
Une fois le corps vidé de son bia, la victime revient au village,
hébétée. Si au bout de sept jours on ne lui a pas rendu son «double»,
elle meurt.
L'un des rôles essentjels du magicien sohantye est justement de lutter
contre les sorciers tyarkaw et de les obliger à restituer les doubles volés
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537

avant qu'ils aient été «mangés». Combat étrange de «double» contre


« double» pour un « double», chaque personne correspondante ayant son
corps intact, prostré dans un coin de sa maison.
Les récits de ces combats imaginaires sont fabuleux: armés de leur
lance 1010 (ou de son «double»), le magicien essaye de piquer le tyarkaw
qui se défend en lui lançant des tiges de mil. Mais, à l'aube, lorsque les
doubles regagnant leur corps respectif, ils impriment à celui-ci les blessures
qu'ils ont reçues: cicatrices boursouflées que l'on exhibe ensuite orgueil-
Ieusement... Mais jamais le cornbat ne se prolongera autrement dans la
réalité. Jamais le sohantye réel n'ira demander des comptes au sorcier
réel qui peut très bien être son voisin de case. Sauf dans un cas, celui
où le sorcier ayant dépassé la mesure (par exemple s'il a attaqué des
enfants de sohantye ou leurs «captifs» - assimilés à leur famille -),
le sohantye piquant de son /0/0 le tyarkaw l'oblige à déféquer son «œuf
de puissance». Ce cornbat de «doubles» se matérialise dans la réalité.
Le sorcier est privé de son œuf que le sohantye utilise pour confectionner
des charmes de défense. (Cette allusion à « l'œuf du sorcier» semble géné-
rale dans toute la savane de l'Afrique de l'ouest, et mériterait des enquêtes
systématiques) .
Mais, dans tout cela, que devient le «double» de la victime, son
âme volée? Mystérieusement passif et sans défense, le «double» est
« caché» (ou peut-être piqué par un lolo) pendant sept jours. A la fin de
cette période, le sorcier part sous forme de hibou pour partager ce « double»
avec d'autres sorciers appartenant à la même «société» (analogue aux
« sociétés» diaboliques mentionnées en Basse Côte) ou le donne à son
génie protectèur (lui-même sorcier). Le double est «mangé» par celui-ci
ou par ceux-là. La victime meurt...
Ce schéma apparemment logique, est pourtant très insuffisant. Par
exemple, il n'explique absolument pas:
- le bénéfice que retire le sorcier (ou la société, ou le génie-sorcier)
de cette opération très risquée pour lui-même (accroissement de son pou-
voir? comment? et surtout pourquoi?..)
- le rôle, maléfique ou bénéfique, du sorcier dans la société où
il agit d'une manière apparemment aussi aléatoire;
- le destin de ce double (en principe immortel) de la victime après
sa mort. Est-il métamorphosé en autre chose? Est-il rendu après un usage
particulier au monde des doubles? Est-il réincarné? Devient-il un génie?
(dans ce cas le sorcier serait un promoteur d'êtres mythiques).
- l'immunité totale du responsable vivant, du sorcier-tyarkaw du
village, connu de tous, mais tacitement ignoré (pourtant dans les villages
où il y a beaucoup de sorciers, les jeunes gens évitent d'épouser les filles
de ces derniers qui s'exilent ou deviennent courtisanes...).
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Des enquêtes en profondeur sont évidemment très difficiles, mais


nécessaires; un phénomène aussi largement répandu doit apporter une clé
essentielle aux systèmes de pensée de l'Afrique Noire. Pour le moment
je dois me borner à essayer d'appliquer au couple sorcier-victime un
schéma incomplet d'une théorie éventuelle songhay de notion de personne
du sorcier:
- Le «double», quitte le corps du sorcier et, comme dans le cas
du magicien, aucun autre double ne s'y substitue.
- Ce «double» entreprend une chasse des «doubles» des autres
hommes en les séparant du corps par la frayeur. Cette offensive est, en
certains points, comparable au procédé utilisé par le génie brandissant la
peau sanglante au moment de la possession.
- Aucun «double » ne se substitue à celui de la victime qui
retrouve vite sa connaissance (comme le corps du sorcier lui-même), mais
est incapable de récupérer ses principes spirituels.
- Apparition pour la première fois de la mort du «double» (et,
par conséquent, du corps) comme conséquence d'une séparation prolongée.
- Existence d'un monde virtuel où les «doubles» d'hommes vivants
fréquentent les «doubles» des génies (ou les génies eux-mêmes), et sur-
tout où ils se rencontrent eux-mêmes, se battent ou s'entr'aident, partageant
ainsi un imaginaire collectif secret (contrairement aux danses de possession
où cet imaginaire collectif est vécu en public).
- Economie singulière des «doubles » des victimes, de consomma-
tion ou d'échange ou de destruction, mais dont la clé reste à découvrir.
- Exhibition forcée (contrairement au sohantye qui crache volon-
tairement sa chaÎne) d'un œuf anal où serait concentré la puissance du
sorcier tyarkaw.
,;-
oj-

**

Avant de passer de l'autre côté de l'observation, il n'est pas inutile


de faire le point de cette notion de «double » bia (voir schéma ci-joint).
Chaque homme a un « double» bia qui vit dans un monde parallèle,
un doublet du monde, domaine des génies, maîtres des forces de la nature,
domaine permanent de l'imaginaire (rêve ou rêverie ou réflection), domaine
temporaire des magiciens et des sorciers. Ce reflet du monde ne semble
pas dépasser les limites du monde terrestre, en particulier, il ne déborde
pas sur le monde de l'au-delà géré par Dieu.
Entre le monde réel et son doublet, des connections sont possibles,
soit par l'incarnation de génies au cours de danses de possession, soit par
l'incursion chamanistique des magiciens dans le reflet du monde, soit par
la matérialisation du sorcier au moment de sa chasse aux autres doubles.
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539

I
I
I
:'~ 0
~-

-
Publique

Génie parle
- diurne
ou
nocturne ~~ I
I
I
,
I
I
I
@}-@ @
I
I
I
I
I
@-@
- danseur =
cheval p
I
-- dou ble du danseur dans I
I
une peau sanglante 1 transe de possession: le ~ possession: le génie I 3 fin de la possession:
génie g tenant une g
I doua bleprisdula danseur
place du I le génie g est parti
peau p apparait au danseur I D le danseur 0 a retrouvé
D dont le double d dont le double d est son dou ble d
est déplacé
I enfermé dans la peau p

~-\:Y

"
I
I

tT
/",/

I @; CD
- Privée - diurne I
voyage du magicien I
-
chez les génies I
@---0 I
@--0 @-0
- magicien = vautour
1 consultation: le client voyage chez les génies 3 charme magique
- chaîne orale C consulte le magicien M
:2
le magicien envoie le magicien M et son
dont le double m sonde les I son double m chez double m donnant un
véritables intentions du double' les génies g charme au client c et
I à son dou ble
du clien t c .
I
J

~
I
I
S- , G)?
@- I (fj I CD0
-- secrète nocturne
- rapt. du double
de la victime disposé
5
0-0
I
I
I
I (0
I
I
I
--B:
I I
chez les génies par I 2 dévoration : Ie double
1 attaque du sorcier: le I3 mort: Le sorcier S
le sorcier
sorcier S est chez lui, son: du sorcier s va porter I a re trouvé son dou ble s ,
- sorcier = hibou double s attaque le double le double v de la I la victime V meurt
I
- oeuf anal v de la victime V qui a peurl victime aux génies g I mais que devient son
la victime V a perdu I double \ ?
I
son double I

Ces deux mondes, finalement, sont tellement interpénétrés qu'il est


à peu près impossible à l'observateur non averti d'y distinguer le réel de
l'imaginaire. «< J'ai rencontré Ali hier» signifie aussi bien: «J'ai ren-
contré réellement Ali hier» que «J'ai rêvé de, j'ai pensé à Ali hier» ...).
Et, quand l'observateur s'est entraîné à cette gymnastique, il perturbe
aussi bien le réel que l'imaginaire...
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4. La personne de l'observateur et, particulièrement


de l'ethnographe-cinéaste

Dans cet univers de miroirs fragiles, à côté de ces hommes ou femmes


dont un acte maladroit peut arrêter ou provoquer la transe, la présence
de l'observateur ne saurait être neutre. Qu'il le veuille ou non, il est lui-
même intégré au mouvement général et ses réactions les plus minimes sont
interprétées par référence à ce système particulier de pensée.
Si j'ai choi~i de commencer par la personne du cinéaste, c'est que
l'enregistrement, puis la restitution des images et des sons introduisent un
élément concret que ne saurait avoir un livre, même iHustré, auprès
d'hommes, pour la plus grande majorité~ iIlettrés~ mais qui savent regarder
et écouter.
Depuis quelques années, les progrès techniques permettent, en utili-
sant un équipement encore très complexe~ mais dont les techniques vont en
se simplifiant, d'utiliser comme outil d'enquête ethnographique le « cinéma-
direct», c'est-à-dire l'enregistrement synchrone des images et du son.
Depuis les films d'essai réalisés au Dahomey et au Mali avec Gilbert
Rouget et Germaine Oieterlen (1957-1965), j'utiHse systématiquement ce
« cinéma-direct».
Les deux pionniers de cette technique sont l'Américain Robert
Flaherty et le Soviétique Dziga Vertov qui inventèrent, dès les années
1920 « la caméra participante» et le «cinéma-vérité».
Au moment où les premiers théoriciens du cinéma tentaient de définir
ce nouveau langage app1iqué à la fiction (fiction issue directement de la
tradition théâtrale), Vertov et Flaherty bousculèrent toutes ces règles à
peine ébauchées en expérimentant le cinéma dans la réalité même.
Dziga Vertov avait ainsi compris que la vision cinématographique
était une vision particulière, utilisant un organe de perception nouveau, la
caméra, sans grand rapport avec l'œil humain, il l'appella le «ciné-œil».
Plus tard, à l'apparition du film sonore, il définit de la même façon la
« radio-oreille », organe spécifique de récoute enregistrée. Nous savons
aujourd'hui qu'en poussant plus loin encore son analyse? il découvrit que
ce nouveau langage audio-visuel était compris (je dirais «ciné-compris»)
par des spectateurs n'ayant pas une éducation spéciale. Il appela l'ensemble
de cette discipline Kinopravda le «cinéma-vérité», expression ambigüe
puisque, fondamentalement le cinéma tronçonne, accélère, ralentit, donc
distort la vérité.
Pour moi cependant, le kino-pravda est un terme précis au même
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titre que le kinok (ciné-œil), et qui désigne, non pas la vérité pure, mais
la vérité particulière de l'image et du son enregistrés: la ciné-vérité.
A tous les moments de l'élaboration d'un film de cinema direct, une
« ciné-attitude» se manifeste. Contrairelnent aux films de fiction préparés
sur le papier, le cinéaste direct doit à tout moment être prêt à enregistrer
les images et les sons les plus efficaces. Pour reprendre la terminologie
de Vertov, lorsque je fais un film, je «ciné-vois», en connaissant les
limites de l'objectif et de la caméra; je «ciné-entends», en connaissant
les limites du microphone et du magnétophone; je «ciné-bouge» pour
aller chercher l'angle où effectuer le mouvement le plus adéquat; je «ciné-
monte », dès le tournage, en pensant au rapport des prises de vue les unes
par rapport aux autres: en un mot, je «ciné-pense».
Robert Flaherty, rude géologue irlandais, utilisant pour la première
fois une caméra dans le grand Nord, chez les Eskimos de la baie d'Hudson~
ne connaissait pas ces théories dont il n'avait que faire, mais il devait
résoudre sur le terrain des problèmes semblables. Il appliqua d'emblée une
technique empirique extraordinaire, en faisant participer à l'élaboration de
son film l'Eskimo Nanook et sa famille. «< Nanook of the North»).
Pour cela, il réalisa, dans des conditions incroyables, un laboratoire
de développement et une salle de projection: ainsi, il avait inventé la
« caméra-participante », considérant que cet outil n'était pas un obstacle
majeur à l'inter-comunication mais, au contraire, un appareil indispensable
et complice de la réalisation d'un film.
Nous sommes quelques-uns à appliquer en ethnographie, plus ou
moins consci~mment, ces deux méthodes: tous les gens que je filme aujour-
d'hui connaissent la caméra, et savent bien ce qu'elle est capable de voir
et d'entendre; ils ont assisté à des projections successives de leur film au
cours du montage; au moment du tournage, ils sont «ciné-vus» quand je
les «ciné-regarde».
En fait, ils réagissent devant cet art du reflet visuel et sonore comme
ils le font en face de l'art public de la possession ou de l'art privé de la
magie et de la sorcellerie.
On sait que Frazer, dès «Le Rameau d'or», signala la réaction
effrayée de « primitifs » quand on prenait leur photographie, ce reflet dont
leur âme allait peut-être partager les plus grands périls.
Que dire alors de l'image en couleurs, animée, sonore?.. Il faut avoir
assisté une fois à la projection d'un tel film (par exemple «Le Sigui 1969;
La caverne de Bongo» projeté un an plus tard dans le village de Bongo)
pour comprendre le choc émotionnel d'une telle tentative faisant revivre
le temps passé, animant sur un morceau de tissu, les reflets de personnes
disparues, fantômes impressionnant que l'on voit, que l'on entend mais
qui ne voient pas, qui n'entendent pas...
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Je crois aujourd'hui, que, pour les gens fUmés, la personne du cinéaste


se métamorphose sous leurs yeux au cours de la prise de vue: il ne parle
plus, sinon pour crier des ordres incompréhensibles «< Moteur! Coupez! »)
Il ne regarde plus que par l'intermédiaire d'un appendice étrange, il n'écoute
plus que par l'intermédiaire d'un micro-canon.
Mais, paradoxal~ment, c'est grâce à cet attirail, grâce à ce comporte-
ment nouveau (qui n'a rien de commun avec le comportement de la même
personne quand elle ne filme pas) que le cinéaste peut «coller» au rituel,
s'y intégrer, le suivre pas à pas: chorégraphie étrange qui, si elle est
inspirée, rend le caméraman et son adjoint preneur de son, non pas invi-
sibles mais participants à la cérémonie en cours.
Ainsi, pour les Songhay-Zarma, très habitués au cinéma, ma personne
s'altère sous leurs yeux comme s'altère la personne des danseurs de posses-
sion, jusqu'à la «ciné-transE » de l'un filmant la transe réelle de l'autre.
Cela pour moi est si vrai, que je sais, et par le contrôle de mon viseur
de caméra et par les réactions des spectateurs, si la séquence filmée est
réussie ou ratée, si j'ai pu me débarrasser du poids des théories ethnolo-
giques et cinématographiques pour retrouver la barbarie de L'invention.
On peut aBer plus loin encore: cette chasse d'images n'est-elle pas
comparable à la chasse aux «doubles» du sorcier, et, ce que je conserve
avec des soins extraordinaires (obscurité, sécheresse, basse température),
c'est un « paquet de reflets», un « paquet de doubLes». Si la caméra peut
être assimilée à la peau sanglante du génie possesseur, l'expédition des
films vers des laboratoires lointains peut être assimilée, par contre, à la
dévoration du double par le sorcier.
L'analogie, pour moi, s'arrête là, car la suite des opérations n'est pas
prévue explicitement dans les mythologies africaines: cette image «volée»
revient quelques mois plus tard et, sur J'écran, reprend un instant sa vie
(reflets doués d'un étrange pouvoir puisqu'il suffit à un «cheval de génie»
de se voir possédé sur l'écran pour entrer immédiatement en transes...).
J'en suis actuellement là de ces réflections sur mon rôle de preneur et
de donneur de «doubles», de n1angeur puis de montreur de «reflets»,
mais je sais déjà qu'il s'agit ici d'une recherche qui peut éclairer perti-
nemment les relations singulières de l'ethnographe et de l'ethnographié.
Il ne m'est guère possible d'établir maintenant la théorie songhay de la
personne du cinéaste mais je tenterai d'en dessiner le profil au cours de
missions ultérieures avec les Zima, les Sorko, les Sohantye qui collaborent
depuis plus de trente ans à mes recherches.
Néanmoins, je peux montrer par la projection d'un petit film le rôle
évident joué par la camera comme stimulant à la possession (film «T ou-
rou », plan séquence de huit minutes, seize mm. couleurs, C.N.R.S., C.F.E.,
Musée de J'Homme, 1971 - voir notice en annexe).
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543

Conclusion

Ces quelques réflexions critiques sur la personne du cinéaste m'entraî-


nent à les élargir à la personne de l'ethnographe.
Sur le terrain, le simple observateur se modifie, il n'est plus, quand
il travaille, celui qui saluait les Anciens à l'orée du village; pour reprendre
la terminologie vertovienne, il «ethno-regarde», il «ethno-observe»,
il «ethno-pense», et ceux qu'il a en face de lui se modifient pareillement
dès qu'ils ont donné leur confiance à cet étrange visiteur habituel, ils
« ethno-montrent », ils « ethno-parlent », à la limite, ils «ethno-pensent»...
C'est cet «ethno-dialogue» permanent qui me paraît l'un des plus
intéressants biais de la démarche ethnographique d'aujourd'hui: la connais-
sance n'est plus un secret volé, dévoré ensuite dans les temples occidentaux
de la connaissance, elle est le résultat d'une quête sans fin où ethnographiés
et ethnographes s'egagent sur un chemin que certains d'entre nous appellent
déjà « l'anthropologie partagée ».
Sept.-oct. 1971.
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Annexe: film « TouTou »

Le 15 mars 1971, le pêcheur Sorko Daouda me demandait de venir


filmer à Simiri, dans le Zarmaganda, une danse de possession au cours de
laquelle on devait demander aux génies noirs de la brousse de protéger
les futures récoltes contre les sauterelles.
Malgré les efforts du prêtre zima Sido, père de Daouda, malgré
l'emploi de tambours archaïques «tourou» et «bïtfi» aucune possession
ne s'était produite depuis trois jours.
J'allais à Simiri le quatrième jour avec Daouda et mon technicien du
son, Moussa Amidou. Après quelques heures sans aucune possession, alors
que la nuit allait tomber, je décidai de tourner quelques plans sur cette
musique très belle et bientôt menacée de disparition.
Je commençai à filmer l'extérieur de la concession du prêtre zima,
puis, en pénétrant dans le parc des chèvres à sacrifice, nous entrâmes dans
- l'arène de danse où dansaient, sans grande conviction, le vieux Sambou
Albeydu. Tout en le suivant, je m'approchai de l'orchestre que je filmai en
détail sans m'arrêter. Soudain, les tambours cessèrent de battre. J'étais prêt
à stopper le tournage quand le violon reprit en solo (le violoniste avait
« vu le génie»). Immédiatement, Sambou entra en crise et fut possédé par le
génie Kure «< le boucher hausa », «la hyène»). Je continuai à filmer quand
entra dans le champ la vieille Tusinye Wazi. Je lâchai Kure pour la suivre;
elle eut presqu'immédaitement une crise et fut possédée par le génie Hadyo.
Toujours sans m'arrêter, je filmai la consultation des génies par les prêtres,
la demande d'un sacrifice puis, en reculant, je terminai le tournage, qui
n'avait pas été arrêté depuis le début, par une vue générale de la concession
envahie déjà par la nuit.
En revoyant ce film, il m'est apparu que le tournage même du film
avait déclenché et accéléré la possession. Et je ne serais pas surpris
d'apprendre des prêtres de Simiri, quand je leur projetterai prochainement
ce film, que c'est ma « ciné.;.transe» qui a joué, ce soir-là, le rôle de cata-
lyseur essentiel.
Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

ASPECTS DU PHÉNOMÈNE DE CONSENSUS


DANS LA PSYCHOTHÉRAPIE GHETSOGHO

Otto GOLLNHOFER et Roger SILLANS

Dans cet exposé, nous allons tenter de montrer sous quels aspects se
présente, chez les Mitsogho du sud-Gabon, l'adhésion à un même système
de références et à un même jugement de valeurs dans le traitement des
troubles psychiques par la médecine traditionnelle. Autrement dit comment
s'effectuent le déséquilibre et le rétablissement de l'harmonie des composants
de la personne.

(1)
I. Les éléments du consensus

Chez les -Mitsogho - petite population forestière de quelque 13 000


individus répartis en six clans dualistes, exogames, matrilinéaires, polygames,
à résidence virilocale, - la vie religieuse, très intense, se manifeste au
travers de sept principales sociétés et corporations initiatiques, des deux
sexes, sans compter diverses pratiques rituelles.
La plus importante des cinq sociétés et corporations masculines est
indiscutablement celle du Bwete qui est un culte d'ancêtres élevé du cadre
familial, privé et lignager, au cadre tribal collectif. Son très riche ensei-
gnement initiatique est, en partie, analogue à celui de la société du Ya-Mwei,
axée plus spécialement sur le maintien de l'ordre public par le respect des
interdits claniques et de la loi morale. Les jugements et sentences - qui
sont, dans certains cas, détenninants dans la notion de consensus au niveau
de la psychothérapie - sont exécutés par les adeptes de la société du Kono.
Les juges coutumiers, ou ev~vi, groupés en une corporation à caractère
initiatique, tranchent les questions d'ordre familial et traditionnel que les

(1) TI s'agit, ici, du phénomène dont fait état CI. LÉVI-STRAUSSdans son
Anthropologie structurale (Le sorcier et sa magie). Plon éd., Paris, 1958.

35
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546

adeptes du Ya-Mwei mettent à exécution dans certains cas. Les divers


guérisseurs (nganga) répartis (nganga-a-mis:Jk:J et nganga-a-mY:Jbt) ou
non (nganga ordinaires) en sociétés initiatiques, ont la charge de rétablir
les troubles causés par toute perturbation affectant soit l'individu, soit le
groupe social avec réciprocité des conséquences sur le plan psychique.
Deux sociétés féminines complètent cette esquisse du milieu initiatique (2) :
celle de l'Ombudi, culte de possession par les génies (mighesl) et celle du
Bôo qui est un peu le symétrique de la société du Ya-Mwei.
Si l'intégration à ce système religieux complexe - où l'interpénétration
des rites, d'une société à l'autre, est très grande - permet à l'adepte d'être
plus conscient du système de références propre à sa culture, il ne faudrait
cependant pas croire que la connaissance de l'Homme et de son devenir
soit réservée aux seules sociétés d'initiés. Ceux-ci ne font qu'approfondir
cette connaissance au travers des rites et de l'enseignement initiatique. Leur
jugement des valeurs culturelles et cultuelles ancestrales est, certes, de ce
fait, plus conscient car plus vécu. Mais chacun des représentants du groupe
social possède cependant des notions partielles, quoique suffisantes, du
circuit socio-culturel dans lequel il est peu à peu intégré dès sa naissance
et qui repose, bien entendu, sur la connaissance de l'Homme.

Le consensus au niveau des composa-nts, de la personne.

Indépendamment de la dimension ésotérique du rôle des divers organes


du corps humain (composants secondaires), selon que l'on a affaire à l'une
ou à l'autre société d'initiés (3), la personne vivante, l'être (moma) est cons-
tituée des composants fondamentaux suivants: ôto (le corps); endjanga
(la force vitale) qui réside dans le cœur (moterna); ghedidi (l'esprit) et
ghedinadina (la silhouette, l'ombre). La personne morte, le cadavre, est
dénommé ndzumbi.
Entre deux incarnations, l'esprit vit dans un monde supra-terrestre
(enga). Lorsque le moment de la réincarnation est arrivé, l'esprit, pour
atteindre la rivière, descend de l'au-delà soit par «l'intestin d'une per-
sonne» (moa-a-moma), «les veines des hommes» (mikangi-mya-myoma),
« les rayons du soleil» (misondji-mya-kombe) ou la «liane» nduma (4).

(2) En 1967 est apparue venant des Bandjabi, la pratique religieuse du «poteau:l>
(eeng:J), sorte de confession publique très efficace; elle a été interdite en 1970 par
le gouvernement gabonais (cf. p. 558).
(3) En raison du sujet traité nous excluons de la présente étude tout ce qui
se rapporte à l'anthropomorphisme des instruments de musique, des représentations
rituelles de la personne et des récits initiatiques.
(4) C'est la vanille sauvage: Vanilla a/ricana Lind!. var. laurentiana (De Wild.)
R. Portères (Orchidacées).
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547

Alors il grimpe sur le dos de l'hémiptère aquatique tsanga-sanga (5),


lequel, juché sur une feuille de la graminée ek:Jk:Jk:Jk:J (6) transporte
l'esprit jusqu'à la rivière la plus proche du village où doit s'effectuer la
transmigration. C'est là qu'une femme, prévenue par un ancêtre (mombe),
au cours d'un rêve, ira prendre de l'eau. A ce moment, l'hémiptère sera
entraîné dans la calebasse et l'homme, en buvant cette eau, avalera, du
même coup, l'esprit qui ira se fixer entre les deux arcades sourcilières
(mighikz) (7) avant de descendre le long de la colonne vertébrale (m:Jk:Jng:J),
par le sommet de la tête (espace inter-hémisphérique) et passer dans le
sperme (madome).
Nous verrons, lorsque nous traiterons du consensus et de la psycho-
thérapie (8) combien est importante cette conception de la transmigration
de l'esprit que nous retrouverons transposée et adaptée, dans une prépa-
ration de la médecine traditionnelle des nganga, destinée à permettre la
réintégration de l'esprit extériorisé.
Si au moment de la copulation l'esprit (9) passe dans le vagin (eii£s:J)
au moyen du sperme, la force vitale (10) ne l'accompagne cependant pas
encore. Il en est de même pendant la période embryonnaire comparée à
la pholade (ok£z) (11) ainsi que pendant le stade au cours duquel l'enfant
n'a ni bras ni jambes (mosonda-sonda). Même quand celui-ci n'a encore que
des membres très peu développés, comme la grenouille ghets££ (12),
la force vitale n'est toujours pas présente. Celle-ci ne pénètrera l'enfant,
comparé à l'athérure (ngomba) (13), que lorsqu'il sera devenu comme la
grenouille poilue ebondo (14), c'est-à-dire avec tous ses membres et organes
internes. C'est l'état à partir duquel il commence à remuer, comme la tortue
ghes:Jmba (15); dans le sein de sa mère comparé à la rivière mythique
Moboghw£ dont l'aval, qui est la vulve (m:Jts:Jts:J), correspond à la mort
(owa). Et dont l'amont, la source, qui est la tête (mots££), la bouche (moiia),
représente la vie.
C'est cette «rivière» que le récipiendaire est censé remonter dans la
vision stéréotypée relatée par le mythe fondamental de «la route de la vie»

(5) FamiI1e des N aucoridae.


(6) Setaria chevalieri Stapf.
(7) Quand l'esprit se trouve encore chez l'homme, on dit qu'il est dans le
temple de l'ancêtre primordial mâle, Nzambe (souvent assimilé à l'Etre suprême).
(8) Cf. p. 555.
(9) L'esprit relève du lignage maternel.
(10) La force vitale relève du lignage paternel.
(11) Pholas campechiensis Gmelin, mollusque lamellibranche qui perfore des
cavités dans les rochers du rivage.
(12) Hylambates breviceps.
(13) Atherurus armatus Gervais (Hystricidae).
(14) Trichobatrachus robustus.
(15) Trionyx aubryi.
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548

(ndjeane mofio), c'est-à-dire l'initiation au Bwete par la manducation de la


plante hallucinogène iboga (16). Nous ne saurions trop insister sur l'impor-
tance de cet anthropomorphisme qui constitue la base essentielle de l'ensei-
gnement initiatique de la société du Bwete. Et qui repose sur une vision
stéréotypée due à une extériorisation de l'esprit à la faveur de la narcose.
Extériorisation au cours de laquelle le néophyte rend visite au « village des
disparus» dans lequel il peut d'ailleurs être retenu s'il «descend la rivière
MoboghwE » (17).
Cependant, même quand la force vitale anime l'enfant, celui-ci n'est
pas considéré, pour autant, comme une personne; pas plus qu'il ne le sera
à la naissance (bôta) tant qu'il n'aura pas de «voix », qu'il n'aura pas
«reçu l'air, le vent », c'est-à-dire tant qu'il n'aura pas crié ou toussé.
Et l'on ne sera assuré que son esprit est suffisamment fort pour qu'il puisse,
vers huit ans, s'extérioriser - car ses clavicules (mipanga-panga) sont, à
cet âge, déjà très fortes - que si l'on constate que l'enfant appelle suffi-
samment tôt ses parents.
A la mort physique (18) l'ombre disparaît, la force vitale, qui sort par
le nez (opombo), «passe dans le vent» alors que «l'esprit, qui passe dans
(19)
l'eau, est déjà loin ». Celui-ci sort par la fontanelle (ng:Jngo-a-mbadanga)
pour gagner la rivière. L'insecte tsanga-sanga l'attend sur sa feuille de gra-
minée et le transportera, en chantant, en direction de l'au-delà. L'esprit
y parviendra par l'une des quatre voies que nous avons précédemment
indiquées, le plus souvent par les rayons du soleil. Alors que la mâchoire
inférieure (ghedek:J) du cadavre l'y rejoindra au moyen des racines
aériennes de la vanille sauvage afin d'aller « plaider la cause de l'esprit» (20).
Au cours de la vision due à l'iboga, par contre, l'esprit, qui n'effectue
qu'une visite au pays des ancêtres, sort par la bouche ou par les oreilles
(mato). Il en est de même lors de chaque extériorisation au cours des rêves.

Le consensus et ses incidences SUT la peTsonne.

Dans ce système religieux, l'accomplissement des divers rites de passage,


et la participation active à l'enseignement qui les accompagne, actualisent
symboliquement les grandes étapes de la vie en les transposant sur le plan
initiatique.

(16) Tabernanthe iboga Baillon (Apocynacées).


(17) Cf. pp. 549 et 552.
(18) Par opposition à la mort initiatique lorsque le récipiendaire ne parvient
pas à relier les éléments de la vision en une synthèse visuelle cohérente reflétant
l'orthodoxie bwete aux yeux des anciens.
(19) Littéralement: le «sommet du crâne ».
(20) Simple allusion à une socialisation de l'au-delà car la mâchoire inférieure
symbolise la parole «qui juge».
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549

C'est ainsi que dans un rite du Bwete (21), qui se déroule le long d'un
parcours (22) où sont matérialisés symboliquement les différents organes
externes ou internes de la personne (23), le maître des cérémonies (povi)
retrace - au travers de récits initiatiques, et à l'appui de rites symboliques,
- le mécanisme de la transmigration de l'esprit dans le corps humain (24)
suivie des quatre stades de la gestation. Les différentes étapes de l'existence
terrestre de l'Homme sont mimées par un initié au cours du rituel qui
s'achève sur l'évocation de la mort entraînant le retour de l'esprit dans
le monde supra-terrestre.
Rien n'échappe à l'observation dans ce système de références où le
néophyte acquiert d'abord une connaissance visuelle de la vie et de l'éter-
nité avant d'en connaître l'explication. Tout est actualisé, au cours des rites,
depuis la descente de l'esprit le long de la colonne vertébrale, en vue de
sa transmigration, jusqu'à l'apparition des ancêtres (mighondji), lors des
séances nocturnes du Bwete.
Lors de la narcose, due à l'absorption de l'iboga, l'esprit qui s'exté-
riorise «doit remonter la rivière Moboghw£ et jamais la descendre» (25).
Ces conseils, dispensés symboliquement par le récit de l'initiation à la
société du Bwete, l'initiateur les prodigue au néophyte en lui disant de ne
suivre que la «bonne route, celle du bois amer», ce qu'il ne peut faire
qu'en chassant toutes les préoccupations et en ne redoutant point l'épreuve
à subir. Sinon son esprit s'extériorisera dans la « mauvaise route », ne verra
pas l'ancêtre et ne pourra peut-être même plus réintégrer le corps.
Dans le consensus ghetsogho, l'extériorisation de l'esprit joue, en effet,
un rôle de tout premier plan, car c'est au cours du rêve que s'effectue le
déclenchement des maladies par suite des atteintes que peut subir l'esprit
et, partant, la force vitale.
Ainsi, pendant le rêve une personne peut s'extérioriser volontairement
- si elle est, occasionnellement, mal-intentionnée (moghodo) - et nuire
à la force vitale de sa victime en agissant sur l'esprit de celle-ci. Cette
action occulte volontaire (nduk£) (26) peut aussi être obtenue par l'intermé-
diaire de l'esprit d'un défunt auquel une personne vivante, mue par la
jalousie, a, préalablement, ordonné de faire du mal au moyen d'un sortilège
(ghek:Jk:J-amaghangha) (27), à base de substances humaines, animales, végé-
(21) Le rite de deuil nZ:Jbe namakomba (la demeure des disparus).
(22) Depuis l'enceinte privée du Bwete (nzimbe), en passant par la cour du
village jusqu'aux bords de la brousse.
(23) Sous forme de peaux d'animaux, de végétaux, instruments de musique.
(24) Cf. pp. 546-547.
(25) Cf. le symbolisme, p. 547.
(26) Il Y a des nduke protecteurs (préparations rituelles ou crânes).
(27) Les ek:Jka sont des sortilèges ambivalents en ce sens que l'effet bénéfique
pour leur propriétaire est obtenu au détriment des autres ou par condamnation de
soi-même.
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550

tales et minérales. Les plus connus sont les sortilèges mosingi (genette) (28);
ndjegh;) (panthère) (29); ng:Jnd:J (grand calao à casque noir) (30); nungu
(arc-en-ciel) (31) et mateng:J (fantômes, revenants) (32). Mais l'esprit d'un
mort n'agit pas forcément sous l'emprise de sortilèges. Il peut agir volon-
tairement, sans être subordonné à la volonté d'un vivant. C'est le cas d'un
ancêtre décédé des suites d'une intervention maléfique et qui désire se
venger.
Quant aux extériorisations involontaires, elles se produisent chez les
personnes nullement mal-intentionnées, mais qui éprouvent un grand cha-
grin (perte d'un être cher), qui ont subi une injure publique, qui ont
rompu un interdit ou qui sont victimes d'un sortilège ou d'une extériori-
sation volontaire de la part d'un tiers.
Dans ces deux derniers cas, la victime est «appelée» au cours d'un
rêve, soit par le sortilège, soit par la personne animée d'un désir vénal
selon que l'opérateur s'extériorise, ou non, lui-même. Dans les autres cas,
l'esprit, bien qu'involontairement extériorisé, encourt, cependant, le risque
de rencontrer un nduke agressif ou l'esprit de ses parents décédés qui peu-
vent lui faire rejoindre l'au-delà pour le libérer de sa peine. L'agression
qu'il subira se traduira soit par la mort, soit par des maladies dont la
gravité dépendra du retentissement qu'aura eu sur la force vitale, l'atteinte
portée à l'esprit pendant son extériorisation (33).
Ces sortilèges (34) sont censés déclencher, le plus souvent, la stérilité
chez les femmes du lignage du détenteur (35), la «folie de la panthère»
(oghi:J-a-ndjegh:J), la lèpre (ebea-a-ghegha) ou des hémorragies (guende)
toute la vie, si l'on ne les traite pas, la mortalité infantile, etc...

(28) et (29) L'élément essentiel de ce sortilège est une main de cadavre.


(30) Préparé avec de la terre du nid de ce calao: Ceratogymna atrata (Tem-
Minck).
(31) Préparé avec un ver intestinal (m:Jsab:J) et un morceau d'intestin humain
prélevé sur un cadavre. Le tout, par la force des rites, se «métamorphose ~ en un
serpent (m:Jt:Jf:Jf:Jf:J)qui exhale l'arc-en-ciel.
(32) Préparé avec un fragment de crâne humain; il se «métamorphose» en être
de petite taille, parfois à physionomie d'enfant ou de Blanc, qui guette «en rêve»
l'esprit d'une personne dès qu'elle s'extériorise.
(33) Ce peut être aussi une simple tentative d'atteinte à une personne donnée.
Mais cela suffit pour que l'on aille porter plainte en justice, pour tentative d'homi-
cide, sur la foi d'un simple rêve prémonitoire révélant l'identité du «coupable ». Et
si la «victime» meurt, cela devient un homicide prémédité et le prévenu deviendra
un «meurtrier».
(34) L'ambivalence de ces sortilèges permet d'obtenir, en contrepartie du mal
fait à autrui, la richesse (<<touraco », «genette»), de bonnes récoltes et des pêches
abondantes «<arc-en-ciel»), etc... Quant au sortilège «de la panthère », l'opérateur
peut agir de telle façon que, pour faire bonne chasse, les maladies, occasionnées par
ce sortilège, n'atteignent que lui-même.
(35) Après certains rêves prémonitoires, les femmes constatent, effectivement,
leur état de stérilité.
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551

Il Y a donc très peu d'affections à qui l'on attribue, avec certitude,


une origine naturelle, si ce n'est les « maladies de Dieu», comme la «folie
de Dieu» (oghi:J-a-Mafiambi), dans laquelle la grosseur du cerveau
(mavua), le cœur et le sang (ndjina) jouent un rôle essentiel (36); les acci-
dents et la vieillesse. Mais, même dans ce dernier cas, lorsque la mort est
précédée de toux et d'essoufflement, pendant plus de quatre à cinq jours,
le décès est considéré comme suspect. Et il faut en rechercher la cause
comme pour n'importe quel trouble pathologique telles que la stérilité,
l'hypertrophie des testicules, la cécité, la «folie de la panthère», que l'on
attribue, dans la plupart des cas, aux répercussions d'influences occultes
(sortilèges ou extériorisations volontaires) sur la force vitale humaine qui
s'en trouve affaiblie. Lorsque ces influences ne jouent pas, une maladie
donnée, quelle qu'elle soit, est une « maladie de Dieu ». Et la mort, si elle
doit en être l'issue, aura, de ce fait, une origine naturelle. Mais, dans un
cas comme dans l'autre, elle est due à un affaiblissement de la force vitale.
Mise à part l'apparition possible d'une maladie sans prémonition
onirique préalable, ce qui est assez rare (37), c'est généralement au cours
d'un rêve que l'on est averti des actions malintentionnées (nduk£) d'un
tiers (38). Et qui se manifestent, la plupart du temps, sous l'aspect d'entités
à physionomie, le plus souvent animale (singe, panthère, chien qui vous
mord) mais aussi humaine (Blanc, petit enfant) (39) ou même à physio-
nomie humaine et à corps d'animal (abeille à physionomie humaine).
Toutefois, les rêves prémonitoires peuvent aussi se présenter de bien
d'autres façons telles que pêcher des poissons, descendre une rivière en
pirogue, se cacher à la fin d'un rêve, ressentir les pas d'une personne sur
la poitrine, etc..., qui sont toutes des atteintes à la force vitale, dont
certaines mortelles. Mais il y a, cependant, de bons rêves, ceux dont on
ne parle pas; ce sont des conseils donnés par les ancêtres dans le but
d'éviter des accidents, par exemple, ou de dévoiler les chances à venir.

II. Le mécanisme du consensus

Chacun des éléments de ce consensus, en faisant appel à un système


de références ancestral, traduit un certain niveau d'objectivité où l'irréel

(36) Cf. pp. 556-557.


(37) Il s'agit, en réalité, de prémonitions ayant échappé à la personne qui en
a été l'objet.
(38) Quelques rares personnes de la fonction publique qui possèdent du bétail,
veulent l'abandonner, car elles se sentent menacées, dans leurs rêves, par des gens
jaloux.
(39) Ce sont là les manifestations du sortilège des mateng:J (cf. p. 550).
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devient réel, et le réel, irréel. Et ceci depuis les nouilles qui sont, pour les
vieux Mitsogho, les intestins des Blancs, jusqu'aux danseurs masqués qui
sont les ancêtres eux-mêmes, en passant par l'araignée qui devient, à l'occa-
sion d'un rite, l'esprit extériorisé, lui-même, que l'on va faire réintégrer dans
le corps du patient.
Dans ce schème collectif - où sont codifiées, par un jeu de corres-
pondances cosmo-socio-biologiques, toute la culture, la morale et la religion
de la société, - diagnostic et traitement, maladie et guérison constituent
un jeu inconscient entre le groupe social, l'individu et le thérapeute.
Le diagnostic et le traitement psychosomatique, ou largement psycho-
logique, sont établis par des devins et devins-guérisseurs des deux sexes qui
exercent à titre individuel ou dans le cadre de certaines sociétés à caractère
initiatique. Devins et guérisseurs, qui peuvent d'ailleurs être les deux à la
fois, travaillent toujours en étroite collaboration.

Diagnostic et traitement.

C'est le plus souvent à la suite d'un rêve considéré comme prémo-


nitoire, que l'on a recours aux spécialistes pour obtenir le décodage exact
d'une perception onirique que l'on soupçonne d'être le signe d'une atteinte
à la force vitale, d'une manœuvre vénale en cours, ou simplement d'une
mauvaise intention de la part d'un tiers (40).
Quelques prémonitions oniriques sont des présages de mort comme
voir un Blanc ou un petit enfant, une abeille à physionomie humaine,
un pagne. Certaines de ces prémonitions fatales relèvent d'un symbolisme
particulièrement évocateur comme pêcher des poissons (c'est-à-dire retirer
la vie de l'eau symbole de la vie) ou descendre une rivière en pirogue
(allusion à l'anthropomorphisme de la rivière Moboghwe) (41). D'autres
sont simplement suggestives comme les pas qu'une femme ressent sur sa
poitrine et qui sont le signe de sa stérilité. Il y a une stéréotypie (codage)
des rêves prémonitoires dont le décodage ne relève pas de l'interprétation
du devin, mais de la connaissance du système de références propre à sa
culture. Et cette stéréotypie, relevant d'un phénomène collectif, les gens la
vivent dans leur propre subconscient, avec des variantes individuelles négli-
geables. Car, pour ne citer qu'un exemple, lorsque l'esprit «réintègre»
le corps, chacun ressent, plus ou moins, des pressions, des chocs, s'apprête
à crier. Et c'est à cet instant précis que la personne est souvent « avertie»

(40) Ce fût le cas pour l'un de nos informateurs qui surgit un jour de grand
matin, de sa case en criant: «J'ai vu en rêve que l'on venait m'attaquer, mais si
je meurs, mon oncle (maternel) il faudra trouver la personne que je dirai en
secret ».
(41) Cf. p. 547.
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de l'atteinte portée à son esprit qui vient de s'extérioriser. A tel point -


s'il s'agit du sortilège ndjegh:J, par exemple, - qu'elle voit, réellement
«passer instantanément la panthère».
On peut d'ailleurs avoir la présomption d'une atteinte de l'esprit, au
moyen d'une symptomatique élémentaire que chacun peut faire aisément.
Car un affaiblissement de la force vitale est toujours caractérisé par un
amaigrissement très rapide, des tremblements, de la fièvre, une sensation de
froid et un refus d'absorber toute nourriture, liquide ou solide. C'est alors
que le malade aura recours, pour confirmation, au diagnostic des spécia-
listes.
Au nombre de ceux-ci, les nganga-a-mis:Jk:J (42) sont les plus réputés.
Ils exercent seuls ou, éventuellement, avec un confrère. Ils dévoilent les
causes des maladies sous l'effet hallucinogène d'une macération de râpures
d'écorce et de racines d'iboga et de crâne humain, en s'aidant de danses
exécutées en public au son d'instruments de musique. Vu que la contre-
partie de l'action bénéfique des sortilèges s'exerce pratiquement toujours au
détriment de la lignée du malade, le nganga commence par questionner
successivement chacun des membres du lignage du patient. En principe,
le coupable se démasque avant que le nganga n'oblige toutes les personnes
soupçonnées à jurer par Ya-Mwei. S'il y a sortilège, son support matériel
est brûlé par le nganga.
Il y a aussi les « gens de la sagaie »(asi-ek:Jng:J) qui opèrent au moyen
d'une sagaie dont ils font reposer la flèche sur une feuille placée sur un
petit banc. Selon que la feuille adhère, ou non, à la sagaie, ceci à plusieurs
reprises, le consultant apprend par le devin s'il est coupable ou non.
Les spécialistes féminins - hormis les membres de l'Ombudi qui, au
cours de leurs transes, peuvent prévoir la mort d'une personne - sont
représentées par des adeptes du Bôo. Celles-ci procèdent à la divination (43)
dans une case close où les hommes ne sont point admis. Pendant que les
femmes y chantent et dansent toute la nuit au son du tambour, l'initiée,
spécialisée dans la divination, absorbe certaines feuilles stupéfiantes desti-
nées à lui faciliter la clairvoyance.
Tant que l'origine de l'affection n'est pas décelée, on n'arrête pas les
investigations qui se poursuivent jusque sur le cadavre, par une autopsie
rituelle, en cas d'issue fatale. Aussi, n'est-il pas rare de consulter, parfois,
jusqu'à dix devins et guérisseurs avant d'avoir entière satisfaction. Mais
c'est généralement le spécialiste, lorsqu'il estime avoir établi un diagnostic
précis, qui dirige son malade vers les guérisseurs les plus appropriés à
l'affection mise en cause, s'il ne croit pas pouvoir traiter lui-même son client.

(42) Du verbe sokagha (découvrir).


(43) Les initiées du Bôo sont spécialisées dans le dépistage du sortilège de la
« panthère ».
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La conduite du traitement dépendant avant tout de la cause concep-


tuelle de la pathologie, la thérapeutique sera soit psychosomatique (affec-
tions ayant une cause naturelle) soit plus largement psychologique (affec-
tions relevant d'une extériorisation).
Dans le premier cas, les thérapeutes se livrent, ou non, à des danses
nocturnes dans la maison de culte, au domicile du malade et surtout à
celui du praticien selon qu'ils opèrent (nganga-a-mY:Jbe) (44) ou non (quel-
ques femmes qui exercent individuellement) dans un cadre initiatique.
Chacun d'eux ne dispense cependant que .des soins très limités: les uns
enlèvent, avec une incroyable dextérité, les filaires de l'œil avec une
aiguille; d'autres traitent les céphalées; certains, les troubles organiques, etc...
La médication somatique - administrée dans la journée, si le traitement
comprend des danses nocturnes, - est représentée par diverses prépara-
tions dans lesquelles peuvent entrer maintes substances telles que sang
humain, bec d'oiseaux, vers intestinaux, griffes et excréments d'animaux,
vomissures de panthère et une grande variété de poudres,- d'écorces, de
feuilles et de racines. Certaines médications sont plus simples et se limitent
à des sucs, latex, résines, macérations et décoctions d'écorces et de feuilles
recueillies selon un rituel approprié et administrées, le plus souvent, par
voie orale, plus rarement par voie rectale ou par incisions. Si après quatre
à cinq jours de traitement, la guérison n'intervient pas on recommence
le dépistage, car il y a de grandes chances que, dans un tel cas, la maladie
n'ait pas une cause naturelle. Dans le deuxième cas, le traitement peut être
tout aussi bien prophylactique que curatif.
La prophylaxie individuelle a pour but de se protéger contre l'action
des personnes malintentionnées, au moyen de sortilèges protecteurs (nduke)
préparés par les nganga-a-mis:Jk:J et les nganga-a-mY:Jbe. Ceux que l'on
place au-dessus de la porte d'entrée des habitations consistent fréquemment
en rûches d'abeilles sauvages, couteaux en bois, plumes de grand calao h
casque noir, d'aigle, poudre de charbon de bois, nids d'oiseaux, etc... Pour
protéger les enfants en bas-âge contre ces actions maléfiques, on les confie
généralement aux nganga-a-mis:Jk:J.
La prophylaxie col1ective (lignagère) s'obtient le plus fréquemment au
moyen de crânes dépourvus de la mâchoire inférieure (45) et surmontés
d'une statuette (l'ensemble constituant le sortilège-portecteur mbumba) (46).
Ou de crânes enterrés en secret au milieu du village.
Le traitement curatif s'effectue en deux temps: tout d'abord, faire
revenir l'esprit, éventuellement encore extériorisé, et, ensuite, le guérir.
(44) Les nganga-a-mY:Jbe ne s'occupent qu'exceptionnellement de découvrir les
causes des maladies.
(45) Cf. p. 548 et renvoi (20).
(46) On dispose les mbumba dans une case spéciale dénommée tba-amaghanga,
c'est-à-dire la maison des objets rituels.
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555

Pour lui faire réintégrer le corps, on fait appel à des spécialistes de l'un ou
l'autre sexe, travaillant individuellement, ou aux nganga-a-mis:Jk:J. A cet
effet, on met par terre une peau de genette dont on pique la tête avec une
plume de perroquet (symbole de la parole) et une aiguille (symbole du
corps humain). On place également sur cette dépouille une feuille de gra-
minée (47) et l'on frotte le tout avec de la poudre de padouk (48). On couvre
avec des feuilles de taro (49) et l'on dispose l'ensemble, soit au bout du
village, soit près de la demeure du malade. Le lendemain matin, l'araignée,
que l'on trouve sur la peau de genette, ainsi préparée, est mise dans de
l'eau que l'on fait absorber au patient qui recouvre ainsi son esprit. Après
que le nganga lui aura fait boire, à minuit et vers cinq heures du matin,
une décoction de diverses feuilles (50) et écorces, le patient sera alors prêt
à recevoir les soins d'un spécialiste. Celui-ci devra traiter la «blessure
interne» (pota) que le malade ressent dans le poumon droit et qui n'est
autre qu'une somatisation passagère du choc psychologique qu'il vient
d'éprouver. Si la douleur se présentait à gauche, dans la région précordiale,
l'issue serait fatale quoi qu'on fasse.
Les soins dépendent de la nature de l'extériorisation. S'il n'y a pas eu
intention vénale, ceux-ci sont pratiquement identiques à ceux que le nganga-
a-mY:Jbe dispense en cas de maladie naturelle. Mais ils comportent, en
plus, la bénédiction de la part des initiés du Ya-Mwei. Si, par contre,
l'esprit s'est extériorisé dans une mauvaise intention, le patient ne peut
être traité que par les adeptes de la société du Ya-Mwei devant lesquels
il doit, au préalable, reconnaître obligatoirement, en public, sa culpabilité,
sous peine d'aboutir à une traumatisation qui peut être irréversible. Sous
cette conditiop, le pardon, qui lui sera dispensé, rétablira son équilibre
psychique.

Consensus et psychothérapie.

Quand on aborde la psychothérapie ghetsogho, c'est toute une concep-


tion du monde sensible et supra-terrestre que l'on fait jouer. Car elle
implique la notion de personne à ces deux niveaux; autrement dit,
la connaissance de l'Homme dans son être physique et psychique (vie
terrestre) ainsi que spirituel (passé et devenir ultra-terrestre).
C'est parce que tous les phénomènes du cosmos conçu dans sa glo-
balité, sont imprimés dans le circuit «réincarnation - naissance - vie ter-
restre - désincarnation» que l'Homme, selon un système ancestral de codage

(47) Setaria chevalieri Stapf.


(48) Pterocarpus soyauxii Tauber (Papilionacées).
(49) Colocasia esculentum L. (Aracées).
(50) Notamment obaka: Guibourtia tessmannii (Harms) J. Léonard.
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556

et de décodage, apprend, à la faveur d'un rêve, à quel événement de sa


vie .terrestre il va avoir à faire face.
Une fois rendu conscient de l'origine de sa perturbation, le malade
sait que des rites appropriés le rétabliront, à moins que la révélation d'une
issue fatale n'entraîne sa mort dans des délais qui peuvent, parfois, être
rigoureusement déterminés.
C'est ainsi que certaines personnes prévoient la date exacte de leur
propre mort plusieurs années à l'avance. Celle qui fait une telle prédiction,
et nous avons connu plusieurs cas de ce genre, demande à ce que ses
funérailles se déroulent à la date indiquée. Au jour prévu, elle y participe
d'autant plus activement qu'elle sait qu'à l'issue de la cérémonie, elle
mourra et que son cadavre n'aura plus qu'à être transporté au cimetière!
Il ne s'agit pas là d'une croyance ou de coïncidence fortuite, mais
bien d'une conséquence d'une vision conceptuelle de la vie humaine.
Vision dont le devin, le guérisseur, le malade et chaque individu consti-
tuant le corps social, ne font que constater l'objectivité par l'apparition
des phénomènes oniriques, les maladies qui s'ensuivent et l'efficacité des
techniques thérapeutiques correspondantes.
Il s'agit, en fait, d'une participation constante et inconsciente de
chacun qui adhère, à la fois, à un même système de références et à un
même jugement de valeurs qui, à la fois, culpabilisent et absolvent, déclen-
chent la pathogénèse et guérissent, à l'instar d'un consensus fonctionnant
comme un véritable jeu à l'insu de tous.
On n'adhère pas, en effet, à un tel consensus qui ne fait que traduire
simplement un système qui se dispense, s'assimile et s'applique inconsciem-
ment par l'intermédiaire des rites publics et privés, de récites, mythes et
énigmes initiatiques, ou non, de la stricte observance des interdits claniques
et lignagers, du respect des lois morales, etc... En un mot, après mille
détours, l'Homme connaît les facteurs de dépendance, d'avec le schème
dualiste dans lequel il se trouve intégré et qui conditionne le déroulement
de sa propre existence.
C'est ainsi que l'actualisation des étapes de la gestation (formation
de la personne physique) et celles de la vie terrestre (formation de la per-
sonne sociale), par le truchement de mimes rituels, en faisant connaître la
nature physique de l'Homme, montre comment réagissent les composants
fondamentaux (esprit et force vitale) et secondaires (sang et cœur en parti-
culier) de la personne, en face de chaque perturbation affectant l'équilibre
biologique (maladies naturelles ou non).
La «folie de Dieu», par exemple, est caractérisée par un «déplace-
ment du cœur d'un quart de tour à droite», provoqué par la trop rapide
circulation du sang qui est «trop noir ». De ce fait, la personne atteinte
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557

de cette affection, n'ayant ni un «bon sang» ni un cœur normalement


disposé dans la poitrine, ne peut être «tranquille» et n'a pas «la bonne
parole». La notion de «tranquillité», c'est-à-dire d'équilibre psychique,
de sagesse, est liée à un bon état du cœur et du système circulatoire, car
le sang est le véhicule par excellence de la force vitale. C'est la raison
pour laquelle tout initié qui surprend une femme jetant un regard sur un
objet rituel ou un rite masculins, a le droit et le devoir de la blesser légè-
rement au bras pour diminuer sa force vitale.
C'est par l'état du sang que l'on traduit donc finalement l'état
psychique ou physique d'une personne. Bien que sur le plan physiologique,
le système nerveux sympathique ait, dans certains cas (terreurs intenses par
exemple) (51), une influence indiscutable dans la diminution du volume san-
guin et la chute de tension pouvant entraîner des «dégâts irréparables aux
organes de la circulation» (52), il ne semble cependant pas que chez les
Mitsogho, il soit mis en cause, en tout cas, pas directement. Selon qu'une
personne est considérée comme « tranquille,> ou non, on pense, peut être,
au système nerveux, mais on se borne cependant à dire qu'elle a un «bon
sang» ou un «mauvais sang ». Tout comme si le sang commandait, en
quelque sorte, l'activité du système nerveux, ce qui serait conceptuellement
tout-à-fait vraisemblable vu qu'aucun organe ne peut être touché tant
que la force vitale, véhiculée par le sang, ne l'est pas.
Nous avons vu que les signes d'atteinte à la force vitale sont de deux
sortes: les uns prédictifs, les autres cliniques. Parmi ces derniers, il y a
des troubles de l'état général et une douleur dans les côtes ou les poumons.
Celle que ressent le malade dans la région précordiale après la réintégra-
tion de l'esprit- extériorisé sera - tout comme la vision de certains rêves,
considérés comme prémonitoires, - obligatoirement suivie de mort, par
le seul fait que, préalablement, le patient, comme son entourage, a, incons-
ciemment, admis qu'il ne pouvait en être autrement. Et la mort s'ensuit
inéluctablement. Autrement dit, la physiologie n'étant expliquée que dans
un contexte socio-religieux, la personne physique et la personnalité sociale
se confondent à tel point que, lorsque la seconde est trop gravement per-
turbée, l'intégrité de la première se disloque ou disparaît. Et nous assistons
à des troubles métaboliques par un phénomène de somatisation d'origine
psycho-culturelle, tels les symptômes attribués à l'affaiblissement de la
force vitale, dûment constatés par le malade et le. groupe social.
C'est ce mécanisme qui joue lorsque le détenteur d'un sortilège
redouté «< l'arc-en-ciel », par exemple) est démasqué. Car il est alors si

(51) C'est, notamment, le cas de ceux qui avouent au cours du rite du «poteau:.
(cf. p. 558 ou dont on a prédit la date de la mort.
(52) W.B. CANNON,cité par CI. LÉVI-STRAUSS, in Anthropologie structurale, Plon
édit., Paris, 1958, p. 184.
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558

mal vu dans sa famille qu'on le désigne publiquement et la honte le gagne


à tel point que son psychisme en est si perturbé qu'il peut en mourir (53).
Tout comme s'il fait un parjure afin de ne point se dévoiler aux yeux de
tous et n'être pas ainsi deshonoré. De même, si, ayant parjuré, il se dénonce,
car ses proches évitant de lui adresser la parole, et sa famille pouvant se
séparer de lui définitivement, il se trouve ainsi coupé de ses liens ances-
traux et peut en mourir. C'est cette brutale rupture des liens sociaux et
familiaux qui amorce Je changement psychologique et physiologique du
comportement des personnes à qui l'on a prédit ou qui ont prédit, elles-
mêmes, la date de leur mort. Par acceptation inconsciente, de part et
d'autre, de la notion de consensus, ces personnes, considérées dès ce
moment comme mortes pour le groupe social, mourront obligatoirement
comme prévu.
La nécessité impérieuse, qu'implique le consensus, d'être en harmonie
permanente avec le système de références, dans lequel les individus sont
imbriqués, est telle qu'au cours de cette sorte de confession -publique qu'est
la pratique du «poteau» (e€nga), celui qui a enfreint une loi morale
(adultère, vol, crime, sortilège, etc...) ne peut parjurer. S'il veut prouver
son innocence, il doit réciter, devant la colonne centrale d'une case close
spéciale, quelques phrases courtes sans se tromper. Si, par malheur, il a
commis une action répréhensible, il a le souffle littéralement coupé dès
le début. Involontairement il urine et défèque aussitôt puis sort en pleurant
en en criant tout en avouant, devant tout le monde, les fautes commises.
Pénétré d'un si pénible sentiment de remord, le «pénitent» se donne
souvent la mort ou décède à la suite de troubles psychiques, bien qu'il ait
la possibilité d'obtenir le pardon devant des initiés du Ya-Mwei. Ce génie
est, en effet, tout particulièrement habilité à faire passer aux aveux ceux
qui sont appelés à jurer par lui (54). Bien que les adeptes du Ya-Mwei
aient été, eux et les nganga-a-misaka, largement dépassés, pendant un
temps, par les praticiens du « poteau», ils demeurent néanmoins les maîtres
incontestés du consensus. C'est qu'une affirmation faite en invoquant le
génie Ya-Mwei, a, en effet, des conséquences: elle mènera soit au pardon,
soit à des troubles psychiques, ou à la mort selon qu'il y a parjure ou

(53) A la suite de la disparition d'une somme de 5000 francs CFA, tout notre
personnel était amené à jurer par Ya-Mwei. Au moment de jurer, une personne
disparut. Le jour suivant, elle nous fit savoir, par écrit, que c'était elle qui avait
dérobé l'argent: «Messieurs, je vais vampirer (c.à.d. m'extérioriser), il ne faut pas
le dire aux autres car je peux même en mourir de honte ».
(54) La gendarmerie de Mimongo avait accusé un membre de notre personnel
d'adultère, sur les dires d'un dénonciateur. L'accusé affirmait qu'il s'agissait là de
pure calomnie. Ayant réussi à persuader les gendarmes de chercher la vérité par des
moyens traditionnels, il ne fallut pas plus de cinq minutes, après avoir fait jurer
par Ya-Mwei, pour que l'accusateur avouât avoir fait une dénonciation calomnieuse.
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559

non, « car on n'invoque pas Y a-Mwei pour mentir». Si la personne accusée


est innocente, elle se déculpabilisera d'elle-même, aux yeux de la société,
mais le vrai coupable en subira les conséquences car le «prévenu», en
jurant de dire toute la vérité doit lancer une malédiction: «Si je ne dis
pas la vérité, il faut que Ya-Mwei me rende malade ou m'avale, sinon
que le vrai coupable tombe malade! » (55). Personne ne peut échapper à
cette règle et, très vite, le délinquant se démasque, atteint par les premiers
symptôme de la «maladie de Ya-Mwei» que les initiés de cette société
pourront d'ailleurs traiter (56).
Le rôle capital que joue la société du Y a-Mwei dans le traitement
psychothérapique ne manque pas de nous faire réfléchir quant à la portée
de la thérapeutique des nganga qui sont surtout des étiologistes prescrivant
une médication qui ne dispense nullement le malade qui s'est rendu cou-
pable d'un maléfice ou qui en est victime, de recourir aux services des
initiés du Ya-Mwei. La véritable thérapeutique des nganga est d'ailleurs
toute psychologique. Car si l'efficacité pharmacodynamique de l'un ou
l'autre produit végétal, ou de certaines synergies médicamenteuses, ne sau-
rait être mise en doute, elle n'est, cependant, qu'exceptionnelle. L'efficacité
purement symbolique, car «psychologique», de certains éléments entrant
dans la composition apparemment hétéroclite de ces drogues, est, en effet,
de loin la plus importante. Sans aller jusqu'à prétendre que les plantes
médicinales ne jouent qu'un rôle de placebo, nous sommes cependant bien
obligés de reconnaître que nous n'avons pas la moindre preuve que leur
éventuelle activité dépende des principes actifs de ces plantes. Car si l'inter-
vention des guérisseurs accordait une large place à la médecine somatique,
leur disparition de la scène africaine n'apporterait guère de perturbations
dans la vie traditionnelle. Leur rôle se situe, avant tout, et pour ne pas
dire presque essentiellement, au niveau d'une psychothérapie dont les racines
plongent dans les profondeurs de la culture ancestrale.
Il suffit, pour s'en convaincre, de constater le peu d'intérêt que les
Mitsogho attachent aux « maladies naturelles». Ils savent, en effet, incons-

(55) On peut aussi ip.voquer Ya-Mwei pour d'autres raisons. C'est ainsi qu'à
Mimongo nous n'avions pu assister à un rite masango auquel nous étions invités
par ceux-ci. Tous nos appareils de prise de vue et de son étant tombés en panne à
cause de l'excès de chaleur et d'humidité, les Mitsogho accusèrent les Masango d'en
être la cause pour que nous ne puissions pas travailler chez les Mitsogho. Ces der-
niers invoquèrent Ya-Mwei afin qu'aucun Masango ne pût traverser vivant une
ligne que les Mitsogho avaient tracée entre les deux quartiers ethniques de la ville.
Et personne ne s'y risqua!
(56) TI arrive, parfois, dans certains cas de vol, notamment, que l'objet dérobé
soit restitué tout juste avant que chacun ne jure par Ya-Mwei. C'est ce qui s'était
produit à Mimongo pour des graines potagères qui nous avaient été dérobées et
qui nous furent restituées, à notre insu, pendant que chacune des personnes de
notre entourage jurait, à tour de rôle, qu'elle n'était pas coupable.
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560

ciemment, que celles-ci mises à part, toutes les autres maladies ont une
cause psychologique. Et que ce n'est évidemment pas par la voie somatique
que l'on peut, dans ce cas, détecter et guérir les perturbations du méta-
bolisme. Le principe du traitement est, en effet, très simple. Si la concen-
tration psychique du malade - constamment dirigée vers un même schème
collectif psycho-physio-culturel et cultuel - provoque, avec l'accord
inconscient du groupe social, une autopathogénèse, elle peut, aussi, déclen-
cher une autothérapie par l'intermédiaire du guérisseur et de l'assistance
qui jouent le rôle de catalyseur. Les paroles, les rites et les chants de ce
dernier, ainsi que la comparution du prévenu devant les initiés du Ya-Mwei
sont, en effet, autant de manœuvres d'abréaction complétées par des mani-
pulations psychologiques du métabolisme perturbé telles que les danses
nocturnes du nganga et la participation des parents, amis et gens du
village.
(57) est,
Le symbolisme de la préparation de la peau de genette
d'ailleurs, à lui seul, l'illustration même de ce schème collectif, pour ne
citer que cet exemple. Cette dépouillle est, selon l'orientation qu'on lui
donne, la mort (la tête vers la brousse) et la vie (la tête vers le village).
Chacun sait que l'esprit, à l'occasion de la désincarnation et de la réincar-
nation, voyage sur le dos de l'hemiptère aquatique, tsanga-sanga, juché
sur une feuille de la graminée ekakakak:J que le devin a placée, préci-
sément pour cette raison, sur la peau de genette. Dans ce rite, par un
parallélisme de fonction, ce n'est pas l'hémiptère aquatique que l'on
trouve sur la feuille de graminée, mais l'araignée à qui l'esprit fait appel
pour redescendre de l'arbre de vie après son «voyage onirique» (58) à
la faveur des effets hallucinogènes de l'iboga. Ainsi, tout comme l'hémiptère
aquatique est censé transporter l'esprit lors de chacune de ses transmigra-
tions, l'araignée est aussi censée véhiculer l'esprit extériorisé. En avalant
l'eau et l'araignée, le patient sait que son esprit réintègre ainsi son corps,
tout comme l'esprit d'un futur réincarné est avalé par l'homme qui boit
de l'eau recueillie là où «danse» cet hémiptère. Alors il prend conscience
de lui-même et ressent l'atteinte portée à sa force vitale. Si les symptômes
ne révèlent point l'issue fatale, le malade guérira mais à la seule condition
qu'il soit couplé avec un praticien obligatoirement intégré au même schème
dont il tentera de remonter, avec le patient, le circuit en sens inverse.
C'est que, dans ce consensus, la personne apparaît, un peu, comme un
circuit imprimé dont les devins et les guérisseurs font jouer les commandes
selon une programmation constituée par le système de références lui-même.
La parole y joue un grand rôle mais, à cette différence près d'avec l'Occi-
dent, c'est que chez les Mitsogho le patient écoute, le praticien parle et

(57) Cf. p. 555.


(58) Selon un récit initiatique du Bwete, c'est, en effet, au moyen d'un fil
déroulé par l'araignée que l'esprit redescend du sommet de l'arbre de vie.
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561

l'assistance participe. Tandis qu'en Occident c'est le patient qui parle et


le praticien qui écoute; l'assistance est inexistante. Il y a évidemment un
certain dialogue entre le psychothérapeute et son client, mais il se limite
à quelques questions et réponses, importantes, il est vrai, mais~ malgré
tout, bien insuffisantes pour faire revivre intensément au malade le moment
précis qui a immédiatement précédé l'atteinte portée aux composants de
sa personne. D'où la nécessité des rites, dont nous avons parlé, auxquels
le patient n'est d'ailleurs nullement tenu d'assister, il lui suffit d'y parti-
ciper mentalement (59). Cela est rendu possible par le fait que la personne
étant conçue comme un phénomène collectif, c'est-à-dire considérée, avant
tout, dans une dimension cosmique et sociale, la culpabilisation (diagnostic)
et la déculpabilisation (traitement) des membres du lignage du patient, ou
du prévenu, entraînent la culpabilisation (troubles psychiques ou organiques,
par somatisation, ou mort) ou la déculpabilisation (guérison) du malade.
Et cette déculpabilisation, si celui-ci est coupable ou si l'un de son lignage
l'est, s'effectue dans le rite tsâmbo. Au cours de celui-ci, les initiés' du
Ya-Mwei absolvent, au moyen d'une bénédiction, toute personne qui a
dévoilé et reconnu publiquement ses fautes. Celui qui représente le génie
de l'eau Ya-Mwei, invoque des entités spirituelles comme le soleil (Kombe),
la lune (NgJ1Jde) et les étoiles (Minanga), en leur demandant d'accorder
le pardon que les initiés transmettent, ensuite, par la bouche de Ya-Mwei.
Les paroles prononcées publiquement en cette circonstance entraîneront
le rétablissement de l'équilibre psychique du patient. Au cas où l'origine
de son affection ne serait pas due à une action répréhensive, il relèvera,
malgré tout, du rite tsâmbo au cours duquel, après avoir réaffirmé solen-
nellement son. innocence, il recevra la bénédiction entraînant, de ce fait,
la culpabilisation d'un tiers que l'on recherchera. Il sera alors dirigé vers
un guérisseur spécialisé dans ce domaine.
Mais tout ceci n'exclue cependant pas que les Mitsogho ont un attrait
tout particulier pour les «médicaments des Blancs». Car ils sont, malgré
tout, conscients de l'existence des maladies somatiques qu'ils savent pouvoir
être traitées par ces moyens. Il semble, par ailleurs, qu'ils attribuent aux
médicaments classiques des propriétés magico-préventives, à en juger par
la scène suivante dont nous avons été témoins. En cinq minutes, brusque-
ment, tout un village fut pris de céphalée et de maux d'yeux, à tel point
que nous avons été presque démunis d'aspirine en un temps record. Par
contre, si la maladie en cause a une origine psychologique, on sait parfai-
tement que ce n'est pas le «Docteur» qu'il faut consulter, mais le nganga
qui, seul ou assisté des initiés du Ya-Mwei, peut se révéler compétent. En
effet, combien de fois n'avons-nous pas entendu ces propos de personnes

(59) C'est si vrai que lorsque le patient est trop malade, il peut se faire
remplacer par une personne de son lignage.

36
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562

qui ont séjourné de longs mois dans des services hospitaliers, sans succès:
«Les Blancs ont tout essayé sans pouvoir me guérir; je suis revenu au
village et maintenant je ne suis plus malade». Le mécanisme du consensus
avait joué!
Et ceci nous amène à constater que ce phénomène de consensus,
irréel en tant que concept mais d'une indiscutable réalité dans son fonc-
tionnement, explique la notion et le mécanisme de la «sorcellerie» Oes
extériorisations vénales, les sortilèges) et de la «magie» (le traitement par
les nganga et les initiés du Ya-Mwei). Toutefois, si pour admettre l'efficacité
de ces interventions il suffit d'y croire, pour y participer il faut obligatoi-
rement les accepter inconsciemment au travers du mécanisme du consensus.
Autrement dit, il faut les vivre au même titre que n'importe quel événement
quotidien. Pour les comprendre, il faut les analyser dans le contexte du
consensus qui implique un système et un jugement de valeurs propres à
l'ethnie.

*
**

Ainsi, par le biais d'une approche psychologique de l'ethnologie, nous


avons tenté de dégager - au travers de l'un des constituants de la personne,
l'esprit, - un mécanisme susceptible d'expliquer le déclenchement et la
guérison, souvent spectaculaire, de certains troubles psychiques, psycho-
somatiques, voire même, parfois, somatiques.
Il apparaît donc, de toute évidence, que si la notion de personne
n'a été qu'indirectement notre véritable but, elle s'est, cependant, manifestée
à nous dans sa dimension psycho-sociale en raison de la nature même
du phénomène qui intervient en psychothérapie ghetsogho, à savoir celui
de consensus.
L'acception que nous avons donnée à ce terme est celle «d'accord »,
consistant, chez l'ethnie étudiée, en une expérience collective, vécue, d'une
maladie donnée, depuis son auto-déclenchement jusqu'à son auto-guérison
découlant tous deux d'un système pré-établi lié essentiellement à la notion
de rêve au cours duquel l'esprit est censé s'extérioriser. Codage et décodage
du système onirique sont étroitement et intimement liés aux faits sociaux
et ethiques de culpabilisation et de déculpabilisation qui sont les clés du
mécanisme de ce consensus que personne ne peut refuser, attendu que
personne n'en a conscience.
C'est donc uniquement au rêve que le consensus ghetsogho doit son
existence et, partant, celle de cette psychothérapie qui se présente, en
quelque sorte, comme un phénomène de catalyse entre les structures sociales
et religieuses. Tout comme la notion de personne semble être un phéno-
mène d'émergence qui apparaît lorsque l'individu se trouve en contact
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intime avec le groupe social comme c'est le cas lors d'un traitement psycho-
thérapique, par exemple.
Car, sur quoi repose finalement la psychothérapie traditionnelle, sinon
sur le rétablissement de l'équilibre perturbé par les tensions interperson-
nelies ou celles affectant un groupe social (tribu, clan, lignage)? Et quels
sont ces conflits, sinon des atteintes à la loi morale telles que ruptures
d'interdits, d'ordre social ou religieux, manifestations de jalousie, outrages
divers, etc..., que le subconscient restitue au cours des rêves (60) selon un
codage ancestral relevant du système de références propre à l'ethnie (cor-
respondances cosmo-socio-biologiques).
Rechercher le mécanisme de cette thérapie revenait donc, en quelque
sorte, à replacer, dans leur véritable contexte, la notion et le mécanisme
de la «sorcellerie» et de la «magie» .
Qu'est-ce, en effet, que la sorcellerie, sinon une phase aigüe d'un phé-
nomène chronique de tension sociale qui se manifeste au niveau de l'affec-
tivité ? Et qui n'est autre, finalement, qu'une manifestation d'un « ça» indi-
viduel ou social, que la magie qui fonctionne comme un «surmoi», tend
à modérer. Celle-ci, qui est apparemment religieuse, par ses rites, n'est,
cependant rien d'autre que ce phénomène de consensus que nous abordons
dans cette communication et qui n'est, tout comme la sorcellerie, qu'un
banal phénomène social. Avec le rétablissement de l'équilibre, le «moi» ,
individuel ou social, réapparaît jusqu'à ce que le cycle recommence.
Cycle qui n'est, somme toute, que la manifestation de la personne
dans sa dimension psycho-sociale, voire même, peut-être, la personne tout
court...

(60) Les rêves prédictifs de mort ne sont évidemment pas du ressort de la


psychothérapie. Seuls les initiés de longue date sont ainsi prévenus de la date de
leurs fins dernières à la suite d'un contact onirique avec certaines entités spirituelles.
Ces rêves, qui ne se manifestent qu'à un nombre très restreint d'adeptes, n'ont donc
absolument rien à voir avec la sorcellerie.
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1. - Sous l'emprise des effets hallucinogènes de l'iboga, le nganga procède, dans la

maison de culte (ebanza), au dépistage des causes de la maladie, par divination.

36 .
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2. - Rite nocturne pratiqué au domicile d'un devin-guérisseur auquel des parents

viennent de confier leur enfant dans un but de prévention contre toute intervention occulte

maléfique.
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3. - A l'occasion d'un rite de la "levée de deuil" de la société du Ya-Mwei, les parents

confient, à ce génie, leurs enfants en bas âge dans un but prophylactique. L'adepte, qui a

pour fonctions de transmettre les paroles de Ya-Mwei, frotte ces enfants avec de l'argile

humide provenant d'un trou, spécialement creusé, représentant le vagin du génie.


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7. - Dans la maison de culte de la société féminine de i'Ombudi, le moment paroxystique

est atteint. A tour de rôle, chacune des initiées entre en transes et les génies la possèdent:

c'est l'instant de la divination des causes des maladies ou de la prédiction de la mort d'une
personne.
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

LA THÉORIE DE LA PERSONNALITÉ
EN PSYCHANALYSE ET EN ETHNOLOGIE

Edmond ORTIGUES

Les essais de confrontation entre psychanalyse et ethnologie se sont


heurtés jusqu'à ce jour à une difficulté majeure, à savoir la pénurie d'obser-
vations cliniques satisfaisant aux exigences de la méthode psychanalytique.
Nous ne disposons que d'un petit nombre d'observations cliniques utilisables
du fait que la plupart des auteurs ont négligé de se demander si et com-
ment la pratique de la psychanalyse pouvait être introduite dans une civi-
lisation différente de la nôtre. Tantôt on nous laisse ignorer les conditions
précises dans lesquelles les observations ont été recueillies, tantôt nous
apprenons que les auteurs ont eu recours à des «entretiens» dans le but
de solliciter des confidences biographiques. Mais on ne peut pas psychana-
lyser quelqu'un qui ne le demande pas. Le travail de la psychanalyse
consiste à mettre en évidence pour un sujet la façon dont il donne prise
imaginaire à d'autres sur lui, de sorte que si le psychanalyste se met
d'emblée en position de solliciteur, s'il se laisse mettre dans la position
de désirer quelque chose à la place du sujet, les cartes sont brouillées, et
il n'y a plus rien d'analysable. Le psychologue reste prisonnier du leurre
qu'il a construit.
L'absence de base clinique sérieuse conduit à une scholastique inter-
prétative. Normalement une «interprétation» est une hypothèse anticipant
sur des descriptions possibles, mais en l'absence d'une situation analytique
dont on puisse suivre l'évolution, il n'est pas possible de vérifier nos anti-
cipations en leur substituant des descriptions directes. La scholastique inter-
prétative raisonne sur des analogies entre phantasmes individuels et
croyances collectives, sans se donner les moyens de décrire l'évolution du
phantasme et d'analyser ses transformations. Ou encore elle fabrique des
fictions comme « la personnalité de base» sans se demander pourquoi dans
toutes les civilisations le concept de personnalité se prête si volontiers à
des fictions théologiques, métaphysiques, juridiques ou même romanesques.
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566

En fait, l'apparition d'une demande de consultation dans une société


de type africain participe toujours au départ de certains schèmes culturels
tels que la consultation du devin ou du guérisseur. Pour qu'une demande
puisse être formulée, il faut qu'elle rejoigne une question qui se pose
effectivement au sein de la culture du demandeur, même si cette question
est destinée à se transformer au cours de la cure. La demande de consul-
tation, motivée par «la maladie» ou l'échec, est habituellement liée en
Afrique à des thèmes persécutifs traditionnels tels que la sorcellerie, la
magie ou l'intervention d'esprits ancestraux. La psychanalyse se distingue
de la consultation rituelle en ce qu'elle requiert finalement une démarche
personnelle de l'individu et par là tend à remettre en question, qu'on le
veuille ou non, certaines formes de croyances et de liens sociaux. Le per-
sonnage traditionnel du guérisseur tend lui-même à s'effriter au voisinage
prolongé du psychanalyste. La thérapie psychanalytique engage l'individu
dans une prise de conscience personnelJe qui modifie les positions tradi-
tionnelles et qui ne pourrait se multiplier sans poser finalement un problème
social et religieux.
Sans doute la maladie par elle-même est individualisante, - c'est tel
individu qui est malade, et non tel autre -, mais la maladie est un état
socialement marqué, et à ce titre elle intéresse la communauté familiale
tout entière. Sorcellerie, magie, esprits ancestraux posent un problème qui,
à travers l'individu, intéresse tout le groupe. Or il ne faut pas confondre
en pareil cas les croyances collectives avec des phantasmes individuels.
Car les croyances, outre leur caractère imaginaire, permettent de jouer sur
un répertoire symbolique de classifications qui rend possible un art subtil
des rapports sociaux. Nous avons montré, dans les derniers chapitres
d'Œdipe Africain, à propos des bouffées délirantes, que la façon d'utiliser
les thèmes persécutifs dans les phantasmes et les délires, permettait de
distinguer l'usage pathologique de l'usage normal, et fournissait même des
critères de diagnostic et de pronostic.
Enfin la plupart des discussions pour ou contre l'universalité du com-
plexe d'Œdipe, paraissent des discussions sans objet, tant elles sont loin
des problèmes qui se posent effectivement dans la clinique. Lorsque nous
sommes allés travailler au Sénégal, nous avions tendance à penser, comme
on nous le répétait de tous les côtés, qu'il n'y avait pas de complexe
d'Œdipe en Afrique. Et puis il a bien fallu nous rendre à l'évidence:
quel que soit le système familial, partout où une psychothérapie analytique
est possible, on retrouve le problème œdipien. La meilleure démonstration
en est fournie par les cas de psychose schizophrénique, c'est-à-dire les cas
où la structure œdipienne, en se désintégrant le plus radicalement, laisse
apparaître ses conditions les plus constantes.
L'ensemble de ces données cliniques, ~ qu'il n'est pas possible de
résumer ici -, conduit à un problème théorique. On considère habituelle-
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567

ment la théorie psychanalytique comme une théorie de la personnalité.


Il y a toutefois dans cette formule une équivoque lourde de conséquences.
On parle habituellement de quelqu'un en lui attribuant telles ou telles
caractéristiques, or je voudrais montrer qu'on ne peut comprendre l'objet
de la théorie psychanalytique sans s'être livré à une critique des jugements
d'attribution tels qu'ils sont habituellement compris en psychologie.
L'équivoque consiste à traiter la personne, le « moi », comme un sujet
d'attribution alors qu'en réalité c'est un prédicat. Le seul sujet d'attribution,
la seule référence empirique c'est l'individu, c'est-à-dire l'élément numérique
d'un ensemble, d'une population. Lorsque nous disons à quelqu'un: «tu es
grand» ou «tu es jaloux », nous accomplissons non pas une mais deux
attributions: en premier lieu nous attribuons à l'individu une certaine posi-
tion personnelle dénotée par le mot «toi»; en nous adressant à lui nous
le traitons comme une personne, nous lui attribuons la personnalité, la
qualité d'interlocuteur valable. Puis en vertu de cette première attribution
nous en faisons une seconde qui consiste à attribuer à ce même individu
une qualité physique (la grandeur) ou morale (la jalousie). La psychanalyse
s'occupe de la première attribution, en tant qu'elle conditionne toutes les
autres; alors que, dans la vie quotidienne, la première attribution, celle
de la personnalité, semble aller de soi, de sorte que nous avons tendance
à assimiler les deux attributions comme si elles n'en faisaient qu'une.
Or cette assimilation n'est pas logiquement possible sans une fiction. Mais
cette fiction primordiale tient une si grande place dans les habitudes
morales, juridiques ou religieuses de tous les peuples, qu'il n'est pas possible
de rendre compte de la personnalité sans rendre compte des multiples
hypostases teles que l'âme, l'ombre, le double et autres entités fantômati-
ques qui, dans les diverses civilisations sont tenues pour être les compo-
santes de la personne.
Pour définir le concept de personnalité, considérons d'abord le cas le
plus général, le plus abstrait, celui dans lequel on admet que tout être
humain est une personne. Dans ce cas, le concept de personnalité a la
même extension que celui d'humanité. La personnalité c'est l'humanité de
l'individu. Et comme le langage est la principale marque distinctive au
nom de quoi s'effectue la perception du congénère dans l'humanité, nous
dirons qu'une personne est un être vivant doué de parole, un individu
avec qui nous pouvons communiquer, du moins en principe, par l'inter-
médiaire de signes conventionnels. Le concept de personne enveloppe donc
la forme générale du langage dans sa définition. Dans ce cas très général,
la personnalité, le concept de personne, est un prédicat défini par trois
positions possibles relativement à l'acte de parole: la position du locuteur
(première personne), la position de l'auditeur ou du destinataire (deuxième
personne), et la position neutre de l'objet dont on parle (dite troisième
personne) .
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568

On notera que la position neutre est indispensable à l'existence du


système, puisqu'elle seule permet de construire des propositions élémentaires,
objectives, susceptibles d'une validité universelle éliminant les questions de
personnes. Par exemple une phrase du type: «Je me souviens qu'il a plu
hier» s'analyse logiquement ainsi: 10) « A tel lieu, à tel moment, il a plu»
(énoncé indépendant des questions de personnes); 2°) «Je m'en souviens »
(marquant la relation de celui qui parle à l'événement énoncé). La per-
sonne est une valeur de position qui n'a qu'un rapport indirect à la réalité
empirique, par l'intermédiaire des symboles que l'individu utilise.
En résumé, la personnalité, dans son acception la plus générale, est
un prédicat d'ordre ou de relation, à trois positions possibles (dans un
sens analogue à ce qu'on appelle en mathématiques «une fonction à trois
inconnues»). Concrètement, la personne est une valeur de position à l'inté-
rieur d'un système d'alternatives symbolisées suivant des règles conven-
tionnelles. Il ne faut pas confondre l'individu empirique qui est sujet
_

d'attribution avec la personne qui est une valeur de position, donc un


prédicat applicable à l'individu. La personne en tant que telle n'a pas de
qualités, elle n'a que des relations instituées par un système de symboles.
C'est pourquoi les noms de personne ont habituellement valeur de titres
valables en droit, ce sont des appellations réservées dont la fonction est
moins descriptive que normative: on ne peut nommer la personne sans
nommer du même coup la règle du jeu où elle entre. C'est précisément
parce qu'elle est purement positionnelle, empiriquement vide, que l'attribu-
tion de la personnalité à un individu devient la condition universelle de
tous les prédicats psychologiques ou sociologiques par lesquels nous pour-
rons décrire les activités humaines. Tout comportement humain est sym-
boliquement marqué; on ne peut donc le décrire de façon cohérente sans
restituer la règle du jeu auquel il appartient. Il n'existe aucun prédicat
psychologique qui ne présuppose l'attribution de la personnalité à l'individu,
c'est-à-dire qui ne présuppose un ordre de symboles conférant à cet individu
le droit à la parole. Le caractère indirect de ce que nous avons appelé
les attributions secondaires, est exprimé linguistiquement par les pronoms
ou adjectifs possessifs (le mien, le tien, le sien) qui rappellent l'ordre des
positions personnelles conditionnant tout ce qui est attribué à l'individu
en vertu de sa personnalité. Celle-ci est le titre ou la raison de toutes
les autres attributions.
L'origine de la fiction consiste à traiter la personne comme un sujet
d'attribution, donc à assimiler de façon imaginaire le symbolique et le réel.
C'est ainsi par exemple que le moi, considéré comme sujet d'attribution
isolé, est un imaginaire (moi narcissique, fascination spéculaire) dont les
qualités résultent d'une série d'identifications à autrui, d'insignes empruntés.
Car en vérité le moi est un prédicat positionnel qui introduit moralement
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un droit à être reconnu dans une communauté, ce qui suppose la symboli-


sation d'une norme et non pas seulement un état de fait.
Pour faire du moi un sujet d'attribution premier, nous sommes obligés
de l'assimiler à une entité comme l'âme par exemple. Pourtant ce qui est
imaginaire dans la notion de l'âme, c'est uniquement le redoublement en
miroir de l'individu réel dans une entité fictive, redoublement qui d'ailleurs
peut se poursuivre à l'infini comme l'écho. Toutefois le réalisme imaginaire
qui nous fascine dans le cas de l'âme, du double ou de l'écho, traduit
simplement l'échec ou le défaut d'une médiation symbolique effective.
Analyser l'idée d'âme consiste à restituer le jeu de symboles dont le réalisme
imaginaire marque la frontière. Ainsi dans le christianisme «avoir une
âme» c'est avoir le droit de participer aux sacrements, ce qui nous renvoie
à un ensemble complexe d'institutions. Les principales de ces institutions
sont le baptême et les rites funéraires qui marquent les extrêmes de la vie:
l'âme est ce qui demeure constant quand on passe de la vie à la mort;
et si le nouveau-né reçoit son âme de Dieu comme jadis il la recevait des
ancêtres du lignage, sans la recevoir jamais de ses géniteurs directs, c'est
que toute niassance nouvelle tend à être perçue comme la transformation
inverse de la précédente, un passage de l'au-delà à l'ici-bas. Même dans
l'Etat laïc, les parents naturels ne disposent jamais seuls de l'état civil,
base de tous les droits personnels~
Dans les sociétés africaines, l'individu est censé posséder non pas une
âme seulement mais plusieurs entités psychiques, de sorte qu'il devient
alors évident que ces entités fictives doivent être mises en rapport avec
l'ensemble des rites et des institutions par quoi s'articulent les rapports
entre le mort- et le vivant, l'homme et la femme, la règle d'échange et
l'attaque de sorcellerie, le corps propre et l'autel familial, etc... Dans tous
les cas, les statuts personnels ne peuvent se décrire qu'à l'aide des trois
registres du réel, du symbolique et de l'imaginaire.
On montrerait de la même façon que ce que nous appelons en Europe
une fiction juridique consiste à fabriquer une entité telle que la person-
nalité collective pour en faire un sujet d'attribution. En vérité c'est toujours
un individu qui est sujet d'attribution, c'est un individu qui est habilité
à agir au nom d'une collectivité, cette habilitation lui étant conférée par
les statuts d'une association elle-même reconnue par les lois générales de
l'Etat. C'est ce rapport entre deux lois, entre deux registres normatifs, celui
de l'association et celui de l'Etat, que nous chosifions dans la personne
morale collective. La fiction a toujours le même résultat: elle transforme
un jugement de relation en jugement d'attribution ou d'inhérence d'une
qualité à un substrat.
On montrerait aussi de la même façon que, dans la métaphysique
classique, «l'apparence transcendantale» résulte de la nécessité d'imaginer
des entités fictives pour pouvoir ramener finalement les jugements de rela-
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tion à des jugements d'attribution. La logique d'Aristote, en effet, ne per-


mettait pas de concevoir des prédicats relationnels à plusieurs places comme
l'a fait de nos jours la logique de Russell.
Mais j'en reviens à ma question initiale. Quand on parle d'une théorie
psychanalytique de la personnalité, que peut-on mettre sous ces mots?
Nous avons vu que toute attribution d'un prédicat psychologique à
l'individu (ou à son comportement) présuppose l'attribution de la personna-
lité humaine, c'est-à-dire de son droit à être reconnu, à avoir sa place dans
un ordre de relations symboliques constitutives d'une société plus ou moins
large, plus ou moins exclusives des « barbares ». La théorie psychanalytique
est la théorie pour laquelle cette attribution primordiale de la personnalité
ou de l'humanité (avec toutes les fictions qui l'accompagnent) devient un
problème préalable à toute attribution psychologique quelle qu'elle soit,
un problème qui ne peut être explicité autrement que par les voies d'une
maOieutique.
La théorie psychanalytique occupe une position intermédiaire entre
l'anthropologie et l'ethnologie animale, le domaine d'investigation de la psy-
chanalyse s'étend entre deux limites extrêmes: d'un côté la signalisation
animale (permettant de déterminer les caractéristiques du leurre) et de
l'autre l'utilisation de l'outil. En effet, s'il est vrai que l'homme se carac-
térise par l'usage du symbole et de l'outil, il faut dire que le problème
psychanalytique est celui de la jonction entre l'homme comme être vivant
et le symbole. Dans le champ psychanalytique l'outil n'intervient lui-même
qu'à titre de valeur symbolique. Le problème de la connaissance objective,
en tant qu'il est lié à la possibilité d'une action instrumentale, n'est pas
du ressort de la psychanalyse. La psychanalyse ne rend pas compte de ce
qu'est une proposition. Elle ne rend pas compte non plus des faits sociaux
en tant qu'ils impliquent les exigences objectives d'une technique utilisant
l'outil. Les faits sociaux ou culturels n'entrent dans le champ de la psy-
chanalise que par le biais de la fonction symbolique qui commande le
processus de la socialisation et de l'individuation humaine, processus qui
conditionne toute attribution psychologique ou sociologique pouvant être
faite sur le compte de l'individu.
Là où l'homme se rapproche le plus de l'animal, ce n'est pas dans sa
relation aux choses puisqu'il n'a pas d'instincts spécialisés, mais dans sa
relation à ses congénères, en particulier dans sa fonction de reproduction.
Le fait que le sexe soit une relation binaire et la personnalité une relation
ternaire constitue pour la psychanalyse la structure anthropologique minima,
celle en deçà de laquelle on ne peut régresser sans retrouver purement et
simplement la biologie. C'est cette structure minimale qui' s'exprime dans
ce qu'on appelle le complexe d'Œdipe. Comme nous avons essayé de le
montrer dans notre livre «Œdipe l'Africain», ce qui est séparateur entre
la mère et l'enfant, c'est l'avènement du symbole lui-même qui, dans ce
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qu'on appelle improprement « les stades prégénitaux », exprime la nécessité


d'une médiation manquante et marque la place du père avant même que
cette place puisse être effectivement remplie dans la conscience de l'enfant
par l'homme de la mère, c'est-à-dire par le père. Si d'autre part la méta-
phore de la castration est universelle, comme le montre ~ien les tentatives
impuissantes du psychotique à la construire, c'est que toute angoisse est
en définitive l'angoisse de perdre cette structure minimale sans laquelle
il n'y a plus d'humanité.
Ce que nous appelons la structure anthropologique minima, équiva-
lente à ce que Freud appelle «les phantasmes originaires» (séduction,
castration, œdipe), nous permet de préciser ce qui change et ce qui demeure
constant lorsqu'on passe d'un système familial à un autre.
Ce qui change c'est essentiellement l'évolution des phantasmes. Ce qui
demeure constant d'une culture à une autre c'est le problème posé par la
différence entre la névrose et la psychose schyzophrénique. Dans ce dernier
cas, en effet, c'est toujours le symbolisme de la castration et de la méta-
phore paternelle qui n'arrive pas à se construire mais s'exprime sous forme
de redoublements imaginaires. La mention du père tend alors à rejoindre
le double narcissique dans un phantasme de mort et de toute puissance.
Ces conclusions résultent des observations cliniques que nous avons
exposées dans Œdipe Africain. Pour rendre compte de ces faits il n'est pas
nécessaire de supposer avec Malinowski et Radcliffe-Brown une famille
naturelle sous-jacente aux variations culturelles, puisqu'en baptisant
« famille» le groupe reproducteur on supprimerait le problème.
En parlant de structure anthropologique minima, nous voulons dire
surtout deux choses: 1) la psychanalyse rend compte non pas des sys-
tèmes culturels mais des matériaux avec lesquels ils se construisent.
Or tous les systèmes familiaux sont obligés de tenir compte du fait que
le sexe est une relation binaire et la parole une relation ternaire, en sorte
que le problème fondamental est celui de la symbolisation ou des conditions
de l'échange. 2) le rôle du tiers dans la relation mère-enfant n'est pas
seulement de faire entrer en scène un nouveau personnage (ce qui pourrait
se reproduire à l'infini), mais d'introduire une loi symbolique qui condi-
tionne non seulement la position différentieHe des personnes mais aussi la
possibilité d'éliminer les questions de personnes, élimination indispensable
pour qu'un énoncé puisse être dit vrai ou faux. Le complexe d'Œdipe serait
sans issue s'il devait nous enfermer dans une situation où tout se ramène
indéfiniment à des questions de personnes; nous serions alors prisonniers
d'un jeu indéfini de séductions réciproques. Si la personne du tiers est liée
à un phantasme de meurtre c'est qu'il est nécessaire qu'en cette tierce
position s'abolissent les questions de personnes afin que le discernement du
vrai et du faux dans la référence de l'homme aux choses puisse enfin
devenir une question pertinente..
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Colloques Internationaux du C.N.R.S.
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N° 544. - LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

QUELQUES ASPECT'S
DE LA NOTION DE PERSONNE

Lajos SAGHY

Il serait, me semble-t-il, séant et opportun d'évoquer, au cours de ce


colloque, la contribution de Lucien Lévy-Bruhl et celle de Marcel Mauss à
l'étude de la notion de personne en anthropologie. Ils nous offrent deux
schémas différents; l'un est synchronique, et concerne les sociétés ancestrales,
l'autre est diachronique, et relatif à l'histoire sociale de la notion de per-
sonne en occident.

L'âme primitive.

Lévy-Bruhl, dans son livre intitulé «L'âme primitive », cherche à


montrer comment les hommes «primitifs» «se représentent leur propre
individualité. Quelle notion ils possèdent de leur vie et de leur per-
sonne» (1).
A partir de documents ethnographiques très divers, il constate qu'en
dépit «d'un sentiment interne vif de son existence personnelle, le pri-
mitif» ne possède pas un concept clair de son individualité. Il ne s'appré-
hende pas lui-même comme un sujet radicalement distinct des choses qui
l'entourent. Il ne se pose pas comme un «Moi» conscient, nettement
différencié de ce qui n'est pas lui. Il «apparaît à lui-même comme il
apparaît aux autres et comme les autres lui apparaissent, sans s'opposer
aux êtres ou aux objets de la nature ambiante» (2). L'individu des sociétés

(1) L'âme primitive, 1927; éd. Félix .ALKAN, p. 1.


(2) Op. cit., p. 3.
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574

archaïques ne se conçoit pas en dehors du groupe, celui-ci n'en est qu'un


membre indifférencié, à moins d'être le siège d'une grande quantité de
mana, tel le chef, le guerrier, le chasseur exceptionnel, ou le sorcier.
L'image que le primitif a de sa personne est vague et diffuse, repré-
sentant une forme hétérogène dont les frontières spatiales et temporelles
sont imprécises. Ainsi l'individualité biologique du primitif n'est pas limitée
par les contours de son corps, elle s'étend à ses « appartenances» (cheveux,
rognures d'ongle, secrétions, excrétions, exhalaisons, traces de pas et de
fesses, objets personnels, etc...). Les appartenances constituent de véritables
doubles de l'individu.
Suivant les représentations collectives floues des primitifs, les compo-
sants vitaux principaux et auxiliaires de l'homme sont non seulement
multiples mais multilocaux et souvent extérieurs au corps, comme le pla-
centa chez beaucoup de peuples.
L'ombre, le reflet, l'image, la graisse des reins, le placenta, ne sont
ni purement spirituels ni purement matériels. L'âme pour le primitif n'est
pas une substance distincte du corps.
La croyance à la possibilité de la biprésence et à la dualité de l'homme
montre encore la fluidité, l'extension simultanée de la personne. La multi-
plicité et quelquefois l'extériorité des principes vitaux du primitif ne repré-
sentent pas seulement une sorte d'illimitation de son être dans l'espace
mais aussi dans le temps car des parties importantes de son humanité peu-
vent préexister et survivre à lui tel l'atka: le nom, l'ancêtre réincarné,
l'âme gardienne des Eskimos ou le Kra chez les Ewe.
L'homme des groupes archaïques est une sorte de continuum physico-
psychique et social, lié à ses semblables et dépendant de l'univers cosmique.
- « L'individu est un lieu de participation».
Malgré ses erreurs si violemment critiquées par ses contemporains,
mais en partie reconnues et corrigées par lui-même dans ses «Carnets»,
l'enquête de Lévy-Bruhl a le mérite d'avoir délimité le champ où se mani-
festent, explicitement ou implicitement, les multiples aspects de la personne.
Lévy-Bruhl cherche la personne là où elle est susceptible de se
dévoiler:
- dans les relations humaines, juridiques, familiales et politiques
(chef, sorcier, etc...),
- dans les relations de l'homme avec les choses,
- au niveau des représentations relatives aux composants vitaux de
l'individu, et enfin,
- dans les croyances concernant, si j'ose dire, les possibilités para-
psychologiques de l'homme.
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575

Ceci posé, je voudrais faire deux remarques à propos de l'analyse de


Lévy-Bruhl :
a) dans «L'âme primitive», l'auteur décrit les «prénotions» confu-
ses, les idées non pas pensées mais senties, que les «primitifs» ont de leur
personnalité, par opposition à nos concepts «clairs» et «logiques» qu'il
ne définit malheureusement nulle part. Il se réfère implicitement à une
notion monadique de la personne qu'il semble considérer comme définitive
et transcendantale (du fait même de son caractère logique), traduisant fidè-
lement la nature unitaire, substantielle et autonome de la réalité de l'indi-
vidu. Cette notion unitaire est effectivement apparue dans notre Droit et
dans la philosophie, surtout avec Kant et les postkantiens. Mais cette façon
de voir n'était pas la seule. Il n'existait pas (pas plus que maintenant), de
consensus ferme chez les «civilisés» sur la notion de personne en général
et encore moins en ce qui concerne son degré d'unité et d'individualité.
Dans le domaine de la psychologie, par exemple, cette conception substan-
tielle de la personne, qui renvoie à la notion d'une âme ou à un Moi
immuable et indivisible (où en somme personne = moi = esprit, ou cons-
cience), était largement mise en doute depuis la fin du siècle dernier:
- déjà Théodule Ribot (dans «Les maladies de la personnalité »,
1884) oppose à l'unité et à l'autonomie du Moi, des notions telles que
« la pluralité du Moi», la «double conscience».
Les premiers behavioristes ont rejeté toute idée de structure ou
d'unité et considéré la personne comme un ensemble de comportements
d'un individu, réductibles aux rapports entre stimuli et réponses, ou encore
comme l'agrégat «de centaines d'habitudes indépendantes et spécifiques».
Enfin pour Freud, la personne est un ensemble complexe de réseaux
de relations qu'il tente de décrire et d'expliquer par «la fiction d'un
appareil psychique», c'est-à-dire par un modèle qui, au fond, n'est pas
moins métaphorique que la plupart des représentations «primitives» de
la personne.
b) Par moments on a l'impression que Lévy-Bruhl «scotomise» tout
ce qui, dans notre représentation du monde, n'est pas rigoureusement
conforme à la logique, en le rejetant du côté du «primitif ».
On peut se demander si son hypothèse principale (l'existence d'une
différence essentielle entre la «mentalité primitive» et «civilisée») n'a
pas détourné son attention de l'importance du raisonnement par analogie
dans la pensée occidentale.
Le raisonnement analogique est commun à l'espèce humaine. Dans
son acception large, il consiste à conclure de la ressemblance de certains
objets à quelques égards, à leur ressemblance à d'autres égards. Quoique
du point de vue de la logique classique cette opération mentale ne soit
pas tenue pour rigoureuse, elle est un instrument de compréhension et
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de découverte précieux. La pensée analogique préside, notamment, à la


création de modèles spontanés. Ceux-ci étant compris comme un système
de correspondance entre des réalités supposées mieux connues (ou plus
imagées) et une autre réalité dont on cherche à se représenter les aspects
jugés «essentiels ». Il s'agit d'appliquer sur «quelque chose qu'on connaît
mal et qu'on manipule avec difficulté (le référé), quelque chose qu'on
connaît mieux et dont on peut montrer le fonctionnement, les propriétés,
les effets (la référence, le modèle)>> (4). Cette activité de comparaison
prolonge celle qui produit les métaphores.
Le propre des modèles spontanés, «c'est l'hétérogénéité des termes
de référence, d'où leur caractère disjoint, la difficulté de les connecter
et de les exploiter» (5).
Pour se rendre compte d'un phénomène aussi complexe, dynamique
et plurivoque que la personne humaine, les hommes de tous les temps et
en tout lieu, ont «utilisé» des modèles analogiques (6). Ceux-ci sont sou-
vent implicites et d'une nature rhétorique (une sorte de peinture verbale
utilisant des métaphores, métonymies, synecdoques, etc...), fortement enra-
cinés dans des contextes linguistiques propres.

(4) R. PAGÈS, in Les modèles de la personnalité en psychologie, 1964. PUP,


p. 163.
(S) A ce propos, R. Pagès cite les modèles freudiens du psychisme où la notion
de censure proviendrait «de l'expérience politique, celle du refoulement de la méca-
nique »... «celle du surmoi de la façon allemande d'exprimer la hiérarchie et les
grades. D'autres sont tirés de la mécanique des fluides ou de l'électricité »... (id.,
p. 163).
(6) Cf. a) Le système de correspondance de Platon entre:
les fonctions sociales et psychologiques,
les vertus individuelles et les localisations corporelles.
FONCTIONS
FONCTIONS SOCIALES VERTUS INDIVIDUELLES
PSYCHOLOGIQUES

(philosophe) DIRIGEANTS INTELLIGENCE SAGESSE (Tête)


(militaire) GARDIENS AFFECTIVITÉ AGRESSIVE COURAGE VIRIL (Cœur)
(artisans TRAVAILLEURS DÉsIRS APPÉTITIFS TEMPÉRANCE (Abdomen)
laboureurs)

b) Zénon (de Cittum) constitue un modèle tripartite de l'âme, divisé en huit


secteurs dynamiques dépendants de la partie maîtresse:
RAISON 1) partie maîtresse. Discours de la raison.
2) vue
3) odorat
SENS 4) ouïe
S) goût
6) toucher
LOGOS 7) partie reproductrice
SPERMA TICOS 8) la parole.
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577

Pour illustrer le manque d'unité, le caractère flou des représentations


collectives du «primitif », Lévy-Bruhl cite de nombreux inventaires de
principes vitaux extérieurs et intérieurs des individus de diverses ethnies.
(7) concer-
Entre autres, il prend pour exemple la description d'Elsdon Best
nant les éléments vitaux des Maori de Nouvelle Zélande. Il s'agit de :
(1) Wairua (ombre, reflet, image), principe vital spirituel, qualité
immatérielle qui quitte le corps pendant le sommeil et survit au corps.
(2) Mauri: principe physique de vie, qui ne quitte pas le corps et qui
ressemblerait à notre notion d'humeur. Ce terme, comme le précédent,
a plusieurs autres significations précises.
(3) Hau: c'est le mana vital, répandu partout dans le corps. Quand
un sorcier attaque une personne, il cherche à « prendre» le hau de celle-ci.
Ce mot, ,d'après Elsdon Best a au moins dix-huit autres sens différents.
(4) Ahua: c'est la forme, l'apparence, le caractère matériel et imma-
tériel de l'homme. C'est la qualité des objets matériels. Les morts consom-
ment l'ahua des offrandes alimentaires.
Pour Lévy-Bruhl, la pluralité des «principes» et la polysémie des
termes qui les désignent, confirment le caractère imprécis et contradictoire
de la pensée du «primitif». Il semble être convaincu que les «non civi-
lisés» considèrent ces éléments non pas d'une manière analogique, mais
plutôt d'une façon substantive et analytique.
Au fond ces schémas sont de véritables modèles «vernaculaires»,
des systèmes de correspondances, dont la signification n'est accessible qu'à
ceux qui possèdent une connaissance suffisante du contexte linguistique,
mythologique et social des groupes ethniques qui les ont élaborés.

II

1) Une catégorie de la personne: le MOI.

Marcel Mauss aborde le problème de la notion de personne 80US un


tout autre angle. Dans une conférence intitulée: «Une catégorie de l'esprit
humain: la notion de personne, celle de MOI» (8), il s'attache à montrer
les variations de contenu de cette catégorie à travers le temps et les diffé-

(7) E. BEST: The M Qori.


(8) Londres, Huxley Memorial Lecture, 1938, in Sociologie et Anthropologie,
PUF, 1968.

37
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rentes civilisations. Son objectif est de retracer comment, au cours des


siècles, à travers de nombreuses sociétés, s'est lentement élaboré non pas
le sens du «moi», mais la notion, le concept que les hommes des divers
temps s'en sont créé. «Ce que je veux montrer », dit-il, «c'est la série des
formes que ce concept a revêtues dans la vie des hommes des sociétés,
d'après leurs droits, leurs religions, leurs coutumes, leurs structures so-
ciales... » (9).
A l'origine de notre notion de personne, Mauss trouve le Rôle rempli
par l'individu dans la vie familiale, religieuse et sociale, autrement dit,
la notion de personnage qui est liée au nom et souvent au droit à un
masque d'ancêtre. Marcel Mauss prend comme exemple les Indiens Pueblos
et ceux du nord-est de l'Amérique. «N ous voyons déjà», dit-il, «chez les
Pueblos en somme, une notion de personne, de l'individu confondu dans
son clan, mais détaché déjà de lui dans le cérémonial par le masque, par
son titre, son rang, son rôle, sa propriété, sa survivance et sa réapparition
sur terre dans un de ses descendants doté des mêmes places, prénoms,
titres, droits et fonctions» (10).
Cette notion de personnage, de rôle social rempli par l'individu se
trouve même dans les sociétés les plus archaïques.
L'histoire sociale de la notion de personne passe par la civilisation
latine où la notion de «personne» désigne d'abord le masque: masque
des acteurs, masque rituel, masque d'ancêtre. On trouve chez les latins
des traces d'anciennes coutumes: «des cérémonies de clans, des masques
et des peintures dont les acteurs s'ornent suivant les noms qu'ils por-
tent (11).
A ce niveau encore, la personne est le personnage représentant les rôles
joués dans les institutions, les droits individuels à des rites, les privilèges.
Mais elle devient par la suite un fait fondamental du droit qui divise
l'univers humain en trois catégories où il n'y a que les choses, les personnes
et les actions. Cette acception juridique de l~ notion de personne aurait
une double source d'après Mauss. D'une part, l'usage des noms qui situent
l'individu dans sa famine (12). D'autre part, la personne civique impliquant:
le rang (conditio), l'état de vie civile (status) et les honneurs militaires et
civils (munus).
Après la révolte plébéienne, tous les citoyens romains libres ont eu
droit à la « PERSONNECIVILE ». Seuls les esclaves n'avaient pas droit à la

(9) Op. cit., p. 335.


(10) Op. cit., p. 340.
(11) Op. cit., p. 351.
(12) Nomen: nom sacré de la Gens. Cognomen: surnom associé à l'imago,
réservé aux patriciens. Praenomen: par exemple l'ordre de la naissance. Nom et
imago (masque de cire moulé de la face de l'ancêtre mort) sont associés.
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personne. Ils n'avaient d'ailleurs ni ancêtres ni nomen ni cognomen ni


biens propres. Ils ne possédaient même pas leur corps. «Mais», dit Mauss,
« le caractère personnel du droit était fondé et persona était aussi devenu
synonyme de la vraie nature de l'individu. La notion romaine de personne
s'enrichissait par la suite de l'apport des Stoïciens. Cette influence était
sans doute réciproque par l'alliance sémantique du latin personna et du
grec 7f:poO"W7tOVqui signifie d'abord masque puis personnage, ce que l'on
veut être mais aussi ce qui est derrière, l'intimité de la personne, la véri-
table face qui est en partie libre, consciente du bien et du mal, donc
responsable. «La conscience morale introduit la conscience dans la concep-
tion juridique du droit: aux fonctions, aux honneurs, aux charges, aux
droits s'ajoute la personne morale consciente », nous dit Mauss. La
conscience de soi devenue l'apanage de la personne morale.
La notion de personne reçoit ensuite sa base métaphysique du chris-
tianisme. A partir du problème de l'unité des trois personnes, de dieu
trinitaire, la personne sera une «substance individuelle et complète d'une
nature raisonnable». La persona latine: «L'homme revêtu d'un état ayant
des droits et des rôles» prend un sens ontologique; principe total et
concret, c'est le composé humain; l'homme tout court.
La notion de personne n'est devenue conscience et catégorie du moi
que depuis peu de temps. Ce sont les représentants des mouvements
sectaires du XVIIeet XVIIIe siècle qui ont soulevé les questions de la liberté
de l'individu et de la conscience individuelle. «Les notions des Prères
Moraves, des Puritains, des Wesleyens, des piétistes, sont celles qui forment
la base sur laquelle s'établit la notion: la personne = le moi; le moi = la
conscience - et en est la catégorie primordiale» (13).
Kant a fait de la conscience individuelle le caractère sacré de la
personne humaine. Fichte a posé la catégorie du moi en tant que condi-
tion de la conscience et de la science.
Marcel Mauss trace magistralement la généalogie de la personne,
du MOI, en tant que catégorie, forme fondamentale de la pensée et de
l'action, en soulignant le caractère essentiellement mouvant et historique
de celle-ci. Mais, sous l'influence d'une sorte d'évolutionisme linéaire
et moralisant, à la mode de son époque, il simplifie la complexité et
l'ambiguïté des vicissitudes de cette catégorie mentale. Mauss paraît être
fasciné par la «valeur» du moi individuel et rationnel. Aussi néglige-t-il
les courants de la pensée occidentale qui vont à l'encontre d'une concep-
tion moléculaire et rationaliste de la personne. Il ne considère que les
théories manifestes et dominantes de chaque époque laissant entièrement

(13) Op. cit., p. 360.


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de côté leur support social réel. Il écarte également les éléments idéolo-
giques comportant des références contraires à l'idée unitaire du Moi et nous
ne pourrons que regretter qu'il passe absolument sous silence, dans son
analyse, la réalité juridico-sociale de quelques dix siècles en Occident:
la Féodalité.

2) Notion de personne et pratique sociale.

Certes, la notion de personne dans l'idéologie dominante du Moyen-Age


était surtout celle de la philosophie scolastique. La personne est une
substance pleinement individuelle douée de raison. Dans le cas de l'homme,
c'est « le composé humain », par opposition aux autres êtres raisonnables
tels les anges. L'âme sans le corps et le corps sans l'âme ne sont que des
substances incomplètes. En fait, l'homme en naissant n'est une personne
que métaphysiquement. Il ne sera pleinement une personne, c'est-à-dire une
personnalité, que s'il actualise sa nature, s'il s'élève au-dessus de l'animal,
qui est son genre, autrement dit si la raison et la liberté s'épanouissent en lui.
La personnalité humaine est ainsi un devenir qui ne se réalise pleinement
que par l'union avec Dieu dans la vision béatifique.
D'autre part, en ce qui concerne la valeur comparative des personnes,
le principe de leur parité est posé par la rédemption du baptême. C'est ce
qu'exprime 5t Paul dans l'épître aux Galates (3.28) - cité aussi par Mauss
- «Vous n'êtes vis-à-vis de l'Un ni Juif ni Grec ni esclave ni libre ni
homme ni femme, tous vous êtes un dans le Christ Jésus ».
Cette égalité des personnes est abondamment figurée sur les «Juge-
ments Derniers» des églises où l'on voit mijoter pêle-mêle dans d'énormes
chaudrons serfs, seigneurs, prêtres et beaucoup de têtes mitrées.
Mais ces données métaphysiques coexistaient avec une réalité sociale
quotidienne hiérarchisée, inégalitaire, d'où il se dégage une certaine concep-
tion de l'homme et de la personne quelque peu différente de la précédente.
L'organisation juridique de la Féodalité varie d'un pays à l'autre en
Occident, mais l'on peut dire, d'une manière générale, que c'est un régime
économique, social et politique, basé sur le fief et la manipulation lucrative
d'une partie de la population par l'autre. Les acteurs de ce système sont,
d'une part les seigneurs ou la noblesse, subordonnés entre eux selon une
hiérarchie de lien et de dépendance, et d'autre part les vilains (paysans
libres, serfs). La situation de la noblesse se définit par la possession de biens
- terre - de droits et une parcelle de pouvoir, considéré comme sacré,
ce qui la met en dehors du sort commun. Ces privilèges sont héréditaire-
ment transmissibles. L'individu dans ce système, un peu comme dans le
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monde primitif de Lévy-Bruhl, ne semble pas s'opposer radicalement à son


environnement matériel et social, mais, au contraire, on constate une sorte
de continuité et d'interdépendance de l'un et de l'autre.
Vers le XIIe siècle, en France, noble est celui qui possède un fief et
dont la famille est considérée comme noble par les autres. C'est la terre
qui paraît être au centre de l'enjeu. Avec le nom qu'il confère à son béné-
ficiaire, le fief est l'hypothèque de sa noblesse; Noblesse en tant que:
- incarnation d'une parcelle de l'autorité, en dernière analyse divine,
- droit et capacité de prendre des décisions à un niveau plus ou
moins élevé de la vie sociale - militaire, politique, administratif, juridique,
financier,
- droit à une vie noble, c'est-à-dire sans travail manuel mécanique.
Noblesse encore dans le sens des vertus et qualités psychiques et
morales.
Noblesse biologique enfin, en tant que qualité transmissible dans la
génération en ligne mâle naturelle et légitime. (L'anoblissement par le
ventre de la mère n'était d'ailleurs pas reconnu en France).
Mais la noblesse ne constitue pas une caste, c'est une classe partielle-
ment ouverte dans les deux sens. La relation entre la possession de biens
immeubles, pouvoir, rôle social et qualités morales n'est pas linéaire mais
circulaire.
Ainsi la possession d'un fief, la responsabilité de certaines charges
recquièrent la qualité de noble, mais l'exercice de ces mêmes charges ou
la possession d'un fief noble anoblit le roturier.
Le noblè est tenu d'être conscient de sa position sociale qui se
confond avec son être par son nom, nom qui comprend à la fois' son fief,
sa famille et lui-même. En effet, l'omission des qualifications propres à la
noblesse est un cas de dérogeance. De même que le fait de payer la taille ou
d'exercer certaines professions réputées « ignobles », tels les métiers manuels,
le commerce de détaiJ, les bas offices (procureur, huissier , notaire). Le tra-
vail du verre et des métaux en constituent des exceptions.
Sur le plan formel, être noble signifiait: droit de participation à
toutes les valeurs de la société féodale, autrement dit, droit à l'humanité
car le monde humain est celui des valeurs. Or toutes les valeurs et leur
assise étaient concrètement appropriées par ]a noblesse. Le vilain ne pou-
vait ~tre qu'un sous-homme.
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III

Conclusion

«L'homme ou l'essence humaine », disait Marx, «n'est pas une


abstraction résidant dans l'individu pris isolément. Dans sa réalité, il est
l'ensemble des rapports sociaux ».
L'homme en soi est une fiction, il est toujours situé dans un cadre
culturel historique. La personne individuelle ne peut être conçue isolément.
Comme Lévy-Bruhl l'a si bien montré, à propos des «primitifs », mais
avec une portée qui s'avère générale: «la personne est un lieu de parti-
cipation ».
Les notions, ou plutôt, les tableaux de personnes seraient ceux que
chaque société se fait de l'acteur humain complet. Les composantes de
ces tableaux sont multiples car elles tentent de représenter une réalité bio-
sociale complexe. En effet, la personne - c~est-â-dire un devenir humain
enraciné dans un contexte social, participant concrètement de et à la
culture - est irréductible à un principe unique, à un contenant, à un
contenu ou à une fonction (à l'âme ou au MOI). Elle ne peut être non
plus réduite à un de ses aspects ou une de ses manifestations: à l'indi-
vidualité (Ln, à la conscience individuelle (1{)), à l'autonomie dynamique,
à la liberté ou à la spontanéité (16). De même qu'elle n'est pas le pur
produit (en « sens unique») de la « pression sociale », ou d'un système de
sanction-récompense.
La personne - considérée comme une unité biologique humaine
enculturée (ou humanisée), un système de relations intra et interindivi-
duelles - est un nœud dynamique et dialectique du bio-psychologique et
du social, de l'intérieur et de l'extérieur, du particulier et du général, du

(14) L'individualité n'est pas le critère absolu de la personne. Elle est la forme
même du vivant à partir de laquelle la personne peut se développer dans un processus
de socialisation impliquant l'interaction et la participation.
(15) D'après G. GURVITCH: «la conscience n'est pas moins immanente à la
société, au monde, à l'être, que ceux-ci à la conscience. Au point de vue social, le
psychique en général et la conscience en particulier sont des réalités encastrées dans
d'autres réalités ». (Traité de sociologie, p. 165).
(16) La liberté et la spontanéité sont des marques ou des qualités de la personne,
mais leur degré et leur champ de manœuvre varient beaucoup d'un contexte socio-
culturel à l'autre. La libre-entreprise, la liberté de la conscience et la liberté et la
spontanéité sexuelles de la personne sont différentes dans chaque société.
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permanent et du changeant, de l'un et du multiple. Elle présente une


analogie frappante avec le «nous» (ou les «nous» dont elle procède et
auxquels elle participe), en tant qu'« immanence réciproque », «qu'on
pourrait aussi définir comme une participation mutuelle de l'unité à la
pluralité et de la pluralité à l'unité» (17).
La personne est un phénomène bio-social total où fusionnent des
données anatomo-physiologiques, psychologiques et sociologiques. Chacun
de ces niveaux présente simultanément des caractéristiques dont le degré
de généralité varie entre l'universalité et la particularité.
La constellation typique des éléments interdépendants constituant la
personne, peut prendre des formes différentes suivant le cadre socio-
culturel. Celui-ci sélectionne, valorise, stimule certaines potentialités de
l'homme, inhibe et dévalorise d'autres, suivant sa structure. Les compo-
santes des modèles de la personne sont multiples et variables, diffé-
remment « dosées » par les sociétés. Ces modèles « théoriques » ou « réels»,
explicites ou implicites, assurent le développement « typique» (la personnifi-
cation) des individus d'une société, en réglant leur participation à la vie
et aux valeurs de celle-ci.
La personne (18) n'est pas l'apanage d'une seule culture, et aucun
de ses modèles particuliers ne peut être élevé à la « dignité» métaphysique.
Elle n'est pas une substance immuable, mais la forme variable sous laquelle
se manifestent les acteurs humains de chaque société. Elle implique l'in-
teraction entre les hommes concrets et un milieu social.
Comme le note très justement Jean-Pierre Vernant en ce qui concerne le
domaine des hellenistes: «Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de personne
modèle extérieure au cours de l'histoire humaine... L'enquête n'a donc pas
à établir si la personne en Grèce est ou n'est pas, mais à rechercher ce
qu'est la personne grecque ancienne, en quoi elle diffère, dans la multi-
plicité de ses traits, de la personne d'aujourd'hui... » (19).
L'étude de la personne en anthropologie est capitale car elle constitue
le palier bio-culturel qui se trouve au cœur même de l'ensemble social.
Les dimensions multiples de ce que nous pouvons appeler personne (phé-
nomène concret, modèle et système de correspondance) sont révélateurs

(17) G. GURVITCH: Traité de Sociologie. PUF, p. 173.


(18) Conçue comme l'incarnation dans un individu biologique du modèle de
l'humanité d'une société donnée. Objectivement, c'est l'actualisation des critères suffi-
sants pour être reconnus, au moins, en tant que membre ordinaire d'un groupe
humain. Subjectivement, c'est la manière dont l'individu éprouve son humanité, c'est
la face vécue de son être. Or, ce «vécu» est toujours à la fois collectif, interper-
sonnel et individuel, aussi bien quand il s'agit du conscient que de l'inconscient ».
, (G. GURVITCH,op. cit., p. 169).
(19) J.P. VERNANT,Mythe et pensée chez les Grecs, Maspéro, p. 9-10.
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non seulement de l'idéologie d'un groupe en général, mais surtout de la


manière dont l'humain y est appréhendé. Il importe de ne pas se contenter
des aspects manifestes et clairement codifiés, il faut explorer les faces
latentes, imaginaires, mythiques, eschatologiques, utopiques et érotiques de
la personne dans chaque culture. Il faut sonder les recoupements subtils du
visible et du caché. La personne ne doit pas être considérée seulement
comme une « figure en relief », mais aussi en tant que «forme en creux» :
représentations négatives, contenus refoulés, marginalités. L'image de ceux
qui incarnent le modèle de la personnalité (de l'humanité parfaite) de leur
groupe est structurellement liée au profil des « a-personnes », et des «sous-
personnes» (du paria, de l'esclave, du prolétaire, souvent celui de la
femme, du « malade mental », du « diable », etc...), à celles qui sont exclues
de la participation complète aux valeurs culturelles de leur société.
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INDEX DES ETHNIES

Afro-Brésiliens, 42. Kabrè, 327-330, 389.


Agni, 520. Kikuyu, 389.
Alladian, 519-527. Konkomba, 390.
Arabes (du Tchad), 373. Kotoko, 21, 373-386, 447, 448, 449, 456.
Ashanti, 389, 520, 521. Kotokoli, 390.
Avikam, 519, 520, 525. Kuba, 232, 233.

Bambara, 23, 26, 28, 29, 131-179, 182- Lele, 29, 238, 240.
192,193, 289, 39~ 394,402, 467, 468, Lobi, 199.
480, 484, 487. La Dagaba, 299.
Bantou, 22, 39, 41, 231-242, 406. Luba, 21, 29, 232, 233, 236, 237, 238,
Batetela, 21. 239, 240.
Bedik, 469, 487. Lugbara, 21, 29, 491-506.
Bemba, 287, 298.
Bobo, 29, 193-203. Malinké, 23, 24, 27, 28, 131-179, 193,
Bororo, 16. 194, 289, 467, 469, 470, 473, 476,
Bozo, 471, 472, 478, 487, 488. 478, 480, 481, 484, 487, 488.
Marka, 488.
Canaque, 33. Maure, 479.
Maori, 577.
Diakhanké, 470, 471, 472, 483, 487. Mawri, 459-465.
DioIa, 392, 403. Melanésiens, 33.
Dogon, 23, 24, 28, 29, 108-109, 117, Mitsogho, 21, 545-563.
118, 205-229, 389, 390, 391, 392, 394, Mossi, 389, 398, 426.
403, 467, 468, 471, 472, 480, 484,
487, 492. Nàg6, 45-60.
Ndembu, 29, 240.
Ebrié, 519-527. Nilotiques, 22.
Eskimo, 574. Nupé, 447, 451.
Ewe, 27,29,91-118, 120-130, 389, 574.
Peul, 182-192, 379, 385, 427, 435, 451,
Fali, 392. 452, 467, 473, 476, 478, 479, 487,
Fang, 389. 488.
Fan, 42, 62, 65, 67, 69, 390, 401, 402, Pueblo, 578.
403, 404. Pygmées, 403.

Ga, 389. Sabé, 321-326.


Gourmantché, 27, 199, 255-282, 426, Sana, 28, 243-254, 439.
427. Sanga, 236.
Sao, 384.
Hausa, 22, 23, 356, 459-465. Sara, 417.
Héréro, 393. Senoufo, 390.

38
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586

Sérère, 476, 487. Yombe, 232, 233.


Songhay, 22, 23, 331-358, 359, 403, 421- Yoruba, 21, 24, 27, 28, 45-60, 61-71, 73-
444, 488, 529-543. 89, 101, 120, 321, 388-389, 398-399.
Soninké, 467, 470.
Sorko, 544. Venda, 393.
Swazi, 447, 455, 457.

Tallensi, 23, 28, 284-319. Wolof, 467, 471, 475, 488.


Thonga, 29, 240.
Touareg, 427, 443. Zarma (Zenna), 22, 23, 331-358, 359-
Toucouleur, 467, 473, 475, 478, 486, 372, 421-444, 529-543.
487, 489. Zulu, 402.
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INDEX DES MATIÈRES

A c
accouchement, 183, 222, 223, 348, 349, cadavre, 229, 234, 235, 247, 300, 306,
369, 370, 372, 450. 370, 404, 405, 463, 493.
aîné, cadet, 25, 462, 503. captifs, 22, 25, 307, 364, 429-445, 475,
alliance, 462, 463. 488.
ame, 17, 18, 20, 27, 28, 29, 38-42, 124- caractère, 23, 26, 136, 144, 156, 158,
128, 133, 134, 145, 148, 149, 165, 159, 280, 301, 373, 449.
174-178, 189, 206-208, 220, 221, 224- castes, 22, 25, 211, 425, 475-480, 484.
226, 229, 243, 244, 255, 278, 286, cerveau, 138, 145, 147, 149, 335, 336,
291, 300-303, 309, 317, 360, 361, 422, 338, 345, 347, 355, 356, 513.
439, 468, 482, 484, 493, 494, 502, chair, 244, 291, 293, 296, 426.
520, 525, 569, 574. chance/malchance, 27, 29, 163, 309, 522.
analogie, 575-576. changement, stabilité, 492, 499, 500-
ancêtres, 15, 30, 38, 53, 63, 64, 66, 67, 504.
122, 123, 129, 130, 139, 175, 214, chasseur, 21, 116, 325.
215, 218, 225, 237, 244, 246, 259, chose, 290, 293-300, 502-505.
285, 290, 293, 294, 295, 297-299, christianisme, 23, 30, 285, 311, 524, 526,
301, 304-310, -312-315, 317, 376, 461, 579, 580.
496,497,500,521,522,549,551,552. circoncision/excision, 298, 348-349, 374,
androgynie, 222, 226, 329. 468, 480, 483, 534.
animaux, 219-222, 226-229, 285, 286, clan, liguage, 208, 214, 221, 224, 225,
289, 290-292, 300, 306-310, 313, 362, 226, 253, 271, 272, 276, 297-299, 304,
363, 369, 547, 550, 551, 555, 560. 307-310, 314-315, 322, 324, 463, 492-
« animisme », 360, 361. 500, 502-504.
« appartenances », 18, 31, 301, 302, 574. classe sociale, 22, 225, 429, 434, 459.
articulations, 228, 483. classes d'âge, 225, 382, 385, 414.
au-delà (pays des morts), 15, 22, 62, 126, clavicules, 206, 209-213, 215, 221, 222,
127, 229, 234, 235, 237, 245, 246, 277, 373,375,376,385,471,478,484,487,
302. 548.
autorité, 135, 144, 147, 148, 166, 168, clitoris/ prépùce, 143, 222, 226.
464.
avortement, 183. colonne vertébrale, 26, 339, 340, 547.
compensation, 431, 434, 437, 441, 442,
444.
B complémentarité, 470-474, 478, 483-485,
bras, jambes, 137. 488, 502.
bouche, 58, 316, 335-337, 339 354, 356. complétude, incomplétude, 298, 299.
beauté/laideur, 163, 164. conscience, conscience de soi, 19, 206,
bien/ mal, 31, 460, 497. 314, 315, 317, 579.
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588

consensus, 545, 549-550, 551, 556, 558, espace, 20, 168, 297, 448, 451, 453, 456,
559, 562, 563. 461, 496, 500, 507-518, 534.
cordon ombilical, 66, 136, 137, 480. esprit, 124, 125, 189, 206, 502, 503, 547,
corps, 17, 20, 26, 30, 61, 62, 187, 188, 548, 549, 550, 552, 553, 554, 555,
206, 243, 244, 256, 279, 280-282, 293, 557, 560.
295-297, 301-303, 308, 310, 360, 373, essence (de la personne), 138, 152, 207,
375, 383, 426, 427, 439, 455, 493, 209.
496, 498, 499, 509, 510, 546, 547, estomac, 338, 342, 355, 493, 494.
548, 549-551, 556, 557. eunuque, 374.
cou, 337, 426. excrétions, 304.
crâne, 142, 209. exuvie, 303, 304.
cœur, 136, 143, 217, 309, 335-339, 341,
342, 344, 345, 347, 353, 354, 356, F
357, 373, 374, 377.
coiffure (cheveux), 227, 304. fantôme, 295, 300, 316, 396, 494-497,
500.
faute, péché, 291, 300, 305.
D
fécondité, stérilité, 29, 248, 254, 255,
déesse mère, 29, 101-107, 111-113, 115, 257, 282, 467, 498, 500.
117. féodalité, fief, 580-581.-
descendance, 56, 169, 251-253, 275, 280- foetus, 137, 220, 226-229, 246, 256, 278,
282, 289, 291, 293, 307-308, 313-317, 297.
500. foie, 143, 217, 338, 342.
destin (destinée), 23, 27, 28, 30, 35, 46, folle, psychose, 160, 238, 257, 309, 310,
47, 55, 57, 65, 66, 135, 158, 243-254, 332, 336, 338, 345, 355, 510, 511,
255-282, 299, 304-307, 309-313, 485, 512, 514, 515, 516, 517, 566.
522. force, 153, 161, 168, 373, 374, 384, 464.
Dieu suprême, 35, 46, 141, 187, 188, force vitale, 149, 150, 158-161, 175, 206,
190, 192, 215, 223, 228, 257, 266, 213-217, 221, 232, 233, 360, 361, 370,
362, 494, 497, 498, 501, 502, 504, 403, 468, 472, 478, 480, 484, 487, 488,
538. 520, 546-549, 551-553, 557.
divination, devin, 27, 34, 35, 36, 65, 95, forgeron, 227, 247, 380, 383, 422, 423,
112, 113, 141, 237, 257, 263, 265, 269, 427, 476, 477, 480, 481, 487, 501.
270, 285, 300, 303, 304, 306, 307, 316, forme, 33, 34, 36, 37, 38, 93, 94, 95,
323, 325, 499, 546, 552, 553, 554, 555, 260.
559, 560. front, 63, 521.
divinités, 46, 47, 55, 56, 57, 69, 70, 108-
111, 121. G
double, 38, 134, 141, 149-151, 175, 178,
206, 234, 243-247, 249, 253, 278, 300, gaucher, 211.
301, 328-330, 360-362, 368-371, 373, gémelléité, jumeaux, 22, 28-30, 100, 101,
374, 380, 402, 422, 468, 469, 473, 115-118, 206, 208, 211, 212, 227, 239-
477, 482, 483, 484, 489, 531-539, 542. 241, 295, 296, 323, 379, 468, 471-473,
droite et gauche, 116, 117, 139, 152, 168, 477, 482-489, 501.
449. généalogie, 132, 291, 302, 308, 315, 497,
dualisme, 94-97. 498, 500.
générations, génétique, 177, 214, 251,
E 258, 265, 266, 268, 272.
génies, esprits, 189, 232, 235, 295, 324,
éducation, 413-415, 431. 334, 341-343, 346-347, 349, 350, 354-
éléments (4 éléments), 46, 55, 56, 133, 355, 357, 362, 363, 422-424, 432-436,
137, 148, 149, 209, 221, 226. 439, 463, 465, 494, 497, 498, 530,
embryon, 137, 166, 244, 2S6. 544.
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589

germination, 462, 463. maladie, infirmité, 77, 235, 303, 306,


griot, 259, 478-482. 309, 310, 313, 332-335, 337, 339, 341,
grossesse, gestation, 26, 220-222, 266, 343, 361, 362, 363, 364, 368, 369, 371,
275, 276, 296, 297. 493, 501, 566.
malédiction, 265, 271.
mariage, 207, 249, 250, 329, 422, 427,
H
430, 443.
habitation, 449, 450, 453, 454, 456, 457. masculinité et féminité, 29, 144, 156,
hallucinations, 511, 548, 549, 560. 183, 206, 207, 226, 243-254, 259, 268,
hérédité, 519, 522. 297-301, 312, 374, 376, 379, 450, 495-
héritage, 30, 31, 315, 316. 497, 500.
honte, 369, 422, 428, 429, 431, 439, 442. masque, 19, 578-579.
humanité/animalité, 290, 295, 303, 306, matière, 33, 34, 36, 37, 38, 56, 93, 94,
570. 95.
matrice, 58, 59, 219, 295.
I médecine, guérisseur, 96, 117, 250, 251,
29~ 295, 301, 325, 331, 346, 348, 546,
idéologie, 25, 294, 426-445.
552,-555, 557, 558, 559, 560, 566.
imaginal, 406, 407, 418.
mémoire, 53, 54.
impureté / purification, 210, 211, 216,
menstrues, ménopause, 212, 219, 220,
223, 225, 30~ 303,304,468, 480,481,
275, 374.
482, 487, 534.
métamorphose, 313.
individuation, Il,33-43,54-57,316,317,
meurtre, 212, 302, 305, 306, 310, 498.
507 et sq., 570.
moëlle épinière, 149, 152, 357.
initiation, 15, 29, 184, 287, 288, 298, moi, 17-19, 31, 286, 502, 567, 568, 573,
324, 329, 330, 364-367, 371, 407, 408,
575, 579, 582.
414, 545, 546, 555.
mort, 174-178, 234, 237, 245-246, 290,
intelligence/stupidité, 54, 147, 172, 206,
359, 360, 422, 439. 293-297, 299-311, 323, 324, 325, 370-
372, 380, 381, 394, 401-408, 465, 493,
interdits, transgression, 47, 52, 53, 215,
216, 239, 275, 287, 292, 300, 301-304, 494, 497-499, 548, 558, 563.
311, 314, 461,- 463, 501. muscle, chair, 291, 293, 296, 426.
mythe, 16, 24-26, 28, 247, 253, 279, 289,
intestin, 217, 342, 355.
291, 317, 422, 448, 499.
inversion sociale, 432-435, 441.
Islamisme, 23, 30, 434, 435, 440, 441,
443, 457. N
immortalité, 292, 293, 302.
inconscient, 23, 25, 311. naissance, 183, 296, 297, 302, 304, 323,
520.
nature, 462, 465.
L
noblesse, 25, 581.
lait, 338, 354, 357, 355, 368. noms, noms patronymiques, noms per-
langue (organes), 143, 146. sonnels; devises, 15, 43, 67, 69, 157,
lépreux, 296, 304, 310, 501. 184, 218, 224, 225, 226, 235-237, 286,
297, 306, 311, 313, 324, 321-326,
328, 362, 430, 568, 578.
M
normal - anormal, 290, 295, 296, 302,
machoire/dents, 217, 218, 228. 306, 363, 460, 497, 499.
mains, ongles, 304, 363, 426.
magie, magicien, 21, 97, 232, 233, 292, o
295,296,298,300,301,310,331,422-
424,437,438,44~443, 505,508,529, Œdipe (complexe d'), 27, 41, 566, 570,
533, 534, 537, 538, 562. 571.
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œil, 315, 316, 344, 347, 357, 367, 532. procréation, 27, 56, 57, 58, 183, 219,
œsophage, 342. 220, 255-282, 296, 304, 328.
ombre, 38, 61, 62, 124, 126, 206, 233, psychanalyse, 17, 565, 566, 567, 570,
234, 235, 244, 302, 373, 375, 402, 571.
422, 423, 424, 439, 468, 494, 520, 546, psychothérapie, 367, 558, 559, 561.
548. puberté, 248, 249.
ordre/ désordre, 29, 362, 460, 464, 499. puissance, 262, 269, 460-467.
ossature, 142, 143, 206, 209, 245, 291,
375, 376, 493.
Q
p qualités morales, 144-169, 309, 336, 340,
353, 359, 360, 363, 422, 431, 439, 465,
pancréas, 143, 217, 342, 355. 495, 497, 500.
parenté, 136, 183, 184, 185, 214, 226,
251-254, 247, 248, 251-253, 255-282, R
296, 297, 300, 305, 307, 308, 312, 315,
317,413,425,430,431,436,473,474, raison, 19, 152.
477, 483, 489, 497, 498, 500, 570, 571. rate, 143, 148, 149, 217.
parenté à plaisanterie, 29, 212, 213, 470- réflexion, 133-135, 144-147, 156, 166.
478, 483-488. réincarnation, 38, 62, 124, 221, 222, 235,
parole (langage), 40, 58, 144, 148, 166, 244, 252, 329, 406, 546, 547, 548.
190, 213, 217, 218, 222, 228, 229, 245, reins, 143, 217, 335, 340.
508, 555, 557, 570, 571. richesse, prospérité, 25, 464, 465.
« participation », 18, 574, 582. rêve, 237, 244, 300, 301, 302, 328, 338,
parures, 227, 245. 349, 374, 40~ 510, 547, 548, 549, 551,
peau, 296, 300, 304, 357, 368, 369, 426. 552, 555, 556, 562, 563.
pensée, 133-135, 144-147, 156-166, 243, rites, 24, 208, 210, 249, 250, 251, 259-
305. 282, 291-292, 300-304, 308, 312, 313,
personnage, 19, 23, 578-579. 464.
personnalité de base, 387, 565. rites funéraires, 15, 21, 55, 64, 98, 99,
personne juridique, 19, 578. 127-130, 207, 229, 256, 257, 277, 293,
personne morale, 19, 286-288, 311, 317. 296, 297, 299-301, 303, 305, 310, 312,
personne psychologique, 19. 314, 315, 498.
personne et nombre, 24, 26, 27, 131-179,
262, 272, 297, 205-229.
phantasmes, 571. s
pied - orteil - ongle, 53, 66, 304, 365, sacrifice, 256, 262, 277-282, 290-295,
426. 298, 306, 315, 462, 463, 464.
placenta, 27, 29, 59-60, 66, 136, 137, salive, 304, 352.
208, 223, 278, 282, 392, 393, 480. sang (sérum, plasma), 149, 159, 214, 217,
plexus solaire, 136. 219, 223, 243, 244, 291, 293, 296,
poils, 304. 338, 363, 376, 473, 480-482, 484, 493,
points cardinaux, 362, 448, 449, 456, 496, 520, 521, 523, 532, 533.
457. savoir, connaissance, 331, 334, 337, 338,
possession, 12, 70, 71, 301-303, 332, 350.
343, 362-365, 422, 423, 432-435, 439, scholastique, 565, 579, 580.
441, 442, 443, 465, 499, 529 et ss., sexe, 137, 140, 143, 152, 217, 219, 220,
544, 546. 222, 250, 364, 365, 368, 369, 480,
poumons, 46, 136, 143, 148, 217, 339. 481, 483, 485, 570-571.
pouvoir, 21, 22, 273, 293, 427, 428, 437, sexualité, 275, 298, 499.
439, 447, 460-464. signes, 16, 27-30, 132-144, 169, 170, 176,
prêtres, 211, 224, 225, 461-465, 498-500. 208, 223, 260, 270.
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591

sorcellerie, 17, 21, 27, 237-238, 244, 247, 57, 61, 63, 66, 137, 140, 145, 146,
253, 276, 304, 316, 326, 332-334, 338- 159, 187, 271, 309, 337, 345, 346,
342, 347, 348, 361, 422-424, 435-437, 354, 357, 363, 369.
440, 441, 493, 501, SOS, 519, 521, tombe, 383-386, 493.
522, 523, 529, 535, 536, 537, 538, totemisme, interdits totemiques, 17, 287,
549-554, 558, 562, 563. 291, 292, 304, 308, 313, 402.
souffle, souffle vital, 38, 46, 61, 62, 64, transes, 363, 367, 531, 533.
136, 207, 235, 238, 243, 244, 290,
293, 300, 303, 328, 373, 374, 377, u
380, 383, 422, 439, 468.
souverains, rois et chefs, 257, 259, 312, urine, 343, 344,
314, 440, 448-457, 459-461, 463-464.
sperme, 220, 521, 547. v
statut/rang, 19, 275, 287, 288, 295, 296,
301, 304, 305, 308, 309, 313, 314, végétaux, principes des végétaux, 29, 96,
424-445, 459, 497, 569, 578. 117, 209, 211, 212, 213, 224, 246,
substance, 19, 35, 36, 579, 580. 262, 290, 292, 364, 548, 549.
sueur 243, 244, 303, 304. ventre, 58, 308, 344.
vérité et mensonge, 366, 499, 500.
T vésicule biliaire, bile, 143, 309.
veuvage, 348, 349.
temps, saisons, calendrier, 20, 27, 303, vie, mort, 210, 278, 289, 290, 292, 293,
449, 450, 453, 456, 461, 499, 500, 300-303, 309-317, 496, 497, 500.
507-518. volonté, énergie, 135, 144, 147, 148, 166,
testicules, 140, 143. 168, 206.
tête, ouvertures de la tête, 46, 47, 52, voyance, 301, 315, 316, 553.
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INDEX DES AUTEURS CITÉS

Abimbola, W., 79, 80, 81, 82, 84. Fichte, 19, 579.
Adler, A. et Cartry, M., 279. Forde D., 471.
Agblemagnon, N., 412. Forest, A., 37.
Amenumey, D.E.K., 120. Fortes, M., 27, 28, 285, 287, 289, 299,
Aucher, M.L., 70. 301, 304, 305, 307, 312, 313, 314,
315, 447.
Bascon, W., 63, 66, 69. Fortes, M. and Mayer, D., 310.
Bastide, R., 34, 42, 397, 419, 420. Frazer, 541.
Best, E., 577. Freud, S., 575.
Binswanger, 514. Frobenius, L., 69, 361.
Bisiliat, J.; Laya, D; Pierre, E.; Pidoux,
Ch., 359. Gaden, H., 479.
Burton, W.E.P., 239. Gallais, J., 488.
Ganay, de S., 157, 205.
Calame-Griaule, G., 41, 205, 214, 391. Geertz, C., 16.
Camara Laye, 287. Goffman, E., 286.
Camara, S., 473. Goody, J., 299, 447.
Cannon, W.B., 577. Griaule, M., 40, 205, 471, 486.
Cartry, M., 265, 274. Griaule, M. et Dieterlen, G., 108, 118,
Cissé, Y., 175, 194, 484. 205, 471, 480.
Griaule, M. et Lebœuf, J.-P., 383.
Delafosse, M., 156. Guignard, M., 479.
Deleuze, G. et Guattari, F., 280. Gurvitch, G., 582, 583.
Deschamps, H., 61.
Dieterlen, G., et Cissé, 141, 142, 154, Hamilton, E., 102, 115.
158. Hampaté Ba, A. et Dieterlen, G., 288.
Dieterlen, G., 140, 141, 142, 157, 158, Hegbe, M., 392, 410.
159, 165, 205, 468, 481. d'HertefeIt, M. et Coupez, A., 453, 454,
Dostoïevski, 483. 455.
Douglas, M., 238, 240. de Heusch, L., 454.
Doutreloux, A., 232, 233. Hobhouse, L.T., 491.
Dumont, L., 480. Houis, M., 398.
Dupire, M., 474, 476, 487.
Idowu, E.B., 62, 66.
Elbein Dos Santos J. et Dos Santos,
Johnson, S., 68.
D.M., 45, 54, 55, 56, 57, 58, 59.
Erny, P., 393. Junod, H.A., 236, 240, 241.
Evans-Pritchard, E.E., 42. Kagame, A., 455.
Kant, E., 575, 579.
Fabian, J., 34. Kardiner, A., 397.
Peeraer, S., 237. Kety, S.S., 70.
Feraud, B., 368. Krader, L., 286.
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594

Kossou, B.T., 400, 401, 404. Plutarque, 106, 111.


Kuper, H., 456. Proust, M. 288.
Przyluski, J., 101, 102.
Lacan, J., 17, 18, 41.
Lalande, A., 19. Radcliffe Brown, A.R., 286, 491.
Laleye, I.P., 409, 411, 412, 416. Radcliffe Brown, A.R. et Forde, D., 43.
Langton, E., 109. Read, K.B., 491.
Lebeuf, A.-M.-D., 382, 383, 448, 450. Ribot, T., 575.
Lebeuf, A. et J.-P., 375. Richards, A., 288.
Lebeuf, J.-P., 375, 377. Riesman, P., 479.
Leenhardt, M., 10, 33, 507. Roberge, A., 413.
Lefebure, E., 110. Roland, H., 236.
Le Hérissé, A., 55, 69. Rouch, J., 347, 369.
Lévi-Strauss, C., 17, 43, 233, 545, 557. Roumeguère-Eberhardt, J., 393.
Lévy-Bruhl, L., 286, 573, 577, 581, 582.
Linton, R., 491. Segurola, R.P., B., 65.
Lucas, J.O., 53. Seve, L., 388.
Ly, L., 475. Smith, P., 469, 470, 481, 482.
Spitch, J., 120, 126.
Mac Beath, A., 491. Stenning,D.J., 452. -

Maine, sir H., 491. Stoetzel, J., 361.


Maupoil, B., 64, 65, 69, 70, 113.
Maquet, J., 454. Tauxier, L., 482.
Markale, J., 105. Tempels, R.P., 41, 231, 233, 236, 237,
Mauss, M., 9, 15, 283, 284, 286, 287, 406.
491, 573, 577, 580. Theuws, Th., 232, 233, 234, 235, 236,
Marx, K., 485, 486, 582. 237, 238, 239, 240, 241.
Mbiti, J .S., 38. Turner, V.W., 240.
Mead, M., 286.
Merleau Pont y, 514. Van Avernaet, E., 233, 234, 235, 236,
Middleton, J., 493, 496, 497, 498, 501, 239.
502, 503. Van der Leeuw, 407.
Murphy, J., 11. Vansina, J., 232.
Verdier, R., 327.
Verger, P., 62, 63, 65, 66n, 69, 101,
Nadel, J., 451, 452.
113.
Niane, D.T., 474.
Vernant, J.-P., 583.
Nukunya, O.K. 121, 128. Vidal, P., 408.
Ortigues, M.-C. et E., 419. Wane, Y., 478, 486.
Wilde, O., 483.
St Paul, 580.
Paulme, D., 469. Zahan, D., 146, 165, 168.
Pidoux, Ch., 367. Zemp, H., 481.
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TABLE DES MATIÈRES

G. DIETERLEN.- Allocution d'ouverture. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9


M. CARTRY.- Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
R. BASTIDE.- Le principe d'individuation (contribution à une phi-
losophie africaine) ................................... 33
J. ELBEINDos SANTOSet D.M. Dos SANTOS.- Esu Bara, principle
of individual life in the Nago system. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
P. VERGER.- Notion de personne et lignée familiale chez les
y oru ba ............................................ 61
W. ABIMBOLA. - The Yoruba concept of human personality. . . . 73
A. DE SURGY.- Les puissances du désordre au sein de la personne
Evhé .............................................. 91
G.K. NUKUNYA.- Some underlying beliefs in ancestor worship and
mortuary rites among the Ewe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Y. CISSE.- - Signes graphiques, représentations, concepts et tests
relatifs à la personne chez les Malinké et les Bambara du Mali. 131
A. HAMPATÉBA. - La notion de personne en Afrique Noire. . . . 181
G. LE MOAL. - Quelques aperçus sur la notion de personne chez
les Bobo.......................................... 193
G. DIETERLEN.- L'image du corps et les composantes de la per-
sonne chez les Dogon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
L. DE REUSCH. - Le sorcier, le père Tempels et les jumeaux mal
venus. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
F. HÉRITIER-IzARD. - Univers féminin et destin individuel chez les
Sam 0 .............................................. 243
M. CARTRY.- Le lien à la mère et la notion de destin individuel
chez les Gourmantché ................................ 255
M. FORTES.- On the concept of the person among the Tallensi . 283
M. PALAUMARTI.- Le nom et la personne chez les Sabé (Daho-
mey) .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
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596

R. VERDIER.- Contribution à l'étude de la notion d'être humain


dans la pensée et la société Kabrè (Togo) ................ 327
J. BISILLIATet D. LAYA.- Représentations et connaissances du
corps chez les Songhay-Zarma: analyse d'une suite d'entretiens
avec un guérisseur.................................. 331
A. DIARRA.- La notion de personne chez les Zarma .......... 359
J.P. LEBEUF.- Personne et système du monde chez les Kotoko .. 373
L.V. THOMAS.- Le pluralisme cohérent de la notion de personne
en Afrique Noire traditionnelle........................ 387
J.P. OLIVIER DE SARDAN. - Personnalité et structures sociales
(A propos des Songhay) ............................. 421
A.M.D. LEBEUF.- Le personnage du roi et les structures spatio-
temporelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10 447
M.H. PIAULT.- La personne du pouvoir ou la souverai~eté du
souverain en pays Mawri (Hausa du Niger) .............. 459
P. SMITH.- Principes de la personne et catégoriessociales. . . . . 467
J. MIDDLETON.- The concept of the person among the Lugbara
of Uganda......................................... 491
J. MONFOUGA,J. BROUSTRA,P. MARTINOet M. SIMON.- Réflexions
ethno-psychiatriques sur l'organisation temps-espace de la per-
sonne. ............................................ 507
M. AUGÉ.- Sorciers noirs et diables blancs. La notion de personne,
les croyances à la sorcellerie et leur évolution dans les sociétés
de basse Côte d'! voire (Alladian et Ebrié) ................ 519
J. ROUCH. - Essai sur les avatars de la personne du possédé, du
magicien, du sorcier, du cinéaste et de l'ethnographe. ..... 529
o. GOLLNHOFERet R. SILLANS.- Aspects du phénomène de
consensus dans la psychothérapie ghetsopgho ............. 545
E. ORTIGUES.- La théorie de la personnalité en psychanalyse et
en ethnologie...................................... 565
L. SAGHY.- Quelques aspects de la notion de personne. . . . . . . . 573
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t/
~RMATTAN
5-7 me de l'École-Polytechnique
75005 PARIS

Tél. : 43-54-79-10
Fax: 43-25-82-03

1!!!:!!i!i!ftllmD!!!ml:E:iii!:;:jiii!::i:!!;:j!:!!!i!!!iii:!:::!:!:::i!i!:!::1

CIVILISATION DU FER ET SOCIETES EN AFRIQUE CEN-


TRALE
Joseph Marie ESSOMBA
Il y a près de 3000 ans, la région du Cameroun méridonial était habitée par
des groupes de population bantoue qui ont produit le fer de façon endogène. La
production de fer a été dans cette région, comme partout ailleurs en Afrique
centrale et dans le monde, un important facteur de développement des sociétés.
Les données examinées dans cet ouvrage font apparaître le rôle joué par le fer
sur le plan économique et social: dans l'agriculture, la chasse ou la guerre, et
sur le plan culturel où il est le symbole de puissance et d'immortalité.
(Coll. Racines du présent, 699p., 320F) ISBN: 2-7384-1420-6

RENCONTRES FRANCO-ALLEMANDES SUR LI AFRIQUE.


Lettres, Sciences Hmnaines et Sociales
Textes réunis par Hélène d'ALMEIDA-TOPOR et Janos RIESZ
Né d'une volonté de coopération dans le domaine des études africanistes
entre les universités de Bayreuth et de Paris VII, cet ouvrage constitue avant
tout un élément d'infonnation, élaboré dans une optique pluridisciplinaire, sur
les recherches menées dans ces deux institutions. Il est également le point de
départ d'une réflexion comparative sur le développement de ces recherches en
France et en Allemagne, leurs axes privilégiés, leurs antécédents, les discours
qui les accompagnent. Les communications groupées dans le présent volume
montrent à quel point la confrontation des approches, det' sources et. des
méthodes s'est révélée fructueuse.
(Groupe Afrique Noire, Cahier N°l3, 144p., 85F)
ISBN: 2-7384-1301-3
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MISSION CATHOLIQUE ET CHOC DES MODELES CUL TU-


RELS EN AFRIQUE
Christianne ROUSSE-GROSSEAU
S'appuyant sur une documentation importante puisée dans les meilleures
sources, cet important ouvrage décrit la rencontre entre deux cultures, l'une
dominante, l'autre dominée entre deux religions, l'une à vocation universellet
l'autre enracinée dans des coutumes ancestrales. A travers l'évangélisation du
Dahomey, les missionnaires ont-ils été les agents du colonialisme? L'Eglise est-
elle liée absolutnent à la civilisation occidentale? Pour les Africains, l'adhésion
au christianisme signifie-t-elle le rejet de leur identité culturelle? Autant de
questions auxquelles C. Roussé-Grosseau nous offre des réponses nuancées.
(Coll. Racines du Présent, 390p., 190F) ISBN: 2-7384-1417-6

LA TERRE AFRICAINE ET SES RELIGIONS. (Réédition).


Louis- Vincent THOMAS. René LUNEAU.
L tAfrique~ plus qu'un autre continent, était-elle promise à t'immuable?
Tous les malheurs sont-ils arrivés avec l'étranger qui parIait une autre langue,
prêchait un autre Dieu, disposait d 'un pouvoir que personne jusqu'alors n'avait
osé imaginer? Peut-être bien. Il a fallu se faire à sa présence~ venir à son école,
s'asseoir sur le banc de ses églises, en un mot changer de monpe!
(335p., 165F) ISBN: 2-8502-162-7

L'ENSEIGNEMENT ISLAMIQUE EN AFRIQUE NOIRE


Seydou ClSSE
Tenir compte de l'éducation musulmane fait partie des objectifs pour
généraliser l'éducation de base au Mali, ainsi que dans d'autres pays africains.
Pour atteindre ces objectifs, on se heurte à plusieurs difficultés, dont la
principale est actuellement le manque d'investigations sur cette Conne d' éduca:
tion. Seydou Cisse étudie ici le système éducatif musulman dans un contexte
malien tant historique que pédagogique. Il examine sa philosophie à travers la
pensée des grands hommes saints de l'Islam africain et apporte des réponses
pertinentes à de nombreuses questions. ..
(22Op., 120F) ISBN : 2-7384-1131-~

L'ECOLE DU SOUS-DEVELOPPEMENT. Gros plan sur l'ensei-


gnement secondaire en Afrique
Hilaire SIKOUNMO
Au Cameroun, le système scolaire «à la française», irréaliste, stagnant,
imbibé de corruption, est évidemment inopérant voire nocif pour lajeunesse et
pour le pays. Un choc salutaire s'imposait d'abord: lever le voile sur ce qui
constitue concrètemnt cette «école du sous-développement» d'où sortent des
milliers de diplômés promis au chômage. Il n'est pas possible à l'Afrique de
retrouver le sens de l'initiative tant que la bataille de l'école ne sera pas
envisagée et gagnée. Enracinement et déracinement, continuité et rupture: tel
est le double mouvement inhérent à l'éducation. L'Afrique doit y venir.
(29Op., 150F) ISBN: 2-7384-0865-6
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LES JEUNES EN AFRIQUE.


Tome 1: Evolution et rôle (XIXè-XXè siècles)
Tome 2: La politique et. la ville.
Hélène d'ALMEIDA-TOPOR. Catherine COQUERY-VIDROVITCH.
Odile GOERG. Françoise aU/TART.
L'explosion démographique, relativement récente, a fait de l'Afrique un
continent jeune. L'afflux des jeunes y est devenu un fait majeur de notre temps.
Le processus, qui va s'accentuant, est d'autant plus préoccupant que}' Afrique
est confrontée à de multiples problèmes de développement. Or la montée de la
jeunesse et ses implications ont été peu étudiées jusqu'à présent. Cet ouvrage
est la somme des recherches menées par des spécialistes et des praticiens dans
une optique pluridisciplinaire.
(l'orne 1: S7ip., 260F) ISBN: 2-7384-1657-8
(l'ome 2: 526p., 280F) ISBN: 2-7384-1658-6

JEUNESSE MARGINALISEE. ESPOIR DE L'AFRIQUE. Un juge


des enfants témoigne
R. Coppieter'st WALLANT. Préface de P. ERNY
Plus de 60% de l'Afrique noire a moins de 25 ans et les jeunes ruraux et
urbains sont très majoritairement déscolarisés, désoeuvrés, marginalisés.
Beaucoup sont en situation d'échec social et constituent en l'état une masse
difficilement gérable mais aisément manipulable.
L'auteur analyse ici les causes de la délinquance juvénile urbaine, depuis
le vagabondage jusqu'au crime. Il propose des solutions possibles de promotion
de cette jeunesse délaissée et meurtrie.
(187p.,110F) ISBN: 2-7384..1259-9

PRIX :PES EPOUSES, V ALEUR DES SOEURS. Suivi de LES


REPRESENT ATIONS DE LA MALADIE.
Michèle DA CHER
Le statut des femmes, les représentations de la maladie: deux thèmes
majeurs qui font apparaître de larges facettes de la société goin du Burkina
Faso.
Quoi de plus révélateur pour la compréhension d'une société que l'examen
comparé des statuts, des rôles et images des hommes et des femmes? Quoi de
plus exemplaire des modes de pensée de ce groupe que ses représentations de
la maladie? -
(Coll. Connaissance des hommes, 203p., 110F) ISBN: 2-7384..1280-7

GROSSESSE ET PETITE ENFANCE EN AFRIQUE NOIRE ET A


MADAGASCAR
Collectif: o. JO URNE T, M. CROS, B. RAVOLOLOMANGA, E.
EWOMBE-MOUNDO, A. DUPUIS, D. JONCKERS, S. LALLEMAND.
Quelles sont les croyances relatives à la venue des enfants? Comment s'y
prend-on pour conjurer la stérilité? Quels sont les rites qui protègent les
grossesses en cours? Les femmes enceintes ont-elles des envies? Les hommes
pratiquent-ils la couvade?
Autant de questions auxquelles s'efforcent de répondre, à partir de lieux
différents (Sénégal, Gabon, Burkina Faso, Mali et Madagascar), les auteurs de
cet ouvrage.
(Coll. Connaissancesdes HomInes, 136p., 75 F) ISBN: 2-7384-1123-1
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LES ENFANTS DU SAHEL.


Sous la direction de Sophie BESSIS.
Les enfants du Sahel nous les avons vus, sur nos écrans de télévision,
décharnés, la main tendue... A partir d'enquêtes réalisées par des journalistes
africains, cet ouvrage est à la fois plus pessimiste et plus optimiste que les
quelques clichés qui trainent dans notre imaginaire. Un livre pour tous ceux qui
veulent non seulement aider ces enfants mais aussi mieux les connaître.
(175p'185F) ISBN: 2-7384-1211-4

l\ŒDECINE TRADITIONNELLE. Acteurs, itinéraires thérapeuti-


ques
Pierre COPPO, Arouna KEITA
On dit généralement que la médecine traditionnelle constitue la principale
source thérapeutique dans les pays en voie de développement, essentiellement
dans les zones rurales. Seulement en cas d'échec on aurait recours à la
médecine «occidentale.. La sous-utilisation des services de santé est attribuée
le plus souvent à la mauvaise qualité des soins prodigués. Mais -il s'agit là
d'impressions et non de données vérifiées. Cette\ étude sur les itinéraires
thérapeutiques, les chemins parcourus par les malades et leur entourage dans
la quête de solutions aux problèmes de santé, nous éclaire sur le fonctionnement
de ces pratiques traditionnelles. Une attention particulière a été portée aux
problèmes de santé maternelle et infantile.
( Editions E. En diffusion à L 'Hannaltanl 32Op.I 160F)
ISBN: 88-85326-00-5

SCIENCES ET TRADITIONS AFRICAINES. Les messages du


Grand Zimbabwe
Victor Mfika MUBUMBlLA
L'objectif de cette étude n'est pas de remettre en question les idées admises
jusqu'à ce jour sur le passé historique du Grand Zimbabwé, mais d' appo~er un
complément d'informations susceptible de mettre en valeur le legs de l'une des
plus antiques civilisations africaines au patrimoine culturel bantou.
L'effort fourni dans cet ouvrage est d'enseigner les principes scientifiques
que véhiculent les langues africaines ainsi que les signes graphiques qui
décorent la plupart des objets d'art africain. .
( l08p., 75F) ISBN: 2-7384-1074-X

SOULEYMANE LE GUERISSEUR OU LE POUVOIR DES


PLANTES
Yves SOUBRlUARD
L'auteur a rencontréSouleymane,le guérisseurle plusrenomméd'Afrique
noire francophone.Son récit vous plongeradans le secret de leurs entretiens.
Il vous f~ra découvrir des plantes pour soigner, pour se faire aimer, être joyeux,
aimable... Y.Soubril1arda lui-mêmeexpérimenté, sous la directiondu guéris-
seur, les propriétésde ces végétauxjamais utilisésauparavant. Des découver-
tes médicalesmajeures sont à attendre de leur collaborationà venir.
(1.43p.,85F) ISBN: 2-7384-1450-8
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LE LANGAGE DES TAM-TAMS ET DES MASQUES EN AFRI-


QUE
Tilinga Frédéric PACERE
«La Bendrologie» désigne la science. les études méthodiques, les méthodes
de pensée. de parler, des figures de réthorique, relatives au tam-tam Bendre,
et donc, en fait, à la culture de ce tam-tam, voire. à la culture des messages
tambourinés notamment en Afrique.
Une vingtaine d'années d'observations, d'études et de recherche sur le
terrain, révèle que la littérature des Mossé est fondée sur l'expression des tam-
tams dits «parleurs». Cet ouvrage nous permet un déchiffrage de ce langage
tambouriné, véritable littérature orale.
. (342p., 160 F) ISBN: 2-7384-1227-0

JELlY A. Etre griot et musicien aujourd'hui.


Adama DRAME. Arlette SENN-BORLOZ.
Depuis toujours, en Afrique de l'Ouest, la musique est jouée par les Griots.
La formation musicale est assurée de père en fils. L'apprentissage des règles
de la musique traditionnelle dure plusieurs années et se fait principalement au
moyen de la répétition rigoureuse de bases strictement définies. Adama Dramé,
défend avec passion la tradition mandingue dans laquelle s'enracine son
identité. Originaire du Burkina-Faso, mais résidant depuis plus de quinze ans
en Côte d'Ivoire, il joue dans toutes les fêtes et on vient parfois le chercher de
très loin.
(366p., 160F) ISBN: 2-7384-1481-8

LA MUSIQUE AFRICAINE CONTEMPORAINE.


Wolfgang BENDER.
W. Bender nous propose ic.iun tour de l'Afrique noire avec la passion d'un
fan et l'exactitude d'un connaisseur... Il nous offre un voyage à travers les
nouvelles musiques africaines) celles qui se sont développées à la faveur des
Indépendances, qui font danser l'Afrique d' aujourd 'hui et que nous découvrons
peu à peu en Europe. Couvrant 1t ensemble des musiques africaines, cet
ouvrage en est un guide accessible) à la fois introduction culturelle et ouvrage
de référence comportant une importante disco graphie et un index des musiciens
et des groupes.
(246p., 140F) ISBN: 2-7384-1159-2

LES PYGMEES DE LA GRANDE FORET


Noël BALLIF
En 1946, Noël Ballif et ses compagnons sont accueillis par les Pygmées,
dont le mode de vie était resté vraissemblablement identique depuis 40 siècles.
Des séjours ultérieurs en 1975 et 1982 auprès de ces populations lui
permettent de témoigner des évolutions récentes mais rapides de ces cultures.
Un témoignage de première main sur les habitants de la grande forêt
africaine.
(Coll. Connaissance des HOlnmes, 240 p., 140 F) ISBN: 2-7384-0964-4
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AUX ORIGINES DE L'IMPLANTATION FRANCAISE EN MER


ROUGE. Vie et mort d'Henri Lambert, consul de France à Aden-
1859
Roger JOINT DA GUENET
Dans la Mer Rouge, en 1855, un français, Henri Lambert, vient s'installer
à Aden, dans une zone d'influence anglaise et par son action, dérange la «Pax
Britannica» qui s'étend déjà jusqu'à la côte africaine.Il veut établir la France
face aux Anglais et s'attirera la haine d'un chef local qui le fera assassiner. A
partir de l'étude détaillée de cet événement, c'est en fait le début de la rivalité
franco-anglaise pour le contrôle de la Mer Rouge et de la route d'Extrême-
Orient qui est analysé.
(Coll. Racines du présent, 347p., 190F) ISBN: 2-7384-1487-7

SILENCE, ON DEVELOPPE
Jean-Marie ADIAFFI ADE
Ce vaste roman poème à l'étonnante variété met en scène la vie ~t les luttes
d'une jeune République africaine victime de la trahison d'un jumeau. C'est au
coeur de l'histoire du peuple d'Assiéliédougou que ce texte entraîne le lecteur,
une histoire qui se noue entre }'affirmation puissante de la religion animiste, ses
grands mythes et l'anticipation audacieuse d'un avenir créateur.
(Ed. Nouvelles du Sud, 534 p., 180 F) ISBN: 2-87931-005-9

L'U.P.C. UNE REVOLUTION MANQUEE?


Abel El7NGA
Abel Eyinga, juriste et politologue camerounais narre dans cet ouvrage
l'histoire tumultueuse de leu .P.C. (l'Union des Populations Camerounaises),
l'aîné des partis politiques camerounais.
(Coll. Afrique Contelnporaine, 191 p., 30 F) ISBN: 2-907768-14X

L'AFRICAIN BLANC
Jean-François ALATA
Aux côtés de son père J.P. Alata, célèbre prisonnier français du Camp
Boiro, J.F. Alata participa en 1970 au débarquement raté contre le régime
dictatorial de Sékou Touré, à Conakry. Tous deux furent arrêtés, le père obligé
de faire des faux aveux pour que son flls soit libéré puis expulsé en France. Mais
l'éducation africaine voulue par son père l'a marqué pour toujours.
(207p.,95F) ISBN: 2-7384-1617-9

PARLONS KINY ARW ANDA-KlRUNDI


Edouard GASARABWE
Sur les hauts plateaux de la crête Congo-Nil, près de 20 millions'd 'hommes
parlent la même langue, au Rwanda, au Burundi et dans les régions voisines de
ces deux pays. Cette situation linguistique est exceptionnelle en Afrique Noire
qui compte plus de 1200 langues, parfois éclatées en plusieurs dialectes.
Edouard Gasarabwe nous présente ici la langue et la culture. communes aux
Hutu et Tutsi peuplant ces pays, d'une façon très vivante et pratique. Il nous
offre un document indispensable à tous ceux qui visitent cette région ou qui
contribuent à son effort de développement.
(290p., 150F) .
ISBN: 2-7384-1541-5
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PARLONS SWAHILI
Ariel CROZON, Adrienne POLOMACK
Le swahili est la langue d'Afrique Noire la plus parlée. On estime à 40
millions Je nombre de personnes qui la pratiquent. C'est Ja langue des habitants
de la côte orientale d'Afrique. La présente méthode, destinée à ceux qui veulent
acquérir des bases solides en swahili, présente de façon assez complète la
grammaire, donne des éléments de conversation courante et comprend un
lexique d'environ 1000 mots français-swahili et swahili-français.
(19lp., 1lOF) ISBN: 2-7384-1344-7

APPRENONS L'EWE. VOLUME 5


Jacques RONGIER
L'éwé est parlé par environ 1 500 000 personnes au sud-est du Ghana et par
1 200 000 au 'togo où il est l'une des deux langues nationales du pays. Cette
méthode est la seule existante pour l'apprentissage de cette langue. Tout y est
clairement expliqué: grammaire, syntaxe, étymologie... Tout y est traduit et
glosé. Le lecteur pourra aborder la littérature écrite, la presse locale, des
chants, des poésies, l'histoire du pays... Mais surtout, la priorité est donnée au
dialogue, à la pratique de la conservation.
(185p., 130F) ISBN: 2-7384-1720-5

LE ROYAUME DU SWAZILAND. Un état dans l'Afrique du Sud


Aliette de COCQUEREAUMONT-GRUGET
Connaissez-vous le roi du Swaziland? Il se nomme Mswati III et sort d'un'e
université britannique. Mais lors des réunions politiques, il ~e présente le torse
nu, et entouré de milliers de guerriers armés de lances et de boucliers. Enclavé
dans l'Afrique du Sud, ce petit état semble traverser les siècles en conservant
son intégrité. Quelles en sont les raisons?
L'auteur nous les expose dans cet ouvrage, le premier qui soit consacré au
Swaziland en langue française. Il présente les multiples facettes de ce superbe
pays montagneux où se côtoient avec insolence les tropiques et la zone
tempérée, la tradition et la modernité, le Noir et le Blanc.
(286p., 150F) ISBN: 2-7384-1456-7
ANGOLA. Bilan d'un Socialisme de guerre
Coordonné par Pierre BEAUDET
Longtemps déchiré par une guerre féroce entre les deux frères ennemis du
nationalisme angolais, le pays est demeuré presque inaccessible, tant du côté
du gouvernement du MPLA que dans les zones contrôlées par l'UNITA.
Cependant, avec l'accession du pays à l'indépendance en 1975, un nouveau,
cycle politique s'ouvrait dans le Tiers-Monde. Entre les espoirs de construire
le «socialisme» anti-impérialiste d'un côté et la mobilisation ouverte contre la
«menace soviétique» de l'autre, bien peu sont restés totalement indifférents.
Cette étude -en plusieurs articles- a le mérite de donner un aperçu historique et
socio-économique du pays jusqu'à aujourd'hui tout en traçant le bilan de
l'échec d'un projet de société qui se définissait au départ comme socialiste.
(Coll. Points de vue concrets, 131p., BOF) ISBN: 2..7384-1261-0
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SIGNIFIANT ET SOCIETE. LE CAS DU DAGARA DU BURKI-


NA FASO
Penou-Achille SOME
Une recherche sur le rapport langue/société chez les Dagara du Burkina
Faso. Celle-ci contribue à la connaissance des formations et énoncés paralin-
guistiques ainsi que de certains gestes communicatifs involontaires et de leur
interprétation.
Ces éléments apportent un enrichissement à l'étude du cadre social et
culturel de l'acte de parole.
(27Op., lS0F) ISBN: 2-7384-1490-7

COLONIE OU MANDAT INTERNATIONAL? La politique fran-


çaise au Cameroun de 1919 à 1946
Dieudonné OYONO
Cette étude de D. Oyono se propose de fournir une explication à un
phénomène observé: l'intégration progressive du Cameroun, territoire sous
mandat international, dans l'empire colonial français. Son alignement au
Ministère des Colonies en 1919 en constitue l'acte de naissance, et son
intégration partielle dans l' Union Française en 1946 sa consécration sur le plan
constitutionnel. Comment donc expliquer cette évolution à contre-courant,
alors qu'en principe le statut international du Cameroun le préparait plutôt à
accéder progressivement à l'indépendance?
(221p., 130F) ISBN: 2-7384-1180-0

LE QUARTIER SPECIAL. Détenu sans procès au Caineroun


Nouk BASSOMB
Juillet 1976 au Cameroun d'Ahidjio. «L'affaire des tracts. débute. Plus de
1000 personnes sont emprisonnées, torturées.
600 vont être détenues sans procès durant~lus de six mois. Nouk Bassomb
avait 20 ans. Il militait activement pour la restauration de la démocratie dans son
pays. Il n'échappe pas à l'arrestation et est interné au Quartier Spécial de Yoko.
Les conditions de vie y sont inhumaines: coups, humiliations, faim, soif, saleté,
délation... N .Bassomb raconte ici son histoire personnelle, celle des quatre
longues années passées dans les geôles de feu Ahidjio, premier président au
Cameroun.
(Coll. Mélnoires Africaines, 191p., 9SF) ISBN: 2-7384-1136-3

mSTOIRE CENTRAFRICAINE. Des origines à 1966


Pierre KALCK
L'auteur trace ici de façon saisissante ce que fut un génocide de plus de trois
siècles, commis sur les populations installées au coeur du continent depuis le
fond des âges. Acheté ou capturé, l'homme centrafricain était vendu sur les
plantations d'Amérique ou dans les souks de l'Orient. On y trouvera également
l'histoire des années de travail forcé et de répression imposés aux habitants de
l'ancien Oubagui-Chari. Dédié au peuple africain auquel il a restitué son
identité, cet ouvrage est devenu un classique.
(Coll. Racines du présent, 353p., 170F) ISBN: 2-7384-1556-3
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LA DEMOCRATIE PAR LE HAUT EN COTE D'IVOIRE


Tessy BAKARY-AKIN
, La démocratie sera-t-elle en Côte d'Ivoire la seule affaire des élites?
:
Prenant en compte les héritages précolonial et colonial ainsi que les
pratiques sociales, économiques, culturelles et politiques, cette étude est
consacrée à un moment du processus d'invention démocratique en Côte
d'Ivoire.
Elle éclaire le processus de démocratisation avec ses forces et ses faiblesses
et par dessus tout sa nécessité de plus en plus pressante afin que de la démocratie
à l'ivoirienne on accède enfin à la démocratie Ivoirienne!
(32Op., 160F) ISBN: 2-7384-0539-8

GUINEE: POUR UN NOUVEAU SYNDICALISME EN AFRIQUE


Mid DlAUO. Maurice DOPAVOGUI. Gérard KESTER
En Afrique, le syndicalisme englobe un vaste champ d'activités qui dépasse
les intérêts immédiats des travailleurs pour s'étendre aux questions de dévelop-
pement national. L'ouvrage présent constitue une étude inédite en Afrique. Il
est le fruit de l'analyse des données recueillies lors d'une mission de cinq ans
pendant lesquels une équipe a sillonné la Guinée et mené une enquête sur un
échantillon de près de 2000 représentants syndicaux. 11tente de rendre compte
des conditions de vie des travailleurs sur leur lieu de travail et. de leur
participation dans de nombreux autres domaines.
(158p., 9OF) .
ISBN: 2-7384-1394-5

LES CANNONIERES DE TOMBOUCTOU. Les Français à la


conquête de la cité mythique 1870-1894
Dalliel GREVOZ
«Tombouctou»... Aujourd 'hui encore, ce nom prête au rêve pour avoir, des
siècles durant, suscité des convoitises de toutes sortes. Vers la fin des années
1880, l'avance des troupes coloniales françaises en Afrique occidentale mettait
la ville à leur portée. D. Grevoz nous fait le récit de cette course à la gloire,
ponctuée d'exploits, de drames et de coups bas que conduisireI?-tdes hommes
plus soucieux d'aventures et de lauriers que de discipline militaire.
(Coll. Racines du présent, 183p., 110F) -. ISBN: 2-7384-1253-X

VERS LA llIème REPUBLIQUE DU MALI


Cheick Oumar DIARRAH
Le 26 mars 1991, le Mali s'est débarrassé, à travers une insurrection
populaire généralisée, d'une dictature qui avait fait irruption 23 ans plus tôt
avec le coup d' Etat militaire de 1968. Alors l'ère si prometteuse -mais entachée
-
d'erreurs de Modibo Keita s'acheva et lui succéda un contre-exemple en tous
domaines qui précipita le Mali dans le marrasme.
L'auteur a voulu retracer ici un bilan qui puisse guider la réflexion d'une
jeunesse en fin libérée. ..
(236 p.,130 F) ISBN: 2-7384-1130-4
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