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Daniel Kupferstein

Les balles
du 14 juillet 1953
Le massacre policier oublié
de nationalistes algériens à Paris

Préface de Didier Daeninckx

2017
Présentation
Le 14 juillet 1953, la gauche communiste et syndicale célèbre la
fête nationale, comme c’est la tradition, par une manifestation à
Paris. Y participent, à la fin du cortège, plusieurs milliers de
militants du Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques (MTLD), le parti nationaliste algérien. Quand ils
arrivent place de la Nation, des heurts se produisent et les policiers
tirent froidement sur les manifestants algériens. Six d’entre eux
sont tués, ainsi qu’un militant de la CGT. Et on compte des
dizaines de blessés par balles.
Pendant un demi-siècle, ce drame va être effacé des mémoires et
des représentations, en France comme en Algérie. Pour comprendre
les raisons de cette amnésie et faire connaître les circonstances de
l’événement, Daniel Kupferstein a conduit une longue enquête,
pendant quatre ans. Elle lui a permis de réaliser en 2014 un film,
que ce livre prolonge et complète. On y découvrira les témoignages
inédits de nombre d’acteurs de l’époque, ainsi que les ressorts de
l’incroyable mensonge d’État qui a permis l’occultation de ce
massacre.

« L’originalité de l’approche de Daniel Kupferstein réside dans


sa méthode de cinéaste documentariste. Si ce livre s’appuie sur la
consultation d’archives inédites, sur une lecture attentive de la
presse de l’époque et des moindres évocations du 14 juillet 1953 au
cours des années qui suivent la tragédie, sur une fréquentation des
études consacrées à la guerre d’Algérie, une part essentielle est
constituée par la recherche des témoignages. Ce qui en fait la
richesse, c’est bien la rencontre avec les acteurs de cet épisode
sanglant, avec leurs proches, aussi bien du côté des victimes que
des forces de répression, et avec tous ceux dont la vie, aujourd’hui
encore, est entravée par les non-dits, les mal-dits de l’Histoire. »
Didier Daeninckx

Pour en savoir plus

L’auteur
Daniel Kupferstein, réalisateur et documentariste, est l’auteur
de nombreux films, en particulier Dissimulation d’un massacre
(2001), sur la sanglante répression de la manifestation du FLN du
17 octobre 1961 à Paris, et Mourir à Charonne, pourquoi ? (2010)
sur la répression de la manifestation du 8 février 1962.

Collection
Cahiers libres
L’édition de cet ouvrage a été assurée par François Gèze.

Pour les références en note des documents cités disponibles en


ligne, les adresses url correspondantes sont données dans leur
version raccourcie produite grâce au précieux site non marchand
<ur1.ca>.

Copyright
© Éditions La Découverte, Paris, 2017.

ISBN numérique : 978-2-7071-9678-1


ISBN papier : 978-2-7071-9411-4

En couverture : Le cortège du MTLD, rue du Faubourg-Saint-


Antoine, 14 juillet 1953 (photo Mémoire d’Humanité).

Composition numérique : Facompo (Lisieux), avril 2017

Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement


réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion
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Couverture
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Préface - On ne tue pas une idée avec une balle…

Introduction - Un drame effacé des mémoires


Remerciements

1 - La manifestation du 14 juillet 1953


Un défilé populaire de la gauche française institutionnalisé depuis
1935
L’agression des paras, place de la Bastille
L’impressionnant cortège des nationalistes algériens du MTLD
La tribune officielle place de la Nation évacuée : « On a tiré à balles
réelles ! »

2 - L’affrontement
Place de la Nation : un « tir soutenu sur la foule »
La vaillance des jeunes manifestants algériens, la solidarité
des citoyens français
« Les escaliers du métro étaient ensanglantés »
La version du massacre donnée par les policiers

3 - L’élément déclencheur
Le drapeau algérien ou l’agressivité des policiers ?
Le scénario de l’affrontement et les victimes
Les sept tués
Au moins quarante-huit manifestants blessés par balle
Les sept tués
Au moins quarante-huit manifestants blessés par balle

4 - Les lendemains du massacre


Les secours aux blessés et la situation dans les hôpitaux
Le traitement des événements dans la presse de droite et du centre…
… et dans la presse de gauche

5 - L’organisation du mensonge d’État


Le faux argument de la « légitime défense »
Les (fausses) minutes de la manifestation selon la police
À l’Assemblée nationale, le 16 juillet 1953
L’annonce (fausse) par la Préfecture de police de Paris d’un nombre
important de policiers blessés
Un photographe de presse frappé par les policiers
La justification policière de la répression massive

6 - Réactions et hommages
Le PCF mobilise contre l’« odieuse provocation policière »
21 juillet 1953 : hommage à la Mosquée de Paris et meeting
au Cirque d’hiver
Le départ des convois funéraires et l’enterrement au Père-Lachaise

7 - Hommages et enterrements en Algérie


L’accueil des cercueils à Alger
Les obsèques d’Abdallah Bacha et de Tahar Madjène en Kabylie
L’enterrement sous haute tension d’Amar Tadjadit
Tous les nationalistes présents lors de l’inhumation d’Abdelkader
Draris
Mouhoub Illoul et Larbi Daoui : cérémonies tardives pour deux
« hors-la-loi »

8 - Le contexte politique de 1953


Une situation internationale marquée par la « guerre froide »
Une IVe République farouchement anticommuniste et colonialiste
Dans les colonies françaises, la révolte gronde…
… en particulier en Algérie
300 000 immigrés algériens en France
Le racisme ordinaire de la hiérarchie policière
9 - Le MTLD et la répression contre les Algériens
Aux origines : l’Étoile nord-africaine, le PPA et les massacres
de mai-juin 1945 en Algérie
La création du MTLD en 1946 et son rapide développement au sein
de l’immigration algérienne en France
L’engagement des jeunes militants nationalistes
Le préfet de police de Paris et la répression contre le MTLD
en France
1952-1953 : une répression de plus en plus violente
Les trois morts du 23 mai 1952
Des morts et des blessés qui, eux aussi, ont disparu de la mémoire
collective

10 - Le déni de justice
L’enquête judiciaire biaisée : la sélection des témoignages
La manipulation sur les munitions utilisées, confirmée soixante
ans après par deux policiers
L’instrumentalisation du témoignage du jeune photographe Joseph
Zlotnik
La plainte de la famille Lurot

11 - Du 14 juillet 1953 à la guerre d’indépendance


La police parisienne « rebondit »
La plainte du préfet Baylot contre Bernard Morin
La création de la Brigade des agressions et des violences (BAV)
Tous les « ingrédients » pour la guerre à venir sont là !
De la crise du MTLD au 1er novembre 1954 : le massacre
du 14 juillet, « déclic de la lutte armée »
L’engagement dans la lutte armée et la répression qui continue
La torture banalisée des militants nationalistes arrêtés en France

12 - Un massacre oublié, en Algérie comme en France


L’événement éclipsé de la mémoire collective en Algérie
Le lent retour de la mémoire algérienne dans les années 2000
En France, la tuerie disparaît rapidement des mémoires
Le rôle de la grève d’août 1953, de la guerre d’Indochine
et du changement de ligne du PCF
Un timide retour de la mémoire à partir des années 1990…
… puis des années 2000
Des victimes inégalement considérées

Conclusion - Repenser le rôle de la France coloniale

Notes

Index

Dossier photos
Préface
On ne tue pas une idée avec une balle…

par Didier Daeninckx

Le 8 mai 1945, le jour même de la capitulation nazie à Berlin,


commence la répression des manifestations indépendantistes qui se
déroulent dans le Constantinois, à Sétif, à Guelma, à Kherrata, causant la
mort de milliers d’Algériens. Les opérations de maintien de l’ordre colonial
comprennent des raids d’aviation et les bombardements des villages depuis
les navires croisant au large comme le Triomphant ou le Duguay-Trouin.
L’un des officiers chargés de mater l’insurrection, le général Raymond
Duval, confiera son sentiment à ses supérieurs en ces termes, le 19 juin
1945 : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Si la France ne fait rien, tout
recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable. » Sa
prédiction sur les effets de l’immobilisme colonial qui a perduré après un tel
bain de sang s’est révélée presque exacte, puisque c’est neuf ans et demi
plus tard, le 1er novembre 1954, le jour de la Toussaint, qu’ont éclaté les
premières explosions annonciatrices de la guerre de libération algérienne –
recouverte officiellement en France, jusque dans les années 1990, par le
terme « événements ».
Cette décennie n’en a pas été pacifiée pour autant. Des groupes se
forment en Basse-Kabylie comme celui de Mohamed Zerouali, qui sera
condamné à perpétuité par la cour d’assises de Blida en 1952. Dans les
Aurès ravagés par la famine, c’est Grine Belkacem qui fait le coup de feu
contre les gendarmes, c’est aussi Chebchoub Saddok qui prend le maquis
pour dix ans, dès 1946, en compagnie de sa femme. Des centaines de
militants sont lourdement condamnés par les tribunaux à Oran, à Bougie, à
Alger, à Bône. Et déjà les avocats dénoncent les aveux obtenus sous la
torture. On tire sur la foule à Orléansville. Claude Bourdet, résistant,
compagnon de la Libération, ne craint pas de poser cette question dans
L’Observateur en décembre 1951 : « Y a-t-il une Gestapo en Algérie ? »
Le mérite du minutieux travail d’histoire de Daniel Kupferstein est de
rappeler que la répression des revendications indépendantistes n’a pas
concerné que les départements d’Algérie, mais aussi la France
métropolitaine et d’éclairer une autre date symbolique coincée entre le
8 mai 1945 et la Toussaint 1954, celle du 14 juillet 1953.
Si aujourd’hui le 14 Juillet se résume pour beaucoup à un défilé militaire
sur les Champs-Élysées, il n’en fut pas toujours ainsi. En 1936, à l’appel du
Front populaire, c’est un million de personnes qui défilent à Paris pour faire
vivre les idéaux de la Révolution française et, parmi elles, les Algériens de
l’Étoile nord-africaine (ENA), le parti de Messali Hadj. En 1953, c’est le
Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) qui a
succédé à la lointaine ENA, mais encore placé sous l’autorité de Messali
Hadj, qui participe à la démonstration, mobilisant près de 8 000 personnes
derrière le drapeau de la future Algérie souveraine.
C’est à leur arrivée à proximité de la tribune officielle, place de la
Nation, que les heurts se produisent et que les policiers font usage de leurs
armes, tuant sept personnes, six manifestants algériens et un ouvrier
métallurgiste français, militant de la CGT. Les hôpitaux parisiens
recueilleront (au moins) une cinquantaine de blessés par balle.
Des morts, des blessés, des responsabilités, vite recouverts par le voile de
l’oubli sur les deux rives de la Méditerranée. Un oubli qui prend place en
France dans l’immense déni de réalité qui frappe l’histoire coloniale, et en
Algérie dans l’impossibilité à dire les contradictions, les divisions qui ont
miné la lutte de libération, avec au premier chef l’interdit qui a longtemps
pesé sur le nom de Messali Hadj. Il faudra attendre plus d’un demi-siècle,
ici, pour que ce voile se déchire grâce aux travaux de Danielle Tartakowsky,
de Maurice Rajsfus, d’Emmanuel Blanchard.
L’originalité de l’approche de Daniel Kupferstein réside dans sa méthode
de cinéaste documentariste. Si ce livre s’appuie sur la consultation
d’archives inédites, sur une lecture attentive de la presse de l’époque et des
moindres évocations du 14 juillet 1953 au cours des années qui suivent la
tragédie, sur une fréquentation des études consacrées à la guerre d’Algérie,
une part essentielle est constituée par la recherche des témoignages. Ce qui
en fait la richesse, c’est bien la rencontre avec les acteurs de cet épisode
sanglant, avec leurs proches, du côté aussi bien des victimes que des forces
de répression, et avec tous ceux dont la vie, aujourd’hui encore, est entravée
par les non-dits, les mal-dits de l’Histoire.
Quelques mois avant la fusillade de la place de la Nation, l’écrivain
suédois Stig Dagerman faisait paraître un court texte intitulé Notre besoin
de consolation est impossible à rassasier. Cela ne signifie pas qu’il nous est
interdit d’essayer de combler ce besoin irrépressible. C’est ce que fait
Daniel Kupferstein avec ce livre : il apaise la mémoire douloureuse des
disparus du 14 juillet 1953, celle d’Abdelkader Draris, celle de Mouhoub
Illoul, celle de Maurice Lurot, celle d’Amar Tadjadit, celle de Larbi Daoui,
celle de Tahar Madjène et celle d’Abdallah Bacha.
Il les replace parmi nous.
Introduction
Un drame effacé des mémoires

« Quand on constate encore que la plupart des journaux […] couvrent du nom
pudique de “bagarres” ou d’“incidents” une petite opération qui a coûté sept
morts et plus d’une centaine de blessés, quand on voit enfin nos parlementaires,
pressés de courir à leurs cures, liquider à la sauvette ces morts encombrants, on
est fondé, il me semble, à se demander si la presse, le gouvernement, le
Parlement auraient montré tant de désinvolture dans le cas où les manifestants
n’auraient pas été nord-africains et si, dans ce même cas, la police aurait tiré avec
tant de confiant abandon. Il est bien sûr que non et que les victimes du 14 juillet
ont été un peu tuées aussi par un racisme qui n’ose pas dire son nom. »

Albert CAMUS, Le Monde, 19-20 juillet 1953.

Comme la plupart des Français, jusqu’en 2006, j’ignorais tout de


l’histoire qu’on va lire. C’est en allant à la rencontre de Francis Poullain,
témoin dans un documentaire que je réalisais alors sur la « tuerie de
Charonnea1 », que j’en ai entendu parler pour la première fois. Ce militant
communiste avait participé à la manifestation parisienne du 8 février 1962
contre les attentats de l’OAS2, lors de laquelle la répression policière avait
fait neuf morts, dont huit dans les rangs de son parti. Ce jour-là, j’ai mis en
route la caméra et je l’ai questionné sur ce drame. Très vite, il m’a parlé
d’une autre manifestation, celle du 14 juillet 1953. Je ne souhaitais pas me
laisser détourner par des histoires « annexes » et j’ai pensé : « Oh, non ! Il
ne va pas me raconter toute sa vie ! » Mais, comme il y tenait, je l’ai filmé
en espérant passer au plus vite à l’objet de ma visite.
« Le 14 juillet 1953, m’a raconté Francis Poullain, j’étais à la CGT dans
le cortège de la Seine-et-Marne. Lorsque les Algériens sont arrivés place de
la Nation, les flics les ont chargés violemment et ils ont dégainé leurs
pétards. Ils ont tué six copains algériens et un copain français. J’aurais pu
être dans le lot parce que j’étais à côté d’un gars qui en avait pris une…
C’est là que j’ai vu les Algériens continuer à avancer sur les flics malgré les
morts tellement ils étaient en colère. » Puis je l’ai entraîné sur le sujet de
mon film. De retour chez moi, j’ai oublié cette histoire. Et quatre années se
sont écoulées ensuite.
Au cours de la première de ce film Mourir à Charonne, pourquoi ?, le
8 février 2010, j’ai invité plusieurs témoins de ce drame ainsi que
l’historienne Danielle Tartakowsky à venir débattre aux côtés de son
collègue Gilles Manceron. Cette fois, c’est l’historienne qui, invoquant le
fait qu’étant l’auteur de deux documentaires sur des répressions policières
en rapport avec l’indépendance de l’Algérie – j’avais déjà réalisé en 2001
17 octobre 1961, la dissimulation d’un massacre –, m’a suggéré d’en faire
une trilogie incluant le 14 juillet 1953. Je me souviens avoir déclenché les
rires du public en lui rétorquant : « Merci, mais je viens tout juste de finir
mon second film sur ces sujets, alors vraiment, je ne veux pas devenir le
spécialiste des massacres parisiens ! »
Pourtant, quatre ou cinq mois plus tard, comme si l’idée m’avait travaillé
toute la nuit, je me suis réveillé un jour en repensant à cette répression. J’ai
alors réalisé que le plus jeune des témoins devait désormais avoir environ
soixante-quinze ans. Dans quelques années, les rares survivants, s’il en
restait, auraient oublié la majeure partie de ces événements ou ne seraient
plus de ce monde. Cette constatation m’a mis au pied du mur et j’ai pensé à
voix haute : « C’est maintenant ou jamais ! »
La réalisation de ce documentaire m’a valu quatre années
d’investigations. Quatre années durant lesquelles j’ai sillonné la France
comme l’Algérie. J’ai retrouvé les familles des victimes et j’ai recueilli de
nombreux témoignages inédits de manifestants, de spectateurs et même de
deux policiers qui étaient en première ligne… J’ai méthodiquement collecté
toutes ces informations, lu la presse de l’époque, questionné les historiens et
consulté les archives. Quatre années de rencontres et de découvertes, en
quête d’explications sur ces balles meurtrières percutant la foule le 14 juillet
1953. Au moment du montage, j’avais rassemblé tant d’informations que je
me suis senti, en quelque sorte, le dépositaire de cette histoire quasi
inconnue. Un livre, un seul, lui avait été consacré, publié en 2003 par
l’historien de la « répression » Maurice Rajsfus3, mais il était
malheureusement passé inaperçu et était sorti des circuits de diffusion
depuis longtemps.
Les limites imposées par les règles de l’écriture cinématographique
(narration, durée, format, technique) m’ayant obligé à « sacrifier » un grand
nombre de témoignages, j’ai ressenti, juste après la sortie du film, ce besoin
de raconter tout ce que j’avais pu apprendre, et de le transmettre. Ce livre
est un hommage rendu aux victimes de ce sanglant 14 Juillet, ainsi qu’à
toutes ces personnes qui m’ont accordé leur confiance et leur temps. Et
j’espère ainsi apporter ma contribution à la mémoire de cette sombre page
oubliée de l’histoire de France…

Remerciements
Tout d’abord, je remercie infiniment tous les témoins et acteurs de ce
drame, en particulier les familles des sept victimes. Ils m’ont accordé un
temps précieux, parfois au risque de raviver de douloureux souvenirs. Je
remercie également les historiens, en premier lieu Danielle Tartakowsky,
Emmanuel Blanchard et l’écrivain Maurice Rajsfus, qui m’ont éclairé sur ce
drame par leurs publications.
Mais je voudrais surtout remercier trois femmes, sans qui ce livre
n’aurait jamais pu voir le jour. Anne Labruyère tout d’abord, mais aussi Gu
Fabre et Marie de Pas, qui ont chacune, à différents moments, revu, corrigé
et annoté mes écrits bourrés de fautes de syntaxe ou d’orthographe pour
« accoucher » ensemble de ce livre. Je leur en serai à jamais
reconnaissant…
Je n’oublie pas non plus les membres de l’association Coopaddoc et les
amis, les proches, qui, comme Catherine Grupper ou Patrick Bobulesco, ont
participé à sa relecture. Et puis celles et ceux, trop nombreux pour être cités
ici, qui m’ont toujours soutenu lorsque je doutais d’y arriver. Moments
durant lesquels j’ai toujours pensé à Jean-Luc Einaudi, qui m’a encouragé
et servi de référence pour mener à bien ce travail. À tous, un très grand
merci.
Enfin, je voudrais aussi remercier Didier Daeninckx, qui a accepté
d’écrire la préface, et mon éditeur François Gèze, qui a travaillé aux
dernières retouches du livre et qui a compris l’importance de cette édition.

Note de l’Introduction

a. Toutes les notes de référence sont classées par chapitre, en fin de ce livre, ici.
1
La manifestation du 14 juillet 1953

Peu de gens le savent aujourd’hui, mais pendant longtemps, les


organisations politiques et syndicales de la gauche française ont défilé tous
les 14 Juillet. Ce défilé faisait partie des traditions ouvrières au même titre
que le 1er Mai. Cette tradition remonte à 1935, quand, pour la première fois,
militants et dirigeants socialistes, communistes et radicaux défilent de
concert aux côtés d’autres petits partis, syndicats et associations (CGT,
CGTU, Ligue des droits de l’Homme…), dans une manifestation unitaire de
près de 500 000 personnes. Pour les organisateurs, il s’agissait de reprendre
la tradition révolutionnaire, de défendre la démocratie et de lutter contre le
danger des ligues d’extrême droite. Comme l’indique l’historienne Danielle
Tartakowsky, c’est la « tranquille mobilisation d’un peuple de gauche qui
revendique son histoire, y compris nationale1 » (Jeanne d’Arc, La
Marseillaise, le soldat inconnu).

Un défilé populaire de la gauche française institutionnalisé


depuis 1935
Le 14 juillet 1936, si dans la matinée, comme de coutume, l’armée défile
aux Champs-Élysées, près d’un million de personnes défilent dans l’après-
midi dans l’Est parisien à l’appel des organisations du Front populaire. On
fait la fête alors qu’au-delà des frontières, l’Italie est fasciste, l’Allemagne
est nazie et la guerre civile espagnole débutera quatre jours plus tard. Le
14 juillet 1937 est plus revendicatif, mais les manifestants sont moins
nombreux. Même chose en 1938 où les bals populaires deviennent une
véritable tradition. Sous l’Occupation, les 14 Juillet sont interdits, mais ils
sont aussi l’occasion de manifestations patriotiques et de résistance. Par
exemple, le 14 juillet 1944, Yves Toudic, secrétaire régional CGT du
bâtiment parisien, est tué par les brigades spéciales rue Meslay, non loin de
la place de la République, lors d’une manifestation importante organisée par
le Comité parisien de la Libération (CPL).
Après la guerre, les défilés reprennent et le Parti communiste français
(PCF), s’inspirant du symbole du Front populaire, tente d’y associer des
socialistes. Le 14 juillet 1945, c’est l’apothéose. Tout Paris est en liesse.
C’est le vrai premier 14 Juillet de la Liberté. Après tant de souffrances,
d’humiliations et de restrictions, cette fête revêt un caractère exceptionnel.
Elle est précédée de trois jours de réjouissances civiques, de bals et de
concerts dans toute la France. À partir de 1946, le cortège populaire revient
dans l’Est parisien… Les années 1947, 1948 et 1949 marquent un
durcissement des positions du Parti communiste envers les radicaux et les
membres de la SFIO. À partir de 1950 (et dès 1949 dans le Nord), les
nationalistes algériens du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques), façade légale du PPA (Parti populaire algérien, interdit
depuis 1939), avec à sa tête Messali Hadj, décident de se joindre aux défilés
du 1er Mai et à ceux du 14 Juillet à Paris, ainsi que dans certaines villes de
province. Mais c’est avec leurs propres slogans qu’ils défilent et
généralement en queue de cortège.
Le matin du 14 juillet 1953, le président de la République Vincent
Auriol, accompagné par le tout nouveau gouvernement de Joseph Laniel –
investi quelques jours plus tôt, le 28 juin –, assiste au traditionnel défilé
militaire sur les Champs-Élysées. Dans l’après-midi, le rendez-vous du
défilé populaire « pour la défense des libertés » est fixé à 14 h 30, place de
la Bastille. Les mots d’ordre réclament la libération des « embastillés de
Fresnes » et la paix en Indochine : ils concernent certains dirigeants
communistes et syndicalistes, hostiles à la guerre en Indochine et accusés
de « complot contre la sûreté intérieure de l’État » (voir infra, chapitre 8).
Les communistes sont très mobilisés pour leur libération. Jacques Duclos,
considéré comme le numéro deux du PCF, a même été accusé d’avoir
fomenté le fameux « complot des pigeons », car on avait retrouvé en
mai 1952 dans le coffre de sa voiture deux pigeons morts. Lesquels avaient
été considérés comme des pigeons voyageurs devant porter des messages
secrets à Moscou… D’ailleurs, Jacques Duclos, libre mais toujours inculpé,
participe au défilé… Ainsi, le Parti communiste oriente ce défilé pour la
libération de ces militants, dans une campagne qui dure déjà depuis plus
d’un an et qui va se prolonger durant tout l’été 1953.
Les manifestants empruntent le parcours Bastille-Nation par la rue du
Faubourg-Saint-Antoine. La tête de la manifestation s’ébranle vers
15 heures, précédée de vingt drapeaux tricolores. Derrière la banderole du
comité d’organisation – « Libérez les patriotes emprisonnés. Union pour la
défense des libertés » –, défilent, dans cet ordre, les anciens combattants
dont un ancien déporté en tenue rayée, les officiers et sous-officiers
républicains (certains en uniforme) avec le général et sénateur Ernest Petit,
le Mouvement de la paix, l’Union progressiste et le Secours populaire. On
voit aussi des bonnets phrygiens, des Marianne qui font des rondes, des
fanfares républicaines et même une cornemuse écossaise. Arrivent ensuite
les cortèges des jeunes de l’Union de la jeunesse républicaine de France
(UJRF) et de l’Union des étudiants communistes (UEC), puis ceux de la
Fédération musicale populaire avec la Chorale populaire de Paris, et des
enfants avec le groupe des femmes de l’Union des femmes françaises
(UFF). Un lourd silence s’installe au passage des portraits et de la banderole
à la mémoire d’Ethel et Julius Rosenberg, militants communistes juifs
américains exécutés à peine un mois auparavant2. Puis les slogans
reprennent : « Libérez Henri Martin3 ! » et « Paix en Indochine ! », peut-on
lire sur les pancartes. Suit le cortège de la CGT, précédé d’un grand portrait
de son secrétaire général avec l’inscription : « Libérez Alain Le Léap4 ! »
Viennent ensuite les fédérations syndicales de la CGT (cheminots,
métallurgie…), le mouvement Radio-Liberté, le Comité de défense des
libertés démocratiques en Afrique noire, des démocrates britanniques. Puis,
réunies sur une base locale, les organisations de la banlieue parisienne :
Saint-Denis, Ivry, Issy-les-Moulineaux, Aubervilliers, Montreuil, etc. Les
banderoles réclament la libération des emprisonnés ou inculpés
communistes dont certains depuis 1952 : Alain Le Léap, Lucien Molino,
André Stil, Louis Baillot, Paul Laurent et Guy Ducoloné. Sur d’autres
pancartes, on lit : « Tous unis contre le gouvernement Laniel-Reynaud ! »,
« Empêchons la levée de l’immunité de Jacques Duclos, Étienne Fajon et
François Billoux ! »…
Sur le trajet, les spectateurs sont nombreux, mais ce n’est quand même
qu’une petite manifestation, entre 10 000 et 15 000 participants selon la
Préfecture de police de Paris. Vers la fin du défilé, les Algériens du MTLD
et la Fédération de Paris du PCF avec ses vingt arrondissements ferment la
marche. Et, comme à l’ordinaire, les organisateurs ont dressé une tribune à
l’arrivée, place de la Nation. Y prennent place les membres du comité
d’organisation et les représentants des différentes organisations, notamment
« Emmanuel d’Astier de la Vigerie, l’amiral Moullec, l’abbé Pierre, Jacques
Leman, Marcel Cachin, Waldeck Rochet, Florimond Bonte, Georges
Cogniot, le général Petit, Léon Mauvais, le pasteur Bosc5 ».
Jean Laurans, âgé de dix-huit ans, milite alors à l’Union de la jeunesse
républicaine de France (UJRF), organisation apparentée au PCF : « C’était
ma première manifestation, m’a-t-il raconté en novembre 2012. Oui, c’était
mon premier défilé. À l’époque, je travaillais depuis trois ans comme
ouvrier-imprimeur dans une importante usine à Issy-les-Moulineaux. À ce
moment-là, j’appartenais à l’UJRF et nous participions tous les deux ans à
un festival mondial de la jeunesse, qui se déroulait cette année-là à
Bucarest, en Roumanie. Le comité auquel j’appartenais à Clamart m’a
désigné avec d’autres jeunes pour participer à ce festival. Pour payer ce
voyage, on devait collecter des fonds et c’est dans ces conditions que je me
suis retrouvé le 14 juillet 1953, avec mon amie de l’époque qui était aussi
déléguée à ce festival, pour collecter des fonds : on s’est dit que pour être
plus efficaces pour notre collectage, le mieux était d’aller à la fin de cette
manifestation, place de la Nation, là où les gens seraient plus disponibles
pour sortir leur porte-monnaie6. »
Marc Fraisse, jeune militant de la CGT et du PCF, avait lui aussi dix-huit
ans en 1953 : « C’est l’année où j’ai commencé à travailler et je me suis
syndiqué à ce moment-là, m’a-t-il expliqué en août 2013. Des
manifestations, j’en avais fait avant, dans les Jeunesses communistes. De
toute façon, on était une famille de communistes et de militants, la grand-
mère en tête d’ailleurs : elle était déléguée des concierges… Donc nous,
dans le défilé, on était de la métallurgie CGT, et devant il y avait le
Bâtiment. Les mots d’ordre, c’était sur les salaires et les retraites. Il faut
quand même savoir que lorsque j’ai commencé à travailler, on faisait
cinquante-quatre heures par semaine, dix heures par jour plus quatre heures
le samedi matin… J’habitais dans l’Est, du côté de Champigny, et je
travaillais à Bagnolet, donc cela faisait des journées assez conséquentes et
on n’avait que deux semaines de congés payés. Quand on est jeune, cela fait
un peu juste7. »
De leur côté, les nationalistes algériens du MTLD qui allaient participer à
la manifestation commencent à se rassembler près de la place de la Bastille,
boulevard Bourdon. Mais, avant même que leur cortège ne démarre, des
incidents éclatent à l’angle de la place de la Bastille et de la rue du
Faubourg-Saint-Antoine.

L’agression des paras, place de la Bastille


Un petit groupe de quelque vingt militaires, dont certains sont alors
engagés dans la guerre d’Indochine, ne supporte pas que des colonisés
défilent, ni que l’on réclame la « paix en Indochine ». Ils cherchent à
provoquer et à frapper des manifestants. Très rapidement, ils se retrouvent
encerclés et attaqués par des membres du service d’ordre de la CGT et des
Algériens. La police va les protéger, puis les évacuer. Étudiant en médecine
des hôpitaux de Paris, Bernard Morin a vu ces « paras se lancer sur la foule
en frappant » : « Mais les manifestants ne se sont pas laissé faire. La police
est intervenue à ce moment-là, à coups de matraque sur les gens. J’ai vu un
policier sortir son revolver, mettre les manifestants en joue, mais là, il n’a
pas tiré8. »
Dans les archives de la Préfecture de police de Paris, on trouve une
« main courante spéciale » établie par la police municipale le 14 juillet
1953, assez explicite sur le rôle qu’elle a joué : « 16 h 40 : il y a des
incidents avec des parachutistes ; 17 heures : on établit un barrage rue du
Faubourg-Saint-Antoine entre manifestants et parachutistes. Le défilé
continue. Il y a des blessés ; 17 h 10 : six parachutistes blessés ont été
transportés à l’hôpital Bégin ; 18 heures : les vingt parachutistes neutralisés
sont emmenés au centre d’hébergement Porte de Versailles9. »
Il s’agit là des faits bruts, mais on trouve dans le rapport du commissaire
divisionnaire Gérard (4e district), adressé au directeur général de la police
municipale le 14 juillet, cette information qui précise : « Vers 16 h 20, le
commandant du groupe mobile, M. Plault, me signalait qu’il avait dû
intercepter une vingtaine de soldats parachutistes qui provoquaient les
Nord-Africains participant au défilé. À 16 h 45, il avait établi un barrage à
hauteur du 36, rue du Faubourg-Saint-Antoine, car les parachutistes avaient
réussi à s’infiltrer sur ce Faubourg. M. Plault a fait conduire six blessés
légers parmi les parachutistes au poste de secours installé à la gare de la
Bastille. »
Un autre témoin, syndicaliste à Paris (XIXe), confirme tout cela : « Je me
trouvais avec ma femme à la Bastille au coin de la rue de Charenton. Le
dernier groupe, celui du XIXe, venait de passer lorsque deux parachutistes
avec leur blouson camouflé coururent vers le cortège en disant : “On y va !”
Avec leurs ceinturons, ils frappèrent de la boucle sur les derniers du cortège.
Ce fut alors une bagarre, car les spectateurs firent chorus avec les
manifestants et les provocateurs furent corrigés. Alors, d’autres accoururent
à leur secours et foncèrent dans la foule, arrachant même un drapeau
tricolore. La bagarre générale s’ensuivit. À ce moment-là, une nuée
d’agents casqués se ruèrent sur la foule pour dégager les provocateurs et les
emmener vers la gare de la Bastille10. »
Le rapport du commissaire Ferrat confirme le rôle de « protecteur » de la
police vis-à-vis de ces provocateurs : « Vers 16 h 45, je me suis rendu au
début de la rue du Faubourg-Saint-Antoine où se trouvait mon collègue
Plault. J’ai vu une dizaine de militaires (bérets rouges) en tenue, dont
plusieurs avaient été blessés (ecchymoses au visage). L’un tenait un drapeau
français et était entouré par ses camarades. Ils étaient énervés et entourés de
manifestants. J’ai dû dégager ces militaires et les faire entourer par mes
gardiens pour les protéger11. »
Plus intéressant encore est le témoignage de l’officier de paix Gaston
Thiénard, en date du 23 juillet 1953 : « Assistant ce matin M. Simon,
commissaire du XIVe arrondissement, aux alentours de l’église Saint-
Dominique où une messe était célébrée à midi pour le maréchal Pétain, j’ai
remarqué parmi les assistants un jeune homme qui se trouvait, le 14 juillet,
parmi les parachutistes ayant créé les incidents place de la Bastille. Il
exerçait ce jour-là une réelle influence sur ces derniers… En m’apercevant
ce matin, il s’est présenté à moi et m’a dit qu’il s’appelait Jacques Sidos.
Quoique n’ayant pas fait son service militaire, il m’a dit appartenir à une
amicale de parachutistes, ses deux frères servant dans cette arme en
Indochine12. »
Jacques Sidos est le fils de François Sidos, ancien haut responsable de la
milice française sous l’Occupation et fusillé à la Libération pour
collaboration active. Lui-même appartiendra dès seize ans aux Cadets du
franquisme, mouvement de jeunesse du collaborateur Marcel Bucard, qui
définissait ainsi son mouvement : « C’est du fascisme à la française, c’est-à-
dire un fascisme appliqué à notre caractère, à notre tempérament, avec des
méthodes et des moyens de chez nous. » Dès 1943, Marcel Bucard
appellera ses militants à rejoindre les Waffen SS. En 1944, Jacques Sidos
sera emprisonné pendant trois ans. En 1949, peu de temps après sa
libération, il fonde avec ses frères François et Henri le mouvement
néofasciste Jeune Nation, pétainiste et antisémite, qui va s’illustrer pendant
la guerre d’Algérie aux côtés des ultras pro-Algérie française et de l’OAS.
Jacques Sidos sera le spécialiste « coup de poing », notamment en tant que
membre de l’OAS métropolitaine. Il restera un extrémiste jusqu’à son décès
en 2009. Mais ces incidents furent vite oubliés.

L’impressionnant cortège des nationalistes algériens


du MTLD
Revenons à ce jour-là. On se trouve en présence de deux cortèges bien
distincts et les nationalistes algériens du MTLD sont très nombreux. Le
mouvement avait bien mobilisé pour ce défilé. La veille pourtant, il y avait
eu des arrestations dans le quartier Latin, dont celle du président des
étudiants algériens, ainsi que des distributions de tracts conseillant de ne
pas se rendre à la manifestation13. Mais bien avant cette date, le bruit avait
couru dans les milieux de l’immigration algérienne : « Tous à la grande
manif du 14 Juillet ! » Dans les cafés, dans les hôtels, sur les chantiers, le
MTLD mobilisait ses troupes. 50 000 exemplaires d’un tract avaient même
été imprimés à cette occasion, reprenant l’appel à la manifestation : « Le
14 Juillet, tous les démocrates commémorent la prise de la Bastille. Le
14 Juillet a une signification, celle d’un coup porté aux forces de répression
de 1789. C’est pourquoi le MTLD vous appelle à vous associer à la
manifestation démocratique de la Bastille, le mardi 14 juillet pour faire
respecter les libertés en Algérie, arracher le retour en Algérie de Messali
Hadj et la libération de tous les détenus politiques algériens et faire cesser
les poursuites contre les nationaux algériens14. »
Le MTLD reprend donc à son compte le 14 Juillet, comme une lutte pour
faire respecter les libertés en Algérie. Selon l’avocat Amar Bentoumi (qui
sera le premier ministre de la Justice algérienne en 1962), le PPA-MTLD
participait toujours aux manifestations du 1er Mai et du 14 Juillet, aussi bien
à Alger qu’à Paris. Pour lui, comme pour l’historien Daho Djerbal, ceux qui
avaient préparé cette manifestation étaient « Mohamed Boudiaf et son
adjoint Mourad Didouche, deux des futurs fondateurs du FLN. Ils n’étaient
pas les responsables officiels de la Fédération de France du MTLD – c’était
M’Hamed Yazid qui la dirigeait –, mais ils étaient bien les responsables de
l’organisation15 ».
Leur cortège s’engage vers 16 heures sur le même trajet, mais en laissant
quelques dizaines de mètres entre la fin du cortège des partis « français » et
le leur. Les membres du MTLD sont organisés en six groupes, précédés
chacun d’un numéro désignant leurs différents secteurs (Paris XVIIIe,
Nanterre, Argenteuil, etc.). Au total, ils sont entre 6 000 et 8 000, soit plus
d’un tiers de la totalité des manifestants. Ils défilent derrière un grand
portrait de leur dirigeant Messali Hadj, rangée par rangée en ordre serré,
presque militaire, et encadré par un service d’ordre repérable à ses brassards
verts. Le contraste entre le défilé populaire des Français et celui des
Algériens est frappant. Quelques drapeaux algériens apparaissent en cours
de manifestation. Ils sont très applaudis sur le parcours et scandent leurs
propres mots d’ordre : « Nous voulons des logements ! Nous voulons du
travail ! » Quand la manifestation s’élance, des milliers de voix scandent :
« À bas le colonialisme ! Nous voulons l’indépendance ! » La banderole
centrale proclame : « Peuple de France, en défendant tes libertés tu défends
les nôtres ! » D’autres pancartes dénoncent le racisme policier16. On peut
lire aussi : « À travail égal, salaire égal ! », « Prestations pour tous,
extension de la Sécurité sociale aux mêmes taux d’allocations familiales »,
« Assez de sanctions contre les détenus politiques algériens ! » Et puis :
« Libérez Messali Hadj ! Libérez Bourguiba17 ! »
Mohamed Zalegh habitait dans un bidonville de Nanterre en 1953.
Ouvrier du bâtiment, il militait au sein du PPA-MTLD : « À Nanterre, m’a-
t-il expliqué en 2012, il y avait des chefs, ils disaient : “Toi, tu ne prends
même pas un couteau.” On n’avait pas le droit. Pas d’arme. Rien. Juste, on
va défiler et demander l’indépendance pour l’Algérie. Ce jour-là, les
Français aussi défilaient, et nous, on était derrière ! Alors quand on est
arrivés sur la place, là-bas, il y avait deux gars qui portaient la photo de
Messali Hadj. Une grande photo de Messali Hadj qu’ils tenaient avec des
bouts de bois… Moi, j’étais avec le brassard du service d’ordre18. »
Mohamed Hachem, autre militant de la Fédération de France du PPA-
MTLD retrouvé en Algérie, m’a raconté, également en 2012 : « On a été à
la grande manifestation pour demander l’Algérie libre. […] On avait des
boîtes pour recueillir un peu de sous pour le parti. Un responsable m’a dit :
“Tu vas à côté des manifestants avec la boîte et tu vends la photo de
Messali que l’on accroche au revers de la veste pour ramasser de
l’argent”19. »
Ali Slimi, travaillait, lui, dans un café à Boulogne-Billancourt, pas très
loin de Renault, mais il n’était pas militant : « Le 13 juillet, il y a quelqu’un
qui est venu dans le café et il a dit : “Demain, il y a une manifestation à la
Bastille.” Alors, on est tous partis là-bas. On était quatre de Boulogne-
Billancourt et en arrivant à la Bastille, j’ai vu un gars de chez moi qui était
dans l’organisation de la manifestation. Il était très content de me voir. On
était joyeux20. »
Mohamed Toumouh, alors responsable du PPA-MTLD en Seine-et-Oise,
m’a précisé les modalités de cette mobilisation : « En 1953, on a reçu des
instructions de ne rien prendre, même pas une aiguille. C’était absolument
pacifique. […] Il y avait beaucoup de monde. Avant cette manifestation, on
défilait avec la CGT, le Parti communiste, etc. On était mélangés. Mais en
1953, le MTLD a décidé de manifester tout seul, séparé des Français. […]
Alors, dans cette manifestation, on aurait dit que c’était comme à l’armée. Il
y avait les cinq secteurs, plus les étudiants nord-africains qui étaient le
premier groupe. […] Après les étudiants, c’était le premier secteur. Il y a
douze hommes par rangée plus un bonhomme à droite et un bonhomme à
gauche avec des brassards, c’était le service d’ordre. […] Puis, après quinze
mètres, il y avait le deuxième secteur, puis le troisième et ainsi de suite. […]
Après le cinquième secteur, le mien, c’était le groupe de choc. Dans les
années 1950, 1951, 1952, le groupe de choc, c’était pour l’encadrement des
militants. Il n’y avait pas encore de slogans sur l’indépendance, C’était
d’abord : “Libérez Messali21 !” »
Du coup, le cortège des Algériens est très remarqué. Ils ne défilent pas
sur le mode tranquille de la promenade des autres manifestants. Leur
service d’ordre est très présent sur les côtés et sur le devant. La plupart des
hommes sont en costume et portent au revers de leur veste le portrait de
Messali Hadj. Il s’agit de donner une image de discipline quasi militaire qui
renvoie à des capacités d’organisation. Mais, comme le précise l’historien
Emmanuel Blanchard, « il s’agissait aussi de montrer une capacité de
riposte, puisque effectivement les observateurs qui sont des badauds
sentaient bien qu’avec ce type de cortège, il ne fallait pas s’y frotter !
D’autant plus qu’il y avait eu des affrontements récurrents avec la police,
où les Algériens n’avaient pas toujours été défaits, loin de là. Par exemple
le 1er mai 1951, quand la police avait voulu saisir le drapeau algérien au
cœur du cortège du PPA-MTLD, les affrontements avaient été très durs ;
mais c’est la police qui avait fini par reculer avec une dizaine de blessés.
Finalement, dans ces manifestations, il y avait vraiment une logique de
préparation révolutionnaire22 ».
Djanina Messali-Benkelfat, la fille de Messali Hadj, de passage à Paris en
1953, avait alors quinze ans et devait apporter des affaires à son père, placé
en résidence surveillée à Niort (Deux-Sèvres). Ayant appris qu’il y avait
cette manifestation, elle avait tenu à y participer, comme elle me l’a relaté
en 2010 : « J’ai pris le cortège en marche, j’ai voulu m’y infiltrer et on m’a
arrêtée en me disant : “Mais, Mademoiselle, vous voulez manifester avec
nous, qui êtes-vous ?” J’ai dit : “Je suis une compatriote à vous !” Mais ce
n’était pas évident au premier regard23. Alors, j’ai décliné mon nom, et là
j’ai été très bien accueillie. On m’a dit : “Vous allez vous mettre en tête du
cortège, vous allez représenter votre père à cette manifestation.” Et c’est en
avançant dans cet immense cortège, qui prenait tout le Faubourg-Saint-
Antoine, que j’ai aperçu un énorme portrait de Messali Hadj : on m’a dit de
me mettre là. Cinq ou six militants portaient sur un tréteau cet immense
portrait de 2,5 m de haut sur 1,5 m de large. Les militants du MTLD étaient
surpris de voir la sympathie de ces Parisiens qui les applaudissaient. On
défilait pour réclamer le droit de vivre libres, pour avoir les mêmes droits
que les autres salariés. J’étais surprise de voir l’organisation efficace et la
manière de se comporter de ces jeunes immigrés et, ma foi, nous avancions
très dignement.
« Je pense que c’est surtout ça qu’il faut retenir : il y avait une dignité et
une volonté de reconnaissance, d’exister dans une lutte juste… Les jeunes
étaient magnifiques. Tout le monde était cravaté, même ceux du service
d’ordre avec des brassards aux couleurs de l’Algérie, vert avec le drapeau
au milieu, le croissant et l’étoile. C’est le drapeau de l’Algérie. Il faut savoir
qu’il a une grande importance, parce que ce drapeau a été confectionné en
1935 – et c’est ma mère, Mme Messali, qui l’a confectionné, 6, rue du
Repos (Paris XXe). C’était le drapeau de l’Étoile nord-africaine puis du
PPA et du PPA-MTLD, et après le drapeau du FLN. Notre cortège devait se
disloquer place de la Nation après avoir salué la tribune d’honneur qui était
sur la droite de la place. Je revois encore Jacques Duclos et Marcel
Cachin24, avec sa moustache. À notre passage, les responsables des partis
politiques et des centrales syndicales se sont levés et nous ont salués. Tout
le monde était debout. Il s’est mis à pleuvoir très fort, mais cela n’a pas
gêné les militants25. »

La tribune officielle place de la Nation évacuée :


« On a tiré à balles réelles ! »
La Préfecture de police de Paris, jusque-là discrète sauf pour protéger les
parachutistes à la Bastille, avait prévu grand : selon Emmanuel Blanchard,
« plus de 2 200 policiers et gendarmes mobiles étaient postés place de la
Bastille et dans les rues adjacentes de la Nation. Près de huit cents hommes
étaient tenus en réserve et trois centres de rassemblement de personnes
arrêtées, soit 1 150 places, étaient prévus. La présence de douze interprètes
arabophones montre bien que les autorités avaient anticipé et que les
Algériens seraient nombreux parmi les éventuels manifestants
interpellés26 ».
Charles Palant, ancien déporté résistant, alors secrétaire général du
Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix (MRAP27), se
trouve dans la tribune officielle place de la Nation, avec une centaine de
représentants de différentes organisations. « C’était une très belle journée,
me raconte-il en 2013. Comme chaque année, la grande manifestation
populaire était un défilé à l’initiative de la CGT, du Parti communiste et ça
sentait à la fois le combat social et les vacances… Un des principaux mots
d’ordre, c’était la paix en Indochine, mais il y avait aussi les mots d’ordre
sociaux. Dans la tribune, on m’avait placé au deuxième rang – je me
rappelle, car j’étais juste derrière Marcel Cachin. Ce qui fait que je voyais
bien parce qu’il n’était pas grand : c’était un grand personnage, mais
physiquement il n’était pas grand. Donc, dans cette tribune, on bavardait les
uns avec les autres et on a vu arriver cette partie du cortège composée de
travailleurs “nord-africains”, c’est-à-dire des Algériens en grande majorité.
Et l’index levé, ils criaient : “Messali Hadj, Messali Hadj !”
« Le cortège est passé devant nous et ce “bloc”, si j’ose dire, de
travailleurs algériens avait dépassé la tribune et allait atteindre le cours de
Vincennes où avait lieu la dislocation. Tout à coup, on a entendu des coups
de feu. On ne savait pas de quoi il retournait, quand des éléments du service
d’ordre se sont précipités sur la tribune en criant : “Évacuez la tribune ! On
a tiré à balles réelles !” Ils se sont emparés des plus illustres, dont Marcel
Cachin qui était devant moi. Et, tout de suite, on nous a dit : “Il y a des
blessés et peut-être même des morts !” On pensait que c’était une
provocation policière, parce que c’étaient des policiers qui avaient tiré. Que
les policiers aient été présents pour assurer l’ordre public, c’est normal.
Mais ouvrir le feu ! Ouvrir le feu, ce n’est pas croyable28… »
2
L’affrontement

À 17 h 10, le cortège de tête des Algériens atteint l’entrée du cours de


Vincennes, limite du périmètre autorisé de circulation générale. À 17 h 45,
la place de la Nation, évacuée, a retrouvé son calme. Entre les deux, de
violents affrontements au prix lourd : sept manifestants tués par balle et plus
d’une centaine de blessés dont une quarantaine par balle. Une véritable
tuerie.
Ce qui s’est passé, on ne le sait pas avec précision, même si les
témoignages recueillis attestent de façon certaine qu’avant les affrontements
très violents entre la police et les manifestants, le feu a été ouvert sur les
manifestants algériens. C’est seulement après des mouvements de repli et
de panique que les quelque 2 000 manifestants algériens qui restent sur la
place vont s’affronter aux forces de l’ordre. La police intervertira la
chronologie des faits pour faire porter la responsabilité des morts sur les
militants algériens.

Place de la Nation : un « tir soutenu sur la foule »


Les affrontements les plus violents ont lieu entre la place de la Nation,
très vaste, les carrefours du boulevard de Charonne et du boulevard de
Picpus, et de chaque côté de l’avenue du Trône et du cours de Vincennes.
Le premier et le plus important théâtre des opérations se situe entre la place
de la Nation, le boulevard de Charonne (dans le renfoncement où se
trouvent des cars de police en stationnement), sur la gauche de l’avenue
lorsque l’on regarde vers la porte de Vincennes. À cet endroit, le
commissaire Robert Giraud commande soixante-quinze agents.
Le deuxième se situe entre la place de la Nation et le boulevard de
Picpus, sur le côté droit de la place et de l’avenue. Le commissaire André
Bondais, à la tête de quatre-vingt-dix agents, est placé là, avec le renfort des
soixante-dix hommes du commissaire Yves Martha qui stationnent à
proximité.
Le troisième se situe entre l’avenue du Bel-Air, qui donne sur le côté
droit de la place de la Nation, le carrefour du boulevard de Charonne et
l’avenue du Trône. Là, le commissaire Jean Robic, à la tête de soixante-cinq
agents, traverse la place de la Nation pour rejoindre les policiers attaqués
dans le renfoncement du carrefour du boulevard de Charonne et de l’avenue
du Trône. Tous les commissaires sont placés sous les ordres du commissaire
divisionnaire Henri Fouillard.
Selon de nombreux manifestants, l’affrontement s’est déroulé en
plusieurs temps, mais tous affirment que ce sont bien les policiers qui sont
venus charger en premier les manifestants.
André Kahane, élève de l’École nationale supérieure et futur physicien,
se trouvait à l’angle du cours de Vincennes et de la rue de Lagny. Il a vu
deux groupes d’agents sortir en même temps du boulevard de Picpus et du
boulevard de Charonne, puis se rejoindre et charger les Nord-Africains,
matraque à la main. Devant leur riposte, les policiers ont reculé, mais au
moment où les manifestants sont revenus sur la place de la Nation, il a vu
« les policiers sortir au pas de course de la rue des Grands-Champs et ouvrir
à trente mètres un tir soutenu sur la foule qui ne pouvait que se défendre
avec des bâtons des banderoles et des barrières mobiles en bois1 ». Même
explication de Mme Bachevici : « J’ai vu les policiers s’élancer matraque
levée, à travers toute l’étendue de la place, sur les Nord-Africains… Après
un moment de stupéfaction, les Nord-Africains et les autres participants au
défilé se défendirent avec les manches des banderoles et les morceaux de
bois des barrières, et mirent en fuite les policiers boulevard de Charonne.
Ceux-ci ouvrirent le feu sur les hommes. Des vitres du café ayant été
brisées par les balles, le patron a fait baisser le rideau, mais j’ai entendu de
divers côtés la fusillade encore pendant plusieurs minutes2. »
D’autres témoignages publiés dans les journaux de gauche sont aussi
accablants : « Tandis qu’une seconde averse, encore plus drue, s’abat sur la
place de la Nation, la journée vire au cauchemar. Après son passage devant
la tribune officielle, le cortège des messalistes se presse en direction de
l’avenue du Trône où un camion attend les militants pour recueillir les
drapeaux algériens et les portraits de Messali Hadj qu’ils portaient
fièrement durant le défilé. […] Les communistes du XVIIIe entonnent la
Marseillaise, au moment où surgissent des petites rues adjacentes des
policiers frappant les manifestants et s’acharnant sur le portrait de Messali
Hadj. D’abord surpris, les Algériens se replièrent puis se ressaisirent, et
c’est là que les premiers coups de feu retentirent. Alors un énorme cri
d’indignation jaillit de milliers de poitrines : “Assassins ! Assassins !” Et
aussi : “Le fascisme ne passera pas !” Les personnalités républicaines
entonnèrent d’une seule voix avec l’immense foule des Parisiens une
bouleversante Marseillaise. Des scènes atroces se produisaient. […] Quatre
femmes furent frappées dans un café, l’une d’elles était ensanglantée. […]
Une autre était sauvagement agressée par le numéro de matricule 185703. »
Et encore, dans Libération : « Au numéro 7 du boulevard de Charonne,
Mme Jacquet a trouvé un blessé au ventre et un mort le crâne éclaté par une
balle. Deux autres blessés par balle étaient montés au premier étage.
M. Guilevic, de Pierrefitte, raconte : “Je me trouvais là, lorsque j’ai vu les
agents foncer sur les Nord-Africains et leur arracher les banderoles. J’ai
reçu un coup de matraque qui m’a ouvert le cuir chevelu. M. Payssé, qui
habite 5, boulevard de Charonne, a vu le service d’ordre tirer au
pistolet”4. »
D’autres passants témoignent, comme Christiane Bonnefoy en 1956 :
« J’ai vu un Nord-Africain violemment pris à partie par un agent. Il l’a
frappé et projeté contre la colonne. Moi-même, j’ai été frappée par cet
agent. […] Devant l’entrée du boulevard de Picpus, il y avait une bagarre
entre les agents et les Nord-Africains. Je me suis arrêtée dans un café, Le
Bouquet du Trône ; c’est à ce moment-là que j’ai entendu des coups de feu.
J’ai vu les Nord-Africains sur lesquels visiblement les agents tiraient, qui
reculaient vers le café. Les tirs m’ont paru venir du boulevard de Charonne.
Dans le café, on a amené des Nord-Africains blessés. L’un d’eux l’était à la
poitrine, on a constaté qu’il était mort. Un autre était blessé à la jambe
(jambe cassée). Je me suis aperçue qu’une de mes chaussures présentait au
talon un orifice incontestablement occasionné par une balle. La balle étant
ressortie, mais je n’ai pas été blessée5. »
La vaillance des jeunes manifestants algériens, la solidarité
des citoyens français
André Sénik et Pierre Puchault, jeunes militants de l’Union de la
jeunesse républicaine de France (UJRF), organisation de jeunesse liée au
PCF, étaient place de la Nation, non loin de la colonne du Trône de droite,
lorsque l’on regarde vers la porte de Vincennes. Pour eux, la manifestation
était finie quand ils assistent à la soudaine échauffourée. « Moi, relate Pierre
Puchault, je crois bien avoir vu quand les premiers flics ont attaqué et ils
étaient peu nombreux, sur une ligne. Et après, il y a eu une riposte de la part
des Algériens, alors les policiers se sont enfuis. Ce que j’ai vu ensuite, c’est
la bataille entre eux : les Algériens incendient un car de police ou deux, je
ne sais plus ; et, à ce moment-là, une vague de flics est arrivée. Et là, ils ont
commencé à tirer, froidement. Nous, on s’est vite réfugiés dans un caféa et
on s’est mis à plat ventre, parce que ça tirait beaucoup ! J’ai vu deux choses
dont je me souviens très bien : un jeune Algérien qui avait reçu une balle
dans le cou et qui pissait le sang, ça m’avait vraiment impressionné ; et puis
aussi ce qui s’appelait un “petit vieux” à l’époque, un Français
apparemment, qui avait reçu une balle et le sang coulait en jets, par
saccades. Je sais maintenant qu’il avait eu une blessure artérielle6. »
« Ce dont je me souviens, précise André Sénik, quinze ans à l’époque,
c’est que les Algériens se sont réfugiés dans le café et qu’ils étaient
complètement désarmés. À ma grande stupéfaction, ces jeunes parfaitement
désarmés ont pris des chaises, des tables et sont repartis à l’assaut de la
police, ce qui me paraissait une surévaluation de leur force, mais en même
temps une preuve de courage assez impressionnante, surtout lorsque l’on a
quinze ans… Dans mon souvenir, j’ai fait quelques pas avec eux en voyant
les flics s’en aller et je trouvais cela absolument jouissif de voir des
manifestants faire reculer les flics. Jusqu’au moment où j’ai vu un flic
dégainer et tirer. Et là, reflux massif. Nous, on s’abrite dans le café. Mais
ensuite, j’ai vu ces jeunes Algériens repartir alors qu’ils savaient que les
flics tiraient… Oui, c’était un peu la guerre qui recommençait. Dans le café,
tout le monde était terrorisé. On était à plat ventre et on était partagés entre
la terreur et l’indignation. Dans mon souvenir, il y avait aussi un flic blessé
dans le café qui saignait et qui était protégé. Personne ne l’a lapidé7. »
Cette vaillance des manifestants algériens est confirmée par de nombreux
témoignages, notamment celui de Khelifa Mouterfi, qui se trouvait dans le
cortège du MTLD : « Lorsqu’on est arrivés place de la Nation, des militants
algériens portaient le drapeau. Ce drapeau, je ne me souviens pas l’avoir vu
au départ, place de la Bastille. Donc en arrivant, la police s’est
immédiatement jetée sur les porteurs de drapeaux. Il y a eu résistance,
échauffourées. Je me souviens fort bien avoir vu un des manifestants
frapper avec une planche un agent de police à la tête… À ce moment-là, on
recevait des coups de matraque, on n’avait pas encore entendu tirer. Il a
donc frappé l’agent de police à la tête, juste à côté de l’œil gauche qui s’est
mis à pisser le sang ; et il est tombé par terre. Avec sa planche, il a continué
à le frapper à terre et là, je l’ai arrêté en lui disant : “Il est par terre, tu ne
vas pas le tuer ? À quoi ça t’avance de le tuer, hein ? Il est par terre, laisse-
le !” Et on est partis comme cela… Je me souviens que, vers la fin de la
journée, lorsque l’on s’est rendu compte que ce n’étaient pas des tirs à blanc
ou des tirs en l’air, je m’étais pris à regretter de ne pas l’avoir laissé tuer.
Mais le lendemain, je me suis dit : “Non, c’est idiot. À quoi ça sert de tuer
quelqu’un comme cela ?” Peut-être que si je l’avais su sur le coup, je
l’aurais laissé faire, mais cela aurait été idiot. Après, je me souviens que
l’on s’est dispersés. C’était la débandade8. »
Ibrahim Jaffer, dit Si Saadi, alors militant du PPA-MTLD, raconte : « La
police nous tirait dessus et nous, on entrait dans des cafés, on prenait des
bouteilles et on les leur balançait à notre tour. Alors ils ont tiré et il y a eu
des blessés et des morts… Bien sûr que j’ai pris des bouteilles dans le café.
On était jeunes à l’époque. On était dynamiques9. »
« Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui, m’a raconté en 2012 à
Alger Ali Slimi, sympathisant du MTLD en 1953. Il y avait de la pluie,
parce que je n’avais qu’une chemise et que j’étais tout mouillé ; j’ai aussi
perdu mes chaussures dans la bagarre. Donc la police est venue pour nous
enlever les banderoles et les drapeaux, alors nous, qu’est-ce qu’on a fait, on
s’est défendus ! Dans les cafés, il y avait des bouteilles. On les a prises et
jetées sur les policiers. Moi, je vous le dis et ce n’est pas pour me vanter,
j’ai eu de la chance de ne pas être tué, parce qu’un policier, sa casquette est
tombée et je l’ai mise sur ma tête ; heureusement que d’anciens militants
ont jeté la casquette et m’ont expliqué que je risquais d’être tué10. »
Cette volonté de riposte m’a été confirmée par l’historien Emmanuel
Blanchard : « Il faut le rappeler, parce qu’on a souvent tendance à décrire
les militants algériens d’avant la guerre d’Algérie comme pacifiques. Non,
ce jour-là, ce ne sont pas seulement des militants qui replient leurs
banderoles, rentrent tranquillement dans les bouches du métro et sont
agressés par la police. Là, il se passe aussi quelque chose de complètement
différent : ils évacuent une partie de leurs morts et de leurs blessés et ils
continuent de s’affronter à la police. Les affrontements sont très durs, deux
voitures de la police sont incendiées, plusieurs policiers sont blessés dont
une dizaine assez gravement, ce qui montre bien qu’il y a eu des
affrontements violents. »
De fait, la réponse des policiers ne s’est pas fait attendre et on peut parler
d’un massacre délibéré, comme me l’a notamment relaté en 2013 Marc
Fraisse, jeune militant CGT soixante ans plus tôt : « Alors j’ai entendu – et
cela m’est resté dans la mémoire – un coup de sifflet : c’étaient les gardiens
de la paix qui sont descendus des cars. On commençait à entendre les coups
de feu et, après, les gens se sauvaient dans tous les sens. Il y avait une rue
qui partait de la place de la Nation sur la gauche. Et là, j’ai vu un gardien de
la paix tirer. Je revois encore dans ma mémoire le lieu, il a tiré trois coups
sur une personne… Le premier coup, le gars était à quinze-vingt mètres, il
est tombé sur les genoux. Il a tiré un deuxième coup, tranquillement, le
malheureux est tombé sur les poings à quatre pattes. Et le troisième coup de
feu, le gars s’est allongé… Pour moi, il était mort. Après, j’ai vu des gens
courir, mais moi aussi, je suis parti. […] Je voudrais ajouter que le gardien
de la paix n’était pas en légitime défense : […] il n’a pas été provoqué,
puisque c’était quelqu’un qui partait. […] Je ne sais pas, mais tuer
quelqu’un en tirant dans le dos, cela pose problème quand même ! Quand
on voit le résultat des morts, c’est la population algérienne qui était visée.
Donc ils ont tiré dans le tas de cette population pour faire des morts au
hasard, sans procès, sans jugement. […] Bon, il n’y aurait eu qu’un seul
gardien qui aurait tiré comme cela, énervé, un peu facho sur les bords, c’est
possible… Mais là, non ! Sur quarante blessés par balle, sept morts. Pour
moi, il y a une responsabilité gouvernementale, parce qu’à l’époque
l’Algérie était française. Les Algériens étaient français. Donc un
gouvernement qui tire sur son peuple, cela rentre dans le cadre des crimes
contre l’humanité. Il n’y a pas de prescription théoriquement11. »
Jean Laurans, jeune militant de l’UJRF, raconte à son tour : « Donc, nous
sommes en train de collecter. La manifestation se termine lorsque surgit un
cortège impressionnant d’Algériens avec des pancartes contre le
colonialisme en Algérie et un drapeau. Et d’un seul coup on a vu des gens
courir, on a vu des policiers arriver, arracher brutalement les pancartes et
commencer à taper sur les Algériens avec des matraques. Évidemment, ils
ne se sont pas laissé faire. Déjà, des gens étaient tombés. Le sang coulait sur
certains manifestants. Moi, j’étais à cinquante mètres des policiers, juste
derrière les colonnes du Trône, côté gauche de la place (boulevard de
Charonne). Et c’est là que j’ai vu un monsieur que je ne connaissais pas qui
a levé les bras en disant : “Halte au feu !” Il s’interposait entre la
manifestation et les policiers, levant les bras et criant : “Cessez le feu.
Arrêtez ! Stoppez !” Malheureusement, les policiers n’en ont pas tenu
compte et ils ont tiré. Ce monsieur, je le saurai plus tard, s’appelait Maurice
Lurot, membre de la CGT de la métallurgie…
« Et c’est en voulant ramasser un ami algérien qui était à terre que j’ai
ressenti une douleur dans le mollet gauche. J’étais en train d’emmener ce
jeune Algérien au-delà de la manifestation et j’ai su que j’étais blessé.
C’était une douleur violente avec une odeur de sang et de chair brûlée, je
m’en souviens encore. J’ai été obligé de laisser à terre le compagnon qui
était blessé pour partir sur une jambe, puisque je n’avais que cette solution
pour ne pas être à nouveau blessé ou tué par les balles qui venaient de tous
les côtés… C’est vrai, il pleuvait, mais entre les coups de tonnerre et les
coups de feu, tout était mélangé… Ensuite, on nous a emmenés dans une
camionnette bâchée à l’hôpital Saint-Louis. Dans la camionnette, se
trouvaient plusieurs Algériens agonisants. Moi, je saignais un peu, mais pas
de manière profonde car la grande chance que j’ai eue, c’est que la balle n’a
touché aucun organe essentiel dans ma jambe : elle a traversé le mollet,
mais le tibia n’a pas été touché12. »
Mohamed Benyacine, vingt ans en 1953, défilait quant à lui avec ses
compatriotes : « Les communistes sont arrivés les premiers à la Nation et
nous, on était derrière, m’a-t-il raconté en 2012 en Algérie. Alors les
policiers ont commencé à bousculer les gens, à enlever les pancartes et c’est
là qu’a commencé la bagarre. Et il pleuvait, pleuvait, pleuvait… Ils ont
commencé à tirer, […] mais les gens pensaient que c’était la pluie. J’ai vu
les policiers taper sur une femme et moi je voulais la défendre, mais il y en
a un qui m’a filé un coup sur la tempe droite. J’étais sonné… Ensuite, deux
personnes m’ont soutenu et m’ont emmené à l’hôpital13. »
Sympathisant nationaliste, Lalhou Tala-Ighil était arrivé en France en
juillet 1950 et travaillait chez Renault : « Je ne sais pas comment, mais j’ai
été blessé, m’a-t-il relaté près de soixante ans plus tard. Gravement blessé.
J’ai reçu une balle dans la cuisse droite. Place de la Nation, les policiers me
sont tombés dessus, à coups de pied et de matraque. Avant de sombrer dans
le coma, j’ai entendu le brigadier de police dire : “Attention de ne pas le
tuer !” Mais d’autres m’ont tapé sur les jambes, sur les pieds, la tête et les
épaules. Et on m’a mis dans l’ambulance jusqu’à l’hôpital Saint-Louis. Je
ne sais même pas combien de jours je suis resté à l’hôpital14. »
Chérif Darkrim, simple sympathisant à cette époque, m’a raconté en
2012 : « Un jour, on m’a dit : “Il y a une manifestation à Paris, il faut y
aller”, et on a suivi. Alors, on a vu la police arriver. Ils ont sorti les
revolvers et tiré sur nous, directement. Nous, on cherchait des cailloux pour
frapper la police, mais la rue était goudronnée, il n’y avait pas de cailloux.
[…] Et moi je ne savais même pas que j’étais blessé. Un Français est venu :
il m’a pris par le bras et m’a amené à la pharmacie pour me soigner, parce
que j’avais du sang sur le visage. Le pharmacien m’a regardé, m’a touché.
Et il m’a dit : “Vous avez de la chance, la balle est sortie…” Elle a
seulement déchiré l’oreille. […] J’ai eu de la chance : à un millimètre sur la
gauche, je serais mort. […] Je ne sais même pas comment on m’a amené à
l’hôpital, si c’est les Algériens ou les Français, je sais seulement que mon
costume était couvert de sang. […] Et je suis resté trois jours là-bas15. »

« Les escaliers du métro étaient ensanglantés »


Le 14 juillet 1953, Abdelhamid Mokrani, militant nationaliste à Saint-
Denis, est violemment matraqué. Il se retrouve à l’hôpital Saint-Antoine en
compagnie d’un jeune étudiant iranien, Kazem Vadiei, qui n’avait rien à
voir avec cette manifestation. J’ai retrouvé leurs traces et ils se sont
rencontrés, soixante ans plus tard, dans les jardins de la grande mosquée de
Paris. « Ce 14 juillet, m’a raconté Kazem Vadiei, j’avais rendez-vous avec
un ami place de la Nation, près de la bouche du métro. J’étais étudiant à
l’Institut géographique à la Sorbonne, et j’ignorais ce qui allait se passer.
J’ai vu cette manifestation gigantesque, ce défilé des Algériens et je me suis
dit : “Quelle force !” Et tout à coup la police est arrivée. Moi je pensais
partir en marchant tranquillement, mais j’ai eu peur. […] Le brasseur du
café m’a dit : “Allez dans l’immeuble !”
— Quand cela a commencé à tirer, rebondit Abdelhamid Mokrani, nous,
on a voulu se disperser. Moi je suis allé jusqu’au métro et on m’a dit :
“Non, non ! Faut pas y aller !” Il y avait du monde qui se sauvait là. Alors,
je suis reparti, vers la grande avenue. Et juste à côté d’un café [du 2, avenue
du Trône], quelqu’un m’a dit : “Monte, monte, sinon tu seras tué !” Alors
on a pris l’escalier. Tu nous as sûrement vu rentrer dans cet immeuble et tu
nous as suivis. […] On était trois. Seulement les policiers nous ont vus et ils
nous ont poursuivis dans les escaliers, jusqu’au sixième étage. […] Nous,
on tapait dans les portes des appartements. Personne ne nous ouvrait.
— Oui, il y a une femme qui m’a empêché de rentrer chez elle au
troisième ou quatrième étage ! On a frappé aux portes des appartements.
Mais les gens refusaient. […] D’ailleurs, les policiers étaient plus rapides
que nous. Ils sont arrivés et ils ont commencé sans poser de questions à
nous taper. Moi à un moment donné, j’ai crié : “Je ne suis pas algérien, je
suis iranien.” Eux, ils disaient : “Allez-y, allez-y, faites comme les autres !”
— Les policiers étaient nombreux. En redescendant, à chaque étage ils
me frappaient à la tête. Finalement ce qui m’a sauvé, c’est mes mains. Je
me souviens, un policier qui disait : “Vas-y, vas-y, c’est un bicot, vas-y, vas-
y, vas-y…” En arrivant en bas, on nous a jetés dans le panier à salade. Je ne
me rappelle plus, je me suis réveillé à l’hôpital avec huit ou dix points de
suture. Je pense que s’il n’y avait pas eu ma main, cela aurait été fini16. »
Si la violence de la police parisienne vise avant tout les Algériens, elle a
une nette tendance à se généraliser. Ainsi, Bernard Lapierre, hospitalisé à
l’hôpital Saint-Antoine, a-t-il déclaré : « En sortant vers 17 h 30 de chez un
copain, rue du Faubourg-Saint-Antoine, j’ai été refoulé vers le hall d’un
cinéma. À ce moment-là, un des gardiens m’a saisi par l’épaule et, sans
aucune raison, m’a assené un coup de bâton blanc sur la tête17. »
Pour Joseph Zlotnik, c’est beaucoup plus dramatique. Menuisier ébéniste,
âgé de vingt-quatre ans à l’époque, il a un appareil photo et fait
bénévolement de petits reportages pour l’Humanité et pour le journal de
l’UJRF, L’Avant-Garde. Ce jour-là, il prend des photos sur le côté droit de
la place (avenue du Bel-Air) et il entend des coups de feu de l’autre côté de
la place (côté boulevard de Charonne). « Il y avait beaucoup de gens qui
couraient, qui avaient peur, raconte-t-il. Alors, je suis monté sur un
réverbère pour prendre des photos, pour être moins gêné. Un brigadier-chef
est venu vers moi et m’a demandé de descendre. […] Comme je le
photographiais pendant qu’il me parlait, il a sorti son revolver et il m’a tiré
deux balles dans le bas-ventre. Comme ça. C’est-à-dire que lui me visait, et
moi je le visais aussi. Moi avec mon appareil de photo, lui avec un revolver.
[…] Alors, bien sûr, je suis descendu de force et il a fait appel aux flics pour
aller me chercher. Et là, des amis qui m’avaient vu se sont approchés de
moi et m’ont traîné jusqu’à une porte cochère qui se trouvait place de la
Nation. Et ils m’ont caché dans la cour de la porte cochère, parce que les
flics me cherchaient. Le sang coulait dans mon pantalon, on m’a emmené
jusqu’à l’hôpital Lariboisière18. »
Très rapidement, les secours s’organisent. Djanina Messali-Benkelfat en
est témoin. Elle a vu les policiers foncer dans un premier temps sur le
portrait de son père Messali Hadj à coups de matraque, avant d’être
repoussés par le service d’ordre du MTLD, et d’autres policiers déboucher
par une petite rue sur la droite de la place (l’avenue du Bel-Air ?) : « Ils
nous ont carrément tiré dessus sans nous demander de nous arrêter. Moi, je
me suis mise à sauter pour éviter les rafales, car on avait vu qu’il y avait
mort d’hommes. Et puis il y avait beaucoup de blessés. Nous les avons
portés, parce que le feu continuait, et nous les avons descendus dans le
métro. Nous avons sorti nos mouchoirs et nous avons fait des garrots parce
qu’ils saignaient abondamment dans les jambes. Il y avait des artères
fémorales ouvertes, les escaliers du métro étaient ensanglantés19. »
Roland Blotnik, jeune médecin, militant du PCF dans le IVe
arrondissement de Paris, venait tout juste de s’acheter une 2 CV Citroën :
« Les camarades m’ont dit qu’il fallait accrocher sur ma voiture la
banderole de la section du IVe du PCF et qu’ils défileraient derrière. Nous,
le PCF de Paris, étions derrière les Algériens en fin de cortège. C’est juste
quand nous sommes arrivés sur la place de la Nation que nous avons
entendu des tirs : “Tac ! Tac ! Tac !” Nous sommes arrivés à ce moment-là
devant la tribune officielle, et j’ai vu les gens de la tribune descendre
précipitamment. J’ai reconnu Jacques Duclos et Marcel Cachin. Ce n’est
pas eux qui étaient visés par les tirs de la police, c’était le défilé des
Algériens. Toute la place était jonchée d’hommes qui étaient par terre. Il y
avait les tués et les blessés. Alors, des camarades m’ont dit : “Il y en a un là,
il est touché, il faut l’emmener dans la voiture.” Ils sont venus à deux ou
trois avec moi. Il n’était pas mort, mais il saignait beaucoup, On aurait dû
dire : “À l’hôpital Saint-Antoine”, car ce n’était pas très loin, mais ils ont
dit : “À la clinique des Bleuets !” Mais elle n’était pas faite pour cela et
comme c’était un 14 Juillet, il n’y avait qu’un service de garde. Un médecin
a vu le blessé, mais je crois qu’il l’a expédié à l’hôpital. Voilà, pour moi
c’était fini… Cet épisode-là, c’était en quelque sorte le début de la guerre
d’Algérie20. »

La version du massacre donnée par les policiers


Le discours des policiers est bien différent de celui des manifestants. En
quasi-totalité, leurs témoignages affirment que les Algériens voulaient
poursuivre la manifestation sur le cours de Vincennes et ont violemment
agressé les forces de l’ordre.
Le soir même, un rapport est envoyé au préfet : « Le commissaire
Bondais a vu un groupe de Nord-Africains poursuivre en direction du cours
de Vincennes (bien au-delà du point imparti comme limite extrême). Il s’est
avancé seul pour indiquer aux manifestants de ne pas poursuivre. […] Le
cortège reflua encore sur une longueur de cinquante mètres, les gardiens
avançant lentement derrière les manifestants. Mais deux minutes ne
s’étaient pas écoulées, au moment même où une pluie se mettait à tomber.
M. Bondais entendit soudain des bris de vitres. Au même instant, une
quantité impressionnante de projectiles divers s’abattit dans la direction des
effectifs de police, lancés des arrières des groupes qui comprenaient à ce
moment-là plusieurs milliers de Nord-Africains. En même temps, ces
derniers se ruaient sur les gardiens de la paix, inférieurs en nombre (une
centaine d’hommes). M. Bondais donna aussitôt l’ordre de se replier, mais
ne put éviter un affrontement général devant la fureur et l’acharnement
croissants des Nord-Africains. Armés de bouteilles, de barres de fer, de
morceaux de bois et de couteaux, les Nord-Africains frappèrent sans relâche
les gardiens auxquels s’étaient joints les effectifs du commissaire Giraud
venus en renfort. La préméditation est donc certaine, car malgré l’injonction
du commissaire Bondais, les Nord-Africains persistèrent à continuer leur
cortège au-delà de la limite qui leur était impartie. Le fait même qu’ils se
ruèrent sur un faible effectif disposé en un simple rang et constituant un
barrage symbolique, indique bien encore cette volonté systématique du
recours à la violence21. »
Les policiers vont insister sur la violence des manifestants et les cars de
police brûlés, affirmant que les Algériens leur ont tiré dessus : « Des
éléments de la police se trouvaient en difficulté et se repliaient dans le
boulevard de Charonne sous une pluie de grosses pierres, de cailloux et de
lattes en bois. Un car de police P45 et une voiture Prairie Renault,
stationnés devant les no 1 et no 3 du boulevard de Charonne, étaient en
flammes. Nos effectifs, débordés, se sont repliés un peu plus loin dans le
boulevard de Charonne. À ce moment-là, un autre groupe de manifestants
débouchait d’une rue située plus haut et se dirigeait vers nous, de sorte que
tout l’effectif était pris entre deux groupes d’une extrême violence… Je
précise qu’au moment où je réussissais à rejoindre mes collègues au début
de l’affaire, sous une pluie de projectiles, j’ai nettement perçu, derrière moi,
donc des rangs des manifestants, plusieurs coups de feu. J’ai d’ailleurs
appris qu’un gardien avait été blessé par balle. J’ajoute qu’au cours de nos
mouvements de repli, j’ai entendu de nouveau plusieurs coups de feu, dont
plusieurs provenaient certainement des rangs des Nord-Africains. Plusieurs
gradés et gardiens parmi ceux que je commandais ont été blessés. […] Pour
conclure, j’indique que cette manifestation a dépassé le caractère d’une
manifestation ordinaire, les Nord-Africains ayant procédé nettement à
l’attaque de nos effectifs par tous les moyens à leur disposition22. »
L’historien Emmanuel Blanchard, qui a étudié les rapports de police sur
la manifestation, précise : « Les renforts arrivèrent d’abord principalement
du boulevard de Charonne (commissaire Martha) et de l’avenue du Bel-Air
(commissaire Robic). Ils prirent donc les manifestants à revers dans une
manœuvre dont on peut imaginer la violence. Ceux du commissaire Robic
réussirent à traverser une place de la Nation jonchée de débris et de corps
de manifestants tués ou blessés. Un gardien fut cependant frappé d’un coup
de couteau, mais si cette arme avait été aussi massivement employée que le
suggèrent certains rapports, le bilan aurait été tout autre. De même, le
gardien blessé par un éclat de balle à la cuisse gauche a sans doute été
victime du ricochet d’un projectile tiré par un de ses collègues, car cette
version fut vite abandonnée23. »
Soixante ans après, j’ai pu recueillir non sans mal les témoignages de
deux policiers en première ligne lors de cet affrontement. Grâce à leurs
récits très précis, j’ai mieux compris ce qui s’était joué ce jour-là. Leurs
témoignages, à l’opposé du discours développé par la hiérarchie policière
en 1953, n’auraient pas pu paraître publiquement, malgré la vision glaçante
de Robert Rodier, qui m’a expliqué « avoir fait son travail »… Cet homme,
entré dans la police en 1950, vingt-sept ans à l’époque des faits, était
malade et invalide quand je l’ai l’interviewé en octobre 2013. Âgé de
quatre-vingt-sept ans, il ne pouvait plus se lever. Je l’ai rencontré allongé
dans un fauteuil-lit installé dans sa cuisine. Il lisait, ironie de l’histoire, un
livre sur Les Secrets de la police, sous-titré : « Quatre siècles d’histoire de
crimes et de faits divers dans les archives de la Préfecture de police. »
« Quand il y avait une manifestation ou un truc officiel, m’a-t-il expliqué,
on prenait quelques gars dans chaque arrondissement pour former une sorte
de réserve. Ce jour-là, on est partis directement à la Nation. On est arrivés
dans deux grands cars. On n’était pas nombreux […]. Quand les
manifestants sont arrivés sur le cours de Vincennes, on nous a fait
descendre pour faire un barrage et éviter qu’ils n’aillent jusqu’à la porte de
Vincennes… Il y avait un flicard tous les trois mètres à peu près. Vous
pensez bien, quand cette masse humaine est arrivée, cela a fait un
carnage… Eh bien, il y a eu des collègues blessés. Il y avait un brigadier, je
crois qu’il s’appelait Meneau, il avait un couteau entre les deux
omoplates24… »
Précision : d’après les archives de la police, le brigadier Maurice Meneau
a été hospitalisé pour une fracture du crâne et non pour un coup de couteau
dans le dos. En revanche, l’agent André Sallès a déclaré à plusieurs reprises
avoir reçu un coup de couteau dans le dos25. Sauf que les notes de la
Maison de santé des gardiens de la paix (située dans le
XIIIe arrondissement) indiquent : « Plaie pénétrante par un coup de couteau
dans la région paravertébrale sans signe de lésion. Cicatrice
satisfaisante26. » Et le gardien n’a même pas été hospitalisé.
« Alors, les manifestants, reprend Robert Rodier, quand on leur a dit de
faire demi-tour, ils ont pris les barres et ils ont commencé à nous frapper.
[…] J’ai été blessé. J’ai pris ces fameuses barres sur le casque et sur les
épaules, mais je n’en ai pas pris sur le corps. Il y avait des gars qui allaient
aux terrasses des cafés prendre les bouteilles d’eau de seltz et ils nous
balançaient ça. Cela explosait comme des bombes ces trucs-là. […] On
n’était pas assez nombreux pour les arrêter. Il y avait des fractures du crâne,
une ou deux à ma connaissance. […] Il y a eu un truc qui s’est passé : il a
fait un orage, il est tombé une averse ; et un chef est tombé, à l’horizontale,
le nez dans le ruisseau, et [aussi] un brigadier, celui qui avait le couteau
entre les omoplates ; ils étaient restés [sur place]. Et nous, on allait repartir
dans les cars. Mais quelqu’un a dit : “Attention ! Vous laissez deux gars là-
haut !” Alors on a fait demi-tour et on est repartis pour aller les ramener.
Alors là, inutile de vous dire, ils étaient tous autour. […] Il y avait légitime
défense, parce qu’ils étaient tous en train de nous taper à coups de barre ! Je
voyais les collègues qui tenaient leurs pétards à l’horizontale. Ce n’étaient
pas des coups de feu en l’air pour faire peur. […] C’étaient des coups de
pétard avec le revolver à l’horizontale. Et les gars arrivaient, le premier
rang tombait, et ça revenait derrière.
« Les caniveaux coulaient de flotte et de sang. Ils étaient rouges. Les
caniveaux étaient rouges, ouais ! Ça, je m’en souviendrai toujours. Et ça
tirait ! Deux cent dix douilles sur le terrain. Cela devait faire du bruit. […]
Avec ces pétards, attention – on nous les a changés après –, on trouait un
mec de part en part. On pouvait même blesser une deuxième personne.
C’étaient des “Ruby”. Je m’en souviendrai toujours de ces fameux pétards.
[…] Et j’ai vu des Algériens troués et tombés, il y en avait d’autres qui
arrivaient. […] Ils étaient un paquet, un troupeau ! Et ça dégageait tout
autour de moi. […] Moi aussi, j’ai tiré, mais ça, je ne le disais pas. […]
L’affrontement n’a pas duré dix minutes. Ils sont arrivés : pan, pan, pan,
pan, pan, pan ! On a recherché les deux blessés et ils sont partis dans une
voiture légère. Et puis après, nous, on a remballé. […] Non, personne n’a
donné l’ordre de tirer, mais quand on était dans les cars et que l’on
attendait, le chef – on l’appelait Mickey – nous répétait toujours les
objectifs de la mission : la protection, etc. Dans ces cas-là, il y avait
toujours un gars qui disait : “C’est à quel moment que l’on tire ?” Le pauvre
Mickey, on a failli le rendre fou avec ça27 ! » Ce témoignage tardif de
Robert Rodier diffère de l’ensemble de ceux des policiers de l’époque sur
un point essentiel : il affirme que ses collègues et lui-même ont tiré « à
l’horizontale », alors qu’en 1953, seuls quelques rares gardiens de la paix
affirmaient avoir tiré en l’air (voir infra, chapitre 10).
Le témoignage que j’ai pu recueillir d’un autre policier présent sur les
lieux est encore plus précis. Lorsque j’ai rencontré André Brandého, quatre-
vingt-six ans, dans un petit village de Saône-et-Loire en novembre 2013, il
était lui aussi invalide et ne pouvait plus se déplacer. Mais son souvenir
était intact. Il s’était engagé en 1944, à la Libération, comme FFI (Français
des forces de l’intérieur) au sein de la 2e DB du général Leclerc, puis il était
entré dans la police en 1951, parce qu’il n’avait pas de travail.
« En 1953, m’a-t-il expliqué, j’étais dans une compagnie de réserve. [Le
14 juillet], on est partis avec les deux gros cars qu’on avait. Moi je jouais au
tarot avec les copains. Et puis d’un seul coup, coup de sifflet : “Tout le
monde en bas, les casques !” “Ça y est, je me suis dit, on va au casse-pipe.”
Alors, on est montés en ligne, mais contre la masse qui était en face, qu’est-
ce que vous vouliez que l’on fasse ? Le commissaire a gueulé : “Chargez !”
Et nous, on y a été avec nos petits bâtons pendant que lui se carapatait, soi-
disant pour aller chercher du renfort ! Alors, quand on les a chargés, eux, ils
criaient : “Messali Hadj ! Messali Hadj !” Et ils se sont emparés des barres
en fer utilisées pour les marchés. Le gars qui prenait ça dans les reins, il
était bon pour l’hôpital. […] Les premiers flics sont tombés. Après, ils ont
tapé sur les flics qui étaient par terre. C’est là que quelqu’un a dû sortir son
pétard. Je ne sais pas qui c’est… C’est pour se dégager qu’il a tiré. […]
Mais, ce n’était pas à armes égales. Je suis sûr que les Arabes n’avaient pas
d’armes. Après, il y en a qui tombaient à gauche et à droite, comme à la
Saint-Barthélemy. Moi, j’avais mon collègue par terre, Phallus. Je l’ai
ramassé à temps. L’Arabe, il était à cheval dessus et il voulait lui enlever
son pistolet de l’étui, alors, pour le dégager, j’ai utilisé mon bâton blanc et
je l’ai cassé sur la tête d’un Algérien. Il avait la peau dure, le gars. […]
Moi, j’ai tiré en l’air pour me dégager, mais des coups de feu, il y en a eu au
moins trente ou quarante, comme au western. Vous savez, comme dans un
western, comme avec une diligence. […] Je revois encore ces grands cars
de police, et les gars dedans avec les pistolets, ça fumait. Ils sont montés
dans le car, cela servait de bouclier. […] Cela tirait dans tous les sens.
J’étais à côté de René Piola, lui, il en a donné une patate. […] La bagarre a
duré une demi-heure avant que cela se calme. […] Une anecdote : à un
moment, il y avait un flic qui visait un Arabe en face avec son pistolet.
L’Algérien a ouvert sa braguette et il a montré sa quéquette pour lui dire :
“Tiens, je t’emmerde !” Et l’autre, il a tiré, il l’a culbuté… Il l’a culbuté,
cela n’a pas fait de pli28. »
Ce deuxième témoignage très factuel atteste en tout cas clairement que
les militants nationalistes n’avaient pas d’armes. Et il confirme que ce sont
bien les policiers qui sont « montés en ligne » et qui ont « chargé » les
manifestants. Deux informations capitales pour mieux comprendre le
déroulement de ce drame.
Cette sombre journée parisienne du 14 juillet 1953 s’est terminée par
l’attaque du siège national du Parti communiste, rue de Châteaudun, par des
parachutistes – peut-être les mêmes qu’à la Bastille dans l’après-midi ?
Selon le quotidien L’Aurore : « Vers 22 h 30, [des] parachutistes se saisirent
de pavés et de blocs de ciment, trouvés sur un chantier de voirie, et
commencèrent à bombarder les communistes au carrefour Châteaudun,
brisant les carreaux de la porte d’entrée. » Et le journal de préciser :
« Retranchés dans leur forteresse, les communistes jetèrent depuis le balcon
du premier étage des bouteilles d’eau qui s’écrasèrent sur la chaussée, sans
faire heureusement de blessés29. »

Note du chapitre 2

a. Probablement le Café Moderne, situé au 2, avenue du Trône.


3
L’élément déclencheur

Une fois établies les principales circonstances des affrontements et de la


tuerie ce jour-là, reste à savoir quel a été leur élément déclencheur. Pour
certains manifestants, c’était la présence du drapeau algérien ou du portrait
de Messali Hadj, dirigeant du MTLD, insupportables aux yeux de la
hiérarchie policière parce qu’ils représentaient la lutte pour l’indépendance.

Le drapeau algérien ou l’agressivité des policiers ?


Saïd Gater a milité très jeune au PPA. En 1953 en France, il est
responsable d’une cellule dans la banlieue parisienne, et participe
naturellement au défilé du 14 Juillet : « Notre groupe est arrivé avec le
drapeau algérien. Le type qui portait ce drapeau était un militaire qui
revenait d’Indochine. Il s’appelait Mohamed Bartaoui. Il est de Tlemcen.
[…] Le malheur, c’est que les policiers ont enlevé le drapeau1. »
Ibrahim Jaffer parle d’une autre personne : « Alors dans la manifestation
du 14 juillet 1953, il y avait quelqu’un qui s’appelait Si Aloua, grand
militant du MTLD, et c’est toujours à celui-là que l’on donnait le drapeau,
parce qu’il était de grande taille. Et la police a voulu qu’on lui enlève le
drapeau. C’est pour cela qu’il y a eu la bagarre avec la police2. » Saïd Illoul
pense quant à lui qu’il s’agit de son frère, Mouhoub Illoul : « Peu de gens le
savent, mais mon frère est mort à Paris en 1953. Il a pris le drapeau en
pleine place de la Nation à Paris3. »
Sahnoun Boubekeur, ancien dirigeant des scouts musulmans d’Algérie
(SMA) d’Aïn Sefra (localité située dans le sud-ouest de l’Algérie) qui avait
vingt-quatre ans en 1953, penche plutôt pour son ami d’enfance : « Je sais
que le martyr Larbi Daoui était en tête de la manifestation en hissant le
drapeau algérien. D’après les dires, je pense qu’il a été tué parce qu’il a
hissé le drapeau algérien4. » Enfin, Ali Madjène, fils de Tahar Madjène, une
des victimes, s’interroge : « D’après ce qu’on m’a raconté, mon père portait
un drapeau et était à la tête de la manifestation5. »
Sur cinq porteurs de drapeau, il y aurait donc eu trois victimes. Cela fait
beaucoup ! Il semble qu’on soit là plus dans l’ordre du symbole que de la
réalité. Pour autant, cette idée renvoie bien à la circulaire officielle de la
Préfecture de police de Paris du 11 juillet 1953, qui justifiait la fermeté
attendue en cas de débordement : « Aucune banderole ou pancarte dont
l’inscription (en langue française ou étrangère) aurait un caractère injurieux
tant à l’égard du gouvernement ou de ses représentants que d’un
gouvernement étranger ou de ses représentants ne pourra être portée par les
manifestants. Aucun cri ou aucun chant séditieux ne devront être
prononcés6. »
L’historien Emmanuel Blanchard reste toutefois réservé sur cette
argumentation : « C’est vrai que des drapeaux ont été arborés, m’a-t-il
expliqué, tout comme le portrait de Messali Hadj, ce qui pouvait justifier
que les policiers soient intervenus. Et là, on peut penser au 8 mai 1945 à
Sétif. Cela dit, les manifestants algériens du PPA-MTLD en France avaient
l’habitude de sortir le drapeau. Et jusque-là, on ne leur tirait pas dessus, au
moins à Paris7 ! » Il penche donc plutôt pour l’hypothèse d’une volonté
délibérée des forces de l’ordre : « Il y avait des affrontements récurrents
avec la police, au moins depuis l’année 1950 où les Algériens n’avaient pas
été toujours défaits, loin de là. Par exemple, le 1er mai 1951 à Paris, quand
la police avait voulu saisir le drapeau algérien au cœur du cortège du PPA-
MTLD, les affrontements avaient été très durs, mais c’est la police qui avait
fini par reculer avec une dizaine de blessés. Et il semble que ce jour-là [le
14 juillet 1953], un certain nombre de gardiens de la paix étaient très
remontés et avaient décidé qu’ils ne reculeraient plus. […] Un service
d’ordre assez conséquent avait été prévu par la Préfecture de police, qui
savait qu’il pouvait y avoir des heurts avec des Algériens – on le voit,
puisque des traducteurs avaient été prévus au cas où il y aurait des
arrestations. […] Mais il se passe quelque chose qui d’un point de vue
parisien est complètement inédit car, ce jour-là, il n’y a pas eu d’ordre de
tirer : c’est une riposte des gardiens de la paix qui ont décidé d’eux-mêmes
de “donner une leçon” aux Algériens8. »
Dans son livre La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962,
Emmanuel Blanchard développe son argumentation : « Ils ont tiré sans que
l’ordre leur en ait été donné, mais ils savaient pertinemment que la
hiérarchie policière n’aurait pas d’autre solution que de les couvrir. Cette
interprétation, qui ne dédouane en rien un commandement qui fut tout à la
fois incompétent et complice, est en tout cas suggérée par plusieurs
documents d’archives. Dans les jours qui suivirent le 14 juillet, la préfecture
multiplia les conférences destinées à rappeler les conditions d’usage des
armes à feu. Surtout les directives du 19 juillet 1953, données par Georges
Maurice [directeur de la police municipale] en prévision des opérations de
maintien de l’ordre lors des défilés et cérémonies pour les obsèques des tués
du 14 Juillet, montrent en creux tous les principes qui n’avaient pas été
respectés ce jour-là : 1) pas d’action individuelle des gardiens ; 2) les gradés
ne doivent pas se laisser dépasser par aucun gardien au cours d’une action
offensive ; 3) il faut protéger les gardiens contre l’obligation de se servir de
revolver donc au coude à coude… »
Dans les archives de la police et dans le dossier d’instruction, on trouve
en revanche des déclarations de plusieurs policiers qui vont dans le sens,
non pas du règlement de comptes avec les manifestants, mais d’un ordre
donné par la hiérarchie policière sur place afin d’arracher banderoles,
drapeaux et autres portraits. (C’est aussi ce que m’a dit soixante ans plus
tard, comme on l’a vu, le policier André Brandého : « Le commissaire a
gueulé : “Chargez !” ») Ces quelques témoignages se distinguent de toutes
les autres déclarations des policiers.
Le gardien André Sallès a ainsi déclaré : « Je crois que les manifestants
étaient porteurs de banderoles interdites, et c’est à la suite d’un ordre de les
plier ou de les ramasser qu’ils nous ont insultés d’abord, puis nous ont
ensuite attaqués9. » Marcel Tourte, Jules Chatelard et Charles Loppin :
« Nous avons reçu l’ordre de les disperser10. » Le brigadier-chef Marius
Schmitt : « Selon les ordres reçus, nous avons essayé de dégager la place et
de fragmenter le groupe de manifestants11. » Le gardien Henri Choquart :
« C’est un inspecteur principal adjoint (IPA), que je ne connais pas, qui a
donné l’ordre. Il s’agissait de disperser un cortège de Nord-Africains qui
criaient et portaient des banderoles ou pancartes12. » Et le gardien Pierre
Gourgues précisait : « Nous nous sommes portés au-devant de la colonne
des manifestants porteurs de banderoles et nous avons reçu l’ordre du
commissaire de police d’empêcher l’irruption des manifestants sur le cours
de Vincennes. […] Suivant les ordres reçus, nous nous sommes emparés des
banderoles et, brusquement, à partir des rangs situés à l’arrière de la
colonne de manifestants, nous furent jetés toutes sortes de projectiles13. »

Le scénario de l’affrontement et les victimes


Si l’on voit mieux comment l’affrontement a commencé, l’ensemble des
documents et des témoignages que j’ai pu recueillir permet de cerner plus
précisément le déroulement du massacre. Et d’établir la liste des victimes,
exhaustive pour ceux qui ont été tués, inévitablement incomplète pour les
blessés par les tirs policiers (voir encadré ci-après).
17 h 10 (environ). – Il pleut et les policiers avancent en direction des
manifestants algériens arrivant sur la place de la Nation (groupes
commandés par les commissaires Bondais et Giraud). Ils arrachent portraits,
pancartes et drapeaux. Les Algériens ripostent avec tout ce qu’ils trouvent.
C’est le premier affrontement (coups de matraque des policiers contre
pancartes en bois des manifestants).
17 h 15 (environ). – Premier mouvement de repli des agents. Mais « il y a
un chef qui est tombé, à l’horizontale, le nez dans le ruisseau » avec celui
qui avait « le couteau entre les omoplates », d’après le gardien de la paix
Robert Rodier… « Et nous, on allait repartir dans les cars. Mais quelqu’un a
dit : “Attention ! Vous laissez deux gars là-haut !” Alors on a fait demi-tour
et on est repartis pour aller les ramener. Alors là, inutile de vous dire, ils
étaient tous autour14. » Cette vision du policier à terre, je l’ai retrouvée dans
deux déclarations. Celle de Medjoub B., qui était un jeune instituteur en
1953 : « La police s’est ruée sur le portrait de Messali. Évidemment, les
gens répondaient à ses coups de matraque. À ce moment-là, il y a eu une
pluie diluvienne, puis des coups de feu ont claqué. J’ai vu un policier qui
avait de grosses chaussures à clous. Il avait glissé et était à terre et j’ai vu
des gens étendus au sol, un grand nombre d’Algériens15. » Et celle de Saïd
Gater, présent dans le groupe qui a reçu la première charge : « C’est parce
qu’il avait plu que le policier a glissé, en voulant nous enlever le drapeau. Il
est venu avec force, il a glissé… Et quand il a glissé, les policiers ont cru
qu’il était mort ou qu’il était blessé… Alors que ce n’était rien. Ils sont
donc venus le soutenir et c’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à tirer.
Peut-être qu’il était blessé, alors, quand ils ont vu le sang, ils ont commencé
à tirer16. »
17 h 18 (heure supposée). – Les policiers reviennent donc et chargent.
Les premiers coups de feu retentissent, il y aurait deux premiers tués. Deux
témoignages de manifestants algériens, proches de deux des victimes,
détaillent le début des tirs. Mohamed Zalegh, porteur du brassard du service
d’ordre, affirme : « Abdelkader Draris s’est bagarré avec un CRS. Il était
costaud, il a fait tomber le policier, mais le policier a sorti son pistolet et lui
a tiré dessus, dans la tête17… » Le rapport du médecin légiste confirme bien
que Draris a été atteint d’une balle dans la tête. Mohamed Saïd Oudelka,
militant du PPA-MTLD à Paris, connaissait bien Amar Tadjadit : « Amar a
vu un policier tombé au sol qui était sûrement blessé et il a dit : “Je vais lui
enlever le pistolet.” Mais le policier n’a rien du tout, il n’est pas blessé, il
est juste tombé. Il a un pistolet dans la main et quand Amar s’est approché
de lui pour lui arracher le pistolet, le policier lui a tiré dessus18… »
Deux autres témoignages confirment ces faits. La version du gardien Paul
Le Peintre : « J’ai reçu une barre de fer. Je suis tombé à plat ventre.
Plusieurs Arabes ont alors essayé de m’enlever le ceinturon, mais les
collègues m’ont dégagé. » Et celle du député de l’Union progressiste,
proche du PCF, Emmanuel d’Astier de la Vigerie : « Les policiers durent se
replier, mais ils appellent des renforts et les premiers coups de feu furent
tirés sur les manifestants. On tira dans le tas. Deux hommes, dès les
premières minutes, furent tués19. »
17 h 20 (heure supposée). – Devant les premiers tirs, la première rangée
des manifestants algériens recule jusqu’au terre-plein central de la place de
la Nation, mais ceux qui suivent lancent bouteilles, tables et chaises et
utilisent des barrières en bois du marché pour contre-attaquer. C’est à ce
moment-là que le groupe de policiers du commissaire Robic, stationné
avenue du Bel-Air, traverse la place pour rejoindre les deux premiers
groupes de policiers (ceux de Bondais et Giraud) en tirant sur les
manifestants. La fille de Messali Hadj, Djanina Messali-Benkelfat,
l’affirme : « J’ai vu d’autres policiers déboucher par une petite rue sur la
droite de la place. Ils nous ont carrément tiré dessus sans nous demander de
nous arrêter. Moi, je me suis mise à sauter pour éviter les rafales, car on
avait vu qu’il y avait mort d’hommes20. »
17 h 22 (heure supposée). – Les policiers, en nombre inférieur, reculent et
se réfugient derrière les cars en attendant les renforts. Les Algériens les
poursuivent et incendient un car et une voiture de police, situés à l’angle du
boulevard de Charonne (un autre car sera endommagé).
17 h 24 (heure supposée). – De nombreux témoins relatent la « bagarre
générale ». Les policiers tirent à tout va et font un carnage. Maurice Lurot
est tué en voulant s’interposer boulevard de Charonne (témoignage de Jean
Laurans). Mouhoub Illoul et Larbi Daoui seraient peut-être morts à ce
moment-là. De l’autre côté du cours de Vincennes, boulevard de Picpus,
d’autres affrontements violents ont lieu autour d’un car stationné. Le
policier André Brandého raconte : « Moi, je revois encore ces grands cars
de police, et les gars dedans avec les pistolets, ça fumait. Ils sont montés
dans le car, cela servait de bouclier… Cela tirait dans tous les sens21. » Ce
que confirme le gardien Jean Bourcier : « Des Nord-Africains ont réussi à
arriver à quelques mètres du car stationné boulevard de Picpus. À ce
moment, j’ai entendu des coups de feu tout autour. J’ai alors sorti mon arme
et j’ai tiré sans viser alors que j’étais dans le car et que celui-ci commençait
à démarrer22. »
17 h 25 (heure supposée). – Les renforts du commissaire Martha arrivent
du côté du boulevard de Charonne pendant que les manifestants évacuent
leurs blessés et leurs morts. D’autres affrontements violents ont lieu. Des
témoignages précisent comment deux nouvelles victimes sont mortes. La
déposition de Mohamed Salah Guerroutte devant la cour d’appel de Paris,
en date du 3 mars 1954, est claire : « Dans la rue où il y avait un car de
police en train de brûler, il y avait un barrage d’agents qui en tenait toute la
largeur. Quand nous sommes arrivés, les agents ont tiré sur nous, et j’ai vu
l’un des manifestants tomber. Il est mort par la suite, il s’agit de Bacha
Abdallah, du même village que moi23. » La déposition de Saïl Lakdar est
tout aussi claire : « Alors que Tahar Madjène arrivait à la hauteur des cars
qui brûlaient, je l’ai vu tomber ; puis il s’est relevé et a continué à courir. Il
a pris une petite rue et c’est là qu’il est tombé une seconde fois, sur sa
gauche par rapport aux cars. J’affirme que c’est lorsqu’il fuyait qu’il a été
touché. À aucun moment je ne l’ai vu courir sur des agents24. » C’est peut-
être le même homme dont le jeune militant CGT Marc Fraisse me dira qu’il
a été tué par un gardien de la paix qui « a tiré trois coups sur une
personne25 ».
17 h 27. – C’est le moment de la contre-attaque générale, indique la
« main courante spéciale » de la préfecture. Ce qui fera dire deux jours plus
tard au député Emmanuel d’Astier de la Vigerie, témoin direct des
événements : « Les policiers sont revenus et cette deuxième fois, ils ont tiré
sans aucune sommation26 » (voir chapitre suivant). Une véritable chasse à
l’homme est organisée dans tout le quartier. Il y a de nombreux blessés,
tabassés par la police comme Abdelhamid Mokrani et Kazem Vadiei dans
l’immeuble du 2, avenue du Trône, voire atteints par balle.
17 h 40 (environ). – À peine plus d’une demi-heure après le début des
affrontements, le calme est revenu. La place est nettoyée et, à 18 heures, la
place de la Nation est « sous contrôle »…
Conclusion de l’historienne Danielle Tartakowsky : « Si un mort peut
résulter d’une “bavure”, sept peuvent difficilement lui être attribués… Sans
qu’il faille nécessairement imaginer des ordres explicites, ici comme en
d’autres circonstances ultérieures. Le climat politique et le racisme à
l’œuvre mènent à des “dérapages” qui, lorsqu’ils se multiplient, ne peuvent
plus se voir qualifiés de la sorte27. »
Conclusion de l’historien Emmanuel Blanchard : « Il est important de
rappeler que si cet événement est alors inédit du point de vue parisien, il est
d’une certaine façon courant de longue date aux colonies. Mais ce qui est
peu commun, c’est que cela se passe un 14 Juillet, sur la place de la Nation.
Et ce qui est encore moins commun, c’est que des policiers français se
comportent comme l’armée française de la fin du XIXe siècle quand elle
tirait sur les ouvriers, ou comme leurs collègues dans l’ensemble des pays
coloniaux quand les colonisés contestaient la domination coloniale28. »

Les victimes identifiées de la tuerie parisienne


du 14 juillet 1953
Les sept tuésa
Abdallah Bacha (vingt-cinq ans), né en 1928 à Agbadou
(Algérie). Atteint d’une balle dans la région dorsale qui est
ressortie à la base du cou, il est décédé à 18 heures à l’Hôtel-
Dieu. Habitant 1, rue du Capitaine-Soyer au Pré-Saint-Gervais
(93), il travaillait dans une usine qui fabriquait des encriers.
Larbi Daoui (vingt-sept ans), né en 1926 à Aïn Sefra
(Algérie). La balle, que l’on n’a pas retrouvée, est entrée par le
sternum et a traversé le cœur. Décédé à 18 h 30 à l’hôpital
Tenon. Il habitait à Saint-Dié (Vosges), où il était manœuvre et
domestique.
Abdelkader Draris (trente-deux ans), né en 1921 à Djebala
(Algérie). Il a été atteint d’une balle dans la région temporale
gauche, qui est ressortie par la tempe droite. Décédé à
18 heures à l’hôpital Saint-Louis, il habitait 29, avenue du Bas-
Meudon à Issy-les-Moulineaux (92) et travaillait chez
Chausson.
Mouhoub Illoul (vingt ans), né en 1933 à Oued Amizour
(Algérie). La balle est entrée dans le sourcil gauche jusqu’à la
boîte crânienne puis est ressortie. Décédé à 20 h 30 à l’hôpital
Saint-Louis, il habitait et travaillait comme ouvrier du bâtiment
au centre de formation de Saint-Priest (Rhône).
Maurice Lurot (quarante et un ans), né en 1912 à Montcy-
Saint-Pierre (Ardennes). La balle est entrée dans la poitrine au
niveau du sternum et a traversé le poumon et le thorax. Décédé
à l’hôpital Saint-Louis, il était ouvrier métallurgiste et habitait
101, rue du Mont-Cenis (Paris XVIIIe).
Tahar Madjène (vingt-six ans), né en 1927 au Douar Harbil
(Algérie). Frappé d’une balle sous la clavicule gauche qui lui a
perforé le cœur et les poumons, il est décédé à 17 h 40 à
l’hôpital Tenon. Il habitait 6, rue Beaumont à Paris XVIIe.
Amar Tadjadit (vingt-six ans), né en 1927 au Douar Flissen
(Algérie). Il a reçu une balle qui a atteint le cerveau dans la
région frontale gauche. Il présentait, en plus, de nombreuses
traces de violences au niveau de la face. Décédé à 20 heures à
l’hôpital Saint-Louis. Il habitait 199, rue de Meaux (Paris
XIXe).
Au moins quarante-huit manifestants blessés par balleb
À l’hôpital Saint-Antoine (Paris XIIe), dix-sept blessés par
balle : Chérif Darkrim (visage), Dris Harouat (épaule), Ahmed
Boutoub (jambe), Sassi Haddour (cuisse), Mohamed Guettaf
(parties sexuelles), Amar Sadikorichene (jambe), Gaston
Dickman (cuisse et parties sexuelles), Bouzid Keddache
(jambe), Lounès Kait dit Kaieb (bras), Mohamed Chériguene
(cuisse), Mohamed Bekhti (cuisse et nez), Abdelkader Bellouti
(jambe), Mohamed Benkaba (deux balles à l’abdomen),
Mohand Aït-Idir (jambe), Hocine Barache (cuisse), Mohand
Chérif Ammour (pied) et Lalem Attab (jambe).
À l’hôpital Saint-Louis (Paris Xe), huit blessés par balle :
Jean Laurans (jambe), Lalhou Tala-Ighil (cuisse), Idir Terradj
(cuisse), Hocine Kichou (cou), Boualem Belkacem (aine),
Ahmed Rahmouni (deux balles dans la jambe), Rabach Slimel
(jambe) et Ali Boukhaoui (thorax).
À l’hôpital franco-musulman de Bobigny (Seine), six blessés
par balle : Benfelda Laouedj (deux balles dans la jambe),
Mohamed Saddini (main et bras), Mohamed Ayache (genou),
Hanafi Hanafi (main et pied), Kaci Zouani (cuisse) et Nait
Challal (cuisse).
À l’hôpital Lariboisière (Paris XVIIIe), quatre blessés par
balle : Joseph Zlotnik (cuisse et parties sexuelles), Saïd Daaci
(épaule gauche et cuisse), Raach Saadi (pied) et Lucien Achille
Carré (mollet).
À l’hôpital Rothschild (Paris XIIe), quatre blessés par balle :
Akli Guemadi (bras), Amzeziane Oudjeddi (jambe), Mohamed
Louda (jambe) et Amar Aroués (thorax).
À l’hôpital Tenon (Paris XXe), deux blessés par balle :
Messaoud Bouda (deux balles à l’abdomen) et Abdallah
Hamitouche (jambe).
À l’Hôtel-Dieu (Paris Ier), deux blessés par balle : Ahmed
Aït-Kelifa (poitrine) et Mohand Saadi (thorax).
À l’hôpital de Vaugirard (Paris XVe), un blessé par balle :
Lalhou Bennatou (pied).
À l’hôpital de Saint-Denis (Seine), un blessé par balle :
Mohammed Hassaine (cuisse).
Dans les archives du département de la Seine, deux blessés
par balles ont pu être retrouvés (dépositions de mars 1954),
mais sans aucune référence à un hôpital : Achoun Tazagart
(épaule) et Mohamed Méziane (pied).
J’ai pu ainsi identifier, à partir des archives accessibles,
quarante-sept manifestants blessés par les tirs policiers du 14
juillet 1953.
Deux autres blessés par balle, et hospitalisés à l’hôpital
Saint-Antoine (Paris XIIe) : Vasvekiazan (tête) et Cyprien
Duchausson (main) sont également mentionnés dans L’Algérie
libre, le journal du MTLD (numéro spécial du 29 juillet 1953),
mais je n’ai retrouvé aucune trace de leur hospitalisation. Cela
dit, il y a eu certainement d’autres blessés par balle comme par
exemple Mohamed Zalegh, qui n’est pas allé à l’hôpital, mais
m’a déclaré en 2012 : « La bagarre a commencé quand ils ont
voulu prendre le portrait de Messali. Moi, j’ai été touché là !
Au derrière par une cartouche. Cela brûle la veste, la peauc. »
À tous ces blessés par balle, il faut bien entendu ajouter les
nombreux blessés à coups de matraque comme Abdelhafid
Mokrani, Kazem Vadiei, Bernard Lapierre ou Mohamed
Benyacine, précédemment cités.

Notes du chapitre 3

a. Source : dossier d’instruction, cour d’appel (Archives de la Seine, no 1348 W17).


b. Source : ibid. ; et APPP/HE8. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive : le nombre de
manifestants blessés par les forces de l’ordre est certainement plus important. S’agissant de
l’évaluation du nombre de policiers blessés, voir infra, chapitre 5.
c. Entretien de l’auteur avec Mohamed Zalegh, Sartrouville, 2012.
4
Les lendemains du massacre

Tandis que les balles sifflent encore sur la place de la Nation, les secours
s’organisent. Mais beaucoup d’Algériens préfèrent se soigner chez eux, ils
ont peur de se faire arrêter à l’hôpital, alors les réseaux de solidarité
s’activent. « Quand je suis arrivé chez moi, m’a raconté en 2013 Charles
Palant, du MRAP, l’après-midi était déjà bien avancé, j’ai reçu un coup de
téléphone. On m’a dit : “Palant, peux-tu venir avec ta voiture vers l’hôpital
Saint-Antoine ? On essaye d’évacuer des blessés.” Et j’ai compris qu’on
voulait sauvegarder leur anonymat, donc j’ai accepté. Je n’habitais pas loin
de là et on a chargé dans ma voiture deux blessés et un camarade m’a guidé
vers un hôpital à Saint-Denis. Il y avait là-bas, semble-t-il, des
connaissances qui permettaient à la fois de soigner ces blessés et de
sauvegarder leur anonymat. Alors, j’ai participé à ça dans la mesure de mes
moyens1. »

Les secours aux blessés et la situation dans les hôpitaux


Les hôpitaux les plus proches sont pleins (Saint-Antoine, Saint-Louis,
Tenon, Rothschild), malgré des scènes de désolation, un formidable
mouvement de solidarité envers les blessés s’organise. Dans les jours qui
suivent, on fait la queue pour les voir, leur parler et les réconforter. On leur
apporte des fruits, des légumes, des cadeaux… Abdelhamid Mokrani et
Kazem Vadiei, tous deux ensanglantés, sont amenés dans un « panier à
salade ».
« Je me suis réveillé dans une salle, m’a raconté Abdelhamid Mokrani,
avec des pansements un peu partout et du sang un peu partout. […] J’avais
le crâne ouvert et puis aussi, la main. C’est guéri, mais, de temps en temps,
j’ai des problèmes avec. […] Et puis, j’ai été aussi touché au pied, mais ne
sais plus si c’est une balle ou autre chose. […] Le lendemain, je pense que
la police voulait nous récupérer et le personnel de l’hôpital – médecins,
infirmières –, des communistes et des militants du MTLD sont venus pour
faire barrage. Ils les ont empêchés, je ne sais pas peut-être qu’ils voulaient
nous arrêter ? Après, on a reçu des colis, des aides de Français. La solidarité
était très grande. Il y a beaucoup de Français qui nous apportaient des
choses. Il y a même un Français pied-noir d’Oran qui était solidaire et qui
nous a envoyé un colis. Nous, on avait tous des amis français. On n’était
pas antifrançais, on était contre le colonialisme. Il y a une différence, une
grande différence2. »
« À l’hôpital Saint-Antoine, complète Kazem Vadiei, le médecin m’a dit
que ma blessure, c’était quatorze centimètres sur ma tête. Ils ont fait des
points de suture et tout ça ! Ils nous ont gardés deux ou trois jours à
l’hôpital et puis après, des étudiants iraniens sont venus me chercher. Ils
sont venus avec des gourmandises et on m’a transporté à l’hôpital de la Cité
universitaire. […] Je me souviens aussi qu’à l’hôpital, deux Algériens du
MTLD sont venus me remercier ; et même plus tard, ils m’ont envoyé une
lettre de remerciements. Pourquoi ? Je ne sais pas ! J’ai été tellement
marqué par cet événement que, pendant longtemps, je ne voulais plus
regarder les manifestations. Longtemps, longtemps… J’avais une autre
image de la France. Et cette image a été détruite. J’ai mis longtemps pour
reconstituer cette image3. »
Jean Laurans, lui, s’est retrouvé à l’hôpital Saint-Louis. Il se souvient du
jeune médecin Jean-Michel Krivine – le frère d’Alain4 –, qui est venu aider
les blessés : « Je me suis donc retrouvé dans cette salle commune. On était
tous les uns à côté des autres. Là, j’ai vécu des moments très forts dans la
nuit qui a suivi, j’ai entendu beaucoup de choses, des gens agonisera. […]
Et puis les jours qui ont suivi ont été très forts aussi dans la solidarité, dans
l’amitié que nous ont manifestée les Parisiens, qui sont venus par milliers
nous voir. Ils faisaient la queue à l’hôpital pour nous saluer. Nous apporter
leur soutien. Je vois encore arriver de tous les côtés les gens avec des
caisses de fruits, des bonbons. Ce sont des moments que je garderai
toujours dans ma mémoire et que l’on a partagés avec les amis algériens.
[…] Moi, je suis resté deux ou trois jours à l’hôpital parce que mon état ne
m’obligeait pas à y rester et surtout parce que, dans ma tête, je voulais
absolument participer au Festival de la jeunesse à Bucarest. Finalement, le
14 juillet 1953, alors que j’avais décidé d’aller au bal, place de la Nation et
à la Bastille, je ne savais pas que je risquais de perdre la vie5. »
Mohamed Hachem avait perdu connaissance. Il s’est retrouvé à l’hôpital
Lariboisière (XVIIIe) : « Je saignais beaucoup et j’avais du sang partout,
m’a-t-il raconté en 2012. Puis je suis tombé dans le coma. Je suis resté peut-
être deux ou trois semaines à l’hôpital. J’avais mal à la tête, des vertiges…
Et aujourd’hui, j’ai encore des séquelles ! […] Oui, quand elle tape, la
police ne fait pas de cadeau6 ! »
Lorsque j’ai rencontré Benfelda Laouedj en Algérie, cinquante-neuf ans
après le drame, il était tellement ému qu’il a oublié de me dire qu’il avait
reçu deux balles (et non une seule) dans les jambes : « Ce jour-là, m’a-t-il
raconté, j’étais dans le service d’ordre, et c’est là que j’ai reçu une balle
dans la jambe, mais je ne sais pas comment c’est arrivé. Un jeune m’a
trouvé une voiture et m’a emmené chez moi au 26, rue Barbès. Là-bas, un
médecin est venu me soigner, mais j’avais perdu beaucoup de sang depuis
l’après-midi et il était déjà 19 heures. Alors, on m’a amené à l’Hôpital
franco-musulman de Bobigny. C’est un médecin français qui m’a soigné et
il y avait aussi un médecin arabe qui m’a dit : “N’ayez aucune crainte.”
Alors on m’a mis un plâtre et je suis revenu à Barbès… Mais après, je suis
retourné à Bobigny, car cela n’allait pas du tout. Là-bas, ils m’ont plâtré
jusqu’au bassin et je suis resté à l’hôpital peut-être un mois et quelque. […]
Après, je suis ressorti de l’hôpital, mais j’étais très fatigué, alors je suis
retourné encore à l’hôpital. […] En tout, cela a pris deux ans, car j’avais
perdu beaucoup, beaucoup de sang7. »
Lalhou Tala-Ighil était dans le coma après avoir reçu une balle dans la
cuisse et de nombreux coups sur le corps. Il s’est réveillé à l’hôpital Saint-
Louis : « Je me suis réveillé avec quelqu’un du quartier de Belcourt
d’Alger, Boualem Belkacem, blessé par balle à l’aine. […] Il y avait aussi
des gens qui venaient nous voir, des membres du PPA-MTLD, des gens de
mon village et même des Français. À ma sortie, je suis retourné au travail,
mais l’usine [Renault] était fermée, car il y avait des grèves en
août 19538. »
Mohamed Benyacine s’est fait durement matraquer place de la Nation
après avoir voulu défendre une femme qui se faisait frapper par des
policiers : « On m’a emmené à l’hôpital. J’avais deux fractures du crâne et
j’ai perdu connaissance, complètement. C’est au bout de cinq jours que j’ai
repris connaissance9 ! »
Joseph Zlotnik, lui, a été emmené à Lariboisière : « Le lendemain, à
l’hôpital, le patron du service est venu me voir. On a pris rendez-vous pour
me retirer les balles, parce qu’il y en avait deux : une dans les parties
génitales et l’autre dans le bas-ventre. Comme l’une était tout près de la
vessie, il ne fallait pas la laisser longtemps. […] Je suis resté là-bas une
dizaine de jours. […] Et il y a eu la journaliste à L’Humanité, Dominique
Desanti, qui est venue me voir à l’hôpital : elle a fait un reportage pour
parler de ce qui m’était arrivé10. […] À l’hôpital, il y avait de la solidarité,
parce qu’à la suite de l’article dans L’Huma, je recevais des colis de
partout ; alors je les ai donnés aux familles des victimes11. »
Marinette, la femme de Joseph Zlotnik présente dans la manifestation, ne
connaissait pas encore son futur mari : « On s’est connus un an après, m’a-
t-elle révélé. D’ailleurs, la première chose qu’il m’a racontée, c’est sa
blessure et toutes les personnes qui allaient le voir à l’hôpital. Moi aussi,
j’aurais voulu aller le voir, mais il y avait une telle queue, immense… On y
passait la journée, parce que l’on passait par petites quantités. Il y avait
énormément de monde. Comme il est passé dans L’Humanité, tous les gens
étaient au courant, donc beaucoup se sont déplacés pour aller lui serrer la
main, l’encourager, pour être avec lui12. »

Le traitement des événements dans la presse de droite


et du centre…
Le lendemain du massacre, tous les journaux en rendent compte, mais
avec un traitement diamétralement différent dans la presse de droite, du
centre ou de gauche. Comme l’explique l’historien Emmanuel Blanchard,
deux visions du monde s’opposent : « D’un côté, la presse anticommuniste,
la “grande presse”, reprend la version policière et les communiqués de
presse de la Préfecture de police, qui se construisent autour de l’émeute
algérienne. Scénario que l’on retrouve dans France-Soir, dans Paris-presse
L’intransigeant et de façon atténuée dans Le Monde, quotidien qui va
évoluer au fur et à mesure des jours. Pour cette presse, ce qui s’est passé ce
jour-là est inadmissible, puisque, au cœur de Paris, des Algériens ont
attaqué la police et mis la place de la Nation à feu et à sang. Les victimes
sont passées complètement sous silence. Le problème n’est pas qu’il y ait
des victimes, mais que des manifestants algériens aient pu s’affronter à la
police et même s’exprimer au cœur de Paris13. »
Le lendemain, L’Aurore titre par exemple en une : « Ce 14 Juillet, hélas
ensanglanté par une émeute communiste ». Sous-titre : « 2 000 Nord-
Africains attaquent sauvagement la police ». L’article qui suit donne le ton :
« Nous sommes et entendons rester un pays de liberté. Mais ce n’est pas
user de la liberté que de déchaîner, sous un prétexte de cortège politique, un
commando de Nord-Africains fanatisés et gorgés de propagande
antifrançaise qui transforme un quartier de Paris en champ de bataille. De
telles sauvageries déshonorent ceux qui, ceints ou non d’une écharpe,
poussent devant eux de pareils surexcités. En tout cas, la sécurité publique
doit être défendue contre les malfaiteurs. Et puisque le Parti communiste a
recours à la violence et à l’émeute, c’est contre le Parti communiste – et il
va sans dire les organisations satellites qui lui obéissent – que doivent être
prises d’élémentaires mesures de protection. […] Il n’est absolument plus
tolérable que le Parti communiste reste autorisé à manifester dans la rue.
Les manifestations du Parti communiste doivent être jusqu’à nouvel ordre
purement et simplement interdites14. »
Le 16 juillet, on lit dans France-Soir : « Les manifestants brisent les
barrières de protection pour en faire des armes. Pendant près d’une demi-
heure, la place de la Nation fut le théâtre d’une véritable bataille rangée.
[…] Quatre-vingts agents blessés, dont un par balle. » L’article est
accompagné de plusieurs photos de l’« émeute », dont les deux cars de
police brûlés. Paris-presse L’intransigeant dit la même chose à la une de
son édition du 15 juillet : « Violentes bagarres au défilé du PC. Sept morts,
cent vingt-six blessés en vingt minutes. […] Ce fut une flambée de rage, un
déchaînement d’instincts meurtriers qui rappelait étrangement, par sa
soudaineté, son irrationalité même, les derniers troubles de Casablanca15. »
Pour ce journal, la responsabilité du drame « n’incombe que partiellement
aux Nord-Africains » : « Ils ne servent manifestement qu’à fournir au PC
les morts dont il a besoin. Par une propagande quotidienne, un travail de
recrutement et d’encadrement continu, le PC entretient chez les travailleurs
allogènes une excitation permanente contre tous les symboles du régime. En
France comme en Afrique du Nord, il entretient soigneusement les réflexes
de rébellion armée qui sont inhérents au tempérament arabe16. »
Le Figaro, dans son édition du 15 juillet, juste à côté d’un article sur
l’« éclatant succès de la revue militaire sur les Champs-Élysées », parle de
la « provocation des Nord-Africains » (avec la photo des cars brûlés), et de
la responsabilité des « dirigeants communistes qui bénéficient chez nous
d’une faiblesse à laquelle il faudra bien mettre un terme17 ». Le lendemain,
16 juillet, ce quotidien insiste en pages 1 et 7 sur l’information judiciaire
déposée par la Préfecture de police de Paris et sur les « sept morts dont le
PC porte l’écrasante responsabilité et qui deviennent un nouveau thème
pour une nouvelle et sinistre propagande montée de toutes pièces ». L’édito
de son directeur semble très renseigné : « Qui pourra raisonnablement
croire, en effet, à une manifestation spontanée, alors que depuis deux jours
on recrutait dans les milieux nord-africains de Paris, des “volontaires” pour
le 14 Juillet ? Qui pourra soutenir que les troupes de choc ainsi enrôlées ne
l’étaient que pour brailler des slogans, de la Bastille à la Nation ? Qui
pourra nier que les indigènes algériens dont se sont servis avant-hier les
chefs communistes si courageux par personnes interposées n’étaient pas
solidement encadrés ? Enfin, que signifient les allées et venues des
membres du MTLD enregistrées depuis plusieurs jours18 ? »
Le Parisien libéré du 15 juillet reprend quant à lui en une la photo des
cars brûlés et fait état d’une prétendue « agression » initiale des Nord-
Africains : « En quelques instants, trente-quatre agents étaient blessés… »
C’est seulement en page 3 qu’on trouve un petit communiqué dénonçant
l’attitude de la police envers un de ses photographes, Robert Trécourt (voir
chapitre suivant). Enfin, Paris-Match dans son édition du 23 juillet, en
pages 20 et 21, montre de « belles » photos de l’« agression » des Nord-
Africains contre les policiers et les cars brûlés.
Pour tous ces journaux, l’information sur cet événement disparaît à partir
du 23 juillet, après quelques brèves sur les obsèques de Maurice Lurot.
Mais elle rebondit sur la « problématique » des Nord-Africains en France. Il
semble même qu’une campagne contre cette population soit lancée, car
plusieurs articles de ces journaux vont dans ce sens, entretenant un racisme
très présent, y compris au sein de la classe ouvrière (voir encadré ci-après).
Le Parisien libéré du 20 juillet titre en première page : « Le problème des
Nord-Africains à Paris ». Le même jour, Paris-Presse-L’Intransigeant titre
en une : « Les sanglants incidents de la Nation posent de nouveaux
problèmes ». Et en très gros : « Il y a près de 300 000 Nord-Africains en
France ». Dans la suite logique de cette stigmatisation, Le Parisien libéré
du 22 juillet publie un reportage sur la Brigade des agressions et des
violences (BAV), censée contrôler la délinquance nocturne des Nord-
Africains même si les résultats ne sont pas très concluants, aux dires mêmes
des journalistes. Le Figaro du 27 juillet insiste, lui, sur les agressions
commises par des Nord-Africains : « Dix en une seule nuit ! » Et L’Aurore
d’ajouter un article haineux le même jour sur « l’immigration et la
délinquance nord-africaines ».
Le Monde va être plus nuancé, plus « neutre ». Dans son édition du
16 juillet en pages 1 et 4, il titre : « Tragique épilogue d’une journée de fête.
Sept morts place de la Nation ». Pour ce journal, « les origines de l’affaire
demeurent obscures. La pluie avait sans doute […] prédisposé à la nervosité
sinon à la violence : le service d’ordre a pu, en toute bonne foi, prendre
pour des agresseurs des gens qui cherchaient tout simplement refuge contre
l’averse. Il paraît indubitable que des morceaux de barrières ont servi
d’arme contre des gardiens de la paix empêtrés dans leur pèlerine. Le
chiffre néanmoins est là, le chiffre de sept morts que l’on retiendra et qu’au
besoin on exploitera… » Le journal conclut : « Il appartient aux
organisateurs de la manifestation comme au chef de la police de tirer la
leçon de cette sanglante et inutile collision19. » Le journal fait aussi allusion
au reporter photographe du Parisien libéré qui a été molesté par les
policiers. Son édition du 19-20 juillet montre une petite évolution : il
demande que « les résultats des enquêtes sur les échauffourées soient
rendus publics » et publie surtout une lettre accusatrice d’Albert Camus
envers la police (voir introduction et chapitre 12).

Le racisme « populaire »
Au lendemain de la fusillade meurtrière, deux jeunes
militants qui avaient participé à la manifestation, André Sénik
et Pierre Puchault, sont témoins de l’ambiance au sein des
ouvriers des Halles de Paris, comme ils me l’ont rapporté en
2011. « Le lendemain matin, on partait en vacances, m’a dit
André Sénik. On était sept copains de l’UJRF du XVIIe
arrondissement et on avait décidé de partir “en stop” pour
Nice. On s’était dit que l’on partirait des Halles, parce qu’il y
avait des camions, tout ça… On est entrés dans un café et, je
me souviens, j’ai été frappé par un débordement de racisme
auquel je ne m’attendais pas. C’était généralisé. Je subodorais
qu’il y avait un reste d’antisémitisme, mais je n’avais pas été
en contact avec le racisme antialgérien. Et là, les propos des
gens, c’était assez énorme. » « Il devait être 9 ou 10 heures du
matin, complète Pierre Puchault, et à notre grande surprise, on
parlait de ces événements puisqu’il y avait Le Parisien libéré
sur le comptoir. À notre indignation, on entendait ce genre de
propos : “Ah ! Ouais ! Ils n’en ont pas encore tué assez ! Des
crouilles, on en a assez en France, moi je tirerais dans le tas…”
C’était vraiment féroce. Surtout que nous, nous avions assisté à
quelque chose qui était particulièrement dramatique. »

… et dans la presse de gauche


Dans son édition du 16 juillet en pages 1 et 2, Le Populaire, quotidien de
la SFIO (socialiste), tout en déplorant les victimes, affirme : « Pour ces
pauvres gens, toute occasion est bonne de clamer leur détresse. Les
communistes ne l’ignorent pas. La police, hélas, a trop souvent l’occasion
d’intervenir contre eux, car la multiplication des délits est toujours
proportionnelle au degré de misère atteint par une catégorie de la
population. […] Les matraques ont jailli spontanément, d’un côté, et les
couteaux de l’autre. L’hystérie s’empara des deux camps où l’on vit le
moment venu d’assouvir d’obscures vengeances collectives20. »
Le discours des autres journaux de gauche est exactement à l’opposé de
celui que l’on vient de lire, comme l’explique Emmanuel Blanchard : « Du
côté de la presse communiste, on va surtout insister sur le moment de
solidarité entre manifestants algériens et français. Avec un amalgame entre
les propres martyrs du PCF emprisonnés et ceux du PPA-MTLD, d’où cette
appellation de “martyrs de la liberté” que l’on va retrouver sur une dizaine
de jours après le 14 juillet 1953. D’ailleurs, L’Humanité du lendemain titre
effectivement à la une : “Odieuse provocation de la police aux ordres des
comploteurs. Les forces de l’ordre ont ouvert le feu à la Nation sur le
cortège pacifique.” Mais ce n’est pas le plus gros titre de ce jour-là21. »
Si le plus gros titre de la une de L’Humanité du 15 juillet ne porte pas en
effet sur la répression, on trouve toutefois des comptes rendus très
descriptifs des événements : « L’attaque par la police du groupe de
manifestants algériens défilant calmement aux côtés de leurs frères, les
travailleurs français, est une provocation organisée. S’il n’y avait pas eu de
police, il n’y aurait eu sur la place de la Nation que le calme d’un soir de
14 Juillet. Les ministres n’ont plus aucun respect de la Constitution
républicaine qui garantit le droit de manifestation, ni de la tradition
nationale qui fait du 14 Juillet une date solennelle. […] Des scènes atroces
se produisaient. Partout le sang coulait. On soutenait, on relevait, on
transportait des blessés, à la poitrine, aux jambes, au ventre, à la tête. […]
Les CRS, ivres de sang, entraient dans les cafés où s’étaient réfugiés des
femmes, des enfants effrayés et ils frappaient. Quatre femmes furent ainsi
matraquées dans un café. L’une d’elles avait la tête ensanglantée, une autre,
blessée aux reins, pleurait de douleur. […] À un moment, une maman avec
sa petite fille traversaient pour s’en aller. Un policier, par-derrière, frappa la
mère. Puis l’enfant. Et les embarquèrent. […] Les maîtres de Washington
vont se frotter les mains22. »
Le lendemain, L’Humanité publie quatre pages sur le drame. L’édition du
week-end du 18-19 juillet en parle toujours à la une, comme L’Humanité
Dimanche avec ses lettres en rouge. Le meeting du 21 juillet au Cirque
d’hiver, les hommages à la Mosquée de Paris et à la Maison des métallos,
puis l’enterrement de Maurice Lurot au cimetière du Père-Lachaise sont
annoncés en une dans les numéros des 20, 21, 22 et 23 juillet. Le 24 juillet,
l’arrivée des corps des victimes algériennes à Marseille est signalée à la
une. À partir du 25 juillet, l’information reste dans les pages intérieures
jusqu’au 31 juillet, date du dernier article.
L’autre grand quotidien de gauche, le Libération de l’époque, dirigé par
Emmanuel d’Astier de la Vigerie, reprend un titre choc à la une de son
édition du 15 juillet avec une photo : « La police tire : sept morts ». Le
journal insiste sur la responsabilité de la police et réclame des sanctions :
« La police est-elle au-dessus de lois ? Des sanctions s’imposent contre les
chefs policiers de la tuerie du 14 Juillet23. » Il rapporte de nombreux
témoignages, comme celui d’une femme : « J’ai entendu un gradé dire à
une quarantaine de policiers : “C’est le moment, allons-y !” Tout le groupe
d’agents s’est dirigé en courant vers les hauts de l’avenue du Trône et la
bagarre commença ! » Et une révélation : « Lucien Carré a eu une balle qui
lui traversa la cuisse [le mollet en réalité, comme on l’a vu] alors qu’il
buvait à une terrasse d’un café24. » L’information sur le drame reste à la une
jusqu’au 21 juillet, puis passe dans les pages intérieures et disparaît à partir
du 24 juillet.
Avant-Garde, l’hebdomadaire de l’Union de la jeunesse républicaine de
France (affiliée au PCF), en parle dans le numéro du 15-21 juillet, mais
c’est surtout dans son numéro du 22-29 juillet que paraissent des articles sur
la répression et sur les visites aux blessés, notamment Joseph Zlotnik.
Moins connus, Franc-Tireur et Combat vont parler de ce massacre dès le
lendemain du drame, puis dans les pages intérieures jusqu’au 21 juillet pour
Combat, et jusqu’au 23 juillet pour Franc-Tireur.
En résumé, dans la presse de gauche, l’événement est abondamment
dénoncé jusqu’aux obsèques du 23 juillet, puis l’information est reléguée
dans les pages intérieures jusqu’au 31 juillet.
L’hebdomadaire La Vie ouvrière, organe de la CGT, titre en rouge dans
son édition du 22-28 juillet : « Ils sont capables de tout », accompagné
d’une caricature du ministre de l’Intérieur Léon Martinaud-Déplat (1899-
1969) portant sept cercueils en guise de décoration. « Sept corps martyrs au
sang-mêlé d’Algérie et de France, peut-on lire dans l’article. Sept hommes
abattus sauvagement par la haine raciale. Par l’hystérie colonialiste en ce
jour de défilé traditionnel et pacifique du 14 juillet 1953. […] Avant qu’ils
ne commettent d’autres crimes, rassemblons toutes les forces vives de la
nation. Agissons dans l’unité. Ensemble, le fascisme et la guerre ne
passeront pas. » Suit en page 3 un beau texte de Christiane Chotard, « Vive
réaction dans toute la France contre ce crime raciste » (avec
des informations sur les débrayages dans les usines au moment des
obsèques de Maurice Lurot) : « À l’hôpital Saint-Antoine, une jeune femme
se penche sur un lit : “Tiens, voici des oranges, des tomates, vous les aimez
sûrement ?” L’étonnement agrandit les yeux noirs du blessé. Un seul mot,
“solidarité”… Il a compris. Il sourit, elle aussi. Le sang versé place de la
Nation vient de sceller une chaude et profonde amitié entre une Française et
un Algérien. Dans cette salle, ils sont une quinzaine, tous blessés par balle.
Salem souffre horriblement. Que va-t-il devenir ? Pourtant, il y a cru aux
belles promesses colonialistes. Il gagne 6 000 francs par semaine mais sa
chambre lui coûte 4 000 francs par mois et il envoie tous les deux ou trois
mois de l’argent à sa famille restée en Algérie. L’histoire de Salem est celle
de tous ces frères, qui pour ne pas périr de la famine, pour éviter la trique
dans les plantations des colons, quittent leurs douars pour venir en France,
espérant être moins malheureux. […] Ici les travaux les plus durs, les plus
insalubres leur sont réservés dans les usines. […] Chez Jèze et Gazes, ils
disposent d’un masque pour quatre et ils manipulent toute la journée du
benzol, des acides. Leurs salaires sont inférieurs de 4 francs à ceux des
travailleurs français. Dans certains cas, cette différence atteint 30 et
40 francs par heure. Et leur logement ? Certains vivent à la belle étoile.
D’autres s’entassent à quatre ou cinq dans une seule pièce, parfois plus dans
une chambre d’hôtel et le patron leur fait payer 2 500 francs et même
davantage pour chacun d’eux. […] Un autre scandale est celui des
allocations familiales. Un travailleur français qui a trois enfants perçoit
19 500 francs, un travailleur algérien n’a droit qu’à 7 200 et encore quand il
touche son dû25 ! » Curieusement, c’est le seul numéro de La VO qui
abordera de façon un peu détaillée le massacre du 14 juillet 1953. L’édition
suivante se limitera à un petit article sur l’« adieu déchirant aux martyrs de
la liberté » lors des obsèques de Maurice Lurot et à un autre signé par le
directeur de l’hebdomadaire, Gaston Monmousseau, après l’hommage à la
Mosquée de Paris26.
Enfin, il y a quelques pages fin juillet dans les hebdomadaires
Témoignage chrétien et L’Observateur, un article dans le numéro de
septembre en page 3 du mensuel Droit et Liberté, le journal du MRAP. Le
Droit de vivre, journal de la LICA (Ligue internationale contre
l’antisémitisme) signale l’événement seulement dans son numéro du
20 juillet.
En Algérie, les journaux progouvernementaux et procoloniaux en parlent
à peine : quelques articles dans les pages intérieures, ou quelques lignes
seulement dans le cadre des célébrations de la fête nationale. À l’inverse,
l’hebdomadaire du MTLD, L’Algérie libre, évoque évidemment ce
massacre, avec un titre largement exagéré sur le nombre de participants :
« 40 000 Algériens qui manifestent à Paris27. » Dans son numéro spécial de
quatre pages daté du 29 juillet, le massacre et l’hommage sont relatés en
détail. Le titre de L’Algérie libre donne l’ampleur de ce numéro spécial :
« Le peuple algérien en deuil. Solennel hommage à la Mosquée de Paris. »
On y trouve les photos de certaines victimes et la liste impressionnante des
blessés. Le numéro du 31 juillet s’attarde sur l’arrivée des quatre premiers
cercueils à Alger. Les numéros du 7 et 14 août, comme celui du
4 septembre, reviennent également sur ce massacre. « Le PPA-MTLD va
avoir la possibilité de s’exprimer dans son journal L’Algérie libre, observe
Emmanuel Blanchard : d’une certaine façon, c’est la seule fois qu’il y aura
une version algérienne, bien sûr militante, de ceux qui ont été visés et ceux
qui étaient participants, mais il va être censuré et quasiment inaccessible
aux lecteurs français et très peu aux militants du PPA-MTLD de métropole
et d’Algérie… »
C’est le grand quotidien de la gauche algérienne, Alger républicain,
proche du Parti communiste algérien et dirigé par Henri Alleg, qui donne le
plus d’écho à cet événement en Algérie. Le drame est relaté en une dès le
lendemain, puis chroniqué jusqu’au 28 juillet. À l’arrivée des premiers
cercueils, les 25, 26 et 27, 28 juillet, le journal rend compte de l’accueil
réservé à « ses martyrs » par la population d’Alger, communistes et
nationalistes réunis. De nombreuses photos illustrent ces numéros, avec des
reportages dans les villages où les cercueils s’arrêtent. D’autres articles
suivront dans les pages intérieures les 29 et 31 juillet, puis les 6, 7 et 8 août.
L’histoire revient à la une dans les numéros des 19, 23, 24 et 25 septembre,
avec l’arrivée des deux derniers corps qui étaient restés au cimetière franco-
musulman : ceux de Larbi Daoui et de Mouhoub Illoul. Un dernier
reportage est publié le 26 septembre, avec une photo de l’enterrement de
Mouhoub Illoul à Oued Amizour. Enfin, signalons que dans ses éditions du
23 et 30 juillet et du 6 août, le journal du Parti communiste algérien,
Liberté, reprend les articles et les photos d’Alger républicain.
Mais, comme on va le voir, l’écho de ces informations, publiées par des
organes de presse assez minoritaires, sera très vite réduit à néant par la
désinformation immédiatement mise en œuvre par les artisans d’un
« mensonge d’État ».

Note du chapitre 4

a. Quatre des sept tués, on l’a vu, sont morts à l’hôpital Saint-Louis.
5
L’organisation du mensonge d’État

Le soir du drame, la Préfecture de police de Paris, en accord avec le


ministère de l’Intérieur, publie un communiqué qui argumente la « légitime
défense » : « Les Nord-Africains entendirent poursuivre leur manifestation
sur le cours de Vincennes. […] 2 000 Nord-Africains se saisissant de toutes
sortes de projectiles […] et certains armés de couteaux, attaquèrent avec
sauvagerie le petit nombre d’agents présents. […] Brusquement cernés et en
état de légitime défense, quelques agents durent faire usage de leurs
armes1. »
Cette justification du drame est aussitôt reprise dans certains journaux.
Ainsi, dès le 16 juillet, on peut lire les témoignages de plusieurs policiers :
« On a vu les Arabes, brusquement saisis de fureur, se jeter sur nous. J’ai
été entouré par des agresseurs et renversé et assommé. Comment se
défendre contre eux ? Ce sont des brutes, mais des brutes surexcitées par
des provocateurs… » Un autre : « Alors, il faudrait se laisser piétiner par
ces gars-là et sans répondre ? » L’agent de police Maurice Marlet, blessé ce
jour-là, affirme : « Je peux témoigner que mes camarades et moi-même
n’avons usé d’aucune violence pour disperser les Nord-Africains. […]
Visiblement, ces manifestants étaient organisés pour l’attaque2. » Et toutes
les notes que j’ai pu retrouver dans les archives de la police vont dans le
même sens.

Le faux argument de la « légitime défense »


Le mensonge d’État commence dès les premiers rapports officiels des
commissaires présents sur les lieux du massacre. André Bondais,
commissaire du quartier Chaillot, écrit ainsi le jour même : « Armés de
bouteilles, de barres de fer, de morceaux de bois et de couteaux, les Nord-
Africains frappèrent sans relâche mes gardiens, auxquels s’étaient joints les
effectifs de mon collègue Giraud venus en renfort. J’entendis à ce moment-
là plusieurs coups de feu, mais je n’ai vu personnellement aucun gardien se
servir de son arme3. » Ce que précise toutefois Robert Giraud, commissaire
de police de Courbevoie : « Absolument submergés par le nombre, nous
dûmes nous replier rapidement. J’entendis à ce moment-là des coups de feu
en provenance des émeutiers. Il apparaît donc que les bagarres de ce jour
ont pris le caractère d’une véritable émeute. Les participants se sont trouvés
immédiatement armés soit de projectiles divers, soit d’armes par nature,
pistolets ou couteaux4. » Jean Robic, commissaire principal du
XVIIe arrondissement, confirme les « coups de feu » : « Je précise qu’au
moment où je réussissais à rejoindre mes collègues au début de l’affaire,
sous une pluie de projectiles, j’ai nettement perçu derrière moi, donc des
rangs des manifestants, plusieurs coups de feu. J’ai d’ailleurs appris qu’un
gardien avait été blessé par balle. J’ajoute qu’au cours de nos mouvements
de repli, j’ai entendu de nouveau des coups de feu, dont plusieurs
provenaient certainement des rangs des Nord-Africains5. »
Dès le 14 juillet, les conclusions du commissaire divisionnaire Henri
Fouillard, qui dirigeait les opérations assisté des commissaires Bondais,
Giraud et Robic, sont encore plus limpides : « Le cortège des Nord-
Africains a délibérément cherché à créer des actions d’une rare violence
contre le service d’ordre, sans aucun motif. Cette opération apparaît comme
ayant été concertée à l’avance et exécutée par la troupe de choc des
manifestants nord-africains6. » Et, le jour même, le directeur des services de
la police municipale envoie au préfet un premier rapport, où il est écrit sans
détours : « Quatre-vingt-dix-huit policiers blessés, dont un par balle : le
gardien Ladoue. […] Deux voitures de la police incendiées et une
détériorée. […] Le caractère de cette agression soudaine et imprévue, en
même temps que d’une rare violence, a révélé l’expression d’un fanatisme
politique exaspéré. […] Cette opération apparaît comme ayant été concertée
à l’avance, et exécutée par la troupe de choc des manifestants nord-
africains7. »
Les jours suivants, des rencontres ont lieu entre policiers et gradés pour
préciser la version officielle de l’action de la police. Tous les comptes
rendus des hommes présents sur les lieux du massacre renforceront l’idée
de la préméditation et de la légitime défense, comme celui du commissaire
Bondais : « J’ai réuni le 17 juillet, au bureau du VIIIe arrondissement,
quelques gradés et gardiens ayant fait partie des effectifs placés sous mes
ordres, à l’occasion de la manifestation de la Bastille à la Nation, afin de
leur faire préciser dans quelles conditions des coups de feu ont été tirés lors
de notre intervention8. »
Le 18 juillet, un rapport détaillé effectué par des gradés et envoyé au
directeur des services précise donc : « Deux cent quarante-sept
fonctionnaires ont été entendus, il n’en reste qu’une vingtaine à entendre,
sauf les absents par blessure ou en congé. Sous réserve de mise au point
nécessaire, il ressort de ces auditions que les premiers coups de feu seraient
partis d’un groupe de Nord-Africains réfugiés à la terrasse d’un café à
l’angle de l’avenue du Trône et de la place de la Nation (fait affirmé par
plusieurs gardiens). Un Nord-Africain a été signalé comme étant embusqué
derrière la colonne du Trône, côté boulevard de Charonne, armé d’un
pistolet à barillet ; des gardiens l’ont vu tirer sur le service d’ordre en
avançant. Le gardien Lucien Lainé l’a vu s’affaisser, le gardien Jules
Chatelard a vu cet Algérien allongé dans le caniveau tenant encore un
revolver, le gardien Charles Jacques précise qu’il était vêtu d’un costume
gris. […] Cinq gardiens ont reconnu avoir tiré avec leur arme. Ils
fournissent des arguments établissant qu’eux ou leurs collègues blessés se
trouvaient en danger9. »
À la lecture de ces premières auditions10, l’unanimisme des affirmations
des représentants des forces de l’ordre est pour le moins troublant. Presque
tous ont « tiré en l’air » : Alphonse André a tiré deux coups de feu en l’air.
Marcel Sénéchal, un coup de feu en l’air. Robert Pinguet, trois coups de feu
en l’air. Louis Cozilis, plusieurs coups de feu en l’air. André Sallès, une
seule balle en l’air. Léonce Morot, sept balles en l’air. Seuls deux policiers
avouent avoir tiré mais sans visée précise : Jean Bourcier, quatre balles
depuis un car ; et Henri Brunelles, deux balles. Seize policiers ont vu leurs
collègues tirer… en l’air ou par terre. On se demande comment les
Algériens tués et blessés ont pu recevoir des balles dans le cœur, dans la
tête, dans le ventre…
Le plus surprenant, c’est qu’un très grand nombre de policiers vont
affirmer qu’ils ont vu des Algériens leur tirer dessus. Yves Toussaint « a
remarqué un Nord-Africain tenant un pistolet et en faire usage boulevard de
Charonne ». Jean Vidal « a vu un Nord-Africain caché derrière une
vespasienne tirer sur le service d’ordre ». Charles Jacques « a vu un Nord-
Africain faire usage d’un revolver de fort calibre à plusieurs reprises ».
Noël Massoir, inspecteur principal, « a vu un Nord-Africain qui a déchargé
à plusieurs reprises son pistolet sur des gardiens ». Marcel Laillier « a vu un
Nord-Africain faire feu avec un pistolet boulevard de Charonne ». René
Frezal « a vu un Nord-Africain, âgé d’une trentaine d’années, caché derrière
une vespasienne faire usage de son arme à fort calibre ». Enfin, Michel
Salley a fait la même déclaration que celle de René Frezal. Il a utilisé
exactement les mêmes mots !
D’autres policiers vont affirmer avoir vu des Algériens avec une arme.
Ainsi Henri Simon a vu « un Nord-Africain tenant un pistolet ». Victor
Pontel remarque « deux Nord-Africains tenant chacun un pistolet de fort
calibre ». Jean Gasparini fait une relation entre deux Nord-Africains tendant
le poing et le claquement simultané de coups de feu ». Henri Maccagno a
vu « un Nord-Africain qui tenait un objet qui devait être un pistolet ». Pierre
Dupuis affirme sans sourciller : « Un Nord-Africain me visait et j’ai
entendu des balles siffler à mes oreilles. » Henry Piney dit « qu’un témoin
lui a signalé qu’un Nord-Africain était armé ». Même chose pour Rémy
Cambronne : « Un passant est venu me dire qu’un homme, caché derrière la
colonne du Trône, était armé d’un revolver à barillet. » Serge Marinier
précise : « Un Nord-Africain tenait un pistolet genre 7,65. » René Aubrée
parle d’un « Nord-Africain avec un pistolet vêtu d’un complet bleu et qui
avait une forte corpulence ». Louis Besnier voit quant à lui « un Nord-
Africain blessé porteur d’un revolver à barillet ». Roger Duret évoque lui
aussi « un Nord-Africain porteur d’un revolver à barillet ». L’argument du
« Nord-Africain porteur d’un revolver à barillet » semble d’ailleurs très
commode, puisque les gardiens, Jean Coulardot, Francis Merlin, Gérard
Auvé, Jean Delattre, Jules Chatelard, Lucien Lainé font exactement la
même déclaration. Toutes ces auditions n’ont pas été recueillies par des
juges ou par des enquêteurs, mais par d’autres policiers. D’où la forte
suspicion de fabrication du mensonge d’État. Enfin, cinquante-cinq
policiers affirment « avoir entendu des coups de feu qui venaient du côté
des manifestants ou du côté de la place de la Nation », là où se trouvaient
les Algériens. Cinquante-cinq…
Les (fausses) minutes de la manifestation selon la police
L’historienne Danielle Tartakowsky analyse ainsi cette « réécriture-
autocensure » de la police municipale à partir de la « main courante
spéciale » que ses responsables ont renseignée au fil des événements11 :
« Lorsqu’on lit dans les archives de la police les comptes rendus des
commissaires, ils font état de l’arrivée des militants algériens d’une
violence extrême, ils parlent d’armes, de couteaux. Mais, quand on lit bien
ces minutes écrites par ces commissaires postés sur la manifestation, on ne
trouve aucune mention du moment où les coups de feu sont tirés. Et ils
parlent d’Algériens armés, alors qu’on ne retrouvera jamais ces armes. Or il
est bien évident que ces commissaires sont sur le terrain, en liaison
permanente avec la préfecture et le ministère de l’Intérieur. La main
courante ne fait d’abord état, minute après minute, d’aucun mort sur le
terrain, même si elle dit bien qu’il y a une violence extrême et des blessés.
Puis, d’un seul coup, elle évoque des rapports à l’hôpital et on se retrouve
avec sept morts12… » De fait, la lecture de cette main courante, consultable
(sous dérogation) dans les archives de la Préfecture de police de Paris, ne
peut que laisser perplexe. Citons-en les principaux éléments.
« 17 h 10. – Le commissaire Bondais demande des renforts, il est aux
prises avec 2 000 manifestants. Il y a des blessés, quatre cars sont envoyés
sur les lieux. […]
17 h 15. – Un groupe de manifestants, parmi lesquels on a vu des Nord-
Africains, paraît avoir attaqué le service d’ordre. Les services de
M. Bondais sont aussitôt renforcés par M. Robic. Des contacts violents se
sont produits. La dispersion est en cours. […]
17 h 20. – Envoyé d’urgence des renforts cours de Vincennes angle
boulevard de Charonne. […]
17 h 35. – Le gardien Sallès a été transporté à la Maison de santé [des
gardiens de la paix] pour blessure par coups de couteau. Les manifestants
ont mis à feu une camionnette stationnée près de la colonne du Trône. […]
17 h 37. – Cent vingt gardiens ne sont pas suffisants. Envoyez le
maximum de renforts cours de Vincennes-boulevard de Charonne dont des
éléments de la Garde républicaine.
17 h 45. – Deux cars P45 sont endommagés et une voiture des services
techniques (de la police) incendiée. La place est évacuée. […]
18 h 45. – Un des gardiens a été blessé par balle et a regagné son
domicile.
18 h 47. – Le gardien M. Cormailles a été mis en observation à la Maison
de santé.
18 h 50. – Le gardien Barras a été amené à l’Hôtel-Dieu. Il est en salle
d’opération. […]
18 h 55. – Un Nord-Africain, blessé par balle et transporté par un
particulier, serait décédé à l’Hôtel-Dieu : il s’agit de Bacha Abdallah.
19 h 28. – Tous les commissaires et chefs de secteur doivent rejoindre
immédiatement la salle de conférences de la police municipale de la Cité
pour rapport spécial.
19 h 50. – Quatre-vingt-un gardiens ont été conduits à la Maison de santé
et dix-huit d’entre eux ont été admis. Les autres ont regagné leur domicile.
20 h 15. – Treize manifestants transportés par des particuliers ont été
amenés à l’hôpital Saint-Louis. Deux d’entre eux sont décédés : Maurice
Lurot et Draris Abdelkader.
20 h 30. – Deux personnes, Marie-Anne Bruneau, cinquante ans, et
Mme Léaune née Chapuis, cinquante-six ans, ont été conduites au poste
pour propos désobligeants envers les gardiens.
21 h 15. – Cinq manifestants ont été amenés à l’hôpital Tenon par des
particuliers, deux sont décédés : Tahar Madjène et Larbi Daoui.
22 h 15. – Deux manifestants sont décédés à l’hôpital Saint-Louis :
Tadjadit et Illoul. »
Danielle Tartakowsky poursuit ainsi son analyse critique de cette
étonnante « main courante spéciale » : « C’est quelque chose d’assez
ahurissant, parce que quelquefois on fantasme sur les archives, sur le
thème : “On nous cache tout, on nous dit rien.” Mais dans ce cas, les
archives sont là, minute par minute. Elles disent d’abord qu’il n’y a pas de
morts ; puis, d’un seul coup, à partir de 18 h 55, il y a des morts. Et, entre
les deux, on ne sait pas ce qui s’est passé. Bien entendu, on n’aura jamais le
texte d’un préfet de Paris qui dirait : “Tuez-les tous !” Mais il est
impensable que ce préfet ignore qu’il y a eu un premier mort, puis un
deuxième et, enfin, sept morts dans Paris ! Toutes ces archives, parfois
complexes, ne donnent pourtant aucune trace de cette information. Or on
sait que la police est, depuis le préfet de police de Paris Jean Chiappe
(1878-1940), bien organisée : elle sait parfaitement empêcher des
manifestants d’atteindre un lieu donné. Il peut y avoir un accident, une
“bavure”, mais sept morts à Paris qui auraient été “ignorés”, cela n’est pas
pensable13. »
La hiérarchie policière justifie pourtant le massacre au nom de la légitime
défense. Et le ministre de l’Intérieur, Léon Martinaud-Déplat, s’empare de
cette justification pour répondre à une séance d’interpellation du
gouvernement deux jours plus tard, à l’Assemblée nationale. Cependant,
lors de ces débats, les Algériens ne furent pas accusés d’avoir utilisé des
armes à feu, comme me l’a dit Emmanuel Blanchard : « La mise en cause
sur ce point resta métaphorique : “Ils avaient la haine dans les yeux, et si
leurs yeux avaient été des mitraillettes, nous aurions tous été tués”, fut ainsi
la formule reprise par le ministre de l’Intérieur citant un des gardiens
engagés ce jour-là ! Cela dit, alors que depuis la Libération la police
parisienne n’utilisait jamais les armes pour disperser les cortèges, les sept
morts du 14 juillet 1953 n’occasionnèrent pas véritablement de remous
internes. Même le principal syndicat des gardiens, le Syndicat général de la
police parisienne (SGP), plutôt classé à gauche, passa sous silence ces
victimes14. »

À l’Assemblée nationale, le 16 juillet 1953


Deux jours après le massacre, a lieu une séance d’interpellation du
gouvernement à l’Assemblée nationale (la dernière avant les congés). Les
interventions de certains députés lors de ces débats sont révélatrices,
comme me l’a expliqué Maurice Rajsfus : « Ces débats à l’Assemblée
nationale ont été immondes. Les députés de droite intervenaient sur la
présence des Algériens en France sur le mode : “Foutez-les dehors !”
C’était terrifiant, car c’était quand même en 1953, c’est-à-dire huit ans
après la fin de la guerre. On peut citer par exemple Raymond Dronne, un
des libérateurs de Paris – le capitaine Dronne avait été l’un des premiers
arrivés à Paris le 25 août 1944 avec les chars de la division Leclerc. Il était
devenu député et il a fait remarquer l’“ampleur du problème social constitué
par la présence en France de trop nombreux Nord-Africains”. Quant au
ministre de l’Intérieur, il osa dire que “les envois mensuels d’argent de leurs
camarades qui sont déjà en France et que la famille reçoit paraissent
montrer une source d’aisance”. C’est extraordinaire ! En d’autres mots : ces
gens-là sont surpayés, ils nous ruinent. André Liautey affirma quant à lui :
“Je souhaiterais que le maintien de la citoyenneté française accordée depuis
la Libération fût subordonné à une demande souscrite par les intéressés”,
alors qu’ils étaient Français de droit et qu’on ne leur avait pas demandé leur
avis. Le 14 juillet 1953 est dans la droite ligne du massacre de Sétif du
8 mai 194515. » Dans son livre 1953. Un 14 Juillet sanglant, Maurice
Rajsfus a publié quelques extraits de ce débat parlementaire, parus dans le
Journal officiel du 17 juillet 195316 et que je reprends ici.
Raymond Dronne, de l’Union républicaine d’action sociale (URAS,
gaulliste) : « Gouverner, c’est prévoir. Il semble qu’en la circonstance le
ministre de l’Intérieur ait oublié cette règle élémentaire. Je voudrais savoir,
Monsieur le ministre, si vous avez donné des instructions en prévision des
manifestations et, dans l’affirmative, lesquelles. Je voudrais savoir pourquoi
cette manifestation a été autorisée, alors que certains renseignements
pouvaient légitimement susciter des craintes. Le 14 Juillet devait être la fête
de la liberté et de l’unité française. Elle ne devrait pas être l’occasion de
manifestations partisanes. »
Maurice Rabier, député d’Oran de la Section française de l’internationale
ouvrière (SFIO, socialiste) : « On est porté de croire que le PCF a été
particulièrement séduit par l’avantage politique que pouvait lui offrir cet
ordonnancement spectaculaire du défilé. […] Le bilan de cette tragique
soirée laisse apparaître qu’on a stupidement placé le service d’ordre dans
une situation difficile et que l’on a ainsi pu le contraindre à réagir comme il
l’a fait. »
Abdelkader Cadi, député de Constantine de l’Union démocratique et
socialiste de la résistance (UDSR, centre gauche), interroge le ministre :
« Qui a donné l’ordre de se montrer particulièrement rigoureux à l’égard
des manifestants algériens. Pourquoi la police perd-elle son sang-froid en
présence d’Algériens ? Est-ce un mot d’ordre ? Sinon, pourquoi cette
différence de traitement ? Pourquoi une répression qui est allée jusqu’à la
tuerie ? »
Jean Grousseaud (Rassemblement du peuple français/ARS, droite) : « Je
tiens à me faire l’interprète de la population de l’est de Paris en majorité
anticommuniste, qui subit tous les ans ces manifestations assez
désagréables pour ceux qui ne partagent pas les idées des communistes. Si
elle est obligée de supporter ces défilés, encore faut-il qu’elle soit protégée
contre certaines déprédations qui peuvent se produire à leur occasion. C’est
ainsi que le 14 juillet, de paisibles commerçants furent pillés. […] Je me
permettrai d’attirer l’attention de M. Le ministre de l’Intérieur sur les
mesures profondes qu’il convient de prendre pour éviter de semblables
désordres, et empêcher que les communistes ne se servent ainsi de la chair à
manifestation que constituent pour eux les Nord-Africains qu’ils enrôlent. »
Pierre Guérard (Républicains indépendants, droite) : « Le renouvellement
d’incidents aussi graves prouve bien que c’est le fait même du défilé qui est
en cause. Un tel défilé en un tel jour est inadmissible. […] Le maintien du
défilé met en cause l’ordre public à une époque de l’année où les étrangers
abondent dans notre capitale. Je demande donc au gouvernement qu’il
reconsidère la question et qu’il envisage pour l’avenir l’interdiction pure et
simple de tels défilés tolérés à tort jusqu’à présent et qui malheureusement
ont déjà engendré à deux reprises des incidents sanglants qui ont endeuillé
notre capitale. »
Emmanuel d’Astier de la Vigerie, de l’Union progressiste (proche du
PCF) : « Les balles qui ont tué n’étaient pas des balles égarées : elles ont été
tirées dans la tête, au cœur et au ventre. Je veux dire comment est mort
Maurice Lurot. […] Une vingtaine d’hommes du service d’ordre étaient
autour de la tribune. Ils furent envoyés pour demander aux Algériens,
malgré les morts, de rompre et de se replier. C’est au cours de cette mission
que Maurice Lurot a été tué par les policiers. […] Il n’y a pas eu de
sommation. […] On a relevé des centaines de douilles par terre. […] On ne
peut pas renvoyer de telles affaires sine die ; elles méritent une enquête
sérieuse… »
Georges Cogniot, du Parti communiste français (PCF) : « Vous vous
trompez, Messieurs les ministres, si vous croyez le moment venu de vous
comporter à l’égard des travailleurs algériens de France comme vous le
faites à l’égard des peuples coloniaux dans leurs pays. Vous vous trompez si
vous croyez avoir découvert un point faible. Ils payeront leur erreur, ceux
qui ont négligé de calculer les inévitables répercussions de la fusillade de la
place de la Nation aussi bien à Paris et en France que dans les pauvres
faubourgs des villes musulmanes et dans les campements les plus reculés.
[…] Le sang versé en commun montre que la solidarité se forge dans la
souffrance et la lutte et c’est vous, les impérialistes, qui la forgez. »
André Liautey, du Rassemblement des groupes républicains et
indépendants français (RGRIF, droite) : « Les événements du 14 juillet sont
un avertissement dont il faut bien tirer la conclusion, à savoir qu’il n’est pas
possible de tolérer qu’autour de Paris et dans Paris même, soient rassemblés
en permanence des éléments d’une armée antifrançaise et révolutionnaire
comme ceux qui viennent de donner un échantillon de leur féroce
combativité. La seule présence de ces éléments troubles crée déjà un climat
d’inquiétude et de révolution. En cas de grève, elle suffirait à envenimer les
conflits sociaux et à faire couler le sang, et si les maîtres du communisme
international en donnaient brusquement l’ordre, cette avant-garde de tueurs
entraînés au combat se lancerait aussitôt à l’assaut. […] Nous attendons du
gouvernement un projet [de loi] qui permette de prononcer la déchéance [de
la citoyenneté française] au moyen d’une procédure applicable à tous ceux
qui ne possèdent pas la citoyenneté française depuis dix ans au moins. Cette
déchéance pourrait d’ailleurs être étendue aux condamnés à certaines peines
criminelles ou correctionnelles ainsi qu’aux individus convaincus de se
livrer au vagabondage spécial tels que ceux qui foisonnent de la place
Clichy à la place de la Nation. […] Je souhaiterais que le maintien de la
citoyenneté française accordée depuis la Libération fût subordonné à une
demande souscrite par les intéressés. […] Ceux qui refuseraient de faire
cette demande seraient déchus d’office. […] En dehors de cette déchéance
de la citoyenneté française, ne serait-il pas possible, sans transgresser des
principes auxquels nous sommes attachés, de prendre d’habiles mesures
pour renvoyer chez eux les Nord-Africains qui s’obstinent à rester des
chômeurs professionnels ? […] C’est pourquoi je vous demande, Monsieur
le ministre, quelles dispositions vous comptez prendre, dans les plus brefs
délais, pour déjouer et réprimer le complot de ceux qui, serviteurs d’un
nationalisme étranger, se préparent à lancer les Nord-Africains en avant
comme une troupe de choc contre les institutions républicaines. »
Le ministre de l’Intérieur Léon Martinaud-Déplat, membre du Parti
radical-socialiste (centre droit), répond aux questions : « Il est faux de dire
que le service d’ordre a fait usage immédiatement de ses armes. […] Le
souci de laisser au cortège son caractère pacifique a été tel que les pancartes
interdites ont pu être déployées dans le Faubourg-Saint-Antoine sans que la
police cherche à faire respecter l’interdiction. […] Je veux aussi apporter à
l’Assemblée ce que les agents blessés que j’ai visités à la Maison de santé
des gardiens de la paix m’ont dit : “Ils avaient la haine dans les yeux, et si
leurs yeux avaient été des mitraillettes, nous aurions tous été tués…”
Quelques-uns avaient des couteaux – j’en ai la photographie que je pourrais
vous montrer –, ce qui évidemment n’était pas de nature à rassurer le
service d’ordre. […] Des scènes dramatiques se produisirent. Elles furent
certes dramatiques pour ceux qui sont morts et ceux qui sont blessés, […]
mais elles furent dramatiques plus encore pour les agents du service d’ordre
qui se trouvaient isolés, frappés, désarmés – plusieurs témoignages
l’établissent – et couraient le risque d’être lynchés par une foule déchaînée.
[…] C’est dans ces conditions que, vraisemblablement, quelques coups de
feu ont été tirés, qui ont provoqué des blessures dont certaines ont été
mortelles. […] Je précise que la situation dans laquelle se trouvait l’agent
qui a pu tirer porte un nom dans le code pénal, cela s’appelle la légitime
défense. […] Mais sans doute, Mesdames, Messieurs, dans la foule qui
manifestait, la misère a-t-elle été aussi mauvaise conseillère que ceux qui
l’exploitent à des fins politiques et c’est sur ce sujet que certains orateurs
m’ont interpellé pour poser le problème de l’immigration de nos
compatriotes algériens vers la métropole.
« Or, jusqu’en 1947, le nombre des Nord-Africains séjournant à Paris ne
dépassait pas 50 000. Il est aujourd’hui de 132 000. Sur l’ensemble du
territoire et pour les mêmes années 1947 et 1953, il est respectivement de
110 000 et de 308 000. C’est dire qu’un problème grave est posé. Il est
incontestable que c’est l’octroi de la nationalité [aux Algériens] qui, en
supprimant les restrictions imposées à l’entrée dans la métropole, a détruit
la relative stabilité qui existait autrefois. […] Le travail du MTLD, qui a
bureaux, téléphone, secrétaires et fichiers en plein Paris, se révèle
fructueux. Le gouvernement ne pourra pas tolérer plus longtemps une
véritable organisation de guerre civile. (Applaudissements sur certains
bancs à gauche, à droite et sur divers bancs à l’extrême droite.) […] Nos
compatriotes algériens viennent ici attirés par l’appât du gain. […] Les
envois mensuels d’argent de leurs camarades qui sont déjà en France et que
la famille reçoit paraissent montrer une source d’aisance.
« À ce fait s’ajoute sûrement le goût de l’aventure. […] Sur l’un des
malheureux morts, on a trouvé cette note : “Je te prendrai en voiture demain
matin à 4 heures pour rentrer à Saint-Dié.” C’était un malheureux Nord-
Africain qu’on avait amené jusqu’ici pour manifester parce qu’il devait être
considéré par les organisateurs comme digne de figurer dans les troupes de
choc17. […] M. Baurès, juge d’instruction, a été chargé de mener l’enquête
judiciaire. […] Il entendra tous les témoins dont l’audition sera nécessaire.
Vous voudrez bien admettre qu’il convient de laisser à ceux qui ont la
charge de rechercher la responsabilité de ces événements le soin, dans
l’impartialité totale que la justice apporte toujours dans ces sortes
d’enquête, d’établir qui peut être coupable et qui ne l’a pas été. »
Emmanuel d’Astier de la Vigerie répond au ministre : « Si la police
française est armée, la loi a tout de même mis un frein à l’usage de ses
armes. Ce frein consiste dans les sommations. […] Vous n’avez pas dit
pourquoi la police a tiré sans sommation. Vous n’avez pas dit quels sont les
responsables, vous n’avez pas dit s’ils seront couverts, s’il y aura une
enquête sérieuse. Je le répète, nous ne pouvons pas croire que sur ce fait
très grave d’avoir tiré sans sommation et tué sept hommes, l’enquête menée
sur les seuls renseignements de M. Baylot [le préfet de police de Paris] vous
paraisse suffisante. À l’occasion du scrutin qui va avoir lieu, certains
voudront se laver les mains ; j’espère que d’autres demanderont l’enquête
sans en préjuger les résultats, bien que l’on sache où sont les
responsables. »
Le résultat du dépouillement confirme la solution prônée par le
gouvernement de mener une enquête judiciaire diligentée par le ministère
de l’Intérieur lui-même. Par 339 voix contre 252, l’Assemblée nationale
décide donc de ne pas donner suite à ces événements : il n’y aura pas de
commission d’enquête parlementaire.

L’annonce (fausse) par la Préfecture de police de Paris d’un


nombre important de policiers blessés
L’historien Emmanuel Blanchard m’a expliqué les ressorts de cette
entreprise de désinformation : « Malgré toutes ces déclarations officielles,
l’argument de la légitime défense va assez vite se “dégonfler”, car il
apparaît clairement qu’aucun coup de feu n’est venu des rangs des
manifestants. Quant aux policiers blessés à coups de couteau, on a certes
relevé quelques couteaux sur le pavé parisien à une époque où les ouvriers
se baladaient avec un couteau de poche, un canif, un Opinel. Mais ce
n’étaient que des couteaux de ce type et aucun policier n’a d’ailleurs eu de
blessure profonde. Une dizaine d’entre eux ont certes été blessés assez
durement, dont un a été trépané. Mais pour faire tenir le scénario de
l’émeute algérienne, il était évidemment nécessaire de gonfler le nombre de
blessés18. »
Dès le 14 juillet au soir, la Préfecture de police de Paris publie un
communiqué affirmant que quatre-vingt-deux policiers ont été blessés, dont
dix-neuf, plus grièvement atteints, hospitalisés19. Les chiffres donnés dans
les archives de la police ne sont toutefois pas les mêmes, puisque les
inspecteurs présents sur les lieux indiquent le même jour que le nombre
total de blessés est de cent un : groupe Bondais : treize ; groupe Robic :
trente-trois ; groupe Giraud : trente-trois ; groupe Martha : vingt-deux20.
Puis la liste issue des archives du juge d’instruction indique que cent seize
gradés ou gardiens sont blessés… De nouveaux noms apparaissent ensuite,
augmentant le nombre des blessés : cent vingt-quatre puis cent-vingt-sept,
jusqu’à cent trente-quatre. Par ailleurs, la préfecture affirme que plusieurs
agents ont été blessés par des couteaux, et un par balle, le gardien Bernard
Ladoue. Reprenant un communiqué de la préfecture, Le Monde parle même
de cinq policiers blessés par balle21.
Pourtant, tous ces chiffres n’ont aucun fondement crédible. D’abord,
comme l’atteste le dossier d’instruction, ouvert plusieurs semaines après,
cinquante-deux de ces « blessés » n’ont jamais cessé leurs activités22.
Ensuite, selon la même source, soixante-six d’entre eux, légèrement touchés
(contusions, ecchymoses, douleurs, etc.), n’ont jamais été hospitalisés.
Enfin, comme cela ressort dans les archives de la Préfecture de police de
Paris (carton HE8), le décompte des policiers blessés est de seize
hospitalisés le 15 juillet à la Maison de santé des gardiens de la paix ou à
l’Hôtel-Dieu ; et, trois jours plus tard, ils ne sont plus que onze (voir
encadré ci-après). En fait, seulement quatre policiers, blessés gravement,
sont encore hospitalisés à la date du 30 juillet (Daniel Prudhomme, Maurice
Meneau, Ambroise Baras et Henri Choquart). Soit bien peu en regard du
nombre de manifestants blessés : plus d’une centaine, dont au moins
cinquante par balle.
Onze policiers blessés d’après les archives
de la police municipale et du dossier
d’instruction
Le 18 juillet 1953, un document de la police municipale,
repris en partie dans le dossier d’instruction, donne la liste
nominative et le diagnostic des onze policiers blessés lors de la
manifestation du 14 Juillet, encore présents à cette date à la
Maison de santé des gardiens de la paix et à l’Hôtel-Dieu23.
« Raoul Chène : fracture probable à la mâchoire, arrêt de
deux mois.
René Darcel : contusion cérébrale ayant entraîné la perte de
connaissance ; il est à craindre quelques conséquences, à revoir
dans un mois.
Paul Lassalle : contusions au crâne et aux deux bras. Il ne
conservera aucun reliquat ; durée de l’arrêt de deux mois.
François Leroy : contusions au crâne et à la main gauche.
Aucune fracture, aucune incapacité permanente ; deux mois
d’arrêt.
Maurice Marlet : plaies au cuir chevelu et contusions au
coude. Aucun reliquat des lésions, considéré comme guéri ;
arrêt d’un mois et demi.
Maurice Meneau : multiples plaies et fracture du crâne. Il ne
doit conserver aucune incapacité, mais il est nécessaire de le
revoir ; arrêt de trois mois.
Henri Choquart : contusion thoracique et à la main, à revoir
dans deux mois.
Daniel Prud’homme : plaies du crâne et face, contusions au
bras, deux mois d’arrêt. Pas d’infirmité permanente, mais une
diminution de l’audition.
René Py : contusions : crâne, lombaire, cuisse, main. Aucune
lésion, aucun reliquat. Les douleurs vont disparaître ;
interruption de trente-trois jours.
Marius Schmitt : contusion crâne, plaie à la lèvre supérieure.
Si les troubles postcommotionnels persistent, nécessité d’aller
voir un neuropsychiatre. Trois mois d’arrêt.
Ambroise Baras : le plus atteint, hospitalisé à l’Hôtel-Dieu.
Plaies au cuir chevelu, enfoncement de la boîte crânienne.
Traumatisme violent, intervention envisagée. Voir un
neuropsychiatre. Quatre mois minimum. »

À l’évidence, l’objectif de l’annonce par la préfecture d’un nombre


important de blessés du côté policier a été d’occulter les morts et les blessés
du côté des manifestants. Telle l’histoire, plusieurs fois mentionnée, du
gardien Sallès, blessé par des coups de couteau dans le dos, alors que selon
les notes de la Maison de santé des gardiens de la paix, comme on l’a vu, il
n’a pas été hospitalisé. Jacques Dehayes, autre gardien, aurait été blessé par
un coup de couteau au bras gauche, bien que les archives ne signalent
« aucune infirmité, arrêt de deux mois ». Enfin, le gardien Bernard Ladoue
a déclaré : « J’ai été blessé par balle en allant aider des collègues qui étaient
en difficulté. » Mais lui non plus n’a pas été hospitalisé. Sa blessure est
superficielle et, selon le commandant des véhicules, M. Cagnard, qui lui a
rendu visite le soir même à son domicile, « son état ne paraît pas
inquiétant »… Ces informations ont été pourtant largement diffusées par la
hiérarchie policière, alors qu’aucun Algérien n’a été retrouvé porteur d’une
arme…

Un photographe de presse frappé par les policiers


Au cours de la manifestation, on l’a déjà évoqué, un photographe du
Parisien libéré, Robert Trécourt, a été frappé et son matériel photo brisé
alors qu’il photographiait des Algériens blessés au moment où ils sortaient
d’un immeuble situé au 2, avenue du Trône.
Le soir même, les journalistes du Parisien libéré rédigent une lettre
ouverte au préfet de police, publiée le lendemain dans le quotidien : « Au
moment des bagarres, un de nos reporters photographes, Robert Trécourt,
qui assurait son service place de la Nation a été brusquement pris à partie
par un groupe d’agents alors qu’il s’était, selon l’usage, présenté aux gradés
responsables du groupe. Robert Trécourt a été frappé à coups de matraque
et son appareil lui fut brisé dans les mains par un agent dont nous
connaissons le numéro. Manifestement impuissants à contenir leurs
hommes, les gradés de ce groupe pensèrent “arranger les choses” en
exigeant de notre reporter qu’il leur remette la pellicule que contenait
l’appareil. Il s’agit là, nous tenons à le dire, d’un acte absolument
inadmissible contre la liberté de l’information : la protestation que nous
élevons auprès du préfet de police, en lui demandant non seulement
réparation du préjudice causé, mais aussi des sanctions contre les gradés et
agents coupables, aura d’autant plus de poids, nous en sommes persuadés,
que Le Parisien libéré ne manque jamais de rendre à la police parisienne les
éloges qu’elle mérite dans son action quotidienne24. » Cette protestation est
complétée par celle du Syndicat des reporters-photographes de la presse
parisienne : « Nous avons l’honneur de solliciter des mesures pour que les
responsables de ces actes soient promptement identifiés et nous voulons
bien espérer que vous prendrez des décisions qui s’imposent pour que de
tels actes ne se produisent plus25. »
L’affaire est rapportée par d’autres journaux : Le Figaro du 15 juillet, Le
Monde du 16 juillet et L’Humanité du 17 juillet. Elle renvoie évidemment
aux témoignages que j’ai cités d’Abdelhamid Mokrani et de l’étudiant
iranien Kazem Vadiei, qui se sont fait matraquer dans l’escalier de cet
immeuble de l’avenue du Trône (voir supra, chapitre 2).
La version policière de l’épisode, comme toujours dans le drame du
14 juillet, diffère évidemment en tout point de ces faits parfaitement
attestés, comme en témoigne le « rapport complémentaire » du commissaire
André Bondais adressé le même jour au directeur général de la police
municipale, que j’ai pu consulter dans les archives de la Préfecture de
police : « J’ai été avisé par un passant que des Nord-Africains blessés se
trouvaient sur le palier de l’étage supérieur de l’immeuble au 2, avenue du
Trône. Je me suis rendu sur les lieux accompagné de l’inspecteur principal
adjoint Adret et de quinze gardiens. Nous avons en effet trouvé, sur le palier
du sixième étage, trois jeunes Nord-Africains blessés aux bras et à la tête.
Nous les avons interpellés et invités à descendre l’escalier. Alors que des
gardiens venaient de les diriger vers un car stationné à proximité, pour les
conduire à l’hôpital, deux autres gardiens ont amené devant moi un reporter
photographe qui ne portait aucun brassard, en me déclarant que ce reporter
venait de prendre un cliché au moment de la sortie des Nord-Africains de
l’immeuble. Ce reporter avait une attitude hostile à l’égard du service
d’ordre et paraissait très surexcité. Je lui ai demandé s’il était exact qu’il
avait pris un cliché au moment de la sortie des Nord-Africains de
l’immeuble, entourés par des gardiens. Sur sa réponse affirmative, je l’ai
prié de bien vouloir sortir le rouleau de pellicule de son appareil et de me le
remettre. Il s’est exécuté sans la moindre réticence. Il m’a fait remarquer
que son appareil avait été détérioré par des gardiens. J’ai constaté alors que
l’appareil avait reçu un léger choc sur la partie métallique. Après avoir reçu
le rouleau de pellicule, j’ai demandé au reporter de me communiquer son
identité. À ce moment seulement, il m’a déclaré se nommer Trécourt Robert
et appartenir au Parisien libéré. Je tiens à préciser les points suivants : 1) le
reporter photographe n’a subi devant moi aucune violence de la part de mes
gardiens ; 2) il ne portait aucune trace de coups et n’a jamais déclaré avoir
été frappé ; 3) il ne s’est jamais présenté à moi avant l’incident, pour faire
connaître sa qualité26. »

La justification policière de la répression massive


Le rapport du commissaire divisionnaire Gérard, daté du 24 juillet,
permet de mieux comprendre comment la hiérarchie policière autorise la
violence. Le 21 juillet, une semaine après le massacre, les commissaires
concernés par les événements se sont réunis pour parler du mécontentement
exprimé par les gardiens de la paix depuis la manifestation. « Je ne puis que
confirmer l’actuel état d’esprit fâcheux des gardiens de la paix, écrit le
divisionnaire. Le problème des Nord-Africains devient de plus en plus
grave. […] [Les gardiens] affirment que si les parlementaires ont accordé la
qualité de citoyens français aux Nord-Africains, ils ne se sont pas inquiétés
des répercussions de cette décision. Aucune restriction, aucune
réglementation n’est venue tempérer chez ces inadaptés le droit
incontestable qu’ils ont dans la métropole de vivre et de circuler selon leur
bon plaisir. Il résulte de cette liberté inconsidérée accordée à des hommes
frustes, illettrés, primitifs, facilement accessibles à des promesses
démagogiques, de multiples incidents, plusieurs fois quotidiens, souvent
graves, que les gardiens de la paix, et eux seuls, sont appelés à résoudre. »
Le rapport poursuit : « La population apolitique des arrondissements
périphériques, sans être pour cela d’accord avec les gardiens de la paix,
estime que la correction n’est pas assez sévère ! » Le rapport ajoute encore :
« Si 110 000 Nord-Africains sont fixés dans le département, 20 % d’entre
eux ne vivent que de ressources inavouables, de rapines et de violences, que
des mesures d’adaptation (formation professionnelle, logement, centres
d’accueil, etc.) ne parviendront jamais à redresser. Et [la population] estime
que si elle veut pouvoir vaquer tranquillement à ses occupations de jour
comme de nuit, ces 20 000 Nord-Africains doivent être mis hors d’état de
nuire. » Là, on se demande bien comment la police compte s’y prendre pour
les mettre « hors d’état de nuire ». Ce rapport, écrit sept jours après le
massacre, précise : « Les gardiens de la paix qui vivent au sein de la
population, qui connaissent ses opinions sur la question nord-africaine, ont
vu dans les assaillants du 14 juillet non des hommes fanatisés par la
politique, mais des malfaiteurs au sens strict du mot, vivant en marge de la
société et à ses dépens, pour qui une occasion était bonne, une fois de plus,
de “rosser le guet”27. »
Djanina Messali-Benkelfat, en lisant ce rapport, est choquée : « “Frustes,
illettrés, primitifs…” On est en 1953 ! C’est incroyable ! Mais on voit bien
ce qui a présidé au système colonial, parce que c’est sur ce racisme qu’il a
fonctionné : il faut le savoir et cela a duré longtemps. On le voit, il est
intégré, surtout dans les forces de l’ordre. Et les bastonnades, les passages à
tabac. Ça a commencé comme ça et cela a fini dans la torture28. »
Le rapport conclut par cette terrible justification : « Les gardiens de la
paix, en se défendant, avaient conscience de défendre en même temps la
famille et la propriété. En hommes simples, ils n’ont pas compris les
conseils de modération qui échappent à leur entendement parce que le
mobile juridique est trop subtil29. »
6
Réactions et hommages

Dès le soir du drame, les réactions sont nombreuses. La section de


Vincennes du PCF distribue un tract titré « La fête nationale est tachée de
sang » et qui appelle la population à s’unir « pour que la police française ne
tire plus sur le peuple français ». 2 000 tracts sont distribués boulevard
Diderot (Paris XIIe). Au cours d’un bal à l’Île-Saint-Louis, huit cents
personnes observent une minute de silence. À Fontenay-sous-Bois, la
minute de silence a lieu après une prise de parole. À la Butte-aux-Cailles
(Paris XIIIe), 2 000 personnes décident de clore le bal en signe de deuil. En
signe de protestation, le bal de Champigny s’arrête et une pétition est
signée. Celui de la place Jeanne d’Arc s’arrête aussi à 22 h 45. Même chose
avec le bal de la place de la Réunion (Paris XXe) et celui du métro Marx
Dormoy (Paris XVIIIe), organisé par l’UJRF. À Gap, distribution de tracts
et prises de position ont lieu au cours d’un bal populaire devant
2 000 personnes1.

Le PCF mobilise contre l’« odieuse provocation policière »


Le lendemain à 6 h 10 du matin, place Jules-Joffrin (Paris XVIIIe), Henri
Girault, cinquante-deux ans, et Fernand Werthée, vingt-cinq ans, sont
arrêtés parce qu’ils distribuent des tracts sur les « travailleurs assassinés le
14 juillet2 ». Ce même jour, les travailleurs de l’atelier 1150 de Renault
débrayent une demi-heure le matin et un tract est distribué pour assister à un
meeting devant l’usine, signé par la CGT de la Régie, les sections du PCF,
du MTLD et du MLP (Mouvement de libération du peuple3) de l’usine. Le
PCF appelle tous les travailleurs démocrates à riposter à l’« odieuse
provocation policière » par des arrêts de travail ou en organisant de « larges
délégations auprès des pouvoirs publics, contre le crime et pour le
châtiment des coupables ». Il insiste pour lier « la provocation policière qui
s’est produite quarante-huit heures avant la réunion de la chambre des mises
en accusation qui doit se prononcer sur la libération des patriotes
emprisonnés », c’est-à-dire les responsables communistes en prison ou
menacés de l’être. Le bureau confédéral de la CGT appelle aussi « les
travailleurs à agir dans toutes les entreprises résolument dans l’unité ».
L’abbé Pierre envoie un message qui se termine par ces mots : « Ils ont
peur de l’unité pour la liberté et le pain. Ils donnent la force brutale. Honte à
eux ! » L’union des syndicats CGT de la métallurgie de la Seine diffuse un
tract où l’on peut lire : « Après avoir ouvert le feu sur les travailleurs
algériens, les provocateurs ont voulu développer dans le sang les préjugés
racistes ; mais le racisme est toujours une arme contre la classe ouvrière et
la provocation du 14 juillet 1953 est un nouveau coup de force du
gouvernement contre la liberté des travailleurs et de l’ensemble de la
population. Le crime du 14 juillet fait suite à l’emprisonnement d’Alain Le
Léap, Lucien Molino et des autres patriotes, aux poursuites contre Benoît
Frachon et Marcel Dufriche4. » Ce même jour, un autre tract dénonçant la
violence policière est également distribué par la cellule du PCF du quartier
du Val-de-Grâce.
D’autres personnalités, souvent proches du PCF, expriment leur
indignation5. Michel Leiris, écrivain : « Je suis écœuré jusqu’à la nausée par
cette habitude, aujourd’hui instaurée en France, de transformer les
manifestations populaires en occasions de pogrome contre les Nord-
Africains. Il est consternant que ces choses-là se passent dans notre pays et
qu’on y traite de telle façon des travailleurs regardés comme des
indésirables alors qu’ils sont poussés hors de chez eux par des conditions
misérables dans lesquelles il faudrait ne pas oublier que c’est notre
gouvernement qui les laisse vivre… »
Louis de Villefosse, historien et ancien officier de la France libre :
« Théoriquement citoyens français musulmans, les Algériens sont, en
pratique, traités d’étrangers sur leur propre sol, et privés de toutes les
libertés politiques, de tous les droits sociaux garantis par la Constitution.
Les élections sont grossièrement truquées, l’opposition est réduite au
silence par un régime policier qui parfois emploie des méthodes de torture
renouvelées de la Gestapo ; et la misère de la majorité de la population
dépouillée de ses terres est atroce… »
Dans les jours suivants, les Algériens du PPA-MTLD ne sont pas en
mesure de protester dans la rue contre ce qui s’est passé le 14 juillet, parce
qu’ils s’exposeraient à nouveau aux coups et à la violence policière. Les
protestations et les hommages sont donc portés par le mouvement ouvrier,
plus particulièrement le Parti communiste français qui en est alors la base. Il
y a des arrêts de travail à l’appel des syndicats (surtout de la CGT) dans
certaines villes de France. Prises de parole, débrayages et minutes de
silence se déroulent au Père-Lachaise, chez Citroën, à la gare d’Austerlitz,
aux ateliers de La Chapelle, dans les XVIe, XVIIIe et XXe arrondissements.
Beaucoup de débrayages ont lieu sur les chantiers où l’on trouve un grand
nombre de travailleurs algériens comme à l’usine Bongrand et Dupin
(chantier Saint-Vincent-de-Paul), à Japy (Arcueil), dans l’entreprise Facel,
Fourré et Rhodes (Colombes), sur un chantier HLM à Charenton, à Ivry
(Chauvin, SKF), à Drancy et lors d’un meeting au chantier du Maroc de la
Cité universitaire. Des débrayages d’un quart d’heure ou d’une demi-heure
ont lieu dans la banlieue rouge (La Courneuve, Stains, Saint-Denis, Saint-
Ouen, Pantin, Montreuil, Épinay, Gennevilliers, Suresnes, Bagneux,
Puteaux, Courbevoie, Levallois, Gonesse, Alfortville, Gentilly, Choisy-le-
Roi, Villejuif, Vitry…) et en province, dans le Doubs, au Petit-Quevilly, à
Villeurbanne, dans les Mines de Salsigne (Aude) et dans les mines de fer de
Moutiers (Meurthe-et-Moselle). Des débrayages d’une demi-heure sont
observés chez les dockers de Rouen et à l’usine Michelin de Clermont.
Dans le Nord, des mineurs observent une minute de silence. Des
télégrammes et des résolutions sont envoyés de Lyon, notamment des
cheminots de Lyon-Perrache, ou des charcutiers de détail et des gaziers de
Bordeaux. Débrayages à l’usine Alsthom de Tarbes, aux chaudronneries des
Pyrénées, au barrage de Montpezat dans l’Ardèche, à Marseille, à Gap. Et, à
Grenoble, se tient un meeting unitaire à l’appel des syndicats CGT, CFTC et
FO de la métallurgie. Des pétitions sont signées et une collecte de fruits est
organisée sur le marché d’Aligre. 20 500 francs sont récoltés parmi le
personnel de La Vie ouvrière (CGT)6. Le 16 juillet, des commerçants nord-
africains de la région lilloise ferment en signe de deuil et de protestation. À
Paris, une chapelle ardente est dressée devant le siège de la section du PCF
du XVIIIe arrondissement.
Le week-end de mobilisation se poursuit, mais ne mobilise que les forces
militantes traditionnelles. Un rassemblement avec prise de parole a lieu
devant l’hôtel où habitait Amar Tadjadit, rue de Meaux (Paris XIXe), un
autre, à l’angle de la rue Ordener et de la rue du Ruisseau (Paris XVIIIe), à
l’endroit ou Maurice Lurot vendait L’Humanité. Une collecte est organisée
par sa cellule, qui porte dorénavant son nom. Les 30 000 francs de
souscription seront versés à sa famille7. « Je me rappelle avoir été dans un
rassemblement dit “populaire” dans le XVIIIe arrondissement, se souvient
Charles Palant, car nous avions à l’époque un comité du MRAP, avec des
militants qui ont entouré la famille. […] On était quelques dizaines devant
le domicile de Maurice Lurot, parce que, là, il y avait des connaissances,
des collègues de travail. […] Il n’y a pas eu beaucoup de débrayages. […]
On était plutôt atterrés par tout ça. […] C’était le deuil8. »

21 juillet 1953 : hommage à la Mosquée de Paris et meeting


au Cirque d’hiver
Le 21 juillet à partir de 12 h 30, les cercueils de cinq des six victimes
algériennes sont exposés à la Mosquée de Paris : Tahar Madjène, Amar
Tadjadit, Abdallah Bacha, Abdelkader Draris et Larbi Daoui. Le corps de
Mouhoub Illoul a été enterré la veille au cimetière franco-musulman de
Bobigny, devant un déploiement impressionnant de forces de l’ordre. Celui
de Larbi Daoui le rejoindra le 23 juillet, en attendant les demandes de leur
famille. (Ils seront exhumés le 18 septembre 1953 pour être rapatriés en
Algérie.)
Après la prière des morts dite par Cheikh Abbas de l’Association des
oulémas musulmans d’Algérie, près de 2 000 personnes défilent à la
mosquée devant ces cercueils recouverts pour la première fois du drapeau
algérien. Vingt-neuf délégations déposent des gerbes et de nombreuses
personnalités sont présentes, parmi lesquelles : François Mauriac du comité
France-Maghreb, Jacques Leman et Max Stern du Comité d’organisation du
14 Juillet (créé en 1935 sous l’égide de la Ligue des droits de l’Homme),
Laurent Casanova et Léon Feix du PCF, les avocats Renée et Pierre Stibbe
(membres de la Ligue des droits de l’Homme) et Yves Dechezelles, Claude
Bourdet de L’Observateur, les professeurs Louis Massignon et Charles-
André Julien, le journaliste Georges Suffert, Georges Montaron de
Témoignage chrétien, Ahmed Boumendjel de l’Union démocratique des
musulmans d’Algérie (UDMA), Alice Sportisse du PCA, Gaston
Monmousseau et Germaine Guillé de la CGT, Léo Hamon, Alice Le
Léap, etc.9.
Souali Boukhari, jeune militant en 1953, se souvient de ce moment : « À
la Mosquée de Paris, j’y étais avec ma femme Yvette, qui deviendra plus
tard une militante du FLN. On venait de se fiancer. Je me rappelle qu’il y
avait un monsieur de la mosquée avec une barbe rouge, il l’a empêchée de
rentrer – “Vous n’êtes pas bien habillée pour entrer à la mosquée” –, parce
que ma femme avait une robe légère… Les corps étaient là ! Ils étaient
quatre ou cinq, je ne me rappelle pas très bien. […] Après ce massacre, on
s’est dit : “Attention, ils ne nous feront pas de cadeau”10. »
Le soir de ce même 21 juillet, un important meeting de protestation est
organisé au Cirque d’hiver à Paris par le Comité d’organisation du
14 Juillet. C’est un moment très fort : il y a tant de monde que tous ne
peuvent entrer. L’Humanité titre le lendemain : « Paris a rendu un hommage
ému aux héros de la liberté et crié sa colère contre les responsables du
crime réactionnaire et raciste de la place de la Nation. » Derrière la tribune,
une grande draperie blanche indique « Morts pour la liberté », avec les
noms des sept victimes. Un orchestre joue la marche funèbre. Le meeting
est placé sous la présidence d’Eugénie Cotton, professeure agrégée de
sciences physiques, membre de la Fédération démocratique internationale
des femmes et du Conseil mondial de la paix. À la tribune, sont assises les
familles des victimes algériennes, Louise Lurot et ses enfants, une
délégation du MTLD, Jeannette Vermeersch, l’abbé Pierre, des
représentants du Secours populaire, du Comité national Henri Martin et les
avocats Joë Nordmann et Renée Stibbe… Plusieurs messages de solidarité
sont lus, dont ceux de Jacques Prévert, Yves Montand et Simone Signoret.
À chaque fois qu’un orateur prononce le mot de Martinaud-Déplat, le cri
« Assassin ! » résonne dans la salle.
Le représentant du MTLD affirme que « les martyrs sont tombés sur
l’autel de la fraternité en marche de nos deux peuples ». Parmi les autres
orateurs, on trouve le docteur Benjamin Ginsbourg, représentant le MRAP,
Henri Longeot du Mouvement de libération du peuple, le journaliste Gilles
Martinet, le pasteur Jean Bosc, l’avocat André Blumel, Henry Raynaud de
la CGT, Colette Jeanson de la revue Esprit, l’écrivain Michel Leiris.
Georges Cogniot (PCF) demande le châtiment des coupables et la
démission de Martinaud-Déplat et du préfet Baylot. Enfin, Emmanuel
d’Astier de la Vigerie termine son intervention en réaffirmant : « Il ne faut
pas que les sept morts soient morts en vain. Entendons leur appel. »
L’article est illustré d’un très beau dessin en noir et blanc de blessés ou
mourants couchés et entrelacés sur le pavé parisien, représentant les sept
victimes avec cette légende : « Le sang-mêlé à la Nation11. »
Mustapha Bacha, frère d’une des victimes, assiste vraisemblablement à
ce meeting, comme il me l’a relaté quand je l’ai interrogé en 2012 en
Algérie : « C’est un ami qui m’a annoncé la mort de mon frère Abdallah. Et
le lendemain, à l’usine Citroën de Balard, le chef d’équipe m’a demandé de
sortir pour aller reconnaître mon frère dans la maison des morts [la
morgue]. Ensuite les gens de ma région ont collecté de l’argent et des
responsables du MTLD sont venus me demander mes papiers pour
transférer mon frère ici en Algérie. […] Je suis resté en France, car il y avait
mes deux autres frères qui avaient besoin de moi. Un jour, on a été dans une
grande réunion. Il y avait Mme Stibbe, une avocate communiste qui nous
défendait, et d’autres responsables politiques. Une personne m’a demandé
si j’avais de la peine pour mon frère, j’ai répondu : “Bien sûr ! Car si c’était
moi, qui suis marié et qui ai déjà une fille, quand elle sera grande, les gens
vont dire : “Voici la fille de Monsieur Untel.” Mais mon frère, il venait juste
de se fiancer, il n’avait pas d’enfant et il est mort. Alors, les gens en
parleront pendant peut-être un mois et puis, petit à petit, ils l’oublieront.”
Quand, j’ai dit ça, les gens ont pleuré12. »
Le départ des convois funéraires et l’enterrement au Père-
Lachaise
Le 22 juillet, jour des obsèques du militant CGT Maurice Lurot, des
appels à débrayer sont lancés dans plusieurs usines et villes de France, dans
le Nord à Fives-Lille-Cail chez Massey Harris et chez les mineurs dans les
fosses six et sept d’Oignies et de Carvin. Le puits le plus touché est celui
d’Hénin-Liétard, où plus de cent Algériens font grève. À Lille, de
nombreux cafés tenus par des commerçants algériens sont fermés en signe
de deuil de 18 à 19 heures. De même à Roubaix-Tourcoing, Valenciennes,
Douai… Des dockers de Calais, de Boulogne-sur-Mer et de Dunkerque
observent aussi des arrêts de travail. Des mouvements ont lieu à Toulon,
dans l’Ain, le Var, à Grenoble, Bordeaux, Poitiers, Tarbes… Des mineurs de
La Molière (Loire) font vingt-quatre heures de grève. Des débrayages ont
lieu à la Grand-Combe (Gard) et parmi les mineurs de l’Aveyron. À
Valence, une délégation réunit socialistes et communistes. À Lyon, un
rassemblement de cheminots est suivi d’un meeting à la Bourse du travail.
Une minute de silence est respectée à la centrale gazière de Grand-Quevilly
(Seine-Inférieure). Et puis, le bureau parisien du syndicat Force ouvrière
(FO) de la Sécurité sociale, les unions départementales CGT et FO de
Loire-Atlantique, la section de Renault de la Confédération française des
travailleurs chrétiens (CFTC), la Fédération de l’Éducation nationale
(FEN), l’Association des travailleurs vietnamiens de France (ATVF) et le
Comité intersyndical du livre parisien (CILP) apportent également leur
soutien13.
Un meeting est improvisé place Nationale à Renault-Billancourt pendant
trente minutes devant plus de 1 000 personnes. Des débrayages, des prises
de parole et des minutes de silence se succèdent un peu partout dans le
pays, comme à l’usine de gaz de Juvisy, dans l’entreprise COJO de
Montreuil avec collecte d’argent pour les familles des victimes. Également
à Ivry, Marly-le-Roi, Neuilly, Charenton, Vincennes, Gennevilliers. Des
arrêts de travail et des minutes de silence sont signalés à Suresnes, Bicêtre,
Arcueil, Aulnay, Asnières, Colombes et de nombreuses villes de la banlieue
parisienne, ainsi que dans le secteur du bâtiment de Paris. Enfin, devant une
chapelle ardente, les travailleurs en vacances au parc Henri Gautier à Baillet
(Seine-et-Oise) ont rendu un hommage solennel aux « martyrs de la
liberté ». Près de 30 000 francs ont été collectés. Chez Renault, la
souscription rapporte 77 000 francs. Le demi-million de francs de
souscription pour les victimes est dépassé, annonce le Secours populaire14.
À la Maison des métallos, rue Jean-Pierre Timbaud (Paris XIe), toute la
matinée, les délégations se succèdent devant les cercueils des victimes du
14 juillet. Le drapeau algérien recouvre ceux des victimes algériennes et le
drapeau rouge celui de Maurice Lurot. Les gerbes et bouquets de fleurs
arrivent en nombre. Des délégations montent la garde devant les cercueils,
les gens défilent et se recueillent une dernière fois. Le sanglot du frère d’un
mort, puis un appel déchirant de la femme de Maurice Lurot font frémir la
salle. Dans l’après-midi, c’est le départ des convois funéraires des victimes
algériennes15.
L’Humanité rend compte ainsi de cette émouvante cérémonie : « Les
Algériens, dont les noms ont été annoncés par haut-parleur dans un silence
impressionnant, ont été chargés dans les voitures funèbres qui les
conduiront jusqu’à Marseille pour les ramener en Algérie où ils seront bien
sûr enterrés. Accompagnés d’une délégation du comité d’organisation, les
fourgons des martyrs nord-africains sont redescendus vers le boulevard
Richard-Lenoir tandis que la foule se plaçait derrière la famille de Maurice
Lurot. Une foule estimée à plusieurs milliers de personnes, accompagne à
pied le cercueil de Maurice Lurot jusqu’au Père-Lachaise. Gilles Martinet,
Me Renée Stibbe, Charles-André Julien marchent devant suivis par un
grand portrait de Maurice Lurot drapé de crêpe et porté par ceux du XVIIIe.
Les directions du PCF, de la CGT et du MTLD avancent derrière, suivies
par un long cortège silencieux. La Préfecture de police note qu’il y a
6 000 personnes derrière le cercueil dont cinq cents Nord-Africains, précédé
d’une fanfare, de quatorze drapeaux rouges et de quatre tricolores ainsi que
de nombreuses gerbes. Les gerbes et les couronnes apportées par les
syndicats et les organisations ouvrières et démocratiques sont si abondantes
qu’il faut en placer une partie jusqu’au mur de la Commune en haut du
cimetière. Devant le caveau provisoire, Jacques Leman présente Lucienne
Mazelin, conseillère municipale de Paris qui prononce une allocution :
“Dors en paix Maurice Lurot, le but poursuivi le 14 juillet par les ennemis
du peuple de la liberté et de la paix n’a pas atteint son objectif. La poignée
d’hommes qui gouvernent en France contre son peuple ne vaincra pas notre
peuple. La lutte unie aura raison des “fusilleurs”. Elle arrachera le
châtiment des assassins, châtiment que tous ceux qui sont venus rendre
hommage aux martyrs de la liberté ont réclamé.” Pendant que passent les
personnes devant le cercueil, la maman de Maurice Lurot s’affaisse
brusquement, écrasée de douleur. Aussitôt aidée par des délégués algériens
puis par Jeannette Vermeersch (épouse de Maurice Thorez) qui la soutient
et l’embrasse16. »
Maurice Lurot, fils cadet de la victime française du 14 juillet 1953, se
souvient de cette période douloureuse. Il porte le même prénom que son
père décédé. Il avait neuf ans en 1953, mais il n’a pas assisté à
l’enterrement. Il est sur une photo avec toute sa famille (son frère, sa sœur
et ses parents) dans L’Humanité du 16 juillet et dans le journal L’Ardennais
du même jour, avec cette légende : « Une famille heureuse17. » « En 1953,
m’a raconté Maurice Lurot en 2011, j’étais à l’école, mon frère Guy en
apprentissage comme ma sœur Simone et mon père était ouvrier
métallurgiste. Il était membre du service d’ordre de la manifestation. Il
essayait de contrôler les débordements, aussi bien des forces policières que
des gens qui défilaient. […] Donc j’étais en vacances dans les Landes
lorsque s’est passé cet… événement. Je n’étais au courant de rien. Et je n’ai
appris la chose qu’à mon retour de vacances quand je suis revenu à Paris. Je
me souviens, j’ai appris ça en montant l’escalier de la maison. On habitait le
XVIIIe arrondissement, rue du Mont-Cenis et j’ai appris cela en montant
l’escalier… [Cinquante-huit ans après, son émotion est intacte, NdA.] Alors
évidemment les obsèques avaient déjà eu lieu. La seule chose que j’aie pu
faire, c’est d’aller au cimetière… Et puis de reprendre le cours de la vie. Ma
sœur a été obligée d’aller travailler. Mon frère aussi. Moi-même, on m’a
mis en apprentissage parce qu’il n’y avait pas de moyens financiers pour
continuer des études ou faire quoi que ce soit… Et ma mère, Louise, a été
embauchée à la mairie de Saint-Ouen par le maire communiste Fernand
Lefort qui a été très bien et qui nous a beaucoup aidés. Nous avions
beaucoup de soutiens d’amis sportifs, puisque mon frère et moi étions
inscrits au club d’athlétisme de Saint-Ouen ; et là, on a eu des contacts et
des athlètes nous ont aidés moralement. Je dois dire que le sport m’a
beaucoup aidé18. »
Maurice Lurot a été plusieurs fois champion de France du 800 mètres,
champion d’Europe et même demi-finaliste aux jeux Olympiques de Tokyo
en 1964. Sa femme était aussi finaliste du 400 mètres à ces jeux. Son seul
regret : « C’est que mon père n’ait pas pu assister à mon évolution
sportive. »
Emmanuel Blanchard estime que la cérémonie au cimetière du Père-
Lachaise est importante, mais limitée : « Les hommages aux morts et en
particulier à Maurice Lurot restent relativement localisés. C’est
véritablement l’Est parisien qui est en deuil et qui défile devant la Maison
des métallos puisque c’était un militant de la Métallurgie. Cela dit, tous les
autres morts algériens sont associés à ce deuil. […] Finalement, pour la
police, on a affaire ici à une mobilisation qui est relativement habituelle.
Mais les autorités françaises ont très peur du rapatriement des corps en
Algérie, car cette arrivée de militants nationalistes tués sur le pavé parisien
peut être un ferment de contestation très fort. Il va donc y avoir des
hésitations, en particulier celle du gouverneur général de l’Algérie, l’ancien
préfet de Paris Roger Léonard. Il revient à Paris pour essayer d’encadrer,
d’organiser ce retour des corps afin d’éviter des mobilisations trop fortes en
Algérie19. »
Alors que le cercueil de Larbi Daoui est transporté au cimetière franco-
musulman de Bobigny, deux convois funéraires aux toits recouverts de
gerbes quittent le dépôt central des pompes funèbres et se dirigent vers
Marseille. Le premier emporte les quatre cercueils d’Abdelkader Draris,
Amar Tadjadit, Abdallah Bacha et Tahar Madjène. Le second transporte une
délégation du comité d’organisation de la manifestation du 14 juillet 1953 :
Mme Fabre représentant le colonel Fabre, le père Henri Barreau, Louis
Odru, communiste, Lucien Monjauvis, membre du syndicat CGT de la
Seine, Charles Guillaumin de la Fédération des métallos et Omar de
l’Union des syndicats CGT20.
Charles Guillaumin, militant de la CGT, alors conseiller juridique au sein
de la fédération, m’a raconté ce voyage : « Je ne connaissais pas Maurice
Lurot, mais comme je travaillais souvent à la Maison des métallos, j’ai été
chargé d’accompagner les corps des Algériens jusqu’à Marseille, où ils
seraient embarqués pour être ensevelis dans leurs cimetières. Dans le
convoi funéraire, nous étions quatre ou cinq. J’étais avec Henri Barreau qui
était un prêtre-ouvrier et militant de la métallurgie. Il y avait également la
femme d’un colonel de gendarmerie qui était républicain et qui s’était
opposé en 1934 aux fascistes qui voulaient franchir le pont de la Concorde
pour investir l’Assemblée nationale. Il y avait sans doute un ou deux autres
camarades dont je ne me souviens plus. […] Une voiture de gendarmerie ou
de police nous précédait. On a roulé toute la nuit et le matin on est arrivés à
Marseille. Les dockers ont fait une grève pour nous permettre d’entrer sur le
quai et procéder à l’embarquement des corps. Le journal La Marseillaise
nous a accueillis dans ses locaux pour une petite toilette, et puis après nous
sommes remontés par le train à Paris. Il n’y avait pas d’Algériens avec
nous, que des Français. Je suppose qu’après, c’est les Algériens qui ont
repris la suite21. »
Ce 24 juillet au matin, les cercueils sont embarqués sur le paquebot Ville
d’Alger. Les dockers de Marseille cessent le travail et les commerçants
algériens baissent leurs rideaux. De nombreuses délégations attendent
devant les grilles du port, mais seulement certaines d’entre elles sont
autorisées à monter à bord. George Crosse, de l’union des syndicats CGT
des Bouches-du-Rhône, accompagne les dépouilles jusqu’en Algérie,
pendant que Pierre Doize, secrétaire fédéral du PCF, tient un meeting
devant les grilles. D’autres personnalités sont venues rendre un dernier
hommage aux victimes du 14 juillet : Jean Duchat, Olga Tournade, Jacques
Marion, André Voguet, Maurice Armanet, etc.22.
7
Hommages et enterrements en Algérie

En Algérie, la tuerie du 14 juillet a un grand retentissement. Au moment


de la levée des corps et de l’enterrement de Maurice Lurot, les 3 600
ouvriers des chantiers de Mers el-Kébir se mettent en grève en signe de
protestation, 50 % des commerçants de la ville nouvelle d’Oran ferment
également leurs portes de 8 heures à 9 heures1. Ce même 22 juillet, les
électriciens gaziers d’Oran, les mineurs de Beni Razun, les ouvriers
agricoles de Constantine et ceux du bâtiment à Bône (Annaba aujourd’hui)
débrayent. Les dockers d’Oran et d’Alger arrêtent le travail pendant une
heure. Les mineurs de Timezrit (près de Bougie, aujourd’hui Béjaïa)
observent également un arrêt de travail à la mémoire des tués.

L’accueil des cercueils à Alger


Malheureusement pour Roger Léonard, gouverneur de l’Algérie, les
3 300 ouvriers du bâtiment et des travaux publics d’Oran qui ont fait une
grève de 24 heures poursuivent l’action en réclamant l’augmentation de
leurs salaires. Un large comité de soutien aux familles des victimes s’est
également constitué avec des représentants du MTLD (Mustapha
Ferroukhi), du Parti communiste algérien (Bachir Hadj Ali), de l’Union
démocratique des musulmans d’Algérie (UDMA), de la CGT, des oulémas,
des journaux comme Alger républicain (Henri Alleg), du Secours populaire
(Georges Raffini), de l’Association des étudiants musulmans, de l’Union
des femmes d’Algérie (Baya Allaouchiche), de l’Union des femmes
musulmanes, des scouts musulmans d’Algérie (Salah Louanchi) et des
personnalités comme le docteur Cadi2.
Mohamed Saïd Oudelka, qui était à la manifestation avec Amar Tadjadit,
reste à Paris : « Nous, le soir du 14 juillet, on a cru qu’Amar Tadjadit était
seulement blessé. C’est le lendemain qu’on nous a dit qu’il était mort. […]
Ensuite, on a collecté de l’argent pour ramener le corps d’Amar en Algérie.
La personne qui a accompagné son corps s’appelle Mohand Méziane, c’est
son cousin, je crois… Nous, on est restés en France et on ne sait pas ce qui
s’est passé ensuite3. »
Le paquebot Ville d’Alger arrive le samedi 25 juillet à Alger avec un peu
de retard. Dès 6 heures du matin, des milliers d’Algériens arrivent
calmement devant le terre-plein qui se révèle rapidement trop étroit.
Accueillis par le comité de soutien, les quatre cercueils sont descendus
devant la salle de la Navigation de la gare maritime avant le départ pour
leurs villages respectifs. Les autorités n’ont pas voulu de l’exposition des
corps à la mosquée.
L’avocat Amar Bentoumi, membre du comité de soutien, se remémore de
ce moment : « Notre rôle au sein du comité de soutien consistait, en
coopération avec la Fédération de France du MTLD, à assurer la défense
des intérêts des victimes, en faisant appel à des avocats français avec
lesquels nous coopérions depuis plusieurs années déjà. Je citerai entre
autres Pierre Braun, Henri Douzon, Yves Dechezelles, Pierre et Renée
Stibbe, etc. Par ailleurs, le comité de soutien de France a pris en charge les
familles des victimes. […] Alors, comme toujours à l’arrivée des corps, il y
a eu des manifestations de sympathie de solidarité, etc. Ils ne sont pas
arrivés comme des colis. Il y a eu un accueil, des funérailles avec des foules
considérables au point que les forces de l’ordre étaient débordées. C’était
comme pour Hocine Asselah [dirigeant du PPA décédé en 1948] et d’autres
obsèques. […] Et avec drapeau national. Ce n’étaient pas des obsèques
apolitiques4. »
À 9 heures, les cercueils sont déposés en plein air. Après quelques versets
lus par l’imam délégué par le mufti de la Grande Mosquée d’Alger, défilent
les délégations et la foule silencieuse. Des milliers de personnes sont là.
Beaucoup de femmes. La première délégation est celle du comité de soutien
aux familles des victimes, puis celle du MTLD conduite par Hocine
Lahouel, Me Abderrahmane Kiouane et Ahmed Mezerna, qui déposent trois
immenses couronnes de fleurs aux couleurs algériennes. Suivent les
délégations du PCA conduites par Larbi Bouali, Bachir Hadj Ali et le
député Pierre Fayet, celles de la CGT, des oulémas (Tawfiq El-Madani), de
l’Union des femmes d’Algérie et des femmes musulmanes d’Algérie, des
scouts musulmans, des dockers du port et des responsables de journaux
(Alger républicain, Al-Mannar…). À 10 h 30, le service des pompes
funèbres vient prendre les corps, accompagné par des membres des familles
et des délégations du comité de soutien. Les convois prennent les directions
de Nedroma, Tigzirt, Guenzet et Maillot (M’Chedallah aujourd’hui)5.
Sadek Hadjerès, ancien membre du comité central du PCA et de sa
direction clandestine après 1955 puis sous l’ère Boumediene, est présent ce
jour-là : « On avait eu l’information par le journal, se souvient-il, et le Parti
communiste algérien avait pris l’initiative de rendre hommage sur le port
d’Alger à ces victimes du 14 juillet, parce que cette histoire avait soulevé
l’indignation, cette façon massive de mitrailler des manifestants. Et donc le
PCA avait fait la proposition, et les autres formations nationales étaient
d’emblée d’accord. Donc, à la descente du bateau et sous un soleil éclatant,
le port était bourré de monde. Le service d’ordre était assuré par les
dockers. C’était très bien organisé. Je ne me souviens plus s’il y avait eu des
discours faits à ce moment-là6. »
Trois des cercueils partent ensuite dans les villages de Kabylie : le
premier à Tifra, non loin de Tigzirt sur la côte méditerranéenne, le
deuxième à Chréa, un petit village de la commune de Guenzet n’Ith Yaâla,
dans la chaîne des Babors, le troisième étant celui que Sadek Hadjerès
accompagne jusqu’à Bahalil (appelé Ivahlal en Kabylie), un village
surplombant la vallée de la Soummam près de Tazmalt en Grande-Kabylie.

Les obsèques d’Abdallah Bacha et de Tahar Madjène


en Kabylie
Ce convoi est suivi de près par les gendarmes. L’administration cherche à
intimider Mahmoud Bacha, pour qu’il enterre son frère le soir même. La
manœuvre échoue. En fin de journée, le cortège s’arrête devant la maison
natale d’Abdallah. Sa mère, drapée dans un foulard blanc, accueille le corps
de son fils par un youyou. Toutes les femmes présentes suivent cette mère
qui s’appuyant sur son plus jeune fils, s’écrie : « Je ne te pleurerai pas. Tu
es mort pour la liberté ! » « Pleurez, vous, si vous voulez », dit-elle en
s’adressant aux hommes. La foule silencieuse se recueille alors devant la
mosquée pour la veillée mortuaire7.
« C’était l’un des rares cortèges, voire le seul, qui n’a pas été bloqué en
cours de route, m’a raconté Sadek Hadjerès. Donc, lorsque nous sommes
arrivés là-bas dans le village, dans l’après-midi, on a été surpris par
l’accueil. On ne s’attendait pas à ce que, dans ce coin reculé dans la
montagne, il y ait tellement de monde. Et puis, là aussi, c’était bien
organisé. Je représentais le Parti communiste algérien. Il y avait le
représentant du MTLD, Abdelhamid Mehri (qui plus tard sera secrétaire
général du FLN). Et aussi Larbi Oulebsir8. Il y avait également Yahia Briki
pour la CGT. C’était très unitaire. Il y avait même des Européens. L’un
d’entre eux était le représentant de l’association des petits commerçants, je
ne me souviens plus du nom9. Mais tout s’était bien passé. Les allocutions
étaient unitaires. Mehri a parlé en arabe, moi-même j’ai parlé en kabyle et
Yahia Briki parlait en français. C’était unitaire, parce que c’était une
manifestation patriotique. Déjà quelque temps avant, le Parti communiste
avait esquissé un “Front algérien pour la défense et le respect des libertés”.
C’était un peu dans cette tradition. […] Je crois que le MTLD était absorbé
par sa crise interne, il n’avait peut-être pas l’esprit à des initiatives. […] Ce
qui m’a frappé, c’était la présence des habitants du lieu. Il y avait le groupe
scout avec des chants patriotiques, des drapeaux algériens. Et ce qui était le
plus frappant pour moi, c’était la présence de femmes : c’était inédit. Des
femmes du village avec des fleurs. […] L’histoire de ce 14 juillet, c’était un
événement qui avait marqué. […] Pour les policiers, c’était normal de tirer.
Quand c’était en Algérie, ils pouvaient encore le cacher à l’opinion
française, comme cela s’était fait pour le 8 mai 1945, ou au cours des
élections de 1948 par exemple, quand il y avait eu huit morts à Dechmya.
Mais là, en plein cœur de Paris, ils ne pouvaient pas le cacher10. »
« Quand le cercueil d’Abdallah est arrivé, se souvient Saïd Sahali, qui
était enfant en 1953, sa mère a poussé des youyous et le lendemain à son
enterrement, il y avait beaucoup, beaucoup de monde. Il y avait des milliers
de gens. Et puis les “grands” [les responsables politiques] sont venus pour
faire des discours. De tout le pays, ils sont venus. C’était le premier chahid
(martyr) du village11. »
À plusieurs kilomètres de là, de l’autre côté de la Soummam, en Basse-
Kabylie, c’est dans le village de Chréa qu’est inhumé Tahar Madjène.
Quand je les rencontre Mohamed Djabi et Tahar Reaâche en 2012, ils me
racontent leurs souvenirs de l’enterrement, en particulier ce dernier, qui
était tout jeune : « Je me souviens quand ils ont ramené son cercueil. C’était
au coucher du soleil, ils l’ont montré à sa famille, puis juste après, on est
partis au cimetière. C’est les gendarmes qui nous ont obligés à l’enterrer au
coucher du soleil, alors que ce n’est pas nos traditions. Et les gendarmes
n’ont pas quitté le village jusqu’à ce qu’il soit enterré12. »
En effet, le cortège arrive à 19 heures devant la demeure familiale et
repart dès 21 h 30, car l’enterrement a lieu la nuit. Il fait nuit noire lorsque
Mahmoud Mahiedine ouvre la cérémonie. Prennent la parole
successivement : le cheikh Belcakem El-Bidaoui du MTLD, Smaïl
Bourghida au nom de l’UDMA, Chérif Djemad au nom du PCA, Étienne
Néplaz au nom de la CGT de Constantine et le délégué MTLD à
l’Assemblée algérienne, Larbi Demaghlatrous. Le père de Tahar est un
homme de soixante ans : « Alors que nous attendions son retour pour l’Aïd,
témoigne-t-il alors, le destin a voulu que mon petit me revienne dans un
cercueil. Mon fils est tombé en combattant pour qu’il n’y ait plus de
Bastille. C’est pour moi une consolation13. »
Dans le petit cimetière situé à trois ou quatre kilomètres du village, Ali
Madjène, fils de la victime, témoigne : « J’avais six ans à l’époque. Moi, je
ne le connaissais pas du tout. D’ailleurs, ils m’ont montré sa photo et ils
m’ont dit : “Voilà, c’est ton père !” Il a laissé deux enfants ; mon frère
Lahcène Amokrane et moi, le plus petit… C’est trois cousins à nous qui ont
ramené son cercueil à la maison : Ahmed, Mohand et Khlifa. […] En fait,
ils nous ont obligés à l’enterrer le soir même. On a éclairé le lieu avec des
bougies et des lampes à pétrole. Il y a eu quelques discours, il y avait
environ 2 000 personnes. […] Après son enterrement, on a habité chez
notre grand-père. Notre mère est restée avec nous un an environ, puis ses
parents sont venus la chercher et l’ont remariée avec un cousin à elle. […]
On a vécu avec nos grands-parents14. »

L’enterrement sous haute tension d’Amar Tadjadit


À Tigzirt-sur-Mer, en Kabylie maritime, là aussi, l’enterrement d’Amar
Tadjadit ne se passe pas simplement. Une voiture de police suit le cercueil
et la délégation du comité de soutien aux familles des victimes qui est
composée d’Ahmed Bouda du MTLD, de Rachid Dali Bey du PCA, de
Georges Raffini du Secours populaire et de Georges Crosse (CGT Bouches-
du-Rhône). Arrivé dans la ville de Tigzirt, le cercueil est intercepté par les
policiers du commissaire Jean Havard et directement acheminé au cimetière
de Tifra. Un membre du PCA et un autre du MTLD tentent alors de
s’interposer, ils sont injuriés par le commissaire : « Allez ! Foutez le
camp ! » Interdiction a été donnée aux parents de recevoir la moindre visite.
Le lendemain, 26 juillet, trois camions de gardes mobiles s’installent au
village et près du cimetière. Des délégations venues de Makouda, Sidi
Naaman, Yaskren, Beni Ouaguenoun et Djebal Aïssa Mimoun – environ six
cents personnes – sont refoulées par les forces de l’ordre et empêchées
d’assister aux obsèques. Cette foule nombreuse se rassemble sur les
hauteurs, loin du cimetière. Après une minute de silence, l’hymne national
algérien retentit, au moment où le corps est emmené dans sa dernière
demeure15.
En 2012, au sommet de cette colline qui surplombe le cimetière que l’on
aperçoit en contrebas, Arezki Tadjadit me parle de l’enterrement de son
frère Amar : « Mon frère travaillait dans une pharmacie à Alger et à chaque
fois qu’il venait ici, il parlait politique. Il me disait : “Un jour la France
coloniale, on va la faire sortir d’ici.” Alors, quand ils ont ramené son corps
ici, il y avait du monde qui est venu d’un peu partout… Il y avait aussi
Krim Belkacema, qui est venu avec ses hommes et des armes. Ils étaient là
tout autour de ces collines et ils avaient camouflé leurs armes dans leur
burnous. […] Alors quand le commissaire a appris ça, il a appelé mon père :
“Qu’est-ce que font tous ces gens ? Il ne faut pas les laisser venir à
l’enterrement.” Mon père lui a répondu : “C’est l’enterrement. Je ne peux
pas dire à quelqu’un de ne pas venir à l’enterrement.” Alors le commissaire
a appelé la garde mobile de Tizi Ouzou. Ils ont encadré tout le coin et se
sont mis devant le cimetière pour les empêcher de venir. Alors mon père a
dit : “Celui qui est venu pour l’enterrement reste, les autres n’ont qu’à
repartir mais laissez-moi enterrer mon fils !” Il y avait plus de six cents,
sept cents personnes. Heureusement que personne n’a sorti une arme. […]
Finalement, les gens du village ont enterré mon frère et après le
commissaire a pris ses troupes et ils sont repartis. Krim Belkacem, avec ses
compagnons, aussi. Chacun est reparti chez lui et les gens sont rentrés chez
eux16. »
À son tour, Lounès Tadjadit, le petit frère, m’entraîne devant la tombe
d’Amar : « Quand il est mort, j’avais neuf ans. […] Les gens attendaient
dans le centre du village. Il n’y avait pas de route, alors ils ont fait
2 kilomètres à pied pour venir jusqu’à la maison… Il est arrivé dans un
cercueil décoré. C’est la première fois que les gens de Tifra voyaient le
cercueil d’une personne décédée avec des fleurs. […] Les gendarmes ont
empêché les militants nationalistes de passer chez mon père. Ils ont fait
quand même le tour et sont passés par le haut. Les gens ont eu peur qu’un
affrontement ne se déclenche, mais Krim Belkacem ne voulait pas créer
d’histoire, alors ils n’ont pas insisté17. »

Tous les nationalistes présents lors de l’inhumation


d’Abdelkader Draris
Le quatrième cercueil, celui d’Abdelkader Drarisb, est parti vers l’ouest,
non loin de la frontière avec le Maroc, à Adjaïdja, commune de Djebala à
côté de Nedroma. Abdelatif Draris, un des petits cousins de la victime,
témoigne : « Je suis né en 1947, j’avais six ans. Le jour de l’enterrement,
les gens sont venus d’un peu partout : d’Oran, d’Alger, de Maghnia, de
Tlemcen, de Souhlia et même de France. Il y avait beaucoup de monde.
[…] Tous les nationalistes voulaient être présents à l’enterrement. Le
commandant de Nedroma était informé de l’affaire. Il a appelé l’armée pour
essayer de refouler les gens. Certains ont réussi à se faufiler et ils ont assisté
quand même à l’enterrement. Puis la cérémonie s’est tenue. Il n’y a eu
aucune violence18. »
Tous les représentants des partis sont là (MTLD, PCA, UDMA, oulémas,
CGT…), ainsi que les dockers de Nemours (Ghazaouet aujourd’hui). Là
encore, l’administrateur demande à la famille d’enterrer le corps dès son
arrivée, c’est-à-dire le soir-même. Devant son refus, le caïd appelle la
gendarmerie pour essayer d’interdire l’accès au douar, mais les obsèques se
déroulent sans incident. La prière est dite par Tayeb Taalbi de Maghnia,
suivie des discours de Mohammed Mamchaoui du MTLD, de Bachir Merab
de la CGT, de Tayeb Malki du PCA et du cheikh Mohamed de la medersa
de Maghnia19.
Un jeune cousin de la victime et qui porte le même nom, Abdelkader
Draris, a gardé une photocopie d’un journal syrien ou irakien qui parle de
l’enterrement : « Dans ce journal-là, il raconte qu’en fait, l’armée est
arrivée en retard. Ils pensaient que c’était à 14 heures, mais en fait, on l’a
enterré juste après la prière de dohr (midi)20. »
Rhama Draris était enceinte lorsqu’elle a appris la mort de son mari, avec
qui elle vivait à Issy-les-Moulineaux. Elle avait déjà perdu une petite fille
quelques mois plus tôt. C’est le facteur qui l’a informée en apportant le
journal. Pendant quarante-huit heures, elle n’était même pas au courant,
ainsi qu’elle me le racontera en 2012, à Aubervilliers : « Comme il ne
revenait pas, je pensais soit qu’il était en prison, soit qu’il était mort. Après,
il y a eu beaucoup de gens et même des Français, des communistes, qui sont
venus de leur travail à la maison. Ils m’ont apporté de l’argent21. »
L’Humanité du 16 juillet 1953 a ces mots qui résonnent de douleur : « Elle
avait perdu son enfant de huit mois au printemps dernier, mort d’une
pneumonie double. Ils habitaient dans un hangar à Issy-les-Moulineaux, où
elle mettra au monde un enfant qui ne connaîtra pas son père. Métallo au
chômage depuis un mois, Abdelkader Draris devait reprendre le travail juste
après le 14 juillet. » Malheureusement, quelques mois plus tard, Rhama
perdra aussi son bébé, un garçon, sous le choc !
« Après la mort de mon mari, relate-t-elle, il y a eu beaucoup de bagarres
entre ses cinq frères : chacun voulait se marier avec moi. […] Moi je
pleurais tout le temps. Les frères de mon mari m’ont enfermée dans ma
chambre. Moi, je ne connaissais pas le français. J’étais jeune, j’avais dix-
sept ans. […] Eux, ils étaient vieux. […] Après, le MTLD a dit que je
devais me marier avec un homme qui n’a pas déjà une femme. Il faut se
marier avec un célibataire. Alors je me suis mariée avec mon cousin. Et
après le mariage, j’ai quitté la maison, j’ai tout laissé. Même l’argent de la
collecte. » « Je ne sais pas si elle l’a idéalisé, m’a expliqué Kader Draris, un
de ses enfants issus de son second mariage, mais elle n’a jamais oublié son
premier mari. À dix-sept ans, elle était vraiment amoureuse22. »
Mouhoub Illoul et Larbi Daoui :
cérémonies tardives pour deux « hors-la-loi »
En septembre 1953, il restait encore les cercueils de Mouhoub Illoul et de
Larbi Daoui au cimetière franco-musulman de Bobigny ; ils n’avaient pas
été réclamés par leurs familles. Mais la direction du MTLD a tenu à ce
qu’ils soient enterrés dans leur pays natal. Le 18 septembre 1953, les
responsables du MTLD sont venus assister à l’exhumation des deux corps.
Ils sont partis, sans passer par la mosquée, direction Marseille. Le
24 septembre, le cercueil de Mouhoub Illoul arrive à Alger et, le lendemain,
celui de Larbi Daoui à Oran. Beaucoup de monde dans les deux cas.
À Alger, de nouveau, tous les représentants des organisations algériennes
et du comité de soutien aux familles des victimes sont là. Puis, le cercueil et
la délégation prennent la direction de Béjaïa, en Kabylie, en suivant la
vallée de la Soummam et s’arrêtent à Oued Amizour, dans le village de
Boukhalfa. Encore une fois, le commissaire veut empêcher la cérémonie en
enterrant au plus vite la dépouille, mais une foule immense est là pour
accompagner Mouhoub Illoul à sa derrière demeure23.
Baya Illoul, sœur cadette de la victime, se rappelle : « C’est en
descendant vers la ville qu’un voisin a appris la mort de Mouhoub à notre
père. Au début, il ne voulait pas ramener son corps. C’était douloureux pour
lui, car il n’avait que deux garçons24. » « Dans le journal, complète son
frère Saïd Illoul, c’était écrit “Isidore Illoul”. On s’est étonné de ce prénom,
on n’a pas compris pourquoi ; c’était certainement un surnom que ses
camarades lui avaient donné. […] Au début, mon père ne voulait pas,
comment dire…, rapatrier son corps et créer un second problème ici… Mais
deux mois après, en septembre, le MTLD a demandé à mon père de
ramener son fils en Algérie. […] Je me souviens qu’il y a deux photos sur le
port d’Alger avec Mustapha Ferroukhi et Henri Alleg, directeur d’Alger
républicain. Les obsèques se sont déroulées évidemment comme il faut,
sauf qu’il n’y avait pas beaucoup de gens d’ici, d’Amizour, parce qu’ils
avaient peur – faut dire la vérité. […] Mais beaucoup de gens sont venus de
Sétif, d’Alger, d’El Kseur, de Béjaïa et surtout d’Ivahlal (Bahalil). Quand
même, il y avait beaucoup de monde. Il y avait Mustapha Ferroukhi, le
député MTLD d’Alger, qui s’est recueilli25. »
« Quand son cercueil est arrivé, m’a raconté Khira Illoul, une autre sœur
cadette de la victime, on a pleuré, mais ma mère n’a pas pleuré. Elle était
courageuse. Elle a même tenu la poignée de son cercueil26. » Sur les
hauteurs du village, à 2 ou 3 kilomètres du centre, se trouve le cimetière où
repose Mouhoub Illoul. En 2012, devant la tombe de son cousin, Larbi
Mahiout témoigne lui aussi : « Je me souviens qu’il y avait la gendarmerie
qui est venue de Constantine, d’un peu partout. Ils relevaient les plaques
d’immatriculation de toutes les voitures étrangères27… » Chérif Rabah, un
ami de la famille, est à ses côtés quand il m’explique : « L’oraison funèbre,
je m’en souviens comme d’aujourd’hui. C’est le docteur Ahmed Mezerna,
du PPA-MTLD, qui l’a prononcée. Il y avait un monde fou. Moi, j’étais au
cours moyen deuxième année. On est sortis de l’école. On nous a dit qu’il y
avait un enterrement à Boukhalfa. […] De la maison familiale jusqu’ici, il y
avait un monde fou28. »
À l’ouest de l’Algérie, le cercueil de Larbi Daoui arrive à Oran le
25 septembre 1953, où une réception est organisée. Puis le convoi funéraire
se dirige vers le sud-ouest, aux portes du désert, à Aïn Sefra, là où la
victime travaillait avant de partir en France. Mais il avait été précédé d’un
courrier de l’administrateur en second au général commandant militaire
d’Aïn Sefra, en date du 30 juillet 1953. Ahmed Boutrad, président de
l’association qui a organisé une journée d’hommage à Larbi Daoui en
200929, a récupéré ce courrier très révélateur d’un certain état d’esprit :
« J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’un émigré nord-africain
originaire d’Aïn Sefra, Daoui Larbi, fait partie des victimes des émeutes du
14 juillet 1953. Simple d’esprit, Daoui Larbi s’était laissé entraîner par le
MTLD, auquel il s’était fait inscrire en France. […] Cette mort n’a pas fait
beaucoup de bruit. Daoui Larbi, surnommé Binhas, était considéré comme
un déséquilibré et sa mort n’a été prise au tragique par personne. »
« Le cercueil est arrivé en camion à 3 heures du matin depuis Oran, via
Mascara, jusqu’ici à Aïn Sefra, m’a raconté Boualem Boudaoud, demi-frère
de Larbi Daoui. […] Ils l’ont emmené au marabout [maison funéraire]. Sur
le cercueil, il y avait des fleurs en plastique et un drapeau national qui a été
récupéré et caché dans la Casbah, car on craignait que les autorités
françaises n’organisent des représailles contre la population. […]
L’administrateur de la commune, M. Maison, nous a dit de l’enterrer à Tiout
[village de naissance de Larbi Daoui, à 16 kilomètres d’Aïn Sefra] et il a
limité l’enterrement à sept personnes, car il avait des informations lui disant
que des troubles allaient se passer30. »
« Au cimetière de Tiout, précise Ahmed Boutrad, il y avait une vingtaine
de personnes. Elles ont creusé sa tombe et l’ont mis dedans. Ensuite, il y a
eu la prière et puis voilà… Les autorités ne voulaient pas que les gens
assistent à son enterrement, elles disaient que c’était un hors-la-loi et qu’il
ne fallait pas lui donner beaucoup d’importance31. » « Sa mère était malade,
m’a indiqué en 2012 Ahmed Boudaoud, neveu de la victime. Après
l’annonce de la mort de son fils, elle était dans un état lamentable. On ne lui
a annoncé son décès qu’au bout d’un an seulement. Ensuite, elle est
devenue paralysée jusqu’à sa mort en 196032. »
Pour bien comprendre la portée historique du drame du 14 juillet 1953,
tous ces témoignages des proches des victimes sont évidemment essentiels.
Et tout aussi essentielle, bien sûr, est la prise en compte du contexte
politique de l’époque, aussi bien international que national.

Notes du chapitre 7

a. Un des chefs historiques du FLN, qui avait organisé des maquis en Kabylie dès le début des
années 1950.
b. Une interrogation reste sur le prénom de Draris : en Algérie, dans son village ou à Ghazaouet,
tout le monde l’appelait Ahmed, mais sur ses papiers, c’était bien Abdelkader.
8
Le contexte politique de 1953

En 1953, la Seconde Guerre mondiale est encore très proche dans les
esprits, mais le monde est entré dans une nouvelle ère. Celle que l’histoire a
appelée la « guerre froide », c’est-à-dire la confrontation Est-Ouest pour le
partage du monde : d’un côté, les États-Unis et les grandes puissances
occidentales (France et Royaume-Uni), de l’autre, l’URSS et les
« démocraties populaires » (Hongrie, Allemagne de l’Est, Pologne,
Roumanie…). C’est le bloc « capitaliste » ou « libre » contre le bloc
« soviétique »… L’histoire de cette période est désormais bien connue1, et
je me contenterai ici d’en rappeler quelques grands traits, en privilégiant
ceux qui étaient d’abord perçus par les jeunes militants progressistes de
l’époque, en particulier ceux du mouvement nationaliste algérien.

Une situation internationale marquée par la « guerre froide »


En Corée, les combats font alors rage entre les forces communistes du
nord alliées aux Chinois et aux Soviétiques, et celles du sud activement
soutenues par les États-Unis. Et la France se trouve en difficulté devant la
montée des nationalismes dans ses colonies, notamment en Indochine où
elle fait face depuis 1946 à une lutte de libération nationale dirigée par un
communiste : Hô Chi Minh.
Le 7 janvier 1953, le président américain Harry Truman, en fin de
mandat, révèle que les États-Unis possèdent la bombe H et prévient qu’une
guerre entraînerait la destruction de l’URSS. Cinq jours plus tard, à
Moscou, neuf médecins, dont six sont juifs, sont accusés d’avoir attenté à la
vie de plusieurs dirigeants soviétiques. Ce prétendu « complot des blouses
blanches », en vérité une machination des services secrets du régime
stalinien, couronne une campagne antisémite lancée depuis 1947 par ce
dernier. En février, le nouveau président des États-Unis, Dwight
D. Eisenhower, fait du développement de l’armement nucléaire l’une de ses
priorités. Il avait été élu en novembre 1952 grâce au soutien du sénateur
républicain Joseph McCarthy, qui avait quant à lui lancé deux ans plus tôt
une « chasse aux sorcières » contre tous ceux qu’il soupçonnait de
sympathies communistes, dont nombre de personnalités des médias et du
cinéma, des scientifiques et même des militaires, accusés d’être des espions
à la solde des Soviétiques comme les époux Rosenberg (les Soviétiques
avaient répliqué en limitant la circulation dans Berlin). Mais le 5 mars,
Joseph Staline meurt, et les médecins accusés d’avoir voulu empoisonner
les dirigeants soviétiques sont libérés (en septembre, Nikita Khrouchtchev
deviendra le premier secrétaire du comité central du Parti communiste de
l’Union soviétique).
En France, le procès contre certains des acteurs du massacre d’Oradour-
sur-Glane de juin 19442, ouvert à Bordeaux en janvier, s’oriente sur la
question des « Malgré nous », ces jeunes Alsaciens et Lorrains enrôlés de
force dans la Wehrmacht dont certains avaient participé à cette horreur. Le
jugement est clément : cinq à douze ans de prison pour les inculpés, sauf
pour deux d’entre eux, condamnés à mort mais graciés par la suite3. Ce
procès clôt pour de nombreuses années le rôle des collaborateurs français de
l’Allemagne nazie. À la même époque, certains dirigeants de la CGT sont
accusés d’agir contre la production des armements nécessaires à la guerre
en Indochine. Et, de son côté, le général de Gaulle, alors « en réserve de la
République », relance le débat en se prononçant contre la création de
la Communauté européenne de défense (CED), projet d’une armée
européenne avec des institutions supranationales placées sous la supervision
du commandant en chef de l’OTAN (pro-américain).
En avril, à l’initiative de l’ONU, des discussions sur la question des
prisonniers reprennent en Corée et un espoir de paix s’y dessinea. Le
14 avril, les combattants vietminh lancent une offensive contre les troupes
françaises au Laos. En mai, le président du Conseil René Mayer
démissionne. Et, le 2 juin, Elizabeth II est couronnée reine du Royaume-
Uni et du Commonwealth. On assiste à la première retransmission
internationale d’un tel événement en direct par la télévision.
Quinze jours après ces fastes, le 17 juin, des émeutes éclatent à Berlin-
Est. C’est la première fissure dans le bloc de l’Est. Les manifestants
réclament l’abaissement des cadences de production et des élections libres.
L’état de siège est proclamé. La répression par le régime communiste fait
une cinquantaine de morts et plusieurs milliers d’arrestations. Tandis qu’aux
États-Unis, Ethel et Julius Rosenberg, accusés d’être des espions à la solde
des Soviétiques, sont exécutés sur la chaise électrique, malgré des
manifestations de protestation partout dans le monde. Ce même 19 juin
1953, en URSS, Lavrenti Beria, bras droit de Staline, est éliminé pour
« activités criminelles au sein du Parti ». Il sera exécuté à la fin de l’année.

Une IVe République farouchement anticommuniste


et colonialiste
Dans la France de 1953, le premier président de la IVe République, élu en
janvier 1947, Vincent Auriol, exerce une fonction plus représentative que
décisionnelle (René Coty lui succédera en janvier 1954). C’est au président
du Conseil que revient la charge de diriger le pays. Mais les gouvernements
se succèdent à un rythme soutenu. Le 7 février 1952, c’est la chute du
second gouvernement de René Pleven, suivi trois semaines plus tard par
celle du gouvernement d’Edgar Faure. Commence alors le gouvernement
d’Antoine Pinay, du 8 mars au 23 décembre 1952. Le 8 janvier 1953, c’est
au tour du gouvernement de René Mayer, jusqu’au 21 mai. Enfin, le 28 juin
1953, après plusieurs jours d’hésitation et de votes à l’Assemblée nationale,
Joseph Laniel obtient l’investiture après l’échec de Pierre Mendès France,
devenant le président du Conseil en charge de constituer le nouveau
gouvernement. Il tiendra deux cent deux jours, jusqu’au 16 janvier 1954.
Joseph Laniel, qui avait voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, est un
ancien résistant, seul industriel membre du Conseil national de la résistance
(CNR). Il était l’un des fondateurs du Parti républicain de la liberté (PRL),
parti classé à droite qui avait rejoint en 1951 le très anticommuniste CNIP
(Centre national des indépendants et paysans). Dans son gouvernement, il
nomme vice-président Paul Reynaud, un autre « indépendant », et d’autres
ministres classés démocrates-chrétiens ou centristes. À l’Intérieur, on
retrouve un membre du Parti radical-socialiste qui s’était illustré par sa
« radicalité » anticommuniste : Léon Martinaud-Déplat. Secrétaire
administratif et « véritable maître » du Parti radical, celui-ci est lié au
mouvement Paix et Liberté, organisation de propagande anticommuniste
aidée par des fonds américains et dirigée par un autre député radical, Jean-
Paul David. Député des Bouches-du-Rhône, Martinaud-Déplat a été
ministre de la Justice dans les gouvernements précédents. En 1952, il s’était
associé à son collègue de l’Intérieur, Charles Brune, pour intenter des
poursuites contre Jacques Duclos. Il jouera ensuite un rôle non négligeable
dans la déposition du sultan marocain, le 20 août 1953, et s’appuiera sur les
élus radicaux d’Afrique du Nord pour dénoncer toute politique
d’« abandon » en Tunisie et en Algérie.
Enfin, siègent dans ce gouvernement quelques membres de l’Union
démocratique et socialiste de la résistance (UDSR), une formation issue de
la Résistance non communiste et classée au centre gauche, avec René
Pleven à la Défense et, comme ministre délégué au Conseil de l’Europe, un
certain François Mitterrand – ce dernier démissionnera le 2 septembre 1953,
mais cela sans aucun rapport avec le massacre du 14 juillet.
Les cabinets ministériels de cette IVe République comptent de nombreux
hauts fonctionnaires qui ont traversé sans grands problèmes la période de la
collaboration. Ainsi Pierre Courtès, chef du secrétariat particulier de Joseph
Laniel, travaillait dans l’administration des finances pendant la guerre ; et
Pierre Fournioux, chef adjoint, était juge auprès du ministère de la Justice
jusqu’en 1944. (Ces deux hommes, comme d’autres, côtoyaient
d’authentiques résistants.) Ou encore Henry Soum, directeur de cabinet du
ministre de l’Intérieur Léon Martinaud-Déplat, était préfet délégué à Dijon
en 1942, puis préfet du Doubs en 1943 et 1944, avant d’être, comme le dit
pudiquement sa notice dans le bulletin de la Société générale de presse4,
« placé dans une position d’expectative » avant de pouvoir réintégrer
l’administration en Algérie à partir du 1er aout 1945. Roger Richardot,
directeur adjoint du ministre de l’Intérieur, était sous-préfet hors cadre au
ministère de l’Intérieur en 1942, puis secrétaire général du Var. Lui aussi
avait été « placé dans une position d’expectative » dès le 22 août 1944.
Maurice Causseret, chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, avait été chef
de cabinet de la Meuse en 1942, puis sous-préfet de Blaye en 1943. Quant à
Paul Duraffour, conseiller technique dans le même ministère de l’Intérieur,
il avait été intendant de la police à Montpellier, puis à Nice en 1942, pour
terminer préfet de troisième classe en 1944.
Le 14 juillet au matin, la plupart des membres de ce nouveau
gouvernement se retrouvent sur les Champs-Élysées pour voir défiler les
régiments de l’armée française, soumis à rude épreuve en Indochine. Les
troupes s’enlisent en effet tous les jours un peu plus dans une guerre totale,
qui s’étend maintenant jusqu’au Laos. Le PCF, un des plus grands partis de
l’après-guerre, et la CGT sont alors frontalement mobilisés contre cette
« sale guerre ».
Mais, depuis la manifestation violente du 28 mai 1952 contre la venue du
général américain Matthew Ridgway (1895-1993), commandant des troupes
de l’OTAN en Corée, les arrestations contre leurs dirigeants se sont
multipliées (voir chapitre suivant). Trois jours avant, le 25 mai 1952, André
Stil, rédacteur en chef de L’Humanité, avait déjà été arrêté pour avoir
appelé à cette manifestation, laquelle s’était terminée par l’arrestation de
sept cent dix-huit personnes et la mort d’Hocine Belaïd, trente-cinq ans,
ouvrier communiste algérien (père de quatre enfants) tué de trois balles
dans le ventre, place de la Bataille-de-Stalingrad. Le soir de cette
manifestation, Jacques Duclos, numéro deux du Parti, avait été arrêté et
inculpé de « complot contre la sûreté intérieure de l’État ». Le 10 octobre
1952, Alain Le Léap, secrétaire général de l’Union générale des fédérations
de fonctionnaires de la CGT, est arrêté. Lucien Molino et André Tollet le
sont à leur tour le 23 mars 1953, et des mandats d’amener sont lancés contre
Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT, et son secrétaire Marcel
Dufriche ; ils passeront dans la clandestinité. Tous sont accusés d’agir
contre la production et le transport d’armes de guerre destinées à l’armée
française engagée en Indochine, d’atteinte à la « sûreté intérieure de l’État »
dans le cadre d’un prétendu complot contre la France, pour le compte de
l’URSS. En tout, dix-sept militants du PCF et de la CGT sont inculpés.
En ce 14 juillet 1953, six d’entre eux sont encore détenus : Alain Le
Léap, Lucien Molino, André Stil, Paul Laurent, Guy Ducoloné et Louis
Baillot. Trois députés membres du bureau politique du PCF, Jacques
Duclos, Étienne Fajon et Raymond Guyot, sont menacés de voir lever leur
immunité parlementaire. Une campagne se poursuit pour leur libération,
ainsi que pour celle du marin communiste Henri Martin, incarcéré depuis
1950 pour son opposition à la guerre d’Indochine. Les accusations ne
tiendront pas et tous les inculpés seront remis en liberté.

Dans les colonies françaises, la révolte gronde…


À l’époque, l’empire colonial français craque de partout. Dans tous les
pays sous domination française, les révoltes succèdent aux insurrections.
Les peuples aspirent à plus de liberté. Cette lame de fond naît dès les années
1920 avec la création de mouvements autonomistes ou indépendantistes.
Après la Seconde Guerre mondiale, le phénomène s’amplifie, provoquant
en réaction la multiplication de « massacres coloniaux5 » perpétrés, sur
ordre de Paris, principalement par une armée à peine reconstituée, mais
assistée de forces de police coloniales et de leurs supplétifs locaux, qui
avaient été préservés aussi bien par le régime de Vichy que par ses
adversaires gaullistes : en Algérie, dans le Nord-Constantinois, à Sétif,
Guelma et Kherrata, une terrible répression fait des milliers de victimes en
mai et juin 1945, suite aux violentes réactions – cent deux colons européens
assassinés – provoquées par le meurtre d’un jeune scout porteur du drapeau
algérien lors du défilé de la victoire du 8 mai6 (voir chapitre suivant) ; en
1946, la France engage une guerre ouverte contre les nationalistes
vietnamiens dirigés par Hô Chi Minh (en 1953, l’armée française n’arrivera
toujours pas à bout de cette résistance vietnamienne) ; à Madagascar, en
1947, l’écrasement, au prix d’effroyables massacres, d’une violente
insurrection des populations « indigènes » contre les colons se solde après
de longs mois par des dizaines de milliers de morts. Partout, la répression
contre les mouvements indépendantistes est systématique, comme aussi en
Côte d’Ivoire en janvier 1951, au Cap Bon en Tunisie en janvier 1952 ou à
Casablanca au Maroc, les 7 et 8 décembre 1952.
Le 18 janvier 1952 en Tunisie, des émeutes éclatent à Bizerte à la suite
de l’interdiction du congrès du mouvement nationaliste, le Néo-Destour. Le
résident général Jean de Hauteclocque (1893-1957) fait alors arrêter Habib
Bourguiba et les leaders du Néo-Destour. En riposte, l’Union générale de
travailleurs tunisiens (UGTT) déclenche une grève générale malgré le
couvre-feu et un état d’urgence qui interdit toute activité politique7.
Le 23 janvier à Moknine, des affrontements entre les manifestants et les
forces de l’ordre se terminent par une fusillade. L’armée française réagit et
fait trente morts au Cap Bon, une vague d’arrestations déferlant ensuite sur
le pays. Quelques mois plus tard, le 5 décembre 1952, l’assassinat près de
Tunis du leader syndical Farhat Hached par l’organisation colonialiste
extrémiste La Main rouge, un « faux nez » du SDECE (les services secrets
français), déclenche de nouvelles manifestations.
Au Maroc, deux jours après, les syndicats appellent à une manifestation
en hommage à Farhat Hached. Des centaines de personnes descendent dans
la rue à Casablanca à la nouvelle de cet assassinat. Ce cortège, comme celui
du lendemain, est brutalement réprimé par les forces de l’ordre placées sous
l’autorité du résident général Augustin Guillaume (1895-1983) qui tirent
dans la foule ; le bilan de ces deux journées de répression, jamais
précisément établi, est de cent à trois cents morts8. Le général Guillaume,
qui avait déjà interdit le parti nationaliste, l’Istiqlal, manœuvrera ensuite
pour réduire à néant le pouvoir du sultan Mohammed Vb. Comme le
rappelle l’historien Emmanuel Blanchard : « Dans les pays colonisés et
d’une manière générale, ces manifestations donnent souvent l’occasion aux
forces de l’ordre d’ouvrir le feu. Et tout cela apparaît comme une façon
“naturelle” de tenir l’ordre9… »

… en particulier en Algérie
En Algérie, en 1953, ce n’est pas encore la guerre, même si le peuple et
les militants nationalistes restent très marqués par la sanglante répression
de mai-juin 1945 dans le Nord-Constantinois. « La répression militaire,
précise l’historien Jacques Simon, sera longue et massive, à la mesure de la
peur et de la haine des Européens contre les musulmans considérés comme
une population étrangère et barbare10. »
Huit ans plus tard, le peuple algérien souffre encore. L’égalité entre les
populations n’existe toujours pas et le fossé entre colons et colonisés s’est
élargi. En 1945, sur 1 250 000 enfants d’âge scolaire chez les Algériens
musulmans, seulement un peu plus de 100 000 reçoivent l’instruction
primaire dans 699 écoles ; chez les « Européensc », 200 000 enfants se
rendent dans 1 400 écoles – entre 1945 et 1954, la proportion d’enfants
scolarisés chez les musulmans passe de 11,5 % à 18 %. Un enfant algérien
sur dix va en classe (un garçon sur cinq et une fillette sur seize), mais, dans
les campagnes, la proportion n’est que d’un sur cinquante… En 1954, le
revenu annuel de l’agriculteur algérien musulman est évalué à
22 000 francs, contre 780 000 francs pour un agriculteur européen. Autre
exemple, Oran compte alors 119 000 musulmans et 173 000 Européens :
282 musulmans seulement y sont scolarisés dans l’enseignement
secondaire, pour 5 836 Européens. Écoles, hôpitaux, logements profitent
d’abord à ces derniers11. Alors qu’un Européen sur 227 était étudiant, un
musulman sur 15 341 avait cette chance12. Dans les campagnes, la situation
est encore plus terrible. La misère et la faim s’accentuent. Pourtant, en
dehors du petit maquis de résistance animé par Krim Belkacem en Kabylie,
la révolte n’a pas encore éclaté au grand jour.
La plupart des immigrés algériens ayant participé à la manifestation du
14 juillet 1953 et que j’ai pu retrouver m’ont décrit ces situations
dramatiques. Chérif Darkrim, qui a frôlé la mort – une balle est entrée près
de son œil droit avant de ressortir par son oreille –, m’a ainsi raconté en
2012 : « À ce moment-là en Algérie, on travaillait quatorze heures par jour
pour 500 francs. Et celui qui a cinq ou dix gosses, il ne voyait pas sa
famille, car il devait travailler du dimanche au dimanche. Départ de chez lui
à 4 heures du matin, il ne rentrait qu’à 8 heures le soir. C’était la misère.
[…] À l’époque, on n’avait pas les moyens de discuter. Nous habitions dans
les villages autour de Port Saïd, et dans la ville il y avait surtout des
Européens. Quand il y avait des fêtes, les Arabes n’avaient pas le droit
d’entrer, surtout le soir. […] Les Français, ou plutôt les pieds-noirs, avaient
peur d’être volés. Ils nous autorisaient à entrer dans la journée pour
travailler et après on devait partir13. »
« Ici on n’avait rien, m’a confirmé en Algérie en 2012 Souali Boukhari,
qui était présent à la Mosquée de Paris le 21 juillet 1953, alors jeune
militant du MTLD. On n’avait aucun droit. Pas de travail, ni de quoi
manger. J’étais cultivateur dans ma jeunesse et, au moment de la moisson, il
fallait que l’on donne tout à l’État. J’avais quelques brebis, quelques
moutons pour faire de la laine. […] Deux fois, je suis parti au Maroc pour
acheter de la laine et compléter ce que le caïd me demandait, car je n’en
avais pas assez14. »
Autre témoignage, celui de Mohand Kettar, également recueilli en 2012
et qui vivait dans un petit village de Kabylie avant de venir en France et de
participer à la manifestation de juillet 1953 : « Mes grands-parents ont vécu
d’une petite agriculture. Les bonnes terres étaient occupées par les colons.
[…] Pendant la guerre et juste après, la situation était terrible. On faisait
30 kilomètres pour aller chercher du pain. On mangeait des coings que l’on
écrasait. Il y avait des maladies comme la “récurrente”, avec des fortes
fièvres – je l’ai attrapée pendant trois mois. À ce moment-là, on n’arrivait
pas à enterrer les morts, car il y en avait beaucoup trop. […] L’Assemblée
nationale française a dit récemment que la colonisation était un “bienfait”d.
Mais les tortures, les massacres étaient abominables. Pour prendre les
boucles d’oreilles des femmes, on leur coupait l’oreille ; et au début de la
colonisation, ils ont éventré des femmes enceintes, ils ont anéanti des
villages entiers. Si c’est ça les bienfaits de la colonisation15… »
« On nous faisait travailler toute la journée de 4 heures du matin jusqu’à
8 heures du soir pour 3 francs, raconte Saïd Illoul, le frère de Mouhoub, une
des victimes du 14 juillet 1953. Voyez-vous, c’est de l’exploitation
inhumaine, c’est du pur esclavage. Heureusement que tous les Français ne
sont pas comme ces colons… Heureusement16 ! » Son fils Nordine Illoul
ajoute : « Nous, nous condamnons le colonialisme. Voilà ce qui est grave et
inadmissible. Dans tous les pays où l’on demande la liberté, on ne peut pas
admettre le colonialisme. Nous n’avons rien contre les Français. […] Ici, il
y avait des colons qui nous exploitaient, mais à côté il y avait des Français
qui aidaient des Algériens. Vous voyez, c’est le colonialisme qui est à
bannir17. » « Si la France avait fait des choses pour les Algériens, précise
Mohamed Hachem, blessé le 14 juillet 1953, elle serait encore ici. Mais
c’était la misère. […] Pas de routes, pas de travail, avec les colons
espagnols et autres qui prenaient tout18 ! »
Baya Illoul précise à propos de Mouhoub, son frère cadet : « Quand il
avait cinq ans, on l’emmenait à l’école sur notre dos. Saïd aussi. Nous, les
filles, on restait là-bas. On jouait jusqu’à ce qu’ils finissent, puis on les
ramenait avec nous. Car nous les filles on n’était pas autorisées à aller à
l’école. Puis quand il a été plus âgé, mon père a voulu le prendre au
magasin de chaussures pour lui apprendre le métier de cordonnier, mais lui
ne voulait pas. En fait, lui, il voulait continuer ses études et c’est pour cela
qu’il est parti en France19… » « Mouhoub était très intelligent, complète
Khira Illoul, sa jeune sœur. Dès qu’il y avait un truc qui cassait, il le
réparait tout de suite. C’est pour cela qu’il a fait une formation de
menuisier. Il a fait une table de nuit que j’ai encore d’ailleurs. Je la garde
comme souvenir… » Son frère Saïd ajoute : « C’était un enfant très
dynamique. Il avait des idées très créatives dans la tête et il se débrouillait
bien à l’école. Malheureusement pour nous les Algériens, l’école s’arrêtait
au certificat d’études. Les places jusqu’au brevet étaient réservées aux
Français, aux fils de caïd et tout ce qui s’ensuit. […] Il est donc parti en
France comme tous les Algériens pour se faire une situation et évoluer un
petit peu. […] Il habitait à Lyon et il nous a envoyé sa photo du centre de
formation professionnelle, et quelque temps après, il a été à Paris20. »

300 000 immigrés algériens en France


La France, meurtrie par deux guerres mondiales, a un terrible besoin de
main-d’œuvre pour se reconstruire. Alors, on embauche à tour de bras.
L’immigration maghrébine a commencé à se développer dans les années
1920, d’abord autour de Marseille en liaison directe avec Alger et Oran,
puis vers Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’est répandue dans
les régions industrielles du Nord-Pas-de-Calais, de l’Est, la région lyonnaise
et la région parisienne. Ces régions offraient du travail dans le bâtiment, la
sidérurgie, les mines, les industries chimique, mécanique, automobile et
textile, et bien sûr dans les infrastructures routières, ferroviaires et
portuaires. L’économie française a bénéficié ainsi d’une main-d’œuvre,
jeune (les deux tiers avaient moins de trente-cinq ans), composée de 95 %
d’hommes directement introduits dans le processus de production en
fonction des besoins et peu payés21. Près de 90 % des immigrés sont des
ouvriers (manœuvres et surtout OS) ou sont sans emploi. Le reste se répartit
entre commerçants (cafetiers et hôteliers) et de très rares professions
libérales (médecins, artistes, avocats…), car le secteur tertiaire et les
emplois de bureau leur sont quasiment inaccessibles22. De 1946 à 1953,
près de 150 000 Algériens s’installent en métropole. En sept années, leur
nombre double. Il est estimé en 1953 à 300 000 dans tout le pays. Pourtant,
le chiffre officiel du ministère du Travail en 1953 est bien inférieur :
seulement 137 630 travailleurs algériens sont répertoriés en France23.
« Les Algériens, à cette époque-là, rappelle l’ancien dirigeant du MRAP
Charles Palant, c’étaient des travailleurs, malheureusement trop souvent
logés dans des bidonvilles de la banlieue, occupant les emplois les plus mal
payés. Il y avait beaucoup de raisons, notamment pour un mouvement
comme le MRAP, de les soutenir de notre solidarité, ne serait-ce que pour
diffuser dans l’opinion que c’étaient des hommes et qu’on leur devait un
minimum de respect car ils étaient loin de leur famille. Et parce qu’ils
étaient venus pour travailler, pour reconstruire notre pays24. » Plusieurs des
participants à la manifestation du 14 juillet 1953 m’ont raconté les
conditions de leur arrivée en France et leur vie à l’époque.
Ibrahim Jaffer, qui avait jeté des bouteilles sur les policiers : « En
février 1948, je suis parti avec douze personnes de mon village, mais on
m’a refoulé parce que je n’avais pas dix-huit ans. On m’a dit : “Il faut avoir
l’autorisation de votre père pour entrer en France.” Alors, je suis retourné à
Alger dans un hôtel. À l’époque, les cartes d’identité s’écrivaient à la main,
alors j’ai trafiqué la date de naissance. Moi, je suis né en 1931, alors sur le
trois, j’ai mis deux et sur le un, j’ai mis neuf. Donc je suis né en 1929… Et
puis après, j’ai retrouvé mes compagnons à Paris25. »
Mohand Kettar : « J’ai immigré à Lyon en 1950 et je travaillais dans un
café sans être payé. En 1952, je suis monté à Paris chez un ami et on
dormait dans le même lit. J’ai travaillé dans l’aciérie de Gennevilliers et
après dans une imprimerie. Puis dans un atelier de teinture à Ivry pendant
cinq ans. […] Le patron du café où je travaillais connaissait un
entrepreneur, je suis allé le voir de sa part et il m’a dit que l’on
n’embauchait pas des Algériens. Naïvement, j’ai dit : “Pourquoi ?” Il a dit :
“Ne cherche pas à comprendre”26. »
Souali Boukhari : « Je suis venu en France en janvier 1947. À Lyon, on
travaillait sur les routes. On faisait le goudron, tout ça jusqu’à la frontière
italienne. On n’était pas bien logés. Je dormais sur un banc en bois où je
mettais une bassine d’eau sous moi à cause des punaises, car elles nous
“bouffaient” toute la nuit. Ensuite, je suis parti dans le Nord où j’avais de la
famille. Là-bas, on m’a envoyé couper du bois parce qu’ils avaient besoin
de bois pour faire marcher les usines, les camions, etc. Et puis j’ai cherché à
travailler dans les mines. Le contremaître m’a demandé si j’avais déjà
travaillé dans les mines et un certificat de travail. Je lui ai répondu non,
mais que j’avais un peu travaillé dans une mine du Sahara. C’était faux,
c’était mon père qui avait été mineur là-bas, mais pas moi. Et il m’a
embauché quand même. Mais je ne suis pas resté longtemps car, peu après,
on a eu le grisou, vous savez le gaz… J’ai failli mourir et quand je me suis
réveillé, j’étais à l’hôpital à Douai… À la sortie de l’hôpital, je suis venu à
Paris, chez un cousin27. »
Chérif Darkrim : « On était orphelins. Mon père est mort quand j’avais
douze ans. On était cultivateurs. À seize ans, mon frère a fait la guerre
contre les Allemands. Puis après, il est parti en France et moi je l’ai suivi.
J’ai vu qu’il y avait beaucoup de différences. Il y avait le métro, des usines,
les trains, l’autobus, l’électricité, de la lumière, beaucoup de différence avec
chez nous. Alors, quand tu travailles, tu es mieux payé. Et donc, au lieu de
revenir en Algérie, je suis resté là-bas. J’ai fait un peu le manœuvre à droite
à gauche et après j’ai passé mon permis, j’ai fait le chauffeur poids lourd,
transport en commun, etc. J’étais chez mon frère à Meudon, il avait un
pavillon. On était plusieurs là-bas28. »
Mohamed Toumouh, responsable du PPA-MTLD de Seine-et-Oise : « Je
suis arrivé en France fin décembre 1947. Je suis parti dans la région
parisienne et j’ai commencé à travailler dans une usine de fonderie à
Bezons. Ensuite, j’ai rejoint de la famille dans le Nord, à Roubaix, et là, j’ai
travaillé dans les mines de charbon. Je n’avais pas dix-huit ans alors, je ne
touchais pas le même salaire que les autres. On m’a mis dans un endroit où
il y avait un trou avec le charbon et je devais le ramasser avec un masque,
car il y avait beaucoup de poussière. J’ai travaillé un mois comme ça. Je
travaillais la nuit. Je vivais dans un baraquement. Un jour, deux gendarmes
sont venus à bicyclette pour me chercher, car je devais partir faire mon
service militaire et je n’avais pas reçu ma convocation. […] Puis après, je
me suis marié et j’ai trouvé de l’embauche dans la fumisterie, pour
construire des cheminées. Pendant une année presque. Et j’ai commencé
ensuite dans le bâtiment et la politique29. »

Le racisme ordinaire de la hiérarchie policière


En 1953, les Algériens vivent en marge de la population française. On les
trouve souvent dans les appartements insalubres des quartiers populaires ou
dans les hôtels meublés. À Paris, ils sont installés dans quelques
arrondissements comme le XVIIIe (Barbès, Stalingrad, la Goutte d’or), le
XVe (rue Émile-Zola, boulevard de Grenelle) ou le XIIe (Gare de Lyon et
Faubourg Saint-Antoine), mais aussi dans la banlieue parisienne,
notamment à Boulogne-Billancourt. Aubervilliers, Pantin, Saint-Denis,
Puteaux, Levallois, Nanterre, Gennevilliers… Le mépris et l’indifférence à
leurs conditions de vie et de travail sont très répandus dans la population
française. Les journaux à sensation alimentent de façon récurrente le
fantasme de l’Algérien violent, violeur, délinquant, comme l’évoque
Emmanuel Blanchard : « En mai 1947, septembre 1949 et janvier 1952, de
véritables campagnes, le plus souvent menées par des journaux comme
L’Aurore, sont orchestrées sur le thème de la reconstitution de la Brigade
nord-africaine comme seul moyen de mettre fin aux agressions nocturnes
perpétrées par des Algériens violents et désœuvrés. Selon un scénario quasi
immuable, des questions écrites sur le sujet sont ensuite posées au conseil
municipal de Paris et au conseil général de la Seine30. » La haine et le
racisme d’une partie de la population envers les Algériens (appelés Nord-
Africains) sont vraiment tenaces. Régulièrement, on refuse de les servir
dans les bars ou les restaurants. Le Parisien libéré du 3 décembre 1951
indique dans un entrefilet : « Comme on refusait de lui servir un café au 60,
boulevard Rochechouart, l’Algérien Mohamed Ben Salah brisa la glace de
l’établissement. Pris à partie par la foule et à demi lynché, il a été transporté
dans un état grave à l’hôpital Bichat. » Cette attitude est si courante que des
plaintes, souvent classées sans suite, sont régulièrement déposées auprès
des institutions. D’ailleurs, le journal du MTLD, L’Algérie libre, indique
dans son numéro du 5 mars 1953 : « Dans des cafés de Montparnasse et du
quartier des Halles, on refuse de servir des Nord-Africains. Ces pratiques se
font ouvertement sans que la police intervienne, malgré les protestations de
nos compatriotes. Certains patrons de café précisent même qu’ils ont
l’accord de la police… »
Dans le carton HA7 des archives de la Préfecture de police de Paris, on
trouve une note de septembre 1950 adressée au préfet de police, signée
H. Fontaine, un chargé de mission, et classée « Confidentiel », qui permet
de mieux comprendre certaines réactions : « Chaque fois que les Nord-
Africains arrivent à trouver des logements décents, ils ont presque toujours
vite fait de les transformer en taudis et de s’y entasser en dépit de tous les
règlements de police. » Un peu plus loin, la note est plus alarmiste encore :
« Il n’est pas douteux que ces colonies de Nord-Africains de Gennevilliers
et d’ailleurs constituent pour les bacilles pulmonaires les plus remarquables
foyers de culture et de contagion que l’on puisse imaginer. […] C’est qu’il
en résulte un danger permanent de propagation, non seulement pour la
métropole, mais aussi pour l’Algérie où les malades s’en retournent sans
contrôle… »
Cette note, qui se veut un simple constat, a été faite cinq ans après la
Seconde Guerre mondiale où des propos similaires étaient tenus contre les
juifs. Dans le même carton HA7, on trouve deux autres rapports encore plus
révélateurs de cet état d’esprit. Dans le premier, daté du 22 novembre 1951,
le directeur de la Police judiciaire s’adresse au préfet de police. Intitulé tout
simplement Le Problème nord-africain, il pose d’emblée la
« problématique » : « Si nous observons un Nord-Africain à son arrivée,
nous sommes surpris et étonnés par ses réactions, qui sont très différentes
des nôtres et qui témoignent d’un manque absolu des connaissances les plus
élémentaires. C’est pourquoi il se heurte à de grandes difficultés
d’adaptation. […] Les réussites ou le plus souvent les échecs vont faire
apparaître chez lui un sentiment d’infériorité et un sentiment d’humeur. […]
Les symptômes de l’infériorité sont en premier lieu agressifs : réactions,
brusqueries, refus de collaborer. […] Pourquoi cette instabilité ? Tout
d’abord pour des raisons physiologiques : insuffisance de nourriture et
d’hygiène. […] Et parce qu’ils ne sont pas plus préparés à notre civilisation
que nous étions prêts à les recevoir. Ainsi s’expliqueront souvent les
réactions violentes de la part d’individus en présence d’un monde pour
lequel ils n’étaient pas faits. »
Le rapport poursuit : « Bien plus importantes sont les différences
culturelles qui se caractérisent par un retard de maturation et de
développement mental : l’apprentissage social lui a manqué. […] Son esprit
critique semble faire revivre l’ancestrale haine du “roumi”. Cette tendance
fâcheuse qui va le conduire de la dissimulation au mensonge rend
impossible tout perfectionnement. […] Le Nord-Africain présente souvent
un état extérieur d’anxiété et d’insécurité ; ce n’est pas sans raison qu’on l’a
comparé à une bête traquée. […] Physiologiquement, cet état entraîne des
réactions de colère, de larmes, de violences brusques sans raison apparente,
ou plutôt sans proportion avec le prétexte qui les a fait naître. […] Il se
comporte comme un grand enfant et, à l’âge adulte, il n’a guère
d’expérience sociale. Il apprécie avec inexactitude les données immédiates.
[…] Il manque de pratique. […] Il n’établit pas de relation de cause à effet
et il ne généralise pas les réponses que l’expérience lui apporte. » Et le
rapport de conclure : « Il semble que le Nord-Africain n’atteint pas l’âge
adulte qui permet à un individu de concevoir et de réaliser lui-même son
action31. » On n’est pas loin du « racisme biologique » cher au nazisme.
Le second rapport, concernant la population nord-africaine de Paris et du
département de la Seine en 1952, va tout à fait dans le même sens : « Les
Nord-Africains sont querelleurs par nature, violents quand ils se livrent à la
boisson. […] Ainsi s’explique l’influence occulte de certains Nord-
Africains évolués et de certains caïds. […] Ils sont dociles et respectent les
lois et les règlements dans la mesure où ils les comprennent. Mais ils sont
surtout respectueux de l’autorité, et une grande fermeté est toujours
nécessaire à leur égard, car ils sont très habiles à déceler et à profiter de
toute faiblesse. […] Ils sont surtout inadaptés à notre civilisation. Leur
genre de vie les oblige à se faire accompagner d’un compatriote pour
accomplir la moindre formalité administrative. […] Leur manque de soins
corporels et d’hygiène provoque la répulsion. […] On redoute leurs
réactions collectives, et on craint pour la tranquillité publique. » Sur la
question de la femme, le rapport est encore plus affligeant : « Les Nord-
Africains ont de la femme une conception qui fait d’elle plus une esclave
qu’une compagne. […] Certains Nord-Africains se sont mis en ménage
avec des femmes européennes. De nombreux enfants sont nés de ces unions
illégitimes et l’on commence à trouver dans les classes les plus élémentaires
des petits “Abdallah” et “Mohamed”. Le plus souvent, les femmes qui
acceptent ce concubinage sont diminuées physiquement ou moralement.
[…] Les débitants de boissons nord-africains emploient comme servantes
de jeunes femmes, européennes pour la plupart, souvent très jeunes, dont la
tâche essentielle est de satisfaire les besoins du patron ou des clients32… »
Ces quelques phrases en disent long sur le regard que porte alors la police
parisienne sur ces « Français musulmans d’Algérie ». Quand les
« spécialistes » liés à la hiérarchie policière développent ce genre
d’arguments, on comprend qu’ils ne peuvent qu’influencer l’agent de police
en contact avec cette population stigmatisée.
Toujours dans le même carton d’archives de la Préfecture de police de
Paris, figure une lettre de Maurice Papon, à l’époque secrétaire général de
la préfecture. Il s’agit d’une réponse à un courrier du gouverneur général de
l’Algérie, daté du 31 décembre 1953, qui demande quelles sont les mesures
susceptibles d’être prises à l’encontre des commerçants qui refusent de
servir des Nord-Africains. Maurice Papon, en tant qu’expert soucieux de la
hiérarchie, commence par écrire : « Il n’est pas douteux que l’attitude des
commerçants qui refusent la clientèle nord-africaine porte atteinte aux
principes du droit public français consacrés par la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen. » Puis il ajoute très vite : « Mais les commerçants
pourraient, de leur côté, se retrancher derrière le principe de la liberté du
commerce et de l’industrie, […] qui dans un arrêt du 11 janvier 1889 était
allé à reconnaître qu’un boulanger qui refusait de vendre du pain à un client
n’était passible d’aucune sanction. »
Maurice Papon affirme ensuite, sans état d’âme : « Dans ces conditions,
la question posée se heurte à des principes que peuvent invoquer les deux
parties et qui rendent ainsi difficile la recherche d’une solution
satisfaisante. » En clair, il renvoie les uns et les autres dos à dos. Il ajoute
que la seule possibilité d’intervenir serait dans le cadre d’un trouble à
l’ordre public. Mais il s’empresse d’écrire que celui-ci serait difficile à
établir : « Si le refus de recevoir des Nord-Africains est en effet susceptible
de troubler l’ordre public, […] ne pourrait-on pas craindre, cependant, que
le propriétaire de l’établissement soutienne que l’ordre public risquerait
également d’être troublé s’il recevait des Nord-Africains dans son
établissement ? » Curieuse réponse… Surtout lorsqu’il précise que
l’infraction « pourrait être envisagée lorsque le refus de recevoir des Nord-
Africains est systématique et qu’il ne s’agit pas d’un refus dicté par des
considérations d’ordre purement commercial et reconnues valables33 ». On
voit là toute la perversité de cet homme qui s’illustrera quelques années
plus tard dans la répression du Nord-Constantinois, puis comme préfet de
police à Paris en octobre 1961 et à Charonne en février 1962.
Dans ce climat, certains Algériens qui subissent ces discriminations
récurrentes se tournent vers la politique. « J’ai subi deux humiliations, m’a
ainsi raconté Mohand Kettar. La première fois à Lyon, où je faisais la queue
pour aller voir un film dans une salle de cinéma à Perrache. Arrive mon
tour, la personne au guichet me regarde, il avait des cheveux frisés, il m’a
dit : “C’est complet.” Alors qu’il y avait du monde derrière moi. Je
m’excuse, mais je lui ai craché dessus et je me suis sauvé en courant car il
est allé chercher quelque chose. La seconde humiliation, c’était [dans un
café] à Paris, où je suis entré avec un copain pour prendre un café comme
tout le monde ; et le serveur me dit : “On ne sert pas les Algériens !” Alors
c’est comme ça que j’ai commencé à me poser des questions. En Algérie,
on n’est pas chez nous, en France on n’est pas chez nous, alors, d’où
sommes-nous et où allons-nous ? C’est comme cela que j’ai commencé à
assister à des réunions du PPA34. »

Notes du chapitre 8

a. L’armistice sera signé le 27 juillet 1953 entre l’ONU, d’une part, et la Corée du Nord et la
Chine, d’autre part.
b. Il sera remplacé le 20 août 1953 par Mohammed Ben Arafa (1886-1976), soutenu par les
colons et l’administration française.
c. Telle est alors l’appellation des colons, pour la plupart d’origine française, mais dont certains
sont aussi venus d’autres pays du sud de l’Europe (Malte, Espagne, Italie, etc.).
d. Allusion à la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution
nationale en faveur des Français rapatriés, dont l’article 4 (finalement abrogé) disposait que « les
programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée
française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».
9
Le MTLD et la répression contre les Algériens

Les origines du PPA-MTLD, principal mouvement nationaliste,


remontent à 1926, année où le Parti communiste français décide de créer
l’Étoile nord-africaine (ENA), une association qui regroupe en majorité des
Algériens et dont le premier responsable est Hadj Ali Abdelkader. À partir
de 1927, sous l’égide du jeune Messali Hadj, également membre du PCF,
l’association devient un parti politique avec comme objectif la lutte contre
le colonialisme en Afrique du Nord. En 1928, l’ENA s’éloigne du PCF et
elle est dissoute l’année suivante par le gouvernement, pour « menace
contre l’autorité de l’État ». Lors de son assemblée générale clandestine de
mai 1933, elle adopte un programme nationaliste radical avec de nouveaux
statuts, un comité central de trente membres et la suppression de la double
appartenance avec le PCF1. Lors du premier défilé populaire du 14 juillet
1935, l’ENA défile derrière le drapeau algérien blanc et vert frappé du
croissant rouge. En 1936, le mouvement soutient le Front populaire en se
solidarisant avec les ouvriers en grève. Messali Hadj intervient dans
plusieurs meetings, dont l’un aux usines Renault-Billancourt. Les Algériens
participent aussi aux manifestations du Front populaire, notamment à la
grande manifestation du 14 juillet 1936.

Aux origines : l’Étoile nord-africaine,


le PPA et les massacres de mai-juin 1945 en Algérie
Le nouveau gouvernement de gauche a un projet pour l’Algérie, celui de
Léon Blum et du ministre d’État Maurice Viollette, dit « Blum-Viollette »
(finalement non voté), qui vise à accorder l’égalité politique à une faible
proportion de la population algérienne pour l’étendre progressivement.
Seules 21 000 personnes titulaires de certains diplômes, de certains grades
ou distinctions militaires auraient pu accéder ainsi, à titre personnel et non
transmissible, à la citoyenneté française. L’ENA dénonce ce projet, très en
deçà de ses attentes. Le gouvernement Blum dissout alors à nouveau
l’ENA, le 27 janvier 1937, et poursuit ses dirigeants pour « reconstitution
de ligue dissoute ». Cette dissolution conduit Messali Hadj et ses camarades
à créer le Parti du peuple algérien (PPA), à Nanterre en mars 1937.
Poursuivant les objectifs de l’ENA, le nouveau parti revendique une
émancipation et une autonomie totales de l’Algérie au sein de la République
française. Dans les rues d’Alger, lors du défilé du 14 juillet 1937 organisé
par le Parti communiste algérien (PCA) au nom du Front populaire,
le drapeau algérien, confectionné par Émilie Busquant – l’épouse de
Messali –, est déployé pour la première fois. En août 1937, les membres du
comité directeur du PPA sont arrêtés. Messali Hadj et les dirigeants du parti
sont condamnés à deux ans de prison. Le 23 décembre 1937, le leader
communiste Maurice Thorez proclame que l’indépendance de l’Algérie
n’est plus à l’ordre du jour : « Le droit au divorce ne signifie pas
l’obligation de divorcer. » Il précisera sa pensée le 11 février 1939,
présentant l’Algérie comme une « nation en formation dont le peuple sera
un amalgame original d’éléments d’origine européenne, arabe ou berbère
qui se seront fondus au point de former une race nouvelle : la race
algérienne. Mais cette nation n’a pas encore atteint sa maturité2 ». En
juillet 1939, le gouvernement français dissout le PPA et vingt-huit de ses
dirigeants seront arrêtés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le 1er mai 1945, les militants du PPA interdit défilent malgré tout à
Alger, Annaba, Blida, Oran et Béjaïa. La police tire sur les porteurs du
drapeau algérien et des manifestants sont tués (quatre à Alger, un à Blida et
un à Oran)3. Arrive le 8 mai 1945 et les défilés de la victoire des alliés sur
le nazisme. À Sétif, dès le matin, un rassemblement a lieu à l’appel du PPA
de la ville, suivi d’une manifestation. Il s’agit pour ses responsables de
profiter de l’audience de cette journée afin de lancer leurs propres mots
d’ordre réclamant l’indépendance et la libération de Messali Hadj. Les
militants ont la consigne de ne pas porter d’armes. Pendant la manifestation,
rassemblant quelque 8 000 personnes, un jeune scout musulman, Bouzid
Saâl, brandit le drapeau algérien. Le cortège est bloqué au niveau des
quartiers européens par un barrage de policiers. Un policier tire sur le
porteur du drapeau et le tue. Ce meurtre déclenche une série d’émeutes et
de ripostes sanglantes de la part des manifestants en colère : « Dans les
campagnes, des paysans se soulèvent à La Fayette (devenue Bougaa),
Chevreuil (aujourd’hui Beni Aziz), Kherrata, Oued Marsa. À Guelma, le
soir, les manifestants s’attaquent aux fermes isolées et plusieurs centres de
colonisation. Du 8 au 13 mai, le mouvement s’élargit à tout le Nord-
Constantinois : en quelques jours, il y a cent deux morts parmi la population
européenne4. »
Le 9 mai 1945, le gouverneur général de l’Algérie publie un
communiqué étonnant : « Des éléments troubles, d’inspiration hitlérienne,
se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait la
capitulation de l’Allemagne nazie5. » La répression, principalement
conduite par la police et l’armée – mais aussi par des milices de colons
extrémistes –, est d’une effroyable violence : bombardements des zones
« insurgées » par l’aviation, ratissages et razzias se succèdent dans toute la
région lors des semaines suivantes. Des villages et des tribus sont soumis à
des humiliations collectives de reddition. « Dans de nombreuses villes du
Constantinois, relate l’historien algérien Boucif Mekhaled, des milices en
accord avec les autorités et les forces de police se chargent des vengeances
et de la chasse aux suspects. La répression est aveugle. Un témoin déclare à
Henri Alleg : “Les légionnaires prenaient les nourrissons par les pieds, les
faisaient tournoyer et les jetaient contre les parois de pierre où leurs chairs
s’éparpillaient sur les rochers. Entre Sétif et le pays, on ne peut pas circuler,
il y a des tirailleurs sénégalais qui tirent sur tout passant (comme le cas s’est
produit à Aït Saïr). J’ai vu des Français faire descendre d’un camion cinq
personnes les mains ligotées, les mettre sur la route, les arroser d’essence
avant de les brûler vivantes”6. »
« Une commission d’enquête fut instituée, explique Emmanuel
Blanchard. Mais les assassins, pour masquer leur crime, prirent les cadavres
et les jetèrent dans des fours à chaux. Les gorges de Kherrata s’emplissaient
de cadavres. Les prisonniers étaient égorgés et jetés dans le ravin à partir du
pont qui porte le nom de [Rabah] Hanouz, assassiné [le 11 mai] à cet
endroit avec ses trois enfants. Les milices sévissent à Sétif, à Annaba, à
Chevreul (Beni Aziz) et participent activement à la répression par des
exécutions sommaires, en particulier celle du sous-préfet de Guelma, André
Achiary. Aucun colon ne fut poursuivi pour les exactions commises au
cours de la répression7. » Le bilan précis de ces massacres n’a jamais pu
être établi. Officiellement, les autorités françaises estiment qu’ils ont fait
entre 1 020 et 1 340 morts chez les « musulmans ». Les autorités
algériennes parlent de 45 000 morts. La plupart des historiens ayant enquêté
sérieusement sur ce « massacre colonial » évoquent les chiffres de 10 000 à
15 000 victimes, dont près de 2 000 uniquement pour la région de Guelma.
Mohamed Boudiaf (1919-1992), l’un des chefs historiques du FLN, a
écrit en 1974 un long texte sur la préparation du 1er novembre 1954, où il
revenait sur les massacres du Nord-Constantinois : « Il est faux de prétendre
que le PPA voulait organiser un soulèvement. J’ai eu plus tard l’occasion
d’en discuter avec le responsable du PPA de Sétif, [Noureddine] Maïza, il
n’avait aucune directive et ne savait quoi répondre aux militants qui
venaient lui en demander après le début des incidents dans la région. Ce
sont les provocations policières qui ont mis le feu aux poudres8. »
« Peu de temps après ces massacres, indique Emmanuel Blanchard, les
arrestations massives de militants et de cadres du PPA ont désorganisé le
parti. En France, le PPA a bien appelé à un grand meeting, le 21 mai à la
Mutualité, mais il [a été] interdit au motif de reconstitution de ligue
dissoute. Une grève des commerçants de la région parisienne a quand même
eu lieu le 29 mai9. »

La création du MTLD en 1946 et son rapide développement


au sein de l’immigration algérienne en France
En octobre 1946, Messali Hadj (qui avait été déporté à Brazzaville en
avril 1945) est enfin libéré, et le comité central du parti choisit le même
mois de se doter d’une vitrine légale – le Mouvement pour le triomphe des
libertés démocratiques – pour pouvoir participer aux élections législatives
de novembre, prévoyant pour la première fois une représentation
(totalement inégalitaire) des « indigènes » d’Algérie à l’Assemblée
nationale. Le MTLD obtient cinq des quinze députés de ce « second
collège ». Au cours d’un meeting organisé à la salle Wagram, le 3 décembre
1946, qui rassemble plusieurs milliers de sympathisants, les élus du MTLD
sont triomphalement accueillis à Paris10. Mais, dans le même temps, le
comité central du parti décide de créer une structure paramilitaire
clandestine – l’organisation spéciale (OS) –, dont les premiers dirigeants
sont Mohamed Belouizdad, Djilali Belhadj, Hocine Aït-Ahmed et des
responsables départementaux. Cette structure regroupe entre 1 000 et 1 500
militants en Algérie.
Fin 1947, le MTLD obtient 33 % des sièges aux élections municipales
dans le second collège ; à la suite de quoi le gouverneur général de
l’Algérie, Marcel-Edmond Naegelen (1892-1978), membre de la direction
de la SFIO (socialiste), couvre le truquage général des élections de 1948
pour l’« Assemblée algérienne » créée en septembre 1947 (vote imposé,
menaces armées, expulsion des bureaux, etc.). Il couvre également la
répression. Ainsi, le 4 avril 1948, au premier tour de scrutin de ces élections
à Deschmya (Kabylie), les gardes mobiles tirent à coups de mitraillette,
faisant sept morts et de nombreux blessés. Les mêmes méthodes sont
appliquées à Champlain (département d’Alger, aujourd’hui El-Omaria) :
quatre morts et une quarantaine de blessés. À Oran aussi, la police tire sur
la foule : on dénombre cent blessés et cinquante-neuf interpellations11. Au
total, lors de ces élections, 398 militants du PPA sont arrêtés12.
Peu de temps après, en 1949-1950, éclate la « crise berbériste » au sein
du PPA : certains militants, pourtant totalement dévoués au combat
nationaliste, sont accusés par d’autres de « fractionnisme » parce qu’ils
auraient voulu défendre également l’entité kabyle. La Fédération de France
est dissoute et complètement reprise en main avec de nouveaux locaux (22,
rue Xavier-Privas, Paris, Ve) et la parution d’un journal bimensuel,
L’Algérie libre. En Algérie, les jeunes militants nationalistes organisés dans
l’OS sont impatients de passer à l’action. Le 5 avril 1949, une action
préparée par Aït-Ahmed avec le concours de Ben Bella est organisée par un
commando de l’OS à la poste d’Oran13 : les attaquants s’emparent d’une
somme importante (3,17 millions de francs) et la répression ne tarde pas à
venir. Suite à l’arrestation de deux membres d’un commando de l’OS, la
police découvre des armes et des documents qui révèlent la présence d’une
« armée souterraine ». Du 19 mars au 27 mai 1950, la plupart des réseaux
de l’OS sont démantelés : plus de cinq cents arrestations (près d’un quart
des effectifs). Le comité central du PPA dissout l’OS et décide de détruire
tous les documents, malgré un large comité de soutien aux victimes de la
répression, créé avec l’aide d’avocats français comme Mes Stibbe,
Dechezelles et Douzon14. En France, le PPA-MTLD se développe
rapidement. Selon Mohammed Harbi, à cette époque, il compte environ
20 000 militants en Algérie et quelque 5 000 militants au sein de
l’immigration15. Les participants à la manifestation du 14 juillet 1953 que
j’ai retrouvés et interrogés en 2012, presque soixante ans après le drame,
m’ont apporté leur témoignage sur leur engagement de l’époque.
Chérif Darkrim, qui a failli être tué lors de la manifestation : « Quand je
suis parti en France, j’ai regardé de mes propres yeux. J’ai regardé l’école,
les enfants, bien habillés, bien nourris. […] Alors, on a cherché des gens
pour faire de la politique et on a trouvé16. » Ibrahim Jaffer (il avait jeté des
bouteilles sur les policiers dans la manifestation) : « J’ai travaillé à l’usine
Chausson, mais cela ne me plaisait pas, alors je suis entré à l’usine Citroën
à Clichy. C’est là que j’ai vu des gens qui vendaient L’Algérie libre. Alors,
j’ai demandé à un gars de me faire entrer au MTLD. Il m’a dit oui et il m’a
donné trois fois des rendez-vous, mais il n’est pas venu. C’était pour me
tester, pour savoir si j’avais de la volonté ou pas. La quatrième fois, il m’a
amené dans une réunion du parti. Alors, moi aussi, j’ai vendu L’Algérie
libre au métro Dupleix dans le XVe ou à La Motte-Picquet. J’allais aussi
aux manifestations et je faisais des inscriptions murales. Une fois, on a fait
des inscriptions murales parce que Mohamed Khider, un dirigeant du
MTLD, avait été arrêté et inculpé. Alors on a écrit : “Nous défendons
Khider, le MTLD vivra”, mais on s’est fait arrêter nous aussi, avec Ferhat
Boussaâd. Et au commissariat, ils nous ont enlevé tous nos vêtements. Ils
nous ont allongés par terre, recouverts de peinture et ont écrit sur nous :
“Nous défendons Khider, le MTLD vivra.” Et ensuite, ils nous ont dit :
“Maintenant vous pouvez sortir.” Oui, ils nous ont peinturés en nous
disant : “Voilà ce que vous méritez17 !” »
Mohamed Toumouh, responsable du parti en Seine-et-Oise : « En France,
on travaillait mais on faisait aussi des réunions, chaque samedi ou chaque
dimanche. S’il n’y avait pas de réunion, on devait faire de la propagande
dans les cafés… Il y avait des militants qui disaient : “On en a assez ! Tous
les dimanches, tout le temps, il faut faire de la propagande. Quand on rentre
dans un café, personne ne nous écoute.” Alors, le responsable disait :
“Même si vous êtes insultés, il faut faire de la propagande, parce que le jour
où on va déclencher la révolution, ces hommes dans les cafés vont se
rappeler de vous et ils nous rejoindront.” Dans la région parisienne, il y
avait plusieurs secteurs. […] Moi, je faisais partie du cinquième secteur et
c’est Boudiaf lui-même qui m’a dit de remplacer le responsable. Alors je
me suis retrouvé à la tête de ce secteur qui comprenait Nanterre, Bois-
Colombes, Colombes, Argenteuil, Conflans, toute la Seine-et-Oise. […]
J’avais comme effectif mille et quelques bonshommes18. »
Quand je le rencontre en 2012 à Alger, Ahmed Haddanou, dit « Tewfik »,
est assis dans une salle de réunion dans le quartier Belouizdad que
beaucoup d’Algérois appellent encore Belcourt. À côté de lui, Zidi Chergui,
ancien dirigeant des étudiants algériens en France, voudrait témoigner lui
aussi, mais hélas il ne se souvient plus de grand-chose. La mémoire
d’Ahmed Haddanou est en revanche intacte : « Je suis né [en 1925] à
Belcourt dans le quartier populaire d’Alger. En 1943, a été créé le CJB
(Comité de la jeunesse de Belcourt), dont le fondateur Mohamed
Belouizdad deviendra le premier responsable de l’OS. Très tôt, j’ai adhéré
au PPA. […] J’ai été un agent de liaison avec les imprimeries clandestines à
Alger, parce que nous savions qu’entre nous et le colonialisme, un jour cela
allait craquer. Il n’y avait pas de doute. Et l’affaire du 8 mai 1945 nous a
donné un aperçu avec ses milliers de morts. […] J’ai été arrêté deux fois. La
première pour une affaire d’armes et j’ai réussi à avoir un non-lieu. La
seconde, c’était pour des tracts et des journaux clandestins. On m’a arrêté,
je me suis sauvé et puis on m’a arrêté après, je suis passé deux fois et j’ai eu
la relaxe. Benkhedda, qui était responsable du parti en 1949, m’a conseillé
d’aller en France parce que la troisième fois, je risquais d’être liquidé. Et
c’est vrai qu’à l’époque, il y a des agents de la sûreté qui m’ont tabassé,
torturé. Parce que la torture était chez nous dans le parti, une question pour
ainsi dire “normale”. […] Je suis arrivé en France en 1950, j’ai été
responsable pour le sud de la France (Marseille, Avignon, le Gard et les
Bouches-du-Rhône) avant de démissionner pendant la crise dans le parti.
On a fait des manifestations notamment en 1951, quand le député Khider du
MTLD a été arrêté et après dans l’affaire de la poste d’Oran avec Ben Bella.
On a protesté à Marseille et dans les autres régions19. »

L’engagement des jeunes militants nationalistes


« En France, on faisait des réunions, des assemblées, m’a raconté
Mohamed Hachem, un autre blessé du 14 juillet 1953. On faisait de la
politique, mais en secret. On faisait payer les cotisations avec des timbres.
On faisait des réunions tous les mois avec les cadres, et toutes les semaines
avec les militants. Après, j’ai été formé pour devenir un cadre. […] On
vendait aussi le journal sur les routes, sur les marchés. Cela se vendait bien,
même des Européens, des Français, ils l’achetaient20. »
Mohamed Saïd Oudelka connaissait bien Amar Tadjadit (victime du
14 juillet) : « On s’est rencontrés à Paris dans les années 1951-1952, dans le
parti de Messali, le PPA-MTLD. Il était chef de cellule et moi aussi. Il
habitait rue de Meaux, moi avenue Parmentier au métro Goncourt. […] À
l’époque, on recevait trois cents journaux du journal du parti L’Algérie
libre. C’était interdit de le vendre et si la police t’attrapait, elle saisissait le
journal et tu passais la nuit au poste, mais nous, on faisait attention. […] On
le vendait dans le XVIIIe, le XIXe et dans le Xe à des gens que l’on
connaissait, partout dans les cafés, auprès des amis et Amar le vendait à son
travail. […] Moi aussi, je le vendais à mon travail aux “Chemins de fer”.
[…] En 1953, avant le 14 juillet, les responsables nous ont informés qu’il y
aura la marche pacifique. […] Il y avait beaucoup de militants qui sont
venus de partout, de Marseille, de Dijon et de tous les territoires
français21. »
La mobilisation nationaliste au sein de l’immigration algérienne en
France est évidemment étroitement liée à l’influence croissante du MTLD
en Algérie même, comme me l’a évoqué dans sa ville d’Aïn Sefra Sahnoun
Boubekeur – ami d’enfance de Larbi Daoui, l’un des tués du 14 juillet
1953 –, racontant l’immédiat après-guerre : « Le PPA-MTLD a été divisé
en deux. D’un côté, le parti politique qui a ouvert des bureaux pour les
élections comme à Aïn Sefra et, de l’autre, le parti militaire, on appelait ça
l’OS (l’Organisation secrète ou spéciale). D’ailleurs, les premières armes de
l’OS ont servi pour le déclenchement de la révolution le 1er novembre 1954.
[…] Je ne me rappelle pas exactement mais, de 1946 à 1948, il y a eu
plusieurs meetings, ici à Aïn Sefra, avec Ahmed Ben Bella. Et lorsque
l’administrateur apprenait qui était Ben Bella, il le convoquait mais lui
quittait alors la ville pour aller à Béchar (ville plus au sud). En juin 1948, on
a eu aussi la visite de Messali Hadj pour préparer les élections, mais le
comité du MTLD pour ces élections a été empêché de rentrer dans la ville,
la veille du vote. Malgré ça, le lendemain on a obtenu 98 % des voix. Oui,
c’était un fief ici, mais toutes les petites villes autour c’était pareil. […] Je
connaissais bien Larbi Daoui, qui a été tué ce 14 juillet. On habitait le
même quartier. On nous appelait les “enfants de la cité”. Comme j’étais le
chef des SMA (scouts musulmans d’Algérie), il venait me rendre visite tous
les jeudis. Il aimait les chansons scoutes, les chansons nationalistes surtout
la “chanson du drapeau”. Il a adhéré au MTLD en 1946. Il cotisait la
somme de cinquante francs de l’époque. Il nous aidait à la sensibilisation
des jeunes de huit-dix ans et de la population. À ce moment-là, Larbi Daoui
ne parlait que de l’indépendance. Il était aussi très serviable et rendait
souvent des services. Pas uniquement à moi, mais à tout le monde. Il était
célibataire et on le surnommait Binhas. En fait, c’est lié à son patron, un juif
qui s’appelait Pinard. À l’époque, on donnait souvent les surnoms des
patrons. Après, je sais qu’il est parti en Palestine en 1948 puis en France en
1950, à la recherche de travail… Ce que je regrette, c’est qu’il ne m’a pas
informé de son départ. Il ne m’a pas écrit non plus22. »
« Moi j’ai été au PPA à partir de 1943, m’a relaté quant à lui Amar
Bentoumi, avocat et membre du comité de soutien aux familles des
victimes. […] Je suis d’une famille modeste. J’ai fait des études grâce à une
bourse. Je devais devenir professeur, mais mon responsable politique
Hocine Asselah m’a dit qu’il fallait que je devienne l’avocat du parti. Et
c’est comme cela que je suis devenu avocat, un peu malgré moi. […] Au
début, j’étais pour l’autonomie avec les Amis du Manifestea, mais très
rapidement on s’est rendu compte que les colons tenaient à leurs privilèges.
Ils pensaient nous dominer pour l’éternité avec ce slogan “Algérie
française”, mais l’Algérie française, c’était leur portefeuille (rire)… J’ai eu
beaucoup d’amis pieds-noirs qui étaient de milieux modestes, au lycée, un
peu partout, dans le scoutisme, etc. Il n’y avait pas chez nous l’idée que les
Français d’Algérie partiraient. Nous, nous étions pour une “Assemblée
constituante souveraine, élue au suffrage universel par tous les Algériens
sans distinction de race et de religion”. Mais c’est l’histoire de l’OAS
pendant la guerre d’Algérie qui a tout chamboulé23. »
Saïd Gater, qui était dans le groupe ayant subi la première charge de la
police, place de la Nation : « J’ai adhéré au PPA parce que nous étions dans
un groupe de football à Alger où tout le monde se politisait. C’était naturel !
Tout le quartier était au PPA. […] Ensuite, en France où je suis arrivé en
1951, j’ai fait écrivain public car je connaissais le français et j’écrivais pour
tout le monde gratuitement à Nanterre. C’est d’ailleurs un peu pour cela que
je suis devenu chef de cellule à Nanterre : je tenais bien le cahier. […] Faut
dire que je n’ai jamais connu le chômage. Grâce à Dieu ! Depuis l’âge de
treize ans24. »
« J’ai adhéré au MTLD et j’ai milité à Paris dans le Ve arrondissement,
témoigne pour sa part Mohand Kettar, dont on a vu au chapitre précédent
comment les humiliations racistes l’ont conduit au combat nationaliste. Très
tôt, je suis devenu responsable d’un secteur de la place Maubert, rue
Mouffetard, jusqu’à la Seine, place Saint-Michel. Il y avait beaucoup
d’Algériens dans ce secteur. Dans la rue Saint-Séverin, il y avait un café
algérien style oriental : on se rencontrait là. On vendait les journaux dans la
journée, et les invendus on les collait la nuit, voilà… Un soir, en 1952, dans
l’avenue de Saxe, c’est là que j’ai eu, si vous voulez, mon baptême du feu !
J’ai été battu par un CRS. On préparait une manifestation et ils m’ont
frappé. J’avais l’épaule – je crois que c’est l’épaule gauche – complètement
bleue25. »
« Donc, à chaque fois qu’il y avait des manifestations, je participais,
raconte Madjib Touati, jeune militant du PPA à Paris dans les années 1950.
Et puis quand il y avait des meetings, par exemple avec Azzam Pacha
[surnom d’Abdul Rahman Hassan Azzam, premier secrétaire général de la
toute jeune Ligue arabe] ou d’autres, nous allions en masse faire entendre
une autre voix. […] Une fois, en allant à un meeting, on nous a arrêtés et on
nous a emmenés dans des cars loin de Paris, dans une forêt. On nous a
lâchés là, au milieu de la nuit, dans le froid, grelottants. Il n’y avait pas de
transport, vous voyez un peu26 ! » Ce fait marquant est également confirmé
par Mohamed Zalegh, l’un des blessés par balle du 14 juillet 1953 : « À
Nanterre, dans un bidonville, on allait vendre le journal et ramasser de
l’argent. […] On allait aussi à des meetings, des manifestations. Mais la
police nous a fait des misères. Ils nous arrêtaient à la sortie du métro. […]
Un jour, ils ont pris quatre ou cinq cars : “Allez, monte, monte, monte !” Et
tu ne sais pas ce qu’ils ont fait ? Ils nous ont emmenés au Château de
Vincennes. Tout le monde là-bas. […] Ils ont pris nos papiers d’identité
pour nous contrôler et après, à minuit ou deux heures du matin, on a fait
100 kilomètres dans la campagne. 100 kilomètres ! “Descendez,
descendez !” Et de taper avec les matraques. Je ne sais pas combien on
était, peut-être cent ou cent cinquante personnes. Et ils nous ont laissés là-
bas. On était dans la campagne, toute la nuit on a marché… Toute la nuit on
a marché pour trouver des taxis ou des cars. Nous, on ne savait pas où on
était… On était perdus dans la forêt. C’était en 1952 ou 1953, je ne sais
plus27. »

Le préfet de police de Paris et la répression contre le MTLD


en France
À Paris, un homme est alors à la tête du dispositif de répression ciblant
les militants de la Fédération de France du PPA-MTLD : Jean Baylot (1897-
1976), nommé préfet de police en avril 1951. Ancien résistant et
anticommuniste notoire, il réintègre, peu de temps après sa nomination, de
nombreux policiers révoqués en 1945 pour faits de collaboration, comme
l’explique Emmanuel Blanchard : « Il accepta que le commissaire Didesb
supervise une officine créée par des épurés de la Préfecture de police et
spécialisée dans la surveillance et l’analyse du PCF. […] Par l’intermédiaire
de son directeur de cabinet, il prit contact avec des collaborateurs notoiresc
revenus en grâce du fait de la priorité donnée à la lutte anticommuniste. Les
agents de la Préfecture furent les premiers à souffrir de cette nomination. En
1951 et 1952, une centaine de gardiens furent mutés d’autorité au
commissariat de Saint-Denis, considéré comme une brigade spéciale
d’isolement administratif, et des dizaines de sanctions, suspensions,
mutations, révocations furent prononcées contre des militants syndicaux et
politiques parfois pour le simple fait d’avoir manifesté le 1er Mai. […] Par
ailleurs, Jean Baylot affirme, le 3 juillet 1952 devant le conseil municipal de
Paris : “Je couvre totalement le brigadier responsable de la mort d’Hocine
Belaïdd, qui s’est défendu seul contre quarante assaillants28.” » Déjà à
Marseille, le futur préfet de police s’était intéressé de près aux Algériens. À
Paris, il accélère la politique de rafles préventives que son prédécesseur
avait expérimentée pour empêcher les grands rassemblements du MTLD :
« La grande rafle du 8 décembre 1951, relate Emmanuel Blanchard, où il y
a près de 6 000 interpellations, est restée un modèle en la matière. D’autre
part, Jean Baylot n’hésite pas à sélectionner, voire à manipuler, certaines
statistiques vis-à-vis des délinquants algériens et à renforcer les préjugés
vecteurs de xénophobie. […] Ainsi, des chiffres fantaisistes sont distribués
à l’ensemble du personnel, indiquant qu’“au cours de l’année 1952, 95 %
des vols avec violences avaient été commis par des Algériens”29. »
En 2013, l’ancien secrétaire général du MRAP Charles Palant m’a
apporté quelques compléments sur ce préfet, révélateurs de son époque :
« Je voudrais dire deux mots sur le préfet Jean Baylot que j’avais rencontré
peu de temps après mon retour d’Auschwitz. En effet, j’ai passé deux mois
chez de vieux amis de mes parents qui s’étaient cachés dans les Pyrénées et
étaient restés là-bas. La vie était plus facile à la campagne, car je faisais à ce
moment-là moins de quarante kilos. Cela se passait à Pau, dont le préfet
était un fonctionnaire sorti des rangs de la Résistance qui s’appelait
M. Baylot, d’essence socialiste. […] Là-bas, il y a eu un puissant meeting
pour fêter politiquement la Libération. Et la veille, le préfet avait organisé
un déjeuner avec les différents orateurs, car j’avais été sollicité pour
raconter ma déportation. Et ce préfet avait été fort aimable. […] Eh bien, il
a fait carrière et a été nommé préfet à Marseille. […] Puis, avec la guerre
froide, il s’est fait une belle réputation d’animateur de la répression contre
les grévistes, contre les travailleurs et plus généralement contre les
communistes. Il s’affirmait comme un des champions de l’antisoviétisme,
de l’anticommunisme, parfois stupide mais toujours violent. Ce préfet, qui a
grimpé les échelons des promotions à mesure que l’anticommunisme
prenait sa place dans la société française, est devenu préfet de police à
Paris. […] Et il avait un secrétaire général à la préfecture qui allait lui aussi
faire carrière, de manière parfois étonnante : il s’appelait Maurice
Papon30. »
Pour autant, la répression contre les Algériens remonte à plus loin. Elle
était déjà très nette en 1945, puisque le 16 juin de cette année, un meeting
du PPA à la salle de la Grange-aux-Belles est interdit pour risque de trouble
à l’ordre public. Un autre est interdit en 194731. La police est bien
renseignée sur ce mouvement, car elle a un informateur au sein même de
ses cadres dirigeants, comme le prouvent les rapports des Renseignements
généraux. D’ailleurs, dans un de ces rapports, indiquant les différents cafés
où se tiennent des réunions du MTLD, il est précisé que l’un d’eux
appartient à Abdallah Lahlou, né en 1909 ; avec son compatriote Mohamed
Laroug, ils ont été dénoncés pendant l’Occupation comme résistants, arrêtés
par la Gestapo puis déportés à l’île d’Aurigny32.
Dans le même esprit, on trouve dans les archives de la police quelques
informations sur les « quarante musulmans tombés lors des combats de la
Libération de Paris et enterrés au cimetière musulman de Bobigny » ou
d’autres pour le moins surprenantes, comme celle de l’imam du cimetière
Mesly (Créteil), Abdelkader, déporté comme résistant à Dachau. Enfin, on
découvre qu’à Chelles (Seine-et-Marne), une rue porte le nom d’Houssa
Ouaid, qui fait partie des treize otages fusillés par les nazis juste avant la
libération de la ville le 25 août 194433. Houssa Ouaid, trente-six ans, était
ouvrier originaire de Meknès (Maroc) et s’était porté volontaire pour
remplacer un garçon de douze ans qui devait être fusillé comme otage.
Encore une histoire inconnue qui mérite d’être divulguée.
À partir du début des années 1950, les militants du MTLD se joignent
aux cortèges syndicaux des 1er Mai et des 14 Juillet. Ils sont nombreux à
défiler à Paris et en province avec leur drapeau national. Et, face au
développement de l’activité de la Fédération de France du PPA-MTLD, la
police va utiliser systématiquement la répression. On le voit clairement à
travers les rapports de police de 1950 et 1951, même si aucun Algérien
blessé n’est mentionné (seuls sont cités les blessés du côté des forces de
l’ordre), car bien souvent, les méthodes utilisées s’apparentent à de
véritables ratissages, parfois lancés simultanément dans plusieurs quartiers.
Extraits de ces rapports révélateurs34 :
– 11 septembre 1950 : manifestation devant le Palais de justice pour
protester contre le procès de quatre Nord-Africains arrêtés et l’interdiction
de leur journal L’Algérie libre (quatorze arrestations, un brigadier et deux
gardiens blessés) ;
– 17 septembre 1950 : manifestation devant le siège de la Société
nationale des entreprises de presse (SNEP), qui avait refusé la diffusion de
L’Algérie libre (1 127 arrestations et deux gardiens blessés). « La police
interpelle tous les passants qui ont le teint basané, relate Emmanuel
Blanchard. Le préfet Léonard s’exclame : “Nous avons pu cueillir entre
16 heures et 17 heures quelque 400 Nord-Africains. À 18 heures, nous
comptons 800 arrestations et à 19 heures plus de 1 000, tous nos postes
regorgent. Heureusement que nous avons prévu la chose”35 » ;
– 10 décembre 1950 : Odéon-Saint-Michel, à la sortie d’un meeting du
MTLD, trois arrestations, deux brigadiers et neuf gardiens blessés ;
– 1er avril 1951 : palais de la Mutualité, réunion interdite (558
arrestations, un brigadier et trois agents blessés) ;
– 1er mai 1951 : « Les Français découvrent la participation massive des
travailleurs algériens. Dans les villes du Nord, la participation est parfois
majoritaire. À Paris, la manifestation du 1er Mai se termine dans la
violence, avec de nombreux blessés des deux côtés, les policiers cherchant à
arracher le drapeau algérien sans succès36. » Les archives de la police
parlent de 1 743 arrestations et de six gradés et 127 agents blessés ;
– 6 mai 1951 : on signale une rafle d’ouvriers algériens lors d’un meeting
interdit, salle Wagram ;
– Le 8 décembre 1951 est le jour de la plus importante « rafle au faciès »,
explique Emmanuel Blanchard : « Près de 6 000 Algériens sont
appréhendés aux alentours du Vélodrome d’hiver, où devait se tenir une
réunion en l’honneur des délégations arabes présentes pour la conférence de
l’ONU, dont Azzam Pacha, alors secrétaire général de la Ligue arabe. Ils
sont conduits aux postes de police, à l’ancien hôpital Beaujon ou au parc
Monceau et retenus pendant de nombreuses heures pour être interrogés et
fichés37. » Alger républicain précise : « Parmi les personnes arrêtées, il y a
des dirigeants du MTLD : Hocine Lahouel, Ahmed Mezerna et Ahmed
Bouda. […] Arrêtés à la sortie du métro, certains Algériens passeront toute
la nuit sous la pluie et dans le froid à l’intérieur du parc Monceau38. » Ce
jour-là, la police a-t-elle aussi décidé d’éloigner en pleine nature certains
d’entre eux, comme lors de l’épisode déjà évoqué de 1952 ou 1953 que
m’ont raconté Madjib Touati et Mohamed Zalegh ?

1952-1953 : une répression de plus en plus violente


Le 1er mai 1952, les manifestations sont interdites à Alger et à Oran. Le
MTLD a du mal à mobiliser ses troupes, car les arrestations sont très
nombreuses, même si certains manifestants bravent l’interdit, notamment à
Oran. En France, les organisations syndicales décident d’incorporer les
Algériens au centre de leur dispositif. À Paris, les cheminots ferment la
marche et les militants du MTLD peuvent défiler derrière la banderole :
« Nous ne confondons pas le peuple de France avec la poignée de
colonialistes qui nous exploitent39. » Aucun incident n’est signalé dans la
capitale, mais dans deux villes du Nord, à Valenciennes et à Douai, les
policiers chargent les manifestants en visant les Algériens. À Douai, un
Algérien est grièvement blessé d’une balle dans la joue40. L’Humanité du
6 mai précise que le policier a tiré presque à bout portant dans la joue droite
et que la balle est ressortie derrière l’oreille.
Au printemps 1952, Messali Hadj, contre l’avis de la direction du PPA-
MTLD, entreprend une tournée dans les villes algériennes. Des
affrontements et des arrestations ont lieu dans plusieurs villes. À Blida, la
répression fait plusieurs blessés41. Le 14 mai, Messali Hadj arrive à
Orléansville (Chlef aujourd’hui), accompagné en voiture par le député
Mustapha Ferroukhi. Six cents à sept cents jeunes se rassemblent à
l’extérieur de la ville pour accueillir le dirigeant du MTLD, mais la police
lui interdit l’entrée de la ville. Cailloux et pierres sont lancés, auxquels
répondent des coups de feu, faisant deux morts et de nombreux blessés42.
En fin de soirée, Messali Hadj est enlevé et déporté en France, où il est
placé en résidence surveillée à Niort (Deux-Sèvres). La direction du MTLD
lance un mot d’ordre de grève générale (soutenu par le PCA), qui touche
quelques villes : Alger centre, El-Harrach, Annaba, Skikda, Oran, Nemours
(Ghazaouet). De son côté, le PCA signe une déclaration commune avec le
MTLD contre la répression43 et appelle les « musulmans, catholiques ou
israélites, ouvriers, techniciens, commerçants et industriels à manifester
pour la libération de Messali Hadj44 ».
La Fédération de France du MTLD appelle aussi à des rassemblements
sur les grands boulevards et aux Champs-Élysées pour le 18 mai 1952.
Selon la préfecture, il y a cent quarante et une arrestations ; sept gradés et
vingt-quatre gardiens de la paix sont blessés… Voici le compte rendu établi
par Libération : « Sur les grands boulevards, trois cents manifestants du
MTLD manifestent et se dirigent vers Richelieu-Drouot mais, au carrefour
Montmartre, ils sont attaqués par la police. Les Algériens cherchent à se
disperser, mais des renforts de la police sont là rapidement. Certains sont
frappés à terre jusqu’à l’évanouissement. Un bâton blanc se brise sur le
crâne d’un manifestant pris à partie par une demi-douzaine de policiers.
[…] Dans un car, on passe à tabac les personnes raflées ! Quelques
individus viennent prêter main-forte aux policiers en criant : “À bas les
bicots, qu’ils aient leur compte !” […] D’autres groupes d’Algériens du
MTLD ont manifesté à la même heure place de la Concorde devant
l’ambassade américaine et sur les Champs-Élysées. […] Au total, cent
quarante-trois manifestants ont été conduits dans différents postes de
police45. »
Le 23 mai, des mouvements de grève sont aussi signalés dans la région
parisienne, dans le Nord, l’Est, le Doubs, à Lyon, Saint-Étienne, Marseille,
Toulon. À Harnes, près de Lens, des incidents ont lieu avec la police.
Devant les usines Renault, 3 000 manifestants algériens manifestent entre
13 h 30 et 15 heures. Aucune centrale syndicale française ne s’associe
vraiment à ces débrayages. Le PCF signale les manifestations, mais il
n’appelle pas ses militants à rejoindre le mouvement pour la libération de
Messali Hadj. Depuis plus d’une semaine déjà, les grands titres de
L’Humanité sont réservés à la mobilisation contre la venue à Paris du
général Ridgway46.
À Paris, ce même 23 mai, un meeting du MTLD se tient à la Grange-aux-
Belles contre la déportation de Messali Hadj47. La salle est trop petite pour
accueillir tous les participants. En dehors des militants du MTLD, Alice
Sportisse (PCA), Eugène Hénaff (CGT région parisienne) et Léon Feix du
comité central du PCF prennent la parole. Un ouvrier vietnamien de
Renault vient apporter le soutien de son peuple et des salariés de son usine
qui ont fait grève48. Mais la mobilisation est limitée, car le Parti
communiste français prépare activement de son côté sa propre
manifestation, cinq jours après celle du MTLD, le 28 mai : il s’agit de
manifester contre la venue du général américain Matthew Ridgway, accusé
d’utiliser en Corée des armes chimiques contre les populations (voir supra,
chapitre 8).
« En France, rappelle l’historienne Danielle Tartakowsky, le MTLD s’est
toujours inscrit dans les luttes du mouvement ouvrier français. Il défile et
utilise la grève comme élément de lutte possible, il a souvent bénéficié des
locaux du mouvement ouvrier comme la Grange-aux-Belles. On est dans
une culture commune qui est renforcée par le fait que, jusqu’en 1952, les
militants coloniaux défilent à l’intérieur des cortèges de la CGT qui
constitue le gros de forces militantes. C’est-à-dire qu’il y a toujours une
autonomisation de leur groupe, mais cela s’inscrit dans le cadre d’un
cortège qui permet de les protéger par un service d’ordre, celui de la CGT et
du Mouvement de la paix qui vient clore le cortège. Mais, à partir du début
1952, avec l’assignation à résidence de Messali Hadj, le MTLD prend ses
distances en considérant que la stratégie du Parti communiste ne prend pas
assez en compte la spécificité des objectifs du MTLD, et notamment de la
libération de Messali Hadj et des autres militants algériens emprisonnés.
C’est le moment d’une césure qui contribue sans doute à expliquer la
violence extrême de la police49. »
Le PCF n’appelant pas ses militants à réclamer la libération de Messali
Hadj, le MTLD refuse d’appeler ses militants à participer à la manifestation
contre le général Ridgway. Des militants algériens sont quand même assez
nombreux dans cette manifestation, qui se termine violemment : « Sur les
quelques centaines d’interpellés, précise Emmanuel Blanchard, plus d’une
dizaine sont des Algériens. Et c’est un communiste algérien, Hocine Belaïd,
ouvrier municipal d’Aubervilliers, qui est tué par balle ce jour-là. » Un
autre manifestant, Charles Guénard, ancien déporté, ancien conseiller
municipal d’Aubervilliers, également blessé au genou par un tir de pistolet,
décèdera dix mois plus tard.

Les trois morts du 23 mai 1952


Le 23 mai 1952, journée de mobilisation du MTLD, la violence extrême
s’exerce en province. Il y a eu des morts à Charleville, au Havre et à
Montbéliard, comme le rapporte Libération : « À Montbéliard (Doubs), dès
le matin, les travailleurs algériens de chez Peugeot ont débrayé. Dans la
soirée, plusieurs centaines d’entre eux ont défilé dans les rues de la ville
aux cris de “Libérez Messali Hadj !” jusqu’à la sous-préfecture pour y
déposer une résolution. Quelques-uns veulent prendre la parole lorsque le
commissaire donne l’ordre de disperser la foule… à l’aide de grenades
lacrymogènes. Bilan : plusieurs manifestants blessés et un tué50. » Le
journal de la région, La République, donne à sa manière des précisions sur
l’affrontement : « Certains manifestants qui s’enfuyaient par la rue des
Étaux ont attaqué à coups de jets de pierre une camionnette de gendarmerie
qui passait par là. […] La réaction ne se fit pas attendre. Deux blessés ont
été admis à l’hôpital et l’un décédait peu après. […] Naturellement, des
bruits exagérant les faits ont rapidement circulé dans la soirée. Il ne faut
leur accorder aucun crédit, et espérer que le calme le plus complet régnera
dorénavant51. » Dix-neuf arrestations ont été opérées et quatre ont été
maintenues. « Le matin du 26 mai, le maire avise les représentants de la
communauté algérienne de l’inhumation deux heures plus tard de la
victime, Mohamed Bouguerra, né en 1919, originaire de Bouinan52. »
Au Havre (Seine-Inférieure), même scénario, même commentaire du
journal de la ville : « À la sortie d’un meeting du PCF et du MTLD tenu à la
Bourse du travail, quatre cent cinquante Algériens ont défilé dans les rues
du Havre en se dirigeant vers la sous-préfecture. Arrivés rue Bougainville,
une bagarre a éclaté pour une cause inconnue entre des manifestants et la
population. Rapidement alertés, les CRS et gardiens de la paix
s’interposèrent et usèrent de grenades lacrymogènes. Un gardien reçut un
coup de couteau sans gravité. Plusieurs manifestants ont été arrêtés, une
dizaine ont été blessés, dont le policier qui a été poignardé. Dans la soirée,
l’ordre a été rétabli. On nous a rapporté qu’auraient circulé des
commentaires hostiles à l’intervention rapide des forces de l’ordre. Il faut
bien comprendre que nous avions affaire à une manifestation antinationale.
[…] Des manifestants hospitalisés, un succombant à ses blessures
(enfoncement de la boîte crânienne)53. » Sept autres Algériens ont été
gravement blessés et transportés à l’hôpital et vingt-deux condamnés.
Hocine Allache, trente-neuf ans, est mort des suites de coups de crosse. Il
laisse quatre enfants. Une plaque a alors été déposée en hommage à sa
mémoire54. Deux semaines plus tard, le journal du MTLD rapporte que
l’administrateur de la commune mixte de Bou Henni (Palestro) a refusé de
délivrer aux parents et à l’épouse d’Hocine Allache une procuration pour
aller au Havre afin de ramener le corps de la victime… Allant dans le même
sens, le caïd de la ville s’adresse ainsi à l’épouse : « Pourquoi veux-tu
ramener son corps ? Il ne ferait que salir la famille et toute la région55. »
Enfin à Charleville (Ardennes), le préfet a interdit tout défilé. Mais vers
17 heures, quelque huit cents Algériens partent en cortège pour réclamer la
libération de Messali. Le journal local relate ainsi l’événement : « Les
Nord-Africains arrivèrent par le train de Givet à 14 heures, mais ils se
dissipèrent en ville, car un arrêté préfectoral interdisait tout défilé. Ils se
rassemblèrent place de l’Agriculture et se sont dirigés vers la rue du Petit-
Bois lorsque les forces de l’ordre intervinrent. La bagarre éclata alors
devant l’église et l’hôpital pendant une demi-heure. Vers 17 h 30, les CRS
tentèrent de les encercler et les manifestants se sont repliés vers la Meuse. Il
y a quarante blessés dont quatre grièvement et près de deux cents
arrestations56. » Deux jours plus tard, le journal précise que l’état des
blessés policiers est satisfaisant, que quarante-huit Nord-Africains ont été
écroués, que douze restent hospitalisés et qu’un manifestant se serait noyé
près de la place de l’Agriculture : « En effet, après la première charge,
plusieurs d’entre eux tentèrent de se dissimuler sur la berge de la Meuse. À
l’arrivée des CRS, deux se seraient jetés à l’eau en se maintenant aux
herbes de la rive ou en s’accrochant à une barque. Le premier fut tiré de là
et il semble que l’autre paraît avoir lâché la barque et s’enfonça sous
l’eau57. »
Le son de cloche est tout autre dans L’Humanité du 24 mai 1952 et dans
L’Algérien en France de juin 1952 : « Ayant épuisé leurs bombes
lacrymogènes, les CRS ont tiré sur les manifestants. Deux Algériens ont été
jetés à l’eau à coups de crosse, l’un d’eux, qui s’accrochait à une barque, a
été enfoncé de force dans l’eau, son corps a été retrouvé deux jours aprèse.
Plus de trois cents travailleurs furent arrêtés, enchaînés et frappés lâchement
par les CRS. On compte plus de cent cinquante blessés et trois fractures du
crâne. Deux Algériens sont poursuivis pour tentative de meurtre. La police
a procédé à de nombreuses arrestations et trente-huit condamnations58. » La
victime, Mohand Bachir Essaadi, avait vingt-six ans ; habitant à Givet, il
travaillait aux carrières de La Pierre bleue.

Des morts et des blessés qui, eux aussi, ont disparu


de la mémoire collective
Rencontré à Alger en 2012, Areski Ziani, ancien ouvrier de Renault-
Billancourt, m’a raconté : « Écoutez, j’ai encore une trace ici [il montre une
partie de son crâne]. J’ai reçu un coup de crosse sur la tête et vraiment j’ai
encore une trace… C’était dans une manifestation, mais je ne me rappelle
pas laquelle. En tous les cas, j’ai reçu un coup de crosse et ce n’était pas
l’armée, mais la police. Je l’ai échappé belle, car ils m’ont laissé pour mort.
Je me rappelle le lendemain matin, le secrétaire général du syndicat (CGT
Renault) me disait : “On te croyait mort.” J’ai encore des traces. Mais, je
n’ai pas été à l’hôpital. J’ai refusé d’y aller, parce que c’était un moyen que
je leur aurais donné pour s’accaparer de moi59. »
Cette violence, qui était familière en Algérie, n’a pas empêché la
Fédération de France du MTLD de poursuivre ses activités et de manifester
en force le 14 juillet 1952, notamment à Paris, tandis que la préfecture
continuait la surveillance et la répression du mouvement nationaliste. À la
date du 20 septembre 1952, dans le carton HA26 des archives de la
Préfecture de police, on trouve par exemple cette note du préfet Baylot :
« J’ai été informé que le MTLD avait l’intention de faire apposer dans les
débits de boissons une affiche pour la libération de Messali Hadj. Cet
affichage subversif doit être sérieusement réprimé. Chaque commissaire
devra faire visiter dès aujourd’hui tous les débits de boissons de son ressort.
Tous les débits de boissons sans exception où cette affiche aura été apposée
seront fermés sur l’heure. » Et, de nouveau, le 10 décembre 1952, un
meeting du MTLD est interdit au Vélodrome d’hiver ; le quartier de
Grenelle est ratissé par la police, qui opère 3 000 arrestations.
En Algérie, alors que le MTLD remporte les élections municipales du
26 avril et du 3 mai 1953, notamment à Alger dans le second collège, les
défilés du 1er Mai sont encore interdits. Plusieurs meetings volants ont lieu
malgré tout à Alger et des manifestations importantes se déroulent à Oran,
Constantine, Annaba, etc. On compte encore de nombreux blessés et des
dizaines d’arrestations60. À Paris, en dépit des consignes extrêmement
strictes de la part de la Préfecture de police, les Algériens du MTLD
continuent de défiler le 1er Mai, derrière l’immense portrait de Messali Hadj
et le drapeau national, vert et blanc. Ce défilé se déroule sans incident, mais
ce n’est pas le cas à Valenciennes-Anzin.
Selon le journal du MTLD, la répression a commencé dès la veille du
1er mai : « La police a procédé à des rafles de 20 heures à 2 heures du
matin, et cinquante-trois compatriotes ont été arrêtés. […] Le 1er mai au
matin, la gare est investie par les forces de l’ordre, et on interdit l’accès de
la ville aux travailleurs des alentours. […] À 9 h 50, les camions de CRS
prennent position au lieu de rassemblement61. » « Le premier choc, rapporte
Libération, s’est produit au départ du cortège, sur la place d’Anzin [ville de
la banlieue de Valenciennes]. Les manifestants étaient entre 900 et 1 000,
dont 650 à 700 Algériens qui avaient arboré le drapeau de l’Algérie libre et
déployé les banderoles lorsque les CRS reçurent l’ordre de s’en emparer.
S’ensuivit une très vive échauffourée, de dix minutes. Une seconde bagarre
éclata au pont Jacob, le service d’ordre ayant tenté à nouveau de s’emparer
d’un drapeau. La police attaqua très violemment, à l’aide de gaz
lacrymogènes et de matraques. Tentant de scinder le cortège en deux, les
CRS se sont heurtés à une vive résistance. Une quarantaine de manifestants
et de membres du service d’ordre ont été blessés au cours de l’échauffourée,
ainsi qu’une vingtaine de CRS. Les travailleurs ont pu cependant se
regrouper et ont tenu un grand meeting, place de la République à
Valenciennes62. »
Il y a beaucoup d’arrestations et plusieurs blessés parmi les Algériens
(dont un qui a perdu un œil), soixante-huit ont été arrêtés ; et cinquante-
quatre condamnations de dix à quarante jours de prison seront prononcées
ensuite63.
La tuerie du 14 juillet 1953 n’est donc pas arrivée par hasard : elle
s’inscrivait dans une « tradition », vieille de plusieurs années, de violences
policières contre les Algériens de France.

Notes du chapitre 9

a. Les « Amis du Manifeste et de la liberté » était un mouvement fondé en 1944 par Ferhat Abbas,
œuvrant pour une République algérienne fédéraliste liée à la France.
b. Le commissaire Jean Dides (1915-2004) avait été responsable de la répression des résistants
étrangers à Paris pendant l’Occupation [NdA].
c. Comme Georges Albertini (1911-1983), ancien bras droit du fasciste et collaborateur Marcel
Déat sous l’Occupation, gracié en 1948 et reconverti dans la lutte contre le communisme [NdA].
d. Comme on l’a vu au chapitre précédent, Hocine Belaïd avait été tué par la police lors de la
manifestation communiste du 28 mai 1952 contre le général Ridgway [NdA].
e. L’autopsie révélera que la victime n’avait pas de traces de coups sur son crâne et L’Humanité
sera condamnée en 1953 pour cette fausse nouvelle. Pourtant, cet homme est mort noyé…
10
Le déni de justice

Le lendemain du massacre, le Parquet ouvre une enquête judiciaire, pour


contrer toute enquête indépendante, puisque, une fois la justice saisie d’une
affaire, une commission d’enquête parlementaire ne peut pas s’en saisir. On
retrouvera cette tactique dans deux autres massacres d’État à Paris pendant
la guerre d’Algérie : le 17 octobre 1961 à Paris et le 8 février 1962 au métro
Charonne. Deux cent quatre-vingt-dix gardiens et trente-six gradés vont
donc être interrogés par le juge d’instruction Guy Baurès.

L’enquête judiciaire biaisée : la sélection des témoignages


Première surprise : le parquet ouvre deux informations judiciaires contre
X, la première pour rébellion armée et violence envers des dépositaires de
la force publique dans l’exercice de leurs fonctions, la seconde pour
recherche des causes de la mort des sept manifestants, homicide volontaire
contre X sur plainte et constitution de parties civiles. Les deux informations
judiciaires sont jointes, puisqu’il y a eu une ordonnance de jonction des
deux procédures (celle des familles et celle du ministère). Dans Le Figaro
du 16 juillet, un journaliste précise que les informations judiciaires
s’appuient sur « l’article 233 du code pénal, qui prévoit que si des coups ont
été portés, ou des blessures faites aux agents dans l’exercice de leurs
fonctions, avec intention de donner la mort, le coupable sera puni de
mort1 ».
Les cinq familles des victimes qui se sont constituées parties civiles sont
obligées de verser une caution de 20 000 francs chacune ! Heureusement,
leurs avocats étaient des avocats engagés : Paul Vienney pour la famille
Lurot, Renée Stibbe et Yves Dechezelles pour les familles Bacha, Illoul,
Tadjadit et Madjène.
Seconde surprise : ce sont des policiers qui sont chargés d’organiser les
auditions de leurs collègues engagés dans les affrontements. On peut, à
juste titre, suspecter une manipulation, puisque des phrases entières sont
rapportées quasiment de la même manière, comme on l’a vu au chapitre 5
en évoquant les étonnantes similitudes des témoignages des gardiens de la
paix présents place la Nation, relatant avec les mêmes mots d’imaginaires
Nord-Africains « tenant un pistolet » ou « porteur d’un revolver à barillet ».
L’idée de la fabrication du mensonge d’État est confortée par la façon
dont le juge Guy Baurès sélectionne les déclarations des policiers pour
rendre son verdict. Cette prise de position de la justice est encore plus grave
que les mensonges des policiers, car la justice en France est officiellement
indépendante du pouvoir. En effet, dans ce dossier, lorsqu’on regarde de
plus près les dépositions des policiers, on remarque dans la marge des petits
traits qui correspondent aux phrases que le juge d’instruction a relevées.
Ces annotations vont lui servir à rendre son avis sur cette « violence à
agents » et seront reprises dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris de 1958.
C’est à travers cette recherche biaisée d’arguments pour justifier la légitime
défense que la manipulation du juge apparaît clairement. Voici quelques
extraits de ces dix-sept phrases annotées et soulignées.
Gardien Jean Gratias : « Des coups de feu étaient tirés sur nous. Il ne fait
aucun doute que nos adversaires étaient en possession d’armes à feu. » Noël
Massoir, inspecteur principal adjoint : « J’ai vu un Nord-Africain qui tenait
un pistolet à la main et l’a déchargé à plusieurs reprises sur les gardiens. »
Gardien Paul Marcel Bihorel : « J’ai vu des collègues sortir leur pistolet et
tirer en l’air afin d’effrayer les manifestants. » Gardien Marcel Pagès :
« Une balle a sifflé à mes oreilles. Il n’était pas possible que cette balle
provienne d’un collègue étant donné que je me trouvais en queue de la
colonne. » Gardien Jean Gasparini : « Les premiers coups de feu venaient
sans nul doute possible du côté des manifestants. Sur ce point, je suis
formel car j’en ai aperçu deux le poing en avant au moment du premier
contact. » Marcel Renaudon, inspecteur principal : « Quant à moi, j’avais
strictement interdit à mes hommes de se servir de leurs armes. » Gardien
Pierre Dupuis : « J’ai entendu plusieurs coups de feu qui sont partis d’un
groupe de Nord-Africains venant de la place de la Nation. […] Ces coups
de feu étaient bien tirés par les manifestants puisque j’en ai vu un parmi
eux, le bras tendu et le pistolet au poing qui nous visaient. J’ai dit à un
collègue : “Les salauds, ils nous tirent dessus”2. »
Après avoir fait sa sélection de « bons » témoins policiers, le juge va
trouver un autre argument pour écarter toutes les déclarations des Algériens.
Toutes ! Pour lui, elles ne sont pas assez précises. Par exemple, l’audition
de Mohand Aït-Ahmed qui se trouve à l’hôpital de Saint-Denis, hospitalisé
pour blessures par balles. Les policiers l’interrogent. Extrait de sa
déposition : « Mohand Aït-Ahmed : “Les flics ont couru vers nous, je me
suis sauvé et l’un des flics a tiré sur moi dans les jambes.” Question d’un
policier enquêteur : “Comment se fait-il que vous ayez vu un flic tirer sur
vous alors que vous vous sauviez ?” Mohand Aït-Ahmed : “Je ne sais plus,
mais je maintiens que c’est un flic qui a tiré sur moi. Toutefois, je ne me
rappelle plus de lui”. »
C’est ainsi que dans son arrêt de la cour d’appel, le juge Baurès affirmera
sans être troublé que « la plupart des témoignages des manifestants
n’étaient pas clairs et précis3 ». Pourtant, dans ce même dossier
d’instruction, on trouve au moins cinquante-quatre dépositions qui sont
accablantes pour la police, comme on l’a déjà évoqué au chapitre 2. Voici
quelques extraits de ces témoignages4.
Roger Vinet : « J’ai vu un gradé de la police, avec un képi argenté, qui a
donné l’ordre à des gardiens qui se trouvaient à côté de lui d’attaquer les
manifestants. » Médiana Habri : « J’affirme que ces agents nous visaient.
J’affirme aussi que lorsque les agents ont tiré, ils n’étaient pas en danger,
les manifestants fuyaient et n’attaquaient pas. » Jacques Lembert, membre
du service d’ordre de la manifestation : « J’ai vu un Nord-Africain dont il
était impossible de reconnaître le visage. On avait l’impression que le nez
était rentré dans les pommettes, la face couverte de sang. Je me rendis à
l’endroit où se trouvaient les cars qui ont brûlé, plusieurs fois les flics
chargèrent, ils ne se contentaient plus d’utiliser leurs bâtons. […] J’ai
d’ailleurs reçu un pavé lancé par un agent. […] J’ai pu constater que les
agents tiraient en visant. J’ai vu un brigadier de police ou un officier de paix
tirer à genou, derrière un petit kiosque qui se trouvait là et un agent tirer à
l’abri. » Hocine Kichou : « J’ai entendu des coups de feu puis presque
aussitôt, j’ai senti que j’étais blessé au cou. Je suis tombé et des gens m’ont
relevé et conduit dans un café. De là, j’ai été emmené en taxi à l’hôpital. »
Abdelhafid Touati : « J’ai été blessé hier soir alors que je passais en
vélomoteur place de la Nation. Je n’avais nullement participé à la
manifestation. Dans la bagarre, j’ai perdu mon vélomoteur. J’ai été blessé
aux jambes, aux bras et à la tête, sans aucun doute par des coups de
matraque. » Marcel Bussone : « J’ai alors vu arriver un car de police et j’ai
cherché à l’éviter, mais le chauffeur a foncé sur moi. J’ai été touché par le
pare-chocs à hauteur des côtes, et projeté à terre. Lorsque j’ai été renversé,
j’étais vers le centre de la place de la Nation. » Saïd Bouquetot : « Un des
gardiens m’a frappé avec une planche qu’il tenait à bout de bras. Il m’a
touché à la tête et au bras gauche. Je me suis effondré et j’ai perdu
connaissance. Je me suis réveillé à l’hôpital où j’ai appris qu’un civil
m’avait relevé et amené à l’hôpital avec sa voiture. » Amar Aroués : « Le
défilé était terminé et nous repliions les banderoles pour nous en aller,
lorsque les policiers sont venus nous frapper. Ils ont ensuite ouvert le feu
avec leurs pistolets. […] Nous avons riposté avec ce que nous trouvions,
c’est-à-dire des manches, des pancartes. J’ai moi-même frappé jusqu’au
moment où j’ai été atteint d’une balle dans le côté. » Nait Challal : « Je me
suis réfugié dans l’encoignure de la porte de la colonne du Trône (à gauche)
avec un camarade français. C’est parce que j’avais entendu des balles siffler
que je me suis réfugié là. Mon camarade français a reçu une balle dans la
poitrine et moi une balle dans la cuisse… J’ai bien vu les agents casqués
tirer à hauteur d’homme… »

La manipulation sur les munitions utilisées, confirmée


soixante ans après par deux policiers
L’autre grand mensonge d’État concerne l’analyse des balles et la
récupération des douilles. Pour comprendre la dissimulation, il faut savoir
que chaque policier reçoit un lot de cartouches enregistrées et numérotéesa.
On sait qu’au moins une soixantaine de balles ont été tirées (les cinquante
blessés par balle et les sept tués). Or le dossier d’instruction ne fait état que
de dix-sept douilles ramassées place de la Nation : une véritable anomalie,
d’autant plus qu’on imagine bien que certains tirs n’ont touché personne.
Assurément, beaucoup de douilles se sont… volatilisées. Aucune enquête
sérieuse n’a été engagée pour déterminer le nombre de munitions utilisées
par les agents de la Préfecture de police.
Le dossier d’instruction indique aussi le « sort » des trois balles
retrouvées autour de la place de la Nation ainsi que des cinq balles
analysées sur le corps des victimes et placées sous scellés (rapport du
professeur Charles Sannié)5. La balle du scellé 1 a été retrouvée dans la
carrosserie d’un car de police. Celle du scellé 4 a été retrouvée dans le corps
de Joseph Zlotnik et a été tirée par Louis Cozilis. La balle du scellé 5 a tué
Tahar Madjène et a été tirée par André Sallès. La balle du scellé 8 a été
retrouvée dans le corps de Hocine Kichou (blessé) et a été tirée par André
Sallès. La balle du scellé 9, remise par Jean Bourcier, n’a pas été tirée. La
balle du scellé 10 a été retrouvée dans le vêtement d’un blessé à l’hôpital
(mais on ignore son nom), tirée par Louis Cozilis. La balle du scellé 1129 a
été retrouvée dans un magasin et a été tirée par André Sallès. La balle du
scellé 1135, qui a peut-être tué Maurice Lurot, a été tirée par Alphonse
André, mais on n’en est pas sûr, car la balle était trop déformée. Enfin la
balle du scellé 1136, qui a tué Amar Tadjadit, n’a pas été identifiée. Quant
aux scellés 3 et 6, il s’agit de couteaux ; et les autres sont des projectiles
divers (pavés, bouteilles, etc.)6.
En réalité, l’analyse des balles n’a été faite que sur les armes des huit
policiers qui ont affirmé avoir tiré : Alphonse André (deux coups de feu en
l’air), Marcel Sénéchal (un coup de feu en l’air), Robert Pinguet (trois
coups de feu en l’air), Jean Bourcier (a tiré sans viser quatre balles depuis
un car), Henri Brunelles (a tiré deux balles sans viser), Louis Cozilis (a tiré
plusieurs coups de feu en l’air), André Sallès (a tiré une balle en l’air),
Léonce Morot (a tiré sept balles en l’air).
Les notes de ce rapport d’analyse mettent quand même en cause trois
policiers : André Sallès, Louis Cozilis et Alphonse André. Le juge Baurès a
donc été obligé de demander des précisions. L’audition de ces trois policiers
a été encore une fois effectuée par d’autres policiers… Voici ce qui en
ressort. Alphonse André (une balle de son pistolet a peut-être tué Maurice
Lurot), qui a affirmé avoir tiré en l’air lors de sa première audition, déclare
la deuxième fois : « Cela me paraît impossible, car j’ai bien conscience
d’avoir tiré en l’air. D’autre part, je n’ai pas aperçu un seul Européen autour
de moi, il n’y avait que des Nord-Africains. »
Louis Cozilis (une balle de son pistolet a été découverte dans les
vêtements d’un blessé et une autre dans le corps de Joseph Zlotnik). Lors de
sa première audition, il a lui aussi affirmé avoir tiré plusieurs coups de feu
en l’air. Il répond cette fois-ci : « Le soir du 14 juillet, il restait dans mon
chargeur, autant que je m’en souvienne, trois cartouches. Je le charge
généralement à cinq. J’ai donc dû tirer deux coups de feu. […] J’estime
avoir agi en état de légitime défense. » Il suggère là qu’il n’a pas vraiment
tiré en l’air, mais le juge prend note de sa déposition sans essayer d’en
savoir plus.
Enfin, André Sallès (une balle de son pistolet a été découverte dans un
magasin, une autre dans le corps d’un blessé, Hocine Kichou, et la dernière
a tué Tahar Madjène), qui avait affirmé lors de sa première audition n’avoir
tiré « qu’un seul coup de pistolet et en l’air », persiste et signe lors de cette
nouvelle audition : « Je n’ai tiré qu’une seule fois. » Question du policier :
« L’un des projectiles a pénétré dans un magasin, 89, boulevard de
Picpus ? » André Sallès : « Je ne l’explique pas, puisque j’ai tiré en l’air. »
Question : « Un deuxième projectile a blessé le nommé Kichou Hocine au
cou. » André Sallès : « C’est impossible, parce que j’ai tiré en l’air, peut-
être pas à la verticale, mais pas à hauteur d’homme. » Question : « Le
troisième projectile issu de votre arme a atteint mortellement Tahar
Madjène. » Réponse d’André Sallès : « Pour les mêmes raisons que j’ai
déjà exposées, la chose me paraît impossible. […] Tout ce que je puis vous
affirmer, c’est que je n’ai tiré qu’une balle. » Cette dernière audition est –
proprement – incroyable. Voilà un homme qui a tué un manifestant et
blessé un autre avec son arme de service et qui, sauf s’il a passé son pistolet
à quelqu’un d’autre (ce qui est absolument interdit), ment ouvertement sans
que cela gêne un tant soit peu le juge d’instruction, lequel ne convoquera
jamais ce gardien assermenté.
Soixante ans après, Robert Rodier se souvient très bien de l’après-
14 Juillet quand je le rencontre en Ardèche en octobre 2013 (voir supra,
chapitre 2). Non seulement il reconnaît avoir alors tiré sur les Algériens,
mais il me confirme qu’il ne l’a jamais dit lors de l’enquête judiciaire :
« Ça, je ne le disais pas, parce que sinon… » Sans terminer sa phrase, il
enchaîne sur un autre sujet : « Alors quand cela s’est terminé, on s’est
retrouvé à la brigade criminelle, quai des orfèvres. Moi je sais que j’avais
deux chargeurs de dix cartouches, il en est parti neuf. Et c’était à
l’horizontale… C’est les gars en civil de notre service qui ont ramassé les
douilles ! Or, si on compte bien, il n’y a qu’une dizaine de cartouches
justifiées sur les rapports. Mais en réalité, je vous le dis, il y a eu deux cent
dix douilles ! C’est pour cela que l’on nous avait convoqués au Grand
Palais un jour, et on nous a dit : “Ici vous pouvez parler. Vous pouvez dire
ce que vous voulez.” Mais il fallait la mettre en veilleuse après7 ! »
André Brandého est encore plus précis sur cette question quand je le
rencontre en Saône-et-Loire en novembre 2013. Convoqué le soir même du
14 juillet à la Préfecture de police, puis interrogé avec ses collègues à tour
de rôle, il se souvient avoir été convoqué à nouveau dans la semaine par
l’Inspection générale des services (IGS), la « police des polices », pour
justifier les balles tirées. « Mais les balles, ce n’était pas juste parce que les
gars allaient en chercher chez Gastinne-Renette, avenue Franklin-
Roosevelt, là où il y avait une armurerie [pour mettre des neuves dans leur
chargeur, NdA] ; j’ai un collègue qui a pris une boîte complète pour
remplacer celles qu’il avait tirées. Moi aussi, j’ai tiré deux coups de feu,
mais dans le décor pour faire partir. […] Alors, après, tout le monde parlait
de “légitime défense”, mais ce n’est pas tout à fait cela… La légitime
défense, c’est quand on est face à face, il y a un début d’exécution, il faut
une arme, une circonstance aggravante. Pas de balle qui rentre dans le dos !
[…] Moi, ils m’ont convoqué une troisième fois pour que je rectifie ma
déposition, parce que j’avais dit que le commissaire aurait dû rester avec
nous au lieu d’aller chercher des renforts, parce qu’il a gueulé “Chargez !”,
et nous, on y a été avec nos petits bâtons pendant que lui se carapatait !
Mais il paraît qu’il a été félicité parce qu’il est allé chercher des renforts.
Donc, ils m’ont fait monter à l’IGS et m’ont dit : “Vous êtes sûr, vous ne
vous êtes pas trompé ? Alors, descendez dans la cour, réfléchissez, puis
vous me donnerez votre réponse.” Je suis remonté et j’ai dit comme tout le
monde : je n’ai pas tiré, je n’ai rien vu, etc. Sous la peur, quoi8 ! »
La hiérarchie policière et les gardiens de la paix montraient là une vraie
connivence, relayée sans le moindre questionnement par le juge
d’instruction. Plus étonnante encore est la « révélation » livrée des années
plus tard, en 1967, par les journalistes Claude Angeli (du Canard enchaîné)
et Paul Gillet, selon lesquels l’IGS aurait avancé deux hypothèses
parfaitement absurdes pour dédouaner les responsabilités des chefs policiers
dans ce drame : « La première : des gardiens auraient pris sur eux des armes
personnelles, afin de pouvoir tirer en cas de besoin sans prendre le risque
d’être sanctionnés. La seconde, bien plus curieuse encore : des Algériens
auraient profité de la bagarre avec les policiers pour opérer entre eux
quelques règlements de comptes9. » Lorsqu’on sait ce que deux policiers
acteurs de la tuerie ont révélé soixante ans plus tard, on ne peut que sourire
tristement devant cet autre mensonge d’État…

L’instrumentalisation du témoignage du jeune photographe


Joseph Zlotnik
Mais ce n’est pas tout. En témoigne une autre manipulation du juge
d’instruction concernant le témoignage de Joseph Zlotnik, qui a été blessé
comme on l’a vu le 14 juillet par le double tir du policier Louis Cozilis (voir
supra, chapitres 2 et 4). Ce jeune militant, photographe bénévole à
L’Humanité, âgé de vingt-quatre ans en 1953, a déclaré, lors de sa première
déposition à l’hôpital Lariboisière, que les policiers ont bien tiré sur les
manifestants et qu’il a lui-même été atteint par balle. Deux ans plus tard, le
28 octobre 1955, Joseph Zlotnik est de nouveau convoqué et fait une autre
déposition, très détaillée : « J’étais au pied de la tribune. Comme j’étais là
en qualité de correspondant photographe de L’Humanité, je me suis alors
attaché à prendre des photographies de tout ce qui se passait autour de moi.
J’ai vu arriver un groupe de Nord-Africains, qui transportait un blessé.
C’est à ce moment-là que je me suis dirigé vers l’endroit d’où venait le
groupe. Il y avait de nombreux coups de feu. J’ai moi-même été blessé à ce
moment-là. J’ai nettement vu autour de moi plusieurs agents qui tiraient à
hauteur d’homme. Autour de moi, j’ai vu plusieurs manifestants tomber. »
On lui pose une autre question (elle n’est pas dans le dossier) et Joseph
Zlotnik répond : « Je ne peux pas fixer la position exacte que j’avais au
moment où j’ai été blessé, mais lorsque j’ai vu les agents tirer comme je
viens de le dire, il est hors de doute qu’ils étaient en train de se défendre
contre les assaillants. Par contre, au début de la bagarre, j’ai vu les
manifestants refluer vers moi, comme je l’ai expliqué tout à l’heure10. »
Alors que le témoignage de Joseph Zlotnik confirme l’attitude répressive
et meurtrière de la police, le juge va utiliser la seule phrase qui l’intéresse.
On la retrouve dans le réquisitoire définitif du 21 octobre 1957 du procureur
de la République près du tribunal de grande instance et dans l’arrêt de la
cour d’appel de Paris du 23 janvier 1958 : « Considérant que le magistrat
instructeur a procédé à l’audition de tous les blessés nord-africains, […]
mais qu’en raison de la confusion qui régnait, aucun n’a pu fournir de
précision aussi bien sur l’endroit de la place où ils furent blessés que sur
leurs agissements avant d’être atteints par les balles. Considérant que huit
agents ont reconnu avoir lâché des coups de feu, […] mais qu’ils évoquent
la légitime défense. Considérant que le sieur Zlotnik, correspondant de
L’Humanité ne pouvant être taxé de partialité, a déclaré : “J’ai vu des agents
tirer, […] il est hors de doute qu’ils étaient en train de se défendre”,
confirme en conséquence l’ordonnance entreprise [de non-lieu]11. »
La manipulation est habile : utiliser une seule phrase d’une déposition
pour dire ce que l’on souhaite obtenir, c’est-à-dire le verdict de non-lieu.
Lorsque j’ai parlé de cette manipulation à Joseph Zlotnik en 2014, il m’a
répondu, avant de fondre en larmes : « Je n’ai jamais dit ça. Ils disent
n’importe quoi ! Vous connaissez les méthodes de la police, hein ! Je n’ai
jamais dit ça, au contraire ! Leur jugement était déjà prévu d’avance… Ils
disent ce qu’ils veulent12. » J’ai soumis à Joseph Zlotnik la déposition de
Louis Cozilis, qui lui a tiré dessus : « J’ai reçu certainement un poids de
fonte d’un kilo et j’ai été immédiatement aveuglé par le sang. […] Au
moment où les manifestants se sont approchés du car P45, comme nous
étions submergés par le flot des manifestants, je me suis vu dans
l’obligation de tirer – mais après sommations – plusieurs coups de feu, mais
je précise en l’air et non sur nos adversaires13. » Réponse de Joseph
Zlotnik, effaré : « Mais non, il n’avait pas reçu un pavé sur la figure. C’est
faux, il n’avait pas la tête en sang, puisqu’il a discuté avec moi et il m’a dit
de descendre [du réverbère où je prenais des photos]. C’est faux, ça. Il
n’avait pas la tête en sang. […] De toute façon, j’ai porté plainte. Et c’est
[l’avocat] Charles Lederman, qui s’occupait des affaires du Parti
communiste à l’époque, qui a porté plainte contre le ministère de l’Intérieur.
Le brigadier a été condamné au franc symbolique et il a été déplacé14. »
Emmanuel Blanchard m’a expliqué les clés de ce déni judiciaire organisé
de la vérité : « On s’aperçoit que le juge d’instruction chargé de l’affaire ne
se place pas dans l’optique d’utiliser l’ensemble des témoignages pour
mettre en péril la version policière. Et puis, il ne faut surtout pas oublier que
la lenteur de la justice fait qu’elle va être rattrapée par la guerre
d’indépendance en Algérie, puisque l’enquête va durer plusieurs années et
que le verdict de non-lieu ne va être prononcé qu’en 1957, confirmé en
appel en 1958. En pleine guerre d’Algérie, il aurait été impossible que cela
soit autrement, avec une justice qui était à la main du pouvoir. Ce verdict
passera donc complètement inaperçu, puisque des morts, il y en avait eu
depuis des milliers15. »

La plainte de la famille Lurot


De son côté, Louise Lurot a entamé une procédure pour obtenir
réparation de l’assassinat par la police de son mari Maurice. Mais sa plainte
n’aboutira jamais. Que cela soit au pénal où au tribunal administratif,
l’action de la justice va durer de très nombreuses années. Dans son livre Un
14 Juillet sanglant, Maurice Rajsfus a très bien décrit l’incroyable parcours
suivi par cette famille pour tenter d’obtenir une petite réparation du
préjudice subi.
« Au départ, m’a raconté Maurice Lurot, le fils de la victime, il y a eu le
Secours populaire qui a commandité des avocats pour mettre en route une
procédure judiciaire. Cette procédure a traîné pendant des années, des
années et des années, avec des renvois, avec des demandes de fonds. Ma
mère a écrit au président de la République de l’époque. On a reçu un
courrier comme quoi il y avait une action en justice, que le président de la
République ne pouvait pas intervenir, qu’il fallait que la justice suive son
cours. Et la justice a traîné, a traîné… On est passés entre les mains de
plusieurs avocats, et finalement on s’est retrouvés en prescription, et la
justice ne pouvait plus rien faire car le dossier était classé… Il y a eu des
recours en recours et des fins de non-recevoir, et c’est pourquoi je me
demande si cela a été mis dans de bonnes mains. À Charonne, les victimes
ont été partiellement indemnisées, mais pas nous. Il n’y a rien eu ! […]
Tenez, regardez ce courrier : “Madame, votre lettre est bien parvenue au
président de la République qui me charge d’y répondre, je dois vous dire
qu’il n’est pas possible de donner suite à votre requête et je vous en
exprime mes regrets. Vous comprendrez en effet très certainement qu’une
intervention de notre part serait sans objet dès lors que…” Ça, c’est du
23 juin 1972. Tiens, une lettre de Me Benhaïm (avocat du Secours
populaire) du 18 mai 1965 : “Chère Madame, je vous confirme que nous
avons fait appel au jugement et que Me Dampenon est chargé de poursuivre
la procédure, je ne manquerai pas, etc., etc.” C’est passé encore à la trappe,
comme en 1963, 1964, 1965… Ah, voilà ! Tribunal de grande instance de la
Seine, première chambre, jugement du 17 mars 1965, douze ans après. Là,
on arrive à l’ “irrecevabilité de l’action introduite par la famille Lurot” au
motif essentiel que “la victime faisait partie d’un attroupement qui s’était
livré à des actes de violence et elle était demeurée, en toute connaissance de
cause, au milieu de l’émeute et dans les rangs de ceux qui employaient la
violence contre la force publique, s’exposant volontairement aux risques de
la défense nécessaire de l’ordre public”. Et le tribunal ajoute qu’il “a été
atteint par une balle dont il n’a pas été possible de déterminer l’origine,
moyennant quoi la Ville de Paris se dégage de toute responsabilité”. Bah,
c’est simple, quand on ne veut plus de son chien on dit qu’il a la rage et on
l’amène chez le vétérinaire et on fait une piqûre. Après ce jugement, cela a
été renvoyé au tribunal administratif, et cela a traîné. Comme ça, ils se sont
renvoyé la balle… Vous voyez, il y en a et je peux vous les montrer, elles
sont datées, elles sont signées. Et toujours, toujours et toujours… Tiens, là,
c’est le 13 mai 1975, présidence de la République : “Madame, vous avez
appelé à nouveau l’attention de M. le président de la République sur votre
problème. Soyez assurée que je n’ai pas manqué de rappeler votre cas à
l’autorité compétente en la priant de hâter, dans toute la mesure du possible,
l’examen auquel je lui avais demandé de procéder…” Voilà, heureusement
qu’il se dépêche… Et ce sont des courriers officiels avec des signatures à
rappeler16. »
Voici la liste impressionnante des courriers que Maurice Lurot m’a
montrés. Cela commence sept ans après le drame.
– 21 septembre 1960 : mémoire introductif déposé devant le tribunal
administratif ;
– 24 mai 1962 : dossier de recours soumis à l’examen du rapporteur ;
– février 1963 : Étienne Fajon suit vos démarches ;
– 17 mai 1963 : le tribunal administratif a rejeté votre demande ;
– 30 janvier 1964 : la Préfecture de la Seine refuse le paiement de la
somme réclamée par la famille de la victime ;
– en 1964 : nouvelle relance de l’avocat ;
– 5 février 1965 : la plainte n’aboutit pas ;
– 17 mars 1965 : le tribunal déboute Louise Lurot de sa plainte et de sa
demande en réparation ;
– 7 juillet 1966 (treize ans après) : la première chambre de la cour
d’appel accorde une indemnité globale de 25 000 francs à titre de
dommages et intérêts ;
– 16 mai 1967 : l’administration de la Ville de Paris traîne à payer cette
somme ; elle ne sera jamais versée au nom de la « déchéance
quadriennale », règle selon laquelle la créance s’éteint au bout de quatre
ans ;
– 6 novembre 1968 : on réclame à Louise Lurot la somme de
6 000 francs ;
– 15 mai 1972 : Louise Lurot est condamnée à payer (le Secours
populaire va payer) ;
– 24 mai 1972 : nouvelle relance de l’avocat sur le plan politique ;
– 23 juin 1972 : Georges Pompidou rejette cette demande ;
– 11 septembre 1974 : Valéry Giscard d’Estaing répond qu’il étudiera le
dossier ;
– 13 février 1975 : nouvelle réponse du cabinet de Giscard pour « hâter
l’examen de la demande » ;
– 28 mars 1975 (vingt-trois ans après…) : dernier document reçu par
Louise Lurot du cabinet de Jean Lecanuet, ministre de la Justice de Giscard
d’Estaing, qui transfère sa demande au procureur général.
Maurice Lurot : « Jusqu’au bout, ma mère espérait quelque chose, mais il
n’y a jamais rien eu. Elle est partie comme ça… Je pense qu’elle s’était
rendu compte depuis longtemps que c’était le pot de terre contre le pot de
fer17. »

Note du chapitre 10

a. La cartouche d’un pistolet est composée d’un projectile (balle) dans son étui numéroté (douille)
avec poudre et amorce ; la douille est éjectée après le tir.
11
Du 14 juillet 1953 à la guerre d’indépendance

Après le massacre, on aurait pu penser que les forces de l’ordre


« calmeraient » la situation et que la hiérarchie policière donnerait des
consignes dans ce sens. Cela n’a manifestement pas été le cas.

La police parisienne « rebondit »


Dans les heures et les jours qui suivent, plusieurs descentes de police sont
opérées à la Goutte d’Or (Paris XVIIIe). De véritables rafles sont organisées
dans ce quartier emblématique de l’immigration algérienne.
Le lendemain du drame, comme on l’a vu, la police arrête à Paris Henri
Girault et Fernand Werthée, qui distribuent des tracts sur les « travailleurs
assassinés le 14 juillet »1. Le 19 juillet, à Vincennes, un policier tire par
deux fois sur un Algérien qui distribue des tracts du MTLD parce qu’il ne
veut pas le suivre au poste de police. L’Algérie libre du 24 juillet
1953 relate l’événement : « Le policier prit son revolver et, sans
sommation, tira une première balle qui heureusement n’atteignit pas son
but. Le policier s’arrêta et le revolver posé sur son bras replié, comme s’il
était en exercice de tir, visa le dos de l’homme désarmé qui courait. La cible
pour la deuxième fois fut manquée. » Dans ce même numéro, on apprend
que, le 14 juillet, « un policier d’origine algérienne en civil, après avoir
décliné sa carte d’identité et sa carte de police, fut matraqué sauvagement
par ses collègues ».
Et puis, le témoignage de Mohamed Toumouh est largement révélateur
de l’état d’esprit de la police : « Dans le numéro spécial de L’Algérie libre
du 29 juillet 1953, on voyait une vingtaine de policiers en train de
matraquer un bonhomme, coincé contre le rideau de fer d’un magasin. Le
préfet a dit qu’il fallait le saisir coûte que coûte. Il y a eu des secteurs où il a
été saisi, mais pas nous à Argenteuil. On a vendu ce journal sur le marché.
Des Européens et des Algériens achetaient ce journal. À un moment, il y a
eu un militant qui a été ramassé par la police, et il y a des Français sur le
marché qui nous ont dit : “Votre camarade se fait embarquer.” On avait des
groupes de choc à ce moment-là, et par la force ils ont libéré notre
camarade du panier à salade2. »
Mais on tue encore. Le journal du MTLD du 4 septembre 1953 relate ce
drame : « Le 27 août, des travailleurs de l’entreprise Avogadri à Chaumont,
qui faisaient des travaux le long des voies ferrées, se sont mis en grève. Les
CRS sont arrivés et ils ont attaqué les grévistes à coups de crosse. Plusieurs
grévistes furent hospitalisés et, le lendemain, Messaoud Dafi décédait. »
Une photo d’une foule de plusieurs milliers de personnes, qui suit le
cercueil à la sortie de l’hôpital, accompagne l’article. Le journal Alger
républicain parle lui aussi des « 8 000 habitants qui ont rendu un solennel
hommage à Messaoud Dafi, assassiné par les policiers de Martinaud-
Déplat3 ». Le corps a été emmené ensuite à la Mosquée de Paris avant
d’être enterré au cimetière de Bobigny. Encore un mort disparu de la
mémoire collective…
Emmanuel Blanchard signale également que, dans la nuit du 19 au
20 septembre 1953, la police a interpellé à Nanterre 729 Nord-Africains,
mais qu’aucune arrestation n’a été maintenue4. De fait, l’acharnement
judiciaire et policier à la suite de la tuerie de la place de la Nation ne
marque aucun fléchissement, comme en témoigne notamment le sort
réservé au jeune interne en médecine Bernard Morin.

La plainte du préfet Baylot contre Bernard Morin


Après la manifestation du 14 juillet, le préfet Baylot porte plainte en
diffamation contre Bernard Morin, parce qu’il a osé dénoncer la répression
policière dans un tract : « J’ai dit ce que j’avais vu, m’a relaté ce dernier,
que c’étaient des scènes de sauvagerie et que les policiers ont fait preuve de
leur lâcheté habituelle en s’acharnant sur les isolés. Pour moi qui avais
connu la guerre, qui avais été arrêté par les Allemands, c’était insupportable
de s’en prendre comme cela à des Algériens. […] De les considérer comme
rien du tout. De les massacrer ! Cette lettre, je l’avais tirée à cent
exemplaires et distribuée place Voltaire sous forme de tract, avec mon ami
Tartakowsky, là où l’on vendait L’Humanité. Mais le préfet de police
Baylot m’a poursuivi. Suite à la plainte, je suis passé, en février 1954,
devant la 16e chambre de Paris pour “outrage à haut fonctionnaire dans
l’exercice de ses fonctions”. J’étais un jeune interne à ce moment-là et j’ai
eu des témoignages de soutien de mes patrons, Robert Debré et Louis
Justin-Besançon. Mais aussi de D’Astier de la Vigerie, de Lucie Aubrac et
de centaines de gens qui ont signé une pétition du Secours populaire. J’ai
été condamné à 50 000 francs [de l’époque] d’amende, mais avec la loi
d’amnistie qui a suivi l’élection de René Coty à la présidence, je n’ai rien
eu à payer et j’ai été amnistié5. »
Quand je l’interroge en 2010, Bernard Morin me montre un article de
L’Humanité du 18 février 1954, « La tuerie du 14 juillet dernier évoquée en
correctionnelle », avec ce sous-titre : « Baylot cherche à tirer son épingle du
jeu en poursuivant un docteur pour outrage ». « Et le pire, raconte Bernard
Morin, c’est que cela a recommencé quelques années plus tard, en
octobre 1961. À l’époque, je travaillais à l’hôpital de Saint-Denis. Une
famille était venue me voir, affolée, parce que leur fils avait disparu et ils ne
savaient pas où aller le chercher. Alors, avec le professeur Henri-Pierre
Klotz, on s’est adressés à la Préfecture, puis à la morgue, à l’Institut
médico-légal. C’est là, malgré les interdits, qu’on a retrouvé ce pauvre
garçon dont la police nous avait dit qu’il s’était évadé. Il était là, mort,
couvert de bleus notamment aux parties sexuelles. […] C’était une époque
où il y avait beaucoup de morts, notamment dans le canal de Saint-Denis…
On retrouvait des corps qui flottaient sur la Seine. C’est terrible, ça !
Ensuite, il y a eu la période de l’OAS, dont je recevais souvent des coups de
fil, des menaces de mort. Bien longtemps après, en 1973 au centre
cardiologique du Nord que j’avais créé, je soignais une patiente, et son mari
était bizarre. Et un jour, il me dit : “Docteur, vous savez, moi j’étais policier
pendant la guerre d’Algérie et les menaces, elles venaient de nous, du
commissariat de Saint-Denis. C’est nous qui appelions chez vous en disant :
“Ici l’OAS”.” Et puis tout à coup, il s’est mis à pleurer… C’est drôle, cet
homme-là, comme je soignais sa femme, il s’est mis à me parler de ça ! Le
remords, peut-être6 ? »
La création de la Brigade des agressions et des violences
(BAV)
Quelques jours après le 14 juillet 1953, la hiérarchie policière va rebondir
sur ce que la presse appelle le « problème des Nord-Africains à Paris ».
Comme l’indique Emmanuel Blanchard, les chiffres de la criminalité
algérienne nocturne sont dès le départ surestimés par la Préfecture de
police, de façon à rendre « nécessaire » la création d’un corps de police
spécifique dans le maintien de l’ordre7. Cette exagération de la délinquance
est largement reprise dans la grande presse. Dès le 15 juillet, on lit par
exemple dans L’Aurore : « Quinze agressions commises par des Algériens
dans la seule nuit du samedi au dimanche. Il faut débarrasser la laborieuse
population nord-africaine de Paris des malfaiteurs qui la déshonorent8. »
Dans Le Figaro : « En une seule nuit, des Nord-Africains commettent dix
agressions. D’autre part, sept Nord-Africains ont été arrêtés à la suite de six
rixes9. » Paris Presse-L’Intransigeant établit de son côté la « carte des
agressions nocturnes dans Paris » et affirme : « Le proxénétisme est un peu
la spécialité méditerranéenne, à Londres on ne parle pas de Nord-Africains
mais de Maltais, à New York de Siciliens10. » Même Le Monde, tout en
indiquant qu’à la régie Renault « les Nord-Africains ne posent pas de
problèmes particuliers », publie au même moment un article sur « neuf
agressions commises en une seule nuit par des Nord-Africains. Toutes sauf
la dernière avaient le vol pour but11 ».
Mais d’autres journaux, comme Libération, n’abondent pas dans ce sens :
« D’après les statistiques officielles, Mohamed n’est pas plus criminel que
M. Dupont. […] Toutes les grandes entreprises qui emploient des migrants
s’en félicitent. Et dans la métallurgie, dans les fonderies, ils supportent
mieux les températures intenables que des ouvriers européens12. »
Le rapport du commissaire principal Jean Schira, transmis dès le
23 juillet à sa direction générale, montre bien les préoccupations d’alors des
forces de l’ordre : « La police municipale est organisée à Paris sur des bases
anciennes qui ont fait leurs preuves autrefois, mais qui aujourd’hui sont
périmées, en raison de tous les changements intervenus dans la vie de la
capitale. Il y aurait très certainement intérêt à modifier son organisation.
[…] À mon sens, la police municipale devrait s’articuler en deux corps
distincts portant le même uniforme : police municipale d’intervention et
police municipale locale.
1) La police municipale d’intervention : les membres de ce corps
devraient être composés d’éléments jeunes, sportifs, ne dépassant pas
trente-cinq ans d’âge pour les gardiens, avec un encadrement subalterne de
qualité. Les jeunes gardiens sortant de l’école devraient obligatoirement
passer par la PM d’intervention. Cadres compris, ce corps pourrait
comprendre un effectif de 4 000 hommes…
2) La police municipale locale : ce corps que l’on pourrait évaluer selon
l’importance des arrondissements, de deux cent cinquante à trois cents
gardiens, et de cent à cent cinquante pour la banlieue, n’aurait qu’une utilité
statique. Gradés et gardiens auraient obligatoirement appartenu cinq ans au
moins à la police municipale d’intervention. Ils se consacreraient
uniquement à des travaux ayant trait au respect des lois et règlements, à la
circulation de la voie publique et la propriété bâtie.
En conclusion, je crois pouvoir affirmer que la création du corps
d’intervention permettrait une action plus rapide, plus souple et plus
disciplinée parce qu’il serait formé de fonctionnaires ayant appris à se
connaître et de cadres permanents13. »
« Et c’est comme cela, explique Emmanuel Blanchard, qu’au cours de
l’été 1953 vont être créés deux corps de police spécifiques. Un premier
destiné au maintien de l’ordre : les compagnies d’intervention ou
compagnies de district, qui vont être mieux équipées et peu à peu
spécialisées dans le maintien de l’ordre, en particulier le maintien de l’ordre
“rugueux”. On les retrouvera à l’œuvre pendant la guerre d’Algérie et en
pointe dans la répression des manifestations du 17 octobre 1961 et du
8 février 1962. L’autre corps qui est créé est la “Brigade des agressions et
violences” (BAV). Elle va se spécialiser sur les attaques nocturnes, ciblant
spécifiquement les immigrés d’Algérie en région parisienne. Elle traite très
peu d’affaires judiciaires, mais elle est chaque semaine à l’initiative de
rafles visant à l’identification des Algériens de la région parisienne14. »
Créée dès le 20 juillet, la BAV est « commandée par le commissaire
Ernest Lefeuvre. Elle est composée d’une vingtaine d’inspecteurs, dont une
bonne moitié parlent couramment l’arabe, le kabyle et d’autres dialectes
marocains et tunisiens. Dix voitures sont mises à disposition des policiers,
dont plusieurs munies de postes de radio émetteurs-récepteurs15 ». L’action
de cette brigade ne conduit pourtant pas à beaucoup d’arrestations.
Un journaliste de L’Aurore, embarqué peu après toute la nuit dans une
voiture de la BAV, explique en effet dans un article au titre évocateur, « Le
Paris by night de la crapule », que le but de la BAV, selon le commissaire,
est triple : « D’abord prévenir l’agression nocturne en nous montrant,
rassurer les honnêtes gens qui rentrent tard et ensuite prendre les
malfaiteurs en flagrant délit. C’est la plus difficile de nos tâches, assure le
commissaire16. » Le bilan est modeste, précise le journaliste, mais il ajoute :
« Il ne faut pas se laisser duper par la modestie des chiffres (aucun cette
nuit-là et seulement quatre arrestations la nuit précédente) car, en réalité, ce
qui est aussi important que le nombre des arrestations, c’est la diminution
de celui des agressions. Le responsable de la BAV explique : “Intimidons-
nous les agresseurs ? Je le crois, rien que pour cela notre brigade remplit
magnifiquement son rôle. Il s’agit de purger Paris de la pègre nocturne en la
rendant incapable d’agir”. » Pour Emmanuel Blanchard, « ces propos
trahissent l’objectif de la BAV » : « Se déplaçant de café en café, d’hôtel en
hôtel, patrouillant dans les rues des quartiers habités par les Algériens, les
fonctionnaires de la BAV multiplient les contrôles d’identité et
entreprennent la constitution d’un fichier de tous les individus nord-
africains, ce qui permet d’établir un recensement de cette population. Cette
pratique d’interpellation de l’ensemble des Nord-Africains d’un quartier de
Paris préexistait à la création des BAV, mais il semblerait qu’à partir de
juillet 1953 elle soit plus systématique17. »
Le quotidien Libération s’en fait d’ailleurs l’écho : « On nous signale que
dans plusieurs quartiers de Paris, où logent des travailleurs nord-africains,
la police multiplie actuellement les rafles dans les cafés et sur la voie
publique. Armes à la main, les policiers s’efforcent de faire avouer aux
Nord-Africains qu’ils participaient au cortège du 14 Juillet. De nombreuses
arrestations ont été opérées et le maintien dans les commissariats se traduit
par des brutalités plus graves encore que d’habitude. Dans ces quartiers, les
travailleurs nord-africains vivent depuis quelques jours dans la peur de ces
rafles incessantes18. » Et un journaliste d’Alger républicain recueille cet
autre témoignage : « L’atmosphère est devenue irrespirable. Une véritable
poussée de fièvre raciste s’est manifestée dans les corps de la police. Les
Algériens ne peuvent pas faire un pas, surtout la nuit, sans être interrogés,
arrêtés, malmenés, emprisonnés19. » Le mot « bavure » découlerait-il du
sigle de la BAV ?

Tous les « ingrédients » pour la guerre à venir sont là !


Une autre conséquence, très surprenante, de cette manifestation interroge
sur l’état des mobilisations et des forces d’opposition. « On croit à tort que
la manifestation est un droit en France, indique l’historienne Danielle
Tartakowsky. En fait, elle ne l’est pas. En tous les cas, elle ne l’est pas à
cette période. L’autorisation ou la non-autorisation des cortèges dépendent
du bon vouloir des maires et, s’agissant de Paris, du ministère de l’Intérieur
ou du préfet. Or, à la suite de cette manifestation du 14 juillet 1953, tous les
cortèges ouvriers dans Paris vont être interdits, si on excepte un certain
nombre de manifestations appendices de grève, rarissimes. » En effet,
jusqu’en 1968, il n’y aura plus de défilés du 1er Mai à Paris, mais seulement
des rassemblements, souvent dans le bois de Vincennes comme le 1er mai
1954. Ces interdictions se poursuivront sous le gouvernement socialiste de
Guy Mollet en 1956 puis sous celui du général de Gaulle. « Et pour le défilé
du 14 Juillet, poursuit Danielle Tartakowsky, ce sera aussi le dernier défilé
populaire organisé par les syndicats et les partis de gauche. Il y en aura
encore qui perdurent en province, mais le phénomène se délite peu à peu.
[…] Il n’y aura plus de manifestation du 14 Juillet, car on entre alors dans
un autre rapport au temps des week-ends et des jours fériés20. »
À maints égards, la répression sanglante du 14 juillet marque donc un
tournant dans la France d’après guerre confrontée à la poussée nationaliste
dans ses colonies, particulièrement en Algérie. « Lorsque l’on fait le bilan,
relève Danielle Tartakowsky, on s’aperçoit quand même que nous avons
entre mai 1952 et juillet 1953 trois tués en province, un à Paris plus les sept
du 14 juillet ; et que dix de ces onze victimes de la police lors de
manifestations de rue sont des Algériens. Aussi on peut évidemment relire
cette histoire-là à travers le prisme de ce qui a eu lieu par la suite. D’autant
qu’à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur répond aux élus
communistes qui l’interpellent que la police a dû “se défendre” : les agents,
dit-il, étaient en danger face à une “véritable organisation de guerre civile”.
On est dans le vocabulaire de la pacification, pas dans celui du maintien de
l’ordre. En 1953, on est donc déjà dans une logique de guerre qui mobilise
ce qu’il faut bien appeler une “chasse au faciès”, alors que la guerre
d’Algérie ne commencera que le 1er novembre 1954. […] Dès lors que l’on
connaît la suite de l’histoire, on voit bien comment dans ces manifestations-
là, on a un certain nombre d’ingrédients qui trouveront à se développer. […]
Tout est là, ensuite cela se radicalisera sous d’autres formes, mais les
ingrédients sont là21 ! »
Cette radicalisation apparaît dans le journal du MTLD – en filigrane
compte tenu de la censure étatique –, par exemple dans l’éditorial de
L’Algérie libre du 31 juillet 1953, intitulé « De Sétif à la Bastille », qui
commence par ces mots : « Les vampires ont remis ça. Ils ont pris cette
fois-ci leur rasade de sang frais sur les bicots exilés à Paris à la poursuite de
leur croûte. Comme à Sétif, comme à Casablanca, comme à Cap Bon, les
nôtres étaient sans armes. La liste des victimes de la répression trahit le
manque d’imagination d’un colonialisme policier devant les profonds
bouleversements intervenus chez les peuples pour qui la liberté, la dignité et
les valeurs humaines ont un sens22. »
De fait, malgré la violence de la répression, rien n’arrêtera ce
mouvement. Comme on l’a vu, l’ère des décolonisations a commencé (voir
supra, chapitre 8). Mais la situation en Algérie est quelque peu différente,
car au moment du drame du 14 juillet, le mouvement nationaliste est en
crise depuis la réunion du comité central du 15 mars 1952, où Messali Hadj
a exprimé des désaccords avec la direction du PPA dirigé par Hocine
Lahouel. À ce moment-là, malgré les objections de la direction, Messali
entame une tournée en Algérie. Mais le 14 mai, on l’a vu, il est arrêté à
Orléansville et assigné à résidence à Niort.

De la crise du MTLD au 1er novembre 1954 : le massacre


du 14 juillet, « déclic de la lutte armée »
Près d’un an plus tard, le deuxième congrès du MTLD s’ouvre à Alger du
4 au 6 avril 1953, sans lui. Son secrétaire général Moulay Merbah lit alors
un « mémoire » de Messali Hadj critiquant la direction du mouvement.
Mais le rapport du comité central est adopté avec de nouveaux statuts qui
limitent ses pouvoirs. À l’issue de ce congrès, un bureau politique est élu où
tous les partisans de Messali sont éliminés. Pour autant, lors des élections
municipales d’Alger du 3 mai 1953, le MTLD remporte tous les sièges du
second collège. Malgré ce succès, la crise éclate au comité central (CC) de
septembre 1953, lorsque Messali retire sa confiance aux « centralistes » (la
majorité des membres du comité central) et réclame les pleins pouvoirs
pour redresser le parti qui, à ses yeux, s’embourgeoise. Le CC refuse et les
ponts sont définitivement rompus le 10 décembre 1953 après la publication
d’un appel de ce dernier pour la constitution d’un Congrès national algérien
(CNA) avec d’autres organisations (UDMA, PCA, oulémas, etc.).
Le 18 décembre, l’avocat Abderrahmane Kiouane, dirigeant
« centraliste » du PPA-MTLD, et les autres élus du MTLD appuient le
budget de la ville d’Alger, à l’exception de celui des transports et de la
police, présenté par son maire Jacques Chevallier (1911-1971). La réaction
ne tarde pas : Messali Hadj appelle à la création d’un Comité de salut public
(CSP) remettant en cause « la direction du parti qui a abandonné les
principes révolutionnaires et formé une véritable bureaucratie avec ses
fonctionnaires, ses téléphones, ses pachas et ses chaouchs23 ». Déjà, « des
critiques avaient été formulées à l’encontre des élus d’Alger comme
Abderrahmane Kiouane pour n’avoir élevé aucune protestation à la mairie
après la répression du 14 juillet 195324 ». En dénonçant le CNA des
« centralistes », Messali appelle tous les militants à se regrouper dans le
CSP pour préparer un nouveau congrès. Très rapidement, la région
parisienne, le Nord, la Belgique et Marseille rejoignent le CSP. De son côté,
le comité central, réuni en juin 1954, rejette sur Messali la responsabilité
d’entraver les travaux du parti et décide de lui retirer tous ses pouvoirs.
L’avocat Amar Bentoumi m’a apporté son témoignage sur ce moment
décisif pour l’avenir de la révolution algérienne : « Je voudrais revenir au
congrès du MTLD du 4 au 6 avril 1953 à Alger. À l’issue de ce congrès,
une direction composée principalement de dirigeants de la nouvelle
génération est élue, en particulier Benyoucef Benkhedda au poste de
secrétaire général du MTLD. Quelque temps plus tard, Messali conteste
cette nomination. Il demande alors les pleins pouvoirs et l’annulation de
l’élection des membres du comité central. Évidemment, le comité central
n’accepte pas et déclare antidémocratique la demande de Messali. C’est de
là qu’est née la crise du PPA-MTLD. […] Cependant, un certain nombre de
membres du comité central faisaient parti du conseil municipal d’Alger, et
les élus du MTLD avaient conclu une sorte de modus vivendi avec Jacques
Chevallier, député-maire d’Alger et néolibéral, dont l’objectif était de ne
plus traiter avec les “béni-oui-oui” mais avec la nouvelle génération du
parti. Les élus du PPA-MTLD devaient protester contre le massacre du
14 juillet et contre le budget présenté par Jacques Chevallier. Or il semble
qu’il n’en a pas été ainsi. Aussitôt, Messali Hadj prend prétexte de ce
silence pour attaquer les membres du comité central. D’un autre côté,
Mohamed Boudiaf et son adjoint Mourad Didouche, deux des principaux
responsables du 1er novembre 1954, ne sont pas d’accord avec le culte de la
personnalité de Messali et refusent de lui donner les pleins pouvoirs. Ils
sont en France et rentrent en mars 1954 en Algérie pour contacter les
anciens de l’Organisation spéciale (OS) et créer le Comité révolutionnaire
d’unité et d’action (CRUA). Ils voudraient unir le parti pour passer à
l’action, alors que les centralistes ont comme théorie d’attendre une
occasion où la France serait occupée par un autre problème. Finalement, le
déclic qui va aboutir à la lutte armée, c’est le massacre du 14 juillet. Oui,
cette manifestation a servi de déclic25. »
Mohamed Boudiaf, dans son témoignage déjà cité de 1974, commente
cette période : « L’impatience et la nervosité des militants de passer à
l’action s’exprimèrent en plusieurs occasions, notamment lors des
manifestations ouvrières du 14 juillet 1953. […] Mais, pour nous, ce parti
était notre parti. Nous avions beaucoup sacrifié pour son existence. Nous
sentions que Messali, pour rétablir son autorité, était prêt à tout casser. Cela
nous était particulièrement douloureux. En l’espace de deux mois, janvier et
février 1954, toute l’organisation de la Fédération de France bascula du côté
messaliste, en dehors de quelques noyaux sans grande importance à Lyon,
Marseille, Sochaux et de quelques cadres permanents. Après un échange
d’informations avec des anciens de l’OS, nous décidâmes d’adopter une
position neutre dans le conflit entre les deux tendances. Notre but était de
lancer un mouvement d’opinion dans la base, en vue de préserver l’unité du
parti. Ce fut là l’origine de la création du CRUA. Dans le contexte d’alors,
nous nous placions du côté des centralistes. […] Ce qui comptait le plus,
c’était de parvenir à renouer le contact avec les militants de la base, et
parmi eux certains cadres de l’OS que nous avions perdus de vue depuis
longtemps. Cette décision nous amena à la “réunion des vingt-deuxa” des
anciens membres de l’OS qui se tint à Alger au Clos-Salembier, fin
juin 1954. Les échanges d’arguments furent durs. La décision de passer à la
lutte armée fut acquise après l’intervention émouvante de Souidani
Boudjemaâ qui, les larmes aux yeux, fustigea les réticents en déclarant :
“Oui ou non, sommes-nous des révolutionnaires ? Alors qu’attendons-nous
pour faire cette révolution si nous sommes sincères avec nous-mêmes ?” Un
vote secret désigne alors un comité de cinq membres chargé d’organiser le
déclenchement de la révolution. Mais il fallait coûte que coûte convaincre
des militants de la Kabylie qui avaient pris le maquis. Krim Belkacem et
Amar Ouamrane n’avaient pas encore choisi leur camp26. »
Pendant ce temps-là, le MTLD des « messalistes », qui avaient mis en
place un Comité de salut public (CSP), organise un congrès à Hornu en
Belgique, du 14 au 16 juillet 1954, et destitue huit membres du CC pour
cause de déviation. De l’autre côté, le congrès des « centralistes » se tient à
Alger, du 13 au 16 août. Messali Hadj, Ahmed Mezerna et Moulay Merbah
sont exclus, et L’Algérie libre n’est plus le journal du MTLD27.
Fin août, le « comité des cinq » constitué par Mohamed Boudiaf, Larbi
Ben M’hidi, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche et Rabah Bitat,
rencontre les responsables de la Kabylie et Krim Belkacem devient le
sixième membre du comité de direction. En octobre, ce groupe est rejoint
par les membres de la délégation extérieure du MTLD, composée d’Ahmed
Ben Bella, Mohamed Khider et Hocine Aït-Ahmed. Un appel est lancé à
tous les Algériens, les exhortant à rejoindre le nouveau parti, le Front de
libération nationale (FLN), et fixant la date du 1er novembre 1954 comme le
début de la lutte pour la libération nationale. La répression aveugle en plein
Paris du 14 juillet 1953 sonne donc à la fois comme un prélude et un déclic
à une guerre totale, ce que m’ont confirmé, chacun à sa manière, plusieurs
des participants à la manifestation du 14 juillet 1953.
Mohand Kettar : « Après le 14 juillet, si vous voulez, ça nous a rajouté un
plus à notre engagement, parce que beaucoup de régimes croient que l’on
peut éteindre la flamme révolutionnaire en utilisant la brutalité. […] C’est
faux, c’est faux, on devient encore plus déterminé après ça. Après chaque
brutalité, on devient un peu plus engagé. […] Je vous assure que la
manifestation de 1953 a galvanisé chez nous encore un peu plus, l’esprit de
lutte par tous les moyens. […] Ce qui fait qu’on luttait constamment sans
savoir si l’on va vivre ou ne pas vivre notre indépendance28. »
Ahmed Haddanou : « Je me souviens qu’à ce moment-là, le parti était en
crise. […] Et je peux dire que cette répression du 14 juillet nous a donné
une raison supplémentaire pour se pencher vers ceux qui étaient pour le
soulèvement de la révolution algérienne. En fait, le 14 juillet 1953, c’est
une manifestation historique et cela nous a donné la certitude qu’entre le
mouvement et le colonialisme, rien ne pouvait s’arranger. Finalement, cette
répression a joué en faveur de ceux qui voulaient passer à l’action armée.
Mais, pour les centralistes, c’était trop précipité, pas assez solide. Pour les
partisans de Messali, c’était à lui de décider, à sa manière. Seul le comité
des vingt-deux a dit : “On le fera tout seuls !”29. »
Amar Bentoumi : « La manifestation du 14 juillet 1953 est en elle-même
un événement relativement mineur compte tenu du nombre des victimes,
car plus tard on les a comptées par dizaines de milliers. Mais l’importance
de cet événement réside dans le fait qu’il a servi de déclic pour un certain
nombre de participants, dont Mohamed Boudiaf et Mourad Didouche, qui
vont être les premiers à rassembler les activistes à travers l’Algérie pour
déclencher l’insurrection du 1er novembre 1954. […] Finalement les
conséquences politiques de cet événement ont été considérables30. »
Djanina Messali-Benkelfat : « C’est l’un des événements précurseurs
d’une vraie révolution, qui a meurtri toutes les familles françaises et qui a
touché plus encore les familles algériennes. C’est le début d’un grand
drame31. » Youcef Tala-Ighil, le fils de Lalhou Tala-Ighil blessé par balle le
14 juillet 1953 : « Pour moi, le 14 juillet 1953, c’est la suite du massacre de
Sétif, à partir du 8 mai 1945. Et la suite du 14 juillet 1953, c’est le
déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954. En fait, tout
s’enchaîne… Tout s’enchaîne32. »

L’engagement dans la lutte armée et la répression


qui continue
Dès le déclenchement de la lutte armée en Algérie, le gouvernement
français interdit le MTLD, alors qu’il n’était pour rien dans cette
insurrection, et arrête ses principaux dirigeants. On parle encore de tortures,
comme celle du secrétaire général du MTLD (messaliste) Moulay Merbah.
Plusieurs centaines d’Algériens sont arrêtés. Et le 12 novembre, François
Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, réaffirme à l’Assemblée nationale :
« L’Algérie, c’est la France ! Parce qu’il se trouve que les départements de
l’Algérie sont des départements de la République française. Des Flandres
jusqu’au Congo, s’il y a quelque différence dans l’application de nos lois,
partout la loi s’impose et cette loi est la loi française ; c’est celle que vous
votez, parce qu’il n’y a qu’un seul Parlement et qu’une seule nation dans les
territoires d’outre-mer, comme dans les départements d’Algérie, comme
dans la métropole. Telle est notre règle, non seulement parce que la
Constitution nous l’impose, mais parce que cela est conforme à nos
volontés33. » Malgré ce discours – que l’on pourrait aujourd’hui qualifier
d’« autiste » – et la répression violente qui s’est ensuivie, l’insurrection
s’étend progressivement dans les villes et villages du pays. Le peuple
algérien semble prêt à cette guerre totale et les militants du PPA-MTLD
présents à la manifestation du 14 juillet ont tous participé, d’une façon ou
d’une autre, à l’indépendance de l’Algérie.
Mais, en décembre 1954, les partisans de Messali créent un nouveau
parti, le Mouvement national algérien (MNA). Ultramajoritaires, la plupart
des militants de la Fédération de France du MTLD rejoignent la cause de
Messali. Et, pendant un certain temps, nombre des participants à la
manifestation du 14 juillet ne savent plus qui croire, qui rejoindre. Ibrahim
Jaffer en est un exemple. Au départ, il reste fidèle à Messali et rejoint le
nouveau parti, le MNA, à Puteaux. Mais, en 1955, il décide avec d’autres
camarades de faire une enquête en Algérie pour savoir qui a lancé
l’insurrection : « J’ai été désigné pour aller à Michelet (aujourd’hui Aïn El-
Hammam, près de Tizi Ouzou en Kabylie). Et j’ai vu que ceux qui avaient
lancé la révolution, c’étaient le CRUA et le FLN. Je suis revenu en France
et j’ai commencé à collecter de l’argent pour le FLN. Seulement, voilà,
j’étais trop connu et j’ai failli me faire tuer par le MNA en tant que
“traître”. Alors, je suis reparti en Algérie et j’ai rejoint un des maquis de
l’ALN dans la région de Tizi Ouzou. »
Chérif Darkrim rejoint aussi le MNA avant de devenir collecteur pour le
FLN : « C’est grâce à l’argent des immigrés que l’Algérie a fait la guerre de
libération. » Il est arrêté, torturé et fait deux ans de prison entre 1960
et 1962 : « On m’a mis un fer dans le dos et un autre dans le ventre, et ils
m’ont frappé. […] Avec la gégène aussi. C’était à Sèvres. […] Mais je vais
vous dire : malgré ça, j’aime la France, j’y retourne souvent. […] Cela fait
deux siècles que nous sommes comme des frères. Il y a des communistes
qui ont aidé l’Algérie. J’avais des amis communistes à Meudon qui
m’aidaient pour apprendre le français. J’aime la France, mais ce sont les
colons que je n’aime pas. Ils ont fait la misère en Algérie34. »
D’autres militants du MNA en France rejoignent ensuite le FLN, comme
Souali Boukhari, désigné pour récupérer et cacher des armes. Marchand de
légumes, pour échapper aux contrôles de police, il transporte les armes dans
sa fourgonnette au milieu des légumes et du couscous. Un soir, avec un
autre militant, ils tombent en panne et sont contrôlés alors qu’ils
transportent un cadavre sous les caisses de légumes : « C’était la nuit, je
leur ai dit que j’allais aux Halles, mais que la voiture est en panne. Eh bien,
ils m’ont aidé à pousser la voiture avec le cadavre là-dedans… La voiture a
démarré et on a jeté le corps un peu plus loin. » Une autre fois, il raconte
qu’il a failli se faire tuer par le FLN parce qu’il n’était pas d’accord pour
participer à l’assassinat d’un gars du parti : « C’était un gars formidable,
mais ils l’ont tué. Tout ça parce qu’un jour il s’était chamaillé avec un autre
gars du FLN et il avait dit, comme ça : “Je vais tous vous dénoncer.” Mais
ce n’était pas vrai. C’était un gars de Ghazaouet35. »
Sadek Hadjerès, militant du Parti communiste algérien, m’a raconté à son
tour, en 2012 : « 1954, ce fut une surprise pour nous et une période difficile,
car la répression était forte. Nous, on espérait qu’il y aurait un travail
politique pour lancer l’insurrection, car nous pensions encore qu’“il fallait
que la mayonnaise prenne”. Mais les gens du FLN ont fait le pari de la
lancer sans plus attendre : eux savaient que dans la population, c’était mûr.
[…] Donc, après le début de l’insurrection, au bout de deux ou trois mois, je
cherchais des contacts avec eux, car je connaissais le futur colonel
Ouamrane (bras droit de Krim Belkacem). Alors, en février 1955, on a créé
un groupe armé (les “Combattants de la libération”), car ils se méfiaient de
nous. Mais certains dirigeants étaient plus ouverts, comme Abane
Ramdane, Ben M’hidi et Benkhedda. Ils ont accepté une rencontre, mais
seulement après l’opération d’Henri Maillotb où l’on a pu récupérer des
armes de l’armée française en 1956. Et donc, juste après, il y a eu cette
rencontre PCA-FLN et un accord informel a eu lieu qui précisait
l’intégration des militants du PCA au sein du FLN à titre individuel, mais
parfois aussi en groupe. […] Plus tard, vers 1960, les relations étaient
meilleures. Pas dans la direction, mais à la base. Les militants de base de
l’ALN sollicitaient les communistes pour une aide. On a même été
étonnés36. »
Au lendemain du 14 juillet 1953, Lalhou Tala-Ighil, soigné à l’hôpital
Saint-Louis pour ses blessures, a regagné son poste chez Renault. Il m’a
expliqué son parcours ultérieur : « En 1955, j’ai eu une permission de
l’usine [les congés payés] et je suis rentré en Algérie, en Kabylie, le 4 août.
Mais à la fin du mois, j’ai reçu un message de mon cousin qui me disait de
faire attention, car la police me recherchait. Depuis cette date-là, je n’ai
jamais remis les pieds en France. Et c’est tout naturellement que j’ai rejoint
l’organisation du Front. On faisait du sabotage et du renseignement dans la
vallée de la Soummam. En 1956, j’ai fait partie des gens qui ont assuré la
sécurité pendant le congrès du FLN, puis j’ai rejoint le maquis. Mais j’ai été
blessé au cours d’une attaque. J’ai reçu une balle dans la jambe et une autre
à la main. C’était ma seconde blessure par balle. J’ai été soigné et on m’a
affecté dans un autre maquis de la région d’Akfadou ; et là-bas, j’y suis
resté pendant deux ans. À l’indépendance, on a été démobilisés. Je suis allé
à Alger en 1963 pour travailler comme agent de service au tribunal
d’Alger37. »
Autant d’histoires qui expliquent la violence déclenchée par cette guerre
totale. Elle se doublera d’une guerre fratricide entre le MNA et le FLN pour
le leadership de la révolution algérienne. Dès le départ, Messali Hadj refuse
de suivre les jeunes activistes du FLN et les assimile à des « gauchistes » et
des « aventuristes ». Le FLN riposte et accuse celui qui demeure encore,
pour très peu de temps, le « père du nationalisme algérien », de
« collaboration » avec le pouvoir colonial français. Une lutte meurtrière
s’engage dès 1955 entre les deux mouvements nationalistes, qui fera
plusieurs milliers de morts. Progressivement, le FLN prend le contrôle de
toute la lutte armée. Le pouvoir français cherche à accentuer ces divisions,
notamment en aidant un ancien militant du MNA, le « général »
Mohammed Bellounis, à combattre le FLN en Algérie même38.
« Effectivement, explique Emmanuel Blanchard, à partir du printemps
1955, les commandos du MNA en France attaquèrent les militants du FLN.
Ils faisaient parler les armes pour se débarrasser d’adversaires politiques
qui, en Algérie, avaient réduit le messalisme à néant et n’hésitaient pas à les
décimer. De plus, à l’intérieur du comité fédéral du FLN, s’opposaient des
points de vue divergents entre ceux qui étaient pour la violence et les autres.
Quand Omar Boudaoud prit la tête du comité fédéral en juin 1957, les
affrontements meurtriers entre les deux mouvements se transformèrent en
une lutte acharnée jusqu’à la disparition, au premier trimestre 1958, du
MNA (en dehors du Nord et de rares rues de Paris). […] La Préfecture de
police utilisera certains hommes du MNA pour limiter la capacité du FLN
et discréditer les nationalistes algériens. Parfois, il y eut de véritables
collusions entre militants et policiers car, à l’été 1958, Messali avait déclaré
faire confiance au général de Gaulle pour trouver une solution au problème
algérien. Les groupes de choc du MNA ne prirent jamais comme cible les
policiers39. » « Au total, affirmait Le Monde en mars 1962, les actions
violentes du FLN et du MNA en métropole auraient entraîné environ
4 000 morts et 12 000 blessés40. »
Mohand Kettar, après une année d’hésitation, adhère au FLN à Paris, en
septembre 1955. Rapidement, il en devient un cadre et il confirme : « Avant
1957, le MNA nous tuait des militants, et nous, on ne répondait pas. Je me
rappelle qu’un jour, dans la rue au Maire, à Paris dans le IIIe, j’étais avec
des militants qui sont tombés, tués par le MNA : et derrière, il y avait la
police française qui les couvrait. Bien sûr, ils savaient que c’était le café du
FLN. Ils ont tiré dans le tas. Trois militants qui étaient avec moi ont perdu
la vie. Donc, nous aussi, on est passés à l’action par tous les moyens. Et on
se battait à la fois contre la police française, contre le MNA et contre les
traîtres qui nous ont trahis par la suite. Ceux qui ont retourné leur veste
quand ils ont été arrêtés. Et donc on se battait sur trois fronts41. »

La torture banalisée des militants nationalistes arrêtés


en France
Un grand nombre de ces anciens militants du 14 juillet 1953, qui se sont
engagés ensuite dans les rangs du FLN – et dont j’ai pu recueillir les
témoignages en 2012 –, seront plus tard arrêtés et subiront les sévices de la
torture, alors pratiquée à grande échelle par la police et l’armée françaises,
et pas uniquement sur le sol algérien.
Ali Slimi, membre du FLN : « J’ai été arrêté et condamné à perpétuité
par le tribunal militaire de Metz pour tentative d’assassinat et pour avoir
détenu des armes. Je n’ai pas été condamné à mort, parce que j’ai bénéficié
de circonstances atténuantes. Je suis resté tout de même en prison à Metz et
à Toul pendant quatre ans, jusqu’à l’indépendance. J’ai été torturé un peu en
1957, lorsque j’ai été arrêté pendant quatre jours à la prison de
Valenciennes42. »
Mohamed Zalegh a été torturé au commissariat d’Argenteuil en
mai 1960. L’horreur pendant huit jours : « Dans une grande salle, il y avait
trois ou quatre inspecteurs en civil qui m’ont attaché et tapé. Ils m’ont tapé
jusqu’à ce que je tombe dans les pommes. Ils me frappaient à coups de
cravache, ils me prenaient les cheveux pour me remonter la tête. […]
Ils attachaient ma main avec une ceinture et une planche et ils me tapaient
sur les bouts des doigts. […] Cela t’atteint au cœur et tu te réveilles en
sursaut. […] Huit jours comme cela, depuis 10 heures du matin jusqu’à
16 heures. Sauf au moment de leur repas. J’étais tout cassé et tout et tout…
Ils m’ont tapé beaucoup dans le cœur et c’est pour cela que j’ai mal au cœur
maintenant ! » Il sera sauvé par son chef de chantier, qui assure que
Mohamed travaillait tous les jours, et qu’il a besoin de lui pour vérifier et
réparer les tuyaux qui mènent aux égouts. Mohamed Zalegh ajoute : « Mais
après, j’étais à l’hôpital Foch et pendant quarante jours, je n’ai pas parlé : je
repensais toujours aux tortures dans le commissariat d’Argenteuil43. »
Mohand Kettar, lui, a été arrêté en 1958 : « On a été directement au
commissariat central de La Villette et on a été torturés là-bas. On est resté
dix-sept jours au dépôt. […] On a d’abord été interrogés par des policiers,
avec des coups, des gifles, des coups de pied, bon cela passe. Puis ils m’ont
frappé à coups de crosse et ils m’ont dit : “On va te passer aux principaux.”
Là, c’était encore plus violent. Ils ont pris une bouteille. Oui, ils ont pris
une canette de bière… Et par-derrière… Comme cela ne suffisait pas, ils ont
pris des photos de moi, complètement nu, avec différentes poses. Après une
récente opération que j’avais eue au ventre et dont je me plaignais, les
policiers m’ont répondu : “Crève si tu veux, nous, on s’en fout !” À partir
de là, avec un autre prisonnier, on est restés dix heures debout. C’était une
torture atroce. Il y avait deux policiers qui nous gardaient derrière nous. Et
pour ne pas se pencher ou prendre appui sur le mur, on nous donnait des
coups. […] J’avais les mains bleues, les pieds en sang. Pendant des heures.
Après ça, on nous a amenés en prison, à Fresnes. C’était un peu une
délivrance, une délivrance… »
Mohand Kettar a été ensuite condamné et transféré au camp militaire de
Mourmelon, dans la Marne. « Vous ne pouvez pas vous imaginer comment
les militants se désintègrent en prison », m’a-t-il relaté cinquante-quatre ans
après, la mémoire toujours à vif : « En se levant, on voit des barbelés. En se
couchant, on voit les barbelés. Tous les jours, on voit des barbelés. Il y a eu
des militants qui parlaient sereinement le matin ; et le lendemain, ils se
réveillaient complètement fous ! Complètement déraisonnés… J’en ai vu
plusieurs comme ça. […] C’est vraiment des tortures à distance : les
barbelés, c’est des tortures, c’est insupportable… Moi, j’ai passé quatre ans
et vingt-trois jours. J’ai été arrêté le 11 mars 1958 et je suis arrivé chez moi
le 3 avril 1962. Mais rester au milieu des barbelés tous les jours ! On a vu
des amis devenir des ennemis. On a vu des gens normaux qui sont devenus
malades. Vraiment, c’est l’enfer ! C’est l’enfer44 ! »
Ce témoignage, avec tant d’autres, rappelle la violence de la répression
exercée en France contre les militants nationalistes algériens après
l’insurrection de novembre 1954. (Beaucoup d’entre eux s’étaient engagés
dès les années 1950 dans les rangs du MTLD ; les victimes de la fusillade
du 14 juillet 1953 en faisaient partie.)
Pourquoi et comment cette affreuse réalité a-t-elle pu être aussi
longtemps effacée dans la plupart des récits historiques de la « guerre
d’Algérie » ? C’est cette énigme que je vais tenter d’éclairer dans le dernier
chapitre de ce livre.

Notes du chapitre 11

a. En fait, ils ont été vingt et un militants à prendre la décision ; le vingt-deuxième, Elias Dériche,
était l’hôte de la réunion (voir Mohammed HARBI, Une guerre commence en Algérie, op. cit.).
b. En avril 1956, l’aspirant Henri Maillot, vingt-huit ans, qui effectue son service militaire,
détourne un camion d’armes pour rejoindre un maquis communiste dans la région d’Orléansville.
Encerclé par l’armée française, il sera tué deux mois plus tard en criant : « Vive le Parti communiste
algérien. »
12
Un massacre oublié,
en Algérie comme en France

Le 14 juillet 1954, une minute de silence est demandée à l’ouverture du


congrès « messaliste » du MTLD à Hornu, en mémoire des morts du
14 juillet 1953. Le jour suivant, un article paraît dans Liberté, organe du
Parti communiste algérien : ce sera le seul journal à se faire l’écho à ce
triste anniversaire. Il faudra ensuite attendre près d’un demi-siècle pour que
cette répression soit à nouveau publiquement évoquée, en Algérie comme
en France.

L’événement éclipsé de la mémoire collective en Algérie


« Pour qu’une victime soit honorée, m’a rappelé Emmanuel Blanchard en
2013, il faut qu’elle soit considérée comme particulièrement distinguable.
Or cet événement va être chassé par une autre actualité plus fondamentale :
ces victimes auraient pu rester dans les mémoires s’il n’y avait pas eu
ensuite la guerre d’indépendance algérienne. […] Pour le nationalisme
algérien, il s’agit certes de six victimes qui n’ont pas été honorées, mais les
nationalistes ont eu ensuite des centaines, des milliers puis des centaines de
milliers de victimes à honorer. D’une certaine façon, même s’il s’agit des
premières étincelles d’une guerre d’indépendance à venir, en particulier en
territoire algérien, cet événement deviendra secondaire dans la mémoire des
acteurs. […] Et puis, il faut bien voir que les immigrés de la Fédération de
France du FLN engagés dans la lutte pour l’indépendance ont eu beaucoup
de difficultés à porter plus tard la mémoire du massacre du 17 octobre 1961,
car ils avaient été du “mauvais” côté des affrontements qui se sont noués en
Algérie même à partir de juillet 19621. On voit donc que le drame de la
guerre d’indépendance de l’Algérie, le défaut de porteurs de mémoire et la
façon dont s’est configuré le pouvoir politique après l’indépendance ont fait
qu’il n’y avait pas de place pour ces sept morts du 14 juillet 19532. »
De fait, le nouveau pouvoir issu de la révolution de 1962 – dirigé par Ben
Bella puis par Boumediene après son coup d’État de 1965 – a cultivé un
certain « patriotisme sélectif », au détriment de la vérité historique. Honorer
des gens qui défilaient derrière le portrait de Messali Hadj, qualifié pendant
longtemps de « traître à la révolution », était impensable pour ce nouvel
État au parti unique. Ces six victimes algériennes n’ont jamais été
reconnues par le pouvoir comme martyrs de la révolution et aucune
indemnité n’a été versée aux familles. Comme le dit l’historien et ancien
cadre du FLN Mohammed Harbi : « L’histoire est la servante du pouvoir.
Elle a pour rôle de lui forger les mythes dont il a besoin et de le débarrasser
de tout ce qui peut le contester. […] Souvent le passé n’existe que pour
justifier le pouvoir présent3. »
« Lorsque je parle de cette histoire, m’a raconté Saïd Gater, manifestant
de 1953, les gens me disent que je dis ça pour avoir ma carte de combattant
[pour toucher des indemnités, NdA] ! Ils disent que je raconte des histoires,
que ce n’est pas vrai. […] Moi, je leur ai dit, Dieu seul le sait4 ! » Et en
2012, Youcef Tala-Ighil, le fils de Lalhou blessé par balle en 1953,
m’expliquait à Alger : « Cela fait seulement deux ans que je suis au courant
de cette histoire. Mais, effectivement, quand mon père m’a parlé vite fait de
cet événement du 14 juillet 1953, j’ai commencé à rechercher, et j’ai vu
qu’il n’y avait rien ou très peu de choses sur cet événement5. »
« Cette manifestation, précise Mohamed Toumouh, ancien cadre du
MTLD en France, on n’en parle pas parce que c’est à cause de Messali
Hadj, le père du nationalisme. […] Nous, on sait que, dans notre guerre, on
a commis des fautes. […] Combien de colonels et de commandants ont été
fusillés ? Il s’est passé beaucoup de règlements de comptes. Sur Messali, je
me souviens d’un professeur d’histoire de l’université de Batna qui avait
posé à ses étudiants, il y a plusieurs années, la question de savoir si Messali
était un traître ou pas. Il a été arrêté par la Sécurité militaire. On lui a dit :
“C’est la dernière fois que tu parles de Messali, attention !” Il a pris trois
mois de prison. […] En fait, l’histoire de l’Algérie est verrouillée par ses
dirigeants. Comme si tout commençait seulement à partir du 1er novembre
19546. »
Il y a eu cependant quelques tentatives de reconnaissance. Abdallah
Bacha a par exemple été enterré en 1964 dans le cimetière des martyrs de
son village kabyle de Bahalil (Ivahlal), comme me l’a raconté Mustapha
Bacha : « Mon frère a été enterré au cimetière de la mosquée pendant onze
ans. Puis ils l’ont changé et l’ont mis dans le cimetière des martyrs, sa
tombe est au milieu. C’était en 1964, c’est l’armée qui a transféré son corps.
Son nom figure même en premier sur la liste des morts de la stèle. Il est
reconnu dans notre village, mais l’État ne veut pas le considérer comme
maquisard, parce qu’il est mort avant la guerre, avant le 1er novembre
19547. »
Abdelkader Draris a aussi été enterré en 1964 dans le cimetière des
martyrs d’Hennaya, près de Tlemcen, ce que relate Rhama Draris : « Quand
tu rentres, il se trouve sur la gauche. […] C’est Ben Bella et Aït-Ahmed qui
l’ont fait transférer8. » Malheureusement, au cimetière, personne ne sait où
est sa tombe… Quant à Ali Madjène, fils de l’un des victimes de
juillet 1953, il complète : « À l’époque, les maquisards donnaient une petite
pension à mon grand-père, mais ensuite, juste après l’indépendance, l’État
n’a plus rien donné parce que mon père est mort avant la guerre. J’ai dit :
“Pourquoi El-Mokrani et l’émir Abdelkader, qui sont morts bien avant la
révolution, vous les considérez comme moudjahidine et pas lui ?” Alors, ils
m’ont répondu : “C’est la loi !” Donc, on a grandi dans la misère… Quand
notre grand-père est mort en 1962, mon frère et moi, on s’est retrouvés
seuls, alors on est partis chez des oncles maternels à Alger. On n’a jamais
rien demandé à l’État9. »
« En Algérie, la reconnaissance comme chouhadas (combattants martyrs
morts pour la révolution) donne droit à une reconnaissance et des pensions,
m’a indiqué Nordine Illoul. Mais cela ne commence qu’à partir du
1er novembre 1954. Même pour le massacre du 8 mai 1945, il n’y a pas de
reconnaissance nominative. […] Et, pour le 14 juillet 1953, il n’y a
absolument rien. Je me souviens de ma grand-mère, qui gardait toutes ces
photos, toutes ces lettres. Elle partait, souvent accompagnée de mon père,
voir les anciens moudjahidine pour obtenir une reconnaissance… Et
toujours la même réponse : “C’est à partir du 1er novembre 1954. Avant il
n’y a pas de reconnaissance.” Nous, on ne demande pas une indemnisation,
on demande juste une reconnaissance en tant que mort pour la nation10. »
Bien d’autres témoignages que j’ai recueillis confirment ce déni officiel de
reconnaissance.
Saïd Illoul : « Voici la lettre de réponse qu’a reçue ma mère le 20 mars
1963 : “Faisant suite à votre lettre, j’ai l’honneur de porter à votre
connaissance que le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale pour les
discussions n’envisage pas l’octroi d’une pension pour les victimes des
manifestations ayant eu lieu avant le 1er novembre 1954, date du
déclenchement de la révolution. Signé : le directeur des pensions.” J’ai
bataillé évidemment pour y avoir droit, pour que son nom soit reconnu,
pour qu’au moins une ruelle porte son nom, impossible11 ! »
Ibrahim Jaffer : « J’ai travaillé comme coordinateur du FLN de 1974
jusqu’à 1980. J’ai toujours sollicité le maire pour qu’il inscrive Mouhoub
Illoul sur la liste des chouhadas, ou pour qu’il donne son nom à une rue,
mais ils ne le reconnaissent pas jusqu’à ce jour. C’est le maire d’Amizour
qui ne veut pas, alors qu’ils l’ont fait à Bahalil (Ivahlal) pour Bacha
Abdallah. Maintenant, ce que nous devons faire, c’est aller voir le maire
pour lui demander de donner le nom de Mouhoub Illoul à une rue ou de
l’inscrire sur une stèle12. »
Boualem Boudaoud : « La maman de Larbi Daoui, même handicapée, n’a
jamais touché d’indemnité, aucun sou. Ni le capital décès ni rien du tout.
Jamais, jamais rien touché13. » Lounès Tadjadit : « Pour moi, mon frère est
le premier mort pour la révolution. J’ai construit sa stèle avec mes propres
moyens après la mort de ma mère en 1983 et, à chaque fête de l’Aïd, je
viens lui rendre visite… Quand je viens, je ne vais pas bien… Ma femme
me dit que je suis fou… Chaque 14 juillet, je viens ici et je mets le drapeau
algérien sur sa tombe jusqu’au 21 juillet… Il faut lui donner le nom d’une
rue, car il s’agit du premier chahid révolutionnaire de Tifra14. ».

Le lent retour de la mémoire algérienne dans les années 2000


Lentement, la mémoire algérienne de l’événement remonte toutefois à la
surface. Le 18 juillet 2001, un bref article est publié dans Algérie Hebdo
suite à son évocation par l’historien Benjamin Stora dans Le Monde, illustré
par une photo du journal marocain La Vigie du 15 juillet 1953. En
juillet 2006, dans le village de Tifra, une marche commémorative est
organisée par Lounès Tadjadit pour honorer la mémoire de son frère Amar.
Tout le village est présent pour écouter les discours de personnalités.
Malgré une vidéo (ne mentionnant pas la mort de Maurice Lurot) et un
article dans la presse, aucun écho ne dépasse les villages alentour.
Le quotidien Le Soir d’Algérie commente ainsi l’événement : « Le
village de Tifra, commune de Tigzirt, a rendu un vibrant hommage,
vendredi dernier, au chahid Amar Tadjadit, tombé au champ d’honneur lors
des manifestations du 14 juillet 1953 à Paris, organisées par le PPA pour
réclamer l’indépendance de l’Algérie. Six autres Algériens ont été
également tuésa. Une foule nombreuse, composée de dizaines de citoyennes
et citoyens, des autorités locales, des élus de la wilaya et du sénateur Rachid
Arabi, ont assisté à l’hommage. Le programme de la journée
commémorative a débuté par une visite au domicile du chahid, suivie d’un
recueillement sur sa tombe avant de se terminer par une waâda, un banquet
traditionnel sur la placette du village15. » Cette même année, un article de
Nacer Haniche est publié dans La Tribune du 2 novembre avec ce titre
explicite : « Qui se souvient des fusillés du 14 juillet 1953 ? »
Le 15 juillet 2008, un bon article d’Algérie News, signé Fodil Ourabah,
rend compte du livre de Maurice Rajsfus, 1953, un 14 Juillet sanglant,
publié cinq ans plus tôt. Un autre article sur les chouhadas de la région de
Guenzet signale alors brièvement le « chahid anonyme du PPA, Tahar
Oubessaï [Madjène, NdA], assassiné par la police française pour avoir
exhibé le drapeau algérien place de la Nation à Paris, le 14 juillet 1953 ».
Le 5 juillet 2009, l’association Igherm-Akdim (vieux ksar) organise à Tiout
(près de la frontière marocaine), à l’initiative d’Achour Bouchetata, une
journée d’études sur Larbi Daoui pour célébrer le cinquante-sixième
anniversaire de sa mort. Deux ans plus tard, le 5 juillet 2011, une autre
conférence sur ce chahid est organisée au Musée du moudjahid de Naâma
par l’écrivain et poète Ahmed Benchérif – le projet était de faire baptiser
par les autorités un édifice ou une rue à son nom, ce qui n’avait toujours pas
été obtenu cinq plus tard… Et je dois signaler que mon film Les Balles du
14 juillet 1953, sorti en 2014, a depuis circulé un peu en Algérie. Projeté à
Alger lors d’un festival en 2015, il a même eu droit à un petit reportage
télévisé. Enfin, le 17 juillet 2016, l’hebdomadaire Alger républicain a
consacré un grand article à cette répression inconnue16.
Là encore, les témoignages que j’ai recueillis du côté algérien ont
confirmé la difficulté de recouvrer cette mémoire, comme me l’a sobrement
expliqué Djanina Benkelfat-Messali : « L’histoire n’est pas écrite en France,
elle n’est pas écrite en Algérie non plus17. » « Lorsqu’on parle de
révolution, m’a quant à lui rappelé en 2012 Abdou Toumouh, le fils de
Mohamed, militant du PPA-MTLD, on fait souvent référence à la
Révolution française et à ses principes, et on se rend compte que la France a
bafoué ses grands principes, en particulier ce 14 juillet. […] Je pense que
dans les deux démarches, la Révolution française et la révolution
algérienne, il y a des similitudes, il doit y avoir un enseignement à tirer de
cette histoire. […] Ici en Algérie, l’histoire a été tellement officielle que les
jeunes générations s’en sont écartées. Les gens ne trouvent plus d’intérêt à
l’histoire, mis à part une minorité. Donc, il y a beaucoup à faire. […] Mais
je pense que l’on va vers une libération. Les langues commencent à se
délier par la force des choses et aussi avec Internet18. » Son père Mohamed
Toumouh ajoute : « Notre génération a commis des erreurs, il faut rectifier
là où on a échoué. C’est important, ça ! Il n’y a pas d’avenir sans passé19. »
Le docteur Mohamed Mebarki, qui m’a aidé et hébergé lors de mon
tournage dans l’ouest de l’Algérie, est un grand connaisseur de l’histoire de
son pays : « Jusqu’à ces dix dernières années, m’a-t-il expliqué en 2012,
parler de Messali Hadj était tabou. C’est Boumediene qui a fermé la
connaissance de l’histoire avant 1954. Mais depuis l’élection de Bouteflika
[en 1999], quand celui-ci a commencé sa politique de “réconciliation”b, la
première chose qu’il a dite, c’est que le peuple algérien se reconstruit avec
lui-même et avec son histoire. Il a fait quelque chose que personne n’avait
fait avant lui, c’est de baptiser l’aéroport de Tlemcen “Aéroport Messali-
Hadj”. Et c’est là que l’on a commencé à déterrer un peu ces événements :
ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que l’on a pu reparler de
Messali et de ses compagnons. […] Même dans les écoles, nos enfants
n’avaient pas le droit d’entendre le nom de Messali Hadj, c’est ça le
problème. En 2011, j’ai eu l’honneur d’assister au congrès international sur
Messali Hadj qui s’est tenu à l’université de Tlemcen – il y avait Benjamin
Stora, Mohammed Harbi et c’était extraordinaire. […] Je pense que les
morts de 1953 vont revenir dans la mémoire, parce que l’on commence à
reparler de Messali Hadj20. »
« Je crois que, des deux côtés de la Méditerranée, m’a confirmé en 2012
à Alger Mohand Kettar, ancien du MTLD, on essaye de cacher la vérité. Et
ce n’est pas le seul événement : il y a eu le 17 octobre 1961, Mourepianec et
d’autres. […] Je suis un militant révolté et je continue de l’être. J’estime
que nous n’avons pas accompli le devoir de nos frères qui ne sont plus avec
nous ! Parce qu’ils ont donné gratuitement leurs vies pour l’Algérie, pour
que leurs enfants puissent vivre heureux, qu’ils ne courent pas après un
bidon d’huile, ou après un logement. Il n’y a pas que le drapeau qui compte.
[…] Nos jeunes aujourd’hui, aussitôt qu’ils émergent un peu, vers quinze
ou seize ans, rêvent de partir. Ils veulent quitter le pays, pourquoi ? Parce
que l’on étouffe ici. On étouffe parce que l’on veut respirer la liberté, la
justice, la démocratie pour lesquelles nos militants ont donné leurs vies.
[…] Pour moi, il manque beaucoup de choses. Nous ne sommes pas encore
arrivés à l’étape du serment que nous avons donné à nos militants qui ne
sont plus. Nous leur sommes encore redevables. […] C’est une question
d’insulte à la mémoire de ceux qui sont morts21. »

En France, la tuerie disparaît rapidement des mémoires


Le 14 juillet 2013, soixante ans après le massacre, l’armée française
défile comme d’habitude sur les Champs-Élysées devant le président de la
République. L’après-midi, place de la Nation – lieu du drame –, cette même
armée vient présenter aux Parisiens les derniers chars et autres engins de
mort. Les enfants sont ravis, on les laisse monter dans les blindés, se mettre
aux commandes d’un half-track, se glisser à l’intérieur d’un char ou se faire
photographier avec un légionnaire. On peut aussi demander des
renseignements sur le service national, etc. Il y a là, autour de la grande
place de la Nation, une quinzaine d’engins, comme une ironie du sort pour
cette mémoire effacée.
En France, le drame du 14 juillet 1953 a disparu très tôt de la mémoire
collective. Dès le lendemain des obsèques de Maurice Lurot, l’événement
ne fait plus la une d’aucun journal. La presse dans sa totalité est déjà passée
à autre chose, selon le principe qu’une information chasse l’autre : on parle
davantage du problème indochinois22. Dix jours après, plus aucun article
dans les principaux quotidiens de gauche. De façon sporadique, quelques
articles sont remisés dans les pages intérieures de certains mensuels et de
L’Humanité. En revanche, le 24 juillet, ce journal insiste sur la journée
d’action unitaire des gaziers et électriciens qui s’est déroulée la veille, et sur
une résolution du bureau politique du PCF de soutien au Parti communiste
d’Union soviétique qui vient d’éliminer Beria, l’ancien bras droit de Staline
(mort en mars). Le lendemain, le quotidien communiste revient sur les
délégations pour les embastillés de Fresnes. Puis le lundi 27 juillet, la une
titre sur l’armistice en Corée et sur Louison Bobet vainqueur du tour de
France. La « journée des barricades » organisée par des viticulteurs en
colère de l’Aude, de l’Hérault, du Gard et des Pyrénées-Orientales occupe
une bonne place dans les journaux du 29 juillet 1953. La dernière fois que
l’événement est brièvement évoqué, le lendemain, c’est à travers le message
de Me Kiouane qui affirme que « le 14 juillet resserrera les liens de
fraternité et de solidarité qui unissent les travailleurs français et
algériens23 ».
Puis plus rien. L’Humanité du 31 juillet titre sur la libération de Louis
Baillot, un des embastillés de Fresnes, Alger républicain aussi. On trouve
encore un entrefilet sur l’utilisation de la collecte d’argent pour les victimes
du 14 juillet organisée par le Secours populaire. À partir du 2 août, il s’agit
surtout de la libération d’Henri Martin, qui sort de prison ce jour-là. Le
4 août, le journal relate les grèves du secteur public (EDF, SNCF, PTT, etc.)
suite à l’annonce par le gouvernement d’un plan d’économie dans la
fonction publique et les entreprises nationalisées, et du recul de l’âge de la
retraite. Cette grève générale va paralyser tout le pays jusqu’au 25 août.
Même chose pour l’hebdomadaire de la CGT, la Vie ouvrière, qui fait ses
unes sur les libérations d’Henri Martin et de Louis Baillot, puis sur la
grève24. Les morts algériens et Maurice Lurot sont oubliés.
« Pourquoi cela n’est-il pas resté dans nos mémoires ?, se demande
Emmanuel Blanchard. Il faut revenir à des choses plus prosaïques, nous
sommes au milieu du mois de juillet. Le tour de France vient de finir, une
partie des Français va partir en vacances, le Parlement va fermer ses portes.
Ce sont les derniers jours de sessions et une actualité va chasser l’autre.
[…] Par ailleurs, il n’y a pas de mémoire sans porteur de mémoire. […]
Bien sûr, ce n’est pas la Préfecture de police qui allait porter cette mémoire
et pour d’autres composantes de la société française, par exemple le
mouvement ouvrier, ils ont eu d’autres d’événements saillants, en
particulier la grande grève d’août 1953, qui intervient juste après25. »

Le rôle de la grève d’août 1953, de la guerre d’Indochine


et du changement de ligne du PCF
Du 4 au 25 août, survient donc la plus grande grève des services publics
depuis la Libération. Commencée avec les postiers CGT-FO de Bordeaux le
4 août à propos des retraites, elle s’étend très vite aux autres services
publics et mobilise tous les militants ouvriers. Elle devient générale le
7 août, avec 4 millions de grévistes dans toute la France. « C’est vrai qu’il y
a eu la grève des fonctionnaires en août 1953, m’a raconté l’ancien militant
CGT Charles Guillaumin, donc il y a eu d’autres attentions et puis on était
en pleine guerre froide, la guerre d’Indochine. […] Et je crois que c’était ça
qui dominait. Donc, il y avait beaucoup de problèmes politiques ou
syndicaux qui se posaient et cette manifestation du 14 juillet est passée
comme un des éléments des heurts de l’époque. […] Je crois aussi que
l’indépendance de l’Algérie c’était un problème d’Algériens, ce n’était pas
du tout un problème français. Je crois que le soutien à l’indépendance
algérienne est venu bien plus tard. À l’époque, on n’était pas très clairs sur
la colonisation26. »
Pour mieux comprendre les raisons de cet oubli, il faut en effet se
replonger dans l’époque. La plupart des salariés sont en vacances
(seulement quinze jours à ce moment-là) et les militants progressistes qui
restent sont focalisés sur cette grève nationale du secteur public qui prend
de l’ampleur au fil des jours, qui les mobilise et les accapare. De plus, pour
l’ensemble des Français, l’intérêt pour les événements internationaux se
focalise non pas sur l’Algérie mais sur la guerre en Indochine (commencée
en 1946) qui fait rage. Elle passe en premier, car on inculpe facilement les
militants portant « atteinte au moral de l’armée » comme Henri Martin,
Jacques Duclos, Benoît Frachon et les autres « embastillés de Fresnes ».
Tout cela dans le contexte de la guerre froide et de l’affrontement Est-
Ouest, car la lutte des Vietnamiens est dirigée par le communiste Hô Chi
Minh. L’émergence des pays non alignés n’est pas encore d’actualité et,
pour la plupart de ces forces militantes majoritairement communistes, la
violence contre les Algériens « déborde » du combat principal.
Les faits marquants de la fin 1953 illustrent d’ailleurs bien les enjeux
majeurs de la période27 : le 12 août, l’URSS fait exploser sa première
bombe H. Le 19 août, de violentes émeutes éclatent à Téhéran et les
partisans du chah, soutenus par la CIA, renversent le leader nationaliste
iranien Mohammad Mossadegh : le pétrole iranien peut retourner entre les
mains de sociétés occidentales, notamment américaines. Le 20 août, le
sultan du Maroc Sidi Mohammed ben Youssef (futur Mohamed V) est
détrôné par la France. En septembre, Nikita Khrouchtchev assure son
autorité en devenant premier secrétaire général du Parti communiste de
l’URSS. En Tunisie, l’organisation paramilitaire française « La Main
rouge » qui a tué le dirigeant syndicaliste tunisien Farhat Hached en 1952,
récidive le 13 septembre avec l’assassinat d’Hédi Chaker, l’un des
fondateurs du mouvement nationaliste tunisien Néo-Destour. En novembre,
le général Henri Navarre déclenche l’« opération Castor » : des milliers de
parachutistes occupent Diên Biên Phu pour en faire un camp retranché ; le
but de l’opération est de constituer une base pour la reconquête du pays thaï
et empêcher une nouvelle invasion du Laos par les forces du Viêt-Minhd.
En fin d’année, l’Assemblée nationale française approuve la constitution
d’une Europe unie. Et le 23 décembre, René Coty est élu au suffrage
indirect au treizième tour de scrutin. Il devient ainsi, après Vincent Auriol,
le second et dernier président de la IVe République.
Mais un autre facteur a favorisé l’effacement mémoriel de l’événement,
comme l’explique l’historienne Danielle Tartakowsky : quelques mois
avant, le PCF, par la voix de Maurice Thorez, avait décidé d’abandonner la
ligne dure d’affrontement « classe contre classe » pour revenir à une union
de la gauche et de toutes les forces démocratiques. La grève d’août 1953 est
dans la droite ligne de cette nouvelle stratégie. « On ne peut pas
comprendre ce qui s’est passé en juillet 1953, m’a-t-elle rapporté, si on
oublie que l’on est alors quelques mois après la manifestation du 28 mai
1952 contre Ridgway, le général commandant des troupes américaines en
Corée. Manifestation totalement atypique dans l’histoire du Parti
communiste de l’après-guerre et qui fait l’objet d’une très vive autocritique
au sein du bureau politique du PCF du 4 septembre 1952. C’est la
condamnation de la ligne dite de l’“ultragauche” dont André Marty a été le
porte-parole – il était l’organisateur de cette manifestation, qui s’est
terminée dans la violence. André Marty et Charles Tillon sont ouvertement
critiqués lors du comité central de Gennevilliers du 5 au 7 décembre 1952.
Et Marty sera exclu définitivement le 24 décembre de la même année, puis
dénoncé comme flic infiltré au sein du PCF depuis de nombreuses années28.
Il mourra seul et abandonné de tous. En fait, en 1953, le Parti communiste
vient d’opérer un retournement stratégique énoncé par Maurice Thorez.
L’autocritique est assez radicale et il s’agit alors de revenir à la lutte pour la
libération de ses militants incarcérés suite à la manifestation. On change de
ligne pour revenir à des formes d’action de masse plus maîtrisées, avec un
recentrage sur des problèmes salariaux et syndicaux.
« La manifestation violemment réprimée du 14 juillet vient donc
perturber la nouvelle orientation, d’autant plus que dans les jours suivants
l’instruction du procès contre le dirigeant de la CGT Alain Le Léap arrive à
son terme et tout le monde escompte sa libération. Ainsi, le secrétariat du
PCF réuni le 21 juillet invite à “considérer que la provocation policière et
colonialiste du 14 juillet a contribué à montrer le caractère violemment
réactionnaire du gouvernement Laniel, Reynaud, Martinaud-Déplat et a fait
apparaître la nécessité d’une large union pour la défense des libertés et des
droits démocratiques”. En fait, les morts de juillet ne sont pas des
“drapeaux”. D’autant plus que début août, éclate cette grande grève de la
fonction publique. C’est le premier mouvement social de masse depuis la
Libération, assez inattendu, et qui correspond à la nouvelle ligne politique
du PCF. Donc, pour des raisons internes au Parti communiste et aux luttes
sociales en France et pour des raisons internes au MTLD (crise et scission),
la mémoire de cette manifestation disparaît. Et cette journée, avant d’autres,
sera “portée disparue”29. »
On discerne les prémisses de cette disparition à la lecture de L’Humanité
du 15 juillet 1953 : « Le ministre de l’Intérieur, Martinaud-Déplat, et le
préfet de police Baylot ont monté le coup de force d’hier dans le but de
créer un climat d’intimidation susceptible d’influencer sur le sort des
patriotes emprisonnés à Fresnes, au sujet desquels la chambre des mises en
accusation va se prononcer demain. Ils ont sciemment lancé leur police
contre la population de Paris défendant les libertés. […] Ils ont sciemment
lancé leur police au moment où l’on parle d’une discussion éventuelle à
l’Assemblée, sur la demande de levée d’immunité parlementaire. »

Un timide retour de la mémoire à partir des années 1990…


En 1954, seul le journal du Secours populaire La Défense, dans son
numéro de juillet-août, publie un très bon reportage sur le drame du
14 juillet 1953. Signé Pierre Éloire, l’article rend compte de la visite en
Kabylie de trois familles des victimes algériennes. On y apprend que, dans
le village de Tifra, le père d’Amar Tadjadit a dit que « son fils de huit ans a
dû abandonner l’école pour l’aider à travailler » et que, « dix mois après sa
mort, il n’a toujours pas reçu le capital-décès qui lui est dû ». L’article
raconte aussi que dans le village d’Oued Amizour, le père de Mouhoub
Illoul « a fait une belle tombe avec tout l’argent de son capital-décès ».
Enfin, à Chréa, le journaliste a rencontré les parents de Tahar Madjène et
leurs deux petits-enfants : Ali, six ans, et Lahcem, neuf ans. « Sa veuve n’a
aucune ressource pour élever ses deux enfants, pas d’allocations et n’a pas
encore touché le capital-décès. » Le reportage se termine par ces mots qui
résonnent aujourd’hui étrangement : « Il nous reste à obtenir le châtiment
des coupables du crime du 14 juillet 1953. » Cet émouvant article sera le
dernier de l’époque sur cette histoire.
« C’est donc à travers ces journaux de l’époque que j’ai l’historique de ce
qui s’est passé, m’a expliqué Maurice Lurot. Je me souviens, il y a eu
quelques commémorations après, au cimetière du Père-Lachaise : les
dirigeants du PCF faisaient une petite allocution ; et, au fur et à mesure des
années, cela s’est estompé. Ma mère a espéré jusqu’au bout qu’il y aurait
quelque chose, mais il n’y a rien eu. Elle est partie comme cela… Elle
n’avait pas beaucoup de revenus : je l’ai aidée comme j’ai pu et ma sœur l’a
beaucoup aidée. Mais ma sœur était asthmatique et, quand les événements
ont eu lieu, elle était déjà très malade. Elle n’a pas pu avoir les soins qu’elle
aurait dû avoir. Elle ne pouvait pas aller en cure, parce que nous n’avions
pas les moyens. Je pense que cela n’a pas arrangé les choses. Elle est
décédée à soixante-deux ans d’une crise d’asthme. Si elle avait été soignée,
elle aurait pu témoigner mieux que moi, car elle avait vingt ans à ce
moment-là. Elle aurait pu parler du traumatisme que cela a créé dans la
famille30. »
Du temps va passer avant qu’on évoque à nouveau les morts du 14 juillet
1953. Au début, c’est brièvement. Ainsi, dans l’encyclopédie Vingt-cinq ans
d’histoire universelle, 1945-1970 (Éditions universitaires, 1971), Michel
Mourre consacre quelques lignes à l’événement. Jacques Duclos, dans ses
mémoires, le mentionne en quelques mots : « La police chargea contre un
groupe de Nord-Africains qui participaient à la manifestation et on compta
sept tués parmi les manifestants31. » L’historien Mohammed Harbi l’évoque
également dans son livre de référence Aux origines du FLN (1975), mais
parle seulement des « six Algériens tombés à Paris ». Puis Jacques Jurquet,
ancien secrétaire général du Parti communiste marxiste-léniniste de France
(PCMLF), dans son livre Algérie 1945-1954. Des élections à la lutte armée
(1984), fournit des indications plus détaillées sur les sept victimes. Certains
articles de Benjamin Stora en parlent aussi. Ces textes sont de timides
amorces du retour de la mémoire sur ce drame. En 1991, quand Jean-Luc
Einaudi révèle au grand public, dans son livre La Bataille de Paris32, le
massacre du 17 octobre 1961 (au moins 200 morts), la tuerie du 14 juillet
1953 y est bien évoquée.
Cela ne suffit pas à Guy Lurot, le fils aîné de Maurice Lurot. En
septembre 1995, il envoie une lettre au courrier des lecteurs de L’Humanité
Dimanche, qui sera publiée : « Le 14 juillet est une date qui me tient à cœur.
À quand remonte le dernier défilé populaire de la Bastille à la Nation ? À
1953 ! Ce jour-là, la police parisienne a assassiné sept travailleurs place de
la Nation. Parmi eux, Maurice Lurot, mon père, quarante ans, membre du
Parti communiste, adhérent à la CGT. Ce jour-là, il était placé au service
d’ordre, près de la tribune officielle. C’est une balle au cœur, tirée à bout
portant par un policier, qui nous l’a enlevé. J’avais dix-sept ans. […]
Chaque année, alors que chacun danse, c’est les larmes aux yeux que je
cherche un mot qui réchauffe dans L’Huma Dimanche. Chaque année, mon
père est de nouveau assassiné par les camarades, par leur oubli. Je pense
aussi à tous ceux, morts pour la liberté, dont on devrait à chaque date
anniversaire donner le nom. Mon père est au Père-Lachaise dans le quartier
des martyrs de la Résistance et de la déportation […]. Sur leur tombe, ces
mots d’Honoré de Balzac : “De toutes les semences confiées à la terre, c’est
le sang des martyrs qui fait lever les plus riches moissons.” Cette année
encore, pour moi, le pain aura le goût de l’amertume33. » Son frère cadet,
Maurice Lurot, ajoute : « Depuis ce jour de 1995 où mon frère a écrit ce
courrier, jamais, jamais il n’y a eu aucune mention, que ce soit dans
Libération, dans L’Humanité ou ailleurs34… »

… puis des années 2000


Mais, au cours des années 2000, l’histoire de ce drame commence à
ressurgir. En 2001, Danielle Tartakowsky lui consacre un important chapitre
dans son livre très documenté Les Manifestations de rue, 1918-1968. En
2003, à l’occasion de l’anniversaire des cinquante ans, le livre de Maurice
Rajsfus 1953. Un 14 Juillet sanglant est entièrement consacré à
l’événement, et sera malheureusement trop peu diffusé. « J’ai été sollicité
pour écrire ce livre par mon ami journaliste Hervé Delouche, qui était
éditeur chez Agnès Viennot, m’a indiqué Maurice Rajsfus en 2011. C’était à
l’automne 2002. […] Ce travail m’intéressait, car je suis quand même un
vieux militant anticolonialiste et il était intéressant de remettre en lumière
des événements qui se sont déroulés dans la France des droits de l’homme.
Alors, j’ai utilisé la manière la plus simple : j’ai commencé par un appel à
témoins qui est passé dans L’Humanité. J’ai reçu une douzaine de lettres de
témoins qui avaient des souvenirs de cette manifestation, et ça a été la base
– il y a eu entre autres le témoignage de Jean-Michel Krivine, qui était en
1953 secrétaire d’une section du PC. […] Avec la famille Lurot, c’était
aussi par courrier.
« Ensuite, j’ai été à la Bibliothèque de documentation internationale
contemporaine (BDIC) de Nanterre, où j’ai retrouvé tous les journaux de
l’époque. Même chose aux Archives nationales et au Journal officiel. J’ai
été sous pression pour faire ce livre. J’ai dû l’écrire en trois mois, car il y
avait une date butoir : il fallait qu’il paraisse absolument pour le
cinquantenaire de l’événement. À noter que l’on a fait un rassemblement
place de la Nation près des colonnes où l’agression policière avait eu lieu ;
il est venu trente-cinq, quarante personnes maximum. Il faut dire que c’était
en pleine canicule de juillet 2003, c’était épouvantable. Pas un seul
journaliste n’est venu. Pas un seul, malgré les communiqués de presse ; il
n’y a rien eu dans la presse. Et le livre s’est mal vendu, car il n’y a pas eu
une seule chronique, pas une ligne, nulle part… Même dans L’Huma. Et
aujourd’hui, il est épuisé. D’ailleurs, je ne serais pas étonné que pour partie
il ait été pilonné35. »
À la même époque, la Fédération CGT des métallos édite en 2002 une
brochure pour célébrer les quarante ans de la fin de la guerre d’Algérie. Le
nom de Maurice Lurot, pourtant trésorier de la section CGT des métallos de
Paris XVIIIe en 1953, n’est pas mentionné. Il est vrai que le document
n’évoque l’action du syndicat qu’à partir du 1er novembre 1954… La
chronologie des principaux événements depuis la colonisation de l’Algérie
en 1830 est pourtant relatée sur une page, et le drame du 14 juillet 1953 sur
une ligne : « Sept Algériens tués à Paris par la police. » Exit Maurice Lurot,
comme s’il n’avait jamais existé36…
En avril 2005, le militant Jacques Morel publie en ligne un Calendrier
des crimes de la France outre-mer où la répression de 1953 est indiquée –
mais, là aussi, seuls les six Algériens tués sont mentionnés37. Il faudra
attendre 2011 pour que ce massacre soit de nouveau évoqué plus
précisément, avec la parution du livre très complet de l’historien Emmanuel
Blanchard La Police parisienne et les Algériens (1944-1962) et les lettres
publiées dans le « courrier des lecteurs » de L’Humanité Dimanche – celle
de Paul Vincent le 4 août 2011, une nouvelle de Guy Lurot le 1er septembre
2011 et une autre de l’ancien militant de la CGT Marc Fraisse, le 4 juillet
2013. Le drame est toutefois bien mis en évidence lors de l’exposition
« Paris en guerre d’Algérie » organisée par le Comité d’histoire de la Ville
de Paris en décembre 201238. À cela s’ajoutent quelques projections autour
de mon film Les Balles du 14 juillet 1953 et, en 2015, le livre déjà cité de
Jacques Simon, Paris 1953. Un 14 Juillet, rouge du sang algérien.
« Il faut dire qu’au début août, m’a relaté Marc Fraisse, on est partis avec
l’Union de la jeunesse républicaine de France au Festival de la jeunesse de
Bucarest. Alors, c’est vrai que, dans ma tête, on avait tout cela à organiser.
À Champigny, on avait pris des initiatives pour récolter un peu d’argent
pour pouvoir partir, parce que nous n’étions pas riches. Donc on est partis
quinze jours à Bucarest et on y est restés trois semaines, parce qu’en 1953,
il y avait la grande grève des cheminots qui a paralysé entièrement la
France. Donc on a bénéficié d’une semaine supplémentaire. C’était la
première fois que je quittais le pays, alors, ça finit par un peu occulter ce
que l’on a vu. […] C’est quelques années après que j’ai repensé à cette
histoire. […] Avec les événements d’octobre 1961 et de Charonne en 1962,
je me suis demandé quand c’était… Cela se mélangeait. Et puis après,
quand il y a eu le cinquantième anniversaire en 2003, j’ai vu un entrefilet
dans L’Humanité où ils demandaient à des témoins de se manifester. […]
C’était pour le livre de Maurice Rajsfus, mais là, je n’ai pas réagi. Ce n’est
qu’en 2011, parce que j’ai vu les articles du fils Lurot. Je me suis dit : “Il
faut quand même que j’écrive.” Alors, j’ai écrit à L’Humanité Dimanche au
courrier des lecteurs. À L’Humanité quotidienne, à La Nouvelle Vie ouvrière
(NVO, journal de la CGT) et au journal des retraités Vie nouvelle, mais je
n’ai rien vu. Je me suis dit : “Qu’est-ce qui se passe ?”
« Donc, pour le soixantième anniversaire en 2013, je remets ça. Je
renvoie le même courrier avec une autre lettre l’accompagnant et là ils ont
quand même passé ma lettre dans le courrier des lecteurs de L’Humanité
Dimanche du 4 juillet, mais en partie seulement. Alors, je me suis dit
comme c’était la semaine d’avant le 14 juillet, le jour du 14 juillet, il y aura
au moins un article, parce que le courrier des lecteurs, c’est une chose mais
cela n’a rien à voir avec les articles d’analyse, de fond, etc. Eh bien là, je
n’ai rien vu. Donc, je me pose des questions. Bon, c’est vrai qu’à l’époque,
je crois que les dirigeants du Parti communiste n’étaient pas forcément pour
l’indépendance de l’Algérie. Et même si c’était vrai, cela fait soixante ans.
On peut se faire une analyse, une autocritique. Parce que, si on couvre, on
est un peu complices aussi de l’oubli, non ? Donc il y a quelque chose qui
ne va pas, là ! Pour les cent ans de L’Huma, ils ont sorti un numéro spécial
“Un siècle d’Humanité, 1904-2004”. À la date du 14 juillet 1953, c’est très
court : “Manifestation communiste du 14 juillet. La police tire place de la
Nation. Sept morts, dont six Algériens.” Voilà ! Point à la ligne ! C’est
court, court39 ! »
« C’est vrai qu’il y a eu un grand silence sur cette fusillade après, m’a
confirmé Jean Laurans. Et on peut s’interroger. Pour les autorités officielles,
cela me semble logique. Mais, de notre côté, on aurait pu faire les choses
autrement. […] Surtout depuis tout ce temps, on aurait pu en reparler parce
que, pour moi, c’est un crime d’État au même niveau que ceux du
17 octobre 1961 et de Charonne. […] Moi, je n’en ai pas trop parlé
justement, comme de ma guerre d’Algérie d’ailleurs. C’est toujours difficile
de parler de soi, de ce que l’on a vécu dans ces moments difficiles. C’est
aujourd’hui que reviennent les sentiments, les souvenirs qui remontent à la
surface. […] On en reparle plus facilement parce que quelquefois nos
enfants ou petits-enfants nous disent : “Papa ou Papy, qu’est-ce qui s’est
passé, etc. ?” Là-dessus, on est mal, parce que l’on se sent responsable de
n’avoir pas dit davantage de choses. Mais c’était difficile de dire les choses,
car on ne les avait pas digérées. […] C’est pourquoi aujourd’hui, c’est bien
de reparler de tout cela, car cela fait partie de notre mémoire40. »

Des victimes inégalement considérées


À toutes ces explications de l’oubli, j’en ajouterai une autre, essentielle :
je suis convaincu qu’il y a une inégalité de traitement pour les victimes
françaises et celles venant de pays colonisés. Ces morts étrangers n’ont pas
le même impact sur la population française. L’histoire de France ne veut pas
se souvenir ni même retenir ces morts algériens, comme ce fut le cas pour
ceux du 17 octobre 1961, où il a fallu le travail de Jean-Luc Einaudi, près
de trente ans après, pour que les victimes « colonisées » ressortent dans nos
mémoires.
La brochure de la CGT des métallos citée plus haut, qui effaçait Maurice
Lurot, assimilé à un septième Algérien anonyme, va dans ce sens41. Et on
peut également s’interroger sur cette même « disparition » du syndicaliste
français dans les articles algériens sur le 14 juillet 1953. Comme si l’idéal
du nationalisme devait être forcément teinté de chauvinisme ou de
patriotisme exclusif. En France, pour Charonne, des écoles, des stades, des
rues portent les noms des victimes. Là, rien… Cette forme de
« différentialisme » fondé sur le « eux et nous » puise sa source dans un
patriotisme ethnocentré, loin des valeurs universelles de la devise française
« Liberté, Égalité, Fraternité ».
Maurice Rajsfus, dans la conclusion de son livre de 2003, allait déjà dans
ce sens : « En 1942, nous étions sous la botte nazie et, en 1953, les Français
vivaient sous un régime démocratique depuis quelques années. Ce qui
signifierait que la qualité des institutions ne constitue pas nécessairement un
frein à la violence policière. Le gardien de la paix qui, le 14 juillet 1953, a
froidement vidé le chargeur de son revolver sur les Nord-Africains […]
avait déjà oublié que, dix ans plus tôt, il avait sans doute raflé des enfants
juifs ou pourchassé des résistants communistes ou gaullistes. […]
L’institution policière n’a jamais été mise en cause, aussi bien pour cette
“petite” tuerie du 14 juillet 1953 que pour l’assassinat de masse du
17 octobre 1961 ou bien sûr pour sa participation au génocide des juifs
pendant la Seconde Guerre mondiale. […] Cinquante ans plus tard, la police
consacre toujours une partie notable de ses activités à pourchasser, dans les
cités, les jeunes issus de l’immigration algérienne. Ils sont tous français,
comme ceux de 1953 d’ailleurs. Qu’importe. Il y a toujours différentes
catégories de citoyens42. »
Emmanuel Blanchard le confirme : « Dans ce contexte, comme leurs
homologues d’Afrique du Nord, les policiers de métropole faisaient une
nette distinction entre la valeur des vies des colonisés et celle des autres
habitants du département de la Seine à qui étaient appliquées des méthodes
de maintien de l’ordre non létales. […] D’une certaine façon, ce n’est pas la
même chose de tirer sur un manifestant français que de tirer sur un
manifestant nord-africain. On le voit surtout dans des propos de policiers au
Maroc et en Tunisie. Ils disaient : “Eh bien oui, on tirait et qu’est-ce qu’il
advenait ensuite, je ne sais pas, je ne sais pas.” Ce n’est pas un vrai
problème. Il n’y a pas individualisation des morts. Cela ne pose
manifestement pas les mêmes cas de conscience43. »
Pour l’historien Benjamin Stora, cette inégalité de traitement a une
explication : « Pendant longtemps, l’histoire coloniale n’a pas été
enseignée. Elle ne s’est pas inscrite au cœur de l’histoire hexagonale. En
d’autres termes, les Français aimaient à être au centre de cet empire pour
qu’on les regarde, mais eux ne regardaient pas l’empire. Ils voulaient bien
qu’on les admire, que l’on s’identifie à leur culture et à leurs “Lumières”
universelles, mais, eux, regardaient-ils les colonisés, les hommes du Sud ?
Je n’en suis pas convaincu44. »
Albert Camus le soulignait déjà au lendemain du drame, dans un courrier
adressé au directeur du Monde et publié par ce dernier (que j’ai cité en
exergue à ce livre) : « Quand on constate encore que la plupart des journaux
(le vôtre est parmi les exceptions) couvrent du nom pudique de “bagarres”
ou d’“incidents” une petite opération qui a coûté sept morts et plus d’une
centaine de blessés, quand on voit enfin nos parlementaires, pressés de
courir à leurs cures, liquider à la sauvette ces morts encombrants, on est
fondé, il me semble, à se demander si la presse, le gouvernement, le
Parlement auraient montré tant de désinvolture dans le cas où les
manifestants n’auraient pas été nord-africains et si, dans ce même cas, la
police aurait tiré avec tant de confiant abandon. Il est bien sûr que non et
que les victimes du 14 juillet ont été un peu tuées aussi par un racisme qui
n’ose pas dire son nom45. »
Réaction analogue du journaliste Jean Cau, alors secrétaire de Jean-Paul
Sartre (il évoluera plus tard vers la droite « nationale-gaulliste »), qui
affirmait au même moment dans L’Humanité : « Le soir du 14 juillet, la
police a tué six Nord-Africains. Ils n’avaient rien fait, bien sûr. Ils défilaient
avec leurs camarades français, dont l’un est mort à leurs côtés. Ils n’avaient
rien fait : ils célébraient la fête nationale. […] Ils n’avaient rien fait, mais ils
étaient “nord-africains”. Pour notre police, ils n’étaient rien, ils n’avaient
pas d’importance. Un gibier en somme sur lequel on tire – en visant – pour
ne pas le rater. Et voilà, six hommes sont morts. Un simple fait divers et
demain le silence. Un Nord-Africain, quoi qu’il fasse ou quoi qu’on lui
fasse, est toujours coupable. Il ne faut pas que le silence soit fait sur ce
crime. […] Ces Nord-Africains étaient des hommes et des Français. […]
C’est aussi sur notre liberté, à nous Français de France, que la police a tiré.
C’est notre liberté aussi qu’en ce jour du 14 juillet, on a voulu
assassiner46. »
Et la chape de plomb qui a suivi n’a fait qu’aggraver le crime…
Aujourd’hui, il me paraît nécessaire que ce massacre soit reconnu comme
crime d’État, comme l’ont été ceux du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962.
J’espère que ce livre contribuera à faire sortir de l’oubli cette page peu
glorieuse de notre histoire, afin de restaurer la mémoire de ces sept tués, des
nombreux blessés, et la transmission à leur descendance. C’est à eux que je
dédie ce livre. Puisse-t-il contribuer à la reconnaissance de ce drame, aussi
bien en France qu’en Algérie.
Une première étape importante de cette réhabilitation a déjà eu lieu le
31 janvier 2017. Le Conseil de Paris, sur proposition de Nicolas Bonnet
Oulaldj, président du groupe communiste de la mairie de Paris, a décidé
d’apposer une plaque commémorative place de la Nation à la mémoire des
victimes de cette répression du 14 juillet 1953.

Notes du chapitre 12

a. Une fausse « information » d’une partie de la presse algérienne actuelle, qui efface au passage
la mort de Maurice Lurot…
b. Allusion à la politique conduite par le pouvoir algérien dans les années 2000 pour effacer les
crimes commis par les forces de sécurité et les groupes armés se réclamant de l’islam lors de la
guerre civile des années 1990 (voir Salima MELLAH, « La face cachée de la “réconciliation
nationale” », Algeria-Watch, 24 décembre 2015, <ur1.ca/qbvux>).
c. Allusion à l’attentat spectaculaire du FLN contre le dépôt de carburants de Mourepiane, près de
Marseille, le 25 août 1958.
d. Cela se terminera le 7 mai 1954 par une défaite retentissante de l’armée française devant les
troupes du général Vo Nguyên Giap et accélérera la fin de la guerre d’Indochine, le 20 juillet 1954.
Conclusion
Repenser le rôle de la France coloniale

À l’issue de ce récit douloureux, je voudrais dire, très simplement, ce


qui m’a animé dans cette entreprise. Je n’ai jamais eu, en effet, l’intention
d’écrire un livre. J’ai toujours eu des difficultés avec l’écrit – c’est sans
doute la raison pour laquelle je suis devenu un homme de l’image. Écrire un
livre, cela n’était jamais entré dans mon esprit. Mais, en écrivant ces lignes,
je dois dire que je suis heureux d’avoir clos mon enquête et d’avoir
contribué par mon film et par ce livre à un retour de mémoire.
Je suis parti à la recherche des survivants. Ceux que j’ai pu retrouver
étaient tous âgés, mais avaient gardé le plus souvent une mémoire intacte du
drame et des traumatismes subis. Ils m’ont ouvert leur porte naturellement,
avec chaleur et simplicité. J’étais le bienvenu, à leur écoute, et des liens
humains se sont tissés. Ces personnes et leurs descendants ont placé leur
espoir dans mon travail et m’en ont fait le dépositaire.
Je n’ai pas cherché à orienter mon travail dans un esprit de
culpabilisation ou de « repentance ». J’ai seulement voulu rendre hommage
à toutes ces personnes tuées sans justice, à tous ces blessés qui n’ont jamais
eu de reconnaissance. Et dire aussi que ce massacre est le symbole même de
la négation de notre devise républicaine : les raisons de ma démarche
résident là. D’autant plus qu’en 1953, il n’y avait pas de guerre en Algérie
(elle a commencé le 1er novembre 1954, sans être d’ailleurs reconnue
comme telle par l’État). Il n’y avait donc aucune « justification » officielle
pour tuer des gens qui défilaient pacifiquement. Et il n’y avait même pas
d’incitation à « tirer dans le tas », à la différence de ce qui adviendra huit
ans plus tard, le 2 octobre 1961, quand le préfet de police Maurice Papon
s’adressera aux policiers parisiens lors des obsèques du brigadier-chef
Demoën, en délivrant de facto un « permis de tuer » illégal : « Pour un coup
donné, nous en porterons dix1 » ; ou encore : « Vous êtes en état de guerre,
les coups il faut les rendre. […] Tirez les premiers, vous serez couverts, je
vous en donne ma parole2. » Ce que l’avocat de Papon, Jean-Marc Varaut,
justifiera à sa manière en 1999 au cours du procès qu’il avait intenté contre
Jean-Luc Einaudi : « Mais nous étions en pleine guerre d’Algérie. Le FLN,
c’était notre ennemi et ceux qui prônaient la paix leurs alliés3. »
Le 14 juillet 1953, il n’y avait rien de tout cela. Et pourtant, on a compté
sept morts et au moins cinquante blessés par balle en l’espace de vingt
minutes. Un vrai carnage ! Ce drame confirme aussi que dans la tête de
nombre de nos contemporains, un individu n’a pas la même humanité, la
même valeur qu’un autre. Il nous questionne sur notre rapport à l’autre, à
celui qui n’est pas comme nous ou qui fait partie d’une minorité… Cette
question est hélas toujours d’une brûlante actualité et nous oblige à réfléchir
au rôle de la France coloniale et à la colonisation en général.
Enfin, cette histoire est importante symboliquement, parce qu’elle s’est
déroulée un 14 Juillet, jour de la fête nationale où la devise de la
République, « Liberté, Égalité, Fraternité » a été tachée de sang – comme le
pleure, dès le 22 juillet, le poète algérien Jean Sénac dans le poème que je
reproduis ci-après. Ce jour-là : pas de liberté, car on a tué en plein jour sans
sommation dans une manifestation pacifique ; pas d’égalité, car la justice
n’a pas été rendue mais remplacée par une manipulation de l’État ; pas de
fraternité, car il y eut peu d’entraide et aucune reconnaissance officielle du
sort tragique des victimes. Ces morts et ces blessés du 14 juillet 1953 nous
rappellent qu’il ne suffit pas de clamer les belles valeurs de notre
République : nous devons les faire vivre dans notre quotidien.

Jean Sénac, « Les massacres de juillet4 »


Pour la fête des hommes libres,
Ils ont massacré mes amis.
Peau brune sur les pavés gris.
Ô Paris comme tu es triste !
Triste et sévère pour ma race.

Voici l’arbre sans racine,


Voici l’écorce frappée,
La fleur fermée, le fruit brûlé
Et ton grand soleil humide
Liberté.

Fallait-il fuir l’injustice,


La plaie ouverte dans le douar,
Le soleil et la faim d’Alger et de Tunis
Pour la liberté de Rochechouart ?

Ô mon peuple trompé !


Frustré, jeté dans l’ombre ;
Mon peuple saccagé dans son tranquille espoir,
Violent, naïf, mon peuple d’hommes
Qui perd le cœur, la mer, et qui trouve le noir.

Il faut rester debout tandis qu’on te déchire,


Droit dans les néons puisque l’on t’avilit,
Ce goût de laurier-rose et ce sang qui sourit,
C’est la liberté froide de Paris.

Tu la ramèneras comme une pure abeille,


Elle fera le jour dans la chaux des maisons,
Elle écrira pour tous la paix sur les saisons,
Ô fraîche ! Ô compagne joyeuse !
Cet été la mort est notre salaire,
Notre pain, notre dignité :
Camarades, la mort est sous vos paupières
Le matin juste de Juillet.
Ils ont massacré mes amis,
Ils ont relevé leur Bastille,
Ils ont fusillé la flamme et le cri.
Ô Paris ! Comme tu es triste !
Le sang cacté couvre la Seine,
Paris de la Beauté, de la Justice, de la Peine,
Comme tu es triste et sévère pour les exilés.
Notes

Notes de l’introduction
1. Daniel KUPFERSTEIN, Mourir à Charonne, pourquoi ?, 2009, <ur1.ca/pwm2s>.
2. « L’Organisation armée secrète est une organisation politico-militaire clandestine française,
créée le 11 février 1961 pour la défense de l’Algérie française par tous les moyens, y compris le
terrorisme » (source : article « Organisation armée secrète » de Wikipédia en français).
3. Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet sanglant, Agnès Viénot, Paris, 2003.

Notes du chapitre 1
1. Danielle TARTAKOWSKY, Les Manifestations de rue en France, 1918-1968, Publications de
la Sorbonne, Paris, 1997.
2. Ethel et Julius Rosenberg, accusés en 1950 d’avoir donné les plans de la bombe atomique à
l’URSS, avaient été condamnés à la chaise électrique et exécutés le 19 juin 1953.
3. Henri Martin, marin et militant communiste, avait été condamné en 1950 à cinq ans de prison
pour avoir distribué des tracts contre la guerre d’Indochine au sein de l’arsenal de Toulon, et était
incarcéré depuis lors.
4. Alain Le Léap, secrétaire général de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires de la
CGT, accusé de « complot contre la sûreté intérieure de l’État » à la suite des manifestations de
mai 1952 contre la venue à Paris du général américain Matthew Ridgway, était détenu depuis
octobre 1952 (voir infra, chapitre 8).
5. Danielle TARTAKOWSKY, Les Manifestations de rue en France, 1918-1968, op. cit.
6. Entretien de l’auteur avec Jean Laurans, Paris, novembre 2012.
7. Entretien de l’auteur avec Marc Fraisse, Capendu (Aude), août 2013.
8. Entretien de l’auteur avec Bernard Morin, Paris, 2010.
9. POLICE MUNICIPALE, « Main courante spéciale », 14 juillet 1953 (Archives de la Préfecture
de police de Paris, série HE8 – référence notée par la suite : APPP/HE8).
10. L’Humanité, 18 juillet 1953 (témoignage cité par Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet
sanglant, op. cit.).
11. Commissaire principal FERRAT, « Rapport au commissaire divisionnaire Danty », 14 juillet
1953 (APPP/HE8).
12. Témoignage de l’officier de paix Gaston Thiénard, 23 juillet 1953 (APPP/HE8).
13. L’Algérie libre, journal du MTLD, 24 juillet 1953.
14. Cité par Jacques SIMON, Paris 1953. Un 14 Juillet rouge de sang algérien, L’Harmattan,
Paris, 2015.
15. Échange de courriels entre Daho Djerbal et l’auteur en 2014.
16. Jacques JURQUET, Algérie 1945-1954. Des élections à la lutte armée, Éditions du
Centenaire, Paris, 1984.
17. Les leaders, respectivement, du PPA-MTLD algérien et du Néo-Destour tunisien, tous deux
arrêtés par les autorités françaises en 1952.
18. Entretien de l’auteur avec Mohamed Zalegh, Sartrouville, 2012.
19. Entretien de l’auteur avec Mohamed Hachem, Ghazaouet, 2012.
20. Entretien de l’auteur avec Ali Slimi, Alger, 2012.
21. Entretien de l’auteur avec Mohamed Toumouh, Oran, 2012.
22. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
23. Sa mère, Émilie Busquant (1901-1953), est née en Lorraine.
24. Jacques Duclos (1896-1975) est alors le secrétaire général par intérim du PCF ; Marcel Cachin
(1869-1958), était l’un des fondateurs du Parti.
25. Entretien de l’auteur avec Djanina Messali-Benkelfat, Paris, 2010.
26. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, Nouveau
Monde, Paris, 2011.
27. Lequel deviendra en 1977 « Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ».
28. Entretien de l’auteur avec Charles Palant, Paris, 2013.

Notes du chapitre 2
1. Tract de la cellule communiste du quartier Val-de-Grâce (APPP/HE8).
2. Ibid.
3. L’Humanité, 15 juillet 1953.
4. Libération, 15 juillet 1953.
5. Déposition de Christiane Bonnefoy, cour d’appel, 1er février 1956 (Archives de la Seine,
no 1348 W17).
6. Entretien de l’auteur avec Pierre Puchault, Paris, 2011.
7. Entretien de l’auteur avec André Sénik, Paris, 2011.
8. Entretien de l’auteur avec Khelifa Mouterfi, Paris, 2011.
9. Entretien de l’auteur avec Ibrahim Jaffer, Béjaïa, 2012.
10. Entretien de l’auteur avec Ali Slimi, Alger, 2012.
11. Entretien de l’auteur avec Marc Fraisse, Capendu, 2013.
12. Entretien de l’auteur avec Jean Laurans, Paris, 2012.
13. Entretien de l’auteur avec Mohamed Benyacine, Ghazaouet, 2012.
14. Entretien de l’auteur avec Lalhou Tala-Ighil, Alger, 2012.
15. Entretien de l’auteur avec Chérif Darkrim, Marsat Ben M’Hidi, 2012.
16. Entretien de l’auteur avec Abdelhamid Mokrani et Kazem Vadiei, Paris, 2013.
17. Déposition de Bernard Lapierre, cour d’appel, juillet 1953 (Archives de la Seine, no 1348
W17).
18. Entretien de l’auteur avec Joseph Zlotnik, Yerres, 2014.
19. Entretien de l’auteur avec Djanina Messali-Benkelfat, Paris, 2010.
20. Entretien de l’auteur avec Roland Blotnik, Paris, 2010.
21. « Rapport du directeur des services de la police municipale au préfet », 14 juillet 1953
(APPP/HE8).
22. Commissaire MARTHA, « Rapport au commissaire divisionnaire Fouillard », 14 juillet 1953
(APPP/HE8).
23. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
24. Entretien de l’auteur avec Robert Rodier, Ardèche, 2013.
25. Déposition d’André Sallès, cour d’appel, juillet 1953 (Archives de la Seine, no 1348 W17).
26. Liste des policiers blessés, cour d’appel (Archives de la Seine, no 1348 W17).
27. Entretien de l’auteur avec Robert Rodier, Ardèche, 2013.
28. Entretien de l’auteur avec André Brandého, Saône-et-Loire, 2013.
29. L’Aurore, 16 juillet 1953.

Notes du chapitre 3
1. Entretien de l’auteur avec Saïd Gater, Montfermeil, 2012.
2. Entretien de l’auteur avec Ibrahim Jaffer, Bejaïa, 2012.
3. Entretien de l’auteur avec Saïd Illoul, Boukhalfa, 2012.
4. Entretien de l’auteur avec Sahnoun Boubekeur, Aïn Sefra, 2012.
5. Entretien de l’auteur avec Ali Madjène, Chréa, 2012.
6. Note de service 99-53, 11 juillet 1953 (citée par Emmanuel BLANCHARD, La Police
parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.).
7. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
8. Ibid.
9. Déposition d’André Sallès, cour d’appel, juillet 1953 (Archives de la Seine, no 1348 W17).
10. Dépositions de Marcel Tourte, Jules Chatelard et Charles Loppin, cour d’appel, ibid.
11. Déposition de Marius Schmitt, cour d’appel, ibid.
12. Déposition d’Henri Choquart, cour d’appel, ibid.
13. Déposition de Pierre Gourgues, cour d’appel, ibid.
14. Entretien de l’auteur avec Robert Rodier, Ardèche, 2013.
15. Entretien de l’auteur avec Medjoub B., Alger, 2012.
16. Entretien de l’auteur avec Saïd Gater, Montfermeil, 2012.
17. Entretien de l’auteur avec Mohamed Zalegh, Sartrouville, 2012.
18. Entretien de l’auteur avec Mohamed Saïd Oudelka, Tifra, 2012.
19. Interpellation du gouvernement par le député d’Astier de la Vigerie, Assemblée nationale,
16 juillet 1953, <ur1.ca/pzai7>.
20. Entretien de l’auteur avec Djanina Messali-Benkelfat, Paris, 2010.
21. Entretien de l’auteur avec André Brandého, Saône-et-Loire, 2013.
22. Déposition du gardien Jean Bourcier, cour d’appel, juillet 1953 (Archives de la Seine, no 1348
W17).
23. Déposition de Mohamed Salah Guerroutte, cour d’appel, 1954 (Archives de la Seine no 1348
W17).
24. Déposition de Saïl Lakdar, cour d’appel, 1953 (Archives de la Seine no 1348 W17).
25. Entretien de l’auteur avec Marc Fraisse, Capendu, 2013.
26. Déclaration d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie à l’Assemblée nationale, 16 juillet 1953.
27. Entretien de l’auteur avec Danielle Tartakowsky, Paris, 2013.
28. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.

Notes du chapitre 4
1. Entretien de l’auteur avec Charles Palant, Paris, 2013.
2. Entretien de l’auteur avec Abdelhamid Mokrani, Paris, 2013.
3. Entretien de l’auteur avec Kazem Vadiei, Paris, 2013.
4. Alain Krivine, dirigeant de la Ligue communiste (trotskiste) en 1969, puis de la Ligue
communiste révolutionnaire en 1974.
5. Entretien de l’auteur avec Jean Laurans, Paris, 2012.
6. Entretien de l’auteur avec Mohamed Hachem, Ghazaouet, 2012.
7. Entretien de l’auteur avec Benfeldja Laouedj, Ghazaouet, 2012.
8. Entretien de l’auteur avec Lalhou Tala-Ighil, Alger, 2012.
9. Entretien de l’auteur avec Mohamed Benyacine, Ghazaouet, 2012.
10. L’Humanité, 17 juillet 1953 ; et Avant-Garde, journal de l’UJRF, no 451, 22-29 juillet 1953.
11. Entretien de l’auteur avec Joseph Zlotnik, Yerres, 2014.
12. Entretien de l’auteur avec Marinette Zlotnik, Yerres, 2014.
13. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
14. L’Aurore, 15 juillet 1953.
15. Paris-Presse-L’Intransigeant, 15-16 juillet 1953.
16. Ibid.
17. Le Figaro, 15 juillet 1953.
18. Louis GABRIEL-ROBINET, Le Figaro, 16 juillet 1953.
19. Le Monde, 16 juillet 1953.
20. Le Populaire, 16 juillet 1953 (cité par Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet sanglant, op.
cit.).
21. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
22. L’Humanité, 15 juillet 1953.
23. Libération, 20 juillet 1953.
24. Libération, 16 juillet 1953.
25. La Vie ouvrière, 22-28 juillet 1953.
26. La Vie ouvrière, 29 juillet-4 août 1953.
27. L’Algérie libre, no 72, 24 juillet 1953.

Notes du chapitre 5
1. Le Monde, 16 juillet 1953.
2. L’Aurore, 16 juillet 1953.
3. Commissaire BONDAIS, « Rapport au commissaire divisionnaire Fouillard », 14 juillet 1953
(APPP/HE8).
4. Commissaire GIRAUD, « Rapport au commissaire divisionnaire Fouillard », 14 juillet 1953
(APPP/HE8).
5. Commissaire ROBIC, « Rapport au commissaire divisionnaire Fouillard », 14 juillet 1953
(APPP/HE8).
6. Commissaire divisionnaire FOUILLARD, « Rapport au directeur adjoint de la police
municipale » 14 juillet 1953 (APPP/HE8).
7. Directeur des services de la police municipale, « Rapport au préfet », 14 juillet 1953
(APPP/HE8).
8. Commissaire « spécial mobile » (M. Bondais), « Rapport au directeur de la police
municipale », 18 juillet 1953 (APPP/HE8).
9. « Rapport des gradés de la Brigade de contrôle au directeur des services », 18 juillet 1953
(APPP/HE8).
10. Toutes les dépositions des gardiens figurent dans le dossier d’instruction, cour d’appel, 1953
(Archives de la Seine, no 1348 W17).
11. APPP/HE8.
12. Entretien de l’auteur avec Danielle Tartakowsky, Paris, 2013.
13. Ibid.
14. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
15. Entretien de l’auteur avec Maurice Rajsfus, Cachan, 2011.
16. ASSEMBLÉE NATIONALE, « Séance no 99 du 16 juillet 1953 », Journal officiel, no 58,
17 juillet 1953, p. 3515, <ur1.ca/pzai7>.
17. Il s’agit de Larbi Daoui (vingt-sept ans). Manœuvre et domestique, il était loin d’être un
militant des supposées « troupes de choc » [NdA].
18. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
19. Le Monde, 16 juillet 1953.
20. Commissaire divisionnaire FOUILLARD, « Rapport à l’attention de M. André Gaubiac,
directeur adjoint de la police municipale », 14 juillet 1953.
21. Le Monde, 19-20 juillet 1953.
22. Dossier d’instruction, cour d’appel, 1953 (Archives de la Seine, no 1348 W17).
23. Ibid. ; et « Rapport de la police municipale », juillet 1953 (APPP/HE8).
24. Le Parisien libéré, 15 juillet 1953.
25. Ibid.
26. Commissaire André BONDAIS, « Rapport complémentaire au directeur général de la police
municipale », 14 juillet 1953 (APPP/HE8).
27. Cité par Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
28. Entretien de l’auteur avec Djanina Messali-Benkelfat, Paris, 2010.
29. Commissaire divisionnaire GÉRARD (4e district), « Rapport au directeur général de la police
municipale », 24 juillet 1953 (APPP/HE8).

Notes du chapitre 6
1. L’Humanité, 16, 17 et 18 juillet 1953.
2. POLICE MUNICIPALE, « Main courante spéciale », 14 juillet 1953 (APPP/HE8).
3. Organisation fondée par des militants de la Jeunesse ouvrière chrétienne en 1935.
4. Cité par Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet sanglant, op. cit.
5. L’Humanité, 16 juillet 1953.
6. La Vie ouvrière, 22-28 juillet 1953 ; L’Humanité, 16, 17, 18 et 20 juillet 1953.
7. L’Humanité, 21 juillet 1953.
8. Entretien de l’auteur avec Charles Palant, Paris, 2013.
9. L’Algérie libre, numéro spécial 29 juillet 1953 ; et L’Humanité, 22 juillet 1953.
10. Entretien de l’auteur avec Souali Boukhari, Maghnia, 2012.
11. L’Humanité, 22 juillet 1953.
12. Entretien de l’auteur avec Mustapha Bacha, Bahalil (Ivahlal), 2012.
13. L’Humanité, 23 juillet 1953 ; et Jacques SIMON, Paris 1953. Un 14 Juillet rouge de sang
algérien, op. cit.
14. L’Humanité, 23, 24 et 25 juillet 1953.
15. APPP/HE8.
16. L’Humanité, 23 juillet 1953.
17. L’Humanité et L’Ardennais, 16 juillet 1953.
18. Entretien de l’auteur avec Maurice Lurot, Pézenas, 2011.
19. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
20. L’Humanité, 25 juillet 1953 ; et Alger républicain, 25 juillet 1953.
21. Entretien de l’auteur avec Charles Guillaumin, Paris, 2010.
22. L’Humanité, 25 juillet 1953.

Notes du chapitre 7
1. Alger républicain, 18 juillet 1953.
2. Algérie libre, 24 juillet 1953.
3. Entretien de l’auteur avec Mohamed Saïd Oudelka, Tifra, 2012.
4. Entretien de l’auteur avec Amar Bentoumi, Alger, 2012.
5. Algérie libre, 24 juillet 1953.
6. Entretien de l’auteur avec Sadek Hadjerès, Malakoff, 2012.
7. Alger républicain dimanche, 26 juillet 1953.
8. Larbi Oulebsir restera fidèle à Messali et sera tué mystérieusement en juillet 1955 au Maroc.
9. D’après Alger républicain, 26 juillet 1953, il s’agit de M. Vincent, représentant le comité de
soutien.
10. Entretien de l’auteur avec Sadek Hadjerès, Malakoff, 2012.
11. Entretien de l‘auteur avec Saïd Sahali, Bahalil (Ivahlal) 2012.
12. Entretien de l’auteur avec Tahar Reaâche, Chréa, 2012.
13. L’Algérie libre, no 73, 31 juillet 1953 ; et Alger républicain, 28 juillet 1953.
14. Entretien de l’auteur avec Ali Madjène, Chréa, 2012.
15. L’Algérie libre, no 73, 31 juillet 1953.
16. Entretien de l’auteur avec Arezki Tadjadit, Tifra, 2012.
17. Entretien de l’auteur avec Lounès Tadjadit, Tifra, 2012.
18. Entretien de l’auteur avec Abdelatif Draris, Adjaïdja, 2012.
19. L’Algérie libre, no 73, 31 juillet 1953 ; et Alger républicain, 26 juillet 1953.
20. Entretien de l’auteur avec Abdelkader Draris, Adjaïdja, 2012.
21. Entretien de l’auteur avec Rhama Draris et ses deux enfants, Kader et Jaïl, Aubervilliers,
2012.
22. Ibid.
23. Alger républicain, 25-26 septembre 1953.
24. Entretien de l’auteur avec Baya Illoul, Boukhalfa, 2012.
25. Entretien de l’auteur avec Saïd Illoul, Boukhalfa, 2012.
26. Entretien de l’auteur avec Khira Illoul, Boukhalfa, 2012.
27. Entretien de l’auteur avec Larbi Mahiout, Boukhalfa, 2012.
28. Entretien de l’auteur avec Chérif Rabah, Boukhalfa, 2012.
29. Voir à ce sujet la page d’un forum d’habitants d’Aïn Sefra (2009-2014), consacrée à Larbi
Daoui : <ur1.ca/q2547>.
30. Entretien de l’auteur avec Boualem Boudaoud, Aïn Sefra, 2012.
31. Entretien de l’auteur avec Ahmed Boutrad, Tiout, 2012.
32. Entretien de l’auteur avec Ahmed Boudaoud, Aïn Sefra, 2012.

Notes du chapitre 8
1. Voir notamment André FONTAINE, La Guerre froide, 1917-1991, Seuil, coll. « Points
Histoire », Paris, 2004 ; et Stanislas JEANNESSON, La Guerre froide, La Découverte, coll.
« Repères », Paris, 2014.
2. Le 10 juin 1944, 642 personnes ont été assassinées par les soldats de la division Das Reich dans
ce village de la Haute-Vienne.
3. Voir Jean-Marc THÉOLLEYRE, Procès d’après-guerre. « Je suis partout », René Hardy,
Oradour-sur-Glane, Oberg et Knochen, Le Monde Éditions, Paris, 1985 ; et aussi Mireille BIRET,
« Le procès de Bordeaux et ses conséquences », Canopé, 1er octobre 2010, <ur1.ca/q253x>.
4. La Société générale de presse édite un bulletin quotidien qui apporte des informations sur les
nouvelles nominations des responsables politiques, administratifs ou économiques.
5. Voir sur ce point, notamment, l’ouvrage de l’historien Yves BÉNOT, Massacres coloniaux.
1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, La Découverte, Paris, 1994.
6. Voir Annie REY-GOLDZEIGUER, Aux origines de la guerre d’Algérie. 1940-1945, de Mers-
El-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, Paris, 2001.
7. Jacques SIMON, Messali Hadj (1898-1974). La passion de l’Algérie libre, Tirésias, Paris,
1998.
8. Voir Jim HOUSE, « L’impossible contrôle d’une ville coloniale ? Casablanca,
décembre 1952 », Genèses, no 86, 2012, p. 78-103, <ur1.ca/q2ztu>.
9. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
10. Jacques SIMON, Messali Hadj (1898-1974), op. cit.
11. Benjamin STORA, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), La Découverte, Paris, 1994.
12. Mohammed HARBI, Une guerre commence en Algérie, Complexe, Bruxelles, 1984.
13. Entretien de l’auteur avec Chérif Darrim, Marsat Ben M’Hidi, 2012.
14. Entretien de l’auteur avec Souali Boukhari, Maghnia, 2012.
15. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.
16. Entretien de l’auteur avec Saïd Illoul, Boukhalfa, 2012.
17. Entretien de l’auteur avec Nordine Illoul, Boukhalfa, 2012.
18. Entretien de l’auteur avec Mohamed Hachem, Ghazaouet, 2012.
19. Entretien de l’auteur avec Baya Illoul, Boukhalfa, 2012.
20. Entretien de l’auteur avec Khira et Saïd Illoul, Boukhalfa, 2012.
21. Jacques SIMON, Paris 1953. Un 14 Juillet rouge de sang algérien, op. cit.
22. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
23. Le Monde, 18 juillet 1953.
24. Entretien de l’auteur avec Charles Palant, Paris, 2013.
25. Entretien de l’auteur avec Ibrahim Jaffer, Béjaïa, 2012.
26. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012,
27. Entretien de l’auteur avec Souali Boukhari, Maghnia, 2012.
28. Entretien de l’auteur avec Chérif Darkrim, Marsat Ben M’Hidi, 2012.
29. Entretien de l’auteur avec Mohamed Toumouh, Oran, 2012.
30. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
31. Le Problème nord-africain, Note du directeur de la police judiciaire au préfet de police,
22 novembre 1951 (APPP/HA7).
32. Rapport La Population nord-africaine de Paris et du département de la Seine, 1952
(APPP/HA7).
33. Maurice PAPON, direction générale, personnel et contentieux, « Note pour le préfet », 28 juin
1954 (APPP/HA7).
34. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.

Notes du chapitre 9
1. Jacques SIMON, Paris 1953. Un 14 Juillet rouge de sang algérien, op. cit.
2. Cité par Jacques JURQUET, Algérie 1945-1954. Des élections à la lutte armée, op. cit. ; et
Mohammed HARBI, Une guerre commence en Algérie, op. cit.
3. Gilbert MEYNIER, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, Paris, 2002, p. 65.
4. Jacques SIMON, Paris 1953. Un 14 Juillet rouge de sang algérien, op. cit. Sur ce drame, voir
aussi ces ouvrages de référence : Annie REY-GOLDZEIGUER, Aux origines de la guerre d’Algérie,
op. cit. ; et Jean-Pierre PEYROULOU, Guelma, 1945. Une subversion française dans l’Algérie
coloniale, La Découverte, Paris, 2009.
5. Le Monde, 10 mai 1945.
6. Boucif MEKHALED, Chroniques d’un massacre. 8 mai 1945, Sétif, Guelma, Kherrata, Syros,
Paris, 1995.
7. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
8. Mohamed BOUDIAF, « La préparation du 1er novembre 1954 », El Djarida, no 15, novembre-
décembre 1974, <ur1.ca/q3kws>.
9. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
10. Ibid.
11. Jacques JURQUET, Algérie 1945-1954. Des élections à la lutte armée, op. cit.
12. Mohammed HARBI, Aux origines du FLN. Le populisme révolutionnaire en Algérie,
Christian Bourgois, Paris, 1975.
13. Ibid.
14. Jacques SIMON, Messali Hadj (1898-1974), op. cit.
15. Mohammed HARBI, Aux origines du FLN, op. cit.
16. Entretien de l’auteur avec Chérif Darkrim, Marsat Ben M’Hidi, 2012.
17. Entretien de l’auteur avec Ibrahim Jaffer, Béjaïa, 2012.
18. Entretien de l’auteur avec Mohamed Toumouh, Oran, 2012.
19. Entretien de l’auteur avec Ahmed Haddanou, Alger, 2012.
20. Entretien de l’auteur avec Mohamed Hachem, Ghazaouet, 2012.
21. Entretien de l’auteur avec Mohamed Saïd Oudelka, Tifra, 2012.
22. Entretien de l’auteur avec Sahnoun Boubekeur, Aïn Sefra, 2012.
23. Entretien de l’auteur avec Amar Bentoumi, Alger, 2012.
24. Entretien de l’auteur avec Saïd Gater, Montfermeil, 2012.
25. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.
26. Entretien de l’auteur avec Madjib Touati, Alger, 2012.
27. Entretien de l’auteur avec Mohamed Zalegh, Sartrouville, 2012.
28. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
29. Ibid.
30. Entretien de l’auteur avec Charles Palant, Paris, 2013.
31. APPP/HA32.
32. APPP/HA29.
33. APPP/HA25.
34. APPP/HA7.
35. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
36. Ibid.
37. Ibid.
38. Alger républicain, 9-10 décembre 1951.
39. L’Algérie libre, no 48, 10 mai 1952.
40. L’Humanité, 3 mai 1952.
41. Mohammed HARBI, Aux origines du FLN, op. cit.
42. Libération, 15 mai ; Alger républicain, 15-16 mai 1952.
43. Alger républicain, 20 mai 1952.
44. Alger républicain, 24 mai 1952.
45. Libération, 19 mai 1952.
46. L’Humanité, 18-23 mai 1952.
47. Jacques SIMON, Messali Hadj (1898-1974), op. cit.
48. L’Humanité, 24 mai 1952 ; Libération, 26 mai 1952.
49. Entretien de l’auteur avec Danielle Tartakowsky, Paris, 2013.
50. Libération, 24 mai 1952.
51. La République, 24 mai 1952.
52. La République, 27 mai 1952.
53. Le Havre, 24 et 25 mai 1952.
54. L’Humanité, 28 mai 1952 ; Alger républicain, 31 mai 1952.
55. Algérie libre, no 49, 15 juin 1952.
56. L’Ardennais, 24 mai 1952.
57. L’Ardennais, 26 mai 1952.
58. L’Algérien en France, no 24, juin 1952.
59. Entretien de l’auteur avec Areski Ziani, Alger, 2012.
60. L’Humanité, 3 mai 1953.
61. L’Algérie libre, no 67, mai 1953.
62. Libération, 2 mai 1953.
63. Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet sanglant, op. cit.
Notes du chapitre 10
1. Cité par Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet sanglant, op. cit.
2. Dossier d’instruction, cour d’appel (Archives de la Seine, no 1348 W17).
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Ibid.
7. Entretien de l’auteur avec Robert Rodier, Ardèche, 2013.
8. Entretien de l’auteur avec André Brandého, Saône-et-Loire, 2013.
9. Claude ANGELI et Paul GILLET, La Police dans la politique (1944-1954), Grasset, Paris,
1967.
10. Deuxième déposition de Joseph Zlotnik, 28 octobre 1955 (dossier d’instruction, cour d’appel).
11. Extrait de l’arrêt de la cour d’appel, 23 janvier 1958 (dossier d’instruction, cour d’appel).
12. Entretien de l’auteur avec Joseph Zlotnik, Yerres, 2014
13. Deuxième déposition de Louis Cozilis, 14 janvier 1955 (dossier d’instruction, cour d’appel).
14. Entretien de l’auteur avec Joseph Zlotnik, Yerres, 2014. Quand je l’ai rencontré, Joseph
Zlotnik n’avait malheureusement conservé aucun document de l’époque. Quant à l’avocat qui l’avait
défendu, Charles Lederman (1913-1998), il était décédé et je n’ai pu retrouver la trace de ce
jugement.
15. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
16. Entretien de l’auteur avec Maurice Lurot, Pézenas, 2011.
17. Ibid.

Notes du chapitre 11
1. Minutes de la manifestation (APPP/HE8).
2. Entretien de l’auteur avec Mohamed Toumouh, Oran, 2012.
3. Alger républicain, 1er septembre 1953.
4. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
5. Entretien de l’auteur avec Bernard Morin, Paris, 2010.
6. Ibid.
7. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
8. L’Aurore, 15 juillet 1953.
9. Le Figaro, 27 juillet 1953.
10. Paris Presse-L’Intransigeant, 21-27 juillet 1953.
11. Le Monde, 21 juillet 1953.
12. Libération, 28 juillet 1953.
13. Rapport de Jean Schira transmis au directeur général de la police municipale, 23 juillet 1953
(APPP/HE8).
14. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
15. Le Monde, 22 juillet 1953.
16. L’Aurore, 27 juillet 1953.
17. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
18. Libération, 20 juillet 1953.
19. Cherif DJEMAD, Alger républicain, 8 août 1953.
20. Entretien de l’auteur avec Danielle Tartakowsky, Paris, 2013.
21. Ibid.
22. L’Algérie libre, no 73, 31 juillet 1953.
23. Cité par Jacques SIMON, Messali Hadj (1898-1974), op. cit.
24. Mohammed HARBI, Aux origines du FLN, op. cit.
25. Entretien de l’auteur avec Amar Bentoumi, Alger, 2012.
26. Mohamed BOUDIAF, « La préparation du 1er novembre 1954 », loc. cit.
27. Jacques SIMON, Messali Hadj (1898-1974), op. cit.
28. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.
29. Entretien de l’auteur avec Ahmed Haddanou, Alger, 2012.
30. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.
31. Entretien de l’auteur avec Djanina Messali-Benkelfat, Paris, 2010.
32. Entretien de l’auteur avec Youcef Tala-Ighil. Alger, 2012.
33. Discours de François Mitterrand cité par Benjamin STORA et François MALYE, François
Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, Paris, 2010 ; et par Sylvie THÉNAULT, Algérie,
des « événements » à la guerre, Le Cavalier bleu, Paris, 2012.
34. Entretien de l’auteur avec Chérif Darkrim, Marsat Ben M’hidi, 2012.
35. Entretien de l’auteur avec Souali Boukhari, Maghnia, 2012.
36. Entretien de l’auteur avec Sadek Hadjerès, Malakoff, 2012.
37. Entretien de l’auteur avec Lalhou Tala-Ighil, Alger, 2012.
38. Voir Chems ED DIN, L’Affaire Bellounis. Histoire d’un général fellagha, L’Aube, La Tour
d’Aigues, 1998.
39. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
40. Le Monde, 20 mars 1962 (cité par Mohammed HARBI, Le FLN, mirage et réalité. Des
origines à la prise du pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, Paris, 1980).
41. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.
42. Entretien de l’auteur avec Ali Slimi, Alger, 2012.
43. Entretien de l’auteur avec Mohamed Zalegh, Sartrouville, 2012.
44. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.

Notes du chapitre 12
1. Sur les circonstances dramatiques de l’indépendance algérienne de l’été 1962, voir notamment
l’ouvrage de l’historien algérien Amar MOHAND-AMER, La Crise de l’été 1962 au sein du FLN,
Barzakh, Alger, 2012.
2. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
3. Mohammed HARBI, Aux origines du FLN, op. cit.
4. Entretien de l’auteur avec Saïd Gater, Montfermeil, 2012.
5. Entretien de l’auteur avec Youcef Tala-Ighil, Alger, 2012.
6. Entretien de l’auteur avec Mohamed Toumouh, Oran, 2012.
7. Entretien de l’auteur avec Mustapha Bacha, Bahalil, 2012.
8. Entretien de l’auteur avec Rhama Draris, Aubervilliers, 201.
9. Entretien de l’auteur avec Ali Madjène, Chréa, 2012.
10. Entretien de l’auteur avec Nordine Illoul, Boukhalfa, 2012.
11. Entretien de l’auteur avec Saïd Illoul, Boukhalfa, 2012.
12. Entretien de l’auteur avec Ibrahim Jaffer, Béjaïa, 2012.
13. Entretien de l’auteur avec Boualem Boudaoud, Aïn Sefra, 2012.
14. Entretien de l’auteur avec Lounès Tadjadit, Tifra, 2012.
15. Le Soir d’Algérie, 17 juillet 2006.
16. « Il y a soixante-trois ans, le 14 juillet 1953, un massacre d’Algériens se déroulait à Paris »,
Algérie républicain, 17 juillet 2016, <ur1.ca/qbvp0>.
17. Entretien de l’auteur avec Djanina Benkelfat-Messali, Paris, 2010.
18. Entretien de l’auteur avec Abdou Toumouh, Oran, 2012.
19. Entretien de l’auteur avec Mohamed Toumouh, Oran, 2012.
20. Entretien de l’auteur avec Mohamed Mebarki, Ghazaouet, 2012.
21. Entretien de l’auteur avec Mohand Kettar, Alger, 2012.
22. Le Monde, 22 juillet 1953.
23. L’Humanité, 30 juillet 1953.
24. La Vie ouvrière, 12-18 août et 19-25 août 1953.
25. Entretien de l’auteur avec Emmanuel Blanchard, Nanterre, 2013.
26. Entretien de l’auteur avec Charles Guillaumin, Paris, 2010.
27. Voir l’article « 1953 », <fr.wikipedia.org>.
28. Auguste LECŒUR, L’Humanité, 10 février 1953.
29. Entretien de l’auteur avec Danielle Tartakowsky, Paris, 2013.
30. Entretien de l’auteur avec Maurice Lurot, Pézenas, 2011.
31. Jacques DUCLOS, Mémoires, tome 5, Fayard, Paris, 1972, p. 115.
32. Jean-Luc EINAUDI, La Bataille de Paris, 17 octobre 1961, Seuil, Paris, 1991.
33. Guy LUROT, courrier des lecteurs de L’Humanité, 21 septembre 1995.
34. Entretien de l’auteur avec Maurice Lurot, Pézenas, 2011.
35. Entretien de l’auteur avec Maurice Rajsfus, Cachan, 2011.
36. Guide du militant de la métallurgie, no 291, octobre 2002.
37. Jaques MOREL, Calendrier des crimes de la France outre-mer, 11 avril 2005,
<ur1.ca/qc5cu>.
38. Voir « À quoi ressemblait la guerre d’Algérie à Paris ? », Le Monde, 8 décembre 2012,
<ur1.ca/bwvje>.
39. Entretien de l’auteur avec Marc Fraisse, Capendu, 2013.
40. Entretien de l’auteur avec Jean Laurans, Paris, 2012.
41. Guide du militant de la métallurgie, no 291, op. cit.
42. Maurice RAJSFUS, 1953, un 14 Juillet sanglant, op. cit.
43. Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.
44. Benjamin STORA, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), op. cit.
45. Le Monde, 19-20 juillet 1953.
46. L’Humanité, 17 juillet 1953.

Notes de la conclusion
1. Cité par Jean-Luc EINAUDI, La Bataille de Paris, op. cit.
2. Rapport, Conseil syndical des gardiens, Syndicat général de la police, 3 octobre 1961 (cité par
Emmanuel BLANCHARD, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962, op. cit.).
3. Cité dans mon film 17 octobre 1961, la dissimulation d’un massacre, 2001.
4. Jean SÉNAC, « Matinale de mon peuple », Alger, 22 juillet 1953.
Index

ABANE, Ramdane 1
ABBAS, Cheikh (Abbas Bencheikh El-Hocine, dit) 1
ABBAS, Ferhat 1
ABD EL-KADER (émir) 1
ABDELKADER, Hadj Ali 1
ABDELKADER (imam) 1
ACHIARY, André 1
AÏT-AHMED, Hocine 1, 2, 3, 4
AÏT-AHMED, Mohand 1, 2
AÏT IDIR, Mohand 1
AÏT-KELIFA, Ahmed 1
ALBERTINI, Georges 1
ALLACHE, Hocine 1, 2
ALLAOUCHICHE, Baya 1
ALLEG, Henri 1, 2, 3, 4
AMMOUR, Mohand Chérif 1
ANDRÉ, Alphonse (gardien) 1, 2, 3, 4
ANGELI, Claude 1, 2
ARABI, Rachid 1
ARMANET, Maurice 1
AROUÉS, Amar 1, 2
ASSELAH, Hocine 1, 2
ASTIER DE LA VIGERIE (D’), Emmanuel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
ATTAB, Lalem 1
AUBRAC, Lucie 1
AUBRÉE, René (gardien) 1
AURIOL, Vincent 1, 2, 3
AUVÉ, Gérard (gardien) 1
AYACHE, Mohamed 1
AZZAM, Abdul Rahman Hassan (dit Azzam Pacha) 1, 2

BACHA, Abdallah 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12


BACHA, Mahmoud 1
BACHA, Mustapha 1, 2, 3, 4
BACHEVICI (Mme) 1
BACHIR HADJ, Ali 1, 2
BAILLOT, Louis 1, 2, 3
BALZAC (DE), Honoré 1
BARACHE, Hocine 1
BARAS, Ambroise (gardien) 1, 2
BARREAU, Henri 1, 2
BARTAOUI, Mohamed 1
BAURÈS, Guy 1, 2, 3, 4, 5
BAYLOT, Jean 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
BEKHTI, Mohamed 1
BELAÏD, Hocine 1, 2, 3, 4
BELHADJ, Djilali 1
BELKACEM, Boualem 1, 2
BELKACEM, Grine 1
BELLOUNIS, Mohammed 1, 2
BELLOUTI, Abdelkader 1
BELOUIZDAD, Mohamed 1, 2
BEN ARAFA, Mohammed 1
BEN BELLA, Ahmed 1, 2, 3, 4, 5, 6
BEN BOULAÏD, Mostefa 1
BENCHÉRIF, Ahmed 1
BENHAÏM, Fernand 1
BENKABA, Mohamed 1
BENKHEDDA, Benyoucef 1, 2, 3
BEN M’HIDI, Larbi 1, 2, 3
BENNATOU, Lalhou 1
BÉNOT, Yves 1
BEN SALAH, Mohamed 1
BENTOUMI, Amar 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
BENYACINE, Mohamed 1, 2, 3, 4, 5
BEN YOUSSEF, Sidi Mohammed (Mohammed V) 1
BERIA, Lavrenti 1, 2
BESNIER, Louis 1
BIHOREL, Paul Marcel (gardien) 1
BILLOUX, François 1
BIRET, Mireille 1
BITAT, Rabah 1
BLANCHARD, Emmanuel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62,
63
BLOTNIK, Roland 1, 2
BLUMEL, André 1
BLUM, Léon 1
BOBET, Louison 1
BONDAIS, André (commissaire) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
BONNEFOY, Christiane 1, 2
BONNET OULALDJ, Nicolas 1
BONTE, Florimond 1
BOSC, Jean 1, 2
BOUALI, Larbi 1
BOUBEKEUR, Sahnoun 1, 2, 3, 4
BOUCHETATA, Achour 1
BOUDA, Ahmed 1, 2, 3, 4
BOUDA, Messaoud 1
BOUDAOUD, Ahmed 1, 2
BOUDAOUD, Boualem 1, 2, 3, 4
BOUDAOUD, Omar 1
BOUDIAF, Mohamed 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
BOUDJEMAÂ, Souidani 1
BOUGUERRA, Mohamed 1
BOUKHAOUI, Ali 1
BOUKHARI, Souali 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
BOUMEDIENE, Houari 1
BOUMENDJEL, Ahmed 1
BOUQUETOT, Saïd 1
BOURCIER, Jean 1, 2, 3, 4, 5
BOURDET, Claude 1, 2
BOURGHIDA, Smaïl 1
BOURGUIBA, Habib 1, 2
BOUSSAÂD, Ferhat 1
BOUTOUB, Ahmed 1
BOUTRAD, Ahmed 1, 2, 3
BRANDÉHO, André (gardien) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
BRAUN, Pierre 1
BRIKI, Yahia 1
BRUNEAU, Marie-Anne 1
BRUNE, Charles 1
BRUNELLES, Henri (gardien) 1, 2
BUCARD, Marcel 1, 2
BUSQUANT, Émilie 1, 2
BUSSONE, Marcel 1

CACHIN, Marcel 1, 2, 3, 4, 5, 6
CADI, Abdelkader 1, 2
CAGNARD (officier de police) 1
CAMBRONNE, Rémy (gardien) 1
CAMUS, Albert 1, 2, 3
CARRÉ, Lucien Achille 1, 2
CASANOVA, Laurent 1
CAU, Jean 1
CAUSSERET, Maurice 1
CHAKER, Hédi 1
CHALLAL, Nait 1
CHATELARD, Jules (gardien) 1, 2, 3, 4
CHÈNE, Raoul 1
CHERGUI, Zidi 1
CHÉRIGUENE, Mohamed 1
CHEVALLIER, Jacques 1, 2
CHIAPPE, Jean 1
CHOQUART, Henri 1, 2, 3, 4
CHOTARD, Christiane 1
COGNIOT, Georges 1, 2, 3
CORMAILLES (gardien) 1
COTTON, Eugénie 1
COTY, René 1, 2, 3
COULARDOT, Jean (gardien) 1
COURTÈS, Pierre 1
COZILIS, Louis (gardien) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
CROSSE, George 1, 2

DAACI, Saïd 1
DAENINCKX, Didier 1, 2
DAFI, Messaoud 1
DAGERMAN, Stig 1
DALI BEY, Rachid 1
DAMPENON 1
DAOUI, Larbi 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
DARCEL, René (gardien) 1
DARKRIM, Chérif 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
DAVID, Jean-Paul 1
DÉAT, Marcel 1
DEBRÉ, Robert 1
DECHEZELLES, Yves 1, 2, 3, 4
DEHAYES, Jacques 1
DELATTRE, Jean (gardien) 1
DELOUCHE, Hervé 1
DEMAGHLATROUS, Larbi 1
DEMOËN (brigadier-chef) 1
DÉRICHE, Elias 1
DESANTI, Dominique 1
DICKMAN, Gaston 1
DIDES, Jean 1
DIDOUCHE, Mourad 1, 2, 3, 4
DJABI, Mohamed 1
DJEMAD, Cherif 1, 2
DJERBAL, Daho 1, 2
DOIZE, Pierre 1
DOUZON, Henri 1, 2
DRARIS, Abdelatif 1, 2
DRARIS, Abdelkader 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
DRARIS, Kader 1
DRARIS, Rhama 1, 2, 3, 4
DRONNE, Raymond 1, 2
DUCHAT, Jean 1
DUCHAUSSON, Cyprien 1
DUCLOS, Jacques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
DUCOLONÉ, Guy 1, 2
DUFRICHE, Marcel 1, 2
DUPUIS, Pierre (gardien) 1, 2
DURAFFOUR, Paul 1
DURET, Roger (gardien) 1
DUVAL, Raymond (général) 1

ED DIN, Chems 1
EINAUDI, Jean-Luc 1, 2, 3, 4, 5, 6
EISENHOWER, Dwight D. 1
EL-BIDAOUI, Belcakem 1
EL-MADANI, Tawfiq 1
EL-MOKRANI, Mohamed (cheikh) 1
ÉLOIRE, Pierre 1
ESSAADI, Mohand Bachir 1

FABRE (Mme) 1
FAJON, Étienne 1, 2, 3
FAURE, Edgar 1
FAYET, Pierre 1
FEIX, Léon 1, 2
FERRAT (commissaire principal) 1, 2
FERROUKHI, Mustapha 1, 2, 3
FONTAINE, André 1
FONTAINE (H.) 1
FOUILLARD, Henri (commissaire divisionnaire) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
FOURNIOUX, Pierre 1
FRACHON, Benoît 1, 2, 3
FRAISSE, Marc 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
FREZAL, René (gardien) 1

GABRIEL-ROBINET, Louis 1
GASPARINI, Jean (gardien) 1, 2
GATER, Saïd 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
GAUBIAC, André 1
GAULLE (DE), Charles 1, 2, 3
GÉRARD (commissaire divisionnaire) 1, 2, 3
GIAP, Vo Nguyên 1
GILLET, Paul 1, 2
GINSBOURG, Benjamin 1
GIRAUD, Robert (commissaire) 1, 2, 3, 4, 5
GIRAULT, Henri 1, 2
GISCARD D’ESTAING, Valéry 1, 2
GOURGUES, Pierre (gardien) 1, 2
GRATIAS, Jean (gardien) 1
GROUSSEAUD, Jean 1
GUEMADI, Akli 1
GUÉNARD, Charles 1
GUÉRARD, Pierre 1
GUERROUTTE, Mohamed Salah 1, 2
GUETTAF, Mohamed 1
GUILEVIC (M.) 1
GUILLAUME, Augustin 1
GUILLAUMIN, Charles 1, 2, 3, 4, 5
GUILLÉ, Germaine 1
GUYOT, Raymond 1

HABRI, Médiana 1
HACHED, Farhat 1, 2, 3
HACHEM, Mohamed 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
HADDANOU, Ahmed (dit « Tewfik ») 1, 2, 3, 4, 5
HADDOUR, Sassi 1
HADJERÈS, Sadek 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
HADJ, Messali 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43,
44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55
HAMITOUCHE, Abdallah 1
HAMON, Léo 1
HANAFI, Hanafi 1
HANICHE, Nacer 1
HANOUZ, Rabah 1
HARBI, Mohammed 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
HARDY, René 1
HAROUAT, Dris 1
HASSAINE, Mohammed 1
HAUTECLOCQUE (DE), Jean 1
HAVARD, Jean 1
HÉNAFF, Eugène 1
HÔ CHI MINH 1, 2, 3
HOUSE, Jim 1

ILLOUL, Baya 1, 2, 3, 4
ILLOUL, Khira 1, 2, 3
ILLOUL, Mouhoub 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17
ILLOUL, Nordine 1, 2, 3, 4
ILLOUL, Saïd 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

JACQUES, Charles (gardien) 1, 2


JACQUET (Mme) 1
JAFFER, Ibrahim (dit Si Saadi) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
JEANNESSON, Stanislas 1
JEANSON, Colette 1
JULIEN, Charles-André 1, 2
JURQUET, Jacques 1, 2, 3, 4
JUSTIN-BESANÇON, Louis 1

KAHANE, André 1
KAIT, Lounès (dit « Kaieb ») 1
KEDDACH, Bouzid 1
KETTAR, Mohand 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
KHIDER, Mohamed 1, 2, 3
KHROUCHTCHEV, Nikita 1, 2
KICHOU, Hocine 1, 2, 3, 4
KIOUANE, Abderrahmane 1, 2, 3
Klotz, Henri-Pierre 1
KRIM, Belkacem 1, 2, 3, 4, 5, 6
KRIVINE, Alain 1
KRIVINE, Jean-Michel 1, 2

LADOUE, Bernard (gardien) 1, 2, 3


LAHLOU, Abdallah 1
LAHOUEL, Hocine 1, 2, 3
LAILLIER, Marcel (gardien) 1
LAINÉ, Lucien (gardien) 1, 2
LAKDAR, Saïl 1, 2
LANIEL, Joseph 1, 2, 3, 4, 5, 6
LAOUEDJ, Benfelda 1, 2, 3
LAPIERRE, Bernard 1, 2, 3
LAROUG, Mohamed 1
LASSALLE, Paul (gardien) 1
LAURANS, Jean 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
LAURENT, Paul 1, 2
LÉAUNE née CHAPUIS (Mme) 1
LECANUET, Jean 1
LECŒUR, Auguste 1
LEDERMAN, Charles 1, 2
LEFEUVRE, Ernest (commissaire) 1
LEFORT, Fernand 1
LEIRIS, Michel 1, 2
LE LÉAP, Alain 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
LE LÉAP, Alice 1
LEMAN, Jacques 1, 2, 3
LEMBERT, Jacques 1
LÉONARD, Roger 1, 2, 3
LE PEINTRE, Paul 1
LEROY, François (gardien) 1
LIAUTEY, André 1, 2
LONGEOT, Henri 1
LOPPIN, Charles (gardien) 1, 2
LOUANCHI, Salah 1
LOUDA, Mohamed 1
LUROT, Guy 1, 2, 3, 4
LUROT, Louise 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
LUROT, Maurice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25
LUROT, Maurice (fils) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11

MACCAGNO, Henri 1
MADJÈNE, Ali 1, 2, 3, 4, 5, 6
MADJÈNE, Tahar 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
MAHIEDINE, Mahmoud 1
MAHIOUT, Larbi 1, 2
MAILLOT, Henri 1, 2
MAISON (administrateur) 1
MAÏZA, Noureddine 1
MALKI, Tayeb 1
MALYE, François 1
MAMCHAOUI, Mohammed 1
MANCERON, Gilles 1
MARINIER, Serge (gardien) 1
MARION, Jacques 1
MARLET, Maurice (gardien) 1, 2
MARTHA, Yves (commissaire) 1, 2, 3, 4, 5
MARTINAUD-DÉPLAT, Léon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
MARTINET, Gilles 1, 2
MARTIN, Henri 1, 2, 3, 4, 5, 6
MARTY, André 1
MASSIGNON, Louis 1
MASSOIR, Noël (inspecteur) 1, 2
MAURIAC, François 1
MAURICE, Georges 1
MAUVAIS, Léon 1
MAYER, René 1, 2
MAZELIN, Lucienne 1
MCCARTHY, Joseph 1
MEBARKI, Mohamed 1, 2
MEDJOUB, B. 1, 2
MEHRI, Abdelhamid 1
MEKHALED, Boucif 1, 2
MELLAH, Salima 1
MENDÈS FRANCE, Pierre 1
MENEAU, Maurice (brigadier) 1, 2, 3, 4
MERAB, Bachir 1
MERBAH, Moulay 1, 2, 3
MERLIN, Francis (gardien) 1
MESSALI-BENKELFAT, Djanina 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
MEYNIER, Gilbert 1
MEZERNA, Ahmed 1, 2, 3, 4
MÉZIANE, Mohamed 1
MÉZIANE, Mohand 1
MITTERRAND, François 1, 2, 3
MOHAMMED V 1
MOHAND-AMER, Amar 1
MOKRANI, Abdelhamid 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
MOLINO, Lucien 1, 2, 3, 4
MOLLET, Guy 1
MONJAUVIS, Lucien 1
MONMOUSSEAU, Gaston 1, 2
MONTAND, Yves 1
MONTARON, Georges 1
MOREL, Jacques 1, 2
MORIN, Bernard 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
MOROT, Léonce (gardien) 1, 2
MOSSADEGH, Mohammad 1
MOULLEC, Raymond (amiral) 1
MOURRE, Michel 1
MOUTERFI, Khelifa 1, 2

NAEGELEN, Marcel-Edmond 1
NAVARRE, Henri (général) 1
NÉPLAZ, Étienne 1
NORDMANN, Joë 1

ODRU, Louis 1
OMAR 1
OUAID, Houssa 1
OUAMRANE, Amar 1, 2
OUDELKA, Mohamed Saïd 1, 2, 3, 4, 5, 6
OUDJEDDI, Amzeziane 1
OULEBSIR, Larbi 1, 2
OURABAH, Fodil 1

PAGÈS, Marcel (gardien) 1


PALANT, Charles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
PAPON, Maurice 1, 2, 3, 4, 5
PAYSSÉ 1
PETIT, Ernest (général) 1, 2
PEYROULOU, Jean-Pierre 1
PHALLUS, Robert (gardien) 1
PIERRE, abbé (Henri Grouès, dit) 1, 2, 3
PINARD 1
PINAY, Antoine 1
PINEY, Henry 1
PINGUET, Robert (gardien) 1, 2
PIOLA, René (gardien) 1
PLAULT (commissaire) 1
PLEVEN, René 1, 2
POMPIDOU, Georges 1
PONTEL, Victor (gardien) 1
POULLAIN, Francis 1, 2
PRÉVERT, Jacques 1
PRUD’HOMME, Daniel (gardien) 1
PUCHAULT, Pierre 1, 2, 3
PY, René (gardien) 1

RABAH, Chérif 1, 2
RABIER, Maurice 1
RAFFINI, Georges 1, 2
RAHMOUNI, Ahmed 1
RAJSFUS, Maurice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18
RAYNAUD, Henry 1
REAÂCHE, Tahar 1, 2
RENAUDON, Marcel (gardien) 1
REY-GOLDZEIGUER, Annie 1, 2
REYNAUD, Paul 1, 2, 3
REZA PAHLAVI, Mohammed (chah d’Iran) 1
RICHARDOT, Roger 1
RIDGWAY, Matthew 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
ROBIC, Jean (commissaire) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
ROCHET, Waldeck 1
RODIER, Robert (gardien) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
ROSENBERG, Ethel et Julius 1, 2, 3, 4

SAADI, Mohand 1
SAADI, Raach 1
SAÂL, Bouzid 1
SADDINI, Mohamed 1
SADDOK, Chebchoub 1
SADIKORICHENE, Amar 1
SAHALI, Saïd 1, 2
SALLÈS, André (gardien) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
SALLEY, Michel (gardien) 1
SANNIÉ, Charles 1
SARTRE, Jean-Paul 1
SCHIRA, Jean 1, 2
SCHMITT, Marius (gardien) 1, 2, 3
SÉNAC, Jean 1, 2, 3
SÉNÉCHAL, Marcel (gardien) 1, 2
SÉNIK, André 1, 2, 3, 4
SI ALOUA 1
SIDOS, François 1
SIDOS, Jacques 1, 2, 3, 4
SIGNORET, Simone 1
SIMON, Henri (gardien) 1
SIMON, Jacques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
SLIMEL, Rabach 1
SLIMI, Ali 1, 2, 3, 4, 5, 6
SOUM, Henry 1
SPORTISSE, Alice 1, 2
STALINE, Joseph 1, 2, 3
STERN, Max 1
STIBBE, Pierre 1, 2, 3
STIBBE, Renée 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
STIL, André 1, 2, 3
STORA, Benjamin 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
SUFFERT, Georges 1

TAALBI, Tayeb 1
TADJADIT, Amar 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
TADJADIT, Arezki 1, 2
TADJADIT, Lounès 1, 2, 3, 4, 5
TALA-IGHIL, Lalhou 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
TALA-IGHIL, Youcef 1, 2, 3, 4
TARTAKOWSKY, Danielle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20
TAZAGART, Achoun 1
TERRADJ, Idir 1
THÉNAULT, Sylvie 1
THÉOLLEYRE, Jean-Marc 1
THIÉNARD, Gaston 1, 2
THOREZ, Maurice 1, 2, 3
TILLON, Charles 1
TOLLET, André 1
TOUATI, Abdelhafid 1
TOUATI, Madjib 1, 2, 3
TOUDIC, Yves 1
TOUMOUH, Abdou 1, 2
TOUMOUH, Mohamed 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
TOURNADE, Olga 1
TOURTE, Marcel (brigadier) 1, 2
TOUSSAINT, Yves (gardien) 1
TRÉCOURT, Robert 1, 2, 3, 4
TRUMAN, Harry 1

VADIEI, Kazem 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
VARAUT, Jean-Marc 1
VASVEKIAZAN 1
VERMEERSCH, Jeannette 1, 2
VIDAL, Jean 1
VIENNEY, Paul 1
VIENNOT, Agnès 1
VILLEFOSSE (DE), Louis 1
VINCENT, Paul 1
VINET, Roger 1
VIOLLETTE, Maurice 1
VOGUET, André 1

WERTHÉE, Fernand 1, 2

YAZID, M’Hamed 1

ZALEGH, Mohamed 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11


ZEROUALI, Mohamed 1
ZIANI, Areski 1, 2
ZLOTNIK, Joseph 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
ZLOTNIK, Marinette 1
ZOUANI, Kaci 1

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