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HIS-4486-10

La Première Guerre mondiale


Présenté à Andrew Barros

TRAVAIL DE SYNTHÈSE

Par PERRON Matteo

UQAM

Novembre 2022
Sujet : Quel pays belligérant de la Première Guerre mondiale a eu le plus grand impact sur
le conflit ? Pourquoi ?

Nous sommes le 5 août 1900 à la cathédrale Saint-Michel de Belgrade, dans le royaume de

Serbie. Ce jour d’été dans la capitale serbe ne se présente pas comme tous les autres. Ce jour-là,

l’histoire serbe prend un tournant majeur, entraînant avec elle une Europe qui s’enfonce petit à petit

dans l’abîme. Et pourtant, tout commence avec un mariage. En effet, ce jour-là est célébré l’union

du souverain serbe, Alexandre Ier, avec Draga Mašin, l’ancienne dame de compagnie de la mère du

monarque, la reine Nathalie. Sous domination ottomane depuis la bataille de Kosovo Polje en 1389

puis la chute du despotat de Serbie en 1459, l’État serbe ne réapparaît par la suite qu’au début du

XIXe siècle notamment à la suite de deux soulèvements contre la domination des Turcs.

L’autonomie du pays est acquise au sein d’une principauté à partir de 1815 et l’État devient

finalement indépendant au sein d’un royaume en 1882. Le nouveau pays se retrouve alors, plus

encore qu’auparavant, au cœur des enjeux d’une région marquée par une forte instabilité, les

Balkans. Dès lors, le souverain Milan Ier, roi de 1882 à 1889, joue la carte de l’Autriche-Hongrie,

rivale de la Russie dans la région, pour développer son pays. Et pourtant, une décennie plus tard,

c’est bien le tsar Nicolas II de Russie qui accepte de devenir le témoin de mariage d’Alexandre I er,

monarque depuis 1889, marquant ainsi une rupture cruciale dans l’histoire des relations

européennes au tournant du XXe siècle. Ainsi, nous nous interrogerons : Dans quelle mesure peut-

on dire que la Serbie fût au cœur des tensions qui ont mené à la Première Guerre mondiale et quelles

sont les conséquences de son implication dans le conflit ? Nous présenterons en première partie la

situation politique de la Serbie de son indépendance jusqu’aux guerres balkaniques et à la veille de

la guerre, tout en analysant les conséquences de ses alliances sur les relations européennes. La

deuxième partie proposera une analyse sur la place de la Serbie dans son déclenchement et de son

rôle durant la guerre.

1
La question de la place de la Serbie au cœur d’une région stratégique comme les Balkans

est de première importance, surtout après l’indépendance du pays à partir de 1882. En effet, le

règne du souverain Milan Ier, favorable à l’Empire d’Autriche-Hongrie, n’est pas exempt de

tensions sur la relation que doit tenir le pays avec ses voisins, plus ou moins proches. Ainsi, des

conflits surviennent, notamment avec son épouse, la reine Nathalie, qui est accusée d’être plus

favorable à la Russie1. Les grandes puissances sont particulièrement attentives à la situation dans

les Balkans, entre une Russie se réclamant « protectrice des Slaves », et l’Autriche-Hongrie

souhaitant contrôler ses voisins, vu comme potentiellement vecteurs de troubles. D’un point de vue

interne, le pays se dote d’une nouvelle Constitution en 1888, inspirée du système britannique, qui

consacre la monarchie constitutionnelle dans le pays et accorde divers droits comme la liberté de

la presse et d’expression ou encore le droit de réunion des personnes2. Peu après l’adoption de la

Constitution, le roi abdique en faveur de son fils, régnant désormais sous le nom d’Alexandre Ier.

Un certain rapprochement avec la Russie s’opère alors, avec des radicaux comme Nikola Pašić,

une première fois Premier ministre de 1891 à 1892, se retrouvant propulsés sur le devant de la

scène politique du pays. Ce rapprochement est toutefois de courte durée, la fin du siècle se

marquant par une instabilité constitutionnelle et politique dans le pays. De plus, les puissances

étrangères essayent chacune d’assurer plus fortement leur emprise dans la région. Le régime,

devenu plus autoritaire à partir du milieu des années 1890, opère ainsi un nouveau rapprochement

avec l’Autriche-Hongrie. À la fin du siècle, tout cela change lors de l’annonce de l’union du

souverain serbe. En effet, l’influence de sa nouvelle compagne est fortement critiquée par l’opinion

publique et politique, qui se retournent progressivement contre le roi. Contre toute attente, le tsar

de Russie Nicolas II accepte d’être le principal témoin du mariage, marquant symboliquement un

1
Georges Castellan, Histoire des Balkans : XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 328-329.
2
Alexis Troude, Géopolitique de la Serbie, Paris, Ellipses, 2006, p. 33.

2
tournant majeur et le début d’un retournement progressif des relations européennes. Malgré tout,

les mécontentements envers le pouvoir et la dépendance croissante du pays face à l’Autriche-

Hongrie, malgré un rapprochement encore timide à la Russie, atteignent bientôt un point de non-

retour. En mai 1903, un coup d’État éclate, porté par un groupe d’officiers nationalistes, qui

assassinent le couple royal dans leur résidence de Belgrade, marquant ainsi la fin de la dynastie des

Obrenović, au pouvoir depuis 1858. La nouvelle dynastie, celle des Karadjordjević, accède dès lors

au pouvoir avec la consécration du nouveau souverain, Pierre Ier, résolument plus tourné vers la

Russie et la France. La dynamique des alliances dans la région se retrouve alors complètement

bouleversée. Dans le pays, le parti radical domine désormais la vie politique avec un retour sur la

scène publique de Nikola Pašić, qui occupera par la suite à cinq reprises la fonction de Premier

ministre en dix ans 3. Le rapprochement avec la Russie est consacré et la rupture avec l’Autriche-

Hongrie provoque une hostilité croissante entre les deux pays, qui ne fera que grandir dans la

décennie suivante. En 1906, un premier conflit majeur oppose les deux anciens alliés, désormais

de plus en plus rivaux dans la région. Dans ce qui est appelé la « guerre des cochons », l’Autriche-

Hongrie, alors principal débouché de la Serbie, impose au milieu des années 1900 une interdiction

des exportations serbes et en particulier de la viande porcine, son principal produit d’exportation4.

Le conflit trouve en partie ses racines dans la signature, en 1905, d’une union douanière avec la

Bulgarie, principauté alors toujours sous domination ottomane, qui consacre la fin du monopole

austro-hongrois sur les exportations serbes. Toutefois, ce conflit, qui dure jusqu’à la fin des années

1900, produit un effet inverse à celui recherché initialement. En effet, la Serbie se met en quête de

nouveaux débouchés pour ses produits et se tourne vers des pays comme la France ou la Russie.

3
G. Castellan, Histoire des Balkans…, p. 331.
4
(en) Misha Glenny, The Balkans, 1804-1999: Nationalism, War and the Great Powers, London, Granta, 1999,
752 p., pp. 281-282.

3
De nouveaux marchés sont ouverts et, par exemple, du matériel militaire français est acquis en lieu

et place de celui austro-hongrois. Progressivement, les soutiens se font de plus en plus clairs, entre

d’un côté le bloc principalement composé de l’Autriche-Hongrie et de l’Empire allemand, et d’une

autre part, la Serbie accompagnée de la Russie et de la France. Cette crise permet ainsi une

consolidation des liens du pays avec les Occidentaux 5. À la fin des années 1900, il devient de plus

en plus perceptible que des tensions importantes, notamment au sein des grandes puissances,

s’apprêtent à éclater dans les Balkans.

En 1908, l’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine, qui était déjà occupée sous la

forme d’un condominium depuis 1878. Débute alors une crise majeur, appelée « crise bosniaque

», alors que l’Autriche-Hongrie se rapproche géographiquement de la Serbie et essaye d’augmenter

son influence dans la région, provoquant un mécontentement grandissant des Serbes 6. Disposant

de moyens trop limités, la Serbie espère internationaliser la crise et compter sur ses alliés pour se

défendre. Cependant, la Russie, qui doit s’occuper de ses problèmes internes après les troubles

révolutionnaires et sa défaite face au Japon en 1905, ne réagit pas plus que la France ou le

Royaume-Uni, qui ne s’engagent pas en sa faveur. Dans le même temps, la Bulgarie obtient son

indépendance en 1908 et bénéficie de liens importants avec l’Empire austro-hongrois, encerclant

toujours un peu plus le petit royaume serbe. Isolé diplomatiquement, le pays doit se résigner à

accepter l’annexion, constituant une victoire majeure pour l’Autriche-Hongrie7. Mais de cette crise,

le ressentiment de la population n’est que grandissant et un climat d’hostilité profond s’installe

progressivement. Ainsi, fait marquant du début des années 1910, dans un climat patriotique et de

5
Frédéric Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire, 1914-1918, Saint-Cloud, 14-18 éditions, coll. « Les Nations
dans la Grande Guerre », 2008, p. 19.
6
Nadine Bonnefoi, « Le Temps et la question balkanique au début du XX e siècle », Balkanologie, Association
française d'études sur les Balkans, vol. 4, no 1, 2000, p. 1-11.
7
Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll.
« Peuples et civilisations » (no 19), 1934, 779 p., p. 162.

4
plus en plus nationaliste, où l’idée d’une indépendance plus forte vis-à-vis de Vienne se diffuse

dans l’opinion, des sociétés secrètes se forment, composées principalement de Serbes nationalistes.

Parmi ceux-là, les créations de « Jeune Bosnie » et surtout de la « Main Noire » en 1911 se révèlent

comme des évènements cruciaux dans le déclenchement de la guerre quelques années plus tard 8.

Par la suite, en 1912-1913, les tensions européennes se cristallisent autour des Balkans. Face à un

Empire ottoman qui n’est plus que l’ombre de lui-même, les pays de la région se joignent pour

satisfaire leurs irrédentismes ardents et la Serbie se retrouve en première place de ces évènements.

Face à ses rêves d’une « Grande Serbie », qui comprendrait notamment un accès à la mer au niveau

de l’Adriatique, les puissances européennes se mêlent des rivalités régionales et ne font

qu’accentuer les tensions. Rapidement défait, l’Empire ottoman se voit contraint d’abandonner de

nombreux territoires lors du traité de Londres en 1913, où un nouveau découpage régional est

décidé. Cependant, les aspirations serbes se retrouvent rapidement désenchantées. La pression du

voisin austro-hongrois sur les grandes puissances achève d’enterrer les projets d’agrandissement

de la Serbie, piégée autour de ses voisins avec lesquelles elle entretient des relations de plus en

plus difficiles. Les guerres balkaniques, celle face à l’Empire ottoman, puis celle face à la Bulgarie,

constituent en quelque sorte les prémices de la Première Guerre mondiale 9. La région se retrouve

au centre du Concert européen, les différentes alliances formées dans les décennies passées

s’affrontant déjà dans l’ombre dans la recherche d’une influence toujours plus forte dans la région.

Les grandes puissances fixent les frontières dans les traités, créant de nouvelles frustrations.

L’absence de prise en compte des considérations ethniques favorise les ressentiments et installe les

rouages qui permettent à une guerre de grande ampleur de progressivement devenir possible. La

8
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 22.
9
(en) Richard C. Hall, The Balkan Wars, 1912-1913: Prelude to the First World War, London, Routledge, 2000,
176 p., p. 6.

5
montée du nationalisme serbe, exacerbé par les ambitions du voisin austro-hongrois, est donc un

facteur majeur au centre des origines de la guerre. Dans un climat de tensions grandissantes, la

région, bientôt surnommée de « poudrière » 10, devient l’épicentre des tensions entre les pays

européens et concentre les volontés, les rancœurs et les ambitions des uns et des autres.

À l’issue des deux guerres balkaniques et notamment du traité de Bucarest en août 1913, la

Serbie affirme sa puissance et augmente largement les dimensions de son territoire11. En une

décennie, ses relations avec ses pays voisins et plus largement avec les pays européens se sont

complètement transformées. D’une dépendance à l’Autriche-Hongrie toujours présente au début

du siècle, cette situation s’inverse progressivement alors que les mouvements nationalistes

panserbes ou yougoslaves prennent de l’ampleur et veulent en finir avec la domination des autres

puissances. Ainsi, à la veille de la Grande Guerre, la Serbie et l’Autriche-Hongrie concentrent le

paroxysme des tensions en Europe et l’explosion finit par se produire à la fin du mois de juin 1914.

Exactement 525 années après la bataille de Kosovo Polje en 1389, l’archiduc François Ferdinand,

héritier de la couronne austro-hongroise, se rend à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine

annexée quelques années auparavant, pour une visite officielle. Le choix de cette date est perçu

comme une provocation par les milieux nationalistes serbes. De plus, en Serbie, le contexte

politique est difficile. Le gouvernement de Nikola Pašić est en proie à de nombreuses difficultés

internes et le roi Pierre, malade, se retire de la vie politique en juin 1914. Le 28 juin, peu avant

11h30, l’archiduc est assassiné par Gavrilo Princip, membre de la société secrète Jeune Bosnie12.

10
Georges Castellan, « Les Balkans, poudrière du XXe siècle », Guerres mondiales et conflits contemporains, Presses
Universitaires de France, vol. 1, no 217, 2005, p. 5-15.
11
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 31.
12
« Double attentat : L'archiduc héritier d'Autriche et sa femme assassinés en Bosnie », sur gallica.bnf.fr, Le
Figaro, 29 juin 1914 (consulté le 20 novembre 2022).

6
L’Autriche-Hongrie accuse rapidement la Serbie d’être au cœur du complot. Quoi qu’il en soit, le

premier domino vient de s’effondrer. Tout d’abord, le gouvernement serbe joue l’apaisement, en

différenciant les terroristes de leur nation. Cependant, dès le départ, le Président du Conseil Pašić

prévient qu’il veillera à ce que l’intégrité territoriale de la Serbie ne soit pas compromise et que le

pays ne tombe pas dans une relation de domination avec son voisin austro-hongrois, quoi qu’il en

coûte. Dès lors que l’Autriche-Hongrie obtient le soutien de son allié allemand après ce qui est

appelé le « chèque en blanc », la machine infernale se lance. Le 23 juillet, la monarchie austro-

hongroise envoie un ultimatum à la Serbie. Dans cette note, la volonté d’humiliation est claire.

Écrite volontairement pour paraître inacceptable, elle contraint la Serbie à formuler une réponse,

qui, tout en acceptant une partie des propositions, ne peut tolérer la remise en cause de sa

souveraineté par l’intervention de la police austro-hongroise sur son territoire13. Sous pression en

raison du délai de seulement deux jours pour transmettre la réponse, la Serbie fait face à une des

décisions les plus importantes de son histoire et de celle de l’Europe tout entière. Cette décision,

qu’elle doit prendre quasiment seule, active bientôt un engrenage mortel, qui, par le jeu des

alliances, déclenche progressivement un conflit d’un nouveau genre, jamais vu auparavant et qui

va marquer l’histoire du continent sur plusieurs siècles. Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclare

la guerre à la Serbie. Ce petit État des Balkans, devenu indépendant à peine plus de trente années

auparavant, se retrouve ainsi au centre du déclenchement de la Première Guerre mondiale aux côtés

de la Triple Entente incluant la France, la Russie et le Royaume-Uni, qui s’oppose bientôt

frontalement à la Triple Alliance composée de l’Empire allemand, de l’Autriche-Hongrie et de

l’Italie. Début août 1914, les déclarations de guerre fusent en Europe et le conflit atteint désormais

13
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 39.

7
une autre échelle, celle de l’ensemble du continent européen avant de bientôt se transformer en

véritable conflit mondial.

Au cours de la guerre, la Serbie demeure un belligérant majeur du conflit. Au cœur des

Balkans, elle se trouve directement sur la route entre Berlin et Constantinople et fait donc l’objet

de nombreuses revendications. De plus, l’Autriche-Hongrie souhaite en finir avec son ennemi

serbe, qu’elle n’avait pas réussi à soumettre par le passé. Fait important qui dénote avec les

précédentes crises, la Russie ne s’estime cette fois pas dans la mesure de s’humilier une nouvelle

fois et de montrer sa faiblesse aux puissances européennes. Elle décide donc, en contradiction avec

les recommandations notamment britanniques, de rapidement soutenir le royaume serbe. Cette

décision place la Serbie au cœur du déclenchement des systèmes d’alliances juste après le début du

conflit entre le pays et l’Autriche-Hongrie. Dès le départ, les buts de guerre de la Serbie se dirigent

vers la constitution d’une « grande Serbie », qui réunirait les Slaves du Sud 14. Cependant, face aux

défaites contre l’Empire austro-hongrois, ces buts changent rapidement pour s’accentuer sur une

lutte pour la survie de son territoire. En effet, l’Autriche-Hongrie vise à en finir avec les Serbes et

l’idée de panslavisme. De fin juillet à décembre 1914, la première campagne de Serbie est lancée.

La capitale serbe, Belgrade, subit rapidement les affres des bombardements et les plans de guerre

sont activés des deux côtés. L’Autriche-Hongrie, qui fait alors face à une guerre sur deux fronts

avec la Russie d’un côté et la Serbie de l’autre, mise sur une défaite rapide des Serbes. Toutefois,

les choses tournent avec surprise à l’avantage du petit royaume. L’armée serbe, plus motivée et

connaisseuse du terrain, obtient des victoires importantes face à l’armée austro-hongroise,

induisant une stabilisation du front à la fin 191415. Malgré un retentissement international des

victoires serbes et un gain de prestige, le front oriental se retrouve rapidement relégué au second

14
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 64.
15
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 45.

8
plan de la guerre. En octobre 1914, l’Empire ottoman rejoint les empires centraux, accentuant le

phénomène d’encerclement du pays. Dès lors, un évènement fait basculer l’histoire serbe et le cours

de la guerre, l’entrée dans le conflit de la Bulgarie en octobre 1915 aux côtés des empires

centraux16. Le même mois, la deuxième campagne serbe débute, marquant le commencement d’une

nouvelle offensive. Cette fois encerclé de plusieurs parts, le royaume ne peut plus résister. Après

de difficiles combats, le commandement serbe ordonne la retraite de l’armée à la fin novembre puis

du gouvernement tout entier, qui prend le chemin de l’exil vers les montagnes albanaises 17. Le pays

subit alors une occupation austro-hongroise pendant que l’armée serbe se réorganise, aidés par les

Alliés et notamment par la France. Le territoire est partagé entre l’Autriche-Hongrie et la Bulgarie,

le temps que ces derniers statuent définitivement sur le sort du royaume. Une administration

militaire est mise en place, le pays sert de relais au service des puissances centrales et l’économie

serbe est mise au service presque exclusif des objectifs de guerre austro-hongrois et allemands18.

La très dure occupation vise à réduire à néant l’identité serbe et les civils sont particulièrement

touchés par la situation19. Par la suite, après plusieurs années d’occupation, à la fin de l’année 1918,

alors que les empires centraux se dirigent de plus en plus vers la défaite, les troupes franco-serbes

se joignent pour procéder à une libération du territoire du royaume. Le 1er novembre 1918, le

gouvernement fait son entrer dans la capitale, après trois années d’occupation sanglante. Cette

libération du territoire serbe coupe en particulier une route majeure pour les empires centraux, celle

rejoignant l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie à l’Empire ottoman. Coupé des ravitaillements

allemands qui lui étaient devenu vitaux, « l’homme malade de l’Europe », totalement isolé, doit se

16
Jean-Jacques Becker, « La guerre dans les Balkans (1912-1919) », Matériaux pour l'histoire de notre temps,
Association des amis de la BDIC, no 71 « Les peuples des Balkans face à l'histoire et à leur histoire », 2003, p. 10.
17
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 92.
18
Martin Motte, « La seconde Iliade : Blocus et contre-blocus au Moyen-Orient, 1914-1918 », Guerres mondiales et
conflits contemporains, Presses Universitaires de France, vol. 2, no 214, 2004, p. 39-53.
19
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 116.

9
résigner à l’ouverture de négociations en vue d’une sortie de la guerre. En addition du retrait de la

Bulgarie du conflit, la libération de la Serbie joue donc un rôle particulièrement important en

précipitant la fin de la guerre dans le Proche-Orient, consacrée à la suite de l’armistice de Moudros

du 30 octobre 191820. À la fin de la guerre, le bilan des conséquences sur le pays est dramatique.

La Serbie, sortante d’un prestige à la fin du conflit, a payé le prix extrêmement lourd des pertes

humaines. Il constitue tout simplement le pays qui a connu le plus grand nombre de pertes par

rapport à sa population dans toute l’Europe. En effet, selon l’historien Frédéric Le Moal, 33 % de

sa population, soit environ 1 250 000 personnes, dont près de 65 % de civils, sont décédés durant

le conflit21. Pourtant, les rêves, eux, ne sont pas morts sur le champ de bataille. Le 1er décembre

1918 est proclamé le « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes », réunissant des populations

serbes, croates, slovènes et monténégrines de l'ancien Empire d’Autriche-Hongrie. Il aura ainsi

fallu l’anéantissement total de son voisin à la suite d’un conflit en partie engendré par la haine pure

et simple que se portait les deux pays, pour voir, en partie, l’aboutissement des rêves panslaves,

par la suite concrétisés dans l’apparition, à partir de 1929, de la Yougoslavie22.

Nous l’avons vu, la Serbie joue un rôle central à plusieurs niveaux, tout au long de la

Première Guerre mondiale. Tout d’abord, sa position géographique au cœur d’une région

stratégique lui confère, bien malgré elle, une importance considérable dans les changements des

relations européennes à l’aube du XXe siècle et dans les années précédant la guerre. Les tensions

avec son voisin austro-hongrois, combiné à un sentiment nationaliste de plus en plus présent dans

20
François-Guillaume Lorrain, « 1918 - Moudros, l’autre armistice », sur lepoint.fr, Le Point, 10 novembre
2018 (consulté le 20 novembre 2022).
21
F. Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire…, p. 231.
22
Dubravka Stojanović, « La mémoire de la Première Guerre mondiale comme matrice de l’identité serbe », Les
Cahiers Sirice, UMR Sirice, vol. 1, no 13, 2015, p. 129-144.

10
la période, engendrent des crispations extrêmes qui n’ont fait que s’accentuer jusqu’à la guerre.

L’ingérence des puissances européennes, se battant chacune pour ses intérêts dans une région

instable, ainsi que les différentes alliances formées au cours des décennies précédentes, permettent

la transformation d’un conflit régional localisé en une véritable guerre mondiale de grande ampleur.

Au cœur des origines de la guerre, de son déclenchement ainsi qu’au cœur d’un front oriental trop

souvent déconsidéré, le petit royaume serbe, plongé dans la violence extrême, aura su se battre

avec ardeur contre les ennemis qui ne souhaitaient que sa disparition. Toutefois, à sa renaissance,

de nouveaux problèmes apparaissent rapidement face à une « suprématie serbe » qui ne plaît pas

forcément à toutes les nations incorporées dans le nouvel État yougoslave. Dès lors, ces évènements

prédisposent déjà le pays à un siècle troublé par de nouvelles revendications des minorités, qui

réclameront bientôt, ironiquement comme l’avait fait la Serbie en son temps, la création d’États

correspondant aux différents peuples et ethnies de la région.

11
BIBLIOGRAPHIE

Sources

• « Serbie : Constitution du 5 juin 1903 », sur mjp.univ-perp.fr, Digithèque de matériaux

juridiques et politiques.

• « Réponse de la Serbie à l'ultimatum austro-hongrois (1914) », 25 juillet 1914.

Ouvrages

• (en) David Stevenson, The Outbreak of the First World War : 1914 in perspective, New

York, St. Martin's Press, coll. « Studies in European History », 1997, 72 p.

• (en) Richard C. Hall, The Balkan Wars, 1912-1913: Prelude to the First World War,

London, Routledge, 2000, 176 p.

• Georges Castellan, Histoire des Balkans : XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard, 1991, 532 p.

• Alexis Troude, Géopolitique de la Serbie, Paris, Ellipses, 2006, 285 p.

• Frédéric Le Moal, La Serbie : Du martyre à la victoire, 1914-1918, Saint-Cloud, 14-18

éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », 2008, 255 p.

Articles scientifiques

• Jean-Jacques Becker, « L'ombre du nationalisme serbe », Vingtième Siècle : Revue

d'histoire, Presses de Sciences Po, vol. 1, no 69, 2001, p. 7-29.

• Georges-Henri Soutou, « La France et le problème des Nationalités pendant la guerre de

1914–1918 : Le cas de la Serbie », Balcanica, Institute for Balkan

Studies, vol. XLV, 2014, p. 369-398.

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