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FRANÇAIS
ÉPREUVE BLANCHE
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Commentaire (20 points)
1 Elle quittait Paris. A l'idée d'abandonner Aurélien, elle n'avait trouvé que sa fureur de se faire mal,
de s'arracher le cœur. Mais elle quittait Paris, et elle sentit à ses yeux des larmes. Elle revoyait ces
rues, ces quais, ces jardins… Paris… L'ennui terrible de la province. Les gens retrouvés. Les
journées, les interminables journées. Et ce que celui-ci a dit, et ce que celle-là pensera. Les femmes
5 des médecins, les amis de Lucien1, sa mère. Elle retrouvait Montrouge et Passy, les Batignolles, le
Quartier Latin… Fini. Les Tuileries comme une joue caressée...Peu à peu dans la profondeur
insinuante de Paris renaissait l'image d'Aurélien. Elle rencontrait Aurélien dans des lieux où elle avait
été seule, où elle ne l'avait pas vu, où elle ne s'attendait pas à le découvrir. Paris la prenait en traître
et se confondait doucement avec celui qu'elle fuyait. Elle essuya ses larmes, se vit dans la glace,
10 ses cheveux en désordre, elle prit son peigne et se peigna....
Jusqu’à quel point l’amour d’Aurélien était-il en elle pur de tout alliage2 ? Était-ce vraiment cette
chose violente, absolue, irrémédiable3, qu’elle avait crue ? Elle s’accusait de ne pas aimer en lui que
lui-même. N'était-ce pas Paris, ses illusions, ses lueurs, sa vie changeante, ce pullulement 4
d'inconnus et de célébrités, les grands hommes et les passants, les toilettes, les étalages, les
15 concerts, le théâtre, et les quartiers vides où l'on ne rencontre que le vent ? N'était-ce pas tout cela
qui cherchait à s'accrocher à quelque forme humaine, à lier sa nostalgie à un regard, à une voix, à
la pression vivante d'une main ? N'était-ce pas le regret de tout cela qui la persuadait qu'elle aimait
Aurélien ? Aimait-elle Aurélien ? Elle le demandait pour la première fois. Elle s'effraya de penser
qu'elle se le demandait pour la première fois…
20 Pourtant qu’il fût possible qu’il ne l’aimât point comme elle l’avait cru, comme elle avait la naïveté
de le croire, cela la bouleversât, c’était intolérable, intolérable… Elle ne pouvait se représenter la vie,
demain, après-demain, si elle cessait d’y croire, si elle s’était trompée, s’il l’avait trompée… J’ai bien
vécu maintenant sans cela, qu’y a-t-il de changé ? On se le dit sur un faux ton tranquille. On se le dit
parce qu’on a peur. Bérénice avait peur d’elle-même, plus que d’Aurélien. Peur de la blessure terrible
25 d’une désillusion. Elle savait ce qu’est le puits d’une désillusion. Elle savait ce que c’était que d’en
sortir. Assez pour deviner comment il était possible qu’on n’en sortît pas.
Elle était toujours devant la glace, et elle se peignait interminablement.