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6/4/24, 20:17 Trois biographies de Juan Rulfo

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América
Cahiers du CRICCAL

40 | 2011
La biographie en Amérique latine
III. Palimpsestes biographiques

Trois biographies de Juan Rulfo


Tres biografías de Juan Rulfo

Karim Benmiloud
p. 165-178
https://doi.org/10.4000/america.271

Resúmenes
Français Español
L’article s’intéresse à la fortune éditoriale des biographies de Rulfo à l’occasion de la célébration des
cinquante ans de la parution de El llano en llamas (1953) et de Pedro Páramo (1955). L’étude de
trois d’entre elles (écrites par Nuria Amat, Reina Roffé et Juan Ascensio) permet de voir le processus

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de légitimation de la biographie et les positions qu’adoptent les différents auteurs (tout spécialement
en ce qui concerne leur relation avec l’auteur “biographié”) Les auteurs justifient leur entreprise
biographique aussi bien par les nombreux mensonges de Rulfo sur sa vie personnelle, que par son
spectaculaire silence après la publication de ses deux chefs d’œuvre.

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la fortuna
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salida de El Llano enlas que(1953) y Pedro Páramo (1955). A partir del estudio de tres de ellas
llamas
deseas
(firmadas activar
por Nuria Amat, Reina Roffé y Juan Ascensio), se trata de ver los procesos de legitimación
y las posiciones adoptados por sus respectivos autores (especialmente en cuanto a la relación
establecida con el autor «biografiado»). El ensayo muestra que los autores justifican sus tentativas
biográficas tanto por las numerosas mentiras de Rulfo acerca de su vida personal como por su
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espectacular silenciotodas
editorial después de la publicación de sus dos obras maestras.

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6/4/24, 20:17 Trois biographies de Juan Rulfo

Texto completo
1 Les raisons pour lesquelles un lecteur s’intéresse à la biographie (ou aux
biographies) d’un auteur donné ressortissent essentiellement, il nous semble, à deux cas
de figure paradigmatiques : soit que la vie d’un écrivain ait été particulièrement riche et
multiple (œuvre abondante, fort engagement politique, nombreux voyages, participation à
la vie sociale et culturelle de son époque, etc.), de telle sorte qu’elle se confond, peu ou
prou, avec une histoire des idées et de son temps (« Sartre, l’homme-siècle »), soit au
contraire que la vie de l’écrivain apparaisse comme une sorte de mystère ou de noyau
sacré, que l’auteur a toujours soigneusement évité de livrer, par quelque biais que ce soit, à
ses lecteurs – quand il n’a pas tout bonnement disparu un beau jour de la scène publique
et littéraire (c’est le « syndrome Rimbaud », qui ne désigne pas seulement le silence et la
fin d’une trajectoire littéraire, mais aussi la fuite et la disparition physique) –, ce qui dès
lors le prédestine tout naturellement à la curiosité du lecteur.
2 Pour le dire avec Baudelaire, qui distingue à juste titre la biographie comme « travail
littéraire » et la biographie comme compilation, alors qu’il s’apprête à évoquer celle de
Théophile Gautier :

Il y a des biographies faciles à écrire, par exemple des hommes dont la vie fourmille
d’événements et d’aventures ; là, nous n’aurions qu’à enregistrer et à classer des faits
avec leurs dates, mais ici, rien de cette variété matérielle qui réduit la tâche de
l’écrivain à celle d’un compilateur. Rien qu’une immensité spirituelle ! La biographie
d’un homme dont les aventures les plus dramatiques se jouent silencieusement sous
la coupole de son cerveau, est un travail littéraire d’un ordre tout différent.

3 À cet égard, il est évident que le cas de l’écrivain Juan Rulfo (1917-1986), figure ô
combien essentielle de la littérature mexicaine de la charnière du xxe siècle, relève de la
seconde catégorie. Auteur de deux œuvres brèves, un recueil de nouvelles, El Llano en
llamas (1953), et un roman, Pedro Páramo (1955), ainsi que d’un texte d’abord adapté au
cinéma, El gallo de oro (1964), avant d’être finalement publié en 1980, Juan Rulfo s’est en
effet peu à peu muré dans le silence, un silence d’autant plus assourdissant que sa
notoriété, nationale et internationale, allait croissant et que le public, spécialisé ou non,
réclamait à cor et à cri d’autres œuvres à lire et à admirer. Si Rulfo n’a évidemment jamais
complètement disparu de la « scène » littéraire mexicaine et latino-américaine après les
années soixante, force est pourtant de constater que dès 1955, le noyau central de son

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œuvre était écrit et qu’il n’y ajouta plus ensuite que de brèves apostilles.
4 Comme il fallait s’y attendre s’agissant d’un auteur aussi silencieux, sinon secret, la vie
et l’œuvre de Juan Rulfo ont donc donné lieu à plusieurs tentatives biographiques. Avec
Daniel Madelénat, nous entendrons ici par « biographie » « un récit écrit ou oral, en prose,
Estequ’un
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web usa fait de lay vie d’un personnage historique (en mettant l’accent sur la
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singularitécontrolar las queindividuelle et la continuité d’une personnalité) » (Madelénat,
d’une existence
1984deseas activar
: 20)1. Dans le cas qui nous occupe, l’une des premières à s’être attelée à cette tâche
est sans nul doute Reina Roffé, écrivaine et essayiste argentine qui, dès 1973, signe une
première biographie de l’écrivain mexicain : Juan Rulfo: Autobiografía Armada. Elle ne
s’arrêtera pas du reste à cette seule tentative puisqu’on ne lui doit pas moins de trois
approches successives, écrites à trente années de distance, de 1973 à 2003 : l’édition
originale de Juan Rulfo: Autobiografía Armada publiée en Argentine en 1973, l’édition
espagnole de cet ouvrage (« revisada »), publiée quelque vingt ans plus tard à Barcelone
en 1992, et enfin un nouvel ouvrage, Juan Rulfo: Las mañas del zorro, publié en Espagne
en 2003 ; tout se passant comme s’il fallait remettre l’ouvrage sur le métier tous les dix
ans, et préciser, décennie après décennie, l’image, toujours changeante, jamais définitive,
de Rulfo. À cet égard, il va sans dire que ces approches successives mériteraient, à elles

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seules, une étude diachronique spécifique, qui mettrait en relief les corrections et les
nuances apportées au premier portrait de Rulfo qui avait été brossé en 1973.
5 En tout état de cause, il est évident que, comme il sied à toute entreprise biographique,
c’est après la mort du « sujet » que la machine biographique s’emballe. Après la version
espagnole révisée de Juan Rulfo: Autobiografía Armada (1992), qui suit donc de six ans la
mort de l’écrivain (1986), c’est à l’orée des années 2000 que les biographies de Rulfo
commencent à faire florès. C’est donc la même année, en 2003, que sortent trois ouvrages,
que nous citerons ici par ordre alphabétique d’auteur (faute de connaître les dates précises
de leur sortie respective) : Juan Rulfo (el arte del silencio) de Nuria Amat (Barcelona,
Ediciones Omega, col. « Vidas literarias ») ; Juan Rulfo: Las mañas del zorro de Reina
Roffé (édition citée) ; et Noticias sobre Juan Rulfo de Alberto Vital (México, Editorial
RM). S’il n’est dû à aucun fait nouveau, ni lié à aucune révélation fracassante, cet
emballement éditorial n’a pourtant rien de fortuit, puisque 2003, c’est évidemment l’année
du cinquantenaire de la première publication de El Llano en llamas au Fondo de Cultura
Económica (1953).
6 Même si, dans les ouvrages, il n’est fait nulle mention directe de cette « actualité »
commémorative, on devine et on comprend qu’elle n’est pas étrangère à la publication
presque simultanée de ces trois ouvrages (on sait en effet que, aujourd’hui, la logique
éditoriale et commerciale est de plus en plus indexée sur ces opportunités
commémoratives). Quelques mois plus tard, en juin 2004, le célèbre critique mexicain
Christopher Domínguez Michael publie d’ailleurs dans la revue Letras Libres « El alma del
vidente », un article où il revient sur cette récente actualité littéraire, en convoquant à son
tour implicitement le fantôme de Rimbaud et sa fameuse « Lettre à Paul Demeny », dite
« Lettre du Voyant ».
7 Enfin, en 2005, comme en écho à la parution de Pedro Páramo cinquante ans plus tôt2,
sort une nouvelle biographie de Juan Rulfo, Un extraño en la tierra (biografía no
autorizada de Juan Rulfo), signée Juan Ascensio (México, Debate, col. « Historias »).
Publiée un peu à contretemps, elle est donc contrainte à une forme de surenchère,
qu’explicite parfaitement son sous-titre accrocheur (au demeurant lui aussi très codifié) :
« biographie non autorisée » (autant qu’on le sache les précédentes ne l’étaient pas
forcément). Comme on le voit, ces nombreuses biographies publiées en l’espace de
quelques années méritent sans doute que l’on s’y attarde, et ce d’autant plus qu’elles
s’attachent à la personnalité et à l’œuvre de l’un des plus grands auteurs mexicains du
xxe siècle.

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Trois biographes de Rulfo
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intéresserons ici qu’à trois des biographies de Juan Rulfo
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susmentionnées : Juan Rulfo de Nuria Amat (2003) ; Juan Rulfo: Las mañas del zorro de
deseas
Reina activar; et Un extraño en la tierra (biografía no autorizada de Juan Rulfo)
Roffé (2003)
de Juan Ascensio (2005). Toutes trois obéissent aux principaux critères relevés par Daniel
Madelénat dans son étude pour établir une première typologie (Madelénat, 1984 : 21) : la
longueur, puisqu’il s’agit dans les trois cas de biographies assez fouillées, visant même à
l’exhaustivité dans le cas de celle de Juan Ascensio, même s’il ne s’agit pas pour autant
d’une « biographie gratte-ciel » (ibid.) ; un degré de scientificité relativement comparable
(les ouvrages hésitant, selon les cas, entre l’analyse psychologique et littéraire et l’ouvrage
d’érudition, mais s’adressant au même type de public) ; et enfin l’objet d’étude (puisqu’il
s’agit de l’homme-écrivain Rulfo). Si ces biographies relèvent toutes de ce que Daniel
Madelénat appelle « la biographie moderne, fruit du relativisme éthique, de la
psychanalyse et des transformations de l’épistémologie historique » (Madelénat, 1984 :
34)3, elles émanent de trois biographes à l’histoire et au parcours pour le moins différents.

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9 Née en 1950, Espagnole, Nuria Amat est à la fois romancière, journaliste et essayiste.
Les premières lignes de sa biographie qui figurent sur son site internet précisent :

Nuria Amat nació en Barcelona. Sus novelas y colecciones de relatos la han


consagrado como una de las grandes (y silenciosas) narradoras en lengua española.
Ha cultivado igualmente ensayo, poesía, periodismo y teatro. Ha vivido temporadas
en Colombia, México, Berlín, París y Estados Unidos. (http://www.nuriaamat.com/​:
page consultée le 17/05/2011)

10 Silence qu’on pourra juger somme toute relatif, étant donné la liste déjà respectable de
ses publications : neuf romans, dont Todos somos Kafka4 et El país del alma, qui fut
finaliste du Prix « Rómulo Gallegos de novela » en 2001 ; deux recueils de poésie ; quatre
essais (dont la biographie sur Juan Rulfo) et une pièce de théâtre. Elle est surtout la
directrice de la collection « Vidas literarias » des Éditions Omega, en Espagne, dans
laquelle sa biographie de Juan Rulfo vient justement s’inscrire en 2003, à la suite de
nombreuses autres biographies d’écrivains signées elles aussi pour la plupart par des
écrivains. Initiée en 2000, avec notamment Julio Cortázar (Cristina Peri Rossi), Lope de
Vega (Eduardo Haro Tecglen) et Fray Luis de León (José Jiménez Lozano), la collection
comptait 26 titres en 2005, même si au moins 46 ouvrages avaient été annoncés (sauf
erreur de notre part, il ne semble pas que d’autres volumes aient paru depuis 2005).
11 Née en 1951, Argentine, Reina Roffé est l’auteure de plusieurs romans (Llamado al Puf,
Monte de Venus, La rompiente, El cielo dividido), de nouvelles, et de plusieurs essais. En
plus de ses deux essais sur Rulfo (trois si l’on compte la réédition barcelonaise de
Autobiografía Armada), elle a ainsi publié Espejo de Escritores (entrevistas a autores
latinoamericanos) en 19845 et Conversaciones americanas (entrevistas) en 20016. Les
deux premières biographies qui nous intéressent émanent donc de deux femmes, et qui
plus est de romancières (Nuria Amat, en particulier, insiste beaucoup sur ce miroir de la
création que lui tend Rulfo, et procède largement par identification avec son objet
d’étude).
12 Né en 1937, Mexicain, Juan Ascensio fut un ami très proche de Juan Rulfo. La deuxième
de couverture précise qu’il a d’abord coédité la revue El cuento avec Edmundo Valadés
avant de la diriger seul à la mort de ce dernier. Mandataire de Rulfo, il est également
présenté sur la quatrième de couverture comme étant l’un des « plus autorisés » pour
parler de l’écrivain mexicain, dans un texte bref où Elena Poniatowska désamorce
subtilement la charge « explosive » du sous-titre : « Los editores advierten que ésta es una
biografía “no autorizada”. Creo que entre los amigos de Rulfo es Juan Ascensio el más

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autorizado para presentarlo, con sus qués, sus cómos y sus porqués […] ».
13 Il va sans dire, ces trois biographes abordent le « cas Rulfo » sous des angles assez
différents, malgré les nécessaires (ou involontaires) redites. Nuria Amat et Reina Roffé ne
se citent pas l’une l’autre, parce que leurs livres, sortis en même temps, ont manifestement
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été écrits parallèlement, sans contact entre elles d’aucune sorte. Juan Ascensio, dont le
te permite controlar las que
livre,deseas
très riche et très documenté, est le fruit d’un travail de près de vingt ans après la
activar
mort de l’auteur, ne cite pas davantage ses deux consœurs, dont les livres sont sortis à
peine deux ans plus tôt et dont il n’a peut-être pas pris connaissance (il cite en revanche
Reina Roffé dans la version barcelonaise de Autobiografía Armada, qui date de 1992, en
des termes d’ailleurs pas toujours amènes).
14 Quant à la situation d’énonciation, elle diffère aussi très sensiblement d’un cas à l’autre.
Reina Roffé se situe d’emblée dans une démarche analytique (et non de témoignage), en
maintenant une certaine distance avec son sujet, sans chercher à imposer son « moi » de
biographe. À l’inverse, Juan Ascensio, ami intime et témoin privilégié de la vie de Rulfo,
s’appuie au premier chef sur cette relation de proximité pour asseoir son travail : « A las
pocas semanas de su fallecimiento inicié esta biografía » (p. 11). Enfin, malgré une certaine
sobriété initiale, Nuria Amat, sans pourtant pouvoir se prévaloir d’une quelconque

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proximité avec l’auteur, ni d’avoir joué le moindre rôle de témoin, fait souvent intervenir
son « moi » de biographe dans son enquête, d’une façon que l’on peut juger quelque peu
intempestive ou « parasite7 ». Mais c’est semble-t-il une position qu’elle assume
pleinement, puisqu’elle fait figurer en guise d’épigraphe cette question en forme
d’aphorisme : « ¿El biógrafo es la biografía? ». En ce sens, si, comme le suggère Daniel
Madelénat, le biographe se situe entre deux pôles « un asservissement de l’écriture à la
fonction référentielle et informative » et « une “libération”, hasardeuse régression à la
fiction et au mythe » (Madelénat, 1984 : 147), Juan Ascensio tendrait à se situer au niveau
du premier pôle, Nuria Amat sur le pôle opposé (en dépit de certaines fulgurances), et
Reina Roffé très exactement au milieu (on aurait envie de dire sans doute « à la bonne
distance »).

Portraits d’un « menteur né »


15 Les biographies signées par Nuria Amat, Reina Roffé et Juan Ascensio justifient toutes
explicitement leur existence par le fait que Juan Rulfo s’est, des années durant, ingénié à
désorienter ses proches, ses amis écrivains, ses lecteurs et ses futurs biographes par de
fausses déclarations et des mensonges, petits ou gros. La question est bien, encore et
toujours, « qui était donc Juan Rulfo ? ». Nuria Amat tente d’y répondre par une
utilisation assez systématique des surnoms ou des alias à vocation synthétique, qui
ajoutent, page après page, des nuances au portrait qu’elle brosse de l’artiste mexicain.
Juan Pérez, ou encore « Juanito » (c’est le surnom donné à Juan Rulfo lorsqu’il était
enfant), c’est ainsi pour elle, tour à tour « Juan Nadie, Juan Despreciado, Juan Huérfano o
Juan Pobre » (Amat, 2003 : 73), ou encore « el pobre loquito », surnom donné par un de
ses chefs au Bureau des Migrations (Amat, 2003 : 130). Plus tard, elle fait de lui « el Kafka
mexicano » (p. 99), puisque Rulfo partage aussi avec Kafka son triste emploi de
bureaucrate8, « Juan del Alma » (p. 143) ou, de façon plus prosaïque, « el vendedor de
llantas » (p. 167).
16 Pour en revenir à l’art du mensonge cultivé par Rulfo tout au long de sa vie, on serait
plutôt tenté de dire que si Juan Rulfo avait voulu attirer l’attention sur lui, justement, il ne
s’y serait sans doute pas pris autrement. Car mentir, et surtout se contredire sans cesse,
sur des éléments aussi visibles et aussi déterminants que son année et son lieu de
naissance, ne pouvait évidemment manquer d’attirer l’attention sur lui (au lieu de la

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détourner, comme on le prétend sans doute abusivement). Ainsi Nuria Amat : « ¿Quién es
Rulfo? ¿Cuáles son sus secretos? ¿Por qué mintió e intrigó sobre sus datos biográficos?
Despistaba a sus oyentes y se contradecía de continuo […] » (p. 24) ; Reina Roffé : « […]
instrumentó –a veces sin querer y otras queriendo– grandes enigmas en torno a su
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persona que,usa cookies y suscitaron intriga y originaron un abundante material
obviamente,
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anecdótico que planea las que
sobre los puntos conflictivos del escritor: […] el lado artero y la
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mitomanía, entre otros » (p. 15) ; et enfin Juan Ascencio : « Juan Rulfo acostumbraba
inventarse lugares de nacimiento, y fechas, y ancestros, y mil y una circunstancias sobre su
persona » (premières lignes de l’introduction, p. 11). De là la remarque très juste d’un des
camarades de Rulfo, Ricardo Serrano, ainsi rapportée par Reina Roffé : « además de ser
un extraordinario escritor fue, eso sí, un genial autopublicista: que no nos vengan con su
franciscana humildad y su timidez » (p. 17). C’est d’ailleurs là l’apport le plus original de la
réflexion de Reina Roffé sur le cas « Rulfo », ce qu’elle appelle dans son introduction « la
vida como relato », et qui, sur la quatrième de couverture, est résumé de la façon suivante :

Un escritor que dejó de escribir durante treinta años para convertirse en una suerte
de juglar moderno, un narrador oral que encarnó mejor que nadie la paradoja de
narrar y ser narrado al mismo tiempo, de ser personaje y autor a la vez.

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17 Dans l’introduction, cet aspect est développé ainsi :

Los relatos súbitos del jalisciense, esas minificciones, podríamos llamar hoy, que
soltaba a regañadientes para la prensa fueron compilados y difundidos por amigos –
reales y supuestos – y por escribidores –llámense periodistas, profesores o críticos– y
vertidos en papel con el objeto de conservarlos para la memoria. […] Por obra de su
propia voz y la escritura de otros, su historia personal se hizo ficción para emerger
como pieza literaria. (p. 14)

Mensonges et omissions
18 Parmi les mensonges de Juan Rulfo qui ont fait couler beaucoup d’encre chez les
biographes, il y a bien sûr ceux qui portent sur l’origine du biographié, son origine ou plus
exactement ses origines : son année et son lieu de naissance, mais aussi ses origines
sociales. Né, selon toute vraisemblance à Apulco ou à Sayula (Jalisco), en 1917, Juan
Nepomuceno Pérez Vizcaíno – qui ne deviendra Juan Rulfo que plus tard, quand il
choisira son nom de plume (Roffé, 2003 : 27, Ascensio, 2005 : 27-28) – s’est d’abord
rajeuni d’un an (pour pouvoir se dire né en 1918, soit la même année que ses camarades
Juan José Arreola et Alí Chumacero9), avant de se prétendre né tour à tour à Tuxcacuesco,
San Gabriel, Autlán, Zapotlán, Apango, Tonaya ou à Llano Grande, selon les occasions et
en fonction de ses interlocuteurs (Roffé, 2003 : 22-23). Ce qui est sûr, en revanche, c’est
qu’il est issu d’une famille très aisée, qui perd peu à peu de son influence et de son aisance
financière avec la Révolution10.
19 Parmi les traumatismes de son enfance, il y a bien sûr l’assassinat de son père, tué d’une
balle dans le dos, à la suite d’un différend avec un adolescent de quinze ans, pour une
histoire de pâturages et de bétail (soit très exactement l’histoire qui est évoquée dans la
fameuse nouvelle « Diles que no me maten » de El Llano en llamas). Nuria Amat écrit
ainsi ces paroles auxquelles nous souscrivons entièrement : « La obra rulfiana, toda ella,
está inmersa en este negro vacío de la ausencia. El escritor nace la noche aciaga del
asesinato de su padre » (Amat, 2003 : 19). Enfin, suite à la mort de sa mère, quelques
années plus tard, alors qu’il est déjà avec son frère aîné en pension dans un orphelinat,
Juan Rulfo insistera toujours sur sa condition d’orphelin et les tristes années de son
enfance marquées par ce double traumatisme et cette double absence, au lieu de rappeler
le niveau socio-économique de sa famille d’origine.

☝🍪
20 C’est aussi la raison pour laquelle l’écrivain veillera toujours à récuser l’accusation selon
laquelle son père a été assassiné par un « péon », puisque, même si ce n’est en effet pas le
cas (l’assassin était le fils d’un voisin pas forcément moins nanti), cela laisse entendre par
trop clairement le niveau social de la famille à laquelle il appartenait11, et, le cas échéant, la
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bénéficiaire : « Porlas que tiempos, informan, a los peones se les regañaba mucho,
aquellos
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incluso se losactivar
trataba mal. Dejan entrever que don Cheno [el padre de Rulfo] no era una
excepción en este sentido » (Roffé, 2003 : 50). De la même façon, si Juan Rulfo se plaint
toute sa vie de difficultés financières et d’avoir eu à travailler dans des emplois de
fonctionnaires souvent peu gratifiants, il omettra le plus souvent de rappeler l’aide fournie
par sa famille, en particulier par son oncle David, personnage en vue dès les années 30,
notamment grâce à ses liens tissés avec Manuel Ávila Camacho12 (même si l’oncle meurt à
son tour prématurément).
21 Parmi les omissions les plus significatives, on relève ensuite ses deux années passées au
Séminaire, qui ne seront révélées qu’après sa mort, et que Juan Rulfo avait toujours pris
soin de cacher (Amat, 2003 : 75-81). Loin d’alimenter un quelconque mystère à des fins
auto-publicitaires, cette omission obéit au contraire, selon Reina Roffé, à « una voluntad
férrea por ocultar durante toda su vida adulta unos años fundamentales en su formación »

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(Roffé, 2003 : 61). La raison en est simple, pour un jeune homme assoiffé de culture et de
savoir comme l’était Rulfo, « la idea […] fue la de aprender latín […] porque aprendiendo
latín, pensaba, podrían enviarlo a Roma o a algún lugar de Europa a estudiar. Europa era
el destino señalado de todo escritor latinoamericano » (Roffé, 2003 : 63). Plus tard, avec la
reconnaissance et la gloire, l’homme de gauche qu’il était se gardera bien de rappeler cette
étape de sa formation, qu’il devait juger peu conforme au parcours-type de l’écrivain
latino-américain socialement engagé promu par les années soixante et soixante-dix.

« Les deux Rulfo »


22 Les révélations faites par les trois biographes n’étonneront que ceux qui croient que
derrière chaque grand écrivain se cache nécessairement un « grand homme », qui serait
susceptible de constituer un modèle pour de jeunes générations qu’il faudrait édifier par
un récit exemplaire. On ne s’étonnera donc pas de découvrir, ou de (re)découvrir, que
derrière l’homme de lettres, Juan Rulfo, se cache bien sûr un Juan Pérez, « humain, trop
humain », avec ses forces, mais aussi ses failles et ses faiblesses. Il y a évidemment quelque
chose de malsain à découvrir, même sous la plume de biographes bien intentionnés (et les
trois qui nous occupent ici le sont), des détails intimes qui, pour le dire vite, n’éclairent pas
– ou si peu – l’œuvre qui a assuré à son auteur une postérité littéraire. On serait alors tenté
de dire, avec Malraux, « Sous l’artiste, on veut atteindre l’homme ? grattons jusqu’à la
honte la fresque, nous finirons par trouver le plâtre. Nous aurons perdu la fresque et
oublié le génie en cherchant le secret. La biographie d’un artiste, c’est sa biographie
d’artiste, l’histoire de sa faculté transformatrice ».
23 C’est ainsi que l’on découvre, derrière Juan Rulfo, un homme à la fois timide et
profondément rancunier, tour à tour dépensier, alcoolique, et toujours en retard. Plus
inattendu, derrière l’immense homme de lettres, il y a aussi une place pour le
fonctionnaire de la Oficina de Migración (1939-1947), chasseur de sans-papiers
heureusement peu zélé, qui se rêve même parfois en agent secret chargé de la surveillance
des bateaux allemands et italiens réfugiés au Mexique pendant la guerre (Roffé, 2003 : 75-
77) ; ou pour le vendeur de pneumatiques de la marque Goodrich-Euskadi (1947-1956),
qui fait de lui un commis voyageur inattendu, mais semble-t-il doué pour les affaires
(Amat, 2003 : 162-163) ; ou encore pour le journaliste promoteur de la Comisión del
Papaloapan (organisme chargé du système d’irrigation dans la zone de Veracruz), dont les

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talents pour la communication laissent en revanche très vite à désirer. Plus tard, avec la
reconnaissance institutionnelle et les honneurs, les postes obtenus par Rulfo seront
évidemment plus conformes à la stature d’un écrivain de sa trempe, et ses talents
trouveront naturellement à s’exprimer dans le poste qu’il occupe à l’Instituto Nacional
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Plus personnelles encoreque sont les considérations relatives à ses amours : amours
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platoniques de jeunesse auxquelles le jeune Juan Rulfo n’ose se déclarer (ainsi la fille du
Consul allemand à Guadalajara (Amat, 2003 : 120)) ; puis amour d’un jeune homme de
vingt-quatre ans pour une adolescente de onze ans sa cadette, Clara Aparicio, qui n’a que
treize ans lors de leur première rencontre, que Rulfo épouse finalement en 1948, à 31 ans
(elle en a donc 20), et avec qui il aura quatre enfants. Un amour dont on sait par exemple,
par les lettres publiées en 2000 par la veuve de Rulfo, sous le titre El aire de las colinas
(cartas a Clara), à quel point il se cristallise dans une relation fortement œdipienne entre
un Rulfo très angoissé et sa toute jeune femme dans laquelle il ne peut s’empêcher de
projeter l’image de sa mère défunte13.
25 C’est sans doute avec la peinture qui est faite du milieu littéraire mexicain que les trois
biographies s’abîment inexorablement, sans aider en rien à la compréhension de l’œuvre
déjà écrite. Des amitiés et des petites ou grandes trahisons, rien ne nous est évidemment

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épargné et, même si les personnages concernés ne sont ni plus ni moins féroces que ceux
d’autres scènes littéraires de la même époque (que l’on songe par exemple aux milieux
littéraires français), c’est un euphémisme de dire que les uns et les autres n’en sortent pas
« grandis » (si tant est, bien entendu, que l’on assigne à la biographie la fonction de s’en
tenir à la partie noble du destin des écrivains). En tout état de cause, force est de
reconnaître que le chemin est étroit entre l’hagiographie complaisante et le pesant
« déballage » auquel donnent souvent lieu les biographies qui prétendent « tout » dire. En
ce sens, nous ne sommes pas loin de souscrire à l’analyse de Christopher Domínguez
Michael, qui écrit dans Letras libres : « Pero entre los acontecimientos recabados por sus
biógrafos, tanto los legendarios como los inéditos, fueron pocos los que me interesaron, lo
cual no deja de inquietarme en mi medida de lector asiduo de biografías ».
26 Les trois biographes s’accordent en tout cas à reconnaître les dégâts produits par la
rivalité avec Juan José Arreola et les déclarations peu amènes d’un Alí Chumacero, qui
chercheront tous deux à diminuer les mérites de Rulfo, soit en revendiquant la copaternité
de l’audacieuse structure de Pedro Páramo (Arreola), soit en la critiquant vertement
(Chumacero)14. De même, le conflit larvé avec Octavio Paz donne lieu à des pages où se
succèdent les anecdotes sans intérêt, petite foire aux vanités où Rulfo prend largement sa
part15. Juan Ascensio lui-même est bien obligé de le reconnaître : « Es difícil poner en
claro el porqué de las frecuentes actitudes devaluatorias de Rulfo hacia sus colegas o hacia
gente con autoridad. ¿Qué buscaba? ¿Qué le había marcado con una especie de
resentimiento? » (Acensio, 2005 : 262). Un peu plus tôt, pour nuancer ce jugement, Juan
Ascensio relevait pourtant que l’extrême susceptibilité de Rulfo sur les questions liées à la
hiérarchie des valeurs littéraires et sur sa propre place sur l’échiquier littéraire mexicain
n’était due, au contraire, qu’à son attachement à une forme de justice :

Rulfo perseguía lo que en una escala auténtica de valores le era debido. Rulfo sintió
que violentaban su autenticidad, en favor del respeto humano, de meras apariencias.
Su actitud, descortés, podía confundirse con la vanidad, y era sólo un reclamo de lo
justo en sus dos vertientes: lo justo para él y lo justo para los otros. (258)

27 Mais, comme l’indique Christopher Domínguez Michael, la spécificité de la trajectoire


rulfienne appelle aussi un triple questionnement, auquel nos trois biographes tentent,
chacun à leur façon, de faire un sort « définitif ». Il s’agit de la triple question de
l’inspiration (d’où Rulfo a-t-il tiré son inspiration pour créer ces deux œuvres géniales que
sont El Llano en llamas et Pedro Páramo ?), de la réception (l’accueil froid qui aurait été
réservé aux deux œuvres par le milieu littéraire mexicain), et du silence de Rulfo à la suite

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de cette double parution (qui n’aura évidemment pas peu contribué au « mythe » de
l’écrivain).

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Trois questions rulfiennes
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28 S’agissant de l’inspiration, la grande question qui aura longtemps agité les spécialistes
est bien entendu celle de l’origine de la création rulfienne, c’est-à-dire la conscience qu’il
pouvait avoir de la modernité de ses propositions narratives, le rôle de ses amis écrivains
dans la gestation et la naissance de l’œuvre, ou encore le décalage entre le génie dont son
œuvre témoignait et sa formation non classique, à la différence de la plupart des écrivains
de l’époque, qui ajoutaient, eux, à la maîtrise de la langue écrite et aux talents littéraires
proprement dits, un art oratoire dont Juan Rulfo se sentait dépourvu et qui le rendait sujet
à des crises de panique lorsqu’il devait parler en public. Un paradoxe qui a longtemps été
résumé de la façon suivante : Rulfo, « el burro que un día tocó la flauta », selon le mot de
Federico Campbell (Roffé, 2003 : 143), soit un être fruste que Christopher Domínguez
Michael glose de la façon suivante (sans y croire un seul instant) : « una suerte de idiota en

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estado de gracia a quien la inspiración poética tomó con virulencia para arrojarlo
exhausto, una vez escritas dos breves obras maestras, hacia la esterilidad » (Domínguez
Michael, 2003). Outre qu’elles font un sort définitif au mythe de la copaternité littéraire de
Pedro Páramo (sans même parler de celui, à peine moins drolatique, de la paternité
littéraire qui reviendrait au fameux « tío Celerino » selon les dires de Rulfo lui-même16),
les trois biographies étudiées ici résolvent la question en insistant à juste titre sur les
prodigieux talents de lecteur de Rulfo, qui expliquent largement, à eux seuls, sa maîtrise
de l’art du récit (Roffé, 2003 : 158-184, chap. VI : « Lector fechisista »).
29 La deuxième question est celle de la réception de l’œuvre, que la paranoïa de Rulfo lui-
même, et sa profonde mélancolie, rendirent semble-t-il plus critique qu’elle ne le fut en
réalité, accréditant ainsi l’hypothèse d’un sinistre complot qui aurait été ourdi par les
ennemis de Rulfo pour tenter de limiter la diffusion de son œuvre ou d’en minorer les
qualités17. Hypothèse peu vraisemblable, à la lecture des trois biographies18, quand bien
même les coups bas ne manquèrent pas, et ce jusqu’à la fin, comme en témoignent les
pages consacrées par Juan Ascensio aux derniers jours de Rulfo, qui rêvait du Prix
Cervantès (dont il était finaliste et dont le verdict était imminent), mais qui savait que
Camilo José Cela était à la manœuvre pour l’en écarter (une crainte qui s’avéra fondée)
(Ascensio, 2005 : 241-273, « Amigos y enemigos »).
30 Dernière question, enfin, celle du « silence », que Reina Roffé appelle « agraphie », et
qui n’est pas étrangère à la puissance du « mythe Rulfo ». Ce mythe qui devint fable, sous
la plume de l’ami Augusto (Tito) Monterroso, l’écrivain guatémaltèque, auteur d’un
mémorable « El zorro es muy sabio », auquel fait bien sûr référence Reina Roffé dans le
titre même de sa biographie : Juan Rulfo : las mañas del zorro. C’est d’ailleurs le silence
qui oriente toute la lecture faite par Nuria Amat de la trajectoire de Rulfo, puisqu’elle sous-
titre sa biographie Juan Rulfo (el arte del silencio) et qu’elle donne également ce titre au
chapitre VII (qu’elle sous-titre « La escritura del No »). Elle explique ainsi : « El silencio de
Rulfo se ha convertido también para mí, que escribo sobre él, en un acertijo literario. A
decir verdad, es este No a la escritura el imán que más seduce de su vida después de haber
sido cautivado por su literatura » (Amat, 2003 : 264-265). Silence, donc, qui convoque
chez les trois biographes toute sorte de modèles ou d’antécédents, réels ou fictifs, de
Rimbaud à Kafka, en passant par Salinger et Bartleby, le plus souvent avec force lyrisme
(le cas de Nuria Amat est à cet égard exemplaire).
31 Outre que le silence de Rulfo n’a rien à voir avec celui de Rimbaud, qui choisit
volontairement de quitter la scène littéraire et qui renie son œuvre (ce n’est pas le cas de

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Rulfo, tant s’en faut, comme le prouvent maints témoignages), ni avec celui de Salinger
(puisque Rulfo ne se retire pas hors du monde et reste jusqu’à sa mort soucieux de garder
sa place – qu’il sait éminente – sur la scène littéraire mexicaine et latino-américaine),
plusieurs hypothèses peuvent donc être formulées, à commencer par l’une des plus
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silenceyqui n’est qu’une autre forme de la création elle-même, comme
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habilement Nuria Amat : « Escribir es también y sobre todo (acaba de
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inventarlo el mexicano) no escribir. El eco de Blanchot nos sigue por la casa: el silencio
(dejar de escribir) no es solamente dejar de escribir; es el no dejar de dejar de escribir »
(Amat, 2003 : 268). En d’autres termes, même lorsqu’il cesse d’écrire Rulfo reste un
écrivain, certes silencieux, mais habité, traversé ou hanté par cette écriture qui l’a consacré
bien des années plus tôt. Une autre hypothèse, tout aussi ingénieuse, consisterait, nous
l’avons vu, à envisager les « minifictions » de Rulfo sur sa vie comme un prolongement de
son art du récit, passé dès lors de l’écrit à l’oral (Roffé, 2003 : 14).
32 Une dernière hypothèse, plus prosaïque, aurait à voir avec l’inadéquation de la forme
rulfienne avec la littérature qui émerge au Mexique à la fin des années cinquante et au
début des années soixante. Une littérature qui rend soudain caduque, ou à tout le moins
« inutile », toute nouvelle production d’un Rulfo qui a magistralement clos le cycle du

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roman de la Révolution Mexicaine et du caciquisme. Comme l’écrit justement Reina
Roffé :

En los años sesenta, mientras Rulfo estaba trabajando en sus nuevos proyectos
literarios, emergieron novelistas que dieron gran brillo a la prosa mexicana: Juan
García Ponce, Fernando del Paso, Salvador Elizondo, Inés Arredondo y José Agustín,
entre otros. Para alguien como Rulfo, esto representó un motivo de inhibición. (Roffé,
2003 : 194)

33 Pour conclure, laissons la parole à Roberto Bolaño, qui, avec les immenses qualités de
lecteur qui étaient aussi les siennes, tranchait ainsi ce débat avec beaucoup de lucidité :

El silencio de Rulfo creo que obedece a algo tan cotidiano que explicarlo es perder el
tiempo. Hay varias versiones. Una que explicaba Monterroso es que Rulfo tenía a su
tío fulanito, que le contaba sus historias, y cuando le preguntaron por qué ya no
escribía, él contestó porque se me murió el tío fulanito. Y yo me lo creo además. Otra
explicación es simple y sencilla, y es porque ya está, todo tiene fecha de caducidad.
Por ejemplo, a mí me inquieta mucho más el silencio rimbaudiano que el silencio
rulfiano. Rulfo deja de escribir porque él ya había escrito todo lo que quería escribir y,
como se ve incapaz de escribir algo mejor, simplemente para. Rimbaud
probablemente hubiera podido escribir algo mucho mejor, que ya es decir palabras
muy altas, pero ése es un silencio que a los occidentales nos plantea preguntas. El
silencio de Rulfo no plantea preguntas, es hasta un silencio entrañable, cotidiano19.

34 Et de conclure sur une troisième et dernière forme de silence, selon lui plus inquiétante
encore, celui de la mort elle-même, dont il savait sûrement qu’il le guettait :

El silencio de la muerte es el peor de los silencios, porque el silencio rulfiano es un


silencio aceptado y el rimbaudiano es un silencio buscado, pero el silencio de la
muerte es el que corta de tajo lo que pudo ser y nunca más va a poder ser, lo que no
sabremos jamás.

35 C’est évidemment par-delà ce silence, celui de la mort, où Bolaño a aujourd’hui rejoint


Rulfo, que nous parlent encore les œuvres de ces deux écrivains, auxquelles il nous faut
prioritairement retourner.

Bibliografía

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Aarnes Asbjørn, 1967, Litteroert Leksikon, Oslo, Johan Grundt Tanum.
Amat, Nuria, 2003, Juan Rulfo (el arte del silencio), Barcelona, Ediciones Omega, col. « Vidas
literarias ».
Ascensio, Juan, 2005, Un extraño en la tierra (biografía no autorizada de Juan Rulfo), México,
Debate, col. « Historias ».
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que 2003, « El alma del vidente » in Letras Libres, México.
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Madelénat, activar
1984, La biographie, Paris, Presses Universitaires de France.
DOI : 10.3917/puf.madel.1984.01
Malraux, André, 1951, Les voix du silence, Paris, Gallimard.
Roffé, Reina, 1973, Juan Rulfo: Autobiografía Armada, Buenos Aires, Ediciones Corregidor.
Id., 1992, Juan Rulfo: Autobiografía Armada, Editorial Montesinos, Barcelona, España.
Id., 2003, Juan Rulfo: Las mañas del zorro, Madrid, Espasa Calpe (« Biografías »).
Vital, Alberto, 2003, Noticias sobre Juan Rulfo, México, Editorial RM.

Notas

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1 Le chercheur norvégien Asbjørn Aarnes donne quant à lui de la biographie une définition plus
restrictive, en la limitant précisément à la biographie littéraire, dont la fonction est de rendre compte
de la vie d’un écrivain, de son parcours, en cherchant à établir une correspondance entre la vie et
l’œuvre d’un auteur donné (Litteroert Leksikon, Oslo, Johan Grundt Tanum, 1967).
2 De nombreux hommages et colloques ont été consacrés à Juan Rulfo à l’occasion de cet
anniversaire. Citons ici les actes du colloque international auquel il nous a été donné de participer :
Milagros Ezquerro et Eduardo Ramos-Izquierdo (eds), Ecos críticos de Rulfo (Actas de las
Jornadas del Cincuentenario de Pedro Páramo), México, Rilma 2 - ADELH, 2006. Notre travail
portait sur une lecture religieuse d’une nouvelle de El Llano en llamas : « Une nuit au Jardin des
Oliviers : “La noche que lo dejaron solo” de Juan Rulfo », op. cit., p. 49-67.
3 L’auteur désigne ainsi trois paradigmes, « la biographie “classique”, dont les normes quantitatives
et qualitatives restent stables depuis l’Antiquité jusqu’au xviiie siècle […] ; la biographie
“romantique” (de la fin du xviiie à l’aube du xxe siècle) ; [et] la biographie moderne » (ibid.).
4 Todos somos Kafka, Madrid, Anaya-Mario Muchnik, 1993, puis Barcelona, Reverso Ediciones,
2004. Ce roman est récemment sorti en français : Nous sommes tous Kafka (trad. Line Amselem),
Paris, Allia, 2008. Dans sa biographie de Rulfo, Nuria Amat s’autorise ce clin d’œil : « Cuatro años
después de la publicación de “Pedro Páramo”, en 1958, en México ha comenzado la apoteosis de la
nueva novela o novela urbana. Todo el mundo quiere ser Kafka, Joyce, o como mínimo Faulkner.
Todo el mundo, salvo Rulfo […] » (op. cit. : 249).
5 New Hampshire (Estados Unidos), Ediciones del Norte, 1984.
6 Madrid, Editorial Páginas de Espuma, 2001.
7 Évoquant le travail de Rulfo à Guadalajara en 1942, en tant que fonctionnaire de la Delegación de
Migración, chargé notamment de la surveillance des exilés allemands, elle introduit ainsi de façon
caricaturale ses doutes ou ses interrogations : « No puedo dejar de pensar en la oportunidad que se
le brindaba de acompañar el exilio de cuantas víctimas pudieron salvarse de la tortura hitleriana.
Pero Rulfo nunca se refirió a ello » (p. 122). Relativement rare au début de l’ouvrage, ce trait a
ensuite tendance à s’accuser au fil des pages. Voir par exemple : « Años más tarde, Eraclio Zepeda,
otro escritor a quien tuve oportunidad de conocer personalmente, contará que […] » (p. 131) ; « Y
descubro que mientras el escritor tiene seguro su corazón, es decir, disfruta de una cierta estabilidad
afectiva, puede Rulfo ir construyendo su obra » (p. 147), etc.
8 Elle note du reste fort justement : « Los amigos solían verse en la oficina de Juan y la cita era todos
los días porque era una oficina fantasma. Una oficina de escritor. Allí, como tantos otros burócratas
(Borges, Pessoa, Kafka, Kavafis), Rulfo trabaja y madura sus cuentos » (Nuria Amat, op. cit. : 127).
Sur la ressemblance avec l’univers ou les pratiques scripturales de Kafka, voir aussi p. 189, 200, 235,
241, 245. De façon moins heureuse, elle qualifie aussi Rulfo de James Bond (sic), lorsqu’elle évoque
l’enquête qu’il mène pour connaître la famille de sa future fiancée (op. cit. : 138).
9 Voir l’article de Max Aub : « Tres jaliscienses de 1918: Juan José Arreola, Juan Rulfo y Alí
Chumacero », La Cultura en México, México, 1967, n° 284. Et sur ce mensonge, voir Amat, 2003 :
128-129.
10 Reina Roffé rappelle ainsi : « Las posesiones de los Vizcaíno en la región de “el bajo” y en la zona

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costera jaliscienses no sólo fueron afectadas por los saqueos revolucionarios, sino también por el
reparto de tierras que impuso la revolución » (p. 41). Sur l’aisance de sa famille, voir aussi Roffé,
2003 : 80-81 et Amat, 2003 : 25.
11 Selon Reina Roffé, « Rulfo había dicho enfáticamente que a su padre no lo mató un peón, porque
no tenía peones. […] No, no era un peón suyo, pero sí los tenía, porque las haciendas de su
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administraba y hubieran podido ser trabajadas por un solo hombre » (p. 49).
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12 Reina controlar
las queà deux interventions directes de cet oncle, l’une en 1935 : « Las
Roffé fait allusion
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influencias del tío David y su relación con Manuel Ávila Camacho –por entonces secretario de
Guerra en el gabinete del presidente Cárdenas– dieron sus frutos. David había ingresado en el
ejército en 1928, cuando el general Ávila Camacho, al frente del 38 Regimiento de Caballería, estuvo
en Sayula combatiendo a los cristeros » (p. 68). L’autre en 1947 : « Juan recurre de nuevo al tío
David, quien suele arreglarle sus “asuntitos” y que, cuando no están distanciados, lo llama “hijo”.
Siempre que Rulfo va a su casa, lo encuentra en compañía de Mario Moreno Cantinflas […] »
(p. 117).
13 Voir notamment les noms affectueux dont il affuble son épouse et l’analyse très juste qu’en donne
Reina Roffé, p. 91-96.
14 Voir Reina Roffé, « Los escribidores de Pedro Páramo », op. cit. : 143-149 ; et Nuria Amat, « La
leyenda sobre la publicación de Pedro Páramo », op. cit. : 226-232.
15 Sur la rivalité avec Octavio Paz, voir Reina Roffé, op. cit. : 152-157, Nuria Amat, op. cit. : 249-
250.

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6/4/24, 20:17 Trois biographies de Juan Rulfo
16 Sur cette trouvaille géniale de Rulfo, voir la mise au point de Reina Roffé, « El tío Celerino », op.
cit. : 189-192.
17 Sur ce pseudo-complot, voir Reina Roffé, op. cit. : 135-139.
18 Voir en particulier celle de Reina Roffé. Sur la réception critique très favorable de Juan Rulfo, voir
p. 133, 139 et 143.
19 Entretien avec Eliseo Álvarez, « Las posturas son las posturas y el sexo es el sexo », in Andrés
Braithwaite, Bolaño por sí mismo (entrevistas escogidas), Santiago de Chile, Ediciones
Universidad Diego Portales, 2008 (2a ed.), p. 44.

Para citar este artículo


Referencia en papel
Karim Benmiloud, «Trois biographies de Juan Rulfo», América, 40 | 2011, 165-178.

Referencia electrónica
Karim Benmiloud, «Trois biographies de Juan Rulfo», América [En línea], 40 | 2011, Publicado el 01
diciembre 2014, consultado el 06 abril 2024. URL: http://journals.openedition.org/america/271; DOI:
https://doi.org/10.4000/america.271

Autor
Karim Benmiloud
Université Paul Valéry – Montpellier 3

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