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MODERNISME BRESILIÉN: SIGNES PRÉCURSEURS, ÉCHOS ET PROBLÈMES

Anthropophagie entre sauvetage et


enlèvement de 1928 aux années 70

Paulo Moreira1

Le thème que je développe aujourd´hui est l´accidentelle


chance critique de l´Anthropophagie, du total oubli à l´indiscutable
centralité culturelle, une trajectoire unique parmi les avant-gardes
du XXème siècle. Dans cet essai, je distingue quatre moments pour dé-
finir cette trajectoire. Le premier comprend les activités d´écrivains
et artistes de la Revue d´Anthropophagie2, qui a publié le manifeste
de Oswald de Andrade dans son premier numéro, une période de
changements de direction et de polémiques diverses jusqu´à l´arrêt
soudain de la revue, plus ou moins une année plus tard. Après la fer- 407

meture de la revue, durant les années 30, des démonstrations de rejet


de l´Anthropophagie (et du Modernisme en général) apparaissent.
La brève et infructueuse tentative de reprendre l´Anthropophagie
en tant que concept philosophique dans les années 50, effectuée
par Oswald de Andrade, est l´épilogue mélancolique de ce premier
moment. Le second moment débute après le décès de Oswald de
Andrade, lorsque, à partir de 1956, des jeunes réunis dans le groupe
Poésie concrète commencent à mentionner régulièrement le nom
du moderniste Oswald de Andrade. Initialement, ces citations sont
très brèves et ne mentionnent pas l´Anthropophagie, privilégiant
la rhétorique de modernisation du manifeste Pau-Brasil3 et du livre
1 Université de Oklahoma.
2 NdT : Revue créée par Oswald de Andrade et Raul Bopp, qui est parue
entre mai 1928 et août 1929.
3 NdT : Le manifeste (qui donnera naissance à un mouvement) Pau-Brasil a
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

de poèmes éponyme (1924). Un troisième moment débute durant la


seconde moitié des années 60 avec la réédition de textes de Oswald,
après des décennies d´absence sur le marché, et la rédemption défi-
nitive de celui qui était, peu de temps avant, un maudit4 moderniste.
Oswald de Andrade et l´Anthropophagie sont mis en avant dans trois
repères culturels de cette époque : l´exposition Nouvelle objectivité
brésilienne et son catalogue, l´album collectif Tropicália ou Panis
et Circensis et la pièce théâtrale Le roi de la chandelle, écrite par
Oswald de Andrade lui-même. A partir de ces trois événements,
les manifestations d´admiration à l´égard de Oswald de Andrade,
venues de la part d´artistes, de cinéastes, de musiciens, de drama-
turges et d´écrivains deviennent monnaie courante. La publication
des œuvres complètes est suivie d’une production critique de grande
qualité dans les années 70. Finalement, au dernier moment de l’his-
toire de l´accueil de Oswald de Andrade et du Manifeste Anthro-
pophage - dont je ne traiterai pas en détail dans ce texte faute de
place - nous assistons à un développement sans précédent de leur
408
portée qui a connu son moment le plus marquant lors de la 24ème
Biennale de São Paulo en 1998, quand les commissaires Adriano
Pedrosa et Paulo Herkenhoff choisissent l´Anthropophagie comme
concept central organisateur de l´événement. En conséquence,
l´Anthropophagie est devenue le point de contact entre trois artistes
brésiliens qui ont atteint de hauts niveaux de visibilité globale au
XXIème siècle, bien après leur mort : Tarsila do Amaral (1886-1973),
Lygia Clark (1920-1988) et Hélio Oiticica (1937-1980).

été rédigé par Oswald de Andrade et est paru en 1924. Ce nom fait référence
à l´arbre et à son bois (« pau » est l´un des termes possibles pour désigner
le bois ou l´arbre en portugais du Brésil) très courant au Brésil, qui est à
l´origine du nom du pays.
4 En français dans le texte.
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Première phase : Naissance du Nouveau


Cannibale
Le premier numéro de la Revue d’Anthropophagie conte-
nait le célèbre manifeste, mais aussi des notes de l’éditeur Antô-
nio de Alcântara Machado décrivant la revue comme un véhicule
œcuménique et éclectique, ouvert à tous les modernistes après
1922 : « Jusqu’en 1923, il y avait des alliés qui étaient des ennemis.
Aujourd’hui, il y a des ennemis qui sont des alliés » (Puntoni, 2014,
p. 1). Les neuf pages contenaient des poèmes, des nouvelles et des
critiques signées par la crème du Modernisme : Oswald de Andrade,
Mário de Andrade, Jorge de Lima, Guilherme de Almeida, le groupe
Verde de Cataguases, Augusto Meyer et Álvaro Moreyra. Entre les
pages 3 et 7, qui contiennent le manifeste de Oswald de Andrade,
se trouve un long essai sur le Tupi signé par Plinio Salgado, futur
leader de l’intégralisme. Une « note insistante » à la dernière page
de la revue, signée par Alcântara Machado et Raul Bopp, réaffirmait
l’éclectisme de la revue :
409
La Revue Anthropophagique est au-dessus de tout groupe ou
tendance ; (...) accepte tous les manifestes mais ne publie pas de
manifeste ; (...) accepte toutes les critiques mais ne fait pas de
critique ; (...) n’a rien à voir avec les points de vue dont elle serait,
par hasard, le véhicule (...) n’a pas d’orientation ou d´opinion de
quelque forme que ce soit : elle n’a que de l’estomac. (Puntoni,
2014, p. 9)
Le Manifeste mêle, avec éloquence et concision, quatre thèmes
liés entre eux, créant ce texte « potentiel, conjoncturel et diversifié »
qui caractérise « l´Encyclopédie ouverte » (Calvino, 2002, p.127) de
Italo Calvino. Il existe la thèse d´une relation dialectique entre ce
qui est propre et ce qui est étranger à quelqu´un dans le contexte de
l´identité nationale – une analogie entre le processus de sélection
et d´appropriation et le cannibalisme rituel tel que le décrivent les
européens ; cette analogie fait partie d’une révision du passé pré-
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

colonial considéré comme un âge d’or idyllique et primitif qui est


allé au-delà des utopies modernes dans la promotion du bonheur et
l´affranchissement des refoulements ; ce passé préhispanique sert de
toile de fond pour protester contre le poids des répressions sociales
et sexuelles de nature religieuse que les colonisateurs portugais ont
apportées et imposées - oppression culturelle, sociale et sexuelle
assimilée au patriarcat. Et ce refus du patriarcat colonial et néoco-
lonial débouche sur un appel pour une nouvelle révolution capable
de créer un nouvel âge d´or d´auto-confiance culturelle et de total
affranchissement des refoulements : « sans complexes, sans folie,
sans prostitutions et sans prisons » (Andrade, 1978, p.19). Chacun
de ces quatre thèmes est développé en extraits, mais le manifeste
possède une certaine profondeur hors du commun car les extraits
dispersés se développent et se complètent entre eux. Trois réseaux
de références textuelles concises et pleines d´ironie vont se dessiner
peu à peu durant la lecture : un ensemble de références est constitué
de travaux d´essayistes, de philosophes, d´anthropologues et de
410
psychologues, de Montaigne et Rousseau à Freud et Nietzsche ; un
autre fait référence à l´Histoire du Brésil, plus particulièrement au
passé colonial du pays, allant de José de Anchieta, Hans Staden et
Antônio Vieira à Dom João VI et le Visconde de Cairu ; finalement,
le troisième réseau de références fait allusion à des figures mythiques
et/ou littéraires telles Guaraci, Jaci, le Jatubi, le Grand Serpent,
Maria de la source, Dom Antônio de Mariz et Iracema. Les quatre
thèmes et les trois réseaux de références s´articulent pour le lecteur
en 50 courts extraits emplis d´esprit et d´un sens de l´humour
sarcastique, un fait esthétique de nature typiquement moderniste,
au sens le plus large du mot.
Après dix numéros sous une direction fortement éclectique,
Oswald de Andrade et son entourage le plus proche (Jayme Adour da
Câmara, Tarsila do Amaral, Raul Bopp, Oswald Costa, Geraldo ferraz,
Patrícia Galvão, Clóvis de Gusmão) assument la direction de la Revue
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d´Anthropophagie et initient ce qui est connu comme une « seconde


dentition » en mars 1929. La revue devient alors un véhicule pour
les idées du groupe - « organe du club d´anthropophagie ». Le
format change également de manière significative car la Revue
d´Anthropophagie n´est plus une revue proprement dite mais une
page dans le supplément dominical du Diário de São Paulo5, récem-
ment créé. Des travaux de divers modernistes non directement liés
aux « Anthropophages » sont encore publiés dans cette seconde phase
qui inclut des textes de Jorge de Lima, Augusto Meyer, Murilo Mendes
et Manuel Bandeira, par exemple ; mais une grande partie de l´espace
disponible est désormais dédiée à une prose journalistique d´opinion
signée par des pseudonymes. Ce sont des colonnes mordantes diri-
gées contre les ennemis (surtout modernistes) de l´Anthropophagie :
Graça Aranha, Tristão de Athayde, Mário de Andrade, Carlos Drum-
mond de Andrade, Cassiano Ricardo et Augusto Frederico Schmidt,
principalement. Le dernier numéro de la seconde denture sort en août
1929 – les critiques acerbes faites au catholicisme amènent l´éditeur
411
du Diário de São Paulo, Rubens do Amaral, à mettre fin abruptement
à la page dominicale, après cinq mois de collaboration. Selon Raul
Bopp, le groupe avait encore des plans ambitieux afin d´organiser un
Congrès de l´Anthropophagie en 1931 et une série dénommée Petite
bibliothèque Anthropophage (Bopp, 2006, p.78), mais le groupe
prend fin brutalement quand Oswald de Andrade divorce de Tarsila
do Amaral à cause de sa relation avec Patrícia Galvão, toutes deux
des personnes importantes du groupe6.

5 NdT : Journal (quotidien) de São Paulo, fondé en 1929.


6 Quant à ces ambitions décrites superficiellement dans Vie et mort
de l´Anthropophagie, il est nécessaire de comprendre combien il
est difficile de juger de leur sérieux. En 1925, Mário de Andrade,
dans une lettre adressée à son ami Câmara Cascudo, résume parfai-
tement le caractère de Oswald de Andrade : « C´est la personne la
plus désordonnée du monde. Il promet tout de bon cœur, oublie et a
dix millions d´affaires très compliquées, il part en Europe sans que
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

La crise boursière de New-York en octobre 1929 et la Révo-


lution de 1930 sont des indications du rapide changement de la
scène culturelle qui survient immédiatement après la dissolution de
l´Anthropophagie7. En 1933, Oswald de Andrade a écrit la préface
du roman Serafim Ponte Grande se qualifiant lui-même dans les
années modernistes de « clown de la bourgeoisie » et le mouvement
qu´il dirigeait de simple « vérole anthropophagique » (maladie très
contagieuse, mais d´une relative courte durée) (Andrade, 1964, p.
132). En 1933, Tarsila do Amaral expose seule, à Rio de Janeiro, ses
portraits collectifs du prolétariat brésilien, comme Travailleurs et
Seconde Classe, qui montrent un changement de direction analogue
de la part de la peintre.
Des années de persécution politique, des difficultés finan-
cières et un relatif ostracisme suivent, tandis que Oswald de Andrade
prend part au Théâtre de l´Expérience de Flávio de Carvalho.
C´est seulement dans les années 50 que Oswald de Andrade tente
de redonner vie à l´Anthropophagie, principalement à travers la
412
publication de textes courts, comme La marche des utopies et une
monographie de philosophie, La crise de la philosophie messianique.

nous le sachions. (…) il aime également jongler un peu avec les vicis-
situdes. Il joue avec elles et s´amuse » (Andrade, 2000, p. 40-41).
7 On a découvert récemment que la revue hebdomadaire O Q A publiée
par Victorino de Oliveira a inclus entre le 29 août et le 5 décembre 1929
une section intitulée « Anthropophagie – organe des anthropophages de
São Paulo ». Clóvis de Gusmão, le responsable de cette page, avait déjà
publié trois textes durant la seconde phase de la revue : le 31 mars, le
poème « Mayandeua » et un ensemble de dictons populaires signé « La
succursale (Club d´anthropophagie de Rio de Janeiro) » et le 7 avril une
note intitulée « Anthropophagie ». Consulter : https://www1.folha.uol.com.
br/ilustrissima/2021/06/recem-descoberta-terceira-fase-de-revista-de-antropofa-
gia-revela-lacunas-da-historia-do-modernismo.shtml. Alexandre Nodari écrit un
excellent article prenant en compte, avec attention, le contexte, la question de la
possible « troisième denture » et la place de la page du « paraense », - NdT : habitant
de l´État du Pará - Clóvis de Gusmão, dans celle-ci.
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A ce moment-là, l´anthropophagie est considérée comme un concept


philosophique, recherchant la reconnaissance universitaire d´un
écrivain luttant contre de sérieux problèmes financiers et de santé.
Les écrits souffrent d´insuffisances conceptuelles caractéristiques
de nombreux textes de la revue, établissant un passage rapide entre
lecture et argumentation, aboutissant à des généralisations très
souvent grossières. Je crois qu´il suffit de donner un exemple de
cette danse frénétique de généralisations suivie de conclusions aussi
catégoriques qu´absurdes, extrait du début de Marche des utopies :
Les Juifs, s´estimant le peuple élu, détenteur exclusif des faveurs
de Dieu, ont créé le racisme. Les Arabes, peuple exogame, ouverts
aux aventures maritimes et au contact extérieur, ont créé le
métissage. Et la lutte menée depuis des millénaires, tant dans le
domaine ethnique que dans le domaine culturel, a été celle-ci - en-
tre le racisme stérilisateur mais dominant des Juifs et le mélange
fructueux et intégrateur des Arabes. Ceux-ci ont donné de loin
la Réforme, ceux-là la Contre-Réforme. Ceux-ci allaient produire
Luther et Calvin, tandis que ceux-là produiraient les jésuites, 413
blessés par le Vatican dans leur malléabilité politique, fille du
métissage de la culture qu’ils adoptaient. (Andrade, 1978, p. 148)
L´ostracisme ultérieur de Oswald de Andrade a été décrit
dramatiquement par sa fille Marília de Andrade :
Les parents de mes amies, même les plus intellectuels, n´avaient
jamais lu aucun de ses livres, il n´y avait aucun exemplaire de
ceux-ci dans la bibliothèque de l´école et, après être entrée au
lycée, j´ai constaté, avec désolation, que son nom n´était même
pas mentionné dans les anthologies de la littérature brésilienne,
au chapitre sur le Modernisme. (Rufinelli, 2011, p.43)
Rudá, le fils de Oswald, a décrit son père, vieilli et malade,
comme un homme angoissé par sa condition de « créateur d´avant-
garde à demi isolé » (Rufinelli, 2011, p. 91).
Dans une note à l´occasion du décès de Oswald de Andrade,
Carlos Drummond de Andrade (2012, p. 117) décrivait
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

l´Anthropophagie comme l´expression d´une personnalité


inconstante et incohérente qui oscillait entre le provocateur
iconoclaste et le sentimental offensé : « Oswald de Andrade a
construit toute une philosophie de vie et une théorie sociolo-
gique pour justifier l´exercice de sa tendance au sarcasme. Il a
appelé cela anthropophagie… ». À cette même période, Antonio
Candido (1977, p. 63) comparait Mário de Andrade et Sérgio
Milliet à Oswald de Andrade qui « restait à moitié en marge »
dans l´univers des modernistes vétérans des années 20. Pour
Candido (1977, p. 78), l´Anthropophagie était un concept vague,
résultat naturel pour un écrivain se distinguant par son excellence
de « l´ellipse, l´allusion, la coupure, l´espace blanc, le choc de
l´absurde » - et qui apparaissait comme une itération de plus
dans une tradition littéraire au Brésil, depuis Basilio da Gama et
Santa Rita Durão, soulignant l´affrontement entre les cultures
indigène et portugaise :

Il est difficile de dire en quoi consiste exactement


l´Anthropophagie, que Oswald n´a jamais définie, bien qu´il
414 ait laissé suffisamment d´éléments pour que nous identifions
sous les aphorismes quelques principes virtuels l´incluant dans
une ligne directrice constante de la littérature brésilienne depuis
la Colonie8 : la description du choc des cultures. (Candido, 1977,
p. 84-5)

Second moment : Héros de l´avant-garde


Après sa mort, les - alors jeunes - membres du groupe Poé-
sie concrète commencent à mentionner Oswald de Andrade dans
leurs diverses programmations. La collection Théorie de la Poésie
Concrète (qui va jusqu´au début des années 60) nous montre une
lente transition. Dans les premiers textes, toujours dans les années
50, Oswald était cité brièvement, restant hors de la constellation

8 NdT : Le « Brésil colonial » a existé entre le XVIème siècle et le début du


XIXème quand l´actuel territoire brésilien « hébergeait » les colonies du
Royaume du Portugal.
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centrale formée par Stéphane Mallarmé, Guillaume Apollinaire,


James Joyce, Ezra Pound et E. E. Cummings. En 1957, Haroldo de
Campos (1975, p. 51) mentionne Oswald (et João Cabral de Melo
Neto) comme auteurs de « raretés qui nagent à contre-courant » de la
médiocrité de la poésie brésilienne et Pignarati se réfère à Mário9 et
Oswald de Andrade comme auteurs de « rares et occasionnelles réa-
lisations » (p. 65) et à João Cabral comme l´auteur de la « première
attaque lucide contre le jargon lyrique et la peste « métaphorico-ly-
rique » qui sévit dans la poésie nationale et mondiale » (p. 65). Les
concrétistes avaient donc tendance à être condescendants envers
le Modernisme puisque la Poésie Concrète transformerait la poésie
brésilienne, « pour la première fois (…) totalement contemporaine »
(p. 152). Oswald de Andrade était à cette époque-là, avant toute
chose, l´auteur des « poèmes-minute » et des « poèmes-pilule » de
Pau-Brasil (1924) qui mettait en pratique des méthodes futuristes
pour la destruction des vers et de la syntaxe conventionnels (p. 87),
les bêtes noires10 des Concrétistes.
415
À partir des années 60, le Concrétisme commence à incorpo-
rer la littérature brésilienne à son païdeuma : Gregório de Matos,
Sousândrade, Qorpo Santo, Oswaldo de Andrade, João Cabral de
Melo Neto et João Guimarães Rosa méritent notre attention. Les
lectures critiques sont décrites comme des sauvetages d´œuvres
reléguées à l´ostracisme par les forces réactionnaires de l´université
et du journalisme. Ces œuvres sont réévaluées par les concrétistes
et promues en qualité d´œuvres anticipatrices et confirmatrices des
principes de l´avant-garde formaliste/constructiviste défendus par
le groupe. Par ailleurs, ce nouveau païdeuma national concrétiste
vibrait d´orgueil national, en contraste évident avec la proposi-

9 Selon Décio Pignatari (1975, p. 86), Mário de Andrade théorisait sur le «


vers harmonique » sans savoir que l´application systématique de ce concept
amènerait nécessairement à la destruction du vers conventionnel (p. 87).
10 En français dans le texte.
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

tion quelque peu mélancolique de Antonio Candido (1997, p.9)


qui appelait à considérer la littérature brésilienne comme « une
branche secondaire de la littérature portugaise, qui elle-même est
un arbuste de seconde classe dans le Jardin des Muses ». Dans ce
contexte, déjà en 1960, Haroldo de Campos décrivait le roman Sera-
fim Ponte Grande de Oswald de Andrade comme « l´un des jalons
de l´invention verbale, de la manipulation qualitative du lexique et
de la syntaxe » (Campos, p. 141).
Sans abandonner le mythe constructiviste du progrès formel
dans les arts, la Poésie Concrète incluait/réinventait graduellement
le passé, en suivant le livre de recettes de son héros, Ezra Pound :
en s´appropriant, à travers la traduction ou la réédition, le travail
de ceux qui pourraient servir de modèles pour la pratique littéraire
contemporaine. Ce n´était pas chez le Oswald de Andrade du Mani-
feste Anthropophage que les concrétistes rencontraient cet idéal au
début des années 60.
Pour mieux comprendre comment le Manifeste Anthropo-
416
phage fait son retour triomphal au centre de la culture brésilienne,
il est peut-être utile que nous comparions les couvertures de la revue
Noigrandes et celle du livre Théorie de la Poésie Concrète (1965),
tous deux ouvrages des concrétistes. La revue des années 50 privi-
légie les tons monochromatiques et l´art abstrait géométrique alors
que le livre de 1965 montre des personnages de bandes dessinées
tels que Mandrake ou des caricatures comme le brésilien Amigo
da Onça11. A la manière du Pop Art, ces personnages apparaissent
sur les couvertures des livres avec des bulles contenant des phrases
ironiques. Le préhistorique Brucutu12, par exemple, déclare que

11 NdT : « Amigo da onça » - L´ami du jaguar – est un personnage de bande


dessinée créé par Péricles de Andrade Maranhão en 1943 et il deviendra
l´un des personnages les plus populaires du pays.
12 Personnage préhistorique d´une bande dessinée américaine (1932),
représentante de la culture pop, qui a connu un grand succès au Brésil.
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« la poésie est concrète et participante » - et le rajout, ici, du terme


participante est digne d´intérêt. Déjà en 1962, Haroldo de Campos
répondait aux critiques qui considéraient le groupe concrétiste
assujetti à l´essai « la Poésie Concrète et la Réalité Nationale »,
contenant de nouveaux programmes politiques et sociaux et qui se
déplaçait d´un formalisme plus restreint vers des discussions plus
générales sur la culture.
Le double changement – le compromis avec l´engagement
social et politique et l´acceptation des expressions de la culture de
masse – est une réponse non seulement à la croissance vertigineuse
de l´industrie culturelle de consommation et son influence dans tous
les domaines culturels mais aussi à l´exacerbation de la crise cultu-
relle et politique, favorisée par la guerre froide qui allait culminer avec
le coup d´état de 1964, à une époque où la demande de participation
et de pertinence politique des arts était grande. Bien que brusque,
elle n´est pas considérée comme telle : le Pop Art est simplement vu
comme une expression d’avant-garde de plus, comme une itération
417
de la tradition moderniste des ruptures et l´engagement envers le
Modernisme de nature constructiviste ne se laissait apparemment
pas toucher par la critique envers l´eurocentrisme et l´impérialisme
ou par les discussions sur l´identité nationale. Pignatari résumait
ainsi la question :
…l´actuelle pop art nord-américaine (également dénommée
« néo-dadaïste ») – le premier mouvement authentique d´avant-
garde des États-Unis pour le monde : elle est aussi une rébellion
contre la culture européenne. Un art anthropophage. (Pignatari,
2001, p. 53)
Outre la référence à l´anthropophagie, la référence au
dadaïsme indique déjà un changement de priorité d´un Moder-
nisme constructiviste pour un autre, accueillant la parodie ico-
noclaste et même l´anarchie. Et désormais, la culture brésilienne
passait du retard dans la recherche d´une culture d´exportation à
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

l´avant-garde de la révolte contre les valeurs de la bourgeoisie et de


l´eurocentrisme. A l’Oswald de Andrade au langage concis et synthé-
tique du Pau-Brasil, avec ses poèmes composés d´extraits de chro-
niques coloniales à la façon des readymades de Marcel Duchamp, se
joignait maintenant le Oswald de Andrade iconoclaste, anarchiste,
libertaire et adepte du primitivisme de l´Anthropophagie.
Dans un contexte encore plus large, ces changements faisaient
suite à d´autres, significatifs dans le domaine des idées, comme le
passage de la critique constructiviste au sous-développement faite
par le CEPAL13 à une critique radicale de l´impérialisme de la Théorie
de la Dépendance et, principalement, aux nouvelles interprétations
de Freud relatives au rôle de la répression dans la compréhension de
la psychologie dans les domaines personnel et social. La répression
va d´une vision descriptive et résignée en tant qu´élément essentiel
de la vie sociale civilisée, à un obstacle au désir de développer « une
libido transformée au-delà du principe de performance » (Marcuse,
1966, p. 202). Marcuse (p. 15), déjà en 1955, concevait le principe de
418
réalité comme quelque chose de conditionné historiquement et pen-
sait au « principe de performance » (le principe de la réalité du capi-
talisme industriel) comme base pour la domination et l´exploitation
et un empêchement majeur pour l´idéal de « faire du corps humain
un instrument de plaisir plus que de travail ». Afin d´illustrer ce que
ce changement signifie, il suffit de se souvenir qu´en 1933, Murilo
Mendes refuserait le statut de roman prolétaire au Parc industriel
de Patrícia Galvão car « il semble que, pour l´auteure, la fin de la
révolution consiste à résoudre la question sexuelle » (Bueno, 2006, p.
168). Dans les années 60, le caractère d´engagement révolutionnaire
du roman de Pagu ne serait jamais contesté en ces termes, puisque la
« jonction entre la dimension érotique et politique » (Marcuse, 1966,
p. 21) devenait un lieu commun et la lecture de Freud suggérée dans
13 Commission Économique pour les Pays d´Amérique Latine et les
Caraïbes.
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le Manifeste Anthropophage allait à l´encontre de ce changement


culturel qui a éclos au cours de la seconde moitié des années 60.
Troisième moment : Longue vie au Roi Cannibale !
Toute cette harmonie culturelle ne cache pas le fait qu’un
écrivain et ses idées ne peuvent renaître sans la circulation de ses
livres. La seconde édition de Mémoires sentimentales de João Mi-
ramar14, en 1964, 10 années après la mort de Oswald de Andrade,
est sortie 40 années après la première édition. Haroldo de Campos
a préfacé avec force le roman en le qualifiant de « capital pour les
expériences littéraires qui ont refondu la littérature brésilienne, y
compris quelques-unes en cours actuellement. » (Andrade, 1964, p.
7). En 1966, Poésies réunies a fait en sorte que la poésie de Oswald
de Andrade soit disponible pour le public brésilien dans la seconde
moitié des années 60, moment particulièrement fertile de la cultu-
re brésilienne. Un an après, en 1967, paraissait Morceaux choisis,
anthologie de poche de la série Nos classiques qui proposait des
extraits des manifestes Pau-Brasil et Anthropophage. Même si 419
l’introduction de Morceaux choisis (p. 8) qualifiait Oswald de An-
drade de véritable défenseur de la « révolution esthétique », dans
cet ouvrage, le Manifeste Anthropophage continuait d´être à peine
un « un indianisme à l’envers » et un « complément naturel » (p.
17 ) de son prédécesseur.
1967 a été l´année où la gloire de Oswald de Andrade et de
l´Anthropophagie deviendrait inégalable. Le Théâtre Officine de
José Celso Martinez Correa mettrait en scène pour la première fois la
pièce Le roi de la chandelle (écrite par Oswald de Andrade en 1933,
en pleine époque de rejet du Modernisme) avec une scénographie de
Hélio Eichbauer qui se référait aux dessins et peintures de Tarsila do
Amaral, de la période anthropophage. Au Musée d´Art Moderne de
Rio de Janeiro, l´exposition Nouvelle objectivité brésilienne amène

14 Roman de Oswald de Andrade publié en 1924.


André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

l´œuvre accessible de Hélio Oiticica dénommée Tropicália et un texte


introductif où Oiticica (1986, p. 106) mentionne l´Anthropophagie,
qu´il aurait lu « avant qu´il ne devienne une mode, ce qui est advenu
après la représentation de Le roi de la chandelle ». Pour Oiticica (p.
85), l´Anthropophagie est l´exemple de la « volonté constructive
générale » des artistes et écrivains brésiliens depuis le Modernisme
et elle définit les brésiliens comme « un peuple à la recherche d´une
caractérisation culturelle », détenteurs d´une culture éminemment
« anthropophage, c´est-à-dire un concentré immédiat de toutes les
influences extérieures aux modèles nationaux ». Après presque 40
années dans l´oubli, l´Anthropophagie voit son retour triomphal au
milieu de la contre-culture et des luttes anti-impérialistes comme un
point culminant du Modernisme brésilien et une stratégie de lutte
contre l´imposition culturelle de l´industrie :
L´Anthropophagie serait la défense que nous possédons contre
une telle domination extérieure, et la principale arme créative,
cette volonté constructive, ce qui n´a en rien empêché une espèce
420
de colonialisme culturel, que, d´une manière objective, nous
voulons abolir aujourd´hui, en l´absorbant dans une « superan-
thropophagie ». (Oiticica, 1986, p. 85)
Cette lecture nationaliste/anti-impérialiste de
l´Anthropophagie germait déjà dans l´Histoire du Modernisme –
antécédents de la semaine d´art moderne, livre dans lequel Mário
da Silva Brito racontait les cinq années précédant la semaine de 1922,
soulignant l´importance de Oswald en tant que disséminateur du
Futurisme (1964, p. 29), promoteur de Mário de Andrade et Anita
Malfatti et leur défenseur public dans la presse. Mais pour Oiti-
cica, l´Anthropophagie n´était pas un concept vague ni un simple
complément de la Poésie Pau-Brasil. À la fois anti-impérialiste et
cosmopolite, le Manifeste Anthropophage était fondamental pour
le présent et l´avenir de la culture brésilienne. En 1967, il y a eu le
lancement de Terre en transe, lecture cinématographique du mani-
MODERNISME BRESILIÉN: SIGNES PRÉCURSEURS, ÉCHOS ET PROBLÈMES

feste de Glauber Rocha de 1965, « l´esthétique de la faim », dont


les parallèles avec le Manifeste Anthropophage sont évidents par
la manière de traiter la faim comme un concept fondateur d´une
nouvelle esthétique en Amérique latine.
L´année suivante, inspirés par les œuvres accessibles de Hélio
Oiticica, Caetano Veloso et Guilherme Araújo ont préparé l´album
Tropicália ou Panis et circenses, comportant un design inspiré de
la couverture de Sgt. Pepper´s Lonely Hearts Club Band réalisé
par Rubens Gerchman – qui avait pris part à l´exposition Nouvelle
objectivité brésilienne. Caetano Veloso et bien d´autres, alors
appelés Tropicalistes, voulaient non seulement embrasser la culture
vernaculaire brésilienne mais aussi l´industrie culturelle globale et
même le Kitsch. En disant que seul l´intéressait ce qui n´était pas
sien, Oswald de Andrade stimulait également des musiciens inté-
ressés par la Bossa Nova, par l´Ensemble musical de Pífanos de
Caruaru, par les bandes dessinées, par le « Cœur maternel » (1937)
de Vicente Celestino et par l´anarchie de Chacrinha. Aucun d´entre
421
eux ne devait être considéré comme des forces réactionnaires ou des
ennemis du Modernisme, mais comme un matériel attrayant pour
être approprié – cannibalisé – par des artistes intéressés à démolir
les frontières du bon goût et de la sophistication. Pour Caetano
Veloso (1997, p. 114), Oswald de Andrade et l´anthropophagie sont
devenus « le point d´union entre tous les Tropicalistes et ses plus
antagoniques admirateurs ».
Alors qu´ils vivaient dans l´espoir de la révolution tiers-
mondiste, la libération sexuelle, la contre-culture, l´activisme estu-
diantin, les nouveaux moyens de communication de masse et leur
village global et la tension claustrophobe d´une dictature militaire
qui durcissait dans un climat de paranoïa anticommuniste, plusieurs
artistes et intellectuels de la fin des années 60 ont trouvé dans
l´Anthropophagie aussi bien le cannibalisme culturel en tant que
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

forme d´action culturelle que le matriarcat de Pindorama15, forme


de contestation de la famille traditionnelle répressive, recherchant
dans les paroles de Caetano Veloso (1997, p. 181) « l´imagination
à une critique de la nationalité, de l´histoire et du langage ». Le
style fragmenté du manifeste offrait (et offre) un espace pour que
les nouveaux lecteurs relisent l´anthropophagie en accord avec
leur personnalité et leurs besoins. « La fragmentation radicale, la
force intuitive et violemment iconoclaste » (Veloso, 1997, p. 178)
servait à briser l´impasse entre les nationalistes anti-impérialistes
et les enthousiastes de la Pop, entre la culture érudite et la culture
populaire et entre la pertinence politique et la pertinence esthétique.
Dans les années 70, l´œuvre complète de Oswald de Andrade
a été publiée en 10 volumes par la prestigieuse maison d´édition
Civilização Brasileira. Une série de critiques a suivi, constituant ce
qui est aujourd´hui le meilleur de la critique sur l´auteur : essais
de Antônio Candido (1970), José Guilhrme Wisnik (1974), Benedi-
to Nunes (1978), Haroldo de Campos (1980) et Silviano Santiago
422
(1982). Après s´être harmonisé avec l´anti-impérialisme et la ré-
volution sexuelle, Oswald de Andrade a apporté, dans les années
80, la proposition d´un abordage décentré et périphérique sur le
post-structuralisme et la déconstruction. Le banquet anthropophage
s´est étendu à de nouveaux domaines inusités. Par exemple, en 1977,
Augusto de Campos (p. 8) décrirait le poète baroque Gregório de
Matos comme « un prédécesseur, également indigeste » de Oswald
de Andrade et aussi un « anthropophage » :
Sans la voix de l´enfer de notre premier anthropophage, ce
bahianais16 et étranger qui déglutit et vomit le Baroque européen

15 NdT : À partir de l´utopie de Oswald de Andrade, le matriarcat de Pin-


dorama est un territoire mytho-poétique où la pensée n´est pas « domes-
tiquée », c´est une terre du devenir où la société patriarcale traditionnelle
est remise en question.
16 NdT : originaire de l´État de Bahia (Nord-Est du Brésil), l´un des États
fédérés du Brésil.
MODERNISME BRESILIÉN: SIGNES PRÉCURSEURS, ÉCHOS ET PROBLÈMES

et l´assaisonne à la « mulâtresse » et au syncrétisme tropical, il


n´existe pas de formation – même bien intentionnée – informant
sur ce qui existe de facto derrière cette chose amusante dénom-
mée littérature brésilienne. (Campos, 1977, p. 95)
Empli d´orgueil national triomphant, Augusto de Campos
compare la riche exubérance de la Voix de l´Enfer brésilienne à
la pauvre parcimonie des Puritains nord-américains. Même José
Miguel Wisnik (2010, p. 26), initialement critique envers les appro-
priations qui ne prenaient pas en compte le contexte culturel de la
production de Gregório de Matos, caractériserait certaines pratiques
poétiques du poète baroque d´« anthropophagie linguistique ».
En même temps, une fois délivrée de son contexte plus large
et restreinte au texte du manifeste, l´Anthropophagie s´est trans-
formée en un mythe tel que le définit Lévi-Strauss, un récit capable
d´« offrir un modèle logique pour surmonter une contradiction
(objectif impossible quand la contradiction est réelle) » (Lévi-
Strauss, 1958, p. 254). Les sauvetages et détournements de cette
423
Anthropophagie mythique sont comme le « nombre théoriquement
infini de lames, chacune légèrement différente des autres » qui iront,
selon la formule de Lévi-Strauss, grandissant « en spirale jusqu´à
ce que l´impulsion intellectuelle qui les a produites soit épuisée ».
L´impulsion intellectuelle, dans le cas présent, consiste à raccom-
moder les contradictions d´une identité fracturée, comme l´est la
brésilienne, à la fois profondément occidentale et profondément
non occidentale, et cette contradiction est certainement loin de se
tarir ou de se résoudre.
Le titre du présent essai est inspiré d´un livre de Manuel
Ribeiro Rocha (1687-1745) : Éthiopie sauvée, engagée, durable,
corrigée, instruite et libérée. Dans le vieux livre du jésuite, le mot
« sauvée » se réfère précisément à l´enlèvement des africains par
les européens et à leur libération finale qui correspond à leur mort
sociale. Condamnés à projeter nos préoccupations contemporaines
André Dias . José Luís Jobim . Mireille Garcia . Rita Olivieri-Godet

dans le passé, nous marchons sur une ligne ténue qui sépare les
sauvetages des enlèvements historiographiques, tressant sur cette
frontière entre abordages « a-historiques » et « trans-historiques »
du passé. La question est très complexe, mais quand elle est au
service de nos intérêts et autocélébrations, nous pouvons dire que le
passé a probablement été kidnappé car récupérer ce qui a été oublié
ou ce qui est devenu invisible ou même gênant devrait, avant tout,
raviver en nous l´altérité dérangeante et provocatrice du passé.

Traduit du portugais du Brésil par Patrick Louis.


Révision du texte traduit par Magali de Vitry d´Avaucourt.

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