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PÉDAGOGIES POUR DEMAIN

DIDACTIQUES
JER DEGRÉ

NSEIGNER
1L HISTOIRE
À L'ÉCOLE
Alain Dalongeville

Préface de Gérard de Vecchî

IJACFIFTTE
Hhttl Ëd ation
L'auteur:
Alain Dalongeville est professeur d'histoire et de
géographie. Responsable du Groupe français d'éducation
nouvelle (G.F.E.N.), il a choisi d'enseigner en Z.E.P. Cette
expérience menée avec les élèves réputés les plus difficiles
L'a conduit à inventer d'autres pratiques pédagogiques afin
de redonner sens à l'enseignement de l'histoire
aujourd'hui. Formateur d'enseignant, ce sont ses pratiques
qu'il tente défaire partager dans ce livre.
Ouvrages du même auteur : A. Dalongeville, M. Huber,
Situations, problèmes pour explorer l'histoire de France,
Casteilla, 1989.

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catalogue Pédagogie à: Hachette L.P.C. - B.P. 34-86508 Montmorillon Cedex.
Couverture: Studio Favre-Lhaïk
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www. hachette-educatjon.com .

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Préface .5

Partie 1: L'histoire à l'école, pour quoi faire?


Quelle histoire enseigner ? ..
......................................... 8
Événements, chronologie, comment faire ? 17

Partie 2: Qu'est-ce qu'un contenu de savoir en histoire?


Derrière un titre de leçon, quels contenus ?. 32
Les contenus historiques, quel sens pour l'apprenant ? 47

Partie 3: Comment mettre les élèves en situation


de recherche?
Qu'est-ce qu'une situation de recherche ?

Utilisations du document historique .... .... ....................... 58


73
Quelles stratégies d'évaluation ?87

Partie 4: L'histoire peut-elle aider le citoyen à se former?


. .. . .. ...
Former à la critique de témoignage.. .. ... ..
. . . . .. .. . ......... 94
Citoyens dans le savoir ............. ..............................105
. ... ... .
Éducation civique, une matière ?
11 6

Conclusion.................................................................. 121

Bibliographie............................................................... 123

Index des fiches ........................................................... 124


À Henri Bassis, président du Groupe français d'éducation
nouvelle, qui nous a appris à aimer l'histoire et nous a
ouvert des champs pédagogiques et théoriques insoup-
çonnés jusqu'alors. Le temps lui aura manqué pour lire ce
livre, mais peu importe car, d'une certaine façon, ce livre est
aussi le sien!
Nous remercions Gérard de Vecchi qui nous a donné
l'envie de ce livre et qui a su nous faire prendre la mesure
de ce que nous mettons en oeuvre.
Ce livre est signé d'un nom car il faut bien assumer une
écriture ; mais il est aussi le fruit du G.F.E.N., c'est-à-
dire l'expression d'une auto-socio-trtvention.
Préface
• histoire, telle qu'on pourrait pratiquement l'enseigner, une
I science ? Une vraie ? Une approche qui ne se limiterait pas à
présenter des documents, à fournir des résultats, qui ne consi-
dérerait plus les contenus comme des « produits morts » découverts et
pensés par d'autres ? Une discipline dans laquelle on ne se conten-
terait pas de « raconter l'Histoire ».
On m'a longtemps soutenu que l'on pouvait mettre en place des
situations de recherche en mathématiques, en physique, en biologie, à
la rigueur en géographie... mais pas en histoire ! Alain Dalongeville
nous montre - nous démontre ! - le contraire. Et cela, d'une manière
tout à fait convaincante. Par là, il donne ses lettres de noblesse -
histoire oblige ! - à la didactique de cette discipline qui, en France,
pendant longtemps, n'a pas été à la hauteur de ce que lui apportait la
recherche.
Mais, pour considérer l'histoire comme une matière qui doit être
enseignée comme une science, que de chemin(s) à parcourir! Que de
ruptures à assumer, que de déconstructions et de « reconstructions à
vivre »... En tout premier lieu, dans nos têtes! Donner une dynamique
à l'Histoire, faire en sorte que l'élève ne reste plus cantonné dans un
apprentissage plus mémorisé que construit, qu'il devienne lui aussi
un « détective du passé »... donc un chercheur, un vrai, un « historien »
en somme, cela ne constitue-t-il pas une révolution copernicienne?
Dans cet ouvrage, l'élève n'est plus ce « présent-absent » du système
éducatif. Placé face au savoir, il se trouve effectivement au coeur des
apprentissages, avec tout ce qu'il est (son vécu antérieur, ses
conceptions, sa dynamique d'action...).
Déjà, le précédent ouvrage d'Alain Dalongeville(') m'avait fortement
intéressé par les situations-problèmes qu'il présentait. Mais, s'il
fournissait un grand nombre d'outils de qualité, il me semble qu'il ne
s'arrêtait pas suffisamment sur leur utilisation, sur l'état d'esprit que
leur prise en compte exigeait.
Depuis quelques années, les didactiques de bon nombre de disci-
plines, qu'elles soient de nature littéraire ou scientifique, aboutissent à
des résultats très voisins, même si les terminologies utilisées et les
chemins empruntés par chacune ont été différents. Elles montrent
qu'il n'y a pas une démarche propre qui caractériserait l'enseignement
de chaque matière. De ce fait, s'il est évident que toute discipline
possède des outils spécifiques, il n'en est pas de même de la démarche
générale. Apprendre, c'est toujours être acteur, c'est changer, c'est
mettre en relation, c'est inventer, créer - oui, même en histoire!

1. A. Dalongeville, Situations, problèmes pour explorer l'histoire de France, Casteilla, 1989.

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Enselgnr.iblstoiçe.a;.iecoIe
.......... ............
....
~ .....

Je trouve (enfin !) dans cet ouvrage, un ensemble de propositions


pratiques et d'analyses qui tombent pleinement dans cette vision des
apprentissages. L'auteur commence à répondre à un certain nombre
de vrais problèmes, issus des recherches menées en didactique, et il
nous fournit en même temps les moyens de les aborder. Il nous donne
l'impression probablement justifiée
- - que nous sommes enfin dans
une dynamique qui va nous permettre de dépasser l'âge de pierre de la
pédagogie de l'Histoire.

Gérard de Vecchi

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Vhistoire à l'école, pour
quoi faire?
Les enseignants sont souvent désemparés devant la
quantité de connaissances qu'ils doivent posséder et
transmettre. Ils n'ont pas d'autres ressources que de se
précipiter vers les manuels scolaires érigés en recueils des
contenus à enseigner. Pressés par le temps, les enseignants
laissent en suspens des questions primordiales:
L'histoire, qu'est-ce que c'est ? La science du passé ?
Vraiment ? Et si tel est le cas, quel est l'intérêt d'enseigner
à des élèves le passé de civilisations disparues depuis des
millénaires?
Doit-on privilégier l'événement et se satisfaire d'enseigner
des dates ? Comment faire en sorte que les élèves
les retiennent et comprennent le sens et la portée des
événements?

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Enseigner stoire *.l'écoie

• enseignement de l'histoire, ses méthodes, mais aussi la concep-


tion que l'on a de l'histoire, agitent souvent les passionnés de
Clio. Qu'ils soient parents d'élèves ou professeurs d'histoire,
nombreux sont les citoyens qui craignent que la mémoire nationale ne
s'évapore, et qu'il n'en subsiste que quelques traces dans les
consciences de la jeunesse. Chacun tempête, présente sa recette
miraculeuse, d'aucuns sont tentés de revenir aux « borines vieilles
méthodes qui ont si bien réussi ». Sans voir que, si elles ne sont plus à
l'oeuvre, ce n'est pas pour satisfaire à je ne sais quelle mode, mais bien
parce qu'elles avaient montré leurs limites. Ériger sa propre expérience
au rang de vérité universelle n'a jamais été un argument valable.
Or, la société française, sa jeunesse, les mentalités, et donc les rapports
au temps, au passé et à l'avenir ne sont plus les mêmes ! Il est donc
nécessaire de repenser l'enseignement de l'histoire à la lumière de ces
changements avant de nous précipiter vers des pratiques pédagogiques.
Comment enseigner l'histoire si on ne s'oblige pas à réfléchir à cette
discipline, à sa spécificité? Ce qui revient à se demander pour quoi et
pourquoi on l'enseigne, bref, sa raison d'être!

L'étude de la chronologie, une panacée?


n débat a violemment opposé les partisans du rétablissement de la
ffl" AM

chronologie, ossature d'une histoire événementielle, aux partisans


d'une histoire plutôt thématique, et donc diachronique, souvent
assimilée aux démarches d'éveil. Le débat était virulent car l'ensei-
gnement de l'histoire, particulièrement à l'école primaire, était considéré
comme un échec. Le critère d'évaluation de cet échec était, et reste
encore, que les élèves « ne connaissaient pas leurs dates ». Il est vrai que
certains élèves de collège ne sont pas gênés de dire que Napoléon et
Jeanne d'Arc auraient pu se rencontrer dans le même train - anecdote
recueillie dans une classe de Quatrième. Loin de minimiser ce genre de
perles, il faut se demander de quels maux elles sont symptomatiques.
Remarquons d'abord que les auteurs des perles dont nous parlons

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1. L'histoire a. 1'éeoI POt.,*k22?

n'ont pas été sacrifiés sur l'autel de démarches nouvelles, mais sont
bien le produit d'un enseignement classique de l'histoire.
« Ils n'apprennent plus leurs dates f» « On abandonne toute progression
chronologique f » « Décidons une bonne fois pour toutes d'une liste de
dates que tous les élèves devront connaître à la fin de leur scolarité ! »
Autant de plaintes empreintes de nostalgie dont les auteurs n'ont pas
autre chose à proposer que ce qui leur a réussi ; encore faudrait-il
tomber d'accord sur ce qui leur a réussi.

• La faute à l'éveil?
C'est un peu trop simple de jeter le discrédit sur l'éveil. C'est, tout
d'abord, oublier qu'il était déjà une tentative de recentrer les appren-
tissages sur l'élève, une correction des échecs des enseignements
antérieurs. Mais la pratique dite de l'éveil' comme la plus tradi-
tionnelle, le récit magistral historique, oublient qu'il n'y a de savoir
que construit. Le tort de l'éveil - disons plutôt tel que sa pratique s'est
répandue - a probablement été de se limiter à un éveil proprement dit
et de faire l'impasse sur la nécessaire structuration de ce que les
élèves avaient remarqué ou rapporté. Mais l'ornière est aussi profonde
dans les pratiques où l'on veut structurer, avec dates et repères, sans
matériau aucun: car, reconnaissons-le, la plupart du temps, c'est un
récit déjà structuré par le maître ou le livre qui est donné à l'enfant,
en faisant l'impasse sur une activité authentique de structuration de
sa part.

Activité de structuration
Phase d'observation: évidence de caractères nouveaux
Perception globale de l'objet de l'objet.
d'étude. Phase individuelle d'abord, Phase de synthèse:
pour qu'il puisse y avoir échange
Intégration des caractères nou-
par la suite et parce que le sujet
veaux à ceux déjà connus. Cette
identifie, interroge l'objet en fonc-
intégration n'est pas une superposi-
tion de ce qu'il sait. Phase d'inter -
tion d'éléments mais une recompo-
prétation, de projection de ses
propres représentations. Bref, l'état ition, une structuration nouvelle s

de la connaissance. qui se matérialise par une éla-


boration concrète (texte théorique).
Phase d'analyse: C'est l'apprentissage d'une pensée
Le sujet recherche ce que l'objet conceptuelle.
renferme d'inconnu pour lui. La
Phase d'abstraction:
médiation des autres observations,
lectures, interprétations est ici le Retour individuel et collectif sur les
moteur essentiel de questions nou- cheminements de la pensée qui a
velles. D'où identifications nou- permis cette nouvelle construction.
velles, comparaisons, classe- D'après A. Fabre, « Pédagogie
ments... C'est une activité scientifique et éducation », Cahiers de
d'analyse qui permet la mise en pédagogie moderne 63, Colin, 1978.

1. F. Best, F. Cullier et A. Leroux, Pratiques d'éveil en histoire et géographie à l'école


élémentaire, Colin-Bourrelier, 1986.

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Comment les enfants voient les pratiques
en cours d'histoire
Cycle 3
« L'institutrice accrochait des images approfondissait pour qu'on puisse
au tableau et on disait ce qu'on les comprendre. Le soir, on devait
voyait dessus. Et puis, après, elle les apprendre jusqu'a la semaine
nous posait des questions à l'oral et prochaine. »
on répondait. Pendant un certain Marion, 11 ans.
temps, on travaillait sur cette image,
« C'était le maître qui parlait, on
et après une semaine, on faisait le
pouvait poser des questions, il
contrôle. On nous donnait une
nous donnait des feuilles d'exer-
feuille où il y avait des questions et
cices ou il nous faisait copier ce
on avait te temps à peu près qu'on
qu'il fallait apprendre. »
voulait. »
Guillaume, 11 ans.
Sylvie, 10 ans.
« On lisait, puis elle nous expli
« La maîtresse nous distribuait des quait. Elle nous racontait, on regar-
feuilles avec des textes écrits des- dait des diapositives. Elle écrivait
sus. Un élève lisait la feuille à voix sur le tableau et on recopiait. »
haute, on en discutait ensemble, Lydie, 11 ans.
puis la maîtresse écrivait un résu-
« On lisait les textes du livre, puis,
mé au tableau et nous, on le reco
certaines fois, on copiait le résumé
piait.
» ou alors la maîtresse nous donnait
Sabine, 10 ans. un résumé. On l'avait à étudier
« Le maître nous lisait une leçon
pour le réciter. »
qu'on suivait sur te livre. À la fin de Julien, 11 ans.
chaque phrase assez dure, il les Témoignages recueillis en 1994.

• Savoir ses dates!


Il faut probablement lier ce débat à des interrogations plus profondes,
comme celle des finalités de l'enseignement de l'histoire ou celle de la
formation à une citoyenneté, dite nouvelle, mais toujours aussi peu
précisément définie. Il est dommage que le débat n'ait pas eu lieu sur
le fond.
Qui plus est, cette polémique a masqué une clarification nécessaire sur
la notion d'événement, trop souvent perçue comme un fait historique
évident, allant de soi, et ne pouvant faire l'objet d'une quelconque
construction. Les faits historiques étant confondus avec les dates, et
l'histoire réduite à la connaissance de celles-ci, le grand public se
demandait pourquoi certains mauvais esprits avaient entrepris de
rendre leurs enfants incultes. Pour aller vite, on pourrait faire l'analogie
avec les tables de multiplication censées être apprises par coeur alors
même que les élèves ne se sont pas construit le sens de la multi-
plication : c'est-à-dire celui d'une addition réitérée. Bien sûr, quand
l'enfant sait le sens secret de la multiplication, quand il peut donc
pallier un trou de mémoire, il est bien utile qu'il sache ses tables par
coeur: il y gagne un temps précieux et de l'assurance.

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1. L'histoire .à::.Véco1ej ..pur.qu*i.iaire?

« Les élèves ne savent pas situer dans le temps les principaux événe-
ments historiques. » Devant cette méconnaissance, la réaction a été de
remettre les dates au premier plan de l'enseignement. Si l'histoire ne se
réduit pas à la chronologie, elle s'articule sur une trame événementielle
que nul ne peut ignorer! Comment sortir de l'impasse sans réfléchir à
la notion même d'événement historique?

L'événement, une rupture dans l'histoire


out d'abord, remarquons que, si la chronologie est une série de
repères, elle ne peut être un but en soi, coupée de ce qu'elle doit
6 permettre de repérer. De plus, les historiens ( ' ) sont devenus très
prudents sur la notion même de fait historique qui n'est rien sans
leurs interrogations qui donnent sens, ou plutôt qui donnent du sens
aux spécialistes qu'ils sont, mais pas nécessairement au profane.

« Qu'est-ce que l'histoire ? »


« L'historien est nécessairement fausse et absurde, mais très diffici-
sélectif. L'idée qu'il existe un le à extirper. »
noyau dur de faits existant objecti- E. Carr, Qu'est-ce que l'histoire?,
vement et indépendamment de traduit par Maud Sissung,
l'interprétation de l'historien est La Découverte, 1988.

• Une date qui fait date!


Un événement (2) , un fait historique, n'est en fait reconnu comme
événement digne d'intérêt que s'il marque une transformation dans
l'histoire des hommes. Le Petit Robert nous signale qu'un événement
est un «fait auquel vient aboutir une situation, un résultat, ce qui arrive
et qui a quelque importance pour l'homme, un événement historique, un
fait qui fait date
Disons que l'après ne ressemble plus à l'avant, il y a eu un saut
qualitatif. Ce bond qualitatif est une rupture dans ce que vit l'huma-
nité - qu'elle en ait conscience ou non - que je, nous ou l'historien,
décidons de repérer comme telle. Cet événement s'éclaire à la fois par
ce qui le précède et le suit, et c'est dans cette confrontation de l'avant
et de l'après que prennent sens, tout à la fois, l'événement en question
et les périodes qui l'encadrent.
Ce qui revient à dire que l'histoire des discontinuités et celle des
continuités ne s'excluent pas forcément, mais se nourrissent mutuel-
lement. En tout cas, il est légitime de ne plus apprendre de dates sans
se demander quel sens elles ont, sous peine de ne pas savoir énoncer
autre chose que: 1515 ?Marignan!
1. HA. Marrou, De la connaissance historique, Cou. « Points Histoire », Seuil, 1975.
2. A. Ségal, « Pour une didactique de la durée «, in H. Moniot. Enseigner l'histoire, des
manuels à la mémoire. coll. « Exploration », cours et contributions pour les sciences de
l'éducation, Peter Lang, Berne, 1984.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite il


Enseîgiierl'hi:
.... ...... ..... toire4 l'école

« Événement » dans le dictionnaire


Une définition signaler un résultat, un accomplis-
- Ce qui arrive. sement, une éventualîté, un
dénouement.
- Résultat espéré ou effectif lors D'après Logos Bordas.
d'un tirage au sort (mathéma-
tiques). Soulignons que l'événement est ici
- Fait important. un résultat non évident, une éven-
Dictionnaire encyclopédique Hachette. tualité - parmi d'autres -, qui
s'accomplit, dont la réalisation est
Mais l'histoire de ce mot, quelle le produit d'un noeud - de contra-
est-elle ? C'est un mot qui a rem- dictions, d'oppositions... - qui se
placé le vieux français évent, de dénoue. C'est tout ce contexte qui
même sens, et qui a été formé sur lui donne sens et qui n'est jamais
le modèle de avènement. Event est l'objet d'un enseignement. Au
passé dans l'anglais event (toujours contraire, il est présenté comme la
précédé de great, grand) et nous pièce d'une suite dont la logique
est revenu au XIXe siècle comme un serait évidente, comme si l'histoire
anglicisme. Il était utilisé pour était jouée d'avance!

U Marignan? 1515!
Marignan est resté célèbre dans les mémoires des écoliers français.
Pourtant, qui sait que Marignan fut une victoire très difficile contre
Suisses et Milanais ? Elle permit aux Français de s'approprier le
Milanais et d'être en « paix perpétuelle » avec les Suisses - de là
viennent les contingents de gardes suisses en France jusqu'en
1792 ! -' à François jer d'espérer être sacré empereur et de pouvoir
nommer évêques et abbés (Concordat de Bologne, 1516). 1515, c'est
aussi le début du règne de François Jer,
Le succès de cette date tient probablement à sa caractéristique
répétitive - 2 fois 15 - et peut être au fait que les gens ironisent sur
les moments de leur enfance où ils se sont livrés à cet exercice de
l'apprentissage par coeur, de dates auxquelles ils n'associaient pas
grand contenu. Qui connaît la date de la bataille de Pavie (1525), et
même son existence ? Alors que François jer y fut battu et fait pri-
sonnier par les Impériaux!
L'écart entre la conception de l'histoire des historiens et celle des
enseignants est criante. Recherche et questionnement, attitudes
essentielles de l'investigation scientifique sont absents - ou presque -
de l'enseignement de l'histoire scolaire. Il faut y voir, à la fois,
l'imprécision des connaissances, mais aussi la désaffection des élèves
pour cette matière. Avant de s'aventurer plus avant sur le plan
pédagogique, il est nécessaire de prendre conscience que l'histoire
n'est pas une restitution du passé mais une ré-invention!

© Hachette Éducation - Phôtocopie interdite


I

L'ambition de l'histoire...
« L'histoire n'a pas pour ambition fonction du présent : c'est ce qu'on
de faire revivre mais de recompo- pourrait appeler la fonction sociale
ser, de reconstituer, c'est-à-dire de de l'Histoire. »
composer, de constituer un enchaî- L. Febvre, Combats pour l'histoire,
nement rétrospectif. L'objectivité Colin, 1933.
de l'histoire consiste précisément
« Le Moyen Âge est actuel précisé-
dans ce renoncement à coïncider, à
ment parce qu'il est passé, mais
revivre, dans cette ambition d'éla- passé comme un élément qui s'est
borer des enchaînements de faits
attaché à notre histoire de manière
au niveau d'une intelligence histo-
définitive pour toujours et nous
rienne. »
oblige à en tenir compte car il ren-
P. Ricœur, Histoire et vérité, ferme un formidable ensemble de
coll. « Esprit », Seuil, 1955.
réponses que l'homme a données
« C'est en fonction de ses besoins et ne peut oublier, même s'il en a
présents que l'histoire récolte sys- vérifié l'inadéquation. »
tématiquement puisqu'elle classe D'après O. Capitani, Medioevo passato
et groupe les faits passés. C'est en prossimo. Appunti stortografici:
fonction de la vie qu'elle interroge ira due guerre e moite crisi,
la mort. Organiser le passé en Il mulino, Bologne, 1979.

zi

ic
Prenons l'exemple de la Révolution française. Quelles dates retenir? 1789 ? Et il
n'y aurait pas d'amonts - et nous ne parlons pas ici de causes directes - à un tel
bouleversement ? Lesquels choisir ? L'action des philosophes des Lumières ? La
Révolution américaine ? Et où se termine-t-elle ? Avec la réaction thermidorienne,
Napoléon Bonaparte ou la Restauration ? Et les Trois Glorieuses, 1848 et la
Commune seraient de simples épisodes de fièvre sociale ou, en même temps,
quelque chose de la Révolution, de ses espoirs, qui continue à courir et qui n'est
pas mort?

• On sent que ces limites chronologiques ne sont probablement pas pertinentes sur
les mêmes plans social, politique ou celui des mentalités en conséquence, on ne
donnera pas le même sens aux ruptures historiques qu'elles recouvrent.

• La Révolution française, c'est la transformation de vingt-six millions de sujets du


roi en citoyens qui prennent conscience que ce qu'ils font de leur vie engage le
destin collectif. Cette transformation est tellement profonde que la Restauration
n'est pas un retour en arrière qui effacerait la Révolution comme si elle n'avait
jamais eu lieu. Si l'on choisit cette lecture de l'événement, et si l'on est un tant soit
peu exigeant sur la notion de citoyenneté, on décidera probablement qu'elle n'est
pas achevée aujourd'hui, deux siècles après, et qu'elle est une sorte de
transformation permanente à mener dans les mentalités!

• Choisir des dates, des bornes, c'est répondre aux questions : Qu'est-ce qu'une
révolution? Qu'est-ce que la Révolution française ? Un choix porteur de sens dont
l'enseignant doit avoir conscience.
Pourquoi ne pas faire de ce choix l'un des axes organisateurs de la leçon?

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»
..,
L'histoire, une réinvention!
dm
law lqw ne
première confusion doit être levée sur la nature même de
l'entreprise historique, car le mot « histoire » désigne tout à la fois
J
le passé et l'activité scientifique historique qui fouille, interroge
ce passé. Étymologiquement, l'histoire, c'est la recherche, l'enquête,
chercher à savoir('). Et comme toute activité de recherche, elle ne peut
confondre son matériau de recherche, sa pâte à modeler, et l'élabo-
ration des questions qu'elle pose à ce passé. Si le champ temporel
d'investigation de l'histoire est le passé, s'agit-il pour autant de faire
revivre ce passé? Non, c'est impossible!

U Revivre le passé?
Le passé (2), comme le présent, ne peut s'appréhender qu'à travers des
milliers de passés individuels et collectifs, dont la somme ne fait pas
pour autant le passé. L'idée que l'on pourrait photographier le passé et
qu'il suffirait d'accumuler des documents ou d'avoir la bonne méthode
pour révéler le passé authentique est une entreprise non seulement
vouée à l'échec, mais aussi vide de sens.
• Dans les manuels, l'histoire est une science du passé
Il convient donc de veiller à ce que les manuels n'installent pas cette
image dans les têtes des enfants et des adultes, au cours des chapitres
et dans les présentations liminaires du genre « Qu'est-ce que
l'histoire ? ». À noter que, dans les manuels de CM, ces avertissements
sont plutôt indigents: « Appropriation progressive du passé », « Liens qui
unissent le présent au passé » sont les rares formules qui font une
référence explicite à la conception de l'histoire des auteurs de manuels.
Soulignons l'étrangeté qui consiste à faire de l'histoire du CE2 à la
troisième sans jamais avoir l'occasion de travailler sur le sens de la
science qu'on pratique. Et ce dans toutes les matières, où l'on est
censé faire comme monsieur Jourdain. L'épistémologie est pour
l'instant exclue des savoirs disciplinaires.
• L'histoire, une fiction?
« L'histoire est la suite des événements dans le passé », me récitait
fièrement une élève de CM 1, confortée par la pratique traditionnelle de
l'enseignement de l'histoire qui consiste en un récit qui raconte les
événements se succédant les uns les autres. Alors que cette narration
est bien une reconstruction théorique, une invention, mais qui ne se
l'avoue pas. À tel point que Roland Barthes (3) se demande si l'histoire
n'est pas autre chose qu'un récit de fiction: « Le discours historique ne

1. H.-I. Marrou, « Qu'est-ce que l'histoire ? », in L'Histoire et ses méthodes, sous la


direction de C. Samaran, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1961.
2. M. Bloch, Apologie pour l'histoire, A. Colin, 1974.
3. R. Barthes, ((L'effet de réel », Communications, n» 11, 1968, « L'écriture de l'événement »,
Communications, n» 12, 1968.

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1.

suit pas le réel, il ne fait que le dignfier, ne cessant de répéter c'est


arrivé sans que cette assertion puisse être jamais autre chose que
L'envers signifié de toute narration historique ».

R L'histoire, pour l'histoire


Quant aux élèves ? Nous avons pris le temps d'interroger plus de deux
cents d'entre eux, à l'entrée en Sixième, ce qui permet d'apprécier leur
conception de l'histoire, après le cycle d'approfondissement. Leur
représentation massive de l'histoire est celle de l'étude de « ce qu'il y
avait avant nous ». On y étudiait essentiellement la Préhistoire et la
Révolution française. Quant à son utilité, quelques élèves pensent que
cela peut servir à être professeur d'histoire ou à avoir des diplômes.
En définitive, l'histoire sert l'histoire et à rien d'autre. Mais l'intérêt
pour la matière reste vif. Trois ans plus tard, quel désenchantement
Les élèves n'osent pas jeter au visage de leurs professeurs que
l'histoire leur paraît inutile puisqu'elle étudie le passé, révolu, ce qui
veut dire qu'ils pensent perdre leur temps.

Conceptions de l'histoire dans les manuels de Sixième


À la découverte du passé vertes, etc., mais aussi l'organisa-
L'histoire étudie le passé des tion des hommes et à un moment
hommes. Elle raconte et explique donné : comment ils vivaient, ce
les grands événements (actions de qu'ils pensaient, ce qu'ils connais-
grands personnages, guerres, saient. Les historiens nous mon-
etc.)... La résurrection du passé est trent ainsi que d'autres hommes
fondée sur l'étude de documents ont vécu d'une manière différente
qui sont des vestiges... de la nôtre. On peut mieux com-
Manuel de 6, Histoire et Géographie, prendre le présent en étudiant le
Sous la direction de J. -P. Wirttemau et passé.
H. Néant, Armand Colin, 1986, p. 5. « Connaître le passé » Manuel de 6e,
Histoire et Géographie, coordonné
Qu'est-ce que l'histoire? par Y. Borowice et C. Le Blanc,
L'histoire concerne les événements Magnard, 1990, p. 122.
du passé : règnes, guerres, décou

• L'histoire, objective?
La deuxième raison qui rend toute restitution illusoire, c'est que
l'histoire est une entreprise de connaissance ( ') menée par des êtres
humains. Ne pas voir que le projet qui les anime n'est pas imperméable
à ce qu'ils sont, à leur époque, au contexte historique dans lequel ils
vivent parait naïf; et même inquiétant. Car cela voudrait dire qu'il
existerait une recherche désincarnée, déconnectée du présent. « Il y a
des périodes dont on sait à peu près tout maintenant » me disait un
instituteur. Eh bien, non! L'historien a toujours de nouvelles questions
à poser, car son propre présent est en perpétuelle mutation. Quand on
pense à l'audience qu'avaient les quelques sirènes qui nous annonçaient
en 1990, après l'effondrement des régimes des pays de l'Est, la fin de
l'histoire! Non, l'histoire n'est pas, ne sera jamais sur des rails!
1. HA. Marrou, p. 9, op. cit.

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Ensugner.•I.histowe.a..I'eCoie

Une histoire impossible?


lmmamomw
our autant, il ne faut pas sombrer dans le pessimisme d'une
V histoire qui serait impossible. Après avoir ignoré que l'historien ou
ê l'enseignant était un être immergé dans l'histoire, il ne faut pas
non plus se laisser paralyser par son historicité. Mais, au contraire,
réaliser que l'histoire ne peut être une entreprise de connaissance
vraie, qu'en assumant cet état, qu'en faisant de la dialectique passé-
présent l'objet même de son travail, que sa contribution à la science
est en même temps la connaissance du passé des hommes et le travail
sur les questions qu'elle pose à ce passé.
C'est pourquoi nous refusons une conception qui ne nous laisserait
finalement le choix qu'entre le n'importe quoi et une vérité qui nous
serait garantie par une méthodologie prétendue à toute épreuve. Nous
voulons travailler nous aussi, enseignants non spécialistes, élèves,
grands et petits, sur les hypothèses des historiens, sur leurs valeurs -
leur éthique -, dans une confrontation avec les nôtres. Au demeurant,
nous verrons dans le chapitre consacré aux instructions officielles
qu'elles nous y encouragent. De plus, la formation à une pensée libre
et critique ne peut se satisfaire d'une attitude qui consisterait à se
soumettre à des vérités élaborées par d'autres, à apprendre le produit
de l'objectivité des spécialistes, mais plutôt dans un processus de
travail de la pensée qui permette de l'objectiver. Imaginons donc, les
activités historiques - et scientifiques au sens le plus large - comme
des moments de construction de la pensée de chacun d'entre les
élèves. C'est une des conditions nécessaires pour qu'ils existent en
tant que citoyens qui ne démissionnent plus leur pouvoir de penser.

Quelques conceptions de l'histoire


• L'histoire étudie le passé qui est Le mythe de l'appareillage « neutre »
une suite d'événements qui forment sous-tend cette conception.
une chaîne causale qu'il s'agit de
reconstituer. Le passé explique le • L'histoire se centre sur cette rela-
présent. Le travail de l'historien tion(') présent-passé-présent. Ce va-
s'apparente à celui du photographe et-vient est incontournable, ne plus
qui révèle, grâce à des produits chi- l'ignorer c'est se donner ls moyens
miques, l'image - exacte - du passé. d'une histoire dont l'objet est l'étude
Elle est un jalon entre nos origines - voire l'invention - de corkepts.
et aujourd'hui ; elle l'explique donc.
Les deux dernières concetions sont
absentes dans les pratiues sco-
• L'histoire étudie le passé mais le laires des enseignants. La didactique
choix des événements n'est pas réelle de l'histoire, telle u'elle est
neutre, l'historien ne peut faire abs- appliquée, est en contradiction avec
traction de son présent, l'histoire l'activité historique. C'est la même
n'est qu'une interprétation. Le pré- ligne de fracture dans toutes les dis-
sent déforme la vision du passé. Une ciplines, une très forte dicontinuité
méthodologie objective car rigoureu- entre la pratique de la cience et
se permet de s'émanciper du présent. l'enseignement de celle-ci.

1. J.chesia, Du passé faisons table rase?, F.M./Petite collection Maspero, 1976.

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-

JK
n retient mieux des événements qui ont un sens pour nous que
ceux qui en sont dénués. Les événements prennent sens quand
on prend conscience de la rupture qu'ils marquent dans le cours
des événements. Quand l'enseignant a fait ce travail pour lui-même,
restent encore les élèves. Leur faire étudier les événements pour eux-
mêmes, en fouiller les détails, ce serait se dissimuler que, s'ils ont fait
date, c'est qu'ils représentent une profonde transformation de l'his-
toire des hommes.
Si les élèves ont de grosses difficultés de repérage, c'est aussi parce
que les enseignants leur laissent rarement la possibilité de mettre de
l'ordre dans une suite d'événements pour en faire un objet de travail
qu'il s'agit de structurer.
Mais le temps re-pensé par les historiens n'est pas uniforme. Les
échelles changent, les élèves doivent apprendre à manier en perma-
nence ces différentes valeurs du temps. Nous allons explorer quelques
possibles dans ces domaines-là.

Ne pas confondre temps et histoire


e chapitre s'appuie sur un certain nombre de présupposés
théoriques que nous avons exposés dans le premier chapitre. Il
importe, comme le souligne C. Ruby ( ') , de ne pas confondre le
temps et l'histoire. Que chacun songe à sa propre histoire et à l'écart
qui existe entre ce que j'ai vécu, comment je l'ai vécu, ce que j'ai
mémorisé, ce que j'écrirai, aujourd'hui, de ce temps passé. En définitive,
une autobiographie est un travail d'écriture qui affronte des problèmes
analogues à ceux des historiens.

1. C. Ruby, L'Histoire, cou. « Philosopher », Quintette, 1988.

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Enseigner. lSt:.VSCO1

Temps et histoire
« Dater des événements, retenir des visages du monde. ëa chrono-
des dates, accompagnés ou non logie est un outil, pas même le
des noms de lieux et de plus important, non la recherche
"grands hommes "ne contribue elle-même. Et si le temps est une
guère à la compréhension des forme vide, l'histoire, en revanche,
changements dans les affaires est le mouvement d'un contenu. »
humaines, à l'établissement de la
signification des transformations C. Ruby, 1988, op. cit.

Cependant, ayant relativisé la crispation sur les dates et la chrono-


logie, nous essayons dans ce chapitre de réfléchir à des stratégies et
des pratiques qui permettent aux élèves et de retenir ces fameuses
dates et d'avoir construit le sens de ce qui n'est, après tout, que des
repères. Si « la musique est derrière les notes », de la même façon
l'histoire est derrière la chronologie.

Chercher le sens des événements


Deux remarques pour commencer:
- Comment les élèves ou les adultes pourraient-ils retenir un événe-
ment s'ils n'en perçoivent pas le sens?
- Si un événement n'est pas une rupture, mérite-t-il qu'on s'y arrête?
Est-il un événement?
Deux stratégies complémentaires sont possibles dès lors qu'on décide
que la notion de rupture est opératoire : la faire construire en situa-
tion, plusieurs fois, et la faire réinvestir comme outil de recherche
dans plusieurs situations. Quand on étudie la Révolution, on privilégie
plusieurs moments clefs qui sont autant de tournants dans cette
période. Prenons l'exemple de la nuit du 9 au 10 août 1792. On peut
tout énoncer au fil du texte sans que les enjeux de cette nuit soient
alors clairement formulés.

U 10août 1792, quel sens?


La prise des Tuileries est un acte symbolique : le peuple de Paris
s'empare de la personne du roi, elle aussi très symbolique C'est l'acte
de naissance de la République avec la victoire de l'armée populaire à
Valmy, quelques jours plus tard. Mais c'est aussi l'aboutissement de
conflits idéologiques et philosophiques qui existent entre les gens et
dans les têtes travaillées par le problème de savoir qui est, doit être ou
peut être le souverain. Pour certains, il faut garder Louis XVI. Pour
d'autres, il faut s'en débarrasser, mais qui doit le remplacer ? Un
autre roi ? Un autre roi et une assemblée, pensent les Feuillants.
L'Assemblée, pensent beaucoup de Jacobins, conscients de la nécessité

18 © Hachette Éducation -Photocopie interdite


1...i'biStOIre: :.âV:éc.OIS,

Temps et chronologie (instructions officielles)


• À l'école élémentaire (1 985): - prendre conscience de la relativi-
« En histoire, la chronologie, que té des durées historiques;
rend présente la construction de la - caractériser chaque période
frise, s'appuie sur des dates qui - percevoir les évolutions, les
permettent d'aller au-delà de l'évé- continuités, les rythmes, les trans-
nement qu'elles indiquent ; ces formations en partant des éléments
dates introduisent à la connaissan- du programme;
ce des grands changements poli- - utiliser et localiser dans la chro-
tiques, militaires, technologiques nologie un ensemble de repères
et culturels qui caractérisent les essentiels, représentés par
périodes. » quelques dates significatives. » -
• « Compétences d'ordre discipli- La caractérisation de chaque pério-
naire », cycle 2 de, c'est-à-dire quelle rupture cet
- « l'enfant s'entraîne à passer de événement représente ? Le néoli-
l'espace et du temps vécus à l'espa- thique, c'est tout à la fois la sédenta-
ce et au temps perçus. li le fait à risation, l'invention de l'agriculture
partir de son environnement et des et le perfectionnement des outils.
événements de sa vie quotidienne Continuités, transformations, rup-
qu'il compare à d'autres milieux de tures, dirions-nous, sont les phéno-
vie et à d'autres événements choisis mènes que l'élève doit être capable
dans l'histoire de la société fran- de percevoir.
çaise ; » Au collège
- « mettre en ordre une série « En histoire, il convient d'élaborer
d'étapes chronologiques, en sachant une trame chronologique aux
distinguer le passé récent de diffé- repères peu nombreux, bien connus
rents passés plus éloignés dans le des élèves et significatifs : événe-
temps. Il le fait à partir de son expé- ments marquants, faits de civilisa-
rience concrète des générations qui tion. En outre, l'élève se familiarise
l'entourent et de l'étude de avec les temps de l'histoire : temps
quelques éléments de civilisations court des événements et des géné
indiquées dans les programmes; rations, temps plus longs des cycles
- identifier une information relative économiques et des changements
au passé en la situant dans une sociaux, longue durée des civilisa-
suite chronologique (avant, en tions. »
même temps, après). » À l'évidence, les dates ou la chrono-
Le centre des 1.0. est la « construc- logie ne sont présentées ici que
tion des concepts fondamentaux comme des appuis. On insiste sur la
d'espace et de temps ». Le passage nécessité qu'elles soient significa-
du temps vécu au temps pensé tives, c'est-à-dire porteuses de sens
- grâce à des passages d'une repré- pour les élèves. De plus, les événe-
sentation à une autre, d'une échelle ments sont choisis en liaison avec
à une autre, etc. - est la rupture les changements qu'ils syamboli
clef de ce cycle, c'est-à-dire une sent. Enfin, la relativité du temps est
objectivation du concept de temps. soulignée, et l'on voit mal un élève
se familiariser avec ces échelles du
• Au cycle 3: temps sans qu'il s'y confronte et
- « situer sur des frises chronolo- sans qu'il ait conscience de s'y
giques, à des échelles différentes, les confronter.
grandes périodes de l'histoire natio-
Extraits de Les Cycles à l'école primaire,
nale mentionnées dans les pro- C.N.D.P./Hachette Écoles, 1991;
grammes et établir les relations avec Programmes, instructions, conseils pour
les principaux événements mon- l'école élémentaire, Norbert Babin, Michel
diaux Pierre, Hachette Éducation, 1991.

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Enseigner.:Vhstui:reà l'école

avant E après
CI
E= «événementpture»
L'après ne ressemble plus à l'avant, il a eu transformation qualitative

avant El E2 E3 E4 après
-------------------------------
E est une série d'événements, de microruptures qui s'enchaînent, sont liées...
L'événement cataclysmique est à interroger comme facilité de l'esprit. Il cache
souvent une complexité de transformations parallèles ou complémentaires.

avant E après
----------------------------------------- ->_
après potentiel avant partiel

L'après est un des possibles du champ potentiel de l'avant. Et l'après n'est pas un
anéantissement de l'avant, mais sa transformation il est toujours présent mais
différent.

de la délégation du pouvoir ou méfiants de ce peuple qui s'enflamme


pour un rien. Le peuple directement, pensent bon nombre de sans-
culottes et de Fédérés, venus à Paris défendre le royaume contre la
menace étrangère. Toute la question du pouvoir et de la citoyenneté est
déjà posée! C'est ce qui opposait Montesquieu dans l'Esprit des lois et
Rousseau dans le Contrat social, c'est ce qui opposera Boissy d'Anglas
à Babeuf.

Démocratie représentative et démocratie directe


« Je dis donc que la souveraineté « Le peuple anglais pense être
n'étant que l'exercice de la volonté libre, il se trompe fort ;j il ne l'est
générale ne peut jamais s'aliéner, que durant l'élection des membres
et que le souverain, qui n'est qu'un au Parlement : sitôt qu'ils sont
être collectif, ne peut être repré- élus, il est esclave, il nest rien.
sente que par lui-même ; le pou- Dans les courts morne ts de sa
voir peut bien se transmettre mais liberté, l'usage qu'il en ait mérite
pas la volonté. » (Livre 11) bien qu'il la perde. » (Livre 111)
« À l'instant qu'un peuple se donne Rousseau, Du Contrat sociaL 1772.
des représentants, il n'est plus
libre, il n'est plus. » (Livre III)

L'antiparlementarisme moderne ne se nourrit-il pas également de ce


sentiment de frustration que connaissent les citoyens quand ils ont
plus ou moins conscience, comme le dénonçait Rousseau (cf encadré),
à propos des Anglais du XVIIIe siècle, qu'entre chaque appel aux urnes,

3#4, © Hachette Éducation - Photocopie interdite


i. V.histojre.&PêcoJe1..pOur.:quoj.1:aî!...

leurs délégués ne se battent pas vraiment pour qu'ils prennent en main


les affaires publiques?

I Qui au pouvoir?
« Le 10 août 1792 Qui est le souverain ? Le roi, le peuple, ses repré-
sentants ? » Et si ce sont les représentants, comment les contrôler?
C'est une problématique qui permet de questionner l'événement, de
mesurer la rupture qu'il symbolise dans les conceptions politiques,
conceptions qui ne seront jamais plus comme avant, même si les
réponses ne sont pas simples. Le fait que Louis X\TI n'ait été exécuté
que cinq mois plus tard, avec une courte majorité, en est le signe.
Autrement dit, cet événement est une des bornes d'une grande
rupture dans la pensée politique. C'est le passage de « L'État, c'est
moi ! » au « res publica », avec toutes leurs nuances.
Cette question devient alors le centre conceptuel de la leçon, question
qui doit devenir celle des élèves, question qu'il faut faire surgir grâce à
des documents ou par le biais de situations que nous verrons dans la
partie 3.
Même si cette problématique n'est pas dans les préoccupations
immédiates des élèves (et nous verrons plus loin comment remédier à
ce problème), si l'enseignant est au clair, non pas tant sur les détails
de l'événement, mais sur son sens, alors les élèves sont en mesure de
rentrer dans le cours de manière moins passive, car ils en sentent
l'enjeu. Le but n'est plus de recevoir le récit et de se le remémorer
mais d'en saisir le sens pour nous, hommes de cette fin de millénaire.
Et les élèves peuvent, avec l'habitude du travail décrit dans le chapitre
précédent, eux-mêmes chercher les ruptures historiques, faire des
hypothèses à la lecture, devenue critique, des manuels d'histoire.

Mettre en cohérence une suite


événementielle
Qui dit rupture dit un avant et un après, et aussi d'autres ruptures
qui s'éclairent mutuellement.

I Rompre avec la linéarité du temps


L'idée est de ne plus seulement travailler les événements les uns après
les autres, mais simultanément. Il ne s'agit pas là seulement de
l'étude de thèmes transversaux qui sont des études diachroniques de
l'agriculture par exemple, où l'on va passer en revue les ruptures
technologiques réalisées dans ce domaine à travers le temps - Révo-
lution néolithique : invention de la culture et de l'élevage, révolution
autour de l'an Mille : le collier d'épaule remplace le collier du cou,
révolution industrielle : la machine est introduite dans les

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 1%,l.i


Enseigner Vhistoire.:à:..Vécole

campagnes... Ce que nous proposons est de rompre avec le sens


linéaire de l'écoulement du temps comme seul et unique axe logique
dans la recherche-exploration que mènent les élèves. Bien sûr, cet axe
sera lui aussi travaillé.
Suivre l'ordre chronologique, c'est-à-dire la flèche du temps, semble
être évident. Et pourtant, si l'histoire est une ré-invention - après coup
- pourquoi donc se priver de descendre le cours du temps, ou d'étudier
en même temps des faits successifs ? Si l'avant éclaire l'après, le
contraire est également pertinent. On peut tout à fait étudier la
Première Guerre mondiale, la déflagration elle-même, ses
conséquences, puis enfin seulement lancer les élèves dans la recherche
des causes(') complexes de ce conflit. Parmi les pistes de recherche,
l'histoire des relations franco-allemandes, les appétits coloniaux des
grandes puissances, les amèneront à remonter le temps. De la même
façon, pour que les élèves apprennent à structurer le temps autrement
que dans son orientation passé-présent, on peut les amener à découper
des épaisseurs qu'il faut ordonner en comparant des événements, ou
plutôt leur portée.

• Après quoi, peu importe qu'ils aient pu se mettre d'accord sur huit, neuf ou
dix événements. L'important, c'est qu'ils aient balayé la période, remis un certain
nombre d'éléments historiques à leur place, et qu'ils soient capables de replacer
l'événement étudié dans la suite - dans l'avant et l'après - des événemerts.

1. À l'occasion des événements tragiques qui se déroulent à Sarajevo, surgit à nouveau


l'idée que l'assassinat de l'héritier d'Autriche fut la cause de la Première Guerre
mondiale. Cette conception très simpliste de la causalité doit être battue en brèche.

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..L'hjstoreàcoIe,o.urqu.;faire?

la Structurer la durée
Plutôt que de travailler de façon linéaire la période qui va de 1789 au
Directoire, pourquoi ne pas lancer un travail qui permette aux élèves
de la saisir globalement en confrontant les trois Constitutions de
1791, 1793, 1795, et plus particulièrement leurs préambules
respectifs?
Sans se laisser enfermer dans une analyse historique détaillée de
cette période particulièrement complexe, soulignons que ces extraits
des préambules des trois constitutions de 91, 93, 95, qu'elles aient
été appliquées ou non, sont symptomatiques de l'évolution d'une
part des valeurs révolutionnaires, d'autre part des conceptions de la
souveraineté politique.

• Consignes
Nous proposons aux élèves un document avec des extraits des trois Constitutions Q
révolutionnaires. Avec pour tâche de relever une idée qui leur paraît particuliè- rit
rement importante, encore de nos jours, et de dire dans quel préambule elle était la
mieux défendue.
Les trois Constitutions (91, 93 9 95)
Constitution de 1791 Constitution de 1793 Constitution de 1795
Droits
Art. 1er - Les hommes naissent Art. ier - Le but de la société
Art. ier - Les droits de
et demeurent libres et égaux en est le bonheur commun. Le
l'homme en société sont la
droits. Les distinctions sociales gouvernement est institué
liberté, la sûreté, la propriété.
ne peuvent être fondées que pour garantir à l'homme la
Art. 2 - La liberté consiste à
sur l'utilité publique. jouissance de ses droits
pouvoir faire ce qui ne nuit pas
Art. 2 - Le but de toute asso- naturels et imprescriptibles.
aux droits d'autrui.
ciation politique est la conser- Art. 2 - Ces droits sont l'éga-
Art. 3 - L'égalité consiste en ce
vation des droits naturels et lité, la liberté, la sûreté, la
que la loi est la même pour
imprescriptibles de l'homme. propriété.
Ces droits sont la liberté, la Art. 3 - Tous les hommes sont tous, soit qu'elle protège, soit
propriété, la sûreté et la résis- égaux par la nature et devant qu'elle punisse. L'égalité n'ad-
tance à l'oppression. la loi. met aucune distinction de
naissance, aucune hérédité de
Art. 3 - Le principe de toute Art. 4 - La loi est l'expression
pouvoirs.
souveraineté réside essentiel- libre et solennelle de la volonté
lement dans la Nation. Nul générale : elle est la même Art. 4 - La sûreté résulte du
corps, nul individu ne peut pour tous, soit qu'elle protège, concours de tous pour assurer
exercer d'autorité qui n'en soit qu'elle punisse elle ne les droits de chacun.
émane expressément. peut ordonner que ce qui est Art. 5 - La propriété est le
Art. 4 - La liberté consiste à juste et utile à la société ; elle droit de jouir et de disposer de
pouvoir faire tout ce qui ne ne peut défendre que ce qui lui ses biens, de ses revenus, du
nuit pas à autrui ainsi, est nuisible. fruit de son travail et de son
l'exercice des droits naturels de Art. 5 - Tous les citoyens sont industrie.
chaque homme n'a de bornes également admissibles aux Art. 6 - La loi est la volonté
que celles qui assurent aux emplois publics. Les peuples générale, exprimée par la
autres membres de la société la libres ne connaissent d'autres majorité ou des citoyens ou de
jouissance de ces mêmes motifs de préférence, dans leurs représentants.
droits. Ces bornes ne peuvent leurs élections, que les vertus Devoirs
être déterminées que par la loi. et les talents. Art. 3 - Les obligations de
Art. 5 - La loi n'a le droit de Art. 6: La liberté est le pouvoir chacun envers la société
défendre que les actions nui- qui appartient à l'homme de consistent à la défendre, à la
sibles à la société. Tout ce qui faire tout ce qui ne nuit pas servir, à vivre soumis aux lois,
n'est pas défendu par la loi ne aux droits d'autrui: elle s pour et à respecter ceux qui en sont
peut être empêché, et ne peut principe la nature : pour règle les organes.

tD Hachette Éducation - Photocopie interdite 23


Enaeigner••i'hstoire:.Vécoie

être contraint à faire ce qu'elle la justice pour sauvegarde la Art. 4- Nul n'est bon citoyen,
n'ordonne pas. loi sa limite morale est dans s'il n'est bon fils, bon père, bon
Art. 6 - La loi est l'expression cette maxime « Ne fais pas à frère, bon ami, bon époux.
CI' de la volonté générale. Tous les un autre ce que tu ne veux pas Art. 5 - Nul n'est homme de
citoyens ont droit de concourir qu'il te soit fait. » bien s'il n'est franchement et
personnellement, ou par leurs Art. 23 - La garantie sociale religieusement observateur des
représentants, à sa formation. consiste dans l'action de tous lois.
Elle doit être la même pour pour assurer à chacun la Art. 6 - Celui qui viole ouver-
tous, soit qu'elle protège, soit jouissance et la conservation tement les lois se déclare en
qu'elle punisse. Tous les de ses droits ; cette garantie état de guerre avec la société.
citoyens, étant égaux à ses repose sur la souveraineté Art. 7 - Celui qui, sans en-
yeux, sont également admis- nationale. freindre ouvertement les lois,
sibles à toutes dignités, places Art. 33 - La résistance à l'op- les élude par ruse ou par
et emplois publics, selon leurs pression est la conséquence adresse, blesse les intérêts de
capacités et sans autre dis- des autres droits de l'homme. tous il se rend indigne de leur
tinction que celle de leurs Art. 34 - Il y oppression bienveillance et de leur estime.
vertus et de leurs talents. contre le corps social lorsqu'un Art. 8 - C'est sur le maintien
Art. 12 - La garantie des droits seul de ses membres est des propriétés que reposent la
de l'homme et du citoyen opprimé. Il y a oppression culture des terres, toutes les
nécessite une force publique contre chaque membre lorsque productions, tout maintien de
cette force est donc instituée le corps social est opprimé. travail et tout l'ordre social.
pour l'avantage de tous, et non Art. 35 - Quand le gouver- Art. 9 - Tout citoyen doit ses
pour l'utilité particulière de nement viole les droits du services à la patrie et au
ceux à qui elle est confiée. peuple, l'insurrection est, pour maintien de la liberté, de
Art. 17- La propriété étant un le peuple et pour chaque l'égalité et de la propriété,
droit inviolable et sacré, nul ne portion du peuple, le plus toutes les fois que la loi
peut en être privé, si ce n'est sacré des droits et le plus l'appelle à les défendre.
lorsque la nécessité publique, indispensable des devoirs.
légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condi-
tion d'une juste et préalable
indemnité.

• Observations Les élèves sont particulièrement sensibles aux articles 33, 34 et 35


de la constitution de 1793, méfiants à l'endroit des devoirs énoncés dans la
constitution de 1795 qui met en avant l'ordre moral des propriétaires. Bref, la
discussion s'engage dans un va-et-vient entre les valeurs des révolutionnaires du
11e siècle et celles des élèves du XXe siècle. Peu à peu, chacune des Constitutions
apparaît dans sa spécificité, et chacun est alors à même d'apprécier la dynamique de
cette période.
Car il est faux de noter comme injustice de la Révolution le droit de vote réservé aux
riches. C'est un résultat qui fut l'objet d'une lutte politique sanglante ; le suffrage
censitaire fut consacré par la Constitution de 1795.
Le récit linéaire que l'on fait de cette période dans les manuels empêche l'avoir une
vue globale ainsi qu'une problématique qui permette non pas de tout comprendre,
mais de mettre de l'ordre dans les informations lues.
D'autre part, faute de cerner des problématiques et des événement$ qui font
rupture, les manuels font profusion de détails. Aucun des manuels que nous avons
consultés ne parle du Directoire (1794-1799), si bien que la Révolution se limite à la
Déclaration des droits de l'homme et à la prise de la Bastille, 1789, quoi!

Ce qui permet de commencer à se construire une grille de lecture de


cette période très mouvementée, et en ayant en tête sa dynamique,
d'avoir un début de repère pour ordonner le flot d'informations que
les élèves doivent affronter en étudiant cette période. Et surtout 91,
93 et 95 deviennent des dates, des repères authentiques, puisque
s'articulant l'un l'autre.

24 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


1. l/bistoie:À.êcoIs,.Pour.quoLfaire:?.

J el

• L'arbitrage des conflits


À cet âge, la mise à distance de ce qui a marqué chacun est difficile. En conséquence,
les désaccords et conflits vont être nombreux. Et l'activité n'est structurante que dans
la mesure où ils seront nombreux. Le maître ne doit pas aider à la reconstitution qui
n'est en définitive qu'un prétexte : l'activité réelle est tout le travail en amont qui la
permettra. Non, le maître doit obliger chacun ou chaque groupe à relativiser ses
propres souvenirs et à accepter l'arbitrage de la cohérence.
Car, même si chacun accorde beaucoup d'importance à ce qui l'a marqué, toutes les
chronologies ne sont pas possibles. Les camarades vont aider à se souvenir, à ordonner
les événements par rapport aux autres... La construction du concept de temps a ici des
interférences avec celui de causalité.
Et d'ailleurs, il est fort intéressant que les élèves prennent conscience que chacun n'a
pas été sensible aux mêmes événements, que chacun n'a pas vu ou entendu de la
même façon le même fait, et qu'il faut un travail de confrontation pour arriver au but.
D'après H. Bassis, « De la bande dessinée à la construction de l'espace temps»
in Je cherche dortcj'apprertds, Éd. Sociales, 1984.

• Organisation
La classe est divisée en plusieurs groupes. Sept documents sont distribués aux cl,
élèves:
A. 1940, la fuite des populations françaises pour échapper aux armées allemandes
B. Les seigneurs - les châteaux forts - les invasions
C. Les Gaulois - les Romains
D. Guerre de 1914 - les tranchées
E. Les hommes de la Préhistoire
F. 1793 - Louis XVI est guillotiné
G. 1661 - Louis XIV gouverne seul la France
Six de ces documents sont des textes, sauf le document C qui est une page de
bande dessinée.

• Consigne
La consigne est de classer. Les élèves essaient de trouver une cohérence en
classant par dates, par types d'événements (les guerres, les rois...), par genre
(textes, BD...) etc.

Déroulement
Les classements sont aussi nombreux que les groupes. Un élève dit même que les
châteaux forts sont les derniers dans la suite chronologique puisqu'il en a visité un

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 25:


Enaeîgnr, I'histoire4 jyécole

la semaine précédant ce travail. GABDF - CE hors classement - comme EDAGFBC


sont des classements obtenus. Il faut, après constatation des désaccords, les
CI dépasser et que chacun des groupes explicite le principe qui l'a guidé dans son
I- classement. Les membres des autres groupes sont à l'affût et épinglent les
camarades qui présentent des classements non cohérents.
Après cette première phase, des classements persistent, par exemple : ECGFDAB et
ECBGFDA. Le maître n'est pas obligé de trancher et peut renvoyer les élèves à une
recherche documentaire.
Et enfin, la frise sera réalisée collectivement. Bien évidemment, ce n'est pas au CE2
qu'une frise proportionnelle sera construite. Cependant, c'est avec ce genre
d'activité que les élèves feront remarquer que des espaces identiques représentent
des durées fort inégales. Il nous parait essentiel que ce besoin de précision naisse
d'une insatisfaction des enfants plutôt que d'une exigence du maître qui pourrait
paraître gratuite ou arbitraire. C'est à cette condition que la frise proportionnelle,
plus complexe, pourra être abordée au CM puis au collège.
• Où est Marie?
Dans une classe de CM2, nous nous sommes rendu compte - avec d'autres
événements proposés - que 10 élèves sur 28 plaçaient la naissance du Christ (le
début du calendrier chrétien) avant les origines de l'homme. C'est-à-dire qu'ils
confondaient le Christ et Dieu. Ce à quoi une élève rétorqua qu'ils avaient oublié
Marie Bref, cette activité avait permis de déceler une confusion importante à la
veille du programme d'histoire de Sixième, centré sur l'Antiquité.

D'après Y. Robert, «Structurer le temps historique », in L'Histoire, indiscipline


nouvelle, G.F.E.N. - M. Huber, Syros, 1984.

Manier les différentes échelles du temps


• Le temps est pluriel
Tout d'abord, prenons conscience que manier ces différentes valeurs
du temps est une activité propre à l'homme et non spécifiquement
historique. Déjà, le petit enfant se confronte à ce problème le temps
de ses parents n'est pas le sien et il sent le décalage. L'histoire de la
famille, ses intérêts concernant les hommes préhistoriques par
exemple le confrontent très tôt à ces temps d'échelle et de qualité
différentes. C'est pourquoi l'idée de partir d'abord de la famille, puis
d'événements contemporains, puis plus anciens, sous-estime les
capacités des enfants. Loin de nier la plus grande facilité de l'enfant
de se repérer dans le temps proche, c'est la linéarité dans la
progression de cette conception qui nous semble pauvre. Les enfants
semblent très à l'aise dans les chevauchements du temps, bien
souvent moins gênés que des adultes face aux distorsions de l'espace-
temps dans les films de science-fiction comme Retour vers le futur.

• « S'affranchir du présent »
Pour Piaget ( ' ) , « Comprendre le temps, c'est s'affranchir du présent «, ce
qui nous incite à penser que le va-et-vient présent/passé, dont parle
Le Goff 2 , doit être un processus répété pour que l'enfant maîtrise le
temps, les temporalités multiples propres aux différentes sciences.

24... © Hachette Éducation - Photocopie interdite


Ajoutons à cela que le jeune enfant se construit très tôt la propriété du
présent à appartenir au passé dès qu'il est présent ! Enfin, cette
libération dont parle Piaget s'accompagne d'un dédoublement du point
de vue : moije conscience individuelle du passé et moi-nous
conscience collective de ce même passé et du futur d'ailleurs.
Encore une fois, nous insistons sur le fait que les concepts se défi-
nissent tout autant par leurs frontières et intersections avec les autres
concepts que par la liste de leurs attributs. Ce que nous avançons
c'est qu'ils se construisent de la même manière 13 . N'éprouve-t-on pas
réellement le champ de validité d'un concept quand on sort de ce
champ ? Aussi est-il dommageable que l'on tourne en dérision en
grammaire l'expression : « C'est l'exception qui confirme la règle ! »
Confirmer ne veut pas dire abonder dans le sens, comme le croient
souvent ceux qui se gaussent, mais assurer, rendre plus sûr. C'est en
touchant aux cas limites de la règle, là où elle n'est plus mécani-
quement opératoire, là où on ne peut plus s'y fier sans discernement,
qu'on va pouvoir commencer à maîtriser conceptuellement cet outil.

U Temps court, temps long


De la même façon, l'opposition entre une histoire du temps court et
une histoire du temps long nous parait aussi stérile que celle qui
existe entre l'histoire des continuités et celle des discontinuités.
Temps long et temps court n'existent en fait que relativement l'un à
l'autre, donc dans un maniement simultané.
Dans un travail avec des enseignants sur la Révolution industrielle,
ceux-ci avaient mis à jour plusieurs ruptures d'échelles différentes
- Révolution industrielle et/ou sociale ? (La machine cause et/ou
conséquence et/ou corrélative de cet événement?)
- naissance des classes sociales;
- passage d'un mode de propriété foncière au capitalisme;
- passage d'un mode de vie rural à un mode de vie urbain,
accompagné d'un fort exode rural.
Dans ce dernier cas, cette transition n'est pas achevée - même en
France, et encore moins en Afrique ou en Asie - ; on lit l'événement
comme rupture sur un temps long - et sur le plan du mode de vie.
Dans le troisième cas, on est sur un temps plus court car on peut
considérer qu'en Europe de l'Ouest, dès le xixe siècle, le capitalisme
est triomphant. Pourquoi ne pas imaginer que des groupes différents
travaillent sur des ruptures de portées temporelles différentes et que
chaque groupe apporterait ainsi une vision différente de la Révolution
industrielle

1. J. Piaget, La Construction de la notion de temps chez l'enfant, PUF, 1946.


2. J. Le Goff, Histoire et mémoire, cou. « Folio Histoire », Gallimard, 1948.
3. B . -M. Barth, L'Apprentissage de l'abstraction, Retz, 1987.
4. M. Huber et collectif G.F.E.N., L'Histoire, indiscipline nouvelle, Syros, 1984.

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la
EnseignxiJustowea.iec..

CM
bug La révolution néolithique
41 Rupture dans l'histoire de l'humanité dont la manifestation la plus évidente est le
passage de la chasse à l'élevage et de la cueillette à l'agriculture.
Mais ce bond qualitatif - intéressant en lui-même - est aussi porteur de
conséquences qui sont des ruptures à des échelles temporelles différentes:
- nomadisme-sédentarité (Préhistoire et encore aujourd'hui);
- irruption de l'homme/déterminismes naturels dans le sens d'une plus grande
autonomie (aujourd'hui encore);
- exclusion de la femme de la production (renversement fin du xlxe siècle et début
du xxt siècle);
- spécialisation de la société : guerriers, prêtres... (Antiquité);
- création de stocks commercialisables... (Antiquité);
- écriture (Antiquité).
Descriptif de la démarche
Phase 1
Plusieurs groupes dans la classe : groupes chasseurs et groupes cueilleurs devant
imaginer concrètement comment et pourquoi se fait cette transformation. Rapports
de groupe, analyse du très concret, mise en lumière de toute une série de
mutations qui constituent ce saut, et de ce qui existait avant et qui a permis ce
saut.
Phase 2
En groupes, imaginez les conséquences de ces deux transformations. Chasse aux
idées dans la classe. Listage.
Phase 3
Repérage dans le livre de ces ruptures consécutives.
Phase 4
Constitution d'une frise collective.
Phase 5
Écriture individuelle pour expliquer ce qu'est la révolution néolithique, son sens et
sa portée.
Des textes peuvent aider dans cette phase. Voir l'importance de travailler au plus
tôt des textes d'historien.

IM Sortir des débats stériles


L'alternative du tout événementiel ou du déni de la chronologie est
une impasse. Les événements sont des repères qu'il faut faire
construire, qui doivent avoir sens pour l'enseignant et les élèves, et
comment les faire construire autrement que dans la confrontation de
leurs sens contradictoires?
La notion de rupture dans les contenus est la même que celle que
nous faisons fonctionner pour essayer d'approcher ce qu'est un
événement. C'est-à-dire que cette quête de sens, que ce soit derrière
un titre bateau de leçon ou bien derrière une date ou un fait, est une

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1: L'histoire

condition absolument nécessaire pour pouvoir inventer des situations


où les élèves cherchent, se posent des questions. Faisons le pari que
la chronologie ne sera plus ce moment fastidieux, comme l'est
l'apprentissage des verbes irréguliers en anglais, verbes qu'il leur
faudra réciter et employer dans des circonstances complètement
artificielles, détachées de tous les enjeux de nos discussions habi-
tuelles. Beaucoup d'élèves de CM2 arrivent au collège avec le projet
explicite d'apprendre l'anglais. La majorité d'entre eux ont déjà
déchanté à la fin du premier trimestre! Là encore, est-on sûr que les
contenus réels de l'anglais ou de l'histoire soient ceux que l'on
contrôle?
Après avoir réfléchi à ce que pouvait être l'histoire, on se rend compte
que la chronologie a toute sa place dans les apprentissages. Mais il
s'agit de construire ces repères, de leur donner du sens et non pas de
réduire l'histoire à cette seule fin. Et le reste ? Les contenus de savoir?
Lesquels choisir? Comment faire son tri? C'est l'objet des chapitres
suivants.

Épistémologie et didactique
« Une des objections les plus natu- tifique, on travaille à la maintenir,
relles des continu istes de la culture on se fait une obligation de la ren-
revient à évoquer la continuité de forcer. Du bon sens, on veut faire
l'histoire. Puisque l'on fait un récit sortir lentement, doucement, les
continu des événements, on croit rudiments du savoir scientifique.
facilement revivre les événements On répugne à faire violence au
dans la continuité du temps et l'on sens commun. Et, dans les mé-
donne insensiblement à toute l'his- thodes d'enseignement élémen-
toire l'unité et la continuité d'un taire, on recule, comme à plaisir,
livre. On estompe alors les dialec- les heures d'initiations viriles, on
tiques sous une surcharge d'événe- souhaite garder la tradition de la
ments mineurs. » science élémentaire, de la science
facile ; on se fait un devoir de faire
« Un troisième ordre d'objections participer l'étudiant à l'immobilité
est pris par les continuistes de la de la connaissance première. Il faut
culture dans le domaine de la pourtant en arriver à critiquer la
pédagogie. Alors, puisqu'on croit à culture élémentaire. »
la continuité entre la connaissance G. Bachelard, Le Matérialisme rationnel,
commune et la connaissance scien- PUF, 1953.

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Qu'est-ce qu'un contenu
de savoir en histoire?
Derrière les titres de leçons, plutôt thématiques, quels
contenus réels ? Et même quels concepts ? Car, science ou
pas, l'histoire ne peut pas être vide de concepts !
Lesquels ? Et peuvent-ils être l'objet d'un enseignement
dès le cycle 3?
Comment cerner ces contenus quand on n'est pas
spécialiste ? Et surtout lesquels choisi, avec quel éclairage
pour qu'ils aient un sens pour des enfants de la fin de ce
siècle qui étudient l'histoire de civilisations disparues
parfois depuis des millénaires?

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L
e titre de la leçon n'a souvent que peu de rapport avec les
contenus centraux que l'on veut enseigner. Ces titres sont géné-
riques et souvent énigmatiques. Le premier travail de l'enseignant
doit être de dégager les contenus de savoir qu'il souhaite que les
élèves se construisent durablement. Il doit interroger les manuels, fuir
les pseudo-évidences et avoir le courage de faire de ses doutes l'objet
même de recherche des élèves.

Mais la transformation de ses doutes en autant de pistes de recherch


nécessite de problématiser ses propres interrogations, de les
complexifier. C'est au prix de cet effort que l'enseignant pourra cerner
les concepts clefs. Ces concepts, enfin libérés de l'événement, voire
même du champ disciplinaire, donnent sens à l'histoire.

Savoir énoncer, est-ce savoir?


ancienne n'a dispensé chez les élèves une pensée concep-
que des connaissances verbales, tuelle se formant à partirde la réa-
des mots derrière lesquels la réali- lité et établissant des relations
..... . . . . .
té est absente, d es règles, des entre les phénomènes olu les élé-
ments de cette réalité... »
recettes, des formules, en un mot
des pseudo-con naissances sansH. Bassis. « Connaissancesbrerbales et
- connaissances reelles », Ues maîtres
contenu comme
...... .. . des outres vides. pour une autre êco1e:fonner ou
[...] I ecole ancienne n a pas formé . . ....transformer?, Casterinan. 1978.

Interroger le titre d'une leçon


R Un titre n'est pas un contenu de savoir
Il est essentiel d'interroger le titre d'une leçon car il est souvent trop
général ou thématique, formulé de telle manière qu'on ne peut en
cerner dans son libellé le (ou les) contenu(s). Si nous prenons pour

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exemple une leçon sur les Barbares, ou les invasions barbares, ce qui
n'est d'ailleurs pas la même chose, on est bien en peine de dégager, à
la simple lecture du titre, les contenus essentiels. Sans cette interro-
gation préalable à la lecture du chapitre du manuel, on risque d'être
noyé sous le flot des informations, des détails ou des anecdotes, et de
perdre tout recul.
Avec les titres « Les invasions barbares » ou « Les grandes invasions », il
faut interroger, d'une part, la notion d'invasion et, d'autre part, la
notion de barbare.

En consultant trois des manuels les plus usités au CM, des titres de leçons ,
différentes présentent les leçons concernant la période des Barbares.
• La naissance de l'Europe; de nouveaux peuples s'installent en Gaule.
• L'apport germanique
• Les grandes invasions.
Ces trois titres tranchent et peuvent attirer l'attention sur les sens possibles de
cette leçon. Il y a donc intérêt à confronter les différents manuels et à être d'autant
plus prudent qu'ils sont univoques!

Les invasions barbares sont souvent mises en relation avec la dislo-


cation de l'Empire romain et présentées comme étant la cause centrale
de cet éclatement. Cette façon d'expliquer un problème par la seule
responsabilité d'autrui, de ne l'expliquer que par une cause extérieure,
est trop simpliste pour qu'on ne s'interroge pas sur sa validité.

I Fouiller les zones d'ombres


Il convient même d'oser transformer ses propres questions en autant
d'interrogations méthodologiques, car comment faire un cours sur
cette période si l'on conserve de telles incertitudes ? Les enseignants
osent rarement se poser ces questions-là, car ils croient qu'elles ne
sont le fait que d'une ignorance inavouable, alors qu'elles sont, en
réalité, de vraies questions qui font encore l'objet de débats entre les
historiens.
Cette attitude, qui consiste à prendre le contre-pied de ce qu'on
enseigne habituellement, peut paraître, à première vue, puérile. Mais
elle est un des moyens de s'interroger sur le sens de ce que nous
devons enseigner. Et nous allons voir qu'elle peut être très féconde et
permettre de cerner les contenus d'une leçon.

I Interroger les évidences


Mettre a priori en cause les évidences est salutaire, car ce qui est
évident pour moi ne l'est pas pour tous les élèves. Présenter les

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33
invasions barbares comme seule cause de la dislocation de l'Empire
romain, n'est-ce pas s'éviter de voir qu'il y a aussi, c'est-à-dire en
même temps, décadence de ce même empire?

• Les évidences? des simplifications dangereuses

Présenter l'histoire comme une évidence, c'est avoir recours à des liens
causaux simplistes, mécanistes, c'est penser sans nuances, sans
contradictions. Et le malheureux qui n'y voit rien d'évident se tait car
il pense au fond de lui-même que c'est son manque d'intelligence qui
ne lui permet pas d'accéder à ce degré de compréhension.
La science historique n'a d'ailleurs toujours pas tranché la question. Il
est donc étonnant que les auteurs de manuels s'engagent ainsi. De
plus, plutôt que de procéder par des simplifications, pourquoi ne pas
faire de cette interrogation un des objets centraux de recherche des
élèves?

Car, d'un point de vue scientifique, présenter l'histoire comme une


suite d'évidences, c'est tomber dans le piège du finalisme, c'est-à-dire
faire croire que tout ce qui est arrivé n'est advenu que pour permettre
au présent d'exister. D'autre part, c'est, à notre insu, prendre le point
d'arrivée comme inéluctable, c'est développer une pensée fataliste
puisque l'homme n'aurait pas de prise sur la vie. C'est développer une
conception linéaire de la causalité historique qui nie qu'à chaque crise
le champ du possible reste ouvert.
N'hésitons pas à mettre en cause les évidences historiques, ces
refuges d'une pensée qui deviendrait paresseuse si elle oubliait que « le
futur est à inventer et non à découvrir » comme le soutient Garaudy.

• Thèmes et anecdotes ne sont pas des contenus

Cette attitude n'est pas simple. Si l'on demande à des enseignants de


cerner les contenus qui leur paraissent essentiels quant à cette leçon,
ils s'encombrent souvent d'anecdotes sur le mode de vie des Barbares,
sur leurs lieux d'origine, sur ceux où ils se sont installés.
Anecdotes douteuses qu'ils ne remettent pas en cause, puisqu'ils
confondent deux notions : contenus et informations. Anecdotes qui
nous confortent dans une vision caricaturale des Barbares, vision
dont on prend la mesure quand, dans le langage courant, certains
peuples barbares comme les Vandales sont assimilés à l'adjectif
vandale, très péjoratif.
Parfois, ce sont des thèmes « passe-partout » qui sont relevés : la
religion, la société, l'agriculture. Thèmes que nous pourrions aborder
à propos de n'importe quelle autre civilisation. C'est le caractère
spécifique, l'originalité des Barbares qui n'est pas maîtrisée. Quel est
le sens de cet événement ? Quels problèmes souligner ? A lire cette
affiche, on prend la mesure de la difficulté à cerner des contenus clefs.

34 Hachette Éducation - Photocopie interdite


2

Affiches d'instituteurs - les contenus essentiels


Les textes qui suivent sont des région, et dans notre pays où ils
retranscriptions d'affiches que des ont laissé des vestiges.
instituteurs ont réalisées en Les causes des invasions La déca-
:

essayant collectivement de mobili- dence de l'empire romain c'est-à-


-

ser leurs souvenirs en quelques dire la situation socio-économique


minutes. Rappelons qu'il est dans des régions italiennes -et le
leurs attributions d'enseigner cette manque de résistance aux limites
période de l'histoire. Nous leur de son territoire
avions demandé quels contenus de Leur coutume de se déplacer et de
savoir principaux étaient cachés conquérir d'autres territoires à la
derrière le titre de la leçon les :
recherche continue de pâturages et
invasions des Barbares contenus
;
de champs à cultiver;
qui leur paraissaient essentiels âJ
La fuite de leurs territoires envahis
enseigner.
par les Huns de l'Europe centrale.
Affiche 1 Leur habitat tentes, cabanes terri-
poraires.
La civilisation barbare avant
Leur économie, leur organisation
l'impact avec la civilisation romaine
flic rinri ina mriirc rfU1rAYr sociale, leur religion polythéisme.
de civilisation. Affiche 3
Condition de l'Empire romain : sa Provenance et origine.
décadence. Aspects socio-économiques
Impact des peuples barbares avec - agriculture (avoine, seigle, orge);
les Romains : causes et consé- - technologie (architecture, orfè-
quences. vrerie, verrerie, poterie, production
de beurre et de savon);
Affiche 2
- organisation sociale : tribu, clan,
Les Barbares sont passés au cours noblesse, religion (polythéisme),
de leurs migrations dans notre langue (orale et écrite).

r,

• Se poser au préalable des Questions « impertinentes» qui refusent a priori ce qui


m'apparaît comme évident. fi
'w
- Y a-t-il eu vraiment invasion au sens littéral du terme?
- S'il y a eu invasion, ces invasions sont-elles la catastrophe qui nous est la plus
communément présentée?
- Les Barbares étaient-ils vraiment des barbares?
- Les Barbares sont un vaste ensemble de peuples dont il est question sur plu-
sieurs siècles, est-il pensable qu'ils soient identiques?
Ces interrogations auront le mérite d'aider à un autre éclairage, de favoriser une
lecture plus prudente des documents disponibles dans le manuel. Et, souvent,
l'enseignant sera en mesure de se demander dans quelle mesure les souvenirs, sur
lesquels il fonde une partie de son approche, ne sont pas des faux savoirs!
• Préparer la leçon - même traditionnelle -, c'est-à-dire les documents ou les
interventions magistrales que l'on se propose de faire avec les questions
précédentes, ou choisir des documents équivoques ou contradictoires qui
permettraient de douter de ces vérités.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 35


R interroger le dictionnaire
On comprend par l'encadré ci-dessous que, quel que soit le diction-
naire, il ne fait pas bon être barbare. Il ne s'agit pas de mettre en cause
les dictionnaires - ou pas seulement - mais de les utiliser comme reflet
de l'usage que nous faisons de certains mots. Le dictionnaire a au
moins l'avantage d'être souvent le recueil des idées toutes faites, dont il
va falloir se méfier, des évidences - puisqu'il intègre les usages et les
acceptions les plus fréquents. Cette perception de l'étranger, de
l'immigré, est suffisamment caricaturale pour qu'on commence sérieu-
sement à se demander si les Barbares étaient bien ceux qu'on nous
décrit!

Les Barbares, quels barbares?


« Étranger de civilisation inférieure sauvage, de civilisation grossière.
pour les Grecs et les Romains. Cruel. Grossier, sans culture, sans
Sauvage qui n'a ni lois ni civilisa- délicatesse. »
tion. Contraire aux règles et aux Logos Bordas. 1983.
usages. Cruel, inhumain. »
« Etranger chez les Grecs et les
Dictionnaire Larousse, 1964. Romains. Cruel, féroce. Grossier,
« Étranger pour les Grecs, les qui choque le goût. Incorrect. »
Romainspuis les chrétien s. Cruel. Dictionnaire universel de poche,
Qui n'est pas civilisé ; grossier ; Hachette, 1993.
aux moeurs rudes. Grammaire :
« Étranger pour les Grecs et les
incorrect.
» Romains et, plus tard, la chrétien -
Focus, Bordas. 1962. té. Les invasions barbares. Les
« Chez les Grecs et les Romains, Barbares. Homme qui ri: est pas
s'appliquait aux peuples 'étrangers. civilisé -. primitif, sauvage. Qui
dont la civilisation était jugée infé- choque, qui est contraire aux
rieure et la langue incompréhen- règles, au goût, a l'usage -, gros-
sible. sier, incorrect. Cruel, sauvage. »
Dictionnaire Le RobertMicro, 1988.
(spécialement) Les Barbares : les
peuples de l'Europe du Nord et Dans Le Petit Robert dé 1990 9 on
d'Asie centrale qui envahirent la nous explique que le mot barbare
Gaule, le bassin méditerranéen, n'est pas qu'un adjectif mais aussi
l'inde, la Chine à la fin de l'Anti- un substantif, grâce à une citation
quité et pendant le haut Moyen édifiante : « Rome devenue la proie
Age (invasions barbares). Les des Barbares » (Bossut). La liste
Ostrogoths, etc., étaient des des antonymes : civilise, policé,
Barbares. S'applique à un peuple raffiné, bon, humain.

Quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit que les renseignements


que nous tenons sont de source romaine-catholique, sans contrepoint
qui viendrait des Barbares eux-mêmes. Car, avant leur rencontre avec
la civilisation romaine, ils ne possédaient pas de langue écrite. Après
s'être latinisés, certains Barbares, conquis par la culture romaine, écri-
ront mais, dès lors, on peut penser que leur point de vue est très in-
fluencé par la culture qu'ils viennent d'embrasser. Et surgit la question
qui nous brûle les lèvres : les Barbares, barbares ou différents?

M © Hachette Éducation - Photocopie interdite


2. Qu'est-ce qu'un contenu de savoir sa bis

• Connaître le sens des mots ? Leur définition? ic


bug
• Consulter les sens usuels des mots? Leur usage le plus courant?
Si vous pensez que l'utilité essentielle est la première, vous vous privez d'un outil
pédagogique.
Si vous pensez que le sens des mots est aussi le produit d'une histoire de la langue
et de la pensée, les dictionnaires seront:
- un aperçu des représentations mentales des élèves (et les vôtres) sur les thèmes
de la leçon. Représentations à faire évoluer, à relativiser;
- un recueil de sens à faire travailler contradictoirement.

U Interroger les manuels


On est en droit de se demander si ces propos dépareraient dans notre
xxe siècle très civilisé... H.-I. Marrou, parlant des documents historiques,
et particulièrement de Marcellin, reconnaît qu'il nous apprend plus sur
lui-même, sur sa sensibilité, ses valeurs, que sur ce qu'il sait(' ) .

Barbares et manuels
« Les invasions germaniques » l'odeur de l'ail ou de l'oignon infecte
que renvoient dès le petit matin dix
« Vois avec quelle soudaineté la
préparations culinaires ; toi qui n'es
mort a pesé sur le monde entier,
pas assailli, avant même le lever du
combien la violence de la guerre a
jour, comme si tu étais leur vieux
frappé de peuples. Ce qui n'a pas
grand-père ou le mari de leur nour-
été dompté par la force l'a été par la
rice, par une foule de géants... »
famine. La mère a succombé misé-
rablement avec ses enfants et son Témoignage de Sidoine Apollinaire, évêque de
Lyon au ve siècle, tiré du manuel Histoire, ' Une
époux ; le maître, en même temps terre, des hommes », cycle d'approfondissement
que ses serfs, est tombé en servitu- 2e et 3e année CM, sous la direction
de... Dans les bourgs, les domaines, de L. Bastein, Magnard Écoles, 1951.
les campagnes, çà et là, le long des
« Ils ont des membres trapus et
routes, c'est la mort, la souffrance,
vigoureux et une nuque puissante,
la destruction, l'incendie, le deuil.
mais ils sont tellement difformes et
mal faits qu'on pourrait les prendre
Extraits de la correspondance d'évêques du y' pour des bêtes à deux pattes. Leur
siècle, tiré du manuel Histoire CM, M.-J.
Hinnewinkel, J-C. Hinnewinkel, J.-C. Sivirine seule nourriture se compose de
et M. Vincent, Nathan, 1986 plantes sauvages et de chair d'ani
maux de toutes sortes, qu'ils ré-
« Je vis au milieu de hordes cheve- chauffent entre leurs cuisses et sur
lues. Je dois supporter leur langage le dos de leurs chevaux. Ils sont
germanique et louer les chansons vêtus de lin et de peaux de rats. »
d'un Burgonde gavé qui s'enduit les
cheveux de beurre rance. Heureux A Marcellin, iv' siècle, â propos des Huas, tiré du
manuel Histoire et Géographie 6, Découverte et
tes yeux et tes oreilles, heureux méthode', coordonné par Y. Borowice
aussi ton nez, toi qui n'a pas à subir et C. Le Blanc, Magnard Collèges, 1990.

1. HA. Marrou, De la connaissance historique, Coll. « Points histoire », Seuil, 1975.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 37


MMN

Devenus prudents, on découvre enfin dans deux manuels (Sixième)


que les Vandales et les Wisigoths, plutôt que de se battre entre eux,
avaient recours au jugement de Dieu qui consistait à faire s'affronter
deux champions représentant chacun leur peuple. Naïveté que de
croire que Dieu choisit celui qui est dans son bon droit ? Peut-être,
mais quelle économie de vies humaines ! Cette idée, fort peu policée,
serait à remettre en acte à nouveau, non ? Comme quoi, on peut
même apprendre des Barbares.
En fouillant encore, on apprend qu'Odoacre, fils d'un ministre d'Attila,
prend le pouvoir en 476 après J.-C., date communément retenue pour
marquer la fin et de l'Empire romain et de l'Antiquité. Si l'on sait qu'il
était le chef de la garde personnelle de l'empereur Romulus, on peut
faire l'hypothèse que ces Barbares étaient déjà bien romanisés à
moins que ce ne soient les Romains qui n'aient été fortement
barbarisés.

tuf _
Ne jamais dépendre d'une source unique, du manuel de la classe. Refuser la
,

rit
• pratique qui consiste à se servir du document pour illustrer, étayer un discours. Le
document doit être lui-même questionné. Il existe toujours des documents
suffisamment dissonants pour créer la surprise. En Sixième ou au CM, les deux
textes qui suivent suscitent l'étonnement! Le Barbare devient attirant! Et la paix
romaine moins idyllique!
« Les pauvres sont ruinés, les veuves gémissent, les orphelins sont foulés aux
pieds si bien que la plupart d'entre eux, issus de familles connues et éduqués
comme des personnes libres, fuient chez les ennemis pour ne pas mourir sous les
coups de la persécution publique... Ils ont beau différer de ceux chez lesquels ils se
retirent, par la religion comme par la langue, et également, si je puis dire, par
l'odeur fétide que dégagent les corps et les habits des Barbares, ils préfèrent
pourtant souffrir chez ces peuples-là cette différence de coutumes que chez les
Romains l'injustice déchaînée.»
Salvien, Du gouvernement de Dieu, tiré du manuel
de M.T. Drouillon et M. Flonneau, Histoire Géographie 6, Nathan, 1990.

» C'est donc pour moi que labourent à cette heure le Chamave et le Frison, que ce
pillard peine à travailler sans relâche mes terres en friche, peuple mon marché du
bétail qu'il vient vendre. [ ... ] Toutes les terres qui, sur le territoire d'Amiens, de
Beauvais, de Troyes, de Langres, demeuraient abandonnées, reverdissent sous la
charrue d'un Barbare. »
Panégyrique de Constance-Chlore, 297, tiré du manuel 6e Histoire Géographie,
initiation économique dirigé par C. Hugonie et J. Marseille, Nathan, 1986.

Un seul document présente les Barbares de manière positive dans les


manuels les plus courants du cycle 3. Une fois, la question qui suit le
texte essaye d'attirer l'attention sur le fait que Sidoine Apollinaire
porte un jugement de valeur il s'agit de relever les détails qui
montrent que c'est le genre de vie différent qui le choque. Mais l'essai
est timide.

38 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


14.''Qu
`111

On trouve parfois un ou deux documents qui permettraient d'avoir


une vision complexe, mais ceux-ci ont une place secondaire. Le titre
proposé par l'auteur du manuel est très intéressant : « Les Barbares,
une chance pour l'Empire ? » Titre qui interpelle si, dans une première
phase de travail, les élèves ont pu conforter la vision classique de Bar -
bares vraiment barbares. Sinon, cette interprétation risque de tomber
à plat!
À l'issue de cette réflexion, on prend conscience que nos interrogations
sont fondées et fécondes. Elles mettent en pièces les évidences contenues
ou suggérées par les titres de leçons. Du coup, plutôt que de les avancer
timidement, pourquoi ne pas en faire le centre même de la leçon?
Il ne s'agit en aucune façon, après avoir épousé le seul point de vue
des non-Barbares, d'épouser maintenant celui des Barbares, de subs-
tituer un assujettissement à un autre. Remplacer une vérité par une
autre, c'est changer de maître, la servitude est la même et l'on change,
dans ce domaine-là, bien facilement de mentor.
Mais nous ne pouvons nous contenter de présenter deux points de vue
opposés en laissant l'élève se faire son propre avis sur la question. Il
nous faut organiser la confrontation entre les points de vue, tels qu'ils
sont perçus par les élèves, et les soumettre au feu de faits qui viendront
les relativiser. Pour reprendre une formule classique, si la vérité n'est ni
blanche ni noire, elle n'est pas non plus grise ! Il s'agit moins de se
dépêcher de répondre aux questions que suscitent des documents
contradictoires que d'organiser une réflexion à partir de ces oppositions
et de les formaliser en tant que problématique de recherche.

Problématiser un contenu de savoir


a problématique, c'est la nature des problèmes, nous dit le die' -

L Larousse. Ou encore, ce qui est problématique, c'est ce


qui pose problème, par opposition à ce qui irait de soi, coulerait de
source, serait évident.
La notion de problématique peut paraître bien savante, voire pédante.
Elle a l'intérêt de lier ensemble les différentes facettes d'une question,
d'apprendre à accorder de l'importance à la formulation des idées, de
délimiter, momentanément, le cadre de la future recherche des élèves.
Une problématique, c'est un ensemble d'alternatives qui ne s'excluent
pas les unes des autres, et qui peuvent être formulées sous la forme
de contradictions.

• Les Barbares sauvages et/ou simplement différents 9


Les invasions barbares cause et/ou conséquence de la dislocation de l'Empire
romain 2
• Les invasions cataclysme et/ou permanence de 1 histoire et de l'histoire de
2
France?

© Hachette Éducation - Photocopie interdite


Voilà autant de pistes de recherche qui permettent d'utiliser plus
intelligemment les documents ou les résumés des manuels. On aborde
les textes avec une grille de lecture qu'il faudra affiner au fur et à
mesure. Seul un manuel de Sixième aborde le problème de savoir si
les invasions sont une cause et/ou une conséquence de la dislocation
de l'Empire romain. Mais sous la forme d'un résumé à la fin de la
leçon, en grisé, qui porte le titre générique: « Pour en savoir plus » ou
« Le point de la question », c'est-à-dire comme un plus, en sous-
entendant qu'il est réservé aux classes les meilleures, au lieu d'en
faire un des points de départ de la recherche des élèves.

• Complexifier ses interrogations


• Qui étaient donc ces Barbares?
Nous avons gardé le souvenir que Clovis était franc et qu'il fut celui
qui christianisa cette portion de l'Europe. Nous savons également qu'il
n'était pas chrétien et qu'il fut baptisé par Rémi, l'archevêque de
Reims. Ce que l'on sait moins, puisque nous nous contentons des
évidences, c'est que tous les Goths étaient chrétiens ! Chrétiens mais
pas catholiques, des Ariens ! - L'arianisme refusait l'idée de la
consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Le Christ est
bien le fils de Dieu, mais d'un point de vue spirituel et non sa chair.
Ces invasions n'ayant pas été aussi soudaines que nous le croyons, ils
auraient eu le temps d'embrasser la religion des peuples qu'ils
côtoyaient. D'où plusieurs surprises:
- l'Europe aurait pu devenir arienne et non pas catholique;
- les Goths ont eux aussi contribué à la christianisation de ce
continent;
- la religion catholique n'est qu'une des formes du christianisme qui a
fini par triompher en combattant les autres et en les réduisant au
silence.
Bien évidemment, il faudra alors se renseigner sur ce qui oppose du
point de vue théologique le catholicisme et l'arianisme.

• L'Empire romain malade?


Peut-on imaginer que cet empire n'ait pas connu des contradictions
internes suffisamment fortes pour le miner de l'intérieur? Présenter la
situation comme : « L'Empire face aux Barbares », c'est utiliser une
formulation fausse. N'est-ce pas passer sous silence que l'Empire
romain en Orient a survécu mille ans à la chute de Rome ? C'est
également oublier de rechercher les apports des Barbares à l'Europe.
Si l'on cerne bien que l'on passe d'un empire à cheval sur trois
continents à un morcellement en plusieurs royaumes, celui-ci est
souvent présenté comme uniquement régressif, comme si les Barbares
n'apportaient rien de positif. Là encore, il s'agit de se poser des

40 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


. • .I • ust-cequ'Un. .C.Ofltefl

questions sans pour autant idéaliser les apports des Barbares. Bien
prendre la mesure de la transformation qu'a subi l'Empire romain,
puisque ce sont des cultures aussi différentes que la culture iranienne
avec les Alains, que la culture turque avec les Huns, que celle des
Slaves ou des Germains qui se sont métissées. L. Musset (article
« Invasions (grandes) », Encyclopoedia Universalis) fait remarquer que la
civilisation médiévale est directement l'héritière de ces mélanges, c'est-
à-dire le métissage, et de la civilisation romaine et des cultures
barbares. Il apprécie cette synthèse comme féconde face à
l'immobilisme de l'Empire romain.

• Les invasions sont-elles exceptionnelles?


Le Larousse nous donne trois sens, non seulement péjoratifs, mais qui
insistent également sur la soudaineté du phénomène:
- irruption faite dans un pays par une force militaire;
- arrivée massive d'animaux nuisibles;
- diffusion soudaine d'idées, d'éléments jugés dangereux.
Si l'on fait la liste des invasions qu'a connues l'espace français actuel,
celle-ci est longue : Cro-Magnon, Gaulois, Romains, Germains,
Arabes, Normands, Hongrois. Suffisamment longue pour que l'on se
demande si nous ne sommes pas tous des fils d'émigrés ou si notre
réalité génétique ne fait pas de nous des frères au sens propre du
terme?

• Se former à une pensée contradictoire


La notion de problématique permet de tourner le dos à une vision
dogmatique de l'histoire, et développe une conception qui intègre
plusieurs points de vue. Car l'intérêt des différentes problématiques
que nous avons soulevées n'est pas que l'on réponde par oui ou par
non à ces interrogations. Les Barbares étaient très certainement tout
à la fois envahisseurs et porteurs de valeurs nouvelles.
L'apprentissage d'une pensée dialectique - qui ne se dépêche pas de
faire la synthèse - nous parait être nécessaire pour affronter les
pensées monolithiques qui excluent la différence. Rappelons-nous que
les Barbares ont été utilisés dans des manuels d'histoire de France
antérieurs à la guerre de 1914-1918, où un auteur soulignait que si
les Francs et les Alamans étaient des Barbares, les Alamans étaient
bien plus sauvages que les Francs. On a compris que l'entreprise
n'avait rien d'historique et qu'il s'agissait de simplismes préparant les
mentalités à accepter la guerre non seulement comme une fatalité
mais comme une entreprise légitime parce que prétendument
civilisatrice.
Mais l'idéologie se glisse de manière insidieuse dans les manuels, à
l'insu même des auteurs. Un manuel de CM, aujourd'hui très

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 41.


répandu, donne comme consigne de lecture d'une carte des grandes
invasions : « Recherchons les peuples qui ont successivement envahi
notre pays. » C'est l'adjectif « notre » qui est choquant, car il empêche
de saisir que le produit de ces invasions, de ces métissages, c'est
finalement le Français.
Il faut encore noter qu'aujourd'hui les historiens de langue allemande
sont plus prudents et ne parlent pas d'invasions mais de « migrations de
peuples ». Nous avons été surpris de lire dans une revue de
vulgarisation que la représentation des Barbares « rieurs et carnassiers,
grandes bêtes blondes ou cruels Asiatiques » était enfin considérée
comme une fable. Le « Mallet-Isaa.c » y est rangé aux côtés des B.D. et
des péplums! C'est peut-être aller un peu vite en besogne, mais c'est au
moins le signe d'une désacralisation de cette interprétation de l'histoire
dont les manuels de l'époque se faisaient les chantres. Enfin, justice est
rendue à Attila, « civilisé, Attila ! », qui est reconnu comme étant le
maître du jeu diplomatique de cette première moitié du ve siècle.

L'objet de l'historien
« L'historien a renoncé à l'immense [...] « il ne peut donc échapper à un
indétermination de l'objet de son minimum d'élaboration conceptuel-
savoir : le temps. Il n'a plus la pré- le explicité : la bonne question, un
tention de raconter ce qui s'est problème bien posé importent plus
passé, ou même ce qui s'est passé - et sont plus rares ! - que l'habile-
d'important... [ ... ] Il pose, à ce té ou la patience à mettre au jour
passé, des questions sélectives. » un fait inconnu, mais marginal. »
F. Furet, L'Atelier rie l'histoire,
Flammarion, Col!. « Champs », 1982.

Cerner des concepts clefs


i l'on reprend les problématiques une à une, on peut, d'une part,
dégager un certain nombre de concepts qui ne se limitent pas à la
Spériode historique étudiée et, d'autre part, des concepts non
spécifiques à l'histoire et vraiment transdisciplinaires.

N Altérité
Les Barbares, sauvages ou/et différents ? C'est le concept d'altérité
qui est au centre de cette problématique. Autrement dit, toute la
question de l'autre, de la différence qui existe entre deux personnes ou
deux peuples, la manière dont on assume cette différence selon qu'on
la vive comme insupportable ou comme une source d'enrichissement
mutuel. Sans s'étendre, il est clair que ces questions intéressent toute
l'histoire des sociétés et permettent une lecture nouvelle et riche de
l'histoire de la conquête de l'Amérique 111 par exemple. Comment les
Indiens sont-ils perçus ? Comment la conquête est-elle présentée ?
1. T. Todorov, La Conquête de l'Amérique ou la question de l'autre, col!. « Points «, Seuil,
1984.

4:13. © Hachette Éducation - Photocopie interdite


1.. Qu'est-ce .qu'un.ei...pntud .i

« Quant à la rencontre avec l'autre, récits et images n'y font que de


brèves et fugitives allusions. L'indigène n'est évoqué qu'en tant qu'objet
et non comme sujet » note J. Perez Siller 1 à propos de la majorité des
manuels scolaires du monde entier!
Si l'histoire n'est pas le lieu privilégié de la rencontre avec l'autre,
dans le groupe, à travers les documents ou manuels différents, alors
l'histoire n'est que la perpétuation d'un discours, ou, et c'est la même
chose, la substitution d'un discours à un autre, sans que l'élève en ait
jamais conscience.

R Causalité
Les invasions barbares cause ou/et conséquence de la dislocation de
l'Empire romain ? Le champ conceptuel ouvert est celui de la
causalité, champ fort complexe puisque fréquemment des élèves de
Sixième continuent à confondre les causes et les conséquences.
Conséquences qui font d'ailleurs partie de la chaîne causale tout
comme la notion de but. En effet, le propre de l'homme étant d'avoir
des projets, c'est-à-dire des buts, ceux-ci sont donc à part entière
moteurs de ses actes. Ces confusions notionnelles sont d'ailleurs bien
illustrées dans notre langue par l'homonymie des deux expressions
pourquoi et pour quoi. Le cdncept de causalité est un des concepts de
base que l'on retrouve dans toutes les disciplines, par exemple en
physique ou en grammaire, et couramment dans la vie. Essayer de
comprendre les moteurs des actes de nos semblables, c'est faire
fonctionner en réalité un faisceau complexe de causes.

R Temps
Les invasions, cataclysme et/ou permanence de l'histoire? Ici, c'est le
concept de temps qui est approché. Les différentes perceptions de
l'importance des phénomènes selon l'échelle du temps qu'on utilise
pour en mesurer la fréquence. Le temps de l'homme n'est pas le même
que le temps d'un peuple. Là aussi, les réinvestissements sont nom-
breux, par exemple en géologie, avec la fréquence des tremblements de
terre, rares dans la vie d'un homme, très fréquents pour notre planète,
ce qui pourrait nous permettre de rompre avec une vision immobiliste
ou fixiste de l'histoire de la Terre, et nous aider à construire une
conception mobiliste de cette même histoire.

R L'Histoire enseigne des concepts!


Les concepts dégagés seront l'objectif central de la leçon. Leur
construction s'amorce dans ce cours et peut continuer dans d'autres
cours d'histoire. Mais leur construction ne peut se faire à vide. Il faut
qu'elle le soit en situation, ici en situation historique. Et nous

1. J. Perez Siller, sous la coordination de, La « Découverte» de l'Amérique?, « Les regards


sur l'autre à travers les manuels scolaires du monde », L'Harmattan/Georg-Eckert-
Institut, 1992.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 43


insistons : l'objectif central de l'enseignement de l'histoire n'est pas le
passé mais, comme dans toute matière, un certain nombre de
concepts qui structurent toute la pensée humaine. À court terme,
pour ce faire, des objectifs notionnels sont poursuivis qui sont en fait
la complexification des problématiques que nous avons lancées
comme autant de pistes de recherche. L'enseignant d'histoire doit
apprécier pleinement le rôle majeur qu'il peut jouer dans la construc-
tion de ces concepts.
Et les faits historiques, ceux qu'on appelle souvent les connaissances
historiques ? Nous ne les abandonnons pas, au contraire. Mais nous
essayons de leur donner du sens, d'abord pour nous-mêmes, ensuite
pour les élèves. Dans le chapitre suivant, nous allons voir comment
faire construire du sens à ces faits, à ces événements, et en même
temps nous donner une autre stratégie pour cerner les contenus
essentiels d'une leçon d'histoire.

• Méthodologie
Événement, critique de témoignage, point de vue, contradiction, rupture et
CI continuité, causalité...
I-

• Politique
Nation, État, république, démocratie, empire, aristocratie, absolutisme, monarchie...
• Économie
Capitalisme, mercantilisme...
• Civilisation
Culture, mentalités, idéologie, société...

• Ne pas confondre titre et contenu. Rechercher le sens de l'événement étudié par


CI rapport à ce qui précède et ce qui suit.
s-

• Confronter les titres de plusieurs manuels. Dégager les éclairages de chacun.

• Poser/se poser des questions impertinentes qui prennent le contre-pied des


évidences contenues dans les leçons. Impertinences fécondes le plus souvent.

• Anticiper les représentations dominantes des élèves et celles des historiens à


travers les dictionnaires. C'est ce qu'il faudra déplacer, aider à se transformer.

• Partir à la chasse de documents, témoignages contradictoires qui donnent


quelque solidité à nos hésitations.

• Problématiser et complexifier nos interrogations. Le but n'est pas de remplacer


une vérité par une autre, mais de mettre en lumière la complexité dç l'événement.

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1
• Pointer les découvertes, surprises, éclairages nouveaux qui pourront aider à
relativiser les représentations dominantes des élèves, voire des manuels.

• Dégager les grands concepts spécifiques et transdisciplinaires qui déterminent çai


une grande partie de la réflexion. Concepts qu'il faudra pointer avec les élèves et big
qu'ils reverront dans d'autres leçons d'histoire ou dans d'autres matières. rit

IL Titres de la leçon relevés dans un manuel de CM


1. Quinze millions de Gaulois?
Druides et guerriers en Gaule
La paix romaine
2. Un peuple de la Gaule : les Éduens
La Gaule avant la conquête romaine
La conquête de la Gaule par Jules César
La vie en Gaule romaine
Les Gallo-Romains
3. Des Celtes aux Gallo-Romains
La Gaule celtique
La conquête de la Gaule
La ville gallo-romaine
La campagne gallo-romaine
III. Interrogations
1. Pourquoi la conquête romaine n'est pas présentée négativement comme les
invasions ultérieures?
2. Les Romains ont-ils vraiment civilisé les Gaulois ? Étaient-ils en retard ? Et
qu'est-ce que cela veut dire?
3. Et, donc, les Gaulois n'ont-ils rien apporté aux Romains ? Étaient-ils les
« vantards et braves(') » que signalent les manuels?
4. Sans parler de Vercingétorix, toujours présent dans nos manuels avec une belle
assurance, qui n'est pas celle des spécialistes.
5. Quelles sont les causes réelles de la conquête romaine ? L'indiscipline gauloise?
Leur retard militaire?
6. Quelles sont les raisons de la conquête romaine?
En définitive, une étude des Gaulois uniquement parce qu'ils ont occupé l'espace
hexagonal, ou parce que leur apport est riche et irremplaçable?

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territoires contrôlés par les Catholiques
territoires contrôlés par les Ariens 500 km

1. (Sic.) Surprenant que les Gaulois dévorent, et de qui tient-on ce jugemerït?

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I
l ne s'agit plus seulement de repérer les véritables contenus de
savoir derrière un titre de leçon, ou de cerner les sens multiples
d'un événement, mais de chercher quels contenus peuvent avoir un
sens - et lequel ? - pour un enfant ou un adolescent d'aujourd'hui.
Alors que la civilisation ou la période historique qu'il étudie est révolue
depuis plusieurs siècles, voire plusieurs milliers d'années. C'est la
question centrale de ce chapitre.
Autrement dit, quand j'étudie la civilisation égyptienne, par exemple,
je ne dois pas seulement chercher une ou des ruptures intrinsèques
au savoir historique, c'est-à-dire épistémologiques, mais aussi
chercher celles qui pourraient concerner le public que j'ai en face de
moi. Cela suppose que je m'intéresse à ce qu'il pense, à ses problèmes,
à ses difficultés, bref, à la façon dont il conçoit le monde, ses rapports
au monde.

Quelles ruptures?

E n définitive, je dois rechercher les articulations possibles entre


l'historicité du sujet apprenant et le passé historique, entre les
ruptures épistémologiques et ce qui peut faire choc, surprendre
celui qui apprend. C'est à cette condition qu'il y aura construction du
savoir, sinon nous prenons le risque que l'objet historique reste
extérieur à l'élève, nous faisons l'impasse sur sa personne, en niant ce
qu'il a de spécifique, en partant de l'a priori que nos problèmes sont
les siens. Nous le mettons dans la situation où il doit faire siennes nos
questions.
Entendons-nous bien, nous ne proposons pas de nous en arrêter à ce
stade, mais nous sommes convaincus que ce détour est essentiel pour
pouvoir se recentrer sur les contenus historiques, pour que les sujets
sentent qu'il y a quelque enjeu pour eux à travailler l'histoire. Ce qui
revient à dire que l'enseignant doit se débarrasser définitivement de

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61
Enseigner l'histoire àl'école

l'idée que l'histoire est la science du passé et que sa finalité scienti-


fique serait de faire revivre le passé, de le révéler (au sens photo-
graphique) tel qu'il aurait été. En fait, l'objet de l'histoire c'est aussi
son sujet, c'est-à-dire l'homme (élève ou chercheur) qui ré-interprète
les traces du passé.

R Dans les savoirs


Prenons l'exemple de l'histoire de l'Égypte. Voici une liste de possibles
qui nous paraissent incontournables et qui doivent être au centre des
leçons sur la civilisation égyptienne.

Le sens d'une leçon sur l'Égypte


- L'Égypte, un don du Nil, certes, méthodes de calcul uniques (comp-
mais un don devenu richesse grâce ter, multiplier et diviser comme les
au travail acharné des paysans. Égyptiens).
-Les Égyptiens inventent l'État, - Et pourquoi les Égyptiens plus
l'État le plus stable du monde. particulièrement?
- Ils inventent l'État, une écriture,
un système de numération et des

Et ces possibles sont susceptibles plus que d'autres de concerner des


jeunes d'aujourd'hui. Comment peut-on croire qu'un contrôle,
commun qui plus est, puisse porter sur les termes techniques de
l'architecture des temples égyptiens ? À force de penser qu'avant la
Quatrième l'histoire n'est qu'un enseignement de vocabulaire, on en
arrive à ce genre d'hérésie ! Penser que péristyle, hypostyle sont au
centre et de ce que les Égyptiens ont apporté aux civilisations et de ce
qu'un élève de dix ans doit avoir retenu montre le manque de réflexion
conceptuelle qui existe dans la formation universitaire et profes-
sionnelle.

Privilégier la rupture, c'est mettre en avant les contenus, le


conceptuel, aux dépens de l'information restreinte. Le concept est le
produit d'une construction dans un double processus d'abstractisatiort
et de généralisation. Maintenant, il reste à choisir, en fonction du
public, les ruptures que l'on va retenir.

R Sur le terrain des valeurs


Si nous reprenons l'exemple de la civilisation arabo-islamique, on peut
facilement supposer que nos élèves ignorent que les Arabes sont les
héritiers d'une civilisation très florissante. Certains de nos élèves ont
peut-être même quelque sentiment de supériorité. Les réflexes xéno-
phobes sont si pesants, hélas! qu'il n'est pas besoin d'être devin pour
imaginer les représentations mentales dominantes.

om © Hachette Éducation - Photocopie interdite


. L'histoire, un détour par le passé
Cette période se prête particulièrement à un détour par le passé pour
traiter de manière non explicite ce problème. C'est-à-dire que l'objet de
travail explicite sera bien le passé. Mais à condition de ne pas
censurer, avant qu'ils ne s'expriment, les jugements de valeur
dépréciatifs : cela afin de créer la surprise ou le choc en amenant des
documents qui mettent en doute les témoignages précédents. L'objet de
travail implicite sera alors les représentations xénophobes des élèves.
Tout ceci, et il faut y insister, dans un processus de détour qui permet
de n'agresser personne dans ses convictions et qui tourne le dos à un
discours moralisateur qui ne convaincrait que ceux qui sont déjà
convaincus. En réalité, ce sont à la fois les interrogations historiques et
les valeurs des élèves qui se confrontent, en situation.
Ce qui permet de s'interroger sur le sens du cours d'éducation civique
qui traiterait de l'éducation civique comme d'une matière, alors même
qu'il n'y a pas d'interrogations scientifiques qui ne soient sous-tendues
par une conception du monde, une représentation philosophique ou
des valeurs.
Grâce à ce travail d'anticipation des problèmes des élèves et de leurs
représentations mentales, une des articulations possibles entre la
rupture conceptuelle historique que l'enseignant a cernée et la rupture
chez le sujet apprenant a été opérée : c'est à ce prix-là que le sujet
peut investir l'histoire, qu'il peut faire du sens sur les contenus
abordés qui n'auront plus cette saveur insipide de la gratuité ou - de
son point de vue - du hors-sujet.
Quels contenus réels ? Quelles problématiques ? Quelles ruptures ?
Quel intérêt à étudier cette civilisation entre les VIe et xve siècles,
aujourd'hui révolue, au xxe siècle ? Autant de questions qu'il faut
avoir l'opiniâtreté de faire vivre.
• Quels liens avec le présent?
La voie de sortie est peut-être dans cette question-là : Quel intérêt,
aujourd'hui? Si l'on considère que l'image dominante de la civilisation
arabe n'est pas une image de progrès ou de rivale de la civilisation
occidentale, peut-on accepter cette vision européocentriste qui prend
systématiquement pour valeur-étalon notre civilisation? Rappelez-vous,
après le choc pétrolier de 1973, une publicité télévisée nous répétait à
longueur de journée: « Nous, on n'a pas de pétrole, ruais on a des idées ! »
Sous-entendu flagrant: ils (les Arabes) ont du pétrole, mais pas d'idées!
Je décidai donc de prendre le contre-pied de ce sentiment de
supériorité, en relevant tout ce qui, au Moyen Âge, dans l'esprit des
élèves, pouvait contrebalancer ce qui s'apparentait parfois au mépris.
La lecture du livre de Maurice Lombard - L'Islam dans sa première
grandeur - où celui-ci combat la thèse d'un autre historien, Henri
Pirenne, selon laquelle les Arabes auraient largement contribué à
fragiliser la civilisation occidentale, voire â la détruire, alors qu'elle se

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Enseigner I!histoire:aVe€oie

'o
Ne pas se laisser emprisonner par des titres trop génériques, qui pourraient
s'appliquer à beaucoup de civilisations. Voici quelques propositions de travail:
CI
- Et si les mots avaient une mémoire ? La mémoire de notre histoire!
- Le français, une langue métissée ! Pourquoi tant de mots français viennent-ils de
l'arabe et du monde musulman? (Plus de deux cents mots courants.)
- Au Moyen Âge, la médecine européenne : une médecine arabe ! (Le livre
d'Avicenne - Ibn Sirta - fut lecture obligée dans les universités de médecine de
Louvain et de Montpellier du MIe au XvIle siècle.)
- Au Moyen Âge, les Européens sont obligés de faire des études à l'université pour
apprendre à multiplier! (Chiffre, en arabe sfr, c'est-à-dire zéro.)

Le français, une langue métissée?


u -1000/-120 - Prééminence commerciale des
Langue celtique Pays-Bas : mots néerlandais.
• _120/Ive S . • XVIIIe S.
Conquête et occupation romaines, - Attrait pour l'Angleterre, son
diffusion du christianisme : latini- mode de vie et ses institutions
sation de la langue. politiques : mots anglais.
S V-IX - Développement des sciences,
Invasions barbares : mots germa- recherche de nouvelles institutions
niques. politiques : création de mots à
l'aide du grec.
• Xe-Xie S .
- Attrait pour la musique et l'art
Invasions normandes mots scan-
italiens : mots italiens.
dinaves.
• XIXe S.
• XeXIe S.
- Développement des relations
Croisades, échanges avec l'Espagne
internationales, avance technolo-
et l'italie : mots arabes. gique de l'Angleterre : mots
• XIVeXVe S. anglais.
Besoin de mots nouveaux : mots - Succès des romans russes : mots
savants empruntés au latin. russes.
• XVIe S. • XXe S.
- Guerres d'italie, entrée des prin- - Colonisation et décolonisation
cesses italiennes à la Cour de mots du Maghreb.
France: mots italiens. - Attrait de systèmes politiques et
- Renaissance du goût pour idéologiques nouveaux : mots
l'Antiquité: mots grecs. soviétiques.
- Grandes découvertes : mots - Avancée technologique des Etats-
espagnols, mots portugais, mots Unis, engouement pour le mode de
d'Amérique. vie des États-Unis : mots anglo-
• XV.eXVUe S. américains.
- Guerres de Religion et guerres en - Progrès scientifique et tech-
Europe, circulation de merce- niques rapides : mots nouveaux
naires : mots espagnols et mots fabriqués à l'aide de racines
allemands. grecques et latines.

Mn © Hachette Éducation - Photocopie interdite


remettait à peine des invasions barbares, est particulièrement instruc-
tive. Présentée comme une puissance coupant la Méditerranée alors
que Lombard pense qu'elle a été « un fabuleux rendez-vous ».
Sans rentrer dans les détails historiques, le but de ces interpellations,
mises en situation par les documents appropriés, est de surprendre
l'élève, et de lui faire prendre conscience que la civilisation arabo-
musulmane est une civilisation qui n'a rien à envier à la sienne. Réalise-
t-il que Bagdad comptait 1,5 million d'habitants alors que Paris n'était
qu'une petite ville ? Et qu'au Caire un esclave avait tous ses soins
gratuits et pouvait rester en convalescence, jusqu'à un mois, à l'hôpital,
et disposait de salles de lecture pour se distraire ? Bien sûr, ces temps
sont révolus ! Mais il s'agit de relativiser ce sentiment de supériorité et
l'élève qui s'est demandé pourquoi le monde arabo-musulman n'est plus
aussi en avance ne se pose-t-il pas une vraie question?
En tout cas, nous faisons le pari que l'élève qui aura vécu ces
surprises regardera le camarade d'origine arabe différemment, doutera
des vertus salvatrices des réflexes protectionnistes, aussi bien au plan
économique que culturel.

U Sur le terrain spirituel


Depuis, avec la vigueur prise par les questions religieuses (affaire du
foulard), aborder le plus tôt possible les religions est d'autant plus
urgent que l'école, sous prétexte de laïcité, se détourne de ce terrain.
Pourquoi ne pas mettre l'accent sur la grande continuité qui existe
entre le judaïsme, le christianisme et la religion musulmane?
Plutôt que d'enseigner les trois religions monothéistes comme si elles
étaient sans rapport entre elles, nous avons choisi d'insister non pas
sur ce qui les différenciait mais sur leurs points communs. Autrement
dit, c'est un choix délibéré de mettre en avant la filiation qui mène du
judaïsme à l'islam, en passant par le christianisme. Quitte à revenir
sur les différences, voire même les oppositions, sans hâte aucune, car
les élèves, croyants ou pas, sont déjà convaincus que ces religions
sont antagoniques dans leur essence. C'est cette idée préconçue que
l'on va d'abord essayer d'interroger.
Trois religions monothéistes issues de la même région avec peut-être
une ancêtre commune, le monothéisme d'Akhénaton et de Néfertiti : il
était tentant de voir de plus près leurs points communs d'autant que
les Hébreux et les chrétiens ont en commun l'Ancien Testament, les
musulmans et les chrétiens de nombreux saints et que des spéci-
alistes affirment que le Coran est, par ses emprunts, le plus bel
hommage que l'islam ait jamais fait à la religion hébraïque. Le Coran
n'affirme-t-il pas que Dieu est unique, le même pour tous, et que la
révélation de Mahomet n'a pour seul but que de rappeler aux hommes
les prophéties de ses prédécesseurs ! Si bien que les rivalités
partisanes peuvent être relativisées comme étant le fait des hommes

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M,
Enseignr..I'bisoîre*4écie

Chaque groupe a le document suivant avec pour mission de rédiger une phrase qui
explique les rapports, les relations qui existent entre les trois religions.
çà
bug
ik • La Torah:
Dieu créa les cieux et la terre, et tout ce qui s'y trouve, en six jours. Le septième
est le jour du repos.
Genèse.
Soyez féconds multipliez, remplissez la terre et l'assujettissez.
Genèse.

Les Évangiles:
L'ange Gabriel dit à Marie: « Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et
tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. »
Évangile de Luc 1, 31.
Jésus dit: « Je ne suis pas venu abolir la Loi et les Prophètes, mais l'accomplir. »
Évangile de Mathieu.
La Bible, Nouveau Testament, traduction oecuménique de la Bible,
société biblique française et éd. du Cerf, 1972 et 1975.

• Le Coran:
Dans la création des cieux et de la terre, la succession du jour et de la nuit, il y a
sans doute des signes intelligibles pour les hommes doués d'intelligence.
Sourate III, 187.
Mariez-vous, croissez et multipliez... Quand le serviteur se marie, il accomplit la
moitié des exigences de sa religion.
Sourate IV.
L'ange Gabriel dit à Marie: « Je vais t'annoncer un fils béni. Il sera le prodige et le
bonheur de l'univers. » E ... ]
Rappelle le souvenir d'Abraham il fut juste et prophète. D'Isaac et de Jacob, nous
fîmes un prophète. Chante la vertu de Moïse.
Sourate XIX, (42, 50, 52) et 19, 21).
Dites : Nous croyons en Dieu, et à ce qui a été envoyé d'en haut à nous, à
Abraham et à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux douze tribus, aux livres qui ont été
donnés à Moïse et à Jésus, aux livres accordés aux prophètes par le Seigneur
nous ne mettons point de différence entre eux, et nous sommes soumis à la volonté
de Dieu.
Sourate II, 130.
Le Coran, traduit de l'arabe par Kasimirski, Garnier Flammarion, 1970.

plus que des religions elles-mêmes. Combien de jeunes Maghrébins


confondent leurs traditions culturelles et les pratiques religieuses dont
est porteuse leur foi!
La tolérance ne doit pas être qu'une profession de foi de l'enseignant
mais se rationaliser sur le terrain même des représentations des
élèves, représentations qui sont au coeur des savoirs. Certains d'entre
eux ignorent même que l'on peut acheter au supermarché d'à côté une
bible ou un coran qu'ils n'ont en général jamais lu de première main.
Nous avons été jusqu'alors prisonniers d'une conception par trop
étroite de la laïcité, d'une laïcité qui court à sa perte quand elle
confond tolérance et silence, quand elle s'aveugle en ignorant que ce

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!.....:..QU'e$t'Ci...

siècle n'a jamais cessé d'être spiritualiste et religieux. Il n'y a qu'à voir
la vigueur des religions dans les pays de l'Est. Il est à craindre que
cette laïcité étroite ne soit, comme l'avance Garaudy ('), qu'un inté-
grisme de plus, une négation de l'altérité, une esquive de plus face à
des clivages dont la coexistence doit être éduquée.
Nous le répétons, il s'agit aussi de susciter un regard neuf sur le
monde d'aujourd'hui et sur les documents historiques. Car l'histoire
est l'occasion d'élaboration de grilles de lecture, de problématiques,
voire même de concepts dont on tente de valider la richesse - et non
l'absolue véracité -' comme l'on fait certains philosophes comme Karl
Marx (2) ou René Girard (3)

Des contenus, enjeux pour les élèves

W La Préhistoire: une passion ou...


Les enfants sont en général passionnés par la Préhistoire. Les adultes
le sont également. Le succès jamais démenti des sites préhistoriques
ou des émissions comme À l'aube des hommes en est la confirmation.
Pourtant, peu parmi eux sont des historiens et encore moins
comprennent toute l'érudition des commentaires des guides. Qui, à la
sortie de la grotte aux Cent mammouths ou de Lascaux II, se souvient
des Magdaléniens ? Et pourtant ces visiteurs sont prêts à revenir!

W ... la quête de ses origines?


Ce qui passionne ce large public, c'est le mystère de nos origines.
Pardon, le mystère de nos origines à chacun d'entre nous. Mes ori-
gines, quoi ! On a souvent, à tort, ironisé à propos de la question
« D'où viens je ? » Cette question métaphysique est hautement philoso-
phique et accessoirement scientifique, à moins qu'on ne considère que
l'homme de science est fortement hanté par des questions
métaphysiques, même s'il s'en défend!
Cette interrogation est le lot de chaque être humain, et titille les très
jeunes enfants. « L'homme descend du singe », « Ça veut donc dire que
je descends du singe ? » Et pourtant, je ne suis pas un singe! Ou un
animal! Pourquoi? « Et eux aussi, les singes, ils vont évoluer et devenir
des hommes ? » Qu'est-ce qui nous constitue en tant qu'hommes ?
Quelle est notre spécificité ? Problème non réglé, qui était au centre
des débats dans les années 1950, époque à laquelle il était courant de
considérer les Pygmées ou les Mélanésiens au mieux comme des sous-

1.R. Garaudy, Intégrismes, Belfond, 1990.


2. Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis-Bonaparte, Éd. Sociales, collection Essentiel, 1984.
3. René Girard, Le Bouc émissaire (1982), La Route antique des hommes pervers (1985),
Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), Grasset.

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4 4F
nse gm.r.VhOire41êco1e

hommes et au pire comme des animaux. Ils pouvaient être les


représentants de ce chaînon manquant que cherchent bon nombre de
paléontologues.

En regardant les manuels et en discutant avec certains enseignants


qui ne consacrent que deux heures à la Préhistoire, surtout en CM 1-
Sixième, j'ai la conviction que ce contenu est laissé de côté au profit

• Organiser la confrontation
Tous ces éléments étant mis en commun, nous avons inventé une situation( 2 ) tirée
du roman de Vercors: Les Animaux dénaturés.
Voici la situation telle que nous la proposons aux élèves. Une population, les
Tropis, vient d'être découverte en Nouvelle-Guinée. Ces Tropis ressemblent à des
singes mais sont bipèdes, savent faire du feu, tailler la pierre et enterrent leurs
morts. Ils communiquent entre eux par une espèce de langage. Mi-hommes, mi-
singes, ils sont suffisamment évolués pour pouvoir être utilisés comme main-
d'oeuvre à bon marché, docile et semi-servile.
Un journaliste britannique, Douglas, révolté par ce qui risque de leur arriver, va
créer une situation qui choque le grand public. Il fait inséminer une femelle Tropi
dont il a un fils qui vit chez lui. Il décide de le tuer, en lui injectant du poison. Il se
constitue prisonnier et avoue son crime. Il réclame justice. C'est le scandale et il
faut juger Douglas. Si le tropiot est un singe, il n'est pas un criminel. S'il est un
être humain, Douglas doit être pendu ! Vous devez donc décider de la nature
humaine ou non humaine de ce tropiot et du peuple Tropi.
Les élèves se réunissent en plusieurs commissions et essayent de se mettre
d'accord sur un certain nombre d'arguments, coincés entre la sympathie qu'ils ont
pour Douglas et leur conviction que le tropiot est un être humain. Lors de la
confrontation des groupes, je joue le président du tribunal qui fait appel à des
experts - les groupes ont pu s'aider de documents selon la tournure que prenait
leur discussion - que j'utilise à mon gré pour pousser les élèves dans leurs
retranchements.
1. Pour en savoir plus sur les représentations mentales, lire : G. de Vecchi,
A. Giordan, L'Enseignement scientftque : comment faire pour que ça marche,
Z'éditions, 1990.
2. Pour en savoir plus sur cette situation, lire : A. Dalongeville, Les Animaux
dénaturés, l'interrogation philosophique comme pratique scientifique permanente,
G.F.E.N., «Reconstruire ses savoirs «, Messidor, 1985.

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d'une description d'étapes de l'évolution, plus ou moins caricaturales,
qui laisse les enfants sur leur faim. Erectus, habilis, sapierts, etc., et
voilà ! Et mes interrogations ? Le maître tente d'y répondre s'il reste
du temps, car il y a le contrôle commun à la fin du trimestre.
C'est pourquoi je décidai que les deux contenus centraux seraient,
d'une part, une approche de ce qu'est l'homme et, d'autre part, une
exploration de la notion d'évolution.

• Fiction?
Cette situation n'est plus fictive puisque deux savants ont déclaré que
des essais de métissage chimpanzé-homme avaient été tentés. Devant la
désapprobation de la communauté scientifique, après qu'ils eurent
déclaré que les produits de ces métissages pourraient remplacer les
hommes dans les tâches les plus pénibles, ils tentèrent de rassurer leur
auditoire en proposant que ces Tropis servent de banques d'organes, ce
qui était éthiquement irréprochable selon eux. Une occasion pour se
questionner sur les rapports entre l'éthique et la science quand certains
pensent que le monde serait raisonnablement gouverné s'il l'était par
des savants ou par je ne sais quels experts!

• La philosophie n'attend pas le nombre des années


La question que nous nous posons est peut-être précisément une de
nos spécificités en tant qu'être humain les interrogations métaphy-
siques, la superstition, la religiosité et, bien sûr, la religion. Pourquoi
attendre la classe de philosophie qui est à la fois un enjeu central des
travaux des savants et celui des discussions que chaque parent
pourrait avoir le soir avec son enfant?
Comment les paléontologues peuvent-ils discuter pour chaque
squelette de l'appartenance ou non à la lignée Homo, alors que ce qui
nous fait homme n'est pas seulement lisible sur notre squelette ? À
quel moment passe-t-on du non-Homo à l'Homo ? Quelle(s) rupture(s)?
Autant d'occasions d'aborder les problèmes essentiels de l'évolution et
non pas des schémas linéaires qui montrent, les uns précédant les
autres, des Australopithèques et des Homos en train de se redresser.

• Échapper à la fatalité de l'échec


Ce travail a été mené avec des élèves du primaire ou du secondaire,
des lycéens, des enseignants, des adultes en « échec social ». C'est
toujours la même flamme qui a traversé les débats, toujours le même
sentiment d'être un peu plus « humain », à la fin du travail, qui
habitait les gens, sans parler de l'envie de lire le roman de Vercors ou
des ouvrages plus savants.

1. A. Jacquard, Inventer l'Homme, Complexe, Bruxelles, 1984.

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Enseigner.i'histoire4.Vécole

Que les élèves prennent conscience qu'ils se posent des questions de


haut niveau, des questions du même type que celles que les savants se
posent, n'est pas du temps perdu. Certains savants cowme Albert
Jacquard ( ' ) pensent que l'homme s'autostructure, qu'Il joue une pièce
de théâtre - la vie - qu'Il écrit au fur et à mesure, qu'Il la joue alors que
l'animal joue une pièce écrite par d'autres. Cette prise de conscience
que l'Homme peut échapper à la fatalité, c'est peut-être le début d'une
reprise de confiance en soi pour les élèves les plus fragilisés par l'échec.

Néandertal tel que le voyaient


Aujourd'hui
les paléontologues il a vingt ans
« Homme peu gracieux, face vulgaire, grossier, brutal, incapable d'un langage
articulé. » (1920)
Néandertal taille la pierre, construit des huttes, maîtrise le feu, enterre ses
morts. » (1988)
Aujourd'hui, on sait que les Néandertaliens appartiennent à un rameau qui s'est
éteint il y a trente mille ans.
Récemment, on a trouvé en Israël des traces de l'homme de Cro-Magnon. Après de
multiples datations, il est admis que ces restes sont vieux de cent mille ans. Cro-
Magnon ne serait arrivé en Europe que tardivement.
Néandertal et Cro-Magnon - reconnu comme notre ancêtre - ont coexisté, peut-être
ont-ils fusionné ? Auquel cas, Néandertal n'est pas tout à fait disparu ! La
controverse se poursuit.
Dalongeville et Huber, op. cit.

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Comment mettre les élèves
en situation de recherche?
Si l'on veut rompre avec la pratique de l'histoire-récit, la
seule alternative est de mettre les élèves en situation de
recherche, d'invention, de création.
La notion de situation-problème, réinvestie dans l'ensei-
gnement de l'histoire, est une des pistes que nous proposons
ici. Mais qu'est-ce qu'une situation-problème ? Comment la
bâtir?
Comment susciter cette envie de questionner les documents
historiques, de ne pas se contenter d'écouter les explications
du livre ou du maître?
Et quelles sont donc les utilisations très concrètes, multiples,
de lecture des documents historiques?

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Enseigner. i'hist.. re;:à..Véco.1e

I($
V Il

L'histoire, un noeud de contradictions .58


Mettre en recherche.................. .................................
Bâtir une situation-problème : le 10 août 1 792 ........................ 59
La découverte de l'Amérique: la conquête du Pérou..................
.................. 62
68
Recherche et imaginaire : le zéro maya .. ...... 69

es manuels racontent et simplifient puisqu'ils ont affaire à de


jeunes lecteurs. Ils gomment les balbutiements de l'histoire. Le
récit est un filtre qui reconstruit une cohérence, mais selon une
logique de l'après-coup. C'est-à-dire que les ruptures historiques et les
contradictions sont gommées pour qu'elles n'encombrent pas l'esprit
de l'élève ou pour que le récit coule de source. Elles n'ont pas voix au
chapitre puisque considérées comme résolues ! Et pourtant, combien
de contradictions enfouies resurgissent, que ce soit à propos de la
Révolution française ou bien encore du double processus de coloni-
sation et de décolonisation!

L'histoire, un noeud de contradictions


Imam• Histoire, en se voulant neutre, s'est mutilée et, en fuyant la
I notion de contradiction au nom d'une asepsie idéologique, s'est
faite aveugle et parfois dogmatique. On dira que tout cela est
bien difficile pour les élèves. Que non! La difficulté consiste surtout à
modifier radicalement ce comportement intellectuel, habitus, dirait
P. Bourdieu, qui consiste à croire que simplifier permet de mieux
comprendre. L'évidence ne souffre pas le doute et n'offre pas de prise à
la compréhension. Comment se former à une logique de la complexité,
au sens où en parle E. Morin, si l'on n'a jamais l'occasion de
structurer, d'ordonner le réel si l'on nous prive de l'exploration des
genèses contradictoires du présent?
Toutes les situations historiques que nous abordons sont contra-
dictoires dans la mesure où des forces, des intérêts se manifestent de
manière divergente. Ce qui nous permet de conflictualiser ces situa-
tions, voire même de les dramatiser au sens théâtral du terme.
L'approche de ces contradictions est essentielle pour que le sujet
apprenant comprenne les possibles et les enjeux de ces situations.
C'est-à-dire que l'événement ainsi mis en relief sera intelligible. Si

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3.::Coflufleflt

cette conflictualisation est évitée, il y a de fortes chances pour que


l'élève ne puisse construire du sens et soit dans l'impossibilité
d'actualiser dans son propre vécu l'une de ces virtualités.

Mettre en recherche
• Poser problème
Mettre les élèves en situation de recherche, c'est inventer une situa-
tion qui va poser problème à l'élève, de telle sorte que ses idées
premières, ses préjugés, son expérience ainsi que les idées consen-
suelles du groupe vont être inopérants pour résoudre le problème.
Quoi qu'en pense le sujet apprenant, cette impasse n'est pas un piège.
C'est sa façon d'aborder la situation, ses représentations qui est une
« prison mentale »(1) Ce n'est qu'en prenant conscience de ses limites,
en s'inventant d'autres cadres mentaux, en rupture avec les anciens,
qu'il peut triompher de la situation.
En fait, aucun d'entre nous n'aborde un problème sans une certaine
expérience - conscientisée ou non. Et sans une théorie préalable. Le
sujet apprenant doit tout à la fois accepter la difficulté - les tentatives
- et prendre conscience qu'il doit changer son approche. Cet obstacle
contre lequel il bute est un obstacle d'un autre ordre, c'est un obstacle
épistémologique. Il lui faut donc accepter le risque de rompre avec ses
points de repère habituels, changer de paradigme, se bouger.

« L'imprudence est une méthode »


«[ ... Parti de cette conception d'un prit ? Que ferais-je, en effet, d'une
développement historique continu, expérience de plus qui viendrait
on présentait la culture scientifique confirmer ce que je sais et, par
individuelle comme essentielle- conséquent, ce que je suis ? Toute
ment capitalisante : tout jeune, on découverte réelle détermine une
recevait des cadres généraux et méthode nouvelle ; elle doit ruiner
indestructibles un patrimoine intel- une méthode préalable. Autrement
lectuel à enrichir. » dit, dans le règne de la pensée,
E...) « La raison était une tradi- l'imprudence est une méthode. »
tion. »
E ... ) « Je fais une expérience de G. Bachelard, L'Engagement
physique pour changer mon es- rationaliste, PUF, 1972, p. 10.

• « Risquer sa raison »
Comme le dit Bachelard (2), le sujet doit risquer sa raison, vivre pour
lui-même le doute, ce moment finalement trop rare où le sujet
déconstruit ses savoirs anciens pour les réorganiser et construire une
nouvelle cohérence dans sa pensée. Moment délicat car, du coup, c'est
tout à la fois les savoirs et la personne qui sont interrogés. Les élèves

1. 0. Bassis, « Briser les barreaux de nos prisons mentales », Dialogue n 60, avril 1987.
2. G. Bachelard, L'Engagement rationaliste, PUF, 1972.

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E*seignerthzu.e4:::.IoIe

réclameront le retour des cours magistraux, ceux qui ne sont qu'une


redite du manuel, ceux qu'il suffit d'apprendre par coeur sans trop
comprendre. Les habitudes, la paresse de la pensée, l'fflusion de la
sécurité, telles sont les premières résistances. Puis il y a cette espèce
de violence qu'il faut se faire pour comprendre. Pas seulement la
violence d'un effort physique qu'on s'impose - comme le disait une
collègue, citant Michel Serres pour justifier la somme de devoirs qu'elle
administrait aux élèves - mais aussi celle qui consiste à rompre avec
ses représentations, à vivre les contradictions en soi et avec le groupe.

I Pédagogie de la contradiction
Concrètement, deux conséquences en découlent. Tout d'abord, repérer
les contradictions afférentes à l'un des concepts clefs que l'on peut
voir les élèves se construire, la notion de pouvoir, par exemple, à
propos de la nuit du 4 août. Cerner les intérêts économiques,
politiques ou sociaux contraires, afin que la situation soit elle-même
un enjeu et permette la construction d'une vision dynamique et
complexe de l'histoire. L'exemple de Louis XIV peut nous permettre de
comprendre qu'il faut se défier de toute vision non contradictoire.
Louis XIV a été tour à tour le « Grand Roi», celui que Lavisse et d'autres
ont porté aux nues, puis celui que P. Goubert égratignait en rappelant
quelles étaient les conditions de vie des Français - au risque, selon
certains, de n'être qu'un mauvais citoyen. Cet apport avait été consi-
déré comme un crime de lèse-majesté, un anéantissement, et non pas
comme une complexification des visions précédentes.
Les élèves, aujourd'hui, l'assimileraient volontiers à un dictateur
contemporain, incités en cela par les manuels qui centrent leurs leçons
sur la notion d'absolutisme. Balancements, phénomènes de mode,
évolution de notre propre regard ? Certainement. Mais aussi une
difficulté des manuels et des enseignants à étudier Louis XIV et son
siècle dans ses contradictions ! Ruptures et continuités vont de pair
rupture avec le roi-père, le roi féodal, et mise en place de l'État-nation,
moderne, mais une réalité qui elle-même n'est pas sans contradiction
avec cet absolutisme qui l'aide à naître. Autrement dit, plutôt que de
reproduire la vision d'un XvIle siècle se contentant d'être absolutiste et
de céder à cette simplification, pourquoi ne pas faire l'effort de critiquer
cette conception ? De la même façon, beaucoup d'élèves pensent du
coup qu'il y a incompatibilité entre monarchie et démocratie. Comment

Apprendre, c'est apprendre contre!


« Je crois qu'on s'instruit contre mes yeux, tant d'importance à la
quelque chose, peut-être même raison polémique. »
contre quelqu'un, et déjà contre Gaston Bachelard, L'Engagernertt
soi-même. C'est ce qui donne, à rationaliste, PUF, 1972, p. 34.

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3$ Ç derec:herche:E?

ne pas s'étonner du nombre de monarchies - parlementaires, certes -


qui perdurent en Europe, et qui n'ont rien à nous envier quant au
fonctionnement démocratique de leurs institutions politiques?

• Pédagogie de la surprise
Ou bien encore travailler sur les surprises de l'histoire, là où la logique
première est contredite par les faits. Tout le contexte historique laissait
à penser que Christophe Colomb partirait au service du Portugal et non
au service de l'Espagne. Surprise ! Christophe Colomb va partir pour le
compte de la Cour d'Espagne, dès que celle-ci sera débarrassée des
musulmans, en 1492. Voulant exister dans le concert des grandes
nations européennes en tant qu'État-nation, l'Espagne peut soutenir le
pari de Colomb, d'autant qu'il ne lui coûte pas cher.
C'est précisément là où la raison est prise en défaut que le sujet
apprenant peut construire du sens. À nous de ménager la surprise et
de mettre en route toute une réflexion des élèves qui travaillent alors
sur l'écart entre ce qu'ils avaient imaginé et ce qu'il s'est réellement
passé. Et ce avec d'autant moins d'inquiétude pour l'enseignant que
comprendre, c'est le va-et-vient entre comprendre, ne plus com-
prendre tout à fait et comprendre à nouveau. « Ce qui va de soi », « ce
qui parle de lui-même », c'est, littéralement, ce qui pourrait avoir du
sens sans nos questions, sans nous. C'est donc ce qui nous est, en
définitive, étranger.
Nous rejoignons ici la notion d'insolite que manie Brecht'. Le cher -
cheur, même s'il a une grille d'analyse, une théorie de l'Histoire et de
l'événement qu'il étudie, doit avoir la capacité de se rendre compte de
ses faiblesses, des points sur lesquels elle serait bizarrement ino-
pérante. Cette capacité à traquer l'insolite, à porter un regard neuf -
toujours ? -, est une des conditions de l'invention c'est en tout cas
un état d'esprit à développer chez tous les élèves.

Dégager une problématique conceptuelle qui interpelle les idées reçues de


l'apprenant.
Anticiper les difficultés qu'il va rencontrer, c'est-à-dire les pans contradictoires en s*
lui, avec les autres, avec l'objet, qui vont s'affronter.
Préparer la matière à la polémique, c'est-à-dire des documents qui ne soient pas
l'illustration du cours, du livre, mais de réels objets à interroger. Dialectique sub-
tile d'une situation préparée par le maître, donc dirigée par lui, mais qui ne doit en
aucune façon générer une recherche télécommandée lancée sur des rails, où l'on
fait semblant d'inventer.

1. B. Brecht, L'Achat du cuivre, Éd. de l'Arche, 1970, et Le Cercle de craie caucasien,


Éd. de l'Arche, 1989.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite M


DISK'
-

Dans cette conception, le rôle du maître n'est absolument pas minimisé : il prépare
la pâte à modeler, le matériau, qui va permettre une double confrontation à l'objet
et aux autres il gère, organise, anime cette confrontation. Le conflit socio cognitif
a besoin d'un médiateur. Nous avons déjà par ailleurs souligné que le maître devait
favoriser la formalisation du produit de cette confrontation et faire - en situation -
des apports magistraux. Le « triangle didactique » sous-estime le rôle de médiation
du socio- dans l'apprentissage des savoirs.

On peut situer la cause première des mécanismes de l'apprentissage non pas au


niveau d'une contradiction dans laquelle le sujet entrerait avec lui-même ou avec
le réel physique, mais au niveau d'une confrontation entre le sujet et les
affirmations ou actions d'autres personnes - confrontation qui peut avoir, et c'est
souvent le cas, le réel physique ou des actions sur ce réel comme objet.
D'après A. N. Perret-Clermont, La Construction de l'intelligence
dans l'interaction sociale, éd. Peter Lang, 1979.

Bâtir une situation-problème: le 10 aôut 1792

• Quelle problématique?
Rappelons tout d'abord que le 10 août 1792 n'est pas étudié pour lui-
même mais comme rupture dans les événements de la Révolution
française - le peuple de Paris entre en scène et prend la direction des
événements - et comme saut qualitatif dans la conception du pouvoir
et de la citoyenneté.
Ensuite, ce travail a été sous-tendu par une anticipation des
conceptions du pouvoir, de la démocratie, et donc de la délégation qui
existent chez les élèves. Problèmes qui restent actuels, dans une
époque où il n'est pas certain que la conception d'un citoyen
adulateur plutôt que souverain ne soit pas encore dominante dans les
inconscients des « politiques ».

M. Quelle confrontation?
Les grandes conceptions du pouvoir peuvent être incarnées par quatre
protagonistes:
- les Feuillants;
- les Fédérés:
- les Jacobins;
- les sans-culottes.

62 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


3..c:omn..nt••mettre les.:.élèyes:en:..:s:it.Ua•tioI.. df.f..:! 11

Il reste à trouver des documents qui vont permettre à chaque groupe


de s'investir et de préparer les jeux de rôles. Ici, une rencontre entre
ces quatre composantes de la vie politique française de l'époque,
rencontre qui n'a jamais eu lieu de la sorte, mais qui permet de camper
les contradictions et les affrontements idéologiques - bien réels, eux.
Enfin, il fallait trouver un élément déclencheur qui permette de créer
une dynamique, événement qui allait obliger chacune des parties à
prendre parti. Cet événement, c'est le manifeste de Brunswick, son
caractère insupportable de diktat pour le peuple parisien, qui va
mettre le feu aux consciences.

Et tout de même, un cours magistral!


Cette première phase de travail de groupe est précédée d'un cours
magistral qui fait l'état de la situation avant cet événement. Quand le
travail est lancé dans les groupes, l'enseignant est prêt à apporter des
informations complémentaires sur la pensée politique que le groupe
doit incarner mais aussi sur celle des trois autres groupes afin de per -
mettre une anticipation sur les conceptions des autres groupes qu'ils
vont devoir affronter.
Certains documents sont communs à plusieurs groupes. Ils peuvent
être modifiés, simplifiés selon les besoins. Leur raison d'être est
d'enclencher recherches, questionnements et jeux de rôles, et non pas
une étude exhaustive. En conséquence, leur difficulté n'est pas un
obstacle. Rappelons que les groupes ne sont pas livrés à eux-mêmes
mais que l'enseignant passe de groupe en groupe comme personne
ressource pour relancer la recherche.

Quel dispositif?
Il faut insister sur le fait que l'appareillage n'est pas premier, mais au
service de la situation et que, donc, tout le travail conceptuel mené au
préalable par l'enseignant est essentiel. Les éléments concrets, leur
enchaînement, bref, l'appareillage prend alors tout son sens. Le plus
souvent, il est vite inventé, un fois qu'on est au clair sur les concepts et
les ruptures conceptuelles qui sont au centre du cours ou de la leçon.
La pédagogie n'est pas réductible au dispositif et la précipitation -
légitime - à inventer concrètement fait oublier l'importance de ce travail
théorique. Éclaircissement sans lequel les documents ne seraient là
que pour illustrer un discours alors qu'ils doivent être un matériau à
questionner, un support à l'élaboration d'hypothèses qui seront
confrontées avec d'autres.
Enfin, une réunion publique a lieu où toutes les parties sont pré-
sentes. Un élève lit le manifeste de Brunswick, et la discussion
s'engage sous la forme d'une réunion d'une assemblée fictive. Le but
n'est pas d'arriver à une position consensuelle, mais que chacun ait
pu percevoir la portée des arguments des autres.

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Enseigner... I'hi.stoireà Vécole

Évidemment, on ne peut en rester là. Une phrase écrite, en groupe


et/ou individuelle, est nécessaire. Maintenant que chacun a une idée
plus précise de ce que va dire la partie adverse, il est utile de rédiger
une affiche pour alerter les Parisiens des dangers qui les guettent.
Après affichage et discussion, chacun pourra rédiger un résumé, le
confronter à l'indigence des manuels, même du second degré, à ce
propos. Cette mise en situation de recherche permet la construction
des pans d'un concept essentiel, celui de pouvoir, et c'est la
découverte qu'on peut, tout à la fois, apprendre et s'amuser.

......
----J
-

CM2

Magistral (voir en annexe).


Manifeste du duc de Brunswick.
Document(') de travail des groupes:

• Les Jacobins
- Montesquieu, De l'esprit des lois, livre VIII.
- Rousseau, Du contrat social, livres II et III.
- Déclaration de la section du Théâtre-Français, Danton, Chaumette, Momoro.

• Les sans-culottes
- Babeuf, Lettre à Coupé, curé de Sermaize.
- Roux, Discours sur les moyens de sauver la France et la Liberté.
- Hébert, Le Père Duchesne, n° 14.
- Dolivier, curé de Mauchamps, Pétition du ier mai 1792.
- Rousseau, op. cit.

• Les Fédérés
- Desbouillons, commandant de la division du Finistère, Lettre à la présidence de
l'Assemblée nationale.
- Rousseau, op. cit.

• Les Feuillants
- Montesquieu, cité par D. Guérin, Bourgeois et Bras-nus, Gallimard, 1973.
- Montesquieu, op. cit.
- Voltaire, article Égalité, Dictionnaire encyclopédique.
- Adresse des citoyens actifs de Rouen.

1. Les documents utilisés peuvent être consultés dans : M. Reinhard,


10 août 1792, la chute de la royauté. Gallimard, 1969.

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3.. Comment mettre.ies..élèves :ensîtuation.:de recherche?

Le 10 août 1792 - Documents


LIVRE II moments de sa liberté, l'usage qu'il
en fait mérite bien qu'il la perde. »
• Chapitre I - Que la souveraineté
est inaliénable Rousseau, Du contrat social. Livre III.

« Je dis donc que la souveraineté, « Le principe de la démocratie


n'étant que l'exercice de la volonté se corrompt, non seulement lors-
générale, ne peut jamais s'aliéner, qu'on perd l'esprit d'égalité, mais
et que le souverain, qui n'est qu'un encore quand on prend l'esprit
être collectif, ne peut être repré- d'égalité extrême, et que chacun
senté que par lui-même: le pouvoir veut être égal à ceux qu'il choisit
peut bien se transmettre, mais non pour lui commander. Pour lors le
pas la volonté. » peuple, ne pouvant souffrir le pou-
voir même qu'il confie, veut tout
Chapitre Il - Que la souveraineté
faire par lui-même, délibérer pour
est indivisible
le sénat, exécuter pour les magis-
« Par la même raison que la souve- trats et dépouiller tous les juges...
raineté est inaliénable, elle est indi-
« Tout le monde parviendra à
visible ; car la volonté est générale aimer ce libertinage : la gêne du
ou ne l'est pas ; elle est celle du
commandement fatiguera, comme
corps du peuple, ou seulement
celle de l'obéissance. Les femmes,
d'une partie. Dans le premier cas,
les enfants, les esclaves n'auront
cette volonté déclarée est un acte
de soumission pour personne. Il
de souveraineté et fait loi ; dans le
n'y aura plus de moeurs, plus
second, ce n'est qu'une volonté d'amour de l'ordre, enfin plus de
particulière, ou un acte de magis- vertu. »
trature ; c'est un décret tout au
plus. » Montesquieu, L'esprit des Lois, Livre
VIII.
Rousseau, Du contrat social, Livre II.
Déclaration politique de la sec-
Livre III tion du Théâtre Français
• Chapitre XV - Des députés ou • 30 juillet 1792
représentants
« Les citoyens dits actifs de la sec-
« La souveraineté ne peut être tion du Théâtre Français
représentée, par la même raison
qu'elle peut être aliénée ; elle Considérant que tous les hommes
consiste essentiellement dans la qui sont nés, ou qui ont leur domi-
volonté générale, et la volonté ne cile en France, sont français
se représente point : elle est la Considérant qu'après que la patrie
même, ou elle est autre ; il n'y a a été déclarée en danger par les
point de milieu. Les députés du représentants du peuple, le peuple
peuple ne sont donc ni ne peuvent se trouve naturellement ressaisi de
être ses représentants, ils ne sont l'exercice de la souveraine sur-
que ses commissaires ; ils ne peu- veillance;
vent rien conclure définitivement.
Toute loi que le peuple en person- Que le décret qui déclare les sec-
ne n'a pas ratifiée est nulle ; ce tions permanentes n'est qu'une
n'est point une loi. Le peuple conséquence nécessaire àe cprin
anglois pense être libre, il se trom- cipe éternel;
pe fort ; il ne l'est que durant l'élec- Considérant qu'une classe particu -
tion des membres du parlement lière de citoyens n'a pas même la
sitôt qu'ils sont élus, il est l'escla- faculté de s'arroger le droit exclusif
ve, il n'est rien. Dans les courts de sauver la oatrie:

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Enseigner •l'hîstoire a:l'ecole

« Déclare que, la patrie étant en attendant que le Grand Turc


danger, tous les hommes français s'empare de Rome, le cuisinier doit
sont de fait appelés à la défendre, faire son devoir, ou toute société
que les citoyens vulgairement et humaine est pervertie.
aristocratiquement connus sous le 1
nom de citoyens passifs, sont des « À l'égard d'un homme qui n'est ni
hommes français, partant qu'ils cuisinier d'un cardinal ni revêtu
doivent être et qu'ils sont appelés d'aucune autre charge dans l'Etat
tant dans le service de la garde à l'égard d'un particulier qui ne
nationale pour y porter les armes, tient à rien, mais qui est fâché
que dans les sections et dans les d'être reçu partout avec l'air de la
assemblées primaires, pour y déli- protection ou du mépris, qui voit
bérer. évidemment que plusieurs monsi-
gnori n'ont ni plus de science, ni
Signée Danton, président;
Anaxagoras Chaumette, vice-président;
plus d'esprit, ni plus de vertu que
Momoro, secrétaire. » lui, et qui s'ennuie d'être quelque-
fois dans leur antichanbre, quel
M. Reinhard, op. cit.
parti doit-il prendre ? Cèlui de s'en
aller. »
« Le grand avantage des représen-
tants, c'est qu'ils sont capables de Voltaire, Dictionnaire ptitosophique,
discuter les affaires. Le peuple n'y Flamnjarion, 1964.
est point du tout propre, ce qui
forme un des grands inconvénients
« Les vrais conspirateurs sont ceux
de la démocratie. Il y avait un qui, travaillant sans cesse une multi-
grand vice dans la plupart des tude facile à tromper, la poussent
anciennes républiques : c'est que le au crime, en l'enivrant de défiances
peuple avait droit d'y prendre des
résolutions actives, et qui de- « Les vrais conspirateurs sont ceux
mandent quelque exécution, chose qui ravalent la majesté du Corps
dont il est entièrement incapable. Il législatif, en le faisant l'écho de
ne doit entrer dans le gouverne- leurs passions privées.
ment que pour choisir ses repré-
sentants. » « Les vrais conspirateurs sont ceux
Montesquieu, cité par Daniel Guérin, qui reconnaissent en France qua-
Bourgeois et Bras-nus, Gallimard, rante-quatre mille souverains ; qui
1973, p. 17. parlent de la Républiqie dans un
Etat constitué monarchique par le
« Chaque homme, dans le fond de voeu univoque de toute la nation
son coeur, a droit de se croire en- qui demandent l'appel au peuple
tièrement égal aux autres dans un gouvernement ieprèsenta-
hommes ; il ne s'ensuit pas de là tif où l'appel au peuple, interdit par
que le cuisinier d'un cardinal doive la Constitution, ne serait autre
ordonner à son maître de lui faire à chose que la proclamation de la
dîner ; mais le cuisinier peut dire guerre civile.
"Je suis homme comme mon
maître, je suis né comme lui en « Les vrais conspirateur sont ceux
pleurant ; il mourra comme moi qui, par leurs actions, li, par leurs
dans les mêmes angoisses et les écrits, par leurs discoirs s'effor-
mêmes cérémonies. Nous faisons cent d'affaiblir le respect et la
tous deux les mêmes fonctions ani- confiance qu'on doit au roi et aux
males. Si les Turcs s'emparent de autorités constituées.
Rome, et si alors je suis cardinal et Adresse des citoyens actls de Rouen,
mon maître cuisinier, je le prendrai lue le 29 juin 1792 à l'Assemblée. »
à mon service." Tout ce discours
est raisonnable et juste ; mais, en M. Reirihard, op.cit.

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. . . . . . . . mettre les élèves. en:::s*tu.:ation.de..r. : herche:.?.
3. Comment

• Jacques Roux, vicaire à Saint- Quelle idée se fait-on de la pro-


Nicolas-des-Champs, membre de la priété ?... il est certain que ceux
Société des droits de l'homme et du qu'on appelle propriétaires ne le
citoyen, modèle et animateur des sont qu'à titre du bénéfice de la loi.
« Enragés » La nation seule est véritablement
« Le salut du peuple étant la loi propriétaire de son terrain. »
suprême, désarmez les citoyens Pétition du 1 er mai 1792, reproduite par
tièdes et suspects, mettez à prix la Robespierre dans Le Défenseur de la
tête des émigrés conspirateurs et Constitution, n°4.
des tyrans qui sont armés contre M. Reinhard, op. cit.
notre liberté. Prenez en otages les
femmes, les enfants des traîtres à
« Je vous le dis tout haut à vous
la patrie... Rappelez-vous surtout
mon frère... cette loi agraire, cette
que l'Angleterre ne se sauve qu'en
loi que redoutent et que sentent
rougissant les échafauds du sang
bien venir les riches... E ... ] cette loi
des rois traîtres... Demandez que
qui ne reparaît jamais sur l'horizon
la peine de mort soit prononcée
des siècles que dans des circons-
contre les accapareurs de comes-
tances comme celles où nous nous
tibles, contre ceux qui, par le com-
trouvons, c'est-à-dire quand les ex-
merce de l'argent, par la fabrication
trêmes se touchent absolument,
des pièces de monnaie au-dessus
quand les propriétés foncières,
de leur valeur naturelle, discrédi-
seules vraies richesses, ne sont que
tent nos assignats, portent les den-
dans quelques mains et que l'im-
rées à un prix excessif et nous font
possibilité universelle de pouvoir
arriver à grands pas au port de la
assouvir la terrible faim détermine
contre-Révolution. [...] Obligez les
le plus grand nombre à revendi-
gros propriétaires à ne vendre leur
quer le grand domaine du Monde
récolte que dans les marchés qui
où le créateur a voulu que chaque
leur seront indiqués.., établissez
être possédât le rayon de circonfé-
dans toutes les villes.., des maga-
rence nécessaire pour produire sa
sins publics où le prix des mar-
subsistance. »
chandises sera au concours... »
Babeuf, Lettre à Coupé,
Discours sur les moyens de sauver la
curé de Sermaize.
France et la Liberté - plusieurs éditions
de mai à fin août 1792. M. Reinhard, op. cit.
M. Reinhard, op. cit.
• Le Père Duchesne
• Dolivier, curé de Mauchamps
« Ces bougres d'agioteurs s'imagi-
« Il est révoltant que l'homme riche
nent-ils donc qu'ils seront les seuls
et tout ce qui l'entoure, gens,
impunis ? Comment! On aura écrasé
chiens et chevaux, ne manque de
la noblesse, les parlementaires, le
rien dans leur oisiveté et que ce
clergé, et ces coeurs d'Arabes
qui ne gagne sa vie qu'à force de
seraient épargnés ? Qu'ils tremblent,
travail, hommes et bêtes, succom-
les monstres ! Un jour viendra que la
be sous le double fardeau de la
fureur du peuple, montée à son
peine et du jeûne. Je prétends donc
comble, leur fera sentir les effets
que dans ces circonstances (diset-
d'un terrible, mais juste châtiment. »
te) la liberté alimentaire ne doit pas
être abandonnée à une liberté indé- Hébert, Le Père Duchesne, n° 14.
finie qui sert si mal le pauvre,... M. Reinhard, op. cit.

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Enseigner Vhistoîreà.•V.écoie

La découverte de l'Amérique
la conquête du Pérou
R Des civilisations mortelles?
Paul ValéryU), inquiet des transformations des sociétés européennes
après la Grande Guerre et la Révolution bolchevique - et spartakiste -,
écrivait : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous
sommes mortelles ». Il est fréquent aujourd'hui d'entendre dire que les
civilisations amérindiennes n'existent plus. Qui pourrait nier qu'en tant
que telle, la civilisation inca a disparu ? Mais, pourtant, on sait que
quantité de cultes ancestraux coexistent plus ou moins clandestinement
avec le catholicisme. La survivance dans les hauts plateaux péruviens
du culte du condor et du taureau, symbolisant le monde indien et le
monde espagnol - le condor triomphant du taureau -, en est une des
preuves parmi bien d'autres.
Tant et si bien que l'on peut se demander si les civilisations meurent
vraiment, au sens où elles seraient anéanties. Henri Bassis soulignait,
dans l'introduction de notre brochure (2) consacrée à la rencontre des
deux mondes : « mais celui qu'on a détruit ne se réduit pas à sa
destruction... Car ce qu'on croyait mort chemine souterrainement, telles
ces rivières qu'on croyait perdues et qui plus loin ressurgissent ».
À propos des civilisations amérindiennes, nous avons choisi de nous
intéresser aux Incas. Consultant une encyclopédie (3), quelle surprise
de lire que la conquête du Pérou avait été très facile, bien plus facile
que celle du Mexique ! Qu'en était-il vraiment ? Non seulement la
conquête n'avait pas été facile, mais les Incas avaient été en rébellion -
certes épisodique - durant des siècles! Entre Manco et Tupac Amaru,
quarante années de guérilla, et une guerre d'usure menée depuis les
Andes, dans ce qui est devenu le royaume de Vilcamba.

R Mémoire et dignité
Deux siècles plus tard, Tupac Arnaru II incarne l'espoir d'une liberté
retrouvée. En novembre 1780, un siècle avant les autres, les Noirs
avaient été émancipés. Au début de 1781, près de 100 000 Indiens
sont en rébellion ouverte. Non contents d'écarteler Tupac Amaru II, les
Espagnols extermineront sa famille afin que ce nom symbolique soit
effacé des mémoires! Mais en vain! Les mouvements révolutionnairet
contemporains - les Tupamaros - poursuivent au-delà des siècles 11
résistance. Si bien qu'en 1980, Tupac Amaru II et sa femme Micael:
Bastidas Puyucahua reçurent le titre de « précurseurs, héros et martyr.
de l'émancipation péruvienne ». Sans spéculation aucune sur 1€
intentions du gouvernement de l'époque, cette décision est révélatric
d'une mémoire non effacée par les siècles d'oppression.

1. P. Valéry, Variété, Gallimard, 1924-1944.


2. « 1492, du passé? » dans 1492... Rencontre des deux mondes?, 1992, brochure
Groupe français d'éducation nouvelle (G.F.E.N.).
3. Encyclopédie Quillet, 1957.

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3. M.omment mettre les élèves ensituation de recherche?

Le théâtre-image d'Augusto Boal


Une fois installé le groupe de sta- tateur-sculpteur de réaliser un
tues, on ouvre le débat : chaque autre ensemble pour montrer sa
spectateur peut modifier partielle- solution idéale au problème posé.
ment ou entièrement les statues, E ... ]
jusqu'à ce qu'on arrive à un en- On lui demande enfin de montrer
semble à peu près accepté à l'una - la phase de transition : comment
nimité. On demande alors au spec- passer d'une situation à l'autre.

Conquête de l'Amérique
CM2 rents groupes d'élèves qui mon-
Chercher des documents qui pour- trent les contradictions internes des
raient, en se catapultant, poser sociétés incas : bien des échecs s'ex-
l'hypothèse d'une continuité entre pliquent aussi par des trahisons. Ces
le dernier Inca et les mouvements tableaux se succèdent alors qu'un
de résistance indiens de cette fin groupe de récitants constitue une
du XXe siècle. Mais si continuité il y « voix off » qui insiste sur la conti-
a, les discontinuités sont de taille nuité de la résistance inca malgré
Sinon, le Pérou aurait été en rébel- ces contradictions.
lion permanente durant plus de Documents
cinq siècles. Et pour ce faire, - 1532, Cajamarca. Pizarre.
consulter une mine de documents - 1533, Cajamarca. Atahualpa.
et de témoignages réécrits par - 1579, Le fils d'Atahualpa.
E. Galeano dans sa fameuse trilo-
- 1781, Cuzco. De poussière et de
gie, Mémoire du feu(').
chagrin sont les routes du Pérou.
Cette série de documents peut être - 178 1, Cuzco. Ordre d'Areche à
travaillée selon une pratique em- propos des vêtements traditionnels
pruntée à A. BoaI 2 , le théâtre-sta- des Incas et pour obliger les
tue, variante de ce qu'il nomme Indiens à parler espagnol.
« théâtre-image ». Plusieurs ta- Montevideo. Portrait d'un
- 1970,
bleaux sont campés par les diffé- maître de la torture.

Recherche et imaginaire: le zéro maya( 3 )

• Mettre en mouvement la pensée

Une situation de recherche, situation-problème avons-nous dit


certaines fois, ce n'est pas une énigme. Une devinette à laquelle nous
refuserions de répondre quelles que soient les difficultés des élèves.
Gérer la situation, évaluer en permanence l'état des questionnements
des élèves, voilà autant de comportements qui ne s'acquièrent que si
l'on est soi-même en recherche.

1. E. Galeano, Mémoire du feu: les visages et les masques, Pion, 1985.


2. A. Boai, Le Théâtre de l'opprimé, La Découverte, 1977. Jeux pour acteurs et non-acteurs:
pratique du théâtre de l'opprimé, La Découverte, 1991.
3. A. Daiongeviiie, 1492-1992, vers un Monde Nouveau. Dossiers pratiques, C.C.A.S.-
G.F.E.N.

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Enseigner.i'histoire a l'école

U Convoquer l'imaginaire
Comprendre une rupture dans l'histoire de l'humanité, c'est aussi
vivre une rupture historique pour soi. À son échelle ! Comprendre
l'avancée remarquable que représente le zéro n'est pas possible si on
se cantonne à la rupture technique qu'elle représente. Il faut
absolument toucher du doigt le saut dans l'imaginaire qu'elle a été. Il
faut faire le détour par son imaginaire propre. Et comme manifes-
tation et travail de celui-ci, l'écriture. Car, le zéro, pour l'élève, est lui
aussi source d'inquiétude, que ce soit le néant ou la « bulle » sur le
cahier qu'il faut avouer le soir aux parents ! Raconter cette invention,
véritable révolution copernicienne, serait la banaliser, empêcher d'en
comprendre l'audace. L'angoisse des Mayas et des élèves se faisant
écho, la rupture épistémologique rentre en résonance avec celle des
élèves il y a place pour une construction de sens.

U Signifier le néant?
Le zéro est une des inventions les moins évidentes de l'humanité. Il
fallait avoir l'audace conceptuelle de représenter « rien » par quelque
chose, le néant par une existence, fut-ce un symbole! En fait, le zéro
n'est devenu un besoin que pour les civilisations qui avaient
abandonné la numération' additive par la numération positionnelle.
Cet effort, seuls les Babyloniens, les Indiens d'Inde orientale et les
Mayas l'ont accompli. Et ces derniers l'ont inventé seuls, sans aucune
possibilité d'échange au moins jusqu'à l'arrivée de Christophe Colomb.
Les Européens n'oseront adopter le zéro qu'au xvle siècle de crainte
que cette invention sulfureuse ne soit démoniaque ! À telle enseigne
que le tombeau du pape Gerbert, qui avait essayé au début du
e siècle d'introduire chiffres arabes et zéro, fut ouvert afin de
s'assurer qu'il n'était pas l'Antéchrist ! Il faut avoir cela en tête pour
apprécier les propositions des élèves.

Propositions des élèves


Menace, dissolvant, zéro, impla- être, aspiré, ailleurs, deuil, totem,
cable, puissance, anéantissement, masque, sacrilège, absente, désert,
sanction, aveugle, ruine, espoirs, ciel, sacrifice, malédiction, atmo-
marque, flétrir, espérance, cercle, sphère, secret.
mort, trou, existence, absence,

1. G. Ifrah, L'Histoire des chiffres, Seghers, 1984.

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... ... . . élèves en situation de recherche.?
3, Comment mettre les ..... ...

• « Tous ces dessins sont des signes utilisés par les Indiens d'Amérique du Sud, les
Mayas, et veulent tous dire la même chose. Laquelle ?»
« Faites des propositions en groupe.))
Les propositions des groupes deviennent de plus en plus riches. Collecte. On donne
la clef: tous ces signes veulent dire zéro. Les Mayas appelaient le zéro par un nom
bien plus poétique: « absence de jour
Les élèves n'en reviennent pas... même si leurs propositions sont très proches.
À ce moment-là, on peut leur raconter succinctement l'histoire de la numération ou
les faire travailler plus tard sur cette véritable aventure de l'Humanité dans laquelle
les Mayas, sans aucun contact avec les civilisations de « l'Ancien Monde », font
figure de pionniers.

• Lecture d'un extrait des aventures de Tintin au pays des Incas, Le Temple du
soleil, quand Tintin mystifie les Incas en demandant d'être exécuté lors d'une
éclipse totale du soleil et en faisant semblant de diriger les mouvements du soleil,
qui est un dieu pour les Incas.
Une discussion s'engage avec les élèves qui connaissent pour la plupart ce passage
mais qui ne l'ont souvent pas lu dans cette optique. Ils discutent de superstitions,
de croyances et relativisent la naïveté des Mayas en se rendant compte que nous
accordons des vertus magiques à des nombres : 7 ou 13.

• Individuellement, le travail sur l'axe idéel et matériel à partir du mot zéro


individuellement, sept à huit mots par axe, par personne, suffisent. (Il s'agit de
chercher, d'une part, des mots qui sonnent comme le zéro, héros par exemple, et
dans ce cas ce sera l'axe matériel, et d'autre part, il s'agit de chercher des mots qui
aient un sens proche de celui du zéro, en procédant par association d'idées, « nul »
par exemple.)
Collection sur une affiche de l'ensemble des trouvailles.

• Lecture d'extraits d'Alain Nadaud (1), avec pour consigne de repérer tout ce qui
pourrait nous servir pour écrire et qui aurait un rapport avec zéro ou avec l'idée de
zéro. Les enfants repèrent particulièrement les verbes qui leur faisaient défaut.

• On affiche, là encore, et - avec les quatre affiches de mots que chacun a le droit
de venir consulter quand il le veut et autant de fois qu'il le veut - chacun se lance
dans l'écriture d'un texte ou d'un poème.

1. A. Nadaud, L'Archéologie du zéro, Denoèl, 1984.

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Enseigner 1'hîsto1re:..1.êcoIe

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I -

4 -
- p-

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3*:ÇOmifleiit mettre les. êlèves:en SÎtUatÎOn deche&'che:?

e document historique, quelle que soit sa forme, est le point


d'appui de toute leçon d'histoire. Il est le matériau concret que les
élèves vont interroger, une des médiations de leur recherche.
Si nous parlons de recherche, c'est parce que « comprendre, c'est
inventer », comme le souligne Piaget. Ce qui veut dire que les docu-
ments que nous allons proposer aux élèves ne peuvent être des
explications - avant coup -' des enjeux de la recherche, un magistral
sous forme écrite plutôt qu'orale. Il faut qu'il y ait problème. En
conséquence, le bon document devra être un document incomplet, qui
laisse le spectateur sur sa faim, l'incite à pousser plus loin sa réflexion.
Ou bien encore deux documents qui, confrontés, suscitent questions.
Mais l'enseignant d'histoire ne peut rester indifférent aux réflexions
afférentes à la lecture. Lire, qu'est-ce que c'est ? Lire un document,
mais lire pour quoi faire ? Avec un projet, des interrogations, et non
pas lire pour faire une étude de texte où le je du lecteur s'effacerait.
Lire, d'une manière générale, c'est interpréter, c'est inventer, donner
sens ou plutôt des sens. C'est dire que les pratiques exposées ci-
dessous essaient de permettre aux élèves de faire du sens sur ces
textes de telle sorte qu'ils osent leurs hypothèses de lecture, donc
leurs hypothèses historiques.

Jeux de rôles
f • histoire n'étant pas une répétition du passé, je suis contre
li 1 cette pratique qui consiste àfaire jouer l'histoire aux élèves f »
Cette remarque d'un formateur à propos des jeux de rôles
est intéressante car elle nous permet de lever un certain nombre
d'ambiguïtés.

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Enseigner l'histoire à. l'école

Tout d'abord, le but qu'on se fixe n'est pas de rejouer l'histoire, car
effectivement, elle n'est pas rejouable. Il s'agit, d'une part, de
permettre une lecture active des documents et, d'autre part, de faire
émerger des hypothèses de lecture qui sont autant de lectures de son
présent que l'élève projette vers l'objet historique.
Rejouer le passé serait aussi illusoire que de s'imaginer que vivre le
présent permet de mieux le comprendre! Cela ne nous donne pas plus
d'armes qu'à nos descendants qui ne l'auront pas vécu de première
main. Alors, que s'agit-il de jouer ? Dans quelle stratégie d'appren-
tissage ? Sous-tendue par quelle théorie de la connaissance et par
quelle conception de la science historique?

U « Je » se met en scène
« L'interprétation du texte ne peut jamais être que la tentative de
proposer un autre texte, équivalent mais plus satisfaisant pour telle ou
telle raison » nous rappelle O. ManoniW. Sachant cela, on est d'emblée
débarrassé de toutes les façons par l'ambition impossible de rejouer le
passé. Qu'on le veuille ou non, c'est Je qui se met en scène ! Je dans
son dialogue avec le texte, dans l'interprétation qu'il choisit et qui lui
convient mieux, comme le dit O. Manoni. Le texte est à la fois
médiateur de l'émergence d'éclairages de l'histoire personnelle de
l'élève et élément objectif de travail et de connaissance.
Ce qui se joue dans l'acte de connaissance du sujet apprenant, c'est
son rapport au concept abordé - sa théorie du monde -, son rapport
aux autres et à lui-même. Cette triade décloisonne les visions parcel-
laires de l'entreprise cognitive et didactique( 2).
« Et ce n'est plus l'enseignement de l'histoire f » Le problème n'est pas là
puisque, de toutes les façons, ça se joue là aussi. Cette autre scène
est un paramètre incontournable de l'acte de connaissance qui inter-
vient en histoire comme en sciences. Il est remarquable qu'en fait la
didactique des mathématiques et des sciences se soit déjà posé ce type
de problème, alors qu'en histoire et en géographie la réflexion
épistémologique est récente, voire balbutiante. Piaget, dans Logique et
connaissance scientfflque( 3 ), n'aborde même pas la question.

U Se construire soi!
Jouer, c'est jouer son interprétation du passé et son présent, son
interprétation du présent. La construction du savoir en histoire est
dans la confrontation conscientisée de ces deux visions, pour le cher -
cheur patenté qui ne se l'avoue pas toujours, comme pour l'apprenti-
historien qu'est l'élève. Même si le travail prescrit de l'enseignant ne

1. 0. Manoni, Clefs pour l'imaginaire ou l'autre scène, Seuil, cou. « Points », 1985.
2. Lire à ce propos les chapitres VI à IX d'E. Morin, La Méthode, la Connaissance de la
connaissance, Seuil, 1986.
3. J. Piaget. Logique et connaissance scientifique, La Pléiade, 1969.

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3. Comment mettre les élèves : S5U00 .d..redserche.?

concerne que les contenus historiques, son travail réel, indispensable,


doit, à notre avis, prendre en compte ces différentes données qui
participent de la connaissance.

• Se confronter aux autres


Concrètement, il ne s'agit pas de se contenter de jouer, mais de
confronter jeux et interprétations, les uns aux autres. Car nous
n'avons pas le projet de sacraliser les jeux des élèves. Leur inter -
prétation est forcément incomplète et peut être relativisée ou infirmée
par des faits historiques incontestables. Christophe Colomb part au
service de la Cour d'Espagne, alors que le contexte de la Cour du
Portugal peut paraître plus favorable: quels faits surestimés ou sous-
estimés, quelles lacunes dans les documents ou dans les connais-
sances... amènent à jouer une réalité différente?
• L'écart avec les faits: un objet de travail
Cet écart entre le joué et le réel, entre l'interprété et le non connu des
élèves, sa prise en compte comme objet de travail et de recherche par
l'enseignant et par les élèves sont une activité éminemment formatrice
et riche de connaissances qu'en aucune façon l'histoire-récit ne peut
permettre. Nous avons bien conscience qu'il s'agit probablement de la
reconstruction d'un récit, mais la rupture centrale est que celui-ci est
la coproduction des élèves dans une interaction avec les documents et
l'enseignant. Pratique qui est fort éloignée de la séduction passive
provoquée par l'énonciation magistrale.
• Et quand même, un cours magistral!
Pour autant, cette pratique très impliquante ne rend pas inutile
l'apport d'informations sous forme magistrale. Mais les interventions
de l'enseignant sont autant d'apports théoriques qui arrivent en
situation, quand ils peuvent être pris en compte par les élèves, comme
autant de relances de la recherche, écoutées non pas tant en raison de
l'autorité du professeur ou de l'instituteur, mais parce que répondant
aux insatisfactions des élèves.

• Le détour par le passé


Cette pratique s'assoit sur la conviction qu'il est autant du ressort du
cours d'histoire de travailler sur le passé historique, sur les repré-
sentations des élèves de ce même passé, et que sur le présent
historique de ces élèves : c'est-à-dire la conception du monde dans
lequel ils sont immergés. Mais ce détour par le passé pour s'intéresser
au présent n'est qu'une étape avant le retour à ce même passé ( ') . Car
les historiens prennent parfois le risque de s'enfermer dans des
querelles stériles en ne voyant pas que, de toute façon, les rapports
entre passé et présent sont permanents, dans les deux sens,
dialectiques. Ce qui n'est pas contradictoire avec le fait qu'à certains

1. J. Chesneaux, Du passé, faisons table rase ? À propos de l'histoire et des historiens,


Maspéro, 1976.

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Enseigner 1'bistore •Nco1e

moments on privilégie un rapport plutôt que l'autre. Mais il ne s'agit en


aucune façon de croire que le résultat d'une recherche historique est
indépendant du processus lui-même de cette recherche ! En quelque
sorte, il serait profitable pour tous que les historiens conscientisent et
livrent leurs propres processus de recherche dans toute leur complexité.

U S'investir
Enfin, répétons-le, une approche didacticienne étroite risquerait de
nous faire oublier que le jeu de rôles est aussi un jeu nourri de
l'imaginaire de chacun. Qu'on en juge par l'engouement du grand
public pour les romans historiques ou les grandes fresques
historiques produites au cinéma. Que le sujet investisse dans l'étude
historique sa propre histoire, ses fantasmes, ne fait plus de doute
aujourd'hui; le jeu de rôles est un des moyens pour que le sujet
apprenant laisse émerger cet imaginaire, le régule ( ') , et se recentre sur
les objets de travail proposés.
Nous l'avons dit, il y a invention et il y a de grands décalages avec ce
qui s'est passé dans la réalité : tant mieux! Ce sera l'objet d'un travail
producteur d'une connaissance vraie. Apprendre à porter un autre
regard sur l'erreur, la lire positivement, comme une aspérité qui va
permettre d'avancer, voilà une des ruptures majeures qu'il est temps
que les enseignants et les élèves opèrent dans leurs mentalités

l----- ----- -----

-I -II
ils

--------

) Chaque groupe se prépare grâce à ses documents. Prenons par exemple le cas d'un
groupe « sans-culottes ». Les membres de ce groupe doivent essayer de se mettre dans
la peau d'un sans-culotte de l'époque. Comment aura-t-il réagi au manifeste de
Brunswick ? Soumission ? Révolte ? Quelles conceptions de la citoyenneté, du
pouvoir coexistent contradictoirement chez les sans-culottes ? Le jeu n'est pas écrit
par nous et répété par les élèves ! Non! Le groupe se forge ses propres arguments et
essaye, grâce aux documents, d'anticiper les arguments des groupes auxquels il va
devoir se frotter. Quels contre-arguments, etc. Quand les groupes sont prêts, deux ou
trois représentants de chacun de ces groupes viennent en découdre. Les autres sont
là et viennent en renfort, quand ils voient que leurs délégués pataugent et se
trouvent pris de court. Écouter l'autre, s'emparer de ce qu'il dit, répliquer, voilà le
développement de compétences qui pourront servir en conseil de classe ou d'école!

Lecture-mission( 2 )

E
n définitive, le jeu de rôles est un cas particulier de missions. On
va donc ici s'attacher à en proposer d'autres types et à cerner les
1I différences entre une mission telle que nous l'entendons et une
consigne classique.

1. Pour approfondir cet aspect, lire : P. Colin. « Le pourquoi du désir... »,,in Le sujet du
savoir: questions à la psychologie, Dialogue n° 78, 1994.
2. H. Bassis, Des maîtres pour une autre école :former ou transformer?, Casterman, col!.
«E3 «. 1978.

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3..Coniment rnettre.ies:éièves:.efl:.1it.:atifl.:de recherche.;?.:

U Consigne ou mission?
Moins que la formulation de la consigne qui retient souvent l'attention
des enseignants (formulation trop imprécise, trop complexe), c'est
surtout l'adéquation entre le document, les processus de la recherche
que l'on veut favoriser chez les élèves et les objets conceptuels de
recherche, qui va déterminer notre consigne que nous appellerons
mission afin d'éviter toute ambiguïté. Il est clair qu'il ne peut s'agir
d'une consigne pour contrôler ou valider la lecture de l'élève, mais
d'une consigne pour faire quelque chose qui rende nécessaire l'utili-
sation du document. D'ailleurs, cette utilisation correspond à
plusieurs lectures successives, partielles ou pas, de ce texte. Si les
élèves sont partie prenante de la mission suggérée, la lecture devient
une lecture-projet qui permet souvent de dépasser les blocages
habituels que nous observons souvent. Là encore, cette pratique rompt
avec celle où le maître attend une réponse déterminée à l'avance. Les
élèves, sentant bien le décalage qui existe entre leurs réponses et celles
que le maître espère, se mettent souvent dans une position d'échec.

Lecture avec questions préalables(')


U Questions avant ? Après? Mais surtout, quelles questions?
Les questions préalables à la lecture sont autant de pistes de lecture
proposées aux élèves. C'est-à-dire des questions qui incitent à lire, qui
invitent à une lecture-recherche. Des questions qui n'ont pas pour

1. H. Bassis, Je cherche doncj'apprencls, Éd. «Sociales «, Messidor, 1984.

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Enseig..I'bi:store:à:...i:'êco.Ie

Liste de mots d'origine arabe ou perse


Abricot, cithare, barde, chiffre, guitare,
alcool, bazar, civette, baroud, chimie, guitoune,
algèbre, coffre, hachisch, haras, hasard, henné,
coton, almanach, cramoisi,
jarre, jasmin, jupe, laiton,
bougie, damas,
laque, lascar, lilas, losange,
ambre, amiral, divan,
luth, maboule, macabre, macramé,
antimoine, douane,
arcade, cafard, drogue, magasin, mascarade, masacre,

arcane, café, écarlate, masser, matelas, matraqu, mazout,

arsenal, caïd, échecs, mesquin, mohair, moka, mortaise,


artichaut, calebasse, élixir, mousseline, nénuphar, nique,
assassin, calibre, épinard, ogive, orange, ouate, pastèque,
auberge, camaïeu, estragon,
potiron, quintal, rame, raquette,
auge, camelot, fakir,
récif, safran,
aval, camphre, fanal,
sarabande, sarbacane, sarrasin,
candi, fanfaron,
satin savate, sinus, sirop, soda,
avarie, carafe, fardeau ,

azimut, carat, fennec, sofa, sorbet, soude, sucre,

azur, carmin, gabelle, talc, tambour, tasse, taxe,


bakchich, caroube, gerboise, timbale, tripe, valise, zèbre,
baldaquin, carquois, gilet, zénith, zéro.
charabia, girafe,
Cette liste a été mise au point par
barbacane, chèque, goudron M. Hubert, op. cit., pp. 62-63.

fonction le contrôle a posteriori de la lecture. Récemment encore, des


élèves de Sixième me disaient leur conviction que les questions qu'on
leur posait n'avaient pas d'autre but que de vérifier qu'ils n'avaient
sauté aucun passage du texte. Des questions qui anticipent sur les
sens multiples et contradictoires du texte ou du document.

Mais ces questions avant la lecture ne se contentent pas d'être


préalables à la lecture. Elles sont centrées sur les contradictions ou
sur les ambiguïtés du texte. Et c'est tout le travail que l'enseignant
doit faire afin que ces questions fassent réfléchir, attirent l'attention là
où il y a difficulté, c'est-à-dire là où le texte devient riche, là où il est
essentiel que les élèves ne passent pas à côté.

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3,: .Celfllfleflt mettre les élèves ensitUatlOn .ds.reebe.rche?

Assassin ou continuateur de la Révolution?


• Confidences d'un général ambitieux
« Je ne suis qu'au début de la carrière que je dois parcourir. Croyez-vous que ce
soit pour faire la grandeur des avocats du Directoire, des Carnot, des Barras, que
je triomphe en Italie ?...
Il faut à la nation un chef, un chef illustre par la gloire, et non des phrases et des
discours d'idéologues auxquels les Français n'entendent rien. »
N. Bonaparte, été 1797 en Italie.
• Sieyès
Sieyès et des « révisionnistes» souhaitent mettre fin à l'instabilité du Directoire par
un renforcement de l'exécutif. Ils « cherchent une épée » pour accomplir ce
dessein.
• Ce sera Bonaparte et... le 18 Brumaire
« L'assassinat du général Bonaparte était un mensonge, pour justifier l'attentat
commis par la force des armes sur la représentation nationale.»
Dupont de l'Eure, député au Conseil des Cinq-Cents.
Les membres de cette minorité furieuse et conspiratrice se précipitent, prêts à
atteindre le général Bonaparte, les uns armés de pistolets et de poignards. Des
grenadiers de la garde, accourus au bruit de cet effroyable désordre, lui font un
rempart de leurs corps et le dérobent aux coups des assassins... La force année se
présente pour dissiper l'attroupement des assassins, et le lieu de la séance est
évacué.»
Procès-verbal de la séance du 19 brumaire.
Enseigner i'histoire.à.Vécoie

ce
14

Trois questions peuvent inciter à une lecture insolite. Ces trois questions peuvent
Q
être posées indépendamment les unes des autres.
• Quelle idée neuve les chrétiens apportent-ils?
• Pour quelles raisons les Romains vont-ils les combattre ? Eux qui intègrent
aisément les dieux des peuples qu'ils soumettent!
• Pour les hommes de l'Antiquité, qui étaient les esclaves?
La première question attire l'attention sur le fait que deux conceptions de l'homme
vont s'affronter avec la naissance du christianisme. Les deux autres mettent le
doigt sur la rupture philosophique dont est porteur ce christianisme. Pour nous,
au-delà des aspects purement théologiques, il nous semble largement insuffisant
que les élèves retiennent la différence entre polythéisme et monothéisme. Il est
indispensable qu'ils saisissent que les pratiques d'amour comme les agapes sont
des pratiques égalitaires, authentiques, et insupportables pour leur époque puis-
qu'elles mêlent maîtres et esclaves. Une raison supplémentaire de s'attirer la
répression.
Les documents utilisés sont : l'Évangile selon Marc, les Métamorphoses d'Apulée,
L'Économie rurale de Varron, l'Épître de Jacques...
Dans un premier temps, il faut installer la réalité esclavagiste de la société romaine
pour que les élèves prennent conscience de la rupture qu'apporte la pensée
chrétienne. Et, dans un deuxième temps, percuter cette réalité de la société romaine
contre des documents porteurs d'un autre regard sur l'homme, sur tous les hommes.
Le christianisme ne fait pas partie du programme de C.M., mais une information M.
sur les grandes religions monothéistes parait d'autant plus nécessaire que les
médias répandent des clichés et des amalgames simplistes.

23. Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples: « Qu'il sera difficile à ceux qui
ont les richesses d'entrer dans le royaume de Dieu! » 24. Les disciples étaient
déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète: « Mes enfants, qu'il est difficile
d'entrer dans le royaume de Dieu !» 25. « Il est plus facile à un chameau de passer
par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. » 26. Ils
étaient de plus en plus impressionnés ils se disaient entre eux : « Alors, qui peut
être sauvé ? » 27. Fixant sur eux son regard, Jésus dit : (( Aux hommes c'est
impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu. » 28. Pierre se mit à lui
dire: « Eh bien! nous, nous avons tout laissé pour te suivre. » 29. Jésus lui répondit:
((En vérité, je vous le déclare, personne n'aura laissé maison, frères, soeurs, mère,
père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l'Évangile... » 30. «...sans
recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons, frères, soeurs, mères,
enfants et champs, avec des persécutions, et dans le monde à venir la vie éternelle.
31. « Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers seront premiers. »
Évangile selon Marc.

« Ô dieux bons, quels pauvres hommes c'étaient ! Toute la peau tavelée de meur-
trissures bleuâtres, le dos zébré de coups, mal couverts d'une guenille déchirée,
certains avec un pagne seulement, les tuniques laissant voir les corps à travers
leurs loques. Des lettres marquées au front, la tête à moitié rasée, des anneaux de
fer au pied ; et puis, cette pâleur affreuse, les paupières rongées par la noire et
brûlante fumée des fours, tous la vue affaiblie et tous d'un blanc sale, sous la
farine qui les couvrait de poussière.
Apulée. Métamorphoses IX, 12 - jie siècle après J-C., Gallimard, 1975.

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3. Comment mettre les élèves en situationde recherche:?

Pour les esclaves, la méthode d'éducation qui semble particulièrement convenir


pour les bêtes est un très bon moyen pour leur apprendre à obéir. Si en flattant
leur appétit tu satisfais leur estomac, tu pourras en tirer beaucoup. »
vz
Xénophon, Économique, XII, 9, Flamarion, 1967. fi
bug
L'apôtre Jacques : « Vous, les riches, pleurez, lamentez-vous sur les misères qui
vont vous atteindre. Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés des vers,
votre or et votre argent sont rouillés... et leur rouille va déchirer votre chair, car
vous avez accumulé le feu pour les derniers jours. Le salaire dont vous avez frustré
les laboureurs qui cultivaient vos domaines crie, et leurs cris sont arrivés aux
oreilles du Seigneur des armées... Dieu n'a-t-il pas choisi les pauvres de ce monde
pour posséder le royaume ?... Dans ce royaume, le riche se flétrira comme les
fleurs sous un soleil desséchant
L'Épitre de Jacques, 5.
» Les outils sont doués de parole, semi-parlants ou muets. À la catégorie parlante
appartiennent les esclaves à la semi-parlante, les boeufs à la muette, les
;

charrettes.»
I Varron, L'Économie rurale, traduit par Guiraud, Les Belles lettres, 1985.

CM
Les châteaux forts pourquoi les paysans les construisent-ils pour les détruire
: .

plus tard?
Une seule question préalable dont la fonction est d'attirer l'attention sur le
paradoxe suivant: ce sont des paysans pas les mêmes qui ont construit un des
- -

outils essentiels de leur oppression! Inconscience Innocence Ou des conditions


? ?

sociales et politiques qui ont profondément changé?


Cette question est formulée de telle façon qu'elle use de l'insolite, du paradoxe,
pour engendrer des questions diverses préalables à la lecture. La formulation des
questions est un point fondamental. Elles provoqueront d'autant plus une lecture
questionnante qu'elles constitueront une interpellation, qu'elles mettront en relief
ce qui n'est pas évident à première vue, qu'elles démasqueront les pseudo-évi-
dences dont les livres sont pleins.

U Les collages
Le principe même des collages est emprunté aux surréalistes : mettre
en regard deux documents dont la juxtaposition est insolite ou
surprenante. Le collage peut jouer de la contradiction entre deux
documents, à propos du même événement par exemple. C'est le
rapprochement qui provoque un choc qui peut ébranler celui qui
regarde. Comme dans une métaphore, il y a, tout à la fois, ressem-
blance et dissonance, donc glissement d'un plan sur un autre,
décalage, comme dans les collages pratiqués par Max Ernst.
Nous allons voir successivement ces deux types de collages.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite J


Enseigner l'histoire à l'école

Collages insolites
l s'agit de faire se catapulter des documents qui appartiennent à
des périodes différentes de l'histoire. Textes du passé et textes du
présent s'éclairent et nous amènent à porter un regard neuf sur ces
deux périodes.

• Les faits divers, anodins?


Les textes du présent sont en fait des extraits d'articles de journaux,
tirés de la rubrique des faits divers de la semaine. De ces faits divers
dont une certaine presse se repaît, qui nous entourent et qui finissent
par nous laisser indifférents alors qu'ils sont riches d'enseignements
sur les comportements de nos contemporains. Quels archaïsmes dans
nos mentalités ! Quelles contradictions avec toute une série de certi-
tudes sur lesquelles nos sociétés croient avancer solidement ! Cette
prise de conscience faite par les élèves leur permet, en retour, de ne
plus considérer les efforts d'émancipation menés par les révolu-
tionnaires, ou les exactions perpétrées par les conquistadores, comme
des anachronismes dont le cours d'histoire encombrerait leurs têtes.
Le nombre des collages doit être réduit pour ne pas lasser et ainsi
risquer de réduire leur impact : cinq à six collages semblent être un
chiffre raisonnable.

I Un autre regard sur la presse


Les élèves préparent ces collages en choisissant eux-mêmes les
rapprochements. C'est-à-dire qu'ils ont à choisir dans toute la presse
du jour et dans un éventail de textes historiques les collages
susceptibles d'interpeller les camarades. Lorsque les groupes sont
prêts - une heure de préparation -' ils lisent leurs productions, après
avoir préparé leurs enchaînements, en se succédant rapidement, sans
commentaire aucun.
Quelle suite donner ? Si la discussion semble superflue, voire même
régressive, l'écriture individuelle est propice à approfondir la surprise
reçue, et permet de la réfléchir. Quitte à ce que ces textes soient
affichés sans être analysés. Ce travail constitue un point d'appui qui
permet à l'histoire de prendre sens dans le présent de l'élève. Ces

82 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


3. Cornrnent.mettre les. recherche.?

I Les collages contradictoires


i le procédé est le même, le but est ici de faire exister une inter-
pellation, problématisée et donc formulée par les élèves eux-
mêmes. Une interpellation qui soit de nature à interroger les
documents sur lesquels ils vont travailler et qui jouera la même
fonction que les questions préalables.
U La quatrième croisade
Les croisades ne seraient pas aussi pieuses qu'on a bien voulu nous le
faire croire, et, pourtant, elles sont aussi le fait d'hommes sincères et
le fruit d'une quête spirituelle. Quels étaient les buts réels des
croisés ? Buts certainement multiples puisque les croisés eux-mêmes
étaient fort différents. Et si la classe s'intéressait aux croisades, mais
racontées par les Arabes?

Quatrième croisade
« Qu'ils deviennent des chevaliers du Le doge vint à eux et leur dit
Christ, ceux qui n'étaient que des bri- « Seigneurs, voici déjà l'hiver, nous ne
gands! pouvons pas passer outre-mer. Il y a
Il est urgent d'apporter en hâte à vos une ville près d'ici, son nom est Zara.
frères d'Orient l'aide si souvent pro- Ses gens ont mal agi avec nous, et
mise et d'une nécessité si pressante. moi et mes hommes, nous voudrions
Les Turcs et les Arabes, pénétrant nous venger d'eux, si nous le pou-
toujours plus avant dans le pays de vions. Si vous voulez me croire, nous
ces chrétiens, les ont par sept fois irons cet hiver séjourner jusque vers
vaincus en bataille, en ont tué et fait Pâques ; nous apprêterons alors notre
captifs un grand nombre, ont détruit flotte, et nous irons outre-mer, avec
et dévasté le royaume. Si vous les l'aide de Dieu. Et la ville de Zara est
laissez à présent sans résister, ils très belle et pleine de tous biens. »
vont étendre leur vague plus large- Villehardhouin, Histoire de la conquête
ment sur beaucoup de fidèles servi- de Constantinople, vers 1212.
teurs de Dieu. D'un côté seront les
misérables, de l'autre les vrais riches;
ici les ennemis de Dieu, là ses amis. »
Foucher de Chartres, Histoire dupélerinage
des Francs àJérusalern.début du xue s.

U La Restauration
Deux conceptions de la propriété, de la citoyenneté dans ces deux
textes. Celle de Boissy d'Anglas s'inspire en fait de Montesquieu dans
De l'esprit des lois, celle de Maréchal - auteur du Manifeste des Égaux
- rappelle les luttes des niveleurs anglais.

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Enseigner l'histoire à..l'éeole

Restauration
« Nous devons être gouvernés par « Ce qu'il nous faut de plus que
les meilleurs ; les meilleurs sont les l'égalité des droits ? Il nous faut
plus instruits et les plus intéressés non pas seulement cette égalité
au maintien des lois. Or, à bien peu transcrite dans la Déclaration des
d'exceptions près, vous ne trouve- droits de l'homme et du citoyen,
rez de pareils hommes que parmi nous la voulons au milieu de nous,
ceux qui, possédant une propriété, sous le toit de nos maisons...
sont attachés au pays qui la [Nous voulons] le bien commun,
contient, aux lois qui la protègent, à ou la communauté des biens!
la tranquillité qui la conserve, et qui Plus de propriété individuelle des
doivent à cette propriété et à l'aisan- terres, la terre n'est à personne.
ce qu'elle donne l'éducation qui les a Nous voulons la joui ance com-
rendus propres à discuter, avec munale des fruits de la terre ; les
sagacité et justesse, les avantages et fruits sont à tout le monde.
les inconvénients des lois qui fixent « Disparaissez enfin, révoltantes
le sort de la patrie... Vous devez distinctions de riches et de pauvres,
garantir la propriété du riche [ ... ] de maîtres et de valets de gouver -
« [ ... ] égalité civile, voilà tout ce que nants et de gouvernés. Qu'il n'y ait
l'homme raisonnable peut exiger... plus qu'une seule édikation, une
Un pays gouverné par des proprié- seule nourriture. »
taires est dans l'ordre social ; celui Manifeste des Égaux.
où les non-propriétaires gouvernent
est l'état de nature. »
Boissy d'Anglas, Discours à la Convention,
23 juin 1795, 5 messidor, an III.

Dreyfus
« Dreyfus était exaspéré de la cam- « j'accuse le général Billot d'avoir eu
pagne antisémite montée par plu- entre les mains les preuves certaines
sieurs journaux. Très ambitieux, il se de l'innocence de Dreyfus et de les
disait que, juif, il ne pourrait jamais avoir étouffées, de s'être rendu cou-
atteindre aux sommets de la hiérar- pable de ce crime de lèse-humanité
chie qu'il rêvait. Et il pensait que, et de lèse-justice, dans un but poli-
dans ces conditions, il serait préfé- tique, et pour sauver l'état-major
rable pour lui d'aller habiter l'Alsace, compromis. j'accuse les trois experts
où il avait des intérêts, et d'adopter en écriture, [ ... ] d'avoir fait des rap-
enfin la nationalité allemande. C'est ports mensongers et frauduleux, à
alors qu'il songe à quitter l'armée. moins qu'un examen médical ne les
Mais, auparavant, il écrivit directe- déclare atteints d'une maladie de la
ment à l'empereur d'Allemagne afin vue et du jugement. j'accuse les
de lui faire part de ses sympathies bureaux de la Guerre d'avoir mené
pour la nation dont il est le chef et dans la presse, particulièrement
lui permettre d'entrer avec son grade dans l'Eclair et dans l'Echo de Paris,
dans l'armée allemande. Guillaume Il une campagne abominable, pour
fait savoir au capitaine Dreyfus, par égarer l'opinion et couvrireur faute.
l'entremise de l'ambassade d'Alle- J'accuse enfin le conseil de guerre
magne, qu'il était préférable qu'il ser - d'avoir violé le droit, en condamnant
vît le pays allemand, sa vraie patrie, un accusé sur une pièce restée
dans le poste que les circonstances secrète E...]. Et l'acte que j'accomplis
lui avaient assigné, et qu'il serait ici n'est qu'un moyen révolutionnaire
considéré à l'état-major allemand pour hâter l'explosion de la vérité et
comme un officier en mission en de la justice. »
France. Dreyfus accepta ces condi- É. Zola, L'Aurore, 13janvier 1898.
tions. Et la trahison commença. »
L'Intransigeant, 12 décembre 1897.

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3. Comment mettre les élèves en situation de recherche.?

U L'affaire Dreyfus
Dreyfus, traitre? Dreyfus, victime ? Cette affaire montre comment les
mentalités antisémites perdurent, enfouies, et ressurgissent en certains
moments de crise et de désarroi. D'autre part, si l'affaire Dreyfus a été
montée de toutes pièces, c'est dans le but d'influencer les compor -
tements des Français. Dans quels buts? Pour quelles opérations?

La visite de musée

L
es enseignants craignent les visites de musée(' ) . Surtout avec des
élèves réputés difficiles, turbulents, en difficulté. Dans nombre de
4W collèges où existent, masquées bien sûr, des classes de niveau, les
A, B ou C font des sorties, les D et E beaucoup plus rarement. Sans
compter que cette discrimination recouvre souvent des différences
sociales importantes.

U Un musée, ça se lit!
Afin que les visites de musée ne se transforment pas en autant de
parties de cache-cache, il faut qu'elles interviennent dans une dyna-
mique où les élèves ont besoin de celles-ci pour continuer leur
recherche. Comme les interventions magistrales. D'autre part, un
musée a souvent le désavantage d'être trop riche pour qu'on ne se
laisse pas submerger par le flot de documents, d'objets et d'infor -
mations. Il faut donc renoncer absolument à une visite exhaustive, qui
serait une visite pour la visite, et non pour la recherche amorcée. Bref,
il s'agit d'inventer missions, jeux de rôles, ou encore questions préa-
lables qui permettent une visite active de ce musée. Pour autant, nous
nous méfions des questionnaires de plusieurs pages qu'inventent
certains enseignants, comme nous l'avons vu au Louvre, car il s'agit
alors d'un véritable parcours indigeste pour l'élève qui permet à
l'enseignant de s'assurer qu'aucune salle n'a été oubliée par l'élève. Ce
sont des questions de contrôle.

U L'individu face à l'histoire


D'autres réinvestissements sont sans doute possibles : réalisation de
bandes vidéo, de documents sonores, etc. Nous avons ici indiqué ce que
nous pratiquons nous-mêmes ainsi que les pratiques dont nous avons
connaissance. Enfin, nous avons conscience que ces pratiques ne sont
pas propres à l'enseignement de l'histoire. À notre avis, c'est une des
impasses de la didactique, quand elle est étroite, de penser que
l'apprentissage par le sujet est très différent d'un domaine à l'autre. Si
le travail préalable mené par l'enseignant est peut-être spécifique, les
processus de la pensée ne le sont pas. C'est le rapport de chaque
individu à l'histoire, à l'histoire des enseignements de l'histoire qu'il a
dû affronter, aux concepts clefs enseignés qui sont spécifiques.

1. M. Huber, « Au musée, une démarche impliquante », dans L'Histoire, indiscipline


nouvelle, Syros, 1984.

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Enseigner l'histoire .*...l'éc.ole

Le texte reconstitué
a pratique du texte reconstitué est en définitive ardue. Difficile de
ne pas tomber dans une activité voisine de la devinette alors qu'il
s'agit d'un dialogue entre l'instituteur et les élèves dont l'objet est
de travailler sur l'écart qui persiste entre les propositions des élèves et
le texte. Propositions qui sont refusées non pas parce que le texte est
sacralisé mais parce que les propositions des élèves ne rendent pas
compte du texte ou, plus exactement, de l'interprétation du texte faite
au préalable par l'enseignant. Ce travail a été analysé en détail par
H. Bassis 111 en prenant appui sur des textes poétiques. Mais cette
activité peut être réinvestie pour des textes historiques célèbres
comme le fameux manifeste du duc de Brunswick. La précision des
termes contenus dans le texte est nécessaire si l'on a l'ambition de
faire comprendre la force et les raisons de la colère que ce texte a pu
provoquer chez les Parisiens de cette époque. Colère qui est un des
facteurs de la prise des Tuileries dans la nuit du 9 au 10 août 1792.
L'utilisation du document historique, écrit, pose à la fois des problèmes
méthodologiques propres (2) et offre la possibilité de mettre en oeuvre
toute une série de stratégies de lecture, comme n'importe quel autre
texte, puisqu'il s'agit de faire du sens - des sens - à propos d'un écrit. Il
nous est apparu important de mettre en relief cet aspect au moment où
certains enseignants pourraient être amenés à sacrifier l'enseignement
de l'histoire au profit des missions nouvelles qui incombent à l'École.

1. H. Bassis, chap. « Un outil de ré-invention exploratrice - le texte reconstitué «, dans Je


cherche, dortcj'apprertds, Éd. Sociales, 1989.
2. Voir le chapitre consacré à la lecture de témoignages.

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3, Coi. ment. mettre les élèves. en situation derecherche.?

our la plupart des enseignants, l'évaluation, c'est le contrôle final

P qui est censé être l'outil qui permet de savoir ce que les élèves ont
retenu du cours ou de la leçon. Avouons-le, il s'agit bien souvent
d'une carotte ou, comme on voudra, d'un bâton symbolique qui doit
aiguillonner les élèves. Le contrôle approchant, nous espérons qu'ils
vont enfin se décider à se mettre au travail. Et, d'ailleurs, l'insistance
mise sur les devoirs et sur l'aide aux devoirs laisse parfois craindre
que les enseignants considèrent que la construction ou la conceptua-
lisation, bref, l'essentiel des acquisitions, ne se fassent à la maison!
On devine que, derrière cette stratégie de l'évaluation, se cache une
théorie de l'apprentissage qui laisse la part belle aux pratiques de
transmission magistrales du savoir, d'un savoir « donné/reçu ». Cette
évaluation est donc cohérente et privilégie les capacités d'énonciation
ou plutôt de « ré-énonciation » du savoir et minimise en réalité sa
maîtrise véritable. Si un concept est maîtrisé, l'élève doit pouvoir le
réinvestir dans d'autres situations.

Évaluer n'est pas noter 1

L
essentiel de notre pratique étant la gestion des hypothèses
I conflictuelles et contradictoires entre les individus et les
groupes, nous avons besoin en permanence d'apprécier,
d'évaluer les cheminements et les processus des élèves. Écouter un
groupe réfléchir, se chamailler, décoder ce qui fait obstacle dans les
représentations mentales, repérer les impasses etc. Savoir où ils en
sont pour relancer, interpeller, pousser les hypothèses jusqu'au bout,
c'est déjà évaluer. Évaluer non pas tant l'activité mais plutôt les
processus, les promesses dont sont porteurs les cheminements
observés.

1. Voir G. de Vecchi, Aider les élèves à apprendre, pp. 80-97, Hachette Éducation, 1992.

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Réalisons qu'en fait c'est le potentiel, les richesses de la situation que
nous avons proposée que nous sommes, tout autant, en train
d'évaluer('). Car il ne faut pas se tromper, les réussites comme les
échecs sont, non pas de notre faute, mais de notre fait, comme le dit
Françoise Dolto. Notre responsabilité étant d'imaginer des situations
qui permettent un certain nombre de possibles : l'investissement du
sujet apprenant, la possibilité pour lui de faire du sens.
Dès lors, il nous parait nécessaire de préciser les pratiques concrètes
qui permettent une évaluation de ce type.

Conscientiser ses processus, étape par étape


a fureur de la méthodologie s'est emparée de l'école française mais

L dans des formes que nous craignons particulièrement inefficaces:


« Comment apprendre ses leçons ? », « Comment être attentif en
classe ? » Cette vague sous-entend que, si l'élève ne s'intéresse pas, c'est
exclusivement de sa faute. Une fois de plus, une réflexion sur la qualité
de ce que nous lui proposons est absente! D'autre part, la méthodologie
tend à faire l'objet d'un enseignement isolé du reste, abstrait, sans
matière concrète. Enfin, aucun travail sur les processus de la pensée,
de la recherche, de l'abstraction n'est mené!

• Conceptualiser, c'est prendre conscience du chemin


parcouru
Rien de plus terrible que des élèves qui ont cherché, inventé, et qui ne
mènent pas un travail individuel ou en groupe sur « Comment on s'y est
pris ?», « Qu'est-ce qui afait obstacle ? » ou, au contraire: « Qu'est-ce qui
nous a aidé ?», etc. Cette conscientisation des processus de recherche
est indispensable si l'on veut que des outils méthodologiques soient maî-
trisés, sans être parachutés de l'extérieur comme un prêt-à-porter qui ne
serait jamais à la mesure du client. Ce que B.-M. Barth appelle la
« métacognition », et que nous partageons, à la différence près que nous
ne voulons pas « dégager pour eux la méthode de pensée qu'ils venaient
d'appliquer inconsciemment, guidés par l'enseignant, et leur montrer
comment elle leur avait permis un apprentissage complet et réussi »(2),
mais qu'ils le mettent à jour eux-mêmes.

U Réinvestir ses propres processus


La différence est de taille. La mise à jour - progressive - des processus
de la pensée que chacun a menés seul et/ou collectivement est essen-
tielle pour rompre avec cette illusion plusieurs fois millénaire que les
savoirs s'empilent les uns sur les autres.

1. Voir Dialogue, Spécial Évaluation : Quand Ils ne réussissent pas, qu'est-ce que Je
change dans Ma pratique? », n» 66, février 1989.
2. B . -M. Barth, L'Apprentissage de l'abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de
l'école, coll. <(Pédagogie », Retz, 1987.

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C'est à cette condition que ces processus pourront être réinvestis dans
d'autres matières. Cette phase est aussi un des moyens pour que les
élèves conscientisent que cette réussite est avant tout la leur. Réussite
qui s'explique non pas parce qu'ils auraient un bon enseignant mais tout
simplement parce qu'ils sont intelligents(') ! Cette phase est en fait une
activité réflexive qui est incontournable si l'on veut que mûrisse l'esprit
de recherche chez les élèves. Et elle permet que chaque enseignant mène
une véritable activité de recherche dans sa classe, hors de toute routine.

Le résumé
II Quel résumé?
Passage obligé de tous les cours d'histoire, l'élève doit apprendre le
résumé dicté par le maître ou rédigé par l'auteur du manuel d'histoire.
De quel résumé s'agit-il le plus souvent? De la contraction du cours
magistral, du récit que l'élève a lu ou entendu durant le cours. Cette
pratique ne nous semble pas formatrice. Nous n'en voulons pour
preuve que les élèves ne l'apprennent pas ou peu et ne le retiennent
pas d'une année sur l'autre, quand ils n'ont pas tout oublié au bout
d'un mois ! Paradoxe d'une pratique qui a fait la preuve de son
inutilité dans ces formes-là et qui perdure!
L'énonciation du résumé, ou plutôt sa « ré-énonciation », n'est pas
synonyme de savoir ou de conceptualisation. Et pourtant, la pensée
française s'enorgueillit de compter Montaigne parmi ses fleurons. Mais
qu'avons-nous retenu des Essais, pour ne pas se souvenir qu'il
dénonçait déjà l'apprentissage par coeur et qu'il voyait dans cette
pratique une des raisons de la servitude intellectuelle? « Jamais ils ne
deviennent leur propre maître. »(2)

Savoir par coeur


« ...Savoir par coeur n'est pas Fâcheuse suffisance qu'une suffi-
savoir; c'est tenir ce qu'on a donné sance pure livresque ! Je m'attends
en garde à sa mémoire. Ce qu'on qu'elle serve d'ornement, non de
sait droitement, on en dispose, fondement. »
sans regarder au patron, sans tour -
ner les yeux vers son livre. Montaigne, Les Essais, I, XXVI.

Qui fait le résumé?


Il nous semble plus profitable de renverser les choses de telle sorte
que ce soit les élèves qui élaborent le résumé, seuls ou en groupes.
Dans ce cas de figure, le résumé est un véritable outil d'évaluation
pour le maître de la réalité de ce qui a été compris, assimilé par les
élèves. D'autre part, les lacunes ou insuffisances des résumés, ou
leurs contradictions d'un groupe à l'autre sont autant d'occasions

1. Cette idée est développée par J. Jacoto dans J. Rancière, Le Maître ignorant, Fayard, 1987.
2. Sénèque, Lettres, 33, cité par Montaigne, Les Essais, I, XXVI, coll. « L'Intégrale », Seuil, 1967.

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Enseigner l'histoire .Véso..ie

d'approfondissement, de retours ou d'apports magistraux du maître.


Nous avons toujours préféré que les incompréhensions se manifestent
avant le contrôle traditionnel, noté, qu'après.

• Écrire, c'est penser plus loin


Enfin, nous ne pensons pas qu'une formation â la pensée logique,
comme le recommandent les instructions officielles, puisse faire
l'impasse de l'écriture théorique, ou du moins de son apprentissage.
Le travail d'écriture, dans sa complexité écriture-confrontation-réécri-
ture, dans la prise de conscience de l'écart entre ce que je voulais dire
et ce que j'ai dit, est un accélérateur de la conceptualisation. Qui n'a
jamais fait l'expérience qu'écrire, c'est préciser, fouiller, progresser
dans la compréhension, se rendre compte que ce que l'on prenait pour
certain ne l'est pas tout à fait, etc. ? Et c'est aussi pour nous, ensei-
gnants, un des moyens de lutter contre ces comportements d'élèves
qui se débarrassent de la tâche écrite, et qui ne se soucient pas du
regard que va porter le lecteur-correcteur. C'est un renversement
puisque, dans les contrôles traditionnels, toute l'attention de l'élève
est centrée sur l'écart entre ce dont il se souvient et ce qu'il a appris,
aux dépens souvent du sens de ce qu'il écrit.

Résumé d'une élève de CM : La Préhistoire


« Il y a trois millions d'années, ont en cuivre, puis en bronze et, enfin,
vécu, en Afrique orientale, les pre- en fer (il y a environ trois
miers ancêtres de l'homme qui mille ans). »
soient connus. Mis à part les désaccords que l'on
Il y a environ cinq cent mille ans, peut avoir avec la persistance de
découverte du feu. découpages comme « l'âge de la
(600 000 ans) Pendant la longue pierre polie », on s'aperçoit que les
période de « l'âge de la pierre grandes ruptures comme le
taillée », les hommes ont vécu de Néolithique ou l'invention du fer
la chasse, de la pêche et de la sont présentes mais aseptisées,
cueillette. comme allant de soi. Les hommes
Ils étaient nomades et ils se réfu- se succèdent, l'idée d'évolution
giaient à l'entrée des grottes pen- dans son double aspect de rupture
dant les périodes froides. Ils ont et de continuité est absente. Un tel
inventé des armes et des outils en résumé nous semble, d'une part,
pierre taillée. passer à côté des concepts cen-
Il y a environ quatre mille ans, traux concernant la Préhistoire, et,
début de « l'âge des métaux ». d'autre part, n'être le fruit d'aucune
Les hommes ont utilisé le feu pour conceptualisation de lap art de
fabriquer des outils et des armes l'élève.

Pas de contrôles?
• Les Q.C.M.
Il va sans dire que l'attention que nous accordons au travail de
formulation-formalisation écrite réalisé par l'élève nous fait rejeter les
Q.C.M. (questionnaires à choix multiples). Faciles à corriger, qu'éva-

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3. Comment mettre les.élèves•en.situation de recherche?
...

luent-ils? Le produit d'une réflexion de l'élève ? Un apprentissage par


coeur ? Ou encore une réponse faite au hasard ? De plus, la bonne
réponse est formulée par le maître! C'est l'enseignant qui conceptualise
et qui fait l'impasse sur l'exigence de la mise au propre des hypothèses
des élèves.

Les textes à trous


A l'école, se répandent les textes à trous. Devant les difficultés,
beaucoup d'enseignants considèrent que, jusqu'en classe de Cinquième
au collège, l'histoire est essentiellement un apprentissage de
vocabulaire. Et l'élève doit compléter un texte écrit par un adulte ; il se
contente de placer le bon mot au bon endroit. Est-ce encore de l'histoire
si l'on se contente de cette exigence ? Le texte à trous est surtout le
reflet de l'état de santé de l'enseignement de l'histoire à l'école. Pensée et
contenus sont remplacés par le lexique ! C'est une totale régression qui
traduit tout à la fois l'ampleur du désarroi de certains collègues, mais,
aussi, un regard très négatif sur les possibilités des élèves. Les élèves
ont besoin de se passionner pour l'histoire et, de plus, ce n'est surtout
pas quand ils sont en difficulté qu'il faut faire facile ! Ces élèves ont
besoin de se prouver qu'ils peuvent réussir, réussir des choses difficiles,
retrouver grâce à leurs propres yeux, à ceux des copains et aux nôtres.

U Les contrôles classiques


De fait, les contrôles classiques jouent presque exclusivement sur la
mémoire dont nous ne nions pas qu'elle doive être exercée.

• Savoir ne se résume pas àmémoriser


Mais quelle formation à une pensée libre et critique quand on voit les
élèves, durant toute leur scolarité, apprendre par coeur sans
comprendre ? Le plus inquiétant est que cela ne les affecte pas le moins
du monde et qu'ils refusent toute intervention quand on essaye de les
aider à comprendre ce qu'ils apprennent. Hélas ! les faillites - sans
aucun hasard - de la mémoire sont souvent là où la compréhension est
prise à défaut. Mais comme ils ont décodé l'exigence du maître - savoir
restituer -, et qu'ils sont avides de sécurité, ce comportement perdure.

Jusqu'aux étudiants à l'Université qui font l'impasse sur le sens et qui


ont les pires difficultés à analyser leurs processus de recherche, à
réfléchir, et qui réclament un bon polycop pour pouvoir l'apprendre
On mesure le saut qu'ils vont devoir faire pour se former à la
recherche, fut-ce en maîtrise. Combien d'étudiants échappent, en fait
de recherche, à un patient travail de compilation? Qui maîtrise réel-
lement les hypothèses de travail, sinon le directeur de cette recherche?
On mesure aussi la pesanteur de ce comportement patiemment
appris!

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Enseigner .l'histoire•4Vécoie

Penser, c'est savoir formuler soi-même


En définitive, toute forme qui oblige l'élève à formuler, en intégrant un
destinataire qui n'est pas là que pour noter, mais pour apprendre.
Oui, apprendre aussi de ce qu'écrivent les élèves. Cette production
prend tout son sens si elle n'est pas coupée de tout ce qui lui a permis
d'exister. Que l'on passe beaucoup de temps à ces différentes phases
décrites, nous en convenons. Mais, selon une formule devenue célèbre,
il faut savoir perdre du temps pour en gagner. Et ce avec d'autant plus
de tranquillité que les élèves des collègues qui ont fini les programmes
pourraient tout aussi bien les refaire car les souvenirs sont ténus après
deux mois de vacances, et quelquefois une semaine après les
contrôles!

Quelques idées sur l'évaluation


Évaluer avant puis après : mesurer Évaluer le produit de l'activité des
le chemin parcouru. élèves, c'est aussi évaluer la perti-
Évaluer pendant : les étapes, les nence de ce que le maître a antici-
contradictions, et prendre la mesure pé, imaginé, construit.
de comment on s'y prend et com-
ment on s'y est pris.

CE et CM
• Rédaction d'affiches, étape par étape, des hypothèses des groupes ou des élèves
et de l'état de leur recherche.
• Réécriture individuelle après la confrontation entre les groupes, afin que
chacun puisse mesurer ce qu'il a vraiment compris.
• Écriture réflexive, en fin de leçon, sur le « Comment on s'y est pris ? » En
précisant aux élèves les objets théoriques sur lesquels ils doivent centrer leur
attention:
- comment on s'y est pris? Retour sur la séquence depuis l'émergence des repré-
sentations mentales jusqu'aux dernières productions, en essayant de formuler
les avancées méthodologiques;
- les contradictions de la situation historique;
- les ruptures historiques que représente la période étudiée.
• Les formes ou genres
- le résumé classique en s'inspirant de résumés équivalents, si possible plusieurs
résumés de manuels différents sur la même leçon. Apprendre à écrire des
résumés, c'est aussi démultiplier sa compétence de lecteur de résumé;
- la lettre d'un personnage clef qui devient narrateur de ce qu'il a vécu, en distri-
buant plusieurs narrateurs si possible de nature différente, ce qui permet de
travailler la notion de point de vue;
- l'article de revue historique, en distribuant des articles différents, tirés de revues
de vulgarisation pour les jeunes, comme Okapi. Un article confié à un groupe sur
les causes, un autre sur les conséquences de tel ou tel événement. Cette écriture
« à la manière de... » permet de familiariser les élèves avec des revues, tout en leur
proposant une mission qui facilite leur lecture.

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L'histoire peut-elle aider
le citoyen àse former?
L'histoire a la charge, plus que toute autre discipline
scolaire, d'aider à la formation d'un citoyen. En effet, nul
ne conçoit un citoyen sans une mémoire collective forte.
Mais le citoyen, c'est aussi celui qui s'apprend à penser
librement, qui se forge un esprit critique, qui sait prendre
du recul par rapport à cette mémoire. Comment faire ?
Cette mission de l'enseignement de l'histoire est tellement
évidente qu'on ne sait plus très bien si cette matière
n'empiète pas sur l'éducation civique. Quels sont leurs
rapports ? Étroits, certainement f À tel point qu'on peut se
demander si l'une sans l'autre peut avoir un sens.
Car, que serait un enseignement de l'histoire sans une
mise à jour des partis pris de chacun, des valeurs des
auteurs des documents
ainsi que celles des
lecteurs ? Confronter ses
valeurs, n'est-ce pas ce
dont le citoyen a le plus
besoin aujourd'hui?

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D
ans le premier chapitre, nous avons essayé d'attirer l'attention
sur la difficulté qu'avaient les historiens dans l'utilisation des
documents historiques. En effet, il y aurait quelque candeur à les
prendre pour argent comptant. De plus, chaque historien est lui-
même influencé par sa propre histoire et va donc interpréter le docu-
ment dans telle ou telle perspective.
Après avoir cru en une histoire impossible, les historiens pensent,
depuis une trentaine d'années, qu'il leur faut assumer leur historicité.
L'identité même du travail historique se définit par ce « rapport établi
entre deux plans de la réalité humaine: celle du passé, bien entendu,
mais celle aussi du présent de l'historien. » Dialogue, confrontation
.()

entre ces deux plans, c'est la réalité de la recherche historique et peut-


être en définitive son originalité et son intérêt. En définitive, rappelle
Paul Ricœur: « L'objet de l'histoire, c'est le sujet humain lui-même. » Ne
l'oublions pas dans nos cours, c'est peut-être là une des clefs de
l'intérêt de l'enseignement de l'histoire, bref, de l'histoire tout court.
Et pas seulement l'histoire-recherche, mais aussi sa vulgarisation. Les
foules sont passionnées par l'histoire ! Les romans historiques n'ont
jamais été autant lus ! Fictions, certes ! Mais que l'on y prenne garde,
leurs auteurs sont de plus en plus souvent des historiens ou des
érudits qui ont fait un gros travail de recherche au préalable. Même
les auteurs de bandes dessinées s'associent à des historiens. Le
téléfilm de Carrière, La Controverse de Valladolid, a intéressé
plusieurs millions de téléspectateurs. N'ayons pas peur de cet
engouement, pas plus que de ces genres littéraires : aidons leurs
lecteurs à se forger des grilles de lecture et des comportements
critiques.

1. H. -1. Marrou, De la connaissance historique, p. 221, cou. « Points-Histoire », Seuil, 1975.

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4. L'histoire peut-elle aider le citoyen . se former?

L'historien , subjectif?
« L'historien va aux hommes du cation des valeurs f...] n'est pas
passé avec son expérience humai- possible sans que l'historien soit
ne propre. Le moment où la subjec- vitalement intéressé à ces valeurs
tivité de l'historien prend un relief et n'ait avec elles une affinité en
saisissant, c'est celui où, par-delà profondeur. f...]. »
toute chronologie critique, l'histo-
rien fait surgir les valeurs de vie Paul Ricœur, Histoire et vérité,
des hommes d'autrefois. Cette évo- cou. Esprit, Seuil, 1955.

Un dialogue avec le passé


« C'est une prétention - et une pré- prétention, amener à une pleine
tention dangereuse - que de croire conscience nos propres valeurs et
que nous pouvons échapper au croyances, et mener un dialogue
présent, partir d'une table rase, délibéré avec le passé. »
examiner le passé avec une totale
objectivité [ ... ]. Ce que nous pou- M. -I. Finley, dans Le Monde
vons faire, c'est abandonner cette « dimanche » du 14 mars 1982.

Former à I'i interprétation '


A uels enseignements pratiques tirer de ces considérations épis-
témologiques ? Car beaucoup d'enseignants se demandent com-
ment faire de l'histoire avec les élèves si les témoignages et les
faits historiques ne sont pas fiables?

U Interpréter pour penser


Tout d'abord, il est fondamental que les élèves le sachent, car leur
source principale d'informations, la télévision présente parfois des
reportages à l'authenticité douteuse qui sont des falsifications : la
fausse interview de F'idel Castro réalisée par un journaliste français,
par exemple. Et bien d'autres scandales étouffés. D'autre part, si
l'histoire des historiens est une pratique d'invention et d'interpréta-
tion, pourquoi pas celle des élèves ? À condition toutefois de gérer cet
écart permanent qui existe entre le présent des élèves et le passé,
parfois très lointain, qui est étudié. La solution est dans un renver -
sement complet de la didactique de la discipline.

U Interpréter pour construire ses savoirs


Il nous semble que l'on peut déjà essayer de résoudre une partie de
ces difficultés en formant les élèves à la pratique de la critique de
témoignage - ce que nous verrons dans l'exemple proposé un peu plus
loin -' et, tout d'abord, en les formant théoriquement à cette notion de
1. L'essentiel de ce chapitre est tiré d'une démarche inventée par Henri Bassis. On peut lire
une analyse de cette démarche dans H. Bassis, « La Critique de témoignage », in Collectif
GFEN, Quelles pratiques pour une autre école ? Tous capables!, Casterman, 1982.

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-reg.i'êcoie

critique de témoignage. Quoique cela ne soit pas sans rapport, il ne


s'agit pas ici seulement de la critique de documents - critique
documentaire positiviste - ou de textes qui procède comme si les faits
historiques étaient contenus au préalable dans le document, et qu'il
s'agissait seulement d'avoir la bonne démarche méthodologique pour
ne pas se laisser abuser par l'auteur du document. Pas seulement; il
s'agit aussi de soi-même, lecteur, et donc interprète du document. Car
je suis là, présent, avec mon âge, ma culture, mes préoccupations
propres, et c'est cette interactivité moi-le document-moi qu'il faut faire
fonctionner et à laquelle il faut réfléchir.

• Jeu de l'assassin bis


Si le détective n'a pas été convaincant, l'animateur peut procéder à un deuxième
jeu en faisant en sorte que le nouveau détective réinvestisse les découvertes
méthodologiques du premier jeu. Celui-ci peut se dérouler avec des observateurs
qui se seraient partagés l'espace à observer et pourraient ainsi confronter avec les
témoignages de bonne foi des participants avec leurs propres observations.
• Le mime
Tout le monde observe un mime, le même évidemment un moment de la vie
quotidienne, le lever par exemple, durant deux à trois minutes. Chacun note ce
qu'il voit. On confronte les observations.
• Le rapport d'accident
Un accident de la circulation a eu lieu. Un inspecteur doit déterminer les
responsabilités des différents protagonistes. On détermine, tous ensemble, les
prudences méthodologiques dont il doit faire preuve pour mener à bien son rapport.
• Réinvestissement
Réinvestissement dans une situation «Barbares gênants et Barbares attirants() «
ou « Dreyfus, traître ? Dreyfus, victime 2) »
• Exploitation
Dépassement des situations proposées pour analyser les rapports entre histoire et
vérité.

i. voir partie 2.
2. A. Dalongeville, M. Huber, « L'Affaire Dreyfus, et s'il s'agissait de l'avant-goût de la
barbarie nazie? «, in op. cit., casteilla, 1989.

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4,•L'histoire peut-elle aider le citoyi. .à.:Se f o!rner :1

Former à la critique de témoignage


Reprenons les moments de cette démarche en mettant en avant les
points d'exploitation avec les élèves.

• Jeu de l'assassin
• Les sens trahisssent
- Peut-on se fier aux sens ? Aux souvenirs ? D'autant que, plus le
temps passe, plus les témoignages sont incertains, imprécis, défor -
més. En effet, comme ils avaient perdu leurs repères spatiaux, toute
une série de certitudes s'effondrent la succession réelle des faits, le
sens des déplacements et même les durées!
- Peut-on, dès lors, se fier aux témoins de bonne volonté puisque
même les innocents trahissent les faits ? Et pourtant, le détective ne
peut mener son enquête sans ces témoignages!
- Les témoins spontanés qui veulent à tout prix faire avancer
l'enquête, parfois dans un sens, sont-ils plus fiables que ceux qui
coopèrent avec réticence ? Celui-là est-il en train de s'empresser pour
détourner des soupçons éventuels? Celui-ci est-il en train de souffler
la vedette au détective?
• Tous les témoins mentent!
- Les témoignages s'influencent mutuellement; comment les recueillir
pour éviter ce phénomène ? Faut-il recueillir les dépositions sépa-
rément ? Et pourtant, c'est parfois utile de faire se confronter les
témoins!
- Comment faire le tri entre ceux qui mentent sans le vouloir,
involontairement, et celui qui ment? Entre ceux trahis par leurs sens
et celui qui trahit les faits pour se disculper?
Quelle méthodologie?
- Comment ne pas être parasité par les incohérences involontaires ?
Sur quels paramètres centrer son attention?
- Comment repérer celui qui ment? S'il ment, il va, à un moment ou à
un autre, être en porte à faux avec les autres déclarations ou les
siennes, antérieures. Alors, comment l'amener à se contredire ? À
contredire les autres ? À être contredit par les autres?
- Quelle attitude avoir? Soupçonner tout le monde, au risque que les
témoins aient peur de témoigner? Faire a priori confiance à tous, au
risque d'être abusé par le coupable?
Toute une série de points qui concernent la procédure de l'enquête
policière. Points qui ne sont pas forcément résolus, mais sur lesquels
il importe d'attirer l'attention. Même si, et nous entendons déjà les
critiques, l'enquête policière et la recherche historique ne sont pas

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EnseignerI'histoire..l...Vécole

identiques mais analogiques. Le détour par cette analogie met en


scène de façon très concrète les problèmes et permet d'entrevoir qu'ils
sont de deux types : méthodologiques et comportementaux.

U Jeu de l'assassin bis


- Parfois, les enfants ou les adultes ne veulent pas imaginer que leurs
sens les trompent! Pourtant ils avaient les yeux bandés, et on avait pris
soin de les faire tourner sur eux-mêmes pour les désorienter un peu
plus ! Alors, l'animateur demande à des volontaires d'être observateurs,
de se partager l'espace à observer ou des participants, sans chercher à
voir le crime. Et, à leur stupéfaction, ils entendent des gens raconter des
déplacements absolument fantaisistes ou avoir perdu tout repère
temporel!
Parfois même, les témoins non bandés se contredisent : Cils n'ont pas
vu la même chose, alors qu'ils savaient qu'un crime allait être commis
devant leurs yeux, et dans la minute qui suivait!

U Le mime
-Première surprise : tout le monde a regardé la même scène et,
pourtant, personne n'a vu la même chose ! Les élèves accusent le mime
de ne pas savoir faire, mais pourtant, sur le moment, chacun a noté ce
qu'il voyait, sans se douter que ce moment-là poserait problème.

• Projections de son vécu


- Des pans du mime ont été interprétés différemment par les
observateurs Qu'est-ce qui transparaît derrière les interprétations ?
Le vécu de chacun? L'idée qu'on se fait de la personne qui a mimé?
Souvent ceux qui ont vu le mime boire du café au lait et qui sont prêts
à en apporter la preuve sont ceux, précisément, qui boivent du café le
matin, à leur petit déjeuner.
- Si l'on interprète, toutes les interprétations sont-elles possibles ?
Légitimes? Comment garder un oeil critique sur ce qu'on rapporte?
Est-ce qu'une interprétation, à un moment donné, n'en a pas entraîné
une autre, puis une autre, et ainsi de suite, en cascade?
• Quand changer d'interprétation?
- Quand notre interprétation devient incohérente avec la suite de ce
que l'on observe, n'y a-t-il pas une lucidité nécessaire pour remonter
en arrière et accepter de changer d'interprétation ? Mais est-ce si
facile de remettre en cause ce que l'on est sûr d'avoir vu, de changer
d'interprétation ? Ne recherchons-nous pas la confirmation, la
sécurité, plutôt que l'infirmation de nos hypothèses?
- Et les interprétations des autres ? Comment les écouter ? Qu'en
faire ? Les repousser parce qu'elles contredisent ce que j'ai vu, ou les
prendre en compte comme épreuve de ce que l'on affirme?

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4,..Vbi$tOî..peUt'iie.aÎde:r lecito.ysn.àse:.former;.?

Nous contribuons à fabriquer les faits!


- Peu à peu, l'idée que tout fait n'est qu'interprétation, qu'un fait brut,
neutre, lisse, ne puisse exister, cette idée fait son chemin chez les
élèves. Une interprétation, au sens d'une construction intellectuelle,
plus ou moins élaborée, mais une construction malgré tout. Les deux
premières phases de ce travail vont permettre maintenant de se
demander si l'on se contente de cette réalité, ou bien si l'on peut, en
l'acceptant comme inhérente à notre humartitude, la dépasser.

U Le constat d'accident
- Si je mène l'enquête à la suite d'un accident de la circulation, par
exemple, de quelles données dois-je me méfier pour que les témoi-
gnages recueillis soient fiables?
- Quelle distance physique entre les témoins ? « Qu'a-t-il vu ? Que
pouvait-il voir ? »
- Quelles relations entre les témoins eux-mêmes, avec les
protagonistes?
- Quels points communs qui pourraient entraîner une sympathie ou,
au contraire, une antipathie avec un des protagonistes (âge, sexe,
classe sociale, nationalité, profession, religion, moralité...) ? Les élèves
savent, par expérience, que si un jeune, en Mobylette, renverse une
vieille personne, les dépositions des témoins seront différentes si eux-
mêmes sont jeunes ou vieux.
- Et même des facteurs plus complexes, psychologiques ou
idéologiques, qui vont du « Ça me regarde pas », « Aider les flics f »,
jusqu'au racisme, en passant par « le potin que faisait l'engin », ou qui
vont dépendre de l'accident qu'a déjà eu le témoin...
Et l'histoire, dans tout ça? Il est temps d'y revenir, bien sûr ! Mais ce
détour a permis de donner matière à discussion pour chacun.

U Histoire et vérité
C'est l'ébranlement pour certains : la vérité, ça n'existe pas ! Ou,
plutôt, l'objectivité ! En histoire, comme en sciences, cette idée d'une
vérité toute faite, magique en somme, est à tailler en pièces. La vérité
n'est souvent que très partielle ou provisoire. La vérité, comme
l'objectivité, est le produit d'une construction: exercice difficile certes,
mais sans lequel on oscille entre une crédulité aveugle et une
incrédulité de l'inertie. Car il ne faut pas confondre le doute comme
scepticisme philosophique et le doute méthodologique, inspiré par
Descartes. Voyons les questions qu'on peut aborder:
L'objectivité, ça existe ? L'objectivité, à quelles conditions?
- Et la vérité, c'est la même chose ? La Vérité avec un y majuscule, ça
existe ? Tout fait n'est-il vraiment qu'une interprétation?

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'ski @toi

L'Histoire, un discours qui tait sa génèse


« [...] la mise en scène d'une effecti- mais cette apparence autorisée sert
vité - passée -, c'est-à-dire le dis- précisément à camoufler la pratique
cours historiographique lui-même, qui la détermine réellement. La
occulte l'appareil social et technique représentation déguise la praxis qui
...
qui le pro.duit, c'est-à-dire l'institu- l'organise. »
tion professionnelle. L'opération en
cause semble assez rusée : le dis- M.deCerteau, Histoire etpsychanalyse
cours se rend crédible au nom de la entre science et fiction, coll. « Folio
réalité qu'il est supposé représenter, Essais », Gallimard, 1987, p. 71.

- L'historien peut-il prétendre â une objectivité allant de soi que


lui conférerait son statut de professionnel? Et, d'ailleurs, quels
sont les historiens qui disent d'où ils écrivent ? Comment des
historiens si objectifs peuvent-ils avoir des interprétations aussi
différentes sur la Révolution française?
- Objectivité ou objectivation? Autrement dit, une qualité
intrinsèque à certaines personnes sincères, ou une qualité construite
dans un examen de soi? Dès lors, le centre de l'activité de l'historien
n'est-il pas de construire une grille d'interrogation, des problé-
matiques, et de les exposer au lecteur comme lunettes à chausser
avant de lire?
Les problèmes soulevés sont de taille. Il ne faut pas confondre
objectivité et neutralité, et au contraire envisager l'objectivité comme un
processus, un travail sur soi. Comme on sait que, de toute façon, notre
lecture des faits est influencée par une conception globale du monde
qui n'est pas celle partagée par tous, pourquoi ne pas avoir l'honnêteté
de l'annoncer, au préalable, au lecteur néophyte?

L'historien institue des faits


« Reconstituer un événement ou signifiant, et élève le passé lui-
plutôt une série d'événements, ou même à la dignité de! fait to-..
situation, ou une institution, à rique. Le document i'était pas
partir de documents, c'est élaborer document avant que l'historien
une condition d'objectivité d'un n'ait songé à lui pose une ques-
type propre, mais irrécusable car tion, et ainsi l'historien institue, si
cette reconstitution suppose que le l'on peut dire, du doument en
document soit interrogé, forcé à arrière de lui et à patir, de son
parler; que l'historien aille à la ren- observation ; par là mime il insti-
tue des faits historiques »
contre de son sens, en lançant vers
lui une hypothèse de travail ; c'est
cette recherche qui à la fois élève Paul Ricœur, Histoire et vérité,
la trace à la dignité de document Seuil, 1955.

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U Affirmer ses partis pris
L'objectivité n'est pas atteinte grâce à un appareillage adéquat. Cette
vision naïve, scientiste, n'aboutit en définitive qu'à mieux masquer les
partis pris de chacun. Dommage ! L'affirmation des partis pris de
chacun permettrait au lecteur de se positionner, d'être averti du point
de vue de l'auteur. Combien de fois lit-on dans des revues scientifiques,
surtout en sciences humaines, que tel ou tel ouvrage est intéressant,
mais écrit sur un ton trop militant, voire trop polémique ! Même en
sciences de l'éducation, on continue parfois à croire que le savoir est
une sédimentation de savoirs recueillis dans la plus parfaite neutralité.
À ce titre, il faut espérer que le concept de « pensée complexe » d'Edgar
Morin fera son chemin.

I U En cycle 3

I • Quand la consigne ôte tout esprit critique


Les deux exemples qui suivent sont empruntés à M. Huber' et ont
souvent été utilisés en CM1-CM2. La consigne est très simple
dessinez le personnage dont il est question dans votre texte. Il faut
noter qu'aucun enfant ne refuse de faire le dessin du paysan dont les
yeux sont dits être distants de la longueur d'une main. Même si
quelques ricanements apparaissent. L'habitude d'exécuter la consigne,
certainement ! Mais aussi cette idée que tout document écrit est
nécessairement vrai.
En même temps qu'ils dessinent, les groupes - qui n'ont pas les noms
des auteurs - essaient de trouver les relations qu'il peut y avoir entre
chaque auteur et le personnage décrit. Les élèves sentent tout de suite
que les auteurs n'aiment pas particulièrement celui qu'ils décrivent.
Leur dessin fini, ils doivent écrire un court texte qui évoque l'auteur
présumé.

•i. M. Huber, Collectif G.F.E.N., L'Histoire indiscipline nouvelle, Syros, 1984.

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Enseigneri.1ustoi•re:.:L.•1êc.oi.e

Documents paysan et noble


« C'était un damoiseau aux gros La grande barbe de bouc, qui est
membres, avec des bras épais, une sale bête,
large d'épaules, les yeux séparés Les rendent étourdis comme
l'un de l'autre par la longueur foudre et tempête,
d'une main ; dans soixante pays,
on n'aurait pas trouvé de face plus De telles gens, esclaves d'orgueil
rude et moins avenante. Ses che- qui est vil péché,
veux étaient hérissés, ses joues Sont de tous les vices et saletés
noires et tannées, elles n'avaient entachés
pas été lavées de six mois ; sa Par leur cupidité, ils reçurent
blouse descendait à peine jus grands dons,
qu'aux genoux, et de ses houseaux
luisants sortaient l'extrémité de ses Des Anglais nous l'ont ben révélé;
talons... » Ils ont fait un pacte avec ceux
«:Bombance et vaine gloire, vêture d'Angleterre:
déshonnête, Ne nous tuons pas l'un l'autre, fai-
Les ceintures dorées, la plume sur sons durer la guerre. »
la tête, M. Huber, op. cit.

Puis chaque groupe présente son travail et découvre que son propre
personnage pourrait être l'auteur du texte de l'autre groupe. Et la
discussion s'engage sur le regard que chacun porte sur l'autre.
Contradictions idéologiques, points de vue opposés, amorce de la
notion de classe sociale. Mais aussi qui a écrit le texte décrivant le
noble, pas le paysan qui ne savait pas écrire, alors qui?

• Tout document doit être critiqué


Au-delà, c'est toute une prise de conscience, qui ne peut s'opérer que
dans des réinvestissements analogues, de la prudence avec laquelle il
faut manier le document historique.
On peut poursuivre par un jeu de rôles : les deux personnages se
rencontrent. Inviter les élèves à partir à la recherche dans leurs livres
de documents semblables : points de vue d'un auteur sur une
personne ou un groupe de personnes. À chacune de ces étapes, il faut
renvoyer les élèves au travail, les mener dans la démarche « critique de
témoignage

U En Sixième
La classe est divisée en deux. La première moitié de la classe travaille
en groupe sur un extrait des Histoires d'Hérodote, qui attire, à juste
titre, l'attention sur la chance extraordinaire de l'Égypte, véritable
« don du Nit » selon son expression. La seconde moitié de la classe
travaille sur un extrait de la Satire des métiers, dans lequel un scribe
explique à son élève le sort très difficile du paysan égyptien.

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• Le sort du paysan égyptien
Chacun des groupes a la même consigne rendre compte par un dessin
ou un jeu de rôles de la condition du paysan. La surprise viendra au
cours de la mise en commun. Et l'on essaiera de comprendre pourquoi
un Grec, habitué au dur jardinage des poljés de sa péninsule bien
sèche, est envieux devant les facilités offertes par le Nil. Pensez donc
un fleuve qui traverse un désert et qui est en crue en plein été ! Et l'on
essaiera d'imaginer qui est ce scribe qui plaint les paysans de son pays
alors qu'il appartient à la minorité privilégiée!
• Le Nil sans le travail des paysans n'est rien
Ce travail suit toute une série d'activités que nous décrivons p.' 10,
qui permettent de comprendre réellement le caractère exceptionnel du
Nu. Mais en rester là, c'est faire abstraction de ces millions de bras qui
ont été nécessaires pour mettre en valeur cet atout que représentait le
Nil, fleuve-dieu. En d'autres termes, l'Égypte est aussi un don des
paysans. Le poème qui suit, de Bertold Brecht - un texte reconstitué
potentiel -' interpelle les visions de l'histoire qui ne se préoccupent
que des têtes couronnées. Une fois de plus, ce sont nos questions qui
fertilisent le passé qui lui donnent de l'intérêt aujourd'hui.

Undon devenu richesse grâce aux paysans!


« Le ver a enlevé une moitié du « Les habitants du delta sont
grain, l'hippopotame a dévoré aujourd'hui, de toute l'espèce
l'autre moitié. Il y a beaucoup de humaine,
............ .. . ....ceux
...... . qui se donnent le
souris sur lechamp,. .. la sauterelle moins de mal pour obtenir .. . leurs
s. est abattue, le bétail a tout dévoré, récoltes ils n'ont pas .. la peine
les moineaux se lèvent au pillage, d'ouvrir des sillons à la charrue et
0h, malheur au paysan ! Le ... reste, de sarcler, ils ignorent tout des
qui se trouvait sur l'aire, les voleurs autres travaux que la moisson
l'ont réduit à rien. L'attelage a péri demande ailleurs. Quand le fleuve
.. .
d'épuisement à force de dépiquer ... et est venu lui-même arroser leurs
de labourer. . Voici
. ........ que le scribe champs et, sa tâche faite, s'est reti-
débarque au quai et veut faire ren- ré, chacun ensemence sa terre et y
trer la récolte. Les employés
. . ....... ..... . . portent lâche ses porcs : en piétinant, es:.
des bâtons et les nègres o. '-ent des bêtes enfoncent le grain, et
verges en côtes de palme E...]. Ils l'homme n'a plus qu'à attendre le
. ... . . . . . .
disent : « Donne-nous du grain ! » temps de la moisson, ... ........ puis, quand
S'il n'yen:. pas, ils le frappent. Il est ses porcs ont foulé sur l'aire les
garrotté et jeté dans le canal, et il épis, à rentrer son blé. »
coule à pic la tête la première. On Hérodote, Histoires, II, 14, traduit par
garrotte sa femme devant. . . . . ...... ..... lui et on P. Belmont, L.G.F., 1987. .... .
Ch arge ses enfants de liens. ............ »
.
.......... Satire des métiers, Papyrus Anastasis . ....... . .
cité dans le manuel de 6" Histoire
Géographie initiation écontmique, dirigé
Par R. Knafon, Bélin, 1990.

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Rnseigner:3'histoii...eà.Vé.cO.e

Questions que se pose un ouvrier qui lit


Qui a connu Thèbes aux sept Ceux qui se noyaient appelaient
portes? leurs esclaves.
Dans les livres, on donne le nom des Lejeune Alexandre conquit les Indes
rois Tout seul?
Les rois ont-ils traîné les blocs de César vainquit les Gaulois;
pierre? N'avait-il à ses côtés au moins un
Babylone détruite plusieurs fois, cuisinier?
Qui tant de fois l'a reconstruite ? Quand sa flotte fut coulée, Philippe
Dans quelles maisons d'Espagne
De Lima la Dorée logèrent les Pleura - personne d'autre ne
ouvriers du bâtiment? pleurait?
Quand la muraille de Chine fut ter- Frédéric Il gagna la guerre de Sept
minée, Ans — qui,
Où allèrent ce soir-là, les maçons ? À part lui, était gagnant?
Rome la Grande est pleine d'arcs de À chaque page une victoire;
triomphe - qui les érigea ? * de qui Qui cuisinait les festins?
Les Césars ont-ils triomphé ? Tous les dix ans, un grand homme -
Byzance, la tant chantée,
Les frais, qui les payait?
N'avait-elle que des palais?
Autant de récits
Pour ses habitants ? Même en la
Autant de questions?
légendaire Atlantide,
B. Brecht, Poèmes, L'Arche Éditeur
Hurlant dans cette nuit où la mer
(pour la traduction française), 1965.
l'engloutit,

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w
in

Un autre rapport à/au savoir........................................ . 105


Former à une pensée complexe, la féodalité (cycle 3) 1 07
La notion d'expert en cause, ou « L'Égypte, don du Ni! » (en Sixième) 1 08

, école a longtemps été considérée comme libératrice ou émanci-

L patrice. Fort instrument de socialisation, temple de l'instruction,


l'école et la société fonctionnaient sur une illusion : l'instruction
était d'une certaine façon synonyme de citoyenneté ; plus l'être humain
aurait de savoirs, plus il serait libre.
Mythe fondé par les philosophes des Lumières qui faisaient déjà de
l'instruction un rempart contre les croyances et la religion. Or, des évé-
nements récents à propos des sectes nous apprennent que ce ne sont
pas les êtres les moins instruits ou les moins formés qui fréquentent ces
lieux, en quête d'irrationnel.
L'instruction ne fait pas nécessairement reculer croyances, super-
stitions, pensée magique, bref, des pans de l'irrationnel. Si les savoirs
sont acquis comme des vérités toutes faites, dans un rapport de
docilité à la vérité, d'autres vérités peuvent facilement se substituer
aux précédentes. Aussi bien chez les enfants que chez les adultes,
surtout quand celui-ci traverse une crise'.
Il s'agit bien de développer un autre rapport au savoir; d'une certaine
façon, ce rapport actif, critique, non consommateur exige un compor -
tement de même type que le citoyen face à la chose publique.

Un autre rapport à/au savoir


R Citoyens dans le savoir
Tout le monde tombera d'accord avec les objectifs de P. Giolitto
(encadré p. 106). Nous-mêmes, depuis plusieurs années, développons
l'idée que ce ne sont pas seulement les savoirs, leurs qualités, leur
quantité, qui forment le citoyen. Mais aussi leur mode de
construction, le rapport au savoir que chacun a pu construire ou,
plutôt, le rapport à savoir.
1. Ce n'est pas ici notre propos, mais seule une conception naïve de la pensée rationnelle
peut laisser croire que le rationnel et l'irrationnel appartiennent à des' domaines
strictement disjoints. La rationalisation est un processus de dépassement de l'irra-
tionnel, non sa négation.

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R

Produire son propre discours


« [ ] en les incitant à ne pas se Ce qui, notons-le, représente le
I contenter d'enregistrer passive- meilleur moyen de former de futurs
I ment un discours historique citoyens libres et responsables. »
construit par d'autres à leur inten- P. Gioltto, L'Enseignement de l'histoire
I tion, mais en les amenant à produl- aujourd'hui, Armand Colin/Boun-elier,
re leur propre discours historique. 1986.

Nous avons déjà souligné la forte discontinuité qui existe entre les
trois pôles que constituent la conception scientifique de l'histoire, la
didactique de cette discipline et les pratiques pédagogiques concrètes.
Les attendus consensuels - former le citoyen - sont toujours désa
voués par les pratiques, à la fois pour ce qui concerne les situations
d'apprentissage et les objets d'étude.
Nous voulons, ici, montrer combien la responsabilité des enseignants
de notre discipline est grande dans la formation du citoyen.

• La pédagogie, une antiré pétition


• Et si l'enseignant était - lui aussi - en recherche?
L'essentiel n'est pas dans le détail, dans l'information, mais dans des
concepts et des problématiques qui doivent secouer les évidences, les
caricatures, les consensus, les idées toutes faites. L'essentiel, c'est
aussi dans le champ de ce qu'il est possible de choisir, ce qui va
interpeller, concerner le présent du sujet apprenant. Il ne s'agit en
aucune façon d'une recette mais d'un état d'esprit qui permet de mettre
les élèves en recherche et de l'être soi-même. L'essentiel est aussi dans
un effort de décentration par rapport à l'objet d'étude ou par rapport à
sa discipline pour ne pas oublier, en mauvais spécialistes que nous
sommes parfois, qu'un certain nombre de concepts clefs, qui traversent
toutes les disciplines, sont à faire se construire, concepts essentiels
pour la structuration d'une pensée.
Se répéter, c'est se tromper de contenu
Comment le métier d'enseignant peut-il paraître répétitif puisque nous
n'avons jamais deux années de suite ni les mêmes personnes en face
de nous, ni les mêmes présents et que, nous-mêmes, nous changeons
en permanence? On entend souvent dire qu'un échec en histoire n'est
pas dramatique puisque le programme change, et qu'un élève en
difficulté avec les civilisations de l'Antiquité pourra être plus à l'aise
avec la société féodale. Pourquoi pas, s'il ne s'agit que d'une affaire de
goût? Mais cette assertion révèle en fait que de nombreux
enseignants pensent que seul le programme change d'une année sur
l'autre ; concernant les concepts transversaux, on fait chaque année
comme s'ils avaient été construits - celui de causalité -' ou bien on
recommence leur explication - celui de société -' sans jamais en faire
un objet de travail explicite, repéré comme tel par les élèves.

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Former à une pensée complexe, la féodalité
(cycle 3)
U Les programmes
« La féodalité - seigneurs et paysans, villes et campagnes », pour le
cycle 3. Instruction trop lapidaire pour cerner le contenu essentiel.
« Présence du Moyen Âge et naissance de l'esprit moderne », ajoute le
législateur pour la classe de Cinquième. On peut, d'une part, faire
l'hypothèse que la féodalité est caractérisée par les relations entre
seigneurs et paysans et entre villes et campagnes. D'autre part,
l'expression « présence du Moyen Âge » laisse penser qu'il faut insister
sur les aspects modernes qui percent dans le Moyen Âge, et per-
durent. À cet égard, le petit livre de R. Pernoud ('), qui a irrité certains
historiens, a l'avantage d'être un livre qui dit ses partis pris et veut en
finir avec l'assimilation de cette époque à l'obscurantisme, avec une
vision de l'histoire qui met sous le même nom des réalités aussi
différentes que les invasions barbares, la Renaissance carolingienne,
et les prémices de la Renaissance. Cela dit, la féodalité, qu'est-ce que
c'est?

• Les manuels
Servage ou esclavage
Les manuels stigmatisent en général le servage comme un semi-
esclavage. Comme le souligne R. Pernoud, ils sont tous silencieux sur
le fait que c'est au début du Moyen Âge - rve ve siècles - que l'esclavage
disparaît alors que c'est à la Renaissance - surtout au XvIe siècle - qu'il
renaît. Dans les représentations - sculptures ou tableaux -' des Noirs
sont des saints ; ce n'est qu'avec le rétablissement de l'esclavage qu'ils
vont en être absents. De même pour la femme, l'Église médiévale lui a
toujours accordé une place d'importance; elles ont été canonisées,
baptisées, confessées... Là encore, c'est aux environs du Xvi e siècle
qu'elle est peu à peu dépossédée de tous ses droits, jusqu'au Code
Napoléon. Somme toute, beaucoup de contrevérités circulent. À tel
point que, bien souvent, on entend souvent parler à propos de
pratiques rétrogrades de pratiques moyenâgeuses!
Le Moyen Âge : pas si moyenâgeux que ça!
Une des principales tâches, nous semble-t-il, est de mettre en cause ces
représentations qui envahissent encore les dessins animés ou les
bandes dessinées et nos esprits. Le Moyen Âge n'est pas cette espèce de
parenthèse entre deux périodes civilisées: l'Antiquité et la Renaissance.
Dans notre formation d'enseignant, un des rares cours qui avait
soulevé notre enthousiasme est celui d'un professeur qui nous avait
annoncé: « La Révolution a déjà eu lieu, au Moyen Âge f » Provocation
qui nous avait permis de rompre avec des simplifications abusives.
1. R. Pemoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, cou. « Points «. Seuil, 1979.

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107
E. seigne..rj'hîsU...i. â l..éci. le

Le fief(') a longtemps, encore aujourd'hui, incarné la société féodale


dans nos manuels. La majorité d'entre eux l'assimilent à un morceau
de terre. Deux affirmations rapides. Les actes des chancelleries des
églises de la région parisienne n'utiliseront ce terme qu'à la fin du
e siècle ! Il a souvent pris la forme de terres, mais on rencontre des

fiefs qui sont des abeilles, des faucons, des recettes portuaires ou des
péages. C'est aussi, parfois, simplement de l'argent. Si la Normandie a
été un lieu de forte implantation du fief, la Scandinavie l'a ignoré,
mais aussi, en France, trois vallées pyrénéennes.
Simplifications, généralisation à l'excès, projection d'une conception
foncière de la propriété, J. Le Goff parle à ce propos d'erreur histo-
rique. Étant convaincus que l'erreur est un point d'appui, faisons de
ces ambiguïtés le centre de la leçon!

Féodalité concepts clefs


Le fief une propriété et/ou un • Le servage
: quelle rupture par
:

droit d'usage. rapport à l'esclavage?


La société féodale, une société • La royauté non ps un droit :

qui repose sur des liens d'homme à divin mais une lente et difficile
homme. construction!

Relativiser le regard des enfants sur le Moyen Âge, prendre conscience


des inventions sociales et techniques du Moyen Âge : le couple
moderne, en passant par le fait qu'une terre peut être caractérisée par
plusieurs droits superposés jusqu'aux révolutions techniques -
comme le moulin -' que J. Gimpel 121 essaie de réimplanter dans des
régions sous-développées qui en ont perdu la mémoire - la vallée du
Népal.

La notion d'expert en cause, ou


.J

« VEgypte, don du Nil »M (en Sixième)


• Les programmes
Titre laconique: l'Égypte. Cependant, « afin d'assurer une organisation
cohérente du travail de l'année, ainsi que la bonne compréhension des
questions étudiées 41 », on indique la notion essentielle, le concept clef
dirions-nous. Ainsi, en Sixième, c'est celui de civilisation. Concept
difficile à cerner, qu'il faudra valider, renforcer, complexifier à travers
l'étude d'autres civilisations - Hébreux, Grèce classique, Rome... Ce

1. Pour en savoir plus, lire A. Gerhards, La Société médiévale, coll. « Le Monde de... », MA,
1986 (articles fief, servage).
2. R. Pernoud, R. Delatouche, J. Gimpel, Le Moyen Âge, pour quoi faire ?, Stock, 1986.
3. Dossier Okapi consacré au Nil, supp. n° 384, 15/30 novembre 1987.
4. Id. cité, note 6, p. 241.

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4,:i'hi$t0u*'e peut.e11eader..Ie.citoYenà:.*e.fo.riiIer.?

qui revient à dire que ces civilisations seront abordées avec l'exigence
de faire le tri nécessaire qui permette la construction du concept de
civilisation. « Il ne s'agit pas de donner à l'élève une définition, parmi
tant d'autres, de la civilisation, mais d'élaborer, à son intention, une
véritable grille de lecture et d'analyse qu'il enrichira au cours de sa
scolarité et appliquera ultérieurement à l'étude des civilisations médié-
vales et modernes. Cette grillefigurera dans le cahier de l'élève11 » C'est
la première grande civilisation... » En fait, les compléments nous
proposent un modèle théorique du concept de civilisation qui englobe
d'autres concepts interdépendants que l'on peut représenter comme
suit:

R Les manuels
La première(2) leçon de la plupart des manuels, de plusieurs pays d'Eu-
rope d'ailleurs, s'intitule: « L'Égypte, don du NiL » On pourrait supposer
que, dès lors, l'essentiel de la leçon va porter sur une tentative
d'explication de la genèse de la civilisation égyptienne en liaison avec le
Nil. Ce qui est parfois le cas mais, à parler franchement, on est en droit
de se demander pourquoi de telles civilisations ne sont pas nées au
bord de tous les cours d'eau, quand on s'aperçoit que les élèves, à la
lecture du livre, ne cernent pas les caractères exceptionnels de ce
fleuve. D'ailleurs, il n'est pas sûr que bien des experts qui ont conseillé
la construction du barrage d'Assouan aient, dans les années 50, mieux
compris ce fleuve. Qu'est-ce à dire?

E Quels concepts clefs?


L'articulation entre l'État égyptien, le Nil, l'écriture, et donc les
scribes, semble repérée par un certain nombre d'auteurs de manuel.
Mais le travers de l'histoire-récit qui raconte en banalisant, aseptisant
les phénomènes, empêche les élèves de cerner en quoi ce fleuve est
suffisamment exceptionnel pour avoir été le soubassement d'une
civilisation originale.

S Un fleuve excentrique!
Un fleuve qui coule au milieu du désert est un phénomène unique - le
Niger ne fait qu'une brève incursion dans la bordure désertique - qui
ne peut pas se contenter d'être dit en une phrase. Cest insolite
Tellement que les Égyptiens avaient fait de ce fleuve un dieu.
Tellement étonnant que Néron disait : « Je donnerais ma tête pour
savoir où tu caches la tienne f » Et ce n'est rien! Ce fleuve est en crue
en pleine saison sèche ! Ce fleuve apporte les terres parmi les plus
1. compléments aux Programmes et Instructions, Collèges, Histoire, 6», C.N.D.P., 1986.
2. Et non pas en France. Notre tradition historiographique s'obstine à ne voir dans notre
culture que la seule influence du monde gréco-romain en minimisant les emprunts
philosophico-religieux et scientifiques faits à la civilisation égyptienne.

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fertiles de la planète : celles des hauts plateaux du massif éthiopien!
Notons au passage que ces terres sont dans un des pays les plus
affamés du globe ! Combien d'expéditions sont-elles parties en vain
pour trouver ses sources ? Des pharaons, en passant par Livingstone,
Burton et Speke, jusqu'à Cousteau!

• Plus de crues, plus de limons!


Et pourtant! On a construit Assouan! Plus de limons pour les fellahs
égyptiens ! Le delta du Nil qui recule face à la mer ! Alexandrie, à
terme, menacée par les eaux(') Mais « les crues sont régularisées », se
!

réjouissent les ouvrages et les dictionnaires. Remarquons, au passage,


que nombre d'enfants et d'adultes ont des difficultés à réaliser, quand
un cours d'eau est en crue, que c'est parce qu'il pleut en amont, du
côté des sources et non pas à l'endroit même où l'on constate les
inondations. Oui ! L'essentiel n'avait pas été vu. Un barrage qui
s'encrasse, plein de ce limon fertile devenu inutile. Des paysans
obligés d'épandre des engrais, hors de prix, pour fertiliser leurs
terres ! Quelle dérision que de voir l'UNESCO se réjouir des prouesses
techniques et des sommes folles dépensées pour sauver des temples
qui n'auraient jamais dû craindre d'être ensevelis sous les eaux.

Dans les manuels ? Depuis peu, un seul(2)montre une carte avec le


cours du Nil dans sa totalité. Un seul qui permette de comprendre que
ce fleuve, exoréique, diraient les spécialistes, prend ses sources pour
partie en zone tropicale et pour une autre partie en zone équatoriale.
Qu'on nous comprenne bien : tout ou presque est dit en quelques
lignes dans ces manuels. Mais dit de manière neutre, tellement neutre
que cinq ou six élèves par classe de Sixième continuent à croire que le
Nil s'écoule du nord vers le sud, c'est-à-dire du haut de la carte vers le
bas, ce qui revient à ne pas se rendre compte qu'ils sont en train de
faire se vider la mer Méditerranée dans le Nil ! Alors, le travail du
maître consiste à corriger et compléter ce qui est présenté dans les
manuels comme coulant de source!

1. J.-Y. Cousteau, Almanach Cousteau de l'environnement, inventaire de la vie sur notre


planète d'eau, Laffont, 1981.
2. Manuel d'histoire-géographie, classe de Sixième, Armand Colin, 1986.

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4,V$stoirepeut'eile aider:te.cîtoyen. seforiuer •?

ï.
LES SOURCES DU ML, UN MYSTÈRE!
- Un collage de textes : Hérodote, Néron, les prêtres égyptiens. Ne pas oublier que
les Romains disaient « chercher les sources du Nu », comme nous : «chercher une bug
aiguille dans une botte de foin ».
- Une carte classique tirée d'un manuel (Hachette).
- Diagramme des précipitations à Assouan et régime du Nu.
Une consigne: résoudre le mystère.
• Le Nil vu par Hérodote(')
« Il est évident que la région d'Égypte où les Grecs se rendent en bateau, c'est-à-
dire le delta, est un don du Nil ; et aussi la région située au-dessus, jusqu'à dix
jours de navigation...
Sur le fleuve, je n'ai obtenu aucun renseignement, ni des prêtres, ni de personne.
Je désirais pourtant savoir pourquoi, pendant cent jours à dater du solstice d'été
(21 juin), le Nil croît et envahit les terres, puis se retire et baisse de niveau.»
« Mais d'où venait donc ce fleuve divin qui dessinait une allée de verdure au milieu
des sables jaunes?»
Hérodote disait, en 430 avant J.-C. : « On connaît le cours du Nil jusqu'à une
distance de quatre mois de navigation au-delà de l'Égypte... mais plus loin... »
Plus loin, c'était les montagnes qu'on appelait, sans y être jamais allé, les monts de
la Lune.
Les sources du Ni!
Depuis l'aube des temps, c'est le mystère. Les Égyptiens ignoraient tout des
sources du fleuve les devins, les prêtres disaient: « Le Nil tombe sur la terre .»
Plus tard, Néron disait au Nil : « Je donnerais ma tête pour savoir où tu caches la
tienne.»
Dans l'Antiquité, les sources du Nil étaient tellement mystérieuses que les Romains
avaient l'habitude de dire « quaerere fontes Nili >, « chercher les sources du Nil »,
lorsqu'ils parlaient d'un projet irréalisable C'était à peu près l'équivalent de
« chercher une aiguille dans une botte de foin>.

MER MÉDITERRANÉE
J

Memphis
.1I
(
\\\\
\\j
it
MER

- voie navigable fl O U G E
voie non navigable
J
—)— barrage
Thèbes
100 km

1. « En remontant le Nil au temps des Pharaons «, Radiovision 208, C.N.D.P.


j

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CHANGER D'ÉCHELLE, C'EST CHANGER SON REGARD
Présenter trois cartes du Nil. Une carte classique qui se limite à la deuxième
cataracte, une carte qui englobe les sources du Nil jusqu'au lac Victoria, et, enfin ,une
carte des précipitations de l'Afrique - mois de juillet. Ce document est proposé sans
aucune consigne, simplement comme relance de la recherche.
Trois cartes du Nu...

MER MÉDITERRANÉE / I
Tianis

BASSE. WYPTE

Memphis

ar&

\MER
'
désert ROUGE

e Libye

quand l'échelle de la carte change le regard!

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4, L'histoire .peut.eIIe.aider ie.:eftoyen:à se former.?

FAUT-IL DÉTRUIRE LE BARRAGE D'ASSOUAN?


- Article « Le delta du Ml sous les eaux » (La Recherche, n° 201, juillet-août 1988).
- Article tiré de l'almanach Cousteau.
- Cantique égyptien sur les bienfaits du Nil.
Lecture avec retour sur le premier document. bug
:.
rit
• Le delta du Nil sous les eaux
« Une grande partie du delta du Nil, où vivent un million d'habitants, serait en train
de s'enfoncer progressivement et pourrait être prochainement sous les eaux. C'est
ce qui ressort des travaux de l'Américain Daniel Jean Stanley de la Smithsonian
Institution de Washington (Science, 240, 497, 1988). Depuis sept mille cinq
cents ans, le nord-est du delta s'enfonce, à raison de cinquante centimètres par
siècle ce phénomène d'origine tectonique, associé à une remontée du niveau de la
mer, menace toute cette région, qui n'est plus qu'à un mètre au-dessus des eaux,
d'une prochaine submersion. De plus, le barrage d'Assouan, en activité depuis
1964, empêche une grande partie des sédiments habituellement transportés par le
Nil de se déposer dans le delta et de combler en partie l'affaissement. Cette
diminution de sédiments est également à l'origine d'une accélération de l'érosion de
la côte méditerranéenne qui, tous phénomènes confondus (affaissement, niveau de
la mer, sédiments), risque de reculer de près de trente kilomètres d'ici l'an 2100.
Cette perspective alarmante a de quoi perturber, dans cette région, les projets
agricoles d'irrigation et de développement urbain le long de la côte.
• Assouan, un barrage crituqué!
« Le Nil était un fleuve capricieux. L'été, quand il pleuvait beaucoup au sud, les
affluents du Nil se gonflaient de tonnes d'eau boueuse.
Arrivé dans la plaine, il débordait de son lit. C'était la crue qui déposait sur les
champs une boue fertile appelée limon.
Ce limon était la bénédiction des cultivateurs, car il enrichissait les terres ! C'était
alors les « années de vaches grasses » dont parle la Bible. Mais certaines années, la
crue, trop forte ou trop faible, amenait l'inondation ou la famine.
Pour régulariser le Nil, les Égyptiens, aidés par des Soviétiques, ont bâti le gigantesque
barrage d'Assouan: 4 km de long, 110 m de haut et. 980 m d'épaisseur à la base.
« Ils y ont construit une puissante centrale hydroélectrique. L'électricité fournie par le
barrage a donné un nouvel élan à l'économie égyptienne.
En 1959, la construction du barrage d'Assouan a provoqué la campagne de fouilles
archéologiques la plus importante du monde.
« En effet, le Nil, bloqué par le barrage, allait peu à peu se transformer en un lac long
de 400 km, et noyer la Nubie sur 5 000 km 2 , la taille d'un département français.
L'inondation de la Nubie a provoqué un très important déplacement de population.
Des dizaines de milliers de villages, qui allaient être engloutis, ont été déplacés.
Pour sauver les richesses de la Nubie avant qu'elle ne soit engloutie, les Égyptiens
et les Soudanais se sont tournés vers un organisme international, l'UNESCO. »
• Cantique égyptien sur les bienfaits du Nil
« Salut, Ô Nil ô toi qui t'es manifesté sur cette terre et qui viens en paix pour
donner la vie à l'Égypte. Tu abreuves la terre en tous lieux, dieu des Grains,
seigneur des Poissons, créateur du Blé, producteur de l'Orge...
Sitôt qu'il se lève, la terre crie d'allégresse, tout ventre se réjouit, tout dos est
secoué par le rire et toute dent broie. Il apporte les provisions délicieuses, il crée
toutes les bonnes choses...
Il se saisit des deux contrées, et les greniers se remplissent, les biens des pauvres
se multiplient ; il rend heureux chacun selon son désir...
On ne lui sculpte point de pierres ni de statues, on ne l'enchante point par des
mots mystérieux, on ne sait pas d'où il vient. »
« En supprimant les crues naturelles du Nil, le barrage a empêché le limon de venir
fertiliser la terre.

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Pour continuer à cultiver la terre, les paysans doivent donc avoir recours aux
engrais chimiques très polluants. Ils en utilisent trois fois plus qu'en 1957, avant
la construction du barrage.
CI Le barrage a également modifié le delta du Nu. Auparavant, le limon venait se
I- déposer jusque sur les bords de la mer, et il maintenait une superficie constante
dans le delta. Aujourd'hui, la quantité de limon déposée est très insuffisante, et le
delta recule la mer Méditerranée gagne trente mètres par an sur la terre!
Maintenant, l'eau circule en permanence dans les canaux qui sillonnent la vallée
du Nil. Si ce système d'irrigation a permis d'augmenter le nombre de récoltes à
l'année, il a aussi fait proliférer rats et scorpions, autrefois chassés par les
inondations.
Ce système a aussi développé une maladie terrible : la bilharziose. Les bilharzies
sont des vers parasites qui envahissent l'organisme humain. Ils peuvent vivre vingt
ans et ne sont détruits que par l'assèchement prolongé des canaux. La bilharziose
est une des plaies de l'Égypte actuelle : elle est mortelle une fois sur dix. » (Okapi,
op. cit.)

• Un don devenu richesse grâce aux paysans! (cf. p. 103)


- le paysan égyptien vu par Hérodote;
- le paysan égyptien (Satire des métiers).
Confrontation par groupes des deux documents.
- Lecture d'extraits de La Vie en Égypte, au jour le jour, Librairie académique Perrin,
1985.

• Confronter les civilisations


Si cette réalité violemment insolite n'est pas perçue, comment le
caractère original de la civilisation égyptienne qui s'organise, entre
autres, sur la nécessité de gérer cette richesse qu'est l'eau en milieu
désertique ? Sans cela, les liens État-écriture-civilisation ne seront
pas construits. Quels manques dans les mises en relation avec les
civilisations qui vont devoir être étudiées le reste de l'année,
civilisations qui se sont édifiées sur d'autres bases, avec d'autres
ciments. Ayons la lucidité de nous demander si le concept de
civilisation est vraiment au centre des chapitres des manuels,
réellement au coeur de l'enseignement dispensé en classe de Sixième.

Les instructions officielles, entrave ou aide?


Les enseignants vivent souvent les entourage (collègues, parents ou
instructions officielles et les pro- hiérarchie) désapprouve les pra-
grammes comme des freins. Des tiques qui sortent des sentiers bat-
entraves qui les empêcheraient de tus, il a la critique d'autant plus
pratiquer la pédagogie dont ils facile que beaucoup de collègues
rêvent secrètement. Nous devons ont une lecture timide de ces
dire, d'entrée de jeu, que nous mêmes instructions. Elle ne sont
pensons que cette position est ni le carcan qu'on peut s imaginer,
défensive, voire un prétexte pour ni vides d'un esprit favorable aux
ne pas rompre avec les habitudes activités de recherche et à la
prises à notre insu. Et, si notre notion de construction des savoirs.

114 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


Nature et objectifs
- « [ ... ] ; il leur donne le sentiment me, c'est que aussi bien chez le
des solidarités qui les lient à ceux législateur que chez la plupart des
qui les ont précédés et à leurs enseignants, ces points précis ne
contemporains. » sont pas traités en tant que tels, de
- « La conscience de la diversité façon explicite. On compte trop sur
des milieux et des civilisations est une imprégnation à la longue et on
particulièrement propice à la remi- se précipite vers ce qui paraît être
se en question des idées reçues, à du plus solide : des connaissances
l'acquisition du sens de la relativi- que l'on pourra évaluer. Or, il nous
té, au développement du sens cri- semble que ces attitudes sont à
tique, à la reconnaissance de l'uni- faire exister par toutes sortes de
versel au sein des différentes stratégies, car elles sont néces
cultures. » saires à la construction d'une pen-
sée libre.
- Qui pourrait être en désaccord
avec ces objectifs ? Le seul problè- Programmes et instructions p. 239.

• « [.1' analyser des idées et des concepts, de les organiser pour construire des
raisonnements, de commencer à argumenter de manière rigoureuse('). » À moins
qu'il ne s'agisse de faire de la prose sans le savoir, les élèves doivent être amenés à
conscientiser les concepts qu'ils sont en train de construire, construction et
conceptualisation qui ne peuvent s'effectuer sans recours à une pensée rigoureuse,
donc forcément par une ou plusieurs écritures successives qui sont autant
d'étapes vers la maîtrise de ces concepts.
1. Programmes et instructions, pp. 18-19, Collèges, BO/CNDP, 1985.

• « La maîtrise de l'expression écrite, inséparable d'une pensée rigoureuse, [.1. Elle


suppose un accès à toutes les formes de l'écrit dans leur. diversité 12 . » Il s'agit bien
là de l'écrit de l'élève qui, on le voit, n'exclut pas le recours à des écrits qui seraient
sur la voie de la théorisation.
2. Id. p. 20.

« Seuls ou en groupe, les élèves doivent enfin apprendre à travailler par eux-mêmes,
afin d'accéder à l'autonomie et à la responsabilitét3 . » On peut se demander quelle
est la raison majeure de la répugnance qu'ont les enseignants de collège à recourir
au travail de groupe. N'est-ce pas l'utilisation presque exclusive de l'histoire-récit
qui conduit les collègues à délaisser ces formes de travail qui permettraient de
rompre avec la « pédagogie frontale », professeur/ensemble des élèves, qui pèse à
chacun et qui court-circuite des possibilités autres de penser des élèves?
3. Id. p. 21.

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Enseigner.:I.'histoire.•.àil.cole

Histoire et éducation civique: quels liens?


u'est-ce que l'éducation civique ? Question lancinante. Après les
cours de morale durant lesquels on étudiait, par exemple, le
remords, l'instruction civique, nous traînons, maintenant
l'éducation civique. Est-ce vraiment une matière?

S L'historien, champion de la formation du citoyen?


Si c'est le cas, elle est très rarement enseignée. Déjà, l'histoire et la
géographie ne le sont pas toujours, alors, l'éducation civique ! La
récente réforme nous rappelle que nous avons tous, enseignants et
personnel éducatif, en charge la formation du citoyen, mais des cours
spécifiques perdurent. Ce qui donne à penser qu'il y a soit
incohérence, ou tout au moins une vaste polysémie derrière ces
termes de citoyen, de civisme...
Chacun sait qu'en collège, dans la plupart des cas, c'est le professeur
d'histoire et géographie qui est chargé des cours d'éducation civique. Il
suffit de voir le programme d'éducation civique pour comprendre cet
état de fait. Alors qu'en théorie, n'importe quel enseignant pourrait en
être chargé. Mais les recoupements avec le programme d'histoire sont
tels que souvent l'enseignant ne sait pas toujours - et l'élève à fortiori
- s'il est en histoire ou en éducation civique. D'où plusieurs questions.
Est-ce à dire que l'enseignement de l'histoire ferait l'impasse sur la
« récupération des valeurs du passé », comme le dit Marrou? Ce qui
nécessiterait, aux yeux des autorités, une réflexion parallèle sur ce qui
fait la cohésion de notre société.

S L'éducation civique : quels buts?


Ou bien, l'éducation civique ne pallierait aucun manque de cette
nature et constituerait une nouvelle matière : le civisme, matière
hybride, où l'on étudie, pêle-mêle, la commune, la liberté et les droits
des enfants, sans faire, hélas ! particulièrement de lien entre ces
thèmes.

14Ô.. © Hachette Éducation - Photocopie interdite


Programme d'éducation civique
À l'école élémentaire problèmes et aux défis de notre
temps. »
« On naît citoyen on devient un
citoyen éclairé. » « L'éducation civique est à la fois
une instruction et une pratique. »
« Éminemment morale, l'éducation
« Les règles de vie au collège doi-
civique développe l'honnêteté, le
vent être distinguées de celles de
courage, le refus des racismes,
la vie sociale et de la vie politique.
l'amour de la République. »
Toutefois, leur apprentissage per-
« Elle intègre tous les aspects de la met, de manière analogique, de
vie en classe et à l'école. Elle sup- préparer les élèves à prendre des
pose chez le maître une attitude initiatives et à participer à la vie
conforme aux idées qu'il enseigne. démocratique. »
Il tire parti des conduites quoti- « Le professeur chargé de cet
diennes dans un souci d'éducation, enseignement s'efforce de dévelop-
engage à la vie coopérative, invite per chez les élèves le sens de la
à pratiquer l'égalité des droits... » responsabilité et le goût de l'action
Programmes et instructions collective. Il tire parti de tout ce
pour l'école élémentaire, op. cit. qui peut être entrepris et réalisé
dans le cadre du collège pour
En Sixième conduire l'élève à former peu à peu
« E ... ] Elle met les élèves en mesure sa personnalité d'homme et de
de répondre à leur propre exigence citoyen épris de liberté. »
de liberté et de justice et de faire Programmes et instructions
face de manière responsable aux Collèges, op. cit.

À moins qu'elle ne soit l'expression d'un désarroi certain de la société


essayant, d'une part, de freiner ce qui est évalué comme un affaiblis-
sement de la mémoire collective et, d'autre part, de lutter contre la
forte émergence des comportements individualistes et autres menta-
lités de gagneurs - qui deviennent les modèles que l'on propose à la
jeunesse. Ce que certains appellent la déshérence du lien social,
particulièrement dans les banlieues, pouvant être perçue comme
préfigurant une société qui aurait des béances dans son système de
valeurs collectives. Avant d'aller plus loin, il nous semble nécessaire
de s'éclaircir les idées sur un certain nombre de termes.
Les deux citations de H.-I. Marrou nous renforcent dans notre convic-
tion que l'éducation civique n'est en aucune façon une matière. Son

Définitions
Valeurs : principe idéal auquel se Civisme : dévouement du citoyen
réfèrent communément les membres pour son pays, de l'individu pour la
d'une collectivité pour fonder leur collectivité.
jugement, pour diriger leur conduite. Éthique : science des moeurs et de
Morale ensemble des principes de la morale.
jugement et de conduite qui s'im- Dictionnaire Hachette encyclopédique
posent à la conscience individuelle en couleurs, 1995.
ou collective comme fondée sur les
impératifs du bien.

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ffl
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...... . . . . .. . .. .. .
. ... « Récuprer. . les valeurs . .. .. ....... ....... ...... .. ...du passe » I
« Qui s'intéresse encore .. .... aujourd'hui valeurs du passé, est,
.......... .. en
... définitive,
. à la démocratie athénienne 7 » le seul argument qui peut justifier,
....
.. ..... ... .....ce. . ministre ignare - pourtant
..disait en dernière analyse, l'effort de
ministre de ............. l'Education - â une l'historien ... . aux yeùx de ceux que
... .....
délégation de professeurs d'histoire nous avons vus si tentés de mettre.. ..
ancienne. La réponse est aisée ' en question le savoir. »..... .
ceux qui se ..........
révèlent
. . ... ....... .
.... ... capables d'en
apprécier les valeurs . . . . exemplaires!
. . . .... ... ....... H.-!. Marrou, De la connaissance
« [...1
l'enrichissement de la culture historique, CoU. « Po!nt-Histoire »,
présente,
....... ....par
....... .la
. récupération des eui1, 1975....

rétablissement paraît plutôt symptomatique d'une perte sérieuse de


sens de l'enseignement de l'histoire - et des autres matières d'ailleurs,
que d'une réalité. Cela n'est pas sans inconvénients d'une part, cela
contribue à accentuer l'attitude pédagogique qui fait l'impasse sur les
valeurs comme autant de concepts clefs à construire, et, d'autre part,
cela confine les moments de travail sur les valeurs dans un ghetto.
À l'heure où l'école ne représente plus une institution émancipatrice
aux yeux d'une partie des jeunes, où ceux-ci n'ont plus conscience de
se construire comme femme et homme, comme citoyen au sein de cette
école, quand la violence se fait jour alors que le dialogue devient denrée
rare, nous, nous pensons urgent, voire décisif, que les partenaires
retrouvent une cohérence entre les dires et les faires, et ce dans toutes
les matières. Comment un jeune pourrait-il accorder crédit à une
institution et à des adultes censés avoir comme projet sa construction
en tant que citoyen quand bien souvent les pratiques et
comportements démentent les valeurs avancées?

Que les faires ne démentent pas les dires


Enfin, il serait temps que les leçons de civisme ou de citoyenneté ne
soient pas que des discours assénés par l'adulte, supposé être un
citoyen achevé! Deux exemples
- Plutôt qu'une éducation à la paix reposant sur des principes, ne
serait-il pas fructueux que les élèves fassent l'expérience qu'ils
apprennent avec les autres, mais aussi contre eux, dans un conflit -
pacifique - où s'affrontent des conceptions vécues comme s'excluant
les unes les autres, et qu'ils vivent leur enrichissement mutuel et leur
dépassement?
- Si la citoyenneté se construit, si elle n'est pas le présent que nous
fait notre dix-huitième anniversaire, il faut donc que nos apprentis
citoyens s'essayent à exercer des responsabilités, et, donc, que les
adultes de la communauté éducative acceptent leurs essais et leurs
erreurs comme des signes encourageants d'un apprentissage en
cours ! Dans des projets réels, les valeurs en question et les compor -
tements cohérents avec celles-ci pourraient être en travail. Si ces deux

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La démocratie athénienne
R Quelle problématique historique?
La démocratie, c'est le pouvoir du peuple. Or, à Athènes, seule une
petite fraction des Athéniens sont des citoyens, puisque ni les métèques,
ni les esclaves, ni les femmes, ni les moins de 18 ans n'ont le droit de
participer aux décisions politiques. Conclusion provisoire : Athènes n'est
pas une démocratie. Mais, si on compare le fonctionnement de la cité
athénienne avec la monarchie égyptienne, par exemple, Athènes est une
démocratie plus proche de ce que nous avons comme modèle en tête.

R Quels liens avec le sujet apprenant_?


L'école est une institution dont la masse des acteurs - les élèves - ne
participent en rien aux décisions concernant cette même commu-
nauté. Et qu'on ne nous oppose pas les deux délégués élus au collège
- par les élèves ? - qui participent au conseil d'administration, pas
plus que les conseils d'école souvent factices. Les adultes sous-
estiment le sérieux avec lequel les élèves les plus jeunes peuvent
participer à la gestion d'une école. Quel paradoxe de propulser
quelques élèves dans les conseils municipaux d'enfants alors que
l'école, cadre de vie quotidien, ne leur accorde que très rarement la
parole ! Et il y aurait à regarder de plus près ce qui se joue réellement
dans les conseils municipaux.

R Ne plus avoir peur des jeunes


Il faut à la fois que les élèves investissent les possibilités de représen-
tation dans les différentes instances de manière plus responsable et
qu'ils prennent également conscience qu'ils sont exclus - et s'excluent
- des lieux de décision réels de l'établissement. Utopie ? Peut-être,
mais il serait temps de décoder avec plus d'audace les malaises des
lycéens et des collégiens, et d'être plus cohérent avec le souci exprimé
partout d'une citoyenneté plus grande. À moins que cette exigence ne
soit qu'un piétinement de plus, une comédie?
Nous sommes dans une contradiction fondamentale : souhaiter que les
élèves soient responsables, mûrs, autonomes, s'écoutent... tout en ne
créant jamais les conditions pour que cela se réalise. Au mieux, nous
essayons et nous abandonnons aux premières difficultés, aux premiers
abus. Dans ce domaine-là, comme dans d'autres, hélas ! nous croyons
encore à la magie. Non seulement la construction de ces comportements
importe pour notre société, mais ils sont essentiels pour que nous
puissions continuer à vivre dans certains établissements.

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Enseiger:Vhistoire4•1'èco1e

• Émergence des représentations sur la démocratie : les élèves ne savent pas


vraiment ce que c'est que la démocratie. Ils l'associent à des valeurs : liberté,
• égalité, fraternité ; à des institutions président, république à des expressions
I entendues : parti des démocrates-chrétiens ; ou encore à des discussions
familiales: « en France, il y a deux partis qui ne sont pas démocratiques, le parti
socialiste et le parti communiste
• Distribution des jeux de rôles de chacun en imaginant que la classe est en
réduction la société athénienne. Soit, dans une classe de 24 élèves : les 14 filles
sont femmes (5 femmes de citoyens, 3 femmes métèques, 7 esclaves), les
10 garçons sont des hommes (5 citoyens, 2 métèques, 2 esclaves).
• La réunion de l'ecclesia : seuls les élèves citoyens ont le droit d'y participer.
Enjeu : décider de la guerre contre Sparte. Tollé général dans la classe, 19 élèves
sur 24 sont exclus de la décision.
• Double exploitation sur les deux problématiques indiquées plus haut. À ceci près
qu'il n'est pas dans le rôle d'un adulte, qui veut que l'autre s'émancipe, de donner
l'autorisation de s'émanciper et de formuler - à sa place - ses revendications.
C'est-à-dire que j'ai en tête que, très vite, va surgir cette insatisfaction forte d'être
hors course dans les décisions de la communauté qu'est le collège ( ') . Du coup,
l'organisation de la cité athénienne, ses limites, mais aussi ses inventions, vont
permettre une lecture critique, parfois au long de l'année, de ce type de problèmes.
Pourquoi - comme le suggère M. Huber 2 l'instituteur ou le professeur d'histoire
-

n'organiserait-il pas une réunion de l'ecclesia avec, pour enjeu : le cours d'histoire,
ce qui va, ce qui ne va pas, comment l'améliorer?

1. Pour ceux qui seraient tentés par ce type d'expérience, lire, de V. Ambite
- Il s'est passé quelque chose à Cassis : des témoins parlent, coll. « E3

Casterman, 1982; -
- Un collège très ordinaire, Éd. du Scarabée, 1982.
2. M. Huber, « En Sixième, construire le concept de démocratie en trois démarches
in L'Histoire, indiscipline nouvelle, coll. « Contrepoison «, Syros, 1984.

Technique de l'enquête
Se centrer sur un quartier qui doit être équipé de certains aménagements.
Enquêter auprès des passants, habitants : Ont-ils eu l'occasion de donner leur
avis ? Sous quelle forme ? Y a-t-il des assemblées de quartiers ? etc.
Réinvestir sur l'école, la classe.
Se préparer aux effets en retour; plus grande exigence des enfants...

120 © Hachette Éducation - Photocopie interdite


Conclusion
e livre porte l'ambition que l'enseignement de l'histoire tienne

C toute sa place dans l'école et participe pleinement à la


construction de chaque femme et de chaque homme. Et cela au
travers d'une formation qui interroge les évidences, les valeurs, les
concepts utilisés à tour de bras dans nos environnements médiatique
et politique qui les dévoient souvent. C'est-à-dire une formation à une
pensée complexe qui tourne le dos aux simplismes dogmatiques et
excluants. L'histoire doit jouer son rôle dans cette évolution nécessaire
des mentalités et ne peut donc en aucune façon être sacrifiée au profit
de disciplines dites instrumentales' ou des études dirigées.

Trois ruptures pour changer « l'histoire »


ais cette ambition ne peut être envisagée si l'on se contente de

M retoucher aux programmes ou d'afficher des finalités généreuses


dans des instructions qui restent finalement des voeux pieux. Ce
n'est pas non plus l'utilisation de quelques diapositives de plus ou
d'un rétroprojecteur qui y suffira. Non, il faut se décider à transformer
radicalement un certain nombre de paramètres théoriques et
pratiques. Nous pensons que ces ruptures essentielles sont au
nombre de trois.

• La fin de l'histoire-récit
L'enseignement de l'histoire doit tourner le dos à la pratique de
l'histoire-récit, qui favorise la passivité intellectuelle des élèves, qui fait
croire que ce qu'ils entendent est la Vérité révélée par le maître. Il
s'agit, pour nous, que les élèves structurent les faits, les événements,
leurs interprétations. L'histoire doit être une reconstruction contradic-
toire menée par les élèves eux-mêmes.

• Des concepts plus que des faits


L'objet de l'enseignement de l'histoire n'est pas seulement ou de
manière prioritaire les faits, les événements. L'histoire doit se
reconnaître (et se faire reconnaître) comme science organisée par des
concepts spécifiques ou non, qu'il s'agit de faire construire par les
élèves. Ce sont ces concepts qui permettent aux élèves de faire le lien
avec leurs présents. Il n'y a rien de plus décevant d'entendre des
élèves se désintéresser de l'histoire car ils la perçoivent comme une
matière qui se contenterait de leur faire connaître le passé pour le
passé. Et reconnaissons que leur critique est fondée au vu des
activités qui leur sont proposées.

1. Il y aurait à s'inquiéter que ces disciplines soient enseignées coupées de leur genèse,
sans aucune réflexion épistémologique.

© Hachette Éducation - Photocopie interdite 1:.1


Enseigner i!hi$i...•::à:i:éCO.IC

I De véritables situations de recherche


Cette réorientation théorique est inutile si, en même temps, les élèves
ne sont pas lancés dans des situations de recherche. Réinventer les
faits, jouer avec, et surtout travailler sur les écarts entre le prévu et
l'advenu, avec des situations possibles bien différentes. Mais nous
insistons particulièrement sur le caractère irremplaçable du jeu de
rôle, car par ce biais l'histoire a le privilège de pouvoir se faire
catapulter présent et passé au travers des représentations des élèves
et de leurs conceptions théâtralisées. Ce sont ces activités de
recherche qui aident à former une pensée qui ne s'assoupit pas.

Un pari à oser
ur tous ces plans, l'enseignement de l'histoire a beaucoup à
apprendre des chercheurs en histoire, non pas seulement pour
vulgariser les avancées de ces derniers, mais pour analyser et
réinvestir les processus mentaux, et les procédures méthodologiques
qui leur sont propres. À nous de chercher, d'imaginer et d'oser
Combien d'enseignants se plaignent du caractère répétitif de leur
métier ! Si tel est le cas, c'est qu'ils s'y enferment, par routine, puis
par peur de faire les ruptures décisives que nous énoncions plus haut.
Certes l'ambition est grande. Mais que peut-il y avoir de plus
passionnant que de faire notre métier comme un chercheur dans sa
classe? Que de voir des élèves en difficulté s'investir dans le travail?
N'est-ce pas plus intéressant que de se transformer en applicateur,
plus ou moins zélé, de méthodologies qui n'en sont pas, et qui
continuent à véhiculer des idées simplistes sur les réalités de
l'apprentissage des élèves?
Ce livre n'est pas un recueil de recettes, même si des expériences très
concrètes sont présentées, mais un faisceau de pistes, de possibles
qu'il appartient à chacun d'explorer. Surtout si l'on n'est pas un
spécialiste, surtout si l'on doit aussi préparer plusieurs séquences
d'autres disciplines.
Il ne s'agit pas de tout transformer à la fois, mais de s'essayer à
quelques modifications. Le pari que nous faisons c'est que vous-
mêmes, lecteurs, ainsi que les élèves, y prendrez goût et serez prêts à
aller plus loin en notre compagnie!

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Bibliographie
ette bibliographie sommaire est forcément très subjective. Elle est

C la marque de ce que nous utilisons pour penser l'enseignement de


l'histoire, au quotidien. Elle couvre des ouvrages très pragma-
tiques comme des livres n'ayant que peu de rapports, a priori, avec la
didactique de notre discipline, mais qui nous aident à lui donner sens.
G. Bachelard, L'Engagement rationaliste, PUF, 1972.
H. Bassis, Je cherche, donc j'apprends, Messidor, 1985.
A. Boal, Théâtre de l'opprimé, La Découverte, 1985.
S. Citron, L'histoire de France, autrement, Éd. Ouvrières, 1992.
A. Dalongeville et M. Huber, Situations-problèmes pour explorer
L'histoire de France, Casteilla, 1989.
G. de Vecchi, Aider les élèves à apprendre, Hachette Éducation, 1992.
P. Freire, La Pédagogie des opprimés, Maspero, 1980.
G.F.E.N., Quelles pratiques pour une autre école?, Casterman, 1982.
M. Huber et collectif G.F.E.N., L'Histoire, indiscipline nouvelle, Syros,
1984.
ICEM, Histoire partout, géographie tout le temps, Syros, 1984.
H.-I. Marrou, De la connaissance historique, cou. « Points-Histoire.
Seuil, 1975.
P. Ricœur, Histoire et vérité, coll. « Esprit », Seuil, 1964.

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Index fiches

1. Révolution française, quelles dates 9 13


2. Le concept d'événement ................................................... .20
3. Réviser une leçon et consolider la chronologie au CM .............. .22
4. Structurer la Révolution au CM. ......................................... 23
5. Structurer le temps au CP................................................ 25
6. Structurer le temps au CE................................................25
7. Manier les échelles du temps.............................................28
8. Confronter les manuels.................................................... 33
9. Questions impertinentes ............. .. ................................. ... 35
10. Comment se servir d'un dictionnaire 9 37
11. Utiliser les documents des manuels .................................... 38
12. Barbares et problématiques .............................................. 39
13. Les concepts clefs en histoire............................................ 44
14. Comment cerner les contenus d'une leçon 9 44
15. Qu'est-ce qu'un contenu de savoir en histoire 9. 45
16. La civilisation arabo-musulmane........................................ 50
17. Les trois religions monothéïstes......................................... 52
18. La première leçon sur la Préhistoire .................................... .54
19. Quand le regard des savants change ................................... .56
20. Bâtir une situation-problème ...................................... ... ..... .61
21. « Auto-socio-construction » ............................................... 62
22. Le 10 août 1792 - dispositif.............................................. 64
23.Le zéro maya ................................................................. 71
24. Un poème où se percutent peurs du présent et du passé.......... 72
25. Se préparer à un jeu de rôles ............................................. 76
26. Le français, une langue métissée........................................ 77
27. Questions préalables: Napoléon Bonaparte.......................... 79
28. Questions préalables : la naissance du christianisme.............. 80
29. Questions préalables Moyen Âge...................................... 81
30 . Collages....................................................................... 82
31. Réinvestir les stratégies de lecture...................................... 86

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r 32. Comment évaluer 2 .92
33. Démarche critique de témoignage.......................................96
34. « L'Égypte, un don du Nu»..............................................110
35. Et en classe de Sixième, quelles perspectives 2 114
36. Athènes : une démocratie 2 119
37. Construire le concept de démocratie..................................119

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Pédagogies pour demain

Didactiques
Centrés sur le premier et le second degré, ces ouvrages constituent
pour les enseignants et les parents autant de repères pour
comprendre l'enseignement. Ils fournissent des instruments de
diagnostic, de régulation et d'orientation. Aides à la pratique quoti-
dienne de la classe, ils donnent les éléments de réflexion permettant
de dominer les contenus d'enseignement.

Premier degré
Enseigner les mathématiques à l'école, Françoise Cerquetti-Aberkane
Enseigner le français à l'école, Carole Tisset, Renée Léon, préface de
Michel Migeon
Enseigner la géographie à l'école, Pierre Giolitto
Enseigner l'éducation civique à l'école, coordonné par Pierre Giolitto
Enseigner les mathématiques à la maternelle, Françoise Cerquetti-
Aberkane, Catherine Berdonneau
À l'école à deux ans, pourquoi pas?, Nicole Pradel
La Littérature de jeunesse à l'école, Renée Léon
Ces héros qui font lire, Laurence Decréau
Savoir orthographier, I.N.R.P.
La Télévision pour lire et pour écrire, Maguy Chailley, Marie-Claude
Charlès
Évaluer les écrits à l'école primaire, Groupe EVA/I.N.R.P., préface
d'Hélène Romian
Didactiques de l'orthographe, Jean-Pierre Jaffré/I.N.R.P., préface de
Nina Catach
Comprendre des énoncés mathématiques, résoudre des problèmes,
Alain Descaves
Apprendre à lire comme on apprend à parler, Marie-Joëlle Bouchard,
préface d'Alain Bouvier
Apprendre à communiquer, Jean-François Simonpoli

Deuxième degré
La Proportionnalité et ses problèmes, Danièle Boisnard, Jean Houde-
bine, Jean Julo, Marie-Paule Kerbœuf, Maryvonne Merri
Construire des concepts en physique, Gérard Lemeignan, Annick Weil-
Barais

126
Fabriquer des exercices de français, Pierre Lamailloux, Marie-Hélène
Arnaud, Robert Jeannard

Des méthodes pour le lycée, Violaine Houdart-Merlot

Enseigner le français. Pour qui ? Comment?, Gilberte Niquet

Enseigner l'anglais, Kathleen Julié

Nouvelles approches

Collection dirigée par Jean-Pierre Obin. Centrée sur l'organisation de


la pédagogie, les méthodes de travail et l'environnement de l'acte
éducatif, explorant les nouvelles formes d'enseignement et de travail
transdisciplinaires, cette série est plus particulièrement axée sur le
travail avec des groupes de jeunes difficiles. Il s'agit d'aider ensei-
gnants et élèves à résoudre les difficultés quotidiennes d'insertion
dans l'établissement, de travail en équipe et de conduite de classe.

Aider les élèves à apprendre, Gérard de Vecchi

Apprendre à raisonner, apprendre à penser,Marcel Giry

La Pédagogie de contrat, Halina Przesmycki

Pédagogie différenciée, Halina Przesmycki, préface d'André de Peretti

Enseigner en classe hétérogène, Marie-Claude Grandguillot

Le Projet d'établissement, Jean-Pierre Obin et Françoise Cros, préface


de Michel Rocard

Enseigner en modules, Françoise Clerc, préface de Christian Forestier

Corriger des copies, évaluer pour former, Odile et Jean Veslin, préface
de Jean Cardinet

Le Projet personnel de l'élève, Richard Étienne, Anne et René Baldy,


Pierre Benedetto

Travailler en équipe, Pierre Mahieu, préface d'Albert Moyne

Des méthodes pour mieux s'organiser, Roger Monti

Pour une pédagogie du projet, Isabelle Bordalo, Jean-Pierre Ginestet

Organiser des échanges éducatifs, Association européenne des ensei-


gnants (AEDE)

Action culturelle et pratiques artistiques, Raymond Citterio

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Pédagogie pratique à l'école

Ateliers de langage pour l'école maternelle, Jean-François Simonpoli


La Géométrie au cycle 2, Anne-Marie Rinaldi
Animer une BCD, Domnique Righi
Former des enfants lecteurs et producteurs de poèmes, Groupe de
recherche d'Écouen
Du geste à l'expression, Viviane Dunieu-Cougnenc
Former des enfants producteurs de textes, Groupe de recherche
d'Écouen
Former des enfants lecteurs (tome 1), Groupe de recherche d'Écouen
Former des enfants lecteurs de textes (tome 2), Groupe dé recherche
d'Écouen
Enseigner les arts plastiques, Daniel Lagoutte
Guide de la direction d'école, Maurice Joint

Imprimé en France
par l'imprimerie Hérissey à Évreux (Eure) - N° 93627
Collection n° 08 - Édition n° 06
Dépôt légal: 29055 - 11/2002
17/0373/5

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