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DIDACTIQUES
JER DEGRÉ
NSEIGNER
1L HISTOIRE
À L'ÉCOLE
Alain Dalongeville
IJACFIFTTE
Hhttl Ëd ation
L'auteur:
Alain Dalongeville est professeur d'histoire et de
géographie. Responsable du Groupe français d'éducation
nouvelle (G.F.E.N.), il a choisi d'enseigner en Z.E.P. Cette
expérience menée avec les élèves réputés les plus difficiles
L'a conduit à inventer d'autres pratiques pédagogiques afin
de redonner sens à l'enseignement de l'histoire
aujourd'hui. Formateur d'enseignant, ce sont ses pratiques
qu'il tente défaire partager dans ce livre.
Ouvrages du même auteur : A. Dalongeville, M. Huber,
Situations, problèmes pour explorer l'histoire de France,
Casteilla, 1989.
Conclusion.................................................................. 121
Bibliographie............................................................... 123
Gérard de Vecchi
n'ont pas été sacrifiés sur l'autel de démarches nouvelles, mais sont
bien le produit d'un enseignement classique de l'histoire.
« Ils n'apprennent plus leurs dates f» « On abandonne toute progression
chronologique f » « Décidons une bonne fois pour toutes d'une liste de
dates que tous les élèves devront connaître à la fin de leur scolarité ! »
Autant de plaintes empreintes de nostalgie dont les auteurs n'ont pas
autre chose à proposer que ce qui leur a réussi ; encore faudrait-il
tomber d'accord sur ce qui leur a réussi.
• La faute à l'éveil?
C'est un peu trop simple de jeter le discrédit sur l'éveil. C'est, tout
d'abord, oublier qu'il était déjà une tentative de recentrer les appren-
tissages sur l'élève, une correction des échecs des enseignements
antérieurs. Mais la pratique dite de l'éveil' comme la plus tradi-
tionnelle, le récit magistral historique, oublient qu'il n'y a de savoir
que construit. Le tort de l'éveil - disons plutôt tel que sa pratique s'est
répandue - a probablement été de se limiter à un éveil proprement dit
et de faire l'impasse sur la nécessaire structuration de ce que les
élèves avaient remarqué ou rapporté. Mais l'ornière est aussi profonde
dans les pratiques où l'on veut structurer, avec dates et repères, sans
matériau aucun: car, reconnaissons-le, la plupart du temps, c'est un
récit déjà structuré par le maître ou le livre qui est donné à l'enfant,
en faisant l'impasse sur une activité authentique de structuration de
sa part.
Activité de structuration
Phase d'observation: évidence de caractères nouveaux
Perception globale de l'objet de l'objet.
d'étude. Phase individuelle d'abord, Phase de synthèse:
pour qu'il puisse y avoir échange
Intégration des caractères nou-
par la suite et parce que le sujet
veaux à ceux déjà connus. Cette
identifie, interroge l'objet en fonc-
intégration n'est pas une superposi-
tion de ce qu'il sait. Phase d'inter -
tion d'éléments mais une recompo-
prétation, de projection de ses
propres représentations. Bref, l'état ition, une structuration nouvelle s
« Les élèves ne savent pas situer dans le temps les principaux événe-
ments historiques. » Devant cette méconnaissance, la réaction a été de
remettre les dates au premier plan de l'enseignement. Si l'histoire ne se
réduit pas à la chronologie, elle s'articule sur une trame événementielle
que nul ne peut ignorer! Comment sortir de l'impasse sans réfléchir à
la notion même d'événement historique?
U Marignan? 1515!
Marignan est resté célèbre dans les mémoires des écoliers français.
Pourtant, qui sait que Marignan fut une victoire très difficile contre
Suisses et Milanais ? Elle permit aux Français de s'approprier le
Milanais et d'être en « paix perpétuelle » avec les Suisses - de là
viennent les contingents de gardes suisses en France jusqu'en
1792 ! -' à François jer d'espérer être sacré empereur et de pouvoir
nommer évêques et abbés (Concordat de Bologne, 1516). 1515, c'est
aussi le début du règne de François Jer,
Le succès de cette date tient probablement à sa caractéristique
répétitive - 2 fois 15 - et peut être au fait que les gens ironisent sur
les moments de leur enfance où ils se sont livrés à cet exercice de
l'apprentissage par coeur, de dates auxquelles ils n'associaient pas
grand contenu. Qui connaît la date de la bataille de Pavie (1525), et
même son existence ? Alors que François jer y fut battu et fait pri-
sonnier par les Impériaux!
L'écart entre la conception de l'histoire des historiens et celle des
enseignants est criante. Recherche et questionnement, attitudes
essentielles de l'investigation scientifique sont absents - ou presque -
de l'enseignement de l'histoire scolaire. Il faut y voir, à la fois,
l'imprécision des connaissances, mais aussi la désaffection des élèves
pour cette matière. Avant de s'aventurer plus avant sur le plan
pédagogique, il est nécessaire de prendre conscience que l'histoire
n'est pas une restitution du passé mais une ré-invention!
L'ambition de l'histoire...
« L'histoire n'a pas pour ambition fonction du présent : c'est ce qu'on
de faire revivre mais de recompo- pourrait appeler la fonction sociale
ser, de reconstituer, c'est-à-dire de de l'Histoire. »
composer, de constituer un enchaî- L. Febvre, Combats pour l'histoire,
nement rétrospectif. L'objectivité Colin, 1933.
de l'histoire consiste précisément
« Le Moyen Âge est actuel précisé-
dans ce renoncement à coïncider, à
ment parce qu'il est passé, mais
revivre, dans cette ambition d'éla- passé comme un élément qui s'est
borer des enchaînements de faits
attaché à notre histoire de manière
au niveau d'une intelligence histo-
définitive pour toujours et nous
rienne. »
oblige à en tenir compte car il ren-
P. Ricœur, Histoire et vérité, ferme un formidable ensemble de
coll. « Esprit », Seuil, 1955.
réponses que l'homme a données
« C'est en fonction de ses besoins et ne peut oublier, même s'il en a
présents que l'histoire récolte sys- vérifié l'inadéquation. »
tématiquement puisqu'elle classe D'après O. Capitani, Medioevo passato
et groupe les faits passés. C'est en prossimo. Appunti stortografici:
fonction de la vie qu'elle interroge ira due guerre e moite crisi,
la mort. Organiser le passé en Il mulino, Bologne, 1979.
zi
ic
Prenons l'exemple de la Révolution française. Quelles dates retenir? 1789 ? Et il
n'y aurait pas d'amonts - et nous ne parlons pas ici de causes directes - à un tel
bouleversement ? Lesquels choisir ? L'action des philosophes des Lumières ? La
Révolution américaine ? Et où se termine-t-elle ? Avec la réaction thermidorienne,
Napoléon Bonaparte ou la Restauration ? Et les Trois Glorieuses, 1848 et la
Commune seraient de simples épisodes de fièvre sociale ou, en même temps,
quelque chose de la Révolution, de ses espoirs, qui continue à courir et qui n'est
pas mort?
• On sent que ces limites chronologiques ne sont probablement pas pertinentes sur
les mêmes plans social, politique ou celui des mentalités en conséquence, on ne
donnera pas le même sens aux ruptures historiques qu'elles recouvrent.
• Choisir des dates, des bornes, c'est répondre aux questions : Qu'est-ce qu'une
révolution? Qu'est-ce que la Révolution française ? Un choix porteur de sens dont
l'enseignant doit avoir conscience.
Pourquoi ne pas faire de ce choix l'un des axes organisateurs de la leçon?
U Revivre le passé?
Le passé (2), comme le présent, ne peut s'appréhender qu'à travers des
milliers de passés individuels et collectifs, dont la somme ne fait pas
pour autant le passé. L'idée que l'on pourrait photographier le passé et
qu'il suffirait d'accumuler des documents ou d'avoir la bonne méthode
pour révéler le passé authentique est une entreprise non seulement
vouée à l'échec, mais aussi vide de sens.
• Dans les manuels, l'histoire est une science du passé
Il convient donc de veiller à ce que les manuels n'installent pas cette
image dans les têtes des enfants et des adultes, au cours des chapitres
et dans les présentations liminaires du genre « Qu'est-ce que
l'histoire ? ». À noter que, dans les manuels de CM, ces avertissements
sont plutôt indigents: « Appropriation progressive du passé », « Liens qui
unissent le présent au passé » sont les rares formules qui font une
référence explicite à la conception de l'histoire des auteurs de manuels.
Soulignons l'étrangeté qui consiste à faire de l'histoire du CE2 à la
troisième sans jamais avoir l'occasion de travailler sur le sens de la
science qu'on pratique. Et ce dans toutes les matières, où l'on est
censé faire comme monsieur Jourdain. L'épistémologie est pour
l'instant exclue des savoirs disciplinaires.
• L'histoire, une fiction?
« L'histoire est la suite des événements dans le passé », me récitait
fièrement une élève de CM 1, confortée par la pratique traditionnelle de
l'enseignement de l'histoire qui consiste en un récit qui raconte les
événements se succédant les uns les autres. Alors que cette narration
est bien une reconstruction théorique, une invention, mais qui ne se
l'avoue pas. À tel point que Roland Barthes (3) se demande si l'histoire
n'est pas autre chose qu'un récit de fiction: « Le discours historique ne
• L'histoire, objective?
La deuxième raison qui rend toute restitution illusoire, c'est que
l'histoire est une entreprise de connaissance ( ') menée par des êtres
humains. Ne pas voir que le projet qui les anime n'est pas imperméable
à ce qu'ils sont, à leur époque, au contexte historique dans lequel ils
vivent parait naïf; et même inquiétant. Car cela voudrait dire qu'il
existerait une recherche désincarnée, déconnectée du présent. « Il y a
des périodes dont on sait à peu près tout maintenant » me disait un
instituteur. Eh bien, non! L'historien a toujours de nouvelles questions
à poser, car son propre présent est en perpétuelle mutation. Quand on
pense à l'audience qu'avaient les quelques sirènes qui nous annonçaient
en 1990, après l'effondrement des régimes des pays de l'Est, la fin de
l'histoire! Non, l'histoire n'est pas, ne sera jamais sur des rails!
1. HA. Marrou, p. 9, op. cit.
JK
n retient mieux des événements qui ont un sens pour nous que
ceux qui en sont dénués. Les événements prennent sens quand
on prend conscience de la rupture qu'ils marquent dans le cours
des événements. Quand l'enseignant a fait ce travail pour lui-même,
restent encore les élèves. Leur faire étudier les événements pour eux-
mêmes, en fouiller les détails, ce serait se dissimuler que, s'ils ont fait
date, c'est qu'ils représentent une profonde transformation de l'his-
toire des hommes.
Si les élèves ont de grosses difficultés de repérage, c'est aussi parce
que les enseignants leur laissent rarement la possibilité de mettre de
l'ordre dans une suite d'événements pour en faire un objet de travail
qu'il s'agit de structurer.
Mais le temps re-pensé par les historiens n'est pas uniforme. Les
échelles changent, les élèves doivent apprendre à manier en perma-
nence ces différentes valeurs du temps. Nous allons explorer quelques
possibles dans ces domaines-là.
Temps et histoire
« Dater des événements, retenir des visages du monde. ëa chrono-
des dates, accompagnés ou non logie est un outil, pas même le
des noms de lieux et de plus important, non la recherche
"grands hommes "ne contribue elle-même. Et si le temps est une
guère à la compréhension des forme vide, l'histoire, en revanche,
changements dans les affaires est le mouvement d'un contenu. »
humaines, à l'établissement de la
signification des transformations C. Ruby, 1988, op. cit.
ZÎ
avant E après
CI
E= «événementpture»
L'après ne ressemble plus à l'avant, il a eu transformation qualitative
avant El E2 E3 E4 après
-------------------------------
E est une série d'événements, de microruptures qui s'enchaînent, sont liées...
L'événement cataclysmique est à interroger comme facilité de l'esprit. Il cache
souvent une complexité de transformations parallèles ou complémentaires.
avant E après
----------------------------------------- ->_
après potentiel avant partiel
L'après est un des possibles du champ potentiel de l'avant. Et l'après n'est pas un
anéantissement de l'avant, mais sa transformation il est toujours présent mais
différent.
I Qui au pouvoir?
« Le 10 août 1792 Qui est le souverain ? Le roi, le peuple, ses repré-
sentants ? » Et si ce sont les représentants, comment les contrôler?
C'est une problématique qui permet de questionner l'événement, de
mesurer la rupture qu'il symbolise dans les conceptions politiques,
conceptions qui ne seront jamais plus comme avant, même si les
réponses ne sont pas simples. Le fait que Louis X\TI n'ait été exécuté
que cinq mois plus tard, avec une courte majorité, en est le signe.
Autrement dit, cet événement est une des bornes d'une grande
rupture dans la pensée politique. C'est le passage de « L'État, c'est
moi ! » au « res publica », avec toutes leurs nuances.
Cette question devient alors le centre conceptuel de la leçon, question
qui doit devenir celle des élèves, question qu'il faut faire surgir grâce à
des documents ou par le biais de situations que nous verrons dans la
partie 3.
Même si cette problématique n'est pas dans les préoccupations
immédiates des élèves (et nous verrons plus loin comment remédier à
ce problème), si l'enseignant est au clair, non pas tant sur les détails
de l'événement, mais sur son sens, alors les élèves sont en mesure de
rentrer dans le cours de manière moins passive, car ils en sentent
l'enjeu. Le but n'est plus de recevoir le récit et de se le remémorer
mais d'en saisir le sens pour nous, hommes de cette fin de millénaire.
Et les élèves peuvent, avec l'habitude du travail décrit dans le chapitre
précédent, eux-mêmes chercher les ruptures historiques, faire des
hypothèses à la lecture, devenue critique, des manuels d'histoire.
• Après quoi, peu importe qu'ils aient pu se mettre d'accord sur huit, neuf ou
dix événements. L'important, c'est qu'ils aient balayé la période, remis un certain
nombre d'éléments historiques à leur place, et qu'ils soient capables de replacer
l'événement étudié dans la suite - dans l'avant et l'après - des événemerts.
la Structurer la durée
Plutôt que de travailler de façon linéaire la période qui va de 1789 au
Directoire, pourquoi ne pas lancer un travail qui permette aux élèves
de la saisir globalement en confrontant les trois Constitutions de
1791, 1793, 1795, et plus particulièrement leurs préambules
respectifs?
Sans se laisser enfermer dans une analyse historique détaillée de
cette période particulièrement complexe, soulignons que ces extraits
des préambules des trois constitutions de 91, 93, 95, qu'elles aient
été appliquées ou non, sont symptomatiques de l'évolution d'une
part des valeurs révolutionnaires, d'autre part des conceptions de la
souveraineté politique.
• Consignes
Nous proposons aux élèves un document avec des extraits des trois Constitutions Q
révolutionnaires. Avec pour tâche de relever une idée qui leur paraît particuliè- rit
rement importante, encore de nos jours, et de dire dans quel préambule elle était la
mieux défendue.
Les trois Constitutions (91, 93 9 95)
Constitution de 1791 Constitution de 1793 Constitution de 1795
Droits
Art. 1er - Les hommes naissent Art. ier - Le but de la société
Art. ier - Les droits de
et demeurent libres et égaux en est le bonheur commun. Le
l'homme en société sont la
droits. Les distinctions sociales gouvernement est institué
liberté, la sûreté, la propriété.
ne peuvent être fondées que pour garantir à l'homme la
Art. 2 - La liberté consiste à
sur l'utilité publique. jouissance de ses droits
pouvoir faire ce qui ne nuit pas
Art. 2 - Le but de toute asso- naturels et imprescriptibles.
aux droits d'autrui.
ciation politique est la conser- Art. 2 - Ces droits sont l'éga-
Art. 3 - L'égalité consiste en ce
vation des droits naturels et lité, la liberté, la sûreté, la
que la loi est la même pour
imprescriptibles de l'homme. propriété.
Ces droits sont la liberté, la Art. 3 - Tous les hommes sont tous, soit qu'elle protège, soit
propriété, la sûreté et la résis- égaux par la nature et devant qu'elle punisse. L'égalité n'ad-
tance à l'oppression. la loi. met aucune distinction de
naissance, aucune hérédité de
Art. 3 - Le principe de toute Art. 4 - La loi est l'expression
pouvoirs.
souveraineté réside essentiel- libre et solennelle de la volonté
lement dans la Nation. Nul générale : elle est la même Art. 4 - La sûreté résulte du
corps, nul individu ne peut pour tous, soit qu'elle protège, concours de tous pour assurer
exercer d'autorité qui n'en soit qu'elle punisse elle ne les droits de chacun.
émane expressément. peut ordonner que ce qui est Art. 5 - La propriété est le
Art. 4 - La liberté consiste à juste et utile à la société ; elle droit de jouir et de disposer de
pouvoir faire tout ce qui ne ne peut défendre que ce qui lui ses biens, de ses revenus, du
nuit pas à autrui ainsi, est nuisible. fruit de son travail et de son
l'exercice des droits naturels de Art. 5 - Tous les citoyens sont industrie.
chaque homme n'a de bornes également admissibles aux Art. 6 - La loi est la volonté
que celles qui assurent aux emplois publics. Les peuples générale, exprimée par la
autres membres de la société la libres ne connaissent d'autres majorité ou des citoyens ou de
jouissance de ces mêmes motifs de préférence, dans leurs représentants.
droits. Ces bornes ne peuvent leurs élections, que les vertus Devoirs
être déterminées que par la loi. et les talents. Art. 3 - Les obligations de
Art. 5 - La loi n'a le droit de Art. 6: La liberté est le pouvoir chacun envers la société
défendre que les actions nui- qui appartient à l'homme de consistent à la défendre, à la
sibles à la société. Tout ce qui faire tout ce qui ne nuit pas servir, à vivre soumis aux lois,
n'est pas défendu par la loi ne aux droits d'autrui: elle s pour et à respecter ceux qui en sont
peut être empêché, et ne peut principe la nature : pour règle les organes.
être contraint à faire ce qu'elle la justice pour sauvegarde la Art. 4- Nul n'est bon citoyen,
n'ordonne pas. loi sa limite morale est dans s'il n'est bon fils, bon père, bon
Art. 6 - La loi est l'expression cette maxime « Ne fais pas à frère, bon ami, bon époux.
CI' de la volonté générale. Tous les un autre ce que tu ne veux pas Art. 5 - Nul n'est homme de
citoyens ont droit de concourir qu'il te soit fait. » bien s'il n'est franchement et
personnellement, ou par leurs Art. 23 - La garantie sociale religieusement observateur des
représentants, à sa formation. consiste dans l'action de tous lois.
Elle doit être la même pour pour assurer à chacun la Art. 6 - Celui qui viole ouver-
tous, soit qu'elle protège, soit jouissance et la conservation tement les lois se déclare en
qu'elle punisse. Tous les de ses droits ; cette garantie état de guerre avec la société.
citoyens, étant égaux à ses repose sur la souveraineté Art. 7 - Celui qui, sans en-
yeux, sont également admis- nationale. freindre ouvertement les lois,
sibles à toutes dignités, places Art. 33 - La résistance à l'op- les élude par ruse ou par
et emplois publics, selon leurs pression est la conséquence adresse, blesse les intérêts de
capacités et sans autre dis- des autres droits de l'homme. tous il se rend indigne de leur
tinction que celle de leurs Art. 34 - Il y oppression bienveillance et de leur estime.
vertus et de leurs talents. contre le corps social lorsqu'un Art. 8 - C'est sur le maintien
Art. 12 - La garantie des droits seul de ses membres est des propriétés que reposent la
de l'homme et du citoyen opprimé. Il y a oppression culture des terres, toutes les
nécessite une force publique contre chaque membre lorsque productions, tout maintien de
cette force est donc instituée le corps social est opprimé. travail et tout l'ordre social.
pour l'avantage de tous, et non Art. 35 - Quand le gouver- Art. 9 - Tout citoyen doit ses
pour l'utilité particulière de nement viole les droits du services à la patrie et au
ceux à qui elle est confiée. peuple, l'insurrection est, pour maintien de la liberté, de
Art. 17- La propriété étant un le peuple et pour chaque l'égalité et de la propriété,
droit inviolable et sacré, nul ne portion du peuple, le plus toutes les fois que la loi
peut en être privé, si ce n'est sacré des droits et le plus l'appelle à les défendre.
lorsque la nécessité publique, indispensable des devoirs.
légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condi-
tion d'une juste et préalable
indemnité.
J el
• Organisation
La classe est divisée en plusieurs groupes. Sept documents sont distribués aux cl,
élèves:
A. 1940, la fuite des populations françaises pour échapper aux armées allemandes
B. Les seigneurs - les châteaux forts - les invasions
C. Les Gaulois - les Romains
D. Guerre de 1914 - les tranchées
E. Les hommes de la Préhistoire
F. 1793 - Louis XVI est guillotiné
G. 1661 - Louis XIV gouverne seul la France
Six de ces documents sont des textes, sauf le document C qui est une page de
bande dessinée.
• Consigne
La consigne est de classer. Les élèves essaient de trouver une cohérence en
classant par dates, par types d'événements (les guerres, les rois...), par genre
(textes, BD...) etc.
Déroulement
Les classements sont aussi nombreux que les groupes. Un élève dit même que les
châteaux forts sont les derniers dans la suite chronologique puisqu'il en a visité un
• « S'affranchir du présent »
Pour Piaget ( ' ) , « Comprendre le temps, c'est s'affranchir du présent «, ce
qui nous incite à penser que le va-et-vient présent/passé, dont parle
Le Goff 2 , doit être un processus répété pour que l'enfant maîtrise le
temps, les temporalités multiples propres aux différentes sciences.
CM
bug La révolution néolithique
41 Rupture dans l'histoire de l'humanité dont la manifestation la plus évidente est le
passage de la chasse à l'élevage et de la cueillette à l'agriculture.
Mais ce bond qualitatif - intéressant en lui-même - est aussi porteur de
conséquences qui sont des ruptures à des échelles temporelles différentes:
- nomadisme-sédentarité (Préhistoire et encore aujourd'hui);
- irruption de l'homme/déterminismes naturels dans le sens d'une plus grande
autonomie (aujourd'hui encore);
- exclusion de la femme de la production (renversement fin du xlxe siècle et début
du xxt siècle);
- spécialisation de la société : guerriers, prêtres... (Antiquité);
- création de stocks commercialisables... (Antiquité);
- écriture (Antiquité).
Descriptif de la démarche
Phase 1
Plusieurs groupes dans la classe : groupes chasseurs et groupes cueilleurs devant
imaginer concrètement comment et pourquoi se fait cette transformation. Rapports
de groupe, analyse du très concret, mise en lumière de toute une série de
mutations qui constituent ce saut, et de ce qui existait avant et qui a permis ce
saut.
Phase 2
En groupes, imaginez les conséquences de ces deux transformations. Chasse aux
idées dans la classe. Listage.
Phase 3
Repérage dans le livre de ces ruptures consécutives.
Phase 4
Constitution d'une frise collective.
Phase 5
Écriture individuelle pour expliquer ce qu'est la révolution néolithique, son sens et
sa portée.
Des textes peuvent aider dans cette phase. Voir l'importance de travailler au plus
tôt des textes d'historien.
Épistémologie et didactique
« Une des objections les plus natu- tifique, on travaille à la maintenir,
relles des continu istes de la culture on se fait une obligation de la ren-
revient à évoquer la continuité de forcer. Du bon sens, on veut faire
l'histoire. Puisque l'on fait un récit sortir lentement, doucement, les
continu des événements, on croit rudiments du savoir scientifique.
facilement revivre les événements On répugne à faire violence au
dans la continuité du temps et l'on sens commun. Et, dans les mé-
donne insensiblement à toute l'his- thodes d'enseignement élémen-
toire l'unité et la continuité d'un taire, on recule, comme à plaisir,
livre. On estompe alors les dialec- les heures d'initiations viriles, on
tiques sous une surcharge d'événe- souhaite garder la tradition de la
ments mineurs. » science élémentaire, de la science
facile ; on se fait un devoir de faire
« Un troisième ordre d'objections participer l'étudiant à l'immobilité
est pris par les continuistes de la de la connaissance première. Il faut
culture dans le domaine de la pourtant en arriver à critiquer la
pédagogie. Alors, puisqu'on croit à culture élémentaire. »
la continuité entre la connaissance G. Bachelard, Le Matérialisme rationnel,
commune et la connaissance scien- PUF, 1953.
En consultant trois des manuels les plus usités au CM, des titres de leçons ,
différentes présentent les leçons concernant la période des Barbares.
• La naissance de l'Europe; de nouveaux peuples s'installent en Gaule.
• L'apport germanique
• Les grandes invasions.
Ces trois titres tranchent et peuvent attirer l'attention sur les sens possibles de
cette leçon. Il y a donc intérêt à confronter les différents manuels et à être d'autant
plus prudent qu'ils sont univoques!
Présenter l'histoire comme une évidence, c'est avoir recours à des liens
causaux simplistes, mécanistes, c'est penser sans nuances, sans
contradictions. Et le malheureux qui n'y voit rien d'évident se tait car
il pense au fond de lui-même que c'est son manque d'intelligence qui
ne lui permet pas d'accéder à ce degré de compréhension.
La science historique n'a d'ailleurs toujours pas tranché la question. Il
est donc étonnant que les auteurs de manuels s'engagent ainsi. De
plus, plutôt que de procéder par des simplifications, pourquoi ne pas
faire de cette interrogation un des objets centraux de recherche des
élèves?
r,
Barbares et manuels
« Les invasions germaniques » l'odeur de l'ail ou de l'oignon infecte
que renvoient dès le petit matin dix
« Vois avec quelle soudaineté la
préparations culinaires ; toi qui n'es
mort a pesé sur le monde entier,
pas assailli, avant même le lever du
combien la violence de la guerre a
jour, comme si tu étais leur vieux
frappé de peuples. Ce qui n'a pas
grand-père ou le mari de leur nour-
été dompté par la force l'a été par la
rice, par une foule de géants... »
famine. La mère a succombé misé-
rablement avec ses enfants et son Témoignage de Sidoine Apollinaire, évêque de
Lyon au ve siècle, tiré du manuel Histoire, ' Une
époux ; le maître, en même temps terre, des hommes », cycle d'approfondissement
que ses serfs, est tombé en servitu- 2e et 3e année CM, sous la direction
de... Dans les bourgs, les domaines, de L. Bastein, Magnard Écoles, 1951.
les campagnes, çà et là, le long des
« Ils ont des membres trapus et
routes, c'est la mort, la souffrance,
vigoureux et une nuque puissante,
la destruction, l'incendie, le deuil.
mais ils sont tellement difformes et
mal faits qu'on pourrait les prendre
Extraits de la correspondance d'évêques du y' pour des bêtes à deux pattes. Leur
siècle, tiré du manuel Histoire CM, M.-J.
Hinnewinkel, J-C. Hinnewinkel, J.-C. Sivirine seule nourriture se compose de
et M. Vincent, Nathan, 1986 plantes sauvages et de chair d'ani
maux de toutes sortes, qu'ils ré-
« Je vis au milieu de hordes cheve- chauffent entre leurs cuisses et sur
lues. Je dois supporter leur langage le dos de leurs chevaux. Ils sont
germanique et louer les chansons vêtus de lin et de peaux de rats. »
d'un Burgonde gavé qui s'enduit les
cheveux de beurre rance. Heureux A Marcellin, iv' siècle, â propos des Huas, tiré du
manuel Histoire et Géographie 6, Découverte et
tes yeux et tes oreilles, heureux méthode', coordonné par Y. Borowice
aussi ton nez, toi qui n'a pas à subir et C. Le Blanc, Magnard Collèges, 1990.
tuf _
Ne jamais dépendre d'une source unique, du manuel de la classe. Refuser la
,
rit
• pratique qui consiste à se servir du document pour illustrer, étayer un discours. Le
document doit être lui-même questionné. Il existe toujours des documents
suffisamment dissonants pour créer la surprise. En Sixième ou au CM, les deux
textes qui suivent suscitent l'étonnement! Le Barbare devient attirant! Et la paix
romaine moins idyllique!
« Les pauvres sont ruinés, les veuves gémissent, les orphelins sont foulés aux
pieds si bien que la plupart d'entre eux, issus de familles connues et éduqués
comme des personnes libres, fuient chez les ennemis pour ne pas mourir sous les
coups de la persécution publique... Ils ont beau différer de ceux chez lesquels ils se
retirent, par la religion comme par la langue, et également, si je puis dire, par
l'odeur fétide que dégagent les corps et les habits des Barbares, ils préfèrent
pourtant souffrir chez ces peuples-là cette différence de coutumes que chez les
Romains l'injustice déchaînée.»
Salvien, Du gouvernement de Dieu, tiré du manuel
de M.T. Drouillon et M. Flonneau, Histoire Géographie 6, Nathan, 1990.
» C'est donc pour moi que labourent à cette heure le Chamave et le Frison, que ce
pillard peine à travailler sans relâche mes terres en friche, peuple mon marché du
bétail qu'il vient vendre. [ ... ] Toutes les terres qui, sur le territoire d'Amiens, de
Beauvais, de Troyes, de Langres, demeuraient abandonnées, reverdissent sous la
charrue d'un Barbare. »
Panégyrique de Constance-Chlore, 297, tiré du manuel 6e Histoire Géographie,
initiation économique dirigé par C. Hugonie et J. Marseille, Nathan, 1986.
questions sans pour autant idéaliser les apports des Barbares. Bien
prendre la mesure de la transformation qu'a subi l'Empire romain,
puisque ce sont des cultures aussi différentes que la culture iranienne
avec les Alains, que la culture turque avec les Huns, que celle des
Slaves ou des Germains qui se sont métissées. L. Musset (article
« Invasions (grandes) », Encyclopoedia Universalis) fait remarquer que la
civilisation médiévale est directement l'héritière de ces mélanges, c'est-
à-dire le métissage, et de la civilisation romaine et des cultures
barbares. Il apprécie cette synthèse comme féconde face à
l'immobilisme de l'Empire romain.
L'objet de l'historien
« L'historien a renoncé à l'immense [...] « il ne peut donc échapper à un
indétermination de l'objet de son minimum d'élaboration conceptuel-
savoir : le temps. Il n'a plus la pré- le explicité : la bonne question, un
tention de raconter ce qui s'est problème bien posé importent plus
passé, ou même ce qui s'est passé - et sont plus rares ! - que l'habile-
d'important... [ ... ] Il pose, à ce té ou la patience à mettre au jour
passé, des questions sélectives. » un fait inconnu, mais marginal. »
F. Furet, L'Atelier rie l'histoire,
Flammarion, Col!. « Champs », 1982.
N Altérité
Les Barbares, sauvages ou/et différents ? C'est le concept d'altérité
qui est au centre de cette problématique. Autrement dit, toute la
question de l'autre, de la différence qui existe entre deux personnes ou
deux peuples, la manière dont on assume cette différence selon qu'on
la vive comme insupportable ou comme une source d'enrichissement
mutuel. Sans s'étendre, il est clair que ces questions intéressent toute
l'histoire des sociétés et permettent une lecture nouvelle et riche de
l'histoire de la conquête de l'Amérique 111 par exemple. Comment les
Indiens sont-ils perçus ? Comment la conquête est-elle présentée ?
1. T. Todorov, La Conquête de l'Amérique ou la question de l'autre, col!. « Points «, Seuil,
1984.
R Causalité
Les invasions barbares cause ou/et conséquence de la dislocation de
l'Empire romain ? Le champ conceptuel ouvert est celui de la
causalité, champ fort complexe puisque fréquemment des élèves de
Sixième continuent à confondre les causes et les conséquences.
Conséquences qui font d'ailleurs partie de la chaîne causale tout
comme la notion de but. En effet, le propre de l'homme étant d'avoir
des projets, c'est-à-dire des buts, ceux-ci sont donc à part entière
moteurs de ses actes. Ces confusions notionnelles sont d'ailleurs bien
illustrées dans notre langue par l'homonymie des deux expressions
pourquoi et pour quoi. Le cdncept de causalité est un des concepts de
base que l'on retrouve dans toutes les disciplines, par exemple en
physique ou en grammaire, et couramment dans la vie. Essayer de
comprendre les moteurs des actes de nos semblables, c'est faire
fonctionner en réalité un faisceau complexe de causes.
R Temps
Les invasions, cataclysme et/ou permanence de l'histoire? Ici, c'est le
concept de temps qui est approché. Les différentes perceptions de
l'importance des phénomènes selon l'échelle du temps qu'on utilise
pour en mesurer la fréquence. Le temps de l'homme n'est pas le même
que le temps d'un peuple. Là aussi, les réinvestissements sont nom-
breux, par exemple en géologie, avec la fréquence des tremblements de
terre, rares dans la vie d'un homme, très fréquents pour notre planète,
ce qui pourrait nous permettre de rompre avec une vision immobiliste
ou fixiste de l'histoire de la Terre, et nous aider à construire une
conception mobiliste de cette même histoire.
• Méthodologie
Événement, critique de témoignage, point de vue, contradiction, rupture et
CI continuité, causalité...
I-
• Politique
Nation, État, république, démocratie, empire, aristocratie, absolutisme, monarchie...
• Économie
Capitalisme, mercantilisme...
• Civilisation
Culture, mentalités, idéologie, société...
Quelles ruptures?
'o
Ne pas se laisser emprisonner par des titres trop génériques, qui pourraient
s'appliquer à beaucoup de civilisations. Voici quelques propositions de travail:
CI
- Et si les mots avaient une mémoire ? La mémoire de notre histoire!
- Le français, une langue métissée ! Pourquoi tant de mots français viennent-ils de
l'arabe et du monde musulman? (Plus de deux cents mots courants.)
- Au Moyen Âge, la médecine européenne : une médecine arabe ! (Le livre
d'Avicenne - Ibn Sirta - fut lecture obligée dans les universités de médecine de
Louvain et de Montpellier du MIe au XvIle siècle.)
- Au Moyen Âge, les Européens sont obligés de faire des études à l'université pour
apprendre à multiplier! (Chiffre, en arabe sfr, c'est-à-dire zéro.)
Chaque groupe a le document suivant avec pour mission de rédiger une phrase qui
explique les rapports, les relations qui existent entre les trois religions.
çà
bug
ik • La Torah:
Dieu créa les cieux et la terre, et tout ce qui s'y trouve, en six jours. Le septième
est le jour du repos.
Genèse.
Soyez féconds multipliez, remplissez la terre et l'assujettissez.
Genèse.
Les Évangiles:
L'ange Gabriel dit à Marie: « Voici que tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et
tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. »
Évangile de Luc 1, 31.
Jésus dit: « Je ne suis pas venu abolir la Loi et les Prophètes, mais l'accomplir. »
Évangile de Mathieu.
La Bible, Nouveau Testament, traduction oecuménique de la Bible,
société biblique française et éd. du Cerf, 1972 et 1975.
• Le Coran:
Dans la création des cieux et de la terre, la succession du jour et de la nuit, il y a
sans doute des signes intelligibles pour les hommes doués d'intelligence.
Sourate III, 187.
Mariez-vous, croissez et multipliez... Quand le serviteur se marie, il accomplit la
moitié des exigences de sa religion.
Sourate IV.
L'ange Gabriel dit à Marie: « Je vais t'annoncer un fils béni. Il sera le prodige et le
bonheur de l'univers. » E ... ]
Rappelle le souvenir d'Abraham il fut juste et prophète. D'Isaac et de Jacob, nous
fîmes un prophète. Chante la vertu de Moïse.
Sourate XIX, (42, 50, 52) et 19, 21).
Dites : Nous croyons en Dieu, et à ce qui a été envoyé d'en haut à nous, à
Abraham et à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux douze tribus, aux livres qui ont été
donnés à Moïse et à Jésus, aux livres accordés aux prophètes par le Seigneur
nous ne mettons point de différence entre eux, et nous sommes soumis à la volonté
de Dieu.
Sourate II, 130.
Le Coran, traduit de l'arabe par Kasimirski, Garnier Flammarion, 1970.
siècle n'a jamais cessé d'être spiritualiste et religieux. Il n'y a qu'à voir
la vigueur des religions dans les pays de l'Est. Il est à craindre que
cette laïcité étroite ne soit, comme l'avance Garaudy ('), qu'un inté-
grisme de plus, une négation de l'altérité, une esquive de plus face à
des clivages dont la coexistence doit être éduquée.
Nous le répétons, il s'agit aussi de susciter un regard neuf sur le
monde d'aujourd'hui et sur les documents historiques. Car l'histoire
est l'occasion d'élaboration de grilles de lecture, de problématiques,
voire même de concepts dont on tente de valider la richesse - et non
l'absolue véracité -' comme l'on fait certains philosophes comme Karl
Marx (2) ou René Girard (3)
• Organiser la confrontation
Tous ces éléments étant mis en commun, nous avons inventé une situation( 2 ) tirée
du roman de Vercors: Les Animaux dénaturés.
Voici la situation telle que nous la proposons aux élèves. Une population, les
Tropis, vient d'être découverte en Nouvelle-Guinée. Ces Tropis ressemblent à des
singes mais sont bipèdes, savent faire du feu, tailler la pierre et enterrent leurs
morts. Ils communiquent entre eux par une espèce de langage. Mi-hommes, mi-
singes, ils sont suffisamment évolués pour pouvoir être utilisés comme main-
d'oeuvre à bon marché, docile et semi-servile.
Un journaliste britannique, Douglas, révolté par ce qui risque de leur arriver, va
créer une situation qui choque le grand public. Il fait inséminer une femelle Tropi
dont il a un fils qui vit chez lui. Il décide de le tuer, en lui injectant du poison. Il se
constitue prisonnier et avoue son crime. Il réclame justice. C'est le scandale et il
faut juger Douglas. Si le tropiot est un singe, il n'est pas un criminel. S'il est un
être humain, Douglas doit être pendu ! Vous devez donc décider de la nature
humaine ou non humaine de ce tropiot et du peuple Tropi.
Les élèves se réunissent en plusieurs commissions et essayent de se mettre
d'accord sur un certain nombre d'arguments, coincés entre la sympathie qu'ils ont
pour Douglas et leur conviction que le tropiot est un être humain. Lors de la
confrontation des groupes, je joue le président du tribunal qui fait appel à des
experts - les groupes ont pu s'aider de documents selon la tournure que prenait
leur discussion - que j'utilise à mon gré pour pousser les élèves dans leurs
retranchements.
1. Pour en savoir plus sur les représentations mentales, lire : G. de Vecchi,
A. Giordan, L'Enseignement scientftque : comment faire pour que ça marche,
Z'éditions, 1990.
2. Pour en savoir plus sur cette situation, lire : A. Dalongeville, Les Animaux
dénaturés, l'interrogation philosophique comme pratique scientifique permanente,
G.F.E.N., «Reconstruire ses savoirs «, Messidor, 1985.
• Fiction?
Cette situation n'est plus fictive puisque deux savants ont déclaré que
des essais de métissage chimpanzé-homme avaient été tentés. Devant la
désapprobation de la communauté scientifique, après qu'ils eurent
déclaré que les produits de ces métissages pourraient remplacer les
hommes dans les tâches les plus pénibles, ils tentèrent de rassurer leur
auditoire en proposant que ces Tropis servent de banques d'organes, ce
qui était éthiquement irréprochable selon eux. Une occasion pour se
questionner sur les rapports entre l'éthique et la science quand certains
pensent que le monde serait raisonnablement gouverné s'il l'était par
des savants ou par je ne sais quels experts!
I($
V Il
Mettre en recherche
• Poser problème
Mettre les élèves en situation de recherche, c'est inventer une situa-
tion qui va poser problème à l'élève, de telle sorte que ses idées
premières, ses préjugés, son expérience ainsi que les idées consen-
suelles du groupe vont être inopérants pour résoudre le problème.
Quoi qu'en pense le sujet apprenant, cette impasse n'est pas un piège.
C'est sa façon d'aborder la situation, ses représentations qui est une
« prison mentale »(1) Ce n'est qu'en prenant conscience de ses limites,
en s'inventant d'autres cadres mentaux, en rupture avec les anciens,
qu'il peut triompher de la situation.
En fait, aucun d'entre nous n'aborde un problème sans une certaine
expérience - conscientisée ou non. Et sans une théorie préalable. Le
sujet apprenant doit tout à la fois accepter la difficulté - les tentatives
- et prendre conscience qu'il doit changer son approche. Cet obstacle
contre lequel il bute est un obstacle d'un autre ordre, c'est un obstacle
épistémologique. Il lui faut donc accepter le risque de rompre avec ses
points de repère habituels, changer de paradigme, se bouger.
• « Risquer sa raison »
Comme le dit Bachelard (2), le sujet doit risquer sa raison, vivre pour
lui-même le doute, ce moment finalement trop rare où le sujet
déconstruit ses savoirs anciens pour les réorganiser et construire une
nouvelle cohérence dans sa pensée. Moment délicat car, du coup, c'est
tout à la fois les savoirs et la personne qui sont interrogés. Les élèves
1. 0. Bassis, « Briser les barreaux de nos prisons mentales », Dialogue n 60, avril 1987.
2. G. Bachelard, L'Engagement rationaliste, PUF, 1972.
I Pédagogie de la contradiction
Concrètement, deux conséquences en découlent. Tout d'abord, repérer
les contradictions afférentes à l'un des concepts clefs que l'on peut
voir les élèves se construire, la notion de pouvoir, par exemple, à
propos de la nuit du 4 août. Cerner les intérêts économiques,
politiques ou sociaux contraires, afin que la situation soit elle-même
un enjeu et permette la construction d'une vision dynamique et
complexe de l'histoire. L'exemple de Louis XIV peut nous permettre de
comprendre qu'il faut se défier de toute vision non contradictoire.
Louis XIV a été tour à tour le « Grand Roi», celui que Lavisse et d'autres
ont porté aux nues, puis celui que P. Goubert égratignait en rappelant
quelles étaient les conditions de vie des Français - au risque, selon
certains, de n'être qu'un mauvais citoyen. Cet apport avait été consi-
déré comme un crime de lèse-majesté, un anéantissement, et non pas
comme une complexification des visions précédentes.
Les élèves, aujourd'hui, l'assimileraient volontiers à un dictateur
contemporain, incités en cela par les manuels qui centrent leurs leçons
sur la notion d'absolutisme. Balancements, phénomènes de mode,
évolution de notre propre regard ? Certainement. Mais aussi une
difficulté des manuels et des enseignants à étudier Louis XIV et son
siècle dans ses contradictions ! Ruptures et continuités vont de pair
rupture avec le roi-père, le roi féodal, et mise en place de l'État-nation,
moderne, mais une réalité qui elle-même n'est pas sans contradiction
avec cet absolutisme qui l'aide à naître. Autrement dit, plutôt que de
reproduire la vision d'un XvIle siècle se contentant d'être absolutiste et
de céder à cette simplification, pourquoi ne pas faire l'effort de critiquer
cette conception ? De la même façon, beaucoup d'élèves pensent du
coup qu'il y a incompatibilité entre monarchie et démocratie. Comment
• Pédagogie de la surprise
Ou bien encore travailler sur les surprises de l'histoire, là où la logique
première est contredite par les faits. Tout le contexte historique laissait
à penser que Christophe Colomb partirait au service du Portugal et non
au service de l'Espagne. Surprise ! Christophe Colomb va partir pour le
compte de la Cour d'Espagne, dès que celle-ci sera débarrassée des
musulmans, en 1492. Voulant exister dans le concert des grandes
nations européennes en tant qu'État-nation, l'Espagne peut soutenir le
pari de Colomb, d'autant qu'il ne lui coûte pas cher.
C'est précisément là où la raison est prise en défaut que le sujet
apprenant peut construire du sens. À nous de ménager la surprise et
de mettre en route toute une réflexion des élèves qui travaillent alors
sur l'écart entre ce qu'ils avaient imaginé et ce qu'il s'est réellement
passé. Et ce avec d'autant moins d'inquiétude pour l'enseignant que
comprendre, c'est le va-et-vient entre comprendre, ne plus com-
prendre tout à fait et comprendre à nouveau. « Ce qui va de soi », « ce
qui parle de lui-même », c'est, littéralement, ce qui pourrait avoir du
sens sans nos questions, sans nous. C'est donc ce qui nous est, en
définitive, étranger.
Nous rejoignons ici la notion d'insolite que manie Brecht'. Le cher -
cheur, même s'il a une grille d'analyse, une théorie de l'Histoire et de
l'événement qu'il étudie, doit avoir la capacité de se rendre compte de
ses faiblesses, des points sur lesquels elle serait bizarrement ino-
pérante. Cette capacité à traquer l'insolite, à porter un regard neuf -
toujours ? -, est une des conditions de l'invention c'est en tout cas
un état d'esprit à développer chez tous les élèves.
Dans cette conception, le rôle du maître n'est absolument pas minimisé : il prépare
la pâte à modeler, le matériau, qui va permettre une double confrontation à l'objet
et aux autres il gère, organise, anime cette confrontation. Le conflit socio cognitif
a besoin d'un médiateur. Nous avons déjà par ailleurs souligné que le maître devait
favoriser la formalisation du produit de cette confrontation et faire - en situation -
des apports magistraux. Le « triangle didactique » sous-estime le rôle de médiation
du socio- dans l'apprentissage des savoirs.
• Quelle problématique?
Rappelons tout d'abord que le 10 août 1792 n'est pas étudié pour lui-
même mais comme rupture dans les événements de la Révolution
française - le peuple de Paris entre en scène et prend la direction des
événements - et comme saut qualitatif dans la conception du pouvoir
et de la citoyenneté.
Ensuite, ce travail a été sous-tendu par une anticipation des
conceptions du pouvoir, de la démocratie, et donc de la délégation qui
existent chez les élèves. Problèmes qui restent actuels, dans une
époque où il n'est pas certain que la conception d'un citoyen
adulateur plutôt que souverain ne soit pas encore dominante dans les
inconscients des « politiques ».
M. Quelle confrontation?
Les grandes conceptions du pouvoir peuvent être incarnées par quatre
protagonistes:
- les Feuillants;
- les Fédérés:
- les Jacobins;
- les sans-culottes.
Quel dispositif?
Il faut insister sur le fait que l'appareillage n'est pas premier, mais au
service de la situation et que, donc, tout le travail conceptuel mené au
préalable par l'enseignant est essentiel. Les éléments concrets, leur
enchaînement, bref, l'appareillage prend alors tout son sens. Le plus
souvent, il est vite inventé, un fois qu'on est au clair sur les concepts et
les ruptures conceptuelles qui sont au centre du cours ou de la leçon.
La pédagogie n'est pas réductible au dispositif et la précipitation -
légitime - à inventer concrètement fait oublier l'importance de ce travail
théorique. Éclaircissement sans lequel les documents ne seraient là
que pour illustrer un discours alors qu'ils doivent être un matériau à
questionner, un support à l'élaboration d'hypothèses qui seront
confrontées avec d'autres.
Enfin, une réunion publique a lieu où toutes les parties sont pré-
sentes. Un élève lit le manifeste de Brunswick, et la discussion
s'engage sous la forme d'une réunion d'une assemblée fictive. Le but
n'est pas d'arriver à une position consensuelle, mais que chacun ait
pu percevoir la portée des arguments des autres.
......
----J
-
CM2
• Les Jacobins
- Montesquieu, De l'esprit des lois, livre VIII.
- Rousseau, Du contrat social, livres II et III.
- Déclaration de la section du Théâtre-Français, Danton, Chaumette, Momoro.
• Les sans-culottes
- Babeuf, Lettre à Coupé, curé de Sermaize.
- Roux, Discours sur les moyens de sauver la France et la Liberté.
- Hébert, Le Père Duchesne, n° 14.
- Dolivier, curé de Mauchamps, Pétition du ier mai 1792.
- Rousseau, op. cit.
• Les Fédérés
- Desbouillons, commandant de la division du Finistère, Lettre à la présidence de
l'Assemblée nationale.
- Rousseau, op. cit.
• Les Feuillants
- Montesquieu, cité par D. Guérin, Bourgeois et Bras-nus, Gallimard, 1973.
- Montesquieu, op. cit.
- Voltaire, article Égalité, Dictionnaire encyclopédique.
- Adresse des citoyens actifs de Rouen.
La découverte de l'Amérique
la conquête du Pérou
R Des civilisations mortelles?
Paul ValéryU), inquiet des transformations des sociétés européennes
après la Grande Guerre et la Révolution bolchevique - et spartakiste -,
écrivait : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous
sommes mortelles ». Il est fréquent aujourd'hui d'entendre dire que les
civilisations amérindiennes n'existent plus. Qui pourrait nier qu'en tant
que telle, la civilisation inca a disparu ? Mais, pourtant, on sait que
quantité de cultes ancestraux coexistent plus ou moins clandestinement
avec le catholicisme. La survivance dans les hauts plateaux péruviens
du culte du condor et du taureau, symbolisant le monde indien et le
monde espagnol - le condor triomphant du taureau -, en est une des
preuves parmi bien d'autres.
Tant et si bien que l'on peut se demander si les civilisations meurent
vraiment, au sens où elles seraient anéanties. Henri Bassis soulignait,
dans l'introduction de notre brochure (2) consacrée à la rencontre des
deux mondes : « mais celui qu'on a détruit ne se réduit pas à sa
destruction... Car ce qu'on croyait mort chemine souterrainement, telles
ces rivières qu'on croyait perdues et qui plus loin ressurgissent ».
À propos des civilisations amérindiennes, nous avons choisi de nous
intéresser aux Incas. Consultant une encyclopédie (3), quelle surprise
de lire que la conquête du Pérou avait été très facile, bien plus facile
que celle du Mexique ! Qu'en était-il vraiment ? Non seulement la
conquête n'avait pas été facile, mais les Incas avaient été en rébellion -
certes épisodique - durant des siècles! Entre Manco et Tupac Amaru,
quarante années de guérilla, et une guerre d'usure menée depuis les
Andes, dans ce qui est devenu le royaume de Vilcamba.
R Mémoire et dignité
Deux siècles plus tard, Tupac Arnaru II incarne l'espoir d'une liberté
retrouvée. En novembre 1780, un siècle avant les autres, les Noirs
avaient été émancipés. Au début de 1781, près de 100 000 Indiens
sont en rébellion ouverte. Non contents d'écarteler Tupac Amaru II, les
Espagnols extermineront sa famille afin que ce nom symbolique soit
effacé des mémoires! Mais en vain! Les mouvements révolutionnairet
contemporains - les Tupamaros - poursuivent au-delà des siècles 11
résistance. Si bien qu'en 1980, Tupac Amaru II et sa femme Micael:
Bastidas Puyucahua reçurent le titre de « précurseurs, héros et martyr.
de l'émancipation péruvienne ». Sans spéculation aucune sur 1€
intentions du gouvernement de l'époque, cette décision est révélatric
d'une mémoire non effacée par les siècles d'oppression.
Conquête de l'Amérique
CM2 rents groupes d'élèves qui mon-
Chercher des documents qui pour- trent les contradictions internes des
raient, en se catapultant, poser sociétés incas : bien des échecs s'ex-
l'hypothèse d'une continuité entre pliquent aussi par des trahisons. Ces
le dernier Inca et les mouvements tableaux se succèdent alors qu'un
de résistance indiens de cette fin groupe de récitants constitue une
du XXe siècle. Mais si continuité il y « voix off » qui insiste sur la conti-
a, les discontinuités sont de taille nuité de la résistance inca malgré
Sinon, le Pérou aurait été en rébel- ces contradictions.
lion permanente durant plus de Documents
cinq siècles. Et pour ce faire, - 1532, Cajamarca. Pizarre.
consulter une mine de documents - 1533, Cajamarca. Atahualpa.
et de témoignages réécrits par - 1579, Le fils d'Atahualpa.
E. Galeano dans sa fameuse trilo-
- 1781, Cuzco. De poussière et de
gie, Mémoire du feu(').
chagrin sont les routes du Pérou.
Cette série de documents peut être - 178 1, Cuzco. Ordre d'Areche à
travaillée selon une pratique em- propos des vêtements traditionnels
pruntée à A. BoaI 2 , le théâtre-sta- des Incas et pour obliger les
tue, variante de ce qu'il nomme Indiens à parler espagnol.
« théâtre-image ». Plusieurs ta- Montevideo. Portrait d'un
- 1970,
bleaux sont campés par les diffé- maître de la torture.
U Convoquer l'imaginaire
Comprendre une rupture dans l'histoire de l'humanité, c'est aussi
vivre une rupture historique pour soi. À son échelle ! Comprendre
l'avancée remarquable que représente le zéro n'est pas possible si on
se cantonne à la rupture technique qu'elle représente. Il faut
absolument toucher du doigt le saut dans l'imaginaire qu'elle a été. Il
faut faire le détour par son imaginaire propre. Et comme manifes-
tation et travail de celui-ci, l'écriture. Car, le zéro, pour l'élève, est lui
aussi source d'inquiétude, que ce soit le néant ou la « bulle » sur le
cahier qu'il faut avouer le soir aux parents ! Raconter cette invention,
véritable révolution copernicienne, serait la banaliser, empêcher d'en
comprendre l'audace. L'angoisse des Mayas et des élèves se faisant
écho, la rupture épistémologique rentre en résonance avec celle des
élèves il y a place pour une construction de sens.
U Signifier le néant?
Le zéro est une des inventions les moins évidentes de l'humanité. Il
fallait avoir l'audace conceptuelle de représenter « rien » par quelque
chose, le néant par une existence, fut-ce un symbole! En fait, le zéro
n'est devenu un besoin que pour les civilisations qui avaient
abandonné la numération' additive par la numération positionnelle.
Cet effort, seuls les Babyloniens, les Indiens d'Inde orientale et les
Mayas l'ont accompli. Et ces derniers l'ont inventé seuls, sans aucune
possibilité d'échange au moins jusqu'à l'arrivée de Christophe Colomb.
Les Européens n'oseront adopter le zéro qu'au xvle siècle de crainte
que cette invention sulfureuse ne soit démoniaque ! À telle enseigne
que le tombeau du pape Gerbert, qui avait essayé au début du
e siècle d'introduire chiffres arabes et zéro, fut ouvert afin de
s'assurer qu'il n'était pas l'Antéchrist ! Il faut avoir cela en tête pour
apprécier les propositions des élèves.
• « Tous ces dessins sont des signes utilisés par les Indiens d'Amérique du Sud, les
Mayas, et veulent tous dire la même chose. Laquelle ?»
« Faites des propositions en groupe.))
Les propositions des groupes deviennent de plus en plus riches. Collecte. On donne
la clef: tous ces signes veulent dire zéro. Les Mayas appelaient le zéro par un nom
bien plus poétique: « absence de jour
Les élèves n'en reviennent pas... même si leurs propositions sont très proches.
À ce moment-là, on peut leur raconter succinctement l'histoire de la numération ou
les faire travailler plus tard sur cette véritable aventure de l'Humanité dans laquelle
les Mayas, sans aucun contact avec les civilisations de « l'Ancien Monde », font
figure de pionniers.
• Lecture d'un extrait des aventures de Tintin au pays des Incas, Le Temple du
soleil, quand Tintin mystifie les Incas en demandant d'être exécuté lors d'une
éclipse totale du soleil et en faisant semblant de diriger les mouvements du soleil,
qui est un dieu pour les Incas.
Une discussion s'engage avec les élèves qui connaissent pour la plupart ce passage
mais qui ne l'ont souvent pas lu dans cette optique. Ils discutent de superstitions,
de croyances et relativisent la naïveté des Mayas en se rendant compte que nous
accordons des vertus magiques à des nombres : 7 ou 13.
• Lecture d'extraits d'Alain Nadaud (1), avec pour consigne de repérer tout ce qui
pourrait nous servir pour écrire et qui aurait un rapport avec zéro ou avec l'idée de
zéro. Les enfants repèrent particulièrement les verbes qui leur faisaient défaut.
• On affiche, là encore, et - avec les quatre affiches de mots que chacun a le droit
de venir consulter quand il le veut et autant de fois qu'il le veut - chacun se lance
dans l'écriture d'un texte ou d'un poème.
Samira
tes
dom
I -
4 -
- p-
Jeux de rôles
f • histoire n'étant pas une répétition du passé, je suis contre
li 1 cette pratique qui consiste àfaire jouer l'histoire aux élèves f »
Cette remarque d'un formateur à propos des jeux de rôles
est intéressante car elle nous permet de lever un certain nombre
d'ambiguïtés.
Tout d'abord, le but qu'on se fixe n'est pas de rejouer l'histoire, car
effectivement, elle n'est pas rejouable. Il s'agit, d'une part, de
permettre une lecture active des documents et, d'autre part, de faire
émerger des hypothèses de lecture qui sont autant de lectures de son
présent que l'élève projette vers l'objet historique.
Rejouer le passé serait aussi illusoire que de s'imaginer que vivre le
présent permet de mieux le comprendre! Cela ne nous donne pas plus
d'armes qu'à nos descendants qui ne l'auront pas vécu de première
main. Alors, que s'agit-il de jouer ? Dans quelle stratégie d'appren-
tissage ? Sous-tendue par quelle théorie de la connaissance et par
quelle conception de la science historique?
U « Je » se met en scène
« L'interprétation du texte ne peut jamais être que la tentative de
proposer un autre texte, équivalent mais plus satisfaisant pour telle ou
telle raison » nous rappelle O. ManoniW. Sachant cela, on est d'emblée
débarrassé de toutes les façons par l'ambition impossible de rejouer le
passé. Qu'on le veuille ou non, c'est Je qui se met en scène ! Je dans
son dialogue avec le texte, dans l'interprétation qu'il choisit et qui lui
convient mieux, comme le dit O. Manoni. Le texte est à la fois
médiateur de l'émergence d'éclairages de l'histoire personnelle de
l'élève et élément objectif de travail et de connaissance.
Ce qui se joue dans l'acte de connaissance du sujet apprenant, c'est
son rapport au concept abordé - sa théorie du monde -, son rapport
aux autres et à lui-même. Cette triade décloisonne les visions parcel-
laires de l'entreprise cognitive et didactique( 2).
« Et ce n'est plus l'enseignement de l'histoire f » Le problème n'est pas là
puisque, de toutes les façons, ça se joue là aussi. Cette autre scène
est un paramètre incontournable de l'acte de connaissance qui inter-
vient en histoire comme en sciences. Il est remarquable qu'en fait la
didactique des mathématiques et des sciences se soit déjà posé ce type
de problème, alors qu'en histoire et en géographie la réflexion
épistémologique est récente, voire balbutiante. Piaget, dans Logique et
connaissance scientfflque( 3 ), n'aborde même pas la question.
U Se construire soi!
Jouer, c'est jouer son interprétation du passé et son présent, son
interprétation du présent. La construction du savoir en histoire est
dans la confrontation conscientisée de ces deux visions, pour le cher -
cheur patenté qui ne se l'avoue pas toujours, comme pour l'apprenti-
historien qu'est l'élève. Même si le travail prescrit de l'enseignant ne
1. 0. Manoni, Clefs pour l'imaginaire ou l'autre scène, Seuil, cou. « Points », 1985.
2. Lire à ce propos les chapitres VI à IX d'E. Morin, La Méthode, la Connaissance de la
connaissance, Seuil, 1986.
3. J. Piaget. Logique et connaissance scientifique, La Pléiade, 1969.
U S'investir
Enfin, répétons-le, une approche didacticienne étroite risquerait de
nous faire oublier que le jeu de rôles est aussi un jeu nourri de
l'imaginaire de chacun. Qu'on en juge par l'engouement du grand
public pour les romans historiques ou les grandes fresques
historiques produites au cinéma. Que le sujet investisse dans l'étude
historique sa propre histoire, ses fantasmes, ne fait plus de doute
aujourd'hui; le jeu de rôles est un des moyens pour que le sujet
apprenant laisse émerger cet imaginaire, le régule ( ') , et se recentre sur
les objets de travail proposés.
Nous l'avons dit, il y a invention et il y a de grands décalages avec ce
qui s'est passé dans la réalité : tant mieux! Ce sera l'objet d'un travail
producteur d'une connaissance vraie. Apprendre à porter un autre
regard sur l'erreur, la lire positivement, comme une aspérité qui va
permettre d'avancer, voilà une des ruptures majeures qu'il est temps
que les enseignants et les élèves opèrent dans leurs mentalités
-I -II
ils
--------
) Chaque groupe se prépare grâce à ses documents. Prenons par exemple le cas d'un
groupe « sans-culottes ». Les membres de ce groupe doivent essayer de se mettre dans
la peau d'un sans-culotte de l'époque. Comment aura-t-il réagi au manifeste de
Brunswick ? Soumission ? Révolte ? Quelles conceptions de la citoyenneté, du
pouvoir coexistent contradictoirement chez les sans-culottes ? Le jeu n'est pas écrit
par nous et répété par les élèves ! Non! Le groupe se forge ses propres arguments et
essaye, grâce aux documents, d'anticiper les arguments des groupes auxquels il va
devoir se frotter. Quels contre-arguments, etc. Quand les groupes sont prêts, deux ou
trois représentants de chacun de ces groupes viennent en découdre. Les autres sont
là et viennent en renfort, quand ils voient que leurs délégués pataugent et se
trouvent pris de court. Écouter l'autre, s'emparer de ce qu'il dit, répliquer, voilà le
développement de compétences qui pourront servir en conseil de classe ou d'école!
Lecture-mission( 2 )
E
n définitive, le jeu de rôles est un cas particulier de missions. On
va donc ici s'attacher à en proposer d'autres types et à cerner les
1I différences entre une mission telle que nous l'entendons et une
consigne classique.
1. Pour approfondir cet aspect, lire : P. Colin. « Le pourquoi du désir... »,,in Le sujet du
savoir: questions à la psychologie, Dialogue n° 78, 1994.
2. H. Bassis, Des maîtres pour une autre école :former ou transformer?, Casterman, col!.
«E3 «. 1978.
U Consigne ou mission?
Moins que la formulation de la consigne qui retient souvent l'attention
des enseignants (formulation trop imprécise, trop complexe), c'est
surtout l'adéquation entre le document, les processus de la recherche
que l'on veut favoriser chez les élèves et les objets conceptuels de
recherche, qui va déterminer notre consigne que nous appellerons
mission afin d'éviter toute ambiguïté. Il est clair qu'il ne peut s'agir
d'une consigne pour contrôler ou valider la lecture de l'élève, mais
d'une consigne pour faire quelque chose qui rende nécessaire l'utili-
sation du document. D'ailleurs, cette utilisation correspond à
plusieurs lectures successives, partielles ou pas, de ce texte. Si les
élèves sont partie prenante de la mission suggérée, la lecture devient
une lecture-projet qui permet souvent de dépasser les blocages
habituels que nous observons souvent. Là encore, cette pratique rompt
avec celle où le maître attend une réponse déterminée à l'avance. Les
élèves, sentant bien le décalage qui existe entre leurs réponses et celles
que le maître espère, se mettent souvent dans une position d'échec.
ce
14
Trois questions peuvent inciter à une lecture insolite. Ces trois questions peuvent
Q
être posées indépendamment les unes des autres.
• Quelle idée neuve les chrétiens apportent-ils?
• Pour quelles raisons les Romains vont-ils les combattre ? Eux qui intègrent
aisément les dieux des peuples qu'ils soumettent!
• Pour les hommes de l'Antiquité, qui étaient les esclaves?
La première question attire l'attention sur le fait que deux conceptions de l'homme
vont s'affronter avec la naissance du christianisme. Les deux autres mettent le
doigt sur la rupture philosophique dont est porteur ce christianisme. Pour nous,
au-delà des aspects purement théologiques, il nous semble largement insuffisant
que les élèves retiennent la différence entre polythéisme et monothéisme. Il est
indispensable qu'ils saisissent que les pratiques d'amour comme les agapes sont
des pratiques égalitaires, authentiques, et insupportables pour leur époque puis-
qu'elles mêlent maîtres et esclaves. Une raison supplémentaire de s'attirer la
répression.
Les documents utilisés sont : l'Évangile selon Marc, les Métamorphoses d'Apulée,
L'Économie rurale de Varron, l'Épître de Jacques...
Dans un premier temps, il faut installer la réalité esclavagiste de la société romaine
pour que les élèves prennent conscience de la rupture qu'apporte la pensée
chrétienne. Et, dans un deuxième temps, percuter cette réalité de la société romaine
contre des documents porteurs d'un autre regard sur l'homme, sur tous les hommes.
Le christianisme ne fait pas partie du programme de C.M., mais une information M.
sur les grandes religions monothéistes parait d'autant plus nécessaire que les
médias répandent des clichés et des amalgames simplistes.
23. Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples: « Qu'il sera difficile à ceux qui
ont les richesses d'entrer dans le royaume de Dieu! » 24. Les disciples étaient
déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète: « Mes enfants, qu'il est difficile
d'entrer dans le royaume de Dieu !» 25. « Il est plus facile à un chameau de passer
par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. » 26. Ils
étaient de plus en plus impressionnés ils se disaient entre eux : « Alors, qui peut
être sauvé ? » 27. Fixant sur eux son regard, Jésus dit : (( Aux hommes c'est
impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu. » 28. Pierre se mit à lui
dire: « Eh bien! nous, nous avons tout laissé pour te suivre. » 29. Jésus lui répondit:
((En vérité, je vous le déclare, personne n'aura laissé maison, frères, soeurs, mère,
père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l'Évangile... » 30. «...sans
recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons, frères, soeurs, mères,
enfants et champs, avec des persécutions, et dans le monde à venir la vie éternelle.
31. « Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers seront premiers. »
Évangile selon Marc.
« Ô dieux bons, quels pauvres hommes c'étaient ! Toute la peau tavelée de meur-
trissures bleuâtres, le dos zébré de coups, mal couverts d'une guenille déchirée,
certains avec un pagne seulement, les tuniques laissant voir les corps à travers
leurs loques. Des lettres marquées au front, la tête à moitié rasée, des anneaux de
fer au pied ; et puis, cette pâleur affreuse, les paupières rongées par la noire et
brûlante fumée des fours, tous la vue affaiblie et tous d'un blanc sale, sous la
farine qui les couvrait de poussière.
Apulée. Métamorphoses IX, 12 - jie siècle après J-C., Gallimard, 1975.
charrettes.»
I Varron, L'Économie rurale, traduit par Guiraud, Les Belles lettres, 1985.
CM
Les châteaux forts pourquoi les paysans les construisent-ils pour les détruire
: .
plus tard?
Une seule question préalable dont la fonction est d'attirer l'attention sur le
paradoxe suivant: ce sont des paysans pas les mêmes qui ont construit un des
- -
U Les collages
Le principe même des collages est emprunté aux surréalistes : mettre
en regard deux documents dont la juxtaposition est insolite ou
surprenante. Le collage peut jouer de la contradiction entre deux
documents, à propos du même événement par exemple. C'est le
rapprochement qui provoque un choc qui peut ébranler celui qui
regarde. Comme dans une métaphore, il y a, tout à la fois, ressem-
blance et dissonance, donc glissement d'un plan sur un autre,
décalage, comme dans les collages pratiqués par Max Ernst.
Nous allons voir successivement ces deux types de collages.
Collages insolites
l s'agit de faire se catapulter des documents qui appartiennent à
des périodes différentes de l'histoire. Textes du passé et textes du
présent s'éclairent et nous amènent à porter un regard neuf sur ces
deux périodes.
Quatrième croisade
« Qu'ils deviennent des chevaliers du Le doge vint à eux et leur dit
Christ, ceux qui n'étaient que des bri- « Seigneurs, voici déjà l'hiver, nous ne
gands! pouvons pas passer outre-mer. Il y a
Il est urgent d'apporter en hâte à vos une ville près d'ici, son nom est Zara.
frères d'Orient l'aide si souvent pro- Ses gens ont mal agi avec nous, et
mise et d'une nécessité si pressante. moi et mes hommes, nous voudrions
Les Turcs et les Arabes, pénétrant nous venger d'eux, si nous le pou-
toujours plus avant dans le pays de vions. Si vous voulez me croire, nous
ces chrétiens, les ont par sept fois irons cet hiver séjourner jusque vers
vaincus en bataille, en ont tué et fait Pâques ; nous apprêterons alors notre
captifs un grand nombre, ont détruit flotte, et nous irons outre-mer, avec
et dévasté le royaume. Si vous les l'aide de Dieu. Et la ville de Zara est
laissez à présent sans résister, ils très belle et pleine de tous biens. »
vont étendre leur vague plus large- Villehardhouin, Histoire de la conquête
ment sur beaucoup de fidèles servi- de Constantinople, vers 1212.
teurs de Dieu. D'un côté seront les
misérables, de l'autre les vrais riches;
ici les ennemis de Dieu, là ses amis. »
Foucher de Chartres, Histoire dupélerinage
des Francs àJérusalern.début du xue s.
U La Restauration
Deux conceptions de la propriété, de la citoyenneté dans ces deux
textes. Celle de Boissy d'Anglas s'inspire en fait de Montesquieu dans
De l'esprit des lois, celle de Maréchal - auteur du Manifeste des Égaux
- rappelle les luttes des niveleurs anglais.
Restauration
« Nous devons être gouvernés par « Ce qu'il nous faut de plus que
les meilleurs ; les meilleurs sont les l'égalité des droits ? Il nous faut
plus instruits et les plus intéressés non pas seulement cette égalité
au maintien des lois. Or, à bien peu transcrite dans la Déclaration des
d'exceptions près, vous ne trouve- droits de l'homme et du citoyen,
rez de pareils hommes que parmi nous la voulons au milieu de nous,
ceux qui, possédant une propriété, sous le toit de nos maisons...
sont attachés au pays qui la [Nous voulons] le bien commun,
contient, aux lois qui la protègent, à ou la communauté des biens!
la tranquillité qui la conserve, et qui Plus de propriété individuelle des
doivent à cette propriété et à l'aisan- terres, la terre n'est à personne.
ce qu'elle donne l'éducation qui les a Nous voulons la joui ance com-
rendus propres à discuter, avec munale des fruits de la terre ; les
sagacité et justesse, les avantages et fruits sont à tout le monde.
les inconvénients des lois qui fixent « Disparaissez enfin, révoltantes
le sort de la patrie... Vous devez distinctions de riches et de pauvres,
garantir la propriété du riche [ ... ] de maîtres et de valets de gouver -
« [ ... ] égalité civile, voilà tout ce que nants et de gouvernés. Qu'il n'y ait
l'homme raisonnable peut exiger... plus qu'une seule édikation, une
Un pays gouverné par des proprié- seule nourriture. »
taires est dans l'ordre social ; celui Manifeste des Égaux.
où les non-propriétaires gouvernent
est l'état de nature. »
Boissy d'Anglas, Discours à la Convention,
23 juin 1795, 5 messidor, an III.
Dreyfus
« Dreyfus était exaspéré de la cam- « j'accuse le général Billot d'avoir eu
pagne antisémite montée par plu- entre les mains les preuves certaines
sieurs journaux. Très ambitieux, il se de l'innocence de Dreyfus et de les
disait que, juif, il ne pourrait jamais avoir étouffées, de s'être rendu cou-
atteindre aux sommets de la hiérar- pable de ce crime de lèse-humanité
chie qu'il rêvait. Et il pensait que, et de lèse-justice, dans un but poli-
dans ces conditions, il serait préfé- tique, et pour sauver l'état-major
rable pour lui d'aller habiter l'Alsace, compromis. j'accuse les trois experts
où il avait des intérêts, et d'adopter en écriture, [ ... ] d'avoir fait des rap-
enfin la nationalité allemande. C'est ports mensongers et frauduleux, à
alors qu'il songe à quitter l'armée. moins qu'un examen médical ne les
Mais, auparavant, il écrivit directe- déclare atteints d'une maladie de la
ment à l'empereur d'Allemagne afin vue et du jugement. j'accuse les
de lui faire part de ses sympathies bureaux de la Guerre d'avoir mené
pour la nation dont il est le chef et dans la presse, particulièrement
lui permettre d'entrer avec son grade dans l'Eclair et dans l'Echo de Paris,
dans l'armée allemande. Guillaume Il une campagne abominable, pour
fait savoir au capitaine Dreyfus, par égarer l'opinion et couvrireur faute.
l'entremise de l'ambassade d'Alle- J'accuse enfin le conseil de guerre
magne, qu'il était préférable qu'il ser - d'avoir violé le droit, en condamnant
vît le pays allemand, sa vraie patrie, un accusé sur une pièce restée
dans le poste que les circonstances secrète E...]. Et l'acte que j'accomplis
lui avaient assigné, et qu'il serait ici n'est qu'un moyen révolutionnaire
considéré à l'état-major allemand pour hâter l'explosion de la vérité et
comme un officier en mission en de la justice. »
France. Dreyfus accepta ces condi- É. Zola, L'Aurore, 13janvier 1898.
tions. Et la trahison commença. »
L'Intransigeant, 12 décembre 1897.
U L'affaire Dreyfus
Dreyfus, traitre? Dreyfus, victime ? Cette affaire montre comment les
mentalités antisémites perdurent, enfouies, et ressurgissent en certains
moments de crise et de désarroi. D'autre part, si l'affaire Dreyfus a été
montée de toutes pièces, c'est dans le but d'influencer les compor -
tements des Français. Dans quels buts? Pour quelles opérations?
La visite de musée
L
es enseignants craignent les visites de musée(' ) . Surtout avec des
élèves réputés difficiles, turbulents, en difficulté. Dans nombre de
4W collèges où existent, masquées bien sûr, des classes de niveau, les
A, B ou C font des sorties, les D et E beaucoup plus rarement. Sans
compter que cette discrimination recouvre souvent des différences
sociales importantes.
U Un musée, ça se lit!
Afin que les visites de musée ne se transforment pas en autant de
parties de cache-cache, il faut qu'elles interviennent dans une dyna-
mique où les élèves ont besoin de celles-ci pour continuer leur
recherche. Comme les interventions magistrales. D'autre part, un
musée a souvent le désavantage d'être trop riche pour qu'on ne se
laisse pas submerger par le flot de documents, d'objets et d'infor -
mations. Il faut donc renoncer absolument à une visite exhaustive, qui
serait une visite pour la visite, et non pour la recherche amorcée. Bref,
il s'agit d'inventer missions, jeux de rôles, ou encore questions préa-
lables qui permettent une visite active de ce musée. Pour autant, nous
nous méfions des questionnaires de plusieurs pages qu'inventent
certains enseignants, comme nous l'avons vu au Louvre, car il s'agit
alors d'un véritable parcours indigeste pour l'élève qui permet à
l'enseignant de s'assurer qu'aucune salle n'a été oubliée par l'élève. Ce
sont des questions de contrôle.
Le texte reconstitué
a pratique du texte reconstitué est en définitive ardue. Difficile de
ne pas tomber dans une activité voisine de la devinette alors qu'il
s'agit d'un dialogue entre l'instituteur et les élèves dont l'objet est
de travailler sur l'écart qui persiste entre les propositions des élèves et
le texte. Propositions qui sont refusées non pas parce que le texte est
sacralisé mais parce que les propositions des élèves ne rendent pas
compte du texte ou, plus exactement, de l'interprétation du texte faite
au préalable par l'enseignant. Ce travail a été analysé en détail par
H. Bassis 111 en prenant appui sur des textes poétiques. Mais cette
activité peut être réinvestie pour des textes historiques célèbres
comme le fameux manifeste du duc de Brunswick. La précision des
termes contenus dans le texte est nécessaire si l'on a l'ambition de
faire comprendre la force et les raisons de la colère que ce texte a pu
provoquer chez les Parisiens de cette époque. Colère qui est un des
facteurs de la prise des Tuileries dans la nuit du 9 au 10 août 1792.
L'utilisation du document historique, écrit, pose à la fois des problèmes
méthodologiques propres (2) et offre la possibilité de mettre en oeuvre
toute une série de stratégies de lecture, comme n'importe quel autre
texte, puisqu'il s'agit de faire du sens - des sens - à propos d'un écrit. Il
nous est apparu important de mettre en relief cet aspect au moment où
certains enseignants pourraient être amenés à sacrifier l'enseignement
de l'histoire au profit des missions nouvelles qui incombent à l'École.
P qui est censé être l'outil qui permet de savoir ce que les élèves ont
retenu du cours ou de la leçon. Avouons-le, il s'agit bien souvent
d'une carotte ou, comme on voudra, d'un bâton symbolique qui doit
aiguillonner les élèves. Le contrôle approchant, nous espérons qu'ils
vont enfin se décider à se mettre au travail. Et, d'ailleurs, l'insistance
mise sur les devoirs et sur l'aide aux devoirs laisse parfois craindre
que les enseignants considèrent que la construction ou la conceptua-
lisation, bref, l'essentiel des acquisitions, ne se fassent à la maison!
On devine que, derrière cette stratégie de l'évaluation, se cache une
théorie de l'apprentissage qui laisse la part belle aux pratiques de
transmission magistrales du savoir, d'un savoir « donné/reçu ». Cette
évaluation est donc cohérente et privilégie les capacités d'énonciation
ou plutôt de « ré-énonciation » du savoir et minimise en réalité sa
maîtrise véritable. Si un concept est maîtrisé, l'élève doit pouvoir le
réinvestir dans d'autres situations.
L
essentiel de notre pratique étant la gestion des hypothèses
I conflictuelles et contradictoires entre les individus et les
groupes, nous avons besoin en permanence d'apprécier,
d'évaluer les cheminements et les processus des élèves. Écouter un
groupe réfléchir, se chamailler, décoder ce qui fait obstacle dans les
représentations mentales, repérer les impasses etc. Savoir où ils en
sont pour relancer, interpeller, pousser les hypothèses jusqu'au bout,
c'est déjà évaluer. Évaluer non pas tant l'activité mais plutôt les
processus, les promesses dont sont porteurs les cheminements
observés.
1. Voir G. de Vecchi, Aider les élèves à apprendre, pp. 80-97, Hachette Éducation, 1992.
1. Voir Dialogue, Spécial Évaluation : Quand Ils ne réussissent pas, qu'est-ce que Je
change dans Ma pratique? », n» 66, février 1989.
2. B . -M. Barth, L'Apprentissage de l'abstraction, méthodes pour une meilleure réussite de
l'école, coll. <(Pédagogie », Retz, 1987.
C'est à cette condition que ces processus pourront être réinvestis dans
d'autres matières. Cette phase est aussi un des moyens pour que les
élèves conscientisent que cette réussite est avant tout la leur. Réussite
qui s'explique non pas parce qu'ils auraient un bon enseignant mais tout
simplement parce qu'ils sont intelligents(') ! Cette phase est en fait une
activité réflexive qui est incontournable si l'on veut que mûrisse l'esprit
de recherche chez les élèves. Et elle permet que chaque enseignant mène
une véritable activité de recherche dans sa classe, hors de toute routine.
Le résumé
II Quel résumé?
Passage obligé de tous les cours d'histoire, l'élève doit apprendre le
résumé dicté par le maître ou rédigé par l'auteur du manuel d'histoire.
De quel résumé s'agit-il le plus souvent? De la contraction du cours
magistral, du récit que l'élève a lu ou entendu durant le cours. Cette
pratique ne nous semble pas formatrice. Nous n'en voulons pour
preuve que les élèves ne l'apprennent pas ou peu et ne le retiennent
pas d'une année sur l'autre, quand ils n'ont pas tout oublié au bout
d'un mois ! Paradoxe d'une pratique qui a fait la preuve de son
inutilité dans ces formes-là et qui perdure!
L'énonciation du résumé, ou plutôt sa « ré-énonciation », n'est pas
synonyme de savoir ou de conceptualisation. Et pourtant, la pensée
française s'enorgueillit de compter Montaigne parmi ses fleurons. Mais
qu'avons-nous retenu des Essais, pour ne pas se souvenir qu'il
dénonçait déjà l'apprentissage par coeur et qu'il voyait dans cette
pratique une des raisons de la servitude intellectuelle? « Jamais ils ne
deviennent leur propre maître. »(2)
1. Cette idée est développée par J. Jacoto dans J. Rancière, Le Maître ignorant, Fayard, 1987.
2. Sénèque, Lettres, 33, cité par Montaigne, Les Essais, I, XXVI, coll. « L'Intégrale », Seuil, 1967.
Pas de contrôles?
• Les Q.C.M.
Il va sans dire que l'attention que nous accordons au travail de
formulation-formalisation écrite réalisé par l'élève nous fait rejeter les
Q.C.M. (questionnaires à choix multiples). Faciles à corriger, qu'éva-
CE et CM
• Rédaction d'affiches, étape par étape, des hypothèses des groupes ou des élèves
et de l'état de leur recherche.
• Réécriture individuelle après la confrontation entre les groupes, afin que
chacun puisse mesurer ce qu'il a vraiment compris.
• Écriture réflexive, en fin de leçon, sur le « Comment on s'y est pris ? » En
précisant aux élèves les objets théoriques sur lesquels ils doivent centrer leur
attention:
- comment on s'y est pris? Retour sur la séquence depuis l'émergence des repré-
sentations mentales jusqu'aux dernières productions, en essayant de formuler
les avancées méthodologiques;
- les contradictions de la situation historique;
- les ruptures historiques que représente la période étudiée.
• Les formes ou genres
- le résumé classique en s'inspirant de résumés équivalents, si possible plusieurs
résumés de manuels différents sur la même leçon. Apprendre à écrire des
résumés, c'est aussi démultiplier sa compétence de lecteur de résumé;
- la lettre d'un personnage clef qui devient narrateur de ce qu'il a vécu, en distri-
buant plusieurs narrateurs si possible de nature différente, ce qui permet de
travailler la notion de point de vue;
- l'article de revue historique, en distribuant des articles différents, tirés de revues
de vulgarisation pour les jeunes, comme Okapi. Un article confié à un groupe sur
les causes, un autre sur les conséquences de tel ou tel événement. Cette écriture
« à la manière de... » permet de familiariser les élèves avec des revues, tout en leur
proposant une mission qui facilite leur lecture.
L'historien , subjectif?
« L'historien va aux hommes du cation des valeurs f...] n'est pas
passé avec son expérience humai- possible sans que l'historien soit
ne propre. Le moment où la subjec- vitalement intéressé à ces valeurs
tivité de l'historien prend un relief et n'ait avec elles une affinité en
saisissant, c'est celui où, par-delà profondeur. f...]. »
toute chronologie critique, l'histo-
rien fait surgir les valeurs de vie Paul Ricœur, Histoire et vérité,
des hommes d'autrefois. Cette évo- cou. Esprit, Seuil, 1955.
i. voir partie 2.
2. A. Dalongeville, M. Huber, « L'Affaire Dreyfus, et s'il s'agissait de l'avant-goût de la
barbarie nazie? «, in op. cit., casteilla, 1989.
• Jeu de l'assassin
• Les sens trahisssent
- Peut-on se fier aux sens ? Aux souvenirs ? D'autant que, plus le
temps passe, plus les témoignages sont incertains, imprécis, défor -
més. En effet, comme ils avaient perdu leurs repères spatiaux, toute
une série de certitudes s'effondrent la succession réelle des faits, le
sens des déplacements et même les durées!
- Peut-on, dès lors, se fier aux témoins de bonne volonté puisque
même les innocents trahissent les faits ? Et pourtant, le détective ne
peut mener son enquête sans ces témoignages!
- Les témoins spontanés qui veulent à tout prix faire avancer
l'enquête, parfois dans un sens, sont-ils plus fiables que ceux qui
coopèrent avec réticence ? Celui-là est-il en train de s'empresser pour
détourner des soupçons éventuels? Celui-ci est-il en train de souffler
la vedette au détective?
• Tous les témoins mentent!
- Les témoignages s'influencent mutuellement; comment les recueillir
pour éviter ce phénomène ? Faut-il recueillir les dépositions sépa-
rément ? Et pourtant, c'est parfois utile de faire se confronter les
témoins!
- Comment faire le tri entre ceux qui mentent sans le vouloir,
involontairement, et celui qui ment? Entre ceux trahis par leurs sens
et celui qui trahit les faits pour se disculper?
Quelle méthodologie?
- Comment ne pas être parasité par les incohérences involontaires ?
Sur quels paramètres centrer son attention?
- Comment repérer celui qui ment? S'il ment, il va, à un moment ou à
un autre, être en porte à faux avec les autres déclarations ou les
siennes, antérieures. Alors, comment l'amener à se contredire ? À
contredire les autres ? À être contredit par les autres?
- Quelle attitude avoir? Soupçonner tout le monde, au risque que les
témoins aient peur de témoigner? Faire a priori confiance à tous, au
risque d'être abusé par le coupable?
Toute une série de points qui concernent la procédure de l'enquête
policière. Points qui ne sont pas forcément résolus, mais sur lesquels
il importe d'attirer l'attention. Même si, et nous entendons déjà les
critiques, l'enquête policière et la recherche historique ne sont pas
U Le mime
-Première surprise : tout le monde a regardé la même scène et,
pourtant, personne n'a vu la même chose ! Les élèves accusent le mime
de ne pas savoir faire, mais pourtant, sur le moment, chacun a noté ce
qu'il voyait, sans se douter que ce moment-là poserait problème.
U Le constat d'accident
- Si je mène l'enquête à la suite d'un accident de la circulation, par
exemple, de quelles données dois-je me méfier pour que les témoi-
gnages recueillis soient fiables?
- Quelle distance physique entre les témoins ? « Qu'a-t-il vu ? Que
pouvait-il voir ? »
- Quelles relations entre les témoins eux-mêmes, avec les
protagonistes?
- Quels points communs qui pourraient entraîner une sympathie ou,
au contraire, une antipathie avec un des protagonistes (âge, sexe,
classe sociale, nationalité, profession, religion, moralité...) ? Les élèves
savent, par expérience, que si un jeune, en Mobylette, renverse une
vieille personne, les dépositions des témoins seront différentes si eux-
mêmes sont jeunes ou vieux.
- Et même des facteurs plus complexes, psychologiques ou
idéologiques, qui vont du « Ça me regarde pas », « Aider les flics f »,
jusqu'au racisme, en passant par « le potin que faisait l'engin », ou qui
vont dépendre de l'accident qu'a déjà eu le témoin...
Et l'histoire, dans tout ça? Il est temps d'y revenir, bien sûr ! Mais ce
détour a permis de donner matière à discussion pour chacun.
U Histoire et vérité
C'est l'ébranlement pour certains : la vérité, ça n'existe pas ! Ou,
plutôt, l'objectivité ! En histoire, comme en sciences, cette idée d'une
vérité toute faite, magique en somme, est à tailler en pièces. La vérité
n'est souvent que très partielle ou provisoire. La vérité, comme
l'objectivité, est le produit d'une construction: exercice difficile certes,
mais sans lequel on oscille entre une crédulité aveugle et une
incrédulité de l'inertie. Car il ne faut pas confondre le doute comme
scepticisme philosophique et le doute méthodologique, inspiré par
Descartes. Voyons les questions qu'on peut aborder:
L'objectivité, ça existe ? L'objectivité, à quelles conditions?
- Et la vérité, c'est la même chose ? La Vérité avec un y majuscule, ça
existe ? Tout fait n'est-il vraiment qu'une interprétation?
I U En cycle 3
Puis chaque groupe présente son travail et découvre que son propre
personnage pourrait être l'auteur du texte de l'autre groupe. Et la
discussion s'engage sur le regard que chacun porte sur l'autre.
Contradictions idéologiques, points de vue opposés, amorce de la
notion de classe sociale. Mais aussi qui a écrit le texte décrivant le
noble, pas le paysan qui ne savait pas écrire, alors qui?
U En Sixième
La classe est divisée en deux. La première moitié de la classe travaille
en groupe sur un extrait des Histoires d'Hérodote, qui attire, à juste
titre, l'attention sur la chance extraordinaire de l'Égypte, véritable
« don du Nit » selon son expression. La seconde moitié de la classe
travaille sur un extrait de la Satire des métiers, dans lequel un scribe
explique à son élève le sort très difficile du paysan égyptien.
Nous avons déjà souligné la forte discontinuité qui existe entre les
trois pôles que constituent la conception scientifique de l'histoire, la
didactique de cette discipline et les pratiques pédagogiques concrètes.
Les attendus consensuels - former le citoyen - sont toujours désa
voués par les pratiques, à la fois pour ce qui concerne les situations
d'apprentissage et les objets d'étude.
Nous voulons, ici, montrer combien la responsabilité des enseignants
de notre discipline est grande dans la formation du citoyen.
• Les manuels
Servage ou esclavage
Les manuels stigmatisent en général le servage comme un semi-
esclavage. Comme le souligne R. Pernoud, ils sont tous silencieux sur
le fait que c'est au début du Moyen Âge - rve ve siècles - que l'esclavage
disparaît alors que c'est à la Renaissance - surtout au XvIe siècle - qu'il
renaît. Dans les représentations - sculptures ou tableaux -' des Noirs
sont des saints ; ce n'est qu'avec le rétablissement de l'esclavage qu'ils
vont en être absents. De même pour la femme, l'Église médiévale lui a
toujours accordé une place d'importance; elles ont été canonisées,
baptisées, confessées... Là encore, c'est aux environs du Xvi e siècle
qu'elle est peu à peu dépossédée de tous ses droits, jusqu'au Code
Napoléon. Somme toute, beaucoup de contrevérités circulent. À tel
point que, bien souvent, on entend souvent parler à propos de
pratiques rétrogrades de pratiques moyenâgeuses!
Le Moyen Âge : pas si moyenâgeux que ça!
Une des principales tâches, nous semble-t-il, est de mettre en cause ces
représentations qui envahissent encore les dessins animés ou les
bandes dessinées et nos esprits. Le Moyen Âge n'est pas cette espèce de
parenthèse entre deux périodes civilisées: l'Antiquité et la Renaissance.
Dans notre formation d'enseignant, un des rares cours qui avait
soulevé notre enthousiasme est celui d'un professeur qui nous avait
annoncé: « La Révolution a déjà eu lieu, au Moyen Âge f » Provocation
qui nous avait permis de rompre avec des simplifications abusives.
1. R. Pemoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, cou. « Points «. Seuil, 1979.
fiefs qui sont des abeilles, des faucons, des recettes portuaires ou des
péages. C'est aussi, parfois, simplement de l'argent. Si la Normandie a
été un lieu de forte implantation du fief, la Scandinavie l'a ignoré,
mais aussi, en France, trois vallées pyrénéennes.
Simplifications, généralisation à l'excès, projection d'une conception
foncière de la propriété, J. Le Goff parle à ce propos d'erreur histo-
rique. Étant convaincus que l'erreur est un point d'appui, faisons de
ces ambiguïtés le centre de la leçon!
qui repose sur des liens d'homme à divin mais une lente et difficile
homme. construction!
1. Pour en savoir plus, lire A. Gerhards, La Société médiévale, coll. « Le Monde de... », MA,
1986 (articles fief, servage).
2. R. Pernoud, R. Delatouche, J. Gimpel, Le Moyen Âge, pour quoi faire ?, Stock, 1986.
3. Dossier Okapi consacré au Nil, supp. n° 384, 15/30 novembre 1987.
4. Id. cité, note 6, p. 241.
qui revient à dire que ces civilisations seront abordées avec l'exigence
de faire le tri nécessaire qui permette la construction du concept de
civilisation. « Il ne s'agit pas de donner à l'élève une définition, parmi
tant d'autres, de la civilisation, mais d'élaborer, à son intention, une
véritable grille de lecture et d'analyse qu'il enrichira au cours de sa
scolarité et appliquera ultérieurement à l'étude des civilisations médié-
vales et modernes. Cette grillefigurera dans le cahier de l'élève11 » C'est
la première grande civilisation... » En fait, les compléments nous
proposent un modèle théorique du concept de civilisation qui englobe
d'autres concepts interdépendants que l'on peut représenter comme
suit:
R Les manuels
La première(2) leçon de la plupart des manuels, de plusieurs pays d'Eu-
rope d'ailleurs, s'intitule: « L'Égypte, don du NiL » On pourrait supposer
que, dès lors, l'essentiel de la leçon va porter sur une tentative
d'explication de la genèse de la civilisation égyptienne en liaison avec le
Nil. Ce qui est parfois le cas mais, à parler franchement, on est en droit
de se demander pourquoi de telles civilisations ne sont pas nées au
bord de tous les cours d'eau, quand on s'aperçoit que les élèves, à la
lecture du livre, ne cernent pas les caractères exceptionnels de ce
fleuve. D'ailleurs, il n'est pas sûr que bien des experts qui ont conseillé
la construction du barrage d'Assouan aient, dans les années 50, mieux
compris ce fleuve. Qu'est-ce à dire?
S Un fleuve excentrique!
Un fleuve qui coule au milieu du désert est un phénomène unique - le
Niger ne fait qu'une brève incursion dans la bordure désertique - qui
ne peut pas se contenter d'être dit en une phrase. Cest insolite
Tellement que les Égyptiens avaient fait de ce fleuve un dieu.
Tellement étonnant que Néron disait : « Je donnerais ma tête pour
savoir où tu caches la tienne f » Et ce n'est rien! Ce fleuve est en crue
en pleine saison sèche ! Ce fleuve apporte les terres parmi les plus
1. compléments aux Programmes et Instructions, Collèges, Histoire, 6», C.N.D.P., 1986.
2. Et non pas en France. Notre tradition historiographique s'obstine à ne voir dans notre
culture que la seule influence du monde gréco-romain en minimisant les emprunts
philosophico-religieux et scientifiques faits à la civilisation égyptienne.
ï.
LES SOURCES DU ML, UN MYSTÈRE!
- Un collage de textes : Hérodote, Néron, les prêtres égyptiens. Ne pas oublier que
les Romains disaient « chercher les sources du Nu », comme nous : «chercher une bug
aiguille dans une botte de foin ».
- Une carte classique tirée d'un manuel (Hachette).
- Diagramme des précipitations à Assouan et régime du Nu.
Une consigne: résoudre le mystère.
• Le Nil vu par Hérodote(')
« Il est évident que la région d'Égypte où les Grecs se rendent en bateau, c'est-à-
dire le delta, est un don du Nil ; et aussi la région située au-dessus, jusqu'à dix
jours de navigation...
Sur le fleuve, je n'ai obtenu aucun renseignement, ni des prêtres, ni de personne.
Je désirais pourtant savoir pourquoi, pendant cent jours à dater du solstice d'été
(21 juin), le Nil croît et envahit les terres, puis se retire et baisse de niveau.»
« Mais d'où venait donc ce fleuve divin qui dessinait une allée de verdure au milieu
des sables jaunes?»
Hérodote disait, en 430 avant J.-C. : « On connaît le cours du Nil jusqu'à une
distance de quatre mois de navigation au-delà de l'Égypte... mais plus loin... »
Plus loin, c'était les montagnes qu'on appelait, sans y être jamais allé, les monts de
la Lune.
Les sources du Ni!
Depuis l'aube des temps, c'est le mystère. Les Égyptiens ignoraient tout des
sources du fleuve les devins, les prêtres disaient: « Le Nil tombe sur la terre .»
Plus tard, Néron disait au Nil : « Je donnerais ma tête pour savoir où tu caches la
tienne.»
Dans l'Antiquité, les sources du Nil étaient tellement mystérieuses que les Romains
avaient l'habitude de dire « quaerere fontes Nili >, « chercher les sources du Nil »,
lorsqu'ils parlaient d'un projet irréalisable C'était à peu près l'équivalent de
« chercher une aiguille dans une botte de foin>.
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• « [.1' analyser des idées et des concepts, de les organiser pour construire des
raisonnements, de commencer à argumenter de manière rigoureuse('). » À moins
qu'il ne s'agisse de faire de la prose sans le savoir, les élèves doivent être amenés à
conscientiser les concepts qu'ils sont en train de construire, construction et
conceptualisation qui ne peuvent s'effectuer sans recours à une pensée rigoureuse,
donc forcément par une ou plusieurs écritures successives qui sont autant
d'étapes vers la maîtrise de ces concepts.
1. Programmes et instructions, pp. 18-19, Collèges, BO/CNDP, 1985.
« Seuls ou en groupe, les élèves doivent enfin apprendre à travailler par eux-mêmes,
afin d'accéder à l'autonomie et à la responsabilitét3 . » On peut se demander quelle
est la raison majeure de la répugnance qu'ont les enseignants de collège à recourir
au travail de groupe. N'est-ce pas l'utilisation presque exclusive de l'histoire-récit
qui conduit les collègues à délaisser ces formes de travail qui permettraient de
rompre avec la « pédagogie frontale », professeur/ensemble des élèves, qui pèse à
chacun et qui court-circuite des possibilités autres de penser des élèves?
3. Id. p. 21.
Définitions
Valeurs : principe idéal auquel se Civisme : dévouement du citoyen
réfèrent communément les membres pour son pays, de l'individu pour la
d'une collectivité pour fonder leur collectivité.
jugement, pour diriger leur conduite. Éthique : science des moeurs et de
Morale ensemble des principes de la morale.
jugement et de conduite qui s'im- Dictionnaire Hachette encyclopédique
posent à la conscience individuelle en couleurs, 1995.
ou collective comme fondée sur les
impératifs du bien.
n'organiserait-il pas une réunion de l'ecclesia avec, pour enjeu : le cours d'histoire,
ce qui va, ce qui ne va pas, comment l'améliorer?
1. Pour ceux qui seraient tentés par ce type d'expérience, lire, de V. Ambite
- Il s'est passé quelque chose à Cassis : des témoins parlent, coll. « E3
Casterman, 1982; -
- Un collège très ordinaire, Éd. du Scarabée, 1982.
2. M. Huber, « En Sixième, construire le concept de démocratie en trois démarches
in L'Histoire, indiscipline nouvelle, coll. « Contrepoison «, Syros, 1984.
Technique de l'enquête
Se centrer sur un quartier qui doit être équipé de certains aménagements.
Enquêter auprès des passants, habitants : Ont-ils eu l'occasion de donner leur
avis ? Sous quelle forme ? Y a-t-il des assemblées de quartiers ? etc.
Réinvestir sur l'école, la classe.
Se préparer aux effets en retour; plus grande exigence des enfants...
• La fin de l'histoire-récit
L'enseignement de l'histoire doit tourner le dos à la pratique de
l'histoire-récit, qui favorise la passivité intellectuelle des élèves, qui fait
croire que ce qu'ils entendent est la Vérité révélée par le maître. Il
s'agit, pour nous, que les élèves structurent les faits, les événements,
leurs interprétations. L'histoire doit être une reconstruction contradic-
toire menée par les élèves eux-mêmes.
1. Il y aurait à s'inquiéter que ces disciplines soient enseignées coupées de leur genèse,
sans aucune réflexion épistémologique.
Un pari à oser
ur tous ces plans, l'enseignement de l'histoire a beaucoup à
apprendre des chercheurs en histoire, non pas seulement pour
vulgariser les avancées de ces derniers, mais pour analyser et
réinvestir les processus mentaux, et les procédures méthodologiques
qui leur sont propres. À nous de chercher, d'imaginer et d'oser
Combien d'enseignants se plaignent du caractère répétitif de leur
métier ! Si tel est le cas, c'est qu'ils s'y enferment, par routine, puis
par peur de faire les ruptures décisives que nous énoncions plus haut.
Certes l'ambition est grande. Mais que peut-il y avoir de plus
passionnant que de faire notre métier comme un chercheur dans sa
classe? Que de voir des élèves en difficulté s'investir dans le travail?
N'est-ce pas plus intéressant que de se transformer en applicateur,
plus ou moins zélé, de méthodologies qui n'en sont pas, et qui
continuent à véhiculer des idées simplistes sur les réalités de
l'apprentissage des élèves?
Ce livre n'est pas un recueil de recettes, même si des expériences très
concrètes sont présentées, mais un faisceau de pistes, de possibles
qu'il appartient à chacun d'explorer. Surtout si l'on n'est pas un
spécialiste, surtout si l'on doit aussi préparer plusieurs séquences
d'autres disciplines.
Il ne s'agit pas de tout transformer à la fois, mais de s'essayer à
quelques modifications. Le pari que nous faisons c'est que vous-
mêmes, lecteurs, ainsi que les élèves, y prendrez goût et serez prêts à
aller plus loin en notre compagnie!
Didactiques
Centrés sur le premier et le second degré, ces ouvrages constituent
pour les enseignants et les parents autant de repères pour
comprendre l'enseignement. Ils fournissent des instruments de
diagnostic, de régulation et d'orientation. Aides à la pratique quoti-
dienne de la classe, ils donnent les éléments de réflexion permettant
de dominer les contenus d'enseignement.
Premier degré
Enseigner les mathématiques à l'école, Françoise Cerquetti-Aberkane
Enseigner le français à l'école, Carole Tisset, Renée Léon, préface de
Michel Migeon
Enseigner la géographie à l'école, Pierre Giolitto
Enseigner l'éducation civique à l'école, coordonné par Pierre Giolitto
Enseigner les mathématiques à la maternelle, Françoise Cerquetti-
Aberkane, Catherine Berdonneau
À l'école à deux ans, pourquoi pas?, Nicole Pradel
La Littérature de jeunesse à l'école, Renée Léon
Ces héros qui font lire, Laurence Decréau
Savoir orthographier, I.N.R.P.
La Télévision pour lire et pour écrire, Maguy Chailley, Marie-Claude
Charlès
Évaluer les écrits à l'école primaire, Groupe EVA/I.N.R.P., préface
d'Hélène Romian
Didactiques de l'orthographe, Jean-Pierre Jaffré/I.N.R.P., préface de
Nina Catach
Comprendre des énoncés mathématiques, résoudre des problèmes,
Alain Descaves
Apprendre à lire comme on apprend à parler, Marie-Joëlle Bouchard,
préface d'Alain Bouvier
Apprendre à communiquer, Jean-François Simonpoli
Deuxième degré
La Proportionnalité et ses problèmes, Danièle Boisnard, Jean Houde-
bine, Jean Julo, Marie-Paule Kerbœuf, Maryvonne Merri
Construire des concepts en physique, Gérard Lemeignan, Annick Weil-
Barais
126
Fabriquer des exercices de français, Pierre Lamailloux, Marie-Hélène
Arnaud, Robert Jeannard
Nouvelles approches
Corriger des copies, évaluer pour former, Odile et Jean Veslin, préface
de Jean Cardinet
127
Pédagogie pratique à l'école
Imprimé en France
par l'imprimerie Hérissey à Évreux (Eure) - N° 93627
Collection n° 08 - Édition n° 06
Dépôt légal: 29055 - 11/2002
17/0373/5
128