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des situations
pour apprendre
Laurent Lescouarch
Construire
des situations
pour apprendre
Vers une pédagogie de l’étayage
Composition : Myriam Dutheil
www.esf-scienceshumaines.fr
ISBN : 978-2-7101-3417-6
ISSN 1158-4580
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Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu
*
**
Voir la liste des titres disponibles dans la collection « Pédagogies »
sur le site www.esf-scienceshumaines.fr
Remerciements
C et ouvrage n’aurait pas pu être écrit sans les différentes rencontres avec des
praticiens, artisans pédagogiques du quotidien, et je souhaite donc remercier
tous les enseignants, les étudiants qui ont partagé avec moi leurs réflexions à
travers leurs recherches et témoignages. J’ai une pensée plus particulière pour
les collègues de l’école Kergomard du Havre, du collège lycée expérimental
d’Hérouville-Saint-Clair et du collège Claude Bernard, de l’école Montessori de
Rouen qui m’ont accueilli dans leur établissement et m’ont permis d’approfondir
mes analyses et de les confronter à la réalité quotidienne du terrain.
De plus, comme la pédagogie est une question de filiation, je souhaite
également exprimer toute ma reconnaissance aux militants du mouvement
Freinet et des CEMEA dont la pensée pédagogique me nourrit depuis maintenant
de nombreuses années ainsi qu’à mes collègues du laboratoire CIRNEF de
l’Université de Normandie, tout particulièrement Emilie Dubois, Marie Vergnon
et Jean Houssaye avec lesquels je chemine dans la réflexion éducative depuis
de nombreuses années.
Enfin, dans un registre plus personnel, j’ai une pensée pour ma famille qui
m’accompagne dans cette aventure de la recherche en pédagogie avec un soutien
sans faille depuis le début.
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Table des matières
Préface.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Introduction.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
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Construire des situations pour apprendre
Conclusion
Une question d’équilibre.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Bibliographie.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
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Préface
L’enjeu pour beaucoup d’enseignants n’est pas celui d’une rupture radicale avec leurs
pratiques d’enseignement déjà installées, mais plutôt d’un enrichissement des modèles
d’action en pensant la complémentarité des méthodes.
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Construire des situations pour apprendre
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Préface
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Construire des situations pour apprendre
Henri Peyronie
Professeur émérite de Sciences de l’éducation
Université de Caen Normandie, Cirnef EA 7454
12
Introduction
A pprendre est un processus complexe et, force est de constater que, malgré
des réformes successives destinées à favoriser une démocratisation de
l’accès aux savoirs depuis la fin des années 1970, les différentes enquêtes inter-
nationales indiquent qu’une partie non négligeable de la population scolaire fran-
çaise est en difficulté d’apprentissage. Cette situation est généralement analysée
sous deux angles contradictoires : certains Cassandre dénoncent la faillite d’un
système éducatif mal réformé, une fuite en avant destructrice de « bonnes vieilles
méthodes » ; d’autres au contraire expliquent ces constats par l’idée d’une
réforme jamais aboutie, impuissante à faire changer concrètement les conditions
réelles d’apprentissage dans les classes.
Ce débat idéologique structure le champ éducatif depuis de nombreuses
années mais apparaît dépassé, car il prête trop de pouvoir au prescriptif institu-
tionnel et est bien plus politique que pédagogique. En fait, les réformes succes-
sives ont une influence marginale sur les pratiques quotidiennes d’enseignement
qui restent relativement stables malgré un appel récurrent à la modification de
l’exercice du métier. Je pense donc que le changement pédagogique demeure
périphérique et cantonné aux acteurs des mouvements pédagogiques et dans les
dispositifs accueillant des publics particuliers aux marges de l’école. La révolution
copernicienne commencée au début des années 1990, puis maintes fois relancée
(la loi de 2013 sur l’éducation en étant le dernier avatar) est restée en grande
partie lettre morte. Beaucoup de professionnels sont réticents à s’engager dans
une innovation pédagogique perçue comme inefficace et voient bien souvent
dans les propositions de pratiques nouvelles des « usines à gaz » les empêchant
plus de travailler qu’autre chose.
Les chercheurs en sciences de l’éducation et les formateurs doivent s’in-
terroger sur cette situation. Les questions pédagogiques sont mal posées,
envisagées dans le cadre trop restrictif d’une forme scolaire que nous avons
héritée des besoins de massification scolaire du xxe siècle, aujourd’hui scléro-
sée. Tout le monde sent que le modèle est à bout de souffle, mais les points
de vue divergent considérablement sur la manière de le faire évoluer : faut-il
refermer le monde scolaire sur lui-même pour en refaire un sanctuaire ? Doit-on
renouer avec l’applicationnisme de la pédagogie scientifique à partir des travaux
des neurosciences pour prolonger le monde scolaire que nous avons connu ?
13
Construire des situations pour apprendre
Ou, au contraire, devons-nous accepter l’idée que les évolutions liées à l’irruption
des technologies dans nos vies quotidiennes avec des enfants passant plus de
temps connectés qu’en salle de classe, que les changements anthropologiques
liés aux questions éducatives en famille et à la place de l’école dans la société
impliquent que nous repensions en globalité le modèle pédagogique scolaire ?
C’est dans cette troisième perspective que nous nous situerons, dans l’idée
que penser l’éducation et ses conditions contemporaines nécessite de s’inté-
resser aux espaces pédagogiques de manière élargie, de cesser de se focaliser
exclusivement sur la recherche des meilleures techniques d’enseignement dans
un monde scolaire autocentré. Malgré la bonne volonté, les trésors d’invention
d’enseignants très investis, le différentiel entre l’énergie mobilisée, le temps
passé et les apprentissages effectifs des élèves doit nous interroger.
Nous courons depuis longtemps derrière une espèce de martingale, une
volonté de rationalisation des situations d’apprentissage qui peut apparaître,
avec le recul, un peu folle et prétentieuse. Un détour par l’histoire de l’éducation
et des idées pédagogiques nous invite à beaucoup d’humilité dans ce domaine.
Un lecteur qui se plonge dans les textes éducatifs du xixe siècle ou de la première
moitié du xxe siècle est vite amené à prendre conscience de la nouveauté toute
relative des propositions actuelles en matière éducative. Ces écrits foisonnent de
modèles d’action opérationnels pour l’individualisation du travail, l’organisation
de la classe, l’évaluation, et même dans certains courants sur ce qui nous est
présenté fréquemment comme des nouveautés : pédagogies de projets, évalua-
tion régulatrice par les élèves, coopération entre apprenants.
Or, malgré cette tentative récurrente de construire une nouvelle pédagogie
(qui a pris aujourd’hui le virage des didactiques disciplinaires), nous ne pouvons
que constater l’impuissance du monde enseignant face à ces publics qui résistent
aux apprentissages. La situation la mieux pensée se confrontera toujours à la
disponibilité, à l’engagement de l’apprenant. Le pédagogue est condamné à une
forme d’approximation. Il ne peut que chercher à aménager un environnement
stimulant et à proposer des situations dont il espère qu’elles pourront susciter un
apprentissage, être en correspondance avec les capacités et les besoins du sujet
à un moment donné, mais il doit renoncer à l’illusion de « toute-puissance » car,
comme l’évoquait Meirieu, « l’apprentissage ne se décrète pas ».
Face à un foisonnement de discours d’autorité souvent contradictoires, le
pédagogue doit être pragmatique, considérer la question de l’éducation avec
distance et prendre du recul sur les enjeux des apprentissages scolaires. Il doit
notamment réintégrer dans l’équation l’ensemble des éléments concourant aux
apprentissages, y compris les expériences non scolaires déterminantes dans les
enjeux de réussite. Ainsi, la vie quotidienne, les espaces de loisirs constituent
autant de moments dans lesquels on apprend, pas forcément des éléments
14
Introduction
1. Dans cet ouvrage, nous utiliserons le « je » quand le propos fait référence à une prise de
position personnelle ou un témoignage et le « nous » quand la réflexion développée est en
relation à une perspective collective ou fait référence à des travaux de recherche.
15
Construire des situations pour apprendre
16
Introduction
Je crois en effet que ce qui manque le plus aux éducateurs aujourd’hui n’est
pas du registre des techniques – elles sont foisonnantes et facilement accessibles
avec le développement des nouvelles technologies –, mais bien de donner sens
à ce qu’ils font pour se positionner en clarté dans un univers où ils sont confrontés
en permanence à des discours d’autorité contradictoires. Notre objectif est de
donner accès à des réflexions, à des théorisations susceptibles d’aider les prati-
ciens à « changer de regard » sur leurs pratiques pédagogiques pour en conforter
certaines en les remettant en perspective de sens, en faire évoluer d’autres.
Devant concilier l’impératif de donner accès à des théorisations pour permettre
à chacun de construire sa réflexion et d’ouvrir des perspectives de changement
de pratiques plus concrètes, le propos est donc écrit sous une forme spiralaire
en présentant préalablement les fondements théoriques de l’analyse proposée
avant de développer ensuite les pistes pédagogiques qu’implique cette réflexion.
Chaque chapitre est indépendant et, selon son appétence, le lecteur pourra
faire son cheminement personnel dans l’ouvrage qui est pensé pour être lu soit
de manière linéaire soit par entrée thématique. Il s’agit d’ouvrir des voies de
réflexion aux praticiens, de leur faciliter l’accès à des théorisations utiles et prag-
matiques pour la construction de leur pratique en cherchant à éviter l’écueil de la
prescription, mais en ouvrant des portes vers des pistes de pratiques potentiel-
lement fructueuses.
La première partie doit permettre de revenir sur les enjeux et théories des
apprentissages, et tout particulièrement sur les limites des doxas actuelles sur
une « autoconstruction spontanée » des élèves au regard des difficultés des
enfants et de leurs besoins.
Dans une deuxième partie plus théorique, à partir de la présentation d’une
modélisation d’analyse des déterminants d’un milieu d’apprentissage étayant,
nous chercherons à faire ressortir les grands principes pouvant orienter la réflexion
pédagogique contemporaine, notamment l’importance de penser le cadre, les
ressources et les interactions au regard des visées éducatives poursuivies.
Nous aborderons dans une troisième et une quatrième partie différents
invariants de l’intervention pédagogique utiles pour repenser les organisations
afin de mieux prendre en compte les besoins d’étayage des enfants dans l’ensei-
gnement généraliste, les aides aux élèves en grande difficulté scolaire et dans le
périscolaire.
Certaines pistes prometteuses et porteuses de changement seront plus parti-
culièrement développées afin de faciliter l’analyse et l’évolution des pratiques
d’enseignement dans différents domaines : la différenciation pédagogique, l’éva-
luation, les interactions d’apprentissage, les nouvelles configurations éducatives.
17
1
Apprendre :
une expérience commune,
un besoin d’étayage
« Le travail des enfants n’est efficient – comme le travail des adultes, d’ailleurs –
que lorsqu’il est voulu, lorsqu’il est l’expression et la satisfaction profonde
d’un besoin que les pédagogues disent fonctionnel. »
C. Freinet
19
Construire des situations pour apprendre
enfants de 6 ans de rester assis toute la journée à des bureaux sans bouger ni
parler, à leur demander de ne pas jouer et de respecter des règles arbitraires.
En fait, si on prenait en compte réellement les besoins de l’enfant sur ce plan,
les journées seraient plus courtes, mieux réparties dans l’année, des pauses
seraient aménagées plus régulièrement et les élèves auraient le droit en classe
de se déplacer, d’échanger par exemple. Le monde scolaire fonctionne donc sur
des règles collectives qui peuvent être particulièrement en inadéquation avec
les besoins physiologiques de chacun, et tout adulte qui retourne en formation
ressent rapidement ce décalage entre les contraintes inhérentes à ces situations
d’enseignement et ses propres besoins immédiats.
La question des besoins doit pouvoir être prise en compte dans la réflexion
pédagogique. Cependant, ce domaine de réflexion a progressivement disparu
de la formation des enseignants, de moins en moins ancrée dans une approche
psychosociologique au profit d’une focale souvent restreinte aux domaines didac-
tiques. La notion est réapparue récemment dans le discours éducatif à travers la
thématique des « besoins éducatifs particuliers », mais elle n’est plus mobilisée
que dans le registre de la prise en compte de situations de handicap, ce qui est
éminemment réducteur, car toute personne a des besoins spécifiques que l’édu-
cateur doit pouvoir prendre en considération.
Cette préoccupation est essentielle pour commencer à réfléchir la construction
d’un environnement d’apprentissage adapté dans la continuité de la pensée du
courant de l’éducation nouvelle qui promouvait surtout cette notion pour s’oppo-
ser à l’approche traditionnelle de l’éducation, comme l’exprimait très clairement
le pédagogue Roger Cousinet : « Le traditionaliste construit artificiellement le
milieu (le programme) et s’efforce d’y adapter l’enfant. L’éducation nouvelle
prend les besoins de l’enfant comme données et organise le milieu de manière
que ces besoins puissent y être satisfaits, adapte le milieu à l’enfant 1. »
Ainsi, de grandes figures pédagogiques historiques ont élaboré leurs pratiques
comme réponse à des besoins identifiés des enfants. Dans la pédagogie Decroly,
les centres d’intérêt organisateurs des activités sont clairement organisés à partir
d’une théorie des besoins naturels de l’enfant : « Je me nourris, je me protège
(contre les intempéries), je me défends, je travaille. » Ces besoins naturels sont
alors raccrochés à différents éléments (l’homme, l’animal, les végétaux et les
minéraux) pour permettre la construction d’un plan de travail.
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Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
L’approche Montessori est basée sur une théorie des « périodes sensibles »
dans l’enfance. Pour elle, les enfants passent par des périodes d’intérêt et de
curiosité au cours de leur développement, et les situations qui leur sont propo-
sées doivent être pensées spécifiquement pour être ajustées à ces périodes.
Freinet a cherché de son côté à construire des méthodes naturelles prenant en
compte la curiosité et l’« élan vital » des enfants.
Dans la continuité de pensée de ces différends pédagogiques, nous pouvons
considérer que le travail d’un enseignant n’est pas seulement de chercher
à instruire en exposant son savoir, mais bien de tout mettre en œuvre pour
permettre le développement de la personne dont il a la responsabilité. Se préoc-
cuper des besoins des publics constitue donc une clé de lecture fondamentale
pour penser les apprentissages.
L’Observatoire national de la protection de l’enfance donne ainsi une défini-
tion intéressante de cette notion : « La notion de “besoins fondamentaux de l’en-
fant” renvoie à la question essentielle de la détermination de ce qui est nécessaire
pour l’enfant. Le terme de “fondamental” semble a priori le plus polysémique de
cette expression, pouvant s’entendre à la fois comme renvoyant aux besoins les
plus vitaux, qui seraient fondamentaux au sens où l’on ne pourrait s’en dispenser
(sens de besoins primordiaux) ; et/ou comme les éléments dont a besoin l’enfant
pour se construire (sens de besoins développementaux) ; et/ou les éléments dont
a besoin l’enfant pour être considéré comme un sujet de droit et non comme un
objet d’intervention2. »
Pour les penser en milieu scolaire, nous pouvons décliner ces besoins
en différentes catégories : des besoins génériques liés au développement de
l’enfant et des besoins spécifiques liés à la situation singulière de la personne
et aux particularités du milieu scolaire. La classification la plus connue est celle
du psychologue Maslow, mais d’autres catégorisations, comme celle de Raths,
Brazelton et S. I. Greenspan pour les besoins liés à la petite enfance, peuvent
nous interpeller en tant que pédagogues dans la manière dont nous les prenons
en compte quotidiennement dans nos actions éducatives.
Toutes ces catégorisations ont en commun de pouvoir être reliées à une
approche de psychologie humaniste attentive à assurer la satisfaction de ces
besoins en lien avec une conception des apprentissages où c’est l’apprenant
qui est au centre des préoccupations, en analogie avec la formule emblématique
des réformes scolaires promues par la loi de 1989 sur l’éducation.
21
Construire des situations pour apprendre
Besoins physiologiques
Besoin de protection
Besoin de sécurité
physique, de sécurité
Besoins de sécurité économique
et de régulation
physique
Besoin d’appartenance
et d’affection Besoin d’une communauté
Besoin d’être libéré
stable, de son soutien,
de toute culpabilité
de sa culture
Besoin d’amour
et d’affection Besoin de relations
Besoin de partager chaleureuses et stables
et de se sentir respecté
Besoin d’estime
(estime de soi et de l’autre) Besoin d’appartenir
Besoin d’expériences
à une collectivité et de
adaptées au développement
s’y sentir bien
Ces catégorisations peuvent donc nous aider à penser des dispositifs péda-
gogiques plus respectueux de la nature de l’enfance, à envisager des dimensions
des apprentissages qui devraient être mieux prises en compte dans les espaces
éducatifs. Elles sont un rappel pour l’éducateur de la nécessité de construire un
milieu d’apprentissage stimulant, et cette entrée par les besoins interroge à la fois
le cadre scolaire quotidien et les dispositifs d’éducation périscolaire ou familiale.
3. Maslow A. H. (1954), Motivation and Personality, New York, Harper and Row.
4. Houssaye J. (1993), « La motivation », in J. HOUSSAYE (dir.), La Pédagogie. Une encyclopédie pour
aujourd’hui (7e édition), Paris, ESF Sciences humaines, p. 223 233.
5. Brazelton T. B., Greenspan S. I. (2003), Ce dont chaque enfant a besoin. Sept besoins incontour-
nables pour grandir, apprendre et s’épanouir, Paris, Marabout.
22
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
23
Construire des situations pour apprendre
Registre Pédagogies
Dimension Besoins
de besoins associées
Affiliation • Attachement • Pédagogie
des expériences
• Acceptation positives
BESOINS
• Investissement • Pédagogie
AFFECTIFS
humaniste
• Pédagogie
du projet
Accomplissement • Stimulation • Pédagogie
• Expérimentation différenciée
BESOINS • renforcement • Pédagogie
COGNITIFS active
Identité
• Pédagogie
behavioriste
Autonomie • Communication • Pédagogie
sociale • Considération interactive
BESOINS • Structures • Pédagogie du
SOCIAUX chef d’œuvre
• Pédagogie
institutionnelle
24
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Par exemple, dans le projet de Jean Zay en 1937, il était déjà prévu pour le
premier et le second degré la mise en œuvre d’ateliers de loisirs dirigés (Prost9,
Gutierrez10) visant une variation des formes pédagogiques dans les apprentis-
sages et impliquant un réaménagement des temporalités scolaires. En 1947, dans
le cadre du plan Langevin-Wallon11, il était également question d’une réduction
sensible des temps scolaires au regard des possibilités physiologiques et des
besoins psychologiques des enfants.
Cavet12 met en évidence la multiplicité des dimensions de cette question
(temps social scolaire, besoins de l’enfant et apprentissages) et les particularités
du système scolaire français au niveau des rythmes : des journées longues et peu
nombreuses. Elle montre que, alors qu’un nombre croissant de pays cherchent à
étaler leur calendrier scolaire sur un plus grand nombre de semaines, la France
était en 2009 parmi les pays dont la scolarité était la plus concentrée, avec
140 jours d’école au primaire et 178 jours au secondaire (la moyenne OCDE est
de 187 jours au primaire comme au secondaire). La réforme de 2013 obligeant à
organiser la semaine scolaire sur neuf demi-journées avait permis de mieux répar-
tir le temps et pouvait laisser espérer une meilleure prise en compte des besoins
des enfants sur ce plan en distribuant mieux les moments d’apprentissage pour
favoriser la disponibilité des enfants.
Cependant, l’autorisation récente en 2017 de réorganiser la semaine sur
quatre jours – fonctionnement a priori plébiscité par de nombreux enseignants et
une partie des familles – risque de ramener très rapidement le système scolaire
français vers un fonctionnement à quatre journées de six heures en élémentaire,
dont l’efficacité est fortement discutable.
De même, au niveau des congés estivaux, la France se situait dans la moyenne
haute de l’Europe, avec neuf semaines. Les congés en cours d’années étaient
également parmi les plus longs, avec quatre périodes de deux semaines réparties
sur les dix mois de l’année scolaire. Cette organisation conduit à ce que, de fait, la
journée des élèves français (écoliers, collégiens et lycéens) soit sensiblement plus
dense et plus chargée que celle de la plupart des autres élèves dans le monde.
Si étayer participe de la construction d’un cadre permettant d’apprendre,
la question des rythmes est loin d’être anecdotique et devrait constituer une
9. Prost A. (1968), Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, Armand Colin, collection
« U ».
10. Gutierrez L. (2014), « Les activités dirigées : regard rétrospectif sur une tentative de réforme
de l’enseignement en France dans les années trente », Vers l’éducation nouvelle, no 556, p. 54-60.
11. Maubant P. (1999), « Dispositifs dans et hors l’école : de nouvelles configurations péda-
gogiques ? », in Apprendre autrement aujourd’hui ?, entretien de la Villette, Cité des sciences et
de l’industrie, Paris.
12. Cavet A. (2011), Rythmes scolaires : pour une dynamique nouvelle des temps éducatifs. Dossier
d’actualité Veille et Analyses, no 60. Consulté le 25/04/2014 sur : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/
detailsDossier.php?parent=accueiletdossier=60etlang=fr
25
Construire des situations pour apprendre
thématique beaucoup plus investie par les professionnels. S’ils constatent bien
des effets de fatigue des élèves sur les temps scolaires, ils les attribuent généra-
lement à des causes externes de rythme de vie familiale sans interroger le déroulé
scolaire lui-même. Et pourtant, les savoirs issus de la chronobiologie13 mettent
en évidence que les rythmes sont effectivement inadaptés sur plusieurs points :
vacances trop longues, début de la journée trop tôt (manque de sommeil), durée
de la journée scolaire, ruptures de rythmes liées aux coupures dans la semaine
scolaire, pauses méridiennes fatigantes dans des espaces collectifs de restau-
ration scolaire souvent mal adaptés. De plus, si la disponibilité de l’enfant pour
apprendre est une condition préalable aux apprentissages, cette préoccupation
nous conduit à interroger également les conditions de vie des enfants, dans leur
environnement familial, les horaires de lever, de coucher, la garantie dans des
contextes paupérisés que les enfants n’arrivent pas le ventre vide à l’école.
Dans le cadre de l’espace scolaire, à un second niveau, les besoins liés à
la sécurité physique, mais auxquels on pourrait ajouter la sécurité affective,
amènent à réfléchir à la place qui est dévolue à l’enfant dans le cadre proposé
et sur les conditions dans lesquelles on le fait évoluer. L’idée de « besoin de
relations chaleureuses et stables » et « le besoin de protection physique, de
sécurité et de régulation » nous incite à bien prendre en compte les dimensions
psychoaffectives liées aux apprentissages, car elles ont également une influence
importante sur la disponibilité à apprendre.
Si les dimensions de sécurité physique sont surinvesties dans les espaces
scolaires contemporains, comme en témoigne le foisonnement de réglementa-
tions, la question de la sécurité affective est beaucoup moins prise en compte. Le
constat malheureux d’enfants qui vont à l’école « la boule au ventre » par peur
de ce qui va se passer dans la relation avec l’enseignant ou avec les camarades
reste une réalité, et certains enfants vivent également dans leur vie extrascolaire
des situations difficiles qui ne leur permettent pas d’être disponibles cognitive-
ment aux apprentissages. Nous pouvons ici nous référer aux travaux liés à la peur
d’apprendre et au stress à l’école. Boimare14 met ainsi l’accent sur les dimensions
psychoaffectives pouvant contrarier les apprentissages qu’il qualifie dans une
formule intéressante d’« empêchement de penser » aboutissant à des stratégies
de contournement et d’évitement du temps de la réflexion. Dans cette perspec-
tive, les enfants peuvent avoir « peur d’apprendre », ignorer ou refuser que « ce
qu’il y a à apprendre ».
13. Voir sur ce point un article très clair de la revue Sciences et Vie de juillet 2017 de Kheira
Bettayeb, « Aménagement des rythmes scolaires, les 4 avis scientifiques que personne ne suit »,
p.106-109.
14. Boimare S. (2014), L’Enfant et la peur d’apprendre (3e édition), Paris, Dunod.
26
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
La question des effets du stress sur les performances des élèves peut égale-
ment être associée à cette réflexion comme le montrent les travaux de Favre15. À
partir de travaux issus des neurosciences, il met en évidence l’impossibilité de
dissocier émotion et cognition pour l’apprenant et l’enjeu important de limiter les
situations angoissantes pour les élèves dans l’environnement scolaire : « Selon
certaines recherches, la réussite scolaire et le stress sont inversement corrélés.
De plus, un stress chronique et élevé a la réputation d’altérer la santé mentale et
physique. D’autres auteurs dénoncent comme atteinte à l’éthique le fait d’utiliser
le stress comme un instrument pour favoriser l’apprentissage en créant un envi-
ronnement menaçant pour les apprenants16. »
Le stress peut donc être « toxique », selon la formule d’Alvarez17, et le climat
instauré dans les environnements d’apprentissage peut être déterminant : cela
touche à la manière dont est construite la relation d’autorité et d’accompagne-
ment, à la pression mise ou non sur la performance immédiate et à la manière
dont sont prises en compte les productions des enfants. En fait, apprendre
implique des dimensions personnelles, émotionnelles et identitaires que l’ap-
proche scolaire traditionnelle minore bien souvent en privilégiant (dans ses objec-
tifs et ses régulations) la seule dimension d’exposition aux savoirs. Ces constats
nous invitent à reconsidérer les questions de l’évaluation et de l’aménagement
du cadre scolaire, car ces dimensions sont susceptibles d’être à l’origine de
difficultés de certains élèves. Nous développerons ces points dans les chapitres
suivants.
Le besoin d’estime de soi (pour soi et dans le regard de l’autre) est également
déterminant. Pour apprendre en milieu scolaire, il est important d’avoir construit
une estime de soi suffisamment positive, de se sentir en capacité de faire et
de réussir afin d’investir les situations, de supporter les tensions inhérentes à
l’apprentissage : prendre le risque d’apprendre, supporter la frustration de ne
pas encore savoir et se projeter dans une réussite future. Dans le même registre,
du point de vue psychosocial, les travaux relatifs à l’« effet Pygmalion » comme
prophétie autoréalisatrice et les analyses liées à la « menace du stéréotype »
montrent l’importance de se projeter comme capable de réussir pour se mobiliser
dans les apprentissages. A contrario, un enfant qui intègre l’idée de son incom-
pétence dans un domaine particulier (« Je suis nul en maths ») risque fort d’avoir
des difficultés à s’investir dans les situations relevant de ce domaine et de se voir
confirmer par ses résultats cette idée préconçue sur ses capacités.
15. Favre D. (2010), Cessons de démotiver les élèves. 18 clés pour favoriser l’apprentissage, Paris,
Dunod.
16. Favre D. (2014), « Stress et apprentissage », Animation et Éducation, no 238. Disponible
sur : http://ecole-savoirs-essentiels.fr/wp-content/uploads/2016/01/Stress-et-apprentissage-
Daniel-Favre.pdf
17. Alvarez C. (2016), Les Lois naturelles de l’enfant, Paris, Les Arènes.
27
Construire des situations pour apprendre
Les retombées de cet effet sont donc cognitives, mais également motivation-
nelles, et nous retrouvons cette dimension dans les apprentissages scolaires
(Désert18) et tout particulièrement lorsque des enjeux évaluatifs sont mobilisés.
Comme le montre Toczeck-Capelle, l’estime de soi apparaît donc comme un enjeu
fondamental pour la réussite scolaire et est associée à la projection des personnes
dans leurs capacités à réussir à partir des stéréotypes : « Les réputations sociales
négatives dont les individus sont parfois la cible peuvent les conduire à adopter
un comportement qui valide ces réputations aux yeux de tous. Ce mécanisme
pervers participe, semble-t-il, au maintien des inégalités sociales19. »
L’« effet Pygmalion » ou « prophétie autoréalisatrice » est une illustration des effets
de l’estime de soi sur les apprentissages. Comme le montrent Trouillaud et Sarrazin
(2003), cette notion, élaborée par Rosenthal et Jacobson (1971), renvoie en pédago-
gie aux « effets d’attente », au fait d’effectuer des hypothèses sur le devenir scolaire
d’un élève et de les voir effectivement se réaliser à partir des projections de l’adulte
sur l’évolution possible de l’enfant.
À partir d’une situation expérimentale dans laquelle ils présentent comme précoces
avec un fort potentiel de développement des élèves de tout niveau, ils montrent que
ces derniers progressent tous de manière importante et expliquent ce phénomène
par la projection positive des enseignants sur les élèves : en projetant leurs préjugés
et en les pensant capables de réussir, ils contribuent à mettre en place des relations,
des médiations favorisant la réussite y compris pour les élèves en difficulté.
Le problème est qu’il est fort probable que cet effet Pygmalion fonctionne dans les
deux sens et que projeter un élève comme incapable de réussir constitue une prophé-
tie autoréalisatrice tout aussi efficace créant de la difficulté scolaire. Cette réflexion
sur l’estime de soi et l’effet Pygmalion montre l’importance d’avoir une vision positive
de ses capacités pour se mobiliser dans les apprentissages comme l’exprimait Pagnol
dans Le Temps des amours20 : « Dès que les professeurs commencèrent à le traiter en
bon élève, il le devint véritablement : pour que les gens méritent notre confiance, il
faut commencer par la leur donner. »
Le risque contraire d’une intériorisation d’un sentiment d’incompétence dans
certains domaines, ce que les chercheurs appellent la « menace du stéréotype », est
également à prendre en compte. Steele et Aronson ont réalisé une enquête auprès
d’étudiants américains noirs et blancs. Ils les ont soumis à un test de raisonnement.
18. Désert M. (2004), « Les effets de la menace du stéréotype et du statut minoritaire dans un
groupe », Ville École Intégration, no 138, p. 31‑37.
19. Toczek-Capelle M.-C. (2012), « Des situations scolaires aux effets redoutables : que savons-
nous de l’estime de soi des élèves en classe ? », in Fname-Retz, Inégalités scolaires et résilience,
Paris, Retz, p. 59-74, p. 68.
20. Pagnol M. (1988), Le Temps des amours , Collection « Fortunio », Éditeur De Fallois.
28
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Pour une moitié d’entre eux, le test est présenté comme épreuve d’intelligence et,
pour l’autre moitié, il est positionné comme une épreuve sans enjeu évaluatif. Cette
expérimentation permet de mettre en évidence que, dans le contexte évaluatif,
les étudiants noirs ont une performance significativement plus faible que dans le
contexte non évaluatif, alors qu’aucune différence significative n’est observée pour
les étudiants blancs. Comme l’explicite Dagot, l’hypothèse proposée par les auteurs
est que « les étudiants noirs sont soumis à la “menace du stéréotype”, à savoir la
crainte de confirmer un stéréotype attaché à son groupe d’appartenance. La pres-
sion ainsi créée par la situation entraîne, via divers mécanismes médiateurs, une
chute des performances, et conduit à la situation paradoxale de la confirmation du
stéréotype21 ».
Les enfants ont donc besoin d’être confrontés à des espaces pédagogiques
dans lesquels ils peuvent éprouver et développer leur sentiment de compétence,
le sentiment d’être utile et ne pas être en situation de stress négatif lié à l’inté-
gration inconsciente de stéréotypes, d’un sentiment d’incapacité lié à la situation
scolaire. Cela passe bien souvent par l’intégration dans un groupe d’apparte-
nance dans lequel les relations humaines peuvent se construire.
Le besoin d’appartenance et d’affection doit donc également faire l’objet d’une
attention particulière, et on oublie bien souvent que les apprentissages humains
s’appuient sur des interactions sociales fondatrices. Nous ne sommes pas seuls
au monde, et les relations aux autres sont une condition importante de notre
développement. Les travaux sur les « enfants sauvages » qui ont grandi hors de la
société humaine (Malson22) ont montré que l’absence de relations sociales dans
la petite enfance peut altérer considérablement le développement. L’humain est
un être social qui doit pouvoir se sentir appartenir à une communauté pour se
développer dans un climat affectif positif.
Contrairement à l’optique de la pédagogie traditionnelle, qui pense l’espace
scolaire essentiellement sur le mode monastique, comme un lieu dévolu exclu-
sivement à l’instruction et au respect d’une discipline corporelle, la classe peut
donc être appréhendée comme un lieu de vie sociale dans lequel se jouent des
relations affectives entre les membres de cette collectivité. L’établissement
scolaire est un endroit dans lequel l’élève va passer une partie non négligeable
de son temps et constitue une forme de « cité humaine » dont le fonctionnement
doit pouvoir être pensé pour que chacun y trouve sa place, ait l’occasion de vivre
des relations humaines stimulantes, en évitant les écueils de relations négatives
entre enseignants et élèves, mais également entre élèves.
21. Dagot L. (2007), « Menace du stéréotype et performance motivationnelle : le cas des deman-
deurs d’emploi », L’Orientation scolaire et professionnelle, volume 36, no 3, p. 343-356 (p. 343).
22. Malson L. (2002), Les Enfants sauvages, Paris, 10/18.
29
Construire des situations pour apprendre
23. Vayer P., Duval A., Roncin C. (1991), Une écologie de l’école, Paris, PUF.
24. Freinet C, Les Dits de Matthieu. (1re partie). Brochures d’Éducation Nouvelle Populaire, n° 47,
juillet 1949, Cannes, Éditions de l’École moderne française. La première parution de ce texte
est dans un numéro de l’éducateur en 1947 : https://www.icem-freinet.fr/archives/educ/47-
48/2/3.pdf
25. Viau R. (2000), « Des conditions à respecter pour susciter la motivation des élèves »,
Correspondance. Amélioration du français en milieu collégial, volume 5, no 3.
Viau considère en outre que, sur le plan matériel, responsabiliser l’élève en lui permettant de
faire des choix, d’interagir et de collaborer avec les autres serait un caractère favorisant pour la
mobilisation si les activités ont un caractère interdisciplinaire, comportent des consignes claires
et se déroulent sur une période de temps suffisante.
30
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Or, la créativité est en fait peu sollicitée dans une approche scolaire historique-
ment normalisatrice, et les enfants sont bien plus appréhendés comme des objets
à formater que comme des sujets acteurs de leur parcours, même parfois dans
des disciplines artistiques lorsque l’enjeu devient de tous faire la même chose.
Donc cette dimension interroge la place du processus créatif, de l’imagination à
l’école et sur le plan pédagogique invite à revaloriser des formats pédagogiques
plus ouverts, dans lesquels les enfants peuvent inventer, expérimenter pour que
ce besoin fondamental puisse être pris en compte.
Nous venons de passer en revue les grandes catégories de besoins telles
qu’elles apparaissent dans le développement général de la personne, et force
est de constater que le fonctionnement de l’univers scolaire traditionnel est en
tension avec beaucoup de ces besoins. Il est en effet structuré sur une logique
d’enseignement qui a une dynamique singulière en rupture avec la logique de
la vie comme l’indique Reboul : « l’enseignement prépare à la vie en créant des
situations qui simulent celles de la vie sans se confondre avec elles26. »
L’enseignement est donc une forme pédagogique qui s’inscrit dans une
conception particulière de l’apprendre : des interactions dans un espace symbo-
lique spécifique avec des statuts asymétriques dans lequel l’enseignant a un rôle
de transmission et d’organisation de l’activité de l’élève qui doit, lui, s’impliquer
dans le processus, se conformer à un certain nombre de normes. Dans cet univers,
la relation pédagogique a un caractère impersonnel, et les individus sont rarement
considérés dans leur singularité, l’enfant disparaît bien souvent derrière la figure
de l’élève. Difficile dans un tel contexte de construire un environnement permet-
tant de prendre en compte les différentes dimensions que nous venons d’évoquer.
De plus, du fait des particularités de ce milieu scolaire, de son artificialité,
des besoins plus spécifiques propres aux enjeux d’enseignement peuvent être
identifiés et méritent d’être pris en compte dans la construction d’un modèle
pédagogique centré sur les besoins.
26. Reboul O. (2010), Qu’est-ce qu’apprendre ? Pour une philosophie de l’enseignement (1re édition
1980), Paris, PUF, p. 14.
31
Construire des situations pour apprendre
« Si le métier d’élève est un drôle de métier, ce n’est pas d’abord parce qu’il n’est pas
rétribué. C’est parce qu’il :
– n’est pas librement choisi, moins que tout autre ;
– dépend fortement d’un tiers, non seulement dans ses finalités et conditions principales,
mais dans son détail, et, notamment, sa fragmentation et son rapport au temps ;
– s’exerce en permanence sous le regard et le contrôle de tiers, non seulement quant à
ses résultats, mais quant à ses moindres modalités ;
– se trouve constamment au principe d’une évaluation des qualités et des défauts de la
personne, de son intelligence, de sa culture, de son caractère27. »
27. Perrenoud P. (1994), Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF Sciences humaines,
p. 14.
32
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
parfois oublié, ou fini par considérer comme « allant de soi »). Pourtant, le cadre
scolaire est effectivement très normé et se distingue par un aménagement spéci-
fique au niveau de l’espace et du rythme, par la nécessité de respecter des règles
explicites ou parfois implicites pouvant faire obstacle aux apprentissages.
Sur ce point, en utilisant la notion de curriculum28, Perrenoud29 montre l’exis-
tence en milieu scolaire de trois systèmes parallèles :
–– un curriculum formel correspondant au programme d’étude annoncé, aux
objectifs explicites à atteindre dans la formation ;
–– un curriculum réel correspondant aux objectifs réellement poursuivis qui
n’est pas forcément en adéquation complète avec le formel ;
–– un curriculum caché implicite, lié à la part d’apprentissages non explicitée
par l’institution scolaire, qui joue un grand rôle dans la réussite ou la diffi-
culté scolaire.
Les situations d’apprentissage ont donc une part d’implicite dont certains
élèves n’ont pas conscience (alors que d’autres, plus en connivence sociologique
avec le monde scolaire, sont en situation de mieux décoder la « vraie règle du jeu
de l’école »). Cela peut les conduire à des interprétations erronées des attentes
de l’institution et des enseignants, de ce qui est véritablement important, et
contribue à créer des « malentendus scolaires » sources de difficultés. Dans
une perspective d’analyse sociologique des apprentissages scolaires, Bautier
et Rayou expliquent ainsi une part des difficultés scolaires par des malentendus
sociocognitifs construits conjointement entre l’enseignant et l’élève avec un écart
entre ce que l’enseignant croit mettre en place (et attend de l’élève) et l’interpré-
tation erronée de l’élève l’amenant à mobiliser des modes de pensée, des raison-
nements, des façons de faire inadaptés à la situation.
La difficulté n’est pas alors liée à des manques, mais à des habitudes inap-
propriées de l’élève dont il n’a pas conscience et à la manière dont il a compris
les attendus du scolaire, son métier d’élève : « C’est cette interprétation qui
le conduit, volontairement ou non, à mobiliser ou non, des expériences, des
connaissances ou des savoirs, à penser l’activité proposée comme relevant d’un
apprentissage nouveau, d’une évaluation, d’un rituel scolaire… Interviennent
donc dans cette interprétation les habitudes langagières, cognitives et relation-
nelles des élèves, mais aussi la façon dont l’élève comprend son “métier d’élève”,
28. Plus large que celle de « programme », cette notion articule les finalités, les contenus, les
activités et les démarches d’apprentissage, ainsi que les modalités et moyens d’évaluation des
acquis des élèves dans un parcours éducatif.
29. Perrenoud P. (1993), « Curriculum : le formel, le réel, le caché », in J. Houssaye (dir.), La
Pédagogie. Une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF Sciences humaines, p. 61-76 (p. 61).
33
Construire des situations pour apprendre
ce que signifie pour lui travailler à l’école : où l’on retrouve les rapports entre
socialisation scolaire et socialisation non scolaire30. »
De plus, ce phénomène peut être accentué par la particularité des savoirs
scolaires souvent décontextualisés (car ils ont fait l’objet d’une transposition didac-
tique) et non immédiatement fonctionnels. Les travaux relatifs à la thématique des
rapports aux savoirs permettent d’éclairer cet aspect particulier des apprentissages.
30. Bautier É, Rayou P. (2009), Les Inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malenten-
dus scolaires, Paris, PUF, p. 94.
31. Astolfi J.-P. (2008), La Saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, Paris, ESF Sciences
humaines, p. 59.
32. Develay M. (1996), Donner du sens à l’école, Paris, ESF Sciences humaines, p. 88.
34
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
absurdes comme dans l’expérience de l’« âge du capitaine »33 popularisée par
Stella Baruk. Ce qui pourrait être interprété comme un manque de compétences
témoigne surtout de l’incompréhension des attendus de leur environnement pour
ces élèves et de leur tendance à fournir des réponses à tout prix dans la compré-
hension qu’ils croient avoir de la situation scolaire.
« Le rapport au savoir, ce n’est pas le savoir, c’est l’ensemble des relations affectives,
cognitives et pratiques qu’un sujet entretient aux savoirs et à l’apprendre. Le savoir est
une composante permanente de notre environnement, comme le pouvoir, l’incertitude,
35
Construire des situations pour apprendre
l’espace, etc. Au fil de notre expérience, nous développons un rapport à ces composantes,
un rapport fait de dispositions, de goûts, d’attitudes, de représentations, d’habitudes,
de désirs et de peurs. […] Le rapport au savoir est un des ingrédients du sens du travail
scolaire. Il ne le détermine pas entièrement, mais peut constituer un très lourd handi-
cap, un barrage presque infranchissable le jour où un élève a construit un rapport
défensif, méfiant ou cynique à une discipline, une notion, une méthode, une posture
intellectuelle. Faire évoluer le rapport au savoir est donc l’un des enjeux de toute action
éducative37. »
37. Perrenoud P (2004), « Qu’est-ce qu’apprendre ? », Enfance et Psy, no 24, p. 9-17 (p. 15-16).
Consulté le 30/06/2013 sur : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/
php_2004/2004_08.html
38. Lescouarch L. (2015), « Diversifier les approches pédagogiques pour accompagner les élèves
dans toutes les dimensions de l’apprentissage », PROF, no 27, p 34‑35.
36
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
39. Tricot A. (2012), Du mot au concept : utilité, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
40. Coché F., Genot P., Kahn S., Puissant M., Robin F. (2006), « Pratiques enseignantes en milieu
défavorisé : comment amener les élèves au “regard instruit” ? », Expérience(s), savoir(s), sujet(s),
INRP.
41. Rey B., Carette V., Defrance A., Kahn S., Les compétences à l’école : apprentissage et évaluation,
Bruxelles, De Boeck, 2003, p. 138.
37
Construire des situations pour apprendre
38
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
44. Hameline D. (2000), Courants et contre-courants dans la pédagogie contemporaine, Paris, ESF
Sciences humaines.
45. Meirieu P. (2013), Pédagogie. Des lieux communs aux concepts clés, Paris, ESF Sciences
humaines.
46. Vergnioux A., Piot T., Bodergat J.-Y. (2014), La Pédagogie. Son sens, ses pratiques, Paris,
Publibook.
47. Ibid. (p. 16-17).
48. Houssaye J. (1993), « Le triangle pédagogique ou comment comprendre la situation péda-
gogique », in J. Houssaye (dir.), La Pédagogie. Une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF
Sciences humaines, p. 13-24 (p. 13).
39
Construire des situations pour apprendre
aux sciences humaines et à leurs résultats les plus probants) et des données
praxéologiques (qui constituent autant d’outils permettant d’agir dans cette
réduction raisonnée des variables que nous impose la pratique quotidienne
de la classe)49 ».
La notion de « modèle pédagogique » permet donc de décrire les situations
dans une interaction raisonnée entre ces trois dimensions à partir d’éléments
pédagogiques d’organisation interne qui vont pouvoir orienter l’action : le degré
de didactisation, les situations utilisées, les outils mobilisés, la nature de la
relation pédagogique proposée et les modalités d’évaluation envisagées.
PRATIQUE
MODÉLISATION
PÉDAGOGIQUE
IMPLICITE IMPLICITE
THÉORIE
49. Meirieu P. (1994), « Méthodes pédagogiques », in F. Champy, C. Étévé (dir.), Dictionnaire encyclo-
pédique de l’éducation et de la formation, Paris, Nathan Université, p. 660-666.
40
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
De l’informel au formel
La question de l’apprendre ne concerne pas que le scolaire, car la vie est une
succession d’acquisitions de l’enfance à l’âge adulte et « apprendre » constitue
une expérience humaine partagée. Nous avons tous appris à parler, à marcher,
toutes choses que nous ne savions pas faire spontanément à la naissance et qui
ont donc nécessité un apprentissage, une acquisition. La vie est donc, en soi, un
espace d’apprentissage dès la petite enfance dans un cadre informel. En parallèle,
il existe des lieux spécifiques dédiés à l’éducation et aux apprentissages struc-
turés dans des espaces sociaux relevant de différents domaines institutionnels.
50. Bautier É., Rayou P. (2009), Les Inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malenten-
dus scolaires, Paris, PUF.
41
Construire des situations pour apprendre
Nous pouvons poser différents critères de distinction de ces trois espaces d’apprentissage
mettant en évidence que chaque forme d’éducation relève d’une logique spécifique permet-
tant de penser les complémentarités des actions. La compréhension et l’appropriation
de ces différences sont un enjeu très important pour développer des actions cohérentes
dans la perspective d’une éducation globale.51
Non formel
Formel Informel
(ou semi-formel)
• Objectifs éducatifs • Objectifs éducatifs • Objectifs éducatifs
explicites explicites implicites
• Lieu spécifique et • Dispositif organisationnel • Absence de dispositif
dispositif organisationnel en rapport avec objectifs organisationnel explicite
en rapport avec objectifs • Curriculum non formalisé • Curriculum non formalisé
• Curriculum formalisé • Absence d’évaluation/ • Absence d’évaluation/
(programme d’acquisitions) certification certification
• Évaluation/certification
42
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
« […] les apprentissages ne relèvent pas uniquement d’une éducation formelle, de situa-
tions qui sont conçues, reconnues ou vécues comme éducatives. Ce que porte cette expres-
sion au-delà de toutes ses ambiguïtés, c’est l’idée qu’en participant à diverses activités,
qu’il s’agisse de travail, de loisir, de vie associative, du plus ordinaire de la vie quotidienne
ou d’événements exceptionnels qui traversent une vie, les personnes apprennent sans que
la situation ait été pensée pour cela, sans qu’elles en aient l’intention, voire, parfois, sans
qu’elles en aient conscience. C’est donc refuser de limiter l’apprentissage à des moments
construits pour cela, à la présence d’une intention d’apprendre, voire à la conscience
d’apprendre. »
52. Brougère G. (2007), « Les jeux du formel et de l’informel », Revue française de pédagogie,
Recherches en éducation, no 160, p. 5-12 (p. 5).
53. Schugurensky D (2007), « “Vingt mille lieues sous les mers” : les quatre défis de l’apprentissage
informel », Revue française de pédagogie, no 160, p. 13-27 (p. 14).
54. Pourtois J.-P., 1979, Comment les mères enseignent à leur enfant (de 5-6 ans), Paris, PUF.
55. Pourtois J.-P., Desmet H. (1989), « Note de synthèse [L’éducation familiale] », Revue française
de pédagogie, volume 86, no 1, p. 69‑101.
56. Bergonnier-Dupuy G. (2005), « Famille(s) et scolarisation », Revue française de pédagogie,
151(1), p. 5‑16.
43
Construire des situations pour apprendre
enfants dans les familles selon les milieux socioculturels plus ou moins efficaces
pour la réussite scolaire ultérieure. Ces études font ressortir les facteurs sociaux
de réussite scolaire et permettent de réfléchir pédagogiquement les types de
milieux favorables à la construction de l’intelligence.
Les paramètres favorisant le développement seraient donc les suivants :
présence de règles de conduite stables et possibilités de négociation, présence
dans le quotidien d’une logique hypothético-déductive (si… alors…), reformula-
tion systématique et possibilité d’expression des enfants qui, par la nécessité
d’expliciter leurs intentions (leurs projets, leurs actes), permet au-delà du voca-
bulaire de structurer la pensée elle-même. D’autres éléments comme l’habitude
d’anticiper, d’imaginer les conséquences de ses actes, d’évaluer ses résultats
sont également perçus comme des facteurs favorisant (Meirieu57).
Les enfants qui réussissent bien à l’école Les enfants qui réussissent moins bien
ont un environnement qui : à l’école ont un environnement qui :
– aide à l’exploration ; – intervient à leur place ;
– encourage à anticiper les consé- – s’exprime sous forme impérative
quences d’une action future ; (adopte ou rejette) ;
– oriente vers la tâche ; – oriente peu vers la tâche ;
– encourage à l’autoévaluation – donne plus de feed-back négatifs ;
(encourage à vérifier les résultats – est plus directif et explique
de leurs actions) ; directement ce qu’il faut faire ;
– donne plus des feed-back positifs ; – évalue de l’extérieur les résultats
– donne plus d’indices et d’informations qu’ils obtiennent ;
spécifiques et pertinentes ; – donne des réponses (donne la solution
– fait reformuler ; au problème).
– pose des questions.
Ces travaux liés à l’éducation familiale sont loin d’être récents, mais restent
malheureusement d’actualité. Si cet axe de recherche ne fait pas l’objet de déve-
loppements spécifiques dans notre réflexion, il constitue néanmoins une toile de
fond essentielle pour mieux comprendre les apprentissages, notamment à travers
leurs dimensions informelles, et confirme l’enjeu d’appréhender le pédagogique
en termes d’environnement d’apprentissage global. Le pédagogue doit pouvoir
prendre en considération ces dimensions dans la compréhension de la situation
des enfants qui lui sont confiés, mais également s’interroger sur l’articulation de
ces différents paramètres dans le modèle pédagogique qu’il propose dans son
44
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
59. Roucous N (2007), « Les loisirs de l’enfant ou le défi de l’éducation informelle », Revue fran-
çaise de pédagogie, no 160, p. 63-73 (p. 68). Disponible sur : http://ife.ens-lyon.fr/publications/
edition-electronique/revue-francaise-de-pedagogie/INRP_RF160_6.pdf
60. Houssaye J. (1977), Un Avenir pour les colonies de vacances, Paris, Éditions ouvrières.
45
Construire des situations pour apprendre
L’éducation populaire
Ces pratiques ont disparu depuis vingt-cinq ans, et c’est peut-être regrettable.
Même si ces premières expériences d’encadrement des enfants ne se situaient
effectivement pas dans un registre scolaire didactique, elles permettaient à
des jeunes adultes de se sensibiliser aux questions éducatives, de structurer
61. Poujol G. & Hédoux M. (2005), Éducation populaire, in Dictionnaire encyclopédique de l’éducation
et de la formation, Paris, RETZ, p. 755-759.
62. Ferrand-Bechmann (2005), « Éducation populaire ou… impopulaire ? », Pratiques de formation,
no 49, « Les pratiques contemporaines de l’éducation populaire », université Paris-VIII.
46
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
« L’activité suscitée par le milieu et par un éducateur est une réponse à un besoin fonda-
mental de l’enfant, à son besoin d’agir sur le monde, de se mouvoir, de produire des effets
sur la réalité, qu’elle soit celle des objets ou celle des personnes (adultes ou enfants) qui
l’entourent. L’idée d’activité est la source même du développement de l’enfant. L’activité
comme ressort du développement d’un être vivant – et en particulier d’un être humain –,
le besoin d’agir, ce sont des idées fondamentales, présentées sous des formes variées, chez
Wallon et Piaget. L’activité est autre chose qu’une simple occupation, qu’une simple
effectuation. Tout l’être humain – corps, mouvement, intelligence, affectivité mêlée –
se trouve mobilisé dans et par l’activité. C’est ce que l’on veut dire lorsque l’on parle
d’activité globale.63 »
63. Best F. (1979), Éducation nouvelle. Courants pédagogiques actuels : problèmes idéologiques
et philosophiques. Disponible sur : http://tmtdm.free.fr/media/textes/Courants-pedagogiques-
dans-l-Education-Nouvelle-Francine-Best.pdf
47
Construire des situations pour apprendre
64. Vincent G., Lahire B. Thin D. (1994), « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire », in
G. Vincent, L’Éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les socié-
tés industrielles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, p. 11-48.
65. Le terme « pédagogique » est utilisé par ces auteurs dans un sens restreint relatif à la relation
d’apprentissage formalisée en milieu scolaire. Cet usage est très différent de la définition que
j’ai pu donner dans la partie précédente.
66. Vincent G. (1994), « Forme scolaire et modèle républicain », in G. Vincent, L’Éducation prison-
nière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Presses
universitaires de Lyon, p. 207-227 (p. 225).
48
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Guigue67 ou Marchive68 à employer plutôt à juste titre la notion d’« ordre scolaire ».
Nous retrouvons bien ici les caractéristiques de l’univers scolaire que nous avons,
pour la plupart d’entre nous, fréquenté de nombreuses années.
Bien que les pratiques soient un peu différentes selon les lieux et les périodes,
l’école demeure un lieu fortement structuré, organisé, hiérarchisé dans lequel les
rôles et les places de chacun, le contrôle de la parole et du geste sont très préci-
sément définis. La forme scolaire constitue un mode de relation sociale spécifique
dans un espace singulier en rupture avec le moment de l’action « authentique »
(Maulini et Perrenoud), un moment de formation « qui anticipe, codifie et planifie
les apprentissages visés, qui impose des contraintes et des règles de fonctionne-
ment basées sur l’asymétrie de l’instructeur (supposé savant et compétent) et de
l’instruit (supposé ignorant)69 ». Elle se caractérise par des techniques sociale-
ment constituées pour l’activité d’enseignement avec des conditions singulières :
programmes et règlements, disposition de l’espace et supports.
Ce concept de forme scolaire est particulièrement opérationnel pour penser
le changement pédagogique, car il permet de comprendre les points forts, mais
également les limites des approches scolaires des apprentissages. Reboul70
expliquait ainsi la particularité du fonctionnement scolaire par la nécessité de
disposer d’espaces d’enseignement en rupture avec la vie pour favoriser des
apprentissages par simulation. La forme scolaire s’est donc construite contre le
mode de socialisation pratique visant à apprendre « sur le tas », par imitation, des
savoirs non séparés des pratiques sociales de référence. Cette séparation avec les
« savoirs de la vie » est intéressante, car elle facilite l’accès à des savoirs transfé-
rables, non contextualisés mais, dans le même temps, elle peut être un obstacle
important pour de nombreux élèves qui ont alors des difficultés à donner du sens
à cet espace d’apprentissage comme nous l’avons précédemment évoqué. Le
formel permet donc de penser des apprentissages dans une rationalité et sans
risque « en dehors de la vraie vie », mais cela constitue en même temps une de
ses limites intrinsèques notamment pour donner sens aux savoirs scolaires ou
pour développer une autonomie réelle. C’est sur ce point que les pédagogies
alternatives ont régulièrement mis en cause cette approche.
67. Guigue M. (2007), « L’ordre scolaire et ses marges », congrès international d’Actualité de la
recherche en éducation et en formation, Strasbourg.
68. Marchive A. (2007), « Le rituel, la règle et les savoirs. Ethnographie de l’ordre scolaire à l’école
primaire », Ethnologie française, volume 37, 4, p. 597-604.
69. Maulini O., Perrenoud P. (2005), « La forme scolaire de l’éducation de base : tensions internes
et évolutions », in O. Maulini, C. Montandon (dir.), Les Formes de l’éducation : variété et variations,
Bruxelles, De Boeck Université, p. 147-168 (p. 147).
70. Reboul O. (2010), Qu’est-ce qu’apprendre ? Pour une philosophie de l’enseignement (1re édition
1980), Paris, PUF .
49
Construire des situations pour apprendre
ontrat didactique
C L’enseignant, le formateur et les apprenants sont liés par
entre un formateur un contrat implicite qui définit leurs rôles respectifs dans
et un apprenant une dissymétrie de statut et de rôles.
rganisation centrée
O Le dispositif est structuré autour de l’intention explicite d’aboutir
sur les apprentissages à la structuration d’apprentissages.
Les situations relèvent d’une pratique sociale particulière, inscrite
ratique sociale
P
dans des lieux dévolus à l’apprentissage et dans une symbolique
distincte et séparée
spécifique.
Curriculum Les apprentissages sont liés à un curriculum explicite et font l’objet
et planification d’une planification.
Les contenus d’enseignement ont fait l’objet d’une transposition
Transposition
didactique pour permettre d’en assurer les conditions de
didactique
transmission et d’appropriation.
La formation et l’apprentissage sont structurés dans une
Temps didactique temporalité et une périodicité en relation avec le découpage
didactique du temps de l’enseignement-apprentissage.
Les situations d’apprentissage sont structurées sur l’imposition (et
Discipline l’acceptation par l’élève) d’une discipline intellectuelle
et corporelle.
Présence et définition de critères d’évaluation pour mesurer
Normes
les évolutions des apprentissages renvoyant à des « normes
d’excellence
d’excellence ».
Il est important pour le pédagogue de faire un « zoom arrière » sur cette forme
scolaire et de la considérer pour ce qu’elle est : une proposition d’organisation
pédagogique parmi d’autres basée, en France, sur l’enseignement simultané
qui a fini par s’imposer comme hégémonique alors que d’autres organisations
existent et restent envisageables. En effet, les travaux de sciences de l’éducation
montrent qu’au début du xixe siècle trois conceptions étaient en concurrence :
l’« enseignement individuel » consistant à travailler avec chaque élève à son tour,
l’« enseignement simultané », issu des écoles lasalliennes, caractérisé par une
pratique d’enseignement par un maître d’un même contenu à un groupe homo-
gène et l’« enseignement mutuel » basé sur un monitorat entre pairs. Lesage en
décrit le principe : « Alors que dans les modes individuel ou simultané, l’agent
d’enseignement est le maître, dans le mode mutuel c’est l’enfant qui est investi
de cette fonction : le principe fondamental de cette méthode consiste… dans
la réciprocité de l’enseignement entre écoliers, le plus capable servant de
maître à celui qui l’est moins, et c’est ainsi que l’instruction est en même temps
50
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Du progressisme en pédagogie :
pédagogies alternatives et alternatives pédagogiques
Penser la question des étayages à travers les apports des pédagogies alter-
natives, c’est se mettre en situation de remobiliser des techniques, des organisa-
tions, qui fonctionnent et qui « ont fait leur preuve » tout autant que les bonnes
vieilles méthodes tant vantées par les nostalgiques d’un ordre ancien. Elles sont
structurées très pragmatiquement et ont comme caractéristique de permettre la
diversification et la prise en compte des besoins en pédagogie. Nous passons
notre temps à réinventer l’eau tiède, et il faut beaucoup d’humilité du côté des
chercheurs en éducation avant de prétendre créer de nouvelles méthodes. Bien
souvent nous ne faisons que réarticuler, réorganiser de l’existant, et accéder à
la pensée des pédagogues qui nous ont précédés constitue probablement une
formation empirique et pragmatique essentielle. Connaître les propositions de
Cousinet, Freinet, Decroly, Montessori, Oury avec leurs forces et leurs limites est
un point d’appui important pour penser ses pratiques, et sur ce point, on peut
72. Lesage P. (1975), « La pédagogie dans les écoles mutuelles au xixe siècle », Revue française de
pédagogie, volume 31, no 1, p. 62-70 (p. 63).
73. Houssaye J. (1993), « Le triangle pédagogique ou comment comprendre la situation péda-
gogique », in J. Houssaye (dir.), La Pédagogie. Une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF
Sciences humaines.
51
Construire des situations pour apprendre
74. Freinet C. (1994), Œuvres pédagogiques. Tome 1 (M. Freinet, Éd.), Paris, Le Seuil, p. 227.
75. Viaud M.-L. (2005), Des collèges et des lycées « différents », Paris, PUF.
76. Viaud M.-L. (2007), « Les innovateurs des collèges et lycées “différents” : entre le mythe
d’une école rêvée idéale et les contraintes du réel », hors-série Penser l’éducation, p. 227-233
(p. 228 et 229).
52
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
77. Viaud M.-L. (2005), « Des collèges et des lycées différents », Le Nouvel Éducateur, no 173.
Consulté le 08/11/2017 sur : http://www.icem-freinet.fr/archives/ne/ne/173/173-22.pdf
78. Ibid., p. 58.
79. Legrand L. (1970), « L’éducation nouvelle et ses ambiguïtés », Revue française de pédagogie,
volume 11, no 1, p. 5-11.
53
Construire des situations pour apprendre
80. Houssaye J. (2014), La Pédagogie traditionnelle. Une histoire de la pédagogie, Paris, Fabert, p. 28.
54
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Pédagogies
Tradition Alternatives pédagogiques
alternatives
Pédagogie Pédagogie Progressisme Progressisme
pédagogique
« alternative »
Ces distinctions peuvent aider les enseignants à se situer dans leurs pratiques
et à mieux comprendre les ambivalences des changements qui leur sont deman-
dés, les contradictions entre les prescriptions et les attendus réels. Le discours
de l’institution scolaire est progressiste et inspiré des thématiques de l’éducation
nouvelle depuis une trentaine d’années mais, dans la logique du « progressisme
administratif », il s’agit bien d’en emprunter les techniques sans chercher à opérer
véritablement le basculement de perspective que le « progressisme pédago-
gique » propose qui supposerait, en fait, un changement de paradigme complet.
Les formes du changement pédagogique se jouent en fait principalement
sur deux modalités : des pédagogies traditionnelles rénovées (redonnant une
place à l’élève par le mode interrogatif et le travail personnel) et des pédagogies
progressistes technocratiques « centrées sur l’élève ». En effet, ces deux entrées
se caractérisent par un rapport identique au maintien des invariants de la forme
scolaire traditionnelle : plan d’étude comme central, recherche d’une formalisa-
tion, technicisation et standardisation des actions dans le contrôle des situations
par l’enseignant.
55
Construire des situations pour apprendre
81. Lescouarch L. (2010), « Spécificité actuelle d’une approche alternative : la pédagogie Freinet »,
Spirales, no 45.
82. Vellas É. (2008), « La mise en œuvre des pédagogies actives et constructivistes », Enjeux
pédagogiques, no 10. Consulté le 18/10/2015 sur : http://www.meirieu.com/FORUM/vellas_
pedagogies_actives_constructivistes.pdf
56
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
57
Construire des situations pour apprendre
86. Astolfi J.-P. (1992), L’École pour apprendre. L’élève face aux savoirs, Paris, ESF Sciences
humaines.
58
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
87. Perrenoud P (2004), « Qu’est-ce qu’apprendre ? », Enfance et Psy, 2004, no 24, p. 9-17 (p. 12).
Consulté le 30/06/2013 sur : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/
php_2004/2004_08.html
59
Construire des situations pour apprendre
Cette conception des apprentissages s’est traduite dans les situations d’ensei-
gnement par la construction d’une pédagogie de l’« enseignement programmé »
qui influence de nombreuses pratiques aujourd’hui dès lors que l’on cherche à
construire des progressions d’apprentissage allant « du simple au complexe » en
parcellisant les tâches. Elle a inspiré également des dispositifs de régulation du
comportement comme les fameux « bons points » qui constituent une pratique
typique de cette approche comportementaliste.
Cette démarche est adaptée à des apprentissages techniques simples pour
construire des automatismes, mais est limitée pour des apprentissages plus
complexes. De plus, l’absence de prise en compte dans cette entrée des dimen-
sions émotionnelle et cognitive des apprentissages peut conduire à appréhender
les situations sur un mode très mécanique, et on court le risque d’être plus dans
une logique de dressage que d’éducation comme l’indique Reboul : « […] être
conditionné ne signifie pas “apprendre” à aucun sens du terme ; être conditionné,
c’est avoir acquis un lien rigide et arbitraire entre un signal et une réaction88. »
Un troisième courant regroupant les nombreux théoriciens « constructivistes »
a également fortement influencé les pratiques d’enseignement. Cette approche
est en lien avec les théories psychologiques cognitivistes issues des travaux de
Piaget, Wallon ou de Vygotsky. Elle est très présente dans les références actuelles
utilisées dans le champ de l’éducation. Dans cette optique, la place dévolue au
sujet dans le processus change. Sa cognition est prise en compte, et l’appren-
tissage est appréhendé comme une réorganisation des structures de pensée et
d’action à partir de l’activité de compréhension du sujet.
Pour Piaget, l’apprentissage se construit par la résolution d’une situation de
« conflit cognitif » par assimilation-accommodation comme le rappelle Perraudeau :
« Rendre l’élève actif peut se révéler déstabilisant d’un point de vue cognitif. Ainsi
devant une situation nouvelle, inconnue, pouvant être perturbante, l’enfant essaie
d’abord de l’identifier en l’incorporant à ses schèmes déjà constitués. Il s’appuie
sur des repères connus. Cette régulation que Piaget nomme assimilation peut être
suffisante. Elle peut, en d’autres circonstances, s’avérer insatisfaisante et nécessiter
la modification des schèmes référentiels, voire la création de nouveaux schèmes.
C’est l’accommodation. Le processus complémentaire, dialectique, combinant
assimilation et accommodation conduit à l’équilibration. L’équilibration permet
l’évolution, elle guide la coordination des actions89. »
Pour les tenants de ce courant, les savoirs ne se transmettent pas par impo-
sition, mais se construisent grâce à l’activité intellectuelle de l’apprenant qui
88. Reboul O. (1983), Qu’est-ce qu’apprendre ? (2e édition mise à jour), Paris, PUF, collection
« L’éducateur » no 75, p. 49.
89. Perraudeau M. (1996), Les Méthodes cognitives. Apprendre autrement à l’école, Paris, Armand
Colin, p. 29.
60
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
90. Ce concept a d’abord été traduit sous le terme de « zone proximale de développement », mais
la traduction plus exacte renvoie à la possibilité d’un développement proche ou prochain. On
peut trouver également la notion sous le terme de « zone prochaine de développement ».
91. Jonnaert P., Vander Borght C., Defise R., Debeurme G., Sinotte S. (2012), Créer des conditions d’ap-
prentissage » (3e édition), chapitre 1 : « Mise en perspective socioconstructiviste. Perspectives
en éducation et formation », p. 17-37 (p. 17).
61
Construire des situations pour apprendre
92. Perret-Clermont, A.-N. (1996), La Construction de l’intelligence dans l’interaction sociale (édition
revue et augmentée), Berne, Peter Lang.
62
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
63
Construire des situations pour apprendre
Méthodes
Place
Processus Dynamique associées
de l’apprenant
en éducation
Attention et Imposition L’apprenant est Enseignement
observation du savoir dans un sujet ignorant, frontal ou cours
Transmission
64
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
93. Vellas É. (2008), « La mise en œuvre des pédagogies actives et constructivistes », Enjeux
pédagogiques, no 10.
94. Amigues R. Enseignement-apprentissage. Consulté le 12/12/2011 sur : http://recherche.aix-
mrs.iufm.fr/publ/voc/n1/amigues
65
Construire des situations pour apprendre
du sujet. Autrement dit, dans une situation comme le travail de groupe sur situa-
tion-problème en milieu scolaire, qui constitue l’archétype de la situation socio-
constructiviste dans les dispositifs de formation des enseignants, il peut très bien
n’y avoir aucune dynamique de construction si le sujet lui-même n’est pas réel-
lement investi dans la situation, en questionnement et recherche et se contente
d’attendre que la solution finisse par apparaître dans le déroulé didactique
(Connac, Lescouarch95). A contrario, dans des situations qui pourraient apparaître
à première vue comme exclusivement transmissives dans un cours magistral
à l’université, si le sujet est en positionnement d’interrogation du contenu, de
recherche d’appropriation (parce que le contenu correspond à une question qu’il
s’est posée en analogie à la formule de Dewey), la dynamique du sujet peut être
celle d’une construction-appropriation du savoir alors même que la forme péda-
gogique est, elle, strictement descendante.
La pensée pédagogique socioconstructiviste initiale, centrée sur la construc-
tion de dispositifs permettant la recherche et les interactions, doit faire donc l’ob-
jet de prolongements pour continuer à penser les conditions dans lesquelles cette
dynamique sera rendue possible. Elle doit pour cela intégrer d’autres travaux du
champ de la psychologie cognitive, mais également de la psychologie sociale et
des neurosciences.
De nouveaux courants cherchent à entrer dans la complexité de l’« apprendre »
en prenant en compte les limites du modèle constructiviste. Ainsi des chercheurs
comme Houdé mettent en évidence certaines limites des travaux de Piaget notam-
ment sur l’aspect linéaire et progressif du développement en montrant que des
compétences comme l’inhibition sont des facteurs essentiels de l’apprentissage :
« […] se développer, c’est non seulement construire et activer des stratégies
cognitives comme le pensait Piaget, mais c’est aussi apprendre à inhiber des
stratégies qui entrent en compétition96. » De même, Giordan cherche à dépasser
les modèles simplistes de l’apprendre inscrits dans les théories béhavioristes et
constructivistes. Il propose une approche par un « modèle allostérique97 » prenant
en compte les différentes dimensions d’un apprentissage (cognitive, affective,
métacognitive et sociale).
Ce modèle pense également l’apprenant dans sa globalité cognitive et affec-
tive renouant avec l’approche d’un psychologue souvent méconnu dans le monde
scolaire, Henri Wallon98, qui cherchait à construire un modèle du développement
95. Connac S., Lescouarch L. (2016), « Apprendre à l’école Freinet », The Conversation. Disponible
sur : http://theconversation.com/apprendre-a-lecole-freinet-67615
96. Houdé O. (2005), « Se développer, c’est apprendre à inhiber », La Recherche, no 388, p. 74.
Consulté le 15/07/2013 sur : http://www.larecherche.fr/olivier-houd%C3%A9-%C2%AB-se-
d%C3%A9velopper-cest-apprendre-%C3%A0-inhiber-%C2%BB
97. Giordan A. (1998), Apprendre !, Paris, Belin.
98. Wallon H. (1957), L’Évolution psychologique de l’enfant, Paris, Armand Colin.
66
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
99. Perret-Clermont, A.-N. (1996), La Construction de l’intelligence dans l’interaction sociale (édition
revue et augmentée), Berne, Peter Lang.
100. Favre D. (2016), Éduquer à l’incertitude. Élèves, enseignants : comment sortir du piège du
dogmatisme ?, Paris, Dunod.
101. Winnykammen F. (1982), « L’Apprentissage par l’observation », Revue française de pédagogie,
volume 59, no 1, p. 24-29.
102. Reuchlin M. (2000), Psychologie (15e édition corrigée), Paris, PUF.
67
Construire des situations pour apprendre
produits. Plus tard, cette information sert de guide pour l’action. Les individus
sont capables d’apprendre ce qu’il faut faire à partir d’exemples vus, au moins de
façons approximatives avant de produire le comportement. Cela permet d’éviter
beaucoup d’épreuves inutiles103. »
Bandura désigne aussi ce processus sous le terme de « modelage » et montre
que, contrairement au postulat des béhavioristes, l’apprentissage n’est pas seule-
ment un processus d’essai-erreur, mais bien également un processus d’anticipa-
tion. Cette dynamique vicariante, qui doit permettre à un individu d’apprendre
par observation-appropriation réfléchie de la production d’un « alter »
(enseignant ou pair), est à distinguer d’un simple mimétisme. Il est possible
d’extraire les règles sous-jacentes aux styles de comportement observés, de se
les approprier pour les dépasser en élaborant de nouvelles compétences grâce
au travail d’observation (Carré104).
Dans la continuité de ces travaux, Bandura a ensuite développé une théorie
sociale et cognitive, un modèle de l’apprentissage social, structurée sur plusieurs
axes : l’apprentissage par observation, la capacité à utiliser des symboles (pour
penser, analyser, se projeter) et les processus autorégulateurs, notamment le
changement autodirigé. Les capacités de prévoyance concernent les possibilités
d’un individu d’anticiper les résultats de son action pour guider celle-ci et se
motiver, et la capacité d’autorégulation correspond au pouvoir de contrôler son
propre comportement dans les interactions entretenues entre la personne et son
environnement social. Ces différents facteurs sociaux vont participer à la motiva-
tion de l’individu et tout particulièrement le « sentiment d’autoefficacité » comme
compétence d’autoréflexion sur son propre fonctionnement.
Cette théorisation est d’une très grande richesse et mériterait d’être plus
présente dans le cadre de référence théorique des éducateurs. Elle constitue
une forme de « chaînon manquant » entre les théories de la transmission condi-
tionnante et les théories relevant d’un « constructivisme radical » excluant toute
forme d’intervention. Elle nous ouvre un espace réflexif centré sur le sujet dans
ses processus cognitifs autonomes tout en laissant une place à la transmission
par l’interaction avec des modèles.
Sur le plan identitaire pour les enseignants, cette théorisation offre donc une
entrée permettant de réconcilier deux termes de l’équation pédagogique perçus,
à tort, comme antinomiques : « transmettre » et « faire construire ». À travers
ces processus de modelage, il est possible de transmettre une manière de faire,
de comprendre, comme une balise (mais sans perspective d’imposition ou de
reproduction à l’identique), et d’offrir au sujet une occasion de s’en emparer pour
68
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
105. Bruner J. (1983), Le développement de l’enfant. Savoir faire, savoir dire, Presses Universitaires
de France.
69
Construire des situations pour apprendre
106. Nadel J., Best F. (1980), Wallon d’aujourd’hui, Paris, Scarabée Cemea.
107. Vygotsky L. S. (2013), Pensée et langage, Paris, La Dispute, p. 355.
108. Rizollati G., Sinigaglia C. (2007), Les Neurones miroirs, Paris, Odile Jacob.
Rizzollati, G. (2007), « Neurones miroirs », Science de la conscience, no 29, p. 22-25.
70
Apprendre : une expérience commune, un besoin d’étayage
Situations Observation
Analyse réflexive
Dynamique de résolution et imitation
d’une présentation
de problème réfléchie
Appropriation, Exploration, Observation,
mise en lien avec recherche, création analyse et
Activité du sujet son questionnement compréhension
et son expérience des déterminants
de la tâche
109. Cette action du sujet sur le contenu qui lui est présenté transforme la situation qui n’est
plus seulement « réception passive » mais bien « appropriation active » indépendamment des
conditions matérielles du moment pédagogique qui peuvent apparaître transmissives comme
dans un cours magistral à l’université par exemple.
71
2
Les étayages :
un changement de regard
pour repenser l’environnement
des apprentissages
73
Construire des situations pour apprendre
74
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
désigne ce qui permet de faire appui, mais elle a pris un sens plus orienté dans
le champ de la psychologie. Le premier à l’utiliser est Freud comme l’explicitent
Laplanche et Pontalis : « On parlera […] d’étayage pour désigner le fait que le sujet
s’appuie sur l’objet des pulsions d’autoconservation dans son choix d’un objet
d’amour : c’est là ce que Freud a appelé le type de choix d’objet par étayage)3. »
Cet usage du terme met en évidence la dimension d’appui nécessaire à tout
apprentissage, mais notre préoccupation étant pédagogique, nous nous référons
plutôt à la théorisation de Bruner. Celle-ci a été élaborée dans le cadre d’une
analyse d’interactions avec une tutrice dans une expérimentation de construction
d’objets à partir de cubes en bois chez de jeunes enfants. Le terme qu’emploie
Bruner en anglais est celui de scaffolding (échafaudage), et cette source oriente
la lecture de la notion, celle d’un point d’appui permettant la construction.
Cependant, la définition de Bruner est plus limitative et restreint le terme
d’étayage aux dimensions d’intervention de l’adulte pour faciliter la résolution
de la tâche comme il l’explicite dans son ouvrage Le Développement de l’enfant :
75
Construire des situations pour apprendre
76
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
8. Vasseur M.-T. (2005), Rencontres de langues. Question(s) d’interaction, Paris, Éditions Didier,
p. 13.
9. Marchive A. (1995), L’Entraide entre élèves à l’école élémentaire. Relations d’aide et interac-
tions pédagogiques entre pairs de six classes du cycle trois, thèse de doctorat en sciences de
l’éducation, Bordeaux, université de Bordeaux-II, p. 31.
Marchive A. (1997), « L’interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage didac-
tique », Psychologie et Éducation, no 30, p. 29-43.
10. Bucheton D., Soule Y. (2009), « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant
dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées, Éducation et Didactique,
volume 3, no 3, p. 29-48.
77
Construire des situations pour apprendre
11. Bucheton D., Brunet L.-M., Liria A. (2005), « L’activité enseignante, une architecture complexe
de gestes professionnels », dans le CD-ROM Former des enseignants professionnels, savoirs et
compétences, colloque Nantes, M. Altet (ed). Consulté le 15/02/2015 sur : http://www.ices.fr/
BU/documents/koha_99956/pdf/s3_dezutter/bucheton_dominique.pdf
12. Bucheton D., Soulé Y. (2009), « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant
dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées, Éducation et didactique,
volume 3, no 3, p. 29-48.
13. Ibid, p. 36.
14. Vial M., Caparros-Mencacci N. (2007), « L’accompagnement comme agir professionnel », chapitre 2,
in M. Vial, N. Caparros-Mencacci (dir.), L’Accompagnement professionnel ?, Bruxelles, De Boeck
Supérieur, p. 73-128, (p. 73).
78
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
79
Construire des situations pour apprendre
80
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
81
Construire des situations pour apprendre
préexistants sans les questionner plus avant. Or, nous faisons l’hypothèse
que toutes les pratiques ne se valent pas et si, d’une certaine manière, une
telle modélisation peut pour certains « enfoncer des portes ouvertes », en tant
que modèle d’intelligibilité de la pratique, elle peut aider à prendre conscience
de manques, à interroger les choix relatifs à ces dimensions et à faire évoluer
les actions. En ce sens, cette réflexion se veut un outil au service du changement
pédagogique et de l’analyse des pratiques.
Cette théorisation est en relation directe avec la notion de milieu. Elle a connu
un certain succès dans les années 1970 dans la lignée des travaux de Wallon pour
qui l’étude du développement de l’enfant ne pouvait s’envisager que dans ses
interactions avec le milieu pensé comme environnement physique et social. Il
distinguait le milieu local renvoyant à la dimension physique de ce milieu (rural,
urbain) et les milieux sociaux fonctionnels : l’école comme la famille ont leur
logique spécifique qui va avoir une grande importance, car l’enfant évolue en inte-
raction avec ces milieux. La manière dont ceux-ci fonctionnent, les comportements
et valeurs qu’ils induisent ont une influence déterminante sur le développement
de la personne. Il est alors nécessaire de penser comment ces milieux influencent
les acquisitions et, dans la perspective de la construction d’un espace à vocation
d’apprentissage, de conscientiser les caractéristiques du milieu d’apprentissage
que nous proposons aux enfants.
Le cadre
En psychologie, la notion de cadre est utilisée pour nourrir la réflexion sur le
rôle des limites et des interdits dans le développement de l’enfant en lien avec
l’idée que c’est à la fois un élément qui structure et qui contient. Il est donc
important de réfléchir l’école et les espaces périscolaires, qui sont des milieux (à
la fois locaux et fonctionnels) producteurs d’apprentissages formels et informels
et qui proposent un cadre pour apprendre, pour grandir. Pour ce faire, le péda-
gogue doit pouvoir se distancier des pratiques mimétiques de reproduction de
formes pédagogiques en requestionnant le sens des organisations. Il est assez
symptomatique de constater, en formation avec de jeunes enseignants ou des
animateurs, que ces derniers ont généralement totalement intégré les « normes »
de fonctionnement de l’espace éducatif et peuvent le considérer comme un milieu
quasi « naturel », alors que nous sommes typiquement confrontés à des construc-
tions sociohistoriques d’un milieu en fait totalement artificiel : pourquoi mettre
les enfants en rang à l’école ? Pourquoi interdire les déplacements dans l’espace
classe et organiser les échanges essentiellement autour de la parole de l’adulte ?
Pourquoi lever le doigt pour demander la parole ?
Finalement, on s’aperçoit que des techniques éducatives jugées pertinentes
à un moment donné en fonction du projet éducatif poursuivi sont reproduites
82
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
17. Une autre confusion a pu être introduite du fait que cette notion a été également utilisée
dans les pédagogies de l’éveil dans le cadre très intéressant de l’« étude du milieu » entendu
comme milieu physique, culturel et géographique local.
18. Hameline D. (1997), Le Domestique et l’affranchi. Essai sur la tutelle scolaire, Paris, Les Éditions
ouvrières, collection « Points d’appui éducation ».
19. Develay M. (2001), Propos sur les sciences de l’éducation : réflexions épistémologiques, Paris,
ESF Sciences humaines, p. 32.
83
Construire des situations pour apprendre
20. Collot B. (2002), Une école du 3e type ou la pédagogie de la mouche, Paris, L’Harmattan,
p. 48-49.
21. Glasman D. (2012), L’Internat scolaire. Travail, cadre, construction de soi, Rennes, Presses
universitaires de Rennes.
84
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
85
Construire des situations pour apprendre
24. OCDE (2009), Creating Effective Teaching and Learning Environment: First Results of TALIS 2009.
25. Debarbieux E., Anton N., Astor R. A., Benbenishty R., Bisson-Vaivre C., Cohen J., Giordan A.,
Hugonnier B., Neulat N., Ortega Ruiz R., Saltet J., Veltcheff C., Vrand R. (2012), Le « Climat scolaire » :
définition, effets et conditions d’amélioration, rapport au comité scientifique de la direction de
l’Enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale, MEN-DGESCO/Observatoire inter-
national de la violence à l’École, p. 5.
86
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
26. Bailly R. (2001), « Le jeu dans l’œuvre de D. W. Winnicott », Enfances et Psy, volume 5, no 3,
p. 41-45.
27. Duval Héraudet J. (2001), Une difficulté si ordinaire, Paris, EAP.
28. Montandon C. (2005), « Règles et ritualisations dans la relation éducative », Hermès, la revue,
volume 3, no 43, p. 87-92 (p. 90).
29. Marchive A. (2007), Le Rituel, la règle et les savoirs. Ethnographie de l’ordre scolaire à l’école
primaire, Ethnologie française, volume 37, no 4, p. 597-604 (p. 597).
87
Construire des situations pour apprendre
« […] la classe, l’emploi du temps hebdomadaire, les différentes matières, les relations
entre l’enseignant ou l’enseignante et le groupe d’élèves, l’interaction finalisée des
cours, l’assimilation collective des objets d’étude, l’aménagement méthodique des cours,
entraînements et répétitions inclus, la sélection et l’utilisation de différents médias,
l’appréciation du travail individuel oral et écrit, l’alternance rythmée entre les cours et les
pauses, le travail personnel en dehors de l’école (les devoirs à la maison). C’est le concours
de tous ces éléments qui constitue le cours comme une organisation rituelle.31 »
Dans une classe ritualisée, l’élève doit savoir ce que l’on doit faire (comment
et quand), et l’action collective induit des règles de conduite : savoir écouter,
formuler pour continuer à travailler. Ainsi, le rituel est intégrateur : il réaffirme
que l’élève a une place marquée et remarquée dans le groupe classe, il peut se
confronter aux autres dans un espace où il prend peu de risques. Cependant, le
rituel peut devenir conditionnant et routinier s’il ne vise qu’à inscrire l’enfant dans
le respect de normes de comportement, et le pédagogue doit pouvoir les réfléchir
au regard de son projet éducatif. Hébrard et Gioux montrent que, s’ils sont évolu-
tifs, pensés et intégrés par le groupe dans l’idée, par exemple, d’une « contrainte
qui libère32 », ils facilitent l’autonomie des élèves, mais sont également l’occasion
de travailler sur le développement de la personne en lui permettant d’apprendre
à surseoir à ses impulsions, de se dégager de l’immédiateté de l’action pour faire
de l’école un espace dans lequel on a le temps de penser.
88
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
Rituel/routine
Il est souvent difficile de faire une différence entre des pratiques ritualisées
porteuses de sens et des routines. Les rituels peuvent vite se transformer en routine,
des moments répétitifs quotidiens conditionnés dans lesquels les élèves ne mettent
pas de sens.
Les rituels ont une dimension symbolique et sont constitutifs d’une culture de classe
permettant d’unifier la communauté d’apprentissage en délimitant les acteurs
comme les actions à réaliser.
Meirieu33 distingue trois catégories de rituels :
––rituels d’aménagement de l’espace permettant à chacun de s’approprier un terri-
toire ;
––rituels de répartition du temps ménageant des temps de travail individuels, des
temps d’information collective et des temps de travail en groupes ;
––rituels de codification des comportements assurant la sécurité physique et
psychologique des individus.
Ces rituels sont construits à travers des actions partagées par un vécu corporel,
émotionnel et symbolique, et contribuent à développer un sentiment de sécurité,
en réduisant l’incertitude et en contenant le temps. L’action pédagogique doit donc
interroger les rituels mis en place pour se demander de quel sens ils sont porteurs.
33. Meirieu P. (1987), Apprendre… oui, mais comment ?, Paris, ESF Sciences humaines.
89
Construire des situations pour apprendre
Les ressources
Dans la perspective de repenser le milieu proposé aux enfants pour qu’ils
puissent mieux apprendre, les ressources constituent un levier intéressant à
mobiliser. Au sens commun, ce terme désigne des moyens matériels, les possi-
bilités offertes par quelque chose pour réaliser une production. Cette question
est traitée dans les travaux universitaires généralement sous deux angles : les
ressources utilisées par les professionnels pour concevoir leurs enseignements et
les ressources construites pour favoriser les apprentissages des élèves.
Dans la première optique, cette notion peut être appréhendée comme « des
éléments de connaissance et/ou les moyens qui sont significatifs pour l’acteur et
lui permettant, de son point de vue, d’être efficace lors d’une situation profes-
sionnelle et/ou de bien faire son métier34. » En considérant les ressources comme
dynamiques, se structurant et se restructurant au gré des expériences (Piot),
nous avons montré dans un travail de recherche collectif qu’elles peuvent être
plurielles. Elles apparaissent comme un élément d’étayage important du dévelop-
pement professionnel dans les métiers de l’interaction humaine et sont catégori-
sables en quatre familles articulées entre elles : (1) l’expérience, (2) l’alter, (3) les
normes et prescriptions, (4) l’environnement matériel et/ou immatériel.
Dans la continuité de cette définition comme « moyens significatifs pour l’ac-
teur », la notion peut également être opérationnelle sur le plan pédagogique, car
elle nous conduit à réfléchir ce qui peut être, dans le milieu, une ressource pour
apprendre pour l’élève. Cet objet est fortement remobilisé depuis une dizaine
d’années dans le champ éducatif avec le développement des réflexions relatives
aux usages des nouvelles technologies et leur apport à l’enseignement. Baron
et Harrari rappellent que la notion s’inscrit dans un héritage pédagogique ancien
comme dans la pensée de Dewey qui développait l’idée que l’apprentissage
34. Lescouarch L., Ade D. (2015), « Les ressources comme révélateur des tensions entre universi-
tarisation et professionnalisation : synthèse et perspectives », Les Sciences de l’éducation. Pour
l’Ère nouvelle, volume 48, no 4, p. 125-132.
90
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
35. Baron G.-L., Harrari M. (2006), « Les ressources informatisées dans l’éducation scolaire. Entre
invention, prescription et marchandisation : quelles tendances ? », Medialog, revue des technolo-
gies de l’information et de la communication dans l’éducation, no 60, p. 36-41 (p. 39).
36. Reverdy C. (2014), « Du programme vers la classe : des ressources pour enseigner », Dossier
de veille de l’Ifé, no 96.
91
Construire des situations pour apprendre
37. Choppin A. (1980), « L’histoire des manuels scolaires. Une approche globale », Histoire de
l’éducation, volume 9, no 1, p. 1-25.
38. Bonnéry S. (2015), Supports pédagogiques et inégalités scolaires. Études sociologiques, Paris,
la Dispute.
92
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
notion qui est donnée à apprendre. L’élève est dans un raisonnement permanent et à
double niveau. On a la même évolution dans les albums de littérature jeunesse. Les textes
sont devenus plus complexes. Ils ne donnent pas toute l’histoire. Celle-ci est souvent à lire
dans la confrontation entre le texte et l’image.39 »
« Le choix des exercices qui illustreront tel ou tel apprentissage est important. Le type de
présentation, le support proposé, la plus ou moins grande familiarité du contexte pour les
élèves, ce que nous pourrions appeler l’“habillage” des exercices, peut être un guide. Mais
ces traits, nommés traits de surface, ne peuvent être les seuls critères. Il est important de
connaître le mode de raisonnement et les opérations intellectuelles en jeu, ce que nous
pouvons nommer traits de structure. Cette démarche permet de confronter le niveau
des exercices proposés et celui des élèves et par là de repérer d’éventuels écarts entre
les deux.40 »
39. Jarraud F. (2015), « Les Supports pédagogiques creusent-ils les inégalités scolaires ? », Entretien
avec S. Bonnéry. Le Café pédagogique du 02/02/2015. Consulté le 15/06/2015 sur : http://www.
cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/02/02022015Article635584576886548122.aspx
40. Higelé P. (1997), Construire le raisonnement chez les enfants. Analyse critique des exercices,
Paris, Retz, p. 69.
93
Construire des situations pour apprendre
Ce qui pourrait paraître comme une dimension évidente des pratiques peut
receler de nombreux pièges. Si les supports contribuent évidemment à étayer les
apprentissages, ils peuvent également parfois leur faire obstacle s’ils font appel
à des compétences d’autonomie que les élèves n’ont pas vraiment construites et
s’ils ne sont pas bien pensés pour être utilisés dans cette perspective. Le risque est
moins grand avec des supports pensés spécifiquement pour être utilisés en appren-
tissage autonome comme les didacticiels présents souvent dans la formation des
adultes, les fichiers de travail autocorrectif (ou certains didacticiels) ou une catégo-
rie de matériel didactique « auto-apprenant ».
Ainsi, les fichiers autocorrectifs sont utilisés dans de nombreuses classes pour
permettre aux enfants de construire leurs apprentissages en autonomie dans la
continuité des propositions pédagogiques de Wasburne. Dans son expérimenta-
tion pédagogique en école élémentaire à Winnetka, ce pédagogue a construit une
méthode fondée sur une auto-instruction par exercices individuels programmés
dans un plan de travail. Certains de ces principes organisationnels ont été repris
dans le mouvement Freinet qui a produit de nombreux outils autocorrectifs.
Plusieurs éditeurs proposent désormais des outils de ce type ainsi que du maté-
riel, des jeux de logique et de manipulation, comme le tangram, qui constituent
des supports ressources méritant attention.
Nous pouvons également évoquer le matériel didactique Montessori comme
exemple de ressource très structurée, « auto-apprenante ». Celui-ci est conçu
comme devant pouvoir être utilisé seul par l’enfant après une démonstration
préalable de l’adulte. Ainsi, la réalisation de la tâche par l’enfant en autonomie
devient en soi le vecteur principal de l’apprentissage.
Le matériel, en tant que ressource, joue à la fois un rôle d’outil de compréhen-
sion/conceptualisation avec un passage à l’abstraction par la manipulation, mais
également dans le cadre pédagogique global, il est un outil régulateur puisque,
à travers l’ensemble du matériel didactique proposé aux enfants, ces derniers
peuvent être autonomes. Cela permet à l’adulte d’être disponible pour conduire
des médiations plus individuelles auprès des autres élèves sur des situations
de découverte de nouvelles activités.
Pour que ce modèle puisse fonctionner, l’adulte doit penser en amont l’envi-
ronnement global de la classe comme milieu accueillant et stimulant en préparant
soigneusement le matériel didactique codifié, en veillant à son accessibilité,
organisé dans une logique de progression.
94
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
Maria Montessori est un médecin et pédagogue qui s’est appuyé sur le développe-
ment physique et psychique de l’enfant à travers la notion de « périodes sensibles »
pour construire une méthode fondée sur le respect du développement naturel de
l’enfant. Dans cette approche, c’est le milieu et le matériel didactique qui sont le
vecteur de l’apprentissage. L’environnement global de la classe doit être accueil-
lant (c’est la maison des enfants), accessible à la taille et à la force des élèves. La
démarche vise à aménager un environnement avec du matériel didactique à utiliser
en autonomie, pensé à la taille des enfants et en fonction de leurs besoins.
L’adulte est à la fois un accompagnateur et un guide, ce que résume la formule carac-
téristique de cette pédagogie : « Aide-moi à faire tout seul. » L’autonomie est rendue
possible par la mise à disposition d’un matériel didactique très structuré intégré
dans des progressions d’apprentissage avec des règles d’utilisation très strictes.
Il ne peut être utilisé que s’il a fait préalablement l’objet d’une démonstration par
l’adulte. Après cela, chaque enfant peut l’utiliser à son rythme et autant de fois qu’il
le souhaite jusqu’à ce que l’activité s’épuise d’elle-même. La seule évaluation est la
réussite de la tâche, car l’enfant repère lui-même ses erreurs et peut s’exercer pour
se perfectionner.
L’autogestion et l’autoconstruction sont induites par le matériel qui doit permettre,
par une manipulation concrète, de mobiliser les différents sens : par exemple des
perles ou des barres dans le cadre de la numération, des lettres et digrammes rugueux
pour l’apprentissage de la lecture-écriture. Le matériel didactique Montessori est très
riche, mais doit être utilisé dans l’esprit de la méthode. Dans cette approche, l’adulte
n’est plus considéré comme un enseignant mais comme un éducateur dont l’activité
principale est d’initier à l’activité et d’observer l’élève en train de faire afin d’ajuster
les nouvelles activités qui lui seront proposées correspondant à sa période sensible41.
Le matériel didactique est un point de départ dans le processus de construction de
l’intelligence, car l’enfant va devoir s’éloigner progressivement de ces objets concrets
pour avancer vers l’abstraction.
41. De nombreux ouvrages présentent les différents outils Montessori. Le lecteur pourra
consulter avec profit les ouvrages suivants présentant concrètement le matériel et les
démarches : Hainstock E. (1984), L’École Montessori chez soi, Paris, Desclée De Brouwer, et
Alvarez C. (2016), Les Lois naturelles de l’enfant, Paris, Les Arènes.
95
Construire des situations pour apprendre
au moment où ils pourraient en avoir besoin, car cela pourrait gêner le bon
déroulement de la séance quand elle est pensée sur le mode de l’enseignement
transmissif.
L’usage de ce matériel pourrait faire l’objet d’une réflexion plus importante
dans l’aménagement de l’espace et des règles de fonctionnement à condition de
changer de perspective pédagogique, pour chercher à valoriser les conditions d’un
travail en autonomie de l’élève, d’inverser la dynamique en ne considérant plus
les ressources comme un élément périphérique de la situation mais bien comme
un vecteur essentiel de l’apprentissage. Le courant des « méthodes actives » dans
les pédagogies alternatives a donc particulièrement investi cette question car, si
l’on veut que l’enfant puisse travailler en autonomie, il doit pouvoir très facile-
ment aller chercher de l’information, utiliser des aides adaptées sans demander
son accord à l’adulte. La construction de ces ressources autonomes est donc un
chantier important dans la structuration d’une classe.
Dans les classes coopératives avec lesquelles j’ai pu travailler, les ensei-
gnants accordent ainsi une très grande importance à la présence d’outils d’aide
à l’écriture autonome (comme des répertoires orthographiques), d’affichages
de synthèse permettant de revenir très rapidement à des règles et principes (en
français et en mathématiques), de supports autocorrectifs et d’auto-organisation
de leur activité comme un plan de travail.
La mise à disposition dans les classes de matériel permettant de manipuler,
de revenir sur une notion sous une forme plus concrète avec des supports diffé-
renciés est également essentielle tout autant que de disposer de bases docu-
mentaires (papier ou numériques) pour pouvoir amener les enfants à approfondir,
vérifier les éléments notionnels. L’ordinateur de la classe est généralement en
accès libre pour formaliser les productions, mais il offre en outre la possibilité
d’aller chercher des informations complémentaires, dans le cadre de recherches
personnelles.
Cette présence de nombreuses ressources dans l’environnement facilite
le développement de pratiques pédagogiques différentes comme les « confé-
rences d’enfants » en pédagogie Freinet42, ou des recherches personnelles dans
la logique de la méthode de travail libre par groupe de Cousinet43. La place de
la documentation est particulièrement investie car, l’enseignant n’étant plus
42. Les principes pédagogiques pensés dans le mouvement Freinet d’apprentissage par « confé-
rences d’enfants » préfigurent les techniques pédagogiques valorisées dans les espaces docu-
mentaires et les dispositifs proposant du travail interdisciplinaire par exposés ou productions
(itinéraires de découverte (IDD), travaux pédagogiques encadrés (TPE)). Dubois C. (2011), Célestin
Freinet, Savoirs CDI. Des ressources professionnelles pour les enseignants documentalistes.
Consulté le 15/09/2015 sur : https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/societe-de-linforma-
tion/le-monde-du-livre-et-de-la-presse/histoire-du-livre-et-de-la-documentation/biographies/
celestin-freinet.html
43. Cousinet R. (2011), Une méthode de travail libre par groupes, Paris, Éditions Fabert.
96
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
positionné comme la source du savoir, les élèves doivent être en mesure d’avoir
un accès à une documentation pensée pour l’apprentissage permettant de contri-
buer à la construction de leurs connaissances avec des supports adaptés à leurs
centres d’intérêt et à leurs capacités.
En effet, pour que les enfants puissent construire leurs recherches, les sources
« classiques », comme les dictionnaires, les encyclopédies, les mettent souvent
en rapport avec une information non hiérarchisée et trop complexe. Les biblio-
thèques de travail ou les fichiers scolaires coopératifs en pédagogie Freinet,
comme base documentaire adaptée aux élèves (et construite avec eux), sont des
exemples très intéressants.
Dans ces approches pionnières, les ressources sont centrales et impliquent un
travail avec les élèves pour apprendre à les utiliser en autonomie. De plus, elles
constituent une balise pédagogique pour les innovations contemporaines avec
le développement du numérique, l’accès désormais facilité à des bases docu-
mentaires par Internet, le développement de la vidéo et des tutoriels qui peuvent
constituer de nouvelles formes de ressources. En effet, que ce soit dans l’informel,
comme dans les pratiques de bricolage, ou dans le formel, la possibilité d’accéder
directement à des explications ou à des démonstrations peut contribuer à renou-
veler la dynamique de l’apprentissage, et il n’est donc pas surprenant de voir la
question des ressources devenir un objet particulièrement réfléchi et renouvelé
dans les travaux sur les usages du numérique en éducation.
Duvauchelle44 développe également une réflexion intéressante sur les
ressources en montrant que, avec la démultiplication des supports ressources liés
au numérique, l’enseignant peut désormais avoir un rôle de concepteur de ses
supports et scénarios pédagogiques, d’« assembleur de ressources ». Pour lui, le
choix des ressources relatives à « tout ce qu’on a besoin, que ce soit le papier, le
numérique et beaucoup d’autres choses, pour enseigner et apprendre » constitue
un des éléments clés de la réussite dans l’apprentissage.
Les technologies peuvent donc être un déclencheur pour repenser le milieu,
l’écologie et l’organisation de l’espace d’apprentissage et peuvent contribuer à
remettre cette notion de ressources au centre de la réflexion pédagogique en en
faisant un objet médiateur au service de la dynamique de recherche de l’élève
ou du formé. Elles ne sont cependant qu’un outil – tout dépend de ce que l’on en
fait –, et certains usages peuvent finalement renforcer les formes pédagogiques
44. « Les ressources pour apprendre, de l’enseignant à l’élève ». Entretien avec Bruno
Duvauchelle. Disponible sur : https://www.ludovia.com/2014/03/les-ressources-pour-appren-
dre-de-lenseignant-leleve/
97
Construire des situations pour apprendre
45. Ainsi, les « pédagogies inversées », souvent présentées comme une innovation par leurs
concepteurs, car elles proposent d’utiliser le temps scolaire non plus pour faire des leçons
mais pour répondre aux questionnements des élèves après qu’ils ont travaillé à la maison/en
autonomie le contenu en amont, peuvent être paradoxalement au service d’une approche très
transmissive si on se contente de laisser les élèves seuls face à un contenu de type magistral
(écrit ou vidéo) dans la phase d’appropriation des notions.
98
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
peut jouer un rôle d’étayage par l’aide et les ressources. Les étayages peuvent
donc être pensés dans un cadre mutuel, ce qui permet d’élargir les possibilités
d’interactions comme l’évoquait Bruner :
« L’une des expériences les plus prometteuses peut être observée dans les classes qui ont
mis au point une “culture de l’apprentissage mutuel”. Ces classes sont le modèle de ce qui
pourrait se mettre en place si notre culture décidait enfin de se consacrer pleinement à
l’éducation, réconciliant les notions de plaisir et d’efficacité. Il s’y développe un partage
mutuel du savoir et des idées, une division du travail et un échange des rôles, mais aussi
des occasions de réfléchir sur les activités du groupe. Ce n’est qu’une des versions possibles
de l’“éducation idéale”. L’école, dans cet exemple, est conçue à la fois comme le lieu
d’exercice et d’éveil de la conscience quant aux possibilités d’activité mentale commune,
et comme un moyen d’acquérir connaissances et compétences. L’enseignant est celui qui,
primus inter pares, permet que cela puisse avoir lieu.46 »
L’autre, l’« alter », peut donc constituer une ressource significative dans la
construction des savoirs et savoir-faire, et nous pouvons identifier différents
types d’acteurs susceptibles d’être ressources dans un registre formel ou infor-
mel : les enseignants, mais également les autres adultes du milieu (intervenants,
assistants) ou les pairs.
Si l’enseignant se pense lui-même comme ressource dans l’interaction, cela
implique un déplacement de professionnalité important, car il ne se positionne
plus comme sachant a priori mais potentiellement comme un accompagnateur,
quelqu’un qui cherche avec l’enfant. La dynamique pédagogique peut être alors
radicalement différente. De même, positionner les autres intervenants adultes
(auxiliaires, parents, accompagnateurs) comme des ressources pour les enfants
peut enrichir considérablement le milieu d’apprentissage en démultipliant les
interlocuteurs possibles pour les enfants.
Cependant, positionner les pairs comme des ressources potentielles dans
l’espace d’apprentissage présuppose un changement radical de regard sur les
situations d’apprentissage comme l’indique Connac : « Parce qu’un enseignant
peut difficilement démultiplier ses interventions, il a tout intérêt à ne pas rester
seul et à solliciter la participation des élèves pour l’enrichissement du milieu
dans lequel ils se trouvent, ce qui au passage leur accorde le plaisir de se sentir
utiles. Voilà toute la force de la coopération entre élèves et l’objectif premier
de leur autonomie : les autoriser à s’aider ou s’entraider afin que l’enseignant
ne soit pas la seule personne-ressource capable d’étayer l’activité intellectuelle
des élèves47. »
46. Bruner J. (1996), L’Éducation, entrée dans la culture, Paris, Retz, p. 11-12.
47. Connac S. (2017), La Coopération entre élèves, Heillecourt, Canopé Éditions, p. 19-20.
99
Construire des situations pour apprendre
L’idée que les enfants peuvent être des ressources les uns pour les autres peut
apparaître comme une évidence de bon sens, mais force est de constater que,
dans la forme scolaire traditionnelle, les relations entre élèves sont peu encou-
ragées (voire proscrites), car susceptibles de gêner le bon ordonnancement de
la classe au service de la transmission par l’enseignant. Pourtant, de nombreux
travaux sur le tutorat entre élèves (Marchive48 ; Berzin49, Baudrit50) mettent en
évidence les dimensions potentiellement fécondes de ces pratiques. Dans la
continuité de l’héritage de l’enseignement mutuel, le tutorat s’inscrit dans une
psychologie sociale des acquisitions et produit des effets dans deux dimensions :
un renforcement positif lié en partie aux comportements non verbaux dans une
« confirmation mutuelle » et une plus grande acceptation de l’erreur permettant
au tutoré de prendre confiance en lui. L’enfant tuteur peut également être une
ressource explicative ou jouer un rôle de modèle utile pour dépasser la difficulté
en expliquant avec ses propres mots ou en montrant des solutions. Intégrer les
pairs comme ressource dans la conception de l’apprentissage nous conduit donc
à chercher à passer du classique « triangle pédagogique » centrant notre atten-
tion sur les relations élèves/savoirs, enseignants/élèves, élèves/enseignants
à un quadrilatère intégrant les pairs comme un des pôles de l’apprentissage.
MÉDIATION MÉDIATION
48. Marchive A. (1997), « L’interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage
didactique », Psychologie et éducation, no 30, p. 29-43.
49. Berzin C. (2012), « Tutorat entre pairs et théorie implicite d’enseignement », Revue française
de pédagogie, no 179, p. 73-82.
50. Baudrit A. (2003), « Le tutorat à l’école », Carrefours de l’éducation, volume 1, no 15, p. 118-134.
100
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
51. Ainsi, des élèves de collège, interrogés en bilan sur ce que change dans leur vie d’élève le
fait de fonctionner en classe coopérative, ont spontanément évoqué le fait que : « On a le droit
de bouger et de s’entraider. »
101
Construire des situations pour apprendre
Tableau 11. Diversité des ressources mobilisables en milieu scolaire pour apprendre
Ressources
Ressources externes
internes
Médiatrices Alter
Outils d’aide (support de (ressource
Soi
(en appui) l’apprentissage explicative
en elles-mêmes) et modèle)
• Bases • Manuel et • L’adulte • Expérience
documentaires supports d’exercice enseignant • Connaissances
• Affichages • Matériel • Les intervenants et compétences
Exemples
Les interactions
52. Perraudeau M. (2006), Les Stratégies d’apprentissage. Comment accompagner les élèves dans
l’appropriation des savoirs, Paris, Armand Colin.
102
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
La notion d’accompagnement
L’enjeu d’accompagnement est au cœur même des métiers de l’éducation au
sens étymologique d’une posture relationnelle singulière explicitée par Ardoino :
« L’étymologie cautionne, pour sa part, ces jeux et ces effets de sens. “Accompagne”
semble être formé, en français, à partir de compagnon, compagne et compagnie (du
latin cum et panis : pain) induisant l’idée de partage de quelque chose d’essentiel
qu’on retrouvera également avec la notion de partenaire (partager, prendre sa
part)54. » De telles démarches impliquent une relation subjective, ou mieux inter-
subjective, entre des personnes, des sujets dans un cadre interactif intégrant une
position éthique.
Pour penser les pratiques pédagogiques, les travaux de Paul relatifs à l’identification
du noyau de sens de la notion peuvent constituer un point de repère intéressant : « Il
y a bien effectivement une structure identique et constitutive de toutes les formes
d’accompagnement inscrite dans la sémantique même du verbe accompagner,
ac-cum-pagnis, ac (vers), cum (avec), pagnis (pain), dotant l’accompagnement d’une
double dimension de relation et de cheminement. Ainsi la définition minimale de
toute forme d’accompagnement est : être avec et aller vers, sur la base d’une valeur
symbolique, celle du partage55. »
Ainsi, à partir de cette définition strictement sémantique (« accompagner, c’est se
joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui »), les caractéristiques
de la relation d’accompagnement peuvent être isolées : asymétrique, contractuali-
sée, circonstancielle, temporaire, comobilisatrice. Par conséquent, au sens littéral, il
ne pourra y avoir accompagnement que s’il y a une relation impliquante, une dissy-
métrie fondamentale entre accompagnant et accompagné, une intersubjectivité (et
non une relation où l’un est l’objet de l’autre), une transition (l’accompagnement est
instauré à l’occasion d’un passage), une démarche conjoncturelle ou ouverte (l’inat-
tendu n’est pas recherché mais peut être accueilli).
Guy Le Bouëdec traduit cette posture dans une formulation éclairante : « D’abord
accueillir et écouter, ensuite participer avec lui au dévoilement du sens de ce qu’il vit
et recherche, enfin cheminer à ses côtés pour le confirmer dans le nouveau sens où
il s’engage56. »
53. Vial M., Caparros-Mencacci N. (2009), L’Accompagnement professionnel. Méthode à l’usage des
praticiens exerçant une fonction éducative, Bruxelles, De Boeck.
54. Ardoino J. (2000), « De l’“accompagnement” en tant que paradigme », Analyses de pratiques
de formation, no 40.
55. Paul M. (2009), « Accompagnement », Recherche et formation, no 62, p. 91-108.
56. Le Boëdec G. (2001), « Les usages traditionnels de la notion d’accompagnement », in
G. Le Bouëdec, A. Du Crest, L. Pasquier, R. Stahl (dir.), L’Accompagnement en éducation et formation,
Paris, L’Harmattan, p. 23-43 (p. 24).
103
Construire des situations pour apprendre
57. Le Bouëdec G. (2001), « Une posture éducative fondée sur une éthique », Cahiers pédago-
giques, no 393, p. 18-20 (p.18).
58. Ibid.
59. Tanguy F. (2011), Effets du guidage sur l’apprentissage de connaissances primaires et de connais-
sances secondaires, thèse de doctorat de psychologie (dir. Foulin et Tricot), université Segalen
Bordeaux-II (p. 65).
60. Comme je l’ai évoqué dans la partie relative au soutien, cette notion est également utilisée
par M. Perraudeau pour qualifier les pratiques relatives à un travail sur l’évocation et une diver-
sification des entrées sur les apprentissages par la prise en compte des profils pédagogiques.
104
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
61. Nunziati G. (1990), « Pour construire un dispositif d’évaluation formatrice », Cahiers pédago-
giques, no 280, p. 47-64 (p. 57).
62. Albert C., Boutinet J.-P. (2011), Médiation, Toulouse, Érès.
63. Chaduc M.-T., De Mecquenem I., Larralde P.,(1999), “Médiation », in Les Grandes Notions de péda-
gogie, Paris, Armand Colin-Bordas, collection « Enseigner », p. 242.
64. Perraudeau M. (2006), Les Stratégies d’apprentissage, Paris, Armand Colin.
105
Construire des situations pour apprendre
La tutelle La médiation
Le tuteur est en situation d’intervenir Garant du déroulement de l’activité qu’il a
directement dans l’activité à propos structuré, le médiateur est observateur du
de la tâche. Il peut communiquer des travail des élèves, en position distanciée.
informations, répondre aux questions
pendant le déroulement de l’activité dans Essentiellement en position de réguler et
une perspective de présence collaborative d’encourager, il n’intervient pas directement
avec les élèves. dans l’activité à propos de la tâche engagée
avant la phase d’institutionnalisation.
Ces modes d’interaction permettent de susciter l’engagement des élèves, de favoriser
les échanges.
Ils impliquent en amont de la tâche une structuration et une préparation pour bien
repérer les obstacles (et proposer une situation adaptée) et nécessitent une phase
d’institutionnalisation après la tâche (formalisation par l’enseignant des formulations
et construction des élèves).
65. De la Garanderie A. (2004), Plaisir de connaître. Bonheur d’être, Lyon, Chronique sociale, p. 88.
106
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
TUTELLE AUTONOMIE
Guidage Guidance Médiation Accompagnement
66. Brousseau G. (1998), Théories des situations didactiques, Grenoble, La Pensée sauvage.
107
Construire des situations pour apprendre
faire son propre chemin et fixer son propre but en se positionnant également
comme ressource, mais dans un rapport relationnel d’horizontalité.
67. Alvarez C. (2016), Les Lois naturelles de l’enfant, Paris, Les Arènes, p. 48 (Ebook).
68. Marchive A. (2002), « Maïeutique et didactique. L’exemple du Ménon », Penser l’éducation,
no 12, p. 73-92.
69. Parlebas P. (1980), « Un modèle d’entretien hyperdirectif [la maïeutique de Socrate] », Revue
française de pédagogie, volume 1, no 51, p. 4-19.
108
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
conduire l’élève à la bonne réponse (en tout cas la réponse attendue) sans que
son processus de pensée ne soit véritablement enclenché. Cela aboutit à un
« faire » qui permet bien de s’acquitter de la tâche attendue sans qu’il n’y ait de
véritable régulation/rétroaction sur le résultat de l’activité autorisant une réelle
prise de conscience de ce qui se joue dans la tâche. Le guidage peut donc rester
très important malgré l’apparence d’un questionnement réflexif.
Cette technique peut être source de malentendus, car le pédagogue peut avoir
l’illusion que l’enfant a « construit » et compris les éléments de connaissance liés
à la tâche, mais en fait la situation est structurée exclusivement sur les éléments
dépendants de la tâche construits par l’enseignant. Les éléments dépendants
de l’apprenant comme ses conceptions initiales, son processus personnel de
pensée, ne sont pas vraiment envisagés.
Il ne s’agit donc pas en pédagogie de penser « guidage OU accompagne-
ment » mais « guidage ET accompagnement », car les deux correspondent à des
besoins de l’apprenant. Pour apprendre quelque chose, j’ai à la fois besoin qu’on
me guide et qu’on me laisse expérimenter en m’accompagnant, et c’est en cela
que certains débats de l’histoire de l’éducation peuvent apparaître dépassés.
L’équilibre d’une situation nécessite la capacité, pour le pédagogue, à investir ces
différentes postures de manière équilibrée au regard des caractéristiques de l’en-
vironnement et des interactions. Les exemples dans les apprentissages moteurs
sont très parlants sur ce plan. Ainsi, dans une situation d’apprentissage de ski ou
d’escalade, l’alternance de moments où l’encadrant « montre le chemin » et de
moments où l’apprenant, dans un cadre aménagé sécurisant, est mis en situation
de « faire son propre chemin » constitue une de ces articulations.
Si le « romantisme militant » a pu amener certains mouvements à opposer
ces deux postures, elles sont en fait complémentaires avec, en revanche, une
part relative potentiellement différente selon les orientations des dispositifs et le
positionnement pédagogique des acteurs : les pédagogies alternatives guident
moins, laissent plus de place à la recherche et à l’expérimentation, mais l’adulte
n’est pas pour autant dans l’abstention de l’intervention.
Dans les pratiques pédagogiques, les éducateurs articulent les formes
d’interventions avec des dominantes plus ou moins fortes selon les styles péda-
gogiques en régulant les interventions dans une dialectique présence/absence.
La métaphore du Colibri, petit oiseau capable d’être stationnaire tout étant en
dynamique, utilisée par De Peretti et Muller70 est sur ce point particulièrement
intéressante. Comme le colibri, l’enseignant doit savoir s’approcher au plus près
de chacun tout en gardant une juste distance permettant au sujet de chercher
et d’expérimenter.
70. De Peretti A., Muller F. (2006), Contes et fables pour l’enseignant moderne : approches analo-
giques en pédagogie, Paris, Hachette Éducation.
109
Construire des situations pour apprendre
Pour aller plus loin, un critère associé à prendre en compte dans ces postures,
celui relatif au positionnement comme « sachant » ou non de l’enseignant et de
l’accompagnateur71. Dans les trois premières formes d’interaction modélisées
(guidage, guidance, médiation), l’encadrant est dans une position de « sachant »,
détenteur d’un savoir qu’il va transmettre ou pour lequel il va organiser des acti-
vités de situation-problème pour confronter les apprenants aux savoirs. Sur ce
point, la posture d’accompagnement se distingue et s’inscrit dans une rupture,
car elle positionne l’intervenant dans une place d’« ignorant », ce qui ouvre une
autre perspective pédagogique puisque cela permet de chercher ensemble dans
l’horizontalité de la relation au problème.
D’autre part, la conscientisation et la technicité des interventions d’étayages
par l’interaction constituent des enjeux de formation importants, car nous consta-
tons dans nos recherches que les acteurs gèrent souvent leurs interventions « au
feeling », en fonction de leur personnalité, de leur ressenti et ne disposent pas
de modèles d’intervention explicites pour agir. Ainsi, dans les présentations en
formation de cette réflexion, cette « prose de M. Jourdain » que constitue l’idée
d’étayages par l’interaction représente un point aveugle pour les enseignants, et
cette grille de distinction des postures leur permet de réinterroger leurs pratiques.
Nous pouvons faire l’hypothèse qu’en accordant une attention beaucoup
plus forte à la manière de conduire ces interactions, en trouvant le bon dosage
entre guidage et accompagnement, et en instrumentant les interventions, nous
augmentons fortement nos chances de pouvoir mieux aider les élèves. En cela,
l’énergie et le temps consacré à la préparation des supports, des séquences
didactiques apparaissent parfois déséquilibrés par rapport à l’enjeu premier
d’être disponible à la situation et aux réponses des élèves pour la faire évoluer,
l’adapter.
En conclusion de ce chapitre, l’entrée par le prisme de l’étayage nous permet
d’éclairer et mettre en valeur des aspects de la situation pédagogique trop
souvent implicites dans les réflexions des enseignants, qui sont essentiellement
focalisés sur l’organisation de situations didactiques, la construction de supports,
sans toujours penser que, si le cadre, les ressources et les interactions ne font pas
l’objet d’une aussi grande attention, des dimensions fondamentales pour étayer
les apprentissages risquent d’être oubliées.
71. Je renvoie ici à toute la réflexion de Jacotot reprise par Rancière sur les enjeux d’un « maître
ignorant ».
110
Les étayages pour repenser l’environnement des apprentissages
111
3
Concevoir un espace scolaire
« mieux étayant »
113
Construire des situations pour apprendre
de l’enseignant est focalisée sur l’idée d’avoir « fait le programme », quand peut-il
être attentif aux besoins et particularités de l’élève ? Autrement dit, au lieu d’être
simplement un cadre d’objectifs à atteindre dans le moyen terme, le programme
devient l’organisateur obsessionnel dans le court terme, et cette temporalité peut
empêcher le développement de pratiques pédagogiques innovantes et une véri-
table prise en compte des besoins des élèves.
À partir de la réflexion sur les apprentissages et les étayages précédemment
évoqués, nous postulons donc que l’urgence n’est pas de continuer à chercher
à construire des dispositifs toujours plus sophistiqués, mais plutôt de renouer
avec la recherche d’un équilibre dans la construction d’un milieu éducatif étayant,
prenant en compte l’ensemble des besoins de l’enfant, intégrant la nécessité de
conduire l’activité de l’enfant par des organisations structurantes, mais en accep-
tant l’idée que l’enseignant ne peut pas contrôler tous les paramètres et qu’il doit
savoir à certains moments « lâcher prise » pour s’ajuster aux situations telles
qu’elles se présentent.
Ainsi, il serait plus pertinent de penser les situations plutôt en termes de plan
d’action dans l’esprit développé par Musial, Pradère et Tricot en référence à De
Vecchi et Giordan : « Planifier revient à décrire la manière d’investiguer le champ
notionnel en prenant en compte, d’une part, les processus d’apprentissage, la
motivation des élèves et la métacognition et, d’autre part, les recommanda-
tions institutionnelles en termes d’approches didactiques disciplinaires, et de
démarches d’enseignement. Le plan d’action, support de la planification, est une
prévision qui ne signifie pas une progression réelle. Il ne s’agit pas de tailler dans
le marbre une succession d’actions dont l’enseignant s’interdira de sortir. Mais
plutôt de prévoir des “possibles” qui seront mis en place, avec opportunisme, en
fonction des événements réels de la classe1. »
Cela implique de sortir de la pensée de la « toute-puissance didactique » qui
consiste à croire que si l’on décrète un apprentissage en l’intégrant dans une
planification, cet apprentissage sera effectué. La seule chose que l’on peut garan-
tir est que la notion a été abordée : que les élèves l’aient apprise et se la soient
appropriée est une autre question. Tout éducateur sait empiriquement que ce
projet est vain, et la tension bien décrite par Meirieu entre postulat d’éducabilité
et principe de liberté nous permet de comprendre les limites de cette entrée.
1. Musial M., Pradère F., Tricot A. (2012), Comment concevoir un enseignement ?, Bruxelles,
De Boeck.
114
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
2. Meirieu P. (2007), Pédagogie. Le devoir de résister, Paris, ESF Sciences humaines, p. 80-82.
115
Construire des situations pour apprendre
116
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Étayages du symbolique
Étayages du cognitif identitaire (ex. : sentiment
et du métacognitif d’efficacité, régulation
émotionnelle)
4. Ibid.
117
Construire des situations pour apprendre
5. C’est une conception des apprentissages basée sur l’idée que l’intelligence est éducable,
qu’elle est de l’ordre du construit, de l’acquis et non de l’inné. Le postulat est donc que
l’intelligence d’un sujet n’a pas de valeur immuable et que les individus ont une plasticité cogni-
tive qui autorise à parier sur la modifiabilité des compétences. Cette réflexion est à appréhender
dans la perspective d’une définition de l’intelligence comme étant un ensemble de capacités et
stratégies mentales permettant l’apprentissage et l’adaptation à des situations nouvelles.
6. Loarer E., Chartier D., Huteau M., Lautrey J. (1995), Peut-on éduquer l’intelligence ? L’évaluation
d’une méthode cognitive, Berne, Peter Lang, p. 9.
7. Doly A. M. (2006), « La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre
à l’école », in Fédération nationale des associations de maîtres E, Apprendre et comprendre. Place
et rôle de la métacognition dans l’aide spécialisée, Cahors, Retz, p. 83-124.
8. Meirieu P. (1996), Frankenstein pédagogue, Paris, ESF Sciences humaines, p. 103.
118
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
119
Construire des situations pour apprendre
MÉTA
« connaissance
sur… »
Travailler ces dimensions permet de contribuer aux étayages dans les diffé-
rents apprentissages des élèves : le cognitif et le métacognitif, la construction du
projet scolaire et le sens du scolaire, le rapport au savoir et à l’apprendre.
Il nous faut distinguer de ces entrées, la perspective plus spécifiquement
« méthodologique » d’étayage des procédures de travail. Elle vise à aider les
élèves à construire des méthodes de travail efficaces mais en tant qu’instrument
d’un point de vue extérieur au sujet. Cela peut passer par une habituation à des
formes d’organisation, la transmission d’algorithmes de résolution permettant de
résoudre les problèmes, et nous sommes ici dans une approche plus procédurale
10. Flavell J. H., (1976), “Metacognitive Aspects of Problem-Solving”, in L. B. Resnick (dir.), The
Nature of Intelligence, Hillsdale N. J., Lawrence Erlbaum Associates.
120
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
11. Perraudeau M. (1996), Les Méthodes cognitives. Apprendre autrement à l’école, Paris, Armand
Colin, p. 76.
121
Construire des situations pour apprendre
122
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
automatisation
Savoirs et
scolaires
123
Construire des situations pour apprendre
12. Avanzini G. (1969-1970), « À propos d’un projet d’école expérimentale : quelques remarques
sur les conditions de validation des techniques Freinet », Bulletin de psychologie du groupe
d’études de psychologie de l’université de Paris, volume 23, no 279-280.
13. Reuter Y. (dir.). (2007), Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative
en milieu populaire, Paris, L’Harmattan.
14. Alvarez C. (2016), Les Lois naturelles de l’enfant, Paris, Les Arènes.
15. Bissonnette S., Richard M., Gauthier C. (2005), « Interventions pédagogiques efficaces et
réussite scolaire des élèves provenant de milieux défavorisés », Revue française de pédagogie,
volume 150, no 1, p. 87-141.
124
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
16. Ainsi, dans l’espace social, l’instrumentalisation de travaux scientifiques partiels pour
aboutir à des conclusions générales sur les méthodes d’enseignement à valoriser est une tenta-
tion récurrente comme le montrent très bien les évolutions des prescriptions et discours minis-
tériels sur un enjeu comme l’apprentissage de la lecture réactivé encore en 2017 par l’arrivée
d’un nouveau ministre.
17. Carette V. (2008), « Les caractéristiques des enseignants efficaces en question », Revue fran-
çaise de pédagogie, Recherches en éducation, no 162, p. 81-93.
18. Paquay L. (2008), « Mais y a-t-il une bonne façon d’enseigner ? Mise en question de la thèse de
C. Gauthier », in Les Dossiers des sciences de l’éducation, no 19, Toulouse, Presses universitaires
du Mirail.
19. Bouchard P. Saint-Amant J.-C. (1996), « Le retour aux études : les facteurs de réussite dans
quatre écoles spécialisées au Québec », Revue canadienne de l’éducation, no 21, p. 1-17. Consulté
le 28/11/2017 sur : http://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/viewFile/2720/2024
125
Construire des situations pour apprendre
d’un savoir-être et d’un savoir-faire : « réussit celui ou celle qui acquiert certains
savoirs définis, ainsi que certaines valeurs et attitudes qui vont lui permettre de
s’insérer socialement et de participer pleinement aux transformations sociales ».
Il est donc intéressant d’interroger les pratiques scolaires sur leurs effets dans
ces différentes dimensions et ne pas être obnubilé par la seule question de la
réussite scolaire. Glasman montre que l’idée de « réussite éducative20 » permet de
prendre en compte d’autres dimensions de la réussite liées au bien-être person-
nel, à la réalisation de ses projets de vie sur le plan familial et professionnel. Cette
réussite relèverait à la fois d’un état et d’un processus ; cela rend particulièrement
délicate son évaluation, car les points de repère sont variés et difficilement mesu-
rables. Comme état, elle serait « ce à quoi parvient un enfant ou un adolescent
au terme d’une période donnée, au cours de laquelle il a été soumis à une action
éducative, et qui se caractérise par un bien-être physique et psychique, une
énergie disponible pour apprendre et pour entreprendre, une capacité à utiliser
pertinemment le langage et à entrer en relation, une conscience acquise de ce que
l’école peut lui apporter et de ce qu’il peut en attendre, une ouverture d’esprit à
son entourage et au monde ».
Comme processus, la réussite éducative serait « l’ensemble des initiatives
prises et des actions mises en œuvre par ses parents, par son entourage ou par
des professionnels pour permettre à l’enfant ou à l’adolescent de se rapprocher
et d’atteindre cet état, et la progressive appropriation par l’intéressé de ce qui lui
est fourni ».
Penser la réussite éducative implique par conséquent de s’intéresser à
l’ensemble des éléments de la vie de l’individu qui participent de son éducation.
L’éducation familiale, les lieux sociaux d’apprentissages non formels constituent
ainsi des espaces essentiels dont les actions s’articulent avec celles du champ
scolaire21. A contrario, la réussite scolaire correspond à une dimension particu-
lière de la vie de l’individu, celle de sa performance dans les productions spécifi-
quement scolaires, et est plus facilement évaluable par des repères de notation,
de certification ou d’orientation.
Le contexte actuel se caractérise donc par une tension entre ces deux formes
de réussite comme le relève Feyfant : « On a noté l’interdépendance entre la
réussite éducative et la réussite scolaire. Si la réussite éducative transcende la
réussite scolaire, elle en est dépendante et concomitante […] la réussite éducative
20. Glasman D. (2007), « Il n’y a pas que la réussite scolaire ! », Informations sociales, volume 7,
no 141, p. 74-85. Disponible sur : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-5-page-74.htm
21. Berthet J.-M., Kus S. (2014), « Questions vives du partenariat et réussite éducative. Quel
partenariat interinstitutionnel pour appuyer les acteurs de la réussite scolaire et éducative »,
rapport de séminaire de l’Ifé. Disponible sur : http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/
documents/documents-sk/quel-partenariat-interinstitutionnel-pour-appuyer-les-acteurs-de-la-
reussite-scolaire-et-educative
126
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
22. Feyfant A. (2014), « Réussite éducative, réussite scolaire ? », Dossier d’actualité Veille et
Analyses de l’Ifé.
127
Construire des situations pour apprendre
23. http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.
php?id=2075
24. Derouet-Besson M.-C. (2005), « Architecture scolaire », in P. Champy, C. Étévé, Dictionnaire ency-
clopédique de l’éducation et de la formation, Paris, Retz, p. 90-93.
128
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
dans des salles de classe différentes permettant à des groupes d’âge différents de
travailler en parallèle. Ce modèle s’est imposé au service d’une standardisation
des pratiques, et les espaces d’enseignement caractéristiques de nos écoles (une
salle par classe, un tableau, un bureau par enfant) sont en fait intrinsèquement
liés au modèle de la pédagogie traditionnelle. Cette disposition constitue un
système organisationnel intériorisé par les enseignants, quasi « naturalisé » que
nous pouvons remettre en question. Si pour l’éducation traditionnelle, un espace
classe austère dédié à la leçon et à l’étude est souhaitable, nous devons le penser
autrement dans la perspective d’un lieu d’apprentissage mobilisateur que nous
souhaitons développer : comment favoriser des apprentissages entre pairs si les
élèves ne peuvent pas se déplacer facilement pour travailler en groupe, si des
espaces de regroupement ne sont pas déjà aménagés ? Comment développer un
apprentissage autonome si des ressources ne sont pas disponibles et accessibles
aux enfants ?
L’école du xxie siècle doit pouvoir être pensée pour permettre des pratiques
pédagogiques différentes sur le plan du fonctionnement de l’établissement et de
la classe, sortir de la logique de l’« école caserne » dénoncée par Fernand Oury.
Sur ce plan, nous avons connu en France dans les années 1970 une vague
d’innovations avec des projets d’écoles plus ouvertes avec des espaces classes
intégrant des « coins » aux fonctions variées, des dispositions de bureaux diffé-
rentes invitant à rompre avec le modèle classique de la « classe autobus ». Même
si ce grand projet de rénovation de l’espace scolaire n’a pas été la révolution
escomptée, nous pouvons noter qu’il a influencé les pratiques pédagogiques en
primaire. Il n’est pas rare de voir dans les classes maternelles ou élémentaires
des dispositions en îlots, en U qui cohabitent avec des espaces permettant de
travailler en plus petits groupes ou en individuel. Il est alors possible de penser la
classe dans une perspective modulaire, les espaces pouvant changer de fonction
selon les moments de la journée et les besoins en déplaçant quelques bureaux.
L’architecture scolaire devient un levier facilitateur de la différenciation pédago-
gique, et l’environnement d’apprentissage peut être aménagé pour faciliter le
travail autonome, les interactions entre élèves et la diversification des formes de
travail (collectif/groupes/individuels), l’accès à des ressources documentaires ou
technologiques.
Ces évolutions sont plus difficiles à envisager dans le secondaire car, les
espaces classe étant souvent partagés, il est très difficile pour les enseignants
(et pour les élèves) de les investir et de les aménager par des affichages, des
ressources permanentes et mobilisables au quotidien. On pourrait souhaiter que
la réflexion sur des classes dédiées par discipline, ou sur la possibilité de lais-
ser les élèves d’une classe dans un même lieu auquel ils pourraient s’identifier
comme en élémentaire, soit rouverte dans les établissements, car cela permettrait
129
Construire des situations pour apprendre
130
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
27. Voir sur ce sujet une ressource intéressante : Atelier.on.ca. Plans d’aménagement de la
classe selon la situation d’apprentissage. Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2005. Disponible
sur : http://www.eworkshop.on.ca/edu/pdf/Mod20_B_plans.pdf
28. Muller F. (2017), Des enseignant qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent, Paris, ESF
Sciences humaines, p. 107.
131
Construire des situations pour apprendre
rangement
ordinateurs ordinateurs
Dans une telle configuration, en très peu de temps, il est possible de bouger le
matériel pour changer la dynamique d’échange, et comme l’opération fait partie
désormais des habitudes de la classe, elle se fait sans chahut ni bruit particulier.
132
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
133
Construire des situations pour apprendre
L’enjeu d’organisation est donc très important pour que les ressources puissent
réellement être mobilisées. Nous pouvons observer fréquemment des classes orga-
nisées en principe avec des « espaces de ressources » pas très fonctionnels, car ils
sont encombrés de documents et de supports qui ne servent pas vraiment. Dans
ce cas de figure, l’observateur distingue très rapidement l’espace de travail central
relatif à l’enseignement collectif et des espaces périphériques peu mobilisés sinon
de manière anecdotique, comme pour isoler un enfant. Sur ce point, la taille des
salles de classe est souvent un frein, mais il ne faudrait pas réduire la réflexion à
cette question car, a contrario, nous avons pu observer des classes coopératives
exiguës dans lesquelles l’ensemble de l’environnement est utilisé au quotidien par
les enfants dans une variation des activités et des formes de travail.
31. Husti A. (1999), « Quelle organisation du temps pour quel enseignement ? », in M. Berbain,
M. Caujolle, C. Étévé, Repères pour enseigner aujourd’hui, INRP, p. 101.
134
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
135
Construire des situations pour apprendre
32. Lescouarch L. et Forcadel C. (Accepté à paraître 2018), La pédagogie Freinet : une autre forme
scolaire ?, L’année de la recherche en Sciences de l’Éducation.
136
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Nous avons pu constater très rapidement un investissement des enfants très diffé-
rent dès lors qu’ils peuvent eux-mêmes choisir la tâche qu’ils font à ce moment-là.
Responsabilisés, ils travaillent à leur rythme, peuvent s’autoriser des pauses (et
certains peuvent parfois en abuser…), mais généralement les enseignants s’investis-
sant dans ces outils constatent que, pour la plus grande partie des élèves, ce type
d’organisation est un démultiplicateur du travail effectif des élèves.
Ainsi, le simple fait de demander aux enfants de se positionner sur l’activité qu’ils
veulent faire à ce moment précis, de s’organiser et donc de gérer par eux-mêmes
leur degré d’investissement (à un moment donné dans un créneau horaire) permet
de diminuer dans les fins de journée le sentiment de fatigue et de rendre de nouveau
efficient cet espace temporel.
33. Collectif ICEM, « Aménager les cours d’école », collection « Les Pourquoi-Comment ? » de
l’école moderne pédagogie Freinet. Disponible sur : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/
node/6287
137
Construire des situations pour apprendre
ser des activités libres, dans l’espace récréatif ou en classe, n’est pas une ques-
tion périphérique de l’emploi du temps. L’alternance entre activités nécessitant
attention et concentration et activités moins sollicitantes dans une journée d’en-
fants est en fait une des conditions de la disponibilité à apprendre. Cela paraît
évident dans le registre de l’éducation informelle, mais le monde scolaire devrait
aussi se reposer cette question, accepter que tous les instants de vie d’une classe
ne soient pas immédiatement rentables scolairement.
La question centrale est donc celle des conditions dans lesquelles les enfants
sont accueillis par les enseignants et les animateurs pour permettre leur dispo-
nibilité et leur engagement. Or, sur ce plan, malgré les réformes successives, la
journée d’un écolier reste extrêmement standardisée et fatigante sur le temps
scolaire, mais également potentiellement sur le temps périscolaire. Nous avons
bien conscience sur ce point d’aller à contre-courant tant la pensée program-
mative est dominante. Il n’est pas rare de croiser des collègues enseignants
en difficulté, car ils sentent bien que leurs élèves ne sont plus disponibles aux
apprentissages à certains moments de la journée, mais ne se sentent pas auto-
risés à « lâcher du lest » et se sentent obligés de continuer à « faire cours » pour
être en conformité, quand bien même le moment de travail qui va suivre ne sera
en fait qu’occupationnel.
Ce constat est problématique, car une partie du temps en milieu scolaire est
alors inutile, inefficace, et nous devrions nous interroger un peu plus sur la portée
de méthodes qui conduisent souvent les élèves à vivre des activités scolaires
comme un pensum, une tâche obligatoire dépourvue de signification dont on se
débarrasse. Il ne s’agit pas ici de prétendre que le temps didactique ne doit pas
être structuré ni balisé au risque de tomber dans le travers inverse d’une croyance
naïve dans les apprentissages spontanés. La porte de sortie de cette tension est
pour nous la recherche d’un équilibre des temps, la construction d’un espace
permettant des alternances de forme d’activités, ouvrant une part aux apprentis-
sages informels non planifiés.
Dans une telle configuration, l’élève est doublement responsabilisé : par
rapport à son travail et par rapport à la gestion de son temps, ce qui permet de
diversifier concrètement les rythmes de chacun au quotidien dans la classe. Cette
polyrythmie, entendue comme possibilité d’offrir des parcours différenciés en
modalités et en temps à chacun, est rendue possible par les aménagements du
milieu et la construction d’un cadre ritualisé régulé par l’adulte que nous avons
précédemment évoqués.
Sur les temporalités, pour que l’élève puisse se projeter, se mettre en projet et
ne pas avoir en permanence l’objet des décisions arbitraires de l’adulte, il peut être
important de rajouter simplement en début de journée le programme formalisé de
ce qu’on va y faire. D’autre part, dans cette organisation de journée, nous pouvons
138
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
chercher à faire varier les types de situation de manière à ce que l’enfant puisse
à l’intérieur trouver une forme de régulation de son propre rythme, comme nous
pouvons le faire, nous, adultes en formation. Nous pouvons donc laisser ouverts
des moments de travail libre, d’auto-organisation dans des temporalités négociées
collectivement à l’avance et articulées avec les droits et devoirs de la classe.
Une telle structuration peut varier selon les journées en intégrant les moments de
régulation collective, le « conseil », les « ateliers philos », les sorties et des moments
supports de la création des questionnements.
34. La « classe-promenade » est une approche théorisée par Freinet qui regroupe diverses tech-
niques pour l’étude du milieu permettant de relier les savoirs scolaires à la « vraie vie » : « visites
organisées, enquêtes, recherches documentaires, recherches guidées par des fiches, synthèses,
réalisations d’albums, d’articles dans le journal scolaire, conférences des enfants, des intervenants,
échanges par la correspondance, puis, actuellement, réalisation de documents multimédias à
communiquer et archiver dans la bibliothèque de travail coopérative. […] Ainsi, la classe est ouverte
sur la vie par une culture interactive qui s’enracine dans le réel. »
Lémery E. (2006), « À l’origine, la “classe-promenade” », Le Nouvel Éducateur, no 183, p. 8-9.
Disponible sur : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/6109
139
Construire des situations pour apprendre
« L’école de demain […] sera au contraire la mieux disciplinée qui soit parce que
supérieurement organisée. Ce qui aura disparu, c’est effectivement cette disci-
pline extérieure formelle sans laquelle l’école actuelle ne serait que chaos et néant.
La discipline de l’école de demain sera l’expression naturelle et la résultante
de l’organisation fonctionnelle de l’activité et de la communauté scolaire35. »
140
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Autorité statutaire
(être l'autorité)
Autorité de capacité
Autorité personnelle
et de compétences
(avoir de l'autorité)
(faire autorité)
Cette modélisation est intéressante, car elle nous aide à comprendre les
difficultés que peuvent rencontrer sur ce point les éducateurs s’ils sont dans la
croyance que leur statut va suffire à exercer l’autorité ou que tout est affaire de
caractéristiques personnelles. Quand on observe différentes classes avec les
mêmes techniques, nous pouvons voir, très vite, que la personnalité de l’ensei-
gnant est un élément important, mais nous ne pouvons pas réduire cette question
à ces paramètres. De nombreux jeunes enseignants sont mis en difficulté dans
leurs premières expériences, car ils pensent que leur statut va suffire à assurer la
régulation de la classe et, si cela ne fonctionne pas bien, vont ensuite interroger
leur capacité à « avoir de l’autorité » en termes de dispositions personnelles :
« Je n’ai pas d’autorité » ; « Je ne suis pas fait pour ce métier ».
141
Construire des situations pour apprendre
37. Robbes B. (2006), « Les trois conceptions actuelles de l’autorité », Cahiers pédagogiques.
Disponible sur : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Les-trois-conceptions-actuelles-de-l-
autorite
142
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
143
Construire des situations pour apprendre
39. Flavier É. (2007), « La “sanction éducative” dans la gestion des conflits : réalité ou
utopie ? », Cahiers pédagogiques, no 451. Disponible sur : http://www.cahiers-pedagogiques.
com/La-sanction-educative-dans-la-gestion-des-conflits-realite-ou-utopie
144
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Les sanctions doivent être proportionnées à l’acte et être pensées plutôt dans
le registre de la réparation pour éviter les formes punitives héritées de notre
histoire mise en évidence par Prairat40 : la punition expiation (dans le registre
corporel, comme le coup de règle sur les doigts ou la claque, par exemple,
fortement pratiqués par les instituteurs de la IIIe République.), la punition
signe (touchant à l’humiliation et singularisant le puni comme le bonnet d’âne),
la punition exercice (cherchant à dresser le corps par une activité pénible comme
la copie), la punition bannissement (exclusion).
La sanction ne peut être qu’individuelle et doit donc porter sur un acte et non
sur une personne (l’enfant en tant que personne n’est pas réduit à ses actes). Elle
est à penser plutôt comme la privation temporaire d’un droit en s’appuyant sur la
frustration, mais sans mobiliser le levier de l’humiliation et de la culpabilisation.
Orientée vers le changement positif, elle doit chercher à intégrer une procédure
réparatoire, responsabilisante, afin de se situer dans une perspective de dévelop-
pement. À titre d’exemple, j’ai eu l’occasion de travailler avec des classes coopé-
ratives pratiquant la technique du « message clair » popularisée par Connac41 qui
consiste à faire réguler en amont les petits conflits par les élèves en ritualisant le
fait d’exprimer les conflits et en cherchant des solutions de résolution ensemble.
Associé à la régulation collective des problèmes plus importants de la vie
de la classe qui sont gérés, eux, dans le cadre du conseil coopératif, cet outil
permet d’apaiser fortement le climat, de donner sens aux sanctions qui portent
effectivement sur la question des droits à travers un système de ceinture de
grandissement. Pour l’observateur, les sanctions apparaissent bien comprises
par les enfants et perçues généralement comme justes parce qu’elles ont été
argumentées, discutées et portent exclusivement sur les actes. Par exemple,
lorsqu’un enfant développe un comportement empêchant les autres de travailler,
il peut être envoyé dans une autre classe dans une mise à l’écart temporaire, mais
c’est pour y travailler, et il retrouvera ensuite son droit de travailler dans sa classe
dès lors que son comportement changera.
Ce changement de perspective pourrait paraître anecdotique, mais fonder la
sanction sur les trois pôles de la frustration, de la mise à l’écart temporaire justi-
fiée par le comportement du moment et de la réparation permettent de travailler
une responsabilisation de l’enfant par rapport à la question de la règle. C’est un
moyen de sortir du cercle vicieux de la pédagogie traditionnelle dans laquelle
la punition coercitive est perçue bien souvent par les enfants comme une forme
de « règlement de comptes personnel ».
40. Prairat E. (2011), La Sanction en éducation (5e édition), Paris, PUF, collection « Que sais-je ? »
n° 3684.
41. Connac S. (2015), « Des messages clairs pour coopérer », Cahiers pédagogiques, no 523.
Disponible sur : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Des-messages-clairs-pour-cooperer
145
Construire des situations pour apprendre
Ce n’est bien entendu pas une panacée et, même dans les classes où ces
fonctionnements sont en place, l’adulte est obligé de reprendre les rênes à
certains moments, car nous sommes bien dans un espace de cogestion et non
d’autogestion. Il reste en dernier recours le garant du cadre et de la sécurité de
tous. Cependant, comme le travail sur l’école Freinet de Mons-en-Barœul a pu le
montrer (Carra et Faggianelli42), ces organisations contribuent fortement à apaiser
le climat scolaire et à diminuer les incivilités. L’adulte instaure en fait un espace
qui relève des dimensions de « cadre contrôle » et de « cadre protection » mis en
évidence par Glasman précédemment évoquées.
Penser le cadre d’autorité est donc une dimension importante de la construc-
tion d’un milieu étayant dans lequel la sécurité physique et affective est garantie,
et les approches coopératives constituent un point de repère intéressant pour les
éducateurs, à condition de ne pas détourner leurs outils dans une optique plus
normalisatrice et conditionnante.
42. Carra C., Faggianelli D. (2005), « Quand une école bouscule les normes… Étude d’une école
expérimentale Freinet en réseau d’éducation prioritaire », VEI Diversité, no 140, p. 85-92.
43. Connac S. (2015), Apprendre avec les pédagogies coopératives. Démarches et outils pour l’école
(5e édition), Paris, ESF Sciences humaines, p. 21.
146
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Élaborée par Célestin Freinet dans le cadre de son mouvement de l’école moderne à
partir de 1920, cette pédagogie constitue une tentative originale de mise en œuvre
d’une approche naturelle fondée sur la coopération, l’expression libre des enfants et le
travail. Elle s’appuie sur différentes techniques dont les plus connues sont l’imprimerie,
le plan de travail, la production de textes libres, les enquêtes et conférences, la corres-
pondance scolaire, la réunion de coopérative, les ateliers d’expression et de création.
Les enseignants s’inscrivant dans cette pédagogie recherchent une approche natu-
relle en opposition à l’artificialité de ce que Freinet désignait sous le nom de « scolas-
tique » pour désigner les situations scolaires relevant d’une règle de travail et de vie
particulière à l’école qu’il qualifiait de « méthodes traditionnelles » en opposition
à des « méthodes naturelles ». Freinet partait donc du postulat qu’il existe une
manière naturelle de construire des apprentissages par imprégnation, imitation,
tâtonnement qui aurait un caractère universel et serait valable pour l’acquisition de
toutes sortes de savoirs. Les savoirs scolaires pourraient donc être acquis en suivant
le même processus naturel que les mécanismes vitaux sur le modèle de l’apprentis-
sage du langage oral ou de la marche et donc sans s’inscrire dans une planification
préalable de tous les objectifs d’acquisition.
44. Sylvain Connac résume très bien sa vision dans la conférence « Actualité et défis de la péda-
gogie Freinet aujourd’hui », organisée à Nantes le 4 décembre 2014. Disponible sur : https://
www.youtube.com/watch?v=qE4eK4fJ8GU
147
Construire des situations pour apprendre
Les apprentissages sont pensés dans un milieu coopératif, une « classe atelier »
dans laquelle les processus en œuvre s’appuient sur des dynamiques d’apprentis-
sage entre pairs à partir de techniques éducatives fonctionnelles : journal scolaire,
imprimerie, conférences, mathématiques naturelles, plan de travail individualisé,
classe-promenade sont autant de supports pédagogiques en rupture avec la forme
scolaire traditionnelle qui proposent de changer la place de l’enfant dans le proces-
sus d’apprentissage. De passif, il devient acteur et même auteur, inscrit dans une
communauté apprenante.
La collectivité fonctionne sur la base d’une institutionnalisation d’espaces de gestion
de la vie collective pour coordonner avec les élèves le suivi des apprentissages, le
déroulé des activités et l’emploi du temps. Ces instances servent également à mettre
en place et réguler les règles permettant de vivre ensemble dans un espace de travail
coopératif.
« À l’école Freinet, les deux dernières heures de classe du samedi sont consacrées
à la réunion hebdomadaire de la coopérative. réunion d’un caractère particulier qui
lui donne une grande importance dans la vie de l’école. Les responsables ont lavé la
classe de fond en comble puis disposé dans la grande salle les chaises en demi-cercle
autour des deux tables où s’installera le bureau de la coopérative. Le responsable du
magnétophone a préparé son appareil et installé le micro pour les enregistrements
indispensables. Il y a des fleurs sur les tables. D’autres responsables ont disposé
dans le couloir, et, si nécessaire dans la 2e classe, l’exposition des travaux du samedi.
Notre plan de travail nécessite en effet des réalisations dont enfants et adultes sont
heureux de voir l’aboutissement. Les brevets y ont une place de choix ainsi que les
albums, les pages de vie, les envois de correspondants. Des peintures garnissent
les murs ; si on a cuit au four, les tables débordent de céramiques […] Les adultes
sont à la place qui leur est réservée, dans le rang, car ils auront évidemment leur rôle
éminent à jouer […] Tous les enfants sont là, car cette réunion est attendue par tous
comme une occasion unique de se situer dans la communauté, et de s’y situer dyna-
miquement, non pas en écoliers mais en hommes […] L’instant est solennel et cette
atmosphère de solennité, indispensable, doit être préparée et entretenue. »
Célestin Freinet, L’Éducation morale et civique, BEM, 1960.
Le travail de groupe
La base de la coopération est la possibilité de travailler en groupes. Cette
forme de travail est censée favoriser le conflit sociocognitif, car l’élève en se
confrontant à d’autres peut profiter des interactions pour construire ses appren-
tissages. Le précurseur de ces pratiques est le pédagogue Roger Cousinet qui
pensait que « L’élève n’est pas un enseigné, mais un apprenant » et a donc
construit un modèle pédagogique d’apprentissage libre par groupes45.
45. Cousinet R. (1969), Une méthode de travail libre par groupes, Paris, Édition du Cerf.
148
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
46. Raillon L. (1993), « Roger Cousinet », Perspectives. Revue trimestrielle d’éducation comparée,
volume 23, p. 225-236.
149
Construire des situations pour apprendre
47. Meirieu. Itinéraire des pédagogies de groupe – Apprendre en groupe 1, Lyon, Chronique
sociale, 1984.
150
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
48. Baudrit A. (2003), « Le tutorat à l’école. Que peuvent faire les élèves tuteurs ? », Carrefours
de l’éducation, volume 1, no 15, p. 118-134 (p. 119).
151
Construire des situations pour apprendre
pour des enfants. Le pédagogue doit donc bien définir les tâches qui peuvent
leur être dévolues.
Différents types de situations peuvent être favorisés par ces dispositifs comme
l’imitation, le monitorat, l’enseignement mutuel. Pour Marchive, la situation de
tutelle entre enfants leur permet de jouer un rôle de « transducteur49 », un trans-
metteur d’informations, de connaissances et un traducteur de ces dernières dans
le langage propre de l’enfant. Même si le registre de langage n’est pas seconda-
risé, ce type d’intervention donne accès à des savoirs vulgarisés déclencheurs de
compréhension. Ils ne sont pas suffisants en eux-mêmes, mais peuvent jouer un
rôle important pour certains enfants à condition que les explications de l’enfant
tuteur soient adaptées et en congruence avec les besoins du tutoré.
D’autre part, le processus ne peut fonctionner que si l’élève tuteur est en
situation de transmettre quelque chose qui relève de ce que Marchive appelle de
manière très juste la « zone proximale d’enseignement » en analogie à Vygotsky :
« Alors que la zone proximale de développement est l’écart entre ce que l’enfant
est capable de réaliser seul et ce qu’il est capable de réaliser avec l’aide d’un
expert, adulte ou enfant, la “zone proximale d’enseignement” serait l’écart entre
ce que l’enfant est capable de réaliser seul et ce qu’il est capable d’expliquer, en
tant qu’expert à quelqu’un d’autre le plus souvent 50. »
Pour être efficaces et pertinentes, les pratiques de tutorat entre élèves néces-
sitent donc d’être institutionnalisées afin que les tuteurs soient bien en capacité
d’aider et que ceux qui sont aidés soient en demande. L’intégration dans la vie de
la classe de « brevets de tuteurs » dans lesquels les enfants sont « adoubés » par
le groupe pour aider dans un domaine particulier des apprentissages ou à travers
des systèmes niveaux reconnus comme dans les classes utilisant les ceintures de
compétences facilitent ces pratiques. Ces pratiques doivent s’accompagner d’une
formation des tuteurs sur les types d’intervention qu’ils peuvent avoir auprès de
ceux qu’ils aident comme a pu en proposer Le Ménahèze51.
Il est important également que le dispositif prévoit des outils permettant à
un enfant de demander de l’aide sans déranger le fonctionnement collectif : par
exemple, une demande d’aide que l’on peut déposer sur le bureau d’un cama-
rade ou le tetra’aide proposé par Demauge52 sont des éléments facilitateurs. Ces
49. Marchive A. (1997), « L’interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage
didactique », Psychologie et éducation, no 30, p. 29-43.
50. Ibid, p. 33.
51. Le Ménaheze F. (2002), « Coopération et travail individualisé », in Coopération et pédagogie
Freinet, Éditions ICEM Pédagogie Freinet, no 33, p. 52.
52. Le tetra’aide est un solide avec des couleurs différentes à chaque pointe indiquant l’état
du travail de chaque enfant qu’il peut utiliser de manière non verbale avec l’enseignant ou son
tuteur. Le vert signifie que « Tout va bien », le bleu que l’enfant aide ou est aidé(e) par quelqu’un
et n’a pas besoin de l’adulte, le jaune qu’il aurait besoin d’aide mais que ce n’est pas urgent et
le rouge qu’il a besoin de l’aide de l’adulte. http://bdemauge.free.fr/index.htm
152
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
pratiques d’aide et tutorat entre élèves nécessitent donc de penser des espaces
de régulation collective pour que ces différents outils puissent fonctionner,
être appropriés par les enfants, ajustés à la situation de la classe.
Fixer un contrat pédagogique explicite avec les tuteurs sur ce qu’ils peuvent faire,
leurs droits et leurs devoirs.
––Tu as le droit de montrer les erreurs.
––Tu peux expliquer pourquoi c’est une erreur.
––Tu peux montrer comment tu aurais fait mais sans donner la solution.
––Tu dois demander de l’aide à l’adulte si tu ne sais pas comment aider ou expliquer.
Ce tutorat doit être basé sur le volontariat afin de ne pas mettre en difficulté les
tuteurs et porter sur différents domaines de compétences afin que chacun dans le
groupe puisse à un moment donné être référent dans un domaine de compétences
reconnu par le groupe.
153
Construire des situations pour apprendre
Exemples de techniques
• Espaces de parole et d’expression : conseil coopératif
• Quoi de neuf
Organisation
• Bilan météo
du travail
• Plan de travail
• Ceintures d’apprentissage
• Espaces de parole et d’expression : conseil coopératif
• Chartes et règlements
• Permis d’aide
Organisation du vivre
• Permis de circulation
ensemble
• Les métiers
• « Messages clairs »
• Ceintures de grandissement
• Discussions à visée philosophique
Apprentissages
• Conférences d’enfants et exposés
collaboratifs
• Créations mathématiques
53. Ces différentes techniques sont décrites avec détail dans l’ouvrage déjà abondamment cité de
Sylvain Connac, Apprendre avec les pédagogies coopératives, Paris, ESF Sciences humaines, 2015.
154
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
De même, favoriser dans les situations de classe des moments dans lesquels
une recherche en binôme est possible, autoriser les élèves à demander de l’aide
à un autre élève « explicateur/vérificateur » dans le cadre du contrat collectif,
sont déjà des premiers pas pour favoriser ces dynamiques que les enseignants
peuvent assez facilement intégrer à leurs pratiques. Si les échanges sont régulés
dans un cadre de travail, les enseignants n’ont pas grand-chose à y perdre car, a
minima, ces moments seront l’occasion d’apprentissages dans le registre infor-
mel et un levier pour entrer dans la diversification pédagogique.
« L’école actuelle veut toujours hiérarchiser ; ce qui importe avant tout, c’est de différen-
cier. Cette idée fixe de hiérarchie provient de l’emploi des divers systèmes usités pour
aiguillonner les écoliers : bonnes ou mauvaises notes, rangs, punitions, concours, prix…
Mais il est entendu que, dans l’école de demain, tous ces expédients seront mis au rancart,
ou n’auront en tout cas plus l’importance d’antan. L’intérêt, tel sera le grand levier qui
dispensera des autres54. »
54. Claparède É. (1920), L’École sur mesure, Lausanne-Genève, Payot (p. 30).
155
Construire des situations pour apprendre
55. Houssaye J. (2014), La Pédagogie traditionnelle. Une histoire de la pédagogie, Paris, Fabert.
56. Kociemba V. (2004), Aider les élèves en difficulté. Enseigner en ZEP, Paris, Bordas/SEJER (p. 43).
57. Legrand L. (1995), Les Différenciations de la pédagogie, Paris, PUF.
58. Meirieu P. (1985), L’École, mode d’emploi. Des méthodes actives à la pédagogie différenciée,
Paris, ESF Sciences humaines.
59. Perrenoud P. (2010), Pédagogie différenciée. Des intentions à l’action, Paris, ESF Sciences
humaines.
60. Legrand L. (1994), « Pédagogie différenciée », in Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et
de la formation, Paris, Nathan Université.
156
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
157
Construire des situations pour apprendre
65. Perrenoud P. (1999), Dix Nouvelles compétences pour enseigner, Paris, ESF Sciences humaines.
158
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Différenciation
institutionnelle Différenciation
institutionnelle Différenciation
des parcours
par le soutien pédagogique
par l'orientation
dans les filières externalisé
66. Ibid.
67. Baillé J., Chardon S. (2002), « Soutien en lecture : prise en compte des méthodes
d’apprentissage », Revue française de pédagogie, no 139, p. 19-37.
68. « Le suivi des élèves », rapport de la Cour des comptes, 2015. Consulté le 10/12/2015 sur :
https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Le-suivi-individualise-des-eleves-une-
ambition-a-concilier-avec-l-organisation-du-systeme-educatif
159
Construire des situations pour apprendre
Les résultats des enquêtes internationales comme PISA69 (de 2003 à 2012),
des enquêtes internes de la DEPP70 ou encore des travaux plus ciblés comme
ceux de Manesse, Cogis 71 sur l’orthographe sont convergents pour montrer une
évolution négative des résultats et compétences de la frange la plus en difficulté
de la population scolaire française. Nous pouvons donc considérer que les effets
de cette politique sur la réussite scolaire sont extrêmement limités et que le
soutien n’a pas d’effets automatiques sur les apprentissages, contrairement à
une croyance fortement répandue.
Par exemple, dans une recherche fondatrice sur les effets de l’accompagne-
ment scolaire à partir de l’étude d’une cinquantaine de dispositifs, Piquée72 a pu
montrer que de manière apparemment paradoxale certains enfants participant à
des dispositifs n’avaient pas forcément de meilleurs résultats que ceux qui n’y
participaient pas, voire en cycle 2 que les résultats pouvaient être moins bons.
Les explications renvoient à l’hypothèse d’un effet potentiellement négatif des
aides si elles arrivent comme une surcharge cognitive ou ne sont pas adaptées
aux besoins spécifiques des enfants. Cela nous permet de prendre conscience
que le « travailler plus pour apprendre plus » ne fonctionne pas dans un registre
de cause à effet, mais que les conditions des aides et accompagnements sont à
interroger, dans une perspective différentielle, selon les profils et les besoins des
publics concernés. Il est cependant possible d’analyser les dispositifs de soutien
externalisés dans leurs limites de fonctionnement pour chercher à les améliorer.
69. Keskpaik S., Salles F. (2013), « Les élèves de 15 ans en France selon PISA 2012 en culture
mathématique : baisse des performances et augmentation des inégalités depuis 2003 », note
d’information no 13-31, DEPP-MEN. Consulté le 20/12/2015 sur : http://cache.media.education.
gouv.fr/file/2013/92/9/DEPP_NI_2013_31_eleves_15_ans_France_selon_PISA_2012_culture_
mathematique_baisse_performances_augmentation_inegalites_depuis_2003_285929.pdf
70. Ben Ali L., Vourc’h R. (2015), « Acquis des élèves au collège : les écarts se renforcent entre la
sixième et la troisième en fonction de l’origine sociale et culturelle », note d’information no 25,
DEPP-MEN. Consulté le 20/12/2015 sur : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/78/4/
DEPP-NI-2015-25-Acquis-eleves-college-ecarts-origine-sociale-culturelle_455784.pdf
71. Manesse D., Cogis D., (2007), Orthographe. À qui la faute ?, Paris, ESF Sciences humaines.
72. Piquée C. (2003), Public, modes de fonctionnement et efficacité pédagogique de l’accompagne-
ment à la scolarité, Ville-École-Intégration-Enjeux, no 132, p. 188-203.
73. Emery P. (2017), Débats sociocognitifs étayés : étude de l’effet d’un dispositif d’aide aux élèves en
difficulté en mathématiques au cycle 3 dans le cadre des activités pédagogiques complémentaires,
thèse de doctorat en sciences de l’éducation, université de Rouen-Normandie, Mont-Saint-
Aignan.
160
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
161
Construire des situations pour apprendre
162
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
74. « Que faire de l’aide personnalisée ? », entretien avec Roland Goigoux », Le Café péda-
gogique. Disponible sur : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/
elementaire/Pages/2009/105_elem_aide.aspx
163
Construire des situations pour apprendre
Bien souvent, ces espaces privilégiés que constituent les dispositifs de remé-
diation externalisés se caractérisent par des effectifs restreints et sont donc
l’occasion de construire une relation pédagogique différente, d’offrir aux ensei-
gnants l’opportunité d’être plus disponibles à la compréhension de la situation de
l’élève. Ils peuvent donc avoir une forme d’efficacité à condition que ces moments
soient investis dans une logique de diversification des stratégies d’apprentis-
sage, afin de profiter d’un effectif plus restreint pour « faire autrement ». Si on ne
joue que sur l’effet taille en gardant strictement les mêmes méthodes qui n’ont
pas fonctionné une première fois sans changer les modes d’enseignement en
intégrant des médiations plus individualisées et compréhensives, il y a de fortes
chances que les mêmes causes produisent les mêmes effets et que ces aides
soient peu efficaces.
Cela est vrai pour toutes les expérimentations de diminution des effectifs
dans les classes qui sont remobilisées aujourd’hui en éducation prioritaire, par
exemple avec le lancement d’une expérimentation de CP à douze en 2017. Les
effets ne sont pas automatiques, car la variable « taille de classe » est à mettre en
relation avec celle de contexte (Monso75), et nous pouvons partager l’analyse de
75. Monso O. (2014), « L’effet d’une réduction de la taille des classes sur la réussite scolaire en
France : développements récents », Éducation et Formations, no 85, p. 47-61.
164
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Connac76 qui ne voit dans ce dispositif un véritable intérêt que s’il est l’occasion
de faire la classe autrement, en profitant des effectifs plus faibles pour mettre en
œuvre des apprentissages plus coopératifs et interactifs. Cette remarque peut
être appliquée également aux dispositifs de soutien externalisés qui sont massi-
vement investis dans le registre d’aides individualisées alors qu’il pourrait être de
même intéressant de profiter de ces espaces pour favoriser des formes de travail
en groupe, de l’aide entre pairs dans un contexte beaucoup plus facilitateur que
celui de la classe.
L’entrée par des dispositifs de soutien externalisés peut donc être intéres-
sante si elle est bien pensée et ne contribue pas à limiter la diversification des
actions ni le développement de formes pédagogiques alternatives dans les
classes. Si nous voulons construire un milieu d’apprentissage mieux étayant,
nous ne pouvons donc nous contenter de réfléchir en termes de dispositif de
76. Connac S. (2017), « Douze élèves par classe en éducation prioritaire ? », Cahiers pédago-
giques. Disponible sur : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Douze-eleves-par-classe-en-
education-prioritaire
77. Bautier É, Rayou P. (2009), Les Inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malenten-
dus scolaires, Paris, PUF.
78. Perrenoud P. (1994), Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF Sciences humaines.
165
Construire des situations pour apprendre
Différenciations pédagogiques
Pour penser la différenciation pédagogique quotidienne, nous pouvons nous
inspirer des propositions de Meirieu80 qui distingue deux formes d’organisation.
Pour lui, dans une classe, le premier niveau serait ce qu’il nomme « différencia-
tion successive ». Dans cette optique, le fonctionnement habituel de la classe est
conservé mais, au cours du déroulement de l’activité, différents outils et diffé-
rentes situations d’apprentissage sont proposés en alternance pour prendre en
compte les différents styles d’apprentissage des élèves. La deuxième modalité
identifiée par Meirieu est la « différenciation simultanée » consistant à propo-
ser plutôt des tâches de nature différente selon les élèves pendant une même
séance, certains pouvant être mobilisés sur une recherche particulière, d’autres
sur des exercices de remédiation. L’idée est que tous les élèves ne font plus la
même chose en même temps, et les tâches sont donc diversifiées. Cela demande
à l’enseignant un renversement total de perspective : il doit se focaliser sur
l’organisation d’un travail différencié et non plus penser en termes de séquence
d’apprentissage commune.
79. Echegut J.-L., Martin F. (1995), « D’une pédagogie de soutien à… un soutien de la pédagogie »,
Cahiers pédagogiques, no 336, p. 75-76.
80. Meirieu P. (1985), L’école, mode d’emploi. Des méthodes actives à la pédagogie différenciée,
Paris, ESF Sciences humaines.
166
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
167
Construire des situations pour apprendre
81. Eisner E. W., « Benjamin Bloom 1913-1999 ». (2000), Perspectives. Revue trimestrielle d’éduca-
tion comparée. (Paris, Unesco : Bureau international d’éducation, volume 30, no 3, p. 437-446.
©Unesco : Bureau international d’éducation).
82. Bloom B. (1979), Caractéristiques individuelles et apprentissages scolaires, Bruxelles, Labor/
Paris, Nathan.
83. La pédagogie de maîtrise connaît un regain d’intérêt dans le cadre des approches de la diffi-
culté scolaire et de la construction de programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE)
qui centrent les actions sur la construction de programmations d’apprentissage individualisés
centrées sur des objectifs précis de compétences et de connaissances à acquérir dans la lignée
de la pédagogie de maîtrise.
168
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
169
Construire des situations pour apprendre
Enseignement individualisé
• La construction des contenus est pensée dans un processus individualisé
en totalité
Remédiations individualisées
• La construction des notions est réalisée dans un contexte collectif et , dans un second
temps, un processus de remédiation individualisé « sur mesure » est mis en place.
Travail individualisé
• Les élèves travaillent à certains moments de la séquence (ou de la journée) dans
le cadre d'un plan de travail individualisé.
84. Robo P. in Berthet M. (1996), « Les plans de travail », Le Nouvel Éducateur, p. 15-21. Disponible
sur : https://www.icem-freinet.fr/archives/ne/ne/78/pratiques78-pdf.pdf
170
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Au début, il est essentiel de travailler avec les élèves sur le report dans le
plan de travail des éléments effectués et de leur évaluation ainsi que de rituali-
ser un mode de fonctionnement pour être aidé ou évalué par l’adulte : comment
demande-t-on de l’aide ? Que fait-on si on est bloqué ? Par exemple, il est possible
d’utiliser un système d’inscription au tableau pour demander la venue de l’ensei-
gnant afin d’être évalué ou aidé. Pour éviter que les enfants restent en attente,
après avoir demandé une aide, ils doivent se consacrer à un autre travail en atten-
dant la venue de l’adulte.
Ces pratiques peuvent être associées également à des aides par les tuteurs,
quand cela est institué dans la classe, et nous disposons ainsi d’une forme de
travail riche, responsabilisante, mais qui suppose un gros travail au départ sur
l’autonomisation des élèves en les accompagnant progressivement dans l’utilisa-
tion des différents outils.
Je m’appelle .....................................
Du ..................................... au .....................................
Fiches et jeux sélectionnés
L’évaluation
Mon auto-
Exemples Date de la 2e chance
évaluation maîtresse
Conceptuel/
Activité lecture manipulation :
étiquettes, jeu
Graphisme :
Activité de fiches
graphisme
Activité Figures
géométrique Tracer et repérer
Fiches
Activité d’opération
mathématique Calcul
Jeu de Tangram
construction
Activité de Écrire un texte
production libre
d’écrit Autodictée
171
Construire des situations pour apprendre
C’est un outil qui doit être pensé comme évolutif en fonction des différentes
notions abordées dans la classe selon les périodes, et il peut évoluer en négocia-
tion avec les élèves qui peuvent souhaiter y voir intégrer des activités usuelles
de la classe. Il est également important de préciser que cette forme de travail
est complémentaire d’autres moments collectifs et ne représente en fait qu’une
partie des entrées sur les contenus. Nous pouvons considérer qu’en élémentaire
le travail individualisé ne devrait pas dépasser une à deux heures par jour au
risque de perdre la dimension sociale et groupale des apprentissages.
85. http://pidapi-asso.fr/guide-enseignant/9-presentation-de-la-demarche
172
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Remédiation individualisée
La remédiation individualisée dans les séquences d’apprentissage constitue
une seconde entrée qui concilie une phase d’enseignement collectif et une phase
de travail individualisé. Même si cette approche a des parentés avec la pensée du
soutien externalisé (et en partage donc certaines limites), elle est intéressante,
car elle cherche à intégrer les remédiations « au fil de l’eau » dans le processus
d’apprentissage en réinternalisant les aides plutôt que de les organiser après un
constat d’échec sous forme de rattrapage.
Le fonctionnement est assez simple sur le principe. La séquence d’enseigne-
ment sur une notion donnée est découpée en plusieurs étapes. Les premières
sont collectives et suivent un déroulé didactique désormais classique : une
activité de découverte et de questionnement par situation-problème permet de
structurer la notion et de la formaliser.
Ensuite des activités systématiques d’entraînement sont conduites pour stabi-
liser l’apprentissage qui doit ensuite être évalué, mais l’évaluation est pensée
ici dans un registre formatif afin d’être le déclencheur d’une nouvelle phase de
l’apprentissage.
En fonction de leur état de compétences sur la notion travaillée, les élèves
peuvent se voir proposer des activités de reprise en remédiation inclusive pour
ceux qui ne la maîtrisent pas, des activités renforcement/consolidation pour ceux
qui ont besoin de continuer à s’entraîner pour construire des automatismes et des
activités de prolongement pour ceux qui l’ont d’ores et déjà acquise.
Cette deuxième phase des activités peut être organisée en groupes de besoin,
notion élaborée par Meirieu86 pour désigner un fonctionnement en groupes à
l’échelle de plusieurs classes, consistant à répartir les élèves en fonction de leurs
86. Meirieu P. (1985), L’École mode d’emploi. Des méthodes actives à la pédagogie différenciée,
Paris, ESF Sciences humaines.
173
Construire des situations pour apprendre
différents types de besoins pour les aider à la fin d’une séquence d’apprentis-
sage. Cela permet de recréer momentanément une homogénéité sur des besoins
identifiés et permet de proposer à moyens constants des moments de renforce-
ment aux élèves en difficulté et des moments d’approfondissement ou de prolon-
gement aux élèves en réussite. La remédiation peut prendre également la forme
de tâches individuelles, et aboutira ensuite à une évaluation certificative finale.
Formalisation
Entraînement
Évaluation formative
Évaluation certificative
174
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
87. Meirieu P. (1995), « Différencier, c’est possible et ça peut rapporter gros ! », in Vers le change-
ment… espoirs et craintes, actes du premier Forum sur la rénovation de l’enseignement primaire,
Genève, Département de l’instruction publique, p. 11-41 (p. 17).
175
Construire des situations pour apprendre
176
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Perrenoud s’appuie sur la notion de schème construite par Piaget 91 pour analyser les
pratiques pédagogiques des enseignants. Les schèmes d’action sont « ce qui, dans
une action, est ainsi transposable, généralisable ou différenciable d’une situation à
la suivante, autrement dit ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou appli-
cations de la même action ».
Cette notion de « schème » renvoie aux connaissances-en-acte du sujet, aux éléments
cognitifs qui permettent à son action d’être ajustée au plus près de la situation. Face
à un problème nouveau, l’enseignant est en situation d’« improviser » une solution,
mais cette dernière n’est pas une création en soi, la réponse est élaborée à partir des
schèmes préalablement construits. Par exemple, pour aider un élève dans l’appren-
tissage de la multiplication, il faudra mobiliser des compétences en relation avec
les obstacles et les cheminements didactiques liés à cette notion et des techniques
d’accompagnement qui sont transférables d’une situation à une autre.
C’est ce qui permet aux éducateurs de réagir aux situations, d’inventer des solutions
en contexte en mobilisant des savoir-faire constituant les « gammes » supports des
interventions et qui sont constitutives de l’« habitus professionnel » au sens de
Bourdieu, un « système de dispositions durables et transposables qui, intégrant
toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice
de perceptions, d’appréciations et d’actions, et rend possible l’accomplissement de
tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques de schèmes permet-
tant de résoudre les problèmes de même forme92 ».
90. Perrenoud P. (1996), « Le travail sur l’habitus dans la formation des enseignants. Analyse des
pratiques et prise de conscience », in L. Paquay, M. Altet, É. Charlier, P. Perrenoud (dir.), Former
des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ? (1996, 3e éd. 2001),
Bruxelles, De Boeck, p. 181-208.
91. Piaget J. (1973), Biologie et connaissance, coll. « Idées », Paris, Gallimard, p. 23-24.
92. Bourdieu P. (1972,) Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz, p. 178-179.
177
Construire des situations pour apprendre
93. Étienne R. (2012), « Préface », in S. Connac, La Personnalisation des apprentissages. Agir face à
l’hétérogénéité à l’école et au collège, Paris, ESF Sciences humaines.
94. Connac S. (2012), La Personnalisation des apprentissages. Agir face à l’hétérogénéité à l’école et
au collège, Paris, ESF Sciences humaines, p. 18.
95. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/04/19042012_RGoigoux.aspx
178
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
Individualisation Personnalisation
Travailler seul.
Parcours
Adapter la tâche
d'apprentissage
et le support
différencié dans un
à la singularité
collectif
de l'apprenant
« Prêt-à-porter
« Sur mesure »
adapté »
179
Construire des situations pour apprendre
leurs besoins et leurs capacités, ils ne sont pas confrontés, de fait, à la même
tâche.
Par exemple, en cycle 3 en éducation prioritaire, en maîtrise de la langue,
l’enseignant peut proposer une tâche classique consistant à ranger les mots
par catégories déterminant/adjectif/nom/préposition/conjonction. Le support
est identique pour tous mais, en revanche, au lieu de donner à tous la même
consigne, quatre consignes différentes à difficulté progressive peuvent être énon-
cées et, selon leur groupe de besoins dans le domaine, les enfants doivent démar-
rer le travail à leur niveau de difficulté. Le fonctionnement est ritualisé et, après
avoir réussi avec la première consigne, les enfants savent qu’ils doivent essayer
la suivante. Cette organisation permet une différenciation souple des niveaux de
tâches tout en mettant les élèves dans une perspective évolutive puisque l’objec-
tif pour tous reste, à terme, d’arriver à réaliser la tâche la plus difficile.
Par ailleurs, pendant la réalisation de l’activité, la possibilité ou non pour
certains enfants d’utiliser des outils d’aide (cahiers, leçons, répertoires, affi-
chages…) pour réaliser la tâche en change la nature. Écrire un texte avec la possi-
bilité de recourir à des outils d’aide orthographique est une tâche plus facile que
de l’écrire avec uniquement ses propres ressources cognitives. Cela suppose que
les outils d’aide disponibles soient présents et institués dans la classe de sorte
que l’on puisse également de manière très souple utiliser ce levier, qui peut être
articulé avec la différenciation par la consigne dès la présentation de la tâche.
Enfin, dans le cadre d’un étayage par l’« aide », la variable est la possibilité
d’être aidé ou non pendant la réalisation de la tâche. Le levier de différenciation
est donc l’intervention d’un tiers « aidant » qui va contribuer à ce que la tâche
puisse être réalisée. Comme nous l’avons vu dans la réflexion sur les étayages
par l’interaction, cette aide peut venir soit d’un adulte (enseignant ou accompa-
gnateur), soit d’un pair dans le cas de l’aide d’un autre enfant dans la perspective
d’un tutorat, et change totalement le niveau de difficulté de la tâche à effectuer.
Consignes
Outils Aide
180
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
181
Construire des situations pour apprendre
96. Toullec-Théry M., « Quelles incidences sur les apprentissages ont les formats d’intervention des
enseignants quand ils travaillent à deux ? », texte pour le Comité national « Plus de maîtres que
de classes ». Disponible sur : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/PDMQDC/08/3/
Annexe2_Note2_416083.pdf
97. http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/PDMQDC/plus_de_maitres_que_de_classes.pdf
182
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
L’un enseigne,
l’autre aide
L’un enseigne,
l’autre observe
183
Construire des situations pour apprendre
aidants différents (et pas uniquement des enseignants, mais également des
accompagnateurs auxiliaires par exemple) est un enrichissement intéressant de
l’environnement.
De plus, ces pratiques contribuent à construire des regards partagés sur
les élèves et conduisent les différents intervenants à confronter leurs analyses,
à partager leurs hypothèses sur la situation des enfants et les pistes qui leur
paraissent pertinentes notamment dans le modèle « l’un enseigne, l’autre
observe ». On parle du même enfant vu dans un même contexte, et cette orga-
nisation permet de rompre avec l’isolement du métier tel qu’il est pensé dans la
forme scolaire traditionnelle.
Si on considère ce modèle intéressant, il n’est pas nécessaire d’être dans des
dispositifs particuliers comme le « Plus de maître que de classe » pour chercher
à développer des pratiques de travail en binôme. Quand les effectifs ne sont pas
trop chargés, deux enseignants peuvent à certains moments regrouper volon-
tairement leurs élèves pour certains enseignements afin de bénéficier de cette
dynamique. Dans le secondaire, plutôt que d’externaliser les remédiations, il peut
être possible d’utiliser ces heures d’accompagnements prévus dans le service
des collègues pour venir plutôt intervenir en binôme dans des classes. Mais
cela nécessite en revanche un travail de réflexion sur les manières de travailler
ensemble et une forme de préparation en commun.
184
Concevoir un espace scolaire « mieux étayant »
185
de confiance réciproques soient établies dans un climat de sérénité : « Chacun a
ses pratiques et je n’ai pas le droit de parler de ce que j’ai vu dans tes pratiques
pour les critiquer… (Sauf mise en cause de la sécurité physique et affective des
enfants). »
Quand le cadre est assez clair, ces fonctionnements peuvent être très riches. Ils
facilitent la diversification et permettent effectivement de sortir de l’isolement, de
penser à plusieurs, ce qui constitue un étayage également pour les enseignants.
4
Élargir la focale
pour des pratiques pédagogiques
renouvelées
Repenser l’évaluation
« Les erreurs fraîches rendent compte de quelque chose que l’enfant a compris à la place
d’autre chose et généralement avec des raisons ; raisons qui généralement échappent
à la rationalité de l’enseignant, et qu’il est utile voire passionnant de découvrir.1 »
Nous avons vu que les pratiques évaluatives pouvaient être sources de diffi-
culté dans la construction d’un rapport au stress, à l’erreur. C’est un constat para-
doxal, car, comme le rappellent Meirieu, ou Reboul, l’école a été historiquement
créée pour être un lieu de simulation affranchi de la « vraie vie » permettant l’er-
reur. Jacquard a très bien résumé ce rapport de principe entre l’école et l’erreur :
« Il est de la nature même de l’école d’être le lieu de l’erreur possible, le lieu
de l’erreur bénéfique, le lieu où il faut se tromper et comprendre ses erreurs pour
ne plus se tromper quand on sort de l’école. »
Ainsi, la place accordée à l’erreur est un révélateur des pratiques pédago-
giques et s’inscrit dans une perspective sociétale, culturelle associée à la forme
1. Baruk S. (2003), Compte pour petits et grands, volume 2, Paris, Magnard, p. 21.
187
Construire des situations pour apprendre
scolaire. Dans les approches informelles, l’erreur fait partie du processus même
d’apprentissage. En effet, apprendre, c’est se mettre en danger, et cela suppose
d’accepter de prendre le risque de se tromper et de tirer leçon de ses erreurs
pour réadapter ses réponses à la situation. L’apprentissage implique ainsi une
mise en déséquilibre qui peut être source de difficultés et une réorganisation.
Par conséquent, apprendre, c’est changer : à travers l’apprentissage, l’individu se
transforme et devient « quelqu’un d’autre » ne pouvant revenir à l’état antérieur.
C’est donc un changement qui peut faire l’objet de résistances et être source
de déstabilisation, mais implique des phases dans lesquelles on se trompe :
personne n’a appris à marcher ou à parler du premier coup, et il n’y a rien de plus
normal que de faire des erreurs. Pourquoi prend-elle un statut particulier et est-
elle surinvestie dans le contexte scolaire ?
Astolfi2 montre que selon les approches de l’apprentissage, le statut de
l’erreur est différent. Dans les entrées traditionnelles transmissives, elle est une
faute et doit être évitée. L’étude des bulletins scolaires au collège illustre cette
tendance à analyser la difficulté par des causes externes, relatives à l’élève qui
témoignent des catégories d’explication de sens commun. Dans le modèle du
conditionnement, elle est appréhendée comme un « bug » et devrait en principe
être évitée mais, dans la perspective socioconstructiviste qui est la nôtre, elle est
à prendre en considération comme une information sur l’état des conceptions et
des processus mis en œuvre par le sujet, l’indice d’une intelligence en construc-
tion comme l’indique Brousseau dans une perspective bachelardienne : « L’erreur
n’est pas seulement l’effet de l’ignorance, de l’incertitude, du hasard [...], mais
l’effet d’une connaissance antérieure qui avait son intérêt, ses succès, mais qui,
maintenant, se révèle fausse, ou simplement inadaptée3. »
L’enjeu pour le système éducatif est d’être en mesure de changer le « statut de
l’erreur » pour qu’elle soit un élément constitutif de la démarche même d’appren-
tissage et qu’elle puisse devenir un « outil pour enseigner4 ». Cela renvoie à une
vieille conception philosophique si l’on se réfère à cette maxime généralement
attribuée à Confucius : « Vous devez apprendre des erreurs des autres. Vous
n’aurez jamais assez de temps pour les faire toutes vous-même. »
Ainsi, les travaux de la psychologie neurocognitive en rapport aux émotions,
que nous avons précédemment évoqués, mettent en évidence l’impact négatif
du stress sur la production de performances. Cette notion est donc à considérer
dans ses impacts affectifs sur la mobilisation et démobilisation des élèves. Favre
précise ainsi que « l’efficacité de l’espace réservé à l’apprentissage dépend alors
2. Astolfi J.-P. (1992), L’École pour apprendre. L’élève face aux savoirs, Paris, ESF Sciences
humaines.
3. Brousseau G. (1998), Théories des situations didactiques, Grenoble, La pensée sauvage.
4. Astolfi J.-P. (1997), L’Erreur, un outil pour enseigner, Paris, ESF Sciences humaines.
188
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
de la relation affective que l’apprenant entretient avec ses erreurs et, par consé-
quent, avec ses savoirs5. […] Le processus de maturation peut être entravé si les
erreurs commises par l’apprenant sont assimilées au registre de faute (et donc
du mal) et si son auteur est considéré comme “mauvais”. Les élèves considérés
comme mauvais ne vont même plus se confronter aux apprentissages6. »
A contrario, ces travaux mettent également en évidence un « cercle vertueux »
de mobilisation et de motivation à travers la satisfaction endogène de la réussite
de la tâche. Cela nous invite à repenser l’évaluation dans une empathie positive
qui favorise les réussites et dédramatise la difficulté. L’enjeu pour le pédagogue
est d’être en capacité d’accueillir l’erreur comme l’indice d’une forme d’intelli-
gence. Parfois elle peut nous paraître absurde, mais elle est à interroger dans ce
qu’elle nous donne à voir de l’état de la pensée, des conceptions de l’élève.
Par exemple sur un travail de mathématiques, lorsqu’un élève n’utilise pas
la bonne opération, il est important de repenser aux travaux de Baruk sur l’âge
du capitaine et de se demander quel sens la situation a pour lui. L’état de ses
connaissances en mathématiques peut être un élément d’explication, mais égale-
ment nous devons nous demander s’il n’est pas en difficulté dans son passage
entre des connaissances abstraites et un usage concret ou encore s’il ne fait pas
que s’acquitter de son métier d’élève tel que lui le perçoit, c’est-à-dire « faire pour
faire » sans enjeu d’apprentissage.
Entrer par la question de l’erreur nous conduit inévitablement à interroger les
formes d’évaluation des apprentissages. Alors que le débat social porte essentiel-
lement sur les modalités de l’évaluation, il nous semble nécessaire de déplacer
le questionnement pour penser plus globalement la place de l’évaluation dans
le processus d’apprentissage, de sortir de la focale de la mesure des effets
d’apprentissage (nécessaire mais non suffisante) pour envisager « l’évaluation au
service des apprentissages ».
Pour structurer cette réflexion, nous pouvons nous appuyer sur les travaux
de sciences de l’éducation nombreux sur cette question de l’évaluation. Selon
Deketele et Roegiers, évaluer peut être défini comme « confronter un ensemble
d’informations à un ensemble de critères en vue de prendre en décision7 ».
Hadji8 développe l’idée que toute évaluation se singularise, notamment, par
son ancrage théorique, sa finalité, sa démarche. Cette notion peut être réfléchie
à plusieurs niveaux du système éducatif : dans le registre des évaluations institu-
tionnelles ou dans le registre des apprentissages.
5. Favre D. (1999), Cessons de démotiver les élèves (2e édition, 2015), Paris, Dunod, p. 49.
6. Ibid., p. 52.
7. Cité dans Cardinet J. (2005), « Évaluation », in Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de
la formation, Paris, Retz, p. 391-394.
8. Hadji C. (1997), L’Évaluation démystifiée, Paris, ESF Sciences humaines.
189
Construire des situations pour apprendre
Pour penser les pratiques pédagogiques, ce sont les travaux liés à ce second
registre qui nous intéressent plus particulièrement, et nous pouvons constater
l’existence de démarches très différentes. Se dégagent ainsi différents para-
digmes de l’évaluation dont certains travaillent spécifiquement le registre péda-
gogique et didactique.
Le paradigme Ce paradigme prend comme postulat que l’évaluation est avant tout
de l’évaluation un processus de régulation des apprentissages soit en système
comme processus fermé comme un « contrôle de qualité » des apprentissages soit en
de régulation système ouvert pour privilégier plutôt la « recherche de sens ».
190
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
191
Construire des situations pour apprendre
Par définition l’évaluation sommative se situe donc dans une logique fonc-
tionnelle contrairement à la logique de l’évaluation de connaissances qui peut
être non fonctionnelle et qui se construit en découpant les savoirs, savoir-faire
en unités parcellaires qui peuvent aboutir effectivement à un « saucissonnage »
des éléments. Elle implique donc de construire des outils permettant de vérifier
la capacité à utiliser en action des connaissances dans une situation complexe.
L’approche par compétences devrait être pensée dans une entrée alternative, une
autre manière d’envisager les apprentissages, leur sens et les évaluations, car
évaluer par compétences nécessite d’enseigner par compétences.
En revanche, l’idée d’une évaluation pensée comme régulation interne est peu
présente, et il serait intéressant de la réfléchir plus avant dans les pratiques. En
effet, l’évaluation formative est pensée essentiellement comme étant une évalua-
tion externe par l’enseignant pour réguler la situation d’apprentissage, mais elle
peut également être une évaluation au service de l’apprenant. L’évaluation peut
alors devenir formatrice en permettant une régulation interne de l’apprentissage
comme l’explicite Nunziati : « Nous dirons que l’appropriation par les élèves des
critères des enseignants, de même que l’autogestion des erreurs et la maîtrise
des outils d’anticipation et de planification de l’action s’imposèrent très vite
comme des objectifs prioritaires. L’apprentissage de l’autoévaluation prenait
alors une importance particulière12. »
Ce déplacement vers l’appropriation des enjeux de l’apprentissage visé par
l’élève lui-même constitue une rupture importante et potentiellement féconde.
Nous pouvons, sur ce point, nous appuyer sur la taxonomie de Bloom (1956)
relative aux apprentissages de type cognitif situant l’évaluation comme une
compétence complexe. Elle est construite sur l’idée que les opérations cognitives
peuvent être catégorisées en niveaux de complexité croissante. La capacité d’éva-
luer constitue le plus haut niveau de cette taxonomie cognitive, car elle implique
pour l’apprenant d’être en capacité « de détenir les informations nécessaires, de
les comprendre, de les appliquer, de les analyser, de les synthétiser, pour finale-
ment les évaluer13. »
12. Nunziati G. (1990), « Pour construire un dispositif d’évaluation formatrice », Cahiers pédago-
giques, no 280, p. 47-64 (p. 48).
13. Eisner W. E. (2000), « Benjamin Bloom », Perspectives. Revue trimestrielle d’éducation compa-
rée, volume 30, no 3, p. 437-446.
192
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
193
Construire des situations pour apprendre
14. Nunziati G. (1990), « Pour construire un dispositif d’évaluation formatrice », Cahiers pédago-
giques, no 280, p. 47-64.
194
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
195
Construire des situations pour apprendre
Identification
Contrôle des
des stratégies
performances
et méthodes
et des
utilisées par
compétences
les apprenants
Analyse des
dimensions
Mesure psychoaffectives
des progrès liées à
la situation
d'apprentissage
196
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
15. Antibi A. (2003), La Constante macabre ou comment a-t-on découragé des générations d’élèves ?,
s.l., Math’Adore.
16. Jorro A (2000), L’Enseignant et l’évaluation. Des gestes évaluatifs en question, Bruxelles,
De Boeck, p. 33-42.
197
Construire des situations pour apprendre
17. Jorro A. (2009), « Devenir ami critique », Entrée libre, no 38. Disponible sur : http://www.
entrees-libres.be/n38_pdf/jorro.pdf
198
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
dimensions que nous avons évoquées dans les visées des étayages : les straté-
gies et méthodes utilisées par les élèves et les dimensions psychoaffectives des
apprentissages. Sur le plan psychoaffectif, nous pouvons intégrer à nos grilles
d’analyse la manière dont les enfants se comportent face aux situations : est-ce
que cela produit de l’angoisse chez eux ou au contraire sont-ils en confiance ?
Donnent-ils des signes d’assurance, d’hésitation ? Nous sommes ici dans une
approche quasiment clinique de la situation de l’élève qui participe également de
l’évaluation, cette approche est essentielle pour pouvoir interpréter, contextuali-
ser les productions.
Nous pouvons proposer une grille pour instrumenter ce regard, en cherchant à
certains moments à s’arrêter plus précisément sur le cas d’un élève pour « obser-
ver » les dimensions suivantes :
Travail à effectuer :
Analyse/
………………………… Observations Pistes
Hypothèses
………………………
Production de l’enfant
Compréhension de la
tâche et de la consigne
Obstacle didactique
Démarches mobilisées
(déductives/inductives/
tâtonnement essai
erreur, tâtonnement
expérimental)
Engagement et
mobilisation sur le travail
individuel (mise au
travail, étapes de l’action)
et autonomie
Mobilisation dans le
travail collectif (attention,
participation, prise
en compte des
explications des autres)
État affectif
face à la difficulté
199
Construire des situations pour apprendre
Ces types d’outils ne peuvent pas être utilisés au quotidien dans la conduite
de classe, mais il est intéressant de les mobiliser à des moments particuliers
comme les aides en groupes restreints. Les situations de coenseignement et de
co-intervention sont particulièrement propices à ce type de pratiques, l’impor-
tant étant de prendre l’habitude d’observer ces dimensions, de s’approprier les
critères pour ensuite les faire fonctionner en « toile de fond » dans l’analyse quoti-
dienne informelle de la classe.
D’autres outils complémentaires liés à l’analyse de l’erreur peuvent ensuite
être mobilisés pour penser les pistes d’action afin d’étayer les apprentissages des
élèves. Pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur la catégorisation, très riche,
des registres d’erreur élaborée par Astolfi18 qui renvoie à différentes dimensions
potentiellement sources de difficultés et peut nous aider dans la construction de
démarches pédagogiques pour ne pas oublier d’aller observer ces dimensions et
afin de réguler les actions.
Erreurs liées aux opérations Repréciser les concepts. Vérifier qu’ils connaissent
intellectuelles impliquées (notions les notions…, langage secondarisé.
et concepts, stratégies).
18. Astolfi J.-P. (1997), L’erreur, un outil pour enseigner, Paris, ESF Sciences humaines.
200
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Changer le rapport des élèves à l’évaluation n’est pas une mince affaire tant
celui-ci s’inscrit dans un habitus scolaire intégré et renforcé par toutes les caté-
gories d’acteurs. Si, dans un premier temps, il est important que les enseignants
puissent prendre eux-mêmes du recul sur cette question pour envisager le
changement, cela risque de résister du côté des élèves qui sont habitués à cette
« règle du jeu » de l’évaluation sommative. Les enseignants avec lesquels nous
travaillons qui s’essayent à des pratiques différentes se heurtent souvent dans un
premier temps à des incompréhensions des élèves et des familles déstabilisées
par ce nouveau contrat pédagogique.
Pourtant, lorsque les élèves investissent ces formes pédagogiques, les résul-
tats peuvent être remarquables. Dans le cadre d’une classe de collège en REP,
après une pratique régulière de coconstruction des évaluations avec les élèves
(relevant donc de l’évaluation formatrice), nous avons pu observer chez eux des
compétences très fines d’explicitation des critères attendus et des capacités
à analyser le travail des pairs particulièrement riches.
201
Construire des situations pour apprendre
Formative
Critères construits • Autoévaluation
en externalité • Coévaluation
par l'enseignant
Formatrice
Coconstruction : • Autoévaluation
critères travaillés • Coévaluation
avec les élèves
202
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
22. Jouet M. (2017), « La parole des élèves », Cahiers pédagogiques, no 538, coordonné par
Bastien Sueur et Michel Tozzi.
203
Construire des situations pour apprendre
l’habitude de penser les critères et à changer leur rapport au savoir, mais cela
implique préalablement que les enseignants eux-mêmes changent leur rapport
à l’évaluation…
23. Connac S. (2015), Apprendre avec les pédagogies coopératives. Démarches et outils pour l’école
(5e édition), Paris, ESF Sciences humaines, p. 111.
24. Jalbert P. (1997), « Le “portfolio scolaire” : une autre façon d’évaluer les apprentissages », Vie
pédagogique, no 103, p. 31-33. Disponible sur : https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/
docs/GSC1/F1322645658_VP103_portfolio.pdf
204
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
25. Bélair L. M. (1999), L’Évaluation dans l’école, Paris, ESF Sciences humaines.
205
Construire des situations pour apprendre
Philippe Meirieu26
Nous avons vu qu’un axe possible d’évolution des pratiques pour mieux étayer
est lié aux conduites interactives qui vont pouvoir soutenir les apprentissages. À
travers la variation des postures allant du guidage à l’accompagnement, l’ensei-
gnant (ou l’accompagnateur scolaire) doit pouvoir aider l’enfant à aller plus loin
que ce qu’il aurait pu faire seul en intervenant dans la situation. Nous allons donc
chercher à réfléchir plus en profondeur les conditions d’usage de ces différentes
postures dans la quotidienneté des actions pédagogiques dans le registre d’une
« improvisation réglée » précédemment évoquée. En effet, il est impossible de
prévoir ce qu’un élève va produire à un moment donné. L’ajustement in situ est
donc une compétence essentielle que nous aurions peut-être intérêt à plus déve-
26. Meirieu P. (2015), La Pédagogie Freinet. Concepts, valeurs, pratiques de classe, Lyon, Chronique
sociale, p. 13.
206
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
lopper dans la formation des professionnels afin que ces improvisations puissent
s’appuyer sur des techniques réfléchies, des schèmes d’action, et non sur des brico-
lages parfois extrêmement pertinents, mais également potentiellement limités.
Développer une réflexion sur les conditions d’improvisation, sur la construc-
tion d’interventions en adaptation et ajustement aux productions des élèves,
est donc un enjeu fondamental pour permettre aux enseignants d’accéder à des
outils heuristiques susceptibles de réguler leur action.
Le principe est de pouvoir construire une trame de travail qui va structurer le
déroulé de situation et de pouvoir dans cette trame faire varier les temporalités
et les interactions en fonction des besoins des enfants. Les différents modèles
comme la zone de proche développement chez Vygotsky, l’interaction de tutelle
chez Bruner constituent donc des points de repère, des balises, pour penser ces
interventions.
27. Bronckart J.-P., Schneuwly B. (1985), Vygotsky aujourd’hui, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
Concernant Vygotsky, selon les traducteurs, l’orthographe utilisée peut être différente. Dans
cette note, nous nous appuierons sur l’orthographe utilisée par Bronckart et Schneuwly dans cet
ouvrage fondateur qui permit de faire mieux connaître Vygotsky en langue française.
28. Vergnaud G. (2000), Lev Vygotski. Pédagogue et penseur de notre temps, Paris, Hachette
Éducation.
207
Construire des situations pour apprendre
tâche seul, cette dernière passe en ZAD et, pour l’individu, il y a un nouvel espace
d’apprentissage à investir.
Ce modèle se situe donc dans une perspective dynamique d’évolution et peut
nous aider à penser l’organisation afin de bien situer le niveau de la tâche propo-
sée aux élèves pour ajuster l’intervention.
Échec
Démobilisation
ZED
Réussite
ZPD Nouvel apprentissage
Aide
Autonomie
Renforcement
ZAD narcissique
Sentiment d'efficacité
TÂCHE
208
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Par conséquent, dès lors que la tâche est de ce registre, l’éducateur doit avoir
organisé le milieu pour que des ressources et des aides (par l’enseignant ou par
des pairs) soient accessibles. En effet, lorsqu’on est confronté à des tâches qu’on
ne peut réaliser seul et que le contexte ne permet pas d’être aidé, nous bascu-
lons de fait dans une tâche inaccessible. Quoi de plus démobilisant que d’être
confronté à une situation-problème que l’on n’a aucune chance de résoudre ?
Pourtant, il est malheureusement fréquent que des élèves soient face à ce
type de tâches qui seraient appropriées si on pouvait garantir une aide ou une
ressource, mais qui sont très problématiques si ce n’est pas le cas. En effet, l’en-
fant ne fait pas que perdre son temps dans ce type de situations, il peut renforcer
son sentiment d’incompétence et se démobiliser.
Il en est de même pour les tâches trop difficiles qui sont dans la zone exté-
rieure de développement que l’on devrait chercher à éviter en analysant précisé-
ment la correspondance entre les compétences actuelles de l’enfant et ce qui lui
est demandé, en utilisant les leviers de différenciation pédagogique. Comme nous
l’avons évoqué en première partie à partir des travaux d’Higelé29 sur le travail de
dimensions cognitives à partir de supports scolaires, il serait donc essentiel pour
tout enseignant de bien penser le niveau cognitif de la tâche proposée aux élèves
afin de ne pas en changer le niveau de difficulté par des variantes qui, en fait,
seraient d’abord et avant tout des sauts cognitifs conduisant à mettre la tâche en
zone extérieure de développement, ce qui mène à l’échec et la démobilisation.
Nous pensons que ces travaux offrent un modèle d’analyse très pertinent des
situations d’apprentissage pour l’enseignant permettant également de penser
l’organisation de situations d’apprentissage et la différenciation pédagogique
à partir de critères simples.
Le pédagogue devrait donc prendre en compte l’ensemble de ces paramètres
pour être en mesure de proposer à l’élève une alternance de tâches relevant
de l’automatisation (et de la réassurance) et de tâches relevant de nouveaux
apprentissages. Il devrait également être en mesure de garantir que, lorsque
des tâches nécessitent une aide pour être réalisées, celle-ci soit effective. Sur
ce plan, les observations en pédagogie Montessori sont très significatives car,
dans le fonctionnement de l’ambiance, nous pouvons remarquer une alternance
entre des tâches en zone actuelle de développement et des tâches en zone de
proche développement avec le guidage et l’accompagnement de l’éducateur. En
effet, l’aménagement très minutieux du cadre permet l’autonomie des enfants
qui choisissent la plupart de leurs activités quotidiennes parmi des situations
qu’ils connaissent. Cette organisation rend l’adulte disponible pour présenter
de nouvelles activités nécessitant une médiation (et d’être garant de son
29. Higelé P. (1997), Construire le raisonnement chez les enfants, Paris, Retz.
209
Construire des situations pour apprendre
Intérêt Limites
Type de tâches
pédagogique et conditions
Production qui Entraînement et Pas de nouvel
rentre dans des automatisation apprentissage
compétences déjà Renforcement Démobilisation
Zone actuelle construites et peut du sentiment possible si les
de développement être réalisée sans d’efficacité tâches « non
aide personnelle : plaisir stimulantes » sont
de savoir faire trop fréquentes
Travail en autonomie
Production que le Nouvel Nécessite de
sujet peut réussir apprentissage garantir un milieu
avec une aide Plaisir d’apprendre organisé avec des
(médiation) et d’acquérir ressources et des
de nouvelles aides
Zone de proche
développement compétences Si les aides ne sont
pas effectivement
disponibles, la tâche
est irréalisable :
risque de
démobilisation
Production, activité Aucun Échec,
que le sujet n’est démobilisation
pas encore en Ces situations
Zone extérieure de mesure de réaliser
développement sont à éviter
même avec de l’aide dans le contexte
d’enseignements
formels
210
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
30. Voir à ce propos une description de ce principe théorique sur le site de l’ICEM Pédagogie
Freinet : https ://www.icem-pedagogie-freinet.org/le-tatonnement-experimental
31. Rogers C. R., (1972), Liberté pour apprendre ?, Paris, Dunod, p. 277.
32. Peretti A. de. (2011), « L’actualité de l’Approche centrée sur la personne face à la crise actu-
elle », Pratique et Recherche, volume 1, no 13, p. 56-64.
211
Construire des situations pour apprendre
212
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
33. http://www.puq.ca/catalogue/livres/apprentissage-visible-pour-les-enseignants-2967.html
213
Construire des situations pour apprendre
Régulation
de la production
Régulation
et feed-backs (signali-
émotionnelle (contrôle
sations des caractéris-
de la frustation)
tiques détermi-
nantes)
Adaptation
Régulation
de la tâche aux
de l'engagement
possibilités du sujet
(orientation)
(réduction ddl)
Ces catégories peuvent nous servir d’indicateurs dans une démarche qui relève
en fait d’une approche clinique de la situation. En analysant ces différentes dimen-
sions in situ, l’éducateur va être en situation d’interagir avec l’enfant pour accom-
pagner sa démarche en variant les postures et jouant sur le degré de directivité.
Sur le plan affectif, l’engagement dans la tâche est primordial. Il est donc
important de vérifier que les apprenants perçoivent le but du travail, ont compris
clairement la tâche à effectuer qu’il faut souvent clarifier et expliciter. Cette
fonction peut aller jusqu’à aider l’élève à rentrer dans l’idée d’une utilisation
fonctionnelle de ce qui va être étudié dans le travail, par exemple : « C’est un
exercice d’orthographe, c’est important pour toi parce que cela va t’aider à mieux
écrire… » La contextualisation du travail peut donc être également un moyen de
la mobilisation.
Pour réguler l’engagement et maintenir l’attention, manifester son intérêt par
rapport à l’activité de l’enfant est déjà une première entrée. Au cours de l’activité,
des relances sont souvent nécessaires pour réorienter ou donner de nouvelles
pistes, et la fonction essentielle à mobiliser est celle de feed-back, car bien
souvent, sans sollicitation régulière, les enfants peuvent sortir du travail.
Par rapport à la régulation émotionnelle, au contrôle de la frustration, le
premier élément est, comme nous l’avons précédemment évoqué, de vérifier
la faisabilité de la tâche en l’état des compétences de l’élève. Ensuite, comme
214
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
215
Construire des situations pour apprendre
216
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
situation de saturation de leur mémoire de travail, l’empan mémoriel (la capacité à trai-
ter un nombre d’informations différentes en même temps) étant limité chez les enfants.
L’adulte, en prenant en charge une partie de la mémorisation, peut faciliter l’identifica-
tion et l’accès au sens à travers diverses interventions :
– privilégier des textes avec des phrases courtes. Demander de lire à voix haute pour
pouvoir contrôler l’activité de l’enfant et lui permettre de contrôler la sienne avec un
feed-back oral ;
– aider à identifier les mots en réduisant la tâche, en signalant des caractéristiques (« Il
y a trois syllabes a », « Quelle est cette lettre ? À quel son est-elle associée ? ») ;
– prendre en charge une partie de l’empan mémoriel en reverbalisant systématique-
ment ce qui vient d’être lu et ensuite en reprenant la phrase depuis le début ;
– la faire ensuite relire à l’enfant dans sa totalité ;
– lui demander d’expliquer la phrase et ce qu’elle veut dire avec ses propres mots.
Dans certaines classes avec lesquelles nous travaillons, les mots repérés comme
difficiles à identifier peuvent faire l’objet d’un travail particulier en étant inscrits dans
le cahier de vocabulaire personnel sous une double forme : écrits dans une couleur
différente en syllabogrammes34 (pour limiter la quantité d’information à mémoriser et
favoriser le rappel) et en écriture normale. Chaque jour, les enfants doivent en mémo-
riser cinq, mais avant de les écrire, pour les aider à contrôler leur activité, les ensei-
gnants leur demandent d’être capables de les épeler mentalement à l’unité syllabe.
34. L’entrée par syllabogramme consiste à traiter la syllabe écrite comme une unité de lecture
et d’écriture en soi sur laquelle les enfants sont incités à faire un travail de mémorisation spéci-
fique pour coder l’information et la réutiliser plus rapidement dans la perspective des travaux
développés par André Ouzoulias.
Ouzoulias A., Fischer J.-P., Brissiaud R. (2000), « Comparaison de deux scénarios d’appropriation du
lexique écrit », Enfance, volume 53, no 4, p. 393-416.
217
Construire des situations pour apprendre
218
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
La question du langage
La question langagière est importante pour permettre l’accès au sens et à la concep-
tualisation. Tout d’abord, le vocabulaire peut représenter un obstacle important quand
il est conçu comme usuel par les enseignants mais reste méconnu des enfants. Dans
une classe de cycle 3, j’ai pu voir expliquer en une seule séance, à différents enfants,
des mots simples tels que « palace », « dépenser », « manifestation », « côte »…
À chaque fois, l’incompréhension du vocabulaire même empêche l’accès au sens de la
phrase, de la situation, et l’enrichissement sémantique constitue un besoin évident des
enfants dans ces environnements d’apprentissage.
D’autre part, sur le plan conceptuel, les élèves doivent pouvoir être en situation
d’expérimenter, de formuler sous forme approximative, dans un premier temps, dans
leur propre langage la compréhension qu’ils construisent des phénomènes qu’ils
étudient. Par exemple, sur une situation observée portant sur le concept de « droites
parallèles », les enfants peuvent être mis dans des ateliers visant à réaliser des droites
parallèles en utilisant différents matériaux. L’enjeu est de comprendre, repérer, maté-
rialiser les invariants des droites parallèles : des droites qu’il faut prolonger dans
l’imaginaire et un écart toujours identique entre les deux droites. Cette compréhension
vulgarisée de la notion illustrée dans différentes situations pourra être exprimée sous
une forme « vulgarisée » pour déboucher ensuite sur le savoir géométrique formalisé
(« Une droite parallèle, c’est… ») qui, sans cela, apparaît, pour beaucoup d’élèves,
dépourvu de sens.
Mais cela n’est qu’un aspect de la question du sens. Dans le travail avec des
équipes qui s’inspirent des méthodes actives, une autre entrée privilégiée est
celle de la fonctionnalité des situations à travers la mise en projet des enfants.
Les enseignants cherchent à partir de leurs propositions pour faire en sorte que
35. Bernstein B. (1975), Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social,
Paris, Éditions de Minuit, p. 191-222.
219
Construire des situations pour apprendre
les compétences qu’ils abordent aient une forme d’utilité du point de vue des
élèves : « J’apprends à écrire parce que je veux communiquer quelque chose à
quelqu’un », « Je fais des mathématiques parce que savoir compter peut me servir
dans la vie… »
Même si pour certains c’est parfois difficile, les savoirs scolaires proposés aux
élèves doivent pouvoir être justifiés, explicités dans leur utilisation potentielle,
et l’entrée la plus simple pour ce faire est de leur faire vivre cette fonctionnalité
des savoirs. Le pédagogue doit donc chercher à intéresser les élèves, à susciter
la curiosité en créant un environnement stimulant, et la question de la mise en
projet est donc fondamentale.
De « vrais » projets pour mobiliser les élèves
Le terme de « projet » en milieu scolaire est problématique, car il désigne des
éléments de nature différente. Dans le cadre de ce qu’on appelle la « méthodolo-
gie du projet », le terme renvoie en fait à des documents administratifs qui servent
à organiser l’action en fixant les objectifs à atteindre, les conditions de l’activité et
son évaluation. Cela est potentiellement intéressant, mais l’usage pédagogique
du terme renvoie à autre chose, une forme pédagogique particulière dans laquelle
il s’agit d’utiliser la dynamique de projet (se fixer des buts, structurer des moyens
pour les atteindre) dans le cadre des apprentissages.
Cette idée de travailler en projets est devenue un lieu commun, et les ensei-
gnants sont désormais familiers de ces démarches. Pourtant, bien souvent, si
l’adulte pense une activité sous forme de projet à réaliser, il n’est pas sûr que les
élèves soient, eux, en projet. Pour y voir clair, il nous faut donc distinguer deux
dynamiques d’activité très différentes dans leur principe si l’on prend en compte
deux critères : l’initiative du projet et la conduite de son déroulement.
Pour qu’il y ait dynamique de projet pour l’apprenant, il faut qu’il y soit
engagé, qu’il ait participé à sa genèse et qu’il soit partie prenante de sa régu-
lation. Or, en milieu scolaire, c’est généralement l’enseignant qui fixe les buts,
structure les étapes de réalisation en lien avec des objectifs pédagogiques
prédéterminés de son programme. Sa posture est essentiellement guidante, et
les élèves peuvent très bien vivre l’activité en extériorité, comme un travail sous
une forme un peu différente sans être réellement engagés dans l’activité. Ce n’est
en fait que le projet de l’adulte, un moyen de vivre l’activité un peu autrement,
mais aucunement un projet réel pour les élèves qui peuvent alors reproduire tous
les comportements scolaires d’évitement classiques au grand dam d’enseignants
extrêmement investis qui ne comprennent pas cette réaction des élèves.
Une autre approche est possible que l’on pourrait qualifier de « projets
d’enfants ». Elle consiste à ne pas seulement chercher à « enrôler » les élèves,
mais à les solliciter dans l’émergence du projet même, faire en sorte que l’objec-
tif de production, les buts et les moyens soient définis par les élèves enfants
220
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
221
Construire des situations pour apprendre
possibilité qui leur est offerte de décider d’une partie de leur travail (et cela ne
concerne bien qu’une partie du travail, d’autres moments d’enseignement étant
organisés et imposés par l’adulte) change radicalement le sens des activités qu’ils
vivent et leur engagement.
Concrètement, cela suppose de laisser ouverts dans l’emploi du temps de la
classe des moments pour lesquels ce sont les élèves qui organisent le travail,
proposent des sujets d’étude et de réalisation avec un enseignant qui accepte de
se mettre en retrait, au service du projet des élèves dans la perspective définie par
Houssaye : « […] la pédagogie de la décision ouvre un espace qu’elle décide de
laisser ouvert, et par là peut être non maîtrisable : elle est le lieu et le temps d’une
construction commune pouvant être remise en cause, pouvant toujours mettre à
mal le désir de maîtrise et le savoir déjà là de l’éducateur39. »
L’idée d’entrer dans ce type de pratiques peut paraître un peu « folle » pour
des enseignants strictement habitués à la pensée du contrôle et de la program-
mation, mais c’est une organisation qui fonctionne quotidiennement dans des
classes coopératives en élémentaire et au collège, à la condition que des espaces
de régulation collective de ces activités soient ritualisés.
Ces entrées sont un moyen de redonner du sens aux activités et de répondre
aux difficultés constatées chez les élèves dans le registre de l’attention et de
l’engagement. Meirieu met en lien cette question avec celle de l’étonnement
en pédagogie, la mobilisation des intelligences par l’écart entre l’attendu et
l’inattendu et l’émerveillement, le plaisir de la compréhension, le sentiment de
maîtrise lorsqu’on accède à l’intelligibilité des choses : « L’étonnement fondateur
est là : dans le fait que les choses soient intelligibles et que leur compréhension
n’alourdisse pas notre esprit mais l’allège… Quelque chose se passe alors chez les
formés que le formateur perçoit d’autant plus qu’il a accompagné cette démarche
et revécu, dans son engagement pédagogique, l’étonnement fondateur devant
tout savoir émancipateur, devant toute connaissance qui élargit nos horizons
sans écraser nos perspectives40. »
Faire appel à l’intelligence des enfants, susciter leur curiosité et leur permettre
de vivre le plaisir d’apprendre, de se sentir compétent reste le plus sûr moyen de
donner du sens au scolaire, et cela passe par la mise en situation de question-
nements, d’exploration sur des situations mobilisatrices parce que porteuses de
questions fondamentales et complexes. À travers les pédagogies de projet, il est
intéressant de voir des enfants renouer avec ces questionnements fondateurs
de toute démarche d’apprentissage, de voir s’éclairer un visage dans ce moment
d’« insight » de la compréhension qui permet d’éprouver non seulement la
222
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
41. Bernstein B. (1975), Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social,
Paris, Édition de Minuit.
42. Mangez É. (2007), « Les réformes pédagogiques des années 1990 : de la décision poli-
tique à la réalité locale », Cerisis Info, no 19, université catholique de Louvain, p. 1. Consulté le
15/12/2015 sur : http://info.opes.ucl.ac.be/admin/upload/2rech.pdf
223
Construire des situations pour apprendre
224
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
d’étayer les apprentissages des élèves : structurer des méthodes, des procédures
de travail, développer des attitudes métacognitives et accompagner la construc-
tion de l’abstraction.
La construction de méthodes de travail
Pour apprendre à l’école, les enfants ont besoin de construire et de s’appro-
prier des procédures de travail efficaces. C’est un questionnement récurrent dans
la recherche en sciences de l’éducation à travers la recherche de « compétences
transversales » et de démarches de travail.
Dans cette perspective, l’idée est d’aider les élèves à s’approprier des instru-
ments efficaces pour réussir leurs tâches et pour répondre aux attendus de
présentation des travaux de la forme scolaire comme les différentes étapes pour
« résoudre un problème mathématique » ou « rédiger une synthèse ». Pour toutes
ces activités, nous pouvons parler d’une approche de l’apprendre à apprendre
par la « méthodologie », car ces manières de faire sont identifiées par les adultes
comme pertinentes et ne sont pas construites par les élèves. Elles sont imposées
en extériorité pour réaliser leur travail, les guider dans la conduite de leur activité.
Cela peut porter sur la gestion du temps, du matériel, mais surtout sur l’orga-
nisation et le déroulement du travail lui-même comme l’illustrent très bien les
objectifs définis dans les différentes versions du socle commun de connaissances,
de compétences et de culture. L’idée est de travailler une capacité à apprendre
par soi-même pour favoriser l’autonomisation en organisant des moments dédiés
à l’apprentissage de méthodes et de procédures utilisées en milieu scolaire.
Boniface45 propose ainsi de construire des moments spécifiques pour
apprendre certaines compétences essentielles dans la gestion du temps comme
« planifier ses activités ». Sa réflexion s’appuie sur un modèle plus global qui
suggère d’articuler différents éléments dans les apprentissages méthodologiques
en les pensant également en lien avec le travail scolaire externalisé à la maison46.
45. Boniface C. (2008), « Planifier son travail à la maison en classe », Cahiers pédagogiques,
no 468. Disponible sur : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Planifier-son-travail-a-la-
maison-en-classe-deux-seances
46. http://manualzz.com/doc/5125357/m%C3%A9thodologie-du-travail-scolaire
225
Construire des situations pour apprendre
Dimensions
Registre de travail
méthodologiques
Dans la classe
Gérer son matériel
À la maison
Utiliser des outils de gestion du temps
Gérer son temps Gérer le rythme de travail
Organiser son temps chez soi
Acquérir une bonne maîtrise des consignes
Gérer une tâche donnée
Apprendre à présenter son travail
Maîtriser l’utilisation des différents manuels
Gérer les outils et ouvrages de référence
de connaissance
Gérer la structuration des traces des connaissances
Se repérer parmi les domaines de connaissance
Gérer ses apprentissages et parmi les connaissances
Analyser ses démarches
226
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Ainsi, il est fréquent que les élèves en difficulté soient dans l’incapacité de
suivre une démarche dans un temps long, étape par étape, et qu’ils veuillent
mettre d’une certaine manière « la charrue avant les bœufs », aboutir au résultat
avant même d’avoir cherché. Dans les premières étapes d’une aide, pour les aider
à structurer leur activité, il est possible de travailler avec eux sur l’identification
des « passages » obligatoires de tout travail pour ensuite les organiser en algo-
rithmes à respecter impérativement.
Devant toute tâche scolaire, il est nécessaire de lire la consigne, de vérifier
qu’on l’a compris (et c’est une nuance importante), de se demander quelles
notions et quels registres de savoirs sont à mobiliser. Beaucoup d’enfants sont
ainsi dans une vision très parcellaire des situations et ne réalisent pas qu’une
tâche implique de mobiliser des savoirs antérieurs, de faire des liens. Tout est
toujours nouveau pour eux en quelque sorte, et on imagine aisément que, pour
une personne qui ne s’inscrit pas dans une vision cumulative des savoirs, qui
n’est pas en perspective de transférer et réutiliser des savoirs antérieurs, la tâche
peut vite apparaître insurmontable et démobilisatrice.
Un apprentissage essentiel à conduire est donc l’identification des indicateurs
de surface et des indicateurs de structure (Meirieu47). Cette notion renvoie à la
capacité de pouvoir distinguer les éléments seconds de la tâche, son « habil-
lage pédagogique », et ce qui constitue la structure interne de la famille de situa-
tion : derrière un problème de mathématiques, quelle que soit sa présentation,
l’important est de pouvoir raisonner à partir de critères transversaux et invariants
pour identifier, par exemple, la situation comme « additive » et mobiliser les bons
procédés. Meirieu en fait même une condition du transfert dans l’apprentissage
d’un raisonnement en trois temps qui peut guider nos interventions dans l’aide
aux élèves : contextualisation/décontextualisation/recontextualisation.
Cette identification de la tâche effective et de son lien avec des connaissances
et compétences (maîtrisées ou en chantier) est un moment essentiel du travail
qui mérite que l’on y consacre un temps important. Cela peut même constituer
le cœur des médiations d’aide aux élèves en difficulté dans un registre plus ou
moins directif comme nous l’avons vu. C’est seulement si cet obstacle est résolu
que la suite du travail peut prendre sens : projeter les outils et le matériel dont on
aura besoin, réaliser le travail en lui-même (qui n’est que la conséquence logique
de ce qui a précédé et une forme d’application de principes).
Dans les situations d’aide aux élèves, quand la compréhension a précédé
l’action, il est fréquent de les voir ensuite se mettre dans un mode « application-
niste » dans le registre du plaisir de réussir : la tâche est claire, ils savent ce qu’ils
doivent faire et quand ils le font cela fonctionne. Notre passé de « bon élève » qui
227
Construire des situations pour apprendre
caractérise la plupart des enseignants nous a sans doute habitué à trouver cela
normal, mais pour ces enfants, cela constitue une forme de découverte : « Il suffit
d’appliquer la bonne méthode et moi aussi je peux réussir… » Enfin, le dernier
temps à intégrer dans le travail est la vérification qui va structurer une habitude
d’autoévaluation.
Nous pouvons donc résumer cette démarche en six temps distincts, l’idée
étant que, dans un premier temps, cette démarche fait l’objet d’une réflexion et
est formalisée avec les élèves. Ils ont ensuite l’obligation de la respecter avec le
droit de demander l’aide de l’adulte à chaque étape. Elle fait l’objet d’un affichage
aide-mémoire dans la classe ou sur le bureau.
Consigne Lire (en la vocalisant pour être sûr qu’elle a été lue)
Expliquer la tâche Comprendre et anticiper des démarches
Savoirs Faire des liens avec le « déjà su » et ce qui est au travail dans la classe
Matériel Se projeter dans la réalisation
Faire Suivre une procédure de réalisation/réflexivité
Vérifier Retour sur sa production, critères de réussite et d’autoévaluation
48. Romainville M., Noël B., Wolfs J.-L. (1995), « La métacognition : facettes et pertinence du
concept en éducation », Revue française de pédagogie, volume 112, no 1, p. 47-56. Disponible sur :
https://doi.org/10.3406/rfp.1995.1225
228
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
49. Meirieu P. (2014), « À l’école offrir du temps pour la pensée », Esprit, no 401, p. 20‑33.
50. Grangeat M. (1999), « Processus métacognitifs et différenciation pédagogique », in C. Depover,
B. Noël (dir.), L’Évaluation des compétences et des processus cognitifs, modèles pratiques et
contextes, Bruxelles, De Boeck, p. 115-127 (p. 115).
51. Ibid, p. 116.
52. Pébrel C. (1993), La Gestion mentale à l’école. Concepts et fiches pratiques, Paris, Retz.
229
Construire des situations pour apprendre
2. S’imaginer la situation
6. Répondre à la question
jar-di-na-ge
Orthographe
L’orthographe, c’est quand
on apprend à écrire sans erreurs.
Il y a plusieurs manières de réfléchir.
Orthographe
ON NE ON CONNAIT
PEUT PAS ON CONNAIT
LES FAMILLES
DÉDUIRE DES RÈGLES
DE VERBES ET
COMMENT ET ON LES
ON DÉDUIT LES
UN MOT APPLIQUE
TERMINAISONS
S’ÉCRIT
On apprend par
On apprend On réfléchit
cœur les familles
par cœur à partir
de verbes et
les mots des règles
les terminaisons
230
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Pour leur permettre d’être autonomes, il est essentiel de donner aux élèves les
moyens de contrôler leur activité. Cela passe souvent par le langage en les amenant à
oraliser et à verbaliser leurs démarches. Par exemple, en lecture, dans la construction
du sens, la vocalisation/subvocalisation est une dimension à prendre en considéra-
tion dans le passage à une activité mentalisée. Beaucoup d’enfants, qui ne sont pas
au stade de la lecture silencieuse, sont mis en difficulté par le fait de devoir travailler
dans un espace mental « silencieux » qui n’est pas encore construit. Un enjeu impor-
tant est donc lié à la subvocalisation comme activité de contrôle de son activité par
l’enfant lui-même (et par l’adulte).
Or l’approche idéologique de la lecture confondant le point d’arrivée (lecture silen-
cieuse) et le moyen, de nombreuses activités proposées dans l’apprentissage aux
élèves se caractérisent par une demande de travail autonome silencieux trop précoce
qui doit interroger le pédagogue, car elle contribue au développement d’une pensée
magique : les démarches n’étant pas perceptibles, certains enfants n’ont aucun
point d’appui pour s’en emparer, et ils vivent le résultat comme « magique », ne les
concernant pas ou plus.
L’omniprésence de « démarches invisibles » : en lecture comme en mathématiques,
le fait de demander très vite aux élèves de travailler sans possibilité de vocaliser ou
subvocaliser, avec des démarches implicites qu’ils sont censés maîtriser (mais ne
maîtrisent pas), peut renforcer le sentiment d’impuissance, la pensée magique et
le fait de produire pour s’acquitter de son « métier d’élève » tel qu’ils le perçoivent.
231
Construire des situations pour apprendre
L’apprentissage de l’abstraction
232
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
233
Construire des situations pour apprendre
54. Vezin J.-F. (1972), « L’apprentissage des schémas, leur rôle dans l’acquisition des connais-
sances », L’Année psychologique, volume 72, no 1, p. 179-198.
55. Levain J.-P., Le Borgne P., Simard A. (2006), « Apprentissage de schémas et résolution de
problèmes en SEGPA », Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, no 155, p. 95-109.
234
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Identification
Abstraction Ancrage dans le sens
Décontextualisation des situations-types,
conceptualisée générique
critères et invariants
235
Construire des situations pour apprendre
Il y a donc un travail d’habituation des élèves à conduire car, très souvent, ils
cherchent à aller directement à la stratégie finale sans mobiliser de stratégies inter-
médiaires. Dans un premier temps, cela peut passer par une obligation de suivre
certaines démarches, par l’instauration de contraintes dans les procédés à mettre
en œuvre. Par exemple, dans les résolutions de problèmes mathématiques, peu
d’élèves utilisent spontanément des représentations graphiques et passent direc-
tement d’une représentation concrète de la situation (une reproduction du réel) à
une conceptualisation de la situation (c’est une situation additive, etc.). Or, une des
manières de les aider à passer d’un de ces niveaux à l’autre est de leur proposer (et
les contraindre souvent dans un premier temps) de passer préalablement par une
représentation symbolique de la situation qui facilitera sa conceptualisation.
Construire en milieu scolaire des outils permettant de faciliter la conceptua-
lisation est donc un enjeu essentiel pour ne pas mobiliser exclusivement les
prérequis sociologiques liés à l’éducation informelle première. Cela concerne
également les modes de raisonnement à mobiliser en lien avec la construction
d’une pensée déductive et catégorielle.
236
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
237
Construire des situations pour apprendre
238
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
La dynamique de « défi », à laquelle les enfants sont très sensibles, peut être mobili-
sée. Si la réponse est juste, le groupe a « gagné »… Sinon, c’est l’adulte ou l’enfant qui
a élaboré le défi.
Niveau 1 : les indices (attributs du concept) sont fournis par l’adulte. L’activité porte sur
les hypothèses et la vérification de leur pertinence au regard des indices.
Ce qui ne
Indices Idées Nouvelles
correspond plus
successifs (hypothèses) hypothèses
aux indices
Un chien, un cheval,
C’est vivant un arbre, une poule,
une personne
Un chien, un cheval, Personne, arbre Un oiseau,
un chat, un lion, un dauphin,
une poule, un oiseau, un chat, un lion,
C’est un animal
une baleine, une baleine,
un dauphin, une mouche
une mouche
Un chien, un cheval, Une poule,
C’est un nom
un chat, un lion, une mouche,
masculin
un oiseau, un dauphin une baleine
Un chien, un cheval, Un dauphin, Un ours
Il a quatre pattes un chat, un lion, un oiseau
un ours
Un chien Un cheval,
Il aboie un chat, un lion,
un ours
Réponse du groupe : « C’est un chien parce que c’est le seul animal qui aboie. » À ce
stade, la réponse peut être acceptée puisque c’était le mot à trouver dans le cadre de
catégories génériques d’animaux et que l’enjeu est de travailler le mode de raisonne-
ment mais, sur le plan des connaissances, selon le niveau des enfants, il est possible
d’entrer ensuite dans la complexité des classifications.
Au niveau 2, les indices sont donnés en termes d’« exemple oui » et d’« exemple
non » et impliquent une activité d’analyse critériée, une pensée de type hypothético-
déductive et une inhibition beaucoup plus importante. Les élèves doivent à la fois
chercher eux-mêmes les points communs entre les différents indices correspondant à
ce qu’on cherche et exclure au fur et à mesure les éléments liés aux indices négatifs
afin d’éliminer les hypothèses qui ne correspondent plus, ce qui est beaucoup plus
difficile cognitivement.
239
Construire des situations pour apprendre
240
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
57. Maubant P., Roger L. (dir.). (2010), De nouvelles configurations éducatives. Entre coéducation et
communautés d’apprentissage, Québec, Presses de l’université du Québec.
58. Jésu F. (2010), « Principes et enjeux démocratiques de la coéducation : l’exemple de l’accueil
de la petite enfance et notamment des conseils de crèche », in S. Rayna, M.-N. Rubio, H. Scheu,
Parents-professionnels : la coéducation en questions, Toulouse, Érès, p. 37-48.
241
Construire des situations pour apprendre
59. Collot B. (2003), Une école du 3e type ou La pédagogie de la mouche, Paris, L’Harmattan.
60. B. Collot en fait une présentation très claire sur son blog : http://education3.canalblog.com/
pages/l-ecole-du-3eme-type--c-est-q669uoi--/29862870.html
242
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
61. Levasseur L., Tardif M. (2010), La Division du travail éducatif, Paris, PUF.
62. Lescouarch L. (2016), « Entre scolaire et périscolaire : le statut difficile du non formel »,
Diversité, volume 1, no 183, p. 40-45.
243
Construire des situations pour apprendre
sens de ces dispositifs et leur intérêt potentiel, afin de mieux les penser pour les
rendre plus efficients.
63. Coq G. (1995), « Tiers lieu éducatif et accompagnement scolaire », Écarts d’identité, no 74,
p. 6-8 (p. 6).
64. Poujol G., Mignon J.-M. (2005), Guide de l’animateur socio-culturel (3e édition), Paris, Dunod.
65. Lescouarch L., Dubois E. (2011), « Les pratiques pédagogiques des accompagnateurs
scolaires », in Colloque international AECSE université Paris-Ouest, Nanterre.
66. Collectif interministériel (2001), Charte de l’accompagnement à la scolarité.
244
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Socialisation et
Renforcement
construction d'un
ou contraste Ouverture
Entraînement capital culturel
culturelle
et reprise et sportive
scolaire
ÉTAYAGES
ÉTAYAGES DIRECTS
INDIRECTS
AU SCOLAIRE
AU SCOLAIRE
Médiations
Apprendre à
vers la culture
apprendre Rapport à l'école, à
scolaire
Méthodologie l'apprendre et aux
et métacognition savoirs des enfants
et des familles
245
Construire des situations pour apprendre
67. http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_CLAS_2008-2009.pdf
68. CAF (2011). Contrat local d’accompagnement à la scolarité Bilan du questionnaire « Remontée
d’information » 2010 /2011. Disponible sur : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_
CLAS_2010-2011.pdf
246
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
usuelle du monde scolaire, y compris dans l’élémentaire où les devoirs écrits sont
pourtant théoriquement interdits depuis 195669.
Quoi que l’on pense de l’intérêt d’en donner ou pas, nous ne pouvons que
constater que cette pratique est très présente, dès l’école élémentaire, comme
le montrent Glasman et Besson70, ainsi que Cavet71, et est extrêmement dévelop-
pée dans le secondaire. On pourrait même parfois se demander si c’est bien à
l’école que les élèves apprennent ou si l’apprentissage n’aurait pas tendance à
être externalisé vers le travail personnel. Il me paraît donc important que des
professionnels de l’éducation puissent mieux réfléchir à ce que les devoirs
impliquent en termes d’apprentissages et comment on pourrait chercher à les
rendre plus efficients. Pour analyser les formes des devoirs proposés par les
enseignants, il est possible de se référer aux catégories de Cooper72 présentées
par Glasman et Besson. Ces derniers distinguent quatre registres d’activité
n’ayant pas les mêmes implications pour les élèves : les « devoirs de prépara-
tion », les « devoirs de pratique », les « devoirs de prolongement » et les « devoirs
créatifs ».
69. La circulaire du 29 décembre 1956 « Suppression des devoirs à la maison » précise ainsi
qu’« aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la
classe ».
70. Glasman D., Besson L. (2004), « Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école », rapport
établi à la demande du Haut conseil de l’évaluation de l’école. Disponible sur : http://www.
education.gouv.fr/archives/2012/refondonslecole/wp-content/uploads/2012/07/rapport_
hcee_n_15_le_travail_des_eleves_pour_l_ecole_en_dehors_de_l_ecole_decembre_2004.pdf
71. Cavet A. (2006), « Le soutien scolaire entre éducation populaire et industrie de service »,
Lettre d’information la cellule Veille scientifique et technologique de l’INRP, no 23. Disponible
sur : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA-Veille/23-decembre-2006.pdf
72. Une variante de cette grille est également mobilisée par nos collègues québécois. « Pour soutenir
une réflexion sur les devoirs à l’école primaire », rapport au Conseil supérieur de l’Éducation, p. 15-16.
Disponible sur : https://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0467.pdf
247
Construire des situations pour apprendre
73. Glasman D., Besson L. (2004), Le travail des élèves pour l’école, en dehors de l’école, Rapport
pour le Haut conseil de l’évaluation de l’école, Chambéry, Université de Savoie, p. 43.
74. Rayou P. (dir.) (2009), Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d’une pratique ordinaire,
Rennes, Presses universitaires de Rennes.
248
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
75. Chouinard R., Archambault J., Rheault A. (2006), « Les devoirs, corvée inutile ou élément essen-
tiel de la réussite scolaire ? », Revue des sciences de l’éducation, volume 32, no 2, p. 307-324.
Disponible sur : https://doi.org/10.7202/014410ar
249
Construire des situations pour apprendre
• Particulariser les devoirs, offrir des choix : il est possible de donner du choix
aux élèves dans les devoirs de manière à les mobiliser et les responsabiliser.
• Établir des routines en relation avec les devoirs : il serait important de posi-
tionner le déroulement des devoirs dans un emploi du temps précis et de
faire suivre les périodes de devoir par des activités plus agréables de loisirs.
Dans la continuité, il serait important de bien penser les tâches que l’on
propose aux élèves dans ce contexte. Si l’on part du principe que, dans le cadre
des devoirs, les enfants seront pour beaucoup en situation d’autonomie, ce que
nous avons évoqué pour les tâches scolaires reste valide pour les tâches externa-
lisées. Il est donc essentiel de veiller à situer la tâche dans le cadre de leur zone
actuelle de développement et de suivre quelques règles simples pour limiter les
effets pervers potentiels de cette pratique de devoirs :
–– donner une tâche limitée dans le temps de réalisation et simple qui
permette aux familles de s’investir ;
–– éviter que les devoirs soient des prolongements des situations non termi-
nées en classe, des « fins de séance » qui nécessitent une aide d’un ensei-
gnant et, par conséquent, ont davantage leur place en classe ;
–– intégrer le travail fait en devoirs dans le contexte de la classe au-delà de la
seule vérification pour que l’élève puisse le percevoir comme un élément
important de la dynamique d’apprentissage et non comme un travail rébar-
batif dont il faut se débarrasser pour s’acquitter de son métier d’élève.
Les différents éléments présents dans la grille suivante que nous proposons
aux enseignants pour guider ce travail doivent permettre de mieux penser cette
activité pour ceux qui la considèrent comme importante.
Besoin
Nature d’aide ou Temps de Vérification
Situation Objectifs
de la tâche autonomie/ réalisation Restitution
ressources
250
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
76. Humbeeck B. (2012), De la relation co-éducative à la cité de l’éducation. Les conditions d’émer-
gence d’une éducation émancipatrice, thèse codirigée par Huguette Desmet (université de Mons)
et Jean Houssaye, université de Rouen.
77. Périer P. (2012), « De quelques principes de justice dans les rapports entre les parents et
l’école », Éducation et Didactique, volume 6, no 1, p. 85-96.
78. Thin D. (2009), « Un travail parental sous tension : les pratiques des familles populaires à
l’épreuve des logiques scolaires », Informations sociales, no 154, p. 70-76.
251
Construire des situations pour apprendre
79. Bourdieu P. (1979), « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences
sociales, volume 30.
80. Le guide pratique pour les activités périscolaires précise ainsi que : « Les activités éducatives
diversifiées, proposées sur les temps de loisirs périscolaires, contribuent à multiplier les champs
d’apprentissage pour les enfants. […]. L’organisation du temps des loisirs offre aux acteurs éducatifs
la possibilité de rééquilibrer les composantes de la relation adultes-enfants en proposant des temps
communs de jeux avec les adultes et des temps libres. Ces derniers, trop souvent perçus négative-
ment comme de l’oisiveté, sont autant d’occasions pour l’enfant de laisser aller son imagination et
de construire sa personnalité. »
MEN (2013), Guide pratique pour des activités périscolaires de qualité. Disponible sur : http://www.
jeunes.gouv.fr/IMG/pdf/GuidePeriscolaire_actualise_web-4.pdf
252
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
fonctionne qu’à condition que les pratiques soient conscientisées et pensées par
les intervenants comme éducatives et non comme occupationnelles.
Or, l’analyse du fonctionnement des dispositifs témoigne d’une forte tension
sur les intentions pédagogiques des acteurs et la lecture des actions par les
usagers (Lescouarch81). Nous pouvons donc distinguer plusieurs entrées diffé-
rentes dans le périscolaire. La première est inscrite dans l’héritage de l’éducation
populaire et de l’animation socioculturelle (Mignon, Poujol82). Elle repose sur
une pratique d’activités de loisirs impliquant, sur le plan culturel, des approches
d’initiation et une mise en relation avec les œuvres. Les différentes expériences
de vie constituent des points d’appui aux apprentissages, et c’est ce qui donne
sens notamment aux pédagogies de l’éveil et du non-formel. On n’y apprend pas
des savoirs directement utiles au scolaire, mais on se constitue une base d’expé-
riences qui va servir de point d’appui pour ces apprentissages. Cette catégorie
peut être résumée sous l’appellation de « loisirs éducatifs » et est omniprésente
dans les séjours de vacances et les accueils de loisirs, mais le monde scolaire
en est également familier dans ses marges à travers les pratiques associatives.
Contrairement à une représentation fortement répandue, il y a une tradition
des apprentissages semi-formels dans le monde scolaire à travers les activités
des clubs thématiques « jeux de société, nature… », des associations sportives
complémentaires comme l’USEP ou l’UNSS, des sorties culturelles.
La deuxième s’inscrit dans une approche plus formelle visant explicitement
des acquisitions culturelles de connaissances et savoir-faire inscrites dans des
pratiques sociales de référence et relève de ce que nous désignons comme une
approche de type « culture savante ou technique » qui, dans le domaine culturel
ou sportif, peut aboutir à des visées « élitaires ». Cette approche de « culture
savante ou technique » est mise en œuvre par des partenaires culturels ou spor-
tifs, des intervenants spécialisés dans des formes d’apprentissage relevant du
formel dans une relation d’enseignement (comme dans les écoles de musique,
par exemple, où il s’agit bien d’enseigner quelque chose). Elle se distingue ainsi
des initiations dans la tradition de l’animation socioculturelle par la recherche
d’effets d’apprentissage explicites et par des organisations relevant d’une forme
scolaire avec des activités structurées et didactisées.
Une troisième approche s’inscrit dans la tradition occupationnelle, dans un
registre strictement informel et n’a pas de visée éducative ni d’apprentissage
explicite, en dehors des perspectives d’encadrement des enfants (garderie) et
de divertissement. Cela ne signifie pas qu’elle ne contribue pas à l’éducation
des enfants, mais l’intention éducative n’est pas explicite pour les acteurs. Les
81. Lescouarch L. (2016), « Entre scolaire et périscolaire : le statut difficile du non formel »,
Diversité, volume 1, no 183, p. 40-45.
82. Poujol G., Mignon J.-M. (2005), Guide de l’animateur socio-culturel (3e édition), Paris, Dunod.
253
Construire des situations pour apprendre
Animation Animation
Animation
dynamique dynamique
formalisée
semi-formelle informelle
Cadrage pédagogique de
Didactisation de l'activité Activité vécue
l'activité de loisirs
Apprentissages de savoirs,
savoir-faire, savoir-être Objectifs liés au curriculum Objectifs de divertissement
indirectement liés au scolaire et d'encadrement
curriculum scolaire
254
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
255
Construire des situations pour apprendre
Lelarge, Best83) comme un « agir » lié au sujet qui met en jeu toute sa personnalité
et permet d’apprendre. Organiser l’activité, ce n’est donc pas mettre forcément
en place des moments spécifiques menés et dévolus à des productions, mais
bien organiser un espace pédagogique permettant à l’enfant de développer son
activité. En ce sens, différentes entrées pédagogiques peuvent être des occasions
d’activité, d’expérience et d’expérimentation pour l’enfant à partir des interac-
tions avec les adultes ou entre pairs.
Dans les dispositifs périscolaires, sur le plan pédagogique, nous pouvons
distinguer différentes familles proposées aux enfants : des activités structurées
à visée d’apprentissage, des activités d’animation moins structurées dans un
registre d’un milieu aménagé pour solliciter une activité autonome des enfants
(dans lesquelles les médiations se veulent éducatives), enfin des situations
d’activités libres où les adultes sont essentiellement en position de surveillance.
Nous retrouvons donc les trois approches de l’animation évoquées précédem-
ment qui se traduisent par des « formats pédagogiques différents » (ateliers,
projets, jeux…) que nous pouvons résumer dans le tableau suivant.
Organisation
– activités scientifiques – jeux de société
et conduite de
– découverte du milieu
l’activité par les
– arts créatifs
adultes
– activités « manuelles »
– théâtre
Organisation Coins permanents d’activités :
CHOIX/DÉCISION
avec un adulte
ressource,
garant de
la sécurité
physique et
affective
256
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
84. David R., Besse-Patin B. (2013), « Pour une critique radicale des impensés de l’animation »,
Vers l’éducation nouvelle, no 551, p. 44-61. Disponible sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/
hal-01059362/document
85. Meirieu P. (2016), « L’enfant a besoin de discontinuités éducatives », Diversité, volume 1, no 183,
p. 12-16 (p. 12-13). Disponible sur : https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-8443-11808.pdf
257
Construire des situations pour apprendre
les « coins permanents » peuvent alors être considérées comme une entrée très
riche et pertinente. Dans cette perspective, les adultes aménagent en amont des
espaces dans lesquels une activité autonome pourra se développer en mettant
à disposition du matériel, des exemples de réalisation pour susciter l’envie et,
dans cet espace, les enfants sont libres de leur activité. Comme dans les accueils
collectifs de mineurs, il peut être possible d’aménager des coins lecture, peinture,
jeux, expression ou de mettre simplement à disposition du matériel dans des
« coins découvertes » ou des « terrains d’aventure » afin que l’enfant s’en empare
et puisse créer sa propre activité.
Nous sommes dans une perspective d’animation radicalement différente avec
des animateurs qui se mettent en position d’accompagnement et de ressource
pour conduire des interactions éducatives en « improvisation réglée ». Cela
suppose, en revanche, de réfléchir à un étayage par le cadre et les ressources,
et de disposer d’un environnement matériel facilitateur, condition qui n’est pas
effective dans de nombreux dispositifs périscolaires cantonnés à utiliser dans les
écoles des salles multiactivités non aménagées.
Si l’on poursuit cette réflexion, il serait possible également de s’appuyer, dans
ces dispositifs, sur les pédagogies de projets d’enfants déjà évoquées afin de leur
permettre de vivre un investissement dans un temps long en coorganisation, en
jouant sur les différences entre « activité subie »/« activité choisie », « activité
décidée » (Gheno86). Les entrées par des « clubs » organisés avec les enfants, la
possibilité de proposer des activités coconstruites avec les adultes participeraient
également de cette logique et pourraient constituer une approche très différente
des activités périscolaires inspirée des pédagogies nouvelles.
Cependant, les modalités organisationnelles des espaces périscolaires, avec
des planifications d’activités, l’affichage quasi systématique d’un catalogue pour
valoriser la dimension « éducative » des dispositifs, un turn-over des enfants
participants, rendent difficile le développement de ce type d’entrées mais, dans
les interstices, il serait intéressant d’introduire une part de responsabilisation
des enfants (en leur proposant de choisir, proposer ou décider) pour chercher à
bénéficier de ces dynamiques. Un grand travail d’explication est donc à conduire
sur l’intérêt d’une rupture de forme peu interrogée par des animateurs qui repro-
duisent bien souvent le modèle de l’activité dirigée sans conscientisation particu-
lière des enjeux éducatifs.
Le dernier support fortement mobilisé est le jeu, notion qui fait également
l’objet de nombreux malentendus et peut être instrumentalisée au même titre que
les activités que nous venons d’évoquer.
86. Gheno A. (2012), « De l’activité : tout ce qui s’agite n’agit pas », Vers l’éducation nouvelle, no 545.
258
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
259
Construire des situations pour apprendre
Le jeu libre qui s’inscrit dans la totalité des critères définis par Brougère est à
proprement parler du jeu, mais il suppose, de la part de l’éducateur, une volonté
de ne pas spécifiquement chercher à le rendre éducatif, d’offrir un environnement
permettant au jeu de l’enfant de se déployer comme l’indique Houssaye dans sa
réflexion sur l’opposition entre « jeu éducatif » et « jeu libre » : « Même si le jeu
éduque, la condition pour qu’il le fasse c’est qu’on se garde de l’organiser, de le
vouloir, de l’exploiter90. »
260
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
Apprendre en jouant
Les espaces éducatifs doivent pouvoir être structurés pour favoriser l’activité ludique
des enfants en mettant à leur disposition des temps libres et du matériel permettant
la mise en œuvre d’un jeu autonome qui va contribuer à construire des apprentis-
sages dans un registre non formalisé.
Les adultes peuvent chercher à aménager l’environnement afin de faciliter les expé-
riences ludiques des enfants en « jeu libre ». Par exemple, les projets d’aménagement
développés dans la continuité des terrains d’aventure, comme l’expérimentation
de « la boîte à jouer », sont intéressants pour offrir un espace de créativité. L’idée
est assez simple : il s’agit de proposer aux enfants dans la cour de récréation un
rangement rempli de différents objets et matériaux en vrac : tubes en carton, pneus,
morceaux de tissu, filets, cordes… Ce ne sont pas a priori des jouets, mais les enfants
vont pouvoir exercer leur créativité et leur imagination en les détournant, les utilisant
au service de leur jeu. Dans les écoles expérimentant cette pratique91, cette structure
est ouverte quotidiennement au moment des pauses périscolaires et extrascolaires
de jeu en extérieur, et tous les enfants sont libres d’y accéder sous la surveillance
des adultes.
Les concepteurs de ces projets pensent que ces pratiques vont permettre de déve-
lopper la créativité naturelle des enfants, leur autonomie et leur confiance en eux,
leur intelligence manuelle, mais qu’ils vont également faciliter le développement de
collaborations, une meilleure intégration sociale et rendre les enfants plus dispo-
nibles pour les apprentissages scolaires dans la mesure où leur besoin de jouer aura
été satisfait.
Dans les espaces de loisirs, mais aussi dans les écoles, il peut être également intéres-
sant de proposer des espaces de jeu individuels ou collectifs aménagés comme des
« coins jeux de société » offrant l’occasion aux enfants de jouer « pour de vrai » dans
une perspective de loisir, d’accéder à une culture commune comme celle des jeux de
tradition qu’ils ne connaissent pas toujours (le jeu de l’oie, le loto, les petits chevaux,
les jeux de cartes, les jeux de dominos ou de dames…) ou de découvrir des jeux
structurant pour la pensée catégorielle et les stratégies (par exemple le Qui-est-ce, le
Mastermind, le Puissance 4, le Mille Bornes) ou la mémoire, l’attention et la discrimi-
nation (comme le Memory, le Lynx, le Tam-tam…)
Les supports sont nombreux mais, pour que ces pratiques soient concluantes, les
adultes doivent pouvoir accompagner ces jeux en aménageant un milieu calme et
propice aux échanges, en pensant leur accessibilité (dans des rangements adaptés)
et en guidant l’activité par l’explicitation des règles, par la régulation des premières
parties afin de développer progressivement un usage autonome.
91. Un rapport très intéressant sur cette expérimentation a été rédigé par l’équipe de recherche
du laboratoire Expérience de l’université Paris-XIII. Disponible sur : http://www.jouerpourvivre.
org/wp-content/uploads/2017/04/IO5_A3-Synth%C3%A8se-g%C3%A9n%C3%A9rale_FR.pdf
261
Construire des situations pour apprendre
92. Houssaye J. (1998), « Le centre de vacances et de loisirs prisonnier de la forme scolaire », Revue
française de pédagogie, volume 125, no 1, p. 95-107.
262
Élargir la focale pour des pratiques pédagogiques renouvelées
263
Conclusion
Une question d’équilibre
N ous avons cherché dans cet ouvrage à développer une réflexion au service
du changement pédagogique à partir d’un postulat fondateur : nous appre-
nons dans un environnement qui fait étayage, sert de point d’appui parce qu’il
propose un cadre, offre des ressources et permet des interactions supports
d’apprentissage. L’enseignant est donc comme un artisan maçon en situation
d’élaborer des structures provisoires, des étais, qui vont permettre de soutenir
la construction des savoirs de l’enfant pour lui permettre de se développer.
Pour ce faire, les différentes dimensions évoquées sont importantes à repen-
ser dans une systémique de classe. Chacun de ces points, seul, peut paraître
anecdotique mais, mis en relation, ils peuvent contribuer à un changement radical
de fonctionnement du milieu d’apprentissage. Ces réflexions nous amènent en
effet à repenser des modélisations pédagogiques permettant de renouveler les
pratiques en essayant de prendre en compte à la fois les besoins liés au dévelop-
pement de l’enfant tout en intégrant les impératifs des apprentissages seconda-
risés en milieu scolaire.
Loin de l’image d’un professeur se contentant d’appliquer une méthode préé-
tablie, le travail d’enseignant tel que nous l’avons envisagé au long de ces pages
est celui d’un équilibriste en situation de penser l’architecture d’un environne-
ment complexe, de jouer sur différents curseurs matériels, psychoaffectifs, socio-
cognitifs, didactiques pour offrir aux élèves qui lui sont confiés des occasions
d’apprendre. Les notions en construction dans ce travail donnent, je l’espère,
des clés de lecture pour les praticiens en vue d’intégrer ce questionnement dans
leur « logiciel », d’éclairer la complexité inhérente aux situations d’enseignement
et d’apprentissage et de les aider à construire une nouvelle forme scolaire plus
respectueuse de la nature de l’enfant en trouvant un équilibre entre différentes
tensions inhérentes à l’acte éducatif.
Toutefois s’il est possible de s’inscrire dans une rupture importante à partir
des pédagogies alternatives, régulièrement évoquées dans l’ouvrage, l’enjeu
pour beaucoup d’enseignants n’est pas celui d’une rupture radicale avec leurs
pratiques d’enseignement déjà installées, mais plutôt d’un enrichissement des
modèles d’action en pensant la complémentarité des méthodes. Goigoux résume
265
Construire des situations pour apprendre
1. Goigoux R. (2011), « Une pédagogie éclectique au service des élèves qui ont le plus besoin de
l’école », La Nouvelle Revue de l’adaptation et de la scolarisation, no 52, p. 22-30.
266
Conclusion
« La chose la plus importante, c’est de développer chez le futur maître, en plus de l’amour
de son métier et des enfants, le désir et la capacité de se perfectionner constamment.
N’emporterait-il que cette inquiétude et ce désir, nous aurions fait l’essentiel. Car la meil-
leure méthode, du moment qu’elle se complaît en elle-même et qu’elle se contente de se
répéter, est vouée à devenir vite une façon de faire mécanique, froide et sans âme. Elle
retombe au niveau de la technique et de la recette. Au contraire, donner à l’éducateur le
souci de bien penser sa méthode, ses intentions et ses moyens, d’en contrôler lucidement
les résultats et d’en perfectionner les instruments conduit immanquablement au progrès
et à la vie. Et cela lui permet d’entretenir cette attitude active et vivante, cette capacité
267
Construire des situations pour apprendre
de rester jeune tout au long de sa vie, de retrouver chaque fois l’étonnement, le désir de
savoir et l’émerveillement de la jeunesse.2 »
2. Gal R. (1964), « Quelle formation pour les maîtres et quelle pédagogie dans une école
démocratique ? », in Où en est la pédagogie ? (1re édition, 1961, Paris, Buchet-Chastel). Disponible
sur : http://www.meirieu.com/PATRIMOINE/rogergal.pdf
268
Ne vous lâchez jamais des mains…
avant de toucher des pieds ! 3
3. http://www.icem-freinet.fr/archives/educ/47-48/19-20-juillet48/5.pdf
269
Bibliographie
271
Construire des situations pour apprendre
272