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BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE

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L'Ame allemande.
COMTE SFORZA : VAme italienne.
La psychologie
de la Forme
DU MÊME AUTEUR

LI'MITATION CHEZLE ' NFANT, un vol. in-8° (Bibliothèque de Psy-


chologie de l'enfant et de Pédagogie). Alcan, 1925.
MANUEL DE PHILOSOPHIE : PSYCHOLOGIE,un vol. in-8°. Alcan,
1931.
LA FORMATION DES HABITUDES, un vol. in-12 (Bibliothèque de
Psychologie de l'enfant et de Pédagogie). Alcan, 1936.
Bibliothèque de Philosophie scientifique
Directeur:PaulGAULTE
IR,del'Institut

PAUL GUILLAUME
Chargé de cours à la Faculté des Lettres de Paris

La psychologie
de la Forme

ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR


Droits de traduction, d'adaptation et de reproduction
réservés pour tous les pays.
Copyright 1937,
by ERNEST FLAMMARION.
La psychologie de la Forme

INTRODUCTION

La théorie de la Forme (Gestalttheorie) (1) est à la fois


une philosophie et une psychologie. D'une part, elle in-
troduit les notions de forme ou de structure dans l'inter-
prétation du monde physique comme dans celle du
monde biologique et mental ; elle établit la parenté de
faits que les conceptions traditionnelles séparent et fonde
sur ces rapprochements une philosophie moniste de la
nature. D'autre part, elle applique ces mêmes notions,
dans le domaine spécial de la psychologie, à des pro-
blèmes précis et concrets. Elle veut affranchir cette
science de certains cadres traditionnels qui ont limité ses
horizons et l'ont éloignée de la réalité et de la vie. Mais
son orientation reste scientifique ; ses fondateurs sont
avant tout des expérimentateurs, habitués à demander à
des observations précises et minutieuses le contrôle de
leurs hypothèses les plus hardies.
Ce serait donc se faire l'idée la plus fausse de cette
théorie — et cette erreur a parfois été commise — que
d'y voir une pure spéculation philosophique et de croire
que son intérêt se limite à la mise en valeur, au moyen
d'un nouveau langage, de certaines analogies très géné-
rales entre plusieurs classes de faits. Pour la comprendre
et pour la juger, il nous faudra — dans les limites que
(1) Nous conservons le mot français de forme, quoiqu'il ne corres-
ponde pas tout à fait au mot allemand Gestalt, qu'il vaudrait peut-
être mieux traduire par structure, organisation. Cf. p. 219.
nous imposent les dimensions de ce livre — suivre les
auteurs dans leur laboratoire et assister à quelques-unes de
leurs expériences. D'ailleurs, quel que soit le sort futur
de la théorie, les faits nouveaux qu'elle aura mis au jour
resteront ; les idées expérimentales garderont leur inté-
rêt. Le rôle d'une théorie ne vient pas seulement de l'in-
telligibilité qu'elle introduit dans les faits connus, mais
de sa valeur heuristique et de sa fécondité dans la re-
cherche.
La théorie de la Forme est apparue en Allemagne au
début du xxe siècle. On verra plus loin à quelle crise avait
abouti, à cette époque, l'évolution d'une psychologie
orientée depuis un demi-siècle vers l'analyse. De tous
côtés on ressentait le besoin de nouveaux principes. L'in-
suffisance reconnue de la psychologie des éléments fai-
sait réclamer une psychologie des ensembles, des struc-
tures, des formes ; ce programme était commun à plusieurs
écoles. Mais notre but n'est pas de faire l'histoire de ce
mouvement. Nous limiterons notre exposé à l'une de ces
écoles, celle qui nous a paru la plus intéressante, tant
par l'homogénéité de sa doctrine que par l'importance de
sa contribution expérimentale, celle qu'on appelle en Alle-
magne l'école de Berlin, illustrée par les noms de Wer-
theimer, de Kôhler, de Koffka, de Lewin. Nous nous ré-
servons d'indiquer, il l'occasion, les points sur lesquels
portent les divergences entre les écoles.
Il serait d'ailleurs prématuré de vouloir faire œuvre
d'historien quand on étudie une pensée vivante qu'on ne
saurait immobiliser. Nous avions publié, en 1925, une
première étude (1) dont nous reprendrons les matériaux
dans ce livre. Mais depuis cette époque la théorie de la
Forme a élargi ses perspectives, étendu ses recherches à
de nouveaux chapitres de la psychologie. On peut suivre
aujourd'hui son influence en dehors de l'Allemagne. C'est
aux Etats-Unis qu'ont paru les deux exposés d'ensemble
les plus importants : ceux de Kôhler (Gestaltpsychology,
1929) et de Koffka (Principles of Gestaltpsychology, 1935).
(1) La Psychologie de la Forme. Journal de Psychologie, XXII,
1925, p. 768-800.
Nous avions d'abord songé à donner une traduction de
l'un de ces ouvrages ; mais ils font une grande place à
la discussion d'idées et de méthodes qui sont celles de
la psychologie américaine contemporaine. Nous avons
préféré courir les risques d'un exposé personnel, plus
adapté aux habitudes et aux préventions du lecteur fran-
çais. Il s'agit d'ailleurs d'une pensée qui, par son orien-
tation scientifique et par son point d'appui expérimental,
est éminemment assimilable. Son retentissement mondial
l'impose à notre attention ; on peut, certes, la discuter ;
on n'a plus le droit de l'ignorer.
CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES DE L'IDÉE DE FORME

1. La psychologie analytique et ses critiques.


La psychologie de la Forme est née d'une réaction contre
la psychologie du xix" siècle, qui s'était donnée pour tâche
l'analyia des faits de conscience ou des conduites.
L'exemple des autres sciences semblait imposer cette
méthode ; la physique et la chimie résolvaient les corps
en molécules et en atomes ; la physiologie isolait des
organes et les dissociait en tissus et en cellules ; la psy-
chologie devait donc, elle aussi, isoler des éléments et
découvrir des lois de leurs combinaisons.
L'analyse idéologique lui avait frayé la voie ; les élé-
ments furent les sensations avec lesquelles Condillac cons-
truisait déjà l'âme de sa statue, c'est-à-dire les données
simples, originales, irréductibles à tout nouvel effort d'ana-
lyse qui répondaient, disait-on, dans la conscience à
l'excitation de chaque organe sensible. L'ambition du
psychologue fut d'en dresser un inventaire complet, de
décrire ou de mesurer leurs propriétés — qualité spéci-
fique, intensité, signe local, — de préciser la correspon-
dance invariable de chacune d'elles avec l'excitation d'un
appareil récepteur et nerveux bien localisé.
Le contenu propre de la sensation se retrouvait dans
u'n deuxième élément, l'image, qui en était en principe
la reproduction. Les images tantôt se mêlaient aux sen-
sations actuelles dans ces complexes difficiles à dissocier
qu'étaient nos perceptions familières, tantôt se présen-
taient dans des groupements plus libres qui constituaient
nos souvenirs ou notre pensée.
Mais après avoir décrit les éléments, il fallait rendre
compte de leur ordre et de leur groupement, expliquer
l'organisation des touts et les fonctions de leurs parties. Ce
problème parut longtemps résolu par l'associationnisme.
Dans la forme la plus systématique de cette théorie, l'asso-
ciation s'établit par la contiguïté des éléments dans le
temps et se renforce par la répétition de ces contacts. La
psychologie du xix" siècle consolidait cette notion par des
expériences où l'on voyait des liens stables s'établir entre
des éléments quelconques, simplement juxtaposés dans
l'expérience de l'individu ; n'importe quoi pouvait s'asso-
cier avec n'importe quoi. Dès lors on pouvait admettre que
l'unité de tous les complexes psychiques avait la même
origine que la liaison d'un couple de syllabes dépourvues
de sens dans les expériences d'Ebbinghaus ou la liaison
d'un signal conditionnel et d'une réaction dans celles de
Pavlov. Les limites dans l'espace et dans le temps de ces
groupements complexes que nous appelons des objets ou
des événements, leur signification, leur valeur résultaient
de connexions établies par des contacts accidentels entre
des éléments indifférents les uns aux autres.
Cependant l'insuffisance de ces fondements théoriques
avait toujours été plus on moins ressentie par les psycho-
logues eux-mêmes. Pour situer plus tard la théorie de la
Forme dans le mouvement des idées, pour montrer à la
fois comment elle s'apparente à des efforts parallèles et
en quoi consiste sa véritable originalité, il nous faut jeter
un coup d'œil rapide sur quelques critiques adressées à
ces principes et sur les corrections proposées.
L'idée d'une association d'éléments se prête-t-elle à une
description correcte des contenus de conscience obser-
vables ? Très claire sous sa forme primitive et dans son
application restreinte, elle devenait obscure dans sa géné-
ralisation. Les fameuses lois qu'on trouve déjà chez Aris-
tote étaient des notations sommaires de l'ordre de succes-
sion des idées, c'est à-dire de moments distincts de la
pensée, réellement observables. Mais l'association qui lie,
dans la perception, sensations et images n'est plus une
succession d'états distincts appelés les uns par les autres.
Ici la conscience ne soupçonne pas la complexité des
faits ; c'est un raisonnement qui prouve que la perception
est chargée de souvenirs. Ainsi le temps nécessaire pour
lire un mot familier est bien inférieur à celui qu'exigerait
la perception distincte du même nombre de lettres grou-
pées d'une façon quelconque ; de plus, au tachistoscope,
on n'aperçoit pas l'altération d'une lettre dans un mot
familier et tout se passe comme si la lettre correcte, qui
manque, avait été vue. Mais le lecteur ne distingue pas,
dans le mot, ce qui est sensation proprement dite et ce
qui est interprétation Imaginative ; sa perception ne lui
apparaît pas comme un mélange de ces deux sortes d'élé-
ments. S'ils existent, ils ne sont pas juxtaposés, associés,
mais en quelque sorte fusionnés et méconnaissables. Et
c'est le cas pour un grand nombre de faits que l'on ran-
geait d'abord sous la rubrique association. L'événement
primitif, source de la signification et de la valeur, est sou-
vent oublié, ignoré ; h signification est maintenant inhé-
rente au signe, comme une qualité originelle. L'analyse ne
peut plus séparer dans la perception les éléments qui pro-
viendraient de la mémoire et de la sensibilité.
L'expérimentateur lui-même en vient alors à se deman-
der si les données de fait auxquelles s'appliquent ses
descriptions et ses mesures répondent bien au concept de
sensation. Un observateur respectueux des faits et sans
prévention théorique, comme Binet, avait fini par voir dans
l'expérience du discernement tactile des deux pointes d'un
compas une méthode d'étude de la personnalité du sujet
autant et plus qu'une méthode d'exploration de sa sensi-
bilité, et il sentait vivement la difficulté de séparer les
deux problèmes. Un autre observateur, travaillant récem-
ment sur la même question, a publié ses résultats sous ce
titre significatif : A la recherche d'une sensation tactile
pure (1). Cette recherche, malgré toutes les précautions
prises, ne lui a donné que des perceptions, qui sont à la
fois fonction de l'excitant externe et des idées que le sujet
s'en fait. Il est impossible d'obtenir à l'état pur l'effet isolé
(1) J. Philippe, Année psychologique, 1920-1921, vol. XXII.
de l'action du premier facteur. Il semble que ces psycho-
logues seront conduits à l'abandon du concept de sen-
sation. Cependant ils ne vont pas jusque-là ; la sensation
continue à leur paraître une entité nécessaire, encore que
l'observation n'atteigne jamais que les combinaisons com-
plexes dont elle est censée faire partie.
Mais il n'est guère moins impossible à l'analyse mentale
de dissocier les éléments fournis à ces complexes par les
diverses sensations elles-mêmes. Nous percevons, par
exemple, la distance et le relief des objets visibles. Mais
la perception du relief ne nous dit rien des sensations des
deux yeux et de leurs différences, qui seraient les éléments
de cette perception ; la perception de la distance ne
contient pas les sensations kinesthésiques des muscles
oculaires qui seraient associées aux sensations visuelles ;
la perception tactile de l'épaisseur d'un objet tenu entre
les mains ne contient pas les sensations articulaires des
doigts, du poignet, du coude et de l'épaule, qui doivent,
dit-on, être associées aux sensations cutanées. Et si nous
nous plaçons dans des conditions convenables pour voir
les doubles images, l'apparence spécifique du relief dis-
parait ; si nous nous appliquons à percevoir des efforts
musculaires et des attitudes des membres, les qualités de
distance et de dimension des objets s'effacent. Nous nous
trouvons en présence de perceptions nouvelles, dans les-
quelles il nous est impossible de reconnaître les éléments
des premières.
Pour résoudre ces contradictions entre les données de
la conscience naïve et l'analyse, les psychologues du
xix* siècle ont cru qu'il suffisait d'apporter à leurs prin-
cipes certaines corrections. De l'association proprement
dite ils distinguent la synthèse dans laquelle les éléments
ont perdu leur individualité (c'est du moins un des sens
du mot synthèse ; nous en trouverons un autre tout à
l'heure). La synthèse chimique ne laisse pas subsister dans
l'eau, avec leurs propriétés originales, l'oxygène et l'hy-
drogène qui ont servi à la former ; il apparaît par contre
dans le composé des propriétés nouvelles qui n'existaient
pas dans les éléments. Il y aurait quelque chose d'ana-
logue dans la synthèse mentale. On peut encore exprimer
la même idée sous une autre forme. Les éléments derniers
du fait mental ne seraient pas atteints par la conscience :
ce seraient des phénomènes psychiques inconscients. Cette
notion peut se présenter sous deux formes. Dans la pre-
mière, l'élément a simplement perdu son individualité
dans la combinaison où il est entré, mais on pourrait en-
core l'observer à l'état pur dans d'autres conditions ;
son inconscience est accidentelle. Dans la seconde, il est
au contraire inconscient par sa nature même, car il
- n'existe jamais qu'en combinaison. Mais, dans un cas
comme dans l'autre, l'analyse ne s'appuie plus directement
sur l'observation ; elle devient une théorie, une construc-
tion dont la légitimité est discutable. Dans la première
forme que nous venons de donner à l'hypothèse de l'in-
conscient, il faudra prouver qu'il s'agit bien toujours du
même élément, libre dans un cas, combiné dans l'autre,
et que l'hypothèse qui assigne à la combinaison cette
composition n'est pas arbitraire. Dans la seconde forme,
où les éléments isolés ne sont jamais observables, ils
deviennent de purs concepts explicatifs hypothétiques ; à
quoi bon insister sur l'idée que les éléments perdent leurs
propriétés dans le tout, puisque ces propriétés par les-
quelles on les définit n'ont jamais pu être constatées ?
Toute hypothèse sur les éléments et leurs combinaisons
devient incontrôlable et la question se pose de savoir si
elle est vraiment nécessaire à l'intelligibilité des faits.
Si des psychologues, devant ces difficultés, hésitent en-
core ii renoncer à cette analyse qui leur paraît la méthode
même de toute science, des philosophes n'ont pas les
mêmes scrupules et se montrent beaucoup plus hardis. Ils
remplacent l'analyse par une description «phénoméno-
logique». Les phénomènes psychologiques sont les phé-
nomènes tout court (1), les expériences immédiates du
sujet ; l'analyse est condamnée comme illusoire et défor-
mante. Elle est remplacée par une intuition qui veut n'être
qu'un retour aux « données immédiates » de la con-
science. Celles-ci se révèlent incompatibles avec tout ato-
(1) C'est toujours dans ce sens que nous employons, dans ce livre,
le mot phénomène.
misme mental. Il n'y a pas de sensations, d'images, de
sentiments qui puissent être isolés du tout. La conscience
est, dans la comparaison célèbre de James et de Bergson,
assimilée à un fleuve, à une masse fluide et continue dans
laquelle ce n'est que par artifice qu'on peut distinguer
des parties. Il n'y a pas d'éléments ou de moments dis-
tincts et juxtaposés, mais une interpénétration mutuelle.
Notre intelligence, orientée vers l'action, habituée à opérer
sur le monde matériel, plus exactement sur des solides,
sur lesquels et par lesquels nos membres peuvent agir,
s'applique à solidifier le flux des phénomènes, à découper
dans sa continuité des objets qu'elle sépare et qu'elle
assemble ; elle « réifie » le phénomène et lui applique des
concepts qui viennent de la mécanique, parce qu'elle n'est
pleinement à son aise que dans ce domaine. La psycho-
logie serait donc dupe d'une illusion intellectualiste. Mais
cette critique ne pouvait satisfaire les psychologues. Elle
était toute négative. On ne s'y proposait pas de rebâtir
une psychologie scientifique sur de nouveaux fondements,
mais plutôt de montrer, au profit de l'intuition métaphy-
sique, l'inanité de toute tentative dans cette direction.
Il restait néanmoins que la doctrine des éléments don-
nait une description peu exacte des contenus de con-
science. Etait-elle plus satisfaisante en tant qu'explication ?
Donnait-elle une représentation correcte des lois de la
vie mentale ?
On a reproché à la doctrine associationniste, dès ses
origines, de ne connaître que des liaisons extrinsèques
entre les éléments et de ne pouvoir rendre compte de
la pensée logique, dont les moments s'enchaînent en vertu
d'une nécessité interne. Plus généralement, elle ne permet
pas de comprendre l'organisation et la finalité, qui sont
des caractères si remarquables de la pensée. Comment un
mécanisme comme celui de l'association pourrait-il subor-
donner des moyens à des fins, adapter harmonieusement
des actes à des situations nouvelles ? L'opposition qui
apparaît ici est un cas particulier de l'opposition géné-
rale entre les explications mécanistes et finalistes, entre
les idées de désordre et d'ordre. Si des explications mé-
canistes rendent mal compte de l'organisation physiolo-
gique, elles semblent encore moins qualifiées pour faire
comprendre les adaptations supérieures de la conduite,
l'invention dans la solution des problèmes, la pensée ra-
lÍonJlelle.
Devant ces difficultés, la plupart des psychologues font
à l'associationnisme sa part. Ils distinguent deux niveaux.
Le niveau inférieur est celui du mécanisme pur, régi par
les lois de l'association ; à proprement parler il n'y a pas
ici de pensée véritable, mais une sorte de fuite des idées,
comme on en observe dans les états de faible tension psy-
chique, rêves, rêverie, distraction, récitation mécanique,
exécution d'actes habituels stéréotypés, etc. Mais il y a
un niveau supérieur qui est celui de la synthèse mentale
(ce mot prend ici un sens nouveau). La pensée y est pro-
ductive, intelligente. Des psychologues français, comme
Paulhan, Janet nous ont rendu ces idées familières. Elles
ont une incontestable valeur concrète et clinique : elles
introduisent les oppositions de teintes et de plans néces-
saires dans le tableau sans nuances et sans relief que le
pur associationnisme avait tracé de la vie mentale. Mais
ce dualisme est loin de présenter une clarté théorique
satisfaisante. D'abord il offre les inconvénients de tout
dualisme ; il est difficile de limiter, dans la pratique, les
deux classes de faits et de maintenir entre eux une oppo-
sition profonde ; on a plutôt affaire à une série de degrés
et le pur mécanisme associatif semble être une limite
inférieure fictive plutôt qu'un fait réel. Si l'on faisait de
la finalité, comme semblait le vouloir Paulhan, la loi gé-
nérale, il faudrait, pour expliquer les degrés d'efficience
et de valeur de la pensée, des hypothèses particulières qui
n'ont jamais été clairement formulées.
Des psychologues comme Ach, Bühler, Selz ont essayé
de préciser ce dualisme par l'expérimentation et de définir
plus nettement leur position par rapport à l 'association-
nisme. Ainsi Ach distingue des liaisons associatives et
des déterminations. L'opposition est illustrée d'une part
par l'association libre, dans laquelle le sujet répond a
chaque mot prononcé par l'expérimentateur par le pre-
mier mot qui lui vient à l'esprit, d'autre part par l'asso-
ciation dirigée, dans laquelle une consigne, fixée au début
de chaque série d'épreuves, détermine le genre de rapport
invariable que le mot choisi par le sujet devra présenter
avec celui qu'on lui propose [par exemple, il devra pré-
senter avec lui tel rapport de forme (rimer) ou de sens
(opposition, subordination, etc.)]. Il y a, dans cette sorte
d'exercice, une véritable pensée, un problème, une idée
directrice, la conscience de la conformité d'un exemple
à une règle. La tendance de l'associationnisme était de ne
voir entre les deux types d'expériences qu'une différence
de complexité ; dans le premier, l'inducteur était unique ;
dans le second, il était multiple, la réponse du sujet étant
«suggérée » à la fois par le mot entendu et par la règle
prescrite au début. Au contraire, les psychologues dont
nous parlons admettent qu'il s'agit dans les deux cas de
deux types différents de causalité psychique. La détermi-
nation logique est un lien intrinsèque des idées, irréduc-
tible au lien extrinsèque créé par l'association, c'est-à-dire
par la contiguïté accidentelle des perceptions originelles.
Mais comment donner de cette différence une interpréta-
tion physiologique ? On a pu admettre, pour expliquer les
associations, que des liens matériels durables se sont éta-
blis entre les zones cérébrales affectées par des excita-
tions simultanées. Mais comment traduire en termes phy-
siologiques l'influence de la compatibilité logique des
idées, de l'harmonie ou de la valeur du tout qu'elles se-
raient susceptibles de former en s'unissant ? Quel équiva-
lent cérébral peut-on donner de l'orientation d'un cours
de pensée par une règle, de la force de l'évidence ou de
l'attrait de l'idéal ? Quant à l' «explication » psycholo-
gique, n'est-il pas à craindre qu'elle reste purement ver-
bale, qu'elle se borne à assigner, pour chaque classe de
faits, une simple entité, sans réussir à donner une repré-
. sentation claire de leurs rapports de causalité ?
! Ainsi la psychologie du XIX9 siècle avait eu conscience
de l'insuffisance de sa méthode d'analyse, fondée sur les
notions d'élément et d'association. D'autres notions étaient
proposées par des penseurs plus ou moins étrangers au
cercle des purs psychologues et qu'on a pu compter parmi
les précurseurs du mouvement contemporain. En Alle-
magne, notamment, les mots de structure, articulation, to-
talité apparaissent par exemple dans les ouvrages de
Dilthey, mais dans un sens assez vague, et l'auteur est
plutôt un historien de la civilisation qu'un psychologue.
On les trouve aussi chez Driesch qui, parti de la biologie,
ressuscite les formes aristotéliciennes, mais sans en tirer
pour la psychologie d'application concrète vraiment inté-
ressante. On hésitait donc à abandonner les concepts tra-
ditionnels qui paraissaient, malgré leurs imperfections, les
seules bases possibles d'une construction scientifique, tan-
dis que ceux qu'on leur opposait semblaient négatifs,
vides, scientifiquement stériles. Ce sera le mérite de la
théorie de la Forme de surmonter ces antagonismes. Il
nous reste à voir de plus près comment elle a été ache-
minée à la position qu'elle a prise et de quels faits parti-
culiers elle a tiré ses principes.

2. La théorie des qualités de forme.


En 1890, un psychologue viennois, von Ehrenfels, pu-
blia sur la psychologie des qualités de formes un mé-
moire (8) (1) qui passa d'abord presque inaperçu ; plus
tard, les promoteurs de la Gestalttheorie le découvrirent
et se réclamèrent de lui.
Une mélodie se compose de sons, une figure de lignes
et de points. Mais ces complexes possèdent une unité, une
individualité. La mélodie a un commencement et une fin,
des parties ; nous distinguons sans hésitation les sons
qui lui appartiennent et ceux qui, même intercalés parmi
les premiers, lui restent étrangers. De même la figure se
limite dans notre champ visuel par rapport aux autres
figures ; tels points et lignes en font partie, tandis que
tels autres en sont exclus. La mélodie et la figure sont des
formes. Ehrenfels en énumère un grand nombre d'autres
variétés.
Sur ces exemples simples, des propriétés remarquables
(1) Les chiffres italiques renvoient aux indications bibliogra-
phiques données dans la Table des ouvrages cités placée à la fin de ce
volume.
des formes apparaissent immédiatement. Une forme est
autre chose ou quelque chose de plus que la somme de ses
parties. Elle a des propriétés qui ne résultent pas de la
simple addition des propriétés de ses éléments. C'est ce
qu'Ehrenfels rend sensible de la façon suivante. Soit un
thème composé de n sons consécutifs, et soit un nombre
égal de personnes ; faisons entendre à chacune un des
sons ; ces perceptions ne contiennent rien des qualités de
la mélodie elle-même, aucune des qualités structurales ou
qualités de complexe qui apparaissent quand tous ces
sons sont successivement donnés à une même conscience.
Un de ces caractères est très remarquable : la mélodie
peut être transposée dans un autre ton. Elle reste pour
nous la même mélodie, si facile à reconnaître que parfois
nous ne nous apercevons pas du changement. Cependant
tous ses éléments sont altérés, soit que tous les sons soient
nouveaux, soit que certains d'entre eux occupent d'autres
places avec d'autres fonctions. Par contre, si une seule
note de la mélodie originale est altérée, nous avons une
autre mélodie avec des qualités formelles différentes (par
exemple, quand l'altération de hauteur d'un seul son la
fait passer du mode majeur au mode mineur).
Toutes ces notions sont banales ; mais elles posent à la
psychologie un problème qu'on n'a pas assez remarqué.
Les sensations correspondant aux sons isolés semblaient
constituer la réalité même de la perception. Mais la mélo-
die garde son identité et ses qualités propres quand tous
les sons, et par conséquent toutes les sensations, ont changé
d'une certaine façon ; inversement ces mêmes sons, dans
les transpositions, prennent une autre fonction, bien que
les sensations correspondantes soient restées identiques.
Le tout est donc une réalité au même titre que les éléments.
L'analyse d'une perception en sensations néglige donc un
aspect très important du réel, aspect qui possède, par rap-
port à ces éléments, une originalité incontestable.
Ehrenfels avait eu le mérite de poser un problème ; il
ne l'avait pas résolu et sa pensée demeurait confuse. Il ne
rejetait pas l'idée de sensation. Il admettait deux sortes
de réalités psychiques : les qualités sensibles et les qua-
lités formelles (Gestaltqualitâten) ; c'étaient pour lui deux
états de conscience distincts : les premiers étaient le
substrat (Grundlage) des seconds ; ils pouvaient exister
sans eux, tandis que la réciproque n'était pas vraie. Dans
l'exemple de la mélodie, les qualités sensibles répondent
aux excitations produites par les vibrations sonores, avec
leur fréquence et leur intensité propres. A quoi répondent
les qualités formelles ? En dépit de leur caractère immé-
diat, quasi sensible, elles semblent n'avoir pas d'excitant
propre. On est tenté de dire qu'elles sont une perception
des rapports entre ces vibrations. En effet, ce sont ces
rapports qui demeurent constants quand la mélodie est
transposée et qui lui donnent son dessin, sa structure ;
c'est leur altération locale qui défigure la mélodie et lui
donne d'autres caractères. Cependant cette manière de
voir soulève de grosses difficultés qui l'ont fait rejeter par
Ehrenfels et par ses continuateurs.
En effet, il n'y a rien dans la perception immédiate de
la mélodie qui se traduise effectivement par des jugements
de relation, qu'ils s'énoncent dans le langage de la phy-
sique ou dans celui de la théorie musicale. Même s'il est
capable d'énoncer de tels rapports, l'auditeur perçoit
d'une autre façon quand il entend naïvement la phrase
mélodique et quand il y découvre ces rapports. L'analyse
est une transformation réelle de l'état de conscience.
Croire le contraire, ce serait confondre la réalité physique
et l'apparence variable qu'elle prend dans la perception
subjective. L'analyse d'un objet physique y fait apercevoir
de nouveaux aspects, de nouveaux détails, de nouvelles
relations ; nous disons avec raison qu'elle nous le fait
mieux connaître. Elle nous en donne donc une autre per-
ception ; psychologiquement, c'est un autre objet que nous
connaissons, et cela n'a pas de sens d'affirmer que cet
autre objet est identique au premier ou y était contenu.
Meinong (38) distinguait les « complexions » (c'est-à-dire
les formes) et les relations : logiquement on peut faire
correspondre les secondes aux premières ; mais psycholo-
giquement elles en sont dégagées par une série de trans-
formations qui, théoriquement, peut aller à l'infini. Si la
perception primitive de la mélodie était celle des relations,
il faudrait dire de quelles relations il s'agit. Est-ce des
relations entre les notes consécutives ? Mais pourquoi de
celles-là plutôt que d'autres ? plutôt, par exemple, que des
relations entre chaque note et les notes fondamentales
du ton ou entre des notes quelconques, considérées dans
leur hauteur, dans leur durée, dans leur intensité, etc.
Logiquement, les unes existent aussi bien que les autres,
ain'si que les relations de second ordre dont elles sont
les termes. Mais aucune de ces relations n'a d'existence
psychologique actuelle dans la simple perception de la
mélodie. Dire qu'elle les contient virtuellement, en puis-
sance, c'est dire que, psychologiquement, elle ne les con-
tient pas ; c'est éluder par un mot vide de sens le diffi-
cile problème des conditions de la réorganisation qui
pourra faire apparaître telle ou telle de ces relations.
Il en est de même dans la perception d'une figure ; tantôt
elle apparaît comme une unité indivise, tantôt comme un
tout articulé de telle ou telle façon. Il serait complètement
arbitraire de dire, dans le premier cas, qu'elle consiste
dans la perception de relations (par exemple : que la per-
ception naïve d'un cercle consiste dans celle de l'égalité
des rayons, ou de la relation x2 + y2 = R2, ou de telle
autre relation caractéristique du cercle). Il ne serait pas
moins arbitraire, dans le second cas, de dire qu'elle con-
tient d'autres relations que celles qui se traduisent dans
le mode particulier d'articulation actuel de cette forme,
chez le sujet qui perçoit le cercle.
Mais cette inexistence des relations dans la perception
de la forme entraîne une conséquence qu'on mit plus de
temps à apercevoir et à accepter : les éléments non plus
ne préexistent pas dans la forme primitive. Ni Ehrenfels, ni
l'école de Graz (Meinong, Benussi), qui continuent après lui
la doctrine des qualités de forme, n'osèrent aller jusque-là.
Ils se demandent encore ce qui vient s'ajouter aux sensa-
tions élémentaires produites par une multiplicité de points
ou de sons quand on y perçoit une figure, une mélodie. Si
les sens ne fournissent que des matériaux, un substratum
(Grundlage), si les souvenirs ne peuvent communiquer à
la perception une organisation qu'ils ne possèdent pas
eux-mêmes, il faut donc, disent-ils, que les formes ré-
sultent d'une activité formatrice originale. Ils opposent
à la « reproduction » associationniste une «production »
d'origine supra-sensorielle et sans doute supra-physiolo-
gique. Mais cette question et cette réponse perdent toute
raison d'être si les éléments, au même titre que les rapports
et en même temps qu'eux, sont des produits de l'analyse,
c'est-à-dire d'une nouvelle articulation de la Forme. Ils
n'apparaissent comme réalités psychologiques indépen-
dantes qu'à mesure que le tout est démembré. Le progrès
dans l'appréhension de diverses sortes de rapports est
corrélatif du progrès dans l'appréhension de diverses
sortes d'éléments. Cette dissociation a ses limites, ses
conditions ; les formes lui offrent plus ou moins de ré-
sistance. Une mélodie simple est assez facilement décom-
posée en notes (quoique celles-ci, non plus que leurs
inters^alles, n'y soient pas exactement entendues avec les
mêmes valeurs que si elles étaient seules, de sorte qu'il
n'y a pas de véritable permanence de leurs qualités sen-
sibles dans diverses combinaisons mélodiques). Mais dans
un accord, où la liaison est beaucoup plus forte, nous
sentons très bien que l'isolement des composantes, si nous
en sommes capables, est tout autre chose que la simple
perception de l'accord avec sa qualité propre. Il en est
de même pour ces éléments provisoires que sont les notes,
dans lesquelles un nouveau progrès peut nous amener à
entendre de nouveaux éléments (son fondamental et pre-
miers harmoniques) et à discerner, par suite, de nou-
veaux rapports.
Les sensations de la psychologie analytique n'ont donc
pas d'existence réelle, à moins qu'on ne veuille donner ce
nom à des perceptions résultant, dans des conditions assez
artificielles, du démembrement de structures à faible liai-
son intérieure, perceptions choisies arbitrairement et sans
privilège réel sur toutes les autres. Il n'y a pas lieu —
c'est un faux problème — de chercher par quelle opéra-
tion de synthèse supra-sensorielle ces sensations seraient
unies, groupées, puisqu'elles ne sont que le produit du
démembrement des formes naturelles et que l'analyse,
dans beaucoup de cas, ne peut même se doubler d'une
expérience réelle et reste purement logique. Il en résulte
que la séparation des qualités formelles et des qualités
sensibles ne peut être maintenue, puisque celles-ci ne
sont pas absolument constantes, mais dépendent des
formes variables auxquelles elles appartiennent et dans
lesquelles elles perdent leur identité.

3. La théorie de la Forme.

Cette critique de la théorie des qualités de forme nous


a acheminés à la position prise dans le problème par la
Gestaltpsychologie. Nous pouvons résumer les résultats
acquis en quelques formules et esquisser les nouveaux pro-
blèmes auxquels ils vont conduire.
Les faits psychiques sont des formes, c'est-à-dire des
unités organiques qui s'individualisent et se limitent dans
le champ spatial et temporel de perception ou de repré-
sentation. Les formes dépendent, dans le cas de la percep-
tion, d'un ensemble de facteurs objectifs, d'une constella-
tion d'excitants ; mais elles sont transposables, c'est-à-dire
que certaines de leurs propriétés se conservent dans des
changements qui affectent, d'une certaine manière, tous
ces facteurs. Les formes peuvent présenter une articula-
tion intérieure, des parties ou membres naturels possé-
dant dans le tout des fonctions déterminées et constituant
à son intérieur des unités ou formes de second ordre. La
perception des différentes sortes d'éléments et des diffé-
rentes sortes de rapports correspond à différents modes
d'organisation d'un tout, qui dépendent à la fois de condi-
tions objectives et subjectives. La correspondance qu'on
peut établir entre les membres naturels d'un tout articulé
et certains éléments objectifs ne se maintient pas, en gé-
néral, quand ces mêmes éléments appartiennent à un
autre ensemble objectif. Une partie dans un tout est autre
chose que cette partie isolée ou dans un autre tout, à cause
des propriétés qu'elle tient de sa place et de sa fonction
dans chacun d'eux. Le changement d'une condition objec-
tive peut tantôt produire un changement local dans la
forme perçue, tantôt se traduire par un changement dans
les propriétés de la forme totale.
Toute théorie part de données qu'elle considère comme
premières. La psychologie classique partait des sensations
élémentaires (ou de leurs reproductions) pour construire
avec elles, soit par le mécanisme de l'association, soit par
des opérations synthétiques de l'esprit, des objets ou faits
plus ou moins organisés. La Gestalttheorie part des
formes ou structures considérées comme des données pre-
mières. Elle ne se donne pas une matière sans forme, une
pure multiplicité chaotique, pour chercher ensuite par le
jeu de quelles forces extérieures à ces matériaux indiffé-
rents ceux-ci se grouperaient et s'organiseraient. Il n'y a
pas de matière sans forme. Nous pouvons donc dès main-
tenant prévoir que tous les problèmes, soit de description,
soit d'explication, que la psychologie des éléments ne
parvenait pas à résoudre, comme nous l'avons vu au début
de ce chapitre, doivent être ou supprimés, ou posés d'une
manière nouvelle, puisque la notion d'élément disparaît.
On dira que la théorie se donne ainsi tout résolus des
problèmes que la psychologie analytique n'arrivait peut-
être pas à résoudre, mais que du moins elle n'éludait pas.
Mais nous avons vu qu'il s'agissait de faux problèmes.
D'ailleurs, en même temps qu'ils disparaissent, il en sur-
git d'autres, beaucoup plus conformes aux habitudes de
la pensée scientifique. S'il n'y a pas lieu de chercher l'ori-
gine des formes à partir de prétendus éléments, il faut
établir par l'expérience les conditions de ces formes et
les lois de leurs transformations. Tel sera pour la Gestalt-
theorie le problème essentiel. Le problème de la per-
ception consiste à déterminer la constellation physique
d'excitants qui correspond à chaque forme perçue, et les
variations de la première qui modifient la structure de la
seconde. Chaque forme est une fonction de plusieurs va-
riables et non plus une somme de plusieurs éléments. Pour
que cette recherche puisse aboutir à des lois et permettre
des prévisions précises, il n'est nullement nécessaire qu'il
existe une correspondance terme à terme entre des élé-
ments de la situation objective et des éléments de la forme;
en fait, cette correspondance n'existe généralement pas et,
dans tous les cas, ne se maintient pas constante. Nous
vèrrons plus loin des exemples de telles lois,
Mais pour que ce problème prenne toute sa signification,
il faut l'élargir. Jusqu'ici les notions de forme et de
structure étaient présentées comme purement psycholo-
giques L'étude de la mélodie nous montrait comment des
sons qui, comme événements physiques, sont indépendants
les uns des autres, engendrent dans la conscience de l'au-
diteur un «phénomène » qui présente les caractères des
formes. Sur ce point l'accord existe entre les différentes
écoles qui revendiquent le titre de psychologie de la
Forme. Celle que nous étudions spécialement dans ce
livre va plus loin ; elle se demande si les formes n'existent
que dans le domaine de la pensée. Sont-elles seulement
l'aspect que prend, dans notre appréhension subjective,)
une réalité physique étrangère en principe à toute orga-
nisation '? Ou bien la Forme est-elle une notion générale,
qui a son application en dehors de la psychologie? A la
phénoménologie des formes peut-on ajouter une physique
des formes ?
Les termes de forme, structure, organisation appar-
tiennent au langage biologique autant qu'au langage psy-
chologique. Un être vivant est un organisme, un individu
séparé du milieu, malgré les échanges matériels et énergé-
tiques qui s'opèrent entre eux ; c'est un système dont les
parties, tissus et organes, dépendent du tout, et celui-ci
semble déterminer leurs caractères. Cette organisation
n'est pas seulement statique, mais dynamique, puisque le
jeu de toutes les fonctions est solidaire et que la vie de
l'être résulte d'un équilibre mobile de tous les processus
locaux. Le mot d'adaptation résume ces rapports complexes
du tout et des parties. On peut donc rapprocher les formes
psychiques et les formes organiques.
Comment pourrait-il en être autrement ? Il ne s'agit pas
seulement de faits comparables, mais de faits connexes.
La vie mentale apparaît au sein de la vie physiologique ;l
elle plonge par ses racines dans l'organisme. La percep-
tion et la pensée sont liées aux fonctions nerveuses. L'or-
ganisation qu'étudie le psychologue doit être rapprochée
de celle qu'étudie le physiologiste. Si notre perception est
organisée, le processus nerveux qui y correspond doit
l'être de la même façon. Et s'il n'y a pas d'éléments psy-
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