Vous êtes sur la page 1sur 19

2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

Théorie des Jeux


1 Jeux combinatoires
Les jeux combinatoires sont une classe spéciale de jeux qui ont été très étudiés. Une théorie
générale a été développée, qui couvre bien plus que ce qui nous intéressera ici. Nous nous
concentrerons sur plusieurs jeux fondamentaux et nous verrons ce que nous pouvons retirer de
chaque exemple. Au l des exemples, nous pourrons élaborer quelques pans de la théorie des
jeux combinatoires.
Un jeu combinatoire est un jeu à deux joueurs dans lequel chacun possède une information
complète en tout temps, aucun hasard n'intervient et il se termine toujours avec un gagnant et
un perdant. On dresse une dénition plus complète.
Dénition 1. Un jeu est dit combinatoire s'il satisfait les conditions suivantes :
 Il y a exactement deux joueurs, qui jouent à tour de rôle, sans passer leur tour.
 L'information est totale : toutes les informations concernant le jeu - congurations,
possibilités de mouvements des joueurs - sont connues à chaque instant des deux joueurs
(il n'y a donc pas de blu).
 Le hasard ne joue aucun rôle dans le jeu, il n'y a donc pas distribution aléatoire de cartes
ou de lancers de dés par exemple.
 Les règles sont dénies de sorte que le jeu ait toujours une n, et le nombre de positions
de jeu est ni.
 Le vainqueur est désigné par le dernier coup joué : en convention normale, le premier
joueur qui ne peut plus jouer a perdu (celui qui a eectué le dernier coup gagne). C'est
l'inverse en convention misère.
Le dernier point implique qu'il y a toujours un gagnant dans un jeu combinatoire.
Dénition 2. Un jeu impartial est un jeu combinatoire dans lequel les mouvements dispo-
nibles depuis n'importe quelle position sont identiques pour les deux joueurs.
Sinon on parle de jeu combinatoire partisan.
Nous nous limiterons aux jeux combinatoires impartiaux.
Exemple 1 (La course à huit). Deux joueurs Axel et Sacha jouent au jeu suivant. Chacun leur
tour, ils annoncent un nombre obtenu par l'addition du nombre précédent par 1 ou 2 jusqu'à
ce que l'un d'eux annonce 8 (le gagnant). Axel commence en partant de l'entier 0.
Un exemple de partie (Axel gagne) : "1", "3", "5", "7", "8" qui correspond à 0+1+2+2+2+1.
Exemple 2 (La pile de jetons). Deux joueuses Sophie et Chloé ont 48 jetons au centre de la
table. A tour de rôle, elles retirent au moins un jetons, mais au plus trois. Celle qui retire le
dernier jeton gagne la partie. Chloé commence.
Ces deux exemples sont des exemples de jeux soustractifs.

1
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

2 Les jeux soustractifs


Dénition 3. Un jeu soustractif est un jeu combinatoire dans lequel chaque joueur, en
commençant par le joueur 1, retire à tour de rôle un nombre de jetons s ∈ S d'une pile de
n jetons, où S est un ensemble d'entiers strictement positifs. Le joueur ayant pu eectuer le
dernier mouvement autorisé gagne.
Ainsi l'exemple de la course à huit correspond à un tel jeu avec n = 8 et S = {1; 2} et celui
de la pile de jetons à n = 48 et S = {1; 2; 3}.
Nous allons maintenant nous intéresser à une deuxième approche : l'analyse des positions
gagnantes, le plus souvent à partir de ce qui est supposé être la n du jeu (on parle alors
d' analyse rétrograde
). Une position est dite gagnante lorsque le joueur qui doit jouer à partir de
cette position est sûr de gagner (en jouant au mieux évidemment). Si le jeu doit nécessairement
se terminer avec la victoire de l'un ou de l'autre, les positions qui ne sont pas gagnantes sont
alors perdantes. Nous introduisons trois concepts :

2.1 les positions gagnantes/ perdantes

La terminologie de perdant/ gagnant est ambiguë, car elle fait référence à un joueur non
déterminé. "Gagnant pour qui ?" On préfère donc la terminologie de P- position et N-position.
Dénition 4. Une P-position est une position vers laquelle il est optimal de se rendre. Il
s'agit d'une position gagnante pour le joueur précédent (previous) (celui qui vient de jouer).
Une N-position est une position vers laquelle il faut éviter de se rendre. Il s'agit d'une
position gagnante pour le joueur suivant (next) (celui qui doit jouer ensuite).
Les P-positions et les N-positions sont dénies récursivement par les armations sui-
vantes (propriétés caractéristiques des N-positions et P-positions).
1. Chaque position est exclusivement une P-position ou une N-position.
2. Toutes les positions nales sont des P-positions.
3. Depuis chaque N-position, il existe au moins un coup amenant à une P-position.
4. Depuis chaque P-position, tous les coups amènent à une N-position.
Remarque : Dans la version misère les deux derniers points restent vrais. Le deuxième
point devient :  Toutes les positions nales sont des N-positions .
De manière générale, depuis une N-position il existe un coup à jouer vers une P-position et
depuis une P-position, tous les coups mènent à une N-position.
Exemple 1 (La course à huit). Les P-positions sont 2, 5 et 8.
Pour déterminer les P-positions et N-positions, il est recommandé d'eectuer une analyse
rétrograde.
Exemple 2 (La pile de jetons). Les P-positions sont les multiples de 4 de 0 à 48.

2
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

2.2 la stratégie gagnante

Dénition 5. Une stratégie gagnante est une procédure permettant de déterminer le ou les
coups à jouer dans une position gagnante pour gagner la partie.
Lorsqu'un joueur est dans une N-position, il possède une stratégie gagnante à savoir se
rendre dans une P-position à chaque coup joué.

2.3 le graphe orienté du jeu

Dénition 6. En toute généralité, un graphe est un couple G = (V ; E) formé d'un ensemble


V de sommets et d'un ensemble E d'arêtes ou arcs qui sont associés à des sous-ensembles à
deux éléments de V . Pour éviter toute ambiguïté, on distingue les graphes non orientés, où
les arêtes sont associées à des paires de sommets, et les graphes orientés, où les liens, appelés
arcs, sont associés à des couples de sommets.
Les sommets appartenant à une arête sont ses extrémités. Un sommet d'un graphe n'est pas
nécessairement extrémité d'une arête : c'est alors un sommet isolé.
Le degré ou la valence d'un sommet est le nombre d'arêtes connectées à ce sommet; une
boucle compte deux fois dans ce calcul. On rencontre, pour une arête {x; y}, l'écriture [x; y] ou
l'écriture plus courte xy.
Un graphe orienté est un graphe dont les arcs ont des orientations. Un graphe orienté
G = (V ; A) est donc composé d'un ensemble V de sommets et d'un ensemble A de couples de
sommets, appelés arcs orientés.
Un arc (x; y) est considéré comme orienté de x vers y ; x est l'extrémité initiale et y est son
extrémité terminale ou n. Le sommet y est un successeur de x, et x est un prédécesseur
de y. Si un chemin mène de x à y, alors y est un descendant de x et x est un ascendant de y.
L'arc (y; x) est l'arc inverse de (x; y).
Nous souhaiterions maintenant modéliser les jeux d'une autre manière, en utilisant les
graphes orientés. Cela peut être fait en associant un sommet unique du graphe orienté avec
chaque position possible du jeu. S'il y a un coup permettant de passer de la position A à la
position B , nous insérons un arc orienté depuis le sommet associé à A au sommet associé à B .
Exemple 1 (La course à huit).

Exemple 2 (La pile de jeton). Laissé en exercice

3
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

3 Jeux de Nim
Le jeu combinatoire le plus fondamental est un autre jeu soustractif nommé jeu de Nim.
L'importance du jeu de Nim dans la théorie des jeux combinatoires n'a été perçue que bien
plus tard.
Historiquement, les premières traces de ce jeu sont signalées en Chine sous
le nom " fan-tan" et connues en Afrique sous le nom " tiouk-tiouk
". Le Pro-
fesseur C. L. Boulton de l'Université de Harvard analysa entièrement ce jeu
et le baptisa dans un papier de 1902 du nom " jeu de Nim
". On ne connaît
pas l'origine de ce nom, mais deux théories existent :
,→ Il provient de l'allemand Nimm ! (qui signie prends !) ou du verbe
de l'ancien anglais nim (qui signie prendre).
180°
,→ C'est une astuce graphique WIN y NIM (qui signie gagner).
Le jeu de Nim a attiré l'attention de nombreuses personnes au l des ans. On
retrouve même des jeux mécaniques dans les années 40 et 50 qui permettent
de jouer au jeu de Nim, le plus célèbre, le Nimatron, pesant une tonne.
Exemple 3. Caroline et David sont des grands mangeurs de fruits. Ils décident de jouer au jeu
suivant : chacun son tour choisit une sorte de fruit et en prend autant qu'il veut, mais au moins
un, et les mange tous. Celui qui mange le dernier fruit gagne la partie. Dans le panier à fruit
du départ, il y a une banane, deux poires, trois pommes, quatre fraises et cinq mandarines.
Caroline commence.
Qui peut gagner ? Existe-t-il une stratégie gagnante ?
Ce jeu est un exemple du jeu de Nim à 5 tas.
Dénition 7. Le jeu de Nim est joué avec plusieurs piles de jetons (des allumettes, des
cailloux). Les joueurs jouent alternativement en enlevant entre un et tous les jetons d'une pile
unique. Le premier joueur à ne pas pouvoir enlever de jeton a perdu. (Celui qui retire le dernier
jeton gagne.)
Reformulons mathématiquement la dénition. Le jeu de Nim est un jeu soustractif à n tas de
respectivement p1 ; p2 ; . . . ; pn jetons (objets). Les joueurs jouent à tour de rôle et chacun prend
autant de jetons qu'il veut dans un tas, mais au moins un jeton et un seul tas. Le joueur qui
prend le dernier jeton gagne. On notera (p1 , p2 , . . . , pn ) les congurations d'un tel jeu.
Exemple 3. Le jeu des fruits de Caroline et David est un jeu de Nim à 5 tas avec la position
initiale (1, 2, 3, 4, 5). Le joueur 1 a une stratégie gagnante : (1, 2, 3, 4, 5) → (1, 2, 3, 4, 4)1 , puis
 Si le joueur 2 retire des jetons d'un tas de 4, répéter son coup sur l'autre tas de 4 ; ce
qui donne donc (1, 2, 3, 4, x)2 → (1, 2, 3, x, x)1 .
 Si le joueur 2 retire un jeton sur le tas de 1, on a (0, 2, 3, 4, 4)2 , aller à (0, 2, 2, 4, 4)1 .
 Si le joueur 2 retire un jeton sur le tas de 2, vider le tas de 3
ainsi (1, 1, 3, 4, 4)2 → (1, 1, 0, 4, 4)1 .
 Si le joueur 2 retire le tas de 2, retirer 2 jetons du tas de 3
à savoir (1, 0, 3, 4, 4)2 → (1, 0, 1, 4, 4)1 .

4
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

 Si le joueur 2 retire des jetons sur le tas de 3, appliquer les stratégies suivantes :
(1, 2, 0, 4, 4)2 → (1, 1, 0, 4, 4)1 ou (1, 2, 1, 4, 4)2 → (1, 0, 1, 4, 4)1 ou
(1, 2, 2, 4, 4)2 → (0, 2, 2, 4, 4)1 .
Le jeu est alors symétrique et il n'y a qu'à copier son coup suivant.
Les jeux de Marienbad, de Grundy et de Wytho sont des variantes du jeu de Nim
Exemple 4 (jeu de Marienbad).
Celui-ci a été popularisé par le lm d'Alain Resnais et d'Alain Robbe-Grillet,
L'Année dernière à Marienbad , en 1961. Dans ce lm, l'un des protagonistes
gagne parties sur parties. Il prononce cette phrase à la portée symbolique : "Je
peux perdre, mais je gagne toujours . . ."
Dans la version du lm, il y a quatre rangées, avec 1, 3, 5, 7 allumettes et celui
qui prend la dernière allumette perd (version misère). À chaque tour, le joueur
prend le nombre d'allumettes qu'il veut, au moins une et dans une même rangée.
Exemple 5 (jeu de Grundy). La position de départ consiste en un unique tas de jetons et le
seul coup disponible pour les joueurs consiste à séparer un tas de jetons en deux tas de tailles
distinctes. Les joueurs jouent à tour de rôle, jusqu'à ce que l'un d'entre eux ne puisse plus jouer.
Le joueur qui ne peut plus jouer est le perdant.
Exemple 6 (jeu de Wytho). Le jeu se joue à deux tas. Chaque joueur réduit d'un même
nombre d'objets les deux tas à la fois, ou bien réduit un seul tas du nombre d'objets qu'il veut.
Les règles de ces jeux sont élémentaires. Le jeu de Nim possède une innité de positions
de départ, car il peut y avoir n'importe quel nombre de piles et ces dernières peuvent être
constituées de n'importe quel nombre de jetons. La théorie de comment jouer marche dans
toutes les situations.
Commençons par soulever plusieurs questions à propos du jeu de Nim.
1. Peut-on déterminer en avance qui va gagner en supposant une façon de jouer experte ?
2. Peut-on déterminer quel est le meilleur coup à jouer dans n'importe quelle position du
jeu de Nim ?
Remarque : Le jeu de Nim à un tas n'est que fort peu intéressant. En eet, il sut au
joueur 1 de retirer tous les jetons pour gagner. (Si simple qu'il faut y penser !)
Exemple 7 (jeu de Nim à deux tas).
On voit que (0, 0) est la position nale, donc une P-position. Ainsi les positions (1, 0) et
(0, 1) sont des N-positions et (1, 1) est une P-position.
Plus généralement, les P-positions sont (a, a) et les N-positons sont (a, b) et (b, a) avec a 6= b.
En eet, s'il y a (a, a) jetons, le joueur suivant arrive sur la conguration (a − x, a) ou
(a, a − x) et en copiant le coup l'autre joueur arrive à la position (a − x, a − x), ce qui revient
au dilemme précédent et donc au cas (1, 1).
Dans les exercices, nous tenterons un début d'analyse rétrograde pour le jeu de Nim à trois
tas. Nous constaterons rapidement que cette analyse devient d'autant plus fastidieuse que le
nombre de tas augmente et qu'il nous faut un nouvel outil.

5
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

4 La fonction de Sprague-Grundy
Nous pouvons analyser les graphes orientés de jeux comme auparavant grâce aux P-positions
et aux N-positions, mais nous avons besoin de d'avantage pour les sommes de jeux ou les jeux
plus complexes tels que le jeu de Grundy. À cet eet, nous utiliserons un nouvel outil nommé
la fonction Sprague-Grundy.
Dénition 8. Soit S un sous-ensemble de N (des entiers naturels), nous dénissons mex(S)
comme le plus petit entier naturel à ne pas appartenir à S. On note mex en abréviation de
minimum exclus.
Exemple 5 (jeu de Grundy). Dans le jeu de Grundy, on cherche à déterminer le type (11) à
l'aide du type des diverses décompositions en deux tas distincts possibles. On a alors que le
type de (11) est le mex({0; 1; 3; 0; 3}) = 2.
Dénition 9. La fonction Sprague-Grundy d'un graphe orienté G(X; F ) est une fonction
qui associe à chaque sommet de X (ensembles des sommets), un entier naturel. Elle est dénie
par
g(x) = min({n ≥ 0 | n 6= g(y), ∀y ∈ F (x)}) = mex({g(y) | y ∈ F (x)}).
En d'autres termes, g(x) est le plus petit entier positif ou nul non déjà associé aux successeurs
de x par la fonction de Sprague-Grundy.
On parle aussi de nombre de Grundy associé à un sommet pour g(x).
Cette dénition est récursive Le nombre de Grundy d'une position qui ne possède par de
successeur (terminale) est 0. Le nombre de Grundy d'une position qui possède des successeurs
est le plus petit entier naturel n'apparaissant pas dans la liste des nombres de Grundy de
ses successeurs immédiats (directs). Cette dénition récursive fonctionne dans tous les graphes
associés à un jeu combinatoire ; ainsi les nombres de Grundy existent, sont uniques et nis pour
chaque sommet.
Exemple 8. Étant donné le graphe ci-dessous, attribuer le nombre de Grundy associé à chaque
sommet.

6
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

Connaissant la fonction de Sprague-Grundy associée à un graphe, il est facile d'analyser le


jeu correspondant. En eet
Théorème : Les sommets qui ont 0 pour nombre de Grundy sont les P-positions du jeu et
tous les autres sommets les N-positions. La stratégie gagnante est de toujours suivre un arc
menant à un sommet dont le nombre de Grundy est nul.
Démonstration : Vérions que les trois caractéristiques des N-positions et P-positions sont
remplies.
1. Une position terminale est telle que g(x) = 0 et est une P-position.
2. Depuis une position telle que g(x) = 0, tous les successeurs y de x sont tels que g(y) 6= 0.
Comme g(x) = mex({g(y) | y successeurs de x}) = 0, aucun g(y) ne peut valoir 0, par
dénition du mex.
3. Depuis chaque sommet tel que g(x) 6= 0, on peut trouver un successeur y de x avec
g(y) = 0, sinon g(x) serait nul.

Exemple 1 (La course à huit). Déterminer la fonction Sprague- Grundy pour le jeu "la course
à huit" dont le graphe est rappelé ci-dessous

Solution : Le sommet terminal est 8, ainsi g(8) = 0.


Du sommet 7, nous ne pouvons nous rendre qu'au sommet 8 avec g(8) = 0. Ainsi,

g(7) = mex({g(8)}) = mex({0}) = 1.

Avec un argument similaire

g(6) = mex({g(7); g(8)}) = mex({1; 0}) = 2 et g(5) = mex({g(6); g(7)}) = mex({2; 1}) = 0

De proche en proche, on obtient le tableau suivant :


x 8 7 6 5 4 3 2 1 0
g(x) 0 1 2 0 1 2 0 1 2
Exemple 2 (La pile de jetons). L'exemple de la pile de jetons devient :

On a alors que g(x) = n mod (4), à savoir le reste de la division par 4 de x.

7
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

Exemple 7 (Nim à 2 tas (1, 3)). On se limite à de petits nombres pour réussir à faire un
graphe.

On peut aussi considérer le jeu de Nim à deux tas comme la somme de deux jeux de Nim à un
tas. Le concept de somme de jeux nous sera utile par la suite.

5 Bases de numération
Notre système de numération est en base 10. Pourtant, nous pourrions utiliser une autre base
(Babylone : base 60, Mayas : base 20, informatique : base 2). Le système qui nous intéressera
particulièrement sera le système binaire (base deux).
Théorème
Soit b un entier positif plus grand que 1. Tout entier positif m peut s'écrire de manière
unique de la façon suivante :
k
X
k k−1
m = ak b + ak−1 b + · · · + a1 b + a0 = ai b i ,
i=0

où k est entier non négatif et a0 , a1 , · · · , ak sont des entiers non négatifs plus petits que b et
ak 6= 0.
Notre premier intérêt est lorsque b = 2 et donc les ai valent 0 ou 1. En base 2, on dit parfois
que nous trouvons la représentation binaire du nombre.
Par souci de clarté, pour la suite de ce chapitre, nous indiquerons en indice la base utilisée,
à savoir la notation (ak ak−1 · · · a1 a0 )b pour désigner que le nombre m est exprimé en base b.
Exemple 9. Représenter 3710 en base 2 et ensuite en base 3.
Nous devons représenter 3710 en somme de puissances de 2 :

3710 = 1 · 25 + 0 · 24 + 0 · 23 + 1 · 22 + 0 · 21 + 1 · 20

et donc, 3710 = 1001012 .

8
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

Même exercice en puissances de 3 :

3710 = 1 · 33 + 1 · 32 + 0 · 31 + 1 · 30

et donc, 3710 = 11013 .


Il existe un algorithme simple pour trouver la représentation en base 2 (ou en base b) d'un
nombre en base 10. Voici cet algorithme appliqué à l'exemple 8.
Exemple 9. Pour une représentation en base 2, on divise successivement les quotients par 2 :
37 = 2 · 18 + 1
18 = 2 · 9 + 0
9=2·4+1
4=2·2+0
2=2·1+0
1=2·0+1

Il ne reste plus qu'à lire les restes des divisions successives de bas en haut, 3710 = 1001012 .
De façon similaire en base 3, on obtient :

37 = 3 · 12 + 1
12 = 3 · 4 + 0
4=3·1+1
1=3·0+1

Il ne reste plus qu'à lire les restes des divisions successives de bas en haut, 3710 = 11013 .
Les algorithmes de somme, diérence, produit et division se généralisent en base b. Nous
nous contenterons du plus simple, l'addition.
Exemple 10.
en base 2 : en base 5 :

1010112 2345
+ 1100102 + 1235
10111012 4125

On peut vérier ces résultats en base 10 : 1010112 = (1 + 2 + 0 + 8 + 0 + 32)10 = 4310 ,


1100102 = (2 + 16 + 32)10 = 5010 et 10111012 = (1 + 4 + 8 + 16 + 64)10 = 9310 et 43 + 50 = 93.
De même 2345 = (4 + 3 · 5 + 2 · 25)10 = 6910 , 1235 = (3 + 2 · 5 + 1 · 25)10 = 3810 et
4125 = (2 + 1 · 5 + 4 · 25)10 = 10710 , ce qui correspond car 69 + 38 = 107.

9
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

6 Sommes de Nim
La somme de Nim, notée ⊕, de deux entiers positifs est leur addition sans retenues en base 2.
Dénition 10. La somme de Nim de deux nombres binaires s'écrivant (x · · · x0 )2 et
est (z · · · z ) en supposant que m > n. On note
n
(ym · · · y0 )2 m o 2

(xn · · · x0 )2 ⊕ (ym · · · y0 )2 = (zm · · · z0 )2 ,

avec ∀k ∈ N, z k = xk + yk mod (2) , c'est-à-dire z k =1 si x k + yk = 1 et z


k =0 sinon.
On résume dans le tableau ci-dessous :
12 ⊕ 12 = 02 12 ⊕ 02 = 12
02 ⊕ 12 = 12 02 ⊕ 02 = 02
Exemple 11.
22 ⊕ 51 = 37.
En eet, on convertit en base 2 : 2210 = 16 + 4 + 2 = 101102 et 5110 = 32 + 16 + 2 + 1 = 1100112 .
On additionne par la somme de Nim.
101102
⊕ 1100112 .
1001012

On repasse à la base 10 : 1001012 = 1 + 4 + 32 = 3710 .


On note que la somme de Nim est identique à faire des paires de 1 dans les colonnes puis
les annuler. Autrement dit, il s'agit de compter le nombre de 1 dans la colonne et si ce nombre
est pair, on inscrit 0 ; s'il est impair, on inscrit 1. En sciences informatiques, on nomme cette
opération le ou exclusif et il est noté xor.
Propriété : La somme de Nim est associative et commutative, car l'addition modulo 2 l'est
aussi. Ainsi on peut écrire x ⊕ y ⊕ z sans parenthèses.
∗ associative : x ⊕ (y ⊕ z) = (x ⊕ y) ⊕ z
∗ commutative : x ⊕ y = y ⊕ x
∗ 0 est l'élément neutre de la somme de Nim, car 0 ⊕ x = x
∗ x est son propre opposé additif, car x ⊕ x = 0.

Exemple 12. Considérons le jeu de Nim (3, 4, 5). Nous savons que c'est une N-position, car
(1, 4, 5) est une P-position atteignable en un coup. Quelle valeur associer à cette position ?
Proposition de solution : À chaque pile nous associons une valeur, à savoir le nombre de
jetons de la pile. La valeur de la position est déterminée par la somme de Nim, notée ⊕, des
valeurs de toutes les piles.
310 = 0112
410 = 1002
⊕ 510 = 1012
210 = 0102

10
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

La valeur de notre position après cette somme de Nim est donc de 2, qui n'est pas 0, et c'est
une N-position.
Observons maintenant quelle valeur a la position (1, 4, 5), connue comme P-position.

110 = 0012
410 = 1002
⊕ 510 = 1012
010 = 0002

Nous obtenons une valeur nulle pour cette position, (comme pour le plateau vide qui correspond
à la position nale). La beauté de cette position est que, quelque soit le coup de notre adversaire,
la nouvelle position aura pour valeur une somme de Nim non nulle. En eet, une colonne de
l'un de ces nombres binaires doit changer et donc la parité de 1 dans cette colonne ne sera pas
préservée.
De plus, depuis la position (3, 4, 5) seule la modication de la deuxième colonne permettait
de rétablir la parité des 1 et comme on soustrait uniquement il fallait transformer 0112 en 0012 ,
ce qui est précisément le coup joué.
Nous avons donc l'intuition que toutes les positions à somme de Nim nulle sont des P-
positions et celles à somme de Nim non nulle des N-positions.
Théorème de Bouton : Une position (x1 , x2 , . . . , xn ) dans un jeu de Nim est une P-position si
et seulement si la somme de Nim de ses composantes est zéro, c'est-à-dire x1 ⊕ x2 ⊕ · · · ⊕ xn = 0.
Démonstration : On vérie les trois critères qui dénissent les P- et les N-positions.
1. Toutes les positions nales sont des P-positions.
La seule position nale est la position sans jeton (0, 0, . . . , 0) et 0 ⊕ · · · ⊕ 0 = 0.
2. De toute N-position, il existe au moins un mouvement vers une P-position.
Construisons un tel mouvement depuis une position dont la somme de Nim est non
nulle (N-position). Commençons par eectuer la somme de Nim de la position comme
une addition en colonnes. Repérons la colonne située la plus à gauche contenant un
nombre impair de 1 et appelons cette colonne c. Cette colonne existe forcément (sinon la
somme de Nim de cette position serait nulle, ce qui est contradictoire avec l'hypothèse de
départ). Dans cette colonne c, choisissons l'une des lignes possédant un 1 et transformons
ce 1 en 0. Le long de la ligne que nous avons commencé à modier, pour chaque colonne
à droite de c, nous garderons la même valeur si la parité du nombre de 1 est respectée
et échangerons la valeur (1 en 0 ou 0 en 1) si ce n'est pas le cas. Comme nous avons
transformé le 1 de la colonne c en 0, le nombre obtenu après tous les changements sur
la ligne choisie est inférieur à celui de départ, ce qui garantit la possibilité de jouer ce
coup (on procède par retrait, donc les nombres doivent toujours devenir inférieurs). De
plus, comme la parité des 1 est respectée sur toutes les colonnes, sa somme de Nim est
nulle (P-position). Nous avons donc trouvé un tel mouvement.
De plus, nous avons ainsi déterminé tous les mouvements possibles depuis cette position
par itération sur les lignes ayant 1 dans la colonne c.

11
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

3. Chaque coup depuis une P-position mène à une N-position.


Soit (x1 , x2 , . . . , xn ) une position telle que x1 ⊕ · · · ⊕ xk ⊕ · · · ⊕ xn = 0 (P-position). Un
coup de cette position consiste à modier xk en x0k tel que 0 ≤ x0k < xk avec 1 ≤ k ≤ n.
Or x1 ⊕ x2 ⊕ · · · x0k ⊕ · · · ⊕ xn 6= 0, car sinon
xk = xk ⊕ 0 ⊕ 0 = xk ⊕ x1 ⊕ x2 ⊕ · · · x0k ⊕ · · · ⊕ xn ⊕ x1 ⊕ x2 ⊕ · · · xk ⊕ · · · ⊕ xn
= xk ⊕ x1 ⊕ x1 ⊕ x2 ⊕ x2 ⊕ · · · ⊕ xk ⊕ x0k ⊕ · · · ⊕ xn ⊕ xn
= xk ⊕ 0 ⊕ 0 ⊕ · · · ⊕ xk ⊕ x0k ⊕ · · · ⊕ 0 =
xk ⊕ xk ⊕ x0k = 0 ⊕ 0 ⊕ x0k = x0k ,
ce qui est impossible. Ainsi, (x1 , x2 , . . . , x0k , . . . , xn ) est une position de somme de Nim
non nulle (N-position).
Remarque : De la vérication de la 2e règle dénissant les P- et N-positions, on déduit
que le nombre de mouvements gagnants depuis une N-position est égal au nombre de 1 présents
dans la colonne signicative, où par colonne signicative, on entend la colonne la plus à gauche
dans la somme de Nim dont le nombre de 1 est impair. En particulier, il y a toujours un nombre
impair de coups gagnants.
Exemple 13. Qui possède une stratégie gagnante dans le cas d'un jeu de Nim du type (11, 9, 7) ?
Quel conseil donner au joueur 1 ?
Comme 1110 = 8 + 2 + 1 = 10112 , 910 = 8 + 1 = 10012 et 710 = 4 + 2 + 1 = 1112 , leur somme
10112
10012
de Nim est et 01012 = 1 + 4 = 5. Ainsi (11, 9, 7) est une N-position et le premier
⊕ 1112
01012
joueur possède une stratégie gagnante.
Reprenons la somme pour la trouver en identiant la colonne signicative.
10112
10012
⊕ 1112
01012

On doit modier le 1 de cette colonne en un 0, donc le nombre 1112 = 710 en 0102 = 210 .
Il s'agit de retirer 5 jetons dans le dernier tas pour passer de 7 à 2 jetons. Comme la colonne
signicative ne contient qu'un seul 1, il n'y a qu'un seul mouvement gagnant.
Remarque : Dans le cas du jeu de Nim en mode misère, Bouton préconise une stratégie.
Jouer la stratégie optimale comme dans une partie de Nim traditionnelle tant qu'il y a au moins
deux piles de plus de un jeton. Quand l'adversaire joue de façon à ce qu'il n'y ait plus qu'une
seule pile de plus de un jeton, réduire cette pile à 0 jeton ou 1 jeton, de façon à laisser un
nombre impair de piles de taille 1. Cette méthode fonctionne, car votre tactique de jeu vous
oblige à laisser exactement une pile de plus de 1 jeton (somme de Nim nulle), et votre adversaire
ne peut pas se rendre d'une position avec deux piles de plus de un jeton à une position avec
aucune pile de plus de un jeton. Finalement, vous tomberez dans la situation décrite ci-dessus.

12
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

7 Jeux de Nim "maquillés"


Passablement de jeux combinatoires n'ont, en apparence, rien à voir avec un jeu de Nim,
mais peuvent être interprétés comme tel ou sa variante Poker Nim.

7.1 Poker Nim

Une variation simple du jeu de Nim se nomme le Poker Nim. Les règles sont identiques à
une exception près. On ajoute un coup à la panoplie des coups autorisés : Reposer, sur une pile
unique, un nombre quelconque de jetons pris parmi ceux défaussés au préalable dans la partie.
Clairement, cette possibilité dépend du nombre de jetons déjà défaussés et du nombre de jetons
restants.
Dans la version classique du Poker Nim, on s'assurera que la partie se termine (d'avoir un
jeu combinatoire) en ajoutant l'interdiction de faire un mouvement qui fait revenir dans la
conguration précédente : à savoir si un joueur retire k jetons de la pile p, le suivant ne peut
pas ajouter k jetons sur la pile p et si un joueur ajoute k jetons sur la pile p, le suivant ne peut
pas retirer k jetons de la pile p.
Exemple 14 (The silver dollar game). Le jeu du "dollar en argent" est joué sur une bande semi-
innie de carrés avec un nombre n ni de pièces, dont aucune n'est le dollar en argent. Chaque
pièce est placée seule sur un carré distinct. Les joueurs alternent tour à tour des mouvements
autorisés jusqu'à être coincés (cela arrive lorsque toutes les pièces sont coincées à gauche de la
bande). Un coup autorisé consiste à bouger une pièce d'au moins une case vers la gauche, sans
que deux pièces ne se trouvent sur la même case, ni qu'une pièce "saute" par-dessus une autre.
Le premier qui est coincé a perdu.

···

Pour revenir à un jeu de Nim classique (ou poker), il s'agit d'interpréter chaque position du
jeu comme une conguration de Nim et chaque mouvement dans le jeu comme un mouvement
du jeu de Nim classique (ou poker).
Chaque groupe de deux pièces correspond à un tas du jeu de Poker Nim. On crée les groupes
en partant de la pièce la plus à droite, ainsi s'il y a un nombre impair de pièces, celle la plus à
gauche crée avec le mur gauche un dernier groupe. Le nombre de cases vides à l'intérieur d'un
groupe détermine le nombre de jetons pour un tas du jeu de Nim classique. Ainsi l'exemple
représenté ci-dessus correspond à la position (1, 2) de jeu de Nim. Il reste à interpréter les
diérents mouvements possibles.
Déplacer la pièce droite d'un groupe de k cases vers la gauche revient à retirer k jetons
au tas de Nim correspondant. Déplacer la pièce gauche d'un groupe de k cases vers la gauche
revient à ajouter k jetons au tas de Nim correspondant (possible dans la variante poker Nim).
Ce coup peut être dans tous les cas contré par un déplacement identique de k cases vers la
gauche de la pièce de droite du même groupe.

13
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

Remarque : Il existe une variation du jeu du dollar en argent où l'une des pièces est en
argent. Elle est placée aléatoirement sur la bande de carrés. Le dernier carré de gauche est
remplacé par une bourse et un mouvement autorisé consiste à placer la pièce la plus à gauche
dans la bourse (cette pièce ne peut plus être déplacée). Lorsqu'un joueur déplace la pièce en
argent dans la bourse, la partie se termine et ce joueur a perdu. L'autre joueur empoche toutes
les pièces du sac.
Exemple 15 (Jeu de Northcott). Sur un échiquier classique, on place un pion noir et un pion
blanc par ligne. Chacun leur tour, deux joueurs choisissent un pion de leur couleur (blanc pour
le 1er et noir pour le 2e ) et le déplacent dans une ligne d'autant de cases qu'ils le désirent, mais
au moins une et sans passer au-dessus d'un pion de la couleur adverse (ni sur la même case).
Le premier joueur à ne plus pouvoir bouger perd.

On peut reformuler ce jeu comme un Poker Nim.


Exemple 16 (Jeu de Nimble). Le jeu de Nimble se joue sur une bande quadrillée (possiblement
semi-innie) numérotée 0; 1; 2; 3; . . .. Un nombre ni n de jetons sont placés sur les cases. Il peut
y avoir plusieurs jetons sur une même case. Tour à tour, deux joueurs eectuent un mouvement
autorisé jusqu'à ce que plus aucun mouvement ne soit possible (tous les jetons soient placés
sur la case 0). Le premier à ne pas pouvoir jouer perd. Un mouvement autorisé correspond au
déplacement d'un jeton quelconque vers une case située à sa gauche (numérotée avec un nombre
strictement inférieur), peu importe si la case est déjà occupée et si on a dû passer par dessus
d'autres jetons.
On peut reformuler ce jeu comme un Nim classique.
Exemple 17 (Turning Turtles). Le jeu "turning turtles" se jouent avec une lignes de n pièces
positionnées sur pile (P) ou face (F). Tour à tour, deux joueurs alternent les mouvements
autorisés. Un mouvement correspond au retournement d'une pièce de face vers pile et, de
manière optionnelle, le retournement de n'importe quelle pièce située à gauche de celle choisie

14
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

(cette fois de pile vers face ou face vers pile). Le jeu se termine lorsqu'il n'est plus possible de
faire un mouvement (que des piles) et celui ayant eectué le dernier mouvement gagne.
On conguration de départ pour n = 13 pourrait être
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
P F P P F P P P F F P F P
N N N N N

et un coup pourrait être de retourner 9 et 4 :


1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
P F P F F P P P P F P F P
N N N N N

On peut reformuler ce jeu comme un Nim classique.

7.2 La variante de Moore, appelé Nimk

Une variation plus complexe du jeu de Nim se nomme la variante de Moore, d'après son
inventeur. Dans ce jeu les règles sont identiques à l'exception du fait que les joueurs sont
autorisés à prendre non pas des jetons dans une pile unique, mais dans plusieurs piles, pourvu
qu'ils n'en prennent pas dans plus de k piles, où k est xé au début du jeu et reste constant,
et pourvu qu'ils prennent au moins un jeton. Clairement, lorsque k = 1, la variante de Moore
est le jeu de Nim classique. On utilisera la notation Nimk pour les jeux de Moore.
Étonnamment, la stratégie générale des jeux de Nim se généralise aux Nimk . La marche à
suivre est la suivante :
∗ Convertir chaque tas en base 2.
∗ Additionner selon ⊕k+1 , c'est-à-dire additionner les nombres exprimés en base 2 dans la
base k + 1 sans reporter les retenues (addition modulo k + 1).
∗ Jouer un coup ramenant à une somme ⊕k+1 égale à zéro.
Remarque : Il s'agit bien d'une généralisation du jeu de Nim. En eet, Nim=Nim1 et la somme
⊕ = ⊕1+1 = ⊕2 est bien une addition en base 2 sans retenues.

Exemple 18 (Nim2 ). Jouons à la variante de Moore du jeu de Nim avec k = 2 et la congu-


ration de départ est (12, 13, 14, 15) jetons.
En suivant notre nouvelle stratégie, nous procédons exactement comme dans le jeu de Nim
et commençons par déterminer la représentation en base 2 des cardinaux des diérentes piles
de jetons. Puis, comme k = 2, il s'agira d'additionner ces nombres en base 3 (en n'utilisant que
les chires 0, 1 et 2). Nous obtenons :

1210 = 11002
1310 = 11012
1410 = 11102
⊕3 1510 = 11112
11223

15
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

La troisième étape est d'enlever des jetons d'une ou deux piles de manière à réduire cette somme
à zéro modulo 3.
Il existe plusieurs manières de procéder. Par exemple : enlever 9 jetons de la pile à 12 jetons
ou enlever 2 jetons de la pile à 15 et 13 de la pile à 14. On obtient respectivement
310 = 00112 1210 = 11002
1310 = 11012 1310 = 11012
1410 = 11102 et 110 = 00012 .
⊕3 1510 = 11112 ⊕3 1310 = 11012
00003 00003

Une fois notre adversaire placé dans une position valant zéro avec l'addition ⊕3 , nous jouerons
de façon identique au jeu de Nim ordinaire. Nous continuerons de placer notre adversaire dans
des positions valant zéro avec l'addition ⊕3 à chaque coup. Il est clair, que notre adversaire,
confronté à une somme nulle, va bouger vers une position non nulle car au plus 2 valeurs de
colonnes changeront.
Dans Nimk , il n'y a plus de véritable systématique dans la recherche des mouvements ga-
gnants, mais on remarque que k + 1 piles de tailles identiques est une P-position, tout comme
deux piles identiques dans Nim (k = 1).

8 Somme de Jeux
Jouer à la somme de deux jeux combinatoires impartiaux consiste à jouer à deux jeux à la
fois. A tour de rôle, chaque joueur choisit à quel jeu il veut jouer, puis eectue un coup de ce
jeu. Un joueur a perdu s'il se trouve dans l'impossibilité de jouer à aucun des deux jeux. Pour
les jeux J1 et J2 , on note leur somme J1 + J2 . On peut étendre cette dénition à la somme de
plusieurs jeux de manière similaire.
Ainsi, si X est une position de J1 et Y une position de J2 , alors (X, Y ) est une position de
J1 + J2 . De plus si U est l'ensemble des options de X (nouvelles positions après un mouvement
autorisé) dans J1 et V l'ensemble des options de Y dans J2 , alors l'ensemble des options de
(X, Y ) dans le jeu J1 + J2 sont {(U, Y ); (X, V)}. On peut également dénir le graphe associé
à J1 + J2 à l'aide des graphes de J1 = (V1 , E) et de J2 = (V2 , F ), à savoir J1 + J2 = (V, G) où
V = V1 × V2 et G = (E(v1 ) × V2 ) ∪ (V1 × F (v2 )). Ainsi un coup depuis la position (v1 , v2 ) est
simplement un coup sur l'un des jeux J1 ou J2 . Cette dénition se généralise pour les sommes
de plus de deux jeux de la même manière.
Remarque : Un jeu soustractif à une pile s'analyse facilement et devient peu intéressant,
mais lorsqu'il y a plusieurs piles ou plusieurs jeux diérents cela se corse très vite. On l'a no-
tamment constaté pour le jeu de Nim classique où pour chaque pile, il s'agit d'un jeu soustractif
avec S = {1; . . . ; n} avec n la taille de la pile. En eet, dans le cas de trois tas déjà l'analyse
devient très fastidieuse. Ainsi clairement, les jeux soustractifs deviennent plus intéressants en
tant que jeux de Nim à plusieurs piles, qui sont simplement une somme de plusieurs jeux.
On pourrait se demander si connaître les P-positions et les N-positions des jeux J1 et J2 sut
pour nous indiquer comment bien jouer au jeu J1 + J2 . Malheureusement, cette information est

16
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

insusante, mais il y a toutefois un lien grâce à la fonction Sprague-Grundy.


Le théorème suivant donne une méthode an d'établir la fonction de Sprague-Grundy pour
une somme de graphes lorsque la fonction de Sprague-Grundy g est connue pour chacun des
graphes. Cette construction utilise la somme de Nim déjà introduite au préalable. Énoncé
rapidement ce théorème relève que la fonction de Sprague-Grundy d'une somme de graphe
est somme de Nim des fonctions de Sprague-Grundy de chaque graphe. Ce théorème est une
généralisation radicale du théorème de Bouton vu précédemment.
Théorème de Sprague-Grundy : Soit gi la fonction de Sprague-Grundy associée au jeu Ji ,
pour i = 1; . . . ; n, alors le jeu J = J1 + J2 + · · · + Jn admet la fonction de Sprague-Grundy
suivante :
g(x) = g((x1 , x2 , . . . , xn )) = g1 (x1 ) ⊕ g2 (x2 ) ⊕ · · · ⊕ gn (xn )
pour toutes les positions x = (x1 , x2 , . . . , xn ) du jeu J , où ⊕ est la somme de Nim.
Exemple 19. On considère le jeu à trois tas de respectivement 9, 10 et 14 jetons pour lequel
l'ensemble soustractif est diérent pour chaque tas, à savoir S1 = {1; 2; 3} pour le tas de gauche,
S2 = {1; 2; 3; 4; 5} pour le tas central et S3 = {1; 2; 3; 4; 5; 6; 7} pour le tas de droite. Comme
à l'usuel, on choisit à tour de rôle un tas et eectue un mouvement autorisé sur celui-ci, le
premier à ne plus pouvoir jouer a perdu.
Quel joueur possède-t-il une stratégie gagnante (le jeu commence-t-il dans une P- ou une N-
position) ? Proposer des mouvements gagnants.
Le premier jeu est un jeu soustractif avec S1 , ainsi g1 (x) = x mod (4). Le second et le
troisième jeu sont soustractifs également, mais avec les ensembles soustractifs S2 , respectivement
S3 , donc g2 (x) = x mod (6) et g3 (x) = x mod (8).
On peut donc calculer

g((9, 10, 14)) = g1 (9) ⊕ g2 (10) ⊕ g3 (14) = 1 ⊕ 4 ⊕ 6 = 3.

Il s'agit d'une N-position et le premier joueur a une stratégie gagnante. Pour la trouver, on
considère la dernière égalité du calcul précédent
110 = 0012
410 = 1002
⊕ 610 = 1102
310 = 0112

On veut donc changer le 1102 en 1012 , c'est-à-dire 610 en 510 .


Il faut alors modier la pile de droite en x tel que x < 14 et g3 (x) = x mod (8) = 5. On
en déduit que x ∈ {5; 13}, ce qui correspond à retirer 9 ou 1 jeton de la pile de droite. Comme
S3 = {1; 2; 3; 4; 5; 6; 7}, seul le mouvement "retirer un jeton de la pile de droite" est autorisé ;
c'est un mouvement gagnant.
On constate que les nombres 110 , 410 et 610 sont des nombres de Grundy et non un nombre
de jetons, on peut donc envisager une modication "à la hausse" de ceux-ci pour obtenir une
somme de Nim nulle. On peut modier 0012 en 0102 ou 1002 en 1112 , c'est-à-dire 110 en 210
dans J1 ou 610 en 710 dans J2 .

17
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

Pour J1 , on cherche x tel que x < 9 et g1 (x) = 2. On obtient x ∈ {2; 6}, mais S1 = {1; 2; 3}
ne laisse que l'option "retirer 3 jetons dans la pile de gauche".
Pour J2 , on cherche x tel que x < 10 et g2 (x) = 7, ce qui n'est pas possible.
Tous les mouvements gagnants possibles pour le premier joueur sont donc
(9, 10, 14) −→ (9, 10, 13) ou (9, 10, 14) −→ (6, 10, 14).
On comprend aisément qu'il ne sera pas systématiquement demandé de dresser la liste
exhaustive des mouvements gagnants.
Démonstration : Soit x = (x1 , x2 , . . . , xn ) une position quelconque du jeu J . On notera alors b
le nombre obtenu par le calcul g1 (x1 ) ⊕ g2 (x2 ) ⊕ · · · ⊕ gn (xn ).
Nous devons démontrer deux choses :
1. Pour tout entier non négatif a < b, il existe un successeur de x = (x1 , x2 , . . . , xn ) qui a
pour nombre de Grundy égal à a.
2. Aucun successeur de x = (x1 , x2 , . . . , xn ) n'a pour nombre de Grundy le nombre b.
Ces deux points assurent que
g(x) = g((x1 , x2 , . . . , xn )) = mex({g(successeurs de x)}) = b.
Si x n'a pas de successeur, alors g1 (x1 ) = g2 (x2 ) = · · · = gn (xn ) = 0 et 0 ⊕ 0 ⊕ · · · ⊕ 0 = 0, donc
g(x) = 0.
Démontrons 1.
Soit a ∈ N avec a < b. Appelons d la somme de Nim de a et b, à savoir d = a ⊕ b. Pour
eectuer cette somme, on a décomposé a et b en base 2. On note k le nombre de chires de
la décomposition binaire de d. On est alors assuré que 2k−1 ≤ d < 2k et que d = |1 · ·{z· · ·}· 2 ,
k chires
c'est-à-dire la k ème position (la position la plus à gauche) de d est un 1. En eet comme a < b,
on est assuré que a 6= b et donc d 6= 0. De plus, puisque a < b, b admet aussi k chires dans sa
décomposition en base 2 et a en a au plus k − 1, car 1 = 1 ⊕ 0. Ainsi b a un 1 et a un 0 dans
la k ème position.
Par dénition de b, il existe au moins un xi tel que l'expression binaire de gi (xi ) possède un
1 dans la k ème position. En eet, on constate
g1 (x1 ) = = · · · · · · ·2
g2 (x2 ) = = · · · · · · ·2
..
.
⊕ gn (xn ) = = · · · · · · ·2
b = 1 · · · · · ·2
qu'il doit y avoir un nombre impair de 1 dans la colonne k . Pour simplier, on suppose qu'il
s'agit de g1 (x1 ).
d = 1 · · · · · ·2
Ainsi ⊕ g1 (x1 ) = 1 · · · · · ·2 c'est-à-dire d ⊕ g1 (x1 ) < g1 (x1 )
g1 (x01 ) = 0 · · · · · ·2 < g1 (x1 ) = 1· · · · · · ·2
et donc, il existe un mouvement de x1 vers x01 tel que g1 (x01 ) = d ⊕ g1 (x1 ) qui est autorisé

18
2021-22 Théorie des jeux 2OsPm2

dans le jeu J , car légal dans J1 et ne modiant aucun des J2 à Jn . Ce coup est transformer
x = (x1 , x2 . . . , xn ) en x0 = (x01 , x2 . . . , xn ).
On a alors g(x0 ) = g1 (x01 )⊕g2 (x2 )⊕· · ·⊕gn (xn ) = d⊕g1 (x1 )⊕g2 (x2 )⊕· · ·⊕gn (xn ) = d⊕b = a,
c'est-à-dire on a trouvé un successeur x0 de x tel que g(x0 ) = a et ce pour tout entier a < b.
Démontrons 2.
On procède par l'absurde et on suppose qu'il existe x0 un successeur de x = (x1 , x2 , . . . , xn ) tel
que g(x0 ) = b. Par ailleurs, sans perte de généralité, on assume que le mouvement a lieu dans
le jeu J1 , ainsi on peut écrire x0 = (x01 , x2 , . . . , xn ) pour le successeur de x.
Ainsi g(x0 ) = g1 (x01 ) ⊕ g2 (x2 ) ⊕ · · · ⊕ gn (xn ) = g1 (x1 ) ⊕ g2 (x2 ) ⊕ · · · ⊕ gn (xn ) = g(x) et en
simpliant l'équation (⊕g2 (x2 ) ⊕ · · · ⊕ gn (xn )), on obtient g1 (x01 ) = g1 (x1 ).
C'est absurde par dénition de la fonction de Grundy dans un jeu puisqu'aucune position ne
peut avoir de successeur avec un même nombre de Grundy.
Ainsi le résultat est démontré.
Remarque : Une conséquence de ce théorème est que tout jeu combinatoire impartial,
lorsqu'il est considéré en tant que partie d'une somme de jeux, se comporte comme un jeu de
Nim. Ce qui signie qu'il est équivalent à un Jeu de Nim à un tas de taille g(x). En conclusion,
tout jeu combinatoire impartial est équivalent à un jeu de Nim.

8.1 Plus loin sur les jeux impartiaux

Nous présentons ici deux théorèmes fondamentaux à propos des jeux impartiaux sans dé-
monstrations. Ces deux théorèmes mettent en évidence la position centrale des jeux de Nim
dans la théorie des jeux impartiaux.
Théorème : Soit J joué avec une collection nie de nombres entiers de (0, 1, 2, 3, · · · ) de la
façon suivante : Chaque coup aecte uniquement un de ces nombres et ne change que ce dernier.
Toute baisse d'un nombre est toujours possible grâce à un coup légal, mais quelques hausses
peuvent aussi être possibles. Pourtant, les règles du jeu sont construites de façon à assurer que
ce jeu nisse.
Alors, n'importe quel résultat depuis n'importe quelle position de J est la même que la
position correspondante dans un jeu de Nim.
Théorème de Grundy : Chaque position d'un jeu combinatoire impartial ni est équivalente
à un jeu de Nim avec une seule pile.

19

Vous aimerez peut-être aussi