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Les cheveux

Signe et signifiant
Springer
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Gérard Tilles
Françoise Gründ

Les cheveux
Signe et signifiant
Gérard Tilles
Bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis
1, avenue Claude-Vellefaux
75475 Paris Cedex 10

Françoise Gründ
La Rignière
35320 Tresboeuf

ISBN : 978-2-8178-0316-6 Springer Paris Berlin Heidelberg New York

© Springer-Verlag France, 2013

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à la littérature existante.

Maquette de couverture : Jean-François Montmarché


Mise en page : Nord Compo, Villeneuve d’Ascq
Illustrations de couverture :
– de la 4e : coll. bibliothèque interuniversitaire de santé, Paris
– de droite : Fotolia, Girl with creative hairstyle © Anton Maltsev 40311490
– du milieu : coll. bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis, Paris
– de gauche : Fotolia, Cancer patient undergoing chemotherapy-looking sideways © Eireann 42468006
Remerciements

Cet ouvrage est pour moi l’occasion de remercier à nouveau l’équipe de la biblio-
thèque Henri-Feulard (hôpital Saint-louis), Françoise Durand, Sylvie Dorison, qui
a facilité les recherches documentaires. Je remercie également Mr Guy Cobolet qui
a permis la reproduction des gravures issues du fonds de la bibliothèque interuni-
versitaire de Santé.
Gérard Tilles
Sommaire

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

I. Les malades du cheveu-Histoires d’exclusion . . . . . . . . . . 13


1. La métamorphose des pliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Plica polonica, une étrange « maladie » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Plica polonica ou plica hysterica . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Le nouveau visage des pliques :
cosmétique et valorisation sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2. Les enfants malades de la teigne
De l’abandon médical à l’obsession hygiéniste . . . . . . . . . . . . . 31
Les enfants teigneux abandonnés aux guérisseurs. . . . . . . . . . . 31
Entre abandon médical et obsession hygiéniste :
premières interventions médicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
L’école, lieu d’apprentissage de l’hygiène
et d’observation sanitaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Une école pour enfants teigneux :
progrès sanitaire ou modèle d’exclusion ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
Les enfants malades des teignes,
victimes d’expérimentations hasardeuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3. Les enfants malades de la pelade :
« dans le doute, excluons » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

4. Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu . . . . . . . . . . . . 61


Premiers constats d’exclusion sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Perdre ses cheveux : une maladie de la communication. . . . . . 63
8 Les cheveux

Mesurer la qualité de vie des malades du cheveu :


précautions méthodologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Alopécie androgénique et perturbations psychologiques. . . . . 67
Chute de cheveux et malades du cancer :
un modèle particulier d’étude de qualité de vie . . . . . . . . . . . . . 70

II. Des cheveux sur la tête : importance,


valorisation, aliénation, chez différents peuples . . . . . . 73
1. La chevelure, marqueur d’identité individuelle
et sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
La problématique identitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Un marqueur social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
Troubles de l’identité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
2. « La belle qui peigne ses cheveux d’or… » . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
La valeur matérielle des cheveux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Valeur artistique de la chevelure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
L’usage des perruques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
3. Fantasmes et pouvoirs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Pouvoir érotique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Virilité et puissance politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Magie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Les cheveux et le langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Des matières innombrables, pour le soin des cheveux . . . . . . . 108
Panoplie d’ustensiles pour les cheveux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Coiffures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Introduction

Suffirait-il d’arpenter les villes et d’observer le crâne des passants pour tirer
nombre de réflexions sur la richesse ou la précarité du pays, son ouverture ou son
enfermement, la liberté de ses habitants, leur sens esthétique, leurs désirs et leurs
frustrations ? Il semble bien que la chevelure, ce toit du corps, fournisse, dans bien
des cas, des indications privilégiées1. Paris, Rome, Amsterdam, Berlin, New York
ou Melbourne, cités changeantes et animées, voient défiler des têtes d’une grande
variété, à la manière de théâtres de marionnettes géantes. Les chevelures colorées
des hommes comme des femmes, la nature de leurs toisons, leurs textures lisses,
bouclées, frisées, crépues, leur abondance, leur disposition sur la tête et autour
du visage sont autant d’informations sur l’origine, la condition, l’état de santé,
de milliers d’individus qui se côtoient, s’ignorent et quelquefois se mêlent. Les
cheveux, à la coupe plus ou moins longue, de certains hommes voisinent avec les
queues de cheval, les crânes rasés, avec les mèches supérieures, teintes et rabattues
sur le haut du front. Les boucles courtes des femmes côtoient les longues crinières
des jeunes filles et les toisons méticuleusement défrisées des Africaines et des
Caribéennes. La cité européenne donne ainsi un aperçu immédiat de sa diversité.
La ville japonaise, avec ses quartiers à la mode, s’approche de cette complexité.
Les adolescents, s’opposant à leurs parents, choisissent les coupes et les couleurs
les plus insolites. Et les tignasses vertes, jaune citron ou mauves, forment des
visions inattendues, faites, presque toujours, pour afficher la rébellion. En Inde,
en Chine, en Colombie ou au Mexique, les individus semblent plus uniformisés,
leurs cheveux et leurs arrangements capillaires se répartissant en quelques modèles
presque constants. Dans une certaine mesure, les villes africaines montrent, elles
aussi, une certaine conformité, les individus répondant à des habitudes anciennes
ou à des normes nouvelles : cheveux crépus ou lissés à l’européenne, crâne rasé des
hommes, à l’imitation des sportifs.
À l’automne 2010, la cinémathèque française de Paris proposait une exposition,
Brune/Blonde, orientée vers les fonctions érotiques de la chevelure, surtout féminine,
dans la culture occidentale, au travers de peintures, de photographies et de films.
L’événement culturel qui mettait l’accent sur une partie du corps humain et ses
fonctions relationnelles, prenait en compte une préoccupation majeure du passé
comme du présent : le paraître, souligné par un de ses atouts essentiels. La cheve-
lure, ainsi mise au premier plan, révélait de multiples caractéristiques, dont certaines

1. Dans un ouvrage récent, M.F. Auzépy et J. Cornette montrent bien la valeur « signe », sociale ou
politique, du poil ou du cheveu. Histoire du poil sous la direction de Marie-France Auzépy et Joël
Cornette (2011), Belin, Paris.
10 Les cheveux

peuvent apparaître insolites, étranges voire inquiétantes. Une réflexion sur ce que
signifie ou représente la chevelure ou les cheveux (en soulignant la différence), dans
diverses cultures, ne manquera pas d’apporter points de vue et interrogations, sur
des comportements, induits par les déterminants et modifications multiples de cet
élément corporel. Partout, les cheveux, plus encore que les vêtements, sont destinés
à attirer le regard. La vue, mais aussi le toucher ou l’odorat et parfois l’ouïe vont
se trouver activés, la plupart du temps par une démarche volontaire de l’individu
ou d’un groupe de population. L’histoire, l’anthropologie et, plus récemment, la
psychanalyse fournissent de multiples informations sur les comportements induits
et l’attention apportée à la chevelure. Il ressort de ces observations que, quels que
soient les pays et les cultures, elle reste un signe social essentiel.
À côté des significations multiples qui s’attachent aux modifications volontaires de la
chevelure, la vie en société peut être fortement altérée par les changements d’appa-
rence, conséquences non de choix esthétiques mais de maladies du cheveu. Il ne
s’agit plus dans ces circonstances de valorisation, d’affirmation de soi, d’embellis-
sement ou d’exclusion volontaire. L’histoire de la dermatologie fournit des modèles
de stigmatisation et d’exclusion sociale dont les malades du cheveu furent victimes.
Parmi ces modèles, trois, particulièrement signifiants, sont décrits et analysés dans
cet ouvrage : l’un mal connu, les pliques, les autres moins ignorés : les teignes et la
pelade qui leur fut longtemps rattachée.
Étranges altérations des cheveux, les pliques furent considérées comme d’authen-
tiques maladies jusque dans la seconde moitié du xixe siècle. Des médecins,
parcourant l’Europe dans les armées de l’Empire, décrivirent ces pliques comme
une spécificité polonaise au point de dénommer la « maladie » plica polonica.
Quelques décennies plus tard, d’autres auteurs dénationalisèrent les pliques et
les rattachèrent à une pathologie mentale. Après avoir été qualifiées « polonica »,
elles devinrent « hysterica » jusqu’à ce que, dans les années 1850, des raisonne-
ments écartant préjugés et interprétations abusives amenèrent à ne plus consi-
dérer les pliques comme une maladie mais comme la conséquence d’un simple
manque d’hygiène. On aurait pu croire terminée cette histoire si, depuis quelques
décennies, des observations sporadiques ne s’efforçaient de ressusciter les pliques-
maladies dans des contextes culturels, on le verra, particuliers. Enfin, par un revire-
ment inattendu de l’histoire, les pliques, longtemps stigmates de relégation sociale,
sont devenues un ornement (dreadlocks), marque de l’estime de soi, de l’attention
portée à une hygiène soigneuse des cheveux, bien éloignée de ce qui en faisait
la définition originelle. Ainsi, alors que l’histoire médicale des pliques apparaît
surtout comme une supercherie à laquelle adhérèrent de nombreux médecins, du
point de vue social cette histoire se révèle riche de significations associant exclu-
sion, superstition, xénophobie et récemment valorisation.
Comparée à celle des pliques, l’histoire médicale des teignes est dense. Elles
furent les premières maladies cutanées – du cuir chevelu et du cheveu – au cours
desquelles il fut possible d’identifier une cause externe, visible au microscope. Dès
lors, la découverte de l’origine mycosique des teignes ramena les enfants teigneux
– auparavant abandonnés aux guérisseurs – sous le regard médical. Traiter ces
enfants devint l’affaire des médecins. La vie sociale des petits malades restait
toutefois hypothéquée par leur maladie contagieuse et affichante. Les premières
Introduction 11

années de la IIIe République furent contemporaines d’une évolution détermi-


nante. L’instruction obligatoire pour tous interdisait de laisser quiconque à l’écart
de ce progrès social. L’exclusion scolaire des enfants teigneux n’était plus accep-
table. Dans le même temps, les découvertes des pasteuriens en montrant que des
microbes étaient la cause de maladies soulignaient l’importance de l’hygiène. Les
écoles furent utilisées comme des bases avancées pour assurer aux enfants un corps
sain autant qu’un esprit sain. Le malade contagieux était décrit comme le propa-
gateur d’agents de destruction massive qu’il importait de mettre à l’écart. Dans
ce climat, les enfants malades de la teigne, auparavant privés d’éducation et de
socialisation, furent l’objet à la fois d’une volonté d’intégration socio-éducative et
d’une forme d’isolement dans des écoles d’un genre nouveau, conjuguant éduca-
tion et soins. À l’aube du xxe siècle, des médecins se spécialisaient en mycologie,
discipline nouvelle, laissant penser que des savoirs particuliers étaient requis pour
soigner les teignes. L’utilisation hasardeuse des rayons X jusque dans les années
1950 en accentuant la complexité du traitement contribua à dramatiser les teignes,
maladies pourtant bénignes2.
Aujourd’hui, les pliques ont disparu et leurs versions modernes, les dreadlocks, ne
se portent plus comme un stigmate d’exclusion mais au contraire une affirmation
de soi. Les teignes bénéficient d’un traitement efficace, court et sans danger qui
en assure la guérison. L’exclusion scolaire, autrefois la règle, n’est plus prononcée.
Qu’il s’agisse des pliques ou des teignes, les médecins ne restaient pas indifférents
aux conditions de vie que ces maladies imposaient à ceux qui en étaient atteints,
enfants comme adultes. Il n’était toutefois pas question d’apprécier – encore moins
d’évaluer au sens actuel du terme – le retentissement social des maladies du cheveu.
Aujourd’hui, l’attention pour les relations sociales des maladies du cheveu s’est
déplacée vers deux autres tableaux caractérisés par la perte de tout ou partie de la
chevelure : l’alopécie androgénique et la pelade dont l’histoire sociale a longtemps eu
des liens de parenté étroits avec les teignes. À côté de ces maladies qui font le quoti-
dien de la pratique des dermatologues, une autre situation met en évidence les liens
sociaux du cheveu malade ou absent dans un contexte médical lourd : les alopécies
induites par les chimiothérapies anticancéreuses responsables, dans ce contexte très
particulier, de lourdes conséquences psychosociales sur la vie des malades.
Depuis quelques années les maladies de la peau et des cheveux constituent un
terrain d’étude privilégiée pour les mesures de qualité de vie. Ces mesures, inter-
prétées avec précaution, apportent d’utiles précisions sur la nécessité de ne pas
sous-estimer l’éventuel retentissement psychologique des maladies du cheveu. La
plupart des travaux soulignent, on le verra, à quel point les alopécies véhiculent
des éléments de communication négative.
Au terme de cet ouvrage rédigé dans une approche complémentaire par une
ethnologue et un dermatologue, les lecteurs auront trouvé matière à enrichir leur
réflexion sur la place de la chevelure et la signification de ses changements.

2. Tilles G (2008) Teignes et teigneux. Histoire médicale et sociale. Springer, Paris.


I

Les malades du cheveu


Histoires d’exclusion

Gérard Tilles
La métamorphose des pliques
1

« Plique polonaise : si l’on coupe les cheveux, ils saignent. »


Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert

Premier chirurgien de la Garde Impériale, Dominique Larrey (1766-1842), qui


suivit la Grande Armée à travers l’Europe, profita de la campagne de Pologne
pour employer les « momens (sic) de loisir que (lui) laissaient (ses) devoirs » pour
étudier ce qui était alors considéré comme une maladie des cheveux : la plique
polonaise3, 4.

PLICA POLONICA, UNE ÉTRANGE « MALADIE »


Les premiers signes de ce tableau que de nombreux médecins considéraient
comme endémique en Pologne associaient asthénie, perte d’appétit, douleurs articu-
laires, fièvre, sécheresse diffuse de la peau. De manière très étrange, à un moment
variable de l’évolution, les sujets atteints racontaient que leurs cheveux « devien-
nent douloureux, s’épaississent, se tuméfient, s’entrelacent, s’entortillent, forment des
mèches séparées ou des masses énormes » (fig. 1 à 5). Encore plus curieusement, la
coupe de ces cheveux entremêlés était « accompagnée (…) d’effusion de sang ou
d’humeurs sanguinolentes et visqueuses ». À ce phénomène pour le moins surpre-
nant s’associaient d’autres manifestations aiguës : exostoses crâniennes, tumeurs
articulaires, ulcères sur les organes génitaux, les mains et la tête.
Pour les médecins de l’époque, ce tableau clinique évoquait immanquablement
la syphilis dans une forme proche de celle observée au début du xvie, lorsque
les trois stades de la maladie survenaient en quelques semaines, parfois même de
manière quasi simultanée. Le mercure, référence des traitements de la syphilis,
était d’ailleurs reconnu comme l’un des traitements de la plique5.
Considérée comme un signe de syphilis, la plique désignait alors celui qui en était
porteur comme faisant « commerce des deux sexes dans la classe des individus
errans (sic), de mauvaise vie et surtout parmi les habitans (sic) des villes et des

3. Larrey DJ (1812) Mémoires de chirurgie militaire et campagnes. Paris, chez J. Smith et chez F.
Buisson, tome III, p. 21 ; 34.
4. www.cheminsdememoire.gouv.fr/page/affichegh.php?idGH=521&idLang=fr
5. Tilles G, Wallach D (1996) Le traitement de la syphilis par le mercure : une histoire thérapeutique
exemplaire. Hist Sci Med tome XXX ; 4 : 501-10.
16 Les cheveux

1 2 3
4 5

Fig. 1 à 5 – De Lafontaine PL
(1808) Traité de la plique polo-
naise. Paris, chez Méquignon
l’aîné, coll. bibliothèque inter-
universitaire de santé, Paris.

bourgs où ce commerce est fréquent ; ce qui fait que les Juifs et les artisans des villes
en sont le plus souvent attaqués. Par la même raison, on trouve plus rarement la
plique chez les seigneurs et les habitans (sic) des campagnes » lesquels, plus prompts
à se soigner, étaient moins atteints par la plique.
Cela dit, Larrey, observateur attentif, ne se laisse pas abuser. Examinant « cette
affection avec soin [il] prit tous les renseignements nécessaires auprès des médecins
du pays […] et des malades eux-mêmes pour concevoir d’avance qu’elle n’était
que factice et qu’on pouvait sans aucun inconvénient la faire disparaître6 ». Il en
conclut que la plique n’est pas « une vraie maladie des poils et des cheveux ainsi que
l’assurent presque tous les voyageurs et les médecins qui ont écrit sur les maladies
endémiques en Pologne7. En réalité, elle ne dépend que « du peu de soin que les
Juifs polonais ou autres personnes de cette classe donnent à leur chevelure, de leur
malpropreté, de leur insouciance et des moyens qu’ils emploient pour faire mêler
leurs cheveux et les constituer en plique ».

6. Larrey DJ (1812) op. cit., p. 21 ; 34.


7. Larrey DJ (1812) op. cit., p. 99.
La métamorphose des pliques 17

Le 25 mars 1807, Larrey adresse au secrétaire général de la Société médicale d’émula-


tion un mémoire sur cette « prétendue maladie » dans lequel il se déclare convaincu
que la plique « est une affection locale factice » sans aucune vertu bénéfique sur
l’évolution d’autres maladies ; elle n’est que la conséquence de la malpropreté et de
« préjugés enfantés par la crainte et le charlatanisme ». Larrey est d’ailleurs persuadé
que, là comme ailleurs, les bienfaits apportés par l’armée d’occupation ne tarderont
pas à faire disparaître ces croyances et que « les lois que l’on vient d’instituer en leur
faveur [des Polonais], en détruisant les servitudes sous laquelle (sic) vivaient les deux
tiers des Polonais, dissiperont les préjugés : on arrêtera la cupidité des empiriques et
l’on établira, parmi ces peuples, cette émulation qui doit les porter à leur conservation
et au perfectionnement de leur éducation physique et morale. »
Autre témoignage, celui de Chamseru, Officier de Santé de l’Armée Impériale, lui
aussi troublé par cette mystérieuse plique dont il eut le loisir de voir quelques cas
pendant un séjour à Posen au cours de l’hiver 1806-18078. « Le manouvrier que
j’ai rencontré le premier atteint de cette hideuse maladie avait environ 30 ans. Sous
un bonnet épais et profond tout fourré en dedans il cachait une forêt de cheveux
châtains, collés d’une sueur grasse, pleine de vermine et flottant autour des oreilles et
du col par une vingtaine de mèches. […] C’est à cette distribution assez symétrique
du bas de la chevelure que je crus, d’assez loin, reconnaître une plique en pleine rue.
[…] Je n’avais point encore eu l’idée de la maladie autrement qu’en peinture ou par
tradition. Avant que de quitter Paris je l’avais étudiée sur un beau dessin qu’en avait
fait exécuter le docteur Alibert. […] Ce qui doit principalement fixer l’attention,
c’est le mélange inextricable de cheveux. En parcourant le tour de la tête on voit où
commence cette confusion qui paraît prendre naissance à l’extrémité inférieure du
cheveu. De sorte qu’avec le tems (sic), de bas en haut, les premiers bouts s’accrochent
et les mèches viennent à grossir à mesure que de proche en proche et en remontant
à une certaine distance des racines, sans s’y confondre, le tout continue de se tresser
irrégulièrement et offre la texture du feutre. »
Comme Larrey, Chamseru rejette les explications fantaisistes et rattache la plique
à l’absence d’hygiène des cheveux. Dans ces conditions, quelques conseils élémen-
taires d’hygiène constituent le remède de bon sens de cette fausse maladie : « Je
ne doute pas un instant que la saleté soit la cause première de toutes les pliques et
qu’il n’y ait lieu d’opposer avec succès à une telle endémie 1° le changement de la
coëffure (sic), des bonnets bien plus légers, toujours assez chauds et que l’on puisse,
renouveler, lessiver et nettoyer, 2° le soin le plus scrupuleux de la chevelure. » Quant
à l’existence d’une période plus propice à la coupe de la plique, Chamseru n’y voit
lui aussi que divagations : « On admet d’un autre côté qu’il est une époque où la
plique ancienne peut être coupée sans danger, c’est lorsqu’elle est mûre c’est-à-dire
bien suante, bien huileuse et bien sale. Un tel problème n’est-il pas des plus extrava-
gans (sic) ? […] je crois cette idée de maturité absolument arbitraire et chimérique.
[…] mon avis est de passer outre pour élaguer promptement de la chevelure ce que
le peigne ne peut démêler, détruire la vermine, nettoyer la tête et tenir d’ailleurs les
cheveux assez courts pour ce que tels ils ne se pliquent plus. »

8. Chamseru (1806-1807) Observations sur la plique de Pologne. Manuscrit conservé par la Biblio-
thèque Inter Universitaire de Médecine, Paris-Descartes p 6 ; 8.
18 Les cheveux

En résumé, le « vrai caractère (de la plique) consiste en ce que les cheveux se mêlent
1 et se mastiquent comme le feutre ou l’étoffe d’un chapeau. La chaleur des bonnets
fourrés, la malpropreté, la misère ont donné naissance à cette endémie. Changer la
coëffure (sic), couper les cheveux pliqués, tenir les cheveux assez courts et la tête bien
peignée sont des moyens indiqués pour préserver et pour guérir. » Enfin, comme
Larrey, Chamseru assure que si les mesures de propreté ne suffisent pas, le génie
napoléonien pourvoira au reste : « beaucoup de maux physiques s’aggravent et se
perpétuent à raison des maux politiques. C’est à la pensée, au génie, à la volonté du
souverain, à l’énergie du pouvoir, à des institutions perfectionnées d’y apporter le
remède 9 ».
Loin des champs de batailles napoléoniennes, la référence dermatologique
européenne est à Paris. À l’hôpital Saint-Louis, Jean-Louis Alibert (1768-1837)
pose les fondations de l’École française de dermatologie10. Dans le cadre d’une
révision de la nomenclature et de la nosologie dermatologiques, la plique devient
dans l’œuvre d’Alibert, le trichome dont il distingue deux formes : le vrai et le faux
trichome, classés dans le groupe confus des dermatoses teigneuses11.
À côté du faux trichome, « accident de malpropreté [qui] n’a guère lieu que chez
les individus naturellement pourvus d’une grande chevelure et qui négligent de
l’entretenir par des soins convenables » – comme l’écrivaient avec raison ceux
qui l’avaient observé de près en Pologne –, Alibert se démarque de ses confrères
médecins-militaires et affirme l’existence d’un vrai trichome, d’une plique-maladie
qui peut survenir « au milieu du luxe et l’opulence, malgré les bains, les ablutions »
et ne se rencontrerait ni en France, ni dans les pays chauds. Alibert qui affirme en
avoir vu deux cas en publie cinq gravures (fig. 6 à 10).
Selon Alibert, la survenue de ce trichome vrai est précédée par quelques prodromes
proches de ceux observés par Larrey et Chamseru, associant asthénie, sensation
d’engourdissement des membres, douleurs articulaires, « tintement d’oreilles,
céphalalgie atroce ». Si on en croit Alibert, une fièvre vespérale et nocturne
accompagne ces symptômes et souvent disparaît le matin avec une forte sudation,
« visqueuse, gluante, fétide ». L’altération des cheveux survient alors de manière
déconcertante : « les cheveux se mêlent, s’agglutinent, se séparent en faisceaux ;

9. Chamseru (1806-1807) op. cit., p. 15 ; 16.


10. Sur Alibert, on pourra lire : Jean-Louis Alibert (1768-1837), fondateur de la dermatologie française,
médecin-chef de l’hôpital Saint-Louis, premier médecin ordinaire des rois Louis XVIII et Charles X,
Membre de l’Académie de Médecine, Société des Amis de Villefranche et du Bas Rouergue, 1987.
Brodier L (1923) JL Alibert, Médecin de l’hôpital Saint-Louis (1768-1837) Maloine, Paris. Alfaric A
(1917) JL Alibert, fondateur de la dermatologie en France. Paris, JB Baillière. Brunel O (1977) L’ensei-
gnement de la dermatologie à l’hôpital Saint-Louis au xixe siècle. Thèse pour le doctorat en médecine,
Paris, Faculté Saint-Antoine. Wallach D (2000) « Jean-Louis Alibert » Clin Exp Dermatol 25 : 82-95.
Tilles G (2001) La vie et l’œuvre de Jean-Louis Alibert (1768-1837) In : Bicentenaire de la spécialisation
de l’hôpital Saint-Louis, 1801-2001. Assistance publique Hôpitaux de Paris-Société française d’histoire
de la dermatologie, Paris, p 19-30.
11. À côté de la dénomination plica polonica (plique polonaise), on trouve encore plica mas, plica
femina, plica filia et les traductions polonaise, lithuanienne et allemande de ces termes. Alibert JL
(1832) Monographie des dermatoses. Paris, Daynac, p 323. Sur la nomenclature confuse des teignes
– auxquelles Alibert rattache les teignes – et leur cadre nosologique, on pourra lire Tilles G (2008)
Teignes et teigneux. Histoire médicale et sociale. Paris, Springer.
La métamorphose des pliques 19

6 7 8
9 10

Fig. 6 à 10 – Alibert JL (1833)


Clinique de l’hôpital Saint-
Louis. Traité complet des mala-
dies de la peau. Paris, Cormon
et Blanc, coll. bibliothèque
Henri-Feulard, hôpital Saint-
Louis, Paris.

on les voit s’arranger en petites cordes tournées en spirales, en sorte que la tête
paraît quelquefois environnées d’un amas de couleuvres effrayantes qui rappellent
l’existence fabuleuse des Gorgones. […] On voit quelquefois les cheveux se hérisser,
comme les poils d’une bête fauve ou comme les soies qui se dressent le long du cou
des pourceaux et des sangliers12 ».
Le tableau clinique qu’Alibert donne de la plique est ainsi conforme à ce que décri-
vait Larrey. Toutefois, différence essentielle, là où Larrey et Chamseru ne voyaient
que la conséquence banale de la saleté, Alibert lui voit une maladie authentique
des cheveux. Selon lui, il s’agit de la conséquence d’une sécrétion particulière qui
« effectue ses crises vers le cuir chevelu […] la matière visqueuse qui colle et agglu-
tine le système pileux est une excrétion, le plus souvent salutaire dont on ne saurait
arrêter le cours sans impunité13 ». Il affirme que les extrémités des cheveux laissent
échapper « une sorte de rosée ou vapeur qui se déposait ou se condensait dans leurs
interstices. Cette matière est ichoreuse et sanguinolente. L’odeur en est très fétide ;
elle a du rapport avec celle de la graisse rancie. […] Un médecin polonais prétend

12. Sur le vocabulaire utilisé par Alibert pour décrire les maladies, on pourra lire Pasquinelli E (2001)
Corps de l’observateur et corps observé. La représentation esthétique dans la dermatologie de Jean-
Louis Alibert (1768-1837), Mémoire de DEA de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris.
Tilles G (2011) Dermatologie des xixe et xxe siècles. Mutations et controverses. Paris, Springer.
13. Alibert JL (1832) op. cit. p. 332.
20 Les cheveux

avoir vue chez une demoiselle une plique aux aisselles qui était très aromatique et
1 qui répandait le parfum de l’ambre14 ».
En outre, Alibert fait observer que si les cheveux sont le siège habituel de la plique,
les autres zones pileuses peuvent être atteintes, aisselles, barbe, pubis. Alibert
ajoute que, de manière inattendue, les chauves ne sont pas même épargnés par
cette maladie des cheveux. En cas de calvitie, la maladie atteint les ongles qui
deviennent « jaunâtres, livides, noirs ou quelquefois crochus15 ». Quelques années
auparavant, De Lafontaine avait lui aussi publié une observation de plique des
ongles (fig. 11 et 12).
Illustrant sa conception de ce qu’il considère comme une maladie, Alibert publie
l’observation édifiante de Thomas Quart, dit le Gueux, « polonais, né à Belséjour,
village voisin de Varsovie, d’une femme du pays et d’un français qui était attaché
au service du roi Stanislas, en qualité de tapissier. Quart était âgé de quarante-cinq
ans, très robuste, d’une constitution marquée par la prédominance bilieuse ; il avait
un air sinistre et était toujours affamé ; sa barbe était longue et touffue ; ses sourcils
épais et arqués lui donnaient un aspect sombre et farouche. Il s’occupait continuel-
lement à ramasser des chiffons dans les rues ou demandait l’aumône, quand cette
ressource ne lui suffisait pas pour vivre. Thomas Quart, doué d’un physique vérita-
blement pittoresque, semblait se complaire dans une malpropreté dégoûtante ; il
aimait passionnément à boire et à s’enivrer ; et lorsqu’il avait un peu plus d’argent
qu’à l’ordinaire, il consumait en un instant la somme qui aurait pu le faire subsister
pendant plusieurs jours. Il avait une aversion invincible pour le travail, trouvant
d’ailleurs sa condition très heureuse […] Thomas Quart avait éprouvé vers l’âge
de trois ou quatre ans une teigne muqueuse très abondante qui avait provoqué la
chute de tous ses cheveux. Cependant avec le temps ils repoussèrent, et, lorsqu’ils
eurent atteint une longueur considérable, ils se pliquèrent. La révolution de Pologne
survint : cet homme se réfugia en France à l’âge de dix-huit ans, pour y exercer l’état
de son père. Vers le même temps il se laissa choir du haut d’un arbre ; on le porta
à l’Hôtel-Dieu. À peine fut-il rétabli de son accident, qu’il prit le parti de se faire
ermite dans la forêt de Sénart. L’ordre du couvent dans lequel il entra n’admettant
ni les cheveux ni la barbe, on le rasa. Il resta dans cette solitude jusqu’à l’âge de
trente ans, s’occupant des travaux de la campagne. Mais voici une autre chaîne de
malheurs : son monastère ayant été détruit au commencement des troubles politiques
qui vinrent agiter la France, il tomba dans la plus affreuse indigence. Le peu de soins
qu’il prit de sa tête, et la honteuse crapule dans laquelle il vécut depuis ce temps, le
replongèrent dans un abîme de maux. Les douleurs céphaliques recommencèrent,
et le malade éprouva un tiraillement, une raideur dans tout le cuir chevelu, qui
l’empêchait de mouvoir son cou. Il prit alors la résolution de se faire couper les
cheveux et la barbe, ce qui s’exécuta sans accident fâcheux […] La première fois
que je le vis, il avait uniquement, autour de sa tête, une couronne composée de
cinquante mèches pliquées, mêlées et agglutinées, au moyen d’une matière grasse,
onctueuse et très fétide. […] Il exhalait une odeur si repoussante que personne ne
voulait le loger […] sa voix était faible et rauque […] il expectorait sans effort une

14. Alibert JL (1832) op. cit. p. 326.


15. Alibert JL (1832) Monographie des dermatoses. Paris, Daynac, p. 325.
La métamorphose des pliques 21

11 12

Fig. 11 à 12 – De Lafontaine PL (1808) Traité de la plique polonaise. Paris, chez Méquignon l’aîné,
coll. bibliothèque interuniversitaire de santé, Paris.

matière puriforme […] sa peau était devenue sale et comme terreuse depuis qu’il
couchait sur des fumiers. Il fut un temps moins malheureux pour son existence, où
il s’avisa d’établir une sorte de spéculation sur les pliques de sa tête ; il les coupait et
les donnait pour un peu d’argent aux élèves de l’École de Médecine pour lesquels il
était devenu un objet d’étude et d’observation16 ».
Si la maladie se limitait à un enchevêtrement des cheveux, elle ne constitue-
rait qu’un désagrément esthétique et social. Mais les concepts humoralistes qui
sont alors le socle de la compréhension des maladies de la peau en font toute la
gravité17. La « matière trichomatique » peut, selon la direction qu’elle prend et les
organes qu’elle affecte, aboutir à des maladies beaucoup plus graves : « fait-elle son
irruption vers l’organe cérébral, des accès épileptiques se déclarent ; les malades sont
foudroyés par l’apoplexie. […] On cite l’exemple d’une femme qui avait éprouvé une
violente douleur avec fièvre aiguë et un délire furieux. Ces désordres ne cessèrent que
quand les cheveux commencèrent à se pliquer. Si le transport métastatique s’opère

16. Alibert JL (1832) Monographie des dermatoses. Paris, Daynac, p 327-329.


17. Selon les humoralistes, disciples d’Hippocrate, la santé provient du mélange harmonieux des
humeurs, mélange dénommé crase. La maladie est la conséquence d’une répartition irrégulière, d’un
« dérangement de la crase des humeurs ». Dans cette perspective, une humeur devenue nuisible doit
être évacuée soit par les voies naturelles – sueur, urine, vomissement, expectoration, suintement – soit
par des voies d’élimination artificielles créées par le médecin [révulsifs, saignée, séton, sangsues]. La
peau étant alors considérée comme un émonctoire au même titre que le rein par exemple, les maladies
de la peau particulièrement les maladies suintantes étaient regardées par les médecins humoralistes
comme ayant une fonction salutaire.
22 Les cheveux

vers le système de la respiration, il détermine l’asthme, les crachemens (sic) de sang,


1 la consomption pulmonaire, le catarrhe suffocant ; s’il se dirige vers l’estomac et
les intestins, on voit arriver le flux dysentérique, la diarrhée, les coliques. […] Il
se manifeste chez certains individus un penchant irrésistible pour les boissons
spiritueuses, des goûts bizarres et dépravés ; chez les femmes la menstruation est
interrompue et communément elle ne reprend son cours régulier et périodique que
lorsque le trichoma revient se manifester à la tête18 ».
En résumé, la plique est pour les médecins humoralistes une chance pour le
malade qui en souffre. Dans ce climat, il n’est pas étonnant que certains
médecins proposent d’entretenir la plique « comme une crise salutaire : on envel-
oppe les cheveux sous un bonnet de laine […] on n’ôte plus cette coiffure jusqu’à
ce que la plique soit entièrement formée et on la fait conserver plus ou moins
long-temps (sic), selon la saison où elle se développe et l’intensité des douleurs
que le malade éprouve ». Des malades atteints de pathologies chroniques graves
résistantes à tout traitement jugeaient même opportun de fabriquer une plique
ou encore d’utiliser une mèche de cheveux provenant du malade lui-même ou
d’un autre individu, de la fixer contre la peau. Si la mèche de cheveux se pliquait
en quelques jours, ce phénomène témoignait de l’existence d’une plique dans le
corps du malade qu’il convenait alors de faire sortir. Couper les cheveux pliqués
faisait alors courir au malade un risque : « contraindre la nature de changer
sa marche accoutumée, lui fermer le chemin, c’est exposer les malades aux plus
sinistres résultats19 ». Larrey fait observer que les sujets atteints sont « entrete-
nus dans cette erreur par les médecins dont la plupart sont imbus de la même
opinion20 ». Cependant, il ne se risque pas à affirmer que l’on peut impunément
couper une plique, celle-ci pouvant, selon lui, en entretenant un foyer de chaleur
sur la tête, favoriser « la crise d’une maladie étrangère ». Quelques observateurs
rapportent avoir vu des pliques contenant divers objets mis intentionnellement,
amulettes, miel, cire, coton,… sans doute pour en augmenter le pouvoir guéris-
seur supposé. Les traditions populaires qui décrivaient un « merveilleux saigne-
ment » des cheveux coupés contribuaient à entretenir le mythe de la plique lieu
de réunion des humeurs viciées. Si toutefois on se résignait à s’en débarrasser,
seuls certains jours étaient autorisés, interdiction qui ne faisait qu’entretenir
l’étrangeté de la plique. Il était imprudent de couper la plique lors des saisons
froides ; il pouvait en résulter un choc thermique entre la température extérieure
et la chaleur produite par le « paroxisme (sic) d’une autre maladie » excrétée par
le cuir chevelu. On « ne coupe la plique formée en hiver que les samedis-saints (sic)
ou le jour de Pâques, époque où on peut les couper toutes21 » .
Comme ses contemporains, Chamseru est dubitatif devant les croyances et supers-
titions qui entourent les pliques : « que croire de ce qui a été débité touchant le
volume démesuré de chaque cheveu, leur métamorphose en poils de hérisson en soie
ou épines de porc-épic, le sang qui coule lorsqu’on les coupe ? Pour moi je n’ai encore

18. Alibert JL (1832) p. 327.


19. Alibert JL (1832) Monographie des dermatoses. Paris, Daynac, p. 334.
20. Larrey DJ (1812) op. cit. p. 105.
21. Larrey DJ (1812) op. cit. p. 102-103.
La métamorphose des pliques 23

rien connu de semblable et je n’en ai recueilli aucun témoignage […] si l’on assure
que la coupe ou la tonte de la plique faite sans précaution est suivie d’accidens (sic)
dans les organes auxquels elle semblait avoir déjà porté son influence. Des lésions
plus profondes attaquent alors les yeux, la tête les oreilles, la poitrine… d’où est né
le préjugé universel (qui n’en est pas plus fondé pour moi), de ne point s’occuper du
mal originaire, de le laisser pulluler et l’abandonner à sa persévérance22 ».
Autre interrogation sujette à controverses : la plique est-elle contagieuse ? Alibert le
nie. À partir des années 1830-1840, les médecins commencent à utiliser le micros-
cope pour chercher la cause des maladies. Entraîné par ce courant microscopiste,
Günsburg, médecin à Breslau, affirme que la plique polonaise est causée par un
« mycoderme » qu’il prétend voir dans la gaine des cheveux ou les entourant23.
Personne ne confirme cette observation imaginaire et la possibilité d’une étiologie
mycosique tombe dans les oubliettes de l’histoire.

PLICA POLONICA OU PLICA HYSTERICA


Donnant à cette prétendue maladie un caractère d’étrangeté encore plus
grand, quelques médecins rapportent des observations déconcertantes de pliques
survenant dans des circonstances quasi surnaturelles24. Alibert publie le cas
d’une « princesse polonaise surprise par le trichoma pendant qu’elle était à table
et quelques heures après que son coiffeur lui eut pratiqué la plus élégante des
frisures ». D’autres rapportent que des « impressions morales vives » peuvent être
à l’origine d’une plique survenant brutalement. Ils publient par exemple l’obser-
vation d’un homme effrayé par un chien atteint presque immédiatement d’une
plique, d’un jeune conscrit dont les cheveux se pliquèrent pendant la guerre de
Pologne, d’une vieille demoiselle prise de plique pendant l’audition d’une messe
prononcée à son intention pour le rétablissement de sa santé, d’une plique qui
survint en quelques heures chez une femme goitreuse qui venait d’absorber un
verre d’hydromel. Des observations détaillées peuvent aider les plus réticents à
accepter l’étrangeté des pliques : « une jeune fille de dix-sept ans se présente le
30 septembre 1882 […] se plaignant de malaise depuis six ou sept jours, elle a
notamment souffert la veille d’une violente céphalalgie frontale accompagnée de
fourmillements. Pour se soulager, elle se lava la tête dans de l’eau tiède, puis l’ayant
essuyée, elle se mit à peigner ses cheveux qui étaient fort beaux et longs de plus de
trois pieds. Pendant qu’elle peignait le côté gauche de la tête, elle sentit dans le côté
droit une sensation de déchirement, comme si on lui arrachait les cheveux ; elle
y porta la main, sentit que les cheveux se rétractaient et en une ou deux minutes
tous les cheveux du côté droit étaient ramassés en un masse dure. Ses parents qui
étaient présents passèrent une partie de la nuit en efforts infructueux pour démêler

22. Chamseru (1807) op. cit.


23. « Découverte d’un mycoderme qui paraît constituer la maladie connue sous le nom de plique
polonaise par M Gunsbourg, médecin à Breslaw » (1843) (Commissaires, MM Brongniart, Breschet,
Rayer). Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, XVII : 250-251.
24. Moreau J (1894) Considérations sur la plique. Bordeaux, Imp. Gounouilhou.
24 Les cheveux

cette masse. Les quelques cheveux démêlés furent étalés pour la nuit sur l’oreiller ;
1 mais, le lendemain, ils étaient de nouveau enchevêtrés, quoique moins serrés que
la masse principale ». Le médecin proposa aux parents de débarrasser leur fille de
cette plique ; les parents refusèrent considérant ce phénomène comme une « visite
de Dieu ». Sa santé était bonne, mais l’auteur la qualifie d’hystérique. La plica
polonica devient alors plica neuropathica, qualificatif encore admis par quelques
auteurs au début du xxe siècle25, 26, 27.
Autre observation marquée par le contexte de maladie mentale, celle d’une « jeune
fille de dix-sept ans, d’une famille aisée, [qui] possédait une superbe chevelure
marron foncé, qu’elle tressait ordinairement en deux longues tresses. Elle avait
l’habitude de se laver la tête l’hiver avec de l’eau froide, qu’elle obtenait en faisant
fondre la neige très pure […]. La jeune fille plongeait dans cette eau sa chevelure
préalablement peignée et la lavait avec du savon ; elle exprimait ensuite ses cheveux
avec les mains, les enveloppait dans une serviette blanche en les ramassant et les
laissant ainsi sécher pour les peigner ensuite et les tresser. Un jour, après une de
ces opérations, […] elle s’aperçut avec terreur que le peigne ne mordait pas. Toute
pâle et tremblante elle appela sa sœur aînée ; celle-ci vit à la place des longs cheveux
deux longs rouleaux d’inégal volume, tellement durs et embrouillés que malgré tous
ses efforts, elle ne peut faire pénétrer ni le peigne ni les doigts. […] la jeune fille a
présenté des troubles hystériques très marqués28 ».

La fin du mythe de la plique-maladie

En 1843, Beschorner, directeur du premier hôpital psychiatrique de Pologne,


réalise une étude épidémiologique rassemblant plus de 5 000 observations qu’il
considère comme des trichomes29. Le sex-ratio est environ de 1. Près de 20 % des
cas sont des enfants de moins de 5 ans. Beschorner observe que, contrairement
à une opinion répandue, le trichome est plus fréquent chez les catholiques que
chez les juifs et les protestants. En revanche, comme l’avaient fait remarquer la
plupart des auteurs avant lui, Beschorner constate que plus de 90 % des patients
appartiennent aux classes socio-économiques les plus défavorisées. 20 % des cas
ne s’accompagnent d’aucune maladie et 80 % des cas sont sporadiques, chiffre
qui réfute l’idée d’un facteur héréditaire. Interdisant le peigne et le brossage
des cheveux à 12 patients hospitalisés en psychiatrie, Beschorner montre que le
trichome n’est que le résultat d’un défaut d’entretien de la chevelure sans relation

25. Le Page (1884) On neuropathic plica. Br Med J 1 : 160.


26. Jackson GT, McMurtry CW (1912) A treatise on diseases of the hair. p. 286-9.
27. Stelwagon H (1921) On diseases of the skin. WB Saunders, Philadelphia and London, p. 1018-20.
28. Jarochevski (1892) J Mal Cut Syphil : 553 cité in : Moreau J (1894) Considérations sur la plique.
Bordeaux, Imp Gounouilhou, p. 5-7.
29. Beschorner F (1843) Der Weichselzopf nach statistischen und physiologischen Beziehungen
dargestellt. Cité in : Förstl H, Elliher H (1995) Dreadlocks and mental disease. A old argument and an
early epidemiological study. Br J Psychiatr 166 : 701-702.
La métamorphose des pliques 25

avec une pathologie notamment psychiatrique. Il en conclut que le trichome n’est


pas une maladie sui generis et n’a aucune conséquence sur d’autres pathologies.
À la même époque, à Vienne, Ferdinand von Hebra (1816-1880), fondateur des
Écoles dermatologiques d’Europe centrale, s’efforce de mettre un peu d’ordre dans
des croyances aussi enchevêtrées que les cheveux. Il décrit la plique polonaise
comme « une intrication et un enchevêtrement des poils, ordinairement des cheveux,
plus rarement de la barbe et du pubis. Les cheveux paraissent pelotonnés en une
masse inextricable, de grosseur et de formes diverses. […] Les cheveux s’entortillent
et s’agglutinent d’une manière presque toujours inextricable en formant des
mèches, des queues, des touffes ou des masses qu’il est impossible de démêler30, 31 ».
À l’opposé d’Alibert, Hebra réfute l’idée que la plique soit une maladie. Il fait
observer qu’il « s’exhale de la masse une odeur pénétrante désagréable […] Dans la
plupart des cas, on voit grouiller des poux de tête […] Il y a aussi des milliards de
lentes attachées aux cheveux. Si enfin, on enfonce le doigt avec soin jusqu’au cuir
chevelu, on le trouve humide et graisseux, recouvert par places de croûtes épider-
miques. On rencontre ça et là des pustules disséminées, des furoncles plus ou moins
gros, des croûtes de sang et de pus desséchés […] comme chez toutes les personnes
qui sont depuis longtemps infestées par des poux de tête32 ». Le doute n’est donc
plus permis ; la plique-maladie n’existe pas : « c’est la négligence à se peigner qui,
comme cause unique et constante, donne naissance à la plique polonaise. […] La
plique n’est pas autre chose qu’un feutrage mécanique des cheveux, occasionné par
l’omission du peigne33 ».
L’hypothèse d’une maladie étant éliminée, il reste à comprendre ce qui peut inciter
des individus à ne plus se peigner et à ne plus se laver les cheveux : une maladie
mentale, un psychisme défaillant ou un développement intellectuel ralenti peuvent
amener à considérer la plique comme un ornement. L’usage du peigne est alors
prohibé et l’utilisation de divers corps gras facilite le maintien en place de la plique.
Hebra cite à l’appui de cette idée, des observations faites par des voyageurs dans
des contrées lointaines, Australie ou Tasmanie.
À côté de cette interprétation ornementale, une autre invoque la douleur provo-
quée par le peigne chez les individus atteints de pathologies inflammatoires
douloureuses du cuir chevelu : eczéma, érysipèles récidivants, diverses maladies
pustuleuses.
Enfin dernière explication : l’inévitable humoralisme, croyance en une vertu bénéfique
de la plique (voir plus haut). Ainsi, dans les cas d’une maladie chronique qui avait
obligé un malade à rester alité plusieurs mois sans se peigner ou laver ses cheveux,
à la fin de sa maladie le malade constatait un enchevêtrement des cheveux et pensait
que « la plique était cachée dans le corps pendant tout ce temps là et qu’elle y occasi-
onnait de la fièvre, de l’anorexie, des douleurs de toute espèce, des sueurs copieuses,
de l’amaigrissement, le danger de perdre la vie… jusqu’à ce qu’enfin par la force de

30. Holubar K (1981) Ferdinand von Hebra (1816-1880) On the occasion of the centenary of his
death. Int J Dermatol 20 (4) : 291-5.
31. Hebra F (1874) Traité des maladies de la peau, trad A Doyon, Paris, Masson, p. 72.
32. Hebra F (1874) op. cit. p. 73.
33. Hebra F (1874) op. cit. p. 74 ; 78.
26 Les cheveux

la nature, elle ait été rejetée au dehors, ce qui a dû mettre fin à toutes les souffran-
1 ces physiques34 ». Les médecins considéraient alors les symptômes généraux non pas
comme ceux de la maladie chronique comme les symptômes de la plique.
Malgré les arguments convaincants de Hebra, les pliques continuèrent de faire
débat pendant quelques décennies encore. Témoin, l’intervention de De Amicis
(Naples) au 2e congrès international de dermatologie (1892) qui présente une
observation, selon lui, « preuve de l’existence de la plique35 ». Dix ans plus tard,
Dubreuilh (Bordeaux) publie l’observation d’une femme de 50 ans qui a « toujours
été profondément névropathique ». Elle remarque brutalement que ses cheveux
« deviennent crépus comme les cheveux d’une négresse. […] La moitié basale des
cheveux est lisse tandis que la moitié terminale est enchevêtrée et impossible à
peignerr 36, 37 ».

Les pliques hors la médecine. Le mythe polonais

La controverse sur la nature des pliques ne se limita pas aux écrits confidentiels
de médecins parisiens ou d’observateurs militaires parcourant la Pologne. L’ima-
gination de romanciers contribua à donner à donner crédit à ces mystifications
auprès du public profane38.
L’histoire de Vanda racontée par Balzac marqua peut-être davantage les esprits que
les observations de Larrey ou d’Alibert. Deux ou trois mois après un accouchement
« terrible, laborieux, (Vanda) se plaignit d’une faiblesse générale qui affectait partic-
ulièrement les pieds, lesquels, selon son expression, lui paraissaient être comme du
coton. Cette atonie s’est changée en paralysie. […] Cette affection, qui ne se rapporte
à rien de connu, a gagné les bras, les mains, et nous avons cru à quelque maladie de
l’épine dorsale. […] Durant la période de faiblesse, avant la paralysie des membres, il
s’est manifesté chez ma fille les cas de catalepsie les plus bizarres. […] Ainsi, elle restait
les yeux ouverts, immobiles, quelques jours, dans la position où cet état la prenait. […]
Son âme a été le théâtre de tous les prodiges du somnambulisme, comme son corps
est le théâtre de toutes les maladies […] Toutes les méthodes de traitement qu’elle
nous a dictées, quoique scrupuleusement suivies, ne lui firent aucun bien. Par exemple,
elle voulut être enveloppée dans un porc fraîchement égorgé ; puis elle ordonna de lui
plonger dans les jambes des pointes de fer aimanté fortement et rougi au feu... de faire
fondre le long de son dos de la cire à cacheter... Et quels désastres, monsieur ! Les dents
sont tombées ! Elle devient sourde, puis muette ; et puis, après six mois de mutisme

34. Hebra F (1874) op. cit. p. 77.


35. De Amicis (1892) Du trichome vrai. Ann Dermatol Syphil III : 1092.
36. Dubreuilh W (1902) Troubles trophiques des cheveux (alopécie aiguë, plique d’origine hystérique)
Ann Dermatol Syphil III, 4è s : 364-8.
37. De Amicis en 1892 trouvait dans les cheveux de sa patiente des altérations microscopiques de
trichorrexie noueuse et Dubreuilh décrivait des aspects pouvant préfigurer le syndrome des cheveux
incoiffables décrit par Dupré en 1973. Dupré A, Bonafé, Litoux F, Victor M (1978) Le syndrome des
cheveux incoiffables. Pili trianguli et canaliculi. Ann Dermatol Venereol 105 : 627-30.
38. Förstl H, Elliger H (1995) Dreadlocks and mental disease. A old argument and an early epidemio-
logical study. Br J Psychiatry 166 : 701-2.
La métamorphose des pliques 27

absolu, de surdité complète, tout à coup l’ouïe et la parole lui reviennent. […] Elle a
subi des symptômes et des attaques d’hydrophobie bien prononcée, bien caractérisée.
Non seulement la vue de l’eau, le bruit de l’eau, l’aspect d’un verre, d’une tasse, la
mettaient en fureur, mais encore elle a contracté l’aboiement des chiens, un aboie-
ment mélancolique, les hurlements qu’ils font entendre lorsqu’on joue de l’orgue. […]
Et c’est dans cet état que j’ai dû l’amener de province à Paris, en 1829 ; car les deux
ou trois médecins célèbres de Paris, à qui je me suis adressé, Desplein, Bianchon et
Haudry, tous ont cru qu’on voulait les mystifier. […] Mais ils ont été forcés de changer
d’avis, et c’est à ces phénomènes que sont dues les recherches faites dans ces derniers
temps sur les maladies nerveuses, car ils ont classé cet état bizarre dans les névroses.
[…] Il y a cinq jours, monsieur, le médecin du quartier qui soigne ma fille, ou si vous
voulez, qui l’observe, m’a dit […] d’avoir recours à un médecin juif qui passe pour
un empirique ; mais il m’a fait observer que c’était un étranger, un Polonais réfugié,
que les médecins sont très jaloux de quelques cures extraordinaires dont on parle
beaucoup. […] Halpersohn, qui passa, pendant cinq ou six ans, pour un médicastre, à
cause de ses poudres, de ses médecines, possédait la science innée des grands médecins.
[…] Vanda est polonaise par sa mère. Le médecin lui parle polonais « je réponds de la
guérir. Je n’assure pas de lui rendre l’exercice de ses jambes, mais pour guérie, elle le
sera. […] Savez-vous qu’elle va troquer sa maladie actuelle contre une autre maladie
épouvantable, et qui durera peut-être un an, ou tout au moins six mois ? […] Elle
est depuis dix-sept ans victime du principe de la plique polonaise qui produit tous ces
ravages, j’en ai vu de plus terribles exemples. Or, moi seul aujourd’hui sais comment
faire sortir la plique de manière à pouvoir la guérir, car on n’en guérit pas toujours.
[…] Apprenez que votre fille a pris hier un remède qui doit lui donner la plique, et que,
tant que cette horrible maladie ne sera pas sortie, elle ne sera pas visible39 ».
L’histoire médicale des pliques fut d’abord – « l’observation » de Balzac en apporte
la confirmation – caractérisée par leur origine géographique, délimitée par des pays
d’Europe centrale et de l’Est – Lituanie, Hongrie, Prusse, moins souvent Russie – et
surtout Pologne qui a fait donner son nom à la maladie. La plique contribua ainsi à
la constitution d’un mythe polonais auquel les médecins contribuèrent.
Rosset montre à quel point les étrangers entrant en Pologne à la fin du xviiie siècle
– tel le comte de Ségur en 1784 – avaient la sensation de pénétrer dans un autre
monde pourtant proche de la Prusse, pays reconnu comme une nation de culture :
« Dès que l’on entre en Pologne, on croit sortit entièrement de l’Europe et les regards
sont frappés d’un spectacle nouveau […] une population pauvre, esclave ; de sales
villages, des chaumières peu différentes des huttes sauvages ; tout ferait penser qu’on
a reculé de dix siècles40 ».
Chamseru découvrit la population polonaise comme celle d’un monde de
saleté, d’obscurantisme, d’abrutissement intellectuel, d’esclavage auxquels les
armées françaises entendent bien mettre un terme pour le bonheur évident des

39. de Balzac H. L’envers de l’histoire contemporaine. Garnier Paris, p. 152-4 ; 189 ; 204-6.
40. Ségur LP (1859) Mémoires, Paris, Didot, tome 1, p. 300. Cité In : Rosset F (1996) L’arbre de Craco-
vie. Le mythe polonais dans la littérature française, Pris, Imago, p. 241. Rosset montre la permanence
de ces jugements sur la Pologne qui, de l’accession d’Henri de Valois au trône de Pologne en 1573 à la
parution en 1896 d’Ubu Roi, ont contribué à forger un mythe polonais.
28 Les cheveux

peuples polonais qui ne demandent sans doute rien : « les paysans polonais sont
1 sales à l’excès. Dans la saison actuelle (10 avril) indépendamment du bonnet
de poils qui les couvre jusqu’aux yeux, on les voit encore empaquetés comme
en plein hiver par-dessus des haillons de drap ou de toile, d’une large capote
de peau de mouton étroitement fermée à la ceinture et qui ramasse aussi la
vermine provenant de leurs cheveux et de leurs bonnets infectés ; jusqu’aux
jeunes (?) élevés de bonne heure au maniement des chevaux, ils ont la plus jolie
chevelure enfoncée dans une toque de gros drap doublée de la calotte de peau
d’agneau ; et leurs têtes contractent l’habitude de transpirer excessivement ce
qui dispose tout ou tard à la plique. […] Il manque à la civilisation de l’une
des plus belles contrées de l’Europe quelques changements salutaires dans les
mœurs de toutes les classes et spécialement de la classe inférieure. Les paysans
vivans (sic) esclaves sous l’oppression féodale, ne possédant à peu près que ce
que leurs maîtres ne veulent pas leur ôter, ils n’ont en quelque sorte qu’une
existence végétative. Le gouvernement prussien s’est empressé d’adoucir leur
sort en partie ; ils restent encore sous le joug de la misère. Plus ils sont abrutis
par l’indigence, plus ils montrent néanmoins la bonhommie (sic), sensibles aux
attentions qu’on leur porte et toujours obligeans (sic). Mais ils ont l’oubli le plus
absolu de leurs personnes ; ils gardent la plique sans avoir cherché à la prévenir
et sans se mettre en peine des suites. […] En Pologne […] l’agriculture, le jardi-
nage sont dans leur enfance, l’égoïsme et la parcimonie des propriétaires sont
mal calculés […] Des habitations malsaines pour la classe ouvrière, des émana-
tions fangeuses autour de chaque maison, à la ville, à la campagne, le long des
lacs et des marécages, exposées aux débordements faute de secours hydrauliques
suffisants pour la confection des canaux ou pour contenir les eaux vagues entre
leurs digues ; nourriture peu substantielle, excès de farineux grossier ; herbages et
racines insipides ; des eaux médiocrement potables par la négligence de profiter
ça et là dans les plus favorables aspects de beaucoup de bonnes sources41 ».
Les romanciers se font écho de cette vision et contribuent à répandre le mythe
polonais. Balzac fait dire à Rivet, personnage de la Cousine Bette : « les Polonais !
C’est de la canaille… tous des gens sans foi ni loi. Des gens qui veulent mettre
l’Europe en feu […] ruiner tous les commerces et les commerçants pour une patrie
qui, dit-on, est tout marais, pleine d’affreux Juifs, sans compter les Cosaques et les
paysans, espèces de bêtes féroces classées à tort dans le genre humain42 ».
En résumé, la Pologne apparaît comme le pays d’un autre temps, au point que, si l’on
en croit les voyageurs, même les animaux pouvaient être atteints par la plique (fig. 12).

LE NOUVEAU VISAGE DES PLIQUES : COSMÉTIQUE ET VALORISATION SOCIALE


Après des décennies de sommeil médical, les pliques ont réapparu dans les
périodiques de dermatologie. En 2006, Gnanaraj et al. publiaient une observation
proche de celles publiées par Larrey deux cents ans plus tôt. Il s’agissait d’une

41. Chamseru op cit., p 6,7,14


42. Balzac H de (1846) La cousine Bette. Classique Garnier (2008) p. 125.
La métamorphose des pliques 29

enfant dénutrie, porteuse d’une gale et d’une pyodermite du cuir chevelu, consé-
quence d’une pédiculose. Le traitement de ces deux maladies associé à des mesures
élémentaires d’hygiène et à la coupe des cheveux permit de régler le problème.
L’enchevêtrement des cheveux conséquence des carences d’hygiène suffit aux
auteurs pour faire de cette observation un exemple de plica polonica43.
La même année, Kwinter et Weinstein rapportaient l’observation d’une adolescente
de 14 ans atteinte de multiples pathologies (diabète, hépatite auto-immune, polyarth-
rite notamment), consultant pour une chute de cheveux sur une partie du cuir
chevelu et un enchevêtrement des cheveux restants survenus un mois après le début
d’un traitement par azathioprine. La patiente n’avait pas fait de shampoing dans la
semaine précédente. Dans cette observation, les auteurs retenaient une hypersuda-
tion au cours d’un épisode fébrile comme l’élément déclencheur. Malgré l’absence de
signes psychiatriques, les auteurs posent le diagnostic de plica neuropathica44.
Dans d’autres cas, il ne s’agissait plus de carences d’hygiène mais au contraire
de l’usage de certains shampoings. En 1953, Graham décrivait la survenue d’un
enchevêtrement des cheveux chez une fillette de 9 ans après un shampoing déter-
gent45. Simpson et Mullins publiaient l’observation d’une femme noire qui voyait
de manière brutale survenir un enchevêtrement de ses cheveux quelques heures
après un shampoing. La patiente qui rapportait un épisode identique un an plus tôt
souffrait de troubles psychiatriques, diabète, troubles du rythme cardiaque et d’une
hypertension artérielle modérée. L’examen du cuir chevelu était sans particularité,
sans carence d’hygiène, sans pédiculose. Les cheveux étaient divisés en deux masses
de cheveux emmêlés donnant l’apparence d’une « tête de Méduse », comparaison
déjà utilisée par Alibert. Les auteurs rattachaient cette observation à la plica neuro-
pathica et considéraient les cheveux crépus comme une circonstance favorisante46.
En 1990, Wilson et al. publiaient l’observation d’une femme Sikh de 43 ans qui
n’avait jamais coupé ses cheveux. Après un shampoing, ceux-ci commencèrent à
s’emmêler et malgré plusieurs rinçages le phénomène ne fit que s’accentuer. Elle
consulta un dermatologue deux jours plus tard alors qu’une masse de cheveux
s’était formée sur la région occipitale à tel point que le seul moyen thérapeutique
fut de couper les cheveux emmêlés47. En 2004, Dogra et Kanwar rapportaient une
observation similaire, celle d’un enfant Sikh de 14 ans chez qui était survenue de
manière soudaine un enchevêtrement de cheveux. Malgré leurs efforts, ni l’enfant
ni ses parents ne parvinrent à démêler les cheveux. Après avoir vérifié l’absence de
pédiculose chez cet enfant portant les cheveux longs pour des raisons religieuses
et l’absence de perturbations psychologiques les auteurs concluent au diagnos-
tic de plica neuropathica. Analysant la vingtaine de cas publiés, ils proposaient,

43. Gnanaraj P, Venugopal V, Pandurangan CN (2006) Plica polonica in association with pediculosis
capitis and scabies. A case report. Int J Dermatol 46 : 151-2.
44. Kwinter J, Weinstein M (2006) Plica neuropathica : novel presentation of a rare disease. Clin Derm
31 : 790-2.
45. Graham PV (1953) Tangled hair : bizarre occurence after use of detergent shampoo. Arch Derm
67 : 515.
46. Simpson MH, Mullins JF (1969) Plica neuropathica. Report of a case. Arch Derm 100 : 157-8.
47. Wilson CL, Ferguson DJP, Dawber RPR (1990) Matting of scalp hair during shampoing – a new
look. Clin Exp Dermatol 15 : 139-42.
30 Les cheveux

pour expliquer ce qui reste une curiosité, l’existence d’un phénomène de feutrage
1 connu dans l’industrie textile impliquant à la suite de la friction entre les cheveux,
l’apparition d’une attractivité de nature électrostatique entre les cheveux favorisée
par l’utilisation de shampoings renfermant des surfactants cationiques. La friction
augmenterait les charges électriques à la surface des cheveux humides et favorise-
rait le feutrage et l’enchevêtrement des cheveux. À côté de ces éléments d’explica-
tions, les auteurs retenaient la longueur des cheveux, un certain déficit d’hygiène et
un mode de coiffure impliquant une friction rotative vigoureuse des cheveux. En
matière de traitement les auteurs ne pouvaient proposer que de couper les cheveux
atteints, d’éviter chez les sujets à cheveux très longs l’usage de shampoings à surfac-
tants cationiques et d’utiliser des produits gras, type huile d’olive, après le lavage des
cheveux48. En résumé, les observations d’enchevêtrement des cheveux peuvent être
rattachées à trois grands types de mécanismes, souvent intriqués : physiques (tempé-
rature, forces électrostatiques, densité ou finesse des cheveux, élasticité), chimiques
(usage de détergents, de crèmes capillaires, de teintures, de produits de perma-
nentes), d’habitudes personnelles (hygiène défectueuse, facteurs psychologiques49).
À côté de la métamorphose médicale des pliques, secondaires maintenant à des
habitudes cosmétiques plus qu’à un manque d’hygiène, les similitudes morpho-
logiques avec les dreadlocks sont frappantes50, 51. L’image que veulent véhiculer
les porteurs de dreadlocks est bien sûr très éloignée de celle supportée par les
malades atteints de plique. Il n’est plus question de manque d’hygiène ou de
maladie mentale. Le port de dreads n’est plus stigmatisant mais valorisant. Après
avoir été la marque de la misère sociale, parfois de maladie mentale, les pliques
métamorphosées en dreads sont devenues des attributs décoratifs, marques d’une
affirmation d’identité bien décrite par ceux qui ont adopté ce mode de coiffure :
« les dreadlocks soulignent mon héritage africain ; ils sont la marque de l’alliance
avec l’Afrique-mère ». « Mes dreads affirment à tous mes liens avec ma culture, mon
style de vie naturel et spirituel […] Grâce à mes dreads mon message ne peut pas être
ignoré. Liberté, amour, rébellion, nature : les dreads proclament ces vérités à tous
les peuples de la terre » ; « Les dreadlocks sont une production naturelle de l’homme
[…] les dreads témoignent de ma confiance en moi ». Certains considèrent même
que le port de dreads a facilité leur intégration sociale en affirmant leur vrai visage.
Pour d’autres, les dreads sont les équivalents d’un « uniforme », comme les juges
portent une robe noire ou les collégiens une « cravate de collégien ». Pour d’autres
encore, blancs notamment, le port de dreads témoigne d’une sorte de retour à
un état originel ou de transgression, une volonté de se singulariser, d’apparaître
différent de sa condition sociale (au même titre que des éléments de décoration
corporelle, tatouages, piercing), de transformer son corps en objet d’art ou profes-
sionnelle ou encore de sa race52.

48. Dogra S, Kanvar AJ (2004) Plica neuropathica : a mystery. Ped Dermatol 21 : 477-8.
49. Al Ghani M, Geilen CC, Blume-Peytavi U, Orfanos CE (2000) Matting of hair : a multifactorial
enigma. Dermatology 201 : 101-4.
50. Friedli A, Pierriard-Wolfensberger J, Harms M (2000) Die plica polonica im 21. Jahrhundert.
Hautarzt 51 : 201-2.
51. http://fr.wikipedia.org/wiki/Dreadlocks
52. Mastalia F, Pagano A (1999) Dreads. Artisan, New York.
Les enfants malades de la teigne
De l’abandon médical à l’obsession hygiéniste 2

Du Dictionnaire Universel de Furetière (1690) au Trésor de la Langue française


(2002), le mot teigne est synonyme dans le langage quotidien de saleté, malveillance,
pauvreté et finalement d’exclusion53. De même que les lexicographes faisaient
valoir la stigmatisation qui s’attachait au mot teigne, les médecins reconnaissaient
que le favus, forme la plus affichante des teignes, était une « maladie dégoûtante
qui répugne tellement, que celui qui en est atteint n’ose paraître dans la société et
ne trouve, nulle part, une occupation54 ». En dépit des changements d’apparence
clinique des teignes et des perfectionnements thérapeutiques, le mot exclusion fut
longtemps le qualificatif le plus adapté pour désigner ces enfants qu’on appelait
teigneux.

LES ENFANTS TEIGNEUX ABANDONNÉS AUX GUÉRISSEURS


Au xixe siècle, pour les médecins, alors cliniciens exclusifs, faire le diagnostic de
teigne ne posait pas de problème tant les descriptions étaient stéréotypées. Ainsi
le favus, considéré comme la « vraie teigne », était décrit comme « caractérisé, à
sa période d’état, par l’apparition sur le cuir chevelu ou sur quelque autre partie
du corps de croûtes sèches d’un beau jaune-soufre, plus ou moins épaisses et larges
suivant leur ancienneté, croûtes fortement enchâssées dans le derme, déprimées en
godets (et exhalant) une odeur particulière qu’on a comparée avec beaucoup de
justesse à l’odeur de souris55 ». Ils n’éprouvaient pas davantage de difficulté à faire
le diagnostic des teignes tondantes, en observant sur un cuir chevelu « çà et là, des
cheveux courts comme les poils d’une barbe rasée depuis deux ou trois jours. […]
Ces tronçons de cheveux vous apparaîtraient plus gros que des cheveux sains que
vous couperiez au ras du cuir chevelu […] Cette infiltration augmentant, le cheveu
perd de sa résistance et casse avec une telle facilité que chaque jour les cheveux longs
deviennent plus rares, les cheveux courts plus nombreux si bien que, à un moment
donné, on a sous les yeux une surface arrondie d’une étendue variable ayant l’aspect

53. Cité in Tilles G (2008) Teignes et teigneux. Histoire médicale et sociale. Springer, Paris.
54. Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Paris, Poussielgue, Masson,
p. 78.
55. Lailler Ch (1878) Leçons cliniques sur les teignes faites à l’hôpital Saint-Louis. Paris, V Adrien
Delahaye, p. 15-7.
32 Les cheveux

de la tonsure des ecclésiastiques d’où le nom de teigne tonsurante, expression qui


2 doit être préférée à toute autre, puisqu’elle équivaut presque à une définition56 ».
Alors que le diagnostic des teignes ne posait pas de réelle difficulté, il en allait tout
autrement du traitement de ces maladies craintes pour leur contagiosité. L’efficacité
plus qu’aléatoire, des méthodes thérapeutiques, le plus souvent empiriques, laissait
les médecins désemparés et finalement assez peu intéressés par ces maladies d’une
chronicité désespérante. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les enfants
teigneux qui d’abord intéressèrent peu les médecins aient trouvé quelque réconfort
auprès de guérisseurs.
À Paris, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les enfants teigneux étaient reçus dans
des maisons hospitalières dédiées à l’hébergement des pauvres. L’hôpital des
Petites-Maisons, fondé en 1554, situé à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du
Bac, abritait mendiants, épileptiques, syphilitiques et… teigneux : « audit hospital
sont recues (sic) les enfans (sic) et pauvres cagnardiers, tant fils que filles, qui sont
malades de la teignes, qui l’ont gagnée à coucher ès batteaux (sic), les autres sous
les estaux ou par les rues57 ». Le traitement des teignes était confié « à un Sr de
la Martinière, ni médecin ni chirurgien ; sa famille depuis plus de cent ans en est
chargée58 ».
Le Consulat transforma le fonctionnement des hôpitaux de Paris en séparant les
hôpitaux généraux des établissements spéciaux. À l’hôpital Saint-Louis, consi-
déré comme un de ces hôpitaux spéciaux, fut attribué le traitement des maladies
chroniques de la peau dont les teignes59. En dépit de cette spécialisation hospi-
talière, jusque dans les années 1850, les teignes étaient soignées avec appré-
hension par les médecins qui, adeptes de l’humoralisme (voir plus haut), les
considéraient comme garantes d’une bonne santé future ou au moins protégeant
les enfants contre des maladies plus graves. Alibert souligne le fait que certains
médecins – dont lui-même – « regardent ces hideuses affections comme une garan-
tie précieuse pour leur avenir ; ils sont d’avis qu’elles peuvent affranchir l’économie
d’une multitude d’accidens (sic) qui ne manqueraient pas d’avoir lieu dans un âge
avancé. Prodest prurigo capitis est un axiome généralement bien reçu par tous les
médecins anciens, aussi bien que par les modernes60 ». De manière plus prosaïque,
cette attitude médicale pouvait être expliquée « par la nature peu intéressante de la

56. Lailler Ch (1878) Leçons cliniques sur les teignes faites à l’hôpital Saint-Louis. Paris, V Adrien
Delahaye, p. 43-7. La présence de spore indiquée dans cette description date des années 1840 à la suite
des travaux de Gruby (voir plus loin). Elle était inconnue des médecins au début du xixe siècle.
57. Cité in : Feulard H (1886) Teignes et teigneux. Histoire médicale. Hygiène publique. Thèse pour
le doctorat en médecine, Paris, p. 159. L’hôpital des Teigneux ou « de Sainte-Reine » – en hommage
à Élisabeth de Hongrie représentée par Murillo lavant la tête des teigneux – dépendait de l’hôpital
des Petites-Maisons. Les enfants teigneux étaient aussi pris en charge à La Pitié, établissement asilaire
accueillant des orphelins et dans des communautés religieuses dont certaines s’étaient fait une spécia-
lité de soigner la teigne, telle la communauté des dames de Saint-Thomas de Villeneuve.
58. Tenon (1788) Mémoires sur les hôpitaux de Paris. Ph-D Pierres, Paris, p. 74-5.
59. Règlement pour l’admission dans les hospices de maladies (an X). À Paris de l’Imprimerie des
Sourds-Muets, p. 6. Gérard Tilles (2002) L’hôpital Saint-Louis. In : Wallach D, Tilles G, eds. La Derma-
tologie en France. Privat, Toulouse.
60. Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la
peau. 2e ed., tome 1, Paris, Germer Baillière, p. 435-6.
Les enfants malades de la teigne… 33

maladie traitée, par le peu d’efficacité et la longueur d’un traitement toujours répug-
nant, enfin par la calvitie qui en est souvent le résultat ; en sorte que les médecins
pouvaient n’être pas fâchés de laisser à d’autres le soin d’entreprendre ces cures
réputées peu dignes d’eux61 ».
Dans ce contexte de réticence ou de refus de soigner, le traitement des teignes était
abandonné « aux empiriques et aux femmes62 ». Blandin met en scène dans un
récit romanesque l’intervention du guérisseur-thaumaturge comme faisant partie
du parcours sanitaire obligé des enfants teigneux : « les toucheux sont les meilleurs,
on dit qu’ils descendent des rois qui touchaient les écrouelles. Ce sont en général
les septièmes enfants d’une même famille et ils ont une fleur de lys au fond de la
gorge. […] Dans nos campagnes la maladie c’est l’inconnu, le sacré, le mystère, les
gens s’adressent donc à celui qui a un pouvoir mystérieux et puissantt63 ». De fait, la
« curation » des enfants teigneux faisait souvent la réputation et offrait une certaine
aisance matérielle à des guérisseurs de campagne qui promettaient à des parents
désespérés de guérir leurs enfants. Certains n’hésitaient pas à rechercher auprès de
l’Académie de Médecine une reconnaissance officielle de leurs mystérieux remèdes,
qui, du moins l’espéraient-ils, leur attirerait une plus vaste clientèle. Les archives
de la Commission des Remèdes Secrets en témoignent. Ainsi, un certain « André
Pelletier tailleur d’habits demeurant paroisse d’Auverse, province d’Anjou, élection de
Baugé, généralité de Tours, disant que depuis quelques années, il possède un spécifique
destructeur de toutes espèces de teignes […] ; qu’il a emploié [sic] ce remède avec un
succès complet sur plus de vingt personnes attaquées de ce mal dont il a les certificats :
que pour répondre aux vœux bienveillants de l’auguste prince qui nous gouverne et
pour le bien général de l’humanité, il lui aurait été conseillé de se présenter à vous et
d’offrir par vous au gouvernement son remède unique et dont il est seul possesseur
pour lever tout équivoque tout doute sur son efficacité 64 ». Ou encore, « à Messieurs
de la Société Royale de Médecine, Messieurs, Jean-Baptiste Lègue a l’honneur de vous
représenter qu’il tiens (sic) de famille un remède contre la teigne, la galle (sic), dartres,
panaris et toutes les maladies de la peau. […] Ce remède guérit sans douleur et sans
occasionner de perte de cheveux65 ».
Quelle que soit la dose de charlatanisme comprise dans les traitements des guéris-
seurs, ceux-ci mettaient en tout cas les enfants teigneux à l’abri de méthodes de
sinistre réputation, telle « la calotte », application d’un emplâtre suivi de l’arra-
chage brutal des cheveux sains et malades et de lambeaux de cuir chevelu, cause
parfois de la mort des enfants66, 67.

61. Arnaud F (1888) Les teignes à Marseille. Notes historique et statistiques. Barlatier-Feyssat,
Marseille p. 15.
62. Paré A cité par Feulard H (1886) Teignes et teigneux. Histoire médicale. Hygiène publique. Paris,
G. Steinheil, p. 157.
63. Blandin G (2007) Le petit teigneux de Saint-Jacques. D’Orbestier. Le Château d’Olonne, p 34-35.
64. Académie de Médecine, Commission des remèdes secrets, SRM 103 d. 30 n° 1 non daté (peut-être
fin xviiie)
65. Académie de Médecine, Commission des remèdes secrets SRM 102 d.39 n° 1 (non daté)
66. Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la
peau, 2e ed, tome premier. Germer Baillière, Paris, p. 301
67. Mahon jeune (1829) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Baillière, Paris
34 Les cheveux

Le recours à des guérisseurs était à ce point habituel que certains plus habiles
2 parvinrent à prendre la place des médecins dans les hôpitaux. À Paris, la famille
Mahon était alors la référence en matière de traitement des teignes68. Un arrêté du
31 décembre 1806 autorisa les frères Mahon à expérimenter leur traitement des
teignes au Bureau Central, à Saint-Louis et à l’hôpital des Enfants, traitement adopté
officiellement par le Conseil d’administration des hôpitaux de Paris le 29 juin
181069. Les Mahon, « guérisseurs des hôpitaux de Paris », s’efforçaient d’entretenir
le mystère sur leur traitement, indispensable à la pérennisation de leurs revenus.
À l’épilation des cheveux parasités saisis entre les doigts, ils ajoutaient une poudre
mystérieuse dont on saura plus tard qu’il s’agissait de cendres végétales facilitant
la préhension. Ils recevaient un salaire annuel de 1 000 francs et 3 francs en plus
par « tête de teigneux dont la guérison aura été constatée 70, 71 ».
Du 1er janvier 1807 au 31 décembre 1827, près de 20 000 enfants teigneux bénéfi-
cièrent ainsi à Paris du traitement des frères Mahon et furent selon le rapport
de l’Académie de Médecine guéris par ce traitement. Le succès du traitement
des Mahon incita plusieurs hôpitaux de province à avoir recours à leurs services
(Lyon, Rouen, Dieppe, Louviers, Elbeuf). Quelques médecins essaient de supplan-
ter les Mahon, s’efforcent de reproduire les poudres et pommades utilisées, se
forment à l’épilation mais rien n’y fait ; le traitement des Mahon reste la référence
ce que d’ailleurs la plupart des médecins reconnaissent sans peine. L’intervention
médicale se limite au diagnostic et à la constatation de la guérison, indispensable
à la rétribution du guérisseur.
En 1812, la Commission des Remèdes Secrets de l’Académie de Médecine, chargée
à cette époque d’évaluer le traitement des Mahon, souhaita que 24 lits de l’hôpi-
tal Saint-Louis fussent mis à disposition pour recevoir des teigneux et faire des
expériences comparatives entre les différentes méthodes de traitement. Le Conseil
Général des Hospices rappela que plusieurs arrêtés avaient réglé la manière dont
les teigneux devaient être traités « hors les hôpitaux sans qu’aucun d’eux ne puisse y
être admis pour cette seule maladie ; il fit valoir les motifs qui exigeaient le maintien
de cette mesure également avantageuse et pour les enfants qu’elle soustrait aux
dangers de toutes espèces qui naissent pour eux d’un séjour trop prolongé dans les
hôpitaux et pour l’administration à laquelle elle procure une grande économie ». Il
n’était donc pas question d’hospitaliser des enfants atteints d’une maladie conta-
gieuse mais bénigne ; on verra plus loin que l’anxiété générée par les découvertes
microbiologiques des années 1870-1880 modifia l’attitude de l’administration
hospitalière à l’égard des teignes72.
À Saint-Louis, Bazin devait reconnaître que « les dermatologistes, hommes de science
et médecins, [ont] été honteux d’avouer qu’un traitement efficace du favus avait été

68. Feltgen K (2011) Le remède secret des frères Mahon. Rev Soc Fran Hist Hôp, à paraître.
69. Pariset, Rapport de l’Académie de Médecine adressé à M. le Ministre de l’Intérieur, 1er juillet 1828
In : Mahon jeune (1868) Considérations sur le traitement des teignes. Baillière, Paris, p. 5.
70. Feulard H (1894) Le traitement des teignes à Paris. Rev Hyg XVI ; 6 : 3-15.
71. Bazin E (1854) Rapport sur le traitement des teignes à l’hôpital Saint-Louis pendant les années
1852, 1853, 1854, Imprimerie de Simonet – Delagnette, Paris.
72. Feltgen rappelle qu’à Rouen seuls les enfants teigneux atteints d’autres maladies étaient hospitalisés
dans les hospices civils. Feltgen K (2011) Le remède secret des frères Mahon. Op. cit.
Les enfants malades de la teigne… 35

trouvé en dehors d’eux et par une personne étrangère aux sciences médicales73 ».
Quoi qu’il en soit, la famille Mahon conserva le monopole du traitement des
teignes jusqu’en 1852 lorsqu’un service de quelques lits pour enfants teigneux fut
créé et que les médecins se décidèrent à concurrencer les guérisseurs.
Dans les hôpitaux de province, la situation des enfants teigneux était comparable
à celle des petits parisiens. À Lyon, ces enfants ne furent admis à l’Antiquaille qu’à
partir de 1841, établissement créé dans les premières années du xixe siècle pour
les aliénés et les vénériens. À l’Hôtel-Dieu de Rouen, les enfants teigneux étaient
confiés à des chirurgiens74. À l’hospice des Incurables de Nantes, des religieuses
furent chargées du traitement des teignes jusque dans les années 1860. À Marseille,
les médecins étaient peu désireux de soigner une maladie qui « délaisse souvent
après être curée une dépilation et reproche aux chirurgiens75 ». Dans ces conditions,
les guérisseurs étaient là aussi les bienvenus. À partir de 1795, l’administration
des hospices de Marseille décida que les enfants teigneux, munis d’un certificat
d’indigence, seraient confiés à un guérisseur appointé, « la citoyenne Espanet »
rémunérée par l’administration hospitalière, « un tant par tête de teigneux ». Deux
ans plus tard (an VIII), l’administration comprenant que cette dépense pouvant
être évitée releva cette citoyenne de ses fonctions et invita les médecins à assurer
eux-mêmes le traitement des teignes. Cette invite administrative n’eut pas le
succès espéré et les guérisseurs continuèrent d’assurer le rôle que les médecins leur
abandonnaient. Les médecins étaient à ce point évincés du traitement de la teigne
qu’à la Charité de Marseille certains ignoraient même que le traitement avait lieu
dans leur service.
Dans les premières décennies du xixe siècle, l’alter ego des Mahon était à Marseille
« la veuve Hugues », personne illettrée originaire de Magagnose (Var) rétribuée
par tête de teigneux soigné soit dans les salles de l’hôpital Saint-Joseph, soit au
traitement externe de la Charité. En 1829, l’administration hospitalière considérant
une nouvelle fois que cette dépense pouvait être évitée décida que le traitement de
la veuve Hugues serait effectué par le personnel des hôpitaux. Il fallait d’abord
acquérir la formule de la mystérieuse poudre qui donnait de si beaux résultats. Un
véritable contrat de cession fut alors signé devant notaire en août 182976. Dès lors,
les enfants teigneux purent bénéficier gratuitement de cette poudre mystérieuse.
Il fallut toutefois attendre le décès de la veuve Hugues le 8 juillet 1873 pour que
les administrateurs des hôpitaux de Marseille acceptent de révéler la recette de
la poudre prétendument efficace77. Les médecins les plus convaincus du charla-
tanisme de la veuve Hugues pouvaient enfin triompher. La poudre mystérieuse
n’était que poudre aux yeux.

73. Bazin E (1853) op. cit. p. 87.


74. Feltgen K (2012) Histoire de la prise en charge des enfants teigneux dans les hôpitaux rouennais.
Mémoire de la protection sociale en Normandie, à paraître.
75. Paré A cité in Arnaud F (1888) Les teignes à Marseille. Notes historique et statistiques. Barlatier-
Feyssat, Marseille p. 10.
76. Arnaud F (1888) Les teignes à Marseille. Notes historique et statistiques. Barlatier-Feyssat,
Marseille p. 20-4.
77. Arnaud F (1888) op. cit., p. 32.
36 Les cheveux

Ainsi, jusque dans les années 1840-1850, les teignes, domaine réservé des guéris-
2 seurs, restaient pour les médecins au pire la conséquence inévitable d’une enfance
miséreuse, au mieux un bienfait de la nature qui protégeait les enfants en offrant
aux humeurs viciées une voie d’élimination naturelle. Dès que des chercheurs,
s’aventurant à regarder dans l’objectif d’un microscope, eurent montré que des
champignons microscopiques étaient la cause des teignes, celles-ci devinrent dignes
d’intérêt médical78. Schoenlein (1793-1864) en 1839 et Gruby (1810-1898) l’année
suivante, médecins de culture germanique, doivent être crédités de cette rupture
conceptuelle79, 80. S’ouvrit alors une période d’intérêt médical qui fit considérer les
enfants teigneux comme des enfants malades et non plus seulement comme les
témoins de la misère sociale.

ENTRE ABANDON MÉDICAL ET OBSESSION HYGIÉNISTE : PREMIÈRES INTERVENTIONS MÉDICALES


Au début des années 1850, constatant que le « règne des théories humorales » est
affaibli, Bazin affirmait que, si « quelques médecins ont avancé qu’il était dangereux de
guérir la teigne, nous croyons qu’aujourd’hui il serait difficile de trouver un praticien
qui osât prendre sur lui la responsabilité d’une pareille opinion ; il ne peut y avoir
aucune contre indication à la cure radicale de la teigne81 ». Bazin insistait par ailleurs
sur l’inutilité des traitements internes susceptibles de modifier une hypothétique
diathèse alors que la cause de la maladie, externe, est parfaitement identifiée.
Il parvint à intéresser le directeur de l’Assistance publique au point qu’un service
de quinze lits pour enfants teigneux fut créé en 1852 et qu’un dispensaire pour
le traitement des teignes fut ouvert. Le traitement conjuguait les soins donnés au
dispensaire externe et l’hospitalisation, décidée lorsque l’environnement social
de l’enfant l’imposait et que celui-ci déjà traité risquait moins de contaminer ses
voisins de salle82. Les teignes auparavant interdites d’hôpital pour des motifs de
bon sens (promiscuité, coût, contagion) devenaient sous la pression des médecins
un motif légitime d’hospitaliser les enfants malades.

78. Sur les difficultés d’acceptation de ces découvertes germaniques par la plupart des médecins
français, on pourra lire G Tilles (2011) Dermatologie des xive et xxe siècles. Mutations et controverses.
Paris, Springer.
79. Ackerknecht EH (1964) Johann Lucas Schoenlein (1793-1864). J Hist Med All Sci XIX ; 2 : 131-8.
Seeliger HPR (1985) The discovery of Achorion Schoenleinii. Mykosen 28(4) : 161-82.
80. Blanchard R (1899) David Gruby (1810-1898). Arch Parasitol 2 : 42-74. Le Leu L (1908) Le docteur
Gruby Notes et souvenirs. Stock, Paris. Rosenthal T (1932) David Gruby (1810-1989) Ann Med Hist
346. Théodorides J (1954) L’œuvre scientifique du docteur Gruby. Rev Hist Med Hébraïque 27-36.
Zakon SJ, Benedek T (1944) David Gruby and the centenary of medical mycology. Bull Hist Med 16 :
155-68.
81. Bazin E (1853) Recherches sur la nature et le traitement des teignes. Poussielgue, Masson Paris,
p. 78.
82. En pratique la méthode de Bazin associait l’épilation des cheveux parasités et l’application de
lotions mercurielles capables de détruire les champignons. En fait souligne Bazin, « le meilleur épila-
toire, sans contredit, c’est la maladie », manière d’insister sur la prudence qu’il convenait d’observer
dans l’utilisation de traitement trop agressifs pour traiter une maladie dont l’évolution spontanée se fait
vers la guérison. Bazin E (1853), op. cit., p 83.
Les enfants malades de la teigne… 37

L’influence de Bazin dépassa les limites de Saint-Louis. En juin 1853, la commis-


sion administrative des hôpitaux de Rouen confia les teigneux qui se présentaient
à l’hospice général aux soins d’un médecin – Jules Hélot – qui peu à peu mit fin
au monopole de la famille Mahon présente à Rouen83.
À Marseille, les médecins finirent, comme leurs collègues parisiens, par se préoccuper
du sort fait aux enfants teigneux, incitant l’administration à organiser le traitement de
manière conforme aux progrès de la science. En 1857, la Commission administrative
des hospices reconnut le caractère anachronique des méthodes employées – absence
de contrôle médical, durée et douleurs occasionnées, caractère secret de la méthode –
et la nécessité de « ne négliger aucun des perfectionnements dont ce système peut être
susceptible ». Elle décida alors « d’instituer le traitement dit de M. Bazin ; en confier la
direction à l’un des membres du corps médical des hôpitauxx84 ».
Après avoir été laissé à l’écart des pratiques médicales jusque dans les années 1850,
le sort des enfants teigneux commença à préoccuper les médecins. Les traitements
devinrent plus « rationnels », moins agressifs, peut-être plus efficaces, en tout cas
moins aléatoires. Parfois hospitalisés dans des services spécialisés à leur inten-
tion, ces enfants n’étaient pourtant pas regardés par les médecins comme faisant
courir un danger particulier à la société. À partir des années 1870-1880, les progrès
microbiologiques issus des découvertes pastoriennes provoquèrent un changement
radical dans la manière dont les malades contagieux – enfants teigneux notam-
ment – devaient être considérés.

Le malade contagieux, « fabricant de produits dangereux »

Les découvertes pastoriennes firent comprendre qu’il était possible de faire


baisser la mortalité en détruisant les microbes. La Société française d’hygiène, la
Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle, les périodiques spécia-
lisés – Annales d’hygiène publique, viennent s’ajouter la Revue d’hygiène et de police
sanitaire, l’Hygiène pour tous, le Journal d’Hygiène – participèrent activement à la
lutte. Des congrès internationaux – Bruxelles (1876), Paris (1878), Turin (1880) –
entretiennent l’attention des médecins qui prennent part aux instances décision-
naires et font du lobbysme dans les cabinets ministériels85. Le rôle des microbes,
auparavant objets de fortes réticences, est de moins en moins mis en doute au point
que Duclaux (1840-1904), Professeur à la Faculté des Sciences de Paris, pouvait se
demander « s’il y a vraiment des maladies où ils [les microbes] n’interviennent pas86 ».
L’homme entouré de ces microbes invisibles à l’œil nu doit lutter pour survivre.
Duclaux n’hésite pas à user de métaphores propres à faire comprendre à tout un

83. Feltgen K (2011) Histoire de la prise en charge des enfants teigneux dans les hôpitaux rouennais.
Op cit.
84. Arnaud F (1888) Les teignes à Marseille. Notes historique et statistiques. Barlatier-Feyssat,
Marseille, p 26-9.
85. Brouardel, Doyen de la faculté de Médecine de Paris préside le Comité consultatif d’hygiène
publique.
86. Duclaux E (1886) Le microbe et la maladie. Masson, Paris, p. 18.
38 Les cheveux

chacun à quel point la lutte contre les microbes est un impératif biologique et
2 social : « La vie comme nous la connaissons ressemble à une fédération sociale. […]
L’organisation et l’administration savante de l’empire romain ne l’ont pas empêché de
tomber facilement sous les coups des barbares. Les barbares, ici, ce sont les cellules des
microbes arrivant avec de grands besoins, peu difficiles sur les moyens de les satisfaire,
[…] toute leur force est en elles, toujours prête à se développerr87 ».
Conséquence de cette manière de considérer l’infection, les microbes donnent au
malade infecté, « fabricant de produits dangereux », une place nouvelle dans la société.
Il devient légitime de le mettre hors d’état de propager ses produits : « le malade est
toujours un blessé, et, par là même, mérite toujours la sympathie et la pitié. Mais l’arme
qui l’a blessé ne vient ni de Dieu ni d’un génie ; elle lui vient d’un autre malade et il
peut, lui aussi, sans le savoir, blesser de la même façon d’autres hommes, surtout ceux
qui lui donnent leurs soins. On a donc le devoir de se mettre en garde contre lui, de le
considérer momentanément comme fabricant de produits dangereux, ou exerçant une
industrie insalubre. Si on est arrivé trop tard pour l’empêcher de construire son usine,
il faut user du droit qu’on a de l’empêcher d’écouler ses produits88 ». L’isolement des
malades contagieux apparaît comme une nécessité89.
Dans ce climat, l’idée de santé publique organisée commence à poindre. En 1884,
le député Liouville propose que soit créée une direction de la santé publique
regroupant les services d’hygiène et de salubrité, épars dans différents ministères,
comme d’ailleurs le proposent les sociétés savantes90. Les médecins hygiénistes
français enquêtent sur les pratiques européennes. En matière d’hygiène comme
dans d’autres disciplines, l’Allemagne fait figure de modèle à suivre91.
La loi de 1902 contraint les maires à mettre en place un règlement sanitaire qui
prévoit l’isolement des contagieux92. Face à ce qui paraît une nécessité de santé
publique, se pose toutefois la question du secret médical et du rôle du médecin.
Certains se prononcent sans ambiguïté pour la défense des intérêts publics qui
doivent prévaloir sur « les convenances personnelles » ; en cas de nécessité, la
coercition s’impose : « depuis un certain nombre d’années, et surtout depuis que les
découvertes de Pasteur ont mis en lumière la solidarité sanitaire, les pays civilisés
sentent le besoin de protéger la santé publique par des lois. Il reste à exposer dans
quelle mesure et par quelles dispositions la collectivité doit intervenir pour préserver
la santé publique […] La coercition légale, dans les limites où elle est démontrée

87. Duclaux E (1886) Op. cit. p. 117-21.


88. Duclaux E (1902) L’hygiène sociale cité par Guillaume P (1996) Le rôle social du médecin depuis
deux siècles (1800-1945). Association pour l’étude de la sécurité sociale, Paris, p. 100.
89. Nonnis Vigilante S (2005) La construction sociale du malade contagieux. Enjeux scientifiques,
politiques et culturels (xixe-xxe siècles) In : Delmas E, Michel MJ, eds. Corps, santé. Nolin, Paris,
92-112.
90. « Proposition de loi relative à l’organisation d’une direction de la santé publique présentée le
21 juillet 1884 à la chambre des députés par M Henri Liouville » Ann Hyg Publ Med Leg 1884 ; 3 :
301-3.
91. Dubrisay A, Napias H (1888) Les hôpitaux d’isolement en Europe. Ann Hyg Publ Med Leg 3 :
554-7.
92. La « loi relative à la protection de la santé publique en France » a été promulguée le 15 février
1902. Elle prévoie la déclaration obligatoire des maladies contagieuses, par « tout docteur en médecine,
officier de santé ou sage femme qui en constate l’existence. » Ann Hyg Pub Med Leg 1902 ; 3 : 258-70.
Les enfants malades de la teigne… 39

nécessaire à la protection de la santé du plus grand nombre, non seulement est


légitime, mais s’impose aux sociétés comme un leurs devoirs essentiels93 ». Quelques-
uns n’hésitent pas même à justifier les lois par « l’intérêt supérieur de la race94 ».
Pour d’autres, il est difficile de trouver le bon chemin, celui qui concilie les intérêts
de la société et ceux individuels du malade.
Cela dit, il ne suffit pas de promulguer lois et règlements pour que ceux-ci s’appli-
quent. Les médecins sont sceptiques sur la mise en œuvre pratique. Après la loi
de 1902 qui organise la santé publique en France, les médecins en charge des
épidémies font observer que le caractère obligatoire de la déclaration de maladies
contagieuses inscrit dans la loi ne suffit pas à vaincre les réticences des médecins
qui invoquent le secret médical pour ne pas déclarer. Widal considère qu’il est
« injuste et imprudent que la responsabilité de la déclaration des maladies trans-
missibles pèse uniquement sur le médecin ». Pour lui, comme pour Chante-
messe, chacun doit prendre part à la traque des maladies transmissibles, « chef de
famille, chef d’établissement, logeur ». Il n’hésite pas à demander que les magis-
trats « poursuivent impitoyablement toute contravention aux règlements ». Widal
voit les réticences des médecins non pas comme la conséquence de considérations
« mesquines » mais comme « un brusque changement d’idéal imposé par les décou-
vertes modernes à une corporation plus attachée à ses traditions qu’elle ne le pense
elle-même. Depuis les temps hippocratiques, on n’avait pas cessé de faire pénétrer
dans la conscience du médecin la notion du contrat tacite qui le lie à son client et
on avait élevé jusqu’à la hauteur d’un sacerdoce la nécessité pour lui de défendre en
toute circonstance les intérêts du malade confié à ses soins. Or, hier, les découvertes
pastoriennes ont montré comment ce malade pouvait devenir un être redoutable
par les germes innombrables qu’il répand autour de lui […]. De ce jour, un contrat
social inconnu s’est imposé au médecin et la loi a dû l’obligation de prendre les
intérêts de tous contre ceux d’un seul95 ».
Considérant que non seulement les contagieux doivent être isolés des autres
malades, mais que chaque maladie doit avoir son pavillon spécial, le Conseil
Municipal de Paris prenait la résolution, le 17 juin 1887, de créer « en dehors
des fortifications, au nord-est au sud de Paris » deux hôpitaux pour la variole, à
Ivry un établissement pour la rougeole et, à Bicêtre, un hôpital d’isolement pour
la diphtérie. Il prévoyait aussi la construction à Trousseau de pavillons séparés
pour la diphtérie, la rougeole, la coqueluche et la scarlatine. La commission
d’hygiène hospitalière posait en outre plusieurs principes contraignants pour
limiter la propagation des maladies contagieuses. Le pavillon d’isolement des
contagieux devenait une véritable forteresse dans lequel le microbe devait être
circonscrit : « dans un service d’isolement, tout peut entrer en franchise, rien ne
doit sortir sans avoir été examiné, d’où la nécessité de vestiaires, lavabos, étuves
qui formeront les seules issues de l’isolement […] le personnel doit être logé et

93. Monod (1892) L’hygiène administrative. In : L’encyclopédie d’hygiène et de médecine publique,


vol. XVIII, p. 409.
94. Brouardel P, Mosny E (1905) Evolution et tendance de l’hygiène contemporaine. Ann Hyg Pub
Med Leg IV : 534-5.
95. Widal F (1909) Mesures à prendre contre les maladies épidémiques. Déclaration obligatoire des
maladies contagieuses. Résultats obtenus depuis la loi du 15 février 1902. Ann Hyg Pub Med Leg 4 : 245-64.
40 Les cheveux

nourri dans l’enceinte de l’isolement ; les sorties ne pourront être obtenues qu’avec
2 l’autorisation du directeur. […] Les communications verbales entre l’intérieur et
l’extérieur se feront par téléphone. Les communications écrites seront désinfec-
tées. » L’ensemble de ces mesures, commentées et amendées par une commission
de médecins des hôpitaux, devait permettre à chaque pavillon de fonctionner
comme un véritable hôpital d’isolement, seule l’administration restant centra-
lisée96. L’école des teigneux édifiée à Saint-Louis et, après elle, l’hôpital des
teigneux s’inspirèrent de ces principes dans une adaptation toutefois moins
contraignante (voir plus loin).
Cependant, sans attendre la mise en place ces nouvelles mesures, l’hygiène des
locaux hospitaliers devait être améliorée. En 1892, Napias, Inspecteur général des
établissements de bienfaisance et membre du Comité consultatif d’hygiène public
présentait « le tableau peu consolant des conditions générales dans lesquels se
trouvent beaucoup d’hôpitaux et hospices ». Sur les 1 700 hôpitaux ou hospices
de France, « plus de la moitié sont du point de vue de l’hygiène dans des condi-
tions absolument défectueuses » […] « là se rencontrent les plafonds à poutrelle, les
fenêtres insuffisantes et mal percées, les carrelages défoncés, les murs dégradés, les
lits anciens de bois avec paillasse et lits de plume ornés de rideaux rarement renou-
velés, […] tout un matériel boiteux et défoncé avec des housses rapiécées et sales ;
des tapis sur le sol faits de rognures de draps taillées en étoiles, […] où les poussières
s’amassent comme dans de sûres retraites d’où rien ne peut plus les expulser. […]
Pas de pavillons et rarement de salles pour les contagieux. Pas de lavabos ou bien
des lavabos insuffisants ; quelquefois pas même une baignoire. Encombrement sans
excuse dans beaucoup d’établissements où se trouvent des écoles (des écoles auprès
des malades, à bonne portée des contagieux !), des orphelinats dont les enfants ne
sont pas orphelins. […] Voilà le tableau97 ! »
L’hôpital Saint-Louis, dans les années 1870-1880, était un bon exemple de ces
carences. En l’absence de fondations, il n’était pas rare de voir l’eau stagner au pied
des murs, les plafonds étaient dégradés, les carrelages usés, les boiseries disjointes.
Quatre baraques en planches étaient affectées aux services de chirurgie98. Bourne-
ville, Conseiller Municipal de Paris, dénonçait cet état : « tout cela est sombre,
humide, incommode ». Quant aux locaux de la consultation, « c’est un bouge dont
on ne voudrait pas pour en faire un chenill 99 ». Le pavillon des bains qui représen-
taient l’un des traitements habituels des maladies de la peau était « dans un état
de délabrement complet et l’aspect misérable qu’il présente de toutes parts le rend

96. Martin AJ (1887) Rapport sur un projet de services d’isolement à l’hôpital Trousseau au nom
d’une commission composée de MM le Dr Grancher, Bouvard, Dubrisay, Herscher, Lafollye, Lailler,
Legroux, Napias, Peyron, Emile Trélat. Rev Hyg Pol San 9 : 1062-102.
97. Napias H (1892) Sur les conditions de l’hygiène hospitalière en France. Rev Hyg Pol San 14 :
945-68.
98. Rapport présenté par M. Bourneville au nom de la 8e commission sur différents travaux à exécuter
à l’hôpital Saint-Louis (1881) Conseil Municipal de Paris, n° 70.
99. Rapport présenté par M. Bourneville au nom de la 4e commission sur la construction d’un labora-
toire et d’un cabinet de micrographie à l’hôpital Saint-Louis (1880) Conseil Municipal de Paris, n° 176.
Les enfants malades de la teigne… 41

indigne d’une Administration comme la nôtre100 ». Complétant la médiocrité des


locaux, l’hygiène vestimentaire était tout aussi alarmante, le linge usagé, simple-
ment trempé dans de l’eau alcaline, n’était lessivé que lorsqu’il était trop sale. La
salle de la frotte, consacrée au traitement de la gale – spécialité de Saint-Louis –
était décrit comme un réduit « obscur et dégoûtant ».
En résumé, depuis les Mémoires de Tenon publiés cent vingt ans plus tôt, en
matière d’hygiène hospitalière, tout ou presque restait à faire. Il devenait urgent
que l’architecture hospitalière prenne en compte les besoins nouveaux et que
soient édifiés des pavillons séparés les uns des autres. Complétant la prophylaxie
des maladies contagieuses par l’isolement des malades et la professionnalisation
des soignants, l’État et les municipalités encouragèrent l’éducation sanitaire et le
dépistage précoce des maladies dans les écoles.

L’ÉCOLE, LIEU D’APPRENTISSAGE DE L’HYGIÈNE ET D’OBSERVATION SANITAIRE


Le principe de la surveillance médicale des enfants des écoles est né en 1836
sur l’initiative d’Orfila, vice-président du Comité central de l’inspection primaire
de la Ville de Paris101, 102. Cette louable initiative restait toutefois sans véritable
traduction pratique. Ainsi, à la fin du Second Empire, l’état sanitaire des enfants
des écoles préoccupa le pouvoir politique dans un climat d’inquiétudes démogra-
phiques. Médecins et politiques craignaient que des carences d’hygiène des petits
français creusent l’écart de population avec le voisin allemand qui venait de gagner
la guerre. À partir des années 1870-1880, l’hygiène des enfants en âge scolaire
devint une priorité éducative : « l’hygiène doit être enseignée comme l’ortho-
graphe ». Le perfectionnement des capacités physiques autant que des capacités
intellectuelles sont, pour les hygiénistes les plus déterminés, indispensables à la
grandeur de la Nation : « ce qui fait la grandeur d’une nation, c’est moins une
minorité d’esprits supérieurs dans toutes les branches du savoir, qu’une répartition
aussi égale que possible entre tous les citoyens qui la composent, d’un juste équilibre
entre la force physique et la valeur intellectuelle103 ».
Au centre du dispositif scolaire, les instituteurs sont mis à contribution. Trois mille
d’entre eux sont désignés pour visiter l’Exposition universelle de 1867 où sont
données des conférences sur l’hygiène des enfants à l’école. Des Traités établissent

100. Rapport présenté par M. Bourneville au nom de la 4e commission sur un projet de reconstruction
du bâtiment des bains externes à l’hôpital Saint-Louis (1877). Conseil Municipal de Paris, n° 54.
101. Réglement pour l’organisation du service médical dans les écoles municipales. Art. 1er : un
médecin choisi par le comité local de l’arrondissement sera attaché à chaque école communale de
garçons (…) art. 2 : ce médecin visitera au moins deux fois par mois, l’école soumise à son inspection :
il constatera l’état de santé des élèves et de la salubrité de l’école, consignera sur le registre d’inspection
le résultat de sa visite et en fera chaque mois rapport au comité local (…) le 16 avril 1836, signé Orfila
vice président. Cité in Riant A p. 214-4.
102. La médecine scolaire n’exista officiellement qu’à partir de la loi du 13 août 1943 qui rendit obliga-
toire l’examen médical de tous les enfants scolarisés. Les soins restaient toutefois la prérogative exclu-
sive du médecin traitant.
103. Galippe (1885) Instructions concernant les soins à donner aux dents et à la bouche chez les
enfants. Ann Hyg Pub Med légale 3 : 373-6.
42 Les cheveux

les règles élémentaires de l’hygiène scolaire qui concernent autant le terrain sur
2 lequel doit être bâtie l’école, que le mobilier scolaire, les dimensions des salles
de classe, l’enseignement de l’hygiène et l’examen attentif des élèves : « chaque
matin à l’ouverture de l’école, l’instituteur ou l’institutrice doit faire l’inspection de
propreté. Elle ne portera pas seulement sur la propreté de la figure, des mains, mais
particulièrement sur celle de la tête, sur l’état des cheveux. Des reproches devront
être adressés aux enfants malpropres afin que les parents sachent bien que l’école
communale est un lieu qu’il faut respecter et où l’on n’est pas reçu sans avoir pris ces
soins que l’hygiène et les convenances commandent […] l’examen de la tête demande
une attention spéciale ; en cas de doute sur une maladie du cuir chevelu, d’une
affection parasitaire ou d’une maladie plus générale (teigne, impétigo, variété de
scrofule…) le médecin de l’école devra être consulté104 ».
Le Guide hygiénique et médical de l’instituteurr précise l’attention que les maîtres
doivent porter à la propreté des enfants entrant à l’école : « la loi qui rend l’instruction
primaire obligatoire impose à l’administration un double devoir : instruire tous les
enfants qui lui sont confiés, préserver leur santé contre les dangers que peuvent lui
faire courir l’application des méthodes d’enseignement, l’aménagement des locaux,
la réunion d’un grand nombre d’élèves dans les écoles. Certes il faut que la France
forme des citoyens instruits, connaissant leurs devoirs et leurs droits ; mais elle doit
aussi faire des hommes robustes, aptes au service militaire, capables ainsi de servir
leur pays par leur intelligence et par leurs bras. Dans cette mission patriotique le
rôle de l’instituteur est capital ». La propreté des écoliers est un préalable à leur
admission dans la classe. L’instituteur doit s’en assurer : « toutes les parties du
corps seront passées en revue105, 106. Les auteurs insistent sur l’examen des pieds
– qui doit se faire à part – des oreilles, des dents et des cheveux : « l’enfant portera
ordinairement les cheveux courts ; les brosser avant de venir en classe, c’est le seul
moyen d’avoir la tête propre. À ceux qui auront des croûtes, on dira de consulter
un médecin car, contrairement au préjugé, cette présence de croûtes n’est pas un
indice de santé ». Les premiers symptômes des maladies de l’enfant – coqueluche,
diphtérie, épilepsie, gale, impétigo, rougeole, phtiriase – sont enseignés. La teigne
est décrite de manière assez précise, faveuse, tondante ou décalvante. Pour les deux
premières formes, le renvoi de l’élève est impératif ; pour la pelade, l’enfant peut
être toléré dans la classe à condition de « porter constamment (sic) une calotte107 ».
Quelle que soit la place donnée à l’instituteur dans la prophylaxie des maladies,
celui-ci ne pouvait assurer à lui seul le dépistage de toutes les maladies de l’enfant.
La présence de médecins dans les écoles était indispensable. À Paris, un arrêté
préfectoral du 13 juin 1879 disposa que chaque école soit visitée deux fois par mois

104. Riant A (1874) Hygiène scolaire. Influence de l’école sur la santé des enfants. Paris, Hachette,
p. 182-83.
105. Delvalle, Breucq A (1892) Guide hygiénique et médical de l’instituteur. Paris, Librairie classique
Fernand Nathan, p. 5 ; 8.
106. Guillaume P (2005) L’hygiène à l’école et par l’école. In : Bourdelais P, Faure O, eds. Les nouvelles
pratiques de santé. Belin, Paris, p. 213-26.
107. Delvalle, Breucq A (1892) Guide hygiénique et médical de l’instituteur. Paris, Librairie classique
Fernand Nathan, p. 9 ; 10 ; 22-24 ; 57. La pelade, dénommée ici teigne décalvante, était alors considérée
comme une forme de teigne donc contagieuse.
Les enfants malades de la teigne… 43

et les enfants examinés chaque mois. Le 14 novembre 1879, le ministre de l’Ins-


truction publique précisait le rôle des médecins inspecteurs qui devaient « visiter,
dans leurs tournées de clientèle, les écoles publiques existant dans les communes de
la circonscription qui leur sera attribuée afin d’examiner la salubrité des bâtiments
et l’état sanitaire des élèves108 ». Le décret du 18 janvier 1887 complétait de manière
très vague ces dispositions indiquant que l’inspection médicale devait porter sur
la santé des enfants, la salubrité des locaux et l’observation des règles d’hygiène
scolaire.
Là encore, les textes ne pouvaient suffire à la mise en pratique. Un praticien
ne pouvait, à l’évidence, en plus de sa clientèle, satisfaire à ces directives qui
obligeaient un médecin à examiner tous les mois les 1 000 enfants de chaque
circonscription109. Dans ces conditions, les médecins-inspecteurs des écoles étaient
contraints de constater que « la prophylaxie de ces maladies (contagieuses) qui est
le principal devoir de l’inspection médicale, n’a pu jusqu’à présent être sérieuse et
par conséquent efficace110 ». Plus de dix ans après la parution du décret de 1887,
une enquête menée par le ministère de l’Instruction publique montrait que seuls
36 départements pouvaient faire état d’une inspection médicale des écoles. Les
observateurs les plus attentifs en concluaient que « l’inspection médicale des écoles
même réduite à son rôle étroit, primitif, de moyen prophylactique contre la propaga-
tion des maladies, n’existe pas en France111 ».
Dans ces circonstances, les plus lucides indiquaient que seule la professionna-
lisation à temps plein de ces médecins inspecteurs pouvait répondre à la diffi-
culté matérielle soulevée par les médecins libéraux, ce qui impliquait toutefois
des charges financières supplémentaires que les communes, à Paris notamment,
n’étaient pas disposées à engager. Autre difficulté, celle du partage des attribu-
tions entre médecin traitant et médecin scolaire. Ceux-ci insistaient pour avoir
une fonction d’hygiéniste, « toute dualité du rôle risquerait de porter atteinte à des
situations acquises, c’est un péril qu’il faut éviter112 ». Enfin, l’inspection sanitaire
des enfants à l’école, quand bien même elle était effectuée dans de bonnes condi-
tions, ne réglait pas tous les problèmes, notamment celui de la contagiosité de
la maladie. Les médecins inspecteurs des écoles parisiennes soulignaient que le
règlement de 1894 qui prévoyait que le directeur de l’école devait juger de la nature
contagieuse ou non de la maladie ne pouvait évidemment pas être appliqué. Direc-
teurs et directrices ne pouvaient fonder leur jugement que sur les déclarations des
parents souvent peu enclins à avouer la contagiosité d’une maladie qui priverait
l’enfant de l’école. Les médecins traitants, quant à eux, se réfugiaient derrière le
secret médical pour délivrer un certificat de non-contagion et pour ne pas déplaire
aux parents. En fait, comme le fait remarquer Faure, malgré le quadrillage sanitaire

108. Cité in Mangenot (1887) De l’inspection hygiénique et médicale des écoles en France Rev Hyg
Police sanitaire 9 : 299-314.
109. Du Mesnil O (1880) De la surveillance médicale des écoles » Ann Hyg Pub Med légale 3 (3) :
76-92.
110. Mangenot (1893) La déclaration obligatoire des maladies contagieuses et l’inspection médicale
des écoles. Rev Hyg Pol Sanitaire 15 : 36-44.
111. Mosny E (1903) Buts de l’inspection médicale hygiénique des écoles publiques et privées. Op. cit.
112. Clippet F (1909) Bibliographie. Rev Hyg Pol Sanitaire 31 : 581-7.
44 Les cheveux

auquel rien ni personne ne semble pouvoir échapper, les crédits et les hommes
2 manquent, les conflits institutionnels et les intérêts corporatistes épuisent les
volontés les plus fortes113.
Dans ce climat de dépistage scolaire des maladies contagieuses, les dermatologues,
au premier rang de la lutte contre les teignes, s’efforcent d’associer instituteurs,
directeurs d’écoles et parents d’élèves. Charles Lailler (1822-1893), chef de service à
Saint-Louis114, recommandait aux parents de surveiller chaque jour le cuir chevelu
de leurs enfants et aux instituteurs de s’obliger chaque semaine à la même tache.
Il leur donnait quelques rudiments de dermatologie qui devaient leur permettre
de reconnaître les lentes, les poux et de suspecter une teigne tonsurante, un favus
ou une pelade. Dans tous les cas, l’enfant atteint devait être écarté de l’école et
quelques mesures de prophylaxie simples devaient être prises : « tenir la tête nue le
plus possible, même pendant les récréations dans les préaux ; donner la préférence à
des coiffures qui puissent se laver : casquettes ou calottes de toile l’été, bérets l’hiver ;
à la suite des jeux les garçons surtout ont presque toujours de la poussière en grande
quantité dans les cheveux ; il convient de leur faire laver la tête une fois par semaine
l’hiver, plus souvent l’été ; dans les écoles où il y a des internes, chacun doit avoir
sa, brosse, son peigne et sa brosse à peigne qui doivent être toujours très propres ;
tout enfant ayant eu la teigne et admis à nouveau à l’école après autorisation du
médecin, devra être l’objet d’une surveillance spéciale et soumis à une visite médicale
tous les quinze jours par trimestre115 ».

UNE ÉCOLE POUR ENFANTS TEIGNEUXX : PROGRÈS SANITAIRE OU MODÈLE D’EXCLUSION ?


Dans ce contexte où tout devait être mis en œuvre pour traquer les microbes et
isoler ceux qui en sont porteurs, les enfants malades de la teigne étaient une cible
idéale pour hygiénistes et éducateurs. À la différence d’autres maladies aux consé-
quences parfois sévères, scarlatine par exemple, la teigne ne porte pas préjudice à
la santé des enfants. Néanmoins, la hantise de la contagiosité les exclut des écoles,
pratique dénoncée par quelques praticiens mieux informés que d’autres. Arnaud,
médecin en charge des enfants teigneux dans les hôpitaux de Marseille, faisait
observer l’inutilité de l’exclusion des enfants teigneux : « une fois la tête recouverte
de l’emplâtre et du bonnet spécial qu’il ne doit jamais quitter, il n’y a pour ainsi dire,
plus de danger de contagion et il peut impunément se mêler aux autres enfants dans
les dortoirs et dans les salles de classe116 ». Le ministre de l’Instruction publique
insistait lui aussi sur l’inutilité des mesures d’exclusion scolaire en se faisant l’écho,

113. Faure O (1993) Les Français et leur médecine au xixe siècle, Belin, Paris, p. 241-69.
114. Mathieu A (1893) Charles Lailler. Ann Dermatol Syphil IV : 1101-8. Le docteur Lailler, médecin
de l’hôpital Saint-Louis (1822-1893) In : Bibliothèque Henri-Feulard, Hôpital Saint-Louis, Paris, cote
Mb 43.
115. Lailler Ch (1885) Instructions concernant les maladies contagieuses du cuir chevelu chez les
enfants à l’usage des parents, des instituteurs, institutrices, des directrices d’écoles. Ann Hyg Pub
Médecine légale s3 : 377.
116. Arnaud F (1888) Les teignes à Marseille. Notes historique et statistiques. Barlatier-Feyssat,
Marseille, p. 33.
Les enfants malades de la teigne… 45

dans sa circulaire du 18 janvier 1893, des déclarations du Comité Consultatif


d’hygiène publique de France qui faisait valoir « le danger que représente, dans un
certain nombre de cas, le licenciement de l’école. En l’absence des parents retenus à
leur travail, les enfants sont confiés aux soins et à la surveillance d’une voisine […]
Le licenciement de l’école peut donc favoriser la contagion au lieu d’y remédier117 ».
Malgré ces déclarations de bon sens, la teigne étant pour les familles « un véritable
épouvantail », l’éviction scolaire restait la règle. Les enfants, non ou épisodique-
ment traités, étaient alors privés d’instruction scolaire et livrés à eux-mêmes. Ainsi,
par exemple, Oscar Laslier « livré de nouveau au vagabondage, couchant souvent à
la belle étoile. […] Joseph Pillot […] enfant naturellement sale, adonné à l’onanisme,
est une espèce de fumier (sic), si je puis m’exprimer ainsi, sur lequel le champignon
du favus germe et pousse avec la plus étonnante facilité. […] Pillot est retourné
chez sa mère où il se trouvera dans les plus déplorables conditions hygiéniques118 ».
En résumé, pour beaucoup de médecins, les petits teigneux, exclus des écoles,
abandonnés par leurs parents pendant la journée, devenaient des délinquants
en puissance, relégués dans « la rue, les jardins publics, les promenades, exposés
à toutes les dépravations et à toutes les misères morales et physiques119 ». Dans ce
climat hygiéniste et de préoccupations sociales, rassembler les petits teigneux à
l’abri des murs d’un hôpital dans une structure réunissant soins et enseignement
semblait une idée naturelle.
L’hôpital Saint-Louis, établissement spécialisé dans le traitement des maladies de
la peau, fut choisi pour la mise en place de cette école d’un genre nouveau visant
à isoler les enfants malades de la teigne des autres malades et de la société, amélio-
rer l’hygiène hospitalière en développant une architecture pavillonnaire, perfec-
tionner l’état sanitaire des enfants grâce à une inspection médicale attentive et
assurer l’instruction publique rendue obligatoire depuis les lois Ferry de 1882120 :
« l’administration a eu la pensée de concert avec Monsieur le docteur Lailler de créer
un service où elle s’efforcerait d’amener les enfants à l’heure même où ils devraient se
rendre à l’école […] de garder ces enfants, de les traiter […] et de ne les rendre le soir
au moment où les parents rentrent […] c’est-à-dire en un mot de créer un traitement

117. Hygiène des écoles (1893) Ann Hyg Pub Med légale 3 : 569-73.
118. Rapport sur le traitement des teignes à l’hôpital Saint-Louis pendant le cours des années 1852,
1853 et 1854 par le docteur Bazin, Médecin de cet hôpital (1854). Paris, Imp de Simonet-Delaguette.
119. Dubrisay (1887) L’école des teigneux à l’hôpital Saint-Louis. Rev Hyg Police sanitaire 9 : 296-8.
120. Le 28 mars 1882 paraissait la « loi sur l’enseignement primaire obligatoire [Jules Ferry, ministre
de l’Instruction publique et des Beaux-Arts] dont l’article 4 stipulait que « l’instruction primaire est
obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de 6 ans révolus à 13 ans révolus ; elle peut être donnée
soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou
libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie ».
46 Les cheveux

auquel elle donnerait le nom de traitement externe à demi-pensionnat121 ». L’école


2 des teigneux fonctionna à partir du 4 août 1886122, 123.
Installée dans les locaux de l’ancienne consultation externe située à l’angle de la rue
Bichat et de la rue de la Grange-aux-Belles, l’école des teigneux, accueillait filles
et garçons dès 6 heures et demi le matin124, 125. Les conditions de vie y étaient peu
coercitives ; il n’est pas ici question de choléra, de variole ou de diphtérie, maladies
mortelles, mais de teignes, maladies contagieuses qui ne mettent pas en danger la
vie de l’enfant. L’école rend chaque soir les enfants à leurs familles et à une vie
sociale normale. Les premières heures, jusqu’à dix heures, sont occupées par le
petit déjeuner, le lavage de la tête, les premières séances d’épilation, la consul-
tation médicale. La classe proprement dite commence à 10 heures. De 11 h 30
à 13 heures, le déjeuner est organisé sur place. La classe reprend de 13 heures à
16 heures, suivie du goûter et d’une récréation. La classe reprend jusqu’à 18 ou
19 heures lorsque les enfants quittent l’école. La centaine d’enfants reçoit l’instruc-
tion de deux maîtresses, l’une nommée par la Ville de Paris porte le titre d’ajointe,
l’autre, ancienne malade de l’hôpital, est une « fille de service » (fig. 13 à 15).
Les progrès apportés par la création de cette école semblèrent insuffisants à l’Assis-
tance publique qui pensa y remédier en étudiant, à la demande du Conseil Munici-
pal de Paris (17 juin 1887), la construction d’un hôpital de teigneux en dehors de
Paris comprenant « 250 lits avec pavillon distinct et écoles distinctes pour les enfants
atteints de la teigne faveuse et ceux atteints de la teigne tondante126 ». À la suite des
protestations des représentants de la commune de Créteil inquiets de la contagion
et d’un avis du Comité Consultatif d’Hygiène qui ne voyait pas d’intérêt à établir
ce genre d’hôpital en dehors de Paris, le Conseil Municipal invita l’administration
hospitalière dans une délibération du 17 mars 1890 à étudier le projet de création
d’un hôpital de teigneux dans les dépendances de Saint-Louis. Le projet compor-
tait la construction de deux quartiers avec école : le premier à l’angle de la rue
Bichat et de la rue de la Grange-aux-Belles à l’emplacement de l’école existante
dont les bâtiments tombaient en ruine et qui avait du être évacués dans le courant
de l’année, le second sur le terrain Brézet situé au fond de l’hôpital en bordure de
la rue de la Grange-aux-Belles. Le premier quartier devait être affecté aux enfants

121. Création à l’hôpital Saint-Louis d’un traitement externe avec demi-pensionnat pour les enfants
atteints de la teigne (25 février 1886) Procès-verbal du Conseil de surveillance de l’Assistance publique
à Paris, p. 306-12.
122. L’Assistance publique reconnut le rôle de Lailler en donnant à cet établissement le 4 janvier 1894
le nom d’école Lailler. Attribution du nom de Lailler à l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis
(4 janvier 1894). Procès verbal des séances du conseil de surveillance de l’Assistance publique.
123. À Rouen, un chalet-école pour enfants teigneux ouvrit ses portes en 1900 sur le modèle de Saint-
Louis. Rattachée au service de dermato-vénéréologie dirigée par Charles Nicolle, l’école des teigneux de
Rouen fonctionna jusqu’en 1905. Feltgen K (2011) Histoire de la prise en charge des enfants teigneux
dans les hôpitaux rouennais. Op. cit.
124. Ecole des teigneux à Saint-Louis (3 février 1887), Procès-verbal du conseil de surveillance de
l’Assistance publique, p. 4-5.
125. Carrère JC (1890) Etude sur le traitement de la teigne tondante. Résultats obtenus à l’école des
teigneux de l’hôpital Saint-Louis. Steinheil, Paris.
126. Isolement des contagieux (1887) Rev Hyg Pol Sanitaire 9 : 621-3.
Les enfants malades de la teigne… 47

Fig. 13 – Teigne tondante. Plaque caractérisée par l’aspect tomenteux de la peau, un piqueté dû
à la saillie des cheveux cassés et des bords mal délimités. Lailler Ch (1876) Leçons sur les teignes.
Delahaye, Paris, coll. bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis, Paris.

atteints de teignes tondantes. Le second quartier se composait d’une section pour


les pelades, une pour le favus et une troisième pour l’infirmerie générale127.
Opposé à ce projet centralisateur, Henri Feulard (1858-1897), auteur d’une thèse
remarquée sur les teignes, faisait observer avec bon sens qu’il y aurait avantage,
non pas à centraliser le traitement des teignes dans une structure à l’écart de la
société mais plutôt à organiser, en plusieurs hôpitaux de Paris, des consultations
externes qui permettraient de diminuer les délais d’attente de traitement et le
nombre d’enfants hospitalisés en réservant l’hospitalisation aux teignes les plus
sévères et aux enfants sans famille : « nous demandons qu’avant de construire
à grand frais un hôpital qui sera certainement très beau mais qui ne permet-
tra de secourir qu’un nombre très restreint de teigneux, on réorganise d’abord les
traitements externes de la teigne […] la création de l’hôpital projeté ne devant
résoudre qu’imparfaitement la question, c’est par la réorganisation des traitements
externes qu’il faut commencer pour des raisons à la fois économiques et humani-
taires128, 129 ».

127. Hôpital Saint-Louis création d’un hôpital école de teigneux (1er février 1894). Procès-verbal du
Conseil de surveillance de l’Assistance publique.
128. Feulard H (1886) Teignes et teigneux. Histoire médicale. Hygiène publique. Thèse pour le docto-
rat en médecine, Paris.
129. À Paris dans les années 1880, des lits pour enfants teigneux existaient dans trois hôpitaux :
Enfants-Malades (100 lits), Trousseau (70 lits), Saint-Louis (40 lits), ensemble qui ne permettait pas
de satisfaire à la demande. Feulard proposait de supprimer les lits de Trousseau et de les réunir aux 40
48 Les cheveux

Fig. 14 – Salle de classe de l’école Lailler. In : L’Assistance publique en 1900,


coll. bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis, Paris.

Quoi qu’il en soit, la situation des enfants en attente de traitement – près de 300 au
début de l’année 1897 – réclamait une solution rapide et surtout un financement
qui se faisait désirer. Le Conseil de Surveillance de l’Assistance publique y insis-
tait : « les nouveaux bâtiments de l’école Lailler à l’hôpital Saint-Louis pourraient
être mis en service à partir du 1er juillet si nous possédions les ressources néces-
saires et je n’ai pas à vous dire combien est urgente l’ouverture de cette École ». Le
directeur de l’Assistance publique demanda au Conseil de Surveillance de « bien
vouloir émettre le vœu qu’une subvention spéciale de cent mille francs soit accordée
par le Conseil Municipal pour l’ouverture aux chapitres additionnels du Budget de
l’Assistance publique des crédits nécessaires pour faire face aux dépenses d’entretien
de la dite école pendant les 6 derniers mois de l’année 18977 130 ».
En dépit des propositions de Feulard, en fait isolées, le nouvel hôpital-école,
« hôpital central des teigneux » ouvrit ses portes à Saint-Louis le 12 juillet 1897.
Il se composait de deux parties : l’école A réservée aux teignes tondantes, située
à l’angle de la rue Bichat et de la rue Grange-aux-Belles. Au rez-de-chaussée se

lits de Saint-Louis, de maintenir aux Enfants-Malades les 100 lits, de créer dans cet hôpital une école-
dispensaire de 250 lits, d’agrandir l’école Lailler pour y installer 250 places en demi-pensionnat et de
créer en deux autres points de Paris des dispensaires-écoles de 100 places chacun ce qui aboutirait à
un total de 700 places de traitement externe. Feulard H (1894) Le traitement des teigneux à Paris. Rev
Hyg XVI : 510-22.
130. Ouverture d’un crédit spécial pour le fonctionnement de l’Ecole des teigneux pendant le
2e semestre 1897. Risler, Thomas Conseil de Surveillance de l’Assistance publique, séance du jeudi
3 juin 1897. Sabouraud insistait sur la nécessité de compléter l’école des teigneux par la mise en place
de mesures prophylactiques dans les écoles.
Les enfants malades de la teigne… 49

Fig. 15 – Enfants à l’école Lailler. In : Roger-Milès L (nd) La Cité de misère.


Marpon et Flammarion, Paris, coll. bibliothèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis, Paris.

trouvaient les salles d’épilation et de pansement, les salles de classe et les réfectoires.
Le laboratoire municipal – confié à Sabouraud (1864-1938) – chargé de l’étude et
du traitement des maladies contagieuses de la peau et du cuir chevelu de l’enfance
et de l’adolescence était situé dans cette partie de l’école131. Les dortoirs occupaient
les étages supérieurs et pouvaient accueillir 147 garçons et 60 filles. L’école B était
réservée au favus et à la pelade et située dans la partie de l’hôpital Saint-Louis
faisant l’angle de la rue Saint-Maur et de la rue Grange-aux-Belles. Cette école
pouvait recevoir 40 garçons et 23 filles. L’infirmerie, commune aux deux écoles,
était contiguë à l’école B ; 15 garçons et 15 filles pouvaient y trouver place. Au
total, 300 enfants pouvaient être hospitalisés. Le délai avant d’obtenir une place en
internat restait élevé, environ 7 mois, en 1900132. Les enfants proches de la guérison
étaient isolés le plus possible de ceux encore contagieux. L’enfant considéré guéri
quittait l’école, muni d’un certificat provisoire spécifiant qu’il devait se présenter à
nouveau un mois plus tard au laboratoire de l’école pour subir un examen complet
du cuir chevelu. Si la question du traitement était assez bien codifiée celle de la

131. Tilles G (2009) Teignes et teigneux. Histoire médicale et sociale. Springer, Paris.
132. Pignot M (1900) Etude clinique des teignes. Hygiène publique et prophylaxie des teignes
tondantes en 1900 à Paris et dans sa banlieue. Steinheil, Paris.
50 Les cheveux

guérison posait en effet davantage de problème. La constatation de la guérison


2 clinique ne suffisait pas ; le petit malade devait être gardé « au-delà du temps néces-
saire à la récidive133 ». Lailler insistait auprès de ses élèves pour qu’ils ne renvoient
« jamais un malade sans l’avoir gardé pendant deux mois en expectation : vous
n’avez le droit de le supposer guéri qu’alors que six semaines se sont écoulées sans
qu’il survienne de pustules faviques. » Et encore, ce délai lui paraissait-il bien incer-
tain au point de demander « une extrême prudence à prononcer le mot guérison »
d’insister pour que le médecin résiste à la pression de parents soucieux de rendre
leurs enfants à une vie sociale et scolaire normale : « je voudrais qu’un enfant ne
pût entrer dans un établissement public porteur d’une teigne ou d’un érythème
circiné. Je voudrais que l’enfant n’entrât à l’école qu’avec une patente nette. C’est
là Messieurs quelque chose qui vous paraîtra comme à moi fort utile, indispensable
même, mais il en est de cela comme de beaucoup d’autres choses qu’il faut désirer et
demander bien longtemps avant de pouvoir les obtenir134 ». Au total, plusieurs mois
de traitement étaient nécessaires pour obtenir la guérison d’un favus. Exemple, ce
« jeune homme de la campagne, âgé de 18 ans, de petite taille, cheveux cendrés, peu
épais, yeux roux, constitution scrofuleuse est entré dans le service le 29 avril 1852.
[…] 15 mai première épilation générale. Lotions avec le solutum de sublimé […]. Le
25 juin les cheveux commencent à repousser […] une seconde épilation est pratiquée
[…] Le 1err octobre sort de l’hôpital dans l’état suivant […] les cheveux repoussés sont
bruns et fort beaux. […] Le 1err décembre nous recevons des nouvelles de ce malade
[…] il nous apprend que sa tête est très propre, que le favus ne s’est pas reproduit ».
La teigne tondante n’était pas plus facile à traiter. La fragilité des cheveux atteints
rendait l’épilation plus difficile, les récidives plus fréquentes.
Malgré l’édification de cet hôpital-école considéré comme essentiel par l’admi-
nistration, les chiffres publiés quelques années plus tard atténuaient fortement
l’intérêt de cette structure spéciale pour enfants teigneux135. Pignot, élève de
Sabouraud, recensait près de 2 000 enfants ayant fréquenté l’école Lailler entre
1897 et 1900 auxquels il ajoutait les petits malades pris en charge à Trousseau et
aux Enfants-Malades pour comptabiliser plus de 3 400 enfants teigneux pendant
les trois dernières années du xixe siècle soit près de 4 fois plus que quinze ans
plus tôt. L’augmentation du nombre d’enfants teigneux lui paraissait d’autant plus
importante que ces chiffres ne tenaient pas compte des activités des services de
Saint-Louis et des hôpitaux Broca, Saint-Antoine, Broca, La Rochefoucauld pour
lesquels aucune statistique n’existait. Au total, Pignot proposait de considérer le
chiffre de 10 000 enfants teigneux traités dans les hôpitaux de Paris entre 1897 et
1900. Il s’agissait donc d’une véritable endémie progressant particulièrement dans
les quartiers ouvriers de Paris, Belleville, Ménilmontant, Charonne. La centrali-
sation du traitement des teignes à Saint-Louis ne semblait pas avoir apporté les
bénéfices sanitaires escomptés.

133. Bazin E (1853) op. cit., Poussielgue, Masson, Paris, p. 92.


134. Lailler Ch (1878) Leçons cliniques sur les teignes faites à l’hôpital Saint-Louis. Paris, V. Adrien
Delahaye, p. 31 ; 58-9.
135. Pignot M (1900) op. cit.
Les enfants malades de la teigne… 51

En résumé, pour n’en rester qu’à des questions de chiffres, la situation paraissait
d’autant plus grave que personne ne savait quoi faire de ces enfants qui avaient le
choix entre être « rejetés de l’école » et de ce fait n’être plus « ni surveillés ni instruits
par personne » ou bien continuer à fréquenter l’école et faire « en cinq ou six mois,
suivant le cas, 20, 30 ou 200 contagions ». Affirmant qu’une « école contaminée de
teigne est contaminée pour 10 ans », Pignot était même convaincu que les écoles
peuvent être contaminées dès leur ouverture et le rester jusqu’à leur disparition,
constituant ainsi un « un foyer de contamination perpétuel ». À cela s’ajoutait la
virulence de la contagion des teignes qui selon lui, était « plus grande que celle de
la coqueluche, de la rougeole ou des oreillons. » Enfin au cas où ce tableau n’aurait
pas été pas suffisamment alarmant, Pignot n’hésitait pas à évoquer la syphilis qui lui
semblait plutôt moins inquiétante que les inoffensives teignes : « plusieurs maladies
ne sont contagieuses que dans la première partie de leur évolution, comme la syphilis,
les teignes au contraire sont aussi contagieuses à leur dernier qu’à leur premier jour ».
La lutte contre les teignes peu présente dans les discours médicaux jusque dans
les années 1850 était devenue, pour certains, en quelques décennies une véritable
priorité sanitaire aggravant la crainte sociale à l’égard de ces enfants malades de
leurs cheveux. La radiothérapie, méthode nouvelle aux effets secondaires incon-
nus, trouva ici un terrain d’expérimentation idéal.

LES ENFANTS MALADES DES TEIGNES, VICTIMES D’EXPÉRIMENTATIONS HASARDEUSES


Les teignes du cuir chevelu étaient devenues en quelques décennies un tel sujet
de santé publique que les médecins recherchaient en permanence le traitement
le plus efficace, le plus court, si possible le moins agressif, celui qui en tout cas
pouvait éviter l’exclusion scolaire et prévenir la contagion. Les topiques mercuriels,
l’épilation à la pince ou entre les doigts n’apportaient que des solutions longues,
contraignantes et incertaines. Les emplâtres dits agglutinatifs étaient douloureux et
parfois dangereux. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la chute des poils,
observée fortuitement chez des malades soumis aux rayons inconnus découverts
par Rœntgen – rayons X –, ait été immédiatement accueillie par les dermatologues
comme un espoir de guérison rapide des teignes136. La question des conséquences
précoces et des éventuelles séquelles à long terme n’était pas à l’ordre du jour.
Sabouraud fut à Saint-Louis un propagateur déterminé de cette nouvelle méthode
qu’il utilisait en même temps qu’il en apprenait les rudiments137. Avec les rayons X,
Sabouraud était persuadé de détenir la « solution rêvée » du traitement des teignes
(fig. 17). La diminution de la durée de traitement apparaissait comme l’aspect le
plus spectaculaire de cette méthode nouvelle. On ne parlait plus en mois de traite-
ment mais en semaines suffisantes pour guérir une teigne au point qu’en quelques

136. D’une manière inattendue les rayons X furent utilisés à la fois pour détruire les cheveux envahis
par les champignons microscopiques et pour « stimuler » la repousse des cheveux au cours de la
pelade. Tilles G (2008) Teignes et teigneux. Histoire médicale et sociale. Springer, Paris.
137. Sabouraud R (1904) Sur la radiothérapie des teignes, Ann Dermatol Syphil 5 : 577-87.
52 Les cheveux

Fig. 17 – Salle de radiothérapie des teignes installée au Laboratoire municipal de l’hôpital Saint-
Louis à Paris. In : Sabouraud R. Les teignes, Paris, Masson, 1910, p. 779, coll. bibliothèque Henri-
Feulard, hôpital Saint-Louis, Paris.

années l’école des teigneux fut pratiquement désertée138. Les cancers cutanés
survenant sur les mains des premiers expérimentateurs ne freinèrent pas l’enthou-
siasme des médecins. Les séances d’épilation furent abandonnées et les têtes des
petits teigneux offertes sans inquiétude aux ampoules génératrices de ces rayons
X dont il était bien difficile de mesurer l’intensité. Jusque dans les années 1950,
la radiothérapie resta le traitement de référence des teignes et les cuirs chevelus
de plusieurs centaines de milliers d’enfants furent irradiés139. Des pays investirent
massivement dans les infrastructures nécessaires. En Yougoslavie, dans les années
1950, les enfants teigneux furent l’objet d’un traitement de masse soutenu par

138. Tilles G (2008) L’histoire inachevée des enfants teigneux irradiés. Presse Med 37 : 541-6.
139. Cipollaro AC Brody A (1950) Control of tinea capitis. NY State J Med, 50, p. 1931-4.
Les enfants malades de la teigne… 53

l’Unicef. De 1950 à 1957, plus de 36 000 cas de teignes furent reconnus dont près
de 30 000 traités par épilation et radiothérapie. Le coût de traitement représenta
plus de 150 000 dollars pour l’Unicef (environ 1 million de dollars de 2009) et
35 millions de dinars pour le gouvernement yougoslave (soit environ 2,7 millions
de dollars de 2009140).
La radiothérapie des teignes se poursuivit jusqu’au début des années 1950 lorsque
la griséofulvine apporta un traitement enfin efficace et sans danger, la vraie
solution rêvée du traitement des teignes141.
Les premières conséquences délétères de l’utilisation des rayons X pour traiter les
teignes furent publiées dans les années 1960, apportant une conclusion tragique à
la longue histoire du traitement d’une maladie bénigne des cheveux rendue collec-
tivement angoissante par une construction épidémiologique et sociale. En 1966,
Roy et al., comparant deux groupes de près de 2 000 enfants teigneux traités soit
par radiothérapie, soit par d’autres méthodes épilatoires, observèrent un nombre
significativement plus élevé de leucémies et de tumeurs cérébrales chez les enfants
irradiés142. Des travaux israéliens ont apporté d’autres informations sur le devenir
des enfants teigneux irradiés : doublement du nombre de tumeurs malignes
cérébrales et de la thyroïde143, résultats confirmés en 1988144 et 1989145. Plus
récemment (2005), d’autres recherches sur la même cohorte d’enfants ont montré
que le risque de voir apparaître des tumeurs cérébrales persiste plus de 30 ans
surtout chez les enfants irradiés dès leur plus jeune âge146. Quant aux cancers de
la thyroïde, le risque augmente régulièrement jusqu’à 40 ans après l’irradiation147.
À côté des enfants authentiquement malades de la teigne, une place doit être réser-
vée à d’autres, atteints de pelade, maladie des cheveux aujourd’hui connue comme
sans relation avec une étiologie mycosique mais inspirant alors les mêmes inquié-
tudes de santé publique.

140. Shvarts S, Sevo G, Tasic M, Shani M, Sadetzki S (2010) The tinea capitis campaign in Serbia in
the 1950s. The Lancet ID 10 : 571-6.
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144. Ron E, Modan B, Boice JD et al. (1988) Tumors of the brain and nervous system after radiothe-
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145. Ron E, Modan B, Preston E et al. (1989) Thyroid neoplasia following low-dose radiation in child-
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146. Sadetzki S, Chetrit A, Freedman L et al. (2005) Long-term follow-up for brain tumor develop-
ment after childhood to ionizing radiation for tinea capitis. Rad Res 163 : 424-32.
147. Sadetzki S, Chetrit A, Lubina A et al. (2006) Risk of thyroid cancer after childhood exposure to
ionizing radiation for tinea capitis. J Clin Endocrinol Metab 91 (12) : 4798-804.
Les enfants malades de la pelade :
« dans le doute, excluons » 3

L’imbroglio terminologique et scientifique qui fit considérer la pelade comme


une forme de teigne puis comme une forme d’infection par un hypothétique bacille
de la séborrhée a été décrit ailleurs148. On en rappellera ici les grands traits. En 1843,
David Gruby présentait ses « Recherches sur la nature, le siège et le développement
du Porrigo decalvans ou phytoalopécie149 ». En fait, Gruby redécrivait non pas le
porrigo decalvans décrit par Bateman en 1813 – qui était une pelade, maladie sans
relation avec les champignons microscopiques – mais la teigne tondante décrite en
1829 par Mahon. Dix ans plus tard, Bazin, médecin de Saint-Louis, usait de son
autorité morale et scientifique pour confirmer les erreurs de Gruby. Dès lors que
Bazin avait parlé, l’affaire était jugée : la pelade était contagieuse et imposait de
protéger les enfants sains en excluant les enfants atteints des collectivités. Il ressus-
citait en même temps le mot pelade pour cette affection cutanée caractérisée par
« une chute temporaire ou définitive des poils avec ou sans achromie des surfaces
cutanées devenues glabres ».
À la fin des années 1870, Lailler qui consacrait un chapitre à la pelade dans son
ouvrage sur les teignes, manifestait toutefois à l’égard de la cause de la pelade une
certaine perplexité : « En France, presque tout le monde croit à la nature parasitaire
de la pelade, mais bien peu d’entre nous, si tant est qu’il y en est, ont été assez heureux
pour jamais rencontrer le parasite découvert en 1843 par Gruby […] Et pourtant
tous les caractères de la pelade sont ceux d’une teigne ». Quant à la contagiosité de
la pelade, Lailler était on ne peut plus hésitant : « la contagiosité de le pelade paraît
à peu près certaine […] elle n’a pu encore être démontrée expérimentalement […]
En dépit des contradictions apparentes et des difficultés de la clinique, en dépit des
dénégations qu’a soulevées l’existence d’un parasite dans la pelade, celui-ci existe
réellement, seulement personne […] ne l’a vu ». En conclusion, Lailler se deman-
dait s’il était bien pertinent de maintenir la pelade dans le groupe des teignes150
(fig. 16). Vingt ans plus tard, les dermatologues français restaient persuadés de la
contagiosité de la pelade qui « se transmet du serviteur au maître, de la maîtresse à
l’amant ou de la femme au mari, du coiffeur au client et réciproquement, des parents
aux enfants et réciproquement, de l’enfant à sa classe ou de la classe à l’enfant, du
régiment au soldat, du malade au médecin et aux élèves qui en conservent sans
lacune la regrettable tradition, etc. ». Sabouraud rappelait à quel point son Maître

148. Tilles G (2008) Teignes et teigneux. Histoire médicale et sociale. Paris, Springer.
149. Gruby D (1843) Recherches sur la nature, le siège et le développement du Porrigo decalvans ou
phytoalopécie. CR Acad Sci tome XVII : 301.
150. Lailler Ch (1878) Leçons cliniques sur les teignes. Delahaye, Paris, p. 81-93.
56 Les cheveux

Fig. 16 – Pelade plaques malades avec alopécie complète nettement délimitées et présentant l’as-
pect lisse et brillant de l’ivoire. Lailler Ch (1876) Leçons sur les teignes. Delahaye, Paris, coll. biblio-
thèque Henri-Feulard, hôpital Saint-Louis, Paris.

Besnier « tenait encore ferme pour la contagion de la pelade […] c’est à lui que j’ai
entendu dire, en voyant une plaque peladique située en bordure des cheveux sur
la tempe d’une jeune fille : quelle jolie place pour une moustache ! supposant que
la plaque était survenue après un baiser malheureux151, 152 ». Sabouraud lui-même
éprouvait une certaine difficulté à préciser les modalités de contagion de la pelade :
« la pelade est donc contagieuse, certainement contagieuse, mais peu contagieuse
ou bien elle demande pour se transmettre, certaines conditions réunies qui ne se
rencontrent pas toujours153 ».
En résumé, dans les années 1870-1880, les propos médicaux sur la contagiosité de la
pelade étaient un florilège d’incertitudes et l’attitude à l’égard des enfants scolarisés
divergeait selon les auteurs. Besnier et Hardy étaient persuadés d’avoir démontré
de manière « irréfragable » la contagiosité de la maladie à l’aide d’exemples surve-
nus dans les collectivités d’enfants et d’adultes : écoles, régiments, familles, par
échanges de bonnets, casquettes, contact direct ou par l’intermédiaire d’oreillers. La
survenue d’une « épidémie » de pelade parmi les sapeurs pompiers de Paris frappa

151. Sabouraud R (1936) Mes hôpitaux. Archives de l’Institut Pasteur, SAB 1-4.
152. Besnier E, Doyon A (1891) In : Kaposi M, Leçons sur les maladies de la peau. Tome II, Seconde
éd., Masson, Paris.
153. Sabouraud R (1895) Diagnostic et traitement de la pelade et des teignes de l’enfant, Rueff, Paris,
p. 24.
Les enfants malades de la pelade : « dans le doute, excluons » 57

particulièrement les esprits et donna aux partisans de la contagiosité un argument


supplémentaire. Les contacts avec des objets intermédiaires étaient plus incriminés
que les contacts directs. Peignes, brosses, bonnets, casquettes, chapeaux, traversins,
appuis têtes des voitures, des coiffeurs ou des dentistes, ciseaux, tondeuses, tous
objets du quotidien pouvaient transmettre ce microbe que personne n’avait encore
vu. Pour ces médecins, ce qu’on appellerait aujourd’hui le principe de précaution
s’imposait et, malgré les incertitudes, la formule « dans le doute excluons » préva-
lait154.
Dans ce climat « peladophobique », le Préfet de la Seine, soucieux de l’état sanitaire
des enfants des écoles, demandait au Conseil d’hygiène publique et de salubrité,
de produire un document pédagogique à l’attention des instituteurs. Delpech,
Conseiller de Paris, médecin de Necker, chargé de la rédaction affirme que la
pelade, considérée comme une teigne décalvante, « la plus innocente en apparence
des teignes, est peut-être la plus dangereuse au point de vue de la contagion, en ce
sens qu’elle peut passer longtemps inaperçue. » Delpech affirme qu’il faut « inspirer
aux enfants une répugnance salutaire, qu’ils garderont utilement toute leur vie, pour
une facilité trop grande à se servir de la coiffure des autres personnes155 ». Dans ce
contexte, « l’entrée des écoles publiques est impitoyablement refusée aux enfants qui
présentent des plaques dénudées sur la tête156 ».
En 1892, une circulaire ministérielle rappelait que « pour les écoles maternelles et
les classes enfantines, tant qu’un certificat médical n’aura pas attesté la guérison, la
non admission ou l’exclusion seront la règle, parce que la rigueur de ces mesures n’a
pas pour les enfants de cet âge la même gravité que pour ceux qui sont plus avancés
et parce qu’il est impossible de compter en rien sur leur concours. Dans les autres
écoles, les instituteurs seront autorisés à admettre les élèves atteints de pelade après
avoir reçu préalablement un certificat médical attestant la possibilité de recevoir
les sujets et sous réserve de l’observation des prescriptions ci-dessus. Les peladiques
devront être séparés pendant les classes et isolés pendant les récréations. Si la présence
d’un de ces malades admis ou conservés par tolérance venait à occasionner des cas
nouveaux, la tolérance cesserait aussitôt. Pour préserver les sujets sains, les contacts
immédiats seront évités en obligeant les peladiques à maintenir leur tête couverte ou
au moins la surface malade. Les autres élèves seront prévenus de n’employer aucun
objet appartenant à leurs camarades et particulièrement les objets qui ont été en
rapport avec la tête et la face de ceux-ci. L’échange des coiffures, cause fréquente de
transmission sera sévèrement interdit. Dans les écoles normales, outre les prescrip-
tions ci-dessus, les objets de toilette du malade lui seront exclusivement réservés ainsi
que sa literie, spécialement les oreillers et les traversins157 ».
Encouragés par leur ministre, les médecins scolaires traquent la pelade, à l’exemple
du Dr Lecourt qui ayant constaté plusieurs cas dans l’école de sa commune
(Bapaume) en réfère immédiatement au Préfet qui dépêche sur place, le Secrétaire

154. Ollivier A (1887) La pelade et l’école. Rev Hyg Police Sanitaire 9 : 195-202.
155. Delpech (1880) Premiers symptômes des maladies contagieuses qui peuvent atteindre les jeunes
enfants. Paris, JB Baillière, p. 27-8.
156. Ollivier A (1887) « La pelade et l’école ». Rev Hyg Police Sanitaire 9 : 195-202.
157. Cité in : Guide hygiénique et médical de l’instituteur. p. 80-1.
58 Les cheveux

du Conseil d’hygiène de la Seine-Inférieure. Ensemble, ils visitent les écoles des


3 environs et parviennent au chiffre de 198 garçons contaminés et presque autant de
filles soit environ la moitié des enfants des écoles. Les mesures les plus énergiques
sont prises ; le secrétaire de mairie est mis à contribution ainsi que deux infir-
mières de l’hospice de Rouen. Quelques semaines plus tard, d’autres cas de pelade
sont décelés dans une école maternelle : l’exclusion immédiate des enfants est
prononcée. Les protestations des parents n’y font rien. Au traitement local de la
maladie, s’ajoute le nettoyage des casquettes, lavées avec des solutions mercurielles
ou mises à l’étuve. Les taies d’oreiller sont recouvertes d’un linge propre changé
chaque jour et lessivé. Quant à la désinfection des classes, bien qu’elle ne paraisse
pas indispensable pour traiter une maladie des cheveux et des poils, le médecin
scolaire préfère appliquer le principe de précaution et recommande « un nettoyage
complet des murs et des planchers et une large vaporisation de tout l’appartement
au sublimé158 » .
Pourtant, les doctrines contagionistes de Bazin et de ses élèves ne manquaient
pas d’opposants qui, en France comme hors de France, tentaient d’échapper à la
« tutelle comminatoire du maître de Saint-Louis159 ». Rollet (Lyon), Robin, Vidal,
Lailler (Paris) réfutent l’origine parasitaire de la pelade. Hebra (Vienne) après avoir
admis l’existence d’un champignon rejette lui aussi cette étiologie. Leloir (Lille) ne
considère pas les pelades comme toutes contagieuses. Certaines sont, selon lui,
la conséquence évidente d’une « choc moral » ; il parle alors de peladoïdes. Dans
ces cas, le risque de contagion est nul. Leloir rapporte l’observation d’un malade
inquiet des déclarations d’un médecin qui venait de lui interdire le mariage. À
côté de ces formes, d’autres sont selon lui à l’évidence contagieuses, tels ces cas
observés dans les familles utilisant les mêmes peignes et brosses ; ils représente-
raient environ 25 % des pelades et justifient des mesures prophylactiques. Leloir
ne parvient toutefois pas à trouver une seule fois un parasite pouvant expliquer la
contagiosité. Dans ces conditions, il ne lui semble pas raisonnable d’imposer une
quelconque forme d’exclusion, d’autant qu’aucun critère morphologique, anato-
mopathologique ou microbiologique ne permet de distinguer les pelades conta-
gieuses de celles que ne les sont pas : « exclure fatalement, rigoureusement, tout
peladique de l’école, des lycées, etc. me paraît excessiff 160 ». L’attitude qui privait
inutilement les enfants d’instruction scolaire était d’autant plus contestable que
plusieurs mois voire un à deux ans pouvaient être nécessaires pour affirmer la
guérison d’une pelade.
Les opposants à la contagiosité de la pelade faisaient en outre observer à quel point
les arguments en faveur de la contagiosité étaient faibles. Il ne suffisait pas d’avoir
vu quelques cas de pelade dans une même famille ou dans une même école pour
affirmer que le premier s’était transmis aux autres. Ollivier, médecin des Enfants-
Malades, apportait d’autres arguments à la non-contagiosité : « j’ai pu observer
25 cas de pelade dans lesquels la contagion n’eut pas lieu entre mari et femme, entre
enfants partageant le même lit. Lors de mon arrivée à l’hôpital des Enfants-Malades,

158. Deshaye (1894 ) De la teigne dans les écoles. Rev Hyg Police Sanitaire 16 : 448-52.
159. Besnier E (1888) Bull Acad Med 185.
160. Leloir H (1888) De la pelade et des peladoïdes. Bull Acad Nat Med t19, s3 : 936-45.
Les enfants malades de la pelade : « dans le doute, excluons » 59

les peladeux étaient placés dans les mêmes salles que les teigneux proprement dits.
Deux d’entre eux contractèrent la teigne tondante et un troisième la teigne faveuse.
Jamais la transmission ne s’est faite en sens inverse161 ».
La controverse devint suffisamment préoccupante pour que l’Académie de
Médecine, arbitre officiel des contestations, nommât le 27 décembre 1887 une
commission – composée Hardy, Bergeron, Fournier, Cornil, Bucquoy, Ollivier, Le
Roy de Méricourt, Vallin, Vidal et Besnier, rapporteur – chargée de faire la lumière.
De nombreux arguments semblaient plaider pour une étiologie infectieuse encore
non démontrée, plus ou moins associée à des éléments encore moins démontrés,
psychiques ou pour reprendre l’expression de l’époque « trophonévrotique. » Les
premières lignes du rapport soulignent les incertitudes de la science en la matière :
« cette question est d’une difficulté exceptionnelle ; dans les pelades tout est étrange,
extraordinaire, irrégulier, presque tout incompréhensible et inexplicable. » Besnier
se déclarait très perplexe sur la question de la contagiosité et peu contraignant sur
l’exclusion des enfants des écoles : « à cela, deux raisons considérables : la première,
c’est que, pour tout observateur attentif, la contagion directe de la pelade ne s’exerce
que dans des conditions assez faciles à éviter, et que la contagion indirecte, dans les
endroits où le peladique est signalé et connu, est aisée à conjurer à l’aide de quelques
précautions fort peu onéreuses ; la seconde, c’est que jamais la nature microphytique
de la pelade n’a pu être sérieusement établie ». En résumé, la commission affirmait
de manière évasive que « la pelade vulgaire est transmissible, mais à sa manière162 ».
À chaque médecin de se contenter de ces conclusions académiques.
Avec quelques décennies de recul et après avoir lui-même succombé à l’étiologie
infectieuse de la pelade, Sabouraud résumait avec humour les grandes lignes de
ces discussions françaises : « vers 1843, la pelade était connue, cataloguée, décrite
et personne ne la croyait contagieuse. À ce moment survint Bazin […] Avec une foi
de catéchumène […] Bazin voulut loger les trois parasites décrits par Gruby. L’un
était acquis au favus, le deuxième à la teigne tondante, Bazin attribua sans hésita-
tion aucune le troisième à la pelade. Cazenave eut beau dire et faire, il eut beau
refuser de croire à la pelade contagieuse, au vitiligo dermophytique et même s’en
moquer avec beaucoup d’esprit […] tout plia devant l’affirmation magistrale de son
contradicteur ; la pelade devint contagieuse en 1853 avec les Leçons sur la nature
des teignes ; elle l’est restée jusqu’aux environs de 1900. Une fois de plus nous avions
placé le cœur à droite et le foie à gauche163 ».
La pelade qui ne nécessite plus d’éviction scolaire est une maladie d’étiologie
inconnue dont les traitements sont souvent décevants.

161. Ollivier A (1887) op. cit.


162. Besnier E (1888) Sur les mesures à prendre à l’égard des sujets atteints de pelade. Bull Acad Med
s3, 20 : 182-224.
163. Sabouraud R (1913) Entretiens dermatologiques à l’école Lailler. Doin, Paris, p. 195.
Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu
4

Bien avant les évaluations formelles du retentissement des maladies du cheveu


sur la vie quotidienne des malades, des médecins soulignaient à quel point les
enfants malades de la teigne étaient victimes de mesures d’exclusion sociale.

PREMIERS CONSTATS D’EXCLUSION SOCIALE


Alibert faisait observer que les affections regroupées sous le terme générique
« teignes » avaient en commun la répulsion qu’elles suscitaient, maladies « les plus
sordides de l’espèce humaine : quelques hommes attachent même des idées d’opprobre
à ces dégoûtantes infirmités ; ils vont jusqu’à penser que rien n’est plus urgent que de
reléguer et de mettre à part les enfans (sic) qui en sont atteints en les éloignant de
nos ateliers et de nos écoles164 ». Alibert insistait sur la souffrance morale éprouvée
par les enfants teigneux, les poussant parfois au suicide tel ce « malheureux enfant
qui passa plusieurs mois à Saint-Louis […] ses camarades l’ayant un jour plaisanté
au sujet d’une infirmité si dégoûtante, il en conçut une mélancolie profonde. Dès
lors il cessa de sentir les joies de l’enfance. Chose surprenante ! Depuis ce moment on
le vit manifester un penchant très décidé pour le suicide ; il fit même plusieurs fois
des tentatives pour s’étrangler avec son mouchoir. Un jour, par une sorte d’instinct
machinal, et dont il est impossible de se rendre compte, il essaya de se percer le cou
avec un couteau de table que la religieuse hospitalière lui avait confié pour couper
son pain. À cette époque il était à peine âgé de neuf ans. Ce fait est peut-être unique
dans les annales de l’art […] celui-ci ne tarda pas à succomber165. »
À l’exclusion sociale et à la souffrance morale, s’ajoutaient les souffrances
physiques que devaient supporter les enfants victimes de la barbarie thérapeutique
de certains médecins, peu attentifs à ce que l’on nomme aujourd’hui la réflexion
bénéfice-risque. L’atmosphère de la salle de traitement des teigneux à Saint-Louis
dans les premières années du xixe siècle donne une idée de l’ambiance thérapeu-
tique : « La salle où se trouvaient réunis les jeunes malades avait plus l’air d’une
salle de châtiment que d’une salle de médication. Ils y arrivaient le cœur serré par la
crainte et s’avançaient comme des victimes pour présenter leurs têtes à des mains de
fer. Les pères et mères qui les avaient conduit attendaient la fin de leur supplice en
gémissant. Qu’entendait-on de toutes parts ? Des voix suppliantes qui demandaient

164. Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la
peau. 2e éd., tome 1, Paris, Germer Baillière, p. 435-6.
165. Alibert JL (1835) op. cit. Paris p. 492-3.
62 Les cheveux

qu’on fît trêve à leurs déchirantes souffrances, quand ceux-ci ne répondaient que par
4 des avertissements sévères166. »
Quelques décennies plus tard, Lailler se montrait lui aussi attentif à apporter
aux enfants malades de la teigne une relative compensation à leur inconfort
affectif et social. En les regroupant dans une communauté de malades à l’inté-
rieur d’un hôpital, il pensait leur éviter l’exclusion sociale que représentaient
l’éviction scolaire et le vagabondage qui souvent en résultait. Les témoins,
non-médecins, rapportaient les efforts faits par l’administration hospitalière
pour créer une qualité de vie – expression alors anachronique – propice à un
certain épanouissement physique et moral. L’école des teigneux était même
considérée par les observateurs les plus enthousiastes de l’œuvre hospitalière
et municipale, comme un lieu de bonheur où les enfants malades, pauvres,
trouvaient la guérison par les soins, l’hygiène, l’exercice, l’éducation et le
respect du drapeau de la République : « ces petits ont faim souvent en arriv-
ant à l’école et ils savent qu’une bonne soupe les attend, toute fumante, dans
les assiettes, d’une propreté scrupuleuse. À mesure qu’ils arrivent […] les élèves
déposent à leurs numéros leurs coiffures et leur vêtement de sortie […] Sur la
table, dans la salle à manger, des fleurs, toujours des fleurs, parce que l’on veut
de la gaieté et que les fleurs écloses parlent de gaieté et de jeunesse. Après cette
première station, fort agréable, on entre en classe. […] Le docteur et les internes
viennent faire leur visite ; on examine, on prescrit ; les pansements se font avec
soin, grattage, lavage, raclage, épilation, coupe de cheveux très ras, au ciseau car
on ne sert pas du rasoir pour découvrir les parties malades. […] Les pansements
épilés, les têtes sont enveloppées de linges blancs, sorte de madras sous lesquels
les visages, bien portants ou pâlis par l’anémie ambiante des faubourgs, ont de
singulières expressions. […] Et tous ces enfants là sont vraiment heureux : ils se
sentent entourés, soignés, aimés. […] Écoutez-les, pendant leur récréation […]
ce sont des cris où s’ébattent la jeunesse et la santé […] Or quand leur corps
prend ainsi de l’exercice en liberté, quand leur esprit est sollicité de s’éveiller
à l’enseignement, comment ces enfants auraient-ils le temps de souffrir ? La
douleur du traitement s’efface promptement avec la distraction de l’étude et des
jeux […] L’administration, elle aussi a bien fait les choses : elle a voulu que son
école ait sa distribution des prix […] L’amphithéâtre de la Faculté, au fond de
la grande cour, s’ouvre pour cette solennité et une humble et rustique coquetterie
préside à sa décoration […] Aux angles nos trois couleurs vibrantes, bleu, blanc,
rouge, tout ce qui est clair, tout ce qui est beau, tout ce qui est pur ! […] Rien
de plus poignant que toutes ces têtes enserrées dans leur coiffure blanche167, 168. »

166. Alibert JL (1835) Monographie des dermatoses ou précis théorique et pratique des maladies de la
peau. 2e éd., tome 1. Germer Baillière, Paris, p. 301.
167. Roger-Milès L (nd) La Cité de Misère, Marpon et Flammarion, Paris, p. 169-81.
168. Dubrisay (1887) L’école des teigneux à l’hôpital Saint-Louis. Rev Hyg Police Sanitaire 9 : 296-8.
Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu 63

PERDRE SES CHEVEUXX : UNE MALADIE DE LA COMMUNICATION


L’attention formelle des dermatologues à la mesure de la qualité de vie est une
préoccupation récente. Pour certains, cette attention traduit une évolution de la
pratique médicale, « instauration d’une véritable alliance thérapeutique entre les
deux partenaires de la relation médecin-malade », renforce la place du patient
dans les choix thérapeutiques et témoigne d’une volonté médico-économique de
quantifier la santé et la maladie169, 170. D’autres voient dans l’intérêt des médecins à
la mesure de la qualité de vie des malades deux types de raisons en partie contra-
dictoires : soit que les médecins s’occupent enfin des malades et non plus seule-
ment des maladies ; soit que les mesures de qualité de vie ne servent qu’à masquer
une stagnation thérapeutique : à défaut d’améliorer l’efficacité des traitements,
on s’efforce de montrer, à l’aide d’index de construction discutable, qu’ils appor-
tent quelque chose aux malades171. Quoi qu’il en soit, les maladies de la peau sont
une cible privilégiée pour les mesures de qualité de vie en raison des contraintes
visibles qu’elles imposent aux malades, sources d’un « désavantage social […] d’un
inconfort lancinant […] de dégradation de sa propre image », de répercussions sur
« la vie sentimentale et sexuelle172 ».
L’attention des dermatologues sur les répercussions sociales des maladies du
cheveu a été attirée par la publication de témoignages de malades dans des pério-
diques médicaux.
Atteinte d’une pelade universelle depuis l’âge de 5 ans, Helen O’Beard rapportait
la « douleur psychologique » qui se déversait sur tous les moments de sa vie quoti-
dienne jusqu’à altérer sa « liberté sociale ». La perte des cils et des sourcils signifiait
l’impossibilité de maquillage de ces zones, synonyme d’altération de la féminité.
Helen Beard insistait sur les difficultés relationnelles rencontrées par les enfants
d’âge scolaire atteints de pelade qui les excluait des activités de groupe. Porter une
perruque justifiée par l’étendue de la pelade n’arrangeait pas les relations avec les
autres enfants, la perruque signalant l’enfant malade, le rendant vulnérable, en
butte aux vexations de la part de ses camarades de classe. Porter une perruque était
même un obstacle aux activités de plein air qui, plutôt que d’être des moments
récréatifs, devenaient pour l’enfant de véritables supplices. Perdre la perruque et
ainsi afficher la pelade aux yeux de tous représentait une source d’anxiété supplé-
mentaire173.
À côté de ce témoignage, le travail publié par Moerman offre d’autres éléments
de réponse concernant la perception comparative d’un individu avec une cheve-
lure intacte et du même sujet atteint de calvitie hippocratique. À partir de critères

169. Consoli SG (2004) Echelles de qualité de vie et facteurs psychologiques in Grob JJ (2004) Qualité
de vie et dermatologie, p. 87-93. Flammarion Médecine Sciences, Paris.
170. Grob JJ (2004) Qualité de vie et dermatologie. Flammarion Médecine Sciences, Paris.
171. Revuz J (2000) Index de qualité de vie en dermatologie. Ann Dermatol Venereol 127 : 2S7-2S8.
172. Grob JJ, Auquier P (2004) Spécificités des maladies dermatologiques. Conséquences sur la qualité
de vie et la santé publique, in Grob JJ (2004) Qualité de vie et dermatologie, p. 41-47. Flammarion
Médecine Sciences, Paris.
173. Beard HO (1986) Social and psychological implications of alopecia areata. J Amer Acad Dermatol
14 : 697-700.
64 Les cheveux

prenant en compte les valeurs définies par un panel d’Américains – intelligence,


4 stabilité émotionnelle, apparence agréable, extraversion/introversion, caractère
consciencieux – cinq affirmations étaient proposées pour définir deux portraits
du même homme, avec ou sans cheveux : cette personne a l’air intelligent, cette
personne semble émotionnellement stable (c’est le genre de personne sur laquelle
vous pourriez compter en cas de crise), cette personne semble agréable et dotée
de charme personnel, je pense que cette personne est extravertie, si cette personne
affirme qu’elle va faire quelque chose, vous êtes certain qu’elle le fera. Deux affir-
mations supplémentaires étaient incluses dans le questionnaire : cette personne est
vraiment très attirante ; cette personne semble avoir tel (?) âge. Les questionnaires
étaient remis à une classe d’étudiants en anthropologie ignorant que le même
questionnaire avec un portait différent avait été donné à un de leurs condisciples.
Ainsi, aucun ne savait qu’il participait à une étude sur la calvitie.
Les étudiants répondirent que le sujet chauve avait l’air plus intelligent, plus stable,
plus consciencieux alors que le sujet à la chevelure intacte était plus attirant et plus
agréable. En fait, la différence la plus significative entre les deux portraits concer-
nait l’âge estimé : 52 ans pour le sujet chauve, 42 ans pour l’autre. Dans une publi-
cation parue dans le même périodique, Kligman et Freeman soulignaient à quel
point ces résultats confirmaient le lien entre la chevelure et le souhait de paraître
jeune174. Moerman s’étonnait que les étudiants aient pu juger de l’intelligence et
du caractère agréable d’un individu uniquement sur son portrait dessiné, sans le
rencontrer. Enfin, faisant observer que les individus chauves communiquaient une
image vieillissante d’eux-mêmes, Moerman concluait que l’alopécie androgénique
est d’abord une maladie de la communication, ce qui doit inciter à une réflexion
bénéfices-risques approfondie lors des décisions thérapeutiques175.
À la fin des années 1990, Cash indiquait qu’en dépit de la place prise par l’appa-
rence physique dans les relations sociales, peu d’informations avaient été publiées
concernant l’impact social de l’alopécie androgénétique176. Il proposa à des adultes
hommes et femmes de donner leurs impressions sur des portraits d’hommes
chauves et non chauves appariés par âge et expression de visage. Les conclu-
sions étaient proches de celles de Moerman. D’une manière générale, les hommes
chauves étaient décrits comme plus âgés, physiquement et socialement moins
attirants. Seule l’impression d’intelligence n’était pas affectée par la présence d’une
calvitie. Cash en concluait que, même si l’impression dégagée par l’apparence
physique peut changer avec une meilleure connaissance de la personne concer-
née, les hommes atteints de calvitie peuvent être désavantagés dans leurs relations
sociales initiales. Cela dit, poursuivait Cash, quelle que soit l’importance de la
perte de cheveux sur les relations sociales, la question essentielle concerne l’impact
sur le bien-être et la qualité de vie des sujets eux-mêmes. Cash concluait que des

174. Kligman AM, Freeman B (1988) History of baldness. From magic to medicine. Clin Dermatol
6 : 83-8.
175. Moerman DE (1988) The meaning of baldness and implications for treatment. Clin Dermatol
6 : 89-92.
176. Cash TF (1999) The psychological consequences of androgenetic alopecia : a review of the
research literature. Br J Dermatol 141 : 398-405.
Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu 65

travaux complémentaires étaient indispensables pour mieux connaître l’impact


psychologique de l’alopécie androgénétique et ses effets sur la qualité de vie.
Quel que soit l’intérêt de ces travaux, la nouveauté ne réside pas tant dans l’atten-
tion des médecins pour la qualité de vie des malades que dans la volonté de mettre
en place des instruments de mesure permettant de quantifier les réponses des
malades177.

MESURER LA QUALITÉ DE VIE DES MALADES DU CHEVEU : PRÉCAUTIONS MÉTHODOLOGIQUES


Une des premières difficultés concernait l’absence de consensus sur la définition
de la santé. Van der Donk faisait observer que la relative indifférence médicale à
l’égard des perturbations psychologiques des sujets atteints d’alopécie androgé-
nique fut probablement la conséquence d’une définition de la santé longtemps
limitée à l’absence de maladie. L’élargissement de la définition de la santé donnée
par l’OMS à un « état de complet bien être physique, mental et social » a, selon
cet auteur, modifié l’approche médicale des patients atteints d’alopécie androgé-
nique178.
Au-delà de ces questions de définitions, d’autres auteurs évoquent des interro-
gations éthiques, liées à la légitimité des médecins à évaluer la qualité de vie des
malades en fonction de réponses à des questions imaginées par les médecins. Pour
ces auteurs, cette attitude leur permet de s’autoattribuer un rôle traditionnellement
attribué aux philosophes concepteurs de réformes sociales et finalement les conduit
à s’immiscer dans la vie quotidienne des patients179. Sabouraud qui eut un rôle
essentiel dans le diagnostic et le traitement des teignes du cuir chevelu assumait
sans gêne ce rôle : « le médecin en raison même de son instruction première et de
son éducation médicale est devenu apte à goûter toutes les disciplines de l’esprit et
à cultiver n’importe quelle branche de connaissances autres que la sienne […]. Le
médecin de par sa première culture et de par ses études presqu’enyclopédiques aura
en mains les clés qui ouvrent toutes les portes de notre esprit sur l’univers […] le
médecin devenu supérieur au commun des hommes en est devenu le précepteur et
le maître180 ».
À côté de ces réserves, Revuz souligne la question du type d’index utilisé et de son
influence sur les résultats. Selon cet auteur, les index dits généralistes utilisés pour
mesurer la qualité de vie des patients atteints d’alopécie androgénétique manquent
de sensibilité. À l’inverse, un index spécifique de ce type d’affection fait courir le
risque de donner des résultats caricaturaux. Revuz met également en garde contre
une assimilation parfois hâtive faite entre qualité de vie et retentissement psycho-
logique même si des perturbations psychologiques entraînent nécessairement une
altération de la qualité de vie. Comme le montrent de nombreux travaux (voir

177. Leplège A (1999) Les mesures de la qualité de vie. Que sais-je ? PUF.
178. Van der Donk J, Passchier J, Dutree-Meulenberg ROG, Stolz E, Verhage F (1991) Psychological
characteristics of men with alopecia androgenetica and their modification. Int J Dermatol 30 : 22-8.
179. Leplège A, Hunt S (1997) The problem of quality of life in medicine. JAMA 278 : 47-50.
180. Sabouraud R (1934) Le médecin hors la médecine, Masson, Paris, p. 1 ; 2 ; 16.
66 Les cheveux

plus loin), le retentissement psychologique est, pour l’essentiel, observé chez des
4 patients dont l’alopécie androgénétique est le motif de consultation181.
Quoi qu’il en soit, en matière d’évaluation de la qualité de vie, trois évolutions
méritent d’être retenues : les questionnaires d’abord normatifs, maintenant subjec-
tifs, s’attachent à mieux connaître la perception du patient ; ils concernent de
plus en plus une maladie précise ; enfin, ces questionnaires ne sont plus unique-
ment anglo-saxons nécessitant des adaptations culturelles à la traduction182. Le
VQ Dermato (1999) et le Skindex (2003) sont les outils d’évaluation spécifiques
des maladies de la peau validés pour une utilisation en France183, 184. Le Skindex
étudie trois dimensions spécifiques : le fonctionnement (bien-être, relation…),
les émotions (colère, haine, humiliation…), les symptômes physiques (douleur
du cuir chevelu, prurit…). En matière d’alopécie, le Hairdex version adaptée du
Skindex et le VQ Dermato semblent les échelles de mesure de qualité de vie les
mieux adaptées185. Le Hairdex ajoute aux dimensions du Skindex, la confiance en
soi et le vécu de l’alopécie. Robert et Berbis proposent un questionnaire proche de
ces échelles de mesure, composé de 23 items répartis en 5 chapitres qui prennent
en compte les attentes du malade en matière de traitement : vécu corporel (« Êtes-
vous fatigué ? » « Êtes-vous angoissé ? »…), vie émotionnelle (« Êtes-vous souvent
triste ? » « Pensez-vous souvent à votre alopécie ? »…), estime de soi (« Avez-vous
l’impression que tout le monde remarque votre alopécie ? » « Vous sentez-vous
inférieur aux autres ? »…), vie relationnelle (« Vous isolez-vous ? » « Avez-vous
peur de ne pas être aimé ? »…), importance du traitement (« Souhaitez-vous un
traitement de votre alopécie186 ? »).
Outre les questions qui concernent le vécu des malades, les questionnaires d’éva-
luation de la qualité de vie permettent aussi d’évaluer l’intérêt de telle ou telle
thérapeutique notamment du point de vue du malade. Ainsi, certains traitements
jugés utiles par les cliniciens ont dû être laissés de côté soit en raison d’une effica-
cité inférieure à ce que les patients jugeaient nécessaires pour améliorer leur qualité
de vie, soit en raison d’effets secondaires que les médecins considéraient comme
acceptables alors que les malades les décrivaient comme incompatibles avec leurs
attentes en termes de qualité de vie, soit encore parce que les modalités d’utilisa-
tion qui semblaient simples aux cliniciens imposaient aux patients des contraintes
inacceptables187.

181. Revuz J (2000) Alopécie androgénétique et qualité de vie, op cit.


182. Chassany O, Duracinsky M (2004) Grands outils disponibles pour mesurer la qualité de vie in
Grob JJ (2004) Qualité de vie et dermatologie, p. 11-19. Flammarion Médecine Sciences, Paris.
183. Grob JJ, Auquier P, Martin S et al. (1999) Development and validation of a quality of life measu-
rement for chronic skin dosorders in French : VQ dermatol. Dermatology 199 : 213-22.
184. Leplège A, Ecosse E, Zeller J et al. (2003) Version française du SKINDEX (Skindex France) :
adaptation et évaluation des propriétés psychométriques. Ann Dermatol Venereol 130 (2) : 177-83.
185. Robert JL, Berbis Ph (2004) Qualité de vie et alopécie in Grob JJ (2004) Qualité de vie et derma-
tologie, p. 157-161. Flammarion Médecine Sciences, Paris.
186. Robert JL, Berbis Ph (2004) Qualité de vie et alopécie in Grob JJ (2004) Qualité de vie en derma-
tologie, Montrouge, John Libbey, p. 157-61.
187. Grob JJ, Auquier P (2004) Spécificités des maladies dermatologiques. Conséquences sur la qualité
de vie et la santé publique, in Grob JJ (2004) Qualité de vie et dermatologie, p. 41-47. Flammarion
Médecine Sciences, Paris.
Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu 67

ALOPÉCIE ANDROGÉNIQUE ET PERTURBATIONS PSYCHOLOGIQUES


Concernant le retentissement des chutes de cheveux sur la qualité de vie,
plusieurs publications donnèrent, dans les années 1990, des résultats discordants.
Alors que Gosselin faisait remarquer le nombre plus élevé de troubles névrotiques
parfois psychotiques chez les hommes demandeurs de traitements de chute de
cheveux, d’autres tels Storer et al. ne voyaient pas de différence significative sur
« l’estime de soi » entre les groupes traités et les groupes témoins188. Passchier et al.
évaluaient les caractères psychologiques d’une population hollandaise composée
de 100 hommes en bonne santé, physiquement et mentalement, de 18 à 49 ans,
volontaires recrutés par annonces pour participer à une étude sur l’efficacité du
minoxidil topique à 2 % contre placebo. Selon ces auteurs, les sujets de cette étude
menée de manière rétrospective ne montraient pas d’altérations psychologiques ou
sociales et avaient une attitude plus « positive » envers eux-mêmes que les sujets
témoins189. L’équipe de van der Donk et al. confirmaient l’absence de perturba-
tions psychologiques chez les hommes inclus dans un essai thérapeutique sur le
minoxidil. Selon les auteurs, ces résultats provenaient du mode de recrutement des
sujets, tous volontaires pour participer à l’étude et non pas patients consultants
pour une alopécie androgénique190.
En 1992, Cash mena une étude sur 145 hommes, la plupart blancs, âgés de 18
à 70 ans, volontaires contactés dans des salons de coiffure pour participer à
une enquête rémunérée. Le résultat le plus significatif était que pour la plupart
des hommes la perte de cheveux était vécue comme un événement angoissant.
Les sujets atteints décrivaient la perte de cheveux comme source d’inquiétude
concernant leur vieillissement, l’éventualité de remarques de leur entourage.
Cela dit, l’auteur faisait observer que la calvitie ne s’accompagnait pas néces-
sairement de perturbations psychologiques globales. Seule l’image corporelle
semblait être affectée191.
D’une manière générale, la plupart des études montrent que les profils psycholo-
giques des hommes atteints d’une alopécie androgénétique visible associent perte
de confiance en soi, insatisfaction à l’égard de l’image de soi, sensation d’être
vieux, sans qu’il soit possible en l’absence d’études prospectives, d’affirmer que les
hommes ayant des troubles psychologiques préexistants sont plus enclins à perdre
leurs cheveux192. De plus, il apparaît clairement que ceux qui souffrent le plus en
termes de qualité de vie sont ceux qui consultent leur médecin pour ce motif. Ceci
peut expliquer le fait que, dans certaines études, 50 % des patients consultant un

188. Storer JS, Brzuskiewicz J, Floyd H et al. (1986) Review : topical minoxidil for male pattern
baldness. Am J Med Sci 291 : 328-33.
189. Passchier J, van der Donk J, Dutré-Meulenberg ROG, Stolz E, Verhage F (1988) Psychological
characteristics of men with alopecia androgenetica and effects of topical treament with topical minoxi-
dil. Int J Dermatol 27 : 441-6.
190. Van der Donk J, Passchier J, Dutree-Meulenberg ROG, Stolz E, Verhage F (1991) Psychological
characteristics of men with alopecia androgenetica ans their modification. Int J Dermatol 30 : 22-8.
191. Cash TF (1992) The psychological effects of androgenetic alopecia in men. J Amer Acad Derma-
tol 26 : 926-32.
192. Passchier (1998) Quality of life issues in male pattern hair loss. Dermatology 197 : 217-8.
68 Les cheveux

médecin pour une alopécie androgénétique ont pu être considérés comme ayant
4 des troubles psychologiques.
À côté des travaux menés sur des hommes, en 1992 Cash et al. ont conduit une
étude sur l’impact psychologique de l’alopécie androgénique chez les femmes. La
population étudiée provenait de deux centres dermatologiques de San Francisco,
96 femmes de 36,6 ans d’âge moyen, la plupart blanches, et 60 hommes de 31,3 ans
d’âge moyen en majorité blancs. Des questionnaires d’évaluation de l’image corpo-
relle, de la personnalité leur étaient remis. Les conséquences psychosociales liées à
la perte de cheveux étaient évaluées à l’aide d’un questionnaire plus spécifique. Le
groupe témoin était constitué de 56 femmes sans alopécie androgénique en traite-
ment pour des maladies de la peau non visibles en public. Les auteurs concluaient
à l’existence de réels effets psychologiques délétères liés à la perte des cheveux
chez les femmes. Comparé au groupe témoin, les femmes atteintes d’alopécie
androgénique rapportaient davantage d’anxiété sociale, de diminution de l’estime
de soi et de bien-être psycho social. D’une manière générale, hommes et femmes
étaient d’autant plus perturbés par leur perte de cheveux qu’ils ou elles étaient plus
attentifs à leur apparence. L’auteur concluait sans véritable surprise que l’impact
psychologique des alopécies androgéniques est plus marqué chez la femme que
chez l’homme, deux fois plus de femmes que d’hommes estimant être « très » ou
« extrêmement » contrariées par la perte de cheveux. Les patientes craignaient que
la perte de cheveux devienne de plus en visible et ait d’importantes conséquences
dans leur vie en société. Beaucoup s’efforçaient de compenser l’affaiblissement
de leur image sociale en modifiant leur coiffure et leur apparence dans le but de
restaurer l’intégrité de leur image corporelle. Seul le sentiment de paraître plus âgé
était plus marqué chez l’homme, un quart d’entre eux admettant que la perte de
cheveux était extrêmement contrariante193.
Dans une étude sur 116 patients (64 hommes et 52 femmes) consultants dans
un service de dermatologie pour alopécie androgénétique, Maffei et al. confir-
maient les résultats de Cash et concluaient que la prévalence des troubles de la
personnalité était plus élevée chez ces patients que dans la population générale.
Les résultats incitaient les auteurs à penser que l’existence de troubles psycholo-
giques préexistants avaient rendu les patients plus vulnérables et avaient facilité
le développement de perturbations psychologiques en relation avec la perte de
cheveux194. Contrastant avec plusieurs autres travaux antérieurs, la prévalence
des troubles de la personnalité n’était pas plus élevée chez les femmes que chez
les hommes.
Une des principales difficultés posées par ces études, bien soulignée notam-
ment par Girman et al., concerne l’existence de biais de recrutement. En effet,
la plupart des publications sur l’impact psychologique de la chute de cheveux a
concerné des hommes recherchant l’attention médicale ou en tout cas des échan-
tillons non aléatoires qui ne permettaient pas d’élargir les résultats à l’ensemble

193. Cash TF, Price VH, Savin RC (1993) Psychological effects of androgenetic alopecia on women :
comparisons with balding men and with female control subjects. J Amer Acad Dermatol 29 : 568-75.
194. Maffei C, Fossati A, Rinaldi F, Riva E (1994) Personality disorders and psychopathologic
symptoms in patients with androgenetic alopecia. Arch Dermatol 130 : 868-72.
Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu 69

des hommes et femmes atteints d’alopécie androgénique195. De ce point de vue,


le travail de Girman et al. apporte d’intéressantes informations concernant
des hommes en dehors de tout contexte de demande de soins. Les auteurs ont
adressé un courrier à 5 000 foyers des environs de Dayton, Ohio, où vivait au
moins un homme de 18 à 65 ans ; 342 hommes répondirent au courrier et furent
contactés par téléphone ; 69 d’entre eux furent exclus de l’étude pour des raisons
d’âge ou de pathologies. Les hommes retenus pour participer à l’enquête durent
répondre à un questionnaire sur leur perception de la perte de cheveux selon
l’importance de l’alopécie, les conséquences sur l’apparence et le ressenti person-
nel. D’une manière générale, les réponses de ces hommes n’ayant que peu ou pas
de perte de cheveux ont montré que les conséquences psychologiques négatives
de la chute de cheveux ne concernent pas uniquement les hommes demandeurs
de soins. Issus d’une population d’hommes ne cherchant pas de traitement, les
sujets interrogés reconnaissaient l’impact sur l’apparence et en particulier la
crainte de paraître plus âgés. Les hommes les plus concernés étaient les plus
jeunes, les plus soucieux de leur apparence. Bien qu’ils se sentent concernés par
l’impact psychologique de la perte de cheveux, peu d’hommes de l’étude avaient
cherché un traitement. Selon les auteurs, ceci pouvait être expliqué par la crainte
d’être considéré comme vaniteux ou d’admettre les difficultés à accepter la perte
de cheveux. Les auteurs faisaient justement remarquer qu’il n’est cependant pas
possible de généraliser les résultats obtenus ni à d’autres zones géographiques
des États-Unis, ni à d’autres cultures.
À ce propos, quelques auteurs ont insisté sur le fait que les patients consultants
pour une perte de cheveux constituent une « cible changeante ». Pour illustrer
cette idée, Kalick propose une comparaison avec les patients demandeurs de
rhinoplastie. Alors que les premières études montraient une prévalence élevée de
troubles psychologiques chez ces patients, des travaux plus récents indiquaient
qu’ils n’avaient pas plus de troubles psychologiques qu’une population témoin.
Cette évolution ne signifie pas, selon Kalick, que les patients demandeurs de
rhinoplastie soient devenus plus « sains » qu’il y a quelques années. Selon lui, il
est probable que l’acceptation par le grand public de la rhinoplastie a transformé
un traitement jugé auparavant « exotique » en une technique plus accessible et a
permis de faire évoluer le contexte psychologique de la population des patients
demandeurs196.
À côté de l’alopécie androgénique, principal sujet des études de qualité de vie,
la pelade, dont Helen Beard rapportait l’expérience personnelle, a fait l’objet de
travaux récents.
Dubois et al. confirment le retentissement de la pelade sur la qualité de vie.
Donnant à 60 patients de plus de 16 ans et ayant une pelade depuis au moins
8 semaines, trois questionnaires différents (un questionnaire générique, SF
36 et deux questionnaires spécifiques des maladies cutanées chroniques, VD
Dermato et Skindex), ces auteurs ont montré une altération de la percep-

195. Girman CJ, Rhodes T, Lilly FRW, Siervogel RM, Patrick DL, Chumlea WC (1998) Effects of self
perceived hair loss in a community sample of men. Dermatology 197 : 223-9.
196. Kalick SM (1994) Psychological characterisitics of alopecia patients. Arch Dermatol 130 : 907-8.
70 Les cheveux

tion de soi qui n’est pas liée de manière significative avec la sévérité de la
4 maladie197. La vie en société était affectée autant que pour les patients atteints
de dermatite atopique, de psoriasis ou d’urticaire chronique. La vie sociale et
le confort psychologique étaient plus affectés par la pelade que par l’hidrosa-
dénite, maladie prise comme référence en raison de son implication dans de
nombreux aspects de la qualité de vie. Les paramètres sociodémographiques
n’avaient pas d’impact sur la qualité de vie des patients peladiques, sauf pour
les activités de loisir chez les femmes.

CHUTE DE CHEVEUX ET MALADES DU CANCER : UN MODÈLE PARTICULIER D’ÉTUDE DE QUALITÉ DE VIE


La soudaineté de la perte de cheveux et la concomitance d’une maladie menaçant
la vie constituent une circonstance particulière au cours de laquelle les consé-
quences psychologiques de la perte de cheveux peuvent être au premier plan.
Cette situation a été analysée chez des malades atteintes de cancer du sein
soumises à une chimiothérapie.
La perte de cheveux survient chez plus de 60 % des patientes soumis à ce
type de traitement. Elle commence le plus souvent entre 1 et 3 semaines après
le début de la chimiothérapie, est maximale en 1 à 2 mois et intéresse plus de
80 % des cheveux. L’importance de la chute de cheveux au cours de chimiothé-
rapies varie selon les molécules utilisées. Le cuir chevelu est le plus souvent la
seule zone pileuse atteinte. Il peut cependant arriver que des chimiothérapies
répétées affectent les poils des cils, des sourcils, les aisselles et les poils pubiens.
La perte de cheveux est habituellement réversible dans un délai de 3 à 6 mois
après la fin du traitement du cancer. Toutefois, il peut arriver que les cheveux
nouveaux aient une couleur et/ou une texture différente. Dans certains cas, la
densité des cheveux peut rester inférieure à celle de la chevelure initiale. Dans
tous les cas, la chute des cheveux affecte de manière particulière l’image corpo-
relle, la sexualité et l’estime de soi. Elle est donc particulièrement mal vécue au
point que selon certains travaux, près de la moitié des patientes considèrent la
perte des cheveux comme la conséquence la plus traumatisante de la chimio-
thérapie.
Après revue de la littérature, Lemieux et al. montrent que la perte de cheveux
au cours des chimiothérapies chez les patientes atteinte de cancers du sein est
considérée comme l’effet secondaire le plus angoissant de ce type de traitement
au point que certaines patientes ont refusé les chimiothérapies adjuvantes. Les
auteurs font toutefois observer que plusieurs des publications analysées concer-
nent des chimiothérapies qui ne sont plus utilisées aujourd’hui. Ils soulignent
qu’il n’existe pas de lien entre l’importance de l’alopécie, partielle ou totale,
et l’intensité du stress généré. Certaines patientes considéraient même que
la chute des cheveux était plus difficile à supporter que l’ablation d’un sein.
De plus, non seulement la perte des cheveux signale à l’entourage l’existence

197. Dubois M, Baumstarck-Barrau K, Graudy-Marqueste C, Richard MA, Londou A, Auquier P,


Grob JJ (2010) Quality of life in alopecia : a study of 60 cases. J Invest Dermatol 130 : 2830-3.
Évaluer la qualité de vie des malades du cheveu 71

du cancer mais rappelle sans cesse à la patiente sa maladie. À l’inverse, pour


certaines femmes, la chute des cheveux est considérée comme un signe d’effi-
cacité de la chimiothérapie. Lemieux et al. font toutefois observer que la valeur
de ces constats doit être rapportée au faible nombre de publications dont la
méthodologie est fiable198.

198. Lemieux J, Maunsell E, Provencher L (2007) Chemotherapy-induced alopecia and effects on


quality of life among women with breast cancer : a literature review. PsychoOncol 17 : 317-28.
II

Des cheveux sur la tête :


importance,
valorisation, aliénation,
chez différents peuples

Françoise Gründ
La chevelure, marqueur d’identité individuelle
et sociale 1

LA PROBLÉMATIQUE IDENTITAIRE
Très souvent, au cours d’une conversation courante, la désignation d’un individu
se fait, dans un premier temps, grâce à l’aspect du sommet de sa personne – en
général, à la hauteur des yeux de l’autre – et, par conséquent, de l’état de sa cheve-
lure. « Le grand blond », « la brunette », « le chauve », « l’homme aux cheveux
blancs », « la dame au chignon gris », « l’adolescente à la tignasse rousse », « le jeune
homme crépu », « la fille aux boucles d’or », « la femme aux cheveux d’ébène », etc.,
génèrent des images mentales réduites, mais significatives, qui servent de signes de
reconnaissance des êtres.
La couleur du cheveu, sa texture, son abondance, la forme de la coiffure compo-
sent souvent les premiers indicateurs d’identification ou de reconnaissance.
Quelquefois, la chevelure devient un facteur administratif, jugé indispensable pour
déterminer l’aspect du citoyen. Ainsi, dans les pays occidentaux, comme dans de
nombreux autres, la couleur des cheveux, inscrite sur le passeport, figure au même
titre que la taille de l’individu et la teinte de ses yeux.
Bien plus que soumise à un signe d’identification, il arrive que la personne se
définisse par l’unique apparence ou fonction de sa chevelure, et devienne ainsi une
sorte de prototype.
Angela Davis, chanteuse américaine, Bob Marley, chanteur jamaïcain, se carac-
térisent autant par leur voix que par leur chevelure. Ils lancent un style dont la
jeunesse de l’époque s’empare. Leur chevelure, pour l’une en boule mousseuse
et pour l’autre en enchevêtrements de dreadlocks, devient le signal de contes-
tation d’une société conventionnelle et politiquement marquée, de leurs pays
respectifs. Volontairement, ils affichent leurs opinions, dans leur apparence de
marginalité.
Ils rejoignent, de façon paradoxale, le même esprit que la Marie-Madeleine de la
Bible, et les Madeleine de la fable, qui se trouvent perçues comme les séductrices
ou les saintes, porteuses d’une chevelure opulente et mythique. Leur l’histoire se
change en celle de la somptueuse parure, qui s’allonge ou épaissit, malgré les jeûnes
et les privations, dans certains cas de dolorisme sacré. Ces femmes pénitentes,
mais révoltées, qui, de leurs cheveux, essuient les pieds du visiteur, venu s’asseoir
dans la maison, le Christ, deviennent brusquement libres, c’est dire, libérée du
poids du péché, par la parole inspirée.
76 Les cheveux

« Cheveux, mes beaux cheveux, entourez-moi. Vous êtes plus beaux et plus lumineux
1 que les rayons que le soleil répand, lorsqu’il couvre, avec eux, le ciel » dira la Marie-
Madeleine du Siècle d’Or, par l’écriture de Lope de Véga199.
La chevelure détermine une esthétique, une source d’inspiration, des formes de
poésie.
La poétique des cheveux doit beaucoup à la peinture, à la littérature, au cinéma,
dans la civilisation occidentale. Elle se trouve aussi redevable aux rituels, chez les
peuples africains, asiatiques et des Amériques.
Dans la recherche de preuves, pour reconnaître, condamner ou innocenter un
individu, le cheveu comme le poil contiennent la clé génétique de l’identité, révélée
depuis peu, grâce à une technologie spécifique. Il suffit, actuellement, d’un cheveu
pour que l’auteur du crime se démasque ou s’esquive.
La chevelure, la toison pubienne, le poil touchent à l’intime et révèlent parfois des
informations qui se dissimulent ou s’exhibent, selon le type de société envisagée.
Le velu, qui relie l’humain à l’animal, souligne les éléments troubles ou énigma-
tiques du révélé et du caché. Certains psychologues soutiennent que le petit de
l’homme, souffre, dès sa naissance, de ne pouvoir s’accrocher et se réfugier dans
l’épaisseur de la toison maternelle ou paternelle. La peau, presque nue et lisse de
ses géniteurs, lui cause une frustration dont il ne parviendra pas à se débarrasser.
Les spécialistes (surtout russes et vivant dans les pays balkaniques) désignent ce
manque comme « la nostalgie du velu200 ».

UN MARQUEUR SOCIAL
Au sein des sociétés méditerranéennes, les cheveux des femmes devaient (et
doivent encore en ce qui concerne plusieurs pays) se cacher, sous des étoffes, des
chapeaux, des dentelles, des voiles, des foulards, plus ou moins épais.
Dans l’Égypte du début du xxe siècle, en principe, seules les prostituées sortent la
tête découverte. Les noms de « celle qui marche, en cheveux » ou de « celle dont les
cheveux ondulent » caractérisent, depuis le xvie siècle, les créatures qui monnaient
un acte sexuel. En fait, seules les femmes et les jeunes filles de la bourgeoisie
égyptienne, occidentalisée, se déplacent en public, « tête nue ». La critique sociale
s’estompe avec la mondialisation. La remarque vaut pour presque tous les pays
musulmans, sauf ceux régis par un ordre religieux étatique.
De façon prévisible, certains fondamentalistes israéliens prônent, depuis 2010, la
mise hors de vue et hors d’atteinte des zones « sexuelles » de la femme : ses jambes,
sa voix… sa chevelure.
Les femmes âgées – habitant surtout les villages – de Sicile, de Grèce, de Crète,
d’Espagne, d’Albanie, de Croatie et de nombreuses régions des Balkans ne se
montrent pas au regard des autres, sans que leurs cheveux ne soient couverts.

199. de Vega L (1916) La mejor enamorada, la Magdalena. Real Academia, Madrid, T II.
200. Propp W (1928) Morphologie du conte. Le Seuil, Paris, 1970.
La chevelure, marqueur d’identité individuelle et sociale 77

Les églises chrétiennes des pays occidentaux recommandent à leurs fidèles


féminines le port d’une mantille, d’un châle ou d’une étoffe, pour suivre l’office,
selon le « bon » usage.
Actuellement, une réception à la cour d’Angleterre, devant la reine, oblige les
visiteuses à couvrir une partie de leur chevelure, même de façon symbolique, par
un minuscule chapeau. Il en va de même pour une entrevue ou pour une appari-
tion rapide devant le pape, potentat du Vatican.
L’abondance des cheveux, ainsi que leur longueur, leur épaisseur et, parfois leur
absence, soulignent tantôt la féminité, tantôt la virilité de l’être. La symbolique se
révèle, souvent, pleine de contradictions, au sein d’une même communauté.
Il arrive que la représentation picturale d’un individu se centre autour de sa chevelure.
Au siècle dernier, les femmes du Vietnam et de la Chine possédaient des cheveux,
dont la taille dépassait celle de leur corps. Elles montaient sur un tabouret, leur
cheveux touchant le sol et se faisaient peigner par une servante ou un membre de la
famille. Elles se coiffaient en repliant plusieurs fois les mèches et en les tordant dans
des chignons compliqués. Des peintures, dessins et photos montrent ces femmes,
dans leur besogne quotidienne d’organisation de leur coiffure.
La pousse et la dimension des cheveux ne se répartissent pas de la même manière,
chez tous les habitants de la planète. Faut-il en attribuer la cause à l’alimentation,
au climat, aux soins particuliers d’hygiène ou à la génétique ? Sans entrer dans des
considérations superflues, il faut bien parfois constater que les aïeules des femmes
contemporaines, nées au xixe siècle, possédaient une chevelure plus abondante,
plus longue, que celle de leurs descendantes.
« Vous lavez trop souvent vos cheveux ! » disaient, voici quelques années encore,
les grands-mères à leurs arrières-petites filles européennes.
Une dame indienne, à la foisonnante toison noire, d’une longueur inhabituelle,
soutenait qu’elle devait cette profusion, au fait d’absorber, chaque jour, une grande
quantité de liquide (eau, soupe, lait, thé, jus de fruits, etc.)
« En Europe, vous buvez si peu ! Vous vous contentez de régimes secs ! Vos
cheveux souffrent ! »
Presque partout, dans le monde, la chevelure prolifique devient un sujet de fierté.
Parfois, sa présence souligne l’existence d’un code.
Les samouraïs japonais considéraient que leurs cheveux réunis en une sorte de
queue de cheval définissaient leur ordre et leur honneur. Au moment des rébel-
lions, mâtées par les puissances gouvernementales, du temps des shoguns, à l’ère
Meiji, jusqu’au xixe siècle, les soldats du souverain dominant coupaient la mèche
épaisse qui tombait sur le vêtement des combattants vaincus. Cette ablation, faite
pour humilier, représentait un affront. Certains samouraïs, déshonorés, préfé-
raient mourir et commettaient le sappuku, immédiatement après la coupe.
L’enseignement chrétien, peu avare de principes, souligne la nécessité des cheveux
longs, chez la femme et courts, chez l’homme. « La nature elle-même ne vous
enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter de longs cheveux…
mais que c’est une gloire pour la femme d’en porter, parce que la chevelure lui a été
donnée comme voile201 ? »

201. Corinthiens 11 : 14-15.


78 Les cheveux

Dieu choisirait donc la longueur des cheveux de l’être humain pour symboliser sa
1 relation avec lui et l’autorité qu’il détient sur chacun202.
La Bible déclare ainsi la honte pour une femme aux cheveux coupés ou rasés. Sa
chevelure, longue et non coupée, représente « une fierté pour elle, car elle devient
signe de sa soumission affectueuse, envers son mari ou son père et son dieu ». Toute-
fois, le Livre n’en explique pas les raisons.
De l’autre côté, c’est une indignité pour un homme de laisser pousser ses cheveux,
sans les couper. Car, un homme qui coupe ses cheveux, reflète sa soumission
envers Christ ; les cheveux non coupés montreraient sa rébellion religieuse. Là
encore, même obscurité !
Que penser alors de la représentation du Christ, à partir du xie siècle, dans la
sculpture et la peinture européenne, avec des cheveux bouclés, lui tombant sur
les épaules ? Dans le même temps de l’histoire, ses contemporains juifs, romains,
nabatéens et arabes se présentaient, dans les œuvres d’art ou les récits, avec des
cheveux presque ras, des bonnets ou des turbans, qui ne laissaient place à aucune
ambiguïté. Les artistes voulaient-ils souligner l’androgynéité du « fils de l’homme »
ou bien, par suite, son absence totale de désir sexuel ? La question demeure.
Chez les juifs, les conseils de la Torah entraînent vers des comportements, en
matière capillaire, à la fois précis et différents, des vrais pieux et des croyants plus
tièdes. La chevelure, selon le Zohar, reste une partie taboue du corps humain,
interdite à la vue, à l’intérieur comme à l’extérieur du logis familial. Les femmes
juives pieuses se raseraient la tête ou porteraient une perruque, mais éviteraient
le voile.
À l’origine, dans le monde hébraïque, une femme qui se voile s’adonne à la prosti-
tution. « Juda la vit et la prit pour une prostituée, parce qu’elle avait couvert son
visage 203 ».
L’action ritualisée, chez les hommes musulmans, de se raser entièrement le corps,
chevelure comprise, au moment du pèlerinage à La Mecque, fait surgir une autre
idée : les cheveux, comme les poils, constituent des matières impures. Le croyant,
qui doit rester « intact comme un nouveau né », s’oblige à se débarrasser de « la
souillure », à certains moments de sa vie.
Le Coran précise, toutefois, que l’action de rasage peut se limiter au geste symbo-
lique de l’arrachage, ou même de la coupe de trois cheveux seulement, mais
beaucoup de musulmans ignorent actuellement cette distinction.
Autre paradoxe chez les musulmans : seuls les cheveux des hommes peuvent être
assimilés à l’urine et aux excréments, à certains moments de rituels. Bien que les
femmes s’épilent avec soin les jambes, les aisselles et le pubis, elles se glorifient
de leur chevelure, qui doit rester intacte, saine, même pendant le pèlerinage à
La Mecque, mais, dissimulée sous un voile, parce que trop précieuse, trop tentante,
trop provocatrice ; un trésor irrésistible au désir des hommes, inventeurs des
règles de l’islam !
Cependant, les ulémas recommandent aux hommes de soigner leur chevelure.

202. Corinthiens 11 : 3-16.


203. Genèse 38-15.
La chevelure, marqueur d’identité individuelle et sociale 79

TROUBLES DE L’IDENTITÉ
Les cheveux changent naturellement de texture et de couleur. Et cette modifi-
cation, visible d’une partie privilégiée du corps, caractérise l’homme comme la
femme et affecte souvent leur comportement de façon excessive. En outre, le
traitement fait aux cheveux par les coiffures, l’ajout d’ornements et d’artifices, les
coupes, les teintures et les transformations plus profondes, contribue à composer
avec la matière en question, un terrain de transformation.
Dans le champ de l’identité individuelle, l’état des cheveux souligne la fuite du
temps, à la manière d’un inexorable calendrier.
Ces paroles de Pénélope, au retour d’Ulysse, mettent l’accent sur le changement
de couleur de leur chevelure respective, signe de l’approche de la mort, non sans
provoquer de l’effroi :
« Au malheur, les dieux nous ont condamnés,
Qui ne voulurent point que nous puissions côte à côte,
Jouir de nos vertes années en fleur,
Et qu’avec le temps, peu à peu,
L’un voit blanchir la chevelure de l’autre 204… »
Dans la même veine, Pétrarque évoque la tragédie amoureuse, confondue avec le
temps perdu :
« Et sans doute elle m’aurait répondu ?
En soupirant quelque sainte parole
Avec nos visages changés tout comme sa chevelure et la mienne205 »
La couleur de la chevelure donne autant des indications sur l’âge que sur la
position sociale, dans des cas bien précis. Une teinte foncée, mais chaude, renforce
l’idée de séduction et de domination, chez des sujets vieillissants, dont la chevelure
s’éclaircit ou blanchit.
Certains personnages médiatisés du xxie siècle fournissent des exemples révéla-
teurs. Silvio Berlusconi, qui se considère comme un séducteur de jeunes femmes,
se fait teindre les cheveux en brun-châtaigne. L’ex-président Ben Ali de Tunisie ne
se montrait plus en public, depuis quelques années, lui aussi, qu’avec une teinture
capillaire auburn. Le raïs égyptien Moubarak se teignait en roux foncé. Le Colonel
Kadhafi colorait également de brun sombre – couleur de terre – les boucles, qui
lui tombaient encore autour du front. Il convient de noter que, dans les pays
musulmans, l’usage du henné, plus ou moins concentré, reste licite, (car considéré
comme un soin), alors que la teinture noire, pour les hommes âgés, est prohibée
par les hadith, commentaires du Coran.
L’image photographique et cinématographique de la chevelure modifiée entretient
soigneusement l’équivoque et le brouillage identitaire.
En 2011, le film La dame de Shanghaï, tourné en 1946, ressort en salle. Le Monde, du
23 janvier, présente cet événement, avec un titre accrocheur : « Quand Orson Welles
coupait les cheveux de Rita Hayworth ». L’article mentionne que Orson Welles « fait

204. Homère (1999) Odyssée. Actes Sud, Collection Babel (nouvelle édition), Arles.
205. Pétrarque, Sonnets à Laure.
80 Les cheveux

subir un traitement de choc à Rita Hayworth. Pour créer son personnage de femme
1 fatale, il fait couper et teindre en blond, les cheveux de celle qui fut une des rousses
flamboyantes d’Hollywood. Cette transformation capillaire sera un des arguments
publicitaires, utilisés pour la campagne de lancement du film ».
De même que l’aspect du pelage animal (des chiens, des chats, des chevaux, etc.)
reflète le fonctionnement de leur corps, les cheveux humains donnent des indica-
tions sur l’état de santé de l’individu. En général, une chevelure terne et rare montre
que des perturbations surgissent ou s’installent, tandis que des cheveux brillants
et pleins de souplesse affichent des signes de santé. Les marques publicitaires de
shampoings, mais aussi d’aliments et d’alicaments spécialisés, ne manquent pas de
cibler cette vision optimiste, résultant de l’usage et de l’absorption de substances
recommandées.
La chevelure, cette partie filamenteuse, existant dans la nature, sur les animaux,
comme sur les humains, demeure une énigme. Vivante, active, dans le sens où
elle réagit à de nombreuses stimulations (vent, pluie, climat sec, imprégnations de
matières diverses), elle reste, cependant, insensible à la douleur.
Les moutons, les chèvres, les chiens, les chevaux, tondus ou épilés régulièrement,
sans aucune souffrance ou lésion, montrent le miracle de la régénération perma-
nente de cette partie du corps, la toison, les poils, la fourrure, la crinière, la cheve-
lure.
La masse des cheveux constituerait un espace particulier, plus ou moins maîtri-
sable. Cette vision d’un territoire, à la fois indissociable du corps, mais indépen-
dant de lui, se réfléchirait dans l’intériorité de la conscience, créant ainsi un
phénomène entraînant le jaillissement de séries d’images : dialectique de l’intérieur
et de l’extérieur, limites de la sensibilité, dualité entre croissance et déperdition,
liens entre les mondes perceptibles et non perceptibles, jeux sur la mesure, la limite
et le prolongement.
Le chamanisme boréal, celui des Bouriates, des Toungouses, des Iakoutes utilise la
représentation métaphorique de la chevelure, dans le façonnage des couronnes et
des masques rituels. Les chamanes d’Amérique du Nord bordent de franges les robes
cérémonielles ainsi les vestes. Et bon nombre de personnes, portant des jaquettes aux
manches frangées, dans les années 1970, ignoraient qu’elles devaient cette mode à
l’inspiration des pratiques du chamanisme et de la symbolique de la chevelure.
Le filamenteux, copiant les cheveux, instaurerait un lien multiple, entre les diffé-
rents mondes : celui de la terre avec celui de l’eau, celui du sous-sol ou des airs. Les
excroissances filiformes peuvent être de cuir, de peau ou de textile, mais également
de métal.
La forêt devient un sujet de comparaison récurrent, comme dans le poème d’Albert
Samain :
« Le vent tourbillonnant qui rabat les volets,
Là-bas, tord la forêt comme une chevelure 2066 »
Les cheveux, cette partie vivante, mais insensible du corps humain, peuvent être
coupés, frisés, lissés, ébouriffés, et teints. Ils représentent un fragment corporel,

206. Samain A (1900) L’automne. In : Le charriot d’or. Mercure de France, Paris.


La chevelure, marqueur d’identité individuelle et sociale 81

sur lequel l’individu possède le loisir d’agir, d’exercer son bon vouloir, sa fantaisie,
sa domination.
D’où vient la curieuse habitude des mâles, en ce début du xxie siècle, à se tondre le
crâne ? Nostalgie pharaonique ? Influence africaine ? Nostalgie de la force, dépour-
vue d’émotion des hommes des stades ? Mimétisme des lutteurs, des joueurs de
football, des acteurs terrifiants de films ?
Aujourd’hui, dans de nombreux pays d’Afrique, les femmes aux cheveux crépus
de naissance obéissent à la mode du défrisage et de l’allongement. Cette coûteuse
habitude répond plus qu’à une mode, mais signe une volonté de transformation de
la nature. Le corps idéal, depuis les Indépendances, en particulier, semble devoir
être surmonté d’une chevelure lisse et tombant, au moins, sur le cou. Les longues
périodes de colonisation occidentale comptent, certainement pour beaucoup, dans
cette attitude.
Les ritualistes africains inventent même, aux alentours du xixe siècle, une divinité,
la Mamiwata, (déformation de l’expression mamy water ; mère eau), créature aux
longues mèches flottantes, blonde, de temps à autre, à la peau claire, régnant dans
les eaux et séduisant les hommes, avant de les retenir prisonniers ou de les manger,
parfois.
Quelques jeunes citoyens du « pays du soleil levant » adoptent, depuis les années
1990, la mode « cyberr », dans laquelle l’utilisation de vêtements de plastique voisine
avec une chevelure raidie, mouillée, parfois solidifiée, teinte en rose, jaune citron
ou vert salade, en référence aux graphismes des manga. Dans certains quartiers de
Tokyo, la parade colorée des adolescents métamorphosés se déroule chaque jour, à
des heures régulières et devient un spectacle où chacun – regardant ou regardé – se
mue en un créateur de visions volontairement déconcertantes. Le corps, figé dans
une image artificielle, renvoie, presque toujours, à l’idée de la mort.
La maladie ou le manque de soin dû à la pauvreté, qui souvent affecte l’aspect de
la chevelure, en ternissant la couleur ou en dénudant des parties du cuir chevelu
ou en découvrant des lésions de la peau provoque la honte et conduit le patient
vers l’exclusion.
Ainsi, ceux qui tentent de contrôler le développement d’un cancer par un traite-
ment de chimiothérapie, perdent totalement leurs cheveux. Ils dissimulent surface
dénudée de leur crâne par différents artifices : turbans, chapeaux ou perruques.
Cette transformation de leur corps restreint considérablement leur apparition en
public.
Plusieurs femmes vivant à Berlin, en 1945, racontaient que la chevelure de
certaines d’entre elles se mit à blanchir, en quelques jours, à la suite de l’entrée des
soldats soviétiques, dans la capitale allemande. Ils pénétraient dans les maisons et
commettaient des viols. Ces agressions, qui se déroulaient en présence des parents
ou des enfants, causèrent de tels traumatismes que l’identité des victimes se trans-
formait brusquement207 .
Certains enfants, mais aussi des jeunes filles et des femmes, avouent s’arracher les
cheveux, de façon récurrente. La petite douleur extrêmement localisée et répétée
leur procurerait un état de rêverie et de béatitude. Comme d’autres se rongent les

207. Archives de Radio Canada, Radio-Canada. ca


82 Les cheveux

ongles et mâchent les rognures, il arrive même que ces personnes mangent leurs
1 propres cheveux.
Ces attitudes caractérisent plusieurs troubles du comportement appelés tricoloma-
nie ou tricotylomanie.
S’arracher les cheveux, en signe de douleur et de deuil, correspond à se priver
d’une partie privilégiée du corps, pour accomplir un mécanisme victimaire. La
cause du chagrin, la perte, reste toujours imputable à un agent extérieur (repré-
senté par un élément unique mais le plus souvent par « les autres ») qui tranche
le lien de l’individu, avec l’objet de son désir. La guerre de « tous contre tous », se
transforme en guerre de « tous contre un », le un devenant soi, dans quelques cas.
Pour vaincre, il faut supprimer ou affaiblir l’agresseur. Ainsi se développent les
automutilations et les arrachages de cheveux.
Pour Claude Lévi-Strauss, le sacrifice, dont l’origine réside dans l’imaginaire,
correspond à une tentative de subjuguer la violence et la douleur. L’arrachage des
cheveux, lui-même violence et douleur, cherche à provoquer une technique de
l’apaisement cathartique.
René Girard voit un véritable rituel dans l’arrachage des cheveux. La violence
volontaire de l’acte tenterait de dissimuler l’idée même de violence, par la réali-
sation, considérée comme salutaire et garante d’un avenir bénéfique, pour le
néophyte comme pour le ritualiste. L’arrachage des cheveux prendrait la forme
d’une fonction sociale forte ; celle de réguler (au moins en partie et symbolique-
ment), la violence sociale propre à un groupe208.

208. Girard R (1979) La violence et le sacré. Grasset, Paris.


« La belle qui peigne ses cheveux d’or… »
2

LA VALEUR MATÉRIELLE DES CHEVEUX


Les cheveux, (différents de la chevelure) – ce dernier terme soulignant le carac-
tère quasi conceptuel d’une partie du corps, alors que le premier appartiendrait
plus au vocabulaire descriptif – constituent un matériau vivant (ou ayant appar-
tenu au vivant), auquel les humains donnent du prix. Les cheveux font l’objet
de sacrifices aux divinités propitiatoires, en Inde, en Birmanie, en Thaïlande, en
Chine. Parfois, le sacrifice constitue un pur acte de dévotion, mais il arrive qu’il
s’accompagne d’un souhait de rentabilité.
Considérée comme un trophée de guerre et une marque de victoire, la chevelure
de l’ennemi vaincu prélevée par le scalp, chez certains peuples indiens d’Amérique,
ornait les vêtements et les tentures.
Jusqu’au début du xxe siècle, dans les régions déshéritées des pays d’Europe, les
femmes pauvres vendaient leurs cheveux ou les échangeaient contre des biens
indispensables. Cette pratique, très répandue, suscita un métier ambulant, celui
d’acheteur et de vendeur de cheveux et même des marchés aux cheveux, comme
ceux de Bretagne, jusqu’au début du xxe siècle.
Actuellement, des extensions pratiquées sur des chevelures que les femmes ou les
hommes du monde occidental surtout, jugent trop rares ou trop courtes, exigent,
certes, des apports synthétiques, mais aussi et de manière préférentielle, des
cheveux humains. Ceux-ci proviennent surtout d’Asie et de l’Inde, en particulier.
Dans ce pays, les chevelures de femmes (mais aussi d’hommes), offertes en sacrifice
ou en signe de reconnaissance, sont collectées dans les temples. Le bénéfice de la
vente sert, quelquefois (très rarement en fait) à l’aide accordée aux plus démunis.
Le commerce de la chevelure serait approuvé par les dieux !
Le plus souvent, les cheveux lavés, triés un à un, débarrassés des brins blancs ou
défectueux, par cardage manuel ou brûlage, grâce à des ouvrières d’usines, situées
dans les dépendances des temples, sont mis aux enchères ou vendus, à un prix
élevé – presque 600 dollars le kilo – à des acheteurs européens, qui les retravaillent,
pour la fabrication de perruques ou d’extensions. Les 135 coiffeurs du temple de
Tirupati, dans le Kerala récoltent 200 tonnes de cheveux par an. Ils se retrouvent
dans les usines de Madras (Tamil Nadu) ou de Bangalore (Karnataka) qui gèrent
quelques douze millions de dollars de chiffre d’affaires. À ce stade, le cheveu, qui
fait l’objet d’un commerce international, devient une entreprise rentable. Grâce aux
offrandes silencieuses de millions de croyants, l’Inde, dont les cheveux possèdent
84 Les cheveux

la réputation de la meilleure qualité de souplesse et d’éclat du monde, se trouve à


2 la tête du black diamond business209.
Les cheveux asiatiques se révéleraient, en général, plus robustes que les cheveux
caucasiens ou brésiliens. Les moins chers de tous, épais et très solides, proviennent
de Chine.
Les reliques de saints comportent des cheveux ou même parfois, un seul cheveu,
soigneusement enchâssés dans un écrin d’or ou d’argent. En Europe, de nombreuses
églises et chapelles exposent, avec fierté, le reliquaire, contenant les inestimables
filaments organiques, vieux parfois de plusieurs siècles.
La présence de reliquaires se révèle un phénomène rentable. La visite des église
et lieux de cultes qui les contiennent génère souvent un tourisme non négligeable
(vente d’objets, fréquentations des hôtels et des restaurants à proximité).
Le monde contemporain, qui continue de fabriquer des idoles, ne se trouve pas
exempté de pratiques de conservation et de vente de cheveux.
En 1990, une mèche de cheveux d’Elvis Presley s’envole aux enchères, pour
18 300 dollars.
Il faut aussi se souvenir du scandale provoqué par la vente des cheveux du pharaon
Ramsès II, sur internet, en 2006, par un postier de l’Isère. Cette transaction provo-
qua un incident médiatique, quasi diplomatique entre l’Égypte et la France.
Dans les prisons de Sibérie et dans les camps de concentration, au cours de la
Seconde Guerre mondiale, les femmes trouvèrent le moyen de fabriquer des chaus-
sons qui leur tenaient les pieds au chaud. Elles coupaient leurs mèches de cheveux
et les tricotaient avec un crochet improvisé, fait d’un morceau de fer simplement
courbé.
Dans le Stalagg de Auschwitz-Birkenhau, les nazis faisaient disparaître les corps
des déportées en les brûlant, mais, fait curieux, les cheveux, auparavant coupés,
étaient conservés dans de grandes réserves. « Comment garder intacte la mémoire
de cette tragédie ? Les montagnes de valises, de chaussures d’hommes, de femmes
et d’enfants, de lunettes, brosses, bois, cuillères, cartes d’identité confisqués aux
détenus, sont exposées dans les Blocs 1 et 2 d’Auschwitz. Le plus délicat concerne la
conservation des tresses et des boucles des victimes qui se désintègrent : 2 tonnes de
cheveux. Sinistres vestiges. Vendus 50 centimes le kilo, ils servaient à la confection
de toiles de draps 210 ».
Au travers des âges et chez de nombreux peuples, coiffer les cheveux constitue
une relation importante à l’autre. L’image de la mère coiffant sa fille, ou de la
ritualiste préparant les cheveux de la néophyte contient une part signifiante de la
communication.
La chevelure, considérée comme un trésor matériel, devient aussi un centre de
richesses potentielles érotiques.
Malinovski évoque le démêlage rituel des sociétés matrilinéaires dans les îles
Trobriand211 : « L’arrangement de la coiffure joue un grand rôle dans la toilette

209. Figaro Magazine, L’incroyable odyssée du cheveu indien, Olivier Michel et Raphael Gaillarde,
8 juillet 2011.
210. Le Monde, article Auschwitz-Birkenau : la restauration programmée, 15 février 2011.
211. Malinowski B (1927) La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives. Payot, Paris, 1976.
« La belle qui peigne ses cheveux d’or… » 85

d’une personne. On taille les cheveux à l’aide d’une coquille de moule tranchante
(kaniku) et on les partage en touffes à l’aide d’un morceau de bois. On les démêle
avec des peignes à longues dents (sinata) ; et une des magies de beauté les plus impor-
tantes est accomplie sur les peignes. Nous avons vu que le démêlage des cheveux
(pulupulu, waypulu ou waynoku) fournit l’occasion de certaines fêtes (kayasa) qui
ne sont vraiment organisées que pour l’exhibition de cette beautéé 212 ».
Dans toutes les villes et les villages du monde, le salon de coiffure, endroit privi-
légié, pour la séparation ou le renouvellement d’une partie du corps, l’entretien,
la beauté des cheveux, mais aussi les confidences, remplacerait, pour certaines
personnes simples, le divan du psychanalyste.

VALEUR ARTISTIQUE DE LA CHEVELURE


La notion d’accès à l’esthétisme prend souvent son point de départ, dans le
symbolisme et dans la ritualisation. Les exemples qui suivent soulignent le rôle de
la mutation de sens, à propos de chevelures.
L’épilation rituelle des cheveux se pratique chez les Indiens Tikuna de l’Amazonie.
À la sortie de sa réclusion, de deux semaines, des ritualistes arracheront, un à un,
les cheveux de la jeune fille pubère. Conservés, pendant plusieurs années, à l’abri
de la lumière, les cheveux deviennent les garants des noms d’adultes, donnés à ce
nouveau membre de la communauté des femmes.
Dans certains contes africains, en particulier chez les Bambara et les Malinké, les
cheveux d’une femme prennent la même valeur que ses bijoux et ses pagnes de
couleur. Une captive se voit ainsi dépouillée de ses atours, de son or, de ses perles
de verre, tandis que les assaillants lui rasent la tête. L’absence de cheveux, marque,
certes, la nouvelle condition de la personne, mais surtout souligne la prise de
possession de trésors, par les vainqueurs. La tête glabre se révèle ainsi un terrain
de conquête comparable à un champ de ruines.
Valorisés pour leur solidité et leur souplesse, les cheveux deviennent, à l’occasion,
matière à création artistique : les bijoux en cheveux (chaînes, pendentifs, broches,
bagues etc., une vogue du xixe siècle, empruntent les techniques de la coutume
créatrice des femmes des marins bretons, partant en mer, pour une période de plus
de six mois, sur les morutiers et qui gardaient la chaîne de montre ou le tour de
cou – talisman, tressé avec les cheveux de leur compagne). Dans ce cas, le cheveu
devenait, non seulement, le lien qui rattachait les pêcheurs à la terre, mais leur
terre, elle-même.
Les Melpa et les Huli, Papous de Nouvelle Guinée, se préparent, chaque année, pour
un rituel – le sing-singg – destiné à montrer la puissance et la richesse d’un membre
de la tribu et à le nommer big man, (grand homme). Un big man doit posséder de
nombreux biens : des femmes, des cochons noirs, des tarots, des patates douces, des
ignames, des conques de nacre, des coquillages, des plumes d’oiseaux précieux. Cepen-
dant, la notion essentielle ne réside pas dans la richesse, mais se situe dans la quantité
et dans la qualité des dettes que les membres du clan accumuleront envers cet homme.

212. Malinowski B (ibid.)


86 Les cheveux

Ainsi, s’obligera-t-il à offrir, souvent beaucoup plus qu’il ne possède vraiment, pour
2 que les autres lui deviennent, à chaque instant, redevables. Au cours de cette cérémo-
nie, qui dure plusieurs jours et demande une préparation de quelques mois, les biens
donnés ou abandonnés aux autres, forment la matière de la dette, qui augmentera
l’autorité de celui qui se dépouille et à qui les autres deviennent redevables.
Des maquillages du visage et du corps transforment les participants qui, dans les
dernières heures, avant la musique et la danse, se coiffent la tête d’une volumi-
neuse perruque, échafaudée, à l’avance, de leurs propres mains, et composée des
démêlures de leurs cheveux, accumulées, d’années en années et devenant une
masse importante, facilement modelable. Ces perruques, qui affectent la forme
de bicorne, en souvenir de James Cook (qui débarqua, coiffé d’un bicorne, au
xviiie siècle, dans l’actuel Port Moresby), s’ornent de plumes précieuses d’oiseaux
de paradis, d’aigrettes à face blanche, d’anserelles de Coromandel, de capucin à
poitrine noire, de gouras couronnés, etc.
Parfois, la création s’avère singulière. Il arrive que des objets usuels se présen-
tent recouverts de cheveux, provoquant ainsi une sensation d’étrangeté : cravates
en cheveux d’artistes contemporains, couvertures de soie de Laetitia Bourget213,
recouvertes de petites boules de cheveux cousues. Six femmes ont ramassé leurs
cheveux en offrande pour un nouveau-né.
Philippe Charles forme un tapis, avec les mèches de cheveux recueillies autour des
fauteuils d’un coiffeur214.
Le couturier Castelbajac crée, en 2007, une robe d’été, brodée de cheveux.
De même, plusieurs objets d’habillement, tels foulards, tours de cou, lavallières, présen-
tent une surface, à la fois, soyeuse et sauvage, parce que recouverte par des cheveux.
Le cheveu devient aussi la matière première d’une expression artistique comme en
témoignent les bijoux en cheveux très en vogue au xixe siècle, la robe en cheveux
et bigoudis de la styliste Marion Chopineau, les objets ethnographiques du Musée
de l’Homme et les coiffures d’un soir, réalisées par de grands coiffeurs internatio-
naux215.
L’humour ne se montre pas absent de ces inventions. Les brosses pour chauves consis-
tent en une surface de cheveux, implantés sur un socle de bois, pour caresser le crâne.
En février 2011, la maison Cabana des Frères Campana crée un étrange meuble
de rangement de un mètre cinquante de hauteur, en forme de perruque, sur une
structure métallique recouverte de raphia, au prix de 6 900 euros. Un surgissement
de l’esprit dadaïste !
Dans de nombreuses langues, le mot « toison » devient le synonyme du mot
« abondance ». Il peut s’agir de toison humaine ou animale. Les anthropologues,
comme les zoologues ou les éleveurs, mettent l’accent sur la beauté des pelages de
certains animaux sauvages ou domestiqués, renforçant leur valeur et leur beauté.
Les photographies, illustrant les articles, sèment la confusion dans la vision des
boucles, des pelages, des crinières, des couleurs, des textures, entre ce qui appar-
tient à l’animal et ce qui appartient à l’humain.

213. Centre d’art le Parvis de Tarbes. Exposition Laetitia Bouget, décembre 2007, février 2008
214. Id.
215. Exposition à la Cité des Sciences, Paris, Le cheveu de décode, juin 2000, janvier 2001
« La belle qui peigne ses cheveux d’or… » 87

Le mythe de la toison d’or, révélateur de l’orgueil, mais aussi de la cruauté des


anciens Grecs, souligne l’ampleur du déploiement de tromperies et de pièges, mis
en place par Jason et Médée, pour l’appropriation, par la violence, d’une peau de
bélier, somptueuse, qui fera monter le voleur sur le trône et poussera l’amante à
tuer leurs deux enfants.

L’USAGE DES PERRUQUES


La préoccupation permanente des humains de surmonter le haut de leur corps,
par un élément valorisant, favorisa la création et le port de perruques.
L’utilisation de la perruque, cette chevelure fabriquée, placée sur le crâne, apparaît
à la nuit des temps et sous différentes latitudes, pour des raisons diverses : camou-
flage de la peau dépourvue de cheveux, par suite d’accident, de rasage, ritualisation
d’une partie du corps, par l’accent mis sur certaine fonctions particulières, embel-
lissement de l’individu, marque de pouvoir.
Aux temps de l’Égypte pharaonique, les souverains et les souveraines, lorsqu’ils ne
posaient pas sur leur crâne, la double coiffe, symbolisant la haute et la basse Égypte,
se rasaient la tête et se couvraient d’une perruque, courte et bouclée appelée ibès.
Ceinte d’un bandeau d’orfèvrerie, elle cachait parfois les oreilles. Les pharaons,
hommes comme femmes, ajoutaient aussi une barbe postiche, attribut de la divinité.
Les personnages des palais, tels que les danseuses, les musiciens et les musiciennes
portaient également des perruques, surmontées, les soirs de fêtes, d’une motte de
beurre parfumé, qui fondait à la chaleur dégageant des odeurs délicieuses et huilant
la tête et les épaules. Ces perruques, constituées par des cheveux, par des brins de
laine, par des fibres végétales, faisaient l’objet d’un commerce, où se côtoyaient
créateurs, fabricants et vendeurs.
En revanche, les prêtres et les scribes qui, eux aussi, fréquentaient les demeures
royales, sortaient et officiaient le crâne rasé.
Quant aux gens du peuple, non autorisés à se couvrir la tête d’une perruque, ils
portaient les cheveux coupés au-dessous des oreilles, retenus vers l’arrière par
une sorte de queue de cheval. Certaines esclaves, pour montrer leur condition,
laissaient pendre une natte sur un seul côté.
En Europe, l’usage de perruques, encourt parfois l’approbation publique, parfois
ses critiques. Ainsi Rabelais, tournant beaucoup en dérision ce qu’il appelle « le
monde palatin », ne manque pas non plus d’envoyer Pantagruel rendre visite à
ceux qu’il nomme les Chats Fourrés. Il décrit, à sa manière, leur accoutrement :
« Les Chats-Fourrés sont bestes moult horribles et espouventables ; ils mangent les
petits enfants et paissent sur des pierres de marbre... Ils ont le poil de la peau non
hors sortant, mais au-dedans caché et portent pour leur symbole et devise touts et a
chalcun d’eulx une gibbessière ouverte... Et se couvrent les testes aulcuns de bonnets
à quatre gouttières ou braguettes, aultres de bonnets à revers, aultres de mortiers,
milices de caparassons mortifiés 216 ».

216. Rabelais (1550) Traité des scandales. In : Le quart livre. Flammarion, Paris, 1993.
88 Les cheveux

L’âge d’or des perruques, en France, destinées à imiter les cheveux naturels,
2 commence vers 1620, avec la cour de Louis XIII et fait d’un code social. Devenue
une mode, elle gagne d’autres pays européens et se poursuit jusqu’aux temps de
la révolution de 1789. Cependant, dans chacune des régions, la perruque prend
des caractéristiques différentes. En Angleterre, la reine Elisabeth première se fait
coiffer par une perruque rousse, imitant les mèches bouclées « à la romaine ».
Au xviie siècle, sans conteste, une des périodes, parmi les plus représentatives de
l’histoire, pour le port de la perruque, tous ceux qui veulent passer pour gentils-
hommes, se couvrent le chef de cet accessoire indispensable : nobles, magistrats,
prêtres, militaires et marchands. Les femmes utilisent également des perruques
pour des occasions successives. Vers 1665, les perruquiers forment une corpora-
tion qui jouit d’un prestige considérable. Ils exercent un métier de haute qualifica-
tion au service de l’amélioration de l’aspect physique. D’une grande complication
dans leur fabrication, les perruques au volume important, poudrées pour paraître
blanches, sont confectionnées avec de véritables cheveux humains, mais aussi,
pour ceux qui ne disposent pas de richesse, en crin de cheval.
Si, pendant quelque temps, les magistrats acceptèrent timidement de porter les
grandes et gênantes perruques de Louis XIV, plus semblables à des crinières
qu’à des coiffures, bien vite, sous Louis XV et Louis XVI, ils abandonnèrent ce
caprice de la mode pour se borner à une perruque plus simple et plus courte, ou
aux cheveux poudrés et étalés dans toute leur longueur, formant au bas une ou
plusieurs boucles.
Au cours du xviiie siècle, les perruques deviennent plus petites et s’adaptent aux
caractéristiques des différentes professions, devenant ainsi, un élément de l’uni-
forme social.
Des perruques de fonction portées par les hommes de loi – avocats et juges – en
Angleterre et dans plusieurs pays du Commonwealth, semblent aujourd’hui suran-
nées, car elles gardent la marque du xviiie siècle. Les évêques anglicans, jusqu’en
1823, se couvraient le chef d’une perruque de cérémonie pour officier.
Lorsqu’un jour de l’été 1859, alors que la chaleur accablait Londres, un avocat
réputé, ruisselant de sueur, demanda au président de la Cour de l’échiquier la
faveur exceptionnelle d’ôter sa perruque. Le lord, portant le même ornement et
subissant la même incommodité répondit, sans sourire à l’avocat : « Je cherche
un précédent. Je sais que dans les climats d’une chaleur permanente, où l’on vit,
sous la loi anglaise, juges et avocats ôtent leur perruque à l’audience. Pouvez-vous
m’affirmer que l’Angleterre, par le fait d’une révolution atmosphérique ajoutée à
toutes ses révolutions, sera désormais condamnée à une chaleur permanente ? »
Dans les îles Trobriand, l’usage de perruques ou de fragments de perruques était
courant, jusqu’au xixe siècle. « L’obésité est extrêmement rare et est considérée,
dans ses formes les plus prononcées, comme une maladie. La calvitie, souvent liée
à l’obésité est relativement fréquente, Elle est classée comme un défaut, et le mot
tokulubakana (homme chauve ; littéralement : homme-occiput-espace-vide) impli-
que un certain jugement péjoratif. Mais pour un Kiriwinien c’est là un mal moins
irréparable que pour son contemporain européen, car les perruques sont toujours en
usage, dans cette île bienheureuse. On porte, soit une bande de cheveux noués autour
du front, sorte de couronne faite de petits fragments, soit une véritable perruque,
« La belle qui peigne ses cheveux d’or… » 89

recouvrant toute la tête. On confectionne la perruque en cousant des touffes de


cheveux sur une calotte, s’adaptant au crâne et faite de fibres ou de cordes tressées.
Quant aux cheveux, il est facile de s’en procurer, les coutumes du deuil exigeant
que tous les membres de la communauté affligée, à l’exception des membres du clan
auquel appartenait le défunt, rasent leurs belles crinières de cheveux217 ».
Les Huli et les Melpa, de Nouvelle-Zélande, utilisent des perruques ornementales
pour les jours de cérémonie.
Les juges de paix anglais et américains continuent à porter des perruques blanches,
à la mode du xviiie siècle pour officier.
Les greffes de cheveux, véritables actes de chirurgie, de plus en plus fréquentes,
pourtant assez coûteuses, sont pratiquées par des spécialistes et dans des centres
spécialisés (Centre de chirurgie capillaire de Toulouse), à titre d’exemple, pour la
France.

217. Malinowsski B (1963) Les argonautes du pacifique occidental, 1922, Gallimard, Paris.
Fantasmes et pouvoirs
3

POUVOIR ÉROTIQUE
La légende d’Iseult commence par l’histoire d’un cheveu.
À l’époque du haut Moyen Âge, arrivé sur l’île Saint-Samson (peut-être identi-
fiée comme Guernesey), Tristan terrasse le géant Morholt. Pourtant, atteint d’une
blessure mortelle, il dérive dans une barque où, en proie au délire, il revoit son
enfance, le meurtre de son père Rivalen, tué dans un guet-apens du duc Morgan,
puis le visage de son oncle le roi Marc, devenu son père adoptif.
La barque s’échoue sur les cotes d’Irlande, la reine et sa fille le recueillent, le
soignent et le guérissent. À son réveil, il comprend que ses bienfaitrices ne sont
autres que les sœur et nièce du géant qu’il vient d’abattre. Redoutant d’être décou-
vert et de subir leur vengeance, il s’enfuit, non sans remarquer la beauté de la
princesse Iseut, à la blonde chevelure.
De retour en Cornouailles, fêté par le peuple et la cour du roi Marc, pour sa guérison
miraculeuse, il reste pourtant suspect aux yeux de quelques-uns. De son aventure,
il ramène, à son insu, un cheveu d’Iseut. Lorsque Marc le découvre, il charge son
neveu d’aller conquérir celle à qui appartient ce cheveu d’or, pour en faire sa femme.
Si un seul cheveu, séparé de la tête d’une belle, suscite le désir d’un roi, une mèche
de cheveux féminins, une natte peuvent entraîner des hommes dans une sorte de
démence érotique.
Au cours du xixe siècle, les Parisiens évoquaient avec crainte les actions subites de
coupeurs de nattes, opérant en plein jour, dans les lieux publics.
« Couper » prend ainsi, dans certains cas, le sens de « violer », et par conséquent,
fait passer la victime de l’état d’intégrité physique à celui de l’humiliation de la
dépossédée.
Un homme, venant du Congo, pour faire des études en France, disait : « Je rêve
de marcher aux côtés d’une femme, les cheveux aux vent… ». En aucun cas, il ne
mentionnait explicitement l’appartenance à une race différente de la sienne, à la
couleur de la peau, à l’attrait d’une culture étrangère. Il ne faisait pas non plus
allusion à la silhouette, à la taille ou à la forme du visage de la compagne idéale. Il
marquait l’intensité de son désir érotique, en évoquant la texture de la chevelure ;
une longueur des cheveux, une souplesse et une légèreté, étrangères aux popula-
tions du centre de l’Afrique, où les individus, hommes et femmes, possèdent des
cheveux crépus qui restent collés à la peau du crâne.
Il arrive que l’érotisme lié à la chevelure prenne des formes excessives ou même
déviantes. Ainsi, en 1970, un jeune Berlinois se fait arrêter, par les policiers, pour
92 Les cheveux

mutilations sur des jeunes filles. Il cultivait la coupable manie de couper les nattes
3 blondes des filles, qui se promenaient dans les parcs. Ramenant son butin dans sa
chambre, il suspendait les nattes aux parois et au plafond, créant ainsi une tapisse-
rie quasi vivante. Après la condamnation, sa mère décida de l’envoyer en Argen-
tine, pays de brunes. Peine perdue ! L’acte agressif se perpétua, en s’affaiblissant
cependant218.
L’érotisme associé à la chevelure, côtoie l’idée de fertilité et de fécondité, chez de
nombreux peuples.
Chez les Inuit, « le chignon représente un attribut féminin important : les cheveux.
Plus il est large ou épais, plus les cheveux sont longs et abondants. Les femmes âgées
se reconnaissent dans les figurines, à leur chignon réduit, relativement haut et étroit,
les jeunes filles à des chignons petits, mais en largeur. Le chignon est lié, lui aussi,
à la procréation, car la fillette ne relève ses cheveux qu’à partir de la puberté et
se coiffera dorénavant en chignon, sauf en période de deuil ou de maladie comme
toutes les femmes. L’aspect symbolique des cheveux est en effet très important dans
la culture inuit. Le fait qu’ils apparaissent comme le siège d’une vie et d’une crois-
sance continue, leur confère un pouvoir quasi magique et détermine de nombreux
rites et tabous219 ».
Une masse de cheveux, longs et souples, souligne, dans plusieurs cultures, une
qualité extraordinaire, par analogie au mouvement et à la vie. L’exemple le plus
significatif, la chevelure du dieu indien Shiva, emprisonnant l’eau du Gange dans
ses longues boucles, donne sens à l’existence sur la terre, à la régénérescence et à
la purification.
Le signe de fertilité renvoie à l’eau, élément indispensable à la fertilisation, donc
à la vie.
Le couple symbolique chevelure-eau se retrouve dans les mythes récurrents de
naissance, de génération, mais aussi claustration et de menace. Méduse, la seule
mortelle des Gorgones, ces créatures marines et aériennes, de l’Antiquité grecque,
symbolisant le dérèglement social, la perversion sexuelle et la vanité, présente un
visage effrayant, entouré d’une abondante chevelure de serpents sifflant, et pétrifie
qui la regarde.
Le cheveu et le serpent, grâce à leur morphologie longiligne, se voient souvent
associés. En effet, dans l’imaginaire du monde aussi bien mésopotamien, qu’asia-
tique et grec, les cheveux, grâce à leurs qualités de fluidité et de souplesse, inter-
préteraient le mouvement. Dans une certaine mesure, ils représentaient ainsi le
temps qui s’échappe et fuit. Ils porteraient donc, une certaine idée de la finitude
et de la mortalité, en dépit de leur durée de vie, plus longue que celle des autres
organes du corps.
Les dieux incas représentés, avec des serpents, autour de la tête, marquent ainsi
leur puissance et leur invulnérabilité.
Indéniablement, dans de nombreuses cultures, les cheveux demeurent un signe de
vie et même de jouissance de la vie. Ainsi, les veuves indiennes ou japonaises, qui

218. Lectures coupables, in Le Monde des livres, 6 janvier 2012


219. Bernadette Robbe, Poupées inuit, in Poupée-jouet, poupée-reflet, ctalogue de l’exposition présentée
au Musée de l’Homme, Ed. Museum National d’Histoire Naturelle, Paris, 1983.
Fantasmes et pouvoirs 93

au moment du décès de leur époux, décidaient (ou obéissaient à une coutume),


de renoncer aux plaisirs de l’existence terrestre, se coupaient les cheveux. Elles
choisissaient de rester ainsi, la tête rasée, souvent jusqu’à la fin de leurs jours.
La chevelure contient, en outre, des éléments redoutables. Les êtres chevelus de
la mythologie hindouiste, comme de la mythologie grecque ou scandinave, se
révèlent souvent maléfiques. La force de Samson, maintenue dans ses cheveux,
trouble et inquiète : elle relève du surnaturel, du religieux, mais en même temps,
constitue le signe de sa virilité et de sa force.
La Bible relate que Dalila, après plusieurs tentatives infructueuses pour faire dire à
Samson, un chef philistin, le secret de sa prodigieuse puissance, parvint à ses fins, à
force de séduction : « Il lui ouvrit tout son cœur : “Le rasoir n’a jamais passé sur ma
tête, lui dit-il, car je suis nazirr 220 de Dieu, depuis le sein de ma mère. Si on me rasait,
alors ma force se retirerait de moi, je perdrais ma vigueur et je deviendrais comme
tous les hommes.” Dalila comprit alors qu’il lui avait ouvert tout son cœur. Elle
fit appeler les princes des Philistins et leur dit : “Venez cette fois, car il m’a ouvert
tout son cœur.” Et les princes des Philistins vinrent chez elle, l’argent en main. Elle
endormit Samson sur ses genoux, appela un homme et lui fit raser les sept tresses
des cheveux de sa tête. Ainsi elle commença à le dominer et sa force se retira de lui.
Elle cria : “Les Philistins sur toi, Samson !”S’éveillant de son sommeil il se dit : “J’en
sortirai comme les autres fois et je me dégagerai.” Mais il ne savait pas que Yahvé
s’était retiré de lui 221 ».
Les cheveux du nazirr constituent une multitude de liens de communication avec
Dieu. Les couper, c’est briser la relation et rompre l’énergie.
Si certains voient, dans la coupe des cheveux de Samson, l’image navrante de la
castration, d’autres comme les féministes, par exemple, soulignent le rôle essen-
tiel de Dalila, dans la destinée du conquérant. Première « à dompter » l’invincible
héros, après trois tentatives malheureuses, elle représente le triomphe de toutes
les femmes.
Dans l’optique de montrer le geste érotique accompagnant le toucher de la chevelure,
Roger Bastide, écrit même un ouvrage sociologique entier, sur le fait de toucher les
cheveux de l’autre appelé le cafuné222, une curieuse coutume dans le Nord-Est du
Brésil : la recherche des poux dans les chevelures longues et emmêlées, un prétexte
pour les femmes coloniales, de se faire caresser, lentement, la tête, par les esclaves
de couleur. Bastide part du récit d’un voyageur français, Charles Expillyy223 : « À
l’heure des grandes chaleurs, lorsque se mouvoir et même parler devient une fatigue,
les senhoras, retirées dans les appartements intérieurs, se renversent sur les genoux de
leur mucama224 favorite, à laquelle elles livrent leur tête. La mucama passe et repasse
ses doigts câlins, dans l’épaisse chevelure déroulée devant elle ; l’esclave laboure, en
tous sens cette luxuriante toison ; elle gratte délicatement la racine des cheveux,
pinçant la peau avec adresse et faisant entendre de temps en temps, un petit bruit

220. Nazirr : consacré. Dans la religion juive, les consacrés à Dieu, par leur famille, ou plus tard, par
leur seule volonté, n’absorbaient aucune boisson alcoolique et ne coupaient jamais leurs cheveux.
221. Bible, Livre des juges, 16, 4-21
222. Bastide R (1941) Psychanalyse du cafuné. Éditions Bastidiana, Paris, 1996.
223. Expilly C (1864) Les femmes et les mœurs du Brésil. Charlieu et Huilery, Paris.
224. Mucama, femme de chambre de couleur de la Brésilienne blanche.
94 Les cheveux

sec, avec l’ongle du pouce et l’ongle du medium. Cet exercice devient une source de
3 délices, pour les sensuelles créoles. Un voluptueux frisson parcourt les membres au
contact de ces doigts caressants. Envahies, accablées par le fluide qui se répand dans
tout leur corps, quelques-unes succombent aux délicieuses sensations qui viennent
les visiter et se pâment sur les genoux de leur mucama ».
Et le voyageur ajoute, un peu plus loin que « les hommes eux-mêmes ne dédaignent
point, pendant les heures indolentes de la sieste, de sentir des doigts agiles s’égarer
dans leurs cheveux. Un délicieux frissonnement glisse alors dans leurs veines… »
Bastide met l’accent sur le fait que le cafunéé ne consiste pas en un simple
épouillage, mais qu’il correspond à une satisfaction sexuelle. Et il rapproche le
texte du voyageur du poème de Rimbaud : Les chercheuses de poux225 :
« Quand le front de l’enfant, plein de rouges tourmentes
Implore l’essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins
Elles assoient l’enfant auprès d’une croisée
Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs
Et, dans les lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miles végétaux et rosés
Et qu’interrompt parfois un sifflement, salive
Reprise sur les lèvres ou désirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battre sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter, parmi ses grises indolences,
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voilà que mont en lui le vin de la Paresse,
Soupir d’harmonica qui pourrait délirer ;
L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses
Sourdre ou mourir sans cesse un désir de pleurer ».
Roger Bastide voit dans ce service rendu, qui se transforme en amusement
libidineux, une pratique équivalente à une métamorphose de la libido, devenue
ensuite une sorte d’institution sociale. Il rappelle que les mythes et les rêves
aboutissent à des conclusions similaires, puisqu’en réalité, la tête et la cheve-
lure restent les symboles des organes génitaux. Il mentionne, à ce propos, le
rêve du coiffeur, évoqué par Freud226, qui révèle, chez un petit garçon, la peur
de la castration. L’enfant se rend chez le coiffeur, pour se faire couper les
cheveux. Arrive une grande femme, au visage sévère, qui lui tranche la tête.
Cette femme est sa mère.
La tête chevelue deviendrait pénis mais aussi vulve (symbole de la partie opposée
du corps, en vertu de l’identité des contraires).

225. Rimbaud A. Œuvres complètes, Gallimard (La pléiade), Paris, 2009 (réédition).
226. Freud S (1926) La science des rêves. Librairie Félix Alcan, Paris (traduction française).
Fantasmes et pouvoirs 95

« Ô toison, ô boucles, ô parfum ! ». Avec ces mots d’adoration, Baudelaire s’adresse


à la chevelure de sa bien-aimée, comme à une divinité227.
L’étude des indices d’énonciation montre la fétichisation de ce fragment du corps
féminin : le poète lui parle comme à une personne, elle semble être la destinataire
du poème : « tes profondeurs, ton parfum, fortes tresses soyez la houle qui m’enlève,
tu contiens mer d’ébène un éblouissant rêve, cheveux bleus […] vous me rendez
l’azur du ciel immense et rond ». Ce n’est qu’à la fin du poème (dans ta crinière
lourde) que la deuxième personne s’adresse à la femme : tout au long du poème la
chevelure semble se substituer à la femme dans l’adoration du poète.
Le poète rend compte d’une expérience mystique ; cet accès à la jouissance des
sens se décrit, assez souvent, par un vocabulaire spiritualiste, quasi religieux :
« où mon âme peut boire », « éternelle chaleur », « un ciel pur », « l’azur du ciel »,
« l’oasis où je rêve ». Ces expressions renferment toutes des connotations symbo-
liques : elles désignent l’idéal, le rêve paradisiaque, le souvenir d’une vie antérieure
et d’un paradis perdu.
La nouvelle de Maupassant228, La chevelure, présente des signes de fétichisation :
« J’y parvins le lendemain en enfonçant une lame dans une fente de la boiserie.
Une planche glissa et j’aperçus, étalée sur un fond de velours noir, une merveille-
use chevelure de femme ! Oui, une chevelure, une énorme natte de cheveux blonds,
presque roux, qui avaient dû être coupés contre la peau, et liés par une corde d’or.
[…] Puis, quand j’avais fini de la caresser, quand j’avais refermé le meuble, je la
sentais là toujours, comme si elle eût été un être vivant, caché, prisonnier ; je la
sentais et je la désirais encore ; j’avais de nouveau le besoin impérieux de la repren-
dre, de la palper, de m’énerver jusqu’au malaise par ce contact froid, glissant,
irritant, affolant, délicieux. ? Je vécus ainsi un mois ou deux, je ne sais plus. Elle
m’obsédait, me hantait. J’étais heureux et torturé, comme dans une attente d’amour,
comme après les aveux qui précèdent l’étreinte. ? Je m’enfermais seul avec elle pour
la sentir sur ma peau, pour enfoncer mes lèvres dedans, pour la baiser, la mordre.
Je l’enroulais autour de mon visage, je la buvais, je noyais mes yeux dans son onde
dorée afin de voir le jour blond, à travers. ? Je l’aimais ! Oui, je l’aimais. Je ne
pouvais plus me passer d’elle, ni rester une heure sans la revoir ».
Une semblable érotisation de la chevelure se révèle dans L’infirmière, de Moravia229 :
« Jamais je n’eus d’elle le moindre baiser, mais parfois elle me laissait admirer ses
cheveux, qui, avec ses yeux, faisaient toute sa beauté…
[…] Laissez-moi voir vos cheveux ! » lui demandai-je.
– Comme vous êtes ennuyeux ! » protestait-elle, avec douceur, mais elle finissait par
me permettre de lui enlever son fichu et d’ôter, une à une, les épingles de son chignon.
Un instant la masse de sa chevelure épaisse et rousse restait intacte sur sa tête, comme
une couronne de cuivre. Puis elle secouait la tête et ses cheveux tombaient sur ses
épaules, descendaient en vagues ondulées jusqu’à sa taille ; elle demeurait immobile
sous ses cheveux longs, me regardant fixement à travers ses verres de myope. Alors

227. Baudelaire C (1861) La chevelure. In : Les fleurs du mal. Gallimard (folio), Paris, 1999 (réédition).
228. de Maupassant G (1880) La chevelure et autres histoires de fou. Mille et une nuits, Paris, 2002
(réédition).
229. Moravia A (2008) L’infirmière. In : Nouvelles romaines. Nezumi, Laurageais.
96 Les cheveux

j’étendais la main et, délicatement, je lui ôtais ses lunettes. Aussitôt elle perdait cet
3 air hypocrite que lui donnaient les verres épais et ses yeux, qu’elle avait grands, doux,
liquides, un peu battus, donnaient à son visage une expression différente : languide,
attirante. Je la regardais sans la toucher ; puis, comme prise de pudeur, elle remettait
son fichu sur sa tête et replaçait ses lunettes sur son nez. »
Ibn Arabi230, le mystique arabe, né à Murcia, en Andalousie en 1165, considéré
comme le plus grand des maîtres de la spiritualité islamique, maintient, à dessein,
une confusion entre l’amour de dieu et l’amour de la bien-aimée, qui participerait
au même élan de connaissance et d’énergie.
« J’en courtisai une
À la beauté suprême.
Se dévoile-t-elle, ce qu’elle montre est lumière
Comme un soleil sans mélange.
Soleil son visage, nuit sa chevelure,
Merveille du soleil et de la nuit réunis !
Nous sommes dans la nuit en pleine lumière du jour,
Et nous sommes à midi, dans une nuit de cheveux ! »
La lumière et l’ombre jouant dans la chevelure inspirent les poètes de toutes les
cultures. Ainsi, Pétrarque :
« Il était une fois des cheveux d’or épars
Des cheveux d’or qui s’envolaient en mille doux nœuds
Et la belle lumière vague brûlait ardente 231… »
L’éros de la chevelure et du poil obéit à des cheminements souvent contradic-
toires chez les occidentaux. Autant la longue chevelure épaisse et longue d’une
femme suscite le désir, autant le poil provoque une sorte de rejet. Depuis la fin du
xixe siècle, un corps féminin désirable doit être glabre, soulignant la nostalgie de
l’aspect de l’adolescente, avant la puberté. Même dans le cinéma pornographique,
le pubis imberbe devient la norme depuis une vingtaine d’années. Seuls les films
mettant en scène des actrices rasées ou épilées trouvent acheteurs, aux dépens
d’une très faible minorité d’amateurs du velu. La crainte de vieillir et la peur de
l’animalité pourraient parler en faveur de cette mode qui marque la hantise, ou,
du moins la problématique du poil. La chevelure serrée en chignon ou cachée sous
un foulard ou par un voile confirme les craintes d’une pulsion de « sauvagerie ».
Il arrive que la symbolique s’inverse. La chevelure de la femme, assimilée à un
casque guerrier, s’approprie l’exploit réalisé par l’homme, avec une sorte de fulgu-
rance de l’exploit. Mallarmé, dans son poème Billet, fait apparaître la danseuse (ou
Léda) comme la foudroyante entité qui arbore l’emblème de Zeus, la foudre. En
renversant au féminin, la puissance qui fait défaut au masculin, le poète inverse
le mythe de Léda et illustre cette tendance propre à Mallarmé : la féminisation
l’absolu.
Chez les Africains, les Haïtiens, les Dominicains, les Cubains, mais aussi chez les
peuples pratiquant l’envoutement, à des degrés plus ou moins importants, comme

230. Arabî I (2001) L’harmonie parfaite. Albin Michel, Paris.


231. Petrarque (rééd. 2009) Canzoniere, Gallimard, Paris.
Fantasmes et pouvoirs 97

les gens du Berry, de Mayenne ou de Bretagne, le cheveu représente le corps


entier. Un cheveu, une mèche de cheveux, prélevés volontairement ou récoltés en
cachette, deviennent des supports pour altérer le corps ou l’esprit de la personne
choisie pour une destruction ou une vengeance. Dans les régions concernées, les
démêlures de peigne, les tombées de coupe de cheveux sont soigneusement ramas-
sées et brûlées, la plupart du temps, afin que personne ne puisse exercer une action
nocive. Il en est de même des rognures d’ongle.
Les parents recommandent à leurs enfants d’accomplir ces gestes de prudence.
Les gestes pour la beauté de la chevelure, décrits avec minutie, par l’ethnologue
Malinowski, ne se comptent plus en Mélanésie, dans les îles Trobriand, « Les
cheveux sont considérés comme un grand élément de beauté, à la condition qu’il
n’y en ait pas ailleurs que sur la tête. Les sourcils sont rasés, et personne, sauf les
vieillards qui « ne veulent pas avoir à faire aux femmes », ne laisse pousser la barbe.
Les poils de barbe ne sont jamais arrachés, mais rasés ; autrefois en se servait à cet
effet d’obsidienne, de nos jours on se sert de tessons de bouteilles. Les cheveux sont
admirés, lorsqu’ils sont abondants, et alors on leur laisse prendre la forme d’une
gerbe touffue d’où ils rayonnent dans toutes les directions, selon la manière si carac-
téristique des Mélanésiens. Les indigènes distinguent les cheveux noirs, clairs et gris
(yabwabwa’u, yadidaydaya et yasoso’u). L’albinos est appelé topwaka’u (« homme
aux cheveux blancs »), ou tososo’u (yasinare’i ou yasisiye’i), bouclés (yasusay-
bulu), épais et touffus (yamtumwatu), enchevêtrés et presque nattés (yakulupaki ou
yatutuya). Les cheveux de la deuxième et de la troisième catégories sont considérés
comme les plus beaux, les autres sont dépourvus de toute valeur esthétique. La mode
favorite d’arranger la coiffure consiste à lui donner la forme de la touffe mélanési-
enne vraiment typique, appelée gugwapo’u. Lorsque la chevelure est taillée sur les
côtés et derrière et laissée longue sur le sommet de la tête, ce qui donne à celle-ci la
forme d’un cylindre allongé, on obtient une coiffure qui s’appelle bobobu. Parfois,
lorsqu’un homme a terminé un deuil, on lui permet de laisser pousser les cheveux
au milieu de la tête, mais il doit les raser sur les bords ; cela s’appelle takwadoya.
Les cheveux qui repoussent après un deuil sont appelés sayva’u, parce qu’ils sont
encore courts. Les personnes de rang, lorsqu’elles sont en deuil, ont le privilège de
laisser quelques cheveux sur la partie postérieure de la tête, au niveau de la nuque.
Lorsqu’ils deviennent suffisamment longs, on les tresse parfois en nattes ; on appelle
ces longues mèches saysuya (littéralement “boucles”).
Les poils du corps (unu’unu : nom donné également aux poils des tubercules
d’ignames, à ceux qui poussent sur la partie postérieure de feuilles, etc.) sont consi-
dérés comme enlaidissant la personne et doivent être rasés. C’est seulement dans les
mythes et dans les contes qu’on voit figurer des personnages recouverts d’unu’unu :
particularité grotesque et perverse à la fois, aux yeux des indigènes232 ».

232. Malinowski B (1970) La vie sexuelle des sauvages du Nord Ouest de la Mélanésie. Payot, Paris.
98 Les cheveux

VIRILITÉ ET PUISSANCE POLITIQUE


3
Le sentiment de crainte évoqué quelquefois, avec la description de cheve-
lures diverses, côtoie une autre idée : celle de la chevelure comme marque de
puissance.
L’apparence des rois répond à une mise en scène, où le vêtement et la coiffure
jouent un rôle important. Les rois mérovingiens, appelés « les rois aux cheveux
longs » pensaient détenir un pouvoir magique dans l’opulence et la longueur de
leur chevelure. Leurs guerriers, à la nuque rasée, possédaient des droits, mais ne
pouvaient revendiquer celui de régner. Le crâne des rois défunts devenait si sacré
que des trépanations pratiquées, permettaient à l’âme de s’échapper de la boîte
crânienne et de l’épaisseur de la chevelure.
Au Moyen Âge, une souveraine menacée préfère choisir, pour ses neveux, héritiers
du trône, la mort, à la tonsure de leurs cheveux.
Grégoire de Tours rapporte, qu’à Paris, la reine Clotilde porte toute son affection
sur les fils de son fils Clodomir : « Childebert en conçut de l’envie, et, craignant
que, par la faveur de la reine, ils n’eussent part au royaume, il envoya un courrier
secret à son frère le roi Clotaire (vers l’an 533) lui disant : Notre mère garde avec
elle les fils de notre frère, et veut leur donner le royaume ; il faut que tu viennes
promptement à Paris, et que, réunis tous deux en conseil, nous déterminions ce
que nous devons faire d’eux, savoir si on leur coupera les cheveux, comme au
reste du peuple, ou si, les ayant tués , nous partagerons également entre nous le
royaume de notre frère. » [...] « Alors Childebert et Clotaire envoyèrent à la reine,
Arcadius, dont nous avons déjà parlé, portant des ciseaux et une épée nue. Quand
il fut arrivé près de la reine, il les lui montra, disant : Tes fils, nos seigneurs, ô
très glorieuse reine, attendent que tu leur fasses savoir ta volonté sur la manière
dont il faut traiter ces enfants ; ordonne qu’ils vivent les cheveux coupés, ou qu’ils
soient égorgés ».
Selon Grégoire, la reine, sans réfléchir, répond : « Si on ne les élève pas sur le trône,
j’aime mieux les voir morts que tondus ». Deux des enfants sont tués, le troisième,
Clodoald – toujours selon Grégoire – « fut sauvé par le secours de braves guerriers ;
dédaignant un royaume terrestre, il se consacra à Dieu, et s’étant coupé les cheveux
de sa propre main, il fut fait clercc 233 ».
La tonsure absolue indique, parfois, la dégradation d’une situation sociale.
Ainsi, au xiiie siècle, en France, les frères de la Basoche ou moines basochiens
se comportaient en tournant en ridicule, les travers de leurs contemporains
et en riant, par des plaisanteries, souvent salaces, de tous leurs défauts. Cette
attitude de dérision finit par exaspérer les chefs de l’église, qui n’osant pas les
excommunier, car ils bénéficiaient d’une grande sympathie populaire, leur firent
raser entièrement le crâne et la couronne de cheveux de leur ordination, pour
marquer leur réprobation et les placer hors de leur statut d’« hommes de Dieu »,
privilégié, pour l’époque.

233. de Tours G (1963) Histoire des Francs. Les belles lettres, Paris.
Fantasmes et pouvoirs 99

Il arrive que la chevelure reste, dans la fable, comme dans la réalité, une virilité
transcendée. Loin de la rive orientale de la Méditerranée, dans le Panjab, en Inde,
les hommes Sikhs ne coupent jamais leurs cheveux. Le poil est sacré, d’où l’inter-
diction de se raser et de s’épiler. Dès l’âge de quatre ans, les jeunes garçons appren-
nent à serrer leurs cheveux, en chignon, au sommet de la tête, et, plus tard, à les
cacher (ou les protéger), sous un volumineux turban. Ils obéissent aux enseigne-
ments religieux de leur prophète Nanak (qui inventa le sikhisme) et gardent ainsi,
avec les cinq règles de leur religion monothéisme, fondée au xve siècle, l’intégrité,
le pouvoir sexuel et la relation d’appartenance sociale (rejet du système de castes).
Le premier ministre de l’Inde (dans les années 2010, 2011), qui est Sikh, ne quitte
jamais son turban, sous lequel croît une chevelure intacte.
L’histoire d’Absalon, révélatrice du prix et du pouvoir accordés à la chevelure,
souligne également ses dangers. Le jeune homme, fils du roi David, possédait une
beauté prodigieuse et une chevelure si abondante, que, coupée régulièrement tous
les huit mois, elle pesait deux cents sicles (à peu près cinq livres). Il mena une
existence excessive, couchant même avec les concubines de son père. Poursuivi, au
cours d’une bataille par l’armée du roi David, il se mit à fuir, dans la forêt, mais dut
sa mort, à sa longue chevelure, qui se prit dans les branches d’un arbre.
Les longs cheveux des hommes, dans de nombreuses périodes de l’histoire,
fournissent des indications sur leur volonté de se situer dans leur société, comme
des individus possédant des qualités hors du commun. Dans la tragédie d’Absalon,
l’histoire place-t-elle l’accent sur une sorte de justice, qui remettrait à sa place, le
jeune orgueilleux, en le faisant périr, par cela même qui lui donna de la fierté ou
bien par le prix à payer, pour les êtres d’exception ?
Les années soixante, en Europe occidentale, voient se développer un curieux phéno-
mène, basé sur la longueur des cheveux des garçons, des adolescents et des jeunes
hommes. Ces catégories de population, en Angleterre, en France, en Hollande
et en Allemagne suivent le modèle de chanteurs et de groupes de musiciens en
vogue. Les cheveux longs, en d’autre temps, marque de soumission deviennent
alors, signe de rébellion.
L’exemple donné par les idoles de la chanson, consacre « la révolution par les
cheveux longs ». Bob Dylan, Michel Polnareff, Antoine, affichent, pendant plusieurs
décennies, un visage encadré, par une longue chevelure. De même, les garçons
chevelus du groupe Beatles inspirent les « minets », au début des années soixante.
Cous masqués par la chevelure, yeux à demi-cachés par une frange épaisse, les
hommes ressemblent aux filles, qui de leur côté, ne manquent pas de se prendre
pour des garçons en adoptant les mêmes coupes de cheveux. La confusion souhai-
tée entre les sexes appelle une androgynéité. Sylvie Vartan chante alors : « Comme
un garçon, j’ai les cheveux longs… ».
Si, dans certain cas, la chevelure défaite, appelle une vision fatale, faut-il voir en
elle, une manière de protestation puis de révolte, contre la mort, ou bien, un signe
de refus ?
Ainsi, en Chine, jusqu’au début du xxe siècle, les cheveux défaits des femmes,
comme des hommes restent signe de deuil.
En Papouasie, le fait de se laisser pousser les cheveux, entraîne des présages
funestes.
100 Les cheveux

MAGIE
3
La chevelure peut, en certains cas, constituer un élément de maléfice. Cette
recommandation se trouve dans le dictionnaire infernal234 : « Prenez les cheveux
d’une femme, dans ses jours de maladie ; mettez-les sous une terre engraissée de
fumier, au commencement du printemps, et lorsqu’ils seront échauffés par la chaleur
du soleil, il s’en formera des serpents. »
En Corse, une des pratiques, pour lutter contre le mauvais œil, appelée l’ochiu, se
fait de la façon suivante, d’après une habitante de Sartène : il faut mettre sur une
table un plat blanc et un verre d’huile d’olive. Avec le doigt trempé dans l’huile,
il faut « signer » le plat tout en prononçant une prière, non sans y avoir déposé,
quelques instants auparavant, des cheveux de la personne soupçonnée d’être
annughiatta. Sur ces cheveux humectés d’huile, une prière à Sainte Lucie arrête
les hémorragies235.
Jusqu’au xixe siècle, dans certains villages du Japon, des jeteurs de sorts fabri-
quaient des poupées de bois, à la peau très blanche et aux longs cheveux noirs,
représentant une femme ou un homme. Un clou enfoncé dans le crâne, puis
la poupée enfermée dans une boîte, complétaient les pensées de vengeance, de
souffrance ou de mort. Le faiseur de sorts s’arrangeait, ensuite, pour placer la boîte
sous le plancher de la maison de son ennemi.
Dans un chapitre d’Isaac Laquedem, titré « Le porte-enseigne », Alexandre Dumas
évoque l’épisode de Jésus, chez Ponce Pilate. Étonné par le fait que les étendards
romains se baissent, par deux fois, devant le Nazaréen, Pilate demande alors qui
serait assez hardi pour relever le défi, une troisième fois et c’est alors qu’un individu
sort de la foule et se propose. Il s’appelle Isaac Laquedem. Décrit comme un
homme d’une quarantaine d’années, de condition inférieure, au regard colérique,
au sourire carnassier, il porte de longs cheveux noirs, qui flottent telle une crinière.
Il a pour tic de rejeter cette chevelure en arrière. Cet homme fier à l’allure militaire,
devient le prototype du juif errant dans l’imaginaire du xixe siècle236.
L’histoire de Catherine, la fille maudite, rapportée par le conteur franc-comtois,
Hervé Thiry-Duval, met en scène une princesse cruelle, à la longue chevelure
noire, d’une beauté incomparable, qui refuse l’amour de ses prétendants et les
pousse à la mort. Elle-même finit par trépasser et par devenir un fantôme. Elle
supplie les hommes, qui s’aventurent vers les ruines de son château, de la délivrer,
en coupant une mèche de leurs propres cheveux, d’en entourer une pierre et de la
lancer dans la gueule d’un crapaud venimeux.
À Tahiti, la beauté de la chevelure d’une femme sème le désordre mais peut aussi
devenir un agent régénérateur de l’ordre divin. « Dans le district de Tererauta
vivait, il y a bien longtemps, une jeune fille dont la beauté faisait l’orgueil de ses
parents. Ses yeux noirs, les lignes harmonieuses de son corps brun, la souplesse de

234. Le Grand A (1668) Livre des Secrets. Réédité sous le nom de Le grand et le petit Albert (2008)
Le pré aux clercs, Paris.
235. Propos recueillis par l’auteur, en 2005, pendant les cessions du séminaire sur le patrimoine
immatériel, organisé par la Maison des Cultures du Monde, à Ajaccio
236. Dumas A (1863) Isaac Laquedem. Dodo Press Paris, 2009.
Fantasmes et pouvoirs 101

sa taille, et, surtout, la soie de ses longs cheveux la rendaient la plus jolie fille de
nos îles. Quand elle atteignit l’âge de seize ans, son père, qui était le chef du district,
résolut de la marier… Il se mit à chercher un époux digne de sa fille. Quand le jour
des noces arriva, Hina, c’est ainsi qu’elle s’appelait, Hina ne savait encore rien de
son promis, sinon qu’il était du district lointain de Teretai. Mais quand son père vint
la chercher pour lui présenter son époux, elle faillit s’évanouir de terreur, en voyant
une immense anguille, au corps gigantesque et à la tête énorme : c’était le prince
des anguilles. Hina, épouvantée, s’enfuit dans la montagne et atteignit le district
d’Aketura. Trouvant un fare, vide, caché sous de grands aito, elle s’y réfugia. Or,
c’était la maison du dieu Hiro ; et celui-ci, en revenant de la pêche, fut ébloui par la
lumière éclatante qui auréolait sa case. C’étaient les cheveux d’Hina, qu’un rayon
de soleil avait frôlés et qui brillaient ainsi. La jeune fille raconta au dieu sa terrible
aventure, et celui-ci accepta de la cacher, pendant quelque temps. Mais l’anguille,
attirée, elle aussi, par l’éclat des cheveux de la jeune fille, arriva bientôt au voisinage
de la case du dieu. D’un coup de sa queue puissante, elle ouvrit dans le récif une
large brèche, qu’on appelle aujourd’hui la passe de Tapuerama. Le dieu Hiro, alerté,
prit un long cheveu d’Hina, y attacha un hameçon de nacre et pêcha la monstrueuse
bête. Quand il l’eut tirée sur le rivage, il la coupa en trois morceauxx 237. »
La chevelure peut croître en quelques instants et devenir une sorte d’armure, pour
sa porteuse mise soudain en danger. L’histoire d’Agnès, une jeune fille, vivant au
ive siècle, à Rome met en lumière le miracle d’un surgissement capillaire. S’étant
convertie au christianisme, à l’âge de treize ans, cette jeune vierge refusa les
demandes pressantes du fils du préfet de Rome. Pensant la contraindre, il la fit
enfermer dans une « maison de débauche ».
Alors que le premier « client » s’approche d’elle, ses cheveux poussent à la vitesse
de la pluie qui tombe et l’entourent d’un épais manteau, qui va même la proté-
ger des contacts et même des flammes, lorsque ses bourreaux la placeront sur un
bûcher ardent238.
Un fait significatif montre l’effroi, que peuvent créer des cheveux coupés, en
certaines circonstances. Au moment de « la révolution de jasmin » tunisienne,
en janvier 2011, une femme terrorisée racontait, qu’au ministère de l’intérieur de
Tunis, des salles de torture étaient préparées, avec des touffes de cheveux accro-
chées sur les murs. Cette action renvoie à l’arrachement du vital, à l’humiliation, à
la souffrance et à la mort, dans la déchéance.
Le marin ne doit pas se couper les cheveux, à bord d’un navire, car cela ferait
lever des tempêtes. En revanche, le matelot qui parvient à se couper les cheveux,
pendant une intempérie, pourrait avoir une très bonne surprise en revenant à son
foyer.
En général, les cheveux coupés, ou tombés, se transforment en déchets, qui provo-
quent le dégoût ou l’horreur (témoins, ces tonnes de cheveux des détenus conservés
à Auschwitz). Ils soulignent l’obscénité de la souillure qui provient du corps humain.
Ainsi, certaines images publicitaires, destinées à mettre en valeur des produits

237. Source : site faré vana’a (Académie tahitienne).


238. Constant M (1974) Le jeu de Sainte Agnès, opéra, cérémonial d’église d’après un manuscrit du
xive siècle.
102 Les cheveux

nettoyants, montrent une jeune femme hystérique, découvrant des touffes de cheveux,
3 flottant sur la grille d’évacuation d’un bac de douche. Tout en les fixant du regard,
elle hurle et retient un haut le cœur, comme à la vue d’un monstre en décomposition.
Dans certaines situations, la chevelure défaite, emmêlée, enduite de matières
diverses ainsi que des mèches de cheveux coupées deviennent des malédictions.
Il ne faut pas oublier que la couleur des cheveux reste très connotée dans les imagi-
naires anciens et actuels Les princesses sont blondes... et les méchantes sorcières...
noires.
Les sorcières, évoquées ou représentées avec de sombres chevelures en désordre,
devaient durant la période médiévale européenne, présenter leur crâne aux ciseaux
du bourreau avant de monter sur le bûcher. Les ciseaux ne suffisant plus, elles
furent tondues dès le début du xvie siècle en Europe. Le caractère féminin des
cheveux, si redouté, (elles étaient jugées et condamnées par des hommes), se
trouvait ainsi dénié. Les magnifiques scènes du film de Dreyer, Jeanne d’Arc, en
témoignent, parmi de nombreuses œuvres picturales et graphiques
En revanche, maléfique, mais provoquant le désir, la chevelure vivante (c’est-à-
dire non coupée et faisant partie du corps), inspire le poète Guillaume Apollinaire,
qui reprend la légende allemande de la sorcière du Rhin, Lorelei et met l’accent sur
la beauté des cheveux de la créature fatale239 :
« À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l’évêque la fit citer
D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté
Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé
Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j’en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s’en alla
L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu’au couvent cette femme en démence
Va-t-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

239. Apollinaire G (1913) Alcools. Gallimard, Paris, 1966 (réédition).


Fantasmes et pouvoirs 103

Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre


La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves
Là haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là bas sur le Rhin s’en vient une nacelle
Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle
Mon cœur devient si doux c’est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil. »
Le franchissement d’un état à un autre marque également – mais à un degré moins
dramatique – le caractère de la première coupe de cheveux, chez les peuples de
l’Antiquité, comme dans de nombreuses communautés du monde contemporain.
Il revêt une importance considérable. La première coupe de cheveux constitue, à
elle seule, un rite de passage et exorcise des risques ou des dangers.
Dans l’Égypte pharaonique, les garçons comme les filles devaient se faire raser la
tête en laissant toutefois une mèche de cheveux, sur le côté, qui devait être tressée :
la tresse de l’enfance. La puberté changeait l’aspect. L’adolescent subissait un
rasage total du crâne et commençait très tôt à porter une perruque, de laine pour
les plus humbles et de cheveux naturels pour les hommes des classes supérieures.
La jeune fille se laissait pousser les cheveux. Devenue femme, elle pouvait, elle
aussi, porter une perruque. Les danseuses échappaient à cette habitude, leurs
mouvements acrobatiques ne leur permettant pas de garder un postiche sur la
tête. Elles tressaient alors leur longue et abondante chevelure, en une multitude de
fines tresses, ornées de pièces d’or ou de matériaux précieux.
Exception faite des esclaves, qui devaient être reconnus au premier regard et qui
portaient dès leur plus jeune âge, les cheveux mi longs, en une sorte de queue de
cheval, lisse ou tressée, rejetée sur l’arrière du cou.
En Mésopotamie, dans les territoires de Sumer, d’Akkad, d’Ur, de Kish ou de
Babylone, des professionnels rasaient, très tôt, le crâne des enfants, cherchant à les
éloigner d’une période réputée dangereuse, mais marquant dans le même temps,
les classes sociales, les castes et les fonctions. Le garçon issu d’une famille de
prêtres et qui devait lui-même accéder à cette dignité restait, toute sa vie, dépourvu
de tous cheveux et de tous poil. En revanche, le jeune homme des classes nobles
ou guerrières laissait pousser ses cheveux, puis sa barbe et les bouclait avec soin.
Les femmes portaient des éléments décoratifs qui retenaient leurs longues mèches,
lavées et peignées, régulièrement par les esclaves. Les servantes maintenaient leurs
cheveux, par un simple chignon sur la nuque.
L’importance de la première coupe de cheveux caractérisait aussi les habitudes de
la Grèce antique. Elle se déroulait assez tard, semble-t-il, d’après les archéologues.
Les jeunes gens offraient à Apollon leurs premiers cheveux coupés. Ils marquaient
ainsi non seulement, leur entrée dans l’assemblée des hommes, mais tentaient de
104 Les cheveux

s’identifier au séducteur par excellence, à « celui qui resplendit », au « tueur de


3 dragons », à « celui qui frappe de loin », à « celui qui porte l’arc d’argent », au
« chef des muses » et au « médecin devin ».
Quand il atteint l’âge de trois ans, le garçon, subit une coupe partielle de ses
cheveux, chez les juifs. La richona consiste à raser le crâne en laissant intacts, deux
endroits au niveau des tempes.
Certaines communautés, surtout Yéménites ou Hassidim ashkénazes, laissent
pousser les cheveux, sans les toucher, à ces endroits, même chez les adultes jusqu’à
la hauteur de la barbe.
Chez certains Arabes, la coutume de couper une petite mèche des garçons nouveau-
nés, le septième jour de leur vie, et de donner une aumône équivalente à leur poids
en en argent, subsiste depuis le début de l’islam.
La trace de peurs ancestrales, liées à la chevelure, se détecte dans le sillage des
comètes, souvent appelées « étoiles qui fument » ou « serpents de mer ».
La crainte des astres chevelus présente dans les récits du passage de la comète
Halley, en 451, coïncide avec l’effroi de l’arrivée d’Attila et des Huns, en Europe.
La longueur des cheveux, apanage des peuples dits barbares, reste depuis l’Anti-
quité, la marque de la force brutale et insolente. L’oracle de Delphes stigmatise
la rivalité avec le sanctuaire de Didyme (achevé en 560 avant JC) en Anatolie,
également lié pourtant à Apollon : « Et ce jour-là toi, la ville désordonnée, tu seras
une proie fructueuse pour les ennemis, un festin pour des tas de gens ! Tes femmes
laveront les pieds des guerriers barbus et chevelus ! ».
La longue chevelure des hommes, liée souvent à leur peau claire, signale leur
violence, mais aussi leur royauté. La question de l’identité des peuples nordiques,
scandinaves et celtiques pose de nombreux problèmes aux conquérants romains,
en Gaule, par exemple.
L’histoire de Clodion le Chevelu, premier roi connu de la branche qui deviendra
la dynastie des Mérovingiens, montre la puissance symbolique de la chevelure.
Personne ne connaît le véritable nom du personnage. Ses guerriers lui donnent
le surnom sympathique de Clodion à cause d’une légère claudication. Le qualifi-
catif de « chevelu » ne constitue pas un signe particulier, mais la marque la plus
évidente de la supériorité du roi des Francs.
Pour les Francs comme pour de nombreux peuples de l’époque médiévale, les rois,
d’origine divine, portent une marque incontestable, la chevelure intacte. Alors que
les combattants se rasent la nuque, les fils des dieux portent les cheveux naturelle-
ment longs. Cachées seulement par le casque, au moment des combats, les lourdes
boucles blondes ou rousses, telles que les historiens populaires les imaginent,
forment des cascades sur leurs épaules, une sorte de crinière de lion qui montre
la royauté au commun des mortels. Cette très archaïque croyance rend en terre
de Gaule, les premiers Francs, sourds aux prédicateurs chrétiens. En effet, devenir
chrétien correspondrait à un reniement des ancêtres et à la cohésion de la commu-
nauté. Clovis fera exception, en 496, en acceptant le baptême Ce geste, essentielle-
ment politique, mais courageux sera salué par les évêques. Clovis, cependant aura
l’habileté de se déclarer le premier de la généalogie des Francs, éliminant ainsi
son grand-père Mérovée et le célèbre Clodion le Chevelu qui, pour les historiens,
inaugure cependant la première famille des rois de France.
Fantasmes et pouvoirs 105

Cette toute puissance de la chevelure considérée comme un sceptre, persistera


puisque, pour s’assurer de la disparition politique définitive du dernier mérovin-
gien, Childéric III, plus connu sous le nom de Pépin le Bref, le fera tondre en 751,
avant de l’enfermer dans un couvent. Plus jamais il ne pourra être roi.
Privilège de cette partie du corps humain : la fluidité et le mouvement.
La chevelure devient vêtement ou toit. Elle forme, au dessus du corps, un volume
composé de plus de cent vingt mille éléments, fins et longilignes, qui emprison-
nent l’air. Ainsi, la masse des cheveux protège la tête, en l’isolant des rayons du
soleil ou en lui procurant une enveloppe tiède, pendant les grands froids.
Manifestation du supra humain : les cheveux dressés sur la tête des possédés et
des extatiques soulignent la métamorphose de l’état de leur corps et de leur esprit.
Les adeptes du zârr240, au Caire, dans le quartier d’Imam (la « ville des morts »),
lorsqu’ils sont habités par leur djinn et sur le point de s’en délivrer, dansent, en
jetant, violemment, bonnets, turbans ou voiles et en dévoilant leurs cheveux,
transformés en auréoles raidies autour du crâne.
Cet aspect, qui ne dure que quelques minutes, montre à la communauté, que le
fidèle se trouve dans la phase de délivrance, donc de guérison.
Les cheveux, séparés du corps, restent, dans de nombreux cas, associés à la mort.
Ainsi, le chant breton – « C’est une fille parmi ces bois » – met en scène une
condamnée demandant l’ablation d’une partie de sa chevelure, avant son supplice :
« Quand la belle fut sur l’échafaud
Elle a jeté sa vue sur terre
Elle aperçoit sa tendre mère…
Ma mère coupez-moi mes cheveux
Et portez-les à la porte de l’église
Pour les faire voir aux jeunes filles241. »
Le chevelure coupée ou la mèche de cheveux représenterait un avertissement ou
une menace ou parfois encore le moyen de prolonger la présence du corps, après
la mort. En outre, dans les pays celtiques, cette mèche de cheveux constituerait un
subterfuge (par le toucher, la caresse ou l’invocation) pour maintenir la commu-
nication entre les vivants et les morts.
En conclusion, les cheveux, porteurs de messages innombrables et souvent contra-
dictoires, continuent de provoquer, au xxie siècle, des questions, qui demeurent
hors des frontières de la rationalité ambiante. Les adages répétés cent fois et trans-
mis dans l’intimité – (il est bon de se couper les cheveux avant la pleine lune ou
il est préférable de ne pas se laver la tête, le premier jour des règles) – soulignent
le rôle trouble que joue de la chevelure, sur des êtres qui semblent hors d’atteinte
de toutes les superstitions et croyances du passé. Les cheveux constitueraient peut-
être les témoins des liens de l’individu à une ritualité qui refuse de disparaître de
la société contemporaine.

240. Zârr : rituel exorciste d’extase et, en même temps, de possession, destiné à faire sortir le « démon »
du corps du malade, chez les peuples islamisés de l’Afrique et d’une partie de l’Asie.
241. Poulain A (2011) Carnets de route. Chansons traditionnelle de Haute Bretagne. Presses univer-
sitaires de Rennes.
Annexes

LES CHEVEUX ET LE LANGAGE


Dans la langue française (comme dans presque toutes les langues), les
termes de « cheveu » et de « chevelure » occupent une place importante et
caractérisent souvent les expressions populaires. Ils reflètent des préoccupa-
tions quotidiennes, dans la vie de la société et soulignent la vivacité d’une
imagerie mentale, toujours inventive. Voici quelques expressions, entendues,
plusieurs fois par jour :
– « Tiré par les cheveux », explication a priori peu crédible.
– « Couper un cheveu en quatre », avoir le souci du détail.
– « S’arracher les cheveux », être furieux, désespéré.
– « Faire dresser les cheveux sur la tête », faire frémir.
– « Cheveux en brosse », aspect particulier d’une coiffure.
– « Comme un cheveu sur la soupe », à l’improviste.
– « S’en falloir d’un cheveu », à deux doigts de se produire.
– « Se faire des cheveux », « Se faire des cheveux blancs », s’inquiéter.
– « Saisir la chance par les cheveux », tenter une dernière occasion de réussite ou
de bonheur.
– « Se prendre aux cheveux », se quereller, se battre.
– « Friser la quarantaine ».
– « À un cheveu près », à peu de chose près.
– « Se crêper le chignon », se quereller, se battre.
– « Cheveux au vent », en liberté.
– « À tout crin », de toutes manières.
– « Être de mèche », faire preuve de complicité.
– « Se faire coiffer sur le poteau », perdre de très peu.
– « Ne pas toucher à un cheveu », respecter scrupuleusement.
– « Des cheveux dans le potage », trouver des éléments de discorde.
– « Des cheveux dans la soupe », découvrir des problèmes.
– « Les cheveux du diable », la chance.
– « Avoir un cheveu sur la langue », zézayer, zozoter.
– « Avoir mal aux cheveux », état désagréable, après une ivresse.
– « Trois pelés et un tondu », peu de personnes.
– « Reprendre du poil de la bête », retrouver courage et énergie.
– « Avoir un poil dans la main », être paresseux.
– « Dans le sens du poil », se montrer conciliant.
108 Les cheveux

– « Avoir du beurre dans les cheveux », ou « beurre sur tête », caractérise les
individus dont il faut se méfier.
Les cheveux sont souvent à l’origine de surnoms : par exemple en breton bleo
kanab (cheveux de chanvre), pour une blonde aux cheveux couleur filasse.
Mikael Madeg a sélectionné une quinzaine de surnoms bretons avec le mot bleo
(cheveux) dans Le grand livre des surnoms bretons242 :
– La belle aux cheveux de lin
– La dame aux cheveux d’or
– Les boucles de soie.

DES MATIÈRES INNOMBRABLES, POUR LE SOIN DES CHEVEUX


À partir du moment, où la toison féminine, mais aussi masculine, devient un
signe de fierté, par sa beauté, tous, depuis l’Antiquité et sous les latitudes diverses,
cherchent à l’entretenir, à conserver sa souplesse ou sa rigidité, à la nettoyer de
vermines et de salissures, bref, à la maintenir dans les codes les plus favorables de
leur société, avec les ingrédients trouvés dans l’environnement immédiat.

L’huile

Huile d’olive et huile d’amande, dans les pays méditerranéens, huile (ou beurre)
de karité en Afrique, huile d’argan en Afrique du Nord, huile de fleur de coton,
huile de jujube ou jojoba, huile de noyaux d’abricots, huile de coco, huile de pépins
de raisins, huile de ricin, huile de bourrache, huile de nigelle, huile d’avocat, huile
de monoï, huile de figue de Barbarie, huile de palme.

La graisse animale

Les Nilokamites, les Masaïs, les Suks et les Turkanas de l’Afrique de l’Est font
un mélange de graisse de vache et de boue, pour protéger leurs cheveux de la
poussière et des parasites et lui donner un aspect favorable selon les canons esthé-
tiques du groupe.
Le beurre, dans l’Égypte pharaonique. Les fresques des pyramides montrent
les princesses comme les musiciennes, portant un cône de beurre parfumé,
au sommet du crâne. Celui-ci fond lentement sur la chevelure en libérant les
odeurs.

242. Madeg M (2010) Le grand livre des surnoms bretons. Emgleo Breiz, Brest.
Annexes 109

La cire d’abeille

Les Tupi-Guarani du Brésil l’utilisent dans leur chevelure très lisse, pour y
insérer des plumes et des pelages d’oiseaux.

L’urine

Les Inuits conservent leur urine, pendant plusieurs semaines et lavent leur
chevelure, dans cette lotion ammoniaquée. Plus l’urine vieillit, plus elle devient
alcaline. L’urée se décompose en ammoniaque. L’urine de plusieurs jours se trans-
forme, par une fermentation bactérienne, qui augmente son effet purificateur.
Il convient de signaler l’apparition de l’urinothérapie, dans les pays occidentaux.

Le yogourt

Il est utilisé très largement, comme fortifiant du cheveu et comme démêlant,


en particulier, dans les pays turco-arabo-parsans et ceux qui vont des Balkans à
l’Hindou-Kouch ainsi qu’en en Inde.

Les plantes

Parmi elles, citons le basilic (contre la chute des cheveux), la sève de bouleau, le
citron et les agrumes, le poireau (bouillon de poireau pour l’intensité des cheveux
noirs), le ginseng.

Les décoctions de plantes

Parmi elles, citons la camomille, le thym, le romarin (l’ibiscus rouge en Inde),


les orties, la bardane, le henné, le karité, le souak, la rose, la fleur d’oranger.

Les savons

Ce sont le savon noir, le savon d’Alep (Syrie), le savon à l’essence de fleur


d’oranger de Tripoli (Liban).
110 Les cheveux

La terre

On rencontre principalement l’Argile blanche, l’argile verte, le rhassoul.

La cendre

Pour lutter contre l’engraissement des cheveux.

L’œuf

Le jaune d’oeuf souvent associé au rhum devient un shampooing vitalisant.

Le vinaigre

Ce sont le vinaigre de cidre, le vinaigre de vin.

L’alcool

Ce sont par exemple le rhum, la bière, le cidre.

Le sel (contre les pellicules)

Avant un shampooing la chevelure est aspergée de sel fin puis brossée énergi-
quement.

La boue

Ce sont par exemple la boue de la Mer Morte (qui contient 27 minéraux),


en masque, la boue de Gössendorf (Autriche), (argile volcanique). Les Indiens
Pima de Californie luttent contre les poux, en enduisant leur chevelure de boue.
Aujourd’hui, dans le monde occidental, des sommes importantes consacrées à la
recherche et à la diffusion de produits innombrables, pour l’entretien et la beauté
de la chevelure, débouchent sur des publicités extravagantes et créent des fortunes
considérables, chez les diffuseurs (l’Oréal et la richesse de Liliane Bettencourt).
Annexes 111

PANOPLIE D’USTENSILES POUR LES CHEVEUX


– Peignes « Les cheveux sont ensuite – Barbette
démêlés avec un peigne, opéra- – Guimpe
tion qu’accompagne l’incantation – Mortier
suivante : Qui pratique la magie de – Couronne
beauté. – Pour rehausser la beauté, – Diadème
pour la faire apparaître pratique sur – Coiffes
les pentes de Kituma rehausser la – Galons
beauté, pour la faire apparaître. – Je – Touret
la pratique sur les pentes de Kituma. – Truffeau
– Beau est mon peigne, flamboy- – Balso.
ant est mon peigne, mon peigne est
comme la pleine lune, mon peigne
est comme l’étoile du matin. – Car COIFFURES
c’est mon peigne, – Il m’ornera, Il me
rendra digne d’être aimé243 ». – Cheveux libres
– Peignes-afro (pour cheveux crépus) – Cheveux lâchés
– Peignes à poux – Cheveux au vent
– Brosses – Cheveux frisés
– Brosses démêlantes (pour cheveux – Cheveux permanentés
crépus) – Cheveux bouclés
– Ciseaux – Cheveux ondulés
– Coupe-choux – Cheveux lissés
– Rasoirs – Cheveux graissés
– Tondeuses – Cheveux « gominés »
– Lisseuses – Queue de cheval
– Bigoudis – Queue de rat
– Fers à friser – Chignons
– Séchoirs – Frange
– Pinces – Toupet
– Épingles – Couettes
– Barrettes – Macarons
– Rubans – Permanente
– Nœuds – Crête iroquoise
– Chouchous – Devilock
– Lacets – Korimbos (rois sassanides)
– Élastiques – Coiffure à l’écuelle (Jeanne d’Arc)
– Résilles – Coiffure au bol
– Crépines – Coiffure à la Titus
– Filets – Tubulus ou chignon romain
– Couvres-chignons – Coiffure en porc-épic
– Escoffion (xvie siècle) – Oreilles de chiens (les Incroyables
du xviiie siècle)

243. Bronislaw Malinowski…


112 Les cheveux

– Meulette ou coupe de Bilbao – Catogan


– Banane – Natte
– Cadenette (coiffure militaire) – Tresse
– Coiffure pouf ou Qu’es aso (coiffure – Rouleau
très en hauteur, sous forme de – Dreadlocks
devinette, au temps de Marie- – Coupe en brosse
Antoinette) – Coupe à la garçonne
– Torsade – Coupe à la Romaine.

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