Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Cliniques du travail
DU MÊME AUTEUR :
Dominique Lhuilier
Cliniques du travail
Clinique du travail
00 Premières pages 11/09/12 15:12 Page 6
Conception de la couverture :
Anne Hébert
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
La gestion des trajectoires professionnelles
et les pratiques associées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Le stress et la gestion des émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Le harcèlement, la maltraitance au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
FILIATIONS THÉORIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Psychologie clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Psychologie sociale clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
De la psychopathologie du travail à la clinique du travail 42
Travail et santé mentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Psychodynamique du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Clinique de l’activité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
TRAVAILLER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Le travail comme usage de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Travail et système symbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Travail et épreuve du réel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 246
De l’activité à l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Travail et emploi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 7
Introduction
8 Cliniques du travail
Introduction 9
10 Cliniques du travail
Introduction 11
12 Cliniques du travail
Introduction 13
14 Cliniques du travail
Introduction 15
16 Cliniques du travail
Introduction 17
18 Cliniques du travail
Introduction 19
20 Cliniques du travail
Filiations théoriques
PSYCHOLOGIE CLINIQUE
Notre approche de la clinique du travail se réfère aux deux
courants théoriques constitués par la psychologie sociale cli-
nique d’une part, la psychopathologie du travail et ses dévelop-
pements élaborés par la psychodynamique du travail et la
clinique de l’activité d’autre part.
Les controverses suscitées par la recherche en psychologie
clinique (spécification de son objet, du rapport entre pratique et
recherche, statut de la singularité du cas dans la conceptualisa-
tion du général, statut de l’intersubjectivité dans le rapport du
chercheur à son objet, critères de scientificité…) imposent de
revenir sur les fondements de la psychologie clinique et son pro-
jet de constitution d’une certaine science en même temps que
d’élaboration d’une praxis.
La notion de clinique fut longtemps associée seulement à la
pratique médicale. Son origine étymologique (kliné – le lit, klini-
cos – le médecin, klinike – soins du médecin au malade alité…)
renvoie à cette situation où le médecin, au lit du malade et armé
de sa seule présence, se penche sur un patient. Si la clinique est
constitutive de la pratique médicale dès ses origines, c’est à la
fin du XVIIIe siècle que l’approche de la singularité d’un sujet se
fait reconnaître, au-delà du primat des généralités nosologiques,
comme compatible avec l’exigence de rigueur scientifique et ses
critères de généralisation et d’objectivité. « La qualité singulière,
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 22
22 Cliniques du travail
Filiations théoriques 23
24 Cliniques du travail
Filiations théoriques 25
26 Cliniques du travail
Filiations théoriques 27
28 Cliniques du travail
Filiations théoriques 29
30 Cliniques du travail
Filiations théoriques 31
32 Cliniques du travail
Filiations théoriques 33
34 Cliniques du travail
Filiations théoriques 35
36 Cliniques du travail
Filiations théoriques 37
38 Cliniques du travail
Filiations théoriques 39
40 Cliniques du travail
Filiations théoriques 41
42 Cliniques du travail
DE LA PSYCHOPATHOLOGIE DU TRAVAIL
À LA CLINIQUE DU TRAVAIL
Nous ne reviendrons pas ici sur la préhistoire de la psycho-
pathologie du travail et les conditions socio-historiques de son
développement. Nous ne pouvons que faire référence aux tra-
vaux extrêmement complets et précis de I. Billiard (2001), tra-
vaux d’autant plus importants qu’ils permettent de repérer les
axes théorico-cliniques déjà explorés, et qui semblent redécou-
verts aujourd’hui.
Filiations théoriques 43
44 Cliniques du travail
Filiations théoriques 45
46 Cliniques du travail
Filiations théoriques 47
48 Cliniques du travail
Psychodynamique du travail
Les travaux de C. Dejours s’inscrivent dans cet héritage de
la psychopathologie du travail au sein de laquelle il les situe
dans un premier temps. La référence à la théorie psychanaly-
tique déplace le champ de l’analyse tout en maintenant la cen-
tralité du conflit entre l’organisation de la personnalité et
l’organisation du travail. Le concept de sublimation permet,
« en position opposée par rapport à la pathologie mentale avé-
rée », de souligner que « la psychopathologie du travail s’inté-
resse aussi aux issues réussies de ce conflit fondamental entre
organisation du travail et sujet du désir » (1987). L’élargis-
sement des données empiriques comme l’apport d’autres dis-
ciplines notamment l’ergonomie, la sociologie du travail,
conduisent à des remaniements qui rompent avec le modèle
causaliste de certaines recherches des débuts de la psycho-
pathologie du travail. « Faute de pouvoir mettre en évidence
des maladies mentales spécifiques, nous faisions porter notre
attention sur les comportements, étranges, insolites, ou para-
doxaux […]. La problématique est alors soumise à un retour-
nement épistémologique », qui conduit à une redéfinition de
l’objet de la recherche en psychopathologie du travail : l’étude
de la souffrance au travail. « Souffrance compatible avec la
normalité et avec la sauvegarde de l’équilibre psychique mais
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 49
Filiations théoriques 49
50 Cliniques du travail
Filiations théoriques 51
52 Cliniques du travail
Clinique de l’activité
Y. Clot représente un autre courant de la clinique du travail
situé à l’intersection de l’ergonomie francophone et de la psycho-
pathologie du travail, et référé aux travaux de Bakhtine et
Vygotski (1996). Ce sont les rapports entre activité et subjectivité
qui sont ici au centre de l’analyse.
Le paradoxe contemporain d’une subjectivité au travail à la
fois convoquée et répudiée tend à sacraliser l’activité profes-
sionnelle tout en la considérant comme un résidu de la moderni-
sation. Aussi, « la condition du salarié paraît s’ordonner autour
de deux figures symétriques : sur-travail et sous-emploi » (1995).
Paradoxe qui se décline encore autour de l’injonction de prendre
ses responsabilités alors que, de fait, les travailleurs n’en ont
aucune. Au mieux peuvent-ils décider des modalités d’exécution
des tâches mais en tout cas pas des objectifs visés. Ici la critique
des orientations managériales ne suffit pas. C’est plutôt une
perspective dynamique (dont les fondateurs de la sociologie du
travail ou encore H. Wallon nous donnent l’exemple) qui est sus-
ceptible d’élucider une situation donnée en prenant en compte
en même temps les évolutions en cours et ce qui les annule,
ainsi de comprendre pourquoi ces orientations managériales
sont toujours en butte aux « démentis du réel ».
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 53
Filiations théoriques 53
54 Cliniques du travail
Filiations théoriques 55
56 Cliniques du travail
Filiations théoriques 57
DEMANDE ET COOPÉRATION
La recherche clinique suppose, comme toute recherche, de
se situer dans la communauté scientifique et sa production, de
cerner son objet, de poser des hypothèses, d’élaborer une
méthodologie, d’utiliser des grilles d’analyse, d’interprétation.
Elle suppose encore, pour ce qui la concerne, une explora-
tion des relations entre la subjectivité du chercheur et l’objet de
sa recherche. L’analyse de l’implication du chercheur est le com-
plément indispensable à la prise en compte de la demande et de
l’implication des personnes rencontrées. D’une certaine façon,
on peut dire que le chercheur et son objet sont de même nature
et la quête de l’objectivité ne peut être poursuivie à travers l’illu-
sion d’une position d’extériorité qui maintient l’objet à distance.
La clinique se développe dans une relation. Et ce qui apparaît
dans les sciences expérimentales comme un obstacle à la
connaissance est apprécié ici comme un moyen d’accéder à la
connaissance ; à la condition d’intégrer cette expérience, cette
relation comme objet de recherche, à la condition de penser
cette relation comme permettant de révéler certaines dimensions
de l’objet de recherche.
L’attention aux modalités de la rencontre et à ses effets sur
les discours est une exigence commune en clinique. Elle est
accrue dans des univers professionnels ou sociaux où le statut
de la parole est marqué d’ambivalence, où la compétence pro-
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 60
60 Cliniques du travail
62 Cliniques du travail
64 Cliniques du travail
L A RECHERCHE-ACTION
On perçoit ici notre inscription dans la tradition clinique qui
est aussi celle de la recherche-action et que la formule d’Yves
Clot (2001) résume justement : « comprendre pour transformer
et transformer pour comprendre ».
La recherche-action recouvre à la fois une démarche origi-
nale de recherche et une méthode d’intervention visant des
changements individuels et collectifs. Il s’agit bien d’articuler une
activité de recherche et un projet d’action à travers une
démarche susceptible de favoriser des effets de connaissance et
de changement.
Cette visée d’accès à la connaissance théorique enracinée
dans la pratique marque une rupture avec les conceptions clas-
siques du travail scientifique.
La relation entre recherche et action n’est plus celle d’une
subordination de l’une à l’autre mais de complémentarité et réci-
procité. En ce sens, la RA se distingue de la recherche appliquée
qui propose de mettre à disposition des personnes des « résul-
tats » leur permettant de faire des choix, prendre des décisions,
définir des orientations… Le chercheur rompt avec cette position
de savoir ou d’expertise (propositions, conseils, suggestions)
pour s’engager dans une relation de coopération avec les sujets
autour d’un projet commun. « Un projet qui répond à la fois aux
préoccupations pratiques d’acteurs se trouvant en situation pro-
blématique et au développement des sciences sociales par une
collaboration qui relie selon un schéma éthique mutuellement
acceptable. » (Rapoport, 1973)
Cette définition de la recherche-action indique que celle-ci se
réalise toujours sur le terrain de la réalité et que si une part d’ex-
périmentation peut être envisagée, il s’agit bien d’« une expéri-
mentation dans la vie réelle » (Lewin, 1944) et non en
laboratoire. L’objet même de la recherche est défini à partir de la
demande d’acteurs d’une situation singulière confrontés à des
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 65
66 Cliniques du travail
68 Cliniques du travail
70 Cliniques du travail
72 Cliniques du travail
74 Cliniques du travail
76 Cliniques du travail
78 Cliniques du travail
Travailler
82 Cliniques du travail
Travailler 83
84 Cliniques du travail
Travailler 85
86 Cliniques du travail
Travailler 87
88 Cliniques du travail
Travailler 89
90 Cliniques du travail
Travailler 91
92 Cliniques du travail
Travailler 93
94 Cliniques du travail
Travailler 95
96 Cliniques du travail
Travailler 97
DE L’ACTIVITÉ À L’ACTION
Le travail n’est pas seulement organisé par les directions et
l’encadrement. Il est réorganisé par ceux qui le réalisent, à la fois
pour répondre aux exigences du réel et pour se dégager des
rapports sociaux de dépendance et de contrôle contenus dans
les prescriptions. Cette réorganisation est une construction col-
lective qui suppose délibérations et décisions pour régler les
activités individuelles, les inscrire dans un corpus de règles par-
tagées et un cadre signifiant commun.
Le collectif de travail, à la différence du groupe ou de l’équipe
tels que formellement constitués, est l’espace de ce travail de
réorganisation. Les liens tissés ne relèvent pas d’affinités sélec-
tives déconnectées du travail. Le collectif est « à la fois un
regroupement de production et de lutte. C’est parce qu’ils ont à
résoudre en commun des problèmes d’organisation de leur tra-
vail, dont les divers aspects se commandent réciproquement,
que les ouvriers forment obligatoirement des collectivités élé-
mentaires qui ne sont mentionnées dans l’organigramme d’au-
cune entreprise. C’est parce que leur situation dans la
production crée entre eux une communauté d’intérêts, d’atti-
tudes et d’objectifs s’opposant irrémédiablement à ceux de la
direction que les ouvriers s’associent spontanément, au niveau
le plus élémentaire, pour résister, se défendre, lutter »
(C. Castoriadis, 1974).
La mobilisation subjective dans ce travail collectif est rendue
possible par la reconnaissance des contributions singulières à la
poursuite de visées communes. Celle-là permet à chacun d’ac-
céder et de contribuer à un monde commun où l’activité n’est
pas seulement activité productive mais action. La lutte pour
conquérir son autonomie, pour préserver une marge de liberté
dans le travail suppose à la fois une activité sur soi-même (tra-
vail de subjectivation) et une action commune entendue comme
praxis, pratique sociale.
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 98
98 Cliniques du travail
Travailler 99
TRAVAIL ET EMPLOI
Y a-t-il une différence de nature entre les activités de travail
et les activités hors travail ? Ou la dichotomie entre ces deux
sphères relève-t-elle d’une réduction du travail au secteur de
l’emploi ? Nombre d’activités de travail se rencontrent pourtant
hors de ce cadre conventionnel. C’est le cas par exemple des
gardes-malades et de leur rôle dans la distribution du travail de
soins à l’hôpital, en Afrique. C’est encore le cas pour ce qui
concerne le travail invisible, parce que clandestin, en prison : il
s’inscrit dans les stratégies d’adaptation développées par les
détenus dans ce milieu de contraintes et de privation. On peut
encore évoquer l’expérience de la mise au placard, cette forme
de relégation au sein même de l’organisation qui se traduit par
un retrait des tâches et le maintien de l’emploi. La réinvention
du travail dans les interstices de l’organisation ou à l’extérieur
de celle-ci est un mode de dégagement essentiel de l’isolement
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 100
Travailler 101
Travailler 103
Épreuves psychiques
PROFESSIONS À RISQUES
L’articulation entre représentations des risques et modalités
de traitement des risques est indispensable au regard de leur
interdépendance.
Nous rejoignons nous-même le principe reconnu par la plu-
part des chercheurs selon lequel les représentations et les pra-
tiques s’engendrent mutuellement, dépassant ainsi les
polémiques sur la primauté des unes ou des autres. « On ne
peut dissocier la représentation, le discours et la pratique. Il
serait tout à fait vain de rechercher si c’est la pratique qui produit
la représentation ou l’inverse. C’est un système. La représenta-
tion accompagne la stratégie, tantôt elle la précède et elle l’in-
forme, elle la met en forme ; tantôt elle la justifie et la rationalise :
elle la rend légitime. » (M. Autes, 1985)
Cette orientation conduit à explorer, dans différents milieux
de travail, la façon dont, en fonction des représentations des
risques réels ou supposés, vont s’organiser les modalités de trai-
tement (organisation du travail, division des tâches et des
hommes, construction des pratiques professionnelles…) et les
réajustements, lors de l’activité, de ces modalités de traitement,
qui influent à leur tour sur les représentations des risques.
La représentation est considérée ici comme ce qui forme le
contenu d’un acte de pensée. Conçue comme produit et proces-
sus d’une élaboration psychologique et sociale de la réalité
(D. Jodelet, 1989), elle n’est pas seulement cognitive, c’est-à-
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 107
Savoir-faire et autonomie
L’interdépendance entre représentations et pratiques éclaire
la question de l’acceptabilité des risques. Dans l’exercice du tra-
vail, certains risques sont acceptés, définis comme « les risques
du métier », d’autres sont récusés. La construction de savoir-
faire adaptés au traitement des risques perçus restaure un sen-
timent de maîtrise sur la situation qui conjointement diminue
l’appréhension de la dangerosité. Inversement, l’inefficacité des
modes opératoires habituels génère de l’anxiété.
L’activité s’inscrit dans un au-delà de la règle, que celle-ci
soit définie par les prescriptions ou par les régularités. Au-delà
ne signifie pas sans elle, mais à partir d’elle. La compétence (au
sens entendu par Y. Schwartz, 1997), ou la compétence-effi-
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 114
Prévenir la violence
Ainsi le surveillant de prison a « à prendre connaissance »
des détenus, comme ces derniers cherchent aussi à savoir « à
qui ils ont affaire ». Savoir qui on a en face de soi, construire une
représentation de l’autre est une quête constante lors de toute
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 119
L A PEUR AU VENTRE
Les représentations du risque ne peuvent être appréhen-
dées sans prise en compte des mécanismes psychologiques de
défense contre l’angoisse. Si la prévention de la peur peut pas-
ser par les diverses modalités de transformation – aménage-
ment des caractéristiques de la situation de travail susceptibles
de la provoquer –, l’inconscient lui n’a aucune prétention à trans-
former la réalité extérieure puisqu’il n’en a aucune connais-
sance. Mais il marque son empreinte sur la représentation en la
transformant pour réduire sa portée anxiogène, pour la rendre
plus tolérable.
La représentation, nous l’avons souligné, n’est pas un simple
reflet de la réalité, mais témoigne plutôt d’un travail de recons-
truction sélective au cœur duquel se joue la question du savoir
et du refus de savoir.
Il nous faut préciser à nouveau ici quelques repères théo-
riques pour éclairer notre propos.
La méconnaissance n’est pas l’incomplétude du savoir mais
ce qui renvoie à ce qui pousse ou dénie la démarche de savoir.
Elle joue dès le niveau perceptif pour donner forme à la repré-
sentation et la rendre, si ce n’est conforme au désir, du moins
acceptable. Il s’agira donc de ne pas voir, ne pas reconnaître, ne
pas savoir ce qui est susceptible de produire trouble, angoisse et
déplaisir. Marquée du signe de la négativité, le processus de
méconnaissance manifeste une intention active qui témoigne
d’un refus de connaissance et qui fait de la représentation à la
fois le « produit » et l’outil du déni. R. Perron (1983) analyse ces
différentes figures de la méconnaissance que sont le déni, le
refoulement et la construction des théories. Le déni de réalité est
le refus d’une perception désagréable, le refus d’une évidence
perceptive. Évidence qui procède d’une attente perceptive elle-
même fondée sur une théorie : je ne vois rien suppose que je
devrais voir quelque chose. Il s’agit donc d’un processus actif de
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 127
outil de travail doit être utilisé mais aussi relative au défaut d’as-
surance quant à leur contrôle émotionnel. Il est question ici de la
peur ou de l’anxiété.
Le gardien de la paix, identifié par son uniforme et son arme,
assume une fonction de représentation. Ce peut être une posi-
tion gratifiante et valorisante puisqu’il représente la loi, l’ordre, la
justice, un idéal auquel sa fonction lui permet de s’identifier. Mais
de ce fait, il est aussi prisonnier de ce rôle de représentation qui
le confronte quotidiennement à la mesure des écarts entre ce
policier idéal et l’homme qu’il est. L’arme et l’uniforme, vecteurs
du moi idéal narcissique, peuvent s’inscrire dans un conflit entre
le moi idéal et l’idéal du moi, c’est-à-dire entre l’illusion de toute-
puissance avec tendance mégalomaniaque et la référence à un
modèle exemplaire puisé dans l’identification à la fonction idéa-
lisée. L’identification à l’image du policier idéal peut conduire le
policier à s’autoriser un désir de toute-puissance (dont l’arme
peut être l’expression symbolique) ou à se représenter tout-puis-
sant. Et à contrario, la réalité professionnelle le confronte quoti-
diennement à son impuissance (castration symbolique).
Représentants de l’autorité et ayant de ce fait certains pou-
voirs, les policiers peuvent (et ne manquent pas de le faire jus-
qu’à leur arrivée sur le terrain) s’imaginer efficaces. Pourtant, ils
rencontreront progressivement toutes les limites et éprouveront
plus ou moins intensément l’écart qu’il y a entre cette représen-
tation et la réalité. L’expérience de l’impuissance alimente le
doute sur cette efficience. Doute qui nourrit l’anxiété relative à la
perte de maîtrise de situations délicates ou au fait de ne pas
savoir faire face. D’autant que les situations à hauts risques sont
finalement suffisamment rares pour que persiste l’incertitude sur
les capacités cognitives et émotionnelles : sont-elles, seront-
elles à la mesure des exigences du réel ?
« Au regard du savoir, chacun se situe dans un rapport au
manque sans ignorer que vouloir tout savoir est une démarche
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 135
impossible qui n’en abolit pas pour autant l’intention. Cette der-
nière, comme le désir, affronte les limites fluctuantes entre l’im-
possible et le possible, le réel et la réalité. » (J. Szpirko, 1997)
Quand le savoir manque, qu’il s’agisse d’ignorance ou d’incerti-
tude, l’anxiété est à la mesure des enjeux, du poids des consé-
quences de l’acte. C’est aussi autour de la conscience de ce
manque que peuvent se greffer des conflits éthiques : peut-on,
doit-on agir quand on ne sait pas ? Les principes de prudence
contiennent toujours une idée de limite, de mesure, de retenue
et l’éthique de la responsabilité (H. Jonas, 1992) est cette « sol-
licitude, reconnue comme un devoir d’un autre être qui, lorsque
sa vulnérabilité est menacée, devient un “se faire du souci” ».
Reconnaître l’ignorance est l’autre versant de l’obligation du
savoir mais « l’heuristique de la peur » a un coût psychique.
L’angoisse, elle, nous semble renvoyer à un niveau plus
archaïque, au vital en amont du génital. Ce qui est actualisé par
la situation de travail concerne le possible retour à un état d’in-
différenciation primitive, au désordre pulsionnel, à l’état de
nature. La menace porte alors sur l’intégrité du moi (en termes
d’identité et d’intériorité) : elle se décline comme risque de rup-
ture, effacement des limites, pénétration, invasion, dépossession
et déliaison.
Précisons tout d’abord que l’angoisse ne nous paraît pas
pouvoir être écartée de l’investigation clinique du travail. Sur ce
plan là, nous ne suivrons pas C. Dejours, pour qui « l’angoisse
résulte d’un conflit intrapsychique, c’est-à-dire d’une contradiction
entre deux motions inconciliables. Il peut s’agir d’une opposition
entre deux pulsions, entre deux désirs, entre deux systèmes
(inconscient et conscient par exemple), entre deux instances (Moi
et Surmoi par exemple, Freud, 1926). L’investigation de l’angoisse
ne peut être faite que par la psychanalyse. L’angoisse est une pro-
duction individuelle dont les caractéristiques ne peuvent être élu-
cidées que par la référence permanente à l’histoire individuelle, la
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 136
santé qui rend abject mais ce qui perturbe une identité, un sys-
tème, un ordre : ce qui ne respecte pas les limites, les places, les
règles. L’entre-deux, l’ambigu, le mixte. » (J. Kristeva, 1980)
L’abject se loge dans l’univers du chaos, du mélange, du
désordre, dans les troubles de l’image du corps et de l’ordre
symbolique, à l’échelle individuelle comme à l’échelle collective.
Les travaux de D. Anzieu (1984) sur l’interdit du toucher
éclairent la double polarité du rapport aux limites dans les activi-
tés de travail évoquées : activités qui consistent à traiter, mani-
puler ce qui est frappé d’interdit, ce qui est souillure, activités qui
par les identifications qui les accompagnent mettent à l’épreuve
l’individualisation du soi par affaiblissement du sentiment des
frontières de celui-ci. On distinguera ici l’angoisse face à la trans-
gression et aux investissements pulsionnels libidinaux et agres-
sifs, et l’angoisse d’une altération de la démarcation entre
monde intérieur et monde extérieur, entre ce qui appartient en
propre au sujet, à autrui, au monde perceptif. Cette dernière ren-
voie aux investissements narcissiques des structures limitantes,
enveloppantes et contenantes, essentiellement le Moi et son
étayage corporel.
Les différentes dualités de l’interdit du toucher présentées par
D. Anzieu (1984) contribuent tout à la fois à la constitution d’un
sentiment de cohésion et des frontières du corps, d’une distinction
claire entre l’expérience interne et l’expérience externe, entre le
soi et les représentations d’objets, entre objets autorisés et pres-
crits parce que distingués, classés, séparés. L’interdit primaire du
toucher (celui du corps-à-corps) prépare, permet l’interdit œdipien,
organisateur de la sexualité génitale et de l’ordre social. Ce der-
nier suppose l’instauration préalable de la différence déclinée tant
au niveau de l’identité du Moi que plus globalement des
ensembles de classification propre au système symbolique.
Toute menace à l’ordre symbolique renverrait à la souillure
synonyme d’indifférenciation du monde des objets, toute
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 143
Stratégies défensives
COLLECTIFS DE TRAVAIL
Il nous faut ici aborder le rôle des groupes face aux épreuves
du travail.
Communauté d’action mais aussi de pensée, le groupe de
travail joue un rôle essentiel de médiation entre l’individu et la
situation de travail. Il constitue un cadre indispensable à la
régulation des contraintes de travail. Le groupe auquel nous
faisons référence renvoie à un collectif par opposition à une
collection. Autrement dit, le principe de groupement n’est pas
celui de la juxtaposition d’un certain nombre d’individus, jux-
taposition instituée par l’organisation prescrite du travail. Ce
qui est déterminant, ce n’est pas la coprésence ou l’apparte-
nance formelle mais la coopération déployée et le sentiment
d’appartenance qui lient chacun aux autres dans une unité de
travail.
Le collectif de travail est le cadre d’une construction des stra-
tégies d’adaptation aux contraintes de travail mais aussi d’un
développement des capacités de transformation, voire de sub-
version de ces contraintes. La référence au collectif de travail et
à la communauté professionnelle d’appartenance apparaît
comme indispensable sur les trois plans de la réalité, de l’imagi-
naire et du symbolique.
Licence eden-1639-106096-15813 accordée le 16 septembre 2018 à
mytchelbarretoxaviercosta
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 158
Ainsi, on évoque :
– la rétention d’information qui congestionne certaines parties et
empêche l’irrigation des autres. Le leitmotiv étant ici que l’ab-
sence de dialogue sclérose le corps tout entier ;
– au cours de leurs actions, ils souhaiteraient se sentir plus sou-
tenus par leur hiérarchie, ils se plaignent d’une certaine froideur
et indifférence de leurs chefs ;
– ils évoquent les querelles intestines de corps à corps qui nui-
sent à l’harmonie et à la bonne santé du corps entier et le mor-
cellent douloureusement ;
– lorsqu’ils se sentent attaqués, remis en cause, ils se couvrent
les uns les autres ;
– parmi les policiers, une majorité porte un uniforme. On dis-
tingue les civils et la tenue, ceux qui portent la « pelure ».
Dans la police, comme pour toute profession exercée en uni-
forme, le corps porte la marque de l’appartenance profession-
nelle. L’uniforme policier permet la représentation de l’institution
tout entière. Les gardiens de la paix se disent « vitrines de la
police ». Cette tenue est plus qu’un instrument de travail : elle
symbolise les grandes fonctions de la police, elle confère auto-
rité et pouvoir, elle distingue et uniformise, elle permet l’identifi-
cation professionnelle et le contrôle de celui qui le porte, elle
permet l’inscription corporelle des valeurs du corps social.
Porter l’uniforme, c’est se distinguer. Les policiers se sou-
viennent souvent du premier jour où ils sont sortis sur la voie
publique en uniforme et armés, comme si c’était là l’occasion de
réaliser vraiment qu’ils sont devenus policiers. Une expression
revient alors comme un leitmotiv : « être passé de l’autre côté de
la barrière ».
La différence est apparente mais elle s’infiltre aussi dans les
attitudes, les comportements. L’entrée dans la fonction ici ne
peut être considérée seulement comme la découverte d’un nou-
veau métier. Elle induit aussi l’adhésion à un corps, adhésion qui
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 175
Mieux encore, un mort par arme à feu ; le corps porte les traces
de violence, déchiqueté par la puissance de l’impact. Il y a aussi
les brûlés, réduction des dimensions, le corps recroquevillé offre
un spectacle saisissant.
Le choix de ce type d’épreuve manifeste la nécessité, du
point de vue de l’idéologie policière, de « s’endurcir », de se
construire une « cuirasse » protectrice.
L’esprit de corps est une surface qui marque la différence, la
limite avec l’extérieur. C’est une barrière de protection contre les
agressions venant du dehors. Il se construit dans le mouvement
même qui conduit à un réaménagement des sources de motiva-
tions professionnelles.
Le jeune policier attend beaucoup de sa relation au public :
il se veut efficace dans son action de régulation sociale, d’assis-
tance personnalisée. Il attend en retour reconnaissance et grati-
fications. Il s’apercevra vite que la réalité des contacts
police-public ne peut satisfaire ces attentes. Il y a alors déplace-
ment de celles-ci : il se tourne vers l’intérieur, évitant du même
coup une trop grande frustration et désillusion à l’égard de l’ex-
térieur dont il n’a plus rien à attendre et il s’intéresse alors sur-
tout aux regards de l’institution.
Le sentiment d’appartenance très intense sécurise dans la
mesure où il est vécu comme protecteur par rapport à l’extérieur.
Il permet aussi l’émergence de l’image du « chevalier » qui
envers et contre tout assurera sa mission, malgré le manque de
collaboration et de soutien qu’il rencontre autour de lui.
On peut entendre ce discours sur l’isolement comme une
plainte mais il y a aussi dans cette image une valorisation d’eux-
mêmes et de leur fonction. De plus, le danger inhérent au travail
et les situations auxquelles ils sont confrontés quotidiennement,
les rendent attentifs à un certain nombre de signes. Le policier
devient ainsi méfiant. La suspicion est en quelque sorte un outil
de travail et elle est continuellement exercée et renforcée par la
culture policière. Cette suspicion généralisée affaiblit la
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 180
ÉVICTION DU TRAVAIL
L’exclusion fait l’objet d’abondants discours et de nombreuses
publications. Souvent considérée comme essentiellement liée à
l’absence d’emploi, elle s’arrêterait aux portes de l’entreprise.
Pourtant l’exclusion se vit aussi et d’abord au travail.
Les exclus de l’intérieur connaissent une situation caractéri-
sée à la fois par une éviction du travail et le maintien de l’emploi.
Souvent désignées comme « mises au placard », ces situations
peuvent éclairer, par défaut, les fonctions psychiques et sociales
du travail. Leur analyse peut être mise en perspective avec
d’autres travaux qui portent, eux, sur les situations de privation ou
de perte d’emploi Ceci, afin de souligner une nouvelle fois la
nécessité de différencier emploi et travail : on peut ne pas avoir
d’emploi et travailler ou avoir un emploi mais être sans travail. La
diversité des histoires de ceux qui, à un moment de leur trajectoire
professionnelle, sont mis à l’écart, est manifeste. Pour cerner les
caractéristiques de cette population, on peut chercher à repérer
les répartitions par sexes, par tranches d’âge, par niveaux de qua-
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 206
se donner dans un travail dont l’objet est l’être au monde. Elle peut
aussi conduire à des impasses quand elle rabat l’explication cau-
sale sur les traits de la victime, quand les relations sociales sont
analysées sur le modèle des relations familiales, quand ainsi on
transforme le problème social de l’exclusion en problème person-
nel de l’exclu.
La question de la place, du manque de place est un problème
ontologique qui ne peut être réduit à l’histoire infantile, aux scéna-
rios œdipiens. Dans toute société et à tout âge, chacun cherche
où être, où mettre en œuvre sa part d’être, avec quoi, avec qui l’ar-
ticuler, la tisser.
L’identité puise certes dans l’origine ; elle est composée de ces
sédimentations, des identifications secrétées au long d’une his-
toire. Mais elle n’est pas cette photographie figée, composite des
traces antérieures. Elle est un processus qui renouvelle l’épreuve
du passage et du déplacement. Et l’épreuve est d’autant plus dou-
loureuse qu’on se croyait assuré de la place occupée, qu’on collait
à cette place enfin conquise ou offerte. Quand la place tient lieu
d’identité, sa perte ouvre sur une crise d’autant plus terrifiante que
ce qui permet le passage se dérobe. Perdre sa place, c’est risquer
de tomber dans le trou de l’oubli, être abandonné de tous et éprou-
ver l’angoisse qu’aucune autre place ne vienne remplacer celle qui
a été perdue. Le fond dépressif de la perte d’appui se vit comme
impuissance à rétablir l ’intégrité d’un processus. Domine alors l’im-
pression d’être piégé, enfermé dans une impasse.
La relégation au placard n’est pas seulement privation de l’ac-
tivité. Elle est privation d’une raison d’être sociale, d’une place qui
donne accès au désir et au regard des autres. Quand on est
devenu transparent, quand on n’est plus destinataire d’aucune
demande, quand l’autre n’attend plus rien, qu’il ne nous traite
même pas comme une chose, un objet au service de son désir
propre, quand il ne nous « traite » plus, parce que pour lui nous
n’existons plus, comment se sentir, se savoir exister ? Le miroir est
cassé. Plus de support où saisir notre image.
01 Intérieur 13/03/06 19:25 Page 214
à une activité ; c’est aussi établir des relations avec autrui, c’est
l’unité de base de l’échange social (Y. Clot, 1995), c’est la condi-
tion de la construction du vivre ensemble, c’est contribuer aux déli-
bérations et aux décisions qu’il implique, c’est accéder à l’espace
public. C’est enfin être en mesure de marquer de son empreinte
son environnement et le cours des choses. À contrario, être privé
de travail, c’est être amputé de tout cela. Et la souffrance qui en
résulte contribue encore à la diminution de la puissance d’agir
évoquée par P. Ricœur (1992). Celle-ci se mesure par l’impuis-
sance à faire vécue à travers l’écart entre pouvoir et vouloir. Le
placardisé ne peut plus, il n’a plus les ressources nécessaires et
la passivité le gagne. Parce qu’il a perdu son pouvoir sur, il peut
se vivre comme exposé au pouvoir de. Être à la merci des autres,
de ceux qui l’ont jeté, de ceux qui s’appliquent à l’oublier.
Conclusion
Conclusion 227
Conclusion 229
Bibliographie
Bibliographie 233
Bibliographie 235
Bibliographie 237
Bibliographie 239
Bibliographie 241
Bibliographie 243
DÉJÀ PARUS :
Bernard Doray
Psychopathologie du travail
Louis Le Guillant
Le drame humain du travail