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et blessures
psychiques
Chez le même éditeur
Principes de médecine interne Harrison, par D.L. Longo, A.S. Fauci, D.L. Kasper,
S.L. Hauser, J.L. Jameson, J. Loscalzo
La petite encyclopédie médicale Hamburger, par M. Leporrier
Guide du bon usage du médicament, par G. Bouvenot et C. Caulin
Le Flammarion médical, par M. Leporrier
Dictionnaire français-anglais, anglais-français des termes médicaux et des médicaments,
par G.S. Hill
L’anglais médical : spoken and written medical english, par C. et F.-X. Coudé
Collection
Thérapies & Psychothérapies
Traumatismes
et blessures
psychiques
Patrick Clervoy
editions.lavoisier.fr
Patrick CLERVOY est Professeur de Médecine, ancien titulaire
de la chaire de Psychiatrie et Psychologie médicale à l’École du
Val-de-Grâce, Paris.
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIV
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
L’aménagement du scénario . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Le harcèlement moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Une violence destructrice par petites touches . . . . . . . 40
Un rapport de force entre deux personnes . . . . . . . . . . 46
Une persécution parfois entretenue par la victime . . . 50
Le burn-out ou syndrome d’épuisement professionnel. . 51
La mort par le travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Les signes avant-coureurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Les ravages des traumatismes sexuels . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Une mise en récit parfois impossible . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Des passages à l’acte contre le corps . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Des symptômes exposés au dehors . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Le syndrome de Lazare . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Un dérèglement relationnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Parler est interdit, se taire est impossible . . . . . . . . . . . 73
La résilience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
La périphérie affective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Présence, écoute, patience et compréhension . . . . . . . 80
En parler au passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Les variations selon le moment de la vie . . . . . . . . . . . . . . 82
Que sait-on de l’enfant face aux traumatismes ? . . . . . 82
Stress et traumatismes à l’adolescence. . . . . . . . . . . . . . 84
Stress et traumatismes psychiques du sujet âgé . . . . . 85
Le temps du bouclage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Les soins spécialisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Les psychothérapies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Les pistes pharmacologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Les postures préventives et les actions
de prévention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Focus sur l’EMDR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Préface
Quinze jours plus tôt, elle était partie en voyage avec des amis.
Elle est encore étudiante, engagée dans un cycle long de formation.
Elle est en même temps salariée dans ses stages. Elle est autonome.
Elle a beaucoup voyagé. Son amie Nathalie est un peu plus âgée.
Nathalie est une jeune cadre qui a été son coach lors d’un stage.
Nathalie est une figure rassurante par l’impression d’efficacité
professionnelle qu’elle dégage.
La patiente que nous recevons était donc partie en voyage, à la
découverte d’un pays émergeant, immense et exotique. Pour ce
voyage, ils sont quatre : deux autres femmes, des amies étudiantes
engagées dans le même cursus d’études, elles sont très liées, et
un homme, « le meilleur ami de son meilleur ami », avec lequel
elles sont moins liées, mais qui se proposait de faire une partie
DeS vieS boUSCULéeS 9
Le stress est universel parce qu’il est présent chez tous les indi-
vidus exposés à une situation de danger ou de contrainte prolon-
gée. Les modalités de réponses individuelles à ces situations sont
variables d’une personne à l’autre, mais chacun les éprouve d’une
manière ou d’une autre.
Le stress est contemporain parce que l’état de tension appa-
raît immédiatement lors de la confrontation à l’événement qui le
provoque. Dès que l’organisme est exposé à une menace, sans délai,
il se met en tension et modifie son fonctionnement pour y faire face.
Le stress est cumulatif parce que les facteurs de stress s’addi-
tionnent, s’ajoutent en augmentant linéairement les contraintes
subies et les tensions mises en place par l’organisme pour y répondre.
Le stress est adaptatif parce que, sauf effet de surprise ou de
harcèlement, le niveau de tension de l’organisme est modulable
et correspond au niveau de la menace : à menace faible, tension
faible ; à menace forte, tension forte.
Le stress est résolutif parce que, chez une personne sans fragilité
antérieure et au moins jusqu’à un certain point, le retour à une
situation de sécurité entraîne une disparition des tensions psychiques
et physiques et un retour à la normale de l’organisme.
Enfin, le stress est prédictible parce que, grâce à ses apprentis-
sages, la personne est en mesure d’anticiper les menaces qui vont
la mettre en tension, elle sait anticiper et s’y préparer.
P INTS
clefs Reconnaître un événement traumatique
• Les trois caractères pathognomoniques de l’événement traumatique sont
l’effet de surprise, l’inconcevable et la transformation après coup.
Les différents
tableaux cliniques
P INTS
clefs La déréliction
Déréliction est un terme qui signifie un état d’abandon et de solitude morale.
En anglais, il indique un abandon de poste, une désertion. En psychologie,
ce terme désigne un moment de suspension de la pensée, un état d’inertie
et de vide psychique lorsque le sujet est soumis à un stress aigu ou en état
de stress dépassé.
P INTS
clefs Conduite à tenir en cas de panique
• Les sauveteurs et les forces de l’ordre doivent avoir une attitude calme,
cohérente, concertée, ferme et directive :
– Donner des ordres précis avec économie et s’assurer de leur trans-
mission fiable.
– Écouter, calmer, et surtout informer sur l’existence ou non du danger,
de son degré et des moyens d’y faire face : diffuser des informations
claires et précises sur la situation pour sortir des perspectives drama-
tiques immédiates.
– Rétablir la structure habituelle du groupe, sur le plan de la hiérarchie
et des fonctions de chacun, en restaurer les valeurs, et lui confier si
possible une tâche ou un but.
– Rappeler et revenir aux conduites simples de protection : mise sous abris,
gestes de protection (masque, combinaison), organisation des secours.
• Le déploiement massif des structures médicales est en lui-même sédatif de
l’angoisse. Des gestes de soin, de décontamination ou de lavage, même
illusoires au regard de l’atteinte, comme la distribution de matériels et de
vêtements propres, ont un effet bénéfique.
• Il peut être utile de créer un cordon sanitaire qui permet de contenir
une foule désordonnée (fonction centripète) et d’organiser une évacuation
rationnelle (fonction centrifuge).
Il a depuis évolué avec une révision tous les cinq ans. Le manuel
en cours est le DSM-5 paru en 2014. La prochaine version de
la classification de l’OMS est la CIM-11 qui n’est pas attendue
avant 2017.
Dans la version modernisée du DSM, les états de stress aigus (acute
stress disorders) et les états de stress post-traumatiques (post-traumatic
stress disorders) ont été considérés d’une nature différente des
troubles psychiatriques liés à l’anxiété. Les états de stress aigus et
les états de stress post-traumatiques ont été regroupés dans une
nouvelle catégorie de troubles dits « réactionnels ».
L’aménagement du scénario
Au fil du temps, ces cauchemars évoluent en prenant de la consis-
tance. Ils reproduisent d’assez près la réalité vécue, mais avec des
aménagements singuliers. Les patients disent que c’est leur accident,
mais avec une personne en plus ou une personne en moins, avec
des paroles qui n’ont pas été dites dans la réalité. Comme si, avec le
temps, le sujet traumatisé pouvait modifier une partie du scénario
du cauchemar traumatique. Au fil des ans, cela produit un cauche-
mar familier dans lequel il vit les scènes, en ressent l’ensemble des
éléments sensoriels, tout en associant des commentaires et des
jugements liés aux péripéties qui ont suivi.
« Cette nuit, j’étais encore dans l’avion ; beau temps ; mer très
calme, trop calme ! Rien ; fin de mission, retour à la base ; silence ;
rien ; calme. Un point blanc devant, bref ! J’évite sans rien dire.
J’attends. J’attends. Et la mer est là, elle nous prend dans un fracas
énorme. Je me crispe et m’accroche sur les commandes. Aucun cri,
aucune présence humaine, aucune voix. Juste le tremblement et les
vibrations de cette machine que je devais maîtriser. Tellement rapide
et pourtant si lent dans les souvenirs. Je sens chaque centimètre de
ma machine qui entre dans l’eau et je tiens le manche. Toujours
aucune voix. Seulement l’eau, elle n’est même pas froide, seulement
grise et bruyante. Je sens cette nuit encore les vibrations dans ma
main droite tenant le manche. Je serre si fort mais j’ai mal pour ma
machine qui se brise et qui craque. Puis l’eau est sur mon visage,
presque sans surprise. Et le silence arrive, bienvenu. Cette nuit
encore je me demande pourquoi j’ai détaché mon harnais. Tout ce
qui m’attend à la surface ne sera plus jamais comme avant. J’ai le
temps cette nuit d’y réfléchir, mais sur l’instant celui-ci ne ralentit
pas assez. Les secondes passent sans s’arrêter. Si le temps s’était
LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS 39
P INTS
clefs Les cauchemars
• L’évolution des cauchemars est un élément clinique capital pour suivre les
étapes de la prise en charge psychothérapeutique des états de stress post-
traumatiques. Les modifications des contenus oniriques sont indicatrices du
chemin accompli. Généralement, l’évolution est la suivante : les cauchemars
à répétition sont immuables pendant les premiers temps, puis ils commencent
à inclure des éléments appartenant à l’histoire du sujet, ce qui témoigne
d’une reprise de l’activité fantasmatique, puis ils se transforment en rêves
d’angoisse. Le sujet n’est plus réveillé en sursaut en pleine nuit. Il fait des
rêves de plus en plus éloignés des éléments traumatiques.
40 LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS
Deux courtes histoires pour montrer ces variations sur les cauche-
mars traumatiques et les indices d’une guérison perceptible dans
le travail des rêves.
Un ancien combattant de la bataille de Diên Biên Phu est pris
en charge tardivement, près de trente ans après, pour des crises
anxieuses qu’il ne supporte plus et qui l’ont amené à la rupture
familiale. Il revivait toutes les nuits les séquences de la marche forcée
et de la mort de ses camarades laissés sans sépulture au bord de la
route. Après une très longue hospitalisation, ses rêves évoluent. Les
cauchemars traumatiques sont de plus en plus infiltrés des séquences
oniriques propres au travail du rêve. Ces séquences mélangent des
scènes familiales aux scènes de guerre. Puis, il raconte un rêve qui
précédait le dernier jour de son hospitalisation : « Cette nuit j’étais
au fort de Vincennes, je rendais mon paquetage. » Cette phrase est
très indicative du travail de réparation, de « cicatrisation psychique »
des blessures psychotraumatiques.
Un pilote de l’aéronavale avait dû s’éjecter dans des conditions
de stress extrême après une défaillance brutale de son aéronef lors
d’un exercice de combat. Dans les semaines qui suivent son éjec-
tion, il en revit toutes les nuits les différentes séquences : la perte
de contrôle du vol, l’éjection, la descente sous voile, l’amerrissage,
les premiers gestes de survie du naufragé : se défaire du parachute,
accrocher le dinghy, activer la balise radio, puis l’attente des secours.
Il note qu’au fil des nuits, ses rêves se modifient. Deux mois plus
tard, il raconte que ses rêves commençaient de la même manière,
mais qu’ensuite il n’était plus seul dans le radeau, qu’il y avait des
camarades avec lui. Puis il se voyait partager avec eux du chocolat
et du whisky !
Le harcèlement moral
Une violence destructrice par petites touches
Voici une première histoire de harcèlement moral.
Elle a une cinquantaine d’années. Elle est employée depuis treize
ans dans le même service. Elle est profondément dévouée à son
entreprise. Elle se consacre pleinement à son travail, pour lequel
elle a toujours obtenu d’excellentes notations. Elle bénéficie d’un
temps partiel à 80 %, et s’occupe le mercredi de son fils handicapé,
qui vit à son domicile, avec son mari et ses deux autres enfants.
À l’été, un nouveau chef de service, dont elle est la secré-
taire particulière, prend ses fonctions. Ce dernier se montre très
LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS 41
exigeant avec elle. Il lui demande de rester à son poste pendant ses
jours de congés, ou de revenir sur son lieu de travail le mercredi,
d’effectuer des heures supplémentaires non rémunérées, de se
déplacer tard le soir à l’extérieur pour assister à des conférences,
etc. De plus, elle vit des situations humiliantes répétées, car il
lui est reproché son manque d’allant face aux tâches qui lui sont
confiées.
Au bout de quelques mois, elle se sent épuisée et ne parvient
plus à se reposer. Son état de santé se dégrade progressivement.
Lorsqu’elle en fait part à son chef de service, celui- ci la convoque
pour un entretien dans son bureau, en présence de son adjoint.
En réponse à sa demande d’écoute, il crie, lui hurle de se taire,
tape du poing sur la table, lui renvoie sa prétendue incompétence
et lui donne l’ordre de cesser ses plaintes. Face à cette violence,
elle est prise de stupeur. Tremblante, elle se tait. Elle se sent
impuissante, humiliée, et ne sait quoi rétorquer. Au terme de
l’entretien, elle sort sidérée du bureau de son chef de service.
Étreinte par l’angoisse, elle prend le demi-comprimé de sédatif
qu’elle trouve dans son sac à main, et quitte machinalement son
lieu de travail, avec l’idée d’en finir. Un appel téléphonique de
son mari lui fait abandonner son projet suicidaire, et elle rentre
à son domicile.
La situation de harcèlement moral est pathogène à partir du moment
où la personne perd la capacité de se soustraire à la souffrance.
Cette souffrance est liée aux humiliations, aux sentiments répé-
tés d’être « mis de côté ». Il s’agit d’une situation fréquente dans
les entreprises où une forme de management moderne considère
que des employés stressés sont plus productifs. Lorsque l’employé
attend une reconnaissance et des compliments, il est brutalement
critiqué, ce qui le plonge dans le désarroi. Le stress est lié à la
systématisation de cette situation, qui devient la règle au lieu de
rester une exception.
De plus, elle ne veut pas fermer ce bureau parce que, dit-elle, elle
se sent personnellement visée dans cette exigence du chef. Elle ne
trouve pas normal d’être la seule à devoir fermer son bureau alors
que tant d’autres ne le font pas, sans jamais être réprimandés pour
cela. Entre les deux protagonistes s’instaure un jeu de remarques :
il lui pointe systématiquement ses retards, ses négligences dans la
tenue réglementaire ; il va jusqu’à lui fermer lui-même un bouton
de sa tenue. Elle lui reproche de ne pas lui dire bonjour lorsqu’elle
arrive au travail ; elle lui reproche de ne jamais exprimer sa satis-
faction sur le travail effectué. Cela devient un jeu incessant, un jeu
de défi dans lequel aucun ne veut céder : lui d’exiger le respect des
règles et elle de lui demander qu’il cesse de la harceler. Un jour
qu’elle demande une explication, il lui dévoile son agressivité, son
intention de lui nuire jusqu’au bout. Elle répond par des insultes.
Il réclame des sanctions professionnelles. Elle s’effondre ensuite
en larmes et, usant du tutoiement : « Je ne comprends pas, je ne
t’ai jamais rien fait ! ».
Dans cette situation, on peut utiliser la sémantique du « jeu ». Cette
utilisation ne signifie pas que nous y voyions de la réjouissance et
niions la souffrance des protagonistes. Le jeu relationnel se carac-
térise par sa qualité secrète – les réelles intentions ne sont pas
dites – et sa récompense – l’obtention d’un effet ou d’un résultat.
« Monsieur le Directeur,
Désespérément et respectueusement. »
Après avoir reçu cette lettre, le directeur l’a longuement reçu, puis
l’a accompagné pour une consultation chez un médecin généraliste
LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS 57
P INTS
clefs Long à apparaître, long à disparaître
• Il y a, dans le burn-out comme dans les autres maladies liées au stress,
un point important lié à la temporalité du phénomène morbide : lorsque
les signes cliniques apparaissent, l’état pathologique est déjà très avancé.
Lorsque les signes commencent à être visibles, le processus est enclenché
depuis bien plus longtemps.
• L’entourage et les thérapeutes se trompent lorsqu’ils estiment que quelques
jours de repos suffisent. Donner un bref congé peut produire un effet
contraire : faire cesser les signaux de détresse, laisser l’entourage penser
que tout est rentré dans l’ordre sans avoir procédé à un remaniement de fond.
C’est laisser s’éteindre le signal d’alarme sans attaquer l’incendie qui couve.
• En général il faut compter, pour un total rétablissement, une période de
soin et d’aménagement professionnel au moins aussi longue que la période
sur laquelle s’est installé l’épuisement professionnel, c’est-à-dire un temps
mesuré en mois, voire en années…
P INTS
clefs L’isolement
L’élément cardinal des situations des personnes en état de burn-out est l’isole-
ment. Le stress, dans cette ambiance de compétitivité et de performance, peut
être considéré comme stimulant autant qu’il est porté par une équipe. Mais
sitôt que la personne se sent isolée, elle devient vulnérable. Cet isolement
renforce le sentiment de détresse.
LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS 59
P INTS
clefs Règles importantes pour l’accueil
• Le thérapeute doit connaître quelques règles quant aux questions à poser
au temps de l’accueil des personnes qui ont subi une agression sexuelle.
• Il y a, dans l’accueil d’une personne traumatisée, la règle de ne pas
demander d’emblée de détails sexuels sur l’agression elle-même. Le lien avec
le thérapeute se fonde sur ce que la victime évalue de sa pudeur et de sa
discrétion. Ces précisions seront abordées pas à pas, au fur et à mesure
du travail thérapeutique, en fonction de ce que la personne apportera de
ses contenus psychiques et de ses rêves.
Une question auprès de nous aurait suffi pour que le doute soit
dissipé, car la patiente nous avait déjà répondu sur ce problème.
Elle nous avait avoué qu’elle poursuivait sa toxicomanie à l’intérieur
de l’hôpital en se faisant apporter des comprimés de benzodiazé-
pine. Nous le savions et n’avions rien fait, espérant qu’un temps
viendrait où elle se passerait de ces toxiques sans qu’on ait à les
lui interdire. Maladroitement, nous n’avions rien dit de ce secret
à l’équipe et un passage à l’acte avait eu lieu. L’heure n’était plus
aux tergiversations car l’expression de notre désaccord avec la fouille
qui avait été pratiquée et notre consigne stricte de ne recommencer
sous aucun prétexte avait entraîné une levée de boucliers de la part
des soignants : « On ne peut quand même pas soigner quelqu’un
qui ne veut pas se soigner », et nous faisait imaginer le risque de
passages à l’acte dans d’autres registres, en particulier celui des
automutilations. Nous convoquons alors la patiente et nous lui
livrons les éléments de notre réflexion. Nous lui précisons que nous
n’avions pas donné d’ordre concernant sa fouille mais que nous
assumons solidairement avec l’équipe le fait que cela soit arrivé.
Nous ajoutons que, dans notre souhait de l’aider, nous avions été
trop loin. Sa colère retombe. Nous concluons cet entretien en lui
expliquant la situation difficile dans laquelle elle place les soignants
et lui demandons de ne pas forcer à interrompre l’hospitalisation.
Cet événement qui pouvait être une difficulté supplémentaire
dans la psychothérapie devient, au contraire, fécond. Elle interrompt
sa toxicomanie, aidée par l’augmentation de la prescription. Elle
noue un lien privilégié avec une infirmière de vingt ans son aînée.
Elle investit davantage les entretiens. Elle décrit le déroulement du
viol, et bien au-delà de ce viol, elle évoque le secret gardé jusque-là :
sa mère perverse qui la faisait assister à ses ébats avec ses amants,
puis, jeune adolescente, l’obligeait à y participer. La psychothérapie
lui permet un questionnement de sa honte d’avoir été violée. Elle
peut l’élaborer dans le retour d’une culpabilité vis-à-vis de son père
qu’elle pensait préserver en mentant au sujet des agissements de sa
mère, devenant ainsi sa complice.
Elle quitte le service quatre mois après son admission, sans traite-
ment psychotrope. Elle poursuit des entretiens en ambulatoire. Elle
66 LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS
s’est éloignée de sa mère et élève maintenant ses enfants. Elle vit avec
un homme rencontré après son hospitalisation. Les dernières séances
ont été centrées sur son handicap physique et son statut d’invalide
qui ne lui convenait pas. Elle s’est engagée dans la recherche d’un
emploi. Elle n’a pas présenté de récidive toxicomaniaque.
Les prises en charge des personnes victimes d’agression sexuelle
sont des prises en charge difficiles, souvent émaillées de passages
à l’acte auto-agressifs : des automutilations ou des tentatives de
suicide. Il faut traiter ces épisodes un à un, sans perdre de vue le
travail d’élaboration sur le traumatisme initial. Si les épisodes se
répètent de façon trop rapprochée, il peut être utile de proposer
une pause dans la psychothérapie, et de revenir un temps à un
travail basique de soutien sur les aspects pratiques du quotidien.
P INTS
clefs Règles du soignant pour répondre
à la révélation d’un traumatisme sexuel
dans l’enfance
• Demander si c’est la première fois que la victime en parle à quelqu’un.
• Dans ce cas, formuler l’étape importante que représente, pour une victime,
cette confidence.
• Souligner les bénéfices d’en avoir parlé.
• Ne pas chercher à en obtenir tous les détails.
• Demander à la personne si elle fait un lien entre cet épisode de son
enfance et ses difficultés actuelles.
• Indiquer qu’une aide psychologique peut être apportée, même après de
longues années.
• Ne pas clôturer l’entretien avant que la charge émotionnelle liée au récit
ne soit apaisée.
Le syndrome de Lazare
Les états de stress post-traumatiques se manifestent par éclipse.
Les éléments du syndrome se caractérisent par leur aspect intrusif de
rappel à la mémoire : les ecmnésies et les cauchemars. Ces éléments
syndromiques apparaissent et disparaissent par phases. Lors de ces
phases, le souvenir de l’événement ressurgit dans le psychisme de
celui qui l’a vécu, avec la même intensité que lorsqu’il s’est produit.
Lorsque le tableau est complet, on observe un état d’inhibition : le
sujet se retire progressivement de sa vie familiale et professionnelle.
Ce retrait de la vie sociale et professionnelle prend le nom de syndrome
de Lazare. Lazare est le personnage du Nouveau Testament qui, ramené
à la vie, sort de son tombeau. Les textes nous apprennent que sa vie
est totalement chamboulée au sortir de cette épreuve. Son univers
70 LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS
Un dérèglement relationnel
Le syndrome de Lazare désigne un ensemble de manifestations qui
opèrent un dérèglement relationnel prolongé entre une personne qui
a traversé une épreuve traumatique et son environnement social,
familial et professionnel.
La résilience
Voici quelques exemples.
– Cet homme était depuis plusieurs années dans un emploi de
bureau, affecté à des tâches administratives qu’il maîtrisait
parfaitement. Il était bien intégré à son groupe de collègues.
« Je n’ai jamais été sanctionné, je n’ai jamais été félicité »,
dira-t-il plus tard. Un jour, lui et ses collègues voient arriver
une nouvelle personne à la direction de leur bureau. Ce
nouveau chef est aigri, sa mutation est une forme dégui-
sée de sanction professionnelle, ce que tout le monde a
implicitement compris. Doté d’un caractère plutôt effacé,
notre homme est doué d’une gentillesse que son nouveau
chef prend pour de la passivité. Il en fait la cible de ses
aigreurs. Les vexations professionnelles se répètent pendant
plusieurs mois, sous forme de remarques désobligeantes
sur son travail. Ce travail de sape dure plus d’un an. À
la longue il perd pied. Il se met à faire des erreurs que le
chef signale publiquement, justifiant ainsi a posteriori les
vexations infligées.
On repère ici cette étrange transformation qui fait que le sujet
harcelé au travail se met, bien involontairement, à commettre les
fautes qui lui étaient, au début, injustement reprochées.
La périphérie affective
Les premiers facteurs de résilience sont ceux qui viennent de
l’entourage proche. Ce sont, de la part de ces tuteurs de résilience :
l’entraide, l’empathie, la solidarité.
Le point de départ est dans la qualité de la présence humaine
autour de l’individu en souffrance. Il faut que l’entourage soit
là et qu’il soit disponible. Or l’entourage a pu être durement
affecté. C’est pourquoi aujourd’hui, dans les prises en charge
psychologiques, on veille à apporter un soutien immédiat à cet
entourage, afin qu’il puisse ensuite offrir sa disponibilité à ceux
qui ont directement vécu l’épreuve du stress ou du traumatisme
psychique. La présence signifie ne pas être trop près, ne pas être
étouffant à force de vouloir entourer et protéger la personne qui
a souffert. Cela signifie être à côté, pas loin, suffisamment près
pour que, aussitôt que cette personne ressent un désarroi, une
bouffée d’angoisse, elle puisse trouver une présence qui la rassure,
qui lui apporte un sentiment de protection. Dans le vocabulaire
psychologique, on appelle cela une « base de sécurité ». L’équipe
des thérapeutes qui prend en charge une personne affaiblie par le
stress ou blessée par un traumatisme doit, dès le début de cette
prise en charge, faire l’inventaire des « personnes-ressources »
de l’entourage qui peuvent constituer une base de sécurité, puis
veiller à ce que ces « personnes-ressources » soient disponibles
et que leur capacité de soutien ne s’épuisent pas. Lorsque les
effectifs de l’équipe de soin sont suffisants, il peut être proposé
LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS 79
En parler au passé
On peut dire qu’il y a résilience lorsqu’une personne et son
entourage peuvent parler au passé de l’événement traversé. Au-delà
des diverses situations, la résilience passe, pour la personne psychi-
quement blessée, par la capacité à construire un récit de l’épreuve
qu’elle a traversée, qu’elle en parle comme d’une expérience à partir
de laquelle elle a su réaménager son existence.
Il est toujours étonnant, pour le profane, de constater que la capa-
cité à mettre en mots ses difficultés soustrait une part des souffrances
qui leur sont liées. C’est une propriété de l’appareil psychique que
de produire sa propre réparation. C’est ce que mettent en œuvre
les différentes psychothérapies. L’œuvre du psychothérapeute est de
permettre la mise en marche de ce travail de réparation par l’appareil
psychique de la personne qu’il reçoit. Les mots échangés, ce qui est
énoncé par le psychothérapeute, ce qui est énoncé par son patient,
ont une portée psychotrope. Les mots permettent aux émotions de
devenir des contenus de pensée. Le trop-plein d’émotions laisse le
sujet stressé ou traumatisé dans un désarroi qui paralyse sa pensée. Il
s’est produit initialement, au temps où les événements ont provoqué
la souffrance, un verrouillage entre des émotions et les contenus
psychiques désordonnés qui habitaient la pensée de cette personne.
82 LeS DifférenTS TabLeaUx CLiniQUeS
P INTS
clefs Les points importants concernant
le psychotraumatisme chez l’enfant
• Le tableau clinique est incomplet et trompeur.
• Les distorsions cognitives peuvent induire des confusions dans la restitution
de l’événement traumatique en cause, lesquelles distorsions peuvent aller
jusqu’à l’amnésie totale de l’épisode.
• Une prise en charge associée des parents est impérative, coordonnée à
celle de l’enfant.
La boîte à outil
du soignant
P INTS
clefs Quelques règles pour l’intervention
Compte tenu du caractère extensif de certains théâtres d’intervention et
de l’isolement relatif des différents acteurs de l’intervention, voici quelques
règles :
• Communiquer le plus possible avec eux (téléphone).
• Se rendre disponible et accessible en favorisant l’échange.
• Réfléchir ensemble aux situations difficiles et les impliquer dans les prises
en charge.
• Les inclure dans les débriefings collectifs et groupes de parole dès que
possible.
• Leur prodiguer consignes et conseils (fréquence des entretiens, traitements…)
pour favoriser l’expectative, notamment quand le soignant « psy » ne peut
pas se déplacer.
• Poser l’indication d’extraire le personnel en souffrance de son groupe
d’appartenance quand c’est nécessaire.
• Les informer du devenir des patients et laisser une trace écrite (comptes
rendus de consultation dans les dossiers médicaux et adressés par courriels
sécurisés directement aux médecins de métropole).
• Les soutenir et parfois débriefer les équipes sanitaires au cours de son
passage.
Le défusing psychologique
« Quand j’interviens, les braises sont encore fumantes. » La
formule est celle d’un médecin urgentiste dont la mission l’amenait
La boîTe à oUTiL DU SoignanT 93
Le débriefing psychologique
Autant le défusing est un moment désorganisé, improvisé à chaud,
autant le débriefing est une opération psychologique différée, plani-
fiée et organisée dans les jours qui suivent l’événement grave pour
lequel les psychothérapeutes ont été mobilisés.
La boîTe à oUTiL DU SoignanT 95
Beaucoup ont exprimé après coup des regrets, jugeant que leur
déclaration était l’expression de leur bouleversement émotionnel
et de leur désarroi et qu’au final ce qu’ils avaient pu dire les avait
desservis, plus tard, lorsqu’ils avaient repris le cours ordinaire de
leur vie.
Toujours selon cette règle de la discrétion, les éléments médicaux
éventuels ne seront transmis qu’aux intéressés eux-mêmes. Aucun
rapport individuel ou collectif n’est transmis à un tiers.
P INTS
clefs La règle de la libre expression
Chacun n’est amené à dire que ce qu’il peut ou veut dire. Il est rigoureu-
sement exclu de pousser les personnes au-delà.
vérité possible assez acceptable pour que la personne puisse s’y tenir
lorsqu’elle aura à faire son récit devant les autres. Dans ces situa-
tions à caractère psychotraumatique, un phénomène caractéristique
souvent observé est la déformation de la mémoire. À l’extrême, cela
peut aller jusqu’à l’amnésie de pans entiers des événements critiques
vécus. Le premier récit que font les sujets impliqués est un récit
marqué par des trous et des confusions dont ils ne relèvent pas tout
de suite l’incongruité. Ces ruptures dans la continuité de leur pensée
pérennisent leur difficulté à reprendre leur place dans leur monde.
Le travail de verbalisation de leur vécu est un premier temps de
reconstruction de leur mémoire après les profondes perturbations
qu’ils ont traversées.
Ce travail prend nécessairement plusieurs heures. Il ne doit pas
pour autant se prolonger plus longtemps que cette période initiale.
Voici un exemple de reconstruction d’un récit collectif tel
qu’il peut se produire lors d’un débriefing, reconstruction qui va
apporter, sur l’instant, l’apaisement d’une tension anxieuse post-
catastrophe :
– L’inondation avait été cataclysmique. Dans la nuit, tout un
quartier d’une commune rurale avait été ravagé : les bâti-
ments de l’école emportés, les maisons dévastées. Le débrie-
fing est mis en place quarante-huit heures après, dans une
salle commune de la mairie. La population a été répartie en
groupes homogènes. Différentes séances se succèdent. Vient
le tour d’un groupe d’hommes qui travaillaient tard dans un
bureau administratif lorsque le torrent de boue avait tout
emporté. La séance commence : c’est un homme extraverti
qui parle en premier, comme s’il parlait au nom de tout le
monde. Le thérapeute essaie, après cette première déclaration
de faire parler tour à tour les autres participants. Depuis une
heure, un homme est resté silencieux, comme à l’écart. Il
est immobile. Il ne s’est pas tourné de côté pour regarder
celui qui parlait. Avec précaution le thérapeute qui a repéré
cet isolement l’invite à prendre la parole après que tous les
autres se sont exprimés. À mots rapides et sans relever la tête,
l’homme dit : « Je n’ai rien pu faire. Je n’ai rien pu faire. J’étais
comme bloqué. » L’ensemble du groupe reste silencieux, un
peu gêné. Puis un autre prend la parole et interpelle l’homme
accablé pour lui dire, après l’avoir familièrement interpellé par
son prénom : « En tous les cas, je te dois la vie ! » L’homme
accablé lève la tête, comme pour attendre la suite des mots
qui allaient le soulager. L’autre continue alors : « Souviens-
toi, j’étais coincé, je ne pouvais plus tenir, je t’ai appelé, tu
La boîTe à oUTiL DU SoignanT 99
Le temps du bouclage
Il est important de « clôturer » un soutien psychologique lorsqu’il
prend la forme d’un débriefing.
Le repère est le suivant : permettre à la personne d’être à même
de reprendre le cours de son existence à peu près à l’endroit où
l’événement critique l’avait suspendue. Qu’il s’agisse du défusing
ou du débriefing, et quelles que soient les méthodes ou les procé-
dures standardisées utilisées par chacun, la séance initiale doit être
clôturée comme telle.
Il peut y avoir pour quelques personnes d’autres séances ulté-
rieures de prise en charge psychologique collective. Mais elles ne
pourront jamais se réunir avec le même groupe ni avec les mêmes
intervenants. Il faut donc, dès ce moment initial, prendre le temps
de procéder à un effet de bouclage des différents propos échangés.
L’intervenant pourra reprendre des choses dites lorsqu’il les aura
trouvées importantes et les réattribuer à chacun.
Il ne s’agit pas pour le psychothérapeute de tout redire, mais
d’en redire assez pour que chacun y trouve ses mots et son
histoire, ce qu’il a partagé mais aussi ce qu’il a éprouvé person-
nellement. Ainsi chacun pourra sortir « le moins mal possible »
de l’épreuve.
Cette épreuve cessera pour certains et se prolongera pour d’autres.
Elle prendra une autre forme et mobilisera d’autres psychothéra-
peutes. Pour quelques-uns, elle restera l’épreuve de leur vie, celle
qui les marquera comme elle marquera leur famille.
P INTS
clefs Exception à retenir
L’intervention psychologique est très vite limitée dans sa portée si les enfants
sont reçus en même temps que leurs parents. Après les avoir reçus ensemble
pour présenter l’intervention psychologique, l’offre de soin sera séparée, avec
l’indication qu’il y aura, à la fin de l’intervention, une courte réunion ensemble.
100 La boîTe à oUTiL DU SoignanT
Les psychothérapies
On peut regrouper les psychothérapies en quatre grands types :
les soins utilisant les états de conscience modifiés, les soins inspirés
par les théories cognitivo-comportementales, les soins inspirés par
les théories psychanalytiques, et les soins à médiation corporelle.
Ces techniques visent, dans une action conjuguée, la gestion de la
vigilance en permettant de réduire la tension anxieuse, la gestion
de la mémoire avec un travail sur les contenus mnésiques et la
gestion des émotions liées.
Les soins utilisant les états de conscience modifiés dérivent, de
près ou de loin, de l’hypnose. On peut dire que l’hypnose est à la
fois la plus vieille et reste la plus moderne des techniques psycho-
thérapeutiques. Elle est la plus vieille parce qu’elle est pratiquée
depuis la nuit des temps. Elle est la plus moderne parce qu’elle
est régulièrement réinventée. Au XIXe siècle, elle fut pratiquée en
France pour soigner les troubles psychologiques – on disait alors
« nerveux » – consécutifs aux accidents de chemin de fer.
Dans les années 1950, sous le nom de narco-analyse, elle fut
une technique de choix pour prendre en charge les vétérans de la
Seconde Guerre mondiale ; les thérapeutes soignaient ainsi les états
de stress post-traumatiques qu’ils nommaient syndrome d’hyper-
mnésie émotionnelle tardive.
La boîTe à oUTiL DU SoignanT 101
qui l’a mise au point, l’a surnommée : « des yeux pour guérir ».
L’EMDR (eye mouvement desensitization reprocessing) s’appuie à la
fois sur des éléments apparentés à l’hypnose et sur des éléments
apparentés aux techniques cognitivo-comportementales.
sédative est efficace, mais cela peut entraîner plusieurs effets secon-
daires, dont une dépendance à long terme ; des études ont même
mis en cause les benzodiazépines dans le phénomène de chroni-
cisation des troubles.
Des médicaments antidépresseurs inhibiteurs de la recapture
de la sérotonine ont une indication dans les états de stress post-
traumatiques ; mais leur délai d’action est long et ils restent ineffi-
caces dans près d’un tiers des cas. Leur intérêt, dans une prescription
prolongée, est l’effet neuroprotecteur. Cet effet neuroprotecteur est
lié à leur action stabilisatrice de l’excitabilité membranaire au niveau
des synapses. Cet effet peut aussi être obtenu par des substances
développées initialement comme antiépileptiques.
Les produits de la gamme antipsychotique sont des sédatifs
puissants ; ils ont été utilisés ponctuellement sur le terrain, hors
de leurs indications réglementaires, avec une grande efficacité. La
loxapine à faible dose, de 5 à 20 mg en une prise, s’est avérée
efficace pour obtenir une sédation de qualité dans les heures qui
suivent l’exposition à un traumatisme intense.
D’autres substances sont à l’étude, comme la prazosine (Mini-
press®), un alphabloquant indiqué dans les hypertensions artérielles.
La prazosine a une action sur les phénomènes intrusifs des états
de stress post-traumatiques : les cauchemars et les ecmnésies. Mais
cette action est inconstante, laquelle exige parfois la prise de fortes
doses avec des effets secondaires gênants.
nom : 1 2 3 4 5
Prénom :
Date de naissance
Très souvent
Pas du tout
Date de passation du test :
Souvent
Un peu
Parfois
1. Être perturbé(e) par des souvenirs,
des pensées ou des images en rela-
tion avec cet épisode stressant
(suite)
La boîTe à oUTiL DU SoignanT 107
revenu sur les lieux bien après. Il a pris soin de revenir au petit
matin pour ne croiser personne, mais il sait que c’est là que ça
s’est passé. C’est pour cela qu’il est encore perturbé.
Le thérapeute et le patient reprennent les stimulations. Dans un
premier temps, il n’y a toujours personne. Le patient voit progressi-
vement réapparaître du matériel médical : la couverture de survie, le
pied de perfusion, une boite à seringues, une bouteille d’oxygène…
C’est ensuite le médecin du SAMU qui est là, avec son infirmière.
« Très jolie d’ailleurs » se souvient-il. Il se sent soulagé qu’ils soient
là : « J’ai l’impression qu’il y a comme une lueur d’espoir. » Il
est perplexe, car il ne semble pas faire partie de la scène. Tout le
matériel est là, le sang a été nettoyé, il y a quelques personnes, mais
lui n’est pas là. Le patient fait la comparaison avec une scène de
crime après que le corps ait été retiré. Il parvient même à discerner
le couteau ayant servi à l’agression. Ce couteau, il ne l’a cependant
jamais vu. Il n’a jamais voulu le voir, même au procès. Pour la
reconstitution des faits, ils avaient utilisé un couteau en bois.
Il est maintenant dans l’ambulance. Il se rend soudainement
compte qu’il n’a jamais su comment il était arrivé dans cette ambu-
lance. « Il y a un trou ici. Je me fiche de savoir ce qui s’est passé
à ce moment précis, j’étais en sécurité avec le médecin. Mais si je
ne me rappelle pas de ces cinq minutes, il y a peut-être des parties
de l’agression que j’ai pu occulter. Et ça, ça me fait peur… »
Il se dit que, s’il ne se rappelle pas toute l’agression, la version des
faits qu’il a donnée n’est peut-être pas la bonne. Pour lui, homme
de loi, la description d’un fait aussi grave doit être précise, et rien
ne doit être laissé au hasard. Il se ressaisit finalement, en se disant
que de toute façon, l’issue du procès n’aurait pas été différente.
Après tout la victime, c’était bien lui !
En poursuivant les stimulations bilatérales, un sentiment de haine
l’envahit. Mais cette haine n’est pas orientée contre son agresseur.
Elle est dirigée contre la femme qu’il était en train d’embarquer
juste avant de se faire poignarder. Pour lui, c’est elle la vraie respon-
sable. Il emploie des mots très durs à son encontre. Il se souvient
que le jour du procès, elle était venue avec son enfant, quasiment
un bébé. Il se demande d’ailleurs comment on avait pu le laisser
rentrer dans la salle d’audience.
« Elle, elle est sale, répugnante, couverte de pustules et de crasse.
Alors que le gamin, lui, il a une bonne bouille, et en plus il est
bien habillé ! »
Il sait que les accusés essaient d’accrocher son regard, mais lui ne
les regarde pas. Le patient craint que sa femme se laisse attendrir
par le petit garçon, et qu’elle prenne en pitié la mère coupable
118 La boîTe à oUTiL DU SoignanT
Comprendre et agir
en fonction des situations
Le travail en institution
Le stress à l’hôpital
Un patient hospitalisé sur deux présente une souffrance psychique
liée au stress. Ce chiffre est largement augmenté dans les services
d’urgence et de soins intensifs, ainsi que dans les services d’onco-
logie et d’hématologie.
Stress et douleur
« J’ai mal », « je suis mal », « ça fait mal »… Il y a autour de la
douleur plusieurs expressions possibles qui ne se confondent pas.
La douleur est une sensation qui obéit aux lois physiologiques des
récepteurs et des voies nerveuses qui lui sont affectées. La douleur
s’intègre aussi aux composantes psychiques intimes de chacun. La
douleur se projette dans la perception qu’une personne a d’elle
même, elle se mêle à ses processus de pensée et se conjugue avec
les relations qu’elle entretient avec son environnement.
C’est le cas chez tout sujet habituellement en bonne santé, à ceci
près qu’il n’en garde pas longtemps l’amer souvenir. Notre organi-
sation psychique inclut la faculté d’oublier les moments pénibles
d’une douleur somatique aussitôt qu’elle s’efface.
Malheureusement, chez le sujet malade, la douleur ne s’efface
pas. Absente, elle reste une menace ; et lorsqu’elle disparaît, spon-
tanément ou sous l’effet des différents procédés mécaniques ou
pharmaceutiques disponibles, la mémoire en garde le souvenir.
« La douleur est partie, mais elle peut revenir », voilà ce que disent
souvent les patients qui vivent avec leur douleur.
La douleur se décline selon quatre composantes psychiques :
– au départ, il y a la dimension sensorielle : c’est la manifestation
inaugurale de la douleur, la douleur ressentie, la sensation
douloureuse isolée. Elle est décrite selon sa localisation et
son type, faisant appel au vocabulaire commun aux autres
perceptions sensorielles, par exemple une douleur sourde, une
douleur vive, aiguë ;
– il y a ensuite la dimension cognitive : c’est la douleur éprouvée,
repérée dans son corps et dans le temps. C’est la douleur
reconnue, identifiée et interprétée. Chacun, selon ses moyens
intellectuels, va chercher à comprendre le pourquoi et le
comment de cette sensation. La douleur est expliquée selon
les phénomènes qui la causent ; et à partir du moment où le
malade pense en avoir trouvé l’explication, il va s’appliquer
à essayer de la gérer ;
– puis il y a la dimension émotionnelle : c’est la douleur mêlée
à la participation affective qui l’accompagne, un sentiment
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 127
Au téléphone :
– établir et maintenir un contact verbal de soutien, à l’image du
pied passé dans l’entrebâillement d’une porte pour l’empêcher
de se refermer ;
– exprimer le soulagement que cette personne ait passé cet appel.
Demander le numéro de téléphone où la joindre en cas de
rupture de la communication. Localiser l’endroit où elle se
trouve. Essayer d’obtenir des informations sur les moyens déjà
préparés pour accomplir le geste suicidaire ;
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 137
Après un ravage
Le drame familial et sa complexité
La perte traumatique de l’un des siens ou de plusieurs de ses
membres confronte la famille à la menace de la destruction des
liens. En effet, le traumatisme au niveau de la famille peut être
vécu comme un véritable déchirement de l’enveloppe du groupe,
c’est-à-dire comme une mise en cause de sa cohérence, de son
identité. Cette enveloppe du groupe fonctionne comme une « base
familiale de sécurité ». Elle permet à la famille d’offrir à chacun
de ses membres des conditions de vie suffisamment stables, un
niveau fiable de relations d’attachement au sein duquel chacun se
sent suffisamment en sécurité.
P INTS
clefs Aider les personnes impliquées à identifier
et à énoncer les différents sentiments
ressentis
Dans le désarroi des personnes touchées par un drame familial, chaque
membre peut être affecté de manière différente et percevoir des sentiments
opposés à ceux éprouvés par un autre membre. Cela peut accentuer les
désaccords au sein de la collectivité familiale à un moment où cette commu-
nauté a besoin de resserrer ses liens affectifs pour que ses membres puissent
se soutenir mutuellement. Pour désamorcer ces situations, le premier travail
est d’identifier les sentiments possibles, d’aider chacun à se repérer dans
les sentiments qu’il éprouve, et aussi de repérer les décalages entre ce
qu’éprouvent les uns et les autres.
J + 7 L’invitation à parler
Ce couple est pris en charge à sa demande. Pour le premier
entretien, ils ont choisi d’être reçus sans les enfants. Ils sont accueillis
par deux soignants qui commencent par décliner leur identité, puis
nomment le processus des interactions médicales qui ont abouti à
ce rendez-vous. Durant ce premier entretien, les thérapeutes ne se
concentrent pas sur un point particulier. Ils invitent tour à tour
chacun des parents à énoncer les épreuves qu’ils ont traversées,
les réponses comportementales et les affects ressentis à chacune
des étapes. L’entretien est relativement long, environ une heure
et demie. Il est important de ne pas le faire durer au-delà pour
ne pas épuiser le couple. L’idéal est de conclure cet entretien au
moment où on ressent que ces deux parents impliqués ont pu
« faire le tour » de l’état actuel de la situation, qu’ils sont apaisés
d’avoir trouvé un lieu où ces difficultés pouvaient être verbalisées
avec la confiance et la confidence nécessaire.
La clôture d’un entretien est effectuée par l’un des soignants qui
« ramasse » l’ensemble des échanges dans un résumé. Lors du
premier entretien, cette synthèse devient le point de départ d’une
proposition de suivi thérapeutique. Il en sera fait de même lors des
entretiens suivants, cela constituant un bilan et des objectifs d’étape.
Travailler avec le temps n’est pas prendre son temps. Car si cette
famille semble bien évoluer, celle qui est au cœur du drame ne
bénéficie d’aucun suivi psychologique cohérent. Une cellule psycho-
logique a été mise en place au moment du drame avec un numéro
vert et la possibilité d’accéder à des consultations. Par ce moyen, les
parents du père ont obtenu un rendez-vous avec un professionnel
mais n’en ont tiré aucun bénéfice. Ce dispositif a vraisemblablement
été pensé pour l’environnement relationnel de cette famille : voisins,
camarades de classe, collègues de travail, mais pas pour ses proches.
L’enfant blessé est probablement suivi par un pédopsychiatre dans le
service de réanimation et son discours est encore soumis à l’enquête.
Les parents n’ont pas le temps ni la volonté d’aller voir un « psy » :
ils se partagent entre leurs enfants et se débattent dans le désordre
de leur vie. Cette situation est problématique. Les thérapeutes font
150 ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS
Après la libération
Avant l’attaque des pirates, ce couple réalisait un rêve qu’ils
avaient mis vingt ans à concrétiser. Lui était un navigateur amateur
de haut niveau. Il avait eu quelques années plus tôt un grave acci-
dent de santé. Ils avaient fait le vœu, s’il se rétablissait, de réaliser
ensemble son rêve de naviguer autour du monde. Le projet fut
laborieux à monter, long et coûteux, mais ils y parvinrent.
L’attaque fut soudaine et brutale. Le bateau fut assailli par deux
embarcations rapides avec des tirs à la mitraillette et au lance-
grenade. La roquette passa au-dessus d’eux. Les balles ravagèrent
le bateau. Le mari fut abattu sous les yeux de son épouse. Une fois
montés à bord, les pirates balancèrent le corps à la mer. Réfugiée
dans une cabine, elle fut capturée et amenée à bord de l’embarca-
tion des pirates. Elle passa trois jours sous une bâche, confinée à
l’arrière du bateau de ses ravisseurs.
Elle rapporte un souvenir de sa captivité : deux dauphins accom-
pagnaient l’embarcation, qui ont longtemps nagé près d’elle. Cette
présence inattendue lui fit penser à ses deux enfants. Un peu d’éner-
gie lui revint avec l’espérance de les retrouver.
Elle fut libérée lors d’un assaut des forces maritimes interna-
tionales. Après avoir été au centre de deux combats intenses à
soixante-douze heures d’intervalle, elle se retrouva physiquement
indemne et psychiquement dévastée. Passé un transit de plusieurs
jours, elle fut accueillie par sa famille en métropole.
Le premier temps psychologique qui suit un drame prend la forme
d’un inventaire.
P INTS
clefs La délicatesse du premier contact
est un impératif
Les questions du thérapeute furent très simples, centrées sur des aspects
concrets et immédiats : quelles étaient les solutions transitoires d’héberge-
ment, quelles étaient les démarches à faire en priorité et quelles étaient
les personnes prêtes à l’accompagner et la soutenir, quelle était sa santé
physique, comment était son sommeil ?
La relation avec la presse et les médias est délétère. Dans les jour-
naux et sur Internet, les médias les présentent comme des impru-
dents responsables du malheur qui les a accablés. Dans les blogs,
certains commentaires anonymes sont cruels. Dans un premier
temps, elle veut apporter un démenti à chaque fois qu’apparaît une
erreur dans un compte rendu, puis elle se résigne à laisser dire et
écrire des mensonges sur eux et sur les événements, comprenant
qu’il est vain et épuisant de rédiger des réponses et de corriger les
fautes aussitôt qu’elles apparaissent.
158 ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS
la mort peut exercer. Il faut rappeler que cela peut toujours avoir
une portée traumatique et occasionner une blessure psychique.
Toute rencontre avec le mort doit donc être préparée afin d’éviter
d’amplifier les effets de surprise qui se sont déjà manifestés.
… À bord le commandant fait immédiatement une communi-
cation générale pour informer l’équipage et expliquer brièvement
les circonstances du décès. Sur le coup, un silence s’installe dans
tout le bateau. Sur les postes de travail, les seules paroles qu’on
entend sont les consignes et les brèves formules limitées au contexte
factuel de la conduite du bâtiment dans sa mission. Dans les lieux
de vie, personne n’ose parler.
P INTS
clefs La mort comme événement : la mort,
ça se nomme
Il faut le plus tôt possible attribuer une identité au mort et annoncer cette mort
lorsqu’elle est médicalement constatée. Il ne faut pas laisser s’installer une
incertitude sur le nom comme sur l’état de la personne. Il convient donc de
faire l’annonce aussitôt que possible : « M./Mme X est décédé(e). » C’est
à l’autorité hiérarchique du groupe qu’il revient de faire cette annonce : le
chef pour l’équipe, le directeur pour un service.
P INTS
clefs La sépulture comme lieu
Symboliquement, il faut séparer ce qui appartient au domaine des morts
et ce qui appartient au domaine des vivants. Il faut sans délai marquer et
regrouper les différents effets du mort et les entreposer dans un endroit qui
sera temporairement sanctuarisé.
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 163
P INTS
clefs En cas d’accident mortel
Il faut identifier rapidement les deux populations cibles des soins psycho-
logiques :
• les personnes impliquées dans la cause de l’accident, qui sont affectées
par le deuil et engagées dans la responsabilité du drame ;
• les personnes impliquées dans les effets de l’accident, qui sont affectées
par le deuil : le groupe professionnel et les familles.
Le deuil collectif
Comment prendre en charge une population frappée par le
caractère massif des décès ? Comment orienter un travail de soin
lorsqu’il n’y a plus de distinction entre l’horreur et la banalité ?
L’exemple suivant est celui du travail réalisé dans un pays après
qu’il a été ravagé par une longue guerre civile.
Il n’y avait pas eu une guerre à proprement parler, mais une
succession de combats urbains, de sièges de villes, de réduction
d’enclaves. Le conflit n’était pas orienté par des questions de
pouvoir à prendre, d’idées politiques à faire valoir ou de richesses
à conquérir : c’était un conflit inter-ethnique, c’est-à-dire qu’il
visait des populations là où elles se trouvaient et que les enjeux
étaient de s’assurer de leur maintien ou de leur départ, sinon
de leur disparition. Les familles (les maisons et les fermes), les
enfants (les écoles, les stades, les bibliothèques), les biens collec-
tifs dans leur ensemble (les ouvrages d’art – ponts et routes –,
les monuments historiques, les usines et les outils de produc-
tion) ont été sélectivement choisis et détruits. Les lieux sacrés :
les cimetières, les églises, les basiliques et les mosquées ont été
particulièrement visés. Les lieux de culte ont été rasés ou minés
afin de rendre leur fréquentation impossible. De nombreux
disparus ont été enterrés dans des charniers sommaires, parfois
recouverts de déchets médicaux ou de cadavres d’animaux afin
de les dissimuler.
Psychologiquement, la souffrance de la population a été massive.
La menace était permanente et omniprésente ; les tirs des snipers et
les obus de mortier pouvaient toucher n’importe qui et n’importe
où. Survivre à tout prix, se ravitailler en bois et en nourriture,
était l’obsession de tous les jours pour les habitants des villes. Voir
se déliter tout ce qui faisait le tissu social de ce pays et attendre
la mort, la sienne ou celle de ses proches, voilà à quoi chacun
semblait s’être résigné.
Quel a été le prix psychique de cette guerre ? Cela reste difficile à
évaluer. Quelques familles ont pu se recomposer, beaucoup restent
défaites. Dans les camps, des vieillards, des veuves et quelques
enfants continuent de survivre :
– une grand-mère confie qu’elle avait sept enfants avant la
guerre, que cinq sont morts et qu’elle a seule la charge de
ses petits-enfants orphelins ;
– une jeune interprète raconte qu’un obus a touché son école
et qu’elle a découvert dans une salle de classe les cadavres
déchiquetés de ses amies ;
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 173
etc. Ce sont les enfants qui, plus que d’autres, peuvent permettre
que les liens ne se rompent pas tout à fait, offrent une voie au
travail de mise en représentation, d’historisation et de prise de
distance par rapport aux morts.
Le deuxième versant, celui qui mène à l’espoir nous permet de
donner quelques précisions sur la notion de résilience, ici appliquée
à la famille et à une communauté. Il est important de pouvoir
repérer dans des familles gravement endommagées les éléments
qui peuvent permettre d’espérer une issue malgré tout positive à
la situation traumatique. Ainsi :
– le maintien d’une ouverture suffisante à la communication
et aux échanges ;
– une attention suffisante accordée par chacun au sein de la
famille à la souffrance des autres, en particulier celle des enfants
qui n’est pas toujours visible ;
– la solidarité dans l’effort de résolution des problèmes ;
– la capacité à faire appel à des aides extérieures autant qu’à
aider d’autres familles en souffrance ;
– l’appui sur des valeurs morales, sur un système de croyances
solides.
Concernant plus spécifiquement le deuil, on peut retenir trois
éléments :
– la capacité à parler du défunt, à le garder présent dans les
échanges et dans les mémoires, mais en le maintenant à sa
place, c’est-à-dire une place qui appartient au passé et n’envahit
pas trop le présent et l’avenir ;
– la capacité à ritualiser suffisamment la perte. C’est là un puissant
soutien au travail de deuil, pour l’individu et pour l’ensemble
familial. On doit distinguer ici les rituels destinés à reconnaître
et à pleurer la perte, les rituels destinés à symboliser ce que les
membres de la famille retiennent des disparus, les rituels destinés
à symboliser la continuation de la vie, et enfin, et plus tard aussi,
les rituels de commémoration qui aident au travail de mémoire ;
– la capacité, malgré les pertes et les malheurs subis, à penser
l’avenir, anticiper sur une suite, faire des projets.
Dans la dimension de la transmission qui est en même temps un
travail sur le passé et une projection vers l’avenir, nous retiendrons
là encore trois éléments.
Tout d’abord vient la capacité à préserver les enfants, à les proté-
ger. On sait depuis longtemps que le développement des syndromes
psychotraumatiques chez les enfants dépend en partie de l’attitude
des parents. Les psychiatres et psychologues anglais l’avaient déjà
montré lors des bombardements de Londres durant la Seconde
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 177
Le travail en projection
Près de ceux qui sont dans la guerre
La structure mentale d’une personne se construit à partir de
ce que lui apporte son éducation et son expérience. Or aucun
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 179
s’y mêle le sentiment d’avoir fait une immense bêtise. Jamais plus
je n’admirerai un homme qui ne serait que courageux. »
P INTS
clefs Les principes de Salmon
• Ils guident la mise en place des soins en cas d’afflux massif de blessés
psychiques : immédiateté, proximité, simplicité, expectative.
• Ces principes sont applicables en temps de guerre ainsi qu’en situation
de catastrophe collective.
trie sont détournés pour être utilisés en tant qu’armes destinées à des
attentats. Parallèlement, les accidents industriels caractéristiques de
la civilisation moderne produisent ces mêmes risques. Les pouvoirs
publics préparent des moyens adaptés pour faire face à ces nouvelles
menaces. Ces moyens doivent pouvoir se déployer à une grande
échelle compte tenu du nombre important de personnes susceptibles
d’être concernées. Les secours incluent une intervention auprès des
victimes, mais aussi une assistance à leurs familles et éventuellement
aux sauveteurs, c’est-à-dire à l’ensemble des « impliqués ».
La crainte des épidémies est vieille comme l’histoire humaine.
Les armes chimiques et biologiques ont été utilisées dès l’Antiquité.
Les Assyriens empoisonnaient l’eau des puits ennemis en y répan-
dant de l’ergot de seigle ou des cadavres d’animaux. Alexandre,
l’empereur macédonien dont les conquêtes s’étendirent jusqu’au
pied de l’Himalaya, balançait par-dessus les murailles des villes qu’il
voulait prendre les vêtements prélevés sur les cadavres des victimes
de la variole. Au XIVe siècle, les Tatars qui assiégeaient la colonie
génoise de Kaffa expédièrent à l’aide de catapultes les cadavres
de leurs propres hommes morts de la peste. Ce fut le point de
départ de la dissémination de la maladie à travers l’Europe : en
moins de cinq ans la Grande Peste entraîna la mort d’un tiers de
la population européenne.
La guerre de 14-18 fut le premier champ de bataille où furent été
utilisés de façon systématique les gaz de combat. Le 22 avril 1915 à
Ypres, l’armée allemande déversa le contenu de 5 000 bombonnes
de gaz chloré, anéantissant deux divisions alliées. Les effets délétères
de cette arme nouvelle ne doivent pas être évalués en fonction
du nombre de morts qu’elle a directement provoquées, finale-
ment bien peu au regard des millions de combattants morts du
fait d’armes classiques. C’est l’effet de désorganisation des rangs
ennemis qui a constitué le succès tactique des gaz ; cet effet n’a
pas persisté grâce à la diffusion d’une information simple sur
cette arme nouvelle, l’élaboration de consignes de secours claires,
et l’apparition de moyens de protection individuels efficaces : les
masques à gaz.
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’arme chimique dispo-
nible en grandes quantités ne fut pas employée à titre militaire.
Les Allemands utilisèrent du Zyklon B dans les chambres à gaz
pour exterminer les déportés ; de leurs côtés, les Japonais ont
expérimenté à grande échelle l’emploi de l’anthrax, de la peste et
de la typhoïde sur les populations chinoises et les prisonniers de
guerre. À la fin de la guerre, c’est l’arme nucléaire qui anéantit
deux grandes agglomérations urbaines.
ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS 191
P INTS
clefs La prévention des catastrophes NRBC
Les actions de prévention doivent être permanentes, tout en évitant d’entretenir
un climat de catastrophisme. Elles doivent être adaptées, c’est-à-dire ciblées
en fonction des caractéristiques du groupe auquel elles s’adressent. Enfin,
elles doivent prendre en compte la dimension médiatique, utiliser la force
de ce vecteur tout en résistant à la tentation du sensationnalisme.
Par la suite le jeune homme raconte que deux choses l’ont mis
en colère : les journalistes qui prenaient des photos des cadavres.
On l’interrompt pour lui dire que c’est aussi ce qu’il avait fait. Il
reste silencieux un moment pour dire que « ce n’est quand même
pas la même chose… Eux, c’est malsain, c’est morbide ». Notre
silence lui permet d’entendre son propre jugement sur la question
des photos. Il continue et lance la conversation sur un autre sujet,
celui des méthodes de travail grossières des autres équipes venant
de différents pays. Il part ensuite sur une autre histoire qui l’a
choqué : celle d’un ascenseur qui est tombé dans le cours de son
dégagement à cause d’une rupture d’un câble de la grue. « Il a
explosé et il était ouvert ; dedans il y avait un cadavre qui était
bien, pas décomposé, et puis du sang rouge ». On lui demande ce
que cela signifie et il répond qu’il pense que cette personne dans
l’ascenseur était peut être le seul survivant, et qu’il était, pour lui
ainsi que pour d’autres, l’explication des bruits entendus lors des
écoutes dans ce secteur. Là encore, on l’interroge plus précisément
pour constater que cet épisode est bien moins pénible que certains
dont il a parlé avant. Après qu’il a décrit la fin du séjour, on l’in-
terroge sur les symptômes qui l’amènent à consulter. Il décrit des
cauchemars, débutés à son retour en France, non répétitifs, mais
qui contiennent des cadavres qu’il a vus dans cette intervention,
essentiellement ceux vus dans les deux moments qu’il a détaillés.
Ces visions sont floues, n’entraînent pas de réveil. Le retard à
l’endormissement est peu important. Il ne décrit pas de sursaut,
ni de rumination obsédante de l’événement diurne. Il n’existe pas
de flash-back. Il se plaint d’une irritabilité et d’une sensation de
fatigue qui ne lui sont pas habituelles. Après l’avoir questionné
sur les motivations qui l’ont poussé à s’engager comme secouriste,
sur quelques données biographiques rapides, on lui demande s’il
206 ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS
pérennisés. Les exodes massifs liés aux guerres ont été happés par
des enjeux politiques et médiatiques, qui ont conduit à la création
d’organisations gouvernementales et non gouvernementales pour
apporter l’assistance et les secours nécessaires à ces populations
dont les perspectives d’avenir se réduisaient de plus en plus.
Pour ces populations, le statut de réfugié a tendance à se
prolonger plus que prévu. Il y a deux facteurs à cette tendance :
l’assistance – donc la dépendance – et la limitation des mouve-
ments d’exode. Les pays d’accueil de ces camps sont les pays
qui jouxtent directement les zones de conflit. Le phénomène
des réfugiés évolue dans le double sens d’une concentration de
ces populations au sein de structures provisoires montées dans
l’improvisation et qui se maintiennent ensuite dans la durée,
pendant plusieurs années.
On estime le nombre de personne réfugiées dans le monde à
quinze millions, le nombre des personnes déplacées à trente millions
(celles qui ont quitté leur lieu de vie sans quitter leur pays). Le
plus grand camp de réfugiés du monde, celui de Dadaab au Kenya,
en compte 500 000.
Les femmes et les enfants représentent 80 % des déplacés sous la
forme de familles monoparentales, parce que les maris et les pères
meurent, sont faits prisonniers ou sont enrôlés comme combat-
tants. Les femmes n’ont aucun travail et beaucoup se trouvent
seules pour la première fois de leur existence. Elles ont assisté
aux rapts des hommes, à des exécutions sommaires, leurs biens
matériels ont été dérobés ou détruits. Elles ont été rançonnées
des quelques objets de valeur qu’elles avaient pu emmener. Elles
ont été exposées à des violences sexuelles… Tous ces événements
génèrent une détresse intense et continue. La prise en charge
psychologique des réfugiés est programmée dès l’ouverture d’un
camp. Voici la restitution d’une expérience qui a associé deux
psychiatres de nationalité différente.
Fin juillet 2012, face à l’afflux de populations civiles venant de
la Syrie, les autorités jordaniennes installèrent un camp de réfugiés
à Zaatari, en zone désertique à huit kilomètres de la frontière. Ces
autorités firent appel à l’aide internationale. Différentes nations et
plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) répondirent à
cet appel. Le Maroc envoya un hôpital de campagne de 60 lits ; la
France envoya un groupe médico-chirurgical de 10 lits ; la Jordanie
ouvrit un centre de santé primaire avec l’aide des organisations
onusiennes et de quelques ONG.
En août 2012, le camp ouvrit avec 4 000 réfugiés. Ces réfugiés
arrivaient par vagues, parfois 3 000 dans une même journée. Deux
208 ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS
ans plus tard, le camp est devenu une structure urbaine pérenne
de 140 000 réfugiés. Pour donner une idée de ce que cette taille
représente, le camp de Zaatari est devenu, en nombre d’habitants,
la quatrième ville de Jordanie. Les problèmes d’infrastructure
ont surgi de suite puisqu’il a fallu héberger ces personnes sans
ressource, les protéger, les nourrir et résoudre les problèmes sani-
taires que posait leur concentration. Les conditions climatiques
désertiques sont extrêmes, avec des tornades de poussière, des
températures très élevées l’été et très basses l’hiver. L’eau est
absente. L’aide doit être acheminée d’un point de ravitaillement
distant de 70 kilomètres.
Les réfugiés constituent une population hautement vulnérable avec
des femmes isolées, des enfants, des vieillards, des blessés, des
malades, des handicapés. Leur détresse est plurifactorielle. Ils ont
perdu des membres de leur famille. Ils ont été contraints d’aban-
donner leur résidence et de quitter leur travail. Ils savent qu’ils ne
peuvent retourner dans leur pays où ils sont menacés de représailles.
Leurs biens ont été détruits dans les bombardements de leurs villes.
Ils ont perdu les moyens de leur autonomie, et en même temps il
leur est interdit de se déplacer hors du camp.
Abou Rami est arrivé dans le camp avec toute sa famille, près de
dix personnes dont ses deux fils mariés avec leurs propres enfants. Il
était un riche commerçant avant la guerre. Il s’est enfui en emmenant
212 ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS
P INTS
clefs Le travail avec les interprètes
Les conditions du travail psychothérapeutique auprès de réfugiés imposent
la médiation d’un interprète. Les personnes invitées à occuper cette charge
sont rarement membres d’un organisme humanitaire international. Elles sont
choisies en fonction des circonstances : elles peuvent être originaires du pays
qui accueille ces réfugiés, comme elles peuvent être réfugiées elles-mêmes.
Aucune de ces positions n’est neutre. Ces différentes possibilités induisent
des distorsions du travail psychothérapeutique. Elles peuvent générer des
effets d’influence et d’empathie qui contrarient ou déforment l’action de soin
engagée. C’est pourquoi le positionnement de chacun, du thérapeute, du
patient et de l’interprète, doit être minutieusement réglé.
214 ComPrenDre eT agir en fonCTion DeS SiTUaTionS
Travailler ensemble
Repérer, comprendre, agir… Quelles sont les personnes qui ont
une compétence pour repérer et pour intervenir ? Pour répondre
comme Monsieur de La Palice, sont habilitées à intervenir toutes
les personnes qui en ont la compétence.
Il faut au départ être sensibilisé à ces questions. Il existe de
nombreux documents de qualité traitant du stress, du harcèle-
ment moral, du burn-out, des traumatismes psychologiques. Il y
a aussi, et c’est ce que nous avons choisi de traiter dans ce livre,
l’enseignement par l’expérience. Les circonstances et les modalités
d’intervention sont tellement variées qu’il n’y a pas de standard ;
tout au plus peut-on énoncer quelques principes, clairs mais très
généraux, sans détails pratiques. Le mode d’action reste à définir
par l’improvisation au gré des situations.
Le principe de la formation de tout intervenant est celui du
partage d’expérience. Cette notion de partage est importante parce
qu’elle prépare à celle, cruciale, du travailler ensemble.
Travailler ensemble, cela veut dire nous accorder entre nous et
nous ouvrir aux autres.
Nous accorder entre nous, c’est-à-dire entre les personnels atta-
chés aux soins psychologiques : les médecins, les psychologues, les
infirmiers…
Nous ouvrir aux autres, cela veut dire accepter une interaction
avec les partenaires de l’intervention : les personnels spécialisés
dans les secours, comme les pompiers, les sauveteurs, les secou-
ristes ; accepter une interaction avec les bénévoles des organisations
caritatives nationales et internationales ; accepter une interaction
avec les personnels spécialisés dans le maintien de l’ordre : les
forces de police, les gendarmes, les militaires dans les missions
extérieures ; accepter une interaction avec les responsables poli-
tiques, religieux ou administratifs qui coordonnent ou dirigent
les actions de l’État.
On le voit à travers tous ces exemples qui ont été donnés
plus haut, le psychothérapeute intervient en équipe, pour des
actions coordonnées, au sein d’une nébuleuse d’intervenants.
D’où l’intérêt d’avoir des idées précises sur le rôle de chacun :
Quoi ? Où ? Comment ? Tel est l’objet de ce livre. Que l’action
en ConCLUSion, PoUr boUCLer Le Panorama 219