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Illustrations : Dr Philip Pongy et Sputnix

www.adverbum.fr
© DésIris 2016
ISBN : 978-2-36403-109-8

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Paris.
TRAITÉ DE
MÉDECINE PSYCHOSOMATIQUE
Dr Philip Pongy
Ce travail n’aurait jamais vu le jour sans la confiance et l’amour
des miens. Ils sont toujours dans mes pensées.
SOMMAIRE *
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Première partie
LES FONDEMENTS
Chapitre 1
L’ARTICULATION DU PSYCHISME ET DU CORPS . . . . . . . . . . . . 21
Chapitre 2
LA GENÈSE DU DÉSORDRE SOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Chapitre 3
LES CIBLES DES ÉMOTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Chapitre 4
LES RÉACTIONS ADAPTATIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Chapitre 5
BIOLOGIE DE L’ADAPTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Chapitre 6
L’HISTOIRE DU SUJET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123
Chapitre 7
L’HYSTÉRIE DE CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
Chapitre 8
LES FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE . . . . . . . . . . . . . . . . .197
Deuxième partie
LES TRAUMATISMES
Chapitre 9
NATURE DES TRAUMATISMES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .203
Chapitre 10
LA FAMILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
Chapitre 11
LES PASSIONS AMOUREUSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
Chapitre 12
LA MATERNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
Chapitre 13
LE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .319

* Table des matières complète p. 807.


6
Troisième partie
LES MALADIES
Chapitre 14
DOULEURS… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359
Chapitre 15
PSYCHOSOMATIQUE ET GYNÉCOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . .401
Chapitre 16
PSYCHOSOMATIQUE ET DERMATOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . .431
Chapitre 17
PSYCHOSOMATIQUE ET GASTROENTÉROLOGIE . . . . . . . . . . .459
Chapitre 18
LES ALLERGIES RESPIRATOIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .499
Chapitre 19
LES MALADIES AUTO-IMMUNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .517
Chapitre 20
L’ŒIL ET LA PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563
Chapitre 21
L’OREILLE ET LA PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . .589
Quatrième partie
LES PATIENTS
Chapitre 22
LES REPRÉSENTATIONS DE LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . 631
Chapitre 23
LES RÉACTIONS À LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .655
Chapitre 24
LE MASOCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .677
Chapitre 25
L’INVESTIGATION PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . 715
Chapitre 26
ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES ET GUÉRISONS SPONTANÉES . . . . 743
POSTFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .785
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .789
INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 797

7
Références
Les références bibliographiques des articles et des ouvrages cités figurent dans la biblio-
graphie (p. 789).
INTRODUCTION

Il ne viendrait à l’idée de personne de nier les progrès de la médecine. Des maladies


ont disparu, l’espérance de vie a augmenté, les techniques chirurgicales ont considérable-
ment progressé, l’imagerie permet de détecter des altérations indécelables par le simple
examen clinique, de nouvelles thérapeutiques efficaces voient le jour. On fabrique même
la vie dans des éprouvettes, on soigne à distance, on institue des règles préventives censées
nous mettre à l’abri de toute maladie, on recule les limites de la mort à telle enseigne que
d’aucuns font le vœu de légiférer dessus, on généralise la gratuité universelle des soins, on
institue le droit à la santé comme un droit imprescriptible, on « humanise » les lieux de
soins avec de la musique, des écrans, des vigiles, des clowns. La science, l’humanisme, la
solidarité, l’amour, orchestrent de toute évidence cette ascension vers un monde meilleur.
Qui pourrait remettre en cause cette avancée et cette promesse ? La réponse est simple :
les patients et les soignants.
L’évolution de la médecine tend inexorablement et de manière croissante vers la
promotion de la seule technicité au prix de la négation du sujet patient et in fine du
sujet soignant. On en connaît les tenants et les aboutissants : méconnaissance des
interactions entre le psychisme et le corps, absence de prise en compte du déterminisme
pathogène lié aux désordres existentiels, enlisement dans le carcan des seules références
critérologiques, biologiques, administratives, numériques, absence de corrélation entre
les différentes approches spécialisées et, à terme, incompréhension réciproque au sein
de la relation de soin, réactions défensives face à l’angoisse du patient, compensation
par une augmentation des investigations paracliniques et des prescriptions, etc. L’échec
est souvent au rendez-vous. La souffrance et la mort aussi, mais le silence règne, les
références obligatoires et les protocoles standardisés ayant été respectés ; tout repart
comme si de rien n’était. Lorsque le scoop surgit, les belles campagnes de prévention et
les promesses de jours radieux laissent alors la place aux paroles des familles, des avocats,
des experts, des juges, des politiques. « Beaucoup d’émotion dans la petite ville de… Qui
aurait cru… » Qui aurait cru effectivement que la technique, le dogme de la maîtrise sans
limite, les contrôles de toutes parts, la prévention, le droit à…, puissent ainsi être terrassés
par l’inattendu, l’inexplicable, la défaillance, l’erreur. « Toute la lumière sera faite afin de
déterminer les responsabilités… » Alors, de nouvelles lois s’imposent, de nouveaux droits,
de nouveaux devoirs, de nouveaux protocoles, de nouveaux contrôles, de nouvelles
techniques… Et ça repart.
Loin du spectacle, dans les maisons, les cabinets, les services, les soignants continuent
leur travail. Désenchantés pour la plupart, non pas, contrairement à l’idée répandue et
savamment entretenue, du fait de leurs faibles émoluments, mais parce qu’ils ne sont
plus reconnus dans leur fonction, qu’eux-mêmes ne se reconnaissent plus. Quant aux
patients, ce ne sont plus que des corps. Corps sans âme, corps sans histoire. Autant de
9
Traité de médecine psychosomatique

réalités qui induisent chez le patient une insatisfaction, si ce n’est une détresse et une
défiance croissante à l’égard du corps médical, et, chez le soignant, une perte du sens de
sa fonction et de son identité professionnelle. L’arrivée en masse des écrans dans les struc-
tures médicales, destinée à terme à se substituer à la relation, nous promet de grandes
heures.
Si la haute technicité et les urgences sont vouées à disparaître de l’ordinaire du
médecin généraliste et du soignant de terrain, il n’en va pas de même du seul champ qu’il
leur reste encore : celui de la rencontre, de l’investigation, de la consultation. Temps au
cours duquel la question du fonctionnement psychique du patient se pose de manière
récurrente, soit au travers de pathologies somatiques chroniques ou récidivantes dans
lesquelles le praticien perçoit confusément le poids de facteurs existentiels, soit au
travers de la souffrance psychique ou des désordres comportementaux, soit au travers
de demandes de services pressantes et discutables, soit au travers des aléas et dérives de
la relation. Questions à l’égard desquelles, aux dires de différentes enquêtes, le praticien
se déclare en règle générale totalement démuni. Les réponses et les modèles qui sont
proposés sont le plus souvent très éloignés du contexte de l’exercice médical. Entre un
désert relatif d’outils réellement applicables, quelques recettes de communication ou des
exposés hermétiques, le praticien a du mal à y trouver nourriture.
La psychosomatique est une approche de la théorie et de la pratique médicale qui
considère la structure et le fonctionnement du psychisme ainsi que les déterminants
émotionnels comme des cofacteurs fondamentaux de santé ou de maladie. L’absence de
prise en compte des facteurs psychiques et émotionnels dans la genèse des pathologies
est à l’origine d’un fondamentalisme organiciste qui induit des attitudes et des compor-
tements strictement techniques. Ce fondamentalisme s’est très progressivement consti-
tué à partir de la naissance de la clinique au xixe siècle (au moment même où le terme
psychosomatique apparaissait sous la plume d’Heinroth) et s’accentuera de manière
exponentielle du fait de la profusion des découvertes biologiques et surtout des possibili-
tés d’investigations paracliniques à partir du milieu du xxe siècle. Fascinés par les modèles
physiopathologiques et étiologiques strictement objectivables, les médecins en oublie-
ront le sujet. Non pas qu’ils dénient l’existence de son fonctionnement psychique et de
ses avatars, les médecins généralistes y étant confrontés quotidiennement, mais parce
qu’ils ne savent qu’en faire. Chaque fois que les plus avertis d’entre eux subodorent une
possible interaction entre des déterminants existentiels et une pathologie déroutante,
la panoplie des termes évoqués (hystérique, fonctionnel, hypocondriaque, anxieux, psy,
etc.) déferle, attestant d’une absence totale de repères cliniques à ce niveau-là. Alors,
pourquoi s’éterniser à perdre son latin dans cette nébuleuse évanescente, puisqu’on ne
sait qu’en dire ou qu’en faire ? Le psychiatre et le psychologue de ce début de siècle sont
en passe d’en connaître guère plus.
Si l’aboutissement du fondamentalisme organiciste a été la négation du sujet en
souffrance, le fondamentalisme psychanalytique, né du modèle conversionnel et surtout
des dérives de certaines pratiques et théories pseudo-psychanalytiques fumeuses à partir
du milieu du xxe siècle, a abouti quant à lui à nier le corps. Soit en étant coquettement
indifférent à ses manifestations, soit en voulant lui attribuer un langage dont il serait
vaguement porteur. En voulant lui donner la parole, on la lui a coupée. Car le facteur
« psychique », et il conviendra de le définir avec précision, ne constitue qu’un cofacteur
10
Introduction

de somatisation, parmi tant d’autres, génétiques, traumatiques, toxiques, infectieux,


immunitaires, etc. Il est l’élément nécessaire mais non suffisant d’un faisceau étiopa-
thogénique polyfactoriel. Tout comme il n’y a pas de cause strictement physique qui ne
s’articule avec les déterminants psychiques, il n’y a pas non plus de cause strictement
psychique qui déterminerait à elle seule l’éclosion d’une maladie. Le facteur « psychique »
n’induit de pathologie que par l’intermédiaire d’un désordre physiologique réel, constant,
objectivable ou non.
À partir des années 1950, début de l’affrontement boudeur entre ces deux fonda-
mentalismes, Pierre Marty, initialement neurochirurgien puis psychanalyste, établit une
jonction entre les données de la psychanalyse et celles de l’éthologie dans une perspective
évolutionniste. Il en ressort un modèle théorico-clinique pertinent qui apporte à la théorie
psychanalytique ce qui lui manquait : le point de vue économique, évoqué mais laissé en
jachère par Freud et ses successeurs, point de vue central permettant d’établir la jonction
entre le psychisme et le corps. Ainsi, ce n’est pas le dysfonctionnement du psychisme
qui co-induit la maladie physique, mais l’inverse, c’est-à-dire son déficit de fonctionne-
ment. Pavé lancé dans la marre dont n’aura cure tout autant le monde médical que le
monde psychanalytique en bonne et due place. D’autres données viendront enrichir la
psychosomatique d’éléments fondamentaux et non contradictoires. Elles sont, pour la
plupart, issues de la biologie, de la neurophysiologie, de l’éthologie, de la psychologie
expérimentale, et bien sûr de la clinique psychanalytique.
Notre approche de la psychosomatique repose sur un trépied : le soin, la recherche,
l’enseignement.
La médecine étant loin d’être une science exacte, la démarche de soins conjugue
connaissance et référence aux modèles les plus valides, expérimentation pratique, inven-
tivité, adaptabilité. C’est dire qu’elle est en soi une forme de recherche a minima, sans
cesse renouvelée, et que, sans cette dimension, elle se fige, se sclérose, se stéréotype,
induisant chez le patient acceptation soumise ou rejet récurrent, et chez le thérapeute,
dogmatisme, appauvrissement intellectuel, et, à terme, désintérêt et ennui.
L’enseignement débute quant à lui lorsqu’un médecin relate à un confrère telle situa-
tion clinique, tel résultat, tel déboire. Il ne saurait bien sûr se limiter à cela, ce ne sont
que des prémices. L’enseignement se nourrit de la connaissance de ceux qui nous ont
précédés, de l’expérience personnelle, de l’épreuve de confrontation à la réalité clinique
quotidienne, de l’élaboration d’un projet, de l’enrichissement par le questionnement des
autres, de la vérification de son bien-fondé en retournant sur le terrain, de la forme qui
doit s’adapter à chacun, du fond qui doit donner nourriture à celui qui nous honore de
son attente.
Lorsqu’on se risque à la psychosomatique, un champ inexploré se découvre devant
nous. Le soin balbutie avant que de s’affirmer, la recherche est infinie, l’enseignement
perpétuellement remodelé. Ce n’est pas pour autant que nous pénétrons dans un monde
informe et non structuré. Le champ de la psychosomatique comporte des richesses
inouïes et, comme toute contrée fertile, il produit des arborescences qui se succèdent et
s’enrichissent les unes des autres.
Mon choix pour la médecine est initialement lié à un intérêt pour la biologie. Puis, au
cours de mes études, ma propre psychanalyse instaura une réflexion critique récurrente à
11
Traité de médecine psychosomatique

l’encontre des modèles enseignés et pratiqués. Non pas dans leur véracité et leur consis-
tance, bien au contraire, la rigueur et la structure de l’enseignement médical m’étant
toujours apparues indispensables, mais plutôt au niveau d’un manque, d’une lacune, d’un
no man’s land, celui de l’absence de prise en compte du sujet en souffrance, tant dans le
déterminisme historique de sa pathologie que dans le vécu de celle-ci.
Installé comme médecin généraliste, je n’eus de cesse de m’interroger sur la complexité
du déterminisme de nombreuses maladies, dont l’étendue dépassait de toute évidence
ce qui m’avait été enseigné. Ce n’était pas par vertu, par humanisme, par vocation, ces
prétendues valeurs, devenues héroïques aujourd’hui, m’étant depuis longtemps apparues
suspectes, mais du fait d’une insatiable curiosité et d’une foi (le terme ne me paraît pas
excessif) dans les pulsions et instincts de vie de l’être humain.
Mes interrogations récurrentes m’amenèrent, après quelques pérégrinations sans
conséquence, à rencontrer Pierre Marty. Je découvrais un homme d’une simplicité et
d’une intelligence hors du commun, sans commune mesure avec les maîtres en médecine
ou en psychanalyse que j’avais côtoyés auparavant. Je découvris son œuvre.
Lors de ma dixième année de pratique, je rencontrais Robert Babeau, ancien médecin
généraliste, alors fraîchement installé psychiatre en Avignon. Nos rencontres successives
scellèrent notre amitié et notre intérêt réciproque pour la psychosomatique. J’entrepris,
parallèlement à mon activité, des études de psychiatrie. Elles s’achevèrent par la soute-
nance, en 1992, d’un mémoire élaboré à partir d’observations rédigées durant mes quinze
ans de pratique de médecin généraliste : Rôle des événements de la vie dans le déclen-
chement des processus psychosomatiques. Lorsque je relis ce mémoire, je ne peux que
faire le constat à la fois de la naïveté de certains passages et du ferment qui habitait mes
interrogations.
C’est donc après quinze ans de pratique de la médecine générale, éclairés ça et là par
les lueurs vicariantes de la psychanalyse, que je quittais, après de longues hésitations, le
village où j’exerçais et m’installais comme psychiatre à Nîmes. Ce fut un deuil. Le cabinet
et la maison d’habitation, celle des jeunes années et du départ dans la vie, réapparurent
longtemps dans mes rêves. Au sein de ma nouvelle activité, il ne me restait plus que deux
outils : mes oreilles et ma voix. Mes mains, les perceptions et le déplacement de mon
corps avaient perdu leurs fonctions initiales dans la relation avec le patient. Je ne bougeais
plus, je ne prescrivais pratiquement plus, je ne palpais plus, je n’auscultais plus.
Le deuil ne saurait être tolérable sans réinvestissement d’une partie de la chose perdue.
C’est ce qui se produisit. Les médecins généralistes, de toute évidence très sensibles aux
courriers que je leur adressais après avoir reçu leurs patients, avides d’informations,
établirent des contacts chaleureux avec moi et, de mon côté, je pus ainsi garder un
lien imaginaire avec la médecine générale. C’est ainsi que fut créée en 1999 l’École de
médecine psychosomatique (EMP).
Soigner signifie, d’un point de vue étymologique, « s’occuper de ». Un arboriculteur
soigne ses arbres. Un éleveur prend soin de ses bêtes. Chacun d’eux doit s’adapter à la
contingence, à l’avatar, à l’inattendu, à la particularité, au contexte. Il y a lieu de chercher
à comprendre, de s’interroger sur le pourquoi, d’imaginer le comment. Lorsque le champ
thérapeutique est celui de l’humain, les paramètres sont démultipliés. On peut soigner
en appliquant automatiquement, en toute situation, à l’encontre de tous les patients,
des protocoles, des références, des conduites à tenir stéréotypées, des recommandations
12
Introduction

obligatoires ou non. Le plus souvent, ça marche. Le plus souvent seulement car les situa-
tions dans lesquelles l’échec est au rendez-vous sont fréquentes. Alors la panique à bord
s’installe. Est-ce le capitaine, le bateau, la mer, le vent, qui sont responsables du naufrage ?
Quoi qu’il en soit, il faut sauver les meubles, éviter l’opprobre et, autant que faire se peut,
ne pas remettre en cause les cartes et les principes de la navigation qui nous ont été
délivrés.
Lorsque la traversée n’est pas source de grande turbulence, il n’y a pas lieu de changer
le cap fixé. C’est ce qui se passe le plus souvent. La médecine, telle qu’elle est pratiquée,
amène le plus souvent les passagers sur les rives du mieux-être et, dans le meilleur des
cas, de la guérison. C’est ainsi que les pathologies aiguës et, à un moindre degré, certaines
pathologies chroniques, bénéficient grandement de la seule et unique approche stricte-
ment médicale, et il n’y a pas lieu d’en exiger plus de la part du médecin. Il en est tout
autrement lorsque la pathologie résiste ou s’aggrave, lorsque son évolution est chronique,
torpide ou déroutante, lorsque les réactions aux soins sont inattendues, lorsque des
décisions irréversibles s’imposent, lorsque des traitements induisent plus de désagré-
ments que d’avantages, lorsque les sujets perdent pied, errent d’un service ou d’un prati-
cien à l’autre, numérisés par les institutions, les dogmes, les contradictions, les palabres,
les injonctions. Il y a lieu alors d’instaurer une pause, un court entracte au sein de la
gesticulation, et d’aller à la découverte du sujet. Comme nous le verrons tout au long de
ce livre, cette découverte met souvent un terme à l’intempérie.
La recherche médicale actuelle comprend la recherche fondamentale et la recherche
clinique. La recherche fondamentale (compréhension du fonctionnement normal et
pathologique du corps humain) se nourrit de la biologie, de la biochimie, de l’histolo-
gie, de l’anatomie, de la physiologie, de la génétique, etc. La recherche clinique concerne
essentiellement la thérapeutique, les techniques d’investigation paracliniques, l’épidé-
miologie, la prévention.
Les études dites « randomisées » (random = au hasard) comparent deux protocoles
thérapeutiques. On instaure deux ou trois types de traitements différents à des patients
présentant la même maladie. La répartition des patients se fait le plus souvent par tirage
au sort. L’étude randomisée « en double aveugle » est une démarche expérimentale utili-
sée en recherche médicale et essentiellement thérapeutique. Elle passe par la méconnais-
sance de l’information concernant la réalité de la technique thérapeutique utilisée (par
exemple, médicament ou placebo), méconnaissance aussi bien chez le patient, qualifié de
« premier aveugle », que chez l’expérimentateur, « deuxième aveugle ». Elle permet ainsi
d’éliminer autant que se peut les variables subjectives individuelles chez l’un comme chez
l’autre.
D’autres études utilisent les populations témoins, surtout dans le domaine de l’épidé-
miologie. Parmi ces études, se situent les « enquêtes de cohortes » (ou enquêtes longitu-
dinales). Elles consistent à comparer la morbidité dans un groupe d’individus indemnes
de maladie, exposés à un facteur de risque. Dans d’autres cas, elles comparent l’incidence
de la maladie d’un groupe exposé à celle d’un groupe non exposé. Il y a aussi les enquêtes
cas-témoins qui comparent la fréquence de l’exposition antérieure à un facteur de risque
dans un groupe de sujets malades et dans un groupe de sujets témoins indemnes de
pathologie.

13
Traité de médecine psychosomatique

Cette objectivité nécessaire est donc à la base de la recherche clinique. La médecine


n’étant pas une science exacte, qu’en est-il lorsque la subjectivité conditionne le devenir
des patients ? L’étude en double aveugle se métamorphose alors en étude en double
sourd. La cécité se conjugue à la surdité.
L’espoir pourrait venir de la recherche en psychanalyse, car elle ne manque pas de
textes, d’essais, de théorisations, de supputations. Elle souffre hélas, le plus souvent, d’un
manque patent d’étayage clinique.
D’un côté, il y a donc des études qui excluent le sujet et qui incluent un grand nombre
d’individus. De l’autre côté, il y a des verbigérations qui traitent du sujet à n’en plus finir,
mais qui se dérobent lorsqu’il s’agit de traiter d’une pathologie donnée. Entre les deux, le
vide. Comment conjuguer clinique médicale et clinique du sujet ?
Hippocrate recueillait de nombreuses observations de patients présentant un
symptôme dominant identique, une même pathologie : céphalée, zona, etc. Pour chacune
des manifestations morbides, il recueillait de la manière la plus précise et la plus exhaus-
tive qui soit les éléments du contexte de vie du patient : environnement, habitat, travail,
alimentation, investissements hédoniques, etc. Il en ressortait des paramètres parfois
récurrents, des similitudes, des points communs, un profil de fonctionnement et de
contexte, un faisceau étiologique, reproductible, caractéristique d’une affection. C’était
la méthode des périodentes (voir Hippocrate, L’art de la médecine). (Hippocrate, L’art
de la Médecine, traduction et présentation par Jacques Jouanna et Caroline Magdelaine,
Garnier Flammarion, 1999).
L’expérience clinique nous confirme que la recherche en psychosomatique est non
seulement possible mais nécessaire, car elle constitue un arrimage solide pour le soin et
l’enseignement. Elle doit pour cela tenir compte de certains principes et s’étayer sur une
méthodologie minimale. Celle que j’utilise comporte dix étapes.
1. Le matériel clinique
Il doit être consistant et le plus complet possible. Les observations écrites en consti-
tuent le support. Je me suis attaché depuis toujours à ce qu’elles soient aussi exhaus-
tives que se peut. De manière générale, aucun élément concernant le sujet, sa pathologie,
son histoire, son fonctionnement, ses productions psychiques n’est laissé de côté. C’est
ainsi que figurent entre autres dans les observations les caractéristiques précises de la
pathologie, les modalités d’aggravation, d’amélioration, les facteurs traumatiques induc-
teurs, les pathologies associées, la clinique mentale et comportementale, la sémiologie
psychosomatique, les productions psychiques inconscientes (rêves, fantasmes, subli-
mations, mécanismes de défense prévalents), l’histoire du sujet depuis sa conception,
la qualité des secteurs existentiels et des investissements, les effets somatopsychiques,
la dynamique transférentielle, etc. Nous aborderons avec précision ces différents items
d’une observation dans le chapitre 25 consacré à « L’investigation psychosomatique ».
2. L’objet de la recherche
Le thème de la recherche a pour point de départ une idée s’étayant sur une question,
une constatation, voire une difficulté récurrente, un point particulier à éclaircir. Cela peut
être une pathologie donnée, somatique, comportementale ou psychique, un facteur
traumatique particulier, une fonction ou un processus psychique.

14
Introduction

3. Prise de distance par rapport aux représentations préalables


Le thème de recherche choisi est l’objet de représentations préalables, de références
théoriques plus ou moins précises, d’idées prospectives, de questionnement et parfois
d’hypothèses. Dès que débute le travail de recherche, je m’efforce de ne pas être parasité
par ces présupposés initiaux. Je m’impose, tout au moins au début, d’oublier autant que
faire se peut toute référence théorique, toute représentation préexistante, quelles qu’elles
soient. Cette gymnastique me paraît constituer la garantie d’une objectivité minimale,
car il est bien connu que, lorsqu’on veut prouver à tout prix quelque chose, on finit plus
ou moins par y arriver, que ce soit sciemment ou de manière inconsciente. Ce n’est que
lorsque le travail d’analyse et de synthèse est effectué que la confrontation des résultats
aux références théoriques antérieures se fera.
4. Le recueil des données
Il débute par un travail de moine copiste. Les observations où il est question du thème
abordé sont lues dans leur intégralité et les items potentiellement utilisables lors de la
recherche sont dispatchés sur l’ordinateur dans des colonnes qui leur sont propres, et ceci
pour chaque patient. Au bout d’une vingtaine d’observations, certains items récurrents
se présentent comme cruciaux et, au bout d’une quarantaine, des problématiques spéci-
fiques, centrales et communes, surgissent. C’est un temps particulièrement jubilatoire,
car des données inattendues apparaissent. La confirmation de leur caractère fondamen-
tal lors de la lecture et le décryptage des observations ultérieures, prolongent cette jubila-
tion, monnaie d’échange bienvenue pour ce travail dans l’ombre. À partir d’un certain
nombre d’observations, certaines directives se dessinent. Les items récurrents doivent
alors faire l’objet d’une investigation plus centrée. Parallèlement, le recueil des données
pour les items secondaires se poursuit.
5. L’analyse des données
Elle ne se fait qu’une fois toutes les observations décryptées. Elle comporte une analyse
statistique des différents items, la sélection des items cruciaux qui feront l’objet d’un
développement théorico-clinique plus ciblé, et enfin le tri des observations et leur répar-
tition en trois groupes : observations incomplètes, observations élaborées mais n’ayant
pas fait l’objet d’un suivi suffisamment conséquent, observations issues de psychothéra-
pies sur plusieurs mois. Seuls les deux derniers groupes feront l’objet d’une rédaction des
observations.
6. Première synthèse
Elle comporte la vérification du caractère crucial des données au travers de nouvelles
observations, l’articulation des items centraux entre eux et l’esquisse d’axes ou d’hypo-
thèses théorico-cliniques, la mise en exergue des points fondamentaux, la rectification
ou élimination des données inutiles, confuses ou erronées, et enfin les premières décou-
vertes. Ces dernières constituent un nouveau point de départ dans la dynamique de
recherche. Quelque chose de l’ordre de l’innovation et de l’éclaircissement s’instaure et
se dynamise.
7. Rédaction des observations
C’est un temps essentiel car il consiste, à partir de notes brutes, à donner une forme
rédactionnelle, organisée et compréhensible, à l’observation. Celle-ci est rédigée selon
une séquence ordonnée : la pathologie, les facteurs traumatiques inducteurs, la sémio-

15
Traité de médecine psychosomatique

logie psychosomatique, l’histoire du sujet et ses déterminants infantiles. Des zones


d’ombre apparaissent parfois : un secteur n’a pas été suffisamment exploré. C’est ainsi
que ce travail de mise en forme révèle souvent ce qui a pu faire défaut dans l’approche
psychothérapique, voire a été mis en échec dans son déroulement optimal. Ici, la
recherche reconduit au soin.
L’épreuve rédactionnelle est une épreuve de vérité. Si la rédaction ne permet pas
d’aboutir à la cohérence, la clarté et la richesse, c’est que le travail a été insuffisant. Cette
mise en forme qui se doit d’être accessible à tout lecteur permet en outre de mettre en
relief les items fondamentaux et de confirmer leur caractère crucial.
8. Deuxième synthèse
Elle constitue l’épure du document définitif. Les apports fondamentaux concernant
l’objet de la recherche sont d’ores et déjà présents. Des conclusions provisoires ont été
tirées. L’essentiel doit être mis en exergue. Il doit faire l’objet d’une hiérarchisation et être
explicité dans ses différentes dimensions. Il doit par ailleurs être théorisé en l’articulant
avec les études préexistantes, celles des autres auteurs et les nôtres.
9. Le document définitif
C’est un document polycopié remis aux stagiaires lors de la session de formation et
qui constitue le support du cours. Il doit être à la fois adapté à la pratique quotidienne
des stagiaires et apporter des réponses théorico-cliniques aux questions qui peuvent être
posées. La forme, destinée à l’enseignement, doit être aussi claire et vivante que possible.
Les observations sélectionnées illustrent de manière séquentielle l’exposé théorique.
En dernier lieu, dans le cadre de la formation, la présentation de diapositives impose
une simplification, une illustration synoptique et vivante des concepts. Elle constitue
l’ultime épreuve de vérité car, si un concept ne peut être présenté de manière synthétique,
vivante, simple et explicite, il y a lieu d’apporter quelques retouches aux conclusions.
10. Évaluation à distance
Elle implique une confrontation des données de l’étude à la pratique, une prise de
connaissance des évaluations auprès des stagiaires et des étudiants, une vérification du
bien-fondé et de l’intérêt des conclusions par l’épreuve de réalité : application des données
au soin, vérification des résultats, représentations utilisables dans les soins ultérieurs,
efficacité des outils psychothérapiques auprès de nos propres patients et de ceux de nos
stagiaires, recueil des difficultés persistantes.
Ainsi peuvent se dessiner quelques principes pragmatiques pour la recherche en
psychosomatique et en psychopathologie : formation à la psychosomatique, travail incon-
tournable d’écriture des observations, utilisation secondairement d’un canevas d’investi-
gation. L’ordinateur ne saurait constituer un outil d’investigation. Connaître un sujet ne
passe pas et ne passera jamais par le remplissage de critères prédéterminés. La prise de
notes lors de la séance se fait sur un support vierge à tous les niveaux. Elle implique une
rigueur obsessionnelle concernant certains éléments et une adaptation totale et fluide
au discours du patient. En ce qui nous concerne, l’ordinateur n’est jamais présent sur le
bureau. Il sera convoqué, dans la pièce à côté, lorsque débutera la réflexion et constituera
secondairement un outil précieux lors de l’élaboration de la recherche et de la rédaction
du document.

16
Introduction

Si nous devions conclure, nous soulignerions que la recherche sur le sujet est loin d’être
incompatible, mais plutôt particulièrement complémentaire, avec la recherche sur les
pathologies. La clinique médicale s’enrichit des données de la clinique du sujet.
L’enseignement se nourrit donc du soin et de la recherche. Du point de vue de l’ensei-
gnement, l’approche séquentielle des concepts de psychosomatique que nous proposons
depuis le début de l’École de médecine psychosomatique (EMP) a une justification à la
fois pédagogique et clinique. Pédagogique puisque notre but est de former des prati-
ciens dont certains n’ont pas de formation initiale au niveau psychanalytique et qu’il nous
paraît tout à fait inadapté d’aborder des points théoriques complexes avant l’assimilation
de données de base fondamentales, simples et incontournables. Clinique car l’approche
des sujets présentant des maladies somatiques doit partir du médical pour s’achemi-
ner très progressivement vers la dimension psychique, du simple fait que le proces-
sus inverse mobilise les défenses du patient et rend rapidement caduque la démarche
psychothérapique.
Cette approche séquentielle est antéro-rétrograde, elle va de la superficie (ce qui est
explicite, ce que présente ou veut bien présenter le patient), vers la profondeur de la
problématique (la dimension conflictuelle). En ce sens, elle va quelque peu à contre-
courant de l’approche analytique stricte qui vise d’emblée à aborder le conflit interne,
l’intrapsychique. Notre approche va aussi de l’actuel, constitué des traumatismes et vécus
traumatiques récents, vers le passé qui comporte les ornières de fragilisation. Enfin, elle va
du plus simple au plus complexe, ce qui permet au thérapeute en formation de disposer
d’outils opérants dès le début et de pouvoir évoluer suivant une marche progrédiente.
Nous proposons ainsi à nos étudiants cinq séquences successives : le repérage des
facteurs traumatiques, les déterminants des processus de somatisation, les déterminants
de la cible somatique, l’analyse des effets somatopsychiques, la prise en compte de la
dimension relationnelle avec le patient.
La première partie de ce livre est destinée à définir des principes fondamentaux de
psychosomatique ; la deuxième partie traite des traumatismes existentiels ; la troisième
rassemble nos recherches concernant certaines maladies ; la quatrième traite des
réactions du sujet et des axes thérapeutiques.
Les observations présentées sont celles de cas réels. L’identité des personnes concer-
nées, leur contexte de vie, la dimension anecdotique ont été suffisamment modifiés pour
que le secret professionnel soit respecté sans pour autant déroger à la réalité et au carac-
tère spécifique des situations.
Les graphiques, tableaux et schémas (excepté certains schémas anatomiques) sont
issus de la recherche clinique et de l’élaboration personnelle de l’auteur.

17
Première partie

LES FONDEMENTS
Chapitre 1

L’ARTICULATION DU PSYCHISME ET DU CORPS

1. INTRODUCTION
Tous les matins, à la seule boulangerie de Mascous, c’est le check-up. La santé des
habitants est passée au crible. Il y a une semaine, Violette a été emportée par un cancer
de la peau à l’âge de 45 ans. Marius, victime d’une attaque il y a huit mois, parvient à
bouger son bras, mais ne parle toujours pas. C’est à ce moment-là qu’Edmond entre dans
la boutique d’un pas alerte et vif. Qui aurait cru qu’Edmond retrouverait un jour une
telle vivacité ? Il y a un an, on pensait que c’était la fin, il n’arrivait plus à marcher, respirait
avec grande difficulté, était diaphane. Il resta à l’hôpital pendant deux mois. Ses deux
opérations cardiaques furent un succès. Il a repris le sport, est toujours par monts et par
vaux, à telle enseigne que son épouse regrette un peu le temps où il ne pouvait sortir de
la maison. Il a subi en l’espace de six mois une double reconstitution valvulaire et un triple
pontage. Il y a cinquante ans, il serait mort.
Zoé vient de rentrer. C’est le moment le plus palpitant de la matinée, car Zoé a fait le
tour des médecins depuis quatre ans et personne ne savait ce qu’elle avait. Quel soulage-
ment quand le professeur lui a dit qu’elle avait une maladie orpheline ! Elle qui avait déjà
perdu ses parents il y a cinq ans, puis son fils un an après, et son seul frère la même année.
« Orpheline ! Ça m’étonne pas, après tout ce que tu as vécu ! », ponctue Mylène la boulan-
gère. « Souvent il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints », affirme Lucien, qui
attend avec impatience sa baguette. Il en veut beaucoup à Serval, le médecin du village,
qui n’a pas vu qu’il « avait » la vésicule. Le soir même, il était hospitalisé et opéré. « Le
lendemain j’étais sur mes pattes, j’y retournerais presque. De toute façon, quand mes
gamins sont malades, j’appelle les pompiers, ils en savent plus que les toubibs. »
Zoé, restée seule avec la boulangère, raconte son histoire pour la énième fois. Mylène la
connaît par cœur mais, comme les enfants, il ne lui déplaît pas de la réentendre. Elle prend
chaque fois un air compassé mais ses yeux brillent d’une flamme suspecte. Zoé n’allait
pas bien depuis quatre ans. En plus des deuils qu’elle venait de subir, elle était victime
du harcèlement de son patron, et son mari, au chômage, courrait le guilledou. Elle était
fatiguée et avait des diarrhées qui n’en finissaient pas. Le Dr Serval fit tous les examens
nécessaires et finit par lui dire qu’elle n’avait rien, que c’était dans sa tête. Un mois après,
il décida toutefois de l’hospitaliser et on ne lui décela rien d’autre. Le gastroentérologue
diagnostiqua une banale colite probablement d’origine nerveuse, et lui prescrit des
médicaments en lui donnant rendez-vous pour une nouvelle endoscopie dans six mois.
Lors de son séjour hospitalier, le psychiatre de liaison confirma une dépression à laquelle
il attribua l’origine des diarrhées. Zoé ne supporta pas le traitement antidépresseur. La
psychologue du service évoqua la possibilité d’un traumatisme infantile et lui fit de l’hyp-
nose sans grand résultat. Elle alla alors consulter une thérapeute qui lui dit qu’elle avait
« mangé » sa jumelle lorsqu’elle était dans le ventre de sa mère, et qu’elle était en train de
21
Traité de médecine psychosomatique

l’éliminer définitivement. « Tu peux pas savoir, Mylène, comme cette histoire de jumelle
m’a contrariée, d’autant que ma diarrhée s’aggravait et que maintenant il y avait du sang
dans mes selles. Alors je suis allé voir Monique, tu sais celle qui tenait la droguerie et qui
maintenant est psychanalyste. Elle m’a écoutée sans rien dire et à la fin elle a dit ça : “Dis
arrêt !” Ça m’a calmé pendant un jour, mais le lendemain je saignais de nouveau. J’y suis
retournée la voir et elle m’a dit que tout venait de mon mari qui était “en saignant”. Mais
rien à faire ça a continué, et je saigne toujours par périodes. J’ai vu depuis un ostéopathe
qui m’a remis les énergies en place et qui m’a dit que j’avais été violée à 5 ans. Depuis
ça me travaille, mais le professeur m’a dit que le psychisme n’y était pour rien, que la
psychosomatique ça n’existait pas. Il doit m’enlever un bout d’intestin le mois prochain
faute de quoi je vais faire un cancer. » Deux clients viennent de rentrer, William qui vient
chercher sa fougasse et qui repart, bougon, en disant : « De toute façon tout ça c’est pour
le fric ! », et la jeune Anaïs. « Et toi Anaïs, qui fait des études de psychologie, qu’est-ce
que tu en penses ? », interroge Mylène. La jeune Anaïs, fille du village, confirme que « le
psychisme peut déclencher des maladies, et que la plupart d’entre elles, on se les crée ».
Mylène confirme mais ajoute : « Oui mais pas les maladies orphelines ! » C’est sans appel.
Anaïs obtempère et repart avec son pain complet. Zoé sera opérée. Cinq mois après, elle
présentera des douleurs abdominales incessantes et un amaigrissement progressif. Elle
mourra au bout de huit mois des suites d’un cancer de l’ovaire.
Edmond est un miraculé de la médecine, Zoé une victime. Mais alors qu’en est-il de
toutes ces allégations ? Le psychisme ne jouerait-il aucun rôle dans la genèse des maladies ?
Ou bien à lui seul pourrait-il tout déclencher ? Peut-on on se créer des maladies ? La
maladie mentale générerait-elle des maladies physiques ? Lorsque le bilan médical ne
révèle rien tout se passerait donc dans la tête ? Nous pouvons déjà affirmer, sans prendre
de gros risques, que tout ceci ne tient pas debout. Nous allons essayer d’en comprendre
le pourquoi en explorant comment le psychisme s’articule avec le corps.
Pour tenter de cerner cette articulation entre le psychisme et le corps, le passage du
mental et de l’affectif au somatique, il faut emprunter un chemin inverse, c’est-à-dire
comprendre comment le psychisme s’est construit à partir du corps. Dans le conte de
Charles Perrault, le Petit Poucet, perdu dans la forêt, reconnaît le chemin du retour à sa
chaumière parce qu’il a jalonné le trajet de l’aller de petits cailloux. C’est donc à partir
de la phylogenèse et de l’ontogenèse, respectivement sciences de l’évolution des espèces
vivantes et du développement de l’individu, que l’on pourra comprendre ce qui l’en est du
chemin inverse, le passage du psychique au somatique.

2. L’INSTINCT
2-1. L’excitation
Au départ se situe le corps, tant d’un point de vue phylogénétique qu’ontogénétique.
Il me plaît souvent de le rappeler à mes patients sous forme d’une métaphore : « L’animal
qui est en vous… » Car nous partageons avec l’animal non seulement une part de notre
génome mais aussi une part très ancienne de notre cerveau.
Le concept d’excitation (e) est initialement un concept de neurophysiologie expéri-
mentale. Le fonctionnement du système nerveux alterne stimulations et inhibitions,
l’excitation de telle voie nerveuse commande telle fonction. Sans le dissocier du fonction-
22
L’articulation du psychisme et du corps

nement neurologique, Freud a étendu le concept d’excitation au psychisme : l’excitation


sous-tend à la fois le fonctionnement neurologique et psychique (Esquisse d’une psycho-
logie scientifique). Pierre Marty revisitera le concept en le considérant comme l’inducteur
et le carrefour des expressions somatiques, psychiques et comportementales.
L’excitation est donc le processus qui fait battre notre cœur, sécréter nos hormones,
multiplier nos cellules, fonctionner nos muscles, concentrer nos neuromédiateurs au
niveau des synapses, surgir nos émotions, penser, rêver, fantasmer, etc. C’est ce qui anime
la matière inerte, la transformant en matière vivante, puis mobile, et enfin pensante. C’est
l’ensemble des phénomènes complexes (à support plus particulièrement neurohormonal
dans l’état actuel de nos connaissances) qui sous-tendent les différentes manifestations
de la vie et constituent le moteur non seulement des phénomènes psychiques, mais aussi
des phénomènes comportementaux, émotionnels et somatiques.
Cette partition entre processus psychiques, comportementaux et somatiques, dont
l’excitation constitue le déterminant commun, peut être considéré comme la pierre
angulaire de la psychosomatique. L’excitation articule l’instinct et la pulsion.

Processus psychiques PULSION

e Motricité

Phénomènes somatiques INSTINCT

Les trois voies d’écoulement de l’excitation

La motricité, les comportements complexes génétiquement programmés, les réactions


adaptatives souvent très élaborées, précèdent largement l’apparition du psychisme. Il n’y
a qu’à observer le fonctionnement des sociétés animales organisées, comme les abeilles.
Ces comportements et les phénomènes somatiques qui les orchestrent, définissent l’ins-
tinct. Ils obéissent à un besoin, une nécessité vitale. Ce n’est qu’à partir du moment où
émergeront les émotions, la mémoire et les représentations, essentiellement chez les
homéothermes, que le psychisme apparaîtra initialement sous une forme rudimentaire.
La complexité des processus psychiques chez l’homme fera naître la pulsion, équivalent
psychique de l’instinct. C’est ainsi que naîtra le désir.
L’instinct n’en disparaîtra pas pour autant avec le développement du psychisme. Mais
il occupera une place moins centrale, et à terme, chez l’homme, il s’effacera au profit de
23
Traité de médecine psychosomatique

ce dernier. Lorsque le psychisme ne joue plus son rôle régulateur, l’instinct peut resur-
gir de manière surprenante, comme en témoigne la mise en acte brutale chez les sujets
impulsifs ou sous l’effet de toxiques, ou encore, chez tout un chacun, certaines réactions
animales lors de situations périlleuses où les mécanismes de survie sont mobilisés.

2-2. La sensibilité
La sensibilité nécessite la présence de récepteurs qui e
captent les stimulations endogènes ou exogènes. Celles-ci
induisent des variations du taux d’excitation, selon l’intensité
du stimulus et selon sa valence trophique ou traumatique.
La sensibilité existe chez les végétaux. En l’absence d’eau,
les feuilles se rétractent. Elle s’affine chez les animaux pluricel-
SENSATIONS
lulaires mais les voies empruntées par les messages sont initia-
lement courtes et rudimentaires (arc réflexe spinal). Au fil de La sensation en tant
l’évolution, la sensibilité se répartit en deux composantes : la qu’inducteur des
somesthésie et la sensorialité. variations de l’exci-
Les messages sensoriels sont traités, chez l’homme, comme tation
chez la plupart des animaux, au niveau du thalamus (Th) et
du lobe olfactif (LO). La sensorialité s’affinera avec l’apparition de la mémoire à long
terme chez les homéothermes. Alors que chez les reptiles, dénués de mémoire à long
terme, une souris apparaît comme une image numérique déficitaire en pixels, chez les
homéothermes, l’information sera remaniée par les représentations développées à partir
des perceptions antérieures qui viendront requalifier avec beaucoup plus de précision le
message sensoriel.
Chez l’homme, le système informatif est en interaction constante avec les centres
supérieurs et le psychisme.

Th

LO

Centres primitifs d’intégration des messages sensitifs


et sensoriels

24
L’articulation du psychisme et du corps

2-3. La motricité et les comportements


Le mouvement existe chez les végétaux, mais il n’a pas le pouvoir de les délocaliser. Un
arbre inclinera son port vers le soleil, évitera les branches d’un arbre adjacent, mais dix
ans après on le retrouvera à la même place. L’une des caractéristiques de l’animal est la
possibilité de déplacement. C’est ainsi que naît le comportement.
La motricité constitue une voie très primitive de décharge de l’excitation. Chez l’homme
postmoderne, elle diminue, mais pour peu que le déficit d’élaboration psychique s’ins-
taure, la décharge de l’excitation empruntera la voie comportementale. C’est ce que l’on
retrouve dans les névroses de comportement, les psychopathies, les addictions.

e COMPORTEMENT

La motricité, voie de décharge de l’excitation


Dans le cerveau reptilien dont une part persiste encore chez nous, le centre des
fonctions d’action se situe au niveau de l’hypothalamus (Hy). Chez les reptiles, la seule
présence de l’objet suffit à déclencher le comportement d’appétence qui cessera avec
l’acte consommatoire. Le consumérisme actuel stimule de toute évidence le cerveau
reptilien, comme en témoigne, entre autres, le comportement de nombreux sujets dans
les grandes surfaces ou dans la rue. L’objet du désir se transforme en objet du besoin.

2-4. Les émotions

Th

Hy
LO

Structures primitives de régulation de la sensori-motricité

Au tout début de notre enseignement, une confusion régnait entre les termes affects,
émotions et sentiments. Confusion que l’on rencontre de manière récurrente chez le grand
public mais aussi dans la plupart des écrits psychanalytiques. En 2003, Robert Babeau, à
partir de ses lectures de Freud et de Damasio, a établi une distinction claire et détermi-
25
Traité de médecine psychosomatique

nante entre ces trois termes (Affect, sentiment, émotion). Cette distinction était plus que
nécessaire car elle est au centre de l’économie psychosomatique, c’est-à-dire au carrefour
articulant le corps et le psychisme.
La clarification théorico-clinique de Robert Babeau a permis de définir l’émotion :
celle-ci n’est pas un phénomène psychique, mais un phénomène strictement somatique,
d’origine instinctuelle. Le sentiment dont nous allons parler plus loin, bien qu’il naisse de
l’émotion, est, quant à lui, un phénomène strictement psychique, d’origine pulsionnelle.
Le déterminisme génétique des émotions de base a bien été repéré par Darwin (The
Expression of Emotions in Man and Animals). Celui-ci considère que six grandes émotions
sont universelles : surprise, colère, peur, tristesse, dégoût, joie. Ces émotions de base sont
phylogénétiquement adaptées pour permettre à l’organisme de faire face à différentes
situations existentielles qui nécessitent des réactions rapides : vigilance, attaque, fuite,
dissimulation, survie, etc.
Un chat alangui dans une cour n’aurait aucune chance de survivre face à l’irruption
d’un chien bien décidé à l’occire, si ce n’était sa réaction émotionnelle instantanée :
celle-ci va déclencher en quelques dixièmes de seconde une cascade de réactions neuro-
végétatives (décharge d’adrénaline, apport de glucose) et neuromusculaires (horripila-
tion, hyper-réveil, tension neuromusculaire, mydriase) qui vont lui fournir les armes pour
combattre ou pour fuir.
Chez les animaux supérieurs, les expressions émotionnelles acquièrent en outre une
fonction socio-adaptative, une fonction de communication avec les autres individus.
Montrer les dents suffit parfois à dissuader un ennemi.
D’un point de vue physiologique, les émotions se manifestent comme un orage biolo-
gique de courte durée, constitué de deux séquences immédiatement enchaînées : des
modifications neurovégétatives puis neuromusculaires destinées à mettre l’individu en
état optimal pour l’action.
Du fait de ses deux composantes somatiques neuromusculaire et neurovégétative et
de son but qui consiste en une décharge motrice, l’émotion (Em) se situe au carrefour du
soma et du comportement, c’est-à-dire en lieu et place de l’excitation, dont elle constitue
une des modalités d’expression.

Em Comportement

Soma

Expression somatique et motrice de l’émotion

D’un point de vue phylogénétique et ontogénétique, les émotions apparaissent chez


les homéothermes avec le lobe limbique (paléo-encéphale). Au niveau de l’hippocampe,
la mémoire à long terme permet de comparer les perceptions actuelles aux expériences

26
L’articulation du psychisme et du corps

passées porteuses d’une valence positive ou négative. D’autres structures interviennent


avec l’évolution des espèces : cortex orbital préfrontal (intégration émotionnelle, évalua-
tion cognitive du stimulus), amygdale (discrimination entre stimulus émotionnel et non
émotionnel), structures sous-corticales (traitement associatif des informations senso-
rielles et motrices).

Th Limb

Hy
LO

Le lobe limbique, carrefour de régulation des émotions

3. LE PSYCHISME
3-1. Les constituants du psychisme
L’affect
Le terme affect est régulièrement utilisé en psycha- Affect
nalyse. Il constitue un des deux pôles de la pulsion,
l’autre pôle étant la représentation. La clarification
théorico-clinique de Robert Babeau, évoquée précé-
demment, a permis de préciser que l’affect, concept
psychanalytique, n’est rien d’autre que le sentiment,
concept phénoménologique et anthropologique. e C
Pourquoi cet évitement du terme sentiment, aisément
compréhensible et si évocateur pour tout un chacun ?
Je pense qu’il y a trois raisons probables. Tout d’abord, la
source somatique de la pulsion, c’est-à-dire le support
physiologique du fonctionnement psychique, n’a
jamais été clairement définie en psychanalyse. Ensuite, S
il existe une homonymie entre le terme français affect
L’affect ou sentiment
et le terme affekt en allemand, et il est de bon ton chez
les exégètes de s’en référer au substantif allemand.
Enfin, le terme sentiment est un gros mot psychanalytique, probablement parce qu’il est
trop utilisé par le commun des mortels, les cénacles exigeant une étiquette plus réservée.

27
Traité de médecine psychosomatique

Affect et sentiment sont donc, en psychosomatique, des synonymes. Il m’arrivera, tout


au long de cet ouvrage, d’utiliser l’un pour l’autre avec toutefois une prévalence pour le
terme affect puisque je me situe avant tout dans une optique et une démarche analy-
tiques et que, d’un point de vue iconographique, la lettre S de sentiment est déjà utilisée
dans nos schémas pour désigner le soma. La lettre A sera donc utilisée pour désigner
l’affect (ou le sentiment).
Le sentiment est donc de nature psychique, il est la conscience d’une émotion qui,
elle, est de nature somatique. Je cite Robert Babeau : « Devenir pleinement conscient des
réactions biologiques émotionnelles, pouvoir les penser, les moduler, les anticiper, les
réprimer, les parler, les justifier, les mettre mentalement en scène, constitue le domaine
des sentiments… Il est donc nécessaire de distinguer au sein du concept “colère”, d’une
part les phénomènes biologiques et corporels d’expression et de comportement que l’on
nomme “émotion” et d’autre part l’élaboration mentale et verbale de cet état initial que
l’on nomme “sentiment de colère”. » (Affect, sentiment, émotion.)
Le sentiment peut être dissimulé, caché, le sujet seul en ayant conscience, contraire-
ment à l’émotion qui se manifeste dans le théâtre du corps et de l’expressivité, génère des
sensations, s’extériorise partiellement, devenant ainsi potentiellement repérable par un
autre.
Robert Babeau insiste par ailleurs sur le processus d’engendrement qui fait passer de
l’émotion au sentiment. « Il existe un double lien de filiation (transformation-transmis-
sion) entre émotions et sentiments :
Le sentiment naît de la répression du comportement que l’émotion initialise et de la
prise de conscience de cette dernière.

Langage

Mater 3. Médiation

Représentation

Modulation
du comportement

A
2. Prise de conscience
de l’émotion

E Comportement

1. Répression du comportement
S
Genèse de l’affect (d’après R. Babeau, 2008)

28
L’articulation du psychisme et du corps

Le lien de filiation ontogénétique est établi par un autre humain adulte pour l’enfant.
Adulte qui contient l’état émotionnel de l’enfant, le nomme pour lui et lui transmet un
récit circonstancié de l’événement. Nomination et récit que l’enfant pourra s’approprier
sous forme de sentiments personnels. » (Ibid.)
D’un point de vue phylogénétique, le sentiment apparaît vraisemblablement avec le
cortex cingulaire (cing), circonvolution du corps calleux faisant partie du lobe limbique.
Il semble constituer une interface, une zone de transition entre les structures archaïques
et les fonctions supérieures. Le cortex préfrontal et le cortex frontal médian participeront
secondairement à l’intégration et à la modulation du sentiment. Ces zones cérébrales
qui interviennent dans l’élaboration de l’émotion en sentiment sont hypoactivées dans
l’alexithymie, entité nosographique caractérisée, entre autres, par une difficulté pour le
sujet à nommer le vécu émotionnel.

Cing

Th Limb

Hy
LO

Le gyrus cingulaire, interface probable entre émotion et sentiment

La représentation
Une représentation est une image mentale, la reproduction d’une perception
antérieure, tout comme une photographie représente une scène du passé. C’est une trace
mnésique : l’objet réel n’est plus là, mais une part de lui est enregistrée et conservée. On
n’a pas besoin d’être en présence d’un chat, pour se représenter, pour imaginer un chat.
Toutefois, la représentation n’est pas la copie, le reflet exact de la chose perçue. Elle est
« ce qui, de l’objet vient s’inscrire dans le système mnésique », selon Laplanche et Pontalis.
Il existe un remaniement itératif entre perception et représentation.
La représentation naît de la perception, perception de l’objet extérieur mais pas seule-
ment car l’objet n’est jamais isolé : perception du contexte dans lequel il apparaît, environ-
nement visuel, sonore, sensations internes, contexte émotionnel et affectif, etc.
La représentation remanie la perception. L’histoire de la peinture en atteste. La réalité
extérieure est remodelée par le système représentatif du peintre. Ce remaniement existe
aussi au niveau physiologique. L’image visuelle d’un objet extérieur est le produit de l’émis-
29
Traité de médecine psychosomatique

sion de photons, de leur sélection, de leur transformation Représentation


en influx nerveux et de leur décodage au sein du cerveau
à partir d’une carte qui les met en relation avec des repré-
sentations antérieures, pour aboutir à la représentation
complexe de l’objet perçu. C’est dire que la représenta- A
tion constitue un système informatif supplémentaire qui
complexifie l’information.
Il existe deux types de représentations : les représen-
tations de choses et les représentations de mots. Chez
l’être humain, d’un point de vue de l’ontogenèse, les e C
représentations de choses précèdent quelque peu les
représentations de mots, mais très rapidement, bien
avant l’apparition du langage, elles se lient entre elles, en
appellent les unes aux autres. Ainsi, le mot chat appelle S
l’image d’un chat et l’image d’un chat appelle le mot chat.
Les représentations se stockent tout au long de la vie. La représentation
Le mécanisme central qui participe à leur enregistrement
est l’introjection. Ce mécanisme fondamental nécessite pour être opérant des conditions
particulières que nous développerons dans le chapitre consacré à « L’histoire du sujet »
(p. 123).
Les cortex frontal et préfrontal constituent le centre de stockage et de remaniement
des représentations. Toute nouvelle information reçue est analysée et modulée en
référence aux représentations préexistantes.

Cing

Th Limb
CF

Hy
LO

Cortex frontal et préfrontal, zones de stockage des représentations

30
L’articulation du psychisme et du corps

3-2. La dimension topique


Le terme topique vient de topos, « lieu ». Freud a proposé deux représentations non
contradictoires des contenus psychiques en les répartissant de manière spatiale en
compartiments distincts. Tout d’abord en distinguant trois couches de représentations :
le conscient, le préconscient et l’inconscient. C’est sa première élaboration théorique
topique, d’où le nom de première topique.
Ensuite, quelques années après, il a proposé un deuxième modèle, non contradic-
toire avec le précédent, basé sur le fait que le psychisme des névrosés (nous pourrions
ajouter aussi celui de certains « normosés ») est le siège d’une conflictualité permanente
entre les forces pulsionnelles, les désirs, à savoir le ça (ça me plaît, ça me tente, ça me fait
envie) et les interdits, à savoir le surmoi, instance répressive consciente puis inconsciente
s’opposant à la pulsionnalité (c’est interdit, je n’ai pas le droit, cette pensée dont j’ai honte
doit s’effacer). Entre le ça et le surmoi, le moi compose comme il peut. C’est la deuxième
topique. Cette deuxième représentation de l’appareil psychique a du mal à traverser les
décennies qui nous séparent de Freud. Elle est le propre de la névrose. L’évolution de la
pathologie mentale et l’évolution du fonctionnement psychique tout court nous incitent
depuis ces vingt dernières années à revoir à la baisse l’universalité de la deuxième topique :
de nombreux sujets (pervers, psychopathes, certains états limites et à terme de plus en
plus de sujets normosés) sont actuellement dénués de surmoi et il n’y a pas chez eux la
moindre trace de conflictualité.
Il n’en est pas de même pour la première topique, qui persiste et signe, quant à l’uni-
versalité de sa réalité clinique. Nier l’existence de l’inconscient psychique ne peut advenir
que d’une obtusion totale ou d’une perversion grand teint. C’est dans l’air du temps. La
clinique nous rappelle pluri-quotidiennement l’existence et la prégnance de l’inconscient.
Quant à nier l’existence du préconscient, c’est nier l’imaginaire, la rêverie, le fantasme, le
souvenir, la mémoire. C’est assez tendance dans un monde où seuls l’acte et le corps ont
droit de cité.
La première topique freudienne distingue donc trois lieux, trois couches de représen-
tations, et uniquement de représentations car, jusqu’à ce jour, il n’a jamais été question de
topique des affects. Ne doutons pas qu’elle existe, mais il s’agit d’un autre système, d’un
autre réservoir : le sentiment conscient est manifeste, le sentiment préconscient condi-
tionne notre humeur subliminale, le sentiment inconscient se révèle lorsque la vigilance
disparaît. Mais la topique des affects ne concerne en rien la première topique freudienne
qui ne traite que des représentations.
Ce sont donc trois couches de représentations superposées, plus ou moins séparées
les unes des autres par des interfaces plus ou moins étanches. On pourrait proposer la
métaphore d’une maison des années 50 : le premier étage est celui dans lequel on vit, où
tout semble ordonné, où chaque chose a sa place, où la terrasse nous permet d’observer
ce qui se passe à l’extérieur. C’est le conscient. Je suis conscient que j’écris un livre sur la
recherche en psychosomatique.
Au rez-de-chaussée, il y a un hall, une cuisine d’été, un bureau, une chambre d’amis. On
y passe, on ne s’y attarde pas, mais parfois on se plaît à s’y retrouver, à s’y isoler, à y lire, à
rêvasser, à imaginer, loin des préoccupations matérielles, car en ce lieu des objets inutiles
pour la vie de tous les jours, des odeurs, un certain calme, des souvenirs sont présents.
C’est le préconscient. Lorsque j’écris ce livre, je pense à mes précédentes publications, à
31
Traité de médecine psychosomatique

mes proches qui les ont lues, à la rencontre avec mon éditeur, à mes cours à la fac, à tel
étudiant qui avait soulevé telle question, à telle enseigne que j’en oublie momentanément
ce que je dois faire.
Et puis, en dessous, il y a une cave. Celui qui a construit la maison l’a prévue consé-
quente. C’est un immense dépotoir de choses qui nous encombrent, dont nous avons du
mal à nous séparer, des choses qui peuvent servir et qui probablement ne serviront pas,
des objets d’un autre âge, etc. On n’y voit pas grand-chose, l’extraction d’un objet fait
dégringoler les autres, c’est humide, envahi de toiles d’araignées, mais à chaque angle du
souterrain s’érigent le socle de la maison, les piliers, les fondements. C’est l’inconscient.
J’écris ce livre certes pour apporter quelque substance de réflexion aux sujets soignants
et aux sujets en souffrance, je l’écris aussi parce mon travail se doit d’être légitimement
officialisé et reconnu comme étant le mien, je l’écris aussi parce que mon histoire, mes
joies et mes souffrances m’ont amené sur le champ de la psychosomatique, et ça je le
tairai, ça restera dans la cave.

Le conscient
Nous ne nous attarderons pas sur le conscient. Le système perception-conscience,
défini ainsi par Freud, fonctionne, tant que le sujet ne dort pas. Je me lève, je prends une
douche, je regarde par la fenêtre, le temps est gris, il faut que j’achète du sucre, j’espère que
sur la route il n’y aura pas trop de bouchons, je suis fatigué, je serais bien resté une heure de
plus dans mon lit…

Le préconscient
Tiens, je réalise que j’ai fait un rêve : j’étais sur la route qui me conduit au cabinet. Circula-
tion bloquée. Accident. Je ne me souviens de rien d’autre. Pourvu qu’il n’y ait pas d’accident
car à 9 h une nouvelle patiente a rendez vous. Comment faire si je suis en retard, comment
la prévenir, l’agenda est au bureau, l’agenda noir que je n’amène pas avec moi le soir afin
de couper avec le travail et m’imprégner des odeurs, des sons et du bruissement des oiseaux
quand j’arrive. Cette année il y a eu moins d’oiseaux. Pollution ? Disparition de leur nourri-
ture du fait des lampadaires éclairés toute la nuit ? Des pesticides ? Il y a 40 ans j’avais
organisé une conférence lorsque j’étais étudiant à Montpellier au cours de laquelle j’avais
invité René Dumont, le candidat écologique aux présidentielles. Il avait un pull rouge. Je ne
pourrais pas travailler en pull au cabinet... Voilà le préconscient.
Les contenus du préconscient (Pcs) sont constitués de traces mnésiques, des fragments
de souvenirs associées entre eux selon des processus analogiques, labiles, variables et
évolutifs. Il est le pourvoyeur des associations d’idées, de la rêverie, de l’irruption de
pensées, d’images, de scénarios fantasmatiques, que seul le conscient, mû par le principe
de réalité, peut interrompre, afin de poursuivre le but fixé.
Le préconscient constitue le lieu du voyage psychique, dans l’espace, dans le temps.
Il associe l’imagerie à des affects, crée des ponts entre la réalité extérieure et le vécu
intérieur. C’est en ce sens qu’il se situe, pour Pierre Marty, au carrefour de l’articulation
entre le psychisme et le corps, qu’il constitue un dispositif fondamental pour le maintien
et l’équilibre de l’économie psychosomatique.
Son fonctionnement est variable d’un sujet à l’autre et, chez un même sujet, il peut
aussi varier, selon les circonstances, les époques de la vie. C’est ainsi qu’il peut suspendre

32
L’articulation du psychisme et du corps

son activité et comporter des lacunes, des pans de vie oubliés, le plus souvent sous l’effet
de facteurs traumatiques. Cette suspension du fonctionnement préconscient aura des
retentissements sur l’équilibre psychosomatique.

L’inconscient
En voiture, les détails du rêve me reviennent. L’accident se situait dans une courbe à l’orée
de la ville, entre deux collines. Une femme hurlait : « Ils ont tué ma fille ! » Les gendarmes
ne semblaient pas préoccupés par l’accident, et de toute évidence étaient venus sur les lieux
pour savoir ce que je transportais dans mon véhicule. C’est pour cela qu’ils avaient brutale-
ment arrêté la circulation et que l’accident avait eu lieu. J’étais donc le responsable indirect
de la mort de cette adolescente. Son nom était curieux, il était écrit en cyrillique, et sans
sa mort prématurée, cette jeune fille était destinée à devenir impératrice de Russie. Je me
souviens de mes cours de russe, de cette amie qui portait un pull rouge avec laquelle j’avais
eu un léger accident de voiture, de la réprobation de ses parents. Elle portait le même nom
et le même prénom que la patiente qui a rendez vous dans un quart d’heure. Je regarde ma
montre : il n’est que 7 h 45. Ça alors ! J’ai plus d’une heure devant moi. Pourquoi ai-je cru que
j’étais en retard ? Voilà l’inconscient.
Par définition, les contenus de l’inconscient sont inaccessibles, surgissent à l’insu du
sujet, et ne sont repérés le plus souvent que dans l’après-coup immédiat. L’inconscient
est, comme la cave de la maison évoquée plus haut, constitué de représentations de
choses encombrantes, si ce n’est indésirables, qui pourraient porter atteinte à la tranquil-
lité psychique : les représentations refoulées, et plus particulièrement celles liées à des
désirs infantiles marqués du sceau de l’interdit. Il y a aussi des choses aux formes bizarres
dont on se demande à quoi elles auraient pu servir et qui ont dû appartenir à ceux qui
nous ont précédé : c’est l’inconscient originaire constitué de traces mnésiques transgé-
nérationnelles. Le contenu de la cave n’est jamais immuable, le refoulement, processus

CONSCIENT

Réticences
Oubli Sélection
transitoire

PRÉCONSCIENT

Résistances
Refoulement

Transformation
INCONSCIENT

Inconscient originaire

La première topique freudienne

33
Traité de médecine psychosomatique

totalement inconscient, vient de temps en temps y déposer ce qui gêne, tant qu’il y a
encore un peu de place.
Les productions de l’inconscient se présentent soit sous forme brute, soit sous forme
élaborée. Les productions brutes, non élaborées, sont ponctuelles et inopinées, sans
transformation du contenu représentatif. Ce sont les « rejetons » de l’inconscient : lapsus
et actes manqués.
Mais en règle générale, les représentations refoulées ne peuvent resurgir à l’état brut
dans le système préconscient-conscient que sous forme déformée, transformée, élabo-
rée, grâce à l’intervention d’autres mécanismes qualifiés de processus primaires. Ces
processus sont le déplacement, la condensation, la symbolisation, la surdétermina-
tion. Ils fonctionnent librement et indépendamment du principe de réalité, de toute
logique, de tout repère spatio-temporel. Ils articulent et transforment les représentations
inconscientes de telle sorte qu’elles deviennent tolérables lorsqu’elles surgissent dans le
système préconscient-conscient. Les productions qui en sont issues sont les rêves, les
fantasmes, les symptômes névrotiques, et certains traits de caractère et de comporte-
ment.

3-3. La dimension dynamique


Le point de vue dynamique concerne les forces agissant au sein du psychisme : forces
agissant sur les représentations au sein des systèmes topiques (refoulement, transforma-
tion, sélection, projection, clivage, déni, isolation), forces régulant l’affect (déplacement,
transformation en son contraire, conversion).
Nous ne nous y attarderons pas car la plupart de ces forces, pour la plupart
inconscientes, constituent le soubassement des désordres strictement psychiques.
La dimension dynamique concerne aussi et surtout, en ce qui nous concerne, les
liaisons et déliaisons entre affects et représentations. C’est ici qu’il faut introduire le
concept de pulsion.
D’essence purement psychique, la pulsion est une force, une poussée irrépressible, un
processus dynamique qui fait tendre le fonctionnement psychisme vers un but. Toute
pulsion peut être définie par une source, un but et un objet.
La pulsion comporte deux pôles : la représentation et l’affect.

Représentation

Pulsion

La pulsion

La plupart des représentations s’associe à des affects. C’est ainsi que le souvenir d’un
être cher induira un affect de nostalgie ou de mélancolie, que l’image d’une liasse fiscale

34
L’articulation du psychisme et du corps

pourra générer un certain agacement. Inversement, un sentiment de peur laissera surgir


des représentations traumatiques. Ces liaisons entre représentations et affects consti-
tuent la richesse du préconscient (Pierre Marty) et, de fait, garantissent un fonctionne-
ment psychique optimal. Leur absence ou leur rupture désorganise et appauvrissent le
psychisme.
Les pulsions concernées sont essentiellement la pulsion sexuelle et la pulsion agressive.

Fantasme érotique Fantasme agressif

PULSION SEXUELLE PULSION AGRESSIVE

Sentiment amoureux, désir Haine, rancœur

Exemples d’expressions pulsionnelles

Les déliaisons entre affect et représentation interviennent en tant que codétermi-


nants dans la genèse de deux types de pathologies : névroses de défense (préséance de la
pulsion sexuelle) et somatisations (préséance de la pulsion agressive).

3-4. La dimension économique


Le point de vue économique, laissé plus ou moins en jachère par Freud et ses succes-
seurs, met en scène l’arrimage somatique de la pulsion au niveau de sa source, l’excitation,
c’est-à-dire le support physiologique du fonctionnement psychique. Ainsi se trouvent
articulés au niveau de l’excitation, le psychisme, le comportement et le corps.

La fonction psychosomatique et la mentalisation


J’ai proposé dans un ouvrage précédent (Psychosomatique et médecine) un schéma
représentant l’articulation des fonctionnements psychique, comportemental et
somatique entre eux, avec en son centre l’excitation qui en constitue la source commune.
Ce schéma, que j’ai appelé fonction psychosomatique, a rendu de grands services aux diffé-
rentes promotions d’étudiants et de stagiaires formés au DU de « Psychosomatique des
maladies de l’adaptation » ou à l’École de médecine psychosomatique. Ils l’utilisent quoti-
diennement dans leur pratique.
Au centre de la fonction psychosomatique, se situe l’excitation (e), c’est-à-dire les
processus physiologiques. Cette excitation de nature instinctuelle et somatique est à l’ori-
gine des fonctions biologiques S, des comportements C, et du fonctionnement psychique.
Au sein du psychisme, elle produit des affects A qui se lient à des représentations R. Cette
transformation de l’excitation instinctuelle somatique en productions psychiques est
appelée processus de mentalisation. (Voir schéma page suivante.)

35
Traité de médecine psychosomatique

mentalisation A

e C

somatisation mise en acte

La fonction psychosomatique
La fonction psychosomatique articule pulsion et instinct. C’est ainsi que l’on peut
définir, entre autres, une fonction psychosomatique de la sexualité et une fonction
psychosomatique de l’agressivité.
R : fantasme érogène R : fantasme agressif

A: sentiment amoureux, désir A: haine, rancœur

C: acte sexuel C: violence physique

S : vasodilatation génitale S : état de tension neuromusculaire,


sécrétion d’adrénaline
Fonction psychosomatique de la sexualité et de l’agressivité

Pulsions et instincts trouvent donc leurs origines dans une source commune, l’exci-
tation. Selon les circonstances, les nécessités adaptatives, l’organisation psychique du
sujet, les variations de celle-ci investiront les vecteurs psychiques, comportementaux ou
somatiques, dans des proportions quantitatives déterminées par la qualité et la perméa-
bilité de ces derniers.

36
L’articulation du psychisme et du corps

Ainsi toute variation du taux d’excitation ne peut se décharger que dans trois voies :
la voie psychique, la voie comportementale et la voie somatique. Toute obstruction d’un
vecteur générera un afflux d’excitation et donc des perturbations dans les autres.
Ainsi se trouve définie la dimension économique qui se situe au centre de l’approche
psychosomatique. Elle évalue les désordres de l’excitation et leurs répercussions en
fonction de la perméabilité de ces différents vecteurs. Elle introduit la notion de déliaison,
c’est-à-dire d’obstacle dans l’écoulement de l’excitation. Lorsque les voies psychiques et
comportementales font l’objet d’une obstruction, l’excitation se déverse dans la voie
somatique.

Désordre somatique

Le désordre économique, genèse


du processus de somatisation

Arrivés au terme de ce chapitre, nous sommes dans la situation du Petit Poucet qui,
bien que perdu dans la forêt avec ses frères, sait qu’il a disposé des pierres tout au long du
chemin parcouru. Le chemin du retour ne sera pas aisé mais, sachant d’où il vient, il sait
où il va. Le double mouvement évolutif phylogénétique et ontogénétique qui mène de
la matière vivante au fonctionnement psychique a été parcouru, jalonné de repères. Le
chemin inverse, celui du retour, c’est-à-dire le mouvement contre-évolutif, qui mènera du
psychique au somatique, sera lui aussi semé d’embûches, mais il prendra tout son sens.

37
Chapitre 2

LA GENÈSE DU DÉSORDRE SOMATIQUE

1. LES FACTEURS TRAUMATIQUES


1-1. Les traumatismes existentiels
Lorsqu’on exerce la médecine ou la psychothérapie dans une perspective
psychosomatique, on est littéralement impressionné par le poids des facteurs existentiels
dans le déterminisme des maladies, que celles-ci soit mentales, comportementales ou
somatiques. Chaque investigation de nouveau patient révèle, de manière quasi systéma-
tique, l’existence de difficultés ou de bouleversements existentiels ayant précédé la surve-
nue ou sous-tendu l’évolution de la plupart des maladies chroniques ou récidivantes. Ce
qui ne veut pas dire que ces désordres existentiels génèrent tous des maladies (sinon tout
le monde serait malade), mais cela signifie que la majorité des maladies n’apparaît que du
fait de la conjonction d’un déterminisme morbide préexistant et d’un facteur trauma-
tique débordant les capacités d’adaptation du sujet. Le traumatisme ne suffit pas à lui
seul à déclencher la pathologie, il est un facteur nécessaire et non suffisant. Il constitue
un révélateur des failles de l’équipement défensif de l’individu, de ses défenses psychiques,
comportementales ou somatiques.
Nous avons volontairement conservé le terme traumatisme, largement utilisé par
P. Marty, plutôt que celui d’événement de vie utilisé dans les études épidémiologiques,
du simple fait que les traumatismes ne se réduisent pas aux événements ponctuels
mais englobent aussi les situations traumatiques qui s’étalent dans le temps. Nous nous
sommes aussi attachés à éviter le terme stress, bouteille à l’encre, dont l’étymologie
renvoie à une stricte dimension de contrainte, et aussi parce que son utilisation largua
manu est devenue imprécise et, à terme, dénuée de sens. Il eût été encore plus juste d’uti-
liser le terme de trauma, largement utilisé en psychanalyse, terme qui englobe à la fois les
caractéristiques du traumatisme et le vécu traumatique du sujet, plus particulièrement
dans sa dimension inconsciente. Il nous arrive parfois de l’utiliser.
Le traumatisme se définit en psychosomatique comme la conjonction d’événements
ou de situations existentielles qui déstabilisent l’équilibre antérieur du sujet, nécessitant
des mécanismes adaptatifs. Lorsque ceux-ci ci sont dépassés au-delà d’un certain seuil,
ou bien inadaptés, surgit alors le désordre économique, co-inducteur de la maladie.
Selon le type de déliaison au sein de la fonction psychosomatique, le désordre pourra se
manifester dans un ou plusieurs des trois secteurs précédemment décrits : le psychisme,
le comportement ou le corps.
La médecine, plus particulièrement la médecine néo-scientifique des deux siècles
derniers, nous a conduit à n’envisager le plus souvent la maladie que sous l’angle d’un
désordre physiopathologique dénué de toute articulation avec la vie psychique et
émotionnelle. À chaque fois qu’un nouveau modèle physiopathologique surgit, il est
l’objet d’une focalisation, si ce n’est d’une fascination, et dans tous les cas d’une extension,
39
Traité de médecine psychosomatique

d’une diffusion, qui occultent les déterminants existentiels, comme si ces derniers venaient
subitement contredire le modèle concerné. Il n’en est rien : un orage peut être, selon les
époques, attribué à la colère de Jupiter, à la bataille de particules électriques, au change-
ment climatique, il n’en demeure pas moins que, dans tous les cas, il survient préférentiel-
lement à certaines saisons et dans certaines conditions météorologiques particulières. La
prise en compte du déterminisme des traumatismes existentiels ne remet nullement en
cause les modèles physiopathologiques. Alors pourquoi cette occultation de la dimen-
sion traumatique dans le monde de la médecine et, plus récemment, dans le monde de
la psychologie ? Tout simplement parce que l’articulation entre le psychisme et le corps, à
savoir la dimension économique que nous venons d’évoquer, n’est pas enseignée, qu’elle
n’a pas fait dans l’immense majorité des cas l’objet d’une théorisation suffisamment
étayée sur la clinique, et que l’objectivation pseudo-scientifique confine à l’aveuglement.
On en arrive ainsi à des situations ubuesques, si ce n’est idiotes : « Mon cher confrère… Ce
patient a déclenché un rhumatisme inflammatoire consécutivement à un vécu de harcè-
lement auquel il n’a su que répondre… Mais non, cher ami, il l’a développé parce qu’il est
porteur de l’antigène HLA W27… » Version générale : « Cette personne a eu un accident
parce qu’elle allait trop vite… Mais non, c’est parce qu’il y avait un virage dangereux. » Etc.

Les différentes catégories de traumatismes


Nous avons précédemment présenté les différents aspects des facteurs traumatiques
existentiels (Angoisse et répression). La deuxième partie de cet ouvrage leur sera longue-
ment consacrée.
Nous avons proposé une classification simple des différents traumatismes, selon leur
caractère ponctuel ou prolongé et selon le vécu traumatique induit. On peut la résumer
ainsi :
SITUATIONS TRAUMATIQUES Contraintes
Situations anxiogènes
ÉVÉNEMENTS TRAUMATIQUES Pertes
Agressions
Les différentes catégories de traumatismes
Les situations traumatiques sont caractérisées par l’exposition à une situation désta-
bilisante qui perdure dans le temps et finit par avoir raison du système défensif du sujet.
En dehors des causes strictement physiologiques qui doivent être prises aussi en compte
(facteurs infectieux, toxiques, agressions directes du corps, etc.), les situations trauma-
tiques correspondent aux contraintes (frustrations, situations d’emprise ou de maltrai-
tance, obstacles itératifs dans la réalisation de projets, privations motrices, conditions de
vie délétères, excès de sollicitations, difficultés d’adaptation, etc.) et aux situations anxio-
gènes parmi lesquelles on peut distinguer les conflits (désordres relationnels, dilemmes
et déchirements, etc.), les situations de menace et d’attente (situations insécurisantes,
maladies, situations de dépendance, de précarité, etc.).
Les événements traumatiques correspondent aux pertes et aux agressions. Pertes liées
à des séparations (deuils, séparations, pertes matérielles, déménagements, perte d’un
rôle, d’une fonction, d’un état antérieur, etc.) ou à des privations de modalités antérieures
de jouissance (accidents, perte d’une fonction corporelle, privations d’exutoires, etc.). Les
40
La genèse du désordre somatique

agressions sont de nature diverse : agressions sensorielles, physiques, verbales, acciden-


telles, médicales, etc.

1-2. La valeur traumatique


Les traumatismes ne sauraient être répertoriés en fonction de leur pouvoir patho-
gène intrinsèque. Tel sujet peut se désorganiser et tomber malade dans les suites d’une
simple réflexion désobligeante, tel autre résistera à une série de catastrophes. Selon les
situations, une séparation peut être éminemment traumatique et, dans d’autres cas, une
authentique libération.
La valeur traumatique d’un événement ou d’une situation dépend de la structure et
du fonctionnement psychique du sujet, de son histoire, de la représentation qu’il a de
l’événement ou de la situation traumatique, des conséquences de ces derniers.
Schématiquement, les différents paramètres qui interviennent dans la valeur trauma-
tique d’un événement ou d’une situation peuvent être regroupés de la manière qui suit.

La réalité traumatique et son intensité


La déstabilisation n’apparaît qu’au-delà d’un certain seuil traumatique. Interviennent
ici l’intensité traumatique, le caractère imprévisible de l’événement, le temps d’exposi-
tion, la récurrence traumatique, les conséquences existentielles, et surtout la sommation
traumatique, c’est-à-dire la conjonction de plusieurs événements traumatiques dans
plusieurs secteurs existentiels (polyfactorialité traumatique).

Les représentations du traumatisme


L’évaluation cognitive du traumatisme en appelle au principe de réalité, à la conscience,
à une supposée objectivité. Mais elle est grandement influencée par la réalité psychique
du sujet. Les processus de pensée en quête de causalité, ceux qui évaluent les consé-
quences et les solutions envisageables, sont relativement fixes et récurrents chez un
même sujet. Ils traduisent son mode de fonctionnement préconscient et inconscient,
et in fine son histoire. On ne peut comprendre les distorsions cognitives d’un sujet, ses
erreurs éventuelles de jugement, ses réactions particulières, si l’on ne sait rien de son
histoire.

L’antériorité traumatique
La théorie de l’après-coup (Freud) avance qu’un événement ne devient traumatique
qu’en deux temps successifs. Le premier temps est celui de l’effroi, au cours duquel nulle
élaboration psychique ne peut se produire. Le deuxième temps est celui de l’après-coup :
un deuxième événement, parfois moins intense que le premier, mais relié au précédent
par une chaîne associative, induit une réaction plus ou moins élaborée d’un point de vue
psychique. La théorie de l’après-coup ne s’applique pas à toutes les situations. Un seul
événement peut, chez certains sujets, déclencher une réaction traumatique en l’absence
d’antériorité. Quoi qu’il en soit, des trauma itératifs de même type sensibilisent et fragi-
lisent le sujet.

L’existence ou non de secteurs existentiels protégés


Les secteurs existentiels, source d’investissement, épargnés par le traumatisme, consti-
tuent une protection trophique contre la déstabilisation.
41
Traité de médecine psychosomatique

1-3. L’anamnèse associative
L’anamnèse associative consiste à établir des corrélations entre les facteurs trauma-
tiques et l’apparition de maladies. Ce temps incontournable de l’investigation apporte
un éclairage assez extraordinaire – le mot n’est pas trop fort – sur le déterminisme de la
maladie. La question : « Depuis quand cette maladie ? » est sous-tendue par la quête de
son déterminisme existentiel. De manière quasi systématique, l’investigation de l’histoire
du sujet et de ses différents secteurs existentiels confirmera à terme l’existence de trauma-
tismes déclencheurs. Mais cette partie cruciale de l’investigation ne saurait être mise en
œuvre n’importe comment. L’anamnèse associative est une technique au sens propre du
terme, c’est-à-dire un art. Art qui s’apprend et qui s’affine avec le temps. Ayant présenté
dans deux précédents ouvrages la technique de l’anamnèse associative (Psychosomatique
et médecine, Angoisse et répression), nous ne la développerons pas ici. Nous nous conten-
terons d’en énumérer les principes cruciaux et de mentionner qu’elle nécessite une préci-
sion drastique dans la collecte des données en même temps qu’une souplesse et une
adaptabilité constante aux rythmes et aux réactions du patient.
Le repérage anamnestique des pathologies (« Depuis quand cette maladie ? ») doit
faire apparaître avec précision les dates où les premiers signes de l’affection sont apparus,
les épisodes antérieurs passés plus ou moins inaperçus, les dates où le diagnostic a été
posé, celles des poussées évolutives, des périodes d’accalmie, des intervalles libres, les
dates de rémission ou de disparition. Il est essentiel qu’il soit effectué pour toutes les
affections du patient, que celles-ci soient successives, alternantes ou concomitantes,
actuelles ou passées, évolutives ou guéries.
Le repérage anamnestique des traumatismes existentiels est rarement simultané et
gagne à se faire de manière différée, afin d’éviter la mobilisation du système défensif du
sujet. Car si une maladie physique est apparue dans un contexte traumatique à la place
d’une souffrance psychique, c’est que le fonctionnement psychique a été défaillant, pour
des raisons diverses, mais avant tout défensives. Plus que la maladie psychique, la maladie
physique crée l’oubli, gomme le vécu traumatique. Ce caractère amnésiant de la maladie
physique constitue une défense contre les réminiscences traumatiques, défense qu’il y a
lieu de respecter dans un premier temps.
C’est ainsi que deux écueils doivent être évités : la confusion et la rigidité. Si l’inves-
tigateur est dans la confusion au niveau des dates, ses représentations seront erronées,
inopérantes, voire délétères. Phénomène fréquent qui nécessite des réajustements car les
sources d’erreur sont nombreuses (oublis, temps de latence précédant l’apparition de la
maladie, événements écrans scotomisant le vrai traumatisme, lapsus qui renseigne par
contre sur l’événement occulté, etc.). Si l’investigateur s’adonne par contre à une enquête
trop rigide, c’est l’élaboration psychique du patient, et à terme de lui-même, qui s’en
trouvera affectée.
Les corrélations anamnestiques établies par l’investigateur ne nécessitent pas systéma-
tiquement leur formulation au patient. Si cette formulation doit avoir lieu, elle ne doit
jamais être effectuée dans la précipitation, mais au moment opportun, lorsque le proces-
sus de rementalisation est suffisamment amorcé. Le plus souvent d’ailleurs, avec l’aide de
l’investigateur, le patient prend conscience des corrélations anamnestiques sans que rien
ne lui soit formulé. L’effet thérapeutique s’en trouve majoré car cette prise de conscience
personnelle qui mobilise affects et émotions induit de nouvelles associations et réanime
42
La genèse du désordre somatique

le préconscient du sujet. Il est d’ailleurs assez fréquent que, dans les nuits qui suivent
l’investigation, le sujet qui ne signalait aucun souvenir onirique se remette à rêver. Outre
la richesse qu’apporte l’anamnèse associative quant à la connaissance du sujet, un de ses
effets indéniables est l’amorce souvent rapide des processus d’élaboration psychique.

1-4. L’exploration des secteurs existentiels


L’expérience auprès de nos stagiaires utilisant l’anamnèse associative nous a montré de
manière récurrente que les données recueillies concernant les traumatismes sont souvent
incomplètes, du simple fait qu’elles éludent souvent la polyfactorialité traumatique, qui
est presque toujours de règle. Telle pathologie est effectivement apparue dans les suites
d’un licenciement, mais une investigation plus approfondie révélera que ce licenciement
a été aussi contemporain de la maladie d’un enfant et de la tromperie du conjoint. Les
arbres qui cachent la forêt surgissent à chaque détour.
C’est la raison pour laquelle j’ai introduit la notion de secteurs existentiels
(Psychosomatique des maladies de l’adaptation). Les différents secteurs de la vie d’un
sujet doivent être tôt ou tard explorés. Ils permettront de recueillir d’autres données
qui viendront enrichir l’anamnèse et apporteront des éléments fondamentaux en ce qui
concerne le fonctionnement psychique du sujet, sa vie, son environnement, ses difficul-
tés, ses ressources, ses déboires, ses investissements, ses désinvestissements. Cette phase
de l’investigation permettra en outre de repérer les secteurs préservés du traumatisme,
ceux qui font l’objet d’une élaboration psychique particulière, et de les utiliser ensuite
comme éléments d’étayage. J’ai, dans un but de simplification pédagogique, distingué
sept secteurs existentiels que nous présentons sous la forme du schéma ci-dessous.

Vie sociale
Famille Liens
amicaux

Amour Travail
Sexualité
SUJET

Hédonisme
Contexte
Sublimations
matériel
Spiritualité
Santé

Les secteurs existentiels

43
Traité de médecine psychosomatique

2. LES RÉACTIONS TRAUMATIQUES


D’un point de vue phylogénétique, la construction du système défensif évolue selon
une séquence universelle : défenses somatiques  défenses comportementales 
défenses psychiques. On retrouve cette séquence chez l’homme dans certaines situa-
tions inattendues telles une agression subite : réaction émotionnelle de courte durée 
réaction comportementale (fuite ou attaque)  réaction psychique.
Mais le plus souvent, dans la majorité des situations traumatiques, la séquence
s’inverse : réaction émotionnelle aussitôt réprimée  réactions psychiques adaptatives 
adaptation comportementale. C’est dire que le psychisme occupe une place centrale au
sein de la séquence, qu’il s’interpose entre deux réactions phylogénétiquement program-
mées, les tamponne, les régule, les atténue. Ainsi la scène se joue en majeure partie au
sein et à l’abri du psychisme, à telle enseigne qu’un observateur extérieur n’en repère pas
les différentes séquences pas plus que le contenu.
Plus le milieu dans lequel vit le sujet devient complexe, plus le système défensif est
sollicité, plus le rôle modulateur du psychisme devient prépondérant.
Ce n’est que lorsque le fonctionnement psychique est défaillant que les manifestations
comportementales surgissent. Lorsque celles-ci sont à leur tour défaillantes, ce sont les
défenses somatiques qui prennent, en dernier et faute de mieux, le relais.

2-1. Les réactions psychiques


Réactions adaptatives
Les réactions psychiques (mentales et affectives) consécutives aux facteurs trauma-
tiques surgissent donc à partir d’un certain seuil et, le plus souvent, après une réaction
émotionnelle de courte durée.
Les stratégies conscientes d’adaptation aux situations traumatiques reposent en règle
générale sur des processus cognitifs : identification et analyse de la situation, évaluation
secondaire permettant de reconsidérer la réalité de manière différente, modulation du
vécu traumatique, élaboration de stratégies d’action, etc. Si ces stratégies d’ajustement
suffisent dans l’adaptation aux aléas de la vie courante, elles deviennent compromises,
voire inopérantes au-delà d’un certain seuil traumatique et, de toute façon, ne résistent
pas à la force du système défensif inconscient du sujet.
Les représentations préconscientes et inconscientes déterminent la nature du vécu
traumatique, l’atténuent ou l’amplifient, le modulent, le colorent. Les mécanismes de
défense conscients, préconscients et inconscients, quant à eux, déterminent la réactivité
traumatique.
Dans le meilleur des cas, les mécanismes conscients, infiltrés par les formations
préconscientes et inconscientes, mettront en place des stratégies d’ajustement, adaptées
ou inadaptées. Dans d’autres cas, sous l’effet de certaines formations inconscientes, les
réactions psychiques produiront des symptômes mentaux pathologiques. La pathologie
mentale en constitue l’aboutissement.
Le but de cet ouvrage étant de traiter avant tout de psychosomatique, nous n’aborde-
rons pas ces mécanismes qui sont variables d’un sujet à l’autre et conditionnent une part
de l’organisation psychique. Contentons-nous de citer les principaux : refoulement, trans-
formation par les processus primaires, déni, isolation, déplacement, projection, renverse-
44
La genèse du désordre somatique

ment de l’affect en son contraire, retournement sur soi, régression, etc. Soulignons que,
d’un point de vue psychosomatique, ces mécanismes constituent une protection relative
contre les processus de somatisation.

La mentalisation
Toutes les réactions psychiques défensives que nous venons de citer, qu’elles soient
conscientes, préconscientes ou inconscientes, adaptées ou inadaptées, en accord avec la
réalité objective ou franchement pathologiques, attestent de l’existence d’un processus
fonctionnel en activité : la mentalisation. Celle-ci désigne l’ensemble des processus qui
transforment l’excitation instinctuelle somatique en productions psychiques élaborées.

R1 R R2

Mentalisation
A1 A A2

La mentalisation

Nous avons élaboré et proposé en 2002 une sémiologie précise de la mentalisation


à partir des différentes données cliniques recueillies dans les ouvrages de P. Marty et
des psychosomaticiens de l’Institut de psychosomatique (devenu depuis Hôpital Pierre
Marty), ainsi qu’à partir de nos propres observations cliniques. Nous ne nous attarderons
pas sur cette sémiologie et renvoyons le lecteur qui serait intéressé aux ouvrages dans
lesquels elle figure (Psychosomatique et médecine, Angoisse et répression).
Retenons que le processus de mentalisation conditionne la richesse du fonction-
nement psychique. Il produit des représentations, des affects, des liaisons entre eux. Il
traduit le fonctionnement optimal du préconscient et de son infiltration inconsciente.
Il utilise et évacue un quantum variable d’excitation, constituant de fait un garde-fou
contre les expressions comportementales et somatiques. C’est ainsi qu’un sujet bien
mentalisé vivra et relatera un événement avec toute la coloration pulsionnelle, les liaisons
fantasmatiques et imaginaires qui s’y associent.
™™ Jules rend visite à une amie hospitalisée. C’est dans cet hôpital que son père était
parti en silence quelques années auparavant. Le dédale des couloirs, des escaliers, l’accueil
impersonnel, la gravité du regard des familles, certains malades déambulant en chemise
de nuit, le regard suspicieux des vigiles, la séparation étanche entre le commun en habit
de tous les jours et les professionnels du soin ou de l’administration, tout de blanc vêtus,
induisent chez le visiteur un sentiment de précarité, d’inexistence, si ce n’est de néant. Il
45
Traité de médecine psychosomatique

n’est qu’un objet, un intrus potentiellement gêneur, il attend dans un box minuscule et
observe un pot de fleur. C’est une bruyère. Cette petite plante, mal arrosée, semble lui
sourire, lui rappeler qu’un monde différent existe. Les vers d’Apollinaire surgissent : « J’ai
cueilli ce brin de bruyère, l’automne est morte, souviens-t-en… ». Il pense à la blessure
d’Apollinaire, l’éclat d’obus, la guerre, les blessés. Il s’imagine un instant dans un hôpital
militaire de campagne. Un hélicoptère se pose sur le toit de l’hôpital, il revoit les images
de Voyage au bout de l’enfer de Cimino. Il a oublié un instant qu’il était là. Il pense à son
amie, grièvement blessée, allongée dans la salle de réanimation, à quelques mètres de
là. Il imagine l’accident, puis la sirène d’un camion de pompier le ramène à la réalité. Sa
fille, jeune conductrice, a pris la route ce matin malgré les intempéries. Pourvu que…
L’entrée d’une famille dans le box interrompt à nouveau sa triste rêverie… La bruyère est
toujours là. C’était l’été à la montagne, il marchait avec ses grands-parents à travers les
bruyères pour rejoindre le ruisseau… L’odeur du ruisseau… les libellules… « Monsieur,
venez vous habiller ! » Il obéit, enfile la blouse, le calot, le masque, comme il l’a fait tant
de fois lorsqu’il était étudiant en médecine, puis interne, puis il n’y a pas si longtemps,
médecin attaché dans ce même centre hospitalier. Il avait de tout temps était gêné par
cette absence de prise en compte du sujet malade et de sa famille. Il connaissait tous les
rouages, les compétences et les incompétences, les scénarios, le décor, la mise en scène…
Rien ne lui échappait, mais à ce jour, il est un simple visiteur, un gêneur, un trublion,
un indésirable, une source d’agacement supplémentaire et une chose à surveiller, pour
celle qui vient de faire irruption. « Vous avez dix minutes devant vous ! » L’injonction est
sans appel. L’amie blessée est inconsciente au milieu d’autres sujets inconscients. Il déglu-
tit, inspire profondément, jette un œil sur la feuille de soins, dit un mot à celle qui est
allongée et qui ne réagit pas, puis repart. Il croise l’interne, s’excuse de la déranger, elle
ne s’arrête pas, il lui emboîte le pas, se risque à lui demander quelque renseignement.
Elle met court à l’échange car elle ne parle pas français. Il repart, un peu égaré, il s’est
visiblement trompé de couloir car une nouvelle forme blanche lui dit d’un ton répro-
bateur : « Monsieur, qu’est-ce que vous faites là ? C’est interdit au public. » Il ressent un
mouvement d’humeur mais s’excuse, finit par trouver le parking dans lequel il se perd,
puis retourne à son cabinet où ses patients l’attendent. Il ressent une blessure à l’âme.
« Nous ne nous verrons plus sur terre… odeur du temps, brin de bruyère… Mais souviens-
toi que je t’attends… » Vague à l’âme, désarroi, turbulence psychique, tristesse, inhibition,
perte de repères, renoncement. Il suffirait d’un ou deux traumas supplémentaires pour
que Jules descende une à une les marches de la dépression.
Une semaine après sa visite, il rêvera d’un ruisseau que frôle les libellules. À sa surface,
telle Ophélie, l’amie hospitalisée « flotte comme un grand lis ». Sur la berge, à ses côtés,
revêtu d’une blouse blanche, Arthur Rimbaud, en train de pêcher, lui dit que Laennec,
celui qui a fondé les bases de la clinique il y a 200 ans, a été nommé directeur de l’hôpital,
puis prononce ces mots : « Vous en avez assez fait ! Ceux qui sont restés de l’autre côté de
la rive n’ont plus besoin de vous. » Il se réveillera détendu, ouvrira les fenêtres, humera
le vent du sud chargé d’embruns, rejoindra son cabinet, prendra des nouvelles de cette
amie. Elle est sortie du coma. Des interventions sont prévues ainsi qu’une longue période
de rééducation. Jules ne va pas mal.
Le même jour, un autre visiteur pénètre dans le sanctuaire hospitalier pour rendre visite
à son frère hospitalisé dans le même service de réanimation. Il a une demi-heure devant
46
La genèse du désordre somatique

lui, pas plus, car un rendez-vous l’attend pour la révision de sa voiture. Il est 13 h 30, il doit
être au garage à14 h. Il pénètre dans le parking, se gare, monte les escaliers, remarque que
le sol est glissant, et considère que ce n’est pas une heure pour faire le ménage, au moment
où les familles viennent visiter leur proche. Il attend dans le box, constate qu’il manque de
l’eau dans le pot de fleur. Il est vrai que l’eau coûte de plus en plus cher et qu’une plante
artificielle aurait aussi bien fait l’affaire pour le décor. Il va profiter de la révision de sa
voiture pour faire repeindre l’aile arrière. Il met le calot, le masque, la blouse et se félicite
de cette avancée qui constitue un moyen de lutte contre les infections nosocomiales,
mais déplore l’obscurité du box d’habillage. Il regarde sa montre. « Plus que dix minutes
si je veux être à l’heure. » Son frère jumeau, directeur associé de son entreprise, victime
d’un accident il y a un an, est sorti du coma depuis deux mois. Il lui dit qu’il reviendra le
voir, mais qu’il doit partir sans tarder, car avec les embouteillages… Il retournera à son
bureau, où l’attendent une liasse de papiers et de nombreux mails. Il rentrera chez lui un
peu avant 20 h, juste le temps de voir les infos, passera quelques coups de téléphone, puis
sombrera dans un sommeil sans rêve, se réveillera brusquement à 5 h, allumera la télé,
déjeunera, pendra son anti-inflammatoire et repartira à son bureau.
Le premier visiteur voyage dans sa tête, dans l’espace, dans le temps. Le voyage
n’est pas aisé, il a connu des périodes de remise en cause, de doute, de tourment. Le
deuxième visiteur ignore ces états d’âme. Les faits, l’actualité, l’objectivité, la gestion, la
maîtrise, résument ses balises existentielles. Il est à l’abri de la souffrance psychique. La
spondylarthrite ankylosante dont il souffre depuis l’accident de son frère jumeau doit,
au dire du professeur et des forums qu’il a consultés, régresser lors de la mise en place du
protocole thérapeutique pour lequel il a rendez-vous après demain.
La mentalisation libère les chaînes du psychisme pour le meilleur ou pour le pire. Son
déficit « normose » le reliquat psychique et ouvre la porte, selon les cas, à la décharge
comportementale ou à la somatisation.
Les états de démentalisation sont rarement globaux. J’ai introduit en 2003 la notion
de mentalisations sectorielles à partir d’une distinction qui s’avère nécessaire entre les
différents secteurs psychiques d’un sujet, certains secteurs faisant l’objet d’une élabora-
tion psychique, d’autres d’une démentalisation (Psychosomatique et médecine). J’ai ainsi
proposé une distinction entre le vécu traumatique inaugural (VTI), la mentalisation paral-
lèle (MP) et la mentalisation secondaire à la maladie (M2) ou effet somatopsychique.
Dans les suites du traumatisme, les sujets peuvent faire preuve d’une élaboration
psychique conséquente, parfois riche, si ce n’est explosive. C’est le vécu traumatique
inaugural (VTI). Chez d’autres sujets, les manifestations psychiques seront absentes ou
pour le moins très déficitaires, le vécu traumatique inaugural étant de fait l’objet d’une
démentalisation.
Chez ces mêmes sujets, il est par contre fréquent de constater que certains secteurs
de leur vie sont épargnés par le processus de démentalisation. Tel sujet, totalement
démentalisé dans sa vie professionnelle ou conjugale, s’enflamme, devient particulière-
ment imaginatif et créatif dès qu’il est question de son activité hédonique favorite, de
son engagement politique ou syndical, de sa passion pour les cheminées à feu ouvert,
les victimes des éoliennes ou les taxes sur le diesel. J’ai appelé ces processus mentalisés
sectoriels mentalisation parallèle (MP). Il est très important de considérer ces secteurs

47
Traité de médecine psychosomatique

mentalisés comme de possibles sources d’étayage pour ramener le sujet à la découverte


d’un univers psychique plus étendu.
Nous avons parfois repéré, à l’instar d’autres auteurs, l’existence de processus de
rementalisation dans les suites de certaines maladies. Ces processus correspondent à la
mentalisation secondaire ou effet somatopsychique. Nous traiterons de ce dernier dans le
chapitre consacré aux « Réactions à la maladie » (p. 721).
Nous avons enfin établi une distinction entre déficits structuraux de mentalisation
d’origine biologique ou psychique et déficits acquis, beaucoup plus fréquents, contem-
porains le plus souvent de réactions traumatiques délétères, au premier rang desquelles
figure la répression dont il va être question dans les suites de notre développement.

2-2. Les réactions comportementales


Réactions adaptatives
Les réactions comportementales sont éminemment variables d’un sujet à l’autre.
Chaque sujet réagit selon une modalité préférentielle : affrontement, fuite, évitement,
ajustement, inhibition, soumission, déplacement. Ces réactions font suite à une élabora-
tion mentale minimale, elle-même variable d’un sujet à l’autre.
Les réactions d’évitement ou de fuite constituent une issue le plus souvent favorable.
La fuite est rarement utilisée, tant les intérêts et les idéaux priment chez l’homme, le plus
souvent à son détriment. Pourtant, elle constitue souvent l’issue la moins risquée, issue
qui apaise, et qui de surcroit laisse souvent surgir des solutions spontanées jusqu’alors
inenvisageables.
Les conduites d’ajustement, fruits de l’élaboration cognitive, consistent en des straté-
gies de contrôle et de maîtrise de l’objet ou de la situation : affrontement de la difficulté,
recherche de solutions, de compromis, stratagèmes, démarches, etc.
La soumission a des déterminants très variables : soumission stratégique destinée
à obtenir quelque chose, soumission destinée à se protéger, soumission oblative ou
déférente, soumission masochiste, soumission par peur pulsionnelle.
Certains comportements de substitution attestent d’une élaboration psychique
évidente dans laquelle les mécanismes de défense inconscients jouent un rôle central.
C’est le cas des troubles obsessionnels compulsifs et des activités sublimatoires.

La mise en acte
La mise en acte récurrente atteste, quant à elle, d’un déficit, structural ou passager,
d’élaboration psychique. L’émotion activée par le trauma suit sa destinée originelle, elle
se décharge sans transition dans le comportement. De fait, l’affect n’apparaît pas et les
représentations mentales, absentes, réduites ou monolithiques, ne sont l’objet d’aucun
processus d’élaboration. Cette voie de décharge immédiate de l’excitation, non média-
tisée par le fonctionnement psychique, caractérise les comportements opératoires, les
névroses de comportement, et l’impulsivité que l’on rencontre dans les psychopathies,
les états limites et les addictions.
D’un point de vue psychosomatique, la mise en jeu de la voie comportementale
comporte un effet trophique sur le corps car elle évacue faute de mieux un taux d’excita-
tion qui pourrait s’avérer délétère.

48
La genèse du désordre somatique

2-3. Les réactions somatiques


Les réactions émotionnelles
Si elles ne résolvent en rien la problématique, elles doivent être en règle générale
respectées car elles constituent une voie ponctuelle de décharge de l’excitation, évitant
ainsi l’émergence ou l’entretien croissant de nombreux processus pathologiques. De ce
point de vue, la « gestion » des émotions, mise en avant comme une panacée thérapeu-
tique ou comme un devoir personnel, constitue la pire des choses d’un point de vue
psychosomatique.

La somatisation
On l’aura compris à la simple vue de la fonction psychosomatique : lorsque l’excitation
ne génère pas de productions psychiques, lorsqu’elle ne se décharge pas dans le compor-
tement, il ne lui reste plus qu’une seule issue : son accumulation et sa décharge dans le
corps. C’est ainsi qu’apparaissent les désordres somatiques.
Si la décharge de l’excitation dans la voie somatique constitue un cofacteur de maladie,
la réaction somatique qui l’inaugure doit aussi être appréhendée comme une réaction
défensive de dernier recours. On retrouve les défenses somatiques à tous les stades de
l’évolution phylogénétique : défenses cellulaires (immunité cellulaire), défenses humorales
(inflammation autour d’un corps étranger, sécrétion d’adrénaline dans une situation
de danger), défenses organo-fonctionnelles (vomissements induits par une substance
toxique, toux déclenchée par un agent irritant, fermeture des paupières à la lumière),
défenses émotionnelles destinées à déclencher des comportements instinctuels.
Si d’un point de vue phylogénétique et donc évolutif, les défenses somatiques
précèdent les défenses comportementales et les défenses psychiques, d’un point de vue
psychosomatique les défenses psychiques précèdent les défenses comportementales et
somatiques. La somatisation est donc un processus contre-évolutif.

3. LE DÉSORDRE ÉCONOMIQUE


Le désordre économique s’origine donc dans R
une atteinte variable des vecteurs de la fonction
psychosomatique. Toute obstruction, tout déficit, toute
altération du fonctionnement d’un de ces vecteurs
génère une décharge dans les voies restées libres. A
Il apparaît ainsi de manière nette que les obstruc-
tions des voies psychiques et comportementales
constituent les conditions propices à l’apparition d’un
désordre somatique. C
On peut schématiquement distinguer cinq origines
à l’obstruction de la voie psychique.

L’afflux de traumatismes
L’appareil psychique a ses limites, et ses mécanismes Désordre somatique
de défense peuvent se trouver dépassés lorsque le
Désordre économique et
sujet est soumis à un excès traumatique. Comme pour
somatisation

49
Traité de médecine psychosomatique

se protéger, le psychisme se met en « mode veille », voire interrompt une part de son
fonctionnement, tout comme l’escargot rentre dans sa coquille.

La répression
Parce qu’il s’agit d’un mécanisme central et fréquent à l’origine des désordres
somatiques, nous y consacrerons plus loin une large part de notre exposé.

La dépression essentielle
Elle survient dans les suites de traumatismes majeurs, ou d’un cumul de traumatismes,
le plus souvent à type de perte ou d’épuisement. Destinée à épargner au sujet un minimum
de souffrance morale par évacuation des représentations et des sentiments douloureux,
elle génère à terme un assèchement du fonctionnement psychique et inaugure de fait des
somatisations graves. Nous traiterons de la dépression essentielle p. 105.

Les déficits structuraux d’organisation psychique


Ils sont beaucoup moins fréquents que les causes précédentes. Ils s’originent dans
l’enfance.

Le mode de vie
En dernier, mais de manière de plus en plus fréquente, le déficit de mentalisation peut
être généré par le mode de vie : vie routinière, vie opératoire, préséance de l’agir sur la
pensée, immersion médiatique et, phénomène récent et particulièrement redoutable,
dépendance aux écrans et à internet.
Le déficit psychique généré par ces processus est appelé état de démentalisation.
Inversement, la rementalisation, qui constitue l’un des axes centraux du processus
psychothérapique, consiste à favoriser la résurgence de représentations et d’affects au
sein du psychisme et à permettre à l’excitation d’investir à nouveau cette voie, libérant
ainsi la voie somatique qui s’en trouve allégée.

4. LA RÉPRESSION
Il s’agit d’un mécanisme de défense initialement conscient, puis plus ou moins réflexe,
qui se met en place dans certaines situations afin de permettre à l’individu de poursuivre
les buts qu’il s’est fixé, quoi qu’il lui en coûte. Ne pas penser, ne pas ressentir, ne pas
rêver, continuer la lutte comme si de rien n’était, afin de ne pas décevoir, de ne pas se
décevoir, afin de ne pas perdre l’autre, son travail ou l’estime de soi-même, afin de ne
pas souffrir moralement aussi. Ce processus prive le psychisme d’une grande partie de
son fonctionnement, crée des lacunes au sein du préconscient, assèche les représenta-
tions en les privant du sentiment associé. L’excitation désinvestissant le psychisme peut
se libérer dans les comportements mais, si ces derniers font aussi l’objet de répression, elle
se déverse de manière massive dans le corps.

4-1. La répression des représentations :


« Ne pas penser ! »
La répression consiste ici à éliminer de la conscience une pensée ou une représentation
dérangeante, déplaisante, inopportune, anxiogène ou douloureuse.

50
La genèse du désordre somatique

Toutes les représentations conscientes ou préconscientes R


peuvent être concernées, quelle que soit leur nature (repré-
sentations de choses, représentations de mots) ou leur
contenu (représentations motrices, représentations anxio-
gènes, représentations douloureuses).
Les représentations réprimées infiltrent, à l’insu du sujet, sa A
pensée, son affectivité, son comportement.

Destinée de la représentation réprimée


Les représentations à fleur de conscience C
Les représentations chassées de la conscience (pensée,
souvenir, fantasme, etc.), « flottent » dans le préconscient,
demeurent « dans l’ombre », plus ou moins perçues par le
sujet selon les circonstances. S
Elles sont latentes, et peuvent à tout moment, et surtout Répression de la
au moment le plus inopportun, faire irruption en pleine représentation
conscience. La représentation, fragilement isolée dans le
préconscient, reste en permanence menaçante.
Imaginons un intrus indésirable lors d’une réception. Il peut être expulsé en bonne et
due forme hors de la maison. On n’entend plus parler de lui, on ne le voit plus. Il ne pourra
s’introduire à nouveau que sous une forme travestie ou sous un faux nom. Ce mécanisme
est celui du refoulement et du retour du refoulé. Dans la répression, le phénomène est
différent : l’intrus n’est pas rejeté hors du lieu de réception, il reste toléré à l’intérieur de la
maison mais ignoré par l’assemblée.
™™ Hélène, psychologue, a perdu son père il y a deux ans. Son activité professionnelle
est intense et elle met tout en œuvre pour être la plus opérationnelle qui soit dans son
travail. Mais lorsqu’un patient évoque le décès de son père, les représentations person-
nelles surgissent, représentations douloureuses, qui entravent son écoute pendant
quelques secondes. Elle s’est conditionnée à chasser ces représentations parasites dès
qu’elles surgissent, mais cette gymnastique douloureuse l’a progressivement plongée
dans un état d’émoussement affectif, de fatigue, et a souvent généré des réactions de
rejet à l’égard de ce type de patient. Je lui ai suggéré de mettre un terme à ce fonctionne-
ment devenu réflexe, d’accueillir les représentations traumatiques, d’écouter son langage
intérieur le temps qu’il faut, pour retrouver, dans les suites immédiates, une meilleure
disponibilité à l’égard du patient.
Les lacunes secondaires du préconscient
Lorsque la répression est intense, répétitive et continue, le secteur psychique concerné
par la représentation fait l’objet d’un isolement, d’une enclave, au sein du préconscient,
puis d’une exclusion de celui-ci.
Si nous reprenons notre métaphore mondaine, ici l’intrus n’est ni rejeté à l’extérieur
(refoulement), ni ignoré bien que présent dans la salle de réception (représentations à
fleur de conscience), mais confiné dans une pièce annexe ou un coin obscur de la salle de
réception, un lieu interdit d’accès. Ce lieu où est confiné l’intrus est une partie du précon-
scient, qui fait à son tour l’objet d’une exclusion, d’un interdit d’accès.
51
Traité de médecine psychosomatique

Ainsi, des secteurs entiers du préconscient peuvent être exclus de la pensée et du


langage. Ces secteurs exclus constituent, selon la terminologie de Pierre Marty, les lacunes
secondaires du préconscient.
D’un point de vue clinique, l’investigateur subodore, soit d’emblée, soit au bout de
quelques séances, une défection, une « zone d’ombre », un secteur psychique occulté.
D’où la nécessité, lors d’une investigation, d’explorer tous les secteurs de la vie du sujet.
La conjonction d’un secteur psychique exclu de la conscience et de rêves récur-
rents mettant en scène des éléments de ce secteur, caractérise un phénomène répressif
lacunaire.
Les somatisations induites par des lacunes du préconscient se retrouvent dans de
nombreuses douleurs chroniques ou dans certaines maladies à crises.
™™ Virginie a été victime d’un viol à l’âge de 13 ans. Dans les suites, elle a tout fait pour
oublier ce qui s’était passé : le visage de l’agresseur, mais aussi les circonstances, le lieu, la
date, les suites immédiates, et même les jours qui ont suivi. Peu à peu, l’événement est
sorti de sa mémoire, et avec lui tous les souvenirs inhérents aux deux années qui précé-
dèrent et suivirent l’agression. À l’âge de 18 ans, elle vint me consulter pour des crises
de boulimie. Les séances laissèrent surgir des réminiscences et des rêves traumatiques
en relation avec l’agression. Contrairement au refoulement, le mécanisme n’a pas été
instantané et inconscient, il a nécessité un temps prolongé d’auto-emprise et de contrôle
conscient. La répression était bien à l’origine de cette lacune secondaire.

R CONSCIENT

Représentation à fleur
PRÉCONSCIENT R
de conscience

Lacune secondaire R PRÉCONSCIENT

Représentation à fleur de conscience et lacune


secondaire du préconscient

Nature des représentations réprimées


Les représentations susceptibles d’être réprimées sont essentiellement les représenta-
tions motrices agressives, les représentations douloureuses et les représentations anxio-
gènes.
52
La genèse du désordre somatique

La répression des représentations motrices agressives


La répression des représentations motrices agressives consiste à éliminer du conscient
une pensée ou un fantasme agressif. L’agressivité non élaborée se décharge ainsi dans
le corps, au niveau des systèmes fonctionnels sollicités par le combat, générant des
manifestations cliniques spécifiques : hypertonie musculaire, tension cervicoscapulaire,
algies faciales, céphalées myotensives, bouffées vasomotrices, tremblements des mains,
vertiges. Dans les rêves, apparaissent alors des scènes non spécifiques (combats, guerres,
scènes où le sujet est emprisonné ou enchaîné) ou spécifiques (disputes ou bagarres avec
l’objet ou ses représentants).
™™ Louisa a reçu un appel téléphonique injurieux inattendu. Elle n’a su quoi répondre,
a été prise de court. Passée l’émotion de très courte durée, le téléphone à peine raccroché,
elle s’est replongée immédiatement dans son activité de secrétariat, s’efforçant pour être
opérante d’éliminer de sa conscience les pensées induites par l’agression. Ce qu’elle est
parvenue effectivement à faire. Dans les minutes qui ont suivi, s’est installé un torticolis
qui a perduré jusqu’au lendemain.
La répression des représentations anxiogènes
La répression des représentations anxiogènes surgit volontiers lors de vécus conflictuels
insolubles ou bien lors de situations d’attente ou de menace. Les conflits qui sous-tendent
l’angoisse sont, comme nous le verrons au chapitre sur « Les réactions adaptatives »
(p. 89), de nature différente chez un même sujet et d’un sujet à l’autre. L’exemple le
plus caricatural est celui du conflit décisionnel que l’on rencontre le plus souvent dans
le cadre professionnel ou dans la vie affective. Le sujet, souvent obsessionnel, pris dans
un dilemme, rumine tant et plus, passant d’une option à l’autre, sans jamais trouver de
solution satisfaisante. La solution est souvent de mettre l’affaire de côté et de s’intéresser
à autre chose, ce qui permet une décentration propice à l’émergence de la solution. Dans
ce cas, il s’agit ici non pas de répression mais de déplacement des investissements. La
répression, quant à elle, va consister à s’efforcer de ne pas penser à la situation, mais cette
fois-ci sans déplacement des investissements. Le dilemme est alors tapi dans l’ombre, sans
faire l’objet d’une élaboration et encore moins d’une solution. Il surgit dès que le sujet se
relâche, disparaît dès que le sujet s’affaire. Dans tous les cas, la tension interne persiste et,
ne s’évacuant ni dans l’élaboration mentale ni dans l’acte, se déplace dans le corps.
™™ Mylène ne sait si elle reste avec Laurent qui lui témoigne une affection constante,
un respect de sa personne, et avec lequel elle se sent en paix, ou bien si elle le quitte pour
Michael avec lequel elle entretient depuis un an une relation passionnelle, tourmentée
et très insécurisante. Le dilemme dure depuis plus de six mois. Elle en a perdu l’appétit,
dort mal, alterne sentiment de culpabilité et désir de donner libre cours à ses pulsions.
Elle évite de penser mais ne parvient pas à s’évader. Elle se consume. C’est la veille d’une
escapade programmée avec Michael qu’elle développera une pyélonéphrite qui la clouera
au lit pendant cinq jours et qui, dans les suites, recentrera ses préoccupations sur son état
de santé. La relation avec Michael s’en trouvera quelque peu désinvestie et la rupture
suivra un mois après. Bel exemple qui illustre la valeur défensive de la maladie, lorsque les
défenses psychiques et comportementales sont mises à mal.

53
Traité de médecine psychosomatique

La répression des représentations douloureuses


Nous évoquerons plus loin, au chapitre consacré aux « Réactions adaptatives »
(p. 89), le danger somatique potentiel que constitue la répression des représentations
douloureuses.
™™ Henriette se définit comme une battante. Par ailleurs, fille aînée d’une fratrie de
cinq, elle est le maillon central, le pilier de sa famille. Dans les suites du décès de son père
auquel elle était très attachée, elle prendra en charge toute la famille, se substituant à
ce dernier dans la plupart des situations. Elle ne pleurera pas pour montrer l’exemple,
reprendra son travail avec acharnement, évitera d’évoquer celui qui n’est plus là. Dans
l’année qui suivra, elle développera une surcharge pondérale qui sera traitée par gastrec-
tomie partielle. Une maladie de Basedow s’installera au décours.

4-2. La répression de l’affect : « Ne rien ressentir ! »


La répression de l’affect dévitalise, insensibilise. Elle « neutralise », « déqualifie »
(C. Parat) les représentations qui y sont initialement associées. La représentation est alors
ressentie comme neutre, sans effet, ne générant aucun sentiment, alors qu’elle était initia-
lement fortement traumatique (schéma gauche).
Dans d’autres cas, la répression de l’affect traumatique s’accompagne d’une répression
de la représentation associée, contribuant à créer une lacune au sein du préconscient
(schéma droite).
R neutralisée ?

? ?

C C

S S

Répression isolée de l’affect Répression de l’affect et de la représentation

Pour ne plus rien ressentir (rancœur, douleur morale, inquiétude), le sujet se noie
souvent dans la vie opératoire. Cette vie opératoire, machinale, automatique, finit par
générer à son tour une pensée opératoire, créant un vide psychique généralisé.

Nature des affects réprimés


La répression de l’affect agressif
Nos sentiments agressifs sont sollicités de manière récurrente dans la vie de tous les
jours et risqueraient d’entraver notre pensée, notre activité, si la répression ne venait les
54
La genèse du désordre somatique

chasser, car un sentiment agressif qui perdure n’est pas une garantie ni de bien-être ni
de confort, surtout s’il n’aboutit à rien. Mais, passé un certain seuil et un certain temps,
la répression de l’affect agressif devient pathogène. Elle donne au sujet une apparence
d’indifférence aux griefs qu’il subit. Aucune rancœur, aucune expression agressive à
l’égard de l’« ennemi » que le sujet cherche parfois même à excuser, voire à défendre, alors
qu’il est victime de lui. Le phénomène est classique dans certains désordres conjugaux ou
certains conflits professionnels.
™™ Noëlle est consciente de la maltraitance dont elle est l’objet depuis deux ans dans
son couple mais la vit comme un état de fait, banalise la situation, n’exprime aucun grief.
Des douleurs et une raideur articulaire se sont peu à peu installées. Un diagnostic de
polyarthrite rhumatoïde a été posé il y a six mois.
La répression de l’affect anxieux
Comme nous le verrons plus loin, l’angoisse se manifeste par des symptômes affectifs,
comportementaux et somatiques. La répression de l’affect d’angoisse génère une infla-
tion de l’excitation dans les voies comportementale et somatique.
™™ Érica a toujours été angoissée. L’entrée en faculté, loin du domicile familial et de ses
amies, générera des attaques de panique dans toute situation inhabituelle ou nouvelle,
restreignant son périmètre d’action et la plupart de ses investissements. Une thérapie
cognitivo-comportementale permettra de juguler les crises et les affects anxieux, au prix
de l’apparition de diarrhées chroniques.
La répression de l’affect douloureux
La répression des affects douloureux est fréquente après certaines pertes, notamment
les deuils. La douleur du deuil est difficilement supportable, bien qu’inévitable et néces-
saire comme nous le verrons plus loin. Lorsque les mécanismes de défense qui accom-
pagnent le deuil et le caractérisent sont déficitaires ou inopérants, la répression vient à la
rescousse. Il s’agit alors de mettre tout en place, quoi qu’il en coûte, pour ne pas souffrir,
pour faire bonne figure, pour neutraliser l’image de l’objet perdu, comme en témoignent
les recettes bien connues : « Passer à autre chose… se battre… faire preuve de courage…
ne pas se laisser aller… “positiver” ! », etc., et autres fadaises ânonnées par des interlocu-
teurs plus ou moins bien intentionnés ou des « coachs » décérébrés. Les résultats sont le
plus souvent catastrophiques. Assèchement des affects et des émotions, consomption
dans la sur-occupation et, à terme, maladie somatique.
™™ Dans les suites du décès accidentel de son fils, Fabienne décida de ne pas se laisser
aller. Elle se jeta dans le travail et la politique. Elle surmonta donc le choc avec difficulté
certes, mais sans trop, à telle enseigne que ses amies lui faisaient part de manière régulière
de leur admiration pour son « courage ». Huit mois après, elle constata une tuméfaction
au niveau du sein droit, subit une mastectomie, et affronta la radiothérapie et la chimio-
thérapie, avec « courage ».
L’affect se situe plus près de sa source somatique que la représentation si l’on s’en
réfère au schéma de la fonction psychosomatique. Il est, de fait, porteur d’une énergie
supérieure à celle de la représentation. Sa répression génère un désordre économique
plus profond, et donc des maladies plus graves que celle de la représentation : maladies
auto-immunes et probablement certains cancers.
55
Traité de médecine psychosomatique

4-3. La répression de l’émotion : « Ne rien laisser paraître! »


La répression de l’expression émotionnelle porte sur ses deux composantes : la réaction
motrice et la réaction neurovégétative.
Les moyens mis en œuvre sont variables d’un sujet à l’autre :
––contrôle volontaire de l’expression motrice : dissimulation du visage, crispation de
la mâchoire, serrement des poings, trémulations, tressautements rythmiques des
membres, mouvements spasmodiques ;
––dérivation du comportement : fumer, se gratter, déplacer un objet ;
––contrôle volontaire de la réaction neurovégétative : déglutition, soupir, rétention des
larmes ;
––contrôle de l’expression verbale : maîtrise de la voix, du vocabulaire, de la tonalité
(donner une impression de calme et de sûreté de soi), dérivation du discours, formules
toutes faites ;
––induction forcée d’émotions antagonistes : sourire pour dissimuler l’agressivité, rire
pour ne pas pleurer, etc. Cette tricherie peut avoir un caractère ponctuel et circonstan-
ciel mais elle peut aussi constituer chez certains sujets une véritable cuirasse défensive.
Nous avons souvent repéré le cas de ces sujets au sourire (si ce n’est au rire) perma-
nent et figé, paraissant constitutionnel, qui accompagne en fait une détresse profonde,
rictus dont le caractère potentiellement contagieux pour l’investigateur ne facilite pas
la relation psychothérapique.
L’ordre social implique une régulation de l’expression des émotions et de leur usage
tant public que privé. L’individu doit ménager ses expressions émotionnelles, les accorder
aux impressions qu’il désire produire, et pour cela, dans le meilleur des cas, les moduler.
Contrôle individuel et contrôle social sont intimement liés. Le contrôle individuel de
l’expression émotionnelle a des déterminants culturels et familiaux, sa mise en jeu est
liée à l’organisation et au fonctionnement psychique inconscient du sujet ou bien à une
velléité consciente de ne rien laisser transparaître.
La répression émotionnelle entraîne une accentuation des manifestations neuro-
musculaires puis neurovégétatives spécifiques de l’émotion en cause. Si elle devient un
automatisme, des manifestations corporelles durables apparaissent : tension neuromus-
culaire, spasmodicité digestive, troubles cardiovasculaires, respiratoires, crises d’angoisse,
troubles du sommeil, désordres immunitaires.
™™ Marie-Ange présente des crises de spasmophilie depuis des lustres. Elle dort peu et
mal. Malgré ses 45 ans, elle vit avec sa sœur jumelle chez ses parents. Le père, la mère et
la sœur contrôlent tous ses faits et gestes. Marie-Ange me raconte tous les détails de son
incarcération domestique avec un sourire manifeste et permanent, ponctué d’allégations
rythmiques du style : « On dit bien mais c’est comme de tout… C’est comme ça mon bon
Monsieur… Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras… etc. » Son rictus devient conta-
gieux et, avant que d’embrayer le pas, je lui fais remarquer qu’elle me raconte des choses
assez dures tout en étant morte de rire. Ceci a pour effet de ramener ses commissures
labiales en position horizontale, de lui permettre d’inspirer profondément, et d’exprimer
enfin la rancœur qu’elle ressent à l’encontre de ses geôliers.

56
La genèse du désordre somatique

Em C

S
Répression de l’expression émotionnelle

4-4. La répression du comportement : « Ne pas broncher ! »


La répression du comportement peut avoir deux origines :
––une origine extérieure imposée par des contraintes réelles, sur lesquelles le sujet n’a
aucune possibilité d’action. L’exemple caricatural est la situation d’incarcération ;
––une origine interne. La porte de la cellule est ici grande ouverte mais le sujet s’interdit
d’en sortir.
™™ Laurent s’est trompé de métier. Il voulait être archéologue. D’aucuns l’en ont
dissuadé. Il sera comptable. Les heures passées dans son bureau sont des heures de
souffrance. Non seulement ce métier ne l’intéresse pas mais la privation motrice qu’il
nécessite le rabougrit. Il a trois enfants et une épouse régulièrement hospitalisée en
psychiatrie. Pour tenter d’augmenter ses revenus, il a de surcroit entamé une formation
pour devenir expert-comptable. Les heures passées dans le train, la nécessité de parti-
ciper aux ateliers lors des sessions de formation le ratatinent encore plus. Mais il s’est
fixé un but, les besoins justifient les moyens. Lorsque la tension culmine, il présente des
épisodes de fibrillation auriculaire.
™™ Maud s’interdit d’aller faire un tour en ville, craignant que son conjoint ait une
réaction agressive où qu’elle puisse perdre son amour. L’expérience nous prouvera
pourtant que la crainte est injustifiée. Les idéaux du moi du sujet sont en fait les véritables
barreaux de sa prison.
D’un point de vue sémiologique, le praticien repérera selon les sujets :
––des allégations spontanées : « J’ai des difficultés à dire non… Devant l’autorité, je
m’efface, bien que je sente une colère en moi… Je me recroqueville de plus en plus. »
––une soumission contrastant avec une tension interne aisément perceptible : attitude
figée ou au contraire besoin de mouvement ;
––un contact particulier lors de la première entrevue. Malgré le déplaisir évident qu’ils
ont à consulter, ces patients acceptent de se prêter à l’investigation comme s’il s’agissait
d’une épreuve de torture obligatoire. Ils s’excusent d’être en avance, d’être en retard,
57
Traité de médecine psychosomatique

d’être à l’heure. Mais on les sent prêts à mordre. Lorsqu’ils R


expriment leur agressivité, ils vont beaucoup mieux ;
––des éléments fréquents concernant la vie quoti-
dienne : peu d’exutoire, peu de loisir, peu de plaisir. Sens
du « devoir », nécessité d’assumer, d’assurer, de ne pas se
relâcher, évitement de l’affrontement avec l’autre, dissi- A
mulent une rumination continue sur l’objet de leur insatis-
faction.
Les pathologies induites par la répression du comporte-
ment sont essentiellement des pathologies à déterminisme
C
orthosympathique, en premier lieu desquelles se situent les
troubles cardiovasculaires.

4-5. L’expressivité générale de la répression S


Le diagnostic d’un phénomène répressif pathologique
se fera à partir de la clinique médicale, de la séméiologie Répression du
psychosomatique, de la recherche des secteurs psychiques comportement
objets de répression, et de l’analyse du fonctionnement du sujet.
On ne peut évoquer un mécanisme répressif sans avoir effectué un bilan médical et
une investigation psychosomatique approfondie. Toutefois, de nombreuses pathologies
sont en relation avec la répression et il serait tout aussi inadapté de ne pas s’interroger sur
l’existence d’un tel mécanisme lorsqu’on est confronté aux échecs itératifs des différentes
thérapeutiques médicales.
Le contact avec le patient et l’expressivité générale de celui-ci constituent aussi une
source de renseignements cliniques fondamentaux.
Chez le patient en état de répression, on repérera fréquemment :
––une absence de spontanéité ;
––une barrière défensive ;
––une absence de relâchement ;
––une honte des fonctions corporelles, un déni des besoins et de l’animalité foncière ;
––une difficulté, voire une impossibilité à concevoir un possible déterminisme
psychique des troubles ;
––une réactivité particulière qui varie selon les secteurs psychiques abordés ;
––un conformisme, un discours consensuel, un assujettissement à un programme de
vie. « Ne pas déranger, ne pas se faire remarquer. » (Fritz Zorn, Mars.)
L’investigateur, de son côté, ressentira tantôt une impression d’être contrôlé par le
patient, tantôt un vécu d’ennui, lié à la contagion de la démentalisation qui ne tarde pas
à s’instaurer chez lui.
La « répressivité », décrite par Wainrib, est une forme pathologique majeure de répres-
sion. Un « acharnement à se réprimer sans relâche, à se nier, à s’écraser ». C’est une activité
consciente qui vise « à se débarrasser de toute trace de sa propre subjectivité, à effacer
toute trace d’un corps désirant… à étouffer dans l’œuf tout processus d’émergence d’un
sujet comme être corporel… Le réprimé s’identifie à son oppresseur. Il se piétine lui-même
pour jouir de cette identification au maître… La répressivité est à la psyché ce que les
maladies auto-immunes sont au fonctionnement somatique. » (La répression)
58
La genèse du désordre somatique

4-6. Répression et refoulement


La littérature psychanalytique fait très peu référence à la répression. Lorsqu’elle est
évoquée en tant que telle, c’est uniquement de répression psychique dont il s’agit,
comme en témoignent les différents dictionnaires. La répression comportementale et
émotionnelle est éludée. On comprendra que la psychanalyse à elle seule, sans l’apport
de la psychosomatique, n’ai pu apporter de réponse valide quant à l’origine du processus
de somatisation. Sa très rare prise en compte de la dimension économique explique très
certainement cela. Par ailleurs, dans certains écrits psychanalytiques, il existe une confu-
sion entre répression et refoulement.
En 2009, nous éprouvâmes, Robert Babeau et moi-même, la nécessité d’apporter une
clarification au niveau de la distinction entre ces deux mécanismes de défense (Angoisse
et répression). Afin de ne pas surcharger notre développement, nous nous contenterons
de présenter ici, sous forme de tableau, les critères qui les différencient.

RÉPRESSION REFOULEMENT
Objet Langage - Représentation - Affect - Représentation
Émotion - Comportement
Mécanisme Conscient Inconscient
But Quête de satisfaction Atténuation de l’angoisse
Phylogenèse Antérieur Postérieur
Ontogenèse
Conditions Présence d’un autre Conflictualité intrapsychique
Durée du mécanisme Durable Instantané
Conséquences Pathologie somatique Pathologie mentale névrotique
Levée des lacunes Retour du réprimé : Retour du refoulé :
matériel identique matériel déguisé
Désordre Central Absent
économique
Efficacité à long +/- +++
terme

Éléments de distinction entre répression et refoulement


Le refoulement a pour fonction d’éliminer en le rendant inconscient du matériel
représentatif indésirable, inutile, gênant ou traumatique. C’est un mécanisme instantané
qui fonctionne de manière automatique indépendamment de toute velléité consciente
du sujet. On pourrait l’assimiler à un disjoncteur électrique qui coupe le circuit, éteint
la lumière lorsque la tension (la surcharge traumatique) est trop forte ou lorsque des
ampoules sont éclairées inutilement, sans que le sujet intervienne de quelque manière
que ce soit. Ce disjoncteur se situe dans le cortex frontal, il éteint les représentations et
n’a pas accès aux autres composantes du circuit de la maison.
La répression des représentations est, quant à elle, un processus conscient, même s’il
finit par s’automatiser à la longue, qui nécessite la participation active du sujet, et dont
le but est l’obtention d’une satisfaction ou la réalisation d’un but à atteindre. La répres-
59
Traité de médecine psychosomatique

sion des représentations consiste à ne pas penser. C’est le sujet lui-même qui non seule-
ment éteint la lumière, mais aussi débranche certains appareils trop consommateurs en
énergie. D’un point de vue neurologique, la scène se joue dans des zones cérébrales plus
étendues (cortex frontal, lobe limbique, hypothalamus) mais aussi directement au sein
des fonctions physiologiques. La répression intervient lorsque le disjoncteur du refoule-
ment n’a pas fonctionné.

5. LA RÉACTIVITÉ PHYSIOLOGIQUE GÉNÉRALE


La décharge de l’excitation dans la voie somatique, qu’il s’agisse d’un afflux ou d’une
baisse de son taux, inhibe ou stimule divers mécanismes physiologiques complexes et
concomitants, aboutissant au désordre somatique.

5-1. Le lieu de déliaison


Nous venons de l’évoquer au travers de la clinique de la répression, le lieu des
déliaisons au sein de la fonction psychosomatique constitue un premier déterminant de
certains mécanismes physiopathologiques. C’est ainsi que la répression de l’émotion ou
du comportement agressifs induit une hyperactivité du système orthosympathique, que
la répression des représentations motrices agressives induit une tension neuromusculaire,
que celle des affects agressifs détermine une pathologie inflammatoire dans le même
territoire, etc.

5-2. Le désordre physiopathologique infraclinique


L’évolution de la médecine dans le sens de la stricte objectivation du patient à partir
de critères drastiques et de sa pathologie par l’unique technicité, a asséché les capacités
de réflexion et d’imagination des soignants. Seule la prise en compte de critères cliniques
standardisés et des données révélées par les examens biologiques et l’imagerie, confirme
la réalité de la pathologie. À telle enseigne que l’interrogatoire classique et l’examen
clinique disparaissent progressivement. Lorsque les manifestations cliniques du patient
échappent aux critères standardisés et que les investigations paracliniques ne révèlent
rien de décelable, la panique à bord s’installe, panique rapidement jugulée par le système
défensif du praticien ou de l’équipe de soin. Or, la clinique nous démontre quotidienne-
ment que des pathologies flagrantes s’instaurent sans que l’on puisse mettre en avant un
processus physiopathologique objectivable, faute de moyens. Les exemples ne manquent
pas et nous avons toujours encouragé nos praticiens stagiaires à imaginer qu’il puisse
exister des processus infracliniques, non détectables par les moyens actuels, potentielle-
ment responsables de l’instauration et du maintien de la maladie. Il n’y a aucun risque à
s’engager sur cette voie-là.
Dans l’obésité, à régime égal chez un même sujet, on voit apparaître, suite à des pertes,
une prise de poids majeure, sans que des anomalies métaboliques puissent être mises
en avant par les investigations paracliniques. Il n’est pas interdit d’imaginer que des
mécanismes métaboliques ont été déclenchés dans le sens d’un anabolisme infraclinique
mineur mais constant et continu.
Le support physiopathologique périphérique de certains syndromes douloureux
chroniques est plus fréquent qu’on ne le croît. L’insuffisance actuelle des possibilités

60
La genèse du désordre somatique

techniques de repérage de ces désordres amène trop souvent le praticien à conclure


improprement à une douleur dite psychogène.
Les céphalées, par exemple, ont souvent une composante physiopathologique hétéro-
gène : phénomènes myotensifs, perturbation de la circulation exocrânienne, dérange-
ments ostéoarticulaires mineurs, excitation des troncs nerveux du cuir chevelu. De même,
une authentique migraine comporte des altérations vasculaires mais aussi musculaires. Il
n’est pas interdit d’imaginer quel processus périphérique infraclinique, non détectable par
des examens complémentaires, peut être le support de ces phénomènes : hypersensibilité
des récepteurs périphériques, décharges neuronales, phénomènes myotensifs, microphé-
nomènes inflammatoires, œdémateux, circulatoires ou mécaniques.
De telles représentations me paraissent fondamentales pour le médecin qui ne dira plus
à sa patiente spasmophile : « Vous n’avez rien, c’est dans la tête ! », ou « C’est psychique ! »
mais plutôt : « Votre spasmophilie est liée au fait que vos muscles sont sous tension et vos
nerfs très excités… C’est une réalité physique qui ne se voit pas aux examens… Ce n’est
pas dans la tête, c’est dans les muscles et les nerfs. » Et il peut être opportun d’ajouter :
« Le stress ou les soucis peuvent provoquer des phénomènes comme ça… et le stress et
les soucis, eux, peuvent avoir une partie de leur origine dans la tête. »
Cela permet par ailleurs d’éviter les palabres diagnostiques si fréquentes dans lesquelles
médecins et patients se perdent : le patient à qui l’on n’a pas proposé une hypothèse
physiopathologique plausible est désemparé. Dès lors, débute la course aux investiga-
tions, dont l’aboutissement fréquent est la « sanction » thérapeutique aux conséquences
parfois redoutables, ou bien l’ésotérisme médical.
Contrairement à ce qu’on avance souvent, ces désordres physiopathologiques existent
aussi chez l’hypocondriaque, ce fameux malade qualifié improprement d’imaginaire,
auquel on a trop souvent tendance à dire : « Vous n’avez rien, c’est dans la tête. » Le no
man's land clinique, nosographique et étiopathogénique, qui caractérise cette entité
morbide, plus ou moins laissée en jachère par les médecins et les psychanalystes, nous
a incité à tenter d’en cerner les caractéristiques fondamentales (Pongy, L’hypocondrie).
Caractérisée par une focalisation sur les perceptions corporelles, une interprétation
alarmiste des signes, la plainte hypocondriaque, colorée d’inquiétude et de tristesse,
accompagnée d’un comportement centré sur le médical, détermine la relation du sujet
à son entourage, interpelle le médecin et le met en échec. L’analyse des observations de
nos patients hypocondriaques nous a permis d’avancer qu’il existe toujours un désordre
physiopathologique, non objectivable le plus souvent, responsable des sensations corpo-
relles interprétées secondairement de manière alarmiste du fait du fonctionnement parti-
culier de ces sujets et de leur organisation psychique. L’origine des sensations délétères
est variable : tension neuromusculaire, spasmodicité viscérale, cénesthopathie, angoisse,
ralentissement des fonctions d’origine dépressive, désordre physiologique transitoire, etc.
Secondairement, l’interprétation alarmiste des symptômes accentuera l’angoisse et donc
la tension interne qui entretiendra à son tour les sensations délétères. (Voir schéma page
suivante.)
Nous verrons plus loin que le désordre physiopathologique existe aussi dans la conver-
sion (voir p. 147).

61
Traité de médecine psychosomatique

2 R1 : interprétation 3 R2 : idée hypocondriaque

Sentiment anxieux

e 4 Accentuation du désordre

1 Sensations désagréables
Manifestations somatiques de l’angoisse
Maladie somatique

Mécanisme de l’hypocondrie

5-3. Les déterminants de la cible somatique


Le désordre économique, et plus particulièrement le lieu de déliaison, induisent donc
une réaction physiopathologique par le biais des désordres de l’excitation qui n’ont d’autre
issue que la décharge dans le corps. Reste à savoir quel système anatomofonctionnel va
être la cible de cette réaction physiopathologique.
J’utilise le terme cible somatique pour désigner l’organe ou la fonction atteinte par
le processus de somatisation. Je le préfère à celui couramment utilisé de choix d’organe,
d’une part parce que les atteintes somatiques ne se limitent pas aux organes anatomiques
au sens strict du terme, mais s’étendent aussi aux fonctions, et d’autre part parce que
le terme choix induit des représentations pouvant évoquer un mécanisme conscient,
une intentionnalité qui n’a nullement sa place dans les processus de somatisation à quel
niveau que l’on se situe.
Si le désordre économique est la condition initiale à toute somatisation (en dehors de
la conversion, comme nous le verrons) et se manifeste par une réactivité physiologique
générale, la spécificité de la maladie, le système anatomofonctionnel concerné, sont
quant à eux déterminés par différents facteurs, complexes et intriqués : réactivité adapta-
tive (combat ou défaite), type d’émotion réprimée, type de fixation en relation avec l’his-
toire de l’individu, présence ou nom de représentations pathogènes inconscientes. Nous
allons aborder l’ensemble de ces déterminants dans les chapitres suivants.

62
Chapitre 3

LES CIBLES DES ÉMOTIONS

1. INTRODUCTION
L’émotion est donc un phénomène physiologique à déterminisme génétique instinc-
tuel. Les émotions de base repérées par Darwin (surprise, colère, peur, tristesse, dégoût,
joie) sont au service de l’adaptation.
Il existe une autre émotion de base qui, elle, n’est pas au service de l’adaptation de
l’individu, mais au service de la survie de l’espèce : c’est émotion sexuelle. Il conviendrait
mieux de ce fait de l’appeler émotion génésique. Mais la perspective de la reproduction
échappe totalement à l’émotion sexuelle, en tout cas chez l’homme postmoderne, à telle
enseigne que la sexualité est souvent altérée lorsque le seul but est de se reproduire.
Le devenir de l’émotion sexuelle prend différentes formes chez l’homme : l’excitation
génitale et le comportement sexuel bien sûr, mais aussi son élaboration psychique en
désir et parfois en sentiment amoureux, sentiment composite éminemment variable
d’un sujet à l’autre, qui intègre de manière très diverse d’autres déterminants affectifs tels
que l’attachement et bien d’autres composantes sous-jacentes comme en témoignent les
différentes réactions passionnelles. L’élaboration psychique de l’émotion sexuelle produit
des représentations sexuelles d’une grande complexité dans lesquelles se confrontent les
constituants du fantasme, de ses limites et de ses destinées. La conflictualité règne au
sein des représentations sexuelles de la plupart des êtres humains, et c’est probablement
là que se situe une des origines de la pensée. Pensée qui se liquéfie, à l’instar du langage,
dans la jouissance, pensée qui disparaît dans la mise en acte psychopathique, pensée qui
se rétrécit dans l’acte pervers. La naissance de la pensée, et à plus forte raison de la parole,
serait probablement liée pour une part à la répression de l’animalité.
La sublimation de la sexualité, forme la plus élaborée d’élaboration psychique, est le
propre de l’homme. L’évolution sociétale postmoderne propose l’acte comme satisfac-
tion du désir, assimilant celui-ci au besoin, elle crée des images que les individus prennent
pour des représentations. Ainsi le fantasme disparaît et la pensée avec.
L’émotion sexuelle dans sa composante physiologique se rapproche, comme nous
le verrons, de la joie. Toutes deux partagent le même support neurophysiologique : le
système parasympathique. La vie sexuelle ne peut fonctionner qu’en temps de paix,
lorsque les nécessités adaptatives passent au second plan. Il existe une antinomie entre
combat et vie sexuelle. C’est ce qui explique la majorité des dysfonctions sexuelles,
l’angoisse ou le vécu de défaite étant leur dénominateur commun.
L’instinct sexuel, avec le développement phylogénétique et ontogénétique, engendre
donc, par le biais de l’élaboration psychique, la pulsion sexuelle. Ses avatars déterminent la
pathologie psychique. Instinct et pulsion sexuelle interviennent peu, ou tout au moins de
manière très indirecte, dans les processus de somatisation. C’est pour cela que nous allons
clore cette digression sur l’émotion sexuelle et nous centrer sur les cibles des émotions à
déterminisme adaptatif.
63
Traité de médecine psychosomatique

2. LA RÉACTION ÉMOTIONNELLE


C’est donc, comme nous l’avons vu, une réaction de courte durée qui mobilise le
système neurovégétatif et neuromusculaire, dans des situations nécessitant une réaction
adaptative rapide.
Dans l’imminence du combat, afin de donner l’énergie nécessaire à l’action, le système
neurovégétatif orthosympathique déclenche des réactions physiologiques : apport de
glucose, augmentation du débit cardiaque, etc. Le système neuromusculaire se met
quant à lui en tension plus particulièrement dans les territoires somatiques impliqués
dans la lutte. Fuite (peur), attaque (colère), immobilisation défensive (angoisse), consti-
tuent les péripéties du combat. La défaite (tristesse, dégoût) ou la victoire (joie) peuvent
en constituer l’issue. La tristesse se caractérisera par un ralentissement des fonctions, la
joie par une stimulation des fonctions à déterminisme parasympathique : préservation de
l’espèce (émotion sexuelle), assimilation (alimentation), récupération (sommeil).
Il existe un antagonisme fréquent entre les composantes viscérales et motrices de
l’émotion : la décharge motrice a un effet réducteur rapide sur les réactions neurovégé-
tatives. Ceci explique pour une grande part le rôle trophique de la motricité sur le corps.
La réaction neurovégétative s’amplifie quant à elle lorsque la décharge motrice est
rendue impossible. Sa décharge est partielle, limitée, et tend à se prolonger, dans le corps,
intra-muros. C’est, par exemple, ce qui va donner des palpitations prolongées et une
sensation d’ébullition intérieure chez le sujet qui réprime fortement sa colère.
Lorsque la décharge motrice est impossible, les réactions neurovégétatives et neuro-
musculaires, peuvent s’exprimer sous des modalités atténuées : serrement des mâchoires
et pincement des lèvres de la colère, trépignements ou tremblements de la peur, nausées
du dégoût, pleurs et repli moteur de la tristesse. Ces esquisses de décharge sont, faute
de mieux, trophiques pour le corps. Toute entrave à leur expression a un effet délétère.
S’acharner à les réprimer encore, à les dissimuler, porte atteinte, comme nous l’avons vu,
à l’équilibre psychosomatique. Tout un chacun connaît l’effet thérapeutique des pleurs
qu’il s’agisse de pleurs de tristesse, de colère ou de joie. La « gestion des émotions », que
prône le coaching, est au service de la prétendue « communication », destinée en fait à la
persuasion, à la vente d’un produit ou d’une idée ; elle n’a pas lieu d’être lorsqu’il s’agit du
psychisme et du corps.
La résolution de la réaction émotionnelle passe donc par l’action ou, faute de mieux,
par l’expression neurovégétative. Mais elle peut aussi être atténuée, notamment au niveau
de ses effets délétères, par l’élaboration mentale.
L’élaboration mentale transforme l’émotion en sentiment : à partir du moment où je
dis « Je suis en colère » ou « Je suis triste », une part des désordres physiologiques s’atté-
nue. D’autant plus que ces allégations en appellent aux représentations qui les motivent
et à la parole qui les traduit. « Je suis en colère » ou « triste » parce que… Passage de
l’émotion à la représentation, du corps au psychisme, de l’animal au sujet. Je conseille
souvent aux étudiants paralysés par le stress devant une épreuve orale, de faire part de
leur anxiété à l’examinateur. Sauf si celui-ci est sadique, les choses se passent mieux et la
tension retombe.
Certains sujets ont du mal à traduire leurs émotions en sentiments. Chez certains
d’entre eux, il peut s’agir d’un état de démentalisation traumatique transitoire. Chez
64
Les cibles des émotions

d’autres, le phénomène est continu, structural : c’est ce que Sifnéos et Nemiah ont appelé
l’alexithymie.

Sentiment de peur

Peur Fuite Peur Fuite

Tremblement Tremblement
Tachycardie Tachycardie

Destinées de l’émotion

3. L’INDUCTION PSYCHIQUE DES ÉMOTIONS


Si les nécessités adaptatives constituent la cause universelle du déclenchement des
émotions, celles-ci peuvent être induites, chez l’homme principalement, par des repré-
sentations. Chacun a un jour éprouvé de la peur ou du dégoût face à certaines scènes
cinématographiques, éprouvé de la tristesse, ressenti « le cœur gros », pleuré, à l’évoca-
tion d’une réminiscence douloureuse, ressenti de la colère lors de la révélation d’une
trahison, etc.
L’impact sur le corps est variable, comme nous allons le voir, selon le niveau topique de
la représentation inductrice de l’émotion.

3-1. Représentations conscientes et émotions


Des représentations mentales traumatiques et conscientes peuvent générer des affects
et des émotions selon un processus de liaison de type descendant au sein de la fonction
psychosomatique. Une rigidification de la mentalisation limitée à une représentation ou
à un groupe de représentations de même nature peut donc avoir un effet potentielle-
ment somatisant.
C’est le cas du désordre amoureux. Le sujet trahi ou abandonné est en proie à une
représentation récurrente : celle de l’objet qui le délaisse ou le rejette. Si les scéna-
rios varient, l’objet en occupe toujours le centre. Selon les cas, les représentations du
malheureux induiront colère, tristesse, angoisse, etc. L’angoisse peut revêtir des formes
différentes : angoisse de séparation, de castration, d’anéantissement. Chacune de ces
émotions induira des réactions physiologiques qui lui sont propres.
Ces représentations conscientes traumatiques génèrent d’autant plus de désordres
physiologiques qu’il y a privation comportementale. C’est ce qui explique le besoin
de décharge motrice que notre amoureux éconduit peut éprouver : faire les cent pas,
tourner en rond, etc. C’est ce qui peut expliquer sa quête de sensations venant se substi-
tuer à celles de l’émotion : consommation accrue de toxiques, etc.
65
Traité de médecine psychosomatique

Ce désordre de l’excitation engendré est labile, susceptible d’être enrayé brutalement


par la survenue d’émotions antagonistes. Il suffit que la cruelle réintègre le logis pour que
les troubles disparaissent instantanément.
Par ailleurs, la durée de l’émotion étant par définition limitée, les désordres somatiques
sont fluctuants, disparaissent par épuisement ou bien grâce à l’émergence d’une autre
émotion d’un autre type, fût-elle aussi délétère.

3-2. Représentations préconscientes et désordres de l’humeur


Des représentations préconscientes traumatiques, parasitant le psychisme du sujet,
sont susceptibles de générer un désordre émotionnel latent, subliminal. Le sujet, assiégé
par une préoccupation lancinante, telle un souci récurrent, un grief subi, un conflit interne,
un deuil douloureux, une pensée source de culpabilité, ne peut vaquer à ses occupations
et obligations sans réprimer lesdites pensées, afin de garder une disponibilité en relation
avec le principe de réalité. Les représentations traumatiques réprimées flottent, comme
nous l’avons vu, dans le préconscient, tantôt hors du champ de la conscience, tantôt
objet de résurgence si des éléments les sollicitent par association. L’échec de la répression
les laisse sourdre de manière répétitive et lancinante. Ces représentations dans l’ombre
génèrent des états affectifs latents à mi-chemin entre sentiments et émotions sublimi-
nales, source de tension persistante. Ces états définissent l’humeur.
Les manifestations somatiques y sont moins intenses que celles induites par des
représentations conscientes, mais plus durables et plus profondes. Leurs effets sont
variables selon le type de représentation réprimée : tension agressive de fond, inquiétude,
hyperréflexivité, spasmodicité viscérale, désordres vasomoteurs, tension neuromuscu-
laire, fatigue, troubles du sommeil, etc. Chez certains sujets, ces représentations précon-
scientes tapies dans l’ombre peuvent induire des réactions de caractère inattendues
paraissant isolées de leur contexte.

3-3. Représentations inconscientes : symptômes mentaux et


somatiques
Les représentations inconscientes conflictuelles génèrent habituellement des
symptômes mentaux mais, très souvent et de plus en plus, une grande part d’entre elles
ne fait pas l’objet d’une élaboration psychique. Des manifestations somatiques surgissent
alors. C’est ainsi que, chez les sujets obsessionnels, on repère de manière très fréquente
des troubles coliques spasmodiques et, chez les phobiques sociaux, des manifestations
somatiques à type d’inhibition, tels que troubles vasomoteurs, tremblements, lipothy-
mies.
™™ Alex est directeur de la sécurité dans une usine d’armements. Choisi pour sa rigueur,
son intégrité, son goût de la perfection et ses compétences techniques, Alex réussit. Sa vie
privée est réduite au strict minimum. Depuis quelques années, ses troubles obsessionnels
compulsifs (TOC) sont allés en s’accentuant. Alex vérifie tout : les portes, les serrures, le
gaz. Il lui arrive de faire plusieurs fois demi-tour en voiture pour vérifier qu’il n’ait pas
renversé un cycliste. Il passe ses soirées à « faire le point ». Ses vérifications n’apportent
bien sûr aucun soulagement. Alex est tendu en permanence, souffre de colopathie
spasmodique. Alex ne présente pas à priori de déficit de mentalisation. Son imaginaire
66
Les cibles des émotions

est développé et il a de grandes capacités créatrices. Toutefois, ses rêves se rapportent


au travail et l’imaginaire ne surgit que si on le sollicite. Les idées obsédantes ont pris le
dessus et, lorsqu’elles ne suffisent pas à endiguer l’excès d’excitation, les troubles intesti-
naux surgissent.

4. ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DES ÉMOTIONS DE BASE


4-1. Protocole
Chaque émotion de base comporte des caractéristiques qui lui sont spécifiques, et
ceci à différents niveaux : facteurs déclencheurs, but, manifestations motrices, manifesta-
tions neurovégétatives, support neurophysiologique.
La majorité des études expérimentales sur les émotions utilise des supports : discri-
mination des émotions sur un visage, étude du ressenti à partir de films, etc. L’évaluation
des modifications physiologiques se base sur l’enregistrement de certains paramètres
biologiques : conductance cutanée, rythme et fréquence respiratoire, paramètres cardio-
vasculaires, électromyogramme, IRM fonctionnelle (IRM-f), tomographie à émission de
positons (TEP).
Dans le cadre de l’École de médecine psychosomatique, j’ai mis en place en 2001, dans
un but à la fois expérimental et pédagogique, un atelier visant à inventorier les manifesta-
tions somatiques des émotions de base.
L’expérience fut renouvelée chaque année jusqu’en 2011, c’est-à-dire pendant 10 ans.
La technique consistait à proposer aux stagiaires participant à l’atelier de s’immerger dans
des représentations susceptibles de déclencher une émotion spécifique, telles un souve-
nir ayant généré celle-ci, ou encore une situation susceptible de l’induire. Les conditions
expérimentales se prêtaient à l’analyse par le sujet lui-même des sensations somatiques
induites du fait de la privation de décharge motrice (désinvestissement de la voie compor-
tementale de la fonction psychosomatique), les stagiaires étant assis, yeux fermés, en état
de relaxation légère, invités à rester le plus immobile qui soit. À l’issue de l’expérience qui
n’excédait pas sept minutes, afin d’éviter des désagréments potentiellement durables, les
stagiaires faisaient part des manifestations physiques ressentis. Celles-ci étaient collec-
tées par l’animateur de l’atelier et réparties en trois colonnes : manifestations motrices,
manifestations neurovégétatives, manifestations sensitives (ces dernières étant le plus
souvent la résultante perceptive des deux premières) et sensorielles. Chacun des deux
ateliers regroupait dix stagiaires, soit au total un recueil de vingt données. Nous présen-
tons page suivante un échantillon de la synthèse des données concernant l’émotion
colère recueillies textuellement auprès de cinq stagiaires.
Les conditions de l’expérience reproduisaient donc le premier stade de répression de
l’émotion, celui induit par la privation motrice. Les représentations et les affects n’étaient
pas réprimés, ce qui atténuait pour une part l’intensité des manifestations. Par ailleurs,
le deuxième stade de répression (contrôle de la réaction neurovégétative) était moins
intense que dans la vie sociale habituelle, les stagiaires, yeux fermés, n’ayant pas à faire
bonne figure devant un quelconque observateur.
L’expérimentation a été renouvelée à dix reprises entre 2001 et 2011. Chaque année,
vingt stagiaires participaient par groupes de dix à l’atelier. J’ai pu ainsi recueillir les données
fournies par deux cents stagiaires.
67
Traité de médecine psychosomatique

MANIFESTATIONS NEUROVÉGÉTATIVES
MANIFESTATIONS SENSIBILITÉ
MOTRICES APPAREIL SENSORIALITÉ
RESPIRATION CIRCULATION
DIGESTIF
1 Contracture des - Polypnée - Palpitations Striction épi- - Sensation de trac
mâchoires - Disparition de - Tachycardie gastrique - Sensation de vide
la respiration thoracique
abdominale
2 - Contracture des - Oppression Chaleur du
mâchoires thoracique - visage
- Besoin de bouger Besoin de respi-
- Vertige si répres- rer à fond
sion du mouve-
ment
3 Tension musculaire - Polypnée Ébullition inté- Striction épi- Impression de
dans les bras - Respiration rieure gastrique regard rouge foncé
superficielle
4 - Mains prêtes à Tachycardie Impression d’un
trembler bandeau sur la tête
- Tension générale
5 - Contracture des Impression de Chaleur de la Gorge serrée
mâchoires polypnée partie supérieure
- Crispation des du corps
mains

Exemple de recueil des données concernant l’émotion colère

J’ai recueilli les manifestations physiologiques de cinq émotions : la colère, la peur, la


tristesse, le dégoût, la joie. Chaque atelier comportait l’immersion dans une des quatre
émotions délétères (les quatre premières) puis, dans la foulée, dans la seule émotion
hédonique, la joie, ceci afin d’enrayer les perceptions désagréables induites par les
premières.
J’ai appris plus tard que ce type d’expérience correspond à ce qu’on appelle en neuros-
ciences de l’émotion l’induction interne, par opposition aux inductions externes (visualisa-
tion d’expressions émotionnelles, films suscitant des émotions, bandes sonores).
La méthode que j’utilise présente l’avantage de mettre en jeu une induction interne
à partir de représentations personnelles, contrairement aux autres techniques les plus
souvent utilisées qui proposent à des sujets différents un stimulus inducteur identique
ne tenant pas compte du vécu, du fonctionnement et de l’histoire de chacun. Les
symptômes recueillis sont ainsi plus spécifiques de l’émotion proposée, bien qu’il puisse
exister des variations individuelles tant au niveau du choix des représentations que du
vécu émotionnel et de la réactivité physiologique.
J’ai pu établir ainsi une sémiologie des émotions de base et de leur répression. La
première présentation des résultats eut lieu en 2004, elle fit l’objet d’une publication
interne à l’EMP, elle concernait la colère, la tristesse et la joie (Histoire naturelle du proces-
sus émotionnel). Entre 2004 et 2006, l’expérimentation s’est étendue à la peur et au dégoût.
En 2006, j’avais recueilli toutes les données concernant ces cinq émotions. Les expériences
effectuées entre 2006 et 2011 ont permis de confirmer les données, de les affiner, de les
compléter.

68
Les cibles des émotions

4-2. La colère
Recueil des données de l’atelier
Les chiffres entre parenthèses correspondent au nombre de stagiaires ayant présenté
ces symptômes.

MOTRICITÉ RESPIRATION CIRCULATION APPAREIL SENSIBILITÉ


DIGESTIF SENSORIALITÉ

- Tension musculaire dans - Oppression - Tachycardie - Striction pha- - Sensation de


tout le corps (4). Besoin thoracique (9). ryngée (3). trac, de vide, de
de bouger, de fuir (4). (8). - Battements - Hypersialorrhée. rétrécissement
Vertige ou tremblement - Polypnée cardiaques - Striction épi- (3).
intérieur au bout d’un superficielle forts (7). gastrique : boule, - Sensation de
certain temps (4). (5). - Battements nœud, élance- tête prise dans
- Contracture des dans les ment, brûlure (7). un étau ou un
mâchoires (10), tension oreilles, ébulli- - Spasmes abdo- bandeau (4).
des muscles de la face. tion intérieure, minaux (2). - Paresthésies
- Tension cervicale (5), des chaleur dif- ou chaleur orbi-
trapèzes (2). fuse, surtout taires, impres-
- Tension musculaire des de la partie sion de regard
membres supérieurs (3). supérieure du rouge intense (3)
- Crispation des mains, corps (2), de ou noir.
serrement des poings (4). la face (4), des - Paresthésies des
- Tension, voire myoclo- mains (2). bras, des doigts,
nies des membres infé- des cuisses, des
rieurs, cuisses et jambes jambes (4).
(7).

Émotion colère. Regroupement des signes à partir d’un atelier de dix stagiaires

Analyse sémiologique (à partir de l’ensemble des données recueillies dans tous


les ateliers)
Systèmes physiologiques concernés
70

60

50

40

30

20

10

0
Motricité Respiration Circulation Système Sensibilité-
digestif sensorialité

Systèmes physiologiques concernés par l’émotion colère

69
Traité de médecine psychosomatique

Regroupements syndromiques
Manifestations motrices : 66,6%
––Elles sont prévalentes.
––Le corps est tendu, prêt à en découdre. L’immobilité imposée laisse à terme sourdre
des vertiges ou des tremblements.
––La tension musculaire se manifeste essentiellement dans les zones corporelles solli-
citées dans l’attaque, l’appareil d’emprise : tête, rachis cervical, membres supérieurs.
––Contracture des mâchoires et, à un moindre degré, de la région orbitaire (sourcils
abaissés et rapprochés, paupière supérieure relevée), pincement des lèvres.
––Tension majeure de la région cervicale et scapulaire.
––Tension majeure des membres supérieurs, plus particulièrement des mains (tendance
à serrer les poings et les doigts).
––Tension dans les membres inférieurs en relation avec le besoin de bouger.
Manifestations respiratoires : 28,5%
––Respiration superficielle et rapide induisant une sensation d’oppression. Comme
chez l’animal à l’affût, la respiration superficielle maintient l’oxygénation nécessaire
au combat mais n’entrave pas mécaniquement celui-ci, elle prépare à l’accélération
du rythme respiratoire lorsque le combat sera engagé.
Manifestations cardiovasculaires : 45,2%
––Augmentation du rythme et du débit cardiaques, augmentation de la température
cutanée par vasodilatation plus particulièrement dans la région céphalique (afflux de
sang au cerveau, rougeur de la face) et le système musculaire sollicité par le combat
(membres supérieurs, mains).
Manifestations digestives : 28,5%
––Spasmodicité digestive : striction pharyngée et épigastrique, attestant d’une
sidération du péristaltisme digestif.
Manifestions sensorielles et sensitives : 35,7%
––Sensation de striction au niveau de la tête (front, yeux, lèvres), paresthésies au niveau
des membres, en relation avec les phénomènes neuromusculaires.
––Chaleur orbitaire et péri-orbitaire attestant d’une vasodilatation, avec perception
parfois d’une lumière rouge intense.
Synthèse et interprétation
La colère crée une tension musculaire et un afflux sanguin dans les territoires moteurs
nécessaires à l’attaque : mâchoires, région orbitaire, région cervicale, région scapulaire,
membres supérieurs, voire inférieurs. La respiration est celle de l’animal à l’affût s’apprê-
tant à bondir. Les phénomènes de striction pharyngée et épigastrique sont en relation
avec un arrêt des fonctions digestives.

Apport des autres auteurs


Autres manifestations somatiques
D’autres manifestations somatiques, que n’ont pas révélées nos expériences, mais citées
par d’autres auteurs, se retrouvent dans la colère : mydriase, hyperglycémie, hypertension
artérielle.
70
Les cibles des émotions

Durée de l’émotion
Quelques minutes à quelques heures.
Expressions mimiques
Muscles de la face contractés (sourcils froncés, lèvres tendues dans une moue
menaçante), regard fixe, dents serrées, rougeur du visage, poings crispés...
Paul Eckman, anthropologue, a étudié en Nouvelle Guinée, à la fin des années 60, les
expressions de la colère chez des Papous ayant peu de contact avec la civilisation occiden-
tale. Il confirme le caractère universel des émotions et de leurs expressions faciales, attes-
tant d’une inscription génétique de nos expressions émotionnelles. Secondairement,
les règles et repères sociaux (culturalisme), le milieu, puis l’histoire du sujet lui-même,
influencent les modalités d’expression de la colère (lèvre supérieure « raide » valorisée
dans les classes supérieures), ainsi que ses motifs de déclenchement.
Ontogenèse
Apparition chez l’enfant entre 4 et 7 mois.
Buts de la colère
La colère a deux fonctions :
––la première, très archaïque d’un point de vue phylogénétique, est destinée à l’action :
préparer au combat physique. Le tonus des muscles augmente, les modifications
cardiorespiratoires favorisent l’apport d’oxygène à ces derniers, ainsi qu’au cerveau ;
––l’autre, secondaire à la précédente, est destinée à éviter le combat en intimidant
l’autre (communication). L’expression mimique qui précède et accompagne la mise
en acte constitue à elle seule une arme de dissuasion, générant la peur chez l’autre. La
soumission de l’autre permet d’éviter le combat, procédé risqué et coûteux. Chez les
chimpanzés, elle aboutit rarement à un combat : ils se contentent de frapper le sol ou
les branches alentour. Taper du poing sur la table traduit l’excès de tension musculaire,
le désir d’agression et constitue un geste d’intimidation.
Support neuroanatomique
L’agressivité est issue directement du rhinencéphale. Mais le cortex préfrontal, plus
précisément médioventral, agit comme fonction inhibitrice de la mise en acte. Son activa-
tion favorise donc la répression. Sa déconnexion favorise l’émergence des représentations
motrices agressives, voire la mise en acte.
Cibles somatiques potentielles
––Pathologie rhumatologique mécanique si répression des représentations : bruxisme,
blocages et algies cervicales, scapulaires, cervicobrachiales, tendinites des membres
supérieurs, syndrome du canal carpien.
––Pathologie inflammatoire des mêmes régions si répression de l’affect agressif.
––Céphalées myotensives (céphalées, névralgies faciales).
––Céphalées vasculaires (algies vasculaires de la face), bouffées vasomotrices de la tête
et des membres supérieurs.
––Vertiges.
––Tachycardie, troubles du rythme, hypertension artérielle essentielle.
––Dyspnée, oppression thoracique.
71
Traité de médecine psychosomatique

––Spasmes gastriques ou pharyngés.


––Hyperglycémie.

4-3. La peur
Recueil des données de l’atelier
MOTRICITÉ RESPIRATION CIRCULATION APPAREIL SENSIBILITÉ AUTRES
DIGESTIF SENSORIALITÉ

- Contraction des mus- - Polypnée (4). - Tachycardie - Boule à la - Sensation de Envie


cles de la face : pau- - Oppression (7). gorge (2). masque (2). d’uriner
pières, frontaux, tem- et blocages - Bouffées de - Asialie, - Hypoesthé-
poraux, périorbitaires, respiratoires chaleur tête, déglutition sie, paresthé-
paupières, nez (5). (5). cou, épaules (3). sies, sensation
- Tension cervicale, - Douleur (2). - Crampe d’es- de perte des
membre supérieur, rétrosternale - Sensation de tomac (2). limites du
main (3). (1). froid au tho- - Douleur corps (3).
- Contraction des rax, dans les abdominale - Céphalée (1).
cuisses (2). bras, dans les (1).
- Hypotonie et mains (4).
sidération musculaire.
- Tremblements (3).

Émotion peur. Regroupement des signes de l’émotion


à partir d’un atelier de dix stagiaires

Analyse sémiologique
Systèmes physiologiques concernés
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Motricité Respiration Circulation Système Sensibilité- Autres
digestif sensorialité

Systèmes physiologiques concernés par l’émotion peur

Regroupements syndromiques
Manifestations digestives : 40%
––Ce sont les premières à apparaître, dès l’immersion. Ce sont des manifestations
gastro-œsophagiennes immédiates et soudaines de courte durée : asialie, besoin de
72
Les cibles des émotions

déglutir, boule à la gorge, reflux gastro-œsophagien, spasme gastrique. Si l’exposi-


tion se prolonge, des douleurs coliques apparaissent. L’ensemble des manifestations
atteste, comme dans la colère, d’une sidération du fonctionnement digestif.
Manifestations cardiovasculaires : 90%
––Ce sont les plus importantes. Tachycardie d’apparition rapide et parfois brutale.
Elle s’accompagne chez certains stagiaires de bouffées vasomotrices pulsatiles des
régions scapulaire, cervicale et faciale. Dans les autres territoires, la température
cutanée baisse (thorax, membres supérieurs, mains, doigts), contrairement à ce qui
se passe dans la colère.
––L’afflux sanguin se concentre au niveau de la tête et du cou (oxygénation cérébrale,
mise en tension perceptive, éveil). La vasoconstriction des parties distales est en
relation avec leur sidération.
Manifestations respiratoires : 80%
––Elles accompagnent les manifestations circulatoires. Polypnée accompagnée de
sensations dyspnéiques (respiration saccadée, bloquée), inductrice d’une oppression
thoracique.
Motricité : 70%
––Les phénomènes neuromusculaires apparaissent dans un troisième temps. La tension
musculaire est beaucoup moins importante que dans la colère. Elle s’accompagne de
sidération. Elle est localisée surtout au niveau de la tête : région cervicale, temporale,
frontale, orbitaire (raideur du sourcil, myoclonies palpébrales). Elle induit une sensa-
tion de masque, voire des céphalées. Elle se localise essentiellement au niveau des
muscles de la face impliqués dans la perception de la situation menaçante.
––Elle affecte aussi les autres groupes musculaires sollicités par l’autoprotection (rachis,
membres supérieurs) ou la fuite (membres inférieurs).
––La sidération musculaire s’accompagne souvent de phénomènes spasmodiques :
tremblement, myoclonies scapulaires, oculaires, bruxisme, vertiges.
––Plus tardivement encore, apparaît une sensation constante d’hypotonie musculaire,
plus particulièrement des membres inférieurs (sensation de « jambes coupées »),
accompagnée dans quelques cas de trémulations. Une tendance progressive au repli
postural, à la rétractation (le buste se fléchit en avant, les mains se rapprochent) peut
apparaître. Ces manifestations d’hypotonie des membres inférieurs et de rétracta-
tion posturale semblent mettre un terme aux manifestations neurovégétatives.
Manifestions sensorielles et sensitives : 60%
––Elles ont en commun une exagération des perceptions internes (battements, sons
internes, acouphènes, phosphènes) et une distorsion-atténuation des perceptions
externes (sons plus lointains, hypoesthésie, paresthésie, sensation de perte des
limites du corps).
Autres manifestations : 10%
––Certains stagiaires ont fait part d’une sidération de la pensée et de l’élaboration
verbale.
––Besoin d’uriner.

73
Traité de médecine psychosomatique

Synthèse et interprétation
Les manifestations constantes d’hypotonie musculaire des membres inférieurs (et plus
rarement de rétraction posturale) semblent correspondre à une réaction de passivité,
soit de type évitement passif (freezing), soit de renoncement à l’action, comme si le sujet
voulait se faire oublier, disparaître (la diminution de la perception sensorielle de certains
éléments du monde extérieur paraît s’intégrer dans cette dimension de repli). Elles
succèdent à une phase sthénique de mise en jeu d’une phase d’alarme à déterminisme
adrénergique et myotensif de courte durée, correspondant vraisemblablement à une
réaction de fuite avortée, qui elle-même se déclenche rapidement après une décharge à
type de choc au niveau de la sphère digestive haute.
Notons que la colère génère une vasodilatation des mains, alors que la peur génère
une vasoconstriction de celles-ci. H. Laborit précise que, face à la menace (attente du
combat), apparaît une vasoconstriction généralisé (peur) puis, lorsque la lutte s’engage,
une vasodilatation des territoires moteurs impliqués dans celle-ci (colère) (L’inhibition de
l’action).

Apport des autres auteurs


Autres manifestations somatiques
Chez l’animal : diarrhée, urination.
Durée de l’émotion
Quelques secondes à une heure maximum.
Stoppée par la fuite, la soumission, la réassurance.
Expressions
La réaction de peur peut débuter par une exclamation à laquelle fait suite une
sidération verbale.
Ontogenèse
Apparition chez l’enfant entre 5 et 9 mois.
Support neuroanatomique
Activation de l’amygdale basolatérale.
Buts de la peur
La peur induit une mobilisation des ressources énergétiques nécessaires à la fuite
(augmentation du débit cardiaque, tremblements attestant d’une sidération induite par
l’impossibilité de la fuite) et un repli postural défensif.
Cibles somatiques potentielles
––Tachy-arythmie, douleurs précordiales, troubles vasomoteurs, transpirations.
––Dyspnée, striction thoracique, douleurs précordiales.
––Pathologies fonctionnelles digestives : asialie, reflux gastro-œsophagien, douleurs
épigastriques, spasmodicité colique, diarrhée.
––Spasmophilie, myoclonies, tremblements, vertiges.
––Hyperesthésie ou dysesthésie sensorielle, acouphènes.
––Impériosité urinaire, polyurie.

74
Les cibles des émotions

4-4. La tristesse
Recueil des données de l’atelier
MOTRICITÉ RESPIRATION SYSTÈME APPAREIL SENSATIONS
CARDIOVAS- DIGESTIF
CULAIRE SOMESTHÉSIE SENSORIALITÉ
- Contraction des - Blocages - Tachycardie, - Salivation - Sensation - Sensation
muscles de la tête (3). respiratoires, battements (2). de déforma- de larmes
- Abaissement des oppression cardiaques - Constriction tion corpo- imminentes
sourcils (2). thoracique, plus forts (8). pharyngée relle, d’allon- (7).
- Abaissement des respiration - Bouffées de (8). gement, de
commissures labiales superficielle, chaleur (6). - Difficulté à rétrécisse-
(3). saccadée, - Transpira- déglutir (3). ment asymé-
- Tension et lourdeur souffle court, tions (5). - Striction trique (2).
douloureuse du rachis besoin de - Sensation épigastrique - Picote-
dorsal, des épaules, du reprendre de de froid (4). (6). ments, pares-
rachis dorsal et lom- grandes inspi- - Tension thésies de la
baire (9), des bras et rations (9). douloureuse tête et des
des mains (3). abdominale membres (6).
- Abattement général, (2). - Visage car-
lourdeur du corps, tonneux, figé
attraction vers le bas (2).
(4). - Douleurs
- Lourdeur et hypo- diffuses,
tonie des membres céphalées (2).
inférieurs (5).

Émotion tristesse. Regroupement des signes de l’émotion


à partir d’un atelier de dix stagiaires

Analyse sémiologique
Systèmes physiologiques concernés
58

56

54

52

50

48

46

44
Motricité Respiration Circulation Système Sensations
digestif

Systèmes physiologiques concernés par l’émotion


tristesse

75
Traité de médecine psychosomatique

Manifestations motrices : 55,3%


––Crispation cartonnée et figée des muscles de la face.
––Abattement, raideur, lourdeur douloureuse de tout le corps, plus particulièrement
du rachis (cervical, dorsal, lombaire), des ceintures, des membres.
Manifestations respiratoires : 53,2%
––Oppression thoracique avec blocages respiratoires intenses, souffle court, soupirs.
Manifestations digestives : 49,3%
––Striction pharyngée, hypersialorrhée, difficulté à déglutir (nœud à la gorge), stric-
tion épigastrique (boule, creux, brûlure, gêne), tension douloureuse abdominale. Ces
manifestations traduisent un ralentissement péristaltique digestif.
Manifestations cardiovasculaires : 55,3%
––Augmentation du rythme cardiaque.
––Troubles vasomoteurs variables : vasodilatation (bouffées de chaleur, transpira-
tions), sueurs froides, vasoconstriction (sensation de froid, baisse de la température
cutanée).
Manifestions sensorielles et sensitives : 57,3%
––Sensation de déformation corporelle (asymétrie, allongement du corps unilatéral,
d’un membre, rétrécissement).
––Paresthésies (picotements, fourmillements) : cuir chevelu, lèvres, membres.
––Douleurs rachidiennes, céphalées.
––Envie de pleurer.
Synthèse et interprétation
La tristesse induit une sensation de pesanteur, des pauses respiratoires, des troubles
vasomoteurs, un repli général, attestant d’une baisse de l’élan vital, d’un vécu de défaite.
Les pleurs sont destinés à limiter la pression oculaire induite par la souffrance.

Autres études et autres auteurs


Autres manifestations somatiques
Baisse de la température cutanée
Durée de l’émotion
Un à plusieurs jours.
Expressions
Expression mimique : sourcils froncés, abaissement des commissures labiales, inexpres-
sivité.
Exclamation et plus souvent sidération verbale, silence (émotion plutôt silencieuse).
Support neurophysiologique
Activation de l’amygdale, du thalamus et du cortex préfrontal médian.
Cibles potentielles
––Spasmodicité et ralentissement digestif.
––Douleurs diffuses, céphalées, rachialgies.
––Asthénie.

76
Les cibles des émotions

––Vasoconstriction cutanée.
––Oppression thoracique, spasmes respiratoires.
––Paresthésies

4-5. Le dégoût
Recueil des données de l’atelier
MUSCLE RESPIRATION CIRCULATION SYSTÈME SENSIBILITÉ
DIGESTIF SENSORIALITÉ
- Crispation des - Polypnée - Chaleur du - Striction pha- - Paresthé- - Larmoie-
muscles de la face superficielle visage, surtout ryngée gênant la sies à type ment (7).
(9) : horripilation des (5). des joues (7). déglutition (6). de picote- - Acou-
cheveux, froncement - Réflexe de - Sensation de - Hypersialorrhée ments de phènes (2).
des sourcils, tension toux (1). froid dans le (5). la partie
des lèvres, abaisse- - Dilatation dos, les mains, - Nausées (6). supérieure
ment des commissures des narines, les pieds (6). - Reflux, éructa- du corps
labiales, retroussement serrement tions (3). (5).
de la lèvre supérieure. racine du nez, - Spasme épi- - Sensation
- Contracture des écoulement gastrique (3). de vide
mâchoires (4). nasal (2). - Sensation de général en
- Contracture et rétro- viscères qui fin d’exer-
pulsion cervicale et de remontent et de cice (5).
la partie supérieure du vide abdominal
corps (7). (2).
- Contractures scapu-
laire (3).
- Tension des bras et
des mains (3).
- Hypotonie des
membres inférieurs (5).

Émotion dégoût. Regroupement des signes de l’émotion


à partir d’un atelier de dix stagiaires

Analyse sémiologique
35

30

25

20

15

10

0
Motricité Respiration Circulation Digestion Sensations

Systèmes physiologiques concernés par l’émotion dégoût

77
Traité de médecine psychosomatique

Manifestations motrices : 33,9%


––Crispation des muscles de la face pour que rien ne pénètre (nez, bouche, yeux).
––Contracture des mâchoires, recul de la tête, rétraction du haut du corps (tension
cervicale et scapulaire), tension des membres supérieurs, pour repousser l’objet, s’en
éloigner, le rejeter.
––Hypotonie secondaire des membres inférieurs.
Manifestations respiratoires : 11,3%
––Polypnée superficielle, blocage de la respiration, réflexe de toux.
––Voies aériennes supérieures : serrement racine du nez, pincement du nez, vasodilata-
tion nasale, écoulement nasal.
Manifestations cardiovasculaires : 14,8%
––Vasodilatation (chaud) de la face, des joues.
––Vasoconstriction (froid) thorax, région dorsale, extrémités (mains, pieds), chair de
poule, frissons.
––La vasodilatation concerne les zones luttant contre l’objet, la vasoconstriction les
zones à l’abri de l’objet.
Manifestations digestives : 24,3%
––Striction pharyngée, blocage de la déglutition, hypersialorrhée, nausées constantes
reflux, éructations, spasme épigastrique, destinés à rejeter, à expulser l’objet.
Sensibilité, sensorialité : 15,7%
––Paresthésies (picotements) de la face, des membres supérieurs, des mains, des
jambes, en relation avec les manifestations motrices.
––Sensation de vide général en fin d’exercice.
––Réactions défensives des organes des sens : larmoiement, acouphènes.
Synthèse et interprétation
Le dégoût génère fuite, évitement, rejet de l’objet, fermeture et protection contre
lui (nausées, obstruction nasale, rétraction posturale, mise à distance, diminution des
perceptions sensorielles).

Autres études et autres auteurs


Support neurophysiologique
Activation du cortex cingulaire antérieur, du thalamus et du cortex préfrontal médian.
Cibles potentielles
––Troubles digestifs : striction pharyngée, dysphagie, nausées, vomissements, spasmes
œsophagiens et gastriques, hypersialorrhée.
––Troubles vasomoteurs.
––Coryza spasmodique, anosmie.
––Spasmes respiratoires.

78
Les cibles des émotions

4-6. La joie
Recueil des données de l’atelier
MOTRICITÉ RESPIRATION CIRCULATION DIGESTION SENSATIONS
SENSORIALITÉ SOMESTHESIE
- Relâchement, - Respira- - Chaleur diffuse - Chaleur Sensation de : - Larmes aux
détente musculaire tion ample, (8). abdominale, - expansion, yeux (2).
générale (10). profonde, - Chaleur des borborygmes dilatation du - Lumino-
- Envie de bouger, calme, régu- mains (7), des (2). corps (9), sité, clarté
de sautiller, de se lière, efficace, membres (5), - lévitation, (7), lumière
lever, de s’étirer (5), ampliation pelvienne (3), envol, attrac- blanche (1),
pouvant générer thoracique génitale (2). tion vers le rose (1),
des impatiences (9): - Battements haut (8), solaire (2),
ou des myoclonies - Respiration cardiaques plus - plénitude (6), orange (1).
dans les membres. abdominale forts (6). - légèreté (10), - Hyperacui-
- Sourire (9). profonde (2). - flottement té sensorielle
- Détente des (3), sonore (3).
muscles de la face, - immatérialité
du front, des pau- (2),
pières, visage lisse - ouverture,
(7). dilatation des
- Relâchement pores de la
cervical, des peau (3),
mâchoires (2). - frissons, vibra-
tions au niveau
rachidien (2).

Émotion joie. Regroupement des signes de l’émotion


à partir d’un atelier de dix stagiaires

Analyse sémiologique
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Motricité Respiration Circulation Digestion Sensations

Systèmes physiologiques concernés par l’émotion joie

79
Traité de médecine psychosomatique

Manifestations motrices : 45%


––Relâchement musculaire général, détente.
––Relâchement des muscles de la face (sauf muscles zygomatiques et grand orbicu-
laire), du front, des paupières, visage « lisse », des mâchoires, de la région cervicale.
––Sourire : contraction des muscles zygomatiques et de la partie externe de l’orbicu-
laire des yeux (plissement des yeux, abaissement des sourcils).
––Relâchement de la région cervicale (sensation de déplacement de la tête en arrière,
besoin de la retenir).
––Érection et redressement du corps.
––Envie de bouger, de sautiller, de se lever, de s’étirer, pouvant générer des impatiences
ou des myoclonies dans les membres.
Manifestations respiratoires : 40%
––Respiration ample, profonde, de meilleure qualité.
––Ouverture thoracique et participation de la respiration abdominale.
Manifestations cardiovasculaires : 38%
––Baisse de la fréquence cardiaque avec sensation de force cardiaque.
––Vasodilatation inductrice de chaleur diffuse, volontiers ascendante. Topographie
plus localisée selon les sujets : mains, face, membres, région pelvienne et génitale
(excitation génitale).
Appareil digestif : 5%
––Le fonctionnement digestif se régularise, les symptômes digestifs disparaissent.
Manifestations sensorielles et sensitives : 100%
Somesthésie :
––légèreté accompagnée de sensations variables : envol, apesanteur, flottement, lévita-
tion ;
––expansion, dilatation du corps, ouverture, porosité (pores de la peau) ;
––parfois, frissons au niveau rachidien.
Sensorialité :
––visuelle : fréquence de l’impression d’une « lumière » blanche, orangée, jaune, solaire,
larmes aux yeux ;
––auditive : augmentation des sons extérieurs, impression d’oreilles qui se débouchent ;
––perception accrue des odeurs.
Synthèse et interprétation
Le relâchement musculaire atteste de la cessation du combat. La victoire est acquise,
le corps se redresse et occupe l’espace. À la vigilance qui n’a plus lieu d’être se substitue
l’ouverture au monde extérieur (hyperacuité sensorielle), le désir de fusion avec l’objet. La
paix est instaurée, c’est le temps du partage, du repos, de l’assimilation, de la reproduc-
tion, qu’orchestre le système parasympathique.

80
Les cibles des émotions

Autres études
Durée de l’émotion
Une heure à un jour.
Expressions de l’émotion
Lorsque l’émotion s’exprime :
––rires, recherche du contact, approche, mimique ;
––parole et voix : exclamation, réaction verbale.
Ontogenèse
Apparition chez l’enfant entre 3 à 5 mois.
Dimension éthologique
D’un point de vue phylogénétique, plusieurs situations peuvent induire la joie :
––la victoire à l’issue du combat,
––la réussite dans une tache,
––le soulagement après l’épreuve,
––la découverte du nouveau-né après l’accouchement,
––les retrouvailles avec l’objet,
––la nourriture après la faim,
––le rapprochement sexuel.
Support neurophysiologique
Activation du thalamus et du cortex préfrontal médian.
Cibles potentielles
Les cibles somatiques de l’émotion joie sont celles des quatre émotions délétères
précédentes. La joie fait disparaître tous les symptômes que celles-ci ont pu générer. Elle
en constitue la thérapeutique.

4-7. Synthèse générale
Précisions physiopathologiques
Les manifestations spasmodiques digestives de la colère et de la peur sont en relation
avec une interruption du péristaltisme, consommateur inutile d’énergie.
Certaines manifestations cliniques sont communes à plusieurs émotions de base. C’est
le cas de la polypnée superficielle et de la tachycardie, communes à la colère et à la peur,
état de l’animal qui se prépare au combat ou à la fuite. C’est aussi le cas du larmoiement,
prémices des pleurs, qui peuvent exprimer la tristesse bien sûr, mais aussi la colère (pleurer
de rage), le dégoût (les oignons…) ou la joie (retour de l’être aimé, fin d’une période de
souffrance). Les pleurs sont destinés à diminuer la pression oculaire induite par l’émotion.
La joie est la seule émotion de base à valence hédonique. Dans la joie, la défense n’a
plus lieu d’être. Peur, colère, tristesse, dégoût se déclenchent en temps de « guerre ». La
joie et ses effets (sexualité, assimilation, relation à l’autre) ne peuvent apparaître qu’en
temps de « paix ».

81
Traité de médecine psychosomatique

Répartition entre signes neuromusculaires et signes neurovégétatifs

Manifestations motrices Manifestations But


neurovégétatives
Colère - Tension musculaire des - Tachycardie - Hypertension. Attaque
mâchoires, du rachis cervical, - Vasodilatation de la face et des
des membres supérieurs. membres supérieurs.
- Myoclonies. - Spasme gastrique et pharyngé.
- Polypnée, oppression thora- - Hyperglycémie.
cique.
- Céphalées myotensives.
Peur - Tremblements. - Tachycardie. Fuite
- Hypotonie des membres infé- - Bouffées vasomotrices de la
rieurs. partie supérieure du corps -
- Vertiges. Vasoconstriction des mains.
- Acouphènes - Phosphènes. - Spasme gastrique et pharyngé
- Asialie.
- Reflux gastro-œsophagien -
Diarrhée.
Tristesse - Blocage respiratoire. Soupirs. - Ralentissement des fonctions Soumission
- Enroulement axial. digestives : crampes ou brûlures
- Hypotonie générale. épigastriques, constipation.
- Douleurs axiales. - Hypersialorrhée.
- Vasoconstriction.
Dégoût - Rétraction posturale. - Nausées. Rejet
- Apnées. - Rhinorrhée.
- Vasoconstriction générale.

Répartition des manifestations motrices et neurovégétatives


de quatre émotions de base

82
Les cibles des émotions

Synthèse des cibles somatiques émotionnelles

Émotion Effets somatiques induits Cibles somatiques potentielles


de base par la répression de l’émotion

Colère - Tension musculaire des membres supé- - Pathologie rhumatologique : bruxisme,


rieurs, de la région cervicale et de la tête. cervico-scapulo-brachialgies, rhumatismes
- Augmentation du rythme et du débit ab articulaires des membres supérieurs,
cardiaques, vasodilatation au niveau des syndrome du canal carpien.
mains, de la face. - Céphalées myotensives ou congestives,
- Oppression respiratoire. algies vasculaires de la face, névralgies
- Spasmodicité gastrique. faciales, bouffées vasomotrices de la tête et
des membres supérieurs.
- Tachycardie, troubles du rythme.
- Hypertension artérielle essentielle.
- Dyspnée, oppression thoracique.
- Gastralgies.
Peur - Tachycardie, bouffées vasomotrices des - Tachy-arythmie, douleurs précordiales,
régions thoracique haute, cervicale et troubles vasomoteurs, transpirations.
faciale. - Oppression thoracique.
- Polypnée. - Asialie, reflux gastro-œsophagien, dou-
- Spasme gastrique, gastro-œsophagien, leurs épigastriques, spasmodicité colique,
asialie. diarrhée.
- Spasmodicité colique. - Spasmophilie, myoclonies, tremblements,
- Tremblement, myoclonies scapulaires. vertiges.
- Hypotonie musculaire des membres - Hyperesthésie ou dysesthésie sensorielle,
inférieurs, repli postural. acouphènes.
- Augmentation des perceptions internes. - Impériosité urinaire, polyurie, dysurie
fonctionnelle.
Tristesse - Ralentissement péristaltique digestif. - Spasmodicité digestive haute.
- Augmentation du rythme cardiaque, - Constipation.
vasoconstriction cutanée. - Algies.
- Tension musculaire de la face, de la région
scapulaire, myoclonies des mains, lourdeur
du corps, hypotonie des jambes.
- Oppression thoracique avec apnées tran-
sitoires.
- Paresthésies.
Dégoût - Tension cervicoscapulaire et maxillaire. - Pathologie digestive haute, nausées, dys-
- Vasodilatation de la face, vasoconstriction phagie fonctionnelle.
dans les autres territoires. - Coryza spasmodique.
- Striction pharyngée, nausées,
spasmodicité gastro-œsophagienne,
hypersialorrhée, vasodilatation de la face,
larmoiement.
- Blocage respiratoire, apnée.
- Larmoiement, congestion nasale.

Cibles somatiques de quatre émotions de base

83
Traité de médecine psychosomatique

Et la surprise…
Elle n’a pas été expérimentée en atelier car c’est une émotion très fugitive, laissant
rapidement la place aux autres émotions, et sa valence est variable selon le caractère de
l’événement. Le projet est à l’étude. Il nécessite la mise en place de trois ateliers selon le
contenu de la représentation inductrice : surprise agréable (un cadeau, un événement
heureux), surprise désagréable (surprise à connotation agressive : agression physique,
mouvement externe agressif inattendu, tape dans le dos), surprise neutre (une aurore
boréale ou une éclipse de soleil non programmée, une visite inattendue). Le recueil des
données permettra de confronter les éléments communs entre chacune des trois.
Les données des études sur la surprise effectuées par d’autres auteurs mentionnent :
––baisse de la fréquence cardiaque, baisse de la température cutanée ;
––ontogenèse : apparition chez l’enfant entre 1 et 3 mois.

4-8. Incidences pratiques
La pathologie
Les phénomènes somatiques générés par les émotions négatives, colère, peur, tristesse,
dégoût, sont autant de pistes cliniques permettant au praticien d’articuler certains
symptômes éminemment fréquents avec le vécu émotionnel sous-jacent. Par exemple,
devant un sujet présentant des douleurs et une tension musculaire au niveau des mains,
des mâchoires ou de la ceinture scapulaire, ou bien des vertiges, le praticien, tout en
continuant son investigation clinique habituelle, pourra évoquer une possible répression
de l’émotion colère. Ainsi, à partir de la sensation décrite par le patient, se qualifie l’émo-
tion et, de fil en aiguille, le sentiment puis la représentation, permettant ainsi de découvrir
le sujet derrière des symptômes habituellement négligés ou laissés en jachère du simple
fait qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une objectivation par les investigations cliniques et
paracliniques habituelles.
Le praticien formé à la psychosomatique connaît et utilise la clinique des émotions.
Face à de nombreux symptômes, la représentation d’une potentielle émotion réprimée
surgit. Ainsi, le praticien amènera le patient, le plus souvent au travers d’images et de
métaphores, à qualifier en plusieurs temps successifs ses perceptions, puis son ressenti et
enfin son vécu.
Nous avons inventorié un nombre important de signes fonctionnels rencontrés en
médecine générale et qui entrent dans la section confuse des « troubles somatoformes »
du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM, Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux). On comprendra que les investigations paracliniques
habituelles soient négatives bien que certains procédés de mesure en laboratoire de
physiologie aient pu matérialiser ces phénomènes. En tout cas, le sujet n’a pas « rien »
et c’est tout sauf « dans la tête » car, lorsque la rementalisation se produit, le désordre
physiologique diminue, s’efface, voire disparaît.

Utilisation de l’antagonisme émotionnel


Des émotions opposées s’expriment volontiers par la stimulation de groupes muscu-
laires antagonistes (Darwin). Chez le chien menaçant, les oreilles sont dressées, la bouche
grande ouverte avec la lèvre supérieure rétractée ; chez le chien soumis, les oreilles sont
84
Les cibles des émotions

abaissées, la bouche close ou mi-close avec les lèvres relâchées. Chez l’homme, la satisfac-
tion s’accompagne d’un sourire avec élévation des commissures labiales, le dégoût ou la
tristesse s’accompagne d’une moue avec abaissement des mêmes commissures (Cosnier,
Psychologie des émotions et des sentiments).
Les émotions antagonistes peuvent être circonstancielles ou volontairement induites
par de nouvelles représentations. Ainsi, une bonne mentalisation latérale constitue en
dernier lieu un garde-fou contre les désordres émotionnels. Il s’agit d’un phénomène
d’échappement que l’on peut qualifier de mentalisation transversale, dont la richesse est
fonction du capital disponible des représentations.
Représentations R1
latérales R 2

A1

Élaboration

Décharge motrice

Émotion 2 hédonique Émotion 1 délétère

Échappement

Émotion antagoniste et mentalisation transversale

4-9. La recherche officielle


Une carte corporelle des émotions établie grâce à une étude finlandaise (Nummen-
maa L.) a été publiée dans les comptes rendus de l’Académie des sciences américaines
(PNAS) en décembre 2013. Cette topographie qualifiée d’« inédite » (selon Le Figaro du 7
janvier 2014) confirme une large partie de nos constatations de 2006 et de 2011. Le proto-
cole de cette étude était la présentation à 701 volontaires d’images ou de vidéos suscep-
tibles d’induire une émotion spécifique. Les participants devaient représenter sur une
silhouette humaine les parties de leur corps qui se trouvaient sollicitées ou au contraire
dont l’activité était diminuée.
À la lecture de l’article du Figaro du mardi 7 janvier 2014 de Pauline Fréour qui décrit
cette étude, il semblerait que la définition des zones stimulées dans le processus émotion-
nel n’établisse pas de discrimination entre les deux composantes motrice et neurovégéta-
tive, discrimination que j’ai établie en 2006. Le Figaro rapporte les propos de :
––Nummenmaa L. : « Nous avons été surpris de constater qu’à chaque émotion corres-
pondait une combinaison précise de sensations… »
––Millot J.-L., à propos de la cartographie de l’émotion composite bonheur : « En regar-
dant la silhouette cartographiée, on pense effectivement à l’expression “rayonner de
bonheur”. »
85
Traité de médecine psychosomatique

––Sequeira H. : « Quelle que soit l’émotion ressentie, elle n’est pas anodine pour
le corps… Les émotions sont une véritable interface entre le cerveau et le corps…
C’est d’ailleurs ces liens qu’explore la médecine psychosomatique, selon laquelle “des
émotions répétées peuvent avoir chez certains individus prédisposés, un impact positif
(guérison plus rapide d’un cancer) ou négatif (vulnérabilité cardiovasculaire, asthme)
sur la santé, en frappant de façon répétée et inutile sur le même organe”. »
Suite de l’article : « Il reste désormais à définir pour chaque “carte émotionnelle” des
indicateurs physiologiques précis qui pourraient être mesurés de façon objective et
permettraient de repérer d’éventuels dysfonctionnements émotionnels. » C’est ce que
j’avais proposé en 2004.

4-10. Les émotions composites


À partir des émotions de base, se sont progressivement développées, par combinai-
son, intrication ou antagonisme, des émotions composites. Elles s’étalent plus longtemps
dans le temps et peuvent être continues ou récurrentes.
Appelés encore émotions secondaires, ces vécus affectifs composites seraient davan-
tage liés au développement du langage, de la conscience de soi, de l’auto-évaluation et
des élaborations cognitives. Ils se situeraient donc à l’interface du sentiment et de l’émo-
tion. D’un point de vue ontogénique, ces émotions secondaires émergent tardivement
chez l’enfant, entre la première et la quatrième année.
Amour, angoisse, désir, haine, frustration, peine, chagrin, douleur morale, mépris,
intérêt, admiration, sympathie, culpabilité, hostilité, honte, embarras, déception, jalou-
sie, envie, fierté, orgueil, résignation, prudence, constituent, entre autres, des émotions
composites.
Les constituants primaires de ces états affectifs durables peuvent être des émotions
de base ou d’autres émotions composites. À titre d’exemple, l’hostilité associe colère et
dégoût ; la déception, surprise et tristesse ; la prudence, intérêt et peur ; la frustration,
déception et colère.
L’angoisse est, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, le produit d’un antago-
nisme entre différentes émotions de base (colère, peur) ou de la répression d’autres
émotions (colère, tristesse, dégoût). La dépression est en relation avec la tristesse, le
dégoût et le retournement de la colère contre soi.
La honte se manifeste par des réactions neurovégétatives (vasodilatation des vaisseaux
de la face), motrices (abaissement du regard, inclinaison en avant de la tête), comporte-
mentales (dissimulation du regard, du visage ou du corps, fuite). Elle apparaît chez l’enfant
entre 15 et 24 mois, donc tardivement car elle est liée à la conscience sociale de soi.
Quant à l’amour, que nous aborderons dans la deuxième partie de cet ouvrage, c’est la
bouteille à l’encre, tout au moins dans la langue française. Les Anglais distinguent like et
love et les Grecs distinguaient éros (désirer ce qu’on n’a pas : excitation-intérêt-prédation),
philos (aimer ce qu’on a : désir-tendresse-attachement), et agapè (aimer sans désirer ce
qu’on n’a pas : joie-déférence-oblation). On est loin de la panoplie érotico-consumériste
de la postmodernité.
Émotions de base et émotions composites, lorsqu’elles se prolongent dans le temps,
diminuent d’intensité. L’émotion laisse alors la place à l’humeur, prolongement durable
de l’émotion mais d’intensité plus faible, tonalité affective de base, résultante de micro-
86
Les cibles des émotions

Sentiment de honte

Abaissement du regard

e Dissimulation du visage ou du corps

Vasodilatation de la face

Fonction psychosomatique primitive de la honte

émotions subliminales prolongées (donc moins conscientes) moins intenses, d’éprouvés


affectifs durables. Ainsi, la colère donnera l’irritabilité, la joie aiguë l’euphorie, la peur
l’appréhension, etc.
Dans les sociétés humaines, lorsque les individus deviennent trop nombreux et les
intérêts trop complexes, la circulation des informations devient de plus en plus cognitive
(politique, administrative, technique, monétaire) et de moins en moins affective. C’est ce
qu’on appelle la communication. Bien que le terme émotion n’ait jamais été autant utilisé
(« Beaucoup d’émotion ! » nous certifient les journalistes après chaque fait divers parti-
culièrement glauque), les émotions et les sentiments ne circulent plus, hormis peut-être
chez les responsables politiques qui font régulièrement part de leur « émotion »… Elles
ne sont plus nommées, ni discriminées et ne doutons pas qu’elles risquent, à terme, de
ne plus être ressenties.

87
Chapitre 4

LES RÉACTIONS ADAPTATIVES

1. INTRODUCTION
L’adaptation est sollicitée chaque fois que l’individu doit faire face à un changement
interne ou externe : adaptation sensorielle, adaptation motrice, adaptation psychique.
D’un point de vue biologique, l’adaptation implique une mobilisation interne des
ressources d’un individu pour s’ajuster à une nouvelle situation qui, elle, ne s’ajuste pas en
règle générale à l’individu.
L’adaptation chez l’animal est déterminée par les besoins fondamentaux d’une espèce
ou d’un individu qui sont, selon une séquence chronologique : la sauvegarde, le relation-
nel, la subsistance, la récupération. Ils mobilisent les instincts vitaux (agressivité, sexualité,
instinct alimentaire, rythmes biologiques) et, chez certains animaux, l’apprentissage.
Chez les mammifères, on repère déjà des limites au processus d’adaptation. Lorsque le
milieu est défaillant, lorsque l’animal est limité dans ses agissements ou lorsque la réponse
de l’autre est inadaptée, la réaction, après un temps de latence marqué par des manifes-
tations anxieuses, est souvent stéréotypée : léchage, érosion d’une partie du corps, etc.
Lorsque ces manifestations motrices de décharge ne suffisent pas à évacuer l’afflux d’exci-
tations, l’animal développe des pathologies somatiques : dermatoses, ulcères digestifs,
diabète, atteinte surrénalienne, etc.

SURPRISE JOIE

Flight

Victoire
PEUR Fight COLÈRE
Défaite - Échec

Freezing
Angoisse

Obstacle

Épuisement TRISTESSE

DÉGOÛT Dépression

Émotions et séquences adaptatives


89
Traité de médecine psychosomatique

2. LA RÉPRESSION DE L’AGRESSIVITÉ


La répression de l’agressivité précède l’attaque, y compris chez les invertébrés. Le but
à atteindre nécessite un minimum de stratégie : dissimulation, leurre, préparation. C’est
le prédateur qui se tapit dans les hautes herbes, le coureur de 100 m immobile sur les
starting-blocks, le commercial qui anticipe la meilleure stratégie pour convaincre, l’étu-
diant qui réfléchit à la meilleure façon de se présenter à l’épreuve orale. Toutes ces situa-
tions mobilisent l’éveil, la vigilance, la réflexion, l’anticipation de l’action, la retenue. Le
corps est l’objet de modifications physiologiques destinées à lui apporter l’énergie néces-
saire pour réussir. Les sens sont exacerbés, le système musculaire en tension, et tout ce qui
pourrait porter atteinte au but fixé est l’objet d’une inhibition : les autres préoccupations
certes, mais aussi les fonctions physiologiques qui ne sont pas utiles dans l’instant (sexua-
lité, fonctions digestives, récupération).
De telles situations mobilisent l’agressivité et la répriment de concert, le temps que
l’action se déclenche. Elles ne sauraient perdurer sans que l’homéostasie n’en fasse les
frais. Heureusement, dans la plupart des cas, l’action vient y mettre un terme. L’action
utilise les ressources énergétiques mobilisées et le corps se libère de la répression. Lorsque
l’immobilité perdure, lorsque l’action demeure impossible, la répression de l’agressivité
attaque le corps. Le même phénomène se retrouve chez le sujet en état d’immobilisation
forcée, tout au moins au début avant qu’il ne renonce. La seule différence est qu’il n’a pas
choisi cette situation.
La clinique psychosomatique de la répression de l’agressivité varie avec la durée et
le devenir du combat. Si, dans la phase sthénique, la répression de l’agressivité est une
réaction nécessaire à l’anticipation de l’action, plus tard, lorsque la lutte se sera avérée
inefficace, l’agressivité persistante n’aura d’autre issue que le retour de la répression, le
déplacement ou le retournement de l’agressivité contre soi. À la répression de l’agressi-
vité, la défaite associera la tristesse ou la honte. C’est ainsi que s’instaurent les dépressions.

2-1. Fonction psychosomatique de l’agressivité


R : fantasme agressif,
représentations motrices agressives

A : haine, rancœur Paroles agressives

C : violence physique

émotion colère

Tension musculaire,
stimulation orthosympathique, etc.

Fonction psychosomatique de l’agressivité


90
Les réactions adaptatives

2-2. Fonction psychosomatique de la répression de l’agressivité


R : fantasme agressif

A : haine, rancœur

C : violence physique

Pathologies somatiques

Fonction psychosomatique de la répression de l’agressivité

2-3. Les pathologies de la répression de l’agressivité


Les rhumatismes
Étymologiquement, la rhumatologie concerne au départ les processus articulaires
pathologiques fluxionnels : inflammation, épanchement. Rhume (de rheuma : « fluxion »,
c’est-à-dire afflux de liquide dans une partie de l’organisme) qualifie le gonflement propre
à certaines affections articulaires. La rhumatologie étendra son champ d’investigation
aux autres affections de l’appareil moteur non liées à une fluxion : rhumatismes dégénéra-
tifs, mais aussi névralgies, radiculalgies, pathologies tendineuses, ligamentaires et neuro-
musculaires. La deuxième partie du xxe siècle distingue les rhumatismes inflammatoires
et les rhumatismes mécaniques.

Rhumatismes mécaniques
Dans les pathologies motrices mécaniques, entrent en jeu des fragilités individuelles,
des sollicitations mécaniques et une répression constante des représentations motrices
agressives. Celle-ci s’accompagne, comme nous l’avons vu, d’une méconnaissance par le
sujet des motifs de son état de tension. L’affect agressif, faute d’arrimage à la représenta-
tion réprimée, se déplace le plus souvent, sur ce qui se présente de moins compromet-
tant. C’est ainsi que ces malades, souvent difficiles, car se vivant comme incompris – ce en
quoi ils n’ont pas tout à fait tort, ayant essayé toutes les techniques, tous les procédés –,
finissent pour certains par tomber dans la revendication, exprimant souvent un affect
agressif à l’encontre du corps médical ou d’un hypothétique persécuteur, objet qui n’a
que peu de chose à voir avec le traumatisme inaugural. Persécutés par leur conjoint qui
« n’y est pour rien », ils incrimineront la position du siège de leur voiture ou leurs condi-
tions de travail. Maltraités dans leur travail, ils rendront responsable le pincement articu-
laire dont ils étaient porteurs bien avant de souffrir. Le rhumatisant mécanique est tendu
dans une attitude de combat à l’égard d’un ennemi qu’il ne parvient plus à identifier.
La pathologie se manifestera dans les territoires moteurs impliqués dans l’attaque,
avec en premier lieu l’appareil d’emprise : tête, mâchoires, rachis cervical, membres
91
Traité de médecine psychosomatique

supérieurs. Les désordres physiopathologiques sont à type de tensions neuromusculaires,


de blocages moteurs, de conflits anatomiques, de crampes, de douleurs. Si cet état se
prolonge, des pathologies peuvent apparaître : céphalées myotensives, névralgies faciales,
algies vasculaires de la face, troubles de l’articulé dentaire, bruxisme, cervicalgies, torti-
colis, douleurs cervicoscapulaires, névralgie cervicobrachiale, tendinites des membres
supérieurs, syndrome du canal carpien.

Rhumatismes inflammatoires
En ce qui concerne la répression de l’affect agressif, qu’elle s’accompagne ou non de
répression des représentations associées, la clinique nous a amené à considérer qu’elle
génère plutôt des désordres humoraux dans les mêmes territoires. Notons que le
terme humeur définit aussi bien un état affectif qu’une entité somatique. Les désordres
humoraux en cause sont essentiellement ceux qui participent aux processus inflamma-
toires ou auto-immuns, c’est-à-dire aux processus de défense somatiques.
La répression prolongée du sentiment agressif générerait donc l’inflammation, ce
qui nous a permis d’avancer l’hypothèse suivante : « Lorsque la flamme désinvestit le
psychisme, elle s’attaque au corps. » Ainsi, l’inflammation du corps surgit lorsque le senti-
ment s’éteint, le corps s’enflamme lorsque le psychisme ne s’enflamme plus. (Pongy, Les
cibles somatiques.)
Les maladies inflammatoires vont concerner dans un premier temps, à l’instar de la
répression des représentations, les systèmes organo-fonctionnels destinés à l’attaque.
C’est ainsi que de nombreuses polyarthrites débutent par une inflammation des articu-
lations de la main. Si la répression perdure, l’inflammation s’étendra à d’autres zones. La
pathologie auto-immune peut en constituer l’aboutissement.

Les inflammations viscérales


Les cibles de la répression de l’affect agressif ne se limitent pas à l’appareil locomoteur.
De nombreuses maladies inflammatoires viscérales ou muqueuses comportent dans leur
déterminisme ce processus. Il en est ainsi des maladies inflammatoires intestinales à leur
début et de certaines inflammations muqueuses telles que les vulvovaginites. Nous les
aborderons dans la troisième partie de ce livre.

La pathologie anxieuse
Ses causes sont multiples. Parmi celles-ci figure chez certains sujets la répression de
l’agressivité, essentiellement celle de l’émotion colère. Nous avons vu que la répression
de l’expression émotionnelle portait surtout sur la motricité et pour une petite part sur
les réactions neurovégétatives potentiellement exposées au regard de l’autre. Mais le
contrôle émotionnel a des limites, plus particulièrement au niveau de la réaction neuro-
végétative car, comme son nom l’indique, le système nerveux autonome n’en fait qu’à sa
tête : sauf entraînement régulier et intensif, il est difficile de contrôler le rythme cardiaque,
les phénomènes vasomoteurs, les spasmes gastriques, la glycémie.
L’émotion étant par définition un phénomène de courte durée, ces désordres
aboutissent rarement à des maladies chroniques, mais le contrôle permanent des
réactions émotionnelles peut générer par contre des désordres durables tels que troubles
cardiovasculaires (tachyarythmie, bouffées vasomotrices), spasmes digestifs, vertiges,
gastralgies, dyspnée, tremblements, hyperglycémie.
92
Les réactions adaptatives

Dans le meilleur des cas, la répression du comportement agressif peut susciter l’émer-
gence du fantasme, son support neuronal empruntant pour une part les mêmes voies
que celles de la mise en acte. Dans d’autres cas, l’agressivité gagnera à être déplacée. Le
phénomène existe chez l’animal : face à un rival trop impressionnant pour être combattu,
un pigeon peut se mettre à picorer furieusement le sol. Mais plutôt que de taper contre
un mur pour évacuer l’agressivité réprimée, le déplacement de celle-ci dans des activités
sublimatoires constitue chez l’homme la solution la plus trophique.
Enfin, la répression du comportement agressif génère, comme nous le verrons plus
loin lors de l’étude du syndrome général d’adaptation, une hyperactivité du système
orthosympathique (sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline) ou un hypercorticisme
(sécrétion de cortisol). Elle constitue un déterminant central de l’hypertension artérielle
essentielle.

3. L’ANGOISSE
Le combat ne se limite pas à l’attaque et à ses préparatifs, pas plus qu’à la victoire ou
la défaite. Entre les deux, des péripéties, des changements, des revirements de situations
surgissent. Les conflits armés, la guerre, sont là pour en attester. Entre chaque mouve-
ment de troupe quelque chose s’immobilise, le temps d’une réadaptation. Les diverses
stratégies utilisées par les proies potentielles des prédateurs l’illustrent parfaitement.
L’antilope ayant flairé l’odeur du lion s’immobilise. La peur la met en tension, exacerbe
ses sens et la prépare à fuir (flight) dans la meilleure direction. La fuite ne se déclenchera
que lorsque le lion aura franchi une certaine distance. Lorsque la distance se raccour-
cit, que la fuite est devenue impossible, la proie change de direction ou bien accepte
faute de mieux le combat (fight). Ces changements brutaux sont toujours précédés d’une
inhibition transitoire, nécessaire au changement de trajectoire ou de réaction. Lorsque le
combat est engagé, l’agressivité se mobilise mais, à un certain moment, l’immobilisation
se manifestera à nouveau avant qu’il ne reprenne.
Ces temps d’inhibition défensive de très courte durée associent hyperréveil (arousal)
et immobilité totale (freezing). Leur durée se prolonge lorsqu’il existe un conflit entre un
besoin et une nécessité vitale. Imaginons un chat en période de rut, en état d’ébullition
corporelle, fixé sur le seul but de copuler avec une femelle qui se contorsionne à quelques
mètres. Pris par l’émotion sexuelle, il n’a pas vu le chien du voisin qui le guette et se dirige
tout guilleret vers l’élue de son cœur. Le surgissement du chien stoppera immédiatement
la trajectoire du matou. L’immobilisation du chat sera sensiblement de plus longue durée
que celle de l’antilope évoquée ci-dessus, car le chat est pris entre deux poussées instinc-
tuelles, la copulation ou la fuite, et habité simultanément par deux émotions, l’excita-
tion sexuelle et la peur. Si l’on se place dans une perspective phylogénétique, il existe
ici un conflit transitoire entre la reproduction et la survie, la préservation de l’espèce et
la préservation de l’individu. C’est ainsi que les chats se font écraser par les voitures en
période de rut. Et c’est ainsi qu’apparaît l’angoisse.
Lors d’une étude précédente, en 2007, j’ai insisté sur deux éléments fondamentaux : la
réaction d’angoisse est une réaction phylogénétique de défense mobilisant les instincts
et les pulsions de vie et son origine se situe au niveau d’un conflit entre deux tendances
opposées (Psychosomatique de l’angoisse et des maladies d’origine anxieuse). La nature du
conflit peut se situer chez l’homme à des niveaux divers : conflit sensoriel, conflit décision-
93
Traité de médecine psychosomatique

nel, conflit conscient entre un besoin et une contrainte, et enfin conflit inconscient entre
deux instances psychiques opposées. Ces notions fondamentales permettent au prati-
cien de s’étayer sur des représentations valides et de les proposer au patient.

3-1. Clinique de l’angoisse
Les symptômes de l’angoisse
Chez l’être humain, l’angoisse à l’état brut, c’est-à-dire non remaniée par les mécanismes
de défense, se présente sous trois modalités :
––la personnalité anxieuse qui correspond au versant psychique, organisé et relative-
ment bien mentalisé de la pathologie, et dans laquelle les représentations écran sont
présentes, si ce n’est invasives ;
––le trouble anxiété généralisé (TAG), nouvelle appellation de l’anxiété chronique,
pathologie durable bien qu’atténuée ;
––le trouble panique (anciennement crise d’angoisse ou attaque de panique), de courte
durée mais de forte intensité.
La clinique de ces deux dernières entités qui nous intéressent ici plus particulièrement,
se limite à l’affect (A), au comportement (C), et aux manifestations somatiques (S).

Trouble panique Trouble anxiété généralisée

A Désarroi intense rebelle à toute sollicitation, Sentiment d’insécurité, de précarité, d’attente


avec perte de tout contrôle et de tout recul : d’un danger, d’un malheur, de menace, inquié-
- sentiment de catastrophe ou de mort immi- tude permanente induisant une tension psy-
nente, peur de s’écrouler, de tomber, chique chronique, une instabilité émotionnelle,
- impression de devenir fou : altération de la une irritabilité, avec une connotation d’incapa-
conscience et de la perception, détachement cité, d’impuissance.
de la réalité extérieure.
C État d’agitation ou de sidération. Nervosisme, fébrilité, hyperréflexivité, ou bien
inhibition.
Recherche de protection, d’aide, de compas-
sion.
S - Tachycardie, HTA. - Palpitations.
- Dyspnée avec polypnée, striction thoracique - Oppression, tension corporelle, impatiences.
(angor). - « Boule » à la gorge, à l’estomac, nausées,
- Tétanisation, contracture des mâchoires, inappétence, dysphagie, tension abdominale,
crispation des mains, tremblements, sensation diarrhée.
de frissonnement intérieur, sensations vertigi- - Transpirations suivies de sensation de froid.
neuses, vertiges. - Hyperesthésie sensorielle, paresthésies.
- Striction pharyngée, sensation d’estomac
noué, nausées, diarrhée.
- Bouffées de chaleur, sueurs, pâleur.
- Mydriase, « étoiles » dans les yeux, acou-
phènes transitoires.

Sémiologie du trouble panique et du trouble anxiété généralisée

94
Les réactions adaptatives

Signes associés
Dans chacune des trois formes d’expression de l’angoisse brute, se surajoutent
fréquemment des troubles du sommeil et, de manière moins systématique, des troubles
de la fonction sexuelle.
Les troubles du sommeil sont essentiellement des difficultés d’endormissement, des
nuits agitées, des réveils au bout de trois heures de sommeil suivis de ré-endormissement
(l’absence de ré-endormissement caractérisant les vécus dépressifs) (Pongy, Le sommeil et
les rêves). Dans le trouble anxieux généralisé (TAG), on constate l’existence de troubles de
la structure du sommeil différents de ceux de la dépression : allongement de la latence de
l’endormissement, réduction de la durée totale du sommeil à ondes lentes, sans anomalie
du sommeil paradoxal.
Les troubles de la sexualité d’origine anxieuse se manifestent par des phénomènes
d’inhibition.
L’angoisse sous-tend, avec la dépression, l’essentiel des dysfonctions sexuelles. Toute
angoisse atteste d’un combat qui mobilise l’ensemble des armes défensives. La sexualité
ne peut fonctionner qu’en temps de paix.
Effets à moyen terme
Le combat qui sous-tend l’angoisse épuise les réserves énergétiques du sujet. C’est ainsi
que l’asthénie chronique y est fréquente et que l’amaigrissement est loin d’être exception-
nel.
Effets à long terme
À long terme, le sujet anxieux sera amené à supprimer des activités, des exutoires, il
aura tendance à éviter le monde extérieur. Des difficultés d’adaptation sociale ou profes-
sionnelle, des conflits relationnels pourront surgir. Le recours à des toxiques, destiné à
apaiser la tension interne, est loin d’être exceptionnel. Enfin, l’épuisement dépressif
constitue une modalité évolutive lorsque les mécanismes de défense et les ressources
énergétiques s’épuisent.

L’objet de l’angoisse
Ainsi, la représentation n’apparaît pas dans le tableau que nous venons de présenter.
Est-elle absente ? C’est ce que la définition classique de l’angoisse, à savoir une « peur sans
objet », laisserait supposer.
En fait, l’objet de l’angoisse telle qu’elle apparaît dans le trouble panique ou le trouble
anxieux généralisé, n’est pas absent, mais il est inconsistant, vicariant, sujet au déplace-
ment, ce qui a pour effet de donner une place très accessoire à la représentation anxieuse
qui ne constitue pas un arrimage suffisant pour l’affect. (Voir schéma page suivante.)

Physiopathologie
Les manifestations somatiques les plus courantes de l’anxiété témoignent d’une
stimulation du système nerveux végétatif, neuromusculaire, sensoriel et sensitif. Il existe
des points communs évidents entre les réactions anxieuses et les réactions du système
d’alarme du syndrome général d’adaptation. L’attaque de panique peut être considérée
comme une exacerbation de cette phase d’alarme, le trouble anxiété généralisé comme
sa prolongation sous forme atténuée, récurrente ou prolongée.

95
Traité de médecine psychosomatique

Représentations instables

Peur de devenir fou


Sentiment anxieux
Peur de mourir

Comportement Agitation (fuite, lutte)


e anxieux Sidération (immobilisation défensive)

Manifestations somatiques de la phase d’alarme


du Syndrome général d’adaptation

Fonction psychosomatique de l’angoisse


3-2. Angoisse et émotions de base
L’angoisse est une émotion composite, prolongement aigu, subaigu ou chronique, d’un
désordre émotionnel complexe dans lequel entrent en jeu, de manière très variable, les
émotions de base et leur fréquente répression.

Peur et angoisse
L’émotion peur en constitue le déterminant le plus classique. Mais, comme nous
venons de l’évoquer, l’angoisse ne saurait être définie comme une peur sans objet, et ceci
du fait que :
––les objets de l’angoisse sont vicariants. Ce sont le plus souvent des représentations
écran ;
––la peur n’a qu’un seul objet. L’objet d’angoisse, quant à lui, n’est jamais unique,
puisque l’angoisse naît de la conflictualité. L’évitement permet d’ailleurs de juguler la
peur mais ne permet pas de juguler l’angoisse.
Si la peur nécessite la présence réelle de l’objet, l’angoisse peut être déclenchée par la
simple représentation du danger ou son anticipation. Ainsi, la réaction anxieuse serait le
propre des espèces pourvues de système représentatif (homéothermes). Cette compo-
sante imaginaire de l’angoisse se retrouve aussi dans la surévaluation du risque, néces-
sitant l’intervention de processus cognitifs plus complexes que dans la peur. De fait, les
anxiolytiques agissent peu sur la peur alors qu’ils sont efficaces sur l’anxiété.
Contrairement à la peur, l’angoisse ne nécessite pas une grande proximité de l’objet
menaçant, chez l’animal comme chez l’homme. Elle peut apparaître lorsque le danger est
plus lointain. Ce phénomène a été confirmé expérimentalement : la distance de sécurité
augmente chez le sujet anxieux. Chez celui-ci, le réflexe de clignement des yeux face à
un objet mobile s’approchant du visage apparaît plus précocement, c’est-à-dire à une
distance plus grande (40 cm) que chez les sujets témoins (20 cm).
La peur focalise l’attention, l’angoisse s’accompagne au contraire d’une dispersion
de l’attention. D’un point de vue perceptif, le sujet anxieux est plus vite submergé par
la surcharge de stimuli multiples et intrusifs de l’environnement. Cette submersion de
l’attention au niveau perceptif se retrouve aussi au niveau représentatif. Ainsi, il existe
96
Les réactions adaptatives

chez le sujet anxieux un afflux d’informations endogènes au sein desquelles il a plus de


difficulté à effectuer un tri. Lorsque celles-ci deviennent contradictoires, les difficultés
s’accentuent, induisant des scénarios conflictuels et donc une inhibition dans le traite-
ment efficient de l’information. Ce phénomène est caractéristique lorsque le sujet est
amené à gérer plusieurs choses en même temps, ou lorsqu’il doit passer d’une tache à
l’autre. Il s’ensuit une certaine inertie dans le traitement des informations endogènes ou
exogènes qui se produit souvent de manière sensiblement décalée dans le temps. D’où
difficultés à faire face à des situations nouvelles, à faire un choix, à décider, crainte de se
tromper, prise de précautions excessives.
Ceci étant, d’un point de vue physiologique, la réaction d’angoisse est cousine germaine
de la peur, du simple fait que l’immobilisation défensive (freezing) caractérise l’angoisse
mais aussi la peur lorsque la fuite est impossible. C’est ainsi que l’angoisse partage avec la
peur de nombreux symptômes cliniques communs.
Ceci nous a amené à comparer les signes de l’émotion peur chez l’homme aux données
issues de l’expérimentation animale. Dans ces expériences de laboratoire, l’animal, le plus
souvent un rongeur, est soumis soit à une situation suscitant la peur, soit à une situation
conflictuelle générant l’angoisse.
CHRONOLOGIE SYSTÈMES EXPÉRIMENTATION CHEZ ÉTUDE CHEZ L’HOMME
L’ANIMAL (étude de L’EMP)
- Accélération du transit
Manifestations Spasmodicité gastro-œsophagienne
Choc - Défécation
digestives immédiate, asialie.
- Émission d’urine.
Augmentation du débit
Tachycardie
Manifestations cardiaque
cardio- Bouffée vasomotrice partie supé-
vasculaires Répartition du sang au pro-
rieure du corps (thorax, région
fit des muscles et du cerveau
cervicale, face)
Mobilisation
Manifestations
défensive Polypnée
respiratoires
- Tremblements
Fuite ou attaque
- Myotension scapulaire

Immobilisation défensive
Motricité Rétraction posturale

Immobilisation de soumis-
sion Hypotonie musculaire des
membres inférieurs
Repli sur soi
- Augmentation des perceptions
internes
Sensorialité
- Diminution des perceptions
externes

Physiopathologie de l’angoisse

97
Traité de médecine psychosomatique

Angoisse et répression des autres émotions de base


D’autres émotions de base peuvent intervenir dans la genèse des manifestations
d’angoisse somatique. C’est leur répression qui entre en jeu.
La répression de la colère (anger), mais aussi de la tristesse et de ses manifestations
neurovégétatives ou neuromusculaires, peut aussi générer des manifestations anxieuses.

Fuite
Échappement
PEUR Lutte

Freezing

COLÈRE ANGOISSE

TRISTESSE Répression

DÉGOÛT

Angoisse et répression des émotions de base

3-3. But et causes des réactions anxieuses


La réaction défensive face à l’ennemi
Chez l’homme comme chez l’animal, la fonction initiale de l’anxiété est de stimuler les
capacités défensives dans un contexte menaçant : accroissement de la vigilance, mobili-
sation des ressources énergétiques dans un but de fuite ou de combat. La fuite ou le
combat mettent un terme à l’angoisse, leur impossibilité la laisse perdurer. C’est dire que
l’angoisse, contrairement à la fuite ou au combat, n’est pas une fin en soi, c’est un moyen,
un préparatif qui ne saurait s’éterniser.
Les situations source d’immobilisation défensive chez l’animal dans son milieu naturel,
sont, comme nous l’avons vu, ponctuelles, rapidement résolues par les séquences adapta-
tives que constituent la lutte ou la fuite. Chez l’homme, les choses sont différentes et ceci
pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les ennemis extérieurs diffèrent. Nombreux sont ceux liés à l’évolution
sociétale. À la peur liée à des situations réellement menaçantes (guerre, famine), s’est
substituée l’angoisse liée à des situations dans lesquelles règnent la contradiction, l’impré-
cision, la confusion, la dispersion, donc le conflit : crises sociales, évanescence ou dispa-
rition des repères, nouveaux besoins, nouveaux obstacles, insatisfaction, compétition,
afflux d’informations, agressions sensorielles, etc.
L’angoisse est déclenchée chez l’homme par les situations de conflit, de menace, ou
d’attente, qui peuvent être réelles, mais aussi imaginaires, les représentations concernant
ces diverses situations accentuant le poids traumatique.
Les ennemis sont plus souvent des ennemis intérieurs qu’extérieurs. La scène conflic-
tuelle est le plus souvent interne, si ce n’est inconsciente : conflit entre des désirs et des
98
Les réactions adaptatives

instances répressives inconscientes, conflit entre la pulsionnalité et les idéaux. C’est ainsi
que chez l’homme l’angoisse perdure, car il n’existe pas de recette pour traiter les conflits
inconscients.
Qu’il s’agisse d’un conflit externe ou interne, d’un simple conflit décisionnel ou d’un
conflit inconscient, la perception d’une menace pour l’intégrité est similaire et la réaction
d’angoisse identique point par point, notamment au niveau somatique : le cœur s’emballe,
les intestins se nouent, les muscles se tendent. En vain, car la réponse motrice attendue ne
vient pas. Pire, la plupart des sujets s’acharnent à vouloir « maîtriser » leur angoisse, ce qui
n’a pour seul effet que de la laisser perdurer et s’accroître. La mobilisation des ressources
énergétiques n’est donc pas utilisée du fait des privations motrices. Le développement
itératif des technologies (mécanisation, déplacements, télécommunications, numérique,
virtuel) visant à développer le pouvoir d’action de l’homme en effectuant le moindre
effort possible, ponctue cette escalade vers l’angoisse. La « pénibilité » a changé de look,
elle ne se situe pas là où on le dit. Si les causes de l’angoisse se sont démultipliées chez
l’homme, le but du signal d’angoisse, dont nous avons hérité, n’a pas évolué d’un iota : il
en appelle à l’unique réaction motrice qui, cette fois-ci, n’est plus au rendez vous.

Causes de l’angoisse
Au vu de ce que nous venons d’évoquer, il est aisé de concevoir que les causes de
l’angoisse chez l’être humain sont multiples, variées et souvent intriquées :
––situations réelles de contrainte, d’attente, de menaces, de conflit externe ;
––situations réactivant la conflictualité interne consciente ou préconsciente : conflit
décisionnel, conflit entre un besoin et un obstacle, entre un désir et un interdit
conscients ;
––situations réactivant une conflictualité inconsciente : conflit entre la pulsionnalité
(ça) et l’interdit inconscient (surmoi) ;
––situations réactivant des angoisses archaïques (abandon, séparation) ou l’angoisse
de castration ;
––altérations physiologiques infracliniques (conflits sensoriels, toxiques, etc.), accen-
tuant l’afflux d’excitation ;
––privations motrices ne permettant pas la décharge motrice de l’excitation.
Le repérage des causes nécessite donc une approche pluridimensionnelle  :
anamnestique (repérage des facteurs traumatiques actuels), psychosomatique (évalua-
tion de la démentalisation et de la répression émotionnelle), psychanalytique (abord de
la conflictualité inconsciente), cognitive (repérage de la velléité de maîtrise, des inter-
prétations alarmistes), comportementales (évaluation de la privation motrice), médicale
(recherche de désordres physiologiques infracliniques ou de facteurs toxiques). L’intégra-
tion de ces approches complémentaires et non contradictoires conditionne l’efficacité
du traitement.

L’angoisse et ses fixations infantiles


Toute expression d’angoisse chez l’adulte comme chez l’enfant à partir de 5 ans doit
être appréhendée comme une réactivation d’angoisses infantiles archaïques. Celles-ci
apparaissent successivement entre 0 et 5 ans. D’un point de vue chronologique, on
distingue l’angoisse de destruction, l’angoisse de séparation et l’angoisse de castration.
99
Traité de médecine psychosomatique

Nous expliciterons dans le chapitre sur « L’histoire du sujet » (p. 123) ce qui caractérise
ces différents types d’angoisse.
S’il existe des périodes spécifiques de l’apparition d’un type précis d’angoisse archaïque,
la survenue de l’une d’entre elles ne fait pas disparaître la précédente. Et il n’est pas impos-
sible que certains éléments de celle qui précède, notamment son intensité, puissent inter-
férer sur celle qui suit. L’angoisse de castration, par exemple, est aussi une angoisse de
séparation d’avec un objet interne.
La clinique nous confirme par ailleurs que, dans une manifestation d’angoisse, entrent
en jeu le plus souvent plusieurs angoisses archaïques. Cette coexistence se retrouve plus
particulièrement dans l’angoisse de mort qui conjugue dans des proportions variées,
chez un même sujet, angoisse de destruction (être anéanti), angoisse de séparation (être
séparé des objets investis) et angoisse de castration (être privé de jouissance).
Selon la prévalence de telle ou telle angoisse archaïque, les sensations diffèrent.
L’angoisse de séparation affecte plus particulièrement la sphère abdominale, l’angoisse de
castration, la sphère pelvienne, l’appareil locomoteur, la vision, l’angoisse de destruction
génère des sensations beaucoup plus diffuses.

3-4. Les expressions somatiques de l’angoisse


On peut distinguer plusieurs niveaux selon l’investissement résiduel des vecteurs
affectifs, émotionnels et comportementaux.

Les pathologies fonctionnelles d’origine anxieuse


Manifestations de l’émotion anxieuse
Elles associent des manifestations fonctionnelles somatiques à un affect et un compor-
tement anxieux. La spasmophilie en constitue une forme clinique très fréquente. Sa spéci-
ficité tient essentiellement à l’expression préférentielle des symptômes dans le territoire
neuromusculaire. Elle n’a strictement rien à voir avec les causes officielles successivement
alléguées (magnésium, prolapsus des valves cardiaques et autres hypothèses surréalistes).
Formes somatiques exclusives
Elles se caractérisent par une absence de manifestations affectives et comporte-
mentales, induite le plus souvent par un mécanisme de répression ou de contrôle de
la réaction anxieuse. L’émotion n’apparaît que dans sa composante somatique. Le sujet
dénie toute angoisse.

Genèse d’une maladie somatique d’origine anxieuse


100
Les réactions adaptatives

Les manifestations cliniques les plus représentées sont :


––pathologie neuromusculaire  : hyperexcitabilité neuromusculaire, myoclonies,
tremblements, certains phénomènes myotensifs ;
––pathologie cardiovasculaire fonctionnelle : tachyarythmie, douleurs précordiales,
hypertension artérielle, troubles vasomoteurs, transpirations ;
––troubles digestifs : nausées, reflux gastro-œsophagien, douleurs épigastriques,
douleurs et spasmes coliques, diarrhée, asialie ;
––troubles urinaires : envies pressantes d’uriner, polyurie, pollakiurie ;
––vertiges ;
––désordres glycémiques (hyperglycémie) ;
––amaigrissement, asthénie ;
––troubles du sommeil ;
––dysfonctions sexuelles ;
––troubles sensitifs et sensoriels : sensation de brûlure des membres inférieurs, hyperes-
thésie ou dysesthésie sensorielle, paresthésies, acouphènes.

Maladies somatiques d’origine anxieuse


À un stade plus avancé, lorsque la démentalisation s’accentue, apparaissent des
maladies :
––certaines maladies cardiovasculaires : fibrillation auriculaire neurogène, syndrome
de Raynaud ;
––affections spasmodiques du tractus intestinal : colopathie spasmodique ;
––maladies endocriniennes : diabète (participation de la répression de l’agressivité),
troubles sexuels et gonadiques, désordres thyroïdiens ;
––dermatoses : eczéma, urticaire, pelade ;
––migraines.

4. LES RÉACTIONS DÉPRESSIVES


4-1. Les réactions à la défaite
L’acceptation de la défaite n’est pas toujours une mauvaise solution. L’armistice redis-
tribue les cartes et ouvre la voie à des réaménagements potentiellement trophiques. Elle
peut libérer le sujet à condition que celui-ci retrouve de nouveaux investissements et qu’il
ne s’attribue pas l’entière responsabilité de l’échec.
Mais, la plupart du temps, elle est rarement acceptée comme un événement neutre.
Lorsqu’elle surgit, l’individu, déjà épuisé par un combat qui s’est éternisé à son détri-
ment, n’accepte pas l’issue. Soit il s’acharne jusqu’à épuisement, soit il réécrit l’histoire, de
manière à garder encore une illusion de maîtrise : « Si j’avais su… J’aurais dû… » Trouver
une cause, c’est avoir l’illusion que, si les choses avaient été autrement, on n’en serait pas
là.
Dans les suites immédiates de la défaite surgit un désordre émotionnel : colère, tristesse,
dégoût, honte. La colère s’adresse à l’ennemi mais parfois, si ce n’est souvent, et essentiel-
lement chez l’homme, c’est contre le sujet lui-même qu’elle finit par se retourner, et ceci
d’autant plus que le combat était sous-tendu par un idéal. Si cet idéal reposait sur une
conviction d’invincibilité (moi idéal), la cause de la défaite est attribuée à autrui. Si l’idéal
101
Traité de médecine psychosomatique

était sous-tendu par des auto-exigences démesurées et une conviction que toute chose
ne dépendait que du sujet, c’est celui-ci qui endosse l’entière responsabilité de l’échec.
Ainsi, la défaite ne peut être que le fait de l’adversaire (moi idéal) ou du sujet lui-même
(idéal du moi). Cette désignation d’un coupable est au centre du processus dépressif.

4-2. La dépression
Nous ne développerons pas ici la clinique des dépressions. Elle a fait l’objet d’une
présentation approfondie dans le cadre de notre enseignement de psychopathologie
qui nous a permis d’en dégager les points essentiels à la lumière de la psychosomatique
(Pongy, Les dépressions). Contentons-nous d’en rappeler les éléments fondamentaux.
La dépression comporte deux entités syndromiques : l’altération de l’humeur et
l’émoussement des fonctions.
Les représentations et les fonctions cognitives du sujet dépressif sont caractérisées par :
––un rétrécissement du champ de la conscience ;
––un ralentissement idéique et verbal ;
––une altération des fonctions cognitives : mémoire, concentration, jugement ;
––une distorsion par rapport au temps et une diminution de la capacité d’anticipation ;
––la quête systématique d’un coupable (le sujet lui-même, l’autre, ou les deux) ;
––un appauvrissement de l’activité onirique.
L’affect dépressif est caractérisé soit par la tristesse ou la douleur morale, soit par
l’émoussement. Dans ce dernier cas, de loin le plus fréquent depuis quelques décennies,
apparaissent : ennui, sentiment de vide intérieur, anesthésie affective, anhédonie, désintérêt.
L’agressivité occupe une place centrale, oscillant entre un pôle hétéro-agressif lorsque
l’autre est désigné comme coupable (dépression hostile), et un pôle auto-agressif lorsque
le sujet endosse l’entière responsabilité de la défaite (mélancolie). L’intensité de la dépres-
sion, les idées de mort et le risque suicidaire sont proportionnels à la culpabilité du sujet
et à l’auto-agressivité qui en découle.
Les émotions de base qui sous-tendent la dépression sont la colère, la tristesse, le
dégoût. Elles apparaissent de moins en moins dans les nouvelles formes de dépression et
laissent place à l’émoussement émotionnel.
Le comportement est caractérisé par le ralentissement, le retrait, la réduction de l’acti-
vité.
Les manifestations somatiques accompagnant les dépressions sont fréquentes. Elles
apparaissent d’autant plus que l’état dépressif est peu mentalisé. Nous les citerons plus
loin en évoquant la dépression masquée (voir p. 103).
Les causes des dépressions peuvent être résumées ainsi :
––décalage constant entre un idéal du moi hypertrophié et l’appréciation déficitaire de
ses performances par le sujet ;
––causes annexes parfois intriquées : facteurs génétiques, développementaux, socié-
taux, existentiels, organiques (maladies, toxiques, écrans).
Le contexte traumatique, constant, permet de distinguer les dépressions de perte,
les dépressions d’épuisement et, plus rarement, les dépressions liées à un syndrome
psychotraumatique majeur. La polyfactorialité traumatique est constante dans les
dépressions.

102
Les réactions adaptatives

La dépression doit être distinguée du deuil. Deuil et dépression présentent des points
communs, et surtout des différences fondamentales. Tous deux sont liés à une perte, tous
deux sont sources de douleur. La douleur du deuil est inévitable, si ce n’est nécessaire. Le
travail dit « de deuil » est un concept psychanalytique qui n’a rien avoir avec l’écholalie
médiatique qui en fait grand usage. C’est tout sauf un travail conscient au sens commun
du terme. On ne décide pas de faire ce travail, on n’en est pas maître. Il n’existe pas de
bons et de mauvais travailleurs. C’est un processus qui consiste en un enchaînement de
mécanismes de défense inconscients successifs et nécessaires.
La dépression se caractérise, elle, par un effondrement des mécanismes de défense.
Dans le deuil, même si la douleur est intense, la plupart des investissements sont conser-
vés. Dans la dépression, ils s’évanouissent. Même si, dans la plupart des deuils, le sujet
passe par une phase d’autoaccusation, de remise en cause de ses actes, la culpabilité
occupe une place moins centrale que dans la dépression.
Le traitement d’une dépression nécessite le plus souvent, en même temps que
l’approche psychothérapique, la prescription d’antidépresseurs. Dans le deuil, la prescrip-
tion d’antidépresseur est un non-sens. Elle est contre-indiquée car elle porte atteinte aux
mécanismes de défense.
Les réactions biologiques de la dépression ne sont pas premières, elles sont consécu-
tives au désordre émotionnel.
Mentionnons en dernier que de nombreuses dépressions peuvent s’accompagner
d’anxiété. Celle-ci atteste alors de la persistance a minima d’une velléité de lutte.

4-3. Gradients de démentalisation dans les dépressions


D’un point de vue psychosomatique, les dépressions doivent être aussi évaluées selon
leur degré d’élaboration mentale.
On peut ainsi distinguer, par ordre de démentalisation croissante :
––les dépressions mentales avec culpabilité,
––les dépressions avec irritabilité et agitation,
––les dépressions dites « atypiques » avec hypersomnie et hyperphagie,
––les dépressions dans lesquelles l’émoussement fonctionnel est au premier plan,
––les dépressions dites « masquées »,
––la dépression essentielle,
––les somatisations de défaite.

La dépression « masquée »
Le terme de dépression masquée qualifie les états dépressifs se manifestant sous le
« masque » de symptômes somatiques, les symptômes psychiques, émotionnels et
comportementaux étant nettement à l’arrière-plan. Il est largement utilisé en médecine,
souvent de manière abusive ou erronée, s’inscrivant comme une étiquette qui vient clore
l’investigation, ouvrant du même coup la porte à la prescription d’antidépresseurs sans
approche psychothérapique.
Les symptômes somatiques de la dépression masquée correspondent à la part non
mentalisée du processus dépressif. Les plus fréquents sont la fatigue, les troubles du
sommeil, le désordre alimentaire, les altérations de la vie sexuelle, les troubles digestifs
et les douleurs.

103
Traité de médecine psychosomatique

La fatigue
Elle est classique, si ce n’est constante, dans la plupart des états dépressifs. Elle est liée
à la perte d’énergie, à la baisse du tonus instinctivo-pulsionnel, au ralentissement psycho-
moteur, aux troubles du sommeil, etc. C’est une fatigue intense, non améliorée par le
repos, à prédominance matinale.
Dans certaines dépressions masquées, elle constitue le seul tableau clinique. C’est
le syndrome de fatigue chronique : asthénie invalidante, évoquant parfois une maladie
infectieuse, accompagnée parfois de stigmates biologiques. Les signes dépressifs ne
peuvent être mis au jour que par une investigation approfondie.
Les troubles du sommeil
Dans la majorité des dépressions, le sommeil est altéré sous un mode déficitaire :
––réveils nocturnes sans ré-endormissement,
––réveils précoces,
––sommeil moins profond, moins réparateur,
––diminution du sommeil paradoxal.
Nous avons aussi relevé chez nos patients présentant des apnées du sommeil un état
dépressif préexistant, laissant supposer que le syndrome pouvait être la conséquence et
non la cause de ce dernier.
Certaines dépressions s’accompagnent au contraire d’hypersomnie. Cette hypersom-
nie nocturne ou diurne est liée à l’asthénie et surtout à un mécanisme défensif destiné à
fuir la souffrance ou le désinvestissement (sommeil refuge).
Les altérations de la fonction sexuelle
Elles sont liées à la préséance d’émotions et d’affects délétères, ainsi qu’à l’émousse-
ment instinctivo-pulsionnel. Ce sont essentiellement les anaphrodisies (désintérêt sexuel,
extinction du besoin, diminution des fantasmes, baisse du désir), les hypo-érogénéités
(impuissance, frigidité), l’anhédonie sexuelle (absence de plaisir).
Si la fonction sexuelle est préservée dans certaines dépressions, le dysfonctionnement
sexuel peut être le premier révélateur d’un processus dépressif sous-jacent.
Le désordre alimentaire
Il est très variable d’un sujet à l’autre. L’appétit peut être diminué dans un contexte
plus général d’inappétence instinctivo-pulsionnelle. L’augmentation de l’appétit caracté-
rise avec l’hypersomnie la dépression atypique.
Le gain ou la perte de poids ne sont pas exclusivement liés au désordre alimentaire.
La composante anxieuse accentue l’amaigrissement. Quant à la prise de poids, elle est
souvent le fait d’une dépression de perte non mentalisée.

Les troubles digestifs


Ils seront traités tout au long du chapitre 17. Avançons déjà que la dépression sans
anxiété génère un ralentissement digestif, un état saburral des voies digestives, respon-
sable de nombreux symptômes fonctionnels, tels que troubles gastriques et, chez certains
sujets, constipation.

104
Les réactions adaptatives

Les douleurs
Les études sur la prévalence de la comorbidité douleur-dépression aboutissent à des
conclusions divergentes (10 à 90% !) et souvent contradictoires. Cette divergence est
certainement le fait de sélections de populations différentes, de critères de diagnostic
de dépression divergents et, très certainement, à la fois d’une insuffisance de travail
anamnestique et d’une méconnaissance du rôle central de la mentalisation dans l’articu-
lation entre les deux syndromes. Nous aborderons la douleur chronique dans toutes ses
dimensions dans la troisième partie de cet ouvrage (p. 359).
Mentionnons déjà que, d’un point de vue psychosomatique, la démentalisation tend
à transformer la douleur morale en douleur physique : passage du sentiment à la sensa-
tion. Souffrance et culpabilité disparaissent alors au profit d’une fixation sur la zone
douloureuse, ce qui explique pour une part le caractère réfractaire de ce type de somati-
sation. Les douleurs en relation avec un état dépressif peu mentalisé sont essentiellement
des douleurs de défaite ou de meurtrissure : dorso-lombalgies, sans oublier la fameuse
fibromyalgie.
Entre les deux extrêmes, douleur morale sans douleur physique et vice versa, se situent
toute une gamme d’expressions cliniques intermédiaires. Ainsi peut se trouver expli-
quée la grande variabilité des résultats des études concernant la comorbidité : certaines
douleurs accompagnent des dépressions assez bien ou peu mentalisées, d’autres consti-
tuent l’unique syndrome, excluant toute manifestation dépressive mentale.
D’autres manifestations somatiques moins classiques peuvent accompagner les
dépressions. Nous y ferons référence tout au long de ce livre. Tous les troubles que nous
venons d’évoquer sont sensibles aux antidépresseurs contrairement aux somatisations
de défaite.
Par ailleurs, les manifestations dépressives mentales, bien que non manifestes d’un
point de vue clinique, y demeurent sous-jacentes et un praticien expérimenté peut
aisément les mettre au jour. Le masque est fragile. Il n’a pas la consistance et la fermeté
de l’armure défensive qui caractérise les somatisations pures de défaite que nous évoque-
rons plus loin.

La dépression essentielle
La dépression essentielle constitue l’ultime forme phénoménologique d’un processus
dépressif à expression mentale déficitaire. Au-delà, et souvent dans ses suites, se situe
la somatisation de défaite dans laquelle n’apparaît plus aucun symptôme mental ou
comportemental en relation avec le trauma.
La dépression essentielle se limite à l’essence du processus dépressif, c’est-à-dire à
l’atteinte déficitaire des forces instinctivo-pulsionnelles de vie, et ne s’accompagne
d’aucune traduction clinique productive de la lignée dépressive évoquée plus haut. Tout
se joue sur le versant déficitaire. De ce fait, son diagnostic est particulièrement difficile.
S’inspirant des travaux de Pierre Marty et de Léon Kreiser, ainsi que de sa propre expé-
rience, Robert Babeau a proposé une clinique vivante et particulièrement cohérente de la
dépression essentielle (La dépression essentielle). J’en ai recueilli les principaux éléments et
les présente ci-dessous, ordonnés de manière synoptique selon les vecteurs de la fonction
psychosomatique.

105
Traité de médecine psychosomatique

La dépression essentielle est précédée par une période d’angoisses diffuses apparais-
sant dans les suites immédiates du trauma. Ces angoisses sont des angoisses archaïques
anobjectales se manifestant sous forme d’un état de détresse indifférencié proche des
états de détresse primaires du nourrisson, dans lequel aucune élaboration psychique
n’apparaît.
Représentations, mode de pensée et expression verbale
Réduction des représentations, évitement des perceptions internes au profit d’un
accrochage perceptif externe.
Pensée opératoire : pensée consciente, logique et rationnelle, sans support fantasma-
tique personnel, qui double et illustre l’action, la précède ou la suit.
Pensée non remaniée par des mécanismes de défense.
Communication verbale conservée mais pauvre : absence d’associations d’idées,
répétitivité des expressions verbales, absence de métaphore, de double sens des mots, de
rêverie, de fantasme, d’humour, de lapsus, de spontanéité.
Absence de trouble de la mémoire, mais déficit d’introjection de nouveaux objets.
Rêves opératoires.
Affects et émotions
Absence de culpabilité, de tristesse, de douleur morale. Simple abrasion affective ne
suscitant pas de souffrance notable.
Absence de désir, de curiosité, d’envie, d’intention. Indifférence et sentiment de vide
intérieur.
Absence d’expression émotionnelle : ni joie, ni tristesse, ni colère, ni angoisse.
Investissements et relations
Activités habituelles conservées. Absence d’activités ludiques et hédoniques.
Relation « blanche », dévitalisée. Absence d’investissement ou bien désinvestissement
relationnel.
Motricité et comportement
Absence de ralentissement. Motricité fonctionnelle normale, adaptée, mais dépourvue
d’imprégnation pulsionnelle. Disparition de la motricité expressive (mimique, gestuelle).
Activité conservée, absence de retrait, et de repli sur soi.
Comportements opératoires répétitifs.
Relation avec le thérapeute
Absence de demande, les patients sont adressés par des tiers. Désintérêt pour l’inves-
tigation. Rigidité et inertie.
Vécu du thérapeute : ennui, agacement, frustration, sentiment d’être instrumentalisé,
impuissance, fatigue, démentalisation et parfois, à terme, rejet du patient.
État général
Il est le plus souvent conservé, tout au moins au début. Tout au plus peut-il laisser
apparaître une asthénie chronique.
La dépression essentielle traduit une absence d’élaboration psychique, une sidération
des mécanismes de défense inconscients et un effondrement du système perceptif
interne. Elle est sous-tendue par une activité intense et continue de répression : répres-
106
Les réactions adaptatives

sion des représentations (évitement de tout ce qui peut évoquer le trauma) et surtout
des affects et des émotions. Elle peut être considérée comme une réaction défensive de
dernier recours contre la souffrance psychique, par attaque et extinction de l’appareil
psychique lui-même. Cette désorganisation psychique précède souvent une désorganisa-
tion somatique génératrice de maladies graves.

Les maladies somatiques de la défaite


Dans les maladies somatiques de défaite, les signes cliniques de dépression ont disparu.
La maladie somatique se substitue à la dépression. Elle constitue l’aboutissement ultime
d’un ensemble de processus défensifs destinés à éviter l’émergence de cette dernière.
Dans ces maladies, tout se joue, du fait d’une démentalisation majeure, le plus souvent
sous forme de dépression essentielle inaugurale, dans le registre du corps. La maladie
surgit du fait de la réactivation de facteurs génétiques, somatiques ou psychosomatiques
prédisposants.
La liste des affections ci-dessous est loin d’être exhaustive (celles qui ont fait l’objet
d’études au sein de l’École de médecine psychosomatique seront présentées dans la
troisième partie de ce livre, p. 359) :
Maladies métaboliques et endocriniennes
Obésité.
Hypothyroïdie, thyroïdite de Haschimoto.
Syndromes surrénaliens et parathyroïdiens.
Diabète.
Désordres immunitaires
Infections microbiennes ou virales.
Maladies auto-immunes, et peut-être certains cancers.
Autres affections
Asthme, insuffisance coronarienne, ulcère gastroduodénal, maladies neurodégénéra-
tives, troubles perceptifs (agueusie, acouphènes).

107
Chapitre 5

BIOLOGIE DE L’ADAPTATION

1. INTRODUCTION
Les réponses biologiques ont pour but d’accroître les capacités réflexes et énergétiques
de l’individu face à l’agression, dans un but d’attaque (fight) ou de fuite (flight). Lorsque
l’action est impossible, les réponses biologiques n’en disparaissent pas pour autant. Elles
créent alors de la pathologie.
H. Selye (The stress of life) distingue, d’un point de vue biologique, deux types de
réponses adaptatives :
––une réponse fonctionnelle spécifique : par exemple, l’horripilation est une réaction
contre le froid extérieur, le vomissement est destiné à expulser un aliment indigeste ;
––une réponse aspécifique à visée énergétique générale : le syndrome général d’adap-
tation.
Selye décrit quelques maladies de l’adaptation : ulcères digestifs, maladies inflamma-
toires, rhumatismes, hypertension et thromboses artérielles.
Le syndrome général d’adaptation est l’ensemble des mécanismes physiologiques
programmés, phylogénétiques, destinés à fournir à l’individu les capacités nécessaires
pour affronter des situations nouvelles potentiellement traumatiques. Les modifications
biochimiques induites, lorsqu’elles ne sont pas utilisées dans ce but, c’est-à-dire dans
l’action, engendrent des manifestations pathologiques. Les troubles apparaissent soit par
réponse excessive, soit par défaillance des systèmes physiologiques d’adaptation.

Stimulus stresseur

Réflexes acquis Anticipation,


et conditionnés cognitions, motivation

CORTEX FRONTAL

Système limbique
Système
Amygdale Hippocampe
mésolimbique

LOCUS CŒRULEUS HYPOTHALAMUS

Déclenchement du syndrome général d’adaptation


109
Traité de médecine psychosomatique

Entre le stimulus et les réactions physiologiques somatiques, intervient l’action de


structures et de fonctions cérébrales complexes au centre desquelles le système limbique
occupe une place centrale.
Le syndrome général d’adaptation (SGA), décrit par H. Selye en 1946, évolue classique-
ment en trois phases : la réaction d’alarme, la phase d’adaptation, la phase d’épuisement,
phases supposées distinctes et successives.
Plus récemment, les travaux de Chrousos et Gold (The concepts of stress and stress
system disorders), en 1992, ont établi une relation de plus grande synchronicité entre
alarme et adaptation. Selon ces auteurs, il existe deux systèmes, le système d’alarme,
essentiellement nerveux, et le système de défense, essentiellement hormonal, ce dernier
correspondant à la phase d’adaptation de Selye.
En fait, il existe un inévitable décalage dans le temps, aussi minime soit-il, entre le
déclenchement des deux systèmes. L’alarme est première, face à la situation traumatique,
la défense reste secondaire et conséquente de la précédente.
Les systèmes d’alarme et de défense interagissent l’un sur l’autre sous forme d’un rétro-
contrôle positif, l’activation de l’un tendant à activer l’autre. La coordination fonction-
nelle entre les neurones noradrénergiques du locus cœruleus, déclencheur du système
d’alarme, et les neurones hypothalamiques du système de défense, est nécessaire à la mise
en place d’une réponse adaptée sur le plan psychique, comportemental et somatique.

2. LE SYSTÈME D’ALARME


Décrit initialement par Cannon en 1911, il constitue la réactivité première à l’agres-
sion soudaine. Cette réponse dure classiquement de quelques secondes à vingt-quatre
heures, mais peut aussi, très certainement, être sollicitée de manière itérative. Le système
d’alarme est sous la dépendance des systèmes sympathique et médullosurrénalien.

Système
Amygdale Hippocampe
mésolimbique

LOCUS CERULEUS HYPOTHALAMUS

Hypophyse STH
Orthosympathique

Médullosurrénale

Noradrénaline Adrénaline

Augmentation de la TA
Augmentation du débit cardiaque
Apport de glucose

Le système d’alarme du SGA

110
Biologie de l’adaptation

Le point de départ se situe au niveau du locus cœruleus, « centre traumatique »


par excellence, situé dans le mésencéphale. Ce centre est impliqué dans la régulation
des affects, de l’irritabilité, de la locomotion, de l’éveil, de l’attention et des conduites
d’alarme. Son activation stimule d’une part le système nerveux sympathique et, d’autre
part, la médullosurrénale par l’intermédiaire du système limbique et de l’axe hypotha-
lamo hypophysaire. Les terminaisons nerveuses sympathiques libèrent la noradrénaline,
la médullosurrénale secrète l’adrénaline. Les effets communs sont les suivants : apport de
glucose par glycogénolyse et lipolyse, tachycardie et augmentation de la force de contrac-
tion systolique, augmentation de la pression artérielle, redistribution du sang viscéral au
profit des muscles et du cerveau, apport d’oxygène. Les secteurs non concernés par la
réaction d’alarme sont mis à l’état de veille (digestion, sexualité, sommeil, etc.).
Ainsi, les modifications physiologiques vont dans le sens d’une augmentation des
capacités énergétiques et réflexes de l’individu. On retrouve ce phénomène chez l’homme
lors de l’anticipation d’une action à venir, comme une compétition sportive par exemple.

3. LE SYSTÈME DE DÉFENSE


Le système de défense correspond à la phase dite « d’adaptation » décrite par Selye en
1946. Il succède rapidement au système d’alarme.
Cette phase témoigne d’une lutte active, d’une résistance prolongée de l’organisme,
nécessitant un surcroit d’énergie sur une période plus étalée dans le temps, permettant
une adaptation dans les trois secteurs psychique, comportemental et somatique.
Elle est sous la dépendance du système hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien
(HHCS) et de systèmes annexes tels que les endorphines et les hormones.

3-1. Le système hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien


Le CRH (corticotrophin-releasing hormone) ou CRF (corticotrophin-releasing factor), ou
encore corticolibérine, joue un rôle central par son rôle double de neurotransmetteur et
d’hormone. Il est synthétisé par l’hypothalamus et est aussi présent dans d’autres struc-
tures (cortex, système limbique, amygdale).

Action neurohormonale du CRH : prolongement de la réaction


d’alarme
Par son action neurohormonale, le CRH coordonnerait des réactions venant relayer la
phase d’alarme : activation comportementale, augmentation de la vigilance, activation
du système nerveux végétatif, inhibition de comportements gênants (faim, sexualité,
douleur), diminution du sommeil lent, effet anxiogène, et, lors d’un stress non prolongé,
augmentation de la sérotonine et des catécholamines (adrénaline, noradrénaline,
dopamine).

Action hormonale du CRH : libération des corticoïdes


L’action hormonale du CRH a pour effet essentiel la libération des corticoïdes. Le
CRH se fixe sur les récepteurs des cellules corticotropes de l’hypophyse antérieure qui
sécrètent l’ACTH (Adeno Corticotrophin Hormon). Celle-ci va stimuler la corticosurrénale
qui va sécréter le cortisol dont le taux sanguin freinera le système par rétrocontrôle. La

111
Traité de médecine psychosomatique

sécrétion de corticoïdes a, selon les situations et le temps d’exposition, des effets positifs
et négatifs.
Amplification et relais de la mobilisation énergétique produite par
les catécholamines
• Néoglucogenèse à partir des lipides et des protides. Le glucose est à nouveau mis à la
disposition de l’organisme pour fournir l’énergie adaptative (augmentation de la glycémie).
• Augmentation de la pression artérielle.
Action sur le système immunitaire
• Augmentation de l’immunité humorale.
• Diminution de l’immunité cellulaire. Cet effet immunosuppresseur se manifeste par
une altération de la circulation et de la fonction des leucocytes, une diminution de la
production des cytokines et des médiateurs de l’inflammation (diminution de l’inflam-
mation). On a constaté que l’injection de corticoïdes effondre le nombre de lymphocytes
circulant chez l’animal et entraîne une involution thymique et des ganglions lympha-
tiques. Par ailleurs, des études effectuées sur des personnes en état de stress chronique
et intense témoignent d’une réduction chez celles-ci des cellules NK (Natural Killers)
susceptibles de détruire certaines cellules tumorales.
Action sur les structures cérébrales
• L’effet général à court terme (stress non prolongé) est celui d’une augmentation de
la transmission synaptique. Secondairement, celle-ci est altérée du fait d’une désensibili-
sation des récepteurs.
• Action sur l’hippocampe. L’hippocampe agit dans la régulation de l’humeur et dans
l’adaptation de l’individu aux situations nouvelles et imprévues. Il possède certains récep-
teurs sensibles aux variations du taux de corticoïdes : les récepteurs de type I. Ces récep-
teurs, rapidement saturés par de faibles taux de CRH, interviennent dans la régulation
de l’activité basale des corticoïdes et exercent un effet activateur favorisant les réactions
d’éveil et la rythmicité nycthémérale (rythmes circadiens, synchronisation des sécré-
tions). Un stress aigu active les récepteurs et favorise la transmission synaptique. Il est
donc favorable à l’apprentissage, à la mémorisation. Un stress chronique diminue la
sensibilité des récepteurs de l’hippocampe et finit même par entraîner une réduction
neuronale similaire à celle que l’on rencontre dans l’alcoolisme chronique, l’hypoxie ou le
vieillissement.
• Action sur les autres structures cérébrales. D’autres récepteurs aux corticoïdes (récep-
teurs de type II) sont localisés dans l’hypothalamus, l’ensemble du système limbique, le
cortex préfrontal. Ils ne réagissent qu’à de fortes concentrations de glucocorticoïdes. Ils
exercent une fonction adaptative, modératrice des processus cérébraux liés au stress, une
action régulatrice de l’axe HHCS, une action au niveau de la mémorisation, et modulent
l’activité des principaux systèmes de neurotransmetteurs ainsi que l’activité du génome.
À long terme, ils génèrent donc des effets structuraux au niveau du système nerveux
central.

112
Biologie de l’adaptation

• Action sur les neurones catécholaminergiques et sérotoninergiques : d’où action


variable au niveau de l’humeur, la motivation, l’agressivité.
Inhibition de l’axe gonadotrope
C’est l’activation de l’axe corticotrope qui entraîne une diminution de la sensibilité
hypophysaire et gonadique à la gonadolibérine et aux stimulines hypophysaires. Les
glucocorticoïdes exercent également un effet inhibiteur sur les neurones à gonadolibé-
rine, sur les cellules gonadotropes de l’hypophyse et sur la gonade elle-même.
Autres actions
• Évitement de l’emballement d’autres systèmes de réponse au stress qui, par leur
débordement pour défendre l’organisme, pourraient l’agresser, notamment la sécrétion
d’insuline, la rétention d’eau, la réaction allergique histaminique.
• Stimulation de la sécrétion de glutamine synthétase qui a un rôle de détoxification
vis à vis des médiateurs sécrétés lors de la phase d’alarme.

Régulation et modulation
• Rétrocontrôle inhibiteur par les corticoïdes au niveau des récepteurs de type I et II.
• Inhibition du CRH par le système GABAergique, les benzodiazépines, induisant de
fait ses effets anxiogènes.
• Stimulation du CRH par la sérotonine, l’acétylcholine.

3-2. Systèmes annexes : endorphines et hormones


Endorphines
Les bêta-endorphines ont une action sur la douleur, freinent l’axe gonadotrope, et
induisent des modifications immunitaires.

Hormones
• Augmentation de l’hormone de croissance GH, surtout en cas de stress physique non
prolongé. Par contre, en cas de stress prolongé, sa sécrétion est diminuée (le CRH stimule
la somatostatine qui freine la GH).
• Action freinatrice de l’axe thyroïdien lors de stress prolongés : diminution de la TSH,
inhibition de la conversion de T4 en T3.
• Inhibition de la sécrétion de prolactine par l’intermédiaire de la dopamine.
• Sécrétion d’insuline.
• La vasopressine (AVP) prend le relais de la sécrétion des glucocorticoïdes, en stimu-
lant à son tour la sécrétion d’ACTH. Mais, contrairement aux glucocorticoïdes, elle n’est
pas sensible au feed-back de ceux-ci. Elle est activée par un stress unique. (Voir schéma
page suivante.)

4. LA PHASE D’ÉPUISEMENT


Autant la réaction d’alarme et la réaction d’adaptation correspondent à des modifica-
tions biologiques relativement précises, autant la phase dite « d’épuisement » n’a pas fait

113
Traité de médecine psychosomatique

+/–
Humeur
Système Motivation
Amygdale Hippocampe
mésolimbique Agressivité

HYPOTHALAMUS

CRF

Diminution TSH HYPOPHYSE


Diminution FSH–LH Propriomélanocorticotrophine


Diminution prolactine
Mélanotrophine

}
Contrôle douleur ACHT
Freinage axe gonadotrope Bêta endorphine
Modulation neurotransmetteurs
CORTICOSURRÉNALE
Cytokines

SYSTÈME IMMUNITAIRE Glucocorticoïdes


Neurones
Diminution de l’immunité cellulaire sérotoninergiques
Augmentation de l’immunité humorale et catécholaminergiques

Diminution de la réaction
Apport de glucose Inhibition de la sécretion d’insuline inflammatoire et allergique

Le système de défense du SGA

l’objet d’études approfondies. Quoi qu’il en soit, la phase d’épuisement signe l’échec des
possibilités adaptatives.
Il est difficile de différencier cette phase d’épuisement de celle du deuxième temps de
la phase d’adaptation, car deux manifestations semblent la caractériser :
• une désensibilisation des récepteurs aux corticoïdes. Les épines dendritiques de l’hip-
pocampe régressent. Un stress chronique prolongé induit une altération du système
limbique et surtout de l’hippocampe. Les épines dendritiques de celui-ci régressent.
Les récepteurs hippocampiques aux glucocorticoïdes sont désensibilisés et diminuent,
de même dans d’autres structures cérébrales. Le feed-back négatif s’en trouve altéré. À
terme, une atrophie neuronale au niveau de la couche CA3 de l’hippocampe s’installe.
Enfin, une atteinte du système sérotoninergique et des fonctions cognitives apparaît.
• l’arrêt du feed-back. Le cortisol, dans un premier temps, continuerait à être sécrété en
excès, alors que le facteur traumatique a disparu (deuxième temps de la phase d’adapta-
tion).
En réalité, un troisième phénomène se produit qui, lui, semble être la caractéristique
de la phase d’épuisement : l’effondrement de la sécrétion des corticoïdes (hypofonction-
nement de l’axe HHCS) : épuisement des glandes surrénales entraînant l’effondrement du
système immunitaire et un épuisement des réserves énergétiques. À ce stade-là, il existe-
rait aussi un effondrement du cholestérol. C’est cet élément-là qui semble correspondre
réellement au syndrome d’épuisement.
114
Biologie de l’adaptation

5. LES MALADIES DU SYNDROME GÉNÉRAL D’ADAPTATION


L’excès ou l’insuffisance d’activation des deux systèmes serait à l’origine de toute une
gamme de troubles mentaux et somatiques, allant de l’angoisse à la dépression mélan-
colique, de l’hypertension artérielle aux maladies auto-immunes. Une hyperactivité des
deux systèmes est accompagnée d’anxiété, tandis qu’une hyperactivité isolée ou prédo-
minante du système CRH serait associée à la dépression.
À partir de l’étude du SGA, on peut envisager certains axes physiopathologiques
induits par les vécus de contrainte, attente, menace, agression ou perte, mécanismes
qui induisent des maladies somatiques lors du combat persistant mené par l’individu,
lorsque les défenses psychiques et comportementales commencent à être mises à mal.
Ces mécanismes permettent déjà de rendre compte d’une bonne partie des phénomènes
morbides tels que spasmes, myotension, hypertonie sympathique, dysrégulations hormo-
nales, inflammation, désordres immunitaires.

5-1. Lutte active et sentiment de contrôle


Elle est sous-tendue par une stimulation du système adrénergique et noradrénergique.
Lorsque la réaction d’alarme se prolonge ou se répète sans réponse adaptée, elle induit
selon les cas :
––hyperexcitabilité neuromusculaire,
––phénomènes myotensifs,
––hypertonie sympathique, hypertension artérielle, troubles du rythme, troubles
vasomoteurs,
––troubles sexuels,
––hyperglycémie.
Selon Henri Laborit : « (…) c’est l’inhibition de l’action qui mobilise le système nerveux
noradrénergique et favorise l’hypertension par la vasoconstriction généralisée d’attente
de la lutte, alors que la stimulation du système de fuite et de lutte mobilise le splanch-
nique et la médullosurrénale, facilitant la vasodilatation musculaire nécessaire à l’action
sans influencer la pression artérielle diastolique, du fait d’une nouvelle répartition de
la masse sanguine entre les organes permettant l’action et ceux du domaine cutané et
splanchnique. L’adrénaline est donc bien l’hormone des situations d’urgence motrice,
alors que la noradrénaline serait celle de l’attente, en état d’inhibition motrice. » (L’inhi-
bition de l’action.)
H. Laborit insiste bien sur le fait que, face à la menace (attente du combat), apparaît
une vasoconstriction généralisée (que l’on retrouve au niveau des mains dans l’émotion
peur), puis, lorsque la lutte s’engage, une vasodilatation des territoires moteurs sollicités
par la lutte (réchauffement des mains caractéristique de l’émotion colère). Ainsi, l’agressi-
vité défensive (défense du territoire, de la vie) est précédée par la peur. Seule l’agressivité
offensive (prédation, dominance) est première.

5-2. Velléité de lutte avec sentiment de perte de contrôle, d’ineffi-


cacité
Action sur les axes hormonaux et neurohormonaux :
––désordres du métabolisme glucidique,
115
Traité de médecine psychosomatique

––troubles sexuels et gonadiques,


––troubles hormonaux : thyroïdiens, corticosurrénaliens, prolactine, etc.
––réactions inflammatoires ou allergiques.

5-3. Passivité, renoncement, épuisement


Effet immunosuppresseur, infections, maladies auto-immunes.

LUTTE
• Hyperexcitabilité neuromusculaire
• Phénomènes myotensifs
• Hypertonie sympathique, hypertension artérielle,
troubles du rythme, troubles vasomoteurs
• Hyperglycémie

• Désordres du métabolisme glucidique


• Troubles sexuels et gonadiques
• Troubles hormonaux : thyroïdens,
corticosurrénaliens, prolactine, etc.
• Réactions inflammatoires ou allergiques

• Effet immunosuppresseur, infections


• Maladies auto-immunes
DÉFAITE

Désordres physiopathologiques induits par le SGA

6. L’EXEMPLE DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE ESSENTIELLE


Nous avons présenté en 2002 une étude intitulée Psychosomatique de l’hypertension
artérielle lors d’un séminaire de l’EMP consacré à cette pathologie.
Elle reposait sur le suivi et les observations de 26 patients présentant une hypertension
artérielle essentielle (HTA) depuis moins de 5 ans.
Une partie des observations (12 patients) correspondait à un suivi personnel au sein
du cabinet. L’autre partie (14 patients) était le fruit d’un travail collectif effectué par des
stagiaires de 2e cycle, tous médecins, qui avaient accepté de suivre leurs propres patients
présentant cette pathologie. Leur suivi était encadré grâce à des mises au point théoriques
et méthodologiques régulières et des supervisions collectives des situations cliniques.
La mise en commun des données permit de mettre en exergue des éléments fonda-
mentaux concernant cette pathologie. Par ailleurs, le travail effectué par les stagiaires
permit de mettre en avant l’intérêt de son approche psychosomatique en pratique
médicale quotidienne.
Nous présentons ci-dessous de manière synoptique quelques-uns des aspects de cette
étude.
116
Biologie de l’adaptation

6-1. Observations personnelles
™™ 1. Il y a trente ans, Éliane, 65 ans, perd un mari qui l’idolâtrait et se retrouve dans
l’obligation de travailler. Le deuil est douloureux mais Éliane assume et se lance à corps
perdu dans le travail. Une prise de poids s’installe ainsi qu’une HTA. Trois ans plus tard,
elle rencontre un homme aveugle et, non sans réticence, accepte de l’épouser. La prise de
poids et la tension augmentent. Elle se sent prisonnière, a le sentiment d’avoir perdu son
identité. Elle a souvent voulu se séparer mais, par culpabilité du fait du handicap de son
compagnon, ne l’a jamais fait.
™™ 2. Michel, 50 ans, présente depuis quatorze mois une HTA. Tout a commencé
avec la promotion professionnelle de son épouse qui a amené celle-ci à résider plus
souvent loin du domicile. Elle est moins disponible qu’auparavant, plus tendue du fait
d’une pré-ménopause. Il essaie de la ménager et a progressivement renoncé à ses inves-
tissements hédoniques antérieurs, pour profiter de sa présence lorsqu’elle est là. Leur
vie sexuelle s’est progressivement éteinte, d’autant que le traitement antihypertenseur
n’arrange pas les choses. Michel s’adapte et se soumet. La mentalisation est déficitaire :
peu de formations préconscientes, peu de fluidité dans les représentations, absence de
souvenirs oniriques.
™™ 3. Éric présente une HTA labile (16/9) traitée depuis quatre ans par anti-hyperten-
seurs. D’autres signes témoignent d’un important état de tension interne : tachycardie
sous traitement, douleurs thoraciques, réveils à 3 h du matin, asthénie matinale. Éric est
tendu, irritable, anxieux, toujours sur le qui-vive. Depuis quatre ans, des dettes se sont
accumulées, une tension conflictuelle avec un supérieur hiérarchique s’est installée. Éric
se fixe et rumine sur ses difficultés. Seul rêve récurrent : le travail et la tension avec ce
dernier.
™™ 4. Manuel, 51 ans, commercial, présente une HTA depuis treize ans (16/11), malgré
son traitement. Il se réveille toutes les nuits au bout de 3 h de sommeil et présente depuis
très longtemps des céphalées. Peu avant le début de l’HTA, il avait arrêté de fumer, mais
c’est surtout dans les suites de son mariage, il y a treize ans, que les troubles ont débuté.
Il a une épouse « à qui il faut sans arrêt rendre des comptes », alléguera-t-il. Manuel se
décrit comme un « battant », un perfectionniste, pris dans ses soucis d’objectifs. Il est
en ébullition et court toujours après le temps, ne « décomprime » jamais, ne s’accorde
jamais de moments de pause ou de loisir. La pensée rationnelle continue à fonctionner
la nuit lorsqu’il se réveille. Il n’y a pas de souvenir onirique. Le sens du devoir dirige sa vie.
™™ 5. Nicole, 47 ans, mariée, un enfant, secrétaire, présente une hypertension artérielle
(17/11) et des céphalées depuis un an, aggravées depuis quelques semaines malgré son
traitement anti-hypertenseur. Le sommeil est bon et on ne repère aucun élément dépres-
sif. Dans les antécédents, tendance aux céphalées depuis l’âge de 18 ans. Les symptômes
se sont installés depuis que son mari, confronté à des difficultés diverses, est devenu
anxieux, mélancolique, renfermé. Nicole a du mal à le supporter mais n’exprime aucun
grief. Par ailleurs, depuis un mois, elle subit plus que jamais l’emprise de ses parents qu’elle
n’ose affronter. Lors de la première entrevue, Nicole apparaît comme une personne assez
crispée dans son attitude, tendue, et quelque peu défensive. Si l’expression émotion-
117
Traité de médecine psychosomatique

nelle est pauvre, les capacités d’analyse sont bonnes. Les associations spontanées sont
absentes, mais apparaissent lorsqu’elles sont sollicitées. Elle repère bien son fonctionne-
ment psychique : « J’essaye d’avaler les problèmes, de les oublier, de ne pas en parler. J’ai
des difficultés à dire non, devant l’autorité je m’efface, bien que je sente une colère en
moi… Je me recroqueville de plus en plus surtout depuis ces derniers mois. Dans ces
moments-là, je me sens tendue et crispée. » Il n’existe pas d’exutoire, de plaisir, si ce n’est un
peu le travail qui lui permet de penser à autre chose. Les rêves témoignent d’une violence
interne contenue et culpabilisante, notamment à l’égard de ses parents, et surtout d’une
inadéquation ancienne avec sa mère. Très tôt, Nicole, élevée dans la sévérité et la coerci-
tion, a appris à réprimer ses impulsions, ses affects, ses pensées et surtout son compor-
tement. Les entretiens, étalés sur huit semaines, lui ont permis de repérer la corrélation
entre son état de tension interne, ses difficultés à accepter ses sentiments hostiles et à les
exprimer d’une manière ou d’une autre. Les symptômes ont progressivement régressé au
fil des séances (TA : 14/9 avec arrêt du traitement).
™™ 6. Charles, 44 ans, artisan, présente une HTA depuis quelques années et d’autres
symptômes attestant d’une forte tension interne : douleurs thoraciques, vertiges, gastral-
gies, spasmes œsophagiens, asthénie, sommeil de chat avec bruxisme, myoclonies, pares-
thésies de la nuque. Charles a toujours été tendu. Après le décès de son père lorsqu’il avait
16 ans, il a dû assumer, travailler. C’est un homme de devoir. Sa vie est rythmée par les
obligations. Il y a cinq ans, sa femme l’a quitté et il a perdu son travail. Son état de tension
interne s’est alors accentué, aboutissant à l’hypertension. Il vit seul avec ses deux fils et n’a
pas de vie sexuelle, pas d’exutoire, peu de loisir. Il assume, rumine, ne se relâche jamais,
ne s’accorde pas de temps libre, n’a jamais assez de temps pour remplir ses nombreuses
obligations. Absence d’expression émotionnelle, de souvenirs oniriques.
™™ 7. Claudette, 50 ans présente une HTA à 14/9 malgré son traitement et des poussées
hypertensives à 20/21. Elle dort mal (sommeil de chat, réveils vers 3 h du matin). Son
HTA a débuté il y a trois ans, juste après le départ de son mari qui l’a laissée avec des
dettes. Depuis, elle vit avec sa mère et son fils, et a une relation peu équilibrante avec un
homme sur qui « elle ne peut compter ». Celui-ci a d’ailleurs eu une liaison extraconju-
gale il y a deux ans, ce qui a entraîné une poussée hypertensive. C’est une belle femme
dynamique qui tient une agence immobilière. Elle n’arrête pas, assume, assure, fonctionne
dans l’action. Tout ceci est sous-tendu par un sentiment d’insécurité qui l’habite depuis
l’âge de treize ans, date où son père a quitté le domicile familial. Depuis, elle « joue le rôle
de l‘homme et de la femme ». Peu d’exutoire, peu de rêve si ce n’est des rêves qui attestent
d’une pulsion agressive réprimée (rêves de disputes avec son ex-mari, avec sa fille « qui
n’a d’yeux que pour son père », rêves où elle est enchaînée, rêves de militaires avec des
mitraillettes). Elle rumine, n’exprime pas ses émotions, évite de les ressentir et est très
défensive en début de traitement.
™™ 8. Sylviane, 57 ans a une HTA depuis dix ans. Il y a dix ans, le mari est invalidé pour
lombosciatiques. Il devient irascible, rejetant, agressif. Sylviane assume, fait face sans
broncher aux griefs de son mari qui n’a aucune attention à son égard. Elle a un sentiment
d’insécurité et ressent parfois des bouffées d’angoisse.

118
Biologie de l’adaptation

™™ 9. Huguette présente une HTA découverte il y a six ans, quelque temps après la
mise au chômage de son mari. L’alcoolisme de celui-ci s’est accentué à cette période et
Huguette doit consacrer une bonne partie de son temps à le « surveiller, car, si on le laisse
seul, il boit ». Elle vit dans un sentiment d’insécurité permanent, a abandonné ses activi-
tés de loisir et réprime toute expression agressive.
™™ 10. Thérèse, commerçante, présente une HTA et une surcharge pondérale depuis
cinq ans. Elle est traitée. La pathologie a débuté dans les suites du décès de son père. Elle
l’adorait. Il assumait tout car la mère de Thérèse était décédée lorsqu’elle avait 10 ans. Au
décès du père, elle ne pleurera pas, pas plus que dans les années qui suivirent. La répres-
sion émotionnelle sera majeure et Thérèse, à l’image de ce père omnipotent, s’emploiera
à maîtriser choses et gens. Les journées commencent à 6 h et se terminent à minuit. Peu
de rêves si ce n’est des rêves où la crainte de la perte est omniprésente : « Mon mari me
quitte… je perds mon travail. » Thérèse ne se relâche jamais.
™™ 11. Éléonore présente une HTA depuis un an. Elle fait des poussées à 20/10 accom-
pagnées de céphalées. Éléonore allègue des idéaux moraux élevés et se sent coupable
d’une brouille avec sa sœur, « son unique univers », ayant inauguré le début des troubles.
Quoi qu’il advienne, elle ne fera pas le premier pas.
™™ 12. Marcel m’est adressé par la médecine du travail suite à une agression subie
dans son travail de chauffeur de bus. Il présente depuis tous les signes d’un état de
stress post-traumatique : réveils nocturnes, cauchemars récurrents, flash-back, anxiété,
désinvestissement général, paresthésies des membres supérieurs, douleurs thora-
ciques, extrasystoles et aggravation de son hypertension. Marcel a subi l’agression sans
y répondre. Toute sa violence contenue transparaît dans les signes physiques (hyper-
tonie sympathique et neuromusculaire). Depuis quelques années, il supportait mal les
conditions de son travail : tension permanente, obligation d’« encaisser » sans riposter. Il
a progressivement développé une HTA essentielle pour laquelle il prend un traitement.
Il présente par ailleurs, depuis la même époque, une spasmodicité vésicale et digestive
ainsi que des blocages lombaires à répétition mis sur le compte d’un pincement discal,
qui ont, sur prescription expresse du rhumatologue, nécessité l’arrêt de toute activité
physique. Marcel a bien intégré ces conseils et a renoncé à son passe-temps favori :
l’entretien dominical d’un champ d’oliviers dont il est très fier. Malgré cela, les blocages
lombaires l’immobilisent plusieurs fois par an. À l’issu de l’investigation, je lui ai délivré
un arrêt de travail et enjoint de reprendre son activité dans son champ d’oliviers. Quatre
mois après, Marcel n’avait plus aucun symptôme de quelque ordre que ce soit. La tension
était normalisée.
Toutes ces observations attestent d’une répression majeure de l’expression émotion-
nelle et du comportement. Sur les douze cas présentés, sept seulement ont fait l’objet
d’un suivi thérapeutique. Les résultats ont été les suivants :
––observation 3 : très bons (4 séances)
––observation 4 : nuls (3 séances)
––observation 5 : très bons (3 séances)
––observation 7 : très bons (15 séances)
––observation 10 : très bons (4 séances)
119
Traité de médecine psychosomatique

––observation 11 : très bons (1 séance)


––observation 12 : très bons (1 séance).

6-2. Travail de recherche des stagiaires de l’EMP


Le travail des stagiaires a donc consisté à mettre en pratique leurs acquis, à l’issue de deux
ans de formation, auprès de certains de leurs patients présentant une hypertension essen-
tielle. Il leur fut recommandé de sélectionner un ou deux patients et d’instaurer un suivi
mensuel ou bimensuel, sous forme d’une consultation plus approfondie que d’ordinaire.
Quatorze patients ont été ainsi sélectionnés par onze stagiaires. Leur suivi s’est étalé
sur onze mois, à raison de neuf consultations par patient en moyenne. La durée moyenne
d’une consultation était de 21 min. La tension artérielle moyenne initiale était de 169/99.
En fin de suivi, elle était de 129/77. Soit une diminution globale de la TA de 30 mm Hg.
Diminution de la tension systolique : – 40 mm. Diminution de la tension diastolique :
– 20 mm. Réduction de 27% des thérapeutiques médicamenteuses.

6-3. Psychosomatique de l’hypertension artérielle essentielle


Ce travail a permis par ailleurs de dégager les principales caractéristiques psycho-
somatiques de l’hypertension artérielle essentielle.

Caractéristiques anamnestiques
• Situations de contraintes ou de menace, situations conflictuelles dans la vie profes-
sionnelle et/ou privée mobilisant l’agressivité.
• Vécus traumatiques de lutte : désir de maîtrise, de contrôle, velléité de lutte même
sans résultats, besoin d’assumer, de rester vigilant, désir de ménager ou de maîtriser l’autre.

Caractéristiques psychosomatiques
• Représentations agressives à fleur de conscience, objet de rumination.
• Absence de représentations latérales hédoniques.
• Répression de l’affect agressif, rapidement résolutive dès la première séance.
• Répression de l’expression émotionnelle agressive constante.
• Répression majeure et constante du comportement agressif.
• Absence d’exutoire comportemental.
• Signes associés fréquents : anxiété, phénomènes myotensifs, manifestations neuro-
végétatives circulatoires ou digestives, asthénie volontiers matinale, réveils nocturnes,
manifestations dépressives chez certains sujets.

Caractéristiques psychiques
• Investissement professionnel majeur avec sur-occupation.
• Investissement relationnel contraint.
• Rêves absents ou opératoires, ou bien exprimant la pulsion agressive ou la probléma-
tique en cause.
• Préséance de l’idéal du moi.
• Angoisse de dépossession.
120
Biologie de l’adaptation

La fonction psychosomatique de l’hypertendu


R (rumination)

E Comportement
Émotion

HTA

Fonction psychosomatique de l’hypertension artérielle essentielle

6-4. Conclusion
La tension agressive majeure et réprimée au niveau émotionnel et comportemental
entraîne des manifestations d’hypertonie sympathique, une augmentation de la pression
artérielle, des troubles du rythme, une spasmodicité vasculaire, des troubles vasomoteurs
et une tension générale.
L’HTA essentielle est une pathologie de la répression de l’agressivité, plus particu-
lièrement du comportement agressif. La répression des autres vecteurs de la fonction
psychosomatique participe à ce processus pathologique mais elle est labile, aisément
mobilisable lors de l’investigation, sauf chez les sujets très défensifs.
L’HTA se présente comme une somatisation en relation avec une fixation
phylogénétique.
Citons encore H. Laborit : « (…) le rat capable d’éviter un choc électrique plantaire
répété pendant 7 min, pendant 7 jours, ne fait pas d’hypertension chronique. La même
expérience sur les animaux ne pouvant fuir provoque l’apparition d’une hypertension
qui est encore plus stable un mois après la fin de l’expérience. Si la même expérience
sur les animaux ne pouvant fuir mais placés en couples dans la cage d’expérimenta-
tion est réalisée, ils se mettent en position de combat et ne font pas d’hypertension…
Le comportement de fuite ou de lutte qui mobilise le système adrénosympathique, s’il
n’est pas récompensé, s’il est inefficace, et en conséquence persiste de façon chronique,
aboutira lui aussi à l’inhibition du comportement, à des affections somatiques du système
vasomoteur, parmi lesquels l’hypertension artérielle. » (Op. cit.)
D’une manière générale, les tendances actives à vouloir garder le contrôle de la situa-
tion (sujets qui agissent et ont le sentiment de contrôler la situation) sont accompagnées
d’une hyperactivité du système orthosympathique, tandis que la perte de contrôle qui
débouche sur la passivité, l’impuissance, la soumission, la résignation, voire la détresse,
est associée à une hyperactivité du système HHCS. Citons à nouveau H. Laborit : « Le
cortisol n’augmente pas si l’individu face à une situation menaçante se sent capable de la
dominer, ou s’il se sent invulnérable ou encore s’il la dénie. » (Op. cit.)
121
Chapitre 6

L’HISTOIRE DU SUJET

1. INTRODUCTION
Le but de ce chapitre est de fournir des éléments cruciaux pour mieux comprendre les
suivants. La connaissance de l’histoire du sujet constitue la base de toute psychothérapie
digne de ce nom. Si un sujet réprime son agressivité, si tel autre lutte à perte dans un
combat sans fin, si tel autre est assailli d’angoisses, si tel autre sombre dans la dépression,
ce n’est pas le fait d’un hasard orchestré par des molécules. On ne peut comprendre les
réactions d’un sujet que si l’on connaît son histoire. La médecine a toujours eu des diffi-
cultés à intégrer cette notion fondamentale. Et aujourd’hui plus que jamais : le passé,
c’est le passé, seul compte le présent et éventuellement, à quelques encablures, l’ave-
nir immédiat. L’histoire ne sert plus à éclairer le présent. L’évolution sociétale actuelle
rejette l’histoire, la considère comme suspecte, fauteuse de troubles, ou bien la réécrit en
fonction de ce qui l’arrange. Or, si l’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on va.
Le Petit Poucet l’avait compris. La psychanalyse a exploré et éclairé pendant presque un
siècle cet ancien et suspect continent. Son déclin l’a jeté aux oubliettes.
Tous les désordres que nous avons précédemment décrits sont la conjonction d’un
déterminisme constitutionnel et développemental. Le déterminisme constitutionnel
inclut le déterminisme phylogénétique et ontogénétique, le terrain sur lequel va s’édi-
fier la maison. Le déterminisme développemental concerne toutes les années au cours
desquelles celle-ci se construit. On ne saurait en fixer le terme : l’enfance et surtout les
premières années de la vie occupent une place déterminante. C’est le temps de l’érection
progressive de l’édifice, de ses fondations, du gros-œuvre. La structure est donnée. Avec le
temps, des réaménagements successifs parachèveront les finitions. Des transformations
pourront advenir, mais elles ne remodèleront pas la structure. On peut considérer que
celle-ci est constituée dans sa forme brute à la fin de l’enfance et que son aspect défini-
tif apparaît au début de l’âge adulte, aspect potentiellement ré-aménageable ultérieure-
ment au gré des péripéties, des succès, des échecs, des expériences, des déboires et des
traumatismes de la vie.
Ce déterminisme développemental dépend des expériences successives et des interac-
tions qui s’instaurent dès la conception de l’enfant dans l’imaginaire parental et familial,
et se poursuivent en se remodelant lors des premières années de la vie. Il est grandement
influencé par les achoppements successifs inhérents au fonctionnement de l’un et de
l’autre, mais aussi par des facteurs contingents trophiques ou traumatiques. Peu à peu, se
construit chez l’enfant un mode de fonctionnement, une image de soi, une personnalité
et un système défensif qui lui sont propres et dont une grande part l’accompagnera tout
au long de la vie.
Dans ce déterminisme, les parents, la fratrie, la famille, la socialisation jouent un rôle
incontestable, non pas tant par ce qu’il est convenu d’appeler l’éducation, mais plutôt
123
Traité de médecine psychosomatique

par le biais d’interactions complexes au centre desquelles règne le fonctionnement


inconscient de chacun. Pathologies du lien, du rejet, de l’emprise, rôle dévolu à l’enfant,
identifications, répétition, transmission, ne sauraient être appréhendés sans un éclairage
minimal sur celui-ci. Nous aborderons ces différents aspects dans notre chapitre sur « La
famille » (p. 231).
Mais quel que soit le contexte, les événements et le fonctionnement de chacun, les
étapes du développement sont chronologiquement identiques chez tous les sujets. La
construction du psychisme, comme celle du corps, passe par des étapes successives
incontournables communes à tous les individus. C’est l’objet de ce chapitre.
La traversée de ces différentes étapes, si elle passe par le même chemin, ne se passe
pas de la même façon d’un sujet à l’autre. Chacun avance comme il peut, avec ses compé-
tences, ses déficiences, son équipement défensif, ses tâtonnements, son expérience
antérieure, ses réussites, ses échecs, ses désirs, ses craintes, autant d’éléments fixes ou
mobilisables qui constituent et déterminent le sujet.
Les difficultés récurrentes, si ce n’est les traumatismes, ne manquent pas de jalonner
le parcours. Les vécus traumatiques qui en découlent sont trop souvent éludés ou dédai-
gnés par le corps médical, plus particulièrement en pédiatrie. Faute de pouvoir les appré-
hender par des protocoles d’investigation, des critères standardisés ou des machines, la
médecine actuelle les considère comme de simples objets d’élucubration. La clinique
nous enseigne pourtant de manière quotidienne leur destinée pathogène.
Certaines réactions défensives psychiques ou comportementales de l’enfant, particu-
lièrement bruyantes et prolongées, sont catégorisées en entités nosographiques parfois
surréalistes qui clôturent toute forme d’interrogation : enfant « hyperactif », enfant
« précoce », etc.
Dans ce chapitre, nous allons donc limiter notre propos aux étapes du développe-
ment infantile. Ce sont les étapes par lesquelles tout sujet passe, quel que soit le contexte
familial ou social. Leur traversée conditionne grandement le devenir de l’enfant et du
futur adulte.

2. LA CONSTRUCTION DE LA FONCTION PSYCHOSOMATIQUE


L’ontogenèse suit le même parcours que la phylogenèse. Au départ se situe l’excitation,
le soma. La sensorimotricité apparaît rapidement, se complexifie et s’enrichit tout au long
de la vie embryonnaire, puis fœtale et lors des premières années de l’enfance.
Lorsqu’il vient au monde, le bébé ne ressent que de l’excitation, excitation indifféren-
ciée et aspécifique, à valence tantôt positive (hédonique) ou négative (désagréable) selon
son état physiologique et perceptif, son état de satisfaction ou d’insatisfaction, excitation
qui se manifeste alternativement par des phases d’agitation ou de détresse et des phases
d’apaisement ou de plaisir. La conjonction de la programmation génétique et des acqui-
sitions sensorimotrices va permettre une différentiation de l’expression de l’excitation en
fonction des perceptions, des besoins et des réponses. Ainsi apparaissent successivement
les émotions de base au cours de la première année : surprise, dégoût, joie, colère, peur,
tristesse. Ces émotions successives constituent autant de signaux destinés à la mère. Il lui
revient de les interpréter et d’y répondre, tache moins aisée qu’il n’y paraît.
Les sentiments apparaissent vraisemblablement et de manière très progressive à partir
du 8e mois. La conjonction de la répression du comportement, de l’acceptation des règles
124
L’histoire du sujet

PEUR

COLÈRE

JOIE

SURPRISE

mois 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Ontogenèse de quatre émotions de base

et de la médiation langagière par l’adulte, conduit à l’élaboration des émotions en senti-


ments, en même temps que les états affectifs composites se développent.
Les représentations mentales apparaissent aussi progressivement dans ces eaux-là,
vers le 8e mois, comme en atteste l’angoisse devant la personne étrangère, ce qui n’exclut
pas l’existence de protoreprésentations avant cet âge.
Tous les éléments de la fonction psychosomatique se construisent à partir de la
programmation génétique, de la modulation épigénétique et des interactions avec l’envi-
ronnement.
Sur un plan neurologique, la maturation totale du système nerveux n’est atteinte
que vers 12 ans. Pendant les dix premières années de la vie, le développement cérébral
présente un type spécial de plasticité fonctionnelle et une potentialité particulière
pour la formation à long terme de l’organisation cérébrale, et donc de la structure et du
fonctionnement psychique et des comportements. Au-delà, le cerveau conserve encore
un certain degré de plasticité tout au long de la vie. Le dogme du cerveau condamné à
vieillir a été ébranlé par la mise en évidence, en 1998, de l’existence de cellules souches
dans le cerveau adulte, capables de donner naissance à de nouveaux neurones, la mise en
évidence chez l’adulte d’épisodes peu fréquents mais réguliers de naissance de neurones.
Dans le cortex jeune, les neurones peuvent se déplacer vers d’autres localisations et
les synapses ne sont pas permanentes. À 4 ans, tous les neurones ont leur taille défini-
tive, mais leur maturation n’est pas terminée. La myélinisation des fibres horizontales du
cortex continue entre 4 et 10 ans.
Quatre étapes marquent dans chaque partie du système nerveux l’organisation
progressive : multiplication cellulaire (nombre total de neurones atteint vers le 8e mois
fœtal), organisation cellulaire, organisation fibrillaire et, en dernier lieu, organisation
synaptique qui se poursuit à l’âge adulte sous forme de remaniements spatiaux évolutifs.
Les zones corticales à destinée sensorielle sont matures à la naissance. Le cortex
frontal, temporal latéral et pariétal est immature et met plusieurs années à se dévelop-
per. Le cortex associatif est le dernier à être l’objet de cette séquence d’organisation. Or,
la distribution synaptique détermine la structure des réseaux neuroniques et la création
d’un système fonctionnel, base neurologique des comportements, des modes de penser
et de ressentir.

125
Traité de médecine psychosomatique

3. LA RELATION INTERSUBJECTIVE PRIMITIVE


La construction du sujet commence au moment de sa conception dans l’imaginaire
parental, c’est-à-dire bien avant sa conception au sens physiologique du terme. Avant de
naître, l’objet enfant est source de représentations, un pôle d’attente, de projets. Désir
d’une fille, d’un garçon, désir d’un enfant qui ressemblera ou ne ressemblera pas au père
ou à la mère, enfant attendu pour combler un vide, pour souder un lien, pour prolon-
ger ou réparer une part de soi-même, pour effacer un deuil, etc. Autant de représenta-
tions parentales conscientes, mais le plus souvent inconscientes, qui persisteront après
la naissance, d’autant plus opérantes qu’elles seront déniées, et qui conditionneront une
part du devenir de l’enfant et du futur adulte.
À la naissance, les parents relieront avec plus ou moins d’aisance ces représentations
avec celles que leur suscite le nouveau-né. Les images antérieures n’en disparaîtront pas
pour autant : une part deviendra inconsciente, l’autre part se réorganisera.
On retrouve plus particulièrement l’importance de ce phénomène et ses potentielles
conséquences pathogènes dans :
––les désirs parentaux concernant l’identité sexuelle de l’enfant ;
––les conceptions contemporaines d’un contexte de mort (naissance d’un enfant
concomitante d’un décès dans la famille, naissance d’un puîné après la mort d’un
enfant) ;
––les conceptions dans un contexte de faute (enfant né d’une conception inavouable) ;
––les attentes de perfection, de performances ou de réparation, à l’encontre de l’enfant
à venir.
Le choix du prénom d’un enfant n’est pas hasardeux. L’imaginaire des parents le déter-
mine, imaginaire construit à partir des personnages réels ou fictifs qui jalonnent ou ont
jalonné leur existence : héros de roman, artiste en vogue, parent, grand-parent ou ami
disparu, amour perdu, personnage idéalisé. Lorsque l’imaginaire personnel fait défaut,
surgissent alors des épidémies de prénoms ou, à l’opposé, le prénom d’exception, témoin
d’un besoin narcissique de démarcation, ou encore, heureusement de manière plus rare,
le prénom qui, adossé au patronyme, constituera un jeu de mots. Le choix du prénom
détermine de toutes façons une proto-identité de l’enfant attendu et constitue de ce fait
un des matériaux primitifs de la construction de sa personnalité.
Le patronyme, quant à lui, occupait depuis le xiie siècle une place centrale tant dans
le déterminisme de l’identité de l’enfant que de manière symbolique au travers du
« signifiant du nom du père ». L’évolution sociétale actuelle est en passe d’en atténuer la
préséance.
™™ Élise est mariée à un homme de 20 ans son aîné mais n’utilise le patronyme de
celui-ci que pour les formalités administratives. Elle est connue de tout le monde sous
son nom de jeune fille que nous désignerons par Dupont. C’est d’ailleurs sous ce patro-
nyme qu’elle prend rendez-vous à mon cabinet.
La mère d’Élise avait dissimulé sa grossesse à son entourage, y compris au père géniteur.
À sa naissance, elle avait refusé de lui donner le patronyme de ce dernier, bien que vivant
avec lui, et l’avait déclarée sous le sien, Dupont. Quant au prénom choisi, Élise, c’était
le sien aussi. Ainsi, l’état civil d’Élise est un duplicata de celui de sa mère. Elle porte son
nom, celui du grand-père maternel, et son prénom. Rien ne les distingue. Lorsque Élise
126
L’histoire du sujet

a trois ans, les parents se séparent et Élise ne reverra plus son père, l’homme sans nom.
Elle vient me consulter pour une surcharge pondérale d’apparition récente et massive,
s’étant déclenchée dans les suites de désordres relationnels avec son conjoint. Elle quali-
fie sa surcharge d’enveloppe qui ne lui appartient pas et qui la renvoie à sa mère, seule
femme grosse dans sa famille. Même nom, même prénom et maintenant même aspect.
La surcharge pondérale ne saurait s’accommoder d’une seule « prise en charge » nutri-
tionnelle.

4. LA PÉRIODE PRIMAIRE ET LE TRAUMA PRÉCOCE


La période primaire est celle qui suit la naissance. On ne saurait définir sa durée. Elle
correspond globalement aux deux premiers mois, au cours desquels se constitue la
matrice des premières interactions. Ces interactions constituent parfois un prolonge-
ment de la relation intersubjective primitive. Dans d’autres cas, de nouveaux facteurs
liés au contexte de la naissance, à l’arrivée du bébé, à des facteurs contingents, viennent
changer complètement la donne. Dans tous les cas, la mise en place des interactions entre
le bébé et la mère est faite de tâtonnements, d’interrogations, d’essais, voire d’échecs, de
surprises et de remaniements.
La pratique clinique quotidienne nous révèle l’importance de cette période cruciale
pour le développement ultérieur de l’enfant et du futur adulte. De nombreuses patholo-
gies, psychiques, comportementales, somatiques, trouvent leur origine première dans des
achoppements survenus lors de cette période.
Les causes d’achoppements sont multiples et souvent intriquées : représentations
inconscientes parasitant la relation, souvent induites par la réactivation de conflits
internes, réactions paradoxales du nouveau-né, difficultés à investir l’enfant et la fonction
maternelle, souvent suivies d’un surinvestissement anxieux et d’une ambivalence dans
laquelle captativité et rejet inconscient cohabitent. Les facteurs contingents extérieurs
jouent un rôle majeur : traumatismes obstétricaux, césariennes, prématurité, séparations,
maladies, hospitalisations, paroles et interventions médicales inadaptées, traitements,
événements traumatiques familiaux ou conjugaux.
En réponse à l’angoisse, la détresse, la dépression ou les difficultés ainsi induites chez
la mère, fussent-elles subliminales, le nouveau-né réagit le plus souvent comme il peut :
pleurs continus, crises de rage, réactions de rejet à l’égard de la mère, apaisement avec le
père, etc. En retour, angoisse, déception et désarroi s’accentueront chez la mère, entrete-
nant le cercle vicieux.
L’absence de symptômes bruyants chez l’enfant ne doit pas pour autant faire consi-
dérer qu’il ne se passe rien. Quelques mois suffisent pour influencer son développement
psychique et une aide thérapeutique rapide de la mère permet d’atténuer ou d’éviter les
séquelles.
Les désordres de l’excitation chez le nourrisson n’ont d’autre issue que l’expression
par le corps. Les trois modalités d’expression somatique prévalentes sont : les désordres
alimentaires et digestifs (régurgitations, vomissements, reflux gastro-œsophagien, colique
du premier trimestre, anorexie du deuxième semestre), la pathologie cutanée (essentiel-
lement l’eczéma atopique), les troubles du sommeil.
La clinique nous enseigne quotidiennement que la majorité des troubles peuvent
être corrigés dès la naissance par des interventions psychothérapique visant à éclaircir et
127
Traité de médecine psychosomatique

dissoudre la problématique. Mais, dans l’immense majorité des situations, ces interven-
tions n’ont pas lieu, les parents, l’entourage, et surtout le corps médical, n’en voyant pas
la nécessité.
™™ À cinq mois de grossesse, la chambre d’enfant est déjà prête, mais l’échographie
révèle une atrophie de la région cervicale, évoquant une trisomie 21. Le médecin conseille
vivement à la famille de désinvestir l’enfant à venir qui, de toute façon, sera anormal,
et d’effectuer une interruption médicale de grossesse. Les parents consultent un autre
médecin qui confirme, via une nouvelle échographie, une anomalie et conseille une
amniocentèse. Dont acte. Les résultats de l’amniocentèse, révélés trois semaines après
l’examen, sont négatifs, il n’y a aucune anomalie génétique. Nouvelle échographie à six
mois, qui révèle encore une anomalie morphologique compromettant la naissance.
Conflit au sein du couple qui n’est pas d’accord sur la décision à prendre. La mère finit
par ne plus ressentir les mouvements du fœtus, ce qui renforce son angoisse, et rêve
toutes les nuits qu’elle accouche d’un monstre. L’ensemble de la famille s’est résignée à ne
plus attendre la venue de l’enfant. Jusqu’à huit mois, une échographie et un monitoring
hebdomadaires seront effectués. Le cœur de l’enfant serait trop lent, et il est enjoint à
la mère de ne plus bouger, puis on préconise à nouveau une interruption médicale de
grossesse. À huit mois, une césarienne est effectuée. L’enfant est strictement normal, mais
il n’y a pas de prénom, et la chambre qui lui était destinée a été transformée en bureau.
Après l’accouchement, la mère plongera dans une dépression postnatale. La petite Lou
ne fera pas ses nuits, n’aura de cesse de pleurer, présentera un reflux gastro-œsophagien
qui sera traité par un système de sangles lui imposant de dormir semi-assise. C’est à 6 ans
que Lou fut amenée par sa mère en consultation. L’inadéquation entre la mère et la fille
était totale. La psychologue consultée précédemment avait dénié le rôle de la grossesse
pathologique et de la dépression postnatale dans le déterminisme des symptômes de
Lou. Celle-ci présentait une angoisse d’abandon invasive qui frisait l’angoisse de destruc-
tion. Quant à la mère, elle souffrait de fibromyalgie et avait été opérée sans succès à trois
reprises d’un syndrome du canal carpien.
Si la période primaire constitue la matrice des interactions délétères, des probléma-
tiques similaires peuvent survenir dans les mois qui suivent. Elles seront plus facilement
résolutives.
™™ Robert Babeau cite le cas de Christophe, adressé à l’âge de six mois et demi, pour un
état de dénutrition important avec début de déshydratation. Hospitalisation d’urgence,
perfusion veineuse. Investigations à la recherche d’une cause organique négative.
Au cinquième jour d’hospitalisation, on remarque que certains vomissements sont
provoqués par l’introduction profonde des doigts au contact du larynx, d’autres sont
obtenus à la suite d’efforts dont le caractère provoqué est évident. Prescription d’un
neuroleptique et de bandes pour maintenir les coudes. Les infirmières entourent l’enfant
de soins particuliers. Il sortira après un séjour hospitalier de trois semaines.
À l’interrogatoire de la mère, il émerge le fait suivant : l’apparition des vomissements
était entourée de circonstances dignes d’être soulignées. Pendant huit jours, la mère avait
porté un masque de protection de peur de lui communiquer un rhume. Elle l’avait tenu
ainsi beaucoup plus à distance pendant cette période. Après la sortie de l’hôpital, les
vomissements ne sont plus réapparus.
128
L’histoire du sujet

5. LA PREMIÈRE ANNÉE


5-1. L’oralité et la dépendance
La zone orale et la peau constituent les zones érogènes principales de la première année.
La zone orale doit être considérée de manière extensive : préhension par la bouche et les
lèvres, succion, gustation, morsure, déglutition, émission de sons, inspiration et expira-
tion de l’air. Le plaisir s’étaye sur un besoin physiologique déterminé par un instinct : les
nécessités alimentaires. Le réflexe de succion apparaît dès les premières heures de la vie.
La satisfaction du besoin répond aux exigences vitales mais a aussi une valeur
hédonique par le soulagement de la tension, le bien-être, le plaisir qu’elle induit.
La séquence besoin-satisfaction va induire progressivement et successivement les
sentiments de manque et de désir puis les protoreprésentations qui s’y associent : l’objet
externe et la séquence motrice qui permet l’incorporation de l’objet et l’apaisement de
la tension interne.
Lors des premiers mois, la satisfaction libidinale est passive, confondue avec l’apport
extérieur par un autre et l’absorption. Avec l’apparition de la dentition, l’affinement de
la perception visuelle et le développement de la motricité, la fonction orale devient plus
active. Elle constitue le soubassement de la pulsion d’emprise.
L’oralité englobe de manière extensive tout fonctionnement psychique ou comporte-
mental se référant au mouvement centripète de la satisfaction, c’est-à-dire de l’extérieur
vers l’intérieur. D’un point de vue éthologique, elle conditionne l’attachement.
La primauté de l’oralité s’étend jusqu’à environ 18 mois, moment de l’émergence de
l’érogénéité anale, mais elle n’en disparaît pas pour autant et persiste à des degrés divers
selon les sujets tout au long de la vie.
Le caractère invasif, la persistance, la prévalence excessive de l’oralité, définissent la
fixation orale. La dépendance, l’avidité, la préséance du besoin sur le désir la caracté-
risent. On la retrouvera chez l’adulte dans certains types de fonctionnement psychique :
personnalités dépendantes, conduites addictives, troubles des conduites alimentaires,
impulsivité, psychopathie.
De nombreux facteurs, le plus souvent conjugués, peuvent participer à la constitu-
tion d’une fixation orale : les désordres alimentaires bien sûr (difficultés d’évaluation
des besoins de l’enfant, focalisation excessive des réponses sur l’alimentation, rigidité
excessive ou au contraire anarchie alimentaire, remplissage pour éteindre les signaux
de l’enfant, sevrage brusque, voracité particulière de celui-ci, interventions médicales
inadaptées, etc.), mais aussi et surtout les comportements inducteurs de dépendance tels
que réponse systématique à tout signal, crainte de frustrer l’enfant, coalescence et fusion
ne permettant pas à l’enfant d’expérimenter ses possibilités d’autonomisation.

5-2. L’angoisse de destruction
Nombreuses sont les théories psychanalytiques ayant tenté de définir la nature de la
relation d’objet lors de la première année. Le matériel clinique sur lequel elles s’étayent est
souvent très pauvre et, de fait, les supputations théoriques hasardeuses.
On sait que la sensorialité se développe progressivement dès la naissance, mais que le
moment de la discrimination entre soi et l’autre est difficile à préciser. Il semblerait que
tout cela se fasse de manière très progressive au cours des premiers huit mois. Effective-
129
Traité de médecine psychosomatique

ment, à l’âge de 8 mois, la réaction d’angoisse devant une personne étrangère atteste de
l’existence de représentations précises de l’objet investi.
C’est dire que, dans les tout premiers mois, la distinction sujet/objet est assez confuse.
Tout ce qui est extérieur peut être perçu comme étant d’origine interne, et tout ce
qui vient de l’intérieur comme d’origine externe. Ainsi, lors de contextes traumatiques
précoces portant atteinte à l’équilibre des interactions, peut surgir une détresse qui a été
qualifiée d’angoisse de destruction.
Cette angoisse de destruction, de déréalisation, puis de dépersonnalisation, constitue-
rait une part de la matrice de la pathologie psychotique de l’adulte, mais aussi celle des
angoisses diffuses qui peuvent surgir chez certains sujets adultes, angoisses précédant,
comme nous l’avons vu, la dépression essentielle et les désorganisations somatiques.

5-3. L’enregistrement des traces mnésiques


Deux mécanismes successifs participent à l’enregistrement des traces mnésiques :
l’introjection et l’investissement.

L’introjection
Mécanisme premier de la construction du psychisme, l’introjection est à l’origine du
système représentatif. À partir des perceptions, l’introjection crée des représentations, à
partir des objets externes, des objets internes.
L’introjection porte initialement sur des représentations de choses. L’apparition du
langage atteste de l’introjection de représentations de mots et de leur liaison à des repré-
sentations de choses.
Les conditions de l’introjection
L’introjection ne peut fonctionner que sous certaines conditions :
Présence répétée de l’objet externe (réalité objective)
Valence hédonique de l’objet externe
L’introjection nécessite la confrontation à une expérience suffisamment bonne (non
traumatique), suffisamment prolongée, suffisamment riche (liaison des représentations
aux affects).
Distinction sujet/objet
Dégagement des notions d’intérieur/extérieur, de soi et d’autre, existence d’une
distance suffisante, appréciation et possibilité d’abstraction de cette distance.
Expériences de frustration en l’absence de l’objet externe
L’alternance présence/absence de l’objet externe rythme les temps de satisfaction et
de frustration. Cette alternance conditionne l’émergence du désir et instaure un écart,
une différence, entre la tentative de satisfaction hallucinatoire et la satisfaction réelle.
Assimilation
J’ai avancé en 2008 la nécessité d’un travail d’assimilation introjective, condition néces-
saire au développement de la mentalisation chez l’enfant (Psychosomatique 5). Assimiler
implique que l’expérience présente un intérêt suffisant pour que le psychisme se l’appro-
prie en mémoire, et que ce dernier soit en état de disposition et de travail actif. Une
expérience dans laquelle le psychisme serait un réceptacle passif ne peut aboutir à des
introjections suffisantes. L’enfant a besoin de s’approprier l’expérience à laquelle il est
130
L’histoire du sujet

confronté, de la relier à ses précédentes acquisitions, de la ressentir au niveau affectif,


et de la remanier activement. Une dimension temporelle paraît nécessaire : temps pour
recevoir, temps pour considérer, temps pour ressentir, temps pour imaginer, temps pour
remanier en articulant l’expérience actuelle aux précédentes. Ce temps peut être variable
d’un sujet à l’autre, il n’est pas forcément long : quelques minutes peuvent suffire.
Ce travail d’assimilation nécessite :
––une inscription de l’image de l’objet dans une chaîne associative perceptive, l’objet
n’étant jamais isolé du contexte, des autres stimuli (sensoriels, sensitifs, affectifs), des
interactions motrices avec l’objet. L’enfant ouvre un livre, perçoit son odeur, tourne la
page, revient en arrière, s’attarde plus particulièrement sur une image, la barbouille,
etc. ;
––une inscription de l’image de l’objet dans une chaîne représentative préexistante.
L’enfant articule l’image avec des traces mnésiques antérieures, voire à des formes
archaïques, invente une histoire personnelle ;
––du temps et de la répétition. L’enfant prend son temps, est absorbé par l’image,
demande à ce qu’on répète l’histoire. À chaque fois qu’il retrouve le livre, la même
image, l’introjection se renforce.
Toutes les conditions sont ici réunies pour que les processus de mentalisation, d’intro-
jection et de mémoire fonctionnent parfaitement.
Sélection
La scène représentative n’est pas enregistrée dans son intégralité mais sous forme de
trace mnésique.

Investissement de l’objet interne


L’objet interne (réalité objectale), devenu alors indépendant de l’objet externe (réalité
objective), doit être investi. La trace mnésique ne pourra se pérenniser que par le biais de
cet investissement, suivi de réinvestissements secondaires et itératifs au sein des chaînes
représentatives. C’est ainsi que naît le fantasme et s’élabore la mentalisation. Un plaisir
nouveau pourra ainsi surgir : le plaisir de fantasmer.
L’enfant découvre alors que la sécurité intérieure peut être induite par des représenta-
tions mentales personnelles et pas seulement par la présence réelle de l’objet extérieur.
Selon J.-C. Ameisen : « Les mêmes réseaux neuronaux sont utilisés, tout au moins en
partie, lors de l’acte et lors de sa simple représentation. Ainsi les représentations et la satis-
faction hallucinatoire du désir (le fantasme) ont un caractère créateur non seulement
dans la constitution et l’organisation de la vie psychique, mais très probablement dans la
sculpture de la plasticité neuronale et le fonctionnement cérébral dans son ensemble. »
(La sculpture du vivant.)
Le plaisir qui conditionne et accompagne l’introjection apparaît de manière manifeste
dans le processus d’imitation. Celui-ci débute très tôt, lors des premiers mois, par des
mimiques, puis des mouvements et, à partir de 6 mois, par des actes. Vers 2 ans, il prend
une dimension manifeste : répéter les mêmes gestes, répéter une chanson, jeu du « faire
comme si ». Les neurones miroirs de l’aire prémotrice F5 fonctionnent en même temps
chez celui qui observe, chez celui qui agit, chez celui qui imite. L’imitation constitue le
support de l’identification.

131
Traité de médecine psychosomatique

Les obstacles à l’introjection et la démentalisation précoce


Les conditions que nous venons d’énumérer ne sont pas remplies dans certaines
circonstances :
Repères discordants
L’exposition de l’enfant à des stimuli, des informations ou des modèles contradictoires
ou discordants (familiaux, sociaux) entrave le processus d’assimilation. Ce mécanisme
entre dans le déterminisme des états de démentalisation structurale, des psychopathies
et des états limites. Confusion des rôles et des places, absence de repères (mère ambiva-
lente, père pervers, contradiction entre les règles familiales et la loi sociale, enseignement
déstructuré, etc.) jouent un rôle majeur dans la genèse de ces états.
Dispersion perceptive
L’encodage mnésique nécessite un temps minimal d’exposition à l’objet de perception,
à la fois dans la continuité et dans la récurrence. Un excès de stimuli disperse l’attention, la
concentration qui nécessite un temps minimal de relation avec un seul objet. Ne parlons
pas des cas, si fréquents, où on parle d’autre chose à l’enfant pendant qu’il regarde la télé
et vice versa. L’introjection ne peut se faire et est alors remplacée par un gavage perceptif
dont le contenu se délite ou se rejette instantanément.
Expériences traumatiques réitérées
L’état de tension généré par la répétition traumatique en appelle à un fonctionnement
défensif réflexe et rudimentaire : réponses stéréotypées allant en s’appauvrissant, mise en
place de mécanismes de défense rudimentaires et invasifs, voire états d’angoisse diffuse
ou de sidération, et souvent, à terme, mise en veilleuse si ce n’est extinction du mécanisme
d’introjection. L’incrustation traumatique se substitue à l’introjection.
Expériences de passivité
Tout comme le péristaltisme digestif s’interrompt ou s’inverse en cas de gavage, une
sur-stimulation quantitative arrête le processus d’introjection, voire induit un rejet de
l’objet de perception. C’est le cas de la réponse systématique aux signaux de l’enfant, finis-
sant par étendre ces derniers. C’est aussi le cas de l’enfant exposé aux écrans. L’image ne
défile pas au rythme de l’enfant, il ne peut revenir en arrière, il n’a pas le temps d’associer,
on parle à sa place d’une voix qui ne lui est pas spécifiquement destinée (contrairement à
la grand-mère qui vivait l’histoire et la racontait à un sujet qu’elle connaissait dans toute
sa spécificité et sa réactivité), on imagine à sa place, on pense à sa place. Lorsqu’un enfant
parle en jouant, c’est qu’il mentalise. Un enfant ne parle pas face à un jeu vidéo ou une
télévision, soit il ne dit rien, soit il décharge sa tension.
Ces différentes situations qui portent atteinte au processus d’introjection ont deux
issues : soit l’absence d’encodage mnésique, le vide psychique, soit l’incrustation trauma-
tique.

6. LA DEUXIÈME ET LA TROISIÈME ANNÉES


L’individuation progressive prend consistance grâce à une meilleure représentation de
soi, grâce aux processus d’identifications primaires et aux premières opérations défen-
sives, puis grâce à l’instauration du langage.

132
L’histoire du sujet

Les processus de mentalisation sont établis à 30 mois (deux ans et demi) : perception
des états affectifs de soi-même et d’autrui, introjection et projection, fonctionnement
onirique, accès à un terme achevé de la fonction représentative, contrôle des émergences
fantasmatiques.

6-1. L’analité
L’organisation de la libido est sous le primat de la zone érogène anale et péri-anale
(anus, rectum, périnée, urètre). Le stade dit anal se situe entre18 mois et 4 ans.
La rétention et l’expulsion des excréments s’accompagnent de sensations érotisées
mais aussi de malaise. Les excréments sont perçus comme un objet interne, faisant partie
du soi, du corps. S’en défaire, c’est s’en séparer, c’est-à-dire expérimenter le vécu actif de
séparation d’avec un objet interne. Cette séparation ne peut se faire sans un quantum
d’angoisse.
C’est en référence à ce modèle physiologique duel que certains psychanalystes
(Abraham) ont distingué deux phases dans le stade anal. Elles sont en réalité plus ou
moins confondues.
La première phase est liée au plaisir de l’évacuation, à la libération, à la décharge de
toute tension interne. La pulsion sadique est alors orientée vers le rejet et la destruction
de l’objet. L’expulsion des excréments s’accompagne aussi de sensations érotisées, d’un
soulagement et d’un sentiment d’avoir effectué un acte volontaire.
La deuxième phase est liée au plaisir de la rétention, donc de la maîtrise, maîtrise de soi
en premier lieu. La pulsion est alors orientée vers un contrôle possessif de l’objet.
Au niveau de la motricité et du comportement, on retrouve les deux composantes de
l’érotisme anal :
––rejet ou bris d’objets, occupation de l’espace, refus des règles ;
––appropriation des objets, refus de les céder, plaisir à maîtriser les autres et soi-même.
La relation d’objet est, à ce stade, marquée par cette même bipolarité, cette même
ambivalence : accepter/refuser, s’opposer/se soumettre, perdre/garder, subir/agresser, etc.
Cette période est déterminante pour la constitution de l’organisation psychique, parti-
culièrement en ce qui concerne le rapport à l’autonomie et à la dépendance, la maîtrise
et le contrôle de l’objet, l’acceptation de la perte, l’acceptation des règles et des limites,
l’expression et le contrôle des émotions.
C’est dans ce contexte que l’acquisition de la maîtrise sphinctérienne va progressive-
ment s’installer. Cette acquisition n’est possible que lorsque le contrôle physiologique
est en place (2 ans). L’enfant est l’objet d’une contrainte parentale qui devient à son tour
objet de maîtrise.
Rétention et expulsion constituent les deux plaisirs fondamentaux et structurants sur
lesquels la psychanalyse s’est penchée. Ils ne doivent pas pour autant faire oublier un
troisième plaisir qui est celui du bien-être engendré par la disparition de toute tension
ou de toute gêne liées à l’accumulation des matières fécales (dans le rectum ou dans
les couches). Ce plaisir, dont la composante sensorielle n’est pas négligeable, induit très
rapidement chez certains enfants le désir d’être propres qui induit à son tour un nouveau
plaisir. C’est un élément d’étayage fondamental en thérapeutique. Les activités motrices
et sublimatoires jouent ici un rôle important.

133
Traité de médecine psychosomatique

L’érogénéité physiologique anale est spontanée (rétention/évacuation) mais la toilette,


les soins, les paroles, les comportements parentaux, les interventions médicales peuvent
la renforcer. Elle est aussi paradoxale, souvent intriquée à un désagrément physiologique.
Les soins médicaux au niveau des zones érogènes doivent tenir compte, lorsque des
thérapeutiques lourdes ou des investigations sont envisagées, de tous ces éléments.
Un enfant ne peut renoncer à un type de jouissance que s’il en découvre un nouveau,
et si possible susceptible de mobiliser ses récentes acquisitions, tout comme il ne peut
s’autonomiser ou intégrer une nouvelle fonction que s’il y trouve du plaisir ou un avantage.
Une attitude parentale trop rigide (obsession de la propreté mais aussi contrôle perma-
nent en toute chose) est tout aussi néfaste qu’une attitude trop laxiste (qui est prise par
l’enfant pour du désintérêt).

6-2. Le destin des fixations anales


Les fixations anales centrées sur l’expulsion et le rejet destructeur se retrouvent par
exemple chez l’adulte lors de certains comportements individuels (marginalisation,
refus des règles, emmerdeurs de tout ordre, sujets qui pétaradent à moto) ou collectifs
(obstruction de la voie publique, destruction d’ouvrages, etc.).
La fixation anale centrée sur la rétention, beaucoup plus importante d’un point de vue
psychopathologique, constitue le soubassement d’un nombre important de manifesta-
tions et d’organisations pathologiques de l’adulte : pathologie obsessionnelle, névroses de
caractère avec besoin et désir de maîtrise et de contrôle, répression des pulsions agres-
sives, pré-organisations perverses ou masochistes.
La constipation, le mégacôlon fonctionnel, l’encoprésie de l’enfant sont l’expression
d’une problématique qui ne s’exprime pas au niveau psychique, problématique centrée
sur la perte et l’angoisse de séparation. On y repère souvent : antécédents de fixation au
stade anal favorisée souvent par une préoccupation excessive et une éducation contrai-
gnante au niveau de la propreté, importance de la dynamique de l’agressivité qui se
manifeste sous un mode plutôt passif et obstiné, tendance à la rétention et crainte de la
perte.

6-3. L’angoisse de séparation
Elle ne se limite pas aux trois premières années de la vie. Ses expressions pathologiques
se manifestent d’ailleurs préférentiellement après cette période. C’est dire qu’il existe un
continuum entre l’expérience et la crainte de la séparation dès l’instant où le premier
objet a été constitué puis identifié comme distinct du sujet, où cet objet a été fortement
investi, où l’expérience de séparation d’avec lui a été éprouvée à un niveau aussi minime
soit-il, et les vécus ou les craintes de séparation ultérieurs.
Il existe une angoisse de séparation développementale structurante qui apparaît à
partir du moment où la relation objectale est instaurée. La quotidienneté de l’enfant est
rythmée par des expériences de séparation à l’égard desquelles des processus défensifs
successifs se mettent en place pour les rendre plus tolérables : objet transitionnel, procé-
dés autocalmants, introjection de l’objet.
L’angoisse de séparation pathologique apparaîtra dans des contextes particuliers, soit
du fait de séparations réelles traumatiques (enfant en souffrance laissé sans soin, hospi-
talisation, décès, etc.), soit au contraire, et de manière beaucoup plus fréquente, du fait
134
L’histoire du sujet

d’une séparation impossible telle que la réponse à toute angoisse de séparation par la
présence de l’objet, et surtout d’une angoisse de séparation maternelle.
™™ Cléopâtre présente une angoisse de mort en relation avec une angoisse de sépara-
tion massive. Elle est soucieuse pour son frère jumeau qu’elle protège. Elle rêve que sa
mère a disparu ou que ses deux parents sont morts, la laissant seule à la maison, alors
que des voleurs veulent entrer. À chacune des deux grossesses de sa mère, la grand-
mère maternelle entra dans des états de panique subintrants, appelant le médecin aux
moindres manifestations d’inconfort de sa fille, plongeant ainsi celle-ci dans un bain
d’angoisse. Après la première grossesse, elle lui déconseilla d’ailleurs avec véhémence de
remettre ça. La deuxième grossesse ne survint pas spontanément, une fécondation in
vitro fut nécessaire et c’est ainsi que naquirent les deux jumeaux. Durant leur première
année, les deux enfants eurent d’importants troubles du sommeil. Il en avait été de même
pour le frère aîné.
D’un point de vue clinique, l’angoisse de séparation se manifeste par une anxiété
excessive focalisée sur la séparation des personnes auxquelles l’enfant est principalement
attaché. On repère selon les cas :
––peur d’un danger qui menacerait les personnes auxquelles l’enfant est très attaché,
peur que celles-ci ne reviennent plus après un départ, peur qu’un événement malheu-
reux ne vienne à le séparer d’elles, peur de se perdre, d’être kidnappé, hospitalisé ou
tué ;
––réticence ou refus d’aller à l’école, d’aller dormir si l’enfant n’est pas en présence de la
personne investie, de rester seul à la maison dans la journée ;
––cauchemars à thème de séparation ;
––symptômes d’angoisse ou de détresse somatisée quand se présente la séparation.
L’angoisse de séparation entre dans la composante de nombreux états anxieux de
l’adulte. Elle est aussi à l’origine des états dépressifs, des états limites et des personnalités
dépendantes.

7. L’ENFANT DE 4 À 6 ANS
7-1. La castration imaginaire
L’angoisse et le vécu de castration
À partir de trois ans, l’érogénéité investit avec intensité la zone phallique : pénis chez
le garçon, clitoris chez la fille. Cette zone, source d’excitation et de plaisir physiologique,
focalise l’intérêt de l’enfant et devient source de représentations. La confrontation à
la différence anatomique des organes génitaux externes est alors perçue comme une
énigme : certains enfants sont dotés d’un pénis, d’autres non. Ainsi se crée la représen-
tation d’un « en plus » et d’un « en moins », d’un excédent et d’un déficit, représenta-
tion erronée, puisque chacun a un « en plus » et chacun a un « en moins », mais l’ « en
plus » de la fille ne se voit pas. C’est donc à partir de la vue et de son érotisation (pulsion
scopique) que se crée et s’introjecte avec force cette image erronée de la différence des
sexes.
Le fonctionnement psychique de l’enfant repose, à cet âge, sur un mode de pensée
magique, non rationnelle. Le pourquoi de cet « en plus » et cet « en moins » trouve une
135
Traité de médecine psychosomatique

seule réponse chez cet enfant à peine sorti du fonctionnement psychique magique et
anal (possession, perte) : l’objet phallique a ou n’a pas été donné, l’objet phallique a ou n’a
pas été enlevé.
Ainsi apparaît l’image de la castration issue de représentations erronées et dont le
vécu se colore différemment chez le garçon et chez la fille : angoisse de castration chez
le garçon (menace de perte), vécu de castration chez la fille (perte accomplie mais aussi
angoisse extensive de perdre autre chose).
L’angoisse de castration apparaîtra, chez le garçon comme chez la fille, dans les préoc-
cupations conscientes, dans les formations psychiques inconscientes (rêves d’agression,
de vol, d’amputation), et au travers de nombreux symptômes classiques lors de cette
période : phobie du sang, de la blessure, troubles du sommeil, difficultés scolaires, agita-
tion, inhibition, tristesse, et plus tard angoisse de mort. Elle peut prendre des formes
extensives ou pathologiques selon les événements renforçateurs qui peuvent survenir.
Les accidents, les interventions chirurgicales les plus banales sur la sphère abdomino
pelviennes, renforcent l’angoisse de castration.
™™ July présente la particularité d’avoir un prénom féminin que ses parents ont fait
terminer par y au lieu de ie. Il s’agit d’une fillette âgée de 9 ans, très angoissée et soucieuse.
Beaucoup de choses lui font peur, principalement, ces derniers temps, lorsque son petit
frère lui tire les cheveux, qu’elle aimerait d’ailleurs avoir longs et raides, ou bien lorsqu’elle
pense qu’elle pourrait perdre ses dents. Elle ne supporte pas de se couper, surtout les
doigts. Pendant la grossesse du petit frère, July était âgée de 4 ans et avait eu la varicelle.
Les parents avaient discuté devant elle pour savoir si cette maladie n’était pas dangereuse
pour le bébé et s’ils allaient le garder ou pas. Le petit frère en question est né avec un œil
handicapé, absolument sans rapport avec la varicelle, mais July se sent responsable de lui
et le materne beaucoup bien qu’il la persécute. Elle rêve en permanence d’un homme très
long qui la poursuit ou d’un plongeur avec des yeux rouges qui se reflètent dans l’eau. Elle
vient d’arrêter la danse pour faire du cheval et du vélo et veut être hôtesse de l’air parce
qu’elle adore les avions.

Les mécanismes de défense


L’angoisse ou le vécu de castration génère au sein du psychisme la mise en place de
mécanismes de défense. Trois issues sont possibles.
La première, idéale, est l’introjection de représentations correctrices : chacun des sexes
a son « en plus » et son « en moins ». Les idéologues de la lutte ou de l’indifférenciation
des sexes feraient bien de s’en inspirer…
La deuxième est celle du refoulement : la représentation de la castration, vectrice
d’angoisse, est refoulée dans l’inconscient, mais l’affect d’angoisse n’en disparaît pas pour
autant. N’ayant plus d’arrimage représentatif, celui-ci ne peut s’atténuer que par le biais
d’un déplacement sur d’autres représentations.
C’est la genèse des névroses de défense. Les représentations inconscientes refou-
lées s’intégreront aux formations défensives contre l’angoisse, elles-mêmes devenues
inconscientes, pour constituer au sein du psychisme le complexe de castration, forma-
tion inconsciente susceptible de persister tout au long de la vie, ne demandant qu’à être
réactivée au fil des événements traumatiques.

136
L’histoire du sujet

La troisième est le déni. À la place du refoulement, mécanisme incomplètement efficace


comme nous venons de le voir, peut s’installer chez certains sujets un autre processus de
défense qui, lui, fait disparaître toute angoisse, c’est le déni : la représentation de la diffé-
rence sexuelle ne disparaît pas mais l’angoisse qu’elle suscite est annulée par la force d’une
néo-représentation, représentation imaginaire qui est celle d’une absence de différence
des sexes. Le déni pourrait demeurer un mécanisme de défense occasionnel, complétant
la palette du système défensif, sans prendre une place centrale et déterminante, si la repré-
sentation du personnage maternel ne subissait pas le même traitement. La mère, toute
puissante aux yeux de l’enfant, ne saurait être porteuse d’un manque, d’une absence,
d’une lacune, d’un déficit. La représentation de sa castration est inimaginable et intolé-
rable. Le déni vient à la rescousse : le personnage maternel n’a pas d’ « en moins ». Ainsi
se juxtaposent au sein du psychisme deux représentations opposées, celle de l’image de
la différence des sexes en relation avec une loi biologique extérieure au sujet, et celle de
la non-différence sexuelle inductrice d’une loi interne propre au sujet. Ces deux images
opèrent un clivage au sein du psychisme. Déni et clivage seront à l’origine des perversions.
L’angoisse de castration et les formations défensives qu’elle suscite disparaîtront de la
conscience pour former au sein de l’inconscient le complexe de castration.

7-2. Le complexe d’Œdipe


La crise œdipienne
La crise œdipienne qui surgit chez l’enfant entre 3 et 6 ans est le produit de deux
découvertes : celle de la différence des sexes et celle de la différence des places.
Si la découverte de la différence des sexes au moment où culmine l’érogénéité phallique
est à l’origine de l’angoisse de castration, elle constitue aussi le support des identifications
secondaires et constitue un facteur particulièrement structurant pour le psychisme.
Conscient de son appartenance à un sexe, l’enfant s’identifiera préférentiellement à un
des deux parents et tentera de mettre en place un type de relation calqué sur le modèle
parental : imiter le père dans la relation à la mère, imiter la mère dans la relation au père.
C’est ainsi qu’un des deux parents est plus investi que l’autre. Cet investissement de type
amoureux va de pair avec un désir plus ou moins ambivalent d’exclure l’autre. C’est ainsi
que débute la crise œdipienne, qui consiste à vouloir maintenir une relation duelle exclu-
sive et à refuser la triangulation.
L’interdit auquel va se heurter l’enfant va progressivement exclure ce désir de la pensée
consciente, et le transformer en fantasme au sein de l’inconscient, fantasme indissocia-
blement lié à l’interdit lui-même. Ces formations inconscientes constituent le complexe
d’Œdipe.
La résolution de la crise œdipienne instaure le surmoi comme instance primordiale
au sein de l’organisation et du fonctionnement psychiques, instance indispensable à
toute forme de socialisation, mais aussi propice au développement de la mentalisation.
Le renoncement à la réalisation du fantasme œdipien et la confrontation à la castra-
tion symbolique liée à la présence et à la parole du tiers, libèrent le sujet et l’ouvrent
à de nouveaux investissements. L’acceptation de la triangulation relationnelle met une
limite au fonctionnement dans la toute puissance et ouvre la porte à la symbolisation et
à la sublimation. Les identifications secondaires donnent une assise identitaire au sujet,

137
Traité de médecine psychosomatique

enrichissent son imaginaire et lui permettent d’être en adéquation avec son identité
sexuelle, sa future paternité ou maternité.
Les achoppements durables inhérents à la crise œdipienne instaurent un complexe
pathogène dont les expressions couvrent un champ très étendu chez l’enfant et surtout
chez le futur adulte, éminemment variables d’un sujet à l’autre : angoisse de castration
récurrente et extensive, culpabilité, inhibitions, conduites d’échec, pathologie mentale
névrotique, genèse ou renforcement de fonctionnements pervers, dysfonctions sexuelles,
somatisations.
™™ Émilie vit seule avec sa mère dépressive depuis le divorce de celle-ci. De son père
idéalisé et séducteur qu’elle voit peu, elle attend tout. Elle s’est construit un univers où
ce prince charmant, qui exerce le métier de pilote de ligne, l’amènerait à bord de son bel
avion. Attente incessante et vaine. Il ne vient pas. Je ne le mérite donc pas. Je ne suis pas
assez belle, pas assez bonne, pas assez… Elle rêve d’être hôtesse de l’air. Elle se contentera
de vendre des billets dans une agence de voyage sans jamais décoller, ni de terre, ni de son
fantasme. À 45 ans, toujours dans la même agence, n’ayant jamais connu la maternité, elle
s’occupe des deux enfants de son compagnon.

Évolution actuelle de la crise œdipienne


Dans le choix de l’objet d’élection œdipien, l’identité sexuelle de celui-ci joue un rôle
déterminant. Dans la forme classique, l’enfant s’identifie préférentiellement au parent du
même sexe, mais c’est loin d’être toujours le cas.
L’œdipe s’accommode bien de la structure familiale classique. Avec l’évolution socié-
tale, il est probable que le schéma classique s’estompe au profit de formes plus indif-
férenciées, plus confuses, plus évanescentes, et de toute façon, pour l’instant, moins
structurantes, si ce n’est déstructurantes. Depuis quelques années, alors que le complexe
de castration n’a pas bougé d’un iota – n’en déplaise aux chantres de l’indifférenciation
sexuelle –, on observe au niveau de l’œdipe les prémices d’un changement y compris dans
les structures familiales habituelles, c’est-à-dire celles où le couple parental est constitué
d’un homme et d’une femme qui travaillent le plus souvent à l’extérieur du domicile. La
délégation d’une grande partie de la fonction maternelle au père et l’absence de plus en
plus extensive de la mère à la maison tend à inverser le modèle œdipien classique. Ce n’est
pas le travail de la femme qui pose problème, mais le temps d’absence réelle au sein de
la famille ainsi que l’indisponibilité psychique induite par les investissements extérieurs.
L’objet de désir est certes pour une part défini par son identité sexuelle mais aussi, et
ceci indépendamment de cette dernière, par son caractère inaccessible, indisponible et
lointain. Les passions amoureuses en témoignent, c’est le principe même d’Éros. Il en va
ainsi du désir en général : la distance crée le désir et c’est en cela qu’il se différencie de la
jouissance. De ce fait, aussi bien pour la fille que pour le garçon, le père, beaucoup plus
présent actuellement, est moins investi. La mère, beaucoup moins présente, plus inves-
tie. L’autre facteur est la phallicisation des femmes. Les différences entre mères et pères
s’estompent non seulement du fait des fonctions qui se confondent mais aussi du fait
de l’image extérieure qui en émane et des comportements induits. Ainsi, les identités
sexuelles ne sont pas les seuls déterminants de l’œdipe, le cycle présence-absence et les
images parentales jouent un rôle déterminant.

138
L’histoire du sujet

Plutôt que de nier bêtement l’œdipe, les apologues militants des nouvelles formes de
« famille » feraient bien de considérer ceci, cela pourrait leur servir d’argument.
Quoi qu’il en soit, un élément central du complexe œdipien persiste et signe : c’est le
besoin chez la fille d’être reconnue et valorisée dans son identité sexuelle par son père.
Lorsque cela ne se produit pas, le vécu de castration devient invasif et une des réactions
les plus fréquentes chez la fille est le rejet de son identité sexuelle et même de son identité
tout court. Il peut s’en suivre un complexe de virilité, un surinvestissement phallique, des
régressions psychosomatiques à des stades antérieurs, un fantasme de castration à l’égard
de l’homme, et de nombreux désordres à venir.
™™ Le père de Mallaury était un grand séducteur, phallique narcissique de surcroit.
Complexe d’Œdipe tentaculaire, Mallaury n’aura de relations qu’avec des hommes, selon
ses propres termes, « magnétiques, charismatiques, volages, tout puissants, indispo-
nibles ». Hommes dont elle se sépare dès qu’elle les a conquis.

7-3. Destinées de l’œdipe et de la castration chez l’adulte


Les manifestations cliniques du complexe d’Œdipe et du complexe de castration,
centrales dans la clinique de l’enfant, se prolongent bien au-delà de la crise, y compris
dans la période improprement qualifiée de « phase de latence ». Elles subissent une
exacerbation en début d’adolescence et persistent chez l’adulte comme en témoignent
leur réactivation lors de certaines expositions traumatiques et leur préséance dans la
constitution de l’organisation psychique.
Les organisations névrotiques de l’adulte ont toutes pour origine centrale un achoppe-
ment majeur au niveau de ce stade du développement psychique. Les régressions consé-
cutives aux achoppements induits déterminent la spécificité des troubles. Il en est de
même pour la majorité des dysfonctions sexuelles de l’adulte.
Les perversions trouvent aussi l’essentiel de leur origine dans les mécanismes de déni
et de clivage qui peuvent se mettre en place à cette époque-là.
De nombreuses fixations psychosomatiques induites à cette période du développe-
ment constituent le déterminant de la cible de certaines somatisations.
Enfin, en dehors de toute pathologie, le complexe de castration et le complexe d’Œdipe
constituent des matériaux fondamentaux de la construction du sujet.
Ces deux formations inconscientes sont susceptibles d’être réactivées lors de nombreux
événements ou situations qui prennent du coup une dimension traumatique.
Chez l’homme, l’angoisse de castration surgira lors de certaines pertes (perte d’un
objet de jouissance, d’un pouvoir, d’un statut, d’un objet phallique investi) ou bien, intri-
quée à l’œdipe, lorsque le sujet endosse une fonction phallique ou paternelle (naissance
d’un enfant, promotion professionnelle).
Chez la femme, le vécu de castration sera réactivé lors des premières règles, de l’accou-
chement, des interruptions de grossesse, et parfois lors des premières relations sexuelles
ainsi que dans toute situation de confrontation au manque.
Chez l’homme comme chez la femme, cette même angoisse resurgira lors de pertes de
fonctions corporelles, de vécus de rejet ou de destitution, etc.
Quant à la fixation œdipienne pathogène, elle sera, elle aussi, chez l’homme comme
chez la femme, source de choix répétitifs, d’aménagements existentiels particuliers, et

139
Traité de médecine psychosomatique

souvent lourde de conséquences tant au niveau psychique que psychosomatique, plus


particulièrement à des moments charnières de la vie.
™™ Lorsqu’il a 7 ans, les parents de Yann divorcent. Resté seul avec sa mère, il deviendra
l’homme de la maison. Il souffre d’une dysfonction érectile primitive et a fini par renoncer
aux relations sexuelles.
™™ Lucien, 40 ans, avait lui aussi un père séducteur et volage. Lorsqu’il était adolescent,
il rêvait qu’il avait des relations sexuelles avec lui. À l’âge de 18 ans, il coupe les ponts
avec celui-ci et oblige sa mère à divorcer. Il développera alors un complexe d’infériorité
autour de la taille de son sexe qu’il juge trop petit et, dans la foulée, ira sur des sites
homosexuels à des fins comparatives. Il aura des relations avec des hommes plus âgés,
tout aussi éphémères qu’insatisfaisantes.
™™ Lorène, 30 ans, infirmière, présente une anxiodépression et une surcharge pondé-
rale depuis qu’elle s’est installée avec son mari loin de ses parents. Les beaux-parents sont
envahissants. Elle attend désespérément un enfant qui ne vient pas. Paradoxalement,
durant de longues années, elle était terrifiée à l’idée de tomber enceinte. Dans les suites
du divorce de ses parents lorsqu’elle a 10 ans, elle restera avec son père non sans culpa-
bilité car elle pense être responsable du départ de sa mère. Celle-ci aura une autre fille
d’une deuxième union, de 20 ans sa cadette. Lorène investira cette demi-sœur comme sa
propre fille, comme en atteste son lapsus récurrent « ma fille ». Lorène est une mère de
substitution, une nourrice idéale. Lorsqu’elle fait part à sa mère de son désir de devenir
mère à son tour, celle-ci élude, occulte, comme si rien n’avait été dit. Son installation en
couple a été contemporaine du remariage de son père.

7-4. Facteurs d’achoppement et principes préventifs


L’angoisse de castration peut être majorée par un positionnement castrateur parental
qui se manifeste par des attitudes, des paroles, voire des non-dits : opposition à tout ce
qui peut affirmer l’identité sexuelle de l’enfant.
Au niveau de l’angoisse de castration, les paroles des parents (si possible celles du
parent du même sexe) et, si l’occasion se présente, du médecin, doivent être fonction de
la demande explicite ou implicite de l’enfant. Elles doivent être porteuses d’une notion de
différence structurante et non d’une idée de déficit ou d’excédent. L’effet thérapeutique
est toujours constant et souvent rapide.
Il y a lieu aussi d’être attentif lors des investigations médicales au cours de cette période
et encore plus au niveau des interventions chirurgicales, non seulement au niveau de la
sphère abdominopelvienne (appendicectomies, cures de phimosis), mais aussi au niveau
de tout le corps (amygdalectomies, etc.), car toute agression corporelle, et a fortiori une
ablation, est perçue comme une « castration partielle réelle ». Si ces interventions ne
peuvent être évitées, une attention particulière et des paroles rassurantes et choisies en
fonction du contexte doivent être apportées.
L’appendicectomie est vécue comme une castration (tout comme la circoncision). Elle
peut induire des réactions pathologiques psychiques, comportementales ou somatiques.
Il arrive aussi que cette intervention stoppe une pathologie préexistante. Bon nombre de
douleurs spasmodiques abdominales (sous-tendues par un état d’angoisse) de la grande

140
L’histoire du sujet

enfance sont stoppées par l’ablation d’un appendice qui ne présentait pas le moindre
caractère inflammatoire. J’ai même remarqué que des manifestations anxieuses ou
dépressives consécutives à une perte (nous connaissons le cas d’une enfant qui présentait
une angoisse très importante à la suite du placement de sa sœur jumelle dans un institut)
avaient été stoppées par cette intervention, qui venait inscrire symboliquement la perte
initiale mal représentable.
Au niveau de la problématique œdipienne, les parents peuvent être « tentés » d’adop-
ter le mode relationnel que souhaite l’enfant, surtout s’il existe un conflit entre eux. Or,
ils ne doivent pas se mettre sur le même plan que leur enfant et refuser que l’enfant se
mette sur le même plan qu’eux. Il est nécessaire qu’ils tiennent leur place d’adulte et se
reconnaissent dans leur valeur réciproque.
Il faut éviter de substituer, même par jeu, l’enfant au partenaire adulte, de déléguer à
l’enfant une fonction parentale à l’égard d’un puîné. Il est souhaitable de stimuler l’enfant
dans son accession à un univers personnel, dans son désir de grandir, et d’encourager ses
capacités de sublimation.
Ce passage difficile nécessite, pour ne pas être trop pathogène, certaines conditions :
• reconnaissance de la différence des sexes, indissociable d’une accession à des repré-
sentations qui ne se situent pas dans l’ « en plus » - l’ « en moins » mais dans une diffé-
rence structurante dans laquelle chacun a un « en plus » et chacun a un « en moins ».
Toute pensée s’origine dans la reconnaissance de la différence, dont la différence des
sexes constitue le paradigme. Abolir cette différence, c’est abolir la pensée. Si l’image de
la castration n’a pas changé d’un iota depuis le paléolithique, les modalités défensives
contre elle sont sujettes à variations dans le temps, selon les sociétés, selon le sexe. Mais
la reconnaissance de la différence sexuée constitue le garant de la survie d’un groupe
humain. Son déni est le signe avant-coureur de l’extinction de celui-ci ;
• accession à des représentations établissant une différence nette entre le génital, l’uri-
naire et le digestif (pour un temps confondus à cet âge-là et plus particulièrement chez
la fille) ;
• aide à la découverte des qualités et des compétences propres à chaque sexe. Chez
la petite fille, il s’agit de favoriser les expressions de la féminité, de respecter le fantasme
de relations amoureuses avec un garçon et le fantasme de maternité dans laquelle un
homme différent du père aura été l’indispensable acteur. En ce qui concerne le garçon,
il ne s’agit pas de le stimuler dans une virilité combative, car il se croit doté d’un « en
plus », et ce n’est donc pas la peine d’en rajouter. Il y a lieu tout simplement d’éviter de le
féminiser ;
• confrontation nécessaire à une triangulation dans une structure parentale bisexuée,
seul support possible des identifications secondaires ;
• renoncement à la réalisation du fantasme œdipien ;
• stimulation de l’enfant dans son accession à un univers personnel, dans son désir de
grandir, encouragement des capacités sublimatoires ;
• nécessité pour les parents de tenir leur place d’adulte, de se reconnaître mutuelle-
ment dans leur valeur réciproque, d’éviter de substituer l’enfant au partenaire adulte et
de déléguer à l’enfant une fonction parentale au sein de la fratrie ou au sein du couple.

141
Traité de médecine psychosomatique

™™ Léa, 6 ans, est angoissée et triste depuis plusieurs semaines. Elle a rêvé plusieurs fois
que des cambrioleurs pénétraient dans sa chambre en passant par un long tuyau et lui
coupaient la main. Elle refuse de nombreux aliments et est prise de panique à la vue du
moindre insecte, craignant que celui-ci la pique ou pénètre dans son nez, sa bouche ou
ses oreilles. Cette phobie d’intrusion est en relation avec la représentation qu’elle a de son
corps, auquel il manquerait quelque chose. La chose manquante s’avérera bien sûr être le
pénis, son propre sexe étant assimilé à un trou, un vide, un désert dehors comme dedans.
Un seul entretien au cours duquel les représentations erronées de la différentiation
sexuelle seront rectifiées fera disparaître les symptômes. Les cauchemars disparaîtront
avec les phobies et elle retrouvera sa joie de vivre, parfaitement satisfaite de son identité
sexuelle, d’autant que, sur mes conseils, les parents remplaceront le football par la danse.
Trois mois après, les parents me ramèneront Léa. Elle a rechuté depuis que son institutrice
a dit à la classe qu’une fille, c’était exactement comme un garçon, qu’il n’y avait aucune
différence entre les deux et que, plus tard, chaque enfant devenu adulte pourra décider
s’il se marie avec un prince charmant ou une princesse charmante.
Cette observation, parmi tant d’autres, se passe de commentaires. Les sévices sur
enfant ont changé de forme. Ils sont devenus politiquement corrects.

8. ANGOISSE ET CULPABILITÉ
À ce stade de notre développement concernant les sept premières années de la vie d’un
sujet, nous pouvons considérer que les fondations de la structure psychique sont scellées,
même si la construction de l’édifice est loin d’être achevée. Ce qui est fondamental, c’est
que ces sept années ont instauré au sein de la structure psychique un mode prévalent
de relation d’objet, des angoisses de nature différente, des instances répressives détermi-
nantes et un système défensif spécifique. Ceci nous amène, avant de clore ce chapitre,
qui – répétons le – ne résume pas l’intégralité des potentiels déterminants traumatiques
développementaux, à présenter sous forme de tableaux les différentes composantes de
l’angoisse, et à dire un mot de la culpabilité.

8-1. Les composantes archaïques de l’angoisse


(Voir tableau page suivante.)

8-2. La culpabilité
La culpabilité consciente en relation avec une faute réelle n’a paradoxalement que
peu de retombées sur la vie psychique. C’est peut-être injuste mais c’est comme ça. La
culpabilité imaginaire et ses racines inconscientes constituent par contre les détermi-
nants centraux de nombreux troubles, notamment les organisations névrotiques, les
dépressions, les désordres identitaires. La culpabilité imaginaire agit comme un complexe
traumatique interne.

Honte et culpabilité
Une distinction préalable s’impose entre honte et culpabilité. La honte est une
émotion, la culpabilité, un sentiment. La honte est en relation avec un vécu d’infériorité,
d’indignité, induit par le dévoilement de quelque chose propre au sujet face au regard de
l’autre, elle est consciente. La culpabilité n’est pas liée au regard mais plutôt à la voix (voix
intérieure, conscience) et n’est pas toujours consciente.
142
L’histoire du sujet

DESTRUCTION SÉPARATION CASTRATION

Début Premiers mois 3 premières années 4-5 ans


Origine Pré-objectale Objectale Objectale
Libido Oralité - Oralité Stade phallique
- Analité
Facteurs Trouble relation primaire - Séparations réelles trau- Représentation de la diffé-
inducteurs matiques rence des sexes
- Absence de séparation
- Angoisse maternelle +++

Clinique Indifférence, agitation ou - Anxiété - Anxiété


détresse - Peur de la rupture de la - Formations défensives
relation - Culpabilité de désir
- Dépression si perte
d’objet
Évolutivité - Angoisse psychotique - Névroses - Névroses
- Angoisses diffuses - États dépressifs - Dysfonctions sexuelles
- Personnalités dépen-
dantes
- États limites

Caractéristiques des angoisses primaires

La honte se situe dans le registre du corps, de la sexualité, de la castration imaginaire,


du dégoût ; la culpabilité, dans le registre cognitif, celui du devoir, de la loi, de la règle, de
la dette, de l’agressivité.

Les trois formes de culpabilité


J’ai proposé en 2007, au cours du séminaire que nous avions consacré à la culpabilité,
d’établir une distinction entre trois formes de culpabilité différentes quant à leur origine
et quant à leur expression.
La culpabilité identitaire : « Coupable de ce que je suis. »
À partir de l’émotion honte se développe chez certains sujets un état affectif durable
que l’on peut qualifier de culpabilité d’infériorité. C’est une culpabilité d’origine narcissique
génératrice d’un sentiment d’indignité, de blessure identitaire. Cette culpabilité trouve
ses origines dans l’histoire du sujet et surtout de ceux qui l’ont précédé.
La culpabilité de défaillance : « Coupable de ce que je n’ai pas fait. »
Le décalage entre l’idéal du moi et l’évaluation de ses propres actes par le sujet déter-
mine cette culpabilité. Suis-je fidèle à mon idéal, ou bien ai-je failli ?
Ici, il ne s’agit pas de loi, mais de valeur. La culpabilité de défaillance génère un affect de
dévalorisation. Elle est à l’origine de la majorité des dépressions.
™™ Francette, 52 ans, est pétrie de culpabilité. Mariée à un homme violent, alcoolique
et infidèle, elle a pris en charge très tôt, toute seule, les responsabilités familiales et l’inté-
gralité de l’éducation de ses deux enfants, en prenant soin de leur dissimuler les griefs
143
Traité de médecine psychosomatique

qu’elle subissait dans sa vie de femme. Ce n’est qu’après leur majorité et leur départ pour
des études qu’elle envisagea le divorce à ses torts sous la pression du mari. Elle renonça
à toute vie amoureuse dans les années qui suivirent pour préserver ses enfants et alla
s’installer dans la ville où ils faisaient leurs études, ne se manifestant à eux que lorsqu’ils
en formulaient la demande, le plus souvent pour des raisons matérielles. Le fils partit à
l’étranger et ne donna plus signe de vie pendant deux ans et la fille, dans les suites de
son mariage avec un jeune homme de religion musulmane, décida de couper les ponts
avec elle du simple fait que sa photo en tenue de communiante était exposée dans la
chambre maternelle. Isolée, ne connaissant pas ses petits-enfants, Francette, sous les
conseils de sa voisine, fit une psychothérapie dans laquelle il lui fut révélé qu’elle était
issue d’une grossesse gémellaire dont un des fœtus ne vit pas le jour puisqu’elle l’avait
« mangé ». Francette dormit jusqu’à l’âge de 18 ans avec sa mère. Celle-ci, instigatrice de
cette coutume pour éviter les assauts sexuels de son conjoint, n’hésitait pas toutefois
à lui asséner que, si elle n’était pas venue au monde, elle ne serait jamais restée avec ce
Monsieur. Les parents se battaient fréquemment et Francette était la seule de la fratrie
à pouvoir les séparer. La mère menaçait souvent d’aller se jeter sous le train, Francette la
retenait par les jupes pour qu’elle ne le fasse pas.
La culpabilité pulsionnelle : « Coupable de ce que j’ai désiré. »
La culpabilité est ici inconsciente, liée au conflit inconscient entre pulsionnalité et
instances répressives, entre ça et surmoi, entre désir et interdit. Ici, il ne s’agit pas de valeur
mais de rapport à la loi intériorisée sous forme de surmoi. Si l’idéal du moi est un idéal de
perfection, le surmoi est l’idéal d’obligation.
La culpabilité de transgression imaginaire induit un affect d’angoisse. Cette angoisse
peut être canalisée, atténuée, déplacée (névroses mentales), voire éliminée (actes
manqués d’autopunition) par les formations défensives. L’interdit dans le réel et la castra-
tion symbolique limitent ce type de culpabilité.
™™ Abel a vécu toute son enfance sous l’emprise d’une mère dépressive qui exigeait
une présence constante à ses côtés. Il ne pouvait s’absenter plus de deux heures pour
jouer avec ses copains, de crainte qu’elle ne fasse un malaise. L’enfance passa ainsi. Adoles-
cent, Abel découvrit l’ivresse de la liberté et des premières amours, d’autant plus aisément
que sa mère, par chance, rencontra un homme dévoué corps et âme. Il se maria à 27 ans,
eut un fils et exerça la profession de dessinateur industriel. Bien que très attaché à sa vie
familiale et à son épouse, Abel ne put s’empêcher de multiplier les relations extraconju-
gales, en règle générale épisodiques et dissimulées, histoire, comme il le dit si bien, de « se
sentir libre et exister ». Un modus vivendi s’installa : l’épouse, plus au moins au parfum
de ses frasques hôtelières, ferma les yeux, ne demandant qu’une assistance affective et
matérielle à son conjoint. Mais voilà qu’une DRH de l’entreprise ne l’entendit pas comme
ça. Liaison épisodique qui devint officielle, pleurs et grincements de dents lorsqu’Abel
retournait le week-end dans son foyer. Abel rendit les armes. Trois mois après, Abel trouva
sa femme pendue dans la cave. Abel fonctionna de manière opératoire dans l’année qui
suivit. Son fils coupa les ponts avec lui et il se jeta à corps perdu dans le travail. L’entre-
prise connut des déboires et, malgré sa compétence, Abel s’aperçut qu’il faisait partie de
la liste des licenciables potentiels. Inhibition, tristesse, désintérêt, anhédonie, insomnie,
idées suicidaires, mélancolie. C’est dans cet état qu’il vint me consulter. Les rêves récur-
144
L’histoire du sujet

rents mettaient en scène le suicide de son épouse. Un traitement psychothérapique et


médicamenteux fut mis en place. Il fallut plusieurs mois pour que s’esquisse une faible
amélioration, mois au cours desquels je me sentis en échec. Un jour, Abel vint à sa séance,
méconnaissable, le pas alerte, souriant, me signalant que, de lui-même, il avait diminué
son traitement, qu’il dormait bien et avait retrouvé son dynamisme professionnel. Inter-
loqué, je ne dis pas un mot durant la séance, en attente d’une révélation. Abel me fit
effectivement part en fin de séance de sa convocation récente au commissariat et de
son inculpation pour exhibitionnisme. Les rêves récurrents disparurent, il retrouva son
dynamisme et se rendit en sifflotant au palais de justice trois mois après.

Coexistence des instances


Ces différentes formes de culpabilité peuvent coexister chez un même sujet.
™™ Ginette, 59 ans, consulte pour des pertes de connaissance déclenchées à la vue de
toute effraction cutanée (plaies, injections), pathologie de type conversionnel apparue
à l’âge de 6 ans. Complexe de castration et surmoi œdipien en constituent les déter-
minants. Par ailleurs, elle a traversé des périodes dépressives en relation avec l’atteinte
de son idéal, idéal de maîtrise et de perfection ayant pris naissance dans un sentiment
de responsabilité exagérée du fait de sa position de sœur aînée d’une grande fratrie. Les
pertes de connaissance ne disparaissent pas lors des périodes dépressives.

Éléments renforçateurs
La culpabilisation constitue un facteur aggravant de culpabilité. Ce sont tous les
messages, les paroles extérieures, les repères sociaux auxquels le sujet est confronté et qui
le confinent dans une position de coupable ou de déficient. Il s’agit bien sûr d’une culpa-
bilité consciente ou préconsciente dont l’objet ainsi désigné n’est souvent que le produit
d’un déplacement, d’une culpabilité inconsciente dont le motif n’a que peu de chose à
voir avec la cause alléguée.
™™ La petite Margot se fait injurier par ses camarades d’école, alors qu’elle est belle
et particulièrement douée. Elle prend les injures pour argent comptant. Ces paroles
extérieures suffisent-elles à induire la culpabilité ? Probablement pas. Elle a 6 ans et
l’atteinte narcissique est liée au complexe de castration, mais les paroles externes
renforcent le processus.
On peut toutefois envisager que, dans certaines situations, plus particulièrement
les traumatismes majeurs, la culpabilité puisse être « injectée » de toute pièce. Toutes
situations dans lesquelles l’autre, non coupable, s’érige en détenteur de la loi, de la règle,
du jugement. C’est le cas des situations de harcèlement, de brimades ou d’humilia-
tions répétées, d’expériences de conditionnement à des fins politiques, idéologiques ou
religieuses.
D’autres contextes peuvent aussi renforcer la culpabilité : absorption par le sujet de
la culpabilité familiale, culpabilité d’emprunt (mort d’un proche, adultère d’un proche,
faute d’un subordonné), événements traumatiques inducteurs de culpabilité (culpabilité
du puîné après un enfant mort, suicide d’un proche, syndrome du survivant, culpabilité
des victimes lors de catastrophes).
Les facteurs sociétaux ne sont pas en reste. L’Occident est passé d’une civilisation de
la culpabilité à une civilisation de la honte. Ce sont les tensions entre l’impulsion indivi-
145
Traité de médecine psychosomatique

duelle et les pressions du conformisme social qui caractérisent les civilisations de la honte.
Ce qui constitue le référent, ce n’est plus la loi mais l’opinion publique et l’idéal collectif.
On peut transgresser la loi mais il ne faut pas être inférieur, ne jamais perdre la face tout
en se soumettant au consensus.

9. CONCLUSION
Les étapes du développement que nous venons de parcourir ne sauraient à elles seules
résumer la construction du sujet. Cette construction se poursuit lors de la socialisation,
de plus en plus précoce et parfois traumatique, et puis lors de l’adolescence.
Enfin, un autre domaine structurant le sujet, non des moindres, reste à découvrir, c’est
celui qui assigne dès sa venue au monde l’enfant et le futur adulte à un rôle, une fonction,
si ce n’est à un statut de bouc émissaire, au sein de la famille et de son histoire. Nous
aborderons tout cela dans le chapitre consacré à « La famille » (p. 231).

146
Chapitre 7

L’HYSTÉRIE DE CONVERSION

1. INTRODUCTION
Ce chapitre peut surprendre, tant d’un point de vue de notre progression théorique
que de son caractère anachronique. C’est sciemment que nous l’avons inséré dans notre
tranquille parcours car il va permettre de comprendre le chapitre qui suit sur les fixations
psychosomatiques. C’est donc un intermède dans lequel il est proposé au lecteur de
s’évader quelque peu avant que les choses sérieuses ne reprennent.

2. LES THÉORIES À TRAVERS LES ÂGES


« Chez les femmes, ce qu’on appelle matrice ou utérus est un animal au-dedans d’elles,
qui a l’appétit de faire des enfants ; et lorsqu’il reste un long temps sans fruit, cet animal
s’impatiente et ne supporte pas cet état ; il erre partout dans le corps, il obstrue les
passages du souffle, il interdit la respiration, il jette en des angoisses extrêmes et provoque
d’autres maladies de toutes sortes. » Platon, Timée.
Considérée initialement comme une affection spécifiquement féminine, l’hystérie est
décrite depuis la haute Antiquité. Hippocrate confirmera un déterminisme sexuel du
symptôme, plus particulièrement une étiologie en relation avec l’utérus (hystera en grec),
d’où le terme hystérie. Jusqu’à Charcot, cette étiologie sera mise en avant. L’hystérie serait
liée à un dysfonctionnement, voire une migration de l’utérus.
Cette étiologie prévalente n’exclura pas, pendant des siècles, l’hypothèse d’une origine
démoniaque du symptôme, conséquence d’un état de possession. On peut supposer que
les démoniaques dont il est question dans la Bible regroupent sous une même appella-
tion l’épilepsie, des états psychotiques aigus et les formes graves d’hystérie.

2-1. Jean-Martin Charcot
Charcot (1825-1893) souligne le premier une des caractéristiques du symptôme hysté-
rique : la sensibilité à la suggestion. Le symptôme disparaît transitoirement sous l’effet de
la suggestion hypnotique. Charcot démontre que le symptôme est en relation avec des
représentations traumatiques surgissant dans un état psychique particulier. Pour Charcot
ainsi que pour Bernheim, l’hystérie est due à l’action incisive d’une idée ou d’une repré-
sentation fortement chargée d’affect. La suggestion hypnotique confirme la force induc-
trice de la représentation : un mouvement du bras, une lévitation de la main, une cécité
transitoire peuvent être induits par la seule suggestion hypnotique.

2-2. Études sur l’hystérie. Freud, Breuer, 1895


En 1883, Joseph Breuer fait part à Freud de ses constatations à propos d’une patiente,
Bertha Pappenheim (Anna O.), qui souffre de symptômes hystériques particulièrement
graves. Deux ans après, en 1885, Freud va assister à la Salpêtrière à l’enseignement de
147
Traité de médecine psychosomatique

Charcot. À son retour, il publiera avec Breuer les Communications préliminaires puis les
Études sur l’hystérie.
Freud et Breuer rendent visite quotidiennement à leurs patientes, issues d’un « milieu
instruit et cultivé », parfois deux fois par jour, alternant entretiens, séances d’hypnose et
prescriptions (bains, médicaments, voire massages qu’ils exécutent eux-mêmes). L’induc-
tion hypnotique est rapide et le but premier est, après avoir fait resurgir les événements
traumatiques inauguraux de l’affection, de neutraliser les affects liés aux représentations
qui y sont associées et de suggérer la disparition des symptômes.

Le souvenir de l’événement
Freud et Breuer recherchent l’événement inaugural qui a généré les symptômes, événe-
ment le plus souvent oublié ou éludé. Certains hystériques lors de leurs accès disent avoir
la vision hallucinatoire de l’événement. L’empreinte profonde de l’événement continue à
agir pendant des années. L’hystérique souffre de réminiscences.
La reviviscence du souvenir par la méthode cathartique (au début sous hypnose)
laisse resurgir l’affect qui lui était lié et émerger les représentations et la parole autour de
l’événement. Le symptôme disparaît alors, parfois au bout de plusieurs séances, le plus
souvent transitoirement, car les premiers faits rapportés par la patiente sont souvent des
souvenirs écrans.

L’absence d’abréaction inaugurale


Freud décrit deux mécanismes psychiques initiaux déterminant le phénomène
conversionnel :
• une absence de réponse, émotionnelle, verbale, motrice, qui correspond en fait,
selon l’approche psychosomatique, à un mécanisme de répression, répression du fait du
contexte, de l’intensité sidérante de l’événement, d’un tiers (la tante de Mme Emmy juge
les convulsions induites par une peur chez cette petite comme « horribles et ne devant
pas avoir lieu », ce qui arrête net les convulsions), et surtout du fonctionnement du sujet
lui-même (Mme Emmy réprime tout affolement pour que les chevaux confrontés à la
chute d’un arbre foudroyé ne s’emballent pas, ce qui va inaugurer son bégaiement). Ainsi,
une réponse instinctivo-pulsionnelle avorte. Cette répression a pour but de mettre un
terme à une situation conflictuelle réelle : un besoin et un obstacle, ou encore un désir et
un interdit ;
• dans certains cas, un état de conscience modifié circonstanciel (émotion paraly-
sante, état de rêverie, engourdissement moteur) ou plus structural (tendance à l’hyp-
noïdie surtout dans les hystéries sujettes aux grandes crises) favoriserait le phénomène
conversionnel.
Cette notion de répression inaugurale nous apparaît fondamentale. Les auteurs n’uti-
lisent pas le terme mais celui d’abréaction. Ce n’est que dans les derniers textes que Freud
utilisera le terme de refoulement, celui-ci ne concernant que la représentation traumatique.
Il semblerait que plus le système répressif est organisé, plus le risque de conversion
ultérieure soit probable. Plusieurs patientes de Freud et Breuer sont soit des femmes
ayant peur de l’émergence de leurs pulsions, soit des femmes dévouées, enclines au sacri-
fice, à l’abnégation, imprégnées de valeurs morales fortement enracinées. Profil fréquent
de responsable de la cohésion familiale, n’hésitant pas à endosser souvent la fonction de

148
L’hystérie de conversion

soin. « Celui qui est accaparé et sans cesse préoccupé des mille besognes exigées par les
soins donnés à un malade, soins qui se prolongent sans interruption, interminablement,
pendant des semaines et des mois, celui-là s’accoutume peu à peu à étouffer en lui tous
les indices d’émotion et, d’un autre côté, détourne son attention de ses propres impres-
sions parce qu’il n’a ni le temps, ni la force d’en tenir compte. » (Freud et Breuer, Études
sur l’hystérie.) Cette vérité que Freud nous rappelle ne constitue-t-elle pas l’apanage des
professions de soins et d’aide, professions menacées plus que toutes autres par la répres-
sion, répression source de « burn-out » chez certains, de réactions défensives inappro-
priées chez d’autres, voire de masque de sphinx chez certains psys.

L’absence d’élaboration psychique


À cette absence d’abréaction se surajoute une absence de travail mental associatif
(incapacité à associer l’événement à autre chose), du fait justement, soit de la répression,
soit de l’état de conscience modifié.
L’abréaction et le travail d’association constituent donc les axes de la thérapeutique.
Nous comprenons ainsi que la simple suggestion de disparition du symptôme sous
hypnose, utilisée au début aussi bien par Breuer que par Freud, ne peut faire disparaître le
symptôme que transitoirement, même si son intérêt est loin d’être négligeable puisqu’elle
permet inauguralement de mettre le patient en confiance (pare excitation).

La dissociation hystérique
Pierre Janet (1859-1947), élève de Charcot, avance l’hypothèse d’une « faiblesse
psychologique » chez l’hystérique dont le moi ne parviendrait pas à lier la représenta-
tion traumatique subconsciente et sa perception par le conscient. La représentation
inconsciente est ainsi isolée et c’est cet isolement qui génère la conversion.
Freud et Breuer insistent sur la dissociation du psychisme, dissociation qui n’a bien
sûr rien à voir avec la dissociation schizophrénique, mais qui se rapproche plus parti-
culièrement de la dissociation hypnotique : une part du psychisme fonctionne selon le
principe de réalité, le sujet est présent au monde, une autre part, celle concernée par
la représentation traumatique, demeure séparée, difficilement accessible, ne se révélant
que de manière déguisée au travers du symptôme conversionnel ou de manière incom-
plète lors des crises, pouvant alors générer des phénomènes pseudo-hallucinatoires, ou
encore s’exprimant par une tonalité affective particulière imprégnant le fonctionne-
ment psychique, ou encore bien sûr, sous l’effet de la thérapeutique. Cette dissociation
prend son aspect le plus expressif dans les états qualifiés d’états seconds ou dans les états
crépusculaires.

Le déplacement de l’affect
Par définition, l’affect se transforme en innervation somatique. Sa destinée est toute-
fois variable : soit il transparaît dans certains symptômes, plus particulièrement les crises,
soit il disparaît effectivement, responsable des formes avec « belle indifférence ».

La chronicisation et les rechutes


Le symptôme se réactive dans toute situation mobilisant la trace du trauma, c’est-à-
dire lorsque surgissent ou persistent au long cours toutes situations réactivant le trauma-

149
Traité de médecine psychosomatique

tisme ou toutes représentations, parfois conscientes, mais le plus souvent préconscientes,


inconscientes, ainsi que toutes perceptions en liaison associative avec le trauma.

La cible somatique
La cible somatique est déterminée par l’inhibition de la fonction et/ou l’état préexis-
tant de la fonction.
L’inhibition de la fonction
L’événement suscite chez le sujet une mobilisation du système instinctivo-pulsionnel,
mobilisation qui avorte instantanément du fait de l’absence d’abréaction liée à des
contre-forces (impossibilité, interdit, répression). Par exemple, la répression d’une impul-
sion motrice défensive peut générer dans le territoire concerné la persistance d’une inten-
tionnalité qui va se manifester par un état de contracture ou au contraire de parésie. En
ce qui concerne l’absence d’abréaction motrice inaugurale, Freud évoque le principe de la
dérivation de l’émotion proposé par Darwin dont l’exemple est le frétillement de la queue
du chien. Le chien, excité, réprime sa motricité générale du fait du dressage, et seule la
queue exprime la motivation instinctivo-pulsionnelle. Une part de la réponse motrice est
réprimée, seul un territoire moteur répond. Et Freud cite l’exemple suivant : « Celui qui a
décidé chez le dentiste, de ne remuer ni la tête ni la bouche et de ne pas faire intervenir ses
mains, se contente tout au moins de trépigner. » (Études sur l’hystérie.) C’est ce que nous
constatons tous lors de situations sociales qui nous insupportent, lorsque nous sommes
assis et où il serait inconvenant de se lever et de partir : nos pieds font des mouvements
rythmiques. Ainsi, il semblerait que la seule zone motrice qui s’exprime est une zone qui
ne pose pas problème d’un point de vue de l’observation d’autrui. La personne en face
dira : « Il est nerveux », mais jamais : « Je l’ennuie tellement qu’il veut partir. »
Nous nous approchons ainsi d’un des déterminismes de la cible somatique. Le
symptôme de conversion traduirait de manière limitée et trompeuse l’intention initiale
qui a été réprimée.
L’état préexistant de la fonction
Au moment où se produit le trauma, la zone ou la fonction corporelle peuvent être, du
fait de circonstances extérieures à celui-ci, l’objet de modifications physiologiques (incon-
fort somatique étranger au traumatisme, sollicitation musculaire, stimulation senso-
rielle, etc.). Par exemple, une odeur forte perçue dans l’environnement immédiat lors
du trauma, pourra, si elle resurgit ultérieurement, réactiver le vécu traumatique. Autre
exemple : lorsque se produit le trauma, le bras peut être engourdi du fait d’une position
particulière, une liaison s’établira alors entre l’anesthésie du bras et le vécu traumatique.
Le refoulement de la représentation, voire la répression de l’affect traumatique, génére-
ront un surinvestissement de la sensation et de son support neurologique à l’origine du
symptôme anesthésie du bras.

La surdétermination
La surdétermination est le fait qu’un symptôme traduit et condense plusieurs déter-
minants, exprimant ainsi plusieurs significations de manière concomitante.
En effet, le symptôme est la résultante de plusieurs causes (une seule ne suffit pas).
Cette polyfactorialité n’est pas l’apanage de la conversion.

150
L’hystérie de conversion

Cela peut aussi être lié au fait que les déterminants du symptôme sont le produit d’élé-
ments inconscients multiples ayant chacun une existence séparée, bien que reliés entre
eux par une chaîne associative, tout comme un mot peut être entendu dans des sens
différents. Le symptôme n’est pas l’expression d’un contenu inconscient unique.
Un symptôme peut aussi exprimer des significations différentes successives. « Au
cours des ans un symptôme peut voir changer une de ses significations ou sa signification
dominante […] la poussée vers la décharge de l’excitation provenant de l’inconscient,
conduit à se contenter si possible de la voie de décharge qui est déjà praticable », selon
Freud (Fragment de l’analyse d’une hystérie). C’est ce que nous avons théorisé en termes de
perte de spécificité du symptôme (Pongy et Babeau, Angoisse et répression).

Nature du trauma
Le cheminement théorique de Freud s’orientera progressivement vers une étiologie
traumatique sexuelle. La théorie élaborée par Freud et Breuer repose au départ sur l’exis-
tence d’un événement traumatique réel (neurotica). Plus tard, Freud, de plus en plus
convaincu de l’origine strictement sexuelle de l’hystérie, s’éloignera de sa conception
initiale en élaborant la théorie du fantasme de séduction (1900). Quoi qu’il en soit, pour
Freud, le traumatisme sexuel renvoie au complexe œdipien qui constitue le soubasse-
ment de l’hystérie de conversion.

2-3. Après Freud
Les décennies qui suivent l’élaboration théorique de Freud et donc la naissance de la
psychanalyse, sont caractérisées par l’expansion et l’appropriation de sa théorie par les
générations de psychanalystes successifs. L’hystérie – cela n’est plus à remettre en cause –
est le fait de réminiscences sexuelles conflictuelles fantasmatiques. L’origine se situe dans
le cocon de l’intrapsychique et la résolution du conflit par la parole au sein de la cure
libère le sujet de son symptôme.

Lacan et l’hystérie
N’étant pas spécialiste de la pensée lacanienne, loin s’en faut, c’est à partir de la lecture
du livre de Nasio, L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, que je rapporte-
rai quelques éléments succincts mais fondamentaux, issus d’une synthèse savante et
explicite par l’auteur des apports de Freud et de Lacan. Un des mérites de Nasio est de
s’attacher à rendre clair ce qui est obscur, à l’inverse de certains qui obscurcissent ce qui
pourrait être clair. Je m’inscrirai modestement dans cette trajectoire en simplifiant encore
certains points que développe Nasio.
Ce qui est traumatique, c’est le fantasme lié à l’émergence de la sexualité chez l’enfant.
« La sexualité infantile est un foyer inconscient de souffrance, car elle est toujours
démesurée par rapport aux moyens limités, physiques et psychiques de l’enfant. La
tension sexuelle crée une angoisse fantasmatique. La zone corporelle excessivement
investie est source d’angoisse. » (L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse.) L’ori-
gine de cette angoisse est l’image de la castration. Plaisir scopique, et horreur aussi, de
découvrir l’Autre (représentation de l’autre, création fantasmatique) châtré. L’image est
traumatique à elle seule, l’interdit œdipien ne jouant qu’un rôle renforçateur secondaire.

151
Traité de médecine psychosomatique

La femme est privée du pénis, mais en fait et surtout d’un « en plus », attribut
d’excédent, de puissance et de force : le phallus. « À la façon d’une lentille déformante,
le fantasme de castration plonge le névrosé dans un monde où la force et la faiblesse
décident exclusivement de l’amour et de la haine. (…) Ce qui excite chez un hystérique
n’est pas la sexualité de l’autre, mais la vulnérabilité de sa force ou le redressement de sa
faiblesse. » (Id.) Le sexe de l’Autre n’est ni le pénis, ni le vagin, mais sa faille révélée par une
trop grande faiblesse ou par un excès de puissance. L’hystérique est séduit par le charme
érotique qui se dégage d’une personne qui n’est ni virile ni féminine, mais défaillante
ou omnipuissante. Ainsi se différencient chez l’enfant des êtres pourvus de phallus et
d’autres dépourvus, quelque soit leur sexe. De ce fait, l’enfant futur hystérique ne sait plus
à quel sexe il appartient.
« Refouler veut dire avant tout isoler. C’est parce que ladite représentation a été fonda-
mentalement séparée des autres représentations organisées de la vie psychique, qu’elle
devient radicalement intolérable et qu’elle garde au sein du moi une activité pathogène
inextinguible. » (Id.)
Pour se défendre, le moi phallicise tout le corps, et la libido s’y déplace, elle se répand
dans tout le corps à l’exception de la zone génitale.
Le fantasme générerait le symptôme de conversion (satisfaction masturbatoire de type
infantile), mais aussi une conversion plus globale au niveau de tout le corps : désexuali-
sation des zones génitales, sexualisation de l’extra-génital, et par extension insatisfaction
générale.
Ce qui déterminerait la cible serait initialement la partie du corps perçu lors de la scène
traumatique, puis l’image inconsciente de cette partie. Dans la cécité hystérique, le voir
sexuel est imprégné de plaisir mais est aussi intolérable.
La zone ou la fonction peut ne pas être celle du sujet mais celle d’un autre, celle perçue
lors du trauma avec le plus de prégnance. Nasio cite le cas des hurlements d’une mère
témoin d’attouchements du beau-père sur l’enfant, se convertissant en aphonie chez ce
dernier.

L’hystérie et la médecine
Très loin de ces considérations théoriques, la médecine va être l’objet d’une contagion
par les retombées transformées de la psychanalyse, plus particulièrement sous l’effet de
la mutation sociale de 1968 et de certains mouvements théorico-cliniques (Balint, etc.).
Les médecins post-soixante-huitards se répartissent en deux clans volontiers ennemis :
méchants et vicieux organicistes inébranlables avec cravate et voiture de sport, et gentils
médecins vertueux moustachus en blouson qui refusent le pouvoir médical et se mettent
à « écouter ». Écouter quoi ? Certes, ce que les autres ne veulent pas entendre. Écouter
comment ? À partir de quel modèle ? Le plus souvent basé sur la seule satisfaction bien
pensante d’écouter. Les références théorico-cliniques sont exsangues et, face à l’échec, les
mécanismes de défense ne font que se déplacer. L’hystérie, bien que régressive d’un point
de vue épidémiologique, renaît de ses cendres sous forme de parasite langagier dans le
discours médical. La demande affectée du patient, sa résistance aux thérapeutiques, sa
douleur qui ne cède pas, l’hypocondrie, l’angoisse si ce n’est la dépression, la somatisation
déroutante, l’épuisement du médecin écouteur et non écoutant, sont autant de situa-
tions étiquetées hystérie. Un nom est donné, non pas cette fois à un processus patholo-
152
L’hystérie de conversion

gique, mais à une situation de mise en échec. Ce nom clôt le débat, met un terme à la
relation de soin et à la thérapeutique, et renvoie le plus souvent le patient démuni soit
au méchant technicien de santé qui, bien qu’ayant depuis quitté la cravate, trouve enfin
la solution tranchante, ou au psy qui va écouter pendant des années sans jamais rien
répondre.
Qu’est devenue la vraie conversion hystérique ? D’un point de vue nosographique, elle
n’existe plus. Le DSM IV la range dans le fourre-tout des « Troubles somatoformes », à
côté de diverses entités telles que hypocondrie, manifestations émotionnelles, troubles
somatopsychiques, et j’en passe, bref dans un dépotoir surréaliste. C’est un non-sens.
Quant à sa réalité clinique, elle se résume à un constat : la conversion hystérique a
considérablement diminué chez les Occidentaux. Le nombre de conversions hystériques
que j’ai rencontrées chez les Occidentaux dans mon activité depuis plus de vingt ans
est de l’ordre d’une dizaine par an. L’approche psychosomatique permet de faire le tri et
d’arrêter de qualifier de « conversion » ce qui, dans 99% des cas, est une somatisation.
Arrêtons de qualifier d’« hystérie » ou de « conversion » des choses qui n’en sont pas.
L’abus du terme hystérie est lié à la fois à une méconnaissance du concept, des bases de la
psychosomatique, et aux réflexes défensifs des professionnels du soin face à l’échec. On
en connaît les conséquences. Il y a là un devoir de formation des médecins et des psys
plus que jamais à la psychosomatique.

3. LES SYMPTÔMES DE CONVERSION


3-1. Définitions
Convertere : « tourner ». Conversio : « mouvement qui fait tourner ». Par extension :
« changement d’une chose en une autre, transformation en autre chose ».
Laplanche et Pontalis (Vocabulaire de la psychanalyse, 5e éd., PUF, 2007) : « Mécanisme
de formation de symptômes qui est à l’œuvre dans l’hystérie et plus particulièrement dans
l’hystérie de conversion. Transposition d’un conflit psychique et tentative de résolution
de celui-ci dans des symptômes somatiques, moteurs ou sensitifs… Saut du psychique
dans l’innervation somatique. » L’hystérie se forme « par suite du refoulement d’une idée
intolérable et en tant que mesure de défense ; la représentation refoulée demeure sous la
forme d’une trace mnémonique faible (peu intense) et l’affect concomitant qui lui avait
été arraché sert ensuite à une innervation somatique, c’est-à-dire à une conversion de
l’émoi. La représentation devient alors, du fait même de son refoulement, la cause des
symptômes morbides, elle est donc pathogène. » (Voir schéma page suivante.)
L’autre caractéristique du symptôme de conversion est la suivante : le symptôme
neurologique traduit symboliquement la représentation refoulée. Dans les symptômes
corporels, des représentations refoulées « parlent ». La représentation est traduite de
manière déformée par les mécanismes de condensation (expression dans un même
symptôme de représentations différentes mais reliées entre elles par une chaîne associa-
tive) et de déplacement (le déplacement substitue à une représentation première refou-
lée, une représentation seconde, en relation symbolique avec celle-ci, avec laquelle se lie
l’affect initial).

153
Traité de médecine psychosomatique

Refoulement

Énergie d’innervation
A A

Ics Phénomène neurologique

Le mécanisme de conversion

3-2. Caractères généraux
Les caractéristiques cliniques du symptôme de conversion sont les suivantes :
––désordre somatique à composante neurologique,
––caractère volontiers non systématisé sur le plan anatomique,
––variabilité et tendance au déplacement,
––déterminisme personnel et culturel,
––sensibilité à la suggestion ou à l’imitation,
––vécu du symptôme particulier : mélange de préoccupation anxieuse, d’inattention
voire d’oubli à l’égard du symptôme, ou d’expression spectaculaire et dramatisée.

3-3. Clinique
Les symptômes de conversion sont dans la majorité des cas des symptômes à déter-
minisme et expression neurologiques, affectant essentiellement le système nerveux de la
vie de relation.

Les manifestations paroxystiques


• Grand accès hystérique en quatre temps : phase épileptoïde, phase des grands gestes,
phase hallucinatoire passionnelle, délire terminal.
• Pertes de connaissance avec chute, crises pseudo-comitiales (sans morsure de langue,
sans perte des urines, sans signes électroencéphalographiques), petit mal, crises de nerfs,
crises de larmes.
• États pseudo-comateux, états hypnoïdes, attaques de sommeil, impression d’être
« ailleurs ».
™™ Alexis, 10 ans, fait des chutes avec perte de connaissance depuis deux mois. Une
sensation céphalalgique et vertigineuse pendant quelques secondes précède la chute. Il
reste allongé, immobile, le corps animé toutes les dix secondes d’une secousse qui évoque
plus un spasme du sanglot (bien qu’il soit inconscient et ne pleure pas) que de réelles
myoclonies. Il est pâle, les yeux cernés, les conjonctives injectées. Au bout de quelques
minutes, il reprend conscience. Le bilan neurologique est négatif. En dehors des crises, il
est fatigué, triste. Cet état a été attribué aux suites d’une mononucléose qu’il a présentée
154
L’hystérie de conversion

il y a deux mois. Un arrêt des activités sportives a été prescrit. Son père l’accompagne lors
de la consultation. Alexis est visiblement tendu.
L’investigation révélera plusieurs éléments. Les parents sont séparés depuis neuf ans.
Le père a la garde d’Alexis et la sœur aînée est partie vivre chez sa mère il y a un an. Alexis
languit beaucoup de cette sœur. Par ailleurs, le grand-père est décédé il y a cinq mois et
Alexis a assisté courageusement à la mise en bière. Un autre décès, celui d’un voisin, a eu
lieu il y a deux mois, date du début des crises. L’événement semble avoir réactivé, par un
effet d’après-coup, les représentations réprimées lors du décès du grand-père. C’est à ce
moment-là que les troubles ont commencé : mononucléose, puis pertes de connaissance.
Au fil de l’évocation de ces éléments anamnestiques, Alexis est devenu progressivement
mutique et s’est caché derrière sa casquette. Ne rien entendre, ne rien voir. Le message
était clair. Dans les minutes qui suivirent l’évocation de la mort d’un chien, il émit un
« Non ! » étouffé et perdit connaissance.
La crise prend donc le relais pour occulter des représentations intolérables que les
efforts d’évitement sensoriel et le comportement ne suffisent pas à évincer. Alexis a
toujours été anxieux et, bien que parfois susceptible et impulsif, contenu dans l’expres-
sion de ses émotions.
Crise atypique induite par le surgissement de représentations traumatiques, crise
mettant un terme à la relation à l’autre, petite connotation théâtrale lors des prodromes,
crises survenues dans l’après-coup. Il est important de préciser que le contenu représen-
tatif n’est pas a priori de nature sexuelle.

Les manifestations psychiques aiguës


––Amnésie psychogène : troubles de la mémoire lacunaires et sélectifs, souvenirs
erronés ou falsifiés.
––Troubles de la compréhension verbale.
––États crépusculaires.
––Phénomènes pseudo-hallucinatoires.

Les troubles somatiques durables


Ils concernent essentiellement le système neuromusculaire.
Troubles moteurs
––Paralysies non systématisées sur un plan anatomique (paralysie de la fonction ou du
corps imaginaire).
––Contractures musculaires, myoclonies, spasmes, rigidité cataleptique, mouvements
anormaux : tremblements, tics, mouvements choréiques.
––Vertiges, astasie-abasie (insécurité à la marche ou à la station debout).
Troubles sensitifs
––Hypoesthésies, anesthésies, non systématisées sur un plan anatomique (en gant, en
chaussette).
––Paresthésies, prurit.
––Algies localisées : céphalées, algies rachidiennes, algies de l’appareil locomoteur,
névralgies, zones hyperesthésiques.

155
Traité de médecine psychosomatique

™™ Malika, 18 ans, présente depuis 10 mois des crises qui débutent par des manifesta-
tions émotionnelles de courte durée (crise clastique, crise de pleurs), accompagnées de
tremblements et d’oppression thoracique. La perte de connaissance avec chute survient
rapidement. Elle n’entend pas les paroles des autres. Depuis deux mois, les crises se sont
modifiées : corps en opisthotonos, main en doigt d’accoucheur, tête en hyperexten-
sion pendant une demi-heure. Plus récemment, se sont surajoutées des manifestations
conversionnelles sensitives : anesthésie des deux pieds, de topographie « en chaussettes »,
avec insensibilité à la piqûre. Par ailleurs, elle a fait deux tentatives de suicide depuis mars :
comprimés, mutilation. On note aussi une tristesse de fond depuis quatre mois.
Tout a commencé il y a donc dix mois dans les suites d’une discorde avec un de ses
frères qui depuis ne lui parle plus du simple fait qu’elle a une relation amoureuse avec un
jeune homme de religion non musulmane. Plus récemment, date du début des phéno-
mènes sensitifs, elle a été contrainte, du fait de la pression familiale, à se séparer de ce
garçon.
Troubles sensoriels
• Baisse de l’acuité visuelle, cécité, rétrécissement concentrique du champ visuel, diplo-
pie, scotomes.
• Pseudo-surdité, hypoacousie sélective (en fonction des interlocuteurs) et incomplète
(certains mots et pas d’autres), hallucination négative.
• Troubles olfactifs sélectifs.
• Troubles gustatifs.
Troubles du langage et de la phonation
• Mutisme, dysphonie, aphonie, troubles phasiques.
Certaines manifestations spasmodiques viscérales.
Le système neurovégétatif n’est pas concerné par la conversion. Il nous paraît oppor-
tun de limiter le champ des symptômes conversionnels viscéraux à ceux liés à un dysfonc-
tionnement de la composante musculaire striée, plus particulièrement les sphincters,
dont une part de la commande est volontaire.
• Sphère digestive : certaines formes de nausées, vomissements, troubles du transit,
dysphagie, anorexie.
• Sphère respiratoire : toux sèche sélective, dyspnées d’origine neuromusculaire.
• Sphère urinaire : énurésie, pollakiurie, rétention urinaire.
• Sphère génitale : vaginisme, dyspareunie, dysménorrhée.
Le vaginisme nous paraît être un symptôme hystérophobique, hystérique parce que
déclenché par une représentation traumatique, phobique parce que déclenché par la
peur d’un objet extérieur.
Nasio inclut les différents troubles sexuels, impuissance, frigidité, éjaculation précoce,
vaginisme, dans les symptômes de conversion. L’éjaculation précoce est effectivement
l’équivalent masculin du vaginisme, mais son inscription dans un ensemble de traits de
personnalité spécifiques dépasse le cadre de la conversion.

156
L’hystérie de conversion

Certaines frigidités (anérogénéités selon notre classification) peuvent être d’ordre


conversionnel, mais pas toutes, car la plupart d’entre elles sont aussi le fait d’une organi-
sation psychosomatique plus large. Quant aux dysfonctions érectiles, elles ne sauraient,
dans la majorité des cas, bien que liées à une angoisse de castration, être le fait d’un
simple phénomène conversionnel, ne serait-ce que par l’existence d’éléments dépressifs
fréquents ou de phénomènes d’inhibition non conversionnels dans leur déterminisme.
Et la peau ?
Il est tentant d’envisager un phénomène conversionnel dans certaines manifestations
cutanées. Nasio considère l’urticaire comme un symptôme de conversion. La peau est
effectivement pour une part un organe de relation et une zone érogène non des moindres.
Dans une étude précédente, nous avons abordé d’un point de vue psychosomatique les
principales dermatoses (Approches psychosomatiques en dermatologie). Pour certaines
d’entre elles (urticaire, pelade), on peut effectivement se poser la question d’un possible
phénomène conversionnel. Nous avons bien connu deux patients qui présentaient des
crises d’urticaire sur toutes les zones corporelles sauf sur le pénis, bel exemple d’érogénéi-
sation du corps et désérogénéisation des zones génitales. De même, nous avons démon-
tré que les pelades étaient toutes en relation avec un vécu de castration. Mais, dans ces
pathologies, il existe d’un point de vue psychosomatique un désordre économique qui,
comme nous le verrons, est absent dans la stricte conversion. Ces différentes manifesta-
tions cutanées sont, comme nous le verrons, des régressions psychosomatiques.

4. DISCUSSION
4-1. La prévalence de l’hystérie chez la femme
Bien que plus fréquente chez la femme, l’hystérie de conversion n’épargne pas les
hommes. Ce qui est couramment admis, c’est que l’oppression sociale que peuvent vivre
des individus d’un sexe précis, en un lieu et un moment donnés de l’histoire, joue un rôle
indéniable. La femme, dans la majorité des cas, a été le plus souvent la cible privilégiée de
cette oppression indissociable d’un contrôle de la sexualité féminine. Le mode d’expres-
sion hystérique est un langage, une plainte et un mode d’évasion, qui permet sans déroger
aux convenances sociales d’exprimer le caractère intolérable de ces dernières. Ceci expli-
querait la prévalence de l’hystérie dans certaines civilisations à un moment donné, et la
raréfaction dans d’autres sociétés à d’autres moments.
Nous pourrions très bien imaginer une société « gynocratique » dans laquelle les
hommes seraient voués à des règles de castration systématiques (cela se dessine quelque
peu en Occident) favorisant l’expression hystérique de manière prévalente chez eux.
™™ Martin, 38 ans, présente depuis quatre ans des douleurs des deux jambes et du
tiers inférieur des cuisses (topographie en cuissardes) avec sensation de lourdeur et de
gonflement, qu’il perçoit plus particulièrement lors de son activité favorite, le footing
(fonction locomotrice particulièrement érotisée). Les troubles, vaguement diagnostiqués
syndrome des loges, ont fait l’objet de traitements multiples sans résultat. Il s’y associe
souvent une sensation de pression dans la tête. Dès le début de l’entretien, il me dit :
« Cette histoire de jambes, j’ai l’impression de l’avoir voulu. »

157
Traité de médecine psychosomatique

Il y a quatre ans (début des troubles), débute la liaison avec sa compagne actuelle qui
se sépare rapidement de son conjoint. Ce dernier viendra agresser Martin à plusieurs
reprises, plus particulièrement sur le stade où il court. Sa nouvelle compagne lui enjoin-
dra de ne pas répondre aux agressions (répression, absence d’abréaction). « Cet homme
était blessé à la jambe (identification, représentation de la castration). J’avais l’impression
de le narguer en faisant du sport. Je me suis dit : “Ça pourrait m’arriver.” Deux mois après,
j’ai ressenti les premières douleurs en faisant une course. »
La nouvelle compagne est très jalouse, il doit contrôler ses propos. Elle lui interdit
d’aller courir au stade. Il se sent prisonnier dans cette relation mais ne peut se résoudre
à quitter sa compagne pour deux raisons : crainte qu’elle rencontre un autre homme (il
rêve qu’elle veut sortir seule en boîte, ce qui induit un affect de jalousie) et peur de lui
faire du mal. « J’ai toujours eu peur de faire du mal à l’autre. Donc j’accepte tout. » Il se
déclare incapable de prendre des décisions, de s’affirmer. « Le seul moment où je me sens
libéré c’est quand je pense à une autre femme. » (Il rêve qu’il est avec une autre femme, il
monte les escaliers d’un château, c’est agréable.)
À la deuxième séance, il rapportera plusieurs rêves : « J’ai des rapports intimes avec
une femme. Puis avec ma compagne on est sur des embarcations, à genoux on rame avec
les mains, mais on a du mal à y arriver, c’est angoissant… Un type arrache la jambe à un
garçon de 6 ans. Je vois le sang, je ne peux rien faire… Près de l’immeuble de l’ex de ma
compagne, quatre hommes bloquent ma voiture d’un coup sec et la renversent. Coups
de hache dans les vitres. Je pars en courant… Je fais une course à vélo, mais je n’arrive pas
à avancer, je tombe tout le temps. »
Angoisse et vécu de castration majeurs, culpabilité pulsionnelle constituent la problé-
matique centrale de notre patient. Les douleurs des jambes constituent une contre-force
castratrice qui affecte la fonction érotisée.
À la troisième séance, les jambes et la tête vont mieux. Il rapporte un rêve : « Une
voix me dit : “Ça va mieux !” Pendant ce rêve, j’ai senti des picotements dans les pieds. Le
lendemain, mes jambes allaient mieux en courant. J’avais l’impression générale d’être plus
libre. »
Son histoire est abordée. Les parents, ayant déjà deux garçons, espéraient une fille.
Les deux frères aînés étaient beaucoup plus valorisés par le père notamment pour leurs
compétences sportives. « Chaque fois que mon père venait me voir courir, je perdais mes
moyens. »
Il rapporte d’autres rêves : « Je zigzague sur une route, me paye les lignes jaunes, fais
n’importe quoi. Je demande aux flics de me foutre un PV. Le chien du président du tribu-
nal tente de me morde aux jambes… Je tire sur un officier puis l’officier me tire dessus. »
La culpabilité œdipienne est évidente.
À la quatrième séance, il fait part de fantasmes homosexuels qui ont débuté le jour où
il a vu l’ex de sa compagne. Recherche homosexuelle du père. Position et identification
féminine. Il rêve de sexes d’hommes.
À la cinquième séance, il rapporte un autre rêve : « Un gynécologue éviscère un enfant
qui est le fils de ma mère et dont je suis le père. »
À la sixième séance, les douleurs ont disparu. Il rapporte un rêve : « Je gagne une
course. »

158
L’hystérie de conversion

4-2. Le déterminisme culturel


La richesse et la fréquence des expressions hystériques dans la deuxième partie du xixe
siècle et leur raréfaction aujourd’hui, en Occident, me semblent être le fait de facteurs
différents mais aussi interdépendants.
Il me paraît exister une corrélation entre conversion hystérique et mode de pensée,
de ressenti et d’expression, prévalent dans une société donnée à un moment donné. La
deuxième partie du xixe siècle est caractérisée par une valorisation de l’affectif, du senti-
ment, de l’imaginaire, du pathétique, de l’expression poétique, dans laquelle la lutte entre
surmoi et ça est centrale. La mentalisation est explosive. Le pur lutte contre l’impur, le
devoir contre le désir. Le décor se prête à l’hystérie. De nombreuses expressions artistiques
sont parfois, surtout pour les plus médiocres, terriblement hystérisées. C’est l’opposé de
notre société actuelle dans laquelle maîtrise et contrôle des émotions, dévalorisation des
sentiments au profit des sensations, valorisation de l’action au détriment de la pensée,
appauvrissement ou refus de la conflictualité intrapsychique au profit des idéaux de
maîtrise, constituent des valeurs sociales prévalentes. Les femmes décrites par Breuer
et Freud sont des femmes particulièrement mentalisées, très cultivées (Anna O. parle
plusieurs langues), d’un milieu relativement aisé, sans grande préoccupation matérielle,
livrées à leurs débats intérieurs entre fantasme qui affleure et sens du devoir.
Le corps n’est pas mis en avant, il ne se dévoile pas, ses formes sont relativement
masquées (la mode de l’époque avec toutes ses contraintes en atteste), il ne peut laisser
transparaître son animalité, contrairement à notre époque où celle-ci constitue l’atout
princeps de séduction et fait l’objet d’un culte narcissique (les jeunes femmes s’inquiètent
de leurs fesses depuis que les formes de celles-ci s’arborent, tant qu’elles étaient cachées
sous de larges robes, le problème ne se posait pas). Au xixe siècle, cette animalité ne peut
donc s’exprimer que de manière théâtrale déguisée, sur une scène et dans un registre
limité, tout comme le symptôme de conversion.
Le discours sur cette animalité et sur la sexualité est l’objet d’un contrôle répressif.

4-3. Symptôme de conversion et personnalité hystérique


Le symptôme de conversion est classiquement et initialement un des symptômes
cardinaux de la névrose hystérique. Aujourd’hui, il est loin d’en constituer l’apanage. On
peut le rencontrer dans d’autres types d’organisation mentale, tout comme d’ailleurs une
personnalité hystérique peut être exempte de symptôme de conversion. Son apparition
chez un sujet semble toutefois exiger un minimum de structuration mentale au niveau
de la deuxième topique.

4-4. L’absence de lésion organique objectivable


Il n’y a pas de lésion objectivable. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de désordre somatique ?
Charcot lui-même avait remarqué que des sangsues appliquées sur des malades atteints
d’hémianesthésie hystérique fournissaient très difficilement du sang du côté anesthé-
sié alors qu’elles en donnaient comme d’habitude du côté sain. Il avait aussi remarqué
l’aspect pâle et refroidi du côté anesthésié (Leçons sur les maladies du système nerveux).
Il n’est pas insensé de supposer que des investigations paracliniques pourront un jour
objectiver les phénomènes neurologiques en cause (inhibitions/stimulations de la trans-
mission nerveuse).
159
Traité de médecine psychosomatique

4-5. Nature sexuelle de la représentation traumatique


Les représentations sexuelles traumatiques constituent le déterminisme le plus
fréquent des symptômes de conversion. Ces représentations sexuelles sont en relation
avec la problématique de la castration et/ou du complexe œdipien.
™™ Annabelle, 30 ans, infirmière, m’est adressée pour des crises avec perte de connais-
sance, précédées d’une courte aura faite de sensation de fatigue, crampes, fourmille-
ments, bourdonnements dans la tête. Parfois, la perte de connaissance (qu’elle appelle
« coupure ») est accompagnée de vomissements ou de perte des urines. Plus rarement, la
crise se manifeste par une simple sensation de fatigue intense.
Les crises sont déclenchées par de simples perceptions : par exemple, un hématologue
montrant le fonctionnement de la ponction sternale, un patient venant de subir une
avulsion dentaire, ou encore lorsqu’elle subit une injection ou un prélèvement sanguin,
ou bien lorsqu’elle prépare du matériel de ponction pour un médecin. Certaines repré-
sentations peuvent aussi générer des crises, comme par exemple la réminiscence d’un
rêve récent, rêve au cours duquel elle doit couper une veine d’un enfant pour le soigner.
Ce qui est traumatique, c’est l’image de la pénétration par effraction dans le corps ou bien
une partie du corps que l’on coupe.
Lorsqu’elle est enfant, entre 8 et 10 ans, une menace de séparation pèse sur le couple
parental. Le père, alcoolique, fait du chantage au suicide et confie sa douleur à Annabelle,
n’hésitant pas à aller dormir dans son lit. C’est à cette même période qu’elle subit une
appendicectomie. « Je sentais qu’on m’injectait un produit dans la plaie. » Intrication
complexe de castration avec phobie d’intrusion et expériences pseudo-incestueuses.
Lorsqu’elle a 12 ans, les parents divorcent. Elle va chez son père tous les quinze jours
et dort avec lui du fait de l’étroitesse de son studio. « Je percevais le contact du corps de
mon père et je ne savais pas si je m’endormais ou si je perdais connaissance. » Phénomène
amnésique et déterminant premier des pertes de connaissance. « J’avais peur d’imagi-
ner que mon père me pénètre. J’ai grandi sans savoir si j’étais vierge ou non. Dans le lit,
il y avait des moments de “coupure” brutale de ma pensée… À cette même époque, je
mutilais mes poupées : soit je leur ajoutais un sexe, soit je leur faisais un trou. » Complexe
de castration. « L’idée du pénis est restée longtemps abominable. »
La mère se remariera mais le nouveau couple dysfonctionnera et Annabelle prendra
en charge le reste de la fratrie. Lorsqu’elle a 21 ans, la mère décède et Annabelle gardera
ses frères et sœurs, arrêtera ses études et sera officiellement désignée comme tuteur
des autres enfants. Il y a deux ans, elle reverra son père au tribunal pour une histoire de
pension alimentaire. Position d’épouse fantasmatique du père légitimée par la loi.
On retrouve dans cette observation les déterminants classiques de l’hystérie de conver-
sion, tels que les a soulignés Freud : symptôme neurologique induit par le refoulement
d’une représentation sexuelle à contenu œdipien. La perte de connaissance a une valeur
défensive économique, elle renforce l’effet du refoulement et vient se substituer à lui lors
du retour du refoulé. Elle a aussi une valeur symbolique, elle traduit la peur de la pénétra-
tion incestueuse, mais aussi l’excitation : la patiente allègue qu’il lui arrive d’avoir « envie
de perdre connaissance » et, par ailleurs, les fantasmes érogènes dont elle fait part sont
des fantasmes de passivité incestueuse dans lesquels elle s’imagine pénétrée violemment
par un inconnu plus âgé qu’elle. Le complexe de castration est intriqué (comme c’est

160
L’hystérie de conversion

souvent le cas) à la problématique œdipienne : les jeux avec les poupées, l’appendicecto-
mie, son image du corps et son identité sexuelle mal acceptées (les parents souhaitaient
une fille), l’angoisse suscitée par les objets tranchants, le terme coupure utilisé pour quali-
fier les pertes de connaissance.
™™ Frédérique, 50 ans, présente une narcolepsie avec catalepsie confirmée clinique-
ment et traitée médicalement. Cette maladie a débuté à l’âge de 25 ans. Il s’agissait au
départ de simples accès de fatigue intense qui généraient un sommeil pendant quelques
minutes mais, depuis deux ans et demi, les accès sont brutaux, génèrent une hypoto-
nie et s’accompagnent de chutes. Elle tombe et dort une dizaine de minutes. Les chutes
ont provoqué des fractures successives (coccyx, poignet), des luxations (épaule), des
entorses. Par ailleurs, sa maladie génère des troubles de l’attention, de la concentration,
de la mémoire de fixation (oubli de rendez-vous), des actes manqués, des erreurs dans
sa vie professionnelle et privée. Elle dort peu la nuit et présente une anxiété générali-
sée. Elle est en arrêt de travail. Les crises sont volontiers déclenchées par une émotion,
un désordre affectif, voire lors de ses relations sexuelles dans l’imminence de l’orgasme
(connotation érogène). Pendant son sommeil, quelques images oniriques apparaissent,
toutes en relation avec le passé lointain, l’enfance, l’adolescence, plutôt agréables : « Ma
grand-mère me dit que je suis belle et qu’elle est fière de ma réussite professionnelle. »
L’aggravation il y a deux ans et demi a été contemporaine de l’apparition d’une crise
conjugale, révélation faite que le conjoint avait une maîtresse. Elle coupe alors ses cheveux
(castration), traverse une période difficile marquée par le début de l’aggravation de sa
narcolepsie.
Frédérique est née en Allemagne. Le père, avocat, décédera dans un attentat lorsqu’elle
a 6 ans. La mère et la fille rentreront alors en France. Elle garde quelques souvenirs de cette
époque : les châteaux de Bavière, les lacs, les maisons bourgeoises aux pièces sombres, le
téléphone noir accroché au mur. Lorsqu’elle aura 11 ans, la mère se remariera et aura une
autre fille.
Elle fera des études de droit, interrompues par un accident de voiture ayant généré
quelques jours de coma. Lors du réveil de ce coma, des représentations surgissent : un
défilé de gens morts. « Mais le coma, c’est bien agréable » (on retrouve la dimension
érogène du symptôme). Elle épousera un avocat à 22 ans et, après plusieurs fausses couches
(castration), mettra au monde son fils. Deux ans après, une inadéquation conjugale s’ins-
tallera et c’est à ce moment que débutera sa maladie (déterminant conjugal identique à
celui de l’aggravation ultérieure). Divorce. Rencontre du conjoint actuel, inspecteur de
police. Elle quitte son métier de greffière pour le rejoindre.
À la deuxième séance, elle insiste sur l’inadéquation avec son nouveau mari qui s’est
aggravée depuis deux ans.
Elle ne se sent pas reconnue, ni valorisée par ce mari qui ressemble physiquement à
son père.
Séance 2. Rêve (R) : « J’ai des plaies sur le corps, des gens bienveillant me soignent. »
Le handicap de la maladie génère l’attention bienveillante des autres (bénéfice secondaire).
Séance 3. Elle évoque un rêve récurrent de son enfance, vers 7-8 ans : « Je suis couchée
dans un lit, on me met un gros téléphone noir sur mon ventre, c’est lourd, je ne dois pas
bouger, ma mère me dit que si je le fais bouger, je suis morte. Pendant la période où je

161
Traité de médecine psychosomatique

faisais ce rêve, je ne bougeais pas dans mon lit (répression sexuelle). Un jour dans mon
rêve, vers mes 10 ans, le téléphone a glissé et est tombé, le rêve ne s’est plus reproduit et
je me suis mise à bouger normalement dans mon sommeil. »
Ce téléphone, de conception ancienne, était bien celui qui était accroché au mur de la
maison, en position verticale, lorsqu’elle avait environ 7 ans (symbole phallique, le père et
la mort de celui-ci annoncée par téléphone).
Des associations spontanées surgissent : une explosion dans la rue, un orgasme, un
escalier (on retrouve associées la mort du père, la sexualité).
Séance 4. Amélioration sur le plan de la mémoire et de l’attention ainsi qu’au niveau
des attaques de sommeil. Lors des accès d’assoupissement (elle ne chute plus), surgissent
des représentations angoissantes à contenu sexuel : « Un homme se masturbe, je ne vois
que la main… une trappe ouverte dans ma chambre d’enfant dans laquelle j’ai peur de
tomber… C’est dans cette chambre que je me suis masturbée à partir de 10 ans. » (Confir-
mation de l’hypothèse ci-dessus.)
Réminiscences : « Un prof de fac m’avait sauté dessus après une soirée étudiante, nous
avions eu une relation sexuelle, il s’était tué dans un accident de voiture en rentrant chez
lui au petit matin. » (Le sexe, le père, la mort.)
Séance 5. N’a plus de troubles de la mémoire. A beaucoup moins d’attaques de
sommeil. Mais se sent plus anxieuse et quelque peu déprimée (valeur économique du
symptôme de conversion). R : « Je suis sur le point d’avoir une relation sexuelle. Je tombe
de mon lit au moment de la pénétration. » La séance se termine sur : « Il me manque un
bout. »
Séance 6. Le moral va mieux. Pas de crise. R : « Je montre à ma grand-mère une jupe
que je me suis achetée. Elle me félicite. Je lui en donne une, la même. » (Cette grand-mère
qui valorisait sa féminité.) R : « Ma mère m’offre un poisson bleu dans un aquarium. »
(Sexe masculin, la patiente s’appelle Frédérique… elle avait même été convoquée à l’Armée.)
Séance 7. Va bien. Pas d’attaques de sommeil. Rêve récurrent : « Des vacances à la mer,
beaucoup de femmes, les hommes sont des serveurs. » Les représentations sexuelles
angoissantes ont disparu. Résurgence d’une excitation sexuelle. A vu un professeur de
neurologie, s’est sentie reconnue par lui. « C’est lui-même qui s’est occupé de moi, je me
suis sentie importante. ».
Cette observation, comme la précédente, met en scène le vécu de castration et la
problématique œdipienne. Les représentations pathogènes ont une dimension érotique
mais aussi traumatique. C’est lorsque Frédérique a 6 ans (castration et œdipe) que le père
meurt. L’événement est vécu comme un abandon et un rejet de sa féminité naissante.
La mère est dans la douleur, seule la grand-mère paternelle réanimera cette féminité
compromise. L’intrication de l’angoisse de mort (angoisse de castration et de séparation)
aux poussées de l’excitation sexuelle est constante. Le début et l’aggravation de la maladie
sont contemporains d’événements qui réactivent cette angoisse.
Pointons enfin que la narcolepsie est étiquetée comme une maladie neurologique hors
du champ de l’hystérie. Nous espérons avoir apporté la preuve du contraire.

162
L’hystérie de conversion

4-6. La frigidité présumée de l’hystérique


L’hystérique est-elle réellement frigide ? Éternel problème de la prétendue frigidité de
l’hystérique…
L’érotisation des zones non génitales au détriment de l’appareil génital serait source de
déficits sexuels. Nos constatations cliniques ne confirment pas cette donnée, en tout cas
d’un point de vue de la stricte clinique sexologique.
Nasio, qui avance l’origine conversionnelle de la plupart des désordres sexuels, recon-
naît toutefois que « l’hystérique s’offre mais ne se livre pas ; elle peut avoir des relations
sexuelles orgasmiques (orgasme clitoridien ou vaginal) sans pour autant y engager son
être de femme… L’hystérique peut s’ouvrir à l’orgasme, mais ne se livre pas pour autant à
la jouissance de “l’ouvert”. » (L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse.) Menace
d’être confrontée à l’image de la castration, mais aussi, selon Nasio, menace de perdre
quelque chose (« perdre pied », perdre son intégrité), menaces qui justifient, selon
l’auteur, le désir inconscient de rester insatisfaite.

4-7. Origines non sexuelles du symptôme de conversion


En dernier lieu, se pose la question de l’existence du processus conversionnel dans le
champ de la pathologie traumatique non sexuelle.
Citons Breuer : «  On n’a pas de peine à comprendre un fait que d’ailleurs nos obser-
vations nous révèlent assez clairement, à savoir que les affects non sexuels, telles la peur,
l’anxiété, la colère, entraînent l’apparition de phénomènes hystériques. Mais il n’est
peut-être pas superflu de faire ressortir que le facteur sexuel dépasse de loin en impor-
tance et conséquences pathologiques, tous les autres facteurs… N’omettons pas de
rappeler qu’à côté de l’hystérie sexuelle existe une hystérie de frayeur, une hystérie vérita-
blement traumatique. Elle est une des formes les mieux connues et reconnues d’hysté-
rie. » (Études sur l’hystérie.)
Freud cite de nombreux exemples de traumatismes non sexuels, liés à des peurs. Par
exemple, telle petite fille ayant eu peur d’un chien, tel employé rudoyé par son patron
n’ayant pu obtenir gain de cause lors d’un procès, premières peurs accompagnées de
« convulsions » de Mme Emmy Von N. lorsqu’elle était enfant, lorsque ses frères et sœurs
lui lançaient à la tête des bêtes mortes, ou qu’un de ses frères se déguisait en fantôme.
On est surpris de la manière dont Freud shunte ces constatations (notamment le cas de
Mme Emmy Von N.), et accélère l’avancée d’une hypothèse d’une origine strictement
sexuelle du symptôme de conversion, alors que son investigation d’une précision impres-
sionnante est suffisante pour comprendre l’ensemble des mécanismes étiopathogéniques
sans avoir recours à la dimension sexuelle obligée. Dans le cas de Mme Emmy Von N., la
majorité des symptômes sont déclenchés par des peurs dans lesquelles la nature sexuelle
est loin d’être primordiale, si ce n’est absente. En fin de texte, Freud évoque l’hypothé-
tique cause sexuelle en se basant uniquement sur un seul des nombreux traumatismes
de la patiente, celui de la présence d’un homme aperçu chez sa servante. De manière très
abrupte et alambiquée, il pense que cette femme qui vit dans la chasteté ne peut qu’avoir
des symptômes dans lesquels la sexualité constitue le déterminant principal. Rien n’est
démontré, rien n’est prouvé. Freud généralise l’étiologie sexuelle, comme en témoigne
son équation première concernant la névrose d’angoisse : angoisse = privation sexuelle, ce
qui – nous l’avons démontré – est loin d’être le cas le plus fréquent. L’hypothèse de Freud
163
Traité de médecine psychosomatique

d’une privation sexuelle à l’origine de la névrose d’angoisse ne résiste pas à l’approche


clinique. L’origine sexuelle de l’angoisse est accessoire. De même, la théorie sexuelle des
phobies qui a fait loi jusqu’à ces dernières années. Or, de nombreuses phobies ont une
origine non sexuelle (Pongy, Les phobies). Le « sexocentrisme » de Freud n’est un secret
pour personne. On peut même imaginer qu’il constitue un aménagement psychique
pour une part défensif.
En fait, l’hystérie apparaît dans les sociétés structurées selon le modèle « ça - surmoi »,
c’est-à-dire des sociétés que caractérisent des lois et règles strictes pas seulement sur les
relations entre les individus, pas seulement sur la sexualité, mais sur la manière d’être du
sujet lui-même, c’est-à-dire les convenances, convenances d’expression, convenances de
ressenti, convenances d’habillement, convenances de maintien corporel, etc. Dans ces
sociétés, le contrôle de l’individu sur lui-même est édicté par des lois et des règles de
répression. Il est tenu de faire ce qui est convenable. Le renoncement à la satisfaction
du désir est fréquent, mais semble aller de soi. Comme nous l’avons évoqué plus haut,
le registre d’expression est limité (témoin les manifestations hystériques théâtrales des
femmes musulmanes dans certaines situations traumatiques) et dans certaines circons-
tances précises là encore faisant l’objet de règles. Ces convenances concernent bien
sûr tout ce qui est de l’ordre de l’émoi sexuel ou affectif, mais elles concernent aussi les
modalités de l’expression de la pulsion agressive ainsi que des vécus douloureux. Nul
doute que les sociétés dans lesquelles la libération instinctivo-pulsionnelle est sans limite
s’accompagnent d’une disparition de l’hystérie.

5. CONCLUSION
5-1. D’un point de vue psychanalytique
Le symptôme de conversion s’origine dans le refoulement d’une représentation
(fantasme) intolérable et la transformation de l’affect qui lui est lié en innervation
somatique.
Il traduit symboliquement la représentation refoulée.
Les traumatiques en cause sont soit des événements réels n’ayant pas fait l’objet
d’abréaction ni d’élaboration psychique (hystérie traumatique), soit le plus souvent des
fantasmes.
Lorsqu’il s’agit de fantasmes, leur contenu est sexuel, en relation avec l’angoisse ou le
complexe de castration et le complexe œdipien.

5-2. D’un point de vue médical


Le symptôme de conversion est l’objet d’une évaluation inadéquate dans le monde
médical et psychiatrique tant d’un point de vue clinique (le plus souvent surestimé, plus
rarement sous-estimé) que nosographique.
Il induit des symptômes neurologiques le plus souvent non systématisés, sujets à une
certaine vicariance.
L’absence de désordre anatomoclinique et physiopathologique objectivable d’un
point de vue clinique et paraclinique n’exclut en rien l’existence de modifications physio-
logiques (inhibitions/activations).

164
L’hystérie de conversion

5-3. D’un point de vue psychosomatique


La conversion ne s’accompagne d’aucun désordre économique et a une fonction
régulatrice à ce niveau.

5-4. D’un point de vue relationnel


Le symptôme de conversion est sensible à la suggestion ou à l’imitation.
Il existe une dimension relationnelle secondaire du symptôme.

5-5. D’un point de vue épidémiologique et social


Dans la plupart des sociétés, le symptôme de conversion est plus fréquent chez la
femme mais n’en constitue pas l’apanage.
Il comporte un déterminisme culturel : on le retrouve de manière prévalente dans les
sociétés organisées sur la base d’un surmoi social fort, de règles de pensée et d’expres-
sion conventionnelles, prônant la répression instinctuelle, réprimant la mise en valeur du
corps et le discours qui s’y rapporte.

5-6. D’un point de vue nosographique


Il est fréquent chez les personnalités hystériques mais il n’en constitue pas l’apanage
systématique.

165
Chapitre 8

LES FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES

1. FIXATION ET RÉGRESSION
1-1. Fixations et régressions psychiques
Notre parcours concernant la conversion nous a montré que deux complexes en consti-
tuent l’origine, le complexe de castration et le complexe œdipien. Ces deux complexes
constituent ce qu’on appelle en psychanalyse des fixations. Lors de notre développement
sur la construction du sujet, nous avons aussi évoqué les fixations orale et anale. Toutes
ces fixations sont des fixations strictement psychiques.
La fixation psychique est un marquage, une ornière tracée, une inscription indélé-
bile qui, à un moment donné de l’enfance, a programmé un type de fonctionnement
psychique prévalent, un attachement particulier et très puissant à un mode ancien
de satisfaction libidinale et de relation d’objet. Dans la fixation orale, par exemple, le
psychisme fonctionne sous le mode de la dépendance à l’objet. De même, le fantasme
et l’activité de maîtrise et de contrôle de l’objet sont l’expression d’une fixation anale. Les
fixations se constituent à partir de facteurs constitutionnels, de facteurs traumatiques et
d’une tendance à l’inertie et à la répétition liée à une angoisse de se défaire d’une position
libidinale antérieure satisfaisante.
La régression est un mouvement psychique contre-évolutif qui restaure dans un but
défensif un fonctionnement archaïque caractéristique d’un point de fixation. La régres-
sion est toujours réactionnelle. Elle peut advenir en tant que modalité défensive lors de
circonstances traumatiques. Par exemple, le barrage évolutif que constitue chez les sujets
obsessionnels l’achoppement œdipien conditionne la régression et donc la réactivation
d’une fixation anale. De même, la crise de boulimie induite par un état de tension ne
faisant pas l’objet d’une élaboration psychique ou d’une décharge comportementale
est une régression orale. Tel autre sujet, dans les suites d’un traumatisme crânien ayant
ébranlé son système défensif, redeviendra l’enfant démuni, dépendant et isolé qu’il était
avant la constitution de son système défensif. La régression peut aussi s’instaurer du fait
de circonstances réactivant les conditions extérieures dans lesquelles s’était produite la
fixation. La vie conjugale, par exemple, peut, au bout d’un certain temps, réactiver chez
certains sujets des conduites et des réactions régressives : conduites de maternage, de
dépendance ou les époux finissent par s’appeler papa et maman.

1-2. L’extension du concept à la psychosomatique


P. Marty a étendu les notions de fixation régression à la psychosomatique : les fixations
ne concernent pas seulement le psychisme, elles concernent aussi le corps.
Le développement individuel est caractérisé tant du point de vue psychique que
physique par l’apparition successive de fonctions de plus en plus élaborées et ceci dès
167
Traité de médecine psychosomatique

la vie intra-utérine. « Chaque nouvelle fonction nécessite la participation des fonctions


précédentes pour se développer. C’est ainsi qu’on assiste à un regroupement et à une
hiérarchisation de certaines fonctions. » (Marty, Les mouvements individuels de vie et de
mort.)
F5 : Maîtrise de l’objet

Temps Hiérarchisation

F3 : Rétention anale F4 : Préhension

F2 : Pince pouce doigts

F1 : Fonction visuelle

Hiérarchisation des fonctions (selon P. Marty)

P. Marty cite l’exemple de la fixation anale. « Nous avons le sentiment que les qualités
de la rétention, du dosage, de la discrimination, de ce stade, dépendent en partie d’autres
qualités antérieures du même ordre, attachées cette fois aux appareils sensorimoteurs,
visuel en particulier. » (La psychosomatique de l’adulte) Ainsi, quelque chose se prépare-
rait déjà en amont, favorisant la fixation.
Si, pour une raison ou pour une autre, les fonctions préexistantes ne sont pas prêtes à
participer à la constitution d’une nouvelle fonction, elles vont, par un effet de stagnation,
se marquer, se fixer. On pourrait proposer la métaphore d’une voiture qui patine dans la
boue ou dans la neige. C’est ainsi que se dessine une ornière dans laquelle le véhicule sera
à nouveau projeté s’il se retrouve dans les mêmes conditions sur le même chemin, accen-
tuant du même coup la profondeur de l’ornière. « Fixation ne signifie
pas impossibilité d’un dépassement, mais marquage caractéristique
d’un système fonctionnel, marquage dont les conséquences vont se
faire sentir dans toute la lignée de ce système. » (Ibid.)
F1
Pour P. Marty, les systèmes de fixation se constituent en chaîne
évolutive, chaîne dont les différents éléments successifs intera-
gissent.
F1
Ci-contre : Chaîne et interactions des fixations
P. Marty, à propos de l’allergie, propose le modèle d’une suite
de fixations successives sur une même chaîne : fixations immuno- F1
logique chez le fœtus, fixations autour de la naissance, fixations
d’ordre sensorimoteur.

168
Les fixations psychosomatiques

Temps ASTHME BRONCHIQUE

T1
Induction d’une
hyper-réactivité bronchique

T2
Difficulté à établir une juste
distance avec l’objet

T1
Terrain génétique
immunologique allergique

Exemple de fixations successives dans l’allergie respiratoire

2. LES DIFFÉRENTS TYPES DE FIXATION


Les somatisations se produisent là où des potentialités et des déterminismes préalables
sont présents, là où une ornière de fragilité, souvent occulte, a été creusée.
Il existe des fixations propres à l’espèce, à une lignée, à un individu. Il s’agit de marques
inscrites tout au long de la préhistoire et de l’histoire de celui-ci. Elles constituent une
ornière d’attraction pour la décharge de l’excitation lorsque le désordre économique
ouvre la voie somatique. Elles détermineront les cibles somatiques.
Nous avons évoqué les fixations psychiques qui déterminent l’organisation et le
fonctionnement psychique du sujet. Pierre Marty a distingué, à côté des fixations
psychosomatiques, des fixations strictement somatiques dont le déterminisme génétique
fait partie.
J’ai, de mon côté, compte tenu de tous ces éléments et à partir de la clinique, étendu
le champ des fixations à la phylogenèse (les émotions en sont l’expression) et proposé en
2011 la classification des fixations suivante :
––fixations phylogénétiques propres à l’espèce ;
––fixations génétiques propres à la lignée ;
––fixations somatiques acquises, s’instaurant dès le stade embryonnaire et se termi-
nant avec l’apparition des processus de mentalisation ;
––fixations psychosomatiques associant fixations somatique et psychique et s’instau-
rant à partir du 8e mois ;
––fixations psychiques débutant elles aussi aux alentours de huit mois.
(Voir tableau page suivante.)

169
Traité de médecine psychosomatique

Chronologie Regroupement Type de fixation Genèse


Psychique
Néofixations À partir de 8 mois
Psychosomatique
Vie embryonnaire et bébé
Somatique acquise
Archéofixations jusqu’à 8 mois
Génétique Lignée
Paléofixations Phylogénétique Espèce

Les différents types de fixation

3. PALÉOFIXATIONS ET ARCHÉOFIXATIONS
3-1. Les fixations phylogénétiques
Nous avons suffisamment traité des fixations phylogénétiques dans les trois chapitres
consacrés à la préhistoire de l’individu. Ce sont des mémoires instinctuelles propres à
l’espèce, leur transmission est génétique. Un simple désordre économique suffit à
déclencher leur réactivation. Les désordres physiologiques en relation avec des fixations
phylogénétiques peuvent se manifester chez tous les individus, quelle que soit leur
histoire individuelle.
Ces programmations se complexifient de toute évidence avec l’évolution des espèces.
D’autres disparaissent. C’est le cas de l’horripilation destinée à faire peur à l’ennemi qui
subsiste à l’état de vestige chez l’homme sous la forme du phénomène de « chair de
poule », phénomène apparaissant lors de situations inductrices de peur ou de dégoût.
L’étude des émotions et celle du syndrome général d’adaptation constituent deux axes
fondamentaux et complémentaires, permettant de comprendre l’importance de ces
fixations phylogénétiques qui se manifestent dans de nombreuses affections médicales
courantes.

3-2. Les fixations génétiques


Les fixations purement génétiques correspondent dans notre classification à la
mémoire génétique de la lignée familiale.
La transmission génétique peut être directe, sans intervention d’autres facteurs. Il en
est ainsi de la couleur des yeux ou des cheveux. Mais, dans de nombreux cas, l’activation
du gène nécessite l’intervention d’autres facteurs, parmi lesquels les traumatismes jouent
un rôle fréquent. C’est ainsi que de nombreux diabètes de type I surgissent au moment de
la puberté et très souvent dans les suites d’un traumatisme, le plus souvent d’une agres-
sion. Il en est ainsi pour de nombreuses maladies qualifiées de strictement génétiques.
Nul ne saurait dénier la mémoire génétique tant elle fait l’objet de recherches, d’inves-
tigations cliniques, et de projets thérapeutiques. La génétique, longtemps suspecte, est
en passe de représenter le modèle conceptuel prévalent en médecine, au risque confirmé
par la clinique de reléguer les autres aux oubliettes. Elle est entrée dans le discours du
commun : ne parle-t-on pas d’ADN de telle institution, de telle entreprise, de telle associa-
170
Les fixations psychosomatiques

tion, de tel parti politique, alors que, paradoxalement, on dénie l’existence de détermi-
nants génétiques dans certains comportements des individus et des groupes humains.
Clivage politiquement correct, la tendance persiste et s’institutionnalise.
Car la génétique concerne le corps, le comportement et le psychisme. Dans des
proportions éminemment variables d’un sujet à l’autre. Autant il est dangereux de mettre
le seul facteur génétique en avant dans le déclenchement de certaines maladies, autant
il est ridicule de ne pas le prendre en compte dans certaines modalités réactionnelles des
sujets. Les études épidémiologiques chez les jumeaux et les sujets adoptés confirment
le poids du facteur génétique. Si la réactivation de fixations génétique peut déclencher
des maladies somatiques, elle peut aussi générer des pathologies mentales. Les facteurs
génétiques de la schizophrénie et de certains troubles bipolaires sont bien connus. De
même, ces facteurs génétiques peuvent jouer, conjointement aux facteurs développe-
mentaux, un rôle dans la constitution de la personnalité et la réactivité comportemen-
tale. La transplantation des tortues de Californie dans les rivières françaises ne modifie en
rien leur génome, tout au moins dans les premières générations. Il faut faire preuve d’une
prétention semi-délirante pour imaginer que l’on puisse modifier par des idéologies, des
lois et des institutions, ce qui a constitué le sujet avant sa naissance, à savoir l’héritage
d’une lignée ou d’un groupe humain. Ce n’est qu’une forme bien-pensante de déni de
l’altérité.
Citons D. Mac Farland : « … une grande partie du comportement d’un animal est
influencée par ses caractères génétiques… L’efficacité de la sélection naturelle à changer
la nature d’une population dépend du degré plus ou moins héréditaire des caractères
phénotypiques… Malgré le poids indéniable de l’évidence, de nombreux sociologues et
psychologues sont restés opposés à l’idée d’une influence génétique sur le comporte-
ment… » (Le comportement animal.)
Par quel mécanisme subtil l’espèce humaine serait-elle épargnée ? Le déterminisme
génétique est à la fois avidement invoqué et paradoxalement suspect selon le domaine
que l’on explore. La consultation génétique assène le sujet d’un déterminisme implacable
et foudroyant, alors qu’il est paradoxalement interdit de penser que certains compor-
tements puissent être déterminés pour une part aussi minime soit-elle, par les origines
familiales, culturelles, civilisationnelles ou ethniques.
Ceci étant, la génétique n’est pas immuable avec le temps. Les mutations en attestent
et dans leur déterminisme entrent en jeu non seulement des facteurs physiques mais aussi
les aléas de l’adaptation, l’imprégnation sociale au fil des générations, les traumatismes
existentiels. C’est la base de l’évolution. Le comportement des homéothermes, homme
compris, est le résultat d’une interaction complexe de la génétique avec l’expérience vécue.
La distinction entre comportement inné et acquis est « un sujet de controverse actuel
qui a des implications considérables dans le domaine de la philosophie et de la politique
humaines… Les influences génétiques et environnementales sont inextricablement liées
au sein de l’ontogenèse, selon les lignes d’un processus, l’épigenèse, par lequel chaque
étape du développement pose les jalons de la suivante, mais sans les imposer. » (Ibid.)

3-3. Les fixations somatiques acquises


Elles correspondent à des fragilités inscrites dans le corps indépendamment de tout
facteur génétique mais aussi de toute interaction initiale avec le psychisme, c’est-à-dire
171
Traité de médecine psychosomatique

qu’elles s’instaurent dès la vie embryonnaire et se poursuivent jusqu’à ce que le psychisme


interagisse avec le corps, c’est-à-dire aux alentours du 8e mois. Ce sont des événements
somatiques contingents inducteurs de fragilisations acquises.
Les fixations somatiques acquises concernent toute ornière corporelle qui s’est inscrite
sans participation du psychisme. C’est la raison pour laquelle elles concernent surtout
la période qui précède l’instauration des possibilités d’élaboration psychique. Mais, de
manière moins fréquente, elles peuvent aussi s’inscrire à tout âge, lors d’états de sidération
traumatique inducteurs d’une démentalisation totale. C’est le cas de certains syndromes
psychotraumatiques.
On peut considérer que les potentialités de fixation somatique ne s’éteignent réelle-
ment jamais mais, avec le temps, leur inscription s’interagit avec le vécu psychique et elles
se rapprochent des fixations psychosomatiques.

Traces et cicatrices corporelles


Une maladie infectieuse, une atteinte toxique, un traumatisme physique, une inter-
vention chirurgicale, sont bien sûr des déterminants primordiaux attirant une potentielle
et ultérieure somatisation sur la zone fragilisée.
Il existe une mémoire strictement somatique témoin des traumatismes inscrits dans
le corps. Les caractéristiques immunologiques notamment témoignent de la succession
des agents pathogènes que l’individu a rencontrés et contre lesquels il a dû se défendre.
Certaines « traces » corporelles, comme un traumatisme physique effectué dans un
contexte particulier (ne dépassant pas la sensorimotricité), antérieur ou étranger à toute
possibilité de médiation psychique ou comportementale, peuvent constituer une cible
somatique. On pourrait citer l’exemple de certains psoriasis apparus secondairement sur
une zone traumatique.

Démentalisation traumatique aiguë


« Il existe aussi des traumatismes psychiques dont la violence n’a pas permis la
métabolisation, qui sont restés hors mémoire, hors langage », y compris à un âge avancé,
« et dont seul le corps continue à porter la trace via les réactions émotionnelles qu’ils
ont engendrées » (Célérier, Psychothérapie des troubles somatiques). Des possibilités de
marquages somatiques stricts ne sont pas exclues lors de traumatismes violents, forte-
ment démentalisants et privant le sujet de réaction comportementale.

Fixations traumatiques précoces (0 - 8 mois)


Si une fonction ou un organe fortement investi du fait de leur caractère central dans
la relation avec la mère est pris dans l’éventail des stimuli réponses lors de situations
émotionnellement chargées ou de vécus difficiles, des liaisons puissantes s’établiront
entre ces situations, ces vécus, et les réactions du corps, la voie comportementale et la
voie psychique étant, chez le bébé, insuffisantes pour endiguer les excitations.
Supposons une inadéquation avec la mère, celle-ci étant déprimée ou désemparée
devant les signaux de son enfant. L’enfant, véritable récepteur du vécu profond de la mère,
perçoit dans son corps la tension maternelle. Il ne peut donner un sens à ce qu’il perçoit,
il vomit ou se couvre de plaques d’eczéma. Seul le dérèglement somatique s’inscrit en lui.
Cette inscription au niveau du corps, sous forme de traces, pourra réapparaître ultérieu-
rement comme seule expression d’une difficulté relationnelle ou d’un vécu intérieur
172
Les fixations psychosomatiques

difficile. À la suite d’une séparation douloureuse ou d’un conflit, une spasmodicité, des
perturbations du pH digestif, ou un désordre cutané s’installeront, conjointement à un
déficit d’élaboration psychique.
L’amygdale tient une place centrale dans la genèse de ces processus. Elle parvient rapide-
ment à maturité dans le cerveau de l’enfant, alors que les autres structures cérébrales ne
sont pas pleinement développées. Elle est d’ailleurs proche de sa forme définitive dès la
naissance. Si les vécus traumatiques et les expériences émotionnelles des premières années
de la vie possèdent une telle force, c’est peut-être parce qu’ils sont imprimés dans l’amyg-
dale sous forme de réseau neuronal primitif à un moment où l’enfant est encore incapable
de traduire ses expériences par des mots (D. Pomey-Rey, La peau et ses états d’âme).

4. FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES
Les néofixations comprennent les fixations psychosomatiques et les fixations
psychiques. Nous avons largement abordé ces dernières et allons consacrer notre exposé
aux fixations psychosomatiques.
Les fixations psychosomatiques sont la résultante d’une fixation psychique et d’une
fixation somatique simultanées. Elles ne peuvent de fait se produire qu’à partir du
moment où le psychisme possède un degré minimal de fonctionnement.
Une ornière d’attraction s’inscrit à la fois dans l’inconscient psychique et dans la
mémoire du corps. Elle va demeurer quiescente jusqu’à sa réactivation à la faveur d’un
traumatisme.
Prenons un exemple : nous savons que les déterminants des organisations obsession-
nelles se situent au niveau d’une fixation anale. L’incapacité du sujet à accepter la perte,
son fonctionnement psychique dans la rétention et la maîtrise, ne sont que les prolonge-
ments ou la réactivation d’un mode de fonctionnement qui s’est installé avec une force
particulière lorsqu’il était jeune enfant. La fixation psychique, par le biais de mécanismes
de défense inconscients complexes, a induit une pathologie strictement mentale.
Imaginons maintenant le même sujet qui, enfant, au moment où s’installe la fixation
psychique anale, présente une érogénéité particulièrement accentuée de la zone
anatomofonctionnelle anale, érogénité pouvant être induite par de simples soins locaux
réitérés ou par des désordres physiologiques (diarrhée, constipation). Le psychisme et
le corps sont concernés par la même dynamique anale de rétention-expulsion. Le sujet,
devenu adulte, porteur d’une double fixation, psychique et somatique intriquée, c’est-à-
dire psychosomatique, développera, lors d’un mouvement régressif, des manifestations
obsessionnelles mais cette fois-ci associées à des troubles intestinaux comme, par exemple,
une colopathie spasmodique. À un stade de plus, si la démentalisation est intense, le
désordre économique majeur, l’auto-agressivité manifeste, l’affect réprimé, les signes
psychiques s’effaceront au profit des manifestations intestinales inflammatoires. C’est ce
que j’ai rencontré de manière systématique dans la rectocolite ulcérohémorragique.
Le désordre économique, le plus souvent généré par la répression de l’agressivité, est
nécessaire pour déclencher la maladie somatique. Mais celle-ci n’apparaîtra que sous
l’effet conjoint de représentations inconscientes réactivées par le traumatisme, repré-
sentations induites par une problématique similaire dans l’enfance, ne faisant pas l’objet
d’une élaboration psychique, mais suffisantes à réactiver la fixation psychosomatique

173
Traité de médecine psychosomatique

sous-jacente. En aucun cas, les formations strictement psychiques inconscientes ne


peuvent déclencher seules une pathologie somatique.
Les régressions psychosomatiques nécessitent donc l’existence de fixations psycho-
somatiques préalables, c’est-à-dire l’activation à la fois de représentations inconscientes
pathogènes et d’un désordre économique.
Dans ce type de processus, le désordre économique semble inversement proportion-
nel à la force de la représentation pathogène et vice versa. L’effet de somatisation S est le
produit de la force de la représentation inconsciente pathogène R et du désordre écono-
mique E. C’est ainsi que j’ai proposé, en 2011 (Angoisse et répression), la loi suivante :
S = E x R ou E = S/R.
Le traitement de ce type de pathologie ne saurait se limiter à celui du désordre
économique. La rementalisation ne suffit pas, un travail de type psychanalytique sur les
complexes inconscients est ici nécessaire.
Parmi les fixations psychosomatiques, j’ai distingué, selon le stade évolutif, deux
sous-types de fixation : les fixations psychosomatiques archaïques et les fixations génitales.

4-1. Fixations psychosomatiques archaïques (8 mois - 4 ans)


Les fixations psychosomatiques archaïques concernent la période se situant entre
8 mois et 4 ans, c’est-à-dire à partir des prémices du développement psychique jusqu’à
l’apparition de l’angoisse de castration et du complexe œdipien.
™™ Jean-Louis, 35 ans, ingénieur, atteint de rectocolite ulcérohémorragique, signale
une morosité, un pessimisme, un caractère ombrageux, une tension nerveuse ancienne,
une violence intérieure contenue, un désir de maîtrise dans les relations humaines, une
tendance aux fixations idéiques, par exemple la propreté, autant de symptômes qui
attestent d’une fixation anale. Il parle sans affect, froidement, rationnellement. On perçoit
toutefois une sensibilité et une émotivité réprimées. La mentalisation est peu élaborée.
L’épisode actuel a débuté dans un contexte de tension, de conflit larvé dans le cadre
professionnel. Une promotion était imminente, mais son supérieur hiérarchique a tenté
de mettre en avant une autre personne. Crainte et évitement de l’affrontement, peur
de rencontrer ce directeur, Jean-Louis encaisse et ne bronche pas. « Cherchait-il à me
baiser ? », dit Jean-Louis. Pendant toute cette période, il ressent une oppression thora-
cique et respiratoire importante. Il finit par se décider à rédiger des lettres à son supérieur
hiérarchique, lettres qu’il n’enverra jamais. Et c’est ainsi que disparaissent les oppressions
et qu’apparaît la rectocolite. Finalement, il obtient la « promotion » mais un jeune cadre
est désigné pour travailler avec lui. Celui-ci devient rapidement l’homme de confiance du
patron et dicte le travail à Jean-Louis. La répression de Jean-Louis est intense.
Jean-Louis qualifie son enfance de « catastrophique ». Ses parents ont divorcé lorsqu’il
avait à peine un an. Le père géniteur disparaîtra dans la nature. La mère se remarie et de
la nouvelle union naîtra un garçon. Jean-Louis est une pièce rapportée, rejetée par un
beau-père dur et violent. Alors que le puîné est l’objet d’égards particuliers, Jean-Louis
vit dans la terreur et l’attente d’une reconnaissance de cet homme qui lui enlève sa mère
adorée.
Très rapidement, Jean-Louis s’investit dans la psychothérapie. Celle-ci génère dès
les premières séances d’importantes productions contemporaines d’une amélioration
clinique progressive.
174
Les fixations psychosomatiques

Réminiscences préconscientes
… Rêve de l’enfance : « Ma mère brûle dans un lit en flammes et me fait ses adieux. »
… Scène d’enfance : « Mon beau-père avec un fusil à la main en pleine nuit. Ma mère se
précipite dans mon lit, me prend dans ses bras pour me protéger… »
… Scène d’enfance : « Je les entendais faire l’amour. Ça me paraissait sale. Une fois, j’ai
vu le sexe de mon beau-père. J’ai trouvé ça hideux. J’avais peur qu’il lui fasse du mal. Ma
mère poussait des gloussements, des rires étouffés. Il me semble qu’il lui mettait la langue
dans l’oreille. Il s’amusait parfois à me faire des suçons. Ça me dégoûtait. Je ressentais ça
comme quelque chose de sexuel. Est-ce qu’il avait du désir pour moi ? Par contre, quand
il me frappait, j’avais mal. »
… Représentation infantile : « Je croyais que les femmes tombaient enceinte par
pénétration anale. »
… Souvenir d’enfance : « Je regardais avec excitation une gravure représentant un
homme nu, supplicié sur la roue. Le bourreau lui fracassait le corps. »
Représentations inconscientes
––Expressions langagières imagées, surgissant spontanément, infiltrées d’éléments
inconscients : « J’attends un tire-bouchon… Ça me fait du bien de me vider ici… »
« Lorsque la rectocolite s’aggrave, je suis défoncé. » « Mon boulot à cette époque, j’y
allais à reculons. » « Au boulot, je serre les fesses. »
––Rêves : « Je ramasse du bois mort, un couple de gens âgés surgit, j’ai peur d’être
surpris. Je me cache et je fuis. » « Des WC pleins d’excréments. Je ne sais comment m’y
installer » « Un homme est martyrisé et sodomisé dans une prison qui me rappelle la
maison de mon enfance. » « Dans ma chambre d’enfant, ma femme est dans le lit avec
mon oncle. » « Un homme saigne à l’intérieur. Un médecin le frappe en disant : “Il faut
que ça sorte !” »
––Fantasme sexuel récurrent : « Relation sexuelle à trois dans laquelle je suis soit specta-
teur soit acteur. »
Ces productions confirment un complexe œdipien, un masochisme et une fixation
anale. Jean-Louis jouit et souffre d’une sodomie imaginaire infligée par le beau-père, un
beau-père violent mais présent.
À partir de la quinzième séance, on note une nette amélioration de la RCHU. Plus
d’hémorragies, uniquement quelques troubles du transit. Cette amélioration est contem-
poraine de la disparition du fantasme de relation sexuelle à trois.
Au bout de cinq mois de psychothérapie, les symptômes se limitent à quelques
douleurs et diarrhées vespérales qui s’accentuent lorsque le jeune cadre de l’entreprise le
« fait chier »… Au bout d’un an de psychothérapie, il va bien.
Quatre conditions sont nécessaires pour que la pathologie se déclenche et persiste :
––le désordre économique : le déficit de mentalisation et l’absence d’issue compor-
tementale sont évidents au moment où se déclenche la pathologie. La brimade
professionnelle infligée avait entraîné un état de tension interne qui se manifestait
par de l’angoisse (répression de l’agressivité) lorsque Jean-Louis encaissait sans réagir.
Jean-Louis a dû apprendre très tôt à réprimer ses affects, sa motricité, son agressivité.
« Si j’accepte des contraintes contre mon gré, je sécrète des toxines. »

175
Traité de médecine psychosomatique

––l’existence de représentations inconscientes refoulées : avant la psychothérapie, les


représentations refoulées, réactivées par le conflit avec le supérieur hiérarchique, ne
font pas l’objet d’une élaboration psychique. La rectocolite apparut quand il se mit
à écrire des lettres (expression d’une part d’agressivité, en douce, mais aussi peur du
retour de bâton), mettant en scène ainsi un contact intime de type sadomasochiste
(intrication des pulsions agressives et sexuelles) avec le patron ;
––la fixation psychosomatique : il existait dans l’enfance de Jean-Louis une érogénéité
particulière de la zone anale ;
––la persistance de facteurs traumatiques d’entretien : facteurs traumatiques internes
(les représentations) et externes (les déboires quotidiens, notamment la blessure
narcissique, les prérogatives du jeune cadre). Mais à partir d’un certain temps d’évo-
lution, la pathologie s’autonomise, devient indépendante des facteurs d’entretien.
Un quantum d’agressivité s’exprime pour une part dans la RCUH sous un mode
auto-agressif (inflammation, saignements) et hétéro-agressif (l’évacuation, la diarrhée).
C

A S

TEMPS 3 : RÉPRESSION Trauma réactivant la R Ics

C
Refoulement
R A S

TEMPS 2 : REFOULEMENT DE LA REPRÉSENTATION TRAUMATIQUE (ENFANCE)


Ics

R A S

TEMPS 1 : FIXATION PSYCHOSOMATIQUE (ENFANCE)

Genèse des régressions psychosomatiques prégénitales


Je citerai un autre cas dans lequel les représentations inconscientes et les fixations
psychosomatiques sont similaires. Ce cas illustre en plus la variabilité de la mentalisation
au cours de l’évolution d’une affection.

™™ Gilles présentait un eczéma périnéal : anus, racine de la verge, face interne des
cuisses, eczéma très prurigineux surtout la nuit. L’eczéma avait débuté après son divorce
dans un contexte de solitude et de difficultés financières importantes. Là aussi, la fantas-
matique reposait surtout sur des représentations d’origine œdipienne, source de forte
excitation (sexuelle et agressive) : relation à trois, comme chez Jean-Louis.

176
Les fixations psychosomatiques

Le traitement s’étala sur douze séances. Les symptômes s’amendèrent progressivement


avec parfois des recrudescences subites que l’on pouvait articuler avec certains vécus :
crainte d’infidélité dans sa nouvelle liaison, soucis d’argent, réactivation du fantasme de
relation sexuelle à trois. Lorsqu’il était confronté à des soucis, il manifestait son mécon-
tentement par une expression particulière : « Je suis enculé par le démon ! » Lors des
moments de rémission, il rapportait des rêves d’une grande richesse. Lors des poussées,
aucune trace d’activité onirique.

4-2. Fixations génitales (3 - 8 ans)


Elles sont en relation avec le complexe de castration et le complexe œdipien.
™™ Josepha, secrétaire de direction, souffre de colopathie spasmodique.
Josepha avait vécu toute son enfance au contact d’un père paranoïaque qui la terrori-
sait. Ce père redouté avait été aussi fortement désiré. Les rêves de Josepha en attestaient :
« Des crabes me piquent… mon père m’agresse… dans le bureau de son patron, je me
retrouve nue, du sang menstruel coule entre mes jambes. » La journée qui suit ces rêves
voit la colopathie et les douleurs s’aggraver. Josepha ne se sentait pas reconnue comme
objet possible de désir dans le regard de ce père qui était du signe du cancer. Elle se
souvient même d’avoir ressenti une excitation sexuelle au bas-ventre suivie de diarrhées
un jour où son père était en proie à une crise de folie.
Vers le cinquième mois, lors d’une séance, elle rapporta un rêve : elle cheminait dans
une grande allée bordée de grands arbres. À ses côtés, une jeune femme au ventre flasque
de femme venant d’accoucher. Toutes deux étaient nues sous la taille. Au bout de l’allée,
un homme qui les regardait en souriant avec bonté et émerveillement.
Ce rêve renvoyait à une période de sa vie, vers 5 ans. La mère était allée accoucher
de la sœur cadette. Pendant ce temps, le père l’avait gardée. « C’était la seule fois qu’il
s’était montré gentil », se souvint-elle avec émotion. Ce jour-là, Josepha s’était sentie la
fille aimée, reconnue fille dans son désir à l’égard de ce père. Le désir œdipien était fantas-
matiquement assouvi et le complexe de castration disparaissait.
La colopathie disparut de manière quasi définitive et ne se manifesta de manière
sporadique que lorsque des représentations, le plus souvent des rêves à contenu patho-
gène, réactivaient la problématique comme, par exemple, un rêve où son père en furie se
jette sur elle qui est allongée.
C’était donc un rapport sexuel fantasmatique douloureux et transgressif avec un
père désiré, violent et menaçant, qui sous-tendait la colopathie, ainsi qu’un complexe de
castration ne faisant pas l’objet d’une mentalisation.
™™ Daniel, 48 ans, présente des troubles urinaires très invalidants : faux besoins ou
au contraire pas de sensation de besoin d’uriner lorsque la vessie est pleine, pesanteur
sus-pubienne, inflammation urétrale, dysurie, brûlures à l’éjaculation. Ces difficultés ont
généré une fixation obsédante sur la sphère urinaire et des comportements ritualisés :
il diffère le moment d’uriner, urine assis et ne part jamais hors de chez lui sans sa sonde
qui ne le quitte pas. Ces phénomènes s’aggravent dans les toilettes publiques, chez ses
parents, dans le train (il se retient tout au long du trajet), et même chez lui s’il entend un
bruit extérieur. Il est suivi régulièrement par des urologues qui ont attribué ses symptômes

177
Traité de médecine psychosomatique

à diverses composantes pathologiques : vessie neurologique, séquelles de sténose, prosta-


tite chronique. Il présente par ailleurs une colite spasmodique.
Le traitement psychothérapique de Daniel aura duré douze séances étalées sur six
mois, mettant au jour des éléments de son histoire et de son fonctionnement détermi-
nants. Daniel est ingénieur et fonctionne de manière opératoire : le travail, le devoir, pas
de moment de détente ni de joie. Il se contrôle perpétuellement : « Je ne me lâche jamais,
je me retiens partout, de même s’il faut gueuler dans le travail, s’imposer, je réprime
mon agressivité, j’avale ma salive. » Dans la vie quotidienne, il se sent tendu, inhibé dans
les relations sociales, avec toujours un sentiment de faute. Les seuls moments où il se
sent bien, c’est avec son épouse à laquelle il est très attaché. Daniel se retient, au niveau
urinaire, génital, psychique, comportemental. Il vit dans la peur de la faute, la peur d’être
surpris, pris en flagrant délit, délit de quoi ?
Les parents de Daniel étaient très autoritaires. « On rampait… Ma mère était une
femme peu maternelle, surexcitée, qui monopolisait tout le temps la parole, n’écoutait
pas les gens, on ne pouvait lui faire aucune remarque. Mes parents s’entendaient très mal.
Vers l’âge de 4 ans, je pensais être responsable de leur mésentente. Mon père était un
colosse, il giflait ma mère. J’avais une peur terrible de lui. Ma mère allait pleurer au fond
du jardin, j’allais la rejoindre pour la consoler et la ramener… Vers 14 ans, on s’était amusé,
avec un copain, à conduire la voiture de mes parents et on était sorti dans la rue. Mon
père avait surgi, nous avait surpris et nous avait mis une raclée. J’ai eu une peur terrible.
J’ai tout fait sur moi, je me suis pissé dessus. »
La première relation sexuelle de Daniel aura lieu à 26 ans et sera suivie d’une période
de culpabilité qui cessera avec l’apparition d’une orchite, suivie de nécrose testiculaire.
Ablation, douleurs résiduelles, sténose, dilatations. Pendant de longues années, Daniel
présentera des difficultés fluctuantes au niveau urinaire.
Les symptômes s’aggraveront, surtout il y a deux ans, dans un contexte de grande
inquiétude par rapport au comportement difficile de sa fille adolescente qui sera incul-
pée pour trafic de drogue. Dysurie, faux besoins, colite. Il y a six mois, les troubles sont
majeurs et il est réopéré d’une sténose de l’urètre.
Daniel a eu les pires difficultés à s’investir dans son rôle de père. Il n’osait rien dire, se
sentait coupable d’intervenir. La fille fera amende honorable et tirera un trait sur sa vie de
dealer improvisé, mais les symptômes de Daniel persisteront.
Au bout de huit mois de psychothérapie, tous les symptômes de Daniel ont disparu,
il urine normalement, debout, n’a plus de colite et se sent psychiquement plus à l’aise.
Curieusement, la fin de cette psychothérapie a eu lieu en même temps que le décès de
son père d’un cancer de la prostate, père qu’il a retrouvé quelques jours avant sa mort,
dans un contexte de reconnaissance et de pardon mutuel.

4-3.  Fixations psychosomatiques et érogénéité


L’analyse de ces quatre cas met en évidence l’impact simultané du désordre écono-
mique et des représentations inconscientes pathogènes. Il apparaît clairement que
celles-ci sont des représentations à contenu érogène. Mais, contrairement à la conversion,
elles ne suffisent pas à générer la pathologie. La présence du désordre économique est
une condition nécessaire.

178
Les fixations psychosomatiques

Deux questions se posent : celle de la nature des zones érogènes et celle du type d’éro-
généité.
Les fixations somatiques de la petite enfance, et ceci dès la période primaire, peuvent
concerner les zones érogènes classiques mais aussi l’intégralité d’autres systèmes fonction-
nels. La diffusion du plaisir à partir des zones érogènes classiques vers l’ensemble du
corps est d’ailleurs la condition nécessaire à l’organisation d’un moi unifié et de l’image
inconsciente du corps.
Certaines fonctions sont plus ou moins érotisées : digestives, urinaires, cutanées. L’énu-
résie en offre un exemple. S’inscrivant dans une relation d’interdépendance avec la mère
et attestant d’une difficulté réciproque à s’autonomiser, elle est l’objet d’une érotisation
secondaire (sensations paradoxales lors de la miction) qui conditionne sa persistance.
D’autres fonctions peuvent s’accompagner d’une érotisation ayant fait l’objet d’un
déplacement ou d’une régression, notamment les somatisations digestives ou algiques.
C. Dejours considère que l’absence d’un investissement érotique minimal d’une
fonction fragiliserait celle-ci. Un déplaisir au niveau d’une zone ou d’une fonction pourrait
entraîner un désinvestissement de la zone ou de la fonction, laissant ainsi un « blanc »
dans la représentation inconsciente du corps. La somatisation concernerait les zones
du corps qui n’ont pu faire l’objet d’une érotisation, c’est-à-dire d’un passage du corps
biologique au corps vécu et érogène. Les fonctions qui ne se sont pas exprimées dans un
contexte expressif et porteur de sens sont sujettes à somatisations.
Il est vrai que certains symptômes constituent parfois une voie de décharge de l’excita-
tion qui n’a pas trouvé d’issue dans l’élaboration mentale, les comportements, et souvent
la « jouissance » au niveau de la fonction somatique en question. Le prurit en est l’exemple
caricatural. De même les vulvovaginites. Cet élément nous a permis d’avancer, à l’appui
de nos constatations cliniques, qu’un organe ou une fonction qui ne jouit pas, souffre. La
jouissance nous apparaissant par ailleurs, d’un point de vue général, comme l’antidote de
la souffrance et ceci tant du point de vue psychique que somatique.
Mais l’exemple de Jean-Louis illustre bien le fait que des fonctions érotiquement très
investies peuvent aussi faire l’objet de somatisation. Il semblerait même que cet investis-
sement excessif soit un des cofacteurs de la pathologie. C. Dejours insiste sur le déficit
d’investissement érogène de la cible. J’insisterai de mon côté sur le rôle pathogène d’un
surinvestissement.
Un plaisir sélectif au niveau d’une fonction ou d’une zone du corps peut entraîner un
investissement excessif de cette fonction ou de cette zone. Le plus souvent, les sensations
engendrées par une affection corporelle sont désagréables, mais il n’en est pas toujours
ainsi et une part de malaise peut, dans certains cas, être infiltrée de sensations particu-
lières dans lesquelles une certaine jouissance est présente, notamment dans les affections
modifiant la sensorialité (fièvre, prurit par exemple).
Débat difficile auquel seule la clinique peut répondre. Mais entre ces deux positions
opposées, n’y a-t-il pas lieu d’en appeler plutôt à une dysérogénéité dans laquelle sensa-
tions hédoniques et désagrément sont intriqués ? C’est d’ailleurs cette dysérogénéité qui
est le plus souvent présente chez l’enfant.
Cette dysérogénéité nous invite à évoquer le masochisme érogène qui vient accentuer
secondairement la fixation et plus particulièrement le masochisme induit par les inter-
ventions extérieures sur le corps.
179
Traité de médecine psychosomatique

Le rapport familial à la maladie joue un rôle renforçateur : inquiétude familiale générée


par la maladie, changements induits, bénéfices secondaires, prise de pouvoir sur l’entou-
rage, etc. Les soins médicaux jouent un rôle important, rarement par la gratification qu’ils
entraînent (sirops agréables, interruptions scolaires), plus souvent par l’agressivité des
techniques utilisées (examens, contentions, injections). Selon le contexte dans lequel
sont pratiquées ces interventions, la stimulation d’un masochisme latent peut se mettre
en place.
Le choix de la voie d’administration n’est pas anodin. Faire une piqûre en période
œdipienne à un enfant épouvanté par la contention des parents, du médecin, de l’infir-
mière, n’a pas la même valeur que le suppositoire administré en phase anale, ou le sirop
antitussif vécu comme une récompense. Ce qui est perçu s’associe en profondeur au vécu
de la maladie, à la fonction corporelle en souffrance. Le changement des habitudes induit
par la maladie (ne pas aller à l’école, dormir avec papa ou maman, recevoir des cadeaux,
etc.) favorise l’érotisation de la fonction, et parfois le masochisme. Autant de traces
mnésiques enfouies que l’organisation psychosomatique garde en mémoire.

4-4. Gémellarité des fonctions somatiques et psychiques


Certaines somatisations s’accompagnent d’une mentalisation partielle en relation avec
le vécu traumatique inaugural (VTI). Cela semble se produire préférentiellement lorsqu’il
s’agit d’atteintes de systèmes fonctionnels ou d’organes ontogénétiquement évolués.
Par contre, dans les somatisations s’accompagnant d’une forte démentalisation, les
fonctions atteintes sont souvent des fonctions ontogénétiquement et phylogénétiquement
plus primitives. C’est le cas des désordres cellulaires cutanés tels que le psoriasis (le système
tactile étant un des premiers systèmes sensoriels à se développer lors de l’embryogenèse),
des maladies auto-immunes, et peut-être des proliférations tumorales.
Les fonctions très archaïques, apparues avant la naissance du psychisme, auront du
mal à se coupler avec lui. Inversement, si une fonction est d’apparition plus tardive (et en
règle générale plus élaborée), contemporaine de la structuration et du développement du
psychisme, elle aura tendance à s’accompagner de manifestations psychiques lorsqu’elle
sera altérée. On pourrait penser qu’il y a entre elles une relation de « gémellarité » au
sens chronologique du terme : nées de manière contemporaine, ayant vécu des choses
en commun au moment de leur structuration, fonctions psychiques et somatiques sont
vouées à se lier entre elles. Une confrontation entre données cliniques et chronologie
d’apparition des fonctions au niveau ontogénétique et phylogénétique nous paraît un
axe de recherche intéressant.

5. LA GRANDE PALABRE


5-1. La position de Freud
Freud était conscient de l’existence de facteurs psychogènes dans le déterminisme
de certaines maladies : « Le traitement analytique des affections d’organes n’est pas non
plus sans perspective (…) puisqu’il n’est pas rare qu’un facteur psychique prenne part à
l’apparition et au maintien de ces affections. » (Psychanalyse et théorie de la libido.) Mais il
reste prudent : « (…) à côté des conditions organiques, l’élément psychique joue un grand
rôle ; la question est de savoir quelle est la proportion de ces deux facteurs dans la déter-
180
Les fixations psychosomatiques

mination du mal, une question qu’il faut aborder avec beaucoup de circonspection. »
(Freud cité par Nunberg et Federn, Les premiers psychanalystes.) Par ailleurs, il souhaite
que les psychanalystes se bornent, pour des raisons d’apprentissage, à la recherche dans le
domaine des névroses. Dans Métapsychologie, il délimite le champ analytique qui doit se
limiter aux représentants pulsionnels, la source de la pulsion étant exclue, par définition.
Il n’utilisera jamais le terme psychosomatique, y compris dans sa correspondance avec
Groddeck. Il repère les symptômes physiques de la névrose actuelle comme dénués de
sens et de déterminisme psychique. Enfin, il introduit la possibilité d’une érotisation des
zones corporelles par le concept de zone et de corps érogène. « (…) un endroit de la peau
ou des muqueuses dans lequel des stimulations d’un certain type suscitent une sensa-
tion de plaisir d’une qualité déterminée… » « Nous nommons érogénéité d’une partie
du corps cette activité qui consiste à envoyer dans la vie psychique des excitations qui
l’excitent sexuellement. » (Trois essais sur la théorie de la sexualité.)
Parmi les contemporains de Freud, Ferenzci peut être considéré comme un des précur-
seurs de la pensée psychosomatique. On lui doit l’analyse d’un enfant, « l’enfant au coq »,
porteur d’une colite ulcéreuse.
Depuis l’avènement de la psychanalyse et surtout après Freud, les théories
psychosomatiques se sont succédé sans aboutir, pour une bonne part d’entre elles, à
des modèles consistants, comme en atteste la rareté du matériel clinique et l’utilisation
systématique du conditionnel chez de nombreux auteurs, et ceci du fait surtout de la
méconnaissance de la dimension économique. La plupart des théories sont issues d’une
séduction par le modèle conversionnel.
À partir des années 1950, le modèle psychanalytique s’étend à travers le monde
occidental, remanie le corpus théorique psychiatrique, émet des rejetons comme la
pédopsychiatrie, reconsidère le fonctionnement de l’être humain, les relations interper-
sonnelles, et, à partir des années 60, devient une panacée pour la résolution de toute
difficulté de quelque ordre qu’elle soit. Le monde médical est partagé entre une attitude
défensive délibérément hostile et une curiosité réservée à son encontre. Les échecs de la
progressive toute puissante technicité favoriseront l’intérêt de certains praticiens à son
sujet, mais sous le mode excessif et réducteur de la séduction. À l’instar de la majorité
des psys des années 70, ils subiront la fascination pour l’intrapsychique et c’est ainsi que,
peu à peu, naîtra une tendance à interpréter tout désordre somatique à partir du modèle
conversionnel, avec les inévitables échecs que l’on imagine, alors que, phénomène
occulté, l’hystérie est en train de commencer son inexorable régression. Dans les suites,
la question du sens et du symbolisme du symptôme va se poser face à tout désordre
somatique. Ainsi, en Europe, deux courants contradictoires vont ensuite voir le jour.

5-2. Le modèle conversionnel


Les théories conversionnelles présupposent une intentionnalité et un symbolisme
dont serait porteuse l’altération somatique.
Groddeck s’exercera à trouver à la base des différents états pathologiques des
complexes psychiques inconscients et introduira la notion de « langage d’organe ». Les
troubles psychosomatiques sont à interpréter sur la base des mécanismes de conver-
sion symbolique. Groddeck avait créé une clinique de psychosomatique à Baden-Ba-
den, où venaient se soigner pour leurs maux physiques, entre autres, des personnes en
181
Traité de médecine psychosomatique

analyse chez Freud. Sa théorie s’appuyait sur la deuxième topique : le ça (terme dont il est
l’inventeur) ne se limite pas toutefois au ça de la deuxième topique freudienne, il inclut
l’instinctuel et détermine tous les symptômes, les contre-forces répressives constituant
le déterminant principal des processus morbides. La lecture de Groddeck est facile et
passionnante, mais elle risque d’inciter les néophytes à l’interprétation sauvage.
Plus récemment, Valabrega, Deuch, Brisset, considèrent la lésion psychosomatique
comme une modalité particulière de conversion, aux confins de l’hystérie.

5-3. La matrice archaïque et la conversion prégénitale


Pour Mélanie Klein, le processus psychosomatique aurait son origine dans les premières
relations à l’orée de la vie, au stade pré-objectal. Elle compare les « frustrations précoces »
en cause dans le déterminisme de la pathologie à celles que l’on retrouverait chez les
schizophrènes. Elle avance un échec de l’élaboration de la « position dépressive primi-
tive » nécessaire à l’organisation des premières relations objectales.
Deutsch (1884-1964) a élaboré une théorie complexe de la somatisation selon un
point de vue plutôt conversionnel. Le processus de somatisation trouverait ses origines
dans les premiers mois de la vie, mettant en jeu et en correspondance la sensorimotricité,
la relation d’objet, les capacités de symbolisation et le développement physiologique
par l’intermédiaire de mécanismes de projection et de « rétrojection ». Il est le premier
à utiliser le terme psychosomatique sans trait d’union en 1922. On lui doit les termes
d’anamnèse associative, développée en 1927.
A. Garma, d’obédience kleinienne, considère la somatisation comme une conversion
prégénitale (La psychanalyse et les ulcères gastro-duodénaux). Toutefois, les interpréta-
tions de symptômes changent le cours de la maladie mais leur véracité spécifique n’est
pas prouvée. Il se peut que ce soit l’ensemble du traitement psychanalytique qui ait une
influence bénéfique sur l’ensemble de la personnalité.

5-4. L’école américaine
H. Dunbar a étudié les effets des émotions sur la physiologie (Emotions and Bodily
changes, 1935), repère des particularités dans le fonctionnement mental des patients
atteints de certaines affections chroniques (HTA, asthme, diabète, coronarite) et essaie de
dégager un profil de personnalité spécifique qui prédisposerait à telle affection somatique,
une corrélation entre caractère et maladie, un profil psychosomatique. Par exemple, les
coronariens seraient des ambitieux, autodisciplinés, misant sur l’avenir, ajournant la satis-
faction des besoins immédiats en fonction du but visé (Psychosomatic diagnosis, 1943 ;
Mind and body : Psychosomatic medicin, 1947). Dunbar utilise des questionnaires avec
échelles d’autoappréciation («  self-rating »), tests projectifs ou métriques. Elle repère
chez les malades chroniques une pauvreté des représentations mentales et l’absence de
témoins habituels de l’activité psychique : refoulement, retour du refoulé, etc.
Alexander (1891-1964) était élève et analysant de Freud, puis émigra aux États-Unis.
Dans les années 1940, il déclare que les maladies psychosomatiques sont des troubles de
l’adaptation. Il introduit trois notions :
• la notion de conflit spécifique, conflit nodal dynamique ou constellation psychody-
namique, qui se manifeste par une modification physiologique particulière tout comme

182
Les fixations psychosomatiques

un symptôme de conversion hystérique résout un conflit interne en se manifestant


au niveau de la musculature striée. Dans les maladies psychosomatiques, les émotions
chroniques se manifestent dans le système viscéral neurovégétatif de plusieurs manières
selon la tendance de base réprimée. Des attitudes chroniques de rivalité, d’agressivité, de
compétition, d’hostilité, traits obsessionnels, rigidité, stimulent le système adrénergique,
d’où HTA (The Logic of Emotions and Its Dynamic Background). Si la tendance à la dépen-
dance, à la passivité, à la recherche d’appui réprimé avec obligation de rester actif, prédo-
mine, il y aura ulcère. Si c’est l’insécurité profonde et le besoin d’amour, il y aura asthme.
Alexander définit ainsi des profils de personnalités électifs d’entités morbides ;
• la nécessité d’une situation de vie qui réactive le conflit ;
• un facteur « X » : vulnérabilité constitutionnelle du tissu, de l’organe ou d’un système
spécifique.
Toutefois, la constellation psychodynamique d’un asthmatique peut être présente
chez des personnes qui ne souffrent pas d’asthme. De même, l’hypersensibilité à l’hista-
mine et aux parasympathomimétiques peut se retrouver chez des non-asthmatiques. Ici
pourrait intervenir une notion de seuil. Alexander propose un traitement par psycho-
thérapie brève au niveau de la zone conflictuelle nodale (La médecine psychosomatique).
S. E. Jelliffe (1866-1945) se situe plutôt dans le courant conversionnel. La somatisation
exprimerait symboliquement une problématique, un désir, un conflit, par l’intermédiaire
d’une régression libidinale et d’un phénomène d’adaptation.
Alexander, French et Pollock (1968) ont essayé de poser un diagnostic à l’aveugle en
demandant qu’il ne soit fait aucune allusion à la maladie organique en cause. Ce diagnos-
tic était bon dans 40% des cas au bout d’un entretien, et dans 50% des cas au bout de trois
entretiens (selon les probabilités, le hasard ne laisserait que 14% des chances).
L’école de Chicago (Alexander, Dunbar, Pollock, Jelliffe) a fait des études sur l’asthme,
l’arthrite, la rectocolite ulcérohémorragique, l’hypertension, l’eczéma, la polyarthrite
rhumatoïde, l’ulcère gastrique et duodénal. C’est probablement du fait de ces études
que, pendant de nombreuses décennies, ces pathologies furent considérées comme des
«  maladies psychosomatiques ».

5-5. Pierre Marty
Pierre Marty (1918-1993) peut être considéré comme le père de la psychosomatique
moderne.
La mentalisation permet de lier des affects à des représentations mentales, de réguler
les tensions suscitées par les traumatismes. Sa qualité dépend du fonctionnement du
préconscient. Sa pauvreté ouvre la voie à la somatisation.
L’approche de certains patients atteints d’affections telles que migraines et céphalées,
polyarthrite, rectocolite, ulcère gastroduodénal, asthme, glaucome, permet de dégager
un certain type de personnalité. P. Marty (L’ordre psychosomatique) avance ainsi l’entité
de personnalités psychosomatiques. Plusieurs éléments la caractérisent :
1. Carence de mentalisation
• Pauvreté fantasmatique, pensée « opératoire » et raisonnable concernant le factuel
et l’actuel. Le sujet donne l’impression d’être coupé de son inconscient et hyperadapté à

183
Traité de médecine psychosomatique

l’entourage. Il n’y a pas de souplesse idéatoire, pas de goût pour le concept, mais plutôt
un goût pour l’action. La maladie survient lorsque cette dernière est impossible. Pierre
Marty et ses collaborateurs de l’École de Paris proposent « d’injecter des fantasmes à ces
sujets ».
• Inachèvement de la structuration de l’appareil psychique avec discontinuités des
défenses mentales.
• Agénésie de la pensée symbolique normale, mode d’opération défensif chronique
évoquant un trait de caractère (réversible dans certaines conditions thérapeutiques),
hyposymbolisation des affects et des conflits personnels.
2. Régression
• Régression à un niveau défensif primitif de type narcissique, fusion sujet-objet rendant
impossible toute vraie relation objectale et notamment la relation transférentielle qui
serait « blanche » dans laquelle autrui serait perçu comme un double de soi-même. C’est
la reduplication projective dans laquelle le sujet a une idée imprécise de lui-même : il dit
volontiers « on » plutôt que « je », il se sent « monsieur tout le monde ».
3. Auto-agressivité
• Forte tendance auto-agressive dans laquelle le catabolisme des énergies de pulsion
de mort serait impossible sauf par la voie lésionnelle du corps sous forme de désorgani-
sation progressive.
4. Dépression essentielle
• Dépression essentielle fréquente, caractérisée par une absence d’idée dépressive, une
conservation d’une vie sociale normale, un effacement des pulsions d’autoconservation
et des investissements narcissiques et objectaux.
Marty propose une extension à la théorie psychanalytique en introduisant, à côté de
la notion de pulsion, celle d’instinct englobant le biologique (Les mouvements individuels
de vie et de mort).
Il propose une nosographie basée sur l’économie psychosomatique et distingue les
apparentes inorganisations, les désorganisations progressives, les régressions globales et
les régressions partielles.
P. Marty a créé l’École de Paris, issue de l’Institut de psychanalyse, en 1963. La même
année, il a publié avec M. de M’Uzan et David, L’investigation psychosomatique.
L’École de Paris s’inscrit en faux face aux théories conversionnelles : les maladies
somatiques, en dehors des symptômes classiques de conversion, ne sont porteuses
d’aucun symbolisme. Elles apparaissent lorsque le fonctionnement psychique est défec-
tueux. C’est ainsi que le symptôme psychosomatique a pu être qualifié de « bête ». Il
paraît opportun de rappeler que Pierre Marty a repéré et défini la structure allergique
comme une entité nosographique à part entière, caractérisée par une dépendance et une
indistinction entre le sujet et l’objet. Si le symptôme est dénué de valeur symbolique, il
n’est jamais dénué de sens.

5-6. Autres théories
Les théories de Wolff (Life, stress and Bodily Diseases), W. J. Grace et D. T. Graham
(Relationship of Specific Attitudes and Emotions to Certains Bodily Diseases) rejoignent
celles du langage d’organe de Groddeck. Il n’y aurait pas de conflit spécifique mais une
184
Les fixations psychosomatiques

réponse fonctionnelle spécifique, un conditionnement. Les réactions devant une situa-


tion sont des réactions adaptées au type de situation, qu’elles soient psychiques ou corpo-
relles : réactions adaptatives protectrices, défensives ou offensives. Il y aurait des facteurs
non spécifiques situationnels qui déclencheraient un mode de réponse fonctionnel parti-
culier, propre à la personne : par exemple, si un individu est menacé, il peut avoir besoin
de manger et c’est la dynamique de l’estomac qui intervient. De même, le bronchospasme
et l’hypersécrétion de l’asthmatique seraient une tentative de rejeter un objet extérieur
(allergène ou situation menaçante). Par ailleurs, la succession d’événements douloureux,
quels qu’ils soient, fragilise l’individu de manière non spécifique et celui-ci y répondra
de manière préférentielle, selon une modalité particulière de réponse liée à un système
organique préconditionné et fragilisé.
La décharge orgasmique est centrale dans la théorie de W. Reich (1897-1957). L’accu-
mulation d’excitations psychobiologiques suivies d’une décharge incontrôlée que l’on
retrouve dans la sexualité, peut être aussi extrapolée à l’ensemble du fonctionnement
physiologique général. Tout comme l’énergie sexuelle, l’énergie végétative, les émotions,
peuvent être bloquées par la cuirasse caractérielle, les attitudes musculaires défensives,
les contraintes sociales.
Si la théorie de Reich, de type moniste, accorde une place excessive à la sexualité, les
techniques thérapeutiques de bioénergie (mise sous tension/décharge) qui en sont issues,
très pratiquées dans les années 70 puis tombées pratiquement dans l’oubli, présentent
un intérêt certain. Leur utilisation dans une approche psychosomatique plus générale
pourrait constituer un outil précieux dans certaines pathologies.
Lacan a peu parlé du corps, la psychosomatique se situant pour lui aux confins des
langages comme une borne entre la psychanalyse et la médecine. Le corps peut être un
lieu d’inscription et d’organisation du signifiant, et un espace de référence des rapports
conceptualisés dans les triades Réel-Symbolique-Imaginaire et Corps-Langage-Désir.
Lacan a dénoncé l’idée d’un corps autonome et souligné la place d’autrui et du langage
dans son fonctionnement. Il distinguera :
––le symptôme psychosomatique, de type conversionnel, formation de l’inconscient,
articulé au phallus et au manque ;
––le phénomène psychosomatique ou maladie psychosomatique qui se situe en dehors
du registre des structures névrotiques, trou dans le discours que le sujet ne peut tenir
sur la jouissance du corps, inaccessible à l’interprétation psychanalytique.
Il attribue la genèse du phénomène psychosomatique au mécanisme de l’holophrase
(mot se substituant à une phrase) qui perturbe la chaîne des signifiants. La somatisation
se produit lorsqu’un événement vient faire résonner cette holophrase. Le phénomène
psychosomatique serait donc un hiéroglyphe, un rébus qu’on ne peut interpréter si l’on
n’a pas une seconde langue pour lui donner du sens. Si la psychanalyse est opérante, ce
n’est pas par l’interprétation du sens du phénomène psychosomatique, mais par celle de
la jouissance qui lui est intimement liée.
Si la théorie de Jacques Lacan sur le phénomène psychosomatique n’est pas dénuée
d’intérêt, les applications pratiques qui en découlent n’ont guère fait preuve à ce jour de
leur efficacité thérapeutique.

185
Traité de médecine psychosomatique

Pour Guir, le phénomène psychosomatique est une réponse à une situation trauma-
tique (au sens psychique et langagier du terme) qui ferait intervenir des facteurs
génétiques jusqu’alors latents. Il repère une dynamique en trois temps. Un premier événe-
ment traumatisant à l’issue duquel le sujet a du mal à répondre dans le registre émotionnel
(premier temps). Quelques années plus tard, un événement signifiant, anodin, rappelle le
traumatisme. Il se produit alors la somatisation (troisième temps). Cette théorie renvoie
à la notion d’après-coup…
Pour Lucien Israël, l’existence d’une lésion anatomo-pathologique observable est
nécessaire pour poser le diagnostic de « maladie psychosomatique », ce qui la distingue,
d’une part, de l’hystérie, d’autre part, du fonctionnel. Le champ psychosomatique corres-
pond alors à la façon dont on explore si cette lésion a, ou non, un rapport avec l’existence
du sujet…
Les découvertes d’Henri Laborit sont considérables. Nous y faisons souvent référence.
Pour Laborit, les maladies psychosomatiques sont liées à l’inhibition de l’action.
L’alexithymie décrite par Sifneos et Nemiah, en 1970, se définit comme l’incapacité à
verbaliser les émotions de manière adéquate. Elle caractériserait la personnalité de notre
ère. Difficultés à faire correspondre des représentations mentales aux sentiments éprou-
vés faute de pouvoir les associer, incapacité à utiliser des mots (lexis) connotés affecti-
vement pour décrire une plainte, description impersonnelle des maux qui font souffrir,
description des symptômes en parlant dans le vide. L’alexithymique agit ses émotions et
évolue faute d’une élaboration adéquate, dans un monde imaginaire appauvri. Lorsqu’on
l’interroge sur des événements ayant une très forte charge émotionnelle, il répond soit
en décrivant ses symptômes physiques, soit de façon inadaptée (comme s’il n’avait pas
compris la question). Absence de fantasme, rêves rares, difficulté à trouver des mots
pour exprimer les sentiments. Mentalisation, intériorisation, symbolisation déficitaires.
L’alexithymie peut se retrouver aussi dans certains types d’addictions, de conduites
agies, de syndromes psychotraumatiques. La théorie de l’alexithymie, dont la descrip-
tion correspond un peu à celle de la pensée opératoire, a débouché sur l’hypothèse d’un
substrat neurophysiologique aux difficultés de symbolisation du vécu affectif. Il y aurait
une insuffisance de connections entre le système limbique générateur d’émotions et le
néocortex.
Inspiré de Balint, M. Sapir remet en question le rôle de la pensée opératoire dans la
genèse de la somatisation et la considère plutôt comme une conséquence de la maladie.
Sapir met l’accent sur le rôle de la relation médecin/malade dans la thérapie et sur la
nécessité de la formation psychologique du médecin.
Sami Ali récuse lui aussi la notion de carence de mentalisation à l’origine de la somati-
sation. Il avance d’autres hypothèses dont la plus connue s’étaye sur l’étude du rêve,
« phénomène fondamental articulant le psychique et le somatique » (Le rêve et l’affect,
une théorie du somatique).
Mazeran ne repère pas de pensée opératoire mais plutôt une hyperréactivité faite de
débordement émotionnel et d’hypercontrôle. Il introduit la notion de trace traumatique
inscrite à une période archaïque, à un moment où elle ne peut être symbolisée et intégrée

186
Les fixations psychosomatiques

à un système de représentations. La somatisation serait, en quelque sorte, le retour d’un


refoulé originaire, issu d’un temps pré-langagier où le perceptif domine la scène relation-
nelle. Il introduit la notion de fonction limite qui permet chez l’enfant la distinction
entre le dehors et le dedans, le moi et le non-moi, la présence et l’absence. La somati-
sation interviendrait en venant suppléer cette fonction dont la dynamique est instable.
Le fantasme majeur des somatisants serait construit sur le premier rythme perceptible
à l’être humain, c’est-à-dire l’apparaître-disparaître lié aux interventions nourricières. Le
psychisme s’investirait dans cette loi de manière forcément instable. Par la somatisa-
tion, le corps viendrait ainsi apporter des preuves d’existence et le sujet dans le monde
extérieur serait ainsi repéré. Par ailleurs, le corps du jeune enfant peut être l’otage du
fantasme et de la projection parentale et peut donc être voué de ce fait à être porteur
de significations contradictoires. Il deviendrait alors le réceptacle et le lieu de projection
d’un excès sémantique qui le déterminerait dans l’énigme de son identité.
Christophe Dejours apporte certains compléments à la théorie de Pierre Marty. Il
introduit la notion de subversion libidinale, mouvement antagoniste de la somatisation,
qui rend compte de la lutte menée par le sujet pour construire un monde psychique
grâce auquel il tente de s’affranchir du déterminisme biologique. La somatisation serait
un échec de la subversion. Elle concernerait les zones du corps qui n’ont pu faire l’objet
d’une érotisation, c’est-à-dire d’un passage du corps biologique au corps vécu, au corps
érotique. L’agir expressif intersubjectif, ou expressivité intersubjective, caractérise un
sujet : c’est la manière dont il coordonne ces différentes fonctions au profit d’une mise
en scène du sens qu’il veut communiquer à autrui (gestuelle, motricité ou bien tonicité
cardiovasculaire ou encore ventilation ou timbre de voix), ce qui donne une « personna-
lité somatique fonctionnelle ». Les fonctions engagées dans l’agir expressif, notamment
dans une situation traumatique, ne sont pas celles qui souffriront d’une somatisation car
elles sont subverties libidinalement. Par contre, les fonctions qui ont été mal intégrées
dans l’expressivité et l’univers symbolique (corps érotique, corps vécu) sont le siège de
somatisations.
La répression est bien sûr à la base de la somatisation, elle est le versant biologique
de l’inhibition. Elle se distingue du refoulement car elle porte sur l’affect, la source biolo-
gique de l’énergie psychique, alors que le refoulement concerne les représentations et les
pensées symbolisées. Elle agit aussi près du conscient. Elle tend à faire disparaître l’affect,
jusque dans son origine inconsciente.
Dans les névroses actuelles pour lesquelles on ne peut préjuger d’une organisation
sous-jacente ni mettre au jour les conflits intrapsychiques (le processus ne part ni du
désir, ni de la culpabilité, ni de l’érotisme psychique), la symptomatologie est le fait d’une
répression de l’excitation, notamment de la violence fondamentale. Par exemple, la
violence des parents sur le corps de l’enfant attaque le corps érotique et la pensée. La part
du corps ayant subi cette violence ne se construit pas en corps érotique et la pensée est,
elle aussi, attaquée. Ces zones non construites feraient plus tard l’objet de somatisation.
Le lieu du psychisme n’est pas seulement le cerveau mais tout le corps érotique.
Constatant l’existence de symptômes psychotiques et de somatisations chez un même
sujet, Dejours se démarque de Pierre Marty et assimile les productions psychotiques à des
somatisations cérébrales.

187
Traité de médecine psychosomatique

Il introduit par ailleurs la possibilité de « somatisations symbolisantes » à condition


que celles-ci puissent être analysées dans le transfert.
Au terme de cette section, on ne peut que constater la profusion et la divergence de
nombreuses théories, au sein desquelles se pose sans cesse la question de la pertinence
ou de l’inanité du modèle conversionnel. Nous allons essayer maintenant, à partir de
notre propre expérience clinique, d’y voir plus clair.

6. CONVERSION ET SOMATISATION
6-1. Le désordre économique
™™ Sarah, 29 ans a présenté, dans les suites d’une rupture sentimentale, une thrombose
de l’œil droit, ayant nécessité une hospitalisation et un traitement corticoïde prolongé.
Un an après, elle partage sa vie avec un jeune homme dont elle attend un enfant. Rechute.
Nouvelle thrombose. Sur prescription médicale, elle accepte d’interrompre sa grossesse.
Pour les médecins, l’avenir est clair : « Vos possibilités de devenir mère sont limitées. »
Dans la foulée, le compagnon partira et, du fait de ses troubles visuels, elle perdra son
emploi. De plus en plus isolée, Sarah engagera une psychothérapie… chez un psy qui « ne
dira pas un mot ».
Pour Sarah, la fonction visuelle est depuis toujours fortement investie, source de
plaisir. La vue est particulièrement érotisée. Elle était directrice de la photographie
dans le cinéma. Des expressions imagées, métaphoriques, dans lesquelles le « voir » est
omniprésent, caractérisent son discours : « J’ai du mal à vous regarder, je n’ose pas… »
« Quand je regarde des émissions médicales ou certaines scènes érotiques à la télévision,
je vois flou… » « Avant, je disais les choses avec les yeux… » « Maintenant, je revois les
hospitalisations avec tristesse alors que, lorsque j’étais hospitalisée, j’avais le sourire. » Le
phénomène qu’elle décrit peut témoigner d’une répression émotionnelle mais peut aussi
faire évoquer l’indifférence hystérique vis à vis du symptôme. Par ailleurs, il est évident
que Sarah avait depuis occulté, c’est-à-dire refoulé, le souvenir de cette période difficile,
mécanisme caractéristique de l’hystérie.
Les rêves témoignent d’une problématique dans laquelle sont particulièrement et
fortement intriquées pulsion scopique, complexe de castration et complexe œdipien.
Des éléments évoquant une confrontation excitante et angoissante à la scène primitive
apparaissent ça et là. « Un gros rat veut pénétrer à l’intérieur de la maison ; ma chatte se
bat avec lui et perd un œil… Ma mère est attaquée par King Kong et appelle au secours.
Avec mon frère, on part à la recherche de mon père mais on ne le voit pas… »
Sarah parle de son père comme d’un homme qu’elle idolâtrait, mais très dur, « qui
nous commandait du regard… Quant à ma mère, on communiquait par la parole, elle
était complexée par un strabisme et cachait ses yeux. » Ceci peut faire évoquer le déter-
minisme personnel et culturel de l’hystérie. Notons que le langage visuel évite la parole et
que le langage verbal évite de regarder.
Sarah se souvient d’un séjour chez un couple d’amis de ses parents lorsqu’elle avait 5
ans. Il semblerait qu’à cette époque elle ait perçu chez le couple d’accueil quelque chose
qui ressemble à la scène primitive. Entendu ? Vu ? Imaginé ? Toujours est-il qu’à partir
de ce moment, elle a eu des troubles du sommeil, faisant par ailleurs tout pour ne pas
188
Les fixations psychosomatiques

fermer les yeux dans son lit de peur que des monstres l’agressent. « Il ne fallait même pas
bouger les paupières… J’étais persuadée qu’en gardant les yeux ouverts, le monstre ne me
toucherait pas. » À cette même époque, elle a vu un exhibitionniste et s’en est sentie très
coupable.
Vers l’adolescence, Sarah présente des crises de spasmophilie et s’évanouit souvent,
notamment à la vue d’une piqûre, ou d’une plaie. Pendant ces évanouissements, elle rêve
qu’elle est dans un avion qui décolle.
On peut comprendre que la position du psy ait été strictement analytique car tout,
dans cette observation, évoque la problématique hystérique. Tout, sauf une chose : une
lésion vasculaire réelle, profonde, objectivée, persistante, invalidante, ayant entraîné
un handicap majeur, réfractaire à la suggestion, n’ayant aucune des caractéristiques
médicales classiques du phénomène de conversion. Le psy a peut-être fait son travail de
psychanalyste mais a occulté (lui aussi) toute la dimension économique, l’aspect répres-
sif, l’importance de l’auto-agressivité, la nécessité d’aider cette jeune femme à retrouver
des repères existentiels dans un monde qui s’assombrissait de plus en plus. Quant aux
médecins, ils ont fait eux aussi leur travail, mais n’auraient peut-être pas dû l’outrepasser
par des paroles prédictives en condamnant cette jeune femme, prise dans un complexe
de castration évident, à ne jamais avoir d’enfant.
Les déterminants de cette pathologie sont de deux types :
• certains d’entre eux sont communs avec ceux de l’hystérie de conversion : atteinte
d’une fonction érotisée, rôle des représentations traumatiques, problématique
inconsciente similaire à celle que l’on rencontre le plus souvent dans l’hystérie de conver-
sion (castration, œdipe, rôle de la pulsion scopique) ;
• les autres ne se retrouvent pas dans la conversion hystérique : atteinte organique
lésionnelle, sensibilité à certaines thérapeutiques médicamenteuses, et, enfin et
surtout, existence d’un désordre économique : dépression, répression, auto-agressivité,
démentalisation précédant l’apparition des troubles.
À ce stade de notre parcours, il convient d’avancer certains principes.
1. La conversion ne s’accompagne jamais d’un désordre économique
Il en constitue même un agent régulateur. D’un point de vue économique, le symptôme
de conversion paraît « solutionner le problème », aboutissant à une homéostasie au
niveau de l’excitation (probablement responsable de la classique belle indifférence à
l’égard du symptôme), contrairement à ce qui se passe dans la plupart des somatisa-
tions non conversionnelles. L’intention initiale se réalise, le but est fantasmatiquement
et/ou réellement atteint. La patiente n’y voit plus, ne peut plus marcher, et l’entourage,
le médecin, sont sidérés dans une impuissance totale. Aucun cortège somatique anxieux,
aucune manifestation à type de dépression essentielle ne précède ou n’accompagne la
pathologie. Nous sommes loin de l’hypertendu, du patient présentant une rectocolite ou
une maladie auto-immune.
Freud évoque déjà le phénomène lorsqu’il différencie l’hystérie de conversion et les
troubles névrotiques s’accompagnant d’angoisse : « Il y a une pure hystérie de conversion
sans aucune angoisse, tout comme il y a une hystérie d’angoisse simple qui se manifeste

189
Traité de médecine psychosomatique

par des sensations d’angoisse et des phobies sans que s’y ajoute de la conversion. » (Le petit
Hans.) Le terme hystérie d’angoisse correspond ici à la phobie et à son cortège anxieux.
Dans l’hystérie de conversion, tout se joue entre l’intrapsychique et le support neuro-
logique. D’un point de vue psychosomatique, la scène n’affecte que la voie psychique de
la fonction psychosomatique. Le refoulement et la transformation de l’affect en innerva-
tion somatique constituent les mécanismes nécessaires et suffisants.
On peut supposer que cette dimension de régulation économique du symptôme
de conversion est liée à la proximité fonctionnelle qui existe entre le fonctionnement
psychique et le fonctionnement du système nerveux de la vie de relation. Psychisme et
système nerveux se développent conjointement par interactions mutuelles réciproques
et par interaction avec l’environnement. Par ailleurs, ce ne sont pas, d’un point de vue
embryologique et ontogénétique, des fonctions primitives. Ainsi, on peut comprendre
que l’hystérie de conversion soit toujours considérée comme maladie mentale. Il convien-
drait plutôt de la considérer comme une maladie neurologique.
On peut supposer sans trop de risque que les mécanismes physiopathologiques de la
conversion sont relativement simples, très vraisemblablement à type d’inhibitions ou de
stimulations de circuits neuronaux. Il ne semble pas exister d’autres mécanismes surajou-
tés, tels qu’on les rencontre dans les somatisations non conversionnelles (inflammation,
dysrégulation hormonale, désordres cellulaires, désordres humoraux). Tout semble se
jouer au sein d’un système intrapsychoneurologique. On peut ainsi comprendre que la
fonction psychosomatique soit épargnée dans son ensemble, la conversion permettant,
lorsqu’elle se produit, une économie totale des désordres de l’excitation. On pourrait
même supposer que l’investissement de la totalité de l’appareil psychique par l’excitation
soit la condition de base à l’apparition du symptôme conversionnel, phénomène inverse
de celui que l’on rencontre dans les somatisations où l’excitation, du fait des déliaisons,
n’investit pas suffisamment le psychisme.
2. La somatisation s’accompagne toujours d’un désordre économique
Le désordre résulte, comme nous l’avons vu, d’une démentalisation initiale (variable
et relative selon les pathologies), de processus de répression ou de dépression essentielle.
Le refoulement est insuffisant à lui tout seul pour générer la pathologie. La scène princi-
pale ne se joue pas dans l’intrapsychique, même si celui-ci constitue un point de départ
potentiellement traumatique.
3. L’intrapsychique est le théâtre de la conversion, la fonction psychosomatique celui de
la somatisation (Voir schémas page suivante.)

6-2. Les représentations inconscientes


Les représentations inconscientes de Sarah sont en relation avec la pulsion scopique, la
castration et l’œdipe. Elles déterminent la cible somatique. On les retrouve dans :
––ses paroles : « J’ai du mal à vous regarder, je n’ose pas… » « Quand je regarde des
émissions médicales ou certaines scènes érotiques à la télévision, je vois flou… »
« Avant, je disais les choses avec les yeux… » « Maintenant, je revois les hospitalisations
avec tristesse alors que, lorsque j’étais hospitalisée, j’avais le sourire. »
––ses rêves : « Un gros rat veut pénétrer à l’intérieur de la maison ; ma chatte se bat avec
lui et perd un œil… Ma mère est attaquée par King Kong et appelle au secours. Avec
mon frère, on part à la recherche de mon père mais on ne le voit pas… »
190
Les fixations psychosomatiques

Langage

Absence d’élaboration psychique

Représentation

Affect

Déplacement de l’excitation
Comportement
dans l’intrapsychique

Absence d’ab-réaction

Émotion

Conversion – Temps 1

Refoulement Représentation

Inconscient
Affect

SYSTÈME
e NERVEUX

Conversion – Temps 2

Représentation

Affect

Répression

Déplacement de l’excitation e Comportement


dans le corps

Soma

Somatisation

191
Traité de médecine psychosomatique

––son histoire : le père craint et idolâtré qui « commandait du regard », le strabisme de


la mère, l’insomnie avec les yeux grand ouverts, l’exhibitionniste, les pertes de connais-
sance à l’adolescence à la vue d’une représentation de la castration, au cours desquelles
elle s’envolait.
Ce sont les mêmes représentations que celles de l’hystérie de conversion. Elles auraient
pu induire des symptômes conversionnels (pertes de connaissance, aura migraineuse,
cécité transitoire) si le désordre économique n’en avait pas décidé autrement.

6-3. Les fixations
La pathologie conversionnelle nécessite l’existence de néofixations :
––essentiellement, fixations psychiques (orale, angoisse de castration, œdipe, etc.) ;
––accessoirement, fixations psychosomatiques limitées aux fonctions neurologiques ;
––c’est seulement dans l’hystérie dite « traumatique » que la présence de fixation n’est
pas nécessaire.
La pathologie somatique non conversionnelle nécessite l’existence :
––soit de paléofixations,
––soit d’archéofixations,
––soit de fixations psychosomatiques.

6-4. Le sens et le symbolisme


Sens : du latin sensus. Larousse : « raison d’être, signification, “donner un sens à son
action”… acception, signification, “le sens d’un geste, d’une parole, d’un texte” ».
Le sens inclut le symbolisme, mais ne se limite pas à lui. Ce n’est pas parce qu’une chose
est dénuée de symbole qu’elle est dénuée de sens. La répression a un sens, les émotions
de base ont un sens, le fait de ne pas renoncer à un fonctionnement pathogène quitte à
se détruire a un sens, la spécificité de la cible somatique a un sens, etc. Il nous paraît plus
logique qu’un sujet ayant des antécédents familiaux d’allergie, ayant vécu une relation
marquée par l’ambivalence maternelle dans les premiers mois de sa vie et confronté à une
séparation à l’âge adulte, fasse plutôt un asthme qu’une hypertension artérielle.

6-5. Les autres caractéristiques


Agressivité et sexualité
Les systèmes instinctivo-pulsionnels concernés par la conversion et la somatisation
diffèrent. Les instincts et pulsions agressifs jouent un rôle prépondérant dans la somati-
sation. Inversement, ce sont les pulsions sexuelles qui, le plus souvent, déterminent la
conversion. Différence toute relative et uniquement quantitative car, d’une part, certaines
somatisations ont un codéterminisme sexuel et, d’autre part, l’hystérie dite « trauma-
tique » n’est pas concernée par la sexualité.
Suggestion et imitation
Le symptôme conversionnel est sensible à la suggestion et à l’imitation. Toutefois, deux
remarques s’imposent :
––tout d’abord, certaines circonstances peuvent favoriser l’émergence de somatisa-
tions fonctionnelles au niveau d’un organe ou d’une fonction spécifique par effet de
mimétisme identificatoire. Il n’est pas rare de voir se développer une colopathie chez
des sujets ayant soigné un parent proche atteint d’un cancer colique ;
192
Les fixations psychosomatiques

––par ailleurs, l’hypnose peut avoir un effet sur certaines somatisations et peut aussi
induire des manifestations somatiques, y compris lésionnelles.

Nature de l’altération physiologique


Il existe à ce niveau-là deux différences fondamentales :
––d’une part, la conversion affecte le système nerveux de la vie de relation, la somatisa-
tion affecte tous les systèmes ;
––d’autre part, dans les somatisations, on ne retrouve jamais le caractère non systéma-
tisé des symptômes.
La différence est moins franche au niveau de l’objectivation du désordre physiolo-
gique : si le désordre physiologique de la conversion n’est pas objectivable par les investi-
gations habituelles, il en est de même dans certaines somatisations fonctionnelles.

Nature de la conflictualité intrapsychique


La conflictualité intrapsychique qui, comme nous venons de le voir, est le seul détermi-
nant de la conversion, se situe entre le ça et surmoi.
Dans la plupart des somatisations, le conflit intrapsychique qui ne constitue qu’un seul
déterminant, est variable. Il est le plus souvent déterminé par les idéaux du moi.

Le déterminisme culturel
Dans la conversion, le « surmoi social », la lutte contre tout ce qui peut constituer une
manifestation de l’érogénéité constitue le facteur favorisant.
Dans la somatisation, les déterminants culturels sont différents : valorisation des idéaux
du moi au détriment du surmoi, de l’action au détriment de la pensée, de la consomma-
tion et de la compétitivité au détriment de l’imagination, des sensations au détriment
des sentiments.
Ainsi, au vu de tous les éléments que nous venons de présenter, nous pouvons propo-
ser ci-dessous un tableau synoptique illustrant les principales différences entre conver-
sion et somatisation.
CONVERSION SOMATISATION

Désordre économique Absent Central


Représentations inconscientes Centrales Inconstantes
Fixations Psychiques Psychosomatiques
Sens Présent Présent
Symbolisme Présent Absent
Préséance pulsionnelle Sexualité Agressivité
Effet de la suggestion Présent Absent
Désordre physiologique Inhibition nerveuse Très divers
Instances psychiques Surmoi Idéaux du moi
Déterminants culturels Surmoi social Idéaux sociaux

Éléments de diagnostic différentiel entre conversion et somatisation

193
Traité de médecine psychosomatique

7. RÉGRESSIONS ET DÉSORGANISATIONS
On doit les notions de régression et de désorganisation somatiques à Pierre Marty.
Face aux désordres de l’excitation, trois issues peuvent se présenter :
––soit une tolérance et une réactivité adaptée garantissant l’homéostasie,
––soit une désorganisation stoppée par une maladie chronique régressive,
––soit une désorganisation progressive.

7-1. Régressions
Une régression est une réorganisation autour d’un stade évolutif antérieur. Repre-
nons la métaphore de l’ornière creusée par la voiture. Celle-ci grimpe péniblement les
lacets d’une côte enneigée, puis patine, s’arrête et ne peut plus sortir de l’ornière qu’elle
a creusée par de vains démarrages. Cette ornière qui représente la fixation constitue un
obstacle dans son avancée. Mais elle constitue aussi un butoir, un garde-fou contre la
dégringolade dans le ravin, c’est-à-dire contre la désorganisation.
Par ailleurs, cet accident de parcours ayant immobilisé le véhicule pourra peut-être
permettre à son propriétaire de prendre les dispositions adéquates pour reprendre la
route dans de meilleures conditions. L’ornière est investie d’énergie vitale.
La notion de fixation est indissociablement liée à celle de régression. P. Marty considère
même que la régression est première. « Les ratés successifs de l’organisation nouvelle, les
retours régressifs réitérés, l’insistance de la pression des Instincts de Vie, les sommations
renouvelées de ceux-ci, apportent aux fonctions mises en cause au niveau régressif et
répétitivement excitées, une valeur vitale essentielle et singulière qui se fixe progressive-
ment. Nous comprenons ainsi le phénomène de fixation dans sa liaison avec une régres-
sion qui en constitue le cœur. » (Psychosomatique de l’adulte.) P. Marty apporte ainsi un
nouvel éclairage à la notion de régression que le modèle psychanalytique ne considérait
jusqu’alors que dans son aspect déficitaire et secondaire à une fixation première.
Ainsi, les fixations et les régressions constituent autant de barrières défensives contre
la désorganisation. De fait, les régressions psychosomatiques génèrent des pathologies
moins graves que les désorganisations.
Pour P. Marty, les maladies régressives sont limitées dans leur champ fonctionnel,
ne se compliquent pas spontanément, sont en général et spontanément réversibles et
souvent répétitives chez un sujet donné dans leur présentation clinique ou leur évolu-
tion. P. Marty cite parmi elles : rachialgies, colopathies, céphalalgies, migraines, allergies,
hypertension artérielle essentielle, ulcères, crises comitiales. Il précise toutefois qu’elles
peuvent apparaître dans un mouvement de désorganisation plus vaste si les fixations
sont peu investies.

7-2. Désorganisations
Elles se produisent toujours en sens inverse de celui du développement. Le mouve-
ment contre-évolutif qui les caractérise est sans fin, du fait d’une absence de pallier de
fixation et d’une insuffisance des systèmes de régression psychique ou somatique. Le
processus peut être long ou bien rapide sans maladie intercurrente. Seule une régression
organisée autour d’une fixation majeure peut stopper le cours d’une désorganisation.
P. Marty cite parmi les désorganisations progressives : le diabète, les maladies auto-im-

194
Les fixations psychosomatiques

munes, la sclérose en plaques, le SIDA, les cancers (dans ce dernier cas, il insiste toutefois
sur la présence de données qui échappent à la hiérarchisation psychosomatique).
™™ Il y a 7 ans, Christine a connu les affres de la tromperie conjugale. Une dépres-
sion s’en est suivie, vite résolutive mais suffisamment douloureuse pour que, cette fois-ci,
confrontée à une nouvelle tromperie, elle décide de ne pas se laisser aller à la souffrance
psychique. Elle réprime donc tout sentiment de tristesse et de désespoir, toute haine,
toute rancœur, mais s’acharne à maîtriser le coupable. Elle va même l’aider à s’épanouir
dans sa nouvelle relation. La dépression est donc évitée, mais une polyarthrite chronique
rhumatoïde s’installe rapidement et de manière fulgurante. Toute l’agressivité réprimée
se condense dans les articulations. En quelques jours, Christine se transforme, selon ses
termes, « en petite vieille ». La polyarthrite « s’agrippe comme un lierre sur la façade
d’une maison ». Constantes biologiques perturbées. Corticothérapie.
Deux éléments plus ou moins intriqués seront repérés. Tout d’abord, une forte angoisse
de séparation. Née d’une mère célibataire et bafouée, Christine n’a pas connu son père. Sa
mère, abandonnique et dépressive, s’agrippait aussi à elle. Christine a introjecté l’angoisse
de séparation maternelle, et l’image floue de l’homme qui part et laisse l’autre, père
fantôme désiré et haï à la fois. Lorsque la mère était angoissée, Christine était « pétrifiée »
(on peut repérer ici une probable fixation psychosomatique motrice). À chaque étape de
sa vie qui réactivera l’angoisse d’abandon (pension, séparations, etc.), celle-ci se teintera
d’angoisse de destruction.
Les formations défensives qui s’étaient mises en place contre cette angoisse de sépara-
tion consistaient en un désir d’emprise et de maîtrise de l’objet. En contrôlant réelle-
ment ou fantasmatiquement l’objet, elle le gardait un peu ou avait l’illusion de le faire.
La répression de l’agressivité lui permettait par ailleurs de ne pas le faire fuir. Ce désir de
maîtrise avait pris naissance dans la relation précoce à sa mère (emprise réciproque), mais
aussi dans un mécanisme de défense contre l’angoisse de castration consistant à se rendre
fantasmatiquement maître du phallus. Un fantasme en témoigne : être attachée, soudée
à l’homme, au moyen de cordes autour d’un poteau, et ne faire qu’un seul corps.
Au bout de quelques semaines, les douleurs et l’inflammation s’atténuent. Christine
s’autonomise et découvre qu’elle existe en l’absence de son conjoint. Au bout de quelques
mois, je pense qu’elle est guérie. Pas de symptôme, reprise d’un poids normal, bien-être
général, examens biologiques normaux, traitement réduit au minimum. Les défenses
mentales et somatiques sont en place. Je suis satisfait, à telle enseigne que je programme
intérieurement un arrêt imminent de la psychothérapie. J’ignorais que la fine mouche,
par ses abandonniques antennes, était en train de percevoir ma velléité de séparation. Ce
moment correspondit avec le début de l’été et de mes vacances.
Un mois plus tard, je vis surgir un cadavre dans mon cabinet. Elle sortait de l’hôpital.
Phlébite, embolie pulmonaire, lupus. « On ne guérit pas d’un lupus, Madame, vous devez
pendre un traitement anticoagulant à vie… » Le verdict médical était sans appel.
Cette fois-ci, je me trouvais devant une désorganisation progressive. La psychothé-
rapie reprit ainsi que l’amélioration, lente, progressive mais continue. Au bout d’un an,
Christine allait bien, les examens biologiques s’étaient normalisés. Les médecins de l’hôpi-
tal étaient perplexes. Ce n’est pas classique dans l’évolution d’un lupus. Échaudé par la
première expérience, je programmai un arrêt très progressif de la psychothérapie. J’ai

195
Traité de médecine psychosomatique

recontacté la patiente dix ans après la fin de celle-ci, alors que je préparais un séminaire
sur les maladies auto-immunes. Elle vint au cabinet me faire part de son état : elle allait
très bien, ne présentait plus aucun signe clinique, les stigmates biologiques du lupus
avaient totalement disparu sur les examens successifs qu’elle me présenta, elle ne prenait
plus aucun traitement depuis ces dix dernières années.
La polyarthrite était le fait d’une régression, le lupus, d’une désorganisation. La levée
trop précoce de la défense somatique que représentait la régression était responsable de
cette dernière.

8. UNE CLASSIFICATION DES PROCESSUS DE SOMATISATION


À ce stade de notre parcours, il est possible de proposer une classification des proces-
sus de somatisation. Elle constitue, à mon sens, une issue possible, une manière de faire
la paix entre deux positions idéologiques extrêmes qui n’ont pas lieu d’être : le modèle
conversionnel extensif et l’idée d’un phénomène psychosomatique qui serait dénué de
sens.

TYPE SOUS-TYPE FIXATIONS DÉSORDRE REPRÉSENTATIONS


ÉCONOMIQUE INCONSCIENTES
Type Genèse
À partir de
Conversion Psychique Absent ++++
4 ans
Régression À partir de
Psychosomatique +++ +++
psychosomatique 8 mois
Régression Altérations
RÉGRESSIONS Somatique
somatique acquises
Régression Patrimoine
Génétique ++++ Absentes
génétique familial
Régression
Phylogénétique Espèce
phylogénétique
DÉSORGANISATIONS Fixations absentes ou inconsistantes

Classification des processus de somatisation

196
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

La maladie est constituée. Elle évolue souvent depuis plusieurs années. Elle a changé
la vie du sujet, son corps, son psychisme, son système défensif, son comportement. Nous
aborderons cette dimension cruciale de la médecine dans la quatrième partie de ce livre.
Mais déjà, nous pouvons considérer, à la lumière de ce qui a été dit, combien la médecine
se prive d’un champ d’investigation particulièrement riche et opérant.
Si le repérage et le traitement du désordre économique ne pose pas trop de problème
pour un praticien formé à la psychosomatique, le repérage du déterminisme des cibles
somatiques est beaucoup plus complexe. Sa mise au jour implique une investigation
extrêmement approfondie qui ne peut se faire, contrairement à l’anamnèse associative,
en un seul entretien. Elle implique aussi l’acquisition d’un savoir concernant des éléments
cruciaux de médecine, de psychanalyse, de biologie, de physiologie comparée, etc. Ici
commence le travail du psychosomaticien.
Si, dans certains cas, le déterminisme de la cible somatique est aisément compréhen-
sible, dans d’autres cas les mécanismes qui la révèlent demeurent mystérieux. Depuis plus
de trente ans, nous essayons de découvrir ces terres inconnues, qui se refusent souvent
à donner leurs secrets. Dans un nombre conséquent de pathologies, nos recherches ont
permis d’apporter des réponses dont la clinique confirme la validité. Reste tout un champ
à découvrir, constitué de simples hypothèses ou de pistes de recherche que les données
actuelles ne permettent pas de confirmer. Face à l’étendue et la complexité de ce champ,
aux difficultés qu’il soulève, nous sommes stupéfaits et admiratifs mais aussi dubitatifs,
circonspects et – il faut le dire – inquiets, de constater à quel point certains praticiens,
médecins ou non, arrivent en l’espace d’une seule consultation à décrypter le pourquoi
et le comment de la cible somatique. Nous pensons plus particulièrement au « décodage
biologique » qui fait fureur dans les cabinets de certains praticiens. Décryptage révolu-
tionnaire ou simple « déconnage biologique», héritier direct du « déconnage psycholo-
gique » que constitue l’interprétation sauvage qui, elle, sévit depuis plusieurs décennies.
Certains décodent et d’autres encodent. L’encodage n’est pas, contrairement au
premier, l’apanage de la psychothérapie ou de la médecine sauvages. Bien au contraire, il
constitue le support nosographique de la médecine et de la psychiatrie officielle, celui des
classifications internationales qui ont vu le jour il y a quelques décennies.
À titre d’illustration, faisons référence à la Classification internationale des maladies
(CIM) qui a introduit une entité pour le moins curieuse, regroupant tout ce qui n’est pas
quantifiable dans la nosographie et qui inclut des troubles somatiques flirtant avec le
psychisme, et dont le titre même est un non-sens : les « Troubles somatoformes ».
Leur définition est la suivante : « Symptômes physiques associés à une quête médicale
insistante, persistant en dépit de bilans négatifs répétés et de déclarations faites par les
médecins selon lesquelles les symptômes n’ont aucune base organique. D’autre part, s’il
197
Traité de médecine psychosomatique

existe un trouble physique authentique, ce dernier ne permet pas de rendre compte ni


de la nature ou de la gravité des symptômes, ni de la détresse ou des préoccupations du
sujet. » (DSM) Autres définitions couramment utilisées : « Plaintes somatiques médicale-
ment inexpliquées », « Symptômes biomédicalement inexpliqués ».
L’ensemble de ces définitions soulève d’emblée trois remarques :
––la plainte ou les troubles fonctionnels ne trouvent pas d’explication physio-
pathologique plausible et ne correspondent à aucune entité clinique clairement
définie par l’enseignement de la médecine ;
––ce sont les médecins eux-mêmes qui, au vu des résultats négatifs des investigations
cliniques et paracliniques, déclarent qu’il n’y a aucune base organique ;
––les réponses apportées au patient ne le satisfont pas et les réactions de ce dernier
apparaissent disproportionnées par rapport aux éléments cliniques.
Le DSM, bible de la nouvelle psychiatrie, regroupe dans la section « Troubles somato-
formes », des entités extrêmement disparates tant d’un point de vue nosographique que
clinique et étiopathogénique, avec une indistinction totale entre ces trois niveaux. Il s’agit
d’un fourre-tout surréaliste qui inclut en les confondant :
––les pathologies fonctionnelles de la répression (qui n’est pas nommée parce que
ignorée),
––les pathologies fonctionnelles de la lutte anxieuse,
––les pathologies fonctionnelles de la défaite dépressive,
––l’hypocondrie,
––la conversion,
––les réactions somatopsychiques.
Les troubles « somatoformes » correspondent donc à l’ensemble des manifestations
cliniques pour lesquelles l’examen médical et le bilan paramédical sont négatifs, malgré la
persistance des signes fonctionnels ou des plaintes. Il s’agit donc d’une déchèterie, d’une
immense décharge publique s’étendant à perte de vue, dans laquelle on peut faire l’inven-
taire de toutes sortes de choses supposées être contaminées par la pollution psychique.
Ça pue et ça fume, et la majorité des praticiens est particulièrement incommodée par
l’odeur.
Le médecin, déjà désemparé devant le caractère atypique de la clinique, n’a aucune
chance de s’y retrouver d’autant que :
––cette brocante clinique, en outre, fait l’objet d’un étiquetage en critères de durée,
d’inclusion et d’exclusion, qui ne reposent sur aucune réalité clinique ;
––le désintérêt total pour la causalité et la négation de l’histoire du sujet, que reven-
dique le DSM, dissuadent définitivement le praticien de donner suite à son question-
nement légitime.
Nous avons démontré que :
1) il existe dans toute affection, y compris celles pour lesquelles le bilan paraclinique
est négatif, un désordre physiopathologique ;
2) les réactions du sujet sont en relation avec son histoire. Méconnaître l’histoire et le
fonctionnement psychique du sujet conduit à une impasse ;
3) les entités confondues dans le dépotoir « Troubles somatoformes » doivent être
différenciées tant d’un point de vue clinique que psychopathologique.

198
Conclusion de la première partie

Ne pas tenir compte de ces éléments accentue les troubles, la plainte, la consommation
et le nomadisme médical. Les causes de ces dérives, retenues par la CPAM de la Vienne
en 1998, ont été : l’absence de coordination des soins et l’insuffisance de formation des
médecins à l’écoute et à l’aide psychologique des patients. Hélas, la grande majorité des
formations à l’écoute et à l’aide psychologique des patients est devenue inepte, se limitant
à l’apprentissage de techniques triviales de communication, et n’a pas d’autre effet que
de donner l’illusion aux praticiens concernés de détenir un savoir et une technique appli-
cables en tout lieu et chez tout patient, en ignorant tout du sujet et de son histoire, et à
terme de clôturer sans autre forme de procès toute remise en cause, toute interrogation,
toute curiosité, toute recherche.
Citons A. Moreau, P. Girier, S. Figon, M.-F. Le Goaziou : « Les médecins considèrent que
les données à connaître concernant ces patients afin de comprendre et traiter les troubles
somatoformes sont : l’histoire du patient (88%), le contexte de vie (84%), la personna-
lité du patient (64%), l’évolution dans le temps (61%), les données biomédicales (56%),
les émotions et le vécu (49%), les représentations et les croyances (36%). » (Symptômes
biomédicalement inexpliqués.) Nous partageons le point de vue de ces auteurs.
D’un point de vue pratique, les conditions optimales permettant de remédier aux
difficultés soulevées nous paraissent être les suivantes :
––coordination des soins orchestrée par le seul médecin généraliste,
––examen clinique traditionnel méticuleux,
––formation minimale à la psychosomatique. Elle permet de mieux comprendre et de
mieux traiter les troubles dits « somatoformes » mais aussi les maladies organiques
clairement authentifiées. Elle établit une relation apaisée et opérante entre sujet
malade et sujet soignant, et leur restitue leur identité respective. En l’absence de
formation de ce type, le recours à des supervisions de situations cliniques constitue la
moins mauvaise solution.

199
Deuxième partie

LES TRAUMATISMES
Chapitre 9

NATURE DES TRAUMATISMES

1. INTRODUCTION
Les traumatismes jalonnent l’existence des sujets : simples difficultés, désordres existen-
tiels passagers, déboires plus conséquents, situations de souffrance récurrentes, boulever-
sements majeurs, si ce n’est traumatismes cataclysmiques. Aucun sujet n’est à l’abri, fût-il
le mieux équipé du monde d’un point de vue défensif. La vie est ainsi faite, et il semblerait
que l’idéologie de la maîtrise en toute chose, en tout lieu et par tout temps, de la techni-
cité prometteuse, de la prévention, du risque zéro, n’ait pas baissé d’un iota les avatars
existentiels. Ils ne sont plus les mêmes, ils se sont déplacés, ils ont changé d’apparence et
de nature, mais sont toujours au rendez-vous. Chaque système idéologique a rêvé d’un
monde meilleur et outrepassé le rêve en mettant tout en œuvre pour l’instituer réalité.
Dans la première partie de ce livre, nous avons insisté sur le rôle central que jouent
les traumatismes existentiels dans la genèse des maladies. Condition nécessaire et
non suffisante, le traumatisme met le feu aux poudres et révèle la fragilité du système
défensif. Nous avons évoqué la nature des vécus traumatiques, éminemment différents
d’un sujet à l’autre, selon leur organisation psychique et leurs antécédents. Nous avons
traité de la réactivité traumatique qui affecte un ou plusieurs vecteurs de la fonction
psychosomatique et qui se manifeste, selon les cas, par la poursuite du combat, l’immo-
bilisation défensive ou la défaite. À ce stade de notre parcours, entrer dans le vif du sujet
s’impose. C’est donc un approfondissement concernant la nature et le sens de certains
facteurs traumatiques que nous allons engager.
Le schéma des sept secteurs existentiels nous invite à mieux les connaître, car chacun
d’eux peut être l’objet d’attaque traumatique. Les secteurs préservés constituent d’autant
plus des facteurs de résilience et d’étayage. Cette exploration des secteurs existentiels nous
a amené depuis quinze ans à intégrer dans notre enseignement des séminaires consacrés
à certains d’entre eux. Nous avons ainsi traité des syndromes psychotraumatiques, des
passions amoureuses, de la vie sexuelle, de la sublimation, de la maternité, de la famille,
de la vie professionnelle. Cette deuxième partie rassemble les textes support de l’ensei-
gnement au cours de ces séminaires, à l’exception de la vie sexuelle. Pourquoi cette exclu-
sion ? Pour trois raisons de nature différente. La première est que la connaissance de la
vie sexuelle, aussi bien dans sa dimension réelle que fantasmatique, est d’une impor-
tance capitale dans la connaissance du sujet, et que nous lui avons ainsi consacré un
temps de recherche, d’enseignement et de soin conséquent au sein de notre pratique, qui
impliquait la rédaction d’un ouvrage entier à venir. Raison donc purement opératoire.
La deuxième est que les avatars de la vie sexuelle dans sa dimension réelle, hormis bien
sûr les traumatismes majeurs que nous évoquerons plus loin, constituent rarement des
sources de somatisation : ce qui génère la pathologie, c’est la vie sexuelle fantasmatique
et nous n’hésiterons pas à y faire référence au travers des cas cliniques que nous présen-
203
Traité de médecine psychosomatique

terons. Troisième raison : les avatars de la vie sexuelle fantasmatique génèrent plus des
troubles névrotiques que des somatisations.
Syndromes psychotraumatiques, passions amoureuses, sexualité, maternité, famille,
vie professionnelle, sublimations, nous n’avons pas fait le tour de notre schéma en forme
de pâquerette des secteurs existentiels potentiellement objets de traumatismes. Que
reste-t-il ? La vie sociale et les liens amicaux, la sublimation et la spiritualité, la santé, le
contexte matériel.
Lorsque des traumatismes dilacèrent les liens amicaux, les désordres pathologiques ne
surgissent que si d’autres secteurs sont affectés. Les avatars de la vie sociale et les priva-
tions d’activités hédoniques seront évoqués lorsque nous ferons référence aux vécus de
castration. La vie spirituelle, quant à elle, constitue un secteur plus trophique que trauma-
tique, elle sera évoquée dans la quatrième partie lorsque nous traiterons des événements
trophiques (p. 743). Les traumatismes médicaux et les réactions à la maladie seront
traités dans la quatrième partie du livre, au chapitre « Réactions à la maladie » (p. 655).
Quant au contexte de la vie matérielle, c’est une évidence pour tous, il constitue un
facteur de fragilisation traumatique et mérite que nous l’évoquions brièvement dans
cette introduction.
La vie matérielle est ce à quoi on ne peut échapper. Il faut certes travailler pour gagner
sa vie, encore que l’évolution sociétale de ces dernières décennies ne pose plus ceci comme
condition nécessaire. Il faut avoir un logis suffisamment accueillant pour se retrouver,
s’abriter, un minimum de temps pour se détendre ou s’évader, ou tout simplement ne pas
être dépendant ou exclu, un minimum de tranquillité pour récupérer. Au-delà règnent
envie, prédation, toute puissance et, à terme, insatisfaction. Minimum requis donc qui,
en son absence, fragilise le sujet, le met sous tension et constitue, lorsqu’un réel trauma-
tisme surgit, un facteur de fragilisation. Minimum requis qui définit ce que peuvent être
les nuisances, petits facteurs traumatiques en continu, mais qui usent, laminent, affaiblis-
sent, épuisent le système défensif, le sujet finissant par n’en avoir plus conscience. Tout
un chacun pourrait exposer ce qu’il en est des déboires matériels. Quant au psychiatre, il
n’est pas plus armé pour les résoudre.
Ce petit survol de certains secteurs existentiel n’ayant pas fait l’objet d’un développe-
ment exhaustif au sein de notre étude, nous autorise maintenant à aborder les différents
types de traumatismes à partir de notre classification. En fin de chapitre, nous nous attar-
derons à titre d’illustration sur deux situations fréquentes et particulièrement prégnantes
du point de vue de la violence qui les caractérise, le harcèlement moral et les syndromes
psychotraumatiques.

2. LES SITUATIONS TRAUMATIQUES


2-1. Les contraintes
Les contraintes correspondent à la définition consensuelle de situations de stress (en
anglais, to stress = « contraindre »).
Frustrations répétées proportionnelles aux besoins, pertes de liberté, situations
d’emprise relationnelle, conditions de vie délétères, maladie ou handicap (du sujet ou
d’un proche), obstacles itératifs dans la réalisation de projets, contraintes administratives,
soumission croissante à des règles, des lois, de plus en plus complexes, pression et perte
204
Nature des traumatismes

de sens du travail ou des études, exigences ou besoins illimités de performances, difficul-


tés d’adaptation à de nouvelles fonctions, déplacements incessants, etc. La complexité
de la vie actuelle, les nécessités d’adaptation itératives, l’excès de sollicitations, la création
de nouveaux besoins, la nécessité d’être partout et à terme nulle part, favorisent la
polyfactorialité traumatique.
Toutes ces situations sollicitent la répression continue de l’agressivité et induisent,
au-delà d’un certain seuil, les pathologies qui en découlent. À terme, l’épuisement surgit
avec la dépression ou les maladies de la défaite.

2-2. Les situations anxiogènes


Elles correspondent aux situations conflictuelles et aux anticipations anxieuses.
Situations conflictuelles
• Désordres relationnels, conflits conjugaux, familiaux, professionnels, cohabitations
difficiles, dilemmes décisionnels, déchirements, etc.
Anticipations anxieuses
• Situations de menace : injonctions administratives ou judiciaires, insécurité, crainte
de l’abandon, situations de chantage, maladies, menaces de licenciement ou de mutation,
conditions de vie précaires, etc.
• Situations d’attente : attente d’une décision administrative, du résultat d’un examen
médical, du retour d’un proche, d’un poste de travail, d’une clientèle, d’une mutation, etc.
Toutes ces situations immobilisent, paralysent, pétrifient le sujet, générant un état
récurrent d’anticipation anxieuse, de tension subliminale ou exacerbée, et, au-delà d’un
certain seuil, des maladies d’origine anxieuse.

3. LES ÉVÉNEMENTS TRAUMATIQUES


3-1. Les pertes
L’impact traumatique d’une perte
Il y a lieu de distinguer l’irrémédiable (rien ne sera plus comme avant) de l’expérience
transitoire de perte, laissant une lueur d’espoir et la possibilité d’aménagements transi-
toires.
L’impact des pertes est souvent triple : effet aigu et variable de choc traumatique
initial, effet constant intrinsèque à la perte (dynamique de deuil), effet inconstant lié aux
conséquences de la perte sur la vie quotidienne.
™™ L’épouse d’Abdel a été assassinée il y a un an, alors qu’elle faisait du jogging dans la
campagne. Abdel a des flash-back, des cauchemars dans lesquels il revoit l’image de son
épouse maculée de sang et abandonnée dans un buisson (choc traumatique). Depuis
alternent déni, rancœur, culpabilité, douleur, tristesse (dynamique du deuil). Il est mainte-
nant confronté à la nécessité de s’occuper seul de ses trois enfants (conséquences de la
perte).
Les vécus de perte et les réactions à celle-ci dépendent bien sûr de l’investissement
initial de l’objet, des représentations que le sujet en a, des circonstances de la perte, des
205
Traité de médecine psychosomatique

mécanismes de défense inconscients, des pertes antérieures. Les phénomènes de culpa-


bilité par exemple, fréquents dans les vécus de perte, ne sauraient être abordés sans tenir
compte de leurs racines inconscientes.
Le deuil est une réaction non pathologique à la perte. La perte réelle de l’objet ne
s’accompagne pas en général de la perte de sa représentation. De la différenciation entre
la perception de l’objet réel et sa représentation dépendent les qualités d’un sujet à élabo-
rer la perte. Si cette différenciation s’opère, la séparation sera un événement symbolisable.
Sinon, elle demeurera événement traumatique menaçant l’intégrité du moi.
Selon ses caractéristiques, la perte réactive des vécus archaïques : séparation et/ou
castration, certains vécus conjuguant les deux. Plus rarement, l’intensité et la brutalité
de certaines pertes peuvent réactiver des vécus de destruction. Certaines pertes, par
leur brutalité, leur violence, ou leur caractère particulièrement traumatique, annihile le
système défensif de l’individu. Elles induisent un syndrome psychotraumatique (p. 214).

Les vécus de séparation


Ils sont consécutifs à la perte d’objet :
––mort d’une personne chère ;
––ruptures sentimentales, divorces, séparations, départ des enfants ;
––retraite, perte d’emploi, mutation professionnelle ;
––pertes financières, pertes matérielles ;
––déménagements, changements d’environnement ;
––sevrages de toxiques, régimes ;
––perte d’un objet matériel très investi : maison, documents personnels, objets investis.
Les séparations et ruptures amoureuses feront l’objet d’un prochain chapitre. La suite
de cette section sera donc centrée sur le deuil.
Le « travail de deuil »
Il s’agit d’un terme psychanalytique qui définit les remaniements psychiques induits
chez un sujet durant la période variable et souvent longue qui suit la perte. Hormis cette
acception, il n’y a pas de « travail de deuil ». La généralisation du concept et sa récupéra-
tion par les médias attestent d’un fantasme de toute puissance (très tendance lui aussi),
car le deuil est tout sauf un travail, il est l’inverse d’un travail, quelque chose que l’on subit,
une interminable intempérie, la traversée d’une contrée plombée par le brouillard, sans
fin. Et puis un beau jour, on ne sait pourquoi, le brouillard se dissipe, d’abord par inter-
mittence et puis de manière plus durable. La couleur du ciel y perdra de toute façon de
manière définitive sa limpidité initiale. Ce ne sera jamais de toute façon « comme avant ».
Ce n’est pas un travail, c’est une marche forcée pour ne pas tomber, que n’atténuent nulle-
ment, bien au contraire, les velléités conscientes dites « de travail ».
Paradoxalement, le consensus médiatique, tout en ânonnant le terme « travail de
deuil », plébiscite les interventions extérieures destinées à le destituer. De nombreuses
réactions émotionnelles ou comportementales du sujet frappé par la perte doivent être
traitées en urgence. L’expression de douleur, passé le scoop pornographique en gros plan,
n’est pas acceptable car elle échappe à toute velléité de maîtrise et suscite l’angoisse de
l’autre.
Enfin, il n’est pas inutile d’insister sur le fait que la souffrance induite par la perte est
une réaction normale. Aucune aide ne peut faire disparaître la douleur d’un deuil. Tout au
206
Nature des traumatismes

plus peut-on agir sur la culpabilité, lorsque celle-ci devient immuable et extensive, déter-
minée le plus souvent par le fonctionnement psychique du sujet qui préexistait de toute
façon à la perte. Hormis ces situations qui attestent d’un deuil pathologique, la culpabilité
induite par la perte, qui alterne volontiers avec sa projection, est un phénomène normal,
une modalité défensive parmi tant d’autres.
Les vécus de castration
L’angoisse ou le vécu de castration sont réactivés à chaque fois que la perte ou la
menace de perte concerne un objet de jouissance, le terme jouissance ne se limitant pas
à une dimension de plaisir mais devant être étendu à son acception notariale : jouissance
d’un bien propre. Bref, tout ce dont je jouissais et dont j’ai été dépossédé ou dont je suis
menacé de l’être.
Perte d’une fonction corporelle ou de l’image du corps
Toute altération ou toute perte d’une fonction corporelle ou psychique, accidentelle
ou liée à une maladie, au vieillissement ou à une intervention chirurgicale mutilante,
réactive un vécu de castration lorsque le nouvel état constitue une perte par rapport à
l’état antérieur.
• Atteintes de la sphère abdominopelvienne (appareil génital, digestif, urinaire), accou-
chements, césariennes, interruptions de grossesse, interventions chirurgicales mutilantes.
• Atteinte des parties du corps connotées d’une représentation phallique (doigts,
mains, membres supérieurs, membres inférieurs, cheveux, nez) ou participant à la
fonction scopique (atteinte oculaire).
• Chirurgie mutilante au niveau de tout organe (amygdales, vésicule biliaire, etc.).
• Atteinte de toute fonction impliquée dans l’accession à une dimension hédonique :
fonction motrice, sensitive, sensorielle.
• Atteinte de l’image du corps : altération physique, puberté, accouchement,
ménopause, vieillissement.
Privations de modalités antérieures de jouissance
• Privations d’activités hédoniques ou fortement investies : ne plus pouvoir faire du
sport, jouer du piano, avoir des relations sexuelles…
• Perte de liberté (incarcérations, privations, vécus d’emprise ou de contrôle).

Blessures narcissiques
• Perte d’un rôle important, d’une fonction très investie, d’une reconnaissance sociale.
• Destitutions, rejet, trahisons, tromperies, ruptures, échec sexuel.
• Échecs personnels ou professionnels, retraite, perte d’emploi, chômage, invalidité,
rétrogradation professionnelle.
Perte d’un objet phallique matériel fortement investi
• Moto, quad, voiture, vêtements.

Confrontation à l’image phallique de l’autre


• Homme lors de la grossesse de son épouse.
207
Traité de médecine psychosomatique

• Femme face à un homme dominateur.

Situations réactivant la conflictualité œdipienne


• Paternité, promotion sociale chez l’homme.
• Cohabitation remettant en scène la triangulation œdipienne.

3-2. Les agressions
Les stimuli agressifs continus font partie de la vie quotidienne de l’homme postmoderne.
Celui-ci finit souvent par ne plus en avoir conscience. Nuisances (toxiques, atmosphères
polluées), visuelles (publicités, télévision, internet), sonores (bruits routiers, industriels,
de voisinage, fonds musicaux, bips, sirènes), sollicitations multiples dispersant l’attention
(tâches interrompues, dérangements téléphoniques), etc.
L’intensité traumatique devient patente avec les agressions verbales, dont les formes
sont diverses : propos humiliants, rejetants, dévalorisants, injures, menaces, diffamation.
D’autres paroles ont un effet potentiellement traumatique alors qu’elles n’étaient pas a
priori l’objet de mauvaises intentions. Il en est ainsi des paroles médicales pathogènes,
diagnostiques ou pronostiques.
À un stade traumatique supérieur se situent les traumatismes violents : maltraitance,
agressions physiques, accidents, situations d’enfermement, cambriolages, viols, etc.
Lorsqu’elles sont majeures, inattendues, les agressions sidèrent et démunissent le sujet
de toute possibilité défensive. Elles entrent dans le cadre du syndrome psychotraumatique
que nous allons aborder plus loin (p. 214).

4. LE HARCÈLEMENT MORAL


4-1. Définition
Le harcèlement moral a été défini par M.-F. Hirigoyen comme « toute conduite abusive
se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes,
des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique
ou psychique d’une personne… » (Le harcèlement moral.) Il concerne la sphère privée,
essentiellement le couple et la famille, et le travail.
Le terme harceler (du vieux français herseler, de herser : « torturer »), signifie « tourmen-
ter par d’incessantes petites attaques ». Il comporte une connotation d’activité perma-
nente, répétitive et continue, d’un sujet sur un objet, destinée à faire plier celui-ci dans un
but précis. Le but est l’abdication, le renoncement à toute velléité de lutte ou d’opposition.
Les formes mineures de harcèlement sont légions tant dans le domaine de la vie privée
que dans celui de la vie professionnelle. Les asymétries de dominance caractérisent inéluc-
tablement les rapports humains. L’enfant, dans son plus grand intérêt, est dépendant de
l’adulte et cette dépendance implique un minimum de soumission. Au sein d’un couple,
il y a souvent un sujet dominant qualifié comme étant « celui qui porte la culotte » et
un sujet plus soumis qui, par choix ou impossibilité, accepte bon gré mal gré de se laisser
conduire, de s’effacer face à la dominance de l’autre.
À un stade plus marqué, peut apparaître une souffrance dans la relation. La dominance
se transforme en persécution. Le partenaire accepte, s’incline, subit. L’autre n’est guère
208
Nature des traumatismes

plus heureux car ce qu’il croyait obtenir par la soumission ne répondra jamais à son désir
profond. Il en va ainsi des couples qui se déchirent, se torturent, se lamentent, se haïssent
secrètement, mais dont la longévité est assurée à la fois par l’attachement et les résidus
de règles internes à la vie familiale, mais aussi, plus souvent qu’on le croit, par la guerre
intestine elle-même qui les unit dans la désunion. Il en va aussi de la résignation qui a
permis à tant d’hommes et de femmes de travailler pour gagner leur pain tout au long des
siècles. Dans tous ces cas, la souffrance est au rendez-vous mais ponctuée de moments
de bien-être, de satisfaction, si ce n’est de joie. Dominance, soumission, souffrance, mais
jamais destructivité. L’épouse obsessionnelle, le conjoint tyrannique, la mère abusive, le
patron intraitable, sont autant de sujets potentiellement persécuteurs mais qui, à un
moment donné, peuvent faire amende honorable, s’apitoyer, s’attendrir devant le désar-
roi de l’autre, faire preuve de générosité, d’humanité et surtout de culpabilité.
Le harcèlement moral qui nous concerne ici est caractérisé, quant à lui, par la destruc-
tivité et l’absence totale de culpabilité chez celui qui en est l’auteur.
Les différentes formes d’agressivité, chez l’animal, sont l’agressivité prédatrice, l’agres-
sivité défensive, l’agressivité compétitive (territoire, sexualité, hiérarchie). La destructivité
est le propre de l’homme. Détruire pour détruire, jouir de détruire, se nourrir de cette
destruction est le propre de certains d’entre eux.
Quant à l’absence de culpabilité, si on la retrouve dans certaines entités nosographiques
précises (paranoïa, psychopathies, perversions), mais aussi chez certains sujets normosés
postmodernes assujettis à la règle du jeu social, elle prend une dimension redoutable
chez le harceleur moral.
Le harcèlement moral est surtout le fait de sujets pervers narcissiques et plus rarement
de sujets paranoïaques.

4.-2. Le pervers narcissique


Le pervers narcissique présente, à la fois, des traits de personnalité narcissique et des
traits pervers.

La personnalité narcissique
• Narcissisme et mégalomanie. Hypertrophie de l’estime de soi, sentiment d’être
spécial et unique, surestimation de ses propres capacités et réalisations, confiance en soi
sans limite, vanité.
• Absence d’autocritique. Ces sujets, volontiers moralisateurs et hautains, ne se
remettent jamais en cause, donnent des leçons de probité aux autres, dénoncent la
malveillance humaine, critiquent tout et tout le monde. Même s’ils ne disent rien, l’autre
se sent pris en faute.
• Désir de pouvoir. Soif de succès, hyperactivité audacieuse, ambition démesurée,
conduites et comportements grandioses.
• Séduction. Besoin excessif d’être admiré et de séduire. Ils étalent l’intégralité de leurs
atouts, ce qui peut les rendre séduisants et brillants.
• Envie. Ces sujets envient les autres et sont persuadés que les autres les envient.

209
Traité de médecine psychosomatique

La perversion morale
• Déni de l’existence de l’autre. Manque de reconnaissance de l’autre, d’intérêt à son
égard, d’empathie, d’écoute. Les besoins de l’autre sont niés. L’autre n’existe qu’en tant que
miroir ou faire-valoir.
• Domination. Le pervers narcissique considère que tout lui est dû. La satisfaction de
ses désirs, besoins et projets, se fait au détriment des autres qui vont être manipulés,
instrumentalisés, utilisés et exploités.
• Insensibilité. Absence de réactions dépressives lors de la perte d’objet, remplacées par
le ressentiment, la colère ou le désir de revanche.
• Absence de culpabilité

Causes de la structuration perverse narcissique


• Le vide, l’envie, la quête d’identité dans le miroir de l’autre, l’extraction de la force
dans la substance de ce dernier, voué à être vampirisé.

Différences entre paranoïaque et pervers


• Le paranoïaque souffre, il est persécuté, on lui en veut. Il doit lutter en permanence
contre de potentiels ennemis. Le pervers ne souffre pas.
• Le paranoïaque trouve légitime le châtiment de son persécuteur mais n’en jouit pas.
Le pervers jouit de la souffrance de sa victime.
• Le paranoïaque utilise la force, le combat, la revendication, la procédure. Le pervers
utilise la séduction et l’emprise.
• Le paranoïaque dialogue avec l’objet afin de le convaincre, rationalise. Le pervers
évite le dialogue.

Formes non pathologiques


Égocentrisme, besoin d’admiration, intolérance à la critique, nécessité de recourir à
la manipulation pour obtenir quelque chose, éprouvé de sentiments haineux, sont le
propre de la nature humaine. Chez le sujet non pervers, ces comportements et ces éprou-
vés sont en règle générale passagers, propres aux situations de crise, et font l’objet dans les
suites de remords ou de regrets. La perversité « implique, elle, une stratégie d’utilisation
puis de destruction d’autrui, sans aucune culpabilité » (Hirigoyen, Le harcèlement moral.)

4-3. La victime
La victime est victime du simple fait qu’elle a été désignée par le pervers. Ainsi, le
sujet victime peut être tout à fait exempt de prédisposition au harcèlement. Dans ses
antécédents, on ne note rien de particulier. C’est la situation traumatique qui va générer
la souffrance.
Le pervers évite bien sûr les paranoïaques et les autres pervers narcissiques.
Certains traits de personnalité attirent toutefois le prédateur :
1) les victimes de choix sont des sujets pleins de vie, des proies succulentes ;
2) leur idéal du moi est central : conscience morale, souci de bien faire, acceptation
de rôles difficiles, désir de faire plaisir à l’autre, écoute de l’autre, générosité, adaptabilité ;
3) il peut exister des failles que le pervers aura repérées. Ce sont :
210
Nature des traumatismes

––le sentiment de culpabilité ;


––la fragilité narcissique : prédisposition à la dévalorisation, à la remise en cause, à
l’autocritique, au doute ;
––la quête identitaire : besoin de modèle identificatoire, recherche de repères dans le
discours et le fonctionnement de l’autre, crédulité, influençabilité, confiance et naïveté
(le sujet n’imagine pas le mal) ;
––le besoin de se justifier ;
––la vulnérabilité à l’emprise de l’autre ;
––la capacité de pardon, l’absence de rancune ;
––le besoin de réparer l’autre.
Le masochisme prédispose bien sûr à la recherche du sadique. Mais on a trop
tendance à considérer les victimes du harcèlement comme masochistes. Certains critères
permettent d’établir un diagnostic différentiel :
––la dimension de jouissance est première dans le masochisme, elle apparaît d’emblée ;
––lorsque la victime arrive à se défaire de son agresseur, elle ressent une immense
libération. Si elle est masochiste, elle ressent un manque ;
––le sujet masochiste se plaint de son partenaire, mais le dédouane systématiquement
dès qu’on lui fait remarquer le sadisme de ce dernier ;
––dans les antécédents, les relations investies par le masochiste sont douloureuses et
du même type ;
––chez les sujets masochistes, il existait une relation similaire avec l’un des deux parents.

4-4. Le processus de harcèlement


Le processus de harcèlement a été magistralement décrit par M.-F. Hirigoyen (op. cit.).
Elle en distingue les séquences successives, relativement stéréotypées.

Acte 1. La séduction
Le pervers attire la future victime, selon les cas :
––du fait qu’il stimule et flatte l’idéal du moi de cette dernière ;
––par son côté très gentil ou très rassurant ;
––parce qu’il est séduisant, étale ses atouts ;
––par la dureté qu’il affiche, ses certitudes qui viennent combler un vide chez celui qui
doute ;
––parce qu’il se montre malheureux, en demande de soutien. « Avec moi, il va
changer… » pense naïvement la future victime ;
––parce qu’il fait miroiter monts et merveilles.
Au début, la future victime est satisfaite de la relation. Elle est sous le charme.

Acte 2. L’influence
Le pervers amène l’autre à fonctionner selon ses désirs. Le but est de lui ôter son
système défensif et son autonomie sans qu’il s’en aperçoive. Il s’agit d’isoler l’objet, de
l’anesthésier, de le paralyser, de le curariser, de l’hypnotiser, de le rendre dépendant.
La victime ne voit pas qu’elle est manipulée. Elle ne repérera les indices de la manipu-
lation que bien plus tard.

211
Traité de médecine psychosomatique

Acte 3. L’emprise
La victime prend conscience de son assujettissement et de la tension qui s’est installée.
Pour le pervers, le but est d’empêcher l’autre de penser, de résister, de discuter, de
s’exprimer. Faire accepter par la conviction l’exigence de soumission, endoctriner, dépos-
séder, laver le cerveau, marquer une empreinte.
Le sujet n’a plus aucune autonomie de pensée, celle-ci doit dupliquer celle de son
agresseur. « Les victimes décrivent toutes une difficulté à se concentrer sur une activité
lorsque leur persécuteur est à proximité… Ce dont elles se plaignent, à ce stade, c’est
d’être étouffées, de ne rien pouvoir faire seules. Elles décrivent la sensation de n’avoir pas
d’espace de pensée. » (Ibid.) « Elles obéissent d’abord pour faire plaisir à leur partenaire ou
pour le réparer puisqu’il a l’air malheureux. Plus tard elles obéissent parce qu’elles auront
peur. » (Ibid.)
La victime évite le conflit et opte pour le compromis. Elle se soumet tout en ayant
conscience du caractère anormal de la situation : « Il est ignoble, oui, mais il est doué et il
a bon fond. » Cette acceptation est le début de la descente aux enfers : accentuation de la
soumission chez la victime, accentuation de la domination sans limite chez l’oppresseur.
La victime renonce à ce qui fait son identité. Elle perd toute valeur à ses propres yeux mais
aussi aux yeux de son agresseur.
Les procédés utilisés par le pervers narcissique
L’esquive
Le pervers esquive, ne répond pas directement aux questions, le but étant d’empêcher
l’autre de penser. Le regard du pervers face à sa cible est fuyant ou bien les yeux papil-
lonnent.
Réponses à côté. Messages obscurs à décrypter qui déstabilisent l’autre. Langage
parfois abstrait et dogmatique afin que l’autre n’y comprenne rien, donnant l’impres-
sion d’une connaissance élevée, inatteignable. « Quand ils ne parlent pas on leur prête
grandeur ou sagesse. » (Ibid.)
Messages paradoxaux
• Contradictions. Discours contradictoires. Le but est d’attaquer l’objet sans le perdre.
Double contrainte : quelque chose est dit au niveau verbal et le contraire est exprimé
au niveau non verbal. Message explicite et sous-entendu. Décalage entre ton et paroles.
Capacité à soutenir un point de vue et à défendre les idées inverses le lendemain. L’autre
ne sait plus où il en est.
• Mensonge. Mensonge par omission ou réponses par une attaque. Le but est d’avoir
le dessus dans l’échange verbal. Comme le paranoïaque, le pervers a toujours raison. Le
vrai mensonge, lui, n’apparaît qu’au moment de la phase de destruction, mensonge qui
nie l’évidence.
L’expression affective
• Soit absence d’émotion : ton froid, calme, qui glace et déclenche la peur. Faire ressen-
tir de la tension ou de l’hostilité sans rien dire. Hostilité froide que l’oppresseur nie si on le
lui fait remarquer. La victime se fait alors traiter de paranoïaque.
• Soit masque de douceur et de bienveillance. Obséquiosité.
212
Nature des traumatismes

Disqualification de l’autre
• Dérision, mépris et humiliation.
• Raillerie sur les convictions de la victime, ses choix, ses goûts, ses points faibles. Ridicu-
lisation et dénigrement en public. « Pour avoir la tête hors de l’eau le pervers a besoin
d’enfoncer l’autre. Pour cela il procède par petites touches déstabilisantes, de préférence
en public, à partir d’une chose anodine parfois intime décrite avec exagération, prenant
parfois un allié dans l’assemblée… Il n’est pas rare que l’agresseur demande aux regards
alentour de participer, bon gré, mal gré, à son entreprise de démolition. » (Ibid.)
• Déni de l’identité de l’autre. Dire à l’autre qu’il ne vaut rien jusqu’à ce qu’il en soit
persuadé. Pour peu que chez l’autre existe une petite fragilité identitaire, ça marche.
« Sans moi, tu n’es rien. » L’autre finit par le croire et finit effectivement par n’être plus
rien. Extension au monde de l’autre : « Tes amis ne valent rien. »
• Cette disqualification est souvent sous-tendue par l’envie : ce qu’a l’autre (et qui fait
envie) ne vaut rien, ce qu’il est, ce qu’il fait, est méprisable. La victime finit parfois par
adhérer aux paroles.
Prise de pouvoir absolu
• Donner l’impression de savoir, de détenir la vérité. Le discours est totalisant, énonçant
des propositions qui font figure de loi universelle. Il sait. Il a raison. Proximité avec le
discours paranoïaque. Fonctionnement totalitaire fondé sur la peur.
• Diviser pour mieux régner. Monter les uns contre les autres, créer des rivalités.
Acte 4. La violence
La phase de violence du pervers est en fait une décompensation paranoïaque car, cette
fois-ci, l’agresseur se sent menacé : l’objet qui s’oppose à l’emprise doit être détruit parce
qu’il est dangereux. La dérobade de l’autre génère une angoisse pré-psychotique. Comme
chez le paranoïaque, apparaissent des idées de préjudice ou de persécution, liées à la
projection du sentiment haineux sur l’objet.
Les expressions de la violence
• La haine. L’envie se transforme en haine. Elle apparaît dans le regard.
• Le déchaînement. L’agresseur, percevant que l’objet lui échappe, se déchaîne. Il
faut faire taire la victime. Violence froide, verbale (sous-entendus, non-dits), menaces
indirectes et voilées.
• Agression à perpétuité. Caractère lancinant et répétitif des agressions. L’agresseur ne
veut pas se faire oublier. Lorsqu’un pervers a désigné une proie, il ne la lâche plus.
• La violence perverse ne laisse aucune trace exploitable. Le pervers feint la surprise
lorsqu’on lui reproche quelque chose.
• Pousser l’autre à la faute. Le pervers pousse l’autre à agir contre lui pour ainsi le dénon-
cer comme coupable. Pousser l’autre à la crise de nerfs ou à l’acte impulsif afin de le faire
passer pour un malade ou un psychopathe, le corrompre et le rendre mauvais.
Les réactions de la victime
• Soumission. Le plus souvent, la victime se tait, ne réagit pas, subit l’agression car elle
tient encore à l’objet ou à sa fonction.
213
Traité de médecine psychosomatique

• Annihilation. La confusion la désarme : même si elle veut se rebeller, elle ne sait


comment. Difficultés à penser, à s’exprimer. Elle est comme anesthésiée, a perdu toute
spontanéité, toute réactivité. Il est impossible d’avoir le dernier mot face à un pervers
narcissique.
• Culpabilité. Elle essaie de comprendre, réfléchit, doute. « Qu’est-ce que j’ai fait pour
qu’on me traite comme ça ? Il doit bien y avoir une raison. »
• Justification. Elle tente de se justifier, cela est sans effet. Elle souhaite une explication.
Elle n’en aura pas ou bien recevra un message meurtrier.
• Égards. Elle essaie d’amadouer l’agresseur : la gentillesse à l’égard du pervers déstabi-
lise celui-ci car il réalise que l’autre est supérieur, ce qui réactive sa violence.
• Sidération. Le choc se produit lorsque la victime prend conscience de la réalité de
l’agression. C’est la blessure. Tout s’écroule. Honte, perte d’estime de soi, sentiment d’inu-
tilité, de défaite, d’impuissance, d’humiliation. Honte de ne rien avoir vu. Syndrome
psychotraumatique.
• Prise de conscience. Puis elle finit par réaliser qu’il n’y a que deux issues : se soumettre
entièrement ou partir.
Acte 5. La rupture
Elle est toujours le fait de la victime, jamais de l’agresseur.
Elle s’accompagne de :
––soulagement constant ;
––vécu de perte : perte réelle de la fonction que le sujet occupait. S’il retrouve une
fonction similaire, tout rentre dans l’ordre. S’il n’en retrouve pas, il peut regretter et
accepter l’idée de « rempiler » un jour ;
––illusions fréquentes : la victime peut se plaire à imaginer que l’agresseur la regrette
et qu’il fera amende honorable. Il se leurre : l’agresseur n’éprouvera jamais une once
de culpabilité, de regret, de remords ou de tristesse. Parfois, la victime cherche une
réhabilitation, des excuses. Elle n’en aura pas.

5. LES SYNDROMES PSYCHOTRAUMATIQUES


5-1. Définitions
Selon Louis Crocq, il s’agit d’un « phénomène d’effraction du psychisme et de déborde-
ment de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement
agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu,
qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur » (Traumatismes psychiques).
Anciennement appelé névrose traumatique, le syndrome psychotraumatique (SPT) est
aussi défini en termes de état de stress post-traumatique (ESPT), traduction approxima-
tive de post traumatic stress disorder (PTSD).

5-2. Spécificité traumatique du SPT


Caractéristiques spécifiques des traumatismes
Les traumatismes à l’origine du SPT ont des caractéristiques spécifiques :

214
Nature des traumatismes

1) leur intensité et leur caractère « hors du commun » ;


2) leur soudaineté, l’effet de surprise, ou bien l’intensité traumatique prolongée 
3) le dépassement d’un seuil traumatique – seuil en deçà duquel les capacités d’éla-
boration psychique fonctionnent, ne fût-ce qu’a minima, seuil au delà duquel elles sont
réduites à néant ;
4) leur repérage systématique par le patient et l’entourage, en tant que cause première
et unique de la pathologie.

Spécificité du vécu et de la réactivité


• Effroi, impuissance et absence de combat.
• Absence totale d’élaboration psychique.
• Le trauma résulte toujours d’un stimulus strictement exogène. Il est conditionné par
la présence réelle du sujet dans le réel du traumatisme.
• Les représentations ne jouent aucun rôle dans l’immédiat du traumatisme et n’inter-
fèrent pas sur les perceptions traumatiques.
« En réalité nous n’oublions rien. Tant que nous devons rester en campagne, les
jours de front, lorsqu’ils sont passés, tombent comme des pierres au fond de notre être
parce qu’ils sont trop lourds pour que nous puissions aussitôt les méditer. » Erich Maria
Remarque, À l’ouest rien de nouveau.

Faillite du système défensif


Les traumatismes habituels se définissent par la conjonction d’un événement ou d’une
situation de vie déstabilisants et d’un dépassement des possibilités d’adaptation de l’indi-
vidu. Dépassement mais non extinction car les mécanismes de défense sont présents
et déterminent la pathologie. D’autres facteurs, liés à l’organisation et au fonctionne-
ment psychosomatiques de l’individu, sont nécessaires au déclenchement de celle-ci.
Les traumatismes inducteurs du syndrome psychotraumatique suffisent, à eux seuls, à
déclencher la pathologie, quel que soit le système défensif du sujet.
Contrairement à ce qui se passe dans l’ensemble de la pathologie mentale, comporte-
mentale ou somatique, l’équipement défensif du sujet intervient peu dans le syndrome
psychotraumatique, tout au moins à ses débuts. Une tempête peut dévaster une partie
d’une forêt, épargnant les arbres les plus résistants. Mais supposons que la force du
vent triple, c’est toute la forêt qui sera anéantie, quelle que soit la résistance de certains
individus.

Persistance de la réaction après disparition du danger


La spécificité du syndrome psychotraumatique tient au fait que la réaction initiale au
traumatisme ne disparaît pas en même temps que le danger. C’est ce qui la différencie,
dans le DSM, du trouble de l’adaptation.

5-3. Inventaire des traumatismes


Les traumatismes responsables de SPT sont le plus souvent des événements de surve-
nue brutale : agressions, accidents, pertes. Les situations durables sont moins représen-
tées, bien que la charge traumatique de certaines puisse générer un syndrome similaire.

215
Traité de médecine psychosomatique

Les agressions
Ce sont les causes les plus fréquentes de SPT.
––Agressions physiques chez soi ou dans les lieux publics (rues, routes, banques,
moyens de transports).
––Viols et agressions sexuelles.
––Faits de guerre.
––Terrorisme, attentats, prises d’otage.

Les accidents
––Accidents individuels ou collectifs.
––Catastrophes naturelles ou technologiques.

Les pertes
––Deuils traumatiques : mort inattendue, suicide d’un proche (parent, enfant, conjoint).
––Pertes matérielles majeures : incendie, cambriolage.

Les situations extrêmes prolongées


––Traumatismes sexuels ou physiques répétés.
––Torture, camps d’internement, de concentration ou d’extermination.
––Attente d’une personne disparue.
––Incarcérations.

ÉTUDE DE L’EMP
J’ai réalisé une étude à partir de vingt-huit observations de patients venus consulter
entre 1994 et 2011 et présentant un syndrome psychotraumatique.
Les actes agressifs délictueux ou criminels représentent 79% des cas.

Agressions physiques : 50%

Viols : 15%

Cambriolages : 14%

Accidents de la circulation : 14%

Deuils : 7%

Traumatismes inducteurs de syndrome psychotraumatique

5-4. Clinique des syndromes psychotraumatiques


™™ Témoignage d’Appoline : « J’ai été braquée en 2004, dans la boutique que je
tenais seule cette après-midi-là, un vendredi de juin. Quand l’homme est entré dans
le magasin, j’ai ressenti immédiatement une sensation de malaise. Il a attendu que les
clientes présentes aient terminé leurs achats et s’est tourné vers moi en tenant à la main
un couteau qu’il avait pris sur les étagères consacrées aux couteaux de cuisine. Il a exigé la
216
Nature des traumatismes

caisse tandis que je levais les mains en disant : “On se calme !” J’ai ouvert le tiroir-caisse et
j’en ai profité pour faire le tour du comptoir dans l’espoir de m’échapper pendant qu’il se
servirait. Il a bloqué le passage et m’a posé la lame du couteau sur le cou pour m’obliger
à le servir. Je lui ai remis les trois billets de vingt euros qui restaient dans la caisse car nous
l’avions vidée le matin même. J’étais désespérée qu’il y ait si peu car je me suis dit que
cela allait le mettre en colère. Il m’a effectivement attrapée par les cheveux et jetée par
terre. Puis il m’a regardée et la seule pensée que j’ai pu avoir a été : “Mon Dieu, il va me
tuer. Faites qu’il ne me viole pas.” Il m’a alors donné un coup de pied en bas de la gorge.
Je pense que j’ai eu très mal et que ce coup m’a coupé le souffle mais je ne me rappelle
pas du tout de la sensation. Seules demeurent mes pensées sur la mort et le viol. Il a fait
demi-tour et il est parti. Je ne l’ai pas quitté des yeux. Avec le recul, je me fais l’effet d’un
animal qui n’a qu’une idée en tête : s’enfuir pour se sauver et utiliser tous ses sens pour
tenter de s’en tirer. C’est probablement pour ça que le moindre détail de ses gestes est
resté gravé dans ma mémoire comme si c’était hier. Je me suis levée et je suis sortie dans
la rue en courant. J’ai alors eu un moment d’hésitation et je me rappelle avoir pensé que
je ne pouvais pas m’enfuir en laissant la boutique ouverte parce qu’on risquait de nous
voler. En même temps, mes jambes avançaient toutes seules et une autre partie de mon
cerveau répétait : “Il va revenir, il va revenir.” Ces deux pensées contradictoires fonction-
naient en même temps. Le temps du braquage a probablement été très court mais il m’a
paru durer très longtemps.
Je me suis précipitée chez le coiffeur que je connaissais, face à la boutique, et j’ai dit : “Je
viens de me faire braquer !” Il n’y a que lorsque j’ai eu prononcé ces mots que j’ai fondu en
larmes et que mes jambes ont cédé sous moi. Contrairement au braquage en lui-même,
tout ce qui s’est passé après est assez confus. Je sais que la femme du coiffeur m’a ramenée
au magasin et que j’ai fait une crise de tétanie. Je me rappelle juste que je ne contrôlais
pas les sons qui sortaient de ma gorge, comme des grognements. Il y avait beaucoup
d’agitation autour de moi, mais j’étais absolument confuse. La police est arrivée et elle
a annoncé qu’elle avait attrapé le braqueur. Des amis m’ont immédiatement amenée au
commissariat où un inspecteur m’a fait reconnaître l’homme derrière un miroir sans tain.
On m’a expliqué qu’il était allé se réfugier au palais de justice et qu’ayant gardé le couteau
sur lui, il avait fait sonner en passant sous le portique de sécurité. Je me rappelle de la
bienveillance et du calme des policiers ainsi que de ma déposition. Ensuite, je suis allée
chez mon médecin qui m’a prescrit des tranquillisants et un somnifère.
À partir du lendemain, j’ai 48 h de “trou”. Je me suis donc retrouvée seule et suis
incapable de me souvenir de quoi que ce soit de ces deux journées. Ma mère, qui était
passée me voir quelques heures, m’a dit que je parlais normalement, que je racontais ce
qui s’était passé très calmement et que j’avais fait beaucoup de ménage. Je n’en ai, pour
ma part, aucun souvenir.
Les souvenirs reviennent à partir du moment où j’ai recommencé à sortir de chez moi.
Je n’avais pas repris le travail mais on m’avait convaincue de retourner danser et de voir
du monde. J’ai alors passé quinze jours comme un zombie. Je me sentais dans un état
de vulnérabilité profonde. Je devenais paranoïaque : dans la rue, j’avais l’impression que
toute personne pouvait être potentiellement agressive et je devais réprimer mon désir
de courir me cacher. J’ai alors cessé de sortir seule. Durant toute cette période, je me
suis sentie très fragile et incapable de m’investir dans quoi que ce soit. Je ne pouvais pas
217
Traité de médecine psychosomatique

me projeter, même à court terme. Je ne ressentais plus aucun désir et plus aucun plaisir.
Il n’y avait pas non plus de ressenti de déplaisir, ni d’émotion particulière, mis à part le
sentiment de vulnérabilité et la peur qui m’assaillait régulièrement. Soit tout me laissait
indifférente et je ne faisais que fonctionner au ralenti suivant un mode opératoire, soit
j’étais envahie par des flash-back de la scène du braquage qui me prenaient par surprise
et que je m’efforçais de chasser. Mes pensées et mes sentiments s’étaient restreints au
strict minimum et demeuraient un peu “cotonneux”, sauf lors des flash-back. Au cours de
plusieurs d’entre eux, je me souviens avoir eu la nausée. Je me sentais absolument seule,
qu’il y eût des personnes présentes ou pas.
Mon père, qui est un professionnel du soin, a alors pris le parti de me secouer. Je ne me
rappelle ni le sujet ni la forme qu’a pris cette altercation mais j’ai fondu en larmes. Je lui ai
hurlé de me laisser tranquille. C’est seulement à partir de ce moment que les émotions et
les sentiments ont commencé à revenir. J’ai recommencé à me sentir plus vivante durant
les quinze jours suivants bien que je me sois mise à rêver de l’événement régulièrement.
Au début, les rêves étaient une copie exacte de ce qui s’était passé et me réveillaient. Ils
ont cependant changé de forme avec le temps et se sont espacés. Ils sont devenus plus
“bizarres”, avec des éléments du braquage mais qui ne me réveillaient plus. Je me souviens
de l’un d’entre eux où je me cachais dans la vitrine qui faisait face au coiffeur chez qui je
m’étais réfugiée. Je savais que le braqueur allait surgir et, pour qu’il ne me voie pas, il fallait
que je monte un mur d’objets entre la vitre transparente et moi. Le braqueur arrivait et,
avec un sèche-cheveux, commençait à faire des trous dans la vitrine qui fondait. J’avais
peur, je prenais un couteau et je me rendais compte que c’était ma collègue qui était en
danger, pas moi...
Durant cette période, j’ai eu également un fort sentiment de culpabilité de ne pas
m’être défendue. Je m’imaginais des scénarios en me disant : “J’aurais pu…” C’est égale-
ment durant ce temps où les sentiments revenaient que j’ai accepté l’idée que c’était un
hasard. Il ne s’en était pas pris à moi parce que c’était moi mais parce que j’étais là. Cette
idée me laissait un sentiment ambivalent de soulagement qui se mêlait à une angoisse :
“Alors, ça peut se reproduire quoi que je fasse…”
J’ai accepté de retourner travailler mais je me suis sentie incapable de travailler seule
pendant les six mois qui ont suivi. J’ai peu à peu commencé à reprendre goût à mes activi-
tés quotidiennes, à rire, à retrouver mon fonctionnement habituel, mais, plusieurs fois, je
me suis précipitée malgré moi dans la réserve de la boutique si un homme que je jugeais
étrange pénétrait dans le magasin. Encore aujourd’hui, sept ans après, si je suis dans un
endroit et qu’un homme inconnu et qui ne m’inspire pas confiance y entre, je réprime un
désir de fuir, mon cœur se met à battre plus fort et je ressens une boule dans ma gorge.
À peu près au moment où j’ai repris le travail, le procès a eu lieu et j’ai décidé de ne pas
m’y rendre. Le braqueur était un SDF toxicomane qui en était à son septième braquage.
Il a été condamné à un an de prison ferme. Les rêves qui avaient disparu sont revenus au
moment de la période de sa libération ainsi que le sentiment d’insécurité et l’idée récur-
rente que je pourrais le croiser. L’intensité avait cependant nettement diminuée et ces
manifestations ont cessé au bout d’une semaine ou deux.
Aujourd’hui, ne perdurent qu’une boule à la gorge lorsque j’évoque l’événement avec
précision et l’instinct de fuir que j’ai évoqué précédemment si un élément me renvoie
inconsciemment à la situation. Je n’ai plus aucune autre manifestation. »
218
Nature des traumatismes

™™ Je reçois Ophélie trois semaines après son agression en pleine ZUP, où elle effectuait
un stage de moniteur-éducateur. Trois jeunes et gentils sauvageons armés de couteaux
l’ont plaquée en plein jour contre un mur, lui ont arraché une partie de ses vêtements, lui
ont fait quelques entailles au visage et l’ont rouée de coups. État de choc, dissociation de
la conscience, hémiparésie du membre supérieur droit.
Durant la semaine qui a suivi son agression, Ophélie a présenté toutes les nuits des
cauchemars où des hommes avec des couteaux l’attaquaient. Elle voyait du sang partout
et se réveillait en sursaut.
Trois semaines après son agression, elle évite les lieux publics, ne supporte aucune
agression verbale, veut quitter la région. Elle présente des troubles de la mémoire et ne
dort pas. Les rêves où elle était agressée par des hommes avec des couteaux ont disparu
pour laisser place à des rêves mettant en scène des bureaux, des documents administra-
tifs, des fonctionnaires qui lui disent qu’elle a inventé l’histoire. Son accident de travail n’a
effectivement pas été reconnu.

La réaction d’effroi
Symptômes
La soudaineté et l’intensité du traumatisme déclenchent une réaction immédiate qui
peut durer de quelques minutes à quelques heures, sans dépasser deux jours.
Elle se manifeste le plus souvent par une attaque de panique de très forte intensité :
––soit état de sidération, de stupeur, de prostration, d’hébétude, d’indifférence au
monde extérieur, état qui peut rendre le sujet incapable de se soustraire au danger ;
––soit état d’agitation intense avec réactions comportementales inattendues : fuite,
parfois inadaptée (défenestration), si ce n’est impulsion suicidaire, ou encore hyperac-
tivité stérile, comportements automatiques, gestes stéréotypés.
Dans certains cas, peuvent surgir des manifestations névrotiques ou psychotiques
aiguës : crises histrioniques, syndrome confusionnel avec désorientation, syndrome
délirant, accès paranoïaques, comportements agressifs. L’organisation préalable de la
personnalité y joue un rôle probable.
Les manifestations somatiques sont quasi constantes et de l’ordre de l’angoisse (activa-
tion du système d’alarme du SGA) : hypertension, débâcle urinaire ou intestinale, phéno-
mènes myotensifs ou hypotoniques.
Dans les suites immédiates, des décharges émotionnelles sont fréquentes : pleurs,
réactions émotionnelles parfois discordantes (euphorie paradoxale).
Mécanismes
L’effraction traumatique
Le traumatisme agit comme s’il déchirait une enveloppe protectrice. La réaction
d’effroi atteste de l’effraction brutale et massive du système pare-excitation, c’est-à-dire
des capacités de contenance des afflux d’excitation venus du monde extérieur.
L’effroi est une panne psychique, un vide de représentation et d’affect. Il suspend le
jeu des représentations mentales, élimine toute capacité de distanciation et d’analyse et
prive le sujet de mots pour exprimer ce qu’il vit.
L’image traumatique n’est pas introjectée, elle est inoculée, incrustée, tel un corps
étranger, isolée des représentations antérieures, occupant une part de leur espace. Les
219
Traité de médecine psychosomatique

liaisons qui s’établiront secondairement à partir de l’image incrustée procéderont de


manière centrifuge à partir du noyau traumatique.
Les éprouvés sont archaïques, tels la détresse du nourrisson avant la discrimination
émotionnelle.
Face à l’éclatement du système pare-excitation, surgissent des expressions cliniques
frustes, non élaborées par le système défensif lui-même mis à mal, ou bien très archaïques
(manifestations psychotiques en relation avec l’angoisse de destruction).
La dissociation de la conscience
Le trauma n’est pas seulement une effraction, il est aussi une dissociation de la
conscience, une rupture et un déni de sens, une rencontre avec le réel de la mort pour
un sujet qui, jusqu’alors, n’avait été confronté qu’à des expériences du réel traitées par le
fantasme et le rêve.
La dissociation de la conscience est centrale dans les formes psychotiques aiguës et
les formes accompagnées de dépersonnalisation, mais elle apparaît aussi fréquemment,
chez de nombreux sujets, dans la perception du temps : de nombreux sujets ont du mal
à déterminer la durée réelle de l’événement. L’impression de « vécu au ralenti » n’est pas
rare.
Le sentiment de précarité et la culpabilité
Le traumatisme confronte brutalement le sujet à sa vulnérabilité, à sa précarité, à son
impuissance. L’illusion de maîtrise et de contrôle est anéantie.
Lorsqu’elle surgit, la culpabilité immédiate vient combler, comme dans une dépres-
sion ou un deuil, mais de manière plus fulgurante, le vécu d’impuissance et de perte de
maîtrise. C’est une tentative de réappropriation de la maîtrise : « Pourquoi ? Qu’est-ce
qu’on a fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »

La période post-immédiate
Elle débute au décours de la phase d’effroi, dans les jours qui suivent, succédant parfois
à des décharges émotionnelles différées. Elle dure quelques jours ou quelques semaines,
sans dépasser un mois. Elle peut revêtir des aspects cliniques différents.
Formes expressives
• État d’hébétude, rétrécissement du champ de la conscience, émoussement percep-
tif pouvant générer des troubles de la mémoire de fixation, focalisation sur le souvenir
traumatique, efforts pour l’intégrer, se remémorer des détails, détachement du contexte
actuel.
• Manifestations anxieuses, état d’alerte, sentiment d’insécurité, réactions de sursaut,
difficultés d’endormissement, évitement.
• Humeur dépressive.
• Premières manifestations du syndrome de répétition qui peuvent disparaître ou
constituer l’instauration de celui-ci.
Cette phase annonce la fin du processus ou bien inaugure un syndrome post-
traumatique durable.

220
Nature des traumatismes

Formes suraiguës
Le syndrome acute stress disorder (« stress aigu », ASD), de durée brève (deux jours à un
mois), est caractérisé par la survenue rapide d’un syndrome de répétition, des réactions
d’évitement, et des éléments « dissociatifs » : torpeur, absence de réactivité, détachement
de l’environnement, impression d’être dans le brouillard, impression de déréalisation et de
dépersonnalisation, amnésie dissociative (incapacité à se souvenir d’un élément impor-
tant du traumatisme).
Formes latentes
Tout semble rentrer dans l’ordre après la phase d’effroi. La durée de cette phase de
latence est très variable : quelques jours, quelques semaines, quelques mois, si ce n’est
quelques années.
Les signes cliniques sont, ou plutôt paraissent absents. Mais une investigation appro-
fondie révèle souvent des manifestations cliniques mineures : attitude de retrait, modifi-
cations émotionnelles et thymiques de fond (perplexité anxieuse, euphorie paradoxale,
accès de tristesse), rumination.
La phase de latence semble correspondre à un réaménagement quiescent du système
défensif : restauration des mécanismes de défense ou mise en chantier de nouvelles
modalités défensives.
Dans ce temps de réorganisation, des mécanismes défensifs palliatifs peuvent entrer en
jeu : recours à un idéal, identification à une victime, désir de vengeance.
™™ Il y a quatorze ans, Marlène, son mari et son fils étaient dans leur jardin quand
leur voisin leur a tiré des coups de fusil. Le fils aîné a été blessé, le mari a perdu la vue et
Marlène, enceinte de huit mois, a été hospitalisée sur le champ à la maternité. L’accouche-
ment a été immédiat tandis que le mari se faisait opérer et que le fils subissait des soins.
Un syndrome post-traumatique a perduré pendant trois ans, puis tout est rentré dans
l’ordre.
C’est quatorze ans après que Marlène vient me consulter dans les suites d’une mastec-
tomie et d’une reconstruction mammaire. Depuis l’intervention, elle présente des
troubles de la conscience, une anxiété majeure, des troubles de la mémoire de fixation,
des manifestations dépressives et des flash-back de l’agression.
Absence de phase post-immédiate
Il est des cas où le syndrome psychotraumatique durable s’installe d’emblée, au
décours de la phase d’effroi, sans phase post-immédiate.

Le syndrome psychotraumatique durable


Il peut durer des semaines, des mois, des années, une vie.
™™ Bénédicte, 28 ans, est venue me consulter quatre mois après un braquage dans le
supermarché où elle travaillait.
Trois hommes cagoulés l’ont menacée : « Toi, tu bouges pas, sinon on te flingue. »
Un est resté avec elle, les deux autres sont rentrés. À l’occasion d’un moment d’inatten-
tion de son gardien, elle s’est échappée, s’est cachée momentanément, puis a rejoint sa
voiture. « Je tremblais, je pleurais, je ne pouvais pas conduire. La nuit, je pleurais. Ça a duré
plusieurs jours. J’ai repris le boulot au bout d’une semaine puis j’ai démissionné. »
221
Traité de médecine psychosomatique

Depuis, Bénédicte évite les endroits où il y a du monde. Les crises de larmes perdurent le
soir. Crainte incessante de rencontrer les braqueurs, peur quand on la regarde dans la rue.
Intolérance aux scènes violentes à la télévision. Angoisse. Striction cervicale. Sentiment
de persécution. Inhibition dépressive. Aggravation d’une instabilité vésicale antérieure.
Les rêves récurrents à ce jour sont les suivants : « Je suis poursuivie par quelqu’un,
j’entends les pas, ou bien je sens la présence de quelqu’un… Je revis le braquage. » Parfois,
ce sont des proches qui sont à la place des braqueurs.
À l’issue de la première séance, le sommeil s’améliora, les pleurs diminuèrent et les
rêves récurrents se transformèrent, mettant en scène des monstres qui la poursuivaient.
L’angoisse continua néanmoins à persister à la tombée de la nuit.

Le syndrome de répétition ou de reviviscence intrusive


Symptômes
• Cauchemars angoissants qui répètent le traumatisme ou des éléments de celui-ci.
Chez certains sujets, ce sont des terreurs nocturnes. Lorsque les rêves traumatiques sont
présents, ils tendent à se modifier avec le temps, intégrant de nouveaux matériaux du
rêve issus des formations inconscientes du passé antérieur au traumatisme ou bien des
éléments postérieurs au traumatisme.
• Reviviscences hallucinatoires, flash-back, illusions perceptives, impression de revivre
l’événement générant des conduites protectrices automatiques, intuition d’un retour du
traumatisme.
• Ruminations diverses en rapport avec le traumatisme, parasitant l’activité du sujet.
Tendance à établir des connexions dans les éléments de l’actualité et ceux du trauma-
tisme.
• Crainte anxieuse du retour de l’événement traumatique.
• Chez l’enfant, tendance à traduire l’événement dans le récit, le dessin ou des jeux
répétitifs dans lesquels la dimension hédonique est absente, évitement de l’évocation
verbale, si ce n’est dissimulation.
Ces représentations intrusives génèrent des manifestations anxieuses.

Les conduites phobiques d’évitement


• Évitement de tout stimulus pouvant évoquer le traumatisme :
––lieux, individus, images ;
––pensées, perceptions, conversations.

Émoussement psychique de type dépressif


Émoussement intellectuel
• Difficultés de concentration, torpeur intellectuelle.
Altération de l’humeur
• Tristesse, sentiment d’avenir bouché, perte d’espoir.
• Chez certains sujets : culpabilité, complexe du survivant.

222
Nature des traumatismes

Émoussement affectif
• Incapacité à éprouver des sentiments de tendresse, retrait de la libido d’objet sur le
moi, sentiment de vide.
• Sentiment d’être étranger, incompris.
Détachement
• Désinvestissement du monde extérieur, désintérêt pour les personnes et les activités
habituellement investies.
• Anhédonie.
Émoussement instinctuel et psychomoteur
• Perte d’élan vital, d’initiative, réduction de l’activité.
• Asthénie physique, psychique, sexuelle.

Anxiété
• Anxiété non élaborée constante :
––hypervigilance, état d’alerte ;
––tension anxieuse, bouffées d’angoisse ;
––réactions de sursaut, hyperréflexivité ;
––difficultés d’endormissement, réveils nocturnes.
™™ Hervé est vu quinze jours après son agression. Il est en arrêt de travail. En traversant
une ZUP, il a reçu un jet de pierres sur sa voiture. Une de ces pierres l’a blessé au niveau
de la face. Il est très angoissé, revit la scène dans ses cauchemars et se réveille en sursaut.
Tension anxieuse, hyperesthésie sensorielle, flash-back diurnes, évitement des lieux
publics, désintérêt, sentiment de vulnérabilité, repli sur soi. Extinction de la sexualité.
• Chez certains sujets, symptômes névrotiques attestant d’un remaniement par les forma-
tions défensives : rituels obsessionnels de protection, manifestations hypocondriaques,
crises hystériques.

Modifications du caractère, des conduites et du comportement


Troubles du caractère
• Irritabilité, accès de colère.
• Méfiance et hostilité, sentiment d’être constamment menacé.
• Dépendance.
Troubles des conduites
• Anorexie, boulimie, conduites addictives.
• Retrait social, désinsertion sociale (changements de domicile immotivés, absen-
téisme, dégradation du mode de vie).
Troubles du comportement
• Comportements auto ou hétéro-agressifs.

223
Traité de médecine psychosomatique

Le « syndrome de Rambo » succède volontiers au « stress aigu » et est caractérisé par


de l’irritabilité, de l’impulsivité, des conduites agressives, une tendance aux addictions,
aux activités violentes.
• Conduites suicidaires chez les personnes victimes de traumatismes sexuels.

Troubles somatiques
• De type dépression masquée : céphalées, algies diverses.
• Liés à la tension anxieuse : troubles neurovégétatifs, vertiges, diarrhées.
• De type conversionnel : troubles de la motricité et/ou de la sensibilité.
• Troubles sexuels.
• Somatisations : fréquence des dermatoses (pelade, psoriasis), désordres thyroïdiens,
diabète.

6. MÉCANISME DU SYNDROME DE RÉPÉTITION


Freud a interprété le syndrome de répétition comme une tentative retardée de
contrôle actif de l’événement, contrôle qui bien sûr n’a pu avoir lieu lors du traumatisme.
Le sujet se « re-traumatise » en quelque sorte mais, cette fois-ci, en tant que metteur en
scène, ce qui peut lui donner l’illusion d’un pouvoir sur l’événement.
Le syndrome de répétition peut aussi être appréhendé plus simplement comme étant
l’effet de l’incrustation par effraction dans le psychisme de perceptions brutes qui n’ont
pu faire l’objet d’une élaboration psychique et d’un remaniement par les mécanismes de
défense habituels.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un temps « auto-traumatique ».
D’un point de vue phénoménologique, cette phase est caractérisée par un boulever-
sement de la temporalité marquée par l’omniprésence du trauma, envahissant le futur
et réorganisant même le passé à son image par des sélections mnésiques d’apparence
arbitraires. Ainsi, se trouve pour une part remise en cause la conception de l’après-coup.
Le mécanisme d’après-coup est loin d’être systématique et n’intervient que dans les
formes où existe une absence de phase post-immédiate caractérisée. La névrose trauma-
tique apparaît alors de manière différée dans les suites d’un événement ou de l’émergence
d’une représentation en relation avec le traumatisme initial.
Dans l’immense majorité des cas, le traumatisme est premier et ne réactive rien, si
ce n’est un fonctionnement très archaïque caractérisé par un hypothétique « refoule-
ment primaire » (Freud), et ne nécessite pas des expériences traumatiques antérieures.
Par contre, la survenue ultérieure d’un traumatisme de même type réactivera bien sûr la
fragilité instaurée par le premier traumatisme.
Les symptômes sont le fruit :
––de vains efforts d’expulsion ou d’assimilation du corps étranger traumatique ;
––du réaménagement défensif : réactualisation d’expressions préexistantes subissant
un surcroit d’intensité, disparition d’expressions psychiques antérieures, apparition de
nouvelles expressions.
La pérennisation et l’enkystement de l’ensemble des manifestations cliniques et des
modalités réactionnelles aboutissent chez certains sujets à la constitution d’une « person-
nalité traumatique ».
224
Nature des traumatismes

7. FORMES CLINIQUES
Situations extrêmes
Traumatismes sexuels et physiques répétés, torture, camps d’internement, de concen-
tration ou d’extermination.
Ces situations sont caractérisées par une inhibition volontaire de la pensée lors du
temps d’exposition, une blessure narcissique, des phénomènes de culpabilité ou de honte,
une hypersensibilité aux perceptions réactivant le traumatisme.

Syndrome de Stockholm
Il caractérise les prises d’otage. Ayant pour support une relation triangulée fantasma-
tique, il instaure une relation de sympathie à l’égard de l’agresseur et d’hostilité à l’égard
des services d’ordre. Il est favorisé par l’absence de brutalité et la durée de la séquestration.
Les journalistes peuvent renforcer cet attachement : « Ont-ils été gentils avec vous ? »
™™ Il y a treize ans, Viviane était seule dans sa maison. « Un homme a sonné. Il était
plein de sang, il tremblait. Il voulait téléphoner. Il est rentré, a fermé la porte à clé, a
demandé les vêtements de mon mari, s’est changé. Dehors, des policiers avec des armes.
Sous la menace de son arme, il a exigé que je l’accompagne. Dont acte. Il s’est enfui après
m’avoir relâchée. Il n’a jamais été retrouvé. »
Dans les suites du traumatisme, sont apparus une très forte angoisse, des réveils
nocturnes sans ré-endormissement, des cauchemars récurrents dupliquant le trauma-
tisme, une anxiété persistante, des épisodes dipsomaniaques, une hypertension artérielle.
Viviane évita longtemps les bijouteries, les banques, la poste. Mais jamais elle n’exprima
de grief à l’encontre de son ravisseur.

Les disparitions
Les rituels de deuil sont absents et les proches demeurent dans l’attente, attente
souvent silencieuse, évitant de parler de l’absent.

Viols et agressions
Phénomènes d’amnésie de certains éléments du traumatisme (syndrome traumatique
limité souvent à une protoreprésentation, par exemple les yeux du violeur), déréalisation,
évitement, trouble identitaire.
Fréquence des résurgences à distance du traumatisme par mécanisme d’après-coup.
™™ Édith a été violée à 6 ans. Elle a aujourd’hui 40 ans et me consulte pour des bouffées
d’angoisse apparues depuis qu’une hystérectomie a été programmée. Des rêves récur-
rents sont apparus depuis : elle est allongée, les jambes écartées, le médecin suture le
périnée dans les suites du viol.
™™ Il y a cinq ans, Aude a été victime d’une agression sexuelle dans une rue du centre-
ville. Pénétration forcée avec les doigts, coups de poings, coups de pied, injures. Pendant
tout ce temps, elle était tétanisée, pensait qu’elle ne se défendait pas. Dans les suites
immédiates, vomissements, puis épisode de confusion mentale. Le lendemain, elle
fonctionne comme une automate. Chaque fois qu’elle ferme les yeux, elle revoit ceux de
l’agresseur. Puis longue période de phobie des lieux publics. Sexualité déficitaire pendant
de longs mois. Tout rentre dans l’ordre au bout d’un an.
225
Traité de médecine psychosomatique

L’agresseur est retrouvé, puis inculpé et emprisonné.


Il y a trois semaines, elle le rencontre par hasard dans la salle d’attente d’un médecin. Il
la reconnaît et lui dit : « On va se revoir ! » Sidération.
Depuis, elle ne dort plus, a l’impression d’une présence permanente chez elle, et fait
des cauchemars récurrents : elle court dans une ruelle sans fin, entend des pas derrière
elle, se retourne, ne voit personne et se réveille en sursaut.

Catastrophes nucléaires
Au syndrome psychosomatique, se surajoute une anxiété d’anticipation concernant
les potentiels effets retardés.

Cambriolages
Symptomatologie atténuée et plus rapidement régressive. L’immense majorité des sujets
victimes de cambriolage ne consulte d’ailleurs pas, du fait du caractère souvent résolutif
du syndrome et de l’habituation sociétale progressive à ce type de traumatisme, devenu
fréquent et donc considéré comme banal depuis les années 80 dans notre beau pays.
™™ Mélanie, 26 ans, a été cambriolée il y a une semaine. Depuis, elle imagine la présence
de voleurs, évite son appartement, pleure, ne dort pas, a peur et présente un spasme
gastro-œsophagien.
™™ Églantine a été cambriolée il y a cinq ans. Elle était dans sa maison avec son plus
jeune fils. Ils ont neutralisé les occupants, sans les violenter, et ont dit qu’ils reviendraient.
Deux ans après, ils sont revenus casser la porte. C’est à la suite de ça qu’elle rêve réguliè-
rement que les deux cambrioleurs viennent la tuer avec un pistolet.

Accidents de la circulation
La phobie de la voiture est quasi constante dans les suites d’un accident de la circula-
tion. Les tracas administratifs en relation avec les assurances et les procédures judiciaires
potentialisent l’effet traumatique de l’accident.
™™ Inès a eu un accident de la circulation il y a quinze jours. Son fils a été légèrement
blessé. Dans les suites de l’accident, elle a été prise d’accès incontrôlés de pleurs pendant
24 h. Elle dort mal, rêve toutes les nuits de l’accident. Elle ne peut plus monter dans une
voiture.
™™ Saïd, patron d’une petite entreprise de transport, a été percuté par un de ses
camions alors que lui-même était en voiture. Entorse cervicale. Il consulte quatre mois
après et présente des douleurs séquellaires, un état majeur d’angoisse, des symptômes
dépressifs et une peur en voiture. La dimension administrative et juridique est centrale : il
ne perçoit aucune indemnité au bout de huit mois.
Les douleurs persistant, il consulte deux neurochirurgiens qui ne relèvent pas d’indica-
tion opératoire, puis un troisième qui, brandissant l’image du fauteuil roulant, l’opère sur
le champ. Six mois après, les douleurs n’ont bien sûr pas changé d’un iota.
Les rêves récurrents évolueront par étapes successives depuis le début du trauma-
tisme : les premiers dupliquent l’accident, ensuite, au bout de quelques mois, ce n’est pas
lui qui conduit la voiture et, en dernier, ce sont des réminiscences d’accidents dont il a
été le témoin.
226
Nature des traumatismes

8. PHYSIOPATHOLOGIE DU SPT
Approches neuroendocriniennes
Il existe une spécificité biologique du PTSD, différente de celles de la dépression, de
l’anxiété et du syndrome général d’adaptation. Les approches neuroendocrinologiques
(R. Yehuda, 1997) révèlent :
––une augmentation de l’activité noradrénergique cérébrale responsable de l’inscrip-
tion mnésique anormale et excessive ;
––une réponse cortisolique précoce basse : diminution du cortisol par faible activité
de l’axe corticotrope, associée à une hypersensibilité des récepteurs aux corticoïdes ;
––dans certains cas, une hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien :
augmentation de T3.

Approches neuroanatomiques
L’imagerie cérébrale révèle les éléments suivants :
1) hyperactivité de l’amygdale, centre récepteur des informations traumatiques ;
2) diminution de la taille de l’hippocampe ;
3) baisse d’activité dans l’aire de Broca, inductrice chez certains sujets d’une baisse de
la mémoire verbale ;
4) désactivation du cortex préfrontal médian (aire 25) et du gyrus temporal moyen
à l’évocation du traumatisme : faillite de l’inhibition des réponses de peur aux stimuli
associés au traumatisme.

Approches neurophysiologiques
Augmentation d’un sommeil paradoxal non réparateur à l’électroencéphalogramme.

9. VÉCUS TRAUMATIQUES ET MALADIE D’ALZHEIMER


Les articles et communications sur la maladie d’Alzheimer abordent très rarement
la dimension traumatique, ou bien de manière anecdotique, y compris dans l’analyse,
souvent exhaustive par ailleurs, de cas cliniques.
Les études sur de potentiels traumatismes inducteurs sont très rares, souvent parcel-
laires. La majorité des études effectuées ces dernières décennies sont centrées sur deux
aspects de la maladie : la biologie d’une part, les conséquences psychiques de la maladie
d’autre part. En aucun cas, malgré les fonds investis, l’intérêt ne s’est porté sur la dimen-
sion psychosomatique de sa genèse.
Depuis longtemps, je me pose la question d’un potentiel facteur traumatique dans le
déclenchement de la maladie d’Alzheimer.
La confrontation des données biologiques des syndromes psychotraumatiques, de
celles du syndrome général d’adaptation (SGA) et de celles de la maladie d’Alzheimer
à ses débuts, permet d’avancer une communauté d’altérations biologiques dont, parmi
tant d’autres, mais de manière plus évidente, une altération anatomique et physiologique
de l’hippocampe, centre de régulation des activités mnésiques et des émotions.

227
Traité de médecine psychosomatique

Arguments neuroanatomiques
En dehors des formes rares débutant par un déficit instrumental sans altération de la
mémoire (sujet jeune, de 40 à 60 ans), la maladie d’Alzheimer débute en règle générale
par une atrophie hippocampique bilatérale responsable du syndrome amnésique qu’elle
précède (incapacité à former de nouvelles traces mnésiques). Ce n’est que secondaire-
ment que l’atteinte va diffuser vers le néocortex associatif.
Dans le PTSD (traumatisme brutal), on retrouve une diminution de la taille de l’hip-
pocampe à l’IRM. Cette atteinte diminue la mémoire déclarative. Au niveau de l’hippo-
campe, l’impact du traumatisme est habituellement confronté aux traces mnésiques
laissées par les vécus traumatiques antérieurs.
La phase d’adaptation du SGA (traumatisme étalé dans le temps), lorsqu’elle se
prolonge, ainsi que la phase d’épuisement qui en découle, se caractérisent, elles aussi,
par une altération du système limbique et une atrophie de l’hippocampe. Les récepteurs
hippocampiques aux glucocorticoïdes sont désensibilisés et diminuent. Le feed-back
négatif s’en trouve altéré. Les épines dendritiques de l’hippocampe régressent. Les capaci-
tés défensives des cellules de la couche CA3 à d’autres agressions diminuent, la plasticité
synaptique est altérée, aboutissant à terme à une mort neuronale. Des effets similaires au
niveau du cortex orbitofrontal finissent par se produire.

Arguments cliniques
Certains déficits cognitifs du PTSD se retrouvent dans la maladie d’Alzheimer : troubles
de la mémoire déclarative, déficit attentionnel, désinhibition, persévérations, difficultés à
utiliser les informations.
Le désordre psychique associé aux perturbations biologiques du SGA se manifeste,
quant à lui et de manière assez fréquente, par des perturbations au niveau de l’éveil, de
l’attention, de la concentration, une hyperréactivité aux stimuli, des altérations de la
mémoire à court terme prédominantes sur les compétences verbales.
Les rares études
Sur vingt et un articles de Synapse, NeuroPsy ou Nervure, trois seulement abordent la
question du facteur traumatique potentiel dans le déterminisme de la maladie.
J.-P. Clément insiste sur cette hypothèse, soulignant la similarité biologique entre le
PTSD et la MA (Traumatisme événementiel et démence).
M.-F. Rochard-Bouthier, B. Plaquet et F. Munsch ouvrent la piste d’une approche du
processus démentiel en tant que mécanisme de défense (Synapse, n°136). La théorie
lésionnelle serait insuffisante pour rendre compte de la clinique des démences tardives. Il
existerait aussi une part de fonctionnel liée à des mécanismes de défense contre le vécu
traumatique en cours.
B. Cyrulnik évoque la particularité des traumatismes survenant au cours de la vieillesse.
Ils « sont en général à l’origine d’une grande souffrance, car il n’y a plus les mêmes proces-
sus biologiques ni les processus d’apprentissage… Ce nouvel état explique que la proba-
bilité de traumatisme sans résilience augmente avec l’âge. Ayant du mal à apprendre un
autre espace-temps, ils deviennent vulnérables à tout changement. Un déménagement,
le deuil d’un ami, bouleversent la perception de leurs repères et peuvent provoquer des
accès de confusion. Mais ceux qui guérissent le plus vite sont ceux qui avant le trauma
228
Nature des traumatismes

avaient acquis les ressources internes qui permettent de stabiliser un sujet. Et ceux qui
décompensent et parfois entrent en démence à cette occasion sont ceux qui avaient
toute leur vie manifesté une difficulté d’autonomie, un conformisme quasi phobique, et
qui après le trauma n’ont pas retrouvé les repères temporaux spatiaux d’un milieu stable
et les liens familiaux tissés avec les aidants. » (Résilience et sujets âgés.)
Conclusion
La confrontation des données biologiques du PTSD, du SGA dans sa phase d’adap-
tation, et de la maladie d’Alzheimer à ses débuts permet d’avancer une communauté
d’altérations biologiques dont, parmi tant d’autres, mais de manière plus évidente, une
altération anatomique et physiologique de l’hippocampe. Les réactions biologiques du
PTSD et du SGA comportent toutes cette altération hippocampique que l’on retrouve
dans la maladie d’Alzheimer en phase préclinique a minima, puis de manière franche et
extensive lors de l’évolution. On retrouve aussi parfois des signes cliniques apparentés
constituant des prémices de certains désordres démentiels dans certains états trauma-
tiques. Il y a donc lieu de rechercher, grâce une anamnèse associative rigoureuse, l’exis-
tence de facteurs traumatiques dans les mois ou à la limite les deux années ayant précédé
l’éclosion des premiers troubles, événements traumatiques ponctuels et intenses à type
de perte ou d’agression majeures et/ou situations traumatiques étalées dans le temps à
type de contraintes, menaces, attentes, etc.

229
Chapitre 10

LA FAMILLE

1. INTRODUCTION
La famille (familia : « ensemble des habitants d’une maison ») est, selon le Dictionnaire
Larousse, « la société de personnes liées entre elles par les apports du mariage ou de la
parenté ». La définition de parent étant : « personne liée à une autre par le sang ou par
le mariage ». Ainsi, la définition de la famille repose sur des liens spatiaux, biologiques et
sacrés. Qu’en reste t-il ?
Travail des hommes de plus en plus éloigné de leur domicile, puis des femmes en
dehors du foyer, déplacements et déracinements géographiques, décalage plus tardif
dans le temps des paternités et des maternités, scolarisation de plus en plus précoce des
enfants, effacement des références religieuses, libération sexuelle et multiplication des
divorces, augmentation des familles dites « recomposées » et des familles « monoparen-
tales », désinvestissement du mariage au profit du PACS qui précède paradoxalement
la revendication puis la légalisation du mariage homosexuel, demande de légalisation
de l’« homoparentalité », place secondaire des grands-parents souvent éloignés, légali-
sation de l’abandon sous X, procréation médicale assistée, engouement « humanitaire »
pour l’adoption, délégation de la fonction préceptrice parentale à l’Éducation nationale,
ramollissement de l’autorité parentale au profit de la dictature médiatique, phallicisation
des femmes, investissement de la fonction maternelle par les pères, appelés « nouveaux
pères », puis « pères au foyer » (dont le sigle PAF, largement utilisé, interroge…), depuis
trente ans la famille occidentale en a pris un sacré coup. Elle est devenue méconnais-
sable. Et ce n’est de toute évidence qu’un début. Mais peut-on encore parler de famille ?
Bien sûr, d’aucuns s’évertuent à « redéfinir » la famille. Le dictionnaire est ouvert, tolérant,
complaisant, passif… Le jeu des sept familles est de toute façon définitivement relégué au
grenier, si ce n’est à la décharge publique…
Le sujet que nous allons traiter concerne essentiellement la famille occidentale, en
tout cas ce qu’il en reste, celle dans laquelle, praticiens, nous sommes habitués à inter-
venir, concernés par les demandes d’aide, mais aussi impliqués par nos histoires person-
nelles, pas si lointaines, de la famille nucléaire qui constitua pendant de longs siècles le
socle unitaire de notre société. Les tenants du multiculturalisme nous pardonneront,
nous ne pouvons traiter que de ce que nous avons appris à connaître et de ce qui nous
interroge le plus de manière récurrente : notre milieu, nos origines, notre devenir. Notre
respect et notre curiosité à l’encontre d’autres civilisations n’en sont pas moins vivants,
mais à trop vouloir regarder dans le champ du voisin, nous laissons en jachère celui qui
nous a fait vivre.
Ce chapitre abordera la famille dans sa dimension pathogène et dans sa dimension
trophique.
Précisons déjà qu’il y a lieu de distinguer :
231
Traité de médecine psychosomatique

––les traumatismes familiaux actuels, objets de demande d’aide. Souvent intriqués


à d’autres facteurs traumatiques personnels ou professionnels, ils entrent dans le
codéterminisme des pathologies. Ils sont fréquents ;
––les déterminants familiaux ayant joué un rôle central dans la construction de la
personnalité, de l’organisation psychique et de la relation d’objet. Ils sont constants,
omniprésents.

2. LES TRAUMATISMES FAMILIAUX


Nous entendons par traumatismes familiaux actuels les événements ou situations
traumatiques survenus dans le contexte familial, et ayant un effet pathogène sur l’équi-
libre du sujet.
Les traumatismes familiaux actuels, source de déstabilisation, apparaissent le plus
souvent lors de l’investigation comme ayant été l’objet d’une insuffisance d’élaboration
psychique, ou en tout cas comme ayant outrepassé le système défensif du sujet. Celui-ci,
désemparé, demande de l’aide le plus souvent après avoir, selon ses termes, « tout
essayé », après être passé par toutes les phases de la réaction traumatique, sans y avoir
trouvé de solution.
Nous pouvons répertorier les traumatismes familiaux selon notre classification
habituelle :
• situations traumatiques :
––contraintes : situations exacerbées d’emprise familiale ;
––situations anxiogènes : conflits familiaux, maladie d’un membre de la famille,
dilemmes décisionnels.
• événements traumatiques :
––pertes : deuils, divorces, séparations, départ des enfants, ruptures relationnelles,
perte d’un rôle ou d’un idéal familial fortement investi ;
––agressions verbales ou physiques au sein de la famille.
Nous avons précédemment évoqué les deuils (p. 206), nous aborderons plus loin les
séparations. Nous ne nous étendrons pas sur les problématiques induites par le divorce.
Nous développerons plus loin (p. 237) deux problématiques pathogènes majeures : la
pathologie du lien et la perversion au sein de la famille.
Les situations d’emprise familiale qui assignent le sujet à un rôle ou une place donnée
sont propices tôt ou tard à de fréquentes crises à un moment donné de la vie de celui-ci.
Alors que tout semble couler de source pendant de longues années, voilà qu’une remise
en question surgit au travers d’un déboire plus aigu que les précédents. Il en est de même
en ce qui concerne la prise de conscience ou de la révélation de transgressions sexuelles
au sein de la famille, aboutissant à des ruptures relationnelles, voire à des procès.
Quelque chose se révolte à l’intérieur du sujet. Éclair de conscience face à la répétition,
révélation. Lorsque le processus surgit, le recours au psy peut apparaître sous forme d’une
réelle demande de mise en travail psychothérapique. La progression est alors en général
fructueuse et rapide. Dans d’autres situations, la demande d’aide est conditionnelle :
d’accord pour changer mais à condition de ne rien lâcher, de ne rien perdre. L’issue est
standardisée : le plaignant abandonne toute implication et va quérir ailleurs un bureau
des plaintes plus complaisant, sans changer d’un iota ce qui le fait souffrir.
232
La famille

Attardons-nous pour l’instant sur certaines situations familiales traumatiques très


fréquentes, actuelles et factuelles, parfois banales, qui n’en masquent pas moins un
processus pathogène latent, quiescent, beaucoup plus ancien, que l’événement vient
révéler.

2-1. Conflits d’intérêts
L’entreprise familiale
Jusqu’aux années 70, nombreux étaient les membres d’une même famille travaillant
ensemble dans la même structure et le même lieu : exploitation agricole, commerce,
petite entreprise artisanale. Les taches professionnelles et familiales étaient réparties. Ce
modèle permettait prospérité, partage des intérêts communs, surveillance des enfants
à moindre coût, entraide, échanges et transmissions, au prix toutefois d’une répression
variable chez un ou plusieurs membres de la famille, le plus souvent le jeune couple.
Les sujets s’en accommodaient car le spectre de la pauvreté planait depuis des siècles,
le consumérisme n’existait pas et il n’était pas pensable qu’un modèle différent puisse se
substituer à celui qui se transmettait de génération en génération.
Aujourd’hui, ce modèle est pratiquement éteint du fait de l’éclatement des familles,
du besoin perpétuel d’un ailleurs prometteur, des déplacements géographiques, de la
disparition progressive des petites entreprises, du refus de l’autorité verticale au sein de
la famille, de la fascination par l’ailleurs, et d’une impossibilité d’adaptation aux nouvelles
lois et représentations sur le travail.
™™ Gérard m’est adressé dans les suites d’une tentative de suicide. Aîné d’une fratrie
de six, il a toujours été le bouc émissaire du père. Devenu chef de l’entreprise familiale, il a
dû, sous la pression du conseil de famille, embaucher son beau-frère, alcoolique et toxico-
mane. Mais il a dû le licencier au bout de sept mois du fait de son désinvestissement, de
ses absences, et des risques qu’il faisait courir au personnel. Couvert d’opprobre par le
conseil de famille, Gérard se dédouanera en prenant en charge financièrement l’intégra-
lité de la famille de sa sœur, ce qui le conduira à la faillite.
™™ Emma travaille dans l’entreprise familiale de ses beaux-parents. Par ailleurs, depuis
que le bébé est né, ces derniers se sont installés chez le jeune couple pour, selon leurs
allégations, plus de commodités. Emma n’a droit à la parole ni dans son travail, ni dans
l’éducation de son enfant. Angoisse, boulimie.

L’argent
Le mariage contemporain est un « mariage d’amour » et non d’intérêt comme il a
pu l’être auparavant. L’argent est-il pour autant relégué aux oubliettes de la famille ? Si,
auparavant, l’amour devait s’ajuster à l’intérêt (les bons comptes font les bonnes amours),
maintenant, l’argent doit s’ajuster à l’amour.
Si la circulation quotidienne de l’argent au sein de la famille s’inscrit dans un contexte
de confiance, de proximité, de nécessité, d’intérêts communs partagés, de sollicitude,
d’amour, certaines transactions importantes sont plus complexes car elles interragissent
avec la relation. Cet ajustement de la transaction à la relation se révèle parfois diffi-
cile. L’argent ne perverti pas le lien mais joue un rôle de révélateur de la problématique
relationnelle.
233
Traité de médecine psychosomatique

Dans les relations sociales, payer libère de la dette. La transaction marchande libère les
partenaires l’un de l’autre. Il n’en est pas de même dans les relations familiales.
Le don d’argent, excepté celui donné à des fins précises, n’implique pas a priori que l’on
partage les desseins du donataire, contrairement au don en nature, qui exprime un objec-
tif commun, participe d’un projet, bien que certains dons en nature (objets, propriétés)
ne soient pas dénués d’un souci de contrôle.
Et puis, il y a les conflits d’argent, les rivalités, les embrouilles, ou pire les extorsions,
les escroqueries, voire les vols, si ce n’est les crimes au sein de la famille. La discorde, la
brouille, la rancœur, la haine, la rupture familiale sont au rendez-vous.
™™ Laure, 34 ans, était la dernière, et seule fille, d’une fratrie de six. Des conflits
familiaux successifs liés à des histoires d’argent surgiront entre le père et les cinq frères
aînés au moment de leurs mariages respectifs, le père ayant exigé de chacun de ses fils la
rédaction d’un contrat de mariage privant les épouses de tout droit sur les transmissions.
Lorsque Laure a 15 ans, le père décède et la mère, éplorée, ne reverra plus jamais ses trois
fils aînés. Quant aux deux autres, seuls à être venus aux obsèques, ils ne lui seront d’aucun
secours malgré la proximité de leur domicile. Seule, Laure rendra régulièrement visite à
sa mère, s’occupant d’elle avec soin, n’hésitant pas à l’aider financièrement avec l’accord
de son conjoint.
Il y a six mois, Laure et son mari ont proposé à la mère de racheter sa grande maison
pour une somme modique et de la restaurer. La mère restera habiter chez eux. Depuis,
les cinq frères ont resurgi. Les trois aînés, portés disparus depuis dix-neuf ans, ont fait
irruption, et les deux cadets ont décidé d’intenter un procès au couple s’il ne renonce pas
à leur projet.
Le problème des pensions alimentaires dans les suites de divorce est éminemment
fréquent. Ici, l’argent est censé se substituer à la relation d’intimité. La transaction est un
reflet de l’état de la relation, des dispositions affectives, de la reconnaissance d’une dette.
La recomposition du couple constitue une deuxième étape. Le refus fréquent de payer
pour l’autre, la pièce rapportée, met souvent un terme à la relation.
Dans un troisième temps, l’émancipation des enfants devenus adultes apaise souvent
la discorde.

Le patrimoine
™™ Angélique, 17 ans, et ses parents vivaient sur le terrain familial où avaient été bâties
trois maisons : la leur, celle des grands-parents maternels et celle de la famille de l’oncle
maternel.
Angélique était fille unique, tout comme la fille de cet oncle. Les deux cousines
grandirent ensemble. Elles étaient comme deux sœurs, vivant l’une chez l’autre de
manière indifférenciée, sauf quand la cousine recevait une copine auquel cas Angélique
était exclue. Celle-ci allait alors se réfugier chez ses grands-parents qu’elle idolâtrait.
Lorsqu’Angélique eut 13 ans, sa mère et son oncle se disputèrent au sujet du terrain
sur lequel ils vivaient, l’un voulant s’annexer une partie de l’autre au nom d’une dette
ancienne. Les deux familles coupèrent alors les ponts et interdirent aux cousines de se
revoir. Les parents d’Angélique déménagèrent six mois après et le grand-père maternel,
déjà malade et très affecté par ce départ, décéda dans la quinzaine qui suivit. Angélique

234
La famille

perdit alors l’appétit et le sommeil, et passa ses journées à pleurer. Elle supplia ses parents
d’inviter la cousine afin de retrouver un lien. Lorsque la cousine vint, elle lui adressa à
peine la parole et fit des photos de la nouvelle résidence afin d’en faire un rapport détaillé
à ses propres parents. Après cet événement, Angélique rangea toutes ses affaires d’enfance
dans une boîte qu’elle installa au grenier et traversa une période de dépression. À 17 ans,
elle fonctionne encore comme quand elle en avait treize. Elle est inhibée, ne parvient pas
à tisser des liens avec des collègues de son âge, regarde exclusivement des dessins animés
et refuse de laisser ses parents, si ce n’est pour aller au lycée. Elle ne veut pas grandir pour,
dit-elle, « ne plus jamais être séparée ».
™™ Cyril ne s’est jamais senti investi par son père, à telle enseigne qu’il a toujours
douté d’être son fils biologique. Dernier d’une fratrie de quatre, il est né lorsque le couple
parental se déchirait. Les parents se réconcilièrent au prix de son exclusion. Il fut livré à
lui-même durant toute son adolescence et, lorsqu’il eut 17 ans les parents l’émancipèrent.
Cyril a aujourd’hui 40 ans. Son père est décédé il y a un mois. Il pense que celui-ci l’a
émancipé dans le but de le déshériter au profit de ses frères et sœurs. En effet, ceux-ci se
partagent l’ensemble des terres du patrimoine et lui a perçu une somme d’argent. Cet
argent, il n’en veut même pas. Il rêvait de retrouver ses racines en installant un mobile-
home sur un lopin de terre familial. Il se sent dépossédé, exclu encore une fois et consulte
pour un état dépressif majeur.

2-2. Trahisons et mésalliances
Les haines ancestrales sont devenues beaucoup plus rares de nos jours dans le monde
occidental, du fait des exodes au sein des familles et de l’évanescence de la tradition et
de la religion. Le mariage d’amour ayant pris le pas sur le mariage de raison ou d’argent,
les mésalliances reconnues comme telles par l’ensemble des membres de la famille sont
devenues rares au sein de ce qui subsiste de la civilisation occidentale.
Les causes actuelles de la non-acceptation d’un conjoint par la famille ont à ce jour
des origines limitées. Elles résident essentiellement dans les obstacles statutaires sociaux,
religieux ou ethniques, qui augmentent compte tenu de l’accroissement des communau-
tés émergentes, mais aussi, et surtout, d’un point de vue individuel, dans la pathologie
du lien.

Obstacles religieux
™™ La relation entre Christian et Nabila est restée clandestine jusqu’au jour où un
projet de vie commune et d’enfant a émergé. Nabila ayant fait part de ses intentions à
ses parents, ceux-ci exigèrent d’elle que son conjoint se convertisse à l’islam. Christian
fréquenta les mosquées le temps nécessaire. La conversion effectuée, les parents de Nabila
firent volte face, exigeant que celle-ci prenne pour époux un jeune homme d’origine
arabe, la conversion ne suffisant pas. Nabila se sépara de Christian, au plus grand désarroi
de ce dernier. Elle quitta sa famille mais revint au bout de trois mois auprès de Christian
suite à un drame familial qui défraya la chronique : sa sœur aînée s’était fait arracher les
globes oculaires par son mari dans la maternité où elle allait accoucher. Le couple quitta
la région mais, dans les suites de la naissance d’Adam, Nabila fit une psychose puerpé-
rale qui nécessita une hospitalisation. Un an, après le couple se sépara à nouveau, Nabila

235
Traité de médecine psychosomatique

épousa Kader et partit avec lui au Maroc. C’est dans les semaines qui suivirent que Chris-
tian, dépossédé de sa femme et de son fils, vint me consulter.

Pathologie du lien
™™ Le père d’Émeline, 23 ans, est décédé à Noël, il y a un an, alors qu’elle était enceinte
de six mois. Accouchement difficile : dystocie dynamique et mécanique. Sa famille, qui vit
en Lozère, n’a pas pu venir à la maternité. Par contre, les beaux-parents, qui vivent à côté,
ont rapidement accaparé le bébé. Allaitement pendant neuf mois. Émeline va se marier.
Allergies depuis qu’elle est dans la région. Ulcère à l’estomac depuis la reprise du travail, le
bébé étant gardé par la belle-mère.
Émeline, endeuillée, déracinée, dépossédée, souffre de l’éloignement de sa propre
famille et de l’emprise des beaux-parents. Elle craint que la petite n’investisse que sa
belle-famille. « Mon père, je voulais lui faire un petit-enfant. Ma mère, elle aurait tant
besoin de sa petite-fille. » Pourtant, la famille d’Estelle, qui n’est pas si éloignée que ça,
n’est pas venue à la maternité. On a l’impression d’une bouderie familiale suite à une
transgression.
Toute la famille vivait dans un hameau de Lozère. Le père et la mère d’Émeline étaient
cousins germains, le grand-père paternel et le grand-père maternel étant frères. Aînée
de sa fratrie, et ayant perdu son père deux ans avant qu’Émeline ne naisse, la mère était
responsable de la ferme familiale et passait une large partie de ses journées aux champs.
Elle gérait tout. Émeline fut élevée en partie par sa grand-mère maternelle. Elle était très
sauvage, très proche des animaux et de la nature. Son abandonnisme se manifesta dès
l’école primaire où elle devint le souffre-douleur de ses collègues, et s’accentua au collège
lorsqu’elle fut mise en pension. Il y a quatre ans, cinq membres de la famille décédèrent
successivement au hameau. La mère d’Émeline ne voulut plus qu’elle parte de la maison.

2-3. La rupture
La rupture met un terme transitoire au conflit ou à la situation larvée. La perte lui
succède, avec les réactions défensives qui lui sont propres : désarroi, souffrance, angoisse,
colère, rancœur, interrogations, culpabilité, espoir.
™™ Annie, 58 ans, est adressée par son médecin généraliste pour névralgie cervico-
brachiale. Celle-ci est apparue au décours d’une rixe verbale il y a trois mois. Au cours
d’un repas de famille, elle avait interdit à sa petite-fille Margaux de se resservir car elle la
trouvait trop grosse. Anne-Sophie, fille d’Annie et mère de Margaux, a explosé. Échange
de propos blessants, injures. Anne-Sophie quitte la table et depuis n’a plus donné signe
de vie.
Malgré ses origines très modestes, Annie fit de brillantes études qui l’amenèrent à
côtoyer la haute bourgeoisie. Elle se maria à 23 ans avec le fils d’un richissime promo-
teur immobilier et devint professeur des universités, ce qui, selon ses termes, lui permit
« d’expurger la honte liée à ses origines ». Elle eut deux enfants, Anne-Sophie et Charles-
Édouard. Pas plus investie dans sa vie de couple que dans sa fonction de mère, elle veilla
essentiellement à ce que ses deux enfants fissent de brillantes études. Ce qui ne fut pas le
cas. Le décès de son mari lorsqu’elle eut 42 ans renforça chez elle ce strict investissement
d’une fonction paternelle, sa belle-mère, Edwige, assurant le gîte et le couvert dans le

236
La famille

somptueux immeuble haussmannien. La fille, Anne-Sophie, essaya plusieurs filières mais


en vain. Désocialisée par des troubles des conduites alimentaires, elle est à ce jour en
invalidité. Le fils, Charles-Édouard, devint technicien dans l’informatique, mais fit faillite.
Dans cette famille, la bienséance, la convenance, le contrôle et le silence feutré règnent.
Annie, après avoir contrôlé les études de ses deux enfants, tente de maîtriser l’éducation
de ses petits-enfants. Edwige distribue de l’argent à la descendance de son fils, surtout
lorsqu’Annie s’y refuse. Anne-Sophie et Charles-Édouard veillent à ce que leur mère reste
célibataire. Jaloux l’un de l’autre, ils tiennent scrupuleusement les comptes de ce que
l’autre a ou n’a pas.
Faute de mieux, la velléité de contrôle d’Annie s’est déplacée sur la balance. Elle est
végétarienne et, à 58 ans, fait de la gym à outrance, veillant à ne pas dépasser le poids de
sa fille pourtant sujette à des périodes d’anorexie. L’arrière-grand-mère s’efforce, quant à
elle, autant que se peut, lors des repas de famille, de concocter les mets les plus caloriques
qui soient. Et tout se passe avec le sourire dans une ambiance luxueuse et glacée.

3. LA PATHOLOGIE DU LIEN


3-1. L’enfant rejeté
La nature, l’intensité, le moment de survenue et les causes du rejet d’un enfant sont
très variables, tout autant que les conséquences sur celui-ci.

Les diverses formes de rejet


Le rejet peut être conscient, préconscient ou inconscient.
Une première forme de rejet conscient est la grossesse cachée. Mais le plus souvent,
il apparaît dans les suites immédiates de la naissance, pour différentes raisons : inadé-
quation entre l’enfant imaginé et l’enfant réel, signaux émis par l’enfant inducteurs d’une
angoisse maternelle, dépression postnatale, événements traumatiques familiaux.
Si le rejet de la mère à l’égard du bébé est le plus répandu, lorsque l’enfant devient plus
grand, les auteurs du rejet se répartissent indépendamment du sexe des parents. Le rejet
de la fille par le père en période œdipienne est particulièrement traumatique.
Le rejet de l’enfant par la nouvelle compagne du père est fréquent. L’enfant est à la fois
un attribut phallique du père, un témoin vivant de sa vie antérieure, un représentant de
sa mère. Ces situations fréquentes font parfois l’objet d’une demande d’aide.
Il arrive aussi que le rejet conscient soit délibéré, ne faisant nullement l’objet d’une
remise en cause.
Le rejet préconscient, quant à lui, s’installe progressivement. Il est favorisé par les
divorces et les séparations, l’éloignement réel d’un des deux parents. L’enfant finit par être
oublié.
Le rejet inconscient se retrouve de manière caricaturale dans le déni de grossesse. Mais
il peut prendre des formes diverses à l’encontre d’un enfant plus grand. Il se révélera au
travers de lapsus, d’actes manqués, objets d’une dénégation à grands renforts de super-
latifs compensatoires.
™™ Le père de Solène a renoncé à ses droits de paternité lorsqu’elle avait 2 ans. Elle
prendra alors le nom de sa mère. À 4 ans, le nouveau compagnon de celle-ci la reconnaît

237
Traité de médecine psychosomatique

légalement et l’adopte. Lorsqu’elle a 10 ans, le nouveau couple divorce et le beau-père


renonce à son tour à son droit de paternité. Elle reprend à nouveau le nom de sa mère. À
14 ans, elle demande à revoir son vrai père. La réponse est négative car la nouvelle femme
de celui-ci s’y oppose. Colère. Compulsions alimentaires. Obésité. Elle perdra du poids
spontanément pendant son unique grossesse. Lorsque l’enfant aura 2 ans, son conjoint la
quittera. Thyroïdite de Hashimoto.
Il arrive aussi que ce soit une autre personne de la famille qui soit l’auteur du rejet.
C’est en règle générale un personnage occupant une position centrale et déterminante
dans la famille.
Le rejet peut être induit par des événements, l’enfant ayant été plus ou moins investi
auparavant.
™™ Zoé, 16 ans, est agressive et violente au collège, mais aussi à l’égard de sa grand-
mère maternelle qui en a la charge. Lorsqu’elle a 8 ans, son père tue l’amant de sa mère.
Une fois le père incarcéré, la mère divorce, se remarie, abandonne Zoé aux soins de la
grand-mère et disparaît dans la nature. La grand-mère commentera les réactions de la
mère dans l’année qui a suivi le meurtre : elle ne supportait pas la présence de Zoé qui,
pour elle, représentait l’assassin de son amant.

Les réactions au rejet


Les réactions de l’enfant au rejet sont variables :
––détresse, démentalisation, désordres somatiques ou comportementaux ;
––attente désespérée, dépression ;
––fusion et identification massive au parent qui reste.
™™ Alan a 13 ans. Il est obèse. La moindre angoisse, la moindre frustration, le moindre
affect désagréable déclenche une ingestion massive d’aliments sucrés. Tout a commencé
à 5 ans à la naissance du frère, suivie de près par le divorce des parents. La mère part dans
la nature et le père déménage avec Alan.
Lorsqu’il a 7 ans, il est envoyé dans un centre nutritionnel pendant un an. Lorsqu’il
revient chez son père, celui-ci est remarié. La nouvelle épouse ne l’accepte pas. Il reprend
l’intégralité de son poids.
Lorsqu’il a 9 ans, la mère refait surface. Il va vivre chez elle. Celle-ci, remariée, surveille
son alimentation comme de l’huile sur le feu. « Il a fallu que je regrossisse pour que
maman s’occupe de moi. »
Impression que cet enfant n’a jamais été vu, n’a jamais existé dans cet environnement
familial tourmenté, pris dans sa problématique. Les interventions médicales sur son
poids, inefficaces à moyen terme, n’ont fait qu’éluder la problématique de fond
™™ Sonia la fille, Micheline la mère, et Rosette la grand-mère, vivent toutes les trois
dans un appartement au sommet d’une tour.
Micheline est le produit d’une copulation à la sauvette entre Rosette et Lucien, un jeune
homme de passage plus jeune qu’elle. Rosette élèvera seule Micheline pendant quatre
ans. Lucien, bien que n’ayant pas reconnu Micheline, rendra de temps en temps visite à ce
petit monde. Lorsque Micheline a quatre ans et demi, le fuyant Lucien a un autre enfant
avec une fille de son âge. Fureur de Rosette qui colle Micheline à l’orphelinat jusqu’à ses
18 ans. Au sortir de l’orphelinat, Micheline rencontre Ahmed, lui aussi de passage. Elle
238
La famille

tombe enceinte de lui le soir même mais le jeune homme repart et elle se retrouve à son
tour fille-mère de Sonia. Elle retourne chez sa mère le temps de la gestation. À sa surprise,
Ahmed revient avec l’intention de se marier et de reconnaître l’enfant. Lorsque celle-ci a 5
ans, Ahmed retourne s’installer au Maroc. Micheline déprime et retourne avec Sonia chez
sa mère. Sonia ira rejoindre son père pendant l’été jusqu’à l’âge de 7 ans, date à laquelle
celui-ci disparaîtra définitivement de la circulation. Durant cette période, elle dévelop-
pera de l’asthme, un désordre alimentaire et de l’obésité. À l’âge de 15 ans, s’installeront
anorexie et crises hystériformes à type de transe régressive et d’état second précédés par
une chute. C’est alors qu’elle allègue des sévices sexuels qui lui auraient été imposés par
son père entre 5 et 7 ans lors des séjours au Maroc. Elle est aussi en proie à des réminis-
cences, des scènes de sorcellerie dont elle aurait été l’objet au cours d’un de ces séjours.
Mère abandonnée et fille abusée formeront alors un couple en rébellion contre la gent
masculine, ce qui leur évitera d’aborder la problématique de leur relation aussi dépen-
dante qu’ambivalente. La grand-mère apportera de l’eau au moulin et veillera à ce que
rien ni personne ne sorte de l’appartement.
Elles s’étaient présentées à mon cabinet au début de mon installation. Ma moindre
expérience de l’époque, mais aussi une manipulation que je n’avais pas discernée m’avait
fait accepter de les recevoir plusieurs fois ensemble. La fille parlait de la mère, la mère de
la fille. Toute interprétation tombait dans le vide, toute proposition d’autonomisation
était accueillie avec défiance. Double bouclier défensif face à un thérapeute qui s’avéra
rapidement désigné comme persécuteur.

3-2. Le parent de substitution


La clinique de l’adulte, et plus particulièrement les pathologies de l’idéal, nous
renvoient de manière très fréquente au rôle pathogène de parent de substitution qui a
été confié, souvent très tôt, à l’enfant.
Parfois, ce sont de simples circonstances matérielles qui placent l’enfant dans une
position parentale de substitution.
™™ Amalia est l’aînée de trois filles. Ses parents, agriculteurs, très occupés, lui confient
la surveillance de ses deux plus jeunes sœurs. Cette position éducative de maîtrise
l’accompagnera toute sa vie. Elle se doit de tout gérer et de s’effacer au prix d’une répres-
sion constante de son agressivité. Elle développera des pathologies rhumatologiques et
une hypertension artérielle.
La fonction parentale de substitution s’installe volontiers lorsqu’il existe des maladies
chez les parents. Elle s’accompagne alors d’une fonction de soin, accentuant la position
de toute puissance. Soigner ses proches – nous le savons – est périlleux, pour le sujet,
mais aussi pour ceux qui sont l’objet de soins. Lorsque ceux-ci souffrent de pathologies
mentales, cette psychothérapie de soutien intra muros, loin d’être efficace, prive l’objet
d’un accès à un tiers thérapeute et prend en otage le sujet, confronté à son impuissance
qu’il dénie le plus souvent. La culpabilité est toujours au rendez vous.
™™ Marie-Claude est, elle, la dernière d’une fratrie de trois. Mais ses deux parents et
son frère sont dépressifs. Quant à la sœur, elle est anorexique. Dès l’adolescence, elle
s’occupera de tout le monde. Malgré cela, sa culpabilité d’être la seule en bonne santé
n’en sera pas atténuée. Elle restera vieille fille.
239
Traité de médecine psychosomatique

La responsabilité déléguée à l’enfant entre en jeu dans la genèse de la formation


réactionnelle contre une agressivité légitime à l’égard des puînés. Elle flatte son narcis-
sisme et contribue grandement à développer son idéal du moi. Elle crée à terme une
identité à part entière, ce qui explique la répétition de ce type de fonctionnement lorsque
l’enfant est devenu adulte, répétition en toute circonstance. Lorsque la mission réussit, le
sentiment de maîtrise permet de poursuivre souvent au prix de renoncements (célibat,
renoncement à la maternité, infertilité) ou d’une répression intense et prolongée induc-
trice de pathologies somatiques. Lorsqu’elle échoue, c’est la défaite, la culpabilité de
dévalorisation, la dépression.
Lorsque les rôles sont inversés, enfant parent de ses propres parents, la confusion s’ins-
talle au niveau des repères générationnels. Le sujet est placé dans une position instable
mais aussi transgressive. L’objet, quant à lui, est en proie à des mécanismes régressifs.
On retrouve un processus similaire lorsque l’enfant est en outre désigné comme le
conjoint de substitution. Cette situation, également très fréquente, est propice à l’instal-
lation d’un fonctionnement familial pervers.
™™ Stéphanie suit actuellement un protocole de procréation médicale assisté. Elle
voulait faire un enfant toute seule mais finit par épouser un brave homme falot, soumis
et inexistant, tout comme son propre père. Père que sa mère et elle appellent : « Le père ».
Père de qui ? Le seul couple dans la famille, c’est Stéphanie et sa mère. « Je suis son mari.
Je suis la clé de son couple. » La grand-mère constituait de son vivant un rempart contre
l’emprise maternelle. À son décès, Stéphanie développa une maladie de Basedow. Interdit
de féminité, interdit de maternité.
Les conséquences de l’assignation à des rôles parentaux de substitution sur le futur
adulte sont constantes. Elles varient selon les situations et selon les sujets :
––pérennisation de la fonction lors de la vie adulte ;
––culpabilité de l’idéal, dépressions ;
––difficultés, voire impossibilité d’accession à une vie extra-familiale autonome, à la
conjugalité, à la sexualité, à la maternité et, comme nous le verrons souvent, à la ferti-
lité ;
––pathologies somatiques : pathologie de la répression, de la sensorialité, troubles
nutritionnels ;
––et, dans le meilleur des cas, sublimations dans la relation d’aide ou de soins.
™™ Christelle a développé une obésité à partir de 7 ans, dans les suites de la naissance
de sa petite sœur. Entre ses 12 ans et ses 18 ans, sa mère enchaînera les hospitalisations
et Christelle élèvera cette dernière. Lorsqu’elle a 18 ans, sa mère, de retour au foyer, lui
impose un régime draconien. Elle se soumet au prix d’une dépression et d’une tentative
de suicide.
Elle a aujourd’hui 43 ans, n’a pas d’enfant et n’en a jamais voulu. Elle ne supporte les
enfants que dans le cadre de son travail, puisqu’elle est puéricultrice en crèche.

3-3. La tyrannie du lien


Recevant beaucoup de ses parents, l’enfant ne pourra jamais compenser et rendre
autant qu’il a reçu, si ce n’est en donnant l’équivalent à ses propres enfants. Mais ce senti-
ment de dette peut induire une culpabilité si les parents ne sont pas capables de renoncer
240
La famille

à certaines exigences et d’éviter certaines injonctions plus ou moins conscientes. Parents


qui rappellent à l’enfant tout ce qu’ils ont fait pour lui, lui demandant par exemple de
rester avec eux. Le don devient lourd et le sentiment de dette écrasant. L’enfant et le
futur adulte ne pourra alors donner que de sa personne, « littéralement en se privant
d’une partie de soi-même » (Eiguer, La perversion dans les liens du couple et de la famille).
Pour Alberto Eiguer, des mécanismes pervers entrent en jeu dans ces situations. Donner
devient un mécanisme de pression. Puisque je me sacrifie, tu dois te sacrifier. L’enfant
ne doit pas penser, rêver, avoir son monde à soi. Eiguer insiste sur la fréquence de ce
mécanisme, plus particulièrement au sein du lien mère-enfant, mécanisme qu’il consi-
dère comme la forme la plus fréquente et la plus dramatique de perversion féminine.
« L’enfant peut être surévalué, encensé, porté au pinacle ; en réalité il est fétichisé, consi-
déré comme une partie de la mère, sa chose et l’outil de son vœu d’auto-idéalité. » (Ibid.)
Parfois, les intentions parentales sur le devenir de l’enfant sont claires, à peine dissi-
mulées, sthéniques, apparaissant sous forme d’emprise et de domination à perpétuité :
contrôles, interventions, exigences réitérées, culpabilisation, chantage, plus particulière-
ment lorsque le sujet est confronté à des changements existentiels (choix professionnels,
lieux de vie, mariage, paternité, maternité).
L’agresseur isole l’objet, monte les membres de la famille les uns contre les autres, attise
les antagonismes, colporte des rumeurs, fait et défait les alliances, culpabilise la proie qui
finit par douter, ne plus penser, ne plus agir.
Dans d’autres cas, les intentions sont moins apparentes, subliminales, dissimu-
lées derrière un discours rassurant, rationnel ou séducteur, mais souvent révélées par
des lapsus, des expressions langagières riches de sens, des décisions inattendues, des
« embrouilles », des symptômes.
Meurtre psychique protégé par le déni (« …les vampires ne se voient pas dans le
miroir » (Lopez, Le vampirisme au quotidien)), apparaissant tantôt comme un « crime
parfait lorsque l’enfant idolâtré est en réalité immolé sur l’autel de l’ancestralité et dressé
à ne jamais penser par lui-même » (ibid.), tantôt crime commis par délégation.
Le sujet d’emprise n’est pas toujours un monstre. Il existe chez certains sujets des
fluctuations, des alternances entre un fonctionnement en emprise et assujettissement
et des moments d’oblativité, de dévouement et d’amour réel. L’objet n’en est que plus
désarmé.
L’enfant n’est qu’un support, un chaînon manquant, un maillon intermédiaire destiné
à réparer un manque, une faille, un trou, une carence. Sa destinée en tant que futur adulte
est souvent toute tracée : angoisse, culpabilité, fixation à la famille, assignation à résidence
familiale, somatisations, masochisme.
Le sujet d’emprise est variable : la mère, le père, un frère ou une sœur, un grand-parent.
La mère prise dans un complexe de castration non résolu, dispose avec son fils d’un
substitut phallique dont elle ne saurait se séparer quel qu’en soit le prix. L’enfant est
destiné à remplir sa fonction de prothèse phallique. Toute velléité d’engagement dans
une vie d’homme, d’époux ou de père, est sévèrement contrôlée et à terme anéantie. Les
moyens utilisés sont variables, plus ou moins conscients, directs ou subliminaux, toujours
récurrents. Parfois, le message est très clair.

241
Traité de médecine psychosomatique

™™ Jérémie, 39 ans, consulte pour des attaques de panique. Il est devenu très anxieux
et est obsédé par l’idée que sa mère puisse mourir à cause de lui.
C’est à l’âge de 14 ans que sa mère l’amène se faire opérer des adhérences préputiales,
sans l’informer le moins du monde sur la nature et le but de l’opération. Au réveil, il est
persuadé qu’on l’a castré. Il vivra avec sa mère jusqu’à l’âge de 38 ans, date de sa première
relation sexuelle avec une femme, elle aussi vierge, qui deviendra son épouse. C’est dans
les suites de cette trahison par rupture du contrat de castration imposé par sa mère
qu’apparaîtront les attaques de panique et les obsessions qui l’amèneront à consulter.
Le père, lui aussi, peut être le sujet d’emprise, utilisant plus ou moins consciemment
l’enfant pour compenser un manque, obtenir un soutien, cacher ses propres difficultés,
voire éviter de vivre seul en couple avec son épouse.
™™ Marie-Thérèse a 60 ans. Elle souffre depuis l’âge de 40 ans de douleurs chroniques
des membres inférieurs. Celles-ci sont apparues dans les suites du décès de sa mère,
lorsque le père, privé de son épouse, devint dépendant, exigeant, tyrannique. Il mit tout
en œuvre pour que les fils de Marie-Thérèse viennent habiter chez lui. Le fils aîné s’exé-
cuta. Quant au fils cadet, il resta avec Marie-Thérèse et devint à son tour persécuteur en
s’enlisant dans l’alcoolisme. Chaînon manquant dans l’histoire familiale, assignée à une
fonction de mère porteuse, soumise à la tyrannie des hommes de sa lignée, Marie-Thérèse
va tous les quinze jours remplir ses échelles d’évaluation de 0 à 10 au centre antidouleur
de sa sous-préfecture.
™™ Nathalie, 34 ans, est soumise à sa sœur Barbara, son aînée, très possessive. Toutes
deux sont célibataires, sans enfant. Nathalie n’a jamais eu de relation sexuelle. Les deux
sœurs forment un couple depuis leur plus tendre enfance. Barbara l’aînée avait des jeux
de fille, Nathalie des jeux de garçon. Barbara fut l’objet de soins, de protection et d’atten-
tion particulière de la part des parents à partir du jour où elle fut prise de spasmes du
sanglot. Quant à Nathalie, petit garçon manqué, elle n’était pas ménagée et toute la
sévérité parentale s’abattait sur elle. La mère a toujours exigé que Nathalie veille sur sa
sœur Barbara, y compris à l’âge adulte, des fois qu’une nouvelle forme clinique orphe-
line de spasme du sanglot de l’adulte s’abattrait sur cette dernière. Quant au père, très
possessif, il a toujours exprimé clairement son désir de les garder toutes deux, ad vitam
æternam, au sein de la famille. Dont acte. Elles passent l’intégralité de leurs week-end
chez leurs parents et, les soirs de la semaine, à tour de rôle, font le rapport téléphonique
de leurs journées respectives.
Le fantasme parental sous-jacent est de toute évidence qu’elles se marient entre elles.
Nathalie l’époux, Barbara l’épouse. Après tout, pourquoi pas ? C’est très tendance, ce qui
compte, c’est l’amour…
Nathalie, « mari de sa sœur », est venue me consulter pour des désordres mictionnels
et une diplopie intermittente apparue dans les suites d’une confrontation à un exhibi-
tionniste. Elle rêve de la scène traumatique qui s’est déroulée sur les quais en bord de
Seine. De quelle scène s’agit-il ? s’interrogerait, à juste titre, dans la grisaille de son cabinet,
un vieux lézard lacanien. D’autant qu’elle rêve aussi de manière récurrente d’un rappro-
chement érotique avec un jeune homme brun et tendre comme le fut son père.

242
La famille

3-4. Somatisations et pathologie du lien


Le lien pathogène attache, au sens littéral du terme, le sujet aux déterminants qui l’ont
noué, à ceux qui en furent les artisans, ainsi qu’à un fonctionnement psychique marqué
par la répétition. Mais il est rare, tout au moins à un moment donné de la vie du sujet,
au gré des événements, que ne se manifeste pas ce qui est de l’ordre d’une velléité de
libération. Elle apparaît, selon les cas, dans le registre psychique, comportemental ou
somatique. C’est-à-dire que le conflit s’instaure à un moment donné entre la répétition
dans l’enfermement, qui donne l’illusion d’une absence de prise de risque, et des tenta-
tives de libération, d’évasion. Lorsque la mentalisation est déficitaire, apparaît le désordre
comportemental ou somatique. Il s’agit d’une révolte instinctuelle faute de mieux, qui le
plus souvent avorte, soit dans des désordres comportementaux récurrents, soit dans des
pathologies somatiques.
Les désordres comportementaux les plus fréquents que nous avons rencontrés dans
ces situations sont les troubles des conduites alimentaires, comme en témoignent les cas
cliniques présentés dans l’ensemble de ce chapitre, désordres alimentaires à type d’ano-
rexie ou d’hyperphagie boulimie, aboutissant à des variations pondérales manifestes. Si la
prise de poids, l’obésité, semble plus spécifique de la réaction de perte induite par le rejet,
par un mécanisme mixte d’apport alimentaire excessif et de somatisation, l’anorexie, ou
ses équivalents, s’inscrit – nous le savons bien – dans une tentative effrénée de maîtrise
chez un sujet qui ne maîtrise plus rien hormis son corps, la nourriture ou son entourage
immédiat, tentative de compromis entre l’attachement au lien et le désir de s’en défaire.
Quant aux pathologies somatiques les plus souvent rencontrées, ce sont les patho-
logies de la répression, le sujet étant voué à maintenir une situation dont il ne peut se
défaire mais dont une partie de lui, l’instinct, ne veut plus, plus particulièrement lors de
vécus traumatiques contingents.
Deux types de désordre somatique sont particulièrement fréquents dans la pathologie
du lien : les infertilités dites « inexpliquées » et les maladies auto-immunes.

4. LA FAMILLE ET LE SEXUEL


4-1. Les références sexuelles
Comme nous l’avons dit en préambule, nous ne traiterons que de ce que nous connais-
sons, ce dont nous avons l’expérience. Les nouvelles formes de famille nous échappent.
Nous n’avons pas le recul suffisant. Pas plus que d’autres, de toute évidence.
Il est possible que l’indistinction des sexes et la dite « homoparentalité » recèlent
consubstantiellement la solution alternative la mieux adaptée aux désordres familiaux
qui jalonnent l’histoire de l’homme dans sa quête perpétuelle de l’idéal. C’est probable,
mais rien, à ce jour, ne nous permet d’affirmer que c’est une certitude. J’ai très souvent
en mémoire le souvenir d’une interview radiophonique qui m’est un jour parvenue aux
oreilles, en voiture, lors d’un embouteillage. C’était à l’occasion du débat houleux sur la
dite homoparentalité. Le représentant d’une association de renom, combattante de la
cause dite gay, énonçait en substance qu’il en était fini de « la famille composée d’un
homme papa, d’une femme maman, d’un garçon et d’une fille, “si possible blonds” (termes
exacts), d’un joli chien blanc, dans une villa de lotissement de province ». Je fus un peu
heurté par cette mise à l’index, définie lorsque les cibles diffèrent en termes de stigma-
243
Traité de médecine psychosomatique

tisation, du papa, de la maman, du toutou, du lotissement de province, et surtout de la


couleur des cheveux des enfants. En d’autres temps, on eût prononcé le terme racisme.
Hors de ce tumulte assourdissant dans lequel, bien loin d’une révolution, semble régner
sans entrave et de manière absolue, la défense du privilège et de la caste, il est des réalités.
Immuables pour l’instant. Car il s’agit de phylogenèse, de biologie et de psychologie.
Le sexe, par définition, est ce qui différencie, qui sépare. Secare : «  couper », «  séparer ».
Sécateur. Section. En ce sens, Freud eût été mieux inspiré de parler d’érotisme plutôt que
de sexualité en évoquant l’oralité et l’analité. Si la sexuation la précède, la sexualité débute
avec le stade phallique. Séparation donc, pour mieux se retrouver, pour mieux fusionner.
L’espace d’un instant, d’un orgasme certes. Mais aussi l’espace d’une vie, d’un regard, d’un
mystère. Fusionner, mais aussi vivre seul et avec l’autre. Concevoir au travers de l’image
d’un fruit. Dans toute structure vivante, l’altérité et la différence font sourdre la vie.
La scissiparité, l’hermaphrodisme, la parthénogenèse et peut-être bientôt le clonage
sont des réalités. Mais jusqu’à ce jour, la vie n’a pu naître chez l’homme que de la rencontre
de deux gamètes, l’un mâle, l’autre femelle. Jusqu’à ce jour la botanique, la zoologie, la
biologie, l’éthologie nous ont enseigné que l’individu qui portait l’œuf, l’embryon, puis le
fœtus, et qui mettait au monde le bébé par la filière génitale était de sexe féminin, et que
dans les suites immédiates, jours, semaines ou mois, c’était encore cet individu qui assurait
la quasi-intégralité des soins parentaux, d’abord par l’allaitement chez les mammifères,
puis par la proximité corporelle. Bien sûr, il existe des exceptions. Il est étonnant que les
chantres des nouvelles formes de parentalité n’aient pas encore brandi cet argument que
soulignent les quelques exemples qui suivent.
Le mâle du dragon des mers, cousin de l’hippocampe, se voit, après l’éclosion des œufs,
entièrement dédié leur entière prise en charge. Il les loge… sous sa queue. Le crapaud
accoucheur va plus loin : il plonge son bras dans l’utérus de la femelle parturiente, effec-
tue une révision utérine minutieuse – de plus en plus désuète dans nos maternités –,
collecte les œufs, les charge sur son dos et s’en occupe. Quant au poisson clown, authen-
tique père-au-foyer, il est chargé de la surveillance des œufs, la femelle se chargeant de la
surveillance du mâle…
Jusqu’à ce jour, la clinique nous a aussi quotidiennement informé que la différence
parentale sexuée propose la palette d’identification la moins restreinte. Liberté relative
mais liberté tout de même offerte à l’enfant.
Enfin, cette même clinique nous a enseigné que la genèse de la perversion trouvait ses
origines dans le déni de la différence des sexes, théorie que confirme de manière éclatante
et quotidienne l’investigation de nos patients. Que penser d’une société qui instaure
aujourd’hui ce déni comme faisant loi ? Diagnostic ?
Peut-être que cette société a vu dans le terme différence quelque chose qui serait de
l’ordre d’une inégalité catégorisant les individus en supérieurs et inférieurs. Auquel cas, il
serait des plus souhaitables qu’elle s’informe un tant soit peu de psychanalyse car ce qu’il
en émane est exactement l’inverse. Dire qu’il existe une différence entre une pomme et
une poire ne présume pas de la supériorité de l’une sur l’autre. Sacrée société qui, tout
en déniant la différence quand ça l’arrange, se prosterne devant elle quand ça lui plaît !

244
La famille

4-2. L’interdit de l’inceste
Définitions
Le terme polynésien tabou définit le caractère d’un objet, d’un être ou d’un acte, dont
il faut se détourner en raison de sa nature sacrée. Par extension, le tabou est un interdit
sacré ou profane, dont la transgression déclenche la punition des dieux ou des hommes.
Inceste (incestus, de castus, « chaste ») : conjonction illicite entre personnes qui sont
parentes ou alliées au degré prohibé par les lois. Union illicite entre parents à un degré
pour lequel le mariage est interdit. Relations sexuelles entre parents proches.
Si le tabou de l’inceste a un caractère universel, il n’en est pas moins l’objet de variantes
au niveau de ses critères quant aux degrés des liens de parenté, de sa prohibition, voire
plus rarement de dérogations rituelles dans certaines civilisations.

La justification de l’interdit
Nombreuses sont les théories justifiant l’interdit de l’inceste. Nous ne mentionnerons
que certaines d’entre elles, celles qui nous semblent les plus valides.
Ne nous attardons pas sur la théorie mythique freudienne (Totem et tabou), que
l’auteur lui-même a fini par relativiser et que des générations de psychanalystes ont genti-
ment ânonnée par simple dévotion. Le père de la horde primitive, arbitraire et jaloux,
interdit à ses fils l’accès sexuel aux femmes du clan. Ces derniers tuent le gêneur, font
la fête, mais aussi s’attristent et ruminent leur forfait. Il avait peut-être raison, le père,
aussi allons-nous édicter une loi dans laquelle l’accès aux femmes du clan est interdit aux
hommes qui en font partie. Passage d’un interdit arbitraire extérieur émis par un homme
au-dessus de toute loi, à une règle intérieure au clan, librement choisie, indéfectible,
organisatrice. Transition préfigurant au niveau psychique individuel la genèse du surmoi
par introjection de la loi, vécue par l’enfant dans un premier temps comme arbitraire,
mais ne l’étant pas, car cette fois-ci, le père qui l’édicte est lui-même soumis à cette loi.
Lévi-Stauss a avancé en 1947, comme justification de l’interdit de l’inceste, la nécessité
d’échange et de réciprocité. Seul le renoncement aux femmes de la famille permet des
alliances avec des femmes éloignées, ce qui permet des alliances avec des groupes qui,
sans cela, se feraient peut-être la guerre, les alliances dans l’Ancien Régime en sont d’ail-
leurs un exemple caricatural.
Les effets débilitants de la consanguinité de premier degré ont été rapportés chez
certains mammifères. L’approche éthologique insiste sur l’antinomie entre attachement
et attrait sexuel. On retrouve, chez la plupart des animaux sensibles à l’empreinte, un
évitement des copulations avec les proches affiliés par le sang. Pour J.-M. Vidal (1985),
entrent en jeu la proximité/distance et la ressemblance/dissemblance avec les proches
objets d’attachement. L’attrait sexuel se fait en général à l’égard d’un objet ni trop proche,
ni trop éloigné, mais aussi ni trop ressemblant, ni trop dissemblable. C’est ainsi, pour ne
citer qu’un exemple, que les cailles privilégient les cousins comme partenaires sexuels.
Ce fonctionnement nécessite une certaine maturation des individus car les jeunes ont
tendance à choisir des partenaires proches de l’objet d’attachement, alors que les adultes
optent pour des objets plus dissemblables sans être toutefois trop éloignés ou trop diffé-
rents. Ici résiderait une continuité entre l’animal et l’homme, continuité dont l’homme
peut délibérément s’affranchir, et dont, de toute évidence, il ne se prive pas.

245
Traité de médecine psychosomatique

Plusieurs études sociologiques ont confirmé la théorie éthologique. Les individus qui
grandissent ensemble éprouvent moins d’attraction sexuelle l’un pour l’autre, si ce n’est
une aversion sexuelle.
À Taïwan, à côté du mariage classique où les futurs époux se rencontrent à l’âge adulte,
il persiste une forme d’arrangement de mariage, le mariage sim-pua, dans lequel les futurs
mariés se rencontrent dès l’enfance. La future épouse est adoptée par la famille de l’époux
et y est élevée comme une sœur. Ces mariages se caractérisent par un manque d’intérêt
sexuel, moins d’enfants, et un nombre de divorces plus élevé que dans d’autres cas. De
même, les enfants élevés dans les kibboutz (Shepher, 1971) développent après la puberté
des relations amicales et fraternelle entre eux, mais rarement sexuelles. Les membres
d’une même classe d’âge ne se marient pas entre eux.
Il existerait une période sensible, jusqu’à l’âge de 7 ans, caractérisée par un processus
d’imprégnation négative, où les enfants apprennent quels individus sont à exclure sexuel-
lement.

4-3. L’inceste
Le contexte et la clinique
Les passages à l’acte incestueux ont lieu le plus souvent lors du conflit œdipien (3 à
6 ans) et surtout lors de la puberté et dans ses suites immédiates (11 à 15 ans). Les filles
représentent le pourcentage le plus élevé de victimes. Les agresseurs sont le père (60%),
le beau-père (30%) ou les frères (10%). Les relations incestueuses mère/fils sont estimées
à 4%. Durée moyenne de la relation incestueuse : 3 ans. (Statistiques personnelles suite à
une étude en 2012 portant sur l’intégralité des dossiers de cas d’inceste de mon cabinet.)
Sans s’en rendre compte et sans le vouloir, les fillettes et les adolescentes présentent
parfois des attitudes ambiguës qui vont être illégitimement décodées par le parent inces-
tueux comme des manœuvres de séduction. L’adulte est incapable de reconnaître sa
fillette dans son statut d’enfant immature, dans son altérité et dans un désir autre que le
sien. La mère est souvent tolérante et passive.
L’attachement constitue un garde-fou à l’encontre de l’inceste et son absence favorise
le désir de détruire.
™™ Coralie, 33 ans, puéricultrice. Relations incestueuses entre 14 et 16 ans, imposées
par le père tout comme à sa sœur aînée. Celle-ci hait le père depuis des années. Elles
avaient toutes deux gardé le secret. Coralie est mariée, trois enfants. Le mari est au
courant. La mère, non. Informée par sa fille il y a une semaine, cette dernière a exigé une
réunion familiale. Le secret avait faussé les rapports entre Coralie et sa mère. Mais Coralie,
loin d’être délivrée par la révélation, est plus mal qu’avant. Sa mère l’évite, la rudoie. Honte
et culpabilité. Les assauts du père survenaient lorsque la mère n’était pas là. Père morali-
sateur, sûr de lui, très fier, dirigiste, bref, pervers narcissique, et tout autant à ce jour. Lors
de la confrontation, il a dit que tout ceci était normal.
Les relations incestueuses génèrent un effet traumatique majeur dans lequel les
mécanismes de défense sont souvent inopérants ou dépassés. Elles induisent confusion
et culpabilité chez la victime et très souvent un désordre identitaire à perpétuité dans
lequel la honte occupe une place centrale. L’enfant va, pendant un temps parfois très
long, garder ce secret difficile à porter et, en règle générale, imposé par le parent inces-

246
La famille

tueux. Des manifestations pathologiques psychiques, comportementales ou somatiques


peuvent apparaître. Viendra un jour où des circonstances particulières inciteront la
victime à se décider à en parler. En guise de réponse, le rejet maternel est fréquent ou bien
la mère se focalise souvent sur la tromperie dont elle a été victime. Il n’est pas rare que,
pour protéger sa famille, la jeune fille se rétracte, ce qui n’enlève rien à son vécu intense
de culpabilité.
™™ Marion a développé une surcharge pondérale depuis les contacts incestueux que
son père lui a imposés durant la préadolescence. La mère n’aurait rien vu de ces agisse-
ments mais surveille et contrôle sa surcharge pondérale comme du lait sur le feu.
La plongée dans l’enfer judiciaire n’est guère plus thérapeutique car l’enfant est culpa-
bilisé d’accuser un père qu’il aime le plus souvent. La condamnation du coupable, néces-
saire, n’a pas toutefois les vertus thérapeutiques que l’on croit, à entendre les médias
friands de sordide. Ce qui compte, c’est la découverte, l’intérêt et l’attention portés à la
victime, victime qui diffère d’un sujet à l’autre et à l’égard de laquelle on ne saurait appli-
quer des recettes thérapeutiques universelles.
Le thérapeute est invité à :
––affronter ces situations difficiles avec calme, prudence, fermeté et discernement en
ce qui concerne les aspects médicaux, psychologiques et juridiques ;
––ne pas se laisser aveugler par l’excitation médiatique qui, depuis plus de vingt ans,
mélange et réduit tout : épidémie d’allégations d’« attouchements », diagnostics
sauvages de contacts incestueux face à certaines pathologies (vaginisme, frigidités,
anxiété, dépression, si ce n’est luxations de la hanche ou difficultés à déglutir, l’éventail
étant illimité chez certains « décodeurs biologiques » ou ostéopathes improvisés) ;
––faire la part de la réalité et du fantasme de l’enfant. Celui-ci a pu induire à lui seul des
interpellations, des incarcérations et des suicides ;
––penser au vécu de l’enfant avant tout (peur, culpabilité, honte, etc.) et accueillir les
interventions extérieures (familiales, sociales, médicales, juridiques) avec discerne-
ment et méfiance.

Réminiscences et souvenirs de traumatismes sexuels


La mémoire infantile
La mémoire autobiographique de l’enfant met du temps à se constituer. L’amnésie est
totale avant 2 ans, partielle entre 2 et 5 ans, incomplète entre 5 et10 ans, le contexte
spatio-temporel et affectif ne faisant pas l’objet d’une rétention mnésique suffisante.
Cet inachèvement du développement de la mémoire épisodique et la relation fragile à
la contextualisation favorisent la formation, sous l’effet de la suggestion, de souvenirs
déformés ou falsifiés.
Par ailleurs, l’enfant se plaît à faire preuve d’un savoir face à l’adulte qui l’interroge et
il dit rarement qu’il ne sait pas. Il est particulièrement sensible aux paroles d’un adulte
investi d’autorité dont il ne perçoit pas le caractère suggestif. Quant aux jeunes enfants,
les suggestions de leurs interlocuteurs peuvent les influencer au point qu’ils peuvent être
amenés parfois à faire de faux témoignages.
De manière générale, les traumatismes précoces ne peuvent faire l’objet de souvenirs
déclaratifs. Ce qui n’exclut pas l’encodage de traces perceptives, émotionnelles ou senso-

247
Traité de médecine psychosomatique

rimotrices. Certains scénarios construits entre patient et thérapeute, certaines scènes


imaginées, peuvent donner une forme déclarative à ce qui n’a pu être encodé. Mais ici,
la conjonction d’une grande expérience clinique et d’une prudence à chaque instant est
nécessaire. C’est une des raisons pour lesquelles certaines paroles abruptes proférées par
des thérapeutes improvisés, voire délirants, ont un potentiel redoutable de destruction.
L’amnésie lacunaire chez le préadolescent
Les traumatismes survenant en période pubertaire ou postpubertaire immédiate
sont souvent l’objet d’amnésie lacunaire relative du fait de la turbulence et des remanie-
ments itératifs que subit l’appareil psychique. Cette amnésie, totale ou le plus souvent
partielle, disparaît fréquemment et assez subitement, en général au décours de l’adoles-
cence, au gré de certains événements : premières relations sexuelles, conflits familiaux ou
amoureux, traumatismes agressifs, surgissement de pathologies, décès, etc.
Suggestion et faux souvenirs
La suggestion peut être le fait d’intervenants mal intentionnés, orientés vers un but,
déformés par des idéologies, ou encore tout simplement maladroits ou ignorants. Et point
n’est besoin d’hypnose pour en arriver là. Les médias l’ont compris. Nombreuses sont
aussi les questions apparemment banales à potentiel interprétatif, formulées en toute
bonne conscience, qui opèrent un effet majeur de suggestion. De nombreux soignants,
psys, enquêteurs, juges, policiers, et tant d’autres, n’ont qu’une vague conscience de ce
phénomène. Les conséquences sont pourtant toujours au rendez vous.
Chez les enfants, le phénomène peut être particulièrement toxique. Cela se voit trop
souvent dans les divorces. De nombreux conjoints, ex ou nouveaux, ont fait les frais d’être
accusés de pédophilie, l’enfant étant instrumentalisé à cette fin.
Que penser aussi de certaines techniques d’investigation – heureusement en voie de
raréfaction – qui consistent à proposer à l’enfant une panoplie d’images de sévices sexuels
pour lui demander s’il a subi telle ou telle chose. Certains parents utilisent des méthodes
qui n’en sont pas très éloignées.
Les faux témoignages des enfants ne datent pas de l’hystérie médiatique de ces vingt
dernières années qui, dans un état d’excitation pour le moins suspect, a vu des pédophiles
partout. L’histoire des sorcières de Salem est un exemple historique parmi tant d’autres.
En 1692, sur déposition de six enfants, deux cents personnes furent inculpées pour sorcel-
lerie, cent cinquante furent emprisonnées et vingt exécutées. Les deux préadolescentes
instigatrices du témoignage, par jeu ou par vengeance, reconnurent avoir tout inventé.
Les quatre autres enfants avaient suivi.
Dans la prison du Temple, le jeune Louis XVII fut surpris en flagrant délit d’onanisme,
déviation bien connue pour être le seul apanage de la noblesse, comme chacun le sait.
Les vertueux conventionnels mirent tout en œuvre pour persuader l’enfant que sa mère,
Marie-Antoinette, lui avait imposé des contacts sexuels. L’enfant signa, à l’insu de son
plein gré, le document accusant celle-ci de pédophilie.
Les médias ont bien sûr décuplé le phénomène. Après l’affaire Dutroux, une épidémie
imaginaire d’agressions pédophiles a envahi les cabinets de psychiatrie, et ceci pendant de
longues années. Certaines techniques d’hypnose prétendant faire resurgir des souvenirs
(qui ne se sont en fait jamais enregistrés) confirment ce processus et parfois s’y étayent.

248
La famille

Pire, des patients sont convaincus, à l’issue de séances qui n’ont de psychothérapiques
que le nom, qu’ils ont été violés dans leur enfance.
Le fantasme du sujet contribue bien sûr à modifier, à transformer, voire à créer le scéna-
rio. Freud l’avait magistralement démontré après avoir abandonné sa première théorie
(neurotica) du traumatisme.
™™ Brigitte, 42 ans, personnalité histrionique, est allée consulter un hypnothérapeute
qui, au fil des séances, l’a amenée à être persuadée qu’elle avait été violée par son père
à l’âge de 9 ans. Elle était fermement décidée à porter plainte dans un état d’excitation
paroxystique. Je l’en ai dissuadée. Bien m’en a pris car, durant les séances suivantes, il
apparut que ces allégations étaient purement fantasmatiques.
Il n’existe pas de grille d’investigation, de recommandation obligatoire, d’échelle
standardisée d’aide au diagnostic. À partir de mon expérience clinique, j’ai proposé (La
mémoire) quelques pistes diagnostiques permettant de distinguer des allégations fantai-
sistes, calculatrices ou suggérées, des sévices sexuels réels. En faveur de ces derniers, j’ai
relevé certains éléments cliniques potentiellement révélateurs, à condition qu’ils ne
soient pas isolés :
––cohérence dans la dimension factuelle,
––réminiscences obsédantes et douloureuses,
––honte identitaire,
––idées suicidaires, impulsivité, troubles des conduites alimentaires,
––somatisations soudaines dans les suites immédiates du trauma,
––existence d’un fonctionnement général pervers chez l’agresseur,
––origine des allégations venant du sujet lui-même et non d’un tiers.
Ces éléments n’ont de valeur que dans le contexte d’une investigation approfondie,
concernant l’histoire du sujet, sa vie fantasmatique, son fonctionnement psychique dans
des secteurs autres que celui concerné par le traumatisme, les éléments cliniques et
biographiques concernant l’agresseur présumé, les éléments discordants dans l’anamnèse.
™™ Baptiste, 28 ans, est envahi par des réminiscences de sévices sexuels subis lorsqu’il
avait 8 ans. Il avait tout oublié, n’en gardait aucun souvenir dans sa mémoire psychique.
Les réminiscences ont surgi assez brutalement lorsque sa petite-cousine fut victime
il y a six mois du même type d’agression. On repérera ici une forme particulière, mais
éminemment fréquente dans ce type de traumatisme, du phénomène d’après-coup. Les
réminiscences sont obsédantes, portent atteinte à son sommeil, la honte et la culpabi-
lité l’envahissent, induisant parfois des idées suicidaires. Ces éléments cliniques consti-
tuent un bon critère de diagnostic différentiel par rapport aux allégations fantaisistes,
fantasmatiques ou calculatrices. Dans les suites du traumatisme, un mécanisme répressif
intense s’était immédiatement instauré, inducteur d’une surcharge pondérale d’installa-
tion rapide puis d’une primo infection ayant nécessité un séjour en sanatorium pendant
cinq ans. On peut imaginer que la séparation d’avec le milieu familial en ait rajouté une
couche. Ces somatisations soudaines constituent aussi un élément d’orientation diagnos-
tique important. Dernier élément : lorsqu’il eut 17 ans, il fit une tentative de suicide
impulsive, suite à un racket dont il fut l’objet dans son lycée. Autre élément fondamental
pour le diagnostic. Une allégation de sévices sexuels n’ayant jamais existé ne s’accom-
pagne jamais de l’ensemble de ces symptômes.
249
Traité de médecine psychosomatique

Les délits sexuels et le tribunal


™™ Chantal présente depuis six mois une dépression de type mélancolique qui
s’aggrave. Elle a porté plainte il y a un an contre son père pour inceste. Trois mois après, le
père décédait. Elle remet en cause la réalité des faits, d’autant qu’il n’y a guère de preuve
et que son amnésie infantile est étendue.
™™ Léna, 7 ans, m’est amenée par sa maman. Elle a subi les attouchements de son
grand-père. Léna est triste, angoissée. Durant la séance, il m’est très difficile de rentrer
dans le vif du sujet, la mère, logorrhéique étalant tous les griefs que son couple aurait subi
depuis plus de quatre ans de la part de ce grand-père, à savoir son beau-père : problèmes
d’argent, de proximité, de soins à domicile, d’héritage. Le sujet Léna disparaît. Je la verrai
seule : le grand-père sur son fauteuil médicalisé lui a mis un doigt dans sa culotte. « Tu as
eu mal ? – Non. – Il t’a fait autre chose ? – Non. – Il est un peu fou, ce grand-père. – Oui,
mais c’est parce qu’il est vieux. – Ah ! …Et après, qu’est-ce que tu as fait ? – Je suis partie
faire mes devoirs. – Ah ! – Mais quand mes parents, ils sont rentrés, je leur ai dit que mon
papy, il m’avait fait ça… Parce que mes parents, ils m’ont dit que si un monsieur me faisait
ça, il faudrait que je le leur dise tout de suite. Ils me le disaient presque tous les jours.
– Ah ! …Il est un peu fou ce grand-père. En tout cas, toi, tu n’y es pour rien. – Je sais… Oui
mais j’ai rendez-vous à l’hôpital cet après-midi et après chez les policiers. – Il faut y aller,
c’est pas marrant mais c’est la loi. »
Deuxième acte. Appel en urgence le lendemain : « Docteur, vous pouvez voir Léna, ça
va pas du tout. » Dont acte. Léna est émaciée, elle tremble, regarde dans le vide. Elle n’a
pas dormi et a hurlé une bonne partie de la nuit. La consultation gynécologique à l’hôpi-
tal s’est passée dans un contexte de tension extrême. Il a presque fallu l’anesthésier. Dans
la foulée, au commissariat, il lui a été proposé la liste de tout ce qu’un pervers peut faire à
un enfant. Il suffisait de répondre par oui ou par non aux différents items.
Le troisième acte n’aura pas lieu au cabinet. Au téléphone, le père me demande si je
peux faire un certificat rendant compte des deux séances. Il m’informe qu’à 6 h du matin,
au moment où la police a pénétré chez le grand-père, celui-ci, malgré son handicap, a pu
appuyer sur la gâchette du fusil de chasse. « C’est triste mais il valait mieux pour lui », me
dit le père.

4-4. L’incestuel
L’incestuel est « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale, porte l’empreinte
de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soit nécessairement accompli les formes génitales »
(Racamier, L’inceste et l’incestuel).
Contrairement à l’œdipe qui se situe dans le fantasme, l’incestuel se manifeste dans
l’agir. Comme l’inceste, mais la différence est que, dans l’incestuel, il n’y a pas de relation
ou de rapprochement sexuel au sens commun du terme. L’agir incestuel se joue ailleurs
que dans la vie génitale.
La relation incestuelle est « une relation extrêmement étroite, indissoluble, entre
deux personnes d’une même famille, que pourrait unir un inceste, et qui cependant
ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent exactement l’équivalent, sous une forme
apparemment banale et bénigne » (ibid.). L’inceste n’est pas du registre de l’œdipe. Il n’est
pas non plus du registre de la castration.
250
La famille

Clinique
Jeanne Defontaine a magistralement élaboré une clinique de l’incestuel, en distinguant
ses différents symptômes : vide fantasmatique, banalisation, confusion, paradoxe, défaut
de limite, intrusion, engrènement, secret et déni. Nous y faisons référence dans ce qui suit.
Le vide fantasmatique
L’incestuel se substitue au fantasme. Il vide la pensée. Alors que l’œdipe est une mise
en scène élaborée au sein de la psyché (objet intrapsychique, fantasme, mécanismes de
défense), l’incestuel, tout comme l’inceste, est tueur de fantasme. L’agir se substitue à la
symbolisation.
Les fantasmes de l’incestuel sont soit absents, soit de l’ordre de l’« arrêt sur image »
(Defontaine, L’incestuel dans les familles). « À la différence du fantasme, l’incestuel est tout
d’une pièce et non ramifié, agissant mais non scénarisé, transmissible mais non commu-
nicable, centré sur le corps, mais prêt à s’agripper au corps de l’autre » (Racamier, op. cit.).
La banalisation
Les conduites incestuelles sont banales et fort répandues. Leur désexualisation au sens
commun du terme leur confère un caractère habituel, apparemment anodin, aisément
rationalisable sous couvert de commodités, d’arrangements familiaux, d’assignations
naturelles à des places ou des fonctions : le frère aîné qui prend la place du père, le père
qui s’efface au profit du fils, la chambre des parents offerte aux enfants, l’échange d’objets
(argent, vêtements, bijoux). Une de nos patientes portait l’alliance de sa mère, offerte par
son père, dans les suites du décès de celle-ci. Dans certaines familles, ces conduites sont
revendiquées comme une norme.
™™ Ludovic, 12 ans, est au courant des causes précises de la séparation de ses parents
car il connaît les mots de passe de leur messagerie respective. Les batailles juridiques
entre ses parents l’ont beaucoup ennuyé d’autant qu’ils lui faisaient lire les messages
gracieux envoyés par l’autre. Ludovic dort tantôt dans le lit de son père, tantôt dans le lit
de sa mère. Lorsque le père a su que Ludovic allait chez le psy, il s’est exclamé : « Pourquoi
Ludovic va chez un psy ? J’en ai pas besoin ! » Pendant la consultation, Ludovic fouille le
sac de sa mère, lit son agenda et répond sur son portable. Il est bien évidemment « ami »
avec ses deux parents sur les réseaux sociaux.
La confusion
La confusion est motivée par le désir de maintenir coûte que coûte une relation de
proximité et de séduction narcissique :
––confusion des places : père qui occupe une position de mère, mère qui occupe une
position de père, gendre qui occupe la position du fils, enfant qui occupe la position
parentale ;
––confusion des identités et des différences sexuelles ;
––confusion des générations ;
––confusion entre le familier et l’étranger ;
––confusion entre le sujet et l’objet. La mère met un pull quand son fils lui dit qu’il a
froid.
« L’incestuel abolit les différences, comme notre société en mutation. » (Defontaine,
L’incestuel dans les familles.)
251
Traité de médecine psychosomatique

™™ Nina avait toujours été rabaissée par sa grand-mère paternelle qui n’avait d’yeux
que pour sa cousine. Faute de mieux, car la grand-mère voulait à tout prix un petit-
fils. Celle-ci jeta donc son dévolu sur la cousine qui avait des jeux de garçon. Nina, bien
qu’ayant des jeux de fille, n’acceptera jamais son identité de femme. Son père, d’ailleurs,
refusait de reconnaître sa féminité et sera longtemps hanté par la crainte que sa fille
« tombe enceinte avant l’heure ».
Quant à sa mère, c’est l’inverse, elle souhaitait ardemment que Nina « lui fasse un
enfant », selon ses propres termes. Celle-ci, ne parvenant pas à concevoir, finit par avoir
recours à une PMA qui se solda par quatre fausses couches. La mère finit par lui proposer
son utérus pour porter le bébé.
Le paradoxe
Parent qui préserve, induit ou entretient chez son enfant des excitations internes et
externes tout en faisant prévaloir un ordre non pulsionnel. Famille imprégnée tout à la
fois de sexualité et de pudibonderie.
™™ Les parents d’Aurélie, 16 ans, sont très « libres » et « ouverts », surtout son père qui
souhaite qu’à « la maison, on parle de tout ». Aurélie entre volontiers dans des attitudes
de séduction vis-à-vis de son père et des amis de celui-ci. La sexualité fait l’objet de
nombreuses conversations sur le mode de l’humour et de la légèreté. Il y a quelques mois,
Aurélie a eu sa première relation sexuelle. Elle s’est empressée de le raconter en détails
à ses parents. À sa grande surprise, son père l’a traitée de « pute ». Il l’empêche d’aller
dormir chez son petit ami. Aurélie ne comprend pas et se sent trahie.
Le défaut de limite
Autorité et altérité non reconnues : enfants remplissant une fonction parentale. Ces
enfants ne disent pas Papa et Maman, mais les appellent volontiers par leurs prénoms.
Pas de limite entre vie sexuelle et vie familiale : la porte de la chambre des parents ne
ferme pas.
Parents qui racontent leur vie sexuelle aux enfants ou qui sollicitent les confidences
sexuelles de ceux-ci. Le tabou langagier concernant le discours sur le sexe a été fort décrié
depuis les années 70. Il est même considéré par de nombreux patients comme une cause
potentielle de difficultés sexuelles. Il est bien évident que c’est l’inverse qui est pathogène.
Les enfants rejettent spontanément l’étalage sexuel des parents. Ils sont moins armés face
à l’étalage médiatique.
™™ La mère d’Adrien, 17 ans, me consulte en sa présence pour me dire que celui-ci
n’a pas éjaculé lors de sa première relation sexuelle. Pire, la chose s’est reproduite trois
fois comme en atteste le carnet sur lequel elle a noté les détails confiés par son fils sur la
qualité de ses relations sexuelles.
L’intrusion
Intrusivité de l’autre, défense contre l’intrusion chez le sujet.
Chez tout sujet prisonnier d’une relation incestuelle, existe une angoisse d’intrusion.
On retrouve particulièrement cet élément chez les anorexiques.
™™ Les lettres de la marquise de Sévigné à sa fille Françoise, Madame de Grignan,
pleines d’amour et d’attention, révèlent une dimension de haine sous-jacente, un besoin
252
La famille

de possession destructrice et une atmosphère incestuelle majeure, si ce n’est incestueuse


tant la préoccupation sexuelle est centrale. Jalousie, rivalité à l’égard de la fille dont elle
ne supporte pas que, séparée d’elle, elle soit heureuse avec son mari. La mère l’invite à
espacer les relations sexuelles sous prétexte de risques de grossesse. Lorsque Françoise
était jeune, la marquise ne supportait pas, par coquetterie, d’être reconnue comme mère
ni que des gens la complimentent pour la beauté de sa fille. Elle l’habilla comme elle afin
que les gens, plutôt que de complimenter la fille, soulignent la ressemblance. La marquise
redoutable s’empara du premier né de Françoise. Le couple, qui vivait chez elle, dut fuir
avec l’enfant au château de Grignan.
L’engrènement
La position atypique d’un seul membre de la famille conditionne la position atypique
de tous les autres membres. Circuit interactif s’instaurant entre le sujet et l’objet, se
manifestant au niveau de l’acte, aboutissant à une réaction en chaîne. Le fonctionnement
psychique de l’un se calque sur celui de l’autre. L’un exprime la problématique que l’autre
n’exprime pas. Fils qui agit ou délire en lieu et place de ses parents.
™™ José, 42 ans, célibataire, vit chez ses parents. Il est à la fois attiré et effrayé par les
femmes.
Il sera régulièrement convoqué durant son enfance comme juge arbitre des querelles
parentales. Les plaidoiries parentales sont étayées de détails chauds et gras. Lorsqu’il a
15 ans, les parents se séparent. Son père le retire alors du collège et il se retrouve de fait
en marge de la loi. Il partage la quotidienneté de ce père marginal, jaloux, paranoïaque
et brutal.
Lorsqu’il a 24 ans, les parents se remettent ensemble et il recouvre sa magistrature au
sein de leur discorde qui ne tarde pas à resurgir.
José ira d’échec en échec, tant d’un point de vue personnel que professionnel. Grande
peur pulsionnelle, il sera toujours entre deux, comme il le fut entre ses deux parents. Il
ne couche qu’avec des prostituées et, à 35 ans, finit par coucher avec un homme âgé. Son
père lui avait toujours dit qu’il « n’avait pas de couilles ».
Secret et déni
La banalisation, l’évitement, le non-dit, le secret, participent du déni. Déni de sens,
plus que déni d’une réalité. Ceci constitue un obstacle majeur à la possibilité de repérer et
d’élaborer l’incestuel dans la clinique.

Causes
L’incestuel serait issu d’une relation de séduction narcissique vouée à ne pas se résoudre.
Relation primaire dans laquelle le bébé est une partie de la mère et dans laquelle le père
est exclu. L’inverse, bien que beaucoup moins fréquent, se rencontre aussi : rapt du bébé
par le père qui tient la mère à distance.
Bien que le sexuel agi au sens commun du terme n’intervienne pas, l’incestuel cumule
la séduction narcissique et sexuelle. Il apparaît lorsque le deuil de la relation primaire n’a
pu se faire. L’enfant est la chose d’un seul parent, son instrument, sa propriété, un organe
vital. Il est fétichisé. C’est un faire-valoir au service du narcissisme parental.

253
Traité de médecine psychosomatique

5. RÉPÉTITION, IDENTIFICATION, TRANSMISSION


5-1. La répétition
Trois issues différentes se présentent pour le sujet qui a vécu la tyrannie d’un de ses
parents : soit il veillera à ne pas reproduire la chose à l’encontre de son propre enfant, soit
il deviendra à son tour le tyran de celui-ci (identification à l’agresseur), soit il perpétuera
son statut de victime, son enfant devenant alors son persécuteur.
Le modèle familial tend à se perpétuer au fil des générations. Seuls les mécanismes de
défense propres à chaque sujet permettent de moduler, de transformer, d’inverser ou,
dans le meilleur des cas, de mettre un terme à la répétition.
™™ Les parents d’Eurydice étaient tellement soudés qu’il ne leur arriva jamais de passer
une seule demi-journée séparés l’un de l’autre. L’angoisse de séparation imprégnait les
murs de la maison. À ce jour, il lui est impossible de passer une journée toute seule si le
réseau téléphonique ou internet est en panne. Elle a créé une SARL de confection avec sa
mère, le père assurant le secrétariat téléphonique. Elle en est à sa huitième relation avec
des hommes mariés.
™™ Jean-Charles était le troisième d’une fratrie de sept. Avant lui : deux garçons. Après
lui : quatre filles dont il se verra confier la charge très tôt. Il les surveillera et les proté-
gera durant toute son enfance et son adolescence. Il arrachera même l’une d’entre elles
aux griffes d’un pervers dans un jardin public et la ramènera saine et sauve à sa mère.
Devant un tel dévouement, une telle abnégation, un tel sacerdoce, les parents font le vœu
qu’il soit prêtre. Très gentil, inhibé, effacé, Jean-Charles fut toujours en proie à une forte
angoisse de mort, ayant pour seul projet, selon ses termes, de « survivre ». Il ne devien-
dra pas prêtre mais juge pour enfants, comme son oncle, pour, encore selon ses termes,
« prolonger la tradition ».
Il se mariera à 20 ans avec une greffière toute aussi effacée, issue comme lui d’une
fratrie de sept, avec laquelle il aura le projet de fonder une famille nombreuse. Hélas,
le couple sera infertile et se lancera dans l’adoption d’enfants dont personne ne veut
(handicapés, trop âgés ou malades). Ils adopteront un petit garçon de 4 ans, d’origine
guinéenne, dénutri, tuberculeux, qu’ils nommeront Pierre. L’épouse tombera enceinte le
jour même de sa venue. Naissance d’une fille, Olga. Le petit Pierre est violent avec le bébé.
Pour qu’il se sente moins seul, le couple adopte alors un autre enfant : une petite colom-
bienne handicapée qui meurt dans les suites immédiates de sa venue. Puis c’est au tour
d’une fillette malgache de 3 ans, malade, qu’ils installent dans la chambre d’Olga et qui y
meurt trois mois plus tard. Deux ans après, ils adoptent une petite fille vietnamienne de
7 ans, épileptique. L’épouse tombe enceinte lors du retour du voyage. Elle accouche d’un
garçon. Le père est très fier. L’idéal familial est presque atteint.
C’est à l’âge de 50 ans que Jean-Charles me consulte. Dépressif depuis que Pierre lui a
fracturé le nez et l’a menacé de mort. Loin de s’insurger, il est désemparé, pétri de culpa-
bilité de l’avoir déraciné de son pays d’origine et de ne pas être parvenu à le sauver de la
délinquance, de la drogue et de la violence à l’encontre de ses frères et sœurs.

254
La famille

5-2. La transmission
La transmission intersubjective
Elle passe par l’identification, l’imprégnation, la parole.
En 1914, Freud introduit le concept d’identification : le sujet installe à l’intérieur de
lui ceux qu’il aime, au premier plan les membres de sa famille. En 1917, l’élaboration de
la deuxième topique l’amène à considérer que le surmoi du sujet est pour une grande
part celui des parents, héritier lui aussi de leurs propres parents. Le sujet se construit à
partir d’un aspect, d’un attribut, une propriété de l’objet. C’est un facteur fondamental
du développement de la personne.
La personnalité se constitue et se différencie par une succession d’identifications. On
y distingue les identifications primaires pré-œdipiennes, et les identifications secondaires
en relation avec l’identité sexuelle.
Les processus d’identification continuent à entrer en jeu lors des étapes ultérieures
du développement et même chez l’adulte. L’identification joue un rôle particulièrement
important au moment de l’adolescence.
Par ailleurs, le processus identificatoire, comme celui de l’introjection, nécessite l’exis-
tence de modèles relativement stables et non contradictoires. Il fonctionne comme les
processus d’apprentissage. L’existence de modèles contradictoires, instables ou fluctuants,
l’antagonisme entre la parole et les actes, la déliquescence des différences, des repères
spatiaux et temporels, l’inadéquation entre le déterminisme génétique et le milieu de
vie, la discordance entre l’histoire d’un individu, de sa lignée et l’instauration de repères
divergents, compromettent considérablement le processus identificatoire. Ceci a pour
conséquence une insuffisance et une instabilité de structuration de l’appareil psychique
ou bien ouvre la porte à un agir identificatoire dénué de toute élaboration psychique.
Une large part des expressions, des gestuelles, des mimiques, des attitudes, trouve son
origine, indépendamment de toute transmission strictement génétique dans les modèles
familiaux, par un mécanisme d’imprégnation.
La parole des aînés constitue un nutriment fondamental pour la construction de
l’identité de l’enfant. Le passé familial, auquel il est étranger car il ne pourra pas le vivre
réellement, est l’objet d’un discours qui contribue grandement à structurer le psychisme.
L’enfant est naturellement avide de l’histoire de ses parents qui constitue aussi son histoire.
Le roman familial constitue un étayage fondamental, un support identitaire consistant. Il
sera traité, réapproprié et parfois remanié par le sujet, au travers de son propre fonction-
nement psychique et de son système défensif.
La transmission des valeurs familiales est d’autant plus effective qu’elle se nourrit de
modèles stables, de confrontations répétées, d’adéquation entre le dire et le faire, d’illus-
trations à partir de faits, de métaphores. Elle s’alimente au sein de la rencontre, de la
parole et de l’exemple. Cette transmission trophique est aujourd’hui sérieusement mise à
mal par l’intrusion médiatique qui fait loi au sein des familles et de la perversion sociétale
qui s’acharne à substituer à des modèles ataviques des dogmes dénués de tout fonde-
ment autre qu’idéologique et consumériste.

255
Traité de médecine psychosomatique

Le secret de famille
Le secret de famille, par définition, ne fait pas l’objet d’une transmission intersubjec-
tive. Il est exclu du roman familial, il est objet d’évitement. Sa transmission ne pourra être
que transpsychique.
™™ Claudia, 40 ans, éducatrice de jeunes enfants, fut victime, comme ses deux sœurs,
de rapprochements sexuels imposés par son « oncle » lorsqu’elle était enfant. Les parents
n’ont rien vu. Chacune des sœurs pensait être la seule à subir. Elles n’ont évoqué la chose
qu’à l’âge adulte. « J’ai l’impression que c’est marqué sur mon front. J’ai peur d’être jugée
par les autres. » Phobies sociales, culpabilité et honte extensives, attaques de panique
dans les lieux publics, inhibition orgasmique. Il y a deux ans, l’« oncle » en question est
arrêté pour viol, les sœurs témoignent et réalisent que les parents savaient. « Ce n’est pas
notre oncle, c’est nos parents qui nous ont dit de l’appeler tonton. » Cet « oncle » avait
probablement une liaison avec sa mère. Dans les suites de son témoignage au tribunal, ses
frères couperont toute relation avec elle.
™™ Charlène, 28 ans, consulte pour une inhibition orgasmique primitive. Ses parents
l’ont élevée dans la pudibonderie et la défiance à l’égard de toute forme de plaisir.
Lorsqu’elle a 16 ans, elle découvre sa mère dans le lit parental avec son amant. Elle se
souvient de sa réaction d’évitement visuel du sexe de celui-ci. La mère demandera à
Charlène de garder le secret. Elle le gardera mais ne pourra plus jamais soutenir le regard
de son père.
™™ À l’âge de 12 ans, Jocelyne assiste, le jour de Noël, au meurtre de sa mère par son
père. Le père dira que la mère a eu un accident et il sera demandé aux enfants de s’en tenir
à cette version. Dont acte. Jocelyne, aînée de ses trois frères, remplacera la mère au foyer.
Le premier garçon deviendra le souffre-douleur du père. À l’âge de 15 ans, à la faveur d’un
conflit, elle remettra l’histoire sur le tapis. Le père se fâche et, chose inattendue, culpabi-
lise et se déprime. Il meurt un an après. Le silence s’étend à nouveau. Trois ans après, le
frère souffre-douleur meurt dans un accident de voiture. Jocelyne ne ressent rien. Mais
dans les suites de ce décès, l’affaire resurgit à nouveau au sein de la fratrie restante. Ce
n’est qu’à l’âge de 57 ans que, dans les suites de la mort de son chien, Jocelyne s’effondrera.
Les circonstances de la mort de sa mère et les affects totalement réprimés à son décours
surgiront enfin. Douleur, colère, puis dépression. Culpabilité d’avoir gardé le secret. Culpa-
bilité d’avoir pris la place de sa mère. Culpabilité de l’avoir ensuite reproché au père.

La transmission transpsychique
« …aucune génération n’est capable de dissimuler à celles qui suivent les événements
psychiques significatifs. » (Freud, Totem et tabou.)
Les familles ne pourront éviter de transmettre ce qu’elles n’ont pu élaborer. Les généra-
tions précédentes demanderont inconsciemment à l’enfant l’accomplissement d’une
mission indépendante de son propre désir.
Le bouc émissaire, la victime expiatoire, le pharmakos que la société grecque prenait
en charge pour le tuer de manière rituelle si un malheur s’abattait sur la cité, et, encore de
nos jours, le sacrifice animal rituel, si ce n’est humain, destiné à se mettre en accord avec
une divinité complaisante, constituent des paradigmes du dédouanement de la faute afin
de pouvoir la renouveler à l’envi.
256
La famille

Il en est ainsi du sujet inconsciemment désigné pour être dépositaire de legs, d’un
mandat, d’une mission redoutable, qui l’assigne à répondre à des demandes impossibles
à réaliser sans y laisser une part importante de lui-même, de son identité, de son désir, et
parfois de sa vie.
La transmission de ces legs ne s’effectue pas entre les sujets mais à travers eux. C’est
une transmission transpsychique (Kaës, 1993, Losso, 2006). Les contenus se transmettent
non transformés, à l’état brut et partiel. Ils sont clivés, incorporés, incrustés. Jamais intro-
jectés. Jamais élaborés. Fantômes qui habitent des cryptes (N. Abraham, M. Torok, 1978)
creusées par l’absence de parole.
C’est ainsi qu’a pu être définie une violence transgénérationnelle (Losso et Packciarz
Losso, La violence transgénérationnelle…).
Eiguer (2007) distingue trois modalités de violence transgénérationnelle : le « non dit »
qui se réfère au secret, à la crypte et au fantôme ; le « mau-dit » « qui évoque la possible
malédiction d’un aïeul et la parole égarée, mal dite qui ne parvient pas à trouver un statut
de parole, mais agit en coulisse », et le « trop dit » : l’ancêtre trop présent, « qui ne laisse
pas au refoulement jouer le rôle organisateur et entrave en conséquence le geste du
sujet » (op. cit.).
Si la transmission intersubjective, interpsychique, se transmet de sujet à sujet, la trans-
mission transpsychique se transmet de sujet à objet.
™™ À l’âge de 20 ans, Noémie, fille unique, découvrit que son père avait une relation
extraconjugale et en fit part à sa mère. Ce sera la seule fois qu’un secret sera révélé dans
cette famille. Elle le paya très cher car elle prit 20 kg et son destin fut de porter tous les
autres secrets de la famille. Après le divorce des parents, elle fut assignée à résidence, la
mère menaçant de se suicider si elle partait pour faire des études. Elle partit quand même
et la mère ne se suicida pas. Elle échoua toutefois à son concours, le divorce parental
ayant été prononcé cinq jours avant. En guise d’épreuve d’examen, elle fut hospitalisée
pour appendicite. Pendant tout un temps, elle téléphona à chacun des deux parents, en
cachette l’un de l’autre. Lorsqu’elle va leur rendre visite, elle prend systématiquement 3 kg
dans les jours qui précèdent.
Le père était fils unique. Lorsqu’il était enfant, il surprit son grand-père maternel avec
une autre femme dans une cabane du jardin. Il lui aurait été demandé de ne rien dire,
en échange de quoi il aurait tout ce qu’il voudrait. Dont acte. Il fut gâté pourri par ses
grands-parents maternels, plus particulièrement au niveau de l’argent.
Cet arrière-grand-père maternel est décédé il y a cinq ans, juste après le divorce des
parents de Noémie. Il n’a jamais été au courant de celui-ci, pas plus que de leur mésentente
préalable. « À Noël, quand j’allais chez eux, il me demandait où était ma mère. Ma mère
me demandait de mentir, de dire qu’elle avait une gastroentérite… Son héritage, je ne sais
pas où il est passé. Je sais que j’avais droit à des choses mais on ne me répond jamais. »
Les grands-parents paternels de Noémie étaient enseignants. « Ils se sont opposés à
deux de mes projets auxquels je tenais : devenir éducatrice et faire de la clarinette. »
Le père de Noémie devint alcoolique, plus particulièrement lorsqu’il fut au chômage.
C’était un alcoolisme secret. Il cachait son alcoolisme et ses bouteilles dans une trappe
sous le garage de la maison. Lorsqu’on le mettait face à l’évidence, il disait qu’il ne connais-
sait pas la provenance de ces bouteilles. « Au collège, lorsque des copines venaient à la
257
Traité de médecine psychosomatique

maison, il était étalé au milieu du salon. J’étais obligée de dire qu’il était malade ou qu’il
avait travaillé la nuit. Il me prenait en voiture complètement bourré. »
« Ma grand-mère maternelle et ma mère me demandaient de garder des secrets :
l’alcoolisme de mon père, leur mésentente, les raisons pour lesquelles le père n’était plus à
la maison avant leur divorce. Lors des repas de famille, il fallait dire qu’il travaillait ou qu’il
était malade. Quant à moi, j’ignorais qu’il faisait des séjours en hôpital psychiatrique…
Ma grand-mère maternelle sait que mon père boit mais elle élude. Elle ne me parle jamais
de lui. Elle est pleine de tics. »

L’absence de transmission
Roberto Losso (Psicoanalisis della famiglia) distingue une quatrième forme de violence
transgénérationnelle, passive, non imposée, déficitaire, c’est-à-dire liée à l’absence de
modèles, de nourriture psychique. C’est le déficit de la transmission trophique. Cette
forme d’absence de transmission caractérise plus particulièrement les sociétés modernes.
Absence ou rejet des repères familiaux des générations précédentes, des traditions. Les
causes en sont évidentes : mythe de l’indépendance qui frise celui de l’auto-engendre-
ment, apologie du changement, de l’efficacité, de la vitesse, de l’urgence, de l’illimité, de
l’extrême, du zapping, de l’actuel au détriment de l’histoire, de l’acte au détriment de la
pensée, de la communication au détriment de la rencontre, des individus productifs ou
consommateurs au détriment des sujets, du toujours plus qui accentue le manque, des
duplications identificatoires se construisant à partir d’images virtuelles, de l’immersion
dans le bain médiatique et de la soumission aux paroles du consensus.

5-3. Conséquences des traumas familiaux non élaborés


Effets chez l’ascendant
« Contrairement à ce que l’on entend parfois, les traumatismes ne se “transmettent”
pas, pas plus que les catastrophes. En revanche, les traumatismes mal symbolisés, s’accom-
pagnent chez un parent de la mise en place de gestes, d’attitudes, de comportements, qui
peuvent être traumatiques pour un enfant. » (Tisseron, Le thérapeute familial…)
Lorsque le traumatisme a fait l’objet d’une élaboration mentale suffisante
(mentalisation, symbolisation), il entre dans le roman familial, sous forme de récit, de
rituel, d’images.
Lorsque le traumatisme n’a pas fait l’objet d’une élaboration psychique minimale, le
parent traumatisé est clivé par rapport au traumatisme, revivant celui-ci en confondant
le passé et le présent, et en le déniant en même temps.
Serge Tisseron introduit la notion d’« inclusion psychique  » qu’il oppose à la
mentalisation. J’ai de mon côté introduit en 2008 le terme d’incrustation, sans connaître le
terme d’inclusion psychique proposé par Tisseron. Il semble s’agir de processus similaires.
Le matériel inclus est pour Tisseron l’objet d’un déni partiel, d’un secret relatif (au sens de
mise au secret) que le porteur cherche à occulter.
Les conséquences du traumatisme seront le « suintement » (Tisseron) de l’inclusion :
émotions ou comportements incompréhensibles ou imprévisibles réactivés par des lieux,
des perceptions sensorielles, des détails, confusion fréquente entre le passé et le présent,
propos dénués de sens.

258
La famille

Conséquences chez le descendant


L’enfant est victime par un mécanisme de « ricochet » (Tisseron). S’il arrive fréquem-
ment que l’enfant perçoive confusément, subodore, en l’absence de confirmation expli-
cite, que quelque chose est dénié par l’adulte, les ricochets cliniques du traumatisme
seront variables d’une situation et d’un sujet à l’autre.
Expressions psychiques
––Tentatives réitérées pour comprendre.
––Sentiment de culpabilité face à la réaction de l’adulte.
––Absorption de la honte que le sujet imagine chez le parent puisque celui-ci cache
quelque chose.
––Manifestations pseudo-hallucinatoires révélant une partie de ce qui lui est caché.
––Rêves mettant en scène des « morceaux » du traumatisme ou du secret.
––Renoncement à comprendre, sentiment de se tromper dans l’interprétation de la
réaction parentale et, de fait, remise en cause de ses capacités intellectuelles.
––Activité sublimatoire en relation avec le traumatisme et son occultation.
™™ Aurore avait perdu accidentellement son père, prénommé Maurice, à l’âge de 4 ans.
Elle fut élevée par sa grand-mère paternelle qui, sous l’effet du traumatisme, développa
des troubles inexpliqués. Celle-ci se mit à appeler Aurore du nom de Maurice, nom de
son fils mais aussi de son propre père dont elle n’avait pas fait le deuil, comme l’homo-
nymie en atteste. Aurore ne sut jamais si la grand-mère la confondait avec son père ou
avec son arrière-grand-père. À l’âge adulte, elle s’habilla comme un homme, fuma la pipe,
renonça à son prénom et son patronyme et se fit appeler George Sand.
Expressions comportementales
––Adoption de comportements défensifs comme si le sujet était concerné directe-
ment par le traumatisme.
––Comportements ou réactions de caractère paradoxaux.
Expressions somatiques
––Les contenus clivés, non pensés, non élaborés, non symbolisés, ont tendance à
s’exprimer aussi au niveau du corps.
––Réactions émotionnelles paradoxales.
––Maladies somatiques.
™™ Roberto Losso cite le cas d’une petite fille ayant développé un asthme gravissime
à risque létal à l’âge de 5 ans, âge qu’avait son père lorsqu’il perdit le sien. La grand-mère
paternelle avait fait une tentative de suicide en se jetant sous une rame de métro et
l’arrière-grand-père paternel s’était suicidé en se jetant sous un train. Un oncle maternel
avait été séquestré et déclaré disparu pendant la dictature militaire en Argentine et la
famille se défendait qu’il soit mort. La petite fille ignorait tout de ces événements qui,
autant chez le père que chez la mère, faisaient l’objet d’un évitement total. Pourtant, elle
rêvait que sa mère mourrait écrasée par un train. Le corps de la petite fille était l’objet de
réminiscences, lieu de résonance de deuils non élaborés. Seule la mort réelle de la petite
fille pouvait permettre d’attester, de réactualiser et peut-être d’élaborer ces deuils.

259
Traité de médecine psychosomatique

J’ai précédemment insisté sur la place centrale qu’occupe l’angoisse de mort dans
l’asthme et présenté plusieurs observations dans lesquelles la pathologie est en relation
avec des deuils non élaborés (Psychosomatique de l’allergie).

Les circonstances révélatrices du traumatisme


Il existe des moments propices à la révélation du secret ou du traumatisme. Ce sont
des moments charnières qui ponctuent le passage d’une génération à l’autre : mariages,
décès, naissances, actes notariaux, traumatismes familiaux. Le secret ou le traumatisme
fait alors l’objet d’évocation, plus ou moins partielle certes, mais propice à une plus ample
élaboration.
Le moment de la maternité est propice à la révélation de traumatismes encryptés,
au travers des représentations de l’enfant à venir (relation intersubjective primitive).
L’accueil de l’enfant aussi, au moment où les parents le découvrent et où la famille vient
voir l’accouchée et le bébé. Les désordres chez la mère pendant la grossesse ou après
l’accouchement, tout comme ceux du bébé, peuvent être aussi des signes témoins de
traumas encryptés. La situation puerpérale est un temps où la mémoire familiale affleure.
« Le contenu des discours semble évoquer le présent, mais il apporte des indices issus des
générations précédentes. » (Darchis, Le voyage psychique en périnatalité.)
Les crises au sein de la famille induisent souvent des révélations spontanées, parfois
fulgurantes et impitoyables.
L’apparition de symptômes chez le descendant constitue aussi un moment crucial
dans lequel le traumatisme se révèle. L’investigation et le traitement psychosomatique
permettent plus que jamais de s’acheminer vers la mise au jour du traumatisme.
La révélation à l’occasion d’une implicite demande du sujet descendant constitue la
voie la mieux adaptée. Elle s’oppose à la pesanteur et l’intrusion d’une révélation program-
mée de type « annonce du diagnostic », dont l’effet est essentiellement retraumatisant.
Il n’y a donc pas de nécessité, il n’y a que de la contingence, en fonction du moment.
Nous n’avons jamais cessé d’insister sur cela en ce qui concerne l’information de l’enfant
sur la sexualité. L’éducation sexuelle est une intrusion. La rectification des représentations
erronées de l’enfant sur la sexualité, dans une relation duelle, en réponse à ses questions,
est une libération.

6. FAMILLE, JE VOUS AIME


L’écoute des histoires familiales de nos patients résonne en nous et nous renvoie
souvent à notre propre histoire. Nous associons souvent et parfois de manière telle
que nous n’entendons plus le patient. Une répression bien tempérée de nos digressions
préconscientes personnelles, de nos affects soudains déstabilisants, de nos émotions
perçues dans le corps, prêtes à sourdre, ne doit en aucun cas porter atteinte à ce phéno-
mène de résonance indispensable d’un point de vue thérapeutique. Le thérapeute doit
« disposer de zones de résonance qui lui permettent de rencontrer à l’intérieur de lui
des blessures semblables à celles de son interlocuteur » (Tisseron, op. cit.). Cela ne peut
se faire que s’il est disponible « à ses propres traumatismes passés, et aux traces laissées
en lui par les traumatismes des générations précédentes. Ce sont les coïncidences et les
interférences entre les uns et les autres qui créent les conditions d’une nouvelle intersub-
jectivité. » (Tisseron, op. cit.)
260
La famille

Mais les associations préconscientes du thérapeute ne sauraient se limiter aux


éléments traumatiques de son histoire personnelle, sans quoi la circulation des représen-
tations et des affects entre lui et le patient aboutirait à une stagnation dans la souffrance
réciproque, éminemment transmissible d’un sujet à l’autre. L’efficacité thérapeutique se
nourrit des éléments résilients, des compétences d’un sujet à s’extraire de sa répétition
délétère, non seulement en y donnant un sens nouveau et différent, mais aussi par échap-
pement et immersion dans de nouvelles représentations, de nouveaux affects, trophiques
si ce n’est hédoniques. Les digressions préconscientes personnelles du thérapeute dans le
champ de ce qui fut pour lui bénéfique, nutritif, thérapeutique, heureux et salvateur, sont
ici essentielles.
C’est dire, en ce qui concerne notre sujet, que la prise en compte de la dimension
traumatique familiale doit s’accompagner systématiquement de la mise au jour de sa
dimension trophique. Il n’existe pas de famille uniquement pathogène, pas plus qu’il
n’existe de famille strictement parfaite.
Les différentes situations pathogènes d’ordre familial que nous avons évoquées
pourraient nous inciter à reprendre en chœur le refrain redondant dont se sont gargari-
sés de prétendus intellectuels des deux générations d’après-guerre : Familles, je vous hais…
Le mot fit fortune, à Saint-Germain, puis dans les amphis, ensuite dans les bistrots, enfin
dans les squats. Venant en troisième rang, après Sous les pavés, la plage et Il est interdit
d’interdire, la formule fut récupérée par des individus ou des groupuscules en rébellion
tout à fait relative à l’égard de ce qu’il était convenu d’appeler les « petits bourgeois » et,
de manière plus générale, contre tout ce qui les avait précédés. La majorité de ces révolu-
tionnaires du dimanche sont devenus à leur tour de petits ou de grands bourgeois ou
bien des individus qui n’ont en tête qu’une seule idée, le devenir. La plupart d’entre eux
ignoraient totalement que cette écholalie ayant valeur d’étiquette identitaire n’était que
le tronçon d’une phrase plus complète que l’auteur, André Gide, lui-même ne sortant pas
de la misère, avait en 1897, dans Les nourritures terrestres, formulée ainsi : « Familles, je
vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur. »
Gide avait alors 28 ans. Lequel d’entre nous n’a-t-il pas, à un moment de son adoles-
cence ou de son jeune âge d’adulte, tempêté contre les aînés, contesté leur cadre, leur
fonctionnement, leurs institutions, leurs principes, leurs valeurs ? Nécessité qui contribue
à l’émergence du sujet. Le sujet oui. Mais certainement pas le groupe. La phrase de Gide
qui – on ne saurait le dénier – transpire l’envie, prend du sens à titre individuel, au travers
d’une histoire personnelle, et en perd du même coup quand, par coquetterie, dandysme,
militantisme, elle s’applique à toutes les sauces, à toutes les familles, en tout lieu, par tous
les temps. Les générations qui nous ont précédés ont connu deux guerres. Peu de gens
n’en ont pas souffert. La pléthore qui caractérise la fin du siècle dernier et le début de
l’actuel autorise-t-elle le dénigrement de nos origines et de la structure sociale élémen-
taire qui a permis à ceux qui la composaient de nous éduquer, de nous permettre de vivre
et très souvent de nous aimer ?
Ce rejet de la famille a précédé le rejet de notre histoire et de nos valeurs individuelles
et collectives. Nous ne nous étendrons pas sur les effets qui en découlent. Chacun les
évaluera à sa façon. Mais il est difficile d’en occulter le constat.
Cette famille occidentale – puisque c’est d’elle dont il est question –, décriée pour avoir
fermé ses volets et ses portes, jalouse de son bonheur éphémère, rivée sur son quant-à-
261
Traité de médecine psychosomatique

soi, méprisable et pusillanime, n’est donc plus au goût du jour. Elle est l’antinomie de
l’héroïque, de l’esthétique, du sensationnel, triptyque indissociable sur lequel s’appuie
tout ce qui se vend bien : machins sans frontières, trucs sans limites, bidules interactifs,
conviviaux, citoyens, etc.
Nous avons fort à douter qu’en 2015, dans la ville d’Uzès où il résida, si proche de
Nîmes, André Gide, prît le risque de ne pas garder « foyers clos » et « portes refermées »…
Faire l’inventaire des éléments qui confèrent à la famille sa dimension trophique néces-
siterait un développement approfondi. Chacun d’entre nous pourrait, en référence à sa
vie, à son histoire personnelle, à ce qui lui a été donné, enrichir ce champ étendu, source
de paix avec l’autre et avec soi-même, plus souvent qu’on ne le croit :
• Naissance et reconnaissance de l’enfant, de ce nom qu’il va perpétuer, de son prénom,
de ses origines.
• Nourriture, soins, protection, sécurité, et toujours, même après de longues années,
aide, écoute, attention, présence, soutien, secours qui perdurent.
• Paroles qui nomment, qui expliquent le monde tout autour, qui étayent, soutiennent,
éduquent, apprennent, guident, accompagnent, racontent une histoire, celle que l’enfant
veut réentendre jusqu’à plus soif, celle de la famille, celle de la guerre, du labeur, d’un
événement signifiant.
• Sourires des visages familiers, répétition immuable de gestes que l’enfant imite,
modèles dont il s’inspire, qu’il s’approprie et qu’il recrée.
• Transmission d’investissements, de sublimations, d’idéaux, de valeurs, de mythes.
• Lieu imprégné d’odeurs, de couleurs et de sons. Lieu dont on sait qu’il a existé ou qu’il
existe encore et que l’on sait toujours retrouver.
• Moments de joie, de partage, de découverte, pleins de rires et de chants.
• Amour donné à l’enfant et à sa descendance, reconnaissance et pardon.
• Patrimoine matériel, spirituel, imaginaire.
• Et puis, tout ce que le sujet n’a pas vu et qui lui a été légué, tout ce qu’il n’imaginait
pas et qu’il découvre sur le tard. Toutes les graines semées par ceux qui ne sont plus là et
qui n’en finissent pas de germer. Tout ce qu’il se doit, à son tour, de transmettre.

262
Chapitre 11

LES PASSIONS AMOUREUSES

1. INTRODUCTION
« L’amour est l’alpha et l’oméga de toute vertu. » (André Comte-Sponville, Petit traité
des grandes vertus.) Les raisons de l’amour relèvent toujours de la gratuité… L’amour est
une des voies de la connaissance de l’autre… L’amour est censé aider le sujet à se suppor-
ter et à se reposer de lui-même… L’amour élève et relève…
Mais l’amour peut faire souffrir. S’agit-il du même amour ?
La polysémie se cache derrière le terme aimer. On peut tout aimer et plusieurs choses
en même temps : son conjoint, ses parents, ses enfants, la mer, la montagne, les vins de
Bourgogne, les huîtres, la campagne au printemps, la pluie, la science, ses amis, les chats,
les chiens, le silence, la fête, soi-même, Dieu. La liste ne sera jamais exhaustive.
L’amour dont nous allons parler se joue entre deux individus. Au moins deux. Ainsi
réduit à sa dimension la plus habituelle, celle de l’intersubjectivité, l’amour est le phéno-
mène qui privilégie à un moment donné un lien, réel ou imaginaire, entre deux indivi-
dus, qui instaure la primauté d’une relation duelle investie plus que tout autre et définit
une « fonction psychosomatique amoureuse » spécifique : représentations, sentiments,
émotions, comportements amoureux.
Une deuxième restriction limitera cette intersubjectivité à l’amour qui s’accom-
pagne, ou tout au moins s’est accompagné à un moment donné et à des degrés divers,
de pulsionnalité érotique, excluant de ce fait les autres formes d’amour pourtant fonda-
mentales : amour maternel, paternel, fraternel, filial, amour mystique, amitié. Il nous reste
donc l’amour des chaumières, celui des chansons.
Les « histoires de cœur » se présentent à nous quotidiennement dans nos cabinets, soit
spontanément, soit révélées par l’anamnèse associative. J’ai évalué, chez l’adulte, la place
qu’occupent les désordres amoureux et les dysfonctionnements au sein du couple, dans
la genèse des plaintes ou des pathologies rencontrées au sein de mon activité libérale :
––désordres amoureux constituant le seul déterminant : 20%
––désordres amoureux associés à d’autres déterminants : 49%
soit une prévalence de 69% dans le déterminisme de la souffrance.
Les demandes d’aide au cabinet, implicites ou explicites, concernant les désordres
amoureux sont, par ordre de fréquence :
––les séparations,
––les dysfonctions sexuelles,
––les conséquences de l’infidélité,
––les dilemmes décisionnels,
––la jalousie.

263
Traité de médecine psychosomatique

Les paroxysmes aigus de ces désordres sont le plus souvent le fait d’états passionnels
et c’est la raison pour laquelle nous nous attarderons particulièrement sur les passions
amoureuses.
Mais les aléas de la passion ne sauraient résumer à eux seuls les désordres amoureux
et relationnels. La vie quotidienne, l’évolution des relations avec le temps, ses accidents
de parcours, constituent le soubassement de nombreuses difficultés, dont le patient finit
parfois par occulter les origines.
Les principaux événements et situations traumatiques en relation avec la vie amoureuse
et/ou la vie de couple, allégués par nos patients ou révélés par l’anamnèse associative,
peuvent se résumer, en référence à notre classification des traumatismes, selon le tableau
suivant.

Conflits, inadéquations relationnelles


Contraintes
Ennui, perte de liberté, vécu d’emprise ou de contrôle
Insatisfaction, frustrations
Attentes Infidélité du conjoint
Situations traumatiques Absence du conjoint
Sentiment de ne pas être aimé, crainte de l’abandon
Conjoint jaloux, agressif, ou insécurisant
Menaces
Maladie du conjoint
Dilemmes décisionnels
Décès du conjoint
Pertes
Séparation, divorce
Événements traumatiques Agressions physiques
Agressions Agressions verbales
Trahisons

Vie amoureuse et facteurs traumatiques

L’approche psychothérapique des désordres amoureux nécessite une évaluation


précise des différentes composantes de la relation intersubjective. C’est dire qu’il nous sera
nécessaire autour de la plainte, de la souffrance ou de l’égarement, de décrypter ce qui se
cache derrière l’allégation d’amour (érotisme, attachement, idéal, engagement, emprise,
interactions familiales délétères, peur, blessure narcissique, etc.), de repérer la complexité
des différents vécus affectifs qui l’accompagnent, et d’explorer les complexes inconscients
et l’histoire du sujet qui conditionnent la répétition si fréquente des déboires.
Fort heureusement, l’amour ne saurait se limiter à ces désordres mais, lorsqu’il éblouit,
épanouit, construit, élève, transcende, l’amour ne vient pas sonner à notre porte pour
demander un soutien ou une aide. Il n’en a nullement besoin car il est à lui seul aide et
soutien. Il guérit mieux que toute psychothérapie. Nous n’en voyons dans nos cabinets
que ses artefacts, ses résidus ou ses orages. Comment peut-on les comprendre et les dissi-
per afin d’en restituer le charmant paysage ?

264
Les passions amoureuses

2. L’AMOUR DANS TOUS SES ÉTATS


2-1. Les trois amours
Linguistique
Les Grecs faisaient une distinction entre philos, éros et agapè. Le latin, avec amare et
amor (racine indo-européenne am), étend la polysémie du verbe et du substantif, mais
distingue aussi le terme deligere (chérir, choisir) qui donnera dilection (amour tendre et
pieux). Amor donnera ameur en vieux français puis amour. La langue anglaise établit une
distinction à la fois qualitative et quantitative entre to like (sympathie, affection, attrait
pour les choses), to be fond of (raffoler de) et to love (sentiment amoureux, attirance
sexuelle). L’espagnol établit une distinction entre amar (amour idéal et passionné) et
querer (aimer et vouloir).
La langue française a, sur le tard et de manière curieuse, condensé en un seul mot
des choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres : l’amour charnel, l’acte sexuel, le
sentiment amoureux qui consacre l’élu, son idéalisation, l’amour parental, filial, fraternel,
fruits de l’attachement, les penchants et les attirances à l’égard d’objets (les radis, la terre
battue), de phénomènes (aimer la pluie, le bruit du vent dans les pins), d’œuvres d’art (la
musique baroque), d’activités (le sport, la couture), la relation amicale, l’amour de Dieu
dont parlent les évangiles. Tous ces phénomènes sont caractérisés par un attrait spéci-
fique et une centralité. Mais comment s’y retrouver ?
En fait, l’appauvrissement actuel de notre langue, que l’on ne saurait dénier, ne doit pas
nous faire oublier sa richesse sémantique sous-jacente, qui heureusement propose une
palette à celui qui sait l’utiliser : aimer certes, mais aussi adorer, chérir, désirer, apprécier,
s’attendrir, s’extasier, etc.
Les états amoureux diffèrent de l’un à l’autre, dans leurs composantes, leurs détermi-
nants, leur expressivité, leur histoire, leur devenir. Fascination, idéalisation, désir, besoin,
plaisir, attachement, dépendance, oblativité, possessivité, tendresse, destructivité.
Nous allons nous étendre sur les quatre composantes fondamentales de l’amour :
Éros, Philia, Agapè et l’attachement. L’attachement est nécessaire à la survie physique
de l’enfant. Éros est nécessaire à la survie de l’espèce. Philia, à la survie du groupe et de
l’intersubjectivité. Quant à Agapè, il est nécessaire à la survie psychique du sujet. On
comprendra que ces composantes vitales puissent conférer à l’amour sa terrible intensité.

Éros
Élan de passion charnelle, enchantement, extase amoureuse. Attrait pour la beauté
physique, désir d’assouvissement, plaisir des sens, excitation et licence, quête et besoin
de l’objet. Si la sexualité y occupe une place centrale, elle ne saurait définir Éros dans son
intégralité.
Car Éros naît du désir et du manque. Selon Platon, Éros « aime ce dont il manque et
qu’il ne possède pas ». Se distinguant d’Aristophane, qui assimile Éros à la complétude, le
retour à la fusion, Socrate, dans Le Banquet, identifie Éros au manque. L’incomplétude est
son destin. Aimer selon Éros, c’est aimer ce que l’on n’a pas, manquer de ce qu’on aime,
vouloir le posséder. Te quiero en espagnol signifie à la fois « je t’aime » et « je te veux ».
Petit dieu jaloux, avide, possessif, qui souffre lorsque le bonheur de l’autre l’éloigne de lui,
Éros est au centre de la passion amoureuse et en constitue le point culminant.
265
Traité de médecine psychosomatique

L’amour courtois (xiie - xive siècles) établit la primauté du désir. Le sentiment de l’amant
est censé s’amplifier, son désir grandir et rester pourtant en partie inassouvi. Il s’adresse
souvent à une femme inaccessible, lointaine ou d’un niveau social différent de celui du
chevalier. Elle peut feindre l’indifférence. On nommait ce tourment, à la fois plaisant et
douloureux, joy. Ainsi, Cercamon (1135-1145) dit : « Rien ne me fait plus envie Qu’un
objet qui toujours m’échappe » ; et Matfre Ermengau (fin xiiie - début xive) : « Le plaisir
de cet amour se détruit quand le désir trouve son rassasiement. » Ce joy d’amor a pour
cause une femme, et pour objet l’amour lui-même ; il est à la fois plaisir d’être amoureux
et vœu d’éterniser le désir, il est exalté par la retenue que la dame impose à son amant :
« Nul ne peut être assuré de triompher de l’amour, s’il ne se soumet en tout à sa volonté »,
dit Guillaume IX de Poitiers.
La dame peut tester la valeur de son amant avant de se donner à lui en lui imposant
l’assag (« essai »), prôné par les troubadours comme suprême épreuve de fin’amor (« vrai
amour ») : les deux amoureux couchaient «nu à nue » sans se toucher. L’allégeance du
soupirant à sa dame conduit celle-ci à le soumettre à une épreuve : « Ma dame me met
à l’essai et m’éprouve Pour savoir en quelle guise je l’aime », dit encore Guillaume IX de
Poitiers. L’assag devient au xiiie siècle l’épreuve héroïque de la chasteté gardée «  au lit »,
« nu à nue » (nudus cum nuda) : si l’amant cède au désir, c’est la preuve qu’il n’aimait pas
de fin’amor. Une fois que l’essai est réussi par l’amant, la dame peut se donner à lui sans
craindre que le désir s’essouffle.
Mais le plus souvent Éros « dort à la belle étoile, près des portes et sur les chemins…
l’indigence est son éternelle compagne… tantôt il est plein de vie, tantôt il meurt puis
renaît… ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse» (Platon, Le Banquet). « Riche pourtant
de ce qui lui manque, et pauvre, à jamais, de tout ce qu’il poursuit, ni riche ni pauvre, donc,
ou l’un et l’autre, toujours dans l’entre deux, entre savoir et ignorance, entre bonheur et
malheur… Enfant de Bohême, si l’on veut, toujours en route, toujours en course, toujours
en manque. » (Comte-Sponville, op. cit.)
Éros s’apaise, puis s’ennuie lorsqu’il possède ce qui lui manque. Il aime l’amour plus que
la vie, le manque plus que la présence, la passion plus que le bonheur. La porte est ouverte
à l’exaltation, le tourment, la tragédie et la mort. Le romantisme y puise une large part de
son inspiration.
™™ Jonathan, 20 ans, s’imagine que Judith désire le tromper ou le quitter. Depuis trois
mois, c’est devenu une obsession, il interprète ses moindres faits et gestes. La séance
permettra de repérer des éléments projectifs ainsi qu’une rationalisation défensive
manifeste et un besoin de contrôler l’interlocuteur. Il ne donnera pas suite aux entretiens.
Six mois après, il téléphone dans un état de panique extrême, demandant à ce que je
reçoive ladite Judith en urgence car elle vient de découvrir qu’il maintenait une relation
suivie avec une autre fille depuis longtemps, chose qu’il s’était bien gardé de me dire lors
de notre entrevue. Je propose à ma collaboratrice de recevoir Judith. Dont acte.
Judith est désespérée, ne mange plus, ne dort plus. Jonathan l’a trahie mais, surtout,
refuse de reconnaître ses torts, rationalisant sur le mode de l’accusation. À l’issue de la
séance, il appellera pour s’enquérir du contenu de l’entretien, se proposant de rectifier s’il
y a lieu les dires de Julie.

266
Les passions amoureuses

Lors de la séance, Judith racontera qu’à l’âge de 17 ans, elle avait communiqué pendant
plus d’un an sur internet avec un « garçon » absolument idéal dont elle était tombée
très amoureuse. Il paraissait tout connaître d’elle et lui disait exactement ce qu’elle rêvait
d’entendre. Par contre, il ne souhaitait pas la rencontrer de suite, ne cessant de repousser
l’échéance. Ce n’est qu’au bout d’un an qu’elle apprit qu’il s’agissait d’une de ses amies qui
se servait d’une fausse identité pour se moquer d’elle. Elle fit par la suite une dépression
et s’isola pendant de longs mois. La psychothérapie de Judith montrera que sa naïveté
foncière n’avait d’égal que son masochisme.
Malgré les séances, Judith ne parvint pas à quitter Jonathan. Elle mit tout en place pour
retrouver l’idylle du début. En vain. Le couple bâtit de plus en plus de l’aile, Jonathan se
dédouana de tout et finit par la quitter. Dans le désespoir, elle eut une relation transitoire
non investie avec un copain étudiant. Jonathan en ayant eut vent, fit irruption, renoua
la relation l’espace d’une nuit et, après s’être assuré qu’en réalité elle l’aimait toujours, lui
annonça qu’il ne voulait plus jamais la revoir. Depuis, elle a appris que Jonathan avait
toujours été infidèle. Elle a perdu 8 kg, ne parvient plus à se concentrer sur son travail, et
avoue que s’il revient, elle le reprendra malgré tout.
Quelles solutions pour échapper au manque, à la misère, au malheur ? Pour Platon,
c’est « l’enfantement dans la beauté, selon le corps et selon l’esprit ». Création ou procréa-
tion. Figures d’immortalité.
Platon propose aussi une autre issue par la voie de Diotime : la voie transcendantale.
Ascension spirituelle qui fait passer de l’amour des corps, à l’amour des âmes, puis au
Beau, au Bien, et enfin à Dieu. Éros, Philia, Agapè.
Psychosomatique d’Éros
Le désir
Le désir focalise les perceptions sur l’objet. Réaction brusque, intense, débâcle pulsion-
nelle faite de réactions physiques, de restriction du champ de la conscience au profit du
seul et unique objet, de productions imaginaires frustes ou féeriquement élaborées, de
ressaisissements défensifs induisant des expressions discordantes et fausses.
Le loup dans le dessin animé de Tex Avery en est l’expression caricaturale : yeux
exorbités, langue pendante, exaltation, excitation, agitation, sidération. À l’opposé de ces
expressions de prédateur qui deviennent monnaie courante sur nos places publiques et
qui s’accompagnent de rotation axiale cervicothoracique brusque, de sifflements, chuin-
tements, aspirations, jets de salive et souvent formulations grammaticalement et syntaxi-
quement réduites, le désir peut prendre une forme plus silencieuse, plus respectueuse,
acceptant l’existence de l’autre en tant que sujet : contemplation, émerveillement, fasci-
nation, langueur du soupirant, ou encore distance feinte du vrai séducteur.
L’envie
L’envieux désire ce que possède l’autre. Il se distingue de la jalousie amoureuse car, dans
celle-ci, réside une crainte d’être dépossédé de ce qu’on a.
Émotion composite faite de désir, de colère, de tristesse. Le sujet ressent comme une
espèce de morsure, sent son visage se figer. Mais la plupart des sujets civilisés s’empressent
de la dissimuler, car l’envie débusquée peut être source de honte ou de déshonneur. Ils
détournent alors le regard de l’objet qu’ils continuent de dévorer secrètement dans leur
for intérieur.
267
Traité de médecine psychosomatique

L’envie n’est pas de tout repos. Si elle peut constituer, chez certains, la source et le
moteur de l’ambition, de l’admiration, de l’émulation et donc de l’action, elle suscite
volontiers, lorsqu’elle reste lettre morte, tristesse, hostilité, rancœur, blessure narcissique,
haine et toujours frustration et insatisfaction. Nos marchands de bonheur l’ont parfaite-
ment compris, l’envie constitue le moteur de la consommation.
Les réactions d’envie sont particulièrement fréquentes et compréhensibles lors des
protocoles de procréation médicale assistée. La confrontation à la grossesse d’une amie
génère un mouvement dépressif immédiat chez la personne embarquée dans cette galère.
Dénoncer ce que les autres ont, les détruire, prendre leur place, posséder ce qui leur
a été ôté : certaines révolutions, manifestations, confédérations, brandissant l’insigne
sacro-saint du « pouvoir d’achat », n’ont pas d’autre dessein.
L’envie, et plus particulièrement l’envie sexuelle, est le moteur du terrorisme. L’inté-
grisme religieux n’a pas d’autre origine.

Philia
Désirer ce que j’ai. Jouir de ce que j’ai. Ici, le désir et le plaisir ne sont pas sous-tendus
par le manque mais au contraire par la présence de l’objet. La présence de l’autre n’entrave
pas cet amour, elle le nourrit, le prolonge, le construit. Désir que l’objet d’amour persiste
et vive, joie que l’autre existe. Le désir est ici une puissance (Spinoza) : l’amour du père
pour le fils, l’amitié sincère, l’amour pour cette femme qui est avec moi, l’amour de la
nature, etc. Pas de manque, pas d’angoisse, pas de jalousie, pas de souffrance. Partage,
fidélité, compagnonnage, intimité, confiance mutuelle.
Cet amour est indissociable du plaisir et de la joie (en grec, les termes sont homonymes).
Jouir et se réjouir, sans rien demander à l’autre que d’exister. La gratitude se substitue au
manque.
Il y a plaisir et joie à « chaque fois que nous désirons ce que nous faisons, ce que nous
avons, ce que nous sommes ou ce qui est, bref à chaque fois que nous désirons ce dont
nous ne manquons pas… » (Comte-Sponville, op. cit.)
Si philein désigne le verbe générique aimer, quel que soit l’objet de cet amour (maîtresse,
parent, musique, aliment, bains de mer), philia, malgré son devenir grammatical ultérieur
sous forme de préfixe (philosophie) ou de suffixe (cinéphile), concerne initialement les
rapports interpersonnels : amour maternel, paternel, filial, conjugal, amour des amants
« qu’Éros ne saurait tout entier contenir et épuiser » (ibid.), amitié sincère.
Dans un couple, dans une histoire d’amour, Éros et Philia s’entremêlent souvent. Mais
Éros s’use au fur et à mesure qu’il est satisfait, alors que Philia se nourrit et grandit de cette
satisfaction.
Psychosomatique de Philia
La joie résume la psychosomatique de Philia. Nous en avons, en première partie de
ce livre (p. 79), décrit les manifestations somatiques : légèreté, élévation, expansion,
hyperacuité sensorielle, relâchement musculaire, respiratoire, viscéral, vasodilatation, etc.
Bref, une thérapeutique en soi pour de nombreux maux physiques.

268
Les passions amoureuses

Agapè
Agapan : « Accueillir avec affection » un enfant, un hôte étranger.
L’amour qui laisse la place à l’autre. Agapè atteste d’un accueil qui fait place à l’altérité
d’autrui, alors qu’Éros tend à s’approprier l’autre pour en jouir et que Philia limite les
objets investis sous condition fréquente de réciprocité.
« Renonciation à la plénitude de l’ego, à la puissance, au pouvoir. » (Ibid.) Libération de
soi-même, de la prison du moi.
L’amour est abdication (Simone Weil), retrait, douceur, délicatesse d’exister moins,
autolimitation de son pouvoir, don désintéressé et inconditionnel de soi. Amour
spontané et gratuit, sans motif, sans intérêt, sans justification. Amour qui ne manque de
rien puisqu’il a renoncé à tout.
Agapè est indépendante de la valeur de son objet. Elle ne fait pas le constat de sa
valeur, elle la crée. Ce qui donne de la valeur à l’objet, c’est d’être aimé. Comme un cadeau
qu’on recevrait dont on ignore l’auteur. L’amour précède la valeur. C’est caritas : ce qui
rend cher.
Aimer ceux qui nous indiffèrent, nous encombrent, nous trahissent, ne nous aiment
pas. Amour permanent de la totalité de l’autre, « celui ou celle dont on est l’amant ou
l’ami », mais aussi de tous les humains, amis ou ennemis, amour « qui n’empêche d’ailleurs
pas de préférer ceux-là (quant à l’amitié) ni de combattre ceux-ci (si on peut les combattre
sans haine, si la haine n’est pas la seule motivation du combat)… » (Comte-Sponville,
op. cit.) Et « aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie : s’aimer
soi-même comme un étranger » (Simone Weil, La pesanteur et la grâce). « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même. »
Ainsi Agapè est l’amour au-delà de l’amour, l’amour divin, quasiment inatteignable.
Mais aussi ce qu’il peut y avoir de divin dans l’amour.
Agapè est indissociable de la joie et de la grâce, termes qui, en grec, sont homonymes.
Elle est aussi indissociable d’une triangulation transcendantale.
Psychosomatique d’Agapè
La paix
Agapè met un terme au combat. L’épuisement défensif dans la maîtrise cesse. Sérénité,
contemplation, béatitude. Le corps est moins en tension. Les vécus traumatiques prennent
un autre sens et leur impact pathogène en est atténué. Les effets somatopsychiques sont
moins délétères : les sujets habités par Agapè font preuve d’une sérénité surprenante par
rapport aux autres face à la maladie.
Le sourire
Les manifestations sensitives et sensorielles de la joie, repérées chez Philia (expansion,
élévation, sourire, larmes de joie), s’exacerbent, s’aiguisent, s’étendent, se pérennisent
et s’autonomisent par rapport aux objets. C’est plus un état qu’un sentiment. Plus une
passion qu’une émotion.
Il n’est pas étonnant que, chez certains sujets, les perceptions puissent parfois s’en
trouver modifiées.

269
Traité de médecine psychosomatique

La soumission déférente
Dévotion respectueuse, attitude à la fois soumise, déférente et extatique. On la
retrouve chez le croyant en prière, dans les images pieuses des saints, mais aussi chez le
soupirant romantique ou dans l’amour courtois.

2-2. L’attachement
Comment articuler l’attachement avec la triade grecque ? Dépendance d’Éros à
l’absent, jubilation de Philia avec l’objet, alliance d’Agapè avec Dieu ? Le lien duel est
présent dans chaque cas. A-t-il une origine commune dans la relation archaïque d’objet ?
D’un point de vue ontogénétique, l’attachement s’origine dans la fixation infantile
à la première créature mobile : l’empreinte. L’empreinte se constitue lors de la période
dite « sensible » ou « critique » des premiers mois chez l’être humain. Elle correspond à la
période de dépendance physiologique.
Konrad Lorentz avait mis en évidence la puissante influence de l’imprégnation sur les
oies, la période critique se situant dès les premières trente-six heures chez les oiseaux.
Chez les mammifères, cette imprégnation est encore plus marquée. Gérard Ménatory
explique qu’un louveteau capturé avant que ses yeux ne soient ouverts, ne peut que
subir une imprégnation dont il sera profondément marqué toute sa vie. Il réalisa une
expérience en enlevant à sa mère une petite louve âgée de cinq jours seulement. Au
bout de quelques semaines, il alla la replacer près de sa mère, mais elle gémit et courut
se réfugier contre les jambes de l’expérimentateur. Pour un loup vivant dans un parc, la
méfiance naturelle vis-à-vis de l’homme est légèrement atténuée et, même s’il y est né,
elle redevient une crainte véritable si d’aventure il rejoint l’état sauvage. Pour un loup qui
a connu l’empreinte, cette méfiance n’existe pas et n’existera plus.
J. Bowlby constate que les enfants ayant passé leur prime enfance en institution ont
tendance à ne s’attacher à personne. Il décrira les différentes phases du processus d’atta-
chement-détachement. Considérant, contrairement à M. Klein, que le processus d’atta-
chement ne trouve pas l’intégralité de son origine dans la relation avec le sein de la mère
et l’érotisme oral (notons que M. Klein reprochait à Bowlby de recevoir les bébés avec leur
mère !…), Bowlby attribue l’attachement à un instinct déterminé par une programmation
génétique nécessaire à la survie du fait du caractère néoténique du bébé.
H. Harlow démontrera plus tard que les bébés singes rhésus séparés de leur mère
s’attachent à une mère substitutive en peluche non allaitante et non à une mère en fil de
fer munie d’un biberon.
R. Spitz décrira en termes d’hospitalisme l’abattement, l’indifférence et l’altération
somatique des enfants séparés de leur mère.
Psychosomatique de l’attachement
Les séquences défensives chez le jeune enfant confronté à la séparation sont schéma-
tiquement les suivantes :
––cris, pleurs, lorsque la mère part, recherche active de celle-ci par le regard, bras
tendus ou déplacement dans sa direction. Hurlements si quelqu’un d’autre essaie de
consoler l’enfant ;
––lorsque la séparation se prolonge (hospitalisation, voyage, etc.), apparaissent transi-
toirement abattement, silence, indifférence aux autres, refus des jouets et de la nourri-
ture ;
270
Les passions amoureuses

––lorsque la mère revient après une absence conséquente, l’enfant est initialement
indifférent, parfois agressif, puis manifeste son affection que pourront ponctuer des
manifestations agressives inattendues.
Avec la répétition des expériences, au cours desquelles le vécu et les réactions de
l’adulte vont jouer un rôle déterminant, vont donc s’instaurer des modalités défensives
qui détermineront le soubassement de la relation d’objet et de la réactivité face à la
séparation. On peut distinguer de manière caricaturale trois types de formations défen-
sives :
––l’adaptabilité : lien investi, recherche de l’objet, mais acceptation de la séparation ;
––la distance (« attachement évitant ») : évitement de la dépendance, désinvestisse-
ment suivi d’investissements itératifs d’objets de substitution. L’indisponibilité de la
mère, sa distance, son éventuel rejet, peuvent favoriser ce type de réponse ;
––la dépendance : adhésivité, intolérance à la séparation, agressivité lorsque l’objet
s’éloigne. L’angoisse de séparation chez la mère y est souvent déterminante.
Les formes intermédiaires sont bien sûr fréquentes, volontiers déterminées par l’ambi-
valence maternelle dans laquelle alternent ou coexistent fusion et rejet plus ou moins
conscients.
Les expériences ultérieures successives exacerberont, atténueront, ou transforme-
ront partiellement le système défensif archaïque sans toutefois en faire disparaître la
prégnance.
Cette matrice, constituée d’un noyau défensif premier et structural, et des aménage-
ments défensifs ultérieurs détermineront grandement la manière d’aimer du futur adulte.
™™ Caroline, 30 ans, allègue des difficultés récurrentes dans les relations investies. Il
s’agit d’un évitement défensif de l’attachement. Attachement qu’elle redoute sans trop
l’avoir connu. Il s’ensuit des choix d’objet préférentiels pour des hommes instables, vite
résolutifs, ainsi qu’une capacité d’adaptation transitoire à tout le monde. Elle fonctionne
de manière identique avec les lieux de séjour : sa vie est une longue suite de déménage-
ments. Elle a une sœur plus âgée d’un an.
La mère avait dénié les deux grossesses, se droguait, se prostituait. Le père étant très
pris par son travail, les deux bébés restaient seuls à la maison toute la journée. Les voisins
alertèrent les services sociaux et les deux enfants furent placés dans un foyer. Caroline,
alors âgée de 8 mois, développa otites à répétition. Quant à sa sœur, elle fit une anorexie.
Lorsque Caroline eut 18 mois, elle fut placée, avec sa sœur, en famille d’accueil. Caroline
était agitée, ne faisait pas la sieste, mais s’adaptait parfaitement, appelait tous les hommes
« papa », tendait les bras à tout le monde, et faisait sa vie toute seule. La sœur, par contre,
était scotchée à l’autre.
Caroline entendait mal. D’où troubles de la scolarité. Elle fut opérée à 5 ans. Contrai-
rement à sa sœur qui a développé une personnalité dépendante, Caroline s’est défendue
contre le vécu de séparation, par une formation réactionnelle précoce : ne pas s’attacher,
se détacher. L’hypoacousie a mis les autres à distance.
D’un point de vue biologique, l’ocytocine est l’hormone de l’attachement. Une injec-
tion d’ocytocine chez la brebis induit un attachement au premier nouveau-né venu. Sans
ocytocine, elle ne lui prête aucune attention. Le campagnol des plaines est monogame,
contrairement à son cousin, le campagnol des montagnes qui est polygame. Une vision
271
Traité de médecine psychosomatique

simpliste ferait remarquer que la polygamie paraît, à l’inverse, plus courante en ville
qu’au fin fond de la montagne… Mais nous sommes des hommes et ce sont des campa-
gnols. Quoi qu’il en soit, chez tous les campagnols, l’ocytocine est libérée lors du premier
coït à telle enseigne que les récepteurs à ladite hormone se multiplient dans le cerveau
campagnolesque dans les suites immédiates de l’extase. Chez certains humains, bien
que l’ocytocine participe aussi à la montée du désir et du plaisir, il semblerait que l’expé-
rience nécessite pour le moins une certaine répétition, un coït unique ne suffisant pas,
en règle générale et en tout cas de nos jours, à créer l’attachement, les mains fussent-elles
attachées aux montants du lit.

2-3. L’amour et la société
Le phénomène amoureux est universel, mais ses expressions divergent selon les
époques et les civilisations. Coutumes, modes, rites, convenances, règles, lois, tabous,
consensus, interdits en constituent les modes de régulation externes.
Deux domaines intriqués méritent d’être abordés : la régulation des unions par le
groupe social et l’évolution des représentations et des comportements sexuels.

La régulation des unions


Les comportements sexuels des animaux sont variables d’une espèce à l’autre. Certaines
espèces sont monogames, d’autres polygames. Chez les loups, par exemple, seul le mâle
dominant et la louve alpha ont accès à la reproduction.
Au sein d’une même espèce, des variantes existent, tout comme chez l’homme.
Les gibbons sont monogames et sédentaires. Les orangs-outans mâles, beaucoup plus
nomades que leurs cousins, ont des partenaires successives différentes. Chez les gorilles,
c’est le système confortable du harem : le mâle dominant, entouré de femelles, est le seul
reproducteur. Quant aux bonobos, précurseurs de l’homme postmoderne, leur activité
sexuelle est frénétique, incessante, addictive, avec une indistinction totale des partenaires.
Il existe donc chez la plupart des espèces, une régulation à la fois instinctuelle et secon-
dairement liée au mode de vie, à l’apprentissage, qui instaure des modalités destinées à
protéger la survie du groupe. Ainsi, l’interdit sexuel n’est pas une invention de l’homme,
il protège la pérennité des structures sociales. On comprendra par ailleurs que la vie
sexuelle et la régulation des unions soient pour une part dépendante du mode de vie et
de son évolution.
Mais qui dit règle, dit transgression potentielle. Dans toute civilisation, des arrange-
ments existent, certains transgressifs propres aux individus, d’autres tolérés et propres
aux lois d’un pays ou d’un clan.
Dans l’espèce humaine, le mariage est optionnel. Son but est avant toute chose la
constitution d’une nouvelle cellule sociale. Le mariage d’amour n’est qu’une deuxième
option propre à une société en un temps donné, telle la société occidentale du xxe siècle.
La diminution du mariage religieux chez les populations de souche occidentale n’est
un secret pour personne. Quant au mariage civil, il est sérieusement concurrencé par le
PACS (42% des unions officielles en 2013). Séquence signifiante : disparition successive
de l’engagement religieux, puis des devoirs réciproques au profit des droits matériels et
individuels. Paradoxalement, l’institution du mariage entre sujets de même sexe suit le
mouvement inverse. Paradoxe tout à fait relatif car les deux phénomènes ont une assise
272
Les passions amoureuses

commune : un besoin irrépressible de destituer les structures sociales préexistantes et de


se démarquer par rapport à toute forme de tiers symbolique.
Malgré cela, ou peut-être de ce fait, le nombre de divorces a quadruplé en cinquante
ans. Chaque année compte un divorce pour deux mariages et un marié sur cinq a été déjà
marié. Trois enfants sur dix sont présents au mariage de leurs parents.
25

20

15

10

1 5 10 15 20 25 30 ans

Taux de divorce selon la durée du mariage (pour 100 mariages)

Évolution des représentations sexuelles


Licences et interdits
À l’image de la nature, où s’opposent le jour et la nuit, le froid et le chaud, la vie et la
mort, l’homme a établi des couples d’opposés : bien et mal, beau et laid, féminin et mascu-
lin, yin et yang. Cette diabolisation (division, séparation) commence, selon la Genèse, par
la connaissance du bien et du mal. Elle met un terme au paradis terrestre au sein duquel
cohabitent en parfaite quiétude lions et antilopes et instaure des distinctions, des repères.
Mais cette division en appelle en retour à l’union, à la symbolisation. Ainsi, de la différence
naît l’unité, le symbole, la parole.
Lorsque les différences disparaissent, l’illusion du paradis terrestre renaît transitoire-
ment. Illusion seulement, et à terme, indistinction, confusion, flou artistique, cécité. La
structure de la civilisation est alors menacée, puis s’effondre. Il est rare qu’elle renaisse de
ses cendres mais, sur le brasier encore chaud, s’érige le plus souvent un nouveau système
qui finit par ressembler curieusement, et le plus souvent en pire, au précédent. Les révolu-
tions, après avoir anéanti le pouvoir en place, laissent la porte grande ouverte à l’avène-
ment de dictatures qui détrônent largement en ignominie les anciens régimes, et ceci
qu’elles aient lieu en juillet, en octobre ou au printemps. Ainsi, au fil du temps, les sociétés
n’ont de cesse de créer de nouvelles licences qui s’accompagnent d’autant de création
d’interdits.
L’Église avait condamné le plaisir charnel en dehors de la nuptialité. Son déclin a
concouru à la reconnaissance, puis l’autonomisation, et enfin la consécration du seul
plaisir.
Le phénomène sociétal appelé révolution sexuelle, ponctué successivement par les
mouvements de libération de la femme, la contraception qui a accentué le clivage entre
sexualité et procréation, les lois sur l’avortement, le développement des unions libres,
273
Traité de médecine psychosomatique

du divorce, et l’instauration plus récente du PACS, a progressivement mis en avant le


plaisir sexuel comme un droit fondamental, indispensable à l’équilibre vital, au même
titre que les congés payés, le droit à la santé et le sacro-saint pouvoir d’achat. Autant de
droits imprescriptibles qui prolifèrent et rétrécissent de ce fait le champ des devoirs qui
se réduit à une peau de chagrin.
La sexologie moderne est partie en croisade pour étendre ce droit à tout individu,
quelles que soient son identité, sa spécificité, sa subjectivité et son histoire. Évacuant
ces dernières sans autre forme de procès, elle limite son étude à la physiologie et aux
comportements des individus. Cette négation du sujet, de son identité sexuelle, de sa vie
fantasmatique, s’instaure en clivage pervers et réduit ladite sexologie à une génitologie de
bon aloi, peu compromettante et parfaitement consensuelle puisqu’elle prône de ce fait
l’indistinction entre individus. Le dogme égalitaire est respecté. Sous condition toutefois
qu’il compose avec l’autre principe sacré : le culte de la différence. Prouesse mathéma-
tique peu commune et d’autant plus prisée qui, tout en sacralisant certaines pratiques
autrefois injustement mises à l’index, sélectionne de nouvelles catégories de sujets voués
au pilori. Ne doutons pas un instant que les chantres de la sacralisation de certains sujets
sont les mêmes que ceux qui organisaient jadis leur persécution.
Éternel recommencement : ce qui était mal hier, est bien aujourd’hui, et sera mal à
nouveau demain. L’abolition des interdits se solde par la mise en place de nouveaux tabous.
Consumérisme
L’évolution des comportements sexuels tend vers l’avidité, si ce n’est l’addiction. Mais
le consumérisme sexuel, tout comme le « pouvoir d’achat », ne garantit pas la satisfac-
tion. Le consommateur rarement satisfait, jamais remboursé, ne dispose pas encore d’un
service après-vente, ce qui peut paraître de nos jours et aux yeux de certains, scandaleux.
Le consumérisme s’oppose en tous points à la mentalisation et à la sublimation. La
sublimation d’une substance brute produit, sous l’effet de la chaleur, une substance
volatile et un résidu. La substance volatile de la pulsion sexuelle, celle qui s’élève dans l’air,
correspond à l’amour, Éros, Philia et Agapè confondus. La pornographie et la sexualité
excrémentielle, à l’image des productions de l’art conceptuel, en constituent le résidu.
« Dans la pornographie ce qui est représenté est l’absence de faille : la rencontre
sexuelle ne peut pas avoir lieu dans la mesure où ce qui est en jeu est la maîtrise du
manque, sa réduction à rien par l’effacement de l’autre. Les représentations pornogra-
phiques ramènent le corps de l’autre à une énumération de détails : le dépouillement de
ses enveloppes ne trouve aucune limite jusqu’au décharnement. Autrui en tant qu’objet
du désir est perdu d’avance. L’appropriation réduit l’objet du désir à un avoir ayant perdu
son être. » (Marzano, La pornographie ou l’épuisement du désir.)
Le consumérisme sexuel a creusé de manière profonde le clivage entre sexualité et
affectivité, mais aussi entre sexualité et fantasme. L’imaginaire sexuel s’est appauvri, car il
s’est soumis aux représentations collectives et consensuelles de la sexualité que véhiculent
médias crasseux et cyberdictature. Extinction de l’imaginaire érotique personnel auquel
se substitue un catalogue officiel de pratiques, restreint et uniforme, une iconographie
prothétique d’emprunt qui s’incruste, tel un corps étranger, au sein des reliquats de l’appa-
reil neuropsychique. Des comportements sexuels standards naissent d’images virtuelles

274
Les passions amoureuses

recommandées, elles-mêmes références obligatoires, dictées par l’audimat, et alimentent


en retour le consensus des bonnes pratiques. Ainsi naissent les modes.
L’enfant
L’indistinction, le consumérisme, les déliaisons entre sexe et sentiment, entre fantasme
et pratique, mais aussi la phallicisation des conduites féminines, caractérisent les nouvelles
représentations sexuelles.
N’allons pas chercher plus loin les origines de la montée de l’intégrisme, d’autant que
celui-ci, tout comme le puritanisme, n’a d’autre déterminant que l’obsession sexuelle.
Si cette mutation des représentations et des comportements sexuels ne pose pas
encore trop de problèmes aux adultes, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’enfant.
L’étalage sexuel constitue un frein à la curiosité de l’enfant, elle-même d’essence purement
sexuelle, une attaque de sa pensée, et donc une entrave à son développement psychique.
Les enfants ont très tôt accès à internet. Quant aux déshérités qui n’ont pas le haut-débit,
il suffit aux parents de les envoyer chercher le journal. Les images pornographiques sont
exposées à la hauteur exacte des yeux de leurs bambins. Sans abonnement ni forfait.
™™ Tifanie va tous les samedis soirs, avec son nouveau compagnon, rencontré sur le
web, « faire l’amour » dans un club sadomasochiste car, pour elle : « L’échangisme, c’est
dépassé. » Elle adore que son compagnon lui écrase les mamelons avec une pince à griffe
pendant qu’il se fait sodomiser. Elle exerce la profession de conseillère conjugale. Son
ex-mari dont elle est divorcée a mis fin à ses jours il y a deux ans, dans les suites d’une
procédure de divorce particulièrement houleuse : elle l’avait accusé d’attouchements
sexuels sur la personne de leur fils Dylan, 6 ans, dont il avait la garde. Descente de police
à l’aube, garde à vue immédiate, préventive. C’est au sortir du commissariat qu’il est allé
se jeter sous le train. Le soir même, l’enfant se rétractait. Depuis, l’enfant qui a 8 ans vit
chez sa mère et le compagnon de celle-ci. Un autre homme partage leur appartement,
un ami du compagnon que Dylan doit appeler « tonton ». Dylan est très agité depuis
qu’il a visionné des enregistrements vidéo du samedi soir qui traînaient sur la table du
séjour. Il fait des crises d’urticaire depuis qu’il a vu le compagnon de sa mère et « tonton »
s’embrasser tous nus dans la salle de bains. Il fait parfois des crises d’asthme. Malgré ses
séances régulières d’orthophonie, il n’écoute pas à l’école, n’apprend pas ses leçons, ne fait
pas ses devoirs et désobéit à la maison. Il est sous bêtamimétiques, antihistaminiques et
amphétamines, car il a été diagnostiqué « hyperactif ».

3. CLINIQUE DES TRANSPORTS AMOUREUX


L’amour passionnel a le plus souvent été considéré comme suspect en raison des
risques de refus de soumission sociale, de mésalliance, de grossesses illégitimes, d’infi-
délités ou de conflits. S’il a pu être considéré, selon les époques et les sociétés, comme
un manque de virilité chez les hommes, voire comme un signe de dépravation chez la
femme, il a été aussi reconnu et mis en avant comme valeur suprême (amour courtois au
xiie siècle, élégie romantique, amour fou des surréalistes).
La passion génère, comme le processus chimique de sublimation, des composés volatils,
qui s’élèvent dans les nuées : flamme, déraison, poésie, fascination, création, dépassement
de soi, don de soi, fantasmes. Elle produit aussi des résidus : tourment, égarement, addic-
tion, consomption, dessiccation.
275
Traité de médecine psychosomatique

3-1. Attraction et séduction
« Je croyais choisir et j’étais choisi » (Aragon, Le voyage de Hollande.)
Quelque chose choisit pour nous. Si ce n’est pas l’autre ou les autres, c’est notre
inconscient. Quelle part reste-t-il au supposé libre arbitre ? Existe-t-il des critères généraux
de séduction ou d’attraction ?

Critères instinctuels
Certains critères d’attraction sont propres aux besoins de l’espèce. Leur origine est
perceptive, sensorielle. Ainsi les biches préfèrent les cerfs les plus puissants. Qu’en est-il
dans l’espèce humaine ?
Alberoni insiste sur deux critères d’attraction pour les femmes : la dominance du mâle
dans le groupe social et l’attraction qu’il induit vis-à-vis des autres femmes.
L’homme élu est chef, peu importe de quoi : d’État, d’orchestre, d’entreprise, d’agence,
de cuisine, de rayon, etc. Il en a la fermeté, l’autonomie, l’indépendance, le pouvoir. Il est
érigé sur la place publique : homme politique, star, chef de bande, artiste peintre barbouil-
leur, aventurier, pompier. C’est aujourd’hui celui dont la tête est toujours dans le champ
de vision, celui qui fait le plus de bruit et brasse le plus d’air, celui dont on dépend ou dont
on croit dépendre, ne fût-ce que pour un temps très court : ici réside l’attrait incondition-
nel de nombreuses femmes pour les barmans, serveurs, disques-jockeys, moniteurs.
Le fait qu’il soit l’objet du désir des autres femmes induit chez la candidate potentielle
un surcroît d’intérêt par le biais de phénomènes de mimétisme mais aussi de compéti-
tion. Fantasme de soumettre celui qui était considéré comme indomptable.
D’autres critères instinctuels peuvent favoriser l’attraction : la force et l’harmonie du
corps, plus que celle du visage. Mais la faiblesse n’est pas dénuée de pouvoir. La gentil-
lesse, la compréhension répondent au besoin de protection. L’humour apporte la détente
nécessaire à la levée des défenses.
Les phéromones dont on parle beaucoup auraient-elles l’effet d’un philtre d’amour ?
Une expérience aurait montré leur pouvoir : dans une salle d’attente, la vaporisation
d’androstérone (présente dans la transpiration masculine mais inodore) sur certains
sièges pousse les femmes à s’y asseoir en priorité…
En ce qui concerne les attirances des hommes, Alberoni insiste sur l’éternelle primauté
de la pulsion scopique centrée sur les caractéristiques physiques de la femme.
Depuis quelques années, la phallicisation de l’univers féminin tend à égaliser les diffé-
rences et l’intérêt de la femme pour les attributs strictement physiques de l’homme n’est
plus un secret.

Critères sociétaux
Les représentations de l’idéal féminin ou masculin changent comme la mode, non pas
à chaque collection de printemps, mais régulièrement en quelques décennies, remodelées
par les mutations sociétales. La langueur et la mélancolie du héros romantique feraient
mourir de rire tout un gynécée, pire, le sujet risquerait d’y prendre des coups. Même sort
pour le séducteur des années 30 : les lèvres sont trop fines, pire, il a de la moralité et son
français est irréprochable.
Les parades amoureuses varient selon l’époque et le groupe social. Elles peuvent être
l’objet de rituels, comme demander la main au père de l’élue. Chez les Samoas, l’amoureux
276
Les passions amoureuses

fait sa cour par copain interposé, ce qui chez nous, à l’heure actuelle, ne serait pas dénué
de risque. À Nîmes, la feria restaure sans le savoir le rituel gallois du xvie siècle qui consis-
tait à exprimer sa flamme en urinant sur la robe de l’élue.
Les rencontres se font de plus en plus par le biais du divin écran. Les ruptures aussi, il
est vrai. Un Français sur trois étant inscrit sur un site de rencontres, en 2013, les supermar-
chés de l’entremise se devaient de proposer un catalogue achalandé de critères prédéfinis,
permettant de passer commande sans se déplacer, la livraison étant souvent rapide. Le
produit, rangé dans son rayon, comporte toutes les informations quant à la provenance,
la fabrication, le conditionnement, les propriétés organoleptiques et parfois même le
mode de cuisson. Le nécessaire écoulement des stocks autorise un certain flou quant aux
dates de péremption.

Critères propres au sujet


Nos choix d’objet, notre idéal, la spécificité de nos attractions, de nos quêtes et de nos
défiances dépendent en fait plus de notre histoire que de critères généraux. Ceci pour les
sujets pas trop démentalisés.
Certains critères sont tout bonnement le fait de besoins, si ce n’est de nécessités :
besoin sexuel, besoin de plaire, besoin de protection, besoin d’argent, besoin de récon-
fort, besoin d’oublier… Autant de situations qui orientent le choix d’objet et lui confèrent
un caractère relativement conscient, délibéré et quelquefois un rien manipulateur.
Le fantasme, quant à lui, constitue le guide suprême. Sa force abolit les critères précé-
dents. « On voit des biches qui remplacent leurs beaux cerfs par des sangliers » (Victor
Hugo, La légende de la nonne).
Attirances et répulsion, excitations et inhibitions, coups de foudre et aversions subites,
craintes et défaillances, scotomisation, aveuglement, sont orchestrés par le jeu des repré-
sentations conscientes, préconscientes et surtout inconscientes.
L’histoire du sujet, mère du fantasme, prédétermine des choix d’objet récurrents,
similaires dans leur répétition, quelles qu’en soient les conséquences. On repère la force
de son déterminisme chez de nombreux patients : besoin de réparation, fantasme de
maîtrise de l’objet, recherche inconsciente d’un objet œdipien ou, au contraire, stratégies
pour l’éviter, masochisme qui pousse inconsciemment le sujet à réitérer des relations de
souffrance, etc.
Il est fondamental pour le praticien confronté à de telles situations de s’enquérir des
déterminants de l’attraction initiale à l’égard de l’objet (« Qu’est-ce qui vous a attiré en
lui au début ? Quelle a été votre première impression ? ») et de confronter ces données à
celles qui ont régi les relations précédentes, à commencer par la plus ancienne, la relation
aux parents.
™™ Yaël, de confession juive, vit depuis quatre ans avec Farid. La relation est tumul-
tueuse, farouchement ambivalente, et fonctionne sous un mode sadomasochiste.
L’angoisse de séparation est majeure chez Yaël mais ne saurait justifier sa persistance dans
une relation destructrice. Certes, Farid ressemble à son père, manipulateur et infidèle,
mais ceci n’explique pas tout.
Yaël n’a eu de relations qu’avec des partenaires de confession musulmane, relations qui
se sont toutes avérées destructrices. Sa mère, rapatriée d’Algérie, a dû précipitamment
quitter ce pays lorsqu’elle était enceinte de Yaël. Grossesse très mal venue et très mal
277
Traité de médecine psychosomatique

vécue dans un contexte d’angoisse de séparation majeur. Yaël tente de réparer l’angoisse
de sa mère dans laquelle elle a baigné dans sa petite enfance, en rejouant le trajet inverse
de l’exode traumatique. « C’est comme si on était né ensemble », dira-t-elle à propos de
Farid. « Lui, il a connu l’Algérie, moi non. »

La part active de séduction


Les femelles du paon préfèrent les mâles qui savent le mieux faire la roue. Don Giovanni
utilise tous les ingrédients pour séduire sa proie. Carmen se contente de danser et de jeter
une fleur à Don José. Faust a recours au pouvoir de Méphisto. Vincent, le petit vannier
amoureux de Mireille, se contente d’être lui-même et de chanter sous les mûriers.
Les recours de la séduction active sont multiples et variés : faire la roue comme le
paon, sortir les billets, raconter des vérités ou des mensonges, danser, faire l’andouille,
montrer son tatouage ou sa moto, proposer les clés du paradis, etc.
D’un point de vue psychosomatique, la gestuelle et la voix du séducteur nécessite-
raient un plus ample développement. Comme la danse, le chant accompagne les amours
des animaux – c’est bien connu – chez les oiseaux. Les miaulements des félins changent
radicalement de registre lors des périodes de rut.
Chez l’homme, la voix est au service de la séduction, s’efforçant de mettre en avant
l’identité sexuelle : râles pré-orgasmiques de la femme fatale, consonances exotiques du
noble étranger, voix de laryngectomisé du fêtard sensuel, voix assurée et claironnante du
décideur promoteur protecteur, etc.

3-2. La captation
Paradoxalement, l’expression tomber amoureux qualifie les premiers temps de l’ascen-
sion amoureuse. Cette métaphore de la chute exprimerait-elle les dangers de chutes
potentielles ultérieures ou tout simplement l’état de perte de maîtrise du sujet ?

Le coup de foudre
Il constitue un élément inaugural fréquent de la passion. Le départ est brusque : état
d’alerte érotique, mise en tension, état hypnoïde, éblouissement, ravissement, enthou-
siasme, exaltation. Don José envoûté par la danse de Carmen, capture de Faust par l’hal-
lucination de Marguerite.
Le coup de foudre est suscité par des perceptions qui réactivent :
––soit des représentations préconscientes ou inconscientes. Pourquoi telle perception
a provoqué un impact aussi puissant ? Il est inévitable qu’il existe un phénomène de
résonance entre la perception et quelque chose d’antérieur ;
––soit d’autres perceptions, antérieures, troublantes : formes, sons, odeurs. Certaines
de ces perceptions peuvent être archaïques en relation avec l’empreinte. La vue y
occupe une place prépondérante. L’olfaction a un pouvoir intense de réactivation de
traces mnésiques du fait probablement de la proximité des régions olfactives avec le
lobe limbique.
Les réactions émotionnelles induites par le coup de foudre sont immédiates et sont
l’expression composite de la surprise et de l’intérêt : sidération, inhibition motrice, restric-
tion majeure du champ perceptif qui se focalise sur l’objet, regard fixe, faciès hébété,

278
Les passions amoureuses

bouche bée, éblouissement, exacerbation de l’attention, éveil sensoriel, et, phénomène


plus récent, grognements, sifflements, suçotements, aspirations, salivation.

Formes cliniques de la captation


Débuts progressifs
Dans d’autres cas, la captation s’installe plus progressivement en quelques jours,
quelques mois, parfois quelques années. Telle femme est en proie, sur le tard, du fait
d’une proximité et de circonstances particulières, à une attraction inattendue à l’encontre
d’un ami dont elle n’aurait jamais pu imaginer qu’il puisse susciter le moindre sentiment
amoureux. Le terreau dans lequel prend naissance ce type d’idylle est souvent la proxi-
mité : réseau amical et lieu de travail.
Les enfants
Les enfants tombent volontiers amoureux entre 30 mois et 8 ans : coup de foudre,
dévolu jeté sur l’objet subitement idéalisé, à partir d’une gestuelle, d’un mot de l’autre,
d’une couleur de chevelure, d’un vêtement, d’un acte de gentillesse. Phénomène qui
n’est pas source de honte mais au contraire de fierté. Chagrins d’amour spontanément et
rapidement résolutifs. Avant 6 ans, la réciprocité ne constitue pas une condition suspen-
sive. Après 6 ans, son absence peut être source de désarroi plus intense et plus durable.
Le sujet âgé
Les pertes successives, la fragilité psychique et physiologique, les atteintes narcissiques,
l’isolement, donnent d’autant plus d’importance à l’émergence d’une relation investie
chez le sujet âgé. Cette nouvelle relation, allégée du poids des tourments et des passions,
peut être éminemment trophique, source de regain pulsionnel, de sérénité et d’apaise-
ment. Il est de notre devoir d’être d’une vigilance sans faille vis-à-vis de certaines équipes
soignantes en institution qui, trop souvent, prennent un plaisir sadique à ridiculiser ces
relations naissantes socialement incorrectes. C’est une forme de maltraitance très répan-
due.
™™ Quand Louise perd son mari à l’âge de 80 ans, après 55 ans de vie commune, elle
fait une bouffée délirante. Puis, peu à peu, un déficit cognitif s’installe. Mise en maison de
retraite médicalisée par sa famille qui ne peut plus assurer sa sécurité et son quotidien,
elle s’isole et pleure beaucoup. Pourtant, elle ne veut pas être un poids et comprend la
situation. Quelques mois après, la famille remarque que Louise s’est rapprochée d’Henri,
son voisin de chambre. Ils discutent dans le jardin, assis sur un banc, elle se remet au
piano et lui chante des chansons de l’ancien temps, elle sourit à nouveau et fait venir la
coiffeuse. Elle n’a plus peur. Elle est calme. Hier, elle a confié à sa fille qu’il lui avait offert
une rose. C’était la première fois qu’elle recevait une fleur…

3-3. Le roman d’amour


Le roman d’amour débute par la lune de miel, temps heureux de l’idylle où le ravis-
sement se poursuit et se renforce. La lune de miel est une pleine lune, sans éclipse, sans
nuage.

279
Traité de médecine psychosomatique

Chez les lunatiques, la nouvelle lune met un terme à l’embrasement. C’est le feu de
paille, fréquent en été comme il se doit. Satisfaction trop immédiate, décalage entre
fantasme et réalité, prise de conscience d’un danger, retour aux affaires courantes.
Dans la vraie passion, un soleil radieux succède à la pleine lune : créativité, partage,
évasion, exaltation des sens, des perceptions, de la force physique, de l’imagination.
Sentiment d’invulnérabilité, éclats de rire, cohésion face aux autres, projets, partage de
nouveaux investissements. L’amour donne des ailes.
Souvent, la lumière du soleil aveugle : occupation quasi permanente de la pensée par
l’image du partenaire perçu comme un tout idéalisé. Difficulté à supporter les conflits, les
frustrations, les séparations, les absences, désir d’une réciprocité des sentiments, codes et
néologismes secrets.
La relation devient exclusive, le sujet désinvestit les autres liens, amicaux, familiaux,
et néglige ses investissements antérieurs. Les contraintes sociales, professionnelles,
familiales, font alors figure d’obstacles incongrus. Ce qui constituait l’identité du sujet
peut ainsi être mis à mal.
Le monde du sujet s’organise donc autour d’une seule relation. Coalescence duelle que
rien ne triangule. L’empreinte naît de ces conditions. Elle crée l’attachement qui renforce
et pérennise la relation. Attachement qui ponctue la transition entre Éros et Philia. L’objet
du désir n’est plus ce dont le sujet manque, mais ce qu’il a maintenant. La présence de
l’objet est source de joie, son absence n’est pas source de tourment. Ainsi se pérennisent
les relations amoureuses.

Psychosomatique de l’état amoureux


Fonction trophique de l’amour
L’amour met un terme à la souffrance psychique et à certaines pathologies somatiques.
Il a un pouvoir traumatolytique, atténue ou fait disparaître les pathologies induites par
les désordres existentiels. Une étude approfondie des effets trophiques de l’amour d’un
point de vue psychosomatique serait du plus grand intérêt. Le matériel clinique serait de
toute façon plus restreint que celui généré par les traumatismes, du simple fait que les
gens ne consultent pas lorsqu’ils sont heureux.
™™ L’état amoureux stoppe l’asthme de Joachim.
™™ Le psoriasis d’Armand a disparu définitivement sous l’effet d’une relation amoureuse.
L’amour serait bénéfique pour le système immunitaire. Une étude danoise a montré
que les petites infections sont moins fréquentes et la réaction biologique immunitaire de
meilleure qualité chez les sujets amoureux.
La fonction psychosomatique amoureuse
Représentations amoureuses
L’objet est idéalisé. Il cristallise toute pensée et toute perception. Il occupe toute l’éten-
due du préconscient.
Perceptions
Le champ perceptif est à la fois étendu et sélectif du fait de la préséance des produc-
tions endogènes, tel un mécanisme pseudo-hallucinatoire. Les perceptions externes
sont filtrées par le prisme des représentations amoureuses. Celles qui sont retenues font
280
Les passions amoureuses

R : Représentations de l’objet
P : Perceptions externes

A: Sentiment amoureux

C: Comportement amoureux

P : Perceptions internes
S: Manifestations physiologiques
de l’émotion amoureuse

La fonction psychosomatique amoureuse

l’objet d’une cristallisation (Stendhal) : elles sont associées à l’objet, confirment sa valeur,
alimentent l’état amoureux et font l’objet d’une rétention mnésique particulière.
Le sentiment amoureux
Joie, allégresse, exaltation, extase, sentiment de sécurité, de reconnaissance, autant de
sentiments qui, lorsqu’ils sont partagés, rendent le sujet amoureux plus désirable aux
autres. On ne prête qu’aux riches, c’est injuste mais c’est comme ça.
Le comportement amoureux
Quête de l’objet, hypervigilance à toutes ses manifestations. Dépassement de mes
propres limites, regain d’efficience et de créativité dans certains domaines, mais aussi
négligence ou actes manqués dans les secteurs non concernés par la passion.
L’émotion amoureuse
L’émotion amoureuse est une émotion composite faite avant tout de joie, d’intérêt et
d’excitation, mais aussi parfois, selon les situations et les sujets, de honte et d’angoisse.
La joie apparaît en présence de l’objet ou dans sa proximité immédiate. Elle peut
perdurer en l’absence de l’objet lorsque le contact est entretenu.
La honte est le fait, le plus souvent, de sujets amoureux inhibés dans leur approche de
l’objet, ou de sujets fragiles d’un point de vue narcissique. C’est une honte libidinale dans
laquelle le sujet perd son identité et craint d’être dévoilé face au regard de l’autre.
La peur, c’est la crainte du rejet éventuel de l’objet, ou de ses réactions inattendues.
Les expressions cliniques de l’émotion amoureuse sont les suivantes :
––sourire (joie) ;
––chaleur dans tout le corps (joie), rougissement (honte) ;
––tremblements, tachycardie, transpiration, pâleur (conflit entre la joie, la honte et la
peur) ;
––éclair dans les yeux, regard brillant ou yeux de merlan frit, désordre sensoriel visuel,
traduisant la joie et l’intérêt, la fascination, le ravissement, la focalisation de l’amou-
reux transi ;

281
Traité de médecine psychosomatique

––modification de la parole et de la voix, variable selon les sujets : inhibition de l’expres-


sion verbale et de la voix, bafouillage (anxiété), transformation (tonalité « nian-nian »
exprimant crainte et disposition soumise), effort pour paraître le plus neutre si ce
n’est le plus détaché possible (formation réactionnelle), expression déclarative directe
incontrôlée.
Lorsque le conflit sous-tend l’émotion amoureuse, des phénomènes de conversion
peuvent surgir.
™™ Roxane, 45 ans, a présenté il y a une dizaine d’année et pendant un mois et demi
un épisode durable de cécité dans les suites d’un coup de foudre. Actuellement, elle a une
relation passionnelle mais ambivalente avec un homme dont elle est très dépendante.
Jalousie, méfiance, susceptibilité. Elle évite de le regarder mais est à l’affût de son regard :
« S’il ne me regarde pas, c’est comme si on me coupait la lumière… Il a de beaux yeux…
Avec mon père, tout se passait dans le regard. »

Support biologique de l’état amoureux


Support neurologique
L’IRMF réalisée chez des sujets à qui l’on présente la photographie de l’être aimé, révèle
une activation immédiate du système limbique (activation émotionnelle), une désac-
tivation de l’amygdale (inhibition du système d’alarme), une désactivation du cortex
orbitofrontal (inhibition du sens critique). L’amour est bien aveugle.
Manifestations humorales
La dopamine, molécule du désir et du plaisir, accompagne la quête et le vécu
hédoniques. Lors de la relation sexuelle, existe une forte sécrétion de dopamine, puis
d’endorphine. Ce qui, d’un point de vue strictement biologique, expliquerait le senti-
ment de manque en l’absence de l’objet en début de relation, sentiment de manque qui
s’estomperait avec le temps. Phénomène similaire et à la fois différent de celui retrouvé
dans les addictions.
Quant à la sécrétion d’ocytocine, elle est contemporaine de l’attachement.

4. LE CHEMIN DES TOURMENTS


« Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie.
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop douce et trop dure.
J’ai grands chagrins entremêlés de joie. »
Louise Labé (xvie siècle)

4-1. Le mal d’amour


Le « mal d’amour » surgit aux tout premiers temps de la relation amoureuse, consé-
quence directe de la captation. Amour pouvant demeurer caché, non déclaré, sans suite
et sans retour, état de langueur du soupirant. Ou bien lune de miel effective mais inter-
mittente, produit de l’amour et du manque.
Il est caractérisé par un ensemble de manifestations psychiques, comportementales et
somatiques. Il apparaît en l’absence de l’objet :

282
Les passions amoureuses

––focalisation majeure et obsédante sur l’objet. Représentations puissantes, récurrentes


et obsédantes mettant en scène l’objet ou un élément propre à l’objet ou au contexte
de la rencontre. Désintérêt pour tout ce qui ne concerne pas l’objet. Construction
fantasmatique et romanesque d’une relation idéale avec l’objet ;
––cristallisation majeure des perceptions ;
––sentiment de manque et d’ennui en l’absence de l’objet ;
––comportement à l’affût de toute manifestation de l’objet, besoin d’isolement pour
penser à l’objet. Réactions de surdité ou d’agacement à l’égard des stimulations étran-
gères à l’objet ;
––alternance de manifestations émotionnelles de joie, mais aussi d’angoisse et de
manque : tension interne, fébrilité, striction épigastrique, inappétence.

4-2. Le tourment
Il surgit bien plus tard, lorsque l’empreinte installée génère non pas l’attachement mais
l’addiction.
L’organisation psychique du sujet et les réponses de l’objet y jouent un rôle détermi-
nant.
Le sujet est enchaîné et ne peut plus se passer de ses chaînes. « En dépit des difficultés
de mon histoire, en dépit des malaises, des doutes, des désespoirs, en dépit des envies
d’en sortir, je n’arrête pas d’affirmer en moi-même l’amour comme une valeur. » (Roland
Barthes, Fragments d’un discours amoureux.)
Attente, dépendance, assujettissement, doutes, menaces, pesant sur la valeur
amoureuse. Passion triste, jalousie, angoisse d’abandon, inquiétude, crainte d’un effon-
drement, déraison, obsession, douleur, dépression.
Rendez-vous, téléphone, messages, départs, retours. Je me suis donné l’ordre ou on m’a
donné l’ordre de ne pas bouger. Je m’interdis d’aller au cinéma au cas où il appellerait, et
si quelqu’un d’autre appelle, je suis irritée, j’écourte. Je décroche à la hâte. Pas de nouvelle.
Je m’inquiète : serait-il arrivé quelque chose ? Alternance de colère, d’angoisse, d’espoir et
d’abattement.
R. Barthes : « … et, comme ce téléphone, que je ne veux pas manquer, m’apportera
quelque nouvelle occasion de m’assujettir, on dirait que j’agis énergiquement pour
préserver l’espace même de la dépendance, et permettre à cette dépendance de s’exer-
cer… L’autre est assigné à un habitat supérieur, un Olympe où tout se décide et d’où tout
descend sur moi… » (Op. cit.) Il est investi d’un pouvoir de vérité.
Le monde extérieur, je le subis, tout m’irrite et m’attriste, tout est obstacle et ennui en
dehors de l’autre.
Le téléphone portable a créé de la dépendance, car il a rompu l’alternance de la
présence et de l’absence.
Les réseaux dits « sociaux » en ont rajouté une couche. Certaines patientes laissent leur
réseau social favori allumé en permanence et vont régulièrement voir s’il y a du nouveau.

Psychosomatique du tourment
C’est le feu, le feu qui consume, le feu qui s’éteint et se rallume, aboutissant à terme aux
résidus du sublimé : émaciation, amaigrissement, consomption, dessèchement, lyophili-

283
Traité de médecine psychosomatique

sation. Que tout renaisse et l’appétit revient, le sommeil retrouve sa quiétude, la pluie fine
apaise le tourment sans éteindre le feu de la passion.
Afflux d’émotions : angoisse, peur, colère, jalousie, tristesse, joie retrouvée. État de
manque favorisant les autres addictions, que n’atténuent nullement les états transitoires
de plénitude. S’apaiser lors du manque ou lorsque surgit la menace, se griser lors des
retrouvailles. Cigarettes, alcool, dépenses excessives, désordres alimentaires.
Troubles du sommeil, oublis de manger, agitation motrice, trémulations, souffle
court, amaigrissement, émaciation, consomption, conversion, désordres immunitaires
(herpès), frissons, sensation de froid, de vide, d’éviscération, de dilacération. L’élaboration
psychique est inopérante à endiguer les excitations instinctivo-pulsionnelles, tout autant
que la parole qui se résume à une écholalie centrée sur l’objet ou une plainte lancinante
et archaïque.

4-3. La cristallisation négative


Déclin de la passion. Les partenaires se découvrent autrement. L’objet initialement
idéalisé devient un objet neutre puis un mauvais objet. Tous ses défauts apparaissent et
cela même qui suscitait le désir ne présente plus d’intérêt ou, pire, génère le dégoût.
La situation est trop complexe, le risque trop grand, je perds ma liberté ou m’expose
à des dangers. Mon travail en subit les conséquences, ce que j’attends ne se réalisera
jamais. Cette inconnue avec qui je viens de passer une heure agréable me fait quelque peu
oublier l’objet, et puis il y a eu un détail, une mimique, une grimace, un mot, une odeur
inattendue qui est venue altérer l’image de l’autre, à telle enseigne que j’ai eu honte pour
lui. Je l’aime toujours, mais quelque chose a éteint le feu.
Quotidienneté, privation de liberté, situations génératrices de tension, cohabitation,
naissance d’un enfant, investissement d’un autre objet d’amour, autant de situations qui
délavent le grain de la toile.
La guerre
Souvent, la tension subsiste et s’accentue au travers des asymétries de désir et des
événements intercurrents venus éroder l’harmonie initiale. Loin de l’élu idéalisé qu’il a été,
l’autre apparaît tout d’abord tel qu’il est et puis, très rapidement, tel qu’il n’est pas : objet
de crainte, objet persécuteur, objet d’évitement, objet d’aversion. L’attaque surgit après
un temps variable de rancœur. Attaque et contre-attaque. La guerre est déclarée. L’armis-
tice est peu probable. Le combat cessera par épuisement d’un des deux combattants.
™™ Muriel ne se sent pas désirée par Jérôme. Elle est donc en demande, demande
sexuelle aiguisée par les signes de fuite de l’objet : évitement de la relation, escapades
clandestines et, à terme, éjaculation précoce. Il est vrai que Muriel le pouponne, contrôle
ses actes, ses conduites, ses gestes, ses propos, ses écrits, ses comptes, ses vêtements, son
alimentation. Nurse parfaite et amante insatiable ne font pas bon ménage.
™™ Geoffroy, 27 ans, m’est adressé par les autorités judiciaires. Il vit avec Sandy depuis
trois ans. Depuis six mois, il entretient une relation avec Mylène, rencontrée sur un site de
rencontre en ligne. Les prouesses génésiques de Mylène l’emporteront. Geoffroy quittera
Sandy. Mais voilà que, grâce à la diligence du maire qui est parvenu à instaurer le haut-dé-
bit tant attendu dans la commune, il découvre sur son réseau social favori un échange de
messages torrides entre Sandy et un inconnu. Il tentera d’étrangler Sandy.
284
Les passions amoureuses

La trahison
Le traître
Le coupable nie la trahison jusqu’à ce que les traces laissées sur le téléphone portable
ou sur internet viennent confirmer de manière irréfutable la cause du changement qui
s’était opéré en lui depuis quelques mois et dont l’expression était pourtant si éloquente.
Il se dédouane parfois de sa culpabilité en incriminant l’autre, son caractère, sa négli-
gence, ses esquives sexuelles, son contrôle excessif, qui n’y sont bien sûr pour rien. Chez le
coupable, pris dans sa nouvelle passion, l’exaltation alterne souvent avec l’anxiété induite
par la désagrégation de sa vie conjugale et familiale.
La victime
De manière quasi générale, la victime, sous le choc, cherche à comprendre ce qui a bien
pu induire la trahison et se remet en question. Pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Suis-je assez bien
pour lui ? Le praticien ne prendra pas de gros risques en alléguant à la victime qu’elle n’y
est strictement pour rien, tant du point de vue de sa personne que de ses actes, et que
chercher dans cette direction n’est que l’expression d’un fantasme de maîtrise désespérée
qui n’aboutira qu’à une impasse.
Chez la victime, c’est le branle-bas de combat pour récupérer le fautif : initiatives
sexuelles, disponibilité nouvelle, gentillesse, contrôle de soi, régime, cadeaux, patience,
alternent avec des moments d’intense douleur. Le détournement désespéré vers un autre
objet sexuel ne fait qu’accroître le désarroi.
Ce désarroi légitime s’inscrit dans le corps : insomnie, inappétence, douleurs abdomi-
nales, amaigrissement, etc. Il n’est pas rare que des somatisations apparaissent : syndromes
douloureux, réactions inflammatoires, dermatoses, conversion, etc.
™™ Sophie présente des migraines ophtalmiques depuis un mois, date à laquelle elle
a découvert sur le téléphone portable de son mari que celui-ci avait une relation extra-
conjugale débutée il y a sept mois.
L’issue est variable : allers-retours, séparation après de longues et vaines tentatives,
retour au logis, aménagements, regain d’intimité, programmation palliative d’un nouvel
enfant, récidives fréquentes.
™™ Il y a trois ans, Wilfried, 47 ans, tomba amoureux d’une collègue de travail. Anne,
son épouse, 43 ans, découvrit grâce à internet le pot aux roses. Crise majeure. Branle-bas
de combat. Grossesse. Deux ans après, Wilfried vient consulter : il souffre de dysfonction
érectile, aussi bien avec son épouse qui a pris un amant qu’avec sa maîtresse qui en a pris
deux.
Dilemmes décisionnels
Les dilemmes décisionnels sont le fait, en règle générale, d’une relation triangulée :
sujet, objet intramuros, objet extramuros. La rançon est l’angoisse.
™™ Adèle. « Quand je suis avec un des deux, je veux être avec l’autre. J’ai trouvé une
solution transitoire : un troisième, car je ne supporte pas d’être seule. » Avec le numérique,
les possibilités pourraient être infinies mais, ici, il ne s’agit ni d’addiction sexuelle, ni
d’addiction à internet, car Adèle investit et idéalise chaque relation sous le mode de

285
Traité de médecine psychosomatique

l’attachement. Empreintes multiples. Elle a vécu sous l’emprise constante de sa maman


qui ne lui a pas laissé une seconde pour découvrir la capacité et le plaisir d’être seule.
™™ Gabriel, 60 ans. Angoisse et dépression. Dilemme décisionnel : épouse ou maîtresse ?
La maîtresse lui menait une vie d’enfer. Il a perdu son travail à cause d’elle. Il est donc
retourné chez sa femme et, comme il se doit, la maîtresse a resurgi. « Qu’est-ce que vous
feriez à ma place, Docteur ? »
™™ Pierre, 42 ans, est amoureux depuis quatre ans de deux femmes : son épouse avec
laquelle il a un fils, femme très active, très vive, séductrice, capable de tout gérer, mais
assez dure, peu affectueuse, y compris au niveau de la sexualité, et sa maîtresse, féminine,
douce, tendre, affectueuse, amoureuse, désirante. Il ne peut se passer ni de l’une, ni de
l’autre. Il désire et craint sa femme. Il retrouve l’affection et la douceur avec sa maîtresse.
Quand il est avec l’une d’elles, il rêve la nuit qu’il est avec l’autre.
La situation permet d’éviter la perte, l’engagement, la proximité exclusive, et surtout la
culpabilité de quitter l’autre. Cet autre qu’il veille à ne jamais blesser, ni offenser, ni faire
souffrir, à telle enseigne qu’il dit amen à tout, accède à toutes les demandes, évite tout
conflit, quitte à promettre à l’une comme à l’autre des choses qui vont à l’encontre de
son désir.
Ce type de fonctionnement face à la souffrance de l’autre a pris naissance dans la
relation avec sa mère, dont il prenait la défense face à la violence de son père. Cette mère,
tout comme sa femme actuelle, gérait tout dans la vie de Pierre. La dimension œdipienne
est évidemment centrale, il rêve souvent que sa femme le trompe avec un homme dont
il a peur. Le rêve ne met jamais en scène la douce maîtresse.
Lors de la première séance, il fit un lapsus : « Mon fils a dit : “La chérie de ma maman,
c’est mon papa !” » Position féminine évidente dans la relation avec sa femme phallique,
relation qui génère à la fois le désir et la peur. Enfant, on l’appelait « Pierrette ». Son frère
aîné était lui très masculin, se mettant en avant, décidant de tout. Alors que lui ne décidait
de rien, laissant toujours décider les autres.

Le masochisme
Lors des vécus de trahison, il n’est pas rare que la victime, dans sa quête désespérée d’une
explication, s’enquiert auprès du fautif de détails d’ordre sexuel. Il lui sera alors aisé d’imagi-
ner les ébats illégitimes, d’en souffrir, mais aussi, chez certains sujets masochistes, d’en jouir.
Un de nos patients gardait sur lui une photo des deux coupables lors de leurs ébats.
Mais le masochisme ne saurait se limiter à cette période transitoire et aiguë d’instabi-
lité et de souffrance. Celui qui nous interroge le plus en pratique est celui qui organise ou
réorganise la relation. Nous aborderons le masochisme de manière approfondie dans la
quatrième partie de cet ouvrage.

4-4. La tendresse
Chez certains sujets, la passion perdure tant qu’ils n’ont pas le sentiment de connaître
suffisamment l’autre. Elle s’éteint lorsque la découverte de l’objet a été jugée suffisante,
et, pour employer une expression trop fréquente, qu’ils « en ont fait le tour ». Ils peuvent
alors appareiller vers d’autres destinations, d’autres archipels, et l’on peut augurer que le
cabotage se répétera indéfiniment avec les autres objets.

286
Les passions amoureuses

Inversement, lorsque l’amour s’intensifie et se consolide avec le temps, la connaissance


de l’autre semble toujours en être à ses débuts. Ainsi perdure Philia en même temps que
s’y surajoute la tendresse. État de disposition oblative, de réceptivité, de déférence et de
révérence à l’égard de l’élu.
D’un point de vue psychosomatique, la tendresse se manifeste par :
––un sourire et un regard émerveillés ;
––un relâchement du corps et souvent une légère inclinaison de la tête sur le côté,
les yeux continuant à contempler l’objet. Il serait intéressant de comprendre l’origine
de cette inclinaison latérale de la tête que l’on retrouve chez certains mammifères
(chien, singe, chat) et qu’illustre parfaitement Jean-Jacques Annaud dans La guerre
du feu : effort et intérêt pour découvrir l’objet, pour introjecter son image et mieux
comprendre son fonctionnement ;
––une voix rassurante, protectrice, de faible intensité, à tessiture plutôt haute et à timbre
soyeux, que l’on rencontre chez le parent face à son enfant, et qu’il faut distinguer du
« nian-nian » qui n’est rien d’autre qu’une formation défensive que l’on retrouve chez
certains psychothérapeutes, éducateurs ou parents anxieux, désemparés ou hostiles.
Chez les félins, la voix des mères se caractérise pendant la période du nourrissage par
des émissions sonores intégrées au ronronnement.

5. CLINIQUE DE LA SÉPARATION
Il semblerait, d’un point de vue statistique, que les femmes se remettent mieux de la
séparation que les hommes. Mais, là encore, les choses sont en passe de s’égaliser.
Le consensus pense qu’il vaut mieux être celui qui laisse que celui qui est laissé. Saint
Paul, puis Kierkegaard et bien d’autres avancent l’inverse.
Contrairement à la mort, la rupture relationnelle qui s’avérera définitive laisse l’objet
vivant dans ce monde, plus ou moins éloigné, quel que soit son devenir. De cette diffé-
rence fondamentale, naît une réactivité sensiblement différente face au renoncement.
Dans le deuil amoureux, l’agrippement à l’objet perdure.
La séparation traumatique d’avec l’objet d’amour concerne aussi bien la courte passion
amoureuse que la relation d’attachement. La souffrance est au rendez vous, violente et
résolutive dans le premier cas, tenace et durable dans le second.

5-1. Le choc de la rupture


Clinique
• État de sidération anxieuse immédiat qui peut durer plusieurs jours.
• La réaction défensive première est souvent le déni. Puis surgissent dans la foulée les
réactions émotionnelles aiguës. Colère, peur, angoisse, tristesse. La colère est non seule-
ment légitime, mais trophique.
• Il lui succède un temps de paroles et de questions : doutes, interrogations, explica-
tions prosaïques, recherche des causes.
• Puis le combat débute : c’est celui d’une bête terrassée qui ne renonce pas et mobilise
toutes ses ressources, toute son énergie. Menaces, chantage, tentatives de séduction,
prise de distance feinte, docilité, etc. Tout essayer.

287
Traité de médecine psychosomatique

Don José, au dernier acte de Carmen, essaye et propose tout : « S’il le faut pour te plaire
je me ferai bandit tout ce que tu voudras. »
• Fébrilité, agitation, déambulation, insomnie, tension abdominale, inappétence,
nausées, addictions.
Dans la relation d’aide :
––ne pas rompre les illusions du retour tout en ne les entretenant pas ;
––respecter le déni dans les suites du choc ;
––pas d’antidépresseurs. Anxiolytiques pour dormir.

5-2. L’acmé de la douleur
Quelques semaines… marquées par une souffrance profonde et continue et des
aménagements défensifs successifs, instables et peu efficaces. Le sujet réalise la réalité de
la situation.

Angoisse
Angoisse de castration : je ne jouis plus de l’objet alors que lui jouit probablement sans
moi.
Angoisse de séparation : je ne sais que faire sans lui, je suis perdu, j’ai peur.
Les angoisses de castration et de séparation se conjuguent, générant parfois une
angoisse de mort, à laquelle peut participer aussi, chez certains sujets, une angoisse de
destruction.
Les réactions défensives sont limitées : je m’isole et me recroqueville comme un fœtus,
ou j’en appelle aux autres.

Blessure narcissique
Je suis nu, humilié, fécalisé, j’ai honte. J’évite certains lieux, je me transforme, me fais
couper les cheveux, tonds mon pubis, me cache derrière des lunettes noires. Je tente
vainement de susciter la jalousie, de me rendre à nouveau désirable, de jouer un rôle
supposé me grandir.

Douleur
Douleur d’auto-agressivité, mais aussi de meurtrissure. Douleur accentuée par la
culpabilité imaginaire.
La démarche devient lourde, le corps se voûte, le regard est imprégné de tristesse.
Suicide, meurtre, vengeance, ne surgissent que chez des sujets prédisposés à la mise
en acte.

Idée fixe
L’objet est plus important que le sujet. Il est investi d’un pouvoir de vérité. Je n’existe
plus, ma vie dépend de lui. Je tiens sans fin à l’absent et au discours sur l’absent (R. Barthes).
La cristallisation resurgit. Toute émotion n’a du sens que parce qu’elle me relie à l’objet.
La plus belle œuvre musicale semble avoir été finalement écrite par elle, pour elle, et ne
peut plus exister sans elle. L’idée fixe survient de manière récurrente au hasard des événe-
ments, des perceptions, des états d’âme. Lorsqu’elle ne survient pas, le sujet la recherche
de manière active pour prolonger la relation et demande le silence.

288
Les passions amoureuses

Je parle donc de l’absent, et ainsi j’ai l’illusion de le maîtriser. Le langage naît de l’absence.
« Cette mise en scène langagière éloigne la mort de l’autre. » (Barthes, op. cit.) Mais mon
discours aux autres tend vers l’écholalie, le radotage. Mieux vaut tenir un journal en y
notant le ressenti, les sentiments, les pensées et leurs variations au jour le jour.

Attente
Le sujet ne dénie plus la réalité mais il continue à attendre. Voyantes, marabouts, le
retour de l’être aimé est garanti. Je suis apaisé quelques instants. Mais, « Il ne vient pas ! »
dit Marguerite dans La damnation de Faust, de Berlioz.
Hésitations : dois-je ou ne dois-je pas lui téléphoner, lui écrire, lui faire signe ? Paralysie,
indécision qui diffuse dans les autres domaines de ma vie.
« Leurres de solutions, quelles qu’elles soient, qui procurent au sujet amoureux, en
dépit de leur caractère souvent catastrophique, un repos passager ; manipulation fantas-
matique des issues possibles de la crise amoureuse. » (Ibid.)

Psychosomatique
Émotions : colère, angoisse, mais aussi abattement, meurtrissure. J’ai mal dans mon
corps, surtout au ventre, quelque chose brûle en moi, mon souffle est court, mes nuits
tourmentées, mes réveils douloureux, je m’agite en tout sens.
« D’amour l’ardente flamme consume mes beaux jours
Ah ! la paix de mon âme a donc fui pour toujours. »
Berlioz, La Damnation de Faust.
Les addictions persistent.
™™ Sybille, séparée depuis un mois, ressent un nœud au ventre, une oppression perma-
nente. Colère, tristesse, peur, culpabilité. Depuis la rupture, elle rêve qu’on lui tire dessus
ou qu’un homme l’étrangle.

Dans la relation d’aide


––Accepter de souffrir aussi le temps qu’il faut : « Se mettre en boule. »
––Être actif pour libérer l’agressivité.
––Tout est permis sauf l’auto-agression.
––Il est indispensable de se nourrir d’autre chose que du sein de l’absent.
––Le téléphone sonnera peut-être un jour, mais certainement lorsque le sujet sera
libéré de la dépendance.

5-3. La traversée du brouillard


Quelques mois…
L’espoir s’amenuise. Le sujet n’attend plus mais espère encore. C’est la traversée du
brouillard, opaque au début, progressivement ponctué de courtes éclaircies.
Cette période est caractérisée par une fluctuation d’états et de processus défensifs qui
alternent avec de courtes périodes de rémission où le sujet se retrouve.
Fluctuation d’états : doutes, reproches, désir, manque, mélancolie, haine, colère, repen-
tir. La haine est transitoirement trophique.
Fluctuation de processus défensifs :

289
Traité de médecine psychosomatique

––ascétisme, élévation, quête de la transcendance ;


––immersion dans un autre monde ;
« Nature immense, impénétrable et fière,
Sur ton sein tout puissant je sens moins ma misère,
Je retrouve ma force et je crois vivre enfin. » (Ibid.)
––élaboration de représailles, scénarios de reconquête ;
––immersion dans la consommation érotique. Je suis par intermittence « infidèle »,
c’est la condition de ma survie.

La cristallisation
Elle persiste, mais elle devient plus dépendante des circonstances et des objets
extérieurs. Toute perception émotionnellement chargée induit la représentation de
l’objet, réactive des souvenirs.

Le sentiment de solitude
––Solitude réelle car, dans l’exclusivité de sa passion, le sujet s’était coupé du monde,
avait délaissé ses relations sociales.
––Solitude difficile à rompre car le sujet est moins désirable, il saoule ses interlocuteurs
avec son éternelle plainte.
––Solitude accentuée par les échecs fréquents des tentatives amoureuses compensa-
trices.
––Solitude à venir imaginée car il ne peut concevoir d’aimer ou être aimé à nouveau.
Cette solitude génère volontiers un sentiment de vide. Passage obligé.

La réorganisation des angoisses 


L’angoisse de destruction disparaît. Seuls persistent, non pas les angoisses, mais les
vécus douloureux de séparation et de castration.

Le réinvestissement intermittent du moi


Le réinvestissement du moi au détriment de l’objet réapparaît de manière intermit-
tente. C’est le nourrisson qui retrouve ses procédés auto-calmants. Le sujet émerge et
l’objet s’estompe l’espace de deux jours, puis trois, puis quatre. Temps limité au cours
duquel le sujet est lui-même surpris de s’être libéré de l’attente. Des sensations corporelles
trophiques resurgissent.
Spinoza a suggéré que la puissance des affects est telle que le seul espoir que nous ayons
de surmonter un affect dommageable (une passion irrationnelle) consiste à le contrer par
un affect positif plus fort, cette fois déclenché par la raison. L’idée selon laquelle on ne
pouvait soumettre les passions que par l’émotion induite par la raison et non par la pure
raison seule, était centrale dans sa pensée.
Psychosomatique de la traversée
––Émotion : tristesse.
––Le sujet est amaigri, émacié et triste.
––Restriction et affaiblissement du champ perceptif.

290
Les passions amoureuses

––Manifestations digestives prépondérantes : striction pharyngée, striction ou brûlure


épigastrique, ulcère.
––Manifestations circulatoires : augmentation de la fréquence cardiaque mais avec
vasoconstriction cutanée, sensation de froid aux extrémités.
––Signes neuromusculaires : tension au niveau de la face, lourdeur du corps, de la
région scapulaire, hypotonie des membres inférieurs.
––Signes respiratoires : oppression, baisse de la fréquence respiratoire, besoin d’inspirer
profondément.
––Capacités sexuelles réduites, désordres immunitaires (herpès, sensibilité aux infec-
tions saisonnières).
––Au travers des larmes, le sujet retrouve un corps d’enfant et renonce à la lutte.
Dans la relation d’aide
––Aide à la compréhension de la répétition et articulation de la relation avec l’objet
avec sa matrice infantile.
––Reconstruction progressive du narcissisme.
––Entretien et ouverture du réseau relationnel.

™™ Au bout de quatre mois, Sybille souffre par intermittence. Ses rêves ont changé,
on ne lui tire plus dessus, on ne l’étrangle plus. Elle est victime d’un accident de voiture
mais, parfois, c’est elle qui provoque l’accident. Vers cinq mois, les rêves à contenu agressif
disparaissent. Elle rêve alors d’une étendue glacée, d’un paysage d’hiver, il fait très froid.

5-4. La convalescence
Le sujet n’attend plus, espère peu, émerge. Et ces états de réanimation du moi augmen-
tent en fréquence et en durée. Il est parfois surpris et désemparé de voir resurgir la douleur
et son cortège, après tant de temps passé. Ce sont les effets inévitables d’un ciel de traîne.
Le processus de guérison est engagé.
La culpabilité s’est évanouie, d’autant que le sujet aura eu peut-être vent de faits qui
attestent que l’objet n’était pas tant idéal que ça. Il peut lui arriver de se sentir coupable
de ne plus éprouver de douleur ou de désinvestir l’image de l’objet.
Il a renoncé. Il est aussi désabusé. Ses expériences érotiques de substitution ont été des
échecs ou n’ont pas été investies. Il est finalement assez bien tout seul, il ne cherche plus,
il n’espère plus, il n’y croit plus. Il est en paix, soulagé, et ça lui suffit.
Il prend conscience que tout ceci a dépassé à la fois autant lui-même que l’objet. Il est
même apaisé lorsqu’il imagine l’objet heureux sans lui, allant parfois jusqu’à s’émerveiller
de le savoir en vie. Philia tend vers Agapê.
C’est à ce moment-là que le téléphone sonnera.
C’est aussi à ce moment-là qu’un autre, qu’il ne voyait même pas, croisera sa route.

5-5. Cicatrices
Et la mer efface sur le sable…
La vie qui suivra laissera sourdre d’autres passions, d’autres émotions, d’autres événe-
ments, et finira par « blanchir » les représentations de l’objet.
291
Traité de médecine psychosomatique

Pire ! De ces passions, avec le temps, il ne reste pas grand-chose. Mais les cicatrices sont
parfois torpides.

Métamorphose « amicale »
Elle ne peut s’instaurer qu’après l’investissement amoureux d’un autre objet. Elle
implique une désexualisation. Il s’agit en fait plutôt de bienséance que de réelle amitié.

Rechutes
Elles ne sont pas exceptionnelles, mais souvent de plus courte durée.
™™ Au bout de trois ans, Marie-Josée, 48 ans, semblait avoir fait le deuil de son mari.
Mais depuis que ce dernier a décidé de revenir vivre dans la région, l’objet interne a repris
consistance. Elle a repris son doudou, elle dort sur le canapé, elle s’isole, elle n’a plus de
projet, et allègue des idées suicidaires.

Séquelles traumatiques
––Deuil impossible. ça s’est vu, ça se voit encore.
––Persistance de la représentation de l’objet au sein du préconscient. Très fréquent,
l’objet revient de temps à autre dans les rêves.
––Sensibilisation à la séparation. Certains chats échaudés craignent l’eau froide.
D’autres s’y plongent à nouveau avec délectation.
––Changement radical de mode de vie.

™™ Edwige, 51 ans, n’a plus eu aucune relation de quelque nature que ce soit avec un
homme depuis son divorce il y a sept ans. Elle s’est plongée dans le travail et vit chez ses
parents. Elle présente un état dysthymique, un syndrome douloureux chronique et a pris
25 kg.
––Somatisations :
- elles succèdent à une période de démentalisation induite par le traumatisme de la
séparation ;
- obésité, dermatoses, syndromes douloureux, désordres hormonaux (désordres
thyroïdiens, aménorrhée), maladies inflammatoires, désorganisations progressives.
™™ Gianni, 32 ans, présente des manifestations majeures d’angoisse depuis l’âge de
20 ans, date d’une séparation traumatique. Son discours se limite à la description des
manifestations corporelles et à leur interprétation hypocondriaque.
™™ Viviane signale une période d’aménorrhée qui a duré neuf ans. Celle-ci s’est instal-
lée au décours d’une période d’angoisse majeure survenue dans les suites immédiates
d’une séparation d’avec son compagnon de l’époque. Les angoisses laissèrent progressive-
ment la place à une courte période de dépression essentielle qui précéda l’aménorrhée.
Lorsque celle-ci fut installée, un comportement opératoire s’installa, associé à une restric-
tion alimentaire et un amaigrissement pendant plusieurs années.
™™ Patrice. Apparition d’un eczéma à 18 ans dans les suites d’une rupture amoureuse.
™™ Julie, 31 ans. Première poussée d’eczéma généralisé à 18 ans après rupture d’avec
son compagnon. Rechute à 21 ans lorsqu’elle quitte à contre-cœur sa ville natale pour ses
292
Les passions amoureuses

études. Une nouvelle liaison met fin à l’eczéma. Départ pour l’étranger. Rechute. Retour
en France. Amélioration.
™™ Il y a deux ans, Astrid s’est séparée de son compagnon. Séparation difficile et
douloureuse mais, au bout d’un an, le deuil paraissait consommé. Elle prit d’agréables
vacances et put ainsi affronter avec sérénité la période de surcharge professionnelle qui
l’attendait. Dans la foulée, elle déménagea, quittant la maison dans laquelle elle avait
vécu avec son compagnon. C’est alors qu’un diabète insulinodépendant apparut. L’objet
d’amour dont elle avait l’illusion d’avoir fait le deuil reprit consistance plus que jamais et
vint, conjointement à la déstabilisation induite par le diabète, habiter ses pensées et ses
rêves.
Le « cœur gros » exprime le chagrin, la peine, l’attendrissement douloureux. Le cœur
pourrait-il être la cible somatique de désordres affectifs amoureux ? J’ai connu un patient
exempt d’antécédent qui a développé une cardiomyopathie obstructive en l’espace de
quelques mois dans les suites de la séparation d’avec son épouse.

293
Chapitre 12

LA MATERNITÉ

1. INTRODUCTION
La maternité au sens large du terme débute lors de la conception et ne se termine
qu’avec la fin de la vie. Elle correspond à cette longue tranche de vie où la femme
devient, est, et demeure mère. En un sens encore plus large, elle débute dans l’enfance
au moment où la petite fille s’imagine future maman. Sur le plan plus strict qui nous
intéresse aujourd’hui, nous considérerons la maternité comme une période qui débute
avec la grossesse et se termine par l’instauration très progressive de moments d’autono-
mie autant chez la mère que chez l’enfant. Il est difficile et certainement pas souhaitable
d’en définir le terme, tant il varie d’une situation à l’autre, d’une mère à l’autre, d’un enfant
à l’autre. La période concernerait ainsi les neuf mois de grossesse et les neuf mois qui la
suivent, soit dix-huit mois dans la vie d’une femme. Période longue, critique, période de
mutation, qui du côté de la mère nécessite des capacités d’adaptation et de réorganisa-
tion, psychiques, somatiques, familiales, sociales, professionnelles. Il n’est pas étonnant
que la maternité soit un événement charnière de l’homéostasie psychosomatique et que
certains désordres psychiques ou somatiques y voient le jour, alors que d’autres dispa-
raissent.
Lors d’une précédente étude effectuée à partir de 134 cas de somatisations rencon-
trées en médecine générale (Pongy, Rôle des événements de la vie dans le déclenchement
des processus psychosomatiques), j’ai souligné l’importance de la maternité en tant qu’évé-
nement charnière faisant souvent passer d’un état psychosomatique à un autre.
De nombreuses femmes souffrent de pathologies apparues pendant leur grossesse
et surtout dans les suites de leur grossesse. Inversement, bien que de manière moins
fréquente, la maternité peut mettre un terme souvent définitif à des pathologies préala-
blement existantes.
Dans mon étude de 1991, la maternité représente 20% des événements existentiels,
tous confondus, déclencheurs de pathologies somatiques. J’ai effectué une nouvelle
étude en 2006 à partir de 35 nouveaux cas plus élaborés. Les deux études de 1991 et de
2006 ont été faites à partir de 67 observations de pathologies rythmées par la maternité.

2. PSYCHOSOMATIQUE ET GROSSESSE
2-1. Disparition de pathologies pendant grossesse
La grossesse, source d’homéostasie psychosomatique
Bien-être, plénitude, épanouissement, regain d’investissements, les qualificatifs ne
manquent pas dans la bouche de nos patientes pour décrire les vécus fréquents de cette
période transitoire de leur existence.
Qu’est-ce qui caractérise ce vécu ? Quel en est le support inconscient ?
295
Traité de médecine psychosomatique

Porter la vie, donner la vie, cette vision à la fois idyllique, spirituelle, métaphysique,
mais aussi réelle, de l’état de grossesse, ne saurait résumer ce qui se passe au plus profond
de la personne, en articulation avec son histoire.
Paroles d’une patiente : « J’étais euphorique. J’avais la vie en moi, c’était grand, c’était
gros, j’aimais mon ventre. » Paroles d’une autre patiente, désintéressée par la sexualité
lors de sa grossesse : « J’avais déjà un enfant dans mon ventre, je n’avais pas besoin de
quelque chose en plus. »  Telle autre patiente : « Je n’ai jamais été aussi bien que lorsque
j’étais enceinte. »
Le complexe de castration nous paraît être la pièce centrale de l’ensemble des
mécanismes. La femme enceinte est porteuse d’un « en plus » dont elle s’est crue privée
petite fille. « En plus » que certains appellent le phallus, représentant imaginaire du pénis.
L’effet trophique et homéostatique de la grossesse sera d’autant plus fort que le
complexe de castration, le vécu d’« en moins » aura été prégnant tout au long de l’his-
toire de la personne. La grossesse constitue la thérapeutique transitoire du complexe de
castration.
L’appréciation comparative du vécu antérieur de grossesse par rapport aux états
antérieurs et postérieurs à celle-ci, constitue, avec l’analyse des productions oniriques
et fantasmatiques, le type de pathologie présentée, l’histoire, le vécu du post-par-
tum, un élément clinique majeur d’appréciation du poids du complexe de castration.
S’enquérir du vécu des grossesses est un temps incontournable de toute investigation
psychosomatique.

Disparition de pathologies mentales


La période de la grossesse semble relativement protéger contre les désordres psychia-
triques graves, de type psychotique.
En ce qui concerne les manifestations dépressives, sur un plan purement statistique, la
grossesse ne protège pas des dépressions, tout au moins au cours du premier semestre.
Mais la disparition de pathologies dépressives chroniques ou récurrentes est fréquente.
De manière générale, la grossesse remanie le fonctionnement psychique préexistant et,
selon les cas, dans un sens ou dans l’autre.
™™ Irène, 50 ans s’est toujours connue dépressive, sauf pendant ses quatre grossesses.
Lors de la première, elle se décrit comme transformée. Une césarienne générera une dépres-
sion qui persistera jusqu’à la seconde grossesse. Celle-ci se terminera par une nouvelle
césarienne. Dépression postnatale avec angoisse de mort, idées suicidaires, thyroïdite
de Hashimoto. Cette deuxième dépression durera deux ans. La troisième grossesse fera
disparaître les troubles mais se terminera brutalement par une fausse couche sponta-
née. Rechute avec phobies d’impulsion : elle imaginait un couteau qui lui coupait le bras.
Les troubles disparaîtront à nouveau avec la quatrième grossesse. Nouvelle césarienne.
Aménorrhée depuis l’âge de 42 ans.

296
La maternité

Disparition de pathologies somatiques


Synthèse des deux études de 1991 et 2006
PATHOLOGIES DISPARITION TOTAL
Pendant Pendant et après
la grossesse la grossesse
Maladies à crises Migraines 3
Eczéma 1
7
Dermatoses et allergies Urticaire chronique 1
Coryza spasmodique 2
Maladies rhumatologiques Polyarthrite 1 1
Autres Énurésie 1 1
TOTAL 5 4 9
Disparition de pathologies somatiques lors de la maternité
Analyse
Migraines
Les trois patientes présentaient des crises de migraines (certaines avec aura ophtal-
mique) qui disparurent totalement le temps de la grossesse pour réapparaître ensuite
après l’accouchement. Comme nous le verrons dans la troisième partie de ce livre au
chapitre « Psychosomatique de la douleur » (p. 388), la physiopathologie des migraines
est complexe et sujette à controverses successives, ne permettant pas dans l’état actuel
des connaissances d’expliquer d’un strict point de vue physiologique pourquoi l’état de
grossesse les ferait disparaître. Deux études (2005 et 2013) que nous présenterons dans
ce même chapitre nous ont permis de constater par contre que les périodes migrai-
neuses débutent dans les suites d’événements réactivant un vécu de castration et que
les crises sont déclenchées, dans 88% des cas, par des représentations en relation avec
cette dernière. Enfin, comme nous allons le voir plus loin, chez de nombreuses patientes
migraineuses, la pathologie a débuté dans les suites de l’accouchement.
Pathologie allergique
De manière générale, l’allergie tend à disparaître pendant la grossesse. Chez certains
sujets, sa disparition persistera pendant de longues années, chez d’autres, plus nombreux,
comme nous le verrons plus loin, elle réapparaîtra après l’accouchement. L’état hormonal
induit par la grossesse peut expliquer le phénomène mais la relation d’objet n’y est pas
étrangère. La grossesse redistribue les objets investis et désinvestis de manière très diverse
d’un sujet à l’autre et selon les circonstances. Nous verrons tout au long du chapitre
18 (p. 499) que l’allergie est en relation avec la distance avec l’objet investi et que les
manifestations allergiques apparaissent soit quand ce dernier est trop près, soit lorsqu’il
est trop loin.
Énurésie
L’énurésie persistante chez l’adulte n’est pas fréquente. Elle atteste, comme nous l’avons
constaté lors d’une précédente étude effectuée en 2009 (Pongy, L’énurésie), de la persis-
tance d’un complexe de castration avec confusion cloacale inconsciente de la région
pelvi-périnéale. C’était le cas de notre patiente dont l’énurésie a disparu de manière
définitive dès qu’elle a été enceinte.
297
Traité de médecine psychosomatique

Polyarthrite
™™ Quatre événements pratiquement concomitants se produisent lorsque Jacqueline
a 18 ans : premières relations sexuelles, début de l’activité professionnelle, décès d’un oncle
dont elle était très proche, électrocution (brûlures des deux doigts de la main gauche).
Dans les semaines qui suivent, les deux doigts se déforment et cette déformation s’étend
aux deux mains. La polyarthrite va durer jusqu’à 25 ans, année de sa seule et unique
grossesse. La grossesse fera effectivement disparaître la pathologie, qui réapparaîtra avec
une intensité redoublée tout de suite après la césarienne, à telle enseigne qu’elle ne pourra
pas s’occuper seule du bébé. Paradoxalement, le gynécologue, confronté à l’aggravation
du post-partum, lui déconseillera formellement une nouvelle grossesse au risque, selon
ses dires, de « finir sur un fauteuil roulant ». La polyarthrite continuera d’évoluer jusqu’à
l’âge de 39 ans, où, pendant neuf mois, Jacqueline souffrira cette fois-ci d’une hydarthrose
du genou. L’opération de cette hydarthrose fera cesser définitivement la polyarthrite. Par
contre, depuis cette période, se sont progressivement installées hypertension artérielle,
migraines et céphalées myotensives. La psychothérapie permettra de faire régresser ces
dernières sous-tendues, comme la polyarthrite, par une activité répressive intense.
Merger, Lévy, Melchior : « La PCR peut être considérablement améliorée par la grossesse,
car les taux d’ACTH et de cortico-stéroïdes sont augmentés chez la femme enceinte. C’est
d’ailleurs de l’observation de l’effet bienfaisant de la grossesse sur la polyarthrite que sont
nés les travaux qui ont abouti à la découverte de ces hormones. » (Précis d’obstétrique.)
Ainsi, les modifications physiologiques humorales de la grossesse suffiraient à expliquer
la disparition fréquente des rhumatismes inflammatoires lors de la grossesse. Mais que
penser de la disparition de cette même affection chez notre patiente à la suite d’une
intervention chirurgicale sur le genou ? Que penser de son déclenchement initial dans
un contexte traumatique ? La grossesse ne serait-elle thérapeutique que par le biais d’un
changement physiologique commun à tous les individus ? Le mieux-être, l’état de pléni-
tude, générés par la grossesse, seraient-ils étrangers à cette guérison transitoire ? Vécu
déterminant qui n’annule en rien la réalité des effets physiologiques communs à tous les
individus, mais qui probablement contribue à les renforcer.

2-2. Pathologies induites par la grossesse


Afin de mieux comprendre les désordres psychosomatiques et leurs déterminants
induits par la grossesse, nous allons dans un premier temps aborder succinctement la
spécificité de la pathologie mentale qui peut survenir lors de celle-ci, car les probléma-
tiques qui la sous-tendent sont identiques à celle de la pathologie somatique, excep-
tion faite bien sûr du désordre économique qui ne caractérise que cette dernière. Nous
aborderons ensuite la pathologie somatique et nous centrerons en dernier sur leurs
déterminants communs.

Pathologie mentale
Troubles psychotiques
Les troubles psychiatriques majeurs sont rares pendant la grossesse. Les troubles
psychotiques tendent d’ailleurs à régresser. Les états psychotiques se déclenchant pendant
la grossesse sont cinq fois moins fréquents que les états psychotiques du post-partum.
298
La maternité

Le déni de grossesse
Déni de grossesse et grossesse cachée doivent être distingués.
Dans la grossesse cachée, la femme sait qu’elle est enceinte et le dissimule consciem-
ment aux autres.
™™ Armelle. Deux jumeaux de 6 ans. Deuxième grossesse (G2) cachée jusqu’au dernier
jour. Accouchement à domicile. Après le diagnostic de G2, sentiment de ne rien éprouver
mais désir de fausse couche. Pas de prénom choisi, pas d’habit acheté, méconnaissance
du sexe de l’enfant. « Quand l’enfant bougeait, je ne ressentais rien. » Agressive en fin de
G2, comme lors de G1. À la naissance, l’enfant est un poids mort. Précédant immédiate-
ment la grossesse : licenciement, inadéquation conjugale majeure.
Le déni est, quant à lui, un mécanisme inconscient : refus inconscient de reconnaître
un élément du réel traumatique. La femme ne veut pas savoir qu’elle est enceinte. Le déni
de grossesse sous-tendrait un certain nombre d’abandons ou d’infanticides.
™™ Farida. Déni de grossesse. Ne voulait pas accoucher. Disait qu’elle n’avait rien dans
le ventre. Angoisse déréalisante au moment de l’accouchement avec surgissement de
mécanismes de déni de la réalité, de type état crépusculaire. Le mari l’avait quittée dès
qu’elle avait été enceinte.
Dépressions
Notre étude rapporte neuf cas de dépressions.
La date moyenne de la première consultation se situe au cinquième mois, ce qui
témoigne, compte tenu du temps passé avant de prendre rendez-vous (habituellement,
c’est un premier rendez-vous chez le gynécologue qui est à l’origine de la consultation),
d’une instauration prévalente des manifestations dépressives au cours du premier
trimestre.
D’un point de vue chronologique, trois modalités cliniques se présentent :
• Éclosion chez une patiente sans antécédents de troubles dépressifs. L’acceptation
problématique de la grossesse en est la cause principale : désir de grossesse ambivalent,
déception au moment de la révélation du sexe de l’enfant, inadéquation avec le conjoint,
refus de la grossesse chez celui-ci, compromission de projets, etc.
• Antécédents de troubles dépressifs ou anxieux, ou existence d’une personnalité
pathologique.
™™ Vanessa. Désir obsédant d’enfant depuis un an et demi. Grossesse après insémina-
tion. Dépression dès l’annonce du diagnostic : peur de ne pouvoir assumer l’enfant, peur
que le corps change. Désir d’habiter à la mer quand elle habitait à la montagne, désir de
retourner à la montagne quand elle habitait à la mer.
• Plus rarement, exacerbation de troubles dépressifs au moment de la survenue de la
grossesse. Cette situation pose le problème de la poursuite ou de l’arrêt d’un traitement
antidépresseur.
™™ Juliette. Déménagement, première grossesse, difficultés professionnelles suivies
d’un licenciement, problème de garde du premier enfant de onze mois, décès d’un
proche, problème d’héritage, isolement. Tout ça en un an. Dépression d’épuisement avec
anxiété. Le mari militaire doit partir en mission et choisit ce moment pour imposer une
299
Traité de médecine psychosomatique

nouvelle grossesse. Elle est sous antidépresseurs et anxiolytiques depuis six mois, le mari
pense que la grossesse ne pourra qu’avoir un effet thérapeutique et puis, ce sera une part
de lui qu’elle aura dans son ventre pendant qu’il ira au feu. Et puis, il ne faut pas pleurer.
Attaques de panique. Elle vient à reculons au cabinet en annonçant la couleur d’emblée :
« Je vous préviens, j’ai un mari formidable et je suis très heureuse avec lui. » Merci. Cette
aide au diagnostic me fait énormément gagner de temps dans ma recherche étiologique.
Je me contenterai dans un premier temps de lui proposer de pleurer tout en soulignant
qu’elle a un mari formidable.
Asthénie, sautes d’humeur, pleurs, inquiétudes disproportionnées quant au devenir
de l’enfant, quête affective, sentiment d’être démuni, ces états dépressifs réactionnels aux
différents bouleversements propres à la grossesse s’accompagnent d’une composante
anxieuse fréquente et de plaintes somatiques.
Troubles anxieux isolés
Si l’anxiété accompagne fréquemment la dépression chez les femmes enceintes, les
troubles anxieux isolés sont moins fréquents.
™™ Rachel. Anxiété de type traumatique apparue au décours d’une échographie. « J’ai
cru voir un extra-terrestre avec une tête énorme. » Depuis, rêve récurrent : « Un bébé qui
n’est pas le mien et qui est mort. »
™™ Tina. Attaques de panique suite à un accident banal de son fils qui s’est fracturé le
doigt le jour même où elle a su qu’elle attendait un autre garçon. « Je me suis sentie vidée
et fragilisée. » Réactivation brutale d’une angoisse de castration qui avait été totalement
jugulée lors des six premiers mois d’une grossesse particulièrement épanouie.
Les troubles anxieux se manifestent le plus souvent sous forme partiellement somati-
sée. Une des raisons en est probablement les limitations imposées par l’état de grossesse,
plus particulièrement au niveau de la voie comportementale.
™™ Karine. Peur de perdre l’enfant, peur de l’accouchement. Anxiété pour une part
mentalisée (rêve : on m’écrase le ventre), pour une part somatisée : douleurs abdomi-
nales, nausées.
Déterminants : grossesse jugée trop prématurée, angoisse de castration non apaisée
par la grossesse. Antécédents : inhibition anxieuse, IVG à 20 ans. Ce cas est intéressant
car il se situe à la frontière du mental et du somatique et permet de mieux comprendre
la genèse des vomissements gravidiques. Une composante fondamentale de ces derniers
semble correspondre à la démentalisation d’un vécu anxieux.

Pathologie somatique
L’approche de la pathologie somatique en cours de grossesse doit distinguer, d’une
part, les anomalies de la grossesse et, d’autre part, la pathologie générale de la patiente
en relation plus ou moins directe avec les remaniements physiologiques inhérents à la
gestation.
Nous ne nous attarderons pas sur les anomalies obstétricales qui sont parfaitement
appréhendées d’un point de vue clinique et étiopathogénique par les obstétriciens.
Il pourrait toutefois être du plus grand intérêt de faire une étude sur les déterminants
psychosomatiques de certaines anomalies de la grossesse, plus particulièrement les
menaces d’avortement et les fausses couches spontanées. La lecture de certaines obser-
300
La maternité

vations nous laisse supposer que certains vécus traumatiques jouent un rôle de cofacteur
déclenchant dans un certain nombre de ces situations.
Nous allons nous centrer sur la pathologie générale induite par la grossesse.
Synthèse des études de 1992 et 2006
Pathologies apparues Persistance
TOTAL
pendant la grossesse après la grossesse
Gastrite 1
Pathologie gastrique non 9
Vomissements gravidiques 8
Pathologie circulatoire HTA 3 non 3
Pathologie rhumatologique Sciatique 3 non 3
Troubles métaboliques Prise de poids 3 oui 3
Eczéma 3 oui
Pathologie cutanéomuqueuse 4
Fissure anale 1 oui
Sensorialité Acouphènes - Agueusie 1 oui 1
TOTAL 23 23

Pathologies apparues lors de la maternité

Analyse des différentes somatisations


Vomissements gravidiques
Les vomissements gravidiques constituent des pathologies très expressives, critiques,
interpellant le soignant tant du point de vue du sentiment d’impuissance qu’elles
génèrent chez lui que du point de vue de la relation.
Nous avons vu les patientes aux alentours de huit semaines d’aménorrhée, le plus
souvent à la maternité car l’intensité et la récurrence de la pathologie posaient réelle-
ment problème. Les vomissements avaient débuté soit d’emblée, soit de manière différée.
Chez certaines patientes, ils avaient débuté dès qu’elles avaient eu connaissance de leur
grossesse, d’autres avant de le savoir, d’autres de manière tardive. Tout ceci confirmant
le déterminisme de facteurs physiologiques et psychiques. Dans le cas de Virle, cité plus
loin, ce sont les vomissements qui lui ont révélé son état de grossesse.
L’angoisse y est constante, souvent accompagnée de signes somatiques (céphalées,
parfois douleurs abdominales, vertiges, oppression thoracique). Il s’agit d’une angoisse
objectale dans la majorité des cas, dans laquelle entrent en jeu, selon les cas, une angoisse
de séparation ou de mort et, surtout, un mécanisme phobique s’inscrivant dans une
relation d’objet de type « allergique », c’est-à-dire un rejet inconscient de la grossesse qui
est vécue comme subie. De manière générale, la notion de distance par rapport à l’objet
paraît centrale. Il s’agit de manifestations partiellement mentalisées.
Selon les sujets et les situations, se surajoutent souvent d’autres manifestations
cliniques : agitation ou conversion (surtout chez les femmes d’origine maghrébine),
éléments dépressifs.
Hypertension artérielle
L’hypertension artérielle pose le problème du risque de sa complication en fin de
grossesse sous forme de toxémie gravidique, voire d’éclampsie. Si des facteurs physiolo-
301
Traité de médecine psychosomatique

giques inhérents à l’état de grossesse entrent en jeu dans la genèse de la pathologie, les
facteurs psychosomatiques, en règle générale déniés, dédaignés ou relégués au dernier
rang, ne sont pas en reste.
Dans les trois cas d’hypertension gravidique du troisième trimestre que nous avons
relevés, dont un avec éclampsie, la répression est centrale. Les allégations des patientes
sont similaires : se sentir loin de la famille, se sentir bloquée, coincée. Le cas de toxémie
gravidique s’inscrit à un degré plus intense dans cette problématique. La pathologie de
la patiente s’est installée après une longue période d’anxiété croissante : on retrouve le
sentiment d’être coincée, isolée, loin de sa famille et une exacerbation de l’angoisse liée
au décès d’un ami.
Sciatiques
Si la prise de poids progressive et les remaniements morphologiques de la région
lombaire et de la ceinture pelvienne constituent des facteurs de fragilisation indéniables,
il n’en demeure pas moins que la répression joue un rôle central dans la genèse des
sciatiques gravidiques. Répression de l’agressivité, mais aussi répression de la tristesse
comme en témoignent les deux cas qui suivent. Facteur physiologique et désordre
économique ne se contredisent pas mais, au contraire, s’enchaînent de manière logique.
™™ Tout commence chez Sergine par un traumatisme : fausse couche à quatre mois
et demi. Névrose traumatique qui persiste huit ans après, avec troubles du sommeil et
rêves récurrents dans lesquels elle est enceinte d’une fille (le fœtus était de sexe féminin).
Malgré la fixation obsédante générée par le traumatisme et l’acharnement à concevoir à
nouveau, aucune grossesse nouvelle ne vient réparer la perte. Ce n’est qu’au bout d’un
an et demi que, accaparée par une autre préoccupation tout autant source d’angoisse
(grand-père gravement malade) et décentrée de son obsession, elle tombera enceinte
mais ne voudra pas connaître le sexe de l’enfant avant l’accouchement. La grossesse se
passera normalement mais la naissance d’un garçon générera dépression postnatale,
hypothyroïdie et prise de poids.
Une troisième grossesse suivra. Échaudée par son expérience précédente, elle souhai-
tera connaître le sexe de l’enfant à venir et là, dira-t-elle, « ça a été la claque ». Un deuxième
garçon. Dans les jours qui suivirent, se déclenchèrent des contractions et, surtout, une
sciatique. L’hypothyroïdie disparaîtra après l’accouchement mais non la surcharge pondé-
rale.
La connaissance de l’histoire de cette patiente nous éclaire. Elle avait une sœur plus
jeune à laquelle elle était très attachée. La mère était très dépressive et, très tôt, la jeune
fille prit l’habitude de s’investir dans un rôle maternel à l’égard de la petite sœur. Mais
voilà qu’à l’âge de 8 ans, il lui fut demandé de remplir ce même rôle à l’égard de deux
garnements fraîchement importés dans la famille, que la mère dépressive gardait à la
maison en tant qu’assistante maternelle, et ceci au détriment de la petite sœur jugée
prématurément autonome. Le père lui-même veillait à cette répartition des rôles. Elle se
souvient de la gifle qu’elle reçut un jour où elle était allée avec sa plus jeune sœur jouer
avec d’autres enfants, délaissant ainsi les deux garnements qui mirent le feu à un fauteuil.
Elle me rapporta un rêve : dans celui-ci, il y avait un landau avec une petite fille dedans.
Autour du landau, ses deux fils actuels. Un homme grand habillé de noir venait lui enlever
l’enfant.
302
La maternité

™™ Virle, 27 ans, aînée de deux autres sœurs, se définit comme une « battante ». Elle
s’investit énormément dans son métier de commerciale. Elle a souffert de lombalgies de
21 à 25 ans, période au cours de laquelle elle avait une relation avec un homme violent
et jaloux. Elle dut arrêter ses activités sportives fortement investies du fait des exigences
de celui-ci. L’arrêt du sport n’atténua pas les lombalgies mais, au contraire, les compliqua
de sciatiques récurrentes. La séparation d’avec cet homme et la rencontre de son compa-
gnon actuel, beaucoup plus tolérant, firent disparaître les sciatiques. Grossesse. Vomisse-
ments gravidiques et manifestations dépressives les trois premiers mois. À cinq mois, une
échographie révèle le sexe féminin du fœtus. Virle saute de joie. Une semaine après, une
deuxième échographie contredit la première : il s’agit d’un garçon. Perte de connaissance
immédiate. Effondrement, contractions, sciatique. Arrêt de travail. Répression émotion-
nelle majeure. « Je ne dois pas pleurer, je dois être forte, j’ai toujours été comme ça. » Rêve
récurrent : le bébé est anormal, il a un nez démesuré.
Il existe chez Virle une lutte acharnée depuis toujours contre le prétendu sexe fort.
N’a-t-elle pas choisi de travailler dans une concession automobile ? Lorsqu’elle a un an, sa
mère disparaît dans la nature avec son amant. Elle ne la reverra que dix ans plus tard. Virle
sera élevée par son père et la nouvelle compagne de celui-ci. Deux demi-sœurs naîtront
et l’entente avec elles sera parfaite, uniquement troublée par les visites périodiques de
quatre cousins qui étaient, selon ses dires, d’authentiques démons.
La mise au jour de ces divers éléments lors de l’investigation entraînera une régression
de la pathologie douloureuse. À la seconde séance, Virle va bien, elle ne présente pas de
douleur ni de contraction. Elle s’est autorisée à sortir avec des amies. Les rêves de bébé
anormal ont disparu, remplacés par des rêves de captativité : dans ceux-ci, elle éloigne
violemment sa belle-mère afin qu’elle ne touche pas le bébé.
Prise de poids
Dans les trois cas recensés, la surcharge pondérale acquise lors de la grossesse ne dispa-
raîtra pas dans les années qui suivront. Ces surcharges pondérales sont conditionnées
bien sûr par les facteurs physiologiques inhérents à la grossesse ainsi que par la diminu-
tion de l’activité motrice mais, ici aussi, on retrouve la répression plutôt, cette fois-ci, sur
le versant dépressif, celui de la défaite.
Affections cutanéomuqueuses
Fissure anale. On serait tenté, vu la topographie de la lésion, d’évoquer une origine
mécanique. Le problème est en fait beaucoup plus complexe, la majorité des fissures anales
étant le fait de facteurs traumatiques et d’une activité de répression. La cible somatique
s’intègre dans un déterminisme en relation avec une fixation psychosomatique anale.
Agueusie et acouphènes
™™ Le début de la première grossesse d’Anne fut normal, simplement marqué par un
simple état nauséeux. Mais le décès brutal d’une personne proche la plongea dans un
état d’angoisse majeur, immédiatement suivi d’une période de contractions imposant
l’alitement entre cinq et huit mois. L’angoisse laissa progressivement place à un état
dépressif larvé avec désinvestissement général, anhédonie et apparition d’acouphènes
et d’agueusie. Lors de sa deuxième grossesse, apparurent des vomissements gravidiques
avec forte réactivation de l’angoisse de mort. L’arrêt des vomissements ne fut pas suivi
303
Traité de médecine psychosomatique

par la régression des acouphènes et de l’agueusie qui n’avaient jamais cessé depuis sa
première grossesse.

2-3. Facteurs traumatiques
La grossesse induit des remaniements somatiques, psychiques et comportementaux,
dont certains sont évidents et d’autres à rechercher. Elle sollicite des mécanismes d’adap-
tation itératifs : adaptation aux changements physiologiques, à l’image du corps, aux
limitations motrices, aux privations d’activités, adaptation réciproque dans la relation
avec le conjoint, les enfants, l’entourage, à l’intrication de la relation entre le corps et cet
autre qu’est l’enfant à venir, dont le statut d’objet met un temps variable à s’instaurer.
L’acceptation de tous ces changements ne va pas de soi, surtout chez la primipare.
À cet état en mouvement, se surajoutent parfois des facteurs traumatiques existentiels
contingents qui prennent une ampleur délétère particulière compte tenu des limitations
des possibilités adaptatives.
Autant de processus adaptatifs qui mobilisent la réactivité psychique et les formations
préconscientes et inconscientes qui la sous-tendent.

Déterminants traumatiques des troubles induits par la grossesse


Étude des facteurs traumatiques chez vingt-six patientes (troubles psychiques et
somatiques confondus). Les deux cas de déni de grossesse ne sont pas inclus.
Le repérage traumatique, souvent partiel, n’est spontanément conscient chez la
patiente que dans un tiers des cas et, bien sûr, essentiellement dans la pathologie mentale.
Dans tous les autres cas (2/3), le repérage traumatique nécessite l’intervention active de
l’investigateur.
Circonstances inductrices d’un vécu ou d’une angoisse de séparation
(15)
• Séparations réelles (12) : absence de la famille (5), brouille avec un des deux parents,
distance géographique, décès d’un proche (4), absence du conjoint (militaires) (2),
maladie d’un proche (1).
• Vécus de rejet (3) : inadéquation avec le conjoint qui ne souhaitait pas la grossesse
(2), rejet par la belle famille (1).
Ces événements ou situations existentielles, déjà traumatiques dans la vie habituelle,
génèrent en outre un vécu d’isolement, de solitude, d’enfermement, d’incapacité,
d’impuissance, du fait de la limitation des possibilités d’action inhérentes à l’état de gesta-
tion.
Grossesse mal acceptée (13)
• Déception ou rejet lors de la révélation du sexe de l’enfant (4).
• Grossesse qui ne répond pas au désir inconscient (4). Le désir, la demande, ou le projet
d’enfant fait écran face à une problématique tout autre : comblement d’un manque,
tentative de résolution d’une situation conflictuelle, effacement d’un deuil, etc. De fait,
la grossesse ne réalise pas le désir, ne comble pas le manque, ne solutionne rien. C’est
le cas de certaines grossesses obtenues par procréation médicale assistée, qui peuvent
304
La maternité

induire une dépression ou un éclatement à plus ou moins brève échéance de la relation


conjugale.
• Grossesse et maternité vécues de manière univoque comme une contrainte, une
menace ou une frustration (4) : obstacle dans la réalisation de projets, privation de liberté,
peur de ne pouvoir assumer l’enfant.
• Grossesse non désirée (1).
Préoccupations liées à l’image et l’intégrité corporelles (8)
• Crainte d’une atteinte corporelle (2) : changement morphologique, peur de l’accou-
chement.
• Antécédent de grossesse pathologique (2).
• Représentations traumatiques (2) : choc à l’échographie, confrontation à un accident.
• Peur d’avoir un enfant anormal, peur de perdre l’enfant (2).
L’angoisse de castration sous-tend ces situations. Bien que la grossesse constitue
une thérapeutique transitoire du complexe de castration, elle ne saurait constituer un
bouclier défensif à toute épreuve contre certaines représentations qui le réactivent.
Il se peut que le manque comblé laisse sourdre une angoisse, une peur de perdre à
nouveau cet « en plus » (l’angoisse de castration, habituellement propre de l’homme, se
substitue ici au complexe de castration). La peur de l’accouchement, la peur de perdre le
bébé en sont les illustrations fréquentes.
Dans d’autres cas, beaucoup plus rares, le vécu de plénitude, la sensation diffuse d’un
désir accompli, d’un manque comblé, n’apparaissent pas, du fait le plus souvent que la
grossesse confirme avec éclat l’identité sexuelle mal acceptée, si ce n’est rejetée.
™™ Éva, jeune femme à tendance anorexique, refuse depuis toujours la féminité, et
a trouvé dans des activités sublimatoires intellectuelles un équilibre relatif. Une fois
enceinte, elle mettra tout en place pour ne pas grossir et ne pas voir son corps se transfor-
mer en corps de femme. Elle prendra 4 kg durant sa grossesse et attendra avec impatience
d’être délivrée de ce « surpoids ». Une hypotrophie fœtale par ischémie placentaire sera
diagnostiquée. La délivrance tant attendue sera hélas traumatique. Césarienne, hémor-
ragies, névrose traumatique. Elle présente depuis une aménorrhée dont l’étiologie est
imprécise : syndrome de Shean avec TSH normale ? Aménorrhée psychogène ? Insuffi-
sance pondérale ?
Dans ce cas, il existe une terrible ambivalence, que l’on retrouve d’ailleurs fréquem-
ment dans la problématique anorexique : coexistence de deux représentations clivées de
l’image du corps.
Nous noterons en dernier que l’image de la castration ne se limite pas à la femme.
Chez le conjoint, les réactions dépressives, le syndrome de couvade, le détournement de
la sexualité, trouvent leur origine, outre dans un accès problématique à la paternité, dans
la représentation d’un « en moins » induite par l’« en plus » que représente la grossesse
de leur conjointe.

Productions oniriques
Les rêves récurrents des patientes confirment les conclusions de notre étude. Ils sont
contemporains de la pathologie. On les retrouve surtout dans les pathologies à détermi-
305
Traité de médecine psychosomatique

Angoisse de séparation : 42%

Menace intégrité corporelle : 22%

Grossesse mal acceptée : 36%

Vécus traumatiques inducteurs de pathologies lors de la grossesse

nisme anxieux et dans les vomissements gravidiques. Ils attestent d’une angoisse de mort
que confirme la clinique, et dans laquelle entrent en jeu ses deux composantes princi-
pales : l’angoisse de séparation et/ou de castration. « Bébé mort… accidents ou décès
de proches… blessure abdominale. » Le rejet inconscient de la grossesse apparaît parfois
conjugué à l’angoisse de mort : « On m’a tuée avec des plombs, j’en ai dans la gorge, je les
rejette. » L’inacceptation du sexe de l’enfant peut aussi apparaître dans les rêves : Sergine,
patiente citée plus haut, qui refusait d’avoir un garçon, rêve qu’elle est enceinte d’une fille.

3. PSYCHOSOMATIQUE DU POST-PARTUM
La venue au monde de l’enfant laisse souvent surgir, dans le meilleur des cas de manière
transitoire, plus particulièrement chez la primipare, un vécu d’incapacité, un sentiment
d’être dépassée. Si le nouveau statut de mère et la relation avec le bébé peuvent constituer
une assise identitaire, dans d’autres cas, le narcissisme est ébranlé : séquelles de trauma-
tismes obstétricaux, réactivation du complexe de castration induit par l’accouchement
et surtout par la césarienne, bébé transféré en néonatalogie, vécu d’incapacité dans la
relation avec le bébé, désordres physiologiques de celui-ci, détournement phobique du
conjoint, image du corps altérée, etc.
™™ Francis, mari d’Aline, a assisté à l’accouchement : «Depuis que je l’ai vue accoucher,
je ne la vois plus avec les mêmes yeux. » Francis investit massivement l’enfant qu’il fait
dormir dans le lit conjugal. Son épouse passe au second plan. Elle a grossi, il ne la désire
plus. De surcroît, Aline a été remplacée à son poste de travail. La défaillance narcissique
est totale.
Nous allons à nouveau faire un détour par la pathologie mentale pour mieux
comprendre la dimension traumatique du post-partum.

3-1. Pathologie mentale
Dans les deux ans qui suivent la grossesse, le risque d’hospitalisation en milieu psychia-
trique passe de 1 à 1,6. La période du post-partum est une période à haut risque de
décompensation mentale (22 fois supérieure aux deux années précédant la grossesse).
Le retentissement de la pathologie sur la relation mère-enfant doit constituer une
préoccupation centrale.

306
La maternité

Notre étude comporte 19 cas de pathologie mentale du post-partum, à savoir :


––dépressions postnatales : 13
––troubles anxieux isolés : 2
––psychose puerpérale : 1
––syndromes psychotraumatiques : 4.

Dépressions postnatales
Dans les jours qui suivent l’accouchement, la mère présente un état de fatigue physique
et psychique qui peut prendre parfois l’allure d’une symptomatologie dépressive, avec
anxiété, hyperémotivité, troubles du sommeil, etc. Cet état est de durée brève, de faible
intensité, spontanément résolutif.
Lorsque la symptomatologie s’accentue ou perdure, on parle de post-partum blues ou
baby blues. On le retrouve chez 55% des accouchées durant les dix premiers jours après
la naissance. Entité clinique à la limite de la pathologie, son intensité constitue toutefois
un risque de dépression postnatale. Si le trouble persiste au delà du dixième jour, on
n’évoque plus le blues mais la dépression postnatale précoce.
Les dépressions postnatales concernent, quant à elles, 15% des femmes. Il s’agit le plus
souvent du premier épisode dépressif chez une patiente antérieurement indemne. La
pathologie s’instaure entre quatre et six semaines après l’accouchement, mais certaines
dépressions postnatales apparaissent de manière différée, au bout de quelques mois. Si
certaines patientes guérissent spontanément en quelques mois, la maladie peut chez
d’autres évoluer pendant des années.
La dépression postnatale est cliniquement atypique. Les symptômes sont d’intensité
modérée, les idéations suicidaires très rares. L’humeur est labile, plus altérée en soirée.
Elle est caractérisée par un découragement, un sentiment d’incapacité et des inquiétudes
centrées sur les soins à donner au nourrisson. En plus de la tristesse, des troubles de la
concentration et du sommeil et du cortège symptomatique habituel d’une dépression,
ce sont des symptômes tels que anxiété, irritabilité, plaintes somatiques inhabituelles
(céphalées, douleurs abdominales, etc.) qui dominent le tableau. Le caractère atypique
du tableau clinique explique en partie que certaines dépressions postnatales passent
encore souvent inaperçues. De plus, la culpabilité plus marquée à cette période de la vie
où les femmes et leur entourage estiment qu’elles n’ont vraiment aucune raison d’être
malheureuses, entretient la réaction dépressive. Pour ne pas passer à côté de cette patho-
logie, il faut donc porter attention à toutes les plaintes des patientes, quel qu’en soit le
thème. C’est l’insistance avec laquelle les plaintes sont formulées qui doit alerter le prati-
cien. Quelques mois suffisent pour influencer le développement psychique de l’enfant et
un traitement rapide de la mère n’évite parfois que partiellement ces séquelles.

Analyse de 13 dossiers de dépression postnatale


Parité
Grossesses antérieures : 4 cas. Sur ces 4 cas, 3 ont été des grossesses pathologiques ou
difficiles (angoisse, contractions, hydramnios, dystocie dynamique). Dans deux tiers des
cas, il s’agit de primipares.

307
Traité de médecine psychosomatique

Antécédents d’interruptions de grossesse


Sur 13 patientes, 4 ont des antécédents fausses couches, 2 des antécédents d’inter-
ruption volontaire de grossesse, 1 d’interruption médicale de grossesse. Plus de 50% des
patientes ont donc dans leurs antécédents des interruptions de grossesse.
Épisodes dépressifs antérieurs
3 patientes sur 13, soit 23%, ont présenté des épisodes dépressifs antérieurs.
Grossesse actuelle
9 cas : grossesse normale si ce n’est caractérisée par un bien-être inhabituel.
6 cas : grossesse difficile ou pathologique où domine l’angoisse. Angoisse accompagnée
de nausées ou de vomissements (3), angoisse accompagnée de contractions (2), angoisse
accompagnée de dorsalgies (1), angoisse accompagnée d’hypertension artérielle (1).
L’origine de cette angoisse est liée à un état de grossesse mal accepté : privation de
liberté induite par l’état de grossesse, situations conjoncturelles difficiles, plus rarement
réactivation de vécus traumatiques antérieurs. Dans la moitié des cas, les représenta-
tions et notamment les rêves mettent en scène des bébés morts, étrangers à la mère,
ou anormaux. Ce dernier élément constitue un signal important sur le plan préventif
car il est à noter que ces vécus anxieux de grossesse avec représentations mortifères du
bébé génèrent comme nous le verrons, en règle générale, des dépressions postnatales
hostiles avec inadéquation si ce n’est rejet du bébé dans la période du post-partum. En
ce qui concerne les grossesses normales ou particulièrement agréables, les dépressions
du post-partum qui les suivent ne s’accompagnent pas en général de rejet du bébé mais
sont le plus souvent liées à la conjonction d’un vécu de castration et d’un sentiment de
dépassement des possibilités adaptatives.
Accouchement
Dans 7 cas sur 13, on repère un accouchement problématique : césarienne (4), dysto-
cie (2), prématurité (3), dysmaturité (1).
Les césariennes renforcent de manière très intense le vécu de castration : privation
scopique, absence de réappropriation immédiate du bébé, incision et plaie abdominale,
accentuation de la confusion cloacale pelvienne, absence de conscience de l’activité
dynamique de l’appareil génital, négation de filière génitale. « J’étais passive, je subissais, je
ne voyais pas ce qui se passait de l’autre côté du rideau… Je n’ai pas vu l’enfant. »
La prématurité et la dysmaturité génèrent le plus souvent des représentations impré-
gnées de culpabilité : « Il n’était pas bien dans mon ventre, je ne l’ai pas nourri… »
L’hospitalisation du bébé en néonatalogie accentue la privation scopique, diffère la
réappropriation sensorimotrice, la mise en place des interactions, le processus d’attache-
ment et donc le vécu de castration et la blessure narcissique. Il peut s’ensuivre des vécus
fréquents d’incapacité, un désinvestissement défensif du bébé, ou des réactions d’ambi-
valence si ce n’est de rejet.
Ces éléments ne sont pas encore assez pris en compte, non pas au niveau des décisions
thérapeutiques, celles-ci devant tenir compte avant tout de la dimension médicale, mais
surtout au niveau de l’accompagnement des mères. La dimension de la castration est le
plus souvent éludée chez les différents intervenants.

308
La maternité

Symptomatologie
Dans 9 cas sur 13, on repère des éléments dépressifs : dépression avec anxiété (6),
dépression hostile (3).
L’auto-agressivité est rare.
Relation avec le bébé
La relation est toujours problématique et toujours potentiellement pathogène :
interactions anxieuses, non investissement, désinvestissement, surinvestissement
anxieux, réactions agressives, ambivalentes, ou de rejet. Ces réactions, le plus souvent
larvées, génèrent des symptômes francs chez le nourrisson dans 5 cas sur 13, soit 39% des
cas : pleurs continus, crises de rage, enfant rejetant la mère et calmé avec le père, troubles
du sommeil, troubles de l’alimentation, dermatoses. L’absence de symptômes bruyants
chez l’enfant ne doit pas pour autant faire considérer qu’il ne se passe rien.
Causes
Elles sont le plus souvent intriquées :
––réactivation du vécu de castration (7) ;
––vécus de contrainte (5) : privation de liberté, dépassement des capacités adaptatives ;
––autres (2) : culpabilité liée à la dysmaturité, non-acceptation du sexe de l’enfant ;
––événements traumatiques (2) : départ du conjoint, décès du père.

Contraintes : 32%

Castration : 43%

Divers : 25%

Vécus traumatiques inducteurs de pathologies mentales puerpérales

™™ Estelle, 28 ans, m’est adressée par une sage-femme inquiète à juste titre. Son état
dépressif ayant débuté pendant la grossesse s’est aggravé et l’inadéquation avec son bébé
de deux mois est totale. Elle a peur des réactions de son enfant qui la rejette, hurle dès
qu’elle le prend dans ses bras et se calme dès que son père s’en occupe. Elle est totale-
ment désemparée et a développé progressivement des sentiments hostiles à l’égard de
son enfant allant parfois jusqu’à le frapper. Elle a subi une césarienne et le bébé a été
transféré en néonatalogie pour prématurité pendant dix jours. Cet enfant lui est étranger.
Le vécu profond d’Estelle est celui d’une femme qu’elle refuse d’être depuis toujours.
La conjonction de la déception de son propre père de ne pas avoir eu un garçon et d’un
complexe de castration fortement enraciné, a entraîné un vécu d’infériorité, de manque,
d’« en moins », lié à l’identité de femme, et un mécanisme de défense bien connu que
l’on rencontre dans les organisations obsessionnelles : enlever l’« en plus » de l’homme,
lui prendre ce qu’il a, en deux mots, le « castrer ». Ce mécanisme de défense a engendré
des comportements particuliers. À la suite d’une déception amoureuse, elle jette son
309
Traité de médecine psychosomatique

dévolu sur le propre fils de l’homme qui vient de la quitter, « se venge » en l’épousant et
en exigeant rapidement de lui qu’il coupe les ponts avec ses parents, et lui fasse un enfant
dans la foulée. Dont acte. La captation du nouvel « objet phallique » issu du mari l’apaise
transitoirement tout en faisant s’éteindre tout désir sexuel. Mais voilà que la grossesse
se passe mal car le mari fréquente à nouveau ses parents. Décidément, l’objet désiré lui
échappe encore. Migraines, nausées, vertiges, vomissements, cauchemars récurrents dans
lesquels elle voit son bébé mort, obsession que le bébé naisse aveugle (intrication de la
pulsion scopique à la problématique foncière). En fin de compte, c’est Estelle qui sera
privée de la vue de son bébé du fait de la césarienne et de l’hospitalisation en néona-
talogie. Pire, pendant cette période, les beaux-parents rendront visite au nouveau-né.
Voilà donc que le bébé ne lui appartient toujours pas, appendice du père qui se calme et
sourit dès que celui-ci lui parle ou le prend dans ses bras. Que faire devant ce rejet, cette
nouvelle négation de soi, si ce n’est désirer secrètement l’éliminer ?
J’ai vu Estelle trois fois. À trois reprises, elle a reporté le rendez-vous et n’est pas venu au
quatrième. Malgré cette velléité de castration déplacée sur la personne du psychiatre, une
amélioration s’est faite jour rapidement dans la relation avec son enfant, amélioration
transitoire et insuffisante qui fut confirmée par un rendez-vous pris un an après. L’inadé-
quation avec le mari était alors totale et elle ne supportait toujours pas que l’enfant n’ait
d’yeux que pour son père. Elle m’avoua qu’elle aurait préféré une fille plutôt qu’un garçon,
reprit rendez-vous et ne revint pas.

Troubles anxieux isolés


Les troubles anxieux isolés sont moins fréquents que ceux associés à une pathologie
dépressive.
Notre étude rapporte un cas de troubles obsessionnels compulsifs apparus dans les
suites de la grossesse. Il s’agit d’une femme ayant accouché il y a un mois et demi, présen-
tant une captativité majeure à l’égard du bébé, vivant comme une déchirure immédiate la
moindre velléité d’approche de celui-ci par une autre personne. La menace de castration
sous un mode anal sous-tendait ce type d’angoisse.

Psychoses puerpérales
Les psychoses puerpérales ont énormément diminué dans les pays industrialisés. Elles
touchent actuellement 1 à 2% des femmes durant la première année qui suit l’accouche-
ment. Le pic d’incidence de début des troubles se situe dans les deux à trois semaines qui
suivent l’accouchement.
Les manifestations cliniques sont dans 75% des cas des troubles psychotiques de
l’humeur. Les patientes, volontiers désorientées et agitées, présentent une grande labilité
émotionnelle.
Chez les femmes ayant des antécédents de pathologie uni ou bipolaire, le risque
de rechute en période postnatale est élevé. De même, le risque d’épisode de rechute
augmente au fil des grossesses chez les femmes ayant un ou plusieurs antécédents de
psychoses puerpérales (autour de 25%). Enfin, parmi les femmes faisant une psychose
puerpérale, environ 60% présenteront un ou plusieurs épisodes thymiques en dehors de
la période du post-partum.

310
La maternité

Outre les antécédents de troubles de l’humeur, les facteurs de risque les plus certains
sont les antécédents familiaux de troubles psychiatriques, la primiparité et le célibat de la
mère. Quelques travaux ont incriminé l’accouchement par césarienne.
Notre étude rapporte un cas de psychose puerpérale. Il s’agit d’une femme de 32 ans
vue en consultation un mois après l’accouchement. Elle se plaint de céphalées, de sensa-
tions de décharges électriques, de piqûres, de brûlures dans la tête et les membres
supérieurs, les pieds, de perception de points lumineux ou de mouches volantes dans
le champ visuel. Le sommeil est perturbé, elle est fatiguée et pleure facilement. Elle est
persuadée d’être atteinte d’une neuropathie périphérique et qu’elle va mourir. Elle se
reproche cette grossesse qu’elle considère, selon ses propres termes, comme « maudite ».
Les diverses investigations paracliniques n’ont relevé aucune anomalie. La grossesse s’est
déroulée normalement mais il existait une angoisse de fond ainsi qu’une asthénie, avec
des rêves récurrents mettant en scène des eaux troubles, des cadavres sur une plage.
Lors de sa première grossesse, dix ans auparavant, une thrombophlébite cérébrale du
sinus longitudinal supérieur avait entraîné une parésie du membre supérieur gauche. Elle
sera traitée par anticoagulants dans les suites ainsi que préventivement lors des grossesses
ultérieures. La deuxième grossesse se déroulera normalement mais sera suivie de trente-
huit semaines d’aménorrhée.
Sa mère est décédée d’un cancer lorsqu’elle avait 10 ans dans les suites d’une troisième
grossesse. Elle a été alors confiée avec sa sœur aînée aux grands-parents paternels. Depuis,
elle a souvent présenté des préoccupations hypocondriaques obsédantes.
La conjonction de deux traumatismes (décès de la mère, thrombophlébite cérébrale)
et d’une troisième grossesse réactivant des représentations pathologiques a réveillé un
noyau psychotique quiescent. Le diagnostic n’était pas évident, les sensations corporelles
ayant été mises sur le compte de paresthésies. En fait, il s’agissait d’hallucinations cénes-
thésiques.
Transitoirement rassurée après de nouvelles investigations paracliniques, elle dépla-
cera alors ses préoccupations sur sa fille qui, selon elle, serait aussi atteinte d’une maladie
neurologique. Puis la conviction d’avoir une maladie mortelle reprendra. Elle finira par
avouer que des voix la persécutent depuis l’accouchement, voix qui lui reprochent une
grossesse qui n’aurait jamais dû avoir lieu.

Syndromes psychotraumatiques
Notre étude rapporte 4 cas.
™™ Accouchement dystocique il y a trois ans avec traumatisme périnéal important,
suivi d’incontinence anale séquellaire. Le jour de l’accouchement, décès d’une amie.
Depuis, dépression cyclique, avec manifestations anxieuses et fixation obsédante sur
son incontinence, contrôle sphinctérien conscient, colopathie. La patiente a exclu toute
idée de nouvelle grossesse. Rêves récurrents : « L’accouchement… ma fille est morte…
l’amie décédée. » Il s’agit de la réactivation d’un vécu de castration majeur avec régression
anale sur une fixation préexistante. Il existait en effet, depuis sa plus tendre enfance, une
angoisse de séparation, des mécanismes de défense à type de maîtrise, un évitement des
toilettes publiques, etc. Trois séances de psychothérapie ont permis d’atténuer la fixation
anale et d’améliorer son état psychique général, atténuant les symptômes somatiques,
offrant ainsi des conditions optimales à une chirurgie réparatrice.
311
Traité de médecine psychosomatique

™™ Accouchement dystocique il y a quatorze mois après grossesse pathologique.


Incontinence pendant quatre mois. Asthénie. Rêves récurrents : l’accouchement. Le bébé
présente des pleurs incessants et des troubles alimentaires depuis la naissance.
™™ Décès d’un membre de la famille le jour du diagnostic de grossesse. Angoisses et
menace d’avortement les cinq premiers mois. Puis béance du col. Césarienne accom-
pagnée d’hystérectomie pour utérus bifide. Depuis, dépression, angoisses persistantes.
Rêves récurrents : bloc opératoire… médecins en cagoules noires… Réactivation des
représentations dès qu’on évoque une naissance.
™™ Accouchement dystocique il y a deux ans. Traumatisme périnéal. Depuis :
douleurs, incontinence urinaire, incontinence anale, extinction de la sexualité, inadé-
quation relationnelle avec le bébé. Troubles du caractère, anxiété chronique généralisée,
mécanismes de défense obsessionnels.
Caractéristiques communes des syndromes psychotraumatiques
postobstétricaux
––Traumatisme obstétrical constant.
––Séquelles somatiques physiques fonctionnelles et lésionnelles constantes.
––Réactivation d’un vécu de castration constant.
––Réactivation d’une fixation anale avec ou sans fonctionnement obsessionnel préexistant.
––Syndrome de répétition constant.
––Désordres sexuels.
––Fréquente inadéquation relationnelle avec le bébé.

3-2. Somatisations
Synthèse des études de 1992 et de 2002
(Voir tableau page suivante.)

Particularités des situations cliniques


Grossesse
La grossesse a été normale dans les deux tiers des cas.
Manifestations mentales
Les manifestations mentales inaugurales sont rares ou larvées. La dépression postnatale
n’apparaît pas en tant qu’entité franche. La somatisation apparaît soit d’emblée (affec-
tions endocriniennes ou métaboliques), soit de manière différée (autres affections) après
une période de quelques mois marquée soit par une absence de signes pathologiques
mentaux, soit par des manifestations dépressives d’intensité très modérée et, dans
certains cas, des éléments de dépression essentielle.
Lorsque la pathologie est instaurée, on repère un état de démentalisation évident. La
répression est majeure dans certaines pathologies.

Déterminants traumatiques
––Vécus de castration : 10, soit 57% des cas.
––Autres conflits profonds : 3, soit 17% des cas.
312
La maternité

Pathologies apparues
TOTAL
au décours de la grossesse
Prise de poids 7
Troubles métaboliques 9
Amaigrissement 2
Troubles endocriniens Pathologie thyroïdienne 2 2
Migraines 4
Eczéma 1
Dermatoses et allergies Urticaire chronique 1 11
Asthme 3
Coryza spasmodique 2
Fissure anale 1
Pathologie périnéale Prurit anovulvaire 1 3
Anite hémorroïdaire 1
Névralgie cervicobrachiale 1
Polyalgies 1
Maladies rhumatologiques 4
Spondylarthrite ankylosante 1
Polyarthrite rhumatoïde 1
Métrorragies 1
Désordres gynécologiques Aménorrhée 1 3
Cancer de l’utérus
Gastrite 1
Autres Troubles vasomoteurs 1 3
Sclérose en plaques 1
TOTAL 35

Pathologies somatiques apparues lors du post-partum

––Vécus d’incapacité : 3, soit 17% des cas.


––Difficultés contingentes : 2, soit 11% des cas.

Autres conflicts inconscients : 17%

Castration : 56%

Vécus d’incapacité : 17%

Difficultés contingentes : 11%

Vécus traumatiques inducteurs de pathologies somatiques du post-partum

La conflictualité interne prévaut sur la conflictualité externe. Il existe un boulever-


sement majeur mobilisant les structures profondes du psychisme dans 72% des cas,
supérieur à ce que l’on rencontre dans les dépressions postnatales. Le traumatisme est
donc beaucoup plus interne et vécu comme plus difficile à résoudre. La charge trauma-
tique s’en trouve accrue, attaquant le psychisme sur un mode démentalisant.
313
Traité de médecine psychosomatique

ANALYSE DES DIFFÉRENTES SOMATISATIONS


Surcharge pondérale
Prise de 25 kg en moyenne par rapport au poids initial.
On retrouve dans les trois cas :
––un bien-être pendant la grossesse ;
––un vécu de perte après l’accouchement (castration) ;
––une surcharge pondérale réactionnelle à double composante : désordre physiolo-
gique infraclinique + compulsions alimentaires inconstantes destinées à lutter contre
la décompensation dépressive qui, de ce fait, n’apparaît pas ;
––des mécanismes de défense à type de maîtrise et de répression.
Désordres thyroïdiens
Ces désordres thyroïdiens sont complexes. Les modifications physiologiques de la
régulation thyroïdienne générées par la grossesse s’interagissent avec les différents vécus
traumatiques. Les deux cas de notre étude sont une thyroïdite de Hashimoto et une
maladie de Basedow.
™™ Chimène a fait une fausse couche il y a cinq ans. Le deuil de l’enfant de sexe féminin
ne sera jamais fait. L’accouchement d’un garçon deux ans plus tard entraînera dépression
postnatale suivie de thyroïdite de Hashimoto qui sera traitée ; mais une hypothyroïdie
résiduelle persistera. Nouvelle grossesse deux ans plus tard avec révélation d’un second
enfant mâle à l’échographie. Contractions, sciatique. Disparition de l’hypothyroïdie après
l’accouchement.
Métrorragies
™™ Il s’agit d’une femme présentant des métrorragies assez rebelles aux traitements
depuis cinq ans, date de l’accouchement d’un enfant mort-né. Elle a eu entre-temps
deux autres grossesses dont la délivrance fut très hémorragique, accentuant la phobie du
sang qui existait déjà dans son jeune âge du fait d’épistaxis à répétition, puis lors de ses
premières règles, et enfin suite à une IVG à l’âge de 16 ans. Les rêves récurrents sont de
type traumatique : des bébés morts. Activité intense de maîtrise et de répression, notam-
ment après l’accouchement traumatique.
Aménorrhée
™™ Il s’agit du cas d’Éva, cité plus haut (p. 305), jeune fille aux traits anorexiques. Vécu
majeur et paradoxal de castration, aggravé par la césarienne, culpabilité de ne pas avoir
« nourri » l’enfant, inquiétudes liées à des palabres sur une hypothétique toxoplasmose.
Répression intense. La patiente donnait l’impression d’être toujours en état de grossesse.
Il existait un élément phobique à l’égard des règles dont les premières avaient été conco-
mitantes d’une prise de poids. Ambivalence majeure. Image du corps très déstructurée.
Personnalité limite.
Dyspnée asthmatiforme
™™ Le cas étudié est celui d’une femme qui présentera après sa grossesse des troubles
respiratoires asthmatiformes s’inscrivant dans une relation d’objet de type allergique avec
l’enfant, relation d’objet qui existait de manière identique avec sa propre mère.
314
La maternité

Psoriasis
™™ Le cas de psoriasis dont il est question était apparu chez la patiente lors de ses
premières règles. Il semblerait que l’accouchement (épisiotomie traumatique, déception
d’avoir une fille) ait réactivé ce vécu antérieur de castration.
Psoriasis, vitiligo, acné ont tendance à être améliorés pendant la grossesse.
Polyarthrite chronique rhumatoïde
™™ Il s’agit d’une femme présentant une névrose de comportement avec forma-
tion réactionnelle majeure contre la castration : investissement majeur dans l’action,
syndrome de virilité, velléités de castration répétitives à l’égard de son conjoint, fonction-
nement dans la maîtrise en toute chose. La polyarthrite, apparue dans les suites d’une
première grossesse, semble être liée, outre le vécu de castration, à une pulsion d’emprise
majeure mise à mal par la dépendance liée à la maternité et à la perte des investissements
professionnels dans l’action, le mari ayant eu à la même époque une promotion profes-
sionnelle fulgurante. Le désordre hormonal physiologique induit par l’accouchement a
été potentialisé par tous ces facteurs.
Sclérose en plaques
™™ Première grossesse et post-partum immédiat normaux. Neuf mois après, sclérose
en plaques révélée par des paresthésies. Deuxième grossesse et post-partum immédiats
normaux. Six mois après, deuxième poussée de sclérose en plaques : névrite optique.
Cancer
™™ Dépression postnatale à type de dépression essentielle (fatigue et désinvestisse-
ment d’intensité modérée) dans les suites d’un accouchement prématuré par césarienne.
Six mois après, cancer de l’utérus. Hystérectomie. Un an après, cancer des ovaires, ovariec-
tomie bilatérale. Un an après, récidive au niveau du col utérin, radiothérapie, chimiothé-
rapie. Un an après, tumeur du grêle, ablation. Un an après, tumeur rectale.
Le désir de grossesse était très ambivalent. Désir obsédant de maternité tant que le
mari, déjà père de deux enfants, n’en voulait pas, refus lorsqu’il l’a souhaitée. Vécu de
castration, transgression fantasmatique d’un interdit œdipien. La patiente, dans son
jeune âge, avait souvent fonction de mère de substitution lorsque sa propre mère, dépres-
sive, était hospitalisée. Elle s’occupait du père et des deux frères et ce rôle lui convenait
parfaitement.

4. REPRÉSENTATIONS TRAUMATIQUES RÉSIDUELLES APRÈS


INTERRUPTION DE GROSSESSE
4-1. Interruptions volontaires de grossesse
7 cas.
Les interruptions volontaires de grossesse (IVG) laissent des traces réactives doulou-
reuses immédiates, surtout lorsqu’elles sont plus ou moins imposées, le plus souvent par
le partenaire ou par la séparation d’avec celui-ci. Il n’est pas rare que le désir d’enfant chez
315
Traité de médecine psychosomatique

le conjoint soit présent, mais celui-ci se rétracte lorsque surgit la grossesse. Les réactions
à moyen terme sont des réactions de deuil ou de dépression.
Les phénomènes de réactivation traumatique après-coup sont assez fréquents. Le vécu
initial de l’IVG ayant fait l’objet de répression, une seconde perte réactivera le trauma-
tisme.
Lorsque la réaction traumatique est l’objet d’une élaboration psychique – ce qui est
le cas le plus fréquent –, les rêves récurrents confirment l’impact et l’origine du trauma-
tisme. Ce sont des rêves angoissants mettant en scène un enfant : « Un enfant qui m’en
veut… un enfant qui meurt dans un accident… un enfant dont je ne sais pas m’occuper. »
Une des patientes présentait des phénomènes pseudo-hallucinatoires : « Impression
d’entendre un enfant qui pleure la nuit. »
Chez certains sujets, la culpabilité résiduelle traumatique perdure. Elle peut devenir
invasive lorsque les fantasmes de maîtrise en relation avec l’idéal du moi sont prévalents.
L’aversion sexuelle séquellaire, le plus souvent sélective, s’instaure fréquemment
lorsque le partenaire est considéré comme « responsable ».
Les somatisations induites ne sont pas rares : somatisations pelviennes (vaginisme
secondaire, vulvovaginites), abdominales (colopathie), prise de poids. Chez une de nos
patientes, est apparu un diabète, chez une autre, un vitiligo.

4-2. Fausses couches spontanées et morts fœtales in utero


Selon le moment de l’interruption de grossesse, on distingue les fausses couches
spontanées (FCS) lors des cinq premiers mois, et les morts fœtales (MFU) in utéro au-delà
du cinquième mois.
Notre étude concerne 7 fausses couches spontanées et 4 morts fœtales in utero.
Ces interruptions de grossesse s’accompagnent le plus souvent de phases dépressives
de durée variable, parfois longues. Une fois passée la phase dépressive, persiste un noyau
psychique traumatique fait de représentations récurrentes tenaces (les patientes nous
ont consulté en moyenne trois ans après le traumatisme). Ces représentations récurrentes
renvoient toutes, sans exception, au deuil difficile de l’enfant et au vécu de castration.
Les représentations conscientes se centrent ensuite sur une possible maternité à venir :
peur d’une nouvelle grossesse, peur que cela se reproduise, sentiment d’incapacité à
faire un autre enfant, désir obsédant d’enfant, désir d’avoir un enfant du même sexe que
l’enfant mort, refus d’un enfant de l’autre sexe.
Les rêves récurrents mettent en scène le deuil et la castration. On retrouve les rêves
d’enfant, mais cette fois-ci leur contenu est macabre, l’enfant étant le plus souvent mort :
« Un bébé se noie dans une baignoire… Mon ventre est transparent, je vois le bébé, je le
perds, je l’enterre… Un bébé animal en train de mourir… Je les vois toutes les deux, on tue
l’une d’elles (mort fœtale in utero d’une jumelle)… Le bébé mort, le cercueil… Je vois le
bébé grandir… Je suis enceinte d’un bébé du même sexe, mais on me le vole. »
Les rêves récurrents de castration sont fréquents : « On me coupe les cheveux… Des
personnes amputées… J’accouche d’un animal dont il manque la tête. » Plus rarement,
le rêve met en scène un personnage masculin menaçant, représentant œdipien : « Mon
supérieur hiérarchique me voit me vider. »
Enfin, peuvent surgir des rêves traumatiques non élaborés : le choc lors de l’échogra-
phie apparaît souvent.
316
La maternité

Un syndrome de répétition peut laisser surgir des associations préconscientes récur-


rentes. C’est ainsi que, chez certaines patientes, la survenue des règles réactive le trauma-
tisme.
À long terme, des remaniements défensifs peuvent induire des formations névro-
tiques, telles que des phobies d’impulsion : « Un couteau me coupe le bras. »
La culpabilité au long cours est fréquente, plus que dans les IVG. Cet élément paradoxal
peut en fait se comprendre, d’une part parce que la charge traumatique est plus forte,
d’autre part du fait du vécu de passivité qui mobilise en retour le besoin de maîtrise en
relation avec l’idéal. Ceci confirme encore une fois que ce n’est pas la faute réelle qui
induit la culpabilité, mais la faute imaginaire.
L’aversion sexuelle est fréquente et durable.
Lorsqu’une nouvelle grossesse surgit, l’angoisse est importante. Enfin, signalons le cas
d’une de nos patientes ayant développé une infertilité durable dans les suites du trauma-
tisme.

4-3. Conclusion
Le temps de la grossesse et des suites de couches est un temps potentiellement
traumatique. Si, dans certains cas, il peut conduire à la disparition de pathologies, le plus
souvent il en constitue un inducteur particulièrement redoutable. Il nécessite donc une
vigilance particulière de la part des soignants, car des interventions adaptées peuvent
éviter ou atténuer des désordres et surtout des complications particulièrement délétères
autant pour la mère que pour l’enfant.
Comme nous venons de le voir, le complexe de castration est un élément déterminant
du vécu de la grossesse et du post-partum. Sa résolution transitoire lors de la grossesse
sous-tend pour une grande part la disparition de pathologies somatiques. Sa réactivation
est responsable de l’apparition de désordres psychiques ou somatiques, soit pendant la
grossesse au travers de vécus de menace pour l’intégrité corporelle (rôle évalué à 22%),
soit surtout dans les suites de l’accouchement (rôle évalué à 43% pour la pathologie
mentale, 55,6% pour la pathologie somatique, soit une moyenne de l’ordre de 50%).
Pourquoi s’attarder sur le complexe de castration ? Parce qu’il ne fait plus partie de
l’investigation des patientes, à quelque stade que ce soit de leur vie génitale. Du simple
fait qu’en dehors de quelques cénacles psychanalytiques ou de quelques rares facultés de
psychologie, il n’est plus enseigné, et ne fait donc plus partie des représentations médicales,
voire psychologiques. Les médecins connaissent parfaitement les désordres induits par
les grossesses pathologiques ou les accouchements traumatiques. Les psychologues ont
tout à fait conscience du déterminisme lié aux traumatismes existentiels contingents et
explicites surgissant pendant ou après la grossesse, ainsi que des diverses contraintes ou
situations anxiogènes que l’état de grossesse ou de suites de couches peuvent induire.
Mais le complexe de castration n’est pratiquement jamais envisagé comme déterminant
profond de la pathologie.
Comme nous l’avons avancé en introduction, d’après notre étude de 1991, la période
qui englobe la gestation et les suites de couches représente 20% des facteurs trauma-
tiques inducteurs de pathologies somatiques. Toujours d’après cette même étude, si l’on
ajoute la chirurgie mutilante abdominopelvienne, les interruptions de grossesse et la
ménopause, on arrive à 33,6% de cas où les événements concernant la vie génitale de la
317
Traité de médecine psychosomatique

femme sont en cause. C’est-à-dire le tiers des facteurs traumatiques existentiels. Or, tous
ces facteurs traumatiques comportent en eux le déterminisme fréquent du complexe de
castration.

Et le père ?
Grossesse masculine en réalité virtuelle, campagne de communication sur la
contraception montrant des garçons « enceints » en train d’accoucher… Alain Benoît,
pédiatre, animateur pendant plus de vingt ans de groupes de parole de pères, co-auteur
de Le père, l’homme et le masculin en périnatalité (Éres, 2003), souligne que la nomination
paternelle doit venir de la mère et du bébé.
Propos d’Alain Benoît recueillis par Stéphanie Hasendahl (Le quotidien du Médecin, mai
2010) :
« Un homme ne peut pas être le père du ventre de sa compagne. Le père prend diffi-
cilement conscience de sa paternité pendant la grossesse de sa femme, même s’il se
met un coussin sur le ventre. Les fantasmes des hommes pendant la grossesse tournent
beaucoup plus autour d’une monstruosité que d’une réalité du bébé à venir. L’haptono-
mie lui montre qu’il peut y avoir une relation avec l’enfant. À la seule condition que sa
compagne l’accepte…
(…) La paternité se joue après la naissance. Ce qui manque aujourd’hui dans la
construction paternelle, c’est la transmission générationnelle. Nos pères n’ont pas du
tout fait la même chose que nous tandis que les femmes ont toujours été enceintes de la
même manière…
(…) La présence du père à l’accouchement n’est pas une nécessité…
(…) Être père n’est pas une affaire biologique. Nous n’avons aucun élément neuro-
biologique d’attachement avec le bébé, contrairement aux femmes. L’homme est obligé
d’inventer. Devenir père, ce n’est pas materner. L’homme doit être père sans se voir
imposer une identification féminine. Les gestes de l’homme ne sont pas ceux de la mère…
Le bébé grandira bien s’il a un papa et une maman qui sont un homme et une femme… »
La clinique confirme quotidiennement la validité des assertions d’Alain Benoît, même
si elles vont à l’encontre de la tendance officielle et de l’écholalie politiquement correcte.
La clinique constate, elle n’a que faire de l’idéologie.
Je me contenterai d’ajouter un seul élément concernant les fantasmes des hommes
pendant la grossesse : les réactions dépressives, le syndrome de couvade, le détourne-
ment de la sexualité chez l’homme trouvent leur origine, outre certaines inquiétudes
communes à tous les êtres responsables, dans la représentation d’un « en moins » qui les
habite face à l’« en plus » renvoyé par le corps de leur femme.

318
Chapitre 13

LE TRAVAIL

1. INTRODUCTION
Les traumatismes psychiques d’origine professionnelle ont été qualifiés depuis peu de
« risques psychosociaux » (RPS pour les initiés). On sait depuis quelques décennies que
la création d’un néologisme et surtout du sigle qui lui correspond constitue une avancée
majeure dans le traitement du problème visé, surtout s’il s’accompagne de « débat-
autour-d’une table ». Depuis la reconnaissance de l’existence des RPS, la souffrance au
travail – c’est un secret pour personne – a considérablement diminué. La décrue s’était
déjà amorcée il y a quelques années lorsque le « directeur des ressources humaines »
(DRH pour les initiés), celui qui montre donc la direction à la brebis égarée en stimu-
lant avec douceur ses compétences, avait remplacé le « chef du personnel », dictateur
inhumain et teigneux. « Ressources humaines » ! Grand pas pour l’humanité ! Ressources
humaines, minières, pétrolières, autant de gisements indifférenciés dans lesquels on peut
puiser jusqu’à tarissement mais, cette fois-ci, derrière le masque de l’humanisme. L’ATSEM
(« agent territorial spécialisé des écoles maternelles ») a remplacé la dame pipi. Depuis,
celle-ci se sent beaucoup mieux dans son travail. Dame pipi ! Non mais ! Et pourquoi pas
dame caca ! Imaginez ça sur une carte de visite lors d’un cocktail en préfecture !
Jean-Christophe Sciberras, président de l’Association nationale des DRH, cité par
Lionel Steinmann dans Les Échos nous le confirme : « …le chemin parcouru depuis quatre
ans est important. À l’époque, le terme risques psychosociaux n’était même pas dans le
débat. » (Journal Les Échos, 2011.) Que d’années ! Que de siècles perdus !
Entre décembre 2009 et octobre 2010, deux cent cinquante plans d’action de « lutte
contre le stress » ont été recensés, tel les « numéros verts » à la disposition des salariés
stressés. Si ces derniers n’ont connu que peu de succès, en revanche et fort heureusement,
les structures désintéressées de conseil, d’audit, d’accompagnement et de formation sont
là ! Lionel Steinmann cite une structure de conseil qui a ainsi créé un Indice de Bien-Être
au Travail (IBET®) défini ainsi : « Nouvelle VA corrigée de la dégradation due aux situations
collectives et opérationnelles de la souffrance au travail. » IBET® = VA – IMET et IBET (%)
= 100 x (VA – IMET) / VA. » IMET étant l’indicateur de mal-être au travail et VA la valeur
ajoutée. « Ce qui rend l’IBET® intéressant », nous dit Lionel Steinmann, « c’est qu’il n’est
pas calculé à partir des mêmes critères pour toutes les entreprises. Les membres de la
cellule de gouvernance socio-économique choisissent les critères les plus pertinents, en
fonction de la spécificité de leur entreprise, de leurs objectifs et de leurs attentes. » Ça
calme ! « Gouvernance socio-économique » (GSE) !
Si la médiatisation de l’événement dénature celui-ci, le sigle y met un terme. Sélec-
tion arbitraire, extraction d’une composante, amplification, écholalie, néologisme, sigle.
La séquence bouclée atteste du problème réglé. Pour régler un problème, il suffit de le
déformer et de changer son nom.
319
Traité de médecine psychosomatique

Qu’en est-il du sujet ? Il semblerait que ce ne soit pas la préoccupation fondamentale.


Nous le savions déjà. Les étudiants en Faculté de psychologie… Pardon ! Les étudiants du
« Pôle Sciences Humaines, UFR Psychologie », ont récemment réclamé, en 2011, que la
théorie psychanalytique ne soit plus enseignée en ce lieu. L’inconscient est une invention
bourgeoise centenaire. L’histoire du sujet, c’est le passé. Et le passé, il faut tirer un trait
dessus.
Les médias ont désigné certaines administrations comme le lieu de prédilection des
suicides. Mais le palmarès est erroné. Les sujets les plus concernés sont en fait les soignants,
les enseignants et les agriculteurs. Les suicides au sein des administrations désignées
seraient strictement liés aux conditions de travail. Faux. Il n’existe pas de suicide, que ce
soit dans les administrations en question ou au sein des autres professions vulnérables,
dans lequel n’intervient pas systématiquement la conjonction de problèmes personnels,
professionnels et privés, au sein desquels l’histoire du sujet est déterminante. Ce n’est pas
rendre service à ces braves gens que d’attribuer leurs seuls maux à leur travail. C’est les
considérer comme des logiciels inertes avec entrées et sorties. Leur proposer des séances
de relaxation est le moyen idéal de continuer à les broyer en douceur. Leur proposer des
séances d’« affirmation de soi » (ADS pour les initiés) – autre appellation de la « négation
de l’autre » (NDA) – c’est les immerger dans le grotesque. Là aussi, ils sont niés en tant que
sujets pour les besoins de la cause patronale, ouvrière, syndicale, politique ou journalis-
tique. Et c’est ainsi qu’ils se suicident.
Quant aux travailleurs indépendants, on avait oublié qu’ils existaient, qu’ils pouvaient
souffrir, et eux aussi se suicider, d’autant qu’ils n’ont pas d’ennemi clairement désigné, ni
de masses pour les soutenir. Tout est scrupuleusement organisé pour qu’ils disparaissent
eux aussi en tant que sujets. En toute indifférence, sans fleur ni couronne… et sans sigle !
Nous verrons, tout au long de ce chapitre, que le travail peut devenir trophique pour
le sujet, et de ce fait pour l’entreprise, lorsque toutes les conditions sont réunies pour
qu’il soit bien fait et reconnu. Il prend alors la dimension de l’œuvre, dont l’étymologie est
commune avec celle d’ouvrage et d’ouvrier.

2. LES NOUVEAUX TRAUMATISMES PROFESSIONNELS


2-1. Les situations professionnelles traumatiques
Il s’agit de situations de contrainte, de menace ou d’attente, étalées dans le temps, que
l’individu subit et contre lesquelles il lutte le plus souvent vainement.

Les conditions matérielles


La pénibilité du travail a changé. Il y a un siècle, les conditions physiques difficiles
caractérisaient la pénibilité du travail : environnements dangereux comme les mines,
construction d’édifices, durée du travail excessive, conditions hygiéniques défectueuses,
efforts musculaires intenses et prolongés, etc. Ces agressions physiologiques ont cédé le
pas à la pression psychologique et relationnelle, à la nécessité d’adaptations itératives, aux
incertitudes et aux changements incessants.
Les conditions matérielles seraient-elles devenues idylliques ? Nous en sommes loin.
Si les nuisances du passé étaient le fait d’une insuffisance technologique, elles sont
aujourd’hui la conséquence d’un excès de technologie :
320
Le travail

––réduction de l’activité motrice : la décharge motrice dans le travail constituait


naguère une voie de décharge de l’agressivité ;
––augmentation de la mobilité et des déplacements, temps passé dans les transports :
plus la distance maison-travail augmente, plus on développe le réseau routier et plus
le choix du lieu de vie s’éloigne à son tour du travail, et ainsi de suite ;
––agressions physiologiques (pollution de l’air), sonores (bruits extérieurs, musiques
dites « d’ambiance », bips électroniques, conversations des autres), visuelles (écrans,
lumière artificielle) ;
––impossibilité de se soustraire aux stimuli extérieurs, de s’isoler ;
––changements d’environnement : absence de bureau fixe ;
––privations sensorielles : privation de la lumière du jour, absence de contact direct
avec l’interlocuteur (travail à distance, par téléphone ou mail) ;
––altération des rythmes biologiques. Désynchronisation due au travail posté. L’absurde
passage de l’heure d’été à l’heure d’hiver, et vice versa, est déjà une forme mineure
d’attaque des rythmes individuels.
Quant aux moments de pause, de repos, de moindre sollicitation professionnelle, ils
ne permettent pas souvent une récupération minimale. Le temps passé à « surfer » sur
les écrans démentalise le sujet, contrairement à la pause en plein air, du simple fait que
les perceptions sensorielles et les informations qui en émanent ne génèrent pas des repré-
sentations propices à l’ouverture du préconscient, mais des incrustations qui stoppent le
fonctionnement psychique. Après 30 min de « surf », les individus ne pensent plus et sont
indisponibles à la reprise de leur activité.
On peut ainsi repérer comme conséquences :
––une insuffisance de sollicitation du système musculaire,
––une agression et une privation sensorielles,
––une altération de la concentration,
––une réduction de la mentalisation,
––une altération des rythmes biologiques,
––une répression de l’agressivité.
Tout ceci induit des désordres de l’excitation.

Les contraintes : la pression du travail


La surcharge de travail
Le temps de travail est très nettement inférieur à celui qu’ont connu nos ancêtres.
Ce qui est perçu comme surcharge de travail est en fait la somme de travail à effectuer
au cours d’un temps limité. C’est l’exemple de la secrétaire à qui on rajoute des tâches à
accomplir par rapport au temps de travail qui, lui, demeure fixe.
Quantité de travail et temps de travail excessifs se rencontrent par contre souvent
chez certains travailleurs indépendants qui déclarent, non sans une certaine coquetterie :
« Je suis débordé ! » Être débordé consiste à ne pas pouvoir finir ce qui était programmé,
à ne pas répondre à toutes les demandes extérieures ou exigences personnelles.
La sous-charge de travail existe aussi. Moins fréquente, elle est l’apanage de certains
postes, plus particulièrement dans certaines administrations. Elle génère un vécu d’ennui,
d’inconsistance, de désinvestissement.
321
Traité de médecine psychosomatique

™™ Jean-Michel, cadre administratif au conseil départemental, consulte pour un état


dépressif majeur. L’ensemble des secteurs existentiels ne révèle aucun facteur trauma-
tique, excepté le travail. Il en a repéré les causes : durant les sept heures de présence à son
bureau, il ne fait strictement rien. Non pas de son fait, bien au contraire, mais parce que
c’est visiblement la règle, car ils sont soixante-dix cadres, comme lui, à vivre cet état de
vacance. Certains s’en accommodent, mais pas Jean-Michel. Doté d’un idéal du moi que
l’on pourrait qualifier de « normal », il se sent inutile, et ce sentiment l’accompagne après
les heures de « travail », y compris la nuit où il rumine et ne dort pas. Il en a fait part à
ses supérieurs, guère plus occupés que lui, qui lui ont signifié qu’il ne fallait pas « faire de
vagues ».
Surenchère et performance
Exigées notamment des salariés dans le milieu de la vente, ou bien expressions névro-
tiques à valeur défensive chez le travailleur indépendant, elles sollicitent fortement les
idéaux du moi.
La demande d’un surplus de performance, en général à des sujets faisant preuve de
compétence et de dévouement, induit chez ces derniers l’absence de satisfaction du
travail bien fait et accompli. La tension persiste au-delà du temps de travail. La satisfaction
que connaissait le laboureur face à son champ fraîchement et entièrement retourné a été
très bien traduite par Robert Schumann dans une de ses pièces, au travers de laquelle on
perçoit la paix et l’allégresse de la satisfaction qui compensait grandement l’épuisement
musculaire. Le travailleur saisonnier, l’ouvrier agricole travaillait souvent « à prix fait »,
c’est-à-dire au prix de la tâche accomplie quel que soit le temps utilisé pour le faire. Ce
travail impliquait un dépassement de soi mais incluait un terme. La surenchère sans fin
déclenche une anxiété de performance et une insatisfaction.
L’urgence et la vitesse
Le travail dans l’urgence rend caduque la planification et génère ainsi un double état
de tension : la contrainte et l’insatisfaction. L’urgence est devenue aujourd’hui une valeur
culte synonyme d’efficacité, s’inscrivant dans un contexte plus général d’apologie de la
vitesse, de fascination par l’extrême, le risque et le secours, comme en atteste ce qui se
vend bien : série Urgences, speedy pizza, films dans lesquels la rapidité des plans permet
une économie de moyens et surtout de talent, sirènes et gyrophares qui permettent de
transgresser allègrement règles et lois sous l’œil admiratif de la foule.
La maîtrise en toute chose
Le besoin d’emprise, le désir de contrôle de toute chose en tout lieu et par tous les
temps, l’évacuation de la subjectivité, le refus de la contingence, le besoin de ne rien
perdre de ce qui passe ou se passe, de ne rien laisser s’échapper, ont placé la maîtrise
technologique parmi les valeurs suprêmes. Le risque ne doit pas exister, tout peut être
contrôlé par la machine, il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions stéréotypées.
La mécanisation et plus récemment les nouveaux moyens informatiques en constituent
le support. La fascination qu’ils induisent chez de nombreux sujets les plonge dans un
univers mégalomaniaque coupé du réel, promesse de toute puissance et de jouissance
illimitées. L’illusion induite, le temps perdu à trier les courriers électronique indésirables,
le zapping sensoriel et mental induit par les gerbes inopinées d’informations, de sollici-
322
Le travail

tations ou de propositions, démentalisent le sujet qui est privé de ses capacités de discri-
mination.
Le fonctionnement dans la maitrise intellectuelle qu’imposent certaines activités
professionnelles, plus particulièrement lorsqu’il y a dispersion des taches, persiste au-delà
du temps de travail et un « sas de décompression » prolongé est souvent nécessaire pour
que le sujet puisse avoir accès à un certain relâchement.
Plus le milieu dans lequel vit le sujet devient complexe, plus les processus d’adaptation
sont sollicités et plus le rôle modulateur du psychisme devient prépondérant.
™™ Jacques, chauffeur ambulancier depuis quatorze ans dans une entreprise en expan-
sion, aimait son métier, les contacts avec les malades, et avait de bonnes relations avec
son patron, jusqu’au jour où le GPS est apparu dans les véhicules. Depuis, il sait qu’il est
contrôlé en permanence dans ses déplacements et les relations avec son employeur se
sont progressivement dégradées.
La communication
Le terme communication qualifie depuis peu l’échange entre les humains. Les théories
de la communication font recettes et les stages pour apprendre à communiquer sont
légions. Ils sont restés fidèles à leur vocation initiale : la vente. Comment faire accepter
à quelqu’un ce qu’il ne veut pas. Les formations à l’affirmation de soi, c’est-à-dire à la
négation de l’autre, n’ont pas d’autre but.
Quant aux machines à communiquer (internet, mail, fax, téléphone mobile), elles
privent les sujets de la rencontre. Plus il y a de moyens de communication, moins il y a de
rencontre : le regard se porte plus sur l’écran que sur l’interlocuteur. Ceci induit une perte
d’information fondamentale pour l’un et pour l’autre et assèche la qualité de l’entretien.
La médecine, qui était basée sur l’observation, l’interrogatoire, l’auscultation, la palpa-
tion, c’est-à-dire la sensorimotricité et la réflexion, a interposé la machine entre le soignant
et le patient. Le médecin ne regarde plus, n’écoute plus, n’entend plus, ne touche plus. La
privation sensorielle est au rendez-vous, alimentant le faisceau croissant de l’insatisfac-
tion mutuelle.
Les interruptions de taches
Dérangements téléphoniques (téléphone fixe, téléphone portable, téléphone fixe +
téléphone portable), signal d’appel, mails, messages publicitaires, génèrent un authen-
tique « zapping » des réseaux neuronaux. La concentration diminue, l’efficacité est
réduite, la pensée est sidérée, la mentalisation réduite à zéro. J’ai constaté l’absence d’acti-
vité onirique chez les sujets soumis à ce type de fonctionnement, ou bien, chez certains,
uniquement des rêves strictement opératoires se rapportant au travail. Ces sujets, par
ailleurs, n’arrivent plus à hiérarchiser les tâches et perdent la notion de l’importance et
de la priorité.
Les tracas matériels et administratifs
Impossibilité de joindre telle administration qui exige « sous peine de poursuites »
d’être appelée le jour même, panne d’ordinateur, modes d’emploi (bientôt, il faudra un
stage de formation pour défaire certains emballages), standards informatisés, etc. L’idée
m’est venue d’y avoir recours : « Si vous êtes dépressif, composez le 1, si vous êtes anxieux,
composez le 2, si vous êtes délirant, composez le 3, si vous ne rentrez dans aucune de ces
323
Traité de médecine psychosomatique

situations ou avez un doute sur la nature de votre état mental, composez le 4, sinon veuil-
lez patienter, un opérateur va vous répondre. » Musique et voix off : « Avez-vous pensé
que des rêves opératoires mettant en scène votre activité professionnelle attestent d’un
déficit de mentalisation ? Savez-vous qu’un médecin formé à la psychosomatique peut
vous aider à lever votre répression ? L’École de médecine psychosomatique est à votre
écoute du lundi au vendredi de 8 h à 12 h 30 et de 14 h à 20 h. » Musique, interruption de
la communication.
Les changements incessants
« Construisons dans un monde qui bouge !… » Pas n’importe où toutefois, évitons
les zones par trop sismiques… Les changements, quels qu’ils soient, sont indispensables,
garants d’un avenir sans nuage, et s’inscrivent aussi dans l’idéologie du « plus » et du
« mieux », du mouvement, de la frénésie et de l’agitation :
––fusions, restructurations, cessions, délocalisations ;
––mobilité géographique ;
––nouveaux matériels, nouveaux formulaires, nouveau directeur ;
––nouvelles techniques, nouveaux locaux, nouvelles règles ;
––promotions, rétrogradations, mutations.
La nature du changement repose sur :
––la technicité, quelle qu’elle soit, à condition qu’elle soit nouvelle ;
––le profit, ou plutôt une certaine idée du profit car à terme, le plus souvent, celui-ci
n’est pas au rendez vous ;
––le consensus, qu’il émane du haut ou du bas.
Les compétences de chacun passent en dernier.
™™ Les relations entre Jacques, notre ambulancier cité p. 323, et son patron, fortement
altérées par l’introduction du GPS, ont essuyé de nouveaux revers ces derniers mois : le
patron a cédé ses parts à sa fille et à son gendre. Le GPS ne suffisant pas, ces derniers ont
mis en place de nouvelles méthodes destinées à accentuer le contrôle accru de l’activité
des salariés : ce sont les échelles d’évaluation proposées aux usagers. Il suffit de cocher
des cases et surtout de préciser l’indice de satisfaction sur une échelle de 0 à 10. Nous
connaissions l’échelle de Jacob, celle de Richter, celle de mon peintre Jacky, celle du centre
« antidouleur ». Nous ne connaissions pas celle de Jacques. Étonnant, non ?
Vitesse, surenchère, maîtrise inatteignable et insatisfaite, dispersion de l’attention,
négation de l’inter-subjectivité, nécessités d’adaptation subintrante, valorisation de
l’action au détriment de la pensée, induisent tension, insatisfaction, non-reconnaissance
et démentalisation, matrices de désordres psychosomatiques inéluctables.
Les nouvelles intrications entre la vie professionnelle et la vie privée
L’intrication de la vie professionnelle et de la vie privée fut en d’autres temps une
règle pour certaines professions : agriculteurs, commerçants, médecins, etc. Elle pouvait
constituer dans certains cas une source d’harmonie, lorsque les rythmes naturels ou
personnels étaient respectés. Tel paysan décidait, à la vue d’une éclaircie, d’aller tailler
quelques rangées de vigne. Telle commerçante ne ressentait pas comme une contrainte
l’interruption de la préparation du repas par l’irruption d’un client dans son magasin.

324
Le travail

De nos jours, il existe une étanchéité apparente entre la vie professionnelle et la vie
privée. Mais l’augmentation des rythmes, des exigences, des techniques, a rendu plus
complexe et par là plus périlleuse leur intrication : difficulté à composer entre la vie profes-
sionnelle et la vie privée, plus particulièrement chez les femmes, irruption du travail dans
la vie privée (appels téléphoniques, courriers électroniques), planning du service révélé
à la dernière minute empêchant toute programmation d’activité personnelle, télétravail,
abolissent une trophique barrière de sécurité entre mondes privé et professionnel.

LES SITUATIONS ANXIOGÈNES


L’insatisfaction chez l’autre
Lorsque l’autre est insatisfait, qu’il s’agisse du client, du collègue, du supérieur ou du
subordonné hiérarchique, le sujet a le sentiment que ses compétences et ses efforts ne
sont pas reconnus. Il s’ensuit soit un état de rancœur à l’égard de l’objet, soit un vécu de
dévalorisation lorsque le sujet s’approprie, souvent de manière erronée, l’entière respon-
sabilité de cette insatisfaction.
Celle-ci apparaît soit de manière directe sous forme de renvois négatifs, soit de manière
larvée, sous forme non verbale.
• Renvois négatifs : mise en avant des points faibles, contestation ou absence de recon-
naissance des compétences du sujet, réticence à exprimer des compliments.
• Demandes réitérées de services considérés comme des dus.
• Exigence des clients qui veulent tout, tout de suite et sans rien perdre.
• Imposition de règles besogneuses, inutiles et dénuées de sens.
• Sentiment de dévalorisation, de dépit, de dégoût, de tristesse, répression de l’agressi-
vité, état de tension et perte d’identité sont au rendez-vous.
™™ Lionel est médecin généraliste en périphérie de la ville. Toujours sur le pied de
guerre, il répond à toute demande de soins mais aussi de services. Connu pour son dévoue-
ment, sa gentillesse, sa souplesse, son adaptabilité, voire sa complaisance, il s’est constitué
une clientèle de marmiteux qui utilisent le certificat médical à la moindre frustration, au
moindre besoin, au moindre projet douteux. Lionel s’exécute avec un sourire soumis et
figé. Cette abnégation ne garantit en rien la reconnaissance de ses patients. Plus il en fait,
plus ces derniers se montrent exigeants, si ce n’est agressifs. Deux cambriolages dans son
cabinet et une agression physique précipitèrent l’installation d’une dépression d’épuise-
ment. Lionel a été hospitalisé il y a six mois suite à une tentative de suicide. Il n’a pas
trouvé de remplaçant. Son cabinet a été pillé et il continue à payer ses charges sociales.
Les situations conflictuelles
Conflits ouverts, conflits larvés, conflits occultes, les situations conflictuelles ne
manquent pas dans le monde du travail : entre deux collègues, entre une personne et
le groupe, entre subordonnés et supérieurs hiérarchiques, entre client et travailleur
indépendant, entre administration et responsable, etc.
Rivalités au sein de l’entreprise, concurrence entre collègues, conflits interperson-
nels, jalousie entre favorites, messages contradictoires de deux supérieurs hiérarchiques,
atmosphères tendues, conflits de personnalités, antipathies, supérieur hargneux, colla-

325
Traité de médecine psychosomatique

boratrice dépressive, subordonné inhibé, inconséquence de l’autre, collusion hostile d’un


groupe, mise au placard, etc.
Nous nous attarderons plus loin sur le problème spécifique du harcèlement profes-
sionnel (p. 338).
Ces situations génèrent une répression de l’agressivité ou des réactions anxieuses, un
sentiment de perte d’identité et souvent, à terme, un état dépressif.
Vécus d’attente et de menace
Dans ces situations, le temps est suspendu, le sujet est pris en otage, privé de repères.
Ses possibilités de réaction se réduisent à une immobilisation défensive qui génère
l’angoisse.
Ces facteurs traumatiques générateurs d’angoisse sont le fait de :
––situations de précarité professionnelle : menace de licenciement, attente d’un emploi,
peur de perdre une clientèle, crainte de la faillite, contrats de travail insécurisants
(CDD, intérim), postes de travail mal définis, attente d’une décision administrative ;
––certains procédés utilisés dans le harcèlement moral : esquive et messages
paradoxaux.
™™ Jérémy, 34 ans, présente un état dépressif d’épuisement avec émoussement impor-
tant des fonctions psychiques. Il a du mal à relater les événements qui ont induit sa
souffrance. Il est en arrêt de travail et a perdu 10 kg depuis deux mois. Il est sous antidé-
presseurs.
Il y a deux ans, une promotion l’a placé à la tête d’un service au sein de l’adminis-
tration dans laquelle il travaillait depuis dix ans. La première année s’est bien passée,
mais, il y a un an, un changement de direction multiplie sa charge de travail et l’éten-
due de ses responsabilités. Il devient alors moins performant, plus hésitant, insatisfait
de lui-même. Une irritabilité, des troubles du sommeil, puis des crises d’angoisse et des
vomissements apparaissent. Quelques mois après, une rumeur circule selon laquelle
certaines de ses fonctions allaient lui être supprimées et qu’il serait rétrogradé non pas
à son poste antérieur mais à un poste subalterne à ce dernier. Depuis trois mois, cette
rumeur est devenue une obsession. Il ne put jamais en connaître le bien-fondé. Des
responsables syndicaux la lui confirmèrent mais il n’obtint jamais d’information de la
direction. Vécu d’attente et de menace dans un flou artistique total, lutte vaine contre
un ennemi invisible, finirent par altérer ses fonctions psychiques et sa santé physique.
Il n’exprime aucune colère. Il ne l’a jamais exprimée d’ailleurs. Cet émoussement affectif
existait au sein des relations familiales lorsqu’il était enfant. Il était très timide, très en
retrait. La première séance induira la résurgence de productions oniriques attestant d’un
vécu de castration, réactivé par l’angoisse actuelle : il perd ses dents ou bien il est entouré
de personnes amputées. Il a arrêté toute activité de loisir. Les séances et l’intervention du
médecin du travail l’amélioreront rapidement. La période traumatique fera l’objet d’une
lacune relative au sein du préconscient. Il doit reprendre le travail à un nouveau poste qui
semble lui convenir.
Vécus de menace et d’attente sont générateurs d’anxiété.

326
Le travail

2-2. Les événements professionnels traumatiques


Les pertes
Pertes réelles
––Pertes financières, perte de l’outil de travail.
––Changements d’environnement, délocalisation, changements d’affectation.
––Déficit fonctionnel induit par un accident du travail.
––Perte d’emploi, retraite, faillite, échec, rétrogradation professionnelle.
Pertes imaginaires
––Perte d’un rôle important, d’un pouvoir, d’un idéal très investi, de l’estime de
soi-même.
™™ Gilbert, 56 ans, travailleur scrupuleux et consciencieux, a quitté son pays natal
avec sa famille, il y a dix ans, pour occuper le poste de directeur d’une usine importante
dans la région. Il y a un an et demi, il reçoit une lettre du groupe l’informant qu’il était
licencié. État de choc. Rien ne pouvait laisser entrevoir un tel événement. Il en ignore
le motif : l’usine marche bien, collaborateurs et subordonnés sont contents de lui. Le
traumatisme est classé accident du travail. Il présente une hypertension artérielle depuis
dix ans, date de son entrée dans l’entreprise. Lorsque je le reçois, il est effondré, terrassé,
le ton est inaudible, il verbalise une forte culpabilité d’avoir installé sa famille dans la
région, d’autant que son épouse a des problèmes de santé. Bien qu’il ait le sentiment
d’une trahison, il plaide coupable. Il m’inquiète, d’autant que sa mère s’est suicidée il y
a une vingtaine d’années. Malgré la proposition insistante que je lui fais de se rendre
au rendez-vous fixé par le groupe pour connaître les causes du licenciement, il refuse,
il a peur. Il refuse l’hospitalisation. Et c’est ainsi que vont se mettre en place des rendez-
vous hebdomadaires puis mensuels dans lesquels mon impuissance n’aura d’égal que son
désarroi rebelle à toute sollicitation.
Car nous ignorons les causes du licenciement, il ne veut pas les connaître, préférant
s’enferrer dans un mélange de culpabilité et de rancœur face à un ennemi inconnu. De
plus, la reconnaissance en accident du travail sera contestée au bout de trois mois, ceci
ayant pour effet, d’une part, de déplacer chez lui les motifs du combat dans lequel le
nouvel ennemi est l’assurance maladie, combat qui s’avérera interminable, et d’autre part,
en ce qui me concerne, de ne pas être payé pour les actes déjà effectués. Je l’incite à
reprendre une activité sportive mais un médecin bien intentionné le lui interdit compte
tenu de son hypertension… Un avocat va mettre de l’huile sur le feu en contestant le refus
de l’assurance maladie de reconnaître l’accident du travail. L’arrêt en maladie se poursuit.
Le procès intenté à l’assurance maladie est reculé aux calendes. Un séjour de courte durée
dans son pays natal lui fait transitoirement retrouver un certain élan vital, qui retombe
immédiatement dès son retour près des lieux du crime. Je saisis l’occasion pour le confor-
ter dans la décision d’y retourner définitivement. Dont acte. Il va mieux. Gilbert n’osait
pas affronter son père lorsque celui-ci le punissait injustement. Il s’en prenait alors à son
chien, à ses jouets, ou à sa mère.
Les pertes induisent dans le meilleur des cas un processus de deuil, sinon c’est la
réaction dépressive qui est au rendez-vous.
327
Traité de médecine psychosomatique

Les agressions
––Incidents matériels (enfermement dû à la défaillance d’un système de sécurité).
––Accidents.
––Paroles agressives (caissières de supermarché), dévalorisantes, déstabilisantes,
menaçantes (agressivité des clients à l’égard des cadres, de certains patients envers les
soignants des services d’urgence).
––Agressions physiques. Il y a peut-être lieu d’établir une distinction entre ceux qui
travaillent isolément ou en très petit groupe (conducteurs de bus, chauffeurs de
taxi, petits commerces, bijouteries, pharmacies, médecin de garde, stations service,
convoyeurs de fonds, vigiles) et ceux qui travaillent en équipe entraînée et solidaire
et dont la nature de l’activité professionnelle implique par définition une probable
confrontation au danger (pompiers), à plus forte raison s’ils travaillent en groupe et
armés (forces de l’ordre).
Certaines agressions génèrent un syndrome psychotraumatique.
™™ Évelyne, 40 ans, divorcée, deux enfants, est conductrice de bus. Elle est en arrêt de
travail depuis six mois et vient me consulter pour phobie des transports ! Elle est incapable
de prendre sa voiture… Je suis un peu interloqué, juste le temps qu’il faut pour décou-
vrir chez cette patiente un état d’émoussement affectif total, un sentiment de vide, une
anhédonie et un désintérêt majeurs qu’accompagnent des crises d’angoisse récurrentes.
Elle présente en fait un syndrome psychotraumatique dont les manifestations cliniques
sont apparues en plusieurs temps successifs.
Ses enfants ont été agressés dans la rue il y a un an. Le lendemain, alors qu’elle déambule
avec eux en ville, une voiture manque de les faucher. Elle a très peur et perd connaissance.
Cet événement, mineur par rapport à l’agression subie par ses enfants la veille, fera écran
et induira un syndrome de répétition ainsi qu’une agoraphobie. Six mois après, elle subira
des injures et des menaces de mort d’un groupe de sujets étiquetés « sauvageons » alors
qu’elle conduit son autobus. L’anxiété préexistante s’accentuera et l’état dépressif s’instal-
lera, s’intensifiant de semaine en semaine, rendant impossible la poursuite de son travail.
Les entretiens psychothérapiques et un traitement psychotrope induisent une amélio-
ration rapide. J’adresse un certificat de contre-indication à la reprise du travail au médecin
du travail et elle me fait part de son intention de quitter la région pour commencer une
nouvelle vie en des lieux où la guerre civile semble moins imminente.
Évelyne n’a ressenti aucune rancœur à l’égard de ses agresseurs successifs. Après l’agres-
sion de ses enfants, seul un sentiment de culpabilité de ne pas les avoir accompagnés en
ville était apparu. Elle avait pris l’habitude dans son travail de subir menaces, injures et
agressions verbales quotidiennes, de faire profil bas, comme si rien ne se passait, et de
continuer ainsi en état de répression permanente. Car elle avait toujours voulu faire ce
métier.
Seconde de la fratrie, elle s’intéressait, contrairement à sa sœur aînée, aux petites
voitures, aux petits tracteurs, aux petits camions ainsi qu’aux outils de bricolage. Elle
ne garde aucun souvenir de son père, décédé quand elle eut 7 ans, si ce n’est de l’avoir
embrassé lorsqu’il reposait dans son cercueil. Cette réminiscence induisit une émotion
douloureuse lors de son évocation, première émotion après de long mois d’anesthésie
affective, mais aussi par contiguïté d’autres souvenirs. On peut supposer que son père fut
328
Le travail

l’objet d’une identification privilégiée. Sa première fascination pour les cars et les camions
remonte à ses quatre ans et demi. Elle était dans la voiture avec sa sœur et ses parents sur
l’autoroute et était fascinée par la puissance de ces engins, leur volume, l’impression de
sécurité et d’invincibilité qui se dégageait d’eux. Cette image est restée gravée alors que
celle du père fit l’objet d’une lacune. Il s’agit très vraisemblablement d’un processus de
déplacement. Elle garde encore précieusement un petit autobus anglais miniature avec
lequel, enfant, elle jouait. Ainsi, son métier était le lien qui la réunissait avec ce père certai-
nement très aimé et admiré, père dont elle ne sait toujours rien, tant le silence défensif de
la famille a dû être intense après son décès. La répression qui a accompagné la scène de
son départ s’est muée en refoulement, puis en déplacement. Cette même répression qui
plus tard sera sa compagne quotidienne au volant de son autobus et qui asséchera toute
fonction psychique dans les mois suivant la dernière agression, événement qui allait lui
faire renoncer à l’objet qu’elle avait investi toute sa vie.
Les agressions induisent une répression de l’agressivité et assez souvent un syndrome
psychotraumatique.

3. LA RÉACTIVITÉ TRAUMATIQUE


3-1. Le seuil de tolérance
L’impact des situations et événements potentiellement traumatiques dépend, comme
je l’ai abordé tout au long du deuxième chapitre de cet ouvrage, de facteurs liés à la réalité
extérieure (seuil traumatique, intensité, durée, contexte, conséquences potentielles,
possibilités d’action), mais surtout de facteurs complexes inhérents au sujet :
––représentations conscientes des faits, modulées par les représentations préconscientes
et inconscientes ;
––organisation psychique (instances répressives, idéaux) ;
––système défensif déterminant les modalités réactionnelles : affrontement, distancia-
tion, focalisation, fixations obsédantes, répression, déplacement, projection, déni, etc. ;
––degré d’investissement de l’objet professionnel ;
––investissements parallèles et qualité des autres secteurs existentiels.

La vie privée : « Quand le travail fait écran »


Lors d’une étude précédente (Rôle des événements…), nous avons évalué les parts
respectives des traumatismes privés et professionnels intervenant dans la genèse des
maladies :
––vie privée = 85%
––vie professionnelle = 15%.
Il est probable que, depuis, les données ont changé : mais peu ! L’évolution sociale
atteste d’une augmentation des traumatismes professionnels mais aussi d’une augmenta-
tion des facteurs traumatiques d’ordre privé.
Les déterminants d’ordre privé sont de toutes façons statistiquement majoritaires et il
serait erroné pour le médecin, qu’il soit généraliste, spécialiste ou médecin du travail, de
limiter uniquement son investigation à la recherche des cofacteurs pathogènes d’origine
professionnelle. Ce n’est pas parce qu’un suicide se produit sur le lieu du travail (certains
ont été reconnus comme accidents du travail) que son origine est strictement profession-
329
Traité de médecine psychosomatique

nelle. Inversement, occulter le facteur traumatique professionnel lors de traumatismes


d’origine privée est tout autant erroné.
™™ Benjamin, 34 ans, présente des attaques panique depuis deux mois. Il travaille dans
une administration et, depuis deux mois, la tension avec son chef d’équipe est montée
d’un cran. Il allègue aussi des difficultés avec sa compagne, exacerbées elles aussi depuis
deux mois, mais sans relation directe avec son état de tension induit par son travail :
sa compagne ne supporte pas ses absences prolongées dans le cadre de son activité de
comédien dans une troupe de théâtre. Enfin, la discorde entre cette compagne et la mère
de Benjamin s’est accentuée elle aussi depuis deux mois. Qui de la poule ? Qui de l’œuf ?
Heureusement, Benjamin a conscience du caractère polyfactoriel de ses difficultés. Ce qui
n’est pas toujours le cas…
™™ Blandine, 40 ans, sage-femme, m’a été adressée, un peu tard il est vrai, pour névral-
gie pudendale apparue il y a un an, brutalement, pendant son travail. Investigations et
palabres diagnostiques pendant trois mois, « sanctionnées », comme il est d’usage de
le dire, par un geste chirurgical dans un service spécialisé en la matière. Six mois après,
la douleur et le handicap sont toujours présents. Paradoxalement, elle voue un culte à
son chirurgien qui lui affirme que le problème est réglé et que les douleurs ressenties
maintenant sont d’origine veineuse. Elle est en arrêt de travail, suit un traitement par
antalgiques, antiépileptiques, benzodiazépines et antidépresseurs. Tout vient du travail,
l’opération s’est bien passée, ses enfants sont merveilleux, son mari génial, ses parents
exemplaires, la construction de la magnifique villa terminée. Le seul souci, central et
invasif pour Blandine, est que la reconnaissance en « longue maladie » lui soit accordée.
Hélas, le verdict est sans appel.
Elle était très fatiguée dans les mois qui avaient précédé la survenue de la névralgie.
Le travail bien sûr, mais aussi les enfants qui font tous deux du sport de compétition,
Mégane de la gymnastique et Dylan du moto-cross, ce qui impliquait des week-ends
chargés loin du domicile. Le mari l’accompagnait parfois, mais pas toujours car il joue au
foot et aime bien finir la soirée, voire la nuit, avec ses copains. Un jour, il n’est pas rentré.
Tiens ! Justement, c’était la veille de la névralgie. Mais rien à voir, il est génial !
Actuellement, Blandine, en arrêt de travail, est très angoissée, elle n’a plus goût à rien,
se sent inutile. Elle passe ses journées sur internet. Les douleurs se sont accentuées il y a
un mois dans les suites d’un conflit professionnel. Elles l’empêchent bien sûr d’accom-
pagner ses enfants aux compétitions de sport, et c’est donc le mari qui maintenant se
dévoue et a dû renoncer à ses escapades nocturnes. Un jour, suite à une séance, elle n’a
plus eu de douleur pendant trois jours. « Les veines avaient dû cesser de comprimer le
nerf », me dit-elle, avant d’ajouter : « Ça m’a fait comme un manque… de toutes façons,
j’espère avoir la longue maladie… »
L’expérience clinique personnelle que j’ai des névralgies pudendales m’a toujours
confirmé l’existence, en dehors de la répression constante de l’agressivité qui est centrale,
d’une problématique sexuelle ou tout au moins relationnelle au sein du couple. Ici, tout
est fait, organisé, verrouillé pour ne pas aborder cette dimension centrale de la patholo-
gie. C’est génial !

330
Le travail

Dans un contexte traumatique polyfactoriel, la mise en avant de la stricte causalité


professionnelle est fréquente :
––il est plus élégant et moins compromettant sur un plan personnel de s’épancher
sur des causes auxquelles tout individu peut être soumis. Le narcissisme est préservé.
La causalité professionnelle est souvent l’affaire du groupe, la causalité personnelle,
l’affaire du sujet dans toute sa complexité, ses désirs inavoués, ses faiblesses, son
intimité ;
––les solutions et les recours sont plus facilement envisageables dans la sphère profes-
sionnelle que dans la sphère privée. Ils sont volontiers codifiés par les institutions.
Aucune institution ne peut interférer dans les déboires personnels ;
––la plainte professionnelle est plus facilement reconnue car la souffrance profession-
nelle est souvent partagée avec les autres sujets.

Le degré d’investissement de l’objet professionnel


Le travail est l’objet d’investissements dans lesquels l’imaginaire du sujet tient une place
centrale. La dimension sublimatoire du métier, la valeur accordée à l’objet professionnel,
sont autant de variables individuelles qui peuvent accentuer la valeur traumatique ou au
contraire l’atténuer.
Quelle est la représentation imaginaire de ma profession ? Quelles représentations en
avais-je lorsque j’étais enfant ? À partir de quels modèles extérieurs ? Quelle place sociale
me confère-t-elle ? Quelle place y tient-elle au niveau de mon identité ? Qu’en est-il de
ma motivation et de ses racines inconscientes ? Que représente cette promotion ? Que
représente ce traumatisme ?
Le désinvestissement et le contre-investissement de l’objet travail doivent être consi-
dérés comme des facteurs traumatiques à part entière. Le désinvestissement ouvre la
porte à la décompensation dépressive mentale ou à certains désordres somatiques, le
contre-investissement aux réactions de caractère et de comportement, voire aux maladies
de la répression. Faire un travail auquel on ne croit pas, contraire à ses convictions, ou un
travail vécu comme persécuteur, est un facteur traumatique.
L’excès d’investissement est source d’épanouissement personnel tant que rien ne vient
déranger le fonctionnement professionnel et les buts que le sujet s’est fixé. Lorsque le
traumatisme surgit, c’est l’effondrement.
Les exigences de l’idéal
L’investigation doit établir une distinction entre la part d’exigences qui sont extérieu-
rement imposées au sujet et celles qui proviennent de la tyrannie de son idéal du moi.
Les exigences imposées par l’autre, le supérieur, la structure, l’entreprise, sont quoti-
diennes : exigences de rendement, de compétence si ce n’est de dévouement. Il n’y a rien
d’extraordinaire à cela. Mais, depuis quelques années, il est demandé aux salariés cadres
de s’investir affectivement, de vivre pour et par l’entreprise, voire de s’y marier, si ce n’est
d’y mourir. Il s’agit d’une exigence affective qui témoigne d’un passage du contrôle des
actes au contrôle des désirs. Le surinvestissement affectif augmente, comme nous le
verrons plus loin (p. 347), les risques de burn-out. Celui qui défaille n’est pas seulement
quelqu’un qui n’a pas bien fait son travail, c’est un traître, un adultère. L’idéal du moi du
sujet est ici utilisé pour satisfaire l’idéal de l’objet. Les idéaux de l’un et de l’autre doivent
converger.
331
Traité de médecine psychosomatique

La déstabilisation s’accentue lorsque l’idéal imposé par l’objet change. Chez les visiteurs
médicaux, par exemple, il est demandé au délégué médical de s’investir dans le produit
comme une mère à l’égard de son enfant. À l’issue d’un changement (abandon du projet,
fusion d’entreprises, changement d’objectif), il lui sera demandé de désinvestir le produit
pour en réinvestir un autre.
Les auto-exigences que le sujet s’impose – dévotion craintive au patron, addiction au
travail, stakhanovisme névrotique, crainte permanente de mal faire, ambition démesu-
rée – sont en relation avec des idéaux surdimensionnés. Seul l’abord des déterminants
inconscients et de l’histoire du sujet permet d’en comprendre les origines et l’anachro-
nisme foncier.
™™ Trois sœurs travaillaient chez leur père. Salariées de cette entreprise familiale, cinq
ans d’âge les séparaient les unes des autres. Elles avaient itérativement intégré l’entre-
prise paternelle aux postes identiques de secrétaires de direction. Deux autres atten-
daient l’âge adulte pour suivre la voie toute tracée. Car le père avait eu, sur le tard, deux
autres filles qui, comme les trois premières, étaient issues de canapés différents et elles
aussi séparées de cinq ans d’âge les unes des autres. C’était probablement la seule forme
d’expression ritualisée qui avait marqué la vie de ce psychopathe vieillissant. L’entreprise
de vente de voitures d’occasion était florissante et les trois sœurs aînées, dont le maquil-
lage outrancier n’avait d’égal que celui des voitures, dirigeaient celle-là d’une main de fer.
Les deux plus âgées étaient mariées, l’une à un forain, l’autre à un gérant de discothèques.
La troisième ne se maria point, tant son dévouement filial à super-papa était sans faille.
Elle commençait à 6 h, terminait à 21, contrôlait les deux aînées, rapportait au père leurs
défaillances. Un matin de mai, elle se réveilla avec une paralysie faciale a frigore. Elle avait
effectivement pris froid à l’arrière de la Mercedes cabriolet que conduisait le père à vive
allure, au retour d’un repas d’intronisation de la quatrième sœur. Celle-ci, installée dans
la voiture à la droite du père, allait intégrer au petit jour le poste de quatrième secrétaire
de direction de l’entreprise.
Le combat et la défaite
Un individu qui lutte, qui attaque, qui se défend, est relativement à l’abri, durant un
temps toutefois limité, de désordres pathologiques graves. Les altérations fonctionnelles
ne sont pas pour autant exclues. La victoire, si elle n’est pas trop tardive, y mettra le plus
souvent un terme. La défaite ou l’usure au combat génèrent quant à elles des processus
pathologiques constants. Ils peuvent être transitoires et résolutifs. Ils peuvent aussi être
durables, irréversibles, si ce n’est dramatiques.
Les stratégies conscientes d’ajustement permettent parfois de trouver des solutions
adaptatives sans dommage pour le sujet. Lorsqu’elles ne suffisent pas et que la situa-
tion traumatique perdure, des processus de défense palliatifs se mettent en place, extrê-
mement variables d’un sujet à l’autre : affrontement, combat, réactions de caractère,
fuite, plainte, inhibition, répression, soumission, renoncement. Autant de réactions qui
attestent de l’organisation psychique et du système défensif inconscient du sujet. Ce
dernier doit être mis au jour, car il se manifeste souvent de manière similaire dans les
autres secteurs de la vie du sujet.
Deux attitudes extrêmes sont particulièrement préjudiciables à l’équilibre
psychosomatique : la lutte à perpétuité et la soumission inconditionnelle.
332
Le travail

™™ Joëlle, syndicaliste très investie, a découvert des dysfonctionnements majeurs et


des pratiques suspectes au sein de l’entreprise. Elle a refusé le licenciement et la somme
de 100 000 € qui lui était proposée, a été mise au placard, puis mutée. Elle est parvenue à
faire condamner ses employeurs par le tribunal des Prud’hommes à payer 200 000 €. Elle
est en arrêt de travail depuis trois ans et passe l’intégralité de ses journées (et même de
ces nuits puisque ses rêves mettent en scène de manière identique le même type d’acti-
vité psychique) à rédiger des rapports, accumuler des preuves, constituer des dossiers
pour régler ses comptes en envoyant ces derniers devant une juridiction pénale. Mais
voilà que se sont installés dépression, insomnie, pertes de connaissance, ulcère, douleurs
diffuses, eczéma, asthme, malgré un traitement conséquent.
™™ Emmanuelle, assistante comptable dans la grande distribution, consciencieuse
dans son travail, devant être licenciée pour délocalisation de l’entreprise, a accepté, sous
la pression de ses supérieurs qui lui ont fait miroiter des avantages, de signer un avis
de licenciement pour faute et, du même coup, de matérialiser ce qui allait atteindre
en profondeur ses idéaux. Elle se retrouve sans travail face à un mari dictatorial et des
enfants désocialisés. Elle a perdu toute identité. L’acceptation de porter le poids d’une
faute qu’elle n’a jamais commise réactive une culpabilité imaginaire écrasante qu’elle
portait depuis toujours et dont elle s’était apparemment défaite grâce à son investisse-
ment professionnel. Elle souffre depuis de spondylarthrite ankylosante.

3-2. Les réactions somatiques


Le désordre économique
L’impact des nouveaux traumatismes professionnels peut, au vu de ce que nous avons
développé plus haut, être résumé ainsi :
––altération des processus de mentalisation : atteinte des processus cognitifs, valorisa-
tion de l’acte et de la technicité au détriment de la pensée, désubjectivation de l’indi-
vidu, perte de sens et d’identité ;
––atteinte fonctionnelle des mécanismes de défense phylogénétiques qui sont le
propre de l’animalité foncière de tout individu : altération de la sensorialité, des
rythmes biologiques, diminution de la motricité, répression de l’agressivité, sollicita-
tion sans cesse renouvelée des processus d’adaptation.
Les répercussions sur la fonction psychosomatique sont ainsi faciles à comprendre :
diminution des expressions psychiques et comportementales au profit des expressions
pathologiques somatiques.

La démentalisation professionnelle
La mentalisation constitue un vecteur fondamental de drainage des excitations
instinctivo-pulsionnelles et donc une voie précieuse pour l’évacuation de la tension
interne. Imaginer le scénario d’une réplique incisive et élaborée à l’encontre de son
supérieur hiérarchique est tout aussi trophique pour l’économie psychosomatique du
sujet que la mise en acte agressive impulsive.
Si le déficit de mentalisation génère une vie opératoire, celle-ci génère à son tour
un déficit de mentalisation. Les sujets pris dans une activité professionnelle répétitive,
routinière ou vide de sens, ceux confrontés à des interruptions, des contradictions et des
333
Traité de médecine psychosomatique

changements incessants, n’ayant d’autres satisfactions que le sentiment de maîtrise, se


démentalisent progressivement.
Un travail démentalisant se caractérise par :
––une perte de sens pour le sujet. Besogne répétitive, nécessitant une activité répres-
sive émotionnelle, fantasmatique ou comportementale, ne faisant pas appel à une
créativité personnelle, entravant tout projet, en contradiction avec les idéaux ;
––un caractère invasif : activité professionnelle envahissant la vie du sujet, laissant en
jachère les autres secteurs psychiques, absence d’évasion du contexte, préoccupations
incessantes de gestion, confrontation à des problèmes réitérés à régler rapidement,
dispersion des taches et des préoccupations.
Un travail mentalisant s’accompagne et se nourrit de :
––créativité : utilisation et valorisation des compétences du sujet au service d’une seule
tâche ;
––projection dans des changements à venir, perspectives articulées avec le désir du
sujet ;
––contexte matériel respectant la sensorimotricité et l’instinctualité foncière ;
––possibilité d’approfondir et de donner du sens à la tache, d’établir des ponts avec
les autres secteurs psychiques, de laisser une place au fantasme, en dehors de toute
urgence ;
––temps de pause permettant à d’autres secteurs de la vie du sujet de s’exprimer ;
––échanges interpersonnels riches ou tout au moins non traumatiques.
Cette distinction critérologique doit toutefois être modulée, sous peine d’induire
une vision schématique et manichéenne de la réalité, propice à toutes les exploitations
et solutions globales dont nous avons longuement mentionné le caractère délétère et
réducteur.
Une besogne a priori démentalisante peut être vécue et accomplie de manière très
mentalisée. Couper des grappes de raisin pendant huit heures dans la froidure du matin,
puis sous l’éclat des rayons solaires de septembre, les reins brisés, les doigts blessés,
n’entrave pas l’évasion psychique, les associations, l’alternance trophique entre moments
de vacuité et de fantasme.
Une activité apparemment mentalisante peut induire un état de démentalisation
caractérisé. Tel surveillant de musée dont l’activité se limite à surveiller le comportement
des visiteurs. Telle adolescente enchaînant de manière effrénée dans la même semaine,
cours de chant, de peinture, de danse, de théâtre et d’équitation.
Les évaluations effectuées chez les médecins stagiaires en deuxième cycle de l’EMP ont
mis en évidence les effets du changement inhérent à la formation : moins de fatigue, moins
d’ennui, moins de répression, plus de plaisir dans le travail, regain d’identité. L’organisa-
tion de leur activité professionnelle était pourtant, d’un point de vue extérieur, identique.

Le sommeil et les rêves


La répression instinctivo-pulsionnelle, la démentalisation, l’atteinte de la sensori-
motricité, la tension anxieuse, vont altérer le sommeil et la vie onirique.
Les difficultés d’endormissement ne sont pas les plus fréquentes. Les sujets ayant
une vie opératoire plongent de manière massive et brutale dans un sommeil dénué de
rêves. Le réveil en milieu de nuit est fréquent, le plus souvent au bout de trois heures de
334
Le travail

sommeil chez les sujets anxieux, plus tard chez les sujets dépressifs, soit accompagné
d’une angoisse indéfinissable, soit dénué de tout affect, de toute émotion. Une préoccu-
pation liée le plus souvent à l’activité professionnelle surgit. Le plus souvent, si l’anxiété
domine, le sujet va se rendormir dans l’heure qui suit, aidé par la privation sensorielle de
la nuit, par paliers successifs. Parfois, surtout lorsque se surajoutent des éléments dépres-
sifs, le ré-endormissement ne suit pas : le sujet se lève, déjeune, s’affaire à quelque tache
domestique, regarde la télévision ou rejoint son bureau. La fatigue est au rendez-vous
tout au long de la journée.
Si le hasard, ou un événement, ou une décision inhabituelle, permet à ces sujets de
voyager ou de prendre quelques jours de vacances hors du contexte professionnel et dans
un lieu favorisant des perceptions nouvelles, passés les premiers jours de récupération, ils
se remettent à rêver.
Les productions oniriques des sujets en état de démentalisation sont le plus souvent
quantitativement et qualitativement diminuées :
––absence de souvenir onirique. L’acharnement dans la maîtrise et la répression réduisent
les productions oniriques et effacent totalement leur souvenir ;
––rêves opératoires peu élaborés se limitant au factuel, à l’actuel, aux restes diurnes :
rêves dupliquant la pensée vigile, mettant en scène le cadre professionnel ;
––rêves stratégiques conduisant à une élaboration intellectuelle permettant de trouver
des solutions à certaines difficultés. Ces rêves, précieux mais peu fréquents, peuvent,
bien que construits selon des processus secondaires, amorcer un processus de
rementalisation ;
––rêves de décharge pulsionnelle. Les pulsions réprimées à l’état diurne surgissent la nuit,
en l’absence de leur contrôle. La décharge peut être brutale, réveillant le sujet (rêves de
combat, de catastrophes, de disputes, d’explosions), ou plus progressive, mettant en
scène des représentants pulsionnels (animaux, véhicules non maîtrisés, etc.). Dans les
scènes oniriques, les anxieux sont victimes, les déprimés agresseurs ;
––rêves à contenu professionnel. Les rêves mettant en scène la vie professionnelle sont
souvent peu élaborés : scène se déroulant au travail, réactualisant les conflits, rêves où
se reproduit de manière à peine déguisée la réalité traumatique (rejet, mise au placard,
accès impossible au lieu de travail, culpabilité de ne pas avoir repris le travail, etc.).
Ces rêves, reflets de problématiques actuelles, sont d’un intérêt clinique évident
lorsque nous sommes confrontés à des patients pris dans des difficultés diverses où se
mêlent facteurs professionnels, affectifs, matériels, etc.

La répression de l’agressivité
En matière de travail, les situations ne manquent pas où le sujet doit se contenir en
réprimant son agressivité, soit du fait des exigences extérieures, soit par crainte de perdre
son statut, son travail ou l’estime de l’autre, soit du simple fait de ses idéaux personnels.
Le travail favorise la répression
Il n’est pas naturel de travailler, sauf lorsque l’activité concernée est destinée à satisfaire
un plaisir ou bien lorsqu’elle vise à répondre à un instinct : tisser sa toile, construire son nid.
En dehors de ces cas, même le travailleur indépendant le plus enthousiaste doit quelque
peu « s’arracher » de la torpeur de sa couette pour rejoindre son bureau ou son atelier.
335
Traité de médecine psychosomatique

Dans tout travail, il y a un quantum de contrainte, aussi minime soit-il : contrainte horaire,
contrainte de résultat, contrainte imposée par le chef, le client. C’est dire que le sujet doit
réprimer quelque chose en lui, qui est de l’ordre de la poussée instinctivo-pulsionnelle.
La répression dans le travail favorise la répression dans la vie privée
L’activité répressive fait appel à des mécanismes psychiques, comportementaux ou
émotionnels qui s’automatisent, s’autoconditionnent et s’autonomisent à la longue. Ceci
a deux conséquences :
––au bout d’un certain temps, le sujet ne sait plus qu’il est en état de répression ;
––la répression dans un secteur de la vie psychique tend à s’étendre dans d’autres
secteurs.
™™ Sandra, commerciale, ne s’effondre jamais. Aucun déboire dans sa vie profession-
nelle ou privée n’altère son masque jovial et ses propos animés d’une certitude à toute
épreuve. « Pas d’souci, ça se gère, je fais ce métier parce que j’aime les gens, etc. » Devant
cette triade consensuelle, le diagnostic de répression est facile. Très belle femme, Sandra
est harcelée sexuellement par ses chefs successifs. Elle « gère ». Elle est mutée. « Ce n’est
pas grave, elle aime toujours les gens. » On trafique ses dossiers. « Pas d’souci. » Dans
ce contexte qui s’aggrave, son père décède brutalement. Pas de réaction. Gestion. Pas
d’souci. Amour des gens. Dépression essentielle.

Les cibles somatiques


Il y a lieu de distinguer les pathologies de la répression non spécifiques du type d’acti-
vité professionnelle et les pathologies dans lesquelles la cible somatique est sollicitée dans
le travail.
Cibles somatiques aspécifiques
La répression de l’agressivité induit ici des désordres physiologiques qui affectent des
cibles en relation avec :
––soit l’ornière phylogénétique. Les pathologies sont celles du syndrome général
d’adaptation. C’est le cas par exemple d’une dépression, de l’hypertension artérielle
essentielle ;
––soit l’ornière individuelle. Les pathologies portent alors sur un système
anatomofonctionnel ayant fait l’objet de fixations somatiques ou psychosomatiques
antérieures, comme par exemple une maladie inflammatoire digestive, ou bien ont un
déterminisme génétique individuel, par exemple un diabète que la répression révélera.
En aucun cas, la cible n’est l’objet d’une sollicitation spécifique lors de l’activité profes-
sionnelle.
™™ Depuis deux ans, l’activité professionnelle de Laurianne est bouleversée : nouvelle
équipe dirigeante aux avis divergents et contradictoires, changement d’organisation, de
logiciel, dispersion des tâches, interruptions d’activités, rythme endiablé. Dernier événe-
ment : le décès d’une très bonne collègue de travail qui est remplacée par deux personnes
qui ne s’entendent pas. Laurianne encaisse, tente de s’adapter et s’épuise. Les rêves récur-
rents confirment le vécu traumatique professionnel : elle est dans son bureau, les gens
ne la voient pas, ou bien elle arrive sur le lieu de son travail et la porte de l’immeuble est
fermée. Des traumatismes dans sa vie privée ont aussi ponctué ces deux années diffi-
336
Le travail

ciles : inondations, décès d’un beau-frère, sœur atteinte d’un cancer, anorexie chez sa fille.
Face à ces événements, Laurianne réagit de manière identique : elle s’adapte, fait front,
continue sa route. Sa tension artérielle moyenne est à 18/11 malgré les traitements. Seule
une dépression d’épuisement et un changement de poste de travail en permettront la
normalisation.
Cibles somatiques à déterminisme professionnel
Il s’agit de pathologies dans lesquelles la cible somatique est directement impliquée
et sollicitée par l’activité professionnelle. C’est le cas des pathologies de la motricité qui
apparaissent dans un contexte général de répression de l’agressivité et sont déclenchées
par une sollicitation mécanique lors du travail.
La cible somatique induite par la répression des représentations motrices agressives
est le plus souvent celle qui est sollicitée lors du travail, par exemple dans les activités de
manutention. Le territoire musculaire, tendineux et articulaire sollicité est la cible privi-
légiée de la décharge de l’excitation. La répression étant un concept clinique ignoré de la
plupart des professionnels du soin, on comprendra que la sollicitation mécanique soit
incriminée comme seule cause des symptômes. C’est ainsi qu’en médecine du travail a
été créée l’entité « troubles musculo-squelettiques » (TMS), dont le traitement repose
essentiellement sur l’ergonomie. Tel un éclair, l’atteinte motrice confirme le lieu de l’orage,
mais depuis longtemps le tonnerre grondait. La dimension lésionnelle sera confirmée et
surévaluée si des altérations anatomiques se révèlent à l’imagerie.
Lorsque la répression des sentiments de défaite se surajoute, que l’épuisement
s’instaure, les localisations intéressent plus particulièrement la région lombaire, voire
pelvienne : il en est ainsi de la lombalgie aiguë dans les suites du soulèvement d’une
charge. Les rémissions et les rechutes sont rythmées par les désordres de l’excitation.
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) correspondent aux pathologies ab-arti-
culaires de la terminologie classique : tendinites, périarthrites, bursites, ténosynovites,
syndrome du canal carpien, pathologie musculaire périarticulaire. La fascination par le
sigle étend le terme aux pathologies rachidiennes.
Le sigle TMS induit des représentations immédiates réductrices : seuls les muscles et
les os seraient en cause. Il n’y a donc qu’à chercher de ce côté-là, les autres détermi-
nants s’en trouvant exclus. L’ancienne appellation « troubles ostéoarticulaires » n’offrait
guère mieux car, dans les TMS, les muscles sont au moins présents. Mais les troubles
ostéoarticulaires n’ont pas fait l’objet d’un sigle manipulable qui clôt le questionnement
et exclut le sujet.
™™ Babeth, 40 ans, aide soignante, a présenté un épisode de lombalgie il y a un an
en soulevant un malade. Elle attribue cela au fait qu’il n’y avait pas le matériel adéquat.
Son médecin l’aurait fait reprendre sans l’avoir examinée et la responsable de l’organisme
refusa d’alléger ses tournées.
Deux mois après, rechute en soulevant un autre patient. Anti-inflammatoires, infil-
trations, antalgiques, antidépresseurs, électrostimulations, ostéopathe, kinésithérapie,
magnétiseur, centre antidouleur, formation en ergonomie. Le neurochirurgien contre-
indique l’intervention et confirme l’absence de lésion. Le médecin du travail pense qu’elle
est apte au travail.
337
Traité de médecine psychosomatique

Dans la semaine qui avait précédé le premier épisode, elle était en conflit avec son
employeur. Dans la semaine qui précéda le second, elle se fâcha avec sa sœur.
Babeth est une innocente victime des autres qui lui veulent du mal. De son côté, elle
ne se remet jamais en cause, ne renonce à rien. Elle copule bruyamment avec son mari
alors que son fils fait ses devoirs dans la pièce à côté et trouve ça normal et légitime. « Il
n’a qu’à se mettre des boules Quiès ! » Il y a ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, selon ce
qu’elle décide, selon ce qui l’arrange. « Moi, je suis comme ça ! » Malgré mes suggestions,
elle n’arrive pas à aller au-delà. Désert fantasmatique, vide imaginaire sidéral. Névrose de
caractère dans lequel le moi idéal règne en maître. Le mode de pensée binaire et l’absence
de conflit névrotique participent à la démentalisation. L’agressivité a deux destinées : la
répression (responsable des douleurs) ou la projection (succession de persécuteurs). Elle
vient parce que « c’est pris en charge », sinon elle ne viendrait pas « parce que ça ne sert à
rien ». La mère était intraitable avec elle et laissait tout passer au petit frère.
™™ Anna, 58 ans, sans enfants, est patronne d’une boutique de décoration. Elle est
très attachée à son employée, Mélodie, une jeune femme en laquelle elle place beaucoup
d’espoir et à laquelle elle reconnaît mille qualités. L’ambiance à la boutique est très
agréable et Anna, reconnaissant le travail et le dévouement de Mélodie, est très atten-
tionnée et généreuse à son encontre. Plusieurs fois, Anna a amené la jeune femme choisir
les collections de la saison prochaine, lui faisant une totale confiance quant à ses choix
et sa fiabilité. Souvent, elle accorde à son employée la possibilité de partir plus tôt ou de
modifier ses horaires à sa convenance. Anna doit alors la remplacer à la boutique mais
peu lui importe car elle est heureuse de cette atmosphère « familiale ». Depuis quelque
temps cependant, la boutique décline… Choix malheureux du maire de la ville quant
à l’aménagement du centre-ville et puis peut-être… L’employée gère les commandes…
Mais non, cela ne peut pas être elle… Anna a une totale confiance en la jeune femme…
Elle voudrait lui offrir plus car elle voit bien que Mélodie souhaite plus…
Un jour, alors que la boutique vit une période financière très difficile, Anna demande à
son mari, profession libérale, de s’investir dans la boutique afin que Mélodie ne connaisse
aucune répercussion salariale. Mélodie annoncera pourtant à Anna qu’elle la quitte dès
le lendemain pour un autre employeur qui lui propose un salaire supérieur. Anna sourit,
lui souhaite bonne chance… La nuit suivante, Anna se réveille brusquement : « Quand
même, quatre années partagées pour être traitée ainsi ! Laissée au moment des pires diffi-
cultés ! » Immédiatement, elle s’en veut. Pauvre Mélodie, elle mérite un avenir meilleur !
Anna se lève et fait le ménage de son appartement. Le lendemain, elle nettoie l’intégralité
de la boutique. Et puis elle se bloque le dos… Sciatique… Alitement… Proposition d’opé-
ration par le chirurgien consulté… Anna serre les dents et garde le sourire.

4. LE HARCÈLEMENT PROFESSIONNEL


Le harcèlement moral professionnel procède de la même manière que le harcèlement
moral. On retrouve des profils similaires chez l’agresseur et chez la victime. Il comporte
toutefois des spécificités qui lui sont propres, du simple fait qu’il existe des règles, des
directives, des conventions professionnelles, une hiérarchie et donc une asymétrie
relationnelle inévitable, et que la médiatisation du problème, puis la législation s’en sont
mêlées.
338
Le travail

Le harcèlement professionnel, outre l’atteinte à la personne qu’il induit, est susceptible


de « mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail » (Hirigoyen, op. cit.).
La notion de harcèlement professionnel a été, depuis 1998, date de la parution du livre
d’Hirigoyen, l’objet d’une extensivité et d’un glissement sémantique. Dans le livre d’Hiri-
goyen dont je me suis encore une fois inspiré pour traiter de ce thème, le harcèlement
professionnel était, à l’instar du harcèlement dans la sphère privée, le fait d’une malignité
particulière de l’agresseur, d’une intentionnalité consciente et délibérée de détruire.
Depuis, dans le monde professionnel, la notion de malignité s’efface au profit de la notion
d’absence de maîtrise. C’est un phénomène général qui caractérise l’évolution sociale de
ces dernières décennies. L’homme ne se doit pas d’être bon, il se doit d’être maître de tout.
En tant que psychiatre, lorsque nous recevons un salarié qui, du fait de circonstances
internes ou externes à l’entreprise, se retrouve en difficulté ou en souffrance dans son
travail, nous essayons de comprendre ce qu’il en retourne d’un point de vue de la réalité
extérieure, de son vécu, et de l’articulation de celui-ci avec la réalité psychique du sujet. Si
les origines des difficultés se situent à un niveau organisationnel interne, nous ne pouvons
que lui conseiller de s’en référer aux instances de son entreprise et de consulter le médecin
du travail, voire un avocat. Ici se termine le travail du psychiatre.
Notre travail reprend du sens si le sujet, en l’absence de dysfonctionnement organi-
sationnel interne, souffre dans sa relation intersubjective avec les autres, soit de son fait,
soit du fait de la malignité avérée ou potentielle de l’autre, soit du fait des deux. Notre
travail concerne l’intersubjectivité qui met en scène l’agresseur, le processus relationnel
et la victime.

4-1. L’agresseur
Les formes mineures
Il existe des formes mineures le plus souvent liées à des contextes transitoires de diffi-
cultés. Les mouvements d’humeur peuvent s’accompagner de réprobation, de rudoie-
ment, de propos colériques, voire de remarques dévalorisantes, de mises en garde, ou de
sanctions. Ces réactions, le plus souvent d’un supérieur hiérarchique, sont résolutives et
font à terme l’objet d’un dialogue, d’excuses, de solutions adaptées.

L’abus de pouvoir
Il est vite démasqué car l’affrontement y est direct et constant. Il s’agit d’un supérieur
hiérarchique qui écrase les autres, et le plus souvent tous ses subordonnés.
C’est la tyrannie du grand chef ou, plus souvent, du petit chef. La soumission est
obtenue par la force et non la séduction. L’agresseur exerce une pression constante sur
son subordonné : exigence de soumission, d’obéissance, culpabilisation. La tyrannie
peut parfois se manifester par des manifestations clastiques avec propos dégradants ou
phrases assassines. La peur règne dans le service et confine à la paralysie certains sujets.
Soit il s’agit d’un paranoïaque, soit d’un sujet voulant compenser sa fragilité identitaire,
soit d’un intermédiaire hiérarchique qui déplace sur ses subalternes l’agressivité qu’il n’a
pas pu exprimer à l’égard du supérieur.
Les victimes ne sont pas isolées et peuvent exprimer entre elles leurs récriminations,
ce qui constitue un exutoire mais aussi un potentiel renforçateur de la crainte collective.
339
Traité de médecine psychosomatique

La manipulation perverse
Elle est, comme nous l’avons vu, plus insidieuse. L’affrontement n’est jamais direct.
Obtention du pouvoir par la séduction, l’influence, l’emprise, mais aussi par l’intrigue et le
calcul. Ici, la soumission de l’autre ne suffit pas, il faut s’approprier sa substance et en jouir.
Mensonges, ordres incohérents, non-dits, création de rivalités. L’originalité, la créati-
vité, l’identité, l’initiative d’un sujet, doivent être dissoutes.
™™ Diane, 27 ans, a quitté Paris il y a deux ans et demi pour venir travailler dans la
région comme styliste dans une petite entreprise de confection. La distance géographique
aura raison de la relation avec son compagnon. Malgré cela, Diane s’investit énormément
dans son travail qui la passionne. Son patron lui a promis une augmentation, une évolu-
tion dans sa carrière, mais il ne se passe jamais rien, il fuit toute confrontation, il répond
à côté, il est impossible de lui parler. Il s’adresse à ses employés comme à des chiens, il ne
tient jamais ses promesses. Mais Diane aime toujours son travail car elle a une excellente
relation avec sa directrice. Hélas, il y a neuf mois, celle-ci a était déclarée inapte au poste
de travail du fait d’une dépression. Le successeur de la directrice, fraîchement pacsé avec
le patron, ne gère rien du point de vue administratif et s’autoproclame directeur artis-
tique. Il supprime toute dimension créative au travail de Diane, ne valide plus ses projets
et ses réalisations. Elle se retrouve à faire de la copie ou à exécuter des besognes qu’il lui
dicte avec affectation, préciosité et grandiloquence. Comme avec le patron, elle est désar-
mée, car il a toujours raison, il ment et récupère ses dires par des pirouettes agrémentées
de citations littéraires. Mise au placard. Succession de somatisations depuis neuf mois :
infections, douleurs.

4-2. Le processus
Le processus débute lorsqu’un événement induit une défection chez la future victime :
grossesse, maladie, faute. De toute façon, elle était déjà désignée comme coupable.

Disqualification
Le harcèlement débute par une dévalorisation, un discrédit. Messages verbaux mais le
plus souvent non verbaux : évitement du regard, réaction motrice d’agacement, négation
de la présence de l’autre, humiliations, ridiculisation, propos dégradants ou injurieux.

Confusion
Le but est ensuite de retirer tout sens critique afin que la victime ne sache plus qui a
tort et qui a raison. Ne donner aucune explication, ne pas nommer le problème, refuser
le dialogue.

Isolement
Le sujet est ensuite volontairement isolé du groupe : exclusion des réunions, induction
de conflits entre la victime et ses pairs, étiquette, surnom qu’utilise parfois le groupe, mise
en quarantaine, mise au placard.

Mise en place de stratégies meurtrières


Privation de toute information hormis des notes de service souvent contradictoires,
privation d’outils de travail, suppression de taches, espionnage, accentuation de la
340
Le travail

pression, attribution de fonctions subalternes, de taches inutiles ou dégradantes, d’objec-


tifs impossibles à atteindre, et pour finir pousser à la faute.

4-3. La victime
Le plus souvent, les victimes sont des sujets qui ont une conscience professionnelle
évidente, et investissent particulièrement leur travail.
Dans un premier temps, la victime ne se formalise pas, puis les attaques se multiplient
pendant une longue période : répétition des vexations, des humiliations, des brimades.
On oublie les qualités antérieures de la victime, son investissement initial. La blessure
narcissique est installée.
La confusion et l’isolement portent atteinte au système de pensée et à la réactivité de
la victime, qui perd ses repères, ses capacités défensives, son efficacité.
Alternance de soumission croissante et de soubresauts désespérés de rébellion. La
soumission aggrave la pathologie, la rébellion aggrave le harcèlement en confirmant le
bien-fondé de ce dernier.
La honte et la culpabilité surgissent. Honte de ne pouvoir se défendre car, surtout de
nos jours, il faut gagner. Culpabilité de faillir ou tout simplement d’être mis en accusation :
« Qu’est-ce que j’ai pu bien faire pour qu’ils en arrivent là ? » Culpabilité qui inhibe à son
tour la réaction défensive.
Peu à peu, la situation devient traumatique, puis le travail, un cauchemar (aux deux
sens du terme). Le sujet peut alors réellement faire preuve d’incompétence. L’agression
déstabilise la victime dont les mécanismes défensifs vont à leur tour accentuer l’agression.
La peur entraîne chez la victime des comportements pathologiques qui serviront d’alibis
à l’agresseur. Poussée à bout, la victime devient ce qu’on lui reproche.
C’est l’histoire d’un sujet qui s’est cru idéalisé alors qu’il n’était que le miroir du narcis-
sisme de l’autre. Sujet devenu un instrument inerte, puis inutilisé, et enfin fécalisé. Amour
déçu pour avoir failli à sa fonction de soumission inconditionnelle.

4-4. Formes cliniques selon les situations


La forme type que nous venons de décrire est un harcèlement vertical descendant,
l’agresseur étant le supérieur hiérarchique, la victime, un subordonné. Deux autres formes
cliniques méritent d’être mentionnées car elles sont fréquentes : le harcèlement horizon-
tal et le harcèlement vertical ascendant.

Harcèlement horizontal
L’agresseur, de niveau hiérarchique similaire, est un individu ou plusieurs individus, ou
encore le groupe.
La victime est souvent :
––celui qui est différent : femme dans un groupe d’hommes (grivoiseries, obscénités
devant le groupe qui se gausse), sujet diplômé d’études supérieures, sujet ayant de
bonnes manières, et de manière générale tout sujet qui n’adopte pas le système défen-
sif collectif ;
––celui qui a des qualités qui suscitent l’envie : qualités intellectuelles ou physiques,
jeunesse, aisance, argent, tenue vestimentaire.
341
Traité de médecine psychosomatique

Dans d’autres cas, le harcèlement est induit par :


––des inimitiés personnelles,
––la compétitivité : se faire valoir au détriment de l’autre.
Les supérieurs n’interviennent pas. Le soutien d’un supérieur peut accentuer les ragots
et les attaques. De nombreux chefs ne sont pas formés à gérer ce genre de situation.

Harcèlement vertical ascendant


––Nouveau venu qui ne sait pas s’adapter ou s’imposer.
––Ancien collègue ayant eu une promotion.
™™ Matthieu, 38 ans, célibataire, ancien compagnon serrurier, est technicien, chef
d’équipe depuis trois ans dans une concession automobile. L’équipe en question, très forte-
ment soudée par un esprit à la fois syndicalo-tire-au-flanc et footballo-tauromachico-rin-
cette, n’a pas vu d’un très bon œil l’arrivée de ce jeune sorti d’un IUT, qui plus est du Nord,
avec des lunettes (ça passe encore), passionné d’astronomie (là, ça ne va plus !) qui venait
remplacer Jacky, parti à la retraite, Jacky, qui savait fermer les yeux quand il fallait ou nous
houspiller comme un homme, un vrai (sans lunettes), quand on poussait un peu trop le
bouchon (car il faut ce qu’il faut quand il faut, c’est comme de tout…). Matthieu donc
en a pris plein la gueule (toute autre expression serait une insipide paraphrase), plein la
gueule pour avoir voulu rester fidèle à une éthique du travail qui n’excluait pas celle du
respect de l’autre, plein la gueule pour pas un rond depuis quelques mois, car, isolé dans
la région, il n’a pas eu de soutien et a préféré démissionner plutôt que de perforer un
diverticule.
Curieusement, ce type de harcèlement n’entre pas dans le cadre juridique du harcèle-
ment moral…

Harcèlement sexuel
La forme la plus classique est celle de la victime harcelée sexuellement par son
supérieur hiérarchique. Ce qui se joue en fait, plus qu’une exigence de relation sexuelle,
est l’affirmation d’un pouvoir, le déni de l’altérité, la négation du sujet, le viol psychique.
™™ Adeline a 30 ans. Elle est belle et dévouée dans le travail de secrétaire qu’elle effec-
tue dans une entreprise de téléphonie depuis quatre ans. Initialement, le patron est
extrêmement gentil et attentionné à son égard, la console dans ses petits déboires senti-
mentaux avec des garçons qui, selon lui, ne la méritent pas. Un état de dépendance affec-
tive s’est instauré, d’autant que le papa d’Adeline, divorcé de la mère, ne donne plus signe
de vie. Cette proximité relationnelle s’accompagne de plaisanteries grivoises qu’elle élude
les premiers mois, mais qui finissent par la gêner avec le temps, et l’incommoder plus
particulièrement lorsque ces plaisanteries se produisent en présence de tiers masculins,
commerciaux de leur état, qui surenchérissent grassement. Au bout d’un an, Adeline est
tendue, mais ne dit rien. Les apéros auxquels elle est obligée de participer l’insupportent,
des crises de spasmophilie apparaissent, puis une anaphrodisie à l’égard de son compa-
gnon, ainsi que des troubles du sommeil peuplés de cauchemars mettant en scène le
travail. Un an après, Adeline est dépressive. Un beau jour, son patron, en conversation
téléphonique avec un client, décrit à celui-ci avec de truculents détails ce qu’il imagine
de l’anatomie d’Adeline. Dans l’heure qui suit, le benêt qui était à l’autre bout du fil surgit
342
Le travail

dans l’entreprise et, langue pendante et sourire de carnassier, dégaine à Adeline un chape-
let de douceurs pornographiques. Elle quitte son poste, livide et tremblante, tombe sur
le patron qui passait par hasard et qui, voyant sa mine déconfite, la serre paternellement,
dirons-nous, dans ses bras. Se défaisant de l’étreinte, elle part en courant et démissionne.
Des tiers bien intentionnés lui enjoindront de renoncer à cette décision et de déclencher
une procédure. Dont acte. La direction nationale intervient : il est hors de question que
la réputation du patron soit entachée. On fait passer successivement Adeline pour hysté-
rique, allumeuse, persécutée. Elle finira par obtenir gain de cause au prix d’un psoriasis.
™™ Albert occupe depuis longtemps un poste de haute responsabilité dans une collec-
tivité territoriale. Il fait partie de la jet-set, est adulé par la plupart de ses collaborateurs,
excepté deux directeurs qui briguent son poste de prestige. Accusé de harcèlement
sexuel, il lui a été enjoint de consulter un psychiatre. Je m’attends à voir un homme sûr
de lui, c’est une loque humaine qui pénètre dans mon cabinet. Les plaintes ont eu lieu
dans les mois qui ont suivi son pénible divorce et le décès de ses parents. Effectivement,
il fonctionnait en bon papa protecteur, aimant bien le contact physique chaleureux, un
peu trop. Certaines ont dû s’en lasser car Albert, s’il est charismatique, n’a rien d’un séduc-
teur. Il est gentil mais terriblement collant, gluant. Il veut qu’on l’aime. Dans l’enquête
demandée par le juge, rien n’a été rapporté qui puisse faire évoquer chez ce nourrisson
en préretraite des manifestations agressives patentes telles que chantage ou contrainte, il
n’y a eu aucune relation sexuelle avec les plaignantes. Tout au plus a-t-il invité une de ses
secrétaires à venir l’écouter parler de ses peines dans sa chambre d’hôtel. La psychanalyste
improvisée, n’en pouvant plus, finit par s’assoupir dans le fauteuil, et lui s’endormit de son
côté sur son grabat. Elle repartit à pas de loup pour ne pas déranger bébé, et hélas tomba
sur son mari qui l’attendait dans le couloir. Ce petit événement s’ajouta aux papouilles
oblatives bien connues d’Albert, et à de suaves conspirations de la part des deux direc-
teurs cités plus haut, ce qui eut pour effet de créer un silence pesant au siège social qu’il
dirigeait encore pour peu de temps. Silence rompu un matin de mai par l’irruption des
forces armées qui le conduisirent chez le juge. Malgré ses capacités de travail, son esprit
d’initiative et une bonne culture, Albert rentre dans l’entité nosographique bien connue
des couillons boursouflés, ce que confirma son insurrection langagière au tribunal et,
pour clore le tout, sa décision d’aller participer en témoin masqué, mais toutefois harce-
leur, à une de ces émissions de téléréalité qui suscitent les fantasmes les plus torrides
chez les téléspectateurs les plus désespérés. Ses propos furent vite récupérés, déformés,
tronçonnés, inversés par le bellâtre au micro de service, défenseur du bien et pourfendeur
du crime, et le poupon Albert, n’ayant rien compris au film, rentra content de lui en TGV
vers sa province. Il prit deux ans avec sursis, une amende substantielle, fut mis au placard,
n’eut plus de contact avec ses deux filles, rasa les murs de son village, et développa, six
mois plus tard, un cancer du colon.

4-5. Diagnostic différentiel
™™ Olga, 37 ans, est commerciale dans une entreprise de transports. Elle a porté plainte
pour harcèlement moral. L’anamnèse révélera le bien-fondé de sa démarche. Restructu-
ration de l’entreprise il y a trois ans, pas de place pour trois commerciaux. C’est elle qui
343
Traité de médecine psychosomatique

va subir une salve propédeutique de coups de poignard : remise en cause de sa compé-


tence, puis de sa personnalité, puis de ses résultats habilement sous-évalués par le biais
de manigances douteuses, mise au placard progressive, bulletins de salaire adressés en
d’autres lieux, etc. Combat, lutte, défaite, dépression, poussées d’acné, désordres thyroï-
diens, insomnie, cauchemars. Arrêt de travail. Reprise du travail : ses affaires sont dans un
carton. Arrêt de travail. Plainte.
Les faits sont réels, et les qualités professionnelles d’Olga ne sauraient être mises en
doute. Il s’agit bien d’une exécution programmée.
Ma conviction, qui persiste encore, du bien-fondé de son dépôt de plainte, n’évita pas
une sensation de fatigue particulière que je ressentis à l’issue de l’entretien. Olga, logor-
rhéique, était certes dans une dynamique de combat que sa décision lui avait restituée,
mais son discours était pour une part défensif, sur un mode obsessionnel, pour une part
peu mentalisé, fixé sur le détail, l’anecdote, la preuve. Il me fut très difficile de l’amener sur
le terrain du ressenti, de l’affect, de la vie, de sa vie en fait.
Au deuxième rendez-vous, elle m’enjoint qu’il fallait que la séance s’arrête à moins
cinq, car elle avait un autre rendez-vous. La fin de la séance fut clôturée par un « on
va en rester là pour aujourd’hui », non pas de la bouche du psy, mais de la plaignante.
L’entretien m’avait toutefois permis de repérer un antécédent de plainte pour harcèle-
ment sexuel dans une autre entreprise, un investissement massif professionnel dans les
suites d’une consultation chez un gynécologue qui lui avait révélé sans appel une stéri-
lité, mais aussi un inceste, bref… Les hommes sont dangereux, il faut s’en méfier et les
combattre avant qu’ils n’aient le dessus. On peut comprendre que ces hommes se sentent
menacés dans leur pouvoir séculier et qu’ils réagissent. Mais rien ne saurait justifier une
mort programmée.

4-6. Pathologies induites par le harcèlement moral


Pathologies mentales
––Troubles anxieux.
––Troubles du sommeil. Rêves récurrents mettant en scène le travail.
––Troubles du caractère : irritabilité, nervosité.
––Syndrome psychotraumatique : les réminiscences génèrent une recrudescence des
symptômes.
––À terme, manifestations dépressives. Perte d’élan vital, sentiment de vide, inappé-
tence, asthénie, pleurs, désintérêt, difficultés pour penser ou se concentrer, idées suici-
daires.

Désordres des conduites et du comportement


––Addictions, alcoolisme, toxicomanies, boulimie.
––Pharmacodépendance.

Pathologies somatiques
––Maladies de la répression de l’agressivité : céphalées, douleurs rachidiennes, désordres
glycémiques, maladies inflammatoires.
344
Le travail

––Somatisations anxieuses : palpitations, oppression, troubles du sommeil, douleurs


abdominales, hyperexcitabilité neuromusculaire, pathologie spasmodique viscérale,
dermatoses.
––Somatisations dépressives 
: syndromes douloureux, désordres immunitaires,
désordres hormonaux.

4-7. Le contexte, la structure et l’entourage


La société
La société d’aujourd’hui s’intéresse plus aux agresseurs qu’aux victimes. La victime est
faible, perdante, disqualifiée. Le sujet qui culpabilise est méprisable. L’agresseur fascine.
Le sujet dénué de sentiment de culpabilité, le rebelle, l’insoumis, le « battant », la petite
frappe, sont adulés. Dans un système qui fonctionne selon la loi du plus fort, du plus
malin, les pervers sont rois. Sous prétexte de tolérance, les sociétés occidentales ont
renoncé à leurs interdits.

Les tiers
Les collègues se tiennent le plus souvent à l’écart et finissent par accepter que l’un
d’entre eux soit l’objet de harcèlement.
Si les tiers sont eux-mêmes sous influence de l’agresseur, ou bien s’ils ne peuvent
ou ne veulent s’en séparer, ce qui est le plus souvent le cas, ils ne seront d’aucune aide.
Leurs commentaires attestent de leur choix de ne point prendre parti, ou encore de leur
dévotion inconditionnelle, voire de leur aveuglement : « Tu l’as pris à rebrousse poil… Il
est comme ça… Tu devrais être moins… ou plus… » Ou bien : « On ne veut pas être mêlé
à ça. »
La hiérarchie n’intervient pas, fait la sourde oreille. Si l’entreprise est complaisante à
l’égard de ce type de fonctionnement, la perversion s’étend, fait des émules. À l’exemple
de notre société actuelle qui crée de la perversion du simple fait qu’elle est perverse.
Ce n’est que la présence ou la survenue inopinée d’un tiers extérieur qui permet d’éclai-
rer d’un jour nouveau la situation. Ce dernier est le plus souvent terrifié de voir ce qui se
passe. Lorsqu’il en fait part à la victime, celle-ci se sent apaisée.

La structure
Du fait de la crainte de perdre son travail, le sujet salarié d’une entreprise subit plus
qu’ailleurs et plus qu’avant.
Dans les administrations, les sujets ne sont pas épargnés mais la menace de perdre son
emploi est moindre. L’issue du harcèlement est plus torpide : démotivation, désinvestis-
sement, arrêt de travail de longue durée.
Certaines situations favorisent le harcèlement :
––restructuration, nouvelle direction ;
––groupes de travail sous pression ;
––compétitivité ;
––objectifs à atteindre quelles qu’en soient les conséquences ;
––organisation délétère : mauvaise définition des rôles, désinformation, absence de
concertation ;
345
Traité de médecine psychosomatique

––utilisation de la corde affective ;


––changements de poste pour éviter la prise de pouvoir ;
––rejet de l’originalité et des initiatives personnelles, nivellement par le bas ;
––utilisation délibérée d’un pervers bien connu pour harceler les employés ;
––collusion entre plusieurs persécuteurs, ce qui décuple leur force.

4-8. Traitement
Psychothérapie
––Il faut éviter tout autant le psychothérapeute formé sur le tas, qui ignore tout de
l’inconscient, fonctionnant dans la séduction et la toute puissance, que le psychana-
lyste muet, froid et castrateur. Tous deux ne font que dupliquer le fonctionnement du
pervers.
––La victime doit, dans un premier temps, prendre conscience qu’elle est victime d’un
pervers, que celui-ci est dangereux et malveillant.
––Repérer les tactiques et le mode de fonctionnement du pervers pour déjouer ses
agressions.
––Repérer aussi ce qui vient de la victime, de sa propre vulnérabilité, de sa difficulté
à se défendre. La conflictualité intrapsychique et ses origines ne seront abordées que
lorsque le sujet sera sorti de l’emprise et aura retrouvé sa capacité à penser et à se
défendre. Centrer d’emblée sur l’intrapsychique au détriment du traumatisme réel
reproduit l’isolement de la victime. Secondairement, lorsque le patient est sorti de
l’emprise, tisser des liens entre la situation récente et les traumatismes antérieurs.
Suggestions et propositions en ce qui concerne le harcèlement professionnel
––Jouer l’indifférence, garder le sourire et répondre avec humour, mais sans en rajouter
dans l’ironie. Ne pas manifester d’agressivité. Rester irréprochable sur le plan profes-
sionnel. Être très exigeant sur la précision des consignes, faire préciser les messages
flous.
––Accumuler les preuves, noter ce qui se passe, ce qui se dit, chaque agression. Avoir
recours, si cela se peut, à des témoins.
––Trouver de l’aide auprès de quelqu’un au sein de l’entreprise.
––Rendez-vous avec le médecin du travail.
––Mesures actuelles : le salarié peut saisir un médiateur externe à l’entreprise, le Comité
d’hygiène et de sécurité ou les délégués du personnel.
––Arrêt de travail. Mais : « Si je m’arrête, cela va être pire ! On va me le faire payer ! » La
peur fait tout accepter.
Lorsque la rupture est consommée, des procédures judiciaires peuvent être engagées,
en sachant qu’elles vont jouer un rôle re-traumatisant systématique, source de troubles
et obstacle à un redémarrage existentiel et professionnel. Ce qui est important, c’est que
le sujet ait été reconnu comme victime. Aller plus loin expose à la prolongation de la
souffrance.

346
Le travail

Psychotropes
Les psychotropes doivent être utilisés avec parcimonie et à bon escient, se limitant
autant que se peut à maintenir le sommeil. Les antidépresseurs ne doivent être utilisés
que lorsque les mécanismes de défense sont altérés.

D’un point de vue interne à la structure


L’idéal serait l’intervention systématique d’un tiers. Les responsables devraient inter-
venir en cas de harcèlement moral. Une information, si ce n’est une formation, paraît la
condition de base. Les revendications de syndicats sont malheureusement essentielle-
ment à but matériel.

4-9. Les dérives
La reconnaissance du harcèlement moral ou sexuel en tant que réalité clinique et fait
susceptible de procédure judiciaire a eu le mérite de se poser en garde-fou contre de
fréquents abus et l’inconvénient de générer des excès d’un autre type. Si les différentes
situations caractéristiques du harcèlement moral, ses différentes étapes, les mécanismes
et les profils de personnalité en cause, ont fait l’objet d’analyses précises, en pratique, on
se trouve confronté à des situations toujours difficiles et ceci pour deux raisons : d’une
part, la présence d’un problème juridique en cours compromet toujours la psychothé-
rapie et, d’autre part, la plupart des intervenants et le plus souvent le sujet lui-même
tendent à occulter les facteurs traumatiques privés.
Si, dans le vrai harcèlement, l’intervention de tiers symboliques est une nécessité
absolue (juridiques, amicaux, professionnels), l’utilisation de la loi à des fins personnelles,
matérielles, idéologiques, politiques ou médiatiques, constitue une dérive dangereuse
potentiellement destructrice à l’égard de coupables désignés. Le thérapeute doit en avoir
une conscience de tous les instants et s’efforcer de s’abstraire de tout ce qui peut parasiter
sa clairvoyance.

5. LE « BURN OUT »


5-1. Définition
Le syndrome d’épuisement professionnel, appelé burn out, consiste en une perte de
motivation d’une personne pour son travail lorsque celui-ci n’a pas permis d’obtenir les
résultats escomptés, survenant souvent, en moyenne, après un an d’activité.
Burn Out Syndrome (BOS) : « syndrome de la brûlure intense ». Burn out : « s’user, s’épui-
ser, craquer en raison de demandes excessives d’énergie, de forces ou de ressources ». Le
terme qualifie par exemple une bougie qui, après avoir éclairé de longues heures, n’offre
plus qu’une flamme désuète. Pour être consumé, il faut avoir été enflammé (Ayala Pines).
Initialement, le syndrome, identifié en 1969, concerne les sujets ayant une activité
professionnelle dans la relation d’aide : médecins, soignants, travailleurs sociaux, ensei-
gnants. Plus récemment, le syndrome a été étendu à toutes les professions.

347
Traité de médecine psychosomatique

5-2. Caractéristiques générales du syndrome


Épuisement affectif et émotionnel
Manque d’énergie, sentiment que les ressources émotionnelles sont épuisées. La
personne se sent vidée nerveusement et a perdu tout entrain. Elle n’est plus motivée par
son travail qui devient une corvée.
Désinvestissement relationnel
Je préfère utiliser ce terme plutôt que le terme conventionnel de dépersonnalisation qui
me paraît inadapté et source de confusion. Il s’agit d’attitudes et de conduites détachées,
négatives, hermétiques (désinvestissement, prise de distance, désintérêt, négligence),
voire hostiles (rejet, cynisme, maltraitance) à l’égard des personnes dont le sujet est censé
s’occuper.
Réduction de l’accomplissement personnel
Dévalorisation du travail, vécus d’inefficacité, d’échec, auto-évaluation négative des
compétences, diminution de l’estime de soi.

5-3. Professions à risques
Elles sont caractérisées par :
––de fortes sollicitations mentales affectives et émotionnelles ;
––une forte responsabilité vis-à-vis des personnes ;
––des objectifs à atteindre difficiles ou impossibles ;
––un déséquilibre entre les taches à accomplir et les moyens mis en œuvre ;
––une ambiguïté ou un conflit de rôles.
La relation d’aide, d’enseignement ou de soins, place le professionnel dans une position
parentale : sujet disposant d’un savoir, d’un pouvoir, d’une maîtrise, ayant le sentiment
d’être indispensable et reconnu, le sens de l’engagement, des responsabilités, du devoir.
Satisfaction particulière qui n’est pas de l’ordre de la créativité pas plus que du profit.
Relation duelle asymétrique qui implique la demande d’un sujet immanquablement en
état de régression pour le moins transitoire. Durant un temps variable, le professionnel
est placé dans une position de toute puissance.
C. Maslach a mis en avant deux facteurs de risques inhérents à la profession :
––l’inquiétude distante faite à la fois de compassion (souci pour le bien-être du patient)
et de détachement émotionnel (objectivité nécessaire). Notons qu’il s’agit ici de
répression, nécessaire mais coûteuse, des affects, des émotions, des comportements ;
––l’objectivation comme autodéfense qui en constitue le prolongement. Elle aboutit
en médecine à considérer le patient comme un cas et non comme une personne.
Modalité défensive légitime contre le désordre économique ainsi induit.
Chez de nombreux enseignants, on repère un sentiment d’usure, d’impuissance et
d’abandon (Lantheaume, La souffrance des enseignants).
L’enseignement, construit sur la transmission des valeurs et des connaissances, solli-
citant l’inventivité personnelle, subit aujourd’hui une altération et une distorsion de sa
fonction initiale, du fait de la multiplication rapide et inconsistante des réformes, de l’écart
entre l’engagement et les résultats, de son contenu qui s’appauvrit, de la dévalorisation du
savoir, de la pression des évaluations standardisées, d’une nécessité d’accompagnement
personnalisé de certains élèves, du travail d’orientation, du travail avec les parents.
348
Le travail

5-4. Sujets à risques
Les caractéristiques inhérentes à la profession et l’organisation psychique du sujet
concourent à l’instauration ou l’exacerbation d’un positionnement et d’un fonctionne-
ment psychique dans l’Idéal :
––idéaux marqués (performance, réussite),
––recherche d’identité dans et par la performance professionnelle,
––absence d’investissements en dehors du travail,
––fuite dans le travail.

5-5. Clinique
L’installation est progressive, insidieuse, souvent méconnue du sujet pendant un
certain temps.

Désordres psychiques
Désordres mentaux
––Lassitude et épuisement cognitifs, perte de la créativité, de la productivité, difficultés
à conceptualiser les problèmes, diminution des performances intellectuelles, procras-
tination.
––Troubles de l’attention.
Désordres affectifs
––Baisse de l’estime de soi, sentiment d’échec.
––État de tristesse, d’anxiété, de dégoût.
––Épuisement affectif, démotivation.
––Réactions de caractère, dépersonnalisation.

Désordres comportementaux
Individuels
––Grande activité initiale puis ralentissement, perte d’efficacité.
––Stratégies de surenchère : hyperactivité inefficace, allongement du temps de travail.
––Recours à des toxiques.
––Risque suicidaire accru.
Relationnels
––Désengagement tout en respectant les règles minimales, retrait, isolement, refus
du contact, évitement, indisponibilité, attitudes distantes vis-à-vis des patients, des
élèves, des clients, des collègues et autres professionnels de l’équipe.
––Puis attitudes négatives : rejet, cynisme, voire erreurs ou fautes professionnelles.
––Induction ou aggravation de désordres relationnels d’ordre privé, tendance à s’isoler
de la vie familiale et relationnelle.

349
Traité de médecine psychosomatique

Désordres somatiques
Épuisement émotionnel
––Désordre émotionnel : colère, irritabilité, incapacité à faire face aux tensions, aux
nouvelles situations, impatience.
––Ou bien assèchement émotionnel.
Désordres somatiques
––Sensation d’être « vidé », asthénie, épuisement physique.
––Troubles du sommeil, fatigue au réveil.
––Troubles digestifs, douleurs abdominales, troubles gastro-intestinaux, ulcère.
––Symptômes d’angoisse.
––Douleurs neuromusculaires, céphalées.
––Réduction des défenses immunitaires, rhumes prolongés.
––Hypercholestérolémie, hypertriglycéridémie, hyperuricémie.
––Hypercortisolémie diurne.

5-6. Pathogénie
Temps 1. Idéalisation et investissement professionnel initial majeur
Le travail et le fonctionnement du sujet génèrent ou renforcent l’idéal du moi :
dynamisme, charisme, compétence, engagement, dévouement, dévotion, besoin d’être
apprécié, reconnu, de se poser en modèle identificatoire. On repère souvent cette idéali-
sation chez les jeunes diplômés.
Temps 2. Tension interne
Deux facteurs se conjuguent :
––éléments liés à la répression que nécessite la relation d’aide : personnes en état de
souffrance, conflits au sein de l’équipe, obstacles institutionnels ;
––déséquilibre entre les exigences du travail, d’une part, les ressources et les aspira-
tions du sujet, d’autre part, induisant le sentiment de ne pas avoir de contrôle sur son
activité professionnelle.
Les causes sont nombreuses et intriquées :
––comportement des individus difficiles, peu coopérants, voire agressifs ;
––conditions de l’activité en contradiction avec les aspirations du sujet : travail routi-
nier, divergences de conception et de but au sein d’une équipe ;
––pression institutionnelle, administrative, exigences contradictoires ;
––surcharge de travail ne permettant pas au sujet d’utiliser en profondeur ses compétences ;
––absence de participation aux prises de décisions.
Temps 3. Réactions défensives
––Le désengagement constitue la modalité défensive première la plus fréquente : désin-
vestissement des buts initiaux entraînant une atteinte de l’idéal.
––Adoption d’attitudes cyniques, détachées, mécaniques, voire d’une grande complai-
sance pour ses propres besoins.
350
Le travail

––Forme moins fréquente : surenchère (burn out « frénétique »).


Temps 4. Interprétation sous le mode de l’échec, dévalorisation
narcissique

6. ASPECTS PSYCHOSOMATIQUES DES ARRÊTS DE TRAVAIL


6-1. L’impasse
L’arrêt de travail a pris progressivement une dimension d’arme médicolégale qui peut
solutionner des situations inextricables mais qui peut aussi conduire un sujet, aveuglé par
ce qu’il croit être la meilleure solution, à de véritables impasses.
™™ Cédrik, jeune et brillant professeur agrégé de lettres, consulte en octobre. Après une
première année d’activité au cours de laquelle il a découvert les différents aspects de son
nouveau métier et un été ponctué par une rupture sentimentale traumatique, la rentrée a
été marquée par un désinvestissement professionnel, et surtout des attaques de panique
chaque fois qu’il se rendait à son travail. L’objet travail est devenu un objet phobique. Il se
sent dominé par ses élèves, mal à l’aise avec ses collègues, persécuté par l’administration.
Au bout de quelques séances, il va mieux et, en novembre, il retrouve son tonus et un
nouveau plaisir à enseigner. Les retours des élèves sont excellents, il est vivement apprécié
et se rend à son travail le cœur léger. Cédrik a retrouvé de surcroît, grâce à son investisse-
ment professionnel, le narcissisme qui avait été ébranlé par la rupture de l’été. Les séances
n’ont pu être thérapeutiques que parce que Cédrik continuait à travailler, ne reculait pas
devant l’ennemi qui, en fin de compte, se révéla plutôt un allié. La crise étant passée, les
séances s’arrêtent et une demande de psychanalyse est formulée. Elle débuterait dans un
an car, d’ici là, il doit présenter une thèse de doctorat et ne sait pas s’il sera encore dans la
région l’an prochain. En janvier, il reprend rendez-vous, un rendez-vous urgent, me dit-il.
Ombrageux, dépressif, semi-agressif, il est en arrêt de travail depuis le début du mois, son
médecin l’ayant conforté dans l’idée que le stress professionnel était source de tous ses
maux et qu’il n’était peut-être pas fait pour ce métier. Les symptômes étaient revenus
depuis la mi-décembre, date à laquelle il fut confronté à un nouveau déboire sentimental.

6-2. Les représentations parasites


Face à la décision d’arrêt de travail, il est rare que le médecin – hormis peut-être celui
qui en fait profession – se sente à l’aise. Ce malaise est lié à une contamination par des
représentations parasites éminemment variables d’une situation à l’autre et déterminées,
selon les cas, par :
––la relation : crainte de perdre le client, complaisance, soumission aux exigences par
crainte, peur, si ce n’est sous la menace, ou au contraire refus défensif dans une relation
tendue (défense narcissique, crainte d’être dominé, attitude sadique) ;
––le positionnement personnel par rapport à l’aspect socio-économique, au système
de soins, aux institutions, positionnement à connotation souvent politique et idéolo-
gique ;

351
Traité de médecine psychosomatique

––la présence réelle ou fantasmée de tiers : ressenti négatif à l’égard de tel patron,
copinage avec tel autre, connaissance de confidences d’autres membres de la famille,
pressions de celle-ci ;
––la procédure elle-même : paperasse, réglementation, pression administrative, heures
de sortie, etc.
Le médecin doit, autant que se peut, se dégager de ces représentations qui génèrent
de toutes façons, pour le moins, un mal-être dans la délivrance ou la non-délivrance des
arrêts de travail, et souvent des situations tendues, conflictuelles ou dénuées de sens,
pervertissant le cadre du soin, rendant caduque toute possibilité d’aide réelle.
Le seul aspect économique qui doit être l’objet de préoccupations chez le praticien
est celui de l’économie psychosomatique de son patient. L’arrêt de travail doit retrouver
sa fonction initiale de prescription thérapeutique destinée à améliorer l’état de santé du
sujet.
Se dégageant de l’ombre des représentations parasites, le médecin se trouvera éclairé
et allégé dans sa tache par la connaissance approfondie du sujet patient et de la problé-
matique qui sous-tend sa demande. L’investigation psychosomatique l’éclairera sur les
traumatismes d’ordre privé potentialisant les difficultés professionnelles, la demande
implicite dissimulée derrière la demande d’arrêt de travail, l’effet escompté généré par la
décision, la possibilité d’autres alternatives.

6-3. Indications de l’arrêt de travail


––Atténuation du désordre psychosomatique généré par la pression du travail, possi-
bilité de se distancier des éléments traumatiques, de se restructurer et de reprendre
ensuite l’activité initiale (ou une autre) dans de meilleures conditions.
––Atténuation du risque réel dans certaines pathologies : alcoolisme, troubles mentaux,
baisse de la vigilance, handicap physique induit par une maladie aiguë ou une poussée
aiguë de maladie chronique.
––États dépressifs d’épuisement.
––Désordres relationnels professionnels majeurs lorsque les facteurs externes dominent
les facteurs internes.

6-4. Contre-indications de l’arrêt de travail


––Pathologie induite par des désordres existentiels privés lorsque la profession consti-
tue un investissement au niveau des idéaux, de la sublimation, du narcissisme, ou des
relations.
––Accentuation de la culpabilité.
––Demande par un tiers : famille, employeur, syndicat, « conseiller ».
––Arrêt de complaisance.
––Bénéfices secondaires induits par l’arrêt de travail lorsqu’ils sont délétères sur l’évo-
lution de la maladie.

352
Le travail

6-5. Arrêt de travail et psychothérapie


À une époque pas très lointaine, les psychanalystes exigeaient, avant d’engager la cure,
que le sujet ait une activité professionnelle, quelle qu’elle fût. Les temps ont changé.
De nombreuses personnes n’ayant pas, ou plus, ou pas encore d’activité profession-
nelle, entrent en psychothérapie. C’est justice mais c’est aussi un obstacle au processus
psychothérapique lui-même. Précarité professionnelle, arrêts de travail de longue durée,
situations d’attente d’une décision administrative ou judiciaire compromettent grande-
ment l’efficacité thérapeutique. Il est très difficile, si ce n’est impossible, de traiter les
problèmes psys tant que le problème social ou judiciaire n’est pas réglé.

7. LA RETRAITE
Retraite : de l’ancien français retraire, « retirer » : action de se retirer.
En langage militaire, sonner la retraite est le « signal équivalent autrefois au couvre-
feu et marquant aujourd’hui la fin d’une manœuvre ou d’un tir » (définition du Petit
Larousse).
Retraite tant désirée, qui émaille les propos des braves gens sur la place publique :
« Bientôt la retraite et toi, c’est pour quand ?… On l’a bien méritée… place aux jeunes…
On ne va pas s’ennuyer, on a programme des voyages et puis il y a le jardin, et les petits-
enfants… Moi, pas question de rester devant la télé… On va enfin profiter l’un de l’autre,
les enfants sont élevés… Je vais faire du bénévolat et surtout me remettre à peindre…
avec le stress du travail, ça devenait impossible… »
Apaisement, disparition des contraintes, des mauvais réveils, des conflits, des servi-
tudes, « temps retrouvé » comme s’enorgueillit le magazine. L’automne est beau, suivi,
c’est sûr, de l’été de la Saint-Martin.
™™ Compte à rebours, six mois encore ! Ils sont plus pénibles qu’on ne l’aurait cru.
Trois mois : Auguste est irritable. Un mois : démarches administratives invraisemblables !
Le service ne retrouve plus les papiers… avec tout ce qu’on a cotisé ! Jour J. Émotion. Mais
sans plus. Un mois déjà ! C’est une sensation vertigineuse. Réveils à l’heure habituelle. Mais
non, tu es à la retraite. On se rendort mais il y a quelque chose en moi qui me réveille. Une
absence, comme un sevrage de toxique. Sentiment de vide. On va le remplir. Magasin de
bricolage, université populaire, association, pétanque ou golf, c’est selon. Objectivement,
il n’y a plus de stress. C’est vrai que, quand je travaillais, Michèle était moins sur mon dos.
Et c’est bizarre, encore le bureau dans les rêves ! En ce moment, Jacqueline doit faire la
pause. Elle m’a appelé, c’est vrai que j’aimais bien ces moments avec elle. Jacqueline ! … Il
ne s’est rien passé entre nous… mais c’est vrai, elle me manque… Je ne vais tout de même
pas y retourner. Michèle ne comprendrait pas. Je suis devant le jardin, j’avais programmé
de le tondre, mais je suis un peu fatigué et, depuis quelques jours, cette douleur à gauche
qui bloque ma respiration… On verra ça demain… J’étais arrivé à restructurer le service…
Michèle est devant la porte : « Qu’est-ce que tu as ? » me crie-t-elle. Rien, je suis un peu
essoufflé… « Auguste, ça va pas. J’appelle le docteur. » « Mais non, c’est parce qu’il fait
chaud… »

353
Traité de médecine psychosomatique

Le docteur a dit que c’était une péricardite. Rien de très grave mais on doit annuler les
Baléares. ça, c’est toutes ces années passées à travailler. Je crois qu’il n’aurait pas pu tenir
un an de plus.
Vous l’avez compris, il ne s’agit pas, comme le pense Michèle, d’une pathologie liée à
l’accumulation du stress, mais d’une pathologie liée à la perte : perte d’une activité, perte
d’un passé, perte des pauses avec Jacqueline, perte d’identité, perte du stress, perte de la
possibilité de rêver sur la retraite à venir.
Toutes les crèmes, tous les liftings, toutes les thalassos, tous les magasins de bricolage
ne parviendront pas à annuler cette perte aux facettes multiples.
Notre propos vise surtout à cibler l’aspect pathogène de la retraite. Il ne caractérise
pas heureusement toutes les situations. La retraite peut mettre un terme à une activité
répressive dangereuse, rementaliser un sujet, faire disparaître des pathologies. Pour cela,
il faut certaines conditions, la santé, les investissements, une certaine liberté qui n’est pas
acquise, et un seuil de mentalisation minimal.
™™ Alain était directeur dans une administration importante. Il vint me voir il y a
quatre ans, dans un état de tension et d’humeur dépressive manifestes. Son supérieur
hiérarchique avait été remplacé par un jeune loup qui, dès son arrivée, mit en place des
règles de fonctionnement modernes, pas plus efficaces d’ailleurs, mais suffisantes pour
le déstabiliser. Alain persévéra, puis s’enfonça dans la dépression et se mit de manière
régulière en arrêt de travail en attendant la retraite. Ces arrêts de travail lui permettaient
de se ressourcer, les reprises étaient très difficiles. Deux ans passèrent ainsi, jusqu’au jour
béni. Il m’envoya alors une lettre de remerciement pour mon soutien et j’étais persuadé
de ne plus le revoir. Il vint me voir il y a deux mois. Il était à la retraite depuis un an et
développait depuis une hypertension. Il se sentait contrôlé par sa femme, n’osait plus aller
au golf, tournait en rond chez lui, et regrettait le temps de son travail.
™™ Jean-Marie était médecin et prit le « mica » car il en avait marre. Il s’est inscrit
immédiatement dans un DU d’œnologie, continua le sport et son activité de violoncel-
liste amateur. Son épouse, encore en activité, est tolérante vis à vis de ses petites escapa-
des entre copains. Il est passé au cabinet pour me faire part d’un projet musical. Il est
heureux.
™™ Albin a 80 ans. Petit exploitant agricole, il vit au rythme des saisons dans le mas où
il est né. Il fume deux paquets de cigarettes par jour, boit trois litres de vin, et vide une
salière par semaine. Il est très actif, programme sa journée comme il le sent, selon son
humeur, selon le temps et les besoins de son jardin. Son activité musculaire est intense.
Il lit le journal, regarde la télévision, fait la sieste, s’occupe de ses chats. Il dort bien, se
lève en forme, reçoit des amis, des parents avec lesquels il passe des soirées à s’envoler
dans des délires invraisemblables. Il n’a aucune pathologie mentale, comportementale
ou somatique. La retraite n’a été qu’un changement sur le papier. Son train de vie, ses
activités n’ont pas changé d’un iota.
™™ «On n’est pas pressés, on est retraités », annonce l’autocollant sur le pare-brise
arrière de l’incontournable Citroën du retraité à casquette bouchonneur de nationales.
Calé dans son siège, vu de dos, il conduit sa voiture, avec moult variations de vitesse, si ce
354
Le travail

n’est de trajectoire. À sa droite, on distingue à peine la partie supérieure de la chevelure


blanc bleuté de son épouse, encore plus écrasée dans son siège. C’est la grande sortie !
Collé derrière lui, je fulmine. Derrière moi, une longue file s’incline et s’agglutine, et je
sens l’impatience des processionnaires filtrer à travers le pare-brise arrière. L’affichette du
retraité prend une connotation de provocation personnelle. Je suis sûr que ce balourd
jouit de me voir ainsi dépendant de son déplacement, assujetti à ses caprices de vieux
grincheux. Je le hais, il me hait, les gens derrière moi me haïssent, je les hais, je hais l’ingé-
nieur qui n’a fait que des virages et des lignes jaunes continues dans cette portion de
route. Coup de klaxon derrière moi. Le retraité fait des grands gestes de rébellion. La
chevelure de bobonne monte d’un cran. Elle se tourne vers lui et l’interpelle. Grands
gestes du nabot. J’imagine la richesse du dialogue : « S’i sont pas contents, c’est pareil, moi
je roule à mon allure… Oui mais tu devrais faire attention quand même… Je fais atten-
tion ! Non tu fais pas attention, tu as failli renverser ce vélo… Si t’es pas contente taka
prendre ta voiture, je t’ai pas obligée à venir… Non mais ! » Plus j’imagine la sensualité de
cet échange, plus je m’apaise, leur malheur me transcende, je vais mieux, je ralentis, cette
fois-ci, c’est moi qui bouchonne. Concert de klaxons. Je m’entraîne pour la retraite, je n’ai
jamais été aussi bien de ma vie.

355
Troisième partie

LES MALADIES
Chapitre 14

DOULEURS…

1. INTRODUCTION
Pourquoi le titre « Douleurs », au pluriel ? Parce que la douleur est un signal que l’on
rencontre dans des situations extrêmement différentes, que ses caractéristiques cliniques,
son évolution, ses causes, sont éminemment diverses. Chaque douleur est en relation
avec un désordre physiopathologique précis et en appelle à un traitement différent. La
douleur ne saurait être conçue comme une entité clinique à part entière, isolée de son
contexte et des déterminants dont elle est tributaire. Le doigt pris dans la porte sera
suturé ou immobilisé, la douleur dentaire jugulée par un traitement ou une extraction,
la douleur péritonéale par une intervention chirurgicale, les douleurs du zona par des
médicaments ou de l’acupuncture. Les douleurs cancéreuses seront tributaires de l’évolu-
tion de la tumeur. Lorsque la douleur résistera à toute thérapeutique et sera jugée insup-
portable par le patient, la famille ou l’équipe soignante, se posera alors la question d’y
mettre un terme par tout procédé ad hoc, fût-il expéditif, comme le souhaiteraient 85%
des personnes en bonne santé et le préconisent avec fermeté les instances dirigeantes.
La douleur chronique liée à des lésions neurologiques médicales ou traumatiques
nécessitera des thérapeutiques multiples : médicaments, acupuncture, chirurgie, physio-
thérapie, rééducation, relaxation, hypnose, psychothérapie. La douleur sans substratum
anatomique majeur objectivable fera l’objet d’une approche multidisciplinaire similaire
mais sa fréquente résistance générera tôt ou tard incompréhension, palabre, résignation,
dépit, rejet, au sein de l’entourage et de l’équipe médicale.
Le terme douleur permet trop souvent de ne pas utiliser celui de souffrance. La douleur
est supposée quantifiable comme l’avancent les échelles d’évaluation. La souffrance ne
l’est pas, et ceci n’est guère acceptable à l’heure où tout phénomène, quel qu’il soit, doit
être quantifié, mesuré, objectivé, numérisé.
™™ Rappelons le cas de Marie-Thérèse, déjà cité p. 242. Marie-Thérèse a 60 ans.
Elle souffre depuis l’âge de 40 ans de douleurs chroniques des membres inférieurs.
Celles-ci sont apparues dans les suites du décès de sa mère, lorsque le père, privé de son
épouse, devint dépendant, exigeant, tyrannique. Il mit tout en œuvre pour que les fils
de Marie-Thérèse viennent habiter chez lui. Le fils aîné s’exécuta. Quant au fils cadet, il
resta avec Marie-Thérèse et devint à son tour persécuteur en s’enlisant dans l’alcoolisme.
Chaînon manquant dans l’histoire familiale, assignée à une fonction de mère porteuse,
soumise à la tyrannie des hommes de sa lignée, Marie-Thérèse va tous les quinze jours
remplir ses échelles d’évaluation de 0 à 10 au Centre d’évaluation et de traitement de la
douleur du CHU.
En 1998, débutait une croisade contre la douleur prêchée par Bernard Kouchner. Elle
aboutit à une loi en 2002, dite « loi Kouchner », stipulant que chaque centre hospita-
359
Traité de médecine psychosomatique

lier devait comporter un service spécialisé d’algologie et instaurant le droit pour chaque
patient à ne plus souffrir comme un droit quasi imprescriptible. La lutte contre la douleur
devint une spécialité, quelle que soit l’origine de cette dernière. Des affiches surgirent
dans les rues sur lesquelles le nouvel ennemi à abattre était désigné, instaurant de fait
naïvement la douleur comme quelque chose d’évitable, désignant sa pérennité comme
une injustice, enjoignant aux soignants de la pourchasser et de l’éliminer quoi qu’il
advienne. Un nouveau monde chevaleresque sans douleur allait advenir. C’est ainsi que
furent créés les services d’algologie et les spécialistes de l’évaluation et du traitement de
la douleur. De 1994 à 1998, j’occupais en tant que psychiatre un poste d’attaché dans le
service d’algologie du centre hospitalier de Nîmes, fraîchement créé dans ce nouveau
contexte. Je pus ainsi recueillir un matériel clinique conséquent et me faire une idée sur
l’approche algologique hospitalière, dans tout ce qu’elle pouvait comporter de positif
mais aussi de discutable.
Jusqu’alors, la douleur, signal symptôme, n’était pas – et ce plus particulièrement depuis
la naissance de la clinique au xixe siècle – la préoccupation centrale des médecins : une
douleur en soi ne signifie rien, elle n’a de valeur qu’associée à d’autres signes et la masquer
de manière systématique peut être, dans certains cas, source d’erreur. Les origines de la
douleur sont infinies et, ce qui compte avant toute chose, c’est d’en rechercher la cause.
Enfin, elle peut constituer un garde-fou, un signal qui limite par exemple le fonctionne-
ment moteur, permettant à l’organisme de se protéger. Et ceci est un fait indéniable : sans
la douleur, la main brûlerait au contact de la flamme. Pendant de longs siècles, plus parti-
culièrement avant la découverte de l’anesthésie et des antalgiques majeurs, il ne s’agissait
donc pas de prendre en compte la douleur, il fallait parer à l’essentiel : enlever la dent,
amputer la jambe, extraire la balle logée dans l’abdomen. La vie, de la même manière
que l’enfantement, était sauvée au prix de la douleur. Porte ouverte à de nombreuses
dérives, tant d’un point de vue thérapeutique que de la relation, cette position stricte-
ment centrée sur l’étiologie laissait de nombreux sujets en proie à leur douleur et leur
souffrance, considérées comme une conséquence logique, normale, si ce n’est justifiée,
de leur affection et de ses causes.
L’avancée dans la prise en compte d’un phénomène source des plus grands désagré-
ments amena progressivement les praticiens, plus particulièrement sous l’impulsion de la
loi Kouchner, à considérer la douleur comme une entité clinique à part entière, comme
un syndrome plus qu’un symptôme, et induisit chez certains une tendance progres-
sive à se focaliser sur le phénomène comme un processus séparé de ses déterminants.
Les réactions psychiques et comportementales induites par la douleur amenèrent le
praticien sur le champ non défriché de la psyché. Car il était évident que le psychisme
était malmené par la perception douloureuse, et que certaines réactions paradoxales,
certaines résistances thérapeutiques, et surtout certaines douleurs sans substratum
anatomo-clinique objectivable, ne pouvaient trouver d’autre origine qu’un dysfonction-
nement de celui-là. Le somatopsychique fut pris pour le psychosomatique, les effets pour
les causes. Tel sujet, à bout d’épuisement du fait de ses douleurs incessantes, s’enlisait
dans la dépression. Cette dernière ne pouvait donc qu’être la cause de la douleur. Point
besoin d’anamnèse, l’histoire n’étant de manière générale plus tendance, les théories
cognitivo-comportementales avaient sonné le glas de l’inconscient. Devenue science à
part entière, l’algologie mit en place de nouveaux outils : échelles d’évaluation, approches
360
Douleurs...

pluridisciplinaires, techniques à médiation corporelle, nouveaux médicaments, acupu-


ncture, physiothérapie, hypnose. Malgré leur bien-fondé, leur efficacité indéniable mais
souvent relative et inconstante, malgré le professionnalisme indiscutable des opéra-
teurs, ces techniques, appliquées le plus souvent sans tenir compte du déterminisme
psychosomatique de la souffrance, avaient pour point commun de couper la parole au
sujet. Sujet dont la douleur limitait déjà la parole à la plainte ou au cri, sujet focalisé sur
les conséquences existentielles de son handicap, sujet perdu dans les modèles médicaux
proposés, sujet à terme amnésique des origines de son mal, car la douleur physique a plus
que toute autre pathologie le pouvoir d’effacer le souvenir de ses déterminants. Instau-
ration d’une machinerie opératoire en lieu et place d’une possibilité de restauration du
sujet et de son histoire. Pour mieux parfaire à l’ingénierie, de nouveaux mots furent créés
et de nouvelles entités cliniques firent leur apparition : fibromyalgie, algodystrophie, etc.
Des noms étaient enfin donnés à l’irreprésentable. La douleur devint une maladie à part
entière, isolée de ses déterminants fondamentaux.
Loin de moi l’idée de porter un discrédit à l’encontre de ces techniques, car elles consti-
tuent une interface thérapeutique quasi indispensable, puisqu’elles s’adressent à la sensa-
tion, éminemment modulée par le psychisme et dont l’élaboration nécessite souvent une
médiation corporelle. Par ailleurs, elles pallient au déficit de la parole et de la représenta-
tion, déficit quasi constant dans ce type de pathologie, tout simplement parce que, dans
l’immense majorité des cas de syndromes douloureux sine materia, la douleur physique
permet de faire l’économie de la douleur psychique. La douleur physique vient se substi-
tuer à une souffrance d’un autre type, moins reconnue, moins quantifiable, difficilement
évaluable, mais combien plus proche de la vérité. La douleur physique acquiert ainsi un
caractère défensif éminent à l’encontre de tout ce qui peut la destituer et l’enfermement
du sujet dans la seule dimension somatopsychique augmente son pouvoir.
Il ne s’agit donc pas de remettre en cause le bien-fondé des techniques utilisées, bien
au contraire, il s’agit d’en accroître l’efficacité grâce à l’approche psychosomatique.
L’exposé qui suit sera essentiellement consacré aux douleurs chroniques ou récidi-
vantes, persistantes, mettant en échec l’approche médicale habituelle, dans lesquelles,
patients, médecins et soignants, finissent par ne plus trouver de solution.
Les études cliniques que j’ai réalisées auprès de patients présentant des douleurs
médicalement inexpliquées par leur intensité, leur persistance, leur récurrence, leur résis-
tance, leurs conséquences, ou encore mal identifiables dans le catalogue étiologique,
m’ont permis d’avancer certains éléments qui ont fait l’objet d’une publication interne à
l’EMP en 2005 (Approche psychosomatique de la douleur).

2. DOULEUR PSYCHIQUE - DOULEUR PHYSIQUE


2-1. La douleur psychique
Dans Le livre de la douleur et de l’amour, J.-D. Nasio fait, à la lumière de la psychanalyse,
une analyse pertinente de la douleur morale générée par le deuil. Cette douleur, faite d’un
« évidemment du moi (un “moi exsangue”) et d’une contraction en une image souve-
nir, serait l’expression d’une défense, d’un sursaut de vie, d’un dernier rempart contre la
folie », ultime affect, dernière crispation d’un moi qui se tétanise pour ne pas sombrer
dans le néant. Le sujet n’existe plus, vidé de lui-même, laissant la place à l’image de l’objet
361
Traité de médecine psychosomatique

disparu. Ayant perdu l’objet dans la réalité, le sujet ne veut pas le perdre une seconde fois
au sein de son psychisme, l’objet introjecté devient alors le centre de tous les investisse-
ments. « Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure, je te porte dans moi comme un
oiseau blessé, et ceux-là sans savoir nous regardent passer. » (Aragon, Il n’y a pas d’amour
heureux). Pendant longtemps, l’image de l’être perdu ne doit pas s’effacer, pour finir dans
le meilleur des cas par coexister avec un nouvel objet.
La douleur psychique serait donc, pour J.-D. Nasio, une douleur de perte d’objet : deuil,
séparation, humiliation, mutilation, castration. L’apparition de la douleur psychique
atteste du franchissement d’un seuil, de la traversée d’une épreuve décisive, une épreuve
de séparation d’avec un objet. Objet aimé, objet aimé et/ou haï, objet de toute façon
fortement investi, qui absorbait une part conséquente du fonctionnement psychique.
J.-D. Nasio conçoit la constitution de la douleur psychique selon trois étapes plus ou
moins simultanées : la rupture, la commotion, la réaction défensive.
La rupture est assimilable à l’événement traumatique. La commotion correspond au
vécu traumatique. Événement et vécu traumatique constituent le « trauma ». La rupture
va générer un bouleversement pulsionnel, des tensions in-maîtrisables, ressenties sous
forme de sentiments douloureux parfois difficilement exprimables.
La réaction défensive survient au décours du trauma : introjection puis surinvestis-
sement de l’objet interne au détriment du moi, laissant le sujet « exsangue, inexistant ».
Je pourrais ajouter que, d’un point de vue psychosomatique, les représentations
latérales, les différents secteurs existentiels mentalisés, autres que celui occupé par l’objet,
disparaissent.
À ce stade, la douleur serait due à l’écart entre le moi inexistant et le surinvestissement
de l’objet, l’affect douloureux exprimant l’épuisement du moi à chérir l’objet disparu.
La douleur psychique est aggravée par le décalage entre cet investissement massif de
l’objet et la conscience que celui-ci est irrémédiablement perdu. Sur ce dernier point, un
mécanisme de déni peut assurer une protection temporaire. À un stade de plus, le déni
peut générer par des mécanismes de projection de l’objet dans le monde extérieur, des
phénomènes pseudo-hallucinatoires, voire délirants. Dans ce dernier cas, la représenta-
tion est dite « forclose » (surchargée, expulsée et hallucinée). Nasio compare à juste titre,
mais dans un autre registre, ce phénomène à la douleur physique du membre fantôme.
Le deuil va normalement aller à contre-sens de ce phénomène : désinvestissement
progressif de la représentation de l’objet, réapparition de nouvelles représentations
auxquelles elle s’intègre.
À partir de ces éléments, J.-D. Nasio propose des attitudes et des axes thérapeutiques.
L’antidote de la douleur morale est la parole.
La consolation qui propose l’oubli (« Tu verras, ça va passer, tu oublieras… »), et qui
doit être entendue comme une injonction à l’abandon de la représentation introjectée, va
à l’encontre du mécanisme de défense et ainsi s’avère inefficace, si ce n’est insupportable.
Une attitude contenante que je pourrais appeler compassion (« souffrir ensemble »)
est de mise : « …se contenter d’être là, présent, de recevoir les irradiations de cette
douleur. » À un moment donné, « cette imprégnation en deçà des mots peut inspirer
les mots qui conviennent pour dire la douleur et l’apaiser enfin… Donner un sens à
la douleur, ne consiste pas à interpréter, consoler, pas plus que reconnaître la douleur
comme une épreuve structurante », mais consiste à entrer « en résonance » avec elle, lui
362
Douleurs...

« ménager une place au sein du transfert où elle pourra être criée, pleurée et usée à force
de larmes et de paroles » (Nasio, Le livre de la douleur et de l’amour) Devant la douleur de
son patient, l’analyste devient un autre symbolique qui « imprime un rythme au désordre
pulsionnel pour qu’enfin la douleur s’apaise ». Cet autre symbolique peut à mon sens se
substituer partiellement à l’objet perdu.

2-2. La douleur physique


L’Internationnal Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur physique
ainsi : « Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire
réelle ou potentielle, ou encore décrite dans des termes évoquant une telle lésion. »
J’ai été ébloui par la clarté de l’exposé de Nasio sur la douleur psychique. J’émettrai
quelques critiques quant à son analyse de la douleur physique.
Nasio adopte le même modèle en trois temps, trois composantes plus ou moins intri-
quées et confondues : perception somato-sensorielle, perception somato-pulsionnelle,
réaction de défense.
Lors du choc physique, la douleur est localisée à la périphérie. La perception va générer
une représentation de la partie lésée, représentation particulière et erronée, car elle
ne concerne que la périphérie, la lésion, excluant la participation cérébrale et, de fait,
psychique.
J.-D. Nasio qualifie de perception somato-sensorielle ce qui est en fait l’émotion. En
effet, nous nous situons dans le registre somatique et il ne s’agit pas d’un bouleverse-
ment strictement pulsionnel, comme dans la douleur morale, mais d’un bouleversement
instinctivo-pulsionnel. Un chat pris dans un piège hurle de douleur.
Cette commotion-émotion serait liée pour une grande part, selon Nasio, à la réacti-
vation de traces mnésiques engrangées lors de traumatismes précédents selon un
mécanisme d’après-coup. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Chez notre chat, aucun
traumatisme antérieur n’intervient dans la genèse de sa douleur. Mais l’intensité et les
répercussions affectives de la douleur sont bien sûr, chez l’homme comme chez les
animaux supérieurs, modulées par les représentations psychiques. Chez l’être humain, la
douleur peut être aggravée par des représentations héritières de son histoire, comme le
souligne J.-D. Vincent : « Il n’y a pas de perception douloureuse qui soit pure et dépour-
vue de contingence historique. Toute douleur est perçue en fonction de ce qui l’entoure
(espace corporel et extra-corporel) et de ce qui la précède, parfois très loin dans le passé
(espace temporel). » (Biologie des passions.) Ceci étant, point n’est besoin de phénomène
d’après-coup pour que la douleur physique se déclenche et perdure. Ce n’est que dans le
caractère défensif de la douleur physique que des mécanismes complexes liés à l’histoire
du sujet entrent en jeu.
J.-D. Nasio introduit par ailleurs la notion de « douleur inconsciente ». Elle me paraît
éminemment contestable. Tout d’abord, la mémoire psychique de la sensation corporelle
est faible, inconsistante, qu’il s’agisse de jouissance ou de douleur. La douleur physique,
tout comme le plaisir physique, a une inscription initiale somatique, de l’ordre de l’émo-
tion et de la sensation, son support neurologique, périphérique et/ou central étant
totalement différent de celui des représentations. La douleur est un signal qui existe
chez les poïkilothermes dénués de représentations, elle leur permet de fuir un danger,
d’éviter un environnement désagréable. Le cri de douleur existe chez eux. La douleur
363
Traité de médecine psychosomatique

ne saurait s’inscrire dans l’inconscient psychique, au risque de redéfinir celui-ci. Elle ne


saurait notamment être l’objet de refoulement. L’inconscient psychique n’est fait que
de représentations de choses. Il est exclu qu’y siègent les affects et à plus forte raison
les sensations et les émotions. Le siège de l’inscription mnésique est avant tout celui de
l’inconscient biologique : réseaux neuroniques (périphérie, tronc cérébral, thalamus),
mécanismes humoraux, autant de supports qui peuvent être, par contre, réactivés par
des processus psychiques.
Bien que des douleurs puissent être spontanément déclenchées uniquement par des
représentations psychiques – ce que confirment toutes les expériences hypnotiques – il
me paraît tout autant risqué d’abuser du terme « douleur psychogène » car, dans l’esprit
de nombreux soignants, cette représentation signifie souvent absence de désordre
physiologique. Or, les représentations psychiques ne génèrent des douleurs que parce
qu’elles génèrent des désordres physiologiques.
Lorsque Nasio évoque la douleur psychogène, il parle soit d’une douleur réactivée
par une représentation, tel un mécanisme conversionnel, soit d’une douleur liée à une
« empreinte somatique à la source de la pulsion », c’est-à-dire la concomitance d’une
perception douloureuse avec un vécu traumatique particulier. Dans tous les cas, le
désordre physiologique est présent.
J.-D. Nasio, en évoquant le sort de la représentation surinvestie, conclut que, derrière
toute douleur « psychogène », il y a soit un mécanisme hystérique, soit un mécanisme
psychotique ! La prise en compte de l’aspect économique nous invite plutôt à penser qu’il
s’agit tout simplement d’un clivage majeur entre une représentation invasive générant
des désordres économiques majeurs et des représentations latérales réduites quantita-
tivement et qualitativement à une peau de chagrin, et surtout à un mécanisme central,
majeur, récurrent, puissant, qui transforme la douleur psychique en douleur physique : la
répression.
Penser hystérie, voire folie (combien de soignants se sont laissés séduire par cette
représentation erronée qui génère souvent le rejet du patient !) est, et restera toujours,
une position défensive.
La réaction douloureuse est une défense destinée à tempérer la commotion ou à y
mettre un terme. Il est vrai que le réflexe de retrait de la main à distance de la flamme
ne surgit que sous l’effet du signal douleur. Mais, à terme, la douleur amplifie la douleur.
C’est le deuxième facteur aggravant. Le sujet aux prises avec sa douleur proteste et se
fixe sur elle. Ainsi se trouve surinvestie la représentation de la zone lésée (surinvestisse-
ment narcissique partiel) au détriment du moi (analogie avec la douleur psychique). Le
monde extérieur des sujets douloureux chroniques, tout comme celui du sujet dépressif,
est désinvesti au profit d’un monde intérieur réduit. Citons Freud : « … il nous semble
aller de soi que celui qui est affligé de douleur organique et de malaises, abandonne son
intérêt pour les choses du monde extérieur, pour autant qu’elles n’ont pas de rapport
avec sa souffrance… il retire ainsi son intérêt libidinal de ses objets d’amour, qu’il cesse
d’aimer aussi longtemps qu’il souffre. » (La vie sexuelle.)
Ce qui me paraît donc occulté dans tout cela, c’est une fois de plus la dimension
économique. Là se situe – comme nous allons le voir – la distinction fondamentale
entre douleur psychique et douleur physique. Dans toute douleur, qu’elle soit psychique
ou physique, l’agressivité occupe une place centrale. Le sujet aux prises avec sa douleur
364
Douleurs...

morale s’auto-accuse et se fixe sur l’objet perdu. Chez celui qui souffre moralement,
l’hétéro-agressivité est inhibée et se retourne contre le sujet. Chez celui qui souffre physi-
quement, elle est réprimée et se déverse dans le corps. Un quantum d’hétéro-agressivité
persiste chez lui à telle enseigne qu’il proteste et se fixe sur sa douleur comme si elle était
un autre.

2-3. Fonction psychosomatique de la douleur


La douleur psychique est un sentiment. Dans la fonction psychosomatique, elle occupe
la place de l’affect. Bien décrite dans la mélancolie en termes de douleur morale, elle est
perçue comme un sentiment pénible et taraudant, obscur, difficile à définir, qui, à peine
saisi, se dérobe à la raison. Quelque chose qui fait mal au sein du psychisme, un affect qui
échappe à la pensée et qui, de ce fait, lorsqu’il est perçu, serait coupé de la représentation,
ne trouvant plus d’objet assignable.
La douleur physique est une sensation. Elle n’apparaît qu’au delà d’un certain seuil. Par
exemple, la sensation de chaud ne se transforme en sensation de brûlure qu’à partir de
43°C. Au sein de la fonction psychosomatique, la douleur physique s’origine dans le soma
et s’interagit avec les autres éléments de la fonction.
Damasio a insisté sur le caractère premier de l’émotion par rapport au sentiment. À
partir de cette donnée fondamentale et du schéma de la fonction psychosomatique, on
peut avancer que la douleur morale pourrait être une émanation phylogénétique et/
ou ontogénétique de la douleur physique, émanation engendrée par le processus de
mentalisation.
Inversement, certaines douleurs physiques peuvent être considérées comme l’expres-
sion d’une souffrance n’ayant pas fait l’objet d’une élaboration psychique et, dans certains
cas, comme des douleurs psychiques réprimées, le passage de la douleur psychique à la
douleur physique étant le fait d’un processus de démentalisation.
Chez de nombreux sujets, il existe un balancement fréquent, une alternance entre
douleur morale et douleur physique, l’une chassant l’autre. La fibromyalgie en constitue,
comme nous le verrons, l’exemple le plus caricatural.
R

Sentiment : douleur morale

Mentalisation

Sensation – Émotion : douleur physique S

Mentalisation et douleur

365
Traité de médecine psychosomatique

Il est fondamental de connaître ces éléments du point de vue de l’investigation et de


la thérapeutique car la rementalisation, bien qu’elle soit particulièrement difficile chez le
sujet douloureux chronique, constitue un axe thérapeutique incontournable.
Ceci étant, l’antagonisme entre douleur morale et douleur physique est loin d’être
systématique. La souffrance est souvent composite, douleur physique et douleur
psychique étant alors des phénomènes souvent intriqués, s’interagissant selon des
processus complexes.

3. LE DÉSORDRE PHYSIOLOGIQUE


Il n’existe pas de douleur sans perturbation physiologique.
La perturbation physiologique qui sous-tend la douleur est le plus souvent identi-
fiable : affection organique spasmodique, inflammatoire, mécanique, tumorale, centrale.
Dans d’autres cas, la douleur peut être le fait de mécanismes qui échappent à l’investiga-
tion clinique et paraclinique habituelle. C’est le cas de douleurs fonctionnelles transitoires
(induites par la répression de l’émotion) ou celui de douleurs chroniques dont l’étiolo-
gie demeure imprécise, souvent liées à un désordre de l’excitation, lui-même induit par
une perturbation au sein du psychisme (répression des représentations ou des affects).
C’est le cas de la fibromyalgie, des douleurs de la dépression masquée, et de nombreuses
douleurs qualifiées de sine materia. Si le mécanisme physiologique n’est pas clairement
identifiable, ce n’est pas pour autant qu’il n’existe pas.

3-1. Le support neurophysiologique de la nociception


Les récepteurs
Au niveau des fibres réceptrices, existe déjà une modulation humorale (histamine,
prostaglandines, peptides, bradykinine, substance P, adrénaline). La substance P, par
exemple, accentue la vasodilatation et augmente l’excitabilité des terminaisons nerveuses.

Les afférences
La substance P intervient à nouveau dans la transmission du message nociceptif entre
le 1er et le 2e neurone au niveau de la corne postérieure de la moelle.
À ce niveau, interfèrent aussi des informations périphériques via les interneurones
(d’où l’effet analgésiant des stimulations électriques périphériques) et des informations
centrales issues des centres supérieurs (rétrocontrôle inhibiteur diffus descendant par
l’action analgésiante d’autres messages douloureux, ou, au contraire, accentuation du
message douloureux par l’inhibition d’autres informations périphériques).
Par ailleurs, apparaît une séparation entre les fibres purement sensitives qui rejoignent
le thalamus latéral (faisceau spino-thalamo-cortical) et les fibres menant vers les struc-
tures médianes du tronc cérébral et du thalamus médian (faisceau spino-réticulaire et
faisceau spino-thalamique).

Les centres cérébraux


Au niveau du tronc cérébral et du thalamus, interviennent des mécanismes inhibi-
teurs de la douleur. Les régions médianes du tronc cérébral et du cerveau sont en relation
avec le système limbique. La composante affective peut être supprimée par la leucoto-
366
Douleurs...

mie frontale ou la cingulotomie qui interrompt les circuits limbiques et crée ainsi une
asymbolie de la douleur.
La dimension cognitive d’évaluation (description des caractéristiques de la douleur, de
la durée, etc.) est du ressort du néocortex.
Citons encore J.-D. Vincent : « Au niveau des structures cérébrales le message doulou-
reux se mêle aux ensembles neuronaux responsables de processus généraux d’aversion et
devient partie intégrante des systèmes désirants. S’il existe encore des voies spécifiques
de la douleur qui font relais dans le thalamus ventrobasal vers le cortex somesthésique,
celles-ci ne sont plus qu’une fraction parfois négligeable du devenir de la douleur, qui
désormais navigue entre limbes et hémisphères. » (Biologie des passions.)

La modulation humorale centrale


Des mécanismes régulateurs font intervenir des neuromédiateurs qui inhibent ou
renforcent l’influx nociceptif. La perception douloureuse est inhibée par la sérotonine,
les agonistes alpha-adrénergiques et surtout les opiacés endogènes : enképhalines, endor-
phines. Lors de la réaction de défense du syndrome général d’adaptation, il y a, comme
nous l’avons vu, sécrétion d’endomorphines par l’hypophyse.
Inversement, la nociception est renforcée par la substance P, les acides aminés excita-
teurs, l’oxyde nitrique, la naloxone.

Voies descendantes
Des mécanismes centraux (cortex frontal, lobe limbique, hypothalamus) modulent la
stimulation des voies descendantes et leur régulation humorale. Les informations d’ori-
gine psychique (représentations conscientes ou inconscientes, affects) et émotionnelle
entrent en jeu.
À lésion identique, la perception de la douleur est donc extrêmement variable d’un
sujet à l’autre.

3-2. La physiopathologie infraclinique


Devant la complexité des mécanismes qui entrent en jeu dans la nociception, on
comprend aisément qu’une douleur puisse se manifester en l’absence d’éléments
repérables à l’examen clinique et lors des investigations paracliniques. Les mécanismes que
nous venons d’évoquer sont le plus souvent infracliniques. Cela devrait inciter le médecin
à accepter la possibilité de désordres physiopathologiques qui échappent à l’investigation
médicale, et à renoncer à ces représentations tant répandues de douleurs dénuées de
substratum organique, de douleur sine materia, de douleur « psychogène » (diagnostic le
plus souvent d’élimination qui présuppose une absence de dysfonctionnement physio-
logique), voire de douleur imaginaire, et, une fois pour toutes, de mettre un terme à des
formulations défensives du type : « C’est dans la tête ! »… « C’est psychique ! »… « Vous
n’avez rien  ! »
Même si la douleur ne s’inscrit pas dans une entité nosographique précise, il n’est pas
interdit d’imaginer quel processus périphérique infraclinique non détectable par les inves-
tigations habituelles peut être le support du phénomène douloureux dans sa compo-
sante périphérique : hypersensibilité des récepteurs périphériques, décharges neuronales,
phénomènes myotensifs, microphénomènes mécaniques, inflammatoires, œdémateux
367
Traité de médecine psychosomatique

ou circulatoires, dysrégulation humorale. Plusieurs mécanismes physiopathologiques


de ce type se potentialisent pour générer le désordre somatique. « Chaque stimulus pris
isolément est trop infime pour être identifiable, ce qui ne l’empêche pas d’exister, mais
la négativité des investigations conduira toujours certains à assimiler les douleurs sine
materia à des douleurs imaginaires. » (Baroudet, Synapse)
Quant à la composante centrale, elle peut générer à elle seule des douleurs, comme
en témoignent certains syndromes thalamiques, ou encore les expériences sous hypnose.
Même la douleur morale que l’on rencontre dans certaines dépressions a un substratum
physiopathologique : modifications humorales, modifications de la transmission synap-
tique, altération des systèmes monoaminergiques.
Dans tous les cas, la composante centrale module la perception douloureuse. Les
désordres affectifs et émotionnels interagissent à ce niveau. L’état de conscience joue bien
sûr un rôle central dans la perception douloureuse. Le sommeil peut faire disparaître
certaines douleurs qui ne se manifestent qu’à l’état de veille.
La représentation d’un désordre physiologique réel et constant et d’une modulation à
la fois neurologique et humorale n’est pas sans importance. Un patient à qui l’on a expli-
qué la conjonction possible de plusieurs mécanismes physiopathologiques infracliniques
est souvent un patient apaisé.
Par ailleurs, cette représentation nous permet de nous décentrer de la conception de
plus en plus répandue d’autonomie de la douleur chronique par rapport au désordre
somatique.

4. L’INTERACTION DU PSYCHISME
Il n’existe pas de douleur physique sans participation du psychisme.
Toute douleur du corps interagit avec le fonctionnement psychique. Ce dernier est
concerné, comme nous allons le voir, à tous les stades d’une affection douloureuse : en
tant que cofacteur inducteur du désordre physiologique responsable de la douleur, en
tant que modulateur de la perception douloureuse, et en tant que système fonctionnel
lui-même remanié par l’affection douloureuse.
Les représentations psychiques peuvent à elles seules déclencher, par le biais d’un
désordre physiologique, une douleur. Les expériences sous hypnose en attestent. Certaines
peuvent aggraver la perception douloureuse, d’autres l’atténuer ou la faire disparaître. Les
représentations inconscientes du corps qui se sont inscrites au cours de l’histoire du sujet
occupent ici une place centrale, qu’elles concernent l’image inconsciente du corps dans
son intégralité ou, de manière plus spécifique, la zone périphérique douloureuse.
Le langage du patient est souvent envahi et appauvri par l’affect douloureux. Si la
douleur morale génère la plainte, la douleur physique génère le cri, l’exclamation, vides
de signifiant.
Les mots utilisés par le patient pour décrire sa douleur ne doivent pas être entendus
uniquement du point de vue de l’évaluation quantitative du ressenti, comme les échelles
d’évaluation l’y encouragent, mais aussi dans la complexité de leur signification. Les
qualificatifs de la douleur constituent tout d’abord une indication sémiologique quant
à la nature, voire à l’origine de celle-ci, telle que la clinique médicale nous l’a enseignée.
Par ailleurs, les expressions personnelles et souvent imagées utilisées par le patient sont
d’une richesse sémantique trop souvent inexploitée, car elles constituent une amorce du
368
Douleurs...

processus de mentalisation. Le particularisme de ces expressions constitue une ouverture


sur le sens et l’origine de la souffrance. Le soignant évitera autant que se peut de substi-
tuer à l’imaginaire du sujet un imaginaire médical de bon aloi, fût-il attesté, comme c’est
le plus souvent le cas, par sa forme la plus aveuglante : l’imagerie. Plus que jamais, devant
le déficit de mentalisation du sujet douloureux chronique, il est nécessaire de favoriser
chez le patient son expression personnelle, sans se substituer à lui.

4-1. La démentalisation du vécu traumatique inaugural


Initialement, c’est un déficit d’élaboration psychique qui intervient dans la genèse
du désordre somatique, déficit le plus souvent induit par des mécanismes que nous
connaissons bien maintenant : afflux de traumatismes, répression, dépression essen-
tielle. Ce déficit d’élaboration psychique, conjugué à une limitation des expressions
comportementales éminemment fréquente dans les syndromes douloureux, va induire
un désordre de l’excitation dont la seule issue est le corps, et plus particulièrement le
système anatomofonctionnel présentant une ornière de fragilisation.
Dans les somatisations douloureuses, ce déficit est particulièrement massif, dès le
début de l’affection, et va s’amplifier secondairement, de manière rétroactive du fait de
la douleur.
™™ Dolorosa, infirmière libérale, subit les affres de son mari. Il boit, il la trompe, il ne
travaille pas, il est violent avec les enfants. Elle a toujours pensé qu’elle pouvait le faire
changer. Un mari, ça ne change pas, pas plus qu’une épouse, du simple fait qu’on désire
qu’il change. S’il doit changer, ce ne sera pas le fait de Dolorosa mais des circonstances
de la vie, de sa propre vie. Dolorosa est tendue en permanence, assume une fonction
centrale dans la famille, assure le quotidien, et ne se demande même plus si elle pourra
continuer comme ça. Régulièrement, depuis cinq ans, c’est-à-dire depuis que son mari
est au chômage, elle présente des lombalgies qui cèdent au bout de quelques jours grâce
à un traitement anti-inflammatoire. Elles ont été attribuées à son travail. Effectivement,
elles se déclenchent souvent après avoir soulevé un malade. Il lui est arrivé d’envisager le
divorce, idée qui a eu pour effet d’apaiser sa tension, mais cet apaisement ne durait pas,
immédiatement envolé du fait d’une angoisse de séparation qui émergeait sur le champ.
Il valait mieux exclure cette idée de la tête. Car Dolorosa a vécu dans le passé des sépara-
tions douloureuses inscrites au fer rouge dans sa psyché et dans son corps : à 8 ans, quand
sa mère est partie vivre sa vie, à 21 ans, quand son père est mort subitement, se retrou-
vant seule à assumer ses frères et sœurs plus jeunes. Tout sauf la séparation synonyme de
mort. Elle efface donc de sa pensée ces images d’un ailleurs possible, amputant ainsi tout
un secteur de son psychisme. Elle a abandonné ses activités de loisir car le mari est jaloux.
Plus rien ne s’évacue, ni dans le fantasme, ni dans l’exutoire. Et puis, il y a les enfants.
Heureusement qu’elle est là car le père a depuis longtemps démissionné. À l’intérieur de
la maison, on fait comme si de rien n’était.
Le vécu traumatique inaugural de Dolorosa est l’objet d’une répression, plus particu-
lièrement les représentations motrices agressives et douloureuses. De fait, la souffrance
morale n’apparaît pas. Ce présupposé confort se soldera par une décharge de l’excitation
dans le corps, là où la cible somatique est sollicitée lors de l’activité professionnelle : la
région lombaire.
369
Traité de médecine psychosomatique

Fantasme agressif

Répression

Sentiment d’irritabilité sans objet

Répression

Disputes

Douleur lombaire Tension musculaire


Meurtrissure

Douleur et vécu traumatique inaugural

™™ Le silence a été rompu par un coup de téléphone. Le fils aîné vient d’avoir un
accident de moto. A priori, il est hors de danger mais aurait la jambe fracturée. Il est
11 h. Elle essaye de joindre son mari à son bistrot favori. Le mari a visiblement changé de
bistrot. Les autres enfants sont à l’école. Elle s’effondre sur sa chaise, essaye de joindre une
voisine. Personne. Le mari a pris la seule voiture disponible, car celle de Dolorosa est chez
le garagiste. Que faire ? Elle ressent l’espace d’un instant une tension interne généralisée,
une rage et un découragement, aussitôt réprimés. Elle se ressaisit, repart au combat et,
en voulant ramasser le téléphone tombé à terre, est prise d’une douleur lancinante qui
s’empare de tout le bas de son corps et du membre inférieur gauche. Lombosciatique.
Arrêt de travail. Alitement.

4-2. La mentalisation parallèle


™™ Le fils de Dolorosa passa un mois à l’hôpital après avoir subi un traitement chirur-
gical de fractures diaphysaires étagées du membre inférieur droit. Dolorosa, du fait de
sa sciatique hyperalgique, ne put lui rendre visite qu’au bout de dix jours. Pendant ces
dix jours, l’état de santé du fils était devenu une obsession bien légitime. Les préoccupa-
tions concernant le mari étaient passées au second plan, d’autant que Monsieur, dans un
sursaut de conscience, s’était mis transitoirement à prendre les choses en main. Et à faire
la navette à l’hôpital, et à faire le rapport à l’alitée tous les jours. Cette lombosciatique, si
elle n’avait pas été initialement la bienvenue, redistribuait de manière plus juste les cartes,
ainsi que les représentations. L’essentiel, c’était le fils et la culpabilité de n’être point à son
chevet.
Le médecin traitant ne négligea en rien son travail et demanda une consultation
rhumatologique qui confirma l’existence d’une hernie discale et l’étiologie du faux
mouvement effectué en ramassant le téléphone.
Un mois après, le fils sortit de l’hôpital, Monsieur reprit sa consommation et son
comportement de croisière, et Dolorosa avait toujours mal. On consulta l’unité de la
douleur. Le neurochirurgien ne posa pas d’indication chirurgicale. Un algologue, conscient
de la relation qui peut exister entre les traumatismes de la vie et les pathologies, repéra
370
Douleurs...

que l’accident du fils avait été le facteur déclenchant. Mais pas une fois la relation avec le
mari ne fut évoquée comme déterminant premier. Tout avait été oublié. La représenta-
tion « fils » avait chassé la représentation « mari » et trompé le médecin.
Cette représentation psychique de substitution que je désigne par le terme de
mentalisation parallèle est éminemment fréquente dans les somatisations douloureuses
et constitue une source d’erreur tout autant fréquente lors des investigations médicales.
La mentalisation parallèle peut augmenter la nociception si l’affect qui la sous-tend
est de nature traumatique ou bien la diminuer si celui-ci est de nature hédonique. Cet
élément fondamental est largement utilisé en thérapeutique, plus particulièrement en
hypnose.
« Mon fils ! »

Inquiétude

Immobilité
forcée

Entretien de la Tension musculaire


douleur lombaire Meurtrissure

Douleur et mentalisation parallèle

4-3. L’effet somatopsychique
™™ La lombosciatique de Dolorosa, bien qu’atténuée, persista longtemps de manière
sourde. Dolorosa reprit son travail. Dans les suites d’un accès de jalousie du mari, une
nouvelle poussée de lombosciatique survint en soulevant un malade. On la ramena chez
elle, le mari s’amadoua. Tout ne venait donc que de ce patient trop lourd à soulever. Alitée
à nouveau, mais moins préoccupée par son fils qui allait bien, elle patienta, de moins en
moins toutefois, excédée par cette douleur qui suscitait des palabres chez les médecins.
Elle relut des ouvrages médicaux, consulta internet, fut attentive aux moindres variations
de sa douleur qui progressivement s’insinua comme représentation première dans son
psychisme. Ainsi, l’objet « douleur » remplaça l’objet « fils », qui avait lui-même remplacé
l’objet « mari ». Le caractère de Dolorosa changea : moins tolérante, ombrageuse, et
surtout fixée en permanence sur son problème lombaire.
Ce secteur psychique envahi par des représentations n’ayant plus trait qu’à l’objet
« douleur », que nous appelons effet somatopsychique ou mentalisation secondaire,
s’instaure rapidement chez les sujets douloureux chroniques, avec une force telle qu’il
occulte parfois à tout jamais le vécu traumatique inaugural. Ainsi, Dolorosa souffre
moralement à cause de sa hernie. Elle n’en doute pas une seconde, pas plus que l’équipe
de soins. Dans sa vie, dira-t-elle, tout va bien, si ce n’est cette douleur. Ce tour de force
exceptionnel qui a leurré tant de générations de médecins et dans lequel la douleur
371
Traité de médecine psychosomatique

physique détient la place première et occulte tous les déterminants traumatiques, a le


pouvoir de faire perdre la mémoire au sujet.
Les conséquences de la douleur sur la vie du sujet, le bouleversement intérieur
engendré, tendent effectivement à autonomiser la douleur qui prend avec le temps une
place privilégiée au sein de l’économie psychosomatique. Elle finira par constituer une
fonction psychosomatique spécifique qui réorganisera la vie du sujet. Cette fonction
psychosomatique rigidifiée, sous l’effet des réponses extérieures ou des tendances
inhérentes à l’organisation psychique initiale du sujet, peut induire une réorganisation, si
ce n’est une néo-personnalité, qu’il n’est pas rare de rencontrer en clinique au bout d’un
certain temps d’évolution de l’affection.
Au bout d’un certain temps d’évolution douloureuse, des mécanismes de déni
puissants s’installent et rendent caduque toute velléité thérapeutique.

Fixation sur l’objet douleur

Affect dépressif généré par la douleur

Limitation de l’action
Quête de soins

Douleur constituée

Effet somatopsychique de la douleur

Le nouveau fonctionnement psychique et psychosomatique du sujet, indissociable


de sa douleur, orchestre sa vie quotidienne. Il est entretenu de manière quasi continue
par divers processus qui s’interagissent : remaniements économiques, modifications de
l’équilibre instinctivo-pulsionnel, privations comportementales, productions et remanie-
ments psychiques, bénéfices primaires et secondaires.
Nous aborderons tous ces processus dans la quatrième partie de ce livre, au chapitre
« Réactions à la maladie » (p. 655) et limiterons leur présentation à un inventaire
succinct.

Effets économiques intrinsèques


La douleur renforce et pérennise souvent le désordre physiologique, par le biais d’un
afflux d’excitation, dont l’origine est double :
––augmentation des désordres physiologiques, entretenue par la douleur elle-même.
Ce phénomène qui repose sur un arc réflexe est bien connu des algologues ;
372
Douleurs...

––effet démentalisant de la douleur : disparition du vécu traumatique inaugural, voire


de la mentalisation parallèle.
Mais la douleur absorbe aussi un quantum d’excitation, qui peut dans certains cas
éviter une désorganisation plus profonde.

Modifications de l’équilibre instinctivo-pulsionnel


Le destin de l’agressivité est modifié :
––dans son expression qui devient plus massive, plus primaire, moins élaborée ;
––au niveau de ses objets : déplacement sur de nouveaux objets, ou sur le sujet
lui-même.
La sexualité est modifiée :
––au niveau de la vie sexuelle : handicap, évitement, renoncement ;
––au niveau fantasmatique, plutôt dans le sens d’un appauvrissement.
Il n’est pas exclu que le déficit sexuel ainsi induit ait des conséquences sur le taux
d’excitation.

Effets comportementaux
Initialement, la douleur aiguë signale au cerveau l’agression des tissus, tout ce qui
menace l’intégrité du corps : brûlure, pincement, compression, déchirure, lacération,
griffure, dilatation, coupure, inflammation, compression. Elle génère des mouvements de
retrait destinés à éloigner la source douloureuse. Elle immobilise mieux que ne le ferait
une atèle. Cette réduction de la motricité constitue un mécanisme défensif trophique.
Mais lorsque la douleur chronique restreint la motricité en continu, elle induit une
privation comportementale plus particulièrement au niveau des exutoires trophiques, et
porte ainsi atteinte à la libération des excitations.

Remaniements des expressions psychiques


Les réactions psychiques précoces surgissant lorsque s’instaure le processus doulou-
reux sont bien connues : détresse, anxiété, agitation, sidération, colère, lutte, abattement.
Lorsque la douleur se chronicise, des expressions psychiques antérieures peuvent
disparaître, telles que l’hyperactivité défensive. De nouvelles expressions psychiques
surgissent : modifications du caractère et du comportement, dépendance, régression,
réactions paranoïaques, etc.

Blessure narcissique
Le narcissisme est inévitablement altéré. L’altération de l’image de soi, le plus souvent
sur un mode déficitaire de dépréciation, peut générer un retrait, un repli sur soi, un renon-
cement aux investissements extérieurs, une négligence de soi-même, une dépression.

Remaniements topiques
Les remaniements de la première topique concernent essentiellement le système
préconscient conscient, les formations profondes de l’inconscient psychique n’étant pas
affectées, sauf dans les syndromes psychotraumatiques majeurs.
La deuxième topique est plus particulièrement concernée, notamment au niveau des
idéaux du moi et des instances répressives : régressions libidinales, résolution d’un conflit
interne, telle l’expiation d’une culpabilité.
373
Traité de médecine psychosomatique

Bénéfices primaires
Les bénéfices primaires comprennent les bénéfices économiques et les bénéfices libidi-
naux.
Les bénéfices primaires économiques sont liés à la démentalisation. La douleur
physique permet souvent de faire l’économie d’une douleur psychique. L’occultation de
représentations ou d’affects intolérables y est très fréquente.
Les bénéfices libidinaux sont liés à la redistribution des objets. Les objets extérieurs
sont désinvestis, la libido d’objet se transforme en libido du moi, générant une régression
narcissique. Cette régression peut parfois avoir un effet réparateur. Dans d’autres cas, elle
accentue la focalisation du sujet sur ses perceptions et augmente de fait le taux d’excita-
tion et in fine la douleur.
La douleur physique surgissant dans les suites de traumatismes à type de perte
remplace souvent l’objet perdu, et permet ainsi d’assurer une continuité du fonctionne-
ment psychique qui, bien que réduit, constitue souvent un garde-fou régressif contre une
désorganisation psychique et/ou psychosomatique.
Le déplacement sur le seul objet douloureux peut permettre, selon les cas, d’occulter
une problématique beaucoup plus vaste (le sujet sait, cette fois-ci, pourquoi il souffre), de
légitimer et d’atténuer un vécu hypocondriaque, de s’identifier à un modèle souffrant, de
déplacer sur le corps une appétence masochiste.

Bénéfices secondaires
Ils sont de deux types : les bénéfices narcissiques et les bénéfices matériels.
Les bénéfices narcissiques résident en un regain d’avantages plus ou moins conscients
et en une restauration identitaire. C’est ainsi que tel sujet, initialement dans l’ombre, peut
être l’objet d’attentions particulières, d’une tolérance plus grande de l’entourage, de la
famille, du milieu professionnel. La douleur physique en appelle à l’apitoiement, voire à
la tendresse, si ce n’est aux gratifications, alors que la douleur morale suscite souvent le
rejet.
La douleur peut permettre de résoudre un conflit externe. Évitement d’obligations ou
de situations difficiles, dédouanement, excuse honorable à des manquements, possibilité
de se retirer en tout bien tout honneur, apaisement de certaines tensions. Elle peut transi-
toirement créer un « entracte » dans une dynamique conflictuelle, une pause qui permet
de reconsidérer avec plus de distance la problématique, mettre un terme à un vécu diffi-
cile (une passion mortifère peut être résolue par l’apparition d’un syndrome douloureux).
™™ Le mari de Dolorosa redevint plus coopératif, plus attentif, du fait de la douleur de
sa femme, mais aussi du fait de la réduction de l’efficience de celle-ci au sein de la famille.
Le fils renonça un peu à la moto pour ne pas inquiéter sa mère et, en prime, une invali-
dité fut accordée. Mais les bénéfices secondaires les plus importants résidaient dans le
dédouanement de Dolorosa de son incapacité à assumer et à assurer au sein de la famille
du fait d’une maladie étiquetée et désintriquée de sa problématique personnelle.
À terme, s’instaure le statut de malade, de victime. Le sujet redécouvre une identité et
ce, d’autant plus que la maladie a été étiquetée. À un stade de plus, la prise de pouvoir
s’instaure : manipulation consciente et délibérée de l’entourage, absolution de comporte-
ments agressifs ou régressifs, simulation médico-légale, conduites perverses.
374
Douleurs...

Nous ne nous étendrons pas sur les bénéfices secondaires matériels. Freud les avait
qualifiés bénéfices d’autoconservation, à une époque où les conséquences somatiques
désastreuses de la Première Guerre mondiale justifiaient légitimement à ce qu’il est
convenu d’appeler élégamment réparation. Le contexte aujourd’hui est éminemment
différent et tout praticien est confronté à des excès, des abus, des revendications, caution-
nés par des tiers et les institutions elles-mêmes, qui exigent réparation quel qu’en soit le
prix pour la société et surtout pour le patient lui-même.
Ainsi peut se créer, avec le temps et souvent la complicité des autres, une néo-organi-
sation de la personnalité qui rendra à ce stade toute tentative de traitement de la maladie
illusoire.

4-4. Applications pratiques
Les signes mentaux visibles au cours d’une maladie douloureuse font donc écran
devant les déterminants psychiques qui ont contribué à l’apparition de cette maladie.
Ceci confirme la nécessité incontournable pour le thérapeute dont l’activité ne repose
pas uniquement sur des actes techniques de tenir compte de la complexité des interac-
tions entre le psychisme et le corps, et ceci le plus tôt possible, dès qu’une affection
douloureuse s’éternise ou devient récurrente.
Certains principes doivent être respectés :
––anamnèse associative exhaustive ;
––prise de distance par rapport à l’explicite : ne pas considérer la mentalisation paral-
lèle et l’effet somatopsychique comme des déterminants initiaux de la maladie ;
––prise de recul par rapport à certaines données statistiques superficielles, plus particu-
lièrement celles qui établissent des liens entre dépression et douleur. La majorité de ces
études tendent à attribuer la genèse de la douleur à un état dépressif mentalisé. C’est
en règle générale l’inverse : c’est parce qu’il n’y a pas eu dépression qu’il y a douleur. Par
ailleurs, lorsqu’il existe, l’état dépressif concomitant des douleurs est le plus souvent un
état dépressif somatopsychique et ne constitue pas le déterminant premier. Le carac-
tère très disparate des statistiques (exprimés en pourcentage de dépressifs) atteste
de leur manque d’étayage : revues de dossiers : 16% ; échelles d’évaluation remises au
patient : 30% ; échelles d’évaluation remplies par le médecin : 50% ; tests psycholo-
giques : 80% ; entretiens approfondis : 80 à 100% ;
––inversion de la sélection de patients adressés au psychosomaticien. Parmi les patients
douloureux chroniques, l’habitude est d’adresser au psychosomaticien les patients
présentant des symptômes mentaux, et non ceux qui en sont dénués. Or, ce sont ces
derniers qui en ont le plus besoin ;
––évitement autant que se peut et dans une juste mesure de la répétition d’investiga-
tions médicales ad libitum. Elles sont trop souvent destinées à rassurer transitoirement
le patient et à justifier l’intervention du soignant. Elles aboutissent souvent à l’inverse
du but recherché et accentuent la démentalisation ;
––prise en compte des effets délétères de certaines privations comportementales.

375
Traité de médecine psychosomatique

5. DOULEURS DE LUTTE - DOULEURS DE DÉFAITE


Les syndromes douloureux apparaissent soit du fait d’un état de tension agressive
réprimée dans une dynamique de lutte, soit du fait d’un vécu de défaite (perte, épuise-
ment, meurtrissure), soit du fait des deux.
Dans tous les cas, la répression de l’agressivité y est centrale et la sollicitation mécanique
de structures fragilisées n’est pathogène que parce qu’elle se produit à l’acmé de la répression.

5-1. Les syndromes douloureux de lutte


Prenons la simple métaphore du coup donné et du coup reçu.
™™ Manu, psychopathe grand teint, donne un coup de poing à Pépé, celui-ci l’ayant
regardé. Tous deux vont ressentir une douleur : douleur majeure de défaite chez Pépé
étendu à terre, le visage tuméfié, mais aussi, c’est relativement fréquent, douleur chez
Manu, au niveau des phalanges, du poignet et du coude. La douleur chez Manu est consi-
dérablement atténuée par son sentiment de victoire et par l’excitation qu’il a libérée
en déchargeant son agressivité. Elle peut même de ce fait être imperceptible mais, n’en
doutons pas, les phalanges et le poignet, si ce n’est le coude et l’articulation de l’épaule,
ont été l’objet de microdéplacements potentiellement douloureux au moment du
contact avec l’os malaire de Pépé. Douleur de lutte moins intense que la douleur de ce
dernier qui a reçu le coup de poing, mais douleur tout de même. Certains psychopathes
se plaisent à arborer avec fierté l’atèle plâtrée comme la médaille du mérite, et à négliger
publiquement et ostensiblement la douleur ressentie.
Les mêmes psychopathes, avant d’en découdre, aiment bien hurler à leurs acolytes :
« Retenez-moi ! Retenez-moi ! Sinon je le tue ! » Durant la phase de rétention, qui en
règle générale ne dure qu’un temps, ils sont comme des animaux en laisse, des mâtins
prêts à s’étrangler plutôt que de faire volte-face. Il en est ainsi, chez tout un chacun, de
la répression des représentations motrices agressives, plus particulièrement dans le terri-
toire de l’appareil d’emprise. À un degré plus conventionnel, c’est le cadre bafoué par son
supérieur, le mari trompé, le contribuable dépouillé. La haine est sourde, le fantasme de
pulvériser le chef, de défigurer le traître, d’incendier la perception, surgit puis s’évapore.
Et c’est lors de cette évaporation que l’on nomme répression que quelque chose se coince
au niveau de la partie supérieure du corps : le membre supérieur qui aurait été fort utile
pour terrasser l’ennemi, le rachis cervical dont la flexion subite conditionne le « coup de
boule », les mâchoires de l’animal déçu de ne point avoir dilacéré les parties molles de
l’outrecuidant.
Ainsi, tous les territoires anatomofonctionnels utilisés pour se battre, comme on se
battait il y a des millénaires, sont concernés. La tête, la région cervicoscapulaire et les
membres supérieurs sont particulièrement concernés.
Céphalées myotensives, rachialgies hautes, cervicobrachialgies, « troubles musculo-
squelettiques » du membre supérieur (tendinites, périarthrites, bursites, ténosynovites,
syndrome du canal carpien, pathologie musculaire péri-articulaire), procèdent d’une
répression des représentations agressives. Ces pathologies attestent d’une réaction répri-
mée de lutte, d’attaque, de défense ou de prédation. Dans ces zones concernées par
l’emprise, l’objet est toujours devant, dans la ligne de mire, clairement identifiable, mais la
représentation motrice agressive a disparu.
376
Douleurs...

L’excitation se déverse dans les zones concernées sous forme de tensions, de microdé-
placements, de conflits mécaniques. Si la cible est déjà fragilisée, le désordre de l’excita-
tion s’y installe avec aisance. Ce sont les douleurs de tous ceux qui répriment leur rage.
La lutte est sous-tendue par une tension vers la victoire. Il existe un espoir, aussi minime
soit-il. Elle en appelle à l’action. « Oh douleur insensée, Marguerite, j’accours ! » (Berlioz,
La damnation de Faust.) Au début de la course à l’Abîme, Faust se relève subitement de sa
douleur en se lançant au galop pour sauver l’être aimé.
L’existence de douleurs de lutte va à l’encontre de l’hypothèse quelque peu réductrice
de Nasio. La perte ne constitue pas le seul déterminant de la douleur.
™™ Maryline souffre d’un syndrome du canal carpien depuis deux ans. La pathologie
est apparue dans un contexte particulier. Dans les suites du décès de sa mère dont elle
avait été seule à s’être occupée, ses deux frères, qui n’avaient pas donné signe de vie depuis
belle lurette, firent irruption, consultèrent notaire et avocat, dans le but de s’emparer du
magot. Ce qui fut fait. Maryline, seule, nourrit une rancœur légitime pendant quelques
semaines à l’encontre des deux magouilleurs, rancune qui se dissipa comme par enchan-
tement lorsqu’elle se mit à être gênée puis souffrir de son poignet droit. Une interven-
tion pour syndrome du canal carpien fut effectuée mais, dans les trois semaines qui
suivirent, la douleur réapparut, accompagnée cette fois-ci de névralgie cervicobrachiale.
Depuis cette période, Maryline avait totalement shunté les déterminants de ses douleurs,
d’autant qu’elles furent officiellement attribuées à son travail de manutentionnaire.
Malgré les arrêts de travail, malgré les aménagements ergonomiques sophistiqués, malgré
la kinésithérapie et les médicaments, les douleurs et la gêne fonctionnelle persistaient.
Plusieurs séances furent nécessaires pour rementaliser Maryline et lui faire retrouver la
mémoire. Les symptômes s’amendèrent au bout de deux mois et finirent par disparaître
alors que des rêves récurrents, mettant en scène les deux zigotos, firent leur apparition.
La nouvelle intervention orthopédique fut par bonheur annulée.
Ces pathologies douloureuses de l’appareil d’emprise cèdent relativement aisément
lorsqu’elles sont traitées assez tôt et lorsque les bénéfices primaires ou secondaires ne
sont pas trop importants. Il n’en est pas toujours ainsi comme en attestent les observa-
tions qui suivent.
™™ Mourad, patron d’une petite entreprise, a été victime il y a cinq ans d’un accident
dans le cadre de son activité professionnelle, accident dans lequel il n’était pas dans son
tort, s’étant soldé par une entorse cervicale C6-C7-D1. Je le vis sept mois après l’accident :
il présentait des cervicalgies et des paresthésies du membre supérieur droit. L’électromyo-
gramme ne révélait aucune atteinte radiculaire. Il portait encore une minerve. Il lui arrivait
de ne pas ressentir de douleur, notamment lors de la marche. Par contre, le syndrome
psychotraumatique était évident : cauchemars récurrents de l’accident, angoisses diffuses,
phobies des déplacements, sexualité déficitaire. On ressentait une tension extrême dans
son corps. Mourad avait été castré par cet accident, et ce d’autant plus qu’il pratiquait
énormément de sport auparavant. Il suivait un traitement par médicaments, rééducation
fonctionnelle, élongations, acupuncture, mésothérapie. Un neurochirurgien consulté
évoquera un simple œdème et ne retiendra pas d’indication chirurgicale. Un deuxième
neurochirurgien, connu pour avoir le bistouri particulièrement leste, habitué à formuler
les pronostics les plus sombres, emportera le suffrage de Mourad, et ceci malgré l’avis du
377
Traité de médecine psychosomatique

premier et de mes propres conseils. J’étais en effet intimement persuadé, compte tenu
de la pauvreté des examens paracliniques et de son état de tension, que l’intervention
aboutirait à un échec.
Je le revis trois mois après. Il avait été opéré. Les douleurs et les paresthésies persis-
taient, ainsi que, bien qu’atténués, les rêves traumatiques. Il était submergé dans des
démarches administratives et judiciaires qui en rajoutaient une couche à son état de
tension. Il s’occupait de loin de sa société, évitait toute activité physique sur les conseils
du même neurochirurgien.
Nos rencontres furent très espacées, surtout centrées sur son état thymique, le plus
souvent au plus bas. Puis je ne le revis plus pendant quatre mois et ensuite de manière
extrêmement épisodique, une ou deux fois l’an, la séance se limitant à enregistrer ses
plaintes, sans autre possibilité d’élaboration.
Trois ans après l’accident, il avait toujours mal, n’avait pas repris ses activités sportives.
C’est alors qu’il lui fut accordé une invalidité à 66% qui, loin de l’apaiser, le terrassa,
accentuant son vécu de castration. Il lui fut conseillé avec véhémence, lors des diffé-
rentes consultations dans des services spécialisés, d’accepter son handicap. Il consulta
le neurochirurgien qui l’avait opéré, celui-ci lui dit que ce n’était plus de son ressort, que
l’intervention s’était déroulée parfaitement. Il accepta effectivement, en bon élève, son
handicap, convaincu qu’il aurait ces douleurs toute sa vie comme certains praticiens le
lui avaient dit.
Cinq ans après l’accident, je le revois. On lui a proposé une greffe osseuse mais, par
bonheur, il a renoncé. Depuis un an, se sont installés des acouphènes du côté droit et
une faiblesse du membre supérieur. Il rêve encore de temps en temps de l’accident et ses
angoisses reviennent régulièrement. L’accident s’était produit trois ans après le décès de
son père auquel il était très attaché. C’est celui-ci qui avait créé l’entreprise dont il hérita,
non sans culpabilité, après son décès. Il n’est pas impossible que Mourad soit allé chercher
le châtiment de sa culpabilité pulsionnelle et de sa dette insolvable auprès du chirur-
gien orthopédique qui le castra sans ménagement. Ces phénomènes sont fréquents : afin
d’échapper à une castration imaginaire, certains sujets recherchent une castration réelle
partielle. La guérison de nombreuses douleurs abdominales fonctionnelles de l’enfant
par l’appendicectomie n’a probablement pas d’autre origine. Mais chez Mourad, l’effet
escompté ne fut pas au rendez vous.
Chez certains sujets, plus particulièrement dans les suites de traumatismes, des
remaniements neurovégétatifs peuvent survenir. Ainsi a été définie une entité clinique
particulière : l’algodystrophie (ou syndrome douloureux général complexe : SDGC).
Cette pathologie se manifeste par des douleurs le plus souvent à type de chaleur ou de
brûlure, un œdème dur, une sudation, tout ceci dans un territoire limité à un segment de
membre, débordant la zone de la lésion initiale. La douleur est aggravée par les mouve-
ments mais aussi, parfois, par un état de tension émotionnelle, voire, chez quelques
sujets, par un simple bruit. L’impotence fonctionnelle est fréquente. Ces phénomènes
sont dus à une vasodilatation d’origine neurovégétative. Dans un second temps, apparaît
une vasoconstriction responsable de déminéralisation osseuse (visible à la radiographie
au bout d’un mois d’évolution), d’une froideur locale, parfois d’une cyanose, d’une fragi-
lisation, voire d’une chute des phanères, et chez certains sujets d’une amyotrophie et
parfois d’une rétraction des tendons. L’évolution se fait en règle générale vers la régression
378
Douleurs...

spontanée mais très lentement, en moyenne au bout d’un an. Certaines séquelles peuvent
persister : rétraction tendineuse, limitation des mouvements, froideur des téguments,
ongles fragiles, disparition des poils.
L’origine neurovégétative du phénomène et l’aggravation par l’état de tension inter-
rogent le psychosomaticien, comme en attestent les deux observations qui suivent.
™™ J’avais déjà vu Juan, maçon de son état, pour un problème de lombalgie chronique.
Cet épisode de sa vie est relaté plus loin au paragraphe consacré aux lombalgies (p. 382).
Il revient donc me consulter treize ans plus tard, non pas pour sa lombalgie qui avait fini
par disparaître, mais pour une épicondylite apparue voilà un an. La douleur, à type de
striction et de brûlure, diffusant sur les zones adjacentes du coude, est aggravée lors des
mouvements forcés. Il est en arrêt de travail depuis neuf mois et rumine sans cesse sur
sa gêne fonctionnelle. Il a consulté un grand nombre de praticiens et subi les examens
les plus sophistiqués. À terme, le diagnostic d’algodystrophie a été posé, ainsi que l’inter-
diction définitive d’exercer son métier qu’il affectionne pourtant. L’investigation révélera
que, quelques mois avant l’apparition de l’épicondylite, il s’était fâché avec ses deux frères,
et que, lorsque la pathologie apparut, il ruminait encore une haine profonde contre eux,
haine qu’il s’efforçait toutefois de réprimer lorsqu’il travaillait. La sollicitation mécanique
inhérente à son activité professionnelle déclencha dans ce contexte l’épicondylite. Par
ailleurs, sa maison avait été cambriolée quelques semaines auparavant, ce qui contri-
buait à accentuer son état de tension. Je n’ai vu Juan que deux fois, suffisamment pour le
dissuader d’avoir recours à une intervention. Il ne vint pas au troisième rendez-vous fixé.
Je pense qu’à cette heure, il a dû être opéré ou bien continue à faire le tour des divers
magiciens du département.
™™ Stella, 19 ans, consulte avec sa mère. Elle présente une algodystrophie du pouce
gauche. Tout a débuté il y a un an dans les suites de la morsure de son chien alors qu’elle
voulait le séparer d’un autre canidé particulièrement agressif. Elle décrit ses douleurs
comme, selon ses propres termes, « une rage de dents au pouce ». L’investigation révélera
les origines de sa rage. Il y a huit ans, ses parents se sont séparés. Passe encore ! Trois ans
après, le père convolait avec une nouvelle compagne. Passe toujours ! Il y a trois ans, un
bébé naissait de leur union. Passe mal ! Dans la foulée, la nouvelle élue exige que le père
coupe les ponts avec Stella et dilapide les économies qu’il avait mises de côté pour les
études de sa fille. Stella et sa mère ne reçurent plus de pension alimentaire et se recroque-
villèrent l’une contre l’autre, dans une attitude de défaite, de rancœur et d’âpre désir de
vengeance. C’est dans ce contexte que Stella se fit mordre par Médor. La cicatrisation
s’annonçait bien, mais la mère, avec qui elle vivait de manière fusionnelle et éplorée, dut
être opérée trois mois plus tard d’un syndrome du canal carpien. C’est à ce moment là que
l’algodystrophie de Stella débuta. Stella rêve de taureaux qui l’encornent. Elle rêve aussi
régulièrement qu’elle donne des coups de poings à la compagne de son père. Lorsqu’elle
évoque tout cela pendant la séance, sa tension s’accentue et des décharges douloureuses
s’amplifient dans la zone atteinte. Tout comme Juan, Stella n’honora pas le troisième
rendez-vous. Mieux vaut souffrir que déposer les armes, fussent-elles en lambeaux.

379
Traité de médecine psychosomatique

5-2. La défaite du lombalgique


Les réactions à la défaite
Les douleurs de défaite sont des douleurs axiales qui affectent – selon mon point de
vue – des régions plus basses que les douleurs de lutte : rachis dorsolombaire, bassin.
Régions habituellement sollicitées dans le port de charge, ne serait-ce que le poids du
corps, et la locomotion. Elles sont le fait d’une répression des représentations motrices
agressives dans une attitude de défaite. À la composante myotensive, se surajoute une
composante de meurtrissure. Il n’y a douleur de défaite que lorsque la perte est repérée
comme irrémédiable par le sujet. La démentalisation y est de fait plus marquée. Elle
constitue un refuge.
Les rachialgies basses, les lombalgies, les radiculalgies des membres inférieurs me
paraissent correspondre à des douleurs de défaite, sous-tendues à la fois par une répres-
sion de la colère, de la tristesse et du dégoût. Tristesse, dégoût, assujettissement, blessure,
meurtrissure, rancœur, si ce n’est, chez certains sujets, persécution.

Les phénomènes physiopathologiques infracliniques


Certains échecs de la chirurgie de la pathologie discale, difficilement explicables sur un
plan strictement anatomique, me paraissent liés pour une grande part au fait suivant : le
taux d’excitation concentré sur la région douloureuse ne disparaît pas pour autant après
l’intervention. La tension se fixe sur les structures remaniées, entravant le processus de
guérison. Ce qui poserait dans certains cas la contre-indication ou tout au moins la néces-
sité de différer l’acte chirurgical tant que les facteurs psychosomatiques qui génèrent
l’excès local d’excitation n’ont pas été traités. Il ne s’agit pas de renoncer à l’opération,
mais d’opérer lorsque ces facteurs sont suffisamment atténués. Cela devrait être le travail
du médecin ou de l’algologue que de les détecter, préalablement à la consultation neuro-
chirurgicale.
Qu’en est-il de ces phénomènes de tension locale, d’excitation condensée sur la région
lombaire. Quelle est leur nature ? Officiellement, on ne le sait guère, sauf lorsqu’une
lésion évidente nous permet de conclure à une cause précise, mais aussi en même temps
occulte souvent des mécanismes infracliniques surajoutés. On n’en sait pas grand-chose
mais certaines situations cliniques fréquentes sont parlantes. Comment se fait-il que
tel patient porteur d’une hernie discale avérée traverse des périodes d’hyperactivité
physique sans le moindre symptôme et des périodes hyperalgiques malgré l’immobi-
lité ? La hernie discale disparaîtrait-elle pour réapparaître ultérieurement ? La clinique
officielle apporte un démenti à cette hypothèse. Ne peut-on alors imaginer que des
phénomènes infracliniques surajoutés au processus herniaire viennent scander cette
alternance symptomatique ? Ne peut-on imaginer par exemple une augmentation
du volume compressif par de microphénomènes œdémateux ou inflammatoires, non
détectables, ou des phénomènes myotensifs locaux, ou des dérangements mécaniques
périvertébraux mineurs, ou encore tout simplement des décharges neuronales intempes-
tives dans la région, voire des phénomènes humoraux qui augmenteraient la nociception
au niveau de cette zone ? Si tel était le cas, la variabilité de la clinique pourrait s’expliquer.
S’expliquer et s’articuler avec les données psychosomatiques, sans pour autant exclure
l’existence réelle de la hernie.
380
Douleurs...

Dans les rhumatismes dits « mécaniques » (articulaires ou abarticulaires), il existe un


conflit entre les structures anatomiques souvent objectivé par de simples clichés, conflit de
nature lésionnelle, qui n’exclut en rien la composante myotensive souvent surajoutée. En
règle générale, le facteur lésionnel est surévalué, la composante myotensive sous-évaluée.
Or, c’est probablement cette dernière qui rythme l’alternance des périodes algiques et
des périodes d’accalmie, au gré des variations de l’excitation, directement dépendante
des vécus successifs.
Tous ces phénomènes infracliniques potentiels que je viens d’évoquer et qui sont
probablement loin de regrouper l’intégralité des mécanismes, peuvent en tout cas s’expli-
quer par les variations du taux d’excitation, lui-même dépendant directement des varia-
tions de l’économie psychosomatique.

La cible somatique
Excitation à la fois augmentée et condensée sur une cible. Qu’en est-il de la cible ?
Coup de pied aux fesses ? Coup asséné au bas du dos ? Souffrance de l’âne bâté et battu ?
Cheval qui supporte le poids du cavalier et les coups de cravache et qui ne peut riposter
par une ruade ciblée ? L’objet est d’autant plus persécuteur qu’il se situe à l’arrière, dans le
dos. Objet moins discernable, moins évaluable, hors de portée du regard (ce qui pourrait
contribuer aux déplacements fréquents de l’affect agressif sur des objets de substitution).
Les fonctions de la ceinture lombaire chez l’homme sont le redressement et le port du
corps, la locomotion, la fuite, la copulation. Toutes ces fonctions sont le plus souvent
atteintes dans les lombalgies.
Il semblerait que chez l’être humain, plus on se situe à la partie supérieure du rachis,
plus domine le vécu de lutte, d’attaque, de prédation. Lorsqu’on se rapproche de la région
lombaire, apparaîtrait un vécu d’assujettissement, de blessure, de meurtrissure, lié à la
défaite.

Les débordements de l’excitation


Il arrive souvent que la cible ne suffise pas à endiguer le taux excessif d’excitation. À ce
moment, celle-ci déborde la cible et ainsi peuvent apparaître des phénomènes de tension
générale plus ou moins mentalisée.
Les malades lombalgiques, souvent difficiles, se vivant souvent comme incompris – ce
en quoi ils n’ont pas tout à fait tort – ayant essayé toutes les techniques, tous les procé-
dés, finissent souvent par tomber dans la rancœur, voire la revendication, et expriment
de fait un affect agressif diffus, volontiers à l’encontre du corps médical ou d’un hypothé-
tique persécuteur, objet qui n’a que peu de chose à voir avec celui du vécu traumatique
inaugural.
La mentalisation initiale fait totalement défaut chez ces sujets, mais l’affect agressif
transparaît, voire s’exprime de manière franche. Il atteste d’un débordement des capaci-
tés d’absorption par la cible somatique de l’intégralité du taux d’excitation.
Dans ces pathologies, la relation thérapeutique est difficile car le handicap et le
syndrome douloureux renforcent la lacune du préconscient. Au travers des remanie-
ments psychosomatiques induits et des bénéfices primaires et secondaires, s’installent
des défenses majeures face à toute approche psychosomatique qui n’irait pas dans le sens
du seul projet conscient.
381
Traité de médecine psychosomatique

Clinique psychosomatique des lomboradiculalgies


L’analyse de trente-deux observations de patients issus de mon cabinet souffrant de
lombalgie ou de lomboradiculalgie m’a permis de dégager certaines caractéristiques
récurrentes, à savoir :
––un déni quasi constant du cofacteur psychique qui s’aggrave avec le temps : les repré-
sentations traumatiques inaugurales disparaissent, et ceci beaucoup plus que dans les
autres pathologies ;
––un déficit de mentalisation, plus ou moins prononcé selon les sujets. La mentalisation
secondaire envahit les secteurs psychiques : la douleur, l’impotence fonctionnelle, les
conséquences somatopsychiques et existentielles occupent l’intégralité de la scène ;
––une répression des représentations motrices agressives à l’égard des objets trauma-
tiques ;
––une tension interne constante, générée par la répression de l’agressivité, la privation
comportementale, les incertitudes induites par le handicap ;
––l’existence de signes dépressifs dans 50% des cas (selon cette étude), de type plutôt
dépression hostile, dans lesquels la culpabilité est projetée. Chez certains sujets, existe
un balancement psychosomatique : alternance de dépression et de lombalgie ;
––un vécu de persécution fréquent (projection), renforcé par les échecs thérapeu-
tiques ;
––un investissement structural et érogène de la motricité ;
––plus rarement, un déficit sexuel.
™™ Rose présente des lombalgies depuis son mariage à 25 ans. À 30 ans, la séparation
d’avec son mari stoppe les douleurs mais génère dans le même temps une dépression
qui va durer un an. La rencontre d’un nouvel élu stoppera la dépression. L’installation en
ménage avec celui-ci fera réapparaître les douleurs.
™™ Lydia a toujours vécu dans la peur pour son enfant, atteint de troubles neurolo-
giques dès la naissance. Le chômage de son mari a accentué ce vécu de précarité existen-
tielle et déclenché une lomboradiculalgie S1 gauche qui, secondairement, la dédouane
de son aversion sexuelle à l’égard de ce dernier, devenu, selon ses termes, « un poids pour
elle, une charge à supporter ».
™™ Juan, évoqué plus haut (p. 379), a 30 ans lorsqu’il m’est adressé, pour la première
fois, pour une lombalgie chronique. Les investigations révèlent la présence d’une hernie
discale. Il existe aussi quelques douleurs diffuses (poignet, pied, cervicalgies), une tendance
à la constipation, ainsi que des éléments de la lignée dépressive : tristesse, inhibition,
adynamie, asthénie, pessimisme, rumination sur ses difficultés, troubles du sommeil. Il
présente une intolérance à la plupart des psychotropes.
Il y a 5 ans, il retourne dans son pays d’origine, l’Espagne. Il travaillera au hasard de
quelques emplois précaires successifs, puis rencontrera sa future épouse et, de manière
concomitante, s’installera à son compte comme maçon, dépendant toutefois des propo-
sitions de travail du frère aîné architecte. C’est dans ce contexte qu’apparaîtront les
lombalgies. Dans la foulée, il dépose le bilan, se marie sans grande conviction, et revient
382
Douleurs...

en France. Les douleurs, loin de s’atténuer, s’aggravent, et des troubles du sommeil ainsi
qu’une constipation se surajoutent au tableau clinique.
Un neurochirurgien lui propose une intervention et lui dit qu’il doit renoncer à tout
jamais aux métiers du bâtiment. Un deuxième neurochirurgien, plus ouvert et moins
incisif, ne retient pas d’indication opératoire.
Depuis son retour en France, le parcours professionnel est toujours aussi précaire :
travail chez un plaquiste, puis chômage, puis intérim, et, pour finir, la panacée promet-
teuse – comme chacun le sait – d’un avenir lumineux : le stage.
L’état de tension interne de Juan est majeur : hyperesthésie sensorielle, hyperréflexivité,
réactions de sursaut. Il verbalise un vécu d’incompréhension, d’injustice, d’horizon
bouché. La tension agressive est manifeste, tantôt retournée contre le sujet, tantôt répri-
mée, tantôt projetée. Apparaissent alors des éléments persécutoires évidents : injustice
sociale, injustice culturelle, injustice familiale, injustice dans la médecine. Il n’est pas
paranoïaque au sens psychotique du terme (si tel était le cas, il se situerait parmi les
« sensitifs ») car il est timide, a du mal à demander son dû, se vit mal aimé. Il n’est nulle-
ment dangereux, mais le système projectif fonctionne depuis toujours. Dans les rêves,
apparaissent des camarades de classe qui ont réussi leur vie et qui le persécutent, des
serpents qui l’entourent, des chutes d’un échafaudage, et même une scène où il est cruci-
fié à côté du Christ.
Petit dernier d’une fratrie de sept (six frères et sœurs aînés, la dernière ayant 8 ans de
plus que lui), il est un accident de la sexualité tardive de ses parents. La mère, douloureuse
chronique, qui a 48 ans lorsqu’il naît, le présente comme son petit-fils, voire son neveu,
notamment lorsqu’elle l’amène chez le médecin (la tentation pourrait être grande d’évo-
quer un secret de famille). Il est chétif, timide, écrasé par la fratrie et surtout par ses deux
frères les plus âgés, adorés par leur mère, qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent.
™™ Bruce, biceps protrusifs dépassant du marcel, tatouage invasif, boucle d’oreille,
boule à zéro, s’installe au fauteuil et m’observe d’un œil vitreux. Il m’annonce la couleur :
il est pompier et donc connaît parfaitement la médecine. Il y a un an, lors d’une interven-
tion devant un parterre de groupies incandescentes, voulant faire le beau à la portière
du camion, il tombe de celui-ci. Choc de la région lombaire. Lombosciatique. Examens
paracliniques réitérés négatifs. Depuis deux mois, dysfonction érectile, extinction de la
libido.
L’accident est survenu dans un contexte de tension extrême : conflit majeur avec le
capitaine à propos de galons, inquiétudes judiciaires à propos d’attouchements sexuels
lors d’une intervention nocturne chez une jeune spasmophile.
Depuis toujours, Bruce est une boule de nerfs : investissement majeur dans la motricité,
besoin de bouger, de cogner, de frapper, d’en découdre, acmé de la jouissance lorsque le
camion rouge brûle le feu rouge, toute sirène déployée. Il a déjà à son actif deux fractures
du nez, un décollement de rétine, une nécrose testiculaire, chez des types qui l’avaient
trop regardé fixement ou contrarié. Son handicap le rend fou et, de ce fait, augmente la
tension interne.
Je lui dis lors de la première séance que la tension nerveuse aggrave considérablement
ses douleurs, ce qui a pour seul effet de rendre son regard encore plus vitreux. Nous
évoquons son passé : à l’école primaire, ayant avec un stylo crevé l’œil d’un camarade
383
Traité de médecine psychosomatique

qui l’avait regardé de travers, l’instituteur lui interdit de toucher un stylo jusqu’à la fin de
l’année parce que, selon lui, ses parents étaient communistes. Depuis, la vue d’un stylo
dans la main d’une personne le met hors de lui. Il s’engage dans l’armée pour devenir
gendarme mais, selon un gradé, n’a pas le niveau et les compétences requises. Le gradé en
question porte des lunettes et tapote un stylo au moment de la révélation de ce constat
sans retour…
Expulsé de l’armée, Bruce fera les marchés pendant quelques années. Dans les suites
de septembre 2001, l’intronisation du pompier comme seule et unique référence virile
en Occident transforma la vie de Bruce. Tout en faisant ses marchés, il devint pompier
volontaire, et finalement, du fait de son intrépidité au combat, pompier involontaire,
c’est-à-dire pompier.
Captivé par la narration de ce parcours héroïque, j’en oublie que, depuis de longues
minutes, je prends des notes avec un stylo. En plus, j’ai des lunettes. J’avais repéré chez le
patient une augmentation de la tension interne et une injection conjonctivale progressive.
Une bouffée d’angoisse me prive subitement de représentation. Il dit quelque chose mais
je ne l’entends pas, je ne vois que ses conjonctives. Finalement, la bande son redémarre : il
n’est pas fou et puis il n’est pas venu pour ça, et puis on la lui fait pas car il connaît toutes
les techniques du débriefing psychologique, parce que les pompiers, c’est pas seulement
un peu des médecins, mais c’est un peu aussi des psychologues.
Je me souviens de cette seule et unique rencontre. L’agacement légitime que suscite
ce type de patient ne doit pas induire de réaction défensive chez le soignant, sinon,
c’est la surenchère réciproque. Mon seul but avait été de m’enquérir des déterminants
psychosomatiques de sa souffrance, en respectant autant que se peut son système défen-
sif. L’angoisse et le vécu de castration habitaient ce pauvre homme qui, malgré l’arsenal
défensif suspicieux et hostile qu’il arborait, suscitait à terme de l’empathie. Peine perdue.
Ce que voulait Bruce, c’était réparation. Il s’agissait d’un accident du travail qui avait solli-
cité de nombreuses palabres au niveau des institutions, des avocats et de tous les bons
conseillers de tout ordre. Mon investigation, aussi prudente et respectueuse qu’elle fût, ne
pouvait être qu’une manœuvre de psychiatre destinée à remettre en cause le bien-fondé
de la seule origine de son mal, à savoir une injustice. Ce phénomène est très fréquent chez
les lombalgiques chroniques, plus particulièrement lorsqu’une dimension médico-légale
occupe le devant de la scène. Il ne reste plus au praticien qu’à accepter son impuissance.
C’était ce que me soufflait à demi-mot Bruce, pour lequel ma simple identité profession-
nelle exacerbait son angoisse de castration.
™™ Fabrice, 30 ans, ingénieur, présente depuis un an des douleurs lombaires d’aggrava-
tion progressive. Il y a quelques mois, il a dû arrêter de travailler et est resté alité pendant
plusieurs semaines. Une usure prématurée du cartilage L4-L5 a été évoquée.
La tension interne de Fabrice est manifeste : raide, regard fixe. Les douleurs ont débuté
dans un contexte professionnel difficile : surcharge de travail, relations conflictuelles au
sein de l’entreprise. Il faisait le travail des autres et ne répondait pas aux diverses agres-
sions. Les vacances ne feront pas céder les douleurs, car il se heurtera cette fois-ci aux
exigences démesurées de son épouse.
Ses désirs se sont toujours effacés devant ceux des autres. Faire comme il faut, faire ce
qu’il faut, pour compenser un vécu d’infériorité et une culpabilité à prendre du plaisir.
384
Douleurs...

Avancer, gravir les échelons, selon ses propres termes. Ce type de fonctionnement s’accen-
tua dans les suites de son mariage. La même année, il débuta dans la vie active et devint
père de famille. Il s’engagea alors dans une vie totalement opératoire destinée à verrouiller
toute émergence instinctivo-pulsionnelle, et à répondre à toutes les demandes, celles de
son épouse très exigeante et très avare de tendresse et de rapprochements charnels, celles
de ses employeurs, qui réactualisaient celles d’un père sévère et écrasant. Il prit l’habitude
de se calmer en mangeant, ce qui généra une prise de poids de 30 kg en un an. Culpabilisé
par ce seul plaisir éminemment régressif, il entreprit un régime qui lui restitua progressi-
vement un poids normal. C’est à ce moment-là, et dans le contexte d’un nouvel emploi
particulièrement stressant, que, démuni de ses ultimes défenses psychiques et compor-
tementales, débutèrent les lombalgies. Ainsi, Fabrice « prenait en charge » choses et gens,
voulait contenter tout le monde et s’était imposé cette mission d’âne bâté, jusqu’au jour
où il s’écroula sous la charge. La thérapeutique dura l’espace de six séances. On pourrait la
résumer ainsi en citant Jean de La Fontaine (Le Meunier, son fils et l’âne) :
« Je suis âne il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien,
J’en ferai à ma tête. Il le fit, et fit bien. »

5-3. Entre lutte et défaite : la fibromyalgie


Il existe des syndromes mixtes de lutte et de défaite. La fibromyalgie me paraît en
être l’expression la plus commune, la plus caractéristique et la plus fréquente. Cette
entité inventée de toute pièce pour qualifier un syndrome douloureux chronique, diffus,
erratique, invalidant, sans substratum anatomique identifiable malgré la machinerie mise
en place, associée parfois à des troubles du sommeil et une asthénie, continue à faire
couler beaucoup d’encre. Un temps assez long s’écoule avant que le « diagnostic » ne soit
posé. Lorsqu’il est formulé, c’est comme la confirmation du numéro gagnant au loto, tout
s’arrête, y compris la psychothérapie, car la maladie a été enfin découverte. Il n’y a plus qu’à
se soumettre aux différents protocoles de soins et, devant l’échec quasi constant, revenir
quelques mois ou quelques années après chez le psy, toujours sans grande conviction.
La dépression n’est jamais évoquée dans le déterminisme de la maladie, pas plus par
l’équipe de soins que par le patient lui-même. À tort et à raison. À tort car la dynamique
sous-jacente est celle d’une dépression hostile, d’une défaite mal digérée. À raison parce
qu’il ne s’agit pas de dépression mentale. Pis, la fibromyalgie a le pouvoir de faire dispa-
raître la dépression. Mais très souvent, lorsque celle-ci surgit sous une forme médiocre-
ment élaborée, les douleurs physiques s’estompent. Les traitements antalgiques ont
donc bien marché, sauf qu’à y regarder de plus près, ce qui rythme le balancement
psychosomatique, le passage de l’expression mentale à l’expression somatique et vice
versa, ce sont toujours des événements de vie. Cela peut être aussi quelques séances de
psychothérapie qui ont relancé une élaboration psychique minimale rapidement réduite
à zéro du fait des paroles et des investigations démentalisantes qui rythment la vie de ces
sujets.
Le déni du facteur psychique s’accompagne de divagations théorico-cliniques et,
lorsqu’il est évoqué, c’est souvent à partir du somatopsychique et de la relation thérapeu-
385
Traité de médecine psychosomatique

tique souvent difficile et démotivante pour le médecin, car les dérobades et les réactions
défensives des sujets déstabilisent très souvent celui-ci. C’est ainsi que le diagnostic secon-
daire d’hystérie est loin d’être exceptionnel, à telle enseigne que d’aucuns n’ont pas hésité
à considérer la maladie comme une forme particulière de conversion. Il ne faut pas être
grand clerc, mais suffisamment formé ou tout au moins informé, comme vous, lecteur, à
ce stade de notre parcours, pour considérer qu’il n’en est rien.
Dans la fibromyalgie, l’agressivité suit deux destinées : d’une part, sa répression, respon-
sable du désordre économique et de la douleur physique, mécanisme central ; d’autre
part, son déplacement vers d’autres objets, dont le corps médical constitue la cible
(plus ou moins légitime) de choix. La répression des représentations agressives (lutte) et
dépressives (défaite) semble de toute évidence sous-tendre la maladie.
Le balancement psychosomatique, alternance dans le temps de troubles psychiques
et de troubles somatiques, y est éminemment fréquent. Ici, les périodes de dépression
alternent avec des périodes de somatisation douloureuse. Ce phénomène semble orches-
tré par les variations de la mentalisation, elles-mêmes déclenchées par des vécus trauma-
tiques de nature différente.

Représentations dépressives

Douleur morale

Limitation
Inhibition
de l’activité

Douleur physique

Fibromyalgie et balancement psychosomatique

™™ Josiane, 41 ans, présente des douleurs diffuses étiquetées « fibromyalgie ». La


symptomatologie douloureuse procède par vagues : plusieurs heures sans manifestation
douloureuse au cours desquelles la patiente se décrit comme tonique, suivies de l’appari-
tion brutale de douleurs qui s’étalent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Les douleurs sont apparues il y a six ans dans un contexte de surmenage professionnel
avec asthénie et crises de tétanie. Ces douleurs étaient accompagnées de manifestations
dépressives attribuées à cette « maladie dont on ne trouvait pas les causes ». À l’heure
actuelle, il n’existe pas de signes cliniques dépressifs sauf dans les périodes où elle a moins
de douleurs.
Il existe chez cette patiente un fonctionnement de type opératoire : besoin d’assumer,
d’assurer, impossibilité à se laisser aller, au travers duquel on perçoit la préséance d’un
besoin de maîtrise tous azimuts. Il n’y a pas de souvenir d’activité onirique et la tension
386
Douleurs...

interne est majeure. Outre la vie professionnelle qui n’est pas satisfaisante mais, « comme
on dit, il faut bien faire avec », on repère chez Josiane une hostilité larvée à l’égard de
sa mère, qui a toujours eu une forte emprise sur elle, plus particulièrement depuis que
celle-ci s’est retrouvée veuve il y a tout juste six ans.
™™ Claudie, 43 ans, mariée, deux enfants, présente des phénomènes douloureux qui
affectent les épaules, les mains, les pieds, apparus dans un contexte de grande tension
familiale il y a quatre ans : brouille avec la famille du fait de la révélation de contacts
sexuels imposés par son beau-frère lorsqu’elle était adolescente.
Déjà à 22 ans, dans les suites de sa première grossesse, des douleurs s’étaient instal-
lées, au niveau cervical et scapulaire, du fait d’une tension majeure cette fois-ci avec ses
beaux-parents : le jeune couple vivait effectivement chez les parents du mari et sous leur
emprise.
Claudie, petite dernière d’une fratrie de quatre enfants, s’est toujours vécue comme
objet d’emprise familiale. Depuis qu’elle est adulte, elle ne parvient pas à se dégager de
cette emprise qui génère chez elle une rumination obsédante et un vécu à la fois de colère
et de résignation. Elle se fixe sur ces histoires familiales qu’elle souhaite maîtriser tout
en ne faisant rien pour s’en dégager (ces préoccupations apparaissent dans les rêves).
L’emprise paraît réciproque. Les entretiens permettront d’obtenir une sédation relative
des douleurs au prix de l’apparition de sentiments dépressifs imprégnés de colère.
C’est bien de répression de l’agressivité dont il s’agit et, pour une part moindre, d’un
retournement de cette agressivité contre elle-même, générateur de la composante
dépressive. Ce qui semble sous-tendre ce cas de fibromyalgie est une dynamique qui se
situe aux confins de la lutte et de la défaite, s’apparentant ainsi à une dépression hostile
non mentalisée.
Ces deux observations mettent en avant la coexistence de phénomènes de lutte
(anxiété, colère, agressivité réprimée) et de défaite (renoncement, auto-agressivité,
manifestations dépressives).
Le phénomène douloureux n’est donc pas uniquement l’expression d’une perte.
J’ai repéré dans l’étude approfondie de vingt-six observations de patients fibromyal-
giques:
––l’existence de traumatismes dépressogènes ;
––un déficit de mentalisation similaire à celui des lombalgiques, parfois plus intense ;
––une agressivité majeure, en partie déplacée sur des objets de substitution (dont
le corps médical), en partie réprimée puis retournée contre le sujet, responsable du
syndrome douloureux ;
––une tristesse diffuse de fond, elle aussi en grande partie réprimée ;
––un balancement psychosomatique fréquent, tout au moins dans les premiers temps
de l’affection : alternance de phases douloureuses et de phases dépressives, les unes
venant mettre un terme aux autres ;
––une dimension masochiste parfois surajoutée qui pérennise la pathologie chez
certains sujets ;
––en aucun cas des éléments de la lignée hystérique.
387
Traité de médecine psychosomatique

Plus rarement, chez certains sujets, la disparition souvent transitoire des douleurs,
aussi bien psychiques que physiques, le plus souvent sous l’effet d’événements trophiques,
laisse sourdre des manifestations pseudo-expansives. Cet élément nous a incité à émettre
l’hypothèse d’une dynamique bipolaire démentalisée sous-jacente où alternent illusion
de victoire et rancœur de défaite. La fibromyalgie serait-t-elle l’équivalent démentalisé
des états mixtes ? Il est peut-être intéressant d’appréhender de ce point de vue l’effet
inconstant des psychotropes sur les douleurs. Les antidépresseurs n’agiraient-ils que sur
les douleurs de défaite ? Les thymorégulateurs n’agiraient-ils que dans les oscillations
douloureuses des deux types ? Autant de questions qui mériteraient que l’on s’y attarde.

6. LES MAUX DE TÊTE


Les maux de tête, que nous désignerons pour plus de simplicité sous le terme générique
de céphalées ou céphalalgies, comportent un caractère déroutant, tant d’un point de vue
clinique que nosographique.
La distinction classique entre céphalée et migraine tient jusqu’à une certaine limite.
Elle est l’objet de remaniements théorico-cliniques itératifs, et cela se comprend du fait
de la fréquence des formes limites entre les deux, des formes composites, de la coexis-
tence fréquente des deux types de manifestations chez un même sujet. Les glissements
sémantiques du terme migraine n’arrangent rien : désignant initialement l’hémicrânie,
la douleur unilatérale, sans rien laisser supposer de la physiopathologie, la migraine a
découvert au fil du temps, plus particulièrement à partir des années 1950, une nouvelle
identité, définie non pas à partir de sa localisation, mais du processus physiopathologique
qui la sous-tend, à savoir pour une grande part un désordre vasculaire central. Or, de
nombreuses céphalées dénuées de causes vasculaires centrales mais dont l’origine est de
toute évidence périphérique – céphalées souvent qualifiées de myotensives – sont unila-
térales. C’est à y perdre son latin. Les avancées neurophysiologiques semblent en passe
d’éclaircir la nébuleuse, en mettant en avant une composante hétérogène dans un cas
comme dans l’autre, ce que Baroudet (Synapse) avait déjà subodoré il y a quelques années.
Cet auteur avance l’hypothèse d’un phénomène d’amplification (propre à certaines
fonctions physiques non linéaires) de multiples micromodifications physiopathologiques.
Phénomènes myotensifs, perturbation de la circulation exocrânienne ou endocrânienne,
dérangements ostéoarticulaires mineurs, excitation des troncs nerveux du cuir chevelu,
répression des émotions, représentations inconscientes, participeraient probablement à
des degrés divers et selon les cas à la genèse des maux de tête.
La classification sémiologique nous laisse sur notre faim, la classification physio-
pathologique est quant à elle mise à mal par la clinique. Risquons-nous à une approche
psychosomatique.
C’est à partir de deux études, l’une effectuée en 2005, l’autre en 2013, que j’ai pu
proposer une classification des céphalées d’un point de vue psychosomatique. L’étude de
2005 avait été effectuée à partir de crises récurrentes de céphalalgies, situations les plus
fréquentes. Elle avait permis d’établir une distinction nette entre céphalées de tension
agressive et migraines d’origine anxieuse. La confrontation ultérieure à de nouvelles situa-
tions cliniques m’a permis de confirmer la validité des données issues de cette première
étude. Mais ces deux formes de céphalées, qui se manifestaient par des crises, ne regrou-
388
Douleurs...

paient pas de toute évidence, bien qu’elles fussent de loin les plus fréquentes, l’ensemble
des maux de tête présentés par les patients. Il en existait deux autres types, mis au jour
par l’étude complémentaire de 2013 : les céphalées de tension intellectuelle, apparaissant
elles aussi sous forme de crises, mais relativement bien tolérées par les sujets du fait de
leur caractère éminemment réactionnel à l’effort intellectuel et de fait plus contrôlables,
et les céphalées diffuses chroniques, beaucoup plus rares mais particulièrement invali-
dantes. Les deux études regroupent vingt-neuf observations.
L’anamnèse associative permet de circonscrire la ou les périodes céphalalgiques dans
la vie d’un sujet, ainsi que les périodes de rémission ou d’atténuation. En règle générale,
les patients ont des repères relativement précis dans le temps, contrairement à ce qui se
passe dans d’autres pathologies chroniques dont le repérage anamnestique est beaucoup
plus flou. Un sujet se souviendra plus facilement de sa première crise de migraine que du
début d’une pathologie digestive chronique par exemple. Les périodes de rémission sont
fondamentales dans le repérage anamnestique, car elles renseignent avec acuité sur la
réactivité des sujets aux facteurs traumatiques.
Les causes invoquées par les patients céphalalgiques sont en règle générale imprécises.
Le plus souvent, le patient ne sait pas ou ne sait plus. Dans certains cas, il repère des
facteurs alimentaires, hormonaux, sensoriels, émotionnels, relationnels. Très souvent, les
représentations sont des représentations d’emprunt, issues du parcours médical souvent
complexe et varié, le patient acceptant avec une conviction variable les causes proposées
par les médecins.

6-1. Les céphalées de tension agressive


Elles surviennent sous forme de crises espacées par des intervalles libres éminemment
variables selon les sujets. Ce sont des céphalées uni ou bilatérales, à point de départ
cervical fréquent, affectant selon les sujets les régions temporales, pariétales, frontales,
orbitaires, s’accompagnant parfois de troubles vasomoteurs.

Les périodes de céphalées


L’anamnèse des périodes de crise révèle des situations traumatiques à type de
contrainte :
––difficultés professionnelles : salariés soumis à des situations générant rancœur et
répression de l’agressivité, travailleurs indépendants soumis à des soucis professionnels
ou à des postes de plus haute responsabilité ;
––désordres relationnels : vie de couple (mariage, liaison extraconjugale du conjoint,
retraite du conjoint, inadéquation avec un enfant du conjoint issu d’un précédent
mariage, etc.), tension relationnelle avec les enfants.
Toutes ces situations génèrent une problématique ambivalente de relation à l’objet, un
désordre économique évident, une répression de l’agressivité.

Le déclenchement des crises


Les crises surgissent selon les cas :
––soit lors des périodes de tension (émotionnelle, relationnelle, sensorielle), lorsque
le sujet doit maîtriser un surplus d’excitation, lorsque la répression de l’agressivité
dépasse un certain seuil ;
389
Traité de médecine psychosomatique

––soit au contraire au décours d’une phase d’autocontrôle (après le travail, le week-end,


etc.), quand le sujet peut enfin se relâcher. La céphalée du week-end est certainement
générée par deux éléments qui se potentialisent : arrêt de la tension liée au travail et
présence de l’autre.

Le fonctionnement psychique
Il existe un fonctionnement psychique particulier que l’on peut repérer en dehors des
crises :
––rigidité, rigueur, perfectionnisme, traits de caractère obsessionnels, désir de maîtriser
choses et gens ;
––vécu de lutte ;
––tendances hostiles fortement réprimées ;
––fortes contraintes intérieures, désir de maîtrise des productions psychiques (désirs,
sentiments, conflits intrapsychiques), réticence à parler de soi ;
––déficit de mentalisation. Les traits de caractère et les manifestations comportemen-
tales sont au premier plan ;
––et, de manière moins systématique, selon les sujets : répression émotionnelle, diffi-
cultés relatives à traduire les émotions chez certains sujets (alexithymie). Parfois,
éléments masochistes ou plus rarement persécutoires.

Physiopathologie
La composante myotensive paraît centrale, plus ou moins associée à une composante
vasomotrice périphérique.
Ces céphalées semblent de toute évidence liées à la répression de représentations
motrices agressives.
™™ Maryse, mariée, secrétaire de direction, se présente comme une personne qui ne
rigole pas.
Très tendue, potentiellement agressive et intolérante, elle annonce la couleur : elle
n’aime pas mon mobilier, plus particulièrement les lampes.
Ses céphalées, qualifiées de « migraines » depuis l’école primaire, aggravées depuis
huit ans, débutent par une contracture cervicale droite. Elles s’étendent sur toute l’hémi-
face et la région temporale, irradient sur la région scapulaire, évoquant des céphalées
myotensives, avec toutefois réaction sinusienne (participation congestive). Elles s’accom-
pagnent d’une impression d’être coupée du monde, d’être ailleurs.
La patiente repère que les contrariétés peuvent les déclencher. Les symptômes
apparaissent volontiers lorsque le problème est réglé, dès qu’elle a la possibilité de se
détendre. Elles peuvent être aussi déclenchées par un choc physique à n’importe quel
endroit du corps. Elles sont aggravées au soleil et au bord de la mer. Enfin, certains rêves
peuvent les déclencher : dans un de ces derniers, son fils a de mauvais résultats au bac.
La patiente, extrêmement réticente, déclare qu’elle n’aime pas parler d’elle, de ce qu’elle
ressent. Elle est tendue dans une attitude de défense, se prêtant passivement et avec
grand mal-être à l’investigation. Elle avouera qu’elle attend que les autres décryptent sa
problématique tout en veillant à ne donner aucun élément pour la décrypter.
390
Douleurs...

La mentalisation étant déficitaire, le système défensif en béton, nous essayons l’hyp-


nose, ce qui correspond à sa demande. Elle imagine la couleur verte d’une prairie appli-
quée sur la tempe, génératrice de chaleur agréable.
À la séance suivante, ce sont les magazines de ma salle d’attente qu’elle n’aime pas. On
perçoit toujours une tension neuromusculaire manifeste liée à la répression de l’agres-
sivité. Lors de la séance d’hypnose, elle entrevoit un dôme de sable fin, comme une île
déserte. Elle applique en imagination le bleu de la mer sur la région temporale. Mais lors
de l’entretien posthypnotique, elle fait part de son indignation : cette technique lui donne
le sentiment d’être assujettie.
À la troisième séance, c’est la couleur jaune orangé d’un sous-bois qui, cette fois,
atténue de manière plus manifeste la douleur. L’entretien qui suit lui permet de verbaliser
une tension importante à l’égard de son fils, ayant généré une rechute lors d’une visite
chez celui-ci.
L’état de la patiente s’améliore : elle est plus détendue, les douleurs sont moins fré-
quentes et moins intenses.
Le traitement se déroulera sur trois mois à raison d’une séance par semaine. Les entre-
tiens en face à face sont toujours très mal vécus, mais elle arrive quelque peu à parler d’elle,
plus particulièrement des sentiments négatifs à l’égard de son fils qu’elle ne supporte plus.
Elle préfère bien sûr les séances d’hypnose. Les céphalées finissent par disparaître et nous
convenons d’en rester là.
Elle revient trois ans après. Les céphalées sont réapparues. Elle vit toujours très mal
les contraintes imposées par les autres. Elle se retient, réprime de toutes ses forces son
agressivité. Elle signale aussi une constipation récente. Des rêves récurrents depuis la
rechute confirmeront la fixation psychique et psychosomatique anale de cette authen-
tique névrose de caractère. L’objet qui lui résiste est le plus souvent un homme, vécu
comme persécuteur. En ce moment, ce n’est plus le fils, mais le mari, et bien sûr toujours
le psychiatre. Elle rêve de WC bouchés et effondrés qui ne s’évacuent pas. Sans avoir
recours à une séance d’hypnose, je lui propose tout simplement de fermer les yeux et
de se représenter les WC débouchés, s’évacuant parfaitement. Dans la semaine qui suit,
cette transformation apparaît dans un rêve. Il s’ensuivra une amélioration des céphalées.
À la séance suivante, elle rapportera un nouveau rêve : « Je badigeonne une petite fille
en bleu et je la surveille. » Évocation probable des couleurs des séances d’hypnose mais
aussi du bleu qui symbolise les garçons par rapport aux filles représentées par le rose.
Il s’agit bien d’elle. La fratrie était dominée par les frères dont elle ne supportait pas ce
qu’elle qualifie de « machisme ». « J’ai l’impression que j’ai dû toujours me battre, pour ne
pas être comme mes sœurs, dominées par mes frères. J’ai tout fait pour ne pas ressembler
à une fille. M’identifier à un garçon me permettait de m’opposer, de ne pas céder. D’ail-
leurs, je suis mieux quand je dois me battre contre quelque chose. » Les céphalées dispa-
rurent. Une sublimation tardive, le patchwork, lui permit d’exercer son besoin acharné de
maîtrise tout en jouant avec les couleurs.

6-2. Les céphalées de tension intellectuelle


Les caractéristiques de ces céphalées sont assez stéréotypées : ce sont des céphalées
frontales qui surgissent après un état de tension intellectuelle prolongée.
391
Traité de médecine psychosomatique

On les rencontre de manière très fréquente chez l’enfant d’âge scolaire et chez l’ado-
lescent. Elles disparaissent lors des vacances. On les retrouve chez des sujets soumis à
des contraintes intellectuelles, imposées le plus souvent par les parents, mais à terme et
de manière quasi systématique, par le sujet lui-même, chez lequel on repère sans grande
difficulté un fonctionnement obsessionnel, des auto-exigences parfois démesurées.
Chez l’enfant, ces céphalées n’apparaissent qu’à partir de 6 ans, tournant de l’évolu-
tion intellectuelle, marqué notamment par le passage de la pensée intuitive à la pensée
logique et aux opérations rationnelles. Par ailleurs, l’activité intellectuelle est intriquée à la
pulsion scopique, dont une part est difficilement dissociable des représentations sexuelles
et donc de l’image de la castration. La pensée peut de fait s’en trouver inhibée. Cette
inhibition défensive de la pensée succède à des efforts intellectuels. Dans l’anamnèse, on
retrouve souvent des exigences parentales diffuses dans d’autres secteurs (alimentation,
propreté).
™™ Ève, 10 ans, présente des céphalées chroniques très gênantes depuis l’âge de 6 ans.
Céphalées frontales d’apparition diurne, plutôt en fin de journée. Elle n’a pas d’antécé-
dent pathologique majeur, si ce n’est une discrète tendance à la constipation épisodique.
Les investigations effectuées (ORL, ophtalmo, neurologique) n’ont pas découvert d’ano-
malie. Les médecins ont évoqué successivement des causes alimentaires, digestives (il lui
est arrivé de vomir), allergiques, la fatigue, l’état nerveux. La maman n’est pas satisfaite de
ces diagnostics et pense qu’elle « doit bien avoir quelque chose ». Ève est fille unique. C’est
une jolie fille assez timide, souriante, docile. Très soucieuse pour ses activités scolaires, elle
consacre beaucoup de temps à son travail. Les résultats sont d’ailleurs excellents. Elle est
en CM2. Les céphalées sont apparues lors de l’entrée en CM1. Elles ont tendance à dispa-
raître pendant les grandes vacances. Sa mère est très tendue, anxieuse, assez exigeante
pour sa fille et pour elle-même. Issue d’un milieu modeste comme son mari, elle travaille
dans une usine et, pour elle, la réussite sociale de sa fille est primordiale. Il existe par
ailleurs une inadéquation conjugale depuis quelque temps qui va en s’accentuant, sous
un mode larvé et dépressif. Ève est le seul trait d’union entre ses parents. L’investiga-
tion révélera une anxiété de fond, une inhibition dans les contacts et quelques éléments
obsessionnels avec difficulté à s’accorder des moments de plaisir.
On retrouve une problématique similaire dans les céphalées de tension intellectuelle
de l’adolescent. Elles culminent lors de la puberté et de l’entrée au collège (10-12 ans)
ainsi qu’en fin d’études secondaires et lors de l’entrée dans l’enseignement supérieur
(18-20 ans). Elles sont souvent minimisées par l’entourage familial qui en perçoit intui-
tivement le caractère réactionnel à l’effort jugé légitime. Les exigences parentales mais
aussi les auto-exigences du sujet quant à la performance sont centrales. Le traitement
doit pour une part viser à modifier ces exigences. Mais il arrive souvent que les conseils
prodigués sont à leur tour utilisés dans un contexte de tension : les activités de dériva-
tion proposées peuvent devenir à leur tour source de surcharge tensionnelle, l’adolescent
étant littéralement écrasé par les activités de détente.
™™ Anne-Bérangère, 12 ans, a comme Ève, un emploi du temps rempli : activi-
tés scolaires et douze heures de gymnastique hebdomadaires. Le père exige de sa fille
des performances illimitées. Mais contrairement à Ève, Anne-Bérangère se rebiffe et
392
Douleurs...

fait parfois des crises clastiques. Dans d’autres situations, ce sont des céphalées ou des
douleurs rachidiennes qui apparaissent.
Chez l’adulte, les céphalées de tension intellectuelle constituent un rare motif de
consultation, non pas qu’elles ne soient pas fréquentes, mais certainement parce que le
sujet trouve des moyens d’autorégulation efficaces qui lui sont propres.

6-3. Les migraines d’origine anxieuse


L’hémicrânie à qui l’on doit l’origine du terme migraine est la topographie la plus
fréquente, sans être toutefois systématique.
La crise de migraine est en règle générale précédée d’une aura mais, ici aussi, la règle
n’est pas absolue, la douleur pouvant s’instaurer d’emblée. Parfois, la crise migraineuse se
limite à l’aura, celle-ci n’étant pas suivie de douleur.
L’aura migraineuse est souvent mal décrite, à cause de l’« inquiétante et terrible
présence de quelque chose devant quoi notre esprit se dérobe » (Sacks, Migraine). Elle
correspond à une distorsion, une diminution ou une cessation d’information perceptive,
inductrice d’une altération minimale de la conscience de soi et du monde.
Elle se manifeste de manière variable d’un sujet à l’autre et peut évoluer avec le temps
chez un même sujet : troubles visuels, paresthésies, hypoesthésies, parésies, modification
du tonus musculaire, déficits et troubles de la parole, de l’idéation, de la compréhension,
phénomènes hallucinatoires olfactifs, tactiles, troubles digestifs (nausées, vomissements).
Les troubles visuels, très fréquents, peuvent revêtir plusieurs formes :
––scotome scintillant. C’est la forme la plus fréquente. Elle se manifeste par une trému-
lation d’une partie centrale du champ visuel, bordée par une ligne crénelée qui s’étend
progressivement et s’inverse parfois en scotome négatif, vécu comme perte de la vue
et déconnexion de la réalité ;
––rétrécissement du champ visuel, hémianopsie, cécité partielle ;
––hallucination visuelle rudimentaire : phosphènes, fractionnement en mosaïque,
vision cinématique, formes radiolaires, kaléidoscopiques ;
––sentiment de déjà-vu, d’étrangeté, de réminiscence, de clairvoyance.
L’aura s’installe progressivement et sa durée ne dépasse pas une heure. Lorsque l’aura
disparaît, la céphalée s’installe.

Les périodes migraineuses


L’anamnèse associative des périodes migraineuses révèle, non pas des situations
traumatiques mais des événements ponctuels inauguraux :
––atteintes corporelles de la région abdominopelvienne (73%) : accouchements,
avortements, appendicectomie, accident. Dans 88%, il s’agit de femmes ;
––séparations (rupture, deuil) : 27%.
Ces événements inaugurent un vécu en relation avec une angoisse inconsciente, qui se
révélera après analyse être une angoisse de castration ou de séparation.

Le déclenchement des crises


Les crises paraissent de toute évidence déclenchées par des représentations anxio-
gènes, le plus souvent inconscientes, qui surgissent soit spontanément, soit lors de la
393
Traité de médecine psychosomatique

confrontation à certains objets ou situations réactivant l’angoisse, voire au cours de


certains rêves.
Les représentations anxiogènes en cause sont des représentations œdipiennes ou des
représentations liées à l’image de la castration, plus rarement à une angoisse de sépara-
tion. Elles sont l’objet d’un refoulement partiel, insuffisant à endiguer l’angoisse, puis, dans
la foulée, d’une occultation par l’aura, et enfin d’une attaque de la pensée par la douleur.
Le mécanisme est proche de celui de la conversion.

Le fonctionnement psychique
L’analyse du fonctionnement psychique des sujets met d’ailleurs en évidence :
––une mentalisation plus élaborée que dans les autres types de céphalalgies ;
––des mécanismes de défense qui s’apparentent plus au registre névrotique ;
––une anxiété de type souvent hystéro-phobique ou phobo-obsessionnel ;
––une angoisse de fond à type d’angoisse de castration (le plus souvent) ou de sépara-
tion ;
––parfois, une relation d’objet de type allergique.

Physiopathologie
D’un point de vue physiopathologique, le mécanisme semble être le suivant :
––inhibition ou excitation d’origine centrale : cortex, tronc cérébral,
––phénomènes vasculaires ischémiques transitoires,
––désordres neurovégétatifs,
––vasodilatation périphérique secondaire (territoire du trijumeau).
™™ Myrtille, 19 ans, présente des crises migraineuses depuis trois mois. Ses troubles
ont débuté lorsqu’elle a appris que son père avait une maîtresse. Dans la même journée,
Myrtille avait couché, dans le lit de ses parents, avec un homme qui allait se marier. La
première crise apparut le lendemain. Myrtille a toujours jeté son dévolu sur des hommes
mariés ou sur les petits copains de ses amies. Elle les aime, selon ses propres termes, plutôt
« machos », comme son père. Avant, elle faisait des scènes à celui-ci lorsqu’il regardait
une femme. Il le lui rendait bien lorsqu’elle regardait un garçon.
™™ Marielle, professeur agrégé, présente des périodes de céphalées alternant dans
le temps avec des périodes de douleurs abdominales. L’alternance est rythmée par
ses relations amoureuses : céphalées lorsqu’elle est célibataire, douleurs abdominales
lorsqu’elle a une liaison.
Les céphalées ont débuté dans les suites d’une rupture et d’un avortement. Elles
surgissent lors de situations réactivant un vécu de castration ou bien lors de l’irruption
de représentations réactivant celui-ci, ou encore dans les suites immédiates de rêves. Les
contenus de ces rêves traduisent tous l’angoisse de castration et le complexe œdipien :
séparation d’avec son père, rage œdipienne, inacceptation de son identité sexuelle.
Certains rêves stoppent les céphalées : rêves érotiques ou bien scénarios dans lesquels
Marielle se sent adulée ou en position dominante par rapport à l’homme.
Vers l’âge de six ans, à la suite de jeux sexuels avec un petit garçon de son âge, une forte
fièvre était apparue et, dans les suites, un rêve récurrent devait se reproduire pendant
394
Douleurs...

quelques années : « Ce petit copain et moi devions passer au travers d’un immense
sécateur qui risquait de nous couper en deux. »
Les douleurs abdominales apparaissent lors d’une relation qui perdure, et dont elle
craint qu’elle ne se termine (angoisse de séparation).
Dans les rares périodes asymptomatiques, apparaît transitoirement un vécu de vide, à
type de dépression essentielle. Aucun mécanisme de défense n’est alors repérable.

6-4. Les céphalées chroniques diffuses


Il s’agit ici de sujets ayant mal à la tête en permanence. C’est la seule entité céphalalgique
qui n’apparaît pas sous forme de crise. D’un point de vue strictement épidémiologique, les
céphalées chroniques diffuses ne sont pas très fréquentes, et c’est la raison pour laquelle
je ne les avais pas intégrées lors de l’étude de 2005. Cette pathologie constitue par contre
un authentique handicap.
Les trois cas que j’ai traités m’ont permis d’en repérer les déterminants fondamen-
taux. Il s’agit d’états névrotiques assez bien structurés, mais insuffisamment mentalisés
car dépossédés de leurs mécanismes de défense habituels. L’inhibition névrotique en
constitue le soubassement dynamique. Ce sont des sujets attachants, créatifs, enclins à
l’introspection, mais aussi et de manière excessive à la rationalisation qui prend le pas sur
l’expression affective et émotionnelle. Sujets souvent résignés chez lesquels on sent une
forte pulsionnalité, un bouillonnement intérieur aussitôt réprimé. Les représentations
sous-jacentes qui en constituent le déterminant sont l’objet de refoulement continu. Il
existe chez ces sujets un fond dépressif qui atteste lui aussi de la fragilité du système
défensif.
Dans tous les cas, la pensée, particulièrement érotisée, est l’objet d’un mécanisme de
défense prévalent faute de mieux : son abolition. Il s’agit d’une attaque pure et simple du
fonctionnement représentatif et fantasmatique qui ne semble pas trouver d’autre issue,
faute de défenses névrotiques suffisantes, que la douleur pour ne plus penser.
Pierre Marty avait parfaitement repéré cette attaque de la pensée dans les céphalées
essentielles. De toute évidence, l’attaque de la pensée est le propre de toute céphalée. Elle
n’en constitue peut-être pas le but, selon le type de pathologie, mais, en tout cas, l’effet
somatopsychique constant.
™™ Romuald, 48 ans, souffre de céphalées quotidiennes depuis l’âge de 19 ans. Ce sont
des douleurs frontales et occipitales qu’il décrit en plaquant les paumes des mains l’une
sur le front, l’autre sur l’occiput. Elles sont sourdes, permanentes, accompagnées d’une
sensation de chaleur, si ce n’est, lors de leur exacerbation, de brûlure. Elles peuvent surgir
immédiatement dans les suites de certains rêves qui le réveillent. Elles sont aggravées
lors de situations conflictuelles qu’il fait tout pour éviter, lors de vécus de frustration, et
surtout lors des périodes dépressives.
Il a effectivement connu deux périodes de dépression. Une il y a dix ans, dont il eut
beaucoup de mal à se défaire et qui se solda par une mise en invalidité, l’autre il y a six
mois et dont il n’est pas encore remis. Il allègue effectivement un désintérêt, une anhédo-
nie, une absence d’élan vital, une anaphrodisie. Il est épuisé, se réfugie dans le sommeil,
l’idée de toute activité l’épuise. Et ceci malgré un traitement médical conséquent. Il a aussi
présenté plusieurs épisodes de lombalgie.
395
Traité de médecine psychosomatique

Romuald est le petit dernier d’une fratrie de quatre enfants. Il aurait fait une ménin-
gite quelques semaines après sa naissance. Il se décrit comme un enfant très inhibé,
émotif, sensible, impressionnable, introverti, très sage, parlant peu, dénué de confiance
en soi. L’école ne l’intéresse pas. Il aime par contre le dessin et le sport. Dans la famille, on
s’exprime peu, le silence règne. Il souffrira d’une énurésie, source de honte, qui accentuera
son déficit narcissique. De ses parents, de ses frères et sœurs, il ne dit pas grand-chose. Ils
étaient gentils, c’est tout. L’enfance semble s’être déroulée sans événement marquant, les
imagos parentales sont neutres, les relations, aseptisées.
À l’adolescence, il fera beaucoup de sport, mais son inhibition névrotique sera source
de nombreux évitements, scolaires et relationnels. Le premier événement marquant est
une entorse de la cheville qui imposera l’arrêt des activités sportives à 17 ans.
À 18 ans, il a ses premières relations sexuelles avec celle qui deviendra son épouse.
Dans l’année qui suit, elle tombe enceinte. Romuald ne réagit pas et accepte passivement
l’événement. Il est alors en seconde et a de grandes difficultés à intégrer les cours. C’est
alors que débuteront les céphalées. Il mettra un terme à ses études secondaires, fera des
petits boulots puis trouver un emploi dans l’administration.
À l’âge de 38 ans, des conflits professionnels et la naissance de son deuxième fils
génèrent une dépression profonde.
Il a toujours eu du mal à imposer son autorité par peur de blesser. Il allègue un vécu de
perte de liberté et des fantasmes d’un ailleurs sexuel, sous les tropiques, en toute liberté,
hors de tout engagement. Les rares périodes de sa vie où il ressentait de l’élan vital, c’était
lorsqu’il batifolait à droite et à gauche ou bien lorsqu’il était amoureux. Malgré son état
quelque peu léthargique, il peut d’ailleurs être exubérant en dehors du contexte familial
et de la routine.
Il me dit avoir caché ses céphalées de tous temps à ses proches, comme s’il s’agis-
sait d’une maladie honteuse. D’ailleurs, celles-ci disparaissent comme par enchantement
lors des rares relations sexuelles pour réapparaître aussitôt après. Elles disparaissent aussi
lorsqu’il fait du golf ou du piano. Bref, chaque fois qu’il donne libre cours sans entrave à
la jouissance.
Ses rêves confirment son inhibition névrotique liée à une angoisse de castration
majeure. « Je n’arrive pas à faire les choses, il y a un obstacle… Je suis en échec à l’école…
L’instituteur parle une langue étrangère que je ne comprends pas… Je conduis une voiture
et n’arrive pas à freiner… Je suis retenu par un élastique dans le dos qui m’empêche de
courir… Je n’arrive pas à parler… Mon club de golf est cassé… Je perds mes lunettes… Je
fuis un tsunami mais je ne parviens pas à grimper sur la colline… Je n’arrive pas à prendre
l’avion… Je perds ma carte professionnelle… J’ai rendez-vous avec une femme pour avoir
des relations sexuelles, je percute alors une voiture à l’intérieur de laquelle il y a ma mère,
puis je repars au rendez-vous mais quand je me déshabille la fermeture éclair coupe mon
sexe. » Ce dernier rêve, peu élaboré par les processus primaires, le réveille et déclenche
les céphalées.
Lorsqu’il parle de ses céphalées, il dit : « C’est comme s’il me manquait un bras. » Lors
du suivi, Romuald aura successivement une fracture malléolaire, une tendinite achil-
léenne, un syndrome du canal carpien. Il fera aussi trois prostatites.
396
Douleurs...

L’origine de son angoisse de castration ne fait pas l’objet d’une élaboration psychique
suffisante. L’énurésie en atteste tout en témoignant aussi d’un lien indéfectible et
ambivalent à la mère. L’origine œdipienne apparaît peu, bien qu’il signale un rêve dans
lequel il se bat avec son père. Il est aussi probable que le poids de la fratrie (il rêve aussi
qu’il se bat contre ses frères) ait contribué à son vécu d’infériorité et que la scolarisation
en ait rajouté une couche. Mais tout ceci affleure à la conscience de manière très fugace,
immédiatement effacé par une rationalisation défensive où il embraye sur ses céphalées.
Le déterminisme de ses céphalées est bien une inhibition névrotique non élabo-
rée, reposant sur un conflit inconscient entre un fort tonus pulsionnel et des instances
répressives majeures. Le refoulement et la répression ne parviennent pas à contenir la
conflictualité. Seules les céphalées, telles un couvercle hermétique sur une cocotte-
minute, telles une chape de plomb, veillent à ce que rien ne sorte du bouillonnement
intérieur en attaquant directement la pensée, lorsque celle-ci se presse au portillon.

6-5. Discussion
Les désordres physiologiques isolés
Certaines céphalées peuvent être déclenchées par des désordres physiologiques dans
lesquels la composante psychosomatique occupe une place moins centrale. Il en est
ainsi des migraines cataméniales dans lesquelles les modifications hormonales jouent
un rôle central, sans toutefois exclure le rôle de certaines représentations en relation
avec la castration. Il en est de même de certains stimuli physiologiques qui peuvent à
eux seuls, tout au moins en apparence, induire des crises céphalalgiques. Certaines de
ces « migraines circonstancielles », selon la terminologie de O. Saks (Migraine), peuvent
être déclenchées effectivement par des stimuli sensoriels (lumière, odeur, bruit), sensi-
tifs (conditions météorologiques), endogènes (exercice physique, douleur, fièvre, fatigue,
stimulation vestibulaire, sommeil profond), alimentaires (réplétion post-prandiale, diète,
vins, chocolats, agrumes, matières grasses, fromages).

Les pathologies composites


La distinction que j’ai établie entre les trois types de crises céphalalgiques doit, un
tant soit peu, être modulée, car il existe chez certains sujets des formes cliniques compo-
sites, des problématiques mixtes et des formes évolutives dans lesquelles alternent ou
se conjuguent différents types de céphalées. De nombreux sujets décrivent en effet des
crises de céphalées de tension mais aussi des crises migraineuses.
™™ Albine, 40 ans, chercheur au CNRS, mariée, un enfant, présente des hémicrânies
gauches (nez, arcade sourcilière), parfois accompagnées de vomissements, apparues dans
l’enfance, aggravées depuis cinq ans dans les suites d’une période dépressive réaction-
nelle à la rupture d’une liaison extraconjugale fortement investie. Dans les suites de cette
rupture, que sa conscience morale lui avait dictée, elle a accepté d’une part un renonce-
ment presque total à la sexualité et, d’autre part, une promotion professionnelle impor-
tante sous forme d’un poste de haute responsabilité, mais trop administratif pour elle, ne
lui permettant pas de retrouver le plaisir qu’elle avait dans sa fonction de chercheur. Elle
réussit pleinement dans sa nouvelle fonction au prix d’une activité répressive importante.
397
Traité de médecine psychosomatique

Tout laisserait à penser que la répression constitue le facteur central de ses céphalées.
La psychanalyse révéla l’existence de déterminants inconscients fondamentaux, au centre
desquels on repère :
––une peur pulsionnelle : culpabilité à prendre du temps et du plaisir, honte d’être
enthousiaste, honte des sentiments, des émotions, des désirs ;
––de fortes pulsions agressives réprimées ;
––une intrication des pulsions sexuelles et agressives : dans les fantasmes sexuels, de
type masochiste, il ne s’agit que de relations forcées où l’homme impose son désir ;
––des rêves mettant en scène castration et problématique œdipienne : « Le Petit Chape-
ron rouge, face au loup noir, sa robe tachée de sang… Un torrent plein de serpents.
Un d’entre eux me mord à la tête… Mon père ne comprend pas ce que je lui dis… Un
immense serpent noir, il n’y a que moi qui le vois… Un arbre sur une tour, au-dessus le
chapeau de mon père. L’arbre tombe et écrase mon chat… Je suis avec mon ex-amant,
on nous surprend, on nous regarde. Je monte un escalier en colimaçon. Un homme en
descend, un médecin, habillé en noir, qui ressemble à mon père. Je lui dis : j’ai besoin
de toi. Il me dit que je ferais mieux de prendre un bain. Je prends un bain dans un
aquarium, mais les vitres se brisent et me rentrent dans les chairs. » Ces rêves génèrent
des céphalées au réveil.
La déception œdipienne fut centrale chez Albine. « J’adulais mon père mais je ne me
sentais pas bien en sa présence. Il me dénigrait sans arrêt, alors qu’il admirait ma jeune
sœur. Il ne m’écoutait jamais, me demandait de m’occuper d’elle. »
Vers la dixième séance, alors que les céphalées persistent toujours, surgit une représen-
tation liée à un souvenir dont elle ne veut pas me parler.
À la onzième séance, elle rapporte le fameux souvenir. Un jour, vers l’âge de 5 ans (âge
de début des céphalées), elle se masturbait dans son lit. Son père, qui n’était pratique-
ment jamais venu dans sa chambre, fit irruption en disant : « Ça va pas la tête ! » Terreur,
malaise, culpabilité, sentiment de faute grave. Cette scène fut vécue comme un viol.
À partir de cette séance, les céphalées disparaîtront presque totalement. Les séances
ultérieures confirmeront la force de la représentation pathogène œdipienne et du
complexe de castration dans la genèse des céphalées. Elle se remémorera un rêve récur-
rent de son enfance où, à travers un trou dans le mur, apparaissait le regard inquisiteur et
réprobateur d’un homme en noir.

Points communs aux crises céphalalgiques


Qui dit crise, dit variabilité de la mentalisation chez un même sujet. Ainsi, la majorité
des céphalalgiques sont soumis à de grandes variations de la mentalisation, contraire-
ment aux sujets douloureux chroniques. Les crises céphalalgiques, de quelque type
qu’elles soient et quel qu’en soit le mécanisme, surgissent lorsque l’inhibition de la pensée
constitue l’ultime voie défensive de recours.
Une autre caractéristique de la crise céphalalgique est l’effet de soupape. Effet proba-
blement trophique d’un point de vue économique puisqu’il évacue un quantum d’exci-
tation. O. Saks souligne ce caractère protecteur dans les « migraines situationnelles »
(qui correspondent à nos migraines d’origine anxieuse : la crise serait suivie d’un rebond
hyperactif, témoin d’un recouvrement de l’homéostasie et des capacités adaptatives.
398
Douleurs...

Effets somatopsychiques des céphalées


Les maux de tête, quelles qu’en soient leur nature et leur cause, induisent des effets
somatopsychiques et comportementaux parmi lesquels :
––effet démentalisant secondaire. Les céphalées altèrent plus ou moins le fonctionne-
ment psychique, la concentration, les capacités intellectuelles, l’élaboration mentale ;
––effet d’évitement. Évitement d’une pensée, d’une représentation, d’une situation,
d’un contexte, d’un acte, d’un projet ;
––modifications dans l’équilibre relationnel et, à terme, chez certains sujets, bénéfices
secondaires.

399
Chapitre 15

PSYCHOSOMATIQUE ET GYNÉCOLOGIE

1. INTRODUCTION
Nous avons traité de la maternité en tant que facteur trophique ou traumatique dans
la deuxième partie de cet ouvrage, en évoquant bien sûr certaines pathologies obsté-
tricales (p. 298 à p. 304). Je vais présenter ici deux autres domaines spécifiques de la
gynécologie : celui des somatisations génitales pelviennes et celui des infertilités inexpli-
quées.
Les représentations qui surgissent en psychothérapie chez la femme confrontée aux
différents aléas de sa vie sexuelle, de sa maternité, ou bien souffrant de certaines maladies,
renvoient de manière quasi constante au complexe de castration.
Le vécu de castration est réactivé chez la femme chaque fois que la perte consommée
concerne un objet de jouissance, le terme jouissance ne se limitant pas à une dimension
de plaisir mais devant être étendu à son acception notariale : jouissance d’un bien, d’un
objet intérieur ou extérieur. Les situations ne manquent pas : premières règles, premières
relations sexuelles traumatiques ou insatisfaisantes, ruptures amoureuses, situations
de dévalorisation, d’emprise ou de rejet renvoyant la femme à son manque imaginaire,
avortements, fausses couches, césariennes, mise à distance du bébé prématuré, post-
partum, interventions chirurgicales abdominopelviennes, perte d’une fonction corpo-
relle, ménopause. « Je n’ai jamais aimé mon corps… J’ai l’impression qu’il me manque
quelque chose, j’ai besoin de me remplir… J’avais un enfant dans mon ventre, je n’avais
besoin de rien d’autre… Quand j’ai mes règles, je revois ma fausse couche… Je ne l’ai
pas vu sortir de mon ventre, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui l’ai fait… J’ai peur
d’accoucher, j’ai peur des opérations, j’ai peur des serpents, j’ai peur des hommes… Je
ne supporte pas de voir le sexe d’un homme, je ne supporte pas son regard. » Des rêves
surgissent alors : taureaux, serpents, vol de bijoux, du sac à main, amputations, etc.
Dans ces circonstances, les mécanismes de défense contre la castration seront mis en
chantier. La castration imaginaire est une représentation qui habite l’inconscient de tous
les sujets. La seule différence est la manière dont ils la traitent, c’est-à-dire les mécanismes
de défense prévalents qui en atténuent l’impact traumatique. Il faudrait faire le tour de
toute la pathologie, en tout cas des pathologies dans lesquelles existe une pensée, fût-elle
pathologique. Car toute pensée s’origine dans la reconnaissance de la différence, dont la
différence des sexes constitue le paradigme. Abolir cette différence, c’est abolir la pensée.
Si la problématique de la castration n’a pas changé d’un iota depuis le paléolithique, les
modalités défensives contre elle sont éminemment variables selon les civilisations, les
époques, et surtout les sujets. La formation défensive prévalente contre la castration
atteste de l’organisation psychique du sujet. Lorsque les défenses mentales et compor-
tementales font défaut, surgit la pathologie somatique régressive. Une de ses cibles
401
Traité de médecine psychosomatique

privilégiées est la sphère abdominopelvienne. La représentation cloacale de cette zone


corporelle facilite grandement ce type de régression. On la retrouve sous forme matri-
cielle dans un grand nombre d’affections génitales, urinaires, intestinales.
Nous aborderons les pathologies pelviennes génitales les plus fréquentes dans la
première partie de ce chapitre. Ce sont des pathologies fonctionnelles, des pathologies
inflammatoires ou douloureuses.
Si l’image de la castration et les formations défensives qui en découlent constituent
un codéterminant quasi constant des pathologies abdominopelviennes fonctionnelles, il
n’en est pas de même dans les infertilités dites « inexpliquées ». Leurs causes, repérées par
le biais de l’étude présenté en deuxième partie de ce chapitre, s’éloignent de la sexualité
et du génital. Leur déterminisme est beaucoup plus complexe, cryptique, trouvant ses
racines, non pas dans la castration mais dans le complexe œdipien et, surtout, dans la
pathologie du lien et l’histoire familiale.

2. SOMATISATIONS PELVIENNES FONCTIONNELLES


Il semble exister plusieurs niveaux de défense de l’appareil génital :
––un premier niveau de type réflexe transitoire proche de la défense psychique : le
vaginisme, symptôme hystéro-phobique intégré dans un ensemble plus vaste défensif,
sous l’égide du refoulement ;
––un deuxième niveau attestant la faillite du premier, au centre duquel la répression
des affects occupe la place centrale : l’inflammation vulvo-vaginale ;
––un troisième niveau dans lequel la dimension fonctionnelle s’associe à des facteurs
plus complexes, parmi lesquels certaines altérations anatomiques, souvent mineures,
conséquences d’un processus de somatisation : la dyspareunie ;
––un quatrième niveau, qui associe des altérations neuro-anatomiques réelles mais
difficiles à objectiver, une répression totale des représentations sexuelles, et des effets
somatopsychiques invasifs. Ce sont les algies pelviennes.

2-1. Le vaginisme
Le vaginisme est une contracture musculaire réflexe, involontaire et incontrôlable,
des muscles du plancher pelvien qui entourent l’ouverture du vagin, apparaissant lors de
toute tentative de pénétration. Selon Kroger, « le vaginisme est à l’intromission du pénis
ce qu’est le clignement des yeux à la pénétration du moucheron » (Psychosomatic aspects
of frigidity).
On distingue le vaginisme total et le vaginisme partiel. Le vaginisme total s’oppose à
toute intromission de quelle que nature qu’elle soit : intromission du pénis malgré le désir
conscient de relation sexuelle, intromission du doigt, d’un tampon périodique, examen
gynécologique impossible sans anesthésie. Le vaginisme partiel permet une pénétration
partielle lors du coït, mais le plus souvent douloureuse. Dans ce dernier cas, la pénétra-
tion précautionneuse avec le doigt, un tampon, ou lors de l’examen gynécologique est
possible bien que délicate.
Il y a lieu de distinguer le vaginisme primitif, ayant toujours été présent chez la
personne, et le vaginisme secondaire qui apparaît à un moment donné de la vie, alors
qu’il n’existait pas auparavant.
402
Psychosomatique et gynécologie

Le vaginisme primitif
Étude à partir de vingt-deux cas de femmes souffrant de vaginisme, reçues à mon
cabinet.
Circonstances d'investigation
L’âge moyen au moment de la consultation est de 25 ans.
Le temps d’évolution de la pathologie avant la consultation est de trois ans en moyenne.
Dans la majorité des cas, la patiente est adressée par le gynécologue qui constate en
général le vaginisme lors de l’examen.
Sexualité
Érogénéité
Elle est limitée à la stricte zone clitoridienne. L’investigation de la sexualité révèle des
plaisirs et orgasmes clitoridiens constants.
Relation au corps et autoérotisme
L’autoérotisme est variable d’une femme à l’autre.
Lorsqu’il est absent, il s’accompagne d’une phobie du contact avec les parties génitales.
On repère de manière quasi constante une phobie et un évitement de l’introduction du
doigt dans le vagin. Cette phobie s’étend chez quelques patientes à l’ombilic.
Dans les autres cas, plus fréquents, l’autoérotisme se limite à la région clitoridienne.
Représentations sexuelles
Le vagin est vécu comme un réceptacle vide, dénué de consistance et de motricité,
parfois comme inexistant, non intégré à l’image consciente et inconsciente du corps.
™™ Éloïse, 26 ans, présente un vaginisme primitif. Les examens chez le gynécologue
ont toujours été impossibles. Elle ne supporte pas le contact du doigt avec le vagin.
« C’est dangereux, c’est comme si on me demandait moi-même de me blesser, ce n’est
pas naturel, ça donne une impression de vide, c’est comme si ça ne m’appartenait pas. »
Elle ne supporte pas plus le contact au niveau de l’ombilic, éprouve le besoin de le cacher,
de le protéger. Elle allègue du plaisir et des orgasmes clitoridiens.
La relation avec le partenaire
Elle est paradoxalement bonne, parfois même, excellente. Celui-ci s’arme de patience
et à la limite finit par s’accommoder vaille que vaille des seuls contacts sexuels qui lui
sont permis. Il s’installe souvent une relation symbiotique avec, très souvent, des projets
de mariage et de maternité.
Signes associés
Sémiologie psychosomatique
La tension interne est présente dans la majorité des cas. Par contre, la mentalisation
est d’assez bonne qualité.
Signes psychiques associés
Manifestations phobiques fréquentes : phobie de certains insectes, agoraphobie,
claustrophobie.
Culpabilité pulsionnelle chez quelques patientes. La relation au plaisir en général est
alors entachée d’interdit.
403
Traité de médecine psychosomatique

™™ Éloïse est très tendue dans son corps, présente des manifestations spasmodiques
digestives et a fait des crises de spasmophilie. Elle souffre de claustrophobie, d’agorapho-
bie, de phobie des insectes. La mentalisation est bonne.

Fantasmatique
Le fantasme érogène récurrent et constant est le suivant : pénétrations imposées dans
un contexte de soumission et de passivité. C’est-à-dire exactement ce qui sous-tend le
vécu responsable de la pathologie.
™™ Le fantasme sexuel d’Éloïse, source de satisfaction orgasmique, est celui d’une
relation violente dans laquelle elle est soumise et s’imagine alternativement à la place des
deux protagonistes.

Rêves
Les rêves élaborés apparaissent chez 81% des patientes. Ce sont :
––des rêves érotiques avec pénétration et orgasme vaginal (82% des rêves). On remar-
quera que la jouissance vaginale existe alors que le vagin n’a jamais été l’objet d’une
pénétration quelconque ;
––des rêves représentant la castration (37% des rêves) ;
––des rêves à contenu œdipien (17% des rêves) ;
––des rêves symbolisant la difficulté sexuelle.
™™ Les rêves d’Éloïse sont éloquents :
––rêves érotiques avec pénétration et jouissance ;
––rêves mettant en scène la castration : « La porte d’un garage s’écroule… Un oiseau
tout rouge mort dans le frigo… Je perds mes dents… Je me réveille après avoir accou-
ché, je ne vois pas le bébé, puis je le vois mort derrière une baie vitrée… Un dindon
tout rouge avec un machin qui pendouille… »
––rêves à contenu œdipien : « On m’offre une bouteille de Perrier avec un verre
retourné au dessus… »
––rêves symbolisant la difficulté sexuelle : « Je suis dans la maison de mes parents, mon
mari est dehors, il veut rentrer, mais je ne peux aller lui ouvrir car dans le couloir il y a
un serpent orange… Un ascenseur qui n’en finit pas de monter. Au dernier étage, c’est
tout rouge, tout illuminé, mais il écrase les gens au plafond. »
™™ Une autre patiente, Martine, consulte accompagnée de son mari qui, tout au long
de la consultation, m’observe d’un œil circonspect. Elle souffre de vaginisme partiel mais
tenace. Les rares fois où la pénétration a pu se produire, les douleurs ont été impor-
tantes et persistantes jusqu’au lendemain. Le mari est fortement demandeur de relations
sexuelles, notamment lorsqu’il revient de ses déplacements. Il ne la lâche jamais, est
toujours derrière elle, ne sait pas attendre, ni se contrôler. Lorsqu’elle se refuse à lui, il
se sent rejeté. À la deuxième séance, il acceptera de ne pas participer à l’entretien mais
veillera au grain dans la salle d’attente.
La mentalisation est bonne chez Martine mais on perçoit chez elle des défenses parti-
culièrement importantes. Elle est militaire comme son père. Elle a deux enfants nés par
césarienne du fait d’une dystocie mécanique et dynamique.
404
Psychosomatique et gynécologie

Les rêves de Martine sont eux aussi très explicites :


––rêves érotiques récurrents avec pénétration et jouissance ;
––rêves mettant en scène la castration : « Mon mari est hospitalisé pour un problème
de hanches… Je ne retrouve pas ma voiture dans le parking… Un stylo rouge auquel
je tenais tombe et se casse en mille morceaux. La marchande m’avait vendu une copie
sans valeur… Des géraniums rouge vif que je veux couper et voler… »
––rêves illustrant le complexe œdipien : « Avec mon mari, on monte un grand escalier
pour aller dîner chez une dame qui ressemble à la concubine actuelle de mon père.
J’accuse celle-ci de m’avoir volé ma carte de crédit et mes papiers, il me faut faire
opposition. Elle a de l’huile bleue dans la main comme de l’eau de mer… Mon père est
là et me dit qu’il faut graisser les hanches de mon mari. »
––rêves à contenu transférentiel : « Une femme psychiatre est à côté de vous. Elle exige
que je coopère avec elle et que vous l’écoutiez. »
Causes
Complexe de castration
Il est particulièrement enraciné.
™™ Éloïse, citée p. 403, présentait des phobies lorsqu’elle était enfant (peur du noir,
de la nuit, des voleurs, des blessures, du père Noël) ainsi que des douleurs abdominales.
Ses premières règles suscitèrent une réaction de panique car elle pensait s’être blessée.
Voulant la rassurer, sa mère lui dit : « Ce n’est rien, les femmes pissent du sang », ce qui
n’arrangea pas la représentation cloacale qu’elle avait de la région pelvienne. Elle lui avait
répondu : « Je me retiendrai ! » Les règles seront douloureuses pendant plusieurs années et
l’anxiété l’accompagnera durant toute son adolescence, anxiété qu’elle tentera vainement
de combattre dans une attitude défensive de rétention. Elle se souvient notamment de
sa tendance à persister dans le mutisme à la moindre contrariété, plus particulièrement
lorsque son père lui demandait quelque chose.
Complexe œdipien
Il apparaît dans 45% des cas.
Rejet inconscient de la maternité
Il apparaît chez certaines patientes et est le plus souvent sous la dépendance d’un lien
ambivalent avec la mère et d’un complexe œdipien. On rencontre le même phénomène,
comme nous le verrons plus loin, dans de nombreuses infertilités psychogènes.
Facteurs aggravants
Ils sont inconstants mais fréquents. Ce sont :
––des facteurs actuels : insistance ou maladresse du partenaire, sentiment d’obligation ;
––des facteurs traumatiques antérieurs : facteurs culturels (constants chez les jeunes
filles d’origine maghrébine), premières relations sexuelles traumatiques, paroles mater-
nelles traumatiques, premiers examens gynécologiques ;
––des conditionnements négatifs induits dans les suites des premières tentatives de
coït.
Quitte à décevoir les journalistes et leurs chers téléspectateurs, dans aucune des vingt-
deux observations de vaginisme primitif ayant fait l’objet de cette étude, il n’a été retrouvé
d’antécédent de traumatisme sexuel infantile (pédophilie, inceste, etc.).
405
Traité de médecine psychosomatique

La relation thérapeutique
Bien que la plupart des patientes se présentent comme demandeuses de soins, ne
manifestant aucune résistance consciente, la psychothérapie met au jour des résistances
inconscientes particulièrement enracinées et tenaces. La plupart de ces jeunes femmes
sont très courtoises, souriantes, respectueuses du cadre, coopérantes, si ce n’est, pour
employer un terme médicalement correct, « compliantes ». Mais en dessous, c’est du
béton. Les interprétations sont entendues, enregistrées mais peut-être pas introjectées
(on repère un phénomène similaire chez les patientes anorexiques). Ainsi, la psychothé-
rapie peut s’éterniser ad libitum sans que rien ne bouge. Elle s’intègre au système défensif.
Tout ceci est aisément compréhensible : la défense vaginique est une défense
inconsciente particulièrement opérante contre l’image de la castration et d’éventuelles
représentations œdipiennes. Le praticien est mis en lieu et place du partenaire sexuel.
Ainsi, il apparait dans les rêves à contenu transférentiel de manière éloquente.
™™ Un rêve illustre les réticences transférentielles d’Éloïse citée p. 403 : « Je venais à
ma séance et ne trouvais pas votre cabinet. En fait, il était au numéro 666, le chiffre du
diable. » Éloïse finira par reconnaître la force de son système défensif : « Dès que je sens
qu’on veut m’amener quelque part, j’ai envie de prendre mon sac et de partir, je me ferme,
je me bute. »
™™ Chez Martine, citée p. 404, le rêve transférentiel introduit la triangulation
œdipienne. La femme psychiatre particulièrement castratrice lui demande de coopérer
et au psychiatre de se la boucler.
Les effets du traitement
™™ Le vaginisme d’Éloïse disparut au bout de dix-sept séances. Dès la première séance,
il lui fut prescrit de n’avoir de contacts sexuels que lorsqu’elle le désirait vraiment, d’adop-
ter la pratique et la position qui lui convenaient, ainsi que de s’autoriser à se familiariser
par des contacts personnels avec son corps. Le traitement fut basé sur une psychothé-
rapie analytique avec utilisation séquentielle de techniques d’hypnose (suggestion de
sensations, transformations de rêves, reviviscence de relations agréables, obtention d’une
détente corporelle). Dans les suites des premières relations sexuelles sans vaginisme et
sans douleur, une érogénéité, déficitaire au début, s’installa progressivement et elle eut
des orgasmes vaginaux au bout de quelques mois.
Mais dans un grand nombre de cas, la guérison par le biais du traitement
psychothérapique n’est pas au rendez-vous. Le système défensif triomphe. Lorsque la
guérison survient chez ces patientes, c’est en règle générale dans les suites de la sépara-
tion d’avec le partenaire et la rencontre d’un nouvel élu. La sortie du contexte œdipien en
constitue certainement le déterminant central.
Par ailleurs, lorsque la guérison est imputable à la psychothérapie, des réactions
psychiques délétères surgissent souvent de manière instantanée.
™™ Chez Martine, le vaginisme partiel fut résolutif en trois séances mais au prix d’une
réaction dépressive et de manifestations agressives larvées à mon encontre. C’était
quelque peu prévisible. Son mécanisme de défense contre la castration consistait à
castrer l’autre, chose qui apparaissait dans ses rêves : le problème de hanches du mari, la
406
Psychosomatique et gynécologie

femme psychiatre castratrice à mes côtés. Le vaginisme partiel opérait cette castration à
l’encontre du mari mais aussi à mon encontre car j’étais impuissant à la guérir. Lorsqu’il
disparut, les défenses psychiques surgirent de manière plus franche.
Enfin, le caractère défensif du vaginisme se révèle à distance de la guérison. Une de mes
patientes, ayant présenté un vaginisme primitif total durant sa longue relation avec un
jeune homme qui lui était très attaché, vit sa pathologie disparaître lorsqu’elle eut une
relation avec un autre homme, ce qui se solda par la rupture de sa première union. Elle
revint me voir cinq ans après. La sexualité avec son nouveau compagnon était optimale,
mais voilà qu’elle présentait une infertilité psychogène qui avait résisté à tous les proto-
coles de procréation médicale assistée.
Conclusion
Le phénomène du vaginisme primitif est de toute évidence de type hystéro-phobique.
On retrouve la composante phobique dans les symptômes sexuels et psychiques : phobie
d’intrusion, phobie de situation. Quant à la composante conversionnelle, on la retrouve
sous diverses formes : atteinte d’une fonction érotisée, atteinte de la musculature striée,
rôle central du complexe de castration, dimension transférentielle, relation ambivalente
au symptôme, et parfois déterminisme culturel.

Le vaginisme secondaire
Vingt-neuf cas de patientes reçues au cabinet.
Circonstances d'investigation
Âge moyen : 27,5 ans. Extrêmes : 17-53 ans.
Temps d’évolution avant la consultation : 4 ans en moyenne.
Facteurs traumatiques
Le caractère réactionnel et donc les éléments traumatiques sont au premier plan : 95%.
Les traumatismes peuvent se répartir en deux groupes : altérations génitales et trauma-
tismes psychiques.
Altération réelles de l’appareil génital
––Pathologie vaginale (33%) : 7 cas de vulvo-vaginite, 2 cas de dyspareunie.
––Traumatismes obstétricaux, interventions gynécologiques (17%).
La pathologie vaginale inductrice de vaginisme secondaire a en règle générale été
induite par un premier vécu traumatique. Secondairement, au bout de quelques mois,
un vaginisme s’installe, souvent à la faveur d’un deuxième vécu traumatique ou d’un
renforcement du premier. Le mécanisme d’évitement de la relation sexuelle est ainsi
renforcé, d’autant plus que la persistance éventuelle de la lésion initiale génère un incon-
fort compréhensible.
Traumatismes psychiques
––Dépressions : 6 dont 3 postnatales (25%).
––Cohabitation ou emprise du partenaire (25%).
––Autres (5%).
™™ Elsa présente un vaginisme secondaire à des vulvovaginites circonstancielles régres-
sives apparues dans un contexte de drame familial, ce dernier ayant induit un interdit
407
Traité de médecine psychosomatique

plus ou moins conscient d’engagement marital. Aggravation secondaire plusieurs années


après dans un contexte de projet d’enfant.
™™ Gisèle. Même séquence évolutive suite à la cohabitation avec son conjoint, celui-ci
ayant dès cet instant adopté des comportements captatifs et tyranniques.
™™ Séquence identique pour Sonia, le conjoint s’étant mis en tête de lui imposer la
réalisation de ses propres fantasmes sexuels.
Sexualité
Sexualité antérieure
La sexualité antérieure est en règle générale satisfaisante. L’érogénéité clitoridienne est
optimale. L’érogénéité vaginale est très variable d’un sujet à l’autre (55% orgasmes, 33%
simple érogénéité, 12% anérogénéité).
Sexualité actuelle
L’anaphrodisie est beaucoup plus fréquente que dans les vaginismes primitifs : 55% des
cas, dont 20% de cas d’aversion sexuelle. La relation au plaisir est plus ambivalente que
dans le vaginisme primitif. L’autoérotisme y est moins fréquent.
Chez certains sujets, le vaginisme secondaire est intermittent, car plus tributaire du
contexte et de la relation que le vaginisme primitif. Lorsqu’il s’éclipse, il peut y avoir une
relation sexuelle satisfaisante ou bien des dysfonctions orgasmiques à type d’inhibition
orgasmique ou de sensations orgasmiques paradoxales.
Signes associés
La tension interne et les symptômes phobiques sont moins importants que dans le
vaginisme primitif. La relation au corps est moins problématique.
On note par contre l’émergence de composantes dépressives qui sont inexistantes
dans le vaginisme primitif.
Fantasmes
Ils n’apparaissent qu’en l’absence d’anaphrodisie. On retrouve encore une fois des
pénétrations imposées dans un contexte de soumission et de passivité, fantasme
sous-tendu par un complexe œdipien. On peut retrouver aussi des fantasmes de relations
sexuelles hors du lieu de vie habituel, surtout lorsque l’anaphrodisie est induite par la
cohabitation.
Rêves
Ils n’apparaissent que chez 44% des patientes. La démentalisation y est plus impor-
tante que dans le vaginisme primitif.
On y repère :
––le complexe castration dans seulement 60% des cas (moins prévalent que dans le
vaginisme primitif) ;
––des représentations œdipiennes (50%) ;
––des rêves érotiques de manière moins fréquente que dans le vaginisme primitif (13%
seulement au lieu de 82%) ;
––des rêves traumatiques.

408
Psychosomatique et gynécologie

Causes
Facteurs traumatiques
Ils sont au premier plan (cf. ci-dessus).
Complexe de castration
Il occupe une place moins centrale : 50% au lieu de 90%.
Complexe œdipien
Les représentations œdipiennes pathogènes sont sensiblement plus fréquentes que
dans le vaginisme primitif : 55% des cas.
Antécédents traumatiques sexuels infantiles
Ils sont loin d’être systématiques, mais on les repère dans 20% des cas. Ce sont des
expériences infantiles de contacts sexuels imposés par des adultes. Les vécus de ces
expériences sont dans tous les cas traumatiques et ambivalents : dégoût + angoisse +
plaisir paradoxal inconstant. Une part des traumatiques actuels réactive ces vécus
antérieurs. On se rapproche beaucoup plus des déterminants de la pathologie générale.
™™ Clotilde présente un vaginisme secondaire depuis la cohabitation avec son compa-
gnon. Sa sexualité antérieure était pleinement satisfaisante, bien qu’elle n’ait eu de
relations sexuelles que dans l’obscurité afin d’éviter le regard de son partenaire.
« Ma mère était dépressive, et mes parents avaient dû prendre une nourrice. Celle-ci
m’habillait comme un garçon et me maintenait les cheveux courts… Mon père voulait
avoir un garçon… Entre 6 et 10 ans, le mari de ma nourrice m’a imposé des contacts
sexuels. Je ressentais de la honte, de l’inquiétude mais aussi du plaisir. Il me forçait, en
me regardant, je me bloquais, je me raidissais. Une fois, suite à une bêtise, ma nourrice
m’avait foudroyée du regard… Elle me faisait peur comme ma mère qui elle aussi avait
un regard noir… J’aimais bien jouer avec mon père à la bagarre, aux soldats, je me cachais
et, lorsqu’il me voyait, j’étais saisie, je me raidissais, ça me faisait une drôle de sensation.
Une fois, j’ai entendu mes parents faire l’amour, j’ai eu l’impression que mon père faisait
du mal à ma mère… J’ai toujours été terrorisée par l’accouchement… J’ai toujours eu très
peur des opérations… Lors de mes premières relations, je ne pouvais regarder le sexe de
l’homme…»
La pulsion scopique et la défense qui l’accompagne occupent, comme on le voit, une
grande place chez cette patiente qui exerce le métier de photographe.
Le vaginisme disparut après neuf séances de psychothérapie. Trois ans après, la
patiente revint avec son bébé de six mois qu’elle agitait pendant la séance comme une
poupée de chiffons. La grossesse s’était très bien passée, mais elle avait gardé des douleurs
séquellaires de l’épisiotomie effectuée dans un contexte d’accouchement dystocique. Elle
sortait à peine d’une dépression postnatale. Le vaginisme était réapparu. Elle rapportait
un rêve récurrent depuis l’accouchement : un homme lui courait après dans une maison
et elle essayait de cacher le bébé mais n’y parvenait pas.
Conclusion
Le vaginisme secondaire constitue une défense somatique sensiblement moins reliée
aux complexes inconscients : le complexe de castration, notamment, y occupe une place
moins importante que dans le vaginisme primitif.
409
Traité de médecine psychosomatique

Les éléments traumatiques ou dépressifs prennent nettement le dessus sur la compo-


sante hystéro-phobique que l’on ne retrouve que dans un nombre restreint d’observa-
tions.

Traitement du vaginisme
Des éléments qui précèdent, il découle certains principes thérapeutiques :
––pas d’acharnement sur le symptôme. Éviter de vouloir traiter à tout prix ;
––action sur les facteurs pathogènes actuels ;
––favoriser la détente corporelle et psychique ;
––favoriser l’hédonisme général ;
––favoriser l’intimité, le changement d’habitudes et de cadre ;
––pas de relations sexuelles sans désir. Évitement de la passivité, favoriser l’activité.
Le traitement du vaginisme primitif implique en outre :
––une rectification des représentations sur l’anatomie et la physiologie génitales
(métaphore de la pince, métaphore alimentaire) ;
––une familiarisation progressive avec le contact corporel.
Le vaginisme secondaire nécessitera, quant à lui, un abord des vécus traumatiques
actuels et des vécus traumatiques infantiles lorsqu’ils existent.
Dans certains cas, la psychothérapie analytique pourra être associée à des techniques
à médiation corporelle (relaxation, hypnose) ou à d’autres techniques purement sexolo-
giques utilisées par certains praticiens.

2-2. Les vulvovaginites


Étude à partir de treize cas de patientes reçues au cabinet.
En règle générale, ce sont des vulvovaginites mycosiques. Elles sont soit chroniques,
soit récidivantes en fonction des aléas de la vie sexuelle.
Associations
La pathologie est soit isolée (8 cas), soit associée à d’autres symptômes génitaux (5
cas) : vaginisme (4 cas), dyspareunie (1 cas).
Sexualité
Si la sexualité antérieure est variable, la sexualité contemporaine de la pathologie est
toujours déficitaire, de type aversion sexuelle dans 90% des cas. Les relations sexuelles se
font sous contrainte (autocontrainte en général) et aggravent à leur tour la pathologie.
Le mécanisme séquentiel inducteur de vulvovaginites semble assez stéréotypé :
––anaphrodisie initiale ;
––inflammation circonstancielle (infection, état de tension interne, relation sexuelle de
mauvaise qualité, désordre hormonal, etc.) ;
––aggravation de l’anaphrodisie du fait des sensations désagréables, des relations
sexuelles contraintes, de l’absence de jouissance.
Dans 10% des cas, c’est l’absence de relations sexuelles qui semble générer la pathologie.
Organisation psychique
Le fonctionnement psychique est plus obsessionnel que phobique. L’idéal du moi est à
l’origine de l’autocontrainte. L’agressivité est réprimée.
410
Psychosomatique et gynécologie

Le complexe de castration est présent bien que moins évident sur le plan clinique. Les
défenses sont plus organisées.
Facteurs traumatiques
––Vécu d’objet d’emprise (9) : cohabitation, mariage (7), relations sexuelles program-
mées dans un contexte de procréation médicale assistée, relations sexuelles malgré
une anérogénéité totale.
––Traumatismes inducteurs d’un vécu de castration : interruption de grossesse,
traumatisme obstétrical, rupture amoureuse (3).
––Absence de relations sexuelles (2) : rupture amoureuse, prescription médicale.
––Dépression (1).
––Un cas dans lequel le facteur hormonal semble au premier plan.
Rêves
Ils sont plus rares que dans le vaginisme et leur contenu atteste d’une plus grande
démentalisation.
Lorsqu’ils existent, ils traduisent le complexe de castration : serpents, taureaux, vécu
d’emprise (araignées).
™™ Jade, 22 ans présente des vulvovaginites mycosiques depuis trois ans, date de son
mariage et de l’éloignement de sa famille. Malgré l’aversion sexuelle qui s’est installée
(la sexualité antérieure était bonne), elle accepte des relations sexuelles espacées par
crainte que son conjoint auquel elle est très attachée « n’aille voir ailleurs ». Les rêves
sont rares, opératoires, ils ne s’enrichissent qu’au bout de quelques séances : chutes dans
des étendues d’eau… son père (elle lui en veut beaucoup d’avoir quitté sa mère pour une
personne plus jeune)… une araignée énorme. Le devoir conjugal qu’elle s’impose n’évitera
pas le départ du mari qui, comme le père, finalement « ira voir ailleurs ». La séparation
sera douloureuse mais la vulvovaginite disparaîtra instantanément.
Fantasmes
Ils sont rares, attestant eux aussi d’une plus forte démentalisation.
Associations morbides
Il semble exister une plus grande tendance générale aux somatisations : migraines (3),
maladies régressives abdominopelviennes (colopathie, cystite, fissure anale).
Dimension économique
La répression de l’affect est responsable de l’inflammation. Alors que le vaginisme est
une défense pure et directe, un trouble fonctionnel réflexe transitoire, une pathologie
du spasme, ici, il s’agit d’authentique somatisation sous l’effet d’une répression initiale
durable. Alors que l’approche médicale classique met en avant l’infection comme déter-
minant initial, l’approche psychosomatique nous incite à penser que l’inflammation
précède l’infection.
La décharge orgasmique a un effet trophique sur la pathologie. C’est ce qui explique les
deux cas recensés de vulvovaginites chez des femmes abstinentes. Nous repérons encore
une fois que la jouissance constitue une thérapeutique de la souffrance.
411
Traité de médecine psychosomatique

Lorsque la pathologie est constituée, une part de l’excitation se décharge dans le


symptôme, plus particulièrement lorsqu’il existe un prurit. Dans ces derniers cas, une
dimension masochiste n’est pas exclue. La pathologie constitue alors une voie de décharge
de l’excitation qui n’a pas trouvé d’issue dans l’élaboration mentale, les comportements,
ou la jouissance au niveau de la fonction somatique en question.
Paradoxalement, la psychothérapie est plus efficace dans les vulvovaginites que dans
le vaginisme. D’ailleurs, les rares cas de vaginisme associés à une vulvovaginite montrent
bien que le premier symptôme à disparaître est l’inflammation. Paradoxe tout à fait relatif,
car la vaginite fait souffrir, alors que le vaginisme ne se manifeste que lors de la relation
sexuelle et réalise un tour de force assez exceptionnel : maintien du désir et de la relation
en toute sérénité.
Je citerai maintenant le cas d’une patiente qui montre que la psychothérapie peut
avoir une action sur des pathologies génitales lésionnelles.
™™ Johanna, 32 ans, n’a jamais connu de rapports sexuels avec pénétration, du simple
fait qu’elle présente une atrophie vulvopérinéale. Les téguments, selon le gynécologue,
sont ceux d’une femme ménopausée non traitée. Le compagnon avec qui elle vit depuis
onze ans a accepté cet état de fait et les relations sexuelles se limitent à des contacts
sexuels pourvoyeurs d’orgasmes. Une psychanalyse révélera la préséance d’un complexe
de castration majeur avec régression anale. Progressivement, une érogénéité vaginale
apparaîtra et des relations sexuelles seront possibles. Au bout de deux ans, le gynéco-
logue constatera une diminution majeure des altérations anatomiques.

2-3. Les dyspareunies
On se rapproche ici de la douleur chronique et on y retrouve certains de ses détermi-
nants et de ses caractéristiques.
Éléments dépressifs quasi constants
Ils sont fréquents et le plus souvent à type dépression hostile peu mentalisée. La part
démentalisée de l’état dépressif génère la douleur physique.
™™ Les deux premières années, la sexualité est très bonne entre Clara, 28 ans, et son
compagnon. La cohabitation au bout de deux ans génère une baisse du désir, aggravée
par une maternité envisagée (relations sexuelles dans cet unique but). Une douleur
profonde lors du coït apparaît. Une grossesse fait disparaître les symptômes. Durant les
deux années qui suivent la grossesse, le désir disparaît chez le mari : il a assisté à l’accou-
chement (élément phobique) et s’est investi de manière massive sur l’enfant, enfant qu’il
fait dormir avec eux. Elle ne se retrouve plus jamais seule avec lui, d’autant qu’il travaille
beaucoup. Il ne la regarde plus avec les mêmes yeux, elle a grossi, ce n’est plus une femme,
c’est une mère. La blessure narcissique est d’autant plus forte qu’elle n’a pas repris le
travail qui la valorisait. Le désir s’est progressivement éteint chez elle et les douleurs sont
réapparues. Secrètement, elle lui en veut. Pas de rêve, vie routinière et opératoire.
Éléments masochistes fréquents
™™ Mélisande. Grossesse il y a quatre ans. Épisiotomie suivie de douleurs vulvaires
et clitoridiennes pendant un an. Apparition d’une dyspareunie trois ans après dans un
contexte traumatique : sa fille de 3 ans a subi des contacts sexuels traumatiques à l’école,
412
Psychosomatique et gynécologie

et son père, qui vient de divorcer, la sollicite pluri-quotidiennement. Ces deux éléments
ont fait surgir des réminiscences, plus particulièrement les conduites pour le moins
ambiguës de ce dernier à son encontre lorsqu’elle était jeune adolescente. Réactivation
d’un vécu œdipien masochiste. Le conjoint est un clone du père.
™™ Océane, 26 ans. Cônisation du col suivie d’anaphrodisie et de dyspareunie. On
retrouve une peur consciente de l’agression physique mais aussi des fantasmes de soumis-
sion sexuelle masochiste : des femmes allongées que l’on torture. Ses rêves de taureaux
sont à la fois excitants et terrorisants. Le père était pilote d’avion, fascinant mais aussi
rabaissant et humiliant dans ses attitudes. Elle n’a qu’un souhait : être hôtesse de l’air. En
attendant, elle prépare des billets d’avion dans une agence de voyage.
Éléments interprétatifs sous-jacents
™™ Myriam, 33 ans, présente une dyspareunie et des algies pelviennes depuis trois
ans : douleur au niveau du cul-de-sac de Douglas gauche, déclenchée lors des relations
sexuelles, mais aussi douleur spontanée de la fosse iliaque et de la région lombaire
gauches. Elle est tendue, méfiante et en veut beaucoup à son gynécologue qui aurait
aggravé ses troubles pendant une cœlioscopie.
Les choses ont commencé par une douleur lors d’une relation sexuelle. Elle était alors
très tendue dans son travail. Antécédents : constipation, colopathie spasmodique, insuf-
fisance veineuse. Lors de son adolescence, sa mère l’amène plusieurs fois chez le gynéco-
logue pour des troubles gynécologiques divers : vulvovaginites, métrorragies, kystes, etc.
Un pronostic de stérilité est asséné.
Myriam vit en couple avec un garçon « très gentil, très compréhensif », mais elle évite
les relations sexuelles, obsédée par l’apparition de douleurs. Elle a du mal à imaginer une
grossesse, pire un accouchement. Le désir sexuel a disparu. Elle est déprimée, déprimée
par son problème, déprimée par son travail. Les rêves récurrents attestent d’une problé-
matique œdipienne, d’un vécu de passivité, mais aussi de persécution : « Je suis attirée par
un homme de 50 ans. Mais il y a sa femme à côté… Mon gynécologue veut faire l’amour
avec moi. Une femme me manipule dans ce but. En fait, elle veut me noyer… » La psycho-
thérapie a été difficile, la patiente me mettant en échec de diverses manières. Malgré cela,
les douleurs pelviennes spontanées finirent par disparaître au bout de quelques mois.
Seule persistait, bien qu’atténuée, la dyspareunie. Elle décida au bout de huit mois de
psychothérapie de mettre un terme brutalement au traitement et j’eus la désagréable
surprise d’apprendre par une consœur qu’elle était allée consulter que, selon ses dires,
je lui aurais fait des propositions malhonnêtes. Elle avait fait de même avec son gynéco-
logue. Le processus interprétatif que je subodorais lors des premiers entretiens était
évident. Fallait-il pour autant renoncer à la soigner ?
Aggravation par l’acharnement thérapeutique
La répétition des investigations, des interventions, des avis contradictoires, la palette
étendue de thérapeutiques utilisées, laissent souvent au sujet une vague impression
d’être l’objet d’une manipulation et, lorsqu’un noyau interprétatif existe, favorisent son
éclosion. Le fait qu’il s’agisse ici de la sphère pelvienne, fortement investie de représen-
tations, n’arrange pas les choses et favorise les déplacements transférentiels des images
infantiles sur les personnes soignantes.
413
Traité de médecine psychosomatique

™™ Alexandrine, 56 ans, dépressive, ayant subi de nombreuses interventions : stérili-


sation tubaire, ovariectomie, cure de cystocèle. Elle souffre depuis cinq ans de douleur
latérovaginale gauche, coxalgie, algie fessière gauche. Une atteinte du nerf pudental
gauche a été diagnostiquée. Elle se plaint d’un acharnement des médecins sur son ventre,
acharnement dont elle ne peut nier toutefois être complice. Dans un rêve récurrent
suivant, elle est nue dans une salle de consultation, entourée de médecins et d’étudiants
qui s’avancent vers elle pour la violer.
Fréquence des épines irritatives anatomiques
™™ Laura, 30 ans. Sexualité satisfaisante pendant quatre ans jusqu’à la cohabitation.
Grossesse il y a trois ans. Traumatisme obstétrical. Anaphrodisie, appréhension, devoir
conjugal. Dyspareunie pendant toute la première année, malgré reprise chirurgicale de la
cicatrice d’épisiotomie. Vulvovaginites. Tension abdominopelvienne (« Je percevais cette
tension comme une angoisse au niveau du ventre. »). Fissure anale l’année suivante. Inter-
vention sur la fissure. Dyspareunie constante avec persistance des douleurs le lendemain
des rapports sexuels. Cette patiente subissait de manière passive les assauts de son mari
qui finira par la quitter, mettant un terme malgré lui à sa pathologie.
On repérera dans cette dernière observation l’existence d’une lésion anatomique
initiale inductrice d’une défense profonde de la sphère pelvienne à type de lutte, associée
à un vécu dépressif de passivité et de renoncement.
Autres éléments
––Aggravation par les facteurs hormonaux.
––Fréquente dévalorisation narcissique.

2-4. Les troubles urinaires fonctionnels


™™ Violette. Vulvovaginites et cystites récurrentes contemporaines de périodes
d’anaphrodisie au cours desquelles des représentations œdipiennes affluent, le conjoint
étant assimilé au père. Ce dernier est à la tête d’un harem professionnel, autant de
femmes qu’il séduit, soumet et tyrannise, fille comprise. Dimension masochiste évidente :
« Lorsque je suis en présence de mon père, j’ai des douleurs vaginales. »
™™ Tina. Culpabilité sexuelle. Œdipe structuré sur un mode masochiste. Cystites après
chaque relation sexuelle insatisfaisante.
™™ Séverine. Algies pelviennes, pollakiurie, impériosités urinaires depuis neuf mois.
Dans les suites du décès de la mère il y a un an, le couple a recueilli le père chez eux, ce
qui génère non seulement une privation importante de liberté, mais aussi une tension
interne importante ainsi que la réactivation d’un complexe œdipien à forte connota-
tion masochiste. Malgré son grand âge, le père impose la présence de ses maîtresses à la
maison. « Sa présence m’électrise. Je ressentais la même chose quand il nous corrigeait
avec le ceinturon de l’armée. »
™™ Marie-Hélène. Cystites à répétition contemporaines de sa relation résignée avec un
homme qui rejette ses deux enfants issus d’un premier mariage. Marie-Hélène assume les

414
Psychosomatique et gynécologie

rôles de père et de mère. « Si je suis bien, il va m’arriver quelque chose. » Les cystites sont
aggravées par les relations sexuelles insatisfaisantes.
™™ Elvire. Cystites récurrentes entretenues par des relations sexuelles. Rêve récurrent :
« Je monte les escaliers d’une maison abandonnée et n’arrive jamais au premier étage. Je
redescends mais en bas il y a le feu. »
™™ Fanny, 22 ans, consulte pour frigidité. De 3 à 5 ans, elle a présenté des infections
urinaires à répétition et a été opérée dans les suites d’un reflux vésico-urétéral. Jusqu’à
la puberté, elle se retiendra d’uriner au prix de douleurs intenses. Les premières règles
sont vécues de manière très traumatique et réactiveront les cystites. Fanny s’est toujours
plainte d’une indifférence totale de son père à son égard. « C’est comme si j’étais transpa-
rente, il ne m’a jamais regardée. »
Ces exemples sont éloquents et nous amènent aux constatations et conclusions
suivantes :
––pathologie chronique avec périodes d’atténuation et d’aggravation ;
––poussées contemporaines soit d’une période d’anaphrodisie, soit de relations
sexuelles insatisfaisantes (décharge orgasmique insuffisante ou imprégnée de culpabi-
lité). L’investissement orgasmique total lorsqu’il se produit fait disparaître les cystites ;
––représentations œdipiennes inconscientes articulées sous un mode masochiste de
manière quasi constante. Les profils paternels sont assez semblables : père attractif,
séducteur, mais distant, dévalorisant et coercitif ;
––régression cloacale de la région pelvienne et régression psychosomatique urétrale ;
––réactualisation du déficit narcissique par le biais de la relation actuelle ;
––mentalisation relativement bonne permettant de bons résultats psychothérapiques.

2-5. Les algies pelviennes


Les algies pelviennes sont source d’interprétations et d’approches médicales multiples
et variées. La persistance de bon nombre d’entre elles, malgré l’étendue de l’arsenal théra-
peutique utilisé, leur confère un caractère déroutant. La problématique se rapproche de
celle des lomboradiculalgies avec toutefois une connotation particulière, le plus souvent
éludée par les différents professionnels et la patiente elle-même : la composante trauma-
tique initiale dans laquelle les représentations sexuelles sont présentes, représentations
totalement réprimées, à telle enseigne qu’il n’en reste plus aucune trace. La névralgie
pudendale est le plus souvent incriminée, et ce simple verdict les renvoie définitivement
aux oubliettes, ce qui n’est pas sans rappeler les effets du diagnostic de fibromyalgie.
Malgré les échecs fréquents de la chirurgie, le déni du facteur psychique perdure et sa
levée nécessite une attitude psychothérapique à pas de loup afin de ne pas induire une
recrudescence des défenses.
On repère chez la plupart des sujets :
1) des désordres anatomiques mineurs mais réels ;
2) un déclenchement systématique par des facteurs traumatiques ;
3) des interventions médico-chirurgicales pelviennes multiples ;
4) une demande de soins sans grande conviction et, de toute façon, trop tardive.

415
Traité de médecine psychosomatique

™™ Marie-Dominique, 40 ans, présente des douleurs lombaires et abdominopelviennes


depuis l’âge de 23 ans. Nucléolyse, corset, arthrodèse, chirurgie vasculaire, ré-interven-
tion pour rupture de l’uretère, nouvelle arthrodèse, ovariectomie, ré-intervention pour
adhérences. Ménopause à 38 ans. L’anamnèse associative va éclairer d’un jour nouveau
cette triste histoire. Liaison à 23 ans avec un homme déjà père de deux charmantes et
tyranniques petites filles qui n’acceptent pas Marie-Dominique. Renoncement à une
maternité pour ne pas perturber les petites. Deux interruptions « volontaires » de
grossesse. Début des algies pelviennes dans les semaines qui suivirent la deuxième. Aggra-
vation des douleurs pelviennes et apparition de douleurs lombaires quatre ans après,
dans un contexte polytraumatique : décès de la mère, conflits avec la fratrie, tromperie
du conjoint.
™™ Nadine, 33 ans, souffre d’algies pelviennes depuis l’année de ses 26 ans, marquée
par une cascade d’événements : brouille avec son père qui quitte le foyer pour vivre
avec sa maîtresse, arrêt des activités sportives très investies, accouchement dystocique
et traumatique avec séquelles pelviennes (fistule et incontinence), décès de ses trois
grands-parents. L’investigation révélera une inadéquation avec son conjoint infidèle et
toutefois tyrannique. Elle annulera le second rendez-vous, une troisième intervention
chirurgicale ayant été programmée.

AUTO-AGRESSIVITÉ

DÉMENTALISATION

DÉSORDRES ANATOMIQUES

VAGINISME VULVO-VAGINITES DYSPAREUNIE ALGIE PELVIENNE

Défense somatique Soumission Dépression sous-jacente


réflexe Répression Répression

Défenses somatiques et pathologies génitales

416
Psychosomatique et gynécologie

3. LES INFERTILITÉS INEXPLIQUÉES


De 1995 à 2005, j’ai reçu à mon cabinet 181 patientes présentant ou ayant présenté à
un moment de leur vie un problème d’infertilité. Dans la majorité des cas, ces patientes
m’étaient adressées par leur gynécologue dans le cadre d’un bilan pour infertilité avant
ou pendant un protocole de procréation médicale assistée (PMA). Les autres cas corres-
pondaient à des patientes ayant consulté pour des difficultés autres (troubles anxieux,
dépressions, maladies somatiques, dysfonctionnements sexuels, etc.).
Mon positionnement était non pas de délivrer un laissez-passer pour la PMA, comme
de nombreux couples l’imaginaient, mais d’effectuer une approche psychosomatique,
plus particulièrement chez les patientes exemptes d’altérations organique franches,
c’est-à-dire de rechercher et d’éventuellement traiter de possibles cofacteurs psychiques
délétères à l’origine de leur infertilité. Mon enthousiasme du début fut très progressi-
vement mis à mal par un double constat. Les réticences et les résistances des patientes
étaient majeures, comme si cette visite chez le psy risquait de mettre à mal leur déter-
mination inflexible à aller jusqu’au bout, quoi qu’il en coûtât de leur démarche, entre-
prise souvent plusieurs mois, si ce n’est plusieurs années auparavant. De fait, le contexte
psychique et interactionnel de la demande et de la rencontre se prêtait difficilement à
un suivi, la demande n’émanant pas de la patiente, bien au contraire. D’autre part, les
déterminants psychosomatiques demeuraient assez imprécis tant du point de vue du
cofacteur psychique que de son articulation avec le désordre physiologique. On avait
le sentiment qu’il se passait quelque chose de l’ordre de l’inaccessible aussi bien en cas
d’échec qu’en cas de réussite.
J’ai étudié avec Karine Brun, psychologue clinicienne, formée à la psychosomatique par
l’École de médecine psychosomatique, 181 observations d’infertilité. Elles peuvent être
réparties en trois groupes :
• Groupe A : 133 observations recueillies à l’issue d’une seule et unique consultation,
les patientes n’ayant jamais été revues.
• Groupe B : 23 observations correspondant à des suivis allant de deux à quatre séances.
• Groupe C : 25 observations correspondant à des psychothérapies allant de cinq à
trente-huit séances, s’étalant sur un à neuf mois (en moyenne trois mois à raison de trois
séances mensuelles).
Le but de cette étude n’est pas d’appréhender tous les aspects de l’infertilité et de leurs
conséquences sur la vie des sujets, pas plus que d’aborder les conséquences à moyen et
long terme de la PMA, notamment les interactions induites par celle-ci, et le devenir des
enfants qui en sont issus. De nombreuses études de qualité concernant la dimension
psychologique de la PMA et de ses conséquences ont été effectuées et nous renvoyons le
lecteur au livre de B. Bayle, L’embryon sur le divan, qui fait le tour de ces différents aspects.
Je me suis limité à rechercher les codéterminants psychiques des infertilités fonction-
nelles ou des infertilités inexpliquées.

417
Traité de médecine psychosomatique

3-1. L’acharnement
Peu à peu, j’adoptai une attitude plus distanciée par rapport à la recherche des causa-
lités mais aussi à la demande explicite. C’est ainsi qu’apparut progressivement un élément
nouveau que l’on pourrait résumer ainsi : la conception nécessite un renoncement non pas
à concevoir, mais un renoncement à l’acharnement à vouloir concevoir. Je dois pour une
part à Robert Babeau un étayage clinique de ce qui m’apparaît maintenant comme une
évidence, sous forme d’une métaphore simple : plus on veut dormir, moins on s’endort. Et
on pourrait faire référence à bien d’autres situations cliniques. Par exemple, chez les sujets
souffrant de déficit sexuel : plus ils veulent « y arriver », moins ils « y arrivent ». Idem pour
les stress décisionnels lors de crises existentielles entre deux options possibles (le mari ou
l’amant, tel emploi ou tel autre, partir ou ne pas partir) : plus le sujet s’acharne à choisir,
plus les possibilités de choix s’éloignent. Depuis longtemps, j’avais pris l’habitude de dire
à mes patients confrontés à ces situations de renoncer pour un temps à faire un choix,
et de s’occuper d’autre chose. En règle générale, la solution venait au moment où ils n’y
pensaient plus. Existe-t-il au niveau de ces différentes situations des éléments communs,
voire des supports physiologiques communs ?
™™ Je citerai le cas des rétentions urinaires réflexes. J’ai été amené à traiter avec succès
deux patients dont la vie avait été littéralement conditionnée par ce type de problème.
Un de ces patients différait toute forme de déplacement et ne pouvait uriner que chez lui
à condition qu’il y ait un silence total dans la maison ; le second se déplaçait mais amenait
toujours sur lui une sonde, l’auto-sondage étant la condition de la miction. Il leur était
impossible, depuis l’âge adulte, d’uriner naturellement en dehors de chez eux. Chacun à
sa manière avait organisé sa vie personnelle et professionnelle en fonction de cette diffi-
culté. Par ailleurs, des troubles fonctionnels urinaires invalidants s’étaient surajoutés à la
pathologie initialement réflexe et, chez l’un d’eux, de graves complications lésionnelles
s’étaient installées.
Chez ces deux patients, le déclenchement de la miction était, quel que soit le dispositif
qu’ils avaient mis en place, carrément impossible lorsque surgissaient des représentations,
soit des représentations induites par des perceptions extérieures (bruits attestant de la
présence d’un autre), soit des représentations d’origine plus endogène (peur d’être vu,
présence du téléphone portable allumé), et bien sûr du fait de l’acharnement, c’est-à-dire
de la fixation obsédante à y parvenir (aggravation lorsqu’ils étaient pressés ou attendus).
Ainsi, deux conditions rendaient la miction impossible : la fixation obsédante sur le but et
la survenue de représentations mettant en scène un autre, un autre interdicteur, un autre
réprobateur. Ces situations apparaissaient dans les rêves récurrents attestant de l’inscrip-
tion inconsciente de la problématique. Par contre, il arrivait qu’une miction spontanée se
produise au moment où ils étaient affairés à autre chose, à exécuter une tache fortement
investie par exemple, ou bien lorsqu’ils étaient habités de représentations concernant un
projet ou un ailleurs, se racontant volontiers des histoires à voix haute. Ainsi des repré-
sentations latérales totalement différentes de la préoccupation obsédante avaient un
effet libérateur.
Tous deux relataient des souvenirs infantiles similaires : tous deux avaient uriné sur
eux dans les suites immédiates d’une correction infligée par un personnage paternel alors
418
Psychosomatique et gynécologie

qu’ils faisaient quelque chose qu’il ne fallait pas faire (l’un montait sur un arbre, l’autre
avait emprunté la voiture de son père). Le contenu inconscient de ces deux souvenirs
de transgression d’un interdit à forte connotation œdipienne se retrouvait dans d’autres
formations psychiques (l’un d’eux consolait sa mère réfugiée au fond du jardin lorsque le
père était violent). Ils étaient très doux, très dociles, respectant scrupuleusement toute
forme d’autorité (l’un urinait sur lui lorsque l’instituteur le réprimandait). La vie sexuelle
de ces deux patients était très déficitaire (évitement, abstinence, dysfonction érectile,
éjaculation précoce selon les cas, et de toutes façons sexualité éminemment coupable,
honteuse). Il existait chez eux une intrication des représentations sexuelles et des repré-
sentations concernant la miction, une angoisse de castration majeure diffusant sur la
sphère urinaire et bien sûr un conflit œdipien central. Le mécanisme de défense contre
ces difficultés était la maîtrise, bien illustrée par toutes les mesures utilisées (l’un souhai-
tait depuis toujours avoir un robinet à la place du pénis) et la programmation artificielle
d’une fonction naturelle, c’est-à-dire le fantasme de contrôler et programmer toute forme
de fonction corporelle érotisée.
Dans ces situations identiques, nous repérons quatre déterminants constants :
––représentations inconscientes inhibant la fonction, s’originant dans un conflit
profond, mettant en scène un interdit ;
––fixation obsédante sur le but à atteindre ;
––mécanismes de défense à type de maîtrise et de programmation ;
––effet désinhibiteur de la fonction induit par des représentations latérales différentes
générant un déplacement des investissements.
Bien que ces cas cliniques concernent des pathologies fonctionnelles réflexes, et que
dans les infertilités, notamment les infertilités dites « inexpliquées » ou « à détermi-
nisme hormonal », il existe des mécanismes plus complexes, plus profonds et de toute
évidence plus mystérieux, il m’est difficile de ne pas établir un lien de similitude avec de
nombreuses situations auxquelles j’ai été confronté lors des consultations pour infertilité.
Ces dernières mettent au jour de manière récurrente trois de ces éléments : la fixation
obsédante sur le but à atteindre, la maîtrise et la programmation (c’est l’essence même de
l’aide médicale à la procréation), l’effet désinhibiteur de la fonction procréatrice fréquem-
ment induit soit par le renoncement (adoptions), soit par la survenue de nouveaux inves-
tissements, soit encore par l’invasion du psychisme par des représentations latérales à fort
contenu émotionnel (décès d’un proche par exemple). La seule question qui demeure est
celle de l’existence de représentations inconscientes bloquant la fonction. Cette étude
tentera d’y répondre.
Le travail sur les dossiers m’a conforté dans cette représentation générale des choses.
Elle fut illustrée par un événement survenu dans la vie d’une patiente. Cette jeune femme
était venue me consulter pour un problème d’infertilité inexpliquée. Elle présentait
tous les signes cliniques que l’on rencontre dans ces situations : état de tension anxieuse
exacerbé par une longue attente, manifestations dépressives plus récentes, certitude de
ne pouvoir concevoir (c’est ce qui lui avait été dit) sans PMA, productions inconscientes
caractéristiques (rêves récurrents de bébés), fixations obsédantes sur la conception, etc.
Son psychisme était parasité par un virus, le virus de l’attente acharnée de la procréa-
tion. À la quatrième séance, elle m’apprit que son père venait de mourir subitement
419
Traité de médecine psychosomatique

d’un accident cardiaque. Les rêves récurrents de bébés avaient laissé la place aux rêves
post-traumatiques mettant en scène son père. Le jour même, je téléphonai à l’étudiante
qui m’avait aidé dans ce travail en lui faisant le pari qu’elle allait être enceinte. Quinze
jours après, elle m’annonçait son état de grossesse.
Ainsi, un déplacement sur d’autres objets psychiques permet au premier objet
psychique de trouver une place d’objet réel.
Entre deux positions extrêmes (soutien psychothérapique confortant le sujet
dans l’acharnement ou, à l’inverse, suggestion intrusive de renoncement), l’approche
psychosomatique des difficultés à concevoir doit donc se référer à certains axes :
––analyse des demandes et des interactions ;
––investigation psychosomatique approfondie ;
––mise au jour de la conflictualité inconsciente source d’inhibition de la fonction ;
––action psychothérapique sur cette conflictualité ;
––atténuation de l’acharnement et du fonctionnement dans la maîtrise et la program-
mation ;
––induction de nouvelles représentations parallèles aussi fortes, si ce n’est plus fortes
que le « désir d’enfant ».

3-2. Le contexte général de l’investigation


Les observations du groupe A ont permis de mettre en avant des éléments statistiques
significatifs.

À qui proposer la consultation ?


Dans l’observation, il n’a pas été noté de manière systématique s’il s’agissait d’une
consultation avec une seule personne (en général la femme) ou si les patients sont venus
consulter en couple. Selon mes souvenirs, cela se porte aux alentours de 50/50. Il m’est
arrivé au tout début d’induire la situation en demandant par téléphone lequel des deux
protagonistes présentait un problème d’infertilité et de proposer un rendez-vous à cette
seule personne. Avec le recul, je pense que c’est une erreur et qu’il y a lieu de recevoir systé-
matiquement le couple, tout au moins une fois, et ensuite de recevoir seule la personne
présentant le trouble fonctionnel susceptible de générer l’infertilité, encore que certains
troubles fonctionnels inapparents de l’un ou de l’autre peuvent interférer, et qu’il n’est
pas interdit d’envisager l’hypothèse d’une certaine incompatibilité psychophysiologique
entre les deux partenaires.

Les réticences, les interactions, la demande


Il s’avère difficile, avec le recul, d’évaluer avec précision le positionnement des patients
vis-à-vis de la consultation. Dans l’immense majorité des cas, il s’agissait de consultations
prescrites par le gynécologue, une demande venant directement de la personne étant
exceptionnelle. Dans au moins les deux tiers des cas, il existait de fortes réticences, et l’on
peut a posteriori distinguer divers types de vécu :
––vécu contraint et forcé de type très défensif : la personne vit la consultation « psy »
soit comme une contrainte, soit surtout, et c’est le cas le plus fréquent, comme une

420
Psychosomatique et gynécologie

incompréhension ou une menace (« On me dit que c’est dans la tête mais je n’y crois
pas » ou encore « Je ne suis pas folle ») ;
––vécu de docilité et de soumission : la consultation est vécue comme une obligation
normale parce que faisant partie d’un protocole rigoureux ;
––vécu interrogatif : la personne s’implique dans la recherche de causes éventuelles,
n’excluant pas la possibilité d’une inhibition psychogène. Ce vécu concerne plus parti-
culièrement le groupe d’observations de type B ;
––vécu d’intérêt particulier (beaucoup plus rare) pour ce type d’approche avec parfois
demande de suivi. On retrouve ici le groupe d’observations de type C.
De ces différents vécus et de la complexité des interactions (interactions au sein
du couple, interactions couple-médecins, interactions entre différents spécialistes)
qui pervertissent la demande, il s’ensuit, pour l’investigateur, un malaise. L’absence de
demande du patient implique d’avoir une attitude la moins psychanalytique qui soit
au départ et de manière inévitable de fournir à la patiente un minimum d’information
concernant la justification de ce type de consultation. Toujours pour la même raison,
l’investigateur, afin de ne pas accentuer les défenses du patient, centre au départ l’essentiel
de la consultation sur les données médicales. Le repérage des données psychosomatiques,
du fait du contexte, est donc très difficile. Il est souvent dit à la patiente ou au conjoint,
le plus souvent en fin de consultation, essentiellement à ceux pour lesquels on ne relève
pas d’anomalie somatique évidente, que la tension nerveuse ou des blocages inconscients
peuvent parfois accentuer les difficultés. Il leur est signifié qu’un courrier sera fait au
gynécologue, de poursuivre les investigations et la thérapeutique mais qu’en cas d’échecs
répétés, il serait souhaitable qu’ils reprennent contact.
La démentalisation induite chez ces patientes par le long parcours médicalisé, la répéti-
tion des investigations, voire des traitements, induit chez l’investigateur, de manière très
rapide, un état de démentalisation similaire.

Données générales
Âge des patientes
Moyenne d’âge des femmes ayant consulté : 33 ans, la plus jeune ayant 24 ans et la plus
âgée 46 ans.
Couples avec ou sans enfants
Couples venant consulter et ayant déjà des enfants : 23,3%.
Parmi eux, 61,3% ont des enfants en commun, 35,5% des enfants issus d’une première
union chez la femme, 9,7% d’une première union chez l’homme (nous dépassons les
100% car certaines situations se recoupent).
Bilan médical des femmes
Le bilan médical n’a pas toujours été évalué avec précision, la patiente ne venant pas
toujours consulter avec une lettre du gynécologue faisant état des anomalies retrouvées.
Dans ce cas, c’est la patiente qui rapporte elle-même, avec ses propres représentations,
les conclusions du bilan.

421
Traité de médecine psychosomatique

On peut schématiquement distinguer :


––des anomalies patentes susceptibles de correction médico-chirurgicale : obstruction
tubaire, endométriose, ovaires polykystiques, etc. ;
––des anomalies pour une part liées à un dysfonctionnement hormonal : dysovulation,
altération de la glaire cervicale, etc. ;
––des stérilités dites « inexpliquées ».
Notre attention s’est portée plus particulièrement sur ces deux derniers groupes qui
concernent les observations de type B et C.
Bilan médical des hommes
Dans 72,2% des dossiers étudiés, les hommes qui sont impliqués dans une démarche
de PMA n’ont pas d’anomalie identifiable pouvant intervenir dans la difficulté à procréer.
Dans les 27,8% des cas où il y a une anomalie, il s’agit le plus souvent d’une oligoasthé-
nospermie, plus rarement d’autres pathologies (séminome, stérilité par ectopie testicu-
laire, azoospermie, absence d’éjaculation).
Seulement trois hommes ont fait l’objet d’une consultation individuelle. Une séance
pour deux d’entre eux, trois séances pour l’un d’eux. Avec le recul, nous ne pouvons que
déplorer cette carence.
Ancienneté de l’attente de procréation et de la demande de PMA
L’attente active de procréation est inférieure à un an dans 58,7% des cas. Cela corres-
pond probablement au fait que les couples viennent consulter en début de protocole ou
de traitement.
Dans les 41,3% restant, l’attente moyenne est de 4,2 ans (la plus longue est de 11 ans).
Symptômes généraux et mentaux
Sur la totalité des dossiers dans lesquels les symptômes généraux et mentaux ont
été mentionnés, l’angoisse, l’anxiété et la tension interne représentent 54% des cas, les
fixations obsédantes représentent quant à elles 25% des cas, et dans 14,4% on note des
symptômes dépressifs.
Ces chiffres sont probablement à surévaluer. Le fait que la tension interne ou tout
autre élément anxieux n’aient pas été rapportés dans tous les cas ne veut pas dire qu’ils ne
sont pas existants, mais tient plutôt à une absence de rigueur méthodologique concer-
nant l’annotation de cet item. Il semble donc difficile d’établir un pourcentage précis de
personnes présentant une tension interne. Il faut aussi rappeler que le groupe étudié,
observations de type A, ne correspond qu’à une seule consultation.
Par contre, nous pouvons noter que les symptômes dépressifs se surajoutent secon-
dairement, au bout d’un certain temps, à la tension interne. Le vécu de lutte concerne
trois quarts des cas, celui de défaite, de renoncement, d’épuisement, un quart des
cas. L’atteinte narcissique accompagne ces vécus dépressifs. On peut ainsi repérer une
séquence constante :
1. Attente anxieuse,
2. Fixation obsédante,
3. Épuisement dépressif.
422
Psychosomatique et gynécologie

Sexualité
Là aussi, il était très difficile d’aborder ce thème lors d’une première consultation avec
des sujets en règle générale très défensifs.
Les déficits sexuels sont souvent majorés par les investigations en cours et les proto-
coles de PMA.
Si la sexualité est en règle générale tôt ou tard altérée par le vécu de PMA, la qualité
de la vie sexuelle ne semble pas intervenir dans la genèse de l’infertilité. Il ne semble pas
exister de corrélation entre la qualité de la vie sexuelle et la fécondité.
Adoption envisagée
C’est seulement dans 9% des cas que les patients ont déclaré être prêts à adopter en
cas d’insuccès ou avoir entamé parallèlement des démarches d’adoption.

3-3. Les problématiques sous-jacentes


Elles apparaissent de manière évidente dans les groupes B et C des observations. Il
s’agit de cas d’infertilité inexpliquée dans lesquels le bilan gynécologique et endocrinien
n’a relevé aucune altération anatomofonctionnelle. Dans le groupe C, les études sont plus
élaborées puisqu’il s’agit de patientes ayant suivi une psychothérapie sur plus de cinq
séances. Dans tous les cas, l’étude de l’ensemble des observations a permis de dégager des
problématiques récurrentes.

L’ambivalence à fleur de conscience


Ces problématiques conscientes ou préconscientes sont exprimées assez rapidement
lors des entretiens.
Asymétrie de désir
Défense contre l’emprise et la demande d’enfant par un autre : nouveau conjoint très
désireux d’enfant (3), belle-mère (1). La demande d’enfant est le fait de l’autre. Il peut
aussi s’agir de situations inverses (désir chez la femme, absence de désir chez le conjoint).
™™ Dominique, 35 ans, militaire, est une sportive accomplie (judo, varappe, escrime,
triathlon). Le désir d’enfant ne l’avait pas effleurée avant d’avoir rencontré son compa-
gnon cuisinier. Malgré une relation de qualité, elle tient à préserver sa liberté et recon-
naît qu’un enfant pourrait compromettre sa trajectoire professionnelle et ses nombreux
déplacements sportifs, bien que le conjoint se soit engagé à remplir sa fonction de
« nouveau père ».
Enfant conçu pour retenir l’autre
Crises conjugales, nouveau conjoint plus jeune n’ayant pas d’enfant.
Existence de liens importants avec un autre enfant
Impossibilité à se séparer d’un premier enfant (allaitement persistant au bout de
3 ans), dette à l’égard d’un enfant décédé.
™™ Maëlle a perdu un premier enfant à l’âge de 18 mois. Ce drame a induit la sépara-
tion du couple. Elle vit depuis un an avec un nouveau compagnon désireux d’enfant.
Dette envers l’enfant décédé, dette envers l’ex-conjoint, dette programmée déjà dans
423
Traité de médecine psychosomatique

son enfance dans les suites du décès de sa propre sœur aînée (elle pensait qu’elle devait
abandonner sa poupée pour que sa sœur guérisse).
Désir ou prescription médicale iatrogène de maigrir avant grossesse
(6 cas)
Cette problématique ne semble pas être un facteur direct d’infertilité.
Autres
Avis défavorable dans la famille, crainte que la naissance d’un enfant puisse générer
une mort dans la famille, interdit d’enfant avec une personne de confession différente (2
cas), désir d’enfant pour obtenir des avantages sociaux, réactivation d’un vécu de jalousie
infantile à l’égard d’un puîné.
Paroles médicales prédictives
Les observations rapportant des paroles médicales prédictives d’infertilité définitive
ne sont pas rares (5 cas). Si elles sont souvent cruellement déstabilisantes pour le couple,
elles ne constituent pas une entrave à des maternités futures.
Rien ne permet d’avancer que l’ensemble de ces problématiques à fleur de conscience
constitue un barrage à la procréation, tout au moins ce qu’il en est exprimé consciem-
ment.
Il eût été intéressant d’appréhender la demande obsédante d’enfant et l’acharnement
qui lui est consécutif en tant que mécanismes défensifs à type de déplacement destiné à
occulter une tout autre problématique (dysfonctionnement conjugal, etc.).

L’altération de l’identité sexuelle imaginaire


A priori, ces formations psychiques ne constituent pas non plus un obstacle à la
grossesse lorsqu’elles sont isolées. Toutefois, lorsqu’elles sont massives ou associées à
d’autres complexes, elles peuvent renforcer les phénomènes d’inhibition.
Angoisse de castration
On la retrouve dans la peur d’accoucher (6 cas), la crainte qu’un membre de la famille
s’approprie l’enfant (2 cas).
Inadéquation des identités sexuelles réelle et imaginaire (6 cas)
Inacceptation de la féminité, identification masculine, déception œdipienne plus ou
moins intriquée selon les cas.
™™ Dominique, militaire et sportive accomplie, citée p. 423, a toujours voulu être un
garçon. Son père, soucieux d’une éducation sans failles pour ses enfants, proposait des
jeux de guerre destinés à leur forger le caractère. Les filles devaient uriner debout comme
les garçons. Aujourd’hui, Dominique est ravie d’avoir très peu de poitrine lorsqu’elle
porte le treillis. Mais nous verrons plus loin que l’ambivalence de son désir d’enfant et
son identification masculine ne constituent pas le déterminant central de son infertilité.
Captation phallique déplacée sur un désir d’enfant (4 cas)
Ces désirs prennent parfois une connotation farouche sous forme de fantasmes parthé-
nogénétiques. Dans d’autres cas, ils aboutissent à des mises en acte particulières (une de
nos patientes a eu dans la même semaine des relations sexuelles avec son conjoint et avec
424
Psychosomatique et gynécologie

deux autres hommes afin, dit-elle, de « ne pas savoir qui serait le père de l’enfant »). Ils ne
constituent pas (hélas…) une entrave à la maternité.

La conflictualité inconsciente
Interactions familiales inconscientes majeures
L’interdit inconscient trouve son origine dans des interactions familiales, elles-mêmes
plus ou moins inconscientes : culpabilité, rôles dévolus, conflits de loyauté, dettes, etc.
Ces formations psychiques semblent avoir un effet délétère sur la conception.
Relations d’emprise, pathologie du lien
L’emprise familiale est centrale (5 cas), plus particulièrement la prise de distance
impossible avec la mère. Parfois, l’emprise est réciproque, la fille s’étant investie depuis
toujours dans une fonction de maternage de sa propre mère. L’accession au statut de
mère est donc inconcevable, vécu comme une trahison (3 cas), ou bien l’enfant à venir
est considéré comme un cadeau destiné aux parents (2 cas). Deux patientes du groupe
d’observations A sont venues consulter l’une avec sa mère, l’autre avec sa belle-mère.
™™ Marilou a toujours été sous l’emprise de ses parents dépressifs et a toujours pensé
qu’elle ne pouvait être aimée qu’en le justifiant par des actes et l’accomplissement du
devoir. Toute forme de jouissance était suspecte. À 21 ans, elle se marie contre avis paren-
tal avec un homme qui ne sera jamais accepté par la famille. Des troubles du sommeil
s’installeront avec des rêves au cours desquels ses parents lui reprochent de les avoir
abandonnés. La sexualité est satisfaisante jusqu’au jour où le couple décide d’avoir un
enfant. L’enfant ne vient pas. Troubles de l’ovulation chez Marilou, oligoasthénospermie
chez le mari. Quatre IAC (insémination artificielle avec sperme du conjoint), trois FIV
(fécondation in vitro) entre 30 et 33 ans. La programmation des relations sexuelles et la
probable réticence à la maternité instaurent peu à peu une anaphrodisie qui se transfor-
mera avec le temps en frigidité totale et définitive. Dans le même temps, on lui découvre
un condylome et elle subit une cônisation du col. Puis, dans la foulée, vulvovaginites à
répétition et, enfin, maladie de Basedow. Démarches pour adoption. Elle a 37 ans lorsque
l’enfant adopté arrive dans la famille. Il s’ensuit paradoxalement une dépression pendant
trois ans et une ménopause à 41 ans.
Interdit de maternité
™™ Déjà adolescente, Maria était habitée d’une représentation récurrente : la catas-
trophe que constituerait une grossesse si ceci devait lui arriver. Aînée d’une fratrie de sept
enfants, son rôle depuis toujours était un rôle maternel de suppléance. Ainsi, mère et fille
aînée avaient chacune leur rôle respectif, la mère faisait des enfants et Maria les élevait.
(« Ce sont mes enfants, dira-t-elle, je suis l’intermédiaire entre eux et mes parents. »)
Durant toute son adolescence, elle évita tout contact physique avec les garçons. Elle
attendit l’âge de 28 ans (le dernier de la fratrie avait 5 ans) pour s’autoriser une liaison
et se fiança. Relations limitées à de chastes baisers jusqu’au jour du mariage à 30 ans,
mariage auquel la mère n’assistera pas, clouée au lit par un état de mal migraineux. Les
FIV successives produiront des embryons mais l’implantation se soldera toujours par un
échec. Elle rêve de manière récurrente de ses frères et sœurs entourant un landau. Elle
425
Traité de médecine psychosomatique

est à l’arrière-plan et n’arrive pas à s’approcher de ce dernier. Elle rêve aussi que ses frères
lui disent : « Quand est-ce que tu nous fais des petits-neveux ? » Ou bien elle rêve qu’elle
a des enfants mais ce n’est pas elle qui les a faits. Aucun rêve de grossesse ou d’accouche-
ment n’apparaît. Finalement, Maria n’eut pas d’enfant et adopta quelques années plus tard.
Conflit de loyauté
™™ Anne-Lise, adoptée à 9 mois, ne sait rien de ses origines, si ce n’est que son père
géniteur s’est suicidé. Le destin de ses parents adoptifs ne sera pas meilleur : suicide
aussi chez le père adoptif, suivi de peu par le décès par cancer de l’utérus de la mère
adoptive. Bien qu’elle eût souhaité vivement un enfant du vivant de ces derniers (« C’eût
été un merveilleux cadeau pour ma mère »), depuis leur disparition l’idée d’une mater-
nité s’accompagne de sentiments de culpabilité car « avoir un enfant qui n’est pas de
leur lignée, enfant qu’ils ne puissent pas se réapproprier en tant que grands-parents, c’est
les faire mourir à nouveau ». Dans ses rêves, sa mère adoptive revient, dépossédée de
son patrimoine, n’ayant plus rien pour vivre. Anne-Lise est pétrie de culpabilité car elle a
hérité de ses biens.
Fonction de « déjà-mère » ou « déjà-père »
Le sujet est déjà massivement investi dans un rôle parental ou éducatif à l’égard
d’autres enfants.
Les femmes « déjà-mère » (6 cas) sont des aînées de fratrie ou bien des femmes ayant
une activité professionnelle de prise en charge des enfants des autres (institutrices, puéri-
cultrices, assistantes maternelle, etc.).
Les femmes « déjà-père » (2 cas) ont assumé une fonction de père de substitution à
l’égard des frères et sœurs plus jeunes, le père étant le plus souvent réellement absent.
L’une de nos patientes était devenue tutrice des enfants après la mort du père.
™™ Laetitia, 27 ans, puéricultrice, espère un enfant depuis deux ans. Elle présente des
troubles de l’ovulation et des désordres hormonaux fonctionnels. La psychothérapie qui
s’étalera sur dix-sept séances révélera des formations inconscientes centrales.
Complexe de castration
Elle ne supporte pas qu’on la voit nue et a attribué ses premières règles à une blessure
ayant coupé une partie du sexe. Ses représentations de la maternité sont traumatiques
(ses deux meilleures amies ayant eu des grossesses pathologiques) et elle a peur de
l’accouchement. Le complexe de castration apparaît dans les rêves : « Je perds mes dents…
J’ai des bébés venus au monde sans avoir accouché… Ma mère et ma sœur m’enlèvent
mon enfant car je ne sais pas l’élever et je déchire mon porte-monnaie sur un coup de
colère… » Les parents avaient vivement souhaité un garçon et la grand-mère paternelle
n’avait eu qu’une fille, un garçon étant mort en bas âge. Enfant, on lui coupait les cheveux
et, pendant longtemps, on lui a interdit d’avoir des bijoux. Le bébé qui apparaît dans ses
rêves est toujours un garçon. Laetitia est très tendue dans son corps qu’elle n’aime pas.
Régression psychosomatique urétrale
Laetitia présente des cystites récidivantes qui surgissent lors des périodes d’anaphro-
disie. Elle en avait souffert entre 2 et 5 ans, puis à partir de 21 ans dans les suites de
premières relations sexuelles insatisfaisantes. Elle rêve d’un enfant dans un frigo. Le frigo a
426
Psychosomatique et gynécologie

une fuite et l’eau s’écoule dans la cuisine. Dans un autre rêve, elle est assise sur une glacière
bleue et fait pipi.
Pathologie du lien
Elle apparaît dans les rêves : « Dans un magasin de vêtements, ma mère et ma grand-
mère m’imposent une combinaison bleue… Ma mère me prescrit des piqûres et m’injecte
un produit bleu pour avoir un enfant… Mon mari me quitte pour une femme enceinte,
c’est ma supérieure hiérarchique à la maternité où je travaille… »
Complexe œdipien
Dans ses rêves, elle est « poursuivie par un taureau ». Par ailleurs, son père est proprié-
taire d’une manade.
Fonction de « déjà-mère »
Laetitia s’occupe, dans son métier très investi, de bébés qu’elle n’a pas conçus.
À la 3e séance, elle se sent moins tendue, mais un retard de règles de 10 jours l’a parado-
xalement très angoissée. À la 8e séance, elle signale l’apparition pour la première fois de
douleurs ovariennes au 14e jour du cycle et, à la 15e séance, elle signale une augmentation
du volume de ses seins. Elle n’est pas enceinte mais ces éléments attestent vraisembla-
blement d’une meilleure régulation hormonale. Nous arrêtons la psychothérapie à la 17e
séance car elle doit faire une IAC (insémination artificielle avec sperme du conjoint). Elle
me dit : « Si tout va bien, je vous rappellerai quand je serai indisposée… ! » Malgré cette
ambivalence manifeste révélée par ce lapsus, elle sera enceinte et accouchera d’une fille.
L'enfant « œdipien »
Dans l’inconscient du sujet, l’enfant à venir représente un enfant issu d’une conception
œdipienne imaginaire (7 cas). Cette représentation inconsciente est le vestige d’un désir
et/ou interdit inconscients d’avoir un enfant du père (6 cas) ou de la mère (œdipe inversé,
1 cas).
Cette formation psychique semble elle aussi avoir un effet délétère sur la conception.
Le fantasme qui sous-tend le complexe psychique suffit à générer l’inhibition.
L’étude de certains cas de stérilité masculine corrobore l’existence de mécanismes de
défense puissants et pathogènes contre la conflictualité œdipienne.
™™ Paul a eu une torsion aiguë du testicule à l’âge de 6 ans (acmé œdipienne), suivie
d’ablation. À 13 ans (réactivation œdipienne), le deuxième testicule subit le même sort.
Lors de la grossesse par PMA de sa femme, il sombrera dans une profonde dépression et
devra être hospitalisé suite à une tentative de suicide après l’accouchement.
Les expériences réelles de mise en acte incestueuse ne sont pas forcément des éléments
renforçateurs pathogènes quant à l’infertilité. Les antécédents d’abus sexuels, pris de
manière isolée, ne constituent pas à eux seuls une entrave à la maternité. Nous pouvons
citer le cas de deux patientes au lourd passé d’abus sexuels qui sont tombées enceintes,
l’une spontanément, l’autre après une FIV. Toutefois, lorsque ces expériences s’associent à
d’autres problématiques délétères, elles jouent un rôle renforçateur.
™™ Le père de Dominique, militaire et sportive accomplie, citée p. 423, était lui aussi
dans l’armée. Dominique l’admirait et l’imitait dans tous ses faits et gestes. Enfant, elle
voulait se marier avec lui. Lorsqu’elle eut 13 ans, les parents divorcèrent et Dominique
427
Traité de médecine psychosomatique

remplaça sa mère auprès de son père, prenant en charge toute la maisonnée avec une
grande fierté.
Productions oniriques relevées chez les patientes
Les productions oniriques récurrentes sont des rêves de maternité (46% des cas) et des
rêves traduisant la problématique inconsciente (54%).
Rêves de maternité
Ce sont soit des maternités normales (l’enfant apparaît dans 23% des cas), soit des
maternités problématiques : avortement, rapt ou dépossession de l’enfant, difficultés à
s’en occuper, malformations.
Les rêves de maternité sont pour une grande part liés à la préoccupation induite par
le protocole.
Problématiques sous-jacentes
––Rêves mettant en scène des proches (22%) : conflits ouverts, relations d’emprise
mettant en scène la mère, la belle-mère ou le père, proches décédés.
––Castration, œdipe : 19%.
––Adultère : 13% (en général du conjoint, plus rarement du sujet).
Seule une analyse détaillée des observations et des renseignements à distance (compa-
raison des rêves chez les femmes ayant eu une maternité aboutie et celles qui demeurent
infertiles), ainsi qu’une analyse différentielle des rêves chez les femmes présentant une
stérilité liée à des lésions anatomiques et les autres, permettraient de repérer le caractère
pathogène ou trophique des représentations.

3-4. Conclusions
Le déterminisme psychosomatique des infertilités fonctionnelles semble être lié à la
conjonction de :
––représentations inconscientes pathogènes inhibitrices : essentiellement interac-
tions familiales inconscientes et, secondairement, conception imaginaire d’enfants
« œdipiens » ;
––fixation obsédante et acharnement sur le but à atteindre en relation avec des
mécanismes de défense à type de maîtrise et de programmation.
La psychothérapie doit aborder ces différents éléments et tenter d’en amoindrir la
préséance et l’impact. Elle doit parallèlement susciter l’effet désinhibiteur de représenta-
tions latérales générant un déplacement des investissements.
Cette étude comporte de nombreux manques. Elle doit être appréhendée comme une
esquisse, un canevas pouvant servir de support à des études ultérieures dont la mise en
place nécessiterait une méthodologie rigoureuse inspirée des remarques et pistes que
nous avons soulevées.
Il eût été par exemple intéressant d’analyser l’impact des interruptions de grossesse
(IVG, fausses couches, IMG) non seulement sur le désir d’enfant mais aussi sur la fertilité.
Une approche biologique eût été également souhaitable afin d’apporter des préci-
sions sur les mécanismes pouvant articuler les déterminants psychiques et l’altération de
certaines fonctions, plus particulièrement les désordres hormonaux. Il conviendrait aussi
428
Psychosomatique et gynécologie

de s’interroger sur les effets de la fixation obsédante et de l’acharnement, à procréer, ainsi


que sur les phénomènes de désinhibition induits par le renoncement.
Ces phénomènes d’inhibition de la fertilité, plus ou moins mystérieux, interrogent car
ils se situent au plus profond du biologique. Pourquoi des complexes inconscients indui-
raient-ils une infertilité ? À quels niveaux du système physiologique de la reproduction
interviendraient-ils ? L’ensemble de ces phénomènes serait-il le propre de l’homme ?
Les principales situations décrites concourant à une infertilité inexpliquées, pathologie
du lien et enfants « œdipiens », ont un point commun : la relation réelle ou fantasma-
tique avec les parents, voire la lignée ou le groupe. L’étude du comportement animal
nous éclaire sur les conséquences biologiques potentielles de certains modes de relation
au sein de la famille et du groupe. Chez certains animaux, plus particulièrement certains
oiseaux, l’aidant peut perdre ou retarder la possibilité de se reproduire lui-même. David
Mac Farland (Le comportement animal) cite les travaux d’Ulrich Reyer sur le martin-pê-
cheur pie du Kenya. Certains individus mâles, appelés aidants primaires, restent avec leurs
parents toute l’année et forment un groupe coopératif permanent pour aider ceux-ci
dans le nourrissage des poussins, la défense contre les prédateurs, la protection du nid
contres les intrus. Certains de ces aidants primaires perdront la capacité physiologique de
se reproduire, et poursuivront leur destinée en allant s’occuper de poussins qui ne sont
pas issus de leurs parents, devenant ainsi des aidants secondaires pendant deux ou trois
ans. À l’issue de cette période, loin de leur famille d’origine, ils pourront devenir repro-
ducteurs, mais le plus souvent rivaux du parent mâle, apportant de la nourriture presque
exclusivement à la mère. Cette forme de coopération favoriserait la viabilité biologique
aussi bien pour l’oiseau qui se reproduit que pour l’aidant, et l’infertilité qui en découle
pour ce dernier serait le prix à payer pour entrer, être accepté, et demeurer dans la famille
ou dans le groupe.

429
Chapitre 16

PSYCHOSOMATIQUE ET DERMATOLOGIE

1. INTRODUCTION
Il existe une proximité particulière entre la peau et le psychisme qui se retrouve à
plusieurs niveaux. Sur le plan embryologique, on sait que l’origine ectoblastique de la
peau est commune avec celle du cerveau et des organes des sens. L’apparition de son
ébauche se fait d’ailleurs avant celle des autres organes des sens. On sait par ailleurs que
plus l’apparition d’une fonction ou d’un organe est précoce, plus ces derniers seront
fondamentaux. On peut à la limite vivre sans vue, sans ouïe, sans fonction gustative ou
olfactive, mais on ne peut pas vivre sans peau, pas plus que sans cerveau.
La somatisation cutanée soulève deux types de question. Pourquoi la peau plutôt
qu’un autre organe ou une autre fonction ? Pourquoi telle dermatose plutôt qu’une
autre ?
Les cellules de la peau sont en même temps réceptrices et sécrétrices de neuromé-
diateurs en relation directe avec les centres nerveux. Lorsque le psychisme est insuffi-
sant à endiguer et traiter les afflux traumatiques, des informations sont transmises par
voie nerveuse ou humorale aux cellules cutanées, générant des désordres qui se situent
selon le type de maladie à des niveaux différents. Les phénomènes physiopathologiques
et anatomopathologiques qui caractérisent les dermatoses sont, bien sûr, différents
selon le type de maladie : phénomènes congestifs ou ischémiques, vasodilatation,
vasoconstriction, phénomènes inflammatoires, désordres de l’immunité cellulaire ou
humorale, désordres hormonaux, modifications de l’organisation et de la hiérarchi-
sation cellulaire. L’articulation psyché-soma sera d’autant plus difficile à expliciter que
les désordres physiopathologiques seront de nature plus archaïque d’un point de vue
ontogénétique et phylogénétique. Ce n’est pas un hasard si les sujets atteints de derma-
toses comme le vitiligo ou le psoriasis présentent des expressions psychiques patholo-
giques plus réduites que ceux qui souffrent de dermatoses plus superficielles comme les
pelades et les urticaires. Plus l’origine est archaïque, plus la déliaison est grande entre
l’expression psychique et l’expression somatique. On ne s’étonnera pas si le traitement
psychosomatique de ce type d’affection est particulièrement difficile.
Ce qui est en jeu dans la somatisation cutanée traduit souvent une problématique
entre le sujet et ses objets de relation. Il semble exister en dermatologie, comme en aller-
gologie d’ailleurs, une oscillation entre une angoisse de séparation, d’abandon, si ce n’est
d’anéantissement, si l’objet est trop loin, et une angoisse de persécution, voire d’effrac-
tion, si l’objet est trop proche. Dans certains cas, le sujet recrée un contact perdu ou
déficient, dans d’autres, il édifie une barrière contre l’agresseur, et ceci en remettant en
scène une expression cutanée qui préexiste au langage verbal.

431
Traité de médecine psychosomatique

Les premiers contacts du sujet avec la fonction maternante (Mater) sont déterminants.
Les contacts entre Mater et l’enfant sont à la fois excitants et signifiants. La dissociation
de ces deux composantes du contact est pathogène. Ce type de déliaison est, on le sait,
pourvoyeur de somatisation. La peau en constitue la cible de choix.
La dermatose rappelle au sujet l’existence de sa peau, existence dont il n’a pas une
conscience permanente dans la vie de tous les jours. La souffrance occasionnée par la
lésion, parfois intriquée à une forme archaïque de jouissance, que l’on rencontre notam-
ment dans les dermatoses prurigineuses, doit être appréhendée du point de vue du
désordre instinctivo-pulsionnel dans le registre de l’auto-agressivité et de l’érogénéité, si
ce n’est dans certains cas du masochisme.
La peau, zone érogène, support identitaire, interface entre le sujet et son monde,
constitue aussi un objet de relation, objet de plaisir ou de dégoût, objet à exhiber ou à
dissimuler, objet à travestir, à manipuler, voire à agresser comme en témoignent certains
comportements pathologiques favorisés par l’évolution sociétale actuelle.
Les rêves mettant en scène la dermatose n’annoncent pas une aggravation. Ils seraient
plutôt le témoin d’une élaboration psychique inductrice d’amélioration. Une de nos
patientes atteinte de psoriasis s’était mise à rêver d’insectes qui l’attaquaient au niveau
des zones de psoriasis. Dans les jours qui avaient suivi, le psoriasis s’était atténué. Nous
avons eu un cas similaire dans le vitiligo. Le rêve du sujet représentait un buvard blanc
grignoté par des vers (cas Monica, cité p. 455). Le vitiligo régressa dans les jours qui
suivirent. Belle illustration de ce balancement constant que nous observons au fil des
psychothérapies entre mentalisation et somatisation cutanée.

2. PSYCHOSOMATIQUE DU PSORIASIS
D’un point de vue physiopathologique, le psoriasis est une dermatose complexe. À
une inflammation chronique modulée par des facteurs systémiques en relation avec
le système nerveux, des phénomènes immunologiques, éléments aspécifiques que
l’on rencontre dans l’eczéma et d’autres dermatoses, se surajoutent une prolifération
cellulaire et une altération du dialogue entre derme et épiderme, caractérisée par une
énorme accélération du processus de remplacement et de décortication de la peau
(décortication incomplète et non différentiée de la peau) : à partir de la couche basale,
les cellules nucléées atteignent la surface en même temps que les cellules kératinisées.
Cette complexité anatomopathologique que l’on ne retrouve pas dans l’eczéma laisserait
supposer une complexité égale d’un point de vue psychosomatique. L’étude que je vais
présenter montre que la séméiologie psychosomatique des psoriasis est en fait moins
complexe que celle des eczémas.

2-1. Données générales
Cette étude a été réalisée en 2008 à partir de 31 observations.
Les antécédents familiaux (facteur génétique) sont présents dans 60% des cas.
L’âge d’apparition de la première lésion se situe entre 0 et 44 ans et on repère deux pics
correspondant à des périodes de vulnérabilité au niveau de la relation du sujet avec le
monde extérieur : avant 4 ans et entre 15 et 24 ans.

432
Psychosomatique et dermatologie

Nombre de cas

6
5
4
3
2
1
0
0-4 5-9 10-14 15-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-50 ans
Âges d’apparition de la première poussée de psoriasis

2-2. Facteurs traumatiques
Traumatismes inauguraux
L’abord des traumatismes inauguraux révèle deux caractéristiques propres au psoria-
sis : le caractère soudain et brutal du traumatisme et l’apparition de la pathologie après
une courte phase de latence.
Les traumatismes
Il s’agit dans 97% des cas d’événements traumatiques intenses, de survenue soudaine
et brutale, les situations de contrainte traumatique étalées dans le temps étant très peu
représentées (3%).
Ces événements se répartissent ainsi :
––accidents (7 cas) ;
––ruptures de liens investis (6) : décès de proches (3), déménagement (2), naissance
d’un petit frère (1), rupture amoureuse et séparation d’avec la famille (1) ;
––agressions (5) : agressions sexuelles réelles (2), harcèlement, dépossession d’un bien
par un proche ;
––événements inducteurs d’un vécu de castration (4) : premières règles, fausse couche,
rejet du conjoint, adultère du conjoint.

Accidents

Pertes

Agressions

Castration

Nature des chocs traumatiques inducteurs


de la première poussée de psoriasis

433
Traité de médecine psychosomatique

Il n’y a pas de vécu traumatique type. Le traumatisme en cause est celui qui va bruta-
lement réactiver un type d’angoisse propre au sujet. Par exemple, une séparation réelle
vient faire écho à une angoisse de séparation structurale préexistante et consiste en la
rupture d’un lien très investi. Le traumatisme semble ébranler quelque chose de vital
pour le sujet ou pour son identité, altérant brutalement son sentiment d’intégrité. Il
semble qu’il y ait une effraction violente du moi dans ce qu’il a de plus essentiel pour le
sujet (son existence, son identité et ses liens).
Ce qui caractérise le traumatisme est sa brutalité, l’intensité de son impact, laissant le
sujet démuni au niveau des défenses mentales ou comportementales, du fait d’un effet
de sidération. D’un point de vue quantitatif, l’impact traumatique est similaire à celui
que l’on retrouve dans les syndromes psychotraumatiques (post traumatic stress desorder,
PTSD).
La sidération traumatique et la phase de latence
Le psoriasis débute au décours du traumatisme inaugural après un temps de latence
(comme le syndrome psychotraumatique) de plusieurs jours (souvent 15 à 20 jours) dans
une zone du corps précise.
La sidération psychique se prolonge durant la phase de latence. Un réaménagement
psychique ne semble pas avoir lieu. De ce fait, la réaction somatique apparaît. Nous
pouvons déjà considérer qu’elle constitue à la fois un témoin du traumatisme et une
réaction défensive retardée contre ce dernier, témoin-cicatrice et bouclier défensif du
moi réduit au corps.
™™ Lorsqu’il apprend à retardement que son épouse a eu une liaison, Basile est choqué,
abasourdi, sans réaction. Le psoriasis apparaîtra au bout de quinze jours, mettant un
terme à son état de sidération.
™™ Geneviève avait développé un psoriasis palmoplantaire dans les suites d’une agres-
sion humiliante : l’homme dont elle venait douloureusement de se séparer était revenu
pour la violer. Séparation, castration, humiliation, sidération. Le psoriasis surgira trois
semaines après.

Traumatismes ultérieurs aggravants


Au fil du temps, le psoriasis a tendance à s’étendre sur d’autres zones, plus particulière-
ment sous l’effet de traumatismes secondaires aggravants.
Les événements traumatiques soudains occupent toujours la première place mais à un
degré nettement inférieur aux traumatismes inauguraux. Ils représentent 62% des cas de
cette étude. On y retrouve les mêmes catégories que dans les traumatismes inauguraux :
––séparations (4 cas) : séparations transitoires, divorces, décès ;
––accidents (3) ;
™™ Alix, psoriasis limité au cuir chevelu dans les suites d’une mort fœtale in utero
quand elle avait 24 ans. Six ans après, extension aux cuisses, fesses, coudes, pubis, ombilic
dans les suites d’un accident.
––agressions (3) : agression physique, agression verbale, escroquerie ;
––événements inducteurs d’un vécu de castration (3) : première règles, confrontation
à un accident d’un tiers, humiliation.
434
Psychosomatique et dermatologie

Les situations traumatiques étalées dans le temps (conflits relationnels, contraintes,


situations anxiogènes), quasi absentes dans les traumatismes inauguraux, occupent cette
fois-ci, bien qu’à un degré moindre que les événements traumatiques, une place consé-
quente, à savoir 38% des cas dans cette étude. Nous retrouverons le même phénomène
dans l’eczéma.
Il semblerait qu’une sidération brutale des mécanismes de défense mentaux et
comportementaux (de type PTSD) soit nécessaire pour le déclenchement initial du
psoriasis. En deçà de ce seuil, le psoriasis ne peut apparaître. Une fois constitué, le seuil
s’abaisse. Le mécanisme de défense somatique et la trace du traumatisme premier sont
sollicités dans des contextes traumatiques moins intenses.
™™ Geneviève, citée p. 434, dont le psoriasis avait surgi dans les suites du viol par son
ex-compagnon, verra celui-ci littéralement stoppé au bout de huit ans par une amygda-
lectomie (castration somatique partielle). C’est à nouveau huit ans après que, quinze jours
après un banal accident de voiture, ayant généré un état d’angoisse transitoire accompa-
gné de douleurs dorsales, réapparaîtra le psoriasis.
LÉSION
AGGRAVATION
INITIALE

16
14
1

Seuil
2 3 4 { 5 6 TEMPORALITÉ

12
10
8
6
4
INTENSITÉ 2
TRAUMATIQUE 0

Seuil traumatique de déclenchement des poussées successives de psoriasis

Disparition ou régression du psoriasis


Nous avons repéré quatre groupes d’événements trophiques selon le type d’impact
psychique :
––rementalisation (dépression mentale, psychothérapie) ou décharge instinctivo-
pulsionnelle ;
™™ Édouard, dont le psoriasis est apparu à 10 ans, verra celui-ci disparaître après la
puberté dans un contexte prolongé de décharge instinctivo-pulsionnelle : relations
sexuelles, activité sportive intense, comportements agressifs.
––annulation du vécu traumatique inaugural (VTI) : grossesse chez des femmes ayant
un fort complexe de castration, liaison sécurisante ;
™™ Une enfance imprégnée de violence, de rejet et de séparation développera
chez Jack des traits de schizoïdes et des manifestations phobiques sociales majeures qui
435
Traité de médecine psychosomatique

l’enfermeront plus particulièrement à 25 ans, date d’apparition d’un psoriasis très étendu,
dans un isolement relationnel total. Le psoriasis durera quatorze ans. Il disparaîtra défini-
tivement à 39 ans lorsque débutera la relation avec sa future épouse.
––événements médicaux à type de castration somatique partielle : péritonite, amygda-
lectomie. Tout comme la castration symbolique, la castration somatique partielle peut
atténuer le vécu de castration imaginaire ;
––changement radical de mode de vie.
Ainsi, le psoriasis, déclenché par un événement majeur, ne peut disparaître (le plus
souvent transitoirement) que sous l’effet d’un événement dont l’intensité et l’impact
psychique sont quantitativement aussi importants que celui du traumatisme inaugural,
et dont la signification profonde pour le sujet est l’inverse de celui-là. Ceci peut ouvrir la
voie à des pistes thérapeutiques.

2-3. Sémiologie psychosomatique
La mentalisation
Mentalisation inaugurale
La démentalisation induite par le traumatisme est évidente. Elle s’apparente, comme
nous venons de le voir, à la sidération psychique telle qu’elle apparaît dans les phases
d’effroi et post-immédiate des névroses traumatiques.
Il est difficile d’évaluer le degré de cette démentalisation inaugurale lorsque nous
voyons les patients plusieurs années après le traumatisme, du simple fait qu’elle est de
courte durée et qu’elle ne permet pas une rétention mnésique suffisante en raison du
déficit d’élaboration psychique ainsi induit.
™™ Priscilla, psoriasis déclenché en période pubertaire où elle subit les contraintes
sexuelles d’un cousin, développera une amnésie totale de cette période durant toute
l’adolescence et le début de la vie adulte. Le souvenir ne resurgira que lors de la relation
avec son futur mari.
Mentalisation globale
Si les capacités d’élaboration mentale dans le secteur psychique concerné par le
traumatisme premier semblent très déficitaires, la mentalisation peut fonctionner
normalement dans les autres secteurs.
Les sujets que nous voyons en général à distance de l’éclosion ou d’une poussée de
psoriasis ont une mentalisation globale qui peut être très variable d’un sujet à l’autre :
pauvre, moyenne, riche.
Les effets somatopsychiques
Ils sont de deux types : la démentalisation secondaire et l’atteinte narcissique.
Le premier effet somatopsychique est la démentalisation secondaire. Il semblerait en
effet que le psoriasis mette à l’abri des décompensations mentales franches. Les manifes-
tations mentales pathologiques sont variables d’un sujet à l’autre. On peut retrouver un
fond dépressif ou anxieux fluctuant, rarement des manifestations dépressivo-anxieuses
franches. L’impression qui se dégage est que les sujets atteints de psoriasis présentent peu
de manifestations d’angoisse.
436
Psychosomatique et dermatologie

™™ Tatiana, présentant un besoin acharné de maîtrise, voit apparaître son psoriasis au


moment où les contraintes et menaces extérieures débordent. Le psoriasis met fin à un
état dysthymique qui durait depuis plusieurs années.
Chez certains sujets, on peut assister à un phénomène de balancement psychosomatique
tel que nous l’avons évoqué dans la fibromyalgie. Nous avons plusieurs cas où l’apparition
d’une dépression coïncide avec la disparition du psoriasis, et vice versa.
™™ Le psoriasis de Léandre, apparu à 16 ans, disparaît sous l’effet d’une dépression
d’épuisement (stress professionnel, conflits personnels, décès d’un proche) et réapparaît
lorsque la dépression s’amende.
Le deuxième type d’effet somatopsychique est l’atteinte narcissique. Les effets des
psoriasis que nous avons recensés se résument essentiellement à cette atteinte narcis-
sique, quasi constante, plus ou moins intense, plus ou moins dissimulée, parfois formu-
lée en termes de honte. Certains sujets vivent avec leur maladie sans que cela leur pose
trop de problème, d’autres, plus particulièrement ceux dont les lésions sont importantes,
se cachent au moyen de vêtements, se laissent pousser la barbe, n’osent se déshabiller,
évitent les relations sexuelles.

La dimension économique
D. Pomey-Rey (La peau et ses états d’âme) a relevé chez 95% des sujets une colère
rentrée, un caractère introverti, un « œdipe mal résolu ». Hormis le caractère introverti
qui caractérise effectivement certains sujets, nous n’avons pas repéré une répression de
l’agressivité centrale dans cette pathologie, si ce n’est – comme nous le verrons plus loin
– dans certaines formes de psoriasis palmaire. La répression de l’agressivité implique un
étalement minimal d’une situation traumatique dans le temps. On la retrouve dans les
situations de contraintes inductrices d’aggravation secondaire du psoriasis, situations qui
ne représentent pas la majorité des traumatismes secondaires comme nous venons de
le voir. Lors du vécu traumatique inaugural, la démentalisation laisse peu de place à la
répression de l’agressivité, du fait de la sidération des mécanismes de défense.

Les caractéristiques de la cible


L’enracinement de cette somatisation paraît beaucoup plus profond que dans les
eczémas et ceci sur deux plans. Sur un plan anatomopathologique et physiopathologique,
les phénomènes sont plus lésionnels, moins inflammatoires, plus cellulaires, et donc
probablement plus archaïques. Sur un plan psychosomatique, l’intensité de la sidération
psychique inaugurale (démentalisation, déficit de l’expression émotionnelle) induit un
fonctionnement psychique minimal probablement lui aussi de type archaïque.

Autres somatisations
Hormis les cas où le psoriasis s’intègre à une maladie plus générale (rhumatisme
psoriasique, etc.), les manifestations somatiques associées ou alternantes paraissent
moins fréquentes que dans les autres pathologies. Il semblerait que le psoriasis consti-
tue une barrière contre-évolutive protectrice d’une part contre une désorganisation mais
aussi contre les autres modes d’expression somatique, notamment – comme nous l’avons
vu – les manifestations somatiques anxieuses.
437
Traité de médecine psychosomatique

Notons l’existence de syndromes douloureux rhumatologiques de type mécanique


chez quelques sujets, ces derniers apparaissant souvent au décours ou avant un épisode
dépressif.

2-4. La topographie des lésions


Le plus souvent, on ne repère pas de relation entre la topographie des lésions et une
spécificité ou une problématique quelconque, surtout lorsque les lésions sont diffuses.
Les débuts au niveau du cuir chevelu (les plus fréquents) semblent survenir de manière
non spécifique dans les suites de n’importe quel traumatisme.
L’intérêt réside surtout à déterminer si la topographie de la lésion initiale est sous
l’effet de déterminants repérables. De ce point de vue, il est possible d’avancer quelques
hypothèses correspondant à quatre contextes traumatiques différents.

Zones anatomiquement fragilisées


Des zones anatomiquement fragilisées (fixations somatiques traumatiques) sont
volontiers l’objet de lésions.
™™ Alix, citée plus haut (p. 434), avait été irradiée au niveau ovarien pour une tumeur
de l’ovaire. Suite à son accident, le psoriasis s’est étendu à cette zone.

Zones défensives
Dans certains traumatismes agressifs, plus particulièrement les accidents, c’est
peut-être au niveau des zones corporelles potentiellement défensives d’un point de vue
moteur que la lésion se localise (coudes). On peut évoquer sans trop de risque la réaction
défensive éminemment fréquente chez la plupart des individus qui consiste à protéger
son corps en mettant les coudes en avant. Les lésions au niveau du coude (6 dans cette
étude) sont en effet souvent consécutives à un accident dans lequel le coude n’a pas été
forcément touché (2/3 des cas).

Zones offensives
Dans les traumatismes liés à une menace, le psoriasis s’inscrit comme une défense
somatique désespérée, secondaire à la répression, dans cet interface qui sépare l’individu
des objets menaçants ou à combattre, plus particulièrement au niveau de la zone concer-
née. Celle-ci peut être une zone corporelle investie d’un pouvoir défensif réel.
™™ Chez Édouard, cité plus haut (p. 435), un psoriasis est apparu sur la face dorsale
des mains deux mois après une velléité réprimée de frapper son employeur.

Zones érogènes
Les localisations génitales sont probablement les seules dans lesquelles on peut repérer
une conflictualité inconsciente n’ayant pas fait l’objet d’une élaboration psychique.
D. Pomey-Rey (op. cit.) a relevé chez la plupart des sujets présentant un psoriasis un
« œdipe mal résolu ». Mon étude ne confirme pas la place centrale de ce conflit en tant
que codéterminant de la pathologie dans la majorité des observations. Tout d’abord,
l’œdipe mal résolu (peut-il l’être ?) est une caractéristique conflictuelle de la plupart des
sujets névrosés ou normosés, qu’ils soient porteurs de maladies somatiques ou non.
Par ailleurs, la courbe des âges d’apparition des premières lésions, présentée en début
438
Psychosomatique et dermatologie

d’exposé, ne correspond ni à la crise œdipienne, ni à la réactivation de celle-ci. Toute-


fois, la conflictualité œdipienne apparaît de manière éclatante dans une forme spéci-
fique de psoriasis : le psoriasis génital. Les quatre observations de psoriasis génital que
j’ai pu analyser concernent des hommes : psoriasis de la verge chez un sujet pris dans
un contexte familial pseudo incestueux ; psoriasis du scrotum chez un homme qui, bien
que trompé par son épouse, endosse toute la culpabilité sexuelle ; psoriasis du gland et
péri-anal chez un homme rejeté par son épouse ; psoriasis de la verge apparu dans les
suites du décès du père du patient. On retrouve dans ces quatre cas une conflictualité
sous-jacente ne faisant pas l’objet d’élaboration psychique mais que la psychothérapie
révélera : les quatre patients présentaient une forte angoisse de castration et une culpabi-
lité œdipienne centrale. Le patient souffrant d’un psoriasis péri-anal présentait en outre
une fixation psychosomatique anale. La problématique n’apparaît que sous l’unique
forme d’un stigmate au niveau des zones érogènes impliquées dans le conflit. On pourrait
être tenté d’évoquer un phénomène conversionnel, mais ce serait faire peu de cas de la
dimension économique. Le phénomène semble être de toute évidence celui d’une régres-
sion psychosomatique érogène.
Chez la femme, les vécus traumatiques de castration plus ou moins intriqués à la
conflictualité œdipienne peuvent induire un psoriasis, mais la topographie des lésions est
plus diffuse, non spécifique.
™™ Quelques mois après l’accident de Geneviève (p. 434), citée plus haut, ayant induit
une rechute de son psoriasis palmoplantaire, le frère de celle-ci se fracture les deux pieds.
Aggravation du psoriasis. La psychothérapie révélera la prégnance des représentations
concernant les mains et les pieds depuis l’enfance. Élément pseudoconversionnel identi-
ficatoire : la topographie palmoplantaire. Cette patiente a toujours été impressionnée
par les handicaps ou les accidents de ses proches au niveau des mains et des pieds. Les
poussées de psoriasis correspondent à des vécus de castration imaginaire.
™™ Le psoriasis de Carole, infirmière, a débuté à l’âge de 7 ans, sur toutes les parties
antérieures du corps, le thorax, les cuisses, les bras, le ventre, les jambes (« J’avais l’impres-
sion d’être un crocodile, j’avais une seconde peau »). Carole vient d’entrer en CE2 et est
terrorisée par la nouvelle institutrice. Mais cet élément traumatique n’est pas le seul.
Carole n’accepte pas son identité de fille. Elle a trois frères plus âgés et partage les mêmes
activités qu’eux : bricolage, mécanique, rugby, etc. Comme eux, elle a les cheveux courts.
L’ambiance à la maison n’est pas bonne. Il est question de divorce. Sa mère est volage et
utilise Carole pour dissimuler ses aventures à son mari. Et ceci va durer de longues années.
Plus tard, lorsque Carole aura son appartement, la mère n’hésitera pas à le lui emprunter
pour recevoir ses amants.
Le discours maternel sur le père est négatif : les hommes sont méchants, ne pensent
qu’au sexe. Une peur du père s’est installée progressivement chez Carole. Celui-ci, conduc-
teur de train, est à la fois objet d’intérêt œdipien (« Je faisais du bricolage avec lui, de
la mécanique, du rugby ») mais aussi de terreur. La réminiscence de la scène primitive
parentale qu’elle a entendue à cette époque confirme la représentation traumatique de
la sexualité et de l’homme. Carole rêve souvent d’un train qui lui fonce dessus. Elle se
transforme alors en garçon et urine sur son passage.
439
Traité de médecine psychosomatique

À partir de ce moment-là, Carole va se renfermer sur elle-même et entrer dans une


période sub-dépressive durant toute la phase de latence, évitant les contacts avec les
autres, perçus comme menaçants.
Complexe de castration invasif. Dévalorisation majeure. Douleurs abdominales récur-
rentes dans l’enfance. Carole rêve de taureaux qui lui foncent dessus et l’encornent par
le ventre, ou bien de toilettes pour femmes pleines de sang, ou encore qu’elle accouche
d’un bébé mort.
Les mécanismes de défense contre la castration seront, pour une part, inopérants,
générant cette longue déception dépressive de la phase de latence. À partir de la puberté,
vont se développer des défenses phobiques mais aussi projectives. Elle rêve que des
insectes la piquent sur les zones atteintes par le psoriasis.
Les amants de la mère faisaient aussi partie du lot des hommes menaçants. « Moi,
j’ai attribué mon psoriasis à une punition parce que j’étais une fille. Car je vivais dans
un monde d’hommes. » Rêve : « On veut me marier mais je n’ai ni robe, ni chaussure, ni
bouquet. »
À l’adolescence, les rares flirts sont vécus comme une agression et objets de dégoût.
Poussée de psoriasis sur la poitrine, sur le ventre lorsqu’un garçon a voulu « aller plus
loin ». « J’ai perçu que c’était un bouclier, une défense. Une carapace mais aussi un repous-
soir. Chaque fois qu’un homme me touche, je ressens la même sensation de piqûre que
le psoriasis. »
Le psoriasis disparaîtra pendant sa grossesse mais réapparaîtra trois mois après l’accou-
chement, à la reprise du travail dans un contexte d’inadéquation relationnelle majeure
avec son conjoint.
Le psoriasis apparaît comme une protection contre le monde extérieur, plus particu-
lièrement contre l’agression sexuelle. La peau se défend contre une menace imaginée.

2-5. Discussion et conclusion
Cette étude effectuée à partir des observations de mon cabinet oriente donc vers des
pistes intéressantes. Nous allons en présenter la synthèse en faisant référence s’il y a lieu
aux travaux des autres psychosomaticiens.
Le psoriasis vient en lieu et place d’une névrose traumatique. C’est la démentalisation
traumatique majeure inaugurale qui déplace la réaction dans le territoire somatique. La
persistance de l’affection et son évolution deviennent ensuite avec le temps beaucoup
plus dépendantes de facteurs traumatiques aspécifiques, la dermatose devenant avec le
temps la réaction défensive privilégiée.
Le psoriasis est à la fois une trace et un mécanisme de défense.

La trace
L’inscription du traumatisme initial demeure présente sous forme de trace.
Témoin visible d’un vécu traumatique inaugural, la trace historise un événement qui a
eu lieu, que le psychisme n’a pu élaborer et exprimer. S. Savvopoulos rapporte le cas d’une
femme qui, au terme de la psychothérapie, déclare : « La maladie est là pour raconter
mon histoire. Le psoriasis est mon lien avec mon histoire. C’est la trace que ma vie a laissée
sur ma peau. Et je ne veux pas effacer cette trace, parce qu’alors je n’aurais plus d’espoir. »
(Revue française de psychosomatique.)
440
Psychosomatique et dermatologie

Trace qui secondairement constituera une fixation psychosomatique traumatique,


à la fois pôle d’attraction des désordres de l’excitation ultérieurs induits par des vécus
traumatiques qui ainsi se retrouvent associés dans l’après-coup au traumatisme initial, et
barrière contre les mouvements contre-évolutifs (dont la patiente citée par Savvopoulos
perçoit intuitivement le risque).

La barrière défensive
À la trace, s’associe une réaction de défense somatique contre le traumatisme inaugu-
ral, comme pour se prémunir de son éventuelle reproduction.
Cette défense somatique s’inscrit dans l’interface cutanée entre le sujet et la menace
perçue comme extérieure. Dans les pertes, elle atteste de la déchirure entre le sujet et
l’objet perdu et l’annule en même temps. Mécanisme de défense très archaïque, ceux de
la période primaire, voire intra-utérine, voire des fixations défensives familiales chez les
ascendants (comme en témoigne la prévalence de l’hérédité). P. Marty avait déjà pointé
la notion de fixation dans ce type de pathologie, fixations somatiques de la première
enfance, voire de la vie intra-utérine.
La tentation est grande d’étendre le processus aux fixations phylogénétiques. J’ai
souvent pensé à la carapace des reptiles et des sauriens, voire des dinosaures. C’est un
fantasme, bien sûr, qui ne s’appuie sur aucun fondement clinique. Mais je ne suis pas le
seul à avoir été tenté (Maguire, Skin Disease).
Ces deux aspects, trace et défense, qui ressortent de notre étude, ne sont pas en désac-
cord avec la théorisation de D. Anzieu qui propose dans son livre Le Moi-Peau (Dunod,
1995) une topique dermatologique. La couche externe épidermique est considérée par
D. Anzieu comme un système de pare-excitation protecteur, la couche interne reçoit les
signaux et permet l’inscription des traces externes (Anzieu) ou des excitations internes
(Morin).
Mentionnons enfin que ce mécanisme de défense somatique paraît particulièrement
efficace, car les autres somatisations semblent rares chez les sujets atteints de psoriasis.
D’un point de vue contre-évolutif, il semble constituer un barrage à des processus de
désorganisation.
Le champ de recherche est vaste et à découvrir. Insistons encore une fois sur le danger
de la théorisation sans étayage clinique rigoureux et celui de l’interprétation systématique,
souvent sauvage, face à l’apparition de cette cuirasse cutanée survenue au décours d’un
traumatisme, car elle court-circuite le travail indispensable et premier sur la dimension
économique et la mentalisation, passage obligé, déjà thérapeutique même en l’absence
de travail sur le conflit, et passage incontournable pour aborder ce dernier.

3. PSYCHOSOMATIQUE DES PELADES


3-1. Observations
™™ Guillaume, 27 ans, présente une inhibition névrotique dans les relations sociales,
sexuelles, ainsi qu’au niveau de l’action. S’engager lui fait peur, à telle enseigne qu’il n’est
pas allé passer son bac. Lorsqu’il joue au football, il ne prend pas le ballon, le passe à
d’autres, ne prend aucun risque, est irréprochable. Il a trouvé un poste de responsabilité
441
Traité de médecine psychosomatique

il y a trois mois. Dans les semaines qui ont suivi, il a développé une pelade. L’origine de
son inhibition est éminemment névrotique, régie par un surmoi œdipien tyrannique. Il
craignait son père mais ne voulait jamais le dépasser dans ses compétences (comme lui, il
était footballeur). Se castrer plutôt que dépasser le père.
™™ Sébastien, 21 ans, très investi dans la motricité et l’action, était lui aussi très inhibé
dans l’enfance. Un événement le désinhibera : la vue du film La tour infernale avec Steve
McQueen. L’identification au héros sera massive et déterminera dès l’adolescence tous ses
investissements ultérieurs. Il sera pompier. Dans ses rêves nocturnes, il a toujours l’uni-
forme et est spécialisé dans les interventions médicales. Les rêves se terminent toujours
bien. Citons-en un : « Dans le corps de pompiers où j’exerce, un des pompiers est blessé et
tombe, puis tout s’arrange. » Il y a deux ans, accident sans gravité à bord de la voiture qu’il
avait empruntée à sa mère, suivi dans la foulée d’un autre événement : il amène à l’hôpi-
tal une copine qui vient de faire une tentative de suicide. Dans les semaines qui suivent,
surgit une pelade qui régressera au bout de quatre mois. Quelques mois après, il rentre
chez les pompiers volontaires. Quelques semaines plus tard, la pelade resurgit. Depuis,
c’est chaque fois après la confrontation à un accident qu’il fait une poussée. Notons que
Sébastien était très fier de sa chevelure pendant toute l’adolescence.
™™ Lorsqu’il a 4 ans, la voiture des parents de Rémi prend feu dans un accident. Pelade
circonscrite. Puis guérison. Par la suite, la pelade récidivera lors de périodes de stress et
guérira vers 19 ans. À 21 ans, accident de moto. Alopécie diffuse puis circonscrite. Régres-
sion au bout de trois mois. Rechute de la pelade à l’âge de 25 ans dans les suites de son
divorce et d’un licenciement.
™™ Vincent a vécu jusqu’à 14 ans dans la terreur d’un père violent. Il ignore les causes
de sa pelade universelle apparue à 10 ans. Il pense qu’il s’est fait mordre par un des chiens
de chasse de son père mais il n’en a aucun souvenir. Sa réussite professionnelle sera plus
tard totale dans la maçonnerie. Il montera plusieurs sociétés, fera fortune, et s’effondrera
brutalement le jour où ces sociétés, du fait d’un montage juridique, ne porteront plus son
nom. «  J’ai eu le sentiment d’abandonner un enfant. » Extension de la pelade. Depuis, il
est habité d’une angoisse constante, avec éléments interprétatifs « comme si mon père
m’engueulait ». Ses rêves attestent d’une tension pulsionnelle coupable : « Je suis dans
une voiture folle que je ne maîtrise pas… J’ai un fusil, c’est la guerre, je me sens coupable…
Mon père m’engueule parce que je fais mal mon travail… »
™™ Eugénie, 20 ans, a eu elle aussi un père violent et une mère dépressive. Elle a
toujours voulu être un garçon. Il y a un an, relation sexuelle non désirée avec son copain
de l’époque. Vécu de viol. Elle apprend aussi que sa mère a un amant. « Une semaine
après, j’ai cru que mon copain m’avait abandonnée. J’ai fait une crise d’hystérie en m’arra-
chant les cheveux. » Deux mois après, pelade universelle sur tout le corps. Dans les suites,
elle rompt la relation. Depuis six mois, elle a un nouveau copain. Cystites. « Je nous
impose des douches avant et après les relations sexuelles : je me récure et je le récure. »
Troubles obsessionnels compulsifs de propreté. Rêves : « Je suis nue dans un lit avec un
couple, l’homme veut me violer… Je pique les fringues de mon père ou de mon copain. »
Fantasme : « Je suis un homme avec de longs cheveux et je viole des femmes. »
442
Psychosomatique et dermatologie

™™ Berthe. Accident il y a six mois. Polytraumatisée. Chute des cheveux trois mois
après. Rêves traumatiques récurrents : l’accident.
™™ Martha, 41 ans. Avortement imposé par le mari il y a quinze ans. Dans les suites :
salpingite, salpingectomie, appendicectomie. Cinq ans après, la mère est atteinte d’un
cancer de l’ovaire. Douleurs pelviennes chez la fille. Ovariectomie chez les deux. Cinq ans
après, rechute de la maladie de la mère et braquage de Martha dans une banque. Pelade.
Le père et le mari sont des rustres. Rêves : taureaux. Castrations imaginaires puis réelles.
™™ Roseline. À 17 ans : premières règles + déception amoureuse + départ en Angle-
terre. Prise de poids de 20 kg. Retour en urgence car le père est opéré de la prostate.
Pelade universelle. Grossesse à 24 ans : amélioration. Rêves : membres coupés… sexe
coupé… « Je n’arrive pas à fermer toutes les ouvertures de ma maison. »

3-2. Analyse des observations


Il ressort de toutes ces observations une évidence, une constance, que l’on peut
résumer ainsi : pelade = castration.
La mentalisation est bonne chez tous les patients lors de la consultation qui est bien
sûr différée dans le temps de manière très variable par rapport au moment traumatique.

Les hommes : menace de castration


La crainte de la castration est centrale chez les hommes, induisant une autocastration
pour ne pas être castré.
Cette angoisse de castration manifeste et structurale a fait l’objet de défenses mentales
et/ou comportementales organisées : défenses phobiques ou contraphobiques mises
à mal tôt ou tard par un mécanisme d’autocastration, sous la gouvernance du surmoi
œdipien. L’impact traumatique anéantit ces dernières. La défense somatique prend
le relais, mécanisme supplétif surajouté, faute de mieux et en derniers recours, à un
ensemble défensif préexistant, intervenant quand ce dernier est insuffisant ou dépassé.
Tous les traumatismes induisent un vécu de menace de castration. Guillaume (cité
p. 441) se castre au niveau mental (inhibition) et comportemental (actes manqués),
chaque fois que surgit une nécessité d’affrontement social. Sébastien (cité p. 442),
inhibition, en proie aux actes manqués, perd ses cheveux chaque fois que la réalisation du
fantasme affleure ou bien dans les suites d’un accident. Rémi (cité p. 442), tout autant
inhibé, développe une pelade dans les suites d’un accident puis quand sa femme le quitte,
et enfin quand il perd son emploi. Quant à la castration de Vincent (p. 442), elle est
invasive, paralysante, massive, inductrice d’un sentiment de faute permanent.

Les femmes : vécu de castration


Ici, le complexe organisé de castration prime sur la menace de castration. Les trauma-
tismes réactivent le vécu de castration. Les mécanismes de défense habituels sont dépas-
sés (identification masculine, fantasme de castrer l’homme, etc.).
Les mécanismes de défense d’Eugénie sont dépassés à l’endroit d’une image de l’homme
intrusive et toute puissante. Le sentiment d’intégrité physique de Béatrice s’effondre dans
les suites d’un accident. Confrontée à un père et un mari rustres, à un avortement, à
diverses castrations chirurgicales, puis aux interventions gynécologiques de sa mère, et
443
Traité de médecine psychosomatique

in fine à un braquage, Martine ne se vit plus que comme une cible passive, poreuse et
exposée. Il en est de même de Roselyne, séparée de sa famille, quittée par son copain,
confrontée à la castration de son père.

3-3. Discussion
Dans les suites immédiates de ce travail basé uniquement sur la clinique, je me suis
penché sur les études d’autres auteurs. Elles sont rares. Nous pourrons retenir toutefois le
texte de G. Szwec, Psychothérapie d’une enfant chauve au seuil de l’adolescence.
J. Ezin Houngbe publie dans Synapse, en février 2000, une étude sur la signification
symbolique et le vécu de la pelade au Sud Bénin. Il relate le cas d’un homme de 40 ans
qui présente une anaphrodisie, des bouffées vasomotrices au pubis irradiant à la verge,
une asthénie depuis un an, puis une pelade depuis deux mois. Le cas confirme l’angoisse
de castration dans le déterminisme de la pelade et montre que celle-ci vient suppléer, en
dernier recours, à des mécanismes de défense psychiques, sexuels puis somatiques insuf-
fisamment opérants. Il parle de certains rites au Sud Bénin. Après un deuil, les proches
parents se rasent la tête. Certains féticheurs ont le crâne rasé durant l’initiation.
D. Pomey-Rey, dont les travaux en matière de psychosomatique et dermatologie font
référence, retrouve dans la pelade, des « deuils, des ruptures sentimentales, une atteinte
au narcissisme déjà fragile, comme un échec professionnel ou le chômage », survenant
chez des sujets « au moi fragile, inhibés dans leur développement affectif, déjà déprimés
avant qu’un choc ne vienne bouleverser leur équilibre si fragile ». Les tests de projection
(Rorschach, Szondi, arbre de Koch) démontrent que « dans 80% des cas, la dépression
était latente avant la chute des cheveux ». D. Pomey-Rey pense que la prédisposition à
la pelade remonte à la petite enfance, au stade pré-langagier. Personnellement, je pense,
comme d’autres auteurs, que c’est la prédisposition à la somatisation en général et qu’il
ne s’agit pas d’une spécificité de la pelade. Il semblerait même que les fondements soient
moins archaïques. L’auteur cite le cas d’une fille ayant vu apparaître une pelade à 6 ans lors
de la naissance d’une petite sœur, du décès du grand-père et d’un déménagement. Son
analyse de ces traumatismes est centrée sur l’archaïque et non sur le vécu d’une enfant en
période d’angoisse de castration. D’ailleurs, la seule relation qui pose problème avec les
parents de cette petite fille est celle avec le père, captatif et castrateur, la mère étant une
femme attentionnée aux désirs et besoins de son enfant. Sa pelade rechutera au moment
de la puberté. La guérison sera contemporaine d’un rêve où elle vole et s’approche d’un
garçon. Comment ne pas évoquer la castration ?
Elle relate aussi le cas d’un jeune homme, décrit comme dépressif «à la sexualité
passive et une agressivité refoulée ». En fait, à y regarder de plus près, il s’agit d’une inhibi-
tion névrotique et non d’une dépression : il ne quitte pas sa famille, il évite les contacts
amoureux s’ils se présentent, il est dans l’incapacité de mettre en acte ses désirs, et à
31 ans n’a toujours pas eu de relations sexuelles. Il est atteint de pelade à 25 ans dans les
suites d’un accident de moto sans gravité. Il ne se déplace jamais sans son chapeau. Il rêve
d’accidents de voiture, d’armes à feu. Ses rêves précédant la guérison sont caricaturaux :
« J’étais dans une voiture, une décapotable américaine aux États Unis… et j’éprouvais une
grande sensation de liberté. Je n’avais pas de chapeau… Mon supérieur au travail, sorte
de petit chef, m’a fait des reproches injustifiés, j’ai pu lui répondre et j’étais très content. »
444
Psychosomatique et dermatologie

D. Pomey-Rey cite un autre cas, celui d’une femme de 64 ans présentant une pelade
universelle depuis ses 52 ans, époque où son mari est parti avec une autre. Idem pour
cette fille de 9 ans présentant une pelade décalvante depuis l’âge de 3 ans, qui se dessine
sans main. D. Pomey-Rey interprète ainsi : « la castration vécue au niveau des cheveux
s’est déplacée sur les mains » (op. cit.). Bien sûr, mais c’est le vécu de castration qui génère
la pelade et les dessins des personnages sans main, et non pas l’effet, pour le moins incon-
testable, de la pelade sur l’image du corps inductrice secondairement de la représenta-
tion d’être castré. La pelade accentue secondairement le vécu de castration, mais elle
résout aussi quelque chose, elle déplace sur un objet traumatique précis une nébuleuse
traumatique.
À la fin de son texte, D. Pomey-Rey avance la présence d’un moi enfantin et inhibé. La
dépression latente dont parle Pomey-Rey est en fait une inhibition névrotique dont le
déterminant est le surmoi œdipien et non l’idéal du moi.
Chez certains de nos patients, il existe un surdéterminisme érotisé de la chevelure
(Sébastien). Dans un autre cas, l’alopécie met un terme à la relation amoureuse (Eugénie).
Tous les cas de trichotillomanie que nous avons étudiés révèlent la dimension phallique
imaginaire du cheveu. Lors de notre étude sur le rêve (Les rêves), cette symbolique a été
largement abordée.

3-4. Conclusion
La pelade est une réaction somatique défensive traduisant un vécu de castration
qui surgit lorsque les mécanismes de défense psychiques et comportementaux contre
celle-ci, pourtant très développés chez les sujets qui en sont atteints, sont dépassés par
l’impact traumatique.
Elle s’inscrit, du point de vue de la nosographie psychosomatique que nous avons
proposée, dans la catégorie des régressions psychosomatiques qui comportent à la
fois un désordre économique et une fixation psychosomatique érogène. Cette fixation
psychosomatique concerne ici le cheveu.
La pelade constitue une confirmation supplémentaire de la représentation sexuelle
inconsciente de la chevelure.

4. PSYCHOSOMATIQUE DE L’ECZÉMA
Maladie banale, fréquente, la plus fréquente des somatisations cutanées, avec laquelle
de nombreux sujets finissent par cohabiter, l’eczéma ne s’en laisse pourtant pas conter,
par son caractère parfois torpide ou récidivant. Il a défié de nombreuses générations de
chercheurs et de médecins. Il se révèle en fait, en ce qui nous concerne, être une somati-
sation difficile à cerner et à traiter.
J’ai étudié 42 dossiers de patients présentant un eczéma, patients venus consulter le
plus souvent pour un autre problème. 22 observations sont relativement sommaires en
ce qui concerne les déterminants de l’eczéma et les caractéristiques psychosomatiques
qui l’accompagnent. 20 observations sont plus élaborées, ayant fait l’objet d’au moins
trois consultations, et pour certaines d’entre elles d’une psychothérapie s’étant déroulée
sur plusieurs mois.
À l’issue de ce travail, certaines caractéristiques de la pathologie ont été relevées.
445
Traité de médecine psychosomatique

4-1. Vécus traumatiques
Déterminants traumatiques de la lésion inaugurale
Dermatite atopique du nourrisson
La maladie débute vers le 2e-3e mois de la vie. C’est un eczéma prurigineux, érythé-
mateux, suintant et croûteux. Le visage est souvent le premier atteint : front et joues (la
bouche, le nez, le menton sont respectés). L’éruption peut s’étendre aux oreilles et au cuir
chevelu. Des lésions sur les membres peuvent se voir.
Les six observations d’eczéma atopique du nourrisson ayant fait l’objet de cette petite
étude révèlent une angoisse maternelle centrale en tant que déterminant premier de la
pathologie. Les déterminants de cette angoisse doivent être finement recherchés car ils
ne sont pas apparents de prime abord. En effet, l’angoisse maternelle se déplace sur l’objet
eczéma, masquant ses origines premières.
De manière schématique, on peut distinguer une angoisse préexistante à la naissance
de l’enfant et une angoisse consécutive à celle-ci.
Trouble de la relation intersubjective primitive
Les trois observations concernées révèlent des problématiques différentes, mais ayant
pour point commun une conflictualité entre la représentation de l’enfant désiré et celle
de l’enfant en gestation : enfant à venir pris dans un fantasme de conception œdipienne,
forte inadéquation entre l’identité sexuelle souhaitée pour l’enfant et son identité sexuelle
réelle, angoisse maternelle avant, pendant et après la grossesse, induite par un avorte-
ment gémellaire un an auparavant.
™™ Valentin, 4 ans, est né un an après un avortement gémellaire traumatique, ayant
instauré chez la mère une angoisse majeure et persistante. Valentin présenta jusqu’à
8 mois un reflux gastro-œsophagien traité par contention, ce qui accentua l’angoisse
maternelle. L’eczéma apparut à 1 an.
Angoisse maternelle dans les suites de la conception
Il n’y a pas de profil maternel type. Les mères des enfants atopiques sont tout autant
aimantes (ou mal-aimantes) que celles des autres enfants. Toutefois, dans les trois cas
concernés, on repère une préséance des névroses de comportement dont les défenses
habituelles (suroccupation, besoin acharné de maîtrise, incapacité à se poser) se trouvent
dépassées chez une jeune mère souvent désemparée face à sa nouvelle fonction.
D. Pomey-Rey et J. Mac Dougall repèrent aussi dans l’eczéma atopique une angoisse
maternelle constante. Elles repèrent en outre une relation fusionnelle et une impossibilité
à transférer l’amour de la mère au père. « Les observations cliniques de C. Morgan, parues
en 1992 dans On the Clinical Use of Fetal Experience in Adult Analytic Practice, confirment
que les projections des parents sur l’enfant à naître, tout comme les événements externes
surchargés d’affects, qui peuvent survenir pendant la grossesse, jouent un rôle impor-
tant dans le contact qu’entretient la mère avec son bébé fœtal. » J. Mac Dougall rappe-
lait également que les « échanges prénataux entre la mère et l’enfant qu’elle porte, en
même temps que l’empreinte de l’inconscient biparental sur la matrice corps-psyché du
futur petit être, esquissent déjà la structure du nourrisson à venir… » (Éros aux mille et un
446
Psychosomatique et dermatologie

visages.) La dermatite atopique est bien un symptôme archaïque apparu dans une phase
préverbale. « Il s’agit d’un mal-être exprimé par la peau-cerveau… Le “problème mère” est
toujours présent : mère dépressive et angoissée lorsque l’enfant est dans les premiers mois
de sa vie… ce “problème mère” est toujours suivi d’un “problème père”… »
Eczéma de l’enfant à partie de 3 ans
L’aspect de l’eczéma est ici différent : plaques lichénifiées, prurigineuses, rarement
suintantes, prédominant au niveau des membres, plis des coudes, creux poplité, poignets.
Sur les 7 observations recensées, 6 d’entre elles, soit 85,5% des cas, révèlent des trauma-
tiques inducteurs à type de rupture des relations objectales : naissance d’un puîné (3),
séparation (2).
Un cas seulement révèle une induction de la pathologie dans les suites de sévices
sexuels incestueux à l’âge de 3 ans.
™™ Alexis, élevé par ses grands-parents jusqu’à 3 ans, développe un eczéma lorsque ses
parents revenus dans la région le récupèrent.
Eczéma de l’adolescent et de l’adulte
Les 13 cas étudiés révèlent des déterminants traumatiques plus disparates :
––ruptures des relations objectales : 7 cas
––chômage : 3 cas
––avortement : 1 cas
––rupture amoureuse : 2 cas
––divorce + difficultés financières : 1 cas
––conflits, agressions : 2 cas
––dispute avec un des deux parents : 2 cas
––agression physique : 1 cas
––autres : 3 cas (post-partum, grossesse, privation de liberté).
Les vécus de séparation constituent le déterminant central dans 58% des cas. Les
autres vécus inducteurs (42%) sont liés des situations anxiogènes, plus particulièrement
de tension relationnelle.
Les déterminants principaux du premier déclenchement de l’eczéma sont donc dans la
majorité des cas en relation avec un trouble de la relation objectale marqué par l’angoisse
ou le vécu de séparation. Au fur et à mesure de l’autonomisation du sujet, ce déterminant
tend à être moins systématique.

Aggravations ou rechutes ultérieures


Déterminants traumatiques (9 observations) :
––pertes : 4 cas
––séparation des parents chez des enfants : 2 cas
––déménagement
––vécu de rejet lors de la consultation
––autres : 5 cas (grossesse : 3 cas ; nouvelle liaison, visite chez les parents).
L’eczéma subit donc des poussées ou des rechutes du fait de traumatismes moins
spécifiques.
447
Traité de médecine psychosomatique

Avec le temps, le vécu de séparation occupe une place moindre, mais la pathologie
de la relation demeure centrale. Tout accroissement critique de la tension interne peut
induire des rechutes ou des aggravations.

4-2. La relation d’objet


L’inventaire des traumatismes inauguraux révèle une sensibilité particulière des sujets
à la séparation d’avec l’objet.
R. Spitz, dans son étude sur les bébés atteints d’eczéma dans un centre de détention
pour les mères (De la naissance à la parole), avance d’une part le facteur génétique et,
d’autre part, un facteur lié à la relation d’objet. L’angoisse du 8e mois devant l’étranger
apparaît seulement chez 15% des enfants atteints d’eczéma alors qu’elle est de 85% chez
les autres enfants.
P. Marty, à partir de l’idée de Spitz, verra derrière l’eczéma une autocompensation
tactile de l’insuffisance d’excitation ou de pare-excitation maternelles.
L’inventaire des traumatismes ultérieurs révèle, outre cette sensibilité à la sépara-
tion, une relation anxiogène et ambivalente avec l’objet dans laquelle la distance avec ce
dernier semble déterminante.
On retrouve dans les traumatismes secondaires :
––soit un besoin de maintenir à tout prix un lien, un contact avec l’objet, ce contact
étant devenu difficile ou impossible dans la réalité (pertes) (cf. « La relation d’objet
allergique », p. 501) ;
––soit des situations nouvelles auxquelles le sujet a du mal à s’adapter et à l’égard
desquelles il développe une forme d’intolérance-dépendance, comme s’il voulait
mettre à distance l’objet, sans le perdre toutefois (cf. « La relation de la juste distance »,
p. 503).
Dans tous les cas, il semble exister une inscription au niveau de la peau d’une problé-
matique, insoluble dans la réalité, concernant la distance entre le sujet et l’objet.
Les observations qui suivent illustrent bien cette dimension fondamentale de la
relation d’objet dans la genèse, l’aggravation ou la rechute du processus eczémateux.
Il semblerait que la problématique initiale soit de toute façon celle de la séparation
et qu’ultérieurement des mécanismes de défense viennent moduler la relation d’objet.
L’angoisse de séparation demeure en toile de fond mais les réactions face à la sépara-
tion peuvent dans certains cas devenir paradoxales. Ainsi, un sujet peut avoir un eczéma
lorsqu’il est en relation avec l’objet (le risque de séparation constitue une menace) et le
voir disparaître après la rupture (la menace de séparation n’existant plus).
™™ Luna, 7 ans. Eczéma des genoux, creux axillaire, fesses, coudes, ayant débuté à 3 ans
après la naissance du petit frère, s’étant aggravé il y a deux ans au moment de la sépara-
tion des parents, et aussi quand la mère est partie en vacances.
™™ Sandrine, 48 ans. Confiée à ses grands-parents à 8 jours, récupérée à 3 ans. Début
d’eczéma cervical.
™™ Patrice. Apparition d’un eczéma à 18 ans dans les suites d’une rupture amoureuse.

448
Psychosomatique et dermatologie

™™ Valérie présente un terrain allergique manifeste : coryza spasmodique, eczéma. Elle


se sent, selon ses termes, « bouffée par l’autre, depuis toujours, dépendante de ses désirs
et de ses demandes, se calque sur l’autre, prend l’autre pour modèle ». Infertilité inexpli-
quée qui disparaîtra spontanément à 43 ans dans les suites du décès de sa sœur, modèle
féminin idéalisé dans la famille, décès qui surviendra deux mois après la mort du père. Sa
mère acceptera très mal la grossesse de sa fille. Valérie était, selon ses termes, « program-
mée pour être un garçon, ne pas avoir d’enfant et vieillir auprès de ma mère… J’ai toujours
eu besoin de la faire jouir. » Cette fonction imaginaire d’amant stérile de la mère apparaît
dans un rêve récurrent : elles vont toutes les deux acheter des soutiens-gorges mais il n’y
en a pas pour Valérie. Elle n’a pu avoir de relations sexuelles qu’à partir du moment où
ses parents n’en ont plus eu. À partir de ce moment, sa mère a pris la chambre de Valérie
pour faire chambre à part.
™™ Gwladys, 20 ans. Angoisse de séparation, angoisse d’emprise. Mère étouffante mais
crainte de la séparation.
™™ Gautier, 11 ans. Demande tyrannique à l’égard de sa mère, exigeant sa présence
constante, mais ne supportant pas que cette dernière le prenne dans ses bras. Angoisse
de séparation maternelle. Eczéma qualifié d’allergie au lait.
™™ Julie, 31 ans, déjà citée p. 292. Première poussée d’eczéma généralisé à 18 ans après
rupture d’avec son compagnon. Rechute à 21 ans lorsqu’elle quitte à contre-cœur sa ville
natale pour ses études. Une nouvelle liaison met fin à l’eczéma. Départ pour l’étranger.
Rechute. Retour en France. Amélioration.
Actuellement, elle maintient deux relations plus ou moins platoniques avec deux
hommes mais ne s’engage avec aucun. « J’aime bien être collée à l’autre, mais je n’aime
pas en même temps. » Ce fonctionnement lui permet de maintenir la relation aux objets
tout en s’en protégeant. Évitement de la perte et de l’engagement, de la séparation et de
l’emprise.
™™ Hugues, 33 ans. Périodes d’eczéma (face, tronc, membres supérieurs) lorsqu’une
relation stable s’établit avec sa compagne. Disparition lors des périodes de séparation.
L’ambivalence dont il est question dans la relation d’objet des eczémateux est conden-
sée dans la double dimension du prurit : l’érogénéité (contact avec l’objet, annulation
de la perte, autoérotisme compensatoire : « Je m’en donne à cœur joie », nous dit une
patiente) et le désagrément (la souffrance de la perte et aussi le désir de se débarrasser de
l’objet. Cette même patiente nous dit : « …Impression de ne pas avoir eu d’amour paren-
tal comme une blessure qui ne cicatrise pas… Du coup, je me suis refermée aux autres, je
me protège derrière ma carapace. »)

4-3. Localisations particulières
Citons P. Marty : « Il est facile de penser mais difficile d’admettre que la peau possède
en toute sa surface la même valeur fonctionnelle »… « du point de vue psychosomatique,
dans lequel nous nous référons sans cesse à la genèse des organisations libidinales, la peau
procède vraisemblablement de niveaux différents (en général d’une part et individuelle-
ment d’autre part) selon ces zones. » (La relation objectale allergique.)
449
Traité de médecine psychosomatique

Notons tout d’abord que la dermatite atopique du nourrisson respecte la bouche, le


nez, le menton. Nous sommes fortement tentés de considérer que ces régions anato-
miques qui s’intègrent à la zone orale sont fortement et en permanence sollicitées par
l’apport alimentaire et les soins qui l’accompagnent : essuyage du menton, du nez. Et
ceci, quelle que soit la nature de la relation avec la mère. La zone orale est sollicitée et
hyperstimulée d’un point de vue érogène au moment du repas où la relation avec la mère
acquiert une dimension spécifique particulièrement hédonique et apaisante, annulant
probablement la complexité et l’ambivalence relationnelle de fond en dehors de ces
moments privilégiés. La mère de son côté est, elle aussi, dans une disposition affective
particulière, gratifiante, apaisante si ce n’est jubilatoire. On pourrait de ce fait considérer
que cette forme d’eczéma atteint les zones corporelles qui sont, d’un point de vue quali-
tatif, l’objet d’une dysérogénéité.
Dans les autres cas, il nous apparaît très difficile, au risque de sombrer dans l’interpré-
tation sauvage, de repérer un déterminisme particulier aux localisations spécifiques.
Citons parmi les observations étudiées :
––trois cas d’eczéma de l’oreille induits par des agressions verbales ou physiques ;
––un eczéma du sein gauche (six mois après le décès de la mère de la patiente d’un
cancer du sein).
On retrouve par contre, comme dans le psoriasis, un déterminisme spécifique aux
localisations génitales et palmoplantaires :
––un eczéma au pied chez une femme présentant un complexe de castration majeur,
le pied apparaissant dans les rêves récurrents comme symbole phallique très investi ;
––un eczéma palmoplantaire chez une jeune femme apparu dans les suites d’une
dispute avec son père. On repère dans l’enfance de la patiente une déception œdipienne
et des contacts sexuels imposés à l’âge de 3 ans par un voisin qui lui caressait d’abord
les pieds ;
––eczéma génital et anal en relation avec un fantasme homosexuel masochiste
inconscient et une fixation anale (cas de Gilles cité en première partie de cet ouvrage,
p. 176). Chez ce patient, la disparition du fantasme sous l’effet de la psychothérapie
mettra un terme à la pathologie.

5. PSYCHOSOMATIQUE DE L’URTICAIRE
5-1. Introduction
Conférence de consensus du 8 janvier 2003, « Prise en charge de l’urticaire chronique ».
Document fondamental car sérieux et surtout officiel. Il s’en dégage que les causes de
l’urticaire chronique ou de l’urticaire aiguë récidivante sont inconnues, hormis des cas
bien spécifiques (urticaire persistant des maladies systémiques, agents physiques patho-
gènes, réactions physiologiques circonstancielles), que les différentes investigations
paracliniques ne servent pas à grand-chose dans la majorité des cas, que les étiologies
allergiques sont « largement surestimées ». Il s’en dégage aussi que le traitement repose
sur des antihistaminiques anti-H1 (faute de mieux), que ses résultats sont mal évalués et
qu’une « prise en charge » est nécessaire.
450
Psychosomatique et dermatologie

Je cite : « Il y a très peu d’études contrôlées publiées concernant les facteurs psycholo-
giques dans l’urticaire chronique et leur prise en charge. Cependant, comme pour d’autres
dermatoses chroniques, une association entre stress, symptomatologie anxiodépressive
et urticaire chronique a été rapportée sans qu’aucune étude n’ait pu établir s’il s’agissait
de la cause ou de la conséquence. Aucune relation n’a pu être démontrée entre la sévérité
de l’urticaire chronique et celle d’un état anxiodépressif. Parmi les troubles de la person-
nalité, la prévalence de l’alexithymie (difficultés à verbaliser les émotions) a été seule
étudiée et est aussi importante dans l’urticaire chronique que dans le psoriasis (étude de
niveau 3). Un retentissement sur la qualité de vie a été mis en évidence. Pour toutes ces
raisons, le jury considère qu’il est licite d’envisager la prise en charge des facteurs psycho-
logiques au cours de l’urticaire chronique. Cette attitude paraît d’autant plus raisonnable
qu’elle repose essentiellement sur des données cliniques. Le jury souligne que des études
seraient nécessaires pour préciser l’importance réelle des facteurs psychologiques dans
l’urticaire chronique. » (Prise en charge de l’urticaire chronique.)
Les recommandations qui sont issues de cette conférence de consensus préconisent
une « prise en charge » par le médecin traitant avec prescription d’un « antihistaminique
anti-H1 sédatif en cas de prurit avec troubles du sommeil et/ou anxiété réactionnelle »,
un « soutien psychologique » avec « réassurance du patient » et éventuellement la « prise
en charge du stress sous forme de relaxation, thérapies comportementales, etc. ». « En cas
d’anxiété et/ou de syndrome dépressif caractérisés, le recours à un traitement spécifique
est justifié dans le respect des bonnes pratiques. »
Nous voilà considérablement avancés !
Qu’en dit Sylvie Consoli (Les facteurs psychologiques dans l’urticaire chronique) ? Elle
évoque pour certains urticaires une réponse inappropriée à un « stress, réponse qui
mettrait en jeu l’axe neuro-endocrino-immuno-cutané et en particulier celui de certains
neuro-médiateurs. Ces derniers favorisent entre autres, la dégranulation des mastocytes,
la perméabilité vasculaire et l’infiltration leucocytaire… » Elle cite une étude de Keegan
DL (1976) faisant état de « changements relationnels avec des proches, la survenue d’une
maladie ou d’un accident, des situations conflictuelles frustrantes ou embarrassantes au
travail et/ou en famille »… « Les traits de personnalité ne semblent pas spécifiques. » Elle
souligne l’absence d’études détaillées rigoureuses. Plus loin, elle cite une étude de Gupta
(1994) pour qui l’intensité du prurit serait « parallèle à l’intensité de la dépression », des
études de Badoux (1994), Hashiro (1994), Juhlin (1981), Hein (1996), faisant état d’une
fréquence relative d’un « état dépressif, une anxiété et une tendance à souffrir de manifes-
tations somatiques fonctionnelles » chez les malades urticariens. L’efficacité des antidé-
presseurs tricycliques dans les urticaires résistants aux thérapeutiques classiques est
mentionnée (disparition chez 43% des patients traités). La psychothérapie est préconisée.
Citons aussi une communication de G. Guillet dans le cadre du congrès de la Société
d’allergologie et d’immunologie clinique de Toulouse (1998). Dans 22% des 236 cas analy-
sés, les poussées sont déclenchées par des facteurs psychogènes. L’urticaire cholinergique
est l’exemple type de potentialisation par le stress (dans 80% des cas). Les patients très
suggestibles bénéficient d’un traitement par hypnose qui diminue le prurit sans pour
autant faire disparaître les papules.
451
Traité de médecine psychosomatique

5-2. Analyse des observations


L’étude qui suit, réalisée en 2008, a été faite à partir de 15 observations de patients vus
à mon cabinet.

Caractéristiques générales
––Tension interne chez tous les patients.
––Antécédents d’autres pathologies allergiques ou alternance avec celles-ci dans 54%
des cas : coryza spasmodique (31%), migraines (15%), asthme (8%).
––Caractère critique. Les crises surgissent lors des poussées de l’excitation en
relation avec des événements ou des situations nouvelles. Elles s’apparentent à des
décharges émotionnelles privées de leur composante affective comportementale ou
représentative. L’urticaire paraît être l’expression d’un débordement de l’excitation
instinctivo-pulsionnelle. Il semble exister une rétention et une accumulation initiales
de l’excitation, qui reste bloquée un certain temps et qui se décharge secondairement
(comme dans la plupart des maladies à crises).
––Mentalisation tout à fait variable et aspécifique chez les sujets en dehors des crises.
On peut rencontrer aussi bien des alexithymiques que des sujets très bien mentalisés.

Vécus traumatiques
L’anamnèse associative doit repérer :
––les périodes au cours desquelles se manifeste l’urticaire,
––les facteurs déclencheurs des crises.
Dans 60% des cas étudiés, on repère des situations de contrainte avec répression de
l’agressivité à l’égard de l’objet. L’objet insupporte mais il est risqué de s’en séparer. On y
rencontre des situations de proximité objectale plus ou moins imposée. Dans trois obser-
vations, il s’agit de femmes intolérantes à la présence des enfants du nouveau conjoint, à
l’égard desquels elles se décrivent « allergiques ».
™™ Marcelle, 56 ans, s’occupe de son mari invalide depuis dix-huit ans. Depuis deux
ans que ce dernier est dialysé, s’est installé un prurit et dermographisme. Depuis six mois
que le mari présente des pertes de connaissance, des crises d’urticaire sont apparues. Sans
arrêt prise par les contraintes, elle a de plus en plus de mal à supporter la situation, mais
assume sans broncher.
Dans 40% des cas, il s’agit d’un désordre de l’excitation lié à des vécus réactivant une
problématique plus profonde. Nous retrouvons souvent outre la répression pulsionnelle,
une angoisse à déterminisme inconscient (castration, séparation), une connotation
érogène, et chez certains une dimension masochiste.
™™ Agnès, présente des crises d’angio-œdèmes de forte intensité, traités par corti-
coïdes. Les crises débutent par des douleurs abdominales puis l’œdème apparaît au
niveau de la région antérieure du corps (abdomen, face, thorax, région scapulaire) et
persiste pendant trois à cinq jours en s’intensifiant progressivement. La patiente a été
adressé à un service hospitalier spécialisé dans les angio-œdèmes. Il lui a été notamment
remis un document dans lequel sont évoqués tous les risques qu’elle encourt, y compris
celui d’en mourir.
452
Psychosomatique et dermatologie

Agnès présentait un coryza spasmodique depuis l’âge de 6 ans, puis des allergies
alimentaires depuis l’adolescence.
Il y a sept ans, l’interruption volontaire d’une grossesse inopinée généra un état trauma-
tique avec forte culpabilité, d’autant plus que cela se fit le jour d’une fête de famille. Pour
consoler Agnès, ses parents l’avaient fait dormir entre eux, dans leur lit, la nuit qui avait
suivi l’IVG. Spasmophilie dans les suites. La première crise d’angio-œdème se produisit
il y a trois ans chez ses parents le jour de Noël. Nouvelle crise un an après : l’échec à un
concours lui impose de différer un projet de grossesse. Depuis, les crises se succèdent.
Elles régresseront sous l’effet de la psychothérapie et disparaîtront lors de la survenue de
la grossesse tant désirée. Une seule crise émaillera celle-ci dans les suites d’une consulta-
tion ayant abouti à la suspicion d’une anomalie chromosomique. À ce jour, elle est mère
de famille et n’a plus d’angio-œdème. Une analyse sauvage et « interpréteuse » de cette
observation pourrait conclure à une « enflure » faute d’être enceinte. Deux formations
inconscientes sous-tendent la problématique : la culpabilité sexuelle que n’arrange en
rien la proximité incestuelle et le vécu de castration.
™™ Pauline, 5 ans, présente des crises d’urticaire généralisées et quotidiennes depuis
deux mois, aggravées le soir au coucher. L’urticaire a remplacé des vomissements quoti-
diens qui ont duré deux ans et ont débuté lors de l’entrée en maternelle (elle vomis-
sait tous les matins avant de partir à l’école). Il existe une forte angoisse de séparation
et d’abandon. Pauline est collée à sa mère et a très peur que celle-ci ne vienne pas la
chercher à l’école. Tout changement l’angoisse. L’angoisse de séparation est plus ou moins
intriquée à une angoisse de mort. L’investigation permettra de pointer que la révélation
par la maman du décès en bas âge d’une tante maternelle a déclenché chez elle une
première crise d’urticaire il y a deux mois. La maman est inquiète pour sa fille. Il lui arrive
de se lever la nuit pour la rassurer.
Il existe par ailleurs chez Pauline une certaine excitation dont un des déterminants est
érogène. Les rêves témoignent de cette excitation teintée de culpabilité et intriquée à une
angoisse de castration : « …Je suis sur un cheval qui vole… J’aimerais avoir ce cheval… On
a coupé le doigt d’un monsieur… »
Trois séances ont suffi pour enrayer l’urticaire. Pas de réapparition au bout d’un an.
Cette observation met en évidence, d’une part l’angoisse de séparation et de castra-
tion, d’autre part l’existence d’un état d’excitation interne à déterminisme érogène. La
spasmodicité digestive était sous-tendue par l’angoisse de séparation. Celle-ci semble
s’être complexifiée d’un déterminant supplémentaire : la survenue de la problématique
sexuelle. Ce dernier élément me semble être à l’origine du déplacement d’une sympto-
matologie spasmodique simple et peu spécifique vers une pathologie plus complexe bien
que peu profonde : l’urticaire.
™™ Olivia, 24 ans, allègue un bouillonnement instinctivo-pulsionnel contenu dans un
corps qu’elle vit comme une prison. Peur d’agir, de bouger, de se lancer dans la vie, peur de
ne pas être à la hauteur, sentiment d’incapacité. Fantasmes masochistes passifs œdipiens.
« J’étais soumise à mon père, il me faisait peur. » Urticaire contemporain de douleurs
arthritiques mais l’intensité de l’un atténue l’intensité des autres. Les douleurs articulaires
prédominent lors des vécus de passivité, de situations de contrainte. Lorsque l’urticaire
453
Traité de médecine psychosomatique

prédomine, l’angoisse culmine, accompagnée de rêves d’incapacité ou à contenu violent.


Les crises d’urticaire surgissent lorsqu’elle sort de la passivité, entre en contact avec les
autres, devient plus active, ou bien de manière contemporaine à une relation amoureuse.
Ainsi, la soumission totale à l’objet génère par un mécanisme unique de répression la
pathologie douloureuse. Le contact actif avec l’objet est, lui, générateur de culpabilité. La
disparition du fantasme masochiste fait disparaître les symptômes.
™™ Paule, 38 ans, présente des crises d’urticaire depuis trois mois durant plusieurs
heures à un jour. Elle signale un état de tension interne pendant les crises (anxiété, excita-
tion motrice). « Quand j’ai ces crises, j’ai l’impression d’être enfermée, je m’arracherais la
peau. » Depuis trois mois, elle ne supporte plus son travail d’interprète en conférences.
Situation d’isolement, d’enfermement « où l’on ne voit personne, où l’on est coincé,
sans pouvoir bouger. Je ne vois même pas l’expression des gens que je traduis. Dans ces
moments-là, j’ai envie de tout casser ou bien je fantasme : baiser… attachée sur un lit,
battue, masturbée, quelqu’un qui me bat et me fait jouir… des coups sur la peau… toute
rouge, brûlante. » L’immersion dans le fantasme durant la séance générera au décours de
celle-ci des plaques d’urticaire. La séance mettra un terme aux crises, mais dans les suites
elle se sentit un peu déprimée, « comme si elle avait perdu quelque chose ». L’urticaire se
déclenche dans ces situations de contrainte et de répression de l’agressivité du fait d’un
retournement de l’agressivité sur soi. La dimension érogène masochiste est éclatante.
™™ Manon, 24 ans, a présenté sa première crise d’urticaire à l’âge de 11 ans au cours
d’un match de tennis (« J’étais très chaude»). À l’époque, elle était en pension, étouffée
par le cadre, couvée par sa famille.
À l’âge de 18 ans, elle est prise en auto-stop par un homme dont elle perçoit rapide-
ment les intentions malveillantes. Crise d’urticaire dans la voiture. « J’avais l’impression
d’être dans un bocal. » Elle ne pourra échapper à une relation sexuelle sous contrainte.
Un mois après se déclenchera un diabète insulino-dépendant difficile à équilibrer qui
mettra un terme aux crises d’urticaire pendant six mois. Une fois le diabète équilibré,
les crises d’urticaire reprennent. Ainsi, deux réactions défensives somatiques alternent :
le déséquilibre glycémique, témoin d’une réaction adaptative défensive dénué de toute
dimension érogène, et l’urticaire qui apparaît lorsque la situation de contrainte comporte
une dimension sexuelle.

5-3. Discussion et conclusion
À partir de cette étude, nous pouvons conclure que l’urticaire surgit dans des situa-
tions de contrainte, obstacles à l’évacuation de l’excitation. Certaines de ces situations
paraissent aspécifiques, dénuées d’érogénéité : ce sont des situations d’enfermement, de
privation motrice, d’ébullition intérieure, tel l’animal pris au piège. Dans d’autres cas, à
la contrainte se surajoute une dimension conflictuelle interne mobilisant l’érogénéité,
érogénéité imprégnée de culpabilité et souvent de masochisme.
On repère par ailleurs une relation ambivalente à l’objet, objet désiré mais aussi objet
menaçant ou persécuteur. Le sujet est à la fois menacé par la perte de l’objet et l’assujet-
tissement à ce dernier.
454
Psychosomatique et dermatologie

J’ai proposé de qualifier ce type de relation d’objet du terme de relation de la juste


distance, sur lequel je reviendrai dans le chapitre sur « Les allergies respiratoires » (p. 499).
Elle semble caractériser les maladies allergiques à crises (urticaire, asthme, coryza spasmo-
dique). La crise ne se déclenche que lorsqu’une des deux menaces apparaît : risque de
séparation ou risque d’emprise par l’objet.
Fain a évoqué dans l’urticaire un conflit entre deux objets, où l’investissement de
l’un pourrait détruire l’autre. Cette bipolarité objectale rejoint mais se démarque aussi
pour une part de la bipolarité défensive que nous évoquons dans notre concept de juste
distance.
La piste biologique confirme le caractère défensif de la réaction urticarienne. Les
mastocytes siègent dans le derme et les muqueuses, ils établissent une ligne de défense
contre les micro-organismes en induisant une vasodilatation sous-épithéliale favorisant
le recrutement d’effecteurs humoraux et cellulaires de l’immunité anti-infectieuse. Leur
activation se traduit par une dégranulation qui libère de l’histamine mais aussi d’autres
substances induisant des phénomènes de vasodilatation localisés dermiques ou hypoder-
miques. L’activation des mastocytes se produit au niveau de ses récepteurs par le biais de
molécules activatrices se fixant sur ces derniers. L’activation peut être immunologique ou
non, les conséquences sont les mêmes.
En dernier, se pose la nature du déterminisme émotionnel dans la genèse de la vasodi-
latation cutanée. Quelles émotions suscitent une congestion vasculaire cutanée ? Trois
émotions de base sont susceptibles d’avoir un effet vasodilatateur au niveau du revête-
ment cutané : deux émotions négatives, la peur et la colère, une émotion positive, la joie.
Si l’on envisage un vécu composite entre ces trois émotions, on ne peut qu’évoquer une
dimension conflictuelle. Concomitance d’une menace ou d’une colère, et d’une jouis-
sance. Contrainte par l’objet réactivant une certaine érogénéité. Certains urticaires
peuvent affecter tout le corps sauf les organes génitaux…

6. LE VITILIGO
Dermatose pour le moins curieuse aux conséquences strictement esthétiques et
identitaires, le vitiligo surprend. Les traumatismes déclencheurs sont toujours présents.
™™ Le vitiligo de Monica apparut dans les suites d’une violente discorde familiale à
l’issue de laquelle, elle et son mari furent mis à la porte par les parents de ce denier.
Il s’ensuivit un syndrome psychotraumatique immédiat : « impression d’un coup de
massue », jambes coupées, sensation de vide, isolement social prolongé. C’est dans ce
contexte psychotraumatique démentalisant qui perdurera plusieurs mois que le vitiligo
surgit sur les mains, un mois après le clash. L’impact traumatique de cet événement est
compréhensible car Monica était très attachée à la grand-mère de son conjoint. Son
histoire permet de comprendre les origines de cet attachement et l’effondrement qui
suivit la rupture.
Troisième d’une fratrie de cinq, elle vécut jusqu’à 5 ans chez sa grand-mère maternelle
avec son père et sa mère. Contexte curieux dans ce village du Nord de l’Italie : la mère
se cache, se déguise, met des perruques et des lunettes noires. Les carabiniers viennent
régulièrement. Le frère aîné, atteint de trisomie, disparaît du village lorsque Monica a
455
Traité de médecine psychosomatique

2 ans et la famille n’en parlera plus jamais. Le père ne va en ville qu’accompagné de la


grand-mère maternelle.
Lorsqu’elle a 5 ans, le couple déménage avec les trois filles. Monica ne reverra plus
jamais sa grand-mère maternelle. À 8 ans, les parents divorcent. Monica ne reverra plus
jamais son père. Commencera alors une longue période d’errance avec sa mère et ses
frères et sœurs. Ils font les poubelles, ont des poux, ne mangent pas à leur faim. À 17 ans,
elle rencontre son futur mari et le rejoint en France. Elle ignore encore, à l’heure actuelle,
où vivent sa mère et sa fratrie. Elle fera des études supérieures brillantes.
Lors de la première séance, elle exprime sa crainte de devenir toute blanche. Elle
rapporte un rêve : « Je tricote un manteau blanc en laine très long qui ne couvre que le
côté droit du corps, une seule manche. »
À l’issue de la première séance, elle fait un rêve : un buvard blanc grignoté par des vers à
plusieurs endroits. À l’issue de la deuxième séance, le rêve se transforme : le papier buvard
blanc continue à se faire manger et disparaît, à la place tout est noir. Deux jours après ce
rêve, une repigmentation apparaît, ce qui ne lui était jamais arrivé. « Le vitiligo, ce sont
des trous à travers ma carapace », dit-elle.
™™ Le vitiligo de Lorène est apparu pour la première fois il y a quinze ans, dans les suites
d’une première IVG. Il débuta au périnée, entre les cuisses, puis s’étendit à la face dorsale
des mains, la face ventrale antérieure des poignets, aux coudes, autour de la bouche,
entre les seins, et dans la région axillaire.
Elle retombera enceinte ultérieurement à quatre reprises, et chaque fois fera une IVG. Il
est vrai qu’elle dissimulait chaque début de grossesse à ses partenaires successifs.
Le vitiligo s’aggravera dans les suites d’une intervention orthopédique lombaire, puis
au moment de la grossesse de sa sœur.
Lorène a un frère aîné et une sœur plus jeune. Le père de Lorène décède accidentelle-
ment lorsqu’elle a un an et demi. La mère se mettra ensuite en ménage avec un homme
alcoolique et pervers qui imposera à Lorène et à sa sœur des rapprochements sexuels
réguliers. Sa mère décède lorsqu’elle a 13 ans d’une hémorragie cérébrale. Le frère aîné
assurera le reste de l’éducation des deux filles.
Lorène n’aura finalement pas d’enfant. L’inceste en constitue probablement le déter-
minant central. Le complexe de castration est central chez elle. Elle rêve de serpents, de
bijoux qu’elle vole à une petite fille. Le vitiligo se développe à partir des zones concernées
par l’effraction, l’intrusion.
™™ Lorsqu’il a 11 ans, Constantin subit des rapprochements sexuels (fellation) imposés
par deux copains, dont un avait du vitiligo. Celui de Constantin débutera au menton, puis
s’étendra aux mains, à la hanche droite, au sexe, à l’œil droit. Il craint que les gens, lorsqu’ils
voient son vitiligo, pensent qu’il est homosexuel. Il vit sa maladie comme une MST.
Il dit se faire avoir par tout le monde. Malgré ses 26 ans, il n’a eu de relations sexuelles
qu’avec des prostituées. Il est inhibé, va d’échec en échec, aussi bien d’un point de vue
relationnel que sur le plan professionnel.
™™ Lionel a toujours aimé ses mains, représentantes de la force, du pouvoir. Il y a cinq
ans, alors qu’il travaillait comme manutentionnaire dans une mairie, il subit la persécu-
456
Psychosomatique et dermatologie

tion de son supérieur hiérarchique. Le vitiligo apparut rapidement au niveau des mains.
Depuis, il les cache.
Atteinte d’une zone cutanée fortement investie au niveau érogène, narcissique ou
fonctionnel.

Conclusions de l’étude
Les traumatismes inducteurs sont caractéristiques : séparation, castration, intrusion,
persécution. La dimension sexuelle apparaît dans 75% des cas. Chez les deux hommes, on
repère des éléments interprétatifs et une homosexualité latente.
Ici aussi, les mécanismes de défense psychiques inconscients, pourtant assez consis-
tants, ne suffisent pas en endiguer l’impact traumatique. Un état de démentalisation
aigu s’instaure et le vitiligo apparaît dans les semaines qui suivent le trauma. Nous avons
repéré une séquence similaire dans les psoriasis et les pelades.
La lésion initiale affecte une région objet d’une fixation psychosomatique.
Lors du traumatisme, cette zone est concernée soit à un niveau réel, soit à un niveau
imaginaire.
On retrouve cette dimension, à des niveaux un peu moins spécifiques, dans l’eczéma
et le psoriasis.
Ici, contrairement à la cuirasse du psoriasis, s’installe un trou, un blanc, un vide de
pigmentation.

457
Chapitre 17

PSYCHOSOMATIQUE ET
GASTROENTÉROLOGIE

1. INTRODUCTION
Un regard porté sur les termes utilisés en médecine pour qualifier l’appareil digestif
n’est pas dénué d’intérêt car les différentes représentations qui s’y associent ne sont pas
sans conséquence sur l’imaginaire du soignant et du patient.
L’image spontanée qui découle du terme tube digestif est celle d’un tuyau dont les
caractéristiques anatomiques varient selon les étages, d’un récipient tortueux avec un
orifice d’entrée et un orifice de sortie. Cette représentation n’intègre pas les annexes du
tube, à savoir les glandes digestives, qui contribuent grandement à la digestion, pas plus
que la musculature lisse qui procède au péristaltisme, pas plus que sa vascularisation et
son innervation qui constituent une interface avec le reste du corps.
Cette représentation réduite constitutive de l’image du corps n’est pas sans rappeler,
comme nous l’avons vu, celle de l’appareil génital féminin, représentation marquée du
sceau du déficit, du manque, car excluant l’« en plus » qui n’est pas directement visible.
Tout organe et toute fonction marqués du sceau du déficit finissent tôt ou tard par être
connotée de vide et de passivité. Cette représentation récipiendaire se retrouve plus
particulièrement chez les enfants et les patients présentant des troubles des conduites
alimentaires. Elle est renforcée par la rigidité de certaines attitudes médicales, plus parti-
culièrement en matière de nutrition lorsque ne sont comptabilisées que les entrées et les
sorties, faisant peu cas des mécanismes métaboliques intimes et complexes, et donc des
facteurs psychosomatiques qui conditionnent la prise ou la perte de poids.
Plus dynamique est la connotation du terme tractus digestif. Il introduit à la fois une
notion de force, de mouvement, d’activité, de progression, à l’instar du terme traction,
et une notion temporelle que l’on retrouve dans les termes transit, transition, transitoire.
L’appareil digestif n’est plus un tube dénué d’activité, il devient autonome, vivant, en
mouvement, et c’est cette activité qui est perçue parfois au niveau de la somesthésie,
trahissant le silence du corps, point d’appel potentiel de la fixation hypocondriaque. Il ne
s’agit plus d’un ensemble topographique passif (conception topique) mais d’un système
organisé en mouvement, support d’un processus biologique inconscient orienté vers un
but (conception dynamique).
Le terme lumière digestive introduit quant à lui à la fois une notion scopique et une
notion d’extériorité. Il est surtout qualifié pour désigner l’endroit le plus obscur de
l’appareil digestif, l’intérieur de l’intestin : la lumière intestinale. Or, si la représentation
d’un intérieur ne fait aucun doute chez la plupart des sujets, sur un plan strictement
anatomofonctionnel, c’est de l’extérieur dont il s’agit. Ce que l’on croit être le dedans est
en fait le dehors. Le lieu où progressent les nutriments, qualifié d’ailleurs d’espace intra-
459
Traité de médecine psychosomatique

luminal, n’est qu’une véranda ouverte. Ici, les représentations médicales et les représen-
tations communes s’entrechoquent, entrent en discordance. La lumière au sens strict du
terme n’apparaît que sous l’effet de la fibroscopie ou de la chirurgie, ou bien lors du rêve.
L’appareil digestif est, avec la peau et le sommeil, un des trois premiers systèmes
fonctionnels à se rebeller chez le nourrisson lorsque le désordre psychosomatique s’ins-
taure. Chez l’adulte, il réagit systématiquement à chacune des émotions délétères de base,
colère, peur, tristesse, dégoût.
Comment peut-on, face à des pathologies digestives fonctionnelles chroniques
ou récurrentes, ne pas penser un seul instant à un codéterminisme émotionnel ou
inconscient ? Ce serait bien sûr une vaste et périlleuse entreprise que de s’attarder en
médecine générale sur la vie intérieure de chaque patient au moindre trouble digestif.
Les patients eux-mêmes se détourneraient d’une telle pérégrination. Il y a donc lieu
de diagnostiquer et de traiter, le plus simplement qui soit. En règle générale, les choses
s’amendent. Mais il y a des cas où elles traînent, s’amplifient, se compliquent, des cas
où des interventions chirurgicales s’imposent. Et puis, il y a les choses qui traînent sans
que l’on n’ait rien trouvé de particulier, ou bien des pathologies identifiées avec précision
sur lesquelles le traitement n’a que peu d’effet. À ce moment, se pose probablement la
question d’une investigation psychosomatique minimale.
Les trois temps successifs de l’investigation médicale classique ont été mis à mal durant
ces trois dernières décennies. L’entretien, qualifié d’interrogatoire médical, se réduit de
plus en plus souvent à une peau de chagrin et s’effectue de plus en plus au travers d’une
interface, l’écran de l’ordinateur, introduisant un tiers dont la fonction est d’exclure
toute subjectivité. L’examen physique devient secondaire, voire facultatif. En témoignent
certains diagnostics par téléphone, largement utilisés par les services d’urgence, qui, il n’y
a qu’une vingtaine d’années, auraient conduit le praticien devant les instances discipli-
naires professionnelles.
La paraclinique (examens biologiques et imagerie) s’est progressivement substituée
à ces deux temps de l’investigation. En gastroentérologie, il n’est pas rare qu’un appel
téléphonique pour une première consultation se solde en fait par un rendez-vous
immédiat pour une endoscopie. Car l’endoscopie est devenue l’expertise première. Elle
est incontournable, du simple point de vue juridique. On ne reprochera jamais à un
médecin de ne pas avoir interrogé ni examiné son patient, on lui reprochera, en cas de
lésion avérée, de ne pas avoir eu recours à cet examen. Ainsi, c’est par la lumière du fibros-
cope, elle-même projetée dans la lumière digestive, que la lumière de la vérité surgit.
Très loin de moi l’idée que l’imagerie (endoscopie, échographie, etc.) devrait retour-
ner dans l’obscurité qui l’a précédée. Elle permet de diagnostiquer et donc de traiter des
maladies indécelables par l’investigation médicale classique, maladies qui en d’autres
temps auraient connu une évolution fâcheuse si ce n’est catastrophique. Mais du fait des
conclusions binaires qu’elle suscite le plus souvent (tout ou rien), du fait de ses capacités
de discrimination anatomiques, elle met au rebut les deux premiers temps de l’inves-
tigation, qui constituent, notamment dans les pathologies digestives fonctionnelles de
l’adulte, un temps incontournable et précieux, particulièrement riche de renseignements
cliniques, au-delà de la « lumière digestive », comme nous allons le voir tout au long de
ce chapitre. Si l’imagerie a permis d’éviter des investigations plus agressives, d’établir des
diagnostics plus sûrs et plus rapides, d’effectuer des interventions moins traumatiques
460
Psychosomatique et gastroentérologie

et moins risquées, elle a aussi créé un imaginaire réduit, chez le médecin comme chez le
patient. Cet imaginaire n’est pas sans conséquences, lorsqu’une dimension de spectacle
(specula) s’y surajoute. Nous connaissons tous l’exemple de ces jeunes enfants conviés à
visionner sur écran géant l’échographie obstétricale de leur mère, persuadés que celle-ci a
mangé le petit frère ou la petite sœur. Un de mes maîtres se plaisait aussi à citer l’exemple
d’un patient auquel il avait été proposé, lors d’une fibroscopie gastrique, de regarder à
l’intérieur (extérieur ?) de lui-même. Il s’ensuivit une bouffée délirante.
™™ Carlos, 58 ans, a subi une cologastroscopie il y a deux mois. « Depuis, dit-il, il n’y
a plus rien ! » Dysfonction érectile totale, y compris nocturne. Deux rêves récurrents
se produisent depuis : soit il voit sa femme enceinte avec un ventre aux proportions
démesurées, soit il se promène à l’intérieur de son propre corps à la recherche d’un objet
qu’on lui aurait volé.

2. FONCTIONS PSYCHIQUES ET FONCTIONS DIGESTIVES


2-1. Appareil digestif et représentations inconscientes
Nous avons évoqué en introduction les représentations conscientes de l’appareil
digestif. Venons-en maintenant aux représentations inconscientes.
Si la partie la plus cryptique et la plus longue de l’appareil digestif, l’intestin grêle,
ne génère que très peu de sensations, hormis lors de certains pathologies, plus on se
rapproche des orifices d’entrée et de sortie, plus la somesthésie se manifeste. Et lorsqu’on
arrive à la porte d’entrée ou de sortie, la somesthésie se teinte d’érogénéité. L’érotisme oral
et l’érotisme anal dont parle la psychanalyse est le fait d’une programmation génétique
au service de l’espèce. Incorporation et exonération sont deux fonctions vitales pour la
survie de l’individu. Les signaux physiologiques qui les précèdent et les convoquent sont
là pour le rappeler. Le caractère érogène de ces fonctions est mystérieux. Il constitue
probablement un signal supplémentaire pour perpétuer ces fonctions.
Orifices initialement passifs chez le nouveau-né, puis très rapidement investis d’acti-
vité. C’est ainsi que la psychanalyse a distingué un stade oral passif marqué du sceau de la
dépendance puis un stade oral actif marqué du sceau de l’emprise et de la dévoration. Il
en est de même au niveau de l’analité, de l’avant et de l’après instauration de la maîtrise
sphinctérienne.
Sur le modèle oral de l’incorporation, de la dévoration et du manque, sur le modèle
anal de l’exonération et de la rétention, se construit – comme nous l’avons vu dans la
première partie de cet ouvrage (chap. VI, p. 129 à p. 135) – la trame du fonctionnement
psychique. L’introjection que l’on a pu qualifier de « digestion psychique » fonctionne
d’un point de vue dynamique et séquentiel sous le même mode que l’incorporation et la
digestion alimentaire. La maîtrise et le rejet selon le mode de la rétention et de l’expulsion
anale. Inversement, tout ce qui dans la vie d’un sujet portera atteinte à la relation d’objet
dans ses composantes psychiques orales (introjection, dépendance, investissement) ou
anale (maîtrise, possession, dépossession, séparation) pourra générer des rebuffades, si
ce n’est de la pathologie au niveau digestif. Ces relations métaphoriques peuvent être
étendues à l’ensemble des fonctions digestives et psychiques, et résumées selon le tableau
suivant.
461
Traité de médecine psychosomatique

Fonctionnement normal Dysfonctionnement

Appareil digestif Psychisme Appareil digestif Psychisme

Appétence Investissement de l’objet Inappétence Objet non investi

- Dysphagie
Échec de l’introjection
- Dyspepsie
Ingestion Introjection
Vomissement Projection

Anabolisme Mentalisation Dénutrition Démentalisation

- Rétention de l’objet
- Désinvestissement Constipation - Maîtrise
Élimination - Abandon de l’objet
Diarrhée Destruction de l’objet

Parallélisme entre fonctions psychiques et fonctions digestives

Une autre représentation, et pas des moindres, est la représentation cloacale de la


région pelvi-périnéale. Cette région aux limites floues, source de sensations de nature
et d’origine diverses, englobe, confondus, le génital, le bas appareil urinaire et le bas
appareil digestif, plus particulièrement – on le comprendra aisément – chez la petite
fille. Trouvant son origine dans une impossible discrimination spatiale, une impossible
distinction visuelle de ces trois systèmes et de leurs orifices plus ou moins confondus,
cette représentation infantile persiste très souvent dans l’inconscient tout au long de la
vie, plus particulièrement chez la femme. Toute atteinte physique, toute altération du
fonctionnement physiologique, toute représentation traumatique affectant un de ces
trois systèmes anatomofonctionnels produit un impact similaire sur les deux autres.
C’est ainsi qu’une atteinte du bas appareil digestif ou urinaire pourra être considé-
rée comme une atteinte génitale. C’est aussi une des raisons pour lesquelles dans les
suites d’une atteinte génitale réelle ou imaginaire (vécu de castration), des régressions
psychosomatiques urinaires ou digestives peuvent apparaître, instaurant selon les cas
des cystites, une constipation, des diarrhées, voire une pathologie inflammatoire intes-
tinale. Un pourcentage non négligeable de pathologies fonctionnelles intestinales,
mais aussi inflammatoires, s’origine dans un phénomène de régression sur des fixations
psychosomatiques au niveau des zones anatomofonctionnelles prégénitales, du simple
fait de mécanismes de défense délétères ou inopérants contre l’angoisse de castration.
™™ Paola présente des douleurs pelviennes en relation avec une névralgie pudendale
qu’elle décrit en termes de sensation de « couteau dans le vagin ». Les douleurs sont
survenues dans le contexte d’un transfert massif au cours d’une première psychothé-
rapie qu’elle avait engagée dans les suites d’une hystéro-ovariectomie particulièrement
traumatique qui jusqu’alors ne s’était pas accompagnée de séquelles douloureuses. En
même temps que les douleurs, avait surgi l’excitation sexuelle induite par le désir sexuel
à l’égard du précédent thérapeute, alors que notre patiente s’était toujours présentée
comme frigide. On repérera aisément la corrélation masochiste entre les deux types de
sensations.
462
Psychosomatique et gastroentérologie

L’excitation sexuelle était toutefois limitée à l’érogénéité clitoridienne, l’anérogénéité


vaginale étant totale. Cette érogénéité clitoridienne, réactivée sur le tard, existait toute-
fois dans l’enfance et était intriquée à l’érogénéité anale : Paola évoque les sensations
voluptueuse qu’elle ressentait vers 8 ans en mettant sa chemise de nuit entre les lèvres
vulvaires et au niveau de l’anus. Elle appelait ça « le couteau et la fourchette ». Couteau
dans le vagin, fourchette dans l’anus. « Si je me couchais sans l’avoir fait, je disais j’ai oublié
le couteau et la fourchette. » Les mots couteau et fourchette n’étaient pas associés à des
représentations de choses. On repérera l’analogie avec la description de ses douleurs.
Les séances successives révéleront un complexe de castration manifeste avec régres-
sion psychosomatique anale. Le vagin non investi d’un point de vue érogène est le siège
de douleurs (couteau) du fait même de cette absence d’investissement érogène (les rêves
érotiques génèrent d’ailleurs une sédation des douleurs).
Mais un autre élément se surajoute comme déterminant indispensable de la douleur,
c’est la dimension persécutoire, que nous avons souvent évoquée en abordant les algies
pelviennes. Cette dimension se retrouve à d’autres niveaux : enfant, elle avait peur que ses
parents l’empoisonnent, plainte portée contre le chirurgien, ambivalence avec ce premier
psy à la limite de l’érotomanie. La douleur est le produit à la fois de la répression et du
fantasme masochiste en relation avec un objet imaginaire qui la pénètre.
Les rêves attestent du complexe de castration et de la confusion entre la génitalité,
l’oralité et l’analité : « Je cherche des toilettes et ne les trouve pas. Je finis par les trouver.
Au moment où je défèque dans le trou, je me rends compte que ça tombe sur une table
où les gens sont en train de manger. » « Votre cabinet communique avec le cabinet de
mon ancien psy, il y a une entrée pour chaque cabinet, une par devant, une par derrière.
La communication est à l’intérieur. » « Je cache ma jupe rose avec une tunique noire et je
vois une fille qui n’a pas d’estomac. »

2-2. Symptômes digestifs et émotions


L’anatomie fonctionnelle du tube digestif distingue trois étages correspondant approxi-
mativement à trois séquences physiologiques successives : la digestion, l’absorption,
l’élimination. Ces séquences sont elles-mêmes fractionnées en étapes successives dans
lesquelles interviennent la motricité et les sécrétions : mastication et sécrétion salivaire,
déglutition, transport œsophagien, étape gastrique, sécrétion biliaire et pancréatique,
absorption (essentiellement par le jéjuno-iléon, et pour une part le colon proximal),
élimination. La motricité de l’ensemble du tube digestif et ses effets, le péristaltisme, et la
fermeture de certains sphincters sont sous la dépendance du système parasympathique.
La participation de la motricité volontaire n’existe qu’au niveau de la musculature striée
des muscles buccopharyngés, du sphincter supérieur de l’œsophage et du sphincter
anal. L’inhibition du parasympathique ou la stimulation de l’orthosympathique portent
atteinte à la motricité (ralentissement ou blocage du péristaltisme, retard de la vidange
gastrique, ouverture de certains sphincters, notamment le sphincter inférieur de l’œso-
phage), voire à certaines sécrétions, comme la sécrétion salivaire.
C’est dire que le fonctionnement digestif harmonieux est mis à mal chaque fois que le
parasympathique est inhibé ou que l’orthosympathique est stimulé. C’est le cas lorsque
surgissent les émotions délétères (colère, peur, tristesse, dégoût), surtout lorsqu’elles sont
réprimées et ne font pas l’objet d’une décharge motrice. Pourquoi ces quatre émotions
463
Traité de médecine psychosomatique

de base paralyseraient-elles le fonctionnement digestif ? Il semblerait que, compte tenu


de leur destinée, l’adaptation, le combat, la fuite, la préservation de la vie, elles mobilisent
une énergie intense, énergie qui ne saurait continuer à être utilisée, le temps du combat,
par le système digestif. Le sympathique détourne le sang vers le cerveau et les muscles
squelettiques (facilitation de la vigilance et de la fuite) au détriment du système digestif :
il « ferme le lit vasculaire aux viscères ».

Manifestations digestives des émotions de base


Colère
Elles n’apparaissent que dans 24% des cas : elles se limitent essentiellement à une
spasmodicité gastrique (« boule à l’estomac », « nœud », « élancement »).
Peur
Les manifestations digestives sont immédiates dès l’immersion dans les représenta-
tions traumatiques. Ce sont des manifestations gastro-œsophagiennes spasmodiques
soudaines. Elles sont de courte durée (moins d’une minute), immédiatement suivies de
manifestations cardiovasculaires. Il s’agit de toute évidence des effets d’un choc de type
adrénergique. Quant à l’asialie, elle est aussi le témoin d’une activation du système ortho-
sympathique.
Ajoutons que l’expérimentation animale en situation de peur génère systématique-
ment une accélération du transit colique et une défécation.
Tristesse
Les manifestations digestives se retrouvent dans 50% des cas.
Elles se traduisent par :
––une spasmodicité œsophagienne haute (39%) : striction pharyngée, difficulté à
déglutir, « boule ou nœud à la gorge » ;
––une spasmodicité gastrique (46%) : tension, striction au creux épigastrique, « boule »
à l’estomac, brûlure épigastrique ;
––plus rarement, tension abdominale diffuse (10%) ;
––parfois, une hypersialorrhée (7%).
Dégoût
Le dégoût génère des manifestations digestives constantes :
––nausées (31%) ;
––spasmodicité gastrique (18%) : striction, gêne, « nœud » épigastrique ;
––spasmodicité œsophagienne haute (25%) : striction pharyngée, spasme de la glotte,
blocage à la déglutition, éructation ;
––hypersialorrhée (18%).
On repère ici une sthénicité digestive plus importante que dans les autres émotions. Si
dans celles-ci le haut appareil semble être le fait d’une sidération, dans le dégoût il existe
en outre un rétro-péristaltisme traduisant un mécanisme actif de rejet.

464
Psychosomatique et gastroentérologie

Synthèse
Manifestations Sécrétion salivaire Déglutition - Œsophage Estomac Transit
digestives

Colère 24% Spasmodicité


gastrique
Peur 33% Asialie Reflux Spasmodicité - Accélération
gastro-œsophagien gastrique du transit
- Diarrhée
Tristesse 50% Hypersialorrhée - Spasmodicité œsopha- Spasmodicité
gienne gastrique
- Striction pharyngée
- Dysphagie
Dégoût 100% Hypersialorrhée - Déglutition impossible Spasmodicité
- Réflexe nauséeux gastrique

Manifestations digestives de quatre émotions de base

Effets thérapeutiques de la joie


La stimulation parasympathique qui accompagne la joie a un effet bénéfique dans
toutes les manifestations digestives de nature spasmodique induites par une hypersym-
pathicotonie.

Émotions composites et états affectifs élaborés


Manifestations digestives de l’anxiété
Les symptômes digestifs du trouble d’anxiété généralisée et du trouble panique sont
les suivants : asialie, striction pharyngée (nœud, boule pharyngés, dysphagie), nausées,
reflux gastro-œsophagien, striction épigastrique (nœud, boule, douleur épigastriques),
tension abdominale, diarrhée.
™™ Thérèse, 56 ans, est clouée chez elle depuis six ans pour soigner son mari graba-
taire. Il y a deux mois, elle a accepté non sans angoisse de programmer une semaine de
vacances seule avec des amis à l’étranger. Depuis, sont apparues une dysphagie et des
douleurs thoraciques nocturnes en relation avec une spasmodicité œsophagienne.
™™ Adel, 36 ans, présente depuis deux mois une dysphagie, une inappétence, une
crainte de s’étouffer en mangeant, ayant induit une restriction alimentaire et une perte de
poids de 10 kg. Il est persuadé d’avoir une lésion œsophagienne. L’investigation révélera
deux facteurs traumatiques : emprise de son épouse, emprise de ses collègues de travail.
Il se sent coincé, surtout depuis que le couple a acheté une maison. Ce vécu de privation
de liberté le renvoie à un vécu similaire en période pubertaire, s’originant alors dans la
coercition paternelle. Or, le père était atteint à cette époque d’un cancer du larynx, ce qui
généra beaucoup d’angoisse chez Adel.
™™ Loïc, 15 ans, présente depuis quatre ans, date de son entrée en sixième, des douleurs
abdominales, accompagnées de ballonnements, atténuées transitoirement par la déféca-
tion, sans trouble du transit, survenant par crises quotidiennes uniquement en période
465
Traité de médecine psychosomatique

de scolarité, le matin, vingt minutes après le lever, se prolongeant lors du trajet scolaire
et cédant au bout de deux heures. L’investigation révélera une anxiété de performance
scolaire majeure, sous-tendue par une attitude exigeante et dévalorisante de son père.
Manifestations digestives de la dépression
Les deux syndromes qui caractérisent la dépression, le trouble de l’humeur et le
syndrome d’inhibition, sont respectivement sous-tendus par deux émotions de base : la
tristesse et le dégoût. Par ailleurs, dans toute dépression, l’agressivité, dont la plus grande
partie est retournée contre le sujet, joue un rôle central. De fait, une troisième émotion
de base sous-tend le processus, la colère.

Tristesse Dégoût

Altération de l’humeur Inhibition

Auto-agressivité

Émotions de base et dépression

Ce n’est que dans les dépressions avec anxiété qu’apparaît le rôle de la peur. L’approche
clinique doit établir une discrimination entre les signes somatiques induits par l’anxiété
et ceux induits par la dépression proprement dite.
™™ Paulin n’a « pas le moral, pas le goût, se sent vidé ». Il présente des myalgies, des
céphalées, des douleurs scapulaires, une asthénie matinale, une somnolence, une inappé-
tence, un état saburral des voies digestives, une boule au ventre, une asialie (composante
de peur) depuis cinq ans. Son père, auquel il était particulièrement attaché, est décédé il
y a un an d’un cancer. Depuis, il a peur d’avoir une maladie similaire.
Il semble exister peu de troubles digestifs dans les dépressions purement mentales,
c’est-à-dire les dépressions faisant l’objet d’une élaboration psychique suffisante. Par
contre, ces troubles deviennent très fréquents, parfois au premier plan, lorsque la
démentalisation abrase la clinique mentale, ce qui est le cas de la majorité des dépres-
sions depuis quelques décennies. Ce sont essentiellement des troubles spasmodiques, un
ralentissement du péristaltisme et des désordres sécrétoires.
Hypocondrie et symptômes digestifs
La référence digestive de l’hypocondrie apparaît dès l’apparition du terme, au ive siècle
av. J.-C., sous le stylet de Dioscles de Caryste, en tant qu’entité morbide spécifique diffé-
rente de la mélancolie. Toutes deux sont attribuées à un excès et une stagnation de bile
noire. Hippocrate puis Galien considèrent l’hypocondrie comme une entité morbide
alliant une atteinte viscérale spécifique (initialement douleur située au niveau de l’hypo-
chondre droit) à une atteinte psychique faite de tristesse et d’une crainte durables.
466
Psychosomatique et gastroentérologie

Synthèse
Émotions de base Vécu affectif
Colère Peur Tristesse Dégoût Anxiété Dépression
Asialie + +
Hypersialorrhée + + +
Nausées ++ + +
Dysphagie + ++ + +
« Boule » à la gorge + + +
RGO + +
« Nœud » à l’estomac + + + + + +
Gastralgie + + + +
Diarrhée + +
Constipation +

Désordres émotionnels sous-jacents aux manifestations digestives


La préoccupation, la fixation et la plainte hypocondriaques partent toujours d’une sensa-
tion corporelle en relation avec des phénomènes physiologiques ou physiopathologiques
réels (Pongy, L’hypocondrie). Parmi ceux-ci, les manifestations digestives normales
ou pathologiques occupent la première place : de la plus minime sensation liée à une
digestion normale venant troubler le silence du corps, aux somatisations fonctionnelles
n’ayant pas fait l’objet d’une reconnaissance clinique, en passant par le riche cortège des
signes digestifs induits par les émotions de base. L’anxiété et la dépression augmentent de
surcroit les perceptions internes au détriment des perceptions externes.

HYPOCONDRIE PHOBIE

Objet interne Objet externe

Enveloppe corporelle

Le déplacement sur l’objet interne dans l’hypocondrie

3. PATHOLOGIES GASTRO-ŒSOPHAGIENNES
3-1. Reflux gastro-œsophagien
À l’état de repos, la fermeture du sphincter inférieur de l’œsophage et la haute pression
de la partie inférieure de celui-ci, liée à la contraction tonique des muscles lisses de la paroi
et de celle du diaphragme crural, évitent le reflux du contenu de l’estomac. Ces phéno-
mènes sont sous la dépendance du tonus parasympathique. Des relaxations spontanées
467
Traité de médecine psychosomatique

de ces structures musculaires sous l’effet d’une baisse du tonus parasympathique ou d’une
stimulation orthosympatique peuvent induire un reflux gastro-œsophagien (RGO).
Celui-ci se manifeste de diverses façons : brûlures rétro-sternales, pyrosis, régurgita-
tions acides, œsophagite, douleurs épigastriques ou thoraciques, toux. Des complications
pharyngées, gingivales ou respiratoires peuvent apparaître.

Étude personnelle
Étude de 2010 : 9 observations.
Les facteurs traumatiques résident en des situations anxiogènes, insécurisantes, sans
issue apparente, dans lesquelles on retrouve souvent la conjonction de difficultés profes-
sionnelles et privées.
Le vécu, sous-tendu par une conflictualité évidente chez les sujets mentalisés, est celui
d’une lutte hyposthénique et résignée se limitant à une certaine forme de rumination.
L’état affectif composite que l’on repère est de type anxiodépressif.
Chez les sujets plus opératoires, les symptômes ne font l’objet d’aucune qualification
et il est difficile pour eux de les mettre en relation avec un état affectif spécifique, si ce
n’est un état de tension généré par la situation traumatique.
™™ Hugo présente un RGO depuis un accident de moto qui lui a laissé des séquelles
douloureuses. Des difficultés financières plus récentes ont aggravé la pathologie. La limita-
tion de l’activité motrice et les dettes qu’il a contractées génèrent chez lui une tension
résignée et des troubles du sommeil. Il n’existe pas d’expression affective particulière et
les représentations se limitent à une pensée opératoire et une interprétation mécanique
de ses difficultés.
™™ Alban, 44 ans, présente un RGO depuis deux ans et demi, dans un contexte d’ins-
tance de divorce et de difficultés d’adaptation à son nouveau poste de travail. Face à
l’agression et aux exigences des autres, il s’incline, se soumet, se remet en question, et
finit par adhérer aux demandes. Sa passivité foncière est en relation avec une agressivité
phallique tellement coupable qu’elle s’en est éteinte.

3-2. Symptômes gastriques
Étude de 2010 : 48 observations.
J’ai distingué quatre niveaux symptomatiques selon la nature du ressenti et de l’atteinte
fonctionnelle : la sensation de striction gastrique, la gastralgie, la sensation de brûlure, la
gastrite.
La striction gastrique
Elle est exprimée par le patient en termes de « boule », « nœud » ou « creux » à l’estomac.
Au niveau des émotions de base, la répression de l’agressivité, la peur, la tristesse jouent
un rôle central.
Les vécus affectifs composites se répartissent ainsi :
––anxiété : 60%. L’inhibition névrotique est fréquente ;
––anxiodépression : 25% 
––dépression : 15%.
™™ Marjorie, 22 ans, se plaint d’un « nœud à l’estomac » permanent. Elle consulte suite
à la rupture d’une relation de quatre ans, difficile et peu satisfaisante. Elle se sent très
468
Psychosomatique et gastroentérologie

culpabilisée de sortir avec d’autres hommes et décrit une tension interne majeure, un
état d’inquiétude et de malaise latent. L’inhibition se manifestait déjà dans l’enfance où
elle s’interdisait de jouer pour ne pas laisser sa mère aux prises avec son père qui était
violent.
Gastralgie
Elle est exprimée par le patient en termes de douleur ou de « crampe » à l’estomac.
On retrouve à peu près les mêmes déterminants que ceux du « nœud à l’estomac »,
mais la symptomatologie paraît plus sthénique, témoignant d’une plus forte intensité de
la répression, plus particulièrement de l’agressivité. L’inhibition névrotique est plus rare.
Les émotions composites qui sous-tendent la pathologie se répartissent ainsi :
––angoisse : 62%
––anxiodépression : 25%
––dépression : 12,5%.
™™ Béatrice présentait des douleurs gastriques depuis cinq mois, aggravées par les
repas, ayant progressivement abouti à une intolérance alimentaire progressive et une
perte de poids de 10 kg. La première endoscopie révéla une mycose gastro-œsophagienne
qui fut traitée par antimycosiques. La mycose disparut mais les douleurs persistèrent. Une
deuxième endoscopie fut alors réalisée deux mois après, révélant l’existence de polypes
au niveau de l’estomac et de l’œsophage, polypes dont l’ablation fut réalisée lors de
l’examen. Un mois après, les douleurs persistaient toujours et il fut évoqué la probabi-
lité d’adhérences ou d’une « boule de graisse entre l’estomac et le foie ». L’investigation
psychosomatique révéla un vécu de colère et de tristesse réprimées, en relation avec la
trahison de son conjoint il y a cinq mois, conjoint à l’égard duquel elle continuait d’entre-
tenir une relation de dépendance masochiste majeure. Un traitement transitoire par
sulpiride et quelques entretiens psychothérapiques vinrent rapidement à bout de ses
symptômes.
Brûlures d’estomac
Les émotions composites se répartissent ainsi :
––angoisse : 12%
––anxiodépression : 76%
––dépression : 12%.
L’élément dépressif est aussi important que l’élément anxieux. La tristesse joue un rôle
aussi important que la répression de l’agressivité.
™™ Nora présente des brûlures d’estomac depuis deux ans, date de la séparation d’avec
son mari. Depuis un an, le harcèlement de celui-ci, les diverses perturbations induites par
son divorce houleux, la culpabilité d’avoir entamé une nouvelle relation, génèrent un état
dépressivo-anxieux.
Gastrite
Les vécus affectifs composites sont les suivants :
––anxiodépression : 66%
––dépression : 33%.
La dépression devient centrale, l’agressivité non extériorisée se retourne contre le sujet.
469
Traité de médecine psychosomatique

™™ Lucienne, 67 ans, souffre d’une gastrite depuis dix ans, date du décès de son mari.
Pessimisme, préoccupations hypocondriaques, éléments mélancoliques, sentiment diffus
de précarité et d’échec, rancœur peu exprimée à l’égard de sa fille qui vit avec elle dans
une relation symbiotique et ambivalente et souffre des mêmes symptômes.
Synthèse
La composante motrice semble dominer dans la lutte, la composante sécrétoire dans
la défaite.
Anxiété Anxio-dépression Dépression
100

80

60

40

20

0
Striction, gastralgie Brûlures, gastrite

LUTTE DÉFAITE

Caractéristique sthénique de la réaction adaptative


dans les manifestations digestives

Les différentes manifestations que nous venons d’étudier – striction thoracique,


gastralgie, brûlures d’estomac, gastrite – sont liées à la répression des émotions et à la
démentalisation. Il ne semble pas exister de fixation psychosomatique préexistante, mais
plutôt un mode réactionnel psychosomatique privilégié, finissant par s’autonomiser
lors de situations aspécifiques. Tout sujet peut développer ce type de symptomatolo-
gie, quelles que soient son histoire et son organisation psychique. Tout au plus, on peut
envisager un conditionnement précoce, très archaïque, venu renforcer le déterminisme
phylogénétique.

3-3. Nausées et vomissements
Étude de 2010 : 15 observations.
Les patients que nous avons sélectionnés présentent des nausées, associées à des
vomissements dans 50% des cas, le plus souvent sans autre signe digestif associé.
La pathologie est en relation soit avec un vécu dépressif ou dépressivo-anxieux (50%
des cas), soit avec une organisation psychique névrotique (50% des cas).
Lorsque la dynamique est de type dépressif ou dépressivo-anxieux, l’inhibition prédo-
mine sur la tristesse dans 80% des cas. Cette inhibition se manifeste par un retrait, un repli
sur soi, un désintérêt, un désinvestissement, une inappétence instinctivo-pulsionnelle.
L’émotion dégoût sous-tend la pathologie.
470
Psychosomatique et gastroentérologie

Lorsque l’organisation psychique sous-tend la pathologie, elle est soit de type phobique
(37%,) soit caractérisée par une inhibition névrotique (13%). Les sujets sont en général
plus jeunes (de 15 à 35 ans).
Lorsque la problématique phobique domine, les symptômes sont francs : nausées et
vomissements apparaissant uniquement en présence de l’objet phobogène : travail, école,
groupe social, lieux publics. Les mécanismes de défense sont de l’ordre de l’évitement ou
du rejet actif de l’objet.
™™ Sophie, 36 ans, présente des nausées depuis l’âge de 15 ans, dans les suites de
son premier flirt. Ce phénomène apparaît principalement lorsqu’elle doit se mettre en
avant. On peut noter une période d’accalmie à l’université pendant qu’elle fréquentait
son fiancé qu’elle devait épouser. Actuellement, elle est enseignante et a entamé paral-
lèlement des études de médecine qu’elle vit comme un calvaire, souffrant de nausées
pendant les cours. Elle souffre aussi de claustrophobie et d’agoraphobie. Elle pleure et
a des nausées chaque fois qu’elle doit parler en public. Elle a développé récemment une
peur que ses nausées se voient et met fréquemment en place des attitudes d’évitement
lors des déplacements, des obligations sociales (aller chez le coiffeur, prendre la parole en
réunion, etc.).
Lorsque l’inhibition névrotique prédomine, les circonstances de déclenchement sont
moins précises, relativement indépendantes du contexte, mais plutôt en relation avec
une appréhension générale du monde extérieur. Les symptômes sont plus étalés dans le
temps et moins intenses : état nauséeux sans vomissement. Le désinvestissement ou la
fuite de l’objet constituent les modalités défensives prévalentes.
™™ Capucine présente des nausées depuis qu’une amie lui a révélé avoir été victime
de sévices sexuels. Des réminiscences brutales ont alors surgi : les propres assauts sexuels
que lui avait imposés son grand-père entre 8 et 12 ans, les douleurs abdominales dont
elle souffrait durant ces années-là, et l’événement qui mit un terme à ces pratiques :
révélation par le grand-père en question que son fils, c’est-à-dire le père de Capucine,
n’était pas son géniteur. Le dernier assaut qui s’ensuivit généra chez Capucine un état de
démentalisation traumatique. Elle souffrait depuis toujours de frigidité totale : l’image du
grand-père apparaissait lors des relations sexuelles, mais totalement neutralisée, le souve-
nir des agressions ayant disparu. La confidence de son amie eut un effet rementalisant
subit mais parcellaire : elle se mit alors à rêver du grand-père, fut en proie à des hallucina-
tions olfactives qui la réveillèrent la nuit et c’est ainsi que les nausées s’installèrent.
Il s’agit encore une fois, du point de vue des émotions de base, de manifestations
sous-tendues par le dégoût. Par ailleurs, dans les deux groupes, l’agressivité extériorisée
est absente.
Une place à part doit être faite aux vomissements gravidiques. Ils débutent soit dès
le début de la grossesse, soit de manière différée. Certaines de nos patientes ont vomi
lorsqu’elles ont appris leur état de grossesse, d’autres avant de le savoir, d’autres de
manière plus tardive.
L’angoisse est constante, peu mentalisée, accompagnée dans un tiers des cas d’autres
manifestations somatiques : douleurs abdominales, vertiges, oppression thoracique. L’agita-
tion se retrouve dans 15% des cas, essentiellement chez des patientes d’origine maghrébine.
471
Traité de médecine psychosomatique

La relation à l’objet semble être au centre de la pathologie. Elle est de type allergique,
traduisant au départ un rejet inconscient de la grossesse. Dans ce contexte, des manifes-
tations phobiques peuvent apparaître. Des éléments conversionnels sont relevés dans
15% des cas.
Des éléments dépressifs avec céphalées fréquentes se retrouvent aussi dans 15% des
cas.

3-4. Ulcère gastroduodénal
La découverte il y a une vingtaine d’années du rôle d’Helicobacter pylori dans la genèse
des ulcères et le traitement de ceux-ci par l’antibiothérapie ont permis de juguler avec
succès cette pathologie qui constituait la cible de choix des études en psychosomatique.
De fait, nos études personnelles, faute de patients, sont très limitées. Faut-il s’en attrister ?
Certainement pas. Le but de la médecine, fût-elle psychosomatique, est la guérison des
patients. J’ai donc réuni seulement sept observations d’ulcère gastroduodénal qui ont
permis d’avancer ou de confirmer certains déterminants dans la genèse de la pathologie.
Les traumatismes sont à type de perte, de dépossession (décès, échec professionnel,
perte de liberté, etc.). L’agressivité est réprimée et retournée contre le sujet. La tristesse
est fréquente mais non systématique, car elle est aussi largement réprimée. La peur et le
dégoût n’entrent pas en jeu. C’est une défaite acceptée passivement.
L’ulcère gastroduodénal figure parmi les quatre réactions somatiques les plus
fréquentes qui apparaissent dans les suites du sevrage d’une addiction, les autres étant
les pathologies allergiques, l’épilepsie et le psoriasis (Pirlot, Le trauma psychique « pré-psy-
chique » et les pathologies somatiques post-abstinence). Il apparaît en moyenne trois mois
après le sevrage.
L’efficacité du traitement antibiotique de l’ulcère n’exclut en rien les facteurs et la réacti-
vité traumatiques, pas plus que la nécessité d’un abord psychosomatique du patient lors
de l’apparition de sa pathologie, du simple fait que le désordre économique induit par
les facteurs traumatiques n’en disparaît pas pour autant avec le traitement, par ailleurs
nécessaire. Il semblerait qu’il se déplace. Je citerai, entre autres, le cas d’une patiente qui
dès la disparition de son ulcère, sous l’effet du traitement, prit progressivement 13 kg en
cinq mois sans changer son mode d’alimentation.

4. LES TROUBLES FONCTIONNELS INTESTINAUX


4-1. Généralités
Les troubles fonctionnels intestinaux (TFI), ou colopathie spasmodique, ou encore
intestin irritable, sont caractérisés par des expressions cliniques variables et disparates
d’un point de vue symptomatique, la pauvreté des signes cliniques d’examen, l’absence
de signe apporté par l’endoscopie, l’imagerie et la biologie, ainsi que par le flou qui carac-
térise l’étiopathogénie.
C’est dire que leur diagnostic est souvent un diagnostic d’élimination ou, dans le
meilleur des cas, un diagnostic issu du recueil des signes fonctionnels lors de l’interroga-
toire, interrogatoire qui gagnerait à se muer en investigation psychosomatique minimale
au cabinet du praticien.
472
Psychosomatique et gastroentérologie

La description clinique suivante est inspirée de J. Freixinos (Hépato-gastro-entérologie).


Le terme de troubles fonctionnels intestinaux désigne l’existence, l’association ou l’alter-
nance de trois symptômes : douleurs, ballonnements et anomalies du transit, qu’il s’agisse
de diarrhée, de constipation ou d’alternance des deux.
La douleur est le signe le plus fréquemment retrouvé. C’est elle qui, avec la diarrhée,
est le symptôme qui décide le plus souvent le malade à consulter. Classiquement à type
de contraction, de spasme, parfois de tension intolérable, elle siège habituellement au
niveau des fosses iliaques droites ou gauches ou dans la région hypogastrique. Elle peut
également se localiser aux hypocondres (syndrome de l’angle colique droit ou gauche),
dessiner le trajet du cadre colique, irradier en arrière ou vers les cuisses, ou encore en barre
dans la région ombilicale. Elle survient habituellement en période postprandiale mais
peut aussi être matinale (douleur réveille-matin), plus rarement nocturne. Elle évolue
pendant un temps variable, de quelques heures à quelques jours, soulagée classiquement
par l’émission de gaz ou de selles, augmentée par les repas copieux, le stress, l’anxiété, la
fatigue physique, améliorée enfin par la détente, le repos, les vacances.
Les ballonnements abdominaux sont très fréquents. Ils peuvent être généralisés à tout
l’abdomen, ou localisés à un angle colique, allant de la simple gêne postprandiale (et de
la nécessité de desserrer la ceinture) à une distension douloureuse très violente souvent
renforcée par une sensation d’angoisse insupportable. On peut les considérer comme un
équivalent de la douleur, dans bien des cas la distinction entre les deux symptômes n’étant
pas toujours facile à faire. Contrairement aux hypothèses pathogéniques classiques, ils ne
sont pas toujours synonymes de fermentations excessives et d’augmentation du volume
gazeux intestinal.
Les troubles du transit sont variables selon les différentes formes cliniques :
––constipation plus ou moins douloureuse, pouvant être entrecoupée de débâcles
de fausse diarrhée spontanée (hypersécrétion réactionnelle à la stase fécale) ou de
débâcle après la prise de laxatifs ;
––alternance véritable de périodes de diarrhée et de constipation ;
––diarrhée indolore à prédominance matinale ou postprandiale, avec parfois inconti-
nence ;
––besoins urgents ;
––plus rarement, émission de ruban de mucus (colite muco-membraneuse).
Les symptômes sont soulagés par la défécation ou l’émission de gaz.
À côté de ces trois plaintes fondamentales, il peut exister très souvent d’autres manifes-
tions digestives (nausées et vomissements, dyspepsie et dysphagie, RGO, mauvaise
haleine, éructations, flatulence, borborygmes, prurit anal, proctalgies fugaces), extra-di-
gestives (asthénie, migraines, palpitations, cystalgies) ou mentales (anxiété, dépression).
L’examen clinique est le plus souvent pauvre, la palpation de l’abdomen pouvant
déclencher une douleur à un niveau quelconque du cadre colique, retrouver un caecum
gargouillant et sensible ou une corde sigmoïdienne douloureuse.
Le diagnostic ne peut être évoqué que sur un faisceau d’arguments au premier rang
desquels figure la chronicité des troubles évoluant au minimum depuis plus de six mois
et l’absence évidente d’altération de l’état général, en particulier de tout amaigrissement.
473
Traité de médecine psychosomatique

Dans la majorité des cas, les symptômes évoluent sur un mode intermittent avec des
périodes de crise, déclenchées parfois par des facteurs apparents d’ordre psychologique
(tensions affectives), professionnel ou social.
La pression des malades amène ici le médecin à demander trop souvent des examens
complémentaires non justifiés, débouchant sur des pathologies latentes mais conduisant
aussi à des thérapeutiques inutiles et inadaptées (cholécystectomies, appendicectomies,
interventions gynécologiques, etc.) multipliant les risques iatrogènes, ne solutionnant
pas les troubles, parfois les aggravant.
La pathogénie centrale des TFI est classiquement rapportée à l’existence de troubles
moteurs coliques le plus souvent d’origine spasmodique, de troubles de la sécrétion
colique et de la sensibilité viscérale. La responsabilité de troubles intestinaux au niveau
du grêle a été également suggérée.
La question du régime est une des premières que pose le patient. Le rôle des intolé-
rances alimentaires est extrêmement difficile à évaluer. Généralement, mise à part l’exclu-
sion de nutriments trop fermentescibles (légumes secs, crucifères), aucun régime ne doit
être recommandé à ces patients qui ont spontanément tendance à se restreindre en
aliments «  ballast ».
L’étude personnelle qui suit a été réalisée en 2010 à partir 93 observations de troubles
fonctionnels intestinaux. J’ai choisi de scinder les tableaux cliniques en trois regroupe-
ments : constipation fonctionnelle exclusive, diarrhée fonctionnelle exclusive, colopathie
spasmodique dans laquelle coexistent douleurs, ballonnements et troubles du transit
variables.

4-2. Constipation fonctionnelle
Étude à partir de 12 observations.
L’analyse des observations met en avant une symptomatologie et une problématique
différente entre les hommes (4 cas) et les femmes (8 cas). Dans 38% des cas, la constipa-
tion s’est installée dans l’enfance.
Constipation chez l’homme
Il s’agit d’une constipation atonique. Dans la moitié des cas, la pathologie est apparue à
l’âge adulte, au décours d’événements traumatiques. Chez les autres sujets, la pathologie
existait dans l’enfance et les événements traumatiques survenus à l’âge adulte n’ont fait
que l’aggraver.
Ces événements sont des pertes.
L’état dépressif est constant.
Du point de vue du fonctionnement psychique, on repère des traits de caractère
obsessionnels psychasthéniques. Les défenses à type de contrôle et de maîtrise semblent
déficitaires ou en échec.
Il existe une angoisse structurale de séparation.
™™ Jean, âgé de 63 ans, a toujours eu une tendance à la constipation et a déjà souffert
de deux dépressions (première dépression il y a quatorze ans, suite à un déboire profes-
sionnel ; deuxième dépression lors de sa mise en retraite). Il présente, à nouveau, un état
dépressif depuis la perte de son chien. Cet animal avait été adopté lors de sa première
dépression. À la mort de ce compagnon, se mit en place une constipation atonique qui
474
Psychosomatique et gastroentérologie

provoqua un fécalome suivi d’une fissure anale qui persiste toujours. Il manifeste une
profonde tristesse et a toujours fait preuve d’une hypersensibilité. Il présente également
des traits hypocondriaques et abandonniques. Son discours est coloré d’affects, les
souvenirs et les représentations sont riches. Les traits de caractère obsessionnels sont
atoniques, induits par l’analité et la dimension psychasthénique : ruminations, procras-
tination, doute, inhibition instinctivo-pulsionnelle. La dimension sthénique de maîtrise
est absente.
Constipation chez la femme
Il s’agit soit de constipation chronique isolée avec antécédent de constipation infan-
tile (40% des cas), soit de périodes de constipation sur colopathie spasmodique (5 cas).
Dans la moitié des cas, il existe d’autres pathologies somatiques associées : pathologies de
la répression (syndromes douloureux, céphalées) ou bien autres pathologies pelviennes
(infections urinaires).
Les facteurs traumatiques sont souvent en relation avec les aléas de la vie génitale.
La démentalisation est beaucoup plus importante que chez les hommes et, dans les
cas où il existe d’autres pathologies associées, la répression de l’agressivité est intense.
L’anxiété isolée (65%) est plus fréquente que l’anxiodépression (35%), la dimension
sthénique de lutte plus importante que chez l’homme.
L’angoisse ou le vécu de castration apparaissent comme des déterminants constants.
Elle peut prendre deux formes, soit une angoisse d’intrusion (pénétration), soit une
angoisse de mutilation.
L’angoisse de pénétration et d’intrusion se retrouve dans 37% des cas. Dans ces derniers
cas, le regard du père joue un rôle central. L’analité n’est pas au premier plan. Le fonction-
nement est plutôt de type phobique. L’affect est exprimé.
™™ Bérangère, 36 ans, présente des douleurs abdominales et une constipation impor-
tante aggravée depuis la naissance de son deuxième enfant il y a trois ans. L’accouchement,
par forceps, lui avait laissé l’impression d’être mutilée. Cette constipation chronique est
également augmentée lorsqu’elle est confrontée à un événement stressant ou lorsqu’elle
a ses règles. Elle est tendue, angoissée, et pleure souvent, surtout depuis le décès de son
père il y a un an. Sur le plan économique, on ne note pas de répression de l’agressivité, le
discours de cette patiente est bien mentalisé. Elle évoque ses rêves, ses souvenirs, et ses
associations sont fluides. Elle paraît évoluer dans une dynamique de lutte sans mettre
pour autant en place des mécanismes de contrôle. On ne note pas chez elle de fixation
anale et elle investira bien le travail psychothérapique. Sur le plan psychique, il existe
une forte angoisse de castration et d’intrusion qui sous-tend toute la problématique.
Cette angoisse apparaît tôt dans l’enfance, enfance où les symptômes de constipation
étaient déjà présents. Elle a grandi dans un milieu violent où le père buvait beaucoup et
se montrait tyrannique avec sa femme et ses filles. À l’âge de 14 ans, elle avait assisté à une
scène particulièrement dure où il s’était coupé la main et avait obligé sa mère à boire son
sang. Il faisait également surveiller ses filles à l’école et avait imposé des relations sexuelles
à la sœur aînée. À l’adolescence, il tenta en vain de réitérer son forfait à l’encontre de
Bérangère. Elle passa donc toute son enfance et son adolescence dans un état de tension
extrême, craignant mais aussi recherchant le regard de ce père dont elle devait se proté-
ger. L’exploration de la fantasmatique sexuelle révèle un fantasme récurrent sadoma-
475
Traité de médecine psychosomatique

sochiste (renversement en son contraire) : s’identifiant à un homme, elle imagine des


femmes violées avec les doigts. De son second accouchement, elle dira : « On m’a cassé le
vagin. » Chez cette patiente, la constipation semble être une défense contre les angoisses
d’intrusion et de castration massives.
L’angoisse de mutilation (castration phallique), d’éviscération ou de dépossession,
apparaît dans 63% des cas. L’analité y est constante et s’accompagne d’une intense
activité de maîtrise (lutte). L’affect est moins apparent et le plus souvent englobé dans
les défenses de caractère.
™™ Audrey, 25 ans, souffre d’une constipation ancienne accompagnée de crises de
douleurs abdominopelviennes, aggravée depuis un an et demi, dans les suites d’une
fausse couche et de la découverte chez sa tante d’un cancer gynécologique. Elle présente
aussi des infections urinaires depuis l’âge de 18 ans, ainsi que des céphalées et une tension
cervicale. Cette patiente se présente comme une personne anxieuse, irritable, perfec-
tionniste, dotée d’un sens aigu du devoir. La mentalisation est déficitaire, la répression
de l’agressivité manifeste. L’angoisse de castration est manifeste (rêves récurrents où elle
perd ses dents). Elle se défend contre la perte par des attitudes de contrôle et de maîtrise
attestant d’une fixation anale sthénique. Lorsque ce système défensif est dépassé lors de
la confrontation à des pertes ou menaces de perte réelle, la constipation s’aggrave.
™™ Jennifer présente une constipation chronique. Il y a 3 ans, elle a fait une grossesse
extra-utérine ayant entraînée une infertilité passagère. Depuis cette date, cette patiente
s’est donc engagée dans un protocole de PMA. Elle se décrit comme une personne très
angoissée, avec une boule permanente au niveau de l’estomac et un sentiment diffus de
culpabilité. La peur colore tout son discours : peur de la séparation, peur que son mari
ait un accident, peur de la maladie, peur des piqûres, peur de l’accouchement, peur de la
césarienne. La réponse apportée pour pallier cette angoisse est de type comportemental
sous forme d’achats compulsifs. Cette patiente cherche par tous les moyens à combler
le vide. Sur le plan psychique, on peut noter une fixation psychique anale avec des traits
obsessionnels qui se manifestent par des velléités de contrôle et de programmation desti-
nées à lutter contre une angoisse de castration massive.
™™ Françoise, âgée de 42 ans, souffre d’une colopathie avec constipation chronique.
Elle est nerveuse et irritable, présente également des douleurs dorsales, des rachialgies.
Elle avait déjà souffert de céphalées quotidiennes, il y a une douzaine d’années après
une IVG. La constipation avait connu une aggravation importante lors de cette période.
Il s’agit d’une patiente très démentalisée qui ne fait aucun rêve et qualifie sa vie de
« normale ». Le discours est défensif, désaffecté, centré sur le corps, accompagné d’un
sourire défensif. Son mode de vie est opératoire : elle travaille consciencieusement sans
désagrément ni satisfaction, sa sexualité est déficitaire, rythmée par les demandes du
conjoint, sans plaisir ni déplaisir.
Conclusions
L’analité est présente chez la plupart des sujets. On ne repère pas de fixation
psychosomatique érogène au sens strict du terme mais plutôt une modalité de réponse
fonctionnelle aux problématiques archaïques (séparation chez l’homme, castration chez
la femme), inscrite dans l’enfance chez certains sujets. Le symptôme s’inscrit dans une
476
Psychosomatique et gastroentérologie

dynamique de lutte anxieuse peu mentalisée chez la femme et de défaite dépressive


mieux mentalisée chez l’homme.
Anxiété Anxio-dépression Dépression
100

80

60

40

20

0
Hommes Femmes

Répartition des désordres affectifs dans la constipation


chronique en fonction du sexe

4-3. Diarrhées fonctionnelles
Cette étude a été effectuée à partir de 25 observations. 90% des diarrhées chroniques
sont liées à une colopathie spasmodique.
La pathologie diarrhéique est retrouvée dans l’enfance chez 18% des sujets.
Les facteurs traumatiques sont aspécifiques, mais les désordres relationnels et les
nécessités d’affrontement de nouvelles situations dominent l’ensemble des déterminants.
La mentalisation est variable d’un sujet à l’autre.
Au niveau des émotions de base, la peur constitue le déterminant central (88%). La
répression de l’agressivité est fréquente (52%).
L’anxiété est constante et manifeste dans 100% des cas : angoisse isolée (60%),
anxiodépression (40%).
60

50
Anxiété seule : 60%
40
Anxio-dépression : 40%
30

20 Dépression : 0%

10

0
Vécus affectifs composites
dans les diarrhées

Vécus affectifs composites dans les diarrhées chroniques

Au niveau du fonctionnement psychique, on retrouve selon les sujets :


––analité (rumination, maîtrise, obsessions) : 33%
––éléments phobiques : 27%
477
Traité de médecine psychosomatique

––phénomènes projectifs (interprétatifs et persécutoires) : 23% des cas, surtout chez


les hommes ;
––éléments hypocondriaques : 11%
––formations masochistes : 11%.
On peut distinguer trois niveaux cliniques selon l’évolution de la pathologie dans le
temps : les diarrhées aiguës en relation avec des désordres émotionnels ponctuels, les
diarrhées récidivantes et la diarrhée chronique.
Les réactions émotionnelles ponctuelles représentent 50% des cas. Le déclenche-
ment de la diarrhée apparaît surtout comme une réponse émotionnelle à la peur ou à la
répression de l’agressivité dans des contextes bien spécifiques. Il ne semble pas exister de
mode de structure psychique particulière, mais la répression émotionnelle et les éléments
phobiques sont fréquents.
™™ Véronique, jeune femme de 24 ans, présente des manifestations spasmodiques
intestinales d’apparition brutale suivies de débâcles diarrhéiques, dès qu’elle se trouve
dans un contexte de stress et ce, depuis l’enfance, où elle manifestait déjà ces mêmes
symptômes avant un examen. Ces crises ont augmenté depuis qu’elle a commencé ses
études. Elles ont lieu, à présent, durant les examens eux-mêmes, l’obligeant à quitter la
salle mais aussi à la moindre contrariété, au moment de celle-ci ou de manière diffé-
rée. Véronique ne présente pas de souvenirs oniriques et ne s’accorde aucun moment de
relâchement. Elle n’exprime aucune émotion, ce qui constitue un facteur aggravant. Les
facteurs déclenchants sont des vécus d’auto-contrainte (mus par la peur de décevoir),
d’hétéro-contrainte (situations d’enfermement) ou de menace (menace de perdre
l’autre). Il existe un important désir de maîtrise attestant d’une fixation psychique anale
(« Je veux tout maîtriser, je suis perfectionniste, j’aime faire mes preuves… »).
™™ Mathilde, étudiante, présente des troubles intestinaux depuis toujours, avec aggra-
vation il y a trois ans lors de son entrée en faculté. Ces troubles se manifestent par des
diarrhées et des douleurs abdominales. Ces symptômes apparaissent essentiellement
quand elle est tendue ou lorsqu’elle doit s’absenter de chez elle. Il s’ensuit des réactions
d’évitement responsables d’échecs divers. Mathilde est très proche de sa mère. Elle se
décrit d’ailleurs comme « soudée » à cette dernière qui, au demeurant, est dépressive
et souffre d’HTA. La dépression de sa mère aurait commencé quand Mathilde a débuté
sa relation avec son fiancé, ce qui culpabilise beaucoup la jeune femme : « J’ai peur de la
perdre ! Elle souffre tellement ! » Au niveau économique, on peut souligner une répres-
sion massive de l’agressivité (« Je garde tout pour moi »). Sur le plan du fonctionnement
psychique, outre la culpabilité, on note une importante angoisse de séparation, des
éléments phobiques (« J’ai peur de tout, je fais des montagnes de tout »), un besoin de
maîtrise et un masochisme moral.
Les diarrhées récurrentes (26% des observations) sont en relation avec une réactivité
émotionnelle plus importante et surgissent dans des contextes plus divers. Chez certains
sujets, on repère une fixation psychosomatique anale à type de conditionnement non
érogène.
™™ Tanguy, 27 ans, présente des diarrhées récidivantes et des dorsalgies depuis l’adoles-
cence. Il vient d’entrer dans la vie active mais a le plus grand mal à s’y investir : sentiment
478
Psychosomatique et gastroentérologie

d’incompétence, ennui, désintérêt, troubles du sommeil, angoisse. Au niveau écono-


mique, il existe une répression de l’agressivité et une tension interne majeure. « Du matin
au soir, je me contrôle, je ne dis rien, je rentre le ventre, le cou, mets les épaules en arrière,
serre les fesses… » Le discours est désaffecté, il n’existe aucun souvenir onirique et les
représentations sont pauvres. Ses propos sont essentiellement centrés sur ses dorsalgies
et ses diarrhées qui sont cause de tout, objet de rumination obsédante et de préoccupa-
tion hypochondriaque. La pathologie s’atténue s’il a une activité physique et a tendance
à s’aggraver lorsqu’il est inactif ou travaille intellectuellement. Il présentait des épisodes
de douleurs abdominales dans l’enfance et a toujours été très angoissé à l’idée de quitter
la maison familiale et de s’assumer financièrement. Il est très dépendant de ses parents,
compte systématiquement sur eux pour choisir à sa place, mais les accuse en permanence
de l’avoir mal soigné. Une part de l’angoisse se manifeste dans le registre mental (maîtrise
obsessionnelle, déplacement hypocondriaque, dépendance tyrannique, vécu de persé-
cution), une autre part dans le registre somatique. Seule la voie comportementale, la
motricité sont susceptibles de l’évacuer.
Moins fréquents sont les cas de diarrhée chronique (24% des observations). En général,
ils correspondent à un type de fonctionnement psychique plus organisé, dans lequel on
repère volontiers des mécanismes interprétatifs, projectifs, et parfois masochistes. On
repère ici l’existence constante d’une fixation psychosomatique anale à caractère érogène
dans l’enfance.
™™ Émilie, 34 ans, présente des épisodes diarrhéiques fréquents pouvant s’étendre sur
un mois et ceci depuis cinq ans, avec aggravation depuis deux ans. Elle ne va plus nulle
part sans savoir s’il y a des toilettes, s’interdisant le cinéma et le restaurant de peur que
l’on puisse entendre le bruit ou sentir l’odeur. La première crise a eu lieu sur son lieu de
travail lors d’une période où elle se sentait oppressée. Les crises se déclenchent principa-
lement lorsqu’elle est passive. Quand elle est active, notamment sur un plan moteur, son
état s’améliore. Elle se décrit comme quelqu’un d’anxieux et de perfectionniste dans son
travail : c’est l’idée de ne pas se montrer à la hauteur qui génère l’angoisse. La dernière
aggravation du symptôme date d’il y a six mois, date à laquelle elle a cessé une relation
qui n’était pas très investie.
Bien qu’Émilie ne se laisse pas marcher sur les pieds et n’hésite pas à aller jusqu’au
conflit, l’expression de son agressivité est toujours contenue, limitée aux représentations,
aux sentiments et à la parole, ne s’accompagnant pas d’expression émotionnelle. À noter
que les diarrhées et la tension diminuent si cette émotion cesse d’être contenue, de même
si elle boit de l’alcool. Elle rumine sur le passé, est tendue et éprouve un besoin d’évasion
et parfois un sentiment de vide. Au niveau des représentations digestives, soulignons
que, pour elle, l’appareil digestif est un tube entre la bouche et l’anus. Elle évite donc de
manger pour ne pas avoir de diarrhées.
Au niveau de la sexualité, Émilie n’a jamais eu d’orgasme vaginal lors du coït. Par contre,
certaines crises de diarrhées lui ont provoqué des orgasmes, la jouissance survenant de
manière intriquée à la douleur. L’exploration des fantasmes sexuels révèle un masochisme
structural : scènes de violence où elle se fait insulter, humilier, salir. Elle s’ennuie avec son
copain actuel qu’elle juge trop tendre. Il existe une confusion entre l’anal, le génital et le
digestif (orgasmes pendant les diarrhées et les règles douloureuses). L’absence de jouis-
479
Traité de médecine psychosomatique

sance génitale génère une régression psychosomatique anale. La fixation point d’appel
de cette régression se retrouve dans l’enfance. Non seulement l’argent occupait une place
centrale au sein de la communication familiale mais le fait d’aller aux toilettes était source
d’angoisse : elle refusait de s’y rendre par peur de rester enfermée ou que quelqu’un
ouvre la porte. Elle se retenait donc toute la journée (érogénéité masochiste). Si dans
le fantasme, le comportement sadique de l’autre génère de l’excitation, dans la réalité
ce dernier apparaît volontiers comme persécuteur. Dans l’enfance, le monde extérieur
était vécu comme menaçant et elle était collée à sa mère tout en ne supportant pas
son emprise. D’ailleurs, au moment où elle constata une amélioration des diarrhées, elle
décida d’arrêter la psychothérapie.
Conclusions
La relation à l’objet extérieur est centrale dans le déclenchement des diarrhées
émotionnelles. La peur de l’objet apparaît soit sous forme directe et univoque (équiva-
lent phobique), soit comme pôle d’un conflit plus ou moins conscient dans lequel la
répression de l’agressivité joue un rôle déterminant. La diarrhée s’inscrit secondairement
en tant que mécanisme d’évitement.
La diarrhée absorbe l’ensemble de la réactivité psychosomatique, les autres manifes-
tations d’angoisse somatique étant rares. Elle apparaît comme une réaction trophique
d’un point de vue de l’économie psychosomatique : absorption et décharge immédiate
de l’excitation.
Les éléments projectifs que l’on rencontre dans les diarrhées chroniques de certains
sujets sont résolutifs de l’angoisse phobique ou de l’accumulation de la tension agressive.
Chez les hommes, ils sont l’inverse des mécanismes d’introjection-rétention de l’objet
qui caractérisent les dépressions des constipés. Le parallélisme entre les mécanismes de
défense psychiques et somatiques est ici particulièrement intéressant.
Chez les femmes présentant des diarrhées chroniques, on repère l’existence de fixations
psychosomatiques érogènes anales en relation avec des représentations cloacales et
l’angoisse de castration.

Hommes Femmes

Constipation Angoisse de séparation Angoisse de castration


Rétention de l’objet perdu
Diarrhées chroniques Projection de l’objet interne Angoisse de castration
Représentations cloacales
Diarrhées émotionnelles Évitement phobique de l’objet externe

Complexes inconscients prévalents dans les troubles chroniques du transit intestinal

4-4. Douleurs abdominales de l’enfant


La fréquence des antécédents de pathologies abdominales douloureuses dans l’enfance
chez les sujets adultes, dont nous avons présenté les observations, nous invite, avant
d’aborder la colopathie spasmodique, à évoquer les douleurs abdominales de l’enfant,
pathologie extrêmement fréquente, et tout aussi déroutante, du fait de l’évanescence des
conclusions diagnostiques qui s’y rapportent.
480
Psychosomatique et gastroentérologie

16
14
12 4 -6 ans
10
7-10 ans
8
6 11-13 ans
4
2
0
Douleurs abdominales

Âges d’apparition des douleurs abdominales de l’enfant et de l’adolescent


Un enfant qui a mal au ventre désigne toujours la région ombilicale. Il est de fait diffi-
cile au simple examen clinique de faire la part de la composante gastrique et intestinale.
L’investigation se basera sur les signes d’accompagnement (vomissements, troubles du
transit, signes occlusifs ou subocclusifs, fièvre, etc.) et l’examen clinique sera particuliè-
rement vigilant à éliminer une pathologie chirurgicale (appendicite, volvulus, etc.). Dans
l’immense majorité des cas, le bilan médical ne révélera rien de tout cela et l’investigation
des douleurs abdominales chroniques ou récurrentes de l’enfant gagnera grandement à
intégrer une approche psychosomatique.
Les douleurs peuvent être discrètes ou bien importantes, accompagnées de pâleur,
parfois de vomissements. L’horaire et la périodicité sont variables : douleur matinale de
l’écolier les jours de classe uniquement, douleurs à l’approche des repas, douleurs lors de
situations conflictuelles.
Le contexte psychique est variable mais le dénominateur commun est en règle
générale la tension anxieuse. La famille s’inquiète de ces douleurs et adopte des mesures
de protection parfois excessives, notamment au niveau alimentaire. L’installation de
bénéfices secondaires est fréquente.
Ces douleurs sont relativement intermittentes mais récidivantes. Elles doivent être
distinguées d’une authentique colopathie spasmodique qui s’accompagne de troubles
du transit, plus particulièrement de constipation.
Chez les garçons, on repère une angoisse de mort (aggravée par des décès dans la
famille, y compris d’animaux familiers) sous-tendue par une angoisse de séparation. Les
épisodes sont souvent déclenchés lors de périodes d’insécurité familiale : fréquence des
difficultés chez le père générant une culpabilité œdipienne qui accentue secondairement
une angoisse de castration.
™™ Arnaud, 9 ans, présente des douleurs abdominales à type de crampes depuis un an,
surtout le week-end ou bien lorsqu’il rentre chez lui le soir. Ces douleurs se sont installées
lorsque son père a débuté une grave dépression suite au décès de sa propre mère. Ce
père est devenu silencieux, insécurisant, irascible, Arnaud s’est mis à refuser son autorité,
ce qui réactive sa culpabilité œdipienne et son angoisse de castration. Dans la foulée,
Arnaud a perdu son chat, et les douleurs se sont aggravées. Arnaud est un enfant sensible,
anxieux pour ses résultats scolaires, mais a du mal à exprimer ses émotions.
Chez les filles, l’angoisse de castration prend une dimension plus centrale.
481
Traité de médecine psychosomatique

™™ Coraline, 10 ans, a souffert pour la première fois de douleurs abdominales attri-


buées, à l’époque, à des adhérences coliques, vers l’âge de 6 ans, dans l’année qui suivit
la naissance de sa petite sœur. La rechute actuelle de ses douleurs s’est produite dès la
rentrée scolaire où un nouvel instituteur a pris poste. Ce dernier, supporter incondition-
nel des « Bleus » et farouche défenseur de l’idéologie dite « du genre », a imposé aux
filles d’avoir les mêmes activités sportives et récréatives que les garçons. Coraline, petite
fille assez calme, perfectionniste, aux goûts artistiques certains, aimant bien maîtriser les
choses, et manifestant de grandes exigences à l’égard d’elle-même, ne parvient pas à se
hisser au hit-parade des buteurs, ce qui chagrine non seulement l’instituteur mais aussi le
papa qui, dépité par le score, lui a supprimé la danse au profit de l’entraînement au foot.
Chez le préadolescent, les facteurs traumatiques sont en relation soit avec la scola-
risation, soit avec un climat familial très perturbé. Le vécu est de type anxieux ou
anxiodépressif.
On repère chez les filles une inhibition anxieuse, une humeur sub-dépressive.
™™ Sabrina, 13 ans, présente des douleurs abdominales associées à des migraines et
des impatiences dans les jambes chaque fois qu’elle est à l’école. En classe, elle se sent
inférieure aux autres et, de fait, ne comprend pas les consignes. Elle est anxieuse, inhibée
dans les relations, repliée sur elle-même.
™™ Leelou est une jeune adolescente de 12 ans qui souffre de douleurs abdominales
fréquentes depuis le dernier trimestre de la sixième. Une appendicectomie a été réali-
sée. Cette opération a permis une amélioration durant un mois mais les douleurs sont
revenues sans discontinuer, douleurs abdominales accompagnées de céphalées et de
lombalgies. Leelou se présente comme une jeune fille très inhibée et souffre d’une image
d’elle-même très dévalorisée.
™™ Agathe, 8 ans, a présenté une vulvite il y a un an. La maman, référence locale en
matière d’« éducation sexuelle » (elle change ses protections périodiques devant sa fille),
à l’affût de toute histoire de mœurs sordides, adepte inconditionnelle des chaînes radio-
phoniques ou télévisées d’information en continu, a demandé à sa fille : « Est-ce que papa
ou papy t’ont touchée ? » Dans les jours qui ont suivi, des douleurs abdominales se sont
installées et persistent à ce jour, malgré l’appendicectomie réalisée il y a six mois. Depuis,
se sont surajoutés des troubles du sommeil.
Chez les garçons, on repère une fréquente névrose de comportement avec agitation
et impulsivité fréquente.
™™ Bryan, 12 ans, souffre de douleurs abdominales fréquentes depuis son entrée au
cours préparatoire à l’âge de 5 ans. Les symptômes se sont aggravés depuis l’entrée en
sixième. Il n’aime pas l’école et les douleurs disparaissent comme par enchantement
lorsqu’il fait de la moto, du quad ou du football avec son père et ses deux frères. La
maman ne comprend pas. D’autant que Bryan a tout ce qu’il lui faut, une console de jeu
dernier modèle, un ordinateur, un téléphone portable, un quad, et même un écran plat
dans sa chambre avec un abonnement à des chaînes de télévision privées…

482
Psychosomatique et gastroentérologie

4-5. La colopathie spasmodique


Étude de 2010 : 49 observations.

Facteurs traumatiques inducteurs de la maladie ou de ses périodes


d’aggravation
––Tension professionnelle : 9
––Désordres relationnels dans la vie privée : 6
––Décès de proche : 5
––Maladies d’un parent : 5
––Rupture, séparation : 4
––Autres : maladie, immobilisation, syndrome psychotraumatique, maternité : 6.
Les situations traumatiques, contraintes, attentes, menaces, conflits, représentent 70%
des traumatismes. Les pertes et les agressions, 30%. La polyfactorialité traumatique est
très fréquente.

Le désordre économique
Le dénominateur commun des vécus traumatiques est l’angoisse. Elle peut être isolée
(61% des cas) ou associée à des éléments dépressifs (33% des cas). La dépression isolée
est rare (4% des cas).
70
60
50 Angoisse isolée : 61%

40 Anxio-dépression : 31%
30
Dépression isolée : 4%
20
10
0

Vécus affectifs composites dans la colopathie spasmodique

L’angoisse peut apparaître sous forme non élaborée (manifestations somatiques


centrales, anxiété généralisée) ou bien être l’objet de formations défensives et d’une
élaboration psychique. Dans ce cas, apparaît volontiers un fonctionnement psychique
organisé. La mentalisation est donc variable.
L’angoisse est sous-tendue par deux émotions de base : la peur (61%) et la répression
de l’agressivité (38%). La peur est avant tout une peur pulsionnelle, les objets internes
occupant une place prépondérante, alors que, dans les troubles du transit isolés, l’objet
externe occupait une place plus importante. Nous sommes ici dans le registre de la
conflictualité.
Par ailleurs, les manifestations cliniques de ce type de colopathie, plus complexes et
plus variables, sont rarement le fait d’une réponse émotionnelle immédiate (contrai-
483
Traité de médecine psychosomatique

rement aux diarrhées), mais l’expression d’une conflictualité profonde persistante et


partiellement élaborée.
La répression de l’expression émotionnelle est majeure.
La répression des comportements est aussi centrale : absence d’exutoire, de comporte-
ments hédoniques, les comportements opératoires ou les activités que le sujet s’impose
étant respectés.
Ainsi le plaisir, le relâchement, l’« animalité » foncière semblent être l’objet d’une
activité répressive majeure. D’ailleurs, les très rares fois où elles se manifestent, les
émotions hédoniques et la motricité, à l’instar de la sexualité, améliorent les symptômes.
Il n’y a pas de répression des représentations. Il ne semble pas non plus y avoir de
répression de l’affect (contrairement à ce que nous verrons dans la pathologie inflamma-
toire).
La mentalisation est variable et dépend de la qualité de l’organisation psychique.
On ne repère pas de fixation psychosomatique érogène, mais il existe chez certains
sujets un prédéterminisme infantile : douleurs abdominales dans l’enfance.

Déterminants de l’angoisse
L’angoisse est en relation avec un excès d’excitation dans un contexte de conflictualité.
Lorsque l’angoisse fait l’objet de formations défensives, les manifestations psychiques
sont intriquées avec les désordres digestifs.
Les formations défensives génèrent un fonctionnement général dans lequel domine
la crainte de l’engagement et la peur de la perte, donnant une impression d’immobi-
lisation anxieuse, toute velléité d’aller de l’avant étant inhibée par la peur d’y perdre
quelque chose. On peut repérer ici une relation de similarité au niveau de la motricité
colique, comme si le péristaltisme fonctionnait sur le même mode d’avance et de recul.
Ces « oscillations conflictuelles » par rapport à l’objet se retrouvent clairement dans les
formes accompagnant des névroses obsessionnelles bien mentalisées (18%).
La fixation sur les symptômes somatiques est presque constante. Des préoccupations
hypocondriaques franches se retrouvent dans 30% des cas.

Formations psychiques inconscientes


Elles ont été repérées uniquement au travers d’observations élaborées (69%) chez les
sujets assez bien mentalisés.
Le fonctionnement obsessionnel (rumination, obsession, perfectionnisme, maîtrise)
domine (55% dont 18% d’organisation obsessionnelle bien mentalisée), suivi par le
fonctionnement phobique avec angoisse d’intrusion (30%).
Les formations inconscientes les plus représentées sont l’analité (60%) et l’angoisse
de castration (73%) à type d’angoisse d’intrusion dans la moitié des cas, intriquée à une
conflictualité œdipienne.
L’angoisse d’abandon est retrouvée dans 30% des cas.
Angoisses de castration et de séparation génèrent une angoisse de mort consciente
fréquente.
™™ Ingrid, 42 ans, présente une colopathie spasmodique depuis la naissance de sa
seconde fille il y a 9 ans. Très angoissée, elle allègue des préoccupations hypocondriaques
majeures, qu’entretiennent une culpabilité enracinée dès l’enfance et une importante
484
Psychosomatique et gastroentérologie

angoisse de mort. On repère chez elle une angoisse de castration manifeste (antécédent
de dépression postnatale). De ses enfants, elle dira : « Je les aime quand ils sont encore
rattachés à moi, pour remplir le creux. » Dans son enfance, elle était aussi très inhibée,
évitant toute forme d’affrontement avec le monde extérieur. La mère était assez despo-
tique, très rigide sur le plan du dressage. Elle garde un souvenir vif et douloureux des
séances obligatoires sur le pot où elle raidissait ses jambes pour ne pas y aller.
™™ Charline souffre de douleurs abdominales avec nausées et diarrhées si elle est loin
de chez elle. Elle se définit elle-même comme une personne très angoissée, particulière-
ment inquiète dès que ses enfants quittent la maison. Sur le plan économique, on peut
noter une répression de l’agressivité vis-à-vis de son compagnon actuel, dont elle redoute
les velléités sexuelles. Il existe chez elle des éléments phobiques ainsi qu’une importante
angoisse de séparation.
™™ Didier souffre d’un diabète insulinodépendant apparu à l’âge de 32 ans. Cette
pathologie coïncide avec l’annonce de sa mutation professionnelle à l’étranger. Il présente
depuis une colopathie spasmodique qu’il met sur le compte de son appréhension des
hypoglycémies. Sa peur des malaises l’a incité à renoncer à toute activité hédonique en
dehors de chez lui : cinéma, sorties. Les défenses obsessionnelles sont manifestes : perfec-
tionnisme, ruminations, peur de s’engager, comportements rituels.

Névrose obsessionnelle et colopathie spasmodique


La prévalence des défenses en relation avec l’analité chez les sujets présentant une
colopathie spasmodique et la fréquence de cette pathologie dans les névroses obses-
sionnelles bien mentalisées ou à mentalisation variable, nous incitent à appréhender ces
dernières d’un point de vue psychosomatique. Par définition, il existe peu de troubles
somatiques lorsque les processus d’élaboration mentale fonctionnent de manière
optimale. Mais la clinique d’aujourd’hui a changé d’aspect. Les névroses obsessionnelles
n’ont plus le caractère organisé qu’elles avaient jadis et les manifestations pathologiques
les plus courantes que l’on rencontre sont souvent un mélange d’éléments bien mentalisés
et de réactions somatiques qui coexistent ou alternent avec les productions psychiques.
La colopathie chez l’obsessionnel correspondrait-elle a une part non mentalisée de la
problématique ou serait-elle la conséquence directe de l’anxiété suscitée par la rumina-
tion, l’inhibition pulsionnelle ?
Tout d’abord, je propose de distinguer trois modes d’expression de la fixation régres-
sion anale selon les manifestations cliniques qui en découlent :
––des symptômes, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ;
––ensuite une névrose de caractère, la personnalité obsessionnelle compulsive ;
––et enfin une personnalité plus complexe, composite, qui englobe à la fois les traits de
caractère obsessionnel et des traits de caractère psychasthénique, cette personnalité
correspondant à la classique névrose obsessionnelle.
La personnalité obsessionnelle compulsive caricature le fonctionnement anal de
maîtrise. Le fonctionnement qui en résulte est de type sthénique, centré sur le contrôle
acharné de l’objet quel qu’il soit. La formation réactionnelle y tient une place minime. La
décharge instinctivo-pulsionnelle est manifeste dans les conduites et les comportements
485
Traité de médecine psychosomatique

induits, évacuant ainsi une quantité importante d’excitation. Ces sujets, sauf lorsque la
maîtrise est en échec, présentent peu de manifestations somatiques.
Le fonctionnement des sujets présentant une névrose obsessionnelle est, quant à lui,
hyposthénique, et ceci du fait de l’inhibition induite par les formations psychasthéniques.
Celles-ci sont l’expression d’un surmoi œdipien particulièrement tyrannique contre toute
expression instinctivo-pulsionnelle, favorisant du même coup l’expression de la forma-
tion réactionnelle. Les sujets sont englués dans une conflictualité permanente qui n’a
pas trouvé d’issue dans les TOC, ou la maîtrise et le contrôle de l’objet. D’où l’importance
des symptômes tels que rumination, procrastination, érotisation de la pensée, crainte de
l’engagement et de l’action. Lorsque ces processus psychiques défensifs deviennent insuf-
fisamment opérants, l’angoisse apparaît. Comme, par ailleurs, l’action, le comportement,
la décharge motrice des émotions font, du fait de leur nature instinctivo-pulsionnelle,
partie des choses que le sujet redoute le plus, les voies psychiques et comportementales
sont obstruées et la porte est ouverte à l’expression somatique.
Cible idéale, à la fois cible phylogénétique et ontogénétique de l’angoisse, cible privilé-
giée d’un péristaltisme indécis et oscillant, cible anale par excellence, le colon constitue la
somatisation privilégiée de l’obsessionnel hyposthénique.
™™ André présente un fonctionnement obsessionnel manifeste caractérisé à la fois
par la fixation anale (maîtrise et érotisation de la pensée, rumination, rétention des
émotions, évitement acharné de toute perte, choix impossibles) et des manifestations
psychasthéniques (procrastination, remises en question, conduites imprécises, doutes,
indécision, peur pulsionnelle majeure, inhibition sexuelle et agressive). Il souffre de
colopathie spasmodique avec sensation de pesanteur, douleurs abdominales, alternance
diarrhée/constipation. Il existe une concomitance (et non une alternance) entre l’inten-
sification des symptômes psychiques et les manifestations intestinales. Les oscillations
rétention/expulsion, avancée/recul, s’expriment aussi bien au niveau du fonctionnement
psychique que du péristaltisme. À telle enseigne que les rares fois où il décide, après de
longs mois de procrastination, de s’évader quelque peu au travers d’un voyage, tout dispa-
raît, symptômes psychiques et symptômes somatiques. Par ailleurs, lorsqu’il s’autorise
un quantum d’expression émotionnelle, ou bien dès qu’il bouge, pas trop mais suffisam-
ment, il va mieux. La psychothérapie permit de mettre au jour l’ensemble des détermi-
nants de sa pathologie. Ses capacités d’introspection étaient parfaites, il comprenait tout,
mais il n’allait pas mieux. La pensée s’érotisait de plus en plus avec le travail analytique.
Les émotions étaient contenues, les comportements toujours verrouillés. La relation
transférentielle était semblable à celle d’une mer d’huile. Pas de vague. À peine arrivait-il
systématiquement en retard aux séances, ce qui est une règle d’or chez de nombreux
obsessionnels.
Avec ce patient et avec d’autres qui lui ressemblaient, je réalisais progressivement que
le travail strictement psychanalytique est insuffisant dans les névroses obsessionnelles.
Le théâtre sur lequel on joue est celui de la pensée érotisée bien que parfois désaffectée.
L’économie psychosomatique s’en trouve figée.
S’il existe un travail psychanalytique opérant, c’est bien un travail aménagé, un
travail de reliaison, non pas dans le sens d’une élaboration psychique à partir des
sources de la pulsion, mais un travail en sens inverse, travail de restauration du système
486
Psychosomatique et gastroentérologie

instinctivo-pulsionnel, de l’animalité fondamentale. Restituer aux représentations leur


coloration affective, favoriser l’émergence des sentiments, l’expression des émotions,
ouvrir largement la voie comportementale, être attentif à l’émergence des formations
instinctuelles et pulsionnelles, favoriser l’hédonisme, s’autoriser la transgression, consti-
tuent des axes incontournables du traitement de la névrose obsessionnelle.
Ces axes thérapeutiques, en ce qui concerne la névrose obsessionnelle, me paraissent
être ceux du traitement de la colopathie spasmodique.

PENSÉE
rationnelle
érotisée

AFFECT contrôlé

e COMPORTEMENT
réprimé
ÉMOTION
verrouillée
COLOPATHIE
Procrastination intestinale

Fonction psychosomatique chez la personnalité


obsessionnelle psychasthénique

5. MALADIES INFLAMMATOIRES INTESTINALES


Le terme sous-entend inflammation : il existe des colites infectieuses, des colites inflam-
matoires simples (diverticulite, etc.) et puis les MICI (prononcer « miki »). Ce joli nom
de chien de compagnie est l’abréviation de maladies inflammatoires cryptogénétiques de
l’intestin. Le terme cryptogénétique est utilisé pour qualifier des affections dont les causes
sont imprécises, tout comme le terme idiopathique qualifie les maladies dont on ne
connaît l’origine, et le terme orpheline pour désigner celles qui n’en auraient pas.
Les deux principales MICI sont la rectocolite ulcérohémorragique (RCUH) et la
maladie de Crohn.

5-1. Rectocolite ulcérohémorragique (RCUH)


La RCUH affecte uniquement le rectum et le colon et se manifeste par des symptômes
divers : diarrhées, saignements, douleurs abdominales, syndrome rectal (ténesme, faux
besoins, impériosités), altération de l’état général.

Observations
™™ Dans un contexte de divorce et de soucis professionnels, Cédric a développé une
hypertension artérielle. Un mois après, il apprend la tentative de suicide de sa mère qui
avait effectué des dépenses excessives dans le dos du père. Notre patient s’efforcera
pendant un mois de faire les démarches nécessaires pour réparer les agissements de sa
mère. Ses tentatives de contacts auprès d’une société de rachat échoueront. C’est dans ce
487
Traité de médecine psychosomatique

contexte qu’apparaîtra, un mois après l’événement, une RCUH avec diarrhées sanglantes,
pathologie qui mettra un terme immédiat à l’hypertension artérielle.
Le patient se présente comme très démentalisé et les formations défensives contre la
castration sont des défenses de caractère. Il existe une répression majeure de l’agressi-
vité. Celle-ci, qui avait généré dans un premier temps une hypertension artérielle, attaque
maintenant, depuis les événements familiaux, la muqueuse intestinale. Ce déplacement
n’est pas étranger à la nature du vécu traumatique : la tentative de suicide de la mère est
en rapport avec des problèmes d’argent et la réponse du fils passe par l’argent, mobili-
sateur de l’analité. La fixation psychosomatique anale, point d’appel de la régression, se
repère à différents niveaux. Le patient mentionne le rituel parental qui consiste à s’intro-
duire un suppositoire de glycérine tous les soirs. Après la phase de difficultés financières,
les deux parents ont eu une crise hémorroïdaire et ont demandé au patient de regarder
leur anus (« …de mettre mon nez dedans »). Enfin, jusqu’à l’âge de 7 ans, la mère vérifiait
régulièrement l’état de son anus et le lui nettoyait quotidiennement.
On repère ici les deux composantes de la fixation : fixation psychique à type de maîtrise
et de contrôle, à point de départ identificatoire (ruminations permanentes, besoin de tout
gérer), et la composante somatique érogène de la fixation (les soins au niveau de la sphère
anale, des formules particulières : « Si j’entends le terme “enculé”, je me retourne ! »). En
l’absence de cette composante somatique, le patient aurait développé une névrose
obsessionnelle. La somatisation est liée à deux facteurs : le désordre économique lié à la
répression de l’agressivité et la nature psychosomatique de la fixation.
La dimension régressive du processus (retour à une fixation antérieure) est poten-
tialisée, si ce n’est déclenchée, d’un point de vue diachronique, par les événements qui
réactivent le complexe œdipien (lors des transactions, tout se négocie en dehors du
père). On repère d’ailleurs d’autres éléments qui le confirment : relations tendues avec le
patron, propos explicites durant la séance (« J’ai envie de tuer mon père ») ou lors de la
deuxième rencontre (« Comment allez-vous ? »). L’angoisse de castration ne s’origine pas
uniquement dans la relation au père, le patient étant aussi castré par la mère (celle-ci lui
imposait ainsi qu’à son père d’uriner assis).
™™ La pathologie digestive de Cécile a commencé à se manifester il y a vingt-quatre
ans, peu après son mariage, par des douleurs abdominales. Ces douleurs sont apparues
dans le cadre d’un contexte professionnel de tension, puisqu’elle et son mari sont allés
travailler dans le restaurant du père de notre patiente et que, selon ses propres dires,
elle se sentait « coincée entre son père et son mari » qui ne s’entendaient pas. Deux ans
plus tard, du sang apparut dans les selles, mais ce ne fut que quelques années après que
fut diagnostiquée une rectocolite ulcérohémorragique. Une première période d’accal-
mie s’installa, contemporaine d’un désengagement du couple dans l’affaire du père, du
recouvrement d’une activité professionnelle extérieure au milieu familial. Les troubles
cessèrent durant trois ans mais une mise au placard soudaine généra une rechute
majeure. Dans la même année, le couple contracta une dette importante à l’égard du
père de la patiente pour acheter un nouveau restaurant, une inadéquation conjugale se
mit en place, et le fils cadet entra dans une conduite de délinquance, volant de l’argent
à ses parents. Dans les suites, la patiente entra dans une attitude de contrôle, surveillant
en permanence les activités de son mari et de son fils. Dans ce contexte de maîtrise, la
488
Psychosomatique et gastroentérologie

RCUH s’améliora à nouveau, les symptômes n’apparaissant plus du tout, même lorsque
la patiente fut victime d’un braquage. Ce fut seulement après le procès de ses agresseurs,
deux ans plus tard, que la RCUH rechuta de manière importante, contemporaine d’un
vécu de peur et d’une impression de perte totale de contrôle.
Les apparitions de la pathologie semblent donc être en relation avec des vécus où l’acti-
vité de maîtrise est mise en échec (vécu de dévalorisation professionnelle ou de peur),
générant ainsi une répression de l’agressivité et un état de démentalisation. Les situa-
tions traumatiques, tant sur le plan conjugal, familial que professionnel, sont évoquées
et décrites par la patiente, mais vidées de l’affect qui devrait venir colorer le discours.
À l’inverse, les améliorations de la RCUH semblent être en relation avec une activité de
maîtrise efficace ou lors des périodes au cours desquelles la patiente a pu se décentrer du
milieu familial.
Notons également que l’argent joue encore un rôle non négligeable dans la dynamique
relationnelle de la famille (fils qui vole de l’argent à ses parents, mari qui emprunte de
l’argent au beau-père, patiente qui ne peut pas supporter de devoir cet argent à son
père). Au niveau des fixations psychosomatiques, la patiente ne livre qu’un seul élément
concernant son enfance : vers l’âge de 8 ans, elle associait le fait d’aller aux toilettes à un
sentiment de peur. Peur de se faire agresser ou d’être surveillée. Son père était impliqué
dans des activités politiques, surveillé, et elle-même était suivie lorsqu’elle allait à l’école.
On repère également une expression langagière : « La peur me fait serrer les fesses. » Il
pourrait donc s’agir d’une fixation psychosomatique anale liée à la peur et réactivée par
des contextes de perte de maîtrise.
™™ Florence a déclenché une rectocolite ulcérohémorragique, lorsqu’elle a dû laisser
sa fille aînée à ses beaux-parents, avec qui elle ne s’entendait pas, pour pouvoir reprendre
son travail après sa seconde grossesse. « Ils se sont accaparés ma fille aînée ! » Ce vécu
de castration et de dépossession est venu se surajouter à un contexte de mésentente
conjugale, le mari vivant sa vie et échappant à son contrôle. Sur le plan économique,
on peut noter une certaine répression de l’agressivité dans un contexte de vécu d’abdi-
cation. Au niveau du fonctionnement psychique de cette patiente, il a été repéré des
éléments obsessionnels et masochistes nets. Enfin, il existe ici aussi une immersion dans
l’intimité parentale avec des velléités de contrôle puisque, durant son adolescence, cette
patiente a pris l’initiative d’aller demander le divorce pour sa mère car elle trouvait son
père méchant avec celle-ci.
™™ Paloma consulte pour une infertilité due à une endométriose. Divorcée une
première fois, elle est actuellement mariée à son ex-beau-frère mais a néanmoins conservé
son nom de jeune fille.
Elle souffre d’une RCUH évoluant par poussées. La première apparition a eu lieu lors
de son premier mariage, la seconde, au moment de son divorce et de son installation avec
son ex-beau-frère, la troisième, qui a duré un an, juste après une fausse-couche. Ces trois
événements sont évoqués sans affect. Ces vécus de castration et de perte de maîtrise au
niveau de sa vie sexuelle et affective ont systématiquement déclenché les poussées de
la RCUH. Nous n’avons pas d’élément sur d’éventuelles fixations psychosomatiques. Elle
se montre très fixée sur son problème d’infertilité et n’évoque que celui-ci. Cependant,
peut-être faut-il souligner qu’actuellement, et ce depuis qu’elle a commencé sa PMA, elle
489
Traité de médecine psychosomatique

n’a plus eu de poussées. La situation de maîtrise, de lutte et de programmation avec senti-


ment d’issue possible, le déplacement des préoccupations, semblent avoir généré une
rémission de la RCUH.
™™ Nadège est une femme assez masculine, syndicaliste farouche, adepte des sports
de combat. Elle se qualifie elle-même de « grande gueule ». Dans les suites d’une dévalo-
risation professionnelle, elle se met en arrêt de travail. Lors de sa reprise, elle est infor-
mée par courrier de décisions qui confirment sa mise au placard, ce qui déclenche chez
elle une crise clastique suivie d’aphonie, de pleurs, puis, très rapidement, d’un état de
démentalisation aiguë dans un vécu de défaite. La RCUH se déclenche une dizaine de
jours après, pendant l’arrêt de travail qui suit le choc, avec saignements continus pendant
un mois. On peut noter chez cette patiente une agressivité sadique anale d’expulsion
majeure. Une fois de plus, la somatisation apparaît dans les suites de la défaite, lors d’un
état de démentalisation, et le déclenchement de la pathologie s’est produit lors de l’assè-
chement des affects.
™™ Je rappellerai aussi le cas de Jean-Louis, présenté en première partie du livre
(p. 174), dont l’analyse a grandement contribué à mon élaboration d’une classification
des processus de somatisation.

Résultats de l’étude
Mon étude a été effectuée à partir de 11 cas de RCUH.
Facteurs traumatiques
Ce sont des événements ou des situations mettant à mal l’activité de maîtrise, mobili-
sant une réaction de lutte de courte durée (quelques jours à un mois maximum), carac-
térisée soit par une répression de l’agressivité, soit par l’inefficacité de l’expression de
l’agressivité (obstacle), aboutissant à une abdication accompagnée de démentalisation.
La RCUH atteste d’un vécu de défaite. L’agressivité désinvestit l’objet pour se fixer sur la
cible.
Sémiologie psychosomatique
Dans les suites du traumatisme, l’état de démentalisation s’instaure : absence de souve-
nirs oniriques, affect pauvre, peu exprimé, si ce n’est absent. Les représentations ne font
pas l’objet d’une répression mais elles sont neutralisées. Cette désaffectation accompagne
les poussées de la maladie et peut s’atténuer lors des périodes de rémission. Le déni du
cofacteur psychique est fréquent.
L’organisation psychique évoque une névrose de comportement (importance de l’agir,
surtout chez les femmes), qui n’exclut en rien de possibles réactions de caractère, mais de
toute façon insuffisantes à endiguer les variations de l’excitation.
Évolutivité
Les poussées évolutives sont concomitantes de vécus traumatiques aisément
repérables dont le déterminisme est identique à celui du déclenchement, hormis la phase
prémorbide de lutte qui est absente.
Les améliorations surgissent lorsque l’obstacle se lève, lorsque la maîtrise est réelle-
ment ou potentiellement efficace, lorsque les investissements se déplacent.
490
Psychosomatique et gastroentérologie

Formations psychiques inconscientes


Dans tous les cas où j’ai pu faire une investigation sur l’enfance du sujet, apparaît une
fixation psychosomatique anale. Fréquence des vécus traumatiques en relation avec
l’argent. Régression de la pathologie lorsque la maîtrise réussit, aggravation lorsqu’elle
échoue.
En dehors de la régression anale, on repère le rôle du complexe œdipien : fréquence des
vécus traumatiques incestuels contemporains d’une immersion-intrusion dans l’intimité
parentale, absence de limite et de repère au niveau de l’intimité dans un sens ou dans
l’autre.
La nature et l’impact de la réactivité semblent dépendre du sexe. Passivité et velléité de
contrôle coexistent chez tous les sujets mais il existe un besoin de contrôle plus impor-
tant chez les femmes que chez les hommes, et une passivité plus importante chez les
hommes que chez les femmes (présence d’un fantasme homosexuel passif masochiste
chez ces derniers). Passivité et velléité de contrôle ne sont pas antinomiques, la passivité
permettant parfois de garder le contrôle.

Confrontation aux études des autres auteurs


J’ai pris connaissance des publications des autres auteurs, essentiellement ceux de l’Ins-
titut de psychosomatique de Paris (IPSO), après avoir effectué cette étude, afin de ne pas
être influencé dans mes recherches.
Alain Fine (Une muqueuse qui pleure le sang), psychosomaticien de l’IPSO et initiale-
ment gastroentérologue, considère la RCUH comme une maladie à crises et propose une
synthèse des différents points repérés par l’ensemble des auteurs en même temps que ses
propres réflexions à partir d’observations de patients. Il repère ainsi un certain type de
fonctionnement psychique et psychosomatique propre aux patients souffrant de cette
maladie, comportant les caractéristiques suivantes :
Ambivalence
L’ambivalence par rapport à l’objet se retrouve dans la relation transféro-contre-trans-
férentielle. Effectivement, dans les cas que j’ai étudiés, un tiers des patients disparaît après
la première séance.
Agressivité
La tension agressive à l’égard de l’objet est intense mais mal élaborée et réprimée pour
éviter le conflit. J’ai repéré personnellement un tonus instinctivo-pulsionnel agressif parti-
culièrement élevé chez deux tiers de mes patients.
L’expression dynamique dépressive apparaît sous diverses formes selon les sujets :
dépression essentielle, dépression anaclitique, dépression pseudo-mélancolique avec
culpabilité de dévalorisation. La muqueuse qui « pleure le sang » viendrait subvenir à la
défaillance des mécanismes de défense psychiques par rapport à la perte. A. Fine retrouve
souvent en tant que traumatisme inaugural une perte objectale. J’ai de mon côté repéré
la fréquence des vécus d’abdication, de dépossession ainsi que des réactions à type de
dépression essentielle de courte durée, rapidement effacée par la somatisation.
Fragilité narcissique
Blessure narcissique retrouvée fréquemment lors du traumatisme inaugural, avec
dévalorisation, autodépréciation et impossibilité d’assumer des responsabilités nouvelles.
491
Traité de médecine psychosomatique

On la retrouve dans la plupart de mes observations, mais essentiellement chez les


hommes.
Fixation
En ce qui concerne la fixation, A. Fine dit : « … si l’on appose des fixations particu-
lières sur cet organe particulier, ayant induit des fantasmes ou des pré-fantasmes, tels que
le suggèrent certains auteurs, comme celui de pénétration, d’effraction anale, on reste
selon moi, dans la sphère mentale avec attraction psychique de l’organe, mais non sur
son atteinte organique. Il faudrait plutôt évoquer les notions de fixations somatiques, de
régressions somatiques, donnant une causalité indirecte à ce processus de somatisation. »
(Une muqueuse qui pleure le sang.) J’ai proposé en première partie de ce livre, à partir
du cas Jean-Louis, une conception de la fixation psychosomatique, conjonction d’une
fixation psychique et d’une fixation psychosomatique contemporaines, permettant de
concilier, tout en les rectifiant, les deux points de vue en apparence opposés (p. 174).

Conclusion
La RCUH apparaît lors de vécus traumatiques au cours desquels l’agressivité du sujet est
réprimée. L’échec, la défaite, le plus souvent rapides, génèrent un état de démentalisation
induisant l’éclosion de la maladie. Les poussées évolutives seront toujours déclenchées
par des vécus traumatiques similaires aisément repérables, et les phases de rémission,
d’un regain de maîtrise.
On repère une neutralisation des représentations avec déficit de l’affect, ce qui
confirme une fois de plus mon hypothèse que la répression de l’affect conditionne les
processus inflammatoires.
Le désordre économique va générer une régression au niveau d’une fixation
psychosomatique anale préalable. L’existence d’une seule fixation psychique ne peut
déterminer la pathologie.
Des formations psychiques inconscientes variables peuvent intervenir pour poten-
tialiser ce mouvement régressif : réactivation du complexe œdipien par une proximité
incestuelle, masochisme, échec de la maîtrise chez la femme, homosexualité fantasma-
tique passive chez l’homme.
En aucun cas, les équipes médicales n’ont proposé au patient un suivi psy, et parfois
même celui-ci été déconseillé. Le seul cas qui ait fait l’objet d'une psychothérapie suivie
sur plusieurs mois s’est soldé par une guérison. Un autre patient est venu huit fois, ce
qui s’est soldé par une rémission. Les autres patients ne sont venus qu’à trois séances
maximum.

5-2. Maladie de Crohn
Généralités
Cette affection, identifiée par Crohn en 1932, atteint l’iléon, le colon et la région anale.
La topographie des lésions est beaucoup plus diffuse que celle de la RCUH, bien que
certaines formes n’atteignent que le colon. Elle est fréquente en Amérique du Nord et
Europe du Nord, plus particulièrement en milieu urbain.
L’âge moyen de début est de 27 ans.
492
Psychosomatique et gastroentérologie

Elle se manifeste par des douleurs abdominales à type de crampes, variables dans leur
siège et leur intensité, de la diarrhée, une altération de l’état général d’intensité variable
(asthénie, anorexie, fièvre, perte de poids). L’évolution est émaillée de poussées aiguës et
de phases de rémission.
Certaines complications peuvent survenir : occlusion du grêle, abcès, fistules, fistules
anales.
Des associations morbides peuvent se rencontrer lors des poussées : stéatose hépatique,
lithiase biliaire, rhumatisme périphérique inflammatoire, érythème noueux, iritis.
La pathologie semble liée à des ulcérations aphtoïdes de la muqueuse intestinale.
Différentes causes ont été successivement invoquées sans apporter de preuve formelle :
alimentaires, infectieuses, immunologiques, génétiques.

Étude personnelle
8 observations.
Le désordre économique
On repère systématiquement :
––des variations de l’expression émotionnelle. L’émotion est réprimée lors des poussées.
La peur semble être l’émotion de base la plus fréquente ;
––une répression de l’affect, responsable de l’inflammation ;
––une répression des représentations selon un mode lacunaire diffus. Alors que la
réactivité traumatique est majeure, les représentations en relation avec les vécus
traumatiques paraissent pauvres, très peu élaborées, quasi lacunaires. Cet aspect
lacunaire du préconscient ne semble pas être le seul fait de la répression. Il semble
exister une insuffisance fonctionnelle de ses capacités de liaison.
La mentalisation est de toute évidence déficitaire.
Le fonctionnement psychique
L’organisation et le fonctionnement psychiques paraissent instables.
On a l’impression de sujets perdus, dépassés, tant d’un point de vue de leur identité,
de leur réactivité, de leurs repères interpersonnels, que de leurs relations avec le monde
extérieur (tendance à la désocialisation très fréquente, dans laquelle les conséquences de
la maladie constituent un facteur aggravant).
Le déficit du système représentatif peut être comparé d’un point de vue métaphorique
avec la localisation plus diffuse de l’affection. Les lésions du Crohn sont plus étagées et
plus diffuses que celles de la RCUH, et concernent pour une part la partie la plus centrale
du tube digestif d’un point de vue anatomofonctionnel, partie dont les fonctions ne se
limitent pas à l’élimination mais sont très complexes et plus cryptiques. Si les représenta-
tions que nous avons de la partie haute du tube digestif (oralité) et de la partie basse du
tube (analité) sont très riches, il n’en est pas de même en ce qui concerne les représenta-
tions de la partie intermédiaire. Nous n’avons ni représentation de mots, ni représenta-
tion de choses. Nos représentations personnelles, culturelles et même anthropologiques,
font l’objet d’une lacune, tout comme pour la cellule ou le génome. Par ailleurs, autant
la RCUH comporte un fondement érogène évident, autant celui-ci paraît au second
plan, si ce n’est absent, dans la maladie de Crohn, les zones proximales atteintes étant
dénuées d’érogénéité et se situant, d’un point de vue fonctionnel, dans une dimension
493
Traité de médecine psychosomatique

plus archaïque, plus vitale. Dans l’ensemble des observations, on ne repère pas d’ailleurs
de fixation psychosomatique érogène.
Les relations interpersonnelles
Elles sont marquées par l’ambivalence et la régressivité. L’ambivalence se manifeste par
une intolérance à l’emprise de l’autre mais aussi à la séparation, une incapacité à exister
seul, sauf lors de conduites régressives. La régressivité se repère dans les réactions de
caractère : caractère excessif, non nuancé, immature.
Il semble exister une inertie face aux changements, un vécu d’immuabilité, parfois un
souhait conscient de ne rien changer. La désocialisation, fréquente, se joue dans le registre
de la dépendance et du rejet, et frise parfois la marginalisation.
Spécificités selon le sexe
Chez les femmes, le besoin de maîtrise des objets apparaît plus nettement. L’échec
de la maîtrise induit soit des réactions de caractère et de comportement (impulsivité,
hétéro-agressivité, crises de nerfs), soit des réactions dépressives hostiles, soit une aggra-
vation des désordres somatiques. La symptomatologie est sthénique.
Chez les hommes, la mentalisation semble discrètement plus élaborée, les éléments
dépressifs plus importants. Il existe une coloration hyposthénique, une forme de renon-
cement. Le sentiment de perte d’identité frise la déréalisation.
L’état limite
Cette description synthétique des caractéristiques du fonctionnement du sujet évoque
de toute évidence celui des états limites. États limites dans lesquels les variations ne se
limitent pas seulement au fonctionnement psychique mais aussi au fonctionnement
psychosomatique. États limites dans lesquels la limite avec l’autre est floue, imprégnée
de régressivité, exsangue de repère, imprécise, où se joue tantôt la demande tyrannique,
tantôt la fusion ou l’acceptation, tantôt l’indistinction, tantôt le rejet. États limites dont
on connaît l’émergence et l’extension depuis ces quarante dernières années et le détermi-
nisme en relation avec la discordance des repères tout autant familiaux que sociaux. Il ne
nous semble pas nécessaire d’aller chercher plus loin l’augmentation de la prévalence de
la maladie de Crohn dans les pays occidentaux et les milieux urbains depuis ces dernières
décennies.
™™ Valériane, 40 ans, a développé une maladie de Crohn il y a six mois dans un contexte
de procédure judiciaire qu’elle avait intentée à sa mère, et de dépendance majeure à
l’égard de son amant.
Elle a toujours eu des relations très conflictuelles avec ses parents, avec lesquels elle
a rompu tout lien dans les suites de leur divorce. Lorsqu’elle parle d’eux, aucune colora-
tion affective n’apparaît. À 20 ans, quelque temps après son mariage, elle demande à des
voisins de devenir ses « parents adoptifs ». Elle dira d’eux pendant les consultations : « J’ai
adopté des parents. »
La relation amoureuse est à la fois très investie et source d’angoisse. Cette probléma-
tique de la juste distance est permanente chez Valériane qui décrit une diminution des
symptômes de sa maladie lorsqu’elle arrive à se détacher de son amant.
Angoissée, elle a fréquemment l’impression qu’on la harcèle, la persécute, et elle entre-
tient avec les autres des relations qui sont soit de type anaclitique, soit dans le rejet brutal
et total. Elle dit ne plus vouloir parler d’elle mais étale (se vide) volontiers sa vie.
494
Psychosomatique et gastroentérologie

Elle reviendra trois ans plus tard, dans les suites du décès de celui qu’elle appelle son
« père adopté » (qu’elle ne voyait que très rarement). La maladie de Crohn s’est aggra-
vée, suivie d’une pelade. Suite à cette deuxième poussée de la maladie, elle va arrêter de
travailler et se désocialiser peu à peu, réclamant de l’aide à ses proches et ne voulant plus
rien faire de ses journées. Son seul projet est, à présent, de se mettre en invalidité perma-
nente et d’aller voyager.
™™ Pema a 17 ans lorsqu’est diagnostiquée sa maladie de Crohn, sans qu’elle parvienne
à associer cette période à un évènement particulier. À l’adolescence, elle avait souffert de
colites, mais elle se trouve incapable de décrire son état psychique de l’époque.
À l’âge de 20 ans, elle rencontre un homme marginal avec qui elle a ses premières
relations sexuelles et avec lequel elle va vivre dans des squats. Au bout de trois ans, son
père l’oblige à le quitter et elle fait une profonde dépression mais entre en rémission
au niveau de sa maladie de Crohn. Cette accalmie va durer un an jusqu’à la rencontre
d’un nouveau compagnon. La nouvelle relation est fusionnelle et elle veut à tout prix un
enfant de cet homme. La maladie flambe et, au bout de trois ans d’essais de grossesse
infructueux, Pema développe un abcès périanal avec crises de diarrhées et amaigrisse-
ment. C’est alors qu’elle tombe enceinte et quitte aussitôt son compagnon. Ses parents
viennent tout de suite vivre chez elle, sur sa demande, pour la soutenir. Enceinte et collée
à ses parents, elle passe une période sans angoisse où la maladie disparaît à nouveau. Elle
réapparaîtra après la césarienne, sans nouvelle rémission jusqu’à ce jour.
Au moment de la consultation, Pema présente un nouvel abcès. Sa fille a 5 ans et elles
vivent toutes les deux avec ses parents qu’elle reconnaît tyranniser. Elle refuse de rester
seule ou de sortir seule et exige qu’au moins un de ses parents soit toujours présent à ses
côtés. Elle ne travaille pas, ne sort pas et déclare ne pas vouloir penser et, finalement, ne
rien vouloir changer.
™™ Stella consulte pour sa maladie de Crohn sur les conseils de son gastroentérologue
qui lui enjoint de venir depuis plus de trois ans. Sa maladie a débuté il y a sept ans par
des douleurs, des diarrhées et une perte de poids importante dans les suites de la rupture
houleuse d’avec son compagnon. Celui-ci n’acceptait pas la séparation, surveillait Stella
qui venait de rencontrer un autre homme. Il bloquait la vente de leur maison. La peur et la
répression émotionnelle étaient intenses. Trois mois après, Stella tombe enceinte de son
nouveau copain et fait une fausse couche. Le mois d’après, même scénario. La naissance
d’une fille un an après améliore les symptômes. Deux ans après, nouvelle grossesse, mais
difficile cette fois du fait d’une suspicion d’une possible anomalie chez l’enfant. L’accou-
chement est dystocique. Impossibilité d’investir l’enfant pendant quatre jours, dépression
postnatale. Un an après, elle reprend des études et développe des TOC de vérification.
Stella allègue une forte angoisse d’intrusion (peur qu’on rentre chez elle…) et de sépara-
tion (ne supporte pas les absences du mari). Ses rêves sont peu élaborés. On ne repère
pas de conflit intrapsychique et on note une insuffisance des deux topiques et une
indistinction sujet/objet. Les parents de Stella, fille unique, étaient très angoissés. La mère
avait elle aussi des TOC de vérification et, lorsque Stella assistait à cela, elle ressentait des
douleurs abdominales. Nettement améliorée par les quatre séances de psychothérapie,
elle annule son cinquième rendez-vous le matin même et cesse de venir.
495
Traité de médecine psychosomatique

™™ Patrick, 39 ans, présente une maladie de Crohn depuis l’âge de 20 ans. Il ne la


relie spontanément à aucun événement inaugural mais décrit cependant une phase de
« misanthropie » et de repli sur soi. Durant l’adolescence, il avait eu des saignements
hémorroïdaires dont il disait : « J’ai mes règles. » Une première rémission de la maladie
s’est mise en place au bout d’un an, lors de son entrée dans la vie active, événement
qui lui fit quitter la maison familiale. Lorsqu’il rencontre sa future femme et la demande
immédiatement en mariage, il s’ensuit une flambée importante de la maladie. Avec sa
femme, ils reprennent l’entreprise familiale du beau-père et travaillent tous deux avec lui.
Quelques années après, Patrick va rejeter brutalement toute sa belle-famille et le début
d’une mésentente conjugale s’installe. De cette période, il n’a que peu de représenta-
tions liées à des affects très pauvres. La répression des représentations est manifeste, il
le dit lui-même : « Je ne veux pas penser. » Il s’isole, s’enferme chez lui, ce qui augmente
les diarrhées et les douleurs. « Ça tortille, ça ronge, ça grouille. » Il ne travaille plus, ne
supporte plus personne, reste chez lui toute la journée et envisage de se faire mettre en
invalidité.
La relation transférentielle reproduit l’instabilité et l’inconsistance des investissements
de la dynamique relationnelle générale : investissement massif inaugural dans lequel le
sujet est dans une relation de duplication avec le thérapeute, puis arrêt brutal au bout de
quelques séances de la thérapie.

Étude de l’IPSO
Dans la Revue française de psychosomatique, M. Papageorgiou (Étranger du ventre,
étranger du transfert) cite le cas de Claire dont la maladie de Crohn est apparue lorsqu’elle
a quitté ses parents pour vivre avec son ami. Les éléments sur lesquels insiste M. Papageor-
giou confirment ceux que j’ai relevés dans les observations. C’est volontairement que j’ai
évité de lire son texte avant cette étude, toujours dans le but de ne pas être orienté par
son analyse. Dans le cas présenté, l’auteur repère :
––des éléments de la relation d’objet allergique ;
––une parole destinée avant tout à évacuer et non à médiatiser ou enrichir la pensée ;
––le rôle d’arbitre de Claire dans les disputes parentales, rôle dont la destinée n’est pas
celle de la constitution d’un idéal, rôle non élaborable, accepté faute de mieux ;
––l’incohérence et la confusion des repères et des identifications ne permettant pas
une introjection de qualité. Claire dit de ses parents : « Avec eux, on ne sait jamais ce
qui est bon ou mauvais, tout peut être mal et faire mal… Chez nous, tout est alimen-
taire, ça rentre d’un côté, ça sort de l’autre, c’est comme la manière de parler, ça rentre
d’une oreille et ça sort de l’autre. » La mère de Claire avait donné à ses autres enfants
des prénoms qui s’entendent indifféremment au masculin et au féminin. « Les imagos
parentales, précise M. Papageorgiou, apparaissent fragmentées, indifférenciées et
interchangeables, de même que se confondent oralité, analité et génitalité… »
––la thérapeutique doit restaurer la capacité de liaison du préconscient : « Le change-
ment de son fonctionnement psychique ne se traduit pas par une meilleure fluidité du
préconscient ou un étoffement des contenus, mais par une certaine continuité quant
à sa capacité à retenir et à utiliser des traces associatives des séances précédentes,
récentes ou plus anciennes. De ce fait elle peut opérer des liaisons, alors qu’auparavant
elle évacuait toute relation entre elles, noyée dans les trivialités quotidiennes. »
496
Psychosomatique et gastroentérologie

M. Papageorgiou mentionne un élément qui correspond à une fixation


psychosomatique : la mère de Claire, lorsque celle-ci devait être punie, l’enfermait « dans
une chambre privée de nourriture avec l’interdiction d’avoir accès aux toilettes ». La mère
« mettait le réveil au milieu de la nuit alors que les enfants étaient tout petits, pour les
habituer à faire pipi aux toilettes et ne pas mouiller leur lit. Ils devaient aller à la selle
juste après le repas, sur une chaise haute, équipée spécialement à cet effet, et d’où ils ne
pouvaient pas descendre seuls. » Dans ce contexte, nous dit l’auteur, « cette abolition de
la temporalité est flagrante concernant l’exigence de concomitance entre le plaisir oral
et l’évacuation anale au moment des repas, alors que les enfants se trouvent “contenus”
sur une chaise de torture, comme s’il fallait abolir tout ressenti de plaisir ou de déplaisir
pouvant traverser ou habiter le tube digestif, effaçant en même temps l’investissement
du canal alimentaire dans sa polarité orale-anale, en tant qu’habitable métaphorique
de l’introjection pulsionnelle et objectale, ainsi que comme support de réceptivité et
de transformation des processus de pensée…» Se référant à F. Guignard (Prégénitalité
et scène primitive), M. Papageorgiou nous dit : « La prise de conscience par l’enfant d’être
l’objet d’un investissement, articulé avec sa connaissance de l’investissement de l’Autre-
de-l’Autre, en tant que réalité externe est étayée sur la métaphore de l’investissement
pulsionnel précoce du tractus digestif de l’enfant par la mère, représentant organisa-
teur-organisé de l’ensemble du corps libidinal et de la psyché de l’enfant, avant même la
différentiation des zones érogènes et la constitution du stade anal. » (Op. cit.)
L’interruption précoce des séances par certains patients ne m’a pas permis de
mettre au jour un nombre de cas suffisant pour repérer avec certitude les fixations
psychosomatiques récurrentes. Mais il me semble que les fixations psychosomatiques
de la maladie de Crohn s’installent en deux temps : un temps très archaïque, primaire,
marqué par une carence d’investissement par Mater de la fonctionnalité digestive, et un
deuxième temps en relation avec une fixation anale psychosomatique mais dépourvue
de sa dimension érogène.

497
Chapitre 18

LES ALLERGIES RESPIRATOIRES

1. INTRODUCTION
Les deux études sur l’eczéma et l’urticaire réalisées en 2008 nous ont amené à aborder
le problème général de l’allergie et à organiser un séminaire consacré à ce sujet trois ans
plus tard, en 2011, séminaire au cours duquel étaient aussi abordées les allergies respira-
toires, essentiellement l’asthme et le coryza spasmodique. Lors de la préparation de ce
séminaire, je proposai à un confrère et ami d’intervenir lors de la cession. Ne pouvant se
libérer le jour du séminaire, il me proposa d’insérer le texte qui suit en introduction, en
me demandant de ne pas divulguer son nom. Dont acte.
« Cher Philip. Mes représentations de l’allergie sont liées à des souvenirs. Souve-
nirs familiaux tout d’abord. Il y avait un terrain allergique côté maternel. Deux de mes
quatre oncles qui vécurent en ville pour des raisons professionnelles présentèrent l’un,
un eczéma, l’autre un asthme. Je me souviens du premier qui, l’été, sous les frondaisons,
lors des grosses chaleurs, trempait ses pieds dans une bassine d’eau fraîche dans laquelle
baignaient des feuilles de mauve. Le second souffrait d’un asthme particulièrement invali-
dant. Il connaissait tous les médicaments utilisables et avait fait le tour de nombreux
médecins qui, chacun, y était allé de sa propre théorie : telle machine sur le lieu de travail,
l’air pollué de telle ville, les poussières, l’humidité, etc. Il avait fini par aller vivre sur les
hauteurs de Cannes où l’air était censé être plus clément et y termina sa vie, loin de sa
famille. Cet asthme invalidant avait construit sa vie, son identité, déterminé ses choix.
Mes deux autres oncles qui étaient restés agriculteurs au sein de la propriété familiale ne
firent jamais d’allergie, pas plus que leurs parents.
Il y avait aussi, beaucoup plus anodines, les crises d’éternuement de mon père, rares
mais tellement spectaculaires. Les salves d’éternuements étaient subintrantes, sonores, ne
durant qu’une à deux minutes, ne déclenchant jamais de coryza, se terminant comme une
chanson. Et puis il y avait l’éternuement de tout le monde, lié aux changements de tempé-
rature, mais qui, lorsqu’il s’emparait d’un membre de la famille, annonçait un possible
“refroidissement”. “Tu vois ! Tu prends froid, tu n’es pas assez couvert.” Mais l’éternue-
ment ne suscitait nulle angoisse contrairement à la toux, dont la représentation, héritière
des maladies pulmonaires graves du siècle précédent, était chargée de menace. L’éter-
nuement, source de sensation ambiguë, plaisir plus que désagrément, plaisir d’expulser
bruyamment quelque humeur persécutrice cachée, en appelle aux vœux immédiats de
l’autre. Quels souhaits ? Quels désirs réprimés cache-t-il ?
Les représentations personnelles renvoient au temps de la faculté, durant mon stage
de psychiatrie ou tout un hiver je fus pris de coryza spasmodique. Ce fut la seule fois. Ce
signal m’engageait-il à m’éloigner à jamais de ce monde si spécial que je découvrais ? Il
n’en fut visiblement pas tenu compte. Et puis l’urticaire, surtout l’urticaire. Elle débuta en
499
Traité de médecine psychosomatique

3e année et poursuivit ses attaques récurrentes pendant plus de vingt ans, disparaissant
pendant de nombreux mois, pour réapparaître durant toute une saison. Les médecins
consultés avancèrent des certitudes, d’autres y perdirent leur latin, et c’est ainsi que ces
errances diagnostiques me conduisirent droit sur le chemin de la recherche. Un jour l’urti-
caire cessa, sans savoir pourquoi. Mais il semblerait que sa guérison fût contemporaine
d’une prise de conscience tardive. Ses premiers assauts avaient débuté en même temps
que ma première psychanalyse et se poursuivirent en s’intensifiant au fur et à mesure que
la relation sadomasochiste avec mon analyste, asthmatique par ailleurs, prenait une place
prépondérante. Certains psychanalystes de l’époque s’étaient faits les champions de la
castration symbolique à tout crin, castration strictement destinée à l’autre, et à l’égard de
laquelle, en ce qui concernait leur fonctionnement personnel, ils pratiquaient l’esquive
avec grand talent.
À 26 ans, je fis un remplacement chez un médecin qui désensibilisait la quasi-totalité
du canton. Tout le monde était allergique, y compris ceux qui n’avaient aucun symptôme
mais qui, selon ses dires, pouvaient le devenir. Adepte de l’idéologie préventive naissante,
à son cabinet ou en visite à domicile, il faisait ses injections d’allergènes sur présentation
du petit carnet du patient. L’intégralité du samedi était réservée à ce type d’activité, ce
qui lui permit en l’espace de deux ans d’acheter une somptueuse marina dans une cité
balnéaire de renom.
Bien sûr il y a d’autres souvenirs… La découverte de l’homéopathie à une époque
où elle était quasiment méconnue, les modalités des remèdes, Euphrasia, Allium cepa,
Arsenicum, etc. Cet ami, apiculteur qui reçut un essaim sur le visage, et qui, déjà pas mal
piqué, vint réclamer une autre piqûre. Ce même ami qui, m’ayant accompagné un jour de
garde en visite auprès d’un préadolescent défiguré par une urticaire géante le jour de sa
communion solennelle, affirme encore, trente ans après, que j’aurais dit à la famille que
l’enfant faisait une allergie à Dieu. Et bien d’autres histoires…
Tu peux, bien entendu, utiliser ma lettre dans le cadre de tes recherches et la faire
apparaître dans tes publications. Reçois toutes mes amitiés. B. »
Autant de représentations qui en appellent donc à des théorisations différentes. Il en
fut de même au fil de l’histoire de la médecine.
La paléopathologie nous enseigne que l’allergie est apparue et s’est développée avec
l’évolution des hominiens. Elle ne semblait pas exister chez l’homme de Néandertal. Jean
Zammit situe l’apparition de l’atopie au néolithique, avec la promiscuité, la sédentarisa-
tion, la domestication des espèces animales et végétales.
Les descriptions de l’asthme, des rhinites chroniques, existent dans l’Égypte ancienne,
la Grèce antique et Rome. On doit les termes asthma et coryza à Hippocrate. Le halète-
ment, la dyspnée, sont attribués à des concrétions intrabronchiques d’origine étrangère,
mais Hippocrate insiste également sur l’importance des saisons, des climats et de l’état
général de l’individu. La thérapeutique est fondée sur quelques gestes médicaux (saignée,
purgations, cataplasmes), des conseils d’hygiène (exercice physique), des médica-
tions (eau mêlée de miel, décoctions d’hysope ou de térébenthine). D’autres remèdes
populaires et curieux ont été préconisés comme l’ingestion de foie de renard desséché
ou encore des poumons du même animal « fraîchement rôtis ». L’homéopathie moderne
réintroduira cette thérapeutique avec Poumon histamine, produit fabriqué à partir de ce
pauvre animal préalablement étouffé.
500
Les allergies respiratoires

Celse décrit, en 100 ap. J.-C., la rhinite allergique : humeur venue de la tête qui se jette
sur les narines. Le terme rhume de cerveau en est probablement l’héritage.
Le rôle des substances allergisantes est repéré dès la Renaissance, avec P.-A. Matioli et
A. Paré : plumes, haleine du chat (le facteur allergisant étant la salive séchée sur le poil).
Les différents allergènes feront l’objet d’un inventaire précis entre le xvie et la fin du
xixe siècle.
Le rôle des facteurs psychiques et affectifs est parfois évoqué au fil de l’évolution de
la médecine mais surtout à partir du xviiie siècle et de manière très ponctuelle. Stahl
(1707) insiste sur ces facteurs dans le déclenchement de l’asthme. Mais c’est surtout le
cas personnel de Trousseau que les étudiants garderont en mémoire. En 1861, soupçon-
nant la trahison de son cocher, il se rend à son grenier pour compter ses sacs d’avoine et
déclenche immédiatement une crise d’asthme. Il attribue la crise à la poussière d’avoine,
mais surtout à « l’état d’énervement dans lequel il se trouvait ». Il traita la crise avec succès
en fumant un cigare.
À partir du xxe siècle naît l’allergologie et le concept d’anaphylaxie (Cooke). À partir
de ce moment-là, tout se focalisera sur l’allergène. Ce n’est qu’à partir des années 50 que
paraîtront les premières études psychosomatiques sur l’allergie, plus particulièrement
celles de P. Marty.
Depuis, il y a le gluten et tant d’autres « allergies » alimentaires…

2. LA RELATION D’OBJET ALLERGIQUE SELON P. MARTY


2-1. Définition
Pierre Marty définit en 1957 la relation objectale allergique : « Tentative permanente
du sujet de se rapprocher de l’objet dans les mouvements successifs de saisie (identifica-
toire et projective) de l’objet, puis d’un aménagement de cette identification première. »
(La relation objectale allergique.) L’échec de la tentative déclenche une régression stabili-
satrice correspondant à une fixation archaïque de type humoral et donne lieu aux crises
somatiques d’allergie.
« Un allergique n’a qu’un désir, unique et capital : se rapprocher le plus possible de
l’objet jusqu’à se confondre avec lui. Cette identification-fusion à l’objet atteste d’une
fixation massive à un stade pré-objectal d’indistinction primaire d’avec la mère. » (Ibid.)
Nous pensons, avec Pierre Marty, que ce type de relation est le propre des asthma-
tiques et des eczémateux et qu’il est moins systématique dans le coryza spasmodique et
l’urticaire.
Pierre Marty, de son côté, retrouve un fonctionnement similaire chez les migraineux.

2-2. Mise en place de la relation


La relation objectale allergique s’installe en deux temps successifs : la saisie puis l’amé-
nagement de l’objet.
La saisie de l’objet est immédiate, totale, brutale, et possède ainsi les caractéristiques
d’une manifestation des plus archaïques. C’est une identification profonde et sans limite
du sujet à son objet, c’est une confusion sans nuance. Cette immédiateté se repère souvent
dès le premier entretien. Pierre Marty rapporte des lapsus éloquents chez certains de ses
patients : « Je viens vous voir parce que vous êtes asthmatique » ou encore : « Vous désirez
501
Traité de médecine psychosomatique

sans doute que je vous parle de votre mère. » « On peut parler d’un objet “hôte”, aux deux
sens du mot. Le sujet habite l’objet de la même façon qu’il est habité par lui. » (Ibid.)
L’aménagement de l’objet s’installe au fil du temps et comporte un travail projectif
dans lequel le sujet pare son objet de ses qualités propres, puis un travail identificatoire
dans lequel le sujet se pare des qualités de l’objet. L’allergique aime faire plaisir à l’autre.
Dans un premier temps, le sujet nie les aspects négatifs de l’objet ainsi que tout conflit
avec ce dernier.
Les objets investis peuvent être de tout ordre. Ils peuvent être humains, animaux,
végétaux, matériaux.
La relation peut se faire sur tous les plans : sensoriel, moteur, fantasmatique, intellec-
tuel, humoral.
Il existe une possibilité très large de remplacer les objets investis par un nouvel objet,
le premier objet restant disponible, tel une bouée de secours, ainsi qu’une facilité des
changements d’objet, liaison étroite et permanente du sujet avec un ou plusieurs objets
maternisés. Ce qui est recherché, c’est une fusion avec une mère idéalisée.

2-3. La régression
L’allergie apparaît du fait d’une régression défensive, lorsque l’objet sort de cette indif-
férenciation, lorsque la fusion est compromise. La régression se produit si l’objet est perdu
dans sa totalité ou en partie (quelque chose de l’objet investi échappe au sujet, une faille
se révèle entre eux), ou encore lorsque se déclarent des incompatibilités majeures entre
deux objets également investis. Le sujet est alors déchiré.
La défense humorale se substitue alors à la relation d’objet. Elle vient à la place d’un
affect.
Cette régression implique une fixation archaïque préalable. P. Marty a initialement
considéré que cette fixation était prénatale. À propos de l’allergie, il propose le modèle
d’une suite de fixations successives sur une même chaîne : fixations immunologiques
chez le fœtus, fixations autour de la naissance, fixations d’ordre sensorimoteur qui vont
instituer un « sentiment particulier, atypique, du corps propre et perturber l’organisation
habituelle des représentations successives de l’espace et du temps » (Kreisler, L’enfant et
son corps).
Pour M. Fain, la personnalité immunologique ne se développe pleinement qu’après la
naissance. Tout en restant fusionné avec sa mère, le fœtus développe une réactivité qui
le distingue un peu de celle-ci. « Dans l’inconscient de l’allergique type, siège le désir de
sa mère de le faire régresser à un narcissisme primaire qui coïncide avec son sentiment
de complétude à elle, désir qui maintient tout un secteur du Moi de l’allergique à l’état
embryonnaire. » (Marty, Notes cliniques et hypothèses à propos de l’économie de l’allergie,
Fain, Réflexion sur la structure allergique.)
™™ Rémy est très tendu. Il déplace une agressivité à l’égard de son chef d’équipe sur des
objets extérieurs personnels. À ma question : « Pourquoi ne répondez-vous pas lorsqu’il
vous malmène ? » il répond : « Parce que c’est mon chef d’équipe. C’est comme si je travail-
lais avec vous, je ne pourrais pas vous répondre. » Cette manière d’introduire d’emblée le
thérapeute dans son monde est très curieuse. À la fin de la séance, au moment où je le

502
Les allergies respiratoires

raccompagne, il se retourne et me dit : « Excusez-moi d’avoir été confus au début », alors


qu’il a été parfaitement précis.
™™ Pendant toute la séance, Esther, 13 ans, féminine, charmante et docile, écoute sa
mère faire le récit de son histoire. On ne perçoit pas de barrière. Il n’y a aucune étanchéité
entre la mère et la fille. Les causes sexuelles du divorce sont étalées dans leur moindre
détail, ce qui fait pleurer Esther. Elle écoute et regarde sa mère comme quelqu’un qui
revoit pour la énième fois un film tragique, sans intervenir, sauf pour pleurer au moment
où l’on doit pleurer.
En 1969, P. Marty et M. Fain reconsidèrent un peu la théorisation de la relation objec-
tale allergique :
––la fixation se produit entre le 3e mois et le 8e mois, puisqu’elle apparaît cliniquement
dès cet âge. Ces deux moments correspondent aux deux organisateurs de Spitz ;
––la fixation se situe au niveau des échanges humoraux. « La fixation allergique
possède, entre autres, la particularité de déterminer précocement l’individu à ne pas
reconnaître l’existence de l’autre en tant que tel. » (Id.)
––il existerait une relation entre l’empathie et l’allergie. Les sujets allergiques ont des
facultés d’empathie particulièrement développées : être l’autre, ne pas le reconnaître
ni le distinguer de soi, ni se distinguer de lui ;
––les allergiques s’opposent aux autres sujets somatisant par une libido toujours en
éveil, une richesse de leur activité fantasmatique.
P. Marty est circonspect à l’égard de la préséance de l’allergène : « Nos malades
paraissent surtout victimes de réactions internes, essentielles, toujours disproportion-
nées avec les agents extérieurs, et souvent sans rapport avec eux. » (Ibid.)

2-4. La relation de la juste distance


La clinique nous révèle que certains déclenchements d’épisodes allergiques ne sont
pas en relation avec un vécu de séparation, mais au contraire avec une proximité exces-
sive d’avec l’objet.
Par ailleurs, chez un même sujet, il n’est pas rare que la poussée allergique apparaisse
soit du fait d’un trop grand éloignement, soit du fait d’une trop grande proximité.
Les cas de Gwladys, Gauthier, Hugues, Julie, évoqués p. 449 en constituent l’illus-
tration.
C’est ce qui m’a amené à proposer en 2008 la notion de « relation de la juste distance ».
Au départ, il m’a semblé que ce type de relation correspondait plus à la réalité clinique
que celle de la relation objectale allergique de P. Marty. À ce jour, je réalise que la relation
de la juste distance ne remet nullement en cause la relation objectale allergique, et qu’elle
en constitue une modalité défensive évolutive. La relation objectale allergique demeure la
relation archaïque inaugurale de base. P. Marty lui-même repère la fonction trophique de
l’éloignement volontaire transitoire de l’objet : avec la distance, la disparité traumatique
s’atténue.
La clinique des eczémas, notamment, nous a confirmé que la relation objectale aller-
gique est première, qu’elle constitue la matrice de la relation chez l’enfant allergique ou

503
Traité de médecine psychosomatique

futur allergique, et que la relation de la juste distance n’apparaît que chez l’enfant plus
grand ou chez l’adulte.
Par définition, les expériences de séparation, de dé-fusion, sont particulièrement
traumatiques chez l’allergique et des mécanismes de défense psychiques et comporte-
mentaux contre ces vécus ne peuvent que tenter de se mettre en place. Au fil des années,
l’individu expérimente avec plus ou moins de succès, d’aisance ou de souffrance, les
diverses situations anxiogènes liées à la séparation ou à l’angoisse de séparation ainsi
que certains processus défensifs conscients ou inconscients, psychiques ou comporte-
mentaux, qui lui permettent de métaboliser au moindre mal ces expériences. C’est le
principe de l’autonomisation. Lors d’investissements d’objets ultérieurs, le sujet aura
acquis partiellement ces processus défensifs et la mise en place d’une juste distance avec
l’objet me paraît constituer la modalité défensive centrale.
On peut considérer que cette relation s’installe selon deux modalités. Soit elle
permet d’éviter la dépendance, la fusion, dont le sujet par expérience a mesuré le risque
puisqu’elle porte en elle le germe de la séparation traumatique ; soit elle surgit comme
simple processus défensif de mise à distance de l’objet vécu comme persécuteur et, dans
ce cas, c’est bien d’une ambivalence relationnelle archaïque à l’objet dont il s’agit. C’est
seulement dans ce dernier cas que la relation objectale allergique est initialement impure,
mais associée à des éléments de rejet.

3. L’ASTHME
3-1. Généralités
L’asthme est considéré comme une affection polyfactorielle dans laquelle entrent
en jeu dans des proportions infiniment variables, d’un sujet à l’autre et chez un même
sujet, facteurs allergiques, inflammatoires, infectieux, émotionnels, environnementaux,
toxiques, génétiques.
C’est dire qu’il peut exister chez tel sujet un terrain asthmatique objectivable
(hypersensibilité à l’histamine ou aux parasympathicomimétiques) sans que se déclenche
le moindre symptôme, chez tel autre une crise déclenchée par un allergène, ou bien par
un état émotionnel particulier, ou encore par une infection saisonnière, ou enfin par
une simple représentation (une image de chat peut déclencher chez certains sujets une
réaction).
La dimension psychosomatique de l’asthme a toujours été plus ou moins reconnue, si
ce n’est acceptée par la médecine officielle, jusqu’à ces dernières années où les dogmes
de l’objectivation, de la technicité et de la négation de l’inconscient, ont mis un terme à
toute subjectivité.
J’ai recueilli vingt-trois observations de patients présentant ou ayant présenté de
l’asthme. Sur ces vingt-trois patients, seulement cinq consultaient pour leur problème
d’asthme. Les dix-huit autres consultaient pour un autre problème et c’est l’investigation
qui révéla cette pathologie asthmatique associée. C’est dire que la demande de traite-
ment psychosomatique pour cette pathologie est infime. Il y a deux causes à cela :
––être asthmatique finit à longue par constituer une identité, quelque chose qui va
de soi. La défense somatique permet d’éviter le conflit, la séparation, la souffrance
psychique et l’angoisse ;
504
Les allergies respiratoires

––la dimension allergique et inflammatoire est mise en avant par les spécialistes de la
maladie qui – il faut bien l’avouer – veillent à ne jamais laisser le patient s’aventurer sur
des terrains de chasse non gardés.

3-2. Facteurs traumatiques
L’anamnèse associative des premières périodes asthmatiques révèle l’existence de
facteurs traumatiques inducteurs de la pathologie :
––chez le jeune enfant, il s’agit essentiellement de vécus de séparation : déménage-
ments, divorce des parents, reprise du travail de la mère, hospitalisations dans la petite
enfance, séparations transitoires, interruptions de la relation, succession de nourrices,
etc. ;
––chez l’enfant plus grand et chez l’adulte, on retrouve les vécus de séparation, mais
aussi les vécus de contrainte avec trop grande proximité de l’objet, et certains vécus
de castration : hystérectomie, stérilisation tubaire, sévices sexuels. La conjonction de
différents types de vécus n’est pas rare, telle la séparation d’avec la famille d’origine qui
coïncide avec le début de la vie de couple.
™™ François, professeur de clarinette, développe un asthme dans les suites du décès de
sa mère et de la cohabitation avec sa compagne, professeur de cor, masculine et particu-
lièrement agressive à son encontre. Il rêve régulièrement qu’il est poursuivi et attaqué par
des chiens de chasse à courre allergisants. Il se réveille dyspnéique.
Les rechutes et les aggravations apparaissent dans les suites de séparations ou au
contraire de trop grande proximité avec l’objet.
Les rémissions ou guérisons spontanées ne sont pas rares. Elles surviennent dans les
suites de changements existentiels trophiques et volontiers libérateurs (puberté, activité
sportive, éloignement géographique de l’objet), ou bien sous l’effet de l’apparition d’une
nouvelle pathologie somatique (psoriasis, lupus, Basedow, obésité, maladie coronarienne,
ulcère).
On retrouve donc des séquences traumatiques similaires à celles de l’eczéma : vécus
de séparation dans un premier temps, puis facteurs moins spécifiques qui apparaissent
avec le temps. Chez l’adulte, la relation de la juste distance semble occuper une place plus
centrale.

3-3. Le personnage maternel et l’angoisse de mort


On repère de manière quasi systématique une emprise maternelle majeure, une proxi-
mité symbiotique, si ce n’est un état d’intrusion. La mère, angoissée souvent, comme nous
le verrons, pour des raisons légitimes liées à sa propre histoire, ne lâche pas l’enfant, le
couve, l’envahit, le maintient sous sa coupe, le met en garde contre tous les dangers, parle
à sa place.
L’angoisse de mort est quasi constante et centrale. Et c’est ici que semble résider la
principale différence d’avec les autres pathologies allergiques et notamment l’eczéma.
Elle est obsédante chez la mère et est absorbée par l’enfant. Elle est sous-tendue, selon les
cas, par une angoisse de séparation et/ou un contexte de mort induit par des événements
réels.
505
Traité de médecine psychosomatique

™™ Lucas, 9 ans, présente un asthme chronique et invalidant depuis l’âge de 6 ans.


Cet asthme a succédé à des laryngites striduleuses et de l’eczéma qui avaient débuté à 2
ans lorsque la mère avait repris son travail. On a détecté une allergie aux poussières de
maison et aux moisissures. Il est sous traitement de fond et dispose d’un traitement pour
les crises qui sont fréquentes et importantes. Il est en cours de désensibilisation depuis
un an. Il a effectué deux cures à La Bourboule durant le mois d’août, séjours au cours
desquels il n’a présenté aucun symptôme. Dès le mois de septembre, les symptômes sont
revenus. Son état entraîne des visites en urgence fréquentes du médecin généraliste que
j’étais à cette époque.
Lucas est un enfant grassouillet, plutôt tranquille en apparence, chez lequel on perçoit
une tension latente. Il est fort sociable et a établi avec les médecins et l’infirmière des liens
familiers.
La maman est volubile, logorrhéique, parle fort, bref, saoule l’interlocuteur. Elle me
pompe l’air. Elle est manifestement très angoissée et s’adresse à Lucas tantôt comme à
un nourrisson, tantôt comme à un homme mûr. Elle est institutrice et Lucas est en CM2
dans sa classe. Le père est un homme calme qui reste dans la cuisine lors des visites et
ne se montre pas. Cette insupportable mais brave dame a, lors de son unique grossesse,
provoqué involontairement un accident dans lequel un enfant a trouvé la mort. La suite
de sa grossesse s’est passée au lit, les contractions étant incessantes.
™™ La mère de Raphaël joue les deux rôles parentaux, le père étant définitivement
absent. Elle n’a pas renoué de nouvelle relation et vit seule avec ses deux enfants. Fusion-
nelle, hypervigilante, en permanence sur le dos de Raphaël, elle présente une forte
angoisse de mort aggravée depuis que Raphaël, lors d’un accident de la route à 8 ans, a
été laissé transitoirement pour mort. L’asthme succédera alors à l’eczéma qui était apparu
à 6 ans. Il apparaîtra lors du séjour qui suivit, à la montagne, avec ses grands-parents, sans
sa mère. Raphaël duplique le fonctionnement maternel quant à l’angoisse de séparation
mais, lorsque la mère devient trop étouffante, il a du mal à supporter son emprise.
™™ Johann consulte pour des attaques de panique qui ont considérablement réduit
son périmètre de vie depuis de nombreuses années. Il présente des crises de spasmophi-
lie et une angoisse de mort invasive. La pathologie anxieuse de Johann a succédé à un
asthme infantile. Celui-ci a débuté vers l’âge de 5-6 ans, faisant suite à un eczéma apparu
vers deux ans et demi dans les suites d’une hospitalisation d’un mois pour intervention
chirurgicale pour fente palatine et luette bifide. Il persistera jusqu’à l’âge de 14 ans.
Durant ces longues années, seront mises en place une désensibilisation (poussières
de maison, plumes, pollen) et des mesures drastiques contre tout facteur réel ou imagi-
naire susceptible d’induire des crises. Johann n’a pas le droit de sortir, de jouer avec des
copains, les activités physiques ont été interdites par le professeur qui le suit au CHU, et
la mère le surveille comme de l’huile sur le feu. Un traitement corticoïde fera apparaître
une prise de poids progressive. À 14 ans, l’asthme cesse sous l’effet de trois facteurs conju-
gués : il découvre le sport, tombe amoureux et subit dans la foulée une appendicectomie
qui contribuera à atténuer une angoisse de castration fortement réactivée au moment
de la puberté. Vers 12 ans, une séparation parentale était en effet dans l’air car le père
avait une maîtresse et il avait été demandé à Johann de lui faire la morale. Lors de ses
premières années, la mère de Johann, enseignante, fait des remplacements. Johann aura
506
Les allergies respiratoires

six nourrices successives. Quand Johann arrive dans l’établissement de sa mère, elle lui fait
faire des heures d’étude supplémentaires, l’empêchant d’aller en récréation rejoindre ses
copains s’il y a trop de poussière ou si le temps change. Elle est très angoissée, le met en
garde contre tous les malheurs qui pourraient arriver. Elle refuse qu’il apprenne à nager,
un cousin à elle étant décédé par noyade. Johann rêvera souvent de noyade et dévelop-
pera la phobie d’être enterré vivant. À 8 ans, le décès d’un de ses copains, d’une leucémie,
amplifiera l’angoisse de mort familiale.

3-4. Le désordre thymique


™™ Margaret, 63 ans, présente un asthme grave depuis cinq ans, ayant nécessité deux
hospitalisations en service de réanimation. Cette patiente souffre également de troubles
bipolaires. Les crises d’asthme se déclenchent uniquement en période dépressive.
La tristesse de Margaret apparaît dès le premier contact. Elle se maintient dans une
attitude d’hypertonie musculaire constante, ponctuée par des mouvements d’ascension
rythmique du thorax, comme si elle mimait des inspirations forcées. Elle n’est pas du
tout dyspnéique. Le contact est aisé. Elle répond volontiers mais de manière monosylla-
bique aux questions qui lui sont posées. Bien que d’origine anglaise, sa compréhension du
français est excellente, ainsi que son expression verbale.
Margaret est née à Liverpool dans une famille pauvre. Le père, employé dans l’indus-
trie, a des tendances alcooliques. La mère est décrite comme une femme très économe
souhaitant toujours des conditions matérielles meilleures pour sa famille, ce qui entraî-
nera de nombreux déménagements dans des maisons jugées plus confortables. Lors de
l’entretien, elle exprime le grand attachement qu’elle avait à cette mère qui semble avoir
été de santé fragile, ayant subi plusieurs interventions chirurgicales. Elle se souvient d’avoir
éprouvé longtemps des états d’angoisse avant de s’endormir le soir, où elle craignait que
sa mère ne meure. Elle avait entre 5 et 7 ans.
Elle était assez angoissée lors des disputes entre le père et la mère, au cours desquelles
elle craignait que celle-ci ne soit battue. Lorsque le père criait, la mère s’évanouissait et
restait ainsi quelques minutes allongée, immobile, inanimée. Elle se décrit comme une
enfant très sage qui travaillait bien à l’école. Elle a 2 ans à la naissance de sa sœur Victoria,
et 10 ans à la naissance de sa sœur Anna. Elle poursuivra ses études secondaires et s’orien-
tera vers l’enseignement.
À 24 ans, elle épouse un ingénieur français. Le couple vient s’installer en France et y
restera deux ans. Un premier enfant vient au monde : Maureen. Elle évoque ce séjour en
France en disant qu’elle n’était pas bien, qu’il faisait trop chaud. La famille retournera de
ce fait à Liverpool puis déménagera à nouveau dans le sud de l’Angleterre près de Londres.
Puis c’est au tour du mari de ne pas se plaire en Angleterre. Un conflit éclate entre les
époux et le mari disparaît pendant deux mois. Margaret, qui a 28 ans, vit très mal cette
séparation et demande conseil à sa mère qui lui suggère de faire la paix avec le mari pour
qu’il revienne. Dont acte. Réconciliation. Les époux retournent alors à Liverpool.
Elle perdra son père à 45 ans et sa mère à 49 ans. Lorsqu’elle a 50 ans, sa première fille
se marie et, 4 ans après, c’est le départ de sa deuxième fille, Alice. Tous ces événements ne
s’accompagnent pas de manifestations pathologiques réactionnelles notables.
Le début des troubles thymiques et respiratoires remonte à l’âge de 58 ans. Un élément
semble avoir été déterminant : l’achat d’une maison en France, dans les Cévennes, et le
507
Traité de médecine psychosomatique

projet de s’y installer pour la retraite future. Les époux vivent alors à Liverpool, dans leur
maison, depuis vingt ans. Cette époque est marquée par un surinvestissement profes-
sionnel (Margaret est directrice d’école), qui laisse apparaître des fluctuations thymiques,
tantôt asthénie, tantôt manifestations euphoriques (hyperactivité, surinvestissement
professionnel, projets divers, achats). C’est dans ce contexte qu’un jour, se trouvant
mauvaise mine, elle se rend chez le coiffeur, où brusquement elle est saisie d’une peur
panique d’être électrocutée sous le séchoir à cheveux. Cette panique, extensive, s’accom-
pagne de préoccupations morbides à l’égard de ses proches et elle quitte précipitamment
le salon de coiffure pour rentrer chez elle et s’assurer qu’il n’est pas arrivé malheur à sa
famille. Cette crise aboutit à une première hospitalisation pendant trois semaines.
Margaret reprend ensuite son travail mais, pour financer la maison en France, les époux
doivent vendre leur maison et s’installer dans une habitation plus petite. C’est dans cette
nouvelle maison que les premières manifestations respiratoires apparaissent. Bronchites
répétées, conduisant son médecin, après plusieurs traitements sans effet, à instaurer une
corticothérapie qui jugule les crises, mais qui génère un état d’euphorie particulièrement
marqué et entraîne une seconde hospitalisation.
Lorsque Margaret sort de clinique, elle est mise en retraite anticipée. Le couple revend
alors la deuxième maison pour acheter un nouveau pied-à-terre : un appartement.
Dans la même année, le couple finit par s’installer en France mais dans un mobile-
home, dans un camping au bord de la mer. C’est là qu’elle présente sa première grande
crise d’asthme, quelques jours après son arrivée. À partir de ce moment-là, les crises
ponctueront sa vie quotidienne et ses oscillations thymiques, y compris lors des trois
nouveaux retours en Angleterre pour des séjours de plusieurs mois, dont un d’un an.
Actuellement, le couple vit dans sa maison cévenole, mais ils viennent de la mettre en
vente. Ils retournent parfois dans la région où est installé le mobile-home et ont l’inten-
tion d’y acheter une nouvelle maison. La fille aînée Maureen est professeur de français en
Angleterre. Alice est infirmière en Arabie saoudite.
J’ai eu huit entretiens avec Margaret, une fois par semaine. Lors de ces entretiens,
certains éléments sont apparus. Nous rapportons ici de manière non exhaustive, textuel-
lement, et donc de façon parfois désordonnée, ce qu’elle a pu dire :
« Je rêvais que j’étais bien : on louait un appartement avec mon mari près de mes
enfants… Parfois, je rêve que tout va bien… Je ne rêve jamais d’autre chose, jamais que
ça va mal…
… Il y avait des disputes entre moi et ma sœur. Avant que ma mère n’arrive pour
donner des gifles, ma sœur ne se cachait pas, elle restait, recevait les gifles. Moi, je me
cachais, je me sentais coupable… J’avais l’impression qu’il me manquait quelque chose en
moi… Toujours, il faut que ce soit ma faute à moi… J’étais trop sage… Tout blanc comme
un petit muet… Lorsque ma mère s’évanouissait, ma sœur tenait sa main et lui mettait de
l’eau sur le front. Moi, je courais, je revenais, je partais… Je me sentais coupable de partir.
Je ne pouvais pas supporter cela… Plus tard, quand mes enfants avaient des accidents, je
courais…
… Ma mère me possédait, mettait tout en moi… Elle n’allait nulle part sans moi. C’était
comme si c’était la même personne. J’ai été son premier enfant… Elle a eu si peu d’amour
dans sa vie. Elle était l’aînée d’une famille de quatorze enfants. Famille très pauvre. Elle a
tout investi en moi. Elle était très forte de caractère… Elle m’a dévorée, oui, je crois… C’est
508
Les allergies respiratoires

elle qui m’a poussée à être institutrice… Après, René a remplacé ma mère… Ça m’a donné
du doute en moi et même de la culpabilité. Je veux être parfaite… J’étais tenue comme
une lumière, une belle chose par ma mère… On a beaucoup déménagé dans l’enfance,
chaque fois, une maison un peu mieux… Si je ne suis pas parfaite, je ne suis plus rien… Ça
me fait rien de mourir, c’est même bon. Dans mes crises d’asthme, je suis bien…
Hier, j’ai eu des difficultés pour respirer, ma fille m’a téléphoné, elle a de graves
problèmes. Elle risque de divorcer, et moi, je ne suis pas avec elle. Je me suis endormie
normalement et je me suis réveillée angoissée, étouffée, avec un sentiment de ne pas
pouvoir aller la voir, d’être bloquée… Depuis, je respire mal… J’ai du mal à m’exprimer… Il
n’y a rien qui m’intéresse…
… Ma mère était hypocondriaque… Tout le monde était là quand elle était malade…
J’ai rêvé que mon père et ma mère me disaient de rester avec eux en Angleterre… J’ai fait
beaucoup de mal à mon mari. »
Entretien avec le mari. Homme sthénique, un peu sourd, excédé par les oscillations de
sa femme :
––soit dans les phases d’euphorie, où il redoute ses actes compromettants (dépenses
excessives, chèques sans provision, lettres…) ainsi que la jalousie excessive et l’agressi-
vité dont elle fait preuve à son égard ;
––soit dans les phases dépressives où il craint que les crises et l’asthme n’aboutissent à
une issue fatale.
Il souhaite qu’elle aille dans une maison de repos en Angleterre et, après la vente de la
maison des Cévennes, il habitera tranquillement son mobile-home.
Les huit entretiens avec Margaret se sont étalés sur deux mois. Elle tenait beaucoup
à ces séances malgré ses idées d’incurabilité. De mon côté, la crainte de mort par crise
d’asthme était présente. Nous avions conscience qu’elle constituait un frein à la théra-
peutique.
Assez rapidement, une amélioration se dessina tant du point de vue respiratoire que
thymique et nous décidâmes, lors d’une dernière crise d’asthme, de refuser l’hospitalisa-
tion. Cela se passa bien et les entretiens purent se poursuivre.
Le mari téléphona un jour pour m’informer que Margaret allait provisoirement inter-
rompre la psychothérapie car ils devaient partir pour un long séjour chez des amis. Je ne
revis plus Margaret.
L’analyse de cette observation révèle plusieurs éléments :
––une vie d’errance jalonnée de déménagements ;
––une angoisse de mort, dès la plus tendre enfance. Les pertes réelles ne s’accom-
pagnent pas de troubles. C’est l’idée de la perte (projets de départ, peur que la mère
ne meure) qui est pathogène, l’anticipation de la séparation et non la séparation
elle-même. L’angoisse de séparation par rapport à la mère est consubstantielle à culpa-
bilité à l’égard de celle-ci, de sorte que la séparation est vécue comme la sanction d’une
faute à son égard ;
––l’asthme survient uniquement en phase dépressive. Il est d’apparition brutale ou
plus progressive : intensification des difficultés respiratoires, de l’inhibition psychomo-
trice, de la tristesse, somnolence, obnubilation, puis pseudo-coma où « on la retrouve
bleue ». Elle se laisse délicieusement mourir, sans lutter, dans un état de jouissance.
509
Traité de médecine psychosomatique

N’y a-t-il pas une analogie entre cette conduite et celle de la mère qui faisait la morte
lorsque éclatait un conflit avec le père, à cette époque où l’enfant ne se sentait pas
très distinct d’elle ? Cet asthme est cortico-dépendant. Le traitement jugule la crise
en même temps qu’il induit une inversion de l’humeur. Lors des phases expansives,
l’agressivité s’exprime à l’égard de l’objet.
Hospitalisation
Corticothérapie

Expansion
Dépression
Sujet Agressivité Objet Respiration
Asthme
normale

Hospitalisation
Sels de lithium

Les séquences morbides de la patiente Margaret


Il existe une sémiologie de la respiration liée aux états affectifs : l’angoisse étouffe, la
colère réprimée aussi, la surprise coupe le souffle, la dépression arrache des soupirs, la
sérénité s’accompagne d’une respiration paisible.
La crise d’asthme (parasympathique) paraît initialement être en relation avec un vécu
de détresse, d’abandon sans issue, ce qui explique que les signes orthosympathiques de
l’angoisse n’apparaissent pas en même temps.
Ruth Zafrir (Asthme masquant et analyse sous le masque) cite le cas d’un patient
qui déclenche une crise d’asthme au moment où son analyste a dû s’absenter quelques
minutes. Ce patient dit que, lorsqu’il pleure, il n’étouffe pas.
La répression de l’émotion tristesse sous-tend la pathologie. L’émotion tristesse,
lorsqu’elle ne s’évacue pas dans les pleurs, se manifeste par une oppression thoracique
avec fréquence basse, accompagnée de blocages respiratoires et d’un besoin de reprendre
une respiration ample, de soupirer.
La plus belle illustration de la répression transitoire des larmes se retrouve dans une
expression bien connue dans les basses Cévennes : on dit d’un enfant qui retient ses
larmes qu’il est « couffle », c’est-à-dire gonflé au point de ne plus pouvoir laisser entrer
d’air en lui.
L’agressivité, comme en témoigne cette observation, est aussi au centre des fluctua-
tions morbides, l’asthme apparaissant lorsque l’agressivité se retourne contre le sujet.
La joie, seule émotion à contenu hédonique, est un antidote de l’oppression respira-
toire.
L’état amoureux stoppe l’asthme de Johann, cité p. 506, mais ne fait pas disparaitre son
angoisse.
L’état d’euphorie de Margaret met un terme aux épisodes d’asthme.
La joie induit une respiration ample, profonde, de meilleure qualité, accompagnée
parfois de soupirs.
510
Les allergies respiratoires

La joie donne envie de se fondre avec l’objet (et tous les objets extérieurs), de se
l’approprier, de faire corps avec lui.
A. Haynal distingue deux types d’asthme selon la réactivité du sujet. « On est frappé
de constater que ceux des médecins qui ont une expérience particulière de ces malades
les séparent dès l’entrée en deux groupes, de pronostic différent : ceux qui finalement
s’en tireront avec une thérapeutique médicale, certes importante, mais en excluant
tout recours aux techniques de réanimation, et ceux qui, au contraire, vont poser des
problèmes dans les minutes ou les heures qui suivent au point d’aboutir à la mort si
l’on n’est pas vigilant. On a essayé d’établir sur quels éléments cette “impression” pouvait
être étayée. Les patients du premier groupe, qui finalement ne sont pas très inquiétants,
“luttent” toujours avec vigueur, en particulier ils présentent une respiration forcée,
énergique pour essayer de prendre un maximum d’air à travers leurs voies aériennes
obstruées. Les autres au contraire s’abandonnent à ce syndrome asphyxique. La manière
de respirer de ces malades est donc un véritable mode d’expression infra-verbal, au même
titre que la mimique ou les gestes des mains. De plus les patients du deuxième groupe,
une fois sortis du centre de réanimation, guéris de leur état de mal asthmatique, vivent la
plupart un véritable état hypomaniaque avec une fausse gaieté et un faux dynamisme. »
(Haynal, Médecine psychosomatique.)
L’asthme surgit donc dans un contexte dépressif. Les manifestations d’angoisse
(spasmophilie, trouble panique) alternent mais ne lui sont pas associées.

3-5. Effets somatopsychiques
• Bénéfices primaires libidinaux : déplacement de l’angoisse sur la maladie.
• Bénéfices secondaires narcissiques : attention, hyper-protection liée à l’angoisse de
l’entourage, évitement de certaines situations, de certaines activités, victimisation.
• Restauration identitaire : les patients disent plutôt « Je suis asthmatique » que « J’ai
de l’asthme », alors qu’un sujet souffrant d’eczéma dira plutôt « J’ai de l’eczéma » et non
« Je suis eczémateux ».
• Régressions objectales : surinvestissement de l’objet maladie, traitements locaux mus
en objets transitionnels.
™™ Aleth, boudeuse, susceptible, vite contrariée. « Si tu m’engueules, je ferai une crise
d’asthme. » Donc acte...

3-6. La relation d’objet allergique


L’asthme qui se déclare en âge scolaire a tendance à évoluer pendant plusieurs années
pour céder souvent à la puberté. Assez souvent, l’eczéma le précède, l’accompagne ou
alterne avec lui. Mais certains asthmes commencent à la puberté.
L. Kreisler repère chez les enfants asthmatiques : familiarité, extrême proximité,
recherche immédiate d’un contact avec autrui, facilité de substituer un partenaire à un
autre avec une grande rapidité, négation de toute distance. « Tous leurs camarades sont
des copains, ils sont dociles, souvent bons élèves, évitent les conflits, faciles sauf avant la
crise où ils deviennent irritables, parfois agressifs, mais pas anxieux, au point de se deman-
511
Traité de médecine psychosomatique

der si l’angoisse du souffle, attribuée au jeune asthmatique, n’est pas pure projection de la
part de l’adulte saisi d’angoisse devant l’enfant qui suffoque. » (Op. cit.)
L’asthmatique « s’accroche à quiconque dans une relation d’objet instantanée et
mobile, comme le jeune bébé dans la phase où il sourit à n’importe qui, sans discrimi-
nation de la personne (Fain). Le maintien en état de régressivité archaïque est le fait de
situations diverses, par exemple des conditions anormales du partage de la garde qui
empêchent l’attachement duel, ou encore une attitude pathogène de la mère qui, dans sa
nostalgie du lien par le cordon ombilical, bloque l’évolution vers l’individuation. » (Ibid.)
« Ainsi c’est dans les tout premiers mois de la vie que s’installeraient les phénomènes
pathologiques, à la fois sur le plan physique et psychologique, dans une conjonction qui
s’inscrit dans la personnalité, à la fois immunologique et psychique. » (Ibid.)

3-7. La relation de la juste distance


À l’adhésivité du sujet, à son intolérance à l’idée de la séparation, semble se surajou-
ter un élément inverse, c’est-à-dire une intolérance à la trop grande proximité. Il nous
apparaît que les crises se déclenchent lorsque le sujet est trop loin de l’objet (angoisse
de séparation, peur de la perte, angoisse de mort, un peu comme si le sujet avait besoin
d’une assistance respiratoire), mais aussi lorsque le sujet est trop près de l’objet, étouffé
par celui-ci. Il semblerait que pour aller bien, l’asthmatique doive régler la juste distance
par rapport à l’objet, ni trop loin, ni trop près, naviguer tout en gardant un port d’attache.
S’il est fréquent de constater que la séparation ou la menace de séparation peut déclen-
cher des crises, il est tout aussi fréquent de constater que la séparation peut jouer un rôle
thérapeutique indiscutable, si l’on ne peut établir une distance suffisante au sein de la
famille.
On peut supposer que le même mécanisme se produit au niveau du fonctionnement
profond du psychisme et au niveau des systèmes biologiques (système immunitaire,
système végétatif, fibres musculaires), et que la naissance de ces diverses fonctions serait
marquée du même type de fixation, fixation très précoce probablement, selon un proces-
sus de gémellarité (cf. p. 180).
™™ Amélie présente une alternance d’asthme et d’eczéma. Elle est envahie par la crainte
de l’infidélité et son idéal dans le couple est la fusion (son fantasme est d’être « soudée »
à l’autre), bien qu’elle craigne d’être étouffée dès que celle-ci s’établit. Elle rêve qu’elle est
en train de toréer et qu’elle ressent la bonne distance entre le « toro » et elle. Celle-ci lui
donne une sensation de maîtrise et de pouvoir.
™™ Céline, 33 ans, présente un asthme apparu à l’âge de 21 ans dans les suites de sa
maternité. L’enfant est prématuré et présente des anomalies : pied bot, fente palatine. Une
insomnie s’installera au retour de la maternité, suivie d’asthme six mois après. Quelques
mois avant la grossesse, le mari avait occasionné un accident grave de la circulation sous
l’effet de l’alcool et Céline avait accepté d’en endosser la responsabilité en disant que
c’était elle qui conduisait. Ainsi s’était-elle mise en position de coupable, position qui
perdure car elle attribue les anomalies de son enfant à cet événement. Elle est soumise
à ce mari, boulanger de son état, mais est, depuis, allergique à la farine. La nuit, elle rêve
que ses poumons sont détruits par un cancer et que le médecin est le livreur de farine.
512
Les allergies respiratoires

H. Haynal fait état d’une avidité chez l’asthmatique. Avidité insatiable et agressive,
soulevant chez l’autre le sentiment que ce qu’il donne n’est jamais suffisant. Cette agres-
sivité, le plus souvent larvée, exprimée sous forme de hargne et d’insatisfaction, diffi-
cile à contenir pour le thérapeute, n’en demeure pas moins, lorsqu’elle a trouvé un objet
externe, une mesure de protection contre le sujet.
L’avidité de l’asthmatique conditionne pour une part la relation thérapeutique. Le
patient cherche un objet d’appui (objet anaclitique) en la personne du thérapeute, et
celui-ci doit aménager la distance optimale entre lui et le patient. Cette régulation perma-
nente de la distance doit offrir une sécurité au patient en même temps que des limites
qu’il devra intégrer sans qu’elles soient vécues comme un rejet.

3-8. La rétention, le rejet et l’analité


La relation objectale allergique, telle qu’elle a été définie par P. Marty, se situe aux
antipodes du rejet de l’objet. La relation de la juste distance oscille entre des velléités de
fusion et de mise à distance.
Les allergies cutanées affectent l’interface physiologique entre l’individu et le monde
extérieur. Certaines théories médicales, comme l’homéopathie, considèrent la peau
comme un émonctoire et ses atteintes comme un processus d’élimination. L’asthme, dans
sa forme classique de dyspnée expiratoire, est l’expression d’un rejet impossible de l’objet.
Le coryza spasmodique enfin, ne serait-ce que d’un point de vue phénoménologique,
expulse du corps de manière bruyante un trop-plein.
Ainsi, la dimension du rejet ne peut être éludée dans la réaction allergique. Qu’il s’agisse
d’éloigner l’objet, d’expulser des miasmes, ou un allergène, la réaction s’inscrit dans une
dynamique qui n’est pas sans rappeler celle de l’analité.
™™ Monique présente un asthme ainsi qu’une anosmie et une obstruction nasale
attribuées à une polypose sinusienne. L’asthme se manifeste par une dyspnée expiratoire,
continue, avec paroxysmes. En fin de crise, elle est prise d’éternuements et tout rentre
dans l’ordre.
L’anosmie a débuté en même temps que l’asthme. Paradoxalement, elle est obsédée
par les odeurs. « J’ai toujours l’impression que ça pue, que je pue. Dès que mon nez est
bouché, je demande à mon mari si je pue, si la maison sent bon. »
Les troubles ont débuté à l’âge de 17 ans, suite à une dispute avec sa mère qui s’était
montrée intrusive dans sa vie amoureuse. « Au moment où je lui ai dit : “Tu me gonfles !”
je n’ai plus pu respirer et ça a continué pendant un an. » Les troubles cesseront du fait
d’un éloignement géographique pour réapparaître à la naissance de sa fille. Un traitement
par sophrologie permettra d’obtenir une amélioration transitoire. Les troubles repren-
dront de plus belle dans les suites d’un retour dans sa région natale.
Monique est issue d’une conception illégitime. « Je n’ai pas connu mon père géniteur.
Ma mère se donnait des coups sur le ventre pour avorter. Elle sautait les marches de
l’escalier. J’ai été élevée par mes grands-parents maternels. Ma mère vivait chez eux. Je ne
savais plus qui était ma mère : elle ou ma grand-mère maternelle ? Ma mère n’intervenait
que lorsque je n’avais pas envie qu’elle le fasse. Elle ne mettait en avant que ce qu’il y avait
de négatif chez moi… Je vivais dans un milieu sale : ma mère et ma grand-mère puaient.
Je me retenais d’aller aux toilettes car ces pots de chambre familiaux, c’était infect. Ma
513
Traité de médecine psychosomatique

grand-mère attendait toujours que le pot déborde. Je me retenais. J’ai été constipée
jusqu’à vingt ans. À cause de la saleté, je ne mettais pas de culotte. »
Vers l’âge d’un ou deux ans, Monique est hospitalisée pour déshydratation. Lorsqu’elle
évoque cet épisode, elle fait un lapsus, utilisant le terme dédramatisée au lieu de déshy-
dratée. La mère est alors absente et c’est sa marraine qui lui rend visite. Monique allègue
aussi des velléités de contacts sexuels émanant du grand-père vers l’âge de 4-5 ans. À
la même époque, elle est traitée pour rachitisme (« Mes genoux se touchaient »). Vers
l’âge de 7 ans, la mère se marie avec Joseph et le couple vit chez les grands-parents,
au deuxième. C’est à cette époque qu’elle présente plusieurs pathologies successives :
rougeole, conjonctivites, coliques néphrétiques.
« Joseph et ma mère ont eu mon frère quand j’ai eu 12 ans. Le jour de ma communion.
J’avais ma robe blanche. Je me suis retrouvée seule avec mon grand-père qui était saoul et
voulait me toucher. J’étais jalouse de mon frère au départ puis je m’en suis occupée. Je lui
ai donné de l’argent, ainsi qu’à ma mère.
Ma mère grignotait tout le temps. Parfois, il ne nous restait rien. Une fois, elle avait
piqué ma cagnotte de pièces de cinq centimes. Elle piquait aussi de l’argent à ma grand-
mère, je l’ai vue. Elle a toujours été kleptomane. Les jours de repas, les hommes sortaient
leur sexe, se battaient. Une fois, Joseph a sorti un couteau et a menacé ma mère. Elle m’a
utilisée comme bouclier.
J’ai rencontré mon mari à 20 ans et je suis tout de suite tombée enceinte. Ma grand-
mère maternelle est entrée dans le coma la veille de mon accouchement et est décédée
quelques jours après. »
Curieux milieu, digne des romans les plus glauques : alcoolisme, incestes, maltraitance,
saleté, etc. Le monde extérieur pue. Comment s’en protéger ?
Les premières séances révéleront des complexes cruciaux : crainte incestueuse,
angoisse de castration, phobie d’intrusion, analité, angoisse de séparation, angoisse de
mort, répression de l’agressivité, quête de la juste distance.
La crainte incestueuse se manifeste dans certains rêves : « J’ai une robe blanche mais je
n’ai pas de culotte. Je vais chez un ostéopathe qui ressemble à mon grand-père. » Cette
crainte incestueuse apparaît dans un rêve récurrent, intriquée à une phobie d’intrusion :
« Derrière moi, il y a un tableau. C’est un visage masqué qui m’observe. »
L’angoisse de castration est manifeste dans l’enfance : « J’avais peur d’être poignardée
enfant ou qu’on me coupe les pieds si je dormais les pieds dehors. » La phobie d’intru-
sion sous-tend l’anosmie, mais celle-ci est vécue comme une amputation, une castration.
L’olfaction est très érotisée : « Lorsque je prends des corticoïdes, je ressens alors les odeurs,
je m’enivre alors de parfums. »
La régression anale accompagne l’angoisse de castration. Elle est omniprésente dans
certains rêves. « Je donne des billets à l’entrée d’une soirée. Mais petit à petit je n’y vois
plus et les gens prennent de l’argent… Des WC dans la nature pleins de serpents. J’ai envie
d’uriner. Un serpent me pique au mollet. Je me retiens jusqu’au dernier moment comme
quand j’étais petite… Dans un café avec un vieux monsieur. Un camion-poubelle passe.
Quelqu’un dit en me regardant : “Toutes les ordures ne sont pas dehors.” »
L’angoisse de mort condense l’angoisse de castration et de séparation, la phobie
d’intrusion et les représentations anales : « J’avais toujours peur d’être poignardée. Après
514
Les allergies respiratoires

la naissance de mon fils, je rêvais que je nageais dans une mer où il n’y avait que des
cadavres de bébés. Quand je voulais en sortir ma mère me rejetait à l’eau… »
Tous les rêves mettant en scène les représentations traumatiques génèrent une
dyspnée et une raideur cervicale. La raideur cervicale est intimement liée à la dyspnée.
Elle atteste de la répression de l’agressivité, qui est donc une composante de son asthme.
Elle ne supporte pas qu’on lui touche le cou et dit que ses cervicales sont son « noyau
de vie », ses « forces vitales » et que « l’énergie y est bloquée ». Elle a toujours eu peur de
mourir étouffée. On lui aurait rapporté qu’au moment de l’accouchement, sa mère aurait
serré les jambes pour ne pas qu’elle sorte.
L’expression de cette agressivité améliore l’asthme : « Un jour où mon fils m’a “gonflée”,
j’ai “explosé”. » Monique a aussi le fantasme d’un coup de poing qui lui ferait éclater la
poitrine et la libérerait. Elle rêve d’une dispute avec son mari : « Mes deux lèvres étaient
soudées et aucun son ne pouvait sortir. »
La relation d’objet allergique est présente : « J’ai l’impression d’être double, de trimbaler
une autre personne avec moi. » Mais c’est surtout la relation de la juste distance qui est
centrale : « J’ai peur de la séparation mais si on me gonfle l’idée de partir est une libéra-
tion. » Concernant son mari et son fils : « Si je suis sans eux, ils me manquent, si je suis
avec eux, ils me polluent. »
Une psychanalyse fut entreprise. Les premières séances furent marquées par une
accentuation de la dyspnée. Elle avait eu d’ailleurs une crise dans les suites de la prise du
premier rendez-vous. Depuis, elle faisait un rêve récurrent : « Je me retiens de pisser et je
finis par me pisser dessus. »
Au bout de quelques séances, elle me rapporta un rêve à contenu transférentiel
négatif : « Je suis dans le salon de ma grand-mère, installée dans une voiture. Je ne vous
entends pas. Quand j’ouvre la porte de la voiture, vous riez aux éclats. » À partir de ce rêve
et de son interprétation, la dyspnée s’atténua. Les rechutes ultérieures furent induites par
des moments de tension agressive réprimée, lorsque les choses « la gonflent » et qu’elle
ne renonce pas à son emprise sur ces choses, alors qu’il faudrait leur « souffler dessus ».
Le corps a pris l’habitude, à chaque menace extérieure (excréments, mère, images de
la castration), de se bloquer en se gonflant (en ne laissant rien laisser sortir, en coupant le
contact) : asthme, constipation, rétention urinaire, troubles de la vue, anosmie, émotions.
Je lui propose de réagir à la menace en se vidant, en expulsant (air, émotions, excré-
ments, paroles). Il s’ensuit une amélioration progressive et, au bout de quelques mois, la
dyspnée expiratoire se mue en dyspnée inspiratoire. Puis tout rentre dans l’ordre et l’ana-
lyse est arrêtée au bout d’un an et demi.
Rien n’indique dans cette observation une proximité entre la mère et Monique et ceci
dès la conception de cette dernière. La mère est décrite comme quelqu’un de détestable
par Monique et ne semble pas avoir investi sa fille de la manière massive et ambivalente
qu’on repère chez les asthmatiques ou les eczémateux, bien qu’il ait pu exister chez la
mère une angoisse d’être dépossédée de son bébé dans ce contexte familial chaotique. La
relation allergique s’est-t-elle faite avec la grand-mère ?
Le transfert primaire est négatif, l’analyste est un objet menaçant. Elle se protège de lui,
elle ne l’entend pas.
La dimension du rejet est centrale, plus encore que la relation d’objet allergique, voire
que la relation de la juste distance. Les orifices du corps se ferment, l’expiration est impos-
515
Traité de médecine psychosomatique

sible. Ce n’est qu’à la fin de la crise que le rejet actif surgit : les éternuements qui y mettent
un terme. Le traitement a consisté à remplacer la rétention anale défensive par une expul-
sion : passage de la deuxième à la première phase du stade anal.

4. LE CORYZA SPASMODIQUE


L’observation de Monique qui souffrait à la fois d’asthme et d’anosmie, m’a incité à
faire un petit tour du côté du coryza spasmodique, appelé aussi rhume des foins ou aller-
gie nasosinusienne.
J’ai pu ainsi recueillir et analyser dix observations. Dans ces observations, le coryza
spasmodique est cité par les patients comme un symptôme accessoire par rapport aux
autres pathologies ayant motivé leur demande de soins. Aucune demande de traitement
psychosomatique n’a été faite pour cette pathologie si banale mais pouvant toutefois
constituer une gêne conséquente.

4-1. Facteurs traumatiques
L’anamnèse associative révèle des situations nouvelles inductrices de nécessités
adaptatives :
––dans 50% des cas, il s’agit de cohabitation (vie de couple, mariage) ;
––les autres situations sont représentées par la confrontation à des changements
existentiels de nature variable : puberté, maternité, nouvelle activité professionnelle.
™™ Thérésa présente un coryza spasmodique depuis son mariage il y a vingt ans. Elle
souffre de ne pouvoir exprimer ses différents ressentis en présence de son conjoint.
™™ Il en est de même pour Laury-Anne, 41 ans. Le coryza a débuté il y a quatorze ans
de manière concomitante avec la vie commune avec son compagnon. La relation est
tendue, faite de dépendance et rejet.
™™ Chez Éline, le coryza a débuté dans les suites de sa quatrième grossesse, survenue
de manière inopinée et sur le tard.
™™ Carla, 28 ans, présente un coryza spasmodique depuis qu’elle a débuté son activité
professionnelle.
Certains événements peuvent mettre un terme à la pathologie. Dans cette étude,
j’ai relevé : grossesse, séparation, survenue d’une pathologie mentale (état dépressif) ou
somatique (fissure anale, psoriasis).
™™ Le coryza spasmodique de Corinne avait débuté dans les suites de sa première
grossesse. La deuxième grossesse mit un terme à la pathologie mais au prix d’un état
dépressif peu mentalisé.

4-2. Caractéristiques générales
Associations et alternances morbides
Dans 60% des cas de notre étude, le coryza spasmodique accompagne, précède ou suit
d’autres manifestations allergiques :
––asthme : 60%
––eczéma : 30%
––urticaire : 10%.
516
Les allergies respiratoires

L’état de tension
Les manifestations anxieuses prédominent nettement sur les signes dépressifs, contrai-
rement à ce que nous avons repéré dans l’asthme.
Les émotions de base réprimées à l’égard de l’objet sont, selon les cas, la peur, la colère,
le dégoût.

4-3. La relation d’objet


Malgré le vécu de contrainte par l’objet, le sujet a du mal à s’en séparer. Il s’ensuit une
lutte conflictuelle entre les tendances à éviter, à fuir l’objet, et le sentiment d’obligation
de ne pas s’en séparer.
D’un point de vue instinctivo-pulsionnel, c’est un mécanisme de défense somatique à
type de rejet de l’objet qui sous-tend la pathologie. Lors de la crise, cette velléité de rejet
ne fait pas l’objet d’une élaboration psychique.
On ne repère pas d’angoisse de mort lorsqu’il n’y a pas d’asthme associé.
Malgré le côté rassurant qu’il représente, malgré sa fonction d’étayage, l’objet est vécu
comme intrusif. Le sujet se perçoit comme poreux face à ses avancées, vécues comme
une effraction.
™™ Léonie, 24 ans, présente un coryza spasmodique et une anosmie depuis la puberté.
Elle est tendue dans son corps. La pathologie s’est aggravée depuis qu’elle vit avec son
compagnon dans la même maison que ses beaux-parents. Elle évite autant que se peut
les relations sexuelles qui n’ont lieu que dans le noir, ne supporte pas les manifestations
de désir de son conjoint, pas plus que son regard. Pourtant, le désir apparaît lorsque
l’objet est absent et l’excitation sexuelle de Léonie n’a jamais fait défaut. Elle a aussi le
fantasme de deux êtres collés l’un à l’autre, sexe contre sexe, sans pénétration, ne pouvant
se séparer. Dans un rêve, apparaît un sexe masculin comme une langue de belle-mère. La
mère, profondément haïe, était vécue comme intrusive.
™™ Énora, 32 ans, présente un coryza spasmodique depuis l’âge de 25 ans, date où elle
s’est installée en couple avec son mari. Celui-ci la contrôle beaucoup dans ses allées et
venues et elle ressent un fort besoin de recouvrir des moments de liberté. Mais elle ne
peut se l’autoriser, par crainte de le perdre. Elle ne supporte pas qu’on la touche (cela crée
chez elle une réaction épidermique) et évite de ce fait de nombreux lieux publics. Elle fait
un rêve récurrent dans lequel elle longe les bas-côtés d’une route et où les voitures l’écla-
boussent. La mère d’Énora était perçue aussi comme très intrusive.

4-4. Le dégoût et le rejet


Ces deux précédentes observations, ainsi que celle de Monique, nous amènent à faire
référence à l’émotion dégoût, analysée en première partie de cet ouvrage (p. 77).
Les modifications motrices et neurovégétatives du dégoût semblent être destinées à
éviter la proximité de l’objet tant au niveau de sa présence réelle que de sa perception et
de sa représentation, à le mettre à distance, à s’en protéger, à éviter son incorporation,
son introjection, à l’expulser, à le rejeter. Du point de vue des manifestations respiratoires,
on y repère : apnée en expiration complète, parfois polypnée superficielle, larmoiement,
congestion nasale.
517
Chapitre 19

LES MALADIES AUTO-IMMUNES

1. INTRODUCTION
Les maladies auto-immunes toucheraient 8% de la population dans les pays dits
« développés ». Elles sont dues à une défaillance du système de régulation de l’auto-
immunité physiologique.
La définition d’une maladie auto-immune est strictement d’ordre biologique : le
diagnostic repose sur le taux significatif d’auto-anticorps circulants dans l’organisme du
malade. On parle de maladie auto-immune « à partir du moment où l’on constate dans
le sang circulant la présence d’auto-anticorps fabriqués par un sujet vis-à-vis d’un organe
ou vis-à-vis d’une fonction », nous dit Michel Hautecouverture, endocrinologue (inter-
view dans Revue française de psychosomatique). « … Aujourd’hui, dans sa façon d’envisa-
ger les choses, la médecine officielle enseignée aux étudiants ne parle de quelque chose
qu’à partir du moment où il y a un substratum biologique clair, reproductible, mis en
évidence. » (Ibid.) La clinique est mise au rebut. Le caractère éminemment disparate des
maladies auto-immunes d’un point de vue clinique confirme la préséance totalitaire du
tout-biologique.
Toute découverte nouvelle est – comme nous l’avons souvent dit – susceptible
d’engendrer un modèle théorique extensif qui déborde largement le cadre du champ
dans lequel elle a trouvé son origine. D’extensif, le modèle devient invasif, constituant
un attracteur pour tout ce qui se dérobe à lui. Cela se voit dans tous les domaines et
aujourd’hui plus que toujours, compte tenu des moyens d’universalisation médiatiques.
Il suffit qu’un chien aboie pour que tous les chiens du quartier se mettent à aboyer sans
savoir pourquoi.
Un modèle théorique prévalent à une époque donnée constitue un attracteur pour
tout ce qui concerne la physiopathologie, la clinique, l’étiologie, la thérapeutique, la
nosographie. La théorie des humeurs constitua le modèle étiopathogénique prévalent
pendant de longs siècles. La découverte de la circulation sanguine par Harvey y mit un
terme. Le modèle infectieux favorisa ensuite la préséance de l’exogène dans le détermi-
nisme des maladies. Puis, l’enseignement médical et les spécialités médicales du xxe siècle
se constituèrent à partir du modèle anatomo-clinique. L’immunologie est, quant à elle,
une discipline jeune, et l’auto-immunité, un concept physiopathologique encore plus
récent.
Avec la notion d’auto-immunité, la nosographie change. Les maladies ne sont plus
répertoriées en fonction de leur localisation anatomique, pas plus qu’en fonction d’un
système physiologique, mais en fonction d’un mécanisme biologique séduisant. Ainsi,
l’évocation d’un possible phénomène auto-immun dans des maladies dont le détermi-
nisme demeure mystérieux tend à étendre de manière infinie le champ nosographique
des pathologies auto-immunes. Il n’est pas ridicule d’augurer qu’une simple angine puisse
519
Traité de médecine psychosomatique

être un jour considérée comme une maladie auto-immune si l’on découvre des auto-an-
ticorps dans sa genèse, à moins qu’une nouvelle découverte induise un nouveau modèle
théorique extensif.
La nosographie actuelle distingue deux groupes de maladies auto-immunes : les
maladies auto-immunes spécifiques d’organe et les maladies auto-immunes systémiques.

2. LA RÉPONSE IMMUNITAIRE SPÉCIFIQUE


Les cellules présentatrices d’antigènes (CPA) transforment les antigènes (substances
étrangères) en fragments peptidiques et les lient aux molécules HLA (le soi). Le complexe
HLA-peptides est présenté sous forme « immunogène » aux lymphocytes TCD4 ou TCD8.

Stimulation des lymphocytes


TCD 8 cytotoxiques

Transformation des lymphocytes


Lymphocyte
B en plasmocytes : production
TCD 4
d’anticorps (immunoglobulines) TCR

Déterminant
antigénique
Sécrétion de cytokines

Complexe
HLA II - Peptide

Dégradation

Fragments Molécule
peptidiques HLA II
Antigène
étranger
Cellule CPA

Réponse immunitaire à un antigène étranger

Lors du développement d’une réponse immunitaire spécifique d’un antigène, les


phénomènes de coopération cellulaire conduisent à la prolifération et à la différentia-
tion des lymphocytes B et T spécifiques des déterminants antigéniques portés par l’anti-
gène étranger. Cette prolifération aboutit à la formation de clones de lymphocytes B et T,
supports de la mémoire immunitaire. Une partie des cellules de ces clones vont devenir
des cellules mémoires quiescentes, non effectrices. Lors de la réintroduction de l’anti-
gène (réponse secondaire), l’organisme disposera d’une population de cellules prêtes à
se transformer en cellules effectrices capables d’assurer une protection efficace, rapide
et durable.
Les cytokines (interféron, interleukines), sécrétées par les lymphocytes TCD4, sont des
messagers moléculaires qui coordonnent les différentes phases de la réaction immuni-
taire. Elles ont un effet stimulant de la réaction immunitaire.
520
Les maladies auto-immunes

Lymphocyte
TCD 8
TCR

Déterminant
Destruction antigénique
de la cellule

Complexe
HLA I - Peptide
Virus
Agent
pathogène
Dégradation

Fragments Molécule
peptidiques HLA I

Cellule CPA

Réponse immunitaire à un virus ou un agent pathogène

3. L’AUTO-IMMUNITÉ
Les maladies auto-immunes sont dues à une hyperactivité du système immunitaire à
l’encontre de substances ou de tissus normalement présents dans l’organisme. Le système
immunitaire de l’individu s’attaque à certains constituants de son propre hôte (le soi),
comme s’ils étaient devenus des substances étrangères. Il produit alors des anticorps
dirigés contre le soi : ce sont les auto-anticorps.
L’auto-immunité est la rupture des mécanismes de tolérance à l’égard d’auto-antigènes
(antigènes du soi) qui conduit à l’action pathogène du système immunitaire vis-à-vis de
constituants naturels de l’organisme et à l’apparition d’une maladie auto-immune.
La maladie apparaît lorsque le système de régulation est défaillant : c’est une auto-
immunité pathologique auto-agressive qui va générer une prolifération de lymphocytes
T ou B auto-agressifs (ou auto-réactifs), présents chez tout individu, mais qui, du fait de
cette prolifération, vont générer la maladie.
L’acquisition d’une tolérance du soi est le résultat de l’élimination ou de l’inactivation
des lymphocytes T et B auto-réactifs.

3-1. Auto-immunité physiologique ou naturelle


Chez tous les individus, il existe un taux minimum d’auto-anticorps circulants. Ce
phénomène est appelé auto-tolérance. Lorsque ce taux dépasse le seuil de normalité ou
de tolérance, il devient le témoin d’un processus physiopathologique de distorsion des
mécanismes immunitaires. La maladie auto-immune s’installe lorsque ce point d’auto-
tolérance est dépassé.
Divers mécanismes permettent au système immunitaire de se protéger des clones
auto-réactifs, d’éliminer ou d’inactiver leurs réactions.
521
Traité de médecine psychosomatique

Tolérance centrale
L’apprentissage du soi et du non-soi se déroule pour l’essentiel au cours de la vie fœtale,
au sein du thymus et de la moelle osseuse, selon un double processus d’éducation, c’est-à-
dire de sélection positive et négative des lymphocytes B et T.
• Sélection des lymphocytes T au niveau du thymus :
––sélection des lymphocytes capables de reconnaître le soi (capables d’interagir avec
les molécules HLA de l’individu). Ils peuvent poursuivre leur maturation ;
––destruction des lymphocytes qui expriment des récepteurs de forte affinité avec les
antigènes du soi (auto-antigènes), notamment les molécules HLA. Les lymphocytes
auto-réactifs sont ceux qui ont échappé à cette sélection.
• Éducation au niveau de la moelle osseuse des lymphocytes B.

Tolérance périphérique
Éducation tout au long de la vie de la maturation des lymphocytes, destruction ou
inactivation des clones auto-agressifs.

Mécanismes complémentaires d’immunorégulation


Ils font intervenir les cytokines anti-inflammatoires, les anticytokines, les auto-
anticorps naturels (réseau idiotypique).

3-2. Rupture de la tolérance
Elle peut être liée à différentes causes.

Confusion
• Modification de la structure des molécules de l’organisme par des médicaments.
• Mimétisme moléculaire. Ceci peut se produire lorsque le système immunitaire est
en contact avec certains micro-organismes ou médicaments dont les antigènes ont une
parenté avec les antigènes du soi.
• Virus. Ils peuvent faire apparaître des néo-antigènes à la surface des cellules.

Dysfonctionnement lymphocytaire
• Défaut du contrôle immunorégulateur des lymphocytes TCD4, induisant un embal-
lement des lymphocytes B.
• Fonctionnement excessif des lymphocytes TCD4 inducteurs.
• Hyperactivité intrinsèque des lymphocytes B.

Trahison : perturbation du réseau idiotypique


Un antigène intrusif Ag1 entraîne la formation d’un anticorps Ac1 qui lui-même se
comporte comme un antigène Ag2. Celui-ci induit la formation d’anticorps Ac2.

Reconnaissance des antigènes séquestrés


Chez le fœtus, certains lymphocytes auto-réactifs dirigés vis-à-vis d’auto-antigènes
séquestrés dans des compartiments du corps isolés du système immunitaire, échappe-
raient à leur élimination. Ces antigènes séquestrés, une fois introduits dans la circulation,
déclencheraient la réponse immunitaire.
522
Les maladies auto-immunes

Anomalies dans le mécanisme de l’apoptose


D’après les travaux de J.-C. Ameisen (La sculpture du vivant).
Le complexe HLA-peptide comporte du soi (HLA) et du non-soi (peptide). Ainsi, les
lymphocytes interagissent avec le soi. Au stade embryonnaire, les lymphocytes, lors de
leur séjour thymique de trois jours, sont essentiellement confrontés au soi (l’embryon
étant à l’abri des microbes).
L’élimination des lymphocytes ayant une trop grande affinité pour le soi (lymphocytes
dangereux) mais aussi des lymphocytes qui ne reconnaissent pas le soi (lymphocytes
inutiles) passe par un phénomène de suicide cellulaire : l’apoptose. Seuls sont conser-
vés les lymphocytes capables de dialoguer avec le soi sans l’agresser : environ 5% de leur
totalité. La survie du lymphocyte dépend de sa capacité à reconnaître, sans l’attaquer, le
corps dont il est le gardien.
Par ailleurs, certains territoires du corps sont interdits au système immunitaire : le
cerveau, l’œil, l’embryon. Ces territoires interdits sont des sanctuaires dotés d’un « privi-
lège immunologique » (à l’image du « privilège diplomatique » accordé aux ambassades).
Les cellules qui entourent le sanctuaire fabriquent des protéines qui déclenchent le
suicide des cellules immunitaires qui s’en approchent. Si, dans un autre lieu de l’orga-
nisme, des cellules fabriquent ce type de protéines, elles acquièrent un statut anormal de
sanctuaire. C’est ce qui permet aux cellules cancéreuses de se développer. Inversement,
certains organes peuvent perdre ce privilège immunologique qui les protège, livrant ces
sanctuaires aux attaques du système immunitaire (maladies auto-immunes).
Enfin, l’acquisition d’une mémoire se traduit par une diminution des contraintes
exercées sur la survie. Plus la mémoire immunitaire augmente, plus la réaction de défense
est rapide et plus notre capacité à tolérer le soi et le non-soi inoffensifs diminue, favori-
sant les risques de maladies inflammatoires, allergiques ou auto-immunes. La répres-
sion de l’apoptose lymphocytaire peut générer des syndromes lymphoprolifératifs, des
lymphomes ou des maladies auto-immunes.

3-3. Mécanismes d’action des auto-anticorps


Les mécanismes d’action des auto-anticorps diffèrent d’une maladie auto-immune à
l’autre. Ils peuvent créer des lésions cellulaires par l’intermédiaire des LT-CD8, créer des
dépôts de complexes immuns, interférer avec les récepteurs cellulaires, s’attaquer à des
molécules.
Le dosage biologique des auto-anticorps doit tenir compte de l’âge car leur taux
augmente après 65 ans. L’interprétation des résultats est délicate car tous les anticorps ne
sont pas spécifiques d’une maladie auto-immune.

4. DÉTERMINANTS BIOLOGIQUES DES MALADIES AUTO-


IMMUNES
4-1. Facteurs somatiques
Facteurs génétiques 
Il existe un caractère familial fréquent dans certaines maladies auto-immunes. Les
jumeaux homozygotes, notamment, expriment la même maladie auto-immune.
523
Traité de médecine psychosomatique

Les maladies auto-immunes ne sont pas des affections monogéniques. Différents


gènes peuvent intervenir : gènes du système HLA, gènes de la fraction du complément,
gènes de cytokines.
Le facteur génétique apparaît aussi au travers des groupes tissulaires (équivalents du
groupe sanguin) auxquels sont associées certaines maladies auto-immunes. Par exemple,
la polyarthrite rhumatoïde est associée au groupe tissulaire DR.
Facteurs infectieux
Virus, bactéries, parasites, mixent des antigènes du soi par mimétisme moléculaire ou
modifient la réponse immunitaire.
Facteurs toxiques
Certains agents toxiques, certains médicaments, peuvent aussi induire un phénomène
de mimétisme moléculaire ou une modification de la réponse immunitaire.
Par exemple, certains médicaments peuvent favoriser l’induction d’un lupus : captopril,
chlorpromazine, thiazidiques, isoniazide, diltiazem, méthyldopa, carbonate de lithium,
D-pénicillamine, acébutolol, quinidine, minocycline, sulfasalazine, carbamazépine.
Facteurs alimentaires
Certaines maladies auto-immunes sont considérées comme des maladies de l’abon-
dance : la polyarthrite et la maladie de Crohn sont plus fréquentes dans les pays dits
«  développés ».
L’âge
Les auto-anticorps augmentent avec l’âge.
Facteurs neuro-endocriniens
Thyroïde
Les maladies auto-immunes sont plus fréquentes chez les personnes ayant une
dysthyroïdie.
Hormones sexuelles
La prévalence féminine est évidente dans un grand nombre de maladies auto-immunes :
lupus érythémateux disséminé, sclérose en plaques, syndrome de Goujerot-Sjögren (SGS),
cirrhose biliaire primitive, polyarthrite rhumatoïde, thyroïdite de Hashimoto, maladie de
Basedow.
Les poussées de sclérose en plaques ou de polyarthrite rhumatoïde diminuent en fin
de grossesse, puis se réactivent après l’accouchement.
Les femmes ont une réponse immunitaire plus forte que les hommes lors d’une infec-
tion, d’une vaccination ou d’un traumatisme.
Chez l’animal, certains œstrogènes, la progestérone et les androgènes, atténuent
les manifestations cliniques, alors que la castration chez le mâle les aggrave. Les souris
femelles présentent plus de maladies auto-immunes que les mâles.

4-2. Données neuro-immunologiques
Le système nerveux central (SNC) est doté d’un pouvoir de modulation du système
immunitaire (SI). Inversement, le système immunitaire informe en permanence le
524
Les maladies auto-immunes

système nerveux de son propre état fonctionnel. Il existe d’ailleurs une communauté
tissulaire embryologique entre SI et SNC.
SN et SI ont par ailleurs de nombreuses propriétés communes : traitement de l’infor-
mation, mise en mémoire, contacts spécifiques de cellule à cellule, sécrétion de média-
teurs humoraux. Les cellules des systèmes nerveux et immunitaires produisent des
cytokines, c’est-à-dire des messagers moléculaires, capables d’interagir avec chacun des
deux systèmes grâce à des récepteurs spécifiques.
Les organes lymphoïdes centraux et périphériques sont richement innervés par le
système nerveux autonome : fibres noradrénergiques post-ganglionnaires, fibres conte-
nant des neuropeptides (substance P, VIP, cholécystokinine, neuropeptide Y, etc.). Les
terminaisons de ces fibres sont en contact étroit avec les cellules immunocompétentes
(macrophages, CPA, lymphocytes) qui possèdent des récepteurs pour ces neuromédia-
teurs. L’activité de ces cellules peut donc être modulée par le système nerveux autonome.
Le SI informe en permanence le SN sur son état de fonctionnement, notamment sur
l’existence de conflits Ag Ac.
La tentation d’établir une relation analogique entre le SI et le SN est grande : certains
auteurs ont vu dans le SI une image en miroir du SN et comparé les lymphocytes circu-
lants à un cerveau mobile, doté de caractéristiques sensorielles et effectrices.

4-3. Immunité et syndrome général d’adaptation


Immunité et système d’alarme
La réaction d’alarme qui met en jeu le système adrénergique et noradrénergique ne
se limite pas à un phénomène inaugural résolutif. Cette réaction peut être subintrante,
répétitive. Il est probable que de nombreux sujets vivent en état perpétuel d’alarme sans
que se déclenche la réaction d’adaptation. L’excès adrénergique qui en résulte semble
stimuler le système immunitaire. J’ai constaté notamment que certaines manifestations
infectieuses (herpès) surgissent lorsque l’état d’alarme cesse, lorsque la menace disparaît.

Immunité et système de défense


Ce n’est que lorsqu’une situation de guerre avérée s’est installée que se mobilise le
système de défense. Positionnement défensif continu, combat prolongé sans victoire ni
défaite, guerre des tranchées torpide, l’organisme nécessite en permanence et de manière
prolongée une mobilisation énergétique.
La libération de glucocorticoïdes qui caractérise cette phase a des effets essentiel-
lement immunosupresseurs cellulaires : altération de la circulation et de la fonction
des leucocytes, diminution du nombre de lymphocytes (involution du thymus et des
ganglions lymphatiques chez l’animal), inhibition de l’activité et réduction du nombre
des cellules NK, diminution de la production des cytokines, diminution de l’inflamma-
tion, diminution de la réaction histaminique allergique.
Une étude sur des étudiants en médecine en période d’examen (Kiecolt-Glaser, 1984)
a révélé une baisse du pourcentage global de lymphocytes, une diminution relative des
lymphocytes T, sans modification du rapport CD4/CD8, une atténuation des réponses
aux agents mitogènes, une diminution de l’activité des cellules NK.
Lors de cette phase d’adaptation, l’immunité humorale peut par contre être augmentée.
525
Traité de médecine psychosomatique

Immunité et phase d’épuisement


La phase d’épuisement signe l’échec des capacités adaptatives. Elle s’accompagne d’un
effondrement du système immunitaire et des réserves énergétiques.
Les rats Lewis, prédisposés aux maladies auto-immunes, sont dociles, non agressifs,
calmes, peu excitables. Les rats F-344, nerveux, excitables et agressifs, réagissent en situa-
tion de stress par une activation du système HHCS (élévation de l’ACTH et du taux de
corticoïdes), alors que les rats Lewis ont une réponse émoussée de l’axe corticotrope
(Sternberg, 1992). Une hypoactivité du CRH serait donc associée aux maladies auto-
immunes.
Ceci laisserait supposer que c’est la phase d’épuisement du SGA qui serait en cause dans
les maladies auto-immunes. Une activité HHCS intense ne générerait pas de maladies
auto-immunes. Ce serait plutôt sa faible activité, son déficit ou son extinction.
À partir de l’ensemble des données offertes par la biologie du SGA, on pourrait conce-
voir les différentes réactions immunitaires selon le tableau ci-dessous.

Alarme Défense Épuisement - Détresse

Stimulation immunitaire Déficit immunitaire Maladies auto-immunes

Tous à Berlin ! Guerre des tranchées Défaite. Honneur du suicide

Syndrome général d’adaptation et réactions immunitaires

4-4. Émotions et immunité
Effets de l’expression émotionnelle sur le système immunitaire
Les lymphocytes T8 augmentent chez les sujets qui identifient et expriment leurs
émotions.
Une étude de A.-D. Futterman, en 1994, a démontré que l’expression émotionnelle
induite expérimentalement, quelle que soit sa valence hédonique (positive ou négative),
s’accompagne, dans les vingt minutes qui suivent, d’une augmentation du pourcentage
des lymphocytes T cytotoxiques (LT-CD8), des cellules NK et de l’activité de ces dernières.

Effet de la répression émotionnelle


B. Esterling a démontré (1990) que l’évocation d’un événement désagréable ou trauma-
tique s’accompagne, chez les sujets ayant des difficultés à exprimer leurs émotions, d’une
élévation des anticorps anti-EBV. Ce même déficit d’expression émotionnelle peut, par
ailleurs, réactiver des virus saprophytes comme les virus du groupe herpès, à la faveur
d’une diminution de l’activité des lymphocytes suppresseurs cytotoxiques.
En 1977, R.-W. Bartrop a repéré, chez les sujets endeuillés, une diminution de la réponse
lymphocytaire T aux agents mitogènes six semaines après le décès du conjoint.

4-5. Immunité et dépression
Données biologiques
Les différentes études sont complexes, imprécises et souvent contradictoires.
526
Les maladies auto-immunes

Dépression et déficit immunitaire


Les altérations immunitaires observées chez les patients dépressifs seraient en relation
avec un hyper-fonctionnement de l’axe HHCS. Chez la moitié des déprimés, on repère une
sécrétion accrue de cortisol. Les études chez les sujets déprimés ont confirmé l’existence
d’une dysrégulation de certaines fonctions immunitaires allant plutôt dans le sens d’un
déficit : diminution du nombre total de lymphocytes T et B, augmentation du rapport
entre lymphocytes T auxiliaires (CD4) et lymphocytes cytotoxiques ou immunosuppres-
seurs (CD8), diminution du nombre de cellules NK et réduction de leur activité, diminu-
tion de la réponse proliférative lymphocytaires aux mitogènes. Le burn out, notamment,
s’accompagne d’un déficit des défenses immunitaires.
Dépression et activation immunitaire
Des données récentes indiquent que certaines composantes du système immunitaire
peuvent être au contraire activées dans les dépressions. Un système d’activation immuni-
taire serait responsable de certaines modifications biologiques impliquées dans la physio-
pathologie des dépressions : augmentation des lymphocytes circulants, des monocytes,
des neutrophiles, des cellules T activées, baisse du cholestérol total et du cholestérol HDL
(marqueur d’activation du SI), augmentation de la sécrétion de cytokines dans les dépres-
sions (effet sur les systèmes sérotoninergiques).
Je pense que ces contradictions sont peut-être le fait d’une insuffisance de discrimina-
tion clinique au niveau des dépressions, plus particulièrement une insuffisance d’apprécia-
tion de leur degré de mentalisation. N’oublions pas que l’intensité du syndrome dépressif
est souvent inversement proportionnelle au degré d’atteinte somatique fonctionnelle,
et donc très probablement aux altérations biologiques. Je partage par ailleurs le point
de vue de G. Gachelin pour qui l’utilisation du terme stress à toutes les sauces est une
impasse qui a pour effet des conclusions divergentes dans toutes les études.
Dépression et maladies auto-immunes
Des dérèglements de l’auto-immunité naturelle au cours des syndromes dépressifs ont
été repérés, notamment la possibilité d’apparition d’anticorps antinucléaires à des doses
détectables.
Maes (1991) confirme l’augmentation de ces auto-anticorps chez les sujets déprimés,
plus particulièrement les sujets mélancoliques.
L’élévation parallèle des anticorps antinucléaires et antiphospholipides suggère une
activation polyclonale des lymphocytes B. On repère ce type d’activation dans les MAI.
Lors d’un syndrome dépressif sévère, l’auto-immunité naturelle peut s’emballer, soit
à la faveur d’hypothétiques altérations cellulaires, soit en raison d’un déséquilibre entre
lymphocytes T auxiliaires et lymphocytes T suppresseurs, entraînant une rupture de l’état
de tolérance à l’égard des constituants du soi et une activation polyclonale des lympho-
cytes B producteurs d’anticorps.
Données épidémiologiques
La prévalence de la dépression est fréquente dans les maladies auto-immunes. On la
repère plus particulièrement dans certaines d’entre elles : lupus, sclérodermie, polyar-
thrite, syndrome de Goujerot-Sjögren. On l’a repérée aussi dans d’autres maladies à
composante auto-immune : diabète de type I, purpura, thyroïdites, myasthénie, sclérose
en plaques.
527
Traité de médecine psychosomatique

Lupus Sclérodermie SEP SGS Polyarthrite


Dépression 55% 50% 48% 47% 22%

Prévalence de la dépression dans certaines maladies auto-immunes


Cette prévalence qui n’est plus à démontrer reflète la comorbidité mais ne présume pas
du type d’articulation entre MAI et dépression. C’est une distinction purement critério-
logique et épidémiologique. Reste à savoir comment s’opère l’ensemble des articulations.
Il est bien sûr très difficile d’évaluer la part de ce qui est premier et de ce qui est second
dans la comorbidité entre dépression et maladie auto-immune, et ceci pour plusieurs
raisons.
Les traumatismes peuvent induire ou aggraver tout autant une maladie auto-immune
qu’une dépression.
Existerait-il un renforcement mutuel ou bien au contraire un balancement entre les
deux modes d’expression, orchestré par les variations de la mentalisation ? Dans ce dernier
cas, la somatisation auto-immune pourrait tamponner et diminuer la réponse dépressive
mentale, et cette dernière constituer un garde-fou contre l’aggravation somatique.
Par ailleurs, la maladie auto-immune, du fait de ses effets somatopsychiques (impact
existentiel et invalidant, risque évolutif, atteinte narcissique, isolement, perte d’activité,
altération fonctionnelle, souffrance physique) peut générer des dépressions.
Enfin, certaines lésions neurologiques induites par la maladie auto-immune peuvent
générer des dépressions. Cette action serait le fait de mécanismes vasculaires, d’auto-
anticorps, de cytokines ou de dépôts de complexes immuns.
En dernier lieu, il ne faut pas oublier que les traitements de la maladie auto-immune,
souvent très lourds, peuvent induire des dépressions.
La rigueur clinique peut apporter des réponses nouvelles. Je présenterai une hypothèse
concernant la commorbidité maladie somatique et dépression à la page 665.

5. THÉORIES PSYCHOSOMATIQUES DE L’AUTO-IMMUNITÉ


Les données qui suivent concernent les maladies auto-immunes en général. Comme
nous le verrons, il existe une grande diversité de problématiques psychosomatiques selon
tel ou tel type de maladie. L’abord ultérieur des maladies auto-immunes spécifiques nous
permettra de moduler les théories qui suivent.

5-1. Personnalités prédisposées
S. Consoli et Bayle ont fait une étude sur les syndromes de Raynaud secondaires à une
sclérodermie, comparativement aux syndromes de Raynaud idiopathiques (1986, 1987).
Ils confirment la préséance de la personnalité proche du type C dans la sclérodermie :
répression des affects, évitement des conflits, distance excessive à l’investigateur, attitude
sacrificielle, sentiment d’impuissance et de perte d’espoir.
J.-L. Dupond (1990), comparant le profil de quarante femmes présentant une MAI
à celui de quarante femmes contrôle, repère chez celles-là certains traits de caractère :
effacement, autodépréciation, conformisme, gentillesse excessive.
L’ensemble des études tend à dégager un certain type de fonctionnement psychique,
comportant certaines caractéristiques récurrentes : évitement des conflits, soumission,
528
Les maladies auto-immunes

conformisme, gentillesse, effacement, attitude sacrificielle, dévalorisation narcissique,


répression émotionnelle et affective, incapacité à exprimer des sentiments ou des
émotions hostiles.

5-2. Fixation, régression, désorganisation


De nombreux travaux (Besedowski, 1983 ; Solomon, 1981) mettent au jour des corré-
lations entre émotions et réactions auto-immunes en intégrant des facteurs très précoces
traumatiques de la petite enfance.
P. Marty considère les pathologies auto-immunes comme des désorganisations
progressives. Il existe, outre un état majeur de démentalisation, une insuffisance des
capacités régressives. Les épisodes de dépression essentielle déclenchent et aggravent la
maladie auto-immune.

5-3. Les affects
Gabriel Gachelin (Psychosomatique et modèles en immunologie) considère que le lien
le plus plausible entre le domaine neuropsychologique et le système immunitaire serait
des médiateurs et des récepteurs communs aux deux systèmes, l’affect étant l’agent
psychique le plus proche du système immunitaire. La présence sans cesse changeante de
messages chimiques (cytokines), éventuellement d’origine nerveuse, s’apparentant à une
représentation traumatique des affects.
Par ailleurs, Gachelin réhabilite le rôle de l’immunité non spécifique, notamment le
rôle de cellules incapables d’une discrimination (macrophages, mastocytes, cellules
NK, etc.), phylogénétiquement plus anciennes que les lymphocytes et leurs effecteurs
éminemment spécifiques. Ces cellules et les processus « archaïques » qui leur sont propres
s’apparentent aux cellules « éboueuses » non seulement des ancêtres vertébrés mais aussi
invertébrés. Ces mécanismes mettraient en jeu les parties les plus anciennes sur le plan
phylogénétique du système nerveux et du système immunitaire des vertébrés supérieurs.
F. Duparc pense que l’hypothèse d’affects « blancs » sans lien représentatif ni psychi-
sation suffisante est la plus vraisemblable. Ce sont ces affects qui auraient un effet
toxique sur le fonctionnement immunitaire, sommé de traiter le matériau totalement
démentalisé.
Ce serait donc la déliaison de l’affect d’avec une représen-
tation masquée par divers processus (formes, hallucination
négative, etc.) qui prolongerait le processus désorganisant.
Pistes brouillées entre affect et représentation, laissant l’affect se
A
dépsychiser de plus en plus et s’arrimer non pas au psychisme
mais au corps…

5-4. La manie blanche e


Le concept de manie blanche a été proposé par François
Duparc (La manie blanche ou la dépense des pensées). La manie
La « dé-psychisa-
blanche est à l’état maniaque ce que la dépression essentielle est
tion » de l’affect
à l’état dépressif mentalisé.

529
Traité de médecine psychosomatique

Clinique
Pauvreté symptomatique. Ce sont des épisodes discrets, atténués, pauvres d’un point
de vue symptomatique, d’apparence peu pathologique, tant ils peuvent confiner à la
« normose » ou en tout cas à l’opératoire, plus ou moins étalés dans le temps, volontiers
intégrés à une cyclothymie.
Pensée opératoire
La pensée est de type opératoire : pensée prévisionnelle, hyperadaptée. L’imaginaire
est éteint.
Focalisation perceptive
Les perceptions sont pour une part focalisées sur le domaine investi par l’activité, mais
les autres secteurs de la vie psychique sont volontiers l’objet d’une occultation, notam-
ment l’état du corps et bien sûr le facteur traumatique inaugural.
Affects pauvres et peu différenciés
Les affects sont pauvres, limités, peu différenciés. L’affect central est proche de la sensa-
tion : ressenti indifférencié d’excitation, tout comme la détresse est l’état primitif indiffé-
rencié et archaïque des émotions.
L’euphorie, l’excitation pulsionnelle, le vécu de toute puissance n’apparaissent pas. Le
sujet décrit un état de dopage, de griserie, un état « vibratoire » plus ou moins agréable et
en tout cas recherché de manière compulsive, une frénésie dans la mouvance, le déplace-
ment, la dépense énergétique.
Préséance de la décharge comportementale
L’essentiel se joue dans le comportement : hyperactivité, agitation, insomnie, tourbil-
lon d’activités. La tension nerveuse est souvent perceptible lors de l’investigation : bras,
jambes, mimique.

Valeur défensive
La dimension défensive de la manie blanche est assez évidente : tourbillon d’activi-
tés permettant l’oubli, état de griserie induit par une vie opératoire incessante et impré-
gnée d’excitation, permettant d’éviter de penser. Défense contre la souffrance, contre
la dépression, contre la perte. Mais défense hémorragique pouvant porter atteinte aux
systèmes fonctionnels.
On retrouve certains aspects de la manie blanche dans les conduites à risques et les
toxicomanies.

Modalités évolutives
F. Duparc distingue quatre modalités évolutives de la manie blanche :
––évolution subaiguë, cyclique ;
––rementalisation et inversion de l’humeur. Évolution stoppée par l’apparition d’un
épisode dépressif plus ou moins mentalisé dans les suites d’une perte souvent difficile
à mettre en évidence ;
––dépression essentielle. La manie blanche apparaît comme l’ultime tentative de lutte
contre la dépression essentielle imminente ;
530
Les maladies auto-immunes

––survenue d’un désordre immunitaire, soit sous forme de maladies auto-immunes


(« mécanisme allergique retourné contre le corps propre »), soit sous forme de déficits
immunitaires (infections, tumeurs plus ou moins malignes).
F. Duparc constate qu’un bon nombre de sujets présentant une maladie auto-
immune ou une dépression immunitaire responsable de flambées tumorales souffrent
à un moment donné de leur évolution de manie blanche aggravant leur prédisposition
somatique. « Ce sont des accès discrets qu’il faut savoir repérer pour les apercevoir, et qui
font courir un danger somatique maximal, soit par la surcharge en affects démentalisés
et expulsés par excorporation, dans les maladies auto-immunes, soit par épuisement du
système de défense somatique, dans les dépressions essentielles survenant inéluctable-
ment après un épisode d’agitation plus ou moins prolongé. » (Op. cit.) Le processus peut
donc être :
––direct : manie blanche  maladie somatique. L’état de manie blanche en soi rend
plus vulnérable au niveau immunitaire, sans passage par une dépression essentielle.
« Surcharge d’affects démentalisés et expulsés par excorporation. » Évolution vers
une maladie auto-immune ;
––indirect : manie blanche  dépression essentielle  maladie somatique. « Épuise-
ment du système de défense somatique survenant inéluctablement après un épisode
d’agitation, plus ou moins prolongé. » Évolution vers un processus tumoral.

5-5. Introduction aux prochaines sections


Je vais maintenant aborder un certain nombre de pathologies auto-immunes. Je ne
traiterai que de celles qui ont fait l’objet d’une étude minimale à partir de mes observa-
tions.
Certaines sont des maladies auto-immunes dites « systémiques », car elles affectent la
plupart des tissus de l’organisme. Parmi celles-ci, nous traiterons des maladies rhumato-
logiques inflammatoires chroniques, des collagénoses, du syndrome de Goujerot-Sjögren
et de la sclérose en plaques.
D’autres sont qualifiées de « maladies auto-immunes d’organe » car leur cible est un
organe ou une fonction spécifique : nous traiterons de deux types de maladies endocri-
niennes, à savoir le diabète de type I et les dysthyroïdies. Lors de notre séminaire sur les
maladies auto-immunes en 2012, nous avions en outre abordé d’autres maladies auto-im-
munes d’organe : les uvéites rétinites, le vitiligo et les maladies inflammatoires intesti-
nales. Le vitiligo a été présenté plus haut dans le chapitre consacré à la dermatologie
(p. 455), les MICI dans le chapitre sur la gastoentérologie (p. 487). Les uvéites rétinites
seront présentées plus loin, au chapitre sur l’œil (p. 584).
La majorité des patients dont les observations ont servi de base à cette étude
consultent rarement pour leur maladie auto-immune, sauf lorsque les conséquences
somatopsychiques et existentielles de celle-ci s’avèrent particulièrement délétères. Un
grand nombre d’entre eux consulte pour un autre motif. Le parcours médical qu’ils
ont suivi, souvent long et tortueux, les a progressivement éloignés des déterminants
psychosomatiques de leur maladie. Ils ont « accepté » leur maladie et les traitements
lourds qui leur ont été prescrits. On ne leur a pas laissé le choix.
Les données issues de cette étude, réalisée en 2012, sont donc le résultat d’une investi-
gation faite en règle générale à distance de l’éclosion de la maladie.
531
Traité de médecine psychosomatique

6. LES RHUMATISMES INFLAMMATOIRES CHRONIQUES


6-1. Polyarthrite chronique rhumatoïde (PCR)
Apports des autres auteurs
C’est la maladie auto-immune la plus fréquente. D’un point de vue biologique, elle
est caractérisée par une activation du complément et des réactions inflammatoires à
composante cellulaire, ainsi que par la présence de dépôts de complexes immuns extra-
vasculaires dans la synoviale et autour des cartilages.
Facteurs traumatiques
Le rôle des facteurs émotionnels est connu des cliniciens depuis plusieurs siècles. Les
études qui s’y sont attardées ont repéré une augmentation des facteurs traumatiques
dans les six mois précédant la survenue de la maladie. Les facteurs traumatiques favorisent
bien sûr les poussées.
Certains auteurs ont repéré des facteurs traumatiques dans la genèse de la PCR, surtout
chez les patients chez lesquels le facteur rhumatoïde ou le facteur familial génétique
n’ont pas été mis en évidence, ce qui laisserait supposer que la cause est soit génétique,
soit traumatique. Je pense qu’il n’en est rien et que tout simplement la découverte des
facteurs génétiques ou des stigmates biologiques met un terme à l’investigation psycho-
logique. Inversement, lorsque la biologie n’apporte aucune eau au moulin, il faut chercher
ailleurs et c’est ainsi que la porte de l’investigation s’élargit, aussi bien pour le malade que
pour le médecin. Mais ce n’est certainement pas, séparées de manière étanche, d’un côté
la cause physique, de l’autre côté la cause psychique.
En période de tension, le taux d’anticorps augmenterait. Les sentiments de résignation
seraient corrélés à une modification dans les sous-types de lymphocytes. Les patients qui
dénient la dimension émotionnelle s’aggraveraient avec le temps.
Fonctionnement psychique des sujets
La comorbidité avec la dépression est évaluée à 22%, mais l’articulation du processus
dépressif avec la maladie est l’objet de points de vue divergents. En fait, les auteurs se
sont essentiellement attardés sur les manifestations dépressives induites par la maladie :
douleur, handicap, perte d’activité.
Certains auteurs pensent que ce sont les affects dépressifs qui conditionnent la percep-
tion douloureuse. Nous avons démontré lors de notre étude sur les douleurs (cf. chapitre
14, p. 359) que ce serait plutôt l’inverse.
Pour d’autres, les symptômes de dépression et d’anxiété prédisent une meilleure évolu-
tion, alors qu’une hostilité externalisée prédit une mauvaise évolution.
Il existerait, selon l’ensemble des études, des traits de personnalité assez récurrents :
perfectionnisme, altruisme, autosacrifice, investissement dans les activités sociales,
conformisme, réserve dans les relations interpersonnelles, inhibition émotionnelle
(l’alexithymie serait retrouvée chez 27% des sujets).
On a rapproché aussi certains polyarthritiques de la personnalité de type C (Temoshok,
1987). Celle-ci regroupe des traits de caractère tels que : soumission, esprit de concilia-
tion, répression de l’hostilité, effacement des besoins personnels, vulnérabilité dépressive.
La personnalité de type C prédisposerait aux maladies auto-immunes systémiques mais
532
Les maladies auto-immunes

aussi aux affections tumorales. Elle constitue un peu l’opposé de la personnalité de type A
(compétitivité, impatience, affirmation de soi, lutte permanente).
Citons F. Alexander : « L’arrière-fond psychodynamique général dans tous ces cas est un
état chronique d’inhibition hostile, agressive, une révolte contre toute forme de pression,
qu’elle vienne du dehors ou de l’intérieur, contre tout contrôle exercé par une autre
personne ou chez certains sujets contre l’influence inhibitrice de leur propre conscience
hypersensible. » (La médecine psychosomatique.)
Claude Smadja présente un cas dans Quelques remarques préliminaires à l’étude
psychosomatique dans lequel l’emprise maternelle constitue un déterminant central.
Il insiste sur la discontinuité du fonctionnement psychique, plus particulièrement au
niveau de ce qu’il considère comme un clivage entre représentation et perception.

Étude personnelle
Observations
™™ Ludivine, 24 ans, présente une PCR : douleurs des chevilles, du genou gauche, des
poignets, des coudes, des doigts. La maladie a débuté à 16 ans, après le décès d’une amie
et dans les suites d’un conflit familial avec le compagnon de sa mère, en même temps
qu’une urticaire qui alternera avec les poussées de PCR de manière cyclique. La maladie
s’aggrave (apparition de déformations, douleurs nocturnes) et devient permanente à la
fin de ses études lorsqu’elle doit entrer dans la vie active.
Les parents de Ludivine se séparent lorsqu’elle a 3 ans. Le père est autoritaire et protec-
teur à la fois et elle est ambivalente face à son emprise. Quand elle a une dizaine d’années,
elle subit les rapprochements sexuels d’un voisin adolescent.
Ludivine vit « son corps comme une prison ». Nous avions repéré cette métaphore
chez certains patients présentant des crises d’urticaire chronique, celles-ci surgissant au
moment de la poussée pulsionnelle qui tente de se libérer de la « prison ».
L’alternance douleurs/urticaire peut être appréhendée ainsi. Les poussées inflamma-
toires correspondent à l’acmé de la répression. Elle n’a alors aucune anxiété. Les crises
d’urticaire à des tentatives avortées de se libérer de cette répression. Elle fait alors des
rêves d’angoisse : rêves violents, rêves d’incapacité.
Le monde extérieur lui fait peur. Mais elle a aussi peur en présence de son père. C’est
une peur sidérante, un « sentiment d’être glacée ».
La relation au personnage masculin et par extension au monde extérieur est ambiva-
lente : crainte et désir, sous-tendue par un fantasme masochiste (classique dans l’urti-
caire) qui apparait dans ses rêves : « Je suis rejetée par un camarade d’école primaire. »
« Un copain de mon père me touche les fesses. » « Ma voiture ouverte est cambriolée. »
« Deux personnes torturent des gens. » « Je suis séquestrée par un homme dans mon
appartement. J’essaie de m’échapper, je n’y vois pas, je tombe. »
Les fantasmes érogènes sont des fantasmes de passivité et de soumission.
La psychothérapie de Ludivine fera disparaître ses douleurs et son urticaire en même
temps que le fantasme masochiste. Transformation de la passivité en activité. Ludivine
ôtera la bague qu’elle portait depuis l’adolescence : c’était la propre alliance de mariage
de sa mère que celle-ci lui avait donnée après son divorce.
533
Traité de médecine psychosomatique

™™ La polyarthrite d’Héléna, 50 ans, débute lorsqu’elle quitte sa famille pour se marier.


C’est un déchirement. Elle s’aggravera en plusieurs temps successifs : après la naissance de
son fils, et plus tard à 42 ans dans un contexte de tension professionnelle où elle subira
sans mot dire la persécution de son supérieur hiérarchique, et enfin dans les suites du
décès de sa mère il y a deux ans.
La démentalisation d’Héléna est manifeste, compensée par une raideur axiale et des
mouvements continus des membres supérieurs venant suppléer à une expression impos-
sible des affects. La peur, la tristesse, la colère, sont emprisonnées tel un magma en fusion
sous la croûte terrestre. « Je me contiens depuis des années. » Le retour de son fils qui
vivait à l’étranger, conjointement à la psychothérapie, fera disparaître les manifestations
douloureuses. Héléna vivait sous l’emprise de ses parents. La séparation était impensable.
™™ Il y a 25 ans, Marie-Paule fait une fausse couche. Choc traumatique. Huit jours
après, l’inflammation s’installe au niveau des genoux, des pieds, des mains. Polyarthrite.
« La maladie a pris possession de moi en quinze jours. » Les médecins sont formels : « On
vous déconseille de retomber enceinte. » Était-ce dans le même service ? Marie-Paule
obéira et adoptera un garçon deux ans après. Marie-Paule a peur du monde extérieur, est
très tendue, méfiante, voire hostile à toute investigation, tient à garder la maîtrise.
™™ La polyarthrite d’Annabelle, 30 ans, a débuté à 15 ans. Elle était en pension, se sentait
abandonnée, avait une surcharge pondérale et des idées suicidaires. Sa grand-mère venait
de décéder. Doigts gonflés, douleurs des poignets, des genoux et des chevilles, elle ne
pouvait ni marcher ni se mettre debout.
À 18 ans, elle se met à sortir, à faire la fête. Les symptômes disparaissent. À 22 ans, elle
se marie. Reprise des crises. Les symptômes disparaîtront à nouveau pendant sa grossesse,
pour réapparaître trois mois après l’accouchement. La sexualité s’éteint. « Mes poignets
ont remplacé ma sexualité. » La deuxième grossesse induit à nouveau une disparition
des douleurs qui réapparaissent, comme la première fois, trois mois après l’accouche-
ment. Aujourd’hui, elle porte deux atèles aux poignets, a été opérée de la main droite.
Elle est très anxieuse, vit en état d’alerte permanent. Au moindre tourment, les crises
augmentent. Répression émotionnelle, susceptibilité, vécu de persécution dans son
activité professionnelle. Besoin de maîtrise, elle assume tout à la maison, joue le rôle de
l’homme et de la femme. Deuxième d’une fratrie de quatre, elle a un frère aîné et deux
frères plus jeunes, avec lesquels elle ne s’entend pas. Ils sont de toute évidence les préférés
de sa mère, mère dont elle a peur. Celle-ci, « pour la protéger de ses frères », la mettra en
pension, ces derniers restant à la maison.
™™ Rappelons aussi, pour mémoire, le cas clinique de Christine (cité p. 195) et celui
de Jacqueline (cité p. 298).
Synthèse de l’étude
• 6 cas.
• 90% de femmes.
• Les traumatismes inauguraux sont des vécus de dépossession :
––soit des vécus de castration (70%) : accouchements, fausses couches, césariennes,
tromperie ;
––soit des séparations (30%) : décès, séparations.
534
Les maladies auto-immunes

• Les aggravations sont toujours contemporaines d’une répression de l’agressivité


(100%).
Les rémissions sont consécutives à des événements : grossesse, libération instinctivo-
pulsionnelle, retour de l’objet perdu.
• Il n’y a pas de répression des représentations.
• Les affects existent mais ils sont limités, peu colorés, peu différenciés. Ils sont répri-
més ou submergés lors du déclenchement de la pathologie et lors des poussées évolu-
tives. Au long cours, une rementalisation partielle leur permet de s’exprimer à nouveau
mais toujours de manière limitée.
• D’un point de vue strictement clinique, la dépression apparaît dans 71% des cas :
dépression seule, parfois hostile (1/3), anxiodépression (2/3).
• Répression des émotions de base.
Peur : 75% des cas. Peur du monde extérieur, de bouger, d’agir. Peur pulsionnelle. Peur
de perdre l’amour de l’autre. Cette peur se rapproche de la sidération, de l’immobilisation
défensive, de la pétrification. Face à la dépossession, elle fige le sujet lors des périodes
traumatiques. La peur induit en règle générale une soumission pour éviter toute perte.
Cette soumission peut confiner au masochisme.
• La dépendance à l’objet d’amour ou à l’objet persécuteur est centrale, de type parfois
anaclitique, induisant des difficultés d’autonomisation, rendant toute séparation impos-
sible.
• Fréquence de la réaction défensive de maîtrise.
• Hédonisme restreint.
Absence de plaisir quel qu’il soit, sauf dans les périodes inductrices d’amélioration
clinique. Sexualité déficitaire dans 71% des cas (médiocre : 43% ; aversion sexuelle : 29%).
• Déterminants infantiles.
L’emprise parentale (le plus souvent maternelle) semble être le déterminant archaïque
central. L’enfant a été nié en tant que sujet dans 50% des cas.
• La maladie est perçue comme un tiers extérieur qui soumet et emprisonne le sujet,
comme en témoignent les expressions des patientes : « La maladie a pris possession de
moi en quinze jours. » « Mon corps est une prison. » « C’est un lierre qui s’agrippe à moi. »
« Elle remplace mon mari, ma mère. » « C’est une punition. » « Elle s’installe avec moi
comme une vieille femme. » « Mes poignets ont remplacé ma sexualité. »

6-2. Spondylarthrite ankylosante
Étude personnelle
• 8 cas.
• Hommes : 50% ; femmes : 50%.
• Les facteurs traumatiques sont moins identifiables que dans la PCR. Ce sont soit des
états de tension persistants, soit des vécus de perte. Les aggravations sont liées à la répres-
sion de l’agressivité, plus particulièrement dans la relation de couple.
• Il n’existe pas de répression des représentations.
535
Traité de médecine psychosomatique

• Les affects sont rudimentaires, mais différents chez la femme et chez l’homme.
Chez la femme, les affects sont plus incisifs que dans la PCR, bruts de décoffrage, non
nuancés (haine, suspicion, dénigrement), souvent déplacés sur d’autres objets. La dépres-
sion prend un aspect volontiers hostile. Les émotions sont aussi fortement exprimées
chez les femmes, plus particulièrement l’agressivité, qui peut prendre des formes explo-
sives. La peur n’apparaît jamais.
Chez les hommes, la répression émotionnelle et la soumission sont plus fréquentes.
• On retrouve une emprise maternelle majeure.
™™ Irma, 45 ans, souffre de spondylarthrite ankylosante. Celle-ci est apparue à 28 ans
lors de la préparation d’un examen. Elle était en instance de divorce. Elle consulte en
fait pour un mal-être général dans lequel transparaît une tension agressive manifeste.
Impatiente, coléreuse, suspicieuse, haineuse, interprétative. Tout est là pour une mise en
échec. La psychothérapie l’améliore du fait de l’émergence d’affects moins bruts de décof-
frage. Mais elle y met un terme rapide en disant que ça ne sert à rien. Les trois séances
permirent de repérer une haine réciproque entre sa mère et elle.
™™ Jean-Pascal, 45 ans, a été sous l’emprise d’une mère dictatoriale depuis toujours. Il
ne put établir une quelconque relation, envisager un projet, prendre une décision, sans
que cette dernière s’en mêle. Court-circuité dans la relation avec son père puis avec son
propre fils, il se soumit pour éviter l’orage. C’est après le décès de son père, lorsqu’il eut
40 ans, qu’il s’autorisa un quantum d’autonomie. Et c’est ainsi que la spondylarthrite
s’installa.

Conclusion
Dans le rhumatisme inflammatoire chronique, le processus auto-immun s’attaque à
l’appareil locomoteur, pétrifiant le sujet. Le traumatisme inaugural est une séparation-
dépossession qui déchire la coalescence entre le sujet et l’objet, objet tyrannique auquel
le sujet était soumis. L’immobilisation motrice se substitue à l’immobilisation psychique
imposée par l’objet.
Les représentations sont présentes mais blanches, non reliées à des affects. Ces derniers
sont indifférenciés, rudimentaires, réprimés. Les émotions sous-jacentes sont elles-mêmes
emprisonnées : peur et colère dans la PCR, colère et tristesse dans la SpA.
L’emprise parentale est centrale, très précoce, l’enfant parfois nié en tant que sujet.

7. LES COLLAGÉNOSES
7-1. Lupus érythémateux disséminé (LED)
Cette redoutable maladie de système attaque selon son humeur la peau, les muqueuses,
les séreuses, les vaisseaux, les globules sanguins, le tissu rénal, le système nerveux central.
Le diagnostic est confirmé par la biologie : facteurs antinucléaires positifs, présence de
cellules LE ou d’anticorps anti-ADN natif ou anti-Sm ou sérologie syphilitique dissociée.
Les causes le plus souvent invoquées sont les facteurs génétiques (groupe HLA, DR2 et
DR3), plus rarement les facteurs hormonaux (imprégnation œstrogénique chez la femme)
et faute de mieux… le soleil.
536
Les maladies auto-immunes

Études des autres auteurs


Quelques études portant sur le déterminisme émotionnel des poussées évolutives ont
été effectuées.
S. J. Adams (1994) a fait noter à quarante et un patients, sur un agenda, à la fois les
variations de l’humeur et de l’état de tension, les situations traumatiques vécues et les
aggravations de la pathologie lupique sur une durée de cinquante-six jours. L’aggravation
des symptômes à J1 est précédée par une tracasserie à J-1. Il semblerait que ce soit les
situations susceptibles d’induire une colère qui soient déterminantes. Mais l’auteur insiste
aussi sur les désordres de l’humeur induits par les atteintes neurologiques de la maladie.
La prévalence de la dépression a été évaluée à 55%. Les différentes causes invoquées
sont : l’atteinte organique cérébrale, l’effet iatrogène de la corticothérapie, les consé-
quences somatopsychiques de la maladie, le rôle des Ac antiphospholipides, les consé-
quences des accidents thrombo-emboliques cérébraux.
Quelques études portant sur la personnalité des sujets ont aussi été effectuées. Elles
mettent en avant une difficulté à exprimer les sentiments, un sens du devoir, une disponi-
bilité à l’égard de l’autre, une capacité à endurer les situations sans se plaindre, un besoin
d’activité.
McClary a repéré des réactions d’hyperactivité et d’hyperindépendance face à
l’angoisse d’abandon. Au début de la maladie, la limitation articulaire est niée et masquée
par une activité physique accrue. Les affects dépressifs apparaissent dans un second
temps, quand cette limitation ne peut plus être niée. L’inhibition motrice remplace alors
l’hyperactivité.

Observations personnelles
™™ Sous l’effet de la psychothérapie, la polyarthrite de Christine (citée p. 195) dispa-
rut et il fut décidé d’arrêter les séances au bout de six mois, c’est-à-dire en juin. Trois
mois après, elle reprit rendez-vous. Elle était méconnaissable, décharnée. Durant le mois
d’août, elle avait fait une embolie pulmonaire, avait été hospitalisée et un diagnostic de
lupus avec syndrome des antiphospholipides avait été posé.
Elle ne mangeait que des aliments liquides (purées, soupes) et seulement si une
personne proche était à côté d’elle. Cette désorganisation jusqu’à un stade très archaïque,
proche des états de détresse du nourrisson, s’accompagnait d’une indifférence, d’une
insensibilité aux mondes intérieur et extérieur. Elle ne s’était rendu compte de rien.
La psychothérapie reprit. Peu à peu, les défenses mentales se réorganisèrent, dans le
sens d’une prise d’autonomie et la pathologie lupique régressa. Un an après, elle allait
bien. Au grand étonnement des médecins qui la suivaient, il ne restait plus aucune trace
biologique de lupus. Par prudence, la psychothérapie fut prolongée pendant un an.
Durant la psychothérapie, apparut la représentation de son père, dont elle n’avait
pratiquement jamais parlé lors de la première tranche. Celui-ci était parti quand elle avait
18 mois et elle ne le revit qu’à 6 ans, puis une fois par an jusqu’à 14 ans, puis une fois par
mois jusqu’à 17 ans.
Elle le revoit depuis quatre ans. Après l’hospitalisation, il l’a prise chez lui et l’a soignée.
Elle a remangé. Elle est retournée chez elle et a dit à son compagnon de partir. Elle ressent
maintenant une forte agressivité à son égard. Elle me dit avoir « l’impression d’avoir été
enfermée sous la terre pendant un an ».
537
Traité de médecine psychosomatique

Un an après la disparition des signes cliniques et biologiques, la question de la poursuite


du traitement se posait. Le spécialiste était formel : « Si vous arrêtez le traitement, vous
allez mourir. » Elle eut une réaction inattendue. Elle dit au médecin : « Mais vous aussi,
vous allez mourir ! » Sidéré, ce dernier accepta l’idée que le traitement pouvait être arrêté
un jour. Elle l’arrêta au sortir de la consultation. C’était il y a treize ans. Elle n’a jamais
rechuté et est en pleine forme.
™™ Dans les jours qui suivirent la réception d’un courrier lui signifiant qu’elle avait
perdu un procès qui durait depuis dix ans, Marie-Laure fut prise d’inflammation au
niveau des poignets, des doigts et des chevilles. On évoqua une PCR mais les investiga-
tions révélèrent un lupus. Durant les dix ans de procédures judiciaires, elle déploya toute
son énergie pour se défendre, pensant obtenir gain de cause car elle avait été visiblement
escroquée. Fin de la lutte. Échec de la maîtrise. Libérée des tracas mais défaite. Envahie de
culpabilité du simple fait d’avoir perdu. Elle ne doit rien, mais n’a plus rien et se vit comme
n’étant plus rien.
™™ Marianne, 49 ans, avait eu une relation extraconjugale il y a dix-huit ans. Relation
passionnelle mais tellement culpabilisante qu’elle y mit un terme cinq ans après. C’est à ce
moment-là qu’apparurent ses premières douleurs. Elle fit tout pour réanimer la relation
avec son conjoint, allant jusqu’à déménager et changer de métier. En vain. Une dépres-
sion s’installa et c’est le mari qui la quitta pour une autre femme. C’était il y a huit ans. La
symptomatologie douloureuse s’aggrava puis des complications pulmonaires apparurent.
Le diagnostic de lupus fut posé. Dans ses rêves récurrents, apparaissent en alternance son
ex-amant et son ex-mari.
Ces trois cas sont similaires. Il s’agit de femmes pétries de culpabilité, ayant un idéal du
moi tyrannique, une formation défensive dans la maîtrise à toute épreuve.
Les traumatismes déclencheurs sont à type de séparation, de dépossession. Le sujet
y perd toute identité et tout instinct de survie. L’état de démentalisation qui s’ensuit est
rapide jusqu’à extinction de toute défense. C’est un état de détresse indifférenciée au
moment de l’éclosion du lupus. Disparition de toute lutte correspondant très certaine-
ment à la phase d’épuisement du SGA.
Au stade de la polyarthrite lupique, persistent encore des processus défensifs partiel-
lement en relation avec les instincts de vie. La généralisation viscérale du lupus atteste de
leur effondrement.

7-2. Dermatomyosite
™™ Lola, 8 ans, présente une dermatomyosite. Tout a commencé il y a un an, par des
douleurs des deux membres inférieurs avec gêne à la marche, quinze jours après le décès
accidentel de son cousin un peu plus âgé qu’elle. Les douleurs persistèrent ainsi qu’une
tristesse de fond. Neuf mois après, du fait du déménagement de ses parents, elle fut
changée d’école. Séparée de ses camarades et surtout de son amoureux, elle cessa de
marcher et fut hospitalisée. Cinq mois après, surgissaient des atteintes cutanées et des
escarres au pied. Elle est sous corticothérapie.
Depuis toujours, il existe chez Lola une angoisse de séparation majeure, reflet de celle
de sa mère. Elle a été allaitée quinze mois et dort depuis toujours soit avec celle-ci, soit
538
Les maladies auto-immunes

avec sa sœur. Elle n’a jamais eu d’objet transitionnel, sauf depuis le décès de son cousin.
C’est le doudou que ce dernier lui avait offert et qu’elle amène à la séance : elle l’a attaché
à une plus grosse peluche pour qu’il ne se perde pas. Durant la séance, la mère et la fille
sont littéralement collées l’une à l’autre. Les rêves sont des rêves peu élaborés mettant en
scène des enlèvements, des abandons, des accidents.
Ses seuls loisirs : télé, ordinateur, jeux vidéos. C’est-à-dire aucun objet pouvant être
investi dans le monde réel. Aucun obstacle venant compromettre le nirvana destructeur.
Les symptômes musculaires et dermatologiques de Lola ont été nettement améliorés
à l’issue des deux premières séances. La mère annula le rendez-vous qui suivit. Il lui en fut
redonné un autre, qu’elle annula aussi. Je ne revis plus Lola.
Cette observation est propédeutique en ce qui concerne l’angoisse de séparation. Elle
confirme ce que j’ai évoqué en première partie de cet ouvrage (p. 134) : l’angoisse de
séparation de l’enfant est directement liée à l’angoisse de séparation maternelle, et non
pas – comme on l’a cru longtemps – à des séparations réelles. L’absence de processus
défensifs contre cette angoisse va la pérenniser sous forme non élaborée. Ici, la séparation
n’a jamais eu lieu, et les mécanismes de défense n’ont pas vu le jour, tant au niveau de la
capacité d’être seul, des processus auto-calmants, que de l’adoption d’un objet transi-
tionnel. Lorsque surgissent les séparations traumatiques, aucun mécanisme de défense
psychique ou comportemental suffisamment consistant ne vient juguler la détresse. Ici,
le mécanisme de défense somatique apparaît d’emblée, sous forme d’une désorganisa-
tion aux risques imprévisibles. Il est évident que la mère a perçu en moi, sans que je lui
en souffle mot, un tiers séparateur. Elle n’y a pas vu de tiers structurant et anxiolytique
à très court terme malgré l’amélioration de son enfant. Le risque d’être séparée de son
enfant prothèse était trop grand. Pauvre objet mécanique, peluche de substitution, dont
on peut augurer une évolution soit vers la désorganisation, au mieux vers l’addiction.

7-3. Sclérodermie
™™ Élisa, 35 ans, présente une sclérodermie. Elle s’exprime avec aisance malgré une
dysphonie importante liée à sa maladie. Tout a commencé par une rupture traumatique
il y a treize ans. Elle avait 23 ans. La relation avec son fiancé durait depuis six ans. Elle était
très dépendante de lui. Elle avait souffert d’une maladie de Raynaud à laquelle la rupture
avait mis un terme transitoire. La blessure induite par la rupture fut importante : humilia-
tion, séparation, dépossession, perte identitaire et, très rapidement, démentalisation.
Elle arrêta ses études, pourtant brillantes et très investies, se mit au lit et n’en bougea
plus pendant de longs mois, alternant pleurs et fixations alimentaires. Ce fut, me dit-elle,
« comme une porte ouverte dans laquelle entrait un courant d’air froid ». Une aménor-
rhée s’installa et, un an après, apparurent des pneumonies récidivantes, puis une dyspnée
continue avec perte de 20% de la capacité pulmonaire. Le diagnostic de sclérodermie
systémique avec atteinte pulmonaire importante fut confirmé.
Deux ans après, elle décide de quitter la France pendant quelques mois pour oublier.
Elle part pendant plusieurs mois en Asie. Au retour, choc thermique à l’aéroport :
vasoconstriction au niveau des mains et des poumons. Aggravation des troubles pulmo-
naires, installation d’une dysphonie, fractures de côtes induites par la toux.
539
Traité de médecine psychosomatique

Au fil des ans, la sclérodermie s’aggrave : nouvelles fractures de côtes, accentuation de


la dysphonie, durcissement de la peau. C’est « comme une armure », me dit-elle. Hospi-
talisations itératives.
Élisa avait subi les rapprochements sexuels d’un grand-oncle entre 8 et 13 ans. Dans
sa détresse, elle s’était inventé deux amis qui vivaient dans le frigo et qui la protégeaient.
Ce grand-oncle, dont elle me dit qu’il « était très frileux », avait aussi abusé d’une cousine
d’Élisa qui révéla l’inceste à la famille. Élisa couvrit le grand-oncle frileux et ce qui avait été
révélé retourna de ce fait dans l’ombre du secret. Les passionnés du signifiant pourront
alléguer qu’Élisa, en couvrant le grand-oncle frileux, s’est dépossédée de sa propre couver-
ture et s’est ainsi exposée au froid et à la sécheresse éternelle. Je n’en sais rien, et quand
bien même cela serait vrai, je ne pense pas que cela aiderait beaucoup la patiente à sortir
de son cauchemar. Ce qui est sûr, c’est que la déception et la rancœur d’Élisa à l’égard de
ses proches prit une forme torpide et larvée. Elle s’éloigna donc géographiquement de sa
famille, non sans peine.
Élisa est en invalidité. Elle a des nécroses pulpaires des doigts induites par le froid et
craint une extension rénale de sa maladie car elle présente depuis peu une gêne urétrale.
Elle ne peut envisager une grossesse du fait de son traitement. Cette infertilité imposée
est vécue par elle comme une punition des rapports incestueux imposés par son grand-
oncle. Le désir sexuel a disparu, l’érogénéité est éteinte. Elle n’a aucune activité hédonique.
Elle a toujours été docile, même si elle sent depuis peu une colère qui, selon ses propres
termes, « se retourne contre elle ». « Comme je n’explose pas, j’implose. » L’incendie est
interne et calcine tout sur son passage. Elle ressent aussi une tristesse réprimée : « Je suis
gaie mais je pleure en moi. » Larmes intérieures insuffisantes à éteindre l’incendie. Elle
rêve depuis longtemps qu’elle est enfermée dans une caisse et ne peut respirer ou qu’elle
est seule sur une piste d’atterrissage au moment où un avion atterrit et va l’écraser.

Conclusion
Dans les collagénoses, le processus est similaire à celui des rhumatismes inflamma-
toires chroniques, mais plus intense, plus dramatique. Le prolongement des rhuma-
tismes inflammatoires en collagénoses exprime une atteinte progressive des instincts de
vie et constitue une désorganisation progressive. La motricité est atteinte mais aussi les
fonctions vitales. La dépossession induit une détresse invasive comparable aux états de
détresse indifférenciée du nourrisson, et un anéantissement du système défensif et des
instincts de vie. Le déterminant archaïque est central. L’emprise maternelle est féroce.
L’enfant est une prothèse.

8. LE SYNDROME DE GOUJEROT-SJÖGREN (SGS)


C’est la pathologie auto-immune systémique la plus fréquente après la PCR. La prédo-
minance féminine est nette : 90%.
Elle se manifeste par une sécheresse lacrymale (xérophtalmie), buccale (xérostomie)
ou vaginale, parfois associée à des localisations extra-glandulaires : arthralgies, arthrites,
sécheresse cutanée, vascularite cutanée, bronchite, pneumopathie interstitielle, atteinte
hépatique ou neurologique.
Le SGS peut être primitif ou bien secondaire à des pathologies auto-immunes systé-
miques (PCR, LED, sclérodermie), ou associé à d’autres pathologies auto-immunes
540
Les maladies auto-immunes

d’organe (cirrhose biliaire primitive, thyroïdite de Hashimoto). Les troubles mentaux se


retrouvent dans 63% des cas : dépressions (47%), troubles anxieux, agitation, troubles
cognitifs.
Le pronostic du SGS est favorable hormis les cas de développement d’un lymphome
plus fréquent chez ces sujets.
D’un point de vue biologique, on repère une prolifération lymphoplasmocytaire ainsi
que des perturbations sériques humorales et cellulaires.
Le traitement est local dans les formes strictement glandulaires. La corticothérapie est
utilisée uniquement dans les formes extra-glandulaires.

Études des autres auteurs


Marianne Baudin présente dans la Revue française de psychosomatique (Réflexions
cliniques et métapsychologiques…) les conclusions de son étude sur des femmes atteintes
de syndrome de Goujerot-Sjögren, étude étayée sur une investigation psychosomatique,
des tests (Rorschach et Thematic Apperception Test) et un groupe témoin de vingt
femmes tout venant.
Les conclusions de son étude sont les suivantes :
––précarité du fonctionnement du préconscient et de la régulation des affects ;
––fragilité des assises narcissiques, d’où insuffisance des investissements narcissiques
réparateurs ;
––désobjectalisation et préséance du moi idéal ;
––neutralisation et désexualisation des représentations, gel des représentations
sexuées ;
––défaut d’élaboration des représentations concernant la réversibilité des mouvements
de perte et de retour. Difficulté à parvenir à une réceptivité active.
M. Baudin fait un parallèle avec la ménopause. Elle considère la ménopause comme
un événement psychosomatique entraînant une perturbation du fonctionnement pré-
conscient avec répression des affects. Après cette désorganisation transitoire, les choses
se réorganisent.

Étude personnelle
Observations
™™ Les premiers signes du syndrome de Goujerot-Sjögren de Maureen sont apparus
il y a quinze ans, sous forme d’une sécheresse vaginale d’intensité progressivement
croissante. Maureen avait 33 ans. Elle avait eu une sexualité débridée jusqu’à ce qu’elle
rencontre son futur mari deux ans auparavant. Tant que celui-ci fut indisponible puisque
marié, la sexualité fonctionna bien. À partir du moment où il fut libre et que le nouveau
couple s’installa dans une vie commune, la sécheresse vaginale apparut. Quelque temps
après, apparurent une xérophtalmie et une xérostomie. Puis ce furent des douleurs, aux
hanches, aux genoux, aux coudes.
Sept ans après, elle quitte son pays d’origine, l’Irlande, pour suivre son mari et s’ins-
taller dans le Sud de la France. Elle renonce du même coup à son activité profession-
nelle fortement investie : elle s’occupait d’un centre de femmes ayant subi des violences
sexuelles. Les douleurs s’accentuèrent dès son arrivée en France ainsi que la sécheresse des
541
Traité de médecine psychosomatique

muqueuses, en même temps qu’apparut un état dépressif marqué par un émoussement


émotionnel qui perdure encore.
Maureen réprime son agressivité. Elle a du mal à exprimer ses émotions en français. Les
rares pleurs ne l’améliorent pas. Lorsqu’elle est anxieuse, elle ne transpire pas, elle devient
toute rouge. Elle se lève trois fois par nuit pour mettre des gouttes dans ses yeux.
La sexualité avait très bien fonctionné lorsqu’elle était libre, au prix toutefois d’une
instabilité relationnelle et thymique, de troubles des conduites alimentaires et d’une
certaine errance. Elle continua de bien fonctionner dans la clandestinité tant que son
conjoint ne fut pas disponible. L’officialisation de la relation réactiva le modèle œdipien.
La défense somatique sous forme d’un assèchement s’installa au niveau de l’appareil
génital, puis au niveau des autres muqueuses et, de manière plus générale, au niveau de
toute expression instinctivo-pulsionnelle.
Les rêves récurrents illustrent la problématique. « J’ai envie d’une relation sexuelle
mais ça ne marche pas. » « Un lit d’hôpital, je vais mourir, il y a une flaque d’urine, mon
duvet tombe dedans, j’essuie, je prends une douche, je cherche partout un linge pour
m’essuyer. »
L’investigation de l’enfance de Maureen révélera un viol par un de ses oncles.
™™ Carmen, 47 ans, présente un syndrome de Goujerot-Sjögren depuis 12 ans : xéros-
tomie, xérophtalmie, dysphagie, sécheresse pharyngée, douleurs des membres et du
rachis. La sécheresse muqueuse provoque parfois des sensations de brûlure. Elle présente
aussi une aménorrhée, des vertiges, une froideur des extrémités, et des épisodes d’énuré-
sie lorsqu’elle est tendue. Elle est aussi dépressive.
Du point de vue des émotions de base, plusieurs de ces signes cliniques évoquent la
peur. Mais les émotions sont éteintes. Elle n’arrive pas à pleurer.
Elle est divorcée et a un fils de 21 ans.
L’histoire de Carmen est particulière. Les parents, d’origine mexicaine, arrivent en
France lorsqu’elle a 8 ans. Elle a une sœur et un frère. Les deux filles n’ont pas le beau rôle.
Contrairement au frère, elles doivent se soumettre. Elles sont étroitement surveillées par
le père et le frère. Vers l’âge de 14 ans, Carmen subira les assauts sexuels de son père tout
comme sa sœur. À 18 ans, elle fait une tentative de suicide.
Lorsqu’elle a 25 ans, son père décède. La mère devient alors insupportable. Le frère et
la sœur prennent la tangente et elle ne les reverra plus. Elle se mariera mais restera auprès
de sa mère, répondant à ses perpétuelles exigences. Après son divorce, son fils, alors âgé
de 12 ans, ne la lâchera plus. Il surveillera ses moindres faits et gestes, prenant le contrôle
de sa vie amoureuse. C’est alors que débutera la maladie. Elle a alors 35 ans. Durant les
deux années qui suivront, elle vivra seule, prendra de la distance avec sa mère, le fils
étant, lui, au service militaire en coopération. Durant ces deux années, les symptômes
auto-immuns s’amenderont. Mais, à son retour, le fils exigera qu’elle renoue avec son père.
Carmen obéira à l’ordre de son fils. Extinction de la sexualité. Aggravation du syndrome.
Rêves récurrents. « Ma mère me réveille. Je pleure. J’ai peur d’elle. » « Je m’envole à
travers les arbres. » « Quelqu’un recherche une personne qui porte un pull à losanges
et montre une photo de celui-ci. Sur la photo : un arbre, à droite de l’arbre, trois person-
nages qu’on ne voit pas. À gauche de l’arbre, ma mère et ma sœur. » Ce rêve a aggravé les
542
Les maladies auto-immunes

symptômes de sécheresse. Le pull à losange est celui qu’elle portait à 14 ans, l’année de
l’inceste.
La psychothérapie, de très courte durée – car elle y mettra un terme rapide – amélio-
rera Carmen. Retour des règles, recouvrement d’une excitation sexuelle, disparition
de l’énurésie, amélioration des manifestations auto-immunes sans toutefois cessation
complète. Les symptômes s’atténuent aussi transitoirement lorsque se produit une libéra-
tion instinctuelle (autoérotisme, prise alimentaire). Elle est attirée par un homme de son
entourage, mais a très peur des réactions de son fils. Elle finira par entamer une relation
secrète en cachette de son fils, mais l’amant s’avérera porté sur des pratiques perverses.
Il exige que leurs rapports sexuels se déroulent dans des lieux publics avec spectateurs
occasionnels. La maladie s’aggravera à nouveau. Elle le quittera transitoirement, ce qui
induira une amélioration de ses symptômes mais retournera avec lui, mettant un terme
du même coup à la psychothérapie.
™™ Marie-Noëlle s’était mariée sans en avoir réellement envie. Son futur conjoint
était un ami d’enfance, mais aussi le parrain de sa plus jeune sœur. « Il était très gentil,
s’occupait de moi pendant les vacances, alors pourquoi pas ? » Rapidement, le couple
dysfonctionna, Marie-Noëlle supportant de moins en moins l’obligation quotidienne du
devoir conjugal, d’autant qu’elle n’avait jamais éprouvé un désir intense à l’égard de son
conjoint, tant il faisait partie de la famille. « Il ne me sautait pas dessus, il était gentil,
mais si je ne répondais pas à sa demande, il boudait, il pleurait. » Au bout de quelques
années, la sécheresse vaginale s’installa, puis la sécheresse des autres muqueuses ainsi
que des douleurs articulaires. C’est alors qu’elle fut très attirée par un homme et eut une
relation avec lui. Le syndrome s’amenda, mais l’affaire fut révélée au mari par ses propres
enfants qui la réprimandèrent et exigèrent avec le père qu’elle ne sorte plus de la maison.
L’incarcération ne dura qu’une semaine et le mari, convaincu cette fois qu’il n’y avait plus
rien à faire, la laissa partir, non sans lui téléphoner régulièrement pour lui faire la morale
pendant de longues années.

Points communs aux trois observations


La similitude entre ces trois observations est frappante. Ce n’est peut-être que le fait du
hasard. Toutefois, il y a de quoi s’interroger.
Les traumas sont des situations relationnelles réactivant l’inceste ou l’incestuel.
L’atteinte des autres sécrétions suit immédiatement ou apparaît lors de réactivations
traumatiques ultérieures, ou bien au gré de facteurs aggravants moins spécifiques. Les
améliorations sont contemporaines d’une prise de distance relationnelle, d’une libération
instinctivo-pulsionnelle (nouvelle relation, activité autoérotique, compulsions alimen-
taires).
L’émotion peur occupe une place centrale, mais elle ne fait l’objet d’aucune élaboration
psychique. Elle reste arrimée au corps et son expression neurovégétative avorte. Parado-
xalement, les pleurs n’améliorent pas.
Dans les rêves récurrents, l’élément liquide est présent : pleurs, urine. Il est associé à
l’instinctivo-pulsionnalité qui doit être combattue, asséchée, et ne doit laisser nulle trace.
La crainte de l’emprise incestueuse ou incestuelle constituent le déterminant commun
des trois observations.
543
Traité de médecine psychosomatique

On note enfin (détail anecdotique ?) un déracinement géographique dans les deux


premiers cas.

Conclusion
Dans le syndrome de Goujerot-Sjögren, l’attaque auto-immune concerne la compo-
sante neurovégétative de l’émotion et de l’érogénéité. Situations relationnelles réactivant
la sidération induite par l’inceste ou l’incestuel. Plus que réprimées, les émotions sont
asséchées. Disparition de l’affect (peur). L’émotion ne s’élabore pas et son expression
neurovégétative avorte. La pulsionnalité, compromettante, est directement attaquée.

9. LA SCLÉROSE EN PLAQUES (SEP)


La sclérose en plaques est caractérisée par une grande variabilité des symptômes
liée aux localisations multiples des plaques de démyélinisation. Celles-ci siègent dans la
substance blanche et peuvent se retrouver à tous les étages du névraxe, avec prédilection
pour les zones péri-ventriculaires.
L’autre caractéristique de la maladie est son évolution sous forme d’alternance de
poussées et de rémissions relativement bien repérables dans le temps. Les poussées ne
sont pas forcément en relation avec la formation de nouvelles plaques de démyélinisa-
tion, ce qui laisse augurer qu’un processus physiologique infraclinique non identifiable
puisse se surajouter à l’altération histologique du tissu nerveux.
Les manifestations cliniques sont éminemment variables d’un sujet à l’autre : troubles
oculaires, sensitifs, moteurs, vestibulaires, cérébelleux.
Les troubles psychiques sont très fréquents : dépressions (48% des SEP), troubles
bipolaires, labilité émotionnelle associée à une euphorie et à une certaine indifférence
vis-à-vis des symptômes, modification de la personnalité.

Études des autres auteurs


Ces études repèrent souvent chez les sujets atteints de SEP :
––une alexithymie avec difficulté à élaborer et à discriminer les sentiments. L’alexithy-
mie serait, selon la plupart des auteurs, due à un défaut de connexion interhémisphé-
rique par atteinte lésionnelle du corps calleux ;
––une faible capacité d’introspection ;
––une absence d’imaginaire, une pensée opératoire, une hyperadaptation ;
––une distance vis-à-vis des symptômes comme s’ils n’appartenaient pas au sujet.

Observations personnelles
™™ Paolo, 46 ans, présente une sclérose en plaques : troubles de la marche, contrac-
tures, limitation de l’extension des membres inférieurs. Les troubles sont aggravés par le
repos et améliorés par la marche, surtout lorsqu’elle se prolonge. « J’ai l’impression d’être
recroquevillé, figé et enfermé dans les cages de Louis XI… Je dors en position fœtale. »
Les troubles sont apparus lorsqu’il a quitté son travail d’ingénieur ainsi que sa région
pour devenir saxophoniste de jazz. À cette époque, dans ses rêves nocturnes, d’anciens
collègues de travail lui reprochaient son départ et lui prédisaient un échec dans sa
nouvelle activité professionnelle.
544
Les maladies auto-immunes

Du fait des poussées successives de la maladie, il dut renoncer à son activité de


musicien. Dans les rêves, apparut alors l’inverse : il était guéri et jouait de son instrument.
Il semblerait que les fonctions atteintes soient celles qui lui permettent de réaliser son
désir, élément qui peu apparaître comme pseudoconversionnel. Mais il existe un désordre
économique, une rage réprimée. « Ma maladie me permet de ne pas taper mes parents. »
™™ Bruno, 45 ans, est lui aussi musicien. Troubles visuels apparus à 40 ans, deux mois
avant la fin de la construction de sa maison, cinq ans après le décès de son père. Il présente
des troubles de l’équilibre, une incoordination motrice, une énurésie, des manifestations
dépressives hostiles associées à une fuite des idées, des troubles de la mémoire avec perte
des repères temporels, des faux souvenirs, et une tendance à la théâtralisation, l’affabula-
tion, l’interprétation.
™™ Les premiers symptômes de la sclérose en plaques de Cendrine ont débuté à
26 ans dans l’année qui suivit la naissance de sa fille : baisse de l’acuité de l’œil droit, gêne
hémicorporelle droite. Tout rentra dans l’ordre.
La deuxième poussée ne survint que dix ans après et dura un mois et demi : cécité
quasi complète (elle ne voyait que des ombres), divergence de l’œil droit. Le diagnostic
de SEP est alors posé.
Trois ans après, dans les suites du suicide d’un beau-frère, surgit la troisième poussée
qui durera deux mois : perte de la vue, paralysie cervicobrachiale, hyperesthésie senso-
rielle. « J’étais “défigurée” ! »
La quatrième poussée est apparue il y a un an : attaques de sommeil, incontinence.
C’était au début de sa relation passionnelle avec son compagnon actuel. « Je vivais dans la
peur d’être trompée (angoisse narcissique) car il était “très dragueur”. Je veillais à ce qu’il
manifeste un désir constant. Je notais sur un tableau la qualité des rapports sexuels, car il
avait des pannes. Ces pannes, c’était comme si on coupait la lumière… Il est très beau, a
de très beaux yeux. Je lui ai plu parce que contrairement aux autres filles, je ne le regardais
pas. Je sais qu’il ne changera pas de comportement pour mes beaux yeux, qui d’ailleurs ne
sont pas beaux. D’ailleurs, si on me regarde, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. »
Il y a deux mois, nouvelle poussée. Perte de la vue, paralysie du côté droit, anesthésie
de la taille aux genoux, anesthésie de l’abdomen et des cuisses. Mais « heureusement, ça
ne se voit pas, mon look est préservé ». Elle est toujours avec son compagnon. Sa jalousie
est exacerbée. « Je suis mieux quand je ne le vois pas. Avec mon père, tout se passait dans
le regard. »
En l’absence de diagnostic de sclérose en plaques, cette observation évoquerait de
toute évidence une conversion chez une personnalité histrionique. Inconsistance du moi.
Importance de l’image. Distance curieuse vis-à-vis des symptômes. Œdipe. Castration.
Variabilité des symptômes. Atteinte d’une fonction particulièrement érotisée. Symboli-
sation.
™™ Bettina, 40 ans, a elle aussi présenté ses premiers symptômes à l’âge 30 ans, neuf
mois après la naissance de sa fille, sous forme de paresthésies des membres qui perdure-
ront pendant un mois. Les symptômes resurgiront deux ans après et régresseront de la
même manière.
545
Traité de médecine psychosomatique

Deux ans après cette deuxième poussée, elle met au monde un garçon. Une névrite
optique se déclenche six mois après. Le diagnostic de SEP est posé. Corticothérapie suivie
de dépression.
L’année qui suivit fut marquée par une aggravation : paresthésies, anesthésie des
mains, signe de Lhermitte (décharges électriques des membres inférieurs déclenchées
par une flexion brusque de la tête), crampes. L’anamnèse ne permet pas de repérer un
quelconque facteur déclenchant, mais ceci semble de toute évidence être le fait d’une
amnésie lacunaire. Cette quatrième poussée durera un an.
La cinquième rechute s’est produite il y a quatre ans : anesthésies, paresthésies. Elle
avait alors 35 ans. Sa mère venait de rechuter d’un cancer du sein et son mari la trompait.
Elle avait peur. Elle décide de divorcer. Tout rentre dans l’ordre pendant un an.
La sixième rechute s’est produite il y a un an, contemporaine d’une nouvelle liaison :
paresthésies du thorax, des jambes, du flanc droit, hypoesthésie de la cuisse, diplopie,
douleurs.
Bettina raconte toute son histoire en souriant, voire en riant. Il existe une velléité de
séduction, une logorrhée et une certaine fuite des idées, un accrochage perceptif, qui
pourraient évoquer un état hypomaniaque.
Les rêves récurrents sont curieux. Ils mettent en scène les éléments naturels : incendie,
torrent, neige, glace.
Les poussées semblent être contemporaines d’un besoin de retrait libidinal et d’auto-
nomie.
Analyse des observations
Prédominance des réactions de caractère avortées chez les deux hommes, tous deux
musiciens. Rôle central de la maternité chez les deux femmes. Besoin d’autonomie, crainte
de la dépendance chez les quatre patients.
Atteinte d’une fonction particulièrement érotisée. Inconsistance du moi. Importance
de l’image. Distance curieuse vis-à-vis des symptômes. Œdipe. Castration. Variabilité des
symptômes. Amnésie lacunaire de certains événements. Attitude séductrice. Au simple
vu de la clinique, la tentation est grande dans les quatre observations présentées de faire
un rapprochement avec l’hystérie, tant au niveau de la dimension conversionnelle que de
la personnalité sous-jacente.
Il est vrai qu’il n’existe pas de dramatisation, que la conflictualité est souvent éludée,
que les rares rêves semblent être dénués de processus primaires, que la fantasmatique ne
surgit pas spontanément, qu’il existe parfois un accrochage perceptif, une focalisation
sur le détail, l’extériorité. Ces éléments peuvent évoquer une démentalisation relative, sur
laquelle C. Smadja a particulièrement insisté au travers du cas présenté dans son article
Clinique d’un état de démentalisation.
Je suis moins pessimiste quant au niveau de la mentalisation. Il me semble qu’elle
existe mais qu’elle doit être en permanence sollicitée ou bien se muer en sublimation,
afin que le sujet ne reparte pas dans ses considérations descriptives et anecdotiques. Le
cas de Cendrine, citée p. 545, montre tout de même une richesse signifiante lorsqu’elle
évoque la fonction du regard. Quant à l’affect, sa destinée semble double : d’une part,
une coupure de la représentation et un arrimage direct au somatique, selon un processus
pseudoconversionnel, et d’autre part, une inversion qui donne l’indifférence amusée à
l’égard des troubles.
546
Les maladies auto-immunes

Le diagnostic de sclérose en plaques a été confirmé chez ces quatre patients, par la
présence de plaques de démyélinisation, et, par ailleurs, il s’est étendu de manière rétroac-
tive aux premières poussées, probablement considérées lors de leur survenue comme des
symptômes fonctionnels. Le diagnostic anatomopathologique aurait-il pu, du temps de
Charcot, relever de tels stigmates biologiques chez un certain nombre de femmes hospi-
talisées à la Salpêtrière ? Dans l’attente d’une impossible réponse, je ne peux qu’avancer
l’hypothèse d’une fixation psychosomatique érogène qui comporte à la fois un désordre
économique (le processus auto-immun) et l’action pathogène de représentations
inconscientes identiques à celles de l’hystérie de conversion.
La sclérose en plaques porte atteinte aux fonctions de relation. L’attaque auto-immune
du SNC apparaît comme un processus défensif contre l’émergence de représentations
traumatiques ou conflictuelles. L’affect, coupé de la représentation, suit trois destinées
parallèles et séparées : répression, conversion, inversion.

10. LE DIABÈTE DE TYPE I


Revue de la littérature
Le diabète de type I, ou diabète insulinodépendant (DID), est souvent précoce, carac-
térisé par une carence insulinique. Il est reconnu comme étant d’origine génétique. Il peut
être déclenché par une infection virale. Certains DID seraient causés par la destruction
des cellules bêta selon un processus auto-immun chez des sujets génétiquement prédis-
posés.
Facteurs psychosomatiques
Le diabète de type I peut être déclenché par un traumatisme psychique. M. Haute-
couverture : « On constate souvent que l’insulino-résistance, c’est-à-dire la résistance du
corps à l’action hypoglycémiante de l’insuline, est à l’évidence perturbée par des événe-
ments psychiques quels qu’ils soient. » (Op. cit.)
La libération des glucocorticoïdes en phase 2 du syndrome général d’adaptation
inhibe la sécrétion d’insuline. Les rats BB, présentant un diabète auto-immun, voient leur
maladie s’aggraver s’ils sont exposés à un stress pendant une période de quinze jours.
McClelland a montré que les diabétiques ayant vécu une perte récente ont une éléva-
tion marquée des LT-CD4 après la projection d’un film dont le contenu est en rapport
avec cette dernière.
Rosine Debray (L’équilibre psychosomatique : organisation mentale des diabétiques) a
repéré des périodes sensibles propices à l’installation du DID : âge du conflit œdipien,
adolescence, période de la naissance des enfants, crise du milieu de la vie, âge de la
retraite. Notons qu’il ne reste guère de période faste ! Elle décrit une conjonction explo-
sive de facteurs inducteurs, somatiques, psychiques, traumatiques. Mais là aussi, rien de
spécifique, c’est le propre des processus de somatisation.
Claude Py, psychiatre, présente dans un brillant article, Évolution de la mentalisation
au cours du traitement d’un patient psychotique, présentant des somatisations, le cas d’un
patient prépsychotique présentant un diabète de type I survenu lors des épreuves du
bac. Il repère chez celui-ci, outre des mécanismes interprétatifs sous-tendus par une
547
Traité de médecine psychosomatique

homosexualité au début difficilement assumée, une emprise maternelle terrifiante, le


père étant disqualifié. Il souligne l’indifférenciation qui règne au sein de la famille, plus
particulièrement au niveau des identités sexuelles, la quête identitaire étant vouée à
l’échec pour les enfants. Chez ce patient, l’homosexualité est une défense contre l’anéan-
tissement dans les pseudopodes maternels, et le diabète est repéré comme une défense
somatique contre la relation primaire déstructurante. Il évoque aussi le jeu avec la mort,
fréquent chez les jeunes diabétiques : falsification des régimes et des résultats biologiques.
Notre étude confirmera le bien-fondé de ses positions.
Le diabète de type I précède en général l’apparition de manifestations dépressives,
contrairement au diabète de type II où ces dernières précèdent l’apparition de la maladie.
Le diabète de type II est plus tardif, avec hyperinsulinisme et insulino-résistance.
Effets somatopsychiques
Rosine Debray insiste sur la dimension de contrainte induite par la maladie : trois injec-
tions par jour, trois à quatre contrôles par jour, régime adapté aux variations de l’activité
physique. Elle insiste aussi sur le risque de développement d’un fonctionnement opéra-
toire chez le sujet soumis aux règles prescrites, surtout chez l’enfant chez lequel toute
variation du fonctionnement mental peut être interprétée par l’adulte comme consé-
quence de la maladie ou du traitement.

Étude personnelle (2012)


Quelques observations
™™ Isabelle, 39 ans, présente un DID depuis trois ans, survenu dans un contexte de
divorce difficile. Il se déclenche précisément au moment où elle prend connaissance des
attestations de ses beaux-parents, « comme s’ils voulaient m’enlever mes enfants ».
Le diabète est déséquilibré surtout depuis un an. Hyperglycémies fréquentes. Isabelle
mange pour se remplir le soir. Elle vit seule avec son fils et sa fille. Elle a des difficultés dans
son travail.
Isabelle avait subi la violence de sa mère, puis de son mari.
La crainte de la violence intrusive de l’objet apparaît dans ses rêves, plus ou moins
déplacée sur l’objet soin : « On me fait une trachéotomie. » « On me fait une perfusion. »
Crainte mais aussi dimension masochiste : « Je me frotte les mains jusqu’au sang, mes bras
sont pelés. » Le diabète est vécu lui aussi comme un objet persécuteur.
™™ Le diabète de Sabine s’est déclenché à l’âge de 7 ans dans les suites d’un séjour en
colonie de vacances où elle s’était sentie maltraitée. Malgré cela, elle y retournera chaque
été mais, cette fois, dans des établissements spécialisés pour diabétiques.
Elle a actuellement 21 ans, fait des études de droit et veut devenir juge dans le domaine
de la maltraitance infantile. Le diabète est déséquilibré : alternance d’hyperglycémies,
accompagnées de besoins mictionnels, et d’hypoglycémies, au cours desquelles elle a
faim, se sent vidée, tremble, est obnubilée, a les jambes en coton.
L’emprise familiale est importante. Sabine se sent envahie par ses parents, observée,
étouffée. La mentalisation est très bonne.
Le complexe de castration apparaît dans les rêves : « Je m’ouvre un coin du ventre,
je soulève les couches pour voir ce qu’il y a dessous… Un serpent… un rat sort de mon
548
Les maladies auto-immunes

corps… Je perds mes dents… Une pièce mal rangée… Mon ancienne chatte part… On
survole la mer dans un avion. » Le vécu traumatique d’intrusion apparaît dans un rêve
récurrent : « Deux filles me poursuivent pour me poignarder. »
La mère de Sabine avait été en proie à un sentiment de haine à l’égard du père
pendant toute sa grossesse. Elle fut ensuite dépressive et supporta très mal que Sabine se
rapproche de son père en période œdipienne. Obsessionnelle, elle veilla au grain, s’inter-
posa, développa une emprise constante sur sa fille, la tenant le plus possible éloignée
de son père, dénigrant régulièrement celui-ci. Et elle réussit, car Sabine développa des
sentiments hostiles à l’égard de son père dès la survenue du diabète. Cette prise d’otage
aboutit à une relation infernale, mortifère, fusionnelle et ambivalente. « Ma mère, c’est
moi. Elle me soigne, je la soigne. » À l’adolescence, elle provoquait ses hypoglycémies
pour que sa mère s’occupe d’elle et lui apporte sa quantité nécessaire de sucre. À 16 ans,
elle traversa une période de boulimie.
La maltraitance est déguisée. L’hyperglycémie se substitue de toute évidence à la
défaillance maternelle.
™™ Myriam, 40 ans, présente un DID depuis la séparation douloureuse d’avec son
conjoint il y a deux ans. Celui-ci habite ses rêves récurrents : « Il est là, il me trompe, me
donne des ordres. » Il habite aussi ses pensées diurnes et, tel le spectre d’un comman-
deur, lui interdit toute nouvelle relation amoureuse. S’il lui arrive d’être en contact avec
un potentiel prétendant, une crise d’hypoglycémie surgit. Tristesse. Hyperémotivité. Peur
pulsionnelle. Idéal projeté sur l’absent.
Lorsqu’elle eut 3 ans, son père partit. Elle ne le revit plus. Elle traversa une période de
grande tristesse, puis une anorexie s’installa. Sa mère, très dépressive, jeta son dévolu sur
elle. Myriam devint l’objet transitionnel de celle-ci, dévouée corps et âme, renonçant à sa
vie de petite fille.
™™ Camille, 21 ans, présente un DID apparu à l’âge de 12 ans, de manière contempo-
raine à sa puberté. Dans l’année qui avait précédé, la famille avait déménagé et elle avait
eu du mal à tisser de nouveaux liens amicaux, d’autant que son image corporelle avait
été profondément altérée depuis peu par le port d’un impressionnant appareil d’ortho-
dontie. Afin de mieux supporter ladite muselière, il lui avait été interdit de manger toute
sucrerie. Enfin, un nouveau déménagement était par ailleurs imminent, et la sœur aînée,
à laquelle elle était très attachée, ne devait pas faire partie du voyage. C’est ainsi que
s’installèrent amaigrissement, polydipsie, polyphagie en début d’été. Au vu du diabète
et du risque infectieux, l’ablation d’un rein fut programmée car elle était porteuse d’une
dilatation pyélocalicielle liée à un rétrécissement urétral congénital. Dans les suites de
l’intervention préventive, elle développa des troubles anxieux et un cauchemar récurent
apparut : une tige de fer la traversait de part en part au niveau de l’abdomen. Trois mois
après, elle dut être hospitalisée du fait de son déséquilibre acido-cétosique. C’est alors que
les investigations cliniques, du fait de douleurs pelviennes récentes, mirent en évidence
une polykystose ovarienne. Les traitements hormonaux n’ayant pas donné de résultats
probants, une ablation ovarienne unilatérale fut pratiquée. Elle avait 17 ans, était encore
vierge, bien que rompue aux rapports « sexuels », tels qu’il convient de les définir.
Sa psychothérapie dura un an. Le rêve récurrent se transforma. Ce n’était plus une
barre de fer qui la transperçait mais une énorme seringue à insuline. Elle se réveillait
549
Traité de médecine psychosomatique

brutalement et allait manger. Peu à peu, le rêve disparut. Elle rencontra un garçon avec
qui elle eut des relations sexuelles moins branchées mais plus satisfaisantes. Elle est à ce
jour mariée. Le diabète est toujours son compagnon de voyage, mais il est paisible. Il lui
reste un ovaire et elle envisage une maternité.
Une constipation liée à un mégacôlon fonctionnel avait accompagné son enfance.
Suppositoires quotidiens, lavements, régimes stricts, rééducation intestinale.
™™ Yves rencontre sa future épouse à 30 ans. Un dysfonctionnement conjugal s’installe
rapidement. C’est au moment où il décide de se séparer que son épouse tombe enceinte.
Il ignore qu’il n’est pas le père géniteur et accueille l’enfant auquel il s’attache rapidement.
Lorsque le petit garçon a 5 ans, sa femme lui révèle qu’il n’est pas le père. Son attachement
à l’enfant n’en est pas pour autant ébranlé mais, dans les mois qui suivent, s’installe un
diabète. La discorde parentale perdure et, cette fois-ci, finit par aboutir à une séparation.
Il élèvera seul son fils, la mère disparaissant dans la nature pendant deux ans. Lorsque
l’enfant a 7 ans, la mère exige de le récupérer. Dont acte. Coma diabétique. Hospitalisa-
tion. Le petit garçon ne sait toujours pas que son père n’est pas son père biologique et
Yves fait la connaissance ce dernier qui lui non plus n’est au courant de rien.
™™ Frédéric vit avec son ami Gérald depuis treize ans. Il a pris beaucoup de poids ces
dernières années depuis que Gérald multiplie les escapades dans les boîtes de nuit spécia-
lisées, les saunas, les vespasiennes. Il y a un an, une gastroplastie est réalisée. Il perd 30 kg
en un an mais un diabète s’installe rapidement. Il y a six mois, il apprend la séropositivité
de Gérald. Déséquilibre du diabète.
Avant de connaître Gérald, Frédéric vivait depuis cinq ans avec sa mère, dans les suites
du décès de son père. Sa mère était diabétique. Il était à ses petits soins.
Résultats de l’étude
Cette étude a réuni 23 cas de diabète de type I : 18 femmes, 5 hommes.
Les médecins adressent les patients au cabinet lorsqu’ils suivent le traitement et le
régime de manière anarchique ou bien lorsque le DID est déséquilibré et qu’ils perçoivent
un état dépressivo-anxieux.
On repère peu d’antécédents familiaux dans nos observations.
Facteurs traumatiques
Les traumatismes déclencheurs sont des événements inducteurs de détresse ou
d’effroi : événements particulièrement anxiogènes face auxquels le sujet se sent démuni,
désarmé. Les défenses psychiques et comportementales sont dépassées.
Hormis la puberté (3 cas), il s’agit d’événements traumatiques aigus à type de perte ou
d’agression :
––pertes : 14 cas ;
––castration (10) : vécus de castration dans le couple, appendicectomie, dépossession
de paternité ;
––séparation (4) : déménagements, séparations définitives ou transitoires, menace de
séparation ;
––agressions : 9 cas ;
––maltraitance, accidents, agressions physiques, viol.
Aucune situation de contrainte ou d’attente n’intervient dans le déclenchement. Mais,
secondairement, ces mêmes situations interviennent dans les poussées d’hyperglycémie.
550
Les maladies auto-immunes

Clinique psychosomatique
La mentalisation est très variable selon les sujets au moment où ils sont vus au
cabinet, c’est-à-dire à distance conséquente du traumatisme inaugural. La qualité de la
mentalisation actuelle, que l’on peut rencontrer chez certains sujets, n’exclut pas le proces-
sus de démentalisation massif qui a précédé la survenue du diabète et la démentalisation
secondaire induite par la maladie et les traitements dans les premiers temps.
La dépression est évidente dans deux tiers des cas. Elle est, en apparence, en grande
partie secondaire à la maladie. L’auto et/ou l’hétéro-agressivité est manifeste, les idées
suicidaires fréquentes chez les DID non équilibrés, plus particulièrement les adolescents.
La tension interne et l’angoisse apparaissent dans deux tiers des cas. Pour une large
part induite par la maladie, cette tension est potentiellement inductrice d’hyperglycémies.
La répression émotionnelle est aussi évidente dans deux tiers des cas.
On repère aussi, chez de nombreux sujets, tantôt un vécu de persécution, inducteur
chez certains de mécanismes interprétatifs, tantôt des éléments masochistes, plus parti-
culièrement chez les sujets qui présentent une urticaire chronique, les poussées d’urti-
caire (décharges pulsionnelles) alternant alors avec les phases de déséquilibre du diabète.
Les antécédents de troubles des conduites alimentaires à l’adolescence ou de régimes
sont fréquents. Notons aussi qu’un nombre signifiant de sujets ont une activité profes-
sionnelle en relation avec l’alimentation.
Chez les hommes, les vécus de castration sont constants. L’homosexualité apparaît
dans 75% des cas.

Importance majeure des effets somatopsychiques


L’objet diabète est persécuteur. Le sujet hait son diabète et, de fait, lui-même.
Les contraintes imposées par la maladie (injections, contrôles biologiques, régimes)
sont très mal vécues, source fréquente d’abandons thérapeutiques transitoires. Chez
certains sujets, notamment préadolescents, le traitement est souvent manipulé et les
résultats, falsifiés.
L’angoisse de mort et de castration est manifeste : peur des conséquences, limitation
des possibilités existentielles. Le jeu avec la mort s’intrique aux bénéfices secondaires
relationnels.
L’effet somatopsychique vient masquer le vécu traumatique inaugural. Il induit chez
certains sujets une néo-organisation de la personnalité autour du diabète, générant une
démentalisation secondaire puis, au fil du temps, une rementalisation.

Hyperglycémies
Elles se manifestent par des céphalées, une soif, une irritabilité, une tension agressive,
un besoin mictionnel.
En dehors des écarts évidents au niveau de l’alimentation ou de l’activité, elles sont
dues à la tension émotionnelle, l’anxiété, la rumination, la frustration, la tension agressive.
Quelques patients recherchent activement cette tension interne pour induire une hyper-
glycémie qui, comme l’apport sucré, leur permet de s’endormir. La glycémie augmente au
décours des rêves où le sujet est en prise avec des ennemis.
L’hyperglycémie est le signe d’un combat dans lequel l’agressivité est réprimée.
551
Traité de médecine psychosomatique

Hypoglycémies
Elles se manifestent par un ensemble de symptômes : fatigue, hypotonie musculaire,
faim, tremblements, obnubilation, sensation de vide, jambes en coton, passivité.
En dehors des écarts alimentaires ou des variations de l’activité, elles surgissent lorsque
la lutte cesse, au moment du relâchement, ou bien sous l’effet d’une émotion érogène.
La glycémie baisse si le patient s’évade dans un imaginaire dans lequel il est actif ou au
décours d’un rêve érotique.
Les sujets redoutent les hypoglycémies. Elles sont vécues comme une perte de maîtrise
et de contrôle, un état de vulnérabilité, une mise en danger.
L’histoire du sujet
Excepté certaines situations traumatiques dans lesquelles la famille est plus victime de
l’inconséquence médicale que coupable (Camille, p. 549), le contexte familial est, le plus
souvent, pathogène, compressif, répressif, et même chaotique : confusion ou dislocation
des repères familiaux, sexuels, générationnels.
Le fonctionnement maternel est particulièrement pathogène : emprise, contrôle,
étouffement, intrusion, intransigeance, culpabilisation, agressivité, dénigrement, dévalo-
risation. Ce fonctionnement peut, dans certains cas, friser la tyrannie si ce n’est la maltrai-
tance. La révolte de l’enfant est impossible.
Dans d’autres cas, la relation est fusionnelle mais très ambivalente, en miroir.
Les représentants paternels sont le plus souvent inconsistants, évanescents, absents,
mis à distance par la mère ou au rebut.
La séquence pathogène
1. Insuffisance ou excès du pare-excitation maternel.
2. Détresse ou effroi induits par le traumatisme. Dissolution de l’agressivité.
3. Première défense somatique : besoin de sucre (phase 1 et 2 du SGA).
4. Obstacle : l’insuline.
5. Deuxième défense somatique : atteinte auto-immune du pancréas qui rend le sucre
disponible autant qu’il est nécessaire. L’apport de sucre se substitue au pare-excitation
depuis toujours défaillant. L’hyperglycémie se substitue à la mère nourricière.
6. Effets somatopsychiques : l’objet diabète remplace la mère persécutrice. Désobéis-
sance, jeu, règlement de comptes, désir d’être en hyperglycémie.
7. Bénéfices secondaires. La mère ou ses représentants (soignants) réinvestissent la
fonction de soin. Néo-pare-excitation qui permet de retrouver le bon objet qui n’a jamais
existé.

11. DYSTHYROÏDIES
Les hormones thyroïdiennes apportent de l’énergie à l’organisme et stimulent
l’ensemble des fonctions vitales. Leur action est comparable à celle du système d’alarme
du SGA. Lors de la phase d’adaptation, la TSH diminue et la conversion de T4 en T3 est
inhibée.
Depuis quelques années, les endocrinologues reconnaissent tous la dimension
psychosomatique de la maladie, aussi bien dans la maladie de Basedow que dans la
thyroïdite de Hashimoto, mais peu d’entre eux demandent un avis psychosomatique. Les
patients eux-mêmes sont peu demandeurs.
552
Les maladies auto-immunes

11-1. Maladie de Basedow
La maladie de Basedow associe une thyrotoxicose à un goitre vasculaire, et une
fréquente exophtalmie.
Les anticorps anti-récepteurs de la TSH viennent prendre la place de celle-ci sur les
cellules réceptrices thyroïdiennes et stimulent de fait par excès la fonction thyroïdienne.
Une rareté dans le domaine des MAI, car il ne s’agit pas de déficit mais d’excès.
Chez l’homme, la maladie est plus rare mais plus grave.
Données de la littérature
Les facteurs traumatiques jouent un rôle bien connu dans le déclenchement des
poussées de la maladie : deuils, séparations, mais aussi événements à valeur hédonique.
On retrouve cette caractéristique dans le déclenchement des accès maniaques chez
certains sujets. Plus que la connotation hédonique ou délétère de l’événement, c’est
l’afflux d’excitation qui semble jouer un rôle déterminant.
Michel Hautecouverture cite le cas d’un jeune homme qui développa brutalement une
maladie de Basedow dans les suites de son interdiction de rentrer dans l’armée. Il résista
pratiquement à tous les traitements. Quatre ans plus tard, il intégra une école militaire et
guérit en un mois. La maladie était terminée. L’exophtalmie disparut presque en totalité.
Des signes psychiatriques, parfois explosifs, accompagnent le plus souvent la maladie :
dépression, anxiété, troubles cognitifs, agitation psychomotrice, voire manifestations
maniaques ou psychotiques. Les symptômes dépressifs peuvent précéder les manifesta-
tions somatiques.
Étude personnelle
™™ Lorsqu’Isabelle, diabétique, citée p. 548, revint me voir six ans plus tard, elle
présentait une maladie de Basedow, apparue dans un contexte de tension profession-
nelle extrême. L’objet persécuteur était son travail, plus particulièrement une collègue de
bureau. Isabelle était convaincue que celle-ci l’agressait, l’avait mise sur écoute, et avait des
vues sur un homme dont elle était amoureuse. Elle me déclara souhaiter lire son dossier
médical pour vérifier si cette collègue n’était pas venue le décoder. Devant mon refus,
elle ne fut pas agressive et la relation à sa mère fut alors à nouveau abordée. Violence et
emprise féroce de celle-ci, rejet de sa féminité, exclusion du père dans la relation. Cette
séance et celles qui suivirent – car devant l’apaisement induit, je lui redonnais rendez
vous – permirent d’atténuer l’état de tension et la quête procédurale. Je sais à l’heure
actuelle qu’elle va bien. Elle est sous substitut thyroïdien et suit un traitement neurolep-
tique léger qui lui a permis de retrouver un travail qui lui convient.
™™ Nancy, 51 ans, et son mari sont cogérants d’une société. Elle s’occupe de la gestion.
Lui, du commercial. Il est fantasque, infantile, désordonné, et très complexé face à Nancy
qui gère l’entreprise d’une poigne de fer. Il y a quatre ans, elle décide de mettre l’entreprise
à son nom propre, ce qui génère un conflit violent au sein du couple. Elle se retrouve
hospitalisée en psychiatrie et ne garde aucun souvenir de cette hospitalisation. La maladie
de Basedow surgit dans les suites immédiates. Rechute deux ans après suite à un nouveau
conflit. Le mari avait invité sa sœur à passer quelques jours à la maison. Rechute il y a six
mois. Elle découvre que son mari papillonne. Ses rêves récurrents, dans lesquels son mari
est « encastré », selon ses propres termes, mettent en scène des disputes, des bagarres
avec lui.
553
Traité de médecine psychosomatique

™™ La relation entre Karen et Emma était relativement stable jusqu’au jour où internet
pénétra dans la maison. C’est au cours de ces nuits magiques sur la toile qu’une certaine
Sandra, adepte du site, séduisit Karen en lui injectant une panoplie de fantasmes sadoma-
sochistes. Excitation intense mais rencontre toujours différée par Sandra. Échange de
photos sans feuille de vigne. Mais impossible de se voir ailleurs que sur l’écran. Au bout de
trois mois, Sandra se débinait toujours. Impossible de se voir… Pour Karen : exophtalmie,
Basedow, corticothérapie, hypomanie.
Les productions oniriques attestent du traumatisme : « Des échanges de regards avec
Sandra… Une chatte me saute dessus, elle sent très mauvais… Sandra m’ensorcelle au
cours d’une séance de magie noire. » D’autres rêves traduisent le désordre identitaire
sexuel : « Je suis un homme enfermé dans une prison de femmes. »
Mère étouffante experte en chantage affectif, s’interposant entre Karen et son père,
étalant sa vie sexuelle avec grande richesse de détails. Papa aurait voulu violer maman
avec une carabine ! « Papa, on l’appelle “L’autre” dans la famille. “L’autre” voulait un
garçon. » Maman, en avance sur son temps, adepte visionnaire de l’idéologie du genre, lui
enseigna les règles de base de l’indistinction sexuelle. Lorsque Karen eut 20 ans, « l’Autre »
utilisa son fusil mais, au grand étonnement de tout le monde, contre lui-même.
™™ Sabine (citée p. 548), dont le diabète était apparu à 7 ans en colonie de vacances,
développe à l’âge de 21 ans une maladie de Basedow après sa réussite au concours d’entrée
à l’école de magistrature. S’éloigner de la famille, se soustraire à l’emprise maternelle était
impensable, irreprésentable, impossible.
™™ Vanina, 40 ans, a toujours travaillé avec son père et sa mère dans l’entreprise
familiale. Il y a sept ans, suite à un contrôle fiscal, elle accepte de reprendre l’entreprise à
son nom, le père ayant géré celle-ci de manière totalement irresponsable. Elle emprunte
de l’argent pour payer une partie du redressement et, à bout de force, finit par dévelop-
per une dépression. Le père continue à jeter l’argent par les fenêtres, à telle enseigne que
Vanina est contrainte de lui donner chaque semaine son argent de poche. Les parents
finissent par se séparer. Vanina vit avec sa mère, dort avec elle, voit de temps en temps
son père. Tentative de suicide dans les suites d’une dispute avec ce dernier. Exophtalmie.
Basedow. Invalidité. Liquidation de l’entreprise.
™™ La maladie de Basedow de Stéphanie, déjà citée p. 240, a surgi il y a sept ans dans les
suites du décès de sa grand-mère. Stéphanie suit actuellement un protocole de procréa-
tion médicale assistée. Elle voulait faire un enfant toute seule mais finit par épouser un
brave homme falot, soumis et inexistant, tout comme son propre père. Père que sa mère
et elle appellent « Le père ». Père de qui ? Le seul couple dans la famille, c’est Stéphanie et
sa mère. « Je suis son mari. Je suis la clé de son couple. » La grand-mère constituait de son
vivant un rempart contre l’emprise maternelle. Interdit de féminité, interdit de maternité.

Résultats de l’étude
13 cas. Uniquement des femmes.
Facteurs traumatiques
La pathologie apparaît dans les suites immédiates d’événements traumatiques, laissant
le sujet démuni.
554
Les maladies auto-immunes

Ce sont des pertes (séparations, divorces, décès, ruptures de relation) dans 57% des
cas, ou des conflits majeurs, aigus et anxiogènes dans 43% des cas.
La révolte thyroïdienne paraît constituer une ultime défense, une rage désespérée,
dans un contexte d’anxiété paroxystique.
Fonctionnement psychique
Il existe dans tous les cas des troubles psychopathologiques préexistant que la patholo-
gie thyroïdienne va secondairement aggraver. Troubles de l’humeur, volontiers cycliques,
dépression, hypomanie, troubles du caractère et des conduites, impulsivité, pithiatisme
parfois, personnalité prépsychotique souvent, persécution, interprétation.
Les sujets ont des réactions sthéniques fréquentes, un caractère explosif, vécu de
toute puissance alternant avec de brusques effondrements, une absence de culpabilité
consciente, une intolérance à la frustration.
Le complexe de castration est majeur et constant. La question peut se poser de la
genèse de l’exophtalmie en relation avec l’angoisse scopique. Les défenses à l’encontre
de l’image de la castration résident essentiellement dans une velléité de captativité et
de castration du personnage masculin. Le désordre identitaire sexuel est éminemment
fréquent. L’identification masculine domine. On retrouve l’homosexualité dans deux tiers
des cas analysés.
Histoire du sujet
Dans l’entourage des sujets, il existe une dislocation des repères familiaux, génération-
nels et des identités sexuelles.
Le père est un professionnel de l’esquive : volage, instable, infantile, irresponsable,
castré, fuyant, absent.
Le personnage maternel semble jouer un rôle très toxique, mortifère. Mère fusionnelle,
étouffante, culpabilisante, toute puissante, dirigiste, exerçant une emprise sur sa fille,
parfois terrifiante. Mère prenant en otage sa fille, l’utilisant comme alliée face au père qui
s’esquive, ou l’utilisant comme un mari de substitution. Mère dénigrante, n’accordant pas
le statut de sujet à sa fille. Parfois, on repère des vœux inconscients de mort à l’encontre
de cette dernière. On repère aussi, assez souvent, des lignées de femmes toutes puissantes
dans lesquelles la place de la fille est court-circuitée.
Il existe une similitude avec le profil maternel retrouvé dans les diabètes de type I mais,
ici, il revêt un caractère plus général et plus inquiétant.
La réaction
L’assujettissement de l’enfant laisse celui-ci démuni face au traumatisme. La réaction
biologique qui vient suppléer l’absence de mécanismes de défense psychiques ou
comportementaux va, aussi bien dans le diabète que dans l’hyperthyroïdie, dans le sens
d’un ultime apport énergétique (sucre, hormone thyroïdienne).

11-2. Thyroïdite de Hashimoto
Données de la littérature
L’hypothyroïdie franche d’origine périphérique est confirmée par une élévation de TSH
et une diminution de T4. Sa cause principale est la thyroïdite chronique auto-immune de
Hashimoto.
555
Traité de médecine psychosomatique

Les manifestations dépressives sont fréquentes dans l’hypothyroïdie. Il existe une


proximité clinique des manifestations cliniques et biologiques de la dépression et de
l’hypothyroïdie fruste. Les patients déprimés présentent classiquement une hypothyroï-
die fonctionnelle relative (diminution de la thyroxinémie, augmentation de la TSH). Ces
anomalies sont liées aux variations des monoamines cérébrales : la sérotonine abaisse le
taux de TSH, la NA et la dopamine l’augmentent, l’hormone thyroïdienne T3 augmente
le nombre de récepteurs bêta-adrénergiques.
Chez les femmes en période pré-ménopausique, le taux d’anticorps antithyroïdiens
TPO-Ab est significativement lié à la présence de dépression.
Michel Hautecouverture : « Je pense aussi que lorsque la pathologie est installée,
qu’elle se développe et qu’elle est traitée par des médications spécifiques de l’atteinte en
cause, par exemple des extraits thyroïdiens de synthèse dans les cas d’une hypothyroïdie,
l’efficacité de ces thérapeutiques est directement corrélée à la façon dont se produisent
des événements de la vie psychique. » (Op. cit.)

Étude personnelle
Observations
™™ Jeanine a développé une thyroïdite de Hashimoto à 54 ans. Déjà déprimée par sa
ménopause, elle a été l’objet d’une trahison au sein du conseil municipal dont elle était
membre (« comme si mon mari m’avait trompée »). C’est une femme très active, pièce
maîtresse au centre de sa famille qu’elle appelle sa « tribu ». « Nous sommes tous collés
les uns aux autres. »
™™ Jordane a développé une thyroïdite de Hashimoto dans un contexte de dépression
atypique à 17 ans. Elle venait de réussir le bac et ne supportait pas l’idée de quitter sa
famille pour entrer en faculté de médecine. « Je suis tout pour mes parents. » « J’aime
faire plaisir aux autres, je fais semblant que tout aille bien. »
™™ La thyroïdite de Line est apparue à 36 ans dans un contexte d’intense répression
affective et émotionnelle, suite au décès de sa mère deux ans auparavant. Elle s’était
beaucoup occupée d’elle durant les trois ans de la maladie qui devait l’emporter. Après le
décès, elle a donc fui dans le travail. Après l’installation de la thyroïdite, une dépression
est apparue, aggravée ultérieurement par la cessation de son activité professionnelle du
fait de sa maternité. La réaction de deuil de sa mère a alors resurgi, favorisée par une
inactivité toute relative, car elle consacre tout ce qui lui reste d’énergie à s’occuper de son
enfant.
™™ La thyroïdite d’Aurélia a débuté à 59 ans, dans les suites immédiates de la sépara-
tion géographique d’avec son compagnon. Répression de toutes les émotions (tristesse,
colère…).
™™ La thyroïdite de Claudine s’est installée à 36 ans dans les suites de son divorce
et du décès de son père. Claudine est dépressive. Elle a toujours vécu sous l’emprise de
quelqu’un : d’abord sa mère qui la contrôlait sans cesse, et maintenant son fils de 26 ans
qui vit avec elle et se comporte comme un tyran.

556
Les maladies auto-immunes

™™ C’est dans les suites des inondations de 2002 que la thyroïdite de Maddy s’est
installée. Elle avait été hélitreuillée et avait perdu tout le mobilier de sa maison. Syndrome
psychotraumatique suivi de fatigue intense, d’émoussement dépressif, puis thyroïdite.
™™ Ysilde, 50 ans, s’est toujours connue dépressive, sauf pendant ses grossesses. Lors de
la première, elle se décrit comme transformée. Une césarienne générera une dépression
qui disparaîtra pendant la deuxième grossesse. Mais celle-ci se soldera par une nouvelle
césarienne et une dépression postnatale avec angoisse de mort, idées suicidaires, thyroï-
dite de Hashimoto.
™™ Le père de Solène, déjà citée p. 237, a renoncé à ses droits de paternité lorsqu’elle
avait 2 ans. Solène prendra alors le nom de sa mère. À 4 ans, le nouveau compagnon de
celle-ci reconnaît Solène légalement et l’adopte. Lorsqu’elle a 10 ans, le nouveau couple
divorce et le beau-père renonce à son tour à son droit de paternité. Solène reprend à
nouveau le nom de sa mère. À14 ans, elle demande à revoir son vrai père. La réponse est
négative car la nouvelle femme de celui-ci s’y oppose. Colère. Compulsions alimentaires.
Obésité. Elle perdra du poids spontanément pendant son unique grossesse. Lorsque
l’enfant aura 2 ans, son conjoint la quittera. Thyroïdite de Hashimoto.
Résultats de l’étude
21 cas : 20 femmes, 1 homme.
Traumatismes inducteurs
Les traumatismes inducteurs de la pathologie sont, dans la majorité des cas, des pertes
(79%), plus rarement des situations conflictuelles aiguës (21%).
Parmi les pertes, les séparations occupent une place prépondérante (55%). Les autres
pertes sont les deuils, les trahisons et les déceptions, les pertes matérielles, la castration.
Les situations conflictuelles (privées ou professionnelles) ont un caractère aigu, explo-
sif, de courte durée.
Fonctionnement psychique
La mentalisation est bonne au moment de l’investigation, mais la répression émotion-
nelle est constante et intense dans les suites du trauma.
La symptomatologie psychiatrique se limite à la dépression. Celle-ci est quasi constante,
soit préexistante à la maladie, soit consécutive.
Dans 100% des cas, on repère :
––un dévouement inconditionnel aux autres : le sujet s’occupe de tout le monde,
« porte tout le monde », est au service de son entourage ;
––un besoin de maîtrise : gestion en toute chose, gestion des autres, désir que tout aille
bien ;
––une sur-occupation dans l’agir ;
––une répression des affects et des émotions pour épargner les autres.
Contrairement au diabète et à l’hyperthyroïdie qui, comme nous l’avons vu plus
haut, suppléent la carence défensive par un apport énergétique, l’hypothyroïdie est une
réaction biologique de renoncement, une mise en veilleuse, une réaction de défaite, de
repli.

557
Traité de médecine psychosomatique

12. CONCLUSION
Les réactions traumatiques qui déclenchent les maladies auto-immunes sont très
disparates selon le type de maladie. Dans les rhumatismes inflammatoires chroniques, les
collagénoses, le syndrome de Goujerot-Sjögren, la sclérose en plaques, le diabète de type I,
la maladie de Crohn, elles sont particulièrement démentalisées, à type de détresse, proche
des syndromes psychotraumatiques et des états de détresse indifférenciée du nourrisson,
laissant le sujet démuni de mécanismes de défense. Dans la thyroïdite de Hashimoto, le
vitiligo, la démentalisation est moins intense. Dans les uvéites, la mentalisation est bonne.
Dans la maladie de Basedow, elle est explosive et désorganisée.
Cette hétérogénéité quant à l’aspect économique est liée à la fonction atteinte et
au moment évolutif où s’est organisée la fixation. On notera de ce point de vue que la
distinction entre maladies systémiques et maladies d’organe est artificielle et ne se prête
pas à une recherche et une théorisation d’un point de vue psychosomatique.
Il apparaît plus pertinent d’établir une distinction à partir des systèmes fonctionnels
altérés. Par exemple, les maladies rhumatismales inflammatoires et leur prolongement
en collagénoses expriment une atteinte progressive des instincts de vie : motricité, puis
fonctions vitales. Leur déterminant archaïque est de toute évidence central. Le syndrome
de Goujerot-Sjögren à ses débuts, tout comme l’uvéite et le vitiligo, signent une attaque
de l’érogénéité, c’est-à-dire qu’ils sont le fait de fixations beaucoup plus récentes d’un
point de vue évolutif. Quant à la sclérose en plaques, qui porte atteinte aux fonctions de
relation, ses déterminants paraissent plus étalés d’un point de vue diachronique, ce qui
lui confère une dimension mystérieuse, à la fois archaïque d’un point de vue économique
et terriblement séduisante quant à sa dimension symbolique.
Les maladies auto-immunes se définissent à partir d’un diagnostic biologique, témoin
partiel d’un processus physiopathologique complexe et différent d’une pathologie à
l’autre. Les études cliniques que nous venons de présenter ne retrouvent pas de traits
communs à l’ensemble des maladies auto-immunes, si ce n’est l’attaque d’une fonction
qui, au moment du traumatisme, pose problème ou constitue le lieu de la réactivation
d’une fixation.
Les problématiques diffèrent d’une maladie auto-immune à l’autre. Ce qui est commun,
c’est le désordre économique et l’attaque du soi, d’un organe ou d’une fonction impliquée
dans le système défensif somatique. La fonction atteinte est celle qui est censée venir
suppléer, dans une situation donnée, la sidération des défenses psychiques et compor-
tementales. Faute de défenses psychiques et comportementales opérantes, s’installe une
défense somatique qui vient éliminer ou modifier une fonction importante, objet de
fixation antérieure.
On ne saurait dessiner un profil de personnalité pour l’ensemble des pathologies
auto-immunes. Mais il existe de toute évidence des traits de personnalité, des modes de
fonctionnement et de réactivité psychique, des modes de relation d’objet, des problé-
matiques, si ce n’est des complexes similaires, spécifiques d’une maladie auto-immune
donnée, voire d’un groupe de maladies auto-immunes affectant un système fonctionnel
donné.

558
Les maladies auto-immunes

On retrouve aussi certaines constantes dans les maladies auto-immunes à fort déter-
minant archaïque, notamment la préséance de la dissolution du sujet dans l’emprise
maternelle.
Les fixations archaïques induisent des désordres somatiques plus graves, plus exten-
sifs aux différents systèmes fonctionnels. Elles sont fragiles, ouvrant la porte à la désor-
ganisation. Les fixations psychosomatiques érogènes induisent des désordres limités à
une fonction. Elles sont solides et constituent un point d’attraction pour les régressions
psychosomatiques.
Le tableau qui suit illustre l’hétérogénéité psychosomatique des maladies auto-im-
munes que nous avons étudiées. Il montre que le processus auto-immun ne peut être
caractérisé, d’un point de vue psychosomatique, de manière univoque.
Fonction Fonction Déterminants Système défensif Fixations
atteinte psychosomatique infantiles
Rhumatismes Motricité Affects réprimés Emprise paren- Fragile Archaïque
inflammatoires et peu différenciés. tale
chroniques (Peur et colère dans
la PCR. Colère et
tristesse dans la
SpA.)
Collagénoses Fonctions vitales Disparition de Emprise mater- Éteint Archaïque
l’affect (colère, nelle
tristesse)
Syndrome Composante - Assèchement Contexte Fragile Fixation
de Goujerot- neurovégétative émotionnel incestuel ou psychosomatique
Sjögren de l’émotion - Disparition de incestueux
l’affect (peur)
SEP Vie de relation Répression, refoule- - Castration Faible Fixation
ment, conversion et - Œdipe psychosomatique
inversion de l’affect
Diabète - Énergétique Répression émo- Emprise mater- Faible Fixation archaïque
de type I - Apport d’éner- tionnelle nelle
gie
Basedow - Énergétique Pas de répression - Emprise mater- Puissant mais Fixation archaïque
- Atteinte défi- nelle instable +
citaire - Désordre iden- Castration
- Apport d’éner- titaire
gie
Hashimoto - Énergétique Répression émo- Idéal du moi Fort mais Idéal du moi
- Défaite tionnelle dépassé
Maladie Assimilation - Lacunes du Pcs. - Désordre iden- Faible et instable Archaïque
de Crohn - Répression de titaire
l’affect (peur) - Fixation anale
non érogène
Uvéite Pulsion Refoulement - Castration Fort mais Fixation
scopique - Œdipe dépassé psychosomatique
érogène
Vitiligo Zone investie Refoulement Castration Fort mais Fixation
dépassé psychosomatique
érogène

Caractéristiques psychosomatiques des principales maladies auto-immunes

559
Traité de médecine psychosomatique

Dans la nouvelle éponyme de Maurice Genevoix, le chat Rroû va mourir, pris au piège
d’un braconnier, au fin fond d’une forêt. De faim, de soif ou bien dévoré par un prédateur,
ou encore achevé par un chasseur. Il n’échappera pas à son destin. Il finit par se ronger la
patte jusqu’à ce que le moignon se détache du piège. Malade, délabré, il erre en boitant
puis, au fil des semaines et des mois, redevient le chat qu’il était, une patte en moins.
L’attaque de son corps l’a sauvé.
Celui qui, voulant fuir les flammes de la tour en feu, se jette dans le vide, n’aura pas la
même destinée. Il mourra en voulant se sauver.
L’attaque auto-immune paraît être le mécanisme de défense de dernier recours destiné
à préserver quelque chose qui est de l’ordre de l’intégrité physique ou psychique, de la vie
au sens le plus général du terme. L’issue est toujours incertaine.

13. TRAITEMENT DES MALADIES AUTO-IMMUNES


Le traitement des maladies auto-immunes se devrait d’être mixte : traitement médical
incontournable et approche psychothérapique le plus tôt possible. Nous avons souvent
insisté sur le fait que les défenses des patients somatisant à l’encontre du processus
psychothérapique étaient majeures, et certainement encore plus chez les patients où une
maladie est venue suppléer à l’inanité de leurs défenses psychiques, d’autant plus que
l’étiquetage de la maladie leur apporte une réponse qui les conforte dans le déni d’un tel
désordre psychique.
C’est donc à pas de loup qu’il convient d’approcher de tels patients. L’interprétation du
conflit dans les premiers temps ne sert à rien, d’autant plus que celui-ci ne fait en général
l’objet d’aucune élaboration, sauf dans quelques affections, telle l’uvéite que nous aborde-
rons dans le chapitre consacré à l’œil (p. 584).
L’attitude pare-excitante est de première importance dans le contexte traumatique. À
distance de celui-ci et des fortes poussées évolutives, le traitement du désordre écono-
mique doit être premier. La rementalisation passe par une restauration, une requalification
et une différenciation des affects, venant pallier la carence de discrimination émotion-
nelle. La relance progressive du fonctionnement préconscient lorsque le désordre écono-
mique s’apaise constitue la deuxième étape. « L’injection de représentations » (Marty,
De M’Uzan) s’avère souvent nécessaire face à la vacuité inaugurale du préconscient.
La relation thérapeutique doit garder une certaine souplesse en même temps qu’une
certaine sthénicité. M. de M’Uzan évoque la nécessité à certains moments d’une « séduc-
tion minimale », préférable de loin à la supposée neutralité que le sujet perçoit comme
une distance froide et mortifère. Lorsque la rementalisation est suffisamment réamorcée,
la conflictualité peut être abordée.
À titre d’illustration, voici, résumés par nos soins, les principes thérapeutiques propo-
sés par F. Duparc, aussi bien dans la manie blanche et les états cyclothymiques que dans
les maladies auto-immunes.
Interventions
L’attitude de grande neutralité est à éviter. La seule écoute attentive peut aggraver la
pathologie.
Le silence est aussi néfaste qu’un discours trop interprétatif.
560
Les maladies auto-immunes

Aménagement spatial
Préférer le face à face, tout au moins au début, car le divan « accroît pour le patient la
difficulté de contrôler la non-disparition de l’objet ou sa présence affective » (F. Duparc,
La manie blanche). Par ailleurs, le face à face permet de repérer les réactions du patient.
Secondairement, la position allongée favorisera la relaxation. La solution de compromis
la mieux adaptée est la position allongée dans laquelle l’analyste est à côté du patient,
demeurant dans son champ visuel. La relaxation analytique constitue parfois une bonne
indication.
Régulation économique
Faire face au débordement de l’excitation et apaiser celle-ci : interventions directives
portant sur le fonctionnement psychique, ralentissement du rythme des associations du
patient qui augmente sans prendre en compte la charge affective de ses paroles, inter-
ventions portant sur les comportements à risque, réanimation des affects au sein de la
sphère psychique.
Attitude préventive
Éviter de « réanimer les ombres du passé par de nouveaux bouleversements trauma-
tiques » (ibid.). Tout changement de cadre, toutes les séparations, extérieures ou
analytiques, doivent être longuement préparés. Ne pas être excitant, puis décevant ;
l’investissement du patient doit être régulier.
Reconstruction
Restaurer le narcissisme, mettre en valeur le rôle actif que le patient peut jouer dans sa
relation avec sa maladie. Le but final est, bien sûr, « la représentation de l’histoire occul-
tée et la gestion de l’héritage psychique du sujet » afin de construire son histoire, « son
roman familial et ses différentes versions occultées, encryptées ou trans-générationnelles,
conjecturales ou confirmées par des tiers, versions non exclusives qui seules permettent
de restaurer la part du choix subjectif dans les matériaux de l’héritage » (ibid.).

561
Chapitre 20

L’ŒIL ET LA PSYCHOSOMATIQUE

1. INTRODUCTION
Aucun organe n’est plus proche du cerveau que l’œil. Aucun sens n’est plus proche de
la pensée que la vue. Psyché est aussi un miroir.
Le cerveau reçoit et traite les stimuli visuels mais il émet aussi des images en leur
absence comme en attestent les rêves et les hallucinations. Il transforme l’image de l’objet
extérieur. Ce mouvement centrifuge vers le monde extérieur a été confusément perçu en
d’autres temps. Jusqu’au xve siècle, l’œil n’est pas considéré comme un unique récepteur, il
est aussi une lumière qui émet, un phare, il envoie des flèches, des traits. Nous conservons
encore certaines métaphores : œil perçant, œil de feu, fusiller du regard, des « yeux révol-
vers », le mauvais œil qui frappe l’autre. Les premières techniques d’hypnose utilisaient le
regard exorbité du thérapeute pour induire le sommeil. L’œil est un organe d’emprise et
de prédation.
Ce n’est qu’aux débuts de l’ère scientifique, au xviie siècle, et plus particulièrement
grâce à la découverte des lois de l’optique, que l’œil sera relégué à sa stricte fonction
de récepteur. Les découvertes neurophysiologiques plus récentes ont, depuis, restauré la
vision dans sa double fonction de récepteur du monde extérieur mais aussi du monde
intérieur. Le regard est le miroir de l’âme.
Le plaisir des yeux débute très tôt chez l’enfant et transforme la vue en regard. La
pulsion scopique joue un rôle fondamental dans le développement de la pensée et de
la structure psychique, laissant ses empreintes au niveau de l’image du corps, de la vie
sexuelle et des sublimations de l’adulte. Elle confère au regard une fonction désirante,
hédonique mais aussi transgressive. Le plaisir des yeux doit être châtié. Orphée va délivrer
Eurydice descendue aux Enfers après la morsure d’une vipère le jour de ses noces. Il ne
doit pas regarder Eurydice dont le visage est dissimulé par un voile. Dans sa folle hâte,
il n’y résiste pas et perd une deuxième fois l’être cher. Éros quitte Psyché dès qu’il a été
l’objet de son regard. Quant à Œdipe, il se crève les yeux, pour se châtier du forfait qui
vient de lui être révélé et dont il n’avait pas conscience. Le mythe nous plonge au cœur de
la pathologie ophtalmologique dans laquelle, comme nous le verrons, la pulsion scopique
doit être mise hors d’état de nuire. Circulez, il n’y a rien à voir !
Dans le règne animal, la vision est au service de la survie : attaque, fuite, immobilisation
défensive. La sensibilité rétinienne, l’acuité visuelle, le champ de vision, la profondeur de
champ, varient en fonction de chaque espèce selon les nécessités adaptatives qui lui sont
propres. La reproduction aussi n’est pas dénuée d’investissement scopique. Les plumes
du paon tapent dans l’œil de la paonne, à l’instar des poses étudiées par le bellâtre de
sous-préfecture lorsqu’il fait la roue à la terrasse de la brasserie incontournable par les
nuits chaudes d’été.
563
Traité de médecine psychosomatique

Le détournement du regard chez les prédateurs carnassiers est un signe de non-


agression destinée à préserver l’espèce. Fixer l’autre est le désigner comme ennemi ou
comme proie. Les psychopathes le savent bien : « Je l’ai frappé parce qu’il m’a regardé ! »
L’échange prolongé de regard entre deux individus est le propre de l’homme et de
certains animaux en interaction avec lui. Il est souvent de courte durée, permettant
d’identifier le quidam, ou de se poser l’air de rien sur quelque proie éventuelle. Les conve-
nances sociales imposent un détournement rapide du regard.
Lorsqu’il s’attarde ou persiste, le regard n’est jamais dénué de sens : regard de mépris,
de moquerie ou de dominance, regard noir de haine, regard accusateur (« L’œil était
dans la tombe et regardait Caïn »), regard interrogatif, regard anxieux appelant à l’aide,
regard terrorisé du traumatisé, regard de politesse ou de déférence s’accompagnant d’une
discrète révérence de la tête, regard d’Éros, tantôt de velours, tantôt protubérant, regard
de Philia imprégné de tendresse, regard d’Agapê convergent avec celui de l’autre et s’éle-
vant dans la même direction.
L’évolution a instauré chez l’homme l’inhibition du détournement du regard. Lorsque
le regard se dérobe, en dehors des convenances sociales, il exprime toujours quelque
chose. Détournement pour éviter l’affrontement, abaissement chez le sujet en proie à la
honte ou au désordre identitaire, déviation latérale chez le sujet inhibé, fixation hasar-
deuse chez le sujet autiste, soustraction du regard au monde extérieur pour se centrer sur
les objets internes : élévation des yeux pour réfléchir, abaissement pour rêver, fermeture
des paupières pour prier, apprécier une odeur, écouter de la musique. Nous ne pouvons
rêver que s’il n’y a rien à voir.
Lorsque le regard de l’homme de la rue devient focal et persistant, cela annonce en
principe l’agression imminente ou, en tout cas, la velléité latente de prédation. Il peut
alors s’accompagner, lorsque la cible se déplace, d’une rotation de la tête parfois à 180°
chez les sujets bien entraînés.
Dans la relation duelle apaisée, l’échange des regards est en quête d’un échange de
pensées et d’intentions communes. Recherche d’approbation de ce que j’ai dit, recherche
dans le regard de l’autre d’un indice de mensonge, interprétation d’un regard triste. Le
regard est indice de ma pensée et explorateur de celle de l’autre. « Je vois dans tes yeux… »
La pensée naît de l’échange des regards, même si son approfondissement nécessite qu’elle
s’en détourne. Réflexion des regards, puis réflexion tout court.
La vue a connu son heure de gloire en médecine, comme en atteste le terme observa-
tion. L’inspection du patient constituait une source de renseignements cliniques majeurs,
agrémentés de métaphores hautement signifiantes : faciès terreux du péritonéal, vultueux
du pléthorique congestif, jaune paille du cancéreux, injection conjonctivale du sub-icté-
rique, expectoration nummulaire du tuberculeux ou en grain de millet de l’asthmatique,
bosse de bison du myxœdémateux, coup de vent cubital de l’arthritique, etc. Expressions
révolues vouées à l’histoire de la médecine, puisqu’aujourd’hui le regard se porte sur tout
sauf sur le patient : ordinateur, échelle d’évaluation, imagerie, endoscopie.
La psychiatrie ne rechignait pas non plus sur l’observation de la « présentation » du
patient et plus particulièrement de son regard : regard hautain, fuyant ou tourné vers
l’intérieur du paranoïaque, regard sournois, scrutateur et envieux du pervers, regard froid,
impénétrable et effrayant du schizophrène, regard triste et morne du dépressif, regard
aguicheur de l’hystérique, regard évitant du phobique ou de l’inhibé, regard focal ou au
564
L’œil et la psychosomatique

contraire détourné du psychopathe, regard insolent de l’enfant devenu chef de famille,


regard vide du sujet limite ou démentalisé, regard absorbé par la scène fantasmatique du
sujet en proie à la rêverie.
Le regard permet de reconnaître chez les animaux des individus de la même espèce.
Bien avant de devenir un gros mot socialement incorrect, la discrimination a permis de
conserver la vie des individus et des espèces, de faire la différence entre la nuit et le jour, le
chaud et le froid, le haut et le bas, l’avant et l’arrière, l’aigre et le doux, le salé et le sucré, le
familier et l’étrange, les nuances d’une palette de couleurs, les différentes tonalités d’une
musique. Son interdiction sera-t-elle aussi efficace que la suppression du terme race pour
faire disparaître le racisme ou du mot alcool pour éradiquer l’alcoolisme ? Les capacités
de discrimination visuelle au sein des espèces s’enrichissent chez l’homme d’une capacité
accrue de reconnaissance et de distinction de ce qui est familier et de ce qui ne l’est pas.
Le regard précède la parole d’un point de vue phylogénétique, ontogénétique et social.
Les personnes se regardent avant de se parler. Chaque personne observe le regard de
l’autre, l’interprète et tente de s’y adapter. Mais l’évolution sociétale laissera-t-elle perdu-
rer les rythmes du regard ? Le détournement du regard semble se répandre dans les socié-
tés occidentales, non pas en signe de non-agression, mais du fait que l’individu serait
censé se suffire à lui-même, les autres étant transparents ou inapparents. Mais – paradoxe
attestant de l’existence de l’autre, tout au moins en tant que miroir (un miroir ne saurait
être transparent) – ce même individu postmoderne aime par-dessus tout se montrer,
s’exposer, s’étaler à la vue de l’autre tout en feignant de ne point le voir. « M’as-tu vu »
diront certains ! Sauf qu’à y regarder de plus près, on pourra repérer dans la prunelle du
paon, une once de détresse, de peur ou de vide. Narcisse mourut de désespoir dans sa
passion impossible pour son reflet.

2. LA PERCEPTION VISUELLE


2-1. Anatomie de l’œil
L’œil humain est entouré d’une couche solide, d’une carapace, la sclérotique, dont la
partie antérieure transparente constitue la cornée.
Le cristallin, grosse lentille, divise l’œil en chambres antérieure et postérieure. Il est
entouré par le muscle ciliaire qui peut en modifier la forme en fonction de l’éloignement
des objets par rapport à la distance focale de la rétine. Lorsque le muscle se contracte,
le cristallin devient plus convexe, ce qui permet la vision de près. Lorsqu’il se relâche, le
cristallin s’aplatit, permettant la vision de loin.
Dans la chambre postérieure de l’œil, directement plaquée contre la sclérotique, se
situe la choroïde, couche noire qui réduit la transmission de la lumière par les côtés de
l’œil et la réflexion interne. À l’intérieur de la choroïde, se situe la rétine, excroissance du
cerveau, qui a migré au niveau de l’œil au cours de l’embryogenèse.
La chambre antérieure est remplie d’humeur aqueuse, la chambre postérieure
d’humeur vitrée. Devant le cristallin, se situe l’iris, diaphragme musculaire, dont l’ouver-
ture constitue la pupille.

565
Traité de médecine psychosomatique

Conjonctive Humeur vitrée ou corps vitré,


entouré par la membrane hyaloïde
Muscle et procès ciliaires

Angle iridocornéen Rétine, membrane


photoréceptrice
Chambre postérieure
Macula
Cristallin

Pupille Fovéa

Humeur Axe optique


aqueuse Nerf
optique
Iris
Papille
Cornée Veines et
artères du
nerf optique
Chambre
antérieure
Choroïde
Ligaments suspenseurs noire
du cristallin

Muscles oculaires Sclérotique

Canal hyaloïque

Anatomie de l’œil

2-2. Physiologie de la vision
La lumière, en pénétrant dans l’œil, stimule des photorécepteurs situés dans la rétine.
Ce sont des neurones spécifiques qui contiennent dans leur partie externe des pigments
que la lumière va modifier chimiquement, décolorer de manière réversible.
Il existe deux types de photorécepteurs : les cônes et les bâtonnets. Les bâtonnets
fonctionnent en présence d’une faible luminosité (vision scotopique) mais ne fournissent
que des images de faible définition. Les cônes fonctionnent de manière optimale lors de la
lumière du jour (vision photopique) et seront à l’origine d’images précises et de la vision
des couleurs. Notre rétine ne perçoit que trois couleurs primaires mais leur mélange
génère une multitude de teintes.
La modification chimique des pigments va induire des modifications électriques dans
la membrane du photorécepteur. Il s’ensuit une hyperpolarisation membranaire qui,
au-delà d’un certain seuil d’intensité, va induire un potentiel d’action. Plus le stimulus est
intense, plus la fréquence du potentiel d’action augmente. L’organe des sens est un trans-
formateur d’énergie : la rétine transforme le stimulus sensoriel en potentiel électrique.
L’influx nerveux qui en résulte va se propager vers d’autres cellules rétiniennes : les
cellules bipolaires puis les cellules ganglionnaires. Les réponses des cellules bipolaires
dépendent de la stimulation d’un ou plusieurs photorécepteurs. Le message va ensuite
être transmis aux cellules ganglionnaires qui codent les informations visuelles et les
relaient vers le cerveau grâce à leurs axones qui constituent le nerf optique.
566
L’œil et la psychosomatique

cellule cellule
ganglionnaire horizontale
cellule
amacrine

Lumière cône

cellule
bipolaire bâtonnet

couche couche couche couche couche couche couche des épithélium


des fibres des cellules plexiforme des grains plexiforme des grains segments ext. pigmentaire
optiques ganglionnaires interne internes externe externes des photorécept.

Histologie de la rétine
Les axones regroupés dans le nerf optique envoient l’information au cerveau par
l’intermédiaire du chiasma et du tractus optique. Ils aboutissent au corps genouillé latéral
du thalamus qui dispose d’une première carte de la rétine. Ensuite, le message est trans-
mis par l’intermédiaire des radiations optiques au cortex visuel primaire (cortex strié : aire
17 ou V1).
La magnitude des potentiels d’action est déterminée par la taille de l’axone et leur
fréquence par l’intensité de la stimulation. Chaque type de récepteur envoie des impul-
sions directement ou indirectement à un endroit particulier du cerveau qui catégorise et
classe les informations entrantes à partir de l’intensité de la stimulation des nerfs périphé-
riques.
Au niveau du cortex V1, il existe une seconde cartographie de l’espace visuel, des
champs récepteurs spécifiques au sein desquels les différents éléments du stimulus visuel
(couleur, contraste, mouvement) sont projetés.

Cortex Cortex
Thalamus pariétal

Cône Cellule Cellule Corps


Cortex
bipolaire ganglionnaire genouillé
visuel
latéral

Nerf
optique

Bâtonnet
Cortex
inféro-temporal

Voies afférentes de la vision

567
Traité de médecine psychosomatique

2-3. De la sensation à la perception


La sensation
La sensation est une information périphérique, une donnée brute captée et traitée par
l’organe sensoriel, matériau de base déjà remanié par celui-ci. Le rouge et le bleu sont des
exemples de sensations de couleurs.
Un nerf particulier donne toujours le même type de sensation, quel que soit son
mode de stimulation. La lumière qui atteint l’œil produit une sensation visuelle, mais une
stimulation mécanique comme un coup porté sur l’œil ou une stimulation électrique du
nerf optique produisent le même effet. Si nous pouvions relier notre oreille à notre nerf
optique, la stimulation auditive donnerait une sensation visuelle.
Interférences, transformations et sélections périphériques
Système nerveux végétatif
• Orthosympathique : contraction des fibres radiaires de l’iris, d’où mydriase.
• Parasympathique :
––contraction du sphincter de l’iris, d’où constriction pupillaire (myosis) ;
––contraction du muscle ciliaire, d’où augmentation de la convexité du cristallin (mise
au point sur les objets proches).
Réduction du spectre des stimuli
La vision est basée sur la détection des radiations électromagnétiques. Le spectre
électromagnétique est très large, et le spectre visuel n’en est qu’une petite partie.
Inertie des potentiels d’action
Lorsque la stimulation est intermittente, le potentiel générateur peut ne pas avoir le
temps de redescendre pendant les interruptions, ce qui donne une production de poten-
tiels d’action en continu. Ceci explique pourquoi nous ne sommes pas capables de distin-
guer un stimulus constant d’un stimulus intermittent à très haute fréquence. Une lumière
qui clignote très rapidement produit la même sensation qu’une lumière constante. C’est
ce phénomène qui a donné le cinéma et la télévision.
La sensation constitue déjà une variable qui modifie l’information extérieure. Elle varie
d’une espèce animale à l’autre et chez l’individu en fonction des différentes modifications
ou altérations pouvant affecter l’organe des sens.

La perception
La perception est un phénomène composite, produit de la sensation (exogène ou
endogène), d’un filtrage sensoriel périphérique, d’un filtrage neurologique (sélection et
catégorisation par les structures et les voies centrales) et d’un remaniement psychique :
qualification, distorsion, sélection, amplification, réduction par les représentations
antérieures conscientes, préconscientes ou inconscientes.
Imaginons qu’apparaisse dans le ciel un rectangle orangé. Les photons décolorent les
pigments rétiniens. La sensation perçue par les personnes confrontées à cette apparition
mystérieuse est à peu près identique. Mais la perception qui en est issue est sujette à de
nombreux remaniements :

568
L’œil et la psychosomatique

Filtrage
périphérique :
environnement,
réfraction, Voies et centres optiques :
accommodation catégorisation

Sensation Perception

Sélection
Distorsion
Qualification Représentations
Cs - Pcs - Ics
Affects

Transformation et élaboration de l’information visuelle


L’environnement
Variations concernant l’environnement visuel : le rectangle n’aura pas le même aspect
de jour comme de nuit et selon les conditions météorologiques.
Transformation périphérique
Variations propres à l’état et au fonctionnement de l’organe sensoriel : le sujet peut
présenter des altérations visuelles, des troubles de l’accommodation, de la réfraction, de
la vision des couleurs, de la vision binoculaire.
Transformation centrale
L’état émotionnel de l’individu
Comme nous l’avons constaté lors de nos travaux pratiques sur les émotions, celles-ci
modifient les perceptions : lumière solaire de la joie, la couleur rouge de la colère, l’obs-
curité de la tristesse. Dans ces phénomènes, interviennent les structures sous-corticales :
tronc cérébral, lobe limbique.
L’attention sélective
Un animal qui réagit à une situation particulière n’utilise qu’une partie des informa-
tions dont il pourrait disposer. Le stimulus-signe est un stimulus privilégié qui isole une
perception parmi le champ perceptif. En cas de défense du territoire, le rouge-gorge
semble aveugle à tout ce qui n’est pas une poitrine de rouge-gorge qui viendrait attaquer
son territoire. Ces stimuli-signes changent en fonction de la condition interne de l’animal.
Chez certains oiseaux, comme le goéland en période de couvade, toute forme ressem-
blant à un œuf focalise l’attention. L’image d’appétence induit une réceptivité sélective.
Le repérage d’un exemplaire d’une espèce de champignon dans la forêt constituera un
déclencheur du phénomène. Nous serons immédiatement plus réceptifs aux autres
champignons de la même espèce. Il en est de même lorsqu’une voyante prédit un amour
merveilleux avec un inconnu présentant certaines caractéristiques morphologiques. On
peut voir sans regarder… et regarder sans voir. La vision peut se focaliser sur un détail
dans un ensemble, par exemple une anomalie dans un visage humain.
La mémoire sensorielle
En regardant un paysage, nous utilisons la couleur pour juger de la distance des collines
et autres particularités du terrain.
569
Traité de médecine psychosomatique

Les représentations et la mémoire sémantique


La représentation à laquelle nous ne cessons de faire référence en psychologie, psycha-
nalyse ou psychosomatique, est le produit d’un remaniement par le psychisme et la
mémoire de l’image enregistrée. Elle est « ce qui, de l’objet, vient s’inscrire dans le système
mnésique » (Laplanche, Vocabulaire de la psychanalyse). La représentation interférera à
son tour pour qualifier la nouvelle perception en fonction des traces mnésiques. Telle
personne attribuera l’apparition du rectangle orangé à un corps céleste ou un objet extra-
terrestre, telle autre pensera à un engin de repérage scientifique, telle autre à une halluci-
nation ou à l’aura d’une migraine ophtalmique. Nos souvenirs et nos savoirs construisent
et modifient ce que nos yeux perçoivent. Voir est un savoir.

Conclusion
Sensation et perception opèrent déjà une première distorsion du monde extérieur. En
dernier lieu, les représentations remanient l’ensemble des informations. Le rêve et l’hal-
lucination illustrent bien cette préséance du système représentatif qui peut fonctionner
de manière autonome en dehors de tout stimulus sensoriel externe. Il existe même une
certaine compétitivité entre informations exogènes et endogènes. Ce n’est donc pas l’œil
qui produit les images mais le cerveau.
On pourrait proposer une métaphore picturale. L’art strictement figuratif s’efforce
de reproduire la réalité extérieure en faisant de son mieux pour restituer la sensation.
L’impressionnisme, le cubisme s’attachent à la complexité de la perception. Le surréalisme
met en avant la primauté de la représentation, proche de l’hallucination. Quant à l’art dit
« conceptuel », méprisant la séquence sensation/perception/hallucination, il s’auto-suffit
à lui-même. La promotion de l’auteur compense la déficience de l’œuvre.

3. LE PLAISIR DES YEUX OU PULSION SCOPIQUE


3-1. La vue chez le bébé
Contrairement au système sensoriel auditif, le système visuel n’est pas mature à la
naissance. La maturation va se poursuivre tout au long de l’enfance : l’acuité visuelle
n’est optimale qu’à 4 ans, les centres corticaux et sous-corticaux n’atteignent leur plein
développement qu’à l’âge de 11 ans.
La maturation psychophysiologique est en relation avec l’expérience visuelle. Une
privation de stimulus visuel entraîne des modifications corticales.

La vie fœtale
La vision est le dernier sens à se développer chez le fœtus. Le fœtus est probablement
dans un monde où sans doute rien n’est objectivement visible.
Les yeux oscillent dès la vingtième semaine et, vers 7 mois, le fœtus peut distinguer des
ombres et des nuances de lumière, tel un éclairage intense dirigé sur le ventre de la mère.
Rien n’exclut l’existence de stimuli internes visuels d’origine centrale sous forme de
variations de lumière, de formes peu différenciées, voire de proto-représentations stric-
tement endogènes.
Car le sommeil paradoxal apparaît au moment où s’achèvent la maturation et la
programmation génétique du système nerveux, dès la 28e semaine de gestation, malgré
570
L’œil et la psychosomatique

l’absence à ce stade d’expérience visuelle mémorisée. Le sommeil paradoxal, d’autant


plus important que le cerveau est immature, constitue à la naissance 60% du temps
de sommeil. Il s’accompagne de mimiques émotionnelles de sourire, de tristesse ou de
dégoût.
Chez la femme enceinte, vers la 24e semaine, les phases de sommeil paradoxal augmen-
tent jusqu’à atteindre 45%, un peu comme si la mère s’adaptait aux rythmes du fœtus. Les
mouvements fœtaux augmentent pendant les phases de sommeil paradoxal de la mère.

La naissance
––Réflexe photo-moteur présent : clignement à la lumière forte.
––Regard « vague ».
––Acuité : 1/40.
––Le bébé perçoit les variations de lumière, des mouvements, des formes.

1 mois
––Attraction visuelle vers une lumière.
––Réflexe de poursuite et fixation d’un stimulus en mouvement.
––Regard « rigide ».
––Acuité estimée à 1/20.
––Le bébé peut « voir » un objet se trouvant à une distance de 20 à 30 cm de son visage,
ce qui correspond à peu près à la distance entre sa tête et celle de sa mère. Plus loin et
plus près, l’image est floue, les processus d’accommodation n’étant pas suffisamment
développés. Il voit surtout le contour des objets.
––Du fait de l’immaturité des voies optiques, chez l’être humain, le réflexe de détour-
nement du regard n’est pas présent à la naissance. Il n’apparaîtra que plus tard. Son
absence permet l’accrochage du regard.
Daniel Marcelli (Les yeux dans les yeux) souligne l’importance de l’échange du regard
entre la mère et l’enfant dès la naissance et propose une conception vivante étayée sur
l’observation et la clinique.
Après l’accouchement, la mère prend connaissance de son bébé, le prend dans ses bras,
cherche et croise son regard, l’observe, lui parle, pense et rêve. Attendrie, elle découvre
son bébé, ses traits physiques, ses ressemblances avec les membres de sa lignée, la place
qu’il occupe déjà. Elle l’anime, l’humanise. Elle l’envisage. Les yeux du bébé demeurent en
direction de ceux de la mère, comme aimantés. Au fil des semaines, le regard du bébé
deviendra plus actif dans la recherche de celui de la mère.
La mère prise par l’anxiété d’une maternité difficile examine, vérifie, scrute, dévisage le
bébé, cherche son regard qui se dérobe volontiers. Quant au regard de la mère déprimée,
il est plus porté vers l’intérieur, vers les objets perdus, son regard, vide et absent, voit le
bébé mais ne le regarde pas, elle l’in-envisage. Le regard brillant du bébé la réanime parfois.
J’ajouterai une troisième situation qui est celle où les deux regards ne peuvent se
croiser du fait qu’ils ne peuvent tout simplement pas se voir : la césarienne et, surtout, le
placement du bébé en néonatalogie.
Toutes ces situations vont inscrire la base des premières interactions qui peuvent
induire des réactions en chaîne. Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’interactions trophiques
ou délétères, la répétition de l’expérience en constitue le déterminant.
571
Traité de médecine psychosomatique

2 mois
Le mouvement de l’objet extérieur est perçu, le réflexe optocinétique présent, ce qui
permet au bébé de fixer un objet, que celui-ci soit en mouvement ou que lui-même ou sa
tête soit en mouvement.
Son acuité visuelle est toujours faible. Que perçoit-il ? Une forme (gestalt) plus élabo-
rée avec ses motifs, ses reliefs, son apparence, son mouvement.
Que se passe-t-il au moment de l’apparition du sourire au visage humain au 2e mois,
premier indice d’organisation de Spitz ? Jusque-là, le sourire existe chez le bébé mais il ne
s’adresse pas à une personne. Le sourire du 2e mois témoigne de l’investissement d’une
forme humaine par le bébé et de l’instauration d’une proto-interaction. Il est déclenché
par la vue d’un visage de face, la voix aiguë adoptée par l’adulte qui s’adresse à lui, ses
mimiques affectives. L’objet extérieur est capté par le regard. Est-ce une forme primitive
de joie qui s’exprime ? L’apparition de cette dernière en tant qu’émotion de base est classi-
quement plus tardive, entre le 3e et le 4e mois. Quoi qu’il en soit, ce sourire atteste d’un
bien-être, d’une satisfaction. L’échange de regards entre la mère et l’enfant est trophique
pour les deux et renforce l’attachement.
3 mois
––Réflexe de fixation d’un stimulus fixe.
––Amélioration de la poursuite qui devient uniforme.
––Synergie normale tête/œil, puis tête/main/œil.
––Champ de vision étendu.
––Reconnaissance de certains objets familiers, comme le biberon, qui confirme l’ins-
cription de proto-représentations antérieures.
Le bébé devient plus réceptif et plus actif dans le jeu et le regard. Dans la relation avec
la mère, les fonctions visuelles deviennent très importantes pour l’intégration des autres
données sensorielles (Spitz). Les comportements anticipatoires sont en synergie avec le
regard : l’enfant tend les bras vers la mère en même temps qu’il la regarde. Les comporte-
ments d’imitation se développent.
4 mois
––L’accommodation est normale.
––Début d’élaboration de la vision binoculaire : réflexe de convergence.
5 mois
Le sourire du bébé s’adresse à des personnages familiers.
6 mois
––Acuité visuelle : 2/10.
––Le corps genouillé est mature.
Entre 3 et 6 mois, le bébé devient plus réceptif et plus actif dans le jeu et le regard.
Dans la relation avec la mère, les fonctions visuelles deviennent très importantes pour
l’intégration des autres données sensorielles (Spitz). Les comportements anticipatoires
sont en synergie avec le regard : l’enfant tend les bras vers la mère en même temps qu’il la
regarde. Les comportements d’imitation se développent.
Le tactile, le kinesthésique et le visuel sont en interaction constante et se soutiennent
l’un l’autre.
572
L’œil et la psychosomatique

La perception ne suffit pas : pour construire son monde visuel, l’enfant doit être actif.
La captation visuelle accompagne l’emprise.
8 mois
Acuité visuelle : 3/10. Meilleure perception de la diversité de l’environnement.
Lorsqu’apparaît l’angoisse devant l’étranger au 8e mois (deuxième signe organisateur
de Spitz), tout semble indiquer que le système représentatif fonctionne : représentation
de la mère, angoisse devant la personne n’ayant pas fait l’objet d’introjection, présence
d’une mémoire visuelle plus élaborée. C’est l’aboutissement du stade objectal (objets
internes).
1 an
Acuité visuelle : 4/10.

3-2. Genèse et destinées des représentations


Les représentations visuelles
S’il existe chez l’être humain des représentations auditives, olfactives, gustatives, cénes-
thésiques, kinesthésiques, bref des traces mnésiques remaniées de sensations, s’inscri-
vant très tôt dans l’ontogenèse, force est de constater la prévalence des représentations
visuelles. Elles constituent le matériau de la pensée comme en témoignent certaines
expressions imagées : « mon point de vue », « je vois ce dont il est question », etc. Cette
préséance se retrouve dans le rêve et dans le fantasme. Elle est moins systématique dans
les hallucinations qui recouvrent l’intégralité du champ perceptif. À telle enseigne que
les autres représentations se relient le plus souvent sans difficultés aux représentations
visuelles. La réminiscence d’une musique, d’une odeur, finira toujours par s’associer à
une représentation visuelle. « Les sons, les couleurs, les parfums se répondent », nous dit
Baudelaire.
La représentation de chose est essentiellement visuelle. La représentation de mot est
essentiellement acoustique et s’inscrit de manière concomitante à l’apparition du langage.
Elle le précède et s’en nourrit. Secondairement, dans le meilleur des cas, elle pourra se lier
à la représentation visuelle de l’orthographe du mot, mais ceci est une autre histoire, une
ancienne histoire…
Guy Lavallée (La mort dans les yeux) analyse le cas de S. B., devenu aveugle à 10 mois.
Il recouvre la vue à 52 ans grâce à une greffe de cornée et, passée une courte période
d’euphorie, il sombrera progressivement dans une dépression et mourra deux ans après.
Les représentations de S. B. étaient des représentations auditives, tactiles et kinesthé-
siques, des images plastiques. En découvrant le nouveau monde visuel, il est perdu car
il ne dispose pas de représentations visuelles (excepté peut-être ce que j’ai qualifié de
proto-représentations s’inscrivant avant 8 mois). Ses perceptions sont du réel à l’état brut
non remanié par la représentation (comme un constat perceptif opératoire). La pulsion
scopique n’est pas investie.
Il tournait le dos à ses amis, devant un grand miroir. Il ne supportait la réalité que
sous forme réfléchie par le miroir (bref, il était en quête d’un imaginaire au sens lacanien
du terme, censé tamponner l’effraction du réel). Cela lui permettait de se voir en même
temps, ou plutôt de s’entrevoir car il n’aimait pas son visage. Et puis, dans le miroir, il y
573
Traité de médecine psychosomatique

avait moins à voir, le monde était plat et le support pouvait être touché, tout en consti-
tuant une barrière, un pare-excitation. La seule image investie visuellement était la lune
car il n’avait jamais pu la toucher, comme la majorité de l’humanité.
Il est très difficile de situer dans le temps la genèse des représentations visuelles. S. B.,
devenu aveugle à 10 mois, n’a aucune représentation visuelle, en tout cas aucune repré-
sentation élaborée, ce qui confirmerait qu’avant cet âge les représentations ne s’inscri-
raient pas. Mais ceci ne tient pas compte des proto-représentations primitives (formes,
mouvements, couleurs, images imprécises du fait de la faible acuité visuelle), pas plus que
de l’aspect traumatique de la perte de la vision qui peut sidérer le système représentatif,
parfois de manière rétroactive, ni de l’absence de répétition de l’expérience perceptive
nécessaire à l’engrammation des représentations ainsi qu’à leur persistance – comme
nous allons le voir en ce qui concerne l’introjection –, ni de cette curieuse et constante
amnésie qui concerne les souvenirs de la toute petite enfance.
Si nous devions conclure, il nous semble exister des proto-représentations visuelles,
mêlées de manière globale aux autres informations sensorielles et sensitives avant l’âge de
8 mois, voire des archéo-représentations transgénérationnelles, et à partir de 8 mois des
représentations qui se rapprochent de celles de l’adulte.
Pour revenir à l’effet hédonique de la vision, qu’en est-il lors des premières années ?
Nous avons évoqué le sourire du 2e mois, matrice archaïque de la jouissance scopique.
Nous pouvons aussi évoquer le plaisir récurrent du petit enfant dans la découverte des
objets, et ceci très tôt, sans oublier la dimension de captation du regard associée à la
pulsion d’emprise, forme précoce, primitive, mais cependant indéniable de la pulsion
scopique.
Les processus qui transforment l’image enregistrée en représentation mettent en jeu
l’ensemble du psychisme. Ils débutent au moment de l’enregistrement de l’image, se
poursuivent dans la durée, et interfèrent au moment de sa restitution.
J’ai abordé, dans la première partie de ce livre, le mécanisme d’introjection qui est à
l’origine des représentations (p. 130).

Résurgence des représentations


Induction d’affects
Le surgissement des représentations liées à des souvenirs très anciens est probable-
ment potentialisé par les affects.
La technique EMDR (Eyes Movement Desentization and Reprocessing) est certainement
efficace du fait qu’elle réactive des représentations traumatiques, anxiogènes ou doulou-
reuses, tout en générant des sensations nouvelles. Elle crée probablement une déliaison
entre l’affect et la représentation traumatique. La représentation ne disparaît pas, mais
est blanchie, neutralisée du point de vue affectif. Isolée de sa coloration affective, elle se
lie alors pendant la séance, non pas à d’autres affects, mais à des sensations et des percep-
tions nouvelles induites par la sollicitation de la motricité oculaire. La nouvelle liaison
représentation/sensation se substitue au couple représentation/affect traumatique. Le
déplacement des yeux imposé par la technique se substitue au déplacement des yeux
qui accompagne toute scène fantasmatique (ici, la scène traumatique). Le regard ne peut
plus en suivre les détails. Il est possible que, de ce fait, elle se désinscrive du préconscient.
574
L’œil et la psychosomatique

Ce processus de déconditionnement sollicitant la vue n’est pas nouveau en soi. Dans le


film Orange Mécanique de S. Kubrick, Alex, interprété par Malcolm Mac Dowell, est privé
par des écarteurs de la possibilité de fermer les paupières. Les scènes violentes auxquelles
il est exposé se lient à des sensations oculaires douloureuses, associées elles-mêmes à des
nausées induites par l’injection d’un produit. Seule la technique varie.
Transformation des représentations
Les représentations refoulées ne peuvent resurgir à l’état brut dans le système précon-
scient-conscient que sous forme déformée, transformée, élaborée grâce à l’intervention
des processus primaires : déplacement, condensation, symbolisation, surdétermination.
Les productions qui en sont issues sont les rêves, les fantasmes, les symptômes névro-
tiques et les rejetons de l’inconscient (lapsus, actes manqués).
Préséance des représentations sur les perceptions
Elle est manifeste dans le rêve et l’hallucination, et à un degré moindre dans le fantasme.
Dans le rêve ou l’hallucination hypnagogique, la représentation de l’objet interne
supplée l’absence de l’objet externe. Les processus primaires règnent en maîtres.
Dans l’hallucination pathologique, la représentation supplante les informations du
champ perceptif externe sans pour autant les exclure dans leur intégralité. Détentrice
d’une vérité première, elle leur impose silence, le monde objectif devant se soumettre au
monde objectal.
Le fantasme est constitué d’un complexe de représentations articulées entre elles au
service d’une action en fonction d’un but et concernant un objet. Il met en scène de la
pulsion au sens théâtral du terme, mais cette scène ne résiste pas au principe de réalité
et demeure sous le contrôle relatif des mécanismes de défense. Processus primaires et
secondaires sont à l’œuvre. Le fantasme, et ce d’autant plus qu’il est inconscient, module
et parasite la perception de la réalité à partir d’une action dramatique intérieure qui
s’impose sans cesse. Nous ne voyons pas ce qui est, mais ce que nous voulons voir ou
craignons de voir.
™™ Il y a cinq mois, Rebecca, 32 ans, s’est sentie dévalorisée lorsque son patron refusa
d’augmenter son salaire. Honte et rejet car, dit-elle, « la reconnaissance profession-
nelle compensait la mauvaise image que j’avais de moi ». Répression. Un mois après, le
premier jour de ses vacances, apparaît un pityriasis rosé de Gibert. Puis son compagnon
la demande en mariage. Disparition du pityriasis.
Au retour des vacances, elle croise son patron. Honte, visage rouge, comme anesthésié.
Elle voit des boutons qui n’existent pas, passe son temps devant la glace, se lève la nuit
pour vérifier, rêve que son visage est envahi d’acné, qu’on se moque d’elle. Elle se lave le
visage sans arrêt, ne sort plus, ne voit plus personne. Lors de son récent mariage, elle était
persuadée que tout le monde voyait ses anomalies.
À l’adolescence, elle se détestait mais aimait son visage et sa peau. Elle avait présenté
de l’eczéma au niveau des jambes vers 7-8 ans, eczéma qui réapparut lors de la séparation
d’avec son premier copain.
Le père de Rebecca voulait un garçon. Elle s’identifia à lui et fit tout pour lui plaire,
plus particulièrement en adoptant des comportements de garçon, d’autant que, selon ses
dires, « son regard m’empêchait d’être une femme ». Elle rêve qu’elle est un homme. Elle
575
Traité de médecine psychosomatique

n’a jamais voulu d’enfant car, selon elle, la maternité est le témoin de la sexualité, source
de honte. Après la troisième séance, elle fera un rêve : elle se maquille pour un séminaire,
mais ses yeux tournent de l’autre côté, à l’intérieur, et donc elle ne voit plus ses pupilles.
Au lendemain de ce rêve, elle ira voir son patron, l’affrontera et, après avoir rompu son
contrat, fera un détour par les toilettes de l’entreprise, observera son visage et le trouvera
normal, comme avant, comme au sortir d’un cauchemar.

Pulsion scopique et représentations sexuelles


Au cours des 2e et 3e années, la fonction visuelle va poursuivre sa maturation. Entre 12
et 18 mois, apparaît le pointage du doigt : l’enfant désigne avec le doigt à l’adulte un objet
qui l’intéresse. À 2 ans, l’acuité visuelle est de 6/10. À 4 ans, le système visuel périphérique
et la rétine ont atteint leur maturité. L’acuité visuelle est de 10/10. À 5 ans, la vision du
relief est bonne, mais ne sera optimale qu’à 10 ans.
Le plaisir de la découverte du monde débute donc plus tôt qu’on a bien voulu le dire.
Cette découverte, dans laquelle la vue joue un rôle central, va prendre une dimension
particulière au décours de la troisième année puisqu’elle va s’articuler avec la représenta-
tion de la différence des sexes. Découvrir à tous les sens du terme l’image de la sexuation
et de la différence va être déterminant pour la découverte du monde, le désir d’apprendre
et le développement de la pensée.
C’est donc au moment où la fonction visuelle a acquis un développement optimal
que surgit la représentation imaginaire de la castration. Elle va grandement contribuer,
avec les modalités défensives qui en découlent, à organiser le fonctionnement psychique
et par la même la synaptogenèse et l’organisation du cortex visuel. Nous nous sommes
étendus au chapitre 6 de la première partie de livre sur cette phase cruciale du dévelop-
pement (voir p. 135 à p. 142).
Attrait du regard, représentations sexuelles, fantasmes, scènes traumatiques, porno-
graphie, partagent le même support : la vision.
™™ Mélissa, 28 ans, présente des attaques de panique depuis six mois, date à laquelle
elle a visionné en famille l’accouchement de sa jeune sœur, jeune sœur dont elle s’était
toujours beaucoup occupée. Le mari avait bien fait les choses : cadrage focal dans l’axe et
en gros plan sur le périnée avec les différentes séquences d’exonération puis d’expulsion,
entrecoupées de plans rapprochés sur les grimaces de douleur de la parturiente dont le
visage déformé fuyait la caméra. Électrodes sur le ventre tendu puis flasque.
Depuis, Melissa a des contractions utérines. Dans ses rêves récurrents, apparaît le bébé
âgé de 3 mois qui ne parvient pas à sortir du périnée et finit par le dilacérer avec des
mains griffues.
Elle avait présenté des angoisses similaires à la puberté, n’ayant pas supporté la vue
de ses premières règles. Elle avait ensuite, dans les suites d’une anesthésie générale
consécutive à un accident de voiture, développé des préoccupations hypocondriaques
sous-tendues par une forte angoisse de castration : angoisse du monde médical, du
corps, de perdre connaissance, de s’étouffer en mangeant, du dentiste, du gynécologue,
de l’anesthésie, d’être opérée. En remontant plus loin, on découvrira qu’à 6 ans elle avait
subi une appendicectomie et dans la foulée une intervention dentaire. Elle se souviendra
du petit tube à essai contenant l’appendice que le chirurgien lui avait présenté, à peine
réveillée, comme un trophée.
576
L’œil et la psychosomatique

™™ Candice, 36 ans, consulte pour frigidité. Elle présente par ailleurs une colopathie
spasmodique et, plus récemment, une dépression dans les suites du décès de son père
survenu il y a 6 mois.
Angèle, la mère de Candice, avait eu une longue liaison avec Karl, dont elle eut deux
filles, Candice et Nadine, sa sœur. Mais Karl refusa d’en reconnaître la paternité. Elle
épousa donc un autre homme, Monsieur Bonpapa qui adopta les deux filles et auxquelles
il donna son nom. Mais au bout de trois mois, la mère divorça de Bonpapa et épousa
Karl qui repassait par là. Il ne reconnaîtra pas plus pour autant les deux filles et ne
verra aucune difficulté à ce qu’elles continuent à porter le patronyme de Bonpapa. On
comprendra pourquoi : dédouané d’un statut de père, Karl adoptera des comportements
pour le moins particuliers à l’encontre des deux filles. Il passait son temps à les toucher et
à se faire masturber par elles. La mère passait à côté dans le couloir et fermait les yeux. Il
les épiait, elle et sa sœur. Il payait un type pour les surveiller à la piscine. « On le voyait à
travers le grillage de la piscine, il avait des lunettes noires. » Candice se coupa les cheveux
car son père voulait qu’elle les laisse pousser. Il insistait pour qu’elle reste à côté de lui
et le regarde s’endormir. Si elle s’éclipsait, il la faisait revenir. À 26 ans, il lui proposa des
relations sexuelles. À partir de ce moment-là, elle ne put plus le regarder en face.
Karl était de surcroit violent, il frappait leur mère. Elle se souvient des traces de sang au
sol et sur le mur. Candice fut l’objet de deux placements successifs : chez une tante dont
le mari était maquereau et l’attachait dans une serre où elle était piquée par des guêpes,
puis chez un couple d’aveugles qui avaient eux-mêmes deux enfants aveugles. Elle était
la seule à voir.
À 17 ans, elle développa un eczéma péri-oculaire, puis une colopathie. À 32 ans, elle
raconta tout à sa mère qui réagit en lui tournant le dos. Depuis, elle rêve que sa mère a
un sexe d’homme.
Candice avait donc vu beaucoup de choses. Elle ne va pas sur la tombe de son père
de peur qu’il la voie. Pendant les séances, mon propre regard bloquait Candice. Pourtant,
le fantasme sexuel de Candice est le spectacle d’un viol. Le violeur ressemble au père.
Elle est spectatrice et cela génère chez elle une forte excitation sexuelle. Mais il ne faut
surtout pas que son mari la regarde pendant la relation sexuelle, mari qu’elle a appelé
« papa » sous l’effet de trois lapsus dans la même séance. Elle me dit : « Un regard, c’est
une pénétration. » Lorsque le mari part en déplacement, la colopathie disparaît. Dans ses
rêves, apparaissent des scotomes : elle ne voit pas certaines choses : elle rentre dans une
église pour voir un mariage, mais ne le voit pas. Elle a toujours douté, du fait de la diffé-
rence de patronymes, que Karl soit son géniteur, bien que tout le lui ait confirmé.

Les sublimations scopiques


L’enfant fait preuve très précocement d’un appétit de savoir. La pulsion de savoir
apparaît avant l’angoisse de castration. Elle est liée à un besoin d’emprise non sexualisé.
Elle se renforcera secondairement avec la pulsion scopique stimulée par la confrontation
à la différence des sexes.
La sublimation ouvre une quatrième voie à la résolution de l’angoisse de castration.
Cet appétit de connaître donnera naissance à des activités intellectuelles telles que
la lecture puis à un intérêt marqué pour la découverte, l’investigation, la recherche,
l’invention, que l’on retrouvera dans de nombreuses professions : médecin, professions
577
Traité de médecine psychosomatique

paramédicales, biologiste, psychologue, chercheur, astronome, archéologue, naturaliste,


géologue, entomologiste, botaniste, océanographe, archéologue, physicien, ingénieur,
explorateur, détective, journaliste, historien, généalogiste, graphologue, documentaliste,
bibliothécaire, etc.
L’attrait pour la découverte s’accompagne chez certains d’un besoin de créer, de
façonner le monde à partir de leurs représentations. Ce mouvement centrifuge consti-
tue un moyen de restauration identitaire du simple fait qu’il efface le manque, puisque
l’objet fait partie intégrante des ressources du sujet. La sublimation scopique créatrice se
retrouve dans de nombreuses professions ou activités : dessin, peinture, sculpture, archi-
tecture, décoration, publicité, graphisme, artisanat d’art, cinéma, photo, création litté-
raire, espaces verts, fleuriste, prêt-à-porter, confection, mode, haute couture, costumier,
esthétique, coiffure…
La pulsion scopique peut s’inverser sous le mode de la monstration, de l’exhibition :
comédien, danseur, illusionniste, etc.
Elle peut aussi se conjuguer à la sublimation de l’analité : artificier, collectionneur,
inspecteurs, contrôleurs, surveillants…
Certains loisirs mobilisent la pulsion scopique associée à d’autres formations
inconscientes : chasse, pêche, tir, spéléologie, plongée sous-marine, etc.
Lors d’une précédente étude consacrée aux projets professionnels formulés par les
enfants, nous avons relevé que les sublimations scopiques correspondent à un tiers des
cas. Chez les garçons, la pulsion scopique est plus orientée vers la découverte de ce qui est
caché. Chez les filles, elle s’oriente plus vers la monstration du corps, les parures.

4. PSYCHOSOMATIQUE ET OPHTALMOLOGIE
4-1. Troubles de la réfraction
Les causes des troubles de la réfraction sont complexes et intriquées : facteurs
génétiques, facteurs constitutionnels, facteurs développementaux. Du point de vue
psychosomatique, les études réalisées sont quasi inexistantes.

Myopie
En ce qui concerne la myopie, certaines études ont démontré que le travail prolongé en
vision de près, lorsque la vision se doit d’être précise, favorise l’installation de la myopie,
du fait d’une accommodation continue et intensive. Secondairement, le « stress » aggra-
verait la myopie.
La majorité des troubles de la réfraction, plus particulièrement la myopie, ne semblent
pas être considérés par le consensus comme des pathologies, notamment chez l’adulte.
Un nombre incalculable de gens portent des lunettes, lunettes qui ne se cachent plus,
voire s’arborent comme des bijoux. Pourtant…
Qu’en était-il chez nos ancêtres d’avant la découverte des lois de l’optique et l’inven-
tion des lunettes ? Étaient-ils aussi nombreux à présenter ces déficits visuels ? S’accom-
modaient-ils de leur handicap ? Trouvaient-ils des subterfuges ? Un mode de vie adapté ?
Ou bien la myopie est-elle une maladie adaptative de civilisation ? Ou bien est-elle la
conséquence d’une réponse thérapeutique systématique à toute altération physique
578
L’œil et la psychosomatique

aussi minime soit-elle ? Dans ce dernier cas, la suppléance systématique par la prothèse
viendrait-elle aggraver le processus ? J’avoue mon ignorance.

Hypermétropie
Rien ne permet d’exclure que certains troubles de la réfraction puissent être en
relation avec un processus de somatisation co-induit par des représentations anxiogènes
(fixations psychosomatiques). Nous de disposons malheureusement pas de matériel
clinique suffisant pour le confirmer. Mais certaines observations nous interrogent.
™™ Lalie, 5 ans, présente une hypermétropie survenue brutalement il y a quatre mois.
Depuis un an, la mère a une relation extraconjugale régulière et au grand jour. Le couple
fait toutefois semblant de fonctionner pour les enfants, le père posant comme condi-
tion que Lalie ne voit pas l’amant de la mère. Mais il y a quatre mois, lors d’une balade
en ville avec sa mère, Lalie rencontre l’amant et le trio passe l’après-midi ensemble. Elle
en fait part à son père, qui lui dit que, de son côté, il n’oserait jamais faire une chose
pareille, que maman n’est plus son amoureuse, que c’est Lalie qui l’a remplacée et qu’il
n’aura jamais d’autre amoureuse qu’elle. Le lendemain, au réveil, Lalie voit flou, alors
que la vision antérieure était normale. L’ophtalmo diagnostique une importante hyper-
métropie. Grosses lunettes. Pendant la séance, Lalie posera beaucoup de questions sur
la sexualité.

4-2. Glaucome
Des expériences hypnotiques ont permis de vérifier le rôle des émotions dans la genèse
et l’évolution du glaucome.
Selon A. Haynal : « Derrière l’apparence tranquille du glaucomateux se cache une
problématique d’agressivité et de dépression profonde… ! » (Médecine psychosomatique.)
Sours et Erdbrinck (Psychophysiological false myopia) ont supposé, au cours d’études
sur des jeunes pilotes, qu’il s’agit parfois de spasmes des muscles ciliaires influencés par
des facteurs psychiques.
Nous avons peu de données cliniques personnelles sur le glaucome, mais nous avons
souligné le rôle trophique des larmes dans la régularisation de la tension oculaire.
™™ Éliette présente une hypertension oculaire depuis l’âge de 30 ans, date de son
mariage. La pathologie s’est aggravée il y a dix ans dans les suites d’un déménagement
dans la région parisienne, lié à une mutation professionnelle. Elle s’est trouvée confrontée
à un milieu hostile et la discorde conjugale s’est aggravée du même coup. Répression,
idéal du moi, besoin de reconnaissance et de maîtrise caractérisent son fonctionnement.

4-3. Troubles de la vision binoculaire et strabisme


La vision binoculaire
Lorsqu’une acuité visuelle importante est nécessaire, l’image est centrée sur la tache
jaune ou fovea (qui ne comporte que des cônes), ce qui nécessite une convergence
importante des deux lignes de vision, convergence qui augmente plus l’objet à regarder
est proche. Les deux images doivent coïncider au niveau de la rétine pour n’en donner
qu’une. Le cerveau enregistrera cette image unique en même temps que le degré de
579
Traité de médecine psychosomatique

convergence des yeux, ce qui lui permettra d’estimer la distance de l’objet extérieur et la
profondeur de champ, et d’élaborer une image en trois dimensions.
La vision binoculaire est possible lorsque les deux champs visuels se chevauchent. Elle
permet une perception plus juste de la profondeur de champ et une meilleure évaluation
de la distance que la vision monoculaire. C’est un attribut important pour les prédateurs
qui ont besoin de ces informations pour capturer leur proie. Le caractère prédateur et la
dominance d’une espèce augmentent avec la vision binoculaire : un geai menacé dans
son repas par un de ses congénères tourne la tête vers celui-ci quelques secondes, ce qui
suffit à décourager l’intrus, d’autant plus qu’il le fixera de façon binoculaire. S’il le fixe de
manière monoculaire, la menace sera moins intense.

Pathologie de la vision binoculaire


Conséquences neurosensorielles
L’atteinte de la vision binoculaire s’accompagne de :
––diplopie lors de l’installation du trouble ;
––troubles de la localisation dans l’espace : ils apparaissent lorsque la diplopie disparaît :
le cerveau neutralise, en l’ignorant, l’image fournie par un des deux yeux au niveau de
la fovea. Ceci va entraîner :
--mauvaise appréciation des distances ;
--mauvaise ou insuffisante appréciation du relief ;
--maladresse lors de la marche, la préhension, les jeux (surtout de balle et de ballon) ;
--inhibition des informations par l’œil non directeur, d’où un rétrécissement du
champ visuel latéral, ce qui, d’un point de vue phylogénétique, rend le sujet plus
vulnérable.
Le handicap concerne surtout les objets à distance moyenne : au-delà de plusieurs
dizaines de mètres, la vision stéréoscopique binoculaire, du fait du faible écart des
yeux, est très faible chez le sujet normal ;
––adaptation secondaire mais incomplète grâce à d’autres signaux et d’autres procédés
permettant d’apprécier distance et profondeur de champ :
--motricité : déplacement autour de l’objet ;
--perceptions : éclairage, ombres, perspective ;
--représentations conscientes : connaissance des caractéristiques de l’objet
Conséquences neuropsychiques
La disparité fonctionnelle relative des deux hémisphères cérébraux va jouer un rôle
dans la construction de la vision binoculaire et du choix de l’œil directeur. En retour, les
altérations de la vision binoculaire ne seront pas sans conséquence sur le fonctionnement
de certains réseaux neuronaux.
La vision monoculaire réduit la répartition des projections sur les deux hémisphères et
condense celles-ci de manière relative sur un seul d’entre eux. Ceci n’est pas sans effet, du
fait de la disparité fonctionnelle relative des deux hémisphères, sur la manière de perce-
voir et de traiter la réalité objective. La latéralité gauche ou droite de l’œil directeur joue
aussi un rôle du fait d’une projection différente, controlatérale, au niveau cérébral. L’alter-
nance d’œil directeur et le rôle joué par les structures cérébrales associatives permettent
une relative régularisation de la projection.
580
L’œil et la psychosomatique

™™ Témoignage rapporté par un confrère ayant présenté un trouble de la vision


binoculaire.
« En 2006, pendant un trek au Bhoutan, j’ai eu une atteinte passagère de mon nerf
abducens, surtout gauche, due à un mal de montagne. Ceci a duré au total presque trois
mois.
Au tout début, je commençais à observer que je voyais double. En étant porteur de
lunettes, j’étais troublé par le fait que je voyais clair, mais double. Une incertitude s’instal-
lait dans moi pendant quelques heures, concernant le bien-fondé de ma propre obser-
vation. Comme je voyais double de loin mais pas de près, et que le strabisme n’était pas
toujours stable, je ressentais un doute sur ce que j’observais : j’avais une incertitude sur le
caractère réel et objectif de ce que j’apercevais et qui me troublait, mais je ne parvenais
pas objectiver le phénomène. C’était comme un léger effet hallucinatoire, comme si le
réel n’était plus pareil.
Le lendemain, devant l’aggravation, j’ai dû chercher des secours. Dans les deux
semaines qui suivirent, il y eut une aggravation très invalidante, à tel point que la marche
sans canne n’était plus possible. Dans cet état, qui a duré des semaines, je me souviens
surtout de deux épisodes.
Le premier, je marchais sur le trottoir et je voyais devant moi l’eau du canal qui se
trouvait à côté de moi, à ma droite. La déformation de la vision prenait des aspects hallu-
cinatoires francs, je marchais sur l’eau ! Je trouvais ça presque aussi effrayant qu’amusant,
et je ne me sentais pas dans la même réalité que les gens qui m’entouraient.
Le deuxième épisode concernait la vision des objets. Pour ne pas voir double, j’arrivais
à supprimer mentalement l’image perturbatrice de l’œil affecté. La vision qui en résultait
était d’une incroyable netteté et intensité, comme si je voyais au travers d’une longue
vue. Je pouvais scruter les objets et les rendre presque plus palpables. Tout semblait à ces
moments-là plus beau et plus séduisant. Cependant, pour ne pas pénaliser ma rééduca-
tion, je me forçais de faire “revenir” la diplopie, c’est-à-dire d’utiliser mes deux yeux et de
ne pas me laisser séduire par ce mirage.
Un dernier point dont je me souviens encore : je devenais capable volontairement de
bouger mon œil gauche indépendamment de la direction de mon regard. Je pouvais voir
double volontairement mais je pouvais également choisir d’utiliser le regard de l’œil droit
uniquement ou le regard dévié de l’œil gauche. Je pouvais décider ce que j’allais voir ou
ne pas voir, presque comme je pouvais décider quelle vision je pouvais utiliser ; je pouvais
extraire une partie de ce qui se présentait devant moi, dans mon champ visuel.
Depuis ce temps-là, la vision est à nouveau bonne. Mais un certain questionnement
sur ce qu’on voit et la réalité objective surgit parfois de manière récurrente. »

Le strabisme
La plupart des strabismes débutent au cours des six premières années de la vie. Ce sont
des strabismes convergents, les strabismes divergents étant d’apparition plus tardive,
entre 6 et 10 ans.
La séquence d’installation et d’évolution est celle que nous avons évoquée plus haut.
S’installe alors une diplopie transitoire, puis la vision binoculaire devient déficitaire. Elle
pourra ne plus jamais être acquise ou bien très incomplètement. L’œil non utilisé perd de
l’acuité visuelle (amblyopie).
581
Traité de médecine psychosomatique

Les facteurs génétiques jouent un rôle indéniable, ainsi que l’immaturité visuelle
physiologique qui constitue un facteur de fragilité.
Les autres stimuli afférents jouent aussi un rôle certain car ils interfèrent avec le
contrôle et la commande de l’équilibre oculomoteur : afférences visuelles, auditives,
tactiles, proprioceptives, vestibulaires.
Pour certains auteurs, le rôle des facteurs psychiques serait déterminant dans le
déclenchement et l’entretien de certains strabismes. Le facteur traumatique révèle un
déséquilibre oculomoteur latent.
™™ Florent a développé un strabisme à 4 ans dans les jours qui ont suivi la séparation
parentale et le départ de son père de la maison.
Les conséquences somatopsychiques du strabisme sont à prendre en considération.
Le rejet, la moquerie induits par la disgrâce et la maladresse sont de règle dès la scolarisa-
tion. Des réactions de retrait, d’isolement, de honte, de dissimulation, d’abaissement du
regard, sont fréquentes. Le désordre narcissique induit est manifeste dans 70% des cas.
Chez l’adulte, la blessure narcissique peut persister. Le handicap esthétique peut
constituer une gêne dans certaines professions. La gêne fonctionnelle peut apparaître
lors de certaines activités, notamment sportives.
Le strabisme peut s’accentuer ainsi que la gêne fonctionnelle qui l’accompagne lors de
l’entrée dans la vie active et au moment de l’apparition de la presbytie.

4-4. La conversion
Les symptômes de conversion les plus classiques au niveau visuel sont les suivants :
photophobie, baisse de l’acuité visuelle, amaurose, cécité, diplopie, rétrécissement
concentrique du champ visuel, scotomes.
Les représentations sexuelles traumatiques en relation avec l’image de la castration
et/ou le complexe d’Œdipe constituent le déterminisme principal des symptômes de
conversion visuelle.
La représentation visuelle traumatique est réactivée par une perception ou une situa-
tion. Source d’angoisse, elle est refoulée et l’affect d’angoisse, lui, se convertit en symptôme
neurologique. Pas n’importe lequel : un symptôme oculaire, inducteur d’un déficit visuel.

Représentation

Refoulement

SUPPORT NEUROLOGIQUE
Affect
Stimulation / Inhibition

Le mécanisme de conversion

582
L’œil et la psychosomatique

4-5. Régressions psychosomatiques oculaires


Certaines somatisations oculaires s’originent dans la conjonction d’un désordre
économique et d’un phénomène pseudoconversionnel. Parmi elles, nous avons évoqué
l’aura des migraines et la sclérose en plaques. Certains processus circulatoires humoraux
peuvent aussi entrer dans ce cadre, comme en atteste le cas de Sarah présenté p. 188.
Cette jeune fille, dont la fonction visuelle était éminemment investie et érotisée,
avait développé deux thromboses oculaires successives dans les suites d’une salve de
traumatismes (ruptures sentimentales, paroles médicales traumatiques, psychothé-
rapie inadaptée, perte d’emploi…). Tout évoquait un processus conversionnel dans
l’observation de cette patiente, si ce n’est l’existence d’une lésion grave et d’un désordre
économique majeur qui, de ce fait, excluait un tel processus. Il s’agissait d’une régression
psychosomatique conjuguant l’existence d’un désordre économique et la réactivation
d’une fixation psychosomatique.
Les deux pathologies que nous allons maintenant aborder sont sous-tendues par des
processus inflammatoires. Les cas cliniques présentés confirment ici aussi qu’il s’agit de
régressions psychosomatiques.

Toxoplasmose oculaire
Ici, la fixation est une fixation somatique et non psychosomatique. Chez le sujet
immunocompétent, la quasi-totalité des cas de toxoplasmose est liée à une primo-
infection contractée par la mère pendant sa grossesse. Le parasite, réfugié dans la rétine,
demeure quiescent sous forme de kyste pendant de longues années. C’est lors de la
première poussée, au début de l’âge adulte le plus souvent, que le patient apprendra que
sa mère a fait une toxoplasmose pendant sa grossesse.
Le désordre économique induit une inflammation du vitré, de la choroïde et de la
rétine, inflammation qui se complique, sans traitement, de nécrose.
La baisse de l’acuité visuelle peut être irréversible lorsque le processus atteint la macula
ou la papille du nerf optique. L’évolution se fait toutefois, le plus souvent, vers la cicatrisa-
tion. Les récidives sont loin d’être exceptionnelles.
J’ai avancé lors de publications précédentes que l’inflammation était liée à la répression
de l’affect et proposé l’aphorisme suivant : le corps s’enflamme lorsque le psychisme ne
s’enflamme pas.
L’observation qui suit le confirme.
™™ Gérald, 41 ans, est en analyse depuis trois ans. Il était venu consulter pour des
attaques de panique qui s’étaient avérées être en relation avec une forte angoisse de castra-
tion. Aujourd’hui, il va bien et nous envisageons d’arrêter la cure à la fin de l’année. Mais,
il y a six mois, il a présenté des troubles visuels d’apparition subite le jour des obsèques
de son père, décédé brutalement d’un infarctus. Un voile, une tache étendue dans l’œil
est apparue au moment où il a vu le corps de celui-ci. Il redoutait ce moment, l’émotion
centrale était la peur. Lorsqu’il me fit part de la scène, il fit un lapsus : « Quand j’étais
dans mon cercueil… » Le bilan ophtalmologique révélera une toxoplasmose oculaire.
Un long traitement par antibiotiques et corticoïdes sera institué. Il avait fait un premier
épisode à 20 ans, au cours duquel il avait appris que sa mère avait fait durant sa grossesse
une toxoplasmose. J’ai été surpris, lors des semaines qui suivirent, par l’absence totale de
583
Traité de médecine psychosomatique

réaction affective de deuil, comme s’il ne s’était rien passé. Durant les séances, il ne fit
aucune allusion au décès de son père pour lequel il avait malgré tout de l’affection. C’était
un non-événement. Quatre mois après, il se fit blesser par le cheval de son ex-femme,
décédée d’un accident à l’âge de 30 ans. Dans les suites, il fit un rêve : « Ma jument est
allongée par terre, puis je ne la vois plus, à la place il y a un nuage blanc puis, quand le voile
se dissipe, un dromadaire, un chameau. » La jument du rêve, celle de son ex-femme et son
propre cheval sont blancs. Le père montait à cheval. Son ex-femme avait un caractère de
chameau.
™™ Sybille, 34 ans, a perdu la vue d’un œil il y a six ans, dans les suites du décès de son
grand-père. La pathologie en cause était une toxoplasmose, la mère en ayant développé
une durant sa grossesse. De fait, on lui déconseillera d’avoir un enfant. Elle acceptera
l’interdit médical puis, un jour, filant le parfait amour, changera d’avis et décidera d’avoir
un enfant. Mais voilà qu’elle présente une infertilité liée à une obstruction tubaire. Échec
de la désobstruction. PMA : une FIV est proposée. Elle se met alors à rêver qu’elle perd ses
cheveux par plaques.
La mère de Sybille avait toujours voulu la garder auprès d’elle. Nous avons, lors d’une
précédente étude, repéré l’impact délétère au niveau de la fertilité de ce type de lien.
Mère souhaitant également empêcher qu’elle ait une vie sexuelle puisque, lorsque Sybille
a 16 ans, elle s’oppose à ce qu’elle prenne la pilule. Une grossesse s’ensuivra, sanctionnée
par un avortement, très traumatique.
Ces deux cas laissent songeur. Le parasite contracté pendant la grossesse passe de la
filière génitale maternelle à l’œil de l’enfant, comme un vestige de celle-ci mais aussi une
bombe à retardement.
Ce reliquat génital de la mère attaque l’œil au moment où Gérald est confronté visuel-
lement à la mort de son père. Gérald me décrivait sa mère comme une femme phallique,
imposante, toute puissante, qui gérait tout et ne faisait appel au père que pour sévir.
Dans le cas de Sybille, tout se met en place pour qu’elle n’ait jamais d’enfant : le lien
maternel et les diverses conséquences gynécologiques qui en découlent. Sybille est
programmée pour être castrée. Seule la mère peut procréer, la fille se contentera de
porter le stigmate résiduel de la grossesse maternelle, comme un ultime rappel à l’ordre.
C’est d’ailleurs dans les suites du décès du grand-père maternel, lorsque la mère devient à
son tour grand-mère, qu’elle développe la maladie.

Uvéite et rétinite auto-immunes


L’uvéite est une inflammation de la choroïde.
On distingue l’uvéite antérieure (chambre antérieure de l’œil, l’uvéite intermédiaire
(vitré antérieur), l’uvéite postérieure (vitré postérieur et rétine).
Dans la rétinite, on repère : exsudation, œdème, couche aqueuse qui dissèque la rétine,
parfois destruction des cônes.
Étude personnelle
™™ J’ai eu beaucoup de plaisir à aider Fabien, tant ses capacités d’élaboration mentale
étaient riches et aussi du simple fait que son métier me fascinait : il était chef d’orchestre.
Fabien présente une rétinite auto-immune de l’œil droit : voile sombre, objets plus petits
584
L’œil et la psychosomatique

ou déformés, lignes sinueuses. Les poussées surviennent volontiers à l’automne et s’asso-


cient parfois à des manifestations arthralgiques inflammatoires et à des sinusites.
Il a peur de perdre son œil, d’autant que cet œil droit est son œil directeur avec lequel
il « visualise les situations insurmontables ». Ce problème visuel le bloque dans ses projets
professionnels.
Il existe une anxiété phobique de fond : angoissé par les choses nouvelles à faire. Trac
face aux gens en public. Tremble s’il est stressé.
Il attribue la poussée actuelle, qui est la troisième, à un dilemme décisionnel : la
question se pose de l’acceptation d’une promotion à Paris qui implique une séparation
d’avec ses enfants.
Jusqu’à 4 ans, Fabien est élevé à la campagne par ses grands-parents maternels, le
père, ingénieur, travaille à l’étranger. Fabien ne fera sa connaissance qu’à l’âge de 4 ans.
Le couple parental déménage alors avec ses enfants dans le Nord. La séparation d’avec
les grands-parents est douloureuse. De nombreux déménagements suivront au gré des
mutations paternelles, ponctués par les vacances d’été où Fabien retrouve avec joie ses
grands-parents.
Le contraste entre le monde des grands-parents et de la mère, et celui du père est
évident. Musique (la mère fait du chant lyrique), arts plastiques, volubilité, exclamations,
chaleur chez les grands-parents. Technologie, réserve, sévérité, rigueur chez le père qui
parle doucement et ne supporte pas qu’on élève la voix. Il se souvient de la réaction de
rejet de celui-ci à son encontre lorsqu’il avait cassé un miroir.
Fabien est rêveur, dyslexique, présente un astigmatisme et une hypermétropie discrets.
Son frère et sa sœur ont des capacités perceptives visuelles supérieures à lui. Il se tournera
de son côté vers la musique. Il préfère la musicalité des mots que leur signification.
Fabien fera le conservatoire, deviendra chef d’orchestre. Après son diplôme, il briguera
un poste dans une grande ville de France, poste qui lui sera refusé et attribué à un autre.
C’est à ce moment-là que surgira sa première poussée de rétinite. La deuxième poussée
surgira dans les suites de la rupture d’un contrat avec une société de disques.
La mentalisation est excellente, les productions imaginaires très riches, les affects très
présents.
Les rêves, riches et éloquents, confirment l’angoisse de castration, la pulsion scopique
et l’œdipe :
Rêve récurrent lors de l’enfance : « Un rayon de lumière rentre et deux petites souris
me rendent visite. » Rêve récurrent lors de l’adolescence : « Mon grand-père me mord
le bras. » Rêves : « À table, ma mère en face, un barbu à ma gauche, quelqu’un que je
ne vois pas bien à ma droite. Ma mère parle avec le barbu qui se moque de moi. Un
papier s’enflamme, je n’arrive plus à l’arrêter. » « Le verre d’une lunette est écaillé, il reste
une pellicule sur lui. » « Atterrissage en catastrophe dans un avion, je m’arrête contre un
mur. » « Une femme me donne un ticket de métro et une photo sur laquelle je suis en fait
Bill Clinton accusé. Je refuse les deux. » « Un ophtalmologiste doit m’opérer du ventre,
j’ai une flamme digestive, on doit m’inciser le bas des dents. » « Une lumière très vive
qui m’éblouit, tourne autour de moi, comme une soucoupe volante. Je dois la regarder
sinon il y a danger. » « Un point lumineux très fort à côté d’une piscine. » « Une fille qui
ressemble à ma sœur, nue, très jolie, essaie de me séduire. » « Dans une pièce, il y a deux
585
Traité de médecine psychosomatique

portes. Je prends celle de gauche. Elle donne dans une bibliothèque qui donne sur l’ouver-
ture d’un tunnel. Un livre dans lequel il est question d’un homme qui a une double vie. Un
barbu antipathique veut prendre le livre et partir dans le tunnel. Je récupère le livre et je le
rends au professeur qui arrache une page compromettante et le cache. » Rêves récurrent
adulte : « Feu rouge ou vert : je ne sais pas s’il faut passer. »
Fabien illustre le récit de ses rêves avec des dessins :
––dessin 1. « À droite, mes parents. C’est une zone sombre. À gauche, mes grands-
parents. C’est une zone claire. Quelque chose à ne pas voir du côté des parents. Côté
grands-parents, j’avais l’impression que quelqu’un s’était pendu à la fenêtre. »
––dessin 2 : « Notre maison à l’adolescence. À droite l’école, et la voiture de mon père,
à gauche la prison. »
Les réminiscences confirment la conflictualité. « Mon père m’empêchait d’imaginer…
Je suis aveuglé par mon père… Lors de nos sorties à la campagne, ma sœur voyait tout, les
asperges sauvages… Moi, je ne les voyais pas… Une fois, j’avais perdu le robinet d’arrosage
de mon père au moment où il coupait de l’herbe avec sa tondeuse… Il m’a obligé à le
chercher toute la journée. »
Après le décès de son grand-père, Fabien traversera une période de dysfonction
érectile.
À la troisième séance, Fabien va mieux. Moins de troubles visuels. Plus tonique, plus
incisif, moins angoissé.
S’engager, c’est risquer la castration. La fonction atteinte par le processus auto-immun
est une fonction érotisée. Elle doit être détruite sous peine de castration. Il s’agit d’une
fixation psychosomatique érogène. Il n’existe aucune fixation archaïque.
™™ Dorine, 31 ans, photographe, présente une rétinite auto-immune : scotome, voile
flou, rétrécissement du champ visuel. Elle vient d’être licenciée pour inaptitude à cause de
sa maladie. Tous les médecins lui ont dit qu’elle deviendrait aveugle.
Les premiers symptômes sont apparus il y a six ans, date à laquelle son mari a eu une
relation extraconjugale. « Je ne voulais pas voir ce qu’on me disait de lui. » Le couple se
rafistole, mais il y a trois ans, rebelote. « Je m’en veux de ne pas avoir vu ça plus tôt alors
que je l’avais sous le nez. » Elle est alors enceinte. Accouchement. Séparation. Le mari
partira avec l’enfant. Répression émotionnelle. Rechute de la rétinite. « Depuis que je suis
gamine, je ferme les yeux. »
« Enfant, j’avais reçu un coup de poing dans l’œil. J’ai eu des lunettes à partir de 4 ans
pour astigmatisme et hypermétropie… J’ai rêvé qu’une copine accouchait d’un enfant
mort-né. Une semaine après, c’est ce qui s’est réellement passé. Je fais des rêves de
voyante. »
Répression des représentations suivie probablement de refoulement. Cette occulta-
tion entraîne, selon ses propres termes, « une sensation de plénitude psychique. Rien ne
peut plus rentrer dans ma tête. »
La rétinite supplée au mécanisme d’évitement psychique devenu insuffisant. Fixation
psychosomatique érogène.
™™ Clément, 20 ans, présente une uvéite auto-immune de l’œil gauche.
À 14 ans, il a un décollement de rétine de l’œil droit mais le bilan révélera une sérologie
HLA W27 positive en l’absence de manifestations rhumatologiques. À 14 ans, l’acuité
visuelle de cet œil est de 1/10 et une vitrectomie sera réalisée à 19 ans.
586
L’œil et la psychosomatique

Peu de temps après, il rencontrera une jeune fille dont il sera éperdument amoureux.
Elle ajourne les rapprochements sexuels et Clément respecte son choix. Internet. Site
d’échanges. L’aimée relate avec moult détails la première relation sexuelle qu’elle vient
d’avoir, non pas avec Clément mais avec un autre garçon. Uvéite de l’œil gauche. Il doit
renoncer à ses études mais continue à épuiser son regard en épiant les frasques successives
de l’aimée sur l’ordinateur. La liaison reprend avec l’égérie, sous condition qu’elle puisse
avoir des relations sexuelles avec d’autres garçons. Il se soumet. Uvéite auto- immune à
l’œil gauche.
Clément était très attaché à ses parents et très rêveur en classe. Très gentil, très docile,
il s’inventait des histoires face aux difficultés lorsque surgissait son angoisse de séparation.
La discorde parentale était totale. Il faisait un rêve récurrent : ses parents se disputaient et
un éclair aveuglant suivi d’un coup de tonnerre venait couvrir leurs cris.
Il voulait être soit gardien de la paix, soit gardien de prison, soit percussionniste.
Lorsqu’il n’est pas sur internet, il fait de la batterie.
™™ Bastien, 12 ans, présente une uvéite auto-immune : scotomes, taches colorées dans
les yeux, rétrécissement du champ visuel, voile, bulles, mouches, cils. Il a aussi quelques
pertes d’équilibre.
Lorsque Bastien naît, le couple parental dysfonctionne. Le père, toxicomane, est
violent, la mère dépressive.
Eczéma atopique à 8 mois. Hypermétropie et astigmatisme discrets à 3 ans.
Lorsqu’il a 4 ans, les parents divorcent. Le père alternera cures de désintoxication et
périodes toxicomaniaques.
À l’école, Bastien est en retrait, peu intégré aux autres, mais très en avance au niveau
des acquisitions. Il passe des tests psychométriques et est diagnostiqué « Enfant à haut
potentiel intellectuel ».
À partir de 8 ans, apparaissent des crises de boulimie. Bastien ne veut plus voir son
père, car celui-ci lui a fait part de son intention de le tuer en même temps que sa mère. Il
sera longtemps suivi par une psychologue.
Lorsqu’il a 9 ans, la mère se remarie et Bastien supporte mal la présence d’un substitut
paternel à la maison.
À 10 ans, il apprend l’homosexualité de son père. Conjonctivite, photophobie.
À 11 ans, il change de collège car il est persécuté par ses pairs. Mais dans le nouveau
collège, ce sont les professeurs qui ne supportent pas son côté surdoué. Retour à l’ancien
collège. Naissance d’un petit frère. Pelade suivie d’uvéite. Suspicion de lupus. Consulta-
tion d’internet. Terreur.
Bastien a une pulsion scopique surinvestie, une boulimie de savoir, d’apprendre et
d’enseigner, ce qui le fait mal voir au collège. Il fait du théâtre, de la photo et veut devenir
ophtalmologiste.
Il s’investit dans la psychothérapie, psychothérapie qui sera malheureusement inter-
rompue à l’issue de la troisième séance par un événement intercurrent. L’oncle maternel
me téléphone pour me faire part de la tentative de suicide de la mère dans un contexte de
conflit conjugal. Il m’informe aussi que c’est sa cinquième tentative en trois ans. Bastien
demande à me voir. Il a l’image de sa mère tenant un couteau et menaçant de s’égorger
en disant qu’elle se fiche de ses deux enfants. Terreur de Bastien dont les troubles visuels
se sont subitement accentués. Il m’avouera n’avoir jamais été tranquille, avoir passé sa vie
587
Traité de médecine psychosomatique

à surveiller sa mère, à épier les échanges parentaux. Il me rapportera un rêve récurrent : il


est arbitre d’un match de boxe.
Je demande à voir la mère. Elle ne viendra pas au rendez-vous et ne m’amènera plus
Bastien.
Fixation psychosomatique érogène. Sublimation intellectuelle.

Conclusion de l’étude
Ces quatre observations sont éclatantes de sens.
Dans chacune, on repère de manière centrale l’atteinte de la fonction visuelle par le
processus auto-immun, fonction visuelle particulièrement investie de jouissance mais
aussi de déchirement traumatique. Fonction scopique érotisée à l’extrême qui doit être
éliminée lorsque la représentation ou la perception traumatiques surgissent. Fonction
scopique éminemment vulnérable tant son articulation avec le complexe œdipien
et la castration est centrale. Les mécanismes de défense psychiques conscients ou
inconscients sont puissants (évitement, sublimation, déplacement, refoulement) mais
dépassés lorsque la charge traumatique est trop forte. Nous avions repéré ce phénomène
lors des pelades. Le processus auto-immun prend le relais, afin de préserver l’intégrité
psychique, par le biais d’un mécanisme d’occultation lésionnel. L’organe qui jouit et a peur
est attaqué. Le processus auto-immun tente de résoudre le conflit comme un mécanisme
de défense névrotique. Seul le désordre économique (répression de l’agressivité et de la
peur, les sujets étant tous très dociles) le différencie de la conversion.
Il s’agit d’une fixation psychosomatique érogène. On repérera de manière quasi
constante l’existence d’une petite fragilité organo-fonctionnelle visuelle, apparue dans
l’enfance, renforçant la fixation, fragilité qui n’est peut-être pas étrangère au début de
la problématique. Le mécanisme auto-immun est ici un mécanisme supplétif, faute de
mieux. Il n’existe aucune fixation archaïque.

588
Chapitre 21

L’OREILLE ET LA PSYCHOSOMATIQUE

1. INTRODUCTION
Les systèmes auditifs et d’équilibration partagent, du fait de leur proximité anato-
mique, des éléments communs : contiguïté des organes récepteurs, nerf cochléo-vesti-
bulaire (VIIIe paire). Bien que les deux systèmes soient nettement différenciés d’un point
de vue embryologique, anatomique et physiologique, cette communauté d’origine et de
trajet entre les voies auditives et les voies vestibulaires semble conditionner certaines
expressions cliniques (conjonction fréquente de troubles auditifs et de troubles de l’équi-
libre).
Les deux principales études présentées dans ce chapitre, celle sur les acouphènes et
celle sur les vertiges, illustrent cette proximité clinique.

2. ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME AUDITIF


2-1. Le système périphérique
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L’oreille externe L’oreille moyenne L’oreille interne

Représentation transversale du système audio-vestibulaire

Oreille moyenne
Les muscles du marteau et de l’étrier sont innervés par le trijumeau (V) et le facial
(VII). La contraction de ces muscles diminue l’amplitude de la chaîne de mouvement des
osselets et réduit donc la sensibilité du système aux sons, particulièrement ceux de basse
fréquence : propre parole du sujet, sons intenses de basse fréquence. Mais ce système
présente une certaine inertie et ne protège pas des sons de basse fréquence soudains.
589
Traité de médecine psychosomatique

OREILLE INTERNE
OREILLE MOYENNE
OREILLE EXTERNE
Rampe
Marteau Endume Étrier vestibulaire

Tympan Fenêtre Rampe Cochlée


ovale tympanique
Air

Trompe d’Eustache

Les trois compartiments de l’oreille


La trompe d’Eustache permet d’équilibrer les pressions entre l’oreille moyenne et
l’extérieur.
Canaux Le labyrinthe osseux
semi-circulaires
Oreille interne Aqueduc
Fenêtre
Le limaçon osseux (cochlée) est un long ovale tube enroulé constitué de deux canaux
remplis de périlymphe : la rampe tympanique Limaçon et la rampe vestibulaire. Les deux rampes
se rejoignent au sommet du limaçon. À l’intérieur de l’oreille interne, les ondes sonores
sont transformées en un déplacement de fluides dans les rampes vestibulaire et tympa-
nique. Les vibrations Vestibule
transmises par les osselets à la fenêtre ovale arrivent par la rampe
vestibulaire au sommetFenêtre
du limaçon. Elles se mêlent aux vibrations de la rampe tympa-
nique en relation avec laronde
fenêtre ronde.
Canaux Le labyrinthe osseux
semi-circulaires Fenêtre Rampe vestibulaire
ovale + canal cochléaire Apex
Aqueduc Base
Fenêtre
ovale
Étrier Membrane
Limaçon basiliaire

Fenêtre
ronde Rampe
Vestibule tympanique

Fenêtre
ronde

Le labyrinthe osseux La cochlée


Fenêtre Rampe vestibulaire
ovale + canal cochléaire Apex
Base

Les deux rampes sont


Étrier
séparées par le canal cochléaire (limaçon membraneux) rempli
Membrane
basiliaire
d’endolymphe.
La membrane basilaire du canal cochléaire sert de résonateur. Sur sa partie externe,
elle comporte des striesFenêtre
transversales, sortes de cordes élastiques
ronde Rampecapables de vibrer de
tympanique
16 vibrations/seconde (sons graves) à 20 000 vibrations/seconde (sons aigus). Le déplace-
590
L’oreille et la psychosomatique

Canal Organe
cochléaire de Corti

Membrane
basilaire

Rampe
vestibulaire Rampe
tympanique

Fibres afférentes
du nerf cochléaire

Coupe transversale de la cochlée

Lame
Membrane réticulaire
tectoriale
Stéréocils

Cellule
ciliée
externe

Ganglion
spiral

Membrane Piliers Cellule


basilaire de Corti ciliée
interne Nerf auditif

L’organe de Corti
ment du fluide fait vibrer la membrane basilaire de manière différente selon la fréquence
du son. Sur sa partie interne, repose l’organe de Corti qui transforme le déplacement
des fluides en message nerveux. Les déplacements de la membrane basilaire génèrent
une inclinaison des cils des cellules ciliées internes, qui ont des propriétés différentes
selon leur emplacement au sein de l’organe de Corti (carte tonotopique). Il s’ensuit une
dépolarisation cellulaire inductrice d’un potentiel de récepteur de même fréquence que
le stimulus sonore. D’autres cellules, les cellules ciliées externes, innervées par des fibres
efférentes, modulent la sensibilité des cellules ciliées internes.
Les 32 000 fibres afférentes du nerf cochléaire (nerf acoustique qui, avec le nerf vesti-
bulaire, va constituer le VIIIe nerf crânien ou nerf cochléo-vestibulaire), transmettent
plusieurs paramètres du son : fréquence, durée (durée d’activation de la fibre), intensité
(nombre de fibres stimulées).
591
Traité de médecine psychosomatique

Les sons que perçoit l’oreille humaine ont une fréquence se situant entre 20 et 20 000
hertz. Dans cette gamme, les sons les mieux perçus se situent entre 100 et 3 000 hertz.
En intensité, le seuil de base du son perçu est par définition de 0 dB. Des sons au-delà
de 100 dB détériorent le système auditif. Les sons du langage articulé se situent aux
alentours de 65 dB.

2-2. Les voies auditives


Le nerf acoustique pénètre le névraxe au niveau du sillon bulbo-protubérantiel. Il se
termine au niveau des noyaux cochléaires. Les fibres issues des neurones de ces noyaux
décussent, c’est-à-dire empruntent la voie controlatérale, et remontent au sein d’un
faisceau (le lemnisque latéral) pour atteindre le tubercule quadrijumeau postérieur (colli-
culus inférieur) au niveau du mésencéphale.

Cortex
auditif Thalamus

Corps genouillé
médian
Coupe du Formation
mésencéphale réticulée Colliculus
inférieur

Noyaux
cochléaires
Coupe du bulbe
rachidien

Neurone
de type I Olive
supérieure
Formation
Nerf cochléo- réticulée
vestibulaire (VIII)

Les voies auditives

Les centres auditifs sous-corticaux


Voie audito-réflexe
Elle part des tubercules quadrijumeaux postérieurs. Elle est descendante (protubé-
rance, bulbe, moelle épinière). Un bruit peut ainsi provoquer des mouvements réflexes
du pavillon de l’oreille, une rotation de la tête, mais aussi des mouvements des yeux (par
stimulation des tubercules quadrijumeaux antérieurs).
592
L’oreille et la psychosomatique

Voie sensorielle
Elle relie le tubercule quadrijumeau postérieur au corps genouillé médian (ou interne)
du thalamus homolatéral mais aussi controlatéral (commissure de Gudden entre les deux
tubercules quadrijumeaux), permettant ainsi la projection sur chaque hémisphère des
impressions auditives recueillies au niveau de chaque oreille.

Les centres corticaux


Des corps genouillés médians partent les fibres vers les centres corticaux situés dans
le lobe temporal.
Le cortex auditif primaire, ou aire auditive sensorielle (aire 41 de Brodmann), traite
les sons. Il comporte des bandes parallèles isofréquentielles, chacune correspondant à
une octave. Une stimulation acoustique unilatérale induit des réponses bilatérales, dans
chaque hémisphère, mais prédominantes du côté opposé. Une activité cérébrale conco-
mitante peut « masquer » la zone auditive, ce qui peut expliquer l’obtusion sensorielle
lors d’une émotion.
Le cortex auditif secondaire, ou aires auditives psychique et gnosique (aires 42 et 43),
identifie et interprète le son. Il intervient dans la pensée verbale, attribue un signifié au
signifiant. Il donne accès au langage musical (perception d’une mélodie, d’un rythme).
Cortex auditif primaire

Cortex auditif secondaire

Centres corticaux de l’audition

Il existe des cartes tonotopiques à tous les niveaux des voies auditives : noyaux
cochléaires, colliculus inférieur, corps genouillé médian, cortex auditif primaire (aire 41).
Les aires corticales secondaires (aires 42 et 43) affinent le traitement de l’information.
Les informations des deux oreilles permettent de localiser le son dans l’espace.

3. ONTOGENÈSE DE L’AUDITION
3-1. Principales étapes du développement auditif
Contrairement à la vision qui est peu stimulée avant la naissance, l’audition se
développe rapidement lors de la vie fœtale. L’oreille interne est constituée au 5e mois de
grossesse. Les voies auditives se constituent à partir du 7e mois.
593
Traité de médecine psychosomatique

À partir de quatre mois et demi de gestation, le fœtus réagit aux sons de plus de
115 dB, et à partir de 7 mois aux sons de 90 dB. Les sons entendus sont des sons internes
(voix, respiration, battements cardiaques, bruits digestifs de la mère) et des sons externes
(bruits, paroles, mélodies). Les sons externes doivent être suffisamment intenses pour
couvrir les sons internes. Les sons graves passent mieux la paroi abdominale.
Un bruit faible provoque chez le fœtus de petits mouvements des paupières. Un bruit
fort provoque une accélération cardiaque et des mouvements. Au-delà de 85 dB, le fœtus
percevrait un inconfort.
Les conduits auditifs étant obstrués par le cérumen, la transmission des sons est essen-
tiellement osseuse.
Chez le bébé, avant 9 mois, l’ouïe prime toujours sur la vision. Le phénomène s’inverse
à partir de 9 mois. Les seuils perceptifs absolus et différentiels sont initialement élevés
dans le silence comme dans le bruit. La réaction au bruit se manifeste par une ouverture
ou clignement des yeux, un réflexe de Moro, une apnée transitoire, une interruption de la
tétée, des mouvements, des pleurs.
À partir de deux mois et demi, le bébé discrimine deux mélodies différentes apparte-
nant au même flux auditif. Il peut aussi discriminer deux séquences sonores ne différant
que par le rythme.
À 3 mois, le lobe temporal est développé. La maturation des voies auditives se poursuit
entre 3 et 6 mois. Le bébé discrimine les sons ta et da, ainsi que pa et ma.
À 5 mois, le bébé tourne la tête en direction d’une source sonore. La localisation des
sons sous tous les angles se fera plus tard. Le bébé reconnaît son prénom et tente d’imiter
certains sons.
À 8 mois, le bébé répond à l’appel de son nom et, à 10 mois, il imite des sons produits
par la mère.
Entre 9 et 13 mois, le bébé entend la voix chuchotée et comprend le sens de plusieurs
mots.
La matrice des représentations de mots précède la production du langage verbal. Bien
avant qu’apparaisse le langage, les représentations de mots vont se lier progressivement
aux représentations de choses. Au début, ce ne sont pas des représentations au sens
propre du terme, ce sont des désignations nécessitant la présence réelle de l’objet : lorsque
l’enfant entend un mot, il le lie à la chose perçue qu’il désigne. Ce processus nécessite de la
constance, de la répétition, un repère stable, et on pourrait ajouter une bonne « entente »
(même étymologie que entendre) entre le sujet émetteur et le sujet récepteur. Il suffit
d’utiliser une autre langue pour s’en rendre compte : la désignation ne se fait pas. Seule,
la langue maternelle au sens linguistique du terme peut avoir un effet structurant. Cette
réalité semble méconnue ou déniée par les prosélytes de l’éducation polyglotte précoce.
Les représentations de mots sont liées au signe linguistique composé du signifiant (la
représentation acoustique et phonique du mot, par exemple, pour le mot chat, le son
« cha » perçu au niveau du langage intérieur) et du signifié (ce que représente la chose
désignée par le mot, par exemple, pour le mot chat, l’idée du chat et non le chat réel).
Elles s’enrichissent ensuite de l’image visuelle, lors de l’acquisition de l’orthographe. Mais
ceci est une autre histoire…

594
L’oreille et la psychosomatique

3-2. La « pulsion phonique »


Le petit enfant s’apaise puis jubile à la vue de sa mère, mais aussi lorsqu’il entend la voix
de celle-ci alors qu’elle n’est pas dans son champ de vision. Il aime également produire des
sons avec un jouet, tout comme il aime l’observer sous tous ses angles.
Le plaisir ressenti par l’enfant dès son plus jeune âge, dès qu’il est confronté à la
musique, est une évidence. Les bébés sont capables très précocement de percevoir la
musique comme un ensemble complexe de stimuli auditifs à suivre au cours du temps.
Les études expérimentales sur la perception musicale se basent sur la réaction visuelle, le
comportement moteur ou bucco-tactile (succion non nutritive).
L’accès à la discrimination musicale est progressif et commence sensiblement à partir
de la première semaine. À 5 mois, le bébé réagit aux changements de rythme et, à 8 mois,
détecte les fausses notes.
La musique (classique, chanson, berceuse classique ou populaire) diminue le temps
d’endormissement par rapport au silence. Les berceuses utilisées pour endormir les
enfants, censées être douces, simples, lentes, n’auraient pas d’effet supérieur à toute
autre musique digne de ce nom. Dans tous les cas, le ralentissement progressif du tempo
diminue encore plus le temps d’endormissement.
Les représentations musicales s’inscrivent très tôt, comme nous venons de le voir,
probablement bien avant les représentations de mots. L’introjection du matériel musical
est, comme toute introjection, tributaire de la qualité, de la constance, de la récurrence
de l’expérience et aussi du contexte associé. La musique, comme le doudou, n’est pas
dénuée d’effet transitionnel.
Une fois le matériel sonore introjecté, l’enfant demeure longtemps avide de sa ré-au-
dition. Le besoin de réentendre ce qui a déjà été entendu se retrouve aussi au niveau des
attentes de la parole des adultes, du besoin sans limite de faire répéter une histoire.
Ainsi peut-on, sur le modèle de la pulsion scopique, concevoir l’existence d’une pulsion
phonique dès le plus jeune âge. Elle semble avoir une destinée similaire : plaisir de regar-
der ou plaisir d’écouter passant par des stades successifs, non simultanés mais séquentiel-
lement semblables.
Plus tard, la découverte progressive du monde va passer par les yeux, mais aussi par
les oreilles. La découverte de la différence des sexes passe certes par la vue, mais elle
peut aussi être véhiculée par la voix, les paroles, souvent potentiellement traumatiques,
des autres. Bien que beaucoup moins centrale que la vue (voir par le trou de la serrure)
dans l’épiage de la chose sexuelle, l’audition n’en est pas totalement exclue (écouter aux
portes). Enfin, si l’image de la castration imaginaire passe par les yeux, l’interdit œdipien
ne peut passer, lui, que par les oreilles.
Les émotions modulent la perception sonore. Lors de nos travaux pratiques sur les
émotions, les distorsions auditives apparaissent au bout de 7 min. L’augmentation de la
perception auditive des sons d’origine interne (notamment les battements cardiaques),
au détriment des sons d’origine externe, se retrouve dans la peur, la colère, la tristesse. Des
acouphènes apparaissent dans la peur et le dégoût.
Dans la seule émotion trophique, la joie, les manifestations sensorielles sont au premier
plan. L’acuité auditive est augmentée ainsi que la discrimination des sons extérieurs.

595
Traité de médecine psychosomatique

4. LE SILENCE ET LE BRUIT


Deux tiers des Français se plaignent du bruit. Pour l’instant, ils n’ont d’autre issue que
de faire silence car les lois contre le bruit ne sont pratiquement jamais appliquées.
A-t-il des conséquences sur l’individu et le sujet ? Oui. Toutes les études en attestent.
Voici un bref résumé des effets du bruit.
Effets du bruit

Troubles cognitifs
Démentalisation

Anxiété – Dépression

Réaction d’éveil
Tension agressive

Altération auditive Désordres du SGA

Fonction psychosomatique du bruit

Effets psychiques
––Troubles cognitifs : troubles de l’attention, de la concentration, de l’apprentissage,
altération des performances.
––Démentalisation.
––Anxiété, dépression.
Effets comportementaux
––Nervosisme, irascibilité, agressivité.
––Addictions, surconsommation.
Effets somatiques
––Effets auditifs : hypoacousie, surdité, hyperacousie aux bruits, acouphènes.
––Mobilisation du syndrome général d’adaptation induit par la répression face à l’agres-
sion sonore : hypertension, tachycardie, troubles digestifs, hormonaux, immunitaires.
––Troubles du sommeil, fatigue, épuisement.

Seuils de tolérance auditive absolue


En dessous de 80 dB, l’exposition prolongée au bruit peut entraîner fatigue, troubles de
l’attention, du sommeil. À partir de 80 dB, une exposition continue induit des bourdon-
nements, des sifflements, une baisse temporaire de l’audition, mais ces altérations sont
transitoires et réversibles. Au-delà de 100 dB, les altérations sont durables.
596
L’oreille et la psychosomatique

Lors d’un traumatisme sonore aigu, le seuil de douleur se situe à 120 dB. Une exposi-
tion, même de courte durée, au-dessus de 130 dB entraîne un risque de surdité brutale
totale ou partielle, réversible ou non.
La surdité induite par des traumatismes sonores s’instaure en quatre phases :
––fatigue auditive avec perte auditive dans les 4 000 Hz, apparaissant lors de l’exposi-
tion et disparaissant au repos ;
––déficit permanent : scotome sur les fréquences 4 000 Hz, inapparent car bien au-
dessus des fréquences conversationnelles ;
––extension du scotome aux 200 Hz, induisant des difficultés de compréhension ;
––aggravation respectant les basses fréquences.

Seuils de tolérance relatifs individuels


Les facteurs de tolérance ou d’intolérance au bruit sont très variables d’un sujet à
l’autre et chez un même sujet. Ils dépendent du vécu et de la réaction du sujet, dans
lesquels de nombreux déterminants interviennent : sensibilité individuelle, équilibre
psychosomatique du moment, système défensif, possibilités d’action sur la source sonore,
intentionnalité attribuée par le sujet aux personnes émettant le bruit, etc. La répression
joue une place centrale dans la survenue des réactions psychosomatiques d’intolérance.
Tel bruit de tondeuse à gazon ne m’a pas gêné, telle fanfare non plus. Mais les aboie-
ments du chien et la pétarade de la moto m’ont mis sur les nerfs. Le niveau sonore était
pourtant sensiblement identique. Les deux premiers n’étaient pas désagréables, les
seconds étaient vécus comme une agression.

Le silence
Certains sujets ont horreur du silence. Ça les angoisse. C’est le silence que décrivent les
personnes dans les suites immédiates d’un bombardement, celui dans lequel est immergé
l’enfant laissé seul dans son lit en l’absence de sa mère. Il réactive une angoisse de sépara-
tion, de mort, de destruction et, plus souvent, le vide qui habite nombre de ces sujets.
C’est aussi celui que décrivent les personnes habituées à la sur-stimulation sonore, au
pouvoir éminemment addictogène, celle qui leur permet de ne pas penser. La phobie du
silence peut être aussi en relation avec l’agoraphobie, la claustrophobie, la phobie sociale.
Le silence dans un groupe, une salle d’attente, peut mettre mal à l’aise.
De nombreux sujets phobiques du silence éprouvent le besoin d’introduire du son.
La télé en constitue un bel exemple. C’est une voix maternelle de substitution, un objet
d’empreinte, dans le meilleur des cas une berceuse : de nombreux sujets ne peuvent
s’endormir ou dormir qu’avec la télé allumée. Lorsqu’elle s’arrête, la plupart d’entre eux
se réveillent.
Certains sujets recherchent le bruit pour travailler, pour combler leur solitude, pour
ne pas penser, pour s’enivrer. D’autres ont besoin de faire du bruit pour couvrir d’autres
bruits, pour se faire entendre, pour assourdir les autres, pour couvrir leur voix, pour les
réduire au silence. C’est un moyen de restauration narcissique, de vécu de toute puissance
connoté d’une jouissance anale (sports mécaniques, amplificateurs, bips et engins de
travaux publics, sirènes).
597
Traité de médecine psychosomatique

Le bruit est devenu une arme puissante pour le dominant, par son pouvoir
démentalisant, car la démentalisation favorise la soumission, l’adhésion consensuelle, la
consommation. Ne pensez plus ! Dépensez !
Un tiers des Français ne sont donc pas gênés par le bruit. À la condition qu’ils en soient
l’auteur ou l’auditeur délibéré. Le problème du bruit n’est pas prêt d’être résolu.

5. HYPOACOUSIES ET SURDITÉS
Le terme surdité est souvent utilisé pour qualifier de simples hypoacousies. Pour des
raisons propédeutiques, nous utiliserons le terme hypoacousie pour qualifier les déficits
de l’audition et le terme surdité pour qualifier la perte totale de l’audition, habituellement
dénommée cophose.
Le terme malentendant est un terme soft et politiquement correct, à l’instar du terme
malvoyant, instauré par la liturgie socialo-citoyenne de ces trois dernières décennies, dont
le seul but est d’induire une confusion soporifique selon le principe sacré qu’il ne faut
jamais appeler un chat un chat. Ce n’est pas un terme clinique, c’est un terme politico-
mondain. Pierre Desproges regrettait que le terme non-comprenant ne soit pas utilisé
pour désigner les cons.
Une personne sur dix en France est atteinte de déficience auditive.
Les surdités et hypoacousies se répartissent en deux groupes : les surdités de transmis-
sion (oreille externe, oreille moyenne) et les surdités de perception (oreille interne, voies
centrales).
L’étiologie des surdités inclut des facteurs innés et acquis. Les facteurs psychosomatiques
ne sont pas les derniers en cause, comme nous allons le démontrer.

Surdité congénitale
Certaines surdités d’origine génétique n’apparaissent qu’au bout de plusieurs années.
™™ La surdité de Naïs est apparue à l’âge de 9 ans. Jusqu’à cet âge, elle n’avait aucun
problème d’audition alors que sa mère et sa jeune sœur étaient sourdes.
Les surdités congénitales sont, quant à elles, le plus souvent liées à une aplasie ou à une
infection pendant la grossesse.

Surdité de transmission acquise


Les principales causes des surdités de transmission acquises sont : les séquelles d’otites
séreuse ou séromuqueuse, la calcification ou perforation du tympan, le cholestéatome,
l’otospongiose de l’oreille moyenne, l’ankylose de l’étrier, la lyse ou la luxation d’un osselet,
la maladie de Paget.
™™ Mélaine, 40 ans, présente, depuis l’âge de 29 ans, une hypoacousie en relation avec
une otospongiose. Elle doit parler fort, ce qui lui pose des problèmes relationnels. Elle est
dépressive, anxieuse, irritable, hurle après ses deux enfants, puis culpabilise. Sa deuxième
grossesse fut difficile, contemporaine d’un déménagement. Elle se sentait isolée, ne
voulait pas réellement de ce deuxième enfant. Œsophagite, prurit, douleurs. Le bébé est
difficile, dort mal, lui prend toute son énergie. Elle s’accroche à lui tout en ne le suppor-
598
L’oreille et la psychosomatique

tant pas. Peu à peu, s’installe une dépression d’épuisement. C’est dans ce contexte que
débuta la pathologie.

Surdité de perception acquise


Les causes des surdités de perception acquises sont : les traumatismes sonores, la
maladie de Ménière, le neurinome de l’acoustique (tumeur bénigne de la gaine du nerf),
l’otospongiose cochléaire, les causes auto-immunes (surdité bilatérale, s’installant sur
quelques semaines ou quelques mois), les causes toxiques (médicaments) et bien sûr la
presby-acousie (hypoacousie bilatérale liée au vieillissement cellulaire).
™™ Bertrane vivait depuis cinq ans un stress professionnel important : travail dénué de
sens, demandes contradictoires, magouilles, etc. Elle devait obtenir un changement de
poste sur lequel elle comptait beaucoup. Il y a un an, le poste promis est refusé. Vertiges,
acouphènes, hypoacousie droite. Neurinome de l’acoustique.
™™ Jane, 43 ans consulte pour des angoisses majeures apparues depuis qu’on lui a
diagnostiqué, il y a un mois et demi, un neurinome de l’acoustique. Le diagnostic a été
suivi d’une série de palabres, à l’issue desquelles on lui a laissé le choix de la thérapeutique :
opération avec risque de paralysie faciale, de perte totale de l’audition, de persistance
des acouphènes, ou bien radiothérapie avec moindre perte de l’audition, persistance des
acouphènes mais autres risques, ou encore surveillance pendant un ou deux ans à l’issue
desquels elle pourra prendre une nouvelle décision, mais avec les risques d’aggravation
que cela comporte. Même un footballeur serait angoissé. Un quatrième médecin ORL
consulté, plus à l’écoute de la patiente, lui conseillera d’attendre et de ne rien faire.
Jane présentait depuis huit ans des acouphènes à type de sifflements. Il y a un an,
elle et son mari achètent un terrain. Le jour où débute la construction de la maison, elle
reçoit un coup de fil du notaire lui disant que le terrain n’était pas constructible. « Je lui
ai dit : “Je ne veux pas entendre ça !”, j’ai raccroché, je n’ai plus su où j’en étais. » Insom-
nie pendant trois semaines, suivie de surdité brutale à gauche. Corticoïdes, vasodilata-
teurs. Elle retrouve un peu l’audition. Il y a un mois et demi : rechute brutale de la surdité.
Diagnostic de neurinome de l’acoustique.
Elle déclare avoir toujours eu les oreilles et l’audition sensibles. Les parents se sont
toujours disputés, ne se sont jamais entendus. Le père était violent, hurlait d’une voix forte.
« J’ai toujours eu peur qu’il tue ma mère. Ma mère me racontait toutes leurs histoires. Je
ne disais rien, je ne faisais qu’écouter sans entendre vraiment. Dès que j’entendais du bruit,
j’étais à l’affût, je collais mon oreille à leur porte. J’écoutais les disputes et rentrais pour les
réconcilier. Il y a un mois et demi, ils sont venus chez moi et se sont engueulés. »
Jane avait attribué la survenue tardive de ses règles à des rapprochements sexuels
imposés par un proche de la famille lorsqu’elle était enfant. Elle pensa longtemps qu’elle
ne pourrait jamais avoir d’enfants. Elle a effectivement été infertile pendant plusieurs
années. Sa grossesse sera suivie d’une dépression postnatale au cours de laquelle débute-
ront les acouphènes.
Au bout de la troisième séance, Jane a moins d’acouphènes. Son père décède dans la
foulée, ce qui atténue les préoccupations liées au neurinome. Mais un transfert négatif
s’installe immédiatement à mon encontre, bien qu’elle reconnaisse aller mieux. Elle cesse
599
Traité de médecine psychosomatique

la thérapie. Je la revois deux mois après : elle a récupéré plusieurs décibels, se sent plus
libérée. Mais elle arrête à nouveau.
Je la revois dix ans plus tard. Elle a 53 ans. Elle a fait un traitement il y a six ans par radio-
thérapie. Les acouphènes sont revenus, il persiste une hypoacousie gauche résiduelle et
elle a des vertiges. Elle me demande de l’aide tout en doutant de mes compétences. Je ne
la reverrai plus.
Les surdités brusques unilatérales ont, quant à elles, des origines diverses : virale,
auto-immune, perforation, antécédents familiaux, traumatisme crânien.
Quant au processus de conversion, il peut entraîner des troubles déficitaires de l’audi-
tion : hypoacousie ou surdité transitoire, pseudo-surdité, hypoacousie sélective (selon les
interlocuteurs) ou incomplète (certains mots et pas d’autres), troubles de la compréhen-
sion verbale.
™™ Élodie, 28 ans, présente des crises migraineuses. L’aura qui les précède est consti-
tuée de paresthésies, scotome, diminution de la perception auditive. La céphalée est
inconstante. Les crises ont débuté après son opération traumatique de l’appendicite à
11 ans.
™™ Angela, 26 ans, a présenté il y a deux mois une surdité et une cécité pendant dix
minutes. Depuis, elle présente des troubles de la compréhension verbale, comme si
l’interlocuteur était très loin. La relation avec son compagnon est particulièrement désta-
bilisante depuis deux mois.
™™ Fatima, 50 ans, présente une hypoacousie d’installation progressive depuis trois ans,
quand son mari s’est mis à semer la terreur dans la famille. « Il ne conduit pas, j’assume
tous ses trajets. Je lui dis de passer son permis, il ne veut pas m’entendre. Il fait des crises
de jalousie. Il me veut à son service en permanence. Moi, je souhaiterais qu’on s’ouvre un
peu au monde. Il ne veut pas. Mes filles en souffrent aussi, surtout depuis trois ans où
l’aînée est tombée amoureuse d’un garçon. Il leur fait des crises, les enferme, car il dit qu’il
veut des gendres musulmans, « pas des étrangers ».

6. OTITES
La plupart des otites récidivantes de l’enfant sont, en règle générale, liées à une obstruc-
tion de la trompe d’Eustache contemporaine d’une inflammation rhinopharyngée. L’adé-
noïdectomie permet, dans le meilleur des cas, d’y mettre un terme. Dans d’autres cas,
l’aération transtympanique par des diabolos est préconisée. Mais l’ensemble de la patho-
logie ne saurait se résumer à un problème mécanique. Les conditions de vie, mais aussi
l’équilibre psychosomatique du sujet, interviennent, à des degrés variables.
Les otites récidivantes peuvent entraîner une hypoacousie. Celle-ci peut être révélée
par certains signes : fatigue, inattention, flou de compréhension, difficultés articulatoires,
troubles du langage, retard scolaire. Les enfants très hypoacousiques entendent la voix
mais ne comprennent pas les paroles.
™™ Lorsqu’Achille eut 4 ans, la famille fut victime d’une agression lors d’un cambrio-
lage. Achille devint très angoissé, présenta des phobies extensives à l’égard du monde
extérieur, des troubles du sommeil et des conduites régressives. Pendant deux ans, les
600
L’oreille et la psychosomatique

rhinopharyngites compliquées d’otites se succédèrent, nécessitant une adénoïdectomie


à l’âge de 6 ans. Il a aujourd’hui 9 ans et souffre d’hypoacousie.
™™ Mégane, 8 ans, m’est adressée pour troubles du comportement. Exclusive, jalouse,
dissipée, désintérêt et retard scolaires, dyslexie, fugues, troubles du sommeil. Elle dort
toujours avec sa mère, n’a pas de chambre à elle. Elle est née et a toujours vécu dans un
bain d’angoisse. Grossesse pathologique de la mère, dystocie, souffrance fœtale, réanima-
tion néonatale, dépression postnatale. Puis rhinopharyngites, otites, adénoïdectomie à
2 ans. Hypoacousie résiduelle de l’oreille gauche.
™™ Ida, 45 ans, était venue me consulter pour frigidité totale primitive, céphalées
et fibromyalgie. La psychothérapie analytique, qui durera trois ans, mettra au jour un
complexe de castration majeur et une déception œdipienne itérative et profonde.
Elle avait présenté des otites à répétition durant toute son enfance, qui avaient débuté
à l’âge de 7 mois et l’avaient amenée à subir de nombreuses paracentèses. Vers l’âge de
7 ans, se développa une angoisse d’intrusion invasive en relation avec un complexe de
castration. Elle avait une peur panique que des mouches lui rentrent dans les oreilles.
Oreilles dont elle souffrait et qu’il fallait couvrir. Elle était très sensible au bruit. Elle se
souvient notamment d’un mendiant qui hurlait en jouant sur un instrument constitué
de deux boules qui s’entrechoquaient. « Le bruit de ces boules était pénible, ça me cassait
les oreilles. »
Les otites cessèrent à l’âge de 13 ans, le jour de ses premières règles, et furent rempla-
cées par des pertes de connaissance. À l’adolescence, elle avait honte de ses gros seins et
de ses oreilles décollées qu’elle cachait avec ses cheveux. Elle associe encore ses poussées
de mastose à ses anciennes otites. Elle était terrorisée à l’idée de tomber enceinte. « Mon
père m’avait inculqué ça dans l’oreille. »
Elle faisait un rêve récurrent : elle était dans son lit, il y avait une fente sur la façade de la
maison, ourlée comme une moulure de bois. Elle craignait que des moustiques pénètrent
par la fente.
La frigidité d’Ida s’estompa peu à peu : elle connu des périodes de plaisir sexuel au
cours desquelles les douleurs disparaissaient. Celles-ci finirent par disparaître totalement
et définitivement au bout d’un an et demi d’analyse, laissant transitoirement la place à un
eczéma des conduits auditifs externes. Puis celui-ci finit par disparaître et elle n’eut plus
aucun symptôme.
Il existait de toute évidence une similitude défensive entre les douleurs, les cépha-
lées, l’eczéma du conduit auditif externe, les otites, les pertes de connaissance et la frigi-
dité. Le travail sur le complexe de castration et la déception œdipienne eut raison de ses
symptômes actuels. Quant aux otites infantiles, il serait insensé de penser qu’elles aient
pu être déclenchées par le complexe de castration, puisqu’elle avait 7 mois lorsqu’elles
débutèrent. Elles étaient tout simplement dues à des rhinopharyngites récidivantes, dans
le déterminisme desquelles les conditions environnementales mais aussi la relation à la
mère n’étaient probablement pas étrangères. Dans un second temps, la persistance des
otites se colora d’un sens nouveau : elle s’intégra au complexe de castration et vice versa.
L’oreille est un orifice, un trou, et, pour l’enfant, une cavité vide. La phobie d’intrusion
concerne tous les orifices corporels.
601
Traité de médecine psychosomatique

™™ Rappelons aussi le cas de Caroline, présenté en deuxième partie de ce livre (p. 271),


qui avait été laissée livrée à elle-même avec sa sœur dans un appartement vide lors des
deux premières années de sa vie, avant qu’elle ne fût placée dans un foyer puis en famille
d’accueil. Elle avait souffert d’otites à répétition dès l’âge de 10 mois, entendait mal et fut
opérée à 5 ans. Elle mettait des tas de choses dans son oreille qu’elle considérait comme
un trou : du sable, du coton. Caroline s’était défendue contre le vécu de séparation, par
une formation réactionnelle précoce : ne pas s’attacher, se détacher. L’hypoacousie avait
mis les autres à distance.
Caroline, aujourd’hui âgée de 29 ans, présente une hypoacousie aux sons graves. Elle
entend mal la voix des hommes, surtout en milieu bruyant. Par contre, elle a toujours
aimé la musique. Elle a envie de chanter et de faire de la guitare. Seule la musique qui
transcende la relation intersubjective est investie du point de vue phonique.
Les eczémas du conduit auditif externe interrogent doublement le psychosomaticien,
en ce qui concerne l’eczéma, mais aussi en ce qui concerne sa localisation. Il semble-
rait que certains eczémas de l’oreille externe soient pour une part conditionnés par les
défenses «  phoniques ».
™™ Bastienne présente un eczéma des deux conduits auditifs externes qui altère l’audi-
tion. Depuis dix ans, elle souffre d’un syndrome psychotraumatique apparu dans les suites
immédiates du décès brutal de son père. L’image de celui-ci dans les suites du décès,
ainsi que le bruit d’un appareil d’aspiration utilisé par les thanatologues, revenaient sous
forme de flashes visuels et sonores, nuit et jour. Sur les conseils du médecin de famille, elle
n’avait jamais parlé de cette image traumatique à sa mère afin de la protéger. Elle gardera
le secret et fera tout pour éviter de parler de son père. L’eczéma débuta trois jours après
le décès.

7. LES ACOUPHÈNES
L’acouphène est un son intermittent ou permanent perçu dans l’oreille (une seule ou
les deux) ou dans la tête en l’absence de tout stimulus acoustique périphérique.

Clinique
Caractéristiques du son
––Sifflements.
––Bourdonnements.
––Plus rarement : bruissements, grésillements, vrombissements, chant de grillons, de
cigales, bruit de cocotte-minute, de ligne de haute-tension, bruits du cœur, bruit de
la mer.
––Parfois, association de plusieurs sons.
Signes associés
L’hypoacousie est très fréquente (90% des sujets).
Les autres signes ne sont pas systématiques. Ce sont des vertiges, une sensation de
plénitude de l’oreille, une hyperacousie aux bruits, des céphalées, des rachialgies.

602
L’oreille et la psychosomatique

50
40
30
20
10
0
0-20 21-30 31-40 41-50 51-60 61-70 71-80 >81

Âge de survenue des acouphènes

Conséquences
La gêne est très variable : absente, faible, moyenne, importante, intolérable.
Elle peut induire de l’anxiété, de l’irritabilité, des troubles de la concentration et du
sommeil, une dépression et, dans les cas extrêmes, le suicide.
Deux évolutions sont possibles dans la tolérance aux acouphènes :
––habituation, prise de distance et atténuation (78% des cas). L’habituation des
réactions à l’acouphène puis à la perception elle-même se met en place en six à douze
mois. Elle conduit à une sorte d’indifférence à la présence de l’acouphène. Celui-ci
est toujours entendu lorsqu’il est recherché mais, la plupart du temps, il est filtré au
niveau préconscient et reste ignoré ;
––évolution invasive (22%). L’acouphène focalise l’attention, envahit le champ de la
conscience et a des conséquences prononcées sur la plupart des secteurs existentiels.
La fragilité émotionnelle et la conjonction d’agressions sonores et de vécus trauma-
tiques constituent des facteurs de fragilisation.

Étiologie
L’immense majorité des acouphènes est d’origine neurosensorielle, liée à un dysfonc-
tionnement de l’oreille interne, des voies auditives ou des structures centrales.
Toutefois, il convient d’éliminer certaines causes plus rares : désordre neurologique,
problème musculaire, fistule artério-veineuse, tumeur glomique, otospongiose, toxiques
(acide acétylsalicylique, quinine, etc.).
Les acouphènes neurosensoriels, de loin les plus fréquents, sont liés le plus souvent à
un processus de désafférentation inducteur d’une perception auditive fantôme. Il existe
effectivement une perte auditive chez 90% des sujets. Pour compenser la perte auditive,
le cerveau va produire des sons dans la même gamme sonore, les sons manquants.

Facteurs traumatiques
Selon les patients, le symptôme surviendrait dans les six mois suivant un vécu trauma-
tique : deuil, divorce, perte d’emploi, rupture, etc. Les patients présentant ces acouphènes
ont repéré le rôle aggravant du stress, des contrariétés, de la fatigue physique ou mentale,
du manque de sommeil.
Une étude de l’OMS rapportée par W. Hiller, en 1999, a révélé que 11% des consultants
pour « troubles somatoformes » présentaient des acouphènes et que, parmi les sujets
présentant des acouphènes, 42% avaient des « troubles somatoformes ». Nous savons
603
Traité de médecine psychosomatique

que les troubles dits « somatoformes » sont une invention délirante du DSM IV, une
poubelle clinique dans laquelle s’empile pêle-mêle tout ce qui échappe à la nosographie
classique, leur seul point commun étant un déterminisme psychique subodoré par le
clinicien (Pongy, Les troubles somatoformes).
La répression des émotions de base négatives, plus particulièrement de la peur et
du dégoût, est, comme nous l’avons démontré plus haut (p. 72 à 78), susceptible
d’augmenter la perception de sons internes au détriment des stimuli sonores externes. Il
semblerait qu’il en soit de même en ce qui concerne la colère et la tristesse. Cette inver-
sion de la source des perceptions sonores a un caractère régressif évoquant les percep-
tions du fœtus.

Physiopathologie
Les données qui suivent s’inspirent plus particulièrement d’un article de Sylvianne
Chéry-Croze, « Les acouphènes, données récentes ».
Les expériences chez l’animal sont faites à partir de traumatismes sonores ou d’admi-
nistrations de toxiques (aspirine, quinine), générateurs d’acouphènes.
Chez l’homme, diverses techniques sont utilisées : imagerie cérébrale, stimulations
périphériques, audiogramme, acouphénométrie, magnétoencéphalographie.
Le signal
La désafférentation, aussi minime soit-elle, induit des processus compensatoires, sous
forme de décharges neuronales aberrantes à différents niveaux des voies auditives : nerf
auditif, noyau cochléaire dorsal, colliculus inférieur, cortex secondaire, à l’exclusion du
cortex primaire.
Ces décharges neuronales aberrantes sont détectées au niveau sous-cortical, puis
traitées et analysées (fréquence et intensité du signal) dans les divers centres auditifs. La
perception nécessite un seuil d’activité de décharge.
Les voies de traitement du signal
Le signal aberrant chemine dans les voies auditives et donne une perception fantôme
au niveau du cortex. Contrairement aux sons externes habituels, il n’emprunte pas les
voies auditives primaires classiques (voies lemniscales) mais semble plutôt activer la voie
extra-lemniscale. Celle-ci est moins spécifique en fréquence, plurimodale et connectée
aux divers cortex associatifs. Cette donnée serait confirmée par le fait que certaines stimu-
lations somato-sensorielles moduleraient certains acouphènes, y compris sévères : stimu-
lation tactile ou pression sur certaines zones de la face ou du cou, stimulation électrique
du nerf médian, déplacement des yeux dans les rares acouphènes postchirurgicaux.
D’autres structures cérébrales interviennent dans l’évaluation et le traitement du
signal : réticulée activatrice, système limbique, amygdale, hippocampe, autant de struc-
tures impliquées dans l’attention, la mémoire, le vécu émotionnel.
La plasticité cérébrale
Dans les suites de la désafférentation, il y aurait une modification de la plasticité de
certaines structures cérébrales.
L’acouphénométrie comparée à l’audiogramme confirme que le spectre de l’acou-
phène est celui des fréquences manquantes, caractéristiques du type d’hypoacousie, ce
qui met en avant la similitude avec le phénomène du membre fantôme.
604
L’oreille et la psychosomatique

La magnétoencéphalographie a permis de repérer que la représentation corticale


de la fréquence de l’acouphène était déplacée vers des aires adjacentes à l’aire auditive
primaire, ce qui confirme une réorganisation corticale. Il existerait même une corrélation
entre le degré de réorganisation et la sévérité de l’acouphène.
Cette réorganisation serait, au moins partiellement, réversible. Ces éléments orientent
vers une possibilité d’action thérapeutique consistant à inverser les phénomènes de
plasticité qui ont présidé à la survenue et/ou à la pérennisation de l’acouphène.
Pour P.-J. Jastreboff, lorsque la valence émotionnelle est neutre, l’activité neuronale se
limite aux seules voies auditives. De fait, l’habituation s’installe et le signal finit par ne plus
atteindre le niveau conscient. Lorsque la valence est traumatique, il y aurait une activa-
tion de boucles de rétroaction entre aires corticales (éveil, conscience, attention, cogni-
tion), système limbique, système nerveux autonome, voies auditives. Ces phénomènes
agiraient sur la plasticité cérébrale dont la modification perpétuerait le signal.

Cortex auditif – Autres aires corticales


Perception et évaluation (conscience, attention, cognitions, mémoire)

Structures auditives Système limbique


sous-corticales Émotions Réactions
Détection – Traitement

Système auditif Système nerveux autonome


périphérique

Modèle de Jastreboff

Berthold Langguth a proposé un modèle corrélatif entre les différentes modalités de


perception et de traitement de l’acouphène et certaines structures cérébrales :
––la prise de conscience de l’acouphène en tant que stimuli d’origine interne nécessite
la participation du réseau attentionnel : cortex pariétal, préfrontal, cingulaire posté-
rieur ;
––le niveau sonore perçu est sous la dépendance du réseau « saillance » : insula, cortex
cingulaire antérieur ;
––le vécu de gêne et de désarroi est sous la dépendance du réseau « détresse » :
amygdale ;
––la mémoire des acouphènes est liée à l’hippocampe et à l’amygdale.
605
Traité de médecine psychosomatique

Cas cliniques
™™ Les acouphènes de Denis, à type de sifflements, ont débuté dans les suites de son
divorce, il y a dix-sept ans. Ils se sont aggravés il y a deux mois dans un contexte de stress
professionnel accru et d’inquiétude pour sa fille.
™™ Raoul présente des acouphènes à type de sifflements aigus bilatéraux et perma-
nents, une hypoacousie et une hyperacousie aux bruits. Les troubles, apparus il y a quatre
ans, avaient été attribués à l’utilisation d’un aspirateur à feuille très bruyant qu’il utilisait
lorsqu’il aménageait sa résidence. Mais le contexte professionnel était particulièrement
difficile, il avait été changé de poste de travail et effectuait des déplacements incessants.
Les troubles s’atténuent le dimanche et en vacances.
™™ Les acouphènes de Blaise, 53 ans, ont débuté il y a onze ans dans les suites d’un
accident de voiture. Il traversait alors une période de stress professionnel intense, souffrait
de lombalgies, et son couple battait de l’aile. Les acouphènes sont aggravés par son état
de tension ou de fatigue.
™™ Firmin, 45 ans, marié, deux enfants, présente une hypoacousie droite et des
acouphènes à type de sifflements. Depuis dix jours, les troubles se sont accentués, généra-
teurs d’une angoisse importante. Il est fatigué, démotivé, irascible, dort mal, se désin-
téresse de tout, n’éprouve plus aucun plaisir. Tout a commencé il y a dix ans lorsque sa
femme a repris ses études. Il connaîtra ensuite d’autres traumatismes : décès de son père,
chômage, conflit avec un voisin, maladie de son fils. Son travail actuel est particulière-
ment démotivant, il doit gérer une équipe totalement démotivée. Il y a dix jours, il a
recruté un nouveau salarié qui sème le chaos dans l’équipe. Il se sent totalement démuni.
™™ Marie-Line, 52 ans, céphalalgique depuis son mariage, présente des acouphènes
depuis un an que son mari est à la retraite. Elle est dépressive et tendue, a du mal à
supporter l’emprise de celui-ci, et a le sentiment d’avoir perdu sa liberté.
™™ Tiphaine, 27 ans, présente une surdité apparue dans un contexte traumatique
majeur. Il y a trois ans, elle se sépare de son compagnon, sujet immature, colérique et
violent. Celui-ci la harcèle et la menace de mort pendant un an. Elle vit un enfer, ne sort
plus, déménage plusieurs fois et s’isole de plus en plus. Au bout d’un an, apparaissent
des vertiges avec vomissements, une otalgie gauche, des acouphènes, puis, sept jours
plus tard, une hypoacousie. Une plainte mettra un terme au harcèlement, au prix d’une
dépression. Les vertiges disparaîtront mais les acouphènes s’intensifieront et une surdité
totale s’installera à droite ainsi qu’une hypoacousie importante à gauche. L’oreille droite
appareillée lui permettra d’entendre les sons déformés, comme si elle était immergée
sous l’eau. Les acouphènes sont à type de bourdonnements, chuintements. Ils sont
permanents, aggravés par la fatigue.
Dans ses rêves, elle entend très bien. « Je suis sous l’eau dans une piscine. Je vois mon
ex-copain. Il me parle au téléphone : il me dit qu’il sait où j’habite. J’ai peur… Je suis sous
l’eau. Je vois des gens à la surface qui vomissent dans la piscine. Je me dis que, quand je
remonterai à la surface pour reprendre ma respiration, l’eau sera sale… Je plonge des gens
dans l’eau, je les enfonce sous l’eau. »
606
L’oreille et la psychosomatique

« Petite, je me mettais la tête sous l’oreiller car mes parents faisaient beaucoup de bruit :
ils parlaient fort tous les deux et se disputaient souvent. Mon père hurlait, ne se contrôlait
plus, battait mes frères. Je ressentais de l’angoisse. Je pleurais. Je le craignais. Quand je me
suis fait menacer par mon copain, je me suis souvenue des cris et des menaces de mon
père. »
™™ Anita, 45 ans, présente des acouphènes à type de bourdonnement, une hyperacou-
sie douloureuse aux sons aigus et aux médiums. Les symptômes sont aggravés si on lui
touche le cou. Ils ont débuté à l’âge de 23 ans dans les suites d’un accident de moto. Elle
gardera toujours de la rancœur contre son mari qui conduisait. « Il m’a coupé les ailes. »
À 38 ans, les acouphènes s’aggravent dans les suites d’un déménagement. Sous l’insis-
tance de son mari, elle avait accepté de renoncer à sa vieille maison de campagne pour
s’installer dans un parc résidentiel à l’orée de la ville. Dans la nouvelle maison, il y a trop
de médiums et d’aigus. Début de l’hyperacousie.
Ses rêves sont éloquents : « Mon mari ne m’écoute pas… Il a un accident de moto… Il
me trompe… Je revois mon ancienne maison de plus en plus belle. »
L’atteinte neurosensorielle d’Anita est celle d’une fonction érotisée. Depuis son plus
jeune âge, elle fait de la musique, du chant. Ainsi peut-on évoquer une pathologie se
situant à l’interface de la conversion et de la régression psychosomatique.
™™ Martial, 56 ans. Première partie : les acouphènes (la suite de l’observation sera
présentée plus loin à la section sur les vertiges).
Il y a douze ans, l’épouse de Martial reprend ses études. Pendant trois ans, il assumera
son métier d’avocat, l’intendance de la maison, l’éducation de ses trois enfants. Madame
s’absente de plus en plus souvent, prend des vacances seule de son côté, refuse tout
rapprochement intime. Martial prend sur lui, c’est-à-dire réprime toute rébellion. Il opte
pour la compréhension et l’attention, car l’idée d’une séparation est inconcevable par
rapport aux enfants. Mais la discorde s’installe. Engueulades sur engueulades.
Au bout de deux ans, Martial est fatigué. Des acouphènes apparaissent ainsi qu’une
sensation de plénitude de l’oreille et des désordres auditifs. L’audiométrie révélera une
baisse de 30% de l’audition dans les graves à gauche. Il finira par s’accoutumer. Le couple
divorcera au bout de trois ans de conflit.
™™ Célibataire et sœur aînée d’une famille nombreuse, Zohra était épuisée à force de
prendre en charge l’intégralité de la famille, d’être à leur écoute permanente, lorsqu’un
bruit strident venant de la télé, déclenché par ses neveux qui jouaient avec la télécom-
mande, retentit et produisit chez elle un état de sidération, comme si, selon ses propres
termes, « elle avait été battue, assommée au niveau de la tête et de l’oreille gauche ». Dans
la nuit qui suivit, elle entendit des acouphènes comme s’il y avait des travaux dans la rue.
Les acouphènes ne la quittèrent plus, alternant sifflements et bourdonnements, et une
hyperacousie puis des vertiges s’installèrent. Elle ne put plus sortir, trop sensible au bruit.
Elle consulta un médecin ORL qui incrimina le traumatisme sonore et lui dit que son état
était irréversible.
C’est dans cet état que, trois ans après, elle vint me consulter. Le motif n’était pas les
troubles auditifs mais un syndrome psychotraumatique engendré par les menaces d’un
voisin qui terrorisait l’immeuble. Cela durait depuis quatre mois. Elle s’était permis de
607
Traité de médecine psychosomatique

faire une remarque au dit voisin concernant ses enfants. Celui-ci réagit violemment
en menaçant de la tuer si elle critiquait encore une seule fois ces derniers. Les faits se
sont avérés réels. La peur obsédante du voisin devint lancinante, prenant le pas sur les
symptômes auditifs qui furent relégués au second plan.
Dès la première séance, il fut souligné que sa vocation de dévouement inconditionnel
aux autres, son écoute sans limite des problèmes de ses proches, sa soumission perma-
nente à leur égard n’étaient peut être pas étrangères à sa pathologie. Il lui fut suggéré de
se défaire autant que se peut de ce type de fonctionnement, l’assurant qu’elle n’avait rien
à y perdre, pas plus que les autres.
À la deuxième séance, elle me fit part d’une discrète atténuation de ses acouphènes et
de l’hyperacousie. Elle avait entendu mes suggestions et s’était quelque peu extraite de la
passivité et de la soumission à l’encontre de ses proches, leur faisant part des potentielles
causes alléguées lors de la première séance. Elle s’était même autorisée à faire un petit
séjour chez des amis, chose impensable jusqu’alors. Elle s’y était sentie très bien. Mais, dès
son retour, le voisin redoubla ses attaques et sa peur ne fit qu’empirer. Elle décida alors de
déménager avec sa mère à l’autre bout de la ville.
Dans la semaine qui suivit, elle me demanda une consultation en urgence. Bien que
rassurée d’être loin du persécuteur, un délire s’était installé : son persécuteur réel complo-
tait contre elle et d’autres personnes dans le nouvel immeuble s’alliaient à lui, notam-
ment un policier à la retraite qui envisageait de l’envoyer en prison pour attouchements
sexuels sur des enfants. Lorsqu’elle passa devant le lycée, elle fut convaincue qu’elle était
démasquée. Si quelqu’un lui disait : « Arrête ! », elle interprétait ainsi : « On va t’arrêter ! »
Le délire s’accompagnait d’hallucinations acoustico-verbales d’intensité modérée. Les
acouphènes avaient disparu.
Devant la terreur à laquelle elle était en proie et aux idées suicidaires subséquentes,
il fut nécessaire de l’hospitaliser. Elle vint me voir à sa sortie de clinique. Le délire
paranoïaque avait été totalement enrayé par un traitement par neuroleptiques, anxio-
lytiques et thymorégulateurs, et les symptômes auditifs et vestibulaires n’étaient pas
revenus. Nous commençâmes à diminuer progressivement le traitement. À la seconde
entrevue, elle pleurait, non pas de tristesse mais presque de joie d’être débarrassée de sa
pathologie auditive. La diminution du traitement lui permit de recouvrir un fonctionne-
ment normal. C’était il y a huit mois, elle n’a toujours pas de symptômes et le traitement
psychotrope a été progressivement arrêté.
Ce dernier cas clinique m’a permis d’éclairer d’un sens nouveau le déterminisme de
certains acouphènes. La répression conditionnait de toute évidence, en partie tout au
moins, les acouphènes. Le déménagement mais aussi très certainement la première
séance de psychothérapie levèrent une grande part de la répression car, à la deuxième
séance, Zohra avait pris de la distance par rapport à son sacerdoce familial. Il s’ensuivit
une rementalisation qui permit de passer du sensoriel au psychique, de la perception
à la représentation, de la répression à l’émotion, chemin inverse du processus qui avait
probablement déclenché et entretenu les acouphènes. Rementalisation certes patho-
logique qui instaura le délire comme défense contre les agresseurs. Les agresseurs réels
avaient disparu du fait de l’éloignement géographique inhérent au déménagement et
à la décision de Zohra de ne plus être soumise aux sollicitations de ses proches. Mais
608
L’oreille et la psychosomatique

ils s’étaient travestis en communs des mortels désignés par le mécanisme de projec-
tion, comme pour compenser leur réelle absence. La pensée retrouvée de Zohra devint
audible, s’alimentant transitoirement d’un matériau perceptif endogène.
Le thème délirant empruntait à la scène de l’agression, mais sur le versant psycho-
tique : ce n’étaient plus les enfants bruyants et insolents de son premier immeuble contre
lesquels elle avait des griefs, mais tout enfant, quel qu’il fût, à l’égard desquels elle aurait
commis des sévices sexuels. Notons que le bruit de la télé avait été déclenché par des
enfants et que Zohra n’a pas d’enfant, c’est la bonne de la maison, vouée à l’infertilité.
Elle n’a eu que de rares liaisons sans lendemain. L’hospitalisation stoppa le délire. La
rementalisation persista sans son aspect pathologique. Elle pleure et se souvient de tout,
elle analyse parfaitement son histoire, les séquences de ses déboires et exprime ses affects.
Elle dit : « C’est comme si depuis de longues années je n’avais jamais pleuré. »
La rementalisation a fait passer des acouphènes au délire, par le biais d’une boucle
dans laquelle s’interagissent pensée, langage intérieur et perceptions hallucinatoires attri-
buées à autrui, puis à la mentalisation trophique. Ne pouvons-nous pas envisager que
les acouphènes seraient le fait d’un vécu persécutoire ou tout au moins de soumission,
par rapport aux objets extérieurs, vécu totalement démentalisé par le biais de la répres-
sion psychique, émotionnelle et comportementale ? Toute la fonction psychosomatique
se collabe au niveau de la perception sensorielle. À la place du scénario fantasmatique
rejetant les persécuteurs, à la place des réactions comportementales ou émotionnelles en
insurrection, seule la porte d’entrée auditive se ferme, et se manifeste en faisant du bruit
pour ne plus rien entendre. Ainsi, ce type d’acouphène peut être appréhendé comme une
régression psychosomatique.

Analyse et conclusions de l’étude clinique


Cette étude, réalisée en 2014, a été faite à partir de 17 cas.
7 cas seulement ont fait l’objet d’un suivi sur quelques mois.
Guérison totale : 2 cas. Amélioration : 4 cas. Absence d’amélioration : 1 cas. Les autres
patients sont venus entre une et trois fois et n’ont pas donné suite.
Signes sensoriels ou sensitifs associés
––Hypoacousie : 80%
––Hyperesthésie au bruit : 70%
––Vertiges ou sensations vertigineuses : 35%
––Céphalées : 30%
––Troubles visuels : 12 % (iritis, troubles optocinétiques)
––Sensation de plénitude ou d’obstruction de l’oreille : 35%
––Autres : 5% (troubles gustatifs, troubles phasiques).
Facteurs traumatiques
Les vécus de contraintes représentent la majorité des situations traumatiques. Le sujet
accepte plus ou moins contre son gré les demandes et sollicitations des autres. Dans la
grande majorité des cas, contraintes professionnelles et privées se conjuguent.
Le facteur traumatique professionnel est très fréquent : soit surcharge de travail, soit
contexte désorganisé, soit perte du sens du travail.
609
Traité de médecine psychosomatique

Dans la vie privée, les situations traumatiques sont essentiellement des situations
d’emprise mal tolérées, des sollicitations excessives des autres, ainsi que des désordres ou
des conflits conjugaux. Elles s’associent en règle générale au facteur traumatique profes-
sionnel.
Les événements traumatiques sont un peu moins représentés. Ce sont essentiellement
des séparations, des décès, des traumatismes sonores. Le traumatisme sonore n’est jamais
isolé, il survient toujours dans un contexte de tension sous-jacent.
Clinique psychopathologique
La dépression apparaît dans 85% cas. C’est un état dépressif, plus souvent sub-dépres-
sif, lié à une usure, un épuisement progressif et croissant. La dépression est sous-tendue
par un idéal du moi central, un besoin constant de maîtriser les difficultés, plus particu-
lièrement celles des autres.
La répression est aussi centrale. Elle se manifeste le plus souvent par une absence de
réaction face aux situations traumatiques ou plutôt à des tentatives de réaction infruc-
tueuses, rapidement mises à mal soit par la situation extérieure, soit par la conflictualité
interne. Elle confine le plus souvent à la soumission. Répression de la peur, de la colère,
de la tristesse.
L’angoisse apparaît dans 80% cas. Elle peut, soit s’accompagner d’autres signes
somatiques (neuromusculaires ou neurovégétatifs), soit se limiter à un simple état de
tension interne. La rumination sur les difficultés existentielles est très fréquente.
Les autres types de processus inducteurs, moins fréquents, sont les syndromes
psychotraumatiques (15%) et la conversion (10%).

Thérapeutique
La thérapeutique repose sur une psychothérapie analytique intégrant une dimension
d’activité de la part du thérapeute (suggestion, proposition, prescription).
Certains thérapeutes utilisent des techniques d’appoint complémentaires :
––TCC : traitement des conséquences cognitives, émotionnelles et comportementales
des acouphènes, elles visent à l’amélioration de la qualité de vie, la diminution de
l’anxiété et du stress. Elles ne s’adressent pas aux causes des acouphènes ;
––hypnose, relaxation.
Des techniques spécialisées à visée neurophysiologique peuvent être aussi utilisées :
––appareillage de l’hypoacousie ;
––stimulation sonore (G. Argstatter) : création et émission d’un son similaire à l’acou-
phène (en intensité, fréquence, qualité) par un générateur d’ondes ou un logiciel. Puis
exercices : reconnaissance vocale des fréquences devenues inaudibles, exercices de
résonance pour masquer l’acouphène en prononçant des syllabes précises, association
de l’acouphène à un état d’esprit sous relaxation. Ceci permettrait une réorganisation
neuronale. 9 séances de 50 min sur une semaine, puis exercices à domicile pendant
3 mois. Diminution des symptômes chez 80% des sujets ;
––masquage des acouphènes par des générateurs de sons relaxants, combinés à des
aides auditives. Effet strictement transitoire ;
––stimulation auditive associée à une stimulation nerveuse : le nerf vague est stimulé
par un appareil implanté au niveau du thorax qui émet des impulsions censées avoir
610
L’oreille et la psychosomatique

un effet sur la réorganisation cérébrale, par le biais de la libération de neurotransmet-


teurs. Simultanément, par le biais d’un casque, le sujet entend des sons précis ;
––stimulation magnétique transcrânienne  : pulsations magnétiques appliquées
pendant 35 min au niveau encéphalique, visant l’amygdale (réseau de détresse) ou le
cortex auditif ;
––implants cochléaires : restauration de l’audition chez les sujets présentant une hypoa-
cousie, neutralisant ainsi les acouphènes dans certains cas. Nombreuses contre-indi-
cations.

8. LES HALLUCINATIONS AUDITIVES


D’un point de vue clinique, la psychiatrie classique distingue trois degrés dans la
nosographie des hallucinations :
––les hallucinations élémentaires : ce sont des bruits relativement simples : sons de
cloches, sifflets, coups contre une cloison, etc. Ces hallucinations élémentaires consti-
tuent une forme transitionnelle entre l’acouphène et l’hallucination élaborée ;
––l’hallucinose, entité autonome et spécifique, liée essentiellement à la désafférenta-
tion auditive ;
––les hallucinations acousticoverbales, ou voix, qui sont l’apanage des psychoses
délirantes aiguës ou chroniques et de certaines formes graves d’hystérie de conversion.
Nous nous attarderons sur l’hallucinose musicale et les hallucinations acousticoverbales.

8-1. L’hallucinose musicale
L’hallucinose musicale se rencontre essentiellement chez la femme de plus de 65 ans,
vivant seule et présentant une hypoacousie ancienne.
Il s’agit le plus souvent de chansons a capella ou avec instruments. Les voix ou instru-
ments sont perçus de manière précise. Ils se répètent au cours de la journée et sont
majorés par l’inactivité et le silence. Le nombre de thèmes est limité, mais les patientes
peuvent substituer un thème musical à un autre par un effort de concentration.
Il n’existe pas de détérioration intellectuelle, ni d’affection psychiatrique (pas de délire
notamment), si ce n’est, assez fréquemment, des manifestations dépressives. L’hallucinose
n’entraîne aucune perturbation de la conscience et de la personnalité.
Le contenu musical (chansons d’amour ou du temps de la jeunesse) renvoie à des
temps joyeux et insouciants où vieillir était impensable. De rares patientes peuvent
retrouver au cours de l’hallucinose l’état thymique joyeux de cette époque.
L’hallucinose est parfois précédée d’acouphènes qui se sont transformés en hallucina-
tions élémentaires (chant d’oiseau, sonnerie, etc.), puis en musique ou voix. Hécaen et
Ropert (1963) ont appelé ce phénomène « habillage progressif des acouphènes ».
On repère souvent des vécus de pertes : deuil, solitude, altération physique. « Nous
commençons à savoir ce qu’est la solitude lorsque nous entendons le silence des choses. »
(E.-M. Cioran, Des larmes et des saints.)
Après une courte phase de surprise anxieuse, les hallucinations sont critiquées et
repérées comme pathologiques par le sujet. Il existe de courtes périodes de rémission
spontanées. Le phénomène finit par être relativement toléré à la longue.
611
Traité de médecine psychosomatique

La cause principale conjugue une hypoacousie et des facteurs centraux impliquant le


lobe temporal, débordant largement les aires auditives. La désafférentation périphérique,
similaire à celle du membre fantôme chez les amputés, joue un rôle central, elle induit
une réorganisation des aires de projection, désinhibant les traces mnésiques antérieures.
Les examens sont normaux, une minorité de patients présentant une anomalie tempo-
rale droite.
Les autres causes sont très rares : intoxications (surdosage en salicylés, intoxications
alimentaires), lésions temporales droites, épilepsie temporale droite, lésions du tronc
cérébral, schizophrénie.

8-2. Les hallucinations acousticoverbales


Communément appelées voix, on les rencontre dans de nombreuses psychoses
délirantes, essentiellement la schizophrénie et la psychose hallucinatoire chronique, ainsi
que dans les bouffées délirantes et certaines formes graves de conversion hystérique. Elles
sont plus rares dans la paranoïa.

Clinique
Hallucinations acousticoverbales sensorielles
Ce sont des voix perçues comme provenant de l’extérieur. Le sujet cherche à en repérer
la source dans l’espace. Elles ont la clarté d’une perception sensorielle.
Ces voix parlent entre elles (alcoolisme) ou s’adressent au sujet (bouffée délirante,
psychose hallucinatoire chronique, schizophrénie). Elles peuvent donner des informa-
tions, proférer des ordres, des menaces, des injures, ou commenter les actes du sujet.

Pseudo-hallucinations ou hallucinations psychiques verbales


Ici, l’hallucination a un caractère plus cognitif que sensoriel, plus proche de la repré-
sentation. Éprouvées comme un phénomène psychique étrange mais réel et imposé, la
pensée et le langage intérieur sont l’objet d’une amplification hallucinatoire, deviennent
« audibles », perçues comme une voix désappropriée, réduites à une mécanique dissociée
du moi.
On peut distinguer :
––des voix perçues comme d’origine interne : « Ça parle en moi. » Elles sont décrites de
différentes manières : voix sans son, voix téléphoniques, impression qu’on parle dans
la tête, impression d’entendre sa propre voix. Elles émettent des ordres intérieurs, des
formulations : c’est l’automatisme idéique ;
––des voix exprimant la pensée du sujet mais perçues comme venant de l’extérieur
(langage intérieur projeté, attribué à une source externe) : « Ça parle de moi hors
de moi. » Ces phénomènes sont traduits par le sujet en termes de divination de la
pensée par l’autre, vol de la pensée, dévoilement ou divulgation de la pensée, écho de
la pensée, énonciation des actes par un autre. Le sujet perd le secret puis la propriété
de sa pensée. À terme, le sujet devine la pensée de l’autre.

612
L’oreille et la psychosomatique

Étiopathogénie
L’altération de la relation avec la réalité objective
L’altération de la relation avec la réalité objective peut avoir plusieurs causes : un déficit
perceptif, une réaction psychique défensive, un processus toxique. Dans tous les cas, le
sujet perd une part de sa capacité réceptive, de sa relation active au monde extérieur,
de l’appropriation et du discernement de celui-ci. Une déconnexion variable et le plus
souvent clivée d’avec la réalité objective s’instaure.
La privation perceptive externe
Lorsque le système perception-conscience est altéré ou diminué, l’activité hallu-
cinatoire apparaît, comme en témoigne les hallucinations hypnagogiques, le rêve, le
somnambulisme, l’hallucinose visuelle ou auditive des sujets déficients visuels ou auditifs,
l’hallucination du membre fantôme.
On a aussi repéré chez certains sujets psychotiques, plus particulièrement dans la
psychose hallucinatoire chronique, une certaine désafférentation auditive périphérique
inaugurale responsable d’une hypoacousie, d’acouphènes, d’hallucinations élémen-
taires, d’hallucinations musicales. De même, le déficit auditif se retrouverait chez 40% de
sujets paraphréniques. Certains auteurs ont considéré comme indispensable de corriger
l’hypoacousie chez ces patients.
Par ailleurs, dans certains cas, rien n’exclut l’existence d’un processus de somatisation
défensif à l’origine de l’altération sensorielle (cf. plus haut le cas Zohra, p. 607).
Pour Henri Ey, l’acouphène est considéré comme une hallucination élémentaire.
Le mécanisme de l’acouphène peut ainsi être étendu aux hallucinations musicales et
acousticoverbales. Les acouphènes initiaux sont enrichis et « habillés » (Hécaen et
Ropert) progressivement. L’habillage progressif, transformant les acouphènes en hallu-
cinose, dépendrait de certains facteurs : augmentation du déficit auditif, âge, isolement,
personnalité, lésions vasculaires centrales, intoxication éthylique.
™™ Flore, 48 ans. Antécédents de périodes d’acouphènes. Il y a deux ans, elle héberge
son beau-père malade. Après s’être fait payer le chauffage central par celui-ci, elle le
renvoie dans ses foyers. Petite phase de culpabilité très vite remplacée par des halluci-
nations auditives : bruits et puis voix dans le chauffage central qui la persécute. Aggra-
vation la veille de ses règles où le chauffage central lui tient un véritable discours. La
phobie d’intrusion de Flore se transforme rapidement, par un mécanisme projectif, en
vécu de persécution, plus particulièrement à l’encontre du mari. Les velléités de castra-
tion à l’encontre de celui-ci, qui n’a plus de relations sexuelles avec elle, sont évidentes.
D’autant plus qu’il ronfle et que le ronflement passe à travers les boules Quiès qu’il aurait
trafiquées. Passage d’un vécu d’intrusion (le beau-père installé chez elle) ou de castration
(privation de sexualité) à des modalités défensives actives (renvoyer le beau-père, castrer
le mari), puis à des mécanismes projectifs (voix dans le radiateur, ronflements traversant
les boules Quiès trafiquées par le mari).
La distorsion de la conscience du réel
Ici, l’altération est d’origine centrale. Les hallucinations auditives ont été décrites dans
le deuil et les phénomènes d’extase religieuse. Nous avons repéré aussi, lors de notre

613
Traité de médecine psychosomatique

étude expérimentale des émotions, que la perception des sons, endogènes ou exogènes,
variait selon le type d’émotion de base.
Chez 80% des sujets schizophrènes, on a mis en évidence un déficit des fonctions
permettant d’appréhender le réel et d’interagir avec lui : perturbation des capacités
attentionnelles, défaut de contextualisation, troubles des fonctions exécutives, troubles
de la mémoire, altération de la représentation de soi et de l’autre.
Par ailleurs, dans bon nombre de pathologies, le facteur traumatique induit une fuite
défensive de la réalité. L’interruption chimiothérapique d’un syndrome hallucinatoire
peut d’ailleurs générer des manifestations dépressives.
Le réinvestissement du soi
La privation sensorielle ou l’altération de la conscience du réel génèrent une libération
compensatrice des productions endogènes psychiques et sensorielles, plus particuliè-
rement les productions congruentes au vécu, à la problématique, au délire (psychoses)
ou au complexe inconscient (conversion, narcolepsie). Des circuits neuroniques latents,
inhibés, préprogrammés, voire nouveaux, viennent se substituer aux circuits centripètes
habituels.
Il existe une proximité entre la pensée et l’hallucination : à l’opposé de la perception
sensorielle objective, pensée et hallucination ne sont pas localisables dans l’espace, elles
sont indépendantes de la configuration du réel, susceptibles de métamorphose, inacces-
sibles aux autres. Les thèmes centraux de la pensée et à plus forte raison du délire, vont
donc jouer un rôle central dans le déterminisme hallucinatoire. Une pensée mégaloma-
niaque ou un thème d’influence induiront, en empruntant différents réseaux neuronaux
sensoriels, des contenus hallucinatoires concordants. Le caractère sensoriel est secon-
daire, afin peut-être de donner une forme à un vécu, forme composite issue de représen-
tations antérieures.
Secondairement, l’information endogène inhérente à l’hallucination inhibera à son
tour l’information perceptive externe.
La perception d’une partie du soi comme étant un autre
La plupart des perceptions hallucinatoires (sons, paroles) sont perçues comme issues
du monde extérieur. Le langage intérieur est attribué à autrui. C’est l’équivalent de la
projection. Erreur de contrôle du langage intérieur : halluciner, c’est s’entendre et croire
que l’autre parle.

Support neurologique
Il existe bien sûr un support neurologique au phénomène hallucinatoire. Il est
complexe, faisant intervenir des structures différentes selon la nature du processus
hallucinatoire : aire auditive primaire impliquée dans les hallucinations élémentaires,
aires auditives associatives dont l’activation génère des hallucinations cognitives à type
de langage intérieur audible, aire de Wernicke qui donne ses différentes significations
(phonologique, sémantique, prosodique) au langage, aire de Broca et cortex préfrontal,
dont l’hypofonctionnement peut attribuer le signal auditif au monde extérieur, cortex
cingulaire qui amplifie la perception endogène, thalamus et hippocampe qui, respecti-
vement, filtrent les perceptions et les articulent avec la mémoire et le vécu émotionnel.
614
L’oreille et la psychosomatique

Acouphène et hallucination
Acouphène Hallucinose musicale Hallucination psychotique
Caractère Rudimentaire Élaboré Élaboré
acoustique

Contenu Absent Réminiscences Traces forcloses


sémantique

Relation avec la - Critique - Surprise puis critique Considérée comme une


perception - Conscience d’un fait patho- - Conscience d’un fait patho- perception objective
logique logique

Attribution - Perçue comme d’origine - Perçue comme d’origine Perçu comme d’origine
de l’origine interne interne externe
- Au début, recherche vaine - Au début, recherche vaine
et écourtée d’une cause et écourtée d’une cause
externe externe

Diagnostic différentiel entre acouphène et hallucination auditive

Il semble exister une continuité dynamique entre les deux phénomènes.


Dans tous les cas, l’altération de la relation avec le monde extérieur, qu’elle soit percep-
tive ou défensive, paraît être le point de départ. L’habillage des acouphènes semble être
l’effet d’un deuxième processus défensif qui dépend de la structure du sujet. Le cas Zohra
en est une démonstration éclatante. Cet habillage est en relation avec un processus de
mentalisation pathologique, variable selon les sujets :
––transformation de l’acouphène en hallucinose musicale chez les sujets dépressifs et
sensitifs, venant réintroduire un passé chaleureux ;
––transformation en productions auditives élaborées dans les hallucinations psycho-
tiques sensorielles ;
––transformation en langage intérieur audible projeté sur le monde extérieur dans les
pseudo-hallucinations.
D’un point de vue psychothérapique, l’élaboration psychique de l’acouphène et de ses
déterminants « habille » celui-là. S’il existe un noyau psychotique, il pourra se muer en
hallucination, nécessitant un traitement psychiatrique. S’il n’existe pas de noyau psycho-
tique, l’élaboration psychique des déterminants de l’acouphène pourra atténuer, si ce
n’est faire disparaître celui-ci.

9. L’ÉQUILIBRE ET LE SYSTÈME VESTIBULAIRE


La régulation de l’équilibre
Dans la régulation de l’équilibre, interviennent :
––le système vestibulaire,
––la vision,
––le système proprioceptif,
––le cervelet, la formation réticulée, le système extrapyramidal.
615
Traité de médecine psychosomatique

Système vestibulaire Conscience du mouvement


du corps

Œil et voies visuelles


Contrôle de l’activité
oculomotrice
Système extrapyramidal
Cortex cérébelleux
Formation réticulée Contrôle de la posture

Système vestibulaire Contrôle du mouvement

Systèmes intervenant dans la régulation de l’équilibre

Canal supérieur

Utricule

Canal
latéral

Saccule
Canal postérieur

Canaux semi-circulaires et organes otolithiques

L’appareil vestibulaire correspond à une partie du labyrinthe membraneux, situé


lui-même dans le labyrinthe osseux (voir schéma « Le labyrinthe osseux », p. 590). Il
est constitué de trois canaux semi-circulaires (horizontal, supérieur, postérieur) et deux
organes otolithiques (utricule et saccule). Ils sont entourés de périlymphe et contiennent
de l’endolymphe. Chaque canal semi-circulaire possède une partie enflée, l’ampoule.
Les canaux semi-circulaires sont connectés à l’utricule, lui-même connecté au saccule.
Le saccule communique avec la cochlée. Chaque canal semi-circulaire est situé dans le
même plan que son homologue controlatéral.
L’ampoule de chaque canal semi-circulaire contient un épithélium sensoriel : la crête
ampullaire, constituée de cellules ciliées. Les mouvements de l’endolymphe produits par
une accélération angulaire de la tête (rotation) entraînent une déflexion des cils. L’incli-
naison des cils dans un sens ou dans l’autre induit une dépolarisation ou une hyperpo-
616
L’oreille et la psychosomatique

larisation de la cellule. Le phénomène induit une variation des décharges dans les fibres
afférentes du nerf vestibulaire.
Dans l’épithélium sensoriel des organes otolithiques (utricule et saccule), la membrane
otolithique est constituée de cellules ciliées englobées dans une masse gélatineuse qui
contient des otolithes composés de cristaux de carbonate de calcium. Ils augmentent
la gravité de la membrane otolithique. De ce fait, la membrane est affectée par les
accélérations linéaires (inclinaisons). Le processus engendre des décharges dans les fibres
afférentes du nerf vestibulaire.
Les fibres du nerf vestibulaire se terminent dans les noyaux vestibulaires à la jonction
bulbopontique. De là, les fibres se dirigent vers les noyaux oculomoteurs, stimulant les
voies optocinétiques afin de maintenir une image visuelle stable sur la rétine lors des
déplacements de la tête.
Les noyaux vestibulaires sont reliés à d’autres structures :
––noyaux vestibulaires controlatéraux,
––thalamus,
––cervelet (équilibre et tonus),
––voies vestibulo-spinales ascendantes (proprioception) et descendantes (contrôle de
l’équilibre postural, statique et dynamique),
––réticulée,
––noyaux végétatifs du tronc cérébral.

Noyaux OM
Motoneurones
oculaires
Cervelet

Noyau
vestibulaire

Coupe du bulbe
rachidien

Ganglion
vestibulaire

Neurone
du ganglion

Nerf
vestibulaire

Moelle épinière
Motoneurones

Les voies vestibulaires ascendantes

617
Traité de médecine psychosomatique

10. LES VERTIGES
Le vrai vertige est une sensation de déplacement de l’environnement autour de soi ou
de déplacement de soi-même dans l’espace.
L’investigation médicale doit être rigoureuse. La première étape réside dans un interro-
gatoire minutieux qui permettra de différencier le vrai vertige des sensations dites « verti-
gineuses ». La principale difficulté clinique réside effectivement dans le fait qu’un nombre
conséquent de troubles de l’équilibre sont improprement appelés vertiges, aussi bien par
le patient et son entourage que par le médecin, alors qu’ils n’en sont pas.
L’interrogatoire permettra d’évaluer :
––la durée des crises, leur récurrence, les périodes avec et sans troubles, et bien sûr, en
ce qui nous concerne, leur lien anamnestique avec les facteurs traumatiques ;
––l’existence de signes associés : nystagmus, acouphènes, hypoacousie, troubles ophtal-
mologiques, nausées, vomissements, céphalées. Les vertiges associés à une pathologie
auditive semblent de toute évidence être liés à la proximité anatomique de la cochlée
et des structures vestibulaires, ainsi que des fibres auditives et des fibres vestibulaires.
Un examen clinique minutieux comportera la recherche de signes ORL, ophtalmolo-
giques, neurologiques. Le recours à des investigations spécialisées est, en règle générale,
nécessaire : manœuvres ORL, IRM, scanner.
Les causes des vrais vertiges sont assez bien catégorisées. On peut distinguer les causes
labyrinthiques, les causes cérébrales, et des causes liées à d’autres facteurs plus spéci-
fiques.

Causes labyrinthiques
Le nystagmus peut être le signe d’une atteinte vestibulaire.
Vertiges positionnels de courte durée
Vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB)
Il est très fréquent (un tiers des vertiges), surtout chez la femme. C’est un vertige
rotatoire très intense, de durée très brève (moins de 30 secondes). Il surgit à la fin du
mouvement (changement de position, lever, coucher, rotation rapide de la tête), parfois
après un bref temps de latence. Le nystagmus apparaît après un temps de latence, le plus
souvent horizonto-rotatoire, paroxystique et épuisable après quelques secondes. Il n’y a
pas d’autre symptôme associé. La cause la plus fréquente est la cupulolithiase ou canalo-
lithiase. Le traitement consiste en des manœuvres libératoires qui mobilisent les débris
otolithiques et les dispersent.
Autres vertiges positionnels
Ils surviennent au cours et non au décours du mouvement. Ils induisent une limita-
tion réflexe des mouvements du cou ainsi que des myalgies de tension. Ils sont en règle
générale liés à une atteinte vestibulaire chronique, plus rarement à une fistule périlym-
phatique ou un cholestéatome.

618
L’oreille et la psychosomatique

Crises vertigineuses récurrentes


Maladie de Ménière
La crise vertigineuse dure de quelques minutes à 48 h. Elle associe des vertiges
rotatoires, une hypoacousie avec sensation de plénitude auriculaire, des acouphènes
fluctuants unilatéraux, des signes neurovégétatifs (nausées, vomissements, pâleur,
sueur). Au cours de l’évolution, des lésions du labyrinthe peuvent apparaître : surdité
de perception progressive prédominant sur les fréquences graves, vertiges positionnels
chroniques, troubles de l’équilibre permanents. La pathologie est liée à une hyperpres-
sion, une dilatation ou une distension du labyrinthe membraneux (hydrops). Le traite-
ment est en premier lieu médicamenteux. En cas d’échec, des interventions locales sont
proposées : décompression du sac endolymphatique, injection d’aminasides, neurecto-
mie, labyrinthectomie.
™™ Rosanne, 65 ans, présente depuis quatre ans des vertiges de Ménière. « Ça tourne
toujours de droite à gauche. » Ils s’accompagnent de surdité. Ils ont débuté quand son
mari, dont elle était séparée, est revenu s’installer chez elle. « J’ai peu de place chez moi, il
me bouffe mon espace. Je suis un peu à son service. » Par ailleurs, depuis la même période,
son travail de directrice d’établissement est devenu chaotique, elle doit répondre à des
sollicitations multiples, insensées et contradictoires. Rosanne s’était habituée à vivre
seule. Les sollicitations et demandes des autres jouent un rôle central dans le déclen-
chement des troubles. « Les gens me font peur, m’encombrent, me foutent le tournis, je
ne suis jamais en paix. J’ai toujours eu du mal à prendre ma place, à faire respecter mon
espace. À partir d’un certain seuil, je n’ai plus envie de répondre, la parole se bloque. » Elle
présente des symptômes dépressifs. Les vertiges disparaîtront en quatre séances.
™™ Martial. Deuxième partie : les vertiges.
Martial, avocat, cité plus haut (p. 607), présentait donc des acouphènes depuis dix
ans, acouphènes auxquels il s’était habitué. Il était divorcé et, depuis sept ans, il avait
une nouvelle compagne. Mais celle-ci, souffrant de troubles bipolaires, fit une dépression
pendant trois ans. Comme à l’accoutumée, il veillera autant que se peut sur sa santé. Il y
a quatre ans, il réalisa un rêve : retrouver un lien solide avec ses trois enfants, mis à mal
par le divorce. Il les invita le soir de Noël. Crise de vertige brutale, chute, vomissements.
Une semaine après, la nuit de la Saint-Sylvestre, repas en amoureux avec sa compagne :
deuxième crise. Puis rechutes itératives, jusqu’à ce que sa compagne retombe malade. Les
vertiges disparaissent alors : il se consacre à elle. Lorsqu’elle va mieux, il rechute. C’était
il y a un an. À la même période, un conflit s’installe avec un associé, conflit qui perdure
encore. Il doit arrêter le travail. Il s’interdit tout projet, menacé par d’éventuelles crises.
Martial est tendu et dépressif.
L’idéal du moi est central chez Martial. Il veut le bien de tout le monde, il a un idéal
professionnel. Les parents de Martial ne s’entendaient pas. Il essayait de les réconcilier. Il
a toujours eu horreur des conflits. « J’ai souvent subi les choses pour éviter les conflits. »
Les médecins ORL ont diagnostiqué une authentique maladie de Ménière : le sac
endolymphatique est sous pression. Récemment, il a fait une crise particulièrement
intense au retour de sa consultation au CHU où on lui a dit que la seule solution était de
détruire le tissu de l’oreille interne par des injections d’aminasides.
619
Traité de médecine psychosomatique

À partir de la septième séance, il signale une disparition des crises. Il a retrouvé un élan
vital, des désirs, un besoin de s’évader de sa vie routinière et de son périmètre restreint.
Mais il a rendez-vous pour l’injection. Je ne le reverrai plus.
J’ai recueilli six observations de vertiges de Ménière. On repère chez tous les patients :
––un déclenchement et un entretien de la pathologie par des facteurs traumatiques
similaires : exacerbation de situations conflictuelles, situations de contrainte, d’emprise
ou de sollicitations excessives ;
––le vécu du sujet est plutôt celui d’une résignation, d’un évitement du conflit. Les
velléités aussitôt réprimées de se soustraire à l’emprise ou aux attaques de l’autre
aboutissent à terme à un renoncement ;
––la rumination sur les difficultés est constante, stoppée par la crise ;
––les éléments dépressifs sont constants.
Pathologie otologique chronique
Plus rarement, les crises vertigineuses récurrentes sont liées à d’autres causes : cophose,
otospongiose, neurinome du VIII (tumeur bénigne de la gaine du nerf). Ces pathologies
s’accompagnent de signes otologiques chroniques.
Grand vertige unique durant plus de 12 h
C’est un vertige rotatoire intense avec station debout impossible, aggravation par les
mouvements de la tête, vomissements, anxiété intense.
Névrite vestibulaire
Crise vertigineuse avec nausées et vomissements. Durée : 3 à 7 jours. Instabilité au
décours, puis compensation vestibulaire. Absence de signe auditif ou neurologique.
Origine virale (zona, etc.) ou ischémique.
Labyrinthite infectieuse
Consécutive à une otite chronique (otorrhée, otalgie), une otite moyenne, un choles-
téatome.
Causes cérébrales
Pathologie vasculaire
Accident vasculaire ischémique dans le territoire vertébro-basilaire, accidents
aéro-emboliques (plongée sous-marine), hémorragie sous-durale, infarctus cérébelleux
isolé (signes identiques à la névrite vestibulaire), syndrome de Wallenberg (paralysie du
voile du palais, syndrome cérébelleux unilatéral), syndrome de Claude Bernard-Horner,
syndrome sensitif thermoalgique controlatéral).
™™ Yvette, 70 ans, a présenté un déséquilibre soudain suivi de paresthésies orales. Des
vertiges positionnels avaient précédé l’incident quelques jours avant. Le bilan révélera un
accident ischémique.
Équivalents migraineux
Le vertige peut constituer l’aura d’une vraie migraine, la céphalée apparaissant au
décours. Dans d’autres cas, il constitue un équivalent migraineux, la céphalée étant alors
absente. C’est le cas du vertige récurrent bénin, ou vestibulopathie récurrente, pouvant
se rencontrer chez l’enfant ou l’adolescent.
620
L’oreille et la psychosomatique

™™ Stéphie, 14 ans, présente des migraines précédées de vertiges et de vision trouble.


Elles durent trois jours, surviennent une fois par mois, nécessitant l’alitement hors du
bruit et de la lumière. Elles sont plus fréquentes durant l’année scolaire. Stéphie n’a pas
encore ses règles. Elle est timide, très soucieuse, s’imposant des contraintes excessives,
n’exprimant jamais d’agressivité. Ses parents se sont séparés il y a quatre ans. Elle a alors
développé un eczéma transitoire à l’oreille gauche qui disparaissait quand elle allait chez
son père. Les crises migraineuses sont apparues lorsque sa mère a développé un cancer
du sein un an après la séparation.
Traumatisme crânien
Fracture du rocher (signes otologiques), commotion labyrinthique, syndrome
postcommotionnel durable (syndrome subjectif des traumatisés du crâne).
™™ Anne-Marie a présenté dans les suites d’un traumatisme crânien temporal gauche,
sans fracture mais avec perte de connaissance, un syndrome vertigineux pendant quatre
mois.
Autres pathologies neurologiques
Ce sont essentiellement les tumeurs cérébrales de la fosse postérieure (cervelet, tronc
cérébral), la sclérose en plaques dans laquelle le vertige peut être un signe inaugural, et
l’épilepsie dans laquelle le vertige est accompagné de mouvements tonico-cloniques.

Autres causes
Elles ne doivent pas être négligées car elles sont assez fréquentes. Ce sont les causes
toxiques ou médicamenteuses (acide acétylsalicylique, caféine, alcool, nicotine,
psychotropes, etc.), les troubles visuels (diplopie, troubles de la convergence), et bien
entendu la cinétose, c’est-à-dire le classique mal des transports (voiture, bateau, etc.)
dont le diagnostic ne pose aucun problème.
™™ Blaise, cité p. 606, présente des acouphènes depuis onze ans. Depuis un an et demi,
un cumul de facteurs traumatiques a généré des accès vertigineux dans un contexte de
dépression d’épuisement : divorce difficile, tension et insatisfaction professionnelle, décès
d’une sœur, maladie d’un frère. Il existe une composante optocinétique manifeste : s’il
tourne la tête vers la gauche, l’image suit à retardement. Un problème de convergence-di-
vergence paraît expliquer les manifestations.
Quant aux causes d’origine cervicale, bien que contestées, elles s’accompagnent de
signes associés variables : céphalées cervico-occipitales, vertige déclenché par l’extension
du cou, acouphènes, brouillard visuel, paresthésie pharyngée, paresthésie des membres
supérieurs.

11. LES SENSATIONS PSEUDOVERTIGINEUSES


Ce sont des sensations de déséquilibre, de rotation, d’instabilité, de bascule, de dévia-
tion, d’ivresse, de balancement, de chute imminente. Elles ne donnent pas une sensa-
tion de déplacement de l’environnement. Elles apparaissent à la marche ou en situation
debout, et cessent dès que l’on prend appui, ainsi qu’en position assise ou couchée.
621
Traité de médecine psychosomatique

Dans d’autres cas, ce sont des sensations beaucoup plus subjectives : sensation de
flottement, de faiblesse, crainte de perdre connaissance, sentiment de désorientation ou
de confusion, impression de détachement, de déréalisation ou de dépersonnalisation.
Les causes sont multiples et très variables d’un sujet à l’autre. Elles peuvent être liées
à des maladies somatiques générales, à des toxiques ou à des médicaments, à des états
de fatigue (lipothymie, hypotension orthostatique). Elles peuvent aussi constituer des
équivalents migraineux. Dans d’autres cas, elles ne surgissent que lors de situations
précises. C’est le cas des sensations induites par la phobie de chute, l’agoraphobie ou
l’acrophobie, ou vertige des hauteurs, dans laquelle semblent coexister un conflit entre les
informations visuelles et labyrinthiques et une phobie d’impulsion.
™™ Rita, 50 ans, présente, depuis une fracture bi-malléolaire survenue il y a cinq ans,
une agoraphobie, une phobie sociale, une tension interne majeure. Dans la rue, elle
éprouve le besoin de s’accrocher à quelque chose ou à quelqu’un. Sa marche est précau-
tionneuse, raide, et il lui est arrivé quelquefois de chuter. Au moindre déséquilibre, elle
ne bouge plus.
Mais la cause la plus souvent retrouvée est la pathologie anxieuse, plus particulière-
ment dans sa forme dite « spasmophilique », qui regroupe des sensations très variables :
impression de tête vide, de brouillard devant les yeux, de flottement, de marcher dans du
coton, de chute imminente.
™™ Geneviève, 46 ans, présente des sensations vertigineuses contemporaines de
périodes d’anxiété. Ce sont des sensations d’ébriété dans la rue, dans les magasins. Elles
s’accentuent en fin de matinée, au travail, et s’exacerbent en fin d’année scolaire avant les
vacances.

Étude personnelle
23 observations. Âge moyen : 43 ans. Extrêmes : 20, 77.
Le patient décrit en termes de « vertiges » des sensations vertigineuses de durée
variable, rarement rotatoires, ou bien des symptômes pseudo-ataxiques.
L’anxiété y est constante, centrale, manifeste chez tous les patients, souvent clairement
exprimée. Elle est sous-tendue par une tension interne et une répression émotionnelle
centrales.
Elle se manifeste par des signes somatiques souvent intriqués aux sensations vertigi-
neuses :
––manifestations somatiques neuromusculaires de type spasmophilique, variables d’un
sujet à l’autre : tremblements, sensation d’électrisation, de vibration, de flottement ;
––oppression, striction thoracique ;
––tachycardie, palpitations, bouffées de chaleur ;
––spasmodicité digestive ;
––troubles du sommeil ;
––céphalées ;
––chez quelques sujets : troubles visuels (vision floue), cervicalgies.
La réaction anxieuse apparaît chez de nombreux sujets :
622
L’oreille et la psychosomatique

––soit sous forme brute : trouble panique accompagné de sensations vertigineuses,


trouble anxiété généralisée accompagné de sensation d’instabilité, de détachement, de
déconnexion ;
––soit sous forme plus organisée : agoraphobie, hypocondrie, claustrophobie, inhibi-
tion névrotique.
Chez la moitié des sujets, existent des éléments dépressifs nets. Certains d’entre eux
présentent des troubles cognitifs à type de troubles de la mémoire, de la concentration,
sensation de tête vide.
Les déterminants traumatiques sont polyfactoriels : tension dans la vie professionnelle,
déboires dans les autres secteurs.

12. LES ATAXIES
Une ataxie est une perturbation de l’équilibre et de la coordination motrice. On
distingue quatre types d’ataxie.
Ataxie vestibulaire
L’ataxie statique génère une tendance à la chute latéralisée, aggravée par la fermeture
des yeux (signe de Romberg). Les signes disparaissent en position assise ou couchée. Le
test de la fermeture des yeux génère une déviation des index. L’ataxie locomotrice induit
une déviation latérale de la marche, dont la correction peut donner une marche feston-
nante. Des vertiges rotatoires, voire un défaut de stabilisation de l’environnement visuel,
peuvent être associés. Il s’agit en fait d’un authentique symptôme vestibulaire correspon-
dant à une atteinte des noyaux et du nerf vestibulaires.
Ataxie cérébelleuse
L’ataxie statique induit un élargissement du polygone de sustentation, des oscillations
autour de la position d’équilibre. Elle n’est pas majorée par la fermeture des yeux. L’ataxie
locomotrice induit une marche ébrieuse, avec élargissement du polygone. Elle est due à
des lésions neurologiques.
Ataxie proprioceptive
Ataxie statique : mauvaise perception du sol, chute brutale lors de la fermeture des
yeux. Ataxie locomotrice : démarche talonnante (pose le pied par le talon), aggravée par
la fermeture des yeux. Ataxie cinétique : dysmétrie (mauvaise direction du geste), aggra-
vée par la fermeture des yeux.
Ataxie frontale
Ataxie statique : tendance à la chute en arrière (rétropulsion), aggravée par la ferme-
ture des yeux. Ataxie locomotrice : marche hésitante, incoordonnée, pieds collés au sol
comme dans un marécage. La marche peut être améliorée par le simple accompagnement
sans soutien. Au maximum, astasie abasie : incapacité à se tenir debout ou à marcher.
™™ Jack, 50 ans, déjà cité p. 435, présente des troubles de l’équilibre atypiques qualifiés
de « vertiges », d’apparition brutale dans des circonstances spécifiques et stéréotypées.
En fait, il ne s’agit pas de vertiges mais d’une astasie abasie de type frontal. Les troubles
n’apparaissent qu’à la station debout ou à la marche. Le déséquilibre est soudain, précédé
parfois d’une sensation d’attraction du rachis vers l’arrière, se déplaçant de bas en haut,
623
Traité de médecine psychosomatique

n’excédant pas quelques dixièmes de seconde, suivie le plus souvent d’une rétropulsion
brutale. Il doit élargir son polygone de sustentation pour éviter la chute ou prendre appui.
Cela se produit uniquement en présence d’une personne adulte ou d’un groupe, situés
dans un rayon de quelques mètres autour de lui, si on le regarde ou si on lui parle, ainsi
que lors de situations anxiogènes, par exemple lorsqu’il est question de lui dans une
discussion, lorsqu’on évoque un sujet qui l’inquiète ou un souvenir traumatique de son
enfance. Les phénomènes s’aggravent s’il y a un mur derrière lui, ainsi que les yeux fermés.
Et de manière générale dans toute situation source de tension dans laquelle la fuite est
impossible. Les troubles disparaissent lorsqu’il est seul avec sa femme, sauf si celle-ci le
réprimande, évoque un sujet anxiogène, ou bien si elle lui fait remarquer qu’il n’a pas
de symptôme. Elle parvient à stopper son déséquilibrer en criant : « Stop ! » Les troubles
disparaissent aussi s’il détourne le regard, s’il se met sur une seule jambe, s’il est tout seul,
s’il exprime son agressivité (le simple fait de serrer les poings), s’il a des douleurs passa-
gères, lorsqu’il prend un cours de piano, et lors de tout voyage à l’étranger (les troubles
resurgissent alors dès le retour à l’aéroport).
Les symptômes ont débuté il y a sept ans, lorsque son épouse a dû s’absenter du fait
d’une mutation professionnelle. Il est totalement dépendant d’elle. « Je suis comme un
petit chien perdu sans son maître. » Jack a rencontré son épouse à l’âge de 39 ans, c’était
sa première relation avec une femme. Celle-ci, bien que beaucoup plus jeune que lui,
deviendra très rapidement une mère de substitution. C’est ainsi que se retrouvera réactivé
un mode relationnel infantile particulièrement douloureux. Car la mère de Jack, contrai-
rement à son épouse qui est une femme attentionnée et aimante, était particulièrement
monstrueuse à son égard. Le rejet de son enfant était total, elle le traitait de tous les
noms d’oiseaux, le ridiculisait devant les autres, l’oubliait dans les magasins, etc. Jack était
à la fois en attente d’amour et tremblait de peur devant elle. À partir de son entrée en
pension à 10 ans, il ne la reverra plus. C’est à partir de ce moment-là qu’il essuiera l’agres-
sivité des autres, se recroquevillant autant que se peut, fuyant le groupe, puis la société.

13. TROUBLES DE L’ÉQUILIBRE ET CONVERSION


La conversion peut induire toute forme de troubles de l’équilibre : vrais vertiges, sensa-
tions pseudovertigineuses, ataxie (plus particulièrement frontale, pouvant induire astasie
abasie).
™™ Les crises de Dorothée, 32 ans, ont débuté lorsqu’elle abandonna ses études de
médecine pour travailler dans l’agence de voyage de son futur mari. Le couple, matérielle-
ment très à l’aise, mène la grande vie. Malgré cela, les crises se rapprochent et s’accentuent :
vertiges, sensation de plénitude de l’oreille, nausées, vomissements, s’accompagnant
parfois de troubles phasiques. Elles durent plusieurs jours, parfois deux à trois semaines.
Puis tout rentre dans l’ordre jusqu’à la prochaine. Elle présente aussi des céphalées qui ne
sont pas forcément concomitantes des crises vertigineuses. Elle a aussi des antécédents
de pertes de connaissance.
Hospitalisations successives. Diagnostic de maladie de Ménière. Tous les traitements
s’avèrent inefficaces. Un chef de service ORL décide de pratiquer une neurotomie vesti-
bulaire. Un an après, son état est inchangé. Le chef de service, consulté à nouveau, lui dit
624
L’oreille et la psychosomatique

que, maintenant, ce n’est plus un syndrome de Ménière, que l’opération a réussi, que c’est
une maladie orpheline et que ce n’est plus de son ressort.
L’anamnèse du déclenchement des crises révèle des situations dans lesquelles elle est
démunie ou épuisée : son bébé qui ne dort pas, des conflits avec son conjoint dans lesquels
elle se sent désarmée, ne sait que répondre, mais aussi mal-être à la veille de chaque
départ en voyage avec celui-ci. Passage orchestré d’une pathologie conversionnelle à une
pathologie lésionnelle.
™™ Clémence, 33 ans, se plaint de vertiges diurnes, aggravés en s’allongeant, parfois
de vertiges nocturnes avec vomissements ayant débuté après sa deuxième grossesse. Elle
allègue aussi des troubles lacunaires de la mémoire, des moments d’absence.
Son père l’a toujours élevée comme un garçon. Un jour, à 9 ans, revenant de la piscine,
elle prit une rouste de sa part car elle était arrivée en retard au moment du repas. Dans
la nuit qui suivit, elle rêva qu’elle plongeait dans la piscine, tomba de son lit et se fit une
fracture du rocher.
Elle était très soumise à ce père qui ne lui laissait rien passer. À l’adolescence, lorsqu’elle
rentrait tard, il la réveillait en lui hurlant dans les oreilles. Il ne supportait pas qu’elle
ait des copains et voulait qu’elle soit première de la classe. Elle avait des hallucinations
hypnagogiques : elle voyait des serpents dans son lit. Les hallucinations hypnagogiques
disparurent lorsqu’elle partit de chez ses parents et resurgirent après une opération de la
rotule, puis après son mariage. Elle aura deux enfants, nés chacun le jour de l’anniversaire
de son père.
Elle accepte la psychothérapie mais en face à face uniquement car elle a peur d’entendre
sans regarder et ne supporte pas d’avoir quelqu’un dans son dos.
Depuis un petit accident de voiture où elle a heurté un rocher, elle fait des malaises
avec perte de connaissance. Ses rêves sont éloquents : elle perd ses dents… elle est empri-
sonnée pendant la guerre des Camisards (la mère est protestante, le père catholique). On
la jette à terre. Elle saigne des oreilles… Un homme grand et maigre (comme le père) lui
offre un soutien-gorge bleu.

14. VERTIGES ET ANXIÉTÉ
L’angoisse est inductrice de déséquilibre moteur ou tout au moins de sensation de
déséquilibre moteur. Comme nous l’avons vu au travers de nombreuses observations
présentées, elle peut induire aussi bien de vrais vertiges que des sensations vertigi-
neuses, voire certaines ataxies, et bien sûr des phénomènes de conversion. Lors de l’étude
des émotions, nous avons montré que des manifestations qualifiées de vertigineuses
apparaissent dans la répression de la colère, de la peur, de la tristesse et du dégoût. L’anxiété
génère une sensibilisation accrue du système vestibulaire. Mais les effets propriocep-
tifs de l’angoisse jouent probablement un rôle tout aussi important. Les vertiges et les
sensations de déséquilibre induisent à leur tour l’angoisse, par la perte de contrôle et le
manque d’assurance qu’ils génèrent.

Le conflit perceptif
Si l’angoisse génère une sensibilité accrue du système vestibulaire (décharges neuro-
nales), l’hyperventilation qu’elle induit peut aussi générer des sensations vertigineuses,
625
Traité de médecine psychosomatique

indépendamment d’une stimulation du système vestibulaire. En retour, elle peut être


déclenchée par des conflits perceptifs : conflit entre le fonctionnement vestibulaire et
d’autres informations sensorielles présidant à la perception de l’espace et du schéma
corporel.
La sensation vertigineuse peut être considérée comme résultant d’une représentation
incohérente de l’espace, dans laquelle le sujet ne sait pas situer son propre corps. Il y
aurait un dysfonctionnement spécifique du traitement de l’espace en relation avec les
différents types de signaux sensoriels, parfois contradictoires, que le cerveau doit traiter.
Dans l’agoraphobie, par exemple, il y aurait un conflit entre les informations visuelles
et les informations vestibulaires et proprioceptives. Ce type de conflit sensoriel a été
provoqué expérimentalement chez la souris. L’espace ouvert plus que l’altitude serait
responsable des réactions de peur de l’animal. Chez les patients agoraphobes, il y aurait
une focalisation sur les informations visuelles, celles-ci étant inhabituelles et confuses :
distances visuelles trop longues, indices visuels nécessaires à l’orientation spatiale confus.

Le point de vue neuromusculaire : l’asymétrie myotensive


C’est à partir de la clinique et de la constatation que les techniques de relaxation, plus
particulièrement le training autogène, apportent un apaisement sur les vertiges, que j’ai
avancé une autre cause potentielle de sensation vertigineuse ou de déséquilibre : l’asymé-
trie myotensive. Elle n’exclut en rien les précédentes causes mais leur accorde une place
plus relative d’un point de vue étiologique. Les différentes causes peuvent se combiner
par ailleurs chez certains patients.
Selon mon hypothèse, l’asymétrie myotensive trouverait son origine dans des tensions
musculaires asymétriques, plus particulièrement au niveau de la musculature axiale,
générant ainsi de micro-impulsions motrices responsables de la sensation d’instabilité.
Par ailleurs, les informations qu’elles suscitent entrent en conflit au niveau central avec les
autres informations sensitives et sensorielles.

15. CONCLUSION
La pathologie auditive et vestibulaire peut être en relation avec des lésions qui, pour
une part, sont susceptibles d’être traitées avec succès par les différents moyens médicaux.
Les observations que nous avons présentées sont celles dans lesquelles ces moyens de
traitement classiques se sont avérés inopérants. L’investigation révèle alors, à chaque fois,
des facteurs traumatiques co-inducteurs.
Ceux-ci comportent le plus souvent un caractère commun : la surcharge, l’excès de
sollicitation, la pression de l’environnement, la conflictualité qui dépasse les possibilités
adaptatives et l’ensemble des mécanismes de défense. Porte d’entrée primitive des stimuli
extérieurs, le système auditif ferme la porte des entrées et devient déficitaire. La percep-
tion auditive du monde extérieur diminue et, pour compenser cette carence d’informa-
tion du cerveau, des phénomènes de distorsion ou de néoperception s’installent. Dans
d’autres cas, c’est l’isolement, la perte réelle des informations extérieures qui induira ces
phénomènes.

626
L’oreille et la psychosomatique

La proximité du système auditif et du système vestibulaire nous incite à penser que,


lorsque le premier ne suffit pas à maintenir à distance l’intrusion traumatique, le second
est ébranlé.
Pour répondre aux changements de l’environnement, les animaux doivent coordonner
et orienter leurs mouvements en fonction des stimuli extérieurs. La coordination efficace
des mouvements et de la locomotion dépend des informations reçues par le système
nerveux central, informations sensorielles et somesthésiques (tension des muscles,
position des organes en mouvement, etc.). Ces informations permettent à l’individu de
s’adapter aux changements causés par des agents externes ou par ses propres mouve-
ments. La réaction de sursaut chez l’animal ou l’être humain illustre bien la proximité à
la fois anatomofonctionnelle et défensive des systèmes auditifs et vestibulaires : un bruit
soudain et intense induit une réaction réflexe de sursaut, esquisse de réaction motrice
adaptative défensive. Lorsque les facteurs traumatiques dépassent le système adaptatif,
l’emballement désorganisé du système auditif génère par contiguïté l’emballement déses-
péré du système vestibulaire, tout comme une douleur dentaire génère des céphalées.

627
Quatrième partie

LES PATIENTS
Chapitre 22

LES REPRÉSENTATIONS DE LA MALADIE


Les représentations de la maladie chez le sujet qui en souffre sont le produit de plusieurs
imaginaires : le sien, celui de ses proches, celui de la structure sociale dans laquelle il vit,
et celui des soignants.
Au sein de la relation de soins, ces représentations se condensent et se répartissent en
deux camps plus ou moins proches, objets de rencontre, d’alliance ou d’affrontement,
celui du patient et celui du soignant. Ces représentations peuvent être conscientes,
préconscientes, inconscientes, mais toujours héritières de l’histoire des sujets.

1. L’IMAGINAIRE DU PATIENT
1-1. L’image du corps
Nous devons le concept d’image du corps à Paul Schilder : « L’image du corps humain,
c’est l’image de notre propre corps que nous nous formons dans l’esprit, autrement dit la
façon dont notre corps nous apparaît à nous-mêmes. » (L’image du corps.)
L’image consciente du corps est la résultante de plusieurs données : sensations
endogènes, perceptions sensorielles, schéma corporel, relation que le sujet entretien avec
son corps, investissement ou désinvestissement érogène de certaines zones corporelles,
pulsionnalité, narcissisme, image renvoyée par le miroir, le regard ou les paroles des autres,
empreintes traumatiques, et surtout représentations inconscientes.
L’image du corps influe à son tour sur le tonus postural, la motricité, le fonctionne-
ment du système neurovégétatif et neuroendocrinien, la représentation de soi, la manière
d’être au monde et d’entrer en relation.
La construction de l’image du corps procède par étapes successives : relations précoces,
identifications primaires et secondaires, désordres identitaires, image renvoyée par les
autres, perceptions sensorielles et somesthésiques, érogénéité, expériences sexuelles,
déficiences somatiques, maladies, etc.

Les premières représentations


Chez le tout petit enfant, l’enracinement corporel de l’attachement, de la protec-
tion, du réconfort, du soutien, du soin, joue un rôle déterminant dans la construction
de l’image du corps : rythmes alimentaires, nycthéméraux, perceptions endogènes et
exogènes, agréables ou désagréables, sensations lors du contact avec la mère, réponses
motrices verbales, affectives, de celle-ci.
L’identité sexuelle imaginaire, déjà préprogrammée lors de la relation intersubjective
primitive, prend une forme déterminante lors de la confrontation à la différence sexuelle
et à l’image de la castration. L’équation ou l’inadéquation entre identité sexuelle réelle
et identité sexuelle imaginaire vont jouer un rôle déterminant dans la construction de
l’image du corps. L’introjection de l’appartenance à un sexe bien défini, dans tout ce qu’il
631
Traité de médecine psychosomatique

a de spécifique et de ressources potentielles, suivie des identifications secondaires qui


en résultent, constitue une étape cruciale dans le développement de l’image du corps
et de l’image de soi. La clinique nous confirme quotidiennement le pouvoir pathogène
des représentations discordantes ou confuses dans lesquelles la spécificité de chaque
sexe est niée ou déniée. Elle ouvre systématiquement la porte à la pathologie : patholo-
gie identitaire, pathologie névrotique, pathologie perverse, pathologie sexuelle, troubles
des conduites alimentaires, somatisations. L’acceptation, la reconnaissance et la valori-
sation par l’adulte de l’identité sexuelle de l’enfant est une condition nécessaire à l’adé-
quation entre le sexe réel et le sexe imaginaire, seule issue trophique pour le devenir de
celui-ci. C’est exactement l’inverse que propose la nouvelle fantaisie idéologique dite « du
genre », revendiquée par d’authentiques irresponsables ou de redoutables pervers, mise
en pratique dès la crèche, enseignée dans les collèges et les lycées, en passe d’instau-
rer chez l’enfant des désordres et une souffrance majeurs dont l’étendue est, à ce jour,
insoupçonnée.
La représentation cloacale de la région pelvienne, fréquente chez la petite fille, demeure
souvent enracinée au sein de l’image inconsciente du corps.
™™ Maxence, 58 ans, obsessionnel au surmoi tyrannique, attribue son cancer de la
prostate, opéré il y a six mois, à un châtiment de ses pulsions sexuelles trop intenses à
son goût. Avant sa maladie, il priait pour que cette excitation diminue. Il pense avoir
été exhaussé partiellement. Il décrit les nouvelles sensations induites par l’opération en
termes de creux pelvien, de « cacahuète vide », terme condensant les représentations
anales et phalliques de la castration.
™™ Coralie, 45 ans, allègue des « gonflements de la région pelvienne » qu’elle attribue
à de « mauvaises piqûres d‘acupuncture » effectuées il y a sept ans. Ce qu’elle qualifie
de « gonflement » est en fait un météorisme abdominal induit par une colopathie ainsi
qu’une tendance à la stase veineuse, survenus dans les suites d’une hystéro-ovariectomie.

Le regard des autres


Il y a le regard des proches, des parents, de la famille. Le corps de l’enfant peut être
surinvesti, idolâtré, fétichisé. Il peut être l’objet de projection des angoisses familiales. Il
peut aussi être oublié, délaissé, rejeté, dénigré, maltraité, utilisé.
Il y a aussi le regard des pairs lorsque débute la socialisation, de plus en plus précoce
au sein de l’école.
L’école est une grande pourvoyeuse de blessures narcissiques. La disgrâce physique ne
passe pas et en appelle aux railleries, moqueries, au rejet et aux agressions. La cohésion
et la force du groupe se nourrissent de la faiblesse de l’individu isolé, bouc émissaire. Les
mécanismes de défense contre une imperfection, un déficit ou une disgrâce corporelle
sont variables et souvent associés, fortement dépendants des expériences relationnelles.
Toute disgrâce, toute anomalie, est l’objet d’interprétation par le sujet qui en est porteur.
À qui la faute ? À moi ? Aux autres ? La haine de soi-même peut être une modalité évolu-
tive. Le sujet se replie sur lui-même, soit en dissimulant sa disgrâce – ce qui va constituer
la matrice de comportements réflexes –, soit en s’enfermant dans son monde. Le vécu
douloureux peut, dans le meilleur des cas, ouvrir la voie aux sublimations.
632
Les représentations de la maladie

Au sein de la famille, la disgrâce est l’objet d’attention, de soins, d’aide à l’accepta-


tion, de consolation, mais aussi parfois d’incompréhension ou d’agacement devant les
réactions obsédantes du sujet. Famille en demande d’aide qui ne reçoit souvent de la
part de professionnels autorisés que des réponses péremptoires, stéréotypées et parfois
pathogènes.

L’adolescence
Moment charnière où le corps se transforme, premières expériences sexuelles, jeu
des identifications en miroir, dissimulation, camouflage ou exhibition, manipulation ou
attaque du corps, besoin de se distinguer par le corps ou au contraire de se fondre dans
l’indistinction des modèles sociétaux.
Les désordres narcissiques en relation avec une image du corps jugée inacceptable
sont nettement prévalents chez la femme, et en relation directe avec l’évolution sociétale
de ces cinquante dernières années qui instaure le primat de l’identification masculine.

L’adulte
Sur ce socle de base, l’image que les autres nous renvoient par leurs regards, par leurs
propos, par leurs réactions, les événements de vie qui restaurent ou altèrent le narcis-
sisme, les sensations qui varient selon l’état physiologique et les activités, opèrent des
distorsions inductrices de l’instabilité de l’image du corps. Mais ces fluctuations sont le
plus souvent labiles, parce que régulées et tamponnées par les représentations précon-
scientes et inconscientes et le système défensif déjà constitués.
Témoins les représentations inconscientes des anorexiques sur lesquelles se calquent
leurs représentations conscientes. Témoins aussi les rêves que l’on rencontre chez les
sujets obèses : chez certains d’entre eux, même après l’amaigrissement, la représentation
inconsciente du corps met beaucoup de temps à changer, alors que chez d’autres, le corps
apparaît, dans les rêves, tel qu’il était avant la prise de poids.
™™ Cora a aujourd’hui 34 ans, porte un anneau gastrique depuis trois ans, et pèse
toujours 96 kg. Sa problématique profonde est inchangée : tous ses rêves attestent d’une
angoisse de castration persistante, et très souvent elle s’y voit mince comme à 20 ans.
Avec le temps, le corps se modifie, et personne n’y pourra rien changer. Le vieillisse-
ment entraîne avec lui l’altération du corps et de son image. Mais l’image du corps résiste
longtemps au changement, ce qui confirme encore la préséance des représentations sur
les perceptions.

1-2. Les traces mnésiques de la maladie


Les désagréments corporels que peut ressentir l’enfant, les premières maladies, les
petits accidents, les paroles parentales qui médiatisent le ressenti, la réassurance et les
soins nécessaires, vécus parfois comme une agression, constituent les premiers matériaux
d’une mise en mémoire effective des vécus archaïques de la maladie. Ainsi s’instaurent
des traces mnésiques le plus souvent rudimentaires, susceptibles d’être réactivées plus
tard dans des conditions similaires.
C’est surtout au décours de la troisième année et à partir de là, de manière croissante,
que l’atteinte corporelle prend une signification tout autre. Il s’agit bien sûr de son articu-
633
Traité de médecine psychosomatique

lation avec l’angoisse et la représentation de la castration. Toute atteinte corporelle et


plus particulièrement les blessures, les interventions médicales intrusives réactivent la
castration imaginaire. La découverte du corps de l’autre au travers du jeu du docteur est
une manière de se réapproprier de manière active cette représentation de la castration
sous un mode défensif.
À partir de 4 ans, les inscriptions mnésiques vont aller croissant, intégrant dès lors
des composantes sensorimotrices, érogènes, affectives et représentatives. L’angoisse de
mort, qui prend sa forme complète vers 7 ans, par intégration des angoisses archaïques
(destruction, séparation) et de l’angoisse de castration, peut être fortement réactivée lors
de maladies ou d’interventions chirurgicales.
Les sensations induites par la maladie ne laissent pas de traces mnésiques susceptibles
d’être réactivées en l’absence de stimuli spécifiques. Certaines perceptions sensorielles
peuvent être par contre réactivées lorsque le sujet est immergé dans des stimuli similaires.
Ce sont surtout certaines représentations associées à l’épisode morbide, sélectionnées et
remaniées selon des processus complexes, qui s’inscrivent dans la mémoire de manière
souvent très prégnante. Mobilier de la chambre, présence de telle personne, condition-
nement de tel médicament, et surtout paroles entendues, prononcées par tel membre de
la famille, par l’infirmière ou le médecin.
En ce qui concerne les affects, la tendance amnésique est de règle. Les affects ne
pourront resurgir, et de manière de toute façon atténuée, que par le biais de la résurgence
de représentations. Celles-ci sont par contre fréquentes après bon nombre de maladies.
Certaines traces mnésiques perceptives à caractère sensoriel (odeurs, images), certaines
représentations de choses ou de mots, tendent à persister pendant de longues années.
L’expérience de soins traumatiques laisse souvent des traces résiduelles persistantes.
Elles seront déterminantes lors des soins ultérieurs.
™™ Tel sujet, traumatisé par le contexte de son amygdalectomie lorsqu’il était enfant,
présentera des réactions phobiques majeures lors du moindre examen pharyngé, lors du
moindre soin dentaire.
Les souvenirs de maladies ne sont pas toujours traumatiques. Ils peuvent s’associer à
des soins attentifs, à la présence de la mère habituellement absente du fait de son travail,
à de petits cadeaux, à une interruption des obligations scolaires.
Les inscriptions mnésiques se poursuivent tout au long de la vie.
™™ Tel autre sujet, ayant fait peu cas de ses épisodes grippaux hivernaux jusqu’alors,
développera une crainte majeure dans les suites d’un épisode particulièrement pénible
et invalidant.
Le corps victime de traumatisme, de handicap ou de maladie, devient rapidement
un corps objet, instrumentalisé, pénétré, menacé, écran de projection de l’imaginaire
médical, objet de diagnostics, de pronostics, d’interdits, de condamnations.
La survenue d’une maladie altère profondément l’image du corps et accentue l’écart
entre l’image présente et l’image passée. La relation du sujet avec son corps se modifie :
perte des capacités de jouissance, sentiment d’être trahi par son corps, perte de confiance
en ses capacités.
634
Les représentations de la maladie

™™ Catherine, 40 ans, institutrice, est obsédée par un hypothétique affaissement du


visage et une non moins hypothétique acné. Tout a commencé par une réaction de
photosensibilisation à un médicament dermatologique puissant. Elle évite autant que se
peut les contacts sociaux. Elle a passé tout l’été à regarder son visage dans la glace. « J’ai
vieilli d’un coup. Je suis une erreur médicale. J’ai toujours essayé de faire bonne figure. Je
ne supporte pas que mes enfants me regardent. Je me cache le menton. Je voudrais voiler
mon visage. J’aimais mon visage que je mettais en avant pour plaire et dissimuler mon
identité. » Sa mère, dépressive, ne supportait pas de la voir s’éloigner. « Je ne vais pas te
voir d’une semaine », se lamentait-elle ! Catherine rempilait et restait à ses côtés, ou bien,
prise de culpabilité, revenait prématurément. Aujourd’hui, la culpabilité a laissé place à la
honte du visage. « Je ne ressens plus de culpabilité par rapport à ma mère mais mainte-
nant j’ai l’impression d’avoir le même visage qu’elle. »

2. L’IMAGINAIRE FAMILIAL
2-1. L’angoisse parentale et le corps de l’enfant
Les excès de crainte et de précautions concernant le corps de l’enfant génèrent une
fixation sur celui-ci, futur pôle d’attraction de déplacements ultérieurs lorsque surgira
l’angoisse ou la dépression. C’est une des origines de l’hypocondrie et de certaines
dysmorphophobies.
L’organe incriminé est l’objet de projection de fantasmes conscients et inconscients.
Ces fantasmes peuvent être secondairement reconstruits, remodelés par les informations
extérieures, les perceptions, les paroles, celles des parents, celles des médecins, parfois des
psychanalystes, en fonction des références théoriques de ces derniers.
L’insuffisance d’investissement maternel tout autant que le surinvestissement, la
mauvaise qualité du système pare-excitation du bébé, se répercutent sur le sentiment
du corps.
L’identification à un parent angoissé, voire hypocondriaque, joue aussi un rôle déter-
minant.
™™ La mère d’Isabeau était styliste chez les grands couturiers, obsédée par la maigreur.
Isabeau eut tendance à la prise de poids, ce qui déclencha chez sa mère une surveillance
constante, la mise en place de régimes dès son plus jeune âge et des paroles dévalorisantes
quant à son aspect physique dès qu’elle prenait un kilo. À l’adolescence, Isabeau prendra
le relais, contrôlant son poids de manière obsessionnelle. Elle aura une fille, Maeva,
qu’elle contrôlera à son tour, n’hésitant pas à la mettre au régime dès la première année.
Aujourd’hui, Maeva a deux ans et mange sans sucre. Il y a six mois, les grands-parents
paternels prirent Maeva pendant les vacances et furent un peu laxistes. Lorsqu’Isabeau
vint chercher sa fille, elle la surprit avec un biscuit à la main. Grand branle-bas dans
Landerneau. Hurlements. Depuis six mois, les grands-parents paternels n’ont plus le droit
de voir Maeva.

2-2. L’histoire médicale de la famille


Il est des familles de migraineux, des familles d’asthmatiques, des familles au sein
desquelles le cancer a épargné peu de membres. Il y a à peine cinquante ans, l’alliance d’un
635
Traité de médecine psychosomatique

fils ou d’une fille avec une personne dont un des parents avait développé une tuberculose
était formellement déconseillée.
Il y a bien sûr les maladies génétiques dont le diagnostic chez un membre de la famille
tombe comme un couperet sur les descendants et collatéraux. Nous l’évoquerons plus
loin.
Mais, en dehors de ces cas où la part génétique est invoquée comme une condamna-
tion, il existe aussi des déterminants plus personnels à l’imaginaire familial : le frère aîné
décédé d’une pleurésie dans les suites d’un « froid », celui que tout le village surnomme
« l’Asphyxié », porteur de séquelles d’une intoxication à l’oxyde de carbone, le cousin mort
d’hydrocution, la tante ayant peut-être contracté la poliomyélite lors d’une baignade, le
grand-père mort d’insolation, etc. Autant de constellations de l’imaginaire familial qui
instaureront des situations supposées à haut risque, voire des interdits : ne pas prendre
froid, ne pas utiliser certains appareils de chauffage, ne pas se baigner dans certaines eaux
ou dans les suites du repas, ne pas s’exposer au soleil, etc.
Il est aussi des paroles médicales entendues au cours des maladies des ascendants qui,
s’intégrant aux rituels et à l’imaginaire parental, se transmettront plus ou moins à celui
de l’enfant.
N’oublions pas aussi, et surtout, la toxicité des paroles prédictives qui ont un véritable
effet de programmation pathogène. Elles agissent comme une malédiction transmise de
génération en génération.

2-3. Les représentations qui arrangent


™™ Grégory, 16 ans, a déclenché un diabète insulinodépendant il y a un an, six mois
après le divorce de ses parents et le déracinement géographique qui s’ensuivit. Le père est
resté en Bretagne et la mère s’est installée dans le Sud de la France avec ses quatre enfants.
Le combat sur les pensions alimentaires fait rage. Grégory, aîné de la fratrie, est pris à
témoin, chargé parfois de faire l’intermédiaire téléphonique entre les deux parents qui
s’injurient et se menacent. Grégory est triste, il me dit se sentir responsable de la survenue
du diabète : ce serait pour punir ses parents du divorce et du déménagement. Je suis un
peu surpris par l’allégation de ce lien psychosomatique direct. Comme s’il l’avait lu dans
un livre ou qu’on le lui ait dit. Je lui dis que les deux événements ont certainement joué
un rôle déclencheur dans la genèse de la pathologie, mais qu’en tant que sujet il n’était
responsable de rien. En ce qui concerne les histoires de pension alimentaire, je lui suggère
de fermer ses oreilles et de refuser de s’en occuper.
Au second rendez-vous, c’est la mère qui vient à la place de Grégory. « Vous avez dit à
Grégory que… Je viens mettre les choses au clair !… Grégory règne comme un despote,
lève la main sur moi, joue le rôle du père auprès des frères et sœurs… Il utilise son diabète
pour nous manipuler… S’il est dépressif, c’est de sa faute… Il se complaît dans son mal-
être… Moi, je n’y suis pour rien… C’est lui qui a déclenché son diabète… pour nous
punir… Je n’ai rien à me reprocher… J’ai toujours tout fait pour lui… »
Représentations confortables, qui dédouanent la mère de toute culpabilité dont le
pauvre Grégory fait les frais après avoir fait les frais du diabète.

636
Les représentations de la maladie

3. L’IMAGINAIRE POPULAIRE
Aline Sarradon-Eck (S’expliquer la maladie) a effectué une étude en Haute-Provence,
entre 1993 et 1998, sur les représentations populaires de la maladie. Synthétiquement,
voici ce qu’il en ressort.

3-1. Les représentations du corps


La représentation mécaniste du corps est omniprésente : corps morcelé où les pièces
s’emboîtent, chaque organe pouvant être isolé dans son dysfonctionnement, armature
corporelle constituée par les « nerfs » (nerfs, tendons, fibres musculaires). Ces repré-
sentations rejoignent pour une part les conceptions médicales anatomo-cliniques du
xixe siècle.
La machine est mue par une énergie, qui peut être déficitaire ou excessive, transportée
par les nerfs et surtout le sang (en excès, en défaut, fort, faible, épais, encrassé, stagnant).
D’où l’importance de la prise de sang et celle de la tension. La maladie apparaît du fait
d’un déséquilibre au niveau des humeurs, de la chaleur interne et externe. On notera
que certaines de ces représentations sont communes avec la théorie des humeurs et la
médecine énergétique chinoise.
L’enveloppe corporelle (peau, orifices) sépare l’intérieur du corps supposé sain et
l’extérieur potentiellement agressif.

3-2. Les causes de la maladie


Les causes naturelles
On peut distinguer les causes d’origine externe et les causes d’origine interne.
Causes exogènes : pénétration de l’humidité, du froid, du chaud, de microbes, de
toxiques, d’aliments, changement de temps, changement de lune. Le mal, l’impur
viennent de dehors, il faut éviter sa pénétration, voire l’extraire. On retrouve ici des repré-
sentations communes avec les médecines primitives mais aussi la théorie pastorienne et
le modèle chirurgical.
Causes endogènes : perturbation de la circulation du sang, des humeurs ou de l’énergie,
déplacement mécanique, usure du corps, désordres affectifs et émotionnels.
La question « pourquoi moi ? » s’accompagne souvent de « pourquoi maintenant ? ».
Les trois types de réponse sont : la punition, la persécution, le destin.

La punition
Le plus souvent, la maladie constitue la punition d’une transgression : transgression
d’un interdit moral ou religieux, d’une norme en matière de sexualité, d’alliance ou de
génération, d’une valeur. Le fauteur est le sujet ou un autre membre du groupe, le sujet
payant pour celui-ci. La maladie est la sanction mais aussi le moyen peut-être du rachat
(salus = santé).
En Occident, la transgression responsable de la maladie s’est déplacée : c’est l’interdit
médical et les règles préventives qui n’ont pas été respectées. Les commandements ne
sont plus d’ordre moral ou religieux, mais d’ordre médical. À chaque transgression, corres-
pond une maladie : fumer/cancer du poumon, manger gras/maladies cardiovasculaires,

637
Traité de médecine psychosomatique

alcool/cirrhose, soleil/mélanome, etc. Le sujet doit respecter le code du droit à la santé


qui a remplacé celui du droit au salut.
Dans d’autres cas, la responsabilité du déclenchement est attribuée à une intentionna-
lité plus ou moins consciente : « Je me suis fait cette maladie, etc. »
™™ Antony, 35 ans, présente une maladie de La Peyronnie. Il pense que c’est une
punition par rapport à la double vie de son père. Depuis l’âge de 13 ans, il a gardé le secret
pour protéger sa mère et ses deux sœurs. Il y a deux ans, le pot aux roses a été découvert
et les parents se sont séparés. C’est là qu’il a développé sa maladie : douleurs lors de l’érec-
tion au début et, depuis six mois, déformations de la verge.
Il est marié et a un fils de 4 ans, accaparé depuis sa naissance par ses parents, fasciné
par le charisme du grand-père. Antony travaille depuis l’âge de 18 ans dans l’entreprise
paternelle avec sa mère et ses deux sœurs, entreprise au sein de laquelle, là aussi, il a du
mal à trouver sa place. Sa femme le castre, il se vit comme une balle de ping-pong entre
elle et ses parents. Dans ses rêves, il perd ses dents, une moitié, puis l’autre. Très rapide-
ment, la psychothérapie fera renaître le désir sexuel, disparaître les douleurs et améliorera
les anomalies morphologiques génitales.

La persécution
La persécution est caractéristique des sociétés africaines et existe à un moindre degré
dans les sociétés occidentales. Les modalités sont assez récurrentes : possession, sorcel-
lerie, complot, agression directe par un membre de la famille, l’entourage immédiat, le
corps médical.
™™ Désiré, d’origine béninoise, présente une dysfonction érectile et une dysurie depuis
dix ans. Il attribue cela à un envoûtement par une partenaire sexuelle, lors d’une relation
extraconjugale qui l’a amené à divorcer. Son épouse actuelle surenchérit et met sur le
compte de l’envoûtement non seulement les troubles génito-urinaires de Désiré, mais
aussi les déboires financiers du couple et le bec-de-lièvre dont est atteint leur dernier
enfant.
Le destin
Il prend des formes différentes selon les civilisations. Ce qui est écrit dans le grand livre
de Dieu ou, plus récemment, celui de l’ADN. C’est la malchance.
Ces représentations de la maladie permettent, selon Aline Sarradon-Eck, de
comprendre certaines conduites thérapeutiques ou préventives qui paraissent irration-
nelles aux yeux de la médecine officielle.
Tous ceux qui ont eu la chance de connaître la vie paysanne avant que la télévision
et internet ne viennent formater les cerveaux, et de pratiquer la médecine générale en
milieu rural, peuvent témoigner de la richesse des représentations populaires, héritières
parfois d’un lointain passé : panacées (sirop du docteur X ou de l’abbé Y), techniques
thérapeutiques aujourd’hui abandonnées (ventouses, pointes de feu, cataplasmes, etc.),
rituels préventifs (pois chiches à Pâques pour éviter les fièvres), personnages locaux inves-
tis d’un pouvoir de guérison, expressions imagées riches de sens (« Il y a trois ans que je ne
vois plus rien, car ma matrice est sèche… Il m’a guéri le feu…Il m’a tari le lait… L’attaque
cérébrale… La congestion pulmonaire… La crise de foie… Le coup de sang… Les vers… La
lune…», etc.). Nous pourrions y consacrer un livre entier.
638
Les représentations de la maladie

4. LES INFORMATIONS EXTÉRIEURES


De nombreux sujets se sont toujours intéressés à la médecine. Ils ont pu trouver
dans la littérature, les ouvrages scientifiques, les romans, le cinéma, les conférences,
matière à satisfaire leur curiosité. La presse écrite, plus particulièrement les magazines, a
toujours fait une part belle à la médecine : nouvelles découvertes scientifiques, nouvelles
techniques, témoignages de patients, faits divers, publicités pour le médicament ou « la »
technique miracle, etc.
L’avènement de la télévision a marqué un tournant. Les émissions médicales, certaines
séries télévisées et, plus récemment, les campagnes dites « de prévention », ont induit
des représentations et des réactions de masse. S’il y a encore peu de temps, le lecteur
d’un article médical de vulgarisation demandait un avis à son médecin, avec l’immersion
médiatique, c’est toute une cohorte d’individus qui, le lendemain d’une émission, fait part
des récentes révélations, des interrogations suscitées, si ce n’est des critiques à l’encontre
des prescriptions, et exige en demi-teinte des examens complémentaires de la part du
praticien, blessé ou résigné, et de toute façon disqualifié.
L’audimat a explosé et, en retour, les programmateurs d’émissions ont repéré derrière
cette manne le moyen idéal d’exciter et de soumettre les « chers téléspectateurs », avec la
complicité des gens qui y trouvent un intérêt certain. C’est ainsi que se sont développés
les débats dont on connaît le dénouement désespéré toujours identique à lui-même, les
témoignages de patients, les reportages dans les milieux de soins, les pubs dites elles aussi
«  de prévention », les associations de malades bien intentionnées, et bien sûr les soirées
de solidarité avec concert dégoulinant à l’appui, mettant en scène les mêmes visqueux
personnages avec un « cœur gros comme ça ». Les informations médicales extérieures
ne sont plus cherchées délibérément par le sujet, elles lui sont injectées sans qu’il en ait
conscience.
Mais le pire n’était pas encore arrivé. Avec internet, nous y voilà. Les incrustations
cérébrales induites par le web sont quelque peu compensées par l’état de mort cérébrale
qu’il génère. Les cérébrolésés de la toile ont vu que telle maladie… mais que sur un autre
site la même maladie… et que sur un « réseau social », un cher « ami » avait eu cette
maladie… et que le surlendemain d’une nuit passée sur des sites pornographiques ou des
jeux vidéo, la maladie allait mieux ou moins bien… mais qu’elle s’était aggravée quand
mon mari a rencontré un mec sur tel ou tel site de rencontre… et que j’ai failli mourir à la
suite de la prise de ce médicament commandé en ligne… et que je suis pas la seule, ce qui
m’a fait rencontrer d’autres amis… et qu’ils m’ont conseillée le site du professeur Machin
qui se bat nuit et jour pour éradiquer la maladie… et que – excusez moi, j’ai oublié de
débrancher mon portable – je te rappelle, je suis chez le toubib… mais non t’angoisse
pas, ça doit venir du fusible, pense à sortir le chien, non ce soir je rentre pas… Pardon,
qu’est-ce que je disais ? – Que ce soir vous ne rentriez pas.
J’ai failli mettre dans ma salle d’attente le panneau suivant : « Sécurité. En aucun cas,
nos services ne sauraient se substituer à ceux d’internet. Nous vous conseillons de vérifier
systématiquement le bien-fondé de nos propositions sur internet après chaque séance. »
Finalement, je ne l’ai pas fait car je suis sûr maintenant, depuis 2009 et surtout 2012, que
la plupart n’aurait pas perçu l’ironie et aurait mis cette consigne à exécution.
Que faire ? Continuer à faire ce en quoi l’on croit.
639
Traité de médecine psychosomatique

5. L’IMAGINAIRE MÉDICAL
La confrontation à la maladie, aux soins et aux soignants, va induire de nouvelles repré-
sentations chez le sujet, issues de ses perceptions durant la maladie et surtout des paroles
et des interventions médicales. Ces nouvelles représentations vont être remaniées par
son imaginaire personnel. Il se constituera ainsi un nouveau système représentatif hybride
entre l’imaginaire personnel et les représentations induites au cours du soin.

5-1. L’histoire du soignant
Les représentations personnelles du soignant en ce qui concerne la maladie et le soin
sont initialement celles de tout le monde. Elles sont liées à son histoire et se construisent
de la même manière que celle que nous venons d’évoquer chez le patient. Elles jouent de
surcroit un rôle central dans le choix de son métier et de sa spécialisation.
La place de ces représentations personnelles au sein du système représentatif se réduit
toutefois au fur et à mesure du parcours professionnel (études, expérience, formations).
À certains moments, face à telle pathologie ou telle situation, elles peuvent resurgir, inter-
férant alors avec les strictes représentations cliniques, et cette interférence peut induire
des attitudes défensives.

5-2. L’imaginaire médical
Il est propre à chaque époque, à chaque civilisation. Il définit le corpus théorico-
clinique d’une médecine donnée.
™™ Diana, 31 ans, présente un ictère cholestatique en voie de rémission. Sa grand-mère,
qui avait présenté un ictère quand son mari était parti à la guerre, lui a dit qu’elle avait
dû avoir une grande peur au moment de son accouchement il y a huit mois. Accouche-
ment difficile suivi d’une grande asthénie et, trois mois après, d’un prurit. Le bilan biolo-
gique avait révélé une augmentation des transaminases. Le prurit cessa pendant l’été, la
fatigue diminua, mais en septembre l’ictère apparut. Le médecin généraliste prescrivit
une échographie qui ne montra pas d’obstacle sur les voies biliaires et Diana fut hospita-
lisée. Le praticien hospitalier avança une origine génétique et lui dit qu’il faudrait prendre
des acides biliaires à vie. Elle a consulté il y a un mois un acupuncteur qui attribue l’ictère
à une dysrégulation émotionnelle, plus particulièrement à une colère non exprimée. C’est
lui qui me l’adresse.
Trois représentations divergentes : la peur, les gènes, la colère. Quant à Diana, elle ne
sait plus à quel saint se vouer et son vide représentatif accentue sa détresse. Qu’en est-il
de l’anamnèse ?
Diana reprit son travail trois mois après l’accouchement et, de fait, dut confier le bébé
à une nourrice qui s’avéra peu fiable. Elle développa un sentiment de culpabilité à l’égard
du bébé qui régressa lors des vacances d’été. Lorsqu’elle reprit son travail à la rentrée, elle
dut mettre son bébé à la crèche. C’est alors que l’ictère apparut et qu’elle fut hospitalisée,
ce qui n’arrangea pas son sentiment de culpabilité. Quatrième représentation : la culpabi-
lité. Mais peut-elle induire une hépatite ? Non, sauf si nous considérons qu’elle sous-tend
une auto-agressivité, donc une potentielle hétéro-agressivité réprimée, cinquième repré-
sentation qui rejoint celle de l’acupuncteur et qui semble plus en concordance avec la
clinique psychosomatique.
640
Les représentations de la maladie

Effectivement, Diana exprimera la tension agressive contenue qu’elle ressent à


l’encontre de son mari, jeune cadre dynamique, tout affairé à sa réussite, peu soucieux de
son épouse et du bébé, exigeant que Diana travaille au plus vite pour l’aider à rembourser
la splendide villa qu’ils ont fait construire. « Je réalise maintenant que j’ai une certaine
rancœur à son égard. Il ne se remet jamais en cause. Je me la bouclais. Depuis ma maladie,
je garde moins les choses pour moi, je m’exprime plus, j’encaisse moins. J’ai toujours
eu un peu de colère contre lui. Il ne s’occupe de rien mais a des réactions d’autorité à
l’égard de mon fils aîné et moi-même sans chercher à comprendre ce qui se passe. J’ai le
sentiment que c’est lui qui a provoqué ma jaunisse. » Confirmation des représentations
de l’acupuncteur. Deux mois de psychothérapie et la patiente va bien.
Hippocrate aurait évoqué un excès de bile noire, Hahnemann aurait prescrit Lycopo-
dium, Broussais des sangsues, Monsieur M’Dialo un rituel, et Anne-Germaine Clic-Clic
Prout-Prout aurait allongé sur le divan Diana pour qu’elle « Nique Taire ». Rien n’est
totalement vrai, rien n’est totalement faux. Ce qui est plus inquiétant, c’est la condamna-
tion à un traitement à vie par le praticien hospitalier.
L’imaginaire médical se constitue progressivement avant, pendant et après les études,
lors de l’activité professionnelle au cours de laquelle il subit des modifications, puis au gré
de l’expérience, des réussites, des échecs, des formations et des déformations.
Les nouveaux moyens d’investigation ont fait changer les représentations de la maladie
chez le soignant : à l’imaginaire médical se substitue l’image réifiée. Initialement, l’inves-
tigation du malade repose sur l’interrogatoire (l’ouïe, l’observation, le ressenti subjec-
tif), l’examen, l’inspection (vue), l’auscultation (ouïe), le toucher (sensibilité cutanée et
proprioceptive), l’olfaction et parfois le goût (à la grande époque de la clinique), la mobili-
sation du corps (appareil locomoteur). Toute la personne du médecin est engagée dans
cette proximité minimale et nécessaire. Aujourd‘hui, la distance avec le patient ne cesse
de s’accentuer : les représentations de sa maladie surgissent en dehors de la présence du
patient par le biais de l’imagerie, des résultats biologiques et maintenant de la téléméde-
cine. Ce sont des représentations de représentations. Des représentations numérisées.

6. LA RENCONTRE DE DEUX IMAGINAIRES


Comment et à quel degré les représentations des soignants sont-elles introjectées et
remaniées au sein de l’imaginaire du patient ? Plusieurs cas de figure se rencontrent.

6-1. Adhésion-introjection
Bien que pourvu de représentations quant à sa maladie (imaginaire personnel, familial,
populaire, livresque ou médiatique), le patient est en demande non seulement de soins
mais d’explications. Son état régressif induit par la maladie le met dans une position de
réceptivité majeure à toute parole de sujet supposé savoir, comme un enfant en attente de
réponse de l’adulte sur les mystères de la vie. C’est ainsi que, lors de nombreuses maladies,
plus particulièrement les maladies inductrices d’un fort potentiel régressif, l’adhésion aux
représentations médicales peut être totale.
™™ Violetta, 45 ans, a développé des douleurs pelviennes dans les suites de son divorce
et du décès de son père, survenus la même année. C’était il y a dix ans. Les investiga-
641
Traité de médecine psychosomatique

tions avaient conclu à une névralgie pudendale. Elle fut opérée à trois reprises, et chaque
fois sans résultat, par le même chirurgien, spécialiste en la matière, originaire du même
pays que son père et son ex-mari, portant le même prénom que ce dernier. Les échecs
furent attribués à un problème veineux. L’état dépressif hostile, la répression de l’agressi-
vité, la frustration sexuelle, le renoncement à toute activité professionnelle, maintenaient
Violetta dans sa pathologie. Lors de la seule et éphémère relation amoureuse qu’elle eut
il y a deux ans, les symptômes disparurent pour revenir de plus belle après la séparation.
Elle accepta l’investigation psychosomatique comme une bête qui va à l’abattoir. Sachant
qu’elle ne reviendrait pas, je lui fis part de mes représentations. Elle les accueillit en me
regardant comme si je sortais de l’asile. La représentation du seul et unique problème
veineux occupait l’intégralité de son imaginaire, tant elle avait adhéré aux explications
du chirurgien. Elle a pris rendez-vous pour sa quatrième opération. Et avec le recul, je suis
assez rassuré qu’elle n’ait pas porté plainte contre moi.

6-2. Sélection et remaniement du matériel introjecté


Les paroles du soignant seront entendues avec une acuité particulière, mais surtout
certaines d’entre elles, selon leur contenu et leur articulation avec l’imaginaire et l’orga-
nisation psychique du patient. Les explications, les interprétations, les réponses enten-
dues interféreront avec l’imaginaire personnel, en le modifiant, sans toutefois le faire
disparaître. Il s’ensuivra une production imaginaire composite, un hybride produit d’une
sélection psychique. Représentations composites, produits de l’imaginaire médical et du
système défensif du soignant, elles seront le fruit de remaniements successifs, réinterpré-
tées et remaniées par l’imaginaire personnel et le système défensif du patient.

PATIENT SOIGNANT

Acquisition d’informations

Imaginaire populaire

Représentations Paroles – Attitudes


de la maladie

Représentations
Imaginaire familial

Imaginaire personnel Imaginaire Imaginaire


Formations inconscientes médical personnel

Imaginaires du patient et du soignant

642
Les représentations de la maladie

Il s’opère ainsi, souvent, une sélection de certaines paroles médicales, réappropriées


puis transformées, qui surgissent de la bouche du patient, souvent de longues années
après, et qui surprennent toujours le praticien. Le patient vous rapporte des mots, voire
des phrases que vous lui auriez dits, dont vous n’avez en règle générale aucun souvenir,
propos et phrases restitués d’une manière souvent surprenante et imagée.

6-3. Rejet des représentations médicales


Dans certains cas, moins fréquents, les représentations des soignants seront purement
et simplement rejetées. C’est le cas de patients fonctionnant sur un mode projectif. C’est
aussi le cas de nombreux patients qui perçoivent ou subodorent, dans ce qui leur est dit,
quelque chose qui peut leur être préjudiciable.

7. DIAGNOSTICS
Les effets du diagnostic sont très variables en fonction des sujets, des pathologies et
des modalités de l’annonce.

7-1. Un terme aux interrogations et aux palabres


Lorsqu’il met un terme aux interrogations anxieuses et aux palabres, l’« étiquetage de
la maladie » (Balint) apporte un soulagement fréquent au malade qui ne savait plus à
quoi s’en tenir. « Si au moins je savais ce que j’ai… Si au moins on me trouvait quelque
chose ! »
Les examens répétés, les discussions sans fin entre praticiens de spécialités diffé-
rentes, la fréquente absence d’explications n’aboutissant pas à une conclusion plausible,
focalisent le patient sur la recherche avide d’une seule cause organique, accentuent son
angoisse et le renforcent dans le déni de tout déterminisme psychique ou émotionnel.
Au bout d’un certain temps, l’abord psychosomatique devient très problématique, voire
impossible, et le temps perdu permet à la maladie d’évoluer de manière souvent irréver-
sible. Il est nécessaire, à un moment donné, lorsque l’essentiel du bilan a été effectué, que
le médecin généraliste intervienne pour recentrer cette dispersion et réorienter le patient
au niveau d’une approche plus large.
™™ Julia, 27 ans, a développé, dans les suites de la rupture d’une relation douloureuse
mais très investie avec un sujet particulièrement pervers, une surcharge pondérale d’ins-
tallation rapide (10 kg en un mois), une aménorrhée et des céphalées. Des examens biolo-
giques furent prescrits et, au seul vu des résultats, sans référence à la clinique atypique,
un diagnostic de fièvre Q fut posé. Un scanner thoraco-abdominal s’ensuivit, qui révéla
une probable stéatose hépatique attribuable à l’hypothétique fièvre Q. Une consulta-
tion spécialisée, suivie d’une hospitalisation un mois plus tard, furent mises en place. Un
diagnostic d’hépatite E fut alors évoqué. Un traitement lourd fut instauré. Un an après,
Julia ne sait toujours pas ce qu’elle a. Elle se rend au CHU tous les mois pour des investi-
gations. Il existe effectivement une stéatose hépatique mais, maintenant, celle-ci est attri-
buée à sa surcharge pondérale (elle a toujours ses 10 kg excédentaires). Plus récemment,
une carence en vitamine D et une atteinte du système immunitaire ont été évoquées.
La ponction hépatique confirme la stéatose. Le praticien hospitalier lui a dit que cela
pouvait aller jusqu’au cancer si elle ne se soignait pas. Après la ponction hépatique, on l’a
643
Traité de médecine psychosomatique

laissée partir dans la nature sans la moindre prescription au niveau des soins locaux. Elle
est déprimée.
Lorsque son compagnon était revenu de son pays d’origine en septembre dernier, il
avait exigé qu’elle adopte sa religion et se convertisse. C’est alors qu’elle fut prise d’une
forte fièvre pendant une semaine. Comme elle refusa, il la quitta et, durant le mois qui
suivit, elle prit ses dix kilos. Elle a du mal à en parler : soit aucun son ne sort, soit elle
pleure.

7-2. Déculpabilisation
Le diagnostic de la maladie peut avoir un effet libérateur. Il peut mettre un terme à la
culpabilité et même, chez certains sujets, induire un apaisement, si ce n’est une certaine
euphorie.
™™ Francine, 45 ans, a déclenché une première dépression dans les suites du décès de
sa mère il y a cinq ans. Un an après, un cancer au sein gauche fut détecté et opéré. Un
état hypomaniaque s’installa dans les jours qui suivirent. Six mois après, elle sombrait
à nouveau dans une dépression. Depuis, les troubles de l’humeur alternent tous les six
mois. Le deuxième état hypomaniaque surgit dans les suites immédiates d’un accident
où elle perdit la vision d’un œil.

7-3. Restriction du champ d’investigation et des possibilités théra-


peutiques
Si l’absence de diagnostic peut – comme nous venons de le voir – enfermer le sujet
dans la recherche d’une stricte organicité, certains diagnostics peuvent, inversement,
confirmer cette organicité comme seule et unique cause de la maladie, mettant un
terme à toute interrogation quant à sa polyfactorialité. L’approche psychosomatique est
alors considérée comme incongrue, surtout si de nouvelles découvertes, de nouveaux
concepts cliniques, de nouvelles explications physiopathologiques, de nouveaux proto-
coles thérapeutiques, de nouvelles règles préventives, voient le jour. Dans le cas où aucune
cause n’a été repérée, les termes en vogue clôturent le débat : facteur génétique, maladie
cryptogénétique, maladie idiopathique et, plus récemment, maladie « orpheline »…

7-4. Effet destructeur
Une tendance voit le jour : après les échelles d’auto-évaluation, les divers agendas
à remplir remis aux patients, voici maintenant la distribution de monographies. Ces
documents, dans lesquels abondent statistiques et pronostics des plus redoutables
concernant la maladie présentée par le patient, sont remis à celui-ci à titre d’information
et en guise de parole à l’issue d’une consultation hyper-spécialisée. Le droit du patient à
l’information est préservé. Quant aux suites…
™™ Agnès, dont l’observation a été présentée en deuxième partie de cet ouvrage
(p. 452), souffrait d’angio-œdèmes récidivants. Elle s’était vu remettre une monographie
concernant cette pathologie survenue dans les suites d’une IVG particulièrement trauma-
tique. Alors que la psychothérapie avait réduit considérablement la fréquence et l’inten-
sité des crises, la lecture de cette monographie déclencha un authentique syndrome
644
Les représentations de la maladie

psychotraumatique et la pathologie repartit de plus belle. Les nuits qui suivirent furent
peuplées de cauchemars terrifiants. Elle me remit le document : son contenu était
effectivement des plus inquiétants. Elle envisagea d’arrêter sa psychothérapie tant les
arguments médicaux dont elle s’était imprégnée étaient convaincants. Plusieurs séances
furent nécessaires pour réenclencher le processus psychothérapique, comme s’il repartait
de zéro, pour, à terme, finir par avoir raison de sa maladie.

7-5. « L’annonce du diagnostic… »
™™ Alban, 30 ans, avait des angines à répétition et une asthénie. Son médecin lui
prescrivit un bilan sanguin. Lorsqu’il alla chercher ses résultats, le médecin du labora-
toire les lui tendit en disant : « Je ne vous apprends rien, bien sûr, vous le saviez que vous
êtes séropositif. » Détresse. Idées suicidaires. Puis régression pendant six mois, au cours
desquels il va vivre chez ses parents, dans un cocon, nourri aux petits pots. Au bout de ces
six mois, il va mieux, baisse la trithérapie et reprend son travail. Mais à chaque contrôle,
son médecin lui rappelle qu’il a certainement contaminé des tas de partenaires afin que
celles-ci se rendent au laboratoire dans les plus brefs délais.
Face à la souffrance induite par des diagnostics portés sans ménagement et aux
délabrements induits chez le patient, la médecine française du xxie siècle, découvrant
subitement la psychologie par le biais des techniques standardisées de communication,
se devait de proposer une solution humaine et efficace en toute situation. C’est ainsi que
furent créer les « annonceurs de diagnostics ». Il s’agit en général d’un binôme compre-
nant un médecin et une infirmière, spécialisés sur la question, formés à toute épreuve,
envoyés sur le front, à la demande du médecin ayant posé le diagnostic, visiblement dans
la plus grande difficulté pour le formuler. Juste répartition des tâches. Les techniques de
l’annonce ont été évaluées et validées par des « experts ». Elles sont applicables à tout
sujet, quels que soient sa maladie, son histoire et son fonctionnement psychique. Le
regard, le ton de la parole, le serrement de mains, les mots utilisés, sans oublier « l’empa-
thie » – terme utilisé larga manu et à toutes les sauces par les instances officielles pour
définir, en fait, une technique de vente – remplacent avantageusement l’anamnèse et
autres vieilleries proposées par l’approche psychosomatique. Reste à trouver l’uniforme.

7-6. La consultation génétique


™™ Dans les suites du divorce houleux de ses parents, du départ de sa mère sur un
autre continent, de la pression imposée par son père, chef de l’entreprise dans laquelle elle
travaille, de l’embauche par celui-ci de sa propre maîtresse, hostile à toute vie antérieure
de Monsieur, Perrine, 30 ans, très tendue et sub-dépressive, fut prise de troubles de la
mémoire puis de pertes d’équilibre.
Un an plus tard, peu de temps après son mariage, le gène de la chorée de Hunting-
ton fut découvert chez son grand-père qui avait 85 ans et présentait quelques signes de
détérioration. Toute la famille fut convoquée pour examens biologiques, à l’issue desquels
il fut révélé à Perrine qu’elle était porteuse du gène, tout comme son père, son oncle,
son frère et son fils de quatre ans. Paradoxalement, malgré ses troubles mnésiques et ses
pertes d’équilibre, on lui dit que la chorée n’était pas déclarée, mais qu’il fallait s’y attendre
à plus ou moins brève échéance, et que la deuxième grossesse qu’elle souhaitait était
645
Traité de médecine psychosomatique

formellement contre-indiquée. Dans les semaines qui suivirent, des chutes apparurent,
ainsi qu’une incoordination motrice, des troubles phonatoires et des mouvements
bucco-linguo faciaux anormaux. Le père ayant vendu l’entreprise compte tenu de ce qui
l’attendait lui aussi, elle s’inscrivit à des formations : formation d’assistante vétérinaire et
aussi d’auxiliaire de vie. La neuropsychologue du service qu’elle consulte tous les mois
lui a enjoint de renoncer à ces métiers, compte tenu de son état à venir qui risquerait de
mettre en danger la vie d’autrui. Principe de précaution citoyen préservé, repris par l’assis-
tante sociale qui lui a fait remplir un dossier Cotorep. Quant au professeur, il a dit que
c’était une maladie orpheline – comble du paradoxe pour une maladie transmise par les
ascendants –, qu’elle progressait, que les troubles de la mémoire et de l’équilibre allaient
s’aggraver de pire en pire. Devoir d’information du citoyen-patient rempli. Idées noires,
angoisse de mort, elle se voit, selon ses termes, « grabataire sous peu et cuite à 40 ans ».
Quand on sait que la majorité des patients, déstabilisés par un diagnostic et un
pronostic assénés sans ménagement et sans nuance, vont consulter internet, on peut se
demander l’intérêt du conseil génétique lors de maladies pour lesquelles il n’existe pas de
traitement. Pur sadisme ou simple idiotie ? Nouvelle forme de cruauté ou maladie orphe-
line de l’entendement ? Voilà ce que notre patiente et les membres de sa famille porteurs
du gène ont pu lire, entre autres, sur internet : « … maladie héréditaire incurable d’évolu-
tion inexorable vers la mort… Les aptitudes physiques sont progressivement diminuées
jusqu’à ce qu’un mouvement coordonné devienne très difficile, et les capacités mentales
évoluent généralement vers la démence… Le début se manifeste par des troubles subtils
de la coordination des mouvements ou un changement d’humeur caractérisé par une
tendance dépressive. Puis les mouvements anormaux deviennent évidents, entravant la
vie professionnelle et obligeant souvent les personnes à abandonner leur travail… Tardi-
vement les individus deviennent incontinents, muets et totalement dépendants pour la
vie quotidienne… L’espérance de vie est d’environ 20 ans après l’apparition des premiers
symptômes… Il n’existe aucun remède contre la maladie et des soins à temps plein sont
nécessaires dans les derniers stades de la maladie… Le risque de suicide lors de l’annonce
du diagnostic n’est d’ailleurs pas négligeable… »
Au sein de l’article, on relève toutefois : « Le génotype ne parvient pas à expliquer
totalement l’âge d’apparition des premiers signes et il existe probablement des facteurs
environnementaux qui ne sont pas connus. »

7-7. « On vous téléphone… »


Un nouveau type de fonctionnement des services hospitaliers a vu le jour ces dernières
années. Face à la surcharge de la demande et au débordement des services, il est fréquent
que les patients partent de l’hôpital avec pour seule parole : « On vous téléphone…
quand on aura les résultats… quand on aura une place disponible… », etc. Les sujets
vivent dans un état d’attente anxieuse permanent, durant plusieurs semaines si ce n’est
plusieurs mois.
™™ La leucémie aiguë myéloïde d’Aglaë lui fut annoncée par téléphone, pendant ses
heures de travail, par un chef de service de CHU ayant pignon sur rue.
™™ Shéhérazade a fait une hémorragie méningée il y a quatre ans. On lui a dit qu’elle
pouvait en faire une autre, éventuellement fatale. Elle présente des céphalées chroniques
646
Les représentations de la maladie

mais qui existaient avant l’hémorragie. Elle se rend tous les six mois au CHU pour
l’angio-scanner, rendez-vous qui lui est communiqué lorsqu’une place se libère. En ce qui
concerne les résultats, elle les reçoit plusieurs semaines après et ne peut donc s’entretenir
avec le médecin. Récemment, n’ayant pas eu de nouvelles quant aux derniers résultats,
elle décida de téléphoner à l’hôpital. Après un temps de latence conséquent où elle put
apprécier la nouvelle version électronique du Boléro de Ravel, elle obtint un praticien qui
lui dit qu’ils avaient bien les résultats, mais qu’il fallait qu’ils se réunissent pour en parler,
car « a priori, c’est grave. Ne vous inquiétez pas, on vous appellera… »

8. PRONOSTICS
La formulation du pronostic au sujet malade n’est pas sans danger, comme nous
venons de le voir. Lorsqu’il est péjoratif, elle peut induire panique et démission, accélérer
le processus de désorganisation somatique, précipiter la fin sur un mode dramatique.
Avoir le souci de la vérité est théoriquement souhaitable, mais de quelle « vérité »
s’agit-il ?
1. Le pronostic n’est pas la « vérité » et la « vérité » n’est pas le pronostic. S’il est une
vérité, c’est celle de la réalité psychique du sujet. Elle se noie dans le verbiage idéolo-
gique consensuel, pontifiant et le plus souvent idiot, du style : « Je suis pour la trans-
parence… Il appartient à chacun de savoir où il va… On s’approprie trop la vie des
gens… » Et autres billevesées.
2. Si l’évolutivité vraisemblable de la maladie doit être formulée pour des raisons légitimes
appartenant au sujet malade (prise de dispositions personnelles, familiales, matérielles
ou spirituelles), elle ne peut l’être qu’après une connaissance minimale de celui-ci. Elle
doit s’accompagner de paroles et celles-ci ne peuvent être inspirées qu’à partir de que
l’on sait du sujet.
3. Certains diagnostics étiologiques doivent être modulés et relativisés pour atténuer
l’angoisse et la culpabilité. Il existe des réalités et des interprétations de ces réalités qui
sont différentes, pour le soignant, le patient et sa famille.
4. On ne connaît jamais le pronostic et c’est très bien. Ce qu’on connaît, ce sont des statis-
tiques et une impression clinique.
5. La formulation du pronostic tue, qu’elle s’adresse au sujet ou à son entourage. Il est
vécu comme une prédiction à issue certaine. Il s’agit non seulement d’un déni de l’exis-
tence même du sujet, mais aussi et surtout d’une condamnation irréfutable, dont les
effets confirment le contenu.
6. Dans certaines maladies, pour lesquelles il n’existe pas de traitement et dont l’évoluti-
vité est influencée par des facteurs conjoncturels, à quoi sert le pronostic ?
M.-C. Célérier (Sociologie et anthropologie) a repéré de nombreux cas de sujets « se
découvrant séropositifs et décompensant la maladie alors de manière fulgurante ». Elle
cite M. Mauss à propos des aborigènes : « Un individu blessé légèrement n’a aucune
chance de se rétablir s’il croit la lance enchantée (…). S’il se casse quelque membre, il ne
se rétablira facilement que du jour où il aura fait la paix avec les règles qu’il a violées. »
Mauss pointe deux causes élémentaires de mort : la certitude de la mort et la violation
des règles de la société.
647
Traité de médecine psychosomatique

Citons M.-C. Célérier (Psychothérapie des troubles somatiques) : « Une menace de mort
et non une certitude pouvant laisser la place à l’installation de défenses psychiques avec
l’espoir d’être de ceux qui ne tomberont pas malades, et de plus un droit à penser ne pas
l’avoir “mérité” offrent de meilleurs possibilités de défenses somatiques. »
Certaines campagnes dites « de prévention », telles les inscriptions sur les paquets de
cigarettes, condamnent à mort de nombreux sujets : « Le cancer mortel du poumon ! »
Je ne vous apprendrai rien en disant que certains sujets, aussi peu nombreux soient-ils,
n’en meurent pas.
Citons encore M.-C. Célérier : « Toutes les polémiques autour de la “vérité” à dire
au malade négligent la dissociation/association entre la part imaginaire et la réalité
physiopathologique de la menace de mort. » (Ibid.) Le pire est un consensus arbitraire de
la vérité ou du mensonge systématique.
Notre société agonisante préconise les mots pour compenser l’absence de solutions.
Certains ne sont pas sans conséquence délétère. Le terme palliatif, par exemple, intro-
duit une discontinuité là où devrait perdurer la continuité dans le soin et les représenta-
tions. Le passage du curatif au palliatif fait brutalement basculer l’aide à vivre dans l’aide
à mourir. Ce basculement des représentations chez le soignant, puis chez la famille et en
fin de compte chez le sujet concerné, n’est pas dépourvu de conséquences au niveau non
seulement du vécu mais aussi des paroles, des actes et du devenir. Car les représentations
dictent ces derniers. Mettre en soins palliatifs, c’est formuler un diagnostic et un pronos-
tic. La clinique est parlante certes, tous les éléments sont là pour nous dire que telle
personne n’en a pas pour très longtemps. Pourtant, la vie réserve parfois des surprises. Au
sein d’un CHU d’une certaine préfecture de France, un service de « Soins palliatifs » vient
d’être créé. Il est à l’autre bout du centre, loin des services de soins intensifs et de soins
gériatriques. Il est en sous-sol, proche des containers poubelles. Lorsque sonne l’heure,
le patient y est descendu sur un brancard. Acte manqué ou acte réussi ? L’abolition de la
peine de mort souffre d’exceptions confirmant la règle.

9. PHÉNOMÈNES TRANSFÉRENTIELS
Les représentations de la maladie chez le patient dépendent, comme nous l’avons vu,
de son histoire personnelle, de l’histoire de sa famille, de la société dans laquelle il vit, des
réponses qui lui sont données par les soignants.
Celles-ci surgissent dans un contexte relationnel particulier qui est celui de la relation
de soins. Relation bien spécifique caractérisée par une asymétrie foncière. Le sujet patient
est un enfant en attente d’une réponse et d’une intervention de la part du soignant,
assigné de fait à une position parentale. On ne s’étonnera donc pas que la relation du
patient avec son soignant soit une relation régressive quand bien même il s’en défendrait.
On ne s’étonnera pas non plus que les modalités de cette relation qu’il souhaite mettre en
place et les représentations qu’il a du soignant soient une réédition de ce qu’il a vécu dans
son passé, à l’époque où ses parents étaient investis d’un pouvoir sans limite. C’est ainsi
que l’on peut définir le transfert. Transférer sur un autre, le soignant, le type de relation
que j’ai eue avec un de mes parents (mère, père, frère, sœur, etc.) lorsque j’étais enfant.
Le transfert est la réédition, après-coup, de l’inter-suggestibilité première parents-enfant.
C’est la dissymétrie de la relation qui en appelle au transfert. Dissymétrie conspuée plus
648
Les représentations de la maladie

particulièrement à partir des années 1960 en terme de « pouvoir médical », plus particu-
lièrement par ceux qui, du fait d’une formation réactionnelle évidente, rêvaient depuis
toujours d’un tel « pouvoir ». Or, le pouvoir dont il est question dans la relation de soin
se limite et doit se limiter à un « je peux… peut-être ». Je peux peut-être vous écouter,
vous aider, vous soigner, essayer de comprendre. Mais parfois, le patient ne l’entend pas
comme ça.
J’ai distingué, en 2002, deux séquences dans l’instauration du transfert : le transfert
primaire et le transfert secondaire. Le transfert primaire est déterminé par ce que j’attends
de l’autre. Le transfert secondaire naît à partir du moment où ce qui se passe diffère de
ce que j’ai attendu.

9-1. Le transfert primaire


Le transfert primaire débute à partir du moment où moi, patient, j’en appelle à l’autre,
où j’attends quelque chose de lui. Cet autre que j’imagine en fonction de mes expériences
passées. Simple scénario représentatif en l’absence réelle de l’autre, en l’occurrence le
soignant, le transfert primaire prend forme et se consolide ou non lors de la première
rencontre avec celui-ci. Ainsi, le praticien est investi bien avant la rencontre d’un pouvoir
tantôt protecteur, magique, salvateur, tantôt dangereux, castrateur, sadique.
La rencontre va remanier les représentations initiales, sans toutefois les faire dispa-
raître en totalité. Le malade est à l’affût de tout ce qui, chez le praticien, confirmerait ses
représentations initiales.
Les perceptions lors de la rencontre, la physionomie, les particularismes et les mots du
praticien, le contexte matériel, le contact lors de l’examen clinique, s’associent au niveau
conscient, préconscient ou inconscient, à des vécus et des représentations antérieures à
valence hédonique variable.
Le praticien, sans une investigation approfondie du sujet souffrant, ignore tout des
représentations primaires du patient. Et quand bien même il aurait effectué une investi-
gation approfondie, la question des représentations du patient ne surgit que lorsqu’il y a
problème dans la relation. La question du transfert est souvent la dernière abordée et elle
ne l’est en règle générale que lorsque l’échec est au rendez-vous.
On n’insistera jamais assez sur la nécessité de s’enquérir avec précision de la demande
du patient et de ses motifs implicites, qui échappent le plus souvent à l’investigation,
tant la clinique est l’objet premier de notre recherche. La demande implicite est difficile à
repérer lors du premier entretien, elle n’apparaît souvent que dans l’après-coup, souvent
révélée par les réactions inattendues du patient.
Les réactions défensives du patient illustrent parfaitement le transfert primaire :
attentes démesurées, idéalisation du praticien, séduction, manipulation, réactivation de
conduites régressives, soumission inconditionnelle, interprétation, réactions agressives
ou anxieuses, doute, besoin de précisions et de réassurance sans fin, etc.
™™ Paméla arrive particulièrement en avance à son rendez-vous. Une femme de son
âge l’accompagne, et me demande si elle peut venir avec Paméla. Je lui réponds de le
demander à l’intéressée. Paméla est non seulement d’accord, mais c’est même elle qui
a voulu être accompagnée par cette personne qui est en fait sa belle-sœur. Motif : frigi-
dité vaginale secondaire d’installation et d’aggravation progressives depuis quatre ans.
649
Traité de médecine psychosomatique

Paméla me fait part de l’empressement de son conjoint au niveau de la sexualité. Elle évite
autant que se peut les contacts sexuels. Je vérifie qu’il n’y ait pas de collusion entre le mari
demandeur et la belle-sœur. Non, l’époux n’est pas au courant que celle-ci l’accompagne.
Alors pourquoi ? Parce que Paméla a pris pour confidente cette belle-sœur, plus particu-
lièrement, depuis l’issue dramatique de sa seule et unique grossesse : toxémie, décolle-
ment placentaire, décès à terme de la petite fille, en direct à l’échographie. Paméla gardera
le bébé mort vingt-quatre heures avant l’expulsion. Dans les suites, la frigidité s’installera,
aggravée par les deux grossesses ultérieures.
Le caractère défensif de la présence de la belle-sœur est évident, si ce n’est massif.
Paméla est très méfiante à mon encontre. Pourquoi ? Dans les suites du décès de sa fille,
puis de la grossesse qui suivit où elle ne parvint pas à investir l’enfant, Paméla consulta
successivement une psychologue puis deux psychiatres. Elle garde un très mauvais souve-
nir de ces rencontres. Il semblerait que n’aient été abordés que la perte et le deuil du
bébé. De toute évidence, pas une fois le vécu de castration n’a été évoqué. C’est pourtant
ce dont elle souffre, l’anérogénéité vaginale étant bien le témoin d’un processus défensif
somatique, « comme si on lui avait arraché son sexe ». Vécu de castration que confirme
aussi une régression fixation urétrale : le peu de plaisir qu’elle ressent lors des contacts
sexuels avec son conjoint s’accompagne d’une crainte d’uriner pendant l’orgasme. Durant
sa grossesse au dénouement dramatique, elle rêvait qu’elle accouchait d’une petite fille
sans tête.
Malgré le fait que je la mette à l’aise et ai accepté la présence transitoire et néanmoins
insupportable de la belle-sœur, dans le but de préserver dans un premier temps son
système défensif, elle est toujours aussi méfiante à mon égard. Elle a développé une
armure défensive à l’encontre du gynécologue qui l’a accouchée du bébé mort, puis des
deux psychiatres, puis du mari, enfin de moi-même.
Mais pourquoi semblait-il vital que la belle-sœur soit omniprésente ? Six mois après le
décès de son bébé, cette belle-sœur accoucha d’une petite fille. Paméla vécut très mal ce
moment-là, et on peut imaginer l’hostilité qu’elle put ressentir à l’égard de la chanceuse.
Depuis, Paméla ne la lâche donc plus, lui étale ses difficultés, l’amène avec elle en consul-
tation, comme si elle voulait lui faire payer le bonheur d’être mère d’une petite fille.
Reviendra-t-elle me voir ? C’est peu probable.
™™ Solange présente depuis l’âge de 14 ans des nausées, apparaissant essentiellement
lors des contacts sociaux. Elles ont débuté dans les suites de son premier flirt. Elle était
déjà venue au cabinet il y a deux ans mais n’avait pas donné suite, craignant de succomber
à un transfert amoureux, chose qui s’était produite avec son premier psychiatre. Quant
au second, elle le trouvait, selon ses propres termes, « vicieux ». À la seconde séance, elle
rapporte un rêve me mettant en scène : « Vous me proposez de retourner avec moi sur
les lieux de mon enfance. Je m’évanouis et vous me réanimez. » Les nausées constituent
un équivalent hystéro-phobique, tout contact avec l’autre représentant une métaphore
du contact sexuel avec le personnage paternel à la fois désiré et redouté. Elles disparaî-
tront pendant la psychothérapie.
Le transfert primaire semble trouver son issue terminale après la première, voire les
premières rencontres. Dans les suites de celles-ci, se produisent des remaniements qui
vont donner une forme cristallisée à la relation d’objet, induisant parfois des surprises
650
Les représentations de la maladie

chez le praticien. Tel patient qui paraissait enchanté à l’issue de la première consulta-
tion, et qui avait pris rendez-vous pour une deuxième séance, n’honorera pas celle-ci
sans prévenir ou oubliera de venir. Tel autre patient, réticent si ce n’est hostile lors de la
première entrevue, se déclarera enchanté à l’issue de la rencontre pour des raisons qui
de toute évidence nous avaient échappé. Il s’agit de phénomènes liés à un remaniement
intrapsychique, le plus souvent inconscient, dans les jours et les nuits qui ont suivi la
première entrevue.
Dans les suites, toutes ces réactions pourront s’inverser. C’est ici que débute le transfert
secondaire.

9-2. Le transfert secondaire


Le transfert secondaire est issu de la relation thérapeutique. Il atteste lui aussi, et
peut-être plus que le transfert primaire, de l’organisation psychique du sujet. Il n’est pas
sans effet sur l’évolution de la maladie. Il n’est lui aussi que la réédition des relations du
sujet enfant avec son monde.
Autant le transfert primaire est brut de décoffrage, cristallisation des perceptions,
représentations, déplacements, projections du patient, autant le transfert secondaire
est le fruit d’une élaboration plus lente, fluctuante et indissociable de l’évolution de la
pathologie, telle une relation affective constituée, dont les fluctuations sont fonction des
expériences actuelles modulées par les expériences passées.
Dans d’autres cas, l’instauration du transfert secondaire se traduit par une bascule
brutale et inattendue des réactions du patient. Certains patients qui ne juraient que par
nous vireront casaque, au hasard d’une consultation, d’un mot prononcé dont nous ne
gardons même pas le souvenir, ou bien de la rencontre d’un confrère. La haine succède
souvent à l’idéalisation. D’autres, d’emblée réticents, méfiants, défiants, hostiles, contra-
dicteurs, opposants, exigeants, dominateurs, deviendront fidèles, constants, respectueux,
confiants, élogieux, au gré de ces mêmes événements. Très rarement, nous avons l’occa-
sion de connaître ce qui a déterminé le basculement. Quand ces situations se produisent,
plutôt que de tempêter sur le patient ingrat ou de nous flageller en pensant avoir commis
une faute impardonnable, pensons plutôt aux transferts secondaires et, si la possibilité
nous est offerte, tentons de les élucider.
L’évolution de la pathologie est pour une part conditionnée par le transfert secondaire.
Elle lui ait pour une part tributaire.
Le changement de l’attitude initiale du patient atteste du surgissement du transfert
secondaire. Moment fécond pouvant être difficile pour le patient et le thérapeute, il
nécessite une pause dans la traversée, une interrogation réciproque, un éclaircissement,
un ajustement, sans lesquels la relation et la pathologie risquent d’éclater sous diverses
formes.

10. LE POLYTRAUMATISME DE LA MALADIE


Les vécus traumatiques induits par la maladie sont de nature différente d’un sujet et
d’une maladie à l’autre. On y retrouve souvent de manière conjuguée les différents types
de vécus que nous avons abordés lors de notre étude sur les traumatismes : contrainte,
attente, menace, perte, agression.
651
Traité de médecine psychosomatique

Les contraintes sont liées aux conséquences de l’altération somatique (alitement,


asthénie, handicap moteur ou sensoriel, limitation de l’activité) et des thérapeutiques
(adaptations matérielles, contraintes horaires, dépendance).
Les attentes et les menaces sont quasi constantes : incertitudes concernant l’évolution
de la maladie, le devenir immédiat ou à long terme, renoncement, remise en cause ou
ajournement des projets. Elles sont fortement anxiogènes : angoisse de destruction, de
séparation, de castration, angoisse de mort.
Le vécu d’agression est fréquent et dépend lui aussi du type de maladie et des traite-
ments : agression liée aux sensations internes, agression liée aux thérapeutiques.
Le vécu de perte est constant, même s’il est transitoire dans les maladies à évolution
bénigne.
Les pertes sont souvent réelles :
––pertes matérielles, professionnelles ;
––conséquences relationnelles, familiales et sociales : repli sur soi que favorise l’atteinte
narcissique, le désinvestissement des objets extérieurs, mais aussi la distance prise par
les autres. Les sujets bien portants fuient les sujets malades. Les désordres relationnels
induits par la maladie aboutissent trop souvent de nos jours à une séparation, l’autre
ne supportant plus ce qu’est devenu le sujet.
Les séparations d’avec les objets investis sont fréquentes : séparation transitoire ou
de longue durée d’avec l’environnement familial, le lieu d’habitation, le travail, le milieu
social.
À la réalité de la perte, s’associe souvent un vécu de castration :
––perte ou altération fonctionnelle : atteinte motrice, sensorielle, sexuelle ;
––obligation de renoncer à des activités hédoniquement investies ;
––prescriptions médicales restrictives et souvent excessives : arrêt de l’exposition au
soleil, de la consommation de certains aliments, régimes, renoncement à des voyages,
des activités de loisir, des projets professionnels, mesures d’isolement, suppression de
supposés agents allergéniques, de certains toxiques, etc. ;
––atteinte narcissique : altération de l’image du corps, de l’image de soi, de la relation
avec soi-même.
Ainsi, le polytraumatisme de la maladie affecte souvent l’ensemble des secteurs
existentiels.
Dans d’autres cas, le surgissement brutal d’une maladie peut provoquer une sidération
transitoire de l’élaboration psychique et du système défensif, tel que l’on peut la rencon-
trer dans certains syndromes psychotraumatiques. Les réactions se limitent alors à un état
de détresse indifférencié. La conduite à tenir à ce stade inaugural de la maladie est celle
d’un simple pare-excitation, d’une assistance contenante, d’une aide attentive à investir
de nouveaux objets, d’une réanimation des instincts et pulsions de vie, d’une réassurance
inspirée du « bon sens », dont les proches du patient et la plupart des soignants savent
faire preuve.
Le syndrome psychotraumatique peut surgir en l’absence de traumatisme préexistant
ou bien sous l’effet d’un mécanisme d’après-coup.
652
Les représentations de la maladie

™™ Lara-Line traverse à l’âge de 23 ans une période de turbulences. Elle est alors en
licence de lettres, vient de passer ses examens pour lesquels elle a énormément travaillé.
Elle échoue. Dans la semaine qui suit les résultats, elle développe une bronchite, une
gastroentérite, puis des paresthésies bilatérales, une hypotonie motrice générale, et enfin
une paralysie du membre supérieur droit, puis du tronc. Hospitalisation. Trachéotomie.
Réanimation pendant un mois et demi. La pathologie est attribuée successivement à un
cytomégalovirus, puis à une maladie de Lyme avant que ne soit posé le diagnostic de
syndrome de Guillain-Barré. L’hospitalisation durera six mois. Le verdict des médecins est
alors formel : « Il vous faudra dix ans pour vous en remettre ! »
C’est précisément dix ans après, au moment où la période critique prend fin, que
Lara-Line vient me consulter. Elle est alors enceinte de deux mois, ce qui n’enchante pas
son mari qui ne voulait pas d’un deuxième enfant. Car elle a vécu une première grossesse
difficile il y a trois ans : une anxiété majeure à l’idée d’être paralysée par la péridurale indui-
sit des contractions subintrantes. Depuis sa maladie, elle est assez déprimée, fatiguée,
a toujours froid. Elle présente une sténose trachéale séquellaire de la trachéotomie. Le
sentiment de précarité corporelle est omniprésent. Les rêves traumatiques perdurent : les
fourmillements, les bips de la salle de réanimation, on la poursuit et elle tombe paralysée.
La nouvelle grossesse se passera bien.
™™ Danielle a développé un cancer du sein « sanctionné » par une mastectomie. Elle
est dépressive. Elle n’accepte pas sa prothèse mammaire. Pour les médecins qui la suivent,
elle n’a aucune raison de se plaindre, car elle est considérée comme guérie. Cette mastec-
tomie qu’elle n’accepte pas a fait resurgir un traumatisme qui réapparaît depuis dans ses
cauchemars. C’était il y a six ans. Un voisin tira sur eux plusieurs coups de fusil au cours
d’une garden-party. Elle était enceinte. Son mari et son fils, gravement blessés, subirent
une opération pendant qu’elle accouchait prématurément. Bien que le mari soit resté
aveugle et le fils handicapé, la vie a repris son cours. Seule la mastectomie a réactivé le
traumatisme de la perte et de la castration.

653
Chapitre 23

LES RÉACTIONS À LA MALADIE

1. L’OBJET MALADIE
Quelque chose dans notre corps vient rompre le silence et l’harmonie, s’impose à
nous avec insistance, nous perturbe, nous inquiète, nous fait mal, nous anéantit. Ainsi, la
maladie crée une division au sein de notre unité entre ce que nous pensons être et une
partie de notre corps qui s’en dissocie, une enclave que nous considérons comme n’étant
plus nous-même.
Lorsqu’un agent extérieur a été identifié et déclaré comme unique responsable de la
pathologie (bactérie, virus, toxique, corps étranger, allergène, envoûtement), l’auteur du
mal est identifié. Pourtant, nous savons tous, tout au moins ici, que l’agent extérieur ne
suffit pas à déclencher la maladie et que la réactivité de l’individu a sa part de responsa-
bilité. L’évolution de la médecine à partir de l’ère pastorienne a fait une part belle à l’exo-
gène dans le déclenchement de la maladie, et il n’est pas impossible que cette conception
ait accentué le clivage entre le sujet et sa maladie. Car il est insupportable de se considérer
comme la seule cause de son malheur. Il est plus confortable de projeter dans le monde
qui nous entoure les causes du mal.
Mais que dire de la douleur, de l’inflammation, du spasme, de la paralysie, de la tumeur,
qui naissent et se développent au plus profond de nous-même, sans qu’un agent extérieur
clairement identifiable ait pu en être considéré comme le déclencheur ?
La douleur a pour rôle de provoquer une réaction de retrait et de protection face à
l’agression externe. C’est un signal d’alarme qui fonctionne bien face à la brûlure acciden-
telle ou à la meurtrissure. Mais comment la considérer comme une alliée quand ce sont
nos propres tissus qui la génèrent ? Quel est cet objet interne qui m’attaque ? Comment
le combattre et l’éliminer si ce n’est à terme en détruisant une part de son hôte ? La repré-
sentation de cette issue tragique sollicite à nouveau le système défensif.
Ce n’est plus mon corps qui génère la tumeur, c’est un processus interne certes, mais
un processus étrange qui finit par devenir étranger. Je dois l’éliminer comme un ennemi
extérieur, le tuer, le dissoudre. Et tout m’y engage, y compris mes alliés les soignants. Coali-
tion contre l’ennemi commun qui est pourtant une part de moi-même.
Ainsi, le clivage opéré au sein des représentations du corps constitue un premier
mécanisme de défense contre la maladie. La maladie n’est plus une partie constitutive
du soi, mais un objet séparé du moi. Et c’est ainsi que les réactions face à la maladie
prennent tout leur sens, en s’inscrivant comme autant de mécanismes de défense contre
un ennemi extérieur.

655
Traité de médecine psychosomatique

2. LES RÉACTIONS DE DÉFENSE


2-1. Fonctions d’autoconservation
Les fonctions d’autoconservation (assimilation, récupération, reproduction) ne
peuvent fonctionner qu’en temps de paix, en l’absence d’agression. Lors de la maladie,
elles sont soit mises en veilleuse, soit sollicitées paradoxalement selon le système défensif
du sujet. Bien qu’elles constituent un système de régulation de l’homéostasie, nous ne
nous y attarderons pas, car elles sont le plus souvent aisément compréhensibles par les
soignants. D’autant que ceux-ci disposent d’un éventail thérapeutique pour pallier leur
désordre : la carence alimentaire peut être compensée par des apports parentéraux et le
sommeil peut être restitué grâce à des médicaments. L’assistance sexuelle a même été
revendiquée pour les sujets handicapés…
Le bouleversement de la sexualité psychique et de la vie sexuelle chez le sujet malade
est, lui aussi, plutôt de type déficitaire : dysfonction sexuelle, appauvrissement fantasma-
tique, handicap, évitement, renoncement. En ce qui concerne son impact sur la maladie,
il importe de préciser qu’il est moins important qu’on a pu le croire.
Si les fixations psychosomatiques érogènes peuvent déterminer des cibles somatiques
potentielles, les déficits ou les aberrations de la vie sexuelle génitale ne jouent pas un
grand rôle dans le déterminisme des maladies somatiques pas plus que dans leur évolu-
tion. Les destinées de la pulsion agressive jouent un rôle beaucoup plus pathogène d’un
point de vue somatique que celles de la pulsion sexuelle dont les expressions sont essen-
tiellement psychiques ou comportementales.
Par contre, la maladie organique redistribue la libido dans le sens d’un désinvestisse-
ment des objets d’amour et du monde extérieur au profit du moi. « Celui qui est affligé
de douleurs organiques et de malaises, abandonne son intérêt pour les choses du monde
extérieur pour autant qu’elles n’ont pas de rapport avec sa souffrance. » (Freud, Pour
introduire le narcissisme.) La stase de la libido retirée aux objets au profit du moi peut se
traduire par une accentuation des perceptions somesthésiques. De même, l’investisse-
ment libidinal de la fonction malade peut engendrer une érotisation de celle-ci et contri-
buer ainsi à entretenir la maladie selon un mode masochiste. Ferenczi (Œuvres complètes),
évoquant les patients atteints de douleurs dentaires dit : « Ils sucent, tirent, aspirent à
l’aide de leur langue la dent malade, fouillent dedans avec divers instruments et recon-
naissent eux-mêmes que ces manipulations s’accompagnent de sensations manifestes de
plaisir (…).» Mais il n’est pas exclu que la régression libidinale ainsi induite puisse avoir,
comme nous le verrons plus loin, un effet réparateur.

2-2. Fonctions défensives
Face à la maladie, ennemi clivé du moi, mais cependant omniprésent dans le corps,
le système défensif de l’individu se mobilise selon des séquences adaptatives similaires à
celles qui apparaissent lors de l’attaque par un prédateur. Les traces phylogénétiques de
l’adaptation constituent la matrice des réactions défensives à l’encontre de la maladie.
Ces réactions défensives peuvent alterner ou se succéder chez un même sujet. Elles
peuvent aussi s’intriquer, créant des expressions cliniques composites. Chez d’autres
sujets, plus particulièrement ceux qui présentent une personnalité pathologique, elles
ont par contre un caractère plus stéréotypé.
656
Les réactions à la maladie

Phylogenèse Réactions à la maladie


Fuite (flight) Déni, refus de la maladie ou du soin
Attaque, combat, lutte (fight) Agressivité
Immobilisation défensive (freezing) Angoisse
Soumission, défaite Deuil ou dépression
Repli Régression

Matrice phylogénétique des réactions défensives face à la maladie


Nous allons consacrer l’essentiel de cet exposé à ces réactions adaptatives défensives
car ce sont elles qui, du fait de leur caractère souvent paradoxal ou incompréhensible,
posent le plus de problèmes aux soignants.
Il importe d’analyser chacune des réactions dans toute sa spécificité, dans sa forme
clinique la plus pure qui soit, car son repérage constitue pour le soignant une donnée
importante pour évaluer la dynamique sous-jacente, ses conséquences sur la maladie et
la conduite à tenir.

3. LA FUITE
Les réactions de fuite peuvent survenir aux différents stades d’évolution de la maladie,
mais surtout lors de moments évolutifs. Tout d’abord au début, en tant que réaction
défensive immédiate. La première réaction de l’antilope lorsque surgit le lion est la fuite.
Chez le sujet malade, la fuite est rarement motrice, il est difficile de fuir un ennemi
intérieur. Mais certains sujets ont réagi face à la maladie en changeant de lieu, en déména-
geant, parfois en s’expatriant. La littérature foisonne de cas où des sujets, se sentant
condamnés, décident de quitter leur domicile, leur métier, parfois leur famille, pour s’en
aller vivre ailleurs. Le bouleversement existentiel a pu chez quelques sujets avoir des effets
curatifs. Mais c’est loin d’être systématique.
La fuite chez le sujet malade est en fait et surtout une fuite psychique. Les principales
modalités en sont le déni, l’inacceptation de la condition de malade et le refus de soins.

3-1. Le déni de la maladie


Le déni est une réaction fréquente au début de l’installation d’une maladie, notam-
ment lors des affections tumorales, du diabète, des maladies de système, des séquelles
d’accident.
La maladie peut être déniée dans son intégralité, le sujet fonctionnant comme s’il
n’était pas malade. Mais, le plus souvent, le déni concerne uniquement certains éléments
de la maladie (sa nature ou ses origines) ou bien certaines paroles ou prescriptions
médicales (diagnostic, pronostic, règles thérapeutiques).
Le déni est mal vécu et farouchement combattu par les soignants, car il est perçu
comme une remise en cause des paroles et des prescriptions médicales, et génère une
« indiscipline » par rapport aux soins, si ce n’est des abandons thérapeutiques.
Les réactions des proches sont variables : tantôt le déni est mal vécu, voire combattu
par l’entourage, tantôt il peut s’étendre à ce dernier. Une lutte s’engage alors entre la
famille et les soignants.
657
Traité de médecine psychosomatique

Nous ne disposons pas d’études sérieuses concernant l’impact des différentes formes
de déni quant à l’évolutivité de la maladie. J’ai par contre l’expérience personnelle,
plus particulièrement au niveau de mon ancienne activité de médecin généraliste, de
rencontres avec des sujets ayant dénié à des degrés divers leur maladie. L’évolutivité de
la maladie est très variable d’une maladie et d’un sujet à l’autre : chez certains sujets, le
déni s’est avéré salvateur, parfois de manière spectaculaire, chez d’autres, il n’a fait que
précipiter l’évolution fâcheuse de la maladie. Le déni protège de l’angoisse et a peut-être
aussi d’autres fonctions : évitement d’une désorganisation, réorganisation, préservation
des instincts de vie.
Faut-il respecter le déni, le combattre activement, ou le négocier ? La réponse ne peut
donc être univoque et systématique, mais adaptée à chaque situation et à chacun des
protagonistes. Elle ne peut être renseignée que par une connaissance du sujet et de son
histoire, car le déni a toujours du sens et des causes. Sans la connaissance de ces dernières,
il n’y a pas de réponse possible.

3-2. L’inacceptation de la condition de malade


C’est un refus du verdict, de la sentence, de la condamnation, des injonctions théra-
peutiques ou préventives, et surtout du pronostic.
Cela peut entraîner des ennuis de santé mais pas toujours, notamment lorsque le
patient perçoit intuitivement dans la voie qui lui est proposée une source de déséquilibre
ou de désorganisation. Ce fonctionnement peut être le fait d’une défense de type narcis-
sique ou l’expression d’une lutte contre la castration : le sujet refuse d’être dominé, soumis
ou livré à l’autre. Il peut aussi être une expression salvatrice des pulsions et instincts de vie.
™™ Tel jeune homme se vit affublé d’un diagnostic et d’un pronostic redoutable dans
les suites d’une énième crise de rhumatisme articulaire aigu ayant laissé des séquelles
lésionnelles à type de valvulopathie cardiaque. Il lui fut interdit toute activité physique et
encore moins sportive. Le médecin annonça la couleur à sa jeune épouse : il ne dépasse-
rait pas les trente ans. Il décida de ne pas en tenir compte et ne compta plus ses heures
acharnées de travail. Il s’y rendait en courant, il en revenait en courant. Il ne se plaint
jamais. Ce n’est qu’à l’âge de 69 ans, après le décès de ses parents et lorsque son petit
commerce subit la désagrégation induite par les grandes surfaces, qu’il développa une
insuffisance cardiaque. Il fut opéré, retrouva sa santé et vécu heureux jusqu’à l’âge de
84 ans.

3-3. Le refus de soins


Le refus d’examens médicaux est le plus souvent le fait d’une crainte : crainte de la
souffrance, crainte de complications ou d’accidents, crainte d’un diagnostic, crainte plus
inconsciente d’être dévoilé : quelque chose en moi pourrait être mis au jour, révélé, à l’autre
et à moi-même. La chose qui risquerait d’être vue est bien sûr de l’ordre de l’inconscient.
C’est de toutes façons, le mal, la faute, le désir.
Le refus des investigations est souvent l’objet de dérobades telles que déplacements ou
annulations de rendez-vous.
Le refus des thérapeutiques peut, quant à lui, avoir plusieurs origines :
––la peur : peur d’une intervention, d’un effet secondaire, d’une dépendance ;
658
Les réactions à la maladie

––le refus de la castration : être limité dans sa liberté (régimes, restrictions), dans son
plaisir ;
––la divergence des avis médicaux ;
––des informations extérieures remettant en cause le bien-fondé des thérapeutiques
proposées ;
––un positionnement idéologique : danger de la chimie, respect des défenses naturelles,
etc.
Dans ces types de conduite, le soignant est soit investi d’une toute puissance : sadique
(il va me tuer, me posséder), divinatoire (il va savoir), ou castratrice (il va me châtier), soit
discrédité (il est nul, il n’y comprend rien, je n’en ai pas besoin).
™™ Le jeune homme dont nous venons de parler eut un fils qui devint médecin. Sa
circonspection au niveau des examens invasifs, de certaines interventions chirurgicales
aux indications limites, des prescriptions de médicaments à forts risques de toxicité, prit
peut-être racine dans le défi paternel réussi, à moins qu’il ne s’agisse de l’épouvante vécue
en son jeune âge lors d’une amygdalectomie, particulièrement traumatique mais tout
autant légitime du fait des antécédents paternels. Lors de ses études de médecine, il fit
un pneumothorax spontané dans les suites du décès de son grand-père maternel. Il fut
hospitalisé mais, bien que dyspnéique, quitta sa chambre par la fenêtre quelques minutes
avant la ponction, rejoignit son logis en auto-stop, resta tranquillement au lit pendant
trois semaines, le temps que la plèvre retrouve son état initial.
Quelques année plus tard, son oncle maternel avait lui aussi été hospitalisé pour des
investigations médicales. Il avait lui aussi refusé de rester sur les lieux et était rentré en
auto-stop chez lui. Il vécu jusqu’à 85 ans.
Plus récemment, ledit médecin développa une sigmoïdite dans un contexte de stress
évident. Il lui fut enjoint de se soumettre à une coloscopie. Ayant dans son activité de
consultant dans une clinique été appelé auprès de deux patients victimes d’une perfora-
tion, il négocia avec le gastroentérologue pour que l’intervention se limite à une colosco-
pie partielle gauche sans anesthésie. Dont acte. Les médecins sont des patients difficiles.
C’est peut être pour cela qu’ils sont médecins.
Certains refus de soins sont le fait d’une intuition parfois salvatrice. Quant aux formes
mineures d’évitement, elles sont fréquentes, diverses et variées, et compliquent la vie du
soignant : mise en échec du praticien, négligence, voire abandon dans le suivi du traite-
ment, rendez-vous manqués, etc.
Loin de nous l’idée d’encourager ou de soutenir l’ensemble de ces réactions de fuite.
Il s’agit d’en repérer surtout le caractère défensif. Le refus de soins ne peut être lui aussi
compris qu’au travers d’une connaissance approfondie du sujet, de son histoire et de ses
représentations de la maladie et du soin.

4. L’AGRESSIVITÉ
La répression de l’agressivité a – comme nous l’avons vu tout au long de ce livre – un
pouvoir pathogène central dans un grand nombre de pathologies. Elle peut induire leur
apparition et les moments d’aggravation. La levée de la répression de l’agressivité consti-
tue un axe central dans le traitement psychique de ces maladies. De fait, si les différentes
659
Traité de médecine psychosomatique

formes d’expression de l’agressivité sont considérées comme incongrues ou délétères par


l’entourage et les soignants, nous ne saurions d’un point de vue psychosomatique nous
insurger de manière systématique à leur encontre.
L’agressivité non réprimée se manifeste de différentes façons chez le sujet malade : agres-
sivité à l’encontre de l’objet maladie, hétéro-agressivité directe à l’encontre des proches et
des soignants, agressivité remaniée par les processus défensifs. Quant à l’auto-agressivité,
elle constitue une des expressions de la défaite que nous aborderons plus loin (p. 666).

4-1. L’agressivité à l’encontre de l’objet maladie


L’attaque fantasmatique de l’objet maladie
Une réaction fréquente est l’attaque de l’objet maladie, intrus clivé du moi, corps
étranger. Il s’agit d’une révolte contre une partie du soi. Il est très difficile à un patient de
considérer que la tumeur, l’inflammation, le spasme, le dérangement mécanique, sont le
produit d’une défense, voire de les considérer comme des alliés. Quelque chose a échappé
au sujet, s’est désolidarisé de son unité.
L’agressivité contre l’objet maladie est le plus souvent fantasmatique. Le sujet attaque
l’ennemi au travers d’un scénario. Il se voit l’extirper de son corps, le tuer, le dissoudre.
Cette activité fantasmatique est sollicitée dans certaines thérapeutiques de suggestion,
telles que l’hypnose et la visualisation.
Dans d’autres cas, cette agressivité ne se limite pas au fantasme. Elle peut produire des
réactions verbales (plainte, attaque injurieuse de l’objet), voire des réactions d’attaque du
corps : acharnement sur une lésion cutanée, utilisation de procédés à contenu magique,
mobilisation du corps lorsque l’immobilité a été prescrite. Certains animaux n’hésitent
pas à attaquer physiquement la partie lésée qui les handicape ou les fait souffrir.
D’un point de vue thérapeutique, il est difficile d’évaluer les effets de cette forme
d’agressivité. Les techniques d’hypnose ou de visualisation semblent avoir parfois un
effet bénéfique dans certaines pathologies. Dans les pathologies fonctionnelles liées à la
répression de l’agressivité, l’expression émotionnelle de celle-ci, y compris à l’encontre de
l’objet maladie vécu comme persécuteur, a en règle générale un effet trophique.
À l’égard de certains de ces comportements, les réponses habituelles des soignants
sont variables mais le plus souvent critiques. Lorsque le comportement va à l’encontre
des prescriptions et des soins, lorsque l’agressivité apparaît de manière plus ou moins
directe – ne serait-ce que sous forme d’agitation – le soignant s’instaure en parent répro-
bateur : « Calmez-vous… » Nous savons que, d’un point de vue psychosomatique, cette
injonction, lorsqu’elle est suivie d’effet, peut accentuer le désordre de l’excitation.

Le « combat courageux » orchestré


Alors que la révolte que nous venons d’évoquer est le fait d’une instinctualité indivi-
duelle souvent trophique, le « combat courageux » qu’évoquent régulièrement les
médias lorsqu’une célébrité décède au terme d’une « longue maladie » et que proposent,
en toute bonne foi, de nombreux soignants, plus particulièrement en cancérologie, a des
effets imprévisibles. « Nous allons nous battre… Il faut vous battre. » Ces propositions, ces
injonctions impliquent bien sûr une soumission totale au corps soignant.
660
Les réactions à la maladie

Le danger est que, le plus souvent, ce combat est dénué, contrairement au précédent,
d’activité fantasmatique et d’expression émotionnelle. Orchestré par l’équipe soignante, il
utilise des mécanismes de défense souvent opératoires et uniformisés centrés sur l’actuel,
ne tenant pas compte du fonctionnement psychique du sujet, appauvrissant du même
coup son univers fantasmatique tout en asséchant les affects.
Le relais est souvent pris par les associations de malades et les défenseurs des grandes
causes. Un seul facteur inducteur de la pathologie est ici isolé, tel le virus du sida, par
exemple, le gène de la myopathie, et bien d’autres. Le facteur désigné comme tel est
l’objet à abattre. Il s’ensuit une occultation totale et farouche des autres déterminants.
Je cite Robert Babeau (Approches psychosomatiques du cancer du sein) : « Un vécu
sthénique, agressif envers la maladie, peut s’avérer, de façon paradoxale, être de mauvais
pronostic dans les pathologies liées à “la perte” comme le sont le plus souvent les cancers.
En effet l’issue favorable se situerait, ici, plutôt du côté de l’accès à un mouvement
dépressif qu’à une position de lutte qui consiste seulement à faire plus de la même chose…
Le combat dont il est question ici est celui d’une guerre contre l’ennemi désigné, dans
laquelle le sujet malade est un simple fantassin dont les assauts successifs sont conformes
au but fixé par le médecin. » Position théorico-clinique qu’ont confirmée d’autres auteurs.
Cette notion de « combat courageux » peut de surcroit comporter une dimension
mégalomaniaque ou perverse : il y aurait de bons combattants en rang d’oignons et des
brebis galeuses qui ne savent pas ou ne veulent pas se battre. La culpabilisation est au
décours. Et nous connaissons ses conséquences sur la maladie.

4-2. L’hétéro-agressivité
La nécessité de la levée de la répression de l’agressivité pourrait nous inciter à valoriser,
voire à encourager les expressions agressives directes, quelles qu’elles soient, y compris
celles à l’encontre des proches et des soignants. Ce serait oublier que l’agressivité trophique
ne passe pas nécessairement par le verbe ou le comportement. Comme nous l’avons vu,
les productions psychiques (représentations et affects agressifs) constituent une voie de
décharge éminemment trophique de l’agressivité dans les pathologies de la répression.
Ce serait oublier aussi que l’évolution sociétale favorise plus la décharge comporte-
mentale de l’agressivité que son élaboration psychique. Il ne s’agit donc pas de cautionner
l’hétéro-agressivité mais d’en comprendre le sens, la fonction et le but, avant d’y répondre.
Les expressions de l’hétéro-agressivité sont variables d’un sujet à l’autre : agressivité
massive, primaire, clastique, régressive, opposante, menaçante, peu élaborée. Agressivité
larvée, sourde, voire agressivité remaniée par les processus défensifs s’exprimant essentiel-
lement au niveau du caractère.
Du point de vue de l’agressivité directe, il y a lieu aussi de distinguer une agressivité
compréhensible, si ce n’est nécessaire d’un point de vue économique, et l’agressivité qui
témoigne d’une pathologie individuelle ou collective.
L’agressivité compréhensible que l’état de malade suffit seul à générer est aggravée dans
de nombreuses circonstances : souffrance et handicap physique, angoisse, absence de
réponses des soignants, préoccupations existentielles (travail, famille, etc.), soins n’appor-
tant pas le soulagement souhaité, attente, investigations, manipulations, immobilisation,
661
Traité de médecine psychosomatique

désinvolture ou irrespect de certains soignants, voire maltraitance. Cette agressivité


normale, compréhensible, est celle de l’animal blessé.
Bien qu’il soit difficile au soignant de comprendre et de contenir cette agressivité
tout en suivant la démarche indispensable de soins, il vient un moment où la meilleure
solution est de faire une pause, aussi courte soit-elle, afin de s’enquérir de ses motifs.
Accepter, contenir et nommer l’agressivité du patient en cherchant à comprendre ce qui
la motive d’un point de vue des allégations, mais aussi et surtout du point de vue de sa
signification profonde. Sinon, c’est l’escalade (réponse par l’agressivité) ou la soumission
(disqualification du soignant). L’une comme l’autre aboutissent à une impasse, autant
pour le patient que pour le soignant.
Un soutien de l’entourage immédiat peut s’avérer nécessaire dans certaines de ces
situations. Les proches doivent être aidés à accepter leurs pensées hostiles qui peuvent
surgir à l’égard du malade, à comprendre que l’agressivité de celui-ci ne leur est pas direc-
tement destinée mais peut constituer une défense réorganisatrice.
L’agressivité pathologique a, quant à elle, deux origines distinctes : le fonctionnement
psychique pathologique de certains sujets et les déterminants sociétaux.
Les processus psychotiques, les fonctionnements pervers, paranoïaques, limites, voire
hystériques, certaines névroses de caractère ou de comportement, sont source fréquente
de manifestations hétéro-agressives qui doivent faire l’objet d’un avis spécialisé.
L’évolution sociétale a instauré de son côté une autre forme d’agressivité : l’agressi-
vité conquérante. Agressions verbales, physiques, menaces, injures, contrôle du soignant,
prise de pouvoir, exigences quant aux modalités et finalités de l’acte médical. Elle est le
fruit de la conjonction d’une disqualification des soignants considérés comme de simples
serviteurs et du cautionnement de la prise de pouvoir par certains sujets, groupes ou
communautés. Cette forme d’agressivité en constante augmentation n’a pas à être enten-
due. Lorsqu’elle surgit, le soin s’arrête. Il ne reprendra que lorsque les manifestations
agressives auront disparu. Si elle persiste, l’appel à un tiers extérieur représentant la loi
est nécessaire.

4-3. Agressivité remaniée par les mécanismes de défense


Déplacement de l’agressivité
L’agressivité peut se déplacer sur des personnes, mais aussi sur des objets matériels,
voire des objets psychiques (le sort, la providence, les causes supposées de la maladie),
ou bien au travers de comportements de décharge ou de substitution (comportements
opératoires, addictions).
Le déplacement de l’agressivité sur un autre objet suite à la répression de l’acte à l’égard
d’un premier objet constitue le modèle instinctuel phylogénétique archaïque du déplace-
ment de l’affect sur une autre représentation. Dans le premier cas, il s’agit d’un obstacle,
dans le deuxième cas, d’un interdit.
Le premier implique la répression de l’acte, le second le refoulement de la représenta-
tion. Le déplacement de l’émotion préfigure le déplacement du sentiment.

662
Les réactions à la maladie

O1 O2 R1 R2

Abandon Déplacement du Déplacement


de l’objet comportement Refoulement de l’affect
C A

Émotion e

Déplacement comportemental (à gauche) et affectif (à droite) de l’agressivité

Projection de l’agressivité
La revendication pathologique peut être liée à une organisation psychopathologique
particulière (paranoïa) ou bien aux facteurs sociétaux précédemment évoqués. Il existe
souvent une potentialisation réciproque de ces deux déterminants.
Elle peut revêtir des formes atténuées (exigences au niveau des modalités d’examen,
des soins, des délais, des conditions matérielles, demande de prestations matérielles,
menaces en demi-teinte) ou violentes (menaces, procès, agressions).

Transformation de l’agressivité en son contraire


Elle peut induire une attitude soumise à l’égard du corps médical dont les consé-
quences ne sont pas sans danger, car elle s’accompagne de répression. De nombreux
sujets, ainsi que leur famille, optent souvent pour ce type d’attitude, espérant amadouer
certains soignants peu scrupuleux, voire s’octroyer leur attention particulière dans le
but compréhensible d’être bien soignés. C’est en règle générale sans effet, la déférence à
l’encontre du soignant défensif est souvent interprétée par celui-ci comme une faiblesse
ou un cautionnement. Le patient n’en est pas mieux soigné pour autant, la famille pas
plus respectée. Les médecins, lorsqu’ils sont confrontés à la maladie ou à celle de leurs
proches, sont les victimes privilégiées de ce type de situation.

Humour
L’humour transforme l’agressivité ou la plainte en un énoncé inducteur de satisfaction
pour le sujet. Il permet la levée du refoulement en déjouant la censure ou la levée de
la répression en désarmant l’autre. Alors que le propos direct eût mobilisé chez celui-ci
une réaction défensive, l’humour le fait rire et donc le détend. Le contenu du message
est identique, mais il est accepté et n’attend pas de réponse. Seul le sujet prend la parole
et court-circuite l’affrontement. En ce sens, il constitue une voie de décharge non négli-
geable de l’excitation délétère.

Sublimation de l’agressivité
La sublimation de l’agressivité constitue la destinée la plus trophique pour le sujet, son
monde et son équilibre psychosomatique. Nous l’évoquerons succinctement p. 764 à
765.
663
Traité de médecine psychosomatique

5. RÉACTIONS D’INHIBITION : L’ANGOISSE


Au cours d’une maladie sévère, la peur est toujours au rendez-vous. Son objet est
variable : peur de la souffrance, peur des interventions médicales, peur de l’anesthé-
sie, peur de mourir, etc. Mais peut-on réellement parler de peur ? Ne s’agit-il pas en fait
d’angoisse ?
Revenons sur les distinctions. L’angoisse se distingue de la peur par l’existence d’une
conflictualité entre deux tendances opposées, son caractère anticipatoire, la préséance
des représentations sur les perceptions.
Ce que vit et subit l’animal malade qui est en nous génère la peur. Mais les représen-
tations conscientes, préconscientes et inconscientes de la maladie, de ses causes, de son
évolution, de son traitement, de ses conséquences, génèrent l’angoisse.
L’angoisse peut surgir à tous les stades évolutifs de la maladie, mais certaines circons-
tances sont particulièrement propices à son apparition ou à son exacerbation :
––au début de la maladie, lorsque le sujet prend conscience de sa précarité ;
––lors d’une pathologie aiguë : la panique et l’angoisse de mort sont intenses ;
––lorsque le sujet ignore les causes de sa maladie ;
––lorsqu’il ignore l’évolutivité de sa maladie ;
––à l’annonce de certains diagnostics et pronostics ;
––lors de rechutes ou de poussées évolutives ;
––s’il existe un sentiment de culpabilité, qui peut être renforcé par les soignants ;
––dans l’attente d’investigations ou de résultats d’examens complémentaires ;
––lorsque l’expression émotionnelle est réprimée : répression de l’expression de l’agres-
sivité, de la peur, de la tristesse.
Si la réassurance est nécessaire, son effet n’est pas durable, car elle repose sur des
représentations différentes de celles du sujet, si ce n’est, trop souvent, sur des réponses
défensives, fuyantes, sibyllines, abruptes et standardisées, destinées avant tout à apaiser
l’angoisse non pas du sujet malade mais du sujet soignant.
Encore une fois, une connaissance minimale du sujet malade, de son histoire, des motifs
souvent complexes de son angoisse, constitue un préalable nécessaire. Ainsi pourra-t-on
rectifier un tant soit peu les représentations qui l’alimentent. Ceci nécessite une disponi-
bilité minimale de la part du soignant, et une pause dans la surenchère défensive, condi-
tions devenues quasi impossibles, si ce n’est impensables, plus particulièrement au sein
des institutions hospitalières.
L’examen clinique a, tout comme l’entretien avec le patient, des propriétés anxioly-
tiques. Mais là aussi, il s’efface au profit des investigations techniques.
À la limite, un traitement anxiolytique est, faute de mieux, préférable aux réponses
défensives des soignants et aux recettes de communication en vogue qui n’ont de
psychothérapique que le nom. On ne « gère » pas l’angoisse d’un patient !

6. RÉACTIONS DE DÉFAITE
6-1. Le deuil
Le deuil consiste en une succession et une alternance de manifestations défensives
à l’encontre de la perte : déni, douleur, agressivité, culpabilité, angoisse, introjection,
664
Les réactions à la maladie

surinvestissement ou désinvestissement de l’objet perdu, réaménagements existentiels,


sublimation, etc. C’est un processus normal et nécessaire dont l’intensité et la durée ne
peuvent être chiffrées. Il peut être court et résolutif, il peut persister tout au long de la vie.
Il n’existe pas de thérapeutique du deuil, mais une aide à certains ajustements lorsqu’il se
prolonge ou devient pathologique. Rappelons qu’il ne doit pas faire l’objet de prescrip-
tion d’antidépresseurs, tout au moins dans les premiers mois.

6-2. Soumission et acceptation de la maladie


Pour la majorité des soignants, l’« acceptation de la maladie » est la seule solution,
prescrite et attendue. Elle permettra au patient de suivre à la lettre la thérapeutique
censée le conduire à la guérison. Pas toujours car, comme nous l’avons vu, la rébellion
n’est pas toujours délétère.

6-3. Dépression
Selon les statistiques officielles, au moins 10% des patients présentant une affection
médicale sont dépressifs. Les études concernant la comorbidité entre pathologie soma-
tique et dépression sont légions. Mais peu d’entre elles distinguent la poule de l’œuf.
Il y a donc lieu, avant toute chose, d’établir une distinction entre les différentes articu-
lations possibles entre dépression et maladie somatique, à savoir :
––les associations contingentes ;
––les somatisations de défaite :
--signes somatiques fonctionnels accompagnant certaines dépressions : asthénie,
troubles du sommeil, altération de la fonction sexuelle, désordres alimentaires,
variations pondérales, troubles digestifs, syndromes douloureux ;
--maladies somatiques de la défaite : maladies métaboliques et endocriniennes
(hypothyroïdie, diabète, etc.), désordres immunitaires (infections microbiennes
ou virales, maladies auto-immunes, certains cancers), insuffisance coronarienne,
asthme, ulcère gastroduodénal, certaines affections dégénératives (sclérose en
plaques, maladie d’Alzheimer), etc. ;
––les dépressions d’origine strictement biologique ;
––les dépressions somatopsychiques induites par le vécu et les conséquences de la
maladie.
Souvent, il y a intrication de ces diverses articulations, les liens de causalité étant plus
circulaires que linéaires.
La prévalence de la réaction dépressive induite par les conséquences existentielles de
la maladie a été évaluée entre 10 et 30%. Mais la différence est-elle faite entre dépression
et deuil ?
La réaction somatopsychique de type dépressif est une réaction adaptative de dernier
recours. Elle est liée aux conséquences de la maladie : souffrance, handicap, vécu de
vulnérabilité, conséquences sociales et relationnelles (abandon d’activités, solitude,
dépendance), atteinte narcissique (altération de l’image et de l’estime de soi), épuisement
anxieux lié à l’interrogation sur le devenir, traitements, culpabilité, auto-agressivité.
Certaines maladies, par leur vécu et leurs conséquences, sont plus dépressogènes que
d’autres : cancers, infarctus, syndromes douloureux, insuffisance rénale.
665
Traité de médecine psychosomatique

™™ Jean-Jacques a accepté de renoncer à ses activités physiques depuis deux ans dans
les suites d’une cholécystectomie et de la cure d’une hernie inguinale. « Aucun effort
physique, plus jamais ! » Cette parole sans appel, énoncée de manière banale, a trans-
formé sa vie. État dépressif majeur. On ne pourrait pas mieux faire pour porter atteinte à
ce qui reste d’instinctivo-pulsionnalité chez un sujet.
Les effets de la dépression sur l’évolutivité de la maladie sont mal connus. Dans le
milieu médical, il est admis que la dépression aggrave la maladie, voire la mortalité. Des
études effectuées concernant le diabète, l’insuffisance coronarienne, l’accident vasculaire
cérébral chez les hypertendus, les transplantations d’organes, en attestent. Mais ceci est
peut être spécifique à ces maladies. Dans d’autres cas, lorsque la dépression atteste d’un
processus de rementalisation, certaines maladies somatiques pourraient régresser. Nous
l’avons vu au niveau des douleurs. Il en est peut-être ainsi pour d’autres maladies.
Comment s’y retrouver ? Je pense personnellement qu’il y a lieu de faire une distinc-
tion entre les deux syndromes qui caractérisent les dépressions : la souffrance morale et
l’émoussement des fonctions.
La souffrance morale, lorsqu’elle est suffisamment mentalisée (tristesse, douleur
morale en relation avec des représentations) ou lorsqu’elle se décharge d’un point de
vue émotionnel, me paraît trophique. Il n’en est pas de même pour l’émoussement des
fonctions (déficit cognitif, affectif, émotionnel, anhédonie, anesthésie affective, épuise-
ment) qui constitue un facteur délétère d’un point de vue psychosomatique. Toute
recherche sur les relations entre dépression et évolution d’une pathologie devrait tenir
compte de cette distinction.

6-4. Auto-agressivité et auto-agression
Les conduites auto-agressives ne sont pas exceptionnelles au cours d’une maladie. Elles
peuvent être liées à l’épuisement induit par le vécu, la perte d’espoir, le retournement de
l’agressivité sur soi faute de pouvoir l’exprimer à l’encontre de l’autre, la culpabilité, le désir
d’en finir avec la souffrance, l’appel désespéré à l’autre.
Ses formes sont variables : dépression, tentative de suicide, attaque d’une partie du
corps, refus de soin.

6-5. Épuisement et extinction de l’agressivité


L’épuisement puis l’extinction de l’agressivité s’instaurent après une longue phase de
lutte. Les instincts et les pulsions de vie sont atteints qualitativement et quantitative-
ment. Ce processus sous-tend les dépressions d’épuisement, la dépression essentielle, les
désorganisations progressives génératrices de pathologies graves.
™™ Après le décès du père d’Yvonne, il y a cinq ans, il y eut des conflits majeurs
d’héritage. La seconde épouse de celui-ci fit tout pour récupérer l’intégralité du magot,
avançant qu’Yvonne et son frère n’étaient pas les enfants légitimes du père. Combat
acharné pendant dix-huit mois. Yvonne finit par obtenir gain de cause, au prix du déclen-
chement d’une leucémie lorsque la victoire fut officialisée. L’effondrement des défenses
immunitaires est fréquent dans ce type de situation.
666
Les réactions à la maladie

La maladie généra alors d’autres préoccupations bien légitimes, la démentalisation


inaugurale se poursuivit, elle ne rêva plus, prit du poids, et présenta des douleurs
chroniques.
Depuis un an que sa maladie est en rémission, les pulsions agressives se sont à nouveau
réveillées. Elle fait un rêve récurrent : elle tue la deuxième épouse de son père et sa
demi-sœur issue de leur union. De même, les sentiments haineux à l’encontre de celles-ci
ont repris le dessus de la scène. Elle leur attribue la responsabilité de sa maladie et rumine
sans cesse sur la manière dont elle pourrait se venger. Avant de devenir la seconde épouse
du père, l’ennemie était une voisine, qu’Yvonne, alors âgée de 9 ans, avait surprise dans
les bras de ce dernier.

7. RÉACTIONS RÉGRESSIVES
« La régression consiste en la capacité de recourir, les circonstances contraignantes
aidant, faute de mieux, à des modalités antérieures de “gestion” de l’excitation. » (R.
Babeau, Les réactions régressives.)

7-1. Les différentes formes de régression


On distingue les régressions objectales, libidinales et topiques.

Régressions objectivales
La maladie induit un désinvestissement des objets extérieurs au profit du moi et d’elle-
même.
Le surinvestissement du moi se traduit par un retrait du monde extérieur et un repli
narcissique de type égocentrique. Le degré de dépendance du sujet à son entourage s’en
trouve accentué, dans la mesure où son autonomie est affectée et où il se trouve privé des
moyens de se soigner lui-même.
Le surinvestissement de l’objet maladie induit une focalisation sur celle-ci et sur les
soins. La maladie crée de nouveaux buts, de nouveaux interdits, de nouvelles limites, de
nouvelles possibilités. Ce surinvestissement induit un réaménagement de l’ensemble de
la personnalité.

Régressions libidinales
Ce sont des retours à des satisfactions libidinales infantiles :
––régression orale : hyperphagie, consommation de toxiques, de psychotropes, addic-
tions ;
––régression anale : préoccupations concernant le transit, rituels concernant les objets,
les médicaments, inquiétude d’être dépossédé de ses biens ;
––refuge dans le sommeil.

Régressions topiques
Elles concernent essentiellement la deuxième topique :
––dissolution du surmoi : abandon des règles de politesse et de respect, de réserve
pulsionnelle ;
––apparition de conduites transgressives d’ordre érotique ou agressif ;
––intolérance aux frustrations.
667
Traité de médecine psychosomatique

7-2. Effets de la régression
Pour P. Marty, les capacités régressives (« épaisseur régressive ») constituent un
élément important et en règle générale trophique en ce qui concerne l’évolutivité de la
maladie et permettent de mieux évaluer les possibilités thérapeutiques.
Selon les cas, les manifestations régressives devront être acceptées, limitées ou
modulées. Leur déterminisme et leurs conséquences à court, moyen et long terme,
conditionneront la conduite à tenir.
™™ Georgia a 8 ans de plus que son mari, un homme qui, selon ses dires, est « très
beau, charismatique et a toujours raison ». À l’âge de 35 ans, elle est diagnostiquée stérile
et le couple adopte un petit garçon. Georgia s’est toujours consacrée, corps et âme, au
bien-être absolu des membres de sa famille, se sacrifiant au quotidien, même lorsque son
mari a fait venir sa maîtresse dans la maison mitoyenne, vivant alternativement avec l’une
et l’autre. Lorsque celui-ci a ouvert un cabinet et un centre de formation de psychothé-
rapeutes énergéticiens, il a installé Georgia à l’étage. Il y a trois ans, il lui a annoncé que
l’une de ses jeunes clientes venait d’accoucher d’un enfant de lui. Elle a immédiatement
proposé de s’occuper du bébé pendant la journée. Un mois après, on lui diagnostiquait
un cancer des ovaires. Georgia est dans un état morbide stationnaire depuis maintenant
plus de deux ans. Elle est diminuée, a refusé toute rééducation et s’est complètement
laissée aller. Elle ne fait plus aucun effort pour être comprise quand elle parle, refuse de
manger seule alors qu’elle en est capable, passe ses journées au lit, fait ses besoins sur elle.
Le masochisme sous-tend la régression mais se transforme en sadisme à l’encontre de
certains de ses proches : son aide à domicile qu’elle martyrise, son fils, devenu aide-soi-
gnant, qu’elle harcèle et dont elle exige une présence constante. Seul le mari est épargné.
Elle « ne vit plus que pour les moments où celui-ci vient la voir et la prend dans ses bras
comme un bébé ».

8. À QUOI SERT LA MALADIE ?


À quoi sert la maladie ? Pas à grand-chose en apparence, si ce n’est à produire de la
souffrance, voire à débarrasser le plancher prématurément, ce qui semble depuis peu
constituer une solution alternative au problème des retraites et une manne électorale
puisque 85% des Français seraient favorables à la légalisation de l’euthanasie. 85% des
Français en bonne santé, cela s’entend, car un pourcentage équivalent de Français atteints
de graves pathologies est contre. Les directives anticipées prévoient la possibilité du
suicide assisté, mais jamais la garantie de rester en vie. Cette illusion de débat, propre
aux seuls pays occidentaux, savamment entretenue jusqu’à la nausée par les médias,
exclut toute référence clinique et n’a pour fondement qu’une écholalie aux frontières de
la mode, de l’audimat et de l’idéologie. Elle dissimule une crise de civilisation sans précé-
dent, dans laquelle se profile un eugénisme particulièrement pervers, puisqu’il revendique
l’abolition de la souffrance, le respect, la dignité, la solidarité, l’amour. Le refus de traiter
certaines maladies chez les sujets âgés, l’élimination pure et simple de sujets jugés en
« fin de vie », sont de pratique tout aussi courante que méconnue du grand public. Cette
pratique clandestine est en attente de légalisation en bonne et due forme. Après, selon la
loi exponentielle de la « demande de… », il faudra bien trouver autre chose à revendiquer
et d’autres personnes à éliminer. La peine de mort a été abolie, sauf dans les hôpitaux.
668
Les réactions à la maladie

Mais revenons à la clinique qui, elle, n’a que faire de l’idéologie. La maladie ne sert pas
à grand-chose sauf, à y regarder de plus près, au niveau de l’économie psychosomatique
et du système défensif et adaptatif de l’individu.

8-1. Fonction adaptative de la maladie


La maladie physique peut être considérée comme un mécanisme de défense venant
suppléer les défenses psychiques ou comportementales déficitaires face aux traumatismes
et aux contraintes adaptatives. Le processus de somatisation a pour fonction initiale de
répondre à une perturbation survenue chez l’individu lors d’une inadéquation entre lui,
le monde extérieur et son propre monde, lorsque le changement n’a pu être obtenu par
l’élaboration mentale ou l’adaptation comportementale. Hélas, cette fonction adaptative
de la maladie aboutit rarement au but escompté : la réaction défensive somatique ne
solutionne le plus souvent rien, tout en déclenchant un processus morbide. Le support de
ce dérapage réside très certainement dans un décalage chronologique entre les program-
mations phylogénétiques et ontogénétiques et la complexité des nécessités adaptatives.
Les modifications physiologiques du syndrome général d’adaptation, par exemple, ont
pour but de modifier l’homéostasie du sujet afin de lui permettre de trouver la solution
par la fuite ou le combat, par l’intermédiaire de modifications neurovégétatives et senso-
rimotrices. Dans les sociétés humaines organisées, cette fuite ou ce combat sont rarement
envisageables au niveau de la mise en acte. La réaction adaptative échoue et seuls les
processus morbides s’installent. La maladie évoluera à terme pour son propre compte,
isolée de ses déterminants traumatiques initiaux, dénuée de valeur défensive adaptée.
Dans certains cas, ses poussées évolutives seront rythmées par des facteurs traumatiques
aspécifiques totalement dissociés du traumatisme inaugural. Dans d’autres cas, la chroni-
cité s’installera indépendamment de tout facteur traumatique du fait de la fixité des
désordres biologiques et d’une adaptation conséquente de l’organisme à ces derniers.

8-2. Effets de la maladie sur l’économie psychosomatique


Le changement induit par la maladie
au niveau psychique, comportemental et Représentations
somatique, génère souvent des remanie-
ments profonds qui ne sont pas dénués de
conséquences. C’est ici que réside le véritable
pouvoir défensif de la maladie lorsqu’elle Affects Langage
est constituée. Ces effets peuvent avoir des
conséquences variables, tantôt trophiques,
tantôt délétères, tant du point de vue
psychosomatique (remaniement de l’éco- Comportement
nomie psychosomatique) que psychique et
comportemental (remaniement du système
défensif).
Maladie

La fonction somatopsychique

669
Traité de médecine psychosomatique

Effets sur la mentalisation


Démentalisation
Si la démentalisation constitue un déterminant central du processus de somatisation,
de nombreuses maladies ont à leur tour un pouvoir démentalisant, plus particulièrement
celles qui induisent des stimuli nociceptifs (affections douloureuses par exemple) ou
celles qui portent directement atteinte aux processus cognitifs (altérations neurologiques
induites par la maladie). La démentalisation s’accentue lors des poussées évolutives. Lors
des rémissions, la rementalisation revoit le jour. L’activité onirique notamment est, d’un
point de vue qualitatif et quantitatif, rythmée par les cycles évolutifs de la maladie.
Signal d’alarme et rementalisation
La rementalisation induite par la maladie est de loin moins systématique. Elle n’appa-
raît qu’au bout d’un certain temps d’évolution, lorsque de nouvelles modalités adapta-
tives existentielles voient le jour.

R2

Démentalisation Démentalisation Mentalisation


primaire secondaire secondaire

A2

C2

Trauma

Somatisation Maladie évolutive Maladie constituée

Remaniements de l’économie psychosomatique secondaires à la maladie

La maladie agit ici comme un signal d’alarme potentiellement inducteur de remanie-


ments existentiels adaptés. C’est ainsi que certaines maladies peuvent mettre un terme
à une pathologie comportementale antérieure : addiction, comportement opératoire.
Tel sujet hypertendu qui fonctionnait de manière opératoire, privilégiant l’action, la
maîtrise, la compétitivité, l’ascension sociale, l’occupation du monde extérieur, peut, suite
à un accident évolutif, prendre conscience de l’aspect délétère de son comportement
antérieur, diminuer son activité effrénée et réapprendre à flâner.
La maladie est souvent une occasion pour le sujet de s’expliquer et de refaire connais-
sance avec sa vie, ses désirs, ses craintes, ses erreurs.
Enfin, les activités sublimatoires qui prennent naissance dans les suites d’une maladie
peuvent être considérées, d’un point de vue économique, comme une reprise du proces-
sus de mentalisation.

670
Les réactions à la maladie

Effets sur l’excitation


Évitement d’une désorganisation plus profonde
La maladie somatique absorbe un quantum d’excitation et peut, dans certains cas,
éviter un débordement de cette dernière : elle instaure une pause dans les dysrégula-
tions anarchiques de l’excitation. Elle peut ainsi s’avérer être un ultime recours défensif
sur un plan économique. Les maladies régressives constituent pour P. Marty, un palier de
fixation permettant d’éviter une désorganisation somatique plus profonde.
Nous connaissons tous ces salves de maladies qu’ont présentées à un moment donné
de leur existence certains patients, successions de maladies itératives de plus en plus
problématiques, pouvant, chez certains sujets, être résolutives, chez d’autres, s’inter-
rompre lorsqu’une affection durable s’est installée, et malheureusement, chez d’autres
sujets, en l’absence de palier de fixation, induire l’apparition d’une maladie grave, voire
mortelle. Ainsi, paradoxalement, certaines affections peuvent s’organiser comme paliers
de fixations susceptibles de relancer une réorganisation, un processus d’amélioration ou
de guérison.
Accentuation du désordre de l’excitation
Si certaines pathologies régressives absorbent un quantum d’excitation susceptible
d’éviter une désorganisation, de nombreuses affections induisent malheureusement un
afflux d’excitations délétères du fait de l’angoisse et surtout des privations motrices et
comportementales qui en résultent. Les limitations comportementales par la maladie
génèrent un risque de barrage à la libération des excitations, donc une possibilité d’aggra-
vation. S’il est conseillé d’éviter les comportements pouvant réellement aggraver la
maladie, il est vivement souhaitable, autant que se peut, de ne pas restreindre les activi-
tés hédoniques du patient, sous des prétextes parfois contestables d’un point de vue
médical.

8-3. Remaniements défensifs
Toute atteinte organique entraîne des remaniements psychiques, quelle que soit la
dynamique inconsciente initiale. Le remaniement est toutefois limité. Les structures
inconscientes les plus profondes ne sont pas affectées, y compris après des périodes de
coma, selon H. Oppenheim-Gluckman (Processus de reconstruction de l’identité subjective
après un coma).
Les remaniements préconscients, affectifs ou perceptifs, sont par contre très fréquents.

Disparition d’expressions pathologiques antérieures


« Depuis ma maladie, je ne suis plus le même… »
Disparition de la souffrance psychique
La maladie somatique se substitue à la souffrance psychique induite par le vécu trauma-
tique. C’est le cas de nombreuses maladies, parmi lesquelles les syndromes douloureux
chroniques, les maladies inflammatoires, les maladies auto-immunes, certaines derma-
toses, etc.

671
Traité de médecine psychosomatique

Disparition de certaines pathologies mentales


La maladie peut mettre un terme à une pathologie mentale antérieure, par exemple à
une névrose de destinée à forte composante masochiste, à un état psychotique mélanco-
lique, à une névrose hypocondriaque.
Résolution de la conflictualité anxieuse
L’irruption d’une maladie peut résoudre un conflit externe, générer un apaisement,
lorsque des états d’angoisse ou de culpabilité envahissaient le quotidien du sujet. Elle
vient sanctionner quelque chose, nommer ce qui ne pouvait l’être, apporter une solution,
ou bien différer la résolution d’un conflit décisionnel et même, dans certains cas, résoudre
ce dernier.
Substitution à l’objet perdu
Les somatisations consécutives aux pertes, telles que l’installation rapide d’une
surcharge pondérale après un deuil, nous interrogent quant à la fonction de substitution
que peut avoir la maladie par rapport à l’objet perdu.
™™ Odile présente une surcharge pondérale qui s’intensifie régulièrement, ainsi
qu’une hypertension artérielle, toutes deux apparues au décours du décès de son père.
Ce père tenait une place d’autant plus importante qu’Odile avait perdu sa mère à l’âge
de quatorze ans. Tout seul, il s’occupa de l’éducation de ses quatre enfants. Odile et ses
trois frères furent élevés selon des principes de maîtrise. Toute sa vie, elle a lutté contre
l’idée de la perte en essayant de maîtriser choses et gens. La vacuité lui est intolérable. Au
décès de son père, elle maîtrisa tant et si bien ses émotions qu’elle en développa surpoids
et hypertension artérielle. Dans ses rêves, il n’est question que de perte : « Mon mari me
quitte… Je ne retrouve pas mes chaussures… Un ouragan emporte ma maison… » À ce
mécanisme de défense, se surajoute une identification masculine ayant pris probable-
ment naissance en période œdipienne et s’étant renforcée dans le monde d’hommes qui
était le sien. Son gain de poids la maintient dans une identification au père fort et tente,
dans un autre registre, d’annuler la perte subie.

La maladie au sein du système défensif


La maladie constitue un nouvel objet, objet attractif, objet d’élection, objet de choix
pour le système défensif préexistant, avide d’objets de substitution :
––déplacement des affects sur l’objet maladie, plus particulièrement des affects
anxieux ;
––projection : la maladie devient le nouvel objet persécuteur ;
––isolation : il n’y a plus qu’un seul objet cause de souffrance, c’est la maladie. Elle n’est
reliée à rien, elle remplace tout. C’est le mal absolu, le bouc émissaire ;
––condensation : l’objet maladie devient le pôle d’attraction des pulsions sadomaso-
chistes.
La maladie, ayant fait son nid au sein du système défensif, absorbe donc une part de
l’investissement énergétique et dynamique de celui-ci. La part vacante, disponible, en
quête de nouveaux objets parallèles, pourra induire de nouvelles expressions défensives :
––aggravation de traits de caractère antérieurs, plus ou moins quiescents ;
––apparition de nouveaux symptômes : obsession, persécution, revendication,
soumission ;
672
Les réactions à la maladie

––activation ou désactivation des pulsions agressives ;


––réorganisation existentielle ;
––régression.
La plupart de ces remaniements ont été évoqués plus haut.

9. BÉNÉFICES SECONDAIRES
Freud distinguait le bénéfice primaire et le bénéfice secondaire.
Le bénéfice primaire est consubstantiel au symptôme névrotique de défense : l’angoisse
non élaborée, invasive, est transformée en symptôme (phobie, hypocondrie, etc.). De fait,
la tension interne et le vécu anxieux s’en trouvent diminués.
Le bénéfice secondaire réside, lui, dans les avantages réels induits par la maladie d’un
point de vue existentiel : ce sont les bénéfices narcissiques et les avantages matériels. Il
apparaît lorsque la maladie a été « acceptée » et fait partie du soi : « Le moi se comporte
comme s’il était guidé par cette idée que le symptôme est là désormais et ne saurait
être éliminé ; il n’y a qu’à pactiser avec cette situation et en tirer le plus grand avantage
possible. » (Freud, Inhibition, symptôme et angoisse.)
Pour Laplanche et Pontalis, le bénéfice secondaire se distingue du bénéfice primaire
par « sa survenue après coup comme gain supplémentaire ou utilisation par le sujet d’une
maladie déjà constituée, son caractère extrinsèque par rapport au déterminisme initial de
la maladie et au sens des symptômes, et enfin le fait qu’il induit des satisfactions narcis-
siques ou liées à l’autoconservation plutôt que des satisfactions directement libidinales »
(op. cit.).
Ainsi peut-on proposer le tableau suivant :
Causes et effets Type Exemples
- Constitutif de la mala- Économique Disparition de la douleur psychique
die et de ses causes au profit de la douleur physique
Bénéfice - Entretient la maladie
primaire Libidinal Déplacement de l’angoisse sur un
unique objet (phobie, hypocondrie,
etc.)
- Secondaire à la mala- Narcissique Considération, attention, tendresse
Bénéfice die accordée par l’autre
secondaire - Consolide la maladie
Auto-conservation Avantages matériels

Bénéfices primaires et secondaires

9-1. Les bénéfices narcissiques


« L’organisation familiale, sociale, médicale, adopte des positions nouvelles satisfai-
santes ou insatisfaisantes pour le sujet, à l’occasion de sa maladie ou des complications
de celle-ci », selon Pierre Marty (La psychosomatique de l’adulte).
Pour l’entourage du patient, la souffrance physique est plus représentable que la
souffrance psychique, la maladie somatique plus crédible que la maladie mentale. C’est
une « vraie » maladie. La rigueur nosographique de la pathologie médicale y contribue.
Par ailleurs, les expressions mentales et comportementales interpellent l’autre en
mobilisant plus intensément son système défensif. Ainsi, le malade somatique est une
673
Traité de médecine psychosomatique

victime, alors que le malade mental ou comportemental est un empêcheur de penser en


rond.
Enfin, la maladie physique est en règle générale appréhendée, aussi bien par le patient
que par l’entourage et le corps médical, comme un objet désenclavé du sujet.
L’ensemble de ces caractères favorise à terme l’émergence d’une « reconnaissance »
particulière du sujet atteint de maladie physique, reconnaissance potentiellement induc-
trice de bénéfices narcissiques.

Tolérance et gratification
Tolérance plus grande de la part de l’entourage, de la famille, du milieu professionnel.
Reconnaissance, focalisation de l’intérêt sur le malade, gratification, adaptation du mode
de fonctionnement du groupe au patient.

Évitement et exemption
Le sujet malade se réfugie dans un état où le monde lui accorde le droit d’échapper
aux règles de la vie en groupe. La maladie constitue une pause dans certaines obligations.
Évitement d’obligations sociales, de situations difficiles ou gênantes (sortie, réception,
tâche à accomplir), excuse honorable à des manquements ou à des demandes, possibilité
de se retirer.

Modifications de la dynamique relationnelle


Prise de pouvoir au sein du couple, de la famille, du groupe. Esquive face au désir ou à
la demande de l’autre (migraines, handicap physique, etc.)

Résolution d’un conflit externe


La maladie peut permettre de résoudre un conflit externe avec le monde extérieur :
employeur, conjoint, institution, etc. Dédouanement, apaisement de certaines tensions,
la maladie crée un « entracte » dans une dynamique conflictuelle, une pause qui permet
de reconsidérer avec plus de distance la problématique.
™™ La discorde parentale faisait rage durant toute l’enfance et l’adolescence de Lydie,
sauf lorsque celle-ci était malade. Lors de sa première grossesse, son père quitta sa mère
et son mari la trompa dans la foulée. Lydie fit une crise d’éclampsie. Le père retrouva la
mère et le mari quitta sa maîtresse. Mais les médecins lui interdirent une future grossesse
du fait de cette pathologie obstétricale. Elle prit alors 20 kg dans l’année qui suivit, et
20 kg de plus quand le mari la quitta définitivement. L’endocrinologue lui dit qu’elle était
en permanence enceinte, ce qui n’était peut-être pas dénué de sens, mais n’eut aucun
effet sur sa surcharge pondérale. Quant à sa « psychanalyste », elle lui dit qu’elle avait été
violée dans son enfance. Elle fit alors une tentative de suicide, arrêta sa « psychanalyse »
et, dans la foulée, développa un psoriasis. Elle rencontra alors son ami actuel mais celui-ci
fit l’objet d’une mutation professionnelle dans une autre région et ne put retourner au
foyer que tous les quinze jours. Le jour du départ de son ami, elle développa une sciatique
invalidante et celui-ci dut prendre trois semaines de congé pour l’assister.

Restauration identitaire
L’objet maladie, d’insignifiant qu’il était, s’instaure comme attribut identitaire, tel une
médaille, une décoration, un uniforme. Le statut de malade, si ce n’est de victime, confère
674
Les réactions à la maladie

au sujet une nouvelle identité, mais aussi une reconnaissance. La personnalité s’en trouve
modifiée.
La relation de soins peut devenir particulièrement difficile avec les patients qui
mettent en avant leur maladie comme une identité. Les phénomènes transférentiels et
contre-transférentiels sont bruts de décoffrage, sujets à des revirements brutaux et en
tout cas difficilement modulables.

9-2. Avantages matériels
Ces bénéfices repérés par Freud, comme étant au service de l’auto-conservation, à une
époque où la reconnaissance du handicap se limitait à la rente attribuée aux infirmes
victimes de la Guerre de 14-18, se sont considérablement étendus depuis l’avènement
de l’assurance maladie et, dans un deuxième temps, au travers de la dépendance et de la
déresponsabilisation induite par les institutions sociales.
Les passer en revue nécessiterait un chapitre entier. Nous ne nous y étendrons pas.
Tout médecin généraliste est confronté quotidiennement aux patients bénéficiaires de
prestations diverses, exonérés de telle ou telle contribution, exemptés de telle ou telle
obligation, victimes le plus souvent réelles de maladies ou accidents ayant laissé des
séquelles ou nécessitant des soins continus. Le plus souvent réelles mais pas toujours,
l’inconséquence et la perversion du système de soins favorisant l’intrigue, la magouille, si
ce n’est la délinquance organisée, en même temps que le rejet d’individus peu combatifs
laissés pour compte. Chez le médecin, la demande de service se substitue à la demande
de soins, faisant du même coup disparaître toute intersubjectivité.
La réaction paradoxale de soulagement qui accompagne certains diagnostics, si elle
permet au sujet de circonscrire et de nommer le mal, peut aussi se rencontrer lorsque la
reconnaissance d’une maladie permet d’obtenir des avantages sociaux ou de résoudre un
difficile problème économique familial.
Chez certains sujets, au-delà de l’indemnisation, la demande serait avant tout une
demande de reconnaissance de la réalité de la maladie et, par extension, une recherche
d’identité, de reconnaissance générale, les possibilités de reconnaissance étant défici-
taires dans les autres secteurs.
™™ La sciatique de Lydie, citée p. 674, ne fut pas reconnue comme une maladie
susceptible de mettre un terme aux déplacements professionnels du mari. Le triple
pontage coronarien qu’elle subit dans l’année qui suivit permit de mettre en œuvre les
démarches qui aboutirent à une nouvelle mutation du conjoint, cette fois-ci dans la ville
où elle résidait.
Certains bénéfices secondaires matériels ont un effet trophique sur l’équilibre
psychosomatique. Un arrêt de travail, des indemnités journalières, permettent à tel sujet
malade de s’extraire des contraintes qui ont contribué à l’apparition de sa maladie, de
retrouver des ressources et de reprendre ensuite son activité initiale (ou une autre) dans
de meilleures conditions.
Dans d’autres cas, ces bénéfices secondaires ont un effet délétère car ils peuvent renfor-
cer le pouvoir et donc la force de stagnation de la maladie qui les a engendrés. Ils peuvent
aussi constituer un barrage à toute possibilité thérapeutique.
675
Traité de médecine psychosomatique

Dans la sinistrose, qui doit être distinguée de la simulation, les symptômes réappa-
raissent souvent quand se profile la reprise du travail. De nombreuses études prouvent
que, dans tous les pays qui indemnisent les accidents du travail, les blessures « assurées »
exigent pour guérir un temps beaucoup plus long que les blessures « non assurées ».
À un stade plus avancé, le statut de malade induit une prise de pouvoir : manipulation
consciente et délibérée de l’entourage, simulation médico-légale, conduites perverses,
etc.
Les bénéfices secondaires sont trop souvent considérés par certains médecins,
soignants ou thérapeutes, comme une des causes de la pathologie. Ce positionnement
erroné sous-entendrait que le désir conscient d’obtenir des gratifications serait suscep-
tible de déclencher une maladie. Il est nécessaire de rappeler qu’il n’en est rien.

676
Chapitre 24

LE MASOCHISME

1. INTRODUCTION
Le masochisme est un concept des plus complexes. Dans le soin, il défie l’entendement,
résiste de manière farouche à toute tentative de dissolution. La psychanalyse s’est efforcée
d’en déterminer la clinique et les causes avec autant de pertinence que de difficulté.
Freud distingue trois formes de masochisme : le masochisme érogène qui peut être
primaire ou secondaire, le « masochisme féminin » qui serait le propre de l’homme, le
masochisme moral. Sacha Nacht (Le masochisme), tout en restant fidèle à cette distinc-
tion, enrichira le concept à partir de données cliniques personnelles, aboutissant à la
publication d’un ouvrage de référence particulièrement clair et pertinent. B. Rosenberg
distinguera plus tard un masochisme gardien de la vie et un masochisme mortifère. De
nombreux autres auteurs traiteront du masochisme, aboutissant à un foisonnement
théorique intéressant du point de vue de l’exégèse, de la démarche intellectuelle et des
hypothèses, mais difficilement utilisables d’un point de vue clinique, ajoutant de fait à
la confusion. L’approche psychosomatique reprendra à son compte la distinction entre
masochisme mortifère potentiellement désorganisateur et masochisme gardien de la
vie, protecteur contre la désorganisation. Elle traitera aussi du masochisme induit ou
révélé par la maladie, c’est-à-dire du masochisme somatopsychique. La Revue française
de psychosomatique n°18 apporte des éclaircissements fondamentaux à ce niveau, plus
particulièrement au travers des textes d’Alain Fine, Jean-Paul Obadia, Catherine Parat,
N.-J. Symons. Par contre, les complexes masochistes inconscients qui codéterminent les
pathologies somatiques, notamment au niveau de leur cible, ne sont pas abordés. Ils
constituent pourtant un domaine clinique et thérapeutique fondamental.
C’est donc un champ mal défriché que j’ai découvert, aux limites imprécises, un foison-
nement théorico-clinique complexe qui aboutit trop souvent à une impasse. L’acharne-
ment à vouloir faire coïncider la clinique avec les théories ayant valeur de dogme en
constitue l’origine. Je fais ici référence aux deux théories successives des pulsions propo-
sées par Freud. Je me contenterai de rappeler simplement les deux causes conjuguées de
la fragilité de cet édifice. Tout d’abord, l’impossibilité de faire concorder les deux théories
des pulsions, et la persistance à vouloir articuler le masochisme avec la pulsion de mort,
dont se sont fait héritiers la plupart des auteurs. Ensuite, la confusion entre pulsions et
instincts, confusion qui continuera à régner dans le monde psychanalytique avant que
Pierre Marty n’y apporte un éclairage salvateur.
J’ai essayé autant que se peut d’y voir clair au milieu des broussailles, d’élaguer ce qui
pouvait entraver la compréhension et de conserver ce qui me paraissait incontournable ou
le plus pertinent d’un point de vue théorique. Ceci m’a amené à distinguer quatre formes
de masochisme érogène : un masochisme constitutionnel, un masochisme archaïque,
un masochisme sexuel pervers caractérisé par des pratiques sexuelles sadomasochistes,
677
Traité de médecine psychosomatique

et un masochisme sexuel purement fantasmatique. En ce qui concerne le masochisme


moral, j’ai proposé des critères diagnostiques qui me paraissent très utiles du point de
vue de l’investigation. D’un point de vue psychosomatique, j’ai distingué le masochisme
protecteur, les complexes masochistes déterminant certaines maladies et le masochisme
somatopsychique.
Chacun d’entre nous est confronté au masochisme d’un bon nombre de nos patients,
formation défensive particulièrement résistante à la thérapeutique, compromettant la
relation, laissant le thérapeute démuni si ce n’est amer. La défense masochiste, en ce qui
me concerne, s’est trop souvent présentée comme un obstacle à abattre. Lors de la réali-
sation de ce travail, j’ai pris conscience qu’il m’était plus d’une fois arrivé de persister dans
ce positionnement, au risque de l’échec et de l’insatisfaction. Il me paraît maintenant
évident que certaines formes de masochisme doivent être respectées, quand bien même
notre désir de guérir s’en trouverait affecté.

2. LE MASOCHISME ÉROGÈNE


Le masochisme érogène en appelle à une forme de volupté, dans laquelle s’intriquent
douleur et plaisir physique. Je propose de distinguer un masochisme primaire constitu-
tionnel, un masochisme érogène archaïque, des pratiques sexuelles sadomasochistes et le
fantasme sexuel masochiste.

2-1. Le masochisme primaire constitutionnel


La théorie psychanalytique de Freud (Le problème économique du masochisme) le
qualifie de masochisme érogène primaire. Son origine serait une intrication des pulsions
de vie et des pulsions de mort. Pour certains auteurs (Nacht, Symons), la pulsion de mort
ne semble pas intervenir dans le masochisme. Je partage pleinement ce positionnement
théorique.
Le masochisme n’est pas le plaisir du déplaisir, selon la définition qu’en a donné Freud,
mais l’association du plaisir et du déplaisir. Ce que recherche le masochiste, ce n’est pas la
douleur pure mais le plaisir dans la douleur. Il ne recherche pas la douleur comme une fin
en soi, mais le mélange douleur-plaisir dans lequel le plaisir domine.
Certaines excitations, certains stimuli, peuvent provoquer chez tout un chacun des
sensations paradoxales dans lesquelles se conjuguent plaisir et déplaisir, érogénéité et
désagrément. Il en est ainsi des premières sensations sexuelles chez l’enfant, à la fois
source de volupté et d’angoisse. Mais, bien avant que celles-ci ne s’instaurent, toute zone
corporelle, qu’elle soit définie comme érogène ou non, peut être l’objet du même phéno-
mène. La limite entre douleur et plaisir est biologiquement variable d’un sujet à l’autre. La
chaleur ressentie au niveau de la main près du feu procure une sensation agréable mais,
si elle s’en rapproche trop, une sensation de brûlure apparaît. L’excitation d’un enfant sur
sa balançoire est un mélange de volupté et de tension anxieuse. Serrer un enfant dans
les bras l’apaise, accentuer l’étreinte lui crée un désagrément. Nous connaissons tous le
caractère paradoxal des sensations provoquées par l’éternuement, le prurit, le chatouille-
ment. Cette double partition au niveau de la sensation qui existe dès la venue au monde,
se retrouve plus tard au niveau de l’émotion. C’est ainsi que la peur peut susciter, en
même temps qu’un vécu délétère ou traumatique, une excitation exquise que l’on repère
678
Le masochisme

très bien chez les enfants qui, par jeu, recherchent ce type de sensation paradoxale. Et
ces phénomènes peuvent être premiers, voire accidentels, avant que toute organisation
psychique ne s’instaure. C’est ici que se trouve la source de ce qui, chez certains sujets,
constituera le masochisme érogène primaire.
La sensation composite agrément-désagrément, douleur-plaisir, n’apparaît, chez tout
individu, qu’au delà et en deçà de certains seuils. En deçà, il n’y a que plaisir, au delà, il n’y
a que douleur. Chacun des deux seuils est propre à chaque individu. Ce qui caractérise le
masochisme érogène et le masochisme en général est que les seuils inférieur et supérieur
ne se situent pas au même niveau que chez les autres sujets. Le sujet masochiste ne se
satisfait pas d’une excitation en l’absence de douleur, son seuil voluptueux est plus élevé,
il recherche une expérience totale (N.-J. Symons). N’oublions pas que la clinique médicale
utilise le terme douleur exquise pour définir une douleur aiguë localisée en un point précis.
Des éléments constitutionnels et acquis s’interagissent probablement dans le déter-
minisme du masochisme érogène primaire. Le seuil constitutionnel inférieur est variable
d’un sujet à l’autre. Le seuil acquis peut être le fait d’expériences antérieures insuffi-
samment satisfaisantes ou bien d’expériences nouvelles dans lesquelles une sensation
douloureuse est contextuellement associée à un certain plaisir, plaisir physique en ce qui
concerne le masochisme érogène primaire, puis plaisir psychique dans les autres formes
de masochisme. Par ailleurs, dans la sensorialité et la somesthésie, plusieurs stimuli,
parfois contradictoires, se présentent, se conjuguent et s’interagissent, y compris dans le
même laps de temps : stimuli visuels, olfactifs, sonores, tactiles, gustatifs, somesthésiques.
Les sensations sont composites, tant au niveau de leurs afférences que de leur traitement
par le cerveau. On peut avoir mal, être fébrile, tout en étant bien dans son lit douillet. Il
en est de même pour la plupart des émotions qui sont plus composites qu’il n’y paraît.
Un enfant à qui l’on pince l’oreille de manière inopinée ressent un désagrément. Si cela
se produit dans un contexte ludique lorsqu’il est confortablement installé sur les genoux
d’un adulte taquin mais bienveillant, il ressentira une excitation dans laquelle se mêleront
agacement et jubilation. Et tout ceci, bien sûr, n’a rien à voir avec la pulsion ou l’instinct
de mort.
Quant au seuil supérieur à ne pas dépasser, il existe chez presque tous les individus,
y compris ceux pratiquant le masochisme pervers. À partir d’un certain seuil, n’apparaît
plus que la douleur, le plaisir qui lui était associé a disparu. Le sujet, aussi masochiste
soit-il, n’en veut pas, il se retire du jeu.
Un autre phénomène intervient probablement, c’est celui de l’habituation. Certaines
sensations délétères finissent par faire l’objet d’une inhibition avec le temps. Il en est
ainsi de certaines sensations douloureuses qui, bien que la cause n’en soit pas dispa-
rue, finissent à la longue par être l’objet d’une négligence relative. Quant à la quête du
plaisir, elle est souvent l’objet d’une surenchère. C’est ce qui peut expliquer que certaines
formes de masochisme sexuel pervers s’instaurent progressivement et graduellement,
succédant à des satisfactions érotiques antérieures qui finissent par ne plus apporter un
plaisir suffisant.
Tous ces phénomènes paradoxaux ne sauraient déboucher sur la pathologie. La poten-
tialité masochiste érogène existe chez tous les sujets, mais le masochisme érogène ne
s’instaure lui aussi qu’au-delà d’un certain seuil, quantitatif, qualitatif, temporel, et sous
679
Traité de médecine psychosomatique

l’influence de certains facteurs, plus particulièrement somatiques. Intensité, répétition et


contexte jouent ici un caractère déterminant.
™™ Gabrielle, 37 ans, dont je présenterai l’observation plus loin (p. 692), puisqu’elle
était habitée par un fantasme masochiste sexuel de passivité, qui consistait notamment
à s’imaginer attachée pendant les ébats, eut vers l’âge de un an, et pendant une période
assez longue, les jambes attachées, pour des raisons orthopédiques.
Il existe donc un masochisme érogène, primaire, constitutionnel, trouvant son origine
dans le paradoxe de certaines sensations. Ce paradoxe constitue une forme primitive
d’intrication : intrication de sensation hédonique et de sensation délétère produisant une
co-excitation. Son support est instinctuel. L’intrication pulsionnelle viendra ensuite avec
le développement psychique. Consubstantielle à toutes les autres formes de masochisme,
cette intrication est et demeure une intrication non pas entre pulsions de vie et pulsions
de mort, mais entre instincts érotiques et instincts agressifs.
Ainsi apparaîtra successivement un masochisme archaïque puis secondaire, érogène
ou moral, c’est selon, mais se nourrissant tous à des degrés divers du masochisme érogène
primaire. Celui-ci est à l’origine de toutes les formes de masochisme.

2-2. Le masochisme archaïque


Le masochisme érogène archaïque s’instaure avec la relation objectale et en dehors de
toute problématique génitale, à savoir dans les trois premières années de la vie. Il peut
se constituer aussi ultérieurement mais indépendamment du masochisme sexuel secon-
daire qui est indissociable de l’œdipe et du complexe de castration. Dans tous les cas, il
peut rester isolé et constituer une forme clinique spécifique à part entière de masochisme
ou bien se lier en temps voulu au masochisme génital défensif. C’est un masochisme plus
proche de la sensation et de l’émotion, faiblement mentalisé.
La dépendance réelle et la passivité de l’enfant en constituent la matrice. Sa constitu-
tion peut être le fait d’une privation affective, ou bien d’une ambivalence, d’une emprise
voire d’une violence parentale. Le personnage assurant la fonction maternelle occupe ici
une place centrale mais l’autre parent peut aussi jouer un rôle inducteur, indépendam-
ment de toute triangulation.

La carence affective
La privation d’amour ou de tendresse est souvent retrouvée. « La privation d’amour
ou de satisfaction érotique conduit l’enfant à y remédier par la recherche des mauvais
traitements qui, érotisés, finissent par contenter ses besoins libidinaux, mais sur un mode
masochiste. » (Nacht, Le masochisme.) Besoin d’être battu faute d’être aimé par un des
deux parents, si ce n’est par les deux. Les coups sont, faute de mieux, une marque d’inté-
rêt, un contact. La douleur peut être ainsi le moyen pour se sentir exister, pour obtenir
l’amour, l’attention, les soins.

Le retournement du sadisme archaïque


Freud considère sadisme et masochisme comme un couple indissociable et souligne le
rôle fondamental de deux mécanismes de défense transformant le premier en second : le
680
Le masochisme

retournement sur soi, le sujet devenant l’objet de la pulsion, et la transformation en son


contraire, c’est-à-dire la transformation de l’activité en passivité.
Ces processus constitutifs de toute forme de masochisme sont potentiellement
inducteurs, en ce qui concerne le masochisme érogène archaïque, de conduites
auto-agressives impulsives pouvant apparaître dès l’âge de 12 mois. Celles-ci visent à
dissoudre la tension interne et en ce sens peuvent être considérées comme des procédés
auto-calmant (Szweg, Smadja). On retrouve a minima un tel processus chez l’adulte dans
l’onychophagie, le balancement et l’acharnement sur les comédons.
Ces conduites peuvent plus tard prendre la forme d’attaques du corps (coups, scari-
fications, brûlures, perforations, coupures, etc.). Conduites par défaut, liées à l’impos-
sibilité d’extérioriser le sadisme, qui par leur répétition s’imprègnent d’érogénéité et
s’autonomisent sous formes de décharges destinées à dissoudre la tension en procurant
des sensations souvent voluptueuses. Ces conduites se substituent à la mentalisation
et constituent des modalités régressives impulsives caractéristiques du masochisme
érogène archaïque, même si secondairement elles peuvent s’accompagner d’une charge
fantasmatique.
™™ Chloé, 13 ans, se scarifie tous les jours, au moindre état de tension : bras, jambes,
ventre. La sensation de brûlure qu’elle ressent la soulage. Elle prend ensuite des douches
pour mieux ressentir la douleur. Elle ne supporte pas qu’on la touche. Dans sa petite
enfance, il lui arrivait de se taper la tête contre les barreaux de son lit lorsque sa mère,
actrice de série télévisée, s’absentait de manière inopinée. Celle-ci, hystérique de grand
acabit, ayant une très haute opinion d’elle-même, annulera le rendez-vous suivant et en
prendra un autre pour, à terme, ne pas l’honorer.

Les distorsions identificatoires


Imitation, identification à l’autre, indistinction sujet-objet, jouent ici un rôle central.
Lorsque le comportement parental est en désaccord avec ce qui est dit, voire éprouvé,
l’imitation par l’enfant sera imprégnée de la même discordance, de la même incohé-
rence, porteuse d’un couple d’opposés : affection/agression, amour/destructivité, plaisir/
souffrance.
Une forme d’identification à l’agresseur peut, elle aussi, être en cause. L’enfant dépen-
dant se moule, s’adapte au fonctionnement de l’agresseur, cherchant à satisfaire celui-ci,
au détriment de lui-même, renonçant du même coup à son autonomie, voire à son
identité. Ce temps auto-agressif précède chez certains sujets la constitution du surmoi et
chez d’autres le déplacement de l’agressivité sur un autre objet.
™™ Anaïs, 7 ans, est régulièrement battue par son père mais ne veut en aucun cas qu’on
la protège de lui. Lorsqu’elle est chez sa mère, elle le réclame à corps et à cris, et insulte
celle-ci, n’hésitant pas à lui donner des coups. L’émergence possible d’un masochisme
secondaire œdipien n’exclut en rien la prégnance d’un masochisme archaïque et d’une
identification à l’agresseur. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours vu son père
« fracasser sa mère contre les portes ».
Le masochisme érogène archaïque, en dépit de ses conséquences délétères, peut jouer
un rôle de soutien narcissique faute de mieux. L’appropriation de la souffrance est préfé-
rable au vide. Elle crée une identité et rappelle au sujet qu’il est en vie.
681
Traité de médecine psychosomatique

2-3. Le masochisme sexuel


Le masochisme sexuel est un masochisme érogène secondaire. Il s’instaure avec l’image
de la castration et l’œdipe. Il se nourrit aussi du masochisme érogène primaire et souvent
du masochisme archaïque. Il englobe les pratiques sexuelles masochistes (sadomaso-
chisme pervers) et les fantasmes sexuels masochistes (masochisme sexuel névrotique).

Le sadomasochisme sexuel
Krafft-Ebing introduit le terme de sadisme en référence au marquis Donatien Alphonse
François de Sade. Le sadisme qualifie la jouissance à infliger douleur, maltraitance, domina-
tion ou humiliation au partenaire sexuel.
Freud considérera comme sadique tout exercice de domination ou de violence, y
compris en dehors de la sexualité, et, à terme, toute activité d’emprise ou de maîtrise sur
l’objet. Ainsi, s’établira progressivement une distinction entre un sadisme moral et un
sadisme sexuel.
Les pratiques sadiques sont diverses et variées, et les adeptes de la perversion ne
manquent pas d’imaginaire pour inventer, définir et nommer de nouvelles pratiques,
variantes ou formes composites. Le but est identique : générer la souffrance, assujettir,
maltraiter, rabaisser, humilier, souiller. Griffures, morsures, pincements, mise en place de
liens ou de menottes, qualificatifs dégradants, injures, fessées. Voilà pour les chaumières.
Attirails sophistiqués, harnachements, machines de torture, cuirs et vinyles, scénarios
compliqués, cérémonials, jaillissement du sang, brûlures (pyrophilie pour les branchés :
huile chaude, braise, cigarettes, embrasement de la peau du partenaire couverte d’un
produit inflammable), pose d’implants (sans champ stérile, ni scialytique), scarifications,
incontournables piercings et tatouages, marquages au fer rouge, attaque des organes
génitaux, victimes désignées, hiérarchies, liturgies et dogmes. Voilà pour les clubs.
Actes de cruauté, amputations, éviscération, meurtres. Voilà pour l’horreur.
Si le sadisme sexuel revêt des formes opératoires qui ne prêtent pas à confusion, il
existe un sadisme sexuel beaucoup moins repérable d’un point de vue extérieur, bien plus
répandu, plus larvé, à base de mépris, de dévalorisation, d’assujettissement, de déni de
l’altérité et de désintérêt pour la jouissance de l’autre.
™™ À l’âge de 20 ans, Yolande est séduite par Allan, son futur mari, très beau, « trop
beau », les yeux noirs, et, qui plus est, gendarme. Mariage. Grossesse. Allan lui demande
d’avorter. Dont acte. Le soir même de l’intervention, il lui saute dessus ainsi que les jours
suivants. Deuxième grossesse. On garde la grossesse car elle permet d’éviter une mutation
professionnelle. Durant celle-là, les assauts sexuels seront quotidiens jusqu’à la rupture
de la poche des eaux. La journée uniquement car, le soir, Allan sort avec ses collègues,
et la trompe allègrement. La maison est une bibliothèque de revues pornographiques
(c’était avant internet). Peu avant l’accouchement, c’est elle qui amènera le prélèvement
de l’urétrite de Monsieur au laboratoire. Allan amènera toutefois Yolande à la maternité
dans sa voiture tout en lui hurlant dessus. Pendant l’accouchement, il lui dit qu’il envisage
de la quitter. Chose qu’il ajournera tant ses capacités d’amour sont impénétrables. Ce qui
lui permettra de proposer l’échangisme. Un soir, il ramène une égérie à la maison et la
saute devant Madame. La petite Louisa se réveille. Il la raccompagne au lit dans son plus
682
Le masochisme

simple appareil. Les mardis soir, ce sont les copains qui viennent assister aux copulations
du couple.
Au bout de quelques années, Yolande présentera des manifestations anxieuses (dont
on n’a jamais connu l’origine !). Quand elle l’entendait arriver, elle claquait des dents. Allan
lui disait que tout était de sa faute, qu’elle souriait trop aux hommes. Une fois, dans un
restaurant, elle a effectivement souri à un homme et celui-ci lui aurait dit : « Combien tu
prends ? » Yolande fit une tentative de suicide et divorça.
Elle vint me voir pour une anaphrodisie lors de sa nouvelle liaison. Elle fantasmait sur
les copains de son nouveau mari. Dans le fantasme, elle les sodomisait. Le masochisme
contraint de Yolande se muait ainsi en sadisme fantasmatique.
Dans les rencontres sadomasochistes de groupe (SM pour les branchés), on repère un
besoin grégaire, un esprit de clan, une fidélité rituelle, une quête identitaire, un quant-à-
soi élitiste avec distinction entre élus et néophytes ou craintifs, un prétendu esthétisme
(body art), un culte du secret paradoxalement associé à des attitudes ostentatoires
(caractéristique éminemment perverse), une revendication fréquente, des hiérarchies
internes parfois source de conflits ouverts et, sous-jacent à tout ce décorum, un fantasme
fréquent de scène primitive dans lequel l’enfant devenu adulte est le metteur en scène
tout puissant.
Notre société en extase mystique devant tout ce qui peut faire différence tout en
condamnant la discrimination, tolère, voire fait la promotion du sadomasochisme sexuel
tant qu’il ne génère pas le crime. C’est une nouvelle élégance, un raffinement « coquin »
comme il est séant de le dire, emprunté directement à l’Ancien Régime pourtant diabolisé.
Le sadique pur ne recherche pas des partenaires masochistes. Sa jouissance est la
destructivité et la souffrance réelle de l’autre, non intriquée au plaisir quel qu’il soit. Dans
le sadomasochisme sexuel, il existe par contre une complicité plus ou moins consentie
selon les cas. L’initiateur est le plus souvent le masochiste sexuel, c’est lui qui, sous le
masque de la soumission, organise la mise en scène, répartit les rôles, peaufine le décor.
Activité de maîtrise minutieuse qui atteste d’un fonctionnement sadique foncier.

Léopold Sacher-Masoch
Biographie de Sacher-Masoch
Léopold Sacher naît en 1836 en Pologne. Son père, également dénommé Léopold
Sacher, y est préfet de police. Autrichien austère et dur, il a épousé Carolina Von Masoch,
la fille unique d’un médecin et recteur de l’université de Lemberg. De constitution
chétive, Carolina ne peut nourrir le petit Léopold elle-même. Elle le confie à une nourrice
ukrainienne, Handscha, véritable substitut maternel, qui le bercera toute son enfance de
légendes ukrainiennes remplies de femmes inaccessibles et cruelles.
Quand Léopold a 2 ans, son grand-père maternel, le docteur Von Masoch, impose
le double patronyme à l’enfant grâce à une autorisation impériale. Léopold Sacher,
deuxième du nom, deviendra Léopold Von Sacher-Masoch.
À 10 ans, Léopold tombe amoureux fou d’une de ses tantes paternelles, belle et
galante, qu’il surnomme la comtesse Zénobie. Une après-midi, il pénètre dans sa chambre
et embrasse ses chaussures. Surpris par l’entrée de Zénobie avec son amant, il se cache
derrière le paravent et assiste à leurs ébats. Ceux-ci sont interrompus par l’arrivée soudaine
683
Traité de médecine psychosomatique

du mari bafoué. Léopold, terrifié, cherche à s’enfuir et est alors découvert par Zénobie qui
le fouette violemment. Elle porte encore la fourrure qu’elle avait revêtue pour son amant.
Léopold ressent alors une « sorte de jouissance » mêlée de terreur et de douleur.
À la même époque, Léopold est fasciné par les lectures relatant les tourments endurés
par les martyrs qui le mettent dans « un état fiévreux ».
Ces deux éléments seront cités par Léopold Sacher-Masoch comme fondamentaux
dans la genèse de son mode de fonctionnement.
Léopold va faire de brillantes études de droit et obtiendra un doctorat. En fait, c’est
l’histoire qui le passionne. À 20 ans, il donne des cours à l’université de Gratz et publie
L’insurrection de Gand sous l’empereur Charles Quint, ouvrage historique qui privilégie
le personnage autoritaire de la sœur de l’empereur. Ses ouvrages suivants, Une histoire
galicienne et Comte Donski, sont également des écrits historiques présentant des femmes
tyranniques.
À 26 ans, il rompt ses fiançailles avec une vague cousine et noue une relation avec
Mme Kottowitz qui quitte pour lui ses deux enfants et son mari médecin. Léopold
déserte le domicile parental, démissionne de l’université et s’installe avec sa maîtresse.
Il rédige alors une première version de La Vénus à la fourrure où il détaille son obsession
pour la femme dominatrice. Quatre ans plus tard, sa maîtresse s’enfuit avec un comte
polonais dont elle s’est éprise. Pendant trois ans, Léopold restera effondré. Il compose
alors sa première œuvre parfaitement maîtrisée, La femme séparée, qui brosse un tableau
satanique et dominateur de son ex-maîtresse.
Il a 33 ans lorsque paraît La femme séparée. Immédiatement, il reçoit des courriers de
nombreuses femmes qui désirent le rencontrer. Léopold rencontre alors Fanny Von Pistor
pour qui il rédige un contrat dans lequel il s’engage à être son esclave, obéissant à tous
ses ordres et désirs, pendant six mois. Le couple part vivre son aventure en Italie. Sacher-
Masoch recherche alors un homme qu’il appelle « le Grec » avec lequel il veut que Fanny
le trompe sous ses yeux. Il va organiser la scène avec un Italien, le bel acteur Savini, mais
dans les suites, il quittera seul l’Italie, déçu par la réalité. À son retour à Gratz, il rédige la
version définitive de La Vénus à la fourrure en y incluant « le Grec ».
À 35 ans, aspirant à la tranquillité, Léopold se fiance avec Jenny Franefeld, une jeune
actrice. Leurs rapports sont excellents jusqu’à ce qu’il commence à recevoir les lettres
d’une femme qui se fait appeler « Wanda », prénom de l’héroïne de sa Vénus à la fourrure.
Il s’agit en fait d’Aurora Rümelin, jeune femme de 24 ans qui vit dans la misère. Fasci-
née par les écrivains, elle correspond avec eux en leur parlant de leurs œuvres. Léopold
Sacher-Masoch va tomber amoureux de ses lettres et y répondre de manière enflammée.
Il lui signifie qu’il n’attend que « beauté et amour de la femme » et qu’il l’aimera jusqu’à la
folie si elle peut incarner la Vénus à la fourrure.
Un an plus tard, elle vient le rencontrer chez lui, voilée, en se faisant passer pour une
femme mariée. Commence une relation dans laquelle il la supplie de le fouetter, ce qu’elle
refuse, lui disant qu’elle ne pourrait plus l’aimer ensuite. Cette attente plonge Léopold
dans un état d’excitation intense. Aurora finit par le fouetter puis lui envoie une lettre
dans laquelle elle l’humilie en lui disant qu’il n’est pas assez fort pour supporter les coups.
Léopold la supplie alors de le traiter en esclave, sans égard ni pitié, et de parachever son
œuvre en recommençant à le fouetter vêtue d’une seule fourrure.
684
Le masochisme

Fou d’amour et de jalousie, Léopold quitte sa fiancée Jenny, et signe le contrat que
rédige Aurora : « Votre honneur m’appartient, comme votre sang, votre esprit, votre
puissance de travail. S’il vous arrivait de ne plus pouvoir supporter ma domination et
que vos chaînes vous deviennent trop lourdes, il vous faudra vous tuer. Je ne vous rendrai
jamais la liberté. » Le 15 décembre 1872, Léopold et Aurora, qu’il appelle désormais
« Wanda », célèbrent des noces symboliques les unissant comme maîtresse et esclave.
L’année suivante, Wanda accouche d’un enfant qui ne survivra pas. Désespérée, elle
avoue à l’écrivain qu’elle n’a jamais été mariée et qu’elle est de condition modeste. Elle
lui propose de renoncer à leur contrat. Léopold ne lui en tient nullement rigueur et il
l’épouse légitimement peu après. Le couple aura un garçon la même année. Par contre, il
refuse que cesse leur contrat et recommence sa recherche du « Grec » avec lequel il veut
que Wanda le trompe. L’idée seule de cette infidélité le ronge de jalousie et de désespoir
mais il ne peut y renoncer.
À 38 ans, Léopold n’est pas très heureux en ménage. Il reproche à sa femme de n’être
pas une dominatrice comme sa Vénus mais aussi de ne pas être reposante du fait de ses
éclats de colère. Le couple a un second fils. Léopold est toujours obsédé par la recherche
du « Grec ». Il pense l’avoir trouvé en la personne d’un certain Fischer et il demande à
Wanda d’avoir une aventure avec lui. Celle-ci ne le fait pas, mais l’idée ramène la passion
au sein du couple. Suivra la naissance d’un troisième enfant.
À 41 ans, Léopold ne supporte plus la tyrannie de Wanda. Tous les jours, elle l’enferme
dans sa chambre en lui ordonnant d’écrire un nombre minimum de pages. L’écrivain
publie beaucoup. Il écrit : « J’ai pris la ferme résolution de ne plus me laisser tyranniser.
Tant qu’elle y a mêlé l’amour, ce fut pour moi une jouissance ; maintenant qu’elle est de
plus en plus désagréable, c’est pour moi intolérable… Je renonce à tous mes fantasmes,
Vénus à la fourrure comprise, je veux vivre modestement, mais j’ai besoin d’avoir ma
femme et mes enfants auprès de moi. Sans eux, ce n’est pas possible. »
À 42 ans, Léopold reçoit une lettre d’un dénommé Anatole. Il débute une correspon-
dance avec lui puis le rencontre. Le jeune homme est particulièrement beau et cultivé.
Les deux hommes discutent trois heures en se tenant les mains et Léopold lui avoue
avoir craint qu’en réalité « il soit une femme ». Léopold fait alors entrer Wanda dans leur
correspondance, espérant qu’Anatole, dont il se dit amoureux, devienne « le Grec ». Mais
celui-ci cesse la relation, au grand désarroi de l’écrivain.
À 44 ans, Léopold rencontre enfin Sandor Gross qui va pouvoir tenir le rôle du « Grec »
et devenir le partenaire de Wanda. Léopold organise leur rencontre. Il écrit dans son
journal intime : « J’entends la clé tourner dans la serrure. L’idée qu’ils sont maintenant
ensemble, que je ne peux rien faire, me torture, je suis plutôt brisé, anéanti, qu’irrité.
J’éteins la lumière et je regarde par le trou de la serrure. Le cœur me battait, je tremblais,
c’était affreux et pourtant je ne pouvais plus détourner les yeux, j’étais comme fasciné. » Il
retrouve sa femme, fou amoureux, et note dans son journal : « Je veux enfin me soumettre
totalement à Wanda, tout subir de sa part, qu’elle soit bonne ou méchante avec moi. Je
veux prendre mon plaisir justement à être maltraité par elle et à me sentir son esclave.
Dorénavant, je vais ramper devant elle comme un chien. »
Le couple rachète une revue dans laquelle Léopold publie les meilleurs auteurs
européens. Leur collaboration professionnelle va être le point de départ de discordes
définitives.
685
Traité de médecine psychosomatique

Léopold a 48 ans quand il débute une relation avec la traductrice de la revue, Hulda,
tandis que Wanda devient la maîtresse de l’un des journalistes. Un an plus tard, elle quitte
Léopold pour partir vivre avec son amant. Léopold s’installe à son tour avec Hulda.
Lorsqu’il a 49 ans, l’aîné des enfants qu’il avait eus avec Wanda décède. Éperdu de
douleur, il convainc Hulda de lui faire un enfant pour le remplacer.
À 50 ans, il obtient la dissolution de son mariage avec Wanda au détriment de celle-ci.
Furieuse, elle fomente une série d’intrigues contre lui alors qu’il est adulé par les grands
artistes et les hommes illustres de son temps (Zola, Gounod, Dumas, Daudet, Pasteur…)
qui réclament pour lui la légion d’honneur à Paris.
La même année, en 1894, Krafft-Ebing donne à la déviation jusqu’alors appelée algola-
gnie le nom de masochisme à partir de sa lecture des écrits de Sacher-Masoch. Léopold
s’insurge contre l’invention du mot masochisme, se sentant humilié et dépossédé de son
histoire.
Hulda accouchera d’une deuxième fille et Léopold finira sa vie avec elle et ses enfants
dans une retraite paisible. Il s’éteindra à 59 ans. (D’après Léopold Von Sacher-Masoch, La
Vénus à la fourrure, Pocket, 2013.)
Analyse
À la lecture de cette simple biographie, le masochisme de Sacher-Masoch apparaît
d’emblée comme un processus défensif contre la castration. Les éléments suivants en
attestent.
Phallicisation de la femme
Soit le sujet investit la femme phallique (femmes cruelles des récits de la nourrice,
tante Zénobie qui le fouette, sœur de l’empereur lors de l’insurrection de Gand, femmes
tyranniques apparaissant dans ses ouvrages), soit il la phallicise de manière active en la
fétichisant (la fourrure, le fouet, les chaussures), en lui attribuant un pouvoir de domina-
tion absolu, en exigeant sa cruauté sous forme contractuelle. Il dénie ainsi l’image de la
castration.
On peut considérer comme un prédéterminisme symbolique le double patronyme
exigé par le grand-père maternel. La mère est décrite comme assez évanescente, mais la
nourrice n’a d’yeux et de paroles que pour des femmes légendaires phalliques.
La pulsion scopique 
Elle est omniprésente : copulation de la tante Zénobie avec son amant, fantasme de
regarder par le trou de la serrure.
La triangulation œdipienne
Le personnage paternel masculin est doublement présent dans la scène du paravent :
l’amant et le mari légitime qui n’est rien d’autre que l’oncle de Léopold. L’introduction
fantasmatique (« le Grec ») ou réelle (Sanin, Anatole, Sandor Gross) du personnage
masculin a aussi valeur défensive contre la castration, quand bien même il y aurait
fantasme homosexuel, fantasme qui d’ailleurs n’est rien d’autre ici qu’une défense contre
la castration. La triangulation œdipienne ainsi réintroduite évacue toute culpabilité en
dédouanant le sujet de toute responsabilité transgressive.
On repère certaines formations œdipiennes dans la biographie du sujet. Le père, préfet
de police, et surtout le grand-père maternel, médecin et recteur d’université, sont deux
686
Le masochisme

figures phalliques. La première relation investie est celle avec Mme Kottowitz, mariée à
un médecin.
Précisons que le châtiment n’est pas le fait d’un homme, mais d’une femme, la tante
Zénobie, c’est-à-dire l’objet du désir, ce qui contribuera à la construction et à la pérennisa-
tion du fantasme. Cette autre défense contre le fantasme œdipien détermine la recherche
de la femme sadique : elle me bat, donc elle ne m’aime pas, ainsi je suis protégé de la
transgression œdipienne.
Renversement de la pulsion et retournement sur soi
Après avoir dénié la castration, le sujet va jusqu’à l’inverser pour que le processus soit
plus efficace. Après avoir fétichisé l’objet, il exige l’activité de celui-ci (renversement dans
le contraire) et retourne sur lui l’objet de la pulsion sadique (retournement sur soi). Il
demande à être castré pour pouvoir jouir. En s’identifiant à la mère prise par le père,
l’enfant échappe à la menace de la castration par celui-ci et, de plus, est aimé par lui.
L’intrication pulsionnelle
La scène réelle de la copulation de la tante Zénobie avec son amant, l’irruption du
conjoint, la fustigation de Léopold, cristallisent le complexe masochiste érogène : excita-
tion, plaisir, peur, punition, châtiment. La scène se joue dans le réel et dans le corps
(condition nécessaire au masochisme érogène) mais s’interfère aussi avec le fantasme déjà
présent (fantasme masochiste, excitation à la lecture des tourments des martyrs, etc.).
Lorsque l’intrication pulsionnelle disparaît, notamment quand Wanda se limite à une
tyrannie domestique, le sujet ne le supporte pas. L’absence de masochisme moral accen-
tue la quête de masochisme érogène.
La perte
La femme séparée est une sublimation défensive contre la douleur de la séparation
d’avec Mme Kottowitz. L’activité sublimatoire atténue la souffrance liée à la perte tout en
laissant subsister le fantasme sous forme sublimée. On retrouve cette composante active
sadique du masochisme érogène dans le fait que le sujet dicte les termes des contrats
sadomasochistes.

Déterminants du masochisme sexuel


Les apports de Freud et la lecture du livre de Nacht me conforteront dans cette repré-
sentation du masochisme érogène secondaire en tant que défense centrale contre la
castration, et me permettront de surcroit de considérer de manière plus élargie le faisceau
étiopathogénique qui le constitue.
La castration imaginaire et l’œdipe
Freud avait déjà repéré la place que jouent l’angoisse de castration et la conflictualité
œdipienne dans la genèse du masochisme sexuel secondaire, ainsi que les mécanismes de
constitution de celui-ci : intrication des pulsions sexuelles et agressives en retournement
du sadisme sur soi (l’objet est remplacé par le sujet lui-même), renversement de l’activité
en passivité.
S. Nacht (Le masochisme) considère lui aussi le masochisme comme une défense visant
à éviter le danger de la castration en consentant à un sacrifice partiel réel pour se mettre
à l’abri d’un danger imaginaire. La culpabilité pulsionnelle entre en jeu : le sujet doit payer
687
Traité de médecine psychosomatique

pour éprouver du plaisir. L’autopunition neutralise la culpabilité pulsionnelle. À mon sens,


c’est ici que le masochisme sexuel, contrairement au sadisme, peut être considéré dans
certains cas comme un mode défensif à la limite de la perversion et de la névrose.
Chez le masochiste sexuel, le processus est conscient, contrairement au masochisme
moral. Répétition d’une scène infantile de soumission passive à l’objet. Dans certains cas,
existe une composante homosexuelle ou encore fétichiste.
La dimension archaïque
Nous l’avons évoquée plus haut (p. 680). On retrouve la mère toute puissante, autori-
taire et coercitive qui inflige une punition source de coexcitation érotique.
Nacht insiste sur le fait que le châtiment physique contemporain du fantasme œdipien
ne suffit pas. Pour qu’il y ait masochisme érogène, il faut qu’il y ait en plus régression
prégénitale à des stades où sexualité et sadisme s’intriquent. Il existe un sadisme chez
l’enfant, qui débute avec le sadisme oral ou anal. Dans les mises en scène sadomaso-
chistes, apparaissent d’ailleurs souvent et de manière explicite les composantes pulsion-
nelles orales, anales, phalliques.
Le déterminant œdipien est donc chronologiquement secondaire. C’est un renforçateur.
L’intrication pulsionnelle au stade phallique
Plus que la douleur, plus que la souffrance, le sujet recherche avant tout l’excitation
dans la subordination, la dépendance, l’humiliation, un état de crainte excitante, de peur
voluptueuse de la souffrance prodiguée par l’autre, le plus souvent un homme ou une
femme porteuse d’un attribut phallique (bottes, fouet, ustensiles divers).
La douleur ne doit pas dépasser une certaine intensité, au risque que son intrication
libidinale disparaisse. Le masochiste sait mettre un terme à la scène. C’est ainsi que l’activité
sadique inapparente du sujet masochiste veille au grain. De nombreux sujets masochistes
sexuels se comportent d’ailleurs comme d’authentiques dominateurs sadiques dans leur
vie quotidienne, y compris avec le même partenaire.
Le sadisme infantile se complexifie et s’enrichit au stade phallique. La cruauté chez
l’enfant est source d’excitation sexuelle. Il lui arrive de prendre du plaisir à faire souffrir
des animaux ou d’autres enfants.
La copulation des êtres humains ou des animaux est perçue comme une scène violente,
représentation de l’intrication pulsionnelle.
La sexualité infantile est particulière. Les sensations voluptueuses sont mêlées à des
sensations, des émotions, des vécus paradoxaux et souvent anxiogènes, comme l’a très
bien repéré Nasio. Par ailleurs, la sexualité infantile comporte une dimension sadique et
masochiste.
Chez de nombreux sujets éjaculateurs précoces, j’ai repéré des vécus traumatiques
infantiles paradoxaux, dans lesquels se mêlaient excitation sexuelle et peur. Tel sujet
surpris lors de la masturbation, tel autre excité et angoissé par la perception du coït
parental. Dans toutes ces circonstances, souvent ponctuelles, l’éjaculation se produit
de manière prématurée du fait de la peur générant une décharge orthosympathique.
On peut repérer ici une forme physiologique d’intrication instinctuelle de deux forces
opposées, le plaisir sous la dépendance du parasympathique, la peur sous la dépendance
de l’orthosympathique.
688
Le masochisme

La démentalisation
La mise en acte masochiste trouve son origine dans un fantasme mais, par défini-
tion, elle y met un terme. Par ailleurs, le fantasme est souvent récurrent, stéréotypé, peu
élaboré. L’origine en est une pauvreté fantasmatique croissante chez de nombreux sujets.
La quête identitaire
Lacan considère que le sujet masochiste, en se faisant objet, déchet, vise à provoquer
l’angoisse de l’Autre qui ne répond pas à la question sur son être. Le sujet suppose le pire
et n’est donc assuré d’exister aux yeux de l’Autre que par le biais de la souffrance.
™™ Justine, 45 ans, vivait dans l’ombre, soumise à un mari dominateur, autoritaire,
paranoïaque, aux réactions de caractère explosives. Celui-ci, syndicaliste farouche et
envieux, ne supporta pas la promotion sociale de son épouse qui lui permit de devenir
cadre. D’autant que, forte de sa réussite, elle décida de ne plus se soumettre et d’accéder
à une certaine liberté. C’est dans ce contexte de tension extrême qu’elle tomba sous le
charme et le charisme de son kinésiologue. Une relation s’ensuivit. Elle n’avait jamais eu
auparavant de relation extraconjugale. L’amant, plus âgé qu’elle, pygmalion et domina-
teur, la fascinait. Il lui imposait des relations sadomasochistes avec mise en scène et
accessoires, ce qui la faisait beaucoup souffrir mais décuplait ses capacités orgasmiques.
En quelques mois, le contexte sadomasochiste devint la condition sine qua non de sa
jouissance et elle n’éprouva plus de plaisir avec son mari. C’est au bout d’un an que
celui-ci découvrit le pot aux roses et somma Justine de mettre un terme à la relation
extraconjugale.
Justine obtempéra, mit un terme à la relation et redevint soumise à son mari, au prix
de métrorragies. Transitoirement, car la relation illégitime reprit au bout d’un an. Elle
retrouva ses orgasmes en même temps que ses pratiques sadomasochistes. Au bout
de trois mois, surenchère oblige, l’amant eut une relation sexuelle avec une collègue de
travail de Justine. Justine le quitta. Dans la nuit qui suivit, elle fit un rêve dans lequel elle
se suicidait, enfermée à clé dans son bureau. Elle était morte, son sang coulait et passait
sous la porte. Au lendemain de ce rêve, elle fit part à son mari de sa décision irrévocable
de le quitter lui aussi. Dont acte. Mais voilà qu’au bout d’une semaine de célibat total, elle
plongea dans un état dépressif fortement démentalisé avec sensation de vide et désinté-
rêt total. Les métrorragies reprirent.
Les parents de Justine étaient très exigeants quant aux performances scolaires de leur
fille. Le père était très autoritaire, glacial, méprisant, rejetant, humiliant, à son égard.
Quant à la mère, il fallait la ménager, la préserver, ne manifester aucun grief devant elle,
car elle était dépressive. Justine se devait d’être irréprochable. Justine, à peine venue au
monde, pleura et hurla la nuit pendant de longs mois. Sa mère n’avait pas souhaité cette
grossesse prématurée. Justine pensait qu’elle n’était pas sa fille, qu’elle avait été adoptée,
d’autant que la mère n’avait de cesse de dire qu’elle ne lui ressemblait pas.
À l’adolescence, Justine se rebella et connut rapidement des succès avec les garçons.
C’est à 17 ans qu’elle eut sa première relation sexuelle au cours d’une soirée sadomaso-
chiste organisée par son copain de l’époque. « J’ai alors découvert que se faire mal physi-
quement permettait de moins souffrir psychiquement… Je n’accepte ni les compliments
ni les cadeaux car je me sens redevable… Je m’efface, j’ai toujours l’impression de gêner,
de déranger… »
689
Traité de médecine psychosomatique

Cette observation permet de souligner des éléments fondamentaux :


––genèse du masochisme érogène primaire : la détresse néonatale (dépression mater-
nelle), le dressage de l’enfant (gauchère contrariée) ;
––genèse du masochisme archaïque : l’effacement, la dette, le doute identitaire, la
répressivité (exigence et rejet maternels) ;
––genèse du masochisme secondaire : le père humiliant, l’attente déçue à son encontre ;
––balancement entre masochisme sexuel et masochisme moral ;
––somatisation génitale induite par l’arrêt du fonctionnement sadomasochiste
érogène ;
––dépression induite par l’arrêt du fonctionnement masochiste moral.

2-4. Le fantasme sexuel masochiste


En 2007, je présentai une étude sur les fantasmes sexuels féminins réalisée à partir de
cinquante-sept observations (Le fantasme sexuel). Dans le cadre de cette même étude, je
me penchai aussi sur les fantasmes sexuels masculins, mais de manière moins exhaustive,
le matériel clinique étant moins étoffé.

Le fantasme sexuel masochiste chez la femme


Les fantasmes mis au jour lors de mon étude chez la femme étaient des fantasmes
conscients inducteurs d’excitation sexuelle, apparaissant le plus souvent lors des activi-
tés autoérotiques. L’étude réalisée révélait parmi ceux-là une prévalence de fantasmes
masochistes dans 42% des cas. Ils se présentaient essentiellement sous forme de fantasmes
de passivité et d’assujettissement : pénétration sexuelle violente, par surprise, coït rapide,
prostitution, immobilisation avec des cordes, viol, insultes, souillures. La femme est
passive, objet, l’homme, parfois plus âgé, parfois répugnant, satisfait son désir brutal.
La vie sexuelle des patientes concernées était de qualité variable, reflétant l’ensemble
de la population générale : satisfaisante, voire particulièrement épanouie, ou bien présen-
tant des difficultés chroniques ou transitoires (anaphrodisies, frigidités relatives ou
partielles, anorgasmies, vaginisme) en relation paradoxale avec un vécu de passivité réel
(peur de la pénétration, crainte de la passivité, crainte du désir du partenaire).
La prégnance du fantasme sexuel de passivité et d’assujettissement masochiste était en
fait souvent contemporaine d’un vécu de passivité relationnelle dans la vie quotidienne.
™™ Raquel, 37 ans, jeune assistante sociale, jette son dévolu soit sur des hommes
nécessitant réparation (sujets malades, désocialisés), soit sur des représentants phalliques
paternels perçus comme tout puissants. Le juste milieu ne présente aucun intérêt, si ce
n’est parfois pour avoir des relations sexuelles de courte durée, non investies. Son activité
autoérotique se nourrit de supports visuels extérieurs, scènes pornographiques dans
lesquelles une femme se donne en pâture à plusieurs hommes, ou bien de fantasmes
personnels, à savoir des fantasmes de passivité et d’assujettissement masochiste. Le père
de Raquel était un homme séducteur, sévère et quelque peu humiliant, mais totalement
soumis à sa femme. Celle-ci était jalouse de sa fille, trop proche à son goût du père. Elle
était très exigeante à son égard, lui faisait mille et un reproches, et avait la main parti-
culièrement leste. On repérera ici le complexe œdipien, le complexe de castration, le
masochisme archaïque, l’analité (les actes imposés par l’homme dominant sont dégra-
dants et ont une forte connotation anale).
690
Le masochisme

™™ Kelly, 33 ans, présente depuis l’enfance des manifestations anxieuses intenses. Elle a
toujours fonctionné sur un mode passif, se pliant aux demandes des autres afin d’obtenir
leur amour. Demandes de sa mère d’abord, puis demandes des hommes très tôt en préado-
lescence, qui ont généré des inhibitions dans l’accession au plaisir. La dernière liaison avec
un jeune chirurgien a confirmé cette dépendance au désir de l’autre, proche de l’assujet-
tissement, assujettissement toutefois conscient et mal accepté, ayant généré au décours
de l’hospitalisation qui a suivi la rupture, une rancœur et un désir de changement. La
relation avait évolué rapidement sous un mode sadomasochiste, comme en témoigne un
fantasme persistant malgré la séparation : être victime d’un accident afin d’être hospita-
lisée dans le service où travaille le médecin en question. Le repérage de cette dimension
masochiste indissociable de la passivité qui la caractérise a permis de donner du sens à
sa stagnation sociale actuelle (en attente d’un travail sans rien faire pour l’obtenir), à ses
crises de boulimie, et à la dépendance qui s’installe avec son nouveau compagnon, et d’en
repérer une des origines profondes dans sa relation avec une mère tyrannique dont elle
redoutait le rejet. La relation d’objet de type masochiste est archaïque et donc facilement
extensive aux différents objets, dont le père, personnage de second plan, volontiers sadisé
par la mère, apparaissant paradoxalement en filigrane sous les traits de l’amant chirur-
gien. On repère ici cette alternance de l’attribution des rôles propre au fantasme.
Qu’en est-il de ce fantasme dans sa dimension consciente tel qu’il apparaît lors des
activités autoérotiques ? Kelly s’y représente prise sauvagement par surprise ou sodomi-
sée brutalement et sans égard par un homme. Ou bien elle assiste, passive, au coït de
son compagnon actuel avec une autre femme. Le fantasme de passivité masochiste est
évident. Lorsque la scène se présente sous forme d’images extérieures, elle génère une
réaction ambivalente : elle est excitée par exemple par les films pornographiques mais
irritée et choquée lorsqu’il s’agit de scènes dans lesquelles la femme est assujettie. En un
stade de plus, qu’en est-il de sa vie sexuelle réelle ? Tout ce qui peut dans la réalité générer
chez elle un vécu d’assujettissement et de passivité inhibe totalement le plaisir, c’est-à-
dire que tout ce qui alimente le fantasme sexuel constitue un obstacle à l’épanouissement
sexuel réel. Remarquons qu’il en est de même dans sa vie : le fantasme de passivité consti-
tue un obstacle à son épanouissement général.
Lors de la rêverie érotique solitaire, le fantasme transformé par les différents
mécanismes de défense est excitateur, érogène. Lors de la confrontation à la réalité, il
devient inhibiteur.
La représentation populaire du fantasme sexuel est celle d’un scénario que le sujet
souhaiterait mettre en acte. Or, la mise en acte, lorsqu’elle se produit, ne permet pas
toujours, loin s’en faut, d’obtenir la satisfaction escomptée. Chez le névrosé, les situations
réelles qui actualisent le fantasme ou ses formes apparentées, engendrent des déficits
sexuels, un mal-être, ou de l’angoisse.
Ainsi, j’ai pu faire le constat qu’une même représentation sexuelle est excitatrice dans
le fantasme et inhibitrice dans la réalité.
Le fantasme sexuel sous-tend le fonctionnement psychique. J’ai constaté que le
recours régulier au fantasme à des fins orgasmiques entretient et alimente la probléma-
tique inconsciente de fond qui lui a donné jour, ainsi que la passivité masochiste dans la
vie quotidienne.
691
Traité de médecine psychosomatique

OBJET EXTÉRIEUR
Inhibition

Distances Acte
sujet objet
Scène extérieure perçue

Fantasme érogène

Rêve

Excitation
FANTASME INCONSCIENT

Effets du fantasme inconscient en fonction de la distance réelle sujet/objet.

™™ J’ai évoqué plus haut (p. 680) le cas de Gabrielle à qui l’on attacha les jambes vers
l’âge de 2 ans. Elle a aujourd’hui 37 ans, est obèse du fait de son hyperphagie et de ses
compulsions alimentaires. Celles-ci ont débuté à l’âge de 7 ans lors d’un séjour en colonie
de vacances. Elle s’était sentie abandonnée et pensait que ses parents ne reviendraient
plus jamais la chercher.
La mère était particulièrement coercitive : fessées, gifles, hurlements. « Elle me terrifiait.
J’en avais peur. Je provoquais un peu ses coups. Quand elle me corrigeait violemment, je
pleurais, je me cachais, persuadée d’avoir fait quelque chose de mal. Elle était jalouse car
j’étais très proche de mon père. Il était maternant, tendre, mais écrasé par elle. »
À partir de 7 ans, la mère contrôlera son alimentation comme de l’huile sur le feu.
Quant au père, il s’intéressait beaucoup à Gabrielle, à telle enseigne que celle-ci pensa plus
tard qu’il avait du désir pour elle. La psychothérapie confirmera en fait un mécanisme
projectif. Gabrielle, devenue adulte, quitta ses parents non sans emporter avec elle la
représentation d’un double contrôle : celui de la mère sur son alimentation et celui du
père sur son corps de femme. Et c’est ainsi que s’instaura le fantasme sexuel masochiste
qui consistait à être attachée, comme ses jambes l’avaient été durant sa petite enfance,
pendant qu’un homme la faisait souffrir avec des pinces à sein ou la pénétrait avec un
godemichet surdimensionné.
Le complexe de castration était évident chez Marjorie. Elle rêvait fréquemment qu’elle
perdait ses dents ou bien d’une voiture à laquelle il manquait un boulon (signifiant évoca-
teur). Elle ne réalisa jamais son fantasme, et tout laisse à penser qu’elle eût été déçue. Elle
se contente de faire appel à lui pour soulager sa tension intérieure. De moins en moins
souvent d’ailleurs, car elle a trouvé dans le remplissage alimentaire un autre moyen de
soulager cette tension. Pénétration orale qui tue le fantasme et autorise une transgression
en toute quiétude de l’interdit maternel. Elle présente souvent des manifestations pruri-
gineuses au niveau des mains.
692
Le masochisme

Expressions cliniques du fantasme masochiste chez la femme


Passivité et assujettissement
Soumission, dépendance, attente, assujettissement aux désirs de l’autre, difficulté à
suivre son désir, puis à le connaître, vécu d’infériorité, d’incapacité, choix d’objets phalliques
ou au contraire castrés. Chez les sujets limites, fréquemment habités par le fantasme, on
repère en outre dépendance et rejet, désordre identitaire. Le sujet a conscience de son
fonctionnement psychique, il l’accepte mal car il en souffre, et il peut générer une crainte
de l’emprise de l’objet et, à terme, une rancœur à son encontre.
Autres formations masochistes
Cela peut être d’autres fantasmes d’apparence désexualisée, tel celui de Vanessa qui
souhaite être victime d’un accident pour être hospitalisée dans le service de son mentor,
ou bien des fonctionnements masochistes de type masochisme moral (Vanessa est en
attente d’un travail sans rien faire pour l’obtenir).
Éléments étiologiques
• Déterminants archaïques : coercition maternelle, emprise sur le corps de l’enfant,
demande tyrannique de soumission, croyance de ne pouvoir être aimé que par les actes,
crainte du rejet parental.
• Déterminants secondaires œdipiens : on retrouve une négation et un maintien du
lien œdipien. Le fantasme permet d’obtenir une satisfaction sexuelle interdite, en se
dédouanant de toute culpabilité. L’imago du père est variable : il peut être phallique,
distant, tout puissant, impressionnant, ou au contraire très proche mais soumis à la mère.
L’objet du fantasme est de toute façon composite, produit de la condensation entre la
mère tyrannique et le père fantasmé.
• Complexe de castration central : Nacht avait déjà repéré la difficulté, pour la femme en
proie au fantasme masochiste, à accepter sa féminité. Pour lui, deux types de fonctionne-
ment, selon le type de défense contre la castration, peuvent conduire aussi bien l’un que
l’autre au masochisme. Tout d’abord, la femme phallique, tout comme l’homme, craint la
castration. Elle n’est pas à l’abri de tendances autopunitives masochistes, liées à un retour-
nement sur soi de l’agressivité phallique, que masque un comportement viril agressif. La
femme qui s’imagine castrée et n’a pas de mode défensif phallique peut, quant à elle, être
aussi exposée au masochisme. Là aussi, le retournement de l’agressivité sur soi en consti-
tue le déterminant.
Fantasmes sexuels masochistes masculins
Les productions fantasmatiques relevées dans mon étude sont spontanément moins
fréquentes et moins riches chez l’homme que chez la femme. La prévalence du fantasme
de passivité et d’assujettissement est de 20%. Il met en scène des femmes dominatrices
reproduisant pour une part la réalité quotidienne. On peut repérer aussi chez certains
sujets des équivalents masochistes souvent contemporains de vécus de castration : être
sodomisé, s’exhiber avec recherche du châtiment, assister aux ébats entre sa partenaire
et un inconnu.
Lors des vécus de trahison, il n’est pas rare que la victime, dans sa quête désespérée
d’une explication, s’enquiert auprès de l’infidèle de détails d’ordre sexuel. Il lui sera alors
aisé d’imaginer les ébats illégitimes, d’en souffrir, mais aussi, chez les sujets masochistes,
d’en jouir. Un de nos patients gardait sur lui la photo des deux coupables dans leurs ébats.
693
Traité de médecine psychosomatique

™™ L’année de ses 25 ans, Alexandre se marie, devient père de famille et patron officiel
de l’entreprise de travaux publics que son père vient de lui léguer. Celle-ci connaîtra des
difficultés nécessitant des emprunts successifs.
Bien que patron officiel de l’entreprise, il se laisse diriger par ses deux secrétaires, plus
âgées que lui. Il compensera ces différents vécus de castration en faisant du triathlon.
Mais vers l’âge de 35 ans, une tendinite chronique mettra un terme à cette activité. C’est
alors que surgira un fantasme masochiste dans lequel son épouse a des relations sexuelles
et du plaisir avec un autre homme : « Ma femme lui fait une fellation. Je regarde ou je
participe. » Il finira par faire part de ce fantasme à celle-ci. Contre toute attente, elle le
vivra très mal et envisagera une séparation. Cette réaction déclenchera chez lui un revire-
ment total. Il imaginera que sa femme est réellement avec un autre homme. Il la sent plus
indépendante, elle est belle, dirigiste, dans la maîtrise, il craint de ne pas la satisfaire. Il ne
la lâchera plus, deviendra très jaloux, très dépendant d’elle. Mais le fantasme masochiste
n’en disparaît pas pour autant : lors de la relation sexuelle, il oblige son épouse à dire
qu’elle aimerait être avec un autre homme, ce qui l’excite énormément. « Je ne suppor-
terais pas qu’elle baise avec un autre homme mais j’aimerais y assister pour garder le
contrôle. Le vécu de castration s’est intensifié, majoré par les dettes et la précarité profes-
sionnelle, générant aussi des inquiétudes hypocondriaques.
Tout semble avoir débuté lorsque le père, dans les suites de sa retraite, débuta une
maladie de Parkinson. Jusque-là, Alexandre était dominé, si ce n’est écrasé par ce père qui
était très coercitif mais juste.
La mère d’Alexandre dénigrait le père devant son fils, n’hésitant pas à lui parler des
détails de sa vie sexuelle insatisfaisante : « Je n’ai pas de plaisir avec ton père, il a un petit
pénis ! » Parallèlement, elle lui faisait des déclarations d’amour, ce qui le mettait dans
l’embarras qu’on peut imaginer. Alexandre passa sa vie à lutter contre l’angoisse de castra-
tion (dans ses rêves récurrents, il vole mais s’écrase systématiquement) et les fantasmes
œdipiens. Ceux-ci devaient être transformés pour être mieux tolérables : le fantasme
masochiste en fut l’aboutissement.
Il existait aussi des éléments masochistes archaïques. Il était l’objet fétiche de sa mère,
son appendice, sa prothèse phallique, manipulable et maîtrisable à merci. Masochisme
archaïque dans lequel des éléments d’analité étaient présents. Il rêvait qu’il avait déféqué
dans son slip et est très gêné devant les autres.
™™ Roland, 56 ans, est désespéré. Son épouse, âgée de 49 ans, a « pété les plombs »
il y a un an. Elle s’est jetée à corps perdu dans le sport, est devenue anorexique, a perdu
20 kg, ne mange plus avec lui, s’habille comme une fille de 17 ans, change de vêtements
cinq fois par jour. Elle refuse toute relation sexuelle et l’oblige à dormir dans une autre
chambre. Elle lui dit d’aller voir ailleurs, l’humilie, le provoque, le sadise. Elle a toujours
haï les hommes, mais aime qu’ils la regardent. Quand il rentre de travail, elle l’enferme à
clé dans sa chambre afin qu’il ne puisse pas la rejoindre, ce qui le rend malade de désir
pour elle.
Le « masochisme féminin »
Freud a défini le fantasme masochiste inconscient chez l’homme en termes de
« masochisme féminin ». Terme qui prête à confusion, car il ne s’agit aucunement du
masochisme chez la femme, mais bien chez l’homme. Il a des traductions cliniques
694
Le masochisme

variables : fantasme de fustigation, d’être castré, de subir le coït, de se faire pénétrer passi-
vement, d’accoucher, identification à la femme.
Le « masochisme féminin » se traduit cliniquement par une passivité réceptive, une
soumission à l’autre, une acceptation inconditionnelle de ce dernier. Freud considère le
« masochisme féminin » comme la recherche d’une « position d’un enfant en détresse et
dépendant » mais aussi « méchant », qui doit être puni et que la souffrance peut satis-
faire.
Le « masochisme féminin » est lié au refoulement des représentations œdipiennes sous
l’effet de la menace de castration et d’une régression libidinale au stade sadique-anal. Au
cours de ces opérations, le sadisme se transforme en masochisme sous l’effet catalyseur
de la culpabilité. Le retournement sur soi n’est jamais total, tout masochiste continue à
présenter la tendance originelle sadique.
Son origine comporte aussi des formations plus archaïques : soumission à la mère
toute puissante. Le fantasme permet de surcroit de se protéger des fantasmes de fusion,
d’engouffrement, d’engloutissement, d’anéantissement par celle-ci. Le refus du féminin
qui caractérise notre époque ne facilite pas les choses : les femmes se doivent d’être
phalliques, armées, bottées, autonomes, fonctionnant comme des guerriers.
Le masochisme féminin freudien se révèle au travers de fantasmes masochistes et/
ou de perversions masochistes. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il était considéré
comme une entité séparée du masochisme érogène secondaire, que celui-ci soit fantas-
matique ou objet de pratiques perverses.

Expressions cliniques générales du fantasme sexuel masochiste


Le fantasme sexuel masochiste sous-tend de nombreuses expressions cliniques chez la
femme comme chez l’homme. Cinq modalités d’expression clinique peuvent se présenter
selon le type d’organisation psychique :
––absence de manifestations cliniques pathologiques,
––dysfonctions sexuelles,
––sadomasochisme sexuel,
––masochisme moral,
––somatisations liées à une fixation psychosomatique masochiste.

Dysfonctions Sadomasochisme Masochisme Somatisations


sexuelles sexuel moral masochistes

Élaboration Mentalisation Mentalisation Mentalisation Démentalisation


psychique variable rudimentaire variable
du fantasme
Topique Préconscient Conscient Inconscient Inconscient
du fantasme
Vecteur Vie sexuelle Comportement Psychisme Corps
de la fonction
psychosomatique

Expressions cliniques du fantasme sexuel masochiste

695
Traité de médecine psychosomatique

3. LE MASOCHISME MORAL


3-1. Clinique
Forme type
Le vécu
––Souffrance : sentiment de peine, souffrance morale plus ou moins indéfinie, tension
affective, délectation morose, vécu de malheur chronique.
––Insatisfaction (apparente).
––Pessimisme, impossibilité à savourer les joies de la vie.
Le discours
––La plainte : besoin de se plaindre, de se montrer malheureux, incapable, écrasé par la
vie, tendance à trouver compliqués ou insolubles des problèmes simples, à exagérer les
difficultés, à s’en tourmenter.
––Intérêt, voire fascination pour le morbide.
™™ Rosalie sort de la clinique où on lui a fait « la totale ». « Vous auriez vu ça, Docteur,
comme c’était gros. Le professeur m’a dit qu’il n’avait jamais rien vu de pareil ! Vous
vous rendez compte et moi qui avais ça dans mon ventre sans le savoir ! C’est comme la
vésicule, il paraît que j’avais la plus grosse du département et qu’elle aurait pu exploser
dans mon ventre. Et ma thyroïde, elle allait presque dans mon dos. Ça, c’était un autre
professeur, mais je le prends plus car il a pas vu qu’il fallait me faire la totale. Vous devez
en voir des choses, Docteur ! Vous savez que mon voisin a un cancer, si c’est pas terrible
tout ça. Il paraît qu’il va y en avoir de plus en plus ! Voilà ! Eh béh ! Vous savez que moi
ça va pas, la fatigue c’est normal après la totale, mais mon dos, on dirait qu’un homme
m’enfonce une aiguille par derrière, c’est douillet, c’est chaud, ça chatouille, ça monte et
ça redescend. C’est terrible, Docteur, terrible ! Toutes ces maladies ! Que même vous aussi
vous devriez faire attention. Je vous trouve l’air pâle !» Pendant toute la consultation,
Rosalie à un sourire radieux, les yeux écarquillés et protubérants, la gestuelle orgasmique
à l’évocation de toutes ces merveilles. Elle a travaillé toute sa vie avec l’acharnement que
l’on peut imaginer au service des immatriculations de la Caisse primaire d’assurance
maladie et malheureusement n’a jamais réussi un seul concours interne, la veille elle
était toujours malade. Elle est depuis peu à la retraite et fait du bénévolat dans l’accom-
pagnement aux mourants car, maintenant qu’on lui a presque tout enlevé, elle a peur
de s’ennuyer, d’autant que son mari qui la battait est devenu, depuis sa cirrhose, doux
comme un agneau.
Appétence pour les situations de souffrance
––Non utilisation de compétences, impossibilité à saisir les joies de la vie.
––Recherche, acceptation et réitération de situations de souffrance récurrentes avec
grandes difficultés, grande impossibilité à s’en défaire.
––Comportements autodestructeurs.
Conduites d’échec
Échecs récurrents et stéréotypés dans un ou plusieurs secteurs existentiels.
––Échec professionnel : fautes professionnelles inductrices de licenciement.
696
Le masochisme

––Échec scolaire ou universitaire : sujets qui arrivent en retard à un concours après


l’avoir consciencieusement préparé.
––Échec dans la vie affective : réitération de relations de souffrance.
––Échec dans les relations sociales : manque de souplesse, maladresse, inadaptation,
gaffes répétées, provocation d’événements négatifs lorsque s’annonce un événement
positif. Bras-cassé à qui il arrive toujours quelque chose de désagréable, sujet à toutes
les tuiles.
L’échec peut être total, affectant plusieurs, si ce n’est tous les secteurs existentiels. Il
peut être limité à un seul secteur, les autres étant préservés, comme, par exemple, échec
sentimental et réussite professionnelle. L’échec apparaît volontiers sous forme d’acte
manqué lorsque s’annonce le succès ou au décours de celui-ci. La biographie du sujet
donne l’impression d’un sabotage de l’existence. À telle enseigne que l’on a parlé de
« névrose d’échec » ou de « névrose de destinée ».
™™ Bertrand, 48 ans, professeur de lettres, considère que sa vie est loupée. Il n’a jamais
pu dépasser un certain seuil professionnellement, se plaint sans cesse de son directeur,
des parents d’élève, de ses voisins, de la société. Il ira se présenter à un concours et, le
jour de l’oral, se sabordera en ne répondant pas aux questions mais en révélant au jury
qu’il est mal vu dans son établissement. Il jettera la lettre de réponse des recruteurs sans
l’avoir ouverte, ignorant si elle était positive ou négative. Il préférera imaginer qu’elle était
négative. Il souffre du bruit de ses voisins mais se refuse à déménager. Sa vie personnelle
se limite à de vagues relations homosexuelles d’un soir. Il avait été abusé sexuellement
par un professeur de gymnastique à l’adolescence pendant de longues années et s’était
refusé à y mettre un terme, car celui-ci le valorisait. De son côté, il le haïssait mais, lorsque
celui-ci sera incarcéré pour d’autres faits de même nature, il lui rendra visite régulière-
ment et témoignera en sa faveur.
C’est donc un besoin inconscient de souffrir, de se diminuer et d’échouer, alors que le
sujet est placé dans des conditions de vie objectivement « normales ».
Formes cliniques
Formes sélectives
Le tableau clinique décrit ci-dessus est rarement complet. Selon les sujets, les expres-
sions cliniques varient et peuvent être sélectives. Chez certains, ce sera le vécu de
souffrance ou la plainte qui prédominent, chez d’autres, les échecs itératifs.
Formes composites et atténuées
De nombreux sujets dotés d’un idéal du moi tyrannique ou enclins à la répressivité
peuvent présenter des manifestations de masochisme moral. La jouissance inconsciente,
bien qu’atténuée, se retrouve parfois dans d’autres personnalités, telles que personnalités
dépressive, obsessionnelle, dépendante, border line, passive-agressive.
Le masochisme se retrouve particulièrement chez les sujets limites et ceci à différents
niveaux et sous différentes formes : recherche inconsciente d’objets d’amour potentielle-
ment destructeurs, attitudes de sabordage, prise de risques, transgressions, provocation
de la violence de l’autre, fantasme sexuel masochiste peu élaboré, pratiques sexuelles
sadomasochistes, attaques du corps, excitation douloureuse et jouissance inconsciente
dans la souffrance, besoin de domination et de soumission, analité.
697
Traité de médecine psychosomatique

™™ Iris, 32 ans, deux fois divorcée et mère de deux enfants, a toujours été angois-
sée. Elle présente des migraines fréquentes. Elle a une relation depuis deux ans avec un
homme instable. « Il veut s’installer chez moi, mais j’ai peur de me faire bouffer, manipu-
ler. Il peut être violent. Je préfère prendre des coups dans la gueule que d’obéir. » Iris a vécu
de prostitution pendant plusieurs années. Ses anciens amants : des zonards, des macs, des
disc-jockeys toxicomanes, des psychopathes. Actuellement, elle a des difficultés à garder
un travail fixe et n’a pas de projet de vie. Quand son fils est né, elle a eu des phobies
d’impulsion agressives à son égard. « Je n’acceptais pas qu’il ne soit plus dans mon ventre
et qu’il ait un père. » Sa mère était violente, la battait, l’insultait. Elle n’a pas connu son
père. Elle l’a contacté une fois par téléphone mais il a refusé de la voir.

Diagnostic
J’ai proposé précédemment des critères de diagnostic de l’appétence masochiste (Les
dépressions).
La jouissance inconsciente
La jouissance inconsciente transparaît le plus souvent d’emblée ou bien se confirme
de manière différée, dans la répétition, dans les modalités d’expression de la plainte, dans
la manière de la présenter.
Attachement à la position masochiste
Le sujet masochiste se plaint de son persécuteur mais le dédouane systématiquement
dès qu’on le désigne comme tel, lorsqu’on lui fait remarquer le sadisme de ce dernier.
Lorsque le sujet va mieux ou parvient à se défaire d’un objet persécuteur, il ressent un
manque, voire se déprime, contrairement au sujet normosé qui se sent libéré.
™™ Georgette, 43 ans, est éplorée. Son mari la trompe. Elle vient exprimer sa souffrance
et ses récriminations au cabinet, s’interroge sur le pourquoi du comment. Elle a énormé-
ment maigri. Je l’écoute se plaindre en un flot ininterrompu. Au bout de quinze minutes,
j’ignore toujours qui elle est, tant le monologue se résume à la mise en scène exclusive du
méchant partenaire. Elle m’assigne à un rôle de témoin muet à charge. Bien mal m’aurait
pris d’accepter ce rôle car, à partir du moment où je m’enquiers des possibilités d’atté-
nuer sa souffrance, la voilà qui prend la défense du bourreau. Le tout avec des yeux à la
fois faméliques et pétillants d’excitation : « Il est pourtant si gentil mon mari !» Ce mari
ne s’est jamais remis en cause, n’aurait jamais fait d’erreur, fonctionne un peu comme
un adolescent ou plutôt comme un enfant puisqu’il dort avec des peluches lors de ses
déplacements, que Georgette prend soin de ranger dans sa valise. Georgette a toujours
tout assumé. Depuis six mois, il n’y avait plus de relations sexuelles. Avait-il changé de
peluche ?
La mère de Georgette était coercitive à son encontre.
À l’issue du énième changement de peluche de son compagnon, Georgette finira
par se séparer de lui. Elle reviendra me voir trois ans après : elle est en invalidité pour
fibromyalgie, maladie apparue de manière quasi concomitante avec le début d’une
nouvelle relation. Le nouveau compagnon ne travaille pas, vit à ses crochets, est sous
aérosol de cannabis. « Il est très gentil ! Il devait me rejoindre il y a trois semaines, je l’ai
attendu, mais il a reporté sans arrêt. » Peut-être aurait-elle dû lui acheter une peluche…
698
Le masochisme

Antécédents
––Présence dans les antécédents de manifestations masochistes réitérées : échecs,
relations investies douloureuses du même type, ratés, malheurs.
––Répétition de choix stéréotypés : relations amoureuses avec des sujets pervers ou
immatures, exempts de tout sentiment de culpabilité, ne se remettant jamais en cause.
––Relations parentales : dans l’enfance du sujet masochiste, il existait une relation
similaire avec l’un des deux parents.
Échappement sadique
La position masochiste du sujet à l’encontre de sa maladie l’autorise à fonctionner de
manière sadique à l’égard de certaines personnes de son entourage.
™™ Bernard, 39 ans, est anxieux, tendu en permanence, ne se relâche jamais, n’est
jamais satisfait, est irritable et agressif, dort mal, présente des troubles digestifs. Chaque
fois qu’un événement agréable se présente, il éprouve le besoin de mettre en avant sa
dimension négative. Son masochisme moral n’exclut en rien un échappement sadique
du point de vue relationnel. « Ma femme et mes enfants, je les talonne, les pressure, les
persécute, comme si je cassais un jouet que j’aime. »
Depuis quelque temps, il entretient une relation amoureuse platonique mais tourmen-
tée avec une collègue de travail. Il fait tout pour l’amener à lui mais, dès qu’elle esquisse
un rapprochement, il se débine. Quand il en parle, on perçoit une satisfaction intense.
Bernard présentait une énurésie infantile que sa mère traitait par des châtiments
corporels. Quant à son père, il n’a plus de contact avec lui depuis de nombreuses années.
La vie fantasmatique
Elle constitue une des clés du diagnostic. L’exploration des fantasmes sexuels est ici
fondamentale. On y retrouve de manière quasi systématique le fantasme de passivité
masochiste.
Plus rarement, aucun élément clinique fantasmatique n’apparaît. Le fantasme est
purement inconscient.
™™ Liliane était mariée avec un homme pratiquant le masochiste sexuel. Celui-ci lui
avait progressivement imposé des pratiques qu’elle acceptait de manière opératoire :
elle devait lui faire des piercings, lui faire couler de la bougie sur le sexe, le fouetter, lui
donner la fessée, l’attacher, le promener en laisse. Elle ne ressentait rien, ni excitation, ni
désagrément, faisait cela comme si elle prenait une douche ou épluchait des pommes de
terre. Elle n’a jamais eu ni le moindre fantasme sexuel, ni la moindre activité autoérotique.
En dehors des rapprochements sexuels, le mari se comportait dans la vie quotidienne
comme un authentique tyran : il lui imposait ses règles, ses lois, lui hurlait dessus, l’humi-
liait, elle n’avait pas le droit d’ouvrir la boîte aux lettres. Il avait une vie parallèle. Elle se
soumettait.
Lorsque Liliane eut 37 ans, son mari la quitta et déménagea à l’étranger. Dans les suites,
s’instaura une inadéquation progressive avec sa fille. Cette fille, mariée avec un homme
dont elle avait deux enfants, subissait sans broncher la domination et la violence de
celui-ci. Elle déversait par contre tout son sadisme sur Liliane, sadisme qui se substituait
à celui du mari. Une prise de poids progressive s’installa, et les douleurs diffuses dont elle
699
Traité de médecine psychosomatique

avait déjà souffert se généralisèrent et s’aggravèrent. Un diagnostic de fibromyalgie fut


posé.
À l’âge de 43 ans, débuta sa relation avec Marcel, un homme marié de seize ans son
aîné, gentil organisateur d’un club de vacances. La relation avec Marcel devait durer dix
ans mais se limiter à des périodes d’un mois par an, soit dans ledit club de vacances, soit
en pointillé lors des rares passages de Marcel. Lors des longues périodes où elle ne voyait
pas celui-ci, elle n’avait aucune relation sexuelle, prenait du poids, et souffrait de manière
plus intense de sa fibromyalgie. Quant à Marcel, il avait d’autres relations, c’était presque
une obligation professionnelle. Mais cela, encore une fois, ne la gênait pas, elle l’admettait
sans rechigner le moins du monde, demeurait dans l’attente et la passivité. Toutefois,
elle prenait un plaisir évident à le culpabiliser de ne pas être assez disponible, à l’agresser
verbalement, cela lui faisait du bien.
Lorsqu’elle eut 51 ans, Marcel quitta le club de vacances et vint s’installer dans la même
ville que Liliane. Un an après, il la quitta. Elle souffrit de la séparation pendant trois ans, et
s’enfonça, recluse, dans son célibat.
À 56 ans, Liliane vit seule, a une relation en pointillé depuis un an avec un dénommé
Dominique. Elle est très amoureuse de lui, bien qu’il l’ait quittée plusieurs fois. Elle lui
est très soumise, accepte qu’il ait plusieurs maîtresses. La sexualité est bonne. « Je me
soumets pour être aimée. Je suis quelqu’un qu’on trompe, j’ai toujours été trompée. Je fais
passer le désir de l’autre avant le mien. » Sa fille vient de divorcer, découvre sa nouvelle
liberté, et lui laisse en permanence ses deux enfants perturbés, enfants qu’elle connaît à
peine puisque jusqu’à ce jour elle n’avait pas le droit de les voir. Liliane, nourrice et éduca-
trice improvisée, s’exécute sans rechigner jusqu’à ce que sa fille, éperdue d’un nouveau
psychopathe, vienne récupérer sa progéniture sans autre forme de procès. Dans un rêve,
Liliane lui dit de ne pas accepter les pratiques sadomasochistes. Dans un autre, elle se
soumet aux exigences sexuelles de Marcel et à son ex-mari.
Elle n’a toujours aucun fantasme sexuel, notamment masochiste, mais elle a proposé à
Dominique d’aller à des soirées libertines alors que celui-ci ne lui en avait nullement fait la
demande. On peut repérer ainsi la démentalisation qui ne laisse sourdre aucun fantasme
masochiste. Le fantasme masochiste est strictement inconscient, n’affleure jamais, de
quelle que manière que ce soit, à la conscience. Tout se joue dans la répétition de ce
mode relationnel quasi sacerdotal ainsi que dans le corps : fibromyalgie (impression qu’on
lui enfonce des tisons dans le corps), surcharge pondérale, migraines, et plus récemment
nodule au sein. Elle est à ce jour en invalidité.
Liliane était la dernière d’une fratrie de trois enfants. Elle vint au monde sur le tard.
La sœur aînée, Monique, alors âgée de 17 ans, vécut mal l’événement, craignant qu’on la
prenne pour la mère du bébé. Quant à son autre sœur, Ghislaine, âgée de 10 ans, après
avoir dénié la grossesse de la mère, considéra cette naissance comme un cadeau qui
lui était destiné personnellement. « J’étais sa poupée, sa fille, son jouet, son objet. Elle
dormait avec moi, avait tout pouvoir sur moi, une très forte emprise, à laquelle je me
soumettais. J’étais dans son ombre, j’étais son ombre. Cela ne me faisait rien, ni du bien,
ni du mal, c’était comme ça. Je me soumettais par peur de la blesser. J’avais tout le temps
mal aux jambes, elle me les massait. »

700
Le masochisme

3-2. Les origines du masochisme moral


Tout comme le masochisme érogène, le masochisme moral a deux origines souvent
intriquées. C’est ainsi que l’on peut distinguer un masochisme moral secondaire œdipien
et un masochisme archaïque.

Masochisme moral secondaire


Le besoin de punition
Le besoin de punition sous-tend le masochisme moral secondaire. Le sujet trouve dans
la position masochiste la conjonction d’un soulagement à sa culpabilité et une érotisa-
tion de la souffrance.
L’expiation
Pour Freud (Un enfant est battu), le besoin de punition est inhérent au complexe de
culpabilité lié au surmoi. Le sujet se punit afin d’éviter le danger de la castration. La culpa-
bilité pulsionnelle induite par le surmoi (culpabilité de désirer) est apaisée par l’expiation.
Ce n’est pas une recherche de souffrance en soi mais une modalité défensive, une
« monnaie d’échange » par rapport à la satisfaction fantasmatique inconsciente. Le châti-
ment permet de continuer dans la voie du fantasme transgressif, du désir œdipien.
L’amour du tiers œdipien est préservé. Être châtié par le surmoi, instance répressive
représentant le tiers œdipien, c’est être aimé par celui-ci. Le retournement sur soi permet
de surcroit la pérennisation de l’agressivité à l’encontre de celui-ci.
La castration génitale fantasmatique est ainsi évitée mais il s’y substitue à terme
une autre forme de castration, qui se traduit dans la réalité par de l’insatisfaction, de la
souffrance, de l’impuissance ou de l’échec.
L’érotisation de la souffrance
La souffrance est érotisée du fait de l’intrication pulsionnelle. La désexualisation n’est
qu’apparente. Le lien à la sexualité est déplacé et désobjectalisé. La sexualisation porte
sur la morale, l’interdit, la culpabilité. Le surmoi inducteur de culpabilité passe du statut
d’instance au statut d’objet. Il est la forme désincarnée du sadique sexuel. Le tiers œdipien
castrateur qu’il représente est remplacé par de nombreuses figures de substitution : la
malchance, Dieu, le destin.
La resexualisation, l’érotisation de la souffrance, induisent une jouissance inconsciente
qui prend le dessus sur toutes les autres formes de jouissance et confèrent de fait à la
défense masochiste son caractère particulièrement résistant et réfractaire à la thérapeu-
tique.
L’indifférenciation de la souffrance
Contrairement au masochisme érogène qui se limite au corps, au fantasme, nécessite
la présence réelle ou fantasmatique d’un autre et se joue dans des situations spécifiques,
la souffrance du masochisme érogène est généralisée, aspécifique, déplacée sur différents
secteurs, générée par des objets multiples et indifférenciés. Le besoin de punition peut
prendre la forme de n’importe quel type de malheur ou de souffrance.
Besoin de punition et autres structures
Le besoin de punition n’est pas l’apanage du seul masochisme. Il sous-tend de
nombreuses névroses, plus particulièrement la pathologie obsessionnelle. On le retrouve
701
Traité de médecine psychosomatique

aussi dans certains déficits sexuels, ainsi que dans la répressivité, forme majeure et conti-
nue de répression. On le retrouve enfin dans la dépression mélancolique et dans les
personnalités dépressives.
L’auto-agressivité se retrouve dans toutes ces entités cliniques mais, ici, la jouissance
inconsciente qui sous-tend le masochisme moral est absente.
Il existe des différences fondamentales entre le masochisme moral et la dépression
mélancolique, que résume le tableau suivant.
Dépression mélancolique Masochisme moral
Auto-agressivité Centrale Centrale
Auto-accusation Centrale Rare
Culpabilité - Culpabilité de défaillance - Culpabilité pulsionnelle
- Consciente - Inconsciente
- Désintriquée de la satisfaction - Intriquée à la satisfaction libidinale
libidinale
Intrication pulsionnelle Absente Présente
Jouissance Absente Centrale
Objet Investissement narcissique de l’objet Investissement érotique de la souf-
perdu france
Instances Idéal du moi Surmoi tyrannique

Différences psychodynamiques entre mélancolie et masochisme moral


Le masochisme moral archaïque
Ce masochisme s’origine pour une part dans une reproduction de situations de
souffrance infantiles.
Il n’est pas en relation avec le surmoi œdipien, mais plutôt avec un surmoi primordial
ou bien en relation avec un déficit défensif face à certaines expériences traumatiques. Le
retournement de l’agressivité contre soi surgit faute de mieux.
Renversement du sadisme prégénital
Le sadisme oral ou anal se retourne contre le sujet et se transforme en auto-agressivité
lors de frustrations trop intenses. L’enfant ne pouvant obtenir ce qu’il veut renonce avec
rage à son emprise, et retourne l’agressivité, qui était destinée à l’objet, contre lui-même.
Il retrouve une jouissance similaire à celle de l’emprise en satisfaction.
Contrairement à l’hétéro-agressivité, le retournement de l’agressivité contre soi permet
d’imaginer que l’objet continuera à aimer le sujet.
Selon Nacht, ce « masochisme primaire organique », très archaïque, s’instaurerait
lorsque le moi est mal différencié de l’objet et lorsque les pulsions agressives et libidinales
ont du mal à se dissocier. C’est un masochisme profond pouvant aboutir à des compor-
tements autodestructeurs ou à une vocation de souffrance.
La composante anale
™™ Chez Bernard, cité p. 699, tyran domestique aux antécédents d’énurésie traités par
sa mère par coercition physique, on repère la dimension anale. Selon ses propres termes,
il « cherche la merde » en permanence.
702
Le masochisme

Besoin d’amour et provocation


L’enfant cherche à faire sortir l’autre de son indifférence et à provoquer des réactions
hostiles qui seront alors prises comme de l’intérêt et une manifestation d’amour. C’est
bien connu chez les enfants délaissés qui provoquent les réactions d’hostilité de l’adulte.
Si je suis malheureux ou insupportable, on s’occupera de moi. Dans la genèse de ce type
de masochisme, Nacht repère souvent une excessive coercition parentale ou, au contraire,
un laxisme.

Intrication du masochisme primaire et secondaire


Masochisme primaire et secondaire sont souvent intriqués, le premier favorisant la
genèse du second, et le second entretenant le premier.
™™ Nicolas, 28 ans, a tenté à plusieurs reprises des études universitaires : droit, architec-
ture, médecine, kinésithérapie, avec à chaque fois un acte manqué le jour des examens. Il
est actuellement étudiant en histoire de l’art et vit chez sa mère.
La relation avec celle-ci est très proche, intime, fusionnelle, mais conflictuelle. Il la
surveille comme de l’huile sur le feu car elle est dépressive et a un penchant prononcé
pour l’alcool. « Je l’aide, je la surveille, je ne la quitterai jamais. J’ai l’impression que je vais
disparaître avec elle. Elle me crie toujours dessus, me contrôle en permanence, veut tout
savoir sur moi. Je n’existe à ses yeux que si je lui montre que je souffre. J’attends tout
d’elle mais il m’est arrivé d’avoir envie de la tuer. Quand j’étais enfant, je me soumettais
à ses exigences. Alors je pleurais ou je cassais ses bibelots. Mes pleurs suscitaient son
attendrissement, alors je me suis habitué à penser à des choses tristes pour pleurer. »
Voilà pour le masochisme primaire.
« Je faisais aussi deux rêves récurrents : dans le premier, un homme avec le pyjama de
mon père venait dormir avec moi dans mon lit. Dans le second, je voyais un arbre coupé
et je pleurais. » Le père était très souvent absent et ses apparitions étaient très mal vécues
par Nicolas. La mère disait pis que pendre de son époux. À la puberté, il ne supportera
pas que sa mère s’approche de lui, le serre dans ses bras. Mais dans les suites du décès de
son père, à 16 ans, il se rapprochera d’elle et lui promettra de remplacer celui-ci auprès
d’elle. Sa vie sexuelle se limitera à deux relations homosexuelles de courte durée, insatis-
faisantes, douloureuses, qui se solderont chacune par un échec cuisant. Voilà pour le
masochisme secondaire.

Les traumatismes renforçateurs du masochisme


Ce type de masochisme, que l’on pourrait qualifier de traumatique essentiel, peut s’ins-
taurer à n’importe quel stade du développement, sous l’effet de traumatismes réitérés.
Ces traumatismes constituent des renforçateurs d’un probable noyau masochiste préexis-
tant. C’est le cas du sujet harcelé par ses camarades d’école ou par un autre membre de sa
famille autre que le père ou la mère. Isolé, inférieur, trop soumis, trop différent, trop gentil,
trop confiant, porteur de valeurs morales et oblatives, le sujet se soumet et finit par inves-
tir une identité, puis un rôle de victime. Incapable de fuir ou d’attaquer, il s’immobilise
faute de mieux dans une attitude passive qu’il considère comme son destin.
L’issue masochiste n’est pas systématique. Le sujet peut découvrir avec le temps,
spontanément ou avec l’aide d’un autre, d’autres modalités défensives. Le masochisme
ne s’instaure à la longue qu’en l’absence de ces dernières, ou bien lorsqu’un bénéfice voit
703
Traité de médecine psychosomatique

le jour : restauration identitaire, statut de victime appelant à une gratification compen-


satrice, maintien du lien avec le persécuteur objet d’admiration, érotisation de la relation,
attente de reconnaissance.
™™ Jean-Baptiste, 12 ans, est doux, idéaliste, rêveur, poli, naïf et respectueux des
autres. Il présente un strabisme et porte des lunettes. Panoplie idéale du bouc émissaire
désigné au collège. Insulté, moqué en permanence, il tente de s’effacer, de se faire oublier.
Il y a quelques jours, il a failli être écrasé par une armoire que l’on a renversée sur lui.
Il s’est fait casser la cheville à coups de pieds et de pierres. Il raconte ces événements
avec une soumission sereine et ajoute placidement : « Quand je me lève le matin, je me
demande qu’est-ce qu’il va m’arriver aujourd’hui. » Les entretiens psychothérapiques avec
Jean-Baptiste ont permis d’éviter une descente dans l’enfer masochiste qui l’attendait. Il
est parvenu à se défendre lors d’une dernière agression, en rendant une gifle à un de ses
persécuteurs. Un changement de collège mit un terme définitif à sa souffrance.
™™ Blanche a subi la maltraitance de sa sœur jumelle Déborah depuis sa plus tendre
enfance, au vu et au su des parents qui ne voulaient pas se mêler de leurs différends.
Féminine, douce, effacée, toujours en quête de satisfaire l’autre, Blanche constituera à
l’adolescence le bouclier humain idéal de sa sœur face à la violence paternelle, violence
d’apparition tardive liée à l’alcool. Lorsque les affrontements éclatent entre Déborah et
le père, c’est elle qui les sépare, essuyant du même coup le châtiment qui était destiné à
celle-là. Elle encaisse sans rien dire et la mère se tait.
De 20 à 26 ans, Blanche vivra avec sa sœur, dans le même appartement. Déborah,
homosexuelle, se désocialisera rapidement. Blanche deviendra infirmière et fera vivre
avec son maigre salaire sa sœur et sa mère. Elle se mariera à l’âge de 27 ans, ce qui déchaî-
nera la fureur de sa sœur qui ne viendra pas au mariage. Blanche en sera très culpabilisée,
mais les deux ans qui suivront lui permettront de retrouver un nouvel équilibre grâce à
sa nouvelle vie de femme et de mère. Équilibre qui sera rapidement compromis trois ans
après dans les suites de la rencontre d’Evan, son ostéopathe. Blanche est amoureuse et
quitte son mari dans le mois qui suit. La relation s’avérera rapidement destructrice. Elle
subira tout sans broncher, les absences, les ruptures, les tromperies, les injures, le mépris,
l’humiliation, l’assignation à résidence, les condylomes, et à terme, à 35 ans, la solitude
dans une attente désespérée. Elle renoncera à toutes ses activités hédoniques et à la garde
de sa fille.
Blanche et Déborah sont nées d’une fécondation in vitro, seules rescapées du tri sélec-
tif des huit embryons qui en étaient issus. Pour Blanche, Déborah représente peut-être
l’un des garçons qui auraient pu naître. Il en est de même probablement pour Evan.
Blanche endosse le rôle de bouc émissaire, expiant la culpabilité familiale qui n’a jamais
été nommée.

4. MASOCHISME ET PSYCHOSOMATIQUE
L’approche psychosomatique du masochisme permet de dégager trois modes d’articu-
lation entre celui-ci et la maladie :
––la défaillance du masochisme érogène protecteur,
––le complexe masochiste inconscient générateur de somatisation,
––le masochisme somatopsychique.
704
Le masochisme

Les études et publications psychanalytiques concernent d’une part le masochisme


protecteur, que Rosenberg a appelé « masochisme gardien de la vie », et d’autre part le
masochisme somatopsychique, c’est-à-dire le réinvestissement masochiste induit par la
maladie. Elles ont montré que ces deux types de masochisme constituent le plus souvent
des modalités défensives protectrices contre les désorganisations somatiques.
J’ai par contre été très étonné que les complexes masochistes inconscients en tant
que cofacteurs de somatisation soient relativement éludés dans la littérature psychana-
lytique, d’autant plus que l’expérience clinique confirme leur rôle central en tant que
déterminants de la cible somatique. Ils constituent des fixations psychosomatiques à part
entière. Ces fixations sont autant de bassins d’attraction pour les maladies régressives et
peuvent, elles aussi, constituer une barrière contre-évolutive contre certaines désorgani-
sations.

4-1. Fonction psychosomatique du masochisme


Fantasme sexuel masochiste

Masochisme moral

Fantasme inconscient

A
Masochisme secondaire œdipien

Comportement Pratique
Masochisme objectal archaïque masochiste sexuelle
masochiste

Masochisme érogène primaire Cible somatique

Sensations

Fonction psychosomatique du masochisme

4-2. Le masochisme protecteur


Le cas de Justine, présenté plus haut (p. 689), illustre bien cette dimension du
masochisme protecteur. Elle présente des métrorragies chaque fois qu’elle interrompt sa
pratique sadomasochiste avec son mentor. Elle fera ensuite une dépression immédiate-
ment après avoir quitté son mari paranoïaque. L’arrêt du fonctionnement masochiste
(érogène ou moral) induit de la pathologie. C’est donc que le masochisme constitue
un garde-fou contre d’autres formes de souffrance. Justine le dit elle-même : « J’ai alors
découvert que se faire mal physiquement permettait de moins souffrir psychiquement. »
Nous avons vu que l’effacement d’une souffrance psychique peut laisser surgir une
souffrance somatique. Le masochisme érogène crée des liaisons psychiques grâce à l’intri-
705
Traité de médecine psychosomatique

cation pulsionnelle : l’agressivité est liée et tamponnée par la libido. Ainsi contenue, il
lui est plus difficile d’attaquer le corps. Le masochisme constituerait donc un garde-fou
contre la désorganisation.
Benno Rosenberg distingue un « masochisme gardien de la vie » du fait de l’intrication
de la destructivité et de la libido, et un masochisme mortifère caractérisé par une désin-
trication de ces mêmes pulsions, chacune évoluant pour son propre compte.
Alain Fine considère aussi que le masochisme n’intervient pas dans la genèse de la
maladie et qu’il joue au contraire un rôle protecteur. Dans les suites du traumatisme,
la déficience du noyau masochiste ne permettrait pas une ré-intrication pulsionnelle et
produirait ainsi une première déliaison, starter de la désorganisation. La destructivité non
liée aux instincts et aux pulsions de vie agirait alors pour son propre compte. La reliaison,
la ré-intrication pulsionnelle sous l’effet du masochisme auraient ainsi un effet réorgani-
sant.
™™ Graziella a quitté son mari dont elle était l’esclave, il y a un an. Depuis, ça ne va pas.
Elle le regrette. « Il m’en a fait voir ! Il me tapait, j’avais peur de lui, toujours sur le qui-vive,
je dormais toute habillée. Quand il était dans la pièce, j’avais des douleurs cervicales, du
canal carpien, des migraines, des vertiges. » Six mois après l’avoir quitté, elle a débuté un
cancer du sein. Les seuls rêves qu’elle fait mettent en scène des relations harmonieuses
avec son mari.
™™ Une autre de mes patientes, Fanette, a elle aussi développé un cancer du sein à l’âge
de 45 ans dans les suites d’un arrêt de ses pratiques libertines qui avaient débuté dix ans
auparavant, sous l’initiative empressée de son mari.
™™ Candy a elle aussi développé un cancer du sein quand son mari, paranoïaque, à
l’égard duquel elle était soumise moralement de manière masochiste, l’a quittée pour
aller vivre chez sa mère.
Pour J.-P. Obadia, le masochisme moral serait par contre porteur de potentialités
désorganisantes, contrairement au masochisme sexuel pervers et au fantasme masochiste
qui, eux, seraient protecteurs, et ceci du fait de la décharge de l’excitation sur une autre
scène. Le cas Justine semble confirmer ce point de vue : les métrorragies n’apparaissent
que lorsqu’elle part en vacances avec son mari, c’est-à-dire lorsque les pratiques sadoma-
sochistes sexuelles cessent et qu’elle se retrouve soumise moralement à ce dernier. Mais le
cas qui suit infirme cette hypothèse. Mieux vaut peut-être considérer que le masochisme
érogène est potentiellement protecteur et que les effets du masochisme moral sont
variables d’un sujet et d’une situation à l’autre.
™™ Daisy, 40 ans, adepte de l’échangisme, a rencontré son partenaire sur internet, rayon
sadomaso. Ce partenaire, de vingt-cinq ans son aîné, adore la fessée et être attaché. Daisy
préfère les coups de martinet, de cravache sur ses seins, ou encore des pinces sur ceux-ci,
zone particulièrement érogène chez elle : elle pouvait atteindre l’orgasme rien qu’avec des
sensations au niveau des seins. De ce fait, l’harmonie règne et le couple décide, il y a trois
ans, de cohabiter et de se marier, bien qu’elle en eût toujours refusé l’idée depuis sa plus
tendre enfance. Mais voilà que, depuis, elle présente :
706
Le masochisme

––une mastose très douloureuse qui compromet sa vie sexuelle : seins brûlants, tendus,
gonflés, durs, en permanence. Depuis, c’est une « zone interdite » ;
––des rêves récurrents dans lesquels elle perd toutes ses dents ;
––une colopathie d’apparition plus récente.
La cohabitation et le mariage ont officialisé la relation, accentuant la dimension
œdipienne et la privant d’une distance trophique suffisante. Daisy était la préférée de
son père, homme séduisant mais sadique. Elle aimait le séduire et avait l’illusion de le
dominer.
Ici, la mastose et la colopathie apparaissent lorsque les pratiques sadomasochistes
diminuent au profit d’une soumission morale au conjoint. On retrouve le même phéno-
mène, version plus mentalisée, chez Sacher-Masoch. Il fait une dépression quand sa
maîtresse, Mme Kottowiz, le quitte, et renaît de ses cendres lorsque ses pratiques
masochistes reprennent. Marié plus tard à Wanda, il ne supportera pas sa tyrannie
(masochisme moral) tout en la suppliant de continuer les pratiques sadomasochistes
sexuelles.
En dehors de l’intrication instinctivo-pulsionnelle potentiellement trophique qu’il
induit d’un point de vue psychosomatique, le masochisme peut être aussi un garant de
l’existence du sujet d’un point de vue identitaire et narcissique. Il permet, en reprenant un
contrôle actif, de se sentir exister en dehors de l’attente ou du rejet de l’autre. « Partout où
ça fait mal, c’est moi », disait Fritz Zorn (Mars).
Par ailleurs, le lien masochiste est préférable à l’absence de lien. Diatkine considère le
masochisme de certains sujets comme la seule manière de faire perdurer le lien objectal.
Plutôt être martyrisé par l’objet que le perdre.

4-3. Complexes masochistes et pathologies somatiques


Les fixations psychosomatiques masochistes
Tout au long de ce livre, nous avons présenté plusieurs observations dans lesquelles une
fixation psychosomatique de type masochiste constituait le déterminant central de la cible
somatique. Pour mémoire : la rectocolite ulcérohémorragique de Jean-Louis (p. 174), la
colopathie spasmodique de Josepha (p. 177), la dysurie fonctionnelle de Daniel (p. 177),
l’eczéma périnéal de Gilles (p. 176), les vulvovaginites de Violette (p. 414), les infections
urinaires récurrentes de Séverine (p. 414), les diarrhées chroniques d’Émilie (p. 479), les
crises d’urticaire de Paule (p. 454), et bien d’autres, tel le cas d’Yvan.
™™ Yvan, marié, père de trois enfants, souffre d’une rectocolite ulcérohémorragique
depuis onze ans, apparue dans un contexte de difficultés financières importantes. Le
discours est opératoire. Il existe, sur le plan économique, une répression majeure de
l’agressivité, doublée d’une inhibition émotionnelle. Sur le plan du fonctionnement
psychique, on repère des doutes constants, une tendance à la rumination, des éléments
psychasthéniques (inhibition émotionnelle majeure) caractéristiques d’une névrose
obsessionnelle mal mentalisée. On repère aussi des éléments masochistes : « Je me consi-
dère comme une sous-merde. » L’achoppement œdipien est évident : « J’ai toujours
pensé que c’était de ma faute si mes parents avaient divorcé. » Lorsqu’il avait douze ans,
707
Traité de médecine psychosomatique

ses parents se sont effectivement séparés. Cet événement provoqua chez lui une forte
angoisse et il décida de rester vivre avec son père. Quand celui-ci rencontra une autre
femme et s’installa avec elle, il développa de la rancœur à son encontre et partit vivre chez
sa mère. Il n’adressa plus la parole à son père durant une dizaine d’années et dit de lui : « Je
craignais mon père, mais on ne s’est jamais affronté, on ne s’est jamais rentré dedans. » Les
éléments anamnestiques de l’enfance et de l’adolescence révèlent une fixation psychique
anale, des éléments d’homosexualité passive, ainsi qu’une identification féminine qui sera
confirmée par ses fantasmes sexuels : « Je suis à la place d’une femme et je me fais baiser
par plusieurs hommes. »
Chez tous les patients dont les observations ont été présentées, la pathologie surgit
du fait de la conjonction d’un désordre économique et de représentations inconscientes
masochistes pathogènes. Deux questions se posent : celle de la nature des zones érogènes
et celle du type d’érogénéité.
Les fixations somatiques de la petite enfance, et ceci dès la période primaire, peuvent
concerner les zones érogènes classiques mais aussi d’autres systèmes anatomofonctionnels.
La diffusion du plaisir à partir des zones érogènes classiques vers l’ensemble du corps est
d’ailleurs la condition nécessaire à l’organisation d’un moi unifié et de l’image inconsciente
du corps. Certaines fonctions sont plus ou moins érotisées : digestives, urinaires, génitales,
cutanées.
Un plaisir paradoxal, que l’on pourrait qualifier de dysérogénéité, au niveau d’une
fonction ou d’une zone du corps peut entraîner un investissement excessif de cette
fonction ou de cette zone. Le plus souvent, les sensations engendrées par une affection
corporelle sont désagréables, mais il n’en est pas toujours ainsi et une part de malaise peut
dans certains cas être infiltrée de sensations particulières dans lesquelles une certaine
jouissance est présente : fièvre, prurit, besoins mictionnels, etc.
La dysérogénéité dont il est question nous invite à évoquer le masochisme érogène qui
vient accentuer secondairement la fixation et plus particulièrement le masochisme induit
par les interventions extérieures sur le corps. Les changements induits par la maladie (ne
pas aller à l’école, dormir avec les parents, recevoir des cadeaux), le rapport des parents à
celle-ci, les soins physiques pourvoyeurs de sensations paradoxales, peuvent jouer un rôle
inducteur ou renforçateur d’un masochisme érogène, comme nous le verrons plus loin en
évoquant les bénéfices secondaires narcissiques.

Pathologies somatiques du complexe masochiste


La clinique permet de repérer certaines pathologies spécifiques du complexe
masochiste inconscient lorsque celui-ci n’est l’objet d’aucune élaboration psychique :
––pathologie gynécologique : algies et inflammations pelviennes, névralgie pudendale,
vulvovaginites, vaginisme, cystites ;
––dermatoses : urticaire, éruptions maculopapuleuses prurigineuses, eczéma périnéal,
certains psoriasis ;
––pathologie rectocolique : rectocolite ulcérohémorragique, certaines formes de
colopathie ou de diarrhées.
Dans tous les cas, la cible est investie de dysérogénéité.
708
Le masochisme

5. LE MASOCHISME SOMATOPSYCHIQUE


5-1. Les bénéfices masochistes primaires
Bénéfices économiques
L’instauration de la souffrance physique met souvent un terme à la souffrance
psychique. Ce transfert de la souffrance diminue pour une part les expressions masochistes
mentales ou comportementales, voire sexuelles. « (…) une névrose qui a défié tous les
efforts thérapeutiques, peut disparaître quand la personne est tombée dans la détresse
d’un mariage malheureux, a perdu sa fortune, ou a contracté une redoutable maladie
organique » (Freud, Le problème économique du masochisme).
Plus besoin d’échec répétitif, plus besoin de partenaire sadique. La souffrance
somatique pérennise l’action sadique de l’objet maladie. Ce dernier apparaît comme le
persécuteur désigné, mais est avant tout le partenaire sadique d’élection, dont le sujet
ne saurait se défaire. Les récriminations explicites ne doivent pas nous tromper, bien au
contraire. L’objet sadique est haï et adoré.
™™ Les douleurs de Daphnée, 39 ans, ont débuté à l’âge de dix-sept ans. Elle était avec
un homme marié qui la faisait souffrir. Dans les années qui suivirent, s’installa une polyar-
thrite qui régressa lorsqu’elle quitta Monsieur. Deux ans après, elle rencontra un homme
fascinant mais persécuteur. La polyarthrite ne reprit pas mais la souffrance psychique fut
intense. La rechute de la polyarthrite survint lorsqu’il la quitta et ne disparut plus.
Actuellement, bien qu’en situation matérielle précaire, elle aide financièrement son
nouveau copain et ses propres parents. L’exploration de son imaginaire sexuel révèle des
fantasmes masochistes particulièrement enracinés. Elle ne déteste pas la brutalité du
partenaire lors des relations sexuelles. Elle préfère que celui-ci la morde plutôt que de
l’embrasser. Lorsqu’elle a ses douleurs, elle prend du plaisir à appuyer fortement sur les
articulations enflammées.
Ainsi, la maladie absorbe une part du masochisme. Elle en est pour une part la consé-
quence et en constitue un facteur d’entretien. La mère de Daphnée était dépressive et
son père violent.
L’épreuve de la maladie s’accompagne parfois de nouvelles capacités de liaison
masochique des pulsions qui peuvent induire une réorganisation psychique défensive et
donc, parfois, une meilleure santé.
Alain Fine considère que le masochisme induit par la maladie peut aider à retrouver un
certain élan vital. La maladie mettrait un terme à la désorganisation lorsqu’elle constitue
un palier de fixation, permettant ainsi le regain d’une nouvelle économie psychique. Dans
cette résurgence économique, le masochisme pourrait jouer un rôle.
Le réaménagement masochiste constituerait un axe thérapeutique, à l’instar du
réaménagement narcissique. La jouissance induite par le malheur ne devrait pas être
systématiquement contrariée, bien au contraire, cette jouissance participerait de la libido
et du lien, d’une disponibilité nouvelle de fonctionnement mental. La maladie devient
alors un objet psychique « susceptible de relancer l’organisation pulsionnelle, la relation
d’objet, les mécanismes de défense du moi. Ainsi la participation du masochisme dans le
vécu, l’éprouvé de la maladie, témoignerait d’une mise en circuit, en travail, de l’appareil
709
Traité de médecine psychosomatique

psychique, donnerait du relief à la réalité psychique appauvrie en amont » selon Alain


Fine (Masochisme et maladies).
Par contre, si la désorganisation perdure malgré la maladie, le masochisme deviendrait
alors mortifère.

Bénéfices libidinaux
L’angoisse est déplacée sur un seul objet, la maladie. Celle-ci constitue un bassin
d’attraction, un lieu privilégié de déplacement.
La maladie peut réactiver le masochisme érogène. Il existerait ici, pour Alain Fine, une
excitation autoérotique induite par la pathologie, comme si l’organe atteint constituait
une nouvelle zone érogène. Le surinvestissement de l’organe souffrant concentre sur lui
une forme de libido et donc d’érogénéité. Un quantum de libido s’y fixe, désinvestissant les
objets extérieurs. L’issue est incertaine : si ce masochisme permet une reliaison psychique,
elle est favorable ; si elle se limite à la sensation et à son entretien, elle est défavorable.
L’acceptation passive des soins, ou encore l’abandon à la passivité dans le traitement,
pourrait, selon Alain Fine, devenir mortifère dans certains cas. Le masochisme peut être
« réalimenté par la passivité induite » et entraver la guérison. Je partage ce point de vue
et peux citer le cas d’un patient qui a développé une urticaire chronique au bout de
deux ans d’une psychanalyse qui allait s’avérer interminable, et qui était maintenu par
son analyste dans une position d’attente passive d’amélioration sans que rien de nouveau
ne voie le jour. Nous avons par ailleurs, Robert Babeau et moi-même, évoqué le risque
que comporte la soumission masochiste continue aux soins chez des sujets atteints de
maladies graves (maladies auto-immunes, cancers). Il semblerait que cette forme de
masochisme induise une extinction de l’expression de l’agressivité à l’encontre des objets
extérieurs et que celle-ci se retourne directement contre le sujet.

5-2. Les bénéfices masochistes secondaires


Les bénéfices narcissiques (tolérance et gratification, évitement et exemption, modifi-
cation de la dynamique relationnelle, résolution d’un conflit externe, restauration identi-
taire) et les bénéfices d’auto-conservation, c’est-à-dire les compensations matérielles
inhérentes à la maladie, ont été abordés au chapitre précédent.
Il est indéniable que, chez certains sujets, ces bénéfices peuvent entretenir, voire
développer un noyau masochiste préexistant.

6. PATHOLOGIES SOMATIQUES DU MASOCHISME


Les différents cas cliniques présentés dans ce chapitre, mais aussi de nombreuses autres
observations qui n’y figurent pas, m’incitent à proposer une nosographie succincte des
pathologies somatiques en relation avec le masochisme. Certaines affections gynécolo-
giques (pelviennes ou mammaires), dermatologiques, rectocoliques, urinaires, doulou-
reuses, sont particulièrement représentées. Dans le tableau qui suit, j’ai distingué les
pathologies co-induites par des complexes inconscients masochistes ne faisant pas l’objet
d’une élaboration psychique et les pathologies induites par la disparition du fonctionne-
ment masochiste moral ou des pratiques masochistes érogènes.

710
Le masochisme

Pathologies Complexe masochisme inconscient Arrêt du fonctionnement


non élaboré masochiste protecteur
Gynécologiques - Vulvovaginites Métrorragies
pelviennes - Cystites
- Névralgie pudendale
- Algies pelviennes

Mammaires - Mastose
- Tumeurs mammaires
Dermatologiques - Urticaires
- Eczéma périnéal
- Dermatoses prurigineuses
- Psoriasis

Douloureuses - Douleurs cervicobrachiales Fibromyalgie


- Migraines
Digestives - Rectocolites
- Colopathie
- Diarrhées

Pathologies somatiques à déterminisme potentiel masochiste

7. ÉLÉMENTS DE THÉRAPEUTIQUE
7-1. La relation au quotidien avec le sujet masochiste
Lorsque la relation personnelle avec le sujet masochiste s’instaure et se perpétue, elle
n’est jamais le fait du hasard. Le sujet en relation avec le masochiste ne s’éternise que s’il y
trouve un certain avantage ou tout au moins un certain confort psychique.
C’est le cas des sujets pervers pour qui le masochiste constitue une proie succu-
lente, qu’il se présente d’emblée comme masochiste ou qu’il finisse par le devenir à leur
contact. C’est aussi le cas de sujets mus par un idéal du moi surdimensionné qui, devant
le spectacle de la souffrance ou de l’échec récurrent du masochiste, s’instaurent en sauve-
teur, en réparateur, quel qu’en soit le prix à payer. C’est aussi le cas de sujets masochistes
eux-mêmes qui, ayant déniché un comparse double d’eux-mêmes, vont se lancer dans
une entreprise masochiste de groupe. C’est enfin le cas de sujets qui n’ont rien compris
au film et qui, sans s’en rendre compte, se laissent entraîner par la vis sans fin actionnée
par le maso, finissant par se résigner, comme s’il ne pouvait pas en être autrement en ce
bas monde. Ils finissent alors bringuebalés au gré des fluctuations de leur partenaire, tels
des pantins, des marionnettes utilisées tantôt comme des témoins passifs, à charge ou à
décharge, tantôt comme des objets à sadiser à l’envi.
Une autre caractéristique de la relation personnelle avec les sujets masochistes est que
ces derniers, dans leur mise en avant du malheur, ne cessent de provoquer les autres, en
appellent tantôt à leur abnégation, tantôt à leur sadisme, pour continuer à être victime,
mais aussi les persécutent et finalement les sadisent en continu de manière plus ou moins
larvée.
711
Traité de médecine psychosomatique

7-2. La relation de soins avec le sujet masochiste


Les réactions du patient
Bien qu’elle soit intriquée à de la jouissance plus ou moins consciente, la souffrance
du patient masochiste est réelle. Le praticien est au départ le plus souvent touché par les
plaintes qui prennent souvent une forme dramatique. Il s’investit donc comme il le peut,
parfois de manière intense.
La relation avec le sujet masochiste est difficile, éprouvante, sujette à des remanie-
ments inattendus, ponctuée de mises en échec. Demande pressante de soins et mise en
échec systématique cohabitent ou alternent. Toute esquisse d’amélioration clinique ou
de guérison se solde souvent par une recrudescence des manifestations pathologiques.
Cette mise en échec est d’autant plus difficile à vivre que le praticien n’en aura pas
repéré les déterminants profonds. Dans ce cas, des réactions en chaîne entre défenses du
patient et défenses du praticien aboutissent à une impasse qui se solde à terme soit par
l’interruption parfois violente de la relation, soit par la soumission contractuelle au long
cours, soumission du patient et/ou soumission du praticien.

La réaction thérapeutique négative


Freud repère dans la réaction thérapeutique négative une forme patente de
masochisme. Elle se traduit par une stagnation ou une recrudescence des symptômes.
Le patient cherche à faire sortir l’autre de sa neutralité, vécue comme de l’indifférence,
et à provoquer des réactions hostiles qui seront alors perçues comme de l’intérêt ou une
manifestation d’amour. Le besoin de se plaindre est ici un besoin d’amour.
Dans la cure analytique, il est difficile pour le patient d’échapper à un positionnement
masochiste. Le cadre et la règle y sont particulièrement propices. La réaction théra-
peutique négative en constitue un mode d’expression. J’ajouterai aussi que certaines
cures avec certains psychanalystes peuvent induire de toute pièce la réactivation d’un
masochisme latent.
De manière générale, qu’il s’agisse de cure ou de psychothérapie analytique, le patient
masochiste attend beaucoup du thérapeute, celui-ci étant investi d’un pouvoir consé-
quent de type parental. Cette place parentale est potentiellement inductrice d’une
régression chez le sujet.
On repérera la réaction thérapeutique négative au travers de certains signes :
––agressivité plus ou moins larvée à l’encontre du thérapeute : reproches, récrimina-
tions, rendez-vous non honorés ;
––passivité qui se prolonge ;
––mise en échec du thérapeute ;
––agacement ou surdité du patient lors de la mise en avant du facteur traumatique,
défense contre une quelconque reviviscence traumatique, déviation du discours dès
qu’une interprétation est proposée ;
––tendance récurrente à la dénégation et à la rationalisation.
La réaction thérapeutique négative peut être liée au masochisme ou à la crainte de la
fin de la cure. Ces deux déterminants peuvent être conjugués.

712
Le masochisme

L’attitude thérapeutique
Lorsque la dynamique masochiste est centrale, la thérapeutique est fortement
compromise, sauf à se proposer au sujet comme nouveau partenaire sadique – ce qui
est loin d’être exceptionnel – ou à transformer le masochisme du sujet en son contraire,
c’est-à-dire en sadisme à l’encontre du thérapeute. Celui-ci constitue bien sûr ici une cible
de choix. À lui d’osciller, en évitant toutefois la caricature et les excès, entre deux positions
extrêmes :
––position sadique : nous connaissons tous ces patients quasi martyrisés ou simple-
ment maltraités en douceur mais en continu par leur praticien, qui font preuve d’un
attachement à toute épreuve à celui-ci et qui, pour rien au monde, ne se risqueraient
à lui être infidèle ;
––position masochiste : cela peut avoir des effets thérapeutiques chez certains patients.
Dans le cas inverse, si la relation s’éternise selon ce strict et douloureux modèle, il y a
lieu de se poser la question d’un masochisme structural chez le praticien.

Le masochisme du soignant
Il ne doit pas être oublié. Le choix de la profession d’aide et de soin est loin d’être
anodin. Dans son déterminisme, entre en jeu une part de masochisme. L’exercice du soin
nécessite – de moins en moins il est vrai, mais peut-être encore pour quelque temps,
il faut l’espérer – un minimum d’effacement de ses propres défenses, un minimum de
répression instinctivo-pulsionnelle, afin de laisser la place à l’autre, d’être à son écoute,
d’accepter ses réactions.

7-3. Les indications du traitement


Au terme de ce parcours, se pose inévitablement la question de l’indication et de la
pertinence du traitement. Avant d’effectuer ce travail, j’étais assez peu préoccupé par
la dimension trophique de certaines formes de masochisme et m’efforçais de le traiter
de manière quasi systématique. Lorsque la défense masochiste constitue une protection
contre la désorganisation, l’échec, souvent au rendez-vous, est vécu, si l’on ne tient pas
compte de cette dimension, avec déception ou agacement, car la demande d’améliora-
tion ou de guérison perdure de manière pressante chez le patient, pouvant prendre au fil
des séances une forme souvent imprégnée d’agressivité.
Prendre en compte le caractère potentiellement trophique de la réaction défensive
permet d’accepter plus sereinement ce que l’on peut considérer à première vue comme
un échec. C’est aussi considérer que les réactions agressives attestent d’un transfert lui
aussi potentiellement trophique du fait du retournement du masochisme en sadisme.
Tout comme Alain Fine, Catherine Parat, interviewée par Szwec dans la Revue française
de psychosomatique n°18, est aussi convaincue que chez les patients somatisants, il faut
maintenir un certain masochisme.
Le masochisme érogène doit, plus que les autres formes, être considéré comme une
défense trophique et respecté dans certaines limites tout en étant bien sûr analysé.
L’attitude à adopter vis-à-vis du masochisme moral, du masochisme somato-psychique
et des bénéfices secondaires, diffère d’un sujet, d’une situation et d’un moment à l’autre.
Quoi qu’il en soit, la force de la défense masochiste ne laisse souvent pas le choix.

713
Traité de médecine psychosomatique

La soumission masochiste dans le soin ne doit pas être encouragée chez le patient,
chose qui se passe trop souvent dans le monde médical.
Quant aux complexes inconscients masochistes générateurs de maladies, l’expérience
nous a montré que leur traitement porte toujours ses fruits et parfois de manière specta-
culaire. Il nécessite du temps et un maintien de la relation thérapeutique dans la période
qui suit la guérison.
L’attitude thérapeutique est donc celle d’un équilibriste, qui doit respecter la défense
lorsqu’elle s’avère trophique, et tenter de la juguler lorsqu’elle ne l’est pas. Et ceci varie, y
compris chez un même patient. Elle nécessite contenance, maintien, soutien, compré-
hension, prudence, adaptation. Position éminemment difficile pour le thérapeute, qui
nécessite de fait un minimum de masochisme.

7-4. Axes thérapeutiques du masochisme mortifère


––Analyse des tenants et des aboutissants de la pathologie et de ses origines : mise au
jour et traitement du complexe de castration et de la conflictualité œdipienne, mise
au jour des déterminants du masochisme archaïque.
––Travail sur la culpabilité en ce qui concerne le masochisme moral.
––Repérage et stimulation des autres modalités défensives.
––Respect d’une dose suffisante de masochisme en favorisant le déplacement dans des
secteurs moins pathogènes.
––Encouragement des sublimations masochistes. L’éventail en est large et certaines
d’entre elles n’excluent pas une part de sadisme : profession d’aide ou de soins, plus
particulièrement psy, activités professionnelles ou bénévoles dans le monde de la
souffrance, créations artistiques ou intellectuelles à contenu sadomasochiste.
––Transformation du masochisme en son contraire : transformation de la passivité en
activité. Accepter en tant que thérapeute et au niveau de la relation transférentielle
d’être transitoirement sadisé, dans des limites toutefois à définir.
––Libération de l’agressivité du patient en favorisant son déplacement sur des objets
extérieurs.
––Ne pas entretenir le fantasme masochiste sexuel s’il s’avère non protecteur et suggé-
rer le recours à d’autres fantasmes : fantasme d’activité, de captation, de tendresse.

714
Chapitre 25

L’INVESTIGATION PSYCHOSOMATIQUE

1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
C’est en 1963 que P. Marty, M. de M’Uzan et Ch. David publient L’investigation
psychosomatique aux Presses Universitaires de France. Une synthèse en est proposée dans
La psychosomatique de l’adulte. Je m’inspirerai de ce texte pour souligner les points les
plus importants.
« L’investigation psychosomatique d’un patient revêt la même importance que l’inves-
tigation médicale ou psychanalytique : elle doit établir un diagnostic dont découle
la thérapeutique qu’elle propose… » (p. 70). C’est une des originalités de l’Institut de
psychosomatique, devenu aujourd’hui Hôpital Pierre Marty, que de proposer un diagnos-
tic à l’issue d’une seule investigation. C’est dire la qualité exigible au niveau de celle-ci. On
peut opposer ce positionnement original à la démarche habituelle que l’on rencontre
dans la période de début des cures psychanalytiques : dans ces derniers cas, le « diagnos-
tic » – gros mot à éviter – se limite dans le meilleur des cas à la notion de « structure » et
ne se fait que très progressivement au fil des entretiens préliminaires, si ce n’est au bout
de nombreuses séances au fil lorsque le transfert est solidement constitué, voire jamais.
Dans l’investigation psychosomatique, l’« exigibilité » précoce du diagnostic permet de
mieux savoir où l’on va avec le patient, implique un engagement, et ne s’accommode pas
du flou, du « nous en reparlerons… », qui a trop souvent valeur de mécanisme défensif
chez certains thérapeutes.
« (…) À la différence de l’investigation psychanalytique, elle tient compte du double
aspect, psychique et somatique de l’économie du patient. » (p. 70). Ceci paraît une
évidence et nous invite à réfléchir sur l’erreur persistante de certains « psys » qui utilisent
la technique psychanalytique pure (cure type) chez des patients porteurs de maladies
somatiques, sans prendre en compte la dimension économique, plus particulièrement le
déficit de mentalisation.
« Elle représente souvent un premier pas thérapeutique. Elle est, pour ceux qui
acceptent d’entendre et de voir au delà de leurs connaissances, une expérience de
recherche sans cesse renouvelée. » (p. 71)
Comme nous allons le voir tout au long de ce chapitre, la thérapeutique et ses effets
s’instaurent dès l’investigation.
L’investigation psychosomatique de Pierre Marty est destinée à des psychosomaticiens,
c’est-à-dire à des psychanalystes expérimentés formés à la psychosomatique. Elle a pour
but de leur apporter un ensemble conceptuel solide d’un point de vue clinique, et un
canevas utilisable pour la recherche.
Elle n’est pas adaptée aux praticiens qui ont un mode d’exercice dans lequel la dimen-
sion technique du soin a une part non négligeable (médecins, infirmiers, professions
715
Traité de médecine psychosomatique

paramédicales) ou chez lesquels l’éventail de la demande et des problématiques déborde


le cadre de la psychosomatique (psychiatres ou psychologues non psychanalystes,
médecins du travail).
L’École de médecine psychosomatique forme des praticiens qui, pour la plupart, ne
sont pas psychanalystes. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé en 2013 un modèle
d’investigation psychosomatique adaptable à la pratique de chacun. Ce modèle a été
progressivement construit à partir des évaluations des stagiaires à l’issue des séquences
de formation, et surtout à distance de celles-ci en 2004 et 2013.
Il nous paraît plus souhaitable que l’investigation s’attache en premier à des éléments
facilement repérables par tous quel que soit le niveau de formation du praticien, puis
pénètre progressivement en profondeur selon le degré de celle-ci, le type de relation
qu’il a avec le patient, les circonstances de l’investigation. C’est ainsi que je propose dans
l’exposé qui suit un modèle d’investigation allant du plus simple au plus complexe, du
plus superficiel au plus profond.
Le but de toute investigation psychosomatique étant de recueillir le maximum d’élé-
ments cliniques tout en respectant puis en contournant le système défensif du patient,
nous commencerons notre exposé en faisant référence à ce dernier.

2. LE SYSTÈME DÉFENSIF DU PATIENT


Chez le sujet somatisant, la nature du système défensif est avant tout, et par défini-
tion, somatique. Les défenses somatiques sont venues suppléer un déficit des défenses
psychiques et comportementales.

Origines internes du bouclier défensif


La maladie somatique est une réponse défensive adaptative puissante qui, malgré
l’inconfort, la souffrance ou le handicap qu’elle génère, a permis d’atténuer la souffrance
psychique et constitue un bouclier persistant à son égard. L’indisponibilité du fonction-
nement psychique dans le secteur traumatique inducteur de la somatisation crée un
isolement de cette dernière par rapport à ses déterminants.
Par ailleurs, certaines somatisations, plus particulièrement les maladies régressives
induites par la répression, constituent un garde-fou contre une désorganisation plus
profonde.
Enfin, la maladie génère assez rapidement des effets somatopsychiques et somato-
comportementaux qui ne sont pas sans effet sur la régulation économique. Ces produc-
tions peuvent renforcer à leur tour l’occultation du vécu traumatique.

Facteurs externes renforçant le système défensif


La médicalisation exclusive, plus particulièrement sur le mode strict de la technicité,
accentue la démentalisation chez le patient, et de fait le déni de la composante trauma-
tique à l’origine de la maladie.
Les investigations ne sont centrées que sur l’objectivité et l’extériorité, faisant dispa-
raître peu à peu les représentations personnelles du patient.
Les paroles médicales, parfois contradictoires, génèrent chez le patient de nouvelles
représentations, représentations d’emprunt le plus souvent réductrices. Dans certains
cas, de plus en plus fréquents, les articles de vulgarisation, les émissions médicales et
716
L’investigation psychosomatique

surtout internet, parachèvent la réduction des représentations personnelles au profit de


représentations semi-délirantes.
Lorsque le parcours médical est lourd, répétitif, la focalisation induite sur la stricte
dimension médicale s’accentue. Peu à peu, le patient devient un objet passif, soumis,
manipulable, mais aussi lourd à porter si ce n’est à supporter, comme en atteste l’utilisa-
tion systématique du terme prise en charge. Le sujet disparaît.
Les bénéfices secondaires, qu’ils soient réels et manifestes (avantages sociaux) ou
moins conscients (bénéfices narcissiques), viennent renforcer le système défensif.
Dans d’autres cas, il n’est pas rare que des professionnels (gastroentérologie, rhumato-
logie, pneumologie) fassent tout simplement part au patient de leur opposition à toute
psychothérapie.

Conséquences
Dans la majorité des cas, le patient ne comprend pas trop le sens de la démarche
psychothérapique qui lui est proposée. Il n’est pas toujours conscient de ses tensions
psychiques qu’il traite souvent par dénégation, et il peut avoir du mal à entrer dans
une relation verbale concernant ses difficultés internes. Le fait que le thérapeute soit
psychiatre ou psychologue renforce les défenses.
Si le thérapeute centre d’emblée son investigation sur le fonctionnement psychique
du patient ou insiste trop rapidement sur la dimension traumatique, les réticences et les
résistances se mobilisent de manière massive, générant une accentuation de l’incompré-
hension, voire un vécu de menace, responsables de l’abandon de la démarche.

Principes généraux des aménagements


Nous sommes donc, dès la première rencontre, contraints par de multiples nécessités
de réaménagement. Il s’agit d’effectuer une investigation psychosomatique la plus élabo-
rée qui soit afin de savoir où l’on va et ce qu’il y a lieu de proposer au patient à l’issue de
la séance. Cela nécessite une appréciation minimale du fonctionnement psychique du
patient et de son système défensif et le respect de certains principes.
L’investigation doit d’abord s’attarder sur la plainte somatique pour s’en dégager
progressivement. L’objet de la plainte du patient, fût-elle aux antipodes de sa réalité
psychique, est sa maladie. Il est nécessaire de s’y attarder, sans toutefois s’y enliser. La prise
en compte de l’explicite constitue le moyen le plus sûr de s’en dégager secondairement
pour aborder le soubassement implicite en relation avec le fonctionnement psychique
du sujet.
• Rassurer, autant que faire se peut, le patient à la fois en pointant l’intérêt de l’approche
psychosomatique comme un complément nécessaire aux soins et en relativisant certaines
paroles médicales qui l’ont enfermé dans une voie perçue comme sans issue.
• Donner dès la première séance une explication physiopathologique plausible dans
certains désordres économiques en relation avec une dysrégulation émotionnelle.
• Amorcer et mettre en jeu les processus de mentalisation autant que possible dès la
première séance, condition pour que le sujet perçoive le sens de sa démarche.
• Proposer une deuxième rencontre. Pour certains patients particulièrement défen-
sifs, il peut être proposé de laisser passer quelques jours et de prendre un nouveau
717
Traité de médecine psychosomatique

rendez-vous, ceci dans le but d’une réappropriation de la demande, car celle-ci émane
en règle générale d’un tiers ou d’un autre médecin. Chez le médecin praticien, il n’y a
pas – me semble-t-il – de solution standard, car les rencontres se font en règle générale
au gré des différentes pathologies intercurrentes, voire, dans le meilleur des cas, lors de
contrôles cliniques ou de renouvellements de médicaments. Le praticien peut, selon les
cas, « remettre sur le tapis » les éléments repérés lors des rencontres précédentes, ou
reprendre l’investigation lors de consultations régulières pour pathologie chronique, ou
bien encore, dans certains cas qui le nécessitent, programmer quelques entretiens sous
forme de rendez-vous. « Je pense que ce dont venez de parler est très important et n’est
peut être pas étranger à votre maladie. Il serait nécessaire qu’on en reparle. Cela fait partie
du traitement. »

De la cynégétique à la maïeutique
Nous devons fonctionner comme des photographes animaliers, mus par un but à
atteindre, consistant à s’approcher de l’objet afin de mieux le connaître sans qu’il nous
voie venir, afin qu’il ne se sente pas menacé. Ou plutôt, le laisser approcher. Ne jamais
le prendre de front. Toujours contourner, surtout lorsqu’on est proche du but. Feindre
de ne pas avoir entendu ce qui est important. Pas de mouvement brusque, pas de bruit.
Pas d’interprétation, pas de question à contenu potentiellement interprétatif, même et
surtout si l’on est dans le vrai. Ce n’est que lorsque l’objet ne se sent plus menacé que
la cynégétique pourra laisser place à la maïeutique sans jamais être abandonnée pour
autant.
Il y a donc lieu de feindre et de jouer quelque peu le naïf. Derrière le miroir sans tain, le
thérapeute sera plus à même d’aider le patient tout en respectant ses défenses.
™™ Isaline présente une obésité manifeste entretenue pour une grande part par des
compulsions alimentaires nocturnes. Les crises se produisent à deux ou trois reprises entre
23 h et 3 h du matin. Elle se réveille soudainement et ne décrit aucune sensation, aucune
émotion, aucun sentiment, aucune représentation. Elle se rend comme un automate à sa
cuisine et mange. Elle décrit toutefois une sensation d’apaisement qui laisse supposer que
le vide des perceptions n’est pas total. Elle se recouche et se rendort. Elle ne se souvient
pas toujours de ses crises qui évoquent un état pseudo-somnambulique fortement
démentalisé. La démentalisation se repère à l’absence de souvenir onirique, l’absence de
sentiment et de représentation avant les crises, la production des symptômes en sommeil
lent, et un sourire défensif tout au long de la séance. Les crises n’apparaissent pas si elle
dort en dehors de son domicile. Elle souffre aussi de migraines.
Les crises compulsives alimentaires sont apparues à l’âge de 25 ans, ce qui correspond
à son mariage. Son divorce, il y a six ans, n’a apporté aucune amélioration. Elle vit seule
avec ses trois enfants.
La pathologie s’accentue lors des périodes de tension : soucis matériels, inquiétude
pour un proche malade, soucis professionnels, soucis pour ses enfants, soucis au moment
du divorce, etc.
Nous faisons le tour des différents secteurs de sa vie. La tentation est grande d’attri-
buer le début des troubles au mariage. Nous mettons ça de côté.

718
L’investigation psychosomatique

Pour des raisons matérielles, la mère d’Isaline vit dans l’appartement au-dessus d’elle.
Elle s’occupe des enfants lorsqu’Isaline travaille. Subodorant ici une très probable cause à
ses troubles, j’avance l’inverse de ce que je pense : « C’est bien ! Cela doit vous faciliter la
vie… C’est une chance que vous ayez votre mère à vos côtés ! » Le sourire défensif stoppe
immédiatement, laissant place à une mimique de fantasme. « Elle m’envahit quand
même… Le soir quand je rentre je vois qu’elle a trafiqué dans ma maison.  – Ah bon !…
Oui, c’est pas si évident que ça ! Et ça vous fait quoi ? – La dernière fois, elle avait tout sorti
du lave-vaisselle, changé de place des objets, alors que je ne lui avais rien demandé.  – Et
ça vous a fait quoi, qu’est-ce que vous avez ressenti ? – J’ai ressenti de la colère, j’ai cassé
une assiette de rage. » Passage de la sensation à l’émotion et au sentiment. « Et après
que devient cette colère ? – Je m’occupe des enfants, du repas etc. – Et que devient la
colère ? – Je l’oublie. » On peut très bien imaginer que c’est cette colère, objet de répres-
sion secondaire, qui réveille notre patiente. Je n’en souffle pas un mot. Il est trop tôt. Je
m’enquiers des caractéristiques maternelles. Elle me dit que sa mère est intrusive, qu’elle
ne se sent pas chez elle, mais que toutes deux s’aiment bien. Pas d’interprétation, pas de
commentaire, mais l’émergence de représentations solides aussi bien chez moi que chez la
patiente comme en témoigne la mimique de fantasme persistante et la non-réapparition
du sourire défensif. Ainsi, la colère réprimée réveille en sommeil lent notre patiente et la
laisse exsangue au niveau des productions psychiques. Seul exutoire : manger, manger
pour calmer sa colère. J’ai la représentation d’un bébé qui ne parvient pas à s’auto-calmer,
à s’isoler dans son monde, conditions nécessaires au sommeil, par crainte de l’intrusion
de l’adulte, et qui, une fois réveillé, ne peut être calmé que par le biberon. Isaline me
dira dans la foulée que, pour sa mère, l’amour passait beaucoup par la nourriture. Je me
contente de dire qu’elle a une relation ambivalente avec sa mère, très brave femme par
ailleurs : « Pas trop près, pas trop loin ! » dis-je et, dans la foulée, lui demande si, en dehors
des migraines, elle a eu d’autres maladies allergiques. « Oui, une urticaire géante. » Depuis
quand ? Depuis le début de son mariage. Elle avait effectivement commencé à cohabiter
avec sa mère à partir de ce moment-là. Les crises d’urticaire se produisent la nuit. Ainsi,
la nuit, continue à se jouer dans les couches profondes de son être cette relation d’objet
allergique marquée par la mise en tension face à l’intrusion.
Si j’avais interprété cela dans l’immédiateté, la rementalisation ne se serait pas produite.
Pire, les défenses se seraient renforcées et le sourire défensif se serait figé en rictus.
Je fais un commentaire d’ordre général dans un but de décentration : « Les animaux se
réveillent soit lorsqu’ils sont en danger, soit parce qu’ils ne se sentent pas propriétaires de
leur territoire. Les dangers, vous les connaissez : les périodes de soucis. Le territoire, vous le
dites vous-même, vous ne vous sentez pas chez vous. » J’ajoute que je ne sais pas laquelle
des deux est la vraie cause, afin de solliciter à nouveau la mentalisation après la séance et
de ne pas induire un vécu de menace chez elle. J’ajoute aussi dans la même intention que
toutes ces choses sont curieuses, bizarres, mais qu’on peut essayer d’y voir encore plus
clair. Aucune attitude « psy », adaptation à son rythme, utilisation de ses propres mots.
Je termine par une suggestion : « Donnez un tour de clé le soir, votre mère n’en saura rien,
mais vous, vous saurez que personne ne peut s’introduire dans votre monde. »

719
Traité de médecine psychosomatique

3. L’OBSERVATION MÉDICALE
Renseignements strictement médicaux
––Pathologie objet de la demande : clinique, histoire et évolution de la maladie.
––Autres pathologies actuelles : somatiques, mentales, comportementales.
––Antécédents personnels (médicaux, chirurgicaux, obstétricaux, psychiatriques).
––Antécédents familiaux.
––Traitements.

Anamnèse des pathologies


Bien que les médecins soient habitués (pour l’instant…) à renseigner les questions qui
précèdent, l’interrogatoire médical habituel ne saurait suffire.
Les dates doivent être notées de manière précise (année et si possible mois) :
––date d’apparition des premiers symptômes ;
––épisodes antérieurs passés plus ou moins inaperçus ;
––date des premières investigations puis du diagnostic, souvent confondues au fil du
temps avec le début réel de l’affection, de toute façon antérieur ;
––périodes de régression, voire de disparition de la pathologie ;
––périodes d’aggravation.
Les circonstances et modalités d’aggravation ou d’amélioration des symptômes
doivent être précisées.
L’anamnèse doit être effectuée avec la même rigueur pour toutes les pathologies :
successives, intercurrentes, alternantes ou concomitantes, actuelles ou passées, évolu-
tives ou guéries.
Les oublis compréhensibles de la part du patient du fait du temps écoulé sont
fréquents. Toutefois, la fréquente réponse « depuis toujours !» ne résiste pas longtemps
à un affinement progressif de l’anamnèse. Les précisions anamnestiques pourront surgir
spontanément corrélativement à la rementalisation progressive. Dans d’autres cas, il
conviendra de les rechercher activement, tout simplement en posant des questions.

Manière de guider l’entretien


Rigueur et fluidité constituent les qualités requises. L’acharnement doit être évité, les
rythmes du patient respectés, sans que la précision nécessaire des données à recueillir
n’en pâtisse.
Il est fréquent que, lors de l’évocation de la pathologie, le patient change de registre,
parle de sa souffrance, de son vécu, des conséquences de sa maladie. Dans d’autres cas, il
évoquera le contexte d’installation de la pathologie. Cette amorce d’anamnèse associa-
tive ne doit pas être interrompue. La suite du recueil anamnestique des pathologies
attendra. C’est un début de mentalisation et il serait dommage de l’interrompre pour
revenir à l’enquête médicale. L’anamnèse médicale doit être rigoureuse mais ne doit pas
enfermer le patient dans le factuel. Il faut accepter son interruption transitoire, on aura
toujours l’occasion d’y revenir.
La fluidité de l’investigation, l’adaptation aux rythmes du patient, l’abandon d’un
comportement médical strictement interrogatif, constituent l’assise de toute investiga-
tion psychosomatique, en même temps qu’un paradoxe avec cette indispensable rigueur
720
L’investigation psychosomatique

de l’anamnèse, authentique enquête obsessionnelle, sans laquelle les pistes ne peuvent


que se brouiller.

Difficultés chez le psychologue


Le psychologue clinicien peut ne pas se sentir habilité à aborder en profondeur cette
partie de l’investigation. Il doit pourtant le faire, avec les moyens et les connaissances qu’il
a. Sa formation en psychosomatique n’a jamais, bien au contraire, été un obstacle à la
satisfaction d’une curiosité médicale. Il s’enrichira par ailleurs à demander des précisions
à ses pairs médecins ou tout simplement au patient.

4. LES RÉACTIONS À LA MALADIE


Je propose d’aborder la dimension somatopsychique avant la sémiologie
psychosomatique car le recueil des données qui la concernent ne remet jamais en question
le système défensif du patient. Celui-ci se prête aisément à cet aspect de l’investigation du
fait que les plaintes qui le sous-tendent correspondent en général à sa demande.
Les domaines suivants devront être renseignés :
––répercussions existentielles de la pathologie,
––représentations de la maladie,
––vécus et réactions à la maladie,
––remaniements psychiques induits par la maladie,
––remaniements économiques,
––réactions adaptatives,
––bénéfices secondaires.
Les quatre derniers items ne pourront être renseignés de manière exhaustive qu’après
l’investigation générale, voire au bout de plusieurs rencontres.

5. LA DIMENSION TRAUMATIQUE


Anamnèse des traumatismes
Le recueil anamnestique des facteurs traumatiques peut se faire de manière synchrone
à l’anamnèse des pathologies lorsque le système défensif n’est pas trop réactif. Mais le
plus souvent, il s’effectue lors d’un autre temps de l’investigation, au moment où sont
abordés les éléments biographiques et les secteurs existentiels. Le système défensif est
ainsi préservé.
Le repérage des traumatismes qui ont été à l’origine des maladies somatiques et plus
particulièrement de la maladie actuelle est fondamental. « Cette phase est parfois isolée
parce qu’il s’agit d’une recherche systématique de l’investigateur. Dans d’autres cas, elle se
disperse au gré du discours apparemment vagabond ou associatif du patient, comme au
gré des associations réfléchies du consultant. » (P. Marty, La psychosomatique de l’adulte.)
Ici aussi, rigueur et fluidité doivent cohabiter. On peut schématiquement opposer deux
manières d’opérer : soit une anamnèse rigoureuse préalable suivie de fluidité propice à la
mentalisation, soit une investigation fluide d’emblée permettant d’obtenir un minimum
de renseignements qu’il faudra enrichir secondairement par une anamnèse plus ciblée.
La première solution permet d’avoir une idée précise et assez rapide sur les déterminants
traumatiques. Elle respecte aussi les patients opératoires qui pourraient être surpris et
721
Traité de médecine psychosomatique

mal à l’aise devant une attitude d’écoute plus « psy ». La deuxième a un effet thérapeu-
tique plus rapide mais est susceptible de générer des erreurs (anamnèse incomplète,
occultation de la polyfactorialité, confusion chez l’investigateur).
L’oubli d’un événement ou d’une situation traumatique est fréquent et légitime, soit
du fait de sa valeur défensive (refoulement, répression des représentations), soit du fait
du temps écoulé. Il n’est pas rare que seul un lapsus concernant les dates puisse révéler
l’existence d’un événement refoulé ou réprimé.
Dans d’autres cas, un événement-écran vient masquer le traumatisme central. C’est
le plus souvent un événement anodin allégué par le patient, un fait anecdotique, seule
partie visible de l’iceberg, qui condense à lui seul les différents déboires de la période
traumatique.
La question directive « Que s’est-il passé à cette époque ? » est à éviter car elle remobi-
lise le système défensif. Elle ne doit être formulée que dans certains cas particuliers et dans
un but précis, et uniquement chez les sujets dont le système défensif tourne en boucle,
notamment les sujets obsessionnels chez lesquels les défenses conscientes se surajoutent
aux défenses inconscientes, donnant l’impression d’un jeu de cache-cache.
Il existe très souvent un temps de latence de durée variable entre le traumatisme et
l’apparition de la pathologie. Il est souvent accompagné de manifestations anxieuses ou
dépressives peu mentalisées.

Anamnèse associative
Assez rapidement, le praticien repère des corrélations entre les événements trauma-
tiques et l’apparition des pathologies.
La formulation des corrélations n’est pas une nécessité première au stade de l’investi-
gation, loin s’en faut. Je conseille souvent à mes stagiaires de l’éviter car elle peut, elle aussi,
remobiliser le système défensif, et ne laisse pas au sujet un temps de perlaboration néces-
saire. Le simple fait que le praticien soit dépositaire des représentations anamnestiques
est déjà potentiellement thérapeutique. Quant au patient, en règle générale, il a repéré les
corrélations sans que nous ayons besoin d’intervenir.
Les réactions du patient découvrant les déterminants traumatiques de sa patholo-
gie sont très variables d’un sujet à l’autre. Le plus souvent, l’anamnèse agit comme un
révélateur, induisant une mimique de fantasme au travers de laquelle on perçoit l’afflux
des représentations réprimées ou refoulées, réminiscences qui se colorent d’affects et
s’accompagnent souvent de réactions émotionnelles. Il s’agit alors, pour le praticien, de
garder un certain silence et de ponctuer par sa présence, son regard, voire des commen-
taires simples, le vécu du patient. À lui seul, ce temps de réminiscence a un effet remen-
talisant majeur.
Dans d’autres cas, les défenses se remobilisent. La neutralisation de la corrélation
anamnestique est caractérisée alors par une prise de conscience rapidement éludée,
le patient ne semblant pas attacher d’importance à l’événement traumatique. Le plus
souvent, la pensée redevient immédiatement opératoire.
Dans un second temps, lorsque la rementalisation s’instaure, les corrélations pourront
être abordées de manière plus ouverte et plus précise.
722
L’investigation psychosomatique

La pratique de l’anamnèse associative nécessite de l’entraînement. Les principales diffi-


cultés alléguées par nos stagiaires sont le manque de rigueur et l’occultation d’une part
de la polyfactorialité.
Certains praticiens peuvent, s’ils le souhaitent, après les premières séances, établir à
des fins mnémoniques un tableau récapitulatif de l’anamnèse.
Année / Mois Âge Événements Pathologies

Exemple de tableau récapitulatif de l’anamnèse associative


Le recueil des traumatismes ne saurait se limiter à leur inventaire, du simple fait que
le traumatisme n’est potentiellement pathogène que par son vécu et les réactions défen-
sives inadaptées qui peuvent s’ensuivre. Ainsi, nous nous attarderons sur les représen-
tations et les affects qui y sont associées, en notant plus particulièrement leur carence.
Nous noterons aussi les réactions psychiques et comportementales ainsi que les réper-
cussions existentielles consécutives au trauma.

6. EXPLORATION DES SECTEURS EXISTENTIELS


L’exploration des différents secteurs existentiels est une nécessité car elle permet :
––de mieux comprendre le fonctionnement du sujet. En effet, un même mode d’inves-
tissement ou de fonctionnement défensif peut se retrouver dans les différents secteurs,
attestant d’une modalité spécifique, récurrente et extensive, de relation d’objet. Inver-
sement, le sujet peut fonctionner d’une certaine façon dans un secteur et différem-
ment dans un autre ;
––d’enrichir l’anamnèse par des éléments nouveaux que la recherche des traumatismes
centraux aurait pu éluder. Des difficultés, voire des traumatismes latéraux occultés,
peuvent ainsi apparaître, confirmant la dimension polyfactorielle traumatique ;

Vie sociale
Famille Liens
amicaux

Amour Travail
Sexualité
SUJET

Hédonisme
Contexte
Sublimations
matériel
Spiritualité
Santé

Les sept secteurs existentiels


723
Traité de médecine psychosomatique

––de repérer les secteurs trophiques sources d’investissement, secteurs qui pourront
servir d’étayage lors du cheminement thérapeutique ;
––de découvrir des secteurs mentalisés ignorés, fortement utiles à la rementalisation
générale ;
––de repérer les changements fréquents survenus dans les différents secteurs au cours
de l’existence.
Comment procéder ? C’est très simple car, pour une fois, c’est de l’ordre de l’interro-
gatoire. Une seule question inductrice concernant chaque secteur suffit pour ouvrir des
portes.

Vie familiale
« Vos parents ?… Vos enfants ?… Comment ça se passe dans la famille ?… Vous avez
des frères et sœurs ?… »
Il s’agit d’établir dans un premier temps un génogramme simplifié incluant la généra-
tion précédente et la suivante.

Exemple de génogramme simplifié

Au cours de cette petite enquête, il n’est pas rare que le patient illustre ses réponses de
commentaires spontanés. On pourra ainsi repérer des conflits, des achoppements, des
blessures, des relations fortement investies, des liens pathogènes. Il suffira de les noter,
sans s’y appesantir, sauf si le patient s’y attarde, attestant de fait d’une préoccupation
centrale. La problématique profonde concernant le secteur évoqué sera de toute façon
abordée ultérieurement en temps voulu.

Vie amoureuse et sexuelle


L’exploration de la vie amoureuse et sexuelle est incontournable, ne serait-ce que par
son absence éventuelle ou les difficultés qu’elle peut générer.
De nombreux patients ont tendance de manière défensive à dire que tout va bien et
parfois même à annoncer la couleur : « Je vous préviens, mon mari est un homme extraor-
dinaire !» Le caractère « extraordinaire » se révélera – n’en doutons pas une seconde –
différent de celui allégué.

724
L’investigation psychosomatique

Il faut se garder de poser la question imbécile : « Avez-vous des problèmes de couple ? »


C’est le meilleur moyen pour clore sans appel l’investigation. Au contraire, il vaut mieux
prendre un air détaché du style : « J’imagine que tout va bien dans votre vie amoureuse ? »
En règle générale, la réponse ne se fait pas attendre, parfois sous forme de simple moue
dubitative, parfois de ruade défensive potentiellement propice à l’élaboration psychique.
Il convient alors de faire silence, d’observer et d’écouter.
L’abord de la vie amoureuse peut être l’occasion idéale d’embrayer sur la vie sexuelle.
Ce domaine est des plus intimes qui soit, et il serait des plus souhaitables qu’il le demeu-
rât, car c’est la condition de sa richesse, contrairement à ce qu’affirme le consensus. Son
abord doit se faire de manière très maïeutique, très progressive, sans brusquerie et en
temps voulu : soit lorsque le sujet en parle spontanément, soit dans les suites de l’abord
de problèmes génito-urinaires, soit lors de l’exploration du secteur de la vie amoureuse.
Dans d’autres cas, lorsque ces portes ne se présentent pas, le sujet sera tôt ou tard direc-
tement invité à en parler.
L’investigation de la vie sexuelle du sujet peut révéler des attentes, des déceptions, des
traumatismes, mais aussi les représentations sexuelles qui conditionnent et structurent la
vie psychique. Bien que la fantasmatique et les aléas de la vie sexuelle apparaissent dans un
grand nombre des observations présentées, ce domaine fondamental ne sera pas abordé
dans cet ouvrage afin de ne pas le surcharger. Il était nécessaire dans ce Traité de médecine
psychosomatique de cibler l’essentiel, plus particulièrement la dimension économique.
Si la pulsion sexuelle est au centre de la plupart des complexes psychiques inconscients,
si de nombreuses fixations psychosomatiques comportent en elles un noyau fantasma-
tique sexuel fréquent, la vie sexuelle en elle-même a peu d’effet d’un point de vue écono-
mique, contrairement à la pulsion et à l’instinct agressifs. Par ailleurs, si l’on fait exception
des fixations psychosomatiques érogènes, les avatars de la pulsion sexuelle génèrent plus
de maladies psychiques que somatiques.

Vie professionnelle
Pas de grande difficulté par contre pour aborder ce chapitre, objet de consensus chez
la plupart des gens qui travaillent, peu chargé de représentations ou d’affects intimes.
Nous aurons droit à : « Vous savez bien ce que c’est, Docteur, les temps sont difficiles… La
crise… ! » Ce n’est pas grave. Le sujet cherche un allié, un autre potentiel travailleur courbé
sous le poids de l’ouvrage. Il cherche surtout à éviter de parler de lui. Faisons semblant, au
début seulement, car il ne s’agit pas d’entonner en chœur les représentations médiatiques
obligatoires qui risquent de se terminer en conversation de bistrot.
Il suffit de recentrer et de demander comment ça se passe au travail, de relever les diffi-
cultés éventuelles et les facteurs traumatiques dans un contexte anamnestique rigoureux,
le degré d’investissement (parfois à valeur défensive) ou de désinvestissement profes-
sionnel. Et bien sûr et toujours les dates, car le traumatisme professionnel ne s’est jamais
instauré en un seul temps.
On repérera aussi, au travers de la vie professionnelle, un certain type de fonction-
nement du sujet que l’on retrouvera, selon les cas, dans d’autres secteurs. Cet élément
diagnostique est fondamental pour sortir de certaines impasses.

725
Traité de médecine psychosomatique

Vie sociale
L’exploration de la vie sociale renseigne sur les investissements relationnels, les inves-
tissements amicaux, la représentation de la position sociale, la relation à la société, les
activités sociales investies.
Entre l’isolement social boudeur et le surinvestissement hypomaniaque et suspect du
style « J’aime les gens », les formes intermédiaires sont nombreuses. Repérons avant tout
ce qui a été traumatique, ce qui a changé dans la vie du sujet, et surtout ce qui constitue
un étayage à préserver.

Investissements hédoniques et sublimations


Ce secteur est fondamental. La jouissance est l’antidote de la souffrance, la sublima-
tion, la voie fréquente de la guérison.
Repérons ce qu’il en est aujourd’hui et ce qu’il en était hier. Renoncements, désinves-
tissements, nouveaux investissements, inhibitions face à des souhaits jugés irréalisables,
obstacles externes.
« Quels sont les moments où vous vous sentez bien ?… Qu’est-ce que vous faisiez avant
et que vous ne faites plus ?… Quelles sont les activités qui vous font ou vous ont fait du
bien ?… Que souhaiteriez-vous faire et que vous n’avez jamais fait ? »

Environnement et contexte matériel


Ils ne sauraient être éludés. Le poids du réel peut être traumatique, quelle que soit la
structure du sujet.
Mais il est bon aussi de repérer les allégations d’obstacles réels qui font souvent écran
face à des difficultés beaucoup plus profondes.
Évaluons ici aussi le poids des contraintes et des anticipations anxiogènes d’origine
externe, volontiers administratives, juridiques si ce n’est judiciaires, dont l’impact trauma-
tique est parfois majeur.
N’oublions pas aussi les conditions de vie matérielle, les nuisances sensorielles, tout
aussi réellement persécutrices que banalisées par la résignation.

Santé et relation avec le corps


Une partie de ce chapitre a été abordée lors du recueil de l’observation médicale et des
réactions à la maladie. Une autre partie sera abordée lors de l’investigation des sensations,
de l’image du corps et du narcissisme.

7. EXPLORATION DU DÉSORDRE ÉCONOMIQUE


7-1. Principes généraux
Le repérage du désordre économique est incontournable. Il n’est pas si évident qu’il n’y
paraît et nécessite souvent plusieurs entretiens.
Dans un but pédagogique, je propose une évaluation du désordre économique en trois
étapes : analyse descriptive, analyse dynamique, analyse étiologique. Ces trois séquences
sont en fait complémentaires et souvent intriquées.
L’analyse descriptive permet d’évaluer les vecteurs de la fonction psychosomatique
d’un point de vue quantitatif et qualitatif tels qu’ils se présentent avant toute tentative
de mobilisation.
726
L’investigation psychosomatique

L’analyse dynamique permet d’évaluer la part mobilisable du désordre économique,


les obstacles et les potentialités thérapeutiques, et du même coup d’entrouvrir un espace
psychique le plus souvent verrouillé. Elle constitue un test expérimental permettant
d’évaluer les possibilités de rementalisation et a déjà un effet thérapeutique.
L’analyse étiologique consiste à repérer les causes du désordre économique et de la
démentalisation. Nous les connaissons : afflux de traumatismes, répression, dépres-
sion essentielle, facteurs démentalisants d’origine externe, facteurs structuraux, effets
somatopsychiques et somatocomportementaux.
Nous allons maintenant aborder l’exploration des différents vecteurs de la fonction
psychosomatique. Chez le sujet somatisant, la prévalence des vecteurs est, par ordre
décroissant, la suivante : sensations > émotions > sentiments > représentations.

7-2. Les sensations
La sensation prévaut sur l’émotion. Son fréquent déterminisme émotionnel et donc
son sens et son but, sont en règle générale méconnus du sujet.

Émotion COMPORTEMENT

mise en acte

Sensation

La sensation, composante somatique de l’émotion

Analyse descriptive
Les sensations doivent être décrites dans toute leur spécificité. Les termes utilisés par
les patients renseignent déjà sur l’état des liaisons entre sensations et représentations :
de la simple allégation « ça fait mal » à la description imagée et très personnelle chez
certains sujets. L’expression langagière doit être évaluée et respectée.
Chez le sujet ayant des difficultés à décrire les sensations, la proposition d’un éventail
de modalités spécifiques, voire de métaphores, constitue un étayage efficace : « Ça brûle ?
Ça ronge ? Ça fait comme un écrasement ? » Les cliniciens du xixe siècle nous avaient
proposé toute une palette de modalités d’une extrême richesse qu’ont supplantées les
investigations paracliniques.
Il convient de solliciter chez le patient l’émergence d’images et de métaphores
« naïves » induites par les sensations éprouvées.

Analyse dynamique
Les modalités d’aggravation ou d’amélioration des sensations selon le contexte, aussi
surprenant soit-il, doivent être notées et faire l’objet d’une anamnèse associative précise.
Les effets thérapeutiques de l’homéopathie sont souvent directement en lien avec cette
finesse d’investigation.
Une immersion en imagination dans des situations traumatiques ou apaisantes pourra
être suggérée, afin de laisser sourdre des sensations comparatives.
727
Traité de médecine psychosomatique

Les sensations induites par le désordre émotionnel seront secondairement requalifiées


à partir du repérage de ce dernier (cf. ci-dessous « Les émotions »).

Analyse étiologique
Il y a lieu de distinguer la part de sensations liées au désordre émotionnel et celle qui
est due à l’altération anatomophysiologique.

7-3. Les émotions
Analyse descriptive
––Existence ou absence de désordre émotionnel.
––Perception ou absence de perception des émotions.
––Expressivité émotionnelle générale : hyper ou hypo-expressivité.
––Expressivité émotionnelle spécifique selon les circonstances et les secteurs.
––Vecteur préférentiel de l’expression émotionnelle : neurovégétatif ou neuromus-
culaire.
––Approche dynamique : qualification de la sensation en émotion.
Une connaissance précise de la sémiologie psychosomatique émotionnelle (cf.
Chapitre 3) est ici nécessaire. De longs siècles d’objectivation anatomoclinique de la
maladie ont déqualifié les expressions somatiques émotionnelles en les réduisant à des
sensations mécaniques. Il semble nécessaire d’inclure dans la médecine d’aujourd’hui la
sémiologie somatique émotionnelle. À titre d’exemple, dans les cervicobrachialgies et les
rachialgies hautes, il ne faut pas oublier d’imaginer une possible répression de l’agressivité.
Grâce à l’analyse approfondie de la sensation, le patient peut, aidé par le praticien,
repérer spontanément l’émotion qui sous-tend celle-là.
Dans d’autres cas, les interventions du thérapeute sont nécessaires dans un but
d’étayage :
––soit en sollicitant l’imagination : « Qu’est-ce qui pourrait faire cesser cette sensa-
tion ? » Les réponses peuvent orienter vers le type d’émotion ;
––soit sous forme de suggestion : « Souvent ce type de sensation apparaît dans un
contexte de peur » ou encore : « J’ai l’impression qu’il s’agit d’une peur. »
––soit sous forme d’hypothèses successives : « C’est comme de la peur ? De la colère ?
De la tristesse ? »

Approche étiologique
L’approche étiologique ne pourra être renseignée que lorsque l’investigation sera suffi-
samment étoffée. Elle permettra de comprendre les origines du désordre émotionnel
tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, origines variables d’un sujet à l’autre :
––facteur constitutionnel, familial, éducatif, sociétal ;
––pathologie mentale inductrice d’hyperexpressivité (hystérie, états expansifs) ou
d’hypo-expressivité émotionnelle (dépressions, états de sidération traumatique) ;
––répression en relation avec les idéaux, le besoin de maîtrise ou de contrôle, la préser-
vation du narcissisme.
La répression de l’émotion se repérera aisément au travers de certains signes cliniques :
––changement brutal de discours, évitement ;
728
L’investigation psychosomatique

––contrôle volontaire de la motricité : contrôle mimique, hypertonie musculaire,


tressautements rythmiques des membres, crispations ;
––contrôle de l’expression neurovégétative : déglutition pour ne pas pleurer, soupir,
respiration ample pour neutraliser l’angoisse ;
––substitution par des expressions émotionnelles antagonistes. Elles peuvent avoir un
caractère ponctuel et circonstanciel mais peuvent aussi constituer chez certains sujets
une véritable cuirasse défensive : sourire figé, rictus potentiellement contagieux pour
l’investigateur, rire spasmodique récurrent accompagnant tout propos.

7-4. Les sentiments
Analyse descriptive
––Existence ou absence de sentiments.
––Perception ou absence de perception des sentiments.
––Expression ou absence d’expression des sentiments.
––Capacité du sujet à décrire, à discriminer les sentiments, à les mettre en relation avec
les situations et les vécus.
––Palette des sentiments.
––Pauvreté ou richesse des sentiments.
––Fluctuation, variabilité, modulation des sentiments.
––Caractère constant ou intermittent du sentiment traumatique.

Analyse dynamique
L’émergence de l’affect peut s’effectuer par trois biais : l’élaboration de l’émotion en
sentiment, l’utilisation de la mentalisation parallèle, la requalification des représentations.
L’élaboration de l’émotion en sentiment nécessite certaines conditions que R. Babeau
a développées (2008) et que nous avons présentées dans la première partie de ce livre
(p. 27) : répression du comportement, prise de conscience de l’émotion, médiation par
le langage (rôle de la fonction Mater). Autant de conditions que l’on peut retrouver ou
induire en séance.
Lorsque le sentiment émerge, il convient de respecter une pause pour lui permettre de
s’enrichir. Le sentiment doit être précisé dans toutes ses nuances, dans tous ses prolonge-
ments, sa spécificité, ses déterminants contextuels.
L’étayage du thérapeute est fondamental et c’est ici que la notion d’empathie prend
pour une fois tout son sens. C. Parat insiste sur ce qu’elle définit en termes d’« affect
partagé » : « Le vécu à deux des mêmes émois conforte le sentiment d’être du patient, et
sans doute le consolide au niveau narcissique. Ces moments d’affect partagé constituent
le plus souvent le plus important du travail d’accompagnement, pendant les périodes où
ne peut encore s’établir un véritable travail psychothérapique. » (Parat, L’affect partagé.)
L’utilisation de la mentalisation parallèle consiste à convoquer les sentiments issus
de secteurs psychiques non concernés par le traumatisme, et à s’étayer sur eux pour
rejoindre de proche en proche, en effectuant des liens, le secteur traumatique. Il peut
s’agir de sentiments hédoniques en relation avec des situations agréables, mais aussi de
sentiments négatifs issus d’un secteur psychique objet d’un vécu délétère.
729
Traité de médecine psychosomatique

La requalification des représentations neutralisées (représentations « blanches ») sera


abordée plus loin (p. 732).

Analyse étiologique
Origines du déficit affectif global ou sectoriel
––Agénésie du sentiment : démentalisation structurale, alexithymie (incapacité à
nommer les affects), psychopathies, perversions.
––Répression de l’affect.
––Démentalisation traumatique.
––Émoussement dépressif.
––Facteurs sociétaux.
Origines du débordement affectif
––Pathologie mentale.
––Facteurs traumatiques actuels.
––Facteurs familiaux, sociétaux.

7-5. Les représentations et le mode de pensée


Analyse descriptive
Fonctionnement psychique cognitif
Intelligence générale, capacités d’apprentissage et de résolution de difficultés, capaci-
tés d’abstraction, expression verbale, mémoire, acuité perceptive et discriminative, atten-
tion, concentration, jugement, niveau culturel.
Mode de pensée
Pensée personnelle exprimant le désir, racontant l’histoire du sujet, son vécu, ou bien,
au contraire, pensée opératoire.
Présence ou absence de conflictualité, de productions inconscientes (lapsus).
Évaluation du préconscient (selon P. Marty)
Matériel représentatif
––Nombreuses représentations disponibles ou bien peu ou pas de représentations.
––Discours imagé, métaphorique, à sémantique personnelle, double sens des mots
ou, au contraire, représentations réduites à de simples reproductions de perceptions
extérieures (détails extérieurs interminables, description des circonstances d’un événe-
ment plutôt que des affects qui s’y rattachent).
––Aisance ou au contraire difficultés à parler de soi (présentation du vécu comme s’il
s’agissait de quelqu’un d’autre).
––Mimique de fantasme ou au contraire silences vides.
––Existence de représentations personnelles du patient sur sa maladie ou au contraire
formulation de représentations d’emprunt.
––Représentations à fleur de conscience.
––Caractère global ou sectoriel du déficit représentatif.
Liaisons entre représentations
––Présence ou absence d’associations d’idées transversales.
––Présence ou absence d’associations d’idées longitudinales.
730
L’investigation psychosomatique

Richesse
––Liaison des représentations aux affects et réciproquement, ou au contraire peu ou
pas de liaison aux affects et réciproquement : uniformité du ton quel que soit le sujet
abordé, expression pauvre, neutre, consensuelle, tics verbaux, termes généraux.
––Richesse ou pauvreté imaginaire.
––Richesse ou pauvreté fantasmatique.
––Jeu avec les mots, les expressions, les concepts, les images ou au contraire, expres-
sion monolithique, redondante, directe et non nuancée, logorrhée de décharge sans
expression affective.
Permanence
––Régularité du fonctionnement du préconscient dans le temps et en fonction des
secteurs psychiques.
––Lacunes : disparition de pans entiers d’un secteur psychique. L’investigateur subodore,
le plus souvent au bout de quelques séances, une défection, une « zone d’ombre ».
Évaluation économique des contenus oniriques
––Absence de souvenirs oniriques.
––Rêves opératoires.
––Rêves à contenu pulsionnel peu élaboré.
––Rêves nocturnes élaborés, dans lesquels on retrouve déplacement, condensation,
symbolisation, bizarrerie.
Mécanismes de défense conscients
––Réticence.
––Intellectualisation.
––Rationalisation défensive ou rationalisation opératoire.
––Dénégation.
––Contrôle et maîtrise.
––Évitement.
––Humour.
––Plainte.
––Idéalisation, attente magique.
––Répression des représentations.
Approche dynamique
Principes généraux concernant l’entretien
––Réponses aux questions du patient lorsque celles-ci attestent d’un processus de
rementalisation.
––Utilisation de métaphores.
––Utilisation des secteurs mentalisés plutôt qu’acharnement sur le secteur traumatique.
––Stimulation de l’imaginaire là où il affleure.
––Observation d’un certain silence lorsque la mentalisation surgit.
Fertilisation des lacunes
––Anamnèse associative.
––Lorsque le facteur traumatique est évident pour le praticien et inaccessible pour le
patient, lorsque la lacune est majeure, il y a lieu de décentrer et d’aborder les autres
secteurs pour revenir de proche en proche à la source traumatique.
731
Traité de médecine psychosomatique

––Proposer des représentations absentes chez le sujet à partir des représentations du


thérapeute. Faire part de ses propres rêveries concernant la situation et la réactivité
traumatique. « Ce que vous dites me fait penser à… »
––Repérage de la discordance entre le contenu des rêves récurrents et l’occultation de
la problématique traumatique.
Travail sur les représentations à fleur de conscience
––Débusquer les représentations tapies dans l’ombre au sein du préconscient.
––Commenter les représentations naissantes.
––S’attarder sur l’événement traumatique lorsque celui-ci fait l’objet d’une
rementalisation.
––Commenter les réactions du patient.
Favoriser la fluidité du préconscient
––Créer des liens entre les représentations, les différents secteurs du discours, entre le
présent, le passé, la représentation de l’avenir.
––Favoriser les associations d’idées, le lien avec les traces mnésiques aggravant la
pathologie. « Je ne peux m’empêcher de faire un lien avec ce que vous avez dit tout à
l’heure… »
––Établir des liens entre différents évènements survenus récemment ou à différentes
époques de l’histoire du patient.
––Chez les patients opératoires, on peut être amené à induire une certaine confusion
semi-onirique comme cela se pratique dans les techniques d’hypnose : confusion de
temps, de lieu, de termes.
Enrichissement du préconscient
––Induction de représentations à partir des sentiments. « Quelles images, quelle situa-
tion l’évocation de cette colère fait-elle surgir chez vous ? »
––Requalification des représentations : induction de sentiments à partir des représen-
tations neutralisées (représentations « blanches »).
––Décentration : « Ça ne doit pas être marrant… Il y en a qui, à votre place… »
––Montrer les nuances affectives d’un même contenu dans des contextes différents.
––Utilisation des mentalisations parallèles.

Analyse étiologique
––Agénésie des représentations (déficit introjectif).
––Sidération traumatique des représentations.
––Refoulement des représentations.
––Attaque du préconscient par des facteurs externes (perceptifs, sociétaux, machines
à démentaliser).
––Répression des représentations.

À propos du rêve
Nous ne saurions terminer ce chapitre sur les représentations sans évoquer le rêve. Ces
productions inconscientes et préconscientes sont d’une importance capitale comme en
témoigne les observations présentées.
732
L’investigation psychosomatique

Le lecteur aura certainement remarqué le nombre de contenus oniriques cités,


sans que leur interprétation les accompagne. Carence évidente qui aurait justifié un
développement plus approfondi mais dont la correction eût alourdi la présentation
des cas cliniques. Et puis, il est peut-être nécessaire de stimuler quelque peu l’appétit
du psychosomaticien en herbe. Quoi qu’il en soit, une justification s’impose. En 2006,
j’ai effectué une étude sur les rêves à partir de 1 500 observations. Elle m’a permis de
découvrir des éléments fondamentaux en ce qui concerne leur sens, leur fonction et leur
interprétation. Une deuxième étude est actuellement en cours, à partir des observations
recueillies entre 2007 et 2015. Ces deux études vont mettre à jour des données fonda-
mentales sur le rêve. Pour ne pas surcharger ce Traité de médecine psychosomatique, je
ne traiterai donc pas ici de ce champ incontournable de la psychothérapie. Par ailleurs,
l’interprétation des rêves nécessite une longue pratique de la psychanalyse, et la publica-
tion prématurée des résultats de ces études sans développement approfondi risquait de
donner au lecteur non psychanalyste l’illusion d’une clé des songes, dont on sait très bien
qu’elle n’existe pas en dehors du cadre analytique, si ce n’est dans la plupart des ouvrages
de vulgarisation consacrés au rêve, qui ne sont en fait que des manuels sympathiques et
néanmoins outranciers d’oniromancie.
Le contenu du rêve est le résultat d’un travail inconscient, que Freud a appelé « travail
du rêve », dont les outils sont les processus primaires : condensation, déplacement,
symbolisation, surdétermination. Mais en dehors du contenu dont le décryptage néces-
site une expertise analytique, la qualité et la quantité du matériel onirique constituent
des éléments cliniques fondamentaux d’un point de vue psychosomatique. Sans entrer
dans le détail et de manière très synoptique, voici quelques éléments issus de l’étude de
2006, que tout praticien s’exerçant à l’approche psychosomatique doit connaître.
L’absence de matériel onirique (production et/ou mémorisation) se rencontre plus
particulièrement chez les sujets en état de démentalisation ou chez les sujets pris dans
une vie ou une activité opératoire. La vie opératoire, le fonctionnement dans la velléité
de maîtrise, l’incapacité à rester sans rien faire, l’activité professionnelle effrénée, la sur-
occupation défensive, la vie routinière, réduisent ou font disparaître le matériel onirique.
Celui-ci réapparaît dans toute sa richesse du simple fait de la rementalisation thérapeu-
tique, et ceci très souvent dès les premières séances, grâce au redémarrage de l’activité
préconsciente qui établit des liaisons entre les représentations de choses et les représen-
tations de mots, et qui constitue un pont entre l’activité psychique diurne et nocturne.
Les rêves opératoires se rencontrent chez les sujets en état de démentalisation ou
de répression. Ce sont des rêves peu élaborés dont le contenu se limite au factuel et à
l’actuel, aux restes diurnes et aux préoccupations opératoires du moment.
Certains contenus oniriques peuvent confirmer l’activité diurne de répression. Ce sont
soit des rêves opératoires mettant en scène le secteur traumatique réprimé (le travail, le
conjoint persécuteur, etc.), soit des rêves dans lesquels la pulsion s’exprime de manière
brute (scènes peu élaborées de combats, guerres, disputes, bagarres, explosions, enchaî-
nement, étouffement, etc.), ou bien sous forme de représentants pulsionnels (animaux),
soit encore des rêves traumatiques mettant en scène l’objet perdu. Ce qui est pathogno-
monique du phénomène répressif est la conjonction de ce type de rêve et d’une occulta-
tion dans la vie diurne du secteur psychique concerné.
733
Traité de médecine psychosomatique

7-6. Le comportement
Approche descriptive
Elle repose sur l’observation du comportement et de la motricité lors de l’investigation
ainsi que sur la connaissance du comportement dans la vie quotidienne.
Comportement lors de l’investigation
––Expressions motrices névrotiques (théâtralisation, tics, gestes compulsifs), ou au
contraire manifestations d’anxiété diffuse avec agitation ou sidération.
––Expressions motrices exprimant le vécu, en concordance avec le sujet abordé, ou
au contraire hypertonie musculaire et posturale permanente, ou encore agitation,
mouvements stéréotypés quel que soit le sujet abordé.
––Spontanéité, variabilité, souplesse des attitudes selon le sujet abordé, ou au contraire
caractère immuable des expressions motrices.
––Ressenti de l’investigateur : intérêt particulier à observer le patient ou au contraire
impression d’être contrôlé.
Comportement dans la vie quotidienne
––Investissement dans la vie instinctuelle ou au contraire contrôle de toute expression
instinctuelle.
––Hyper-réactivité face aux obstacles ou au contraire difficultés à s’opposer, soumis-
sion contrôlée, conformisme.
––Activités motrices investies ou au contraire absence d’exutoires, d’activité hédonique,
de plaisir, de moments de relâchement.
––Valorisation de l’activité en toute chose et en toute circonstance, incapacité à rester
inactif, besoin acharné de maîtrise.
––Instabilité, comportements régressifs, conduites addictives, ou au contraire assujet-
tissement sans faille à un programme de vie.
––Comportements névrotiques ou au contraire activités automatiques de décharge.
On pourra ainsi repérer deux situations cliniques extrêmes : d’une part, l’investisse-
ment excessif, voire exclusif, de la voie comportementale et, d’autre part, la répression
comportementale.
L’investissement de la voie comportementale permet d’évacuer un quantum variable
d’excitation, pouvant ainsi constituer un garde-fou à l’encontre du processus de somati-
sation. Ainsi, tant que le comportement peut s’exprimer, le sujet est relativement protégé
de la somatisation. Lorsque l’obstacle apparaît, le sujet y est alors particulièrement
exposé, car l’investissement comportemental est corrélé à un déficit de mentalisation
qui perdure.

Approche dynamique
L’approche dynamique va consister à proposer au sujet d’imaginer un autre mode de
fonctionnement.
Chez les sujets trop investis dans le comportement, il pourra leur être proposé d’ima-
giner des moments de distanciation par rapport à la réalité extérieure, des moments de
rêverie ou d’évasion. Certains sujets ne comprendront pas ce qui leur est proposé, comme
734
L’investigation psychosomatique

si cette chose était impensable, tant ils ne peuvent concevoir de fonctionner autrement
sans danger pour leur « équilibre ». D’autres, chez qui les secteurs hédoniques ont été
laissés en jachère depuis longtemps, accueilleront avec surprise au début, puis avec un
certain intérêt, ce qui leur est proposé.
Chez les sujets pris dans un fonctionnement opératoire, il pourra leur être proposé
d’imaginer la possibilité de s’autoriser à flâner, à ne rien faire, de s’autoriser à des réactions
plus spontanées, plus instinctuelles, moins contrôlées. Tous les patients sont sensibles à
la métaphore de l’animal qui tourne en rond dans sa cage.

Approche étiologique
En ce qui concerne les expressions comportementales, il y a lieu d’établir une distinc-
tion entre, d’une part, les comportements induits par la pathologie mentale (névroses,
psychoses, perversions) qui sont sous-tendus par une élaboration psychique variable
et, d’autre part, les comportements de décharge : mises en acte instinctuelles (psycho-
pathies, états limites, addictions), comportements opératoires. Ces comportements de
décharge attestent d’un déficit d’élaboration psychique, soit en continu, soit dans l’immi-
nence de l’acte.
La répression comportementale est liée quant à elle soit à un processus d’autocontrôle,
soit à des obstacles réels. Les deux causes peuvent être intriquées.
La répression liée à un processus d’autocontrôle est destinée à préserver une trajec-
toire comportementale, sélective et sectorisée, visant à obtenir quelque chose quoi qu’il
en coûte d’un point de vue économique : but matériel, préservation identitaire, angoisse
de séparation ou de castration, préservation de l’idéal, besoin de contrôle et de maîtrise,
fantasme de mission à remplir, acharnement structural à réprimer toute expression
instinctuelle (répressivité). Elle peut avoir une dimension trophique un certain temps,
mais elle résiste difficilement aux traumatismes : pertes, contraintes prolongées induisant
un épuisement.
Les obstacles réels inducteurs de répression sont le plus souvent des privations
motrices imposées par les circonstances : maladies et traitements médicaux, situations
d’enfermement, d’assujettissement, de menace, obstacles sociaux, familiaux.

8. L’HISTOIRE DU SUJET
L’abord de l’histoire d’un sujet n’est ni périlleux, ni difficile, ni source de problème
majeur. C’est pourtant ce chapitre qui est le plus souvent éludé dans les investigations de
nombreux stagiaires. Son éviction ou son survol superficiel prive la connaissance du sujet
d’une source de renseignement fondamentale, sans laquelle il nous paraît quasiment
impossible d’avancer plus loin dans l’investigation et la thérapeutique.
Il est vrai que le fonctionnement habituel des praticiens ne pousse pas à s’enquérir
de ce domaine, du simple fait des représentations qui leur sont imposées par la forma-
tion initiale ou continue. Il est vrai aussi que l’enseignement universitaire relègue de plus
en plus ce chapitre aux oubliettes et que le dogme de l’« Ici et Maintenant ! » le rejette
purement et simplement, s’inscrivant dans un courant plus général de déni de l’histoire
qui ne cesse de s’étendre et de s’intensifier : négation de l’inconscient du sujet, désinté-
rêt pour son histoire, mais aussi engouement sociétal actuel, spécifiquement français, à
735
Traité de médecine psychosomatique

rejeter tout ce qui est de l’ordre de l’histoire en général. L’histoire est suspecte, elle doit
être éradiquée ou réinventée. La plupart des politiques, les médias et l’Éducation natio-
nale s’en font une vocation, à des fins strictement manipulatoires. La parole concernant
l’histoire est sous contrôle. On ne peut faire mieux pour détruire l’identité d’un sujet ou
d’une société. Les seules causes en sont l’intérêt de la caste et la peur. Or, en ce qui nous
concerne ici, cette même peur se retrouve chez certains stagiaires qui n’osent pas s’aven-
turer dans ce domaine, reprenant à leur compte l’interdit de « heurter la sensibilité »,
ici celle des patients. Or le risque n’existe pas, pas plus en matière de psychosomatique
qu’ailleurs. Par contre, lorsqu’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on va. C’est
le cas de notre pays. C’est le cas aussi du praticien qui shunte ce chapitre de l’investiga-
tion. Ne sachant pas d’où vient le sujet, il ne saura pas où l’amener.
L’investigation de l’histoire du patient débute tout simplement par une invitation à en
parler. Cette invitation peut survenir de manière dissociée du reste de l’investigation ou
bien s’y intégrer, lorsque le sujet aborde ses difficultés, sa famille originaire, ses déménage-
ments, son travail, ses deuils, son éducation, ses antécédents morbides, etc.
Cette investigation, qui peut être étalée au fil des premières entrevues, mettra au jour
de manière aussi précise et chronologique que possible les situations, le contexte, les diffi-
cultés, les pathologies, les événements familiaux et les représentations que le sujet garde
de son passé.
Des questions peuvent ponctuer le discours du patient lorsque des éléments impor-
tants doivent être recherchés ou précisés.
Ainsi, nous nous attarderons sur les différentes étapes de la genèse de la personne et
de son développement : contexte de la conception et de la venue au monde, période
néonatale, existence de pathologies (plus particulièrement digestives, cutanées, troubles
du sommeil), traversée des différents stades archaïques du développement, événements
familiaux, traumatismes personnels, difficultés et problématiques récurrentes, patholo-
gies (mentale, comportementale, somatique), fonctionnement psychique prédominant
(souvenirs particuliers, rêves récurrents de l’enfance, investissements scolaires, relation-
nels, hédoniques, image de soi, etc.).

9. LE FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE INCONSCIENT


Le renseignement de ce chapitre dépend du niveau de formation du praticien. Un
psychanalyste digne de ce nom est rompu à décrypter les complexes et les formations
défensives inconscientes. Mais ce n’est pas une chasse gardée. Le praticien formé à la
psychosomatique est encouragé à s’y aventurer, à pas feutrés certes, et avec toute la
réserve et la prudence que cela nécessite. On peut très bien observer les satellites de
Jupiter avec une bonne connaissance de la carte du ciel et un bon télescope, sans être
pour autant astronome.
L’investigation du fonctionnement psychique inconscient s’attardera sur les particu-
larités des complexes inconscients, leur déterminisme, les mécanismes de défense et les
traits de caractère qui en découlent.
Complexes inconscients
––Angoisses primaires : destruction, séparation, castration.
736
L’investigation psychosomatique

––Complexe œdipien.
––Narcissisme et désordres identitaires.
––Complexes de culpabilité : absence de culpabilité, honte identitaire, culpabilité
pulsionnelle, culpabilité de défaillance, culpabilité d’emprunt.
––Masochisme.
Mécanismes de défense inconscients
Refoulement, déni, isolation, déplacement, projection, renversement de l’affect en son
contraire, conversion, retournement de la pulsion sur soi, idéalisation, investissement,
désinvestissement, contre-investissement, délire, hallucination.
Traits de caractère
––Processus de construction : identifications, fixations psychiques, formation réaction-
nelle, clivage.
––Personnalité : anxieuse, dépendante, évitante, obsessionnelle compulsive, dépres-
sive, masochiste, histrionique, passive agressive, paranoïaque, schizoïde, schizoty-
pique, perverse, phallique narcissique, psychopathique, sans oublier les névroses de
comportement.
Ce catalogue rébarbatif et condensé à l’extrême illustre bien la complexité de la
psychopathologie et la nécessité de rigueur sémiologique.
Tout comme le rêve et la vie sexuelle, la psychopathologie n’a pas eu droit de cité dans
cet ouvrage. Mêmes raisons : évitement de la surcharge, projet de publication ultérieure,
souci constant de ne pas disperser le lecteur vers des contrées complexes afin de lui
permettre de mieux assimiler l’essentiel.

10. LE DÉBUT DE LA PSYCHOTHÉRAPIE


À l’issue de l’investigation, qui peut s’échelonner sur une ou plusieurs séances, le prati-
cien doit être en mesure d’évaluer certains paramètres incontournables parmi lesquels :
le type de pathologie, les déterminants psychosomatiques de la pathologie, les demandes
explicite et implicite du patient, les principaux éléments mobilisables, les difficultés
inéluctables qui vont se présenter, les axes thérapeutiques qui en découlent. L’évalua-
tion des déterminants psychosomatiques s’attachera à repérer l’impact et les causes du
désordre économique ainsi que les différentes ornières de fixation.
La psychothérapie débute comme nous l’avons vu avec l’investigation, et ceci dès la
première séance. En effet, l’anamnèse associative, l’exploration des secteurs existentiels, la
qualification des vecteurs de la fonction psychosomatique, voire le début de l’exploration
de l’histoire du sujet, créent des liaisons tant d’un point de vue dynamique qu’écono-
mique, induisant chez de nombreux sujets une émergence variable de la mentalisation
qui était le plus souvent déficitaire. Il n’est d’ailleurs pas rare que certains sujets rapportent
des rêves dès la deuxième séance, alors qu’ils ne rêvaient plus depuis longtemps, et
même fassent part d’une amélioration de certains de leurs symptômes. La poursuite du
suivi psychothérapique dépendra de la demande et des attentes du patient, ainsi que
de son système défensif qui est souvent l’objet de remaniements à l’issue des premières
rencontres.
737
Traité de médecine psychosomatique

Il n’est pas de notre propos de traiter ici des techniques psychothérapiques. Chaque
psychosomaticien a sa manière d’opérer et il n’existe pas de recette en matière de psycho-
thérapie. La psychothérapie est avant toute chose un art dont les fondements sont
essentiellement initiatiques et s’enrichissent des expériences successives : expérience
psychanalytique personnelle du sujet praticien, confrontation aux difficultés et aux
réussites, aux succès et aux échecs, remise en cause et questionnement quotidiens, super-
visions, échanges avec les pairs, lectures, et, pour certains, confrontation à l’épreuve de
réalité que constituent l’enseignement et la recherche.
Ceci étant, la psychothérapie qui s’adresse aux sujets présentant des maladies
somatiques comporte des spécificités, des nécessités et des aménagements que nous
allons présenter de manière synoptique.

La psychothérapie analytique
La psychothérapie analytique, ou psychothérapie d’inspiration analytique, se réfère
au corpus théorico-clinique de la psychanalyse mais diffère de la cure psychanalytique
sur plusieurs plans. Elle sollicite une plus grande directivité, accepte une plus grande
souplesse au niveau du cadre et se déroule le plus souvent en face à face.
Chez le patient somatisant, la directivité doit prendre le pas sur la réserve. Directivité
s’entend au sens de direction, de signalisation, d’indication, de conduite accompagnée,
comme on aide un aveugle à traverser la rue ou un handicapé à se mouvoir dans l’espace,
comme on renseigne celui qui cherche sa route dans le quartier, ou celui qui cherche un
bureau dans une administration.
Les interventions du thérapeute seront donc plus fréquentes que dans la cure analy-
tique. Le praticien pourra être amené à poser des questions et à répondre à celles du
patient lorsque cela s’avérera nécessaire, lorsque celles-ci n’auront pas de caractère
strictement défensif. « L’aide à la verbalisation passe par des réponses aux questions du
patient, sans qu’il s’agisse de répondre n’importe quoi, à n’importe quelle question, mais
c’est une manière d’entraîner à l’expression des pensées et des images. » (Parat, L’affect
partagé.)
Le sujet somatisant a du mal à intégrer l’idée d’un « travail » psychothérapique. Il
s’agira de fonctionner au départ comme un parent fonctionne avec un bébé qui n’a pas
encore accès au langage verbal. Et de la même manière que l’on fait avec un bébé, d’être
compréhensif face à ses réactions souvent inattendues. Contenance, compréhension,
adaptation, activité, n’excluront pas certaines règles, certaines exigences, certaines limites
infranchissables.
Le traitement psychothérapique en face à face est en règle générale préféré aux séances
sur le divan. Si l’oreille constitue le récepteur commun à toute psychothérapie, l’œil sera
sollicité plus spécifiquement dans les entretiens en face à face. L’arrimage par le regard fait
partie de la contenance. Les expressions non verbales jouent un rôle important, le patient
étant souvent à l’affût de ces dernières. Il ne viendrait pas à l’idée d’un parent d’aider son
enfant en se mettant derrière lui sans que celui-ci ne puisse le voir.
Le ressenti plus ou moins subjectif du thérapeute constitue le troisième récepteur.
Écoute, observation et ressenti s’enrichissent mutuellement.
738
L’investigation psychosomatique

Si le rythme des séances est nettement inférieur à celui des séances de psychanalyse, si
la durée de la psychothérapie est moins longue, le temps de la séance est en règle générale
supérieur. Les interruptions liées aux avatars existentiels et au parcours de soins doivent
être, lorsqu’elles sont étayées sur des éléments incontournables, acceptées.
Le traitement psychothérapique ne doit pas, en principe, interférer avec les traite-
ments médicaux qui doivent être suivis par le patient.

La rementalisation
La psychothérapie aura pour but initial d’ouvrir la voie de l’élaboration psychique chez
le patient grâce à l’élaboration psychique du thérapeute. C’est ainsi que l’on peut parler
de réciprocité de la mentalisation. Réciprocité asymétrique toutefois, du simple fait que
le thérapeute est amené à juxtaposer les productions psychiques du patient à ses repré-
sentations théoriques, à se laisser guider par ce qu’il imagine du patient, tout en contrô-
lant ses propres productions fantasmatiques, plus particulièrement celles induites par
association avec les productions du patient, qui l’amènent inéluctablement sur le terrain
de sa vie personnelle. C’est dire que la nécessaire mentalisation du thérapeute est une
mentalisation contrôlée, nécessitant une certaine répression.
On pourrait comparer l’attitude générale du thérapeute à celle du jardinier face à la
plante qu’il cultive : observation, élimination des agents pathogènes, respect de certaines
productions, utilisation des ressources, apport de nutriments, tuteurage, etc. Pierre
Marty a très bien illustré cette fonction de nourriture du préconscient du patient à partir
du préconscient du thérapeute, en proposant le terme de « prothèse psychique ». Le
thérapeute, à l’instar d’un parent investi dans sa fonction, repère, pense, associe, imagine,
et met un contenu sur l’expérience du patient.
Qualification des sensations en émotions, élaboration de l’émotion en sentiment,
restauration de l’activité du préconscient (métaphores, mentalisation parallèle, stimu-
lation de l’imaginaire, proposition de représentations à partir de celles du thérapeute,
commentaire des réactions du patient, requalification des représentations, utilisation
de la mentalisation parallèle, etc.), aide au repérage de la problématique (répétition des
propos du patient, reformulation paraphrasique de ses pensées avec des termes diffé-
rents enrichissant le processus de mentalisation et renforçant la cohésion de sa pensée).
Le travail de reliaison amorcé lors de l’investigation va se poursuivre au fil des séances
le temps qu’il faut car, chez ces sujets, les occasions susceptibles de mettre à mal le proces-
sus de rementalisation amorcé ne manquent pas : parcours médical, pression du réel, de
la conflictualité externe et des idéaux, réactions défensives face à l’amélioration théra-
peutique qui ne peut s’effectuer sans un certain ébranlement psychique passager. Peu à
peu, le patient réapprend à « jouer » (Winnicott) avec les sentiments, les idées, les images.

Les suggestions
Il s’agit ici de la forme la plus courante de directivité. Suggérer, proposer, ne signifie pas
prescrire. Suggestions et propositions seront indiquées dans le but de diminuer le poids
de la conflictualité externe et d’aider le patient à expérimenter de nouveaux compor-
tements. L’action sur la conflictualité externe consiste essentiellement à aider le sujet à
s’alléger du poids traumatique, à éliminer autant que se peut ce qui l’encombre, c’est-à-
dire la part de surcharge traumatique induite par ses idéaux surdimensionnés. Quant
739
Traité de médecine psychosomatique

aux suggestions de modalités comportementales nouvelles, elles débutent par la repré-


sentation du changement et se poursuivent par une incitation à les expérimenter entre
les séances. Nous avons vu plus haut le conseil qui fut donné à Isaline, citée p. 718, de
donner un tour de clé avant d’aller se coucher. C’est un exemple de conseil, de sugges-
tion simple, et l’acte qui est censé suivre est fortement chargé de sens car, contrairement
aux techniques strictement comportementales, il condense à lui seul les principaux
éléments issus de la séance, parmi lesquels la révélation au praticien de la problématique
inconsciente du sujet.
Chez les sujets en état permanent de répression comportementale, il pourra leur
être proposé de se libérer d’une partie de celle-ci au travers d’une modification simple
et ponctuelle dans une situation précise de leur vie quotidienne. À titre d’exemple, de
nombreux sujets, des femmes le plus souvent, s’interdisent toute forme d’évasion de leur
prison domestique par crainte que leur conjoint tyrannique les rejette, les conspue ou
les châtie. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de leur suggérer de s’autoriser une escapade
minimale, ponctuelle et de bon aloi. La mise en acte ne s’est jamais soldée par les réactions
conjugales redoutées. Il est même arrivé plusieurs fois que le conjoint, quelque peu
surpris, devienne subitement attentionné. Cette simple expérimentation, limitée à une
situation précise dans un seul secteur existentiel, va permettre au sujet de se libérer de
proche en proche du poids de la répression dans la plupart des secteurs de son existence
et de mieux comprendre quels en étaient les déterminants.
Il s’agit donc ici de proposer l’expérimentation de nouvelles réponses comportemen-
tales, un positionnement plus actif et plus spontané. Suggérer des exutoires pour l’éva-
cuation de l’excès d’excitation, favoriser les activités sublimatoires, réintroduire un espace
de liberté, constituent aussi des axes thérapeutiques fondamentaux.
L’expression d’un quantum d’animalité foncière en fait aussi partie, surtout dans les
pathologies d’origine anxieuse. Cela peut s’effectuer au travers d’un recouvrement de la
motricité. Les médecins sont ici particulièrement invités à y songer et à « peser le pour
et le contre » lorsqu’ils prescrivent une restriction d’activités ou de plaisirs, fussent-ils
reconnus classiquement comme potentiellement pathogènes.
Toujours dans le cadre des suggestions, il sera proposé aux patients d’aller à la rencontre
et d’utiliser leurs ressources potentielles qui, du fait du poids traumatique, des idéaux et
de la compulsion de répétition, ont été le plus souvent laissées en jachère.

L’action sur les complexes inconscients


L’activité thérapeutique sur les problématiques pathogènes centrales ne pourra être
réellement optimale que chez un sujet bien rementalisé. Le thérapeute pourra toutefois,
connaissant la conflictualité centrale, suggérer au patient des axes thérapeutiques sous
forme de rectifications des représentations, de suggestions de potentialités nouvelles et
d’expérimentations de nouveaux modes de fonctionnement, à partir de ce qu’il perçoit
du conflit, sans pour autant avoir fait part de la nature de celui-ci au patient.
Lorsque l’élaboration psychique fonctionne de manière soutenue, le travail sur les
complexes inconscients consistera à repérer et analyser le conflit et la tendance à la
répétition, leurs conséquences et leurs origines, souligner ce qui les renforce dans l’actua-
lité, souligner leur anachronisme.
740
L’investigation psychosomatique

Chez certains sujets, le système défensif inconscient, et notamment le refoulement,


doit être préservé, dans un premier temps, car le refoulement conditionne la symboli-
sation (D. Braunschweig). D’un point de vue métapsychologique, l’attention sera portée
à redimensionner les idéaux du moi, à ouvrir la voie aux refoulements aux dépens de la
répression, en redonnant sa place au surmoi œdipien (F. Sacco). Il y a donc lieu d’être très
prudent et très économe dans l’utilisation de l’interprétation, lorsque celle-ci risque de
fracturer et mettre au jour le matériel refoulé. Ce n’est qu’au bout d’un temps suffisam-
ment prolongé et seulement lorsque le désordre économique sera traité, que la levée du
refoulement, puis l’analyse du transfert, participeront au processus de désenclavement
des conflits intrapsychiques, tout comme dans une cure psychanalytique.

741
Chapitre 26

ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES
ET GUÉRISONS SPONTANÉES

1. INTRODUCTION
L’expérience clinique au travers de mon activité de médecin généraliste puis de
psychiatre n’a fait que renforcer mon penchant irréductible pour les sentiers non battus
en dehors des grands axes de circulation. Je me souviens de ces quelques patients qui,
sans négliger le tulle de gras que j’avais appliqué sur leurs brûlures, étaient revenus soula-
gés et même cicatrisés dans les suites de leur entrevue chez le guérisseur. Je n’adhérais ni
ne rejetais. Je m’interrogeais. Je me souviens de ce quinquagénaire qui guérissait tous ses
maux, sa toux bien sûr, mais aussi ses troubles digestifs, ses douleurs et ses épanchements
mélancoliques, avec un sirop à forte teneur alcoolique. Je me souviens de Myriam, infer-
tile, qui tomba enceinte à 45 ans, après avoir consulté un marabout. De Lionel, littérale-
ment épuisé par ses pratiques obsessionnelles compulsives, qui fut transformé après avoir
découvert la foi. De Michel, impotent du fait de ses multiples opérations pour hernie
discale, qui retrouva une démarche de jeune homme après une amygdalectomie tardive.
Et aussi de Louis, 80 ans, toujours rose dans son lit, lisant le journal, trente ans après
qu’un diagnostic de métastases cérébrales d’un cancer de l’estomac avait été posé. Et
puis, lors de mon activité de psychiatre, de Jack dont le psoriasis géant disparut totale-
ment lorsqu’il rencontra la femme de sa vie à 39 ans. Et aussi de Louise, très défensive
lors de notre première entrevue, dont la fibromyalgie n’est plus qu’un lointain souvenir.
Et surtout de Christine, condamnée par la faculté à l’inguérissabilité de son lupus et qui,
aujourd’hui, quinze ans après, n’en présente plus aucun stigmate clinique ni biologique.
Des événements traumatiques participent à la genèse des maladies, c’est un des fonde-
ments de la psychosomatique. La disparition de ces facteurs traumatiques améliore l’état
de santé du sujet, c’est une constatation fréquente. Si des événements traumatiques
co-induisent la pathologie, des événements trophiques n’auraient-ils pas le pouvoir
intrinsèque de les faire disparaître ?
Guérisons spontanées, guérisons inattendues, guérisons inexpliquées, guérisons impro-
bables, guérisons imprévues, guérisons remarquables. Ce sont des guérisons dont le carac-
tère inhabituel et surprenant déjoue toute logique médicale officielle. Elles surviennent
en dehors de tout traitement classique ou, à la limite, dans les suites de procédés théra-
peutiques discutables, voire acceptés avec un sourire compassé par la Faculté.
Les rémissions spontanées, terme préféré à celui de guérison dans le monde de la
médecine hospitalière, car exprimant une prudence suspicieuse, entrent aussi dans le
cadre de notre sujet. Le terme devrait être réservé à la disparition transitoire d’une patho-
logie suivie de rechute, mais il est en fait utilisé pour qualifier aussi les guérisons avérées
depuis longtemps, laissant ainsi planer le doute, si ce n’est la menace sourde de rechute à
743
Traité de médecine psychosomatique

plus ou moins long terme. Car la médecine occidentale ne lâche pas ses patients comme
ça. Elle s’efforce de les ramener au bercail ou à la raison, ou bien, dépitée, se débarrasse
des mauvais sujets récalcitrants, ceux qui défient le dogme et les statistiques. La connota-
tion pronostique péjorative du terme rémission installe l’épée de Damoclès sur le sujet et
cela n’est peut-être pas sans conséquence sur son devenir.
La seule conférence mondiale sur les rémissions spontanées (World Conference on
Spontaneous Remission) s’est déroulée en 1974 à la Johns Hopkins University School of
Medecine, à Baltimore. Cette conférence réunissait un grand nombre d’auteurs faisant
part de guérisons ou de rémissions spontanées de pathologies graves, plus particuliè-
rement de cancers à un stade très avancé, souvent métastatique, les patients ayant été
fréquemment condamnés à un dénouement fatal imminent. Ils rapportèrent en effet
plusieurs centaines de cas de rémissions ou de régressions spontanées de cancers, soit
à partir de leur expérience clinique personnelle, soit à partir de revues exhaustives de la
littérature scientifique. Les textes ont été publiés en 1976 par le National Cancer Institute
sous forme de monographie en anglais, non rééditée. Nous noterons qu’une telle confé-
rence ne s’est plus jamais reproduite.
L’Institute of Noetic Sciences s’est attaché de son côté à recueillir toutes les publica-
tions de la littérature médicale mondiale, à savoir 3 500 articles parus entre 1900 et 1966.
En 1993, Caryle Hirshberg rassemblait sous forme de monographie en anglais, disponible
mais non traduite, l’ensemble des articles concernant le sujet. C’est cette monographie
que je me suis efforcé d’éplucher.
Les articles qui la constituent attestent d’une rigueur inéluctable à telle enseigne que
la plupart d’entre eux ne proposent pas d’explication à la guérison, sauf pour un nombre
conséquent d’entre eux des hypothèses strictement physiologiques, avec en premier et
plus particulièrement avant 1974, l’hypothèse immunologique débutante ou la cause
infectieuse prévalente à cette époque. Dans l’immense majorité des cas, la forme et le
contenu des articles sont strictement et rigoureusement médicaux, les régressions ou
les rémissions étant confirmées par l’anatomopathologie et la normalisation clinique
persistante au bout d’un grand nombre d’années. Quelques articles font référence à la
dimension psychique. La plupart de ceux-ci sont centrés sur les événements trophiques
ayant participé à la rémission, ou bien sur certaines techniques psychothérapiques utili-
sées dans ce but, plus particulièrement la méditation qui connaissait sa première vogue
à l’époque. On regrette bien sûr l’absence quasi totale des références aux concepts de
psychosomatique. Les travaux de l’École de Paris, notamment, ne sont pas cités.
Les rémissions, régressions ou guérisons, sont considérées comme spontanées
lorsqu’elles surviennent donc en dehors de tout traitement ou bien sous l’effet de théra-
peutiques jugées inadaptées ou inefficaces dans le type de pathologie concernée. La
distinction sémantique entre régression et rémission est loin d’être rigoureuse, les deux
termes étant le plus souvent utilisés indifféremment pour qualifier le même phéno-
mène. Le terme spontané (de sponte, « de son plein gré ») définit quant à lui la dimension
naturelle d’un phénomène qui s’exécute de lui-même, sans cause apparente, si ce n’est
une énergie d’origine interne ou externe.
De manière générale, le champ de recherche concernant les régressions, rémissions
et guérisons spontanées est, comme en atteste l’extrême rareté des publications (10%
744
Événements trophiques et guérisons spontanées

seulement serait mentionné dans la presse médicale), sous-exploité. À cela, il y a plusieurs


causes souvent conjuguées.
Tout d’abord, les guérisons spontanées ne sont pas légitimées comme des faits scien-
tifiques, car elles ne se prêtent ni à la recherche biologique, ni à la recherche clinique qui
se limite aux études dites « randomisées ». Absence de cause objective repérable, difficul-
tés à quantifier le degré de certaines rémissions, nature du phénomène incontrôlable et
non reproductible, patients guéris disparaissant dans la nature, concourent à exclure ce
champ de la recherche officielle. Par ailleurs, il existe une différence manifeste au niveau
du contenu des observations : le manque de rigueur clinique caractérise celles qui sont
issues de pratiques psychothérapiques, et la négation du sujet et de son histoire est une
constante dans celles qui ressortent de la médecine interne.
Mais la cause principale est que les guérisons ou rémissions spontanées mettent en
échec la démarche médicale, le savoir, la logique, la théorie, et surtout le fonctionne-
ment du médecin, et même à terme son identité. Les réactions défensives sont de règle :
du refus d’utiliser le terme guérison à l’allégation d’une erreur de diagnostic initiale, en
passant par une résistance majeure des cliniciens à faire part de leurs constatations dans
la littérature par crainte des critiques de leurs pairs.
Au lieu de susciter un intérêt bienveillant susceptible d’entrouvrir la porte sur un
champ de recherche inexploité, ces guérisons sont accueillies avec grande circonspection.
Considérées comme de simples curiosités avec un dédain glacial dans les milieux
autorisés, elles sont en d’autres lieux l’objet d’anecdotes amusantes qu’un praticien, en
règle générale plus âgé que les autres, se plaît à relater à chaque soirée organisée par les
laboratoires pharmaceutiques, après que les quatre thèmes incontournables – à savoir
le dernier voyage, l’aménagement de la villa, le résultat sportif et le nouveau coupé
cabriolet – aient été épuisés.
Ce désintérêt de la médecine officielle pour les guérisons spontanées a pour consé-
quence directe le foisonnement de témoignages, de publications grand public, d’articles
sauvages, dont le caractère sensationnel ou fantaisiste se conjugue en règle générale avec
l’absence de rigueur clinique en induisant de manière régulière un engouement pour
toute nouvelle panacée, comme l’histoire nous l’enseigne régulièrement : chirurgiens aux
mains nues, médecins ésotériques, soins faisant appel au naturel ou au surnaturel, au
rituel, à l’interprétation sauvage, à l’adoration, à l’assujettissement, parfois même à l’enrô-
lement.
Il est à noter que toutes ces thérapeutiques suscitant des engouements périodiques
utilisent le toucher ou la parole, parfois les deux, ou se réfèrent à une unité corps-esprit. Un
grand nombre de médecins occidentaux n’interrogent plus, ne parlent plus, n’écoutent
plus, ne touchent plus, ne regardent plus, n’entendent plus, abrités derrière leurs écrans
qui leur révèlent une part restreinte de la réalité au travers des images numériques, des
résultats biologiques, des échelles d’évaluation et des protocoles standardisés. Rien
d’étonnant que cette quête du contact, de la parole et des modèles prétendus holistiques,
augmente de manière proportionnelle à la technicité galopante.
Heureusement, il en est certains qui s’interrogent, n’hésitant pas à reconsidérer leurs
acquis sans mettre au rebut pour autant ce que la faculté leur a enseigné et, sans déroger
à leur fonction initiale de soignant, s’occupent et se préoccupent du sujet.
745
Traité de médecine psychosomatique

In fine, c’est le corps et la personne qui s’autoguérissent, quel que soit le processus, le
biais, le moyen, la technique, l’intervenant. Mais la question d’un phénomène à l’interface
de l’immanence et de la transcendance s’est toujours posée. Elle se pose encore de nos
jours dans le déterminisme de certaines guérisons inexpliquées.

2. ÉTUDE SUR LES ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES


2-1. Introduction
Anamnèse et déterminants trophiques
Les événements trophiques retrouvés dans les observations sont rares. Cette carence
de renseignements a plusieurs causes, certaines inhérentes au patient, d’autres étant tout
simplement de mon fait.
Causes inhérentes au patient
Les sujets consultent quand ils vont mal et non quand ils sont guéris. Par ailleurs,
ils oublient leurs bénédictions et se focalisent sur leurs malédictions. L’insatisfaction,
sous-tendue par l’avidité, nouvelle norme sociale, n’est pas étrangère à l’accentuation du
phénomène.
D’autres patients, malgré tout le bien qu’ils ont pu tirer de la thérapie, évitent le lieu
du crime, celui où ils ont exprimé leur souffrance, celui où ils se sont dévoilés, ainsi que
le thérapeute lui-même, témoin de cette période douloureuse de leur existence, de leurs
failles, de leur intimité la plus profonde.
Lorsqu’un événement trophique a guéri ou transformé le sujet, celui-ci en « oublie »
souvent le rendez-vous suivant. Et c’est compréhensible, les amours de vacances ouvrent
d’autres horizons. Ne remettons pas le couteau dans la plaie.
Causes inhérentes à la situation de soin
Le soin se focalise en premier sur le négatif, le déficitaire, et n’aborde que secondaire-
ment et de manière facultative les ressources du sujet. La psychothérapie s’attarde le plus
souvent sur le verre à moitié vide, objet de la demande, faisant fi trop souvent du verre à
moitié plein.
Causes inhérentes à la prise d’observation
En ce qui concerne mes propres observations, rares sont celles dans lesquelles les
causes de l’amélioration ou de la guérison sont mentionnées. Tout ceci a pour origine
le fait qu’on note scrupuleusement les matériaux venant du patient et certaines inter-
prétations personnelles, mais qu’on oublie de noter ce que l’on a dit, proposé ou suggéré
à celui-là. Trop de confiance en la mémoire de nos propres paroles et actes, négligence,
routine, répétitivité des situations.
Par ailleurs, si je note scrupuleusement dans les observations les facteurs trauma-
tiques, j’oublie de manière presque systématique de mentionner les suggestions que j’ai
formulées au patient, les axes thérapeutiques que j’ai utilisés et, à terme, en relisant le
document, je ne sais plus si l’amélioration est le propre de l’effet intrinsèque de la séance,
ou bien si le sujet, dans les suites de celle-ci, a changé quelque chose dans sa vie. Je sais
toutefois qu’en règle générale les deux processus se conjuguent.
746
Événements trophiques et guérisons spontanées

Étude des observations


320 dossiers ont été traités.
56,5% des dossiers ne comportent qu’une seule séance et sont donc difficilement
exploitables.
Parmi les 43,4% restants, les patients ont été vus entre 2 et 37 fois : 87,5% entre 2 et
9 fois, 15% entre 10 et 15 fois. Le suivi de loin le plus représenté se situe entre de 2 à 10
séances.
Parmi les sujets ayant tiré bénéfice du traitement psychothérapique, les guérisons à
long terme concernent 28,5% des cas, les améliorations transitoires ou à long terme 71,5%
des cas.
Dans 60% des cas, les améliorations ou les guérisons apparaissent entre la première et
la sixième séance, en moyenne vers la troisième.

16
14
12
10
8
6
4
2 Amélioration
0
2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 séances

Nombre total de séances par patient (au-delà d’une et en-deçà de vingt)

Causes générales des améliorations ou des guérisons


Psychothérapie : 83%
Effets conjugués :
––de l’action intrinsèque de la psychothérapie : rementalisation, levée de la répression
et/ou du refoulement, rectification des représentations, des fantasmes, travail sur
la conflictualité et les idéaux, action sur les complexes inconscients, abandon de la
maîtrise, mise au jour des ressources potentielles, etc. ;
––des changements existentiels consécutifs à celle-ci.
Événements contingents extérieurs à la psychothérapie : 17%
2-2. La disparition des facteurs traumatiques
Les facteurs traumatiques inducteurs de pathologie sont le quotidien du
psychosomaticien. Lors de l’anamnèse, leur mise au jour laisse augurer que leur dispari-
tion puisse être une des voies du retour à l’homéostasie.
L’inventaire des facteurs traumatiques permet d’établir une liste similaire d’événements
trophiques dont l’effet réside essentiellement en la disparition des premiers. Il suffit pour
cela d’imaginer ce qui peut, à chaque situation traumatique, en constituer la destitution.
747
Traité de médecine psychosomatique

Deux modalités apparaissent plus ou moins conjuguées : la disparition contingente du


facteur traumatique ou bien son atténuation, voire son élimination par le sujet. Mais,
comme nous allons le voir, les choses ne sont pas aussi simples.
La disparition des facteurs traumatiques peut donc être contingente, fruit du hasard.
Elle peut aussi être le fait d’un désir et d’une dynamique de changement chez le sujet.
Elle est souvent éminemment favorisée par la psychothérapie, soit du fait que celle-ci
redonne l’énergie pour mettre en œuvre le changement souhaité, soit qu’elle propose
de nouvelles représentations de la situation, de nouvelles manières de la vivre ou de s’en
distancier.

Situations traumatiques
Les situations traumatiques (contraintes et situations anxiogènes) mobilisent en
continu le système adaptatif. La disparition de la situation traumatique fait en principe
disparaître ses conséquences délétères ou pathologiques.
™™ L’arrêt de son addiction à internet permettra à Luis de retrouver ses capacités intel-
lectuelles, sa mémoire, sa concentration et son intérêt pour les plaisirs de ce monde.
™™ Le changement de poste de travail d’Hassan mettra un terme à ses insomnies.
™™ La séparation de Romie d’avec son compagnon qui la tyrannisait, atténuera consi-
dérablement sa polyarthrite rhumatoïde.
Mais ces régressions ou ces disparitions de pathologies ne sont pas systématiques,
même lorsque le facteur traumatique s’estompe ou disparaît, car le système défensif qui
avait été mis en branle et sollicité en continu présente une certaine inertie. Lorsque la
situation traumatique s’arrête, le système défensif ne saurait, dans certaines situations,
cesser subitement de fonctionner. C’est ainsi que de nombreux sujets, malgré le soula-
gement immédiat que procure la cessation de la situation traumatique, se retrouvent
démunis, perdus, dépossédés, désorientés, tant ils sont habitués à fonctionner de manière
hyper-adaptée, voire stéréotypée. Ces situations sont bien connues : décompensations
après avoir soigné un proche d’une maladie, recherche inconsciente d’une re-traumati-
sation dans les suites de syndromes psychotraumatiques, somatisation dans les suites de
l’arrêt d’une relation sadomasochiste, désinvestissement subit d’une relation lorsque le
déficit sexuel de l’autre disparaît ou lorsque celui-ci cède à la demande, séparation dans
les suites de la naissance d’un enfant pourtant ardemment souhaité, apparition d’une
dépression lorsque la lutte n’a plus lieu d’être ou lorsqu’un souhait se réalise, etc. Il n’est
pas rare, dans d’autres cas, que la cessation de la situation traumatique, tout en mettant
un terme à la pathologie qui lui était consécutive, induise une nouvelle pathologie diffé-
rente de la première.
™™ Luc, malgré sa libération de l’enfer qu’il avait connu en tant qu’otage durant une
année de captivité, de maltraitance et de menaces, demeure sous tension. Dans ce monde
à nouveau apaisé, dans le confort qu’il redécouvre au milieu des siens, il lui arrive de
s’ennuyer et de regretter l’espace d’un instant l’état de tension extrême que générait la
menace pour sa survie.
748
Événements trophiques et guérisons spontanées

™™ Andréa est tombée enceinte au bout de quatre ans de procréation médicale assis-
tée, dans les semaines qui ont suivi sa perte d’emploi, déplaçant ainsi ses préoccupations
sur un autre objet que l’enfant. La grossesse se passa très mal et les suites de couche furent
marquées par une absence totale d’investissement du bébé.
Ceci étant, dans la plupart des cas, la disparition de la situation traumatique est en
règle générale trophique pour l’homéostasie.

Événements traumatiques
Les événements traumatiques (pertes et agressions) induisent dans leur suite des
remaniements psychiques ou psychosomatiques dont l’atténuation ou la disparition
nécessite du temps, un temps variable, pouvant être très long chez certains sujets. Le
psychisme a été ébranlé dans le caractère fondamental de l’investissement de l’objet,
objet perdu, tout au moins en apparence. Objet éminemment variable d’un sujet à
l’autre : objet d’amour, de relation, d’étayage, d’harmonie, de réparation, d’idéal investi
dans les pertes, sentiment d’existence ou de continuité dans les agressions.
Les séquences douloureuses qui suivent la perte ou l’agression sont inévitables et
nécessaires par leur caractère défensif. C’est le prix à payer pour une potentielle restaura-
tion future. Les événements trophiques extérieurs à la perte ou à l’agression susceptibles
d’en atténuer l’impact ne sont pas légion, mais peut-être plus fréquents qu’il n’y paraît :
telle personne entrant de manière inattendue dans la vie du sujet, dont la présence et
la parole redonnent vie sans pour autant, bien au contraire, dénier la perte subie ; telle
expérience inhabituelle confrontant le sujet à la force de son système défensif, ignorée
jusqu’alors dans les suites d’un syndrome psychotraumatique ; telle prise de conscience
tardive d’un système de fonctionnement délétère, etc. Quelque chose semble exister de
l’ordre de la révélation ou de la contingence, et certainement pas de l’ordre du déni, de
l’annulation ou de la maîtrise. Quelque chose se passe dans les suites d’un deuil qui, loin
de dénier, de réprimer, de mettre à distance celui-ci, s’inspire, au sens littéral du terme,
de l’expérience vécue ou d’une nouvelle forme de présence, bienveillante et discrète, de
l’objet perdu. Sublimation de la douleur, nouvelle relation avec l’objet perdu, dénuée de
toute attente et de tout « travail » au sens commun du terme, surgissement de la vie
derrière le masque de la mort. Il suffit d’être attentif.
La pire des choses consiste donc à entraver ces processus. Se battre, positiver, assumer,
gérer, oublier, « débriefer », « travailler » le deuil, faire bonne figure, rester vainqueur,
obéir, ne rien perdre, ne plus penser, dépenser : poncifs grandiloquents, mots d’ordre,
néologismes soyeux, références obligatoires, gadgets verbaux, dissolvent, depuis plus de
trente ans, la pensée occidentale. Le citoyen a barré la route au sujet. La mort psychique
n’est que l’antichambre soporifique et déniée de la mort biologique.
™™ Alice a soigné son père atteint d’un cancer colique jusqu’au bout. Durant cette
longue et difficile période, elle perdit 10 kg et souffrit quotidiennement de colopathie
spasmodique avec diarrhées fréquentes. Dans les semaines et les mois qui suivirent le
décès, elle fut l’unique soutien de sa mère et de sa sœur. Elle prit 20 kg et développa une
constipation opiniâtre. Elle retrouva son équilibre digestif pondéral et général lorsque,
encouragée par la psychothérapie, elle renonça à être le réparateur de son entourage et
se mit à publier les œuvres manuscrites de son père.
749
Traité de médecine psychosomatique

2-3. Nature et effets des événements trophiques


Cette étude distingue les atténuations ponctuelles des symptômes, leur disparition
totale mais transitoire, et la disparition durable ou définitive de la pathologie.
Atténuation ponctuelle des symptômes
Chez de nombreux sujets, il existe des modalités ponctuelles d’amélioration du
symptôme. Lorsque l’exposition à la situation ou à l’activité trophique cesse, les
symptômes reviennent. Les manifestations pathologiques concernées sont essentielle-
ment des manifestations anxieuses et des pathologies fonctionnelles.
Les situations d’amélioration les plus fréquentes sont :
––les activités sublimatoires : musique, arts plastiques, bricolage ;
™™ Linda, prise dans un double dilemme professionnel et personnel, retrouve sa
sérénité en jouant de l’accordéon.
––les activités physiques : sport, marche, danse, tennis, cheval, travaux agricoles, jardi-
nage, bateau, plongée, etc. ;
––l’immersion dans un ailleurs imaginaire : lecture, musique, cinéma, télévision, ordina-
teur, mots croisés ;
––les exutoires : situations d’excitation, rencontres amicales, sorties ;
––le travail chez certains sujets.
Disparition transitoire des symptômes
Les manifestations pathologiques les plus concernées sont les troubles anxieux.
Puis viennent les troubles dépressifs, la pathologie douloureuse (lombalgies, céphalées,
douleurs diffuses), les troubles des conduites alimentaires, les dermatoses, les maladies
inflammatoires.
La disparition transitoire des symptômes, qui peut être de l’ordre de quelques jours,
quelques semaines, quelques mois, est le plus souvent liée à des changements tempo-
raires de conditions de vie.
Les périodes trophiques correspondent à :
––une prise de distance réelle par rapport aux facteurs traumatiques : prise de distance
sans rupture totale avec l’objet (juste distance) ;
™™ L’eczéma d’Irina, apparu depuis son mariage, a totalement régressé pendant six
mois lorsque son mari militaire est parti en mission.
™™ La maladie de Crohn de Bénédicte s’effacera durant les quatre mois où elle se
séparera de son mari pour vivre seule dans un appartement.
™™ Les crises de boulimie de Samantha ont quasiment disparu depuis qu’elle a
supprimé la télévision.
––vacances, surtout lorsqu’il existe une immersion dans les éléments naturels :
campagne, mer, montagne, soleil, hiver ;
™™ Les douleurs de Delphine disparaissent comme par enchantement lorsqu’elle part
en voyage.
™™ Maïté souffre de fibromyalgie depuis plusieurs années. Elle vit une situation diffi-
cile avec un compagnon qui la sollicite et la rejette selon son humeur. Rien n’y fait. Ce
750
Événements trophiques et guérisons spontanées

n’est que lors d’un séjour de quinze jours en vacances où elle a fait du bateau, pratiqué la
plongée, que ses douleurs disparaîtront totalement. Mais elle renoncera à réitérer l’expé-
rience, son cardiologue ayant contre-indiqué la plongée.
™™ Les céphalées de Cerise, 9 ans, disparaissent chaque vacance scolaire. Il ne faut pas
être grand clerc pour deviner le rôle que jouent les auto-contraintes liées à la scolarisation
chez cette petite fille particulièrement rigoureuse, auto-exigeante et perfectionniste.
––État amoureux ;

™™ Chaque fois que Bérénice est amoureuse, ses crises de boulimie disparaissent.
––réussite universitaire ou professionnelle, projet professionnel, formation ;
––arrêt de travail, nouvelle activité professionnelle ;
™™ La rectocolite de Carole-Anne était apparue dans un contexte de tension lié à un
conflit entre son père et son conjoint. Une première accalmie apparut lorsque le couple
décida de ne plus travailler dans l’entreprise familiale. Carole-Anne trouva un emploi et la
maladie disparut pendant trois ans. Une mise au placard entraîna une rechute. Elle trouva
un nouvel emploi et la pathologie s’atténua à nouveau.
––grossesse ;
™™ Charlotte a vu son psoriasis disparaître à chaque grossesse.
Ces périodes transitoires d’amélioration ou de disparition de la pathologie sont
source de renseignements fondamentaux concernant la nature et les déterminants
psychosomatiques de la pathologie.

Disparition durable ou définitive de la pathologie


Les pathologies concernées sont diverses et variées : pathologie anxieuse ou dépres-
sive, pathologies spasmodiques viscérales, pathologies infectieuses récidivantes, patho-
logie inflammatoire rhumatologique ou viscérale, pathologies douloureuses, pathologies
allergiques, migraines, dermatoses, épilepsie, acouphènes, vaginisme, infertilité, etc.
Les événements trophiques se retrouvent dans la plupart des secteurs existentiels.
Vie personnelle
––Nouvelle relation amoureuse.
––Séparation.
™™ Le psoriasis de Jack (cité p. 435 et 623) a disparu définitivement depuis sa
rencontre avec sa future épouse.
™™ La spasmophilie de Janet a disparu depuis qu’elle s’est séparée de son compagnon.
™™ Le vaginisme de Louison a disparu dès sa nouvelle relation.
Famille
––Disparition de sources de discorde familiale, retrouvailles.
––Prise de distance.
™™ La polyarthrite d’Héléna, 50 ans, déjà citée p. 534, disparaîtra sous l’effet de la
psychothérapie et du retour de son fils qui vivait depuis plusieurs années à l’étranger.
751
Traité de médecine psychosomatique

Profession
––Nouvelle activité professionnelle.
––Diminution de la pression professionnelle.
™™ La dépression de Franck a totalement disparu depuis un changement de poste de
travail.
Événements matériels
––Déménagement, vente de la maison, etc.
™™ Les acouphènes de Zohra, qui la persécutaient depuis six ans (observation p. 607),
disparurent en l’espace de deux séances sous l’effet de la psychothérapie et d’un déména-
gement à distance de sa famille qui exerçait une emprise incessante sur elle.
Arrêt d’une addiction
––Internet, TV, cannabis.
™™ Les angoisses de Lysiane disparaîtront après l’arrêt du cannabis, celles de Virginia
après l’arrêt d’internet.
Grossesse
™™ La polyarthrite de Jacqueline (cf. p. 298 et p. 534) disparaîtra lors de son unique
grossesse à l’âge de 25 ans. Elle réapparaîtra avec une intensité redoublée tout de suite
après la césarienne. La polyarthrite continuera d’évoluer jusqu’à l’âge de 39 ans, et dispa-
raîtra définitivement sous l’effet d’une intervention pour hydarthrose du genou.

2-4. Synthèse
Les disparitions transitoires, durables ou définitives de la pathologie, liées à un change-
ment existentiel, induit ou non par la psychothérapie, sont liées à :
––une prise de distance par rapport à l’objet traumatique : 45% des cas ;
––l’investissement d’un nouvel objet : 55% des cas.

Prise de distance par rapport


à l’objet traumatique : 45%

Investissement d’un nouvel objet : 55%

Événement trophique et relation d’objet

Prise de distance par rapport à l’objet traumatique (45%)


––Travail (18%) : arrêt transitoire ou définitif d’un travail persécuteur, vacances.
––Conjoint (29%) : prise d’une juste distance, séparation.
752
Événements trophiques et guérisons spontanées

––Famille (6%) : guérison d’un être cher, départ d’un membre de la famille persécuteur,
séjour à l’étranger.
––Changement de lieu de résidence (18%).
––Arrêt d’une addiction (29%).
Prise de distance par rapport à l’objet traumatique

Arrêt d’un travail persécuteur :


18%

Prise de distance par rapport


au conjoint : 29%

Prise de distance par rapport


à la famille : 6%

Changement de lieu de vie : 18%

Arrêt addiction : 29%

Guérison d’une maladie : 5%

Prise de distance par rapport à l’objet traumatique

Investissement d’un nouvel objet (55%)


––Relation amoureuse (40%).
––Nouvel investissement professionnel (32%) : travail investi, reconnaissance profes-
sionnelle, projet professionnel.
––Grossesse (16%).
––Autres (8%) : activité sublimatoire, projet personnel, événement familial trophique,
retrouvailles, arrivée d’un enfant. Investissement d’un nouvel objet

Amour : 40%

Nouveau travail : 32%

Grossesse : 16%

Autres : 8%

Investissement d’un nouvel objet

Certains événements conjuguent les deux processus : prise de distance par rapport à
l’objet traumatique et investissement simultané d’un nouvel objet.
Le phénomène est classique dans les infertilités psychogènes qui cessent dans les suites
d’une adoption, dans les déboires de la vie professionnelle (nouveau travail investi et arrêt
d’un travail persécuteur) ou amoureuse (séparation suivie d’une nouvelle rencontre).
Dans ces situations, c’est le nouvel investissement d’objet qui permet la distanciation
d’avec l’objet persécuteur.
Ainsi, l’investissement le plus souvent massif d’un nouvel objet constitue la part la plus
importante des événements trophiques.
753
Traité de médecine psychosomatique

Événements traumatiques et guérisons


Est-ce à dire que tous les événements concernés, trophiques à plus ou moins long
terme, sont des événements heureux ? Pour la plupart d’entre eux, oui. Mais seulement
pour la plupart car des événements déstabilisants, douloureux, traumatiques, anxio-
gènes, dont le sujet se serait bien passé, s’accompagnent d’une restauration parfois
spectaculaire de l’homéostasie. Notre fin de civilisation qui ânonne et prône le risque
zéro, la maîtrise en toute chose, le bien-être, le culte du corps et de l’équilibre béat, le salut
par la prévention, l’assouvissement de tout besoin et le rejet de toute souffrance, de tout
obstacle, l’a de toute évidence oublié.
Rappelons-lui que bon nombre de sujets, au décours d’une épreuve douloureuse,
découvrent parfois une nouvelle raison de vivre, que d’autres considèrent certaines
pertes comme des catastrophes alors qu’elles s’avéreront à terme éminemment salva-
trices, que le manque n’a rien à voir avec le besoin, que la demande n’a rien à voir avec le
désir, que l’avidité conditionne la frustration, que la contrainte n’est pas toujours délétère
et que, surtout, le sujet humain est divisé, structurellement divisé, à telle enseigne que ce
qu’il croit vouloir est parfois l’inverse de ce qu’il désire. Méfions-nous des catalogues de
bonnes pratiques et des références obligatoires pour l’existence, ainsi que des recomman-
dations des divers ministères du bonheur.
™™ Jeanne, qui présentait une infertilité inexpliquée, est tombée enceinte quinze jours
après le décès brutal de son père, auquel elle était très attachée. Le traumatisme indui-
sit un déplacement des affects et des préoccupations. La douleur induite par la perte
remplaça la fixation obsédante sur une maternité à venir. Il s’ensuivit une désinhibition
des processus physiologiques qui étaient bloqués par l’acharnement à concevoir. Il n’en
reste pas moins qu’elle souffre et souffrira encore de la perte de son père.
™™ Si Jean-Pierre a connu les affres de l’amputation dans les suites d’un accident dans
son atelier, il a pu devenir formateur auprès des apprentis, a écrit des livres, et a vu dispa-
raître son eczéma.
Loin de nous l’apologie de l’épreuve que quelques siècles auraient – dit-on – instaurée
comme monnaie d’échange inconditionnelle pour le salut. Mais loin de nous aussi l’idée
que la soumission à l’idéologie de maîtrise bien pensante et référencée puisse garantir la
santé.

3. DE QUELQUES PATHOLOGIES SOMATIQUES


3-1. Maladies ayant fait l’objet d’études personnelles
Ce sont les pathologies présentées dans la troisième partie de ce livre.

Pathologies allergiques
Les pathologies qualifiées d’allergiques – eczéma, asthme, urticaire, coryza spasmo-
dique – comportent dans leur déterminisme, en dehors des facteurs classiques génétiques,
allergéniques, climatiques, un déterminant psychosomatique central, comme en atteste
la vicariance de la pathologie, rythmée très souvent par des facteurs existentiels. J’ai
proposé le terme de relation de la juste distance pour qualifier la modalité préférentielle
de relation d’objet chez le sujet allergique. En effet, dans ces pathologies, le déclenche-
754
Événements trophiques et guérisons spontanées

ment des périodes d’allergie est rythmé par des changements d’ordre existentiel faisant
varier la distance réelle et/ou imaginaire entre le sujet et l’objet. De manière schématique,
l’allergie se déclenche soit lorsque l’objet est trop éloigné du sujet, induisant une angoisse
ou un vécu de séparation, soit inversement lorsque ce même objet est trop proche du
sujet, induisant un vécu de perte de liberté et d’identité, d’étouffement, d’emprisonne-
ment, de phagocytose.
La disparition transitoire ou définitive de la pathologie est le fait d’une régulation par
le sujet de cette juste distance. Ni trop près, ni trop loin. Il appartient au sujet d’être
seul maître du curseur qui l’instaure. C’est ainsi que la prise de distance réelle ou imagi-
naire avec l’objet peut faire disparaître la pathologie, tout comme le rapprochement avec
celui-là lorsque la distance est trop grande.
™™ Valérie, déjà citée p. 449, verra son coryza spasmodique et son eczéma disparaître
le jour où sa mutation professionnelle lui permettra de vivre ni trop près, ni trop loin de
sa famille.
™™ L’asthme de Johann (cité p. 506) disparaîtra à l’âge de 14 ans sous l’effet de trois
facteurs conjugués : il découvre le sport, tombe amoureux et subit dans la foulée une
appendicectomie qui mettra un terme à une forte angoisse de castration.
Dans l’urticaire, nous avons vu que les contraintes qui en constituent le déterminant
traumatique princeps réactivaient chez certains sujets un fantasme masochiste. La dispa-
rition de ces deux déterminants conjugués met en règle générale un terme aux crises.
™™ La disparition du fantasme masochiste d’Olivia, déjà citée p. 453, mettra un terme
à ses crises d’urticaire.
™™ Il en fut de même pour Paule (p. 454), dont l’urticaire disparaîtra en même temps
que le fantasme masochiste et son changement d’activité professionnelle qui entretenait
ce dernier.

Maladies gynécologiques
Lorsque la guérison du vaginisme survient, c’est en règle générale dans les suites de la
séparation d’avec le partenaire, le plus souvent induite par la rencontre d’un nouvel élu.
La disparition du symptôme s’accompagne parfois d’un déplacement du symptôme.
™™ Une de mes patientes, ayant présenté un vaginisme primitif total durant sa longue
relation avec un jeune homme qui lui était très attaché, vit sa pathologie disparaître
lorsqu’elle eut une relation avec un autre homme, ce qui se solda par la rupture de sa
première union. Elle revint me voir cinq ans après. La sexualité avec son nouveau compa-
gnon était optimale, mais voilà qu’elle présentait une infertilité psychogène qui avait
résisté à tous les protocoles de procréation médicale assistée.
Ce phénomène de déplacement est monnaie courante en psychosomatique, et pas
seulement dans la conversion ou les somatisations fonctionnelles. En ce sens, certains
événements d’apparence trophique ne font que déplacer la pathologie et il est primordial
de tenir compte de ce phénomène très fréquent. Ici, il s’agit de déplacement mais, dans
d’autres cas, la disparition de la pathologie peut se solder par l’apparition d’une patholo-
gie plus grave du fait d’un phénomène de régression ou, pire, de désorganisation.
755
Traité de médecine psychosomatique

Différent est le problème des vulvovaginites chroniques ou récidivantes. Il s’agit ici


d’une pathologie de la répression de l’affect.
™™ La séparation d’avec son conjoint, trop empressé d’un point de vue génésique, fera
disparaître les vulvovaginites de Jade (p. 411), au prix bien sûr d’une période transitoire
de tourment.
Le recouvrement spontané de la fertilité dans les infertilités inexpliquées est lié soit à
la psychothérapie, soit à des événements inattendus qui déplacent les investissements
et génèrent en règle générale un décentrement de l’activité de maîtrise. Ce fut le cas de
Jeanne (p. 754), qui tomba enceinte dans les suites immédiates du décès de son père.
™™ C’est aussi le cas de Valérie, déjà citée p. 449 et p. 755, dont l’allergie avait disparu
dans les suites de sa mutation professionnelle dans une ville à la juste distance du domicile
familial. Elle présentait aussi une infertilité inexpliquée. Celle-ci disparaîtra spontanément
à 43 ans dans les suites du décès de sa sœur, modèle féminin idéalisé dans la famille.
Peut-on parler d’événements trophiques lorsqu’il s’agit de décès ? Certainement pas.
Mais tout ceci interroge. Chez Jeanne, citée p. 754, il s’agit d’un processus de décentra-
tion et de déplacement. Quant au décès de la sœur de Valérie (p. 449 et p. 755), il induit
une réorganisation des rôles dévolus à chacun, autorisant celle-ci à concevoir. Ces explica-
tions d’un point de vue psychosomatique n’excluent en rien d’autres hypothèses. Le décès
d’un être cher est toujours suivi de remaniements intérieurs, souvent difficilement expli-
cables tant d’un point de vue psychologique que psychosomatique. Une part de mystère
demeure. Une part de l’objet perdu dans la réalité vit et agit au plus profond du sujet.
Heureusement, la majorité des événements inducteurs d’une maternité inatten-
due chez des femmes présentant une infertilité inexpliquée ne sont pas aussi doulou-
reux. L’adoption d’un enfant, c’est bien connu, s’accompagne souvent d’une émergence
inattendue de la fécondité, par déplacement des investissements mais aussi, là encore,
peut-être par le biais de mécanismes plus difficilement interprétables. Dans les poulail-
lers, pour faciliter la reproduction des poules, les paysans plaçaient dans le nid un œuf en
plâtre. Et cela marchait.
Le domaine des infertilités inexpliquées est par ailleurs particulièrement riche d’ensei-
gnement en ce qui concerne le décalage, si ce n’est l’antinomie, qui peut exister chez
certaines patientes entre la demande et le désir inconscient. C’est ainsi que des grossesses
tant attendues, pour lesquelles le parcours de procréation médicale assistée a été parfois
aussi invraisemblable que douloureux, peuvent, lorsqu’elles aboutissent, induire des
effets paradoxaux : dépression, rejet inconscient de l’enfant, divorce. Peut-on encore une
fois parler d’événements trophiques ?
Dermatoses
Rappelons de manière synoptique les événements trophiques générant la dispari-
tion de certains psoriasis : rementalisation, dépression mentale, décharge pulsionnelle,
annulation du vécu traumatique inaugural (grossesse, liaison sécurisante), castrations
somatiques partielles (péritonite, amygdalectomie), changement radical de mode de vie.
Nous avons insisté sur le fait que l’événement trophique doit être, au niveau de son
impact psychique, quantitativement aussi important que celui du traumatisme inaugu-
ral, et que sa signification profonde pour le sujet doit être l’inverse de celui-là.
756
Événements trophiques et guérisons spontanées

™™ L’observation de Monica (p. 455), dont le vitiligo était apparu dans les suites d’un
drame familial, illustre le fait qu’un simple événement psychique, un rêve en l’occurrence,
induit ici par la psychothérapie, peut constituer un facteur trophique de rémission.
Maladies inflammatoires intestinales
La rectocolite ulcérohémorragique apparaît lors de vécus traumatiques au cours
desquels l’agressivité du sujet est réprimée et l’activité de maîtrise, particulièrement
prononcée chez ces sujets, mise à mal. Les poussées évolutives seront toujours déclen-
chées par des vécus traumatiques similaires aisément repérables, et les phases de rémis-
sion par des vécus trophiques restaurant l’activité de maîtrise lorsque l’obstacle se lève,
ou bien lorsque les investissements se déplacent.
™™ La rectocolite de Paloma (p. 489) a cessé à partir du moment où elle s’est engagée
dans un protocole de procréation médicale assistée. La situation de maîtrise, de lutte et
de programmation avec sentiment d’issue possible constituait le déterminant central de
cette rémission.
Le déclenchement des poussées de maladie de Crohn est souvent contemporain
d’une relation massivement investie au départ puis désinvestie tout aussi rapidement.
Les rémissions transitoires, chez la plupart des sujets, surgissent le plus souvent lorsque la
relation devenue persécutrice s’arrête.
™™ C’est le cas de Patrick (p. 496) dont la maladie de Crohn entra en rémission transi-
toire lors du début de sa vie active et l’éloignement de la maison familiale. C’est aussi
le cas de Valériane (p. 494) dont les symptômes diminuaient lorsqu’elle arrivait à se
détacher de son amant. C’est enfin le cas de Pema (p. 495) dont les rémissions ont été
successivement contemporaines de l’apparition d’une dépression, puis de la séparation
d’avec le père de son fils.
Maladies auto-immunes
Chez les polyarthritiques, la répression de l’affect agressif est intense et les vécus de
séparation particulièrement traumatiques.
™™ Nous avons évoqué plus haut le cas de Jacqueline (p. 298, 534 et 752) dont la
polyarthrite disparut transitoirement pendant sa grossesse, puis de manière définitive
dans les suites d’une intervention pour hydarthrose du genou, et celui d’Héléna (p. 534),
considérablement atténuée dans les suites du retour de son fils.
Certaines pathologies inflammatoires, induites comme il se doit par la répression de
l’affect agressif, peuvent disparaître sous l’effet d’une levée brutale de celle-ci. Mais il y a
lieu, ici aussi, à rester vigilant, car certains déplacements morbides peuvent surgir.
™™ À 48 ans, Régine développe un rhumatisme psoriasique. La relation qu’elle a avec
les autres est particulière, faite de soumission mais aussi de rancœur avec une connota-
tion interprétative. Elle est soumise à son dentiste, qui la fait souffrir, à son patron qui la
persécute, à son compagnon qui la tyrannise. Au bout de quelques séances, je suggère
à Régine de tenter de moins se soumettre et de tordre un peu le cou à la culpabilité
foncière qui lui fait tout accepter contre son gré. Dont acte. Elle surgit à la séance suivante
transformée et victorieuse, et m’annonce qu’elle a réglé dans la foulée le problème du
757
Traité de médecine psychosomatique

dentiste et de son patron. Son psoriasis et ses douleurs ont considérablement diminué. Je
suis satisfait d’un changement aussi rapide, mais quelque peu inquiet de la tournure que
prennent les événements. Elle est de toute évidence un peu hypomaniaque. À la séance
suivante, elle m’annonce qu’elle vient de quitter son copain et de changer de voiture.
Disparition du rhumatisme psoriasique mais surgissement d’une hyperthyroïdie.
Lors de la création du diplôme universitaire de psychosomatique à la faculté, il y a sept
ans, encouragé par un de mes anciens maîtres des plus éminents, je faisais part à celui-ci
des résultats thérapeutiques que permettait d’obtenir chez certains sujets ladite approche
psychosomatique. Et je citais le cas du lupus de Christine (p. 195, p. 534) pour lequel
j’avais obtenu une guérison totale dix ans auparavant. Ce grand patron, que j’ai toujours
particulièrement estimé, fronça les sourcils : « Pongy, ce n’est pas sérieux, vous savez très
bien que le lupus est inguérissable. » Je comprenais sa position et, commençant à douter,
contactai la patiente en question. Elle me confirma la disparition de toute manifestation
de lupus, clinique et biologique, alors qu’elle avait été littéralement condamnée par tous
les médecins dix ans auparavant. Lors du séminaire consacré aux maladies auto-immunes,
je présentai avec son accord un nouveau témoignage vidéo de la patiente, dix-sept ans
après la disparition de son lupus. Elle n’avait toujours aucun signe clinique témoignant
de la persistance de l’affection et les examens biologiques attestant de la présence et de
l’évolutivité de la maladie étaient devenus strictement normaux.

3-2. Facteurs trophiques et cancers


Le terme guérison spontanée n’est pas utilisé en ce qui concerne les cancers. Les
médecins utilisent celui de rémission spontanée, parfois celui de rémission inattendue ou
improbable, ou encore celui de régression spontanée. Régression ou rémission spontanées
correspondent à la disparition partielle ou totale de la tumeur, primitive ou métasta-
tique, en l’absence de traitement anticancéreux ou du fait d’une thérapeutique considé-
rée comme inadéquate pour exercer un effet sur la maladie. De manière synoptique, les
auteurs distinguent trois cas de figure : la régression totale du cancer avec confirmation
histologique et clinique, la régression totale des métastases, les survies anormalement
prolongées avec persistance de la tumeur.
Des rémissions ou régressions spontanées ont été signalées dans presque tous les types
de cancers. Les plus représentés sont le neuroblastome de l’enfant, le cancer du rein, celui
de la vessie, le choriocarcinome, le mélanome, certaines sarcomes des tissus mous. Puis
viennent avec une moindre fréquence le cancer de l’os, du sein, de l’ovaire, de l’utérus, du
testicule, du colon, du rectum, de l’estomac, les leucémies, les lymphomes. Et beaucoup
plus rarement le cancer du larynx, du foie, du poumon, du pancréas, de la thyroïde, de
la langue.
Chaque année, vingt nouveaux cas de rémissions inespérées sont publiés. La guérison
spontanée de cancer métastasé ne surviendrait quant à elle que dans un cas sur 100 000.
Mais les recherches en la matière sont quasi inexistantes. Le plus souvent, les médecins
confrontés à ce type de phénomène ne cherchent pas trop à en connaître les causes, plus
particulièrement celles qui sont alléguées par les patients.
758
Événements trophiques et guérisons spontanées

Les explications médicales


Les articles publiés de rémissions ou de régressions spontanées concernent des involu-
tions de cancers particulièrement avancés tant d’un point de vue clinique qu’anatomo-
pathologique, à telle enseigne que les patients concernés étaient considérés comme
condamnés par les médecins qui les traitaient. Les textes publiés en 1976 par le Natio-
nal Institute of Cancer après la conférence de Baltimore et la monographie publiée
sous l’impulsion de Caryle Hirshberg en 1993, réunissant les différentes publications
antérieures à ces dates, font part de cas particulièrement désespérés.
Dans l’ensemble des articles, la prudence est de règle au niveau de l’interprétation du
phénomène. L’immense majorité des cas présentés sont parfaitement renseignés d’un
point de vue clinique et anatomopathologique et les conclusions se limitent soit à des
constatations, soit à la mise en avant de processus assez récurrents parmi lesquels et de
manière décroissante figurent : l’infection, les facteurs immunitaires, les facteurs endocri-
niens, la suppression de l’agent cancérigène, la nécrose ischémique, les traumatismes
chirurgicaux, les facteurs psychiques et émotionnels, la nutrition, et plus récemment les
facteurs génétiques.
L’infection
Au début du xxe siècle, l’infection est la cause la plus souvent invoquée. La régression
de la pathologie est attribuée initialement à la fièvre et, plus tard, à la stimulation du
système immunitaire par l’hôte indésirable. Les infections les plus représentées dans les
publications sont l’érysipèle, la tuberculose, la pneumonie, puis, à partir des années 1950,
les infections virales.
L’hypothèse actuelle proposée par Claude Perreault est pertinente : les cellules cancé-
reuses seraient incapables de se défendre contre certains virus du fait de leur déficit en
interféron. La guérison pourrait donc être imputable à une infection virale.
Les facteurs immunitaires
Leur incidence n’a cessé d’être évoquée de manière croissante au fil du siècle dernier.
La progression des connaissances en immunologie a mis en avant le facteur immunitaire
comme facteur princeps.
En temps normal, le système immunitaire supprime 75% des cellules cancéreuses,
ce qui explique que certaines tumeurs cancéreuses infracliniques puissent régresser ou
disparaître spontanément.
Une approche expérimentale de Claude Perreault confirme l’hypothèse immuni-
taire. Les cellules cancéreuses possèdent des peptides qui leur sont propres. En plaçant
des lymphocytes T au contact de ces peptides, ils apprennent à reconnaître les cellules
tumorales et les suppriment si on les réimplante dans l’organisme de l’animal.
Les facteurs endocriniens
Ils interviennent dans certains cancers. Les constatations initiales de régressions ont
été effectuées dans les suites de ménopause artificielle ou dans le contexte puerpéral.
La nutrition
Alléguée comme simple cofacteur dans la première partie du xxe siècle, elle est consi-
dérée depuis quelques décennies, et notamment du fait de l’évolution de l’alimenta-
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Traité de médecine psychosomatique

tion, comme facteur important de prévention et de traitement. Elle est parfois l’objet
d’extrapolations et de dérives.
Les traumatismes chirurgicaux
Ils ne sont plus guère évoqués à l’heure actuelle mais ont été mis en exergue dans la
première moitié du siècle dernier.
La suppression de l’agent cancérigène
Cette cause est toujours de mise et certainement plus que jamais du fait du développe-
ment massif de la médecine préventive. Elle doit être relativisée, quand on connaît l’exis-
tence de cancers déclenchés notamment dans les suites de l’arrêt de certaines addictions.
La nécrobiose
Certains cancers (sein, utérus) évoluent vers une nécrobiose. Initialement, seule la
nécrose ischémique était évoquée. Actuellement, d’autres mécanismes sont envisagés :
rôle des cytokines, cause hormonale, apoptose.
Hypothèses génétiques
Relativement occultés avant les années 60, les facteurs génétiques sont de plus en plus
avancés. À partir d’une étude réalisée en 2009, Olivier Delattre propose une hypothèse
particulière : les cancers dans lesquels les chromosomes ne présentent pas de cassure,
régressent. Ces régressions se voient notamment dans le neuroblastome de l’enfant.

Les facteurs psychiques et émotionnels


Dans l’ensemble des publications antérieures à 1993, les facteurs psychiques et émotion-
nels sont beaucoup plus rarement évoqués et uniquement par certains auteurs ayant une
approche psychothérapique, notamment Iremi, Weinstock, Spiegel, Meares. Malheureu-
sement les apports de la psychosomatique, et plus particulièrement ceux de Pierre Marty
et de l’École de Paris, sont le plus souvent ignorés. Les principales approches prenant en
compte le déterminisme psychique des régressions et des rémissions soulignent l’impact
des événements trophiques, évoquent certains comportements défensifs, ou bien font
référence à des techniques psychothérapiques ayant fait l’objet d’un engouement parti-
culier.
Les événements trophiques
Les principaux sont les suivants :
––foi ou conversion religieuse (Iremi, Nakagawa, Mineyasu, 1975 ; Weinstock, 1977) ;
––changement d’environnement humain (Iremi, Nakagawa, Mineyasu, 1975) ;
––mariage, naissance d’un petit enfant, écriture d’un livre, décès d’un conjoint maltrai-
tant, arrêt d’une relation délétère, réconciliation familiale, déblocage d’une carrière
(Weinstock, 1977), exercice physique, redécouverte de nouveaux plaisirs, etc. ;
En 1983, Weinstock, à propos de 18 régressions de cancers, repère un changement
psychosocial favorable dans les 1 à 8 semaines précédant la diminution tumorale.
Les réactions trophiques
L’enquête anamnestique de C. Hirshberg auprès de femmes ayant guéri d’un cancer
du sein révèle des attitudes défensives récurrentes vis-à-vis de leur maladie : déni du
caractère potentiellement mortel de la maladie, refus des pronostics médicaux catas-
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Événements trophiques et guérisons spontanées

trophiques, créativité dans la recherche de solutions alternatives, recouvrement d’un


fonctionnement psychique en accord avec les désirs et les besoins, refus de la soumission,
de l’abdication, espoir et espérance. Ces réactions n’ont rien à voir avec le combat coura-
geux orchestré évoqué au chapitre 23 (p. 660), trop souvent pourvoyeur d’un fonction-
nement opératoire visant à ne pas penser, pas plus qu’avec les défenses régies par l’idéal
du moi. Il s’agit plutôt d’un refus d’adhésion soumise aux modèles dogmatiques et de
tentatives de rementalisation.
La corrélation avec la dépression suscite par contre des avis divergents. Dans la
plupart des cas présentés, la dépression serait un facteur de mauvais pronostic. Or, la
psychosomatique nous enseigne que c’est loin d’être systématique et que, parfois, c’est le
contraire. Comment s’y retrouver ? J’ai avancé plus haut, au chapitre sur les réactions à la
maladie (p. 666), que seule une distinction entre les deux syndromes de la dépression
(altération de l’humeur et émoussement des fonctions) pouvait permettre de clarifier le
débat. Une dépression suffisamment mentalisée et productrice d’affects a très certaine-
ment un effet trophique. Inversement, une dépression caractérisée par une abrasion des
fonctions psychiques constitue un facteur péjoratif puisqu’elle atteste d’un mouvement
contre-évolutif.
La dimension psychosomatique des cancers a été plus l’objet d’élucubrations contra-
dictoires que d’études sérieusement étayées. Certaines font toutefois référence, par leur
rigueur et leur pertinence. Il y a bien sûr celle de P. Marty, réalisée en 1990 avec C. Jasmin
et M. Lé, et aussi celle D. Spiegel (La psychothérapie peut-elle retarder la mort chez les
patients atteints de cancer ? ). Lors de notre séminaire Approches psychosomatiques en
gynécologie obstétrique, en 2006, Robert Babeau en a présenté une synthèse synoptique
en l’enrichissant de l’analyse de certaines observations que je lui avais confiées. Il ressortait
de ces trois sources que certains facteurs psychosomatiques constituaient des éléments
délétères susceptibles d’intervenir dans la genèse et l’évolution fâcheuse de ces tumeurs
cancéreuses :
––deuil récent non élaboré, parfois précédé d’un deuil beaucoup plus ancien ;
––réaction traumatique à type de suspension de l’activité préconsciente générant une
mentalisation déficitaire plus particulièrement dans le secteur du deuil ;
––répression des émotions et des affects ;
––activité défensive orchestrée par le moi idéal de toute puissance narcissique.
Dans l’étude de Pierre Marty, il est apparu que les tumeurs mammaires des femmes
dotées de bonnes capacités de mentalisation étaient des tumeurs bénignes. Quant
à D. Spiegel, il a démontré qu’un suivi psychothérapique (auto-hypnose, thérapie de
groupe, expression des sentiments et des émotions, autonomisation, etc.) prolongeait
la survie des femmes atteintes du cancer du sein de vingt-sept mois en moyenne par
rapport au groupe témoin.
Les facteurs trophiques de rémission semblent, au vu de l’ensemble de ces études, être
les suivants :
––relance des activités de mentalisation ;
––levée de la répression des émotions et des affects. Les émotions de base, les émotions
composites, ainsi que l’humeur (« émotions d’arrière-plan » de Damasio), inter-
viennent dans la régulation biologique, maintiennent l’homéostasie et participent à
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Traité de médecine psychosomatique

la vie et à la survie de l’organisme. L’apprentissage, la culture, la répression, portent


atteinte aux émotions ;
––modération de l’activité du moi idéal.
Ces principes thérapeutiques ne sont pas en contradiction avec les données issues
de l’enquête de C. Hirshberg. Les réactions défensives des patients guéris ou en rémis-
sion tendent vers une meilleure mentalisation, une levée de la répression émotionnelle,
un moindre assujettissement au moi idéal. Ces réactions autothérapeutiques s’étayent
souvent sur des pratiques diverses : méditation intensive et régulière (Meares), relaxa-
tion, auto-hypnose, visualisation (Simonton), bio-feedback, accès à des représentations
régressives.
L’enquête de C. Hirshberg est surtout centrée sur les allégations des patients, domaine
dénié le plus souvent par la médecine officielle. Les causes le plus souvent invoquées par
ceux-ci sont les suivantes :
––changement existentiel : recouvrement d’une autonomie, d’un mode de vie plus
enrichissant, découverte d’une nouvelle raison de vivre, relation amoureuse, lien
profond et réciproque avec les autres ;
––changement intérieur : immersion dans la joie, prise en compte par le sujet de ses
désirs profonds et changements existentiels en accord avec ceux-ci, pratique spirituelle ;
––modification des représentations : modification des croyances, acceptation du
diagnostic mais refus du pronostic.
Le mécanisme de rémission procède probablement, dans l’état actuel des connais-
sances, d’une stimulation immunitaire ou neuroendocrinienne. Mais rien ne permet
d’exclure d’autres hypothèses.
En ce qui me concerne, je n’ai aucun autre élément théorico-clinique personnel à
apporter. Les patients que j’ai reçus au cabinet étaient le plus souvent en cours de traite-
ment, et le bouleversement existentiel qu’ils traversaient se prêtait plus à un soutien, à
une contenance, qu’à une investigation sur les pourquoi et comment de leur maladie,
d’autant que le suivi psychothérapique était souvent interrompu, si ce n’est arrêté par les
péripéties de l’évolution, les thérapeutiques et les multiples intervenants.

3-3. Conclusion
Je n’ai évoqué qu’un nombre restreint de pathologies, essentiellement celles pour
lesquelles j’ai effectué des études approfondies.
La littérature signale de nombreux cas de rémissions ou de guérisons inattendues. Les
causes invoquées sont disparates, mais il est souvent fait référence à des axes thérapeu-
tiques dans lesquels le fonctionnement psychique constitue le médiateur central.
L’effet placebo a été repéré dans de nombreuses pathologies telles que : angine de
poitrine, polyarthrite rhumatoïde, verrues, asthme, ulcère, sclérose en plaques, diabète,
allergies, migraines, troubles psychiatriques. L’hypnose a permis de guérir des brûlures,
certains cas d’asthme, les verrues, la déperdition sanguine dans les suites d’interventions
chirurgicales. Les pratiques spirituelles améliorent la cicatrisation.
Mais on ne saurait conseiller un axe, voire un panel thérapeutique applicables à tous
les patients. La voie thérapeutique, qu’elle soit choisie par le sujet ou proposée par le
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Événements trophiques et guérisons spontanées

praticien, a d’autant plus de chance de s’avérer trophique qu’elle est en congruence avec
le sujet, son inconscient, son histoire, son système instinctivo-pulsionnel, son système
défensif, ses ressources cachées. Sans la connaissance de ces éléments fondamentaux,
l’aventure est beaucoup plus risquée.
Comme nous l’avons vu, les événements trophiques peuvent mettre un terme à
certaines pathologies. Certains n’ont de trophique que le nom puisqu’il s’agit d’évé-
nements douloureux. D’autres ne font que créer du déplacement ou des alternances
morbides. Enfin, la disparition d’une pathologie ne doit pas induire une satisfaction
inconditionnelle chez le thérapeute. Celui-ci doit rester plus que vigilant, car les surprises
fâcheuses ne sont pas rares : de nombreuses pathologies régressives constituent des
garde-fous contre des désorganisations qui peuvent être beaucoup plus graves d’un point
de vue somatique.

4. DE QUELQUES FACTEURS TROPHIQUES


4-1. La joie
Nous avons vu au premier chapitre de ce livre (p. 79) que, parmi les six émotions de
base, seule la joie induisait spontanément des modifications trophiques pour l’homéos-
tasie. Elle a le pouvoir d’annuler les effets physiologiques délétères induits par la répres-
sion des quatre émotions à connotation négative (peur, colère, tristesse, dégoût). Mais
peut-elle faire régresser ou disparaître des états pathologiques instaurés ?
Par définition, la joie est une émotion, sa durée est donc limitée à quelques heures,
voire un jour. Seul un état affectif persistant peut avoir un effet durable sur la pathologie.
Quel peut-il être ? Deux possibilités se présentent : soit la transformation de l’émotion
en humeur (forme atténuée mais prolongée), soit l’élaboration psychique de l’émotion
en sentiment. Certains états hypomaniaques offrent l’exemple caricatural de la diffusion
et de la persistance de la joie dans le temps, sous forme d’euphorie. Mais en dehors de
la pathologie, cette persistance de l’humeur enjouée, du sentiment d’allégresse, de ravis-
sement, de contentement, si ce n’est de béatitude, est un phénomène qui est loin d’être
exceptionnel, encore aujourd’hui, chez les êtres humains.
La clinique nous enseigne que ces états atténuent la plupart du temps les pathologies,
ou bien les déplacent dans un registre moins délétère, voire les font disparaitre.
La question se pose donc maintenant de connaître les principaux déterminants de la
joie, puisque ce sont eux qui vont jouer le rôle d’événement trophique.
D’un point de vue phylogénétique, nous avons vu que la joie surgissait dans certaines
situations particulières : la victoire à l’issue du combat, la réussite dans une tache, le soula-
gement après l’épreuve, les retrouvailles avec l’objet, la nourriture après la faim, le rappro-
chement sexuel, la découverte du nouveau-né après l’accouchement.
Ceci nous amène à évoquer trois situations trophiques que nous rencontrons fréquem-
ment en pratique quotidienne et qui condensent en elles seules plusieurs de ces détermi-
nants : la relation amoureuse, la maternité et la sublimation.

4-2. La relation amoureuse


Au vu de cette étude, la relation amoureuse en tant qu’événement trophique occupe
une place centrale pour ne pas dire prédominante. Il s’agit en règle générale d’une
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Traité de médecine psychosomatique

nouvelle relation qui induit un vécu particulièrement trophique, exaltant ou apaisant,


dans tous les cas réparateur, et qui, conjointement, met un terme aux vécus traumatiques
antérieurs (relation déstabilisante ou traumatique, solitude, etc.).
L’amour dont il est question ici est un amour trophique qui conjugue Éros, Philia et
plus rarement Agapè, dans des proportions variables, selon les sujets, les situations et
l’évolution de la relation. Il intègre aussi d’autres composantes variables d’un sujet et
d’une situation à l’autre : attachement, créativité, projets, tendresse, partage, soutien, etc.
Il s’oppose ainsi à l’amour destructeur qui amène dans nos cabinets un grand nombre de
sujets.
Les émotions, les sentiments, les représentations, les comportements induits par la
relation amoureuse trophique, ont un effet direct sur le psychisme et le corps. Évasion,
productions imaginaires, contemplation, décharge instinctivo-pulsionnelle, exaltation,
apaisement, satisfaction, joie. L’amour donne des ailes.
Cet amour a un pouvoir traumatolytique, atténue ou fait disparaître les pathologies
induites par les désordres existentiels. Une étude approfondie des effets trophiques de
l’amour d’un point de vue psychosomatique serait du plus grand intérêt. Le matériel
clinique serait de toute façon plus restreint que celui généré par les traumatismes, du
simple fait que les gens ne consultent pas lorsqu’ils sont heureux.
Nous nous sommes longuement attardés au chapitre 11 sur les effets psychosomatiques
trophiques de la relation amoureuse. Aimer est un facteur trophique pour celui qui aime
inconditionnellement, mais aussi pour celui qui est inconditionnellement aimé.

4-3. La maternité
Nous avons présenté au chapitre 12 les effets de la maternité sur l’équilibre
psychosomatique. Ils sont très fréquents et éminemment variables d’une patiente et
d’une situation à l’autre. La maternité, à quelque stade que l’on se situe de son déroule-
ment, peut être traumatique, inductrice de nombreuses pathologies. Elle peut être aussi
trophique et faire régresser, transitoirement ou de manière définitive, un grand nombre
d’affections.

4-4. La sublimation
Les différentes formes de sublimation
Je propose de distinguer trois types de sublimations : les sublimations mentales, les
sublimations artistiques, les comportements sublimatoires.
Les sublimations mentales sont des sublimations préconçues (Pongy, Babeau, La subli-
mation). À l’image de la maternité, un temps conséquent de conception les caractérise,
car il n’est pas d’accouchement sans conception. Ce temps de conception mobilise le
système préconscient. C’est celui de la mentalisation. Ce sont les productions intellec-
tuelles, littéraires, poétiques, scientifiques, philosophiques, théologiques, etc. Le proces-
sus de mentalisation qui les sous-tend régule l’économie psychosomatique.
Les sublimations artistiques sont de nature variée. Certaines nécessitent une élabora-
tion psychique minimale, un temps de conception minimal, présent chez la plupart des
grands créateurs. Chez d’autres, la création échappe à l’activité préconsciente et se limite à
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Événements trophiques et guérisons spontanées

une activité de décharge. La création y est plus d’essence instinctuelle que pulsionnelle. Ce
sont alors des sublimations brutes, issues d’un jaillissement instinctuel dans lequel aucun
processus secondaire n’entre en jeu. Bien qu’elle se substitue à la mentalisation, cette
activité de décharge peut avoir des effets trophiques d’un point de vue psychosomatique.
D’un point de vue strictement théorique, les comportements sublimatoires n’entrent
pas dans le cadre de la sublimation, mais celle-ci en constitue toutefois un mécanisme
plus ou moins central. Ce sont certaines sublimations professionnelles, certaines activi-
tés sociales, politiques, religieuses, ainsi que certaines activités de loisir. Leur effet est
trophique tant qu’aucun obstacle ne vient interrompre leur cours.

Effets de la sublimation
Effets dynamiques
D’un point de vue dynamique, la sublimation joue un rôle nutritif, apaisant et régula-
teur de l’énergie psychique. Quel que soit le type de sublimation, quelque chose émane
du plus profond du sujet. La création musicale, notamment, permet de traduire ce que la
parole ne peut exprimer.
Dans la biographie des grands créateurs, on repère souvent une alternance entre
périodes d’efficience sublimatoire et périodes d’appauvrissement, le plus souvent infil-
trées de symptômes mentaux pathologiques. Ceci confirme l’interdépendance entre
créativité et régulation psychique.
Effets psychosomatiques
Les sublimations ont un effet trophique indéniable sur l’ensemble de la fonction
psychosomatique.
Les productions sublimatoires mentales, préconçues, attestent d’une mentalisation
particulièrement élaborée, mentalisation dans laquelle elles puisent leur source et qu’en
retour elles entretiennent. Elles se nourrissent des représentations préconscientes, les
enrichissent, et régulent la conflictualité.
Les productions artistiques brutes attestent, quant à elles, de la vitalité du ça, ou en
tout cas, chez de nombreux sujets, d’une certaine agénésie des instances répressives,
comme en témoignent les conduites égotiques chez certains artistes ou présumés tels.
Les comportements sublimatoires témoignent, quant à eux, d’un investissement
majeur en accord avec le moi profond.
™™ Quentin souffre depuis deux ans de lombalgie et d’apnées du sommeil. L’investi-
gation révèle une réaction dépressive de défaite partiellement mentalisée sur le mode
mélancolique. Il se reproche ses erreurs du passé, ses manquements vis-à-vis de ses
proches. Son travail de commercial est une erreur de choix, une option faute de mieux.
Tout au long de ses déplacements, il lui arrive d’être en proie à des accès de tristesse, de
nostalgie, si ce n’est de pleurs, au hasard d’une chanson passant à la radio, ou à la vue du
clocher d’un village. Depuis deux mois, quelque chose au plus profond de lui-même l’a
amené à faire des photos : photos de villages, de vieilles publicités, d’objets anciens, de
ruines en rase campagne. Peu à peu, son humeur s’est améliorée, ses lombalgies ont cédé,
et il peut dormir maintenant sans son masque à oxygène.

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Traité de médecine psychosomatique

4-5. Conclusion : créativité, création, procréation


À ce stade de notre cheminement, nous pouvons repérer que les événements
trophiques source d’amélioration ou de guérison sont d’une part la disparition de situa-
tions traumatiques et, d’autre part, l’investissement de nouveaux objets, processus
souvent intriqués.
Parmi les investissements de nouveaux objets, la relation amoureuse, le réinvestisse-
ment professionnel, la sublimation, la maternité, occupent une place centrale. Naissance
d’une nouvelle relation amoureuse s’accompagnant le plus souvent de projets, expres-
sion de capacités créatrices, procréation. Il existe dans tout cela un point commun : le
recouvrement d’une force centrifuge émanant du sujet, force vitale qui crée des rejetons,
des productions, des œuvres, de la vie, qui se prolongent à partir et en dehors du sujet. La
dimension créatrice est au centre de ces processus.
Quant à la disparition des situations traumatiques, elle peut être contingente, mais
elle peut aussi être le témoin d’une velléité d’échappement du sujet, d’une capacité à
s’extraire du magma, à risquer la perte, à se distancier, à s’élever.
Dans tous les cas, le mouvement est centrifuge, inverse de celui de la dépendance, de
l’addiction, de la consommation, de la voracité, de l’attente, bref de l’oralité. Il se diffé-
rencie aussi de l’analité car les objets qu’il crée ne sont pas des objets fécaux (sauf chez
certains « artistes conceptuels »), mais bien au contraire des objets porteurs d’un germe
de vie.

5. LA TRANSFORMATION INTÉRIEURE


5-1. Réactions somatopsychiques et guérisons
Nous avons vu au chapitre 23 que l’événement maladie agissait souvent comme un
signal d’alarme potentiellement inducteur de remaniements psychiques et comporte-
mentaux. Certains sujets abandonneront un mode de vie qui s’avérait délétère et qui
avait pour une part contribué à l’apparition de la maladie.
Dans d’autres cas, les réactions du sujet peuvent sembler paradoxale ou en tout cas
en contradiction avec le modèle médical. Certaines réactions défensives du sujet patient,
habituellement récusées par la médecine officielle et condamnées par la plupart des
praticiens, telles que les attitudes de défiance à l’égard du soin et certaines formes de
déni, peuvent, comme nous l’avons vu, avoir des effets trophiques quant à l’évolution de
la pathologie.
Le refus de certaines investigations médicales peut, lui aussi, avoir un pouvoir
trophique. En 2008, une étude norvégienne a démontré que les chances de guérison du
cancer du sein augmentent lorsque les contrôles échographiques diminuent.
Les réactions régressives du patient peuvent restituer un certain équilibre
psychosomatique. La régression n’affecte pas uniquement le caractère, le comportement
et les conduites. Les émotions, les affects et les représentations sont aussi concernés. Le
phénomène se produit lors du rêve, du fantasme et lors de toute immersion psychique
dans le passé. L’hypnose, la suggestion, la visualisation et la psychothérapie analytique en
général, utilisent l’immersion psychique dans des représentations et des affects régres-
sifs : souvenirs, réminiscences, contextes du passé. L’immersion dans des représentations
766
Événements trophiques et guérisons spontanées

régressives souvent infantiles, judicieusement ciblées en toute connaissance du sujet,


peut être potentiellement inductrice d’états affectifs ou émotionnels trophiques.
Enfin, certaines formes de masochisme peuvent avoir un effet protecteur.
Certains sujets ont réagi face à la maladie en changeant de lieu, en déménageant,
parfois en s’expatriant. La littérature foisonne de cas où des sujets, se sentant condamnés,
décident de quitter leur domicile, leur métier, parfois leur famille, pour s’en aller vivre
ailleurs. Le bouleversement existentiel ainsi induit peut avoir des effets curatifs. Ce n’est
pas toujours le cas. Jacques Brel partit aux Marquises dans cette optique mais ne put
éviter l’évolution fatale de sa maladie.
La maladie est souvent une occasion pour le sujet de s’expliquer et de refaire connais-
sance avec sa vie, ses désirs, ses craintes, ses erreurs. Enfin, les activités sublimatoires qui
prennent naissance dans les suites d’une maladie peuvent être considérées d’un point de
vue économique comme une reprise du processus de mentalisation.
Pour Maxime Gimenez, « la maladie permet à l’homme d’interroger de façon radicale
le sens de sa vie, sous le non-sens de l’épreuve » (Les voies de l’intériorité, La guérison
miraculeuse, La paix).
L’annonce du diagnostic a des effets imprévisibles, propres à chaque situation et chaque
sujet. Si la détresse et l’angoisse en constituent la modalité la plus fréquente, il arrive que
des réactions inattendues, telles un état de choc, une modification ou une dissociation de
la conscience, un sursaut soudain et puissant des instincts et des pulsions de vie, peuvent
avoir un effet réparateur. Ainsi, certaines maladies recèlent en elles-mêmes les outils de
leur propre guérison. Encore faut-il apprendre à les découvrir.

5-2. Transformation intérieure et guérison


La guérison spontanée s’accompagne d’une transformation biologique. C’est une
évidence. De nombreux mécanismes biologiques défensifs, très complexes, infracliniques,
opèrent sans que nous en ayons conscience, sans que nous y participions en aucune façon,
et restaurent parfois assez rapidement l’homéostasie, mettant ainsi un terme à la patho-
logie : réactions humorales, vasculaires, infectieuses, thermiques, fonctions de récupéra-
tion (sommeil, repos), défenses immunitaires, régénérescence cellulaire, apoptose, etc.
De constatation clinique quotidienne par tout un chacun dans les pathologies aiguës, ils
interviennent aussi dans la guérison de certaines maladies chroniques.
La guérison est aussi contemporaine, mais à des degrés variables, d’un remaniement
psychique. Pour J. Robitaille Manouvrier (Notre pouvoir de guérison), presque toutes les
personnes vivant une guérison spontanée ressentent un changement radical au niveau
de leur conscience peu avant leur guérison. La psychosomatique ne contredit pas, bien
au contraire, cette constatation. Les axes psychothérapiques qu’elle utilise participent
au changement intérieur qui atténue le désordre économique : rementalisation, recen-
trement sur soi, levée de la répression, libération des chaînes, changement existentiel,
abandon d’un mode de vie délétère, prise d’autonomie, changement des modalités
relationnelles, déplacement de l’agressivité, méditation, expression des émotions, de l’ani-
malité, investissement de nouveaux objets, etc.
Tous ces phénomènes de transformation intérieure, potentiellement trophiques, ont
incité certains à proposer des méthodes applicables à tous les patients. C’est ainsi que
767
Traité de médecine psychosomatique

des solutions faisant appel à des thérapeutiques axées sur le changement strictement
conscient, cognitif ou comportemental, ont été proposées.
Kelly A. Turner a effectué une enquête dans plusieurs pays du monde auprès de patients
ayant connu une rémission spontanée de leur cancer. Elle a pu ainsi repérer des axes
thérapeutiques récurrents qu’elle a présentés dans un ouvrage, Radical Remission, sous
forme d’étapes successives censées conduire à la guérison : motivation et détermination
farouche à guérir, utilisation d’émotions « positives » de manière créative et constructive,
remplacement des représentations délétères par des croyances revigorantes, focalisation
sur l’objectif de guérison en dehors de tout parasitage externe ou interne, immersion
dans la représentation du changement, décision s’accompagnant d’une mobilisation des
affects, de l’imagination, de la croyance. À première vue, il n’y a plus qu’à appliquer scrupu-
leusement le mode d’emploi et la partie est potentiellement gagnée. Sauf que toutes ces
étapes, dont on ne saurait nier le bien-fondé puisqu’elles ont fait leurs preuves, comme
en témoignent de nombreux patients guéris, se heurtent au système défensif inconscient
du sujet et à tout ce qui le constitue. Ainsi, toutes ces propositions ne peuvent être suivies
d’effet que si elles sont en congruence avec le fonctionnement profond du sujet et ses
potentielles ressources, faute de quoi il ne s’agirait que d’une forme de coaching dont on
ne peut anticiper les effets, tant ils sont en inadéquation avec ce qui constitue le sujet.
L’expression des émotions joue un rôle trophique indéniable dans la résolution
de nombreuses pathologies. Nous nous sommes attardés sur les effets trophiques et
profonds de l’émotion joie, mais n’oublions pas que l’expression des émotions délétères a
aussi un effet trophique. De fait, la notion d’émotion « positive » perd une partie de son
sens. La joie qui guérit est peut-être celle qui, comme la tristesse, fait pleurer. J’émets les
plus grands doutes quant à l’efficacité de la pensée dite « positive » telle qu’elle est ensei-
gnée par les spécialistes du « développement personnel ».
Les croyances ou la spiritualité peuvent induire une régression parfois spectaculaire de
la pathologie.
La représentation du changement souhaité a, quant à elle, des effets indéniables,
comme en attestent les expériences hypnotiques.
Par contre, il semblerait que tout ce qui est de l’ordre des processus secondaires
(motivation, décision, logique) n’ait pas l’effet magique escompté, tout simplement parce
que tous ces processus conscients ne résistent pas à la force de l’inconscient psychique
et biologique. Tout le monde souhaite en apparence guérir, mais qu’en est-il du détermi-
nisme et de l’impact de ces phénomènes profonds, souvent inaccessibles, et parfois en
contradiction avec le désir conscient ?
Dans son enquête, C. Hirshberg repère chez tous les sujets guéris une force de carac-
tère et une appréhension de la maladie selon leur propre personnalité, c’est-à-dire une
congruence entre le vécu intérieur, les émotions, les représentations, les comportements,
une réactivité en accord avec le moi profond, et ceci quel que soit le type de personnalité.
C’est ainsi que chaque système de guérison est personnel, adapté à tel sujet, inadapté à
tel autre.
On ne change pas les structures et les complexes inconscients, mais on peut favori-
ser certains d’entre eux au détriment des autres. On peut moduler les expressions de
768
Événements trophiques et guérisons spontanées

l’inconscient, car celles-ci ne sont pas univoques et peuvent revêtir des aspects variés et
parfois contradictoires. J’ai expérimenté plusieurs fois ceci au niveau du fantasme et du
rêve. La préséance d’un fantasme délétère particulièrement tenace, invasif et pathogène,
n’exclut en rien l’existence d’un fantasme trophique tapi dans les sous-bois adjacents à la
route centrale. L’immersion dans ce fantasme trophique atténuera l’impact du fantasme
délétère.
L’inventaire qui suit, recensé à partir de l’enquête de C. Hirshberg, fait état des diffé-
rentes voies qui ont amené les sujets sur le chemin de la guérison. Certaines sont en
relation avec des événements, d’autres avec des remaniements psychiques, d’autres
avec des démarches thérapeutiques diverses. Je les ai classées selon une perspective
psychosomatique.
Remaniement économique
––Rementalisation, méditation, foi, prière, contemplation.
––Levée de la répression émotionnelle.
Réactivité psychique
––Détermination à guérir, acceptation du diagnostic mais refus du pronostic.
––Refus de certaines thérapeutiques perçues intuitivement comme délétères ou
traumatiques.
––Investissement de voies thérapeutiques en congruence avec la réalité psychique du
sujet.
––Régression : retour à un mode intuitif, à des représentations et des affects infantiles.
––Sublimation.
Affectivité et relations
––Amour, lien affectif solide, soutien familial, social, religieux.
––Transfert thérapeutique positif.
Comportement
––Changement de mode de vie (lieu, profession, relation) en accord avec les désirs, les
besoins, les rêves.
––Investissements et créativité en accord avec les valeurs et les aspirations du sujet.
Voie somatique
––Action sur la sensorimotricité : induction de nouvelles sensations, exercice du corps,
techniques à médiation corporelle, musique.
––Changement de mode d’alimentation.
––Chocs somatiques contingents : accès de fièvre, infection, etc.
Nous ne nous étendrons pas sur les remaniements psychiques contemporains de la
guérison. De nombreux sujets ont décrit des phénomènes aussi curieux qu’inattendus au
moment même où celle-ci se produisait : chaleur intérieure, état modifié de conscience,
dissociation de la conscience, perception lumineuse.
Quant aux remaniements consécutifs à la guérison, ils sont beaucoup mieux connus.
Tout un chacun a connu le bien-être, si ce n’est le sentiment de renaissance et le regain
d’énergie consécutif à la disparition d’une maladie. Mais, de manière plus profonde, la
trace de la maladie ne disparaît pas au sein du psychisme : si, chez certains sujets, elle a pu
769
Traité de médecine psychosomatique

laisser une trace psychotraumatique, chez d’autres, elle a permis d’accéder à une nouvelle
manière de vivre.

5-3. Transformation liée au soin


Tradition, science et ésotérisme
La médecine officielle actuelle est basée sur l’expérimentation, la technicité, la biolo-
gie, l’imagerie, l’épidémiologie, les études randomisées. Autant de composantes qui
excluent toute approche ne passant pas par l’objectivation. Les améliorations, les rémis-
sions, les guérisons liées aux soins médicaux sont innombrables, plus que jamais. Mais la
focalisation qui en est issue confine souvent à l’aveuglement. D’un côté, la technicité, plus
particulièrement les techniques d’exploration et la chirurgie, constituent une avancée
considérable, d’un autre côté, la désubjectivation du patient, une régression qui lui est
proportionnelle.
Les échecs de la médecine officielle, l’agressivité qui la sous-tend parfois, la négation
du sujet qui lui est consubstantielle, ont poussé d’innombrables patients à rechercher
ailleurs la réponse à leur angoisse, leur souffrance ou leur insatisfaction. Plus la parole est
shuntée au sein de la relation de soins, plus les sujets sont en quête de paroles, fussent-
elles magiques. Plus l’examen clinique disparaît, plus les sujets recherchent le contact
physique. Plus les outils d’investigation s’avèrent objectifs, performants et sans appel, plus
les sujets sont en quête de mystère. Cette triple quête du contact verbal et corporel, du
mystère, a donc amené un nombre incalculable de sujets à avoir recours à des approches
et à des traitements parallèles, si ce n’est transgressifs par rapport au dogme médical, et
de nombreux praticiens, improvisés ou non, sérieux ou fantaisistes, sincères ou intéressés,
à proposer de nouvelles voies de guérison.
De fait, en marge de la médecine officielle, émergent régulièrement des médecines
qualifiées de « parallèles », « particulières » ou « alternatives », qui renouent partiellement
avec certains aspects de la tradition. Presque toutes restaurent tantôt la parole, tantôt
le toucher, ou bien ouvrent les portes du mystère. Il en est ainsi de l’homéopathie qui
s’est redéveloppée au moment où l’interrogatoire médical se réduisait progressivement à
une peau de chagrin, de l’ostéopathie lorsque le toucher s’effaçait devant l’imagerie, des
techniques cognitivo-comportementales lorsque les psychanalystes devinrent muets, des
thérapies d’inspiration spiritualiste lorsque le sujet devint objet, et de la résurgence de
pratiques traditionnelles lorsque tout avait été essayé.
Des techniques orientales, africaines, sud-américaines, aux psychothérapies les plus
diverses, les plus redondantes ou les plus insolites, en passant par les soins naturels ou
surnaturels, à chaque décennie surgit une nouvelle panacée.

De quelques procédés thérapeutiques


Tout comme les autres approches, la psychosomatique ne saurait avoir réponse à tout.
Elle améliore souvent, guérit parfois, mais n’est pas à l’abri de l’échec. Mais elle se distingue
probablement de l’ensemble des autres approches en ce sens qu’elle ne les contredit pas,
mais les module, les complète, les rectifie, et les intègre à un ensemble plus large au sein
duquel le sujet et son corps retrouvent la place qui leur a été le plus souvent ôtée.
770
Événements trophiques et guérisons spontanées

La psychosomatique a étendu le champ d’investigation et des possibilités thérapeu-


tiques de manière concentrique par rapport aux autres formes de médecine. Certains de
ses principes existaient en substance, bien que de manière parcellaire, dans les médecines
traditionnelles.
Le cadre
Le cadre du soin, qu’il s’agisse du décorum de la médecine hospitalière, du cabinet du
médecin libéral ou du divan du psychanalyste, est une mise en scène, un théâtre au sein
duquel le sujet abandonne ce qui constitue ses repères quotidiens. Le cadre n’est pas sans
effet sur le sujet et sa maladie. Il a toujours été utilisé à des fins thérapeutiques et ceci
depuis les débuts de l’humanité.
Certains traitements primitifs s’accompagnent de cérémonies, d’absorption de plantes,
de chants, de danses amenant souvent à la transe, de rituels, de sacrifices animaux. Ces
procédés sont très fréquents encore de nos jours en Afrique de l’Ouest. Chez les Indiens
Navahos, certaines cérémonies font intervenir un groupe de guérisseurs qui parfois
s’habillent en dieux. Le chant et les productions artistiques, la poésie, la musique y
tiennent une place importante.
L’anamnèse
Partiellement ou totalement shuntée par la médecine officielle actuelle, l’anamnèse
associative constitue un axe central de l’approche psychosomatique. Il en existe aussi
des formes primitives. Chez les Pomos, Indiens de Californie, une cérémonie est destinée
à réactualiser le trauma initial. Le guérisseur effectue une véritable anamnèse associa-
tive auprès du malade et de son entourage, et décèle ainsi les causes, le plus souvent un
événement ou bien l’esprit qui l’a rendu malade. Il prend la forme de cet esprit ou de celle
du monstre, crée une terreur chez le patient, preuve qu’il s’agissait bien de cet esprit, puis
détruit le déguisement sous les yeux du malade.
Le rituel
Les rituels à visée thérapeutique sont innombrables dans les sociétés primitives mais
aussi dans toutes les civilisations.
Certains rituels visent à détruire la maladie, l’objet interne qui a fait effraction ou qui
s’est développé dans le corps, et ceci par des procédés physiques ou magiques. L’extrac-
tion ou la destruction de l’objet maladie, qu’elle soit chirurgicale, médicale, ou fantasma-
tique, procède d’une part de rituel. Les chirurgiens aux mains nues ont connu une grande
vogue aux Philippines il y a quelques décennies. Lors des techniques de visualisation,
mises au point par Simonton, le sujet est invité à détruire en imagination la tumeur qui
l’habite, selon la mise en scène qui lui convient.
Les rituels sont sous-jacents dans la médecine actuelle, bien qu’elle s’en défende, tant
au niveau du décorum, des protocoles, que des techniques de soins, et il n’est pas exclu
qu’ils puissent jouer un rôle thérapeutique.
La parole
Bien avant la psychanalyse, le Talmud (iiie siècle av. J.-C. – ve siècle ap. J.-C.) insistera sur
l’effet de la parole dans la genèse de la maladie et de sa guérison. L’impact des mots sur
l’organisme provoquerait des maladies et la guérison passerait par un « déliement », une
« délivrance de la bouche ». Les mots tus, la vérité bâillonnée, la bouche nouée, feraient
771
Traité de médecine psychosomatique

souffrir le corps (en hébreu, les mots nœud et mensonge sont phonétiquement semblables
et le verbe dénouer signifie aussi « permettre »).
Les effets thérapeutiques de la parole se retrouvent à chaque page du Nouveau Testa-
ment. Plus tard, que ce soit au travers de la prédication, des prières, de la confession chez
les catholiques ou de la cure d’âme chez les protestants, la parole guérit.
La rementalisation
Les interventions destinées à favoriser l’élaboration psychique ne datent pas
d’aujourd’hui. Ce sont des techniques élaborées d’entraînement mental (yoga, zen), ou
bien des thérapies d’inspiration philosophique (monde gréco-romain). Les prêtres d’Épi-
daure obtenaient des guérisons par des prescriptions d’ordre philosophique à la recherche
du beau, du bon, du bien, l’étude des sciences et des arts, la pratique des sports.
L’interprétation des rêves
La guérison par incubation, initialement pratiquée dans une grotte, devient courante
chez les Grecs à partir du vie siècle av. J.-C. Elle a lieu dans la chambre souterraine d’un
asclépeium (temple d’Asclépios) jusqu’à ce qu’une production onirique se produise. Le
rêve génère la guérison même en l’absence d’interprétation.
La levée de la répression
Certains procédés primitifs font appel à l’assouvissement des frustrations. Les Hurons
distinguaient trois causes de maladie : les causes naturelles, la sorcellerie et les désirs
insatisfaits. Parmi ceux-ci, certains étaient inconscients et seulement révélés par les rêves.
L’abandon de la maîtrise
Le zen propose une ascèse du dépouillement. Ne pas chercher à devenir quelqu’un
d’autre, être à sa place, être là. Retour et limitation à l’instant présent, abandon à la vie
sans aucune quête, sans comparaison, renoncement à la maîtrise de l’immaîtrisable.
La suggestion
Bien qu’elle puisse utiliser des artifices ou des supports (drogues, supercherie, presti-
digitation, état hypnoïde), la suggestion est en fait liée au pouvoir réel ou supposé
du guérisseur. La divination joue aussi un rôle important (augures des Sumériens, des
Romains, des Indiens Quechuas).
Le chamanisme agit comme médium entre le monde visible et invisible. Il établit le
contact avec les esprits des autres êtres vivants ou des entités supérieures par le biais de la
transe. Il s’inscrit dans une conception holiste et animiste du monde. L’état induit est un
état modifié de conscience, dans lequel de nouvelles perceptions font irruption, proche
de celui de l’hystérie ou de l’hallucination. L’induction utilise des drogues mais peut aussi
être provoquée spontanément chez les sujets entraînés.
En 1785, un des disciples de Messmer, Puisegur, repère chez ses patients un état de
conscience modifié qu’il qualifie de « sommeil magnétique » et avance que ce n’est pas le
magnétisme qui guérit mais la volonté du magnétiseur. Braid lui donnera le nom d’hypno-
tisme. En1882, Bernheim, professeur de médecine interne, adoptera la technique d’hyp-
nose de Liébault (1823-1904) et la généralisera, avant d’abandonner progressivement la
technique et de désigner sa nouvelle manière d’opérer par le terme psychothérapie.

772
Événements trophiques et guérisons spontanées

La suggestion peut aussi être liée à l’aura qui entoure une technique thérapeutique,
le plus souvent nouvelle et inusitée, objet d’engouement populaire ou médiatique, mais
dont la durée de vie est toujours limitée.
Quoi qu’il en soit, la croyance en l’efficacité d’une thérapeutique et au pouvoir d’un
praticien favorise grandement l’effet thérapeutique.
La relation
La relation avec le thérapeute constitue de fait un des fondements de la thérapeu-
tique, mais elle déborde le cadre de la suggestion. Le transfert primaire puis secondaire
en constitue les fondements princeps, au sein desquels se réactualisent des expériences
antérieures et des relations d’objet souvent très archaïques. C’est ainsi que, derrière le
praticien, se profilent les premiers objets, investis, non investis ou désinvestis, objets le
plus souvent vitaux pour l’homéostasie du petit enfant.
L’enquête de C. Hirsberg témoigne de nombreux cas de guérisons ou de rémissions
induits par une relation trophique et contenante avec un proche, par l’amour d’un
conjoint, d’un parent, dont le dévouement, les paroles, les actes et les soins prennent une
dimension vitale.
Dans la relation avec le thérapeute, le médecin, le guérisseur, le soignant, se rejoue, a
minima, par le biais du transfert, une relation similaire, ce qui explique des évolutions de
pathologies souvent imprévisibles, dans un sens comme dans l’autre, quelle que soit la
thérapeutique utilisée.
Il ressort de tous ces exemples que les soins traditionnels ne se limitent pas à une
action directe et univoque sur le corps. Ils font appel à une médiation de nature variable :
le cadre, la parole, l’anamnèse, le toucher, la sensorialité, le cérémonial, les rituels, la
modification de l’état de conscience, la suggestion, la croyance, l’induction de représen-
tations, d’émotions et de sentiments, la prescription d’actes de réparation.
Les guérisons et les rémissions spontanées ont probablement quelque chose à voir
avec les remaniements psychosomatiques qui en découlent.
L’ensemble des soins traditionnels fait donc appel à tous les vecteurs de la fonction
psychosomatique, contrairement à la médecine actuelle focalisée sur la seule voie
somatique, isolée de tous les autres vecteurs.

6. CROIRE
6-1. Les croyances
Credere : « croire », « avoir confiance ». Tenir pour vrai, admettre comme une certitude.
Tenir pour probable. Croire en quelque chose : la culpabilité d’un suspect, une idéologie,
un guérisseur, une voyante, le destin, l’efficacité d’un médicament, la parole d’un autre,
soi-même, une force cosmique, Dieu, etc. La croyance se situe entre la conviction et une
parcelle de doute. Croire n’est pas savoir.
Dans le domaine de la maladie, les croyances jouent un rôle crucial. Il ne peut exister
de souffrance physique ou morale sans que l’être humain n’en recherche la cause, fût-elle
folle. Les représentations populaires ainsi que l’analyse de nos patients en témoignent.

773
Traité de médecine psychosomatique

Les théories sur l’origine, le mécanisme et le traitement maladies, se sont élaborées


tantôt à partir de croyances, tantôt à partir de constatations, et ce n’est que beaucoup
plus tard que l’expérimentation et la mesure ont conféré à la médecine une dimension
scientifique. Le subjectif, l’empirique, l’irrationnel, le surnaturel, le pseudo-scientifique, le
magique, alternent tout au long de l’histoire de la médecine avec l’objectivité et le ratio-
nalisme, au gré des succès et des échecs, des découvertes et de l’évolution d’une société.
Dans le chapitre 22, j’ai fait référence à l’excellent travail d’Aline Sarradon-Eck. L’auteur
distingue, comme nous l’avons vu, cinq causalités invoquées à l’origine des maladies : les
causes naturelles d’origine externe, celles d’origine interne, la punition, la persécution, le
destin. À chaque cause invoquée correspond une attitude et un procédé thérapeutique.

Tradition Médecine actuelle Psychosomatique


Pénétration d’un Froid, chaud, humidité, Micro-organismes, Cofacteurs
agent externe lunaison, toxique, antigènes, agression
aliment, parasite écologique (soleil,
pollution, toxiques)

Causes naturelles - Théorie des humeurs Désordres Désordre économique


d’origine interne - Médecine énergétique anatomofonctionnels
- Désordres affectifs et
émotionnels
- Déplacement mécanique
- Usure du corps

Punition Transgression d’un Transgression des - Culpabilités


interdit, d’une règle, règles préventives ou - Transgénérationnel
d’une loi, d’une alliance thérapeutiques

Persécution Possession, persécution Délire Défenses projectives

Destin Tempérament, Génétique Fixations


constitution

Les croyances : correspondances entre tradition et modernité

6-2. Le fait religieux


Effets trophiques de quelques piliers de la religion
La foi
Foi, de fides, « foi », « loyauté », « crédit ». Ferme adhésion de l’intelligence à la vérité
qu’elle reconnaît. Adhésion à une chose tenue pour vraie. La foi ne se limite pas à la
croyance. Le terme comporte une connotation plus forte d’adhésion, d’engagement, de
conviction, de courage, mais aussi d’abandon, de confiance, d’enthousiasme. C’est-à-dire
que s’y trouvent inclus représentations et affects.

774
Événements trophiques et guérisons spontanées

On retrouve cette dimension affective dans l’acception profane du terme : foi en l’être
aimé. La foi en un procédé thérapeutique, quel qu’il soit, augmente les chances de guéri-
son. L’effet placebo et la suggestion ne reposent sur rien d’autre.
Une étude américaine, réalisée en 2001, a démontré que le fait de croire en une divinité,
de prier, de pratiquer une religion, augmente la résistance à certaines maladies : maladies
mentales, addictions, hypertension, désordres immunitaires.
Une autre étude avance que 70% des sujets ayant eu une rémission spontanée attri-
buent leur guérison à la foi religieuse. Par ailleurs, croire en un Dieu d’amour protégerait
plus la santé que croire en un Dieu punitif ou attribuer sa maladie au diable.
La spiritualité
La spiritualité est une expression parfaite et accomplie du processus de mentalisation.
Selon le modèle chimique, l’esprit constitue la partie volatile, aérienne, du processus de
sublimation, par opposition au sublimé, résidu solide, fécal.
Surmentalisation qui s’oppose à la somatisation, la spiritualité et ses différentes expres-
sions – méditation, extase religieuse, voire expérience visionnaire – augmentent l’activité
du lobe temporal, du système limbique (émotions, sentiments, mémoire) et diminuent
l’activité du lobe pariétal (impliqué dans l’orientation dans l’espace et l’évaluation des
distances).
La projection de l’idéal
L’idéal du moi tyrannique se déleste d’une part de sa charge délétère en la projetant
ou en la restituant à la divinité. La toute puissance que détient celle-ci allège le fantasme
de maîtrise, l’activité de contrôle et donc la culpabilité de défaillance. Les pathologies de
l’acharnement et de la défaite s’en trouvent allégées.
La prière
La prière est une parole secrète adressée à l’Autre, à l’abri du regard des autres, à
l’abri des perceptions extérieures, favorisant le recentrage au plus près de la vérité du
sujet, reliant le présent, le passé, l’avenir, excluant autant que se peut les préoccupations
factuelles, attestant d’un renoncement à maîtriser et à combattre, instaurant une pause
et faisant appel à l’espérance. Focalisation de l’attention, ressenti et expression émotion-
nelle, apaisement psychique, représentation de la divinité, imagination du changement,
parole, renoncement à la maîtrise, abdication, la prière comporte en elle tout ce qui peut
être trophique d’un point de vue psychosomatique.
Le rituel
Le rituel précède, accompagne ou suit le temps de parole. C’est un acte chargé de sens,
un signe. Il occupe une place plus ou moins importante selon la religion.
Dans les médecines traditionnelles, certains traitements passent par la prescription
d’un rituel (civilisation sumérienne, Palestine, Grèce avant le vie siècle, Amérique préco-
lombienne), le dépôt d’une offrande, d’un ex-voto des parties du corps (Rome), un sacri-
fice (Palestine, Gaule romaine) ou une incantation (civilisation sumérienne).
Le rituel religieux joue un rôle central auprès des sujets malades. Jésus accompagne sa
parole auprès du malade de l’imposition des mains (Marc, 16-18). Dès le Moyen Âge, il
est attribué aux rois de France et d’Angleterre le pouvoir de guérir certaines maladies en
imposant les mains.
775
Traité de médecine psychosomatique

Le sacré
La dimension sacrée assigne à des lieux, des objets, des actes, des paroles, un caractère
respectable, vénérable et inviolable. Il en est ainsi du sacrement et de la consécration.
Le sacré réifie la transcendance et transcende le réel. Médiation entre l’homme et la
divinité, il constitue un repère apaisant pour le sujet.
Le lieu
L’apparition des premiers royaumes et empires en Asie, aux alentours de 4 000 av. J.-C.,
permet aux religions de se développer et de s’organiser. Des lieux spécifiques lui sont
consacrés. Ainsi se développe progressivement une scission entre les guérisseurs profanes
s’occupant plutôt des maladies du corps, ancêtres des médecins, et une médecine sacer-
dotale pratiquée dans les temples, plus orientée vers les désordres psychiques. Les uns
pouvant faire appel aux autres. Chez les Gaulois, les druides sont à la fois prêtres et
médecins. Toute religion a ses sanctuaires, ses lieux saints, ses lieux de recueillement ou
de prière, de sacrement.
Le groupe humain
Le regroupement des fidèles constitue une force : force de la prière commune, force de
la reconnaissance de l’autre, force de l’entraide et du soutien, force du combat.
Le groupe religieux a une fonction à la fois de pare-excitation et de référence. La prière
du groupe est citée plusieurs fois dans des cas de rémission spontanée. De nombreux
rituels de guérison, dans les sociétés primitives, font appel à la cohésion du groupe qui se
manifeste, lors de la cérémonie, par un dialogue avec les dieux, une prière, une incanta-
tion, des chants.
L’amour et la paix
Agapè consiste à aimer l’autre du simple fait qu’il existe. Agapè met un terme au
combat car il ne connaît nul ennemi et donc nulle défaite. L’épuisement défensif dans
la maîtrise, la prédation, la consomption, cesse. Le corps est moins en tension. Les vécus
traumatiques prennent un autre sens et leur impact pathogène en est atténué. Les effets
somatopsychiques sont moins délétères : les sujets habités par Agapè font preuve d’une
sérénité surprenante face à la maladie.
Les manifestations sensitives et sensorielles de la joie, déjà présentes mais inconstantes
chez Philia, se muent en un état pérenne de sérénité indépendant des faits : expansion,
élévation, sourire, larmes de joie. Il n’est pas étonnant que, chez certains sujets, les percep-
tions puissent parfois s’en trouver modifiées. La lumière solaire de l’émotion joie est
peut-être celle qui est figurée dans les représentations picturales au travers de l’auréole
au-dessus du visage des divinités et des saints.
Le légalisme
Le modèle religieux crée tôt ou tard des principes, des références, puis des règles et, à
terme, des lois. Toute civilisation durable n’a pu échapper à l’empreinte du religieux sur
sa structure. La perte du religieux a toujours annoncé la fin d’une civilisation sur lequel
elle s’est construite.
Le type et l’évolutivité d’une religion conditionnent la préséance variable du légalisme
au sein d’elle-même et de la structure sociale qu’elle imprègne et constitue. C’est ainsi que
l’on peut opposer des religions dans lesquelles le légalisme constitue le fondement princi-
776
Événements trophiques et guérisons spontanées

pal et d’autres au sein desquelles celui-ci n’est qu’une expression accessoire et secondaire
du fait religieux. De manière générale, plus il y a de légalisme, moins il y a de spiritualité.
Par ailleurs, d’un point de vue évolutif, les religions ne sont pas figées dans l’une ou l’autre
des positions. Le légalisme s’impose lors de leur maturité pour décroître avec le temps.
D’un point de vue du sujet, le légalisme constitue une instance répressive externe,
permettant de fait à celui-là de faire l’économie relative de ses instances répres-
sives internes, à savoir le surmoi et l’idéal du moi. Ainsi, dans tout légalisme religieux,
et à plus forte raison dans tout intégrisme combatif, la faute est rachetable, ce qui lui
permet, de fait, de se perpétuer. La projection de la culpabilité va bon train. L’économie
psychosomatique en est rassérénée.

La maladie et le monothéisme
Dans les monothéismes, le péché originel aurait précipité l’homme dans la souffrance
et la maladie (Genèse). Au péché originel, viennent se surajouter d’innombrables fautes
factuelles commises par les hommes. Autant d’explications de nombreuses maladies.
Pourtant, la Bible nous dit que Job lui-même, serviteur modèle de Dieu, reconnu
par l’ensemble des monothéismes, ne s’est rendu coupable d’aucune faute alors que le
malheur le frappe sans relâche. C’est que la maladie constitue aussi une manière d’expier
les péchés et se révèle ainsi potentiellement salvatrice. Le calvaire de Job lui permet de se
rapprocher de Dieu, en s’en remettant à lui.
Ainsi se dessine une tendance à voir en la souffrance l’accès privilégié au salut. Il est
difficile de distinguer à première vue ce qui là-dedans est de l’ordre de la culpabilité
pathologique, voire du masochisme, d’une conception qui est loin d’être dénuée de sens.
Jésus pose un regard nouveau sur la maladie : la compassion. Il guérit et sauve ceux qui
se présentent à lui sans tenir compte des fautes supposées. Salus désigne initialement la
bonne santé. Il exorcise les possédés et ressuscite les morts. Il relie lui-même ses miracles
à la foi de son interlocuteur. La mission confiée à ses compagnons est claire : « Guérissez
les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. » (Matthieu,
10-8)
La lutte contre la maladie deviendra ainsi un des piliers du christianisme. L’onction,
prémices du sacrement donné aux malades dans les églises catholiques, romaines et
orthodoxes, est pratiquée dès le iie siècle, indissociable de la foi, de la confession.
L’islam considère la maladie comme une épreuve envoyée par Dieu pour reconnaître
les siens, sans pour autant la considérer comme une voie de rédemption.
Le protestantisme se démarquera totalement de la représentation rédemptrice de la
maladie : seule la Grâce de Dieu procure le salut.
Les trois religions monothéistes sont d’accord sur un point : seule la foi peut sauver
l’homme, par delà les pratiques utilisées pour soigner ses maux.
Les guérisons inexpliquées liées à la foi ou à la religion n’excluent en rien des processus
psychosomatiques trophiques. Or, l’antinomie entre ces deux aspects est quasi consen-
suelle. Le débat insoluble persiste : ou bien la foi guérit parce qu’elle induit des processus
psychosomatiques trophiques, ou bien le phénomène est étranger à ces derniers.
Qu’est-ce qui, en dehors du déclenchement d’un processus psychosomatique induit
par la foi, peut générer la guérison ? L’Église reconnaît les guérisons liées à des processus
777
Traité de médecine psychosomatique

psychosomatiques ou conversionnels et ne fait pas entrer ces guérisons dans le cadre


des guérisons miraculeuses. Plus les connaissances en psychosomatique avancent, plus le
champ des guérisons miraculeuses devrait se rétrécir. Mais pourtant, il ne disparaît pas.
Quelques cas de guérisons inexpliquées, dont certaines reconnues miraculeuses,
sont ceux de sujets dénués de foi, voire particulièrement résistants, si ce n’est hostiles à
toute intervention religieuse. Tout comme ceux qui sont peu ou prou habités par la foi,
ils décrivent au moment de leur guérison le surgissement d’une lumière blanche, d’une
sérénité, d’une paix, d’un sentiment d’amour absolu, d’une force particulière, parfois de
perceptions hallucinatoires visuelles décrivant un lieu inconnu du sujet mais existant
réellement, de perceptions auditives (paroles divines), alors que ces sujets n’avaient
jamais connu ces phénomènes auparavant. Une perte de conscience, une sensation d’être
transporté au-delà de soi-même, une absence, une hébétude, une sensation de décharge
électrique ou de chaleur intense, une impression du corps mobilisé par une intervention
extérieure, sans intervention volontaire du sujet.
Quelles réponses pouvons-nous apporter à cela ? Le mystère demeure et demeurera,
et c’est peut-être bien ainsi.

7. THÉRAPEUTIQUES
Peut-on et comment favoriser la disposition du sujet aux événements trophiques ?
™™ Marie-Annick, 57 ans, m’avait consulté il y a un an et demi pour un état d’épuise-
ment, avec manifestations dépressives, angoisse, hernie discale traitée par morphine et
corticothérapie.
Son mari, atteint d’un cancer du poumon depuis de nombreuses années, avait été
hospitalisé trois mois auparavant pendant une semaine pour un problème cardiaque.
Elle était au bout du rouleau, avait l’impression que le monde s’écroulait, se sentait
asphyxiée, abandonnée, démunie. Elle ressentait une tension agressive qu’attestait la
présence d’une oppression thoracique, de cervicalgies et d’un trismus. Elle était en arrêt
de travail depuis un mois.
Marie-Annick a consacré sa vie à soigner ses proches. Elle arrête ses études à 21 ans
pour s’occuper de sa grand-mère, puis de son père, tous deux malades. À 23 ans, débute
la relation avec Jacques, son futur mari, beaucoup plus âgé qu’elle. Elle a 34 ans lorsque
son père décède. Elle prend alors en charge sa mère, elle aussi malade depuis quatre
ans, et l’installe chez elle. Lorsqu’elle a 39 ans, le couple décide de se marier. Trois jours
avant la noce, un examen médical révèle que Jacques est atteint d’un cancer du poumon,
dont le pronostic de survie est, selon le médecin, de six mois. Celui-ci sera très surpris de
revoir Jacques un an après, toujours en vie. Mais deux ans après, un examen révélera la
présence d’une métastase cérébrale. Celle-ci régressera en l’espace de huit mois. En fait,
Jacques vivra vingt-et-un ans de plus, au prix de simples séquelles respiratoires et d’une
très discrète ataxie locomotrice. Jacques ne s’est jamais plaint de son état, il refusait de
parler de son cancer, et n’utilisait jamais le mot. Il était convaincu qu’il survivrait à ce qu’il
désignait sous le terme « mon mal ».
Lorsque Marie-Annick a 49 ans, un conflit éclate avec son frère aîné qui refuse de
s’occuper de la mère devenue grabataire, la fait hospitaliser et accuse dans la foulée
778
Événements trophiques et guérisons spontanées

Marie-Annick de détourner de l’argent. À partir de 53 ans, date du décès de sa mère, elle


présentera des douleurs diffuses, mobiles, fluctuantes.
Marie-Annick a toujours craint de ne pas être à la hauteur, d’être défaillante, de ne
pas répondre aux attentes des autres, de ne pas être ce qu’elle se doit d’être, une femme
forte, un pilier. C’est ainsi qu’elle s’est investie dans cette fonction sacrificielle en relation
avec un idéal du moi surdimensionné et un désordre identitaire dont les origines sont
très anciennes. Elle se souvient d’une bouderie prolongée de sa mère à son encontre vers
l’âge de 5 ans, dont elle s’efforçait de trouver la cause en revisitant ce qu’elle avait pu
faire de mal. Plus tard, elle a attribué la distance et le désintérêt de sa maîtresse d’école
à son égard au fait qu’elle était d’origine espagnole. Vers l’âge de 12 ans, Marie-Annick
présentera des troubles intestinaux en relation avec une infection parasitaire. Le médecin
généraliste, bien inspiré, alléguant le risque de contagion, lui interdira l’école pendant un
an. Isolée comme une pestiférée, Marie-Annick fera une tentative de suicide. Persuadée
d’être responsable du malheur et du bonheur des autres, elle fera tout pour être aimée en
anticipant ce que les autres peuvent attendre d’elle.
Les trois premières séances seront consacrées à un travail sur l’idéal du moi. De fait,
les douleurs lombaires et les affects dépressifs régresseront. Mais elle demeure inquiète
pour son avenir et les douleurs cervicales persistent de plus belle, témoin d’une forte
agressivité réprimée. Un rhumatologue lui annonce un avenir moteur compromis. Je
m’empresse de rectifier cette représentation. À juste titre car, au bout de la cinquième
séance, les douleurs cervicales disparaissent. Elles étaient en relation avec la rancœur
réprimée à l’égard de son frère dont elle ne pardonnait toujours pas les agissements. La
corticothérapie et la morphine seront arrêtées et une reprise du travail proposée afin
de donner matière à son besoin de maîtrise et de diminuer sa culpabilité. À la huitième
séance, Marie-Annick va bien et nous convenons de mettre un terme aux séances.
Un an et demi après, elle prend rendez vous et revient. Elle vient de perdre son mari il y
a un mois. Il avait 79 ans. Il avait été opéré il y a six mois d’une rechute de son cancer, sans
succès, puis avait été hospitalisé à domicile et finalement en soins palliatifs. Elle est très
inquiète des réactions défensives de deuil qu’elle a et qui fluctuent : déni, angoisse d’être
seule, peur de l’avenir, manque, etc. Je la rassure sur ces réactions qui non seulement sont
inévitables mais indispensables.
De toute évidence, Jacques et Marie-Annick se sont vraiment aimés. « Je ne souffre pas
de son absence, car j’ai toujours été autonome, c’est sa présence qui me manque. » Mais
avant de me faire part de sa souffrance, elle tient à me remercier pour ce que j’ai fait pour
elle, c’est-à-dire de lui avoir, selon ses termes, « suggéré de changer deux choses dans sa
vie ». Elle a pu ainsi vivre un an de sérénité, sans aucun symptôme. J’ignore alors la nature
de ces deux changements trophiques car aucune mention ne figure dans l’observation. Le
premier est la paix retrouvée avec son frère, qui s’est instauré après la fin de nos rencontres
et qu’elle attribue au fait que je lui aurais dit que les responsabilités étaient partagées. Le
deuxième est que, dans les suites de ma suggestion à investir une activité créatrice, elle
s’est mise à la peinture. Je n’en ai bien sûr aucun souvenir. Elle me montre des photos de
ses productions qui, pour moi, sont d’une grande qualité. Une d’entre elles est celle d’un
fauteuil vide qu’elle ne peut plus regarder sans angoisse. Elle l’avait effectivement faite il y
a six mois lorsque le médecin lui avait dit que son mari était condamné.
779
Traité de médecine psychosomatique

À la deuxième séance, elle m’annonce qu’elle s’est mise à écrire. Cela s’est fait de manière
naturelle, dans les suites des lettres de remerciements qu’elle a adressées aux personnes
lui ayant fait part de leur sympathie. Elle écrit sur Jacques et sur leur relation, et retrouve
à chaque fois celui qui n’est plus là mais qui, de toute évidence, renaît sous sa plume et au
plus profond d’elle-même. Elle le découvre à nouveau, elle comprend mieux qui il était,
dans leur relation et indépendamment de celle-ci. Cette activité l’apaise.
Cette observation constitue tout d’abord un témoignage concernant l’évolutivité de
la maladie de Jacques. Son cancer a été diagnostiqué à l’âge de 57 ans, trois jours avant
son mariage. On ignore ce qu’il lui a été dit précisément quant à l’évolutivité, son épouse
paraissant en tout cas informée du pronostic particulièrement redoutable. Toujours
est-il que le médecin spécialiste a été surpris de le revoir en vie au bout d’un an. Quoi
qu’il en soit, Jacques a dénié tout pronostic catastrophique, toute condamnation à mort.
La métastase apparue trois ans après le diagnostic disparaîtra en l’espace de huit mois.
Jacques vivra vingt-et-un ans de plus, au lieu des six mois prévus par la médecine. Son
système défensif lui dictera le mot à employer en lieu et place de celui de cancer : « mon
mal ». Un mal ne fait pas obligatoirement mourir. Un mal élude le diagnostic et échappe
au pronostic. Le deuxième facteur trophique est la relation d’amour entre lui et Marie-
Annick. Elle est de type Philia, nutritive, source de sérénité, de joie et de soutien mutuel.
L’observation illustre ensuite l’induction potentielle de changements trophiques chez
Marie-Annick, par le biais de la psychothérapie. En ce qui concerne son frère, Marie-
Annick n’a retenu que la notion de « responsabilité partagée », terme dont je ne pense
pas être l’auteur, mais que je me suis bien gardé de rectifier, tant elle se l’était approprié.
Marie- Annick ne pouvait concevoir les tourments de la vie sans désigner un responsable.
Elle était bien sûr, du fait de son histoire et de son fonctionnement, la coupable désignée.
Mais lorsque ses velléités de maîtrise et de réparation n’aboutissaient pas, il pouvait lui
arriver, faute de mieux, de projeter sa culpabilité sur l’autre. C’est ce qui s’était passé avec
son frère. Celui-ci s’était effectivement débarrassé de leur mère mais n’avait jamais en fait
accusé Marie-Annick de voler de l’argent. Cette idée était une défense de type projectif.
Après s’être accusée de faillir, elle s’était ainsi accusée indirectement d’être une voleuse
et avait attribué cette allégation à son frère. Frère aîné désigné comme vrai responsable
de ses malheurs, d’autant qu’il fut l’objet de tous les égards dans son enfance, alors que
la petite Marie-Annick, qui aurait dû être un garçon et qui naquit en pleine tourmente
conjugale, était la pièce de trop.
Ainsi nos paroles, étayées autant que se peut sur une connaissance aiguisée du sujet,
ne sont enregistrées que partiellement. Elles font l’objet d’un tri sélectif défensif et n’en
perdent pas pour autant leur caractère trophique, bien au contraire, car elles sont
l’objet d’un réaménagement personnel signifiant pour le sujet, au plus près de sa réalité
psychique. C’est ainsi que Marie-Annick, dépositaire d’une forme de verdict, fit la paix
avec son frère.
Quant à l’investissement dans une activité sublimatoire, il fait partie de mes fréquentes,
pour ne pas dire systématiques suggestions, à telle enseigne que je n’en ai en règle générale
aucun souvenir. Marie-Annick prit probablement en compte une suggestion de ce type, si

780
Événements trophiques et guérisons spontanées

tant est qu’elle eût été formulée, ou bien, au travers des représentations induites lors des
séances, elle fut peut-être spontanément amenée à découvrir la peinture. Toujours est-il
que l’effet fut rapidement salvateur. Elle n’avait jamais peint mais se souvint que les seuls
moments de sa petite enfance où elle retrouvait un sentiment minimal de paix et une
restauration identitaire étaient lorsqu’elle faisait des coloriages.
On ne saurait donner des recettes psychothérapiques pour favoriser la survenue d’évé-
nements trophiques. Si tel était le cas, nous rentrerions rapidement dans un fonctionne-
ment mégalomaniaque. Mais nous pouvons favoriser chez le sujet une certaine disposition
à recevoir, voire à favoriser la survenue de ces événements. De quelle manière ? S’il devait
y avoir une seule réponse, ce serait de connaître le sujet, son fonctionnement inconscient
et son histoire, et, à partir de là, de laisser émerger chez lui des représentations d’un
changement possible se nourrissant de la résurgence de potentialités inexploitées, ce qu’il
est convenu d’appeler les « ressources » du sujet.
Une psychothérapie qui ne s’attarderait que sur les aspects déficitaires ou patho-
logiques du patient ne saurait amener à un résultat positif, pire, elle serait susceptible
d’aggraver son état. Répéter une expérience traumatique dans la réalité ou dans le
fantasme, sans la remanier, sans la re-contextualiser, sans la transférer, sans la solution-
ner, laisse perdurer le traumatisme et le renforce. Cela a été malheureusement le cas de
certaines cures qui, s’attardant de manière répétitive et inconsidérée sur le conflit patho-
gène, en le soulignant, en le martelant, sans repérer les compétences du sujet pour s’en
extraire, ont enfermé encore plus solidement ce dernier dans sa problématique, son
impuissance et sa culpabilité.
Lorsque les compétences et les ressources d’un sujet sont évidentes, il ne reste plus
qu’à les mobiliser.
Dans d’autres cas, elles paraissent minimes ou pauvres, tant elles ont été mises en
jachère. « Qu’est-ce que vous aimeriez changer dans votre vie ? » La réponse à cette simple
question apporte souvent un éclairage non seulement sur le désir conscient mais aussi
sur ce qui ne s’est jamais produit et qui pourtant existait potentiellement.
Lorsque les ressources semblent inexistantes, il y a lieu d’aller les débusquer. Il s’agit
pour cela d’explorer la périphérie de la problématique, les mentalisations parallèles, les
zones d’ombre, les secteurs psychiques qui n’ont pas été abordés. Elles peuvent être
actuelles et ponctuelles, antérieures et oubliées, ou tout simplement latentes.
Il m’est arrivé parfois, chez des sujets peu mentalisés, dans un contexte précis et à
un moment choisi de la psychothérapie, d’introduire sous forme de parenthèse une
technique que l’on pourrait qualifier de « suggestion semi-hypnotique ponctuelle ». Il est
proposé au patient de fermer les yeux et de s’immerger quelques minutes dans des repré-
sentations trophiques : représentations du changement souhaité, représentations d’une
situation antérieure connue du sujet et bénéfique pour lui, immersion dans un souvenir
de bien-être, rectification du contenu de certains rêves récurrents.
Par moment, selon les circonstances, le fonctionnement du sujet est différent. « Y a-t-il
des moments où vous êtes bien, ne fût-ce qu’un instant ? Quand ? » Si tel sujet a repéré ne
serait-ce qu’une heure dans la semaine où il n’était pas pris dans ses sentiments négatifs
et où il se sentait à peu près bien, il convient de souligner cela, d’en analyser les détermi-

781
Traité de médecine psychosomatique

nants, de mettre ceux-ci en relation d’opposition avec la compulsion de répétition et la


problématique qui l’assiège, et de désigner ainsi la direction à suivre.
« Y a-t-il des choses que vous saviez faire avant et que vous ne faites plus ? Quelles sont
les choses qui vous faisaient du bien dans le passé et que vous ne faites plus ? » Pris dans
la toile de sa problématique ou de sa vie opératoire, de ses obsessions ou de ses craintes,
de ses compulsions ou de sa solitude, le sujet n’a plus accès aux représentations, aux
sentiments ou aux sensations, qui lui permettraient d’ouvrir une brèche dans le mur qui
le sépare du paysage de son désir. C’est ici que le rêve nocturne ou le fantasme précon-
scient diurne peuvent constituer les prémices de la créativité que parachèvera la subli-
mation. Rêve, fantasme, sublimation, spiritualité, créativité, sont autant de nourritures
psychiques au travers desquelles les ressources du sujet se dévoilent.
Et puis, il y a quelques axes thérapeutiques qui sont incontournables chez la plupart des
sujets souffrant de maladies somatiques. Nous les connaissons bien ici : rementalisation,
levée de la répression, catharsis émotionnelle, émergence du fantasme et du désir,
redécouverte de l’animalité foncière, de la disposition en lieu et place de l’acharnement. Il
y a lieu aussi de respecter les croyances du sujet, et ce uniquement lorsqu’elles émanent
de son fors intérieur, après en avoir découvert le sens, de laisser une part importante à
son intuition, fusse-t-elle en total désaccord avec le dogme, le consensus et les références
obligatoires.
Je citerai Paul Tillich (Religion and Medecine) : « Pour guérir, l’esprit doit être saisi par
quelque chose qui le transcende, qui ne lui est pas étranger mais qui contient l’accomplis-
sement de ses potentialités… »
Nous ne pouvons terminer notre exposé sans évoquer les dégâts induits par certaines
habitudes, certains réflexes systématiques, certaines réactions défensives du corps
médical. Diagnostics assénés en toute méconnaissance du sujet, pronostics tombant
comme un couperet, condamnations à diverses formes de peines, prophéties et sentences,
sous-entendus distillés, gestes et mimiques incontrôlées ayant effet de parole meurtrière,
décisions à haute valeur pronostique, etc.
Cette brutalité n’a rien à envier à sa formation réactionnelle en voie d’expansion
qui, sous des traits beaucoup plus soft, recèle une plus grande perversion. Elle consiste
à ânonner sans le savoir les mots concoctés par le pouvoir médiatico-politique, mots
lénitifs, soporifiques, hypnagogiques, à consonance vertueuse mais porteurs d’un sens
potentiellement meurtrier : palliatif, pôle oncologie, fin de vie, euthanasie, vérité, suicide
assisté, accompagnement, dignité, etc. Tous ces jolis mots ont relégué les affres de la mort
à un temps révolu. Tout semble tranquille, doux, serein, apaisé, on pourrait ajouter cool et
sympa pour parachever le politiquement correct. L’emballage des mots, le papier cadeau
des nouvelles formules permettent de masquer la réalité et clore le questionnement. Et
ça marche.
La recherche médicale, de son côté, ne se nourrit que d’études dites « randomisées »,
excluant le sujet et l’inexplicable. Selon J. Achtenberg et F. Lewis, ce sont des études
initialement destinées à l’agriculture et à l’horticulture. Je cite : « Les groupes de contrôle
randomisés n’ont jamais donné et ne peuvent donner de réponses satisfaisantes lorsqu’il
782
Événements trophiques et guérisons spontanées

s’agit d’études de comportements complexes ou d’enquêtes psychosociales sur des


êtres humains… Laisser une méthodologie de recherche dicter le plan et la nature des
questions (au lieu de faire le contraire) est une aberration de la méthode scientifique.
C’est le monde à l’envers, la queue qui remue le chien… » (Revue Advances.) Et les auteurs
ne font référence qu’aux comportements et aux facteurs psychosociaux ! Qu’en serait-il
s’ils faisaient référence au sujet ?
Il serait peut-être temps d’imposer aux futurs praticiens un enseignement minimal
non pas de Références Obligatoires, mais de Représentations Souhaitables. Ils en feraient
ce qu’ils voudraient.
Ce n’est pas dans l’air du temps. À l’endroit de ceux qui véhiculent tous azimuts et
propagent à l’encan, en tout bien tout honneur, le poison des mots et des actes, nous
n’avons guère d’autre choix que de nous attrister, voire, chose beaucoup plus difficile, de
pardonner car, cela a déjà été dit en d’autres temps, « ils ne savent ce qu’ils font ».

783
POSTFACE

Retournons à Mascous, le fameux petit village, cité p. 21. La boulangerie a été vendue
puis rasée il y a quinze ans. À la place, trône le foyer socioculturel du village. Mylène,
l’ancienne boulangère, est devenue aide-soignante et doit être à la retraite dans un an.
Elle envisage de faire du bénévolat auprès des malades. Edmond, le cardiaque miraculé,
est mort à l’âge de 91 ans. Dans les suites du décès de Zoé, son mari cessa de courir le
guilledou mais décéda d’un cancer du rein un an après. Leur fils est médecin depuis peu
et va succéder au docteur Serval qui a pris sa retraite de manière anticipée du fait de son
état dépressif. Lucien continue toujours à appeler les pompiers au moindre rhume. À sa
plus grande joie, ses deux filles ont convolé en justes noces avec des soldats du feu. Anaïs
s’est formée à la psychosomatique et exerce avec satisfaction son métier de psychologue
clinicienne. Quant au Petit Poucet, après sa longue odyssée, il a enfin retrouvé les siens.
J’espère que ce voyage entre corps et psyché aura intéressé autant ceux qui soignent
que ceux qui sont en attente de soins. La psychosomatique n’est pas une panacée mais
elle constitue une avancée indéniable dans le champ de la médecine. Elle ne produit
pas de miracle, mais elle améliore très souvent, et elle peut guérir, y compris de manière
définitive.
Il est souvent facile pour un praticien, consulté en dernier recours, de s’enquérir de
tout ce qui n’a pas été fait, de ce qui a été mal fait, de tout ce qui aurait pu être fait, lors du
parcours médical antérieur, de repérer les errances, si ce n’est de s’enorgueillir d’être celui
par qui la vérité est enfin dévoilée. La position du psychosomaticien n’y échappe pas.
C’est souvent bien longtemps après que l’on découvre des déterminants passés inaperçus,
tout comme celui qui, ayant perdu l’objet investi, réalise après coup ce qu’il aurait dû faire
ou ne pas faire. Ainsi, l’approche psychosomatique doit se prémunir contre une dérive
potentielle, celle de revêtir un aspect quelque peu magique. Ne nous laissons pas entraî-
ner par la séduction qu’elle peut opérer chez certains patients ou soignants.
Cet ouvrage a fait trois impasses que nous avons déjà signalées : celle du rêve, celle de
la vie sexuelle et celle de la psychopathologie. On peut le regretter car les observations y
font souvent référence mais il n’était pas possible de doubler le nombre de pages de ce
volume. De plus, je crois que l’essence même et la spécificité de la psychosomatique en
eût pâti. J’ai donc préféré différer la publication des études concernant ces trois domaines.
De nombreuses maladies peuvent être traitées, souvent avec succès, avec la seule
et unique intervention de la médecine officielle. Nous nous en réjouissons. L’approche
médicale classique est de toute façon incontournable et constitue le premier temps de
toute démarche de soin.

785
Traité de médecine psychosomatique

La majorité des patients qui m’ont permis d’effectuer les études présentées, avaient
eu un parcours médical conséquent auprès de différents praticiens compétents, expéri-
mentés et souvent éclairés. Dans d’autres cas, ce n’est que du fait de la chronicisation,
de l’absence de résultats thérapeutiques, voire d’échecs ou de complications, que les
patients concernés ont été amenés à me consulter.
Ceci étant, il arrive un moment où l’acharnement dans la technicité devient préju-
diciable et qu’une régulation par un praticien suffisamment formé à l’approche
psychosomatique devient nécessaire. Ce rôle incombe le plus souvent au médecin
généraliste, espèce en voie de disparition savamment programmée par les institutions
depuis quelques décennies. Sa tache est des plus difficiles lorsqu’il se refuse à devenir
l’officier de santé que d’aucuns souhaitent, soumis aux oukases des institutions, ou le
rabatteur aux émoluments assurés, ou encore le thérapeute du système de soin au détri-
ment du patient.
Le rôle d’un médecin généraliste formé à la psychosomatique est plus qu’une néces-
sité, et sa formation dans cette optique plus que jamais nécessaire, envers et contre toutes
les institutions perverses qui ont juré sa disparition. Sinon, que lui reste-t-il ? Il a délibéré-
ment abandonné de répondre aux urgences, assurées dans le meilleur des cas par d’autres
médecins, et dans le pire par des cow-boys tout autant adulés qu’incompétents d’un
point de vue médical. Il a renoncé à la technicité tant celle-ci progresse et ne peut être
assurée que par des structures spécialisées. Que lui reste t-il ? Multiplier les actes, sans
conviction, sans plaisir, sans désagrément, avec la satisfaction mitigée d’un contribuable
en place mais anxieux, se limiter à prendre la tension, à peser le patient, à renouveler
l’ordonnance, à faire une lettre au spécialiste ? Accepter d’être l’otage désigné, malgré les
doutes, les interrogations nécessaires, les tourments identitaires, les études effectuées, la
connaissance, le cœur à l’ouvrage, continuer à se soumettre, par peur, par saturation, par
soumission au consensus, aux menaces d’un système dénué de sens, s’excuser d’être un
homme de l’art, un affranchi, un supposé nanti, un prédateur pointé du doigt, un libre
penseur, un libre acteur, et finir parfois dans la dépression, l’alcool, le suicide, et, dans tous
les cas, le renoncement à tout idéal. La machine à broyer le praticien est parfaitement
huilée, en synergie et compagnonnage contractuel avec celle qui broie le sujet patient.
Dévier, prendre la tangente, investir massivement la spécialisation dans telle technique,
telle approche se voulant révolutionnaire ou vertueuse, ayant réponse à tout, et ainsi
devenir le gourou cantonal, départemental, régional. Autant de destinées, autant de
réussites, autant d’échecs, autant de remises en question, autant de refus de remise en
cause. Les dérives de la psychosomatique, ses digests incontrôlés et séducteurs, consti-
tuent aussi un des réservoirs de ces destinées.
Certains moments de la vie viennent remettre de l’ordre dans tout cela. C’est lorsque
le sujet soignant est lui-même confronté dans sa vie, dans son corps, dans sa famille, au
drame médical. Les modèles et les convictions s’érigent et s’affaissent, se révoltent et se
remettent en cause, s’apaisent et se contredisent. Tragique retour des choses. Pour tout
soignant. Du plus obtus au plus éclairé.
En attendant que le désinvestissement total ou la désertification se généralisent dans
le corps médical – ce qui est une réalité en marche –, restituons à celui qui s’est investi
786
Postface

pendant de longues années de sa vie la possibilité de redécouvrir le sujet patient en


même temps que lui-même. L’expérience de ces longues années de formation nous a
montré que le jeu en vaut la chandelle.
Les soignants stagiaires de l’École de médecine psychosomatique font part, au travers
de leurs évaluations, d’un changement fondamental, significatif et positif dans leur
exercice quotidien. Ils se sentent globalement mieux dans leur pratique, ont retrouvé
plus de plaisir dans leur travail, plus d’ouverture d’esprit, de curiosité, d’assurance, de
rigueur. Ils ont acquis des représentations fondamentales et opérantes concernant l’arti-
culation psyché-soma et la genèse des processus morbides. Ils font preuve de compé-
tences nouvelles grâce à l’utilisation régulière d’outils cliniques fondamentaux, tels que
l’anamnèse associative, la fonction psychosomatique, le repérage clinique des secteurs
mentalisés, le repérage aisé de la répression. Ils ne sont plus désarmés face à la pathologie
anxieuse ou dépressive tant d’un point de vue clinique et étiopathogénique que théra-
peutique. Leur investigation clinique s’est élargie, prenant en considération des facteurs
cruciaux habituellement ignorés. Les capacités de décryptage des plaintes et de résolution
de certains conflits chez le patient se sont améliorées. L’approche de la physiopathologie
s’est éclairée de repères nouveaux et les résultats thérapeutiques sont le plus souvent
améliorés. Aux réflexes défensifs du praticien, potentiellement iatrogènes, se substituent
des attitudes préventives opérantes, plus particulièrement en ce qui concerne l’enfant.
L’écoute du patient s’est élargie et fait preuve de plus d’acuité. La conduite de l’entretien
est plus active, plus ciblée, tout en faisant preuve d’ouverture. La relation avec le patient
est plus aisée, plus sereine, plus détendue, le système défensif du patient n’étant plus
considéré comme une attaque du professionnel, mais comme un symptôme.
En bref, les praticiens formés à la psychosomatique ont retrouvé du sens dans leur
fonction initiale : du sens à la pathologie, du sens à la demande, à la plainte et aux
réactions, du sens à leur fonctionnement et à leur pratique. Or, à ce jour, le dénomina-
teur commun de l’usure, de la désillusion, du désinvestissement dans les professions de
soins, réside dans une perte de sens. Il serait donc plus que jamais insensé de réserver la
psychosomatique aux seuls spécialistes psychanalystes et de priver de nombreux profes-
sionnels du soin de ses apports qui, comme nous venons de le voir, sont considérables.
Plus de 500 stagiaires ont suivi la formation à ce jour. La majorité d’entre eux gardent
leur mode d’exercice, enrichi bien sûr des apports de la formation. Plus rarement, certains
stagiaires se sont acheminés au bout de cinq ans de formation en moyenne vers l’exercice
de la psychothérapie.
Ces quinze années d’enseignement nous ont beaucoup apporté. Outre les contacts
réguliers et chaleureux avec les stagiaires qui contribuent grandement à l’élaboration du
cursus, les adaptations et les modulations itératives de l’enseignement tant du point de
vue de la forme que du fond, nous ont permis de nous confronter en continu à l’épreuve
de la réalité : réalité des modes d’exercice, réalité des difficultés, réalité des compétences
mais aussi des systèmes défensifs de chacun. Au sein du corpus théorico-clinique, certains
concepts trop complexes, trop confus ou trop abstraits, ont dû être réadaptés ou élagués.
D’autres concepts issus de nos propres recherches ont été proposés sous forme de repré-
sentations assimilables et d’outils adaptés à l’exercice de chacun, faisant l’objet d’un retour
et d’une évaluation à distance.
787
Traité de médecine psychosomatique

L’enseignement est le fruit de la recherche et, en retour, il affine celle-ci. L’activité de


soin alimente, de son côté, la recherche et l’enseignement. Cette triade soin-recherche-
enseignement me paraît constituer le socle de toute avancée dans le domaine de la
psychosomatique. Le fondement de ma recherche est mû par un désir de découverte de
contrées inexplorées, mon positionnement dans le soin est sous-tendu par une certaine
forme d’espérance, mon enseignement n’a de sens que s’il est compris par le moins initié.
La réalité m’a parfois douloureusement remis en cause. Ce qui est de l’ordre de la vie et de
la mort, mais aussi de nos propres réalisations, n’en finit pas de nous dépasser.
Je remercie nos stagiaires et nos patients qui nous enseignent quotidiennement les
trajectoires à suivre et celles à éviter.
Augurons que cet ouvrage puisse apporter des pistes de réflexion à chacun et inspi-
rer d’autres chercheurs car le champ à défricher s’étend à perte de vue. Considérons ce
voyage en psychosomatique comme une invite à toujours chercher.

788
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795
INDEX
A ataxie 623
abréaction inaugurale 148 attachement 270
acceptation de la maladie 665 attraction 276
acouphène 602 audition 593
action hormonale du CRH 111 auto-agression 666
action neurohormonale du CRH 111 auto-agressivité 666
affect 27 auto-anticorps 523
affect réprimé 54 auto-immunité 521, 528
afflux de traumatismes 49 B
Agapè 269 biologie de l’adaptation 109
agression 208 bruit 596
agressivité 659 brûlure d’estomac 469
agressivité et sexualité 192 burn-out 347
algie pelvienne 415
allergie respiratoire 499 C
altération de la fonction sexuelle 104 cancer 758
altération physiologique 193 captation 278
amnésie lacunaire 248 carence affective 680
amour 265, 763 castration imaginaire 135
analité 133 céphalée chronique diffuse 395
anamnèse associative 42 céphalée de tension agressive 389
angoisse 93, 142, 664 céphalée de tension intellectuelle 391
angoisse de castration 135 chronicisation 149
angoisse de destruction 129 cible des émotions 63
angoisse de séparation 134 cible somatique 62, 150
antagonisme émotionnel 84 cicatrice corporelle 172
antériorité traumatique 41 colère 69, 464
anxiété 465 collagénose 536
appareil digestif 461 colopathie spasmodique 483, 485
archéofixation 170 complexe d’Œdipe 137
argent 233 comportement 25
arrêt de travail 351 composante archaïque de l’angoisse 142
asthme 504 conflictualité intrapsychique 193
797
Traité de médecine psychosomatique

conflit d’intérêts 233 désordre alimentaire 104


confusion 251 désordre de l’humeur 66
conscient 32 désordre économique 49, 726
constipation fonctionnelle 474 désordre physiologique 366
constituants du psychisme 27 désordre physiopathologique
construction de la fonction infraclinique 60
psychosomatique 124 désordre somatique 39
contrainte 204 désorganisation 194
conversion et somatisation 188 déterminant de la cible somatique 62
conversion prégénitale 182 déterminisme culturel 159, 193
corysa spasmodique 516 deuil 664
crise céphalalgique 398 deuxième année 132
crise œdipienne 137 diabète de type I 547
crise vertigineuse 619 diabète insulinodépendant 547
cristallisation négative 284 diagnostic 643
croire 773 diarrhée fonctionnelle 477
croyance 773 dimension dynamique 34
culpabilité 142 dimension économique 35
culpabilité de défaillance 143 dimension topique 31
culpabilité identitaire 143 dissociation hystérique 149
culpabilité pulsionnelle 144 distorsion identificatoire 681
douleur 105, 359
D
douleur abdominale de l’enfant 480
défaite du lombalgique 380 douleur de défaite 376
défaut de limite 252 douleur de lutte 376
déficit structural d’organisation douleur (fonction psychosomatique) 365
psychique 50
douleur physique 363
dégoût 77, 464
douleur psychique 361
délit sexuel 250
dyspareunie 412
démentalisation 103
dysthyroïdie 552
démentalisation traumatique aiguë 172
déni de la maladie 657 E
dépendance 129 école américaine 182
déplacement de l’affect 149 eczéma 445
dépression 102, 466, 665 eczéma de l’adolescent 447
dépression essentielle 50, 105 eczéma de l’adulte 447
dépression « masquée » 103 eczéma de l’enfant à partie de 3 ans 447
dermatite atopique du nourrisson 446 effet somatopsychique 371
dermatologie 431 élaboration psychique 149
dermatomyosite 538 émotion 25, 65
dermatose 756 émotion composite 86
798
Index

émotion de base 96 fonction défensive 656


émotion et immunité 526 fonction psychosomatique 35
endorphine 113 fonction psychosomatique de
enfant de 4 à 6 ans 135 l’agressivité 90
enfant rejeté 237 fonction psychosomatique de la
engrènement 253 répression de l’agressivité 91
enregistrement des traces mnésiques 130 Freud 180
entreprise familiale 233 frigidité 163
équilibre 615 fuite 657
Éros 265 G
événement professionnel
gastralgie 469
traumatique 327
gastrite 469
événement traumatique 205
gastroentérologie 459
événement trophique 743
gémellarité des fonctions somatiques et
excitation 22 psychiques 180
expression somatique de l’angoisse 100 glaucome 579
expressivité générale de la répression 58 grand vertige unique 620
F grossesse 295
facteur traumatique 39 guérison spontanée 743
famille 231 guerre 284
famille et sexuel 243 gynécologie 401
fantasme sexuel masochiste 690 H
fatigue 104 hallucination acousticoverbale 612
fausse couche spontanée 316 hallucination auditive 611
faux souvenir 248 hallucinose musicale 611
fibromyalgie 385 harcèlement moral 208
fixation 192 harcèlement professionnel 338
fixation anale 134 histoire du sujet 123
fixation génétique 170 honte 142
fixation génitale 177 hormone 113
fixation phylogénétique 170 hypermétropie 579
fixation psychique 167 hypertension artérielle essentielle 116
fixation psychosomatique 167, 173 hypoacousie 598
fixation psychosomatique archaïque 174 hypocondrie 466
fixation psychosomatique et hystérie de conversion 147
érogénéité 178
hystérie et médecine 152
fixation somatique acquise 171
fixation traumatique précoce 172 I
foi 774 identification 254
fonction d’autoconservation 656 image du corps 631
799
Traité de médecine psychosomatique

imaginaire du patient 631 mal d’amour 282


imaginaire familial 635 manie blanche 529
imaginaire médical 640 Marty, Pierre 183
imaginaire populaire 637 masochisme 286, 677
immunité 525 masochisme archaïque 680
immunité et dépression 526 masochisme érogène 678
inacceptation de la condition de masochisme moral 696
malade 658 masochisme primaire constitutionnel 678
inceste 245, 246 masochisme sexuel 682
incestuel 250 masochisme somatopsychique 709
inconscient 33 maternité 295, 764
induction psychique des émotions 65 matrice archaïque 182
infertilité inexpliquée 417 maux de tête 388
inflammation viscérale 92 mémoire infantile 247
instinct 22 mentalisation 35, 45
interruption volontaire de grossesse 315 mentalisation parallèle 370
introjection 130 mésalliance 235
intrusion 252 migraine d’origine anxieuse 393
investigation psychosomatique 715 mise en acte 48
mode de vie 50
J
modèle conversionnel 181
joie 79, 465, 763 mort fœtale in utero 316
L motricité 25
labyrinthite infectieuse 620 myopie 578
lacune secondaire du préconscient 51 N
lieu de déliaison 60 nausée 470
lupus érythémateux disséminé 536 névrite vestibulaire 620
M nociception 366
maladie auto-immune 519, 757 O
maladie d’Alzheimer 227 objet de la maladie 655
maladie de Basedow 553 observation médicale 720
maladie de Crohn 492 obstacle religieux 235
maladie de Ménière 619 ophtalmologie 578
maladie gynécologique 755 oralité 129
maladie inflammatoire intestinale 487, oreille 589
757
otite 600
maladies du syndrome général d’adapta-
tion 115 P
maladie somatique de la défaite 107 paléofixation 170
maladie somatique d’origine anxieuse 101 paradoxe 252
800
Index

parent de substitution 239 R


passion amoureuse 263 réaction adaptative 44, 48, 89
pathologie allergique 754 réaction à la défaite 101
pathologie anxieuse 92 réaction à la maladie 655
pathologie de la répression de réaction anxieuse 98
l’agressivité 91
réaction au rejet 238
pathologie du lien 236, 237
réaction comportementale 48
pathologie fonctionnelle d’origine
réaction de défaite 664
anxieuse 100
réaction de défense 656
pathologie gastro-œsophagienne 467
réaction dépressive 101
pathologie otologique chronique 620
réaction d’inhibition 664
pathologie somatique du
masochisme 710 réaction émotionnelle 49, 64
patrimoine 234 réaction psychique 44
pelade 441 réaction régressive 667
perception visuelle 565 réaction somatique 49
période primaire 127 réaction traumatique 44
personnalité hystérique 159 réactivité physiologique générale 60
perte 205 réactivité traumatique 329
pervers narcissique 209 réalité traumatique 41
peur 72, 96, 464 rechute 149
phase d’épuisement 113 rectocolite ulcérohémorragique 487
phénomène transférentiel 648 référence sexuelle 243
Philia 268 reflux gastro-œsophagien 467
physiopathologie infraclinique 367 refoulement 59
polyarthrite chronique rhumatoïde 532 refus de soins 658
polytraumatisme de la maladie 651 régression 194, 667
post-partum 306 régression psychique 167
préconscient 32 relation de la juste distance 503, 512
première année 129 relation d’objet allergique 501, 511
prévalence de l’hystérie chez relation intersubjective primitive 126
la femme 157 remaniement défensif 671
processus de harcèlement 211 répétition 254
processus de somatisation 196 représentation 29
pronostic 647 représentation à fleur de conscience 51
psoriasis 432 représentation consciente 65
psychisme 27 représentation de la maladie 631
psychosomatique de l’hypertension représentation du traumatisme 41
artérielle essentielle 120 représentation inconsciente 66, 190
pulsion phonique 595 représentation préconsciente 66
pulsion scopique 570 représentation réprimée 51, 52
801
Traité de médecine psychosomatique

représentation traumatique 160 seuil de tolérance 329


représentation visuelle 573 silence 596
répression 50, 59 situation anxiogène 205
répression de l’affect 54 situation professionnelle traumatique 320
répression de l’affect agressif 54 situation traumatique 204
répression de l’affect anxieux 55 somatisation 49
répression de l’affect douloureux 55 somatisation pelvienne fonctionnelle 402
répression de l’agressivité 90 souvenir de l’événement 148
répression de l’émotion 56 spondylarthrite ankylosante 535
répression des représentations 50 strabisme 581
répression des représentations striction gastrique 468
anxiogènes 53 sublimation 764
répression des représentations doulou- suggestion 248
reuses 54 suggestion et imitation 192
répression des représentations motrices surdité 598
agressives 53 symbolisme 192
répression du comportement 57 symptôme de conversion 153, 159
rétinite 584 symptôme digestif et émotion 463
retournement du sadisme archaïque 680 symptôme gastrique 468
retraite 353 syndrome de Goujerot-Sjögren 540
rhumatisme 91 syndrome de répétition 224
rhumatisme inflammatoire 92 syndrome de Stockholm 225
rhumatisme inflammatoire chronique 532 syndrome douloureux de lutte 376
rhumatisme mécanique 91 syndrome général d’adaptation 115, 525
roman d’amour 279 syndrome psychosomatique 214
rupture 236 syndrome psychotraumatique 216
S système d’alarme 110
système de défense 111
Sacher-Masoch, Léopold 683
système défensif du patient 716
sadomasochisme sexuel 682
système hypothalamo-hypophyso-corti-
sclérodermie 539
cosurrénalien 111
sclérose en plaques 544
secret de famille 256 T
secret et déni 253 tendresse 286
secteur existentiel protégé 41 thyroïdite de Hashimoto 555
séduction 276 tourment 283
sens 192 toxoplasmose oculaire 583
sensation 727 trace corporelle 172
sensation pseudovertigineuse 621 trace mnésique de la maladie 633
sensibilité 24 trahison 235, 285
séparation 287 transmission 254
802
Index

transmission intersubjective 255 V


transmission transpsychique 256 vaginisme 402
trauma familial non élaboré 258 vaginisme primitif 403
trauma précoce 127 vaginisme secondaire 407
traumatisme 40, 203 valeur traumatique 41
traumatisme existentiel 39 vécu de castration 135, 207
traumatisme familial 232 vécu de séparation 206
traumatisme professionnel 320 vécu traumatique 227
traumatisme sexuel 247 vécu traumatique inaugural (VTI) 369
travail 319 vertige 618
travail de deuil 206 vertige positionnel 618
tristesse 75, 464 victime 210
troisième année 132 vision binoculaire 579
trouble de l’équilibre 624 vitiligo 455
trouble digestif 104 vomissement 470
trouble du sommeil 104
trouble fonctionnel intestinal 472
trouble urinaire fonctionnel 414
tyrannie du lien 240
U
ulcère gastroduodénal 472
urticaire 450
uvéite 584

803
Remerciements

Je remercie Robert Babeau, toujours présent au bout de trente ans


de parcours partagé sur les chemins de la psychosomatique.

Je remercie Marie Massip pour ses initiatives toujours pertinentes


et son travail attentif et intelligent de relecture.

Je remercie mes patients et tous les stagiaires de l’École de médecine


psychosomatique.
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Première partie
LES FONDEMENTS
Chapitre 1
L’ARTICULATION DU PSYCHISME ET DU CORPS . . . . . . . . . . . . . 21
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2. L’INSTINCT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2-1. L’excitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2-2. La sensibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2-3. La motricité et les comportements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2-4. Les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3. LE PSYCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3-1. Les constituants du psychisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3-2. La dimension topique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3-3. La dimension dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3-4. La dimension économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Chapitre 2
LA GENÈSE DU DÉSORDRE SOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1. LES FACTEURS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1-1. Les traumatismes existentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1-2. La valeur traumatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
1-3. L’anamnèse associative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
1-4. L’exploration des secteurs existentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2. LES RÉACTIONS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2-1. Les réactions psychiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2-2. Les réactions comportementales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2-3. Les réactions somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3. LE DÉSORDRE ÉCONOMIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
807
Traité de médecine psychosomatique

4. LA RÉPRESSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
4-1. La répression des représentations : « Ne pas penser ! » . . . . . . . . . . . . . . . . 50
4-2. La répression de l’affect : « Ne rien ressentir ! » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4-3. La répression de l’émotion : « Ne rien laisser paraître! » . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4-4. La répression du comportement : « Ne pas broncher ! » . . . . . . . . . . . . . . . 57
4-5. L’expressivité générale de la répression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4-6. Répression et refoulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
5. LA RÉACTIVITÉ PHYSIOLOGIQUE GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5-1. Le lieu de déliaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5-2. Le désordre physiopathologique infraclinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5-3. Les déterminants de la cible somatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Chapitre 3
LES CIBLES DES ÉMOTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
2. LA RÉACTION ÉMOTIONNELLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3. L’INDUCTION PSYCHIQUE DES ÉMOTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3-1. Représentations conscientes et émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3-2. Représentations préconscientes et désordres de l’humeur . . . . . . . . . . . . . . 66
3-3. Représentations inconscientes : symptômes mentaux et somatiques . . . . . . . 66
4. ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DES ÉMOTIONS DE BASE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4-1. Protocole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4-2. La colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4-3. La peur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4-4. La tristesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4-5. Le dégoût . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4-6. La joie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4-7. Synthèse générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
4-8. Incidences pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
4-9. La recherche officielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4-10. Les émotions composites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

Chapitre 4
LES RÉACTIONS ADAPTATIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
2. LA RÉPRESSION DE L’AGRESSIVITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
2-1. Fonction psychosomatique de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
2-2. Fonction psychosomatique de la répression de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . 91
2-3. Les pathologies de la répression de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3. L’ANGOISSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3-1. Clinique de l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
3-2. Angoisse et émotions de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
808
Table des matières

3-3. But et causes des réactions anxieuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98


3-4. Les expressions somatiques de l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
4. LES RÉACTIONS DÉPRESSIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .101
4-1. Les réactions à la défaite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .101
4-2. La dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
4-3. Gradients de démentalisation dans les dépressions . . . . . . . . . . . . . . . . . .103

Chapitre 5
BIOLOGIE DE L’ADAPTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .109
2. LE SYSTÈME D’ALARME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .110
3. LE SYSTÈME DE DÉFENSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .111
3-1. Le système hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien . . . . . . . . . . . . . . 111
3-2. Systèmes annexes : endorphines et hormones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .113
4. LA PHASE D’ÉPUISEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
5. LES MALADIES DU SYNDROME GÉNÉRAL D’ADAPTATION . . . . . . . . . . . . . . .115
5-1. Lutte active et sentiment de contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
5-2. Velléité de lutte avec sentiment de perte de contrôle, d’inefficacité . . . . . . . .115
5-3. Passivité, renoncement, épuisement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
6. L’EXEMPLE DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE ESSENTIELLE . . . . . . . . . . . . . . . 116
6-1. Observations personnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .117
6-2. Travail de recherche des stagiaires de l’EMP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .120
6-3. Psychosomatique de l’hypertension artérielle essentielle . . . . . . . . . . . . . . 120
6-4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121

Chapitre 6
L’HISTOIRE DU SUJET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123
2. LA CONSTRUCTION DE LA FONCTION PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . .124
3. LA RELATION INTERSUBJECTIVE PRIMITIVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .126
4. LA PÉRIODE PRIMAIRE ET LE TRAUMA PRÉCOCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .127
5. LA PREMIÈRE ANNÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
5-1. L’oralité et la dépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .129
5-2. L’angoisse de destruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .129
5-3. L’enregistrement des traces mnésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .130
6. LA DEUXIÈME ET LA TROISIÈME ANNÉES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .132
6-1. L’analité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .133
6-2. Le destin des fixations anales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .134
6-3. L’angoisse de séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .134
809
Traité de médecine psychosomatique

7. L’ENFANT DE 4 À 6 ANS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .135


7-1. La castration imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .135
7-2. Le complexe d’Œdipe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
7-3. Destinées de l’œdipe et de la castration chez l’adulte . . . . . . . . . . . . . . . . .139
7-4. Facteurs d’achoppement et principes préventifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .140
8. Angoisse et culpabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .142
8-1. Les composantes archaïques de l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .142
8-2. La culpabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .142
9. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .146

Chapitre 7
L’HYSTÉRIE DE CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
2. LES THÉORIES À TRAVERS LES ÂGES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
2-1. Jean-Martin Charcot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
2-2. Études sur l’hystérie. Freud, Breuer, 1895 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
2-3. Après Freud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
3. LES SYMPTÔMES DE CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .153
3-1. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .153
3-2. Caractères généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .154
3-3. Clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .154
4. DISCUSSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157
4-1. La prévalence de l’hystérie chez la femme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157
4-2. Le déterminisme culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .159
4-3. Symptôme de conversion et personnalité hystérique . . . . . . . . . . . . . . . . .159
4-4. L’absence de lésion organique objectivable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .159
4-5. Nature sexuelle de la représentation traumatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . .160
4-6. La frigidité présumée de l’hystérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163
4-7. Origines non sexuelles du symptôme de conversion . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
5. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .164
5-1. D’un point de vue psychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .164
5-2. D’un point de vue médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .164
5-3. D’un point de vue psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .165
5-4. D’un point de vue relationnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
5-5. D’un point de vue épidémiologique et social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .165
5-6. D’un point de vue nosographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

Chapitre 8
LES FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
1. FIXATION ET RÉGRESSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167
1-1. Fixations et régressions psychiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167
1-2. L’extension du concept à la psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
810
Table des matières

2. Les différents types de fixation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .169


3. PALÉOFIXATIONS ET ARCHÉOFIXATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .170
3-1. Les fixations phylogénétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
3-2. Les fixations génétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .170
3-3. Les fixations somatiques acquises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .171
4. FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
4-1. Fixations psychosomatiques archaïques (8 mois - 4 ans) . . . . . . . . . . . . . . .174
4-2. Fixations génitales (3 - 8 ans) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .177
4-3.  Fixations psychosomatiques et érogénéité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .178
4-4. Gémellarité des fonctions somatiques et psychiques . . . . . . . . . . . . . . . . .180
5. LA GRANDE PALABRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .180
5-1. La position de Freud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .180
5-2. Le modèle conversionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .181
5-3. La matrice archaïque et la conversion prégénitale . . . . . . . . . . . . . . . . . . .182
5-4. L’école américaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .182
5-5. Pierre Marty . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .183
5-6. Autres théories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
6. CONVERSION ET SOMATISATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .188
6-1. Le désordre économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
6-2. Les représentations inconscientes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .190
6-3. Les fixations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
6-4. Le sens et le symbolisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
6-5. Les autres caractéristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
7. RÉGRESSIONS ET DÉSORGANISATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
7-1. Régressions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .194
7-2. Désorganisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .194
8. UNE CLASSIFICATION DES PROCESSUS DE SOMATISATION . . . . . . . . . . . . . . .196

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . .197

811
Traité de médecine psychosomatique

Deuxième partie
LES TRAUMATISMES
Chapitre 9
NATURE DES TRAUMATISMES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .203
2. LES SITUATIONS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .204
2-1. Les contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
2-2. Les situations anxiogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205
3. LES ÉVÉNEMENTS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205
3-1. Les pertes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205
3-2. Les agressions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
4. LE HARCÈLEMENT MORAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
4-1. Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .208
4.-2. Le pervers narcissique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .209
4-3. La victime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
4-4. Le processus de harcèlement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .211
5. LES SYNDROMES Psychotraumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
5-1. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .214
5-2. Spécificité traumatique du SPT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
5-3. Inventaire des traumatismes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .215
5-4. Clinique des syndromes psychotraumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
6. MÉCANISME DU SYNDROME DE RÉPÉTITION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .224
7. FORMES CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .225
8. PHYSIOPATHOLOGIE DU SPT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .227
9. VÉCUS TRAUMATIQUES ET MALADIE D’ALZHEIMER . . . . . . . . . . . . . . . . . . .227

Chapitre 10
LA FAMILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
2. LES TRAUMATISMES FAMILIAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
2-1. Conflits d’intérêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .233
812
Table des matières

2-2. Trahisons et mésalliances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .235


2-3. La rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
3. LA PATHOLOGIE DU LIEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
3-1. L’enfant rejeté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
3-2. Le parent de substitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .239
3-3. La tyrannie du lien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
3-4. Somatisations et pathologie du lien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4. LA FAMILLE ET LE SEXUEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4-1. Les références sexuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4-2. L’interdit de l’inceste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .245
4-3. L’inceste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .246
4-4. L’incestuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
5. RÉPÉTITION, IDENTIFICATION, TRANSMISSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .254
5-1. La répétition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .254
5-2. La transmission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .255
5-3. Conséquences des traumas familiaux non élaborés . . . . . . . . . . . . . . . . .258
6. FAMILLE, JE VOUS AIME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260

Chapitre 11
LES PASSIONS AMOUREUSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .263
2. L’AMOUR DANS TOUS SES ÉTATS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
2-1. Les trois amours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .265
2-2. L’attachement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .270
2-3. L’amour et la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .272
3. CLINIQUE DES TRANSPORTS AMOUREUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
3-1. Attraction et séduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .276
3-2. La captation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .278
3-3. Le roman d’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
4. LE CHEMIN DES TOURMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .282
4-1. Le mal d’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282
4-2. Le tourment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .283
4-3. La cristallisation négative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .284
4-4. La tendresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
5. CLINIQUE DE LA SÉPARATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
5-1. Le choc de la rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .287
5-2. L’acmé de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .288
5-3. La traversée du brouillard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .289
5-4. La convalescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .291
5-5. Cicatrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .291

813
Traité de médecine psychosomatique

Chapitre 12
LA MATERNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .295
2. PSYCHOSOMATIQUE ET GROSSESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .295
2-1. Disparition de pathologies pendant grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .295
2-2. Pathologies induites par la grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .298
2-3. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .304
3. PSYCHOSOMATIQUE DU POST-PARTUM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .306
3-1. Pathologie mentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .306
3-2. Somatisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .312
4. 
REPRÉSENTATIONS TRAUMATIQUES RÉSIDUELLES APRÈS INTERRUPTION DE
GROSSESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .315
4-1. Interruptions volontaires de grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .315
4-2. Fausses couches spontanées et morts fœtales in utero . . . . . . . . . . . . . . . .316
4-3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .317

Chapitre 13
LE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .319
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .319
2. LES NOUVEAUX TRAUMATISMES PROFESSIONNELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . .320
2-1. Les situations professionnelles traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .320
2-2. Les événements professionnels traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .327
3. LA RÉACTIVITÉ TRAUMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .329
3-1. Le seuil de tolérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .329
3-2. Les réactions somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .333
4. LE HARCÈLEMENT PROFESSIONNEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .338
4-1. L’agresseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
4-2. Le processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .340
4-3. La victime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341
4-4. Formes cliniques selon les situations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .341
4-5. Diagnostic différentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .343
4-6. Pathologies induites par le harcèlement moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .344
4-7. Le contexte, la structure et l’entourage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .345
4-8. Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .346
4-9. Les dérives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347
5. LE « BURN OUT » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .347
5-1. Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .347
5-2. Caractéristiques générales du syndrome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .348
5-3. Professions à risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .348
5-4. Sujets à risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349

814
Table des matières

5-5. Clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .349
5-6. Pathogénie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .350
6. ASPECTS PSYCHOSOMATIQUES DES ARRÊTS DE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . .351
6-1. L’impasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .351
6-2. Les représentations parasites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .351
6-3. Indications de l’arrêt de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .352
6-4. Contre-indications de l’arrêt de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .352
6-5. Arrêt de travail et psychothérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .353
7. LA RETRAITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .353

815
Traité de médecine psychosomatique

Troisième partie
LES MALADIES
Chapitre 14
DOULEURS… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359
2. DOULEUR PSYCHIQUE - DOULEUR PHYSIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .361
2-1. La douleur psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
2-2. La douleur physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .363
2-3. Fonction psychosomatique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .365
3. LE DÉSORDRE PHYSIOLOGIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .366
3-1. Le support neurophysiologique de la nociception . . . . . . . . . . . . . . . . . . .366
3-2. La physiopathologie infraclinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .367
4. L’INTERACTION DU PSYCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .368
4-1. La démentalisation du vécu traumatique inaugural . . . . . . . . . . . . . . . . . .369
4-2. La mentalisation parallèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .370
4-3. L’effet somatopsychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .371
4-4. Applications pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .375
5. DOULEURS DE LUTTE - DOULEURS DE DÉFAITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .376
5-1. Les syndromes douloureux de lutte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .376
5-2. La défaite du lombalgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
5-3. Entre lutte et défaite : la fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .385
6. LES MAUX DE TÊTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 388
6-1. Les céphalées de tension agressive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389
6-2. Les céphalées de tension intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .391
6-3. Les migraines d’origine anxieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .393
6-4. Les céphalées chroniques diffuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .395
6-5. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397

Chapitre 15
PSYCHOSOMATIQUE ET GYNÉCOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . .401
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .401
2. SOMATISATIONS PELVIENNES FONCTIONNELLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .402
2-1. Le vaginisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .402
816
Table des matières

2-2. Les vulvovaginites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .410


2-3. Les dyspareunies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 412
2-4. Les troubles urinaires fonctionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414
2-5. Les algies pelviennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .415
3. LES INFERTILITÉS INEXPLIQUÉES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .417
3-1. L’acharnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .418
3-2. Le contexte général de l’investigation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 420
3-3. Les problématiques sous-jacentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .423
3-4. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 428

Chapitre 16
PSYCHOSOMATIQUE ET DERMATOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . .431
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .431
2. PSYCHOSOMATIQUE DU PSORIASIS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .432
2-1. Données générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .432
2-2. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .433
2-3. Sémiologie psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 436
2-4. La topographie des lésions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .438
2-5. Discussion et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 440
3. PSYCHOSOMATIQUE DES PELADES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .441
3-1. Observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .441
3-2. Analyse des observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .443
3-3. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 444
3-4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .445
4. PSYCHOSOMATIQUE DE L’ECZÉMA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .445
4-1. Vécus traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 446
4-2. La relation d’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .448
4-3. Localisations particulières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .449
5. PSYCHOSOMATIQUE DE L’URTICAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .450
5-1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .450
5-2. Analyse des observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .452
5-3. Discussion et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 454
6. LE VITILIGO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 455

Chapitre 17
PSYCHOSOMATIQUE ET GASTROENTÉROLOGIE . . . . . . . . . . . . .459
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .459
2. FONCTIONS PSYCHIQUES ET FONCTIONS DIGESTIVES . . . . . . . . . . . . . . . . .461
2-1. Appareil digestif et représentations inconscientes . . . . . . . . . . . . . . . . . . .461
2-2. Symptômes digestifs et émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .463

817
Traité de médecine psychosomatique

3. PATHOLOGIES GASTRO-ŒSOPHAGIENNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467


3-1. Reflux gastro-œsophagien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467
3-2. Symptômes gastriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .468
3-3. Nausées et vomissements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .470
3-4. Ulcère gastroduodénal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .472
4. LES TROUBLES FONCTIONNELS INTESTINAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .472
4-1. Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .472
4-2. Constipation fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .474
4-3. Diarrhées fonctionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 477
4-4. Douleurs abdominales de l’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .480
4-5. La colopathie spasmodique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 483
5. MALADIES INFLAMMATOIRES INTESTINALES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .487
5-1. Rectocolite ulcérohémorragique (RCUH) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .487
5-2. Maladie de Crohn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .492

Chapitre 18
LES ALLERGIES RESPIRATOIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .499
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .499
2. LA RELATION D’OBJET ALLERGIQUE SELON P. MARTY . . . . . . . . . . . . . . . . . .501
2-1. Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .501
2-2. Mise en place de la relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .501
2-3. La régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .502
2-4. La relation de la juste distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .503
3. L’ASTHME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .504
3-1. Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .504
3-2. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .505
3-3. Le personnage maternel et l’angoisse de mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .505
3-4. Le désordre thymique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .507
3-5. Effets somatopsychiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 511
3-6. La relation d’objet allergique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .511
3-7. La relation de la juste distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .512
3-8. La rétention, le rejet et l’analité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
4. LE CORYZA SPASMODIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .516
4-1. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .516
4-2. Caractéristiques générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 516
4-3. La relation d’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .517
4-4. Le dégoût et le rejet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517

Chapitre 19
LES MALADIES AUTO-IMMUNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .519
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .519
2. LA RÉPONSE IMMUNITAIRE SPÉCIFIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .520
818
Table des matières

3. L’AUTO-IMMUNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
3-1. Auto-immunité physiologique ou naturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .521
3-2. Rupture de la tolérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .522
3-3. Mécanismes d’action des auto-anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
4. DÉTERMINANTS BIOLOGIQUES DES MALADIES AUTO- IMMUNES . . . . . . . . . 523
4-1. Facteurs somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .523
4-2. Données neuro-immunologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .524
4-3. Immunité et syndrome général d’adaptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .525
4-4. Émotions et immunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .526
4-5. Immunité et dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .526
5. THÉORIES PSYCHOSOMATIQUES DE L’AUTO-IMMUNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . .528
5-1. Personnalités prédisposées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .528
5-2. Fixation, régression, désorganisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .529
5-3. Les affects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .529
5-4. La manie blanche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .529
5-5. Introduction aux prochaines sections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531
6. LES RHUMATISMES INFLAMMATOIRES CHRONIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . .532
6-1. Polyarthrite chronique rhumatoïde (PCR) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 532
6-2. Spondylarthrite ankylosante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .535
7. LES COLLAGÉNOSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .536
7-1. Lupus érythémateux disséminé (LED) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .536
7-2. Dermatomyosite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 538
7-3. Sclérodermie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .539
8. LE SYNDROME DE GOUJEROT-SJÖGREN (SGS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .540
9. LA SCLÉROSE EN PLAQUES (SEP) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .544
10. LE DIABÈTE DE TYPE I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 547
11. DYSTHYROÏDIES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 552
11-1. Maladie de Basedow . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .553
11-2. Thyroïdite de Hashimoto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555
12. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .558
13. TRAITEMENT DES MALADIES AUTO-IMMUNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .560

Chapitre 20
L’ŒIL ET LA PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .563
2. LA PERCEPTION VISUELLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .565
2-1. Anatomie de l’œil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .565
2-2. Physiologie de la vision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566
2-3. De la sensation à la perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 568
3. LE PLAISIR DES YEUX OU PULSION SCOPIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .570
819
Traité de médecine psychosomatique

3-1. La vue chez le bébé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .570


3-2. Genèse et destinées des représentations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .573
4. PSYCHOSOMATIQUE ET OPHTALMOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 578
4-1. Troubles de la réfraction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .578
4-2. Glaucome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579
4-3. Troubles de la vision binoculaire et strabisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579
4-4. La conversion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 582
4-5. Régressions psychosomatiques oculaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583

Chapitre 21
L’OREILLE ET LA PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .589
2. ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME AUDITIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . .589
2-1. Le système périphérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
2-2. Les voies auditives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 592
3. ONTOGENÈSE DE L’AUDITION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593
3-1. Principales étapes du développement auditif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .593
3-2. La « pulsion phonique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .595
4. LE SILENCE ET LE BRUIT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .596
5. HYPOACOUSIES ET SURDITÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598
6. OTITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600
7. LES ACOUPHÈNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 602
8. LES HALLUCINATIONS AUDITIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .611
8-1. L’hallucinose musicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .611
8-2. Les hallucinations acousticoverbales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .612
9. L’ÉQUILIBRE ET LE SYSTÈME VESTIBULAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .615
10. LES VERTIGES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
11. LES SENSATIONS PSEUDOVERTIGINEUSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .621
12. LES ATAXIES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
13. TROUBLES DE L’ÉQUILIBRE ET CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .624
14. VERTIGES ET ANXIÉTÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .625
15. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .626

820
Table des matières

Quatrième partie
LES PATIENTS
Chapitre 22
LES REPRÉSENTATIONS DE LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . .631
1. L’IMAGINAIRE DU PATIENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631
1-1. L’image du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631
1-2. Les traces mnésiques de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .633
2. L’IMAGINAIRE FAMILIAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .635
2-1. L’angoisse parentale et le corps de l’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
2-2. L’histoire médicale de la famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
2-3. Les représentations qui arrangent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .636
3. L’IMAGINAIRE POPULAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .637
3-1. Les représentations du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .637
3-2. Les causes de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .637
4. LES INFORMATIONS EXTÉRIEURES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639
5. L’IMAGINAIRE MÉDICAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .640
5-1. L’histoire du soignant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 640
5-2. L’imaginaire médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .640
6. LA RENCONTRE DE DEUX IMAGINAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 641
6-1. Adhésion-introjection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .641
6-2. Sélection et remaniement du matériel introjecté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 642
6-3. Rejet des représentations médicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 643
7. DIAGNOSTICS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .643
7-1. Un terme aux interrogations et aux palabres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .643
7-2. Déculpabilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .644
7-3. Restriction du champ d’investigation et des possibilités thérapeutiques . . . . .644
7-4. Effet destructeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 644
7-5. « L’annonce du diagnostic… » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
7-6. La consultation génétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
7-7. « On vous téléphone… » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 646
8. PRONOSTICS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 647
9. PHÉNOMÈNES TRANSFÉRENTIELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .648
9-1. Le transfert primaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .649
9-2. Le transfert secondaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 651
10. LE POLYTRAUMATISME DE LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 651
821
Traité de médecine psychosomatique

Chapitre 23
LES RÉACTIONS À LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .655
1. L’OBJET MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 655
2. LES RÉACTIONS DE DÉFENSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 656
2-1. Fonctions d’autoconservation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .656
2-2. Fonctions défensives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .656
3. LA FUITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 657
3-1. Le déni de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .657
3-2. L’inacceptation de la condition de malade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 658
3-3. Le refus de soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .658
4. L’AGRESSIVITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .659
4-1. L’agressivité à l’encontre de l’objet maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 660
4-2. L’hétéro-agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .661
4-3. Agressivité remaniée par les mécanismes de défense . . . . . . . . . . . . . . . . .662
5. RÉACTIONS D’INHIBITION : L’ANGOISSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .664
6. RÉACTIONS DE DÉFAITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .664
6-1. Le deuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .664
6-2. Soumission et acceptation de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 665
6-3. Dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .665
6-4. Auto-agressivité et auto-agression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 666
6-5. Épuisement et extinction de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 666
7. RÉACTIONS RÉGRESSIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667
7-1. Les différentes formes de régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667
7-2. Effets de la régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668
8. À QUOI SERT LA MALADIE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .668
8-1. Fonction adaptative de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 669
8-2. Effets de la maladie sur l’économie psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . 669
8-3. Remaniements défensifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .671
9. BÉNÉFICES SECONDAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 673
9-1. Les bénéfices narcissiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .673
9-2. Avantages matériels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 675

Chapitre 24
LE MASOCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .677
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .677
2. LE MASOCHISME ÉROGÈNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .678
2-1. Le masochisme primaire constitutionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 678
2-2. Le masochisme archaïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .680
2-3. Le masochisme sexuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .682
2-4. Le fantasme sexuel masochiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 690
822
Table
Tabledes
des matières
matières

3. LE MASOCHISME MORAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .696


3-1. Clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .696
3-2. Les origines du masochisme moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .701
4. MASOCHISME ET PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .704
4-1. Fonction psychosomatique du masochisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 705
4-2. Le masochisme protecteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .705
4-3. Complexes masochistes et pathologies somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . .707
5. LE MASOCHISME SOMATOPSYCHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .709
5-1. Les bénéfices masochistes primaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 709
5-2. Les bénéfices masochistes secondaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .710
6. PATHOLOGIES SOMATIQUES DU MASOCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 710
7. ÉLÉMENTS DE THÉRAPEUTIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .711
7-1. La relation au quotidien avec le sujet masochiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . .711
7-2. La relation de soins avec le sujet masochiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .712
7-3. Les indications du traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 713
7-4. Axes thérapeutiques du masochisme mortifère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .714

Chapitre 25
L’INVESTIGATION PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . .715
1. PRINCIPES GÉNÉRAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 715
2. LE SYSTÈME DÉFENSIF DU PATIENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .716
3. L’OBSERVATION MÉDICALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .720
4. LES RÉACTIONS À LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 721
5. LA DIMENSION TRAUMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .721
6. EXPLORATION DES SECTEURS EXISTENTIELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .723
7. EXPLORATION DU DÉSORDRE ÉCONOMIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .726
7-1. Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .726
7-2. Les sensations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .727
7-3. Les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .728
7-4. Les sentiments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .729
7-5. Les représentations et le mode de pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .730
7-6. Le comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 734
8. L’HISTOIRE DU SUJET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 735
9. LE FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE INCONSCIENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 736
10. LE DÉBUT DE LA PSYCHOTHÉRAPIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .737

Chapitre 26
ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES ET GUÉRISONS SPONTANÉES . . . . . . 743
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .743
823
Traité de médecine psychosomatique

2. ÉTUDE SUR LES ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .746


2-1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .746
2-2. La disparition des facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 747
2-3. Nature et effets des événements trophiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 750
2-4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 752
3. DE QUELQUES PATHOLOGIES SOMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .754
3-1. Maladies ayant fait l’objet d’études personnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .754
3-2. Facteurs trophiques et cancers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .758
3-3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .762
4. DE QUELQUES FACTEURS TROPHIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .763
4-1. La joie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .763
4-2. La relation amoureuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .763
4-3. La maternité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .764
4-4. La sublimation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .764
4-5. Conclusion : créativité, création, procréation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .766
5. LA TRANSFORMATION INTÉRIEURE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 766
5-1. Réactions somatopsychiques et guérisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .766
5-2. Transformation intérieure et guérison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .767
5-3. Transformation liée au soin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .770
6. CROIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 773
6-1. Les croyances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 773
6-2. Le fait religieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 774
7. THÉRAPEUTIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .778

POSTFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 785

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .789

INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 797

824
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Dépôt légal : mars 2016
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