Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
www.adverbum.fr
© DésIris 2016
ISBN : 978-2-36403-109-8
7
Références
Les références bibliographiques des articles et des ouvrages cités figurent dans la biblio-
graphie (p. 789).
INTRODUCTION
réalités qui induisent chez le patient une insatisfaction, si ce n’est une détresse et une
défiance croissante à l’égard du corps médical, et, chez le soignant, une perte du sens de
sa fonction et de son identité professionnelle. L’arrivée en masse des écrans dans les struc-
tures médicales, destinée à terme à se substituer à la relation, nous promet de grandes
heures.
Si la haute technicité et les urgences sont vouées à disparaître de l’ordinaire du
médecin généraliste et du soignant de terrain, il n’en va pas de même du seul champ qu’il
leur reste encore : celui de la rencontre, de l’investigation, de la consultation. Temps au
cours duquel la question du fonctionnement psychique du patient se pose de manière
récurrente, soit au travers de pathologies somatiques chroniques ou récidivantes dans
lesquelles le praticien perçoit confusément le poids de facteurs existentiels, soit au
travers de la souffrance psychique ou des désordres comportementaux, soit au travers
de demandes de services pressantes et discutables, soit au travers des aléas et dérives de
la relation. Questions à l’égard desquelles, aux dires de différentes enquêtes, le praticien
se déclare en règle générale totalement démuni. Les réponses et les modèles qui sont
proposés sont le plus souvent très éloignés du contexte de l’exercice médical. Entre un
désert relatif d’outils réellement applicables, quelques recettes de communication ou des
exposés hermétiques, le praticien a du mal à y trouver nourriture.
La psychosomatique est une approche de la théorie et de la pratique médicale qui
considère la structure et le fonctionnement du psychisme ainsi que les déterminants
émotionnels comme des cofacteurs fondamentaux de santé ou de maladie. L’absence de
prise en compte des facteurs psychiques et émotionnels dans la genèse des pathologies
est à l’origine d’un fondamentalisme organiciste qui induit des attitudes et des compor-
tements strictement techniques. Ce fondamentalisme s’est très progressivement consti-
tué à partir de la naissance de la clinique au xixe siècle (au moment même où le terme
psychosomatique apparaissait sous la plume d’Heinroth) et s’accentuera de manière
exponentielle du fait de la profusion des découvertes biologiques et surtout des possibili-
tés d’investigations paracliniques à partir du milieu du xxe siècle. Fascinés par les modèles
physiopathologiques et étiologiques strictement objectivables, les médecins en oublie-
ront le sujet. Non pas qu’ils dénient l’existence de son fonctionnement psychique et de
ses avatars, les médecins généralistes y étant confrontés quotidiennement, mais parce
qu’ils ne savent qu’en faire. Chaque fois que les plus avertis d’entre eux subodorent une
possible interaction entre des déterminants existentiels et une pathologie déroutante,
la panoplie des termes évoqués (hystérique, fonctionnel, hypocondriaque, anxieux, psy,
etc.) déferle, attestant d’une absence totale de repères cliniques à ce niveau-là. Alors,
pourquoi s’éterniser à perdre son latin dans cette nébuleuse évanescente, puisqu’on ne
sait qu’en dire ou qu’en faire ? Le psychiatre et le psychologue de ce début de siècle sont
en passe d’en connaître guère plus.
Si l’aboutissement du fondamentalisme organiciste a été la négation du sujet en
souffrance, le fondamentalisme psychanalytique, né du modèle conversionnel et surtout
des dérives de certaines pratiques et théories pseudo-psychanalytiques fumeuses à partir
du milieu du xxe siècle, a abouti quant à lui à nier le corps. Soit en étant coquettement
indifférent à ses manifestations, soit en voulant lui attribuer un langage dont il serait
vaguement porteur. En voulant lui donner la parole, on la lui a coupée. Car le facteur
« psychique », et il conviendra de le définir avec précision, ne constitue qu’un cofacteur
10
Introduction
l’encontre des modèles enseignés et pratiqués. Non pas dans leur véracité et leur consis-
tance, bien au contraire, la rigueur et la structure de l’enseignement médical m’étant
toujours apparues indispensables, mais plutôt au niveau d’un manque, d’une lacune, d’un
no man’s land, celui de l’absence de prise en compte du sujet en souffrance, tant dans le
déterminisme historique de sa pathologie que dans le vécu de celle-ci.
Installé comme médecin généraliste, je n’eus de cesse de m’interroger sur la complexité
du déterminisme de nombreuses maladies, dont l’étendue dépassait de toute évidence
ce qui m’avait été enseigné. Ce n’était pas par vertu, par humanisme, par vocation, ces
prétendues valeurs, devenues héroïques aujourd’hui, m’étant depuis longtemps apparues
suspectes, mais du fait d’une insatiable curiosité et d’une foi (le terme ne me paraît pas
excessif) dans les pulsions et instincts de vie de l’être humain.
Mes interrogations récurrentes m’amenèrent, après quelques pérégrinations sans
conséquence, à rencontrer Pierre Marty. Je découvrais un homme d’une simplicité et
d’une intelligence hors du commun, sans commune mesure avec les maîtres en médecine
ou en psychanalyse que j’avais côtoyés auparavant. Je découvris son œuvre.
Lors de ma dixième année de pratique, je rencontrais Robert Babeau, ancien médecin
généraliste, alors fraîchement installé psychiatre en Avignon. Nos rencontres successives
scellèrent notre amitié et notre intérêt réciproque pour la psychosomatique. J’entrepris,
parallèlement à mon activité, des études de psychiatrie. Elles s’achevèrent par la soute-
nance, en 1992, d’un mémoire élaboré à partir d’observations rédigées durant mes quinze
ans de pratique de médecin généraliste : Rôle des événements de la vie dans le déclen-
chement des processus psychosomatiques. Lorsque je relis ce mémoire, je ne peux que
faire le constat à la fois de la naïveté de certains passages et du ferment qui habitait mes
interrogations.
C’est donc après quinze ans de pratique de la médecine générale, éclairés ça et là par
les lueurs vicariantes de la psychanalyse, que je quittais, après de longues hésitations, le
village où j’exerçais et m’installais comme psychiatre à Nîmes. Ce fut un deuil. Le cabinet
et la maison d’habitation, celle des jeunes années et du départ dans la vie, réapparurent
longtemps dans mes rêves. Au sein de ma nouvelle activité, il ne me restait plus que deux
outils : mes oreilles et ma voix. Mes mains, les perceptions et le déplacement de mon
corps avaient perdu leurs fonctions initiales dans la relation avec le patient. Je ne bougeais
plus, je ne prescrivais pratiquement plus, je ne palpais plus, je n’auscultais plus.
Le deuil ne saurait être tolérable sans réinvestissement d’une partie de la chose perdue.
C’est ce qui se produisit. Les médecins généralistes, de toute évidence très sensibles aux
courriers que je leur adressais après avoir reçu leurs patients, avides d’informations,
établirent des contacts chaleureux avec moi et, de mon côté, je pus ainsi garder un
lien imaginaire avec la médecine générale. C’est ainsi que fut créée en 1999 l’École de
médecine psychosomatique (EMP).
Soigner signifie, d’un point de vue étymologique, « s’occuper de ». Un arboriculteur
soigne ses arbres. Un éleveur prend soin de ses bêtes. Chacun d’eux doit s’adapter à la
contingence, à l’avatar, à l’inattendu, à la particularité, au contexte. Il y a lieu de chercher
à comprendre, de s’interroger sur le pourquoi, d’imaginer le comment. Lorsque le champ
thérapeutique est celui de l’humain, les paramètres sont démultipliés. On peut soigner
en appliquant automatiquement, en toute situation, à l’encontre de tous les patients,
des protocoles, des références, des conduites à tenir stéréotypées, des recommandations
12
Introduction
obligatoires ou non. Le plus souvent, ça marche. Le plus souvent seulement car les situa-
tions dans lesquelles l’échec est au rendez-vous sont fréquentes. Alors la panique à bord
s’installe. Est-ce le capitaine, le bateau, la mer, le vent, qui sont responsables du naufrage ?
Quoi qu’il en soit, il faut sauver les meubles, éviter l’opprobre et, autant que faire se peut,
ne pas remettre en cause les cartes et les principes de la navigation qui nous ont été
délivrés.
Lorsque la traversée n’est pas source de grande turbulence, il n’y a pas lieu de changer
le cap fixé. C’est ce qui se passe le plus souvent. La médecine, telle qu’elle est pratiquée,
amène le plus souvent les passagers sur les rives du mieux-être et, dans le meilleur des
cas, de la guérison. C’est ainsi que les pathologies aiguës et, à un moindre degré, certaines
pathologies chroniques, bénéficient grandement de la seule et unique approche stricte-
ment médicale, et il n’y a pas lieu d’en exiger plus de la part du médecin. Il en est tout
autrement lorsque la pathologie résiste ou s’aggrave, lorsque son évolution est chronique,
torpide ou déroutante, lorsque les réactions aux soins sont inattendues, lorsque des
décisions irréversibles s’imposent, lorsque des traitements induisent plus de désagré-
ments que d’avantages, lorsque les sujets perdent pied, errent d’un service ou d’un prati-
cien à l’autre, numérisés par les institutions, les dogmes, les contradictions, les palabres,
les injonctions. Il y a lieu alors d’instaurer une pause, un court entracte au sein de la
gesticulation, et d’aller à la découverte du sujet. Comme nous le verrons tout au long de
ce livre, cette découverte met souvent un terme à l’intempérie.
La recherche médicale actuelle comprend la recherche fondamentale et la recherche
clinique. La recherche fondamentale (compréhension du fonctionnement normal et
pathologique du corps humain) se nourrit de la biologie, de la biochimie, de l’histolo-
gie, de l’anatomie, de la physiologie, de la génétique, etc. La recherche clinique concerne
essentiellement la thérapeutique, les techniques d’investigation paracliniques, l’épidé-
miologie, la prévention.
Les études dites « randomisées » (random = au hasard) comparent deux protocoles
thérapeutiques. On instaure deux ou trois types de traitements différents à des patients
présentant la même maladie. La répartition des patients se fait le plus souvent par tirage
au sort. L’étude randomisée « en double aveugle » est une démarche expérimentale utili-
sée en recherche médicale et essentiellement thérapeutique. Elle passe par la méconnais-
sance de l’information concernant la réalité de la technique thérapeutique utilisée (par
exemple, médicament ou placebo), méconnaissance aussi bien chez le patient, qualifié de
« premier aveugle », que chez l’expérimentateur, « deuxième aveugle ». Elle permet ainsi
d’éliminer autant que se peut les variables subjectives individuelles chez l’un comme chez
l’autre.
D’autres études utilisent les populations témoins, surtout dans le domaine de l’épidé-
miologie. Parmi ces études, se situent les « enquêtes de cohortes » (ou enquêtes longitu-
dinales). Elles consistent à comparer la morbidité dans un groupe d’individus indemnes
de maladie, exposés à un facteur de risque. Dans d’autres cas, elles comparent l’incidence
de la maladie d’un groupe exposé à celle d’un groupe non exposé. Il y a aussi les enquêtes
cas-témoins qui comparent la fréquence de l’exposition antérieure à un facteur de risque
dans un groupe de sujets malades et dans un groupe de sujets témoins indemnes de
pathologie.
13
Traité de médecine psychosomatique
14
Introduction
15
Traité de médecine psychosomatique
16
Introduction
Si nous devions conclure, nous soulignerions que la recherche sur le sujet est loin d’être
incompatible, mais plutôt particulièrement complémentaire, avec la recherche sur les
pathologies. La clinique médicale s’enrichit des données de la clinique du sujet.
L’enseignement se nourrit donc du soin et de la recherche. Du point de vue de l’ensei-
gnement, l’approche séquentielle des concepts de psychosomatique que nous proposons
depuis le début de l’École de médecine psychosomatique (EMP) a une justification à la
fois pédagogique et clinique. Pédagogique puisque notre but est de former des prati-
ciens dont certains n’ont pas de formation initiale au niveau psychanalytique et qu’il nous
paraît tout à fait inadapté d’aborder des points théoriques complexes avant l’assimilation
de données de base fondamentales, simples et incontournables. Clinique car l’approche
des sujets présentant des maladies somatiques doit partir du médical pour s’achemi-
ner très progressivement vers la dimension psychique, du simple fait que le proces-
sus inverse mobilise les défenses du patient et rend rapidement caduque la démarche
psychothérapique.
Cette approche séquentielle est antéro-rétrograde, elle va de la superficie (ce qui est
explicite, ce que présente ou veut bien présenter le patient), vers la profondeur de la
problématique (la dimension conflictuelle). En ce sens, elle va quelque peu à contre-
courant de l’approche analytique stricte qui vise d’emblée à aborder le conflit interne,
l’intrapsychique. Notre approche va aussi de l’actuel, constitué des traumatismes et vécus
traumatiques récents, vers le passé qui comporte les ornières de fragilisation. Enfin, elle va
du plus simple au plus complexe, ce qui permet au thérapeute en formation de disposer
d’outils opérants dès le début et de pouvoir évoluer suivant une marche progrédiente.
Nous proposons ainsi à nos étudiants cinq séquences successives : le repérage des
facteurs traumatiques, les déterminants des processus de somatisation, les déterminants
de la cible somatique, l’analyse des effets somatopsychiques, la prise en compte de la
dimension relationnelle avec le patient.
La première partie de ce livre est destinée à définir des principes fondamentaux de
psychosomatique ; la deuxième partie traite des traumatismes existentiels ; la troisième
rassemble nos recherches concernant certaines maladies ; la quatrième traite des
réactions du sujet et des axes thérapeutiques.
Les observations présentées sont celles de cas réels. L’identité des personnes concer-
nées, leur contexte de vie, la dimension anecdotique ont été suffisamment modifiés pour
que le secret professionnel soit respecté sans pour autant déroger à la réalité et au carac-
tère spécifique des situations.
Les graphiques, tableaux et schémas (excepté certains schémas anatomiques) sont
issus de la recherche clinique et de l’élaboration personnelle de l’auteur.
17
Première partie
LES FONDEMENTS
Chapitre 1
1. INTRODUCTION
Tous les matins, à la seule boulangerie de Mascous, c’est le check-up. La santé des
habitants est passée au crible. Il y a une semaine, Violette a été emportée par un cancer
de la peau à l’âge de 45 ans. Marius, victime d’une attaque il y a huit mois, parvient à
bouger son bras, mais ne parle toujours pas. C’est à ce moment-là qu’Edmond entre dans
la boutique d’un pas alerte et vif. Qui aurait cru qu’Edmond retrouverait un jour une
telle vivacité ? Il y a un an, on pensait que c’était la fin, il n’arrivait plus à marcher, respirait
avec grande difficulté, était diaphane. Il resta à l’hôpital pendant deux mois. Ses deux
opérations cardiaques furent un succès. Il a repris le sport, est toujours par monts et par
vaux, à telle enseigne que son épouse regrette un peu le temps où il ne pouvait sortir de
la maison. Il a subi en l’espace de six mois une double reconstitution valvulaire et un triple
pontage. Il y a cinquante ans, il serait mort.
Zoé vient de rentrer. C’est le moment le plus palpitant de la matinée, car Zoé a fait le
tour des médecins depuis quatre ans et personne ne savait ce qu’elle avait. Quel soulage-
ment quand le professeur lui a dit qu’elle avait une maladie orpheline ! Elle qui avait déjà
perdu ses parents il y a cinq ans, puis son fils un an après, et son seul frère la même année.
« Orpheline ! Ça m’étonne pas, après tout ce que tu as vécu ! », ponctue Mylène la boulan-
gère. « Souvent il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints », affirme Lucien, qui
attend avec impatience sa baguette. Il en veut beaucoup à Serval, le médecin du village,
qui n’a pas vu qu’il « avait » la vésicule. Le soir même, il était hospitalisé et opéré. « Le
lendemain j’étais sur mes pattes, j’y retournerais presque. De toute façon, quand mes
gamins sont malades, j’appelle les pompiers, ils en savent plus que les toubibs. »
Zoé, restée seule avec la boulangère, raconte son histoire pour la énième fois. Mylène la
connaît par cœur mais, comme les enfants, il ne lui déplaît pas de la réentendre. Elle prend
chaque fois un air compassé mais ses yeux brillent d’une flamme suspecte. Zoé n’allait
pas bien depuis quatre ans. En plus des deuils qu’elle venait de subir, elle était victime
du harcèlement de son patron, et son mari, au chômage, courrait le guilledou. Elle était
fatiguée et avait des diarrhées qui n’en finissaient pas. Le Dr Serval fit tous les examens
nécessaires et finit par lui dire qu’elle n’avait rien, que c’était dans sa tête. Un mois après,
il décida toutefois de l’hospitaliser et on ne lui décela rien d’autre. Le gastroentérologue
diagnostiqua une banale colite probablement d’origine nerveuse, et lui prescrit des
médicaments en lui donnant rendez-vous pour une nouvelle endoscopie dans six mois.
Lors de son séjour hospitalier, le psychiatre de liaison confirma une dépression à laquelle
il attribua l’origine des diarrhées. Zoé ne supporta pas le traitement antidépresseur. La
psychologue du service évoqua la possibilité d’un traumatisme infantile et lui fit de l’hyp-
nose sans grand résultat. Elle alla alors consulter une thérapeute qui lui dit qu’elle avait
« mangé » sa jumelle lorsqu’elle était dans le ventre de sa mère, et qu’elle était en train de
21
Traité de médecine psychosomatique
l’éliminer définitivement. « Tu peux pas savoir, Mylène, comme cette histoire de jumelle
m’a contrariée, d’autant que ma diarrhée s’aggravait et que maintenant il y avait du sang
dans mes selles. Alors je suis allé voir Monique, tu sais celle qui tenait la droguerie et qui
maintenant est psychanalyste. Elle m’a écoutée sans rien dire et à la fin elle a dit ça : “Dis
arrêt !” Ça m’a calmé pendant un jour, mais le lendemain je saignais de nouveau. J’y suis
retournée la voir et elle m’a dit que tout venait de mon mari qui était “en saignant”. Mais
rien à faire ça a continué, et je saigne toujours par périodes. J’ai vu depuis un ostéopathe
qui m’a remis les énergies en place et qui m’a dit que j’avais été violée à 5 ans. Depuis
ça me travaille, mais le professeur m’a dit que le psychisme n’y était pour rien, que la
psychosomatique ça n’existait pas. Il doit m’enlever un bout d’intestin le mois prochain
faute de quoi je vais faire un cancer. » Deux clients viennent de rentrer, William qui vient
chercher sa fougasse et qui repart, bougon, en disant : « De toute façon tout ça c’est pour
le fric ! », et la jeune Anaïs. « Et toi Anaïs, qui fait des études de psychologie, qu’est-ce
que tu en penses ? », interroge Mylène. La jeune Anaïs, fille du village, confirme que « le
psychisme peut déclencher des maladies, et que la plupart d’entre elles, on se les crée ».
Mylène confirme mais ajoute : « Oui mais pas les maladies orphelines ! » C’est sans appel.
Anaïs obtempère et repart avec son pain complet. Zoé sera opérée. Cinq mois après, elle
présentera des douleurs abdominales incessantes et un amaigrissement progressif. Elle
mourra au bout de huit mois des suites d’un cancer de l’ovaire.
Edmond est un miraculé de la médecine, Zoé une victime. Mais alors qu’en est-il de
toutes ces allégations ? Le psychisme ne jouerait-il aucun rôle dans la genèse des maladies ?
Ou bien à lui seul pourrait-il tout déclencher ? Peut-on on se créer des maladies ? La
maladie mentale générerait-elle des maladies physiques ? Lorsque le bilan médical ne
révèle rien tout se passerait donc dans la tête ? Nous pouvons déjà affirmer, sans prendre
de gros risques, que tout ceci ne tient pas debout. Nous allons essayer d’en comprendre
le pourquoi en explorant comment le psychisme s’articule avec le corps.
Pour tenter de cerner cette articulation entre le psychisme et le corps, le passage du
mental et de l’affectif au somatique, il faut emprunter un chemin inverse, c’est-à-dire
comprendre comment le psychisme s’est construit à partir du corps. Dans le conte de
Charles Perrault, le Petit Poucet, perdu dans la forêt, reconnaît le chemin du retour à sa
chaumière parce qu’il a jalonné le trajet de l’aller de petits cailloux. C’est donc à partir
de la phylogenèse et de l’ontogenèse, respectivement sciences de l’évolution des espèces
vivantes et du développement de l’individu, que l’on pourra comprendre ce qui l’en est du
chemin inverse, le passage du psychique au somatique.
2. L’INSTINCT
2-1. L’excitation
Au départ se situe le corps, tant d’un point de vue phylogénétique qu’ontogénétique.
Il me plaît souvent de le rappeler à mes patients sous forme d’une métaphore : « L’animal
qui est en vous… » Car nous partageons avec l’animal non seulement une part de notre
génome mais aussi une part très ancienne de notre cerveau.
Le concept d’excitation (e) est initialement un concept de neurophysiologie expéri-
mentale. Le fonctionnement du système nerveux alterne stimulations et inhibitions,
l’excitation de telle voie nerveuse commande telle fonction. Sans le dissocier du fonction-
22
L’articulation du psychisme et du corps
e Motricité
ce dernier. Lorsque le psychisme ne joue plus son rôle régulateur, l’instinct peut resur-
gir de manière surprenante, comme en témoigne la mise en acte brutale chez les sujets
impulsifs ou sous l’effet de toxiques, ou encore, chez tout un chacun, certaines réactions
animales lors de situations périlleuses où les mécanismes de survie sont mobilisés.
2-2. La sensibilité
La sensibilité nécessite la présence de récepteurs qui e
captent les stimulations endogènes ou exogènes. Celles-ci
induisent des variations du taux d’excitation, selon l’intensité
du stimulus et selon sa valence trophique ou traumatique.
La sensibilité existe chez les végétaux. En l’absence d’eau,
les feuilles se rétractent. Elle s’affine chez les animaux pluricel-
SENSATIONS
lulaires mais les voies empruntées par les messages sont initia-
lement courtes et rudimentaires (arc réflexe spinal). Au fil de La sensation en tant
l’évolution, la sensibilité se répartit en deux composantes : la qu’inducteur des
somesthésie et la sensorialité. variations de l’exci-
Les messages sensoriels sont traités, chez l’homme, comme tation
chez la plupart des animaux, au niveau du thalamus (Th) et
du lobe olfactif (LO). La sensorialité s’affinera avec l’apparition de la mémoire à long
terme chez les homéothermes. Alors que chez les reptiles, dénués de mémoire à long
terme, une souris apparaît comme une image numérique déficitaire en pixels, chez les
homéothermes, l’information sera remaniée par les représentations développées à partir
des perceptions antérieures qui viendront requalifier avec beaucoup plus de précision le
message sensoriel.
Chez l’homme, le système informatif est en interaction constante avec les centres
supérieurs et le psychisme.
Th
LO
24
L’articulation du psychisme et du corps
e COMPORTEMENT
2-4. Les émotions
Th
Hy
LO
Au tout début de notre enseignement, une confusion régnait entre les termes affects,
émotions et sentiments. Confusion que l’on rencontre de manière récurrente chez le grand
public mais aussi dans la plupart des écrits psychanalytiques. En 2003, Robert Babeau, à
partir de ses lectures de Freud et de Damasio, a établi une distinction claire et détermi-
25
Traité de médecine psychosomatique
nante entre ces trois termes (Affect, sentiment, émotion). Cette distinction était plus que
nécessaire car elle est au centre de l’économie psychosomatique, c’est-à-dire au carrefour
articulant le corps et le psychisme.
La clarification théorico-clinique de Robert Babeau a permis de définir l’émotion :
celle-ci n’est pas un phénomène psychique, mais un phénomène strictement somatique,
d’origine instinctuelle. Le sentiment dont nous allons parler plus loin, bien qu’il naisse de
l’émotion, est, quant à lui, un phénomène strictement psychique, d’origine pulsionnelle.
Le déterminisme génétique des émotions de base a bien été repéré par Darwin (The
Expression of Emotions in Man and Animals). Celui-ci considère que six grandes émotions
sont universelles : surprise, colère, peur, tristesse, dégoût, joie. Ces émotions de base sont
phylogénétiquement adaptées pour permettre à l’organisme de faire face à différentes
situations existentielles qui nécessitent des réactions rapides : vigilance, attaque, fuite,
dissimulation, survie, etc.
Un chat alangui dans une cour n’aurait aucune chance de survivre face à l’irruption
d’un chien bien décidé à l’occire, si ce n’était sa réaction émotionnelle instantanée :
celle-ci va déclencher en quelques dixièmes de seconde une cascade de réactions neuro-
végétatives (décharge d’adrénaline, apport de glucose) et neuromusculaires (horripila-
tion, hyper-réveil, tension neuromusculaire, mydriase) qui vont lui fournir les armes pour
combattre ou pour fuir.
Chez les animaux supérieurs, les expressions émotionnelles acquièrent en outre une
fonction socio-adaptative, une fonction de communication avec les autres individus.
Montrer les dents suffit parfois à dissuader un ennemi.
D’un point de vue physiologique, les émotions se manifestent comme un orage biolo-
gique de courte durée, constitué de deux séquences immédiatement enchaînées : des
modifications neurovégétatives puis neuromusculaires destinées à mettre l’individu en
état optimal pour l’action.
Du fait de ses deux composantes somatiques neuromusculaire et neurovégétative et
de son but qui consiste en une décharge motrice, l’émotion (Em) se situe au carrefour du
soma et du comportement, c’est-à-dire en lieu et place de l’excitation, dont elle constitue
une des modalités d’expression.
Em Comportement
Soma
26
L’articulation du psychisme et du corps
Th Limb
Hy
LO
3. LE PSYCHISME
3-1. Les constituants du psychisme
L’affect
Le terme affect est régulièrement utilisé en psycha- Affect
nalyse. Il constitue un des deux pôles de la pulsion,
l’autre pôle étant la représentation. La clarification
théorico-clinique de Robert Babeau, évoquée précé-
demment, a permis de préciser que l’affect, concept
psychanalytique, n’est rien d’autre que le sentiment,
concept phénoménologique et anthropologique. e C
Pourquoi cet évitement du terme sentiment, aisément
compréhensible et si évocateur pour tout un chacun ?
Je pense qu’il y a trois raisons probables. Tout d’abord, la
source somatique de la pulsion, c’est-à-dire le support
physiologique du fonctionnement psychique, n’a
jamais été clairement définie en psychanalyse. Ensuite, S
il existe une homonymie entre le terme français affect
L’affect ou sentiment
et le terme affekt en allemand, et il est de bon ton chez
les exégètes de s’en référer au substantif allemand.
Enfin, le terme sentiment est un gros mot psychanalytique, probablement parce qu’il est
trop utilisé par le commun des mortels, les cénacles exigeant une étiquette plus réservée.
27
Traité de médecine psychosomatique
Langage
Mater 3. Médiation
Représentation
Modulation
du comportement
A
2. Prise de conscience
de l’émotion
E Comportement
1. Répression du comportement
S
Genèse de l’affect (d’après R. Babeau, 2008)
28
L’articulation du psychisme et du corps
Le lien de filiation ontogénétique est établi par un autre humain adulte pour l’enfant.
Adulte qui contient l’état émotionnel de l’enfant, le nomme pour lui et lui transmet un
récit circonstancié de l’événement. Nomination et récit que l’enfant pourra s’approprier
sous forme de sentiments personnels. » (Ibid.)
D’un point de vue phylogénétique, le sentiment apparaît vraisemblablement avec le
cortex cingulaire (cing), circonvolution du corps calleux faisant partie du lobe limbique.
Il semble constituer une interface, une zone de transition entre les structures archaïques
et les fonctions supérieures. Le cortex préfrontal et le cortex frontal médian participeront
secondairement à l’intégration et à la modulation du sentiment. Ces zones cérébrales
qui interviennent dans l’élaboration de l’émotion en sentiment sont hypoactivées dans
l’alexithymie, entité nosographique caractérisée, entre autres, par une difficulté pour le
sujet à nommer le vécu émotionnel.
Cing
Th Limb
Hy
LO
La représentation
Une représentation est une image mentale, la reproduction d’une perception
antérieure, tout comme une photographie représente une scène du passé. C’est une trace
mnésique : l’objet réel n’est plus là, mais une part de lui est enregistrée et conservée. On
n’a pas besoin d’être en présence d’un chat, pour se représenter, pour imaginer un chat.
Toutefois, la représentation n’est pas la copie, le reflet exact de la chose perçue. Elle est
« ce qui, de l’objet vient s’inscrire dans le système mnésique », selon Laplanche et Pontalis.
Il existe un remaniement itératif entre perception et représentation.
La représentation naît de la perception, perception de l’objet extérieur mais pas seule-
ment car l’objet n’est jamais isolé : perception du contexte dans lequel il apparaît, environ-
nement visuel, sonore, sensations internes, contexte émotionnel et affectif, etc.
La représentation remanie la perception. L’histoire de la peinture en atteste. La réalité
extérieure est remodelée par le système représentatif du peintre. Ce remaniement existe
aussi au niveau physiologique. L’image visuelle d’un objet extérieur est le produit de l’émis-
29
Traité de médecine psychosomatique
Cing
Th Limb
CF
Hy
LO
30
L’articulation du psychisme et du corps
mes proches qui les ont lues, à la rencontre avec mon éditeur, à mes cours à la fac, à tel
étudiant qui avait soulevé telle question, à telle enseigne que j’en oublie momentanément
ce que je dois faire.
Et puis, en dessous, il y a une cave. Celui qui a construit la maison l’a prévue consé-
quente. C’est un immense dépotoir de choses qui nous encombrent, dont nous avons du
mal à nous séparer, des choses qui peuvent servir et qui probablement ne serviront pas,
des objets d’un autre âge, etc. On n’y voit pas grand-chose, l’extraction d’un objet fait
dégringoler les autres, c’est humide, envahi de toiles d’araignées, mais à chaque angle du
souterrain s’érigent le socle de la maison, les piliers, les fondements. C’est l’inconscient.
J’écris ce livre certes pour apporter quelque substance de réflexion aux sujets soignants
et aux sujets en souffrance, je l’écris aussi parce mon travail se doit d’être légitimement
officialisé et reconnu comme étant le mien, je l’écris aussi parce que mon histoire, mes
joies et mes souffrances m’ont amené sur le champ de la psychosomatique, et ça je le
tairai, ça restera dans la cave.
Le conscient
Nous ne nous attarderons pas sur le conscient. Le système perception-conscience,
défini ainsi par Freud, fonctionne, tant que le sujet ne dort pas. Je me lève, je prends une
douche, je regarde par la fenêtre, le temps est gris, il faut que j’achète du sucre, j’espère que
sur la route il n’y aura pas trop de bouchons, je suis fatigué, je serais bien resté une heure de
plus dans mon lit…
Le préconscient
Tiens, je réalise que j’ai fait un rêve : j’étais sur la route qui me conduit au cabinet. Circula-
tion bloquée. Accident. Je ne me souviens de rien d’autre. Pourvu qu’il n’y ait pas d’accident
car à 9 h une nouvelle patiente a rendez vous. Comment faire si je suis en retard, comment
la prévenir, l’agenda est au bureau, l’agenda noir que je n’amène pas avec moi le soir afin
de couper avec le travail et m’imprégner des odeurs, des sons et du bruissement des oiseaux
quand j’arrive. Cette année il y a eu moins d’oiseaux. Pollution ? Disparition de leur nourri-
ture du fait des lampadaires éclairés toute la nuit ? Des pesticides ? Il y a 40 ans j’avais
organisé une conférence lorsque j’étais étudiant à Montpellier au cours de laquelle j’avais
invité René Dumont, le candidat écologique aux présidentielles. Il avait un pull rouge. Je ne
pourrais pas travailler en pull au cabinet... Voilà le préconscient.
Les contenus du préconscient (Pcs) sont constitués de traces mnésiques, des fragments
de souvenirs associées entre eux selon des processus analogiques, labiles, variables et
évolutifs. Il est le pourvoyeur des associations d’idées, de la rêverie, de l’irruption de
pensées, d’images, de scénarios fantasmatiques, que seul le conscient, mû par le principe
de réalité, peut interrompre, afin de poursuivre le but fixé.
Le préconscient constitue le lieu du voyage psychique, dans l’espace, dans le temps.
Il associe l’imagerie à des affects, crée des ponts entre la réalité extérieure et le vécu
intérieur. C’est en ce sens qu’il se situe, pour Pierre Marty, au carrefour de l’articulation
entre le psychisme et le corps, qu’il constitue un dispositif fondamental pour le maintien
et l’équilibre de l’économie psychosomatique.
Son fonctionnement est variable d’un sujet à l’autre et, chez un même sujet, il peut
aussi varier, selon les circonstances, les époques de la vie. C’est ainsi qu’il peut suspendre
32
L’articulation du psychisme et du corps
son activité et comporter des lacunes, des pans de vie oubliés, le plus souvent sous l’effet
de facteurs traumatiques. Cette suspension du fonctionnement préconscient aura des
retentissements sur l’équilibre psychosomatique.
L’inconscient
En voiture, les détails du rêve me reviennent. L’accident se situait dans une courbe à l’orée
de la ville, entre deux collines. Une femme hurlait : « Ils ont tué ma fille ! » Les gendarmes
ne semblaient pas préoccupés par l’accident, et de toute évidence étaient venus sur les lieux
pour savoir ce que je transportais dans mon véhicule. C’est pour cela qu’ils avaient brutale-
ment arrêté la circulation et que l’accident avait eu lieu. J’étais donc le responsable indirect
de la mort de cette adolescente. Son nom était curieux, il était écrit en cyrillique, et sans
sa mort prématurée, cette jeune fille était destinée à devenir impératrice de Russie. Je me
souviens de mes cours de russe, de cette amie qui portait un pull rouge avec laquelle j’avais
eu un léger accident de voiture, de la réprobation de ses parents. Elle portait le même nom
et le même prénom que la patiente qui a rendez vous dans un quart d’heure. Je regarde ma
montre : il n’est que 7 h 45. Ça alors ! J’ai plus d’une heure devant moi. Pourquoi ai-je cru que
j’étais en retard ? Voilà l’inconscient.
Par définition, les contenus de l’inconscient sont inaccessibles, surgissent à l’insu du
sujet, et ne sont repérés le plus souvent que dans l’après-coup immédiat. L’inconscient
est, comme la cave de la maison évoquée plus haut, constitué de représentations de
choses encombrantes, si ce n’est indésirables, qui pourraient porter atteinte à la tranquil-
lité psychique : les représentations refoulées, et plus particulièrement celles liées à des
désirs infantiles marqués du sceau de l’interdit. Il y a aussi des choses aux formes bizarres
dont on se demande à quoi elles auraient pu servir et qui ont dû appartenir à ceux qui
nous ont précédé : c’est l’inconscient originaire constitué de traces mnésiques transgé-
nérationnelles. Le contenu de la cave n’est jamais immuable, le refoulement, processus
CONSCIENT
Réticences
Oubli Sélection
transitoire
PRÉCONSCIENT
Résistances
Refoulement
Transformation
INCONSCIENT
Inconscient originaire
33
Traité de médecine psychosomatique
totalement inconscient, vient de temps en temps y déposer ce qui gêne, tant qu’il y a
encore un peu de place.
Les productions de l’inconscient se présentent soit sous forme brute, soit sous forme
élaborée. Les productions brutes, non élaborées, sont ponctuelles et inopinées, sans
transformation du contenu représentatif. Ce sont les « rejetons » de l’inconscient : lapsus
et actes manqués.
Mais en règle générale, les représentations refoulées ne peuvent resurgir à l’état brut
dans le système préconscient-conscient que sous forme déformée, transformée, élabo-
rée, grâce à l’intervention d’autres mécanismes qualifiés de processus primaires. Ces
processus sont le déplacement, la condensation, la symbolisation, la surdétermina-
tion. Ils fonctionnent librement et indépendamment du principe de réalité, de toute
logique, de tout repère spatio-temporel. Ils articulent et transforment les représentations
inconscientes de telle sorte qu’elles deviennent tolérables lorsqu’elles surgissent dans le
système préconscient-conscient. Les productions qui en sont issues sont les rêves, les
fantasmes, les symptômes névrotiques, et certains traits de caractère et de comporte-
ment.
Représentation
Pulsion
La pulsion
La plupart des représentations s’associe à des affects. C’est ainsi que le souvenir d’un
être cher induira un affect de nostalgie ou de mélancolie, que l’image d’une liasse fiscale
34
L’articulation du psychisme et du corps
35
Traité de médecine psychosomatique
mentalisation A
e C
La fonction psychosomatique
La fonction psychosomatique articule pulsion et instinct. C’est ainsi que l’on peut
définir, entre autres, une fonction psychosomatique de la sexualité et une fonction
psychosomatique de l’agressivité.
R : fantasme érogène R : fantasme agressif
Pulsions et instincts trouvent donc leurs origines dans une source commune, l’exci-
tation. Selon les circonstances, les nécessités adaptatives, l’organisation psychique du
sujet, les variations de celle-ci investiront les vecteurs psychiques, comportementaux ou
somatiques, dans des proportions quantitatives déterminées par la qualité et la perméa-
bilité de ces derniers.
36
L’articulation du psychisme et du corps
Ainsi toute variation du taux d’excitation ne peut se décharger que dans trois voies :
la voie psychique, la voie comportementale et la voie somatique. Toute obstruction d’un
vecteur générera un afflux d’excitation et donc des perturbations dans les autres.
Ainsi se trouve définie la dimension économique qui se situe au centre de l’approche
psychosomatique. Elle évalue les désordres de l’excitation et leurs répercussions en
fonction de la perméabilité de ces différents vecteurs. Elle introduit la notion de déliaison,
c’est-à-dire d’obstacle dans l’écoulement de l’excitation. Lorsque les voies psychiques et
comportementales font l’objet d’une obstruction, l’excitation se déverse dans la voie
somatique.
Désordre somatique
Arrivés au terme de ce chapitre, nous sommes dans la situation du Petit Poucet qui,
bien que perdu dans la forêt avec ses frères, sait qu’il a disposé des pierres tout au long du
chemin parcouru. Le chemin du retour ne sera pas aisé mais, sachant d’où il vient, il sait
où il va. Le double mouvement évolutif phylogénétique et ontogénétique qui mène de
la matière vivante au fonctionnement psychique a été parcouru, jalonné de repères. Le
chemin inverse, celui du retour, c’est-à-dire le mouvement contre-évolutif, qui mènera du
psychique au somatique, sera lui aussi semé d’embûches, mais il prendra tout son sens.
37
Chapitre 2
d’une diffusion, qui occultent les déterminants existentiels, comme si ces derniers venaient
subitement contredire le modèle concerné. Il n’en est rien : un orage peut être, selon les
époques, attribué à la colère de Jupiter, à la bataille de particules électriques, au change-
ment climatique, il n’en demeure pas moins que, dans tous les cas, il survient préférentiel-
lement à certaines saisons et dans certaines conditions météorologiques particulières. La
prise en compte du déterminisme des traumatismes existentiels ne remet nullement en
cause les modèles physiopathologiques. Alors pourquoi cette occultation de la dimen-
sion traumatique dans le monde de la médecine et, plus récemment, dans le monde de
la psychologie ? Tout simplement parce que l’articulation entre le psychisme et le corps, à
savoir la dimension économique que nous venons d’évoquer, n’est pas enseignée, qu’elle
n’a pas fait dans l’immense majorité des cas l’objet d’une théorisation suffisamment
étayée sur la clinique, et que l’objectivation pseudo-scientifique confine à l’aveuglement.
On en arrive ainsi à des situations ubuesques, si ce n’est idiotes : « Mon cher confrère… Ce
patient a déclenché un rhumatisme inflammatoire consécutivement à un vécu de harcè-
lement auquel il n’a su que répondre… Mais non, cher ami, il l’a développé parce qu’il est
porteur de l’antigène HLA W27… » Version générale : « Cette personne a eu un accident
parce qu’elle allait trop vite… Mais non, c’est parce qu’il y avait un virage dangereux. » Etc.
L’antériorité traumatique
La théorie de l’après-coup (Freud) avance qu’un événement ne devient traumatique
qu’en deux temps successifs. Le premier temps est celui de l’effroi, au cours duquel nulle
élaboration psychique ne peut se produire. Le deuxième temps est celui de l’après-coup :
un deuxième événement, parfois moins intense que le premier, mais relié au précédent
par une chaîne associative, induit une réaction plus ou moins élaborée d’un point de vue
psychique. La théorie de l’après-coup ne s’applique pas à toutes les situations. Un seul
événement peut, chez certains sujets, déclencher une réaction traumatique en l’absence
d’antériorité. Quoi qu’il en soit, des trauma itératifs de même type sensibilisent et fragi-
lisent le sujet.
1-3. L’anamnèse associative
L’anamnèse associative consiste à établir des corrélations entre les facteurs trauma-
tiques et l’apparition de maladies. Ce temps incontournable de l’investigation apporte
un éclairage assez extraordinaire – le mot n’est pas trop fort – sur le déterminisme de la
maladie. La question : « Depuis quand cette maladie ? » est sous-tendue par la quête de
son déterminisme existentiel. De manière quasi systématique, l’investigation de l’histoire
du sujet et de ses différents secteurs existentiels confirmera à terme l’existence de trauma-
tismes déclencheurs. Mais cette partie cruciale de l’investigation ne saurait être mise en
œuvre n’importe comment. L’anamnèse associative est une technique au sens propre du
terme, c’est-à-dire un art. Art qui s’apprend et qui s’affine avec le temps. Ayant présenté
dans deux précédents ouvrages la technique de l’anamnèse associative (Psychosomatique
et médecine, Angoisse et répression), nous ne la développerons pas ici. Nous nous conten-
terons d’en énumérer les principes cruciaux et de mentionner qu’elle nécessite une préci-
sion drastique dans la collecte des données en même temps qu’une souplesse et une
adaptabilité constante aux rythmes et aux réactions du patient.
Le repérage anamnestique des pathologies (« Depuis quand cette maladie ? ») doit
faire apparaître avec précision les dates où les premiers signes de l’affection sont apparus,
les épisodes antérieurs passés plus ou moins inaperçus, les dates où le diagnostic a été
posé, celles des poussées évolutives, des périodes d’accalmie, des intervalles libres, les
dates de rémission ou de disparition. Il est essentiel qu’il soit effectué pour toutes les
affections du patient, que celles-ci soient successives, alternantes ou concomitantes,
actuelles ou passées, évolutives ou guéries.
Le repérage anamnestique des traumatismes existentiels est rarement simultané et
gagne à se faire de manière différée, afin d’éviter la mobilisation du système défensif du
sujet. Car si une maladie physique est apparue dans un contexte traumatique à la place
d’une souffrance psychique, c’est que le fonctionnement psychique a été défaillant, pour
des raisons diverses, mais avant tout défensives. Plus que la maladie psychique, la maladie
physique crée l’oubli, gomme le vécu traumatique. Ce caractère amnésiant de la maladie
physique constitue une défense contre les réminiscences traumatiques, défense qu’il y a
lieu de respecter dans un premier temps.
C’est ainsi que deux écueils doivent être évités : la confusion et la rigidité. Si l’inves-
tigateur est dans la confusion au niveau des dates, ses représentations seront erronées,
inopérantes, voire délétères. Phénomène fréquent qui nécessite des réajustements car les
sources d’erreur sont nombreuses (oublis, temps de latence précédant l’apparition de la
maladie, événements écrans scotomisant le vrai traumatisme, lapsus qui renseigne par
contre sur l’événement occulté, etc.). Si l’investigateur s’adonne par contre à une enquête
trop rigide, c’est l’élaboration psychique du patient, et à terme de lui-même, qui s’en
trouvera affectée.
Les corrélations anamnestiques établies par l’investigateur ne nécessitent pas systéma-
tiquement leur formulation au patient. Si cette formulation doit avoir lieu, elle ne doit
jamais être effectuée dans la précipitation, mais au moment opportun, lorsque le proces-
sus de rementalisation est suffisamment amorcé. Le plus souvent d’ailleurs, avec l’aide de
l’investigateur, le patient prend conscience des corrélations anamnestiques sans que rien
ne lui soit formulé. L’effet thérapeutique s’en trouve majoré car cette prise de conscience
personnelle qui mobilise affects et émotions induit de nouvelles associations et réanime
42
La genèse du désordre somatique
le préconscient du sujet. Il est d’ailleurs assez fréquent que, dans les nuits qui suivent
l’investigation, le sujet qui ne signalait aucun souvenir onirique se remette à rêver. Outre
la richesse qu’apporte l’anamnèse associative quant à la connaissance du sujet, un de ses
effets indéniables est l’amorce souvent rapide des processus d’élaboration psychique.
Vie sociale
Famille Liens
amicaux
Amour Travail
Sexualité
SUJET
Hédonisme
Contexte
Sublimations
matériel
Spiritualité
Santé
43
Traité de médecine psychosomatique
ment de l’affect en son contraire, retournement sur soi, régression, etc. Soulignons que,
d’un point de vue psychosomatique, ces mécanismes constituent une protection relative
contre les processus de somatisation.
La mentalisation
Toutes les réactions psychiques défensives que nous venons de citer, qu’elles soient
conscientes, préconscientes ou inconscientes, adaptées ou inadaptées, en accord avec la
réalité objective ou franchement pathologiques, attestent de l’existence d’un processus
fonctionnel en activité : la mentalisation. Celle-ci désigne l’ensemble des processus qui
transforment l’excitation instinctuelle somatique en productions psychiques élaborées.
R1 R R2
Mentalisation
A1 A A2
La mentalisation
n’est qu’un objet, un intrus potentiellement gêneur, il attend dans un box minuscule et
observe un pot de fleur. C’est une bruyère. Cette petite plante, mal arrosée, semble lui
sourire, lui rappeler qu’un monde différent existe. Les vers d’Apollinaire surgissent : « J’ai
cueilli ce brin de bruyère, l’automne est morte, souviens-t-en… ». Il pense à la blessure
d’Apollinaire, l’éclat d’obus, la guerre, les blessés. Il s’imagine un instant dans un hôpital
militaire de campagne. Un hélicoptère se pose sur le toit de l’hôpital, il revoit les images
de Voyage au bout de l’enfer de Cimino. Il a oublié un instant qu’il était là. Il pense à son
amie, grièvement blessée, allongée dans la salle de réanimation, à quelques mètres de
là. Il imagine l’accident, puis la sirène d’un camion de pompier le ramène à la réalité. Sa
fille, jeune conductrice, a pris la route ce matin malgré les intempéries. Pourvu que…
L’entrée d’une famille dans le box interrompt à nouveau sa triste rêverie… La bruyère est
toujours là. C’était l’été à la montagne, il marchait avec ses grands-parents à travers les
bruyères pour rejoindre le ruisseau… L’odeur du ruisseau… les libellules… « Monsieur,
venez vous habiller ! » Il obéit, enfile la blouse, le calot, le masque, comme il l’a fait tant
de fois lorsqu’il était étudiant en médecine, puis interne, puis il n’y a pas si longtemps,
médecin attaché dans ce même centre hospitalier. Il avait de tout temps était gêné par
cette absence de prise en compte du sujet malade et de sa famille. Il connaissait tous les
rouages, les compétences et les incompétences, les scénarios, le décor, la mise en scène…
Rien ne lui échappait, mais à ce jour, il est un simple visiteur, un gêneur, un trublion,
un indésirable, une source d’agacement supplémentaire et une chose à surveiller, pour
celle qui vient de faire irruption. « Vous avez dix minutes devant vous ! » L’injonction est
sans appel. L’amie blessée est inconsciente au milieu d’autres sujets inconscients. Il déglu-
tit, inspire profondément, jette un œil sur la feuille de soins, dit un mot à celle qui est
allongée et qui ne réagit pas, puis repart. Il croise l’interne, s’excuse de la déranger, elle
ne s’arrête pas, il lui emboîte le pas, se risque à lui demander quelque renseignement.
Elle met court à l’échange car elle ne parle pas français. Il repart, un peu égaré, il s’est
visiblement trompé de couloir car une nouvelle forme blanche lui dit d’un ton répro-
bateur : « Monsieur, qu’est-ce que vous faites là ? C’est interdit au public. » Il ressent un
mouvement d’humeur mais s’excuse, finit par trouver le parking dans lequel il se perd,
puis retourne à son cabinet où ses patients l’attendent. Il ressent une blessure à l’âme.
« Nous ne nous verrons plus sur terre… odeur du temps, brin de bruyère… Mais souviens-
toi que je t’attends… » Vague à l’âme, désarroi, turbulence psychique, tristesse, inhibition,
perte de repères, renoncement. Il suffirait d’un ou deux traumas supplémentaires pour
que Jules descende une à une les marches de la dépression.
Une semaine après sa visite, il rêvera d’un ruisseau que frôle les libellules. À sa surface,
telle Ophélie, l’amie hospitalisée « flotte comme un grand lis ». Sur la berge, à ses côtés,
revêtu d’une blouse blanche, Arthur Rimbaud, en train de pêcher, lui dit que Laennec,
celui qui a fondé les bases de la clinique il y a 200 ans, a été nommé directeur de l’hôpital,
puis prononce ces mots : « Vous en avez assez fait ! Ceux qui sont restés de l’autre côté de
la rive n’ont plus besoin de vous. » Il se réveillera détendu, ouvrira les fenêtres, humera
le vent du sud chargé d’embruns, rejoindra son cabinet, prendra des nouvelles de cette
amie. Elle est sortie du coma. Des interventions sont prévues ainsi qu’une longue période
de rééducation. Jules ne va pas mal.
Le même jour, un autre visiteur pénètre dans le sanctuaire hospitalier pour rendre visite
à son frère hospitalisé dans le même service de réanimation. Il a une demi-heure devant
46
La genèse du désordre somatique
lui, pas plus, car un rendez-vous l’attend pour la révision de sa voiture. Il est 13 h 30, il doit
être au garage à14 h. Il pénètre dans le parking, se gare, monte les escaliers, remarque que
le sol est glissant, et considère que ce n’est pas une heure pour faire le ménage, au moment
où les familles viennent visiter leur proche. Il attend dans le box, constate qu’il manque de
l’eau dans le pot de fleur. Il est vrai que l’eau coûte de plus en plus cher et qu’une plante
artificielle aurait aussi bien fait l’affaire pour le décor. Il va profiter de la révision de sa
voiture pour faire repeindre l’aile arrière. Il met le calot, le masque, la blouse et se félicite
de cette avancée qui constitue un moyen de lutte contre les infections nosocomiales,
mais déplore l’obscurité du box d’habillage. Il regarde sa montre. « Plus que dix minutes
si je veux être à l’heure. » Son frère jumeau, directeur associé de son entreprise, victime
d’un accident il y a un an, est sorti du coma depuis deux mois. Il lui dit qu’il reviendra le
voir, mais qu’il doit partir sans tarder, car avec les embouteillages… Il retournera à son
bureau, où l’attendent une liasse de papiers et de nombreux mails. Il rentrera chez lui un
peu avant 20 h, juste le temps de voir les infos, passera quelques coups de téléphone, puis
sombrera dans un sommeil sans rêve, se réveillera brusquement à 5 h, allumera la télé,
déjeunera, pendra son anti-inflammatoire et repartira à son bureau.
Le premier visiteur voyage dans sa tête, dans l’espace, dans le temps. Le voyage
n’est pas aisé, il a connu des périodes de remise en cause, de doute, de tourment. Le
deuxième visiteur ignore ces états d’âme. Les faits, l’actualité, l’objectivité, la gestion, la
maîtrise, résument ses balises existentielles. Il est à l’abri de la souffrance psychique. La
spondylarthrite ankylosante dont il souffre depuis l’accident de son frère jumeau doit,
au dire du professeur et des forums qu’il a consultés, régresser lors de la mise en place du
protocole thérapeutique pour lequel il a rendez-vous après demain.
La mentalisation libère les chaînes du psychisme pour le meilleur ou pour le pire. Son
déficit « normose » le reliquat psychique et ouvre la porte, selon les cas, à la décharge
comportementale ou à la somatisation.
Les états de démentalisation sont rarement globaux. J’ai introduit en 2003 la notion
de mentalisations sectorielles à partir d’une distinction qui s’avère nécessaire entre les
différents secteurs psychiques d’un sujet, certains secteurs faisant l’objet d’une élabora-
tion psychique, d’autres d’une démentalisation (Psychosomatique et médecine). J’ai ainsi
proposé une distinction entre le vécu traumatique inaugural (VTI), la mentalisation paral-
lèle (MP) et la mentalisation secondaire à la maladie (M2) ou effet somatopsychique.
Dans les suites du traumatisme, les sujets peuvent faire preuve d’une élaboration
psychique conséquente, parfois riche, si ce n’est explosive. C’est le vécu traumatique
inaugural (VTI). Chez d’autres sujets, les manifestations psychiques seront absentes ou
pour le moins très déficitaires, le vécu traumatique inaugural étant de fait l’objet d’une
démentalisation.
Chez ces mêmes sujets, il est par contre fréquent de constater que certains secteurs
de leur vie sont épargnés par le processus de démentalisation. Tel sujet, totalement
démentalisé dans sa vie professionnelle ou conjugale, s’enflamme, devient particulière-
ment imaginatif et créatif dès qu’il est question de son activité hédonique favorite, de
son engagement politique ou syndical, de sa passion pour les cheminées à feu ouvert,
les victimes des éoliennes ou les taxes sur le diesel. J’ai appelé ces processus mentalisés
sectoriels mentalisation parallèle (MP). Il est très important de considérer ces secteurs
47
Traité de médecine psychosomatique
La mise en acte
La mise en acte récurrente atteste, quant à elle, d’un déficit, structural ou passager,
d’élaboration psychique. L’émotion activée par le trauma suit sa destinée originelle, elle
se décharge sans transition dans le comportement. De fait, l’affect n’apparaît pas et les
représentations mentales, absentes, réduites ou monolithiques, ne sont l’objet d’aucun
processus d’élaboration. Cette voie de décharge immédiate de l’excitation, non média-
tisée par le fonctionnement psychique, caractérise les comportements opératoires, les
névroses de comportement, et l’impulsivité que l’on rencontre dans les psychopathies,
les états limites et les addictions.
D’un point de vue psychosomatique, la mise en jeu de la voie comportementale
comporte un effet trophique sur le corps car elle évacue faute de mieux un taux d’excita-
tion qui pourrait s’avérer délétère.
48
La genèse du désordre somatique
La somatisation
On l’aura compris à la simple vue de la fonction psychosomatique : lorsque l’excitation
ne génère pas de productions psychiques, lorsqu’elle ne se décharge pas dans le compor-
tement, il ne lui reste plus qu’une seule issue : son accumulation et sa décharge dans le
corps. C’est ainsi qu’apparaissent les désordres somatiques.
Si la décharge de l’excitation dans la voie somatique constitue un cofacteur de maladie,
la réaction somatique qui l’inaugure doit aussi être appréhendée comme une réaction
défensive de dernier recours. On retrouve les défenses somatiques à tous les stades de
l’évolution phylogénétique : défenses cellulaires (immunité cellulaire), défenses humorales
(inflammation autour d’un corps étranger, sécrétion d’adrénaline dans une situation
de danger), défenses organo-fonctionnelles (vomissements induits par une substance
toxique, toux déclenchée par un agent irritant, fermeture des paupières à la lumière),
défenses émotionnelles destinées à déclencher des comportements instinctuels.
Si d’un point de vue phylogénétique et donc évolutif, les défenses somatiques
précèdent les défenses comportementales et les défenses psychiques, d’un point de vue
psychosomatique les défenses psychiques précèdent les défenses comportementales et
somatiques. La somatisation est donc un processus contre-évolutif.
L’afflux de traumatismes
L’appareil psychique a ses limites, et ses mécanismes Désordre somatique
de défense peuvent se trouver dépassés lorsque le
Désordre économique et
sujet est soumis à un excès traumatique. Comme pour
somatisation
49
Traité de médecine psychosomatique
se protéger, le psychisme se met en « mode veille », voire interrompt une part de son
fonctionnement, tout comme l’escargot rentre dans sa coquille.
La répression
Parce qu’il s’agit d’un mécanisme central et fréquent à l’origine des désordres
somatiques, nous y consacrerons plus loin une large part de notre exposé.
La dépression essentielle
Elle survient dans les suites de traumatismes majeurs, ou d’un cumul de traumatismes,
le plus souvent à type de perte ou d’épuisement. Destinée à épargner au sujet un minimum
de souffrance morale par évacuation des représentations et des sentiments douloureux,
elle génère à terme un assèchement du fonctionnement psychique et inaugure de fait des
somatisations graves. Nous traiterons de la dépression essentielle p. 105.
Le mode de vie
En dernier, mais de manière de plus en plus fréquente, le déficit de mentalisation peut
être généré par le mode de vie : vie routinière, vie opératoire, préséance de l’agir sur la
pensée, immersion médiatique et, phénomène récent et particulièrement redoutable,
dépendance aux écrans et à internet.
Le déficit psychique généré par ces processus est appelé état de démentalisation.
Inversement, la rementalisation, qui constitue l’un des axes centraux du processus
psychothérapique, consiste à favoriser la résurgence de représentations et d’affects au
sein du psychisme et à permettre à l’excitation d’investir à nouveau cette voie, libérant
ainsi la voie somatique qui s’en trouve allégée.
4. LA RÉPRESSION
Il s’agit d’un mécanisme de défense initialement conscient, puis plus ou moins réflexe,
qui se met en place dans certaines situations afin de permettre à l’individu de poursuivre
les buts qu’il s’est fixé, quoi qu’il lui en coûte. Ne pas penser, ne pas ressentir, ne pas
rêver, continuer la lutte comme si de rien n’était, afin de ne pas décevoir, de ne pas se
décevoir, afin de ne pas perdre l’autre, son travail ou l’estime de soi-même, afin de ne
pas souffrir moralement aussi. Ce processus prive le psychisme d’une grande partie de
son fonctionnement, crée des lacunes au sein du préconscient, assèche les représenta-
tions en les privant du sentiment associé. L’excitation désinvestissant le psychisme peut
se libérer dans les comportements mais, si ces derniers font aussi l’objet de répression, elle
se déverse de manière massive dans le corps.
50
La genèse du désordre somatique
R CONSCIENT
Représentation à fleur
PRÉCONSCIENT R
de conscience
53
Traité de médecine psychosomatique
? ?
C C
S S
Pour ne plus rien ressentir (rancœur, douleur morale, inquiétude), le sujet se noie
souvent dans la vie opératoire. Cette vie opératoire, machinale, automatique, finit par
générer à son tour une pensée opératoire, créant un vide psychique généralisé.
chasser, car un sentiment agressif qui perdure n’est pas une garantie ni de bien-être ni
de confort, surtout s’il n’aboutit à rien. Mais, passé un certain seuil et un certain temps,
la répression de l’affect agressif devient pathogène. Elle donne au sujet une apparence
d’indifférence aux griefs qu’il subit. Aucune rancœur, aucune expression agressive à
l’égard de l’« ennemi » que le sujet cherche parfois même à excuser, voire à défendre, alors
qu’il est victime de lui. Le phénomène est classique dans certains désordres conjugaux ou
certains conflits professionnels.
Noëlle est consciente de la maltraitance dont elle est l’objet depuis deux ans dans
son couple mais la vit comme un état de fait, banalise la situation, n’exprime aucun grief.
Des douleurs et une raideur articulaire se sont peu à peu installées. Un diagnostic de
polyarthrite rhumatoïde a été posé il y a six mois.
La répression de l’affect anxieux
Comme nous le verrons plus loin, l’angoisse se manifeste par des symptômes affectifs,
comportementaux et somatiques. La répression de l’affect d’angoisse génère une infla-
tion de l’excitation dans les voies comportementale et somatique.
Érica a toujours été angoissée. L’entrée en faculté, loin du domicile familial et de ses
amies, générera des attaques de panique dans toute situation inhabituelle ou nouvelle,
restreignant son périmètre d’action et la plupart de ses investissements. Une thérapie
cognitivo-comportementale permettra de juguler les crises et les affects anxieux, au prix
de l’apparition de diarrhées chroniques.
La répression de l’affect douloureux
La répression des affects douloureux est fréquente après certaines pertes, notamment
les deuils. La douleur du deuil est difficilement supportable, bien qu’inévitable et néces-
saire comme nous le verrons plus loin. Lorsque les mécanismes de défense qui accom-
pagnent le deuil et le caractérisent sont déficitaires ou inopérants, la répression vient à la
rescousse. Il s’agit alors de mettre tout en place, quoi qu’il en coûte, pour ne pas souffrir,
pour faire bonne figure, pour neutraliser l’image de l’objet perdu, comme en témoignent
les recettes bien connues : « Passer à autre chose… se battre… faire preuve de courage…
ne pas se laisser aller… “positiver” ! », etc., et autres fadaises ânonnées par des interlocu-
teurs plus ou moins bien intentionnés ou des « coachs » décérébrés. Les résultats sont le
plus souvent catastrophiques. Assèchement des affects et des émotions, consomption
dans la sur-occupation et, à terme, maladie somatique.
Dans les suites du décès accidentel de son fils, Fabienne décida de ne pas se laisser
aller. Elle se jeta dans le travail et la politique. Elle surmonta donc le choc avec difficulté
certes, mais sans trop, à telle enseigne que ses amies lui faisaient part de manière régulière
de leur admiration pour son « courage ». Huit mois après, elle constata une tuméfaction
au niveau du sein droit, subit une mastectomie, et affronta la radiothérapie et la chimio-
thérapie, avec « courage ».
L’affect se situe plus près de sa source somatique que la représentation si l’on s’en
réfère au schéma de la fonction psychosomatique. Il est, de fait, porteur d’une énergie
supérieure à celle de la représentation. Sa répression génère un désordre économique
plus profond, et donc des maladies plus graves que celle de la représentation : maladies
auto-immunes et probablement certains cancers.
55
Traité de médecine psychosomatique
56
La genèse du désordre somatique
Em C
S
Répression de l’expression émotionnelle
RÉPRESSION REFOULEMENT
Objet Langage - Représentation - Affect - Représentation
Émotion - Comportement
Mécanisme Conscient Inconscient
But Quête de satisfaction Atténuation de l’angoisse
Phylogenèse Antérieur Postérieur
Ontogenèse
Conditions Présence d’un autre Conflictualité intrapsychique
Durée du mécanisme Durable Instantané
Conséquences Pathologie somatique Pathologie mentale névrotique
Levée des lacunes Retour du réprimé : Retour du refoulé :
matériel identique matériel déguisé
Désordre Central Absent
économique
Efficacité à long +/- +++
terme
sion des représentations consiste à ne pas penser. C’est le sujet lui-même qui non seule-
ment éteint la lumière, mais aussi débranche certains appareils trop consommateurs en
énergie. D’un point de vue neurologique, la scène se joue dans des zones cérébrales plus
étendues (cortex frontal, lobe limbique, hypothalamus) mais aussi directement au sein
des fonctions physiologiques. La répression intervient lorsque le disjoncteur du refoule-
ment n’a pas fonctionné.
60
La genèse du désordre somatique
61
Traité de médecine psychosomatique
Sentiment anxieux
e 4 Accentuation du désordre
1 Sensations désagréables
Manifestations somatiques de l’angoisse
Maladie somatique
Mécanisme de l’hypocondrie
62
Chapitre 3
1. INTRODUCTION
L’émotion est donc un phénomène physiologique à déterminisme génétique instinc-
tuel. Les émotions de base repérées par Darwin (surprise, colère, peur, tristesse, dégoût,
joie) sont au service de l’adaptation.
Il existe une autre émotion de base qui, elle, n’est pas au service de l’adaptation de
l’individu, mais au service de la survie de l’espèce : c’est émotion sexuelle. Il conviendrait
mieux de ce fait de l’appeler émotion génésique. Mais la perspective de la reproduction
échappe totalement à l’émotion sexuelle, en tout cas chez l’homme postmoderne, à telle
enseigne que la sexualité est souvent altérée lorsque le seul but est de se reproduire.
Le devenir de l’émotion sexuelle prend différentes formes chez l’homme : l’excitation
génitale et le comportement sexuel bien sûr, mais aussi son élaboration psychique en
désir et parfois en sentiment amoureux, sentiment composite éminemment variable
d’un sujet à l’autre, qui intègre de manière très diverse d’autres déterminants affectifs tels
que l’attachement et bien d’autres composantes sous-jacentes comme en témoignent les
différentes réactions passionnelles. L’élaboration psychique de l’émotion sexuelle produit
des représentations sexuelles d’une grande complexité dans lesquelles se confrontent les
constituants du fantasme, de ses limites et de ses destinées. La conflictualité règne au
sein des représentations sexuelles de la plupart des êtres humains, et c’est probablement
là que se situe une des origines de la pensée. Pensée qui se liquéfie, à l’instar du langage,
dans la jouissance, pensée qui disparaît dans la mise en acte psychopathique, pensée qui
se rétrécit dans l’acte pervers. La naissance de la pensée, et à plus forte raison de la parole,
serait probablement liée pour une part à la répression de l’animalité.
La sublimation de la sexualité, forme la plus élaborée d’élaboration psychique, est le
propre de l’homme. L’évolution sociétale postmoderne propose l’acte comme satisfac-
tion du désir, assimilant celui-ci au besoin, elle crée des images que les individus prennent
pour des représentations. Ainsi le fantasme disparaît et la pensée avec.
L’émotion sexuelle dans sa composante physiologique se rapproche, comme nous
le verrons, de la joie. Toutes deux partagent le même support neurophysiologique : le
système parasympathique. La vie sexuelle ne peut fonctionner qu’en temps de paix,
lorsque les nécessités adaptatives passent au second plan. Il existe une antinomie entre
combat et vie sexuelle. C’est ce qui explique la majorité des dysfonctions sexuelles,
l’angoisse ou le vécu de défaite étant leur dénominateur commun.
L’instinct sexuel, avec le développement phylogénétique et ontogénétique, engendre
donc, par le biais de l’élaboration psychique, la pulsion sexuelle. Ses avatars déterminent la
pathologie psychique. Instinct et pulsion sexuelle interviennent peu, ou tout au moins de
manière très indirecte, dans les processus de somatisation. C’est pour cela que nous allons
clore cette digression sur l’émotion sexuelle et nous centrer sur les cibles des émotions à
déterminisme adaptatif.
63
Traité de médecine psychosomatique
d’autres, le phénomène est continu, structural : c’est ce que Sifnéos et Nemiah ont appelé
l’alexithymie.
Sentiment de peur
Tremblement Tremblement
Tachycardie Tachycardie
Destinées de l’émotion
MANIFESTATIONS NEUROVÉGÉTATIVES
MANIFESTATIONS SENSIBILITÉ
MOTRICES APPAREIL SENSORIALITÉ
RESPIRATION CIRCULATION
DIGESTIF
1 Contracture des - Polypnée - Palpitations Striction épi- - Sensation de trac
mâchoires - Disparition de - Tachycardie gastrique - Sensation de vide
la respiration thoracique
abdominale
2 - Contracture des - Oppression Chaleur du
mâchoires thoracique - visage
- Besoin de bouger Besoin de respi-
- Vertige si répres- rer à fond
sion du mouve-
ment
3 Tension musculaire - Polypnée Ébullition inté- Striction épi- Impression de
dans les bras - Respiration rieure gastrique regard rouge foncé
superficielle
4 - Mains prêtes à Tachycardie Impression d’un
trembler bandeau sur la tête
- Tension générale
5 - Contracture des Impression de Chaleur de la Gorge serrée
mâchoires polypnée partie supérieure
- Crispation des du corps
mains
68
Les cibles des émotions
4-2. La colère
Recueil des données de l’atelier
Les chiffres entre parenthèses correspondent au nombre de stagiaires ayant présenté
ces symptômes.
Émotion colère. Regroupement des signes à partir d’un atelier de dix stagiaires
60
50
40
30
20
10
0
Motricité Respiration Circulation Système Sensibilité-
digestif sensorialité
69
Traité de médecine psychosomatique
Regroupements syndromiques
Manifestations motrices : 66,6%
––Elles sont prévalentes.
––Le corps est tendu, prêt à en découdre. L’immobilité imposée laisse à terme sourdre
des vertiges ou des tremblements.
––La tension musculaire se manifeste essentiellement dans les zones corporelles solli-
citées dans l’attaque, l’appareil d’emprise : tête, rachis cervical, membres supérieurs.
––Contracture des mâchoires et, à un moindre degré, de la région orbitaire (sourcils
abaissés et rapprochés, paupière supérieure relevée), pincement des lèvres.
––Tension majeure de la région cervicale et scapulaire.
––Tension majeure des membres supérieurs, plus particulièrement des mains (tendance
à serrer les poings et les doigts).
––Tension dans les membres inférieurs en relation avec le besoin de bouger.
Manifestations respiratoires : 28,5%
––Respiration superficielle et rapide induisant une sensation d’oppression. Comme
chez l’animal à l’affût, la respiration superficielle maintient l’oxygénation nécessaire
au combat mais n’entrave pas mécaniquement celui-ci, elle prépare à l’accélération
du rythme respiratoire lorsque le combat sera engagé.
Manifestations cardiovasculaires : 45,2%
––Augmentation du rythme et du débit cardiaques, augmentation de la température
cutanée par vasodilatation plus particulièrement dans la région céphalique (afflux de
sang au cerveau, rougeur de la face) et le système musculaire sollicité par le combat
(membres supérieurs, mains).
Manifestations digestives : 28,5%
––Spasmodicité digestive : striction pharyngée et épigastrique, attestant d’une
sidération du péristaltisme digestif.
Manifestions sensorielles et sensitives : 35,7%
––Sensation de striction au niveau de la tête (front, yeux, lèvres), paresthésies au niveau
des membres, en relation avec les phénomènes neuromusculaires.
––Chaleur orbitaire et péri-orbitaire attestant d’une vasodilatation, avec perception
parfois d’une lumière rouge intense.
Synthèse et interprétation
La colère crée une tension musculaire et un afflux sanguin dans les territoires moteurs
nécessaires à l’attaque : mâchoires, région orbitaire, région cervicale, région scapulaire,
membres supérieurs, voire inférieurs. La respiration est celle de l’animal à l’affût s’apprê-
tant à bondir. Les phénomènes de striction pharyngée et épigastrique sont en relation
avec un arrêt des fonctions digestives.
Durée de l’émotion
Quelques minutes à quelques heures.
Expressions mimiques
Muscles de la face contractés (sourcils froncés, lèvres tendues dans une moue
menaçante), regard fixe, dents serrées, rougeur du visage, poings crispés...
Paul Eckman, anthropologue, a étudié en Nouvelle Guinée, à la fin des années 60, les
expressions de la colère chez des Papous ayant peu de contact avec la civilisation occiden-
tale. Il confirme le caractère universel des émotions et de leurs expressions faciales, attes-
tant d’une inscription génétique de nos expressions émotionnelles. Secondairement,
les règles et repères sociaux (culturalisme), le milieu, puis l’histoire du sujet lui-même,
influencent les modalités d’expression de la colère (lèvre supérieure « raide » valorisée
dans les classes supérieures), ainsi que ses motifs de déclenchement.
Ontogenèse
Apparition chez l’enfant entre 4 et 7 mois.
Buts de la colère
La colère a deux fonctions :
––la première, très archaïque d’un point de vue phylogénétique, est destinée à l’action :
préparer au combat physique. Le tonus des muscles augmente, les modifications
cardiorespiratoires favorisent l’apport d’oxygène à ces derniers, ainsi qu’au cerveau ;
––l’autre, secondaire à la précédente, est destinée à éviter le combat en intimidant
l’autre (communication). L’expression mimique qui précède et accompagne la mise
en acte constitue à elle seule une arme de dissuasion, générant la peur chez l’autre. La
soumission de l’autre permet d’éviter le combat, procédé risqué et coûteux. Chez les
chimpanzés, elle aboutit rarement à un combat : ils se contentent de frapper le sol ou
les branches alentour. Taper du poing sur la table traduit l’excès de tension musculaire,
le désir d’agression et constitue un geste d’intimidation.
Support neuroanatomique
L’agressivité est issue directement du rhinencéphale. Mais le cortex préfrontal, plus
précisément médioventral, agit comme fonction inhibitrice de la mise en acte. Son activa-
tion favorise donc la répression. Sa déconnexion favorise l’émergence des représentations
motrices agressives, voire la mise en acte.
Cibles somatiques potentielles
––Pathologie rhumatologique mécanique si répression des représentations : bruxisme,
blocages et algies cervicales, scapulaires, cervicobrachiales, tendinites des membres
supérieurs, syndrome du canal carpien.
––Pathologie inflammatoire des mêmes régions si répression de l’affect agressif.
––Céphalées myotensives (céphalées, névralgies faciales).
––Céphalées vasculaires (algies vasculaires de la face), bouffées vasomotrices de la tête
et des membres supérieurs.
––Vertiges.
––Tachycardie, troubles du rythme, hypertension artérielle essentielle.
––Dyspnée, oppression thoracique.
71
Traité de médecine psychosomatique
4-3. La peur
Recueil des données de l’atelier
MOTRICITÉ RESPIRATION CIRCULATION APPAREIL SENSIBILITÉ AUTRES
DIGESTIF SENSORIALITÉ
Analyse sémiologique
Systèmes physiologiques concernés
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Motricité Respiration Circulation Système Sensibilité- Autres
digestif sensorialité
Regroupements syndromiques
Manifestations digestives : 40%
––Ce sont les premières à apparaître, dès l’immersion. Ce sont des manifestations
gastro-œsophagiennes immédiates et soudaines de courte durée : asialie, besoin de
72
Les cibles des émotions
73
Traité de médecine psychosomatique
Synthèse et interprétation
Les manifestations constantes d’hypotonie musculaire des membres inférieurs (et plus
rarement de rétraction posturale) semblent correspondre à une réaction de passivité,
soit de type évitement passif (freezing), soit de renoncement à l’action, comme si le sujet
voulait se faire oublier, disparaître (la diminution de la perception sensorielle de certains
éléments du monde extérieur paraît s’intégrer dans cette dimension de repli). Elles
succèdent à une phase sthénique de mise en jeu d’une phase d’alarme à déterminisme
adrénergique et myotensif de courte durée, correspondant vraisemblablement à une
réaction de fuite avortée, qui elle-même se déclenche rapidement après une décharge à
type de choc au niveau de la sphère digestive haute.
Notons que la colère génère une vasodilatation des mains, alors que la peur génère
une vasoconstriction de celles-ci. H. Laborit précise que, face à la menace (attente du
combat), apparaît une vasoconstriction généralisé (peur) puis, lorsque la lutte s’engage,
une vasodilatation des territoires moteurs impliqués dans celle-ci (colère) (L’inhibition de
l’action).
74
Les cibles des émotions
4-4. La tristesse
Recueil des données de l’atelier
MOTRICITÉ RESPIRATION SYSTÈME APPAREIL SENSATIONS
CARDIOVAS- DIGESTIF
CULAIRE SOMESTHÉSIE SENSORIALITÉ
- Contraction des - Blocages - Tachycardie, - Salivation - Sensation - Sensation
muscles de la tête (3). respiratoires, battements (2). de déforma- de larmes
- Abaissement des oppression cardiaques - Constriction tion corpo- imminentes
sourcils (2). thoracique, plus forts (8). pharyngée relle, d’allon- (7).
- Abaissement des respiration - Bouffées de (8). gement, de
commissures labiales superficielle, chaleur (6). - Difficulté à rétrécisse-
(3). saccadée, - Transpira- déglutir (3). ment asymé-
- Tension et lourdeur souffle court, tions (5). - Striction trique (2).
douloureuse du rachis besoin de - Sensation épigastrique - Picote-
dorsal, des épaules, du reprendre de de froid (4). (6). ments, pares-
rachis dorsal et lom- grandes inspi- - Tension thésies de la
baire (9), des bras et rations (9). douloureuse tête et des
des mains (3). abdominale membres (6).
- Abattement général, (2). - Visage car-
lourdeur du corps, tonneux, figé
attraction vers le bas (2).
(4). - Douleurs
- Lourdeur et hypo- diffuses,
tonie des membres céphalées (2).
inférieurs (5).
Analyse sémiologique
Systèmes physiologiques concernés
58
56
54
52
50
48
46
44
Motricité Respiration Circulation Système Sensations
digestif
75
Traité de médecine psychosomatique
76
Les cibles des émotions
––Vasoconstriction cutanée.
––Oppression thoracique, spasmes respiratoires.
––Paresthésies
4-5. Le dégoût
Recueil des données de l’atelier
MUSCLE RESPIRATION CIRCULATION SYSTÈME SENSIBILITÉ
DIGESTIF SENSORIALITÉ
- Crispation des - Polypnée - Chaleur du - Striction pha- - Paresthé- - Larmoie-
muscles de la face superficielle visage, surtout ryngée gênant la sies à type ment (7).
(9) : horripilation des (5). des joues (7). déglutition (6). de picote- - Acou-
cheveux, froncement - Réflexe de - Sensation de - Hypersialorrhée ments de phènes (2).
des sourcils, tension toux (1). froid dans le (5). la partie
des lèvres, abaisse- - Dilatation dos, les mains, - Nausées (6). supérieure
ment des commissures des narines, les pieds (6). - Reflux, éructa- du corps
labiales, retroussement serrement tions (3). (5).
de la lèvre supérieure. racine du nez, - Spasme épi- - Sensation
- Contracture des écoulement gastrique (3). de vide
mâchoires (4). nasal (2). - Sensation de général en
- Contracture et rétro- viscères qui fin d’exer-
pulsion cervicale et de remontent et de cice (5).
la partie supérieure du vide abdominal
corps (7). (2).
- Contractures scapu-
laire (3).
- Tension des bras et
des mains (3).
- Hypotonie des
membres inférieurs (5).
Analyse sémiologique
35
30
25
20
15
10
0
Motricité Respiration Circulation Digestion Sensations
77
Traité de médecine psychosomatique
78
Les cibles des émotions
4-6. La joie
Recueil des données de l’atelier
MOTRICITÉ RESPIRATION CIRCULATION DIGESTION SENSATIONS
SENSORIALITÉ SOMESTHESIE
- Relâchement, - Respira- - Chaleur diffuse - Chaleur Sensation de : - Larmes aux
détente musculaire tion ample, (8). abdominale, - expansion, yeux (2).
générale (10). profonde, - Chaleur des borborygmes dilatation du - Lumino-
- Envie de bouger, calme, régu- mains (7), des (2). corps (9), sité, clarté
de sautiller, de se lière, efficace, membres (5), - lévitation, (7), lumière
lever, de s’étirer (5), ampliation pelvienne (3), envol, attrac- blanche (1),
pouvant générer thoracique génitale (2). tion vers le rose (1),
des impatiences (9): - Battements haut (8), solaire (2),
ou des myoclonies - Respiration cardiaques plus - plénitude (6), orange (1).
dans les membres. abdominale forts (6). - légèreté (10), - Hyperacui-
- Sourire (9). profonde (2). - flottement té sensorielle
- Détente des (3), sonore (3).
muscles de la face, - immatérialité
du front, des pau- (2),
pières, visage lisse - ouverture,
(7). dilatation des
- Relâchement pores de la
cervical, des peau (3),
mâchoires (2). - frissons, vibra-
tions au niveau
rachidien (2).
Analyse sémiologique
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Motricité Respiration Circulation Digestion Sensations
79
Traité de médecine psychosomatique
80
Les cibles des émotions
Autres études
Durée de l’émotion
Une heure à un jour.
Expressions de l’émotion
Lorsque l’émotion s’exprime :
––rires, recherche du contact, approche, mimique ;
––parole et voix : exclamation, réaction verbale.
Ontogenèse
Apparition chez l’enfant entre 3 à 5 mois.
Dimension éthologique
D’un point de vue phylogénétique, plusieurs situations peuvent induire la joie :
––la victoire à l’issue du combat,
––la réussite dans une tache,
––le soulagement après l’épreuve,
––la découverte du nouveau-né après l’accouchement,
––les retrouvailles avec l’objet,
––la nourriture après la faim,
––le rapprochement sexuel.
Support neurophysiologique
Activation du thalamus et du cortex préfrontal médian.
Cibles potentielles
Les cibles somatiques de l’émotion joie sont celles des quatre émotions délétères
précédentes. La joie fait disparaître tous les symptômes que celles-ci ont pu générer. Elle
en constitue la thérapeutique.
4-7. Synthèse générale
Précisions physiopathologiques
Les manifestations spasmodiques digestives de la colère et de la peur sont en relation
avec une interruption du péristaltisme, consommateur inutile d’énergie.
Certaines manifestations cliniques sont communes à plusieurs émotions de base. C’est
le cas de la polypnée superficielle et de la tachycardie, communes à la colère et à la peur,
état de l’animal qui se prépare au combat ou à la fuite. C’est aussi le cas du larmoiement,
prémices des pleurs, qui peuvent exprimer la tristesse bien sûr, mais aussi la colère (pleurer
de rage), le dégoût (les oignons…) ou la joie (retour de l’être aimé, fin d’une période de
souffrance). Les pleurs sont destinés à diminuer la pression oculaire induite par l’émotion.
La joie est la seule émotion de base à valence hédonique. Dans la joie, la défense n’a
plus lieu d’être. Peur, colère, tristesse, dégoût se déclenchent en temps de « guerre ». La
joie et ses effets (sexualité, assimilation, relation à l’autre) ne peuvent apparaître qu’en
temps de « paix ».
81
Traité de médecine psychosomatique
82
Les cibles des émotions
83
Traité de médecine psychosomatique
Et la surprise…
Elle n’a pas été expérimentée en atelier car c’est une émotion très fugitive, laissant
rapidement la place aux autres émotions, et sa valence est variable selon le caractère de
l’événement. Le projet est à l’étude. Il nécessite la mise en place de trois ateliers selon le
contenu de la représentation inductrice : surprise agréable (un cadeau, un événement
heureux), surprise désagréable (surprise à connotation agressive : agression physique,
mouvement externe agressif inattendu, tape dans le dos), surprise neutre (une aurore
boréale ou une éclipse de soleil non programmée, une visite inattendue). Le recueil des
données permettra de confronter les éléments communs entre chacune des trois.
Les données des études sur la surprise effectuées par d’autres auteurs mentionnent :
––baisse de la fréquence cardiaque, baisse de la température cutanée ;
––ontogenèse : apparition chez l’enfant entre 1 et 3 mois.
4-8. Incidences pratiques
La pathologie
Les phénomènes somatiques générés par les émotions négatives, colère, peur, tristesse,
dégoût, sont autant de pistes cliniques permettant au praticien d’articuler certains
symptômes éminemment fréquents avec le vécu émotionnel sous-jacent. Par exemple,
devant un sujet présentant des douleurs et une tension musculaire au niveau des mains,
des mâchoires ou de la ceinture scapulaire, ou bien des vertiges, le praticien, tout en
continuant son investigation clinique habituelle, pourra évoquer une possible répression
de l’émotion colère. Ainsi, à partir de la sensation décrite par le patient, se qualifie l’émo-
tion et, de fil en aiguille, le sentiment puis la représentation, permettant ainsi de découvrir
le sujet derrière des symptômes habituellement négligés ou laissés en jachère du simple
fait qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une objectivation par les investigations cliniques et
paracliniques habituelles.
Le praticien formé à la psychosomatique connaît et utilise la clinique des émotions.
Face à de nombreux symptômes, la représentation d’une potentielle émotion réprimée
surgit. Ainsi, le praticien amènera le patient, le plus souvent au travers d’images et de
métaphores, à qualifier en plusieurs temps successifs ses perceptions, puis son ressenti et
enfin son vécu.
Nous avons inventorié un nombre important de signes fonctionnels rencontrés en
médecine générale et qui entrent dans la section confuse des « troubles somatoformes »
du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM, Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux). On comprendra que les investigations paracliniques
habituelles soient négatives bien que certains procédés de mesure en laboratoire de
physiologie aient pu matérialiser ces phénomènes. En tout cas, le sujet n’a pas « rien »
et c’est tout sauf « dans la tête » car, lorsque la rementalisation se produit, le désordre
physiologique diminue, s’efface, voire disparaît.
abaissées, la bouche close ou mi-close avec les lèvres relâchées. Chez l’homme, la satisfac-
tion s’accompagne d’un sourire avec élévation des commissures labiales, le dégoût ou la
tristesse s’accompagne d’une moue avec abaissement des mêmes commissures (Cosnier,
Psychologie des émotions et des sentiments).
Les émotions antagonistes peuvent être circonstancielles ou volontairement induites
par de nouvelles représentations. Ainsi, une bonne mentalisation latérale constitue en
dernier lieu un garde-fou contre les désordres émotionnels. Il s’agit d’un phénomène
d’échappement que l’on peut qualifier de mentalisation transversale, dont la richesse est
fonction du capital disponible des représentations.
Représentations R1
latérales R 2
A1
Élaboration
Décharge motrice
Échappement
––Sequeira H. : « Quelle que soit l’émotion ressentie, elle n’est pas anodine pour
le corps… Les émotions sont une véritable interface entre le cerveau et le corps…
C’est d’ailleurs ces liens qu’explore la médecine psychosomatique, selon laquelle “des
émotions répétées peuvent avoir chez certains individus prédisposés, un impact positif
(guérison plus rapide d’un cancer) ou négatif (vulnérabilité cardiovasculaire, asthme)
sur la santé, en frappant de façon répétée et inutile sur le même organe”. »
Suite de l’article : « Il reste désormais à définir pour chaque “carte émotionnelle” des
indicateurs physiologiques précis qui pourraient être mesurés de façon objective et
permettraient de repérer d’éventuels dysfonctionnements émotionnels. » C’est ce que
j’avais proposé en 2004.
Sentiment de honte
Abaissement du regard
Vasodilatation de la face
87
Chapitre 4
1. INTRODUCTION
L’adaptation est sollicitée chaque fois que l’individu doit faire face à un changement
interne ou externe : adaptation sensorielle, adaptation motrice, adaptation psychique.
D’un point de vue biologique, l’adaptation implique une mobilisation interne des
ressources d’un individu pour s’ajuster à une nouvelle situation qui, elle, ne s’ajuste pas en
règle générale à l’individu.
L’adaptation chez l’animal est déterminée par les besoins fondamentaux d’une espèce
ou d’un individu qui sont, selon une séquence chronologique : la sauvegarde, le relation-
nel, la subsistance, la récupération. Ils mobilisent les instincts vitaux (agressivité, sexualité,
instinct alimentaire, rythmes biologiques) et, chez certains animaux, l’apprentissage.
Chez les mammifères, on repère déjà des limites au processus d’adaptation. Lorsque le
milieu est défaillant, lorsque l’animal est limité dans ses agissements ou lorsque la réponse
de l’autre est inadaptée, la réaction, après un temps de latence marqué par des manifes-
tations anxieuses, est souvent stéréotypée : léchage, érosion d’une partie du corps, etc.
Lorsque ces manifestations motrices de décharge ne suffisent pas à évacuer l’afflux d’exci-
tations, l’animal développe des pathologies somatiques : dermatoses, ulcères digestifs,
diabète, atteinte surrénalienne, etc.
SURPRISE JOIE
Flight
Victoire
PEUR Fight COLÈRE
Défaite - Échec
Freezing
Angoisse
Obstacle
Épuisement TRISTESSE
DÉGOÛT Dépression
C : violence physique
émotion colère
Tension musculaire,
stimulation orthosympathique, etc.
A : haine, rancœur
C : violence physique
Pathologies somatiques
Rhumatismes mécaniques
Dans les pathologies motrices mécaniques, entrent en jeu des fragilités individuelles,
des sollicitations mécaniques et une répression constante des représentations motrices
agressives. Celle-ci s’accompagne, comme nous l’avons vu, d’une méconnaissance par le
sujet des motifs de son état de tension. L’affect agressif, faute d’arrimage à la représenta-
tion réprimée, se déplace le plus souvent, sur ce qui se présente de moins compromet-
tant. C’est ainsi que ces malades, souvent difficiles, car se vivant comme incompris – ce en
quoi ils n’ont pas tout à fait tort, ayant essayé toutes les techniques, tous les procédés –,
finissent pour certains par tomber dans la revendication, exprimant souvent un affect
agressif à l’encontre du corps médical ou d’un hypothétique persécuteur, objet qui n’a
que peu de chose à voir avec le traumatisme inaugural. Persécutés par leur conjoint qui
« n’y est pour rien », ils incrimineront la position du siège de leur voiture ou leurs condi-
tions de travail. Maltraités dans leur travail, ils rendront responsable le pincement articu-
laire dont ils étaient porteurs bien avant de souffrir. Le rhumatisant mécanique est tendu
dans une attitude de combat à l’égard d’un ennemi qu’il ne parvient plus à identifier.
La pathologie se manifestera dans les territoires moteurs impliqués dans l’attaque,
avec en premier lieu l’appareil d’emprise : tête, mâchoires, rachis cervical, membres
91
Traité de médecine psychosomatique
Rhumatismes inflammatoires
En ce qui concerne la répression de l’affect agressif, qu’elle s’accompagne ou non de
répression des représentations associées, la clinique nous a amené à considérer qu’elle
génère plutôt des désordres humoraux dans les mêmes territoires. Notons que le
terme humeur définit aussi bien un état affectif qu’une entité somatique. Les désordres
humoraux en cause sont essentiellement ceux qui participent aux processus inflamma-
toires ou auto-immuns, c’est-à-dire aux processus de défense somatiques.
La répression prolongée du sentiment agressif générerait donc l’inflammation, ce
qui nous a permis d’avancer l’hypothèse suivante : « Lorsque la flamme désinvestit le
psychisme, elle s’attaque au corps. » Ainsi, l’inflammation du corps surgit lorsque le senti-
ment s’éteint, le corps s’enflamme lorsque le psychisme ne s’enflamme plus. (Pongy, Les
cibles somatiques.)
Les maladies inflammatoires vont concerner dans un premier temps, à l’instar de la
répression des représentations, les systèmes organo-fonctionnels destinés à l’attaque.
C’est ainsi que de nombreuses polyarthrites débutent par une inflammation des articu-
lations de la main. Si la répression perdure, l’inflammation s’étendra à d’autres zones. La
pathologie auto-immune peut en constituer l’aboutissement.
La pathologie anxieuse
Ses causes sont multiples. Parmi celles-ci figure chez certains sujets la répression de
l’agressivité, essentiellement celle de l’émotion colère. Nous avons vu que la répression
de l’expression émotionnelle portait surtout sur la motricité et pour une petite part sur
les réactions neurovégétatives potentiellement exposées au regard de l’autre. Mais le
contrôle émotionnel a des limites, plus particulièrement au niveau de la réaction neuro-
végétative car, comme son nom l’indique, le système nerveux autonome n’en fait qu’à sa
tête : sauf entraînement régulier et intensif, il est difficile de contrôler le rythme cardiaque,
les phénomènes vasomoteurs, les spasmes gastriques, la glycémie.
L’émotion étant par définition un phénomène de courte durée, ces désordres
aboutissent rarement à des maladies chroniques, mais le contrôle permanent des
réactions émotionnelles peut générer par contre des désordres durables tels que troubles
cardiovasculaires (tachyarythmie, bouffées vasomotrices), spasmes digestifs, vertiges,
gastralgies, dyspnée, tremblements, hyperglycémie.
92
Les réactions adaptatives
Dans le meilleur des cas, la répression du comportement agressif peut susciter l’émer-
gence du fantasme, son support neuronal empruntant pour une part les mêmes voies
que celles de la mise en acte. Dans d’autres cas, l’agressivité gagnera à être déplacée. Le
phénomène existe chez l’animal : face à un rival trop impressionnant pour être combattu,
un pigeon peut se mettre à picorer furieusement le sol. Mais plutôt que de taper contre
un mur pour évacuer l’agressivité réprimée, le déplacement de celle-ci dans des activités
sublimatoires constitue chez l’homme la solution la plus trophique.
Enfin, la répression du comportement agressif génère, comme nous le verrons plus
loin lors de l’étude du syndrome général d’adaptation, une hyperactivité du système
orthosympathique (sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline) ou un hypercorticisme
(sécrétion de cortisol). Elle constitue un déterminant central de l’hypertension artérielle
essentielle.
3. L’ANGOISSE
Le combat ne se limite pas à l’attaque et à ses préparatifs, pas plus qu’à la victoire ou
la défaite. Entre les deux, des péripéties, des changements, des revirements de situations
surgissent. Les conflits armés, la guerre, sont là pour en attester. Entre chaque mouve-
ment de troupe quelque chose s’immobilise, le temps d’une réadaptation. Les diverses
stratégies utilisées par les proies potentielles des prédateurs l’illustrent parfaitement.
L’antilope ayant flairé l’odeur du lion s’immobilise. La peur la met en tension, exacerbe
ses sens et la prépare à fuir (flight) dans la meilleure direction. La fuite ne se déclenchera
que lorsque le lion aura franchi une certaine distance. Lorsque la distance se raccour-
cit, que la fuite est devenue impossible, la proie change de direction ou bien accepte
faute de mieux le combat (fight). Ces changements brutaux sont toujours précédés d’une
inhibition transitoire, nécessaire au changement de trajectoire ou de réaction. Lorsque le
combat est engagé, l’agressivité se mobilise mais, à un certain moment, l’immobilisation
se manifestera à nouveau avant qu’il ne reprenne.
Ces temps d’inhibition défensive de très courte durée associent hyperréveil (arousal)
et immobilité totale (freezing). Leur durée se prolonge lorsqu’il existe un conflit entre un
besoin et une nécessité vitale. Imaginons un chat en période de rut, en état d’ébullition
corporelle, fixé sur le seul but de copuler avec une femelle qui se contorsionne à quelques
mètres. Pris par l’émotion sexuelle, il n’a pas vu le chien du voisin qui le guette et se dirige
tout guilleret vers l’élue de son cœur. Le surgissement du chien stoppera immédiatement
la trajectoire du matou. L’immobilisation du chat sera sensiblement de plus longue durée
que celle de l’antilope évoquée ci-dessus, car le chat est pris entre deux poussées instinc-
tuelles, la copulation ou la fuite, et habité simultanément par deux émotions, l’excita-
tion sexuelle et la peur. Si l’on se place dans une perspective phylogénétique, il existe
ici un conflit transitoire entre la reproduction et la survie, la préservation de l’espèce et
la préservation de l’individu. C’est ainsi que les chats se font écraser par les voitures en
période de rut. Et c’est ainsi qu’apparaît l’angoisse.
Lors d’une étude précédente, en 2007, j’ai insisté sur deux éléments fondamentaux : la
réaction d’angoisse est une réaction phylogénétique de défense mobilisant les instincts
et les pulsions de vie et son origine se situe au niveau d’un conflit entre deux tendances
opposées (Psychosomatique de l’angoisse et des maladies d’origine anxieuse). La nature du
conflit peut se situer chez l’homme à des niveaux divers : conflit sensoriel, conflit décision-
93
Traité de médecine psychosomatique
nel, conflit conscient entre un besoin et une contrainte, et enfin conflit inconscient entre
deux instances psychiques opposées. Ces notions fondamentales permettent au prati-
cien de s’étayer sur des représentations valides et de les proposer au patient.
3-1. Clinique de l’angoisse
Les symptômes de l’angoisse
Chez l’être humain, l’angoisse à l’état brut, c’est-à-dire non remaniée par les mécanismes
de défense, se présente sous trois modalités :
––la personnalité anxieuse qui correspond au versant psychique, organisé et relative-
ment bien mentalisé de la pathologie, et dans laquelle les représentations écran sont
présentes, si ce n’est invasives ;
––le trouble anxiété généralisé (TAG), nouvelle appellation de l’anxiété chronique,
pathologie durable bien qu’atténuée ;
––le trouble panique (anciennement crise d’angoisse ou attaque de panique), de courte
durée mais de forte intensité.
La clinique de ces deux dernières entités qui nous intéressent ici plus particulièrement,
se limite à l’affect (A), au comportement (C), et aux manifestations somatiques (S).
94
Les réactions adaptatives
Signes associés
Dans chacune des trois formes d’expression de l’angoisse brute, se surajoutent
fréquemment des troubles du sommeil et, de manière moins systématique, des troubles
de la fonction sexuelle.
Les troubles du sommeil sont essentiellement des difficultés d’endormissement, des
nuits agitées, des réveils au bout de trois heures de sommeil suivis de ré-endormissement
(l’absence de ré-endormissement caractérisant les vécus dépressifs) (Pongy, Le sommeil et
les rêves). Dans le trouble anxieux généralisé (TAG), on constate l’existence de troubles de
la structure du sommeil différents de ceux de la dépression : allongement de la latence de
l’endormissement, réduction de la durée totale du sommeil à ondes lentes, sans anomalie
du sommeil paradoxal.
Les troubles de la sexualité d’origine anxieuse se manifestent par des phénomènes
d’inhibition.
L’angoisse sous-tend, avec la dépression, l’essentiel des dysfonctions sexuelles. Toute
angoisse atteste d’un combat qui mobilise l’ensemble des armes défensives. La sexualité
ne peut fonctionner qu’en temps de paix.
Effets à moyen terme
Le combat qui sous-tend l’angoisse épuise les réserves énergétiques du sujet. C’est ainsi
que l’asthénie chronique y est fréquente et que l’amaigrissement est loin d’être exception-
nel.
Effets à long terme
À long terme, le sujet anxieux sera amené à supprimer des activités, des exutoires, il
aura tendance à éviter le monde extérieur. Des difficultés d’adaptation sociale ou profes-
sionnelle, des conflits relationnels pourront surgir. Le recours à des toxiques, destiné à
apaiser la tension interne, est loin d’être exceptionnel. Enfin, l’épuisement dépressif
constitue une modalité évolutive lorsque les mécanismes de défense et les ressources
énergétiques s’épuisent.
L’objet de l’angoisse
Ainsi, la représentation n’apparaît pas dans le tableau que nous venons de présenter.
Est-elle absente ? C’est ce que la définition classique de l’angoisse, à savoir une « peur sans
objet », laisserait supposer.
En fait, l’objet de l’angoisse telle qu’elle apparaît dans le trouble panique ou le trouble
anxieux généralisé, n’est pas absent, mais il est inconsistant, vicariant, sujet au déplace-
ment, ce qui a pour effet de donner une place très accessoire à la représentation anxieuse
qui ne constitue pas un arrimage suffisant pour l’affect. (Voir schéma page suivante.)
Physiopathologie
Les manifestations somatiques les plus courantes de l’anxiété témoignent d’une
stimulation du système nerveux végétatif, neuromusculaire, sensoriel et sensitif. Il existe
des points communs évidents entre les réactions anxieuses et les réactions du système
d’alarme du syndrome général d’adaptation. L’attaque de panique peut être considérée
comme une exacerbation de cette phase d’alarme, le trouble anxiété généralisé comme
sa prolongation sous forme atténuée, récurrente ou prolongée.
95
Traité de médecine psychosomatique
Représentations instables
Peur et angoisse
L’émotion peur en constitue le déterminant le plus classique. Mais, comme nous
venons de l’évoquer, l’angoisse ne saurait être définie comme une peur sans objet, et ceci
du fait que :
––les objets de l’angoisse sont vicariants. Ce sont le plus souvent des représentations
écran ;
––la peur n’a qu’un seul objet. L’objet d’angoisse, quant à lui, n’est jamais unique,
puisque l’angoisse naît de la conflictualité. L’évitement permet d’ailleurs de juguler la
peur mais ne permet pas de juguler l’angoisse.
Si la peur nécessite la présence réelle de l’objet, l’angoisse peut être déclenchée par la
simple représentation du danger ou son anticipation. Ainsi, la réaction anxieuse serait le
propre des espèces pourvues de système représentatif (homéothermes). Cette compo-
sante imaginaire de l’angoisse se retrouve aussi dans la surévaluation du risque, néces-
sitant l’intervention de processus cognitifs plus complexes que dans la peur. De fait, les
anxiolytiques agissent peu sur la peur alors qu’ils sont efficaces sur l’anxiété.
Contrairement à la peur, l’angoisse ne nécessite pas une grande proximité de l’objet
menaçant, chez l’animal comme chez l’homme. Elle peut apparaître lorsque le danger est
plus lointain. Ce phénomène a été confirmé expérimentalement : la distance de sécurité
augmente chez le sujet anxieux. Chez celui-ci, le réflexe de clignement des yeux face à
un objet mobile s’approchant du visage apparaît plus précocement, c’est-à-dire à une
distance plus grande (40 cm) que chez les sujets témoins (20 cm).
La peur focalise l’attention, l’angoisse s’accompagne au contraire d’une dispersion
de l’attention. D’un point de vue perceptif, le sujet anxieux est plus vite submergé par
la surcharge de stimuli multiples et intrusifs de l’environnement. Cette submersion de
l’attention au niveau perceptif se retrouve aussi au niveau représentatif. Ainsi, il existe
96
Les réactions adaptatives
Immobilisation défensive
Motricité Rétraction posturale
Immobilisation de soumis-
sion Hypotonie musculaire des
membres inférieurs
Repli sur soi
- Augmentation des perceptions
internes
Sensorialité
- Diminution des perceptions
externes
Physiopathologie de l’angoisse
97
Traité de médecine psychosomatique
Fuite
Échappement
PEUR Lutte
Freezing
COLÈRE ANGOISSE
TRISTESSE Répression
DÉGOÛT
instances répressives inconscientes, conflit entre la pulsionnalité et les idéaux. C’est ainsi
que chez l’homme l’angoisse perdure, car il n’existe pas de recette pour traiter les conflits
inconscients.
Qu’il s’agisse d’un conflit externe ou interne, d’un simple conflit décisionnel ou d’un
conflit inconscient, la perception d’une menace pour l’intégrité est similaire et la réaction
d’angoisse identique point par point, notamment au niveau somatique : le cœur s’emballe,
les intestins se nouent, les muscles se tendent. En vain, car la réponse motrice attendue ne
vient pas. Pire, la plupart des sujets s’acharnent à vouloir « maîtriser » leur angoisse, ce qui
n’a pour seul effet que de la laisser perdurer et s’accroître. La mobilisation des ressources
énergétiques n’est donc pas utilisée du fait des privations motrices. Le développement
itératif des technologies (mécanisation, déplacements, télécommunications, numérique,
virtuel) visant à développer le pouvoir d’action de l’homme en effectuant le moindre
effort possible, ponctue cette escalade vers l’angoisse. La « pénibilité » a changé de look,
elle ne se situe pas là où on le dit. Si les causes de l’angoisse se sont démultipliées chez
l’homme, le but du signal d’angoisse, dont nous avons hérité, n’a pas évolué d’un iota : il
en appelle à l’unique réaction motrice qui, cette fois-ci, n’est plus au rendez vous.
Causes de l’angoisse
Au vu de ce que nous venons d’évoquer, il est aisé de concevoir que les causes de
l’angoisse chez l’être humain sont multiples, variées et souvent intriquées :
––situations réelles de contrainte, d’attente, de menaces, de conflit externe ;
––situations réactivant la conflictualité interne consciente ou préconsciente : conflit
décisionnel, conflit entre un besoin et un obstacle, entre un désir et un interdit
conscients ;
––situations réactivant une conflictualité inconsciente : conflit entre la pulsionnalité
(ça) et l’interdit inconscient (surmoi) ;
––situations réactivant des angoisses archaïques (abandon, séparation) ou l’angoisse
de castration ;
––altérations physiologiques infracliniques (conflits sensoriels, toxiques, etc.), accen-
tuant l’afflux d’excitation ;
––privations motrices ne permettant pas la décharge motrice de l’excitation.
Le repérage des causes nécessite donc une approche pluridimensionnelle :
anamnestique (repérage des facteurs traumatiques actuels), psychosomatique (évalua-
tion de la démentalisation et de la répression émotionnelle), psychanalytique (abord de
la conflictualité inconsciente), cognitive (repérage de la velléité de maîtrise, des inter-
prétations alarmistes), comportementales (évaluation de la privation motrice), médicale
(recherche de désordres physiologiques infracliniques ou de facteurs toxiques). L’intégra-
tion de ces approches complémentaires et non contradictoires conditionne l’efficacité
du traitement.
Nous expliciterons dans le chapitre sur « L’histoire du sujet » (p. 123) ce qui caractérise
ces différents types d’angoisse.
S’il existe des périodes spécifiques de l’apparition d’un type précis d’angoisse archaïque,
la survenue de l’une d’entre elles ne fait pas disparaître la précédente. Et il n’est pas impos-
sible que certains éléments de celle qui précède, notamment son intensité, puissent inter-
férer sur celle qui suit. L’angoisse de castration, par exemple, est aussi une angoisse de
séparation d’avec un objet interne.
La clinique nous confirme par ailleurs que, dans une manifestation d’angoisse, entrent
en jeu le plus souvent plusieurs angoisses archaïques. Cette coexistence se retrouve plus
particulièrement dans l’angoisse de mort qui conjugue dans des proportions variées,
chez un même sujet, angoisse de destruction (être anéanti), angoisse de séparation (être
séparé des objets investis) et angoisse de castration (être privé de jouissance).
Selon la prévalence de telle ou telle angoisse archaïque, les sensations diffèrent.
L’angoisse de séparation affecte plus particulièrement la sphère abdominale, l’angoisse de
castration, la sphère pelvienne, l’appareil locomoteur, la vision, l’angoisse de destruction
génère des sensations beaucoup plus diffuses.
était sous-tendu par des auto-exigences démesurées et une conviction que toute chose
ne dépendait que du sujet, c’est celui-ci qui endosse l’entière responsabilité de l’échec.
Ainsi, la défaite ne peut être que le fait de l’adversaire (moi idéal) ou du sujet lui-même
(idéal du moi). Cette désignation d’un coupable est au centre du processus dépressif.
4-2. La dépression
Nous ne développerons pas ici la clinique des dépressions. Elle a fait l’objet d’une
présentation approfondie dans le cadre de notre enseignement de psychopathologie
qui nous a permis d’en dégager les points essentiels à la lumière de la psychosomatique
(Pongy, Les dépressions). Contentons-nous d’en rappeler les éléments fondamentaux.
La dépression comporte deux entités syndromiques : l’altération de l’humeur et
l’émoussement des fonctions.
Les représentations et les fonctions cognitives du sujet dépressif sont caractérisées par :
––un rétrécissement du champ de la conscience ;
––un ralentissement idéique et verbal ;
––une altération des fonctions cognitives : mémoire, concentration, jugement ;
––une distorsion par rapport au temps et une diminution de la capacité d’anticipation ;
––la quête systématique d’un coupable (le sujet lui-même, l’autre, ou les deux) ;
––un appauvrissement de l’activité onirique.
L’affect dépressif est caractérisé soit par la tristesse ou la douleur morale, soit par
l’émoussement. Dans ce dernier cas, de loin le plus fréquent depuis quelques décennies,
apparaissent : ennui, sentiment de vide intérieur, anesthésie affective, anhédonie, désintérêt.
L’agressivité occupe une place centrale, oscillant entre un pôle hétéro-agressif lorsque
l’autre est désigné comme coupable (dépression hostile), et un pôle auto-agressif lorsque
le sujet endosse l’entière responsabilité de la défaite (mélancolie). L’intensité de la dépres-
sion, les idées de mort et le risque suicidaire sont proportionnels à la culpabilité du sujet
et à l’auto-agressivité qui en découle.
Les émotions de base qui sous-tendent la dépression sont la colère, la tristesse, le
dégoût. Elles apparaissent de moins en moins dans les nouvelles formes de dépression et
laissent place à l’émoussement émotionnel.
Le comportement est caractérisé par le ralentissement, le retrait, la réduction de l’acti-
vité.
Les manifestations somatiques accompagnant les dépressions sont fréquentes. Elles
apparaissent d’autant plus que l’état dépressif est peu mentalisé. Nous les citerons plus
loin en évoquant la dépression masquée (voir p. 103).
Les causes des dépressions peuvent être résumées ainsi :
––décalage constant entre un idéal du moi hypertrophié et l’appréciation déficitaire de
ses performances par le sujet ;
––causes annexes parfois intriquées : facteurs génétiques, développementaux, socié-
taux, existentiels, organiques (maladies, toxiques, écrans).
Le contexte traumatique, constant, permet de distinguer les dépressions de perte,
les dépressions d’épuisement et, plus rarement, les dépressions liées à un syndrome
psychotraumatique majeur. La polyfactorialité traumatique est constante dans les
dépressions.
102
Les réactions adaptatives
La dépression doit être distinguée du deuil. Deuil et dépression présentent des points
communs, et surtout des différences fondamentales. Tous deux sont liés à une perte, tous
deux sont sources de douleur. La douleur du deuil est inévitable, si ce n’est nécessaire. Le
travail dit « de deuil » est un concept psychanalytique qui n’a rien avoir avec l’écholalie
médiatique qui en fait grand usage. C’est tout sauf un travail conscient au sens commun
du terme. On ne décide pas de faire ce travail, on n’en est pas maître. Il n’existe pas de
bons et de mauvais travailleurs. C’est un processus qui consiste en un enchaînement de
mécanismes de défense inconscients successifs et nécessaires.
La dépression se caractérise, elle, par un effondrement des mécanismes de défense.
Dans le deuil, même si la douleur est intense, la plupart des investissements sont conser-
vés. Dans la dépression, ils s’évanouissent. Même si, dans la plupart des deuils, le sujet
passe par une phase d’autoaccusation, de remise en cause de ses actes, la culpabilité
occupe une place moins centrale que dans la dépression.
Le traitement d’une dépression nécessite le plus souvent, en même temps que
l’approche psychothérapique, la prescription d’antidépresseurs. Dans le deuil, la prescrip-
tion d’antidépresseur est un non-sens. Elle est contre-indiquée car elle porte atteinte aux
mécanismes de défense.
Les réactions biologiques de la dépression ne sont pas premières, elles sont consécu-
tives au désordre émotionnel.
Mentionnons en dernier que de nombreuses dépressions peuvent s’accompagner
d’anxiété. Celle-ci atteste alors de la persistance a minima d’une velléité de lutte.
La dépression « masquée »
Le terme de dépression masquée qualifie les états dépressifs se manifestant sous le
« masque » de symptômes somatiques, les symptômes psychiques, émotionnels et
comportementaux étant nettement à l’arrière-plan. Il est largement utilisé en médecine,
souvent de manière abusive ou erronée, s’inscrivant comme une étiquette qui vient clore
l’investigation, ouvrant du même coup la porte à la prescription d’antidépresseurs sans
approche psychothérapique.
Les symptômes somatiques de la dépression masquée correspondent à la part non
mentalisée du processus dépressif. Les plus fréquents sont la fatigue, les troubles du
sommeil, le désordre alimentaire, les altérations de la vie sexuelle, les troubles digestifs
et les douleurs.
103
Traité de médecine psychosomatique
La fatigue
Elle est classique, si ce n’est constante, dans la plupart des états dépressifs. Elle est liée
à la perte d’énergie, à la baisse du tonus instinctivo-pulsionnel, au ralentissement psycho-
moteur, aux troubles du sommeil, etc. C’est une fatigue intense, non améliorée par le
repos, à prédominance matinale.
Dans certaines dépressions masquées, elle constitue le seul tableau clinique. C’est
le syndrome de fatigue chronique : asthénie invalidante, évoquant parfois une maladie
infectieuse, accompagnée parfois de stigmates biologiques. Les signes dépressifs ne
peuvent être mis au jour que par une investigation approfondie.
Les troubles du sommeil
Dans la majorité des dépressions, le sommeil est altéré sous un mode déficitaire :
––réveils nocturnes sans ré-endormissement,
––réveils précoces,
––sommeil moins profond, moins réparateur,
––diminution du sommeil paradoxal.
Nous avons aussi relevé chez nos patients présentant des apnées du sommeil un état
dépressif préexistant, laissant supposer que le syndrome pouvait être la conséquence et
non la cause de ce dernier.
Certaines dépressions s’accompagnent au contraire d’hypersomnie. Cette hypersom-
nie nocturne ou diurne est liée à l’asthénie et surtout à un mécanisme défensif destiné à
fuir la souffrance ou le désinvestissement (sommeil refuge).
Les altérations de la fonction sexuelle
Elles sont liées à la préséance d’émotions et d’affects délétères, ainsi qu’à l’émousse-
ment instinctivo-pulsionnel. Ce sont essentiellement les anaphrodisies (désintérêt sexuel,
extinction du besoin, diminution des fantasmes, baisse du désir), les hypo-érogénéités
(impuissance, frigidité), l’anhédonie sexuelle (absence de plaisir).
Si la fonction sexuelle est préservée dans certaines dépressions, le dysfonctionnement
sexuel peut être le premier révélateur d’un processus dépressif sous-jacent.
Le désordre alimentaire
Il est très variable d’un sujet à l’autre. L’appétit peut être diminué dans un contexte
plus général d’inappétence instinctivo-pulsionnelle. L’augmentation de l’appétit caracté-
rise avec l’hypersomnie la dépression atypique.
Le gain ou la perte de poids ne sont pas exclusivement liés au désordre alimentaire.
La composante anxieuse accentue l’amaigrissement. Quant à la prise de poids, elle est
souvent le fait d’une dépression de perte non mentalisée.
104
Les réactions adaptatives
Les douleurs
Les études sur la prévalence de la comorbidité douleur-dépression aboutissent à des
conclusions divergentes (10 à 90% !) et souvent contradictoires. Cette divergence est
certainement le fait de sélections de populations différentes, de critères de diagnostic
de dépression divergents et, très certainement, à la fois d’une insuffisance de travail
anamnestique et d’une méconnaissance du rôle central de la mentalisation dans l’articu-
lation entre les deux syndromes. Nous aborderons la douleur chronique dans toutes ses
dimensions dans la troisième partie de cet ouvrage (p. 359).
Mentionnons déjà que, d’un point de vue psychosomatique, la démentalisation tend
à transformer la douleur morale en douleur physique : passage du sentiment à la sensa-
tion. Souffrance et culpabilité disparaissent alors au profit d’une fixation sur la zone
douloureuse, ce qui explique pour une part le caractère réfractaire de ce type de somati-
sation. Les douleurs en relation avec un état dépressif peu mentalisé sont essentiellement
des douleurs de défaite ou de meurtrissure : dorso-lombalgies, sans oublier la fameuse
fibromyalgie.
Entre les deux extrêmes, douleur morale sans douleur physique et vice versa, se situent
toute une gamme d’expressions cliniques intermédiaires. Ainsi peut se trouver expli-
quée la grande variabilité des résultats des études concernant la comorbidité : certaines
douleurs accompagnent des dépressions assez bien ou peu mentalisées, d’autres consti-
tuent l’unique syndrome, excluant toute manifestation dépressive mentale.
D’autres manifestations somatiques moins classiques peuvent accompagner les
dépressions. Nous y ferons référence tout au long de ce livre. Tous les troubles que nous
venons d’évoquer sont sensibles aux antidépresseurs contrairement aux somatisations
de défaite.
Par ailleurs, les manifestations dépressives mentales, bien que non manifestes d’un
point de vue clinique, y demeurent sous-jacentes et un praticien expérimenté peut
aisément les mettre au jour. Le masque est fragile. Il n’a pas la consistance et la fermeté
de l’armure défensive qui caractérise les somatisations pures de défaite que nous évoque-
rons plus loin.
La dépression essentielle
La dépression essentielle constitue l’ultime forme phénoménologique d’un processus
dépressif à expression mentale déficitaire. Au-delà, et souvent dans ses suites, se situe
la somatisation de défaite dans laquelle n’apparaît plus aucun symptôme mental ou
comportemental en relation avec le trauma.
La dépression essentielle se limite à l’essence du processus dépressif, c’est-à-dire à
l’atteinte déficitaire des forces instinctivo-pulsionnelles de vie, et ne s’accompagne
d’aucune traduction clinique productive de la lignée dépressive évoquée plus haut. Tout
se joue sur le versant déficitaire. De ce fait, son diagnostic est particulièrement difficile.
S’inspirant des travaux de Pierre Marty et de Léon Kreiser, ainsi que de sa propre expé-
rience, Robert Babeau a proposé une clinique vivante et particulièrement cohérente de la
dépression essentielle (La dépression essentielle). J’en ai recueilli les principaux éléments et
les présente ci-dessous, ordonnés de manière synoptique selon les vecteurs de la fonction
psychosomatique.
105
Traité de médecine psychosomatique
La dépression essentielle est précédée par une période d’angoisses diffuses apparais-
sant dans les suites immédiates du trauma. Ces angoisses sont des angoisses archaïques
anobjectales se manifestant sous forme d’un état de détresse indifférencié proche des
états de détresse primaires du nourrisson, dans lequel aucune élaboration psychique
n’apparaît.
Représentations, mode de pensée et expression verbale
Réduction des représentations, évitement des perceptions internes au profit d’un
accrochage perceptif externe.
Pensée opératoire : pensée consciente, logique et rationnelle, sans support fantasma-
tique personnel, qui double et illustre l’action, la précède ou la suit.
Pensée non remaniée par des mécanismes de défense.
Communication verbale conservée mais pauvre : absence d’associations d’idées,
répétitivité des expressions verbales, absence de métaphore, de double sens des mots, de
rêverie, de fantasme, d’humour, de lapsus, de spontanéité.
Absence de trouble de la mémoire, mais déficit d’introjection de nouveaux objets.
Rêves opératoires.
Affects et émotions
Absence de culpabilité, de tristesse, de douleur morale. Simple abrasion affective ne
suscitant pas de souffrance notable.
Absence de désir, de curiosité, d’envie, d’intention. Indifférence et sentiment de vide
intérieur.
Absence d’expression émotionnelle : ni joie, ni tristesse, ni colère, ni angoisse.
Investissements et relations
Activités habituelles conservées. Absence d’activités ludiques et hédoniques.
Relation « blanche », dévitalisée. Absence d’investissement ou bien désinvestissement
relationnel.
Motricité et comportement
Absence de ralentissement. Motricité fonctionnelle normale, adaptée, mais dépourvue
d’imprégnation pulsionnelle. Disparition de la motricité expressive (mimique, gestuelle).
Activité conservée, absence de retrait, et de repli sur soi.
Comportements opératoires répétitifs.
Relation avec le thérapeute
Absence de demande, les patients sont adressés par des tiers. Désintérêt pour l’inves-
tigation. Rigidité et inertie.
Vécu du thérapeute : ennui, agacement, frustration, sentiment d’être instrumentalisé,
impuissance, fatigue, démentalisation et parfois, à terme, rejet du patient.
État général
Il est le plus souvent conservé, tout au moins au début. Tout au plus peut-il laisser
apparaître une asthénie chronique.
La dépression essentielle traduit une absence d’élaboration psychique, une sidération
des mécanismes de défense inconscients et un effondrement du système perceptif
interne. Elle est sous-tendue par une activité intense et continue de répression : répres-
106
Les réactions adaptatives
sion des représentations (évitement de tout ce qui peut évoquer le trauma) et surtout
des affects et des émotions. Elle peut être considérée comme une réaction défensive de
dernier recours contre la souffrance psychique, par attaque et extinction de l’appareil
psychique lui-même. Cette désorganisation psychique précède souvent une désorganisa-
tion somatique génératrice de maladies graves.
107
Chapitre 5
BIOLOGIE DE L’ADAPTATION
1. INTRODUCTION
Les réponses biologiques ont pour but d’accroître les capacités réflexes et énergétiques
de l’individu face à l’agression, dans un but d’attaque (fight) ou de fuite (flight). Lorsque
l’action est impossible, les réponses biologiques n’en disparaissent pas pour autant. Elles
créent alors de la pathologie.
H. Selye (The stress of life) distingue, d’un point de vue biologique, deux types de
réponses adaptatives :
––une réponse fonctionnelle spécifique : par exemple, l’horripilation est une réaction
contre le froid extérieur, le vomissement est destiné à expulser un aliment indigeste ;
––une réponse aspécifique à visée énergétique générale : le syndrome général d’adap-
tation.
Selye décrit quelques maladies de l’adaptation : ulcères digestifs, maladies inflamma-
toires, rhumatismes, hypertension et thromboses artérielles.
Le syndrome général d’adaptation est l’ensemble des mécanismes physiologiques
programmés, phylogénétiques, destinés à fournir à l’individu les capacités nécessaires
pour affronter des situations nouvelles potentiellement traumatiques. Les modifications
biochimiques induites, lorsqu’elles ne sont pas utilisées dans ce but, c’est-à-dire dans
l’action, engendrent des manifestations pathologiques. Les troubles apparaissent soit par
réponse excessive, soit par défaillance des systèmes physiologiques d’adaptation.
Stimulus stresseur
CORTEX FRONTAL
Système limbique
Système
Amygdale Hippocampe
mésolimbique
Système
Amygdale Hippocampe
mésolimbique
Hypophyse STH
Orthosympathique
Médullosurrénale
Noradrénaline Adrénaline
Augmentation de la TA
Augmentation du débit cardiaque
Apport de glucose
110
Biologie de l’adaptation
111
Traité de médecine psychosomatique
sécrétion de corticoïdes a, selon les situations et le temps d’exposition, des effets positifs
et négatifs.
Amplification et relais de la mobilisation énergétique produite par
les catécholamines
• Néoglucogenèse à partir des lipides et des protides. Le glucose est à nouveau mis à la
disposition de l’organisme pour fournir l’énergie adaptative (augmentation de la glycémie).
• Augmentation de la pression artérielle.
Action sur le système immunitaire
• Augmentation de l’immunité humorale.
• Diminution de l’immunité cellulaire. Cet effet immunosuppresseur se manifeste par
une altération de la circulation et de la fonction des leucocytes, une diminution de la
production des cytokines et des médiateurs de l’inflammation (diminution de l’inflam-
mation). On a constaté que l’injection de corticoïdes effondre le nombre de lymphocytes
circulant chez l’animal et entraîne une involution thymique et des ganglions lympha-
tiques. Par ailleurs, des études effectuées sur des personnes en état de stress chronique
et intense témoignent d’une réduction chez celles-ci des cellules NK (Natural Killers)
susceptibles de détruire certaines cellules tumorales.
Action sur les structures cérébrales
• L’effet général à court terme (stress non prolongé) est celui d’une augmentation de
la transmission synaptique. Secondairement, celle-ci est altérée du fait d’une désensibili-
sation des récepteurs.
• Action sur l’hippocampe. L’hippocampe agit dans la régulation de l’humeur et dans
l’adaptation de l’individu aux situations nouvelles et imprévues. Il possède certains récep-
teurs sensibles aux variations du taux de corticoïdes : les récepteurs de type I. Ces récep-
teurs, rapidement saturés par de faibles taux de CRH, interviennent dans la régulation
de l’activité basale des corticoïdes et exercent un effet activateur favorisant les réactions
d’éveil et la rythmicité nycthémérale (rythmes circadiens, synchronisation des sécré-
tions). Un stress aigu active les récepteurs et favorise la transmission synaptique. Il est
donc favorable à l’apprentissage, à la mémorisation. Un stress chronique diminue la
sensibilité des récepteurs de l’hippocampe et finit même par entraîner une réduction
neuronale similaire à celle que l’on rencontre dans l’alcoolisme chronique, l’hypoxie ou le
vieillissement.
• Action sur les autres structures cérébrales. D’autres récepteurs aux corticoïdes (récep-
teurs de type II) sont localisés dans l’hypothalamus, l’ensemble du système limbique, le
cortex préfrontal. Ils ne réagissent qu’à de fortes concentrations de glucocorticoïdes. Ils
exercent une fonction adaptative, modératrice des processus cérébraux liés au stress, une
action régulatrice de l’axe HHCS, une action au niveau de la mémorisation, et modulent
l’activité des principaux systèmes de neurotransmetteurs ainsi que l’activité du génome.
À long terme, ils génèrent donc des effets structuraux au niveau du système nerveux
central.
112
Biologie de l’adaptation
Régulation et modulation
• Rétrocontrôle inhibiteur par les corticoïdes au niveau des récepteurs de type I et II.
• Inhibition du CRH par le système GABAergique, les benzodiazépines, induisant de
fait ses effets anxiogènes.
• Stimulation du CRH par la sérotonine, l’acétylcholine.
Hormones
• Augmentation de l’hormone de croissance GH, surtout en cas de stress physique non
prolongé. Par contre, en cas de stress prolongé, sa sécrétion est diminuée (le CRH stimule
la somatostatine qui freine la GH).
• Action freinatrice de l’axe thyroïdien lors de stress prolongés : diminution de la TSH,
inhibition de la conversion de T4 en T3.
• Inhibition de la sécrétion de prolactine par l’intermédiaire de la dopamine.
• Sécrétion d’insuline.
• La vasopressine (AVP) prend le relais de la sécrétion des glucocorticoïdes, en stimu-
lant à son tour la sécrétion d’ACTH. Mais, contrairement aux glucocorticoïdes, elle n’est
pas sensible au feed-back de ceux-ci. Elle est activée par un stress unique. (Voir schéma
page suivante.)
113
Traité de médecine psychosomatique
+/–
Humeur
Système Motivation
Amygdale Hippocampe
mésolimbique Agressivité
HYPOTHALAMUS
–
CRF
}
Contrôle douleur ACHT
Freinage axe gonadotrope Bêta endorphine
Modulation neurotransmetteurs
CORTICOSURRÉNALE
Cytokines
Diminution de la réaction
Apport de glucose Inhibition de la sécretion d’insuline inflammatoire et allergique
l’objet d’études approfondies. Quoi qu’il en soit, la phase d’épuisement signe l’échec des
possibilités adaptatives.
Il est difficile de différencier cette phase d’épuisement de celle du deuxième temps de
la phase d’adaptation, car deux manifestations semblent la caractériser :
• une désensibilisation des récepteurs aux corticoïdes. Les épines dendritiques de l’hip-
pocampe régressent. Un stress chronique prolongé induit une altération du système
limbique et surtout de l’hippocampe. Les épines dendritiques de celui-ci régressent.
Les récepteurs hippocampiques aux glucocorticoïdes sont désensibilisés et diminuent,
de même dans d’autres structures cérébrales. Le feed-back négatif s’en trouve altéré. À
terme, une atrophie neuronale au niveau de la couche CA3 de l’hippocampe s’installe.
Enfin, une atteinte du système sérotoninergique et des fonctions cognitives apparaît.
• l’arrêt du feed-back. Le cortisol, dans un premier temps, continuerait à être sécrété en
excès, alors que le facteur traumatique a disparu (deuxième temps de la phase d’adapta-
tion).
En réalité, un troisième phénomène se produit qui, lui, semble être la caractéristique
de la phase d’épuisement : l’effondrement de la sécrétion des corticoïdes (hypofonction-
nement de l’axe HHCS) : épuisement des glandes surrénales entraînant l’effondrement du
système immunitaire et un épuisement des réserves énergétiques. À ce stade-là, il existe-
rait aussi un effondrement du cholestérol. C’est cet élément-là qui semble correspondre
réellement au syndrome d’épuisement.
114
Biologie de l’adaptation
LUTTE
• Hyperexcitabilité neuromusculaire
• Phénomènes myotensifs
• Hypertonie sympathique, hypertension artérielle,
troubles du rythme, troubles vasomoteurs
• Hyperglycémie
6-1. Observations personnelles
1. Il y a trente ans, Éliane, 65 ans, perd un mari qui l’idolâtrait et se retrouve dans
l’obligation de travailler. Le deuil est douloureux mais Éliane assume et se lance à corps
perdu dans le travail. Une prise de poids s’installe ainsi qu’une HTA. Trois ans plus tard,
elle rencontre un homme aveugle et, non sans réticence, accepte de l’épouser. La prise de
poids et la tension augmentent. Elle se sent prisonnière, a le sentiment d’avoir perdu son
identité. Elle a souvent voulu se séparer mais, par culpabilité du fait du handicap de son
compagnon, ne l’a jamais fait.
2. Michel, 50 ans, présente depuis quatorze mois une HTA. Tout a commencé
avec la promotion professionnelle de son épouse qui a amené celle-ci à résider plus
souvent loin du domicile. Elle est moins disponible qu’auparavant, plus tendue du fait
d’une pré-ménopause. Il essaie de la ménager et a progressivement renoncé à ses inves-
tissements hédoniques antérieurs, pour profiter de sa présence lorsqu’elle est là. Leur
vie sexuelle s’est progressivement éteinte, d’autant que le traitement antihypertenseur
n’arrange pas les choses. Michel s’adapte et se soumet. La mentalisation est déficitaire :
peu de formations préconscientes, peu de fluidité dans les représentations, absence de
souvenirs oniriques.
3. Éric présente une HTA labile (16/9) traitée depuis quatre ans par anti-hyperten-
seurs. D’autres signes témoignent d’un important état de tension interne : tachycardie
sous traitement, douleurs thoraciques, réveils à 3 h du matin, asthénie matinale. Éric est
tendu, irritable, anxieux, toujours sur le qui-vive. Depuis quatre ans, des dettes se sont
accumulées, une tension conflictuelle avec un supérieur hiérarchique s’est installée. Éric
se fixe et rumine sur ses difficultés. Seul rêve récurrent : le travail et la tension avec ce
dernier.
4. Manuel, 51 ans, commercial, présente une HTA depuis treize ans (16/11), malgré
son traitement. Il se réveille toutes les nuits au bout de 3 h de sommeil et présente depuis
très longtemps des céphalées. Peu avant le début de l’HTA, il avait arrêté de fumer, mais
c’est surtout dans les suites de son mariage, il y a treize ans, que les troubles ont débuté.
Il a une épouse « à qui il faut sans arrêt rendre des comptes », alléguera-t-il. Manuel se
décrit comme un « battant », un perfectionniste, pris dans ses soucis d’objectifs. Il est
en ébullition et court toujours après le temps, ne « décomprime » jamais, ne s’accorde
jamais de moments de pause ou de loisir. La pensée rationnelle continue à fonctionner
la nuit lorsqu’il se réveille. Il n’y a pas de souvenir onirique. Le sens du devoir dirige sa vie.
5. Nicole, 47 ans, mariée, un enfant, secrétaire, présente une hypertension artérielle
(17/11) et des céphalées depuis un an, aggravées depuis quelques semaines malgré son
traitement anti-hypertenseur. Le sommeil est bon et on ne repère aucun élément dépres-
sif. Dans les antécédents, tendance aux céphalées depuis l’âge de 18 ans. Les symptômes
se sont installés depuis que son mari, confronté à des difficultés diverses, est devenu
anxieux, mélancolique, renfermé. Nicole a du mal à le supporter mais n’exprime aucun
grief. Par ailleurs, depuis un mois, elle subit plus que jamais l’emprise de ses parents qu’elle
n’ose affronter. Lors de la première entrevue, Nicole apparaît comme une personne assez
crispée dans son attitude, tendue, et quelque peu défensive. Si l’expression émotion-
117
Traité de médecine psychosomatique
nelle est pauvre, les capacités d’analyse sont bonnes. Les associations spontanées sont
absentes, mais apparaissent lorsqu’elles sont sollicitées. Elle repère bien son fonctionne-
ment psychique : « J’essaye d’avaler les problèmes, de les oublier, de ne pas en parler. J’ai
des difficultés à dire non, devant l’autorité je m’efface, bien que je sente une colère en
moi… Je me recroqueville de plus en plus surtout depuis ces derniers mois. Dans ces
moments-là, je me sens tendue et crispée. » Il n’existe pas d’exutoire, de plaisir, si ce n’est un
peu le travail qui lui permet de penser à autre chose. Les rêves témoignent d’une violence
interne contenue et culpabilisante, notamment à l’égard de ses parents, et surtout d’une
inadéquation ancienne avec sa mère. Très tôt, Nicole, élevée dans la sévérité et la coerci-
tion, a appris à réprimer ses impulsions, ses affects, ses pensées et surtout son compor-
tement. Les entretiens, étalés sur huit semaines, lui ont permis de repérer la corrélation
entre son état de tension interne, ses difficultés à accepter ses sentiments hostiles et à les
exprimer d’une manière ou d’une autre. Les symptômes ont progressivement régressé au
fil des séances (TA : 14/9 avec arrêt du traitement).
6. Charles, 44 ans, artisan, présente une HTA depuis quelques années et d’autres
symptômes attestant d’une forte tension interne : douleurs thoraciques, vertiges, gastral-
gies, spasmes œsophagiens, asthénie, sommeil de chat avec bruxisme, myoclonies, pares-
thésies de la nuque. Charles a toujours été tendu. Après le décès de son père lorsqu’il avait
16 ans, il a dû assumer, travailler. C’est un homme de devoir. Sa vie est rythmée par les
obligations. Il y a cinq ans, sa femme l’a quitté et il a perdu son travail. Son état de tension
interne s’est alors accentué, aboutissant à l’hypertension. Il vit seul avec ses deux fils et n’a
pas de vie sexuelle, pas d’exutoire, peu de loisir. Il assume, rumine, ne se relâche jamais,
ne s’accorde pas de temps libre, n’a jamais assez de temps pour remplir ses nombreuses
obligations. Absence d’expression émotionnelle, de souvenirs oniriques.
7. Claudette, 50 ans présente une HTA à 14/9 malgré son traitement et des poussées
hypertensives à 20/21. Elle dort mal (sommeil de chat, réveils vers 3 h du matin). Son
HTA a débuté il y a trois ans, juste après le départ de son mari qui l’a laissée avec des
dettes. Depuis, elle vit avec sa mère et son fils, et a une relation peu équilibrante avec un
homme sur qui « elle ne peut compter ». Celui-ci a d’ailleurs eu une liaison extraconju-
gale il y a deux ans, ce qui a entraîné une poussée hypertensive. C’est une belle femme
dynamique qui tient une agence immobilière. Elle n’arrête pas, assume, assure, fonctionne
dans l’action. Tout ceci est sous-tendu par un sentiment d’insécurité qui l’habite depuis
l’âge de treize ans, date où son père a quitté le domicile familial. Depuis, elle « joue le rôle
de l‘homme et de la femme ». Peu d’exutoire, peu de rêve si ce n’est des rêves qui attestent
d’une pulsion agressive réprimée (rêves de disputes avec son ex-mari, avec sa fille « qui
n’a d’yeux que pour son père », rêves où elle est enchaînée, rêves de militaires avec des
mitraillettes). Elle rumine, n’exprime pas ses émotions, évite de les ressentir et est très
défensive en début de traitement.
8. Sylviane, 57 ans a une HTA depuis dix ans. Il y a dix ans, le mari est invalidé pour
lombosciatiques. Il devient irascible, rejetant, agressif. Sylviane assume, fait face sans
broncher aux griefs de son mari qui n’a aucune attention à son égard. Elle a un sentiment
d’insécurité et ressent parfois des bouffées d’angoisse.
118
Biologie de l’adaptation
9. Huguette présente une HTA découverte il y a six ans, quelque temps après la
mise au chômage de son mari. L’alcoolisme de celui-ci s’est accentué à cette période et
Huguette doit consacrer une bonne partie de son temps à le « surveiller, car, si on le laisse
seul, il boit ». Elle vit dans un sentiment d’insécurité permanent, a abandonné ses activi-
tés de loisir et réprime toute expression agressive.
10. Thérèse, commerçante, présente une HTA et une surcharge pondérale depuis
cinq ans. Elle est traitée. La pathologie a débuté dans les suites du décès de son père. Elle
l’adorait. Il assumait tout car la mère de Thérèse était décédée lorsqu’elle avait 10 ans. Au
décès du père, elle ne pleurera pas, pas plus que dans les années qui suivirent. La répres-
sion émotionnelle sera majeure et Thérèse, à l’image de ce père omnipotent, s’emploiera
à maîtriser choses et gens. Les journées commencent à 6 h et se terminent à minuit. Peu
de rêves si ce n’est des rêves où la crainte de la perte est omniprésente : « Mon mari me
quitte… je perds mon travail. » Thérèse ne se relâche jamais.
11. Éléonore présente une HTA depuis un an. Elle fait des poussées à 20/10 accom-
pagnées de céphalées. Éléonore allègue des idéaux moraux élevés et se sent coupable
d’une brouille avec sa sœur, « son unique univers », ayant inauguré le début des troubles.
Quoi qu’il advienne, elle ne fera pas le premier pas.
12. Marcel m’est adressé par la médecine du travail suite à une agression subie
dans son travail de chauffeur de bus. Il présente depuis tous les signes d’un état de
stress post-traumatique : réveils nocturnes, cauchemars récurrents, flash-back, anxiété,
désinvestissement général, paresthésies des membres supérieurs, douleurs thora-
ciques, extrasystoles et aggravation de son hypertension. Marcel a subi l’agression sans
y répondre. Toute sa violence contenue transparaît dans les signes physiques (hyper-
tonie sympathique et neuromusculaire). Depuis quelques années, il supportait mal les
conditions de son travail : tension permanente, obligation d’« encaisser » sans riposter. Il
a progressivement développé une HTA essentielle pour laquelle il prend un traitement.
Il présente par ailleurs, depuis la même époque, une spasmodicité vésicale et digestive
ainsi que des blocages lombaires à répétition mis sur le compte d’un pincement discal,
qui ont, sur prescription expresse du rhumatologue, nécessité l’arrêt de toute activité
physique. Marcel a bien intégré ces conseils et a renoncé à son passe-temps favori :
l’entretien dominical d’un champ d’oliviers dont il est très fier. Malgré cela, les blocages
lombaires l’immobilisent plusieurs fois par an. À l’issu de l’investigation, je lui ai délivré
un arrêt de travail et enjoint de reprendre son activité dans son champ d’oliviers. Quatre
mois après, Marcel n’avait plus aucun symptôme de quelque ordre que ce soit. La tension
était normalisée.
Toutes ces observations attestent d’une répression majeure de l’expression émotion-
nelle et du comportement. Sur les douze cas présentés, sept seulement ont fait l’objet
d’un suivi thérapeutique. Les résultats ont été les suivants :
––observation 3 : très bons (4 séances)
––observation 4 : nuls (3 séances)
––observation 5 : très bons (3 séances)
––observation 7 : très bons (15 séances)
––observation 10 : très bons (4 séances)
119
Traité de médecine psychosomatique
Caractéristiques anamnestiques
• Situations de contraintes ou de menace, situations conflictuelles dans la vie profes-
sionnelle et/ou privée mobilisant l’agressivité.
• Vécus traumatiques de lutte : désir de maîtrise, de contrôle, velléité de lutte même
sans résultats, besoin d’assumer, de rester vigilant, désir de ménager ou de maîtriser l’autre.
Caractéristiques psychosomatiques
• Représentations agressives à fleur de conscience, objet de rumination.
• Absence de représentations latérales hédoniques.
• Répression de l’affect agressif, rapidement résolutive dès la première séance.
• Répression de l’expression émotionnelle agressive constante.
• Répression majeure et constante du comportement agressif.
• Absence d’exutoire comportemental.
• Signes associés fréquents : anxiété, phénomènes myotensifs, manifestations neuro-
végétatives circulatoires ou digestives, asthénie volontiers matinale, réveils nocturnes,
manifestations dépressives chez certains sujets.
Caractéristiques psychiques
• Investissement professionnel majeur avec sur-occupation.
• Investissement relationnel contraint.
• Rêves absents ou opératoires, ou bien exprimant la pulsion agressive ou la probléma-
tique en cause.
• Préséance de l’idéal du moi.
• Angoisse de dépossession.
120
Biologie de l’adaptation
E Comportement
Émotion
HTA
6-4. Conclusion
La tension agressive majeure et réprimée au niveau émotionnel et comportemental
entraîne des manifestations d’hypertonie sympathique, une augmentation de la pression
artérielle, des troubles du rythme, une spasmodicité vasculaire, des troubles vasomoteurs
et une tension générale.
L’HTA essentielle est une pathologie de la répression de l’agressivité, plus particu-
lièrement du comportement agressif. La répression des autres vecteurs de la fonction
psychosomatique participe à ce processus pathologique mais elle est labile, aisément
mobilisable lors de l’investigation, sauf chez les sujets très défensifs.
L’HTA se présente comme une somatisation en relation avec une fixation
phylogénétique.
Citons encore H. Laborit : « (…) le rat capable d’éviter un choc électrique plantaire
répété pendant 7 min, pendant 7 jours, ne fait pas d’hypertension chronique. La même
expérience sur les animaux ne pouvant fuir provoque l’apparition d’une hypertension
qui est encore plus stable un mois après la fin de l’expérience. Si la même expérience
sur les animaux ne pouvant fuir mais placés en couples dans la cage d’expérimenta-
tion est réalisée, ils se mettent en position de combat et ne font pas d’hypertension…
Le comportement de fuite ou de lutte qui mobilise le système adrénosympathique, s’il
n’est pas récompensé, s’il est inefficace, et en conséquence persiste de façon chronique,
aboutira lui aussi à l’inhibition du comportement, à des affections somatiques du système
vasomoteur, parmi lesquels l’hypertension artérielle. » (Op. cit.)
D’une manière générale, les tendances actives à vouloir garder le contrôle de la situa-
tion (sujets qui agissent et ont le sentiment de contrôler la situation) sont accompagnées
d’une hyperactivité du système orthosympathique, tandis que la perte de contrôle qui
débouche sur la passivité, l’impuissance, la soumission, la résignation, voire la détresse,
est associée à une hyperactivité du système HHCS. Citons à nouveau H. Laborit : « Le
cortisol n’augmente pas si l’individu face à une situation menaçante se sent capable de la
dominer, ou s’il se sent invulnérable ou encore s’il la dénie. » (Op. cit.)
121
Chapitre 6
L’HISTOIRE DU SUJET
1. INTRODUCTION
Le but de ce chapitre est de fournir des éléments cruciaux pour mieux comprendre les
suivants. La connaissance de l’histoire du sujet constitue la base de toute psychothérapie
digne de ce nom. Si un sujet réprime son agressivité, si tel autre lutte à perte dans un
combat sans fin, si tel autre est assailli d’angoisses, si tel autre sombre dans la dépression,
ce n’est pas le fait d’un hasard orchestré par des molécules. On ne peut comprendre les
réactions d’un sujet que si l’on connaît son histoire. La médecine a toujours eu des diffi-
cultés à intégrer cette notion fondamentale. Et aujourd’hui plus que jamais : le passé,
c’est le passé, seul compte le présent et éventuellement, à quelques encablures, l’ave-
nir immédiat. L’histoire ne sert plus à éclairer le présent. L’évolution sociétale actuelle
rejette l’histoire, la considère comme suspecte, fauteuse de troubles, ou bien la réécrit en
fonction de ce qui l’arrange. Or, si l’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on va.
Le Petit Poucet l’avait compris. La psychanalyse a exploré et éclairé pendant presque un
siècle cet ancien et suspect continent. Son déclin l’a jeté aux oubliettes.
Tous les désordres que nous avons précédemment décrits sont la conjonction d’un
déterminisme constitutionnel et développemental. Le déterminisme constitutionnel
inclut le déterminisme phylogénétique et ontogénétique, le terrain sur lequel va s’édi-
fier la maison. Le déterminisme développemental concerne toutes les années au cours
desquelles celle-ci se construit. On ne saurait en fixer le terme : l’enfance et surtout les
premières années de la vie occupent une place déterminante. C’est le temps de l’érection
progressive de l’édifice, de ses fondations, du gros-œuvre. La structure est donnée. Avec le
temps, des réaménagements successifs parachèveront les finitions. Des transformations
pourront advenir, mais elles ne remodèleront pas la structure. On peut considérer que
celle-ci est constituée dans sa forme brute à la fin de l’enfance et que son aspect défini-
tif apparaît au début de l’âge adulte, aspect potentiellement ré-aménageable ultérieure-
ment au gré des péripéties, des succès, des échecs, des expériences, des déboires et des
traumatismes de la vie.
Ce déterminisme développemental dépend des expériences successives et des interac-
tions qui s’instaurent dès la conception de l’enfant dans l’imaginaire parental et familial,
et se poursuivent en se remodelant lors des premières années de la vie. Il est grandement
influencé par les achoppements successifs inhérents au fonctionnement de l’un et de
l’autre, mais aussi par des facteurs contingents trophiques ou traumatiques. Peu à peu, se
construit chez l’enfant un mode de fonctionnement, une image de soi, une personnalité
et un système défensif qui lui sont propres et dont une grande part l’accompagnera tout
au long de la vie.
Dans ce déterminisme, les parents, la fratrie, la famille, la socialisation jouent un rôle
incontestable, non pas tant par ce qu’il est convenu d’appeler l’éducation, mais plutôt
123
Traité de médecine psychosomatique
PEUR
COLÈRE
JOIE
SURPRISE
mois 1 2 3 4 5 6 7 8 9
125
Traité de médecine psychosomatique
a trois ans, les parents se séparent et Élise ne reverra plus son père, l’homme sans nom.
Elle vient me consulter pour une surcharge pondérale d’apparition récente et massive,
s’étant déclenchée dans les suites de désordres relationnels avec son conjoint. Elle quali-
fie sa surcharge d’enveloppe qui ne lui appartient pas et qui la renvoie à sa mère, seule
femme grosse dans sa famille. Même nom, même prénom et maintenant même aspect.
La surcharge pondérale ne saurait s’accommoder d’une seule « prise en charge » nutri-
tionnelle.
dissoudre la problématique. Mais, dans l’immense majorité des situations, ces interven-
tions n’ont pas lieu, les parents, l’entourage, et surtout le corps médical, n’en voyant pas
la nécessité.
À cinq mois de grossesse, la chambre d’enfant est déjà prête, mais l’échographie
révèle une atrophie de la région cervicale, évoquant une trisomie 21. Le médecin conseille
vivement à la famille de désinvestir l’enfant à venir qui, de toute façon, sera anormal,
et d’effectuer une interruption médicale de grossesse. Les parents consultent un autre
médecin qui confirme, via une nouvelle échographie, une anomalie et conseille une
amniocentèse. Dont acte. Les résultats de l’amniocentèse, révélés trois semaines après
l’examen, sont négatifs, il n’y a aucune anomalie génétique. Nouvelle échographie à six
mois, qui révèle encore une anomalie morphologique compromettant la naissance.
Conflit au sein du couple qui n’est pas d’accord sur la décision à prendre. La mère finit
par ne plus ressentir les mouvements du fœtus, ce qui renforce son angoisse, et rêve
toutes les nuits qu’elle accouche d’un monstre. L’ensemble de la famille s’est résignée à ne
plus attendre la venue de l’enfant. Jusqu’à huit mois, une échographie et un monitoring
hebdomadaires seront effectués. Le cœur de l’enfant serait trop lent, et il est enjoint à
la mère de ne plus bouger, puis on préconise à nouveau une interruption médicale de
grossesse. À huit mois, une césarienne est effectuée. L’enfant est strictement normal, mais
il n’y a pas de prénom, et la chambre qui lui était destinée a été transformée en bureau.
Après l’accouchement, la mère plongera dans une dépression postnatale. La petite Lou
ne fera pas ses nuits, n’aura de cesse de pleurer, présentera un reflux gastro-œsophagien
qui sera traité par un système de sangles lui imposant de dormir semi-assise. C’est à 6 ans
que Lou fut amenée par sa mère en consultation. L’inadéquation entre la mère et la fille
était totale. La psychologue consultée précédemment avait dénié le rôle de la grossesse
pathologique et de la dépression postnatale dans le déterminisme des symptômes de
Lou. Celle-ci présentait une angoisse d’abandon invasive qui frisait l’angoisse de destruc-
tion. Quant à la mère, elle souffrait de fibromyalgie et avait été opérée sans succès à trois
reprises d’un syndrome du canal carpien.
Si la période primaire constitue la matrice des interactions délétères, des probléma-
tiques similaires peuvent survenir dans les mois qui suivent. Elles seront plus facilement
résolutives.
Robert Babeau cite le cas de Christophe, adressé à l’âge de six mois et demi, pour un
état de dénutrition important avec début de déshydratation. Hospitalisation d’urgence,
perfusion veineuse. Investigations à la recherche d’une cause organique négative.
Au cinquième jour d’hospitalisation, on remarque que certains vomissements sont
provoqués par l’introduction profonde des doigts au contact du larynx, d’autres sont
obtenus à la suite d’efforts dont le caractère provoqué est évident. Prescription d’un
neuroleptique et de bandes pour maintenir les coudes. Les infirmières entourent l’enfant
de soins particuliers. Il sortira après un séjour hospitalier de trois semaines.
À l’interrogatoire de la mère, il émerge le fait suivant : l’apparition des vomissements
était entourée de circonstances dignes d’être soulignées. Pendant huit jours, la mère avait
porté un masque de protection de peur de lui communiquer un rhume. Elle l’avait tenu
ainsi beaucoup plus à distance pendant cette période. Après la sortie de l’hôpital, les
vomissements ne sont plus réapparus.
128
L’histoire du sujet
5-2. L’angoisse de destruction
Nombreuses sont les théories psychanalytiques ayant tenté de définir la nature de la
relation d’objet lors de la première année. Le matériel clinique sur lequel elles s’étayent est
souvent très pauvre et, de fait, les supputations théoriques hasardeuses.
On sait que la sensorialité se développe progressivement dès la naissance, mais que le
moment de la discrimination entre soi et l’autre est difficile à préciser. Il semblerait que
tout cela se fasse de manière très progressive au cours des premiers huit mois. Effective-
129
Traité de médecine psychosomatique
ment, à l’âge de 8 mois, la réaction d’angoisse devant une personne étrangère atteste de
l’existence de représentations précises de l’objet investi.
C’est dire que, dans les tout premiers mois, la distinction sujet/objet est assez confuse.
Tout ce qui est extérieur peut être perçu comme étant d’origine interne, et tout ce
qui vient de l’intérieur comme d’origine externe. Ainsi, lors de contextes traumatiques
précoces portant atteinte à l’équilibre des interactions, peut surgir une détresse qui a été
qualifiée d’angoisse de destruction.
Cette angoisse de destruction, de déréalisation, puis de dépersonnalisation, constitue-
rait une part de la matrice de la pathologie psychotique de l’adulte, mais aussi celle des
angoisses diffuses qui peuvent surgir chez certains sujets adultes, angoisses précédant,
comme nous l’avons vu, la dépression essentielle et les désorganisations somatiques.
L’introjection
Mécanisme premier de la construction du psychisme, l’introjection est à l’origine du
système représentatif. À partir des perceptions, l’introjection crée des représentations, à
partir des objets externes, des objets internes.
L’introjection porte initialement sur des représentations de choses. L’apparition du
langage atteste de l’introjection de représentations de mots et de leur liaison à des repré-
sentations de choses.
Les conditions de l’introjection
L’introjection ne peut fonctionner que sous certaines conditions :
Présence répétée de l’objet externe (réalité objective)
Valence hédonique de l’objet externe
L’introjection nécessite la confrontation à une expérience suffisamment bonne (non
traumatique), suffisamment prolongée, suffisamment riche (liaison des représentations
aux affects).
Distinction sujet/objet
Dégagement des notions d’intérieur/extérieur, de soi et d’autre, existence d’une
distance suffisante, appréciation et possibilité d’abstraction de cette distance.
Expériences de frustration en l’absence de l’objet externe
L’alternance présence/absence de l’objet externe rythme les temps de satisfaction et
de frustration. Cette alternance conditionne l’émergence du désir et instaure un écart,
une différence, entre la tentative de satisfaction hallucinatoire et la satisfaction réelle.
Assimilation
J’ai avancé en 2008 la nécessité d’un travail d’assimilation introjective, condition néces-
saire au développement de la mentalisation chez l’enfant (Psychosomatique 5). Assimiler
implique que l’expérience présente un intérêt suffisant pour que le psychisme se l’appro-
prie en mémoire, et que ce dernier soit en état de disposition et de travail actif. Une
expérience dans laquelle le psychisme serait un réceptacle passif ne peut aboutir à des
introjections suffisantes. L’enfant a besoin de s’approprier l’expérience à laquelle il est
130
L’histoire du sujet
131
Traité de médecine psychosomatique
132
L’histoire du sujet
Les processus de mentalisation sont établis à 30 mois (deux ans et demi) : perception
des états affectifs de soi-même et d’autrui, introjection et projection, fonctionnement
onirique, accès à un terme achevé de la fonction représentative, contrôle des émergences
fantasmatiques.
6-1. L’analité
L’organisation de la libido est sous le primat de la zone érogène anale et péri-anale
(anus, rectum, périnée, urètre). Le stade dit anal se situe entre18 mois et 4 ans.
La rétention et l’expulsion des excréments s’accompagnent de sensations érotisées
mais aussi de malaise. Les excréments sont perçus comme un objet interne, faisant partie
du soi, du corps. S’en défaire, c’est s’en séparer, c’est-à-dire expérimenter le vécu actif de
séparation d’avec un objet interne. Cette séparation ne peut se faire sans un quantum
d’angoisse.
C’est en référence à ce modèle physiologique duel que certains psychanalystes
(Abraham) ont distingué deux phases dans le stade anal. Elles sont en réalité plus ou
moins confondues.
La première phase est liée au plaisir de l’évacuation, à la libération, à la décharge de
toute tension interne. La pulsion sadique est alors orientée vers le rejet et la destruction
de l’objet. L’expulsion des excréments s’accompagne aussi de sensations érotisées, d’un
soulagement et d’un sentiment d’avoir effectué un acte volontaire.
La deuxième phase est liée au plaisir de la rétention, donc de la maîtrise, maîtrise de soi
en premier lieu. La pulsion est alors orientée vers un contrôle possessif de l’objet.
Au niveau de la motricité et du comportement, on retrouve les deux composantes de
l’érotisme anal :
––rejet ou bris d’objets, occupation de l’espace, refus des règles ;
––appropriation des objets, refus de les céder, plaisir à maîtriser les autres et soi-même.
La relation d’objet est, à ce stade, marquée par cette même bipolarité, cette même
ambivalence : accepter/refuser, s’opposer/se soumettre, perdre/garder, subir/agresser, etc.
Cette période est déterminante pour la constitution de l’organisation psychique, parti-
culièrement en ce qui concerne le rapport à l’autonomie et à la dépendance, la maîtrise
et le contrôle de l’objet, l’acceptation de la perte, l’acceptation des règles et des limites,
l’expression et le contrôle des émotions.
C’est dans ce contexte que l’acquisition de la maîtrise sphinctérienne va progressive-
ment s’installer. Cette acquisition n’est possible que lorsque le contrôle physiologique
est en place (2 ans). L’enfant est l’objet d’une contrainte parentale qui devient à son tour
objet de maîtrise.
Rétention et expulsion constituent les deux plaisirs fondamentaux et structurants sur
lesquels la psychanalyse s’est penchée. Ils ne doivent pas pour autant faire oublier un
troisième plaisir qui est celui du bien-être engendré par la disparition de toute tension
ou de toute gêne liées à l’accumulation des matières fécales (dans le rectum ou dans
les couches). Ce plaisir, dont la composante sensorielle n’est pas négligeable, induit très
rapidement chez certains enfants le désir d’être propres qui induit à son tour un nouveau
plaisir. C’est un élément d’étayage fondamental en thérapeutique. Les activités motrices
et sublimatoires jouent ici un rôle important.
133
Traité de médecine psychosomatique
6-3. L’angoisse de séparation
Elle ne se limite pas aux trois premières années de la vie. Ses expressions pathologiques
se manifestent d’ailleurs préférentiellement après cette période. C’est dire qu’il existe un
continuum entre l’expérience et la crainte de la séparation dès l’instant où le premier
objet a été constitué puis identifié comme distinct du sujet, où cet objet a été fortement
investi, où l’expérience de séparation d’avec lui a été éprouvée à un niveau aussi minime
soit-il, et les vécus ou les craintes de séparation ultérieurs.
Il existe une angoisse de séparation développementale structurante qui apparaît à
partir du moment où la relation objectale est instaurée. La quotidienneté de l’enfant est
rythmée par des expériences de séparation à l’égard desquelles des processus défensifs
successifs se mettent en place pour les rendre plus tolérables : objet transitionnel, procé-
dés autocalmants, introjection de l’objet.
L’angoisse de séparation pathologique apparaîtra dans des contextes particuliers, soit
du fait de séparations réelles traumatiques (enfant en souffrance laissé sans soin, hospi-
talisation, décès, etc.), soit au contraire, et de manière beaucoup plus fréquente, du fait
134
L’histoire du sujet
d’une séparation impossible telle que la réponse à toute angoisse de séparation par la
présence de l’objet, et surtout d’une angoisse de séparation maternelle.
Cléopâtre présente une angoisse de mort en relation avec une angoisse de sépara-
tion massive. Elle est soucieuse pour son frère jumeau qu’elle protège. Elle rêve que sa
mère a disparu ou que ses deux parents sont morts, la laissant seule à la maison, alors
que des voleurs veulent entrer. À chacune des deux grossesses de sa mère, la grand-
mère maternelle entra dans des états de panique subintrants, appelant le médecin aux
moindres manifestations d’inconfort de sa fille, plongeant ainsi celle-ci dans un bain
d’angoisse. Après la première grossesse, elle lui déconseilla d’ailleurs avec véhémence de
remettre ça. La deuxième grossesse ne survint pas spontanément, une fécondation in
vitro fut nécessaire et c’est ainsi que naquirent les deux jumeaux. Durant leur première
année, les deux enfants eurent d’importants troubles du sommeil. Il en avait été de même
pour le frère aîné.
D’un point de vue clinique, l’angoisse de séparation se manifeste par une anxiété
excessive focalisée sur la séparation des personnes auxquelles l’enfant est principalement
attaché. On repère selon les cas :
––peur d’un danger qui menacerait les personnes auxquelles l’enfant est très attaché,
peur que celles-ci ne reviennent plus après un départ, peur qu’un événement malheu-
reux ne vienne à le séparer d’elles, peur de se perdre, d’être kidnappé, hospitalisé ou
tué ;
––réticence ou refus d’aller à l’école, d’aller dormir si l’enfant n’est pas en présence de la
personne investie, de rester seul à la maison dans la journée ;
––cauchemars à thème de séparation ;
––symptômes d’angoisse ou de détresse somatisée quand se présente la séparation.
L’angoisse de séparation entre dans la composante de nombreux états anxieux de
l’adulte. Elle est aussi à l’origine des états dépressifs, des états limites et des personnalités
dépendantes.
7. L’ENFANT DE 4 À 6 ANS
7-1. La castration imaginaire
L’angoisse et le vécu de castration
À partir de trois ans, l’érogénéité investit avec intensité la zone phallique : pénis chez
le garçon, clitoris chez la fille. Cette zone, source d’excitation et de plaisir physiologique,
focalise l’intérêt de l’enfant et devient source de représentations. La confrontation à
la différence anatomique des organes génitaux externes est alors perçue comme une
énigme : certains enfants sont dotés d’un pénis, d’autres non. Ainsi se crée la représen-
tation d’un « en plus » et d’un « en moins », d’un excédent et d’un déficit, représenta-
tion erronée, puisque chacun a un « en plus » et chacun a un « en moins », mais l’ « en
plus » de la fille ne se voit pas. C’est donc à partir de la vue et de son érotisation (pulsion
scopique) que se crée et s’introjecte avec force cette image erronée de la différence des
sexes.
Le fonctionnement psychique de l’enfant repose, à cet âge, sur un mode de pensée
magique, non rationnelle. Le pourquoi de cet « en plus » et cet « en moins » trouve une
135
Traité de médecine psychosomatique
seule réponse chez cet enfant à peine sorti du fonctionnement psychique magique et
anal (possession, perte) : l’objet phallique a ou n’a pas été donné, l’objet phallique a ou n’a
pas été enlevé.
Ainsi apparaît l’image de la castration issue de représentations erronées et dont le
vécu se colore différemment chez le garçon et chez la fille : angoisse de castration chez
le garçon (menace de perte), vécu de castration chez la fille (perte accomplie mais aussi
angoisse extensive de perdre autre chose).
L’angoisse de castration apparaîtra, chez le garçon comme chez la fille, dans les préoc-
cupations conscientes, dans les formations psychiques inconscientes (rêves d’agression,
de vol, d’amputation), et au travers de nombreux symptômes classiques lors de cette
période : phobie du sang, de la blessure, troubles du sommeil, difficultés scolaires, agita-
tion, inhibition, tristesse, et plus tard angoisse de mort. Elle peut prendre des formes
extensives ou pathologiques selon les événements renforçateurs qui peuvent survenir.
Les accidents, les interventions chirurgicales les plus banales sur la sphère abdomino
pelviennes, renforcent l’angoisse de castration.
July présente la particularité d’avoir un prénom féminin que ses parents ont fait
terminer par y au lieu de ie. Il s’agit d’une fillette âgée de 9 ans, très angoissée et soucieuse.
Beaucoup de choses lui font peur, principalement, ces derniers temps, lorsque son petit
frère lui tire les cheveux, qu’elle aimerait d’ailleurs avoir longs et raides, ou bien lorsqu’elle
pense qu’elle pourrait perdre ses dents. Elle ne supporte pas de se couper, surtout les
doigts. Pendant la grossesse du petit frère, July était âgée de 4 ans et avait eu la varicelle.
Les parents avaient discuté devant elle pour savoir si cette maladie n’était pas dangereuse
pour le bébé et s’ils allaient le garder ou pas. Le petit frère en question est né avec un œil
handicapé, absolument sans rapport avec la varicelle, mais July se sent responsable de lui
et le materne beaucoup bien qu’il la persécute. Elle rêve en permanence d’un homme très
long qui la poursuit ou d’un plongeur avec des yeux rouges qui se reflètent dans l’eau. Elle
vient d’arrêter la danse pour faire du cheval et du vélo et veut être hôtesse de l’air parce
qu’elle adore les avions.
136
L’histoire du sujet
137
Traité de médecine psychosomatique
enrichissent son imaginaire et lui permettent d’être en adéquation avec son identité
sexuelle, sa future paternité ou maternité.
Les achoppements durables inhérents à la crise œdipienne instaurent un complexe
pathogène dont les expressions couvrent un champ très étendu chez l’enfant et surtout
chez le futur adulte, éminemment variables d’un sujet à l’autre : angoisse de castration
récurrente et extensive, culpabilité, inhibitions, conduites d’échec, pathologie mentale
névrotique, genèse ou renforcement de fonctionnements pervers, dysfonctions sexuelles,
somatisations.
Émilie vit seule avec sa mère dépressive depuis le divorce de celle-ci. De son père
idéalisé et séducteur qu’elle voit peu, elle attend tout. Elle s’est construit un univers où
ce prince charmant, qui exerce le métier de pilote de ligne, l’amènerait à bord de son bel
avion. Attente incessante et vaine. Il ne vient pas. Je ne le mérite donc pas. Je ne suis pas
assez belle, pas assez bonne, pas assez… Elle rêve d’être hôtesse de l’air. Elle se contentera
de vendre des billets dans une agence de voyage sans jamais décoller, ni de terre, ni de son
fantasme. À 45 ans, toujours dans la même agence, n’ayant jamais connu la maternité, elle
s’occupe des deux enfants de son compagnon.
138
L’histoire du sujet
Plutôt que de nier bêtement l’œdipe, les apologues militants des nouvelles formes de
« famille » feraient bien de considérer ceci, cela pourrait leur servir d’argument.
Quoi qu’il en soit, un élément central du complexe œdipien persiste et signe : c’est le
besoin chez la fille d’être reconnue et valorisée dans son identité sexuelle par son père.
Lorsque cela ne se produit pas, le vécu de castration devient invasif et une des réactions
les plus fréquentes chez la fille est le rejet de son identité sexuelle et même de son identité
tout court. Il peut s’en suivre un complexe de virilité, un surinvestissement phallique, des
régressions psychosomatiques à des stades antérieurs, un fantasme de castration à l’égard
de l’homme, et de nombreux désordres à venir.
Le père de Mallaury était un grand séducteur, phallique narcissique de surcroit.
Complexe d’Œdipe tentaculaire, Mallaury n’aura de relations qu’avec des hommes, selon
ses propres termes, « magnétiques, charismatiques, volages, tout puissants, indispo-
nibles ». Hommes dont elle se sépare dès qu’elle les a conquis.
139
Traité de médecine psychosomatique
140
L’histoire du sujet
enfance sont stoppées par l’ablation d’un appendice qui ne présentait pas le moindre
caractère inflammatoire. J’ai même remarqué que des manifestations anxieuses ou
dépressives consécutives à une perte (nous connaissons le cas d’une enfant qui présentait
une angoisse très importante à la suite du placement de sa sœur jumelle dans un institut)
avaient été stoppées par cette intervention, qui venait inscrire symboliquement la perte
initiale mal représentable.
Au niveau de la problématique œdipienne, les parents peuvent être « tentés » d’adop-
ter le mode relationnel que souhaite l’enfant, surtout s’il existe un conflit entre eux. Or,
ils ne doivent pas se mettre sur le même plan que leur enfant et refuser que l’enfant se
mette sur le même plan qu’eux. Il est nécessaire qu’ils tiennent leur place d’adulte et se
reconnaissent dans leur valeur réciproque.
Il faut éviter de substituer, même par jeu, l’enfant au partenaire adulte, de déléguer à
l’enfant une fonction parentale à l’égard d’un puîné. Il est souhaitable de stimuler l’enfant
dans son accession à un univers personnel, dans son désir de grandir, et d’encourager ses
capacités de sublimation.
Ce passage difficile nécessite, pour ne pas être trop pathogène, certaines conditions :
• reconnaissance de la différence des sexes, indissociable d’une accession à des repré-
sentations qui ne se situent pas dans l’ « en plus » - l’ « en moins » mais dans une diffé-
rence structurante dans laquelle chacun a un « en plus » et chacun a un « en moins ».
Toute pensée s’origine dans la reconnaissance de la différence, dont la différence des
sexes constitue le paradigme. Abolir cette différence, c’est abolir la pensée. Si l’image de
la castration n’a pas changé d’un iota depuis le paléolithique, les modalités défensives
contre elle sont sujettes à variations dans le temps, selon les sociétés, selon le sexe. Mais
la reconnaissance de la différence sexuée constitue le garant de la survie d’un groupe
humain. Son déni est le signe avant-coureur de l’extinction de celui-ci ;
• accession à des représentations établissant une différence nette entre le génital, l’uri-
naire et le digestif (pour un temps confondus à cet âge-là et plus particulièrement chez
la fille) ;
• aide à la découverte des qualités et des compétences propres à chaque sexe. Chez
la petite fille, il s’agit de favoriser les expressions de la féminité, de respecter le fantasme
de relations amoureuses avec un garçon et le fantasme de maternité dans laquelle un
homme différent du père aura été l’indispensable acteur. En ce qui concerne le garçon,
il ne s’agit pas de le stimuler dans une virilité combative, car il se croit doté d’un « en
plus », et ce n’est donc pas la peine d’en rajouter. Il y a lieu tout simplement d’éviter de le
féminiser ;
• confrontation nécessaire à une triangulation dans une structure parentale bisexuée,
seul support possible des identifications secondaires ;
• renoncement à la réalisation du fantasme œdipien ;
• stimulation de l’enfant dans son accession à un univers personnel, dans son désir de
grandir, encouragement des capacités sublimatoires ;
• nécessité pour les parents de tenir leur place d’adulte, de se reconnaître mutuelle-
ment dans leur valeur réciproque, d’éviter de substituer l’enfant au partenaire adulte et
de déléguer à l’enfant une fonction parentale au sein de la fratrie ou au sein du couple.
141
Traité de médecine psychosomatique
Léa, 6 ans, est angoissée et triste depuis plusieurs semaines. Elle a rêvé plusieurs fois
que des cambrioleurs pénétraient dans sa chambre en passant par un long tuyau et lui
coupaient la main. Elle refuse de nombreux aliments et est prise de panique à la vue du
moindre insecte, craignant que celui-ci la pique ou pénètre dans son nez, sa bouche ou
ses oreilles. Cette phobie d’intrusion est en relation avec la représentation qu’elle a de son
corps, auquel il manquerait quelque chose. La chose manquante s’avérera bien sûr être le
pénis, son propre sexe étant assimilé à un trou, un vide, un désert dehors comme dedans.
Un seul entretien au cours duquel les représentations erronées de la différentiation
sexuelle seront rectifiées fera disparaître les symptômes. Les cauchemars disparaîtront
avec les phobies et elle retrouvera sa joie de vivre, parfaitement satisfaite de son identité
sexuelle, d’autant que, sur mes conseils, les parents remplaceront le football par la danse.
Trois mois après, les parents me ramèneront Léa. Elle a rechuté depuis que son institutrice
a dit à la classe qu’une fille, c’était exactement comme un garçon, qu’il n’y avait aucune
différence entre les deux et que, plus tard, chaque enfant devenu adulte pourra décider
s’il se marie avec un prince charmant ou une princesse charmante.
Cette observation, parmi tant d’autres, se passe de commentaires. Les sévices sur
enfant ont changé de forme. Ils sont devenus politiquement corrects.
8. ANGOISSE ET CULPABILITÉ
À ce stade de notre développement concernant les sept premières années de la vie d’un
sujet, nous pouvons considérer que les fondations de la structure psychique sont scellées,
même si la construction de l’édifice est loin d’être achevée. Ce qui est fondamental, c’est
que ces sept années ont instauré au sein de la structure psychique un mode prévalent
de relation d’objet, des angoisses de nature différente, des instances répressives détermi-
nantes et un système défensif spécifique. Ceci nous amène, avant de clore ce chapitre,
qui – répétons le – ne résume pas l’intégralité des potentiels déterminants traumatiques
développementaux, à présenter sous forme de tableaux les différentes composantes de
l’angoisse, et à dire un mot de la culpabilité.
8-2. La culpabilité
La culpabilité consciente en relation avec une faute réelle n’a paradoxalement que
peu de retombées sur la vie psychique. C’est peut-être injuste mais c’est comme ça. La
culpabilité imaginaire et ses racines inconscientes constituent par contre les détermi-
nants centraux de nombreux troubles, notamment les organisations névrotiques, les
dépressions, les désordres identitaires. La culpabilité imaginaire agit comme un complexe
traumatique interne.
Honte et culpabilité
Une distinction préalable s’impose entre honte et culpabilité. La honte est une
émotion, la culpabilité, un sentiment. La honte est en relation avec un vécu d’infériorité,
d’indignité, induit par le dévoilement de quelque chose propre au sujet face au regard de
l’autre, elle est consciente. La culpabilité n’est pas liée au regard mais plutôt à la voix (voix
intérieure, conscience) et n’est pas toujours consciente.
142
L’histoire du sujet
qu’elle subissait dans sa vie de femme. Ce n’est qu’après leur majorité et leur départ pour
des études qu’elle envisagea le divorce à ses torts sous la pression du mari. Elle renonça
à toute vie amoureuse dans les années qui suivirent pour préserver ses enfants et alla
s’installer dans la ville où ils faisaient leurs études, ne se manifestant à eux que lorsqu’ils
en formulaient la demande, le plus souvent pour des raisons matérielles. Le fils partit à
l’étranger et ne donna plus signe de vie pendant deux ans et la fille, dans les suites de
son mariage avec un jeune homme de religion musulmane, décida de couper les ponts
avec elle du simple fait que sa photo en tenue de communiante était exposée dans la
chambre maternelle. Isolée, ne connaissant pas ses petits-enfants, Francette, sous les
conseils de sa voisine, fit une psychothérapie dans laquelle il lui fut révélé qu’elle était
issue d’une grossesse gémellaire dont un des fœtus ne vit pas le jour puisqu’elle l’avait
« mangé ». Francette dormit jusqu’à l’âge de 18 ans avec sa mère. Celle-ci, instigatrice de
cette coutume pour éviter les assauts sexuels de son conjoint, n’hésitait pas toutefois
à lui asséner que, si elle n’était pas venue au monde, elle ne serait jamais restée avec ce
Monsieur. Les parents se battaient fréquemment et Francette était la seule de la fratrie
à pouvoir les séparer. La mère menaçait souvent d’aller se jeter sous le train, Francette la
retenait par les jupes pour qu’elle ne le fasse pas.
La culpabilité pulsionnelle : « Coupable de ce que j’ai désiré. »
La culpabilité est ici inconsciente, liée au conflit inconscient entre pulsionnalité et
instances répressives, entre ça et surmoi, entre désir et interdit. Ici, il ne s’agit pas de valeur
mais de rapport à la loi intériorisée sous forme de surmoi. Si l’idéal du moi est un idéal de
perfection, le surmoi est l’idéal d’obligation.
La culpabilité de transgression imaginaire induit un affect d’angoisse. Cette angoisse
peut être canalisée, atténuée, déplacée (névroses mentales), voire éliminée (actes
manqués d’autopunition) par les formations défensives. L’interdit dans le réel et la castra-
tion symbolique limitent ce type de culpabilité.
Abel a vécu toute son enfance sous l’emprise d’une mère dépressive qui exigeait
une présence constante à ses côtés. Il ne pouvait s’absenter plus de deux heures pour
jouer avec ses copains, de crainte qu’elle ne fasse un malaise. L’enfance passa ainsi. Adoles-
cent, Abel découvrit l’ivresse de la liberté et des premières amours, d’autant plus aisément
que sa mère, par chance, rencontra un homme dévoué corps et âme. Il se maria à 27 ans,
eut un fils et exerça la profession de dessinateur industriel. Bien que très attaché à sa vie
familiale et à son épouse, Abel ne put s’empêcher de multiplier les relations extraconju-
gales, en règle générale épisodiques et dissimulées, histoire, comme il le dit si bien, de « se
sentir libre et exister ». Un modus vivendi s’installa : l’épouse, plus au moins au parfum
de ses frasques hôtelières, ferma les yeux, ne demandant qu’une assistance affective et
matérielle à son conjoint. Mais voilà qu’une DRH de l’entreprise ne l’entendit pas comme
ça. Liaison épisodique qui devint officielle, pleurs et grincements de dents lorsqu’Abel
retournait le week-end dans son foyer. Abel rendit les armes. Trois mois après, Abel trouva
sa femme pendue dans la cave. Abel fonctionna de manière opératoire dans l’année qui
suivit. Son fils coupa les ponts avec lui et il se jeta à corps perdu dans le travail. L’entre-
prise connut des déboires et, malgré sa compétence, Abel s’aperçut qu’il faisait partie de
la liste des licenciables potentiels. Inhibition, tristesse, désintérêt, anhédonie, insomnie,
idées suicidaires, mélancolie. C’est dans cet état qu’il vint me consulter. Les rêves récur-
144
L’histoire du sujet
Éléments renforçateurs
La culpabilisation constitue un facteur aggravant de culpabilité. Ce sont tous les
messages, les paroles extérieures, les repères sociaux auxquels le sujet est confronté et qui
le confinent dans une position de coupable ou de déficient. Il s’agit bien sûr d’une culpa-
bilité consciente ou préconsciente dont l’objet ainsi désigné n’est souvent que le produit
d’un déplacement, d’une culpabilité inconsciente dont le motif n’a que peu de chose à
voir avec la cause alléguée.
La petite Margot se fait injurier par ses camarades d’école, alors qu’elle est belle
et particulièrement douée. Elle prend les injures pour argent comptant. Ces paroles
extérieures suffisent-elles à induire la culpabilité ? Probablement pas. Elle a 6 ans et
l’atteinte narcissique est liée au complexe de castration, mais les paroles externes
renforcent le processus.
On peut toutefois envisager que, dans certaines situations, plus particulièrement
les traumatismes majeurs, la culpabilité puisse être « injectée » de toute pièce. Toutes
situations dans lesquelles l’autre, non coupable, s’érige en détenteur de la loi, de la règle,
du jugement. C’est le cas des situations de harcèlement, de brimades ou d’humilia-
tions répétées, d’expériences de conditionnement à des fins politiques, idéologiques ou
religieuses.
D’autres contextes peuvent aussi renforcer la culpabilité : absorption par le sujet de
la culpabilité familiale, culpabilité d’emprunt (mort d’un proche, adultère d’un proche,
faute d’un subordonné), événements traumatiques inducteurs de culpabilité (culpabilité
du puîné après un enfant mort, suicide d’un proche, syndrome du survivant, culpabilité
des victimes lors de catastrophes).
Les facteurs sociétaux ne sont pas en reste. L’Occident est passé d’une civilisation de
la culpabilité à une civilisation de la honte. Ce sont les tensions entre l’impulsion indivi-
145
Traité de médecine psychosomatique
duelle et les pressions du conformisme social qui caractérisent les civilisations de la honte.
Ce qui constitue le référent, ce n’est plus la loi mais l’opinion publique et l’idéal collectif.
On peut transgresser la loi mais il ne faut pas être inférieur, ne jamais perdre la face tout
en se soumettant au consensus.
9. CONCLUSION
Les étapes du développement que nous venons de parcourir ne sauraient à elles seules
résumer la construction du sujet. Cette construction se poursuit lors de la socialisation,
de plus en plus précoce et parfois traumatique, et puis lors de l’adolescence.
Enfin, un autre domaine structurant le sujet, non des moindres, reste à découvrir, c’est
celui qui assigne dès sa venue au monde l’enfant et le futur adulte à un rôle, une fonction,
si ce n’est à un statut de bouc émissaire, au sein de la famille et de son histoire. Nous
aborderons tout cela dans le chapitre consacré à « La famille » (p. 231).
146
Chapitre 7
L’HYSTÉRIE DE CONVERSION
1. INTRODUCTION
Ce chapitre peut surprendre, tant d’un point de vue de notre progression théorique
que de son caractère anachronique. C’est sciemment que nous l’avons inséré dans notre
tranquille parcours car il va permettre de comprendre le chapitre qui suit sur les fixations
psychosomatiques. C’est donc un intermède dans lequel il est proposé au lecteur de
s’évader quelque peu avant que les choses sérieuses ne reprennent.
2-1. Jean-Martin Charcot
Charcot (1825-1893) souligne le premier une des caractéristiques du symptôme hysté-
rique : la sensibilité à la suggestion. Le symptôme disparaît transitoirement sous l’effet de
la suggestion hypnotique. Charcot démontre que le symptôme est en relation avec des
représentations traumatiques surgissant dans un état psychique particulier. Pour Charcot
ainsi que pour Bernheim, l’hystérie est due à l’action incisive d’une idée ou d’une repré-
sentation fortement chargée d’affect. La suggestion hypnotique confirme la force induc-
trice de la représentation : un mouvement du bras, une lévitation de la main, une cécité
transitoire peuvent être induits par la seule suggestion hypnotique.
Charcot. À son retour, il publiera avec Breuer les Communications préliminaires puis les
Études sur l’hystérie.
Freud et Breuer rendent visite quotidiennement à leurs patientes, issues d’un « milieu
instruit et cultivé », parfois deux fois par jour, alternant entretiens, séances d’hypnose et
prescriptions (bains, médicaments, voire massages qu’ils exécutent eux-mêmes). L’induc-
tion hypnotique est rapide et le but premier est, après avoir fait resurgir les événements
traumatiques inauguraux de l’affection, de neutraliser les affects liés aux représentations
qui y sont associées et de suggérer la disparition des symptômes.
Le souvenir de l’événement
Freud et Breuer recherchent l’événement inaugural qui a généré les symptômes, événe-
ment le plus souvent oublié ou éludé. Certains hystériques lors de leurs accès disent avoir
la vision hallucinatoire de l’événement. L’empreinte profonde de l’événement continue à
agir pendant des années. L’hystérique souffre de réminiscences.
La reviviscence du souvenir par la méthode cathartique (au début sous hypnose)
laisse resurgir l’affect qui lui était lié et émerger les représentations et la parole autour de
l’événement. Le symptôme disparaît alors, parfois au bout de plusieurs séances, le plus
souvent transitoirement, car les premiers faits rapportés par la patiente sont souvent des
souvenirs écrans.
148
L’hystérie de conversion
soin. « Celui qui est accaparé et sans cesse préoccupé des mille besognes exigées par les
soins donnés à un malade, soins qui se prolongent sans interruption, interminablement,
pendant des semaines et des mois, celui-là s’accoutume peu à peu à étouffer en lui tous
les indices d’émotion et, d’un autre côté, détourne son attention de ses propres impres-
sions parce qu’il n’a ni le temps, ni la force d’en tenir compte. » (Freud et Breuer, Études
sur l’hystérie.) Cette vérité que Freud nous rappelle ne constitue-t-elle pas l’apanage des
professions de soins et d’aide, professions menacées plus que toutes autres par la répres-
sion, répression source de « burn-out » chez certains, de réactions défensives inappro-
priées chez d’autres, voire de masque de sphinx chez certains psys.
La dissociation hystérique
Pierre Janet (1859-1947), élève de Charcot, avance l’hypothèse d’une « faiblesse
psychologique » chez l’hystérique dont le moi ne parviendrait pas à lier la représenta-
tion traumatique subconsciente et sa perception par le conscient. La représentation
inconsciente est ainsi isolée et c’est cet isolement qui génère la conversion.
Freud et Breuer insistent sur la dissociation du psychisme, dissociation qui n’a bien
sûr rien à voir avec la dissociation schizophrénique, mais qui se rapproche plus parti-
culièrement de la dissociation hypnotique : une part du psychisme fonctionne selon le
principe de réalité, le sujet est présent au monde, une autre part, celle concernée par
la représentation traumatique, demeure séparée, difficilement accessible, ne se révélant
que de manière déguisée au travers du symptôme conversionnel ou de manière incom-
plète lors des crises, pouvant alors générer des phénomènes pseudo-hallucinatoires, ou
encore s’exprimant par une tonalité affective particulière imprégnant le fonctionne-
ment psychique, ou encore bien sûr, sous l’effet de la thérapeutique. Cette dissociation
prend son aspect le plus expressif dans les états qualifiés d’états seconds ou dans les états
crépusculaires.
Le déplacement de l’affect
Par définition, l’affect se transforme en innervation somatique. Sa destinée est toute-
fois variable : soit il transparaît dans certains symptômes, plus particulièrement les crises,
soit il disparaît effectivement, responsable des formes avec « belle indifférence ».
149
Traité de médecine psychosomatique
La cible somatique
La cible somatique est déterminée par l’inhibition de la fonction et/ou l’état préexis-
tant de la fonction.
L’inhibition de la fonction
L’événement suscite chez le sujet une mobilisation du système instinctivo-pulsionnel,
mobilisation qui avorte instantanément du fait de l’absence d’abréaction liée à des
contre-forces (impossibilité, interdit, répression). Par exemple, la répression d’une impul-
sion motrice défensive peut générer dans le territoire concerné la persistance d’une inten-
tionnalité qui va se manifester par un état de contracture ou au contraire de parésie. En
ce qui concerne l’absence d’abréaction motrice inaugurale, Freud évoque le principe de la
dérivation de l’émotion proposé par Darwin dont l’exemple est le frétillement de la queue
du chien. Le chien, excité, réprime sa motricité générale du fait du dressage, et seule la
queue exprime la motivation instinctivo-pulsionnelle. Une part de la réponse motrice est
réprimée, seul un territoire moteur répond. Et Freud cite l’exemple suivant : « Celui qui a
décidé chez le dentiste, de ne remuer ni la tête ni la bouche et de ne pas faire intervenir ses
mains, se contente tout au moins de trépigner. » (Études sur l’hystérie.) C’est ce que nous
constatons tous lors de situations sociales qui nous insupportent, lorsque nous sommes
assis et où il serait inconvenant de se lever et de partir : nos pieds font des mouvements
rythmiques. Ainsi, il semblerait que la seule zone motrice qui s’exprime est une zone qui
ne pose pas problème d’un point de vue de l’observation d’autrui. La personne en face
dira : « Il est nerveux », mais jamais : « Je l’ennuie tellement qu’il veut partir. »
Nous nous approchons ainsi d’un des déterminismes de la cible somatique. Le
symptôme de conversion traduirait de manière limitée et trompeuse l’intention initiale
qui a été réprimée.
L’état préexistant de la fonction
Au moment où se produit le trauma, la zone ou la fonction corporelle peuvent être, du
fait de circonstances extérieures à celui-ci, l’objet de modifications physiologiques (incon-
fort somatique étranger au traumatisme, sollicitation musculaire, stimulation senso-
rielle, etc.). Par exemple, une odeur forte perçue dans l’environnement immédiat lors
du trauma, pourra, si elle resurgit ultérieurement, réactiver le vécu traumatique. Autre
exemple : lorsque se produit le trauma, le bras peut être engourdi du fait d’une position
particulière, une liaison s’établira alors entre l’anesthésie du bras et le vécu traumatique.
Le refoulement de la représentation, voire la répression de l’affect traumatique, génére-
ront un surinvestissement de la sensation et de son support neurologique à l’origine du
symptôme anesthésie du bras.
La surdétermination
La surdétermination est le fait qu’un symptôme traduit et condense plusieurs déter-
minants, exprimant ainsi plusieurs significations de manière concomitante.
En effet, le symptôme est la résultante de plusieurs causes (une seule ne suffit pas).
Cette polyfactorialité n’est pas l’apanage de la conversion.
150
L’hystérie de conversion
Cela peut aussi être lié au fait que les déterminants du symptôme sont le produit d’élé-
ments inconscients multiples ayant chacun une existence séparée, bien que reliés entre
eux par une chaîne associative, tout comme un mot peut être entendu dans des sens
différents. Le symptôme n’est pas l’expression d’un contenu inconscient unique.
Un symptôme peut aussi exprimer des significations différentes successives. « Au
cours des ans un symptôme peut voir changer une de ses significations ou sa signification
dominante […] la poussée vers la décharge de l’excitation provenant de l’inconscient,
conduit à se contenter si possible de la voie de décharge qui est déjà praticable », selon
Freud (Fragment de l’analyse d’une hystérie). C’est ce que nous avons théorisé en termes de
perte de spécificité du symptôme (Pongy et Babeau, Angoisse et répression).
Nature du trauma
Le cheminement théorique de Freud s’orientera progressivement vers une étiologie
traumatique sexuelle. La théorie élaborée par Freud et Breuer repose au départ sur l’exis-
tence d’un événement traumatique réel (neurotica). Plus tard, Freud, de plus en plus
convaincu de l’origine strictement sexuelle de l’hystérie, s’éloignera de sa conception
initiale en élaborant la théorie du fantasme de séduction (1900). Quoi qu’il en soit, pour
Freud, le traumatisme sexuel renvoie au complexe œdipien qui constitue le soubasse-
ment de l’hystérie de conversion.
2-3. Après Freud
Les décennies qui suivent l’élaboration théorique de Freud et donc la naissance de la
psychanalyse, sont caractérisées par l’expansion et l’appropriation de sa théorie par les
générations de psychanalystes successifs. L’hystérie – cela n’est plus à remettre en cause –
est le fait de réminiscences sexuelles conflictuelles fantasmatiques. L’origine se situe dans
le cocon de l’intrapsychique et la résolution du conflit par la parole au sein de la cure
libère le sujet de son symptôme.
Lacan et l’hystérie
N’étant pas spécialiste de la pensée lacanienne, loin s’en faut, c’est à partir de la lecture
du livre de Nasio, L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse, que je rapporte-
rai quelques éléments succincts mais fondamentaux, issus d’une synthèse savante et
explicite par l’auteur des apports de Freud et de Lacan. Un des mérites de Nasio est de
s’attacher à rendre clair ce qui est obscur, à l’inverse de certains qui obscurcissent ce qui
pourrait être clair. Je m’inscrirai modestement dans cette trajectoire en simplifiant encore
certains points que développe Nasio.
Ce qui est traumatique, c’est le fantasme lié à l’émergence de la sexualité chez l’enfant.
« La sexualité infantile est un foyer inconscient de souffrance, car elle est toujours
démesurée par rapport aux moyens limités, physiques et psychiques de l’enfant. La
tension sexuelle crée une angoisse fantasmatique. La zone corporelle excessivement
investie est source d’angoisse. » (L’hystérie ou l’enfant magnifique de la psychanalyse.) L’ori-
gine de cette angoisse est l’image de la castration. Plaisir scopique, et horreur aussi, de
découvrir l’Autre (représentation de l’autre, création fantasmatique) châtré. L’image est
traumatique à elle seule, l’interdit œdipien ne jouant qu’un rôle renforçateur secondaire.
151
Traité de médecine psychosomatique
La femme est privée du pénis, mais en fait et surtout d’un « en plus », attribut
d’excédent, de puissance et de force : le phallus. « À la façon d’une lentille déformante,
le fantasme de castration plonge le névrosé dans un monde où la force et la faiblesse
décident exclusivement de l’amour et de la haine. (…) Ce qui excite chez un hystérique
n’est pas la sexualité de l’autre, mais la vulnérabilité de sa force ou le redressement de sa
faiblesse. » (Id.) Le sexe de l’Autre n’est ni le pénis, ni le vagin, mais sa faille révélée par une
trop grande faiblesse ou par un excès de puissance. L’hystérique est séduit par le charme
érotique qui se dégage d’une personne qui n’est ni virile ni féminine, mais défaillante
ou omnipuissante. Ainsi se différencient chez l’enfant des êtres pourvus de phallus et
d’autres dépourvus, quelque soit leur sexe. De ce fait, l’enfant futur hystérique ne sait plus
à quel sexe il appartient.
« Refouler veut dire avant tout isoler. C’est parce que ladite représentation a été fonda-
mentalement séparée des autres représentations organisées de la vie psychique, qu’elle
devient radicalement intolérable et qu’elle garde au sein du moi une activité pathogène
inextinguible. » (Id.)
Pour se défendre, le moi phallicise tout le corps, et la libido s’y déplace, elle se répand
dans tout le corps à l’exception de la zone génitale.
Le fantasme générerait le symptôme de conversion (satisfaction masturbatoire de type
infantile), mais aussi une conversion plus globale au niveau de tout le corps : désexuali-
sation des zones génitales, sexualisation de l’extra-génital, et par extension insatisfaction
générale.
Ce qui déterminerait la cible serait initialement la partie du corps perçu lors de la scène
traumatique, puis l’image inconsciente de cette partie. Dans la cécité hystérique, le voir
sexuel est imprégné de plaisir mais est aussi intolérable.
La zone ou la fonction peut ne pas être celle du sujet mais celle d’un autre, celle perçue
lors du trauma avec le plus de prégnance. Nasio cite le cas des hurlements d’une mère
témoin d’attouchements du beau-père sur l’enfant, se convertissant en aphonie chez ce
dernier.
L’hystérie et la médecine
Très loin de ces considérations théoriques, la médecine va être l’objet d’une contagion
par les retombées transformées de la psychanalyse, plus particulièrement sous l’effet de
la mutation sociale de 1968 et de certains mouvements théorico-cliniques (Balint, etc.).
Les médecins post-soixante-huitards se répartissent en deux clans volontiers ennemis :
méchants et vicieux organicistes inébranlables avec cravate et voiture de sport, et gentils
médecins vertueux moustachus en blouson qui refusent le pouvoir médical et se mettent
à « écouter ». Écouter quoi ? Certes, ce que les autres ne veulent pas entendre. Écouter
comment ? À partir de quel modèle ? Le plus souvent basé sur la seule satisfaction bien
pensante d’écouter. Les références théorico-cliniques sont exsangues et, face à l’échec, les
mécanismes de défense ne font que se déplacer. L’hystérie, bien que régressive d’un point
de vue épidémiologique, renaît de ses cendres sous forme de parasite langagier dans le
discours médical. La demande affectée du patient, sa résistance aux thérapeutiques, sa
douleur qui ne cède pas, l’hypocondrie, l’angoisse si ce n’est la dépression, la somatisation
déroutante, l’épuisement du médecin écouteur et non écoutant, sont autant de situa-
tions étiquetées hystérie. Un nom est donné, non pas cette fois à un processus patholo-
152
L’hystérie de conversion
gique, mais à une situation de mise en échec. Ce nom clôt le débat, met un terme à la
relation de soin et à la thérapeutique, et renvoie le plus souvent le patient démuni soit
au méchant technicien de santé qui, bien qu’ayant depuis quitté la cravate, trouve enfin
la solution tranchante, ou au psy qui va écouter pendant des années sans jamais rien
répondre.
Qu’est devenue la vraie conversion hystérique ? D’un point de vue nosographique, elle
n’existe plus. Le DSM IV la range dans le fourre-tout des « Troubles somatoformes », à
côté de diverses entités telles que hypocondrie, manifestations émotionnelles, troubles
somatopsychiques, et j’en passe, bref dans un dépotoir surréaliste. C’est un non-sens.
Quant à sa réalité clinique, elle se résume à un constat : la conversion hystérique a
considérablement diminué chez les Occidentaux. Le nombre de conversions hystériques
que j’ai rencontrées chez les Occidentaux dans mon activité depuis plus de vingt ans
est de l’ordre d’une dizaine par an. L’approche psychosomatique permet de faire le tri et
d’arrêter de qualifier de « conversion » ce qui, dans 99% des cas, est une somatisation.
Arrêtons de qualifier d’« hystérie » ou de « conversion » des choses qui n’en sont pas.
L’abus du terme hystérie est lié à la fois à une méconnaissance du concept, des bases de la
psychosomatique, et aux réflexes défensifs des professionnels du soin face à l’échec. On
en connaît les conséquences. Il y a là un devoir de formation des médecins et des psys
plus que jamais à la psychosomatique.
153
Traité de médecine psychosomatique
Refoulement
Énergie d’innervation
A A
Le mécanisme de conversion
3-2. Caractères généraux
Les caractéristiques cliniques du symptôme de conversion sont les suivantes :
––désordre somatique à composante neurologique,
––caractère volontiers non systématisé sur le plan anatomique,
––variabilité et tendance au déplacement,
––déterminisme personnel et culturel,
––sensibilité à la suggestion ou à l’imitation,
––vécu du symptôme particulier : mélange de préoccupation anxieuse, d’inattention
voire d’oubli à l’égard du symptôme, ou d’expression spectaculaire et dramatisée.
3-3. Clinique
Les symptômes de conversion sont dans la majorité des cas des symptômes à déter-
minisme et expression neurologiques, affectant essentiellement le système nerveux de la
vie de relation.
il y a deux mois. Un arrêt des activités sportives a été prescrit. Son père l’accompagne lors
de la consultation. Alexis est visiblement tendu.
L’investigation révélera plusieurs éléments. Les parents sont séparés depuis neuf ans.
Le père a la garde d’Alexis et la sœur aînée est partie vivre chez sa mère il y a un an. Alexis
languit beaucoup de cette sœur. Par ailleurs, le grand-père est décédé il y a cinq mois et
Alexis a assisté courageusement à la mise en bière. Un autre décès, celui d’un voisin, a eu
lieu il y a deux mois, date du début des crises. L’événement semble avoir réactivé, par un
effet d’après-coup, les représentations réprimées lors du décès du grand-père. C’est à ce
moment-là que les troubles ont commencé : mononucléose, puis pertes de connaissance.
Au fil de l’évocation de ces éléments anamnestiques, Alexis est devenu progressivement
mutique et s’est caché derrière sa casquette. Ne rien entendre, ne rien voir. Le message
était clair. Dans les minutes qui suivirent l’évocation de la mort d’un chien, il émit un
« Non ! » étouffé et perdit connaissance.
La crise prend donc le relais pour occulter des représentations intolérables que les
efforts d’évitement sensoriel et le comportement ne suffisent pas à évincer. Alexis a
toujours été anxieux et, bien que parfois susceptible et impulsif, contenu dans l’expres-
sion de ses émotions.
Crise atypique induite par le surgissement de représentations traumatiques, crise
mettant un terme à la relation à l’autre, petite connotation théâtrale lors des prodromes,
crises survenues dans l’après-coup. Il est important de préciser que le contenu représen-
tatif n’est pas a priori de nature sexuelle.
155
Traité de médecine psychosomatique
Malika, 18 ans, présente depuis 10 mois des crises qui débutent par des manifesta-
tions émotionnelles de courte durée (crise clastique, crise de pleurs), accompagnées de
tremblements et d’oppression thoracique. La perte de connaissance avec chute survient
rapidement. Elle n’entend pas les paroles des autres. Depuis deux mois, les crises se sont
modifiées : corps en opisthotonos, main en doigt d’accoucheur, tête en hyperexten-
sion pendant une demi-heure. Plus récemment, se sont surajoutées des manifestations
conversionnelles sensitives : anesthésie des deux pieds, de topographie « en chaussettes »,
avec insensibilité à la piqûre. Par ailleurs, elle a fait deux tentatives de suicide depuis mars :
comprimés, mutilation. On note aussi une tristesse de fond depuis quatre mois.
Tout a commencé il y a donc dix mois dans les suites d’une discorde avec un de ses
frères qui depuis ne lui parle plus du simple fait qu’elle a une relation amoureuse avec un
jeune homme de religion non musulmane. Plus récemment, date du début des phéno-
mènes sensitifs, elle a été contrainte, du fait de la pression familiale, à se séparer de ce
garçon.
Troubles sensoriels
• Baisse de l’acuité visuelle, cécité, rétrécissement concentrique du champ visuel, diplo-
pie, scotomes.
• Pseudo-surdité, hypoacousie sélective (en fonction des interlocuteurs) et incomplète
(certains mots et pas d’autres), hallucination négative.
• Troubles olfactifs sélectifs.
• Troubles gustatifs.
Troubles du langage et de la phonation
• Mutisme, dysphonie, aphonie, troubles phasiques.
Certaines manifestations spasmodiques viscérales.
Le système neurovégétatif n’est pas concerné par la conversion. Il nous paraît oppor-
tun de limiter le champ des symptômes conversionnels viscéraux à ceux liés à un dysfonc-
tionnement de la composante musculaire striée, plus particulièrement les sphincters,
dont une part de la commande est volontaire.
• Sphère digestive : certaines formes de nausées, vomissements, troubles du transit,
dysphagie, anorexie.
• Sphère respiratoire : toux sèche sélective, dyspnées d’origine neuromusculaire.
• Sphère urinaire : énurésie, pollakiurie, rétention urinaire.
• Sphère génitale : vaginisme, dyspareunie, dysménorrhée.
Le vaginisme nous paraît être un symptôme hystérophobique, hystérique parce que
déclenché par une représentation traumatique, phobique parce que déclenché par la
peur d’un objet extérieur.
Nasio inclut les différents troubles sexuels, impuissance, frigidité, éjaculation précoce,
vaginisme, dans les symptômes de conversion. L’éjaculation précoce est effectivement
l’équivalent masculin du vaginisme, mais son inscription dans un ensemble de traits de
personnalité spécifiques dépasse le cadre de la conversion.
156
L’hystérie de conversion
4. DISCUSSION
4-1. La prévalence de l’hystérie chez la femme
Bien que plus fréquente chez la femme, l’hystérie de conversion n’épargne pas les
hommes. Ce qui est couramment admis, c’est que l’oppression sociale que peuvent vivre
des individus d’un sexe précis, en un lieu et un moment donnés de l’histoire, joue un rôle
indéniable. La femme, dans la majorité des cas, a été le plus souvent la cible privilégiée de
cette oppression indissociable d’un contrôle de la sexualité féminine. Le mode d’expres-
sion hystérique est un langage, une plainte et un mode d’évasion, qui permet sans déroger
aux convenances sociales d’exprimer le caractère intolérable de ces dernières. Ceci expli-
querait la prévalence de l’hystérie dans certaines civilisations à un moment donné, et la
raréfaction dans d’autres sociétés à d’autres moments.
Nous pourrions très bien imaginer une société « gynocratique » dans laquelle les
hommes seraient voués à des règles de castration systématiques (cela se dessine quelque
peu en Occident) favorisant l’expression hystérique de manière prévalente chez eux.
Martin, 38 ans, présente depuis quatre ans des douleurs des deux jambes et du
tiers inférieur des cuisses (topographie en cuissardes) avec sensation de lourdeur et de
gonflement, qu’il perçoit plus particulièrement lors de son activité favorite, le footing
(fonction locomotrice particulièrement érotisée). Les troubles, vaguement diagnostiqués
syndrome des loges, ont fait l’objet de traitements multiples sans résultat. Il s’y associe
souvent une sensation de pression dans la tête. Dès le début de l’entretien, il me dit :
« Cette histoire de jambes, j’ai l’impression de l’avoir voulu. »
157
Traité de médecine psychosomatique
Il y a quatre ans (début des troubles), débute la liaison avec sa compagne actuelle qui
se sépare rapidement de son conjoint. Ce dernier viendra agresser Martin à plusieurs
reprises, plus particulièrement sur le stade où il court. Sa nouvelle compagne lui enjoin-
dra de ne pas répondre aux agressions (répression, absence d’abréaction). « Cet homme
était blessé à la jambe (identification, représentation de la castration). J’avais l’impression
de le narguer en faisant du sport. Je me suis dit : “Ça pourrait m’arriver.” Deux mois après,
j’ai ressenti les premières douleurs en faisant une course. »
La nouvelle compagne est très jalouse, il doit contrôler ses propos. Elle lui interdit
d’aller courir au stade. Il se sent prisonnier dans cette relation mais ne peut se résoudre
à quitter sa compagne pour deux raisons : crainte qu’elle rencontre un autre homme (il
rêve qu’elle veut sortir seule en boîte, ce qui induit un affect de jalousie) et peur de lui
faire du mal. « J’ai toujours eu peur de faire du mal à l’autre. Donc j’accepte tout. » Il se
déclare incapable de prendre des décisions, de s’affirmer. « Le seul moment où je me sens
libéré c’est quand je pense à une autre femme. » (Il rêve qu’il est avec une autre femme, il
monte les escaliers d’un château, c’est agréable.)
À la deuxième séance, il rapportera plusieurs rêves : « J’ai des rapports intimes avec
une femme. Puis avec ma compagne on est sur des embarcations, à genoux on rame avec
les mains, mais on a du mal à y arriver, c’est angoissant… Un type arrache la jambe à un
garçon de 6 ans. Je vois le sang, je ne peux rien faire… Près de l’immeuble de l’ex de ma
compagne, quatre hommes bloquent ma voiture d’un coup sec et la renversent. Coups
de hache dans les vitres. Je pars en courant… Je fais une course à vélo, mais je n’arrive pas
à avancer, je tombe tout le temps. »
Angoisse et vécu de castration majeurs, culpabilité pulsionnelle constituent la problé-
matique centrale de notre patient. Les douleurs des jambes constituent une contre-force
castratrice qui affecte la fonction érotisée.
À la troisième séance, les jambes et la tête vont mieux. Il rapporte un rêve : « Une
voix me dit : “Ça va mieux !” Pendant ce rêve, j’ai senti des picotements dans les pieds. Le
lendemain, mes jambes allaient mieux en courant. J’avais l’impression générale d’être plus
libre. »
Son histoire est abordée. Les parents, ayant déjà deux garçons, espéraient une fille.
Les deux frères aînés étaient beaucoup plus valorisés par le père notamment pour leurs
compétences sportives. « Chaque fois que mon père venait me voir courir, je perdais mes
moyens. »
Il rapporte d’autres rêves : « Je zigzague sur une route, me paye les lignes jaunes, fais
n’importe quoi. Je demande aux flics de me foutre un PV. Le chien du président du tribu-
nal tente de me morde aux jambes… Je tire sur un officier puis l’officier me tire dessus. »
La culpabilité œdipienne est évidente.
À la quatrième séance, il fait part de fantasmes homosexuels qui ont débuté le jour où
il a vu l’ex de sa compagne. Recherche homosexuelle du père. Position et identification
féminine. Il rêve de sexes d’hommes.
À la cinquième séance, il rapporte un autre rêve : « Un gynécologue éviscère un enfant
qui est le fils de ma mère et dont je suis le père. »
À la sixième séance, les douleurs ont disparu. Il rapporte un rêve : « Je gagne une
course. »
158
L’hystérie de conversion
160
L’hystérie de conversion
souvent le cas) à la problématique œdipienne : les jeux avec les poupées, l’appendicecto-
mie, son image du corps et son identité sexuelle mal acceptées (les parents souhaitaient
une fille), l’angoisse suscitée par les objets tranchants, le terme coupure utilisé pour quali-
fier les pertes de connaissance.
Frédérique, 50 ans, présente une narcolepsie avec catalepsie confirmée clinique-
ment et traitée médicalement. Cette maladie a débuté à l’âge de 25 ans. Il s’agissait au
départ de simples accès de fatigue intense qui généraient un sommeil pendant quelques
minutes mais, depuis deux ans et demi, les accès sont brutaux, génèrent une hypoto-
nie et s’accompagnent de chutes. Elle tombe et dort une dizaine de minutes. Les chutes
ont provoqué des fractures successives (coccyx, poignet), des luxations (épaule), des
entorses. Par ailleurs, sa maladie génère des troubles de l’attention, de la concentration,
de la mémoire de fixation (oubli de rendez-vous), des actes manqués, des erreurs dans
sa vie professionnelle et privée. Elle dort peu la nuit et présente une anxiété générali-
sée. Elle est en arrêt de travail. Les crises sont volontiers déclenchées par une émotion,
un désordre affectif, voire lors de ses relations sexuelles dans l’imminence de l’orgasme
(connotation érogène). Pendant son sommeil, quelques images oniriques apparaissent,
toutes en relation avec le passé lointain, l’enfance, l’adolescence, plutôt agréables : « Ma
grand-mère me dit que je suis belle et qu’elle est fière de ma réussite professionnelle. »
L’aggravation il y a deux ans et demi a été contemporaine de l’apparition d’une crise
conjugale, révélation faite que le conjoint avait une maîtresse. Elle coupe alors ses cheveux
(castration), traverse une période difficile marquée par le début de l’aggravation de sa
narcolepsie.
Frédérique est née en Allemagne. Le père, avocat, décédera dans un attentat lorsqu’elle
a 6 ans. La mère et la fille rentreront alors en France. Elle garde quelques souvenirs de cette
époque : les châteaux de Bavière, les lacs, les maisons bourgeoises aux pièces sombres, le
téléphone noir accroché au mur. Lorsqu’elle aura 11 ans, la mère se remariera et aura une
autre fille.
Elle fera des études de droit, interrompues par un accident de voiture ayant généré
quelques jours de coma. Lors du réveil de ce coma, des représentations surgissent : un
défilé de gens morts. « Mais le coma, c’est bien agréable » (on retrouve la dimension
érogène du symptôme). Elle épousera un avocat à 22 ans et, après plusieurs fausses couches
(castration), mettra au monde son fils. Deux ans après, une inadéquation conjugale s’ins-
tallera et c’est à ce moment que débutera sa maladie (déterminant conjugal identique à
celui de l’aggravation ultérieure). Divorce. Rencontre du conjoint actuel, inspecteur de
police. Elle quitte son métier de greffière pour le rejoindre.
À la deuxième séance, elle insiste sur l’inadéquation avec son nouveau mari qui s’est
aggravée depuis deux ans.
Elle ne se sent pas reconnue, ni valorisée par ce mari qui ressemble physiquement à
son père.
Séance 2. Rêve (R) : « J’ai des plaies sur le corps, des gens bienveillant me soignent. »
Le handicap de la maladie génère l’attention bienveillante des autres (bénéfice secondaire).
Séance 3. Elle évoque un rêve récurrent de son enfance, vers 7-8 ans : « Je suis couchée
dans un lit, on me met un gros téléphone noir sur mon ventre, c’est lourd, je ne dois pas
bouger, ma mère me dit que si je le fais bouger, je suis morte. Pendant la période où je
161
Traité de médecine psychosomatique
faisais ce rêve, je ne bougeais pas dans mon lit (répression sexuelle). Un jour dans mon
rêve, vers mes 10 ans, le téléphone a glissé et est tombé, le rêve ne s’est plus reproduit et
je me suis mise à bouger normalement dans mon sommeil. »
Ce téléphone, de conception ancienne, était bien celui qui était accroché au mur de la
maison, en position verticale, lorsqu’elle avait environ 7 ans (symbole phallique, le père et
la mort de celui-ci annoncée par téléphone).
Des associations spontanées surgissent : une explosion dans la rue, un orgasme, un
escalier (on retrouve associées la mort du père, la sexualité).
Séance 4. Amélioration sur le plan de la mémoire et de l’attention ainsi qu’au niveau
des attaques de sommeil. Lors des accès d’assoupissement (elle ne chute plus), surgissent
des représentations angoissantes à contenu sexuel : « Un homme se masturbe, je ne vois
que la main… une trappe ouverte dans ma chambre d’enfant dans laquelle j’ai peur de
tomber… C’est dans cette chambre que je me suis masturbée à partir de 10 ans. » (Confir-
mation de l’hypothèse ci-dessus.)
Réminiscences : « Un prof de fac m’avait sauté dessus après une soirée étudiante, nous
avions eu une relation sexuelle, il s’était tué dans un accident de voiture en rentrant chez
lui au petit matin. » (Le sexe, le père, la mort.)
Séance 5. N’a plus de troubles de la mémoire. A beaucoup moins d’attaques de
sommeil. Mais se sent plus anxieuse et quelque peu déprimée (valeur économique du
symptôme de conversion). R : « Je suis sur le point d’avoir une relation sexuelle. Je tombe
de mon lit au moment de la pénétration. » La séance se termine sur : « Il me manque un
bout. »
Séance 6. Le moral va mieux. Pas de crise. R : « Je montre à ma grand-mère une jupe
que je me suis achetée. Elle me félicite. Je lui en donne une, la même. » (Cette grand-mère
qui valorisait sa féminité.) R : « Ma mère m’offre un poisson bleu dans un aquarium. »
(Sexe masculin, la patiente s’appelle Frédérique… elle avait même été convoquée à l’Armée.)
Séance 7. Va bien. Pas d’attaques de sommeil. Rêve récurrent : « Des vacances à la mer,
beaucoup de femmes, les hommes sont des serveurs. » Les représentations sexuelles
angoissantes ont disparu. Résurgence d’une excitation sexuelle. A vu un professeur de
neurologie, s’est sentie reconnue par lui. « C’est lui-même qui s’est occupé de moi, je me
suis sentie importante. ».
Cette observation, comme la précédente, met en scène le vécu de castration et la
problématique œdipienne. Les représentations pathogènes ont une dimension érotique
mais aussi traumatique. C’est lorsque Frédérique a 6 ans (castration et œdipe) que le père
meurt. L’événement est vécu comme un abandon et un rejet de sa féminité naissante.
La mère est dans la douleur, seule la grand-mère paternelle réanimera cette féminité
compromise. L’intrication de l’angoisse de mort (angoisse de castration et de séparation)
aux poussées de l’excitation sexuelle est constante. Le début et l’aggravation de la maladie
sont contemporains d’événements qui réactivent cette angoisse.
Pointons enfin que la narcolepsie est étiquetée comme une maladie neurologique hors
du champ de l’hystérie. Nous espérons avoir apporté la preuve du contraire.
162
L’hystérie de conversion
5. CONCLUSION
5-1. D’un point de vue psychanalytique
Le symptôme de conversion s’origine dans le refoulement d’une représentation
(fantasme) intolérable et la transformation de l’affect qui lui est lié en innervation
somatique.
Il traduit symboliquement la représentation refoulée.
Les traumatiques en cause sont soit des événements réels n’ayant pas fait l’objet
d’abréaction ni d’élaboration psychique (hystérie traumatique), soit le plus souvent des
fantasmes.
Lorsqu’il s’agit de fantasmes, leur contenu est sexuel, en relation avec l’angoisse ou le
complexe de castration et le complexe œdipien.
164
L’hystérie de conversion
165
Chapitre 8
1. FIXATION ET RÉGRESSION
1-1. Fixations et régressions psychiques
Notre parcours concernant la conversion nous a montré que deux complexes en consti-
tuent l’origine, le complexe de castration et le complexe œdipien. Ces deux complexes
constituent ce qu’on appelle en psychanalyse des fixations. Lors de notre développement
sur la construction du sujet, nous avons aussi évoqué les fixations orale et anale. Toutes
ces fixations sont des fixations strictement psychiques.
La fixation psychique est un marquage, une ornière tracée, une inscription indélé-
bile qui, à un moment donné de l’enfance, a programmé un type de fonctionnement
psychique prévalent, un attachement particulier et très puissant à un mode ancien
de satisfaction libidinale et de relation d’objet. Dans la fixation orale, par exemple, le
psychisme fonctionne sous le mode de la dépendance à l’objet. De même, le fantasme
et l’activité de maîtrise et de contrôle de l’objet sont l’expression d’une fixation anale. Les
fixations se constituent à partir de facteurs constitutionnels, de facteurs traumatiques et
d’une tendance à l’inertie et à la répétition liée à une angoisse de se défaire d’une position
libidinale antérieure satisfaisante.
La régression est un mouvement psychique contre-évolutif qui restaure dans un but
défensif un fonctionnement archaïque caractéristique d’un point de fixation. La régres-
sion est toujours réactionnelle. Elle peut advenir en tant que modalité défensive lors de
circonstances traumatiques. Par exemple, le barrage évolutif que constitue chez les sujets
obsessionnels l’achoppement œdipien conditionne la régression et donc la réactivation
d’une fixation anale. De même, la crise de boulimie induite par un état de tension ne
faisant pas l’objet d’une élaboration psychique ou d’une décharge comportementale
est une régression orale. Tel autre sujet, dans les suites d’un traumatisme crânien ayant
ébranlé son système défensif, redeviendra l’enfant démuni, dépendant et isolé qu’il était
avant la constitution de son système défensif. La régression peut aussi s’instaurer du fait
de circonstances réactivant les conditions extérieures dans lesquelles s’était produite la
fixation. La vie conjugale, par exemple, peut, au bout d’un certain temps, réactiver chez
certains sujets des conduites et des réactions régressives : conduites de maternage, de
dépendance ou les époux finissent par s’appeler papa et maman.
Temps Hiérarchisation
F1 : Fonction visuelle
P. Marty cite l’exemple de la fixation anale. « Nous avons le sentiment que les qualités
de la rétention, du dosage, de la discrimination, de ce stade, dépendent en partie d’autres
qualités antérieures du même ordre, attachées cette fois aux appareils sensorimoteurs,
visuel en particulier. » (La psychosomatique de l’adulte) Ainsi, quelque chose se prépare-
rait déjà en amont, favorisant la fixation.
Si, pour une raison ou pour une autre, les fonctions préexistantes ne sont pas prêtes à
participer à la constitution d’une nouvelle fonction, elles vont, par un effet de stagnation,
se marquer, se fixer. On pourrait proposer la métaphore d’une voiture qui patine dans la
boue ou dans la neige. C’est ainsi que se dessine une ornière dans laquelle le véhicule sera
à nouveau projeté s’il se retrouve dans les mêmes conditions sur le même chemin, accen-
tuant du même coup la profondeur de l’ornière. « Fixation ne signifie
pas impossibilité d’un dépassement, mais marquage caractéristique
d’un système fonctionnel, marquage dont les conséquences vont se
faire sentir dans toute la lignée de ce système. » (Ibid.)
F1
Pour P. Marty, les systèmes de fixation se constituent en chaîne
évolutive, chaîne dont les différents éléments successifs intera-
gissent.
F1
Ci-contre : Chaîne et interactions des fixations
P. Marty, à propos de l’allergie, propose le modèle d’une suite
de fixations successives sur une même chaîne : fixations immuno- F1
logique chez le fœtus, fixations autour de la naissance, fixations
d’ordre sensorimoteur.
168
Les fixations psychosomatiques
T1
Induction d’une
hyper-réactivité bronchique
T2
Difficulté à établir une juste
distance avec l’objet
T1
Terrain génétique
immunologique allergique
169
Traité de médecine psychosomatique
3. PALÉOFIXATIONS ET ARCHÉOFIXATIONS
3-1. Les fixations phylogénétiques
Nous avons suffisamment traité des fixations phylogénétiques dans les trois chapitres
consacrés à la préhistoire de l’individu. Ce sont des mémoires instinctuelles propres à
l’espèce, leur transmission est génétique. Un simple désordre économique suffit à
déclencher leur réactivation. Les désordres physiologiques en relation avec des fixations
phylogénétiques peuvent se manifester chez tous les individus, quelle que soit leur
histoire individuelle.
Ces programmations se complexifient de toute évidence avec l’évolution des espèces.
D’autres disparaissent. C’est le cas de l’horripilation destinée à faire peur à l’ennemi qui
subsiste à l’état de vestige chez l’homme sous la forme du phénomène de « chair de
poule », phénomène apparaissant lors de situations inductrices de peur ou de dégoût.
L’étude des émotions et celle du syndrome général d’adaptation constituent deux axes
fondamentaux et complémentaires, permettant de comprendre l’importance de ces
fixations phylogénétiques qui se manifestent dans de nombreuses affections médicales
courantes.
tion, de tel parti politique, alors que, paradoxalement, on dénie l’existence de détermi-
nants génétiques dans certains comportements des individus et des groupes humains.
Clivage politiquement correct, la tendance persiste et s’institutionnalise.
Car la génétique concerne le corps, le comportement et le psychisme. Dans des
proportions éminemment variables d’un sujet à l’autre. Autant il est dangereux de mettre
le seul facteur génétique en avant dans le déclenchement de certaines maladies, autant
il est ridicule de ne pas le prendre en compte dans certaines modalités réactionnelles des
sujets. Les études épidémiologiques chez les jumeaux et les sujets adoptés confirment
le poids du facteur génétique. Si la réactivation de fixations génétique peut déclencher
des maladies somatiques, elle peut aussi générer des pathologies mentales. Les facteurs
génétiques de la schizophrénie et de certains troubles bipolaires sont bien connus. De
même, ces facteurs génétiques peuvent jouer, conjointement aux facteurs développe-
mentaux, un rôle dans la constitution de la personnalité et la réactivité comportemen-
tale. La transplantation des tortues de Californie dans les rivières françaises ne modifie en
rien leur génome, tout au moins dans les premières générations. Il faut faire preuve d’une
prétention semi-délirante pour imaginer que l’on puisse modifier par des idéologies, des
lois et des institutions, ce qui a constitué le sujet avant sa naissance, à savoir l’héritage
d’une lignée ou d’un groupe humain. Ce n’est qu’une forme bien-pensante de déni de
l’altérité.
Citons D. Mac Farland : « … une grande partie du comportement d’un animal est
influencée par ses caractères génétiques… L’efficacité de la sélection naturelle à changer
la nature d’une population dépend du degré plus ou moins héréditaire des caractères
phénotypiques… Malgré le poids indéniable de l’évidence, de nombreux sociologues et
psychologues sont restés opposés à l’idée d’une influence génétique sur le comporte-
ment… » (Le comportement animal.)
Par quel mécanisme subtil l’espèce humaine serait-elle épargnée ? Le déterminisme
génétique est à la fois avidement invoqué et paradoxalement suspect selon le domaine
que l’on explore. La consultation génétique assène le sujet d’un déterminisme implacable
et foudroyant, alors qu’il est paradoxalement interdit de penser que certains compor-
tements puissent être déterminés pour une part aussi minime soit-elle, par les origines
familiales, culturelles, civilisationnelles ou ethniques.
Ceci étant, la génétique n’est pas immuable avec le temps. Les mutations en attestent
et dans leur déterminisme entrent en jeu non seulement des facteurs physiques mais aussi
les aléas de l’adaptation, l’imprégnation sociale au fil des générations, les traumatismes
existentiels. C’est la base de l’évolution. Le comportement des homéothermes, homme
compris, est le résultat d’une interaction complexe de la génétique avec l’expérience vécue.
La distinction entre comportement inné et acquis est « un sujet de controverse actuel
qui a des implications considérables dans le domaine de la philosophie et de la politique
humaines… Les influences génétiques et environnementales sont inextricablement liées
au sein de l’ontogenèse, selon les lignes d’un processus, l’épigenèse, par lequel chaque
étape du développement pose les jalons de la suivante, mais sans les imposer. » (Ibid.)
difficile. À la suite d’une séparation douloureuse ou d’un conflit, une spasmodicité, des
perturbations du pH digestif, ou un désordre cutané s’installeront, conjointement à un
déficit d’élaboration psychique.
L’amygdale tient une place centrale dans la genèse de ces processus. Elle parvient rapide-
ment à maturité dans le cerveau de l’enfant, alors que les autres structures cérébrales ne
sont pas pleinement développées. Elle est d’ailleurs proche de sa forme définitive dès la
naissance. Si les vécus traumatiques et les expériences émotionnelles des premières années
de la vie possèdent une telle force, c’est peut-être parce qu’ils sont imprimés dans l’amyg-
dale sous forme de réseau neuronal primitif à un moment où l’enfant est encore incapable
de traduire ses expériences par des mots (D. Pomey-Rey, La peau et ses états d’âme).
4. FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES
Les néofixations comprennent les fixations psychosomatiques et les fixations
psychiques. Nous avons largement abordé ces dernières et allons consacrer notre exposé
aux fixations psychosomatiques.
Les fixations psychosomatiques sont la résultante d’une fixation psychique et d’une
fixation somatique simultanées. Elles ne peuvent de fait se produire qu’à partir du
moment où le psychisme possède un degré minimal de fonctionnement.
Une ornière d’attraction s’inscrit à la fois dans l’inconscient psychique et dans la
mémoire du corps. Elle va demeurer quiescente jusqu’à sa réactivation à la faveur d’un
traumatisme.
Prenons un exemple : nous savons que les déterminants des organisations obsession-
nelles se situent au niveau d’une fixation anale. L’incapacité du sujet à accepter la perte,
son fonctionnement psychique dans la rétention et la maîtrise, ne sont que les prolonge-
ments ou la réactivation d’un mode de fonctionnement qui s’est installé avec une force
particulière lorsqu’il était jeune enfant. La fixation psychique, par le biais de mécanismes
de défense inconscients complexes, a induit une pathologie strictement mentale.
Imaginons maintenant le même sujet qui, enfant, au moment où s’installe la fixation
psychique anale, présente une érogénéité particulièrement accentuée de la zone
anatomofonctionnelle anale, érogénité pouvant être induite par de simples soins locaux
réitérés ou par des désordres physiologiques (diarrhée, constipation). Le psychisme et
le corps sont concernés par la même dynamique anale de rétention-expulsion. Le sujet,
devenu adulte, porteur d’une double fixation, psychique et somatique intriquée, c’est-à-
dire psychosomatique, développera, lors d’un mouvement régressif, des manifestations
obsessionnelles mais cette fois-ci associées à des troubles intestinaux comme, par exemple,
une colopathie spasmodique. À un stade de plus, si la démentalisation est intense, le
désordre économique majeur, l’auto-agressivité manifeste, l’affect réprimé, les signes
psychiques s’effaceront au profit des manifestations intestinales inflammatoires. C’est ce
que j’ai rencontré de manière systématique dans la rectocolite ulcérohémorragique.
Le désordre économique, le plus souvent généré par la répression de l’agressivité, est
nécessaire pour déclencher la maladie somatique. Mais celle-ci n’apparaîtra que sous
l’effet conjoint de représentations inconscientes réactivées par le traumatisme, repré-
sentations induites par une problématique similaire dans l’enfance, ne faisant pas l’objet
d’une élaboration psychique, mais suffisantes à réactiver la fixation psychosomatique
173
Traité de médecine psychosomatique
Réminiscences préconscientes
… Rêve de l’enfance : « Ma mère brûle dans un lit en flammes et me fait ses adieux. »
… Scène d’enfance : « Mon beau-père avec un fusil à la main en pleine nuit. Ma mère se
précipite dans mon lit, me prend dans ses bras pour me protéger… »
… Scène d’enfance : « Je les entendais faire l’amour. Ça me paraissait sale. Une fois, j’ai
vu le sexe de mon beau-père. J’ai trouvé ça hideux. J’avais peur qu’il lui fasse du mal. Ma
mère poussait des gloussements, des rires étouffés. Il me semble qu’il lui mettait la langue
dans l’oreille. Il s’amusait parfois à me faire des suçons. Ça me dégoûtait. Je ressentais ça
comme quelque chose de sexuel. Est-ce qu’il avait du désir pour moi ? Par contre, quand
il me frappait, j’avais mal. »
… Représentation infantile : « Je croyais que les femmes tombaient enceinte par
pénétration anale. »
… Souvenir d’enfance : « Je regardais avec excitation une gravure représentant un
homme nu, supplicié sur la roue. Le bourreau lui fracassait le corps. »
Représentations inconscientes
––Expressions langagières imagées, surgissant spontanément, infiltrées d’éléments
inconscients : « J’attends un tire-bouchon… Ça me fait du bien de me vider ici… »
« Lorsque la rectocolite s’aggrave, je suis défoncé. » « Mon boulot à cette époque, j’y
allais à reculons. » « Au boulot, je serre les fesses. »
––Rêves : « Je ramasse du bois mort, un couple de gens âgés surgit, j’ai peur d’être
surpris. Je me cache et je fuis. » « Des WC pleins d’excréments. Je ne sais comment m’y
installer » « Un homme est martyrisé et sodomisé dans une prison qui me rappelle la
maison de mon enfance. » « Dans ma chambre d’enfant, ma femme est dans le lit avec
mon oncle. » « Un homme saigne à l’intérieur. Un médecin le frappe en disant : “Il faut
que ça sorte !” »
––Fantasme sexuel récurrent : « Relation sexuelle à trois dans laquelle je suis soit specta-
teur soit acteur. »
Ces productions confirment un complexe œdipien, un masochisme et une fixation
anale. Jean-Louis jouit et souffre d’une sodomie imaginaire infligée par le beau-père, un
beau-père violent mais présent.
À partir de la quinzième séance, on note une nette amélioration de la RCHU. Plus
d’hémorragies, uniquement quelques troubles du transit. Cette amélioration est contem-
poraine de la disparition du fantasme de relation sexuelle à trois.
Au bout de cinq mois de psychothérapie, les symptômes se limitent à quelques
douleurs et diarrhées vespérales qui s’accentuent lorsque le jeune cadre de l’entreprise le
« fait chier »… Au bout d’un an de psychothérapie, il va bien.
Quatre conditions sont nécessaires pour que la pathologie se déclenche et persiste :
––le désordre économique : le déficit de mentalisation et l’absence d’issue compor-
tementale sont évidents au moment où se déclenche la pathologie. La brimade
professionnelle infligée avait entraîné un état de tension interne qui se manifestait
par de l’angoisse (répression de l’agressivité) lorsque Jean-Louis encaissait sans réagir.
Jean-Louis a dû apprendre très tôt à réprimer ses affects, sa motricité, son agressivité.
« Si j’accepte des contraintes contre mon gré, je sécrète des toxines. »
175
Traité de médecine psychosomatique
A S
C
Refoulement
R A S
R A S
Gilles présentait un eczéma périnéal : anus, racine de la verge, face interne des
cuisses, eczéma très prurigineux surtout la nuit. L’eczéma avait débuté après son divorce
dans un contexte de solitude et de difficultés financières importantes. Là aussi, la fantas-
matique reposait surtout sur des représentations d’origine œdipienne, source de forte
excitation (sexuelle et agressive) : relation à trois, comme chez Jean-Louis.
176
Les fixations psychosomatiques
177
Traité de médecine psychosomatique
178
Les fixations psychosomatiques
Deux questions se posent : celle de la nature des zones érogènes et celle du type d’éro-
généité.
Les fixations somatiques de la petite enfance, et ceci dès la période primaire, peuvent
concerner les zones érogènes classiques mais aussi l’intégralité d’autres systèmes fonction-
nels. La diffusion du plaisir à partir des zones érogènes classiques vers l’ensemble du
corps est d’ailleurs la condition nécessaire à l’organisation d’un moi unifié et de l’image
inconsciente du corps.
Certaines fonctions sont plus ou moins érotisées : digestives, urinaires, cutanées. L’énu-
résie en offre un exemple. S’inscrivant dans une relation d’interdépendance avec la mère
et attestant d’une difficulté réciproque à s’autonomiser, elle est l’objet d’une érotisation
secondaire (sensations paradoxales lors de la miction) qui conditionne sa persistance.
D’autres fonctions peuvent s’accompagner d’une érotisation ayant fait l’objet d’un
déplacement ou d’une régression, notamment les somatisations digestives ou algiques.
C. Dejours considère que l’absence d’un investissement érotique minimal d’une
fonction fragiliserait celle-ci. Un déplaisir au niveau d’une zone ou d’une fonction pourrait
entraîner un désinvestissement de la zone ou de la fonction, laissant ainsi un « blanc »
dans la représentation inconsciente du corps. La somatisation concernerait les zones
du corps qui n’ont pu faire l’objet d’une érotisation, c’est-à-dire d’un passage du corps
biologique au corps vécu et érogène. Les fonctions qui ne se sont pas exprimées dans un
contexte expressif et porteur de sens sont sujettes à somatisations.
Il est vrai que certains symptômes constituent parfois une voie de décharge de l’excita-
tion qui n’a pas trouvé d’issue dans l’élaboration mentale, les comportements, et souvent
la « jouissance » au niveau de la fonction somatique en question. Le prurit en est l’exemple
caricatural. De même les vulvovaginites. Cet élément nous a permis d’avancer, à l’appui
de nos constatations cliniques, qu’un organe ou une fonction qui ne jouit pas, souffre. La
jouissance nous apparaissant par ailleurs, d’un point de vue général, comme l’antidote de
la souffrance et ceci tant du point de vue psychique que somatique.
Mais l’exemple de Jean-Louis illustre bien le fait que des fonctions érotiquement très
investies peuvent aussi faire l’objet de somatisation. Il semblerait même que cet investis-
sement excessif soit un des cofacteurs de la pathologie. C. Dejours insiste sur le déficit
d’investissement érogène de la cible. J’insisterai de mon côté sur le rôle pathogène d’un
surinvestissement.
Un plaisir sélectif au niveau d’une fonction ou d’une zone du corps peut entraîner un
investissement excessif de cette fonction ou de cette zone. Le plus souvent, les sensations
engendrées par une affection corporelle sont désagréables, mais il n’en est pas toujours
ainsi et une part de malaise peut, dans certains cas, être infiltrée de sensations particu-
lières dans lesquelles une certaine jouissance est présente, notamment dans les affections
modifiant la sensorialité (fièvre, prurit par exemple).
Débat difficile auquel seule la clinique peut répondre. Mais entre ces deux positions
opposées, n’y a-t-il pas lieu d’en appeler plutôt à une dysérogénéité dans laquelle sensa-
tions hédoniques et désagrément sont intriqués ? C’est d’ailleurs cette dysérogénéité qui
est le plus souvent présente chez l’enfant.
Cette dysérogénéité nous invite à évoquer le masochisme érogène qui vient accentuer
secondairement la fixation et plus particulièrement le masochisme induit par les inter-
ventions extérieures sur le corps.
179
Traité de médecine psychosomatique
mination du mal, une question qu’il faut aborder avec beaucoup de circonspection. »
(Freud cité par Nunberg et Federn, Les premiers psychanalystes.) Par ailleurs, il souhaite
que les psychanalystes se bornent, pour des raisons d’apprentissage, à la recherche dans le
domaine des névroses. Dans Métapsychologie, il délimite le champ analytique qui doit se
limiter aux représentants pulsionnels, la source de la pulsion étant exclue, par définition.
Il n’utilisera jamais le terme psychosomatique, y compris dans sa correspondance avec
Groddeck. Il repère les symptômes physiques de la névrose actuelle comme dénués de
sens et de déterminisme psychique. Enfin, il introduit la possibilité d’une érotisation des
zones corporelles par le concept de zone et de corps érogène. « (…) un endroit de la peau
ou des muqueuses dans lequel des stimulations d’un certain type suscitent une sensa-
tion de plaisir d’une qualité déterminée… » « Nous nommons érogénéité d’une partie
du corps cette activité qui consiste à envoyer dans la vie psychique des excitations qui
l’excitent sexuellement. » (Trois essais sur la théorie de la sexualité.)
Parmi les contemporains de Freud, Ferenzci peut être considéré comme un des précur-
seurs de la pensée psychosomatique. On lui doit l’analyse d’un enfant, « l’enfant au coq »,
porteur d’une colite ulcéreuse.
Depuis l’avènement de la psychanalyse et surtout après Freud, les théories
psychosomatiques se sont succédé sans aboutir, pour une bonne part d’entre elles, à
des modèles consistants, comme en atteste la rareté du matériel clinique et l’utilisation
systématique du conditionnel chez de nombreux auteurs, et ceci du fait surtout de la
méconnaissance de la dimension économique. La plupart des théories sont issues d’une
séduction par le modèle conversionnel.
À partir des années 1950, le modèle psychanalytique s’étend à travers le monde
occidental, remanie le corpus théorique psychiatrique, émet des rejetons comme la
pédopsychiatrie, reconsidère le fonctionnement de l’être humain, les relations interper-
sonnelles, et, à partir des années 60, devient une panacée pour la résolution de toute
difficulté de quelque ordre qu’elle soit. Le monde médical est partagé entre une attitude
défensive délibérément hostile et une curiosité réservée à son encontre. Les échecs de la
progressive toute puissante technicité favoriseront l’intérêt de certains praticiens à son
sujet, mais sous le mode excessif et réducteur de la séduction. À l’instar de la majorité
des psys des années 70, ils subiront la fascination pour l’intrapsychique et c’est ainsi que,
peu à peu, naîtra une tendance à interpréter tout désordre somatique à partir du modèle
conversionnel, avec les inévitables échecs que l’on imagine, alors que, phénomène
occulté, l’hystérie est en train de commencer son inexorable régression. Dans les suites,
la question du sens et du symbolisme du symptôme va se poser face à tout désordre
somatique. Ainsi, en Europe, deux courants contradictoires vont ensuite voir le jour.
analyse chez Freud. Sa théorie s’appuyait sur la deuxième topique : le ça (terme dont il est
l’inventeur) ne se limite pas toutefois au ça de la deuxième topique freudienne, il inclut
l’instinctuel et détermine tous les symptômes, les contre-forces répressives constituant
le déterminant principal des processus morbides. La lecture de Groddeck est facile et
passionnante, mais elle risque d’inciter les néophytes à l’interprétation sauvage.
Plus récemment, Valabrega, Deuch, Brisset, considèrent la lésion psychosomatique
comme une modalité particulière de conversion, aux confins de l’hystérie.
5-4. L’école américaine
H. Dunbar a étudié les effets des émotions sur la physiologie (Emotions and Bodily
changes, 1935), repère des particularités dans le fonctionnement mental des patients
atteints de certaines affections chroniques (HTA, asthme, diabète, coronarite) et essaie de
dégager un profil de personnalité spécifique qui prédisposerait à telle affection somatique,
une corrélation entre caractère et maladie, un profil psychosomatique. Par exemple, les
coronariens seraient des ambitieux, autodisciplinés, misant sur l’avenir, ajournant la satis-
faction des besoins immédiats en fonction du but visé (Psychosomatic diagnosis, 1943 ;
Mind and body : Psychosomatic medicin, 1947). Dunbar utilise des questionnaires avec
échelles d’autoappréciation (« self-rating »), tests projectifs ou métriques. Elle repère
chez les malades chroniques une pauvreté des représentations mentales et l’absence de
témoins habituels de l’activité psychique : refoulement, retour du refoulé, etc.
Alexander (1891-1964) était élève et analysant de Freud, puis émigra aux États-Unis.
Dans les années 1940, il déclare que les maladies psychosomatiques sont des troubles de
l’adaptation. Il introduit trois notions :
• la notion de conflit spécifique, conflit nodal dynamique ou constellation psychody-
namique, qui se manifeste par une modification physiologique particulière tout comme
182
Les fixations psychosomatiques
5-5. Pierre Marty
Pierre Marty (1918-1993) peut être considéré comme le père de la psychosomatique
moderne.
La mentalisation permet de lier des affects à des représentations mentales, de réguler
les tensions suscitées par les traumatismes. Sa qualité dépend du fonctionnement du
préconscient. Sa pauvreté ouvre la voie à la somatisation.
L’approche de certains patients atteints d’affections telles que migraines et céphalées,
polyarthrite, rectocolite, ulcère gastroduodénal, asthme, glaucome, permet de dégager
un certain type de personnalité. P. Marty (L’ordre psychosomatique) avance ainsi l’entité
de personnalités psychosomatiques. Plusieurs éléments la caractérisent :
1. Carence de mentalisation
• Pauvreté fantasmatique, pensée « opératoire » et raisonnable concernant le factuel
et l’actuel. Le sujet donne l’impression d’être coupé de son inconscient et hyperadapté à
183
Traité de médecine psychosomatique
l’entourage. Il n’y a pas de souplesse idéatoire, pas de goût pour le concept, mais plutôt
un goût pour l’action. La maladie survient lorsque cette dernière est impossible. Pierre
Marty et ses collaborateurs de l’École de Paris proposent « d’injecter des fantasmes à ces
sujets ».
• Inachèvement de la structuration de l’appareil psychique avec discontinuités des
défenses mentales.
• Agénésie de la pensée symbolique normale, mode d’opération défensif chronique
évoquant un trait de caractère (réversible dans certaines conditions thérapeutiques),
hyposymbolisation des affects et des conflits personnels.
2. Régression
• Régression à un niveau défensif primitif de type narcissique, fusion sujet-objet rendant
impossible toute vraie relation objectale et notamment la relation transférentielle qui
serait « blanche » dans laquelle autrui serait perçu comme un double de soi-même. C’est
la reduplication projective dans laquelle le sujet a une idée imprécise de lui-même : il dit
volontiers « on » plutôt que « je », il se sent « monsieur tout le monde ».
3. Auto-agressivité
• Forte tendance auto-agressive dans laquelle le catabolisme des énergies de pulsion
de mort serait impossible sauf par la voie lésionnelle du corps sous forme de désorgani-
sation progressive.
4. Dépression essentielle
• Dépression essentielle fréquente, caractérisée par une absence d’idée dépressive, une
conservation d’une vie sociale normale, un effacement des pulsions d’autoconservation
et des investissements narcissiques et objectaux.
Marty propose une extension à la théorie psychanalytique en introduisant, à côté de
la notion de pulsion, celle d’instinct englobant le biologique (Les mouvements individuels
de vie et de mort).
Il propose une nosographie basée sur l’économie psychosomatique et distingue les
apparentes inorganisations, les désorganisations progressives, les régressions globales et
les régressions partielles.
P. Marty a créé l’École de Paris, issue de l’Institut de psychanalyse, en 1963. La même
année, il a publié avec M. de M’Uzan et David, L’investigation psychosomatique.
L’École de Paris s’inscrit en faux face aux théories conversionnelles : les maladies
somatiques, en dehors des symptômes classiques de conversion, ne sont porteuses
d’aucun symbolisme. Elles apparaissent lorsque le fonctionnement psychique est défec-
tueux. C’est ainsi que le symptôme psychosomatique a pu être qualifié de « bête ». Il
paraît opportun de rappeler que Pierre Marty a repéré et défini la structure allergique
comme une entité nosographique à part entière, caractérisée par une dépendance et une
indistinction entre le sujet et l’objet. Si le symptôme est dénué de valeur symbolique, il
n’est jamais dénué de sens.
5-6. Autres théories
Les théories de Wolff (Life, stress and Bodily Diseases), W. J. Grace et D. T. Graham
(Relationship of Specific Attitudes and Emotions to Certains Bodily Diseases) rejoignent
celles du langage d’organe de Groddeck. Il n’y aurait pas de conflit spécifique mais une
184
Les fixations psychosomatiques
185
Traité de médecine psychosomatique
Pour Guir, le phénomène psychosomatique est une réponse à une situation trauma-
tique (au sens psychique et langagier du terme) qui ferait intervenir des facteurs
génétiques jusqu’alors latents. Il repère une dynamique en trois temps. Un premier événe-
ment traumatisant à l’issue duquel le sujet a du mal à répondre dans le registre émotionnel
(premier temps). Quelques années plus tard, un événement signifiant, anodin, rappelle le
traumatisme. Il se produit alors la somatisation (troisième temps). Cette théorie renvoie
à la notion d’après-coup…
Pour Lucien Israël, l’existence d’une lésion anatomo-pathologique observable est
nécessaire pour poser le diagnostic de « maladie psychosomatique », ce qui la distingue,
d’une part, de l’hystérie, d’autre part, du fonctionnel. Le champ psychosomatique corres-
pond alors à la façon dont on explore si cette lésion a, ou non, un rapport avec l’existence
du sujet…
Les découvertes d’Henri Laborit sont considérables. Nous y faisons souvent référence.
Pour Laborit, les maladies psychosomatiques sont liées à l’inhibition de l’action.
L’alexithymie décrite par Sifneos et Nemiah, en 1970, se définit comme l’incapacité à
verbaliser les émotions de manière adéquate. Elle caractériserait la personnalité de notre
ère. Difficultés à faire correspondre des représentations mentales aux sentiments éprou-
vés faute de pouvoir les associer, incapacité à utiliser des mots (lexis) connotés affecti-
vement pour décrire une plainte, description impersonnelle des maux qui font souffrir,
description des symptômes en parlant dans le vide. L’alexithymique agit ses émotions et
évolue faute d’une élaboration adéquate, dans un monde imaginaire appauvri. Lorsqu’on
l’interroge sur des événements ayant une très forte charge émotionnelle, il répond soit
en décrivant ses symptômes physiques, soit de façon inadaptée (comme s’il n’avait pas
compris la question). Absence de fantasme, rêves rares, difficulté à trouver des mots
pour exprimer les sentiments. Mentalisation, intériorisation, symbolisation déficitaires.
L’alexithymie peut se retrouver aussi dans certains types d’addictions, de conduites
agies, de syndromes psychotraumatiques. La théorie de l’alexithymie, dont la descrip-
tion correspond un peu à celle de la pensée opératoire, a débouché sur l’hypothèse d’un
substrat neurophysiologique aux difficultés de symbolisation du vécu affectif. Il y aurait
une insuffisance de connections entre le système limbique générateur d’émotions et le
néocortex.
Inspiré de Balint, M. Sapir remet en question le rôle de la pensée opératoire dans la
genèse de la somatisation et la considère plutôt comme une conséquence de la maladie.
Sapir met l’accent sur le rôle de la relation médecin/malade dans la thérapie et sur la
nécessité de la formation psychologique du médecin.
Sami Ali récuse lui aussi la notion de carence de mentalisation à l’origine de la somati-
sation. Il avance d’autres hypothèses dont la plus connue s’étaye sur l’étude du rêve,
« phénomène fondamental articulant le psychique et le somatique » (Le rêve et l’affect,
une théorie du somatique).
Mazeran ne repère pas de pensée opératoire mais plutôt une hyperréactivité faite de
débordement émotionnel et d’hypercontrôle. Il introduit la notion de trace traumatique
inscrite à une période archaïque, à un moment où elle ne peut être symbolisée et intégrée
186
Les fixations psychosomatiques
187
Traité de médecine psychosomatique
6. CONVERSION ET SOMATISATION
6-1. Le désordre économique
Sarah, 29 ans a présenté, dans les suites d’une rupture sentimentale, une thrombose
de l’œil droit, ayant nécessité une hospitalisation et un traitement corticoïde prolongé.
Un an après, elle partage sa vie avec un jeune homme dont elle attend un enfant. Rechute.
Nouvelle thrombose. Sur prescription médicale, elle accepte d’interrompre sa grossesse.
Pour les médecins, l’avenir est clair : « Vos possibilités de devenir mère sont limitées. »
Dans la foulée, le compagnon partira et, du fait de ses troubles visuels, elle perdra son
emploi. De plus en plus isolée, Sarah engagera une psychothérapie… chez un psy qui « ne
dira pas un mot ».
Pour Sarah, la fonction visuelle est depuis toujours fortement investie, source de
plaisir. La vue est particulièrement érotisée. Elle était directrice de la photographie
dans le cinéma. Des expressions imagées, métaphoriques, dans lesquelles le « voir » est
omniprésent, caractérisent son discours : « J’ai du mal à vous regarder, je n’ose pas… »
« Quand je regarde des émissions médicales ou certaines scènes érotiques à la télévision,
je vois flou… » « Avant, je disais les choses avec les yeux… » « Maintenant, je revois les
hospitalisations avec tristesse alors que, lorsque j’étais hospitalisée, j’avais le sourire. » Le
phénomène qu’elle décrit peut témoigner d’une répression émotionnelle mais peut aussi
faire évoquer l’indifférence hystérique vis à vis du symptôme. Par ailleurs, il est évident
que Sarah avait depuis occulté, c’est-à-dire refoulé, le souvenir de cette période difficile,
mécanisme caractéristique de l’hystérie.
Les rêves témoignent d’une problématique dans laquelle sont particulièrement et
fortement intriquées pulsion scopique, complexe de castration et complexe œdipien.
Des éléments évoquant une confrontation excitante et angoissante à la scène primitive
apparaissent ça et là. « Un gros rat veut pénétrer à l’intérieur de la maison ; ma chatte se
bat avec lui et perd un œil… Ma mère est attaquée par King Kong et appelle au secours.
Avec mon frère, on part à la recherche de mon père mais on ne le voit pas… »
Sarah parle de son père comme d’un homme qu’elle idolâtrait, mais très dur, « qui
nous commandait du regard… Quant à ma mère, on communiquait par la parole, elle
était complexée par un strabisme et cachait ses yeux. » Ceci peut faire évoquer le déter-
minisme personnel et culturel de l’hystérie. Notons que le langage visuel évite la parole et
que le langage verbal évite de regarder.
Sarah se souvient d’un séjour chez un couple d’amis de ses parents lorsqu’elle avait 5
ans. Il semblerait qu’à cette époque elle ait perçu chez le couple d’accueil quelque chose
qui ressemble à la scène primitive. Entendu ? Vu ? Imaginé ? Toujours est-il qu’à partir
de ce moment, elle a eu des troubles du sommeil, faisant par ailleurs tout pour ne pas
188
Les fixations psychosomatiques
fermer les yeux dans son lit de peur que des monstres l’agressent. « Il ne fallait même pas
bouger les paupières… J’étais persuadée qu’en gardant les yeux ouverts, le monstre ne me
toucherait pas. » À cette même époque, elle a vu un exhibitionniste et s’en est sentie très
coupable.
Vers l’adolescence, Sarah présente des crises de spasmophilie et s’évanouit souvent,
notamment à la vue d’une piqûre, ou d’une plaie. Pendant ces évanouissements, elle rêve
qu’elle est dans un avion qui décolle.
On peut comprendre que la position du psy ait été strictement analytique car tout,
dans cette observation, évoque la problématique hystérique. Tout, sauf une chose : une
lésion vasculaire réelle, profonde, objectivée, persistante, invalidante, ayant entraîné
un handicap majeur, réfractaire à la suggestion, n’ayant aucune des caractéristiques
médicales classiques du phénomène de conversion. Le psy a peut-être fait son travail de
psychanalyste mais a occulté (lui aussi) toute la dimension économique, l’aspect répres-
sif, l’importance de l’auto-agressivité, la nécessité d’aider cette jeune femme à retrouver
des repères existentiels dans un monde qui s’assombrissait de plus en plus. Quant aux
médecins, ils ont fait eux aussi leur travail, mais n’auraient peut-être pas dû l’outrepasser
par des paroles prédictives en condamnant cette jeune femme, prise dans un complexe
de castration évident, à ne jamais avoir d’enfant.
Les déterminants de cette pathologie sont de deux types :
• certains d’entre eux sont communs avec ceux de l’hystérie de conversion : atteinte
d’une fonction érotisée, rôle des représentations traumatiques, problématique
inconsciente similaire à celle que l’on rencontre le plus souvent dans l’hystérie de conver-
sion (castration, œdipe, rôle de la pulsion scopique) ;
• les autres ne se retrouvent pas dans la conversion hystérique : atteinte organique
lésionnelle, sensibilité à certaines thérapeutiques médicamenteuses, et, enfin et
surtout, existence d’un désordre économique : dépression, répression, auto-agressivité,
démentalisation précédant l’apparition des troubles.
À ce stade de notre parcours, il convient d’avancer certains principes.
1. La conversion ne s’accompagne jamais d’un désordre économique
Il en constitue même un agent régulateur. D’un point de vue économique, le symptôme
de conversion paraît « solutionner le problème », aboutissant à une homéostasie au
niveau de l’excitation (probablement responsable de la classique belle indifférence à
l’égard du symptôme), contrairement à ce qui se passe dans la plupart des somatisa-
tions non conversionnelles. L’intention initiale se réalise, le but est fantasmatiquement
et/ou réellement atteint. La patiente n’y voit plus, ne peut plus marcher, et l’entourage,
le médecin, sont sidérés dans une impuissance totale. Aucun cortège somatique anxieux,
aucune manifestation à type de dépression essentielle ne précède ou n’accompagne la
pathologie. Nous sommes loin de l’hypertendu, du patient présentant une rectocolite ou
une maladie auto-immune.
Freud évoque déjà le phénomène lorsqu’il différencie l’hystérie de conversion et les
troubles névrotiques s’accompagnant d’angoisse : « Il y a une pure hystérie de conversion
sans aucune angoisse, tout comme il y a une hystérie d’angoisse simple qui se manifeste
189
Traité de médecine psychosomatique
par des sensations d’angoisse et des phobies sans que s’y ajoute de la conversion. » (Le petit
Hans.) Le terme hystérie d’angoisse correspond ici à la phobie et à son cortège anxieux.
Dans l’hystérie de conversion, tout se joue entre l’intrapsychique et le support neuro-
logique. D’un point de vue psychosomatique, la scène n’affecte que la voie psychique de
la fonction psychosomatique. Le refoulement et la transformation de l’affect en innerva-
tion somatique constituent les mécanismes nécessaires et suffisants.
On peut supposer que cette dimension de régulation économique du symptôme
de conversion est liée à la proximité fonctionnelle qui existe entre le fonctionnement
psychique et le fonctionnement du système nerveux de la vie de relation. Psychisme et
système nerveux se développent conjointement par interactions mutuelles réciproques
et par interaction avec l’environnement. Par ailleurs, ce ne sont pas, d’un point de vue
embryologique et ontogénétique, des fonctions primitives. Ainsi, on peut comprendre
que l’hystérie de conversion soit toujours considérée comme maladie mentale. Il convien-
drait plutôt de la considérer comme une maladie neurologique.
On peut supposer sans trop de risque que les mécanismes physiopathologiques de la
conversion sont relativement simples, très vraisemblablement à type d’inhibitions ou de
stimulations de circuits neuronaux. Il ne semble pas exister d’autres mécanismes surajou-
tés, tels qu’on les rencontre dans les somatisations non conversionnelles (inflammation,
dysrégulation hormonale, désordres cellulaires, désordres humoraux). Tout semble se
jouer au sein d’un système intrapsychoneurologique. On peut ainsi comprendre que la
fonction psychosomatique soit épargnée dans son ensemble, la conversion permettant,
lorsqu’elle se produit, une économie totale des désordres de l’excitation. On pourrait
même supposer que l’investissement de la totalité de l’appareil psychique par l’excitation
soit la condition de base à l’apparition du symptôme conversionnel, phénomène inverse
de celui que l’on rencontre dans les somatisations où l’excitation, du fait des déliaisons,
n’investit pas suffisamment le psychisme.
2. La somatisation s’accompagne toujours d’un désordre économique
Le désordre résulte, comme nous l’avons vu, d’une démentalisation initiale (variable
et relative selon les pathologies), de processus de répression ou de dépression essentielle.
Le refoulement est insuffisant à lui tout seul pour générer la pathologie. La scène princi-
pale ne se joue pas dans l’intrapsychique, même si celui-ci constitue un point de départ
potentiellement traumatique.
3. L’intrapsychique est le théâtre de la conversion, la fonction psychosomatique celui de
la somatisation (Voir schémas page suivante.)
Langage
Représentation
Affect
Déplacement de l’excitation
Comportement
dans l’intrapsychique
Absence d’ab-réaction
Émotion
Conversion – Temps 1
Refoulement Représentation
Inconscient
Affect
SYSTÈME
e NERVEUX
Conversion – Temps 2
Représentation
Affect
Répression
Soma
Somatisation
191
Traité de médecine psychosomatique
6-3. Les fixations
La pathologie conversionnelle nécessite l’existence de néofixations :
––essentiellement, fixations psychiques (orale, angoisse de castration, œdipe, etc.) ;
––accessoirement, fixations psychosomatiques limitées aux fonctions neurologiques ;
––c’est seulement dans l’hystérie dite « traumatique » que la présence de fixation n’est
pas nécessaire.
La pathologie somatique non conversionnelle nécessite l’existence :
––soit de paléofixations,
––soit d’archéofixations,
––soit de fixations psychosomatiques.
––par ailleurs, l’hypnose peut avoir un effet sur certaines somatisations et peut aussi
induire des manifestations somatiques, y compris lésionnelles.
Le déterminisme culturel
Dans la conversion, le « surmoi social », la lutte contre tout ce qui peut constituer une
manifestation de l’érogénéité constitue le facteur favorisant.
Dans la somatisation, les déterminants culturels sont différents : valorisation des idéaux
du moi au détriment du surmoi, de l’action au détriment de la pensée, de la consomma-
tion et de la compétitivité au détriment de l’imagination, des sensations au détriment
des sentiments.
Ainsi, au vu de tous les éléments que nous venons de présenter, nous pouvons propo-
ser ci-dessous un tableau synoptique illustrant les principales différences entre conver-
sion et somatisation.
CONVERSION SOMATISATION
193
Traité de médecine psychosomatique
7. RÉGRESSIONS ET DÉSORGANISATIONS
On doit les notions de régression et de désorganisation somatiques à Pierre Marty.
Face aux désordres de l’excitation, trois issues peuvent se présenter :
––soit une tolérance et une réactivité adaptée garantissant l’homéostasie,
––soit une désorganisation stoppée par une maladie chronique régressive,
––soit une désorganisation progressive.
7-1. Régressions
Une régression est une réorganisation autour d’un stade évolutif antérieur. Repre-
nons la métaphore de l’ornière creusée par la voiture. Celle-ci grimpe péniblement les
lacets d’une côte enneigée, puis patine, s’arrête et ne peut plus sortir de l’ornière qu’elle
a creusée par de vains démarrages. Cette ornière qui représente la fixation constitue un
obstacle dans son avancée. Mais elle constitue aussi un butoir, un garde-fou contre la
dégringolade dans le ravin, c’est-à-dire contre la désorganisation.
Par ailleurs, cet accident de parcours ayant immobilisé le véhicule pourra peut-être
permettre à son propriétaire de prendre les dispositions adéquates pour reprendre la
route dans de meilleures conditions. L’ornière est investie d’énergie vitale.
La notion de fixation est indissociablement liée à celle de régression. P. Marty considère
même que la régression est première. « Les ratés successifs de l’organisation nouvelle, les
retours régressifs réitérés, l’insistance de la pression des Instincts de Vie, les sommations
renouvelées de ceux-ci, apportent aux fonctions mises en cause au niveau régressif et
répétitivement excitées, une valeur vitale essentielle et singulière qui se fixe progressive-
ment. Nous comprenons ainsi le phénomène de fixation dans sa liaison avec une régres-
sion qui en constitue le cœur. » (Psychosomatique de l’adulte.) P. Marty apporte ainsi un
nouvel éclairage à la notion de régression que le modèle psychanalytique ne considérait
jusqu’alors que dans son aspect déficitaire et secondaire à une fixation première.
Ainsi, les fixations et les régressions constituent autant de barrières défensives contre
la désorganisation. De fait, les régressions psychosomatiques génèrent des pathologies
moins graves que les désorganisations.
Pour P. Marty, les maladies régressives sont limitées dans leur champ fonctionnel,
ne se compliquent pas spontanément, sont en général et spontanément réversibles et
souvent répétitives chez un sujet donné dans leur présentation clinique ou leur évolu-
tion. P. Marty cite parmi elles : rachialgies, colopathies, céphalalgies, migraines, allergies,
hypertension artérielle essentielle, ulcères, crises comitiales. Il précise toutefois qu’elles
peuvent apparaître dans un mouvement de désorganisation plus vaste si les fixations
sont peu investies.
7-2. Désorganisations
Elles se produisent toujours en sens inverse de celui du développement. Le mouve-
ment contre-évolutif qui les caractérise est sans fin, du fait d’une absence de pallier de
fixation et d’une insuffisance des systèmes de régression psychique ou somatique. Le
processus peut être long ou bien rapide sans maladie intercurrente. Seule une régression
organisée autour d’une fixation majeure peut stopper le cours d’une désorganisation.
P. Marty cite parmi les désorganisations progressives : le diabète, les maladies auto-im-
194
Les fixations psychosomatiques
munes, la sclérose en plaques, le SIDA, les cancers (dans ce dernier cas, il insiste toutefois
sur la présence de données qui échappent à la hiérarchisation psychosomatique).
Il y a 7 ans, Christine a connu les affres de la tromperie conjugale. Une dépres-
sion s’en est suivie, vite résolutive mais suffisamment douloureuse pour que, cette fois-ci,
confrontée à une nouvelle tromperie, elle décide de ne pas se laisser aller à la souffrance
psychique. Elle réprime donc tout sentiment de tristesse et de désespoir, toute haine,
toute rancœur, mais s’acharne à maîtriser le coupable. Elle va même l’aider à s’épanouir
dans sa nouvelle relation. La dépression est donc évitée, mais une polyarthrite chronique
rhumatoïde s’installe rapidement et de manière fulgurante. Toute l’agressivité réprimée
se condense dans les articulations. En quelques jours, Christine se transforme, selon ses
termes, « en petite vieille ». La polyarthrite « s’agrippe comme un lierre sur la façade
d’une maison ». Constantes biologiques perturbées. Corticothérapie.
Deux éléments plus ou moins intriqués seront repérés. Tout d’abord, une forte angoisse
de séparation. Née d’une mère célibataire et bafouée, Christine n’a pas connu son père. Sa
mère, abandonnique et dépressive, s’agrippait aussi à elle. Christine a introjecté l’angoisse
de séparation maternelle, et l’image floue de l’homme qui part et laisse l’autre, père
fantôme désiré et haï à la fois. Lorsque la mère était angoissée, Christine était « pétrifiée »
(on peut repérer ici une probable fixation psychosomatique motrice). À chaque étape de
sa vie qui réactivera l’angoisse d’abandon (pension, séparations, etc.), celle-ci se teintera
d’angoisse de destruction.
Les formations défensives qui s’étaient mises en place contre cette angoisse de sépara-
tion consistaient en un désir d’emprise et de maîtrise de l’objet. En contrôlant réelle-
ment ou fantasmatiquement l’objet, elle le gardait un peu ou avait l’illusion de le faire.
La répression de l’agressivité lui permettait par ailleurs de ne pas le faire fuir. Ce désir de
maîtrise avait pris naissance dans la relation précoce à sa mère (emprise réciproque), mais
aussi dans un mécanisme de défense contre l’angoisse de castration consistant à se rendre
fantasmatiquement maître du phallus. Un fantasme en témoigne : être attachée, soudée
à l’homme, au moyen de cordes autour d’un poteau, et ne faire qu’un seul corps.
Au bout de quelques semaines, les douleurs et l’inflammation s’atténuent. Christine
s’autonomise et découvre qu’elle existe en l’absence de son conjoint. Au bout de quelques
mois, je pense qu’elle est guérie. Pas de symptôme, reprise d’un poids normal, bien-être
général, examens biologiques normaux, traitement réduit au minimum. Les défenses
mentales et somatiques sont en place. Je suis satisfait, à telle enseigne que je programme
intérieurement un arrêt imminent de la psychothérapie. J’ignorais que la fine mouche,
par ses abandonniques antennes, était en train de percevoir ma velléité de séparation. Ce
moment correspondit avec le début de l’été et de mes vacances.
Un mois plus tard, je vis surgir un cadavre dans mon cabinet. Elle sortait de l’hôpital.
Phlébite, embolie pulmonaire, lupus. « On ne guérit pas d’un lupus, Madame, vous devez
pendre un traitement anticoagulant à vie… » Le verdict médical était sans appel.
Cette fois-ci, je me trouvais devant une désorganisation progressive. La psychothé-
rapie reprit ainsi que l’amélioration, lente, progressive mais continue. Au bout d’un an,
Christine allait bien, les examens biologiques s’étaient normalisés. Les médecins de l’hôpi-
tal étaient perplexes. Ce n’est pas classique dans l’évolution d’un lupus. Échaudé par la
première expérience, je programmai un arrêt très progressif de la psychothérapie. J’ai
195
Traité de médecine psychosomatique
recontacté la patiente dix ans après la fin de celle-ci, alors que je préparais un séminaire
sur les maladies auto-immunes. Elle vint au cabinet me faire part de son état : elle allait
très bien, ne présentait plus aucun signe clinique, les stigmates biologiques du lupus
avaient totalement disparu sur les examens successifs qu’elle me présenta, elle ne prenait
plus aucun traitement depuis ces dix dernières années.
La polyarthrite était le fait d’une régression, le lupus, d’une désorganisation. La levée
trop précoce de la défense somatique que représentait la régression était responsable de
cette dernière.
196
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
La maladie est constituée. Elle évolue souvent depuis plusieurs années. Elle a changé
la vie du sujet, son corps, son psychisme, son système défensif, son comportement. Nous
aborderons cette dimension cruciale de la médecine dans la quatrième partie de ce livre.
Mais déjà, nous pouvons considérer, à la lumière de ce qui a été dit, combien la médecine
se prive d’un champ d’investigation particulièrement riche et opérant.
Si le repérage et le traitement du désordre économique ne pose pas trop de problème
pour un praticien formé à la psychosomatique, le repérage du déterminisme des cibles
somatiques est beaucoup plus complexe. Sa mise au jour implique une investigation
extrêmement approfondie qui ne peut se faire, contrairement à l’anamnèse associative,
en un seul entretien. Elle implique aussi l’acquisition d’un savoir concernant des éléments
cruciaux de médecine, de psychanalyse, de biologie, de physiologie comparée, etc. Ici
commence le travail du psychosomaticien.
Si, dans certains cas, le déterminisme de la cible somatique est aisément compréhen-
sible, dans d’autres cas les mécanismes qui la révèlent demeurent mystérieux. Depuis plus
de trente ans, nous essayons de découvrir ces terres inconnues, qui se refusent souvent
à donner leurs secrets. Dans un nombre conséquent de pathologies, nos recherches ont
permis d’apporter des réponses dont la clinique confirme la validité. Reste tout un champ
à découvrir, constitué de simples hypothèses ou de pistes de recherche que les données
actuelles ne permettent pas de confirmer. Face à l’étendue et la complexité de ce champ,
aux difficultés qu’il soulève, nous sommes stupéfaits et admiratifs mais aussi dubitatifs,
circonspects et – il faut le dire – inquiets, de constater à quel point certains praticiens,
médecins ou non, arrivent en l’espace d’une seule consultation à décrypter le pourquoi
et le comment de la cible somatique. Nous pensons plus particulièrement au « décodage
biologique » qui fait fureur dans les cabinets de certains praticiens. Décryptage révolu-
tionnaire ou simple « déconnage biologique», héritier direct du « déconnage psycholo-
gique » que constitue l’interprétation sauvage qui, elle, sévit depuis plusieurs décennies.
Certains décodent et d’autres encodent. L’encodage n’est pas, contrairement au
premier, l’apanage de la psychothérapie ou de la médecine sauvages. Bien au contraire, il
constitue le support nosographique de la médecine et de la psychiatrie officielle, celui des
classifications internationales qui ont vu le jour il y a quelques décennies.
À titre d’illustration, faisons référence à la Classification internationale des maladies
(CIM) qui a introduit une entité pour le moins curieuse, regroupant tout ce qui n’est pas
quantifiable dans la nosographie et qui inclut des troubles somatiques flirtant avec le
psychisme, et dont le titre même est un non-sens : les « Troubles somatoformes ».
Leur définition est la suivante : « Symptômes physiques associés à une quête médicale
insistante, persistant en dépit de bilans négatifs répétés et de déclarations faites par les
médecins selon lesquelles les symptômes n’ont aucune base organique. D’autre part, s’il
197
Traité de médecine psychosomatique
198
Conclusion de la première partie
Ne pas tenir compte de ces éléments accentue les troubles, la plainte, la consommation
et le nomadisme médical. Les causes de ces dérives, retenues par la CPAM de la Vienne
en 1998, ont été : l’absence de coordination des soins et l’insuffisance de formation des
médecins à l’écoute et à l’aide psychologique des patients. Hélas, la grande majorité des
formations à l’écoute et à l’aide psychologique des patients est devenue inepte, se limitant
à l’apprentissage de techniques triviales de communication, et n’a pas d’autre effet que
de donner l’illusion aux praticiens concernés de détenir un savoir et une technique appli-
cables en tout lieu et chez tout patient, en ignorant tout du sujet et de son histoire, et à
terme de clôturer sans autre forme de procès toute remise en cause, toute interrogation,
toute curiosité, toute recherche.
Citons A. Moreau, P. Girier, S. Figon, M.-F. Le Goaziou : « Les médecins considèrent que
les données à connaître concernant ces patients afin de comprendre et traiter les troubles
somatoformes sont : l’histoire du patient (88%), le contexte de vie (84%), la personna-
lité du patient (64%), l’évolution dans le temps (61%), les données biomédicales (56%),
les émotions et le vécu (49%), les représentations et les croyances (36%). » (Symptômes
biomédicalement inexpliqués.) Nous partageons le point de vue de ces auteurs.
D’un point de vue pratique, les conditions optimales permettant de remédier aux
difficultés soulevées nous paraissent être les suivantes :
––coordination des soins orchestrée par le seul médecin généraliste,
––examen clinique traditionnel méticuleux,
––formation minimale à la psychosomatique. Elle permet de mieux comprendre et de
mieux traiter les troubles dits « somatoformes » mais aussi les maladies organiques
clairement authentifiées. Elle établit une relation apaisée et opérante entre sujet
malade et sujet soignant, et leur restitue leur identité respective. En l’absence de
formation de ce type, le recours à des supervisions de situations cliniques constitue la
moins mauvaise solution.
199
Deuxième partie
LES TRAUMATISMES
Chapitre 9
1. INTRODUCTION
Les traumatismes jalonnent l’existence des sujets : simples difficultés, désordres existen-
tiels passagers, déboires plus conséquents, situations de souffrance récurrentes, boulever-
sements majeurs, si ce n’est traumatismes cataclysmiques. Aucun sujet n’est à l’abri, fût-il
le mieux équipé du monde d’un point de vue défensif. La vie est ainsi faite, et il semblerait
que l’idéologie de la maîtrise en toute chose, en tout lieu et par tout temps, de la techni-
cité prometteuse, de la prévention, du risque zéro, n’ait pas baissé d’un iota les avatars
existentiels. Ils ne sont plus les mêmes, ils se sont déplacés, ils ont changé d’apparence et
de nature, mais sont toujours au rendez-vous. Chaque système idéologique a rêvé d’un
monde meilleur et outrepassé le rêve en mettant tout en œuvre pour l’instituer réalité.
Dans la première partie de ce livre, nous avons insisté sur le rôle central que jouent
les traumatismes existentiels dans la genèse des maladies. Condition nécessaire et
non suffisante, le traumatisme met le feu aux poudres et révèle la fragilité du système
défensif. Nous avons évoqué la nature des vécus traumatiques, éminemment différents
d’un sujet à l’autre, selon leur organisation psychique et leurs antécédents. Nous avons
traité de la réactivité traumatique qui affecte un ou plusieurs vecteurs de la fonction
psychosomatique et qui se manifeste, selon les cas, par la poursuite du combat, l’immo-
bilisation défensive ou la défaite. À ce stade de notre parcours, entrer dans le vif du sujet
s’impose. C’est donc un approfondissement concernant la nature et le sens de certains
facteurs traumatiques que nous allons engager.
Le schéma des sept secteurs existentiels nous invite à mieux les connaître, car chacun
d’eux peut être l’objet d’attaque traumatique. Les secteurs préservés constituent d’autant
plus des facteurs de résilience et d’étayage. Cette exploration des secteurs existentiels nous
a amené depuis quinze ans à intégrer dans notre enseignement des séminaires consacrés
à certains d’entre eux. Nous avons ainsi traité des syndromes psychotraumatiques, des
passions amoureuses, de la vie sexuelle, de la sublimation, de la maternité, de la famille,
de la vie professionnelle. Cette deuxième partie rassemble les textes support de l’ensei-
gnement au cours de ces séminaires, à l’exception de la vie sexuelle. Pourquoi cette exclu-
sion ? Pour trois raisons de nature différente. La première est que la connaissance de la
vie sexuelle, aussi bien dans sa dimension réelle que fantasmatique, est d’une impor-
tance capitale dans la connaissance du sujet, et que nous lui avons ainsi consacré un
temps de recherche, d’enseignement et de soin conséquent au sein de notre pratique, qui
impliquait la rédaction d’un ouvrage entier à venir. Raison donc purement opératoire.
La deuxième est que les avatars de la vie sexuelle dans sa dimension réelle, hormis bien
sûr les traumatismes majeurs que nous évoquerons plus loin, constituent rarement des
sources de somatisation : ce qui génère la pathologie, c’est la vie sexuelle fantasmatique
et nous n’hésiterons pas à y faire référence au travers des cas cliniques que nous présen-
203
Traité de médecine psychosomatique
terons. Troisième raison : les avatars de la vie sexuelle fantasmatique génèrent plus des
troubles névrotiques que des somatisations.
Syndromes psychotraumatiques, passions amoureuses, sexualité, maternité, famille,
vie professionnelle, sublimations, nous n’avons pas fait le tour de notre schéma en forme
de pâquerette des secteurs existentiels potentiellement objets de traumatismes. Que
reste-t-il ? La vie sociale et les liens amicaux, la sublimation et la spiritualité, la santé, le
contexte matériel.
Lorsque des traumatismes dilacèrent les liens amicaux, les désordres pathologiques ne
surgissent que si d’autres secteurs sont affectés. Les avatars de la vie sociale et les priva-
tions d’activités hédoniques seront évoqués lorsque nous ferons référence aux vécus de
castration. La vie spirituelle, quant à elle, constitue un secteur plus trophique que trauma-
tique, elle sera évoquée dans la quatrième partie lorsque nous traiterons des événements
trophiques (p. 743). Les traumatismes médicaux et les réactions à la maladie seront
traités dans la quatrième partie du livre, au chapitre « Réactions à la maladie » (p. 655).
Quant au contexte de la vie matérielle, c’est une évidence pour tous, il constitue un
facteur de fragilisation traumatique et mérite que nous l’évoquions brièvement dans
cette introduction.
La vie matérielle est ce à quoi on ne peut échapper. Il faut certes travailler pour gagner
sa vie, encore que l’évolution sociétale de ces dernières décennies ne pose plus ceci comme
condition nécessaire. Il faut avoir un logis suffisamment accueillant pour se retrouver,
s’abriter, un minimum de temps pour se détendre ou s’évader, ou tout simplement ne pas
être dépendant ou exclu, un minimum de tranquillité pour récupérer. Au-delà règnent
envie, prédation, toute puissance et, à terme, insatisfaction. Minimum requis donc qui,
en son absence, fragilise le sujet, le met sous tension et constitue, lorsqu’un réel trauma-
tisme surgit, un facteur de fragilisation. Minimum requis qui définit ce que peuvent être
les nuisances, petits facteurs traumatiques en continu, mais qui usent, laminent, affaiblis-
sent, épuisent le système défensif, le sujet finissant par n’en avoir plus conscience. Tout
un chacun pourrait exposer ce qu’il en est des déboires matériels. Quant au psychiatre, il
n’est pas plus armé pour les résoudre.
Ce petit survol de certains secteurs existentiel n’ayant pas fait l’objet d’un développe-
ment exhaustif au sein de notre étude, nous autorise maintenant à aborder les différents
types de traumatismes à partir de notre classification. En fin de chapitre, nous nous attar-
derons à titre d’illustration sur deux situations fréquentes et particulièrement prégnantes
du point de vue de la violence qui les caractérise, le harcèlement moral et les syndromes
psychotraumatiques.
plus peut-on agir sur la culpabilité, lorsque celle-ci devient immuable et extensive, déter-
minée le plus souvent par le fonctionnement psychique du sujet qui préexistait de toute
façon à la perte. Hormis ces situations qui attestent d’un deuil pathologique, la culpabilité
induite par la perte, qui alterne volontiers avec sa projection, est un phénomène normal,
une modalité défensive parmi tant d’autres.
Les vécus de castration
L’angoisse ou le vécu de castration sont réactivés à chaque fois que la perte ou la
menace de perte concerne un objet de jouissance, le terme jouissance ne se limitant pas
à une dimension de plaisir mais devant être étendu à son acception notariale : jouissance
d’un bien propre. Bref, tout ce dont je jouissais et dont j’ai été dépossédé ou dont je suis
menacé de l’être.
Perte d’une fonction corporelle ou de l’image du corps
Toute altération ou toute perte d’une fonction corporelle ou psychique, accidentelle
ou liée à une maladie, au vieillissement ou à une intervention chirurgicale mutilante,
réactive un vécu de castration lorsque le nouvel état constitue une perte par rapport à
l’état antérieur.
• Atteintes de la sphère abdominopelvienne (appareil génital, digestif, urinaire), accou-
chements, césariennes, interruptions de grossesse, interventions chirurgicales mutilantes.
• Atteinte des parties du corps connotées d’une représentation phallique (doigts,
mains, membres supérieurs, membres inférieurs, cheveux, nez) ou participant à la
fonction scopique (atteinte oculaire).
• Chirurgie mutilante au niveau de tout organe (amygdales, vésicule biliaire, etc.).
• Atteinte de toute fonction impliquée dans l’accession à une dimension hédonique :
fonction motrice, sensitive, sensorielle.
• Atteinte de l’image du corps : altération physique, puberté, accouchement,
ménopause, vieillissement.
Privations de modalités antérieures de jouissance
• Privations d’activités hédoniques ou fortement investies : ne plus pouvoir faire du
sport, jouer du piano, avoir des relations sexuelles…
• Perte de liberté (incarcérations, privations, vécus d’emprise ou de contrôle).
Blessures narcissiques
• Perte d’un rôle important, d’une fonction très investie, d’une reconnaissance sociale.
• Destitutions, rejet, trahisons, tromperies, ruptures, échec sexuel.
• Échecs personnels ou professionnels, retraite, perte d’emploi, chômage, invalidité,
rétrogradation professionnelle.
Perte d’un objet phallique matériel fortement investi
• Moto, quad, voiture, vêtements.
3-2. Les agressions
Les stimuli agressifs continus font partie de la vie quotidienne de l’homme postmoderne.
Celui-ci finit souvent par ne plus en avoir conscience. Nuisances (toxiques, atmosphères
polluées), visuelles (publicités, télévision, internet), sonores (bruits routiers, industriels,
de voisinage, fonds musicaux, bips, sirènes), sollicitations multiples dispersant l’attention
(tâches interrompues, dérangements téléphoniques), etc.
L’intensité traumatique devient patente avec les agressions verbales, dont les formes
sont diverses : propos humiliants, rejetants, dévalorisants, injures, menaces, diffamation.
D’autres paroles ont un effet potentiellement traumatique alors qu’elles n’étaient pas a
priori l’objet de mauvaises intentions. Il en est ainsi des paroles médicales pathogènes,
diagnostiques ou pronostiques.
À un stade traumatique supérieur se situent les traumatismes violents : maltraitance,
agressions physiques, accidents, situations d’enfermement, cambriolages, viols, etc.
Lorsqu’elles sont majeures, inattendues, les agressions sidèrent et démunissent le sujet
de toute possibilité défensive. Elles entrent dans le cadre du syndrome psychotraumatique
que nous allons aborder plus loin (p. 214).
plus heureux car ce qu’il croyait obtenir par la soumission ne répondra jamais à son désir
profond. Il en va ainsi des couples qui se déchirent, se torturent, se lamentent, se haïssent
secrètement, mais dont la longévité est assurée à la fois par l’attachement et les résidus
de règles internes à la vie familiale, mais aussi, plus souvent qu’on le croit, par la guerre
intestine elle-même qui les unit dans la désunion. Il en va aussi de la résignation qui a
permis à tant d’hommes et de femmes de travailler pour gagner leur pain tout au long des
siècles. Dans tous ces cas, la souffrance est au rendez-vous mais ponctuée de moments
de bien-être, de satisfaction, si ce n’est de joie. Dominance, soumission, souffrance, mais
jamais destructivité. L’épouse obsessionnelle, le conjoint tyrannique, la mère abusive, le
patron intraitable, sont autant de sujets potentiellement persécuteurs mais qui, à un
moment donné, peuvent faire amende honorable, s’apitoyer, s’attendrir devant le désar-
roi de l’autre, faire preuve de générosité, d’humanité et surtout de culpabilité.
Le harcèlement moral qui nous concerne ici est caractérisé, quant à lui, par la destruc-
tivité et l’absence totale de culpabilité chez celui qui en est l’auteur.
Les différentes formes d’agressivité, chez l’animal, sont l’agressivité prédatrice, l’agres-
sivité défensive, l’agressivité compétitive (territoire, sexualité, hiérarchie). La destructivité
est le propre de l’homme. Détruire pour détruire, jouir de détruire, se nourrir de cette
destruction est le propre de certains d’entre eux.
Quant à l’absence de culpabilité, si on la retrouve dans certaines entités nosographiques
précises (paranoïa, psychopathies, perversions), mais aussi chez certains sujets normosés
postmodernes assujettis à la règle du jeu social, elle prend une dimension redoutable
chez le harceleur moral.
Le harcèlement moral est surtout le fait de sujets pervers narcissiques et plus rarement
de sujets paranoïaques.
La personnalité narcissique
• Narcissisme et mégalomanie. Hypertrophie de l’estime de soi, sentiment d’être
spécial et unique, surestimation de ses propres capacités et réalisations, confiance en soi
sans limite, vanité.
• Absence d’autocritique. Ces sujets, volontiers moralisateurs et hautains, ne se
remettent jamais en cause, donnent des leçons de probité aux autres, dénoncent la
malveillance humaine, critiquent tout et tout le monde. Même s’ils ne disent rien, l’autre
se sent pris en faute.
• Désir de pouvoir. Soif de succès, hyperactivité audacieuse, ambition démesurée,
conduites et comportements grandioses.
• Séduction. Besoin excessif d’être admiré et de séduire. Ils étalent l’intégralité de leurs
atouts, ce qui peut les rendre séduisants et brillants.
• Envie. Ces sujets envient les autres et sont persuadés que les autres les envient.
209
Traité de médecine psychosomatique
La perversion morale
• Déni de l’existence de l’autre. Manque de reconnaissance de l’autre, d’intérêt à son
égard, d’empathie, d’écoute. Les besoins de l’autre sont niés. L’autre n’existe qu’en tant que
miroir ou faire-valoir.
• Domination. Le pervers narcissique considère que tout lui est dû. La satisfaction de
ses désirs, besoins et projets, se fait au détriment des autres qui vont être manipulés,
instrumentalisés, utilisés et exploités.
• Insensibilité. Absence de réactions dépressives lors de la perte d’objet, remplacées par
le ressentiment, la colère ou le désir de revanche.
• Absence de culpabilité
4-3. La victime
La victime est victime du simple fait qu’elle a été désignée par le pervers. Ainsi, le
sujet victime peut être tout à fait exempt de prédisposition au harcèlement. Dans ses
antécédents, on ne note rien de particulier. C’est la situation traumatique qui va générer
la souffrance.
Le pervers évite bien sûr les paranoïaques et les autres pervers narcissiques.
Certains traits de personnalité attirent toutefois le prédateur :
1) les victimes de choix sont des sujets pleins de vie, des proies succulentes ;
2) leur idéal du moi est central : conscience morale, souci de bien faire, acceptation
de rôles difficiles, désir de faire plaisir à l’autre, écoute de l’autre, générosité, adaptabilité ;
3) il peut exister des failles que le pervers aura repérées. Ce sont :
210
Nature des traumatismes
Acte 1. La séduction
Le pervers attire la future victime, selon les cas :
––du fait qu’il stimule et flatte l’idéal du moi de cette dernière ;
––par son côté très gentil ou très rassurant ;
––parce qu’il est séduisant, étale ses atouts ;
––par la dureté qu’il affiche, ses certitudes qui viennent combler un vide chez celui qui
doute ;
––parce qu’il se montre malheureux, en demande de soutien. « Avec moi, il va
changer… » pense naïvement la future victime ;
––parce qu’il fait miroiter monts et merveilles.
Au début, la future victime est satisfaite de la relation. Elle est sous le charme.
Acte 2. L’influence
Le pervers amène l’autre à fonctionner selon ses désirs. Le but est de lui ôter son
système défensif et son autonomie sans qu’il s’en aperçoive. Il s’agit d’isoler l’objet, de
l’anesthésier, de le paralyser, de le curariser, de l’hypnotiser, de le rendre dépendant.
La victime ne voit pas qu’elle est manipulée. Elle ne repérera les indices de la manipu-
lation que bien plus tard.
211
Traité de médecine psychosomatique
Acte 3. L’emprise
La victime prend conscience de son assujettissement et de la tension qui s’est installée.
Pour le pervers, le but est d’empêcher l’autre de penser, de résister, de discuter, de
s’exprimer. Faire accepter par la conviction l’exigence de soumission, endoctriner, dépos-
séder, laver le cerveau, marquer une empreinte.
Le sujet n’a plus aucune autonomie de pensée, celle-ci doit dupliquer celle de son
agresseur. « Les victimes décrivent toutes une difficulté à se concentrer sur une activité
lorsque leur persécuteur est à proximité… Ce dont elles se plaignent, à ce stade, c’est
d’être étouffées, de ne rien pouvoir faire seules. Elles décrivent la sensation de n’avoir pas
d’espace de pensée. » (Ibid.) « Elles obéissent d’abord pour faire plaisir à leur partenaire ou
pour le réparer puisqu’il a l’air malheureux. Plus tard elles obéissent parce qu’elles auront
peur. » (Ibid.)
La victime évite le conflit et opte pour le compromis. Elle se soumet tout en ayant
conscience du caractère anormal de la situation : « Il est ignoble, oui, mais il est doué et il
a bon fond. » Cette acceptation est le début de la descente aux enfers : accentuation de la
soumission chez la victime, accentuation de la domination sans limite chez l’oppresseur.
La victime renonce à ce qui fait son identité. Elle perd toute valeur à ses propres yeux mais
aussi aux yeux de son agresseur.
Les procédés utilisés par le pervers narcissique
L’esquive
Le pervers esquive, ne répond pas directement aux questions, le but étant d’empêcher
l’autre de penser. Le regard du pervers face à sa cible est fuyant ou bien les yeux papil-
lonnent.
Réponses à côté. Messages obscurs à décrypter qui déstabilisent l’autre. Langage
parfois abstrait et dogmatique afin que l’autre n’y comprenne rien, donnant l’impres-
sion d’une connaissance élevée, inatteignable. « Quand ils ne parlent pas on leur prête
grandeur ou sagesse. » (Ibid.)
Messages paradoxaux
• Contradictions. Discours contradictoires. Le but est d’attaquer l’objet sans le perdre.
Double contrainte : quelque chose est dit au niveau verbal et le contraire est exprimé
au niveau non verbal. Message explicite et sous-entendu. Décalage entre ton et paroles.
Capacité à soutenir un point de vue et à défendre les idées inverses le lendemain. L’autre
ne sait plus où il en est.
• Mensonge. Mensonge par omission ou réponses par une attaque. Le but est d’avoir
le dessus dans l’échange verbal. Comme le paranoïaque, le pervers a toujours raison. Le
vrai mensonge, lui, n’apparaît qu’au moment de la phase de destruction, mensonge qui
nie l’évidence.
L’expression affective
• Soit absence d’émotion : ton froid, calme, qui glace et déclenche la peur. Faire ressen-
tir de la tension ou de l’hostilité sans rien dire. Hostilité froide que l’oppresseur nie si on le
lui fait remarquer. La victime se fait alors traiter de paranoïaque.
• Soit masque de douceur et de bienveillance. Obséquiosité.
212
Nature des traumatismes
Disqualification de l’autre
• Dérision, mépris et humiliation.
• Raillerie sur les convictions de la victime, ses choix, ses goûts, ses points faibles. Ridicu-
lisation et dénigrement en public. « Pour avoir la tête hors de l’eau le pervers a besoin
d’enfoncer l’autre. Pour cela il procède par petites touches déstabilisantes, de préférence
en public, à partir d’une chose anodine parfois intime décrite avec exagération, prenant
parfois un allié dans l’assemblée… Il n’est pas rare que l’agresseur demande aux regards
alentour de participer, bon gré, mal gré, à son entreprise de démolition. » (Ibid.)
• Déni de l’identité de l’autre. Dire à l’autre qu’il ne vaut rien jusqu’à ce qu’il en soit
persuadé. Pour peu que chez l’autre existe une petite fragilité identitaire, ça marche.
« Sans moi, tu n’es rien. » L’autre finit par le croire et finit effectivement par n’être plus
rien. Extension au monde de l’autre : « Tes amis ne valent rien. »
• Cette disqualification est souvent sous-tendue par l’envie : ce qu’a l’autre (et qui fait
envie) ne vaut rien, ce qu’il est, ce qu’il fait, est méprisable. La victime finit parfois par
adhérer aux paroles.
Prise de pouvoir absolu
• Donner l’impression de savoir, de détenir la vérité. Le discours est totalisant, énonçant
des propositions qui font figure de loi universelle. Il sait. Il a raison. Proximité avec le
discours paranoïaque. Fonctionnement totalitaire fondé sur la peur.
• Diviser pour mieux régner. Monter les uns contre les autres, créer des rivalités.
Acte 4. La violence
La phase de violence du pervers est en fait une décompensation paranoïaque car, cette
fois-ci, l’agresseur se sent menacé : l’objet qui s’oppose à l’emprise doit être détruit parce
qu’il est dangereux. La dérobade de l’autre génère une angoisse pré-psychotique. Comme
chez le paranoïaque, apparaissent des idées de préjudice ou de persécution, liées à la
projection du sentiment haineux sur l’objet.
Les expressions de la violence
• La haine. L’envie se transforme en haine. Elle apparaît dans le regard.
• Le déchaînement. L’agresseur, percevant que l’objet lui échappe, se déchaîne. Il
faut faire taire la victime. Violence froide, verbale (sous-entendus, non-dits), menaces
indirectes et voilées.
• Agression à perpétuité. Caractère lancinant et répétitif des agressions. L’agresseur ne
veut pas se faire oublier. Lorsqu’un pervers a désigné une proie, il ne la lâche plus.
• La violence perverse ne laisse aucune trace exploitable. Le pervers feint la surprise
lorsqu’on lui reproche quelque chose.
• Pousser l’autre à la faute. Le pervers pousse l’autre à agir contre lui pour ainsi le dénon-
cer comme coupable. Pousser l’autre à la crise de nerfs ou à l’acte impulsif afin de le faire
passer pour un malade ou un psychopathe, le corrompre et le rendre mauvais.
Les réactions de la victime
• Soumission. Le plus souvent, la victime se tait, ne réagit pas, subit l’agression car elle
tient encore à l’objet ou à sa fonction.
213
Traité de médecine psychosomatique
214
Nature des traumatismes
215
Traité de médecine psychosomatique
Les agressions
Ce sont les causes les plus fréquentes de SPT.
––Agressions physiques chez soi ou dans les lieux publics (rues, routes, banques,
moyens de transports).
––Viols et agressions sexuelles.
––Faits de guerre.
––Terrorisme, attentats, prises d’otage.
Les accidents
––Accidents individuels ou collectifs.
––Catastrophes naturelles ou technologiques.
Les pertes
––Deuils traumatiques : mort inattendue, suicide d’un proche (parent, enfant, conjoint).
––Pertes matérielles majeures : incendie, cambriolage.
ÉTUDE DE L’EMP
J’ai réalisé une étude à partir de vingt-huit observations de patients venus consulter
entre 1994 et 2011 et présentant un syndrome psychotraumatique.
Les actes agressifs délictueux ou criminels représentent 79% des cas.
Viols : 15%
Cambriolages : 14%
Deuils : 7%
caisse tandis que je levais les mains en disant : “On se calme !” J’ai ouvert le tiroir-caisse et
j’en ai profité pour faire le tour du comptoir dans l’espoir de m’échapper pendant qu’il se
servirait. Il a bloqué le passage et m’a posé la lame du couteau sur le cou pour m’obliger
à le servir. Je lui ai remis les trois billets de vingt euros qui restaient dans la caisse car nous
l’avions vidée le matin même. J’étais désespérée qu’il y ait si peu car je me suis dit que
cela allait le mettre en colère. Il m’a effectivement attrapée par les cheveux et jetée par
terre. Puis il m’a regardée et la seule pensée que j’ai pu avoir a été : “Mon Dieu, il va me
tuer. Faites qu’il ne me viole pas.” Il m’a alors donné un coup de pied en bas de la gorge.
Je pense que j’ai eu très mal et que ce coup m’a coupé le souffle mais je ne me rappelle
pas du tout de la sensation. Seules demeurent mes pensées sur la mort et le viol. Il a fait
demi-tour et il est parti. Je ne l’ai pas quitté des yeux. Avec le recul, je me fais l’effet d’un
animal qui n’a qu’une idée en tête : s’enfuir pour se sauver et utiliser tous ses sens pour
tenter de s’en tirer. C’est probablement pour ça que le moindre détail de ses gestes est
resté gravé dans ma mémoire comme si c’était hier. Je me suis levée et je suis sortie dans
la rue en courant. J’ai alors eu un moment d’hésitation et je me rappelle avoir pensé que
je ne pouvais pas m’enfuir en laissant la boutique ouverte parce qu’on risquait de nous
voler. En même temps, mes jambes avançaient toutes seules et une autre partie de mon
cerveau répétait : “Il va revenir, il va revenir.” Ces deux pensées contradictoires fonction-
naient en même temps. Le temps du braquage a probablement été très court mais il m’a
paru durer très longtemps.
Je me suis précipitée chez le coiffeur que je connaissais, face à la boutique, et j’ai dit : “Je
viens de me faire braquer !” Il n’y a que lorsque j’ai eu prononcé ces mots que j’ai fondu en
larmes et que mes jambes ont cédé sous moi. Contrairement au braquage en lui-même,
tout ce qui s’est passé après est assez confus. Je sais que la femme du coiffeur m’a ramenée
au magasin et que j’ai fait une crise de tétanie. Je me rappelle juste que je ne contrôlais
pas les sons qui sortaient de ma gorge, comme des grognements. Il y avait beaucoup
d’agitation autour de moi, mais j’étais absolument confuse. La police est arrivée et elle
a annoncé qu’elle avait attrapé le braqueur. Des amis m’ont immédiatement amenée au
commissariat où un inspecteur m’a fait reconnaître l’homme derrière un miroir sans tain.
On m’a expliqué qu’il était allé se réfugier au palais de justice et qu’ayant gardé le couteau
sur lui, il avait fait sonner en passant sous le portique de sécurité. Je me rappelle de la
bienveillance et du calme des policiers ainsi que de ma déposition. Ensuite, je suis allée
chez mon médecin qui m’a prescrit des tranquillisants et un somnifère.
À partir du lendemain, j’ai 48 h de “trou”. Je me suis donc retrouvée seule et suis
incapable de me souvenir de quoi que ce soit de ces deux journées. Ma mère, qui était
passée me voir quelques heures, m’a dit que je parlais normalement, que je racontais ce
qui s’était passé très calmement et que j’avais fait beaucoup de ménage. Je n’en ai, pour
ma part, aucun souvenir.
Les souvenirs reviennent à partir du moment où j’ai recommencé à sortir de chez moi.
Je n’avais pas repris le travail mais on m’avait convaincue de retourner danser et de voir
du monde. J’ai alors passé quinze jours comme un zombie. Je me sentais dans un état
de vulnérabilité profonde. Je devenais paranoïaque : dans la rue, j’avais l’impression que
toute personne pouvait être potentiellement agressive et je devais réprimer mon désir
de courir me cacher. J’ai alors cessé de sortir seule. Durant toute cette période, je me
suis sentie très fragile et incapable de m’investir dans quoi que ce soit. Je ne pouvais pas
217
Traité de médecine psychosomatique
me projeter, même à court terme. Je ne ressentais plus aucun désir et plus aucun plaisir.
Il n’y avait pas non plus de ressenti de déplaisir, ni d’émotion particulière, mis à part le
sentiment de vulnérabilité et la peur qui m’assaillait régulièrement. Soit tout me laissait
indifférente et je ne faisais que fonctionner au ralenti suivant un mode opératoire, soit
j’étais envahie par des flash-back de la scène du braquage qui me prenaient par surprise
et que je m’efforçais de chasser. Mes pensées et mes sentiments s’étaient restreints au
strict minimum et demeuraient un peu “cotonneux”, sauf lors des flash-back. Au cours de
plusieurs d’entre eux, je me souviens avoir eu la nausée. Je me sentais absolument seule,
qu’il y eût des personnes présentes ou pas.
Mon père, qui est un professionnel du soin, a alors pris le parti de me secouer. Je ne me
rappelle ni le sujet ni la forme qu’a pris cette altercation mais j’ai fondu en larmes. Je lui ai
hurlé de me laisser tranquille. C’est seulement à partir de ce moment que les émotions et
les sentiments ont commencé à revenir. J’ai recommencé à me sentir plus vivante durant
les quinze jours suivants bien que je me sois mise à rêver de l’événement régulièrement.
Au début, les rêves étaient une copie exacte de ce qui s’était passé et me réveillaient. Ils
ont cependant changé de forme avec le temps et se sont espacés. Ils sont devenus plus
“bizarres”, avec des éléments du braquage mais qui ne me réveillaient plus. Je me souviens
de l’un d’entre eux où je me cachais dans la vitrine qui faisait face au coiffeur chez qui je
m’étais réfugiée. Je savais que le braqueur allait surgir et, pour qu’il ne me voie pas, il fallait
que je monte un mur d’objets entre la vitre transparente et moi. Le braqueur arrivait et,
avec un sèche-cheveux, commençait à faire des trous dans la vitrine qui fondait. J’avais
peur, je prenais un couteau et je me rendais compte que c’était ma collègue qui était en
danger, pas moi...
Durant cette période, j’ai eu également un fort sentiment de culpabilité de ne pas
m’être défendue. Je m’imaginais des scénarios en me disant : “J’aurais pu…” C’est égale-
ment durant ce temps où les sentiments revenaient que j’ai accepté l’idée que c’était un
hasard. Il ne s’en était pas pris à moi parce que c’était moi mais parce que j’étais là. Cette
idée me laissait un sentiment ambivalent de soulagement qui se mêlait à une angoisse :
“Alors, ça peut se reproduire quoi que je fasse…”
J’ai accepté de retourner travailler mais je me suis sentie incapable de travailler seule
pendant les six mois qui ont suivi. J’ai peu à peu commencé à reprendre goût à mes activi-
tés quotidiennes, à rire, à retrouver mon fonctionnement habituel, mais, plusieurs fois, je
me suis précipitée malgré moi dans la réserve de la boutique si un homme que je jugeais
étrange pénétrait dans le magasin. Encore aujourd’hui, sept ans après, si je suis dans un
endroit et qu’un homme inconnu et qui ne m’inspire pas confiance y entre, je réprime un
désir de fuir, mon cœur se met à battre plus fort et je ressens une boule dans ma gorge.
À peu près au moment où j’ai repris le travail, le procès a eu lieu et j’ai décidé de ne pas
m’y rendre. Le braqueur était un SDF toxicomane qui en était à son septième braquage.
Il a été condamné à un an de prison ferme. Les rêves qui avaient disparu sont revenus au
moment de la période de sa libération ainsi que le sentiment d’insécurité et l’idée récur-
rente que je pourrais le croiser. L’intensité avait cependant nettement diminuée et ces
manifestations ont cessé au bout d’une semaine ou deux.
Aujourd’hui, ne perdurent qu’une boule à la gorge lorsque j’évoque l’événement avec
précision et l’instinct de fuir que j’ai évoqué précédemment si un élément me renvoie
inconsciemment à la situation. Je n’ai plus aucune autre manifestation. »
218
Nature des traumatismes
Je reçois Ophélie trois semaines après son agression en pleine ZUP, où elle effectuait
un stage de moniteur-éducateur. Trois jeunes et gentils sauvageons armés de couteaux
l’ont plaquée en plein jour contre un mur, lui ont arraché une partie de ses vêtements, lui
ont fait quelques entailles au visage et l’ont rouée de coups. État de choc, dissociation de
la conscience, hémiparésie du membre supérieur droit.
Durant la semaine qui a suivi son agression, Ophélie a présenté toutes les nuits des
cauchemars où des hommes avec des couteaux l’attaquaient. Elle voyait du sang partout
et se réveillait en sursaut.
Trois semaines après son agression, elle évite les lieux publics, ne supporte aucune
agression verbale, veut quitter la région. Elle présente des troubles de la mémoire et ne
dort pas. Les rêves où elle était agressée par des hommes avec des couteaux ont disparu
pour laisser place à des rêves mettant en scène des bureaux, des documents administra-
tifs, des fonctionnaires qui lui disent qu’elle a inventé l’histoire. Son accident de travail n’a
effectivement pas été reconnu.
La réaction d’effroi
Symptômes
La soudaineté et l’intensité du traumatisme déclenchent une réaction immédiate qui
peut durer de quelques minutes à quelques heures, sans dépasser deux jours.
Elle se manifeste le plus souvent par une attaque de panique de très forte intensité :
––soit état de sidération, de stupeur, de prostration, d’hébétude, d’indifférence au
monde extérieur, état qui peut rendre le sujet incapable de se soustraire au danger ;
––soit état d’agitation intense avec réactions comportementales inattendues : fuite,
parfois inadaptée (défenestration), si ce n’est impulsion suicidaire, ou encore hyperac-
tivité stérile, comportements automatiques, gestes stéréotypés.
Dans certains cas, peuvent surgir des manifestations névrotiques ou psychotiques
aiguës : crises histrioniques, syndrome confusionnel avec désorientation, syndrome
délirant, accès paranoïaques, comportements agressifs. L’organisation préalable de la
personnalité y joue un rôle probable.
Les manifestations somatiques sont quasi constantes et de l’ordre de l’angoisse (activa-
tion du système d’alarme du SGA) : hypertension, débâcle urinaire ou intestinale, phéno-
mènes myotensifs ou hypotoniques.
Dans les suites immédiates, des décharges émotionnelles sont fréquentes : pleurs,
réactions émotionnelles parfois discordantes (euphorie paradoxale).
Mécanismes
L’effraction traumatique
Le traumatisme agit comme s’il déchirait une enveloppe protectrice. La réaction
d’effroi atteste de l’effraction brutale et massive du système pare-excitation, c’est-à-dire
des capacités de contenance des afflux d’excitation venus du monde extérieur.
L’effroi est une panne psychique, un vide de représentation et d’affect. Il suspend le
jeu des représentations mentales, élimine toute capacité de distanciation et d’analyse et
prive le sujet de mots pour exprimer ce qu’il vit.
L’image traumatique n’est pas introjectée, elle est inoculée, incrustée, tel un corps
étranger, isolée des représentations antérieures, occupant une part de leur espace. Les
219
Traité de médecine psychosomatique
La période post-immédiate
Elle débute au décours de la phase d’effroi, dans les jours qui suivent, succédant parfois
à des décharges émotionnelles différées. Elle dure quelques jours ou quelques semaines,
sans dépasser un mois. Elle peut revêtir des aspects cliniques différents.
Formes expressives
• État d’hébétude, rétrécissement du champ de la conscience, émoussement percep-
tif pouvant générer des troubles de la mémoire de fixation, focalisation sur le souvenir
traumatique, efforts pour l’intégrer, se remémorer des détails, détachement du contexte
actuel.
• Manifestations anxieuses, état d’alerte, sentiment d’insécurité, réactions de sursaut,
difficultés d’endormissement, évitement.
• Humeur dépressive.
• Premières manifestations du syndrome de répétition qui peuvent disparaître ou
constituer l’instauration de celui-ci.
Cette phase annonce la fin du processus ou bien inaugure un syndrome post-
traumatique durable.
220
Nature des traumatismes
Formes suraiguës
Le syndrome acute stress disorder (« stress aigu », ASD), de durée brève (deux jours à un
mois), est caractérisé par la survenue rapide d’un syndrome de répétition, des réactions
d’évitement, et des éléments « dissociatifs » : torpeur, absence de réactivité, détachement
de l’environnement, impression d’être dans le brouillard, impression de déréalisation et de
dépersonnalisation, amnésie dissociative (incapacité à se souvenir d’un élément impor-
tant du traumatisme).
Formes latentes
Tout semble rentrer dans l’ordre après la phase d’effroi. La durée de cette phase de
latence est très variable : quelques jours, quelques semaines, quelques mois, si ce n’est
quelques années.
Les signes cliniques sont, ou plutôt paraissent absents. Mais une investigation appro-
fondie révèle souvent des manifestations cliniques mineures : attitude de retrait, modifi-
cations émotionnelles et thymiques de fond (perplexité anxieuse, euphorie paradoxale,
accès de tristesse), rumination.
La phase de latence semble correspondre à un réaménagement quiescent du système
défensif : restauration des mécanismes de défense ou mise en chantier de nouvelles
modalités défensives.
Dans ce temps de réorganisation, des mécanismes défensifs palliatifs peuvent entrer en
jeu : recours à un idéal, identification à une victime, désir de vengeance.
Il y a quatorze ans, Marlène, son mari et son fils étaient dans leur jardin quand
leur voisin leur a tiré des coups de fusil. Le fils aîné a été blessé, le mari a perdu la vue et
Marlène, enceinte de huit mois, a été hospitalisée sur le champ à la maternité. L’accouche-
ment a été immédiat tandis que le mari se faisait opérer et que le fils subissait des soins.
Un syndrome post-traumatique a perduré pendant trois ans, puis tout est rentré dans
l’ordre.
C’est quatorze ans après que Marlène vient me consulter dans les suites d’une mastec-
tomie et d’une reconstruction mammaire. Depuis l’intervention, elle présente des
troubles de la conscience, une anxiété majeure, des troubles de la mémoire de fixation,
des manifestations dépressives et des flash-back de l’agression.
Absence de phase post-immédiate
Il est des cas où le syndrome psychotraumatique durable s’installe d’emblée, au
décours de la phase d’effroi, sans phase post-immédiate.
Depuis, Bénédicte évite les endroits où il y a du monde. Les crises de larmes perdurent le
soir. Crainte incessante de rencontrer les braqueurs, peur quand on la regarde dans la rue.
Intolérance aux scènes violentes à la télévision. Angoisse. Striction cervicale. Sentiment
de persécution. Inhibition dépressive. Aggravation d’une instabilité vésicale antérieure.
Les rêves récurrents à ce jour sont les suivants : « Je suis poursuivie par quelqu’un,
j’entends les pas, ou bien je sens la présence de quelqu’un… Je revis le braquage. » Parfois,
ce sont des proches qui sont à la place des braqueurs.
À l’issue de la première séance, le sommeil s’améliora, les pleurs diminuèrent et les
rêves récurrents se transformèrent, mettant en scène des monstres qui la poursuivaient.
L’angoisse continua néanmoins à persister à la tombée de la nuit.
222
Nature des traumatismes
Émoussement affectif
• Incapacité à éprouver des sentiments de tendresse, retrait de la libido d’objet sur le
moi, sentiment de vide.
• Sentiment d’être étranger, incompris.
Détachement
• Désinvestissement du monde extérieur, désintérêt pour les personnes et les activités
habituellement investies.
• Anhédonie.
Émoussement instinctuel et psychomoteur
• Perte d’élan vital, d’initiative, réduction de l’activité.
• Asthénie physique, psychique, sexuelle.
Anxiété
• Anxiété non élaborée constante :
––hypervigilance, état d’alerte ;
––tension anxieuse, bouffées d’angoisse ;
––réactions de sursaut, hyperréflexivité ;
––difficultés d’endormissement, réveils nocturnes.
Hervé est vu quinze jours après son agression. Il est en arrêt de travail. En traversant
une ZUP, il a reçu un jet de pierres sur sa voiture. Une de ces pierres l’a blessé au niveau
de la face. Il est très angoissé, revit la scène dans ses cauchemars et se réveille en sursaut.
Tension anxieuse, hyperesthésie sensorielle, flash-back diurnes, évitement des lieux
publics, désintérêt, sentiment de vulnérabilité, repli sur soi. Extinction de la sexualité.
• Chez certains sujets, symptômes névrotiques attestant d’un remaniement par les forma-
tions défensives : rituels obsessionnels de protection, manifestations hypocondriaques,
crises hystériques.
223
Traité de médecine psychosomatique
Troubles somatiques
• De type dépression masquée : céphalées, algies diverses.
• Liés à la tension anxieuse : troubles neurovégétatifs, vertiges, diarrhées.
• De type conversionnel : troubles de la motricité et/ou de la sensibilité.
• Troubles sexuels.
• Somatisations : fréquence des dermatoses (pelade, psoriasis), désordres thyroïdiens,
diabète.
7. FORMES CLINIQUES
Situations extrêmes
Traumatismes sexuels et physiques répétés, torture, camps d’internement, de concen-
tration ou d’extermination.
Ces situations sont caractérisées par une inhibition volontaire de la pensée lors du
temps d’exposition, une blessure narcissique, des phénomènes de culpabilité ou de honte,
une hypersensibilité aux perceptions réactivant le traumatisme.
Syndrome de Stockholm
Il caractérise les prises d’otage. Ayant pour support une relation triangulée fantasma-
tique, il instaure une relation de sympathie à l’égard de l’agresseur et d’hostilité à l’égard
des services d’ordre. Il est favorisé par l’absence de brutalité et la durée de la séquestration.
Les journalistes peuvent renforcer cet attachement : « Ont-ils été gentils avec vous ? »
Il y a treize ans, Viviane était seule dans sa maison. « Un homme a sonné. Il était
plein de sang, il tremblait. Il voulait téléphoner. Il est rentré, a fermé la porte à clé, a
demandé les vêtements de mon mari, s’est changé. Dehors, des policiers avec des armes.
Sous la menace de son arme, il a exigé que je l’accompagne. Dont acte. Il s’est enfui après
m’avoir relâchée. Il n’a jamais été retrouvé. »
Dans les suites du traumatisme, sont apparus une très forte angoisse, des réveils
nocturnes sans ré-endormissement, des cauchemars récurrents dupliquant le trauma-
tisme, une anxiété persistante, des épisodes dipsomaniaques, une hypertension artérielle.
Viviane évita longtemps les bijouteries, les banques, la poste. Mais jamais elle n’exprima
de grief à l’encontre de son ravisseur.
Les disparitions
Les rituels de deuil sont absents et les proches demeurent dans l’attente, attente
souvent silencieuse, évitant de parler de l’absent.
Viols et agressions
Phénomènes d’amnésie de certains éléments du traumatisme (syndrome traumatique
limité souvent à une protoreprésentation, par exemple les yeux du violeur), déréalisation,
évitement, trouble identitaire.
Fréquence des résurgences à distance du traumatisme par mécanisme d’après-coup.
Édith a été violée à 6 ans. Elle a aujourd’hui 40 ans et me consulte pour des bouffées
d’angoisse apparues depuis qu’une hystérectomie a été programmée. Des rêves récur-
rents sont apparus depuis : elle est allongée, les jambes écartées, le médecin suture le
périnée dans les suites du viol.
Il y a cinq ans, Aude a été victime d’une agression sexuelle dans une rue du centre-
ville. Pénétration forcée avec les doigts, coups de poings, coups de pied, injures. Pendant
tout ce temps, elle était tétanisée, pensait qu’elle ne se défendait pas. Dans les suites
immédiates, vomissements, puis épisode de confusion mentale. Le lendemain, elle
fonctionne comme une automate. Chaque fois qu’elle ferme les yeux, elle revoit ceux de
l’agresseur. Puis longue période de phobie des lieux publics. Sexualité déficitaire pendant
de longs mois. Tout rentre dans l’ordre au bout d’un an.
225
Traité de médecine psychosomatique
Catastrophes nucléaires
Au syndrome psychosomatique, se surajoute une anxiété d’anticipation concernant
les potentiels effets retardés.
Cambriolages
Symptomatologie atténuée et plus rapidement régressive. L’immense majorité des sujets
victimes de cambriolage ne consulte d’ailleurs pas, du fait du caractère souvent résolutif
du syndrome et de l’habituation sociétale progressive à ce type de traumatisme, devenu
fréquent et donc considéré comme banal depuis les années 80 dans notre beau pays.
Mélanie, 26 ans, a été cambriolée il y a une semaine. Depuis, elle imagine la présence
de voleurs, évite son appartement, pleure, ne dort pas, a peur et présente un spasme
gastro-œsophagien.
Églantine a été cambriolée il y a cinq ans. Elle était dans sa maison avec son plus
jeune fils. Ils ont neutralisé les occupants, sans les violenter, et ont dit qu’ils reviendraient.
Deux ans après, ils sont revenus casser la porte. C’est à la suite de ça qu’elle rêve réguliè-
rement que les deux cambrioleurs viennent la tuer avec un pistolet.
Accidents de la circulation
La phobie de la voiture est quasi constante dans les suites d’un accident de la circula-
tion. Les tracas administratifs en relation avec les assurances et les procédures judiciaires
potentialisent l’effet traumatique de l’accident.
Inès a eu un accident de la circulation il y a quinze jours. Son fils a été légèrement
blessé. Dans les suites de l’accident, elle a été prise d’accès incontrôlés de pleurs pendant
24 h. Elle dort mal, rêve toutes les nuits de l’accident. Elle ne peut plus monter dans une
voiture.
Saïd, patron d’une petite entreprise de transport, a été percuté par un de ses
camions alors que lui-même était en voiture. Entorse cervicale. Il consulte quatre mois
après et présente des douleurs séquellaires, un état majeur d’angoisse, des symptômes
dépressifs et une peur en voiture. La dimension administrative et juridique est centrale : il
ne perçoit aucune indemnité au bout de huit mois.
Les douleurs persistant, il consulte deux neurochirurgiens qui ne relèvent pas d’indica-
tion opératoire, puis un troisième qui, brandissant l’image du fauteuil roulant, l’opère sur
le champ. Six mois après, les douleurs n’ont bien sûr pas changé d’un iota.
Les rêves récurrents évolueront par étapes successives depuis le début du trauma-
tisme : les premiers dupliquent l’accident, ensuite, au bout de quelques mois, ce n’est pas
lui qui conduit la voiture et, en dernier, ce sont des réminiscences d’accidents dont il a
été le témoin.
226
Nature des traumatismes
8. PHYSIOPATHOLOGIE DU SPT
Approches neuroendocriniennes
Il existe une spécificité biologique du PTSD, différente de celles de la dépression, de
l’anxiété et du syndrome général d’adaptation. Les approches neuroendocrinologiques
(R. Yehuda, 1997) révèlent :
––une augmentation de l’activité noradrénergique cérébrale responsable de l’inscrip-
tion mnésique anormale et excessive ;
––une réponse cortisolique précoce basse : diminution du cortisol par faible activité
de l’axe corticotrope, associée à une hypersensibilité des récepteurs aux corticoïdes ;
––dans certains cas, une hyperactivité de l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien :
augmentation de T3.
Approches neuroanatomiques
L’imagerie cérébrale révèle les éléments suivants :
1) hyperactivité de l’amygdale, centre récepteur des informations traumatiques ;
2) diminution de la taille de l’hippocampe ;
3) baisse d’activité dans l’aire de Broca, inductrice chez certains sujets d’une baisse de
la mémoire verbale ;
4) désactivation du cortex préfrontal médian (aire 25) et du gyrus temporal moyen
à l’évocation du traumatisme : faillite de l’inhibition des réponses de peur aux stimuli
associés au traumatisme.
Approches neurophysiologiques
Augmentation d’un sommeil paradoxal non réparateur à l’électroencéphalogramme.
227
Traité de médecine psychosomatique
Arguments neuroanatomiques
En dehors des formes rares débutant par un déficit instrumental sans altération de la
mémoire (sujet jeune, de 40 à 60 ans), la maladie d’Alzheimer débute en règle générale
par une atrophie hippocampique bilatérale responsable du syndrome amnésique qu’elle
précède (incapacité à former de nouvelles traces mnésiques). Ce n’est que secondaire-
ment que l’atteinte va diffuser vers le néocortex associatif.
Dans le PTSD (traumatisme brutal), on retrouve une diminution de la taille de l’hip-
pocampe à l’IRM. Cette atteinte diminue la mémoire déclarative. Au niveau de l’hippo-
campe, l’impact du traumatisme est habituellement confronté aux traces mnésiques
laissées par les vécus traumatiques antérieurs.
La phase d’adaptation du SGA (traumatisme étalé dans le temps), lorsqu’elle se
prolonge, ainsi que la phase d’épuisement qui en découle, se caractérisent, elles aussi,
par une altération du système limbique et une atrophie de l’hippocampe. Les récepteurs
hippocampiques aux glucocorticoïdes sont désensibilisés et diminuent. Le feed-back
négatif s’en trouve altéré. Les épines dendritiques de l’hippocampe régressent. Les capaci-
tés défensives des cellules de la couche CA3 à d’autres agressions diminuent, la plasticité
synaptique est altérée, aboutissant à terme à une mort neuronale. Des effets similaires au
niveau du cortex orbitofrontal finissent par se produire.
Arguments cliniques
Certains déficits cognitifs du PTSD se retrouvent dans la maladie d’Alzheimer : troubles
de la mémoire déclarative, déficit attentionnel, désinhibition, persévérations, difficultés à
utiliser les informations.
Le désordre psychique associé aux perturbations biologiques du SGA se manifeste,
quant à lui et de manière assez fréquente, par des perturbations au niveau de l’éveil, de
l’attention, de la concentration, une hyperréactivité aux stimuli, des altérations de la
mémoire à court terme prédominantes sur les compétences verbales.
Les rares études
Sur vingt et un articles de Synapse, NeuroPsy ou Nervure, trois seulement abordent la
question du facteur traumatique potentiel dans le déterminisme de la maladie.
J.-P. Clément insiste sur cette hypothèse, soulignant la similarité biologique entre le
PTSD et la MA (Traumatisme événementiel et démence).
M.-F. Rochard-Bouthier, B. Plaquet et F. Munsch ouvrent la piste d’une approche du
processus démentiel en tant que mécanisme de défense (Synapse, n°136). La théorie
lésionnelle serait insuffisante pour rendre compte de la clinique des démences tardives. Il
existerait aussi une part de fonctionnel liée à des mécanismes de défense contre le vécu
traumatique en cours.
B. Cyrulnik évoque la particularité des traumatismes survenant au cours de la vieillesse.
Ils « sont en général à l’origine d’une grande souffrance, car il n’y a plus les mêmes proces-
sus biologiques ni les processus d’apprentissage… Ce nouvel état explique que la proba-
bilité de traumatisme sans résilience augmente avec l’âge. Ayant du mal à apprendre un
autre espace-temps, ils deviennent vulnérables à tout changement. Un déménagement,
le deuil d’un ami, bouleversent la perception de leurs repères et peuvent provoquer des
accès de confusion. Mais ceux qui guérissent le plus vite sont ceux qui avant le trauma
228
Nature des traumatismes
avaient acquis les ressources internes qui permettent de stabiliser un sujet. Et ceux qui
décompensent et parfois entrent en démence à cette occasion sont ceux qui avaient
toute leur vie manifesté une difficulté d’autonomie, un conformisme quasi phobique, et
qui après le trauma n’ont pas retrouvé les repères temporaux spatiaux d’un milieu stable
et les liens familiaux tissés avec les aidants. » (Résilience et sujets âgés.)
Conclusion
La confrontation des données biologiques du PTSD, du SGA dans sa phase d’adap-
tation, et de la maladie d’Alzheimer à ses débuts permet d’avancer une communauté
d’altérations biologiques dont, parmi tant d’autres, mais de manière plus évidente, une
altération anatomique et physiologique de l’hippocampe. Les réactions biologiques du
PTSD et du SGA comportent toutes cette altération hippocampique que l’on retrouve
dans la maladie d’Alzheimer en phase préclinique a minima, puis de manière franche et
extensive lors de l’évolution. On retrouve aussi parfois des signes cliniques apparentés
constituant des prémices de certains désordres démentiels dans certains états trauma-
tiques. Il y a donc lieu de rechercher, grâce une anamnèse associative rigoureuse, l’exis-
tence de facteurs traumatiques dans les mois ou à la limite les deux années ayant précédé
l’éclosion des premiers troubles, événements traumatiques ponctuels et intenses à type
de perte ou d’agression majeures et/ou situations traumatiques étalées dans le temps à
type de contraintes, menaces, attentes, etc.
229
Chapitre 10
LA FAMILLE
1. INTRODUCTION
La famille (familia : « ensemble des habitants d’une maison ») est, selon le Dictionnaire
Larousse, « la société de personnes liées entre elles par les apports du mariage ou de la
parenté ». La définition de parent étant : « personne liée à une autre par le sang ou par
le mariage ». Ainsi, la définition de la famille repose sur des liens spatiaux, biologiques et
sacrés. Qu’en reste t-il ?
Travail des hommes de plus en plus éloigné de leur domicile, puis des femmes en
dehors du foyer, déplacements et déracinements géographiques, décalage plus tardif
dans le temps des paternités et des maternités, scolarisation de plus en plus précoce des
enfants, effacement des références religieuses, libération sexuelle et multiplication des
divorces, augmentation des familles dites « recomposées » et des familles « monoparen-
tales », désinvestissement du mariage au profit du PACS qui précède paradoxalement
la revendication puis la légalisation du mariage homosexuel, demande de légalisation
de l’« homoparentalité », place secondaire des grands-parents souvent éloignés, légali-
sation de l’abandon sous X, procréation médicale assistée, engouement « humanitaire »
pour l’adoption, délégation de la fonction préceptrice parentale à l’Éducation nationale,
ramollissement de l’autorité parentale au profit de la dictature médiatique, phallicisation
des femmes, investissement de la fonction maternelle par les pères, appelés « nouveaux
pères », puis « pères au foyer » (dont le sigle PAF, largement utilisé, interroge…), depuis
trente ans la famille occidentale en a pris un sacré coup. Elle est devenue méconnais-
sable. Et ce n’est de toute évidence qu’un début. Mais peut-on encore parler de famille ?
Bien sûr, d’aucuns s’évertuent à « redéfinir » la famille. Le dictionnaire est ouvert, tolérant,
complaisant, passif… Le jeu des sept familles est de toute façon définitivement relégué au
grenier, si ce n’est à la décharge publique…
Le sujet que nous allons traiter concerne essentiellement la famille occidentale, en
tout cas ce qu’il en reste, celle dans laquelle, praticiens, nous sommes habitués à inter-
venir, concernés par les demandes d’aide, mais aussi impliqués par nos histoires person-
nelles, pas si lointaines, de la famille nucléaire qui constitua pendant de longs siècles le
socle unitaire de notre société. Les tenants du multiculturalisme nous pardonneront,
nous ne pouvons traiter que de ce que nous avons appris à connaître et de ce qui nous
interroge le plus de manière récurrente : notre milieu, nos origines, notre devenir. Notre
respect et notre curiosité à l’encontre d’autres civilisations n’en sont pas moins vivants,
mais à trop vouloir regarder dans le champ du voisin, nous laissons en jachère celui qui
nous a fait vivre.
Ce chapitre abordera la famille dans sa dimension pathogène et dans sa dimension
trophique.
Précisons déjà qu’il y a lieu de distinguer :
231
Traité de médecine psychosomatique
2-1. Conflits d’intérêts
L’entreprise familiale
Jusqu’aux années 70, nombreux étaient les membres d’une même famille travaillant
ensemble dans la même structure et le même lieu : exploitation agricole, commerce,
petite entreprise artisanale. Les taches professionnelles et familiales étaient réparties. Ce
modèle permettait prospérité, partage des intérêts communs, surveillance des enfants
à moindre coût, entraide, échanges et transmissions, au prix toutefois d’une répression
variable chez un ou plusieurs membres de la famille, le plus souvent le jeune couple.
Les sujets s’en accommodaient car le spectre de la pauvreté planait depuis des siècles,
le consumérisme n’existait pas et il n’était pas pensable qu’un modèle différent puisse se
substituer à celui qui se transmettait de génération en génération.
Aujourd’hui, ce modèle est pratiquement éteint du fait de l’éclatement des familles,
du besoin perpétuel d’un ailleurs prometteur, des déplacements géographiques, de la
disparition progressive des petites entreprises, du refus de l’autorité verticale au sein de
la famille, de la fascination par l’ailleurs, et d’une impossibilité d’adaptation aux nouvelles
lois et représentations sur le travail.
Gérard m’est adressé dans les suites d’une tentative de suicide. Aîné d’une fratrie
de six, il a toujours été le bouc émissaire du père. Devenu chef de l’entreprise familiale, il a
dû, sous la pression du conseil de famille, embaucher son beau-frère, alcoolique et toxico-
mane. Mais il a dû le licencier au bout de sept mois du fait de son désinvestissement, de
ses absences, et des risques qu’il faisait courir au personnel. Couvert d’opprobre par le
conseil de famille, Gérard se dédouanera en prenant en charge financièrement l’intégra-
lité de la famille de sa sœur, ce qui le conduira à la faillite.
Emma travaille dans l’entreprise familiale de ses beaux-parents. Par ailleurs, depuis
que le bébé est né, ces derniers se sont installés chez le jeune couple pour, selon leurs
allégations, plus de commodités. Emma n’a droit à la parole ni dans son travail, ni dans
l’éducation de son enfant. Angoisse, boulimie.
L’argent
Le mariage contemporain est un « mariage d’amour » et non d’intérêt comme il a
pu l’être auparavant. L’argent est-il pour autant relégué aux oubliettes de la famille ? Si,
auparavant, l’amour devait s’ajuster à l’intérêt (les bons comptes font les bonnes amours),
maintenant, l’argent doit s’ajuster à l’amour.
Si la circulation quotidienne de l’argent au sein de la famille s’inscrit dans un contexte
de confiance, de proximité, de nécessité, d’intérêts communs partagés, de sollicitude,
d’amour, certaines transactions importantes sont plus complexes car elles interragissent
avec la relation. Cet ajustement de la transaction à la relation se révèle parfois diffi-
cile. L’argent ne perverti pas le lien mais joue un rôle de révélateur de la problématique
relationnelle.
233
Traité de médecine psychosomatique
Dans les relations sociales, payer libère de la dette. La transaction marchande libère les
partenaires l’un de l’autre. Il n’en est pas de même dans les relations familiales.
Le don d’argent, excepté celui donné à des fins précises, n’implique pas a priori que l’on
partage les desseins du donataire, contrairement au don en nature, qui exprime un objec-
tif commun, participe d’un projet, bien que certains dons en nature (objets, propriétés)
ne soient pas dénués d’un souci de contrôle.
Et puis, il y a les conflits d’argent, les rivalités, les embrouilles, ou pire les extorsions,
les escroqueries, voire les vols, si ce n’est les crimes au sein de la famille. La discorde, la
brouille, la rancœur, la haine, la rupture familiale sont au rendez-vous.
Laure, 34 ans, était la dernière, et seule fille, d’une fratrie de six. Des conflits
familiaux successifs liés à des histoires d’argent surgiront entre le père et les cinq frères
aînés au moment de leurs mariages respectifs, le père ayant exigé de chacun de ses fils la
rédaction d’un contrat de mariage privant les épouses de tout droit sur les transmissions.
Lorsque Laure a 15 ans, le père décède et la mère, éplorée, ne reverra plus jamais ses trois
fils aînés. Quant aux deux autres, seuls à être venus aux obsèques, ils ne lui seront d’aucun
secours malgré la proximité de leur domicile. Seule, Laure rendra régulièrement visite à
sa mère, s’occupant d’elle avec soin, n’hésitant pas à l’aider financièrement avec l’accord
de son conjoint.
Il y a six mois, Laure et son mari ont proposé à la mère de racheter sa grande maison
pour une somme modique et de la restaurer. La mère restera habiter chez eux. Depuis,
les cinq frères ont resurgi. Les trois aînés, portés disparus depuis dix-neuf ans, ont fait
irruption, et les deux cadets ont décidé d’intenter un procès au couple s’il ne renonce pas
à leur projet.
Le problème des pensions alimentaires dans les suites de divorce est éminemment
fréquent. Ici, l’argent est censé se substituer à la relation d’intimité. La transaction est un
reflet de l’état de la relation, des dispositions affectives, de la reconnaissance d’une dette.
La recomposition du couple constitue une deuxième étape. Le refus fréquent de payer
pour l’autre, la pièce rapportée, met souvent un terme à la relation.
Dans un troisième temps, l’émancipation des enfants devenus adultes apaise souvent
la discorde.
Le patrimoine
Angélique, 17 ans, et ses parents vivaient sur le terrain familial où avaient été bâties
trois maisons : la leur, celle des grands-parents maternels et celle de la famille de l’oncle
maternel.
Angélique était fille unique, tout comme la fille de cet oncle. Les deux cousines
grandirent ensemble. Elles étaient comme deux sœurs, vivant l’une chez l’autre de
manière indifférenciée, sauf quand la cousine recevait une copine auquel cas Angélique
était exclue. Celle-ci allait alors se réfugier chez ses grands-parents qu’elle idolâtrait.
Lorsqu’Angélique eut 13 ans, sa mère et son oncle se disputèrent au sujet du terrain
sur lequel ils vivaient, l’un voulant s’annexer une partie de l’autre au nom d’une dette
ancienne. Les deux familles coupèrent alors les ponts et interdirent aux cousines de se
revoir. Les parents d’Angélique déménagèrent six mois après et le grand-père maternel,
déjà malade et très affecté par ce départ, décéda dans la quinzaine qui suivit. Angélique
234
La famille
perdit alors l’appétit et le sommeil, et passa ses journées à pleurer. Elle supplia ses parents
d’inviter la cousine afin de retrouver un lien. Lorsque la cousine vint, elle lui adressa à
peine la parole et fit des photos de la nouvelle résidence afin d’en faire un rapport détaillé
à ses propres parents. Après cet événement, Angélique rangea toutes ses affaires d’enfance
dans une boîte qu’elle installa au grenier et traversa une période de dépression. À 17 ans,
elle fonctionne encore comme quand elle en avait treize. Elle est inhibée, ne parvient pas
à tisser des liens avec des collègues de son âge, regarde exclusivement des dessins animés
et refuse de laisser ses parents, si ce n’est pour aller au lycée. Elle ne veut pas grandir pour,
dit-elle, « ne plus jamais être séparée ».
Cyril ne s’est jamais senti investi par son père, à telle enseigne qu’il a toujours
douté d’être son fils biologique. Dernier d’une fratrie de quatre, il est né lorsque le couple
parental se déchirait. Les parents se réconcilièrent au prix de son exclusion. Il fut livré à
lui-même durant toute son adolescence et, lorsqu’il eut 17 ans les parents l’émancipèrent.
Cyril a aujourd’hui 40 ans. Son père est décédé il y a un mois. Il pense que celui-ci l’a
émancipé dans le but de le déshériter au profit de ses frères et sœurs. En effet, ceux-ci se
partagent l’ensemble des terres du patrimoine et lui a perçu une somme d’argent. Cet
argent, il n’en veut même pas. Il rêvait de retrouver ses racines en installant un mobile-
home sur un lopin de terre familial. Il se sent dépossédé, exclu encore une fois et consulte
pour un état dépressif majeur.
2-2. Trahisons et mésalliances
Les haines ancestrales sont devenues beaucoup plus rares de nos jours dans le monde
occidental, du fait des exodes au sein des familles et de l’évanescence de la tradition et
de la religion. Le mariage d’amour ayant pris le pas sur le mariage de raison ou d’argent,
les mésalliances reconnues comme telles par l’ensemble des membres de la famille sont
devenues rares au sein de ce qui subsiste de la civilisation occidentale.
Les causes actuelles de la non-acceptation d’un conjoint par la famille ont à ce jour
des origines limitées. Elles résident essentiellement dans les obstacles statutaires sociaux,
religieux ou ethniques, qui augmentent compte tenu de l’accroissement des communau-
tés émergentes, mais aussi, et surtout, d’un point de vue individuel, dans la pathologie
du lien.
Obstacles religieux
La relation entre Christian et Nabila est restée clandestine jusqu’au jour où un
projet de vie commune et d’enfant a émergé. Nabila ayant fait part de ses intentions à
ses parents, ceux-ci exigèrent d’elle que son conjoint se convertisse à l’islam. Christian
fréquenta les mosquées le temps nécessaire. La conversion effectuée, les parents de Nabila
firent volte face, exigeant que celle-ci prenne pour époux un jeune homme d’origine
arabe, la conversion ne suffisant pas. Nabila se sépara de Christian, au plus grand désarroi
de ce dernier. Elle quitta sa famille mais revint au bout de trois mois auprès de Christian
suite à un drame familial qui défraya la chronique : sa sœur aînée s’était fait arracher les
globes oculaires par son mari dans la maternité où elle allait accoucher. Le couple quitta
la région mais, dans les suites de la naissance d’Adam, Nabila fit une psychose puerpé-
rale qui nécessita une hospitalisation. Un an, après le couple se sépara à nouveau, Nabila
235
Traité de médecine psychosomatique
épousa Kader et partit avec lui au Maroc. C’est dans les semaines qui suivirent que Chris-
tian, dépossédé de sa femme et de son fils, vint me consulter.
Pathologie du lien
Le père d’Émeline, 23 ans, est décédé à Noël, il y a un an, alors qu’elle était enceinte
de six mois. Accouchement difficile : dystocie dynamique et mécanique. Sa famille, qui vit
en Lozère, n’a pas pu venir à la maternité. Par contre, les beaux-parents, qui vivent à côté,
ont rapidement accaparé le bébé. Allaitement pendant neuf mois. Émeline va se marier.
Allergies depuis qu’elle est dans la région. Ulcère à l’estomac depuis la reprise du travail, le
bébé étant gardé par la belle-mère.
Émeline, endeuillée, déracinée, dépossédée, souffre de l’éloignement de sa propre
famille et de l’emprise des beaux-parents. Elle craint que la petite n’investisse que sa
belle-famille. « Mon père, je voulais lui faire un petit-enfant. Ma mère, elle aurait tant
besoin de sa petite-fille. » Pourtant, la famille d’Estelle, qui n’est pas si éloignée que ça,
n’est pas venue à la maternité. On a l’impression d’une bouderie familiale suite à une
transgression.
Toute la famille vivait dans un hameau de Lozère. Le père et la mère d’Émeline étaient
cousins germains, le grand-père paternel et le grand-père maternel étant frères. Aînée
de sa fratrie, et ayant perdu son père deux ans avant qu’Émeline ne naisse, la mère était
responsable de la ferme familiale et passait une large partie de ses journées aux champs.
Elle gérait tout. Émeline fut élevée en partie par sa grand-mère maternelle. Elle était très
sauvage, très proche des animaux et de la nature. Son abandonnisme se manifesta dès
l’école primaire où elle devint le souffre-douleur de ses collègues, et s’accentua au collège
lorsqu’elle fut mise en pension. Il y a quatre ans, cinq membres de la famille décédèrent
successivement au hameau. La mère d’Émeline ne voulut plus qu’elle parte de la maison.
2-3. La rupture
La rupture met un terme transitoire au conflit ou à la situation larvée. La perte lui
succède, avec les réactions défensives qui lui sont propres : désarroi, souffrance, angoisse,
colère, rancœur, interrogations, culpabilité, espoir.
Annie, 58 ans, est adressée par son médecin généraliste pour névralgie cervico-
brachiale. Celle-ci est apparue au décours d’une rixe verbale il y a trois mois. Au cours
d’un repas de famille, elle avait interdit à sa petite-fille Margaux de se resservir car elle la
trouvait trop grosse. Anne-Sophie, fille d’Annie et mère de Margaux, a explosé. Échange
de propos blessants, injures. Anne-Sophie quitte la table et depuis n’a plus donné signe
de vie.
Malgré ses origines très modestes, Annie fit de brillantes études qui l’amenèrent à
côtoyer la haute bourgeoisie. Elle se maria à 23 ans avec le fils d’un richissime promo-
teur immobilier et devint professeur des universités, ce qui, selon ses termes, lui permit
« d’expurger la honte liée à ses origines ». Elle eut deux enfants, Anne-Sophie et Charles-
Édouard. Pas plus investie dans sa vie de couple que dans sa fonction de mère, elle veilla
essentiellement à ce que ses deux enfants fissent de brillantes études. Ce qui ne fut pas le
cas. Le décès de son mari lorsqu’elle eut 42 ans renforça chez elle ce strict investissement
d’une fonction paternelle, sa belle-mère, Edwige, assurant le gîte et le couvert dans le
236
La famille
237
Traité de médecine psychosomatique
tombe enceinte de lui le soir même mais le jeune homme repart et elle se retrouve à son
tour fille-mère de Sonia. Elle retourne chez sa mère le temps de la gestation. À sa surprise,
Ahmed revient avec l’intention de se marier et de reconnaître l’enfant. Lorsque celle-ci a 5
ans, Ahmed retourne s’installer au Maroc. Micheline déprime et retourne avec Sonia chez
sa mère. Sonia ira rejoindre son père pendant l’été jusqu’à l’âge de 7 ans, date à laquelle
celui-ci disparaîtra définitivement de la circulation. Durant cette période, elle dévelop-
pera de l’asthme, un désordre alimentaire et de l’obésité. À l’âge de 15 ans, s’installeront
anorexie et crises hystériformes à type de transe régressive et d’état second précédés par
une chute. C’est alors qu’elle allègue des sévices sexuels qui lui auraient été imposés par
son père entre 5 et 7 ans lors des séjours au Maroc. Elle est aussi en proie à des réminis-
cences, des scènes de sorcellerie dont elle aurait été l’objet au cours d’un de ces séjours.
Mère abandonnée et fille abusée formeront alors un couple en rébellion contre la gent
masculine, ce qui leur évitera d’aborder la problématique de leur relation aussi dépen-
dante qu’ambivalente. La grand-mère apportera de l’eau au moulin et veillera à ce que
rien ni personne ne sorte de l’appartement.
Elles s’étaient présentées à mon cabinet au début de mon installation. Ma moindre
expérience de l’époque, mais aussi une manipulation que je n’avais pas discernée m’avait
fait accepter de les recevoir plusieurs fois ensemble. La fille parlait de la mère, la mère de
la fille. Toute interprétation tombait dans le vide, toute proposition d’autonomisation
était accueillie avec défiance. Double bouclier défensif face à un thérapeute qui s’avéra
rapidement désigné comme persécuteur.
241
Traité de médecine psychosomatique
Jérémie, 39 ans, consulte pour des attaques de panique. Il est devenu très anxieux
et est obsédé par l’idée que sa mère puisse mourir à cause de lui.
C’est à l’âge de 14 ans que sa mère l’amène se faire opérer des adhérences préputiales,
sans l’informer le moins du monde sur la nature et le but de l’opération. Au réveil, il est
persuadé qu’on l’a castré. Il vivra avec sa mère jusqu’à l’âge de 38 ans, date de sa première
relation sexuelle avec une femme, elle aussi vierge, qui deviendra son épouse. C’est dans
les suites de cette trahison par rupture du contrat de castration imposé par sa mère
qu’apparaîtront les attaques de panique et les obsessions qui l’amèneront à consulter.
Le père, lui aussi, peut être le sujet d’emprise, utilisant plus ou moins consciemment
l’enfant pour compenser un manque, obtenir un soutien, cacher ses propres difficultés,
voire éviter de vivre seul en couple avec son épouse.
Marie-Thérèse a 60 ans. Elle souffre depuis l’âge de 40 ans de douleurs chroniques
des membres inférieurs. Celles-ci sont apparues dans les suites du décès de sa mère,
lorsque le père, privé de son épouse, devint dépendant, exigeant, tyrannique. Il mit tout
en œuvre pour que les fils de Marie-Thérèse viennent habiter chez lui. Le fils aîné s’exé-
cuta. Quant au fils cadet, il resta avec Marie-Thérèse et devint à son tour persécuteur en
s’enlisant dans l’alcoolisme. Chaînon manquant dans l’histoire familiale, assignée à une
fonction de mère porteuse, soumise à la tyrannie des hommes de sa lignée, Marie-Thérèse
va tous les quinze jours remplir ses échelles d’évaluation de 0 à 10 au centre antidouleur
de sa sous-préfecture.
Nathalie, 34 ans, est soumise à sa sœur Barbara, son aînée, très possessive. Toutes
deux sont célibataires, sans enfant. Nathalie n’a jamais eu de relation sexuelle. Les deux
sœurs forment un couple depuis leur plus tendre enfance. Barbara l’aînée avait des jeux
de fille, Nathalie des jeux de garçon. Barbara fut l’objet de soins, de protection et d’atten-
tion particulière de la part des parents à partir du jour où elle fut prise de spasmes du
sanglot. Quant à Nathalie, petit garçon manqué, elle n’était pas ménagée et toute la
sévérité parentale s’abattait sur elle. La mère a toujours exigé que Nathalie veille sur sa
sœur Barbara, y compris à l’âge adulte, des fois qu’une nouvelle forme clinique orphe-
line de spasme du sanglot de l’adulte s’abattrait sur cette dernière. Quant au père, très
possessif, il a toujours exprimé clairement son désir de les garder toutes deux, ad vitam
æternam, au sein de la famille. Dont acte. Elles passent l’intégralité de leurs week-end
chez leurs parents et, les soirs de la semaine, à tour de rôle, font le rapport téléphonique
de leurs journées respectives.
Le fantasme parental sous-jacent est de toute évidence qu’elles se marient entre elles.
Nathalie l’époux, Barbara l’épouse. Après tout, pourquoi pas ? C’est très tendance, ce qui
compte, c’est l’amour…
Nathalie, « mari de sa sœur », est venue me consulter pour des désordres mictionnels
et une diplopie intermittente apparue dans les suites d’une confrontation à un exhibi-
tionniste. Elle rêve de la scène traumatique qui s’est déroulée sur les quais en bord de
Seine. De quelle scène s’agit-il ? s’interrogerait, à juste titre, dans la grisaille de son cabinet,
un vieux lézard lacanien. D’autant qu’elle rêve aussi de manière récurrente d’un rappro-
chement érotique avec un jeune homme brun et tendre comme le fut son père.
242
La famille
244
La famille
4-2. L’interdit de l’inceste
Définitions
Le terme polynésien tabou définit le caractère d’un objet, d’un être ou d’un acte, dont
il faut se détourner en raison de sa nature sacrée. Par extension, le tabou est un interdit
sacré ou profane, dont la transgression déclenche la punition des dieux ou des hommes.
Inceste (incestus, de castus, « chaste ») : conjonction illicite entre personnes qui sont
parentes ou alliées au degré prohibé par les lois. Union illicite entre parents à un degré
pour lequel le mariage est interdit. Relations sexuelles entre parents proches.
Si le tabou de l’inceste a un caractère universel, il n’en est pas moins l’objet de variantes
au niveau de ses critères quant aux degrés des liens de parenté, de sa prohibition, voire
plus rarement de dérogations rituelles dans certaines civilisations.
La justification de l’interdit
Nombreuses sont les théories justifiant l’interdit de l’inceste. Nous ne mentionnerons
que certaines d’entre elles, celles qui nous semblent les plus valides.
Ne nous attardons pas sur la théorie mythique freudienne (Totem et tabou), que
l’auteur lui-même a fini par relativiser et que des générations de psychanalystes ont genti-
ment ânonnée par simple dévotion. Le père de la horde primitive, arbitraire et jaloux,
interdit à ses fils l’accès sexuel aux femmes du clan. Ces derniers tuent le gêneur, font
la fête, mais aussi s’attristent et ruminent leur forfait. Il avait peut-être raison, le père,
aussi allons-nous édicter une loi dans laquelle l’accès aux femmes du clan est interdit aux
hommes qui en font partie. Passage d’un interdit arbitraire extérieur émis par un homme
au-dessus de toute loi, à une règle intérieure au clan, librement choisie, indéfectible,
organisatrice. Transition préfigurant au niveau psychique individuel la genèse du surmoi
par introjection de la loi, vécue par l’enfant dans un premier temps comme arbitraire,
mais ne l’étant pas, car cette fois-ci, le père qui l’édicte est lui-même soumis à cette loi.
Lévi-Stauss a avancé en 1947, comme justification de l’interdit de l’inceste, la nécessité
d’échange et de réciprocité. Seul le renoncement aux femmes de la famille permet des
alliances avec des femmes éloignées, ce qui permet des alliances avec des groupes qui,
sans cela, se feraient peut-être la guerre, les alliances dans l’Ancien Régime en sont d’ail-
leurs un exemple caricatural.
Les effets débilitants de la consanguinité de premier degré ont été rapportés chez
certains mammifères. L’approche éthologique insiste sur l’antinomie entre attachement
et attrait sexuel. On retrouve, chez la plupart des animaux sensibles à l’empreinte, un
évitement des copulations avec les proches affiliés par le sang. Pour J.-M. Vidal (1985),
entrent en jeu la proximité/distance et la ressemblance/dissemblance avec les proches
objets d’attachement. L’attrait sexuel se fait en général à l’égard d’un objet ni trop proche,
ni trop éloigné, mais aussi ni trop ressemblant, ni trop dissemblable. C’est ainsi, pour ne
citer qu’un exemple, que les cailles privilégient les cousins comme partenaires sexuels.
Ce fonctionnement nécessite une certaine maturation des individus car les jeunes ont
tendance à choisir des partenaires proches de l’objet d’attachement, alors que les adultes
optent pour des objets plus dissemblables sans être toutefois trop éloignés ou trop diffé-
rents. Ici résiderait une continuité entre l’animal et l’homme, continuité dont l’homme
peut délibérément s’affranchir, et dont, de toute évidence, il ne se prive pas.
245
Traité de médecine psychosomatique
Plusieurs études sociologiques ont confirmé la théorie éthologique. Les individus qui
grandissent ensemble éprouvent moins d’attraction sexuelle l’un pour l’autre, si ce n’est
une aversion sexuelle.
À Taïwan, à côté du mariage classique où les futurs époux se rencontrent à l’âge adulte,
il persiste une forme d’arrangement de mariage, le mariage sim-pua, dans lequel les futurs
mariés se rencontrent dès l’enfance. La future épouse est adoptée par la famille de l’époux
et y est élevée comme une sœur. Ces mariages se caractérisent par un manque d’intérêt
sexuel, moins d’enfants, et un nombre de divorces plus élevé que dans d’autres cas. De
même, les enfants élevés dans les kibboutz (Shepher, 1971) développent après la puberté
des relations amicales et fraternelle entre eux, mais rarement sexuelles. Les membres
d’une même classe d’âge ne se marient pas entre eux.
Il existerait une période sensible, jusqu’à l’âge de 7 ans, caractérisée par un processus
d’imprégnation négative, où les enfants apprennent quels individus sont à exclure sexuel-
lement.
4-3. L’inceste
Le contexte et la clinique
Les passages à l’acte incestueux ont lieu le plus souvent lors du conflit œdipien (3 à
6 ans) et surtout lors de la puberté et dans ses suites immédiates (11 à 15 ans). Les filles
représentent le pourcentage le plus élevé de victimes. Les agresseurs sont le père (60%),
le beau-père (30%) ou les frères (10%). Les relations incestueuses mère/fils sont estimées
à 4%. Durée moyenne de la relation incestueuse : 3 ans. (Statistiques personnelles suite à
une étude en 2012 portant sur l’intégralité des dossiers de cas d’inceste de mon cabinet.)
Sans s’en rendre compte et sans le vouloir, les fillettes et les adolescentes présentent
parfois des attitudes ambiguës qui vont être illégitimement décodées par le parent inces-
tueux comme des manœuvres de séduction. L’adulte est incapable de reconnaître sa
fillette dans son statut d’enfant immature, dans son altérité et dans un désir autre que le
sien. La mère est souvent tolérante et passive.
L’attachement constitue un garde-fou à l’encontre de l’inceste et son absence favorise
le désir de détruire.
Coralie, 33 ans, puéricultrice. Relations incestueuses entre 14 et 16 ans, imposées
par le père tout comme à sa sœur aînée. Celle-ci hait le père depuis des années. Elles
avaient toutes deux gardé le secret. Coralie est mariée, trois enfants. Le mari est au
courant. La mère, non. Informée par sa fille il y a une semaine, cette dernière a exigé une
réunion familiale. Le secret avait faussé les rapports entre Coralie et sa mère. Mais Coralie,
loin d’être délivrée par la révélation, est plus mal qu’avant. Sa mère l’évite, la rudoie. Honte
et culpabilité. Les assauts du père survenaient lorsque la mère n’était pas là. Père morali-
sateur, sûr de lui, très fier, dirigiste, bref, pervers narcissique, et tout autant à ce jour. Lors
de la confrontation, il a dit que tout ceci était normal.
Les relations incestueuses génèrent un effet traumatique majeur dans lequel les
mécanismes de défense sont souvent inopérants ou dépassés. Elles induisent confusion
et culpabilité chez la victime et très souvent un désordre identitaire à perpétuité dans
lequel la honte occupe une place centrale. L’enfant va, pendant un temps parfois très
long, garder ce secret difficile à porter et, en règle générale, imposé par le parent inces-
246
La famille
247
Traité de médecine psychosomatique
248
La famille
Pire, des patients sont convaincus, à l’issue de séances qui n’ont de psychothérapiques
que le nom, qu’ils ont été violés dans leur enfance.
Le fantasme du sujet contribue bien sûr à modifier, à transformer, voire à créer le scéna-
rio. Freud l’avait magistralement démontré après avoir abandonné sa première théorie
(neurotica) du traumatisme.
Brigitte, 42 ans, personnalité histrionique, est allée consulter un hypnothérapeute
qui, au fil des séances, l’a amenée à être persuadée qu’elle avait été violée par son père
à l’âge de 9 ans. Elle était fermement décidée à porter plainte dans un état d’excitation
paroxystique. Je l’en ai dissuadée. Bien m’en a pris car, durant les séances suivantes, il
apparut que ces allégations étaient purement fantasmatiques.
Il n’existe pas de grille d’investigation, de recommandation obligatoire, d’échelle
standardisée d’aide au diagnostic. À partir de mon expérience clinique, j’ai proposé (La
mémoire) quelques pistes diagnostiques permettant de distinguer des allégations fantai-
sistes, calculatrices ou suggérées, des sévices sexuels réels. En faveur de ces derniers, j’ai
relevé certains éléments cliniques potentiellement révélateurs, à condition qu’ils ne
soient pas isolés :
––cohérence dans la dimension factuelle,
––réminiscences obsédantes et douloureuses,
––honte identitaire,
––idées suicidaires, impulsivité, troubles des conduites alimentaires,
––somatisations soudaines dans les suites immédiates du trauma,
––existence d’un fonctionnement général pervers chez l’agresseur,
––origine des allégations venant du sujet lui-même et non d’un tiers.
Ces éléments n’ont de valeur que dans le contexte d’une investigation approfondie,
concernant l’histoire du sujet, sa vie fantasmatique, son fonctionnement psychique dans
des secteurs autres que celui concerné par le traumatisme, les éléments cliniques et
biographiques concernant l’agresseur présumé, les éléments discordants dans l’anamnèse.
Baptiste, 28 ans, est envahi par des réminiscences de sévices sexuels subis lorsqu’il
avait 8 ans. Il avait tout oublié, n’en gardait aucun souvenir dans sa mémoire psychique.
Les réminiscences ont surgi assez brutalement lorsque sa petite-cousine fut victime
il y a six mois du même type d’agression. On repérera ici une forme particulière, mais
éminemment fréquente dans ce type de traumatisme, du phénomène d’après-coup. Les
réminiscences sont obsédantes, portent atteinte à son sommeil, la honte et la culpabi-
lité l’envahissent, induisant parfois des idées suicidaires. Ces éléments cliniques consti-
tuent un bon critère de diagnostic différentiel par rapport aux allégations fantaisistes,
fantasmatiques ou calculatrices. Dans les suites du traumatisme, un mécanisme répressif
intense s’était immédiatement instauré, inducteur d’une surcharge pondérale d’installa-
tion rapide puis d’une primo infection ayant nécessité un séjour en sanatorium pendant
cinq ans. On peut imaginer que la séparation d’avec le milieu familial en ait rajouté une
couche. Ces somatisations soudaines constituent aussi un élément d’orientation diagnos-
tique important. Dernier élément : lorsqu’il eut 17 ans, il fit une tentative de suicide
impulsive, suite à un racket dont il fut l’objet dans son lycée. Autre élément fondamental
pour le diagnostic. Une allégation de sévices sexuels n’ayant jamais existé ne s’accom-
pagne jamais de l’ensemble de ces symptômes.
249
Traité de médecine psychosomatique
4-4. L’incestuel
L’incestuel est « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale, porte l’empreinte
de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soit nécessairement accompli les formes génitales »
(Racamier, L’inceste et l’incestuel).
Contrairement à l’œdipe qui se situe dans le fantasme, l’incestuel se manifeste dans
l’agir. Comme l’inceste, mais la différence est que, dans l’incestuel, il n’y a pas de relation
ou de rapprochement sexuel au sens commun du terme. L’agir incestuel se joue ailleurs
que dans la vie génitale.
La relation incestuelle est « une relation extrêmement étroite, indissoluble, entre
deux personnes d’une même famille, que pourrait unir un inceste, et qui cependant
ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent exactement l’équivalent, sous une forme
apparemment banale et bénigne » (ibid.). L’inceste n’est pas du registre de l’œdipe. Il n’est
pas non plus du registre de la castration.
250
La famille
Clinique
Jeanne Defontaine a magistralement élaboré une clinique de l’incestuel, en distinguant
ses différents symptômes : vide fantasmatique, banalisation, confusion, paradoxe, défaut
de limite, intrusion, engrènement, secret et déni. Nous y faisons référence dans ce qui suit.
Le vide fantasmatique
L’incestuel se substitue au fantasme. Il vide la pensée. Alors que l’œdipe est une mise
en scène élaborée au sein de la psyché (objet intrapsychique, fantasme, mécanismes de
défense), l’incestuel, tout comme l’inceste, est tueur de fantasme. L’agir se substitue à la
symbolisation.
Les fantasmes de l’incestuel sont soit absents, soit de l’ordre de l’« arrêt sur image »
(Defontaine, L’incestuel dans les familles). « À la différence du fantasme, l’incestuel est tout
d’une pièce et non ramifié, agissant mais non scénarisé, transmissible mais non commu-
nicable, centré sur le corps, mais prêt à s’agripper au corps de l’autre » (Racamier, op. cit.).
La banalisation
Les conduites incestuelles sont banales et fort répandues. Leur désexualisation au sens
commun du terme leur confère un caractère habituel, apparemment anodin, aisément
rationalisable sous couvert de commodités, d’arrangements familiaux, d’assignations
naturelles à des places ou des fonctions : le frère aîné qui prend la place du père, le père
qui s’efface au profit du fils, la chambre des parents offerte aux enfants, l’échange d’objets
(argent, vêtements, bijoux). Une de nos patientes portait l’alliance de sa mère, offerte par
son père, dans les suites du décès de celle-ci. Dans certaines familles, ces conduites sont
revendiquées comme une norme.
Ludovic, 12 ans, est au courant des causes précises de la séparation de ses parents
car il connaît les mots de passe de leur messagerie respective. Les batailles juridiques
entre ses parents l’ont beaucoup ennuyé d’autant qu’ils lui faisaient lire les messages
gracieux envoyés par l’autre. Ludovic dort tantôt dans le lit de son père, tantôt dans le lit
de sa mère. Lorsque le père a su que Ludovic allait chez le psy, il s’est exclamé : « Pourquoi
Ludovic va chez un psy ? J’en ai pas besoin ! » Pendant la consultation, Ludovic fouille le
sac de sa mère, lit son agenda et répond sur son portable. Il est bien évidemment « ami »
avec ses deux parents sur les réseaux sociaux.
La confusion
La confusion est motivée par le désir de maintenir coûte que coûte une relation de
proximité et de séduction narcissique :
––confusion des places : père qui occupe une position de mère, mère qui occupe une
position de père, gendre qui occupe la position du fils, enfant qui occupe la position
parentale ;
––confusion des identités et des différences sexuelles ;
––confusion des générations ;
––confusion entre le familier et l’étranger ;
––confusion entre le sujet et l’objet. La mère met un pull quand son fils lui dit qu’il a
froid.
« L’incestuel abolit les différences, comme notre société en mutation. » (Defontaine,
L’incestuel dans les familles.)
251
Traité de médecine psychosomatique
Nina avait toujours été rabaissée par sa grand-mère paternelle qui n’avait d’yeux
que pour sa cousine. Faute de mieux, car la grand-mère voulait à tout prix un petit-
fils. Celle-ci jeta donc son dévolu sur la cousine qui avait des jeux de garçon. Nina, bien
qu’ayant des jeux de fille, n’acceptera jamais son identité de femme. Son père, d’ailleurs,
refusait de reconnaître sa féminité et sera longtemps hanté par la crainte que sa fille
« tombe enceinte avant l’heure ».
Quant à sa mère, c’est l’inverse, elle souhaitait ardemment que Nina « lui fasse un
enfant », selon ses propres termes. Celle-ci, ne parvenant pas à concevoir, finit par avoir
recours à une PMA qui se solda par quatre fausses couches. La mère finit par lui proposer
son utérus pour porter le bébé.
Le paradoxe
Parent qui préserve, induit ou entretient chez son enfant des excitations internes et
externes tout en faisant prévaloir un ordre non pulsionnel. Famille imprégnée tout à la
fois de sexualité et de pudibonderie.
Les parents d’Aurélie, 16 ans, sont très « libres » et « ouverts », surtout son père qui
souhaite qu’à « la maison, on parle de tout ». Aurélie entre volontiers dans des attitudes
de séduction vis-à-vis de son père et des amis de celui-ci. La sexualité fait l’objet de
nombreuses conversations sur le mode de l’humour et de la légèreté. Il y a quelques mois,
Aurélie a eu sa première relation sexuelle. Elle s’est empressée de le raconter en détails
à ses parents. À sa grande surprise, son père l’a traitée de « pute ». Il l’empêche d’aller
dormir chez son petit ami. Aurélie ne comprend pas et se sent trahie.
Le défaut de limite
Autorité et altérité non reconnues : enfants remplissant une fonction parentale. Ces
enfants ne disent pas Papa et Maman, mais les appellent volontiers par leurs prénoms.
Pas de limite entre vie sexuelle et vie familiale : la porte de la chambre des parents ne
ferme pas.
Parents qui racontent leur vie sexuelle aux enfants ou qui sollicitent les confidences
sexuelles de ceux-ci. Le tabou langagier concernant le discours sur le sexe a été fort décrié
depuis les années 70. Il est même considéré par de nombreux patients comme une cause
potentielle de difficultés sexuelles. Il est bien évident que c’est l’inverse qui est pathogène.
Les enfants rejettent spontanément l’étalage sexuel des parents. Ils sont moins armés face
à l’étalage médiatique.
La mère d’Adrien, 17 ans, me consulte en sa présence pour me dire que celui-ci
n’a pas éjaculé lors de sa première relation sexuelle. Pire, la chose s’est reproduite trois
fois comme en atteste le carnet sur lequel elle a noté les détails confiés par son fils sur la
qualité de ses relations sexuelles.
L’intrusion
Intrusivité de l’autre, défense contre l’intrusion chez le sujet.
Chez tout sujet prisonnier d’une relation incestuelle, existe une angoisse d’intrusion.
On retrouve particulièrement cet élément chez les anorexiques.
Les lettres de la marquise de Sévigné à sa fille Françoise, Madame de Grignan,
pleines d’amour et d’attention, révèlent une dimension de haine sous-jacente, un besoin
252
La famille
Causes
L’incestuel serait issu d’une relation de séduction narcissique vouée à ne pas se résoudre.
Relation primaire dans laquelle le bébé est une partie de la mère et dans laquelle le père
est exclu. L’inverse, bien que beaucoup moins fréquent, se rencontre aussi : rapt du bébé
par le père qui tient la mère à distance.
Bien que le sexuel agi au sens commun du terme n’intervienne pas, l’incestuel cumule
la séduction narcissique et sexuelle. Il apparaît lorsque le deuil de la relation primaire n’a
pu se faire. L’enfant est la chose d’un seul parent, son instrument, sa propriété, un organe
vital. Il est fétichisé. C’est un faire-valoir au service du narcissisme parental.
253
Traité de médecine psychosomatique
254
La famille
5-2. La transmission
La transmission intersubjective
Elle passe par l’identification, l’imprégnation, la parole.
En 1914, Freud introduit le concept d’identification : le sujet installe à l’intérieur de
lui ceux qu’il aime, au premier plan les membres de sa famille. En 1917, l’élaboration de
la deuxième topique l’amène à considérer que le surmoi du sujet est pour une grande
part celui des parents, héritier lui aussi de leurs propres parents. Le sujet se construit à
partir d’un aspect, d’un attribut, une propriété de l’objet. C’est un facteur fondamental
du développement de la personne.
La personnalité se constitue et se différencie par une succession d’identifications. On
y distingue les identifications primaires pré-œdipiennes, et les identifications secondaires
en relation avec l’identité sexuelle.
Les processus d’identification continuent à entrer en jeu lors des étapes ultérieures
du développement et même chez l’adulte. L’identification joue un rôle particulièrement
important au moment de l’adolescence.
Par ailleurs, le processus identificatoire, comme celui de l’introjection, nécessite l’exis-
tence de modèles relativement stables et non contradictoires. Il fonctionne comme les
processus d’apprentissage. L’existence de modèles contradictoires, instables ou fluctuants,
l’antagonisme entre la parole et les actes, la déliquescence des différences, des repères
spatiaux et temporels, l’inadéquation entre le déterminisme génétique et le milieu de
vie, la discordance entre l’histoire d’un individu, de sa lignée et l’instauration de repères
divergents, compromettent considérablement le processus identificatoire. Ceci a pour
conséquence une insuffisance et une instabilité de structuration de l’appareil psychique
ou bien ouvre la porte à un agir identificatoire dénué de toute élaboration psychique.
Une large part des expressions, des gestuelles, des mimiques, des attitudes, trouve son
origine, indépendamment de toute transmission strictement génétique dans les modèles
familiaux, par un mécanisme d’imprégnation.
La parole des aînés constitue un nutriment fondamental pour la construction de
l’identité de l’enfant. Le passé familial, auquel il est étranger car il ne pourra pas le vivre
réellement, est l’objet d’un discours qui contribue grandement à structurer le psychisme.
L’enfant est naturellement avide de l’histoire de ses parents qui constitue aussi son histoire.
Le roman familial constitue un étayage fondamental, un support identitaire consistant. Il
sera traité, réapproprié et parfois remanié par le sujet, au travers de son propre fonction-
nement psychique et de son système défensif.
La transmission des valeurs familiales est d’autant plus effective qu’elle se nourrit de
modèles stables, de confrontations répétées, d’adéquation entre le dire et le faire, d’illus-
trations à partir de faits, de métaphores. Elle s’alimente au sein de la rencontre, de la
parole et de l’exemple. Cette transmission trophique est aujourd’hui sérieusement mise à
mal par l’intrusion médiatique qui fait loi au sein des familles et de la perversion sociétale
qui s’acharne à substituer à des modèles ataviques des dogmes dénués de tout fonde-
ment autre qu’idéologique et consumériste.
255
Traité de médecine psychosomatique
Le secret de famille
Le secret de famille, par définition, ne fait pas l’objet d’une transmission intersubjec-
tive. Il est exclu du roman familial, il est objet d’évitement. Sa transmission ne pourra être
que transpsychique.
Claudia, 40 ans, éducatrice de jeunes enfants, fut victime, comme ses deux sœurs,
de rapprochements sexuels imposés par son « oncle » lorsqu’elle était enfant. Les parents
n’ont rien vu. Chacune des sœurs pensait être la seule à subir. Elles n’ont évoqué la chose
qu’à l’âge adulte. « J’ai l’impression que c’est marqué sur mon front. J’ai peur d’être jugée
par les autres. » Phobies sociales, culpabilité et honte extensives, attaques de panique
dans les lieux publics, inhibition orgasmique. Il y a deux ans, l’« oncle » en question est
arrêté pour viol, les sœurs témoignent et réalisent que les parents savaient. « Ce n’est pas
notre oncle, c’est nos parents qui nous ont dit de l’appeler tonton. » Cet « oncle » avait
probablement une liaison avec sa mère. Dans les suites de son témoignage au tribunal, ses
frères couperont toute relation avec elle.
Charlène, 28 ans, consulte pour une inhibition orgasmique primitive. Ses parents
l’ont élevée dans la pudibonderie et la défiance à l’égard de toute forme de plaisir.
Lorsqu’elle a 16 ans, elle découvre sa mère dans le lit parental avec son amant. Elle se
souvient de sa réaction d’évitement visuel du sexe de celui-ci. La mère demandera à
Charlène de garder le secret. Elle le gardera mais ne pourra plus jamais soutenir le regard
de son père.
À l’âge de 12 ans, Jocelyne assiste, le jour de Noël, au meurtre de sa mère par son
père. Le père dira que la mère a eu un accident et il sera demandé aux enfants de s’en tenir
à cette version. Dont acte. Jocelyne, aînée de ses trois frères, remplacera la mère au foyer.
Le premier garçon deviendra le souffre-douleur du père. À l’âge de 15 ans, à la faveur d’un
conflit, elle remettra l’histoire sur le tapis. Le père se fâche et, chose inattendue, culpabi-
lise et se déprime. Il meurt un an après. Le silence s’étend à nouveau. Trois ans après, le
frère souffre-douleur meurt dans un accident de voiture. Jocelyne ne ressent rien. Mais
dans les suites de ce décès, l’affaire resurgit à nouveau au sein de la fratrie restante. Ce
n’est qu’à l’âge de 57 ans que, dans les suites de la mort de son chien, Jocelyne s’effondrera.
Les circonstances de la mort de sa mère et les affects totalement réprimés à son décours
surgiront enfin. Douleur, colère, puis dépression. Culpabilité d’avoir gardé le secret. Culpa-
bilité d’avoir pris la place de sa mère. Culpabilité de l’avoir ensuite reproché au père.
La transmission transpsychique
« …aucune génération n’est capable de dissimuler à celles qui suivent les événements
psychiques significatifs. » (Freud, Totem et tabou.)
Les familles ne pourront éviter de transmettre ce qu’elles n’ont pu élaborer. Les généra-
tions précédentes demanderont inconsciemment à l’enfant l’accomplissement d’une
mission indépendante de son propre désir.
Le bouc émissaire, la victime expiatoire, le pharmakos que la société grecque prenait
en charge pour le tuer de manière rituelle si un malheur s’abattait sur la cité, et, encore de
nos jours, le sacrifice animal rituel, si ce n’est humain, destiné à se mettre en accord avec
une divinité complaisante, constituent des paradigmes du dédouanement de la faute afin
de pouvoir la renouveler à l’envi.
256
La famille
Il en est ainsi du sujet inconsciemment désigné pour être dépositaire de legs, d’un
mandat, d’une mission redoutable, qui l’assigne à répondre à des demandes impossibles
à réaliser sans y laisser une part importante de lui-même, de son identité, de son désir, et
parfois de sa vie.
La transmission de ces legs ne s’effectue pas entre les sujets mais à travers eux. C’est
une transmission transpsychique (Kaës, 1993, Losso, 2006). Les contenus se transmettent
non transformés, à l’état brut et partiel. Ils sont clivés, incorporés, incrustés. Jamais intro-
jectés. Jamais élaborés. Fantômes qui habitent des cryptes (N. Abraham, M. Torok, 1978)
creusées par l’absence de parole.
C’est ainsi qu’a pu être définie une violence transgénérationnelle (Losso et Packciarz
Losso, La violence transgénérationnelle…).
Eiguer (2007) distingue trois modalités de violence transgénérationnelle : le « non dit »
qui se réfère au secret, à la crypte et au fantôme ; le « mau-dit » « qui évoque la possible
malédiction d’un aïeul et la parole égarée, mal dite qui ne parvient pas à trouver un statut
de parole, mais agit en coulisse », et le « trop dit » : l’ancêtre trop présent, « qui ne laisse
pas au refoulement jouer le rôle organisateur et entrave en conséquence le geste du
sujet » (op. cit.).
Si la transmission intersubjective, interpsychique, se transmet de sujet à sujet, la trans-
mission transpsychique se transmet de sujet à objet.
À l’âge de 20 ans, Noémie, fille unique, découvrit que son père avait une relation
extraconjugale et en fit part à sa mère. Ce sera la seule fois qu’un secret sera révélé dans
cette famille. Elle le paya très cher car elle prit 20 kg et son destin fut de porter tous les
autres secrets de la famille. Après le divorce des parents, elle fut assignée à résidence, la
mère menaçant de se suicider si elle partait pour faire des études. Elle partit quand même
et la mère ne se suicida pas. Elle échoua toutefois à son concours, le divorce parental
ayant été prononcé cinq jours avant. En guise d’épreuve d’examen, elle fut hospitalisée
pour appendicite. Pendant tout un temps, elle téléphona à chacun des deux parents, en
cachette l’un de l’autre. Lorsqu’elle va leur rendre visite, elle prend systématiquement 3 kg
dans les jours qui précèdent.
Le père était fils unique. Lorsqu’il était enfant, il surprit son grand-père maternel avec
une autre femme dans une cabane du jardin. Il lui aurait été demandé de ne rien dire,
en échange de quoi il aurait tout ce qu’il voudrait. Dont acte. Il fut gâté pourri par ses
grands-parents maternels, plus particulièrement au niveau de l’argent.
Cet arrière-grand-père maternel est décédé il y a cinq ans, juste après le divorce des
parents de Noémie. Il n’a jamais été au courant de celui-ci, pas plus que de leur mésentente
préalable. « À Noël, quand j’allais chez eux, il me demandait où était ma mère. Ma mère
me demandait de mentir, de dire qu’elle avait une gastroentérite… Son héritage, je ne sais
pas où il est passé. Je sais que j’avais droit à des choses mais on ne me répond jamais. »
Les grands-parents paternels de Noémie étaient enseignants. « Ils se sont opposés à
deux de mes projets auxquels je tenais : devenir éducatrice et faire de la clarinette. »
Le père de Noémie devint alcoolique, plus particulièrement lorsqu’il fut au chômage.
C’était un alcoolisme secret. Il cachait son alcoolisme et ses bouteilles dans une trappe
sous le garage de la maison. Lorsqu’on le mettait face à l’évidence, il disait qu’il ne connais-
sait pas la provenance de ces bouteilles. « Au collège, lorsque des copines venaient à la
257
Traité de médecine psychosomatique
maison, il était étalé au milieu du salon. J’étais obligée de dire qu’il était malade ou qu’il
avait travaillé la nuit. Il me prenait en voiture complètement bourré. »
« Ma grand-mère maternelle et ma mère me demandaient de garder des secrets :
l’alcoolisme de mon père, leur mésentente, les raisons pour lesquelles le père n’était plus à
la maison avant leur divorce. Lors des repas de famille, il fallait dire qu’il travaillait ou qu’il
était malade. Quant à moi, j’ignorais qu’il faisait des séjours en hôpital psychiatrique…
Ma grand-mère maternelle sait que mon père boit mais elle élude. Elle ne me parle jamais
de lui. Elle est pleine de tics. »
L’absence de transmission
Roberto Losso (Psicoanalisis della famiglia) distingue une quatrième forme de violence
transgénérationnelle, passive, non imposée, déficitaire, c’est-à-dire liée à l’absence de
modèles, de nourriture psychique. C’est le déficit de la transmission trophique. Cette
forme d’absence de transmission caractérise plus particulièrement les sociétés modernes.
Absence ou rejet des repères familiaux des générations précédentes, des traditions. Les
causes en sont évidentes : mythe de l’indépendance qui frise celui de l’auto-engendre-
ment, apologie du changement, de l’efficacité, de la vitesse, de l’urgence, de l’illimité, de
l’extrême, du zapping, de l’actuel au détriment de l’histoire, de l’acte au détriment de la
pensée, de la communication au détriment de la rencontre, des individus productifs ou
consommateurs au détriment des sujets, du toujours plus qui accentue le manque, des
duplications identificatoires se construisant à partir d’images virtuelles, de l’immersion
dans le bain médiatique et de la soumission aux paroles du consensus.
258
La famille
259
Traité de médecine psychosomatique
J’ai précédemment insisté sur la place centrale qu’occupe l’angoisse de mort dans
l’asthme et présenté plusieurs observations dans lesquelles la pathologie est en relation
avec des deuils non élaborés (Psychosomatique de l’allergie).
soi, méprisable et pusillanime, n’est donc plus au goût du jour. Elle est l’antinomie de
l’héroïque, de l’esthétique, du sensationnel, triptyque indissociable sur lequel s’appuie
tout ce qui se vend bien : machins sans frontières, trucs sans limites, bidules interactifs,
conviviaux, citoyens, etc.
Nous avons fort à douter qu’en 2015, dans la ville d’Uzès où il résida, si proche de
Nîmes, André Gide, prît le risque de ne pas garder « foyers clos » et « portes refermées »…
Faire l’inventaire des éléments qui confèrent à la famille sa dimension trophique néces-
siterait un développement approfondi. Chacun d’entre nous pourrait, en référence à sa
vie, à son histoire personnelle, à ce qui lui a été donné, enrichir ce champ étendu, source
de paix avec l’autre et avec soi-même, plus souvent qu’on ne le croit :
• Naissance et reconnaissance de l’enfant, de ce nom qu’il va perpétuer, de son prénom,
de ses origines.
• Nourriture, soins, protection, sécurité, et toujours, même après de longues années,
aide, écoute, attention, présence, soutien, secours qui perdurent.
• Paroles qui nomment, qui expliquent le monde tout autour, qui étayent, soutiennent,
éduquent, apprennent, guident, accompagnent, racontent une histoire, celle que l’enfant
veut réentendre jusqu’à plus soif, celle de la famille, celle de la guerre, du labeur, d’un
événement signifiant.
• Sourires des visages familiers, répétition immuable de gestes que l’enfant imite,
modèles dont il s’inspire, qu’il s’approprie et qu’il recrée.
• Transmission d’investissements, de sublimations, d’idéaux, de valeurs, de mythes.
• Lieu imprégné d’odeurs, de couleurs et de sons. Lieu dont on sait qu’il a existé ou qu’il
existe encore et que l’on sait toujours retrouver.
• Moments de joie, de partage, de découverte, pleins de rires et de chants.
• Amour donné à l’enfant et à sa descendance, reconnaissance et pardon.
• Patrimoine matériel, spirituel, imaginaire.
• Et puis, tout ce que le sujet n’a pas vu et qui lui a été légué, tout ce qu’il n’imaginait
pas et qu’il découvre sur le tard. Toutes les graines semées par ceux qui ne sont plus là et
qui n’en finissent pas de germer. Tout ce qu’il se doit, à son tour, de transmettre.
262
Chapitre 11
1. INTRODUCTION
« L’amour est l’alpha et l’oméga de toute vertu. » (André Comte-Sponville, Petit traité
des grandes vertus.) Les raisons de l’amour relèvent toujours de la gratuité… L’amour est
une des voies de la connaissance de l’autre… L’amour est censé aider le sujet à se suppor-
ter et à se reposer de lui-même… L’amour élève et relève…
Mais l’amour peut faire souffrir. S’agit-il du même amour ?
La polysémie se cache derrière le terme aimer. On peut tout aimer et plusieurs choses
en même temps : son conjoint, ses parents, ses enfants, la mer, la montagne, les vins de
Bourgogne, les huîtres, la campagne au printemps, la pluie, la science, ses amis, les chats,
les chiens, le silence, la fête, soi-même, Dieu. La liste ne sera jamais exhaustive.
L’amour dont nous allons parler se joue entre deux individus. Au moins deux. Ainsi
réduit à sa dimension la plus habituelle, celle de l’intersubjectivité, l’amour est le phéno-
mène qui privilégie à un moment donné un lien, réel ou imaginaire, entre deux indivi-
dus, qui instaure la primauté d’une relation duelle investie plus que tout autre et définit
une « fonction psychosomatique amoureuse » spécifique : représentations, sentiments,
émotions, comportements amoureux.
Une deuxième restriction limitera cette intersubjectivité à l’amour qui s’accom-
pagne, ou tout au moins s’est accompagné à un moment donné et à des degrés divers,
de pulsionnalité érotique, excluant de ce fait les autres formes d’amour pourtant fonda-
mentales : amour maternel, paternel, fraternel, filial, amour mystique, amitié. Il nous reste
donc l’amour des chaumières, celui des chansons.
Les « histoires de cœur » se présentent à nous quotidiennement dans nos cabinets, soit
spontanément, soit révélées par l’anamnèse associative. J’ai évalué, chez l’adulte, la place
qu’occupent les désordres amoureux et les dysfonctionnements au sein du couple, dans
la genèse des plaintes ou des pathologies rencontrées au sein de mon activité libérale :
––désordres amoureux constituant le seul déterminant : 20%
––désordres amoureux associés à d’autres déterminants : 49%
soit une prévalence de 69% dans le déterminisme de la souffrance.
Les demandes d’aide au cabinet, implicites ou explicites, concernant les désordres
amoureux sont, par ordre de fréquence :
––les séparations,
––les dysfonctions sexuelles,
––les conséquences de l’infidélité,
––les dilemmes décisionnels,
––la jalousie.
263
Traité de médecine psychosomatique
Les paroxysmes aigus de ces désordres sont le plus souvent le fait d’états passionnels
et c’est la raison pour laquelle nous nous attarderons particulièrement sur les passions
amoureuses.
Mais les aléas de la passion ne sauraient résumer à eux seuls les désordres amoureux
et relationnels. La vie quotidienne, l’évolution des relations avec le temps, ses accidents
de parcours, constituent le soubassement de nombreuses difficultés, dont le patient finit
parfois par occulter les origines.
Les principaux événements et situations traumatiques en relation avec la vie amoureuse
et/ou la vie de couple, allégués par nos patients ou révélés par l’anamnèse associative,
peuvent se résumer, en référence à notre classification des traumatismes, selon le tableau
suivant.
264
Les passions amoureuses
Éros
Élan de passion charnelle, enchantement, extase amoureuse. Attrait pour la beauté
physique, désir d’assouvissement, plaisir des sens, excitation et licence, quête et besoin
de l’objet. Si la sexualité y occupe une place centrale, elle ne saurait définir Éros dans son
intégralité.
Car Éros naît du désir et du manque. Selon Platon, Éros « aime ce dont il manque et
qu’il ne possède pas ». Se distinguant d’Aristophane, qui assimile Éros à la complétude, le
retour à la fusion, Socrate, dans Le Banquet, identifie Éros au manque. L’incomplétude est
son destin. Aimer selon Éros, c’est aimer ce que l’on n’a pas, manquer de ce qu’on aime,
vouloir le posséder. Te quiero en espagnol signifie à la fois « je t’aime » et « je te veux ».
Petit dieu jaloux, avide, possessif, qui souffre lorsque le bonheur de l’autre l’éloigne de lui,
Éros est au centre de la passion amoureuse et en constitue le point culminant.
265
Traité de médecine psychosomatique
L’amour courtois (xiie - xive siècles) établit la primauté du désir. Le sentiment de l’amant
est censé s’amplifier, son désir grandir et rester pourtant en partie inassouvi. Il s’adresse
souvent à une femme inaccessible, lointaine ou d’un niveau social différent de celui du
chevalier. Elle peut feindre l’indifférence. On nommait ce tourment, à la fois plaisant et
douloureux, joy. Ainsi, Cercamon (1135-1145) dit : « Rien ne me fait plus envie Qu’un
objet qui toujours m’échappe » ; et Matfre Ermengau (fin xiiie - début xive) : « Le plaisir
de cet amour se détruit quand le désir trouve son rassasiement. » Ce joy d’amor a pour
cause une femme, et pour objet l’amour lui-même ; il est à la fois plaisir d’être amoureux
et vœu d’éterniser le désir, il est exalté par la retenue que la dame impose à son amant :
« Nul ne peut être assuré de triompher de l’amour, s’il ne se soumet en tout à sa volonté »,
dit Guillaume IX de Poitiers.
La dame peut tester la valeur de son amant avant de se donner à lui en lui imposant
l’assag (« essai »), prôné par les troubadours comme suprême épreuve de fin’amor (« vrai
amour ») : les deux amoureux couchaient «nu à nue » sans se toucher. L’allégeance du
soupirant à sa dame conduit celle-ci à le soumettre à une épreuve : « Ma dame me met
à l’essai et m’éprouve Pour savoir en quelle guise je l’aime », dit encore Guillaume IX de
Poitiers. L’assag devient au xiiie siècle l’épreuve héroïque de la chasteté gardée « au lit »,
« nu à nue » (nudus cum nuda) : si l’amant cède au désir, c’est la preuve qu’il n’aimait pas
de fin’amor. Une fois que l’essai est réussi par l’amant, la dame peut se donner à lui sans
craindre que le désir s’essouffle.
Mais le plus souvent Éros « dort à la belle étoile, près des portes et sur les chemins…
l’indigence est son éternelle compagne… tantôt il est plein de vie, tantôt il meurt puis
renaît… ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse» (Platon, Le Banquet). « Riche pourtant
de ce qui lui manque, et pauvre, à jamais, de tout ce qu’il poursuit, ni riche ni pauvre, donc,
ou l’un et l’autre, toujours dans l’entre deux, entre savoir et ignorance, entre bonheur et
malheur… Enfant de Bohême, si l’on veut, toujours en route, toujours en course, toujours
en manque. » (Comte-Sponville, op. cit.)
Éros s’apaise, puis s’ennuie lorsqu’il possède ce qui lui manque. Il aime l’amour plus que
la vie, le manque plus que la présence, la passion plus que le bonheur. La porte est ouverte
à l’exaltation, le tourment, la tragédie et la mort. Le romantisme y puise une large part de
son inspiration.
Jonathan, 20 ans, s’imagine que Judith désire le tromper ou le quitter. Depuis trois
mois, c’est devenu une obsession, il interprète ses moindres faits et gestes. La séance
permettra de repérer des éléments projectifs ainsi qu’une rationalisation défensive
manifeste et un besoin de contrôler l’interlocuteur. Il ne donnera pas suite aux entretiens.
Six mois après, il téléphone dans un état de panique extrême, demandant à ce que je
reçoive ladite Judith en urgence car elle vient de découvrir qu’il maintenait une relation
suivie avec une autre fille depuis longtemps, chose qu’il s’était bien gardé de me dire lors
de notre entrevue. Je propose à ma collaboratrice de recevoir Judith. Dont acte.
Judith est désespérée, ne mange plus, ne dort plus. Jonathan l’a trahie mais, surtout,
refuse de reconnaître ses torts, rationalisant sur le mode de l’accusation. À l’issue de la
séance, il appellera pour s’enquérir du contenu de l’entretien, se proposant de rectifier s’il
y a lieu les dires de Julie.
266
Les passions amoureuses
Lors de la séance, Judith racontera qu’à l’âge de 17 ans, elle avait communiqué pendant
plus d’un an sur internet avec un « garçon » absolument idéal dont elle était tombée
très amoureuse. Il paraissait tout connaître d’elle et lui disait exactement ce qu’elle rêvait
d’entendre. Par contre, il ne souhaitait pas la rencontrer de suite, ne cessant de repousser
l’échéance. Ce n’est qu’au bout d’un an qu’elle apprit qu’il s’agissait d’une de ses amies qui
se servait d’une fausse identité pour se moquer d’elle. Elle fit par la suite une dépression
et s’isola pendant de longs mois. La psychothérapie de Judith montrera que sa naïveté
foncière n’avait d’égal que son masochisme.
Malgré les séances, Judith ne parvint pas à quitter Jonathan. Elle mit tout en place pour
retrouver l’idylle du début. En vain. Le couple bâtit de plus en plus de l’aile, Jonathan se
dédouana de tout et finit par la quitter. Dans le désespoir, elle eut une relation transitoire
non investie avec un copain étudiant. Jonathan en ayant eut vent, fit irruption, renoua
la relation l’espace d’une nuit et, après s’être assuré qu’en réalité elle l’aimait toujours, lui
annonça qu’il ne voulait plus jamais la revoir. Depuis, elle a appris que Jonathan avait
toujours été infidèle. Elle a perdu 8 kg, ne parvient plus à se concentrer sur son travail, et
avoue que s’il revient, elle le reprendra malgré tout.
Quelles solutions pour échapper au manque, à la misère, au malheur ? Pour Platon,
c’est « l’enfantement dans la beauté, selon le corps et selon l’esprit ». Création ou procréa-
tion. Figures d’immortalité.
Platon propose aussi une autre issue par la voie de Diotime : la voie transcendantale.
Ascension spirituelle qui fait passer de l’amour des corps, à l’amour des âmes, puis au
Beau, au Bien, et enfin à Dieu. Éros, Philia, Agapè.
Psychosomatique d’Éros
Le désir
Le désir focalise les perceptions sur l’objet. Réaction brusque, intense, débâcle pulsion-
nelle faite de réactions physiques, de restriction du champ de la conscience au profit du
seul et unique objet, de productions imaginaires frustes ou féeriquement élaborées, de
ressaisissements défensifs induisant des expressions discordantes et fausses.
Le loup dans le dessin animé de Tex Avery en est l’expression caricaturale : yeux
exorbités, langue pendante, exaltation, excitation, agitation, sidération. À l’opposé de ces
expressions de prédateur qui deviennent monnaie courante sur nos places publiques et
qui s’accompagnent de rotation axiale cervicothoracique brusque, de sifflements, chuin-
tements, aspirations, jets de salive et souvent formulations grammaticalement et syntaxi-
quement réduites, le désir peut prendre une forme plus silencieuse, plus respectueuse,
acceptant l’existence de l’autre en tant que sujet : contemplation, émerveillement, fasci-
nation, langueur du soupirant, ou encore distance feinte du vrai séducteur.
L’envie
L’envieux désire ce que possède l’autre. Il se distingue de la jalousie amoureuse car, dans
celle-ci, réside une crainte d’être dépossédé de ce qu’on a.
Émotion composite faite de désir, de colère, de tristesse. Le sujet ressent comme une
espèce de morsure, sent son visage se figer. Mais la plupart des sujets civilisés s’empressent
de la dissimuler, car l’envie débusquée peut être source de honte ou de déshonneur. Ils
détournent alors le regard de l’objet qu’ils continuent de dévorer secrètement dans leur
for intérieur.
267
Traité de médecine psychosomatique
L’envie n’est pas de tout repos. Si elle peut constituer, chez certains, la source et le
moteur de l’ambition, de l’admiration, de l’émulation et donc de l’action, elle suscite
volontiers, lorsqu’elle reste lettre morte, tristesse, hostilité, rancœur, blessure narcissique,
haine et toujours frustration et insatisfaction. Nos marchands de bonheur l’ont parfaite-
ment compris, l’envie constitue le moteur de la consommation.
Les réactions d’envie sont particulièrement fréquentes et compréhensibles lors des
protocoles de procréation médicale assistée. La confrontation à la grossesse d’une amie
génère un mouvement dépressif immédiat chez la personne embarquée dans cette galère.
Dénoncer ce que les autres ont, les détruire, prendre leur place, posséder ce qui leur
a été ôté : certaines révolutions, manifestations, confédérations, brandissant l’insigne
sacro-saint du « pouvoir d’achat », n’ont pas d’autre dessein.
L’envie, et plus particulièrement l’envie sexuelle, est le moteur du terrorisme. L’inté-
grisme religieux n’a pas d’autre origine.
Philia
Désirer ce que j’ai. Jouir de ce que j’ai. Ici, le désir et le plaisir ne sont pas sous-tendus
par le manque mais au contraire par la présence de l’objet. La présence de l’autre n’entrave
pas cet amour, elle le nourrit, le prolonge, le construit. Désir que l’objet d’amour persiste
et vive, joie que l’autre existe. Le désir est ici une puissance (Spinoza) : l’amour du père
pour le fils, l’amitié sincère, l’amour pour cette femme qui est avec moi, l’amour de la
nature, etc. Pas de manque, pas d’angoisse, pas de jalousie, pas de souffrance. Partage,
fidélité, compagnonnage, intimité, confiance mutuelle.
Cet amour est indissociable du plaisir et de la joie (en grec, les termes sont homonymes).
Jouir et se réjouir, sans rien demander à l’autre que d’exister. La gratitude se substitue au
manque.
Il y a plaisir et joie à « chaque fois que nous désirons ce que nous faisons, ce que nous
avons, ce que nous sommes ou ce qui est, bref à chaque fois que nous désirons ce dont
nous ne manquons pas… » (Comte-Sponville, op. cit.)
Si philein désigne le verbe générique aimer, quel que soit l’objet de cet amour (maîtresse,
parent, musique, aliment, bains de mer), philia, malgré son devenir grammatical ultérieur
sous forme de préfixe (philosophie) ou de suffixe (cinéphile), concerne initialement les
rapports interpersonnels : amour maternel, paternel, filial, conjugal, amour des amants
« qu’Éros ne saurait tout entier contenir et épuiser » (ibid.), amitié sincère.
Dans un couple, dans une histoire d’amour, Éros et Philia s’entremêlent souvent. Mais
Éros s’use au fur et à mesure qu’il est satisfait, alors que Philia se nourrit et grandit de cette
satisfaction.
Psychosomatique de Philia
La joie résume la psychosomatique de Philia. Nous en avons, en première partie de
ce livre (p. 79), décrit les manifestations somatiques : légèreté, élévation, expansion,
hyperacuité sensorielle, relâchement musculaire, respiratoire, viscéral, vasodilatation, etc.
Bref, une thérapeutique en soi pour de nombreux maux physiques.
268
Les passions amoureuses
Agapè
Agapan : « Accueillir avec affection » un enfant, un hôte étranger.
L’amour qui laisse la place à l’autre. Agapè atteste d’un accueil qui fait place à l’altérité
d’autrui, alors qu’Éros tend à s’approprier l’autre pour en jouir et que Philia limite les
objets investis sous condition fréquente de réciprocité.
« Renonciation à la plénitude de l’ego, à la puissance, au pouvoir. » (Ibid.) Libération de
soi-même, de la prison du moi.
L’amour est abdication (Simone Weil), retrait, douceur, délicatesse d’exister moins,
autolimitation de son pouvoir, don désintéressé et inconditionnel de soi. Amour
spontané et gratuit, sans motif, sans intérêt, sans justification. Amour qui ne manque de
rien puisqu’il a renoncé à tout.
Agapè est indépendante de la valeur de son objet. Elle ne fait pas le constat de sa
valeur, elle la crée. Ce qui donne de la valeur à l’objet, c’est d’être aimé. Comme un cadeau
qu’on recevrait dont on ignore l’auteur. L’amour précède la valeur. C’est caritas : ce qui
rend cher.
Aimer ceux qui nous indiffèrent, nous encombrent, nous trahissent, ne nous aiment
pas. Amour permanent de la totalité de l’autre, « celui ou celle dont on est l’amant ou
l’ami », mais aussi de tous les humains, amis ou ennemis, amour « qui n’empêche d’ailleurs
pas de préférer ceux-là (quant à l’amitié) ni de combattre ceux-ci (si on peut les combattre
sans haine, si la haine n’est pas la seule motivation du combat)… » (Comte-Sponville,
op. cit.) Et « aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie : s’aimer
soi-même comme un étranger » (Simone Weil, La pesanteur et la grâce). « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même. »
Ainsi Agapè est l’amour au-delà de l’amour, l’amour divin, quasiment inatteignable.
Mais aussi ce qu’il peut y avoir de divin dans l’amour.
Agapè est indissociable de la joie et de la grâce, termes qui, en grec, sont homonymes.
Elle est aussi indissociable d’une triangulation transcendantale.
Psychosomatique d’Agapè
La paix
Agapè met un terme au combat. L’épuisement défensif dans la maîtrise cesse. Sérénité,
contemplation, béatitude. Le corps est moins en tension. Les vécus traumatiques prennent
un autre sens et leur impact pathogène en est atténué. Les effets somatopsychiques sont
moins délétères : les sujets habités par Agapè font preuve d’une sérénité surprenante par
rapport aux autres face à la maladie.
Le sourire
Les manifestations sensitives et sensorielles de la joie, repérées chez Philia (expansion,
élévation, sourire, larmes de joie), s’exacerbent, s’aiguisent, s’étendent, se pérennisent
et s’autonomisent par rapport aux objets. C’est plus un état qu’un sentiment. Plus une
passion qu’une émotion.
Il n’est pas étonnant que, chez certains sujets, les perceptions puissent parfois s’en
trouver modifiées.
269
Traité de médecine psychosomatique
La soumission déférente
Dévotion respectueuse, attitude à la fois soumise, déférente et extatique. On la
retrouve chez le croyant en prière, dans les images pieuses des saints, mais aussi chez le
soupirant romantique ou dans l’amour courtois.
2-2. L’attachement
Comment articuler l’attachement avec la triade grecque ? Dépendance d’Éros à
l’absent, jubilation de Philia avec l’objet, alliance d’Agapè avec Dieu ? Le lien duel est
présent dans chaque cas. A-t-il une origine commune dans la relation archaïque d’objet ?
D’un point de vue ontogénétique, l’attachement s’origine dans la fixation infantile
à la première créature mobile : l’empreinte. L’empreinte se constitue lors de la période
dite « sensible » ou « critique » des premiers mois chez l’être humain. Elle correspond à la
période de dépendance physiologique.
Konrad Lorentz avait mis en évidence la puissante influence de l’imprégnation sur les
oies, la période critique se situant dès les premières trente-six heures chez les oiseaux.
Chez les mammifères, cette imprégnation est encore plus marquée. Gérard Ménatory
explique qu’un louveteau capturé avant que ses yeux ne soient ouverts, ne peut que
subir une imprégnation dont il sera profondément marqué toute sa vie. Il réalisa une
expérience en enlevant à sa mère une petite louve âgée de cinq jours seulement. Au
bout de quelques semaines, il alla la replacer près de sa mère, mais elle gémit et courut
se réfugier contre les jambes de l’expérimentateur. Pour un loup vivant dans un parc, la
méfiance naturelle vis-à-vis de l’homme est légèrement atténuée et, même s’il y est né,
elle redevient une crainte véritable si d’aventure il rejoint l’état sauvage. Pour un loup qui
a connu l’empreinte, cette méfiance n’existe pas et n’existera plus.
J. Bowlby constate que les enfants ayant passé leur prime enfance en institution ont
tendance à ne s’attacher à personne. Il décrira les différentes phases du processus d’atta-
chement-détachement. Considérant, contrairement à M. Klein, que le processus d’atta-
chement ne trouve pas l’intégralité de son origine dans la relation avec le sein de la mère
et l’érotisme oral (notons que M. Klein reprochait à Bowlby de recevoir les bébés avec leur
mère !…), Bowlby attribue l’attachement à un instinct déterminé par une programmation
génétique nécessaire à la survie du fait du caractère néoténique du bébé.
H. Harlow démontrera plus tard que les bébés singes rhésus séparés de leur mère
s’attachent à une mère substitutive en peluche non allaitante et non à une mère en fil de
fer munie d’un biberon.
R. Spitz décrira en termes d’hospitalisme l’abattement, l’indifférence et l’altération
somatique des enfants séparés de leur mère.
Psychosomatique de l’attachement
Les séquences défensives chez le jeune enfant confronté à la séparation sont schéma-
tiquement les suivantes :
––cris, pleurs, lorsque la mère part, recherche active de celle-ci par le regard, bras
tendus ou déplacement dans sa direction. Hurlements si quelqu’un d’autre essaie de
consoler l’enfant ;
––lorsque la séparation se prolonge (hospitalisation, voyage, etc.), apparaissent transi-
toirement abattement, silence, indifférence aux autres, refus des jouets et de la nourri-
ture ;
270
Les passions amoureuses
––lorsque la mère revient après une absence conséquente, l’enfant est initialement
indifférent, parfois agressif, puis manifeste son affection que pourront ponctuer des
manifestations agressives inattendues.
Avec la répétition des expériences, au cours desquelles le vécu et les réactions de
l’adulte vont jouer un rôle déterminant, vont donc s’instaurer des modalités défensives
qui détermineront le soubassement de la relation d’objet et de la réactivité face à la
séparation. On peut distinguer de manière caricaturale trois types de formations défen-
sives :
––l’adaptabilité : lien investi, recherche de l’objet, mais acceptation de la séparation ;
––la distance (« attachement évitant ») : évitement de la dépendance, désinvestisse-
ment suivi d’investissements itératifs d’objets de substitution. L’indisponibilité de la
mère, sa distance, son éventuel rejet, peuvent favoriser ce type de réponse ;
––la dépendance : adhésivité, intolérance à la séparation, agressivité lorsque l’objet
s’éloigne. L’angoisse de séparation chez la mère y est souvent déterminante.
Les formes intermédiaires sont bien sûr fréquentes, volontiers déterminées par l’ambi-
valence maternelle dans laquelle alternent ou coexistent fusion et rejet plus ou moins
conscients.
Les expériences ultérieures successives exacerberont, atténueront, ou transforme-
ront partiellement le système défensif archaïque sans toutefois en faire disparaître la
prégnance.
Cette matrice, constituée d’un noyau défensif premier et structural, et des aménage-
ments défensifs ultérieurs détermineront grandement la manière d’aimer du futur adulte.
Caroline, 30 ans, allègue des difficultés récurrentes dans les relations investies. Il
s’agit d’un évitement défensif de l’attachement. Attachement qu’elle redoute sans trop
l’avoir connu. Il s’ensuit des choix d’objet préférentiels pour des hommes instables, vite
résolutifs, ainsi qu’une capacité d’adaptation transitoire à tout le monde. Elle fonctionne
de manière identique avec les lieux de séjour : sa vie est une longue suite de déménage-
ments. Elle a une sœur plus âgée d’un an.
La mère avait dénié les deux grossesses, se droguait, se prostituait. Le père étant très
pris par son travail, les deux bébés restaient seuls à la maison toute la journée. Les voisins
alertèrent les services sociaux et les deux enfants furent placés dans un foyer. Caroline,
alors âgée de 8 mois, développa otites à répétition. Quant à sa sœur, elle fit une anorexie.
Lorsque Caroline eut 18 mois, elle fut placée, avec sa sœur, en famille d’accueil. Caroline
était agitée, ne faisait pas la sieste, mais s’adaptait parfaitement, appelait tous les hommes
« papa », tendait les bras à tout le monde, et faisait sa vie toute seule. La sœur, par contre,
était scotchée à l’autre.
Caroline entendait mal. D’où troubles de la scolarité. Elle fut opérée à 5 ans. Contrai-
rement à sa sœur qui a développé une personnalité dépendante, Caroline s’est défendue
contre le vécu de séparation, par une formation réactionnelle précoce : ne pas s’attacher,
se détacher. L’hypoacousie a mis les autres à distance.
D’un point de vue biologique, l’ocytocine est l’hormone de l’attachement. Une injec-
tion d’ocytocine chez la brebis induit un attachement au premier nouveau-né venu. Sans
ocytocine, elle ne lui prête aucune attention. Le campagnol des plaines est monogame,
contrairement à son cousin, le campagnol des montagnes qui est polygame. Une vision
271
Traité de médecine psychosomatique
simpliste ferait remarquer que la polygamie paraît, à l’inverse, plus courante en ville
qu’au fin fond de la montagne… Mais nous sommes des hommes et ce sont des campa-
gnols. Quoi qu’il en soit, chez tous les campagnols, l’ocytocine est libérée lors du premier
coït à telle enseigne que les récepteurs à ladite hormone se multiplient dans le cerveau
campagnolesque dans les suites immédiates de l’extase. Chez certains humains, bien
que l’ocytocine participe aussi à la montée du désir et du plaisir, il semblerait que l’expé-
rience nécessite pour le moins une certaine répétition, un coït unique ne suffisant pas,
en règle générale et en tout cas de nos jours, à créer l’attachement, les mains fussent-elles
attachées aux montants du lit.
2-3. L’amour et la société
Le phénomène amoureux est universel, mais ses expressions divergent selon les
époques et les civilisations. Coutumes, modes, rites, convenances, règles, lois, tabous,
consensus, interdits en constituent les modes de régulation externes.
Deux domaines intriqués méritent d’être abordés : la régulation des unions par le
groupe social et l’évolution des représentations et des comportements sexuels.
20
15
10
1 5 10 15 20 25 30 ans
274
Les passions amoureuses
3-1. Attraction et séduction
« Je croyais choisir et j’étais choisi » (Aragon, Le voyage de Hollande.)
Quelque chose choisit pour nous. Si ce n’est pas l’autre ou les autres, c’est notre
inconscient. Quelle part reste-t-il au supposé libre arbitre ? Existe-t-il des critères généraux
de séduction ou d’attraction ?
Critères instinctuels
Certains critères d’attraction sont propres aux besoins de l’espèce. Leur origine est
perceptive, sensorielle. Ainsi les biches préfèrent les cerfs les plus puissants. Qu’en est-il
dans l’espèce humaine ?
Alberoni insiste sur deux critères d’attraction pour les femmes : la dominance du mâle
dans le groupe social et l’attraction qu’il induit vis-à-vis des autres femmes.
L’homme élu est chef, peu importe de quoi : d’État, d’orchestre, d’entreprise, d’agence,
de cuisine, de rayon, etc. Il en a la fermeté, l’autonomie, l’indépendance, le pouvoir. Il est
érigé sur la place publique : homme politique, star, chef de bande, artiste peintre barbouil-
leur, aventurier, pompier. C’est aujourd’hui celui dont la tête est toujours dans le champ
de vision, celui qui fait le plus de bruit et brasse le plus d’air, celui dont on dépend ou dont
on croit dépendre, ne fût-ce que pour un temps très court : ici réside l’attrait incondition-
nel de nombreuses femmes pour les barmans, serveurs, disques-jockeys, moniteurs.
Le fait qu’il soit l’objet du désir des autres femmes induit chez la candidate potentielle
un surcroît d’intérêt par le biais de phénomènes de mimétisme mais aussi de compéti-
tion. Fantasme de soumettre celui qui était considéré comme indomptable.
D’autres critères instinctuels peuvent favoriser l’attraction : la force et l’harmonie du
corps, plus que celle du visage. Mais la faiblesse n’est pas dénuée de pouvoir. La gentil-
lesse, la compréhension répondent au besoin de protection. L’humour apporte la détente
nécessaire à la levée des défenses.
Les phéromones dont on parle beaucoup auraient-elles l’effet d’un philtre d’amour ?
Une expérience aurait montré leur pouvoir : dans une salle d’attente, la vaporisation
d’androstérone (présente dans la transpiration masculine mais inodore) sur certains
sièges pousse les femmes à s’y asseoir en priorité…
En ce qui concerne les attirances des hommes, Alberoni insiste sur l’éternelle primauté
de la pulsion scopique centrée sur les caractéristiques physiques de la femme.
Depuis quelques années, la phallicisation de l’univers féminin tend à égaliser les diffé-
rences et l’intérêt de la femme pour les attributs strictement physiques de l’homme n’est
plus un secret.
Critères sociétaux
Les représentations de l’idéal féminin ou masculin changent comme la mode, non pas
à chaque collection de printemps, mais régulièrement en quelques décennies, remodelées
par les mutations sociétales. La langueur et la mélancolie du héros romantique feraient
mourir de rire tout un gynécée, pire, le sujet risquerait d’y prendre des coups. Même sort
pour le séducteur des années 30 : les lèvres sont trop fines, pire, il a de la moralité et son
français est irréprochable.
Les parades amoureuses varient selon l’époque et le groupe social. Elles peuvent être
l’objet de rituels, comme demander la main au père de l’élue. Chez les Samoas, l’amoureux
276
Les passions amoureuses
fait sa cour par copain interposé, ce qui chez nous, à l’heure actuelle, ne serait pas dénué
de risque. À Nîmes, la feria restaure sans le savoir le rituel gallois du xvie siècle qui consis-
tait à exprimer sa flamme en urinant sur la robe de l’élue.
Les rencontres se font de plus en plus par le biais du divin écran. Les ruptures aussi, il
est vrai. Un Français sur trois étant inscrit sur un site de rencontres, en 2013, les supermar-
chés de l’entremise se devaient de proposer un catalogue achalandé de critères prédéfinis,
permettant de passer commande sans se déplacer, la livraison étant souvent rapide. Le
produit, rangé dans son rayon, comporte toutes les informations quant à la provenance,
la fabrication, le conditionnement, les propriétés organoleptiques et parfois même le
mode de cuisson. Le nécessaire écoulement des stocks autorise un certain flou quant aux
dates de péremption.
vécue dans un contexte d’angoisse de séparation majeur. Yaël tente de réparer l’angoisse
de sa mère dans laquelle elle a baigné dans sa petite enfance, en rejouant le trajet inverse
de l’exode traumatique. « C’est comme si on était né ensemble », dira-t-elle à propos de
Farid. « Lui, il a connu l’Algérie, moi non. »
3-2. La captation
Paradoxalement, l’expression tomber amoureux qualifie les premiers temps de l’ascen-
sion amoureuse. Cette métaphore de la chute exprimerait-elle les dangers de chutes
potentielles ultérieures ou tout simplement l’état de perte de maîtrise du sujet ?
Le coup de foudre
Il constitue un élément inaugural fréquent de la passion. Le départ est brusque : état
d’alerte érotique, mise en tension, état hypnoïde, éblouissement, ravissement, enthou-
siasme, exaltation. Don José envoûté par la danse de Carmen, capture de Faust par l’hal-
lucination de Marguerite.
Le coup de foudre est suscité par des perceptions qui réactivent :
––soit des représentations préconscientes ou inconscientes. Pourquoi telle perception
a provoqué un impact aussi puissant ? Il est inévitable qu’il existe un phénomène de
résonance entre la perception et quelque chose d’antérieur ;
––soit d’autres perceptions, antérieures, troublantes : formes, sons, odeurs. Certaines
de ces perceptions peuvent être archaïques en relation avec l’empreinte. La vue y
occupe une place prépondérante. L’olfaction a un pouvoir intense de réactivation de
traces mnésiques du fait probablement de la proximité des régions olfactives avec le
lobe limbique.
Les réactions émotionnelles induites par le coup de foudre sont immédiates et sont
l’expression composite de la surprise et de l’intérêt : sidération, inhibition motrice, restric-
tion majeure du champ perceptif qui se focalise sur l’objet, regard fixe, faciès hébété,
278
Les passions amoureuses
279
Traité de médecine psychosomatique
Chez les lunatiques, la nouvelle lune met un terme à l’embrasement. C’est le feu de
paille, fréquent en été comme il se doit. Satisfaction trop immédiate, décalage entre
fantasme et réalité, prise de conscience d’un danger, retour aux affaires courantes.
Dans la vraie passion, un soleil radieux succède à la pleine lune : créativité, partage,
évasion, exaltation des sens, des perceptions, de la force physique, de l’imagination.
Sentiment d’invulnérabilité, éclats de rire, cohésion face aux autres, projets, partage de
nouveaux investissements. L’amour donne des ailes.
Souvent, la lumière du soleil aveugle : occupation quasi permanente de la pensée par
l’image du partenaire perçu comme un tout idéalisé. Difficulté à supporter les conflits, les
frustrations, les séparations, les absences, désir d’une réciprocité des sentiments, codes et
néologismes secrets.
La relation devient exclusive, le sujet désinvestit les autres liens, amicaux, familiaux,
et néglige ses investissements antérieurs. Les contraintes sociales, professionnelles,
familiales, font alors figure d’obstacles incongrus. Ce qui constituait l’identité du sujet
peut ainsi être mis à mal.
Le monde du sujet s’organise donc autour d’une seule relation. Coalescence duelle que
rien ne triangule. L’empreinte naît de ces conditions. Elle crée l’attachement qui renforce
et pérennise la relation. Attachement qui ponctue la transition entre Éros et Philia. L’objet
du désir n’est plus ce dont le sujet manque, mais ce qu’il a maintenant. La présence de
l’objet est source de joie, son absence n’est pas source de tourment. Ainsi se pérennisent
les relations amoureuses.
R : Représentations de l’objet
P : Perceptions externes
A: Sentiment amoureux
C: Comportement amoureux
P : Perceptions internes
S: Manifestations physiologiques
de l’émotion amoureuse
l’objet d’une cristallisation (Stendhal) : elles sont associées à l’objet, confirment sa valeur,
alimentent l’état amoureux et font l’objet d’une rétention mnésique particulière.
Le sentiment amoureux
Joie, allégresse, exaltation, extase, sentiment de sécurité, de reconnaissance, autant de
sentiments qui, lorsqu’ils sont partagés, rendent le sujet amoureux plus désirable aux
autres. On ne prête qu’aux riches, c’est injuste mais c’est comme ça.
Le comportement amoureux
Quête de l’objet, hypervigilance à toutes ses manifestations. Dépassement de mes
propres limites, regain d’efficience et de créativité dans certains domaines, mais aussi
négligence ou actes manqués dans les secteurs non concernés par la passion.
L’émotion amoureuse
L’émotion amoureuse est une émotion composite faite avant tout de joie, d’intérêt et
d’excitation, mais aussi parfois, selon les situations et les sujets, de honte et d’angoisse.
La joie apparaît en présence de l’objet ou dans sa proximité immédiate. Elle peut
perdurer en l’absence de l’objet lorsque le contact est entretenu.
La honte est le fait, le plus souvent, de sujets amoureux inhibés dans leur approche de
l’objet, ou de sujets fragiles d’un point de vue narcissique. C’est une honte libidinale dans
laquelle le sujet perd son identité et craint d’être dévoilé face au regard de l’autre.
La peur, c’est la crainte du rejet éventuel de l’objet, ou de ses réactions inattendues.
Les expressions cliniques de l’émotion amoureuse sont les suivantes :
––sourire (joie) ;
––chaleur dans tout le corps (joie), rougissement (honte) ;
––tremblements, tachycardie, transpiration, pâleur (conflit entre la joie, la honte et la
peur) ;
––éclair dans les yeux, regard brillant ou yeux de merlan frit, désordre sensoriel visuel,
traduisant la joie et l’intérêt, la fascination, le ravissement, la focalisation de l’amou-
reux transi ;
281
Traité de médecine psychosomatique
282
Les passions amoureuses
4-2. Le tourment
Il surgit bien plus tard, lorsque l’empreinte installée génère non pas l’attachement mais
l’addiction.
L’organisation psychique du sujet et les réponses de l’objet y jouent un rôle détermi-
nant.
Le sujet est enchaîné et ne peut plus se passer de ses chaînes. « En dépit des difficultés
de mon histoire, en dépit des malaises, des doutes, des désespoirs, en dépit des envies
d’en sortir, je n’arrête pas d’affirmer en moi-même l’amour comme une valeur. » (Roland
Barthes, Fragments d’un discours amoureux.)
Attente, dépendance, assujettissement, doutes, menaces, pesant sur la valeur
amoureuse. Passion triste, jalousie, angoisse d’abandon, inquiétude, crainte d’un effon-
drement, déraison, obsession, douleur, dépression.
Rendez-vous, téléphone, messages, départs, retours. Je me suis donné l’ordre ou on m’a
donné l’ordre de ne pas bouger. Je m’interdis d’aller au cinéma au cas où il appellerait, et
si quelqu’un d’autre appelle, je suis irritée, j’écourte. Je décroche à la hâte. Pas de nouvelle.
Je m’inquiète : serait-il arrivé quelque chose ? Alternance de colère, d’angoisse, d’espoir et
d’abattement.
R. Barthes : « … et, comme ce téléphone, que je ne veux pas manquer, m’apportera
quelque nouvelle occasion de m’assujettir, on dirait que j’agis énergiquement pour
préserver l’espace même de la dépendance, et permettre à cette dépendance de s’exer-
cer… L’autre est assigné à un habitat supérieur, un Olympe où tout se décide et d’où tout
descend sur moi… » (Op. cit.) Il est investi d’un pouvoir de vérité.
Le monde extérieur, je le subis, tout m’irrite et m’attriste, tout est obstacle et ennui en
dehors de l’autre.
Le téléphone portable a créé de la dépendance, car il a rompu l’alternance de la
présence et de l’absence.
Les réseaux dits « sociaux » en ont rajouté une couche. Certaines patientes laissent leur
réseau social favori allumé en permanence et vont régulièrement voir s’il y a du nouveau.
Psychosomatique du tourment
C’est le feu, le feu qui consume, le feu qui s’éteint et se rallume, aboutissant à terme aux
résidus du sublimé : émaciation, amaigrissement, consomption, dessèchement, lyophili-
283
Traité de médecine psychosomatique
sation. Que tout renaisse et l’appétit revient, le sommeil retrouve sa quiétude, la pluie fine
apaise le tourment sans éteindre le feu de la passion.
Afflux d’émotions : angoisse, peur, colère, jalousie, tristesse, joie retrouvée. État de
manque favorisant les autres addictions, que n’atténuent nullement les états transitoires
de plénitude. S’apaiser lors du manque ou lorsque surgit la menace, se griser lors des
retrouvailles. Cigarettes, alcool, dépenses excessives, désordres alimentaires.
Troubles du sommeil, oublis de manger, agitation motrice, trémulations, souffle
court, amaigrissement, émaciation, consomption, conversion, désordres immunitaires
(herpès), frissons, sensation de froid, de vide, d’éviscération, de dilacération. L’élaboration
psychique est inopérante à endiguer les excitations instinctivo-pulsionnelles, tout autant
que la parole qui se résume à une écholalie centrée sur l’objet ou une plainte lancinante
et archaïque.
La trahison
Le traître
Le coupable nie la trahison jusqu’à ce que les traces laissées sur le téléphone portable
ou sur internet viennent confirmer de manière irréfutable la cause du changement qui
s’était opéré en lui depuis quelques mois et dont l’expression était pourtant si éloquente.
Il se dédouane parfois de sa culpabilité en incriminant l’autre, son caractère, sa négli-
gence, ses esquives sexuelles, son contrôle excessif, qui n’y sont bien sûr pour rien. Chez le
coupable, pris dans sa nouvelle passion, l’exaltation alterne souvent avec l’anxiété induite
par la désagrégation de sa vie conjugale et familiale.
La victime
De manière quasi générale, la victime, sous le choc, cherche à comprendre ce qui a bien
pu induire la trahison et se remet en question. Pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Suis-je assez bien
pour lui ? Le praticien ne prendra pas de gros risques en alléguant à la victime qu’elle n’y
est strictement pour rien, tant du point de vue de sa personne que de ses actes, et que
chercher dans cette direction n’est que l’expression d’un fantasme de maîtrise désespérée
qui n’aboutira qu’à une impasse.
Chez la victime, c’est le branle-bas de combat pour récupérer le fautif : initiatives
sexuelles, disponibilité nouvelle, gentillesse, contrôle de soi, régime, cadeaux, patience,
alternent avec des moments d’intense douleur. Le détournement désespéré vers un autre
objet sexuel ne fait qu’accroître le désarroi.
Ce désarroi légitime s’inscrit dans le corps : insomnie, inappétence, douleurs abdomi-
nales, amaigrissement, etc. Il n’est pas rare que des somatisations apparaissent : syndromes
douloureux, réactions inflammatoires, dermatoses, conversion, etc.
Sophie présente des migraines ophtalmiques depuis un mois, date à laquelle elle
a découvert sur le téléphone portable de son mari que celui-ci avait une relation extra-
conjugale débutée il y a sept mois.
L’issue est variable : allers-retours, séparation après de longues et vaines tentatives,
retour au logis, aménagements, regain d’intimité, programmation palliative d’un nouvel
enfant, récidives fréquentes.
Il y a trois ans, Wilfried, 47 ans, tomba amoureux d’une collègue de travail. Anne,
son épouse, 43 ans, découvrit grâce à internet le pot aux roses. Crise majeure. Branle-bas
de combat. Grossesse. Deux ans après, Wilfried vient consulter : il souffre de dysfonction
érectile, aussi bien avec son épouse qui a pris un amant qu’avec sa maîtresse qui en a pris
deux.
Dilemmes décisionnels
Les dilemmes décisionnels sont le fait, en règle générale, d’une relation triangulée :
sujet, objet intramuros, objet extramuros. La rançon est l’angoisse.
Adèle. « Quand je suis avec un des deux, je veux être avec l’autre. J’ai trouvé une
solution transitoire : un troisième, car je ne supporte pas d’être seule. » Avec le numérique,
les possibilités pourraient être infinies mais, ici, il ne s’agit ni d’addiction sexuelle, ni
d’addiction à internet, car Adèle investit et idéalise chaque relation sous le mode de
285
Traité de médecine psychosomatique
Le masochisme
Lors des vécus de trahison, il n’est pas rare que la victime, dans sa quête désespérée d’une
explication, s’enquiert auprès du fautif de détails d’ordre sexuel. Il lui sera alors aisé d’imagi-
ner les ébats illégitimes, d’en souffrir, mais aussi, chez certains sujets masochistes, d’en jouir.
Un de nos patients gardait sur lui une photo des deux coupables lors de leurs ébats.
Mais le masochisme ne saurait se limiter à cette période transitoire et aiguë d’instabi-
lité et de souffrance. Celui qui nous interroge le plus en pratique est celui qui organise ou
réorganise la relation. Nous aborderons le masochisme de manière approfondie dans la
quatrième partie de cet ouvrage.
4-4. La tendresse
Chez certains sujets, la passion perdure tant qu’ils n’ont pas le sentiment de connaître
suffisamment l’autre. Elle s’éteint lorsque la découverte de l’objet a été jugée suffisante,
et, pour employer une expression trop fréquente, qu’ils « en ont fait le tour ». Ils peuvent
alors appareiller vers d’autres destinations, d’autres archipels, et l’on peut augurer que le
cabotage se répétera indéfiniment avec les autres objets.
286
Les passions amoureuses
5. CLINIQUE DE LA SÉPARATION
Il semblerait, d’un point de vue statistique, que les femmes se remettent mieux de la
séparation que les hommes. Mais, là encore, les choses sont en passe de s’égaliser.
Le consensus pense qu’il vaut mieux être celui qui laisse que celui qui est laissé. Saint
Paul, puis Kierkegaard et bien d’autres avancent l’inverse.
Contrairement à la mort, la rupture relationnelle qui s’avérera définitive laisse l’objet
vivant dans ce monde, plus ou moins éloigné, quel que soit son devenir. De cette diffé-
rence fondamentale, naît une réactivité sensiblement différente face au renoncement.
Dans le deuil amoureux, l’agrippement à l’objet perdure.
La séparation traumatique d’avec l’objet d’amour concerne aussi bien la courte passion
amoureuse que la relation d’attachement. La souffrance est au rendez vous, violente et
résolutive dans le premier cas, tenace et durable dans le second.
287
Traité de médecine psychosomatique
Don José, au dernier acte de Carmen, essaye et propose tout : « S’il le faut pour te plaire
je me ferai bandit tout ce que tu voudras. »
• Fébrilité, agitation, déambulation, insomnie, tension abdominale, inappétence,
nausées, addictions.
Dans la relation d’aide :
––ne pas rompre les illusions du retour tout en ne les entretenant pas ;
––respecter le déni dans les suites du choc ;
––pas d’antidépresseurs. Anxiolytiques pour dormir.
5-2. L’acmé de la douleur
Quelques semaines… marquées par une souffrance profonde et continue et des
aménagements défensifs successifs, instables et peu efficaces. Le sujet réalise la réalité de
la situation.
Angoisse
Angoisse de castration : je ne jouis plus de l’objet alors que lui jouit probablement sans
moi.
Angoisse de séparation : je ne sais que faire sans lui, je suis perdu, j’ai peur.
Les angoisses de castration et de séparation se conjuguent, générant parfois une
angoisse de mort, à laquelle peut participer aussi, chez certains sujets, une angoisse de
destruction.
Les réactions défensives sont limitées : je m’isole et me recroqueville comme un fœtus,
ou j’en appelle aux autres.
Blessure narcissique
Je suis nu, humilié, fécalisé, j’ai honte. J’évite certains lieux, je me transforme, me fais
couper les cheveux, tonds mon pubis, me cache derrière des lunettes noires. Je tente
vainement de susciter la jalousie, de me rendre à nouveau désirable, de jouer un rôle
supposé me grandir.
Douleur
Douleur d’auto-agressivité, mais aussi de meurtrissure. Douleur accentuée par la
culpabilité imaginaire.
La démarche devient lourde, le corps se voûte, le regard est imprégné de tristesse.
Suicide, meurtre, vengeance, ne surgissent que chez des sujets prédisposés à la mise
en acte.
Idée fixe
L’objet est plus important que le sujet. Il est investi d’un pouvoir de vérité. Je n’existe
plus, ma vie dépend de lui. Je tiens sans fin à l’absent et au discours sur l’absent (R. Barthes).
La cristallisation resurgit. Toute émotion n’a du sens que parce qu’elle me relie à l’objet.
La plus belle œuvre musicale semble avoir été finalement écrite par elle, pour elle, et ne
peut plus exister sans elle. L’idée fixe survient de manière récurrente au hasard des événe-
ments, des perceptions, des états d’âme. Lorsqu’elle ne survient pas, le sujet la recherche
de manière active pour prolonger la relation et demande le silence.
288
Les passions amoureuses
Je parle donc de l’absent, et ainsi j’ai l’illusion de le maîtriser. Le langage naît de l’absence.
« Cette mise en scène langagière éloigne la mort de l’autre. » (Barthes, op. cit.) Mais mon
discours aux autres tend vers l’écholalie, le radotage. Mieux vaut tenir un journal en y
notant le ressenti, les sentiments, les pensées et leurs variations au jour le jour.
Attente
Le sujet ne dénie plus la réalité mais il continue à attendre. Voyantes, marabouts, le
retour de l’être aimé est garanti. Je suis apaisé quelques instants. Mais, « Il ne vient pas ! »
dit Marguerite dans La damnation de Faust, de Berlioz.
Hésitations : dois-je ou ne dois-je pas lui téléphoner, lui écrire, lui faire signe ? Paralysie,
indécision qui diffuse dans les autres domaines de ma vie.
« Leurres de solutions, quelles qu’elles soient, qui procurent au sujet amoureux, en
dépit de leur caractère souvent catastrophique, un repos passager ; manipulation fantas-
matique des issues possibles de la crise amoureuse. » (Ibid.)
Psychosomatique
Émotions : colère, angoisse, mais aussi abattement, meurtrissure. J’ai mal dans mon
corps, surtout au ventre, quelque chose brûle en moi, mon souffle est court, mes nuits
tourmentées, mes réveils douloureux, je m’agite en tout sens.
« D’amour l’ardente flamme consume mes beaux jours
Ah ! la paix de mon âme a donc fui pour toujours. »
Berlioz, La Damnation de Faust.
Les addictions persistent.
Sybille, séparée depuis un mois, ressent un nœud au ventre, une oppression perma-
nente. Colère, tristesse, peur, culpabilité. Depuis la rupture, elle rêve qu’on lui tire dessus
ou qu’un homme l’étrangle.
289
Traité de médecine psychosomatique
La cristallisation
Elle persiste, mais elle devient plus dépendante des circonstances et des objets
extérieurs. Toute perception émotionnellement chargée induit la représentation de
l’objet, réactive des souvenirs.
Le sentiment de solitude
––Solitude réelle car, dans l’exclusivité de sa passion, le sujet s’était coupé du monde,
avait délaissé ses relations sociales.
––Solitude difficile à rompre car le sujet est moins désirable, il saoule ses interlocuteurs
avec son éternelle plainte.
––Solitude accentuée par les échecs fréquents des tentatives amoureuses compensa-
trices.
––Solitude à venir imaginée car il ne peut concevoir d’aimer ou être aimé à nouveau.
Cette solitude génère volontiers un sentiment de vide. Passage obligé.
290
Les passions amoureuses
Au bout de quatre mois, Sybille souffre par intermittence. Ses rêves ont changé,
on ne lui tire plus dessus, on ne l’étrangle plus. Elle est victime d’un accident de voiture
mais, parfois, c’est elle qui provoque l’accident. Vers cinq mois, les rêves à contenu agressif
disparaissent. Elle rêve alors d’une étendue glacée, d’un paysage d’hiver, il fait très froid.
5-4. La convalescence
Le sujet n’attend plus, espère peu, émerge. Et ces états de réanimation du moi augmen-
tent en fréquence et en durée. Il est parfois surpris et désemparé de voir resurgir la douleur
et son cortège, après tant de temps passé. Ce sont les effets inévitables d’un ciel de traîne.
Le processus de guérison est engagé.
La culpabilité s’est évanouie, d’autant que le sujet aura eu peut-être vent de faits qui
attestent que l’objet n’était pas tant idéal que ça. Il peut lui arriver de se sentir coupable
de ne plus éprouver de douleur ou de désinvestir l’image de l’objet.
Il a renoncé. Il est aussi désabusé. Ses expériences érotiques de substitution ont été des
échecs ou n’ont pas été investies. Il est finalement assez bien tout seul, il ne cherche plus,
il n’espère plus, il n’y croit plus. Il est en paix, soulagé, et ça lui suffit.
Il prend conscience que tout ceci a dépassé à la fois autant lui-même que l’objet. Il est
même apaisé lorsqu’il imagine l’objet heureux sans lui, allant parfois jusqu’à s’émerveiller
de le savoir en vie. Philia tend vers Agapê.
C’est à ce moment-là que le téléphone sonnera.
C’est aussi à ce moment-là qu’un autre, qu’il ne voyait même pas, croisera sa route.
5-5. Cicatrices
Et la mer efface sur le sable…
La vie qui suivra laissera sourdre d’autres passions, d’autres émotions, d’autres événe-
ments, et finira par « blanchir » les représentations de l’objet.
291
Traité de médecine psychosomatique
Pire ! De ces passions, avec le temps, il ne reste pas grand-chose. Mais les cicatrices sont
parfois torpides.
Métamorphose « amicale »
Elle ne peut s’instaurer qu’après l’investissement amoureux d’un autre objet. Elle
implique une désexualisation. Il s’agit en fait plutôt de bienséance que de réelle amitié.
Rechutes
Elles ne sont pas exceptionnelles, mais souvent de plus courte durée.
Au bout de trois ans, Marie-Josée, 48 ans, semblait avoir fait le deuil de son mari.
Mais depuis que ce dernier a décidé de revenir vivre dans la région, l’objet interne a repris
consistance. Elle a repris son doudou, elle dort sur le canapé, elle s’isole, elle n’a plus de
projet, et allègue des idées suicidaires.
Séquelles traumatiques
––Deuil impossible. ça s’est vu, ça se voit encore.
––Persistance de la représentation de l’objet au sein du préconscient. Très fréquent,
l’objet revient de temps à autre dans les rêves.
––Sensibilisation à la séparation. Certains chats échaudés craignent l’eau froide.
D’autres s’y plongent à nouveau avec délectation.
––Changement radical de mode de vie.
Edwige, 51 ans, n’a plus eu aucune relation de quelque nature que ce soit avec un
homme depuis son divorce il y a sept ans. Elle s’est plongée dans le travail et vit chez ses
parents. Elle présente un état dysthymique, un syndrome douloureux chronique et a pris
25 kg.
––Somatisations :
- elles succèdent à une période de démentalisation induite par le traumatisme de la
séparation ;
- obésité, dermatoses, syndromes douloureux, désordres hormonaux (désordres
thyroïdiens, aménorrhée), maladies inflammatoires, désorganisations progressives.
Gianni, 32 ans, présente des manifestations majeures d’angoisse depuis l’âge de
20 ans, date d’une séparation traumatique. Son discours se limite à la description des
manifestations corporelles et à leur interprétation hypocondriaque.
Viviane signale une période d’aménorrhée qui a duré neuf ans. Celle-ci s’est instal-
lée au décours d’une période d’angoisse majeure survenue dans les suites immédiates
d’une séparation d’avec son compagnon de l’époque. Les angoisses laissèrent progressive-
ment la place à une courte période de dépression essentielle qui précéda l’aménorrhée.
Lorsque celle-ci fut installée, un comportement opératoire s’installa, associé à une restric-
tion alimentaire et un amaigrissement pendant plusieurs années.
Patrice. Apparition d’un eczéma à 18 ans dans les suites d’une rupture amoureuse.
Julie, 31 ans. Première poussée d’eczéma généralisé à 18 ans après rupture d’avec
son compagnon. Rechute à 21 ans lorsqu’elle quitte à contre-cœur sa ville natale pour ses
292
Les passions amoureuses
études. Une nouvelle liaison met fin à l’eczéma. Départ pour l’étranger. Rechute. Retour
en France. Amélioration.
Il y a deux ans, Astrid s’est séparée de son compagnon. Séparation difficile et
douloureuse mais, au bout d’un an, le deuil paraissait consommé. Elle prit d’agréables
vacances et put ainsi affronter avec sérénité la période de surcharge professionnelle qui
l’attendait. Dans la foulée, elle déménagea, quittant la maison dans laquelle elle avait
vécu avec son compagnon. C’est alors qu’un diabète insulinodépendant apparut. L’objet
d’amour dont elle avait l’illusion d’avoir fait le deuil reprit consistance plus que jamais et
vint, conjointement à la déstabilisation induite par le diabète, habiter ses pensées et ses
rêves.
Le « cœur gros » exprime le chagrin, la peine, l’attendrissement douloureux. Le cœur
pourrait-il être la cible somatique de désordres affectifs amoureux ? J’ai connu un patient
exempt d’antécédent qui a développé une cardiomyopathie obstructive en l’espace de
quelques mois dans les suites de la séparation d’avec son épouse.
293
Chapitre 12
LA MATERNITÉ
1. INTRODUCTION
La maternité au sens large du terme débute lors de la conception et ne se termine
qu’avec la fin de la vie. Elle correspond à cette longue tranche de vie où la femme
devient, est, et demeure mère. En un sens encore plus large, elle débute dans l’enfance
au moment où la petite fille s’imagine future maman. Sur le plan plus strict qui nous
intéresse aujourd’hui, nous considérerons la maternité comme une période qui débute
avec la grossesse et se termine par l’instauration très progressive de moments d’autono-
mie autant chez la mère que chez l’enfant. Il est difficile et certainement pas souhaitable
d’en définir le terme, tant il varie d’une situation à l’autre, d’une mère à l’autre, d’un enfant
à l’autre. La période concernerait ainsi les neuf mois de grossesse et les neuf mois qui la
suivent, soit dix-huit mois dans la vie d’une femme. Période longue, critique, période de
mutation, qui du côté de la mère nécessite des capacités d’adaptation et de réorganisa-
tion, psychiques, somatiques, familiales, sociales, professionnelles. Il n’est pas étonnant
que la maternité soit un événement charnière de l’homéostasie psychosomatique et que
certains désordres psychiques ou somatiques y voient le jour, alors que d’autres dispa-
raissent.
Lors d’une précédente étude effectuée à partir de 134 cas de somatisations rencon-
trées en médecine générale (Pongy, Rôle des événements de la vie dans le déclenchement
des processus psychosomatiques), j’ai souligné l’importance de la maternité en tant qu’évé-
nement charnière faisant souvent passer d’un état psychosomatique à un autre.
De nombreuses femmes souffrent de pathologies apparues pendant leur grossesse
et surtout dans les suites de leur grossesse. Inversement, bien que de manière moins
fréquente, la maternité peut mettre un terme souvent définitif à des pathologies préala-
blement existantes.
Dans mon étude de 1991, la maternité représente 20% des événements existentiels,
tous confondus, déclencheurs de pathologies somatiques. J’ai effectué une nouvelle
étude en 2006 à partir de 35 nouveaux cas plus élaborés. Les deux études de 1991 et de
2006 ont été faites à partir de 67 observations de pathologies rythmées par la maternité.
2. PSYCHOSOMATIQUE ET GROSSESSE
2-1. Disparition de pathologies pendant grossesse
La grossesse, source d’homéostasie psychosomatique
Bien-être, plénitude, épanouissement, regain d’investissements, les qualificatifs ne
manquent pas dans la bouche de nos patientes pour décrire les vécus fréquents de cette
période transitoire de leur existence.
Qu’est-ce qui caractérise ce vécu ? Quel en est le support inconscient ?
295
Traité de médecine psychosomatique
Porter la vie, donner la vie, cette vision à la fois idyllique, spirituelle, métaphysique,
mais aussi réelle, de l’état de grossesse, ne saurait résumer ce qui se passe au plus profond
de la personne, en articulation avec son histoire.
Paroles d’une patiente : « J’étais euphorique. J’avais la vie en moi, c’était grand, c’était
gros, j’aimais mon ventre. » Paroles d’une autre patiente, désintéressée par la sexualité
lors de sa grossesse : « J’avais déjà un enfant dans mon ventre, je n’avais pas besoin de
quelque chose en plus. » Telle autre patiente : « Je n’ai jamais été aussi bien que lorsque
j’étais enceinte. »
Le complexe de castration nous paraît être la pièce centrale de l’ensemble des
mécanismes. La femme enceinte est porteuse d’un « en plus » dont elle s’est crue privée
petite fille. « En plus » que certains appellent le phallus, représentant imaginaire du pénis.
L’effet trophique et homéostatique de la grossesse sera d’autant plus fort que le
complexe de castration, le vécu d’« en moins » aura été prégnant tout au long de l’his-
toire de la personne. La grossesse constitue la thérapeutique transitoire du complexe de
castration.
L’appréciation comparative du vécu antérieur de grossesse par rapport aux états
antérieurs et postérieurs à celle-ci, constitue, avec l’analyse des productions oniriques
et fantasmatiques, le type de pathologie présentée, l’histoire, le vécu du post-par-
tum, un élément clinique majeur d’appréciation du poids du complexe de castration.
S’enquérir du vécu des grossesses est un temps incontournable de toute investigation
psychosomatique.
296
La maternité
Polyarthrite
Quatre événements pratiquement concomitants se produisent lorsque Jacqueline
a 18 ans : premières relations sexuelles, début de l’activité professionnelle, décès d’un oncle
dont elle était très proche, électrocution (brûlures des deux doigts de la main gauche).
Dans les semaines qui suivent, les deux doigts se déforment et cette déformation s’étend
aux deux mains. La polyarthrite va durer jusqu’à 25 ans, année de sa seule et unique
grossesse. La grossesse fera effectivement disparaître la pathologie, qui réapparaîtra avec
une intensité redoublée tout de suite après la césarienne, à telle enseigne qu’elle ne pourra
pas s’occuper seule du bébé. Paradoxalement, le gynécologue, confronté à l’aggravation
du post-partum, lui déconseillera formellement une nouvelle grossesse au risque, selon
ses dires, de « finir sur un fauteuil roulant ». La polyarthrite continuera d’évoluer jusqu’à
l’âge de 39 ans, où, pendant neuf mois, Jacqueline souffrira cette fois-ci d’une hydarthrose
du genou. L’opération de cette hydarthrose fera cesser définitivement la polyarthrite. Par
contre, depuis cette période, se sont progressivement installées hypertension artérielle,
migraines et céphalées myotensives. La psychothérapie permettra de faire régresser ces
dernières sous-tendues, comme la polyarthrite, par une activité répressive intense.
Merger, Lévy, Melchior : « La PCR peut être considérablement améliorée par la grossesse,
car les taux d’ACTH et de cortico-stéroïdes sont augmentés chez la femme enceinte. C’est
d’ailleurs de l’observation de l’effet bienfaisant de la grossesse sur la polyarthrite que sont
nés les travaux qui ont abouti à la découverte de ces hormones. » (Précis d’obstétrique.)
Ainsi, les modifications physiologiques humorales de la grossesse suffiraient à expliquer
la disparition fréquente des rhumatismes inflammatoires lors de la grossesse. Mais que
penser de la disparition de cette même affection chez notre patiente à la suite d’une
intervention chirurgicale sur le genou ? Que penser de son déclenchement initial dans
un contexte traumatique ? La grossesse ne serait-elle thérapeutique que par le biais d’un
changement physiologique commun à tous les individus ? Le mieux-être, l’état de pléni-
tude, générés par la grossesse, seraient-ils étrangers à cette guérison transitoire ? Vécu
déterminant qui n’annule en rien la réalité des effets physiologiques communs à tous les
individus, mais qui probablement contribue à les renforcer.
Pathologie mentale
Troubles psychotiques
Les troubles psychiatriques majeurs sont rares pendant la grossesse. Les troubles
psychotiques tendent d’ailleurs à régresser. Les états psychotiques se déclenchant pendant
la grossesse sont cinq fois moins fréquents que les états psychotiques du post-partum.
298
La maternité
Le déni de grossesse
Déni de grossesse et grossesse cachée doivent être distingués.
Dans la grossesse cachée, la femme sait qu’elle est enceinte et le dissimule consciem-
ment aux autres.
Armelle. Deux jumeaux de 6 ans. Deuxième grossesse (G2) cachée jusqu’au dernier
jour. Accouchement à domicile. Après le diagnostic de G2, sentiment de ne rien éprouver
mais désir de fausse couche. Pas de prénom choisi, pas d’habit acheté, méconnaissance
du sexe de l’enfant. « Quand l’enfant bougeait, je ne ressentais rien. » Agressive en fin de
G2, comme lors de G1. À la naissance, l’enfant est un poids mort. Précédant immédiate-
ment la grossesse : licenciement, inadéquation conjugale majeure.
Le déni est, quant à lui, un mécanisme inconscient : refus inconscient de reconnaître
un élément du réel traumatique. La femme ne veut pas savoir qu’elle est enceinte. Le déni
de grossesse sous-tendrait un certain nombre d’abandons ou d’infanticides.
Farida. Déni de grossesse. Ne voulait pas accoucher. Disait qu’elle n’avait rien dans
le ventre. Angoisse déréalisante au moment de l’accouchement avec surgissement de
mécanismes de déni de la réalité, de type état crépusculaire. Le mari l’avait quittée dès
qu’elle avait été enceinte.
Dépressions
Notre étude rapporte neuf cas de dépressions.
La date moyenne de la première consultation se situe au cinquième mois, ce qui
témoigne, compte tenu du temps passé avant de prendre rendez-vous (habituellement,
c’est un premier rendez-vous chez le gynécologue qui est à l’origine de la consultation),
d’une instauration prévalente des manifestations dépressives au cours du premier
trimestre.
D’un point de vue chronologique, trois modalités cliniques se présentent :
• Éclosion chez une patiente sans antécédents de troubles dépressifs. L’acceptation
problématique de la grossesse en est la cause principale : désir de grossesse ambivalent,
déception au moment de la révélation du sexe de l’enfant, inadéquation avec le conjoint,
refus de la grossesse chez celui-ci, compromission de projets, etc.
• Antécédents de troubles dépressifs ou anxieux, ou existence d’une personnalité
pathologique.
Vanessa. Désir obsédant d’enfant depuis un an et demi. Grossesse après insémina-
tion. Dépression dès l’annonce du diagnostic : peur de ne pouvoir assumer l’enfant, peur
que le corps change. Désir d’habiter à la mer quand elle habitait à la montagne, désir de
retourner à la montagne quand elle habitait à la mer.
• Plus rarement, exacerbation de troubles dépressifs au moment de la survenue de la
grossesse. Cette situation pose le problème de la poursuite ou de l’arrêt d’un traitement
antidépresseur.
Juliette. Déménagement, première grossesse, difficultés professionnelles suivies
d’un licenciement, problème de garde du premier enfant de onze mois, décès d’un
proche, problème d’héritage, isolement. Tout ça en un an. Dépression d’épuisement avec
anxiété. Le mari militaire doit partir en mission et choisit ce moment pour imposer une
299
Traité de médecine psychosomatique
nouvelle grossesse. Elle est sous antidépresseurs et anxiolytiques depuis six mois, le mari
pense que la grossesse ne pourra qu’avoir un effet thérapeutique et puis, ce sera une part
de lui qu’elle aura dans son ventre pendant qu’il ira au feu. Et puis, il ne faut pas pleurer.
Attaques de panique. Elle vient à reculons au cabinet en annonçant la couleur d’emblée :
« Je vous préviens, j’ai un mari formidable et je suis très heureuse avec lui. » Merci. Cette
aide au diagnostic me fait énormément gagner de temps dans ma recherche étiologique.
Je me contenterai dans un premier temps de lui proposer de pleurer tout en soulignant
qu’elle a un mari formidable.
Asthénie, sautes d’humeur, pleurs, inquiétudes disproportionnées quant au devenir
de l’enfant, quête affective, sentiment d’être démuni, ces états dépressifs réactionnels aux
différents bouleversements propres à la grossesse s’accompagnent d’une composante
anxieuse fréquente et de plaintes somatiques.
Troubles anxieux isolés
Si l’anxiété accompagne fréquemment la dépression chez les femmes enceintes, les
troubles anxieux isolés sont moins fréquents.
Rachel. Anxiété de type traumatique apparue au décours d’une échographie. « J’ai
cru voir un extra-terrestre avec une tête énorme. » Depuis, rêve récurrent : « Un bébé qui
n’est pas le mien et qui est mort. »
Tina. Attaques de panique suite à un accident banal de son fils qui s’est fracturé le
doigt le jour même où elle a su qu’elle attendait un autre garçon. « Je me suis sentie vidée
et fragilisée. » Réactivation brutale d’une angoisse de castration qui avait été totalement
jugulée lors des six premiers mois d’une grossesse particulièrement épanouie.
Les troubles anxieux se manifestent le plus souvent sous forme partiellement somati-
sée. Une des raisons en est probablement les limitations imposées par l’état de grossesse,
plus particulièrement au niveau de la voie comportementale.
Karine. Peur de perdre l’enfant, peur de l’accouchement. Anxiété pour une part
mentalisée (rêve : on m’écrase le ventre), pour une part somatisée : douleurs abdomi-
nales, nausées.
Déterminants : grossesse jugée trop prématurée, angoisse de castration non apaisée
par la grossesse. Antécédents : inhibition anxieuse, IVG à 20 ans. Ce cas est intéressant
car il se situe à la frontière du mental et du somatique et permet de mieux comprendre
la genèse des vomissements gravidiques. Une composante fondamentale de ces derniers
semble correspondre à la démentalisation d’un vécu anxieux.
Pathologie somatique
L’approche de la pathologie somatique en cours de grossesse doit distinguer, d’une
part, les anomalies de la grossesse et, d’autre part, la pathologie générale de la patiente
en relation plus ou moins directe avec les remaniements physiologiques inhérents à la
gestation.
Nous ne nous attarderons pas sur les anomalies obstétricales qui sont parfaitement
appréhendées d’un point de vue clinique et étiopathogénique par les obstétriciens.
Il pourrait toutefois être du plus grand intérêt de faire une étude sur les déterminants
psychosomatiques de certaines anomalies de la grossesse, plus particulièrement les
menaces d’avortement et les fausses couches spontanées. La lecture de certaines obser-
300
La maternité
vations nous laisse supposer que certains vécus traumatiques jouent un rôle de cofacteur
déclenchant dans un certain nombre de ces situations.
Nous allons nous centrer sur la pathologie générale induite par la grossesse.
Synthèse des études de 1992 et 2006
Pathologies apparues Persistance
TOTAL
pendant la grossesse après la grossesse
Gastrite 1
Pathologie gastrique non 9
Vomissements gravidiques 8
Pathologie circulatoire HTA 3 non 3
Pathologie rhumatologique Sciatique 3 non 3
Troubles métaboliques Prise de poids 3 oui 3
Eczéma 3 oui
Pathologie cutanéomuqueuse 4
Fissure anale 1 oui
Sensorialité Acouphènes - Agueusie 1 oui 1
TOTAL 23 23
giques inhérents à l’état de grossesse entrent en jeu dans la genèse de la pathologie, les
facteurs psychosomatiques, en règle générale déniés, dédaignés ou relégués au dernier
rang, ne sont pas en reste.
Dans les trois cas d’hypertension gravidique du troisième trimestre que nous avons
relevés, dont un avec éclampsie, la répression est centrale. Les allégations des patientes
sont similaires : se sentir loin de la famille, se sentir bloquée, coincée. Le cas de toxémie
gravidique s’inscrit à un degré plus intense dans cette problématique. La pathologie de
la patiente s’est installée après une longue période d’anxiété croissante : on retrouve le
sentiment d’être coincée, isolée, loin de sa famille et une exacerbation de l’angoisse liée
au décès d’un ami.
Sciatiques
Si la prise de poids progressive et les remaniements morphologiques de la région
lombaire et de la ceinture pelvienne constituent des facteurs de fragilisation indéniables,
il n’en demeure pas moins que la répression joue un rôle central dans la genèse des
sciatiques gravidiques. Répression de l’agressivité, mais aussi répression de la tristesse
comme en témoignent les deux cas qui suivent. Facteur physiologique et désordre
économique ne se contredisent pas mais, au contraire, s’enchaînent de manière logique.
Tout commence chez Sergine par un traumatisme : fausse couche à quatre mois
et demi. Névrose traumatique qui persiste huit ans après, avec troubles du sommeil et
rêves récurrents dans lesquels elle est enceinte d’une fille (le fœtus était de sexe féminin).
Malgré la fixation obsédante générée par le traumatisme et l’acharnement à concevoir à
nouveau, aucune grossesse nouvelle ne vient réparer la perte. Ce n’est qu’au bout d’un
an et demi que, accaparée par une autre préoccupation tout autant source d’angoisse
(grand-père gravement malade) et décentrée de son obsession, elle tombera enceinte
mais ne voudra pas connaître le sexe de l’enfant avant l’accouchement. La grossesse se
passera normalement mais la naissance d’un garçon générera dépression postnatale,
hypothyroïdie et prise de poids.
Une troisième grossesse suivra. Échaudée par son expérience précédente, elle souhai-
tera connaître le sexe de l’enfant à venir et là, dira-t-elle, « ça a été la claque ». Un deuxième
garçon. Dans les jours qui suivirent, se déclenchèrent des contractions et, surtout, une
sciatique. L’hypothyroïdie disparaîtra après l’accouchement mais non la surcharge pondé-
rale.
La connaissance de l’histoire de cette patiente nous éclaire. Elle avait une sœur plus
jeune à laquelle elle était très attachée. La mère était très dépressive et, très tôt, la jeune
fille prit l’habitude de s’investir dans un rôle maternel à l’égard de la petite sœur. Mais
voilà qu’à l’âge de 8 ans, il lui fut demandé de remplir ce même rôle à l’égard de deux
garnements fraîchement importés dans la famille, que la mère dépressive gardait à la
maison en tant qu’assistante maternelle, et ceci au détriment de la petite sœur jugée
prématurément autonome. Le père lui-même veillait à cette répartition des rôles. Elle se
souvient de la gifle qu’elle reçut un jour où elle était allée avec sa plus jeune sœur jouer
avec d’autres enfants, délaissant ainsi les deux garnements qui mirent le feu à un fauteuil.
Elle me rapporta un rêve : dans celui-ci, il y avait un landau avec une petite fille dedans.
Autour du landau, ses deux fils actuels. Un homme grand habillé de noir venait lui enlever
l’enfant.
302
La maternité
Virle, 27 ans, aînée de deux autres sœurs, se définit comme une « battante ». Elle
s’investit énormément dans son métier de commerciale. Elle a souffert de lombalgies de
21 à 25 ans, période au cours de laquelle elle avait une relation avec un homme violent
et jaloux. Elle dut arrêter ses activités sportives fortement investies du fait des exigences
de celui-ci. L’arrêt du sport n’atténua pas les lombalgies mais, au contraire, les compliqua
de sciatiques récurrentes. La séparation d’avec cet homme et la rencontre de son compa-
gnon actuel, beaucoup plus tolérant, firent disparaître les sciatiques. Grossesse. Vomisse-
ments gravidiques et manifestations dépressives les trois premiers mois. À cinq mois, une
échographie révèle le sexe féminin du fœtus. Virle saute de joie. Une semaine après, une
deuxième échographie contredit la première : il s’agit d’un garçon. Perte de connaissance
immédiate. Effondrement, contractions, sciatique. Arrêt de travail. Répression émotion-
nelle majeure. « Je ne dois pas pleurer, je dois être forte, j’ai toujours été comme ça. » Rêve
récurrent : le bébé est anormal, il a un nez démesuré.
Il existe chez Virle une lutte acharnée depuis toujours contre le prétendu sexe fort.
N’a-t-elle pas choisi de travailler dans une concession automobile ? Lorsqu’elle a un an, sa
mère disparaît dans la nature avec son amant. Elle ne la reverra que dix ans plus tard. Virle
sera élevée par son père et la nouvelle compagne de celui-ci. Deux demi-sœurs naîtront
et l’entente avec elles sera parfaite, uniquement troublée par les visites périodiques de
quatre cousins qui étaient, selon ses dires, d’authentiques démons.
La mise au jour de ces divers éléments lors de l’investigation entraînera une régression
de la pathologie douloureuse. À la seconde séance, Virle va bien, elle ne présente pas de
douleur ni de contraction. Elle s’est autorisée à sortir avec des amies. Les rêves de bébé
anormal ont disparu, remplacés par des rêves de captativité : dans ceux-ci, elle éloigne
violemment sa belle-mère afin qu’elle ne touche pas le bébé.
Prise de poids
Dans les trois cas recensés, la surcharge pondérale acquise lors de la grossesse ne dispa-
raîtra pas dans les années qui suivront. Ces surcharges pondérales sont conditionnées
bien sûr par les facteurs physiologiques inhérents à la grossesse ainsi que par la diminu-
tion de l’activité motrice mais, ici aussi, on retrouve la répression plutôt, cette fois-ci, sur
le versant dépressif, celui de la défaite.
Affections cutanéomuqueuses
Fissure anale. On serait tenté, vu la topographie de la lésion, d’évoquer une origine
mécanique. Le problème est en fait beaucoup plus complexe, la majorité des fissures anales
étant le fait de facteurs traumatiques et d’une activité de répression. La cible somatique
s’intègre dans un déterminisme en relation avec une fixation psychosomatique anale.
Agueusie et acouphènes
Le début de la première grossesse d’Anne fut normal, simplement marqué par un
simple état nauséeux. Mais le décès brutal d’une personne proche la plongea dans un
état d’angoisse majeur, immédiatement suivi d’une période de contractions imposant
l’alitement entre cinq et huit mois. L’angoisse laissa progressivement place à un état
dépressif larvé avec désinvestissement général, anhédonie et apparition d’acouphènes
et d’agueusie. Lors de sa deuxième grossesse, apparurent des vomissements gravidiques
avec forte réactivation de l’angoisse de mort. L’arrêt des vomissements ne fut pas suivi
303
Traité de médecine psychosomatique
par la régression des acouphènes et de l’agueusie qui n’avaient jamais cessé depuis sa
première grossesse.
2-3. Facteurs traumatiques
La grossesse induit des remaniements somatiques, psychiques et comportementaux,
dont certains sont évidents et d’autres à rechercher. Elle sollicite des mécanismes d’adap-
tation itératifs : adaptation aux changements physiologiques, à l’image du corps, aux
limitations motrices, aux privations d’activités, adaptation réciproque dans la relation
avec le conjoint, les enfants, l’entourage, à l’intrication de la relation entre le corps et cet
autre qu’est l’enfant à venir, dont le statut d’objet met un temps variable à s’instaurer.
L’acceptation de tous ces changements ne va pas de soi, surtout chez la primipare.
À cet état en mouvement, se surajoutent parfois des facteurs traumatiques existentiels
contingents qui prennent une ampleur délétère particulière compte tenu des limitations
des possibilités adaptatives.
Autant de processus adaptatifs qui mobilisent la réactivité psychique et les formations
préconscientes et inconscientes qui la sous-tendent.
Productions oniriques
Les rêves récurrents des patientes confirment les conclusions de notre étude. Ils sont
contemporains de la pathologie. On les retrouve surtout dans les pathologies à détermi-
305
Traité de médecine psychosomatique
nisme anxieux et dans les vomissements gravidiques. Ils attestent d’une angoisse de mort
que confirme la clinique, et dans laquelle entrent en jeu ses deux composantes princi-
pales : l’angoisse de séparation et/ou de castration. « Bébé mort… accidents ou décès
de proches… blessure abdominale. » Le rejet inconscient de la grossesse apparaît parfois
conjugué à l’angoisse de mort : « On m’a tuée avec des plombs, j’en ai dans la gorge, je les
rejette. » L’inacceptation du sexe de l’enfant peut aussi apparaître dans les rêves : Sergine,
patiente citée plus haut, qui refusait d’avoir un garçon, rêve qu’elle est enceinte d’une fille.
3. PSYCHOSOMATIQUE DU POST-PARTUM
La venue au monde de l’enfant laisse souvent surgir, dans le meilleur des cas de manière
transitoire, plus particulièrement chez la primipare, un vécu d’incapacité, un sentiment
d’être dépassée. Si le nouveau statut de mère et la relation avec le bébé peuvent constituer
une assise identitaire, dans d’autres cas, le narcissisme est ébranlé : séquelles de trauma-
tismes obstétricaux, réactivation du complexe de castration induit par l’accouchement
et surtout par la césarienne, bébé transféré en néonatalogie, vécu d’incapacité dans la
relation avec le bébé, désordres physiologiques de celui-ci, détournement phobique du
conjoint, image du corps altérée, etc.
Francis, mari d’Aline, a assisté à l’accouchement : «Depuis que je l’ai vue accoucher,
je ne la vois plus avec les mêmes yeux. » Francis investit massivement l’enfant qu’il fait
dormir dans le lit conjugal. Son épouse passe au second plan. Elle a grossi, il ne la désire
plus. De surcroît, Aline a été remplacée à son poste de travail. La défaillance narcissique
est totale.
Nous allons à nouveau faire un détour par la pathologie mentale pour mieux
comprendre la dimension traumatique du post-partum.
3-1. Pathologie mentale
Dans les deux ans qui suivent la grossesse, le risque d’hospitalisation en milieu psychia-
trique passe de 1 à 1,6. La période du post-partum est une période à haut risque de
décompensation mentale (22 fois supérieure aux deux années précédant la grossesse).
Le retentissement de la pathologie sur la relation mère-enfant doit constituer une
préoccupation centrale.
306
La maternité
Dépressions postnatales
Dans les jours qui suivent l’accouchement, la mère présente un état de fatigue physique
et psychique qui peut prendre parfois l’allure d’une symptomatologie dépressive, avec
anxiété, hyperémotivité, troubles du sommeil, etc. Cet état est de durée brève, de faible
intensité, spontanément résolutif.
Lorsque la symptomatologie s’accentue ou perdure, on parle de post-partum blues ou
baby blues. On le retrouve chez 55% des accouchées durant les dix premiers jours après
la naissance. Entité clinique à la limite de la pathologie, son intensité constitue toutefois
un risque de dépression postnatale. Si le trouble persiste au delà du dixième jour, on
n’évoque plus le blues mais la dépression postnatale précoce.
Les dépressions postnatales concernent, quant à elles, 15% des femmes. Il s’agit le plus
souvent du premier épisode dépressif chez une patiente antérieurement indemne. La
pathologie s’instaure entre quatre et six semaines après l’accouchement, mais certaines
dépressions postnatales apparaissent de manière différée, au bout de quelques mois. Si
certaines patientes guérissent spontanément en quelques mois, la maladie peut chez
d’autres évoluer pendant des années.
La dépression postnatale est cliniquement atypique. Les symptômes sont d’intensité
modérée, les idéations suicidaires très rares. L’humeur est labile, plus altérée en soirée.
Elle est caractérisée par un découragement, un sentiment d’incapacité et des inquiétudes
centrées sur les soins à donner au nourrisson. En plus de la tristesse, des troubles de la
concentration et du sommeil et du cortège symptomatique habituel d’une dépression,
ce sont des symptômes tels que anxiété, irritabilité, plaintes somatiques inhabituelles
(céphalées, douleurs abdominales, etc.) qui dominent le tableau. Le caractère atypique
du tableau clinique explique en partie que certaines dépressions postnatales passent
encore souvent inaperçues. De plus, la culpabilité plus marquée à cette période de la vie
où les femmes et leur entourage estiment qu’elles n’ont vraiment aucune raison d’être
malheureuses, entretient la réaction dépressive. Pour ne pas passer à côté de cette patho-
logie, il faut donc porter attention à toutes les plaintes des patientes, quel qu’en soit le
thème. C’est l’insistance avec laquelle les plaintes sont formulées qui doit alerter le prati-
cien. Quelques mois suffisent pour influencer le développement psychique de l’enfant et
un traitement rapide de la mère n’évite parfois que partiellement ces séquelles.
307
Traité de médecine psychosomatique
308
La maternité
Symptomatologie
Dans 9 cas sur 13, on repère des éléments dépressifs : dépression avec anxiété (6),
dépression hostile (3).
L’auto-agressivité est rare.
Relation avec le bébé
La relation est toujours problématique et toujours potentiellement pathogène :
interactions anxieuses, non investissement, désinvestissement, surinvestissement
anxieux, réactions agressives, ambivalentes, ou de rejet. Ces réactions, le plus souvent
larvées, génèrent des symptômes francs chez le nourrisson dans 5 cas sur 13, soit 39% des
cas : pleurs continus, crises de rage, enfant rejetant la mère et calmé avec le père, troubles
du sommeil, troubles de l’alimentation, dermatoses. L’absence de symptômes bruyants
chez l’enfant ne doit pas pour autant faire considérer qu’il ne se passe rien.
Causes
Elles sont le plus souvent intriquées :
––réactivation du vécu de castration (7) ;
––vécus de contrainte (5) : privation de liberté, dépassement des capacités adaptatives ;
––autres (2) : culpabilité liée à la dysmaturité, non-acceptation du sexe de l’enfant ;
––événements traumatiques (2) : départ du conjoint, décès du père.
Contraintes : 32%
Castration : 43%
Divers : 25%
Estelle, 28 ans, m’est adressée par une sage-femme inquiète à juste titre. Son état
dépressif ayant débuté pendant la grossesse s’est aggravé et l’inadéquation avec son bébé
de deux mois est totale. Elle a peur des réactions de son enfant qui la rejette, hurle dès
qu’elle le prend dans ses bras et se calme dès que son père s’en occupe. Elle est totale-
ment désemparée et a développé progressivement des sentiments hostiles à l’égard de
son enfant allant parfois jusqu’à le frapper. Elle a subi une césarienne et le bébé a été
transféré en néonatalogie pour prématurité pendant dix jours. Cet enfant lui est étranger.
Le vécu profond d’Estelle est celui d’une femme qu’elle refuse d’être depuis toujours.
La conjonction de la déception de son propre père de ne pas avoir eu un garçon et d’un
complexe de castration fortement enraciné, a entraîné un vécu d’infériorité, de manque,
d’« en moins », lié à l’identité de femme, et un mécanisme de défense bien connu que
l’on rencontre dans les organisations obsessionnelles : enlever l’« en plus » de l’homme,
lui prendre ce qu’il a, en deux mots, le « castrer ». Ce mécanisme de défense a engendré
des comportements particuliers. À la suite d’une déception amoureuse, elle jette son
309
Traité de médecine psychosomatique
dévolu sur le propre fils de l’homme qui vient de la quitter, « se venge » en l’épousant et
en exigeant rapidement de lui qu’il coupe les ponts avec ses parents, et lui fasse un enfant
dans la foulée. Dont acte. La captation du nouvel « objet phallique » issu du mari l’apaise
transitoirement tout en faisant s’éteindre tout désir sexuel. Mais voilà que la grossesse
se passe mal car le mari fréquente à nouveau ses parents. Décidément, l’objet désiré lui
échappe encore. Migraines, nausées, vertiges, vomissements, cauchemars récurrents dans
lesquels elle voit son bébé mort, obsession que le bébé naisse aveugle (intrication de la
pulsion scopique à la problématique foncière). En fin de compte, c’est Estelle qui sera
privée de la vue de son bébé du fait de la césarienne et de l’hospitalisation en néona-
talogie. Pire, pendant cette période, les beaux-parents rendront visite au nouveau-né.
Voilà donc que le bébé ne lui appartient toujours pas, appendice du père qui se calme et
sourit dès que celui-ci lui parle ou le prend dans ses bras. Que faire devant ce rejet, cette
nouvelle négation de soi, si ce n’est désirer secrètement l’éliminer ?
J’ai vu Estelle trois fois. À trois reprises, elle a reporté le rendez-vous et n’est pas venu au
quatrième. Malgré cette velléité de castration déplacée sur la personne du psychiatre, une
amélioration s’est faite jour rapidement dans la relation avec son enfant, amélioration
transitoire et insuffisante qui fut confirmée par un rendez-vous pris un an après. L’inadé-
quation avec le mari était alors totale et elle ne supportait toujours pas que l’enfant n’ait
d’yeux que pour son père. Elle m’avoua qu’elle aurait préféré une fille plutôt qu’un garçon,
reprit rendez-vous et ne revint pas.
Psychoses puerpérales
Les psychoses puerpérales ont énormément diminué dans les pays industrialisés. Elles
touchent actuellement 1 à 2% des femmes durant la première année qui suit l’accouche-
ment. Le pic d’incidence de début des troubles se situe dans les deux à trois semaines qui
suivent l’accouchement.
Les manifestations cliniques sont dans 75% des cas des troubles psychotiques de
l’humeur. Les patientes, volontiers désorientées et agitées, présentent une grande labilité
émotionnelle.
Chez les femmes ayant des antécédents de pathologie uni ou bipolaire, le risque
de rechute en période postnatale est élevé. De même, le risque d’épisode de rechute
augmente au fil des grossesses chez les femmes ayant un ou plusieurs antécédents de
psychoses puerpérales (autour de 25%). Enfin, parmi les femmes faisant une psychose
puerpérale, environ 60% présenteront un ou plusieurs épisodes thymiques en dehors de
la période du post-partum.
310
La maternité
Outre les antécédents de troubles de l’humeur, les facteurs de risque les plus certains
sont les antécédents familiaux de troubles psychiatriques, la primiparité et le célibat de la
mère. Quelques travaux ont incriminé l’accouchement par césarienne.
Notre étude rapporte un cas de psychose puerpérale. Il s’agit d’une femme de 32 ans
vue en consultation un mois après l’accouchement. Elle se plaint de céphalées, de sensa-
tions de décharges électriques, de piqûres, de brûlures dans la tête et les membres
supérieurs, les pieds, de perception de points lumineux ou de mouches volantes dans
le champ visuel. Le sommeil est perturbé, elle est fatiguée et pleure facilement. Elle est
persuadée d’être atteinte d’une neuropathie périphérique et qu’elle va mourir. Elle se
reproche cette grossesse qu’elle considère, selon ses propres termes, comme « maudite ».
Les diverses investigations paracliniques n’ont relevé aucune anomalie. La grossesse s’est
déroulée normalement mais il existait une angoisse de fond ainsi qu’une asthénie, avec
des rêves récurrents mettant en scène des eaux troubles, des cadavres sur une plage.
Lors de sa première grossesse, dix ans auparavant, une thrombophlébite cérébrale du
sinus longitudinal supérieur avait entraîné une parésie du membre supérieur gauche. Elle
sera traitée par anticoagulants dans les suites ainsi que préventivement lors des grossesses
ultérieures. La deuxième grossesse se déroulera normalement mais sera suivie de trente-
huit semaines d’aménorrhée.
Sa mère est décédée d’un cancer lorsqu’elle avait 10 ans dans les suites d’une troisième
grossesse. Elle a été alors confiée avec sa sœur aînée aux grands-parents paternels. Depuis,
elle a souvent présenté des préoccupations hypocondriaques obsédantes.
La conjonction de deux traumatismes (décès de la mère, thrombophlébite cérébrale)
et d’une troisième grossesse réactivant des représentations pathologiques a réveillé un
noyau psychotique quiescent. Le diagnostic n’était pas évident, les sensations corporelles
ayant été mises sur le compte de paresthésies. En fait, il s’agissait d’hallucinations cénes-
thésiques.
Transitoirement rassurée après de nouvelles investigations paracliniques, elle dépla-
cera alors ses préoccupations sur sa fille qui, selon elle, serait aussi atteinte d’une maladie
neurologique. Puis la conviction d’avoir une maladie mortelle reprendra. Elle finira par
avouer que des voix la persécutent depuis l’accouchement, voix qui lui reprochent une
grossesse qui n’aurait jamais dû avoir lieu.
Syndromes psychotraumatiques
Notre étude rapporte 4 cas.
Accouchement dystocique il y a trois ans avec traumatisme périnéal important,
suivi d’incontinence anale séquellaire. Le jour de l’accouchement, décès d’une amie.
Depuis, dépression cyclique, avec manifestations anxieuses et fixation obsédante sur
son incontinence, contrôle sphinctérien conscient, colopathie. La patiente a exclu toute
idée de nouvelle grossesse. Rêves récurrents : « L’accouchement… ma fille est morte…
l’amie décédée. » Il s’agit de la réactivation d’un vécu de castration majeur avec régression
anale sur une fixation préexistante. Il existait en effet, depuis sa plus tendre enfance, une
angoisse de séparation, des mécanismes de défense à type de maîtrise, un évitement des
toilettes publiques, etc. Trois séances de psychothérapie ont permis d’atténuer la fixation
anale et d’améliorer son état psychique général, atténuant les symptômes somatiques,
offrant ainsi des conditions optimales à une chirurgie réparatrice.
311
Traité de médecine psychosomatique
3-2. Somatisations
Synthèse des études de 1992 et de 2002
(Voir tableau page suivante.)
Déterminants traumatiques
––Vécus de castration : 10, soit 57% des cas.
––Autres conflits profonds : 3, soit 17% des cas.
312
La maternité
Pathologies apparues
TOTAL
au décours de la grossesse
Prise de poids 7
Troubles métaboliques 9
Amaigrissement 2
Troubles endocriniens Pathologie thyroïdienne 2 2
Migraines 4
Eczéma 1
Dermatoses et allergies Urticaire chronique 1 11
Asthme 3
Coryza spasmodique 2
Fissure anale 1
Pathologie périnéale Prurit anovulvaire 1 3
Anite hémorroïdaire 1
Névralgie cervicobrachiale 1
Polyalgies 1
Maladies rhumatologiques 4
Spondylarthrite ankylosante 1
Polyarthrite rhumatoïde 1
Métrorragies 1
Désordres gynécologiques Aménorrhée 1 3
Cancer de l’utérus
Gastrite 1
Autres Troubles vasomoteurs 1 3
Sclérose en plaques 1
TOTAL 35
Castration : 56%
Psoriasis
Le cas de psoriasis dont il est question était apparu chez la patiente lors de ses
premières règles. Il semblerait que l’accouchement (épisiotomie traumatique, déception
d’avoir une fille) ait réactivé ce vécu antérieur de castration.
Psoriasis, vitiligo, acné ont tendance à être améliorés pendant la grossesse.
Polyarthrite chronique rhumatoïde
Il s’agit d’une femme présentant une névrose de comportement avec forma-
tion réactionnelle majeure contre la castration : investissement majeur dans l’action,
syndrome de virilité, velléités de castration répétitives à l’égard de son conjoint, fonction-
nement dans la maîtrise en toute chose. La polyarthrite, apparue dans les suites d’une
première grossesse, semble être liée, outre le vécu de castration, à une pulsion d’emprise
majeure mise à mal par la dépendance liée à la maternité et à la perte des investissements
professionnels dans l’action, le mari ayant eu à la même époque une promotion profes-
sionnelle fulgurante. Le désordre hormonal physiologique induit par l’accouchement a
été potentialisé par tous ces facteurs.
Sclérose en plaques
Première grossesse et post-partum immédiat normaux. Neuf mois après, sclérose
en plaques révélée par des paresthésies. Deuxième grossesse et post-partum immédiats
normaux. Six mois après, deuxième poussée de sclérose en plaques : névrite optique.
Cancer
Dépression postnatale à type de dépression essentielle (fatigue et désinvestisse-
ment d’intensité modérée) dans les suites d’un accouchement prématuré par césarienne.
Six mois après, cancer de l’utérus. Hystérectomie. Un an après, cancer des ovaires, ovariec-
tomie bilatérale. Un an après, récidive au niveau du col utérin, radiothérapie, chimiothé-
rapie. Un an après, tumeur du grêle, ablation. Un an après, tumeur rectale.
Le désir de grossesse était très ambivalent. Désir obsédant de maternité tant que le
mari, déjà père de deux enfants, n’en voulait pas, refus lorsqu’il l’a souhaitée. Vécu de
castration, transgression fantasmatique d’un interdit œdipien. La patiente, dans son
jeune âge, avait souvent fonction de mère de substitution lorsque sa propre mère, dépres-
sive, était hospitalisée. Elle s’occupait du père et des deux frères et ce rôle lui convenait
parfaitement.
le conjoint soit présent, mais celui-ci se rétracte lorsque surgit la grossesse. Les réactions
à moyen terme sont des réactions de deuil ou de dépression.
Les phénomènes de réactivation traumatique après-coup sont assez fréquents. Le vécu
initial de l’IVG ayant fait l’objet de répression, une seconde perte réactivera le trauma-
tisme.
Lorsque la réaction traumatique est l’objet d’une élaboration psychique – ce qui est
le cas le plus fréquent –, les rêves récurrents confirment l’impact et l’origine du trauma-
tisme. Ce sont des rêves angoissants mettant en scène un enfant : « Un enfant qui m’en
veut… un enfant qui meurt dans un accident… un enfant dont je ne sais pas m’occuper. »
Une des patientes présentait des phénomènes pseudo-hallucinatoires : « Impression
d’entendre un enfant qui pleure la nuit. »
Chez certains sujets, la culpabilité résiduelle traumatique perdure. Elle peut devenir
invasive lorsque les fantasmes de maîtrise en relation avec l’idéal du moi sont prévalents.
L’aversion sexuelle séquellaire, le plus souvent sélective, s’instaure fréquemment
lorsque le partenaire est considéré comme « responsable ».
Les somatisations induites ne sont pas rares : somatisations pelviennes (vaginisme
secondaire, vulvovaginites), abdominales (colopathie), prise de poids. Chez une de nos
patientes, est apparu un diabète, chez une autre, un vitiligo.
4-3. Conclusion
Le temps de la grossesse et des suites de couches est un temps potentiellement
traumatique. Si, dans certains cas, il peut conduire à la disparition de pathologies, le plus
souvent il en constitue un inducteur particulièrement redoutable. Il nécessite donc une
vigilance particulière de la part des soignants, car des interventions adaptées peuvent
éviter ou atténuer des désordres et surtout des complications particulièrement délétères
autant pour la mère que pour l’enfant.
Comme nous venons de le voir, le complexe de castration est un élément déterminant
du vécu de la grossesse et du post-partum. Sa résolution transitoire lors de la grossesse
sous-tend pour une grande part la disparition de pathologies somatiques. Sa réactivation
est responsable de l’apparition de désordres psychiques ou somatiques, soit pendant la
grossesse au travers de vécus de menace pour l’intégrité corporelle (rôle évalué à 22%),
soit surtout dans les suites de l’accouchement (rôle évalué à 43% pour la pathologie
mentale, 55,6% pour la pathologie somatique, soit une moyenne de l’ordre de 50%).
Pourquoi s’attarder sur le complexe de castration ? Parce qu’il ne fait plus partie de
l’investigation des patientes, à quelque stade que ce soit de leur vie génitale. Du simple
fait qu’en dehors de quelques cénacles psychanalytiques ou de quelques rares facultés de
psychologie, il n’est plus enseigné, et ne fait donc plus partie des représentations médicales,
voire psychologiques. Les médecins connaissent parfaitement les désordres induits par
les grossesses pathologiques ou les accouchements traumatiques. Les psychologues ont
tout à fait conscience du déterminisme lié aux traumatismes existentiels contingents et
explicites surgissant pendant ou après la grossesse, ainsi que des diverses contraintes ou
situations anxiogènes que l’état de grossesse ou de suites de couches peuvent induire.
Mais le complexe de castration n’est pratiquement jamais envisagé comme déterminant
profond de la pathologie.
Comme nous l’avons avancé en introduction, d’après notre étude de 1991, la période
qui englobe la gestation et les suites de couches représente 20% des facteurs trauma-
tiques inducteurs de pathologies somatiques. Toujours d’après cette même étude, si l’on
ajoute la chirurgie mutilante abdominopelvienne, les interruptions de grossesse et la
ménopause, on arrive à 33,6% de cas où les événements concernant la vie génitale de la
317
Traité de médecine psychosomatique
femme sont en cause. C’est-à-dire le tiers des facteurs traumatiques existentiels. Or, tous
ces facteurs traumatiques comportent en eux le déterminisme fréquent du complexe de
castration.
Et le père ?
Grossesse masculine en réalité virtuelle, campagne de communication sur la
contraception montrant des garçons « enceints » en train d’accoucher… Alain Benoît,
pédiatre, animateur pendant plus de vingt ans de groupes de parole de pères, co-auteur
de Le père, l’homme et le masculin en périnatalité (Éres, 2003), souligne que la nomination
paternelle doit venir de la mère et du bébé.
Propos d’Alain Benoît recueillis par Stéphanie Hasendahl (Le quotidien du Médecin, mai
2010) :
« Un homme ne peut pas être le père du ventre de sa compagne. Le père prend diffi-
cilement conscience de sa paternité pendant la grossesse de sa femme, même s’il se
met un coussin sur le ventre. Les fantasmes des hommes pendant la grossesse tournent
beaucoup plus autour d’une monstruosité que d’une réalité du bébé à venir. L’haptono-
mie lui montre qu’il peut y avoir une relation avec l’enfant. À la seule condition que sa
compagne l’accepte…
(…) La paternité se joue après la naissance. Ce qui manque aujourd’hui dans la
construction paternelle, c’est la transmission générationnelle. Nos pères n’ont pas du
tout fait la même chose que nous tandis que les femmes ont toujours été enceintes de la
même manière…
(…) La présence du père à l’accouchement n’est pas une nécessité…
(…) Être père n’est pas une affaire biologique. Nous n’avons aucun élément neuro-
biologique d’attachement avec le bébé, contrairement aux femmes. L’homme est obligé
d’inventer. Devenir père, ce n’est pas materner. L’homme doit être père sans se voir
imposer une identification féminine. Les gestes de l’homme ne sont pas ceux de la mère…
Le bébé grandira bien s’il a un papa et une maman qui sont un homme et une femme… »
La clinique confirme quotidiennement la validité des assertions d’Alain Benoît, même
si elles vont à l’encontre de la tendance officielle et de l’écholalie politiquement correcte.
La clinique constate, elle n’a que faire de l’idéologie.
Je me contenterai d’ajouter un seul élément concernant les fantasmes des hommes
pendant la grossesse : les réactions dépressives, le syndrome de couvade, le détourne-
ment de la sexualité chez l’homme trouvent leur origine, outre certaines inquiétudes
communes à tous les êtres responsables, dans la représentation d’un « en moins » qui les
habite face à l’« en plus » renvoyé par le corps de leur femme.
318
Chapitre 13
LE TRAVAIL
1. INTRODUCTION
Les traumatismes psychiques d’origine professionnelle ont été qualifiés depuis peu de
« risques psychosociaux » (RPS pour les initiés). On sait depuis quelques décennies que
la création d’un néologisme et surtout du sigle qui lui correspond constitue une avancée
majeure dans le traitement du problème visé, surtout s’il s’accompagne de « débat-
autour-d’une table ». Depuis la reconnaissance de l’existence des RPS, la souffrance au
travail – c’est un secret pour personne – a considérablement diminué. La décrue s’était
déjà amorcée il y a quelques années lorsque le « directeur des ressources humaines »
(DRH pour les initiés), celui qui montre donc la direction à la brebis égarée en stimu-
lant avec douceur ses compétences, avait remplacé le « chef du personnel », dictateur
inhumain et teigneux. « Ressources humaines » ! Grand pas pour l’humanité ! Ressources
humaines, minières, pétrolières, autant de gisements indifférenciés dans lesquels on peut
puiser jusqu’à tarissement mais, cette fois-ci, derrière le masque de l’humanisme. L’ATSEM
(« agent territorial spécialisé des écoles maternelles ») a remplacé la dame pipi. Depuis,
celle-ci se sent beaucoup mieux dans son travail. Dame pipi ! Non mais ! Et pourquoi pas
dame caca ! Imaginez ça sur une carte de visite lors d’un cocktail en préfecture !
Jean-Christophe Sciberras, président de l’Association nationale des DRH, cité par
Lionel Steinmann dans Les Échos nous le confirme : « …le chemin parcouru depuis quatre
ans est important. À l’époque, le terme risques psychosociaux n’était même pas dans le
débat. » (Journal Les Échos, 2011.) Que d’années ! Que de siècles perdus !
Entre décembre 2009 et octobre 2010, deux cent cinquante plans d’action de « lutte
contre le stress » ont été recensés, tel les « numéros verts » à la disposition des salariés
stressés. Si ces derniers n’ont connu que peu de succès, en revanche et fort heureusement,
les structures désintéressées de conseil, d’audit, d’accompagnement et de formation sont
là ! Lionel Steinmann cite une structure de conseil qui a ainsi créé un Indice de Bien-Être
au Travail (IBET®) défini ainsi : « Nouvelle VA corrigée de la dégradation due aux situations
collectives et opérationnelles de la souffrance au travail. » IBET® = VA – IMET et IBET (%)
= 100 x (VA – IMET) / VA. » IMET étant l’indicateur de mal-être au travail et VA la valeur
ajoutée. « Ce qui rend l’IBET® intéressant », nous dit Lionel Steinmann, « c’est qu’il n’est
pas calculé à partir des mêmes critères pour toutes les entreprises. Les membres de la
cellule de gouvernance socio-économique choisissent les critères les plus pertinents, en
fonction de la spécificité de leur entreprise, de leurs objectifs et de leurs attentes. » Ça
calme ! « Gouvernance socio-économique » (GSE) !
Si la médiatisation de l’événement dénature celui-ci, le sigle y met un terme. Sélec-
tion arbitraire, extraction d’une composante, amplification, écholalie, néologisme, sigle.
La séquence bouclée atteste du problème réglé. Pour régler un problème, il suffit de le
déformer et de changer son nom.
319
Traité de médecine psychosomatique
tations ou de propositions, démentalisent le sujet qui est privé de ses capacités de discri-
mination.
Le fonctionnement dans la maitrise intellectuelle qu’imposent certaines activités
professionnelles, plus particulièrement lorsqu’il y a dispersion des taches, persiste au-delà
du temps de travail et un « sas de décompression » prolongé est souvent nécessaire pour
que le sujet puisse avoir accès à un certain relâchement.
Plus le milieu dans lequel vit le sujet devient complexe, plus les processus d’adaptation
sont sollicités et plus le rôle modulateur du psychisme devient prépondérant.
Jacques, chauffeur ambulancier depuis quatorze ans dans une entreprise en expan-
sion, aimait son métier, les contacts avec les malades, et avait de bonnes relations avec
son patron, jusqu’au jour où le GPS est apparu dans les véhicules. Depuis, il sait qu’il est
contrôlé en permanence dans ses déplacements et les relations avec son employeur se
sont progressivement dégradées.
La communication
Le terme communication qualifie depuis peu l’échange entre les humains. Les théories
de la communication font recettes et les stages pour apprendre à communiquer sont
légions. Ils sont restés fidèles à leur vocation initiale : la vente. Comment faire accepter
à quelqu’un ce qu’il ne veut pas. Les formations à l’affirmation de soi, c’est-à-dire à la
négation de l’autre, n’ont pas d’autre but.
Quant aux machines à communiquer (internet, mail, fax, téléphone mobile), elles
privent les sujets de la rencontre. Plus il y a de moyens de communication, moins il y a de
rencontre : le regard se porte plus sur l’écran que sur l’interlocuteur. Ceci induit une perte
d’information fondamentale pour l’un et pour l’autre et assèche la qualité de l’entretien.
La médecine, qui était basée sur l’observation, l’interrogatoire, l’auscultation, la palpa-
tion, c’est-à-dire la sensorimotricité et la réflexion, a interposé la machine entre le soignant
et le patient. Le médecin ne regarde plus, n’écoute plus, n’entend plus, ne touche plus. La
privation sensorielle est au rendez-vous, alimentant le faisceau croissant de l’insatisfac-
tion mutuelle.
Les interruptions de taches
Dérangements téléphoniques (téléphone fixe, téléphone portable, téléphone fixe +
téléphone portable), signal d’appel, mails, messages publicitaires, génèrent un authen-
tique « zapping » des réseaux neuronaux. La concentration diminue, l’efficacité est
réduite, la pensée est sidérée, la mentalisation réduite à zéro. J’ai constaté l’absence d’acti-
vité onirique chez les sujets soumis à ce type de fonctionnement, ou bien, chez certains,
uniquement des rêves strictement opératoires se rapportant au travail. Ces sujets, par
ailleurs, n’arrivent plus à hiérarchiser les tâches et perdent la notion de l’importance et
de la priorité.
Les tracas matériels et administratifs
Impossibilité de joindre telle administration qui exige « sous peine de poursuites »
d’être appelée le jour même, panne d’ordinateur, modes d’emploi (bientôt, il faudra un
stage de formation pour défaire certains emballages), standards informatisés, etc. L’idée
m’est venue d’y avoir recours : « Si vous êtes dépressif, composez le 1, si vous êtes anxieux,
composez le 2, si vous êtes délirant, composez le 3, si vous ne rentrez dans aucune de ces
323
Traité de médecine psychosomatique
situations ou avez un doute sur la nature de votre état mental, composez le 4, sinon veuil-
lez patienter, un opérateur va vous répondre. » Musique et voix off : « Avez-vous pensé
que des rêves opératoires mettant en scène votre activité professionnelle attestent d’un
déficit de mentalisation ? Savez-vous qu’un médecin formé à la psychosomatique peut
vous aider à lever votre répression ? L’École de médecine psychosomatique est à votre
écoute du lundi au vendredi de 8 h à 12 h 30 et de 14 h à 20 h. » Musique, interruption de
la communication.
Les changements incessants
« Construisons dans un monde qui bouge !… » Pas n’importe où toutefois, évitons
les zones par trop sismiques… Les changements, quels qu’ils soient, sont indispensables,
garants d’un avenir sans nuage, et s’inscrivent aussi dans l’idéologie du « plus » et du
« mieux », du mouvement, de la frénésie et de l’agitation :
––fusions, restructurations, cessions, délocalisations ;
––mobilité géographique ;
––nouveaux matériels, nouveaux formulaires, nouveau directeur ;
––nouvelles techniques, nouveaux locaux, nouvelles règles ;
––promotions, rétrogradations, mutations.
La nature du changement repose sur :
––la technicité, quelle qu’elle soit, à condition qu’elle soit nouvelle ;
––le profit, ou plutôt une certaine idée du profit car à terme, le plus souvent, celui-ci
n’est pas au rendez vous ;
––le consensus, qu’il émane du haut ou du bas.
Les compétences de chacun passent en dernier.
Les relations entre Jacques, notre ambulancier cité p. 323, et son patron, fortement
altérées par l’introduction du GPS, ont essuyé de nouveaux revers ces derniers mois : le
patron a cédé ses parts à sa fille et à son gendre. Le GPS ne suffisant pas, ces derniers ont
mis en place de nouvelles méthodes destinées à accentuer le contrôle accru de l’activité
des salariés : ce sont les échelles d’évaluation proposées aux usagers. Il suffit de cocher
des cases et surtout de préciser l’indice de satisfaction sur une échelle de 0 à 10. Nous
connaissions l’échelle de Jacob, celle de Richter, celle de mon peintre Jacky, celle du centre
« antidouleur ». Nous ne connaissions pas celle de Jacques. Étonnant, non ?
Vitesse, surenchère, maîtrise inatteignable et insatisfaite, dispersion de l’attention,
négation de l’inter-subjectivité, nécessités d’adaptation subintrante, valorisation de
l’action au détriment de la pensée, induisent tension, insatisfaction, non-reconnaissance
et démentalisation, matrices de désordres psychosomatiques inéluctables.
Les nouvelles intrications entre la vie professionnelle et la vie privée
L’intrication de la vie professionnelle et de la vie privée fut en d’autres temps une
règle pour certaines professions : agriculteurs, commerçants, médecins, etc. Elle pouvait
constituer dans certains cas une source d’harmonie, lorsque les rythmes naturels ou
personnels étaient respectés. Tel paysan décidait, à la vue d’une éclaircie, d’aller tailler
quelques rangées de vigne. Telle commerçante ne ressentait pas comme une contrainte
l’interruption de la préparation du repas par l’irruption d’un client dans son magasin.
324
Le travail
De nos jours, il existe une étanchéité apparente entre la vie professionnelle et la vie
privée. Mais l’augmentation des rythmes, des exigences, des techniques, a rendu plus
complexe et par là plus périlleuse leur intrication : difficulté à composer entre la vie profes-
sionnelle et la vie privée, plus particulièrement chez les femmes, irruption du travail dans
la vie privée (appels téléphoniques, courriers électroniques), planning du service révélé
à la dernière minute empêchant toute programmation d’activité personnelle, télétravail,
abolissent une trophique barrière de sécurité entre mondes privé et professionnel.
325
Traité de médecine psychosomatique
326
Le travail
Les agressions
––Incidents matériels (enfermement dû à la défaillance d’un système de sécurité).
––Accidents.
––Paroles agressives (caissières de supermarché), dévalorisantes, déstabilisantes,
menaçantes (agressivité des clients à l’égard des cadres, de certains patients envers les
soignants des services d’urgence).
––Agressions physiques. Il y a peut-être lieu d’établir une distinction entre ceux qui
travaillent isolément ou en très petit groupe (conducteurs de bus, chauffeurs de
taxi, petits commerces, bijouteries, pharmacies, médecin de garde, stations service,
convoyeurs de fonds, vigiles) et ceux qui travaillent en équipe entraînée et solidaire
et dont la nature de l’activité professionnelle implique par définition une probable
confrontation au danger (pompiers), à plus forte raison s’ils travaillent en groupe et
armés (forces de l’ordre).
Certaines agressions génèrent un syndrome psychotraumatique.
Évelyne, 40 ans, divorcée, deux enfants, est conductrice de bus. Elle est en arrêt de
travail depuis six mois et vient me consulter pour phobie des transports ! Elle est incapable
de prendre sa voiture… Je suis un peu interloqué, juste le temps qu’il faut pour décou-
vrir chez cette patiente un état d’émoussement affectif total, un sentiment de vide, une
anhédonie et un désintérêt majeurs qu’accompagnent des crises d’angoisse récurrentes.
Elle présente en fait un syndrome psychotraumatique dont les manifestations cliniques
sont apparues en plusieurs temps successifs.
Ses enfants ont été agressés dans la rue il y a un an. Le lendemain, alors qu’elle déambule
avec eux en ville, une voiture manque de les faucher. Elle a très peur et perd connaissance.
Cet événement, mineur par rapport à l’agression subie par ses enfants la veille, fera écran
et induira un syndrome de répétition ainsi qu’une agoraphobie. Six mois après, elle subira
des injures et des menaces de mort d’un groupe de sujets étiquetés « sauvageons » alors
qu’elle conduit son autobus. L’anxiété préexistante s’accentuera et l’état dépressif s’instal-
lera, s’intensifiant de semaine en semaine, rendant impossible la poursuite de son travail.
Les entretiens psychothérapiques et un traitement psychotrope induisent une amélio-
ration rapide. J’adresse un certificat de contre-indication à la reprise du travail au médecin
du travail et elle me fait part de son intention de quitter la région pour commencer une
nouvelle vie en des lieux où la guerre civile semble moins imminente.
Évelyne n’a ressenti aucune rancœur à l’égard de ses agresseurs successifs. Après l’agres-
sion de ses enfants, seul un sentiment de culpabilité de ne pas les avoir accompagnés en
ville était apparu. Elle avait pris l’habitude dans son travail de subir menaces, injures et
agressions verbales quotidiennes, de faire profil bas, comme si rien ne se passait, et de
continuer ainsi en état de répression permanente. Car elle avait toujours voulu faire ce
métier.
Seconde de la fratrie, elle s’intéressait, contrairement à sa sœur aînée, aux petites
voitures, aux petits tracteurs, aux petits camions ainsi qu’aux outils de bricolage. Elle
ne garde aucun souvenir de son père, décédé quand elle eut 7 ans, si ce n’est de l’avoir
embrassé lorsqu’il reposait dans son cercueil. Cette réminiscence induisit une émotion
douloureuse lors de son évocation, première émotion après de long mois d’anesthésie
affective, mais aussi par contiguïté d’autres souvenirs. On peut supposer que son père fut
328
Le travail
l’objet d’une identification privilégiée. Sa première fascination pour les cars et les camions
remonte à ses quatre ans et demi. Elle était dans la voiture avec sa sœur et ses parents sur
l’autoroute et était fascinée par la puissance de ces engins, leur volume, l’impression de
sécurité et d’invincibilité qui se dégageait d’eux. Cette image est restée gravée alors que
celle du père fit l’objet d’une lacune. Il s’agit très vraisemblablement d’un processus de
déplacement. Elle garde encore précieusement un petit autobus anglais miniature avec
lequel, enfant, elle jouait. Ainsi, son métier était le lien qui la réunissait avec ce père certai-
nement très aimé et admiré, père dont elle ne sait toujours rien, tant le silence défensif de
la famille a dû être intense après son décès. La répression qui a accompagné la scène de
son départ s’est muée en refoulement, puis en déplacement. Cette même répression qui
plus tard sera sa compagne quotidienne au volant de son autobus et qui asséchera toute
fonction psychique dans les mois suivant la dernière agression, événement qui allait lui
faire renoncer à l’objet qu’elle avait investi toute sa vie.
Les agressions induisent une répression de l’agressivité et assez souvent un syndrome
psychotraumatique.
330
Le travail
La déstabilisation s’accentue lorsque l’idéal imposé par l’objet change. Chez les visiteurs
médicaux, par exemple, il est demandé au délégué médical de s’investir dans le produit
comme une mère à l’égard de son enfant. À l’issue d’un changement (abandon du projet,
fusion d’entreprises, changement d’objectif), il lui sera demandé de désinvestir le produit
pour en réinvestir un autre.
Les auto-exigences que le sujet s’impose – dévotion craintive au patron, addiction au
travail, stakhanovisme névrotique, crainte permanente de mal faire, ambition démesu-
rée – sont en relation avec des idéaux surdimensionnés. Seul l’abord des déterminants
inconscients et de l’histoire du sujet permet d’en comprendre les origines et l’anachro-
nisme foncier.
Trois sœurs travaillaient chez leur père. Salariées de cette entreprise familiale, cinq
ans d’âge les séparaient les unes des autres. Elles avaient itérativement intégré l’entre-
prise paternelle aux postes identiques de secrétaires de direction. Deux autres atten-
daient l’âge adulte pour suivre la voie toute tracée. Car le père avait eu, sur le tard, deux
autres filles qui, comme les trois premières, étaient issues de canapés différents et elles
aussi séparées de cinq ans d’âge les unes des autres. C’était probablement la seule forme
d’expression ritualisée qui avait marqué la vie de ce psychopathe vieillissant. L’entreprise
de vente de voitures d’occasion était florissante et les trois sœurs aînées, dont le maquil-
lage outrancier n’avait d’égal que celui des voitures, dirigeaient celle-là d’une main de fer.
Les deux plus âgées étaient mariées, l’une à un forain, l’autre à un gérant de discothèques.
La troisième ne se maria point, tant son dévouement filial à super-papa était sans faille.
Elle commençait à 6 h, terminait à 21, contrôlait les deux aînées, rapportait au père leurs
défaillances. Un matin de mai, elle se réveilla avec une paralysie faciale a frigore. Elle avait
effectivement pris froid à l’arrière de la Mercedes cabriolet que conduisait le père à vive
allure, au retour d’un repas d’intronisation de la quatrième sœur. Celle-ci, installée dans
la voiture à la droite du père, allait intégrer au petit jour le poste de quatrième secrétaire
de direction de l’entreprise.
Le combat et la défaite
Un individu qui lutte, qui attaque, qui se défend, est relativement à l’abri, durant un
temps toutefois limité, de désordres pathologiques graves. Les altérations fonctionnelles
ne sont pas pour autant exclues. La victoire, si elle n’est pas trop tardive, y mettra le plus
souvent un terme. La défaite ou l’usure au combat génèrent quant à elles des processus
pathologiques constants. Ils peuvent être transitoires et résolutifs. Ils peuvent aussi être
durables, irréversibles, si ce n’est dramatiques.
Les stratégies conscientes d’ajustement permettent parfois de trouver des solutions
adaptatives sans dommage pour le sujet. Lorsqu’elles ne suffisent pas et que la situa-
tion traumatique perdure, des processus de défense palliatifs se mettent en place, extrê-
mement variables d’un sujet à l’autre : affrontement, combat, réactions de caractère,
fuite, plainte, inhibition, répression, soumission, renoncement. Autant de réactions qui
attestent de l’organisation psychique et du système défensif inconscient du sujet. Ce
dernier doit être mis au jour, car il se manifeste souvent de manière similaire dans les
autres secteurs de la vie du sujet.
Deux attitudes extrêmes sont particulièrement préjudiciables à l’équilibre
psychosomatique : la lutte à perpétuité et la soumission inconditionnelle.
332
Le travail
La démentalisation professionnelle
La mentalisation constitue un vecteur fondamental de drainage des excitations
instinctivo-pulsionnelles et donc une voie précieuse pour l’évacuation de la tension
interne. Imaginer le scénario d’une réplique incisive et élaborée à l’encontre de son
supérieur hiérarchique est tout aussi trophique pour l’économie psychosomatique du
sujet que la mise en acte agressive impulsive.
Si le déficit de mentalisation génère une vie opératoire, celle-ci génère à son tour
un déficit de mentalisation. Les sujets pris dans une activité professionnelle répétitive,
routinière ou vide de sens, ceux confrontés à des interruptions, des contradictions et des
333
Traité de médecine psychosomatique
sommeil chez les sujets anxieux, plus tard chez les sujets dépressifs, soit accompagné
d’une angoisse indéfinissable, soit dénué de tout affect, de toute émotion. Une préoccu-
pation liée le plus souvent à l’activité professionnelle surgit. Le plus souvent, si l’anxiété
domine, le sujet va se rendormir dans l’heure qui suit, aidé par la privation sensorielle de
la nuit, par paliers successifs. Parfois, surtout lorsque se surajoutent des éléments dépres-
sifs, le ré-endormissement ne suit pas : le sujet se lève, déjeune, s’affaire à quelque tache
domestique, regarde la télévision ou rejoint son bureau. La fatigue est au rendez-vous
tout au long de la journée.
Si le hasard, ou un événement, ou une décision inhabituelle, permet à ces sujets de
voyager ou de prendre quelques jours de vacances hors du contexte professionnel et dans
un lieu favorisant des perceptions nouvelles, passés les premiers jours de récupération, ils
se remettent à rêver.
Les productions oniriques des sujets en état de démentalisation sont le plus souvent
quantitativement et qualitativement diminuées :
––absence de souvenir onirique. L’acharnement dans la maîtrise et la répression réduisent
les productions oniriques et effacent totalement leur souvenir ;
––rêves opératoires peu élaborés se limitant au factuel, à l’actuel, aux restes diurnes :
rêves dupliquant la pensée vigile, mettant en scène le cadre professionnel ;
––rêves stratégiques conduisant à une élaboration intellectuelle permettant de trouver
des solutions à certaines difficultés. Ces rêves, précieux mais peu fréquents, peuvent,
bien que construits selon des processus secondaires, amorcer un processus de
rementalisation ;
––rêves de décharge pulsionnelle. Les pulsions réprimées à l’état diurne surgissent la nuit,
en l’absence de leur contrôle. La décharge peut être brutale, réveillant le sujet (rêves de
combat, de catastrophes, de disputes, d’explosions), ou plus progressive, mettant en
scène des représentants pulsionnels (animaux, véhicules non maîtrisés, etc.). Dans les
scènes oniriques, les anxieux sont victimes, les déprimés agresseurs ;
––rêves à contenu professionnel. Les rêves mettant en scène la vie professionnelle sont
souvent peu élaborés : scène se déroulant au travail, réactualisant les conflits, rêves où
se reproduit de manière à peine déguisée la réalité traumatique (rejet, mise au placard,
accès impossible au lieu de travail, culpabilité de ne pas avoir repris le travail, etc.).
Ces rêves, reflets de problématiques actuelles, sont d’un intérêt clinique évident
lorsque nous sommes confrontés à des patients pris dans des difficultés diverses où se
mêlent facteurs professionnels, affectifs, matériels, etc.
La répression de l’agressivité
En matière de travail, les situations ne manquent pas où le sujet doit se contenir en
réprimant son agressivité, soit du fait des exigences extérieures, soit par crainte de perdre
son statut, son travail ou l’estime de l’autre, soit du simple fait de ses idéaux personnels.
Le travail favorise la répression
Il n’est pas naturel de travailler, sauf lorsque l’activité concernée est destinée à satisfaire
un plaisir ou bien lorsqu’elle vise à répondre à un instinct : tisser sa toile, construire son nid.
En dehors de ces cas, même le travailleur indépendant le plus enthousiaste doit quelque
peu « s’arracher » de la torpeur de sa couette pour rejoindre son bureau ou son atelier.
335
Traité de médecine psychosomatique
Dans tout travail, il y a un quantum de contrainte, aussi minime soit-il : contrainte horaire,
contrainte de résultat, contrainte imposée par le chef, le client. C’est dire que le sujet doit
réprimer quelque chose en lui, qui est de l’ordre de la poussée instinctivo-pulsionnelle.
La répression dans le travail favorise la répression dans la vie privée
L’activité répressive fait appel à des mécanismes psychiques, comportementaux ou
émotionnels qui s’automatisent, s’autoconditionnent et s’autonomisent à la longue. Ceci
a deux conséquences :
––au bout d’un certain temps, le sujet ne sait plus qu’il est en état de répression ;
––la répression dans un secteur de la vie psychique tend à s’étendre dans d’autres
secteurs.
Sandra, commerciale, ne s’effondre jamais. Aucun déboire dans sa vie profession-
nelle ou privée n’altère son masque jovial et ses propos animés d’une certitude à toute
épreuve. « Pas d’souci, ça se gère, je fais ce métier parce que j’aime les gens, etc. » Devant
cette triade consensuelle, le diagnostic de répression est facile. Très belle femme, Sandra
est harcelée sexuellement par ses chefs successifs. Elle « gère ». Elle est mutée. « Ce n’est
pas grave, elle aime toujours les gens. » On trafique ses dossiers. « Pas d’souci. » Dans
ce contexte qui s’aggrave, son père décède brutalement. Pas de réaction. Gestion. Pas
d’souci. Amour des gens. Dépression essentielle.
ciles : inondations, décès d’un beau-frère, sœur atteinte d’un cancer, anorexie chez sa fille.
Face à ces événements, Laurianne réagit de manière identique : elle s’adapte, fait front,
continue sa route. Sa tension artérielle moyenne est à 18/11 malgré les traitements. Seule
une dépression d’épuisement et un changement de poste de travail en permettront la
normalisation.
Cibles somatiques à déterminisme professionnel
Il s’agit de pathologies dans lesquelles la cible somatique est directement impliquée
et sollicitée par l’activité professionnelle. C’est le cas des pathologies de la motricité qui
apparaissent dans un contexte général de répression de l’agressivité et sont déclenchées
par une sollicitation mécanique lors du travail.
La cible somatique induite par la répression des représentations motrices agressives
est le plus souvent celle qui est sollicitée lors du travail, par exemple dans les activités de
manutention. Le territoire musculaire, tendineux et articulaire sollicité est la cible privi-
légiée de la décharge de l’excitation. La répression étant un concept clinique ignoré de la
plupart des professionnels du soin, on comprendra que la sollicitation mécanique soit
incriminée comme seule cause des symptômes. C’est ainsi qu’en médecine du travail a
été créée l’entité « troubles musculo-squelettiques » (TMS), dont le traitement repose
essentiellement sur l’ergonomie. Tel un éclair, l’atteinte motrice confirme le lieu de l’orage,
mais depuis longtemps le tonnerre grondait. La dimension lésionnelle sera confirmée et
surévaluée si des altérations anatomiques se révèlent à l’imagerie.
Lorsque la répression des sentiments de défaite se surajoute, que l’épuisement
s’instaure, les localisations intéressent plus particulièrement la région lombaire, voire
pelvienne : il en est ainsi de la lombalgie aiguë dans les suites du soulèvement d’une
charge. Les rémissions et les rechutes sont rythmées par les désordres de l’excitation.
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) correspondent aux pathologies ab-arti-
culaires de la terminologie classique : tendinites, périarthrites, bursites, ténosynovites,
syndrome du canal carpien, pathologie musculaire périarticulaire. La fascination par le
sigle étend le terme aux pathologies rachidiennes.
Le sigle TMS induit des représentations immédiates réductrices : seuls les muscles et
les os seraient en cause. Il n’y a donc qu’à chercher de ce côté-là, les autres détermi-
nants s’en trouvant exclus. L’ancienne appellation « troubles ostéoarticulaires » n’offrait
guère mieux car, dans les TMS, les muscles sont au moins présents. Mais les troubles
ostéoarticulaires n’ont pas fait l’objet d’un sigle manipulable qui clôt le questionnement
et exclut le sujet.
Babeth, 40 ans, aide soignante, a présenté un épisode de lombalgie il y a un an
en soulevant un malade. Elle attribue cela au fait qu’il n’y avait pas le matériel adéquat.
Son médecin l’aurait fait reprendre sans l’avoir examinée et la responsable de l’organisme
refusa d’alléger ses tournées.
Deux mois après, rechute en soulevant un autre patient. Anti-inflammatoires, infil-
trations, antalgiques, antidépresseurs, électrostimulations, ostéopathe, kinésithérapie,
magnétiseur, centre antidouleur, formation en ergonomie. Le neurochirurgien contre-
indique l’intervention et confirme l’absence de lésion. Le médecin du travail pense qu’elle
est apte au travail.
337
Traité de médecine psychosomatique
Dans la semaine qui avait précédé le premier épisode, elle était en conflit avec son
employeur. Dans la semaine qui précéda le second, elle se fâcha avec sa sœur.
Babeth est une innocente victime des autres qui lui veulent du mal. De son côté, elle
ne se remet jamais en cause, ne renonce à rien. Elle copule bruyamment avec son mari
alors que son fils fait ses devoirs dans la pièce à côté et trouve ça normal et légitime. « Il
n’a qu’à se mettre des boules Quiès ! » Il y a ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, selon ce
qu’elle décide, selon ce qui l’arrange. « Moi, je suis comme ça ! » Malgré mes suggestions,
elle n’arrive pas à aller au-delà. Désert fantasmatique, vide imaginaire sidéral. Névrose de
caractère dans lequel le moi idéal règne en maître. Le mode de pensée binaire et l’absence
de conflit névrotique participent à la démentalisation. L’agressivité a deux destinées : la
répression (responsable des douleurs) ou la projection (succession de persécuteurs). Elle
vient parce que « c’est pris en charge », sinon elle ne viendrait pas « parce que ça ne sert à
rien ». La mère était intraitable avec elle et laissait tout passer au petit frère.
Anna, 58 ans, sans enfants, est patronne d’une boutique de décoration. Elle est
très attachée à son employée, Mélodie, une jeune femme en laquelle elle place beaucoup
d’espoir et à laquelle elle reconnaît mille qualités. L’ambiance à la boutique est très
agréable et Anna, reconnaissant le travail et le dévouement de Mélodie, est très atten-
tionnée et généreuse à son encontre. Plusieurs fois, Anna a amené la jeune femme choisir
les collections de la saison prochaine, lui faisant une totale confiance quant à ses choix
et sa fiabilité. Souvent, elle accorde à son employée la possibilité de partir plus tôt ou de
modifier ses horaires à sa convenance. Anna doit alors la remplacer à la boutique mais
peu lui importe car elle est heureuse de cette atmosphère « familiale ». Depuis quelque
temps cependant, la boutique décline… Choix malheureux du maire de la ville quant
à l’aménagement du centre-ville et puis peut-être… L’employée gère les commandes…
Mais non, cela ne peut pas être elle… Anna a une totale confiance en la jeune femme…
Elle voudrait lui offrir plus car elle voit bien que Mélodie souhaite plus…
Un jour, alors que la boutique vit une période financière très difficile, Anna demande à
son mari, profession libérale, de s’investir dans la boutique afin que Mélodie ne connaisse
aucune répercussion salariale. Mélodie annoncera pourtant à Anna qu’elle la quitte dès
le lendemain pour un autre employeur qui lui propose un salaire supérieur. Anna sourit,
lui souhaite bonne chance… La nuit suivante, Anna se réveille brusquement : « Quand
même, quatre années partagées pour être traitée ainsi ! Laissée au moment des pires diffi-
cultés ! » Immédiatement, elle s’en veut. Pauvre Mélodie, elle mérite un avenir meilleur !
Anna se lève et fait le ménage de son appartement. Le lendemain, elle nettoie l’intégralité
de la boutique. Et puis elle se bloque le dos… Sciatique… Alitement… Proposition d’opé-
ration par le chirurgien consulté… Anna serre les dents et garde le sourire.
4-1. L’agresseur
Les formes mineures
Il existe des formes mineures le plus souvent liées à des contextes transitoires de diffi-
cultés. Les mouvements d’humeur peuvent s’accompagner de réprobation, de rudoie-
ment, de propos colériques, voire de remarques dévalorisantes, de mises en garde, ou de
sanctions. Ces réactions, le plus souvent d’un supérieur hiérarchique, sont résolutives et
font à terme l’objet d’un dialogue, d’excuses, de solutions adaptées.
L’abus de pouvoir
Il est vite démasqué car l’affrontement y est direct et constant. Il s’agit d’un supérieur
hiérarchique qui écrase les autres, et le plus souvent tous ses subordonnés.
C’est la tyrannie du grand chef ou, plus souvent, du petit chef. La soumission est
obtenue par la force et non la séduction. L’agresseur exerce une pression constante sur
son subordonné : exigence de soumission, d’obéissance, culpabilisation. La tyrannie
peut parfois se manifester par des manifestations clastiques avec propos dégradants ou
phrases assassines. La peur règne dans le service et confine à la paralysie certains sujets.
Soit il s’agit d’un paranoïaque, soit d’un sujet voulant compenser sa fragilité identitaire,
soit d’un intermédiaire hiérarchique qui déplace sur ses subalternes l’agressivité qu’il n’a
pas pu exprimer à l’égard du supérieur.
Les victimes ne sont pas isolées et peuvent exprimer entre elles leurs récriminations,
ce qui constitue un exutoire mais aussi un potentiel renforçateur de la crainte collective.
339
Traité de médecine psychosomatique
La manipulation perverse
Elle est, comme nous l’avons vu, plus insidieuse. L’affrontement n’est jamais direct.
Obtention du pouvoir par la séduction, l’influence, l’emprise, mais aussi par l’intrigue et le
calcul. Ici, la soumission de l’autre ne suffit pas, il faut s’approprier sa substance et en jouir.
Mensonges, ordres incohérents, non-dits, création de rivalités. L’originalité, la créati-
vité, l’identité, l’initiative d’un sujet, doivent être dissoutes.
Diane, 27 ans, a quitté Paris il y a deux ans et demi pour venir travailler dans la
région comme styliste dans une petite entreprise de confection. La distance géographique
aura raison de la relation avec son compagnon. Malgré cela, Diane s’investit énormément
dans son travail qui la passionne. Son patron lui a promis une augmentation, une évolu-
tion dans sa carrière, mais il ne se passe jamais rien, il fuit toute confrontation, il répond
à côté, il est impossible de lui parler. Il s’adresse à ses employés comme à des chiens, il ne
tient jamais ses promesses. Mais Diane aime toujours son travail car elle a une excellente
relation avec sa directrice. Hélas, il y a neuf mois, celle-ci a était déclarée inapte au poste
de travail du fait d’une dépression. Le successeur de la directrice, fraîchement pacsé avec
le patron, ne gère rien du point de vue administratif et s’autoproclame directeur artis-
tique. Il supprime toute dimension créative au travail de Diane, ne valide plus ses projets
et ses réalisations. Elle se retrouve à faire de la copie ou à exécuter des besognes qu’il lui
dicte avec affectation, préciosité et grandiloquence. Comme avec le patron, elle est désar-
mée, car il a toujours raison, il ment et récupère ses dires par des pirouettes agrémentées
de citations littéraires. Mise au placard. Succession de somatisations depuis neuf mois :
infections, douleurs.
4-2. Le processus
Le processus débute lorsqu’un événement induit une défection chez la future victime :
grossesse, maladie, faute. De toute façon, elle était déjà désignée comme coupable.
Disqualification
Le harcèlement débute par une dévalorisation, un discrédit. Messages verbaux mais le
plus souvent non verbaux : évitement du regard, réaction motrice d’agacement, négation
de la présence de l’autre, humiliations, ridiculisation, propos dégradants ou injurieux.
Confusion
Le but est ensuite de retirer tout sens critique afin que la victime ne sache plus qui a
tort et qui a raison. Ne donner aucune explication, ne pas nommer le problème, refuser
le dialogue.
Isolement
Le sujet est ensuite volontairement isolé du groupe : exclusion des réunions, induction
de conflits entre la victime et ses pairs, étiquette, surnom qu’utilise parfois le groupe, mise
en quarantaine, mise au placard.
4-3. La victime
Le plus souvent, les victimes sont des sujets qui ont une conscience professionnelle
évidente, et investissent particulièrement leur travail.
Dans un premier temps, la victime ne se formalise pas, puis les attaques se multiplient
pendant une longue période : répétition des vexations, des humiliations, des brimades.
On oublie les qualités antérieures de la victime, son investissement initial. La blessure
narcissique est installée.
La confusion et l’isolement portent atteinte au système de pensée et à la réactivité de
la victime, qui perd ses repères, ses capacités défensives, son efficacité.
Alternance de soumission croissante et de soubresauts désespérés de rébellion. La
soumission aggrave la pathologie, la rébellion aggrave le harcèlement en confirmant le
bien-fondé de ce dernier.
La honte et la culpabilité surgissent. Honte de ne pouvoir se défendre car, surtout de
nos jours, il faut gagner. Culpabilité de faillir ou tout simplement d’être mis en accusation :
« Qu’est-ce que j’ai pu bien faire pour qu’ils en arrivent là ? » Culpabilité qui inhibe à son
tour la réaction défensive.
Peu à peu, la situation devient traumatique, puis le travail, un cauchemar (aux deux
sens du terme). Le sujet peut alors réellement faire preuve d’incompétence. L’agression
déstabilise la victime dont les mécanismes défensifs vont à leur tour accentuer l’agression.
La peur entraîne chez la victime des comportements pathologiques qui serviront d’alibis
à l’agresseur. Poussée à bout, la victime devient ce qu’on lui reproche.
C’est l’histoire d’un sujet qui s’est cru idéalisé alors qu’il n’était que le miroir du narcis-
sisme de l’autre. Sujet devenu un instrument inerte, puis inutilisé, et enfin fécalisé. Amour
déçu pour avoir failli à sa fonction de soumission inconditionnelle.
Harcèlement horizontal
L’agresseur, de niveau hiérarchique similaire, est un individu ou plusieurs individus, ou
encore le groupe.
La victime est souvent :
––celui qui est différent : femme dans un groupe d’hommes (grivoiseries, obscénités
devant le groupe qui se gausse), sujet diplômé d’études supérieures, sujet ayant de
bonnes manières, et de manière générale tout sujet qui n’adopte pas le système défen-
sif collectif ;
––celui qui a des qualités qui suscitent l’envie : qualités intellectuelles ou physiques,
jeunesse, aisance, argent, tenue vestimentaire.
341
Traité de médecine psychosomatique
Harcèlement sexuel
La forme la plus classique est celle de la victime harcelée sexuellement par son
supérieur hiérarchique. Ce qui se joue en fait, plus qu’une exigence de relation sexuelle,
est l’affirmation d’un pouvoir, le déni de l’altérité, la négation du sujet, le viol psychique.
Adeline a 30 ans. Elle est belle et dévouée dans le travail de secrétaire qu’elle effec-
tue dans une entreprise de téléphonie depuis quatre ans. Initialement, le patron est
extrêmement gentil et attentionné à son égard, la console dans ses petits déboires senti-
mentaux avec des garçons qui, selon lui, ne la méritent pas. Un état de dépendance affec-
tive s’est instauré, d’autant que le papa d’Adeline, divorcé de la mère, ne donne plus signe
de vie. Cette proximité relationnelle s’accompagne de plaisanteries grivoises qu’elle élude
les premiers mois, mais qui finissent par la gêner avec le temps, et l’incommoder plus
particulièrement lorsque ces plaisanteries se produisent en présence de tiers masculins,
commerciaux de leur état, qui surenchérissent grassement. Au bout d’un an, Adeline est
tendue, mais ne dit rien. Les apéros auxquels elle est obligée de participer l’insupportent,
des crises de spasmophilie apparaissent, puis une anaphrodisie à l’égard de son compa-
gnon, ainsi que des troubles du sommeil peuplés de cauchemars mettant en scène le
travail. Un an après, Adeline est dépressive. Un beau jour, son patron, en conversation
téléphonique avec un client, décrit à celui-ci avec de truculents détails ce qu’il imagine
de l’anatomie d’Adeline. Dans l’heure qui suit, le benêt qui était à l’autre bout du fil surgit
342
Le travail
dans l’entreprise et, langue pendante et sourire de carnassier, dégaine à Adeline un chape-
let de douceurs pornographiques. Elle quitte son poste, livide et tremblante, tombe sur
le patron qui passait par hasard et qui, voyant sa mine déconfite, la serre paternellement,
dirons-nous, dans ses bras. Se défaisant de l’étreinte, elle part en courant et démissionne.
Des tiers bien intentionnés lui enjoindront de renoncer à cette décision et de déclencher
une procédure. Dont acte. La direction nationale intervient : il est hors de question que
la réputation du patron soit entachée. On fait passer successivement Adeline pour hysté-
rique, allumeuse, persécutée. Elle finira par obtenir gain de cause au prix d’un psoriasis.
Albert occupe depuis longtemps un poste de haute responsabilité dans une collec-
tivité territoriale. Il fait partie de la jet-set, est adulé par la plupart de ses collaborateurs,
excepté deux directeurs qui briguent son poste de prestige. Accusé de harcèlement
sexuel, il lui a été enjoint de consulter un psychiatre. Je m’attends à voir un homme sûr
de lui, c’est une loque humaine qui pénètre dans mon cabinet. Les plaintes ont eu lieu
dans les mois qui ont suivi son pénible divorce et le décès de ses parents. Effectivement,
il fonctionnait en bon papa protecteur, aimant bien le contact physique chaleureux, un
peu trop. Certaines ont dû s’en lasser car Albert, s’il est charismatique, n’a rien d’un séduc-
teur. Il est gentil mais terriblement collant, gluant. Il veut qu’on l’aime. Dans l’enquête
demandée par le juge, rien n’a été rapporté qui puisse faire évoquer chez ce nourrisson
en préretraite des manifestations agressives patentes telles que chantage ou contrainte, il
n’y a eu aucune relation sexuelle avec les plaignantes. Tout au plus a-t-il invité une de ses
secrétaires à venir l’écouter parler de ses peines dans sa chambre d’hôtel. La psychanalyste
improvisée, n’en pouvant plus, finit par s’assoupir dans le fauteuil, et lui s’endormit de son
côté sur son grabat. Elle repartit à pas de loup pour ne pas déranger bébé, et hélas tomba
sur son mari qui l’attendait dans le couloir. Ce petit événement s’ajouta aux papouilles
oblatives bien connues d’Albert, et à de suaves conspirations de la part des deux direc-
teurs cités plus haut, ce qui eut pour effet de créer un silence pesant au siège social qu’il
dirigeait encore pour peu de temps. Silence rompu un matin de mai par l’irruption des
forces armées qui le conduisirent chez le juge. Malgré ses capacités de travail, son esprit
d’initiative et une bonne culture, Albert rentre dans l’entité nosographique bien connue
des couillons boursouflés, ce que confirma son insurrection langagière au tribunal et,
pour clore le tout, sa décision d’aller participer en témoin masqué, mais toutefois harce-
leur, à une de ces émissions de téléréalité qui suscitent les fantasmes les plus torrides
chez les téléspectateurs les plus désespérés. Ses propos furent vite récupérés, déformés,
tronçonnés, inversés par le bellâtre au micro de service, défenseur du bien et pourfendeur
du crime, et le poupon Albert, n’ayant rien compris au film, rentra content de lui en TGV
vers sa province. Il prit deux ans avec sursis, une amende substantielle, fut mis au placard,
n’eut plus de contact avec ses deux filles, rasa les murs de son village, et développa, six
mois plus tard, un cancer du colon.
4-5. Diagnostic différentiel
Olga, 37 ans, est commerciale dans une entreprise de transports. Elle a porté plainte
pour harcèlement moral. L’anamnèse révélera le bien-fondé de sa démarche. Restructu-
ration de l’entreprise il y a trois ans, pas de place pour trois commerciaux. C’est elle qui
343
Traité de médecine psychosomatique
Pathologies somatiques
––Maladies de la répression de l’agressivité : céphalées, douleurs rachidiennes, désordres
glycémiques, maladies inflammatoires.
344
Le travail
Les tiers
Les collègues se tiennent le plus souvent à l’écart et finissent par accepter que l’un
d’entre eux soit l’objet de harcèlement.
Si les tiers sont eux-mêmes sous influence de l’agresseur, ou bien s’ils ne peuvent
ou ne veulent s’en séparer, ce qui est le plus souvent le cas, ils ne seront d’aucune aide.
Leurs commentaires attestent de leur choix de ne point prendre parti, ou encore de leur
dévotion inconditionnelle, voire de leur aveuglement : « Tu l’as pris à rebrousse poil… Il
est comme ça… Tu devrais être moins… ou plus… » Ou bien : « On ne veut pas être mêlé
à ça. »
La hiérarchie n’intervient pas, fait la sourde oreille. Si l’entreprise est complaisante à
l’égard de ce type de fonctionnement, la perversion s’étend, fait des émules. À l’exemple
de notre société actuelle qui crée de la perversion du simple fait qu’elle est perverse.
Ce n’est que la présence ou la survenue inopinée d’un tiers extérieur qui permet d’éclai-
rer d’un jour nouveau la situation. Ce dernier est le plus souvent terrifié de voir ce qui se
passe. Lorsqu’il en fait part à la victime, celle-ci se sent apaisée.
La structure
Du fait de la crainte de perdre son travail, le sujet salarié d’une entreprise subit plus
qu’ailleurs et plus qu’avant.
Dans les administrations, les sujets ne sont pas épargnés mais la menace de perdre son
emploi est moindre. L’issue du harcèlement est plus torpide : démotivation, désinvestis-
sement, arrêt de travail de longue durée.
Certaines situations favorisent le harcèlement :
––restructuration, nouvelle direction ;
––groupes de travail sous pression ;
––compétitivité ;
––objectifs à atteindre quelles qu’en soient les conséquences ;
––organisation délétère : mauvaise définition des rôles, désinformation, absence de
concertation ;
345
Traité de médecine psychosomatique
4-8. Traitement
Psychothérapie
––Il faut éviter tout autant le psychothérapeute formé sur le tas, qui ignore tout de
l’inconscient, fonctionnant dans la séduction et la toute puissance, que le psychana-
lyste muet, froid et castrateur. Tous deux ne font que dupliquer le fonctionnement du
pervers.
––La victime doit, dans un premier temps, prendre conscience qu’elle est victime d’un
pervers, que celui-ci est dangereux et malveillant.
––Repérer les tactiques et le mode de fonctionnement du pervers pour déjouer ses
agressions.
––Repérer aussi ce qui vient de la victime, de sa propre vulnérabilité, de sa difficulté
à se défendre. La conflictualité intrapsychique et ses origines ne seront abordées que
lorsque le sujet sera sorti de l’emprise et aura retrouvé sa capacité à penser et à se
défendre. Centrer d’emblée sur l’intrapsychique au détriment du traumatisme réel
reproduit l’isolement de la victime. Secondairement, lorsque le patient est sorti de
l’emprise, tisser des liens entre la situation récente et les traumatismes antérieurs.
Suggestions et propositions en ce qui concerne le harcèlement professionnel
––Jouer l’indifférence, garder le sourire et répondre avec humour, mais sans en rajouter
dans l’ironie. Ne pas manifester d’agressivité. Rester irréprochable sur le plan profes-
sionnel. Être très exigeant sur la précision des consignes, faire préciser les messages
flous.
––Accumuler les preuves, noter ce qui se passe, ce qui se dit, chaque agression. Avoir
recours, si cela se peut, à des témoins.
––Trouver de l’aide auprès de quelqu’un au sein de l’entreprise.
––Rendez-vous avec le médecin du travail.
––Mesures actuelles : le salarié peut saisir un médiateur externe à l’entreprise, le Comité
d’hygiène et de sécurité ou les délégués du personnel.
––Arrêt de travail. Mais : « Si je m’arrête, cela va être pire ! On va me le faire payer ! » La
peur fait tout accepter.
Lorsque la rupture est consommée, des procédures judiciaires peuvent être engagées,
en sachant qu’elles vont jouer un rôle re-traumatisant systématique, source de troubles
et obstacle à un redémarrage existentiel et professionnel. Ce qui est important, c’est que
le sujet ait été reconnu comme victime. Aller plus loin expose à la prolongation de la
souffrance.
346
Le travail
Psychotropes
Les psychotropes doivent être utilisés avec parcimonie et à bon escient, se limitant
autant que se peut à maintenir le sommeil. Les antidépresseurs ne doivent être utilisés
que lorsque les mécanismes de défense sont altérés.
4-9. Les dérives
La reconnaissance du harcèlement moral ou sexuel en tant que réalité clinique et fait
susceptible de procédure judiciaire a eu le mérite de se poser en garde-fou contre de
fréquents abus et l’inconvénient de générer des excès d’un autre type. Si les différentes
situations caractéristiques du harcèlement moral, ses différentes étapes, les mécanismes
et les profils de personnalité en cause, ont fait l’objet d’analyses précises, en pratique, on
se trouve confronté à des situations toujours difficiles et ceci pour deux raisons : d’une
part, la présence d’un problème juridique en cours compromet toujours la psychothé-
rapie et, d’autre part, la plupart des intervenants et le plus souvent le sujet lui-même
tendent à occulter les facteurs traumatiques privés.
Si, dans le vrai harcèlement, l’intervention de tiers symboliques est une nécessité
absolue (juridiques, amicaux, professionnels), l’utilisation de la loi à des fins personnelles,
matérielles, idéologiques, politiques ou médiatiques, constitue une dérive dangereuse
potentiellement destructrice à l’égard de coupables désignés. Le thérapeute doit en avoir
une conscience de tous les instants et s’efforcer de s’abstraire de tout ce qui peut parasiter
sa clairvoyance.
347
Traité de médecine psychosomatique
5-3. Professions à risques
Elles sont caractérisées par :
––de fortes sollicitations mentales affectives et émotionnelles ;
––une forte responsabilité vis-à-vis des personnes ;
––des objectifs à atteindre difficiles ou impossibles ;
––un déséquilibre entre les taches à accomplir et les moyens mis en œuvre ;
––une ambiguïté ou un conflit de rôles.
La relation d’aide, d’enseignement ou de soins, place le professionnel dans une position
parentale : sujet disposant d’un savoir, d’un pouvoir, d’une maîtrise, ayant le sentiment
d’être indispensable et reconnu, le sens de l’engagement, des responsabilités, du devoir.
Satisfaction particulière qui n’est pas de l’ordre de la créativité pas plus que du profit.
Relation duelle asymétrique qui implique la demande d’un sujet immanquablement en
état de régression pour le moins transitoire. Durant un temps variable, le professionnel
est placé dans une position de toute puissance.
C. Maslach a mis en avant deux facteurs de risques inhérents à la profession :
––l’inquiétude distante faite à la fois de compassion (souci pour le bien-être du patient)
et de détachement émotionnel (objectivité nécessaire). Notons qu’il s’agit ici de
répression, nécessaire mais coûteuse, des affects, des émotions, des comportements ;
––l’objectivation comme autodéfense qui en constitue le prolongement. Elle aboutit
en médecine à considérer le patient comme un cas et non comme une personne.
Modalité défensive légitime contre le désordre économique ainsi induit.
Chez de nombreux enseignants, on repère un sentiment d’usure, d’impuissance et
d’abandon (Lantheaume, La souffrance des enseignants).
L’enseignement, construit sur la transmission des valeurs et des connaissances, solli-
citant l’inventivité personnelle, subit aujourd’hui une altération et une distorsion de sa
fonction initiale, du fait de la multiplication rapide et inconsistante des réformes, de l’écart
entre l’engagement et les résultats, de son contenu qui s’appauvrit, de la dévalorisation du
savoir, de la pression des évaluations standardisées, d’une nécessité d’accompagnement
personnalisé de certains élèves, du travail d’orientation, du travail avec les parents.
348
Le travail
5-4. Sujets à risques
Les caractéristiques inhérentes à la profession et l’organisation psychique du sujet
concourent à l’instauration ou l’exacerbation d’un positionnement et d’un fonctionne-
ment psychique dans l’Idéal :
––idéaux marqués (performance, réussite),
––recherche d’identité dans et par la performance professionnelle,
––absence d’investissements en dehors du travail,
––fuite dans le travail.
5-5. Clinique
L’installation est progressive, insidieuse, souvent méconnue du sujet pendant un
certain temps.
Désordres psychiques
Désordres mentaux
––Lassitude et épuisement cognitifs, perte de la créativité, de la productivité, difficultés
à conceptualiser les problèmes, diminution des performances intellectuelles, procras-
tination.
––Troubles de l’attention.
Désordres affectifs
––Baisse de l’estime de soi, sentiment d’échec.
––État de tristesse, d’anxiété, de dégoût.
––Épuisement affectif, démotivation.
––Réactions de caractère, dépersonnalisation.
Désordres comportementaux
Individuels
––Grande activité initiale puis ralentissement, perte d’efficacité.
––Stratégies de surenchère : hyperactivité inefficace, allongement du temps de travail.
––Recours à des toxiques.
––Risque suicidaire accru.
Relationnels
––Désengagement tout en respectant les règles minimales, retrait, isolement, refus
du contact, évitement, indisponibilité, attitudes distantes vis-à-vis des patients, des
élèves, des clients, des collègues et autres professionnels de l’équipe.
––Puis attitudes négatives : rejet, cynisme, voire erreurs ou fautes professionnelles.
––Induction ou aggravation de désordres relationnels d’ordre privé, tendance à s’isoler
de la vie familiale et relationnelle.
349
Traité de médecine psychosomatique
Désordres somatiques
Épuisement émotionnel
––Désordre émotionnel : colère, irritabilité, incapacité à faire face aux tensions, aux
nouvelles situations, impatience.
––Ou bien assèchement émotionnel.
Désordres somatiques
––Sensation d’être « vidé », asthénie, épuisement physique.
––Troubles du sommeil, fatigue au réveil.
––Troubles digestifs, douleurs abdominales, troubles gastro-intestinaux, ulcère.
––Symptômes d’angoisse.
––Douleurs neuromusculaires, céphalées.
––Réduction des défenses immunitaires, rhumes prolongés.
––Hypercholestérolémie, hypertriglycéridémie, hyperuricémie.
––Hypercortisolémie diurne.
5-6. Pathogénie
Temps 1. Idéalisation et investissement professionnel initial majeur
Le travail et le fonctionnement du sujet génèrent ou renforcent l’idéal du moi :
dynamisme, charisme, compétence, engagement, dévouement, dévotion, besoin d’être
apprécié, reconnu, de se poser en modèle identificatoire. On repère souvent cette idéali-
sation chez les jeunes diplômés.
Temps 2. Tension interne
Deux facteurs se conjuguent :
––éléments liés à la répression que nécessite la relation d’aide : personnes en état de
souffrance, conflits au sein de l’équipe, obstacles institutionnels ;
––déséquilibre entre les exigences du travail, d’une part, les ressources et les aspira-
tions du sujet, d’autre part, induisant le sentiment de ne pas avoir de contrôle sur son
activité professionnelle.
Les causes sont nombreuses et intriquées :
––comportement des individus difficiles, peu coopérants, voire agressifs ;
––conditions de l’activité en contradiction avec les aspirations du sujet : travail routi-
nier, divergences de conception et de but au sein d’une équipe ;
––pression institutionnelle, administrative, exigences contradictoires ;
––surcharge de travail ne permettant pas au sujet d’utiliser en profondeur ses compétences ;
––absence de participation aux prises de décisions.
Temps 3. Réactions défensives
––Le désengagement constitue la modalité défensive première la plus fréquente : désin-
vestissement des buts initiaux entraînant une atteinte de l’idéal.
––Adoption d’attitudes cyniques, détachées, mécaniques, voire d’une grande complai-
sance pour ses propres besoins.
350
Le travail
351
Traité de médecine psychosomatique
––la présence réelle ou fantasmée de tiers : ressenti négatif à l’égard de tel patron,
copinage avec tel autre, connaissance de confidences d’autres membres de la famille,
pressions de celle-ci ;
––la procédure elle-même : paperasse, réglementation, pression administrative, heures
de sortie, etc.
Le médecin doit, autant que se peut, se dégager de ces représentations qui génèrent
de toutes façons, pour le moins, un mal-être dans la délivrance ou la non-délivrance des
arrêts de travail, et souvent des situations tendues, conflictuelles ou dénuées de sens,
pervertissant le cadre du soin, rendant caduque toute possibilité d’aide réelle.
Le seul aspect économique qui doit être l’objet de préoccupations chez le praticien
est celui de l’économie psychosomatique de son patient. L’arrêt de travail doit retrouver
sa fonction initiale de prescription thérapeutique destinée à améliorer l’état de santé du
sujet.
Se dégageant de l’ombre des représentations parasites, le médecin se trouvera éclairé
et allégé dans sa tache par la connaissance approfondie du sujet patient et de la problé-
matique qui sous-tend sa demande. L’investigation psychosomatique l’éclairera sur les
traumatismes d’ordre privé potentialisant les difficultés professionnelles, la demande
implicite dissimulée derrière la demande d’arrêt de travail, l’effet escompté généré par la
décision, la possibilité d’autres alternatives.
352
Le travail
7. LA RETRAITE
Retraite : de l’ancien français retraire, « retirer » : action de se retirer.
En langage militaire, sonner la retraite est le « signal équivalent autrefois au couvre-
feu et marquant aujourd’hui la fin d’une manœuvre ou d’un tir » (définition du Petit
Larousse).
Retraite tant désirée, qui émaille les propos des braves gens sur la place publique :
« Bientôt la retraite et toi, c’est pour quand ?… On l’a bien méritée… place aux jeunes…
On ne va pas s’ennuyer, on a programme des voyages et puis il y a le jardin, et les petits-
enfants… Moi, pas question de rester devant la télé… On va enfin profiter l’un de l’autre,
les enfants sont élevés… Je vais faire du bénévolat et surtout me remettre à peindre…
avec le stress du travail, ça devenait impossible… »
Apaisement, disparition des contraintes, des mauvais réveils, des conflits, des servi-
tudes, « temps retrouvé » comme s’enorgueillit le magazine. L’automne est beau, suivi,
c’est sûr, de l’été de la Saint-Martin.
Compte à rebours, six mois encore ! Ils sont plus pénibles qu’on ne l’aurait cru.
Trois mois : Auguste est irritable. Un mois : démarches administratives invraisemblables !
Le service ne retrouve plus les papiers… avec tout ce qu’on a cotisé ! Jour J. Émotion. Mais
sans plus. Un mois déjà ! C’est une sensation vertigineuse. Réveils à l’heure habituelle. Mais
non, tu es à la retraite. On se rendort mais il y a quelque chose en moi qui me réveille. Une
absence, comme un sevrage de toxique. Sentiment de vide. On va le remplir. Magasin de
bricolage, université populaire, association, pétanque ou golf, c’est selon. Objectivement,
il n’y a plus de stress. C’est vrai que, quand je travaillais, Michèle était moins sur mon dos.
Et c’est bizarre, encore le bureau dans les rêves ! En ce moment, Jacqueline doit faire la
pause. Elle m’a appelé, c’est vrai que j’aimais bien ces moments avec elle. Jacqueline ! … Il
ne s’est rien passé entre nous… mais c’est vrai, elle me manque… Je ne vais tout de même
pas y retourner. Michèle ne comprendrait pas. Je suis devant le jardin, j’avais programmé
de le tondre, mais je suis un peu fatigué et, depuis quelques jours, cette douleur à gauche
qui bloque ma respiration… On verra ça demain… J’étais arrivé à restructurer le service…
Michèle est devant la porte : « Qu’est-ce que tu as ? » me crie-t-elle. Rien, je suis un peu
essoufflé… « Auguste, ça va pas. J’appelle le docteur. » « Mais non, c’est parce qu’il fait
chaud… »
353
Traité de médecine psychosomatique
Le docteur a dit que c’était une péricardite. Rien de très grave mais on doit annuler les
Baléares. ça, c’est toutes ces années passées à travailler. Je crois qu’il n’aurait pas pu tenir
un an de plus.
Vous l’avez compris, il ne s’agit pas, comme le pense Michèle, d’une pathologie liée à
l’accumulation du stress, mais d’une pathologie liée à la perte : perte d’une activité, perte
d’un passé, perte des pauses avec Jacqueline, perte d’identité, perte du stress, perte de la
possibilité de rêver sur la retraite à venir.
Toutes les crèmes, tous les liftings, toutes les thalassos, tous les magasins de bricolage
ne parviendront pas à annuler cette perte aux facettes multiples.
Notre propos vise surtout à cibler l’aspect pathogène de la retraite. Il ne caractérise
pas heureusement toutes les situations. La retraite peut mettre un terme à une activité
répressive dangereuse, rementaliser un sujet, faire disparaître des pathologies. Pour cela,
il faut certaines conditions, la santé, les investissements, une certaine liberté qui n’est pas
acquise, et un seuil de mentalisation minimal.
Alain était directeur dans une administration importante. Il vint me voir il y a
quatre ans, dans un état de tension et d’humeur dépressive manifestes. Son supérieur
hiérarchique avait été remplacé par un jeune loup qui, dès son arrivée, mit en place des
règles de fonctionnement modernes, pas plus efficaces d’ailleurs, mais suffisantes pour
le déstabiliser. Alain persévéra, puis s’enfonça dans la dépression et se mit de manière
régulière en arrêt de travail en attendant la retraite. Ces arrêts de travail lui permettaient
de se ressourcer, les reprises étaient très difficiles. Deux ans passèrent ainsi, jusqu’au jour
béni. Il m’envoya alors une lettre de remerciement pour mon soutien et j’étais persuadé
de ne plus le revoir. Il vint me voir il y a deux mois. Il était à la retraite depuis un an et
développait depuis une hypertension. Il se sentait contrôlé par sa femme, n’osait plus aller
au golf, tournait en rond chez lui, et regrettait le temps de son travail.
Jean-Marie était médecin et prit le « mica » car il en avait marre. Il s’est inscrit
immédiatement dans un DU d’œnologie, continua le sport et son activité de violoncel-
liste amateur. Son épouse, encore en activité, est tolérante vis à vis de ses petites escapa-
des entre copains. Il est passé au cabinet pour me faire part d’un projet musical. Il est
heureux.
Albin a 80 ans. Petit exploitant agricole, il vit au rythme des saisons dans le mas où
il est né. Il fume deux paquets de cigarettes par jour, boit trois litres de vin, et vide une
salière par semaine. Il est très actif, programme sa journée comme il le sent, selon son
humeur, selon le temps et les besoins de son jardin. Son activité musculaire est intense.
Il lit le journal, regarde la télévision, fait la sieste, s’occupe de ses chats. Il dort bien, se
lève en forme, reçoit des amis, des parents avec lesquels il passe des soirées à s’envoler
dans des délires invraisemblables. Il n’a aucune pathologie mentale, comportementale
ou somatique. La retraite n’a été qu’un changement sur le papier. Son train de vie, ses
activités n’ont pas changé d’un iota.
«On n’est pas pressés, on est retraités », annonce l’autocollant sur le pare-brise
arrière de l’incontournable Citroën du retraité à casquette bouchonneur de nationales.
Calé dans son siège, vu de dos, il conduit sa voiture, avec moult variations de vitesse, si ce
354
Le travail
355
Troisième partie
LES MALADIES
Chapitre 14
DOULEURS…
1. INTRODUCTION
Pourquoi le titre « Douleurs », au pluriel ? Parce que la douleur est un signal que l’on
rencontre dans des situations extrêmement différentes, que ses caractéristiques cliniques,
son évolution, ses causes, sont éminemment diverses. Chaque douleur est en relation
avec un désordre physiopathologique précis et en appelle à un traitement différent. La
douleur ne saurait être conçue comme une entité clinique à part entière, isolée de son
contexte et des déterminants dont elle est tributaire. Le doigt pris dans la porte sera
suturé ou immobilisé, la douleur dentaire jugulée par un traitement ou une extraction,
la douleur péritonéale par une intervention chirurgicale, les douleurs du zona par des
médicaments ou de l’acupuncture. Les douleurs cancéreuses seront tributaires de l’évolu-
tion de la tumeur. Lorsque la douleur résistera à toute thérapeutique et sera jugée insup-
portable par le patient, la famille ou l’équipe soignante, se posera alors la question d’y
mettre un terme par tout procédé ad hoc, fût-il expéditif, comme le souhaiteraient 85%
des personnes en bonne santé et le préconisent avec fermeté les instances dirigeantes.
La douleur chronique liée à des lésions neurologiques médicales ou traumatiques
nécessitera des thérapeutiques multiples : médicaments, acupuncture, chirurgie, physio-
thérapie, rééducation, relaxation, hypnose, psychothérapie. La douleur sans substratum
anatomique majeur objectivable fera l’objet d’une approche multidisciplinaire similaire
mais sa fréquente résistance générera tôt ou tard incompréhension, palabre, résignation,
dépit, rejet, au sein de l’entourage et de l’équipe médicale.
Le terme douleur permet trop souvent de ne pas utiliser celui de souffrance. La douleur
est supposée quantifiable comme l’avancent les échelles d’évaluation. La souffrance ne
l’est pas, et ceci n’est guère acceptable à l’heure où tout phénomène, quel qu’il soit, doit
être quantifié, mesuré, objectivé, numérisé.
Rappelons le cas de Marie-Thérèse, déjà cité p. 242. Marie-Thérèse a 60 ans.
Elle souffre depuis l’âge de 40 ans de douleurs chroniques des membres inférieurs.
Celles-ci sont apparues dans les suites du décès de sa mère, lorsque le père, privé de son
épouse, devint dépendant, exigeant, tyrannique. Il mit tout en œuvre pour que les fils
de Marie-Thérèse viennent habiter chez lui. Le fils aîné s’exécuta. Quant au fils cadet, il
resta avec Marie-Thérèse et devint à son tour persécuteur en s’enlisant dans l’alcoolisme.
Chaînon manquant dans l’histoire familiale, assignée à une fonction de mère porteuse,
soumise à la tyrannie des hommes de sa lignée, Marie-Thérèse va tous les quinze jours
remplir ses échelles d’évaluation de 0 à 10 au Centre d’évaluation et de traitement de la
douleur du CHU.
En 1998, débutait une croisade contre la douleur prêchée par Bernard Kouchner. Elle
aboutit à une loi en 2002, dite « loi Kouchner », stipulant que chaque centre hospita-
359
Traité de médecine psychosomatique
lier devait comporter un service spécialisé d’algologie et instaurant le droit pour chaque
patient à ne plus souffrir comme un droit quasi imprescriptible. La lutte contre la douleur
devint une spécialité, quelle que soit l’origine de cette dernière. Des affiches surgirent
dans les rues sur lesquelles le nouvel ennemi à abattre était désigné, instaurant de fait
naïvement la douleur comme quelque chose d’évitable, désignant sa pérennité comme
une injustice, enjoignant aux soignants de la pourchasser et de l’éliminer quoi qu’il
advienne. Un nouveau monde chevaleresque sans douleur allait advenir. C’est ainsi que
furent créés les services d’algologie et les spécialistes de l’évaluation et du traitement de
la douleur. De 1994 à 1998, j’occupais en tant que psychiatre un poste d’attaché dans le
service d’algologie du centre hospitalier de Nîmes, fraîchement créé dans ce nouveau
contexte. Je pus ainsi recueillir un matériel clinique conséquent et me faire une idée sur
l’approche algologique hospitalière, dans tout ce qu’elle pouvait comporter de positif
mais aussi de discutable.
Jusqu’alors, la douleur, signal symptôme, n’était pas – et ce plus particulièrement depuis
la naissance de la clinique au xixe siècle – la préoccupation centrale des médecins : une
douleur en soi ne signifie rien, elle n’a de valeur qu’associée à d’autres signes et la masquer
de manière systématique peut être, dans certains cas, source d’erreur. Les origines de la
douleur sont infinies et, ce qui compte avant toute chose, c’est d’en rechercher la cause.
Enfin, elle peut constituer un garde-fou, un signal qui limite par exemple le fonctionne-
ment moteur, permettant à l’organisme de se protéger. Et ceci est un fait indéniable : sans
la douleur, la main brûlerait au contact de la flamme. Pendant de longs siècles, plus parti-
culièrement avant la découverte de l’anesthésie et des antalgiques majeurs, il ne s’agissait
donc pas de prendre en compte la douleur, il fallait parer à l’essentiel : enlever la dent,
amputer la jambe, extraire la balle logée dans l’abdomen. La vie, de la même manière
que l’enfantement, était sauvée au prix de la douleur. Porte ouverte à de nombreuses
dérives, tant d’un point de vue thérapeutique que de la relation, cette position stricte-
ment centrée sur l’étiologie laissait de nombreux sujets en proie à leur douleur et leur
souffrance, considérées comme une conséquence logique, normale, si ce n’est justifiée,
de leur affection et de ses causes.
L’avancée dans la prise en compte d’un phénomène source des plus grands désagré-
ments amena progressivement les praticiens, plus particulièrement sous l’impulsion de la
loi Kouchner, à considérer la douleur comme une entité clinique à part entière, comme
un syndrome plus qu’un symptôme, et induisit chez certains une tendance progres-
sive à se focaliser sur le phénomène comme un processus séparé de ses déterminants.
Les réactions psychiques et comportementales induites par la douleur amenèrent le
praticien sur le champ non défriché de la psyché. Car il était évident que le psychisme
était malmené par la perception douloureuse, et que certaines réactions paradoxales,
certaines résistances thérapeutiques, et surtout certaines douleurs sans substratum
anatomo-clinique objectivable, ne pouvaient trouver d’autre origine qu’un dysfonction-
nement de celui-là. Le somatopsychique fut pris pour le psychosomatique, les effets pour
les causes. Tel sujet, à bout d’épuisement du fait de ses douleurs incessantes, s’enlisait
dans la dépression. Cette dernière ne pouvait donc qu’être la cause de la douleur. Point
besoin d’anamnèse, l’histoire n’étant de manière générale plus tendance, les théories
cognitivo-comportementales avaient sonné le glas de l’inconscient. Devenue science à
part entière, l’algologie mit en place de nouveaux outils : échelles d’évaluation, approches
360
Douleurs...
disparu. Ayant perdu l’objet dans la réalité, le sujet ne veut pas le perdre une seconde fois
au sein de son psychisme, l’objet introjecté devient alors le centre de tous les investisse-
ments. « Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure, je te porte dans moi comme un
oiseau blessé, et ceux-là sans savoir nous regardent passer. » (Aragon, Il n’y a pas d’amour
heureux). Pendant longtemps, l’image de l’être perdu ne doit pas s’effacer, pour finir dans
le meilleur des cas par coexister avec un nouvel objet.
La douleur psychique serait donc, pour J.-D. Nasio, une douleur de perte d’objet : deuil,
séparation, humiliation, mutilation, castration. L’apparition de la douleur psychique
atteste du franchissement d’un seuil, de la traversée d’une épreuve décisive, une épreuve
de séparation d’avec un objet. Objet aimé, objet aimé et/ou haï, objet de toute façon
fortement investi, qui absorbait une part conséquente du fonctionnement psychique.
J.-D. Nasio conçoit la constitution de la douleur psychique selon trois étapes plus ou
moins simultanées : la rupture, la commotion, la réaction défensive.
La rupture est assimilable à l’événement traumatique. La commotion correspond au
vécu traumatique. Événement et vécu traumatique constituent le « trauma ». La rupture
va générer un bouleversement pulsionnel, des tensions in-maîtrisables, ressenties sous
forme de sentiments douloureux parfois difficilement exprimables.
La réaction défensive survient au décours du trauma : introjection puis surinvestis-
sement de l’objet interne au détriment du moi, laissant le sujet « exsangue, inexistant ».
Je pourrais ajouter que, d’un point de vue psychosomatique, les représentations
latérales, les différents secteurs existentiels mentalisés, autres que celui occupé par l’objet,
disparaissent.
À ce stade, la douleur serait due à l’écart entre le moi inexistant et le surinvestissement
de l’objet, l’affect douloureux exprimant l’épuisement du moi à chérir l’objet disparu.
La douleur psychique est aggravée par le décalage entre cet investissement massif de
l’objet et la conscience que celui-ci est irrémédiablement perdu. Sur ce dernier point, un
mécanisme de déni peut assurer une protection temporaire. À un stade de plus, le déni
peut générer par des mécanismes de projection de l’objet dans le monde extérieur, des
phénomènes pseudo-hallucinatoires, voire délirants. Dans ce dernier cas, la représenta-
tion est dite « forclose » (surchargée, expulsée et hallucinée). Nasio compare à juste titre,
mais dans un autre registre, ce phénomène à la douleur physique du membre fantôme.
Le deuil va normalement aller à contre-sens de ce phénomène : désinvestissement
progressif de la représentation de l’objet, réapparition de nouvelles représentations
auxquelles elle s’intègre.
À partir de ces éléments, J.-D. Nasio propose des attitudes et des axes thérapeutiques.
L’antidote de la douleur morale est la parole.
La consolation qui propose l’oubli (« Tu verras, ça va passer, tu oublieras… »), et qui
doit être entendue comme une injonction à l’abandon de la représentation introjectée, va
à l’encontre du mécanisme de défense et ainsi s’avère inefficace, si ce n’est insupportable.
Une attitude contenante que je pourrais appeler compassion (« souffrir ensemble »)
est de mise : « …se contenter d’être là, présent, de recevoir les irradiations de cette
douleur. » À un moment donné, « cette imprégnation en deçà des mots peut inspirer
les mots qui conviennent pour dire la douleur et l’apaiser enfin… Donner un sens à
la douleur, ne consiste pas à interpréter, consoler, pas plus que reconnaître la douleur
comme une épreuve structurante », mais consiste à entrer « en résonance » avec elle, lui
362
Douleurs...
« ménager une place au sein du transfert où elle pourra être criée, pleurée et usée à force
de larmes et de paroles » (Nasio, Le livre de la douleur et de l’amour) Devant la douleur de
son patient, l’analyste devient un autre symbolique qui « imprime un rythme au désordre
pulsionnel pour qu’enfin la douleur s’apaise ». Cet autre symbolique peut à mon sens se
substituer partiellement à l’objet perdu.
morale s’auto-accuse et se fixe sur l’objet perdu. Chez celui qui souffre moralement,
l’hétéro-agressivité est inhibée et se retourne contre le sujet. Chez celui qui souffre physi-
quement, elle est réprimée et se déverse dans le corps. Un quantum d’hétéro-agressivité
persiste chez lui à telle enseigne qu’il proteste et se fixe sur sa douleur comme si elle était
un autre.
Mentalisation
Mentalisation et douleur
365
Traité de médecine psychosomatique
Les afférences
La substance P intervient à nouveau dans la transmission du message nociceptif entre
le 1er et le 2e neurone au niveau de la corne postérieure de la moelle.
À ce niveau, interfèrent aussi des informations périphériques via les interneurones
(d’où l’effet analgésiant des stimulations électriques périphériques) et des informations
centrales issues des centres supérieurs (rétrocontrôle inhibiteur diffus descendant par
l’action analgésiante d’autres messages douloureux, ou, au contraire, accentuation du
message douloureux par l’inhibition d’autres informations périphériques).
Par ailleurs, apparaît une séparation entre les fibres purement sensitives qui rejoignent
le thalamus latéral (faisceau spino-thalamo-cortical) et les fibres menant vers les struc-
tures médianes du tronc cérébral et du thalamus médian (faisceau spino-réticulaire et
faisceau spino-thalamique).
mie frontale ou la cingulotomie qui interrompt les circuits limbiques et crée ainsi une
asymbolie de la douleur.
La dimension cognitive d’évaluation (description des caractéristiques de la douleur, de
la durée, etc.) est du ressort du néocortex.
Citons encore J.-D. Vincent : « Au niveau des structures cérébrales le message doulou-
reux se mêle aux ensembles neuronaux responsables de processus généraux d’aversion et
devient partie intégrante des systèmes désirants. S’il existe encore des voies spécifiques
de la douleur qui font relais dans le thalamus ventrobasal vers le cortex somesthésique,
celles-ci ne sont plus qu’une fraction parfois négligeable du devenir de la douleur, qui
désormais navigue entre limbes et hémisphères. » (Biologie des passions.)
Voies descendantes
Des mécanismes centraux (cortex frontal, lobe limbique, hypothalamus) modulent la
stimulation des voies descendantes et leur régulation humorale. Les informations d’ori-
gine psychique (représentations conscientes ou inconscientes, affects) et émotionnelle
entrent en jeu.
À lésion identique, la perception de la douleur est donc extrêmement variable d’un
sujet à l’autre.
4. L’INTERACTION DU PSYCHISME
Il n’existe pas de douleur physique sans participation du psychisme.
Toute douleur du corps interagit avec le fonctionnement psychique. Ce dernier est
concerné, comme nous allons le voir, à tous les stades d’une affection douloureuse : en
tant que cofacteur inducteur du désordre physiologique responsable de la douleur, en
tant que modulateur de la perception douloureuse, et en tant que système fonctionnel
lui-même remanié par l’affection douloureuse.
Les représentations psychiques peuvent à elles seules déclencher, par le biais d’un
désordre physiologique, une douleur. Les expériences sous hypnose en attestent. Certaines
peuvent aggraver la perception douloureuse, d’autres l’atténuer ou la faire disparaître. Les
représentations inconscientes du corps qui se sont inscrites au cours de l’histoire du sujet
occupent ici une place centrale, qu’elles concernent l’image inconsciente du corps dans
son intégralité ou, de manière plus spécifique, la zone périphérique douloureuse.
Le langage du patient est souvent envahi et appauvri par l’affect douloureux. Si la
douleur morale génère la plainte, la douleur physique génère le cri, l’exclamation, vides
de signifiant.
Les mots utilisés par le patient pour décrire sa douleur ne doivent pas être entendus
uniquement du point de vue de l’évaluation quantitative du ressenti, comme les échelles
d’évaluation l’y encouragent, mais aussi dans la complexité de leur signification. Les
qualificatifs de la douleur constituent tout d’abord une indication sémiologique quant
à la nature, voire à l’origine de celle-ci, telle que la clinique médicale nous l’a enseignée.
Par ailleurs, les expressions personnelles et souvent imagées utilisées par le patient sont
d’une richesse sémantique trop souvent inexploitée, car elles constituent une amorce du
368
Douleurs...
Fantasme agressif
Répression
Répression
Disputes
Le silence a été rompu par un coup de téléphone. Le fils aîné vient d’avoir un
accident de moto. A priori, il est hors de danger mais aurait la jambe fracturée. Il est
11 h. Elle essaye de joindre son mari à son bistrot favori. Le mari a visiblement changé de
bistrot. Les autres enfants sont à l’école. Elle s’effondre sur sa chaise, essaye de joindre une
voisine. Personne. Le mari a pris la seule voiture disponible, car celle de Dolorosa est chez
le garagiste. Que faire ? Elle ressent l’espace d’un instant une tension interne généralisée,
une rage et un découragement, aussitôt réprimés. Elle se ressaisit, repart au combat et,
en voulant ramasser le téléphone tombé à terre, est prise d’une douleur lancinante qui
s’empare de tout le bas de son corps et du membre inférieur gauche. Lombosciatique.
Arrêt de travail. Alitement.
que l’accident du fils avait été le facteur déclenchant. Mais pas une fois la relation avec le
mari ne fut évoquée comme déterminant premier. Tout avait été oublié. La représenta-
tion « fils » avait chassé la représentation « mari » et trompé le médecin.
Cette représentation psychique de substitution que je désigne par le terme de
mentalisation parallèle est éminemment fréquente dans les somatisations douloureuses
et constitue une source d’erreur tout autant fréquente lors des investigations médicales.
La mentalisation parallèle peut augmenter la nociception si l’affect qui la sous-tend
est de nature traumatique ou bien la diminuer si celui-ci est de nature hédonique. Cet
élément fondamental est largement utilisé en thérapeutique, plus particulièrement en
hypnose.
« Mon fils ! »
Inquiétude
Immobilité
forcée
4-3. L’effet somatopsychique
La lombosciatique de Dolorosa, bien qu’atténuée, persista longtemps de manière
sourde. Dolorosa reprit son travail. Dans les suites d’un accès de jalousie du mari, une
nouvelle poussée de lombosciatique survint en soulevant un malade. On la ramena chez
elle, le mari s’amadoua. Tout ne venait donc que de ce patient trop lourd à soulever. Alitée
à nouveau, mais moins préoccupée par son fils qui allait bien, elle patienta, de moins en
moins toutefois, excédée par cette douleur qui suscitait des palabres chez les médecins.
Elle relut des ouvrages médicaux, consulta internet, fut attentive aux moindres variations
de sa douleur qui progressivement s’insinua comme représentation première dans son
psychisme. Ainsi, l’objet « douleur » remplaça l’objet « fils », qui avait lui-même remplacé
l’objet « mari ». Le caractère de Dolorosa changea : moins tolérante, ombrageuse, et
surtout fixée en permanence sur son problème lombaire.
Ce secteur psychique envahi par des représentations n’ayant plus trait qu’à l’objet
« douleur », que nous appelons effet somatopsychique ou mentalisation secondaire,
s’instaure rapidement chez les sujets douloureux chroniques, avec une force telle qu’il
occulte parfois à tout jamais le vécu traumatique inaugural. Ainsi, Dolorosa souffre
moralement à cause de sa hernie. Elle n’en doute pas une seconde, pas plus que l’équipe
de soins. Dans sa vie, dira-t-elle, tout va bien, si ce n’est cette douleur. Ce tour de force
exceptionnel qui a leurré tant de générations de médecins et dans lequel la douleur
371
Traité de médecine psychosomatique
Limitation de l’action
Quête de soins
Douleur constituée
Effets comportementaux
Initialement, la douleur aiguë signale au cerveau l’agression des tissus, tout ce qui
menace l’intégrité du corps : brûlure, pincement, compression, déchirure, lacération,
griffure, dilatation, coupure, inflammation, compression. Elle génère des mouvements de
retrait destinés à éloigner la source douloureuse. Elle immobilise mieux que ne le ferait
une atèle. Cette réduction de la motricité constitue un mécanisme défensif trophique.
Mais lorsque la douleur chronique restreint la motricité en continu, elle induit une
privation comportementale plus particulièrement au niveau des exutoires trophiques, et
porte ainsi atteinte à la libération des excitations.
Blessure narcissique
Le narcissisme est inévitablement altéré. L’altération de l’image de soi, le plus souvent
sur un mode déficitaire de dépréciation, peut générer un retrait, un repli sur soi, un renon-
cement aux investissements extérieurs, une négligence de soi-même, une dépression.
Remaniements topiques
Les remaniements de la première topique concernent essentiellement le système
préconscient conscient, les formations profondes de l’inconscient psychique n’étant pas
affectées, sauf dans les syndromes psychotraumatiques majeurs.
La deuxième topique est plus particulièrement concernée, notamment au niveau des
idéaux du moi et des instances répressives : régressions libidinales, résolution d’un conflit
interne, telle l’expiation d’une culpabilité.
373
Traité de médecine psychosomatique
Bénéfices primaires
Les bénéfices primaires comprennent les bénéfices économiques et les bénéfices libidi-
naux.
Les bénéfices primaires économiques sont liés à la démentalisation. La douleur
physique permet souvent de faire l’économie d’une douleur psychique. L’occultation de
représentations ou d’affects intolérables y est très fréquente.
Les bénéfices libidinaux sont liés à la redistribution des objets. Les objets extérieurs
sont désinvestis, la libido d’objet se transforme en libido du moi, générant une régression
narcissique. Cette régression peut parfois avoir un effet réparateur. Dans d’autres cas, elle
accentue la focalisation du sujet sur ses perceptions et augmente de fait le taux d’excita-
tion et in fine la douleur.
La douleur physique surgissant dans les suites de traumatismes à type de perte
remplace souvent l’objet perdu, et permet ainsi d’assurer une continuité du fonctionne-
ment psychique qui, bien que réduit, constitue souvent un garde-fou régressif contre une
désorganisation psychique et/ou psychosomatique.
Le déplacement sur le seul objet douloureux peut permettre, selon les cas, d’occulter
une problématique beaucoup plus vaste (le sujet sait, cette fois-ci, pourquoi il souffre), de
légitimer et d’atténuer un vécu hypocondriaque, de s’identifier à un modèle souffrant, de
déplacer sur le corps une appétence masochiste.
Bénéfices secondaires
Ils sont de deux types : les bénéfices narcissiques et les bénéfices matériels.
Les bénéfices narcissiques résident en un regain d’avantages plus ou moins conscients
et en une restauration identitaire. C’est ainsi que tel sujet, initialement dans l’ombre, peut
être l’objet d’attentions particulières, d’une tolérance plus grande de l’entourage, de la
famille, du milieu professionnel. La douleur physique en appelle à l’apitoiement, voire à
la tendresse, si ce n’est aux gratifications, alors que la douleur morale suscite souvent le
rejet.
La douleur peut permettre de résoudre un conflit externe. Évitement d’obligations ou
de situations difficiles, dédouanement, excuse honorable à des manquements, possibilité
de se retirer en tout bien tout honneur, apaisement de certaines tensions. Elle peut transi-
toirement créer un « entracte » dans une dynamique conflictuelle, une pause qui permet
de reconsidérer avec plus de distance la problématique, mettre un terme à un vécu diffi-
cile (une passion mortifère peut être résolue par l’apparition d’un syndrome douloureux).
Le mari de Dolorosa redevint plus coopératif, plus attentif, du fait de la douleur de
sa femme, mais aussi du fait de la réduction de l’efficience de celle-ci au sein de la famille.
Le fils renonça un peu à la moto pour ne pas inquiéter sa mère et, en prime, une invali-
dité fut accordée. Mais les bénéfices secondaires les plus importants résidaient dans le
dédouanement de Dolorosa de son incapacité à assumer et à assurer au sein de la famille
du fait d’une maladie étiquetée et désintriquée de sa problématique personnelle.
À terme, s’instaure le statut de malade, de victime. Le sujet redécouvre une identité et
ce, d’autant plus que la maladie a été étiquetée. À un stade de plus, la prise de pouvoir
s’instaure : manipulation consciente et délibérée de l’entourage, absolution de comporte-
ments agressifs ou régressifs, simulation médico-légale, conduites perverses.
374
Douleurs...
Nous ne nous étendrons pas sur les bénéfices secondaires matériels. Freud les avait
qualifiés bénéfices d’autoconservation, à une époque où les conséquences somatiques
désastreuses de la Première Guerre mondiale justifiaient légitimement à ce qu’il est
convenu d’appeler élégamment réparation. Le contexte aujourd’hui est éminemment
différent et tout praticien est confronté à des excès, des abus, des revendications, caution-
nés par des tiers et les institutions elles-mêmes, qui exigent réparation quel qu’en soit le
prix pour la société et surtout pour le patient lui-même.
Ainsi peut se créer, avec le temps et souvent la complicité des autres, une néo-organi-
sation de la personnalité qui rendra à ce stade toute tentative de traitement de la maladie
illusoire.
4-4. Applications pratiques
Les signes mentaux visibles au cours d’une maladie douloureuse font donc écran
devant les déterminants psychiques qui ont contribué à l’apparition de cette maladie.
Ceci confirme la nécessité incontournable pour le thérapeute dont l’activité ne repose
pas uniquement sur des actes techniques de tenir compte de la complexité des interac-
tions entre le psychisme et le corps, et ceci le plus tôt possible, dès qu’une affection
douloureuse s’éternise ou devient récurrente.
Certains principes doivent être respectés :
––anamnèse associative exhaustive ;
––prise de distance par rapport à l’explicite : ne pas considérer la mentalisation paral-
lèle et l’effet somatopsychique comme des déterminants initiaux de la maladie ;
––prise de recul par rapport à certaines données statistiques superficielles, plus particu-
lièrement celles qui établissent des liens entre dépression et douleur. La majorité de ces
études tendent à attribuer la genèse de la douleur à un état dépressif mentalisé. C’est
en règle générale l’inverse : c’est parce qu’il n’y a pas eu dépression qu’il y a douleur. Par
ailleurs, lorsqu’il existe, l’état dépressif concomitant des douleurs est le plus souvent un
état dépressif somatopsychique et ne constitue pas le déterminant premier. Le carac-
tère très disparate des statistiques (exprimés en pourcentage de dépressifs) atteste
de leur manque d’étayage : revues de dossiers : 16% ; échelles d’évaluation remises au
patient : 30% ; échelles d’évaluation remplies par le médecin : 50% ; tests psycholo-
giques : 80% ; entretiens approfondis : 80 à 100% ;
––inversion de la sélection de patients adressés au psychosomaticien. Parmi les patients
douloureux chroniques, l’habitude est d’adresser au psychosomaticien les patients
présentant des symptômes mentaux, et non ceux qui en sont dénués. Or, ce sont ces
derniers qui en ont le plus besoin ;
––évitement autant que se peut et dans une juste mesure de la répétition d’investiga-
tions médicales ad libitum. Elles sont trop souvent destinées à rassurer transitoirement
le patient et à justifier l’intervention du soignant. Elles aboutissent souvent à l’inverse
du but recherché et accentuent la démentalisation ;
––prise en compte des effets délétères de certaines privations comportementales.
375
Traité de médecine psychosomatique
L’excitation se déverse dans les zones concernées sous forme de tensions, de microdé-
placements, de conflits mécaniques. Si la cible est déjà fragilisée, le désordre de l’excita-
tion s’y installe avec aisance. Ce sont les douleurs de tous ceux qui répriment leur rage.
La lutte est sous-tendue par une tension vers la victoire. Il existe un espoir, aussi minime
soit-il. Elle en appelle à l’action. « Oh douleur insensée, Marguerite, j’accours ! » (Berlioz,
La damnation de Faust.) Au début de la course à l’Abîme, Faust se relève subitement de sa
douleur en se lançant au galop pour sauver l’être aimé.
L’existence de douleurs de lutte va à l’encontre de l’hypothèse quelque peu réductrice
de Nasio. La perte ne constitue pas le seul déterminant de la douleur.
Maryline souffre d’un syndrome du canal carpien depuis deux ans. La pathologie
est apparue dans un contexte particulier. Dans les suites du décès de sa mère dont elle
avait été seule à s’être occupée, ses deux frères, qui n’avaient pas donné signe de vie depuis
belle lurette, firent irruption, consultèrent notaire et avocat, dans le but de s’emparer du
magot. Ce qui fut fait. Maryline, seule, nourrit une rancœur légitime pendant quelques
semaines à l’encontre des deux magouilleurs, rancune qui se dissipa comme par enchan-
tement lorsqu’elle se mit à être gênée puis souffrir de son poignet droit. Une interven-
tion pour syndrome du canal carpien fut effectuée mais, dans les trois semaines qui
suivirent, la douleur réapparut, accompagnée cette fois-ci de névralgie cervicobrachiale.
Depuis cette période, Maryline avait totalement shunté les déterminants de ses douleurs,
d’autant qu’elles furent officiellement attribuées à son travail de manutentionnaire.
Malgré les arrêts de travail, malgré les aménagements ergonomiques sophistiqués, malgré
la kinésithérapie et les médicaments, les douleurs et la gêne fonctionnelle persistaient.
Plusieurs séances furent nécessaires pour rementaliser Maryline et lui faire retrouver la
mémoire. Les symptômes s’amendèrent au bout de deux mois et finirent par disparaître
alors que des rêves récurrents, mettant en scène les deux zigotos, firent leur apparition.
La nouvelle intervention orthopédique fut par bonheur annulée.
Ces pathologies douloureuses de l’appareil d’emprise cèdent relativement aisément
lorsqu’elles sont traitées assez tôt et lorsque les bénéfices primaires ou secondaires ne
sont pas trop importants. Il n’en est pas toujours ainsi comme en attestent les observa-
tions qui suivent.
Mourad, patron d’une petite entreprise, a été victime il y a cinq ans d’un accident
dans le cadre de son activité professionnelle, accident dans lequel il n’était pas dans son
tort, s’étant soldé par une entorse cervicale C6-C7-D1. Je le vis sept mois après l’accident :
il présentait des cervicalgies et des paresthésies du membre supérieur droit. L’électromyo-
gramme ne révélait aucune atteinte radiculaire. Il portait encore une minerve. Il lui arrivait
de ne pas ressentir de douleur, notamment lors de la marche. Par contre, le syndrome
psychotraumatique était évident : cauchemars récurrents de l’accident, angoisses diffuses,
phobies des déplacements, sexualité déficitaire. On ressentait une tension extrême dans
son corps. Mourad avait été castré par cet accident, et ce d’autant plus qu’il pratiquait
énormément de sport auparavant. Il suivait un traitement par médicaments, rééducation
fonctionnelle, élongations, acupuncture, mésothérapie. Un neurochirurgien consulté
évoquera un simple œdème et ne retiendra pas d’indication chirurgicale. Un deuxième
neurochirurgien, connu pour avoir le bistouri particulièrement leste, habitué à formuler
les pronostics les plus sombres, emportera le suffrage de Mourad, et ceci malgré l’avis du
377
Traité de médecine psychosomatique
premier et de mes propres conseils. J’étais en effet intimement persuadé, compte tenu
de la pauvreté des examens paracliniques et de son état de tension, que l’intervention
aboutirait à un échec.
Je le revis trois mois après. Il avait été opéré. Les douleurs et les paresthésies persis-
taient, ainsi que, bien qu’atténués, les rêves traumatiques. Il était submergé dans des
démarches administratives et judiciaires qui en rajoutaient une couche à son état de
tension. Il s’occupait de loin de sa société, évitait toute activité physique sur les conseils
du même neurochirurgien.
Nos rencontres furent très espacées, surtout centrées sur son état thymique, le plus
souvent au plus bas. Puis je ne le revis plus pendant quatre mois et ensuite de manière
extrêmement épisodique, une ou deux fois l’an, la séance se limitant à enregistrer ses
plaintes, sans autre possibilité d’élaboration.
Trois ans après l’accident, il avait toujours mal, n’avait pas repris ses activités sportives.
C’est alors qu’il lui fut accordé une invalidité à 66% qui, loin de l’apaiser, le terrassa,
accentuant son vécu de castration. Il lui fut conseillé avec véhémence, lors des diffé-
rentes consultations dans des services spécialisés, d’accepter son handicap. Il consulta
le neurochirurgien qui l’avait opéré, celui-ci lui dit que ce n’était plus de son ressort, que
l’intervention s’était déroulée parfaitement. Il accepta effectivement, en bon élève, son
handicap, convaincu qu’il aurait ces douleurs toute sa vie comme certains praticiens le
lui avaient dit.
Cinq ans après l’accident, je le revois. On lui a proposé une greffe osseuse mais, par
bonheur, il a renoncé. Depuis un an, se sont installés des acouphènes du côté droit et
une faiblesse du membre supérieur. Il rêve encore de temps en temps de l’accident et ses
angoisses reviennent régulièrement. L’accident s’était produit trois ans après le décès de
son père auquel il était très attaché. C’est celui-ci qui avait créé l’entreprise dont il hérita,
non sans culpabilité, après son décès. Il n’est pas impossible que Mourad soit allé chercher
le châtiment de sa culpabilité pulsionnelle et de sa dette insolvable auprès du chirur-
gien orthopédique qui le castra sans ménagement. Ces phénomènes sont fréquents : afin
d’échapper à une castration imaginaire, certains sujets recherchent une castration réelle
partielle. La guérison de nombreuses douleurs abdominales fonctionnelles de l’enfant
par l’appendicectomie n’a probablement pas d’autre origine. Mais chez Mourad, l’effet
escompté ne fut pas au rendez vous.
Chez certains sujets, plus particulièrement dans les suites de traumatismes, des
remaniements neurovégétatifs peuvent survenir. Ainsi a été définie une entité clinique
particulière : l’algodystrophie (ou syndrome douloureux général complexe : SDGC).
Cette pathologie se manifeste par des douleurs le plus souvent à type de chaleur ou de
brûlure, un œdème dur, une sudation, tout ceci dans un territoire limité à un segment de
membre, débordant la zone de la lésion initiale. La douleur est aggravée par les mouve-
ments mais aussi, parfois, par un état de tension émotionnelle, voire, chez quelques
sujets, par un simple bruit. L’impotence fonctionnelle est fréquente. Ces phénomènes
sont dus à une vasodilatation d’origine neurovégétative. Dans un second temps, apparaît
une vasoconstriction responsable de déminéralisation osseuse (visible à la radiographie
au bout d’un mois d’évolution), d’une froideur locale, parfois d’une cyanose, d’une fragi-
lisation, voire d’une chute des phanères, et chez certains sujets d’une amyotrophie et
parfois d’une rétraction des tendons. L’évolution se fait en règle générale vers la régression
378
Douleurs...
spontanée mais très lentement, en moyenne au bout d’un an. Certaines séquelles peuvent
persister : rétraction tendineuse, limitation des mouvements, froideur des téguments,
ongles fragiles, disparition des poils.
L’origine neurovégétative du phénomène et l’aggravation par l’état de tension inter-
rogent le psychosomaticien, comme en attestent les deux observations qui suivent.
J’avais déjà vu Juan, maçon de son état, pour un problème de lombalgie chronique.
Cet épisode de sa vie est relaté plus loin au paragraphe consacré aux lombalgies (p. 382).
Il revient donc me consulter treize ans plus tard, non pas pour sa lombalgie qui avait fini
par disparaître, mais pour une épicondylite apparue voilà un an. La douleur, à type de
striction et de brûlure, diffusant sur les zones adjacentes du coude, est aggravée lors des
mouvements forcés. Il est en arrêt de travail depuis neuf mois et rumine sans cesse sur
sa gêne fonctionnelle. Il a consulté un grand nombre de praticiens et subi les examens
les plus sophistiqués. À terme, le diagnostic d’algodystrophie a été posé, ainsi que l’inter-
diction définitive d’exercer son métier qu’il affectionne pourtant. L’investigation révélera
que, quelques mois avant l’apparition de l’épicondylite, il s’était fâché avec ses deux frères,
et que, lorsque la pathologie apparut, il ruminait encore une haine profonde contre eux,
haine qu’il s’efforçait toutefois de réprimer lorsqu’il travaillait. La sollicitation mécanique
inhérente à son activité professionnelle déclencha dans ce contexte l’épicondylite. Par
ailleurs, sa maison avait été cambriolée quelques semaines auparavant, ce qui contri-
buait à accentuer son état de tension. Je n’ai vu Juan que deux fois, suffisamment pour le
dissuader d’avoir recours à une intervention. Il ne vint pas au troisième rendez-vous fixé.
Je pense qu’à cette heure, il a dû être opéré ou bien continue à faire le tour des divers
magiciens du département.
Stella, 19 ans, consulte avec sa mère. Elle présente une algodystrophie du pouce
gauche. Tout a débuté il y a un an dans les suites de la morsure de son chien alors qu’elle
voulait le séparer d’un autre canidé particulièrement agressif. Elle décrit ses douleurs
comme, selon ses propres termes, « une rage de dents au pouce ». L’investigation révélera
les origines de sa rage. Il y a huit ans, ses parents se sont séparés. Passe encore ! Trois ans
après, le père convolait avec une nouvelle compagne. Passe toujours ! Il y a trois ans, un
bébé naissait de leur union. Passe mal ! Dans la foulée, la nouvelle élue exige que le père
coupe les ponts avec Stella et dilapide les économies qu’il avait mises de côté pour les
études de sa fille. Stella et sa mère ne reçurent plus de pension alimentaire et se recroque-
villèrent l’une contre l’autre, dans une attitude de défaite, de rancœur et d’âpre désir de
vengeance. C’est dans ce contexte que Stella se fit mordre par Médor. La cicatrisation
s’annonçait bien, mais la mère, avec qui elle vivait de manière fusionnelle et éplorée, dut
être opérée trois mois plus tard d’un syndrome du canal carpien. C’est à ce moment là que
l’algodystrophie de Stella débuta. Stella rêve de taureaux qui l’encornent. Elle rêve aussi
régulièrement qu’elle donne des coups de poings à la compagne de son père. Lorsqu’elle
évoque tout cela pendant la séance, sa tension s’accentue et des décharges douloureuses
s’amplifient dans la zone atteinte. Tout comme Juan, Stella n’honora pas le troisième
rendez-vous. Mieux vaut souffrir que déposer les armes, fussent-elles en lambeaux.
379
Traité de médecine psychosomatique
La cible somatique
Excitation à la fois augmentée et condensée sur une cible. Qu’en est-il de la cible ?
Coup de pied aux fesses ? Coup asséné au bas du dos ? Souffrance de l’âne bâté et battu ?
Cheval qui supporte le poids du cavalier et les coups de cravache et qui ne peut riposter
par une ruade ciblée ? L’objet est d’autant plus persécuteur qu’il se situe à l’arrière, dans le
dos. Objet moins discernable, moins évaluable, hors de portée du regard (ce qui pourrait
contribuer aux déplacements fréquents de l’affect agressif sur des objets de substitution).
Les fonctions de la ceinture lombaire chez l’homme sont le redressement et le port du
corps, la locomotion, la fuite, la copulation. Toutes ces fonctions sont le plus souvent
atteintes dans les lombalgies.
Il semblerait que chez l’être humain, plus on se situe à la partie supérieure du rachis,
plus domine le vécu de lutte, d’attaque, de prédation. Lorsqu’on se rapproche de la région
lombaire, apparaîtrait un vécu d’assujettissement, de blessure, de meurtrissure, lié à la
défaite.
en France. Les douleurs, loin de s’atténuer, s’aggravent, et des troubles du sommeil ainsi
qu’une constipation se surajoutent au tableau clinique.
Un neurochirurgien lui propose une intervention et lui dit qu’il doit renoncer à tout
jamais aux métiers du bâtiment. Un deuxième neurochirurgien, plus ouvert et moins
incisif, ne retient pas d’indication opératoire.
Depuis son retour en France, le parcours professionnel est toujours aussi précaire :
travail chez un plaquiste, puis chômage, puis intérim, et, pour finir, la panacée promet-
teuse – comme chacun le sait – d’un avenir lumineux : le stage.
L’état de tension interne de Juan est majeur : hyperesthésie sensorielle, hyperréflexivité,
réactions de sursaut. Il verbalise un vécu d’incompréhension, d’injustice, d’horizon
bouché. La tension agressive est manifeste, tantôt retournée contre le sujet, tantôt répri-
mée, tantôt projetée. Apparaissent alors des éléments persécutoires évidents : injustice
sociale, injustice culturelle, injustice familiale, injustice dans la médecine. Il n’est pas
paranoïaque au sens psychotique du terme (si tel était le cas, il se situerait parmi les
« sensitifs ») car il est timide, a du mal à demander son dû, se vit mal aimé. Il n’est nulle-
ment dangereux, mais le système projectif fonctionne depuis toujours. Dans les rêves,
apparaissent des camarades de classe qui ont réussi leur vie et qui le persécutent, des
serpents qui l’entourent, des chutes d’un échafaudage, et même une scène où il est cruci-
fié à côté du Christ.
Petit dernier d’une fratrie de sept (six frères et sœurs aînés, la dernière ayant 8 ans de
plus que lui), il est un accident de la sexualité tardive de ses parents. La mère, douloureuse
chronique, qui a 48 ans lorsqu’il naît, le présente comme son petit-fils, voire son neveu,
notamment lorsqu’elle l’amène chez le médecin (la tentation pourrait être grande d’évo-
quer un secret de famille). Il est chétif, timide, écrasé par la fratrie et surtout par ses deux
frères les plus âgés, adorés par leur mère, qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent.
Bruce, biceps protrusifs dépassant du marcel, tatouage invasif, boucle d’oreille,
boule à zéro, s’installe au fauteuil et m’observe d’un œil vitreux. Il m’annonce la couleur :
il est pompier et donc connaît parfaitement la médecine. Il y a un an, lors d’une interven-
tion devant un parterre de groupies incandescentes, voulant faire le beau à la portière
du camion, il tombe de celui-ci. Choc de la région lombaire. Lombosciatique. Examens
paracliniques réitérés négatifs. Depuis deux mois, dysfonction érectile, extinction de la
libido.
L’accident est survenu dans un contexte de tension extrême : conflit majeur avec le
capitaine à propos de galons, inquiétudes judiciaires à propos d’attouchements sexuels
lors d’une intervention nocturne chez une jeune spasmophile.
Depuis toujours, Bruce est une boule de nerfs : investissement majeur dans la motricité,
besoin de bouger, de cogner, de frapper, d’en découdre, acmé de la jouissance lorsque le
camion rouge brûle le feu rouge, toute sirène déployée. Il a déjà à son actif deux fractures
du nez, un décollement de rétine, une nécrose testiculaire, chez des types qui l’avaient
trop regardé fixement ou contrarié. Son handicap le rend fou et, de ce fait, augmente la
tension interne.
Je lui dis lors de la première séance que la tension nerveuse aggrave considérablement
ses douleurs, ce qui a pour seul effet de rendre son regard encore plus vitreux. Nous
évoquons son passé : à l’école primaire, ayant avec un stylo crevé l’œil d’un camarade
383
Traité de médecine psychosomatique
qui l’avait regardé de travers, l’instituteur lui interdit de toucher un stylo jusqu’à la fin de
l’année parce que, selon lui, ses parents étaient communistes. Depuis, la vue d’un stylo
dans la main d’une personne le met hors de lui. Il s’engage dans l’armée pour devenir
gendarme mais, selon un gradé, n’a pas le niveau et les compétences requises. Le gradé en
question porte des lunettes et tapote un stylo au moment de la révélation de ce constat
sans retour…
Expulsé de l’armée, Bruce fera les marchés pendant quelques années. Dans les suites
de septembre 2001, l’intronisation du pompier comme seule et unique référence virile
en Occident transforma la vie de Bruce. Tout en faisant ses marchés, il devint pompier
volontaire, et finalement, du fait de son intrépidité au combat, pompier involontaire,
c’est-à-dire pompier.
Captivé par la narration de ce parcours héroïque, j’en oublie que, depuis de longues
minutes, je prends des notes avec un stylo. En plus, j’ai des lunettes. J’avais repéré chez le
patient une augmentation de la tension interne et une injection conjonctivale progressive.
Une bouffée d’angoisse me prive subitement de représentation. Il dit quelque chose mais
je ne l’entends pas, je ne vois que ses conjonctives. Finalement, la bande son redémarre : il
n’est pas fou et puis il n’est pas venu pour ça, et puis on la lui fait pas car il connaît toutes
les techniques du débriefing psychologique, parce que les pompiers, c’est pas seulement
un peu des médecins, mais c’est un peu aussi des psychologues.
Je me souviens de cette seule et unique rencontre. L’agacement légitime que suscite
ce type de patient ne doit pas induire de réaction défensive chez le soignant, sinon,
c’est la surenchère réciproque. Mon seul but avait été de m’enquérir des déterminants
psychosomatiques de sa souffrance, en respectant autant que se peut son système défen-
sif. L’angoisse et le vécu de castration habitaient ce pauvre homme qui, malgré l’arsenal
défensif suspicieux et hostile qu’il arborait, suscitait à terme de l’empathie. Peine perdue.
Ce que voulait Bruce, c’était réparation. Il s’agissait d’un accident du travail qui avait solli-
cité de nombreuses palabres au niveau des institutions, des avocats et de tous les bons
conseillers de tout ordre. Mon investigation, aussi prudente et respectueuse qu’elle fût, ne
pouvait être qu’une manœuvre de psychiatre destinée à remettre en cause le bien-fondé
de la seule origine de son mal, à savoir une injustice. Ce phénomène est très fréquent chez
les lombalgiques chroniques, plus particulièrement lorsqu’une dimension médico-légale
occupe le devant de la scène. Il ne reste plus au praticien qu’à accepter son impuissance.
C’était ce que me soufflait à demi-mot Bruce, pour lequel ma simple identité profession-
nelle exacerbait son angoisse de castration.
Fabrice, 30 ans, ingénieur, présente depuis un an des douleurs lombaires d’aggrava-
tion progressive. Il y a quelques mois, il a dû arrêter de travailler et est resté alité pendant
plusieurs semaines. Une usure prématurée du cartilage L4-L5 a été évoquée.
La tension interne de Fabrice est manifeste : raide, regard fixe. Les douleurs ont débuté
dans un contexte professionnel difficile : surcharge de travail, relations conflictuelles au
sein de l’entreprise. Il faisait le travail des autres et ne répondait pas aux diverses agres-
sions. Les vacances ne feront pas céder les douleurs, car il se heurtera cette fois-ci aux
exigences démesurées de son épouse.
Ses désirs se sont toujours effacés devant ceux des autres. Faire comme il faut, faire ce
qu’il faut, pour compenser un vécu d’infériorité et une culpabilité à prendre du plaisir.
384
Douleurs...
Avancer, gravir les échelons, selon ses propres termes. Ce type de fonctionnement s’accen-
tua dans les suites de son mariage. La même année, il débuta dans la vie active et devint
père de famille. Il s’engagea alors dans une vie totalement opératoire destinée à verrouiller
toute émergence instinctivo-pulsionnelle, et à répondre à toutes les demandes, celles de
son épouse très exigeante et très avare de tendresse et de rapprochements charnels, celles
de ses employeurs, qui réactualisaient celles d’un père sévère et écrasant. Il prit l’habitude
de se calmer en mangeant, ce qui généra une prise de poids de 30 kg en un an. Culpabilisé
par ce seul plaisir éminemment régressif, il entreprit un régime qui lui restitua progressi-
vement un poids normal. C’est à ce moment-là, et dans le contexte d’un nouvel emploi
particulièrement stressant, que, démuni de ses ultimes défenses psychiques et compor-
tementales, débutèrent les lombalgies. Ainsi, Fabrice « prenait en charge » choses et gens,
voulait contenter tout le monde et s’était imposé cette mission d’âne bâté, jusqu’au jour
où il s’écroula sous la charge. La thérapeutique dura l’espace de six séances. On pourrait la
résumer ainsi en citant Jean de La Fontaine (Le Meunier, son fils et l’âne) :
« Je suis âne il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien,
J’en ferai à ma tête. Il le fit, et fit bien. »
tique souvent difficile et démotivante pour le médecin, car les dérobades et les réactions
défensives des sujets déstabilisent très souvent celui-ci. C’est ainsi que le diagnostic secon-
daire d’hystérie est loin d’être exceptionnel, à telle enseigne que d’aucuns n’ont pas hésité
à considérer la maladie comme une forme particulière de conversion. Il ne faut pas être
grand clerc, mais suffisamment formé ou tout au moins informé, comme vous, lecteur, à
ce stade de notre parcours, pour considérer qu’il n’en est rien.
Dans la fibromyalgie, l’agressivité suit deux destinées : d’une part, sa répression, respon-
sable du désordre économique et de la douleur physique, mécanisme central ; d’autre
part, son déplacement vers d’autres objets, dont le corps médical constitue la cible
(plus ou moins légitime) de choix. La répression des représentations agressives (lutte) et
dépressives (défaite) semble de toute évidence sous-tendre la maladie.
Le balancement psychosomatique, alternance dans le temps de troubles psychiques
et de troubles somatiques, y est éminemment fréquent. Ici, les périodes de dépression
alternent avec des périodes de somatisation douloureuse. Ce phénomène semble orches-
tré par les variations de la mentalisation, elles-mêmes déclenchées par des vécus trauma-
tiques de nature différente.
Représentations dépressives
Douleur morale
Limitation
Inhibition
de l’activité
Douleur physique
interne est majeure. Outre la vie professionnelle qui n’est pas satisfaisante mais, « comme
on dit, il faut bien faire avec », on repère chez Josiane une hostilité larvée à l’égard de
sa mère, qui a toujours eu une forte emprise sur elle, plus particulièrement depuis que
celle-ci s’est retrouvée veuve il y a tout juste six ans.
Claudie, 43 ans, mariée, deux enfants, présente des phénomènes douloureux qui
affectent les épaules, les mains, les pieds, apparus dans un contexte de grande tension
familiale il y a quatre ans : brouille avec la famille du fait de la révélation de contacts
sexuels imposés par son beau-frère lorsqu’elle était adolescente.
Déjà à 22 ans, dans les suites de sa première grossesse, des douleurs s’étaient instal-
lées, au niveau cervical et scapulaire, du fait d’une tension majeure cette fois-ci avec ses
beaux-parents : le jeune couple vivait effectivement chez les parents du mari et sous leur
emprise.
Claudie, petite dernière d’une fratrie de quatre enfants, s’est toujours vécue comme
objet d’emprise familiale. Depuis qu’elle est adulte, elle ne parvient pas à se dégager de
cette emprise qui génère chez elle une rumination obsédante et un vécu à la fois de colère
et de résignation. Elle se fixe sur ces histoires familiales qu’elle souhaite maîtriser tout
en ne faisant rien pour s’en dégager (ces préoccupations apparaissent dans les rêves).
L’emprise paraît réciproque. Les entretiens permettront d’obtenir une sédation relative
des douleurs au prix de l’apparition de sentiments dépressifs imprégnés de colère.
C’est bien de répression de l’agressivité dont il s’agit et, pour une part moindre, d’un
retournement de cette agressivité contre elle-même, générateur de la composante
dépressive. Ce qui semble sous-tendre ce cas de fibromyalgie est une dynamique qui se
situe aux confins de la lutte et de la défaite, s’apparentant ainsi à une dépression hostile
non mentalisée.
Ces deux observations mettent en avant la coexistence de phénomènes de lutte
(anxiété, colère, agressivité réprimée) et de défaite (renoncement, auto-agressivité,
manifestations dépressives).
Le phénomène douloureux n’est donc pas uniquement l’expression d’une perte.
J’ai repéré dans l’étude approfondie de vingt-six observations de patients fibromyal-
giques:
––l’existence de traumatismes dépressogènes ;
––un déficit de mentalisation similaire à celui des lombalgiques, parfois plus intense ;
––une agressivité majeure, en partie déplacée sur des objets de substitution (dont
le corps médical), en partie réprimée puis retournée contre le sujet, responsable du
syndrome douloureux ;
––une tristesse diffuse de fond, elle aussi en grande partie réprimée ;
––un balancement psychosomatique fréquent, tout au moins dans les premiers temps
de l’affection : alternance de phases douloureuses et de phases dépressives, les unes
venant mettre un terme aux autres ;
––une dimension masochiste parfois surajoutée qui pérennise la pathologie chez
certains sujets ;
––en aucun cas des éléments de la lignée hystérique.
387
Traité de médecine psychosomatique
Plus rarement, chez certains sujets, la disparition souvent transitoire des douleurs,
aussi bien psychiques que physiques, le plus souvent sous l’effet d’événements trophiques,
laisse sourdre des manifestations pseudo-expansives. Cet élément nous a incité à émettre
l’hypothèse d’une dynamique bipolaire démentalisée sous-jacente où alternent illusion
de victoire et rancœur de défaite. La fibromyalgie serait-t-elle l’équivalent démentalisé
des états mixtes ? Il est peut-être intéressant d’appréhender de ce point de vue l’effet
inconstant des psychotropes sur les douleurs. Les antidépresseurs n’agiraient-ils que sur
les douleurs de défaite ? Les thymorégulateurs n’agiraient-ils que dans les oscillations
douloureuses des deux types ? Autant de questions qui mériteraient que l’on s’y attarde.
paient pas de toute évidence, bien qu’elles fussent de loin les plus fréquentes, l’ensemble
des maux de tête présentés par les patients. Il en existait deux autres types, mis au jour
par l’étude complémentaire de 2013 : les céphalées de tension intellectuelle, apparaissant
elles aussi sous forme de crises, mais relativement bien tolérées par les sujets du fait de
leur caractère éminemment réactionnel à l’effort intellectuel et de fait plus contrôlables,
et les céphalées diffuses chroniques, beaucoup plus rares mais particulièrement invali-
dantes. Les deux études regroupent vingt-neuf observations.
L’anamnèse associative permet de circonscrire la ou les périodes céphalalgiques dans
la vie d’un sujet, ainsi que les périodes de rémission ou d’atténuation. En règle générale,
les patients ont des repères relativement précis dans le temps, contrairement à ce qui se
passe dans d’autres pathologies chroniques dont le repérage anamnestique est beaucoup
plus flou. Un sujet se souviendra plus facilement de sa première crise de migraine que du
début d’une pathologie digestive chronique par exemple. Les périodes de rémission sont
fondamentales dans le repérage anamnestique, car elles renseignent avec acuité sur la
réactivité des sujets aux facteurs traumatiques.
Les causes invoquées par les patients céphalalgiques sont en règle générale imprécises.
Le plus souvent, le patient ne sait pas ou ne sait plus. Dans certains cas, il repère des
facteurs alimentaires, hormonaux, sensoriels, émotionnels, relationnels. Très souvent, les
représentations sont des représentations d’emprunt, issues du parcours médical souvent
complexe et varié, le patient acceptant avec une conviction variable les causes proposées
par les médecins.
Le fonctionnement psychique
Il existe un fonctionnement psychique particulier que l’on peut repérer en dehors des
crises :
––rigidité, rigueur, perfectionnisme, traits de caractère obsessionnels, désir de maîtriser
choses et gens ;
––vécu de lutte ;
––tendances hostiles fortement réprimées ;
––fortes contraintes intérieures, désir de maîtrise des productions psychiques (désirs,
sentiments, conflits intrapsychiques), réticence à parler de soi ;
––déficit de mentalisation. Les traits de caractère et les manifestations comportemen-
tales sont au premier plan ;
––et, de manière moins systématique, selon les sujets : répression émotionnelle, diffi-
cultés relatives à traduire les émotions chez certains sujets (alexithymie). Parfois,
éléments masochistes ou plus rarement persécutoires.
Physiopathologie
La composante myotensive paraît centrale, plus ou moins associée à une composante
vasomotrice périphérique.
Ces céphalées semblent de toute évidence liées à la répression de représentations
motrices agressives.
Maryse, mariée, secrétaire de direction, se présente comme une personne qui ne
rigole pas.
Très tendue, potentiellement agressive et intolérante, elle annonce la couleur : elle
n’aime pas mon mobilier, plus particulièrement les lampes.
Ses céphalées, qualifiées de « migraines » depuis l’école primaire, aggravées depuis
huit ans, débutent par une contracture cervicale droite. Elles s’étendent sur toute l’hémi-
face et la région temporale, irradient sur la région scapulaire, évoquant des céphalées
myotensives, avec toutefois réaction sinusienne (participation congestive). Elles s’accom-
pagnent d’une impression d’être coupée du monde, d’être ailleurs.
La patiente repère que les contrariétés peuvent les déclencher. Les symptômes
apparaissent volontiers lorsque le problème est réglé, dès qu’elle a la possibilité de se
détendre. Elles peuvent être aussi déclenchées par un choc physique à n’importe quel
endroit du corps. Elles sont aggravées au soleil et au bord de la mer. Enfin, certains rêves
peuvent les déclencher : dans un de ces derniers, son fils a de mauvais résultats au bac.
La patiente, extrêmement réticente, déclare qu’elle n’aime pas parler d’elle, de ce qu’elle
ressent. Elle est tendue dans une attitude de défense, se prêtant passivement et avec
grand mal-être à l’investigation. Elle avouera qu’elle attend que les autres décryptent sa
problématique tout en veillant à ne donner aucun élément pour la décrypter.
390
Douleurs...
On les rencontre de manière très fréquente chez l’enfant d’âge scolaire et chez l’ado-
lescent. Elles disparaissent lors des vacances. On les retrouve chez des sujets soumis à
des contraintes intellectuelles, imposées le plus souvent par les parents, mais à terme et
de manière quasi systématique, par le sujet lui-même, chez lequel on repère sans grande
difficulté un fonctionnement obsessionnel, des auto-exigences parfois démesurées.
Chez l’enfant, ces céphalées n’apparaissent qu’à partir de 6 ans, tournant de l’évolu-
tion intellectuelle, marqué notamment par le passage de la pensée intuitive à la pensée
logique et aux opérations rationnelles. Par ailleurs, l’activité intellectuelle est intriquée à la
pulsion scopique, dont une part est difficilement dissociable des représentations sexuelles
et donc de l’image de la castration. La pensée peut de fait s’en trouver inhibée. Cette
inhibition défensive de la pensée succède à des efforts intellectuels. Dans l’anamnèse, on
retrouve souvent des exigences parentales diffuses dans d’autres secteurs (alimentation,
propreté).
Ève, 10 ans, présente des céphalées chroniques très gênantes depuis l’âge de 6 ans.
Céphalées frontales d’apparition diurne, plutôt en fin de journée. Elle n’a pas d’antécé-
dent pathologique majeur, si ce n’est une discrète tendance à la constipation épisodique.
Les investigations effectuées (ORL, ophtalmo, neurologique) n’ont pas découvert d’ano-
malie. Les médecins ont évoqué successivement des causes alimentaires, digestives (il lui
est arrivé de vomir), allergiques, la fatigue, l’état nerveux. La maman n’est pas satisfaite de
ces diagnostics et pense qu’elle « doit bien avoir quelque chose ». Ève est fille unique. C’est
une jolie fille assez timide, souriante, docile. Très soucieuse pour ses activités scolaires, elle
consacre beaucoup de temps à son travail. Les résultats sont d’ailleurs excellents. Elle est
en CM2. Les céphalées sont apparues lors de l’entrée en CM1. Elles ont tendance à dispa-
raître pendant les grandes vacances. Sa mère est très tendue, anxieuse, assez exigeante
pour sa fille et pour elle-même. Issue d’un milieu modeste comme son mari, elle travaille
dans une usine et, pour elle, la réussite sociale de sa fille est primordiale. Il existe par
ailleurs une inadéquation conjugale depuis quelque temps qui va en s’accentuant, sous
un mode larvé et dépressif. Ève est le seul trait d’union entre ses parents. L’investiga-
tion révélera une anxiété de fond, une inhibition dans les contacts et quelques éléments
obsessionnels avec difficulté à s’accorder des moments de plaisir.
On retrouve une problématique similaire dans les céphalées de tension intellectuelle
de l’adolescent. Elles culminent lors de la puberté et de l’entrée au collège (10-12 ans)
ainsi qu’en fin d’études secondaires et lors de l’entrée dans l’enseignement supérieur
(18-20 ans). Elles sont souvent minimisées par l’entourage familial qui en perçoit intui-
tivement le caractère réactionnel à l’effort jugé légitime. Les exigences parentales mais
aussi les auto-exigences du sujet quant à la performance sont centrales. Le traitement
doit pour une part viser à modifier ces exigences. Mais il arrive souvent que les conseils
prodigués sont à leur tour utilisés dans un contexte de tension : les activités de dériva-
tion proposées peuvent devenir à leur tour source de surcharge tensionnelle, l’adolescent
étant littéralement écrasé par les activités de détente.
Anne-Bérangère, 12 ans, a comme Ève, un emploi du temps rempli : activi-
tés scolaires et douze heures de gymnastique hebdomadaires. Le père exige de sa fille
des performances illimitées. Mais contrairement à Ève, Anne-Bérangère se rebiffe et
392
Douleurs...
fait parfois des crises clastiques. Dans d’autres situations, ce sont des céphalées ou des
douleurs rachidiennes qui apparaissent.
Chez l’adulte, les céphalées de tension intellectuelle constituent un rare motif de
consultation, non pas qu’elles ne soient pas fréquentes, mais certainement parce que le
sujet trouve des moyens d’autorégulation efficaces qui lui sont propres.
Le fonctionnement psychique
L’analyse du fonctionnement psychique des sujets met d’ailleurs en évidence :
––une mentalisation plus élaborée que dans les autres types de céphalalgies ;
––des mécanismes de défense qui s’apparentent plus au registre névrotique ;
––une anxiété de type souvent hystéro-phobique ou phobo-obsessionnel ;
––une angoisse de fond à type d’angoisse de castration (le plus souvent) ou de sépara-
tion ;
––parfois, une relation d’objet de type allergique.
Physiopathologie
D’un point de vue physiopathologique, le mécanisme semble être le suivant :
––inhibition ou excitation d’origine centrale : cortex, tronc cérébral,
––phénomènes vasculaires ischémiques transitoires,
––désordres neurovégétatifs,
––vasodilatation périphérique secondaire (territoire du trijumeau).
Myrtille, 19 ans, présente des crises migraineuses depuis trois mois. Ses troubles
ont débuté lorsqu’elle a appris que son père avait une maîtresse. Dans la même journée,
Myrtille avait couché, dans le lit de ses parents, avec un homme qui allait se marier. La
première crise apparut le lendemain. Myrtille a toujours jeté son dévolu sur des hommes
mariés ou sur les petits copains de ses amies. Elle les aime, selon ses propres termes, plutôt
« machos », comme son père. Avant, elle faisait des scènes à celui-ci lorsqu’il regardait
une femme. Il le lui rendait bien lorsqu’elle regardait un garçon.
Marielle, professeur agrégé, présente des périodes de céphalées alternant dans
le temps avec des périodes de douleurs abdominales. L’alternance est rythmée par
ses relations amoureuses : céphalées lorsqu’elle est célibataire, douleurs abdominales
lorsqu’elle a une liaison.
Les céphalées ont débuté dans les suites d’une rupture et d’un avortement. Elles
surgissent lors de situations réactivant un vécu de castration ou bien lors de l’irruption
de représentations réactivant celui-ci, ou encore dans les suites immédiates de rêves. Les
contenus de ces rêves traduisent tous l’angoisse de castration et le complexe œdipien :
séparation d’avec son père, rage œdipienne, inacceptation de son identité sexuelle.
Certains rêves stoppent les céphalées : rêves érotiques ou bien scénarios dans lesquels
Marielle se sent adulée ou en position dominante par rapport à l’homme.
Vers l’âge de six ans, à la suite de jeux sexuels avec un petit garçon de son âge, une forte
fièvre était apparue et, dans les suites, un rêve récurrent devait se reproduire pendant
394
Douleurs...
quelques années : « Ce petit copain et moi devions passer au travers d’un immense
sécateur qui risquait de nous couper en deux. »
Les douleurs abdominales apparaissent lors d’une relation qui perdure, et dont elle
craint qu’elle ne se termine (angoisse de séparation).
Dans les rares périodes asymptomatiques, apparaît transitoirement un vécu de vide, à
type de dépression essentielle. Aucun mécanisme de défense n’est alors repérable.
Romuald est le petit dernier d’une fratrie de quatre enfants. Il aurait fait une ménin-
gite quelques semaines après sa naissance. Il se décrit comme un enfant très inhibé,
émotif, sensible, impressionnable, introverti, très sage, parlant peu, dénué de confiance
en soi. L’école ne l’intéresse pas. Il aime par contre le dessin et le sport. Dans la famille, on
s’exprime peu, le silence règne. Il souffrira d’une énurésie, source de honte, qui accentuera
son déficit narcissique. De ses parents, de ses frères et sœurs, il ne dit pas grand-chose. Ils
étaient gentils, c’est tout. L’enfance semble s’être déroulée sans événement marquant, les
imagos parentales sont neutres, les relations, aseptisées.
À l’adolescence, il fera beaucoup de sport, mais son inhibition névrotique sera source
de nombreux évitements, scolaires et relationnels. Le premier événement marquant est
une entorse de la cheville qui imposera l’arrêt des activités sportives à 17 ans.
À 18 ans, il a ses premières relations sexuelles avec celle qui deviendra son épouse.
Dans l’année qui suit, elle tombe enceinte. Romuald ne réagit pas et accepte passivement
l’événement. Il est alors en seconde et a de grandes difficultés à intégrer les cours. C’est
alors que débuteront les céphalées. Il mettra un terme à ses études secondaires, fera des
petits boulots puis trouver un emploi dans l’administration.
À l’âge de 38 ans, des conflits professionnels et la naissance de son deuxième fils
génèrent une dépression profonde.
Il a toujours eu du mal à imposer son autorité par peur de blesser. Il allègue un vécu de
perte de liberté et des fantasmes d’un ailleurs sexuel, sous les tropiques, en toute liberté,
hors de tout engagement. Les rares périodes de sa vie où il ressentait de l’élan vital, c’était
lorsqu’il batifolait à droite et à gauche ou bien lorsqu’il était amoureux. Malgré son état
quelque peu léthargique, il peut d’ailleurs être exubérant en dehors du contexte familial
et de la routine.
Il me dit avoir caché ses céphalées de tous temps à ses proches, comme s’il s’agis-
sait d’une maladie honteuse. D’ailleurs, celles-ci disparaissent comme par enchantement
lors des rares relations sexuelles pour réapparaître aussitôt après. Elles disparaissent aussi
lorsqu’il fait du golf ou du piano. Bref, chaque fois qu’il donne libre cours sans entrave à
la jouissance.
Ses rêves confirment son inhibition névrotique liée à une angoisse de castration
majeure. « Je n’arrive pas à faire les choses, il y a un obstacle… Je suis en échec à l’école…
L’instituteur parle une langue étrangère que je ne comprends pas… Je conduis une voiture
et n’arrive pas à freiner… Je suis retenu par un élastique dans le dos qui m’empêche de
courir… Je n’arrive pas à parler… Mon club de golf est cassé… Je perds mes lunettes… Je
fuis un tsunami mais je ne parviens pas à grimper sur la colline… Je n’arrive pas à prendre
l’avion… Je perds ma carte professionnelle… J’ai rendez-vous avec une femme pour avoir
des relations sexuelles, je percute alors une voiture à l’intérieur de laquelle il y a ma mère,
puis je repars au rendez-vous mais quand je me déshabille la fermeture éclair coupe mon
sexe. » Ce dernier rêve, peu élaboré par les processus primaires, le réveille et déclenche
les céphalées.
Lorsqu’il parle de ses céphalées, il dit : « C’est comme s’il me manquait un bras. » Lors
du suivi, Romuald aura successivement une fracture malléolaire, une tendinite achil-
léenne, un syndrome du canal carpien. Il fera aussi trois prostatites.
396
Douleurs...
L’origine de son angoisse de castration ne fait pas l’objet d’une élaboration psychique
suffisante. L’énurésie en atteste tout en témoignant aussi d’un lien indéfectible et
ambivalent à la mère. L’origine œdipienne apparaît peu, bien qu’il signale un rêve dans
lequel il se bat avec son père. Il est aussi probable que le poids de la fratrie (il rêve aussi
qu’il se bat contre ses frères) ait contribué à son vécu d’infériorité et que la scolarisation
en ait rajouté une couche. Mais tout ceci affleure à la conscience de manière très fugace,
immédiatement effacé par une rationalisation défensive où il embraye sur ses céphalées.
Le déterminisme de ses céphalées est bien une inhibition névrotique non élabo-
rée, reposant sur un conflit inconscient entre un fort tonus pulsionnel et des instances
répressives majeures. Le refoulement et la répression ne parviennent pas à contenir la
conflictualité. Seules les céphalées, telles un couvercle hermétique sur une cocotte-
minute, telles une chape de plomb, veillent à ce que rien ne sorte du bouillonnement
intérieur en attaquant directement la pensée, lorsque celle-ci se presse au portillon.
6-5. Discussion
Les désordres physiologiques isolés
Certaines céphalées peuvent être déclenchées par des désordres physiologiques dans
lesquels la composante psychosomatique occupe une place moins centrale. Il en est
ainsi des migraines cataméniales dans lesquelles les modifications hormonales jouent
un rôle central, sans toutefois exclure le rôle de certaines représentations en relation
avec la castration. Il en est de même de certains stimuli physiologiques qui peuvent à
eux seuls, tout au moins en apparence, induire des crises céphalalgiques. Certaines de
ces « migraines circonstancielles », selon la terminologie de O. Saks (Migraine), peuvent
être déclenchées effectivement par des stimuli sensoriels (lumière, odeur, bruit), sensi-
tifs (conditions météorologiques), endogènes (exercice physique, douleur, fièvre, fatigue,
stimulation vestibulaire, sommeil profond), alimentaires (réplétion post-prandiale, diète,
vins, chocolats, agrumes, matières grasses, fromages).
Tout laisserait à penser que la répression constitue le facteur central de ses céphalées.
La psychanalyse révéla l’existence de déterminants inconscients fondamentaux, au centre
desquels on repère :
––une peur pulsionnelle : culpabilité à prendre du temps et du plaisir, honte d’être
enthousiaste, honte des sentiments, des émotions, des désirs ;
––de fortes pulsions agressives réprimées ;
––une intrication des pulsions sexuelles et agressives : dans les fantasmes sexuels, de
type masochiste, il ne s’agit que de relations forcées où l’homme impose son désir ;
––des rêves mettant en scène castration et problématique œdipienne : « Le Petit Chape-
ron rouge, face au loup noir, sa robe tachée de sang… Un torrent plein de serpents.
Un d’entre eux me mord à la tête… Mon père ne comprend pas ce que je lui dis… Un
immense serpent noir, il n’y a que moi qui le vois… Un arbre sur une tour, au-dessus le
chapeau de mon père. L’arbre tombe et écrase mon chat… Je suis avec mon ex-amant,
on nous surprend, on nous regarde. Je monte un escalier en colimaçon. Un homme en
descend, un médecin, habillé en noir, qui ressemble à mon père. Je lui dis : j’ai besoin
de toi. Il me dit que je ferais mieux de prendre un bain. Je prends un bain dans un
aquarium, mais les vitres se brisent et me rentrent dans les chairs. » Ces rêves génèrent
des céphalées au réveil.
La déception œdipienne fut centrale chez Albine. « J’adulais mon père mais je ne me
sentais pas bien en sa présence. Il me dénigrait sans arrêt, alors qu’il admirait ma jeune
sœur. Il ne m’écoutait jamais, me demandait de m’occuper d’elle. »
Vers la dixième séance, alors que les céphalées persistent toujours, surgit une représen-
tation liée à un souvenir dont elle ne veut pas me parler.
À la onzième séance, elle rapporte le fameux souvenir. Un jour, vers l’âge de 5 ans (âge
de début des céphalées), elle se masturbait dans son lit. Son père, qui n’était pratique-
ment jamais venu dans sa chambre, fit irruption en disant : « Ça va pas la tête ! » Terreur,
malaise, culpabilité, sentiment de faute grave. Cette scène fut vécue comme un viol.
À partir de cette séance, les céphalées disparaîtront presque totalement. Les séances
ultérieures confirmeront la force de la représentation pathogène œdipienne et du
complexe de castration dans la genèse des céphalées. Elle se remémorera un rêve récur-
rent de son enfance où, à travers un trou dans le mur, apparaissait le regard inquisiteur et
réprobateur d’un homme en noir.
399
Chapitre 15
PSYCHOSOMATIQUE ET GYNÉCOLOGIE
1. INTRODUCTION
Nous avons traité de la maternité en tant que facteur trophique ou traumatique dans
la deuxième partie de cet ouvrage, en évoquant bien sûr certaines pathologies obsté-
tricales (p. 298 à p. 304). Je vais présenter ici deux autres domaines spécifiques de la
gynécologie : celui des somatisations génitales pelviennes et celui des infertilités inexpli-
quées.
Les représentations qui surgissent en psychothérapie chez la femme confrontée aux
différents aléas de sa vie sexuelle, de sa maternité, ou bien souffrant de certaines maladies,
renvoient de manière quasi constante au complexe de castration.
Le vécu de castration est réactivé chez la femme chaque fois que la perte consommée
concerne un objet de jouissance, le terme jouissance ne se limitant pas à une dimension
de plaisir mais devant être étendu à son acception notariale : jouissance d’un bien, d’un
objet intérieur ou extérieur. Les situations ne manquent pas : premières règles, premières
relations sexuelles traumatiques ou insatisfaisantes, ruptures amoureuses, situations
de dévalorisation, d’emprise ou de rejet renvoyant la femme à son manque imaginaire,
avortements, fausses couches, césariennes, mise à distance du bébé prématuré, post-
partum, interventions chirurgicales abdominopelviennes, perte d’une fonction corpo-
relle, ménopause. « Je n’ai jamais aimé mon corps… J’ai l’impression qu’il me manque
quelque chose, j’ai besoin de me remplir… J’avais un enfant dans mon ventre, je n’avais
besoin de rien d’autre… Quand j’ai mes règles, je revois ma fausse couche… Je ne l’ai
pas vu sortir de mon ventre, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui l’ai fait… J’ai peur
d’accoucher, j’ai peur des opérations, j’ai peur des serpents, j’ai peur des hommes… Je
ne supporte pas de voir le sexe d’un homme, je ne supporte pas son regard. » Des rêves
surgissent alors : taureaux, serpents, vol de bijoux, du sac à main, amputations, etc.
Dans ces circonstances, les mécanismes de défense contre la castration seront mis en
chantier. La castration imaginaire est une représentation qui habite l’inconscient de tous
les sujets. La seule différence est la manière dont ils la traitent, c’est-à-dire les mécanismes
de défense prévalents qui en atténuent l’impact traumatique. Il faudrait faire le tour de
toute la pathologie, en tout cas des pathologies dans lesquelles existe une pensée, fût-elle
pathologique. Car toute pensée s’origine dans la reconnaissance de la différence, dont la
différence des sexes constitue le paradigme. Abolir cette différence, c’est abolir la pensée.
Si la problématique de la castration n’a pas changé d’un iota depuis le paléolithique, les
modalités défensives contre elle sont éminemment variables selon les civilisations, les
époques, et surtout les sujets. La formation défensive prévalente contre la castration
atteste de l’organisation psychique du sujet. Lorsque les défenses mentales et compor-
tementales font défaut, surgit la pathologie somatique régressive. Une de ses cibles
401
Traité de médecine psychosomatique
2-1. Le vaginisme
Le vaginisme est une contracture musculaire réflexe, involontaire et incontrôlable,
des muscles du plancher pelvien qui entourent l’ouverture du vagin, apparaissant lors de
toute tentative de pénétration. Selon Kroger, « le vaginisme est à l’intromission du pénis
ce qu’est le clignement des yeux à la pénétration du moucheron » (Psychosomatic aspects
of frigidity).
On distingue le vaginisme total et le vaginisme partiel. Le vaginisme total s’oppose à
toute intromission de quelle que nature qu’elle soit : intromission du pénis malgré le désir
conscient de relation sexuelle, intromission du doigt, d’un tampon périodique, examen
gynécologique impossible sans anesthésie. Le vaginisme partiel permet une pénétration
partielle lors du coït, mais le plus souvent douloureuse. Dans ce dernier cas, la pénétra-
tion précautionneuse avec le doigt, un tampon, ou lors de l’examen gynécologique est
possible bien que délicate.
Il y a lieu de distinguer le vaginisme primitif, ayant toujours été présent chez la
personne, et le vaginisme secondaire qui apparaît à un moment donné de la vie, alors
qu’il n’existait pas auparavant.
402
Psychosomatique et gynécologie
Le vaginisme primitif
Étude à partir de vingt-deux cas de femmes souffrant de vaginisme, reçues à mon
cabinet.
Circonstances d'investigation
L’âge moyen au moment de la consultation est de 25 ans.
Le temps d’évolution de la pathologie avant la consultation est de trois ans en moyenne.
Dans la majorité des cas, la patiente est adressée par le gynécologue qui constate en
général le vaginisme lors de l’examen.
Sexualité
Érogénéité
Elle est limitée à la stricte zone clitoridienne. L’investigation de la sexualité révèle des
plaisirs et orgasmes clitoridiens constants.
Relation au corps et autoérotisme
L’autoérotisme est variable d’une femme à l’autre.
Lorsqu’il est absent, il s’accompagne d’une phobie du contact avec les parties génitales.
On repère de manière quasi constante une phobie et un évitement de l’introduction du
doigt dans le vagin. Cette phobie s’étend chez quelques patientes à l’ombilic.
Dans les autres cas, plus fréquents, l’autoérotisme se limite à la région clitoridienne.
Représentations sexuelles
Le vagin est vécu comme un réceptacle vide, dénué de consistance et de motricité,
parfois comme inexistant, non intégré à l’image consciente et inconsciente du corps.
Éloïse, 26 ans, présente un vaginisme primitif. Les examens chez le gynécologue
ont toujours été impossibles. Elle ne supporte pas le contact du doigt avec le vagin.
« C’est dangereux, c’est comme si on me demandait moi-même de me blesser, ce n’est
pas naturel, ça donne une impression de vide, c’est comme si ça ne m’appartenait pas. »
Elle ne supporte pas plus le contact au niveau de l’ombilic, éprouve le besoin de le cacher,
de le protéger. Elle allègue du plaisir et des orgasmes clitoridiens.
La relation avec le partenaire
Elle est paradoxalement bonne, parfois même, excellente. Celui-ci s’arme de patience
et à la limite finit par s’accommoder vaille que vaille des seuls contacts sexuels qui lui
sont permis. Il s’installe souvent une relation symbiotique avec, très souvent, des projets
de mariage et de maternité.
Signes associés
Sémiologie psychosomatique
La tension interne est présente dans la majorité des cas. Par contre, la mentalisation
est d’assez bonne qualité.
Signes psychiques associés
Manifestations phobiques fréquentes : phobie de certains insectes, agoraphobie,
claustrophobie.
Culpabilité pulsionnelle chez quelques patientes. La relation au plaisir en général est
alors entachée d’interdit.
403
Traité de médecine psychosomatique
Éloïse est très tendue dans son corps, présente des manifestations spasmodiques
digestives et a fait des crises de spasmophilie. Elle souffre de claustrophobie, d’agorapho-
bie, de phobie des insectes. La mentalisation est bonne.
Fantasmatique
Le fantasme érogène récurrent et constant est le suivant : pénétrations imposées dans
un contexte de soumission et de passivité. C’est-à-dire exactement ce qui sous-tend le
vécu responsable de la pathologie.
Le fantasme sexuel d’Éloïse, source de satisfaction orgasmique, est celui d’une
relation violente dans laquelle elle est soumise et s’imagine alternativement à la place des
deux protagonistes.
Rêves
Les rêves élaborés apparaissent chez 81% des patientes. Ce sont :
––des rêves érotiques avec pénétration et orgasme vaginal (82% des rêves). On remar-
quera que la jouissance vaginale existe alors que le vagin n’a jamais été l’objet d’une
pénétration quelconque ;
––des rêves représentant la castration (37% des rêves) ;
––des rêves à contenu œdipien (17% des rêves) ;
––des rêves symbolisant la difficulté sexuelle.
Les rêves d’Éloïse sont éloquents :
––rêves érotiques avec pénétration et jouissance ;
––rêves mettant en scène la castration : « La porte d’un garage s’écroule… Un oiseau
tout rouge mort dans le frigo… Je perds mes dents… Je me réveille après avoir accou-
ché, je ne vois pas le bébé, puis je le vois mort derrière une baie vitrée… Un dindon
tout rouge avec un machin qui pendouille… »
––rêves à contenu œdipien : « On m’offre une bouteille de Perrier avec un verre
retourné au dessus… »
––rêves symbolisant la difficulté sexuelle : « Je suis dans la maison de mes parents, mon
mari est dehors, il veut rentrer, mais je ne peux aller lui ouvrir car dans le couloir il y a
un serpent orange… Un ascenseur qui n’en finit pas de monter. Au dernier étage, c’est
tout rouge, tout illuminé, mais il écrase les gens au plafond. »
Une autre patiente, Martine, consulte accompagnée de son mari qui, tout au long
de la consultation, m’observe d’un œil circonspect. Elle souffre de vaginisme partiel mais
tenace. Les rares fois où la pénétration a pu se produire, les douleurs ont été impor-
tantes et persistantes jusqu’au lendemain. Le mari est fortement demandeur de relations
sexuelles, notamment lorsqu’il revient de ses déplacements. Il ne la lâche jamais, est
toujours derrière elle, ne sait pas attendre, ni se contrôler. Lorsqu’elle se refuse à lui, il
se sent rejeté. À la deuxième séance, il acceptera de ne pas participer à l’entretien mais
veillera au grain dans la salle d’attente.
La mentalisation est bonne chez Martine mais on perçoit chez elle des défenses parti-
culièrement importantes. Elle est militaire comme son père. Elle a deux enfants nés par
césarienne du fait d’une dystocie mécanique et dynamique.
404
Psychosomatique et gynécologie
La relation thérapeutique
Bien que la plupart des patientes se présentent comme demandeuses de soins, ne
manifestant aucune résistance consciente, la psychothérapie met au jour des résistances
inconscientes particulièrement enracinées et tenaces. La plupart de ces jeunes femmes
sont très courtoises, souriantes, respectueuses du cadre, coopérantes, si ce n’est, pour
employer un terme médicalement correct, « compliantes ». Mais en dessous, c’est du
béton. Les interprétations sont entendues, enregistrées mais peut-être pas introjectées
(on repère un phénomène similaire chez les patientes anorexiques). Ainsi, la psychothé-
rapie peut s’éterniser ad libitum sans que rien ne bouge. Elle s’intègre au système défensif.
Tout ceci est aisément compréhensible : la défense vaginique est une défense
inconsciente particulièrement opérante contre l’image de la castration et d’éventuelles
représentations œdipiennes. Le praticien est mis en lieu et place du partenaire sexuel.
Ainsi, il apparait dans les rêves à contenu transférentiel de manière éloquente.
Un rêve illustre les réticences transférentielles d’Éloïse citée p. 403 : « Je venais à
ma séance et ne trouvais pas votre cabinet. En fait, il était au numéro 666, le chiffre du
diable. » Éloïse finira par reconnaître la force de son système défensif : « Dès que je sens
qu’on veut m’amener quelque part, j’ai envie de prendre mon sac et de partir, je me ferme,
je me bute. »
Chez Martine, citée p. 404, le rêve transférentiel introduit la triangulation
œdipienne. La femme psychiatre particulièrement castratrice lui demande de coopérer
et au psychiatre de se la boucler.
Les effets du traitement
Le vaginisme d’Éloïse disparut au bout de dix-sept séances. Dès la première séance,
il lui fut prescrit de n’avoir de contacts sexuels que lorsqu’elle le désirait vraiment, d’adop-
ter la pratique et la position qui lui convenaient, ainsi que de s’autoriser à se familiariser
par des contacts personnels avec son corps. Le traitement fut basé sur une psychothé-
rapie analytique avec utilisation séquentielle de techniques d’hypnose (suggestion de
sensations, transformations de rêves, reviviscence de relations agréables, obtention d’une
détente corporelle). Dans les suites des premières relations sexuelles sans vaginisme et
sans douleur, une érogénéité, déficitaire au début, s’installa progressivement et elle eut
des orgasmes vaginaux au bout de quelques mois.
Mais dans un grand nombre de cas, la guérison par le biais du traitement
psychothérapique n’est pas au rendez-vous. Le système défensif triomphe. Lorsque la
guérison survient chez ces patientes, c’est en règle générale dans les suites de la sépara-
tion d’avec le partenaire et la rencontre d’un nouvel élu. La sortie du contexte œdipien en
constitue certainement le déterminant central.
Par ailleurs, lorsque la guérison est imputable à la psychothérapie, des réactions
psychiques délétères surgissent souvent de manière instantanée.
Chez Martine, le vaginisme partiel fut résolutif en trois séances mais au prix d’une
réaction dépressive et de manifestations agressives larvées à mon encontre. C’était
quelque peu prévisible. Son mécanisme de défense contre la castration consistait à
castrer l’autre, chose qui apparaissait dans ses rêves : le problème de hanches du mari, la
406
Psychosomatique et gynécologie
femme psychiatre castratrice à mes côtés. Le vaginisme partiel opérait cette castration à
l’encontre du mari mais aussi à mon encontre car j’étais impuissant à la guérir. Lorsqu’il
disparut, les défenses psychiques surgirent de manière plus franche.
Enfin, le caractère défensif du vaginisme se révèle à distance de la guérison. Une de mes
patientes, ayant présenté un vaginisme primitif total durant sa longue relation avec un
jeune homme qui lui était très attaché, vit sa pathologie disparaître lorsqu’elle eut une
relation avec un autre homme, ce qui se solda par la rupture de sa première union. Elle
revint me voir cinq ans après. La sexualité avec son nouveau compagnon était optimale,
mais voilà qu’elle présentait une infertilité psychogène qui avait résisté à tous les proto-
coles de procréation médicale assistée.
Conclusion
Le phénomène du vaginisme primitif est de toute évidence de type hystéro-phobique.
On retrouve la composante phobique dans les symptômes sexuels et psychiques : phobie
d’intrusion, phobie de situation. Quant à la composante conversionnelle, on la retrouve
sous diverses formes : atteinte d’une fonction érotisée, atteinte de la musculature striée,
rôle central du complexe de castration, dimension transférentielle, relation ambivalente
au symptôme, et parfois déterminisme culturel.
Le vaginisme secondaire
Vingt-neuf cas de patientes reçues au cabinet.
Circonstances d'investigation
Âge moyen : 27,5 ans. Extrêmes : 17-53 ans.
Temps d’évolution avant la consultation : 4 ans en moyenne.
Facteurs traumatiques
Le caractère réactionnel et donc les éléments traumatiques sont au premier plan : 95%.
Les traumatismes peuvent se répartir en deux groupes : altérations génitales et trauma-
tismes psychiques.
Altération réelles de l’appareil génital
––Pathologie vaginale (33%) : 7 cas de vulvo-vaginite, 2 cas de dyspareunie.
––Traumatismes obstétricaux, interventions gynécologiques (17%).
La pathologie vaginale inductrice de vaginisme secondaire a en règle générale été
induite par un premier vécu traumatique. Secondairement, au bout de quelques mois,
un vaginisme s’installe, souvent à la faveur d’un deuxième vécu traumatique ou d’un
renforcement du premier. Le mécanisme d’évitement de la relation sexuelle est ainsi
renforcé, d’autant plus que la persistance éventuelle de la lésion initiale génère un incon-
fort compréhensible.
Traumatismes psychiques
––Dépressions : 6 dont 3 postnatales (25%).
––Cohabitation ou emprise du partenaire (25%).
––Autres (5%).
Elsa présente un vaginisme secondaire à des vulvovaginites circonstancielles régres-
sives apparues dans un contexte de drame familial, ce dernier ayant induit un interdit
407
Traité de médecine psychosomatique
408
Psychosomatique et gynécologie
Causes
Facteurs traumatiques
Ils sont au premier plan (cf. ci-dessus).
Complexe de castration
Il occupe une place moins centrale : 50% au lieu de 90%.
Complexe œdipien
Les représentations œdipiennes pathogènes sont sensiblement plus fréquentes que
dans le vaginisme primitif : 55% des cas.
Antécédents traumatiques sexuels infantiles
Ils sont loin d’être systématiques, mais on les repère dans 20% des cas. Ce sont des
expériences infantiles de contacts sexuels imposés par des adultes. Les vécus de ces
expériences sont dans tous les cas traumatiques et ambivalents : dégoût + angoisse +
plaisir paradoxal inconstant. Une part des traumatiques actuels réactive ces vécus
antérieurs. On se rapproche beaucoup plus des déterminants de la pathologie générale.
Clotilde présente un vaginisme secondaire depuis la cohabitation avec son compa-
gnon. Sa sexualité antérieure était pleinement satisfaisante, bien qu’elle n’ait eu de
relations sexuelles que dans l’obscurité afin d’éviter le regard de son partenaire.
« Ma mère était dépressive, et mes parents avaient dû prendre une nourrice. Celle-ci
m’habillait comme un garçon et me maintenait les cheveux courts… Mon père voulait
avoir un garçon… Entre 6 et 10 ans, le mari de ma nourrice m’a imposé des contacts
sexuels. Je ressentais de la honte, de l’inquiétude mais aussi du plaisir. Il me forçait, en
me regardant, je me bloquais, je me raidissais. Une fois, suite à une bêtise, ma nourrice
m’avait foudroyée du regard… Elle me faisait peur comme ma mère qui elle aussi avait
un regard noir… J’aimais bien jouer avec mon père à la bagarre, aux soldats, je me cachais
et, lorsqu’il me voyait, j’étais saisie, je me raidissais, ça me faisait une drôle de sensation.
Une fois, j’ai entendu mes parents faire l’amour, j’ai eu l’impression que mon père faisait
du mal à ma mère… J’ai toujours été terrorisée par l’accouchement… J’ai toujours eu très
peur des opérations… Lors de mes premières relations, je ne pouvais regarder le sexe de
l’homme…»
La pulsion scopique et la défense qui l’accompagne occupent, comme on le voit, une
grande place chez cette patiente qui exerce le métier de photographe.
Le vaginisme disparut après neuf séances de psychothérapie. Trois ans après, la
patiente revint avec son bébé de six mois qu’elle agitait pendant la séance comme une
poupée de chiffons. La grossesse s’était très bien passée, mais elle avait gardé des douleurs
séquellaires de l’épisiotomie effectuée dans un contexte d’accouchement dystocique. Elle
sortait à peine d’une dépression postnatale. Le vaginisme était réapparu. Elle rapportait
un rêve récurrent depuis l’accouchement : un homme lui courait après dans une maison
et elle essayait de cacher le bébé mais n’y parvenait pas.
Conclusion
Le vaginisme secondaire constitue une défense somatique sensiblement moins reliée
aux complexes inconscients : le complexe de castration, notamment, y occupe une place
moins importante que dans le vaginisme primitif.
409
Traité de médecine psychosomatique
Traitement du vaginisme
Des éléments qui précèdent, il découle certains principes thérapeutiques :
––pas d’acharnement sur le symptôme. Éviter de vouloir traiter à tout prix ;
––action sur les facteurs pathogènes actuels ;
––favoriser la détente corporelle et psychique ;
––favoriser l’hédonisme général ;
––favoriser l’intimité, le changement d’habitudes et de cadre ;
––pas de relations sexuelles sans désir. Évitement de la passivité, favoriser l’activité.
Le traitement du vaginisme primitif implique en outre :
––une rectification des représentations sur l’anatomie et la physiologie génitales
(métaphore de la pince, métaphore alimentaire) ;
––une familiarisation progressive avec le contact corporel.
Le vaginisme secondaire nécessitera, quant à lui, un abord des vécus traumatiques
actuels et des vécus traumatiques infantiles lorsqu’ils existent.
Dans certains cas, la psychothérapie analytique pourra être associée à des techniques
à médiation corporelle (relaxation, hypnose) ou à d’autres techniques purement sexolo-
giques utilisées par certains praticiens.
Le complexe de castration est présent bien que moins évident sur le plan clinique. Les
défenses sont plus organisées.
Facteurs traumatiques
––Vécu d’objet d’emprise (9) : cohabitation, mariage (7), relations sexuelles program-
mées dans un contexte de procréation médicale assistée, relations sexuelles malgré
une anérogénéité totale.
––Traumatismes inducteurs d’un vécu de castration : interruption de grossesse,
traumatisme obstétrical, rupture amoureuse (3).
––Absence de relations sexuelles (2) : rupture amoureuse, prescription médicale.
––Dépression (1).
––Un cas dans lequel le facteur hormonal semble au premier plan.
Rêves
Ils sont plus rares que dans le vaginisme et leur contenu atteste d’une plus grande
démentalisation.
Lorsqu’ils existent, ils traduisent le complexe de castration : serpents, taureaux, vécu
d’emprise (araignées).
Jade, 22 ans présente des vulvovaginites mycosiques depuis trois ans, date de son
mariage et de l’éloignement de sa famille. Malgré l’aversion sexuelle qui s’est installée
(la sexualité antérieure était bonne), elle accepte des relations sexuelles espacées par
crainte que son conjoint auquel elle est très attachée « n’aille voir ailleurs ». Les rêves
sont rares, opératoires, ils ne s’enrichissent qu’au bout de quelques séances : chutes dans
des étendues d’eau… son père (elle lui en veut beaucoup d’avoir quitté sa mère pour une
personne plus jeune)… une araignée énorme. Le devoir conjugal qu’elle s’impose n’évitera
pas le départ du mari qui, comme le père, finalement « ira voir ailleurs ». La séparation
sera douloureuse mais la vulvovaginite disparaîtra instantanément.
Fantasmes
Ils sont rares, attestant eux aussi d’une plus forte démentalisation.
Associations morbides
Il semble exister une plus grande tendance générale aux somatisations : migraines (3),
maladies régressives abdominopelviennes (colopathie, cystite, fissure anale).
Dimension économique
La répression de l’affect est responsable de l’inflammation. Alors que le vaginisme est
une défense pure et directe, un trouble fonctionnel réflexe transitoire, une pathologie
du spasme, ici, il s’agit d’authentique somatisation sous l’effet d’une répression initiale
durable. Alors que l’approche médicale classique met en avant l’infection comme déter-
minant initial, l’approche psychosomatique nous incite à penser que l’inflammation
précède l’infection.
La décharge orgasmique a un effet trophique sur la pathologie. C’est ce qui explique les
deux cas recensés de vulvovaginites chez des femmes abstinentes. Nous repérons encore
une fois que la jouissance constitue une thérapeutique de la souffrance.
411
Traité de médecine psychosomatique
2-3. Les dyspareunies
On se rapproche ici de la douleur chronique et on y retrouve certains de ses détermi-
nants et de ses caractéristiques.
Éléments dépressifs quasi constants
Ils sont fréquents et le plus souvent à type dépression hostile peu mentalisée. La part
démentalisée de l’état dépressif génère la douleur physique.
Les deux premières années, la sexualité est très bonne entre Clara, 28 ans, et son
compagnon. La cohabitation au bout de deux ans génère une baisse du désir, aggravée
par une maternité envisagée (relations sexuelles dans cet unique but). Une douleur
profonde lors du coït apparaît. Une grossesse fait disparaître les symptômes. Durant les
deux années qui suivent la grossesse, le désir disparaît chez le mari : il a assisté à l’accou-
chement (élément phobique) et s’est investi de manière massive sur l’enfant, enfant qu’il
fait dormir avec eux. Elle ne se retrouve plus jamais seule avec lui, d’autant qu’il travaille
beaucoup. Il ne la regarde plus avec les mêmes yeux, elle a grossi, ce n’est plus une femme,
c’est une mère. La blessure narcissique est d’autant plus forte qu’elle n’a pas repris le
travail qui la valorisait. Le désir s’est progressivement éteint chez elle et les douleurs sont
réapparues. Secrètement, elle lui en veut. Pas de rêve, vie routinière et opératoire.
Éléments masochistes fréquents
Mélisande. Grossesse il y a quatre ans. Épisiotomie suivie de douleurs vulvaires
et clitoridiennes pendant un an. Apparition d’une dyspareunie trois ans après dans un
contexte traumatique : sa fille de 3 ans a subi des contacts sexuels traumatiques à l’école,
412
Psychosomatique et gynécologie
et son père, qui vient de divorcer, la sollicite pluri-quotidiennement. Ces deux éléments
ont fait surgir des réminiscences, plus particulièrement les conduites pour le moins
ambiguës de ce dernier à son encontre lorsqu’elle était jeune adolescente. Réactivation
d’un vécu œdipien masochiste. Le conjoint est un clone du père.
Océane, 26 ans. Cônisation du col suivie d’anaphrodisie et de dyspareunie. On
retrouve une peur consciente de l’agression physique mais aussi des fantasmes de soumis-
sion sexuelle masochiste : des femmes allongées que l’on torture. Ses rêves de taureaux
sont à la fois excitants et terrorisants. Le père était pilote d’avion, fascinant mais aussi
rabaissant et humiliant dans ses attitudes. Elle n’a qu’un souhait : être hôtesse de l’air. En
attendant, elle prépare des billets d’avion dans une agence de voyage.
Éléments interprétatifs sous-jacents
Myriam, 33 ans, présente une dyspareunie et des algies pelviennes depuis trois
ans : douleur au niveau du cul-de-sac de Douglas gauche, déclenchée lors des relations
sexuelles, mais aussi douleur spontanée de la fosse iliaque et de la région lombaire
gauches. Elle est tendue, méfiante et en veut beaucoup à son gynécologue qui aurait
aggravé ses troubles pendant une cœlioscopie.
Les choses ont commencé par une douleur lors d’une relation sexuelle. Elle était alors
très tendue dans son travail. Antécédents : constipation, colopathie spasmodique, insuf-
fisance veineuse. Lors de son adolescence, sa mère l’amène plusieurs fois chez le gynéco-
logue pour des troubles gynécologiques divers : vulvovaginites, métrorragies, kystes, etc.
Un pronostic de stérilité est asséné.
Myriam vit en couple avec un garçon « très gentil, très compréhensif », mais elle évite
les relations sexuelles, obsédée par l’apparition de douleurs. Elle a du mal à imaginer une
grossesse, pire un accouchement. Le désir sexuel a disparu. Elle est déprimée, déprimée
par son problème, déprimée par son travail. Les rêves récurrents attestent d’une problé-
matique œdipienne, d’un vécu de passivité, mais aussi de persécution : « Je suis attirée par
un homme de 50 ans. Mais il y a sa femme à côté… Mon gynécologue veut faire l’amour
avec moi. Une femme me manipule dans ce but. En fait, elle veut me noyer… » La psycho-
thérapie a été difficile, la patiente me mettant en échec de diverses manières. Malgré cela,
les douleurs pelviennes spontanées finirent par disparaître au bout de quelques mois.
Seule persistait, bien qu’atténuée, la dyspareunie. Elle décida au bout de huit mois de
psychothérapie de mettre un terme brutalement au traitement et j’eus la désagréable
surprise d’apprendre par une consœur qu’elle était allée consulter que, selon ses dires,
je lui aurais fait des propositions malhonnêtes. Elle avait fait de même avec son gynéco-
logue. Le processus interprétatif que je subodorais lors des premiers entretiens était
évident. Fallait-il pour autant renoncer à la soigner ?
Aggravation par l’acharnement thérapeutique
La répétition des investigations, des interventions, des avis contradictoires, la palette
étendue de thérapeutiques utilisées, laissent souvent au sujet une vague impression
d’être l’objet d’une manipulation et, lorsqu’un noyau interprétatif existe, favorisent son
éclosion. Le fait qu’il s’agisse ici de la sphère pelvienne, fortement investie de représen-
tations, n’arrange pas les choses et favorise les déplacements transférentiels des images
infantiles sur les personnes soignantes.
413
Traité de médecine psychosomatique
414
Psychosomatique et gynécologie
rôles de père et de mère. « Si je suis bien, il va m’arriver quelque chose. » Les cystites sont
aggravées par les relations sexuelles insatisfaisantes.
Elvire. Cystites récurrentes entretenues par des relations sexuelles. Rêve récurrent :
« Je monte les escaliers d’une maison abandonnée et n’arrive jamais au premier étage. Je
redescends mais en bas il y a le feu. »
Fanny, 22 ans, consulte pour frigidité. De 3 à 5 ans, elle a présenté des infections
urinaires à répétition et a été opérée dans les suites d’un reflux vésico-urétéral. Jusqu’à
la puberté, elle se retiendra d’uriner au prix de douleurs intenses. Les premières règles
sont vécues de manière très traumatique et réactiveront les cystites. Fanny s’est toujours
plainte d’une indifférence totale de son père à son égard. « C’est comme si j’étais transpa-
rente, il ne m’a jamais regardée. »
Ces exemples sont éloquents et nous amènent aux constatations et conclusions
suivantes :
––pathologie chronique avec périodes d’atténuation et d’aggravation ;
––poussées contemporaines soit d’une période d’anaphrodisie, soit de relations
sexuelles insatisfaisantes (décharge orgasmique insuffisante ou imprégnée de culpabi-
lité). L’investissement orgasmique total lorsqu’il se produit fait disparaître les cystites ;
––représentations œdipiennes inconscientes articulées sous un mode masochiste de
manière quasi constante. Les profils paternels sont assez semblables : père attractif,
séducteur, mais distant, dévalorisant et coercitif ;
––régression cloacale de la région pelvienne et régression psychosomatique urétrale ;
––réactualisation du déficit narcissique par le biais de la relation actuelle ;
––mentalisation relativement bonne permettant de bons résultats psychothérapiques.
415
Traité de médecine psychosomatique
AUTO-AGRESSIVITÉ
DÉMENTALISATION
DÉSORDRES ANATOMIQUES
416
Psychosomatique et gynécologie
417
Traité de médecine psychosomatique
3-1. L’acharnement
Peu à peu, j’adoptai une attitude plus distanciée par rapport à la recherche des causa-
lités mais aussi à la demande explicite. C’est ainsi qu’apparut progressivement un élément
nouveau que l’on pourrait résumer ainsi : la conception nécessite un renoncement non pas
à concevoir, mais un renoncement à l’acharnement à vouloir concevoir. Je dois pour une
part à Robert Babeau un étayage clinique de ce qui m’apparaît maintenant comme une
évidence, sous forme d’une métaphore simple : plus on veut dormir, moins on s’endort. Et
on pourrait faire référence à bien d’autres situations cliniques. Par exemple, chez les sujets
souffrant de déficit sexuel : plus ils veulent « y arriver », moins ils « y arrivent ». Idem pour
les stress décisionnels lors de crises existentielles entre deux options possibles (le mari ou
l’amant, tel emploi ou tel autre, partir ou ne pas partir) : plus le sujet s’acharne à choisir,
plus les possibilités de choix s’éloignent. Depuis longtemps, j’avais pris l’habitude de dire
à mes patients confrontés à ces situations de renoncer pour un temps à faire un choix,
et de s’occuper d’autre chose. En règle générale, la solution venait au moment où ils n’y
pensaient plus. Existe-t-il au niveau de ces différentes situations des éléments communs,
voire des supports physiologiques communs ?
Je citerai le cas des rétentions urinaires réflexes. J’ai été amené à traiter avec succès
deux patients dont la vie avait été littéralement conditionnée par ce type de problème.
Un de ces patients différait toute forme de déplacement et ne pouvait uriner que chez lui
à condition qu’il y ait un silence total dans la maison ; le second se déplaçait mais amenait
toujours sur lui une sonde, l’auto-sondage étant la condition de la miction. Il leur était
impossible, depuis l’âge adulte, d’uriner naturellement en dehors de chez eux. Chacun à
sa manière avait organisé sa vie personnelle et professionnelle en fonction de cette diffi-
culté. Par ailleurs, des troubles fonctionnels urinaires invalidants s’étaient surajoutés à la
pathologie initialement réflexe et, chez l’un d’eux, de graves complications lésionnelles
s’étaient installées.
Chez ces deux patients, le déclenchement de la miction était, quel que soit le dispositif
qu’ils avaient mis en place, carrément impossible lorsque surgissaient des représentations,
soit des représentations induites par des perceptions extérieures (bruits attestant de la
présence d’un autre), soit des représentations d’origine plus endogène (peur d’être vu,
présence du téléphone portable allumé), et bien sûr du fait de l’acharnement, c’est-à-dire
de la fixation obsédante à y parvenir (aggravation lorsqu’ils étaient pressés ou attendus).
Ainsi, deux conditions rendaient la miction impossible : la fixation obsédante sur le but et
la survenue de représentations mettant en scène un autre, un autre interdicteur, un autre
réprobateur. Ces situations apparaissaient dans les rêves récurrents attestant de l’inscrip-
tion inconsciente de la problématique. Par contre, il arrivait qu’une miction spontanée se
produise au moment où ils étaient affairés à autre chose, à exécuter une tache fortement
investie par exemple, ou bien lorsqu’ils étaient habités de représentations concernant un
projet ou un ailleurs, se racontant volontiers des histoires à voix haute. Ainsi des repré-
sentations latérales totalement différentes de la préoccupation obsédante avaient un
effet libérateur.
Tous deux relataient des souvenirs infantiles similaires : tous deux avaient uriné sur
eux dans les suites immédiates d’une correction infligée par un personnage paternel alors
418
Psychosomatique et gynécologie
qu’ils faisaient quelque chose qu’il ne fallait pas faire (l’un montait sur un arbre, l’autre
avait emprunté la voiture de son père). Le contenu inconscient de ces deux souvenirs
de transgression d’un interdit à forte connotation œdipienne se retrouvait dans d’autres
formations psychiques (l’un d’eux consolait sa mère réfugiée au fond du jardin lorsque le
père était violent). Ils étaient très doux, très dociles, respectant scrupuleusement toute
forme d’autorité (l’un urinait sur lui lorsque l’instituteur le réprimandait). La vie sexuelle
de ces deux patients était très déficitaire (évitement, abstinence, dysfonction érectile,
éjaculation précoce selon les cas, et de toutes façons sexualité éminemment coupable,
honteuse). Il existait chez eux une intrication des représentations sexuelles et des repré-
sentations concernant la miction, une angoisse de castration majeure diffusant sur la
sphère urinaire et bien sûr un conflit œdipien central. Le mécanisme de défense contre
ces difficultés était la maîtrise, bien illustrée par toutes les mesures utilisées (l’un souhai-
tait depuis toujours avoir un robinet à la place du pénis) et la programmation artificielle
d’une fonction naturelle, c’est-à-dire le fantasme de contrôler et programmer toute forme
de fonction corporelle érotisée.
Dans ces situations identiques, nous repérons quatre déterminants constants :
––représentations inconscientes inhibant la fonction, s’originant dans un conflit
profond, mettant en scène un interdit ;
––fixation obsédante sur le but à atteindre ;
––mécanismes de défense à type de maîtrise et de programmation ;
––effet désinhibiteur de la fonction induit par des représentations latérales différentes
générant un déplacement des investissements.
Bien que ces cas cliniques concernent des pathologies fonctionnelles réflexes, et que
dans les infertilités, notamment les infertilités dites « inexpliquées » ou « à détermi-
nisme hormonal », il existe des mécanismes plus complexes, plus profonds et de toute
évidence plus mystérieux, il m’est difficile de ne pas établir un lien de similitude avec de
nombreuses situations auxquelles j’ai été confronté lors des consultations pour infertilité.
Ces dernières mettent au jour de manière récurrente trois de ces éléments : la fixation
obsédante sur le but à atteindre, la maîtrise et la programmation (c’est l’essence même de
l’aide médicale à la procréation), l’effet désinhibiteur de la fonction procréatrice fréquem-
ment induit soit par le renoncement (adoptions), soit par la survenue de nouveaux inves-
tissements, soit encore par l’invasion du psychisme par des représentations latérales à fort
contenu émotionnel (décès d’un proche par exemple). La seule question qui demeure est
celle de l’existence de représentations inconscientes bloquant la fonction. Cette étude
tentera d’y répondre.
Le travail sur les dossiers m’a conforté dans cette représentation générale des choses.
Elle fut illustrée par un événement survenu dans la vie d’une patiente. Cette jeune femme
était venue me consulter pour un problème d’infertilité inexpliquée. Elle présentait
tous les signes cliniques que l’on rencontre dans ces situations : état de tension anxieuse
exacerbé par une longue attente, manifestations dépressives plus récentes, certitude de
ne pouvoir concevoir (c’est ce qui lui avait été dit) sans PMA, productions inconscientes
caractéristiques (rêves récurrents de bébés), fixations obsédantes sur la conception, etc.
Son psychisme était parasité par un virus, le virus de l’attente acharnée de la procréa-
tion. À la quatrième séance, elle m’apprit que son père venait de mourir subitement
419
Traité de médecine psychosomatique
d’un accident cardiaque. Les rêves récurrents de bébés avaient laissé la place aux rêves
post-traumatiques mettant en scène son père. Le jour même, je téléphonai à l’étudiante
qui m’avait aidé dans ce travail en lui faisant le pari qu’elle allait être enceinte. Quinze
jours après, elle m’annonçait son état de grossesse.
Ainsi, un déplacement sur d’autres objets psychiques permet au premier objet
psychique de trouver une place d’objet réel.
Entre deux positions extrêmes (soutien psychothérapique confortant le sujet
dans l’acharnement ou, à l’inverse, suggestion intrusive de renoncement), l’approche
psychosomatique des difficultés à concevoir doit donc se référer à certains axes :
––analyse des demandes et des interactions ;
––investigation psychosomatique approfondie ;
––mise au jour de la conflictualité inconsciente source d’inhibition de la fonction ;
––action psychothérapique sur cette conflictualité ;
––atténuation de l’acharnement et du fonctionnement dans la maîtrise et la program-
mation ;
––induction de nouvelles représentations parallèles aussi fortes, si ce n’est plus fortes
que le « désir d’enfant ».
420
Psychosomatique et gynécologie
incompréhension ou une menace (« On me dit que c’est dans la tête mais je n’y crois
pas » ou encore « Je ne suis pas folle ») ;
––vécu de docilité et de soumission : la consultation est vécue comme une obligation
normale parce que faisant partie d’un protocole rigoureux ;
––vécu interrogatif : la personne s’implique dans la recherche de causes éventuelles,
n’excluant pas la possibilité d’une inhibition psychogène. Ce vécu concerne plus parti-
culièrement le groupe d’observations de type B ;
––vécu d’intérêt particulier (beaucoup plus rare) pour ce type d’approche avec parfois
demande de suivi. On retrouve ici le groupe d’observations de type C.
De ces différents vécus et de la complexité des interactions (interactions au sein
du couple, interactions couple-médecins, interactions entre différents spécialistes)
qui pervertissent la demande, il s’ensuit, pour l’investigateur, un malaise. L’absence de
demande du patient implique d’avoir une attitude la moins psychanalytique qui soit
au départ et de manière inévitable de fournir à la patiente un minimum d’information
concernant la justification de ce type de consultation. Toujours pour la même raison,
l’investigateur, afin de ne pas accentuer les défenses du patient, centre au départ l’essentiel
de la consultation sur les données médicales. Le repérage des données psychosomatiques,
du fait du contexte, est donc très difficile. Il est souvent dit à la patiente ou au conjoint,
le plus souvent en fin de consultation, essentiellement à ceux pour lesquels on ne relève
pas d’anomalie somatique évidente, que la tension nerveuse ou des blocages inconscients
peuvent parfois accentuer les difficultés. Il leur est signifié qu’un courrier sera fait au
gynécologue, de poursuivre les investigations et la thérapeutique mais qu’en cas d’échecs
répétés, il serait souhaitable qu’ils reprennent contact.
La démentalisation induite chez ces patientes par le long parcours médicalisé, la répéti-
tion des investigations, voire des traitements, induit chez l’investigateur, de manière très
rapide, un état de démentalisation similaire.
Données générales
Âge des patientes
Moyenne d’âge des femmes ayant consulté : 33 ans, la plus jeune ayant 24 ans et la plus
âgée 46 ans.
Couples avec ou sans enfants
Couples venant consulter et ayant déjà des enfants : 23,3%.
Parmi eux, 61,3% ont des enfants en commun, 35,5% des enfants issus d’une première
union chez la femme, 9,7% d’une première union chez l’homme (nous dépassons les
100% car certaines situations se recoupent).
Bilan médical des femmes
Le bilan médical n’a pas toujours été évalué avec précision, la patiente ne venant pas
toujours consulter avec une lettre du gynécologue faisant état des anomalies retrouvées.
Dans ce cas, c’est la patiente qui rapporte elle-même, avec ses propres représentations,
les conclusions du bilan.
421
Traité de médecine psychosomatique
Sexualité
Là aussi, il était très difficile d’aborder ce thème lors d’une première consultation avec
des sujets en règle générale très défensifs.
Les déficits sexuels sont souvent majorés par les investigations en cours et les proto-
coles de PMA.
Si la sexualité est en règle générale tôt ou tard altérée par le vécu de PMA, la qualité
de la vie sexuelle ne semble pas intervenir dans la genèse de l’infertilité. Il ne semble pas
exister de corrélation entre la qualité de la vie sexuelle et la fécondité.
Adoption envisagée
C’est seulement dans 9% des cas que les patients ont déclaré être prêts à adopter en
cas d’insuccès ou avoir entamé parallèlement des démarches d’adoption.
son enfance dans les suites du décès de sa propre sœur aînée (elle pensait qu’elle devait
abandonner sa poupée pour que sa sœur guérisse).
Désir ou prescription médicale iatrogène de maigrir avant grossesse
(6 cas)
Cette problématique ne semble pas être un facteur direct d’infertilité.
Autres
Avis défavorable dans la famille, crainte que la naissance d’un enfant puisse générer
une mort dans la famille, interdit d’enfant avec une personne de confession différente (2
cas), désir d’enfant pour obtenir des avantages sociaux, réactivation d’un vécu de jalousie
infantile à l’égard d’un puîné.
Paroles médicales prédictives
Les observations rapportant des paroles médicales prédictives d’infertilité définitive
ne sont pas rares (5 cas). Si elles sont souvent cruellement déstabilisantes pour le couple,
elles ne constituent pas une entrave à des maternités futures.
Rien ne permet d’avancer que l’ensemble de ces problématiques à fleur de conscience
constitue un barrage à la procréation, tout au moins ce qu’il en est exprimé consciem-
ment.
Il eût été intéressant d’appréhender la demande obsédante d’enfant et l’acharnement
qui lui est consécutif en tant que mécanismes défensifs à type de déplacement destiné à
occulter une tout autre problématique (dysfonctionnement conjugal, etc.).
deux autres hommes afin, dit-elle, de « ne pas savoir qui serait le père de l’enfant »). Ils ne
constituent pas (hélas…) une entrave à la maternité.
La conflictualité inconsciente
Interactions familiales inconscientes majeures
L’interdit inconscient trouve son origine dans des interactions familiales, elles-mêmes
plus ou moins inconscientes : culpabilité, rôles dévolus, conflits de loyauté, dettes, etc.
Ces formations psychiques semblent avoir un effet délétère sur la conception.
Relations d’emprise, pathologie du lien
L’emprise familiale est centrale (5 cas), plus particulièrement la prise de distance
impossible avec la mère. Parfois, l’emprise est réciproque, la fille s’étant investie depuis
toujours dans une fonction de maternage de sa propre mère. L’accession au statut de
mère est donc inconcevable, vécu comme une trahison (3 cas), ou bien l’enfant à venir
est considéré comme un cadeau destiné aux parents (2 cas). Deux patientes du groupe
d’observations A sont venues consulter l’une avec sa mère, l’autre avec sa belle-mère.
Marilou a toujours été sous l’emprise de ses parents dépressifs et a toujours pensé
qu’elle ne pouvait être aimée qu’en le justifiant par des actes et l’accomplissement du
devoir. Toute forme de jouissance était suspecte. À 21 ans, elle se marie contre avis paren-
tal avec un homme qui ne sera jamais accepté par la famille. Des troubles du sommeil
s’installeront avec des rêves au cours desquels ses parents lui reprochent de les avoir
abandonnés. La sexualité est satisfaisante jusqu’au jour où le couple décide d’avoir un
enfant. L’enfant ne vient pas. Troubles de l’ovulation chez Marilou, oligoasthénospermie
chez le mari. Quatre IAC (insémination artificielle avec sperme du conjoint), trois FIV
(fécondation in vitro) entre 30 et 33 ans. La programmation des relations sexuelles et la
probable réticence à la maternité instaurent peu à peu une anaphrodisie qui se transfor-
mera avec le temps en frigidité totale et définitive. Dans le même temps, on lui découvre
un condylome et elle subit une cônisation du col. Puis, dans la foulée, vulvovaginites à
répétition et, enfin, maladie de Basedow. Démarches pour adoption. Elle a 37 ans lorsque
l’enfant adopté arrive dans la famille. Il s’ensuit paradoxalement une dépression pendant
trois ans et une ménopause à 41 ans.
Interdit de maternité
Déjà adolescente, Maria était habitée d’une représentation récurrente : la catas-
trophe que constituerait une grossesse si ceci devait lui arriver. Aînée d’une fratrie de sept
enfants, son rôle depuis toujours était un rôle maternel de suppléance. Ainsi, mère et fille
aînée avaient chacune leur rôle respectif, la mère faisait des enfants et Maria les élevait.
(« Ce sont mes enfants, dira-t-elle, je suis l’intermédiaire entre eux et mes parents. »)
Durant toute son adolescence, elle évita tout contact physique avec les garçons. Elle
attendit l’âge de 28 ans (le dernier de la fratrie avait 5 ans) pour s’autoriser une liaison
et se fiança. Relations limitées à de chastes baisers jusqu’au jour du mariage à 30 ans,
mariage auquel la mère n’assistera pas, clouée au lit par un état de mal migraineux. Les
FIV successives produiront des embryons mais l’implantation se soldera toujours par un
échec. Elle rêve de manière récurrente de ses frères et sœurs entourant un landau. Elle
425
Traité de médecine psychosomatique
est à l’arrière-plan et n’arrive pas à s’approcher de ce dernier. Elle rêve aussi que ses frères
lui disent : « Quand est-ce que tu nous fais des petits-neveux ? » Ou bien elle rêve qu’elle
a des enfants mais ce n’est pas elle qui les a faits. Aucun rêve de grossesse ou d’accouche-
ment n’apparaît. Finalement, Maria n’eut pas d’enfant et adopta quelques années plus tard.
Conflit de loyauté
Anne-Lise, adoptée à 9 mois, ne sait rien de ses origines, si ce n’est que son père
géniteur s’est suicidé. Le destin de ses parents adoptifs ne sera pas meilleur : suicide
aussi chez le père adoptif, suivi de peu par le décès par cancer de l’utérus de la mère
adoptive. Bien qu’elle eût souhaité vivement un enfant du vivant de ces derniers (« C’eût
été un merveilleux cadeau pour ma mère »), depuis leur disparition l’idée d’une mater-
nité s’accompagne de sentiments de culpabilité car « avoir un enfant qui n’est pas de
leur lignée, enfant qu’ils ne puissent pas se réapproprier en tant que grands-parents, c’est
les faire mourir à nouveau ». Dans ses rêves, sa mère adoptive revient, dépossédée de
son patrimoine, n’ayant plus rien pour vivre. Anne-Lise est pétrie de culpabilité car elle a
hérité de ses biens.
Fonction de « déjà-mère » ou « déjà-père »
Le sujet est déjà massivement investi dans un rôle parental ou éducatif à l’égard
d’autres enfants.
Les femmes « déjà-mère » (6 cas) sont des aînées de fratrie ou bien des femmes ayant
une activité professionnelle de prise en charge des enfants des autres (institutrices, puéri-
cultrices, assistantes maternelle, etc.).
Les femmes « déjà-père » (2 cas) ont assumé une fonction de père de substitution à
l’égard des frères et sœurs plus jeunes, le père étant le plus souvent réellement absent.
L’une de nos patientes était devenue tutrice des enfants après la mort du père.
Laetitia, 27 ans, puéricultrice, espère un enfant depuis deux ans. Elle présente des
troubles de l’ovulation et des désordres hormonaux fonctionnels. La psychothérapie qui
s’étalera sur dix-sept séances révélera des formations inconscientes centrales.
Complexe de castration
Elle ne supporte pas qu’on la voit nue et a attribué ses premières règles à une blessure
ayant coupé une partie du sexe. Ses représentations de la maternité sont traumatiques
(ses deux meilleures amies ayant eu des grossesses pathologiques) et elle a peur de
l’accouchement. Le complexe de castration apparaît dans les rêves : « Je perds mes dents…
J’ai des bébés venus au monde sans avoir accouché… Ma mère et ma sœur m’enlèvent
mon enfant car je ne sais pas l’élever et je déchire mon porte-monnaie sur un coup de
colère… » Les parents avaient vivement souhaité un garçon et la grand-mère paternelle
n’avait eu qu’une fille, un garçon étant mort en bas âge. Enfant, on lui coupait les cheveux
et, pendant longtemps, on lui a interdit d’avoir des bijoux. Le bébé qui apparaît dans ses
rêves est toujours un garçon. Laetitia est très tendue dans son corps qu’elle n’aime pas.
Régression psychosomatique urétrale
Laetitia présente des cystites récidivantes qui surgissent lors des périodes d’anaphro-
disie. Elle en avait souffert entre 2 et 5 ans, puis à partir de 21 ans dans les suites de
premières relations sexuelles insatisfaisantes. Elle rêve d’un enfant dans un frigo. Le frigo a
426
Psychosomatique et gynécologie
une fuite et l’eau s’écoule dans la cuisine. Dans un autre rêve, elle est assise sur une glacière
bleue et fait pipi.
Pathologie du lien
Elle apparaît dans les rêves : « Dans un magasin de vêtements, ma mère et ma grand-
mère m’imposent une combinaison bleue… Ma mère me prescrit des piqûres et m’injecte
un produit bleu pour avoir un enfant… Mon mari me quitte pour une femme enceinte,
c’est ma supérieure hiérarchique à la maternité où je travaille… »
Complexe œdipien
Dans ses rêves, elle est « poursuivie par un taureau ». Par ailleurs, son père est proprié-
taire d’une manade.
Fonction de « déjà-mère »
Laetitia s’occupe, dans son métier très investi, de bébés qu’elle n’a pas conçus.
À la 3e séance, elle se sent moins tendue, mais un retard de règles de 10 jours l’a parado-
xalement très angoissée. À la 8e séance, elle signale l’apparition pour la première fois de
douleurs ovariennes au 14e jour du cycle et, à la 15e séance, elle signale une augmentation
du volume de ses seins. Elle n’est pas enceinte mais ces éléments attestent vraisembla-
blement d’une meilleure régulation hormonale. Nous arrêtons la psychothérapie à la 17e
séance car elle doit faire une IAC (insémination artificielle avec sperme du conjoint). Elle
me dit : « Si tout va bien, je vous rappellerai quand je serai indisposée… ! » Malgré cette
ambivalence manifeste révélée par ce lapsus, elle sera enceinte et accouchera d’une fille.
L'enfant « œdipien »
Dans l’inconscient du sujet, l’enfant à venir représente un enfant issu d’une conception
œdipienne imaginaire (7 cas). Cette représentation inconsciente est le vestige d’un désir
et/ou interdit inconscients d’avoir un enfant du père (6 cas) ou de la mère (œdipe inversé,
1 cas).
Cette formation psychique semble elle aussi avoir un effet délétère sur la conception.
Le fantasme qui sous-tend le complexe psychique suffit à générer l’inhibition.
L’étude de certains cas de stérilité masculine corrobore l’existence de mécanismes de
défense puissants et pathogènes contre la conflictualité œdipienne.
Paul a eu une torsion aiguë du testicule à l’âge de 6 ans (acmé œdipienne), suivie
d’ablation. À 13 ans (réactivation œdipienne), le deuxième testicule subit le même sort.
Lors de la grossesse par PMA de sa femme, il sombrera dans une profonde dépression et
devra être hospitalisé suite à une tentative de suicide après l’accouchement.
Les expériences réelles de mise en acte incestueuse ne sont pas forcément des éléments
renforçateurs pathogènes quant à l’infertilité. Les antécédents d’abus sexuels, pris de
manière isolée, ne constituent pas à eux seuls une entrave à la maternité. Nous pouvons
citer le cas de deux patientes au lourd passé d’abus sexuels qui sont tombées enceintes,
l’une spontanément, l’autre après une FIV. Toutefois, lorsque ces expériences s’associent à
d’autres problématiques délétères, elles jouent un rôle renforçateur.
Le père de Dominique, militaire et sportive accomplie, citée p. 423, était lui aussi
dans l’armée. Dominique l’admirait et l’imitait dans tous ses faits et gestes. Enfant, elle
voulait se marier avec lui. Lorsqu’elle eut 13 ans, les parents divorcèrent et Dominique
427
Traité de médecine psychosomatique
remplaça sa mère auprès de son père, prenant en charge toute la maisonnée avec une
grande fierté.
Productions oniriques relevées chez les patientes
Les productions oniriques récurrentes sont des rêves de maternité (46% des cas) et des
rêves traduisant la problématique inconsciente (54%).
Rêves de maternité
Ce sont soit des maternités normales (l’enfant apparaît dans 23% des cas), soit des
maternités problématiques : avortement, rapt ou dépossession de l’enfant, difficultés à
s’en occuper, malformations.
Les rêves de maternité sont pour une grande part liés à la préoccupation induite par
le protocole.
Problématiques sous-jacentes
––Rêves mettant en scène des proches (22%) : conflits ouverts, relations d’emprise
mettant en scène la mère, la belle-mère ou le père, proches décédés.
––Castration, œdipe : 19%.
––Adultère : 13% (en général du conjoint, plus rarement du sujet).
Seule une analyse détaillée des observations et des renseignements à distance (compa-
raison des rêves chez les femmes ayant eu une maternité aboutie et celles qui demeurent
infertiles), ainsi qu’une analyse différentielle des rêves chez les femmes présentant une
stérilité liée à des lésions anatomiques et les autres, permettraient de repérer le caractère
pathogène ou trophique des représentations.
3-4. Conclusions
Le déterminisme psychosomatique des infertilités fonctionnelles semble être lié à la
conjonction de :
––représentations inconscientes pathogènes inhibitrices : essentiellement interac-
tions familiales inconscientes et, secondairement, conception imaginaire d’enfants
« œdipiens » ;
––fixation obsédante et acharnement sur le but à atteindre en relation avec des
mécanismes de défense à type de maîtrise et de programmation.
La psychothérapie doit aborder ces différents éléments et tenter d’en amoindrir la
préséance et l’impact. Elle doit parallèlement susciter l’effet désinhibiteur de représenta-
tions latérales générant un déplacement des investissements.
Cette étude comporte de nombreux manques. Elle doit être appréhendée comme une
esquisse, un canevas pouvant servir de support à des études ultérieures dont la mise en
place nécessiterait une méthodologie rigoureuse inspirée des remarques et pistes que
nous avons soulevées.
Il eût été par exemple intéressant d’analyser l’impact des interruptions de grossesse
(IVG, fausses couches, IMG) non seulement sur le désir d’enfant mais aussi sur la fertilité.
Une approche biologique eût été également souhaitable afin d’apporter des préci-
sions sur les mécanismes pouvant articuler les déterminants psychiques et l’altération de
certaines fonctions, plus particulièrement les désordres hormonaux. Il conviendrait aussi
428
Psychosomatique et gynécologie
429
Chapitre 16
PSYCHOSOMATIQUE ET DERMATOLOGIE
1. INTRODUCTION
Il existe une proximité particulière entre la peau et le psychisme qui se retrouve à
plusieurs niveaux. Sur le plan embryologique, on sait que l’origine ectoblastique de la
peau est commune avec celle du cerveau et des organes des sens. L’apparition de son
ébauche se fait d’ailleurs avant celle des autres organes des sens. On sait par ailleurs que
plus l’apparition d’une fonction ou d’un organe est précoce, plus ces derniers seront
fondamentaux. On peut à la limite vivre sans vue, sans ouïe, sans fonction gustative ou
olfactive, mais on ne peut pas vivre sans peau, pas plus que sans cerveau.
La somatisation cutanée soulève deux types de question. Pourquoi la peau plutôt
qu’un autre organe ou une autre fonction ? Pourquoi telle dermatose plutôt qu’une
autre ?
Les cellules de la peau sont en même temps réceptrices et sécrétrices de neuromé-
diateurs en relation directe avec les centres nerveux. Lorsque le psychisme est insuffi-
sant à endiguer et traiter les afflux traumatiques, des informations sont transmises par
voie nerveuse ou humorale aux cellules cutanées, générant des désordres qui se situent
selon le type de maladie à des niveaux différents. Les phénomènes physiopathologiques
et anatomopathologiques qui caractérisent les dermatoses sont, bien sûr, différents
selon le type de maladie : phénomènes congestifs ou ischémiques, vasodilatation,
vasoconstriction, phénomènes inflammatoires, désordres de l’immunité cellulaire ou
humorale, désordres hormonaux, modifications de l’organisation et de la hiérarchi-
sation cellulaire. L’articulation psyché-soma sera d’autant plus difficile à expliciter que
les désordres physiopathologiques seront de nature plus archaïque d’un point de vue
ontogénétique et phylogénétique. Ce n’est pas un hasard si les sujets atteints de derma-
toses comme le vitiligo ou le psoriasis présentent des expressions psychiques patholo-
giques plus réduites que ceux qui souffrent de dermatoses plus superficielles comme les
pelades et les urticaires. Plus l’origine est archaïque, plus la déliaison est grande entre
l’expression psychique et l’expression somatique. On ne s’étonnera pas si le traitement
psychosomatique de ce type d’affection est particulièrement difficile.
Ce qui est en jeu dans la somatisation cutanée traduit souvent une problématique
entre le sujet et ses objets de relation. Il semble exister en dermatologie, comme en aller-
gologie d’ailleurs, une oscillation entre une angoisse de séparation, d’abandon, si ce n’est
d’anéantissement, si l’objet est trop loin, et une angoisse de persécution, voire d’effrac-
tion, si l’objet est trop proche. Dans certains cas, le sujet recrée un contact perdu ou
déficient, dans d’autres, il édifie une barrière contre l’agresseur, et ceci en remettant en
scène une expression cutanée qui préexiste au langage verbal.
431
Traité de médecine psychosomatique
Les premiers contacts du sujet avec la fonction maternante (Mater) sont déterminants.
Les contacts entre Mater et l’enfant sont à la fois excitants et signifiants. La dissociation
de ces deux composantes du contact est pathogène. Ce type de déliaison est, on le sait,
pourvoyeur de somatisation. La peau en constitue la cible de choix.
La dermatose rappelle au sujet l’existence de sa peau, existence dont il n’a pas une
conscience permanente dans la vie de tous les jours. La souffrance occasionnée par la
lésion, parfois intriquée à une forme archaïque de jouissance, que l’on rencontre notam-
ment dans les dermatoses prurigineuses, doit être appréhendée du point de vue du
désordre instinctivo-pulsionnel dans le registre de l’auto-agressivité et de l’érogénéité, si
ce n’est dans certains cas du masochisme.
La peau, zone érogène, support identitaire, interface entre le sujet et son monde,
constitue aussi un objet de relation, objet de plaisir ou de dégoût, objet à exhiber ou à
dissimuler, objet à travestir, à manipuler, voire à agresser comme en témoignent certains
comportements pathologiques favorisés par l’évolution sociétale actuelle.
Les rêves mettant en scène la dermatose n’annoncent pas une aggravation. Ils seraient
plutôt le témoin d’une élaboration psychique inductrice d’amélioration. Une de nos
patientes atteinte de psoriasis s’était mise à rêver d’insectes qui l’attaquaient au niveau
des zones de psoriasis. Dans les jours qui avaient suivi, le psoriasis s’était atténué. Nous
avons eu un cas similaire dans le vitiligo. Le rêve du sujet représentait un buvard blanc
grignoté par des vers (cas Monica, cité p. 455). Le vitiligo régressa dans les jours qui
suivirent. Belle illustration de ce balancement constant que nous observons au fil des
psychothérapies entre mentalisation et somatisation cutanée.
2. PSYCHOSOMATIQUE DU PSORIASIS
D’un point de vue physiopathologique, le psoriasis est une dermatose complexe. À
une inflammation chronique modulée par des facteurs systémiques en relation avec
le système nerveux, des phénomènes immunologiques, éléments aspécifiques que
l’on rencontre dans l’eczéma et d’autres dermatoses, se surajoutent une prolifération
cellulaire et une altération du dialogue entre derme et épiderme, caractérisée par une
énorme accélération du processus de remplacement et de décortication de la peau
(décortication incomplète et non différentiée de la peau) : à partir de la couche basale,
les cellules nucléées atteignent la surface en même temps que les cellules kératinisées.
Cette complexité anatomopathologique que l’on ne retrouve pas dans l’eczéma laisserait
supposer une complexité égale d’un point de vue psychosomatique. L’étude que je vais
présenter montre que la séméiologie psychosomatique des psoriasis est en fait moins
complexe que celle des eczémas.
2-1. Données générales
Cette étude a été réalisée en 2008 à partir de 31 observations.
Les antécédents familiaux (facteur génétique) sont présents dans 60% des cas.
L’âge d’apparition de la première lésion se situe entre 0 et 44 ans et on repère deux pics
correspondant à des périodes de vulnérabilité au niveau de la relation du sujet avec le
monde extérieur : avant 4 ans et entre 15 et 24 ans.
432
Psychosomatique et dermatologie
Nombre de cas
6
5
4
3
2
1
0
0-4 5-9 10-14 15-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-50 ans
Âges d’apparition de la première poussée de psoriasis
2-2. Facteurs traumatiques
Traumatismes inauguraux
L’abord des traumatismes inauguraux révèle deux caractéristiques propres au psoria-
sis : le caractère soudain et brutal du traumatisme et l’apparition de la pathologie après
une courte phase de latence.
Les traumatismes
Il s’agit dans 97% des cas d’événements traumatiques intenses, de survenue soudaine
et brutale, les situations de contrainte traumatique étalées dans le temps étant très peu
représentées (3%).
Ces événements se répartissent ainsi :
––accidents (7 cas) ;
––ruptures de liens investis (6) : décès de proches (3), déménagement (2), naissance
d’un petit frère (1), rupture amoureuse et séparation d’avec la famille (1) ;
––agressions (5) : agressions sexuelles réelles (2), harcèlement, dépossession d’un bien
par un proche ;
––événements inducteurs d’un vécu de castration (4) : premières règles, fausse couche,
rejet du conjoint, adultère du conjoint.
Accidents
Pertes
Agressions
Castration
433
Traité de médecine psychosomatique
Il n’y a pas de vécu traumatique type. Le traumatisme en cause est celui qui va bruta-
lement réactiver un type d’angoisse propre au sujet. Par exemple, une séparation réelle
vient faire écho à une angoisse de séparation structurale préexistante et consiste en la
rupture d’un lien très investi. Le traumatisme semble ébranler quelque chose de vital
pour le sujet ou pour son identité, altérant brutalement son sentiment d’intégrité. Il
semble qu’il y ait une effraction violente du moi dans ce qu’il a de plus essentiel pour le
sujet (son existence, son identité et ses liens).
Ce qui caractérise le traumatisme est sa brutalité, l’intensité de son impact, laissant le
sujet démuni au niveau des défenses mentales ou comportementales, du fait d’un effet
de sidération. D’un point de vue quantitatif, l’impact traumatique est similaire à celui
que l’on retrouve dans les syndromes psychotraumatiques (post traumatic stress desorder,
PTSD).
La sidération traumatique et la phase de latence
Le psoriasis débute au décours du traumatisme inaugural après un temps de latence
(comme le syndrome psychotraumatique) de plusieurs jours (souvent 15 à 20 jours) dans
une zone du corps précise.
La sidération psychique se prolonge durant la phase de latence. Un réaménagement
psychique ne semble pas avoir lieu. De ce fait, la réaction somatique apparaît. Nous
pouvons déjà considérer qu’elle constitue à la fois un témoin du traumatisme et une
réaction défensive retardée contre ce dernier, témoin-cicatrice et bouclier défensif du
moi réduit au corps.
Lorsqu’il apprend à retardement que son épouse a eu une liaison, Basile est choqué,
abasourdi, sans réaction. Le psoriasis apparaîtra au bout de quinze jours, mettant un
terme à son état de sidération.
Geneviève avait développé un psoriasis palmoplantaire dans les suites d’une agres-
sion humiliante : l’homme dont elle venait douloureusement de se séparer était revenu
pour la violer. Séparation, castration, humiliation, sidération. Le psoriasis surgira trois
semaines après.
16
14
1
Seuil
2 3 4 { 5 6 TEMPORALITÉ
12
10
8
6
4
INTENSITÉ 2
TRAUMATIQUE 0
l’enfermeront plus particulièrement à 25 ans, date d’apparition d’un psoriasis très étendu,
dans un isolement relationnel total. Le psoriasis durera quatorze ans. Il disparaîtra défini-
tivement à 39 ans lorsque débutera la relation avec sa future épouse.
––événements médicaux à type de castration somatique partielle : péritonite, amygda-
lectomie. Tout comme la castration symbolique, la castration somatique partielle peut
atténuer le vécu de castration imaginaire ;
––changement radical de mode de vie.
Ainsi, le psoriasis, déclenché par un événement majeur, ne peut disparaître (le plus
souvent transitoirement) que sous l’effet d’un événement dont l’intensité et l’impact
psychique sont quantitativement aussi importants que celui du traumatisme inaugural,
et dont la signification profonde pour le sujet est l’inverse de celui-là. Ceci peut ouvrir la
voie à des pistes thérapeutiques.
2-3. Sémiologie psychosomatique
La mentalisation
Mentalisation inaugurale
La démentalisation induite par le traumatisme est évidente. Elle s’apparente, comme
nous venons de le voir, à la sidération psychique telle qu’elle apparaît dans les phases
d’effroi et post-immédiate des névroses traumatiques.
Il est difficile d’évaluer le degré de cette démentalisation inaugurale lorsque nous
voyons les patients plusieurs années après le traumatisme, du simple fait qu’elle est de
courte durée et qu’elle ne permet pas une rétention mnésique suffisante en raison du
déficit d’élaboration psychique ainsi induit.
Priscilla, psoriasis déclenché en période pubertaire où elle subit les contraintes
sexuelles d’un cousin, développera une amnésie totale de cette période durant toute
l’adolescence et le début de la vie adulte. Le souvenir ne resurgira que lors de la relation
avec son futur mari.
Mentalisation globale
Si les capacités d’élaboration mentale dans le secteur psychique concerné par le
traumatisme premier semblent très déficitaires, la mentalisation peut fonctionner
normalement dans les autres secteurs.
Les sujets que nous voyons en général à distance de l’éclosion ou d’une poussée de
psoriasis ont une mentalisation globale qui peut être très variable d’un sujet à l’autre :
pauvre, moyenne, riche.
Les effets somatopsychiques
Ils sont de deux types : la démentalisation secondaire et l’atteinte narcissique.
Le premier effet somatopsychique est la démentalisation secondaire. Il semblerait en
effet que le psoriasis mette à l’abri des décompensations mentales franches. Les manifes-
tations mentales pathologiques sont variables d’un sujet à l’autre. On peut retrouver un
fond dépressif ou anxieux fluctuant, rarement des manifestations dépressivo-anxieuses
franches. L’impression qui se dégage est que les sujets atteints de psoriasis présentent peu
de manifestations d’angoisse.
436
Psychosomatique et dermatologie
La dimension économique
D. Pomey-Rey (La peau et ses états d’âme) a relevé chez 95% des sujets une colère
rentrée, un caractère introverti, un « œdipe mal résolu ». Hormis le caractère introverti
qui caractérise effectivement certains sujets, nous n’avons pas repéré une répression de
l’agressivité centrale dans cette pathologie, si ce n’est – comme nous le verrons plus loin
– dans certaines formes de psoriasis palmaire. La répression de l’agressivité implique un
étalement minimal d’une situation traumatique dans le temps. On la retrouve dans les
situations de contraintes inductrices d’aggravation secondaire du psoriasis, situations qui
ne représentent pas la majorité des traumatismes secondaires comme nous venons de
le voir. Lors du vécu traumatique inaugural, la démentalisation laisse peu de place à la
répression de l’agressivité, du fait de la sidération des mécanismes de défense.
Autres somatisations
Hormis les cas où le psoriasis s’intègre à une maladie plus générale (rhumatisme
psoriasique, etc.), les manifestations somatiques associées ou alternantes paraissent
moins fréquentes que dans les autres pathologies. Il semblerait que le psoriasis consti-
tue une barrière contre-évolutive protectrice d’une part contre une désorganisation mais
aussi contre les autres modes d’expression somatique, notamment – comme nous l’avons
vu – les manifestations somatiques anxieuses.
437
Traité de médecine psychosomatique
Zones défensives
Dans certains traumatismes agressifs, plus particulièrement les accidents, c’est
peut-être au niveau des zones corporelles potentiellement défensives d’un point de vue
moteur que la lésion se localise (coudes). On peut évoquer sans trop de risque la réaction
défensive éminemment fréquente chez la plupart des individus qui consiste à protéger
son corps en mettant les coudes en avant. Les lésions au niveau du coude (6 dans cette
étude) sont en effet souvent consécutives à un accident dans lequel le coude n’a pas été
forcément touché (2/3 des cas).
Zones offensives
Dans les traumatismes liés à une menace, le psoriasis s’inscrit comme une défense
somatique désespérée, secondaire à la répression, dans cet interface qui sépare l’individu
des objets menaçants ou à combattre, plus particulièrement au niveau de la zone concer-
née. Celle-ci peut être une zone corporelle investie d’un pouvoir défensif réel.
Chez Édouard, cité plus haut (p. 435), un psoriasis est apparu sur la face dorsale
des mains deux mois après une velléité réprimée de frapper son employeur.
Zones érogènes
Les localisations génitales sont probablement les seules dans lesquelles on peut repérer
une conflictualité inconsciente n’ayant pas fait l’objet d’une élaboration psychique.
D. Pomey-Rey (op. cit.) a relevé chez la plupart des sujets présentant un psoriasis un
« œdipe mal résolu ». Mon étude ne confirme pas la place centrale de ce conflit en tant
que codéterminant de la pathologie dans la majorité des observations. Tout d’abord,
l’œdipe mal résolu (peut-il l’être ?) est une caractéristique conflictuelle de la plupart des
sujets névrosés ou normosés, qu’ils soient porteurs de maladies somatiques ou non.
Par ailleurs, la courbe des âges d’apparition des premières lésions, présentée en début
438
Psychosomatique et dermatologie
2-5. Discussion et conclusion
Cette étude effectuée à partir des observations de mon cabinet oriente donc vers des
pistes intéressantes. Nous allons en présenter la synthèse en faisant référence s’il y a lieu
aux travaux des autres psychosomaticiens.
Le psoriasis vient en lieu et place d’une névrose traumatique. C’est la démentalisation
traumatique majeure inaugurale qui déplace la réaction dans le territoire somatique. La
persistance de l’affection et son évolution deviennent ensuite avec le temps beaucoup
plus dépendantes de facteurs traumatiques aspécifiques, la dermatose devenant avec le
temps la réaction défensive privilégiée.
Le psoriasis est à la fois une trace et un mécanisme de défense.
La trace
L’inscription du traumatisme initial demeure présente sous forme de trace.
Témoin visible d’un vécu traumatique inaugural, la trace historise un événement qui a
eu lieu, que le psychisme n’a pu élaborer et exprimer. S. Savvopoulos rapporte le cas d’une
femme qui, au terme de la psychothérapie, déclare : « La maladie est là pour raconter
mon histoire. Le psoriasis est mon lien avec mon histoire. C’est la trace que ma vie a laissée
sur ma peau. Et je ne veux pas effacer cette trace, parce qu’alors je n’aurais plus d’espoir. »
(Revue française de psychosomatique.)
440
Psychosomatique et dermatologie
La barrière défensive
À la trace, s’associe une réaction de défense somatique contre le traumatisme inaugu-
ral, comme pour se prémunir de son éventuelle reproduction.
Cette défense somatique s’inscrit dans l’interface cutanée entre le sujet et la menace
perçue comme extérieure. Dans les pertes, elle atteste de la déchirure entre le sujet et
l’objet perdu et l’annule en même temps. Mécanisme de défense très archaïque, ceux de
la période primaire, voire intra-utérine, voire des fixations défensives familiales chez les
ascendants (comme en témoigne la prévalence de l’hérédité). P. Marty avait déjà pointé
la notion de fixation dans ce type de pathologie, fixations somatiques de la première
enfance, voire de la vie intra-utérine.
La tentation est grande d’étendre le processus aux fixations phylogénétiques. J’ai
souvent pensé à la carapace des reptiles et des sauriens, voire des dinosaures. C’est un
fantasme, bien sûr, qui ne s’appuie sur aucun fondement clinique. Mais je ne suis pas le
seul à avoir été tenté (Maguire, Skin Disease).
Ces deux aspects, trace et défense, qui ressortent de notre étude, ne sont pas en désac-
cord avec la théorisation de D. Anzieu qui propose dans son livre Le Moi-Peau (Dunod,
1995) une topique dermatologique. La couche externe épidermique est considérée par
D. Anzieu comme un système de pare-excitation protecteur, la couche interne reçoit les
signaux et permet l’inscription des traces externes (Anzieu) ou des excitations internes
(Morin).
Mentionnons enfin que ce mécanisme de défense somatique paraît particulièrement
efficace, car les autres somatisations semblent rares chez les sujets atteints de psoriasis.
D’un point de vue contre-évolutif, il semble constituer un barrage à des processus de
désorganisation.
Le champ de recherche est vaste et à découvrir. Insistons encore une fois sur le danger
de la théorisation sans étayage clinique rigoureux et celui de l’interprétation systématique,
souvent sauvage, face à l’apparition de cette cuirasse cutanée survenue au décours d’un
traumatisme, car elle court-circuite le travail indispensable et premier sur la dimension
économique et la mentalisation, passage obligé, déjà thérapeutique même en l’absence
de travail sur le conflit, et passage incontournable pour aborder ce dernier.
il y a trois mois. Dans les semaines qui ont suivi, il a développé une pelade. L’origine de
son inhibition est éminemment névrotique, régie par un surmoi œdipien tyrannique. Il
craignait son père mais ne voulait jamais le dépasser dans ses compétences (comme lui, il
était footballeur). Se castrer plutôt que dépasser le père.
Sébastien, 21 ans, très investi dans la motricité et l’action, était lui aussi très inhibé
dans l’enfance. Un événement le désinhibera : la vue du film La tour infernale avec Steve
McQueen. L’identification au héros sera massive et déterminera dès l’adolescence tous ses
investissements ultérieurs. Il sera pompier. Dans ses rêves nocturnes, il a toujours l’uni-
forme et est spécialisé dans les interventions médicales. Les rêves se terminent toujours
bien. Citons-en un : « Dans le corps de pompiers où j’exerce, un des pompiers est blessé et
tombe, puis tout s’arrange. » Il y a deux ans, accident sans gravité à bord de la voiture qu’il
avait empruntée à sa mère, suivi dans la foulée d’un autre événement : il amène à l’hôpi-
tal une copine qui vient de faire une tentative de suicide. Dans les semaines qui suivent,
surgit une pelade qui régressera au bout de quatre mois. Quelques mois après, il rentre
chez les pompiers volontaires. Quelques semaines plus tard, la pelade resurgit. Depuis,
c’est chaque fois après la confrontation à un accident qu’il fait une poussée. Notons que
Sébastien était très fier de sa chevelure pendant toute l’adolescence.
Lorsqu’il a 4 ans, la voiture des parents de Rémi prend feu dans un accident. Pelade
circonscrite. Puis guérison. Par la suite, la pelade récidivera lors de périodes de stress et
guérira vers 19 ans. À 21 ans, accident de moto. Alopécie diffuse puis circonscrite. Régres-
sion au bout de trois mois. Rechute de la pelade à l’âge de 25 ans dans les suites de son
divorce et d’un licenciement.
Vincent a vécu jusqu’à 14 ans dans la terreur d’un père violent. Il ignore les causes
de sa pelade universelle apparue à 10 ans. Il pense qu’il s’est fait mordre par un des chiens
de chasse de son père mais il n’en a aucun souvenir. Sa réussite professionnelle sera plus
tard totale dans la maçonnerie. Il montera plusieurs sociétés, fera fortune, et s’effondrera
brutalement le jour où ces sociétés, du fait d’un montage juridique, ne porteront plus son
nom. « J’ai eu le sentiment d’abandonner un enfant. » Extension de la pelade. Depuis, il
est habité d’une angoisse constante, avec éléments interprétatifs « comme si mon père
m’engueulait ». Ses rêves attestent d’une tension pulsionnelle coupable : « Je suis dans
une voiture folle que je ne maîtrise pas… J’ai un fusil, c’est la guerre, je me sens coupable…
Mon père m’engueule parce que je fais mal mon travail… »
Eugénie, 20 ans, a eu elle aussi un père violent et une mère dépressive. Elle a
toujours voulu être un garçon. Il y a un an, relation sexuelle non désirée avec son copain
de l’époque. Vécu de viol. Elle apprend aussi que sa mère a un amant. « Une semaine
après, j’ai cru que mon copain m’avait abandonnée. J’ai fait une crise d’hystérie en m’arra-
chant les cheveux. » Deux mois après, pelade universelle sur tout le corps. Dans les suites,
elle rompt la relation. Depuis six mois, elle a un nouveau copain. Cystites. « Je nous
impose des douches avant et après les relations sexuelles : je me récure et je le récure. »
Troubles obsessionnels compulsifs de propreté. Rêves : « Je suis nue dans un lit avec un
couple, l’homme veut me violer… Je pique les fringues de mon père ou de mon copain. »
Fantasme : « Je suis un homme avec de longs cheveux et je viole des femmes. »
442
Psychosomatique et dermatologie
Berthe. Accident il y a six mois. Polytraumatisée. Chute des cheveux trois mois
après. Rêves traumatiques récurrents : l’accident.
Martha, 41 ans. Avortement imposé par le mari il y a quinze ans. Dans les suites :
salpingite, salpingectomie, appendicectomie. Cinq ans après, la mère est atteinte d’un
cancer de l’ovaire. Douleurs pelviennes chez la fille. Ovariectomie chez les deux. Cinq ans
après, rechute de la maladie de la mère et braquage de Martha dans une banque. Pelade.
Le père et le mari sont des rustres. Rêves : taureaux. Castrations imaginaires puis réelles.
Roseline. À 17 ans : premières règles + déception amoureuse + départ en Angle-
terre. Prise de poids de 20 kg. Retour en urgence car le père est opéré de la prostate.
Pelade universelle. Grossesse à 24 ans : amélioration. Rêves : membres coupés… sexe
coupé… « Je n’arrive pas à fermer toutes les ouvertures de ma maison. »
in fine à un braquage, Martine ne se vit plus que comme une cible passive, poreuse et
exposée. Il en est de même de Roselyne, séparée de sa famille, quittée par son copain,
confrontée à la castration de son père.
3-3. Discussion
Dans les suites immédiates de ce travail basé uniquement sur la clinique, je me suis
penché sur les études d’autres auteurs. Elles sont rares. Nous pourrons retenir toutefois le
texte de G. Szwec, Psychothérapie d’une enfant chauve au seuil de l’adolescence.
J. Ezin Houngbe publie dans Synapse, en février 2000, une étude sur la signification
symbolique et le vécu de la pelade au Sud Bénin. Il relate le cas d’un homme de 40 ans
qui présente une anaphrodisie, des bouffées vasomotrices au pubis irradiant à la verge,
une asthénie depuis un an, puis une pelade depuis deux mois. Le cas confirme l’angoisse
de castration dans le déterminisme de la pelade et montre que celle-ci vient suppléer, en
dernier recours, à des mécanismes de défense psychiques, sexuels puis somatiques insuf-
fisamment opérants. Il parle de certains rites au Sud Bénin. Après un deuil, les proches
parents se rasent la tête. Certains féticheurs ont le crâne rasé durant l’initiation.
D. Pomey-Rey, dont les travaux en matière de psychosomatique et dermatologie font
référence, retrouve dans la pelade, des « deuils, des ruptures sentimentales, une atteinte
au narcissisme déjà fragile, comme un échec professionnel ou le chômage », survenant
chez des sujets « au moi fragile, inhibés dans leur développement affectif, déjà déprimés
avant qu’un choc ne vienne bouleverser leur équilibre si fragile ». Les tests de projection
(Rorschach, Szondi, arbre de Koch) démontrent que « dans 80% des cas, la dépression
était latente avant la chute des cheveux ». D. Pomey-Rey pense que la prédisposition à
la pelade remonte à la petite enfance, au stade pré-langagier. Personnellement, je pense,
comme d’autres auteurs, que c’est la prédisposition à la somatisation en général et qu’il
ne s’agit pas d’une spécificité de la pelade. Il semblerait même que les fondements soient
moins archaïques. L’auteur cite le cas d’une fille ayant vu apparaître une pelade à 6 ans lors
de la naissance d’une petite sœur, du décès du grand-père et d’un déménagement. Son
analyse de ces traumatismes est centrée sur l’archaïque et non sur le vécu d’une enfant en
période d’angoisse de castration. D’ailleurs, la seule relation qui pose problème avec les
parents de cette petite fille est celle avec le père, captatif et castrateur, la mère étant une
femme attentionnée aux désirs et besoins de son enfant. Sa pelade rechutera au moment
de la puberté. La guérison sera contemporaine d’un rêve où elle vole et s’approche d’un
garçon. Comment ne pas évoquer la castration ?
Elle relate aussi le cas d’un jeune homme, décrit comme dépressif «à la sexualité
passive et une agressivité refoulée ». En fait, à y regarder de plus près, il s’agit d’une inhibi-
tion névrotique et non d’une dépression : il ne quitte pas sa famille, il évite les contacts
amoureux s’ils se présentent, il est dans l’incapacité de mettre en acte ses désirs, et à
31 ans n’a toujours pas eu de relations sexuelles. Il est atteint de pelade à 25 ans dans les
suites d’un accident de moto sans gravité. Il ne se déplace jamais sans son chapeau. Il rêve
d’accidents de voiture, d’armes à feu. Ses rêves précédant la guérison sont caricaturaux :
« J’étais dans une voiture, une décapotable américaine aux États Unis… et j’éprouvais une
grande sensation de liberté. Je n’avais pas de chapeau… Mon supérieur au travail, sorte
de petit chef, m’a fait des reproches injustifiés, j’ai pu lui répondre et j’étais très content. »
444
Psychosomatique et dermatologie
D. Pomey-Rey cite un autre cas, celui d’une femme de 64 ans présentant une pelade
universelle depuis ses 52 ans, époque où son mari est parti avec une autre. Idem pour
cette fille de 9 ans présentant une pelade décalvante depuis l’âge de 3 ans, qui se dessine
sans main. D. Pomey-Rey interprète ainsi : « la castration vécue au niveau des cheveux
s’est déplacée sur les mains » (op. cit.). Bien sûr, mais c’est le vécu de castration qui génère
la pelade et les dessins des personnages sans main, et non pas l’effet, pour le moins incon-
testable, de la pelade sur l’image du corps inductrice secondairement de la représenta-
tion d’être castré. La pelade accentue secondairement le vécu de castration, mais elle
résout aussi quelque chose, elle déplace sur un objet traumatique précis une nébuleuse
traumatique.
À la fin de son texte, D. Pomey-Rey avance la présence d’un moi enfantin et inhibé. La
dépression latente dont parle Pomey-Rey est en fait une inhibition névrotique dont le
déterminant est le surmoi œdipien et non l’idéal du moi.
Chez certains de nos patients, il existe un surdéterminisme érotisé de la chevelure
(Sébastien). Dans un autre cas, l’alopécie met un terme à la relation amoureuse (Eugénie).
Tous les cas de trichotillomanie que nous avons étudiés révèlent la dimension phallique
imaginaire du cheveu. Lors de notre étude sur le rêve (Les rêves), cette symbolique a été
largement abordée.
3-4. Conclusion
La pelade est une réaction somatique défensive traduisant un vécu de castration
qui surgit lorsque les mécanismes de défense psychiques et comportementaux contre
celle-ci, pourtant très développés chez les sujets qui en sont atteints, sont dépassés par
l’impact traumatique.
Elle s’inscrit, du point de vue de la nosographie psychosomatique que nous avons
proposée, dans la catégorie des régressions psychosomatiques qui comportent à la
fois un désordre économique et une fixation psychosomatique érogène. Cette fixation
psychosomatique concerne ici le cheveu.
La pelade constitue une confirmation supplémentaire de la représentation sexuelle
inconsciente de la chevelure.
4. PSYCHOSOMATIQUE DE L’ECZÉMA
Maladie banale, fréquente, la plus fréquente des somatisations cutanées, avec laquelle
de nombreux sujets finissent par cohabiter, l’eczéma ne s’en laisse pourtant pas conter,
par son caractère parfois torpide ou récidivant. Il a défié de nombreuses générations de
chercheurs et de médecins. Il se révèle en fait, en ce qui nous concerne, être une somati-
sation difficile à cerner et à traiter.
J’ai étudié 42 dossiers de patients présentant un eczéma, patients venus consulter le
plus souvent pour un autre problème. 22 observations sont relativement sommaires en
ce qui concerne les déterminants de l’eczéma et les caractéristiques psychosomatiques
qui l’accompagnent. 20 observations sont plus élaborées, ayant fait l’objet d’au moins
trois consultations, et pour certaines d’entre elles d’une psychothérapie s’étant déroulée
sur plusieurs mois.
À l’issue de ce travail, certaines caractéristiques de la pathologie ont été relevées.
445
Traité de médecine psychosomatique
4-1. Vécus traumatiques
Déterminants traumatiques de la lésion inaugurale
Dermatite atopique du nourrisson
La maladie débute vers le 2e-3e mois de la vie. C’est un eczéma prurigineux, érythé-
mateux, suintant et croûteux. Le visage est souvent le premier atteint : front et joues (la
bouche, le nez, le menton sont respectés). L’éruption peut s’étendre aux oreilles et au cuir
chevelu. Des lésions sur les membres peuvent se voir.
Les six observations d’eczéma atopique du nourrisson ayant fait l’objet de cette petite
étude révèlent une angoisse maternelle centrale en tant que déterminant premier de la
pathologie. Les déterminants de cette angoisse doivent être finement recherchés car ils
ne sont pas apparents de prime abord. En effet, l’angoisse maternelle se déplace sur l’objet
eczéma, masquant ses origines premières.
De manière schématique, on peut distinguer une angoisse préexistante à la naissance
de l’enfant et une angoisse consécutive à celle-ci.
Trouble de la relation intersubjective primitive
Les trois observations concernées révèlent des problématiques différentes, mais ayant
pour point commun une conflictualité entre la représentation de l’enfant désiré et celle
de l’enfant en gestation : enfant à venir pris dans un fantasme de conception œdipienne,
forte inadéquation entre l’identité sexuelle souhaitée pour l’enfant et son identité sexuelle
réelle, angoisse maternelle avant, pendant et après la grossesse, induite par un avorte-
ment gémellaire un an auparavant.
Valentin, 4 ans, est né un an après un avortement gémellaire traumatique, ayant
instauré chez la mère une angoisse majeure et persistante. Valentin présenta jusqu’à
8 mois un reflux gastro-œsophagien traité par contention, ce qui accentua l’angoisse
maternelle. L’eczéma apparut à 1 an.
Angoisse maternelle dans les suites de la conception
Il n’y a pas de profil maternel type. Les mères des enfants atopiques sont tout autant
aimantes (ou mal-aimantes) que celles des autres enfants. Toutefois, dans les trois cas
concernés, on repère une préséance des névroses de comportement dont les défenses
habituelles (suroccupation, besoin acharné de maîtrise, incapacité à se poser) se trouvent
dépassées chez une jeune mère souvent désemparée face à sa nouvelle fonction.
D. Pomey-Rey et J. Mac Dougall repèrent aussi dans l’eczéma atopique une angoisse
maternelle constante. Elles repèrent en outre une relation fusionnelle et une impossibilité
à transférer l’amour de la mère au père. « Les observations cliniques de C. Morgan, parues
en 1992 dans On the Clinical Use of Fetal Experience in Adult Analytic Practice, confirment
que les projections des parents sur l’enfant à naître, tout comme les événements externes
surchargés d’affects, qui peuvent survenir pendant la grossesse, jouent un rôle impor-
tant dans le contact qu’entretient la mère avec son bébé fœtal. » J. Mac Dougall rappe-
lait également que les « échanges prénataux entre la mère et l’enfant qu’elle porte, en
même temps que l’empreinte de l’inconscient biparental sur la matrice corps-psyché du
futur petit être, esquissent déjà la structure du nourrisson à venir… » (Éros aux mille et un
446
Psychosomatique et dermatologie
visages.) La dermatite atopique est bien un symptôme archaïque apparu dans une phase
préverbale. « Il s’agit d’un mal-être exprimé par la peau-cerveau… Le “problème mère” est
toujours présent : mère dépressive et angoissée lorsque l’enfant est dans les premiers mois
de sa vie… ce “problème mère” est toujours suivi d’un “problème père”… »
Eczéma de l’enfant à partie de 3 ans
L’aspect de l’eczéma est ici différent : plaques lichénifiées, prurigineuses, rarement
suintantes, prédominant au niveau des membres, plis des coudes, creux poplité, poignets.
Sur les 7 observations recensées, 6 d’entre elles, soit 85,5% des cas, révèlent des trauma-
tiques inducteurs à type de rupture des relations objectales : naissance d’un puîné (3),
séparation (2).
Un cas seulement révèle une induction de la pathologie dans les suites de sévices
sexuels incestueux à l’âge de 3 ans.
Alexis, élevé par ses grands-parents jusqu’à 3 ans, développe un eczéma lorsque ses
parents revenus dans la région le récupèrent.
Eczéma de l’adolescent et de l’adulte
Les 13 cas étudiés révèlent des déterminants traumatiques plus disparates :
––ruptures des relations objectales : 7 cas
––chômage : 3 cas
––avortement : 1 cas
––rupture amoureuse : 2 cas
––divorce + difficultés financières : 1 cas
––conflits, agressions : 2 cas
––dispute avec un des deux parents : 2 cas
––agression physique : 1 cas
––autres : 3 cas (post-partum, grossesse, privation de liberté).
Les vécus de séparation constituent le déterminant central dans 58% des cas. Les
autres vécus inducteurs (42%) sont liés des situations anxiogènes, plus particulièrement
de tension relationnelle.
Les déterminants principaux du premier déclenchement de l’eczéma sont donc dans la
majorité des cas en relation avec un trouble de la relation objectale marqué par l’angoisse
ou le vécu de séparation. Au fur et à mesure de l’autonomisation du sujet, ce déterminant
tend à être moins systématique.
Avec le temps, le vécu de séparation occupe une place moindre, mais la pathologie
de la relation demeure centrale. Tout accroissement critique de la tension interne peut
induire des rechutes ou des aggravations.
448
Psychosomatique et dermatologie
4-3. Localisations particulières
Citons P. Marty : « Il est facile de penser mais difficile d’admettre que la peau possède
en toute sa surface la même valeur fonctionnelle »… « du point de vue psychosomatique,
dans lequel nous nous référons sans cesse à la genèse des organisations libidinales, la peau
procède vraisemblablement de niveaux différents (en général d’une part et individuelle-
ment d’autre part) selon ces zones. » (La relation objectale allergique.)
449
Traité de médecine psychosomatique
5. PSYCHOSOMATIQUE DE L’URTICAIRE
5-1. Introduction
Conférence de consensus du 8 janvier 2003, « Prise en charge de l’urticaire chronique ».
Document fondamental car sérieux et surtout officiel. Il s’en dégage que les causes de
l’urticaire chronique ou de l’urticaire aiguë récidivante sont inconnues, hormis des cas
bien spécifiques (urticaire persistant des maladies systémiques, agents physiques patho-
gènes, réactions physiologiques circonstancielles), que les différentes investigations
paracliniques ne servent pas à grand-chose dans la majorité des cas, que les étiologies
allergiques sont « largement surestimées ». Il s’en dégage aussi que le traitement repose
sur des antihistaminiques anti-H1 (faute de mieux), que ses résultats sont mal évalués et
qu’une « prise en charge » est nécessaire.
450
Psychosomatique et dermatologie
Je cite : « Il y a très peu d’études contrôlées publiées concernant les facteurs psycholo-
giques dans l’urticaire chronique et leur prise en charge. Cependant, comme pour d’autres
dermatoses chroniques, une association entre stress, symptomatologie anxiodépressive
et urticaire chronique a été rapportée sans qu’aucune étude n’ait pu établir s’il s’agissait
de la cause ou de la conséquence. Aucune relation n’a pu être démontrée entre la sévérité
de l’urticaire chronique et celle d’un état anxiodépressif. Parmi les troubles de la person-
nalité, la prévalence de l’alexithymie (difficultés à verbaliser les émotions) a été seule
étudiée et est aussi importante dans l’urticaire chronique que dans le psoriasis (étude de
niveau 3). Un retentissement sur la qualité de vie a été mis en évidence. Pour toutes ces
raisons, le jury considère qu’il est licite d’envisager la prise en charge des facteurs psycho-
logiques au cours de l’urticaire chronique. Cette attitude paraît d’autant plus raisonnable
qu’elle repose essentiellement sur des données cliniques. Le jury souligne que des études
seraient nécessaires pour préciser l’importance réelle des facteurs psychologiques dans
l’urticaire chronique. » (Prise en charge de l’urticaire chronique.)
Les recommandations qui sont issues de cette conférence de consensus préconisent
une « prise en charge » par le médecin traitant avec prescription d’un « antihistaminique
anti-H1 sédatif en cas de prurit avec troubles du sommeil et/ou anxiété réactionnelle »,
un « soutien psychologique » avec « réassurance du patient » et éventuellement la « prise
en charge du stress sous forme de relaxation, thérapies comportementales, etc. ». « En cas
d’anxiété et/ou de syndrome dépressif caractérisés, le recours à un traitement spécifique
est justifié dans le respect des bonnes pratiques. »
Nous voilà considérablement avancés !
Qu’en dit Sylvie Consoli (Les facteurs psychologiques dans l’urticaire chronique) ? Elle
évoque pour certains urticaires une réponse inappropriée à un « stress, réponse qui
mettrait en jeu l’axe neuro-endocrino-immuno-cutané et en particulier celui de certains
neuro-médiateurs. Ces derniers favorisent entre autres, la dégranulation des mastocytes,
la perméabilité vasculaire et l’infiltration leucocytaire… » Elle cite une étude de Keegan
DL (1976) faisant état de « changements relationnels avec des proches, la survenue d’une
maladie ou d’un accident, des situations conflictuelles frustrantes ou embarrassantes au
travail et/ou en famille »… « Les traits de personnalité ne semblent pas spécifiques. » Elle
souligne l’absence d’études détaillées rigoureuses. Plus loin, elle cite une étude de Gupta
(1994) pour qui l’intensité du prurit serait « parallèle à l’intensité de la dépression », des
études de Badoux (1994), Hashiro (1994), Juhlin (1981), Hein (1996), faisant état d’une
fréquence relative d’un « état dépressif, une anxiété et une tendance à souffrir de manifes-
tations somatiques fonctionnelles » chez les malades urticariens. L’efficacité des antidé-
presseurs tricycliques dans les urticaires résistants aux thérapeutiques classiques est
mentionnée (disparition chez 43% des patients traités). La psychothérapie est préconisée.
Citons aussi une communication de G. Guillet dans le cadre du congrès de la Société
d’allergologie et d’immunologie clinique de Toulouse (1998). Dans 22% des 236 cas analy-
sés, les poussées sont déclenchées par des facteurs psychogènes. L’urticaire cholinergique
est l’exemple type de potentialisation par le stress (dans 80% des cas). Les patients très
suggestibles bénéficient d’un traitement par hypnose qui diminue le prurit sans pour
autant faire disparaître les papules.
451
Traité de médecine psychosomatique
Caractéristiques générales
––Tension interne chez tous les patients.
––Antécédents d’autres pathologies allergiques ou alternance avec celles-ci dans 54%
des cas : coryza spasmodique (31%), migraines (15%), asthme (8%).
––Caractère critique. Les crises surgissent lors des poussées de l’excitation en
relation avec des événements ou des situations nouvelles. Elles s’apparentent à des
décharges émotionnelles privées de leur composante affective comportementale ou
représentative. L’urticaire paraît être l’expression d’un débordement de l’excitation
instinctivo-pulsionnelle. Il semble exister une rétention et une accumulation initiales
de l’excitation, qui reste bloquée un certain temps et qui se décharge secondairement
(comme dans la plupart des maladies à crises).
––Mentalisation tout à fait variable et aspécifique chez les sujets en dehors des crises.
On peut rencontrer aussi bien des alexithymiques que des sujets très bien mentalisés.
Vécus traumatiques
L’anamnèse associative doit repérer :
––les périodes au cours desquelles se manifeste l’urticaire,
––les facteurs déclencheurs des crises.
Dans 60% des cas étudiés, on repère des situations de contrainte avec répression de
l’agressivité à l’égard de l’objet. L’objet insupporte mais il est risqué de s’en séparer. On y
rencontre des situations de proximité objectale plus ou moins imposée. Dans trois obser-
vations, il s’agit de femmes intolérantes à la présence des enfants du nouveau conjoint, à
l’égard desquels elles se décrivent « allergiques ».
Marcelle, 56 ans, s’occupe de son mari invalide depuis dix-huit ans. Depuis deux
ans que ce dernier est dialysé, s’est installé un prurit et dermographisme. Depuis six mois
que le mari présente des pertes de connaissance, des crises d’urticaire sont apparues. Sans
arrêt prise par les contraintes, elle a de plus en plus de mal à supporter la situation, mais
assume sans broncher.
Dans 40% des cas, il s’agit d’un désordre de l’excitation lié à des vécus réactivant une
problématique plus profonde. Nous retrouvons souvent outre la répression pulsionnelle,
une angoisse à déterminisme inconscient (castration, séparation), une connotation
érogène, et chez certains une dimension masochiste.
Agnès, présente des crises d’angio-œdèmes de forte intensité, traités par corti-
coïdes. Les crises débutent par des douleurs abdominales puis l’œdème apparaît au
niveau de la région antérieure du corps (abdomen, face, thorax, région scapulaire) et
persiste pendant trois à cinq jours en s’intensifiant progressivement. La patiente a été
adressé à un service hospitalier spécialisé dans les angio-œdèmes. Il lui a été notamment
remis un document dans lequel sont évoqués tous les risques qu’elle encourt, y compris
celui d’en mourir.
452
Psychosomatique et dermatologie
Agnès présentait un coryza spasmodique depuis l’âge de 6 ans, puis des allergies
alimentaires depuis l’adolescence.
Il y a sept ans, l’interruption volontaire d’une grossesse inopinée généra un état trauma-
tique avec forte culpabilité, d’autant plus que cela se fit le jour d’une fête de famille. Pour
consoler Agnès, ses parents l’avaient fait dormir entre eux, dans leur lit, la nuit qui avait
suivi l’IVG. Spasmophilie dans les suites. La première crise d’angio-œdème se produisit
il y a trois ans chez ses parents le jour de Noël. Nouvelle crise un an après : l’échec à un
concours lui impose de différer un projet de grossesse. Depuis, les crises se succèdent.
Elles régresseront sous l’effet de la psychothérapie et disparaîtront lors de la survenue de
la grossesse tant désirée. Une seule crise émaillera celle-ci dans les suites d’une consulta-
tion ayant abouti à la suspicion d’une anomalie chromosomique. À ce jour, elle est mère
de famille et n’a plus d’angio-œdème. Une analyse sauvage et « interpréteuse » de cette
observation pourrait conclure à une « enflure » faute d’être enceinte. Deux formations
inconscientes sous-tendent la problématique : la culpabilité sexuelle que n’arrange en
rien la proximité incestuelle et le vécu de castration.
Pauline, 5 ans, présente des crises d’urticaire généralisées et quotidiennes depuis
deux mois, aggravées le soir au coucher. L’urticaire a remplacé des vomissements quoti-
diens qui ont duré deux ans et ont débuté lors de l’entrée en maternelle (elle vomis-
sait tous les matins avant de partir à l’école). Il existe une forte angoisse de séparation
et d’abandon. Pauline est collée à sa mère et a très peur que celle-ci ne vienne pas la
chercher à l’école. Tout changement l’angoisse. L’angoisse de séparation est plus ou moins
intriquée à une angoisse de mort. L’investigation permettra de pointer que la révélation
par la maman du décès en bas âge d’une tante maternelle a déclenché chez elle une
première crise d’urticaire il y a deux mois. La maman est inquiète pour sa fille. Il lui arrive
de se lever la nuit pour la rassurer.
Il existe par ailleurs chez Pauline une certaine excitation dont un des déterminants est
érogène. Les rêves témoignent de cette excitation teintée de culpabilité et intriquée à une
angoisse de castration : « …Je suis sur un cheval qui vole… J’aimerais avoir ce cheval… On
a coupé le doigt d’un monsieur… »
Trois séances ont suffi pour enrayer l’urticaire. Pas de réapparition au bout d’un an.
Cette observation met en évidence, d’une part l’angoisse de séparation et de castra-
tion, d’autre part l’existence d’un état d’excitation interne à déterminisme érogène. La
spasmodicité digestive était sous-tendue par l’angoisse de séparation. Celle-ci semble
s’être complexifiée d’un déterminant supplémentaire : la survenue de la problématique
sexuelle. Ce dernier élément me semble être à l’origine du déplacement d’une sympto-
matologie spasmodique simple et peu spécifique vers une pathologie plus complexe bien
que peu profonde : l’urticaire.
Olivia, 24 ans, allègue un bouillonnement instinctivo-pulsionnel contenu dans un
corps qu’elle vit comme une prison. Peur d’agir, de bouger, de se lancer dans la vie, peur de
ne pas être à la hauteur, sentiment d’incapacité. Fantasmes masochistes passifs œdipiens.
« J’étais soumise à mon père, il me faisait peur. » Urticaire contemporain de douleurs
arthritiques mais l’intensité de l’un atténue l’intensité des autres. Les douleurs articulaires
prédominent lors des vécus de passivité, de situations de contrainte. Lorsque l’urticaire
453
Traité de médecine psychosomatique
5-3. Discussion et conclusion
À partir de cette étude, nous pouvons conclure que l’urticaire surgit dans des situa-
tions de contrainte, obstacles à l’évacuation de l’excitation. Certaines de ces situations
paraissent aspécifiques, dénuées d’érogénéité : ce sont des situations d’enfermement, de
privation motrice, d’ébullition intérieure, tel l’animal pris au piège. Dans d’autres cas, à
la contrainte se surajoute une dimension conflictuelle interne mobilisant l’érogénéité,
érogénéité imprégnée de culpabilité et souvent de masochisme.
On repère par ailleurs une relation ambivalente à l’objet, objet désiré mais aussi objet
menaçant ou persécuteur. Le sujet est à la fois menacé par la perte de l’objet et l’assujet-
tissement à ce dernier.
454
Psychosomatique et dermatologie
6. LE VITILIGO
Dermatose pour le moins curieuse aux conséquences strictement esthétiques et
identitaires, le vitiligo surprend. Les traumatismes déclencheurs sont toujours présents.
Le vitiligo de Monica apparut dans les suites d’une violente discorde familiale à
l’issue de laquelle, elle et son mari furent mis à la porte par les parents de ce denier.
Il s’ensuivit un syndrome psychotraumatique immédiat : « impression d’un coup de
massue », jambes coupées, sensation de vide, isolement social prolongé. C’est dans ce
contexte psychotraumatique démentalisant qui perdurera plusieurs mois que le vitiligo
surgit sur les mains, un mois après le clash. L’impact traumatique de cet événement est
compréhensible car Monica était très attachée à la grand-mère de son conjoint. Son
histoire permet de comprendre les origines de cet attachement et l’effondrement qui
suivit la rupture.
Troisième d’une fratrie de cinq, elle vécut jusqu’à 5 ans chez sa grand-mère maternelle
avec son père et sa mère. Contexte curieux dans ce village du Nord de l’Italie : la mère
se cache, se déguise, met des perruques et des lunettes noires. Les carabiniers viennent
régulièrement. Le frère aîné, atteint de trisomie, disparaît du village lorsque Monica a
455
Traité de médecine psychosomatique
tion de son supérieur hiérarchique. Le vitiligo apparut rapidement au niveau des mains.
Depuis, il les cache.
Atteinte d’une zone cutanée fortement investie au niveau érogène, narcissique ou
fonctionnel.
Conclusions de l’étude
Les traumatismes inducteurs sont caractéristiques : séparation, castration, intrusion,
persécution. La dimension sexuelle apparaît dans 75% des cas. Chez les deux hommes, on
repère des éléments interprétatifs et une homosexualité latente.
Ici aussi, les mécanismes de défense psychiques inconscients, pourtant assez consis-
tants, ne suffisent pas en endiguer l’impact traumatique. Un état de démentalisation
aigu s’instaure et le vitiligo apparaît dans les semaines qui suivent le trauma. Nous avons
repéré une séquence similaire dans les psoriasis et les pelades.
La lésion initiale affecte une région objet d’une fixation psychosomatique.
Lors du traumatisme, cette zone est concernée soit à un niveau réel, soit à un niveau
imaginaire.
On retrouve cette dimension, à des niveaux un peu moins spécifiques, dans l’eczéma
et le psoriasis.
Ici, contrairement à la cuirasse du psoriasis, s’installe un trou, un blanc, un vide de
pigmentation.
457
Chapitre 17
PSYCHOSOMATIQUE ET
GASTROENTÉROLOGIE
1. INTRODUCTION
Un regard porté sur les termes utilisés en médecine pour qualifier l’appareil digestif
n’est pas dénué d’intérêt car les différentes représentations qui s’y associent ne sont pas
sans conséquence sur l’imaginaire du soignant et du patient.
L’image spontanée qui découle du terme tube digestif est celle d’un tuyau dont les
caractéristiques anatomiques varient selon les étages, d’un récipient tortueux avec un
orifice d’entrée et un orifice de sortie. Cette représentation n’intègre pas les annexes du
tube, à savoir les glandes digestives, qui contribuent grandement à la digestion, pas plus
que la musculature lisse qui procède au péristaltisme, pas plus que sa vascularisation et
son innervation qui constituent une interface avec le reste du corps.
Cette représentation réduite constitutive de l’image du corps n’est pas sans rappeler,
comme nous l’avons vu, celle de l’appareil génital féminin, représentation marquée du
sceau du déficit, du manque, car excluant l’« en plus » qui n’est pas directement visible.
Tout organe et toute fonction marqués du sceau du déficit finissent tôt ou tard par être
connotée de vide et de passivité. Cette représentation récipiendaire se retrouve plus
particulièrement chez les enfants et les patients présentant des troubles des conduites
alimentaires. Elle est renforcée par la rigidité de certaines attitudes médicales, plus parti-
culièrement en matière de nutrition lorsque ne sont comptabilisées que les entrées et les
sorties, faisant peu cas des mécanismes métaboliques intimes et complexes, et donc des
facteurs psychosomatiques qui conditionnent la prise ou la perte de poids.
Plus dynamique est la connotation du terme tractus digestif. Il introduit à la fois une
notion de force, de mouvement, d’activité, de progression, à l’instar du terme traction,
et une notion temporelle que l’on retrouve dans les termes transit, transition, transitoire.
L’appareil digestif n’est plus un tube dénué d’activité, il devient autonome, vivant, en
mouvement, et c’est cette activité qui est perçue parfois au niveau de la somesthésie,
trahissant le silence du corps, point d’appel potentiel de la fixation hypocondriaque. Il ne
s’agit plus d’un ensemble topographique passif (conception topique) mais d’un système
organisé en mouvement, support d’un processus biologique inconscient orienté vers un
but (conception dynamique).
Le terme lumière digestive introduit quant à lui à la fois une notion scopique et une
notion d’extériorité. Il est surtout qualifié pour désigner l’endroit le plus obscur de
l’appareil digestif, l’intérieur de l’intestin : la lumière intestinale. Or, si la représentation
d’un intérieur ne fait aucun doute chez la plupart des sujets, sur un plan strictement
anatomofonctionnel, c’est de l’extérieur dont il s’agit. Ce que l’on croit être le dedans est
en fait le dehors. Le lieu où progressent les nutriments, qualifié d’ailleurs d’espace intra-
459
Traité de médecine psychosomatique
luminal, n’est qu’une véranda ouverte. Ici, les représentations médicales et les représen-
tations communes s’entrechoquent, entrent en discordance. La lumière au sens strict du
terme n’apparaît que sous l’effet de la fibroscopie ou de la chirurgie, ou bien lors du rêve.
L’appareil digestif est, avec la peau et le sommeil, un des trois premiers systèmes
fonctionnels à se rebeller chez le nourrisson lorsque le désordre psychosomatique s’ins-
taure. Chez l’adulte, il réagit systématiquement à chacune des émotions délétères de base,
colère, peur, tristesse, dégoût.
Comment peut-on, face à des pathologies digestives fonctionnelles chroniques
ou récurrentes, ne pas penser un seul instant à un codéterminisme émotionnel ou
inconscient ? Ce serait bien sûr une vaste et périlleuse entreprise que de s’attarder en
médecine générale sur la vie intérieure de chaque patient au moindre trouble digestif.
Les patients eux-mêmes se détourneraient d’une telle pérégrination. Il y a donc lieu
de diagnostiquer et de traiter, le plus simplement qui soit. En règle générale, les choses
s’amendent. Mais il y a des cas où elles traînent, s’amplifient, se compliquent, des cas
où des interventions chirurgicales s’imposent. Et puis, il y a les choses qui traînent sans
que l’on n’ait rien trouvé de particulier, ou bien des pathologies identifiées avec précision
sur lesquelles le traitement n’a que peu d’effet. À ce moment, se pose probablement la
question d’une investigation psychosomatique minimale.
Les trois temps successifs de l’investigation médicale classique ont été mis à mal durant
ces trois dernières décennies. L’entretien, qualifié d’interrogatoire médical, se réduit de
plus en plus souvent à une peau de chagrin et s’effectue de plus en plus au travers d’une
interface, l’écran de l’ordinateur, introduisant un tiers dont la fonction est d’exclure
toute subjectivité. L’examen physique devient secondaire, voire facultatif. En témoignent
certains diagnostics par téléphone, largement utilisés par les services d’urgence, qui, il n’y
a qu’une vingtaine d’années, auraient conduit le praticien devant les instances discipli-
naires professionnelles.
La paraclinique (examens biologiques et imagerie) s’est progressivement substituée
à ces deux temps de l’investigation. En gastroentérologie, il n’est pas rare qu’un appel
téléphonique pour une première consultation se solde en fait par un rendez-vous
immédiat pour une endoscopie. Car l’endoscopie est devenue l’expertise première. Elle
est incontournable, du simple point de vue juridique. On ne reprochera jamais à un
médecin de ne pas avoir interrogé ni examiné son patient, on lui reprochera, en cas de
lésion avérée, de ne pas avoir eu recours à cet examen. Ainsi, c’est par la lumière du fibros-
cope, elle-même projetée dans la lumière digestive, que la lumière de la vérité surgit.
Très loin de moi l’idée que l’imagerie (endoscopie, échographie, etc.) devrait retour-
ner dans l’obscurité qui l’a précédée. Elle permet de diagnostiquer et donc de traiter des
maladies indécelables par l’investigation médicale classique, maladies qui en d’autres
temps auraient connu une évolution fâcheuse si ce n’est catastrophique. Mais du fait des
conclusions binaires qu’elle suscite le plus souvent (tout ou rien), du fait de ses capacités
de discrimination anatomiques, elle met au rebut les deux premiers temps de l’inves-
tigation, qui constituent, notamment dans les pathologies digestives fonctionnelles de
l’adulte, un temps incontournable et précieux, particulièrement riche de renseignements
cliniques, au-delà de la « lumière digestive », comme nous allons le voir tout au long de
ce chapitre. Si l’imagerie a permis d’éviter des investigations plus agressives, d’établir des
diagnostics plus sûrs et plus rapides, d’effectuer des interventions moins traumatiques
460
Psychosomatique et gastroentérologie
et moins risquées, elle a aussi créé un imaginaire réduit, chez le médecin comme chez le
patient. Cet imaginaire n’est pas sans conséquences, lorsqu’une dimension de spectacle
(specula) s’y surajoute. Nous connaissons tous l’exemple de ces jeunes enfants conviés à
visionner sur écran géant l’échographie obstétricale de leur mère, persuadés que celle-ci a
mangé le petit frère ou la petite sœur. Un de mes maîtres se plaisait aussi à citer l’exemple
d’un patient auquel il avait été proposé, lors d’une fibroscopie gastrique, de regarder à
l’intérieur (extérieur ?) de lui-même. Il s’ensuivit une bouffée délirante.
Carlos, 58 ans, a subi une cologastroscopie il y a deux mois. « Depuis, dit-il, il n’y
a plus rien ! » Dysfonction érectile totale, y compris nocturne. Deux rêves récurrents
se produisent depuis : soit il voit sa femme enceinte avec un ventre aux proportions
démesurées, soit il se promène à l’intérieur de son propre corps à la recherche d’un objet
qu’on lui aurait volé.
- Dysphagie
Échec de l’introjection
- Dyspepsie
Ingestion Introjection
Vomissement Projection
- Rétention de l’objet
- Désinvestissement Constipation - Maîtrise
Élimination - Abandon de l’objet
Diarrhée Destruction de l’objet
464
Psychosomatique et gastroentérologie
Synthèse
Manifestations Sécrétion salivaire Déglutition - Œsophage Estomac Transit
digestives
de scolarité, le matin, vingt minutes après le lever, se prolongeant lors du trajet scolaire
et cédant au bout de deux heures. L’investigation révélera une anxiété de performance
scolaire majeure, sous-tendue par une attitude exigeante et dévalorisante de son père.
Manifestations digestives de la dépression
Les deux syndromes qui caractérisent la dépression, le trouble de l’humeur et le
syndrome d’inhibition, sont respectivement sous-tendus par deux émotions de base : la
tristesse et le dégoût. Par ailleurs, dans toute dépression, l’agressivité, dont la plus grande
partie est retournée contre le sujet, joue un rôle central. De fait, une troisième émotion
de base sous-tend le processus, la colère.
Tristesse Dégoût
Auto-agressivité
Ce n’est que dans les dépressions avec anxiété qu’apparaît le rôle de la peur. L’approche
clinique doit établir une discrimination entre les signes somatiques induits par l’anxiété
et ceux induits par la dépression proprement dite.
Paulin n’a « pas le moral, pas le goût, se sent vidé ». Il présente des myalgies, des
céphalées, des douleurs scapulaires, une asthénie matinale, une somnolence, une inappé-
tence, un état saburral des voies digestives, une boule au ventre, une asialie (composante
de peur) depuis cinq ans. Son père, auquel il était particulièrement attaché, est décédé il
y a un an d’un cancer. Depuis, il a peur d’avoir une maladie similaire.
Il semble exister peu de troubles digestifs dans les dépressions purement mentales,
c’est-à-dire les dépressions faisant l’objet d’une élaboration psychique suffisante. Par
contre, ces troubles deviennent très fréquents, parfois au premier plan, lorsque la
démentalisation abrase la clinique mentale, ce qui est le cas de la majorité des dépres-
sions depuis quelques décennies. Ce sont essentiellement des troubles spasmodiques, un
ralentissement du péristaltisme et des désordres sécrétoires.
Hypocondrie et symptômes digestifs
La référence digestive de l’hypocondrie apparaît dès l’apparition du terme, au ive siècle
av. J.-C., sous le stylet de Dioscles de Caryste, en tant qu’entité morbide spécifique diffé-
rente de la mélancolie. Toutes deux sont attribuées à un excès et une stagnation de bile
noire. Hippocrate puis Galien considèrent l’hypocondrie comme une entité morbide
alliant une atteinte viscérale spécifique (initialement douleur située au niveau de l’hypo-
chondre droit) à une atteinte psychique faite de tristesse et d’une crainte durables.
466
Psychosomatique et gastroentérologie
Synthèse
Émotions de base Vécu affectif
Colère Peur Tristesse Dégoût Anxiété Dépression
Asialie + +
Hypersialorrhée + + +
Nausées ++ + +
Dysphagie + ++ + +
« Boule » à la gorge + + +
RGO + +
« Nœud » à l’estomac + + + + + +
Gastralgie + + + +
Diarrhée + +
Constipation +
HYPOCONDRIE PHOBIE
Enveloppe corporelle
3. PATHOLOGIES GASTRO-ŒSOPHAGIENNES
3-1. Reflux gastro-œsophagien
À l’état de repos, la fermeture du sphincter inférieur de l’œsophage et la haute pression
de la partie inférieure de celui-ci, liée à la contraction tonique des muscles lisses de la paroi
et de celle du diaphragme crural, évitent le reflux du contenu de l’estomac. Ces phéno-
mènes sont sous la dépendance du tonus parasympathique. Des relaxations spontanées
467
Traité de médecine psychosomatique
de ces structures musculaires sous l’effet d’une baisse du tonus parasympathique ou d’une
stimulation orthosympatique peuvent induire un reflux gastro-œsophagien (RGO).
Celui-ci se manifeste de diverses façons : brûlures rétro-sternales, pyrosis, régurgita-
tions acides, œsophagite, douleurs épigastriques ou thoraciques, toux. Des complications
pharyngées, gingivales ou respiratoires peuvent apparaître.
Étude personnelle
Étude de 2010 : 9 observations.
Les facteurs traumatiques résident en des situations anxiogènes, insécurisantes, sans
issue apparente, dans lesquelles on retrouve souvent la conjonction de difficultés profes-
sionnelles et privées.
Le vécu, sous-tendu par une conflictualité évidente chez les sujets mentalisés, est celui
d’une lutte hyposthénique et résignée se limitant à une certaine forme de rumination.
L’état affectif composite que l’on repère est de type anxiodépressif.
Chez les sujets plus opératoires, les symptômes ne font l’objet d’aucune qualification
et il est difficile pour eux de les mettre en relation avec un état affectif spécifique, si ce
n’est un état de tension généré par la situation traumatique.
Hugo présente un RGO depuis un accident de moto qui lui a laissé des séquelles
douloureuses. Des difficultés financières plus récentes ont aggravé la pathologie. La limita-
tion de l’activité motrice et les dettes qu’il a contractées génèrent chez lui une tension
résignée et des troubles du sommeil. Il n’existe pas d’expression affective particulière et
les représentations se limitent à une pensée opératoire et une interprétation mécanique
de ses difficultés.
Alban, 44 ans, présente un RGO depuis deux ans et demi, dans un contexte d’ins-
tance de divorce et de difficultés d’adaptation à son nouveau poste de travail. Face à
l’agression et aux exigences des autres, il s’incline, se soumet, se remet en question, et
finit par adhérer aux demandes. Sa passivité foncière est en relation avec une agressivité
phallique tellement coupable qu’elle s’en est éteinte.
3-2. Symptômes gastriques
Étude de 2010 : 48 observations.
J’ai distingué quatre niveaux symptomatiques selon la nature du ressenti et de l’atteinte
fonctionnelle : la sensation de striction gastrique, la gastralgie, la sensation de brûlure, la
gastrite.
La striction gastrique
Elle est exprimée par le patient en termes de « boule », « nœud » ou « creux » à l’estomac.
Au niveau des émotions de base, la répression de l’agressivité, la peur, la tristesse jouent
un rôle central.
Les vécus affectifs composites se répartissent ainsi :
––anxiété : 60%. L’inhibition névrotique est fréquente ;
––anxiodépression : 25%
––dépression : 15%.
Marjorie, 22 ans, se plaint d’un « nœud à l’estomac » permanent. Elle consulte suite
à la rupture d’une relation de quatre ans, difficile et peu satisfaisante. Elle se sent très
468
Psychosomatique et gastroentérologie
culpabilisée de sortir avec d’autres hommes et décrit une tension interne majeure, un
état d’inquiétude et de malaise latent. L’inhibition se manifestait déjà dans l’enfance où
elle s’interdisait de jouer pour ne pas laisser sa mère aux prises avec son père qui était
violent.
Gastralgie
Elle est exprimée par le patient en termes de douleur ou de « crampe » à l’estomac.
On retrouve à peu près les mêmes déterminants que ceux du « nœud à l’estomac »,
mais la symptomatologie paraît plus sthénique, témoignant d’une plus forte intensité de
la répression, plus particulièrement de l’agressivité. L’inhibition névrotique est plus rare.
Les émotions composites qui sous-tendent la pathologie se répartissent ainsi :
––angoisse : 62%
––anxiodépression : 25%
––dépression : 12,5%.
Béatrice présentait des douleurs gastriques depuis cinq mois, aggravées par les
repas, ayant progressivement abouti à une intolérance alimentaire progressive et une
perte de poids de 10 kg. La première endoscopie révéla une mycose gastro-œsophagienne
qui fut traitée par antimycosiques. La mycose disparut mais les douleurs persistèrent. Une
deuxième endoscopie fut alors réalisée deux mois après, révélant l’existence de polypes
au niveau de l’estomac et de l’œsophage, polypes dont l’ablation fut réalisée lors de
l’examen. Un mois après, les douleurs persistaient toujours et il fut évoqué la probabi-
lité d’adhérences ou d’une « boule de graisse entre l’estomac et le foie ». L’investigation
psychosomatique révéla un vécu de colère et de tristesse réprimées, en relation avec la
trahison de son conjoint il y a cinq mois, conjoint à l’égard duquel elle continuait d’entre-
tenir une relation de dépendance masochiste majeure. Un traitement transitoire par
sulpiride et quelques entretiens psychothérapiques vinrent rapidement à bout de ses
symptômes.
Brûlures d’estomac
Les émotions composites se répartissent ainsi :
––angoisse : 12%
––anxiodépression : 76%
––dépression : 12%.
L’élément dépressif est aussi important que l’élément anxieux. La tristesse joue un rôle
aussi important que la répression de l’agressivité.
Nora présente des brûlures d’estomac depuis deux ans, date de la séparation d’avec
son mari. Depuis un an, le harcèlement de celui-ci, les diverses perturbations induites par
son divorce houleux, la culpabilité d’avoir entamé une nouvelle relation, génèrent un état
dépressivo-anxieux.
Gastrite
Les vécus affectifs composites sont les suivants :
––anxiodépression : 66%
––dépression : 33%.
La dépression devient centrale, l’agressivité non extériorisée se retourne contre le sujet.
469
Traité de médecine psychosomatique
Lucienne, 67 ans, souffre d’une gastrite depuis dix ans, date du décès de son mari.
Pessimisme, préoccupations hypocondriaques, éléments mélancoliques, sentiment diffus
de précarité et d’échec, rancœur peu exprimée à l’égard de sa fille qui vit avec elle dans
une relation symbiotique et ambivalente et souffre des mêmes symptômes.
Synthèse
La composante motrice semble dominer dans la lutte, la composante sécrétoire dans
la défaite.
Anxiété Anxio-dépression Dépression
100
80
60
40
20
0
Striction, gastralgie Brûlures, gastrite
LUTTE DÉFAITE
3-3. Nausées et vomissements
Étude de 2010 : 15 observations.
Les patients que nous avons sélectionnés présentent des nausées, associées à des
vomissements dans 50% des cas, le plus souvent sans autre signe digestif associé.
La pathologie est en relation soit avec un vécu dépressif ou dépressivo-anxieux (50%
des cas), soit avec une organisation psychique névrotique (50% des cas).
Lorsque la dynamique est de type dépressif ou dépressivo-anxieux, l’inhibition prédo-
mine sur la tristesse dans 80% des cas. Cette inhibition se manifeste par un retrait, un repli
sur soi, un désintérêt, un désinvestissement, une inappétence instinctivo-pulsionnelle.
L’émotion dégoût sous-tend la pathologie.
470
Psychosomatique et gastroentérologie
Lorsque l’organisation psychique sous-tend la pathologie, elle est soit de type phobique
(37%,) soit caractérisée par une inhibition névrotique (13%). Les sujets sont en général
plus jeunes (de 15 à 35 ans).
Lorsque la problématique phobique domine, les symptômes sont francs : nausées et
vomissements apparaissant uniquement en présence de l’objet phobogène : travail, école,
groupe social, lieux publics. Les mécanismes de défense sont de l’ordre de l’évitement ou
du rejet actif de l’objet.
Sophie, 36 ans, présente des nausées depuis l’âge de 15 ans, dans les suites de
son premier flirt. Ce phénomène apparaît principalement lorsqu’elle doit se mettre en
avant. On peut noter une période d’accalmie à l’université pendant qu’elle fréquentait
son fiancé qu’elle devait épouser. Actuellement, elle est enseignante et a entamé paral-
lèlement des études de médecine qu’elle vit comme un calvaire, souffrant de nausées
pendant les cours. Elle souffre aussi de claustrophobie et d’agoraphobie. Elle pleure et
a des nausées chaque fois qu’elle doit parler en public. Elle a développé récemment une
peur que ses nausées se voient et met fréquemment en place des attitudes d’évitement
lors des déplacements, des obligations sociales (aller chez le coiffeur, prendre la parole en
réunion, etc.).
Lorsque l’inhibition névrotique prédomine, les circonstances de déclenchement sont
moins précises, relativement indépendantes du contexte, mais plutôt en relation avec
une appréhension générale du monde extérieur. Les symptômes sont plus étalés dans le
temps et moins intenses : état nauséeux sans vomissement. Le désinvestissement ou la
fuite de l’objet constituent les modalités défensives prévalentes.
Capucine présente des nausées depuis qu’une amie lui a révélé avoir été victime
de sévices sexuels. Des réminiscences brutales ont alors surgi : les propres assauts sexuels
que lui avait imposés son grand-père entre 8 et 12 ans, les douleurs abdominales dont
elle souffrait durant ces années-là, et l’événement qui mit un terme à ces pratiques :
révélation par le grand-père en question que son fils, c’est-à-dire le père de Capucine,
n’était pas son géniteur. Le dernier assaut qui s’ensuivit généra chez Capucine un état de
démentalisation traumatique. Elle souffrait depuis toujours de frigidité totale : l’image du
grand-père apparaissait lors des relations sexuelles, mais totalement neutralisée, le souve-
nir des agressions ayant disparu. La confidence de son amie eut un effet rementalisant
subit mais parcellaire : elle se mit alors à rêver du grand-père, fut en proie à des hallucina-
tions olfactives qui la réveillèrent la nuit et c’est ainsi que les nausées s’installèrent.
Il s’agit encore une fois, du point de vue des émotions de base, de manifestations
sous-tendues par le dégoût. Par ailleurs, dans les deux groupes, l’agressivité extériorisée
est absente.
Une place à part doit être faite aux vomissements gravidiques. Ils débutent soit dès
le début de la grossesse, soit de manière différée. Certaines de nos patientes ont vomi
lorsqu’elles ont appris leur état de grossesse, d’autres avant de le savoir, d’autres de
manière plus tardive.
L’angoisse est constante, peu mentalisée, accompagnée dans un tiers des cas d’autres
manifestations somatiques : douleurs abdominales, vertiges, oppression thoracique. L’agita-
tion se retrouve dans 15% des cas, essentiellement chez des patientes d’origine maghrébine.
471
Traité de médecine psychosomatique
La relation à l’objet semble être au centre de la pathologie. Elle est de type allergique,
traduisant au départ un rejet inconscient de la grossesse. Dans ce contexte, des manifes-
tations phobiques peuvent apparaître. Des éléments conversionnels sont relevés dans
15% des cas.
Des éléments dépressifs avec céphalées fréquentes se retrouvent aussi dans 15% des
cas.
3-4. Ulcère gastroduodénal
La découverte il y a une vingtaine d’années du rôle d’Helicobacter pylori dans la genèse
des ulcères et le traitement de ceux-ci par l’antibiothérapie ont permis de juguler avec
succès cette pathologie qui constituait la cible de choix des études en psychosomatique.
De fait, nos études personnelles, faute de patients, sont très limitées. Faut-il s’en attrister ?
Certainement pas. Le but de la médecine, fût-elle psychosomatique, est la guérison des
patients. J’ai donc réuni seulement sept observations d’ulcère gastroduodénal qui ont
permis d’avancer ou de confirmer certains déterminants dans la genèse de la pathologie.
Les traumatismes sont à type de perte, de dépossession (décès, échec professionnel,
perte de liberté, etc.). L’agressivité est réprimée et retournée contre le sujet. La tristesse
est fréquente mais non systématique, car elle est aussi largement réprimée. La peur et le
dégoût n’entrent pas en jeu. C’est une défaite acceptée passivement.
L’ulcère gastroduodénal figure parmi les quatre réactions somatiques les plus
fréquentes qui apparaissent dans les suites du sevrage d’une addiction, les autres étant
les pathologies allergiques, l’épilepsie et le psoriasis (Pirlot, Le trauma psychique « pré-psy-
chique » et les pathologies somatiques post-abstinence). Il apparaît en moyenne trois mois
après le sevrage.
L’efficacité du traitement antibiotique de l’ulcère n’exclut en rien les facteurs et la réacti-
vité traumatiques, pas plus que la nécessité d’un abord psychosomatique du patient lors
de l’apparition de sa pathologie, du simple fait que le désordre économique induit par
les facteurs traumatiques n’en disparaît pas pour autant avec le traitement, par ailleurs
nécessaire. Il semblerait qu’il se déplace. Je citerai, entre autres, le cas d’une patiente qui
dès la disparition de son ulcère, sous l’effet du traitement, prit progressivement 13 kg en
cinq mois sans changer son mode d’alimentation.
Dans la majorité des cas, les symptômes évoluent sur un mode intermittent avec des
périodes de crise, déclenchées parfois par des facteurs apparents d’ordre psychologique
(tensions affectives), professionnel ou social.
La pression des malades amène ici le médecin à demander trop souvent des examens
complémentaires non justifiés, débouchant sur des pathologies latentes mais conduisant
aussi à des thérapeutiques inutiles et inadaptées (cholécystectomies, appendicectomies,
interventions gynécologiques, etc.) multipliant les risques iatrogènes, ne solutionnant
pas les troubles, parfois les aggravant.
La pathogénie centrale des TFI est classiquement rapportée à l’existence de troubles
moteurs coliques le plus souvent d’origine spasmodique, de troubles de la sécrétion
colique et de la sensibilité viscérale. La responsabilité de troubles intestinaux au niveau
du grêle a été également suggérée.
La question du régime est une des premières que pose le patient. Le rôle des intolé-
rances alimentaires est extrêmement difficile à évaluer. Généralement, mise à part l’exclu-
sion de nutriments trop fermentescibles (légumes secs, crucifères), aucun régime ne doit
être recommandé à ces patients qui ont spontanément tendance à se restreindre en
aliments « ballast ».
L’étude personnelle qui suit a été réalisée en 2010 à partir 93 observations de troubles
fonctionnels intestinaux. J’ai choisi de scinder les tableaux cliniques en trois regroupe-
ments : constipation fonctionnelle exclusive, diarrhée fonctionnelle exclusive, colopathie
spasmodique dans laquelle coexistent douleurs, ballonnements et troubles du transit
variables.
4-2. Constipation fonctionnelle
Étude à partir de 12 observations.
L’analyse des observations met en avant une symptomatologie et une problématique
différente entre les hommes (4 cas) et les femmes (8 cas). Dans 38% des cas, la constipa-
tion s’est installée dans l’enfance.
Constipation chez l’homme
Il s’agit d’une constipation atonique. Dans la moitié des cas, la pathologie est apparue à
l’âge adulte, au décours d’événements traumatiques. Chez les autres sujets, la pathologie
existait dans l’enfance et les événements traumatiques survenus à l’âge adulte n’ont fait
que l’aggraver.
Ces événements sont des pertes.
L’état dépressif est constant.
Du point de vue du fonctionnement psychique, on repère des traits de caractère
obsessionnels psychasthéniques. Les défenses à type de contrôle et de maîtrise semblent
déficitaires ou en échec.
Il existe une angoisse structurale de séparation.
Jean, âgé de 63 ans, a toujours eu une tendance à la constipation et a déjà souffert
de deux dépressions (première dépression il y a quatorze ans, suite à un déboire profes-
sionnel ; deuxième dépression lors de sa mise en retraite). Il présente, à nouveau, un état
dépressif depuis la perte de son chien. Cet animal avait été adopté lors de sa première
dépression. À la mort de ce compagnon, se mit en place une constipation atonique qui
474
Psychosomatique et gastroentérologie
provoqua un fécalome suivi d’une fissure anale qui persiste toujours. Il manifeste une
profonde tristesse et a toujours fait preuve d’une hypersensibilité. Il présente également
des traits hypocondriaques et abandonniques. Son discours est coloré d’affects, les
souvenirs et les représentations sont riches. Les traits de caractère obsessionnels sont
atoniques, induits par l’analité et la dimension psychasthénique : ruminations, procras-
tination, doute, inhibition instinctivo-pulsionnelle. La dimension sthénique de maîtrise
est absente.
Constipation chez la femme
Il s’agit soit de constipation chronique isolée avec antécédent de constipation infan-
tile (40% des cas), soit de périodes de constipation sur colopathie spasmodique (5 cas).
Dans la moitié des cas, il existe d’autres pathologies somatiques associées : pathologies de
la répression (syndromes douloureux, céphalées) ou bien autres pathologies pelviennes
(infections urinaires).
Les facteurs traumatiques sont souvent en relation avec les aléas de la vie génitale.
La démentalisation est beaucoup plus importante que chez les hommes et, dans les
cas où il existe d’autres pathologies associées, la répression de l’agressivité est intense.
L’anxiété isolée (65%) est plus fréquente que l’anxiodépression (35%), la dimension
sthénique de lutte plus importante que chez l’homme.
L’angoisse ou le vécu de castration apparaissent comme des déterminants constants.
Elle peut prendre deux formes, soit une angoisse d’intrusion (pénétration), soit une
angoisse de mutilation.
L’angoisse de pénétration et d’intrusion se retrouve dans 37% des cas. Dans ces derniers
cas, le regard du père joue un rôle central. L’analité n’est pas au premier plan. Le fonction-
nement est plutôt de type phobique. L’affect est exprimé.
Bérangère, 36 ans, présente des douleurs abdominales et une constipation impor-
tante aggravée depuis la naissance de son deuxième enfant il y a trois ans. L’accouchement,
par forceps, lui avait laissé l’impression d’être mutilée. Cette constipation chronique est
également augmentée lorsqu’elle est confrontée à un événement stressant ou lorsqu’elle
a ses règles. Elle est tendue, angoissée, et pleure souvent, surtout depuis le décès de son
père il y a un an. Sur le plan économique, on ne note pas de répression de l’agressivité, le
discours de cette patiente est bien mentalisé. Elle évoque ses rêves, ses souvenirs, et ses
associations sont fluides. Elle paraît évoluer dans une dynamique de lutte sans mettre
pour autant en place des mécanismes de contrôle. On ne note pas chez elle de fixation
anale et elle investira bien le travail psychothérapique. Sur le plan psychique, il existe
une forte angoisse de castration et d’intrusion qui sous-tend toute la problématique.
Cette angoisse apparaît tôt dans l’enfance, enfance où les symptômes de constipation
étaient déjà présents. Elle a grandi dans un milieu violent où le père buvait beaucoup et
se montrait tyrannique avec sa femme et ses filles. À l’âge de 14 ans, elle avait assisté à une
scène particulièrement dure où il s’était coupé la main et avait obligé sa mère à boire son
sang. Il faisait également surveiller ses filles à l’école et avait imposé des relations sexuelles
à la sœur aînée. À l’adolescence, il tenta en vain de réitérer son forfait à l’encontre de
Bérangère. Elle passa donc toute son enfance et son adolescence dans un état de tension
extrême, craignant mais aussi recherchant le regard de ce père dont elle devait se proté-
ger. L’exploration de la fantasmatique sexuelle révèle un fantasme récurrent sadoma-
475
Traité de médecine psychosomatique
80
60
40
20
0
Hommes Femmes
4-3. Diarrhées fonctionnelles
Cette étude a été effectuée à partir de 25 observations. 90% des diarrhées chroniques
sont liées à une colopathie spasmodique.
La pathologie diarrhéique est retrouvée dans l’enfance chez 18% des sujets.
Les facteurs traumatiques sont aspécifiques, mais les désordres relationnels et les
nécessités d’affrontement de nouvelles situations dominent l’ensemble des déterminants.
La mentalisation est variable d’un sujet à l’autre.
Au niveau des émotions de base, la peur constitue le déterminant central (88%). La
répression de l’agressivité est fréquente (52%).
L’anxiété est constante et manifeste dans 100% des cas : angoisse isolée (60%),
anxiodépression (40%).
60
50
Anxiété seule : 60%
40
Anxio-dépression : 40%
30
20 Dépression : 0%
10
0
Vécus affectifs composites
dans les diarrhées
sance génitale génère une régression psychosomatique anale. La fixation point d’appel
de cette régression se retrouve dans l’enfance. Non seulement l’argent occupait une place
centrale au sein de la communication familiale mais le fait d’aller aux toilettes était source
d’angoisse : elle refusait de s’y rendre par peur de rester enfermée ou que quelqu’un
ouvre la porte. Elle se retenait donc toute la journée (érogénéité masochiste). Si dans
le fantasme, le comportement sadique de l’autre génère de l’excitation, dans la réalité
ce dernier apparaît volontiers comme persécuteur. Dans l’enfance, le monde extérieur
était vécu comme menaçant et elle était collée à sa mère tout en ne supportant pas
son emprise. D’ailleurs, au moment où elle constata une amélioration des diarrhées, elle
décida d’arrêter la psychothérapie.
Conclusions
La relation à l’objet extérieur est centrale dans le déclenchement des diarrhées
émotionnelles. La peur de l’objet apparaît soit sous forme directe et univoque (équiva-
lent phobique), soit comme pôle d’un conflit plus ou moins conscient dans lequel la
répression de l’agressivité joue un rôle déterminant. La diarrhée s’inscrit secondairement
en tant que mécanisme d’évitement.
La diarrhée absorbe l’ensemble de la réactivité psychosomatique, les autres manifes-
tations d’angoisse somatique étant rares. Elle apparaît comme une réaction trophique
d’un point de vue de l’économie psychosomatique : absorption et décharge immédiate
de l’excitation.
Les éléments projectifs que l’on rencontre dans les diarrhées chroniques de certains
sujets sont résolutifs de l’angoisse phobique ou de l’accumulation de la tension agressive.
Chez les hommes, ils sont l’inverse des mécanismes d’introjection-rétention de l’objet
qui caractérisent les dépressions des constipés. Le parallélisme entre les mécanismes de
défense psychiques et somatiques est ici particulièrement intéressant.
Chez les femmes présentant des diarrhées chroniques, on repère l’existence de fixations
psychosomatiques érogènes anales en relation avec des représentations cloacales et
l’angoisse de castration.
Hommes Femmes
16
14
12 4 -6 ans
10
7-10 ans
8
6 11-13 ans
4
2
0
Douleurs abdominales
482
Psychosomatique et gastroentérologie
Le désordre économique
Le dénominateur commun des vécus traumatiques est l’angoisse. Elle peut être isolée
(61% des cas) ou associée à des éléments dépressifs (33% des cas). La dépression isolée
est rare (4% des cas).
70
60
50 Angoisse isolée : 61%
40 Anxio-dépression : 31%
30
Dépression isolée : 4%
20
10
0
Déterminants de l’angoisse
L’angoisse est en relation avec un excès d’excitation dans un contexte de conflictualité.
Lorsque l’angoisse fait l’objet de formations défensives, les manifestations psychiques
sont intriquées avec les désordres digestifs.
Les formations défensives génèrent un fonctionnement général dans lequel domine
la crainte de l’engagement et la peur de la perte, donnant une impression d’immobi-
lisation anxieuse, toute velléité d’aller de l’avant étant inhibée par la peur d’y perdre
quelque chose. On peut repérer ici une relation de similarité au niveau de la motricité
colique, comme si le péristaltisme fonctionnait sur le même mode d’avance et de recul.
Ces « oscillations conflictuelles » par rapport à l’objet se retrouvent clairement dans les
formes accompagnant des névroses obsessionnelles bien mentalisées (18%).
La fixation sur les symptômes somatiques est presque constante. Des préoccupations
hypocondriaques franches se retrouvent dans 30% des cas.
angoisse de mort. On repère chez elle une angoisse de castration manifeste (antécédent
de dépression postnatale). De ses enfants, elle dira : « Je les aime quand ils sont encore
rattachés à moi, pour remplir le creux. » Dans son enfance, elle était aussi très inhibée,
évitant toute forme d’affrontement avec le monde extérieur. La mère était assez despo-
tique, très rigide sur le plan du dressage. Elle garde un souvenir vif et douloureux des
séances obligatoires sur le pot où elle raidissait ses jambes pour ne pas y aller.
Charline souffre de douleurs abdominales avec nausées et diarrhées si elle est loin
de chez elle. Elle se définit elle-même comme une personne très angoissée, particulière-
ment inquiète dès que ses enfants quittent la maison. Sur le plan économique, on peut
noter une répression de l’agressivité vis-à-vis de son compagnon actuel, dont elle redoute
les velléités sexuelles. Il existe chez elle des éléments phobiques ainsi qu’une importante
angoisse de séparation.
Didier souffre d’un diabète insulinodépendant apparu à l’âge de 32 ans. Cette
pathologie coïncide avec l’annonce de sa mutation professionnelle à l’étranger. Il présente
depuis une colopathie spasmodique qu’il met sur le compte de son appréhension des
hypoglycémies. Sa peur des malaises l’a incité à renoncer à toute activité hédonique en
dehors de chez lui : cinéma, sorties. Les défenses obsessionnelles sont manifestes : perfec-
tionnisme, ruminations, peur de s’engager, comportements rituels.
induits, évacuant ainsi une quantité importante d’excitation. Ces sujets, sauf lorsque la
maîtrise est en échec, présentent peu de manifestations somatiques.
Le fonctionnement des sujets présentant une névrose obsessionnelle est, quant à lui,
hyposthénique, et ceci du fait de l’inhibition induite par les formations psychasthéniques.
Celles-ci sont l’expression d’un surmoi œdipien particulièrement tyrannique contre toute
expression instinctivo-pulsionnelle, favorisant du même coup l’expression de la forma-
tion réactionnelle. Les sujets sont englués dans une conflictualité permanente qui n’a
pas trouvé d’issue dans les TOC, ou la maîtrise et le contrôle de l’objet. D’où l’importance
des symptômes tels que rumination, procrastination, érotisation de la pensée, crainte de
l’engagement et de l’action. Lorsque ces processus psychiques défensifs deviennent insuf-
fisamment opérants, l’angoisse apparaît. Comme, par ailleurs, l’action, le comportement,
la décharge motrice des émotions font, du fait de leur nature instinctivo-pulsionnelle,
partie des choses que le sujet redoute le plus, les voies psychiques et comportementales
sont obstruées et la porte est ouverte à l’expression somatique.
Cible idéale, à la fois cible phylogénétique et ontogénétique de l’angoisse, cible privilé-
giée d’un péristaltisme indécis et oscillant, cible anale par excellence, le colon constitue la
somatisation privilégiée de l’obsessionnel hyposthénique.
André présente un fonctionnement obsessionnel manifeste caractérisé à la fois
par la fixation anale (maîtrise et érotisation de la pensée, rumination, rétention des
émotions, évitement acharné de toute perte, choix impossibles) et des manifestations
psychasthéniques (procrastination, remises en question, conduites imprécises, doutes,
indécision, peur pulsionnelle majeure, inhibition sexuelle et agressive). Il souffre de
colopathie spasmodique avec sensation de pesanteur, douleurs abdominales, alternance
diarrhée/constipation. Il existe une concomitance (et non une alternance) entre l’inten-
sification des symptômes psychiques et les manifestations intestinales. Les oscillations
rétention/expulsion, avancée/recul, s’expriment aussi bien au niveau du fonctionnement
psychique que du péristaltisme. À telle enseigne que les rares fois où il décide, après de
longs mois de procrastination, de s’évader quelque peu au travers d’un voyage, tout dispa-
raît, symptômes psychiques et symptômes somatiques. Par ailleurs, lorsqu’il s’autorise
un quantum d’expression émotionnelle, ou bien dès qu’il bouge, pas trop mais suffisam-
ment, il va mieux. La psychothérapie permit de mettre au jour l’ensemble des détermi-
nants de sa pathologie. Ses capacités d’introspection étaient parfaites, il comprenait tout,
mais il n’allait pas mieux. La pensée s’érotisait de plus en plus avec le travail analytique.
Les émotions étaient contenues, les comportements toujours verrouillés. La relation
transférentielle était semblable à celle d’une mer d’huile. Pas de vague. À peine arrivait-il
systématiquement en retard aux séances, ce qui est une règle d’or chez de nombreux
obsessionnels.
Avec ce patient et avec d’autres qui lui ressemblaient, je réalisais progressivement que
le travail strictement psychanalytique est insuffisant dans les névroses obsessionnelles.
Le théâtre sur lequel on joue est celui de la pensée érotisée bien que parfois désaffectée.
L’économie psychosomatique s’en trouve figée.
S’il existe un travail psychanalytique opérant, c’est bien un travail aménagé, un
travail de reliaison, non pas dans le sens d’une élaboration psychique à partir des
sources de la pulsion, mais un travail en sens inverse, travail de restauration du système
486
Psychosomatique et gastroentérologie
PENSÉE
rationnelle
érotisée
AFFECT contrôlé
e COMPORTEMENT
réprimé
ÉMOTION
verrouillée
COLOPATHIE
Procrastination intestinale
Observations
Dans un contexte de divorce et de soucis professionnels, Cédric a développé une
hypertension artérielle. Un mois après, il apprend la tentative de suicide de sa mère qui
avait effectué des dépenses excessives dans le dos du père. Notre patient s’efforcera
pendant un mois de faire les démarches nécessaires pour réparer les agissements de sa
mère. Ses tentatives de contacts auprès d’une société de rachat échoueront. C’est dans ce
487
Traité de médecine psychosomatique
contexte qu’apparaîtra, un mois après l’événement, une RCUH avec diarrhées sanglantes,
pathologie qui mettra un terme immédiat à l’hypertension artérielle.
Le patient se présente comme très démentalisé et les formations défensives contre la
castration sont des défenses de caractère. Il existe une répression majeure de l’agressi-
vité. Celle-ci, qui avait généré dans un premier temps une hypertension artérielle, attaque
maintenant, depuis les événements familiaux, la muqueuse intestinale. Ce déplacement
n’est pas étranger à la nature du vécu traumatique : la tentative de suicide de la mère est
en rapport avec des problèmes d’argent et la réponse du fils passe par l’argent, mobili-
sateur de l’analité. La fixation psychosomatique anale, point d’appel de la régression, se
repère à différents niveaux. Le patient mentionne le rituel parental qui consiste à s’intro-
duire un suppositoire de glycérine tous les soirs. Après la phase de difficultés financières,
les deux parents ont eu une crise hémorroïdaire et ont demandé au patient de regarder
leur anus (« …de mettre mon nez dedans »). Enfin, jusqu’à l’âge de 7 ans, la mère vérifiait
régulièrement l’état de son anus et le lui nettoyait quotidiennement.
On repère ici les deux composantes de la fixation : fixation psychique à type de maîtrise
et de contrôle, à point de départ identificatoire (ruminations permanentes, besoin de tout
gérer), et la composante somatique érogène de la fixation (les soins au niveau de la sphère
anale, des formules particulières : « Si j’entends le terme “enculé”, je me retourne ! »). En
l’absence de cette composante somatique, le patient aurait développé une névrose
obsessionnelle. La somatisation est liée à deux facteurs : le désordre économique lié à la
répression de l’agressivité et la nature psychosomatique de la fixation.
La dimension régressive du processus (retour à une fixation antérieure) est poten-
tialisée, si ce n’est déclenchée, d’un point de vue diachronique, par les événements qui
réactivent le complexe œdipien (lors des transactions, tout se négocie en dehors du
père). On repère d’ailleurs d’autres éléments qui le confirment : relations tendues avec le
patron, propos explicites durant la séance (« J’ai envie de tuer mon père ») ou lors de la
deuxième rencontre (« Comment allez-vous ? »). L’angoisse de castration ne s’origine pas
uniquement dans la relation au père, le patient étant aussi castré par la mère (celle-ci lui
imposait ainsi qu’à son père d’uriner assis).
La pathologie digestive de Cécile a commencé à se manifester il y a vingt-quatre
ans, peu après son mariage, par des douleurs abdominales. Ces douleurs sont apparues
dans le cadre d’un contexte professionnel de tension, puisqu’elle et son mari sont allés
travailler dans le restaurant du père de notre patiente et que, selon ses propres dires,
elle se sentait « coincée entre son père et son mari » qui ne s’entendaient pas. Deux ans
plus tard, du sang apparut dans les selles, mais ce ne fut que quelques années après que
fut diagnostiquée une rectocolite ulcérohémorragique. Une première période d’accal-
mie s’installa, contemporaine d’un désengagement du couple dans l’affaire du père, du
recouvrement d’une activité professionnelle extérieure au milieu familial. Les troubles
cessèrent durant trois ans mais une mise au placard soudaine généra une rechute
majeure. Dans la même année, le couple contracta une dette importante à l’égard du
père de la patiente pour acheter un nouveau restaurant, une inadéquation conjugale se
mit en place, et le fils cadet entra dans une conduite de délinquance, volant de l’argent
à ses parents. Dans les suites, la patiente entra dans une attitude de contrôle, surveillant
en permanence les activités de son mari et de son fils. Dans ce contexte de maîtrise, la
488
Psychosomatique et gastroentérologie
RCUH s’améliora à nouveau, les symptômes n’apparaissant plus du tout, même lorsque
la patiente fut victime d’un braquage. Ce fut seulement après le procès de ses agresseurs,
deux ans plus tard, que la RCUH rechuta de manière importante, contemporaine d’un
vécu de peur et d’une impression de perte totale de contrôle.
Les apparitions de la pathologie semblent donc être en relation avec des vécus où l’acti-
vité de maîtrise est mise en échec (vécu de dévalorisation professionnelle ou de peur),
générant ainsi une répression de l’agressivité et un état de démentalisation. Les situa-
tions traumatiques, tant sur le plan conjugal, familial que professionnel, sont évoquées
et décrites par la patiente, mais vidées de l’affect qui devrait venir colorer le discours.
À l’inverse, les améliorations de la RCUH semblent être en relation avec une activité de
maîtrise efficace ou lors des périodes au cours desquelles la patiente a pu se décentrer du
milieu familial.
Notons également que l’argent joue encore un rôle non négligeable dans la dynamique
relationnelle de la famille (fils qui vole de l’argent à ses parents, mari qui emprunte de
l’argent au beau-père, patiente qui ne peut pas supporter de devoir cet argent à son
père). Au niveau des fixations psychosomatiques, la patiente ne livre qu’un seul élément
concernant son enfance : vers l’âge de 8 ans, elle associait le fait d’aller aux toilettes à un
sentiment de peur. Peur de se faire agresser ou d’être surveillée. Son père était impliqué
dans des activités politiques, surveillé, et elle-même était suivie lorsqu’elle allait à l’école.
On repère également une expression langagière : « La peur me fait serrer les fesses. » Il
pourrait donc s’agir d’une fixation psychosomatique anale liée à la peur et réactivée par
des contextes de perte de maîtrise.
Florence a déclenché une rectocolite ulcérohémorragique, lorsqu’elle a dû laisser
sa fille aînée à ses beaux-parents, avec qui elle ne s’entendait pas, pour pouvoir reprendre
son travail après sa seconde grossesse. « Ils se sont accaparés ma fille aînée ! » Ce vécu
de castration et de dépossession est venu se surajouter à un contexte de mésentente
conjugale, le mari vivant sa vie et échappant à son contrôle. Sur le plan économique,
on peut noter une certaine répression de l’agressivité dans un contexte de vécu d’abdi-
cation. Au niveau du fonctionnement psychique de cette patiente, il a été repéré des
éléments obsessionnels et masochistes nets. Enfin, il existe ici aussi une immersion dans
l’intimité parentale avec des velléités de contrôle puisque, durant son adolescence, cette
patiente a pris l’initiative d’aller demander le divorce pour sa mère car elle trouvait son
père méchant avec celle-ci.
Paloma consulte pour une infertilité due à une endométriose. Divorcée une
première fois, elle est actuellement mariée à son ex-beau-frère mais a néanmoins conservé
son nom de jeune fille.
Elle souffre d’une RCUH évoluant par poussées. La première apparition a eu lieu lors
de son premier mariage, la seconde, au moment de son divorce et de son installation avec
son ex-beau-frère, la troisième, qui a duré un an, juste après une fausse-couche. Ces trois
événements sont évoqués sans affect. Ces vécus de castration et de perte de maîtrise au
niveau de sa vie sexuelle et affective ont systématiquement déclenché les poussées de
la RCUH. Nous n’avons pas d’élément sur d’éventuelles fixations psychosomatiques. Elle
se montre très fixée sur son problème d’infertilité et n’évoque que celui-ci. Cependant,
peut-être faut-il souligner qu’actuellement, et ce depuis qu’elle a commencé sa PMA, elle
489
Traité de médecine psychosomatique
Résultats de l’étude
Mon étude a été effectuée à partir de 11 cas de RCUH.
Facteurs traumatiques
Ce sont des événements ou des situations mettant à mal l’activité de maîtrise, mobili-
sant une réaction de lutte de courte durée (quelques jours à un mois maximum), carac-
térisée soit par une répression de l’agressivité, soit par l’inefficacité de l’expression de
l’agressivité (obstacle), aboutissant à une abdication accompagnée de démentalisation.
La RCUH atteste d’un vécu de défaite. L’agressivité désinvestit l’objet pour se fixer sur la
cible.
Sémiologie psychosomatique
Dans les suites du traumatisme, l’état de démentalisation s’instaure : absence de souve-
nirs oniriques, affect pauvre, peu exprimé, si ce n’est absent. Les représentations ne font
pas l’objet d’une répression mais elles sont neutralisées. Cette désaffectation accompagne
les poussées de la maladie et peut s’atténuer lors des périodes de rémission. Le déni du
cofacteur psychique est fréquent.
L’organisation psychique évoque une névrose de comportement (importance de l’agir,
surtout chez les femmes), qui n’exclut en rien de possibles réactions de caractère, mais de
toute façon insuffisantes à endiguer les variations de l’excitation.
Évolutivité
Les poussées évolutives sont concomitantes de vécus traumatiques aisément
repérables dont le déterminisme est identique à celui du déclenchement, hormis la phase
prémorbide de lutte qui est absente.
Les améliorations surgissent lorsque l’obstacle se lève, lorsque la maîtrise est réelle-
ment ou potentiellement efficace, lorsque les investissements se déplacent.
490
Psychosomatique et gastroentérologie
Conclusion
La RCUH apparaît lors de vécus traumatiques au cours desquels l’agressivité du sujet est
réprimée. L’échec, la défaite, le plus souvent rapides, génèrent un état de démentalisation
induisant l’éclosion de la maladie. Les poussées évolutives seront toujours déclenchées
par des vécus traumatiques similaires aisément repérables, et les phases de rémission,
d’un regain de maîtrise.
On repère une neutralisation des représentations avec déficit de l’affect, ce qui
confirme une fois de plus mon hypothèse que la répression de l’affect conditionne les
processus inflammatoires.
Le désordre économique va générer une régression au niveau d’une fixation
psychosomatique anale préalable. L’existence d’une seule fixation psychique ne peut
déterminer la pathologie.
Des formations psychiques inconscientes variables peuvent intervenir pour poten-
tialiser ce mouvement régressif : réactivation du complexe œdipien par une proximité
incestuelle, masochisme, échec de la maîtrise chez la femme, homosexualité fantasma-
tique passive chez l’homme.
En aucun cas, les équipes médicales n’ont proposé au patient un suivi psy, et parfois
même celui-ci été déconseillé. Le seul cas qui ait fait l’objet d'une psychothérapie suivie
sur plusieurs mois s’est soldé par une guérison. Un autre patient est venu huit fois, ce
qui s’est soldé par une rémission. Les autres patients ne sont venus qu’à trois séances
maximum.
5-2. Maladie de Crohn
Généralités
Cette affection, identifiée par Crohn en 1932, atteint l’iléon, le colon et la région anale.
La topographie des lésions est beaucoup plus diffuse que celle de la RCUH, bien que
certaines formes n’atteignent que le colon. Elle est fréquente en Amérique du Nord et
Europe du Nord, plus particulièrement en milieu urbain.
L’âge moyen de début est de 27 ans.
492
Psychosomatique et gastroentérologie
Elle se manifeste par des douleurs abdominales à type de crampes, variables dans leur
siège et leur intensité, de la diarrhée, une altération de l’état général d’intensité variable
(asthénie, anorexie, fièvre, perte de poids). L’évolution est émaillée de poussées aiguës et
de phases de rémission.
Certaines complications peuvent survenir : occlusion du grêle, abcès, fistules, fistules
anales.
Des associations morbides peuvent se rencontrer lors des poussées : stéatose hépatique,
lithiase biliaire, rhumatisme périphérique inflammatoire, érythème noueux, iritis.
La pathologie semble liée à des ulcérations aphtoïdes de la muqueuse intestinale.
Différentes causes ont été successivement invoquées sans apporter de preuve formelle :
alimentaires, infectieuses, immunologiques, génétiques.
Étude personnelle
8 observations.
Le désordre économique
On repère systématiquement :
––des variations de l’expression émotionnelle. L’émotion est réprimée lors des poussées.
La peur semble être l’émotion de base la plus fréquente ;
––une répression de l’affect, responsable de l’inflammation ;
––une répression des représentations selon un mode lacunaire diffus. Alors que la
réactivité traumatique est majeure, les représentations en relation avec les vécus
traumatiques paraissent pauvres, très peu élaborées, quasi lacunaires. Cet aspect
lacunaire du préconscient ne semble pas être le seul fait de la répression. Il semble
exister une insuffisance fonctionnelle de ses capacités de liaison.
La mentalisation est de toute évidence déficitaire.
Le fonctionnement psychique
L’organisation et le fonctionnement psychiques paraissent instables.
On a l’impression de sujets perdus, dépassés, tant d’un point de vue de leur identité,
de leur réactivité, de leurs repères interpersonnels, que de leurs relations avec le monde
extérieur (tendance à la désocialisation très fréquente, dans laquelle les conséquences de
la maladie constituent un facteur aggravant).
Le déficit du système représentatif peut être comparé d’un point de vue métaphorique
avec la localisation plus diffuse de l’affection. Les lésions du Crohn sont plus étagées et
plus diffuses que celles de la RCUH, et concernent pour une part la partie la plus centrale
du tube digestif d’un point de vue anatomofonctionnel, partie dont les fonctions ne se
limitent pas à l’élimination mais sont très complexes et plus cryptiques. Si les représenta-
tions que nous avons de la partie haute du tube digestif (oralité) et de la partie basse du
tube (analité) sont très riches, il n’en est pas de même en ce qui concerne les représenta-
tions de la partie intermédiaire. Nous n’avons ni représentation de mots, ni représenta-
tion de choses. Nos représentations personnelles, culturelles et même anthropologiques,
font l’objet d’une lacune, tout comme pour la cellule ou le génome. Par ailleurs, autant
la RCUH comporte un fondement érogène évident, autant celui-ci paraît au second
plan, si ce n’est absent, dans la maladie de Crohn, les zones proximales atteintes étant
dénuées d’érogénéité et se situant, d’un point de vue fonctionnel, dans une dimension
493
Traité de médecine psychosomatique
plus archaïque, plus vitale. Dans l’ensemble des observations, on ne repère pas d’ailleurs
de fixation psychosomatique érogène.
Les relations interpersonnelles
Elles sont marquées par l’ambivalence et la régressivité. L’ambivalence se manifeste par
une intolérance à l’emprise de l’autre mais aussi à la séparation, une incapacité à exister
seul, sauf lors de conduites régressives. La régressivité se repère dans les réactions de
caractère : caractère excessif, non nuancé, immature.
Il semble exister une inertie face aux changements, un vécu d’immuabilité, parfois un
souhait conscient de ne rien changer. La désocialisation, fréquente, se joue dans le registre
de la dépendance et du rejet, et frise parfois la marginalisation.
Spécificités selon le sexe
Chez les femmes, le besoin de maîtrise des objets apparaît plus nettement. L’échec
de la maîtrise induit soit des réactions de caractère et de comportement (impulsivité,
hétéro-agressivité, crises de nerfs), soit des réactions dépressives hostiles, soit une aggra-
vation des désordres somatiques. La symptomatologie est sthénique.
Chez les hommes, la mentalisation semble discrètement plus élaborée, les éléments
dépressifs plus importants. Il existe une coloration hyposthénique, une forme de renon-
cement. Le sentiment de perte d’identité frise la déréalisation.
L’état limite
Cette description synthétique des caractéristiques du fonctionnement du sujet évoque
de toute évidence celui des états limites. États limites dans lesquels les variations ne se
limitent pas seulement au fonctionnement psychique mais aussi au fonctionnement
psychosomatique. États limites dans lesquels la limite avec l’autre est floue, imprégnée
de régressivité, exsangue de repère, imprécise, où se joue tantôt la demande tyrannique,
tantôt la fusion ou l’acceptation, tantôt l’indistinction, tantôt le rejet. États limites dont
on connaît l’émergence et l’extension depuis ces quarante dernières années et le détermi-
nisme en relation avec la discordance des repères tout autant familiaux que sociaux. Il ne
nous semble pas nécessaire d’aller chercher plus loin l’augmentation de la prévalence de
la maladie de Crohn dans les pays occidentaux et les milieux urbains depuis ces dernières
décennies.
Valériane, 40 ans, a développé une maladie de Crohn il y a six mois dans un contexte
de procédure judiciaire qu’elle avait intentée à sa mère, et de dépendance majeure à
l’égard de son amant.
Elle a toujours eu des relations très conflictuelles avec ses parents, avec lesquels elle
a rompu tout lien dans les suites de leur divorce. Lorsqu’elle parle d’eux, aucune colora-
tion affective n’apparaît. À 20 ans, quelque temps après son mariage, elle demande à des
voisins de devenir ses « parents adoptifs ». Elle dira d’eux pendant les consultations : « J’ai
adopté des parents. »
La relation amoureuse est à la fois très investie et source d’angoisse. Cette probléma-
tique de la juste distance est permanente chez Valériane qui décrit une diminution des
symptômes de sa maladie lorsqu’elle arrive à se détacher de son amant.
Angoissée, elle a fréquemment l’impression qu’on la harcèle, la persécute, et elle entre-
tient avec les autres des relations qui sont soit de type anaclitique, soit dans le rejet brutal
et total. Elle dit ne plus vouloir parler d’elle mais étale (se vide) volontiers sa vie.
494
Psychosomatique et gastroentérologie
Elle reviendra trois ans plus tard, dans les suites du décès de celui qu’elle appelle son
« père adopté » (qu’elle ne voyait que très rarement). La maladie de Crohn s’est aggra-
vée, suivie d’une pelade. Suite à cette deuxième poussée de la maladie, elle va arrêter de
travailler et se désocialiser peu à peu, réclamant de l’aide à ses proches et ne voulant plus
rien faire de ses journées. Son seul projet est, à présent, de se mettre en invalidité perma-
nente et d’aller voyager.
Pema a 17 ans lorsqu’est diagnostiquée sa maladie de Crohn, sans qu’elle parvienne
à associer cette période à un évènement particulier. À l’adolescence, elle avait souffert de
colites, mais elle se trouve incapable de décrire son état psychique de l’époque.
À l’âge de 20 ans, elle rencontre un homme marginal avec qui elle a ses premières
relations sexuelles et avec lequel elle va vivre dans des squats. Au bout de trois ans, son
père l’oblige à le quitter et elle fait une profonde dépression mais entre en rémission
au niveau de sa maladie de Crohn. Cette accalmie va durer un an jusqu’à la rencontre
d’un nouveau compagnon. La nouvelle relation est fusionnelle et elle veut à tout prix un
enfant de cet homme. La maladie flambe et, au bout de trois ans d’essais de grossesse
infructueux, Pema développe un abcès périanal avec crises de diarrhées et amaigrisse-
ment. C’est alors qu’elle tombe enceinte et quitte aussitôt son compagnon. Ses parents
viennent tout de suite vivre chez elle, sur sa demande, pour la soutenir. Enceinte et collée
à ses parents, elle passe une période sans angoisse où la maladie disparaît à nouveau. Elle
réapparaîtra après la césarienne, sans nouvelle rémission jusqu’à ce jour.
Au moment de la consultation, Pema présente un nouvel abcès. Sa fille a 5 ans et elles
vivent toutes les deux avec ses parents qu’elle reconnaît tyranniser. Elle refuse de rester
seule ou de sortir seule et exige qu’au moins un de ses parents soit toujours présent à ses
côtés. Elle ne travaille pas, ne sort pas et déclare ne pas vouloir penser et, finalement, ne
rien vouloir changer.
Stella consulte pour sa maladie de Crohn sur les conseils de son gastroentérologue
qui lui enjoint de venir depuis plus de trois ans. Sa maladie a débuté il y a sept ans par
des douleurs, des diarrhées et une perte de poids importante dans les suites de la rupture
houleuse d’avec son compagnon. Celui-ci n’acceptait pas la séparation, surveillait Stella
qui venait de rencontrer un autre homme. Il bloquait la vente de leur maison. La peur et la
répression émotionnelle étaient intenses. Trois mois après, Stella tombe enceinte de son
nouveau copain et fait une fausse couche. Le mois d’après, même scénario. La naissance
d’une fille un an après améliore les symptômes. Deux ans après, nouvelle grossesse, mais
difficile cette fois du fait d’une suspicion d’une possible anomalie chez l’enfant. L’accou-
chement est dystocique. Impossibilité d’investir l’enfant pendant quatre jours, dépression
postnatale. Un an après, elle reprend des études et développe des TOC de vérification.
Stella allègue une forte angoisse d’intrusion (peur qu’on rentre chez elle…) et de sépara-
tion (ne supporte pas les absences du mari). Ses rêves sont peu élaborés. On ne repère
pas de conflit intrapsychique et on note une insuffisance des deux topiques et une
indistinction sujet/objet. Les parents de Stella, fille unique, étaient très angoissés. La mère
avait elle aussi des TOC de vérification et, lorsque Stella assistait à cela, elle ressentait des
douleurs abdominales. Nettement améliorée par les quatre séances de psychothérapie,
elle annule son cinquième rendez-vous le matin même et cesse de venir.
495
Traité de médecine psychosomatique
Étude de l’IPSO
Dans la Revue française de psychosomatique, M. Papageorgiou (Étranger du ventre,
étranger du transfert) cite le cas de Claire dont la maladie de Crohn est apparue lorsqu’elle
a quitté ses parents pour vivre avec son ami. Les éléments sur lesquels insiste M. Papageor-
giou confirment ceux que j’ai relevés dans les observations. C’est volontairement que j’ai
évité de lire son texte avant cette étude, toujours dans le but de ne pas être orienté par
son analyse. Dans le cas présenté, l’auteur repère :
––des éléments de la relation d’objet allergique ;
––une parole destinée avant tout à évacuer et non à médiatiser ou enrichir la pensée ;
––le rôle d’arbitre de Claire dans les disputes parentales, rôle dont la destinée n’est pas
celle de la constitution d’un idéal, rôle non élaborable, accepté faute de mieux ;
––l’incohérence et la confusion des repères et des identifications ne permettant pas
une introjection de qualité. Claire dit de ses parents : « Avec eux, on ne sait jamais ce
qui est bon ou mauvais, tout peut être mal et faire mal… Chez nous, tout est alimen-
taire, ça rentre d’un côté, ça sort de l’autre, c’est comme la manière de parler, ça rentre
d’une oreille et ça sort de l’autre. » La mère de Claire avait donné à ses autres enfants
des prénoms qui s’entendent indifféremment au masculin et au féminin. « Les imagos
parentales, précise M. Papageorgiou, apparaissent fragmentées, indifférenciées et
interchangeables, de même que se confondent oralité, analité et génitalité… »
––la thérapeutique doit restaurer la capacité de liaison du préconscient : « Le change-
ment de son fonctionnement psychique ne se traduit pas par une meilleure fluidité du
préconscient ou un étoffement des contenus, mais par une certaine continuité quant
à sa capacité à retenir et à utiliser des traces associatives des séances précédentes,
récentes ou plus anciennes. De ce fait elle peut opérer des liaisons, alors qu’auparavant
elle évacuait toute relation entre elles, noyée dans les trivialités quotidiennes. »
496
Psychosomatique et gastroentérologie
497
Chapitre 18
1. INTRODUCTION
Les deux études sur l’eczéma et l’urticaire réalisées en 2008 nous ont amené à aborder
le problème général de l’allergie et à organiser un séminaire consacré à ce sujet trois ans
plus tard, en 2011, séminaire au cours duquel étaient aussi abordées les allergies respira-
toires, essentiellement l’asthme et le coryza spasmodique. Lors de la préparation de ce
séminaire, je proposai à un confrère et ami d’intervenir lors de la cession. Ne pouvant se
libérer le jour du séminaire, il me proposa d’insérer le texte qui suit en introduction, en
me demandant de ne pas divulguer son nom. Dont acte.
« Cher Philip. Mes représentations de l’allergie sont liées à des souvenirs. Souve-
nirs familiaux tout d’abord. Il y avait un terrain allergique côté maternel. Deux de mes
quatre oncles qui vécurent en ville pour des raisons professionnelles présentèrent l’un,
un eczéma, l’autre un asthme. Je me souviens du premier qui, l’été, sous les frondaisons,
lors des grosses chaleurs, trempait ses pieds dans une bassine d’eau fraîche dans laquelle
baignaient des feuilles de mauve. Le second souffrait d’un asthme particulièrement invali-
dant. Il connaissait tous les médicaments utilisables et avait fait le tour de nombreux
médecins qui, chacun, y était allé de sa propre théorie : telle machine sur le lieu de travail,
l’air pollué de telle ville, les poussières, l’humidité, etc. Il avait fini par aller vivre sur les
hauteurs de Cannes où l’air était censé être plus clément et y termina sa vie, loin de sa
famille. Cet asthme invalidant avait construit sa vie, son identité, déterminé ses choix.
Mes deux autres oncles qui étaient restés agriculteurs au sein de la propriété familiale ne
firent jamais d’allergie, pas plus que leurs parents.
Il y avait aussi, beaucoup plus anodines, les crises d’éternuement de mon père, rares
mais tellement spectaculaires. Les salves d’éternuements étaient subintrantes, sonores, ne
durant qu’une à deux minutes, ne déclenchant jamais de coryza, se terminant comme une
chanson. Et puis il y avait l’éternuement de tout le monde, lié aux changements de tempé-
rature, mais qui, lorsqu’il s’emparait d’un membre de la famille, annonçait un possible
“refroidissement”. “Tu vois ! Tu prends froid, tu n’es pas assez couvert.” Mais l’éternue-
ment ne suscitait nulle angoisse contrairement à la toux, dont la représentation, héritière
des maladies pulmonaires graves du siècle précédent, était chargée de menace. L’éter-
nuement, source de sensation ambiguë, plaisir plus que désagrément, plaisir d’expulser
bruyamment quelque humeur persécutrice cachée, en appelle aux vœux immédiats de
l’autre. Quels souhaits ? Quels désirs réprimés cache-t-il ?
Les représentations personnelles renvoient au temps de la faculté, durant mon stage
de psychiatrie ou tout un hiver je fus pris de coryza spasmodique. Ce fut la seule fois. Ce
signal m’engageait-il à m’éloigner à jamais de ce monde si spécial que je découvrais ? Il
n’en fut visiblement pas tenu compte. Et puis l’urticaire, surtout l’urticaire. Elle débuta en
499
Traité de médecine psychosomatique
3e année et poursuivit ses attaques récurrentes pendant plus de vingt ans, disparaissant
pendant de nombreux mois, pour réapparaître durant toute une saison. Les médecins
consultés avancèrent des certitudes, d’autres y perdirent leur latin, et c’est ainsi que ces
errances diagnostiques me conduisirent droit sur le chemin de la recherche. Un jour l’urti-
caire cessa, sans savoir pourquoi. Mais il semblerait que sa guérison fût contemporaine
d’une prise de conscience tardive. Ses premiers assauts avaient débuté en même temps
que ma première psychanalyse et se poursuivirent en s’intensifiant au fur et à mesure que
la relation sadomasochiste avec mon analyste, asthmatique par ailleurs, prenait une place
prépondérante. Certains psychanalystes de l’époque s’étaient faits les champions de la
castration symbolique à tout crin, castration strictement destinée à l’autre, et à l’égard de
laquelle, en ce qui concernait leur fonctionnement personnel, ils pratiquaient l’esquive
avec grand talent.
À 26 ans, je fis un remplacement chez un médecin qui désensibilisait la quasi-totalité
du canton. Tout le monde était allergique, y compris ceux qui n’avaient aucun symptôme
mais qui, selon ses dires, pouvaient le devenir. Adepte de l’idéologie préventive naissante,
à son cabinet ou en visite à domicile, il faisait ses injections d’allergènes sur présentation
du petit carnet du patient. L’intégralité du samedi était réservée à ce type d’activité, ce
qui lui permit en l’espace de deux ans d’acheter une somptueuse marina dans une cité
balnéaire de renom.
Bien sûr il y a d’autres souvenirs… La découverte de l’homéopathie à une époque
où elle était quasiment méconnue, les modalités des remèdes, Euphrasia, Allium cepa,
Arsenicum, etc. Cet ami, apiculteur qui reçut un essaim sur le visage, et qui, déjà pas mal
piqué, vint réclamer une autre piqûre. Ce même ami qui, m’ayant accompagné un jour de
garde en visite auprès d’un préadolescent défiguré par une urticaire géante le jour de sa
communion solennelle, affirme encore, trente ans après, que j’aurais dit à la famille que
l’enfant faisait une allergie à Dieu. Et bien d’autres histoires…
Tu peux, bien entendu, utiliser ma lettre dans le cadre de tes recherches et la faire
apparaître dans tes publications. Reçois toutes mes amitiés. B. »
Autant de représentations qui en appellent donc à des théorisations différentes. Il en
fut de même au fil de l’histoire de la médecine.
La paléopathologie nous enseigne que l’allergie est apparue et s’est développée avec
l’évolution des hominiens. Elle ne semblait pas exister chez l’homme de Néandertal. Jean
Zammit situe l’apparition de l’atopie au néolithique, avec la promiscuité, la sédentarisa-
tion, la domestication des espèces animales et végétales.
Les descriptions de l’asthme, des rhinites chroniques, existent dans l’Égypte ancienne,
la Grèce antique et Rome. On doit les termes asthma et coryza à Hippocrate. Le halète-
ment, la dyspnée, sont attribués à des concrétions intrabronchiques d’origine étrangère,
mais Hippocrate insiste également sur l’importance des saisons, des climats et de l’état
général de l’individu. La thérapeutique est fondée sur quelques gestes médicaux (saignée,
purgations, cataplasmes), des conseils d’hygiène (exercice physique), des médica-
tions (eau mêlée de miel, décoctions d’hysope ou de térébenthine). D’autres remèdes
populaires et curieux ont été préconisés comme l’ingestion de foie de renard desséché
ou encore des poumons du même animal « fraîchement rôtis ». L’homéopathie moderne
réintroduira cette thérapeutique avec Poumon histamine, produit fabriqué à partir de ce
pauvre animal préalablement étouffé.
500
Les allergies respiratoires
Celse décrit, en 100 ap. J.-C., la rhinite allergique : humeur venue de la tête qui se jette
sur les narines. Le terme rhume de cerveau en est probablement l’héritage.
Le rôle des substances allergisantes est repéré dès la Renaissance, avec P.-A. Matioli et
A. Paré : plumes, haleine du chat (le facteur allergisant étant la salive séchée sur le poil).
Les différents allergènes feront l’objet d’un inventaire précis entre le xvie et la fin du
xixe siècle.
Le rôle des facteurs psychiques et affectifs est parfois évoqué au fil de l’évolution de
la médecine mais surtout à partir du xviiie siècle et de manière très ponctuelle. Stahl
(1707) insiste sur ces facteurs dans le déclenchement de l’asthme. Mais c’est surtout le
cas personnel de Trousseau que les étudiants garderont en mémoire. En 1861, soupçon-
nant la trahison de son cocher, il se rend à son grenier pour compter ses sacs d’avoine et
déclenche immédiatement une crise d’asthme. Il attribue la crise à la poussière d’avoine,
mais surtout à « l’état d’énervement dans lequel il se trouvait ». Il traita la crise avec succès
en fumant un cigare.
À partir du xxe siècle naît l’allergologie et le concept d’anaphylaxie (Cooke). À partir
de ce moment-là, tout se focalisera sur l’allergène. Ce n’est qu’à partir des années 50 que
paraîtront les premières études psychosomatiques sur l’allergie, plus particulièrement
celles de P. Marty.
Depuis, il y a le gluten et tant d’autres « allergies » alimentaires…
sans doute que je vous parle de votre mère. » « On peut parler d’un objet “hôte”, aux deux
sens du mot. Le sujet habite l’objet de la même façon qu’il est habité par lui. » (Ibid.)
L’aménagement de l’objet s’installe au fil du temps et comporte un travail projectif
dans lequel le sujet pare son objet de ses qualités propres, puis un travail identificatoire
dans lequel le sujet se pare des qualités de l’objet. L’allergique aime faire plaisir à l’autre.
Dans un premier temps, le sujet nie les aspects négatifs de l’objet ainsi que tout conflit
avec ce dernier.
Les objets investis peuvent être de tout ordre. Ils peuvent être humains, animaux,
végétaux, matériaux.
La relation peut se faire sur tous les plans : sensoriel, moteur, fantasmatique, intellec-
tuel, humoral.
Il existe une possibilité très large de remplacer les objets investis par un nouvel objet,
le premier objet restant disponible, tel une bouée de secours, ainsi qu’une facilité des
changements d’objet, liaison étroite et permanente du sujet avec un ou plusieurs objets
maternisés. Ce qui est recherché, c’est une fusion avec une mère idéalisée.
2-3. La régression
L’allergie apparaît du fait d’une régression défensive, lorsque l’objet sort de cette indif-
férenciation, lorsque la fusion est compromise. La régression se produit si l’objet est perdu
dans sa totalité ou en partie (quelque chose de l’objet investi échappe au sujet, une faille
se révèle entre eux), ou encore lorsque se déclarent des incompatibilités majeures entre
deux objets également investis. Le sujet est alors déchiré.
La défense humorale se substitue alors à la relation d’objet. Elle vient à la place d’un
affect.
Cette régression implique une fixation archaïque préalable. P. Marty a initialement
considéré que cette fixation était prénatale. À propos de l’allergie, il propose le modèle
d’une suite de fixations successives sur une même chaîne : fixations immunologiques
chez le fœtus, fixations autour de la naissance, fixations d’ordre sensorimoteur qui vont
instituer un « sentiment particulier, atypique, du corps propre et perturber l’organisation
habituelle des représentations successives de l’espace et du temps » (Kreisler, L’enfant et
son corps).
Pour M. Fain, la personnalité immunologique ne se développe pleinement qu’après la
naissance. Tout en restant fusionné avec sa mère, le fœtus développe une réactivité qui
le distingue un peu de celle-ci. « Dans l’inconscient de l’allergique type, siège le désir de
sa mère de le faire régresser à un narcissisme primaire qui coïncide avec son sentiment
de complétude à elle, désir qui maintient tout un secteur du Moi de l’allergique à l’état
embryonnaire. » (Marty, Notes cliniques et hypothèses à propos de l’économie de l’allergie,
Fain, Réflexion sur la structure allergique.)
Rémy est très tendu. Il déplace une agressivité à l’égard de son chef d’équipe sur des
objets extérieurs personnels. À ma question : « Pourquoi ne répondez-vous pas lorsqu’il
vous malmène ? » il répond : « Parce que c’est mon chef d’équipe. C’est comme si je travail-
lais avec vous, je ne pourrais pas vous répondre. » Cette manière d’introduire d’emblée le
thérapeute dans son monde est très curieuse. À la fin de la séance, au moment où je le
502
Les allergies respiratoires
503
Traité de médecine psychosomatique
futur allergique, et que la relation de la juste distance n’apparaît que chez l’enfant plus
grand ou chez l’adulte.
Par définition, les expériences de séparation, de dé-fusion, sont particulièrement
traumatiques chez l’allergique et des mécanismes de défense psychiques et comporte-
mentaux contre ces vécus ne peuvent que tenter de se mettre en place. Au fil des années,
l’individu expérimente avec plus ou moins de succès, d’aisance ou de souffrance, les
diverses situations anxiogènes liées à la séparation ou à l’angoisse de séparation ainsi
que certains processus défensifs conscients ou inconscients, psychiques ou comporte-
mentaux, qui lui permettent de métaboliser au moindre mal ces expériences. C’est le
principe de l’autonomisation. Lors d’investissements d’objets ultérieurs, le sujet aura
acquis partiellement ces processus défensifs et la mise en place d’une juste distance avec
l’objet me paraît constituer la modalité défensive centrale.
On peut considérer que cette relation s’installe selon deux modalités. Soit elle
permet d’éviter la dépendance, la fusion, dont le sujet par expérience a mesuré le risque
puisqu’elle porte en elle le germe de la séparation traumatique ; soit elle surgit comme
simple processus défensif de mise à distance de l’objet vécu comme persécuteur et, dans
ce cas, c’est bien d’une ambivalence relationnelle archaïque à l’objet dont il s’agit. C’est
seulement dans ce dernier cas que la relation objectale allergique est initialement impure,
mais associée à des éléments de rejet.
3. L’ASTHME
3-1. Généralités
L’asthme est considéré comme une affection polyfactorielle dans laquelle entrent
en jeu dans des proportions infiniment variables, d’un sujet à l’autre et chez un même
sujet, facteurs allergiques, inflammatoires, infectieux, émotionnels, environnementaux,
toxiques, génétiques.
C’est dire qu’il peut exister chez tel sujet un terrain asthmatique objectivable
(hypersensibilité à l’histamine ou aux parasympathicomimétiques) sans que se déclenche
le moindre symptôme, chez tel autre une crise déclenchée par un allergène, ou bien par
un état émotionnel particulier, ou encore par une infection saisonnière, ou enfin par
une simple représentation (une image de chat peut déclencher chez certains sujets une
réaction).
La dimension psychosomatique de l’asthme a toujours été plus ou moins reconnue, si
ce n’est acceptée par la médecine officielle, jusqu’à ces dernières années où les dogmes
de l’objectivation, de la technicité et de la négation de l’inconscient, ont mis un terme à
toute subjectivité.
J’ai recueilli vingt-trois observations de patients présentant ou ayant présenté de
l’asthme. Sur ces vingt-trois patients, seulement cinq consultaient pour leur problème
d’asthme. Les dix-huit autres consultaient pour un autre problème et c’est l’investigation
qui révéla cette pathologie asthmatique associée. C’est dire que la demande de traite-
ment psychosomatique pour cette pathologie est infime. Il y a deux causes à cela :
––être asthmatique finit à longue par constituer une identité, quelque chose qui va
de soi. La défense somatique permet d’éviter le conflit, la séparation, la souffrance
psychique et l’angoisse ;
504
Les allergies respiratoires
––la dimension allergique et inflammatoire est mise en avant par les spécialistes de la
maladie qui – il faut bien l’avouer – veillent à ne jamais laisser le patient s’aventurer sur
des terrains de chasse non gardés.
3-2. Facteurs traumatiques
L’anamnèse associative des premières périodes asthmatiques révèle l’existence de
facteurs traumatiques inducteurs de la pathologie :
––chez le jeune enfant, il s’agit essentiellement de vécus de séparation : déménage-
ments, divorce des parents, reprise du travail de la mère, hospitalisations dans la petite
enfance, séparations transitoires, interruptions de la relation, succession de nourrices,
etc. ;
––chez l’enfant plus grand et chez l’adulte, on retrouve les vécus de séparation, mais
aussi les vécus de contrainte avec trop grande proximité de l’objet, et certains vécus
de castration : hystérectomie, stérilisation tubaire, sévices sexuels. La conjonction de
différents types de vécus n’est pas rare, telle la séparation d’avec la famille d’origine qui
coïncide avec le début de la vie de couple.
François, professeur de clarinette, développe un asthme dans les suites du décès de
sa mère et de la cohabitation avec sa compagne, professeur de cor, masculine et particu-
lièrement agressive à son encontre. Il rêve régulièrement qu’il est poursuivi et attaqué par
des chiens de chasse à courre allergisants. Il se réveille dyspnéique.
Les rechutes et les aggravations apparaissent dans les suites de séparations ou au
contraire de trop grande proximité avec l’objet.
Les rémissions ou guérisons spontanées ne sont pas rares. Elles surviennent dans les
suites de changements existentiels trophiques et volontiers libérateurs (puberté, activité
sportive, éloignement géographique de l’objet), ou bien sous l’effet de l’apparition d’une
nouvelle pathologie somatique (psoriasis, lupus, Basedow, obésité, maladie coronarienne,
ulcère).
On retrouve donc des séquences traumatiques similaires à celles de l’eczéma : vécus
de séparation dans un premier temps, puis facteurs moins spécifiques qui apparaissent
avec le temps. Chez l’adulte, la relation de la juste distance semble occuper une place plus
centrale.
six nourrices successives. Quand Johann arrive dans l’établissement de sa mère, elle lui fait
faire des heures d’étude supplémentaires, l’empêchant d’aller en récréation rejoindre ses
copains s’il y a trop de poussière ou si le temps change. Elle est très angoissée, le met en
garde contre tous les malheurs qui pourraient arriver. Elle refuse qu’il apprenne à nager,
un cousin à elle étant décédé par noyade. Johann rêvera souvent de noyade et dévelop-
pera la phobie d’être enterré vivant. À 8 ans, le décès d’un de ses copains, d’une leucémie,
amplifiera l’angoisse de mort familiale.
projet de s’y installer pour la retraite future. Les époux vivent alors à Liverpool, dans leur
maison, depuis vingt ans. Cette époque est marquée par un surinvestissement profes-
sionnel (Margaret est directrice d’école), qui laisse apparaître des fluctuations thymiques,
tantôt asthénie, tantôt manifestations euphoriques (hyperactivité, surinvestissement
professionnel, projets divers, achats). C’est dans ce contexte qu’un jour, se trouvant
mauvaise mine, elle se rend chez le coiffeur, où brusquement elle est saisie d’une peur
panique d’être électrocutée sous le séchoir à cheveux. Cette panique, extensive, s’accom-
pagne de préoccupations morbides à l’égard de ses proches et elle quitte précipitamment
le salon de coiffure pour rentrer chez elle et s’assurer qu’il n’est pas arrivé malheur à sa
famille. Cette crise aboutit à une première hospitalisation pendant trois semaines.
Margaret reprend ensuite son travail mais, pour financer la maison en France, les époux
doivent vendre leur maison et s’installer dans une habitation plus petite. C’est dans cette
nouvelle maison que les premières manifestations respiratoires apparaissent. Bronchites
répétées, conduisant son médecin, après plusieurs traitements sans effet, à instaurer une
corticothérapie qui jugule les crises, mais qui génère un état d’euphorie particulièrement
marqué et entraîne une seconde hospitalisation.
Lorsque Margaret sort de clinique, elle est mise en retraite anticipée. Le couple revend
alors la deuxième maison pour acheter un nouveau pied-à-terre : un appartement.
Dans la même année, le couple finit par s’installer en France mais dans un mobile-
home, dans un camping au bord de la mer. C’est là qu’elle présente sa première grande
crise d’asthme, quelques jours après son arrivée. À partir de ce moment-là, les crises
ponctueront sa vie quotidienne et ses oscillations thymiques, y compris lors des trois
nouveaux retours en Angleterre pour des séjours de plusieurs mois, dont un d’un an.
Actuellement, le couple vit dans sa maison cévenole, mais ils viennent de la mettre en
vente. Ils retournent parfois dans la région où est installé le mobile-home et ont l’inten-
tion d’y acheter une nouvelle maison. La fille aînée Maureen est professeur de français en
Angleterre. Alice est infirmière en Arabie saoudite.
J’ai eu huit entretiens avec Margaret, une fois par semaine. Lors de ces entretiens,
certains éléments sont apparus. Nous rapportons ici de manière non exhaustive, textuel-
lement, et donc de façon parfois désordonnée, ce qu’elle a pu dire :
« Je rêvais que j’étais bien : on louait un appartement avec mon mari près de mes
enfants… Parfois, je rêve que tout va bien… Je ne rêve jamais d’autre chose, jamais que
ça va mal…
… Il y avait des disputes entre moi et ma sœur. Avant que ma mère n’arrive pour
donner des gifles, ma sœur ne se cachait pas, elle restait, recevait les gifles. Moi, je me
cachais, je me sentais coupable… J’avais l’impression qu’il me manquait quelque chose en
moi… Toujours, il faut que ce soit ma faute à moi… J’étais trop sage… Tout blanc comme
un petit muet… Lorsque ma mère s’évanouissait, ma sœur tenait sa main et lui mettait de
l’eau sur le front. Moi, je courais, je revenais, je partais… Je me sentais coupable de partir.
Je ne pouvais pas supporter cela… Plus tard, quand mes enfants avaient des accidents, je
courais…
… Ma mère me possédait, mettait tout en moi… Elle n’allait nulle part sans moi. C’était
comme si c’était la même personne. J’ai été son premier enfant… Elle a eu si peu d’amour
dans sa vie. Elle était l’aînée d’une famille de quatorze enfants. Famille très pauvre. Elle a
tout investi en moi. Elle était très forte de caractère… Elle m’a dévorée, oui, je crois… C’est
508
Les allergies respiratoires
elle qui m’a poussée à être institutrice… Après, René a remplacé ma mère… Ça m’a donné
du doute en moi et même de la culpabilité. Je veux être parfaite… J’étais tenue comme
une lumière, une belle chose par ma mère… On a beaucoup déménagé dans l’enfance,
chaque fois, une maison un peu mieux… Si je ne suis pas parfaite, je ne suis plus rien… Ça
me fait rien de mourir, c’est même bon. Dans mes crises d’asthme, je suis bien…
Hier, j’ai eu des difficultés pour respirer, ma fille m’a téléphoné, elle a de graves
problèmes. Elle risque de divorcer, et moi, je ne suis pas avec elle. Je me suis endormie
normalement et je me suis réveillée angoissée, étouffée, avec un sentiment de ne pas
pouvoir aller la voir, d’être bloquée… Depuis, je respire mal… J’ai du mal à m’exprimer… Il
n’y a rien qui m’intéresse…
… Ma mère était hypocondriaque… Tout le monde était là quand elle était malade…
J’ai rêvé que mon père et ma mère me disaient de rester avec eux en Angleterre… J’ai fait
beaucoup de mal à mon mari. »
Entretien avec le mari. Homme sthénique, un peu sourd, excédé par les oscillations de
sa femme :
––soit dans les phases d’euphorie, où il redoute ses actes compromettants (dépenses
excessives, chèques sans provision, lettres…) ainsi que la jalousie excessive et l’agressi-
vité dont elle fait preuve à son égard ;
––soit dans les phases dépressives où il craint que les crises et l’asthme n’aboutissent à
une issue fatale.
Il souhaite qu’elle aille dans une maison de repos en Angleterre et, après la vente de la
maison des Cévennes, il habitera tranquillement son mobile-home.
Les huit entretiens avec Margaret se sont étalés sur deux mois. Elle tenait beaucoup
à ces séances malgré ses idées d’incurabilité. De mon côté, la crainte de mort par crise
d’asthme était présente. Nous avions conscience qu’elle constituait un frein à la théra-
peutique.
Assez rapidement, une amélioration se dessina tant du point de vue respiratoire que
thymique et nous décidâmes, lors d’une dernière crise d’asthme, de refuser l’hospitalisa-
tion. Cela se passa bien et les entretiens purent se poursuivre.
Le mari téléphona un jour pour m’informer que Margaret allait provisoirement inter-
rompre la psychothérapie car ils devaient partir pour un long séjour chez des amis. Je ne
revis plus Margaret.
L’analyse de cette observation révèle plusieurs éléments :
––une vie d’errance jalonnée de déménagements ;
––une angoisse de mort, dès la plus tendre enfance. Les pertes réelles ne s’accom-
pagnent pas de troubles. C’est l’idée de la perte (projets de départ, peur que la mère
ne meure) qui est pathogène, l’anticipation de la séparation et non la séparation
elle-même. L’angoisse de séparation par rapport à la mère est consubstantielle à culpa-
bilité à l’égard de celle-ci, de sorte que la séparation est vécue comme la sanction d’une
faute à son égard ;
––l’asthme survient uniquement en phase dépressive. Il est d’apparition brutale ou
plus progressive : intensification des difficultés respiratoires, de l’inhibition psychomo-
trice, de la tristesse, somnolence, obnubilation, puis pseudo-coma où « on la retrouve
bleue ». Elle se laisse délicieusement mourir, sans lutter, dans un état de jouissance.
509
Traité de médecine psychosomatique
N’y a-t-il pas une analogie entre cette conduite et celle de la mère qui faisait la morte
lorsque éclatait un conflit avec le père, à cette époque où l’enfant ne se sentait pas
très distinct d’elle ? Cet asthme est cortico-dépendant. Le traitement jugule la crise
en même temps qu’il induit une inversion de l’humeur. Lors des phases expansives,
l’agressivité s’exprime à l’égard de l’objet.
Hospitalisation
Corticothérapie
Expansion
Dépression
Sujet Agressivité Objet Respiration
Asthme
normale
Hospitalisation
Sels de lithium
La joie donne envie de se fondre avec l’objet (et tous les objets extérieurs), de se
l’approprier, de faire corps avec lui.
A. Haynal distingue deux types d’asthme selon la réactivité du sujet. « On est frappé
de constater que ceux des médecins qui ont une expérience particulière de ces malades
les séparent dès l’entrée en deux groupes, de pronostic différent : ceux qui finalement
s’en tireront avec une thérapeutique médicale, certes importante, mais en excluant
tout recours aux techniques de réanimation, et ceux qui, au contraire, vont poser des
problèmes dans les minutes ou les heures qui suivent au point d’aboutir à la mort si
l’on n’est pas vigilant. On a essayé d’établir sur quels éléments cette “impression” pouvait
être étayée. Les patients du premier groupe, qui finalement ne sont pas très inquiétants,
“luttent” toujours avec vigueur, en particulier ils présentent une respiration forcée,
énergique pour essayer de prendre un maximum d’air à travers leurs voies aériennes
obstruées. Les autres au contraire s’abandonnent à ce syndrome asphyxique. La manière
de respirer de ces malades est donc un véritable mode d’expression infra-verbal, au même
titre que la mimique ou les gestes des mains. De plus les patients du deuxième groupe,
une fois sortis du centre de réanimation, guéris de leur état de mal asthmatique, vivent la
plupart un véritable état hypomaniaque avec une fausse gaieté et un faux dynamisme. »
(Haynal, Médecine psychosomatique.)
L’asthme surgit donc dans un contexte dépressif. Les manifestations d’angoisse
(spasmophilie, trouble panique) alternent mais ne lui sont pas associées.
3-5. Effets somatopsychiques
• Bénéfices primaires libidinaux : déplacement de l’angoisse sur la maladie.
• Bénéfices secondaires narcissiques : attention, hyper-protection liée à l’angoisse de
l’entourage, évitement de certaines situations, de certaines activités, victimisation.
• Restauration identitaire : les patients disent plutôt « Je suis asthmatique » que « J’ai
de l’asthme », alors qu’un sujet souffrant d’eczéma dira plutôt « J’ai de l’eczéma » et non
« Je suis eczémateux ».
• Régressions objectales : surinvestissement de l’objet maladie, traitements locaux mus
en objets transitionnels.
Aleth, boudeuse, susceptible, vite contrariée. « Si tu m’engueules, je ferai une crise
d’asthme. » Donc acte...
der si l’angoisse du souffle, attribuée au jeune asthmatique, n’est pas pure projection de la
part de l’adulte saisi d’angoisse devant l’enfant qui suffoque. » (Op. cit.)
L’asthmatique « s’accroche à quiconque dans une relation d’objet instantanée et
mobile, comme le jeune bébé dans la phase où il sourit à n’importe qui, sans discrimi-
nation de la personne (Fain). Le maintien en état de régressivité archaïque est le fait de
situations diverses, par exemple des conditions anormales du partage de la garde qui
empêchent l’attachement duel, ou encore une attitude pathogène de la mère qui, dans sa
nostalgie du lien par le cordon ombilical, bloque l’évolution vers l’individuation. » (Ibid.)
« Ainsi c’est dans les tout premiers mois de la vie que s’installeraient les phénomènes
pathologiques, à la fois sur le plan physique et psychologique, dans une conjonction qui
s’inscrit dans la personnalité, à la fois immunologique et psychique. » (Ibid.)
H. Haynal fait état d’une avidité chez l’asthmatique. Avidité insatiable et agressive,
soulevant chez l’autre le sentiment que ce qu’il donne n’est jamais suffisant. Cette agres-
sivité, le plus souvent larvée, exprimée sous forme de hargne et d’insatisfaction, diffi-
cile à contenir pour le thérapeute, n’en demeure pas moins, lorsqu’elle a trouvé un objet
externe, une mesure de protection contre le sujet.
L’avidité de l’asthmatique conditionne pour une part la relation thérapeutique. Le
patient cherche un objet d’appui (objet anaclitique) en la personne du thérapeute, et
celui-ci doit aménager la distance optimale entre lui et le patient. Cette régulation perma-
nente de la distance doit offrir une sécurité au patient en même temps que des limites
qu’il devra intégrer sans qu’elles soient vécues comme un rejet.
grand-mère attendait toujours que le pot déborde. Je me retenais. J’ai été constipée
jusqu’à vingt ans. À cause de la saleté, je ne mettais pas de culotte. »
Vers l’âge d’un ou deux ans, Monique est hospitalisée pour déshydratation. Lorsqu’elle
évoque cet épisode, elle fait un lapsus, utilisant le terme dédramatisée au lieu de déshy-
dratée. La mère est alors absente et c’est sa marraine qui lui rend visite. Monique allègue
aussi des velléités de contacts sexuels émanant du grand-père vers l’âge de 4-5 ans. À
la même époque, elle est traitée pour rachitisme (« Mes genoux se touchaient »). Vers
l’âge de 7 ans, la mère se marie avec Joseph et le couple vit chez les grands-parents,
au deuxième. C’est à cette époque qu’elle présente plusieurs pathologies successives :
rougeole, conjonctivites, coliques néphrétiques.
« Joseph et ma mère ont eu mon frère quand j’ai eu 12 ans. Le jour de ma communion.
J’avais ma robe blanche. Je me suis retrouvée seule avec mon grand-père qui était saoul et
voulait me toucher. J’étais jalouse de mon frère au départ puis je m’en suis occupée. Je lui
ai donné de l’argent, ainsi qu’à ma mère.
Ma mère grignotait tout le temps. Parfois, il ne nous restait rien. Une fois, elle avait
piqué ma cagnotte de pièces de cinq centimes. Elle piquait aussi de l’argent à ma grand-
mère, je l’ai vue. Elle a toujours été kleptomane. Les jours de repas, les hommes sortaient
leur sexe, se battaient. Une fois, Joseph a sorti un couteau et a menacé ma mère. Elle m’a
utilisée comme bouclier.
J’ai rencontré mon mari à 20 ans et je suis tout de suite tombée enceinte. Ma grand-
mère maternelle est entrée dans le coma la veille de mon accouchement et est décédée
quelques jours après. »
Curieux milieu, digne des romans les plus glauques : alcoolisme, incestes, maltraitance,
saleté, etc. Le monde extérieur pue. Comment s’en protéger ?
Les premières séances révéleront des complexes cruciaux : crainte incestueuse,
angoisse de castration, phobie d’intrusion, analité, angoisse de séparation, angoisse de
mort, répression de l’agressivité, quête de la juste distance.
La crainte incestueuse se manifeste dans certains rêves : « J’ai une robe blanche mais je
n’ai pas de culotte. Je vais chez un ostéopathe qui ressemble à mon grand-père. » Cette
crainte incestueuse apparaît dans un rêve récurrent, intriquée à une phobie d’intrusion :
« Derrière moi, il y a un tableau. C’est un visage masqué qui m’observe. »
L’angoisse de castration est manifeste dans l’enfance : « J’avais peur d’être poignardée
enfant ou qu’on me coupe les pieds si je dormais les pieds dehors. » La phobie d’intru-
sion sous-tend l’anosmie, mais celle-ci est vécue comme une amputation, une castration.
L’olfaction est très érotisée : « Lorsque je prends des corticoïdes, je ressens alors les odeurs,
je m’enivre alors de parfums. »
La régression anale accompagne l’angoisse de castration. Elle est omniprésente dans
certains rêves. « Je donne des billets à l’entrée d’une soirée. Mais petit à petit je n’y vois
plus et les gens prennent de l’argent… Des WC dans la nature pleins de serpents. J’ai envie
d’uriner. Un serpent me pique au mollet. Je me retiens jusqu’au dernier moment comme
quand j’étais petite… Dans un café avec un vieux monsieur. Un camion-poubelle passe.
Quelqu’un dit en me regardant : “Toutes les ordures ne sont pas dehors.” »
L’angoisse de mort condense l’angoisse de castration et de séparation, la phobie
d’intrusion et les représentations anales : « J’avais toujours peur d’être poignardée. Après
514
Les allergies respiratoires
la naissance de mon fils, je rêvais que je nageais dans une mer où il n’y avait que des
cadavres de bébés. Quand je voulais en sortir ma mère me rejetait à l’eau… »
Tous les rêves mettant en scène les représentations traumatiques génèrent une
dyspnée et une raideur cervicale. La raideur cervicale est intimement liée à la dyspnée.
Elle atteste de la répression de l’agressivité, qui est donc une composante de son asthme.
Elle ne supporte pas qu’on lui touche le cou et dit que ses cervicales sont son « noyau
de vie », ses « forces vitales » et que « l’énergie y est bloquée ». Elle a toujours eu peur de
mourir étouffée. On lui aurait rapporté qu’au moment de l’accouchement, sa mère aurait
serré les jambes pour ne pas qu’elle sorte.
L’expression de cette agressivité améliore l’asthme : « Un jour où mon fils m’a “gonflée”,
j’ai “explosé”. » Monique a aussi le fantasme d’un coup de poing qui lui ferait éclater la
poitrine et la libérerait. Elle rêve d’une dispute avec son mari : « Mes deux lèvres étaient
soudées et aucun son ne pouvait sortir. »
La relation d’objet allergique est présente : « J’ai l’impression d’être double, de trimbaler
une autre personne avec moi. » Mais c’est surtout la relation de la juste distance qui est
centrale : « J’ai peur de la séparation mais si on me gonfle l’idée de partir est une libéra-
tion. » Concernant son mari et son fils : « Si je suis sans eux, ils me manquent, si je suis
avec eux, ils me polluent. »
Une psychanalyse fut entreprise. Les premières séances furent marquées par une
accentuation de la dyspnée. Elle avait eu d’ailleurs une crise dans les suites de la prise du
premier rendez-vous. Depuis, elle faisait un rêve récurrent : « Je me retiens de pisser et je
finis par me pisser dessus. »
Au bout de quelques séances, elle me rapporta un rêve à contenu transférentiel
négatif : « Je suis dans le salon de ma grand-mère, installée dans une voiture. Je ne vous
entends pas. Quand j’ouvre la porte de la voiture, vous riez aux éclats. » À partir de ce rêve
et de son interprétation, la dyspnée s’atténua. Les rechutes ultérieures furent induites par
des moments de tension agressive réprimée, lorsque les choses « la gonflent » et qu’elle
ne renonce pas à son emprise sur ces choses, alors qu’il faudrait leur « souffler dessus ».
Le corps a pris l’habitude, à chaque menace extérieure (excréments, mère, images de
la castration), de se bloquer en se gonflant (en ne laissant rien laisser sortir, en coupant le
contact) : asthme, constipation, rétention urinaire, troubles de la vue, anosmie, émotions.
Je lui propose de réagir à la menace en se vidant, en expulsant (air, émotions, excré-
ments, paroles). Il s’ensuit une amélioration progressive et, au bout de quelques mois, la
dyspnée expiratoire se mue en dyspnée inspiratoire. Puis tout rentre dans l’ordre et l’ana-
lyse est arrêtée au bout d’un an et demi.
Rien n’indique dans cette observation une proximité entre la mère et Monique et ceci
dès la conception de cette dernière. La mère est décrite comme quelqu’un de détestable
par Monique et ne semble pas avoir investi sa fille de la manière massive et ambivalente
qu’on repère chez les asthmatiques ou les eczémateux, bien qu’il ait pu exister chez la
mère une angoisse d’être dépossédée de son bébé dans ce contexte familial chaotique. La
relation allergique s’est-t-elle faite avec la grand-mère ?
Le transfert primaire est négatif, l’analyste est un objet menaçant. Elle se protège de lui,
elle ne l’entend pas.
La dimension du rejet est centrale, plus encore que la relation d’objet allergique, voire
que la relation de la juste distance. Les orifices du corps se ferment, l’expiration est impos-
515
Traité de médecine psychosomatique
sible. Ce n’est qu’à la fin de la crise que le rejet actif surgit : les éternuements qui y mettent
un terme. Le traitement a consisté à remplacer la rétention anale défensive par une expul-
sion : passage de la deuxième à la première phase du stade anal.
4-1. Facteurs traumatiques
L’anamnèse associative révèle des situations nouvelles inductrices de nécessités
adaptatives :
––dans 50% des cas, il s’agit de cohabitation (vie de couple, mariage) ;
––les autres situations sont représentées par la confrontation à des changements
existentiels de nature variable : puberté, maternité, nouvelle activité professionnelle.
Thérésa présente un coryza spasmodique depuis son mariage il y a vingt ans. Elle
souffre de ne pouvoir exprimer ses différents ressentis en présence de son conjoint.
Il en est de même pour Laury-Anne, 41 ans. Le coryza a débuté il y a quatorze ans
de manière concomitante avec la vie commune avec son compagnon. La relation est
tendue, faite de dépendance et rejet.
Chez Éline, le coryza a débuté dans les suites de sa quatrième grossesse, survenue
de manière inopinée et sur le tard.
Carla, 28 ans, présente un coryza spasmodique depuis qu’elle a débuté son activité
professionnelle.
Certains événements peuvent mettre un terme à la pathologie. Dans cette étude,
j’ai relevé : grossesse, séparation, survenue d’une pathologie mentale (état dépressif) ou
somatique (fissure anale, psoriasis).
Le coryza spasmodique de Corinne avait débuté dans les suites de sa première
grossesse. La deuxième grossesse mit un terme à la pathologie mais au prix d’un état
dépressif peu mentalisé.
4-2. Caractéristiques générales
Associations et alternances morbides
Dans 60% des cas de notre étude, le coryza spasmodique accompagne, précède ou suit
d’autres manifestations allergiques :
––asthme : 60%
––eczéma : 30%
––urticaire : 10%.
516
Les allergies respiratoires
L’état de tension
Les manifestations anxieuses prédominent nettement sur les signes dépressifs, contrai-
rement à ce que nous avons repéré dans l’asthme.
Les émotions de base réprimées à l’égard de l’objet sont, selon les cas, la peur, la colère,
le dégoût.
1. INTRODUCTION
Les maladies auto-immunes toucheraient 8% de la population dans les pays dits
« développés ». Elles sont dues à une défaillance du système de régulation de l’auto-
immunité physiologique.
La définition d’une maladie auto-immune est strictement d’ordre biologique : le
diagnostic repose sur le taux significatif d’auto-anticorps circulants dans l’organisme du
malade. On parle de maladie auto-immune « à partir du moment où l’on constate dans
le sang circulant la présence d’auto-anticorps fabriqués par un sujet vis-à-vis d’un organe
ou vis-à-vis d’une fonction », nous dit Michel Hautecouverture, endocrinologue (inter-
view dans Revue française de psychosomatique). « … Aujourd’hui, dans sa façon d’envisa-
ger les choses, la médecine officielle enseignée aux étudiants ne parle de quelque chose
qu’à partir du moment où il y a un substratum biologique clair, reproductible, mis en
évidence. » (Ibid.) La clinique est mise au rebut. Le caractère éminemment disparate des
maladies auto-immunes d’un point de vue clinique confirme la préséance totalitaire du
tout-biologique.
Toute découverte nouvelle est – comme nous l’avons souvent dit – susceptible
d’engendrer un modèle théorique extensif qui déborde largement le cadre du champ
dans lequel elle a trouvé son origine. D’extensif, le modèle devient invasif, constituant
un attracteur pour tout ce qui se dérobe à lui. Cela se voit dans tous les domaines et
aujourd’hui plus que toujours, compte tenu des moyens d’universalisation médiatiques.
Il suffit qu’un chien aboie pour que tous les chiens du quartier se mettent à aboyer sans
savoir pourquoi.
Un modèle théorique prévalent à une époque donnée constitue un attracteur pour
tout ce qui concerne la physiopathologie, la clinique, l’étiologie, la thérapeutique, la
nosographie. La théorie des humeurs constitua le modèle étiopathogénique prévalent
pendant de longs siècles. La découverte de la circulation sanguine par Harvey y mit un
terme. Le modèle infectieux favorisa ensuite la préséance de l’exogène dans le détermi-
nisme des maladies. Puis, l’enseignement médical et les spécialités médicales du xxe siècle
se constituèrent à partir du modèle anatomo-clinique. L’immunologie est, quant à elle,
une discipline jeune, et l’auto-immunité, un concept physiopathologique encore plus
récent.
Avec la notion d’auto-immunité, la nosographie change. Les maladies ne sont plus
répertoriées en fonction de leur localisation anatomique, pas plus qu’en fonction d’un
système physiologique, mais en fonction d’un mécanisme biologique séduisant. Ainsi,
l’évocation d’un possible phénomène auto-immun dans des maladies dont le détermi-
nisme demeure mystérieux tend à étendre de manière infinie le champ nosographique
des pathologies auto-immunes. Il n’est pas ridicule d’augurer qu’une simple angine puisse
519
Traité de médecine psychosomatique
être un jour considérée comme une maladie auto-immune si l’on découvre des auto-an-
ticorps dans sa genèse, à moins qu’une nouvelle découverte induise un nouveau modèle
théorique extensif.
La nosographie actuelle distingue deux groupes de maladies auto-immunes : les
maladies auto-immunes spécifiques d’organe et les maladies auto-immunes systémiques.
Déterminant
antigénique
Sécrétion de cytokines
Complexe
HLA II - Peptide
Dégradation
Fragments Molécule
peptidiques HLA II
Antigène
étranger
Cellule CPA
Lymphocyte
TCD 8
TCR
Déterminant
Destruction antigénique
de la cellule
Complexe
HLA I - Peptide
Virus
Agent
pathogène
Dégradation
Fragments Molécule
peptidiques HLA I
Cellule CPA
3. L’AUTO-IMMUNITÉ
Les maladies auto-immunes sont dues à une hyperactivité du système immunitaire à
l’encontre de substances ou de tissus normalement présents dans l’organisme. Le système
immunitaire de l’individu s’attaque à certains constituants de son propre hôte (le soi),
comme s’ils étaient devenus des substances étrangères. Il produit alors des anticorps
dirigés contre le soi : ce sont les auto-anticorps.
L’auto-immunité est la rupture des mécanismes de tolérance à l’égard d’auto-antigènes
(antigènes du soi) qui conduit à l’action pathogène du système immunitaire vis-à-vis de
constituants naturels de l’organisme et à l’apparition d’une maladie auto-immune.
La maladie apparaît lorsque le système de régulation est défaillant : c’est une auto-
immunité pathologique auto-agressive qui va générer une prolifération de lymphocytes
T ou B auto-agressifs (ou auto-réactifs), présents chez tout individu, mais qui, du fait de
cette prolifération, vont générer la maladie.
L’acquisition d’une tolérance du soi est le résultat de l’élimination ou de l’inactivation
des lymphocytes T et B auto-réactifs.
Tolérance centrale
L’apprentissage du soi et du non-soi se déroule pour l’essentiel au cours de la vie fœtale,
au sein du thymus et de la moelle osseuse, selon un double processus d’éducation, c’est-à-
dire de sélection positive et négative des lymphocytes B et T.
• Sélection des lymphocytes T au niveau du thymus :
––sélection des lymphocytes capables de reconnaître le soi (capables d’interagir avec
les molécules HLA de l’individu). Ils peuvent poursuivre leur maturation ;
––destruction des lymphocytes qui expriment des récepteurs de forte affinité avec les
antigènes du soi (auto-antigènes), notamment les molécules HLA. Les lymphocytes
auto-réactifs sont ceux qui ont échappé à cette sélection.
• Éducation au niveau de la moelle osseuse des lymphocytes B.
Tolérance périphérique
Éducation tout au long de la vie de la maturation des lymphocytes, destruction ou
inactivation des clones auto-agressifs.
3-2. Rupture de la tolérance
Elle peut être liée à différentes causes.
Confusion
• Modification de la structure des molécules de l’organisme par des médicaments.
• Mimétisme moléculaire. Ceci peut se produire lorsque le système immunitaire est
en contact avec certains micro-organismes ou médicaments dont les antigènes ont une
parenté avec les antigènes du soi.
• Virus. Ils peuvent faire apparaître des néo-antigènes à la surface des cellules.
Dysfonctionnement lymphocytaire
• Défaut du contrôle immunorégulateur des lymphocytes TCD4, induisant un embal-
lement des lymphocytes B.
• Fonctionnement excessif des lymphocytes TCD4 inducteurs.
• Hyperactivité intrinsèque des lymphocytes B.
4-2. Données neuro-immunologiques
Le système nerveux central (SNC) est doté d’un pouvoir de modulation du système
immunitaire (SI). Inversement, le système immunitaire informe en permanence le
524
Les maladies auto-immunes
système nerveux de son propre état fonctionnel. Il existe d’ailleurs une communauté
tissulaire embryologique entre SI et SNC.
SN et SI ont par ailleurs de nombreuses propriétés communes : traitement de l’infor-
mation, mise en mémoire, contacts spécifiques de cellule à cellule, sécrétion de média-
teurs humoraux. Les cellules des systèmes nerveux et immunitaires produisent des
cytokines, c’est-à-dire des messagers moléculaires, capables d’interagir avec chacun des
deux systèmes grâce à des récepteurs spécifiques.
Les organes lymphoïdes centraux et périphériques sont richement innervés par le
système nerveux autonome : fibres noradrénergiques post-ganglionnaires, fibres conte-
nant des neuropeptides (substance P, VIP, cholécystokinine, neuropeptide Y, etc.). Les
terminaisons de ces fibres sont en contact étroit avec les cellules immunocompétentes
(macrophages, CPA, lymphocytes) qui possèdent des récepteurs pour ces neuromédia-
teurs. L’activité de ces cellules peut donc être modulée par le système nerveux autonome.
Le SI informe en permanence le SN sur son état de fonctionnement, notamment sur
l’existence de conflits Ag Ac.
La tentation d’établir une relation analogique entre le SI et le SN est grande : certains
auteurs ont vu dans le SI une image en miroir du SN et comparé les lymphocytes circu-
lants à un cerveau mobile, doté de caractéristiques sensorielles et effectrices.
4-4. Émotions et immunité
Effets de l’expression émotionnelle sur le système immunitaire
Les lymphocytes T8 augmentent chez les sujets qui identifient et expriment leurs
émotions.
Une étude de A.-D. Futterman, en 1994, a démontré que l’expression émotionnelle
induite expérimentalement, quelle que soit sa valence hédonique (positive ou négative),
s’accompagne, dans les vingt minutes qui suivent, d’une augmentation du pourcentage
des lymphocytes T cytotoxiques (LT-CD8), des cellules NK et de l’activité de ces dernières.
4-5. Immunité et dépression
Données biologiques
Les différentes études sont complexes, imprécises et souvent contradictoires.
526
Les maladies auto-immunes
5-1. Personnalités prédisposées
S. Consoli et Bayle ont fait une étude sur les syndromes de Raynaud secondaires à une
sclérodermie, comparativement aux syndromes de Raynaud idiopathiques (1986, 1987).
Ils confirment la préséance de la personnalité proche du type C dans la sclérodermie :
répression des affects, évitement des conflits, distance excessive à l’investigateur, attitude
sacrificielle, sentiment d’impuissance et de perte d’espoir.
J.-L. Dupond (1990), comparant le profil de quarante femmes présentant une MAI
à celui de quarante femmes contrôle, repère chez celles-là certains traits de caractère :
effacement, autodépréciation, conformisme, gentillesse excessive.
L’ensemble des études tend à dégager un certain type de fonctionnement psychique,
comportant certaines caractéristiques récurrentes : évitement des conflits, soumission,
528
Les maladies auto-immunes
5-3. Les affects
Gabriel Gachelin (Psychosomatique et modèles en immunologie) considère que le lien
le plus plausible entre le domaine neuropsychologique et le système immunitaire serait
des médiateurs et des récepteurs communs aux deux systèmes, l’affect étant l’agent
psychique le plus proche du système immunitaire. La présence sans cesse changeante de
messages chimiques (cytokines), éventuellement d’origine nerveuse, s’apparentant à une
représentation traumatique des affects.
Par ailleurs, Gachelin réhabilite le rôle de l’immunité non spécifique, notamment le
rôle de cellules incapables d’une discrimination (macrophages, mastocytes, cellules
NK, etc.), phylogénétiquement plus anciennes que les lymphocytes et leurs effecteurs
éminemment spécifiques. Ces cellules et les processus « archaïques » qui leur sont propres
s’apparentent aux cellules « éboueuses » non seulement des ancêtres vertébrés mais aussi
invertébrés. Ces mécanismes mettraient en jeu les parties les plus anciennes sur le plan
phylogénétique du système nerveux et du système immunitaire des vertébrés supérieurs.
F. Duparc pense que l’hypothèse d’affects « blancs » sans lien représentatif ni psychi-
sation suffisante est la plus vraisemblable. Ce sont ces affects qui auraient un effet
toxique sur le fonctionnement immunitaire, sommé de traiter le matériau totalement
démentalisé.
Ce serait donc la déliaison de l’affect d’avec une représen-
tation masquée par divers processus (formes, hallucination
négative, etc.) qui prolongerait le processus désorganisant.
Pistes brouillées entre affect et représentation, laissant l’affect se
A
dépsychiser de plus en plus et s’arrimer non pas au psychisme
mais au corps…
529
Traité de médecine psychosomatique
Clinique
Pauvreté symptomatique. Ce sont des épisodes discrets, atténués, pauvres d’un point
de vue symptomatique, d’apparence peu pathologique, tant ils peuvent confiner à la
« normose » ou en tout cas à l’opératoire, plus ou moins étalés dans le temps, volontiers
intégrés à une cyclothymie.
Pensée opératoire
La pensée est de type opératoire : pensée prévisionnelle, hyperadaptée. L’imaginaire
est éteint.
Focalisation perceptive
Les perceptions sont pour une part focalisées sur le domaine investi par l’activité, mais
les autres secteurs de la vie psychique sont volontiers l’objet d’une occultation, notam-
ment l’état du corps et bien sûr le facteur traumatique inaugural.
Affects pauvres et peu différenciés
Les affects sont pauvres, limités, peu différenciés. L’affect central est proche de la sensa-
tion : ressenti indifférencié d’excitation, tout comme la détresse est l’état primitif indiffé-
rencié et archaïque des émotions.
L’euphorie, l’excitation pulsionnelle, le vécu de toute puissance n’apparaissent pas. Le
sujet décrit un état de dopage, de griserie, un état « vibratoire » plus ou moins agréable et
en tout cas recherché de manière compulsive, une frénésie dans la mouvance, le déplace-
ment, la dépense énergétique.
Préséance de la décharge comportementale
L’essentiel se joue dans le comportement : hyperactivité, agitation, insomnie, tourbil-
lon d’activités. La tension nerveuse est souvent perceptible lors de l’investigation : bras,
jambes, mimique.
Valeur défensive
La dimension défensive de la manie blanche est assez évidente : tourbillon d’activi-
tés permettant l’oubli, état de griserie induit par une vie opératoire incessante et impré-
gnée d’excitation, permettant d’éviter de penser. Défense contre la souffrance, contre
la dépression, contre la perte. Mais défense hémorragique pouvant porter atteinte aux
systèmes fonctionnels.
On retrouve certains aspects de la manie blanche dans les conduites à risques et les
toxicomanies.
Modalités évolutives
F. Duparc distingue quatre modalités évolutives de la manie blanche :
––évolution subaiguë, cyclique ;
––rementalisation et inversion de l’humeur. Évolution stoppée par l’apparition d’un
épisode dépressif plus ou moins mentalisé dans les suites d’une perte souvent difficile
à mettre en évidence ;
––dépression essentielle. La manie blanche apparaît comme l’ultime tentative de lutte
contre la dépression essentielle imminente ;
530
Les maladies auto-immunes
aussi aux affections tumorales. Elle constitue un peu l’opposé de la personnalité de type A
(compétitivité, impatience, affirmation de soi, lutte permanente).
Citons F. Alexander : « L’arrière-fond psychodynamique général dans tous ces cas est un
état chronique d’inhibition hostile, agressive, une révolte contre toute forme de pression,
qu’elle vienne du dehors ou de l’intérieur, contre tout contrôle exercé par une autre
personne ou chez certains sujets contre l’influence inhibitrice de leur propre conscience
hypersensible. » (La médecine psychosomatique.)
Claude Smadja présente un cas dans Quelques remarques préliminaires à l’étude
psychosomatique dans lequel l’emprise maternelle constitue un déterminant central.
Il insiste sur la discontinuité du fonctionnement psychique, plus particulièrement au
niveau de ce qu’il considère comme un clivage entre représentation et perception.
Étude personnelle
Observations
Ludivine, 24 ans, présente une PCR : douleurs des chevilles, du genou gauche, des
poignets, des coudes, des doigts. La maladie a débuté à 16 ans, après le décès d’une amie
et dans les suites d’un conflit familial avec le compagnon de sa mère, en même temps
qu’une urticaire qui alternera avec les poussées de PCR de manière cyclique. La maladie
s’aggrave (apparition de déformations, douleurs nocturnes) et devient permanente à la
fin de ses études lorsqu’elle doit entrer dans la vie active.
Les parents de Ludivine se séparent lorsqu’elle a 3 ans. Le père est autoritaire et protec-
teur à la fois et elle est ambivalente face à son emprise. Quand elle a une dizaine d’années,
elle subit les rapprochements sexuels d’un voisin adolescent.
Ludivine vit « son corps comme une prison ». Nous avions repéré cette métaphore
chez certains patients présentant des crises d’urticaire chronique, celles-ci surgissant au
moment de la poussée pulsionnelle qui tente de se libérer de la « prison ».
L’alternance douleurs/urticaire peut être appréhendée ainsi. Les poussées inflamma-
toires correspondent à l’acmé de la répression. Elle n’a alors aucune anxiété. Les crises
d’urticaire à des tentatives avortées de se libérer de cette répression. Elle fait alors des
rêves d’angoisse : rêves violents, rêves d’incapacité.
Le monde extérieur lui fait peur. Mais elle a aussi peur en présence de son père. C’est
une peur sidérante, un « sentiment d’être glacée ».
La relation au personnage masculin et par extension au monde extérieur est ambiva-
lente : crainte et désir, sous-tendue par un fantasme masochiste (classique dans l’urti-
caire) qui apparait dans ses rêves : « Je suis rejetée par un camarade d’école primaire. »
« Un copain de mon père me touche les fesses. » « Ma voiture ouverte est cambriolée. »
« Deux personnes torturent des gens. » « Je suis séquestrée par un homme dans mon
appartement. J’essaie de m’échapper, je n’y vois pas, je tombe. »
Les fantasmes érogènes sont des fantasmes de passivité et de soumission.
La psychothérapie de Ludivine fera disparaître ses douleurs et son urticaire en même
temps que le fantasme masochiste. Transformation de la passivité en activité. Ludivine
ôtera la bague qu’elle portait depuis l’adolescence : c’était la propre alliance de mariage
de sa mère que celle-ci lui avait donnée après son divorce.
533
Traité de médecine psychosomatique
6-2. Spondylarthrite ankylosante
Étude personnelle
• 8 cas.
• Hommes : 50% ; femmes : 50%.
• Les facteurs traumatiques sont moins identifiables que dans la PCR. Ce sont soit des
états de tension persistants, soit des vécus de perte. Les aggravations sont liées à la répres-
sion de l’agressivité, plus particulièrement dans la relation de couple.
• Il n’existe pas de répression des représentations.
535
Traité de médecine psychosomatique
• Les affects sont rudimentaires, mais différents chez la femme et chez l’homme.
Chez la femme, les affects sont plus incisifs que dans la PCR, bruts de décoffrage, non
nuancés (haine, suspicion, dénigrement), souvent déplacés sur d’autres objets. La dépres-
sion prend un aspect volontiers hostile. Les émotions sont aussi fortement exprimées
chez les femmes, plus particulièrement l’agressivité, qui peut prendre des formes explo-
sives. La peur n’apparaît jamais.
Chez les hommes, la répression émotionnelle et la soumission sont plus fréquentes.
• On retrouve une emprise maternelle majeure.
Irma, 45 ans, souffre de spondylarthrite ankylosante. Celle-ci est apparue à 28 ans
lors de la préparation d’un examen. Elle était en instance de divorce. Elle consulte en
fait pour un mal-être général dans lequel transparaît une tension agressive manifeste.
Impatiente, coléreuse, suspicieuse, haineuse, interprétative. Tout est là pour une mise en
échec. La psychothérapie l’améliore du fait de l’émergence d’affects moins bruts de décof-
frage. Mais elle y met un terme rapide en disant que ça ne sert à rien. Les trois séances
permirent de repérer une haine réciproque entre sa mère et elle.
Jean-Pascal, 45 ans, a été sous l’emprise d’une mère dictatoriale depuis toujours. Il
ne put établir une quelconque relation, envisager un projet, prendre une décision, sans
que cette dernière s’en mêle. Court-circuité dans la relation avec son père puis avec son
propre fils, il se soumit pour éviter l’orage. C’est après le décès de son père, lorsqu’il eut
40 ans, qu’il s’autorisa un quantum d’autonomie. Et c’est ainsi que la spondylarthrite
s’installa.
Conclusion
Dans le rhumatisme inflammatoire chronique, le processus auto-immun s’attaque à
l’appareil locomoteur, pétrifiant le sujet. Le traumatisme inaugural est une séparation-
dépossession qui déchire la coalescence entre le sujet et l’objet, objet tyrannique auquel
le sujet était soumis. L’immobilisation motrice se substitue à l’immobilisation psychique
imposée par l’objet.
Les représentations sont présentes mais blanches, non reliées à des affects. Ces derniers
sont indifférenciés, rudimentaires, réprimés. Les émotions sous-jacentes sont elles-mêmes
emprisonnées : peur et colère dans la PCR, colère et tristesse dans la SpA.
L’emprise parentale est centrale, très précoce, l’enfant parfois nié en tant que sujet.
7. LES COLLAGÉNOSES
7-1. Lupus érythémateux disséminé (LED)
Cette redoutable maladie de système attaque selon son humeur la peau, les muqueuses,
les séreuses, les vaisseaux, les globules sanguins, le tissu rénal, le système nerveux central.
Le diagnostic est confirmé par la biologie : facteurs antinucléaires positifs, présence de
cellules LE ou d’anticorps anti-ADN natif ou anti-Sm ou sérologie syphilitique dissociée.
Les causes le plus souvent invoquées sont les facteurs génétiques (groupe HLA, DR2 et
DR3), plus rarement les facteurs hormonaux (imprégnation œstrogénique chez la femme)
et faute de mieux… le soleil.
536
Les maladies auto-immunes
Observations personnelles
Sous l’effet de la psychothérapie, la polyarthrite de Christine (citée p. 195) dispa-
rut et il fut décidé d’arrêter les séances au bout de six mois, c’est-à-dire en juin. Trois
mois après, elle reprit rendez-vous. Elle était méconnaissable, décharnée. Durant le mois
d’août, elle avait fait une embolie pulmonaire, avait été hospitalisée et un diagnostic de
lupus avec syndrome des antiphospholipides avait été posé.
Elle ne mangeait que des aliments liquides (purées, soupes) et seulement si une
personne proche était à côté d’elle. Cette désorganisation jusqu’à un stade très archaïque,
proche des états de détresse du nourrisson, s’accompagnait d’une indifférence, d’une
insensibilité aux mondes intérieur et extérieur. Elle ne s’était rendu compte de rien.
La psychothérapie reprit. Peu à peu, les défenses mentales se réorganisèrent, dans le
sens d’une prise d’autonomie et la pathologie lupique régressa. Un an après, elle allait
bien. Au grand étonnement des médecins qui la suivaient, il ne restait plus aucune trace
biologique de lupus. Par prudence, la psychothérapie fut prolongée pendant un an.
Durant la psychothérapie, apparut la représentation de son père, dont elle n’avait
pratiquement jamais parlé lors de la première tranche. Celui-ci était parti quand elle avait
18 mois et elle ne le revit qu’à 6 ans, puis une fois par an jusqu’à 14 ans, puis une fois par
mois jusqu’à 17 ans.
Elle le revoit depuis quatre ans. Après l’hospitalisation, il l’a prise chez lui et l’a soignée.
Elle a remangé. Elle est retournée chez elle et a dit à son compagnon de partir. Elle ressent
maintenant une forte agressivité à son égard. Elle me dit avoir « l’impression d’avoir été
enfermée sous la terre pendant un an ».
537
Traité de médecine psychosomatique
7-2. Dermatomyosite
Lola, 8 ans, présente une dermatomyosite. Tout a commencé il y a un an, par des
douleurs des deux membres inférieurs avec gêne à la marche, quinze jours après le décès
accidentel de son cousin un peu plus âgé qu’elle. Les douleurs persistèrent ainsi qu’une
tristesse de fond. Neuf mois après, du fait du déménagement de ses parents, elle fut
changée d’école. Séparée de ses camarades et surtout de son amoureux, elle cessa de
marcher et fut hospitalisée. Cinq mois après, surgissaient des atteintes cutanées et des
escarres au pied. Elle est sous corticothérapie.
Depuis toujours, il existe chez Lola une angoisse de séparation majeure, reflet de celle
de sa mère. Elle a été allaitée quinze mois et dort depuis toujours soit avec celle-ci, soit
538
Les maladies auto-immunes
avec sa sœur. Elle n’a jamais eu d’objet transitionnel, sauf depuis le décès de son cousin.
C’est le doudou que ce dernier lui avait offert et qu’elle amène à la séance : elle l’a attaché
à une plus grosse peluche pour qu’il ne se perde pas. Durant la séance, la mère et la fille
sont littéralement collées l’une à l’autre. Les rêves sont des rêves peu élaborés mettant en
scène des enlèvements, des abandons, des accidents.
Ses seuls loisirs : télé, ordinateur, jeux vidéos. C’est-à-dire aucun objet pouvant être
investi dans le monde réel. Aucun obstacle venant compromettre le nirvana destructeur.
Les symptômes musculaires et dermatologiques de Lola ont été nettement améliorés
à l’issue des deux premières séances. La mère annula le rendez-vous qui suivit. Il lui en fut
redonné un autre, qu’elle annula aussi. Je ne revis plus Lola.
Cette observation est propédeutique en ce qui concerne l’angoisse de séparation. Elle
confirme ce que j’ai évoqué en première partie de cet ouvrage (p. 134) : l’angoisse de
séparation de l’enfant est directement liée à l’angoisse de séparation maternelle, et non
pas – comme on l’a cru longtemps – à des séparations réelles. L’absence de processus
défensifs contre cette angoisse va la pérenniser sous forme non élaborée. Ici, la séparation
n’a jamais eu lieu, et les mécanismes de défense n’ont pas vu le jour, tant au niveau de la
capacité d’être seul, des processus auto-calmants, que de l’adoption d’un objet transi-
tionnel. Lorsque surgissent les séparations traumatiques, aucun mécanisme de défense
psychique ou comportemental suffisamment consistant ne vient juguler la détresse. Ici,
le mécanisme de défense somatique apparaît d’emblée, sous forme d’une désorganisa-
tion aux risques imprévisibles. Il est évident que la mère a perçu en moi, sans que je lui
en souffle mot, un tiers séparateur. Elle n’y a pas vu de tiers structurant et anxiolytique
à très court terme malgré l’amélioration de son enfant. Le risque d’être séparée de son
enfant prothèse était trop grand. Pauvre objet mécanique, peluche de substitution, dont
on peut augurer une évolution soit vers la désorganisation, au mieux vers l’addiction.
7-3. Sclérodermie
Élisa, 35 ans, présente une sclérodermie. Elle s’exprime avec aisance malgré une
dysphonie importante liée à sa maladie. Tout a commencé par une rupture traumatique
il y a treize ans. Elle avait 23 ans. La relation avec son fiancé durait depuis six ans. Elle était
très dépendante de lui. Elle avait souffert d’une maladie de Raynaud à laquelle la rupture
avait mis un terme transitoire. La blessure induite par la rupture fut importante : humilia-
tion, séparation, dépossession, perte identitaire et, très rapidement, démentalisation.
Elle arrêta ses études, pourtant brillantes et très investies, se mit au lit et n’en bougea
plus pendant de longs mois, alternant pleurs et fixations alimentaires. Ce fut, me dit-elle,
« comme une porte ouverte dans laquelle entrait un courant d’air froid ». Une aménor-
rhée s’installa et, un an après, apparurent des pneumonies récidivantes, puis une dyspnée
continue avec perte de 20% de la capacité pulmonaire. Le diagnostic de sclérodermie
systémique avec atteinte pulmonaire importante fut confirmé.
Deux ans après, elle décide de quitter la France pendant quelques mois pour oublier.
Elle part pendant plusieurs mois en Asie. Au retour, choc thermique à l’aéroport :
vasoconstriction au niveau des mains et des poumons. Aggravation des troubles pulmo-
naires, installation d’une dysphonie, fractures de côtes induites par la toux.
539
Traité de médecine psychosomatique
Conclusion
Dans les collagénoses, le processus est similaire à celui des rhumatismes inflamma-
toires chroniques, mais plus intense, plus dramatique. Le prolongement des rhuma-
tismes inflammatoires en collagénoses exprime une atteinte progressive des instincts de
vie et constitue une désorganisation progressive. La motricité est atteinte mais aussi les
fonctions vitales. La dépossession induit une détresse invasive comparable aux états de
détresse indifférenciée du nourrisson, et un anéantissement du système défensif et des
instincts de vie. Le déterminant archaïque est central. L’emprise maternelle est féroce.
L’enfant est une prothèse.
Étude personnelle
Observations
Les premiers signes du syndrome de Goujerot-Sjögren de Maureen sont apparus
il y a quinze ans, sous forme d’une sécheresse vaginale d’intensité progressivement
croissante. Maureen avait 33 ans. Elle avait eu une sexualité débridée jusqu’à ce qu’elle
rencontre son futur mari deux ans auparavant. Tant que celui-ci fut indisponible puisque
marié, la sexualité fonctionna bien. À partir du moment où il fut libre et que le nouveau
couple s’installa dans une vie commune, la sécheresse vaginale apparut. Quelque temps
après, apparurent une xérophtalmie et une xérostomie. Puis ce furent des douleurs, aux
hanches, aux genoux, aux coudes.
Sept ans après, elle quitte son pays d’origine, l’Irlande, pour suivre son mari et s’ins-
taller dans le Sud de la France. Elle renonce du même coup à son activité profession-
nelle fortement investie : elle s’occupait d’un centre de femmes ayant subi des violences
sexuelles. Les douleurs s’accentuèrent dès son arrivée en France ainsi que la sécheresse des
541
Traité de médecine psychosomatique
symptômes de sécheresse. Le pull à losange est celui qu’elle portait à 14 ans, l’année de
l’inceste.
La psychothérapie, de très courte durée – car elle y mettra un terme rapide – amélio-
rera Carmen. Retour des règles, recouvrement d’une excitation sexuelle, disparition
de l’énurésie, amélioration des manifestations auto-immunes sans toutefois cessation
complète. Les symptômes s’atténuent aussi transitoirement lorsque se produit une libéra-
tion instinctuelle (autoérotisme, prise alimentaire). Elle est attirée par un homme de son
entourage, mais a très peur des réactions de son fils. Elle finira par entamer une relation
secrète en cachette de son fils, mais l’amant s’avérera porté sur des pratiques perverses.
Il exige que leurs rapports sexuels se déroulent dans des lieux publics avec spectateurs
occasionnels. La maladie s’aggravera à nouveau. Elle le quittera transitoirement, ce qui
induira une amélioration de ses symptômes mais retournera avec lui, mettant un terme
du même coup à la psychothérapie.
Marie-Noëlle s’était mariée sans en avoir réellement envie. Son futur conjoint
était un ami d’enfance, mais aussi le parrain de sa plus jeune sœur. « Il était très gentil,
s’occupait de moi pendant les vacances, alors pourquoi pas ? » Rapidement, le couple
dysfonctionna, Marie-Noëlle supportant de moins en moins l’obligation quotidienne du
devoir conjugal, d’autant qu’elle n’avait jamais éprouvé un désir intense à l’égard de son
conjoint, tant il faisait partie de la famille. « Il ne me sautait pas dessus, il était gentil,
mais si je ne répondais pas à sa demande, il boudait, il pleurait. » Au bout de quelques
années, la sécheresse vaginale s’installa, puis la sécheresse des autres muqueuses ainsi
que des douleurs articulaires. C’est alors qu’elle fut très attirée par un homme et eut une
relation avec lui. Le syndrome s’amenda, mais l’affaire fut révélée au mari par ses propres
enfants qui la réprimandèrent et exigèrent avec le père qu’elle ne sorte plus de la maison.
L’incarcération ne dura qu’une semaine et le mari, convaincu cette fois qu’il n’y avait plus
rien à faire, la laissa partir, non sans lui téléphoner régulièrement pour lui faire la morale
pendant de longues années.
Conclusion
Dans le syndrome de Goujerot-Sjögren, l’attaque auto-immune concerne la compo-
sante neurovégétative de l’émotion et de l’érogénéité. Situations relationnelles réactivant
la sidération induite par l’inceste ou l’incestuel. Plus que réprimées, les émotions sont
asséchées. Disparition de l’affect (peur). L’émotion ne s’élabore pas et son expression
neurovégétative avorte. La pulsionnalité, compromettante, est directement attaquée.
Observations personnelles
Paolo, 46 ans, présente une sclérose en plaques : troubles de la marche, contrac-
tures, limitation de l’extension des membres inférieurs. Les troubles sont aggravés par le
repos et améliorés par la marche, surtout lorsqu’elle se prolonge. « J’ai l’impression d’être
recroquevillé, figé et enfermé dans les cages de Louis XI… Je dors en position fœtale. »
Les troubles sont apparus lorsqu’il a quitté son travail d’ingénieur ainsi que sa région
pour devenir saxophoniste de jazz. À cette époque, dans ses rêves nocturnes, d’anciens
collègues de travail lui reprochaient son départ et lui prédisaient un échec dans sa
nouvelle activité professionnelle.
544
Les maladies auto-immunes
Deux ans après cette deuxième poussée, elle met au monde un garçon. Une névrite
optique se déclenche six mois après. Le diagnostic de SEP est posé. Corticothérapie suivie
de dépression.
L’année qui suivit fut marquée par une aggravation : paresthésies, anesthésie des
mains, signe de Lhermitte (décharges électriques des membres inférieurs déclenchées
par une flexion brusque de la tête), crampes. L’anamnèse ne permet pas de repérer un
quelconque facteur déclenchant, mais ceci semble de toute évidence être le fait d’une
amnésie lacunaire. Cette quatrième poussée durera un an.
La cinquième rechute s’est produite il y a quatre ans : anesthésies, paresthésies. Elle
avait alors 35 ans. Sa mère venait de rechuter d’un cancer du sein et son mari la trompait.
Elle avait peur. Elle décide de divorcer. Tout rentre dans l’ordre pendant un an.
La sixième rechute s’est produite il y a un an, contemporaine d’une nouvelle liaison :
paresthésies du thorax, des jambes, du flanc droit, hypoesthésie de la cuisse, diplopie,
douleurs.
Bettina raconte toute son histoire en souriant, voire en riant. Il existe une velléité de
séduction, une logorrhée et une certaine fuite des idées, un accrochage perceptif, qui
pourraient évoquer un état hypomaniaque.
Les rêves récurrents sont curieux. Ils mettent en scène les éléments naturels : incendie,
torrent, neige, glace.
Les poussées semblent être contemporaines d’un besoin de retrait libidinal et d’auto-
nomie.
Analyse des observations
Prédominance des réactions de caractère avortées chez les deux hommes, tous deux
musiciens. Rôle central de la maternité chez les deux femmes. Besoin d’autonomie, crainte
de la dépendance chez les quatre patients.
Atteinte d’une fonction particulièrement érotisée. Inconsistance du moi. Importance
de l’image. Distance curieuse vis-à-vis des symptômes. Œdipe. Castration. Variabilité des
symptômes. Amnésie lacunaire de certains événements. Attitude séductrice. Au simple
vu de la clinique, la tentation est grande dans les quatre observations présentées de faire
un rapprochement avec l’hystérie, tant au niveau de la dimension conversionnelle que de
la personnalité sous-jacente.
Il est vrai qu’il n’existe pas de dramatisation, que la conflictualité est souvent éludée,
que les rares rêves semblent être dénués de processus primaires, que la fantasmatique ne
surgit pas spontanément, qu’il existe parfois un accrochage perceptif, une focalisation
sur le détail, l’extériorité. Ces éléments peuvent évoquer une démentalisation relative, sur
laquelle C. Smadja a particulièrement insisté au travers du cas présenté dans son article
Clinique d’un état de démentalisation.
Je suis moins pessimiste quant au niveau de la mentalisation. Il me semble qu’elle
existe mais qu’elle doit être en permanence sollicitée ou bien se muer en sublimation,
afin que le sujet ne reparte pas dans ses considérations descriptives et anecdotiques. Le
cas de Cendrine, citée p. 545, montre tout de même une richesse signifiante lorsqu’elle
évoque la fonction du regard. Quant à l’affect, sa destinée semble double : d’une part,
une coupure de la représentation et un arrimage direct au somatique, selon un processus
pseudoconversionnel, et d’autre part, une inversion qui donne l’indifférence amusée à
l’égard des troubles.
546
Les maladies auto-immunes
Le diagnostic de sclérose en plaques a été confirmé chez ces quatre patients, par la
présence de plaques de démyélinisation, et, par ailleurs, il s’est étendu de manière rétroac-
tive aux premières poussées, probablement considérées lors de leur survenue comme des
symptômes fonctionnels. Le diagnostic anatomopathologique aurait-il pu, du temps de
Charcot, relever de tels stigmates biologiques chez un certain nombre de femmes hospi-
talisées à la Salpêtrière ? Dans l’attente d’une impossible réponse, je ne peux qu’avancer
l’hypothèse d’une fixation psychosomatique érogène qui comporte à la fois un désordre
économique (le processus auto-immun) et l’action pathogène de représentations
inconscientes identiques à celles de l’hystérie de conversion.
La sclérose en plaques porte atteinte aux fonctions de relation. L’attaque auto-immune
du SNC apparaît comme un processus défensif contre l’émergence de représentations
traumatiques ou conflictuelles. L’affect, coupé de la représentation, suit trois destinées
parallèles et séparées : répression, conversion, inversion.
corps… Je perds mes dents… Une pièce mal rangée… Mon ancienne chatte part… On
survole la mer dans un avion. » Le vécu traumatique d’intrusion apparaît dans un rêve
récurrent : « Deux filles me poursuivent pour me poignarder. »
La mère de Sabine avait été en proie à un sentiment de haine à l’égard du père
pendant toute sa grossesse. Elle fut ensuite dépressive et supporta très mal que Sabine se
rapproche de son père en période œdipienne. Obsessionnelle, elle veilla au grain, s’inter-
posa, développa une emprise constante sur sa fille, la tenant le plus possible éloignée
de son père, dénigrant régulièrement celui-ci. Et elle réussit, car Sabine développa des
sentiments hostiles à l’égard de son père dès la survenue du diabète. Cette prise d’otage
aboutit à une relation infernale, mortifère, fusionnelle et ambivalente. « Ma mère, c’est
moi. Elle me soigne, je la soigne. » À l’adolescence, elle provoquait ses hypoglycémies
pour que sa mère s’occupe d’elle et lui apporte sa quantité nécessaire de sucre. À 16 ans,
elle traversa une période de boulimie.
La maltraitance est déguisée. L’hyperglycémie se substitue de toute évidence à la
défaillance maternelle.
Myriam, 40 ans, présente un DID depuis la séparation douloureuse d’avec son
conjoint il y a deux ans. Celui-ci habite ses rêves récurrents : « Il est là, il me trompe, me
donne des ordres. » Il habite aussi ses pensées diurnes et, tel le spectre d’un comman-
deur, lui interdit toute nouvelle relation amoureuse. S’il lui arrive d’être en contact avec
un potentiel prétendant, une crise d’hypoglycémie surgit. Tristesse. Hyperémotivité. Peur
pulsionnelle. Idéal projeté sur l’absent.
Lorsqu’elle eut 3 ans, son père partit. Elle ne le revit plus. Elle traversa une période de
grande tristesse, puis une anorexie s’installa. Sa mère, très dépressive, jeta son dévolu sur
elle. Myriam devint l’objet transitionnel de celle-ci, dévouée corps et âme, renonçant à sa
vie de petite fille.
Camille, 21 ans, présente un DID apparu à l’âge de 12 ans, de manière contempo-
raine à sa puberté. Dans l’année qui avait précédé, la famille avait déménagé et elle avait
eu du mal à tisser de nouveaux liens amicaux, d’autant que son image corporelle avait
été profondément altérée depuis peu par le port d’un impressionnant appareil d’ortho-
dontie. Afin de mieux supporter ladite muselière, il lui avait été interdit de manger toute
sucrerie. Enfin, un nouveau déménagement était par ailleurs imminent, et la sœur aînée,
à laquelle elle était très attachée, ne devait pas faire partie du voyage. C’est ainsi que
s’installèrent amaigrissement, polydipsie, polyphagie en début d’été. Au vu du diabète
et du risque infectieux, l’ablation d’un rein fut programmée car elle était porteuse d’une
dilatation pyélocalicielle liée à un rétrécissement urétral congénital. Dans les suites de
l’intervention préventive, elle développa des troubles anxieux et un cauchemar récurent
apparut : une tige de fer la traversait de part en part au niveau de l’abdomen. Trois mois
après, elle dut être hospitalisée du fait de son déséquilibre acido-cétosique. C’est alors que
les investigations cliniques, du fait de douleurs pelviennes récentes, mirent en évidence
une polykystose ovarienne. Les traitements hormonaux n’ayant pas donné de résultats
probants, une ablation ovarienne unilatérale fut pratiquée. Elle avait 17 ans, était encore
vierge, bien que rompue aux rapports « sexuels », tels qu’il convient de les définir.
Sa psychothérapie dura un an. Le rêve récurrent se transforma. Ce n’était plus une
barre de fer qui la transperçait mais une énorme seringue à insuline. Elle se réveillait
549
Traité de médecine psychosomatique
brutalement et allait manger. Peu à peu, le rêve disparut. Elle rencontra un garçon avec
qui elle eut des relations sexuelles moins branchées mais plus satisfaisantes. Elle est à ce
jour mariée. Le diabète est toujours son compagnon de voyage, mais il est paisible. Il lui
reste un ovaire et elle envisage une maternité.
Une constipation liée à un mégacôlon fonctionnel avait accompagné son enfance.
Suppositoires quotidiens, lavements, régimes stricts, rééducation intestinale.
Yves rencontre sa future épouse à 30 ans. Un dysfonctionnement conjugal s’installe
rapidement. C’est au moment où il décide de se séparer que son épouse tombe enceinte.
Il ignore qu’il n’est pas le père géniteur et accueille l’enfant auquel il s’attache rapidement.
Lorsque le petit garçon a 5 ans, sa femme lui révèle qu’il n’est pas le père. Son attachement
à l’enfant n’en est pas pour autant ébranlé mais, dans les mois qui suivent, s’installe un
diabète. La discorde parentale perdure et, cette fois-ci, finit par aboutir à une séparation.
Il élèvera seul son fils, la mère disparaissant dans la nature pendant deux ans. Lorsque
l’enfant a 7 ans, la mère exige de le récupérer. Dont acte. Coma diabétique. Hospitalisa-
tion. Le petit garçon ne sait toujours pas que son père n’est pas son père biologique et
Yves fait la connaissance ce dernier qui lui non plus n’est au courant de rien.
Frédéric vit avec son ami Gérald depuis treize ans. Il a pris beaucoup de poids ces
dernières années depuis que Gérald multiplie les escapades dans les boîtes de nuit spécia-
lisées, les saunas, les vespasiennes. Il y a un an, une gastroplastie est réalisée. Il perd 30 kg
en un an mais un diabète s’installe rapidement. Il y a six mois, il apprend la séropositivité
de Gérald. Déséquilibre du diabète.
Avant de connaître Gérald, Frédéric vivait depuis cinq ans avec sa mère, dans les suites
du décès de son père. Sa mère était diabétique. Il était à ses petits soins.
Résultats de l’étude
Cette étude a réuni 23 cas de diabète de type I : 18 femmes, 5 hommes.
Les médecins adressent les patients au cabinet lorsqu’ils suivent le traitement et le
régime de manière anarchique ou bien lorsque le DID est déséquilibré et qu’ils perçoivent
un état dépressivo-anxieux.
On repère peu d’antécédents familiaux dans nos observations.
Facteurs traumatiques
Les traumatismes déclencheurs sont des événements inducteurs de détresse ou
d’effroi : événements particulièrement anxiogènes face auxquels le sujet se sent démuni,
désarmé. Les défenses psychiques et comportementales sont dépassées.
Hormis la puberté (3 cas), il s’agit d’événements traumatiques aigus à type de perte ou
d’agression :
––pertes : 14 cas ;
––castration (10) : vécus de castration dans le couple, appendicectomie, dépossession
de paternité ;
––séparation (4) : déménagements, séparations définitives ou transitoires, menace de
séparation ;
––agressions : 9 cas ;
––maltraitance, accidents, agressions physiques, viol.
Aucune situation de contrainte ou d’attente n’intervient dans le déclenchement. Mais,
secondairement, ces mêmes situations interviennent dans les poussées d’hyperglycémie.
550
Les maladies auto-immunes
Clinique psychosomatique
La mentalisation est très variable selon les sujets au moment où ils sont vus au
cabinet, c’est-à-dire à distance conséquente du traumatisme inaugural. La qualité de la
mentalisation actuelle, que l’on peut rencontrer chez certains sujets, n’exclut pas le proces-
sus de démentalisation massif qui a précédé la survenue du diabète et la démentalisation
secondaire induite par la maladie et les traitements dans les premiers temps.
La dépression est évidente dans deux tiers des cas. Elle est, en apparence, en grande
partie secondaire à la maladie. L’auto et/ou l’hétéro-agressivité est manifeste, les idées
suicidaires fréquentes chez les DID non équilibrés, plus particulièrement les adolescents.
La tension interne et l’angoisse apparaissent dans deux tiers des cas. Pour une large
part induite par la maladie, cette tension est potentiellement inductrice d’hyperglycémies.
La répression émotionnelle est aussi évidente dans deux tiers des cas.
On repère aussi, chez de nombreux sujets, tantôt un vécu de persécution, inducteur
chez certains de mécanismes interprétatifs, tantôt des éléments masochistes, plus parti-
culièrement chez les sujets qui présentent une urticaire chronique, les poussées d’urti-
caire (décharges pulsionnelles) alternant alors avec les phases de déséquilibre du diabète.
Les antécédents de troubles des conduites alimentaires à l’adolescence ou de régimes
sont fréquents. Notons aussi qu’un nombre signifiant de sujets ont une activité profes-
sionnelle en relation avec l’alimentation.
Chez les hommes, les vécus de castration sont constants. L’homosexualité apparaît
dans 75% des cas.
Hyperglycémies
Elles se manifestent par des céphalées, une soif, une irritabilité, une tension agressive,
un besoin mictionnel.
En dehors des écarts évidents au niveau de l’alimentation ou de l’activité, elles sont
dues à la tension émotionnelle, l’anxiété, la rumination, la frustration, la tension agressive.
Quelques patients recherchent activement cette tension interne pour induire une hyper-
glycémie qui, comme l’apport sucré, leur permet de s’endormir. La glycémie augmente au
décours des rêves où le sujet est en prise avec des ennemis.
L’hyperglycémie est le signe d’un combat dans lequel l’agressivité est réprimée.
551
Traité de médecine psychosomatique
Hypoglycémies
Elles se manifestent par un ensemble de symptômes : fatigue, hypotonie musculaire,
faim, tremblements, obnubilation, sensation de vide, jambes en coton, passivité.
En dehors des écarts alimentaires ou des variations de l’activité, elles surgissent lorsque
la lutte cesse, au moment du relâchement, ou bien sous l’effet d’une émotion érogène.
La glycémie baisse si le patient s’évade dans un imaginaire dans lequel il est actif ou au
décours d’un rêve érotique.
Les sujets redoutent les hypoglycémies. Elles sont vécues comme une perte de maîtrise
et de contrôle, un état de vulnérabilité, une mise en danger.
L’histoire du sujet
Excepté certaines situations traumatiques dans lesquelles la famille est plus victime de
l’inconséquence médicale que coupable (Camille, p. 549), le contexte familial est, le plus
souvent, pathogène, compressif, répressif, et même chaotique : confusion ou dislocation
des repères familiaux, sexuels, générationnels.
Le fonctionnement maternel est particulièrement pathogène : emprise, contrôle,
étouffement, intrusion, intransigeance, culpabilisation, agressivité, dénigrement, dévalo-
risation. Ce fonctionnement peut, dans certains cas, friser la tyrannie si ce n’est la maltrai-
tance. La révolte de l’enfant est impossible.
Dans d’autres cas, la relation est fusionnelle mais très ambivalente, en miroir.
Les représentants paternels sont le plus souvent inconsistants, évanescents, absents,
mis à distance par la mère ou au rebut.
La séquence pathogène
1. Insuffisance ou excès du pare-excitation maternel.
2. Détresse ou effroi induits par le traumatisme. Dissolution de l’agressivité.
3. Première défense somatique : besoin de sucre (phase 1 et 2 du SGA).
4. Obstacle : l’insuline.
5. Deuxième défense somatique : atteinte auto-immune du pancréas qui rend le sucre
disponible autant qu’il est nécessaire. L’apport de sucre se substitue au pare-excitation
depuis toujours défaillant. L’hyperglycémie se substitue à la mère nourricière.
6. Effets somatopsychiques : l’objet diabète remplace la mère persécutrice. Désobéis-
sance, jeu, règlement de comptes, désir d’être en hyperglycémie.
7. Bénéfices secondaires. La mère ou ses représentants (soignants) réinvestissent la
fonction de soin. Néo-pare-excitation qui permet de retrouver le bon objet qui n’a jamais
existé.
11. DYSTHYROÏDIES
Les hormones thyroïdiennes apportent de l’énergie à l’organisme et stimulent
l’ensemble des fonctions vitales. Leur action est comparable à celle du système d’alarme
du SGA. Lors de la phase d’adaptation, la TSH diminue et la conversion de T4 en T3 est
inhibée.
Depuis quelques années, les endocrinologues reconnaissent tous la dimension
psychosomatique de la maladie, aussi bien dans la maladie de Basedow que dans la
thyroïdite de Hashimoto, mais peu d’entre eux demandent un avis psychosomatique. Les
patients eux-mêmes sont peu demandeurs.
552
Les maladies auto-immunes
11-1. Maladie de Basedow
La maladie de Basedow associe une thyrotoxicose à un goitre vasculaire, et une
fréquente exophtalmie.
Les anticorps anti-récepteurs de la TSH viennent prendre la place de celle-ci sur les
cellules réceptrices thyroïdiennes et stimulent de fait par excès la fonction thyroïdienne.
Une rareté dans le domaine des MAI, car il ne s’agit pas de déficit mais d’excès.
Chez l’homme, la maladie est plus rare mais plus grave.
Données de la littérature
Les facteurs traumatiques jouent un rôle bien connu dans le déclenchement des
poussées de la maladie : deuils, séparations, mais aussi événements à valeur hédonique.
On retrouve cette caractéristique dans le déclenchement des accès maniaques chez
certains sujets. Plus que la connotation hédonique ou délétère de l’événement, c’est
l’afflux d’excitation qui semble jouer un rôle déterminant.
Michel Hautecouverture cite le cas d’un jeune homme qui développa brutalement une
maladie de Basedow dans les suites de son interdiction de rentrer dans l’armée. Il résista
pratiquement à tous les traitements. Quatre ans plus tard, il intégra une école militaire et
guérit en un mois. La maladie était terminée. L’exophtalmie disparut presque en totalité.
Des signes psychiatriques, parfois explosifs, accompagnent le plus souvent la maladie :
dépression, anxiété, troubles cognitifs, agitation psychomotrice, voire manifestations
maniaques ou psychotiques. Les symptômes dépressifs peuvent précéder les manifesta-
tions somatiques.
Étude personnelle
Lorsqu’Isabelle, diabétique, citée p. 548, revint me voir six ans plus tard, elle
présentait une maladie de Basedow, apparue dans un contexte de tension profession-
nelle extrême. L’objet persécuteur était son travail, plus particulièrement une collègue de
bureau. Isabelle était convaincue que celle-ci l’agressait, l’avait mise sur écoute, et avait des
vues sur un homme dont elle était amoureuse. Elle me déclara souhaiter lire son dossier
médical pour vérifier si cette collègue n’était pas venue le décoder. Devant mon refus,
elle ne fut pas agressive et la relation à sa mère fut alors à nouveau abordée. Violence et
emprise féroce de celle-ci, rejet de sa féminité, exclusion du père dans la relation. Cette
séance et celles qui suivirent – car devant l’apaisement induit, je lui redonnais rendez
vous – permirent d’atténuer l’état de tension et la quête procédurale. Je sais à l’heure
actuelle qu’elle va bien. Elle est sous substitut thyroïdien et suit un traitement neurolep-
tique léger qui lui a permis de retrouver un travail qui lui convient.
Nancy, 51 ans, et son mari sont cogérants d’une société. Elle s’occupe de la gestion.
Lui, du commercial. Il est fantasque, infantile, désordonné, et très complexé face à Nancy
qui gère l’entreprise d’une poigne de fer. Il y a quatre ans, elle décide de mettre l’entreprise
à son nom propre, ce qui génère un conflit violent au sein du couple. Elle se retrouve
hospitalisée en psychiatrie et ne garde aucun souvenir de cette hospitalisation. La maladie
de Basedow surgit dans les suites immédiates. Rechute deux ans après suite à un nouveau
conflit. Le mari avait invité sa sœur à passer quelques jours à la maison. Rechute il y a six
mois. Elle découvre que son mari papillonne. Ses rêves récurrents, dans lesquels son mari
est « encastré », selon ses propres termes, mettent en scène des disputes, des bagarres
avec lui.
553
Traité de médecine psychosomatique
La relation entre Karen et Emma était relativement stable jusqu’au jour où internet
pénétra dans la maison. C’est au cours de ces nuits magiques sur la toile qu’une certaine
Sandra, adepte du site, séduisit Karen en lui injectant une panoplie de fantasmes sadoma-
sochistes. Excitation intense mais rencontre toujours différée par Sandra. Échange de
photos sans feuille de vigne. Mais impossible de se voir ailleurs que sur l’écran. Au bout de
trois mois, Sandra se débinait toujours. Impossible de se voir… Pour Karen : exophtalmie,
Basedow, corticothérapie, hypomanie.
Les productions oniriques attestent du traumatisme : « Des échanges de regards avec
Sandra… Une chatte me saute dessus, elle sent très mauvais… Sandra m’ensorcelle au
cours d’une séance de magie noire. » D’autres rêves traduisent le désordre identitaire
sexuel : « Je suis un homme enfermé dans une prison de femmes. »
Mère étouffante experte en chantage affectif, s’interposant entre Karen et son père,
étalant sa vie sexuelle avec grande richesse de détails. Papa aurait voulu violer maman
avec une carabine ! « Papa, on l’appelle “L’autre” dans la famille. “L’autre” voulait un
garçon. » Maman, en avance sur son temps, adepte visionnaire de l’idéologie du genre, lui
enseigna les règles de base de l’indistinction sexuelle. Lorsque Karen eut 20 ans, « l’Autre »
utilisa son fusil mais, au grand étonnement de tout le monde, contre lui-même.
Sabine (citée p. 548), dont le diabète était apparu à 7 ans en colonie de vacances,
développe à l’âge de 21 ans une maladie de Basedow après sa réussite au concours d’entrée
à l’école de magistrature. S’éloigner de la famille, se soustraire à l’emprise maternelle était
impensable, irreprésentable, impossible.
Vanina, 40 ans, a toujours travaillé avec son père et sa mère dans l’entreprise
familiale. Il y a sept ans, suite à un contrôle fiscal, elle accepte de reprendre l’entreprise à
son nom, le père ayant géré celle-ci de manière totalement irresponsable. Elle emprunte
de l’argent pour payer une partie du redressement et, à bout de force, finit par dévelop-
per une dépression. Le père continue à jeter l’argent par les fenêtres, à telle enseigne que
Vanina est contrainte de lui donner chaque semaine son argent de poche. Les parents
finissent par se séparer. Vanina vit avec sa mère, dort avec elle, voit de temps en temps
son père. Tentative de suicide dans les suites d’une dispute avec ce dernier. Exophtalmie.
Basedow. Invalidité. Liquidation de l’entreprise.
La maladie de Basedow de Stéphanie, déjà citée p. 240, a surgi il y a sept ans dans les
suites du décès de sa grand-mère. Stéphanie suit actuellement un protocole de procréa-
tion médicale assistée. Elle voulait faire un enfant toute seule mais finit par épouser un
brave homme falot, soumis et inexistant, tout comme son propre père. Père que sa mère
et elle appellent « Le père ». Père de qui ? Le seul couple dans la famille, c’est Stéphanie et
sa mère. « Je suis son mari. Je suis la clé de son couple. » La grand-mère constituait de son
vivant un rempart contre l’emprise maternelle. Interdit de féminité, interdit de maternité.
Résultats de l’étude
13 cas. Uniquement des femmes.
Facteurs traumatiques
La pathologie apparaît dans les suites immédiates d’événements traumatiques, laissant
le sujet démuni.
554
Les maladies auto-immunes
Ce sont des pertes (séparations, divorces, décès, ruptures de relation) dans 57% des
cas, ou des conflits majeurs, aigus et anxiogènes dans 43% des cas.
La révolte thyroïdienne paraît constituer une ultime défense, une rage désespérée,
dans un contexte d’anxiété paroxystique.
Fonctionnement psychique
Il existe dans tous les cas des troubles psychopathologiques préexistant que la patholo-
gie thyroïdienne va secondairement aggraver. Troubles de l’humeur, volontiers cycliques,
dépression, hypomanie, troubles du caractère et des conduites, impulsivité, pithiatisme
parfois, personnalité prépsychotique souvent, persécution, interprétation.
Les sujets ont des réactions sthéniques fréquentes, un caractère explosif, vécu de
toute puissance alternant avec de brusques effondrements, une absence de culpabilité
consciente, une intolérance à la frustration.
Le complexe de castration est majeur et constant. La question peut se poser de la
genèse de l’exophtalmie en relation avec l’angoisse scopique. Les défenses à l’encontre
de l’image de la castration résident essentiellement dans une velléité de captativité et
de castration du personnage masculin. Le désordre identitaire sexuel est éminemment
fréquent. L’identification masculine domine. On retrouve l’homosexualité dans deux tiers
des cas analysés.
Histoire du sujet
Dans l’entourage des sujets, il existe une dislocation des repères familiaux, génération-
nels et des identités sexuelles.
Le père est un professionnel de l’esquive : volage, instable, infantile, irresponsable,
castré, fuyant, absent.
Le personnage maternel semble jouer un rôle très toxique, mortifère. Mère fusionnelle,
étouffante, culpabilisante, toute puissante, dirigiste, exerçant une emprise sur sa fille,
parfois terrifiante. Mère prenant en otage sa fille, l’utilisant comme alliée face au père qui
s’esquive, ou l’utilisant comme un mari de substitution. Mère dénigrante, n’accordant pas
le statut de sujet à sa fille. Parfois, on repère des vœux inconscients de mort à l’encontre
de cette dernière. On repère aussi, assez souvent, des lignées de femmes toutes puissantes
dans lesquelles la place de la fille est court-circuitée.
Il existe une similitude avec le profil maternel retrouvé dans les diabètes de type I mais,
ici, il revêt un caractère plus général et plus inquiétant.
La réaction
L’assujettissement de l’enfant laisse celui-ci démuni face au traumatisme. La réaction
biologique qui vient suppléer l’absence de mécanismes de défense psychiques ou
comportementaux va, aussi bien dans le diabète que dans l’hyperthyroïdie, dans le sens
d’un ultime apport énergétique (sucre, hormone thyroïdienne).
11-2. Thyroïdite de Hashimoto
Données de la littérature
L’hypothyroïdie franche d’origine périphérique est confirmée par une élévation de TSH
et une diminution de T4. Sa cause principale est la thyroïdite chronique auto-immune de
Hashimoto.
555
Traité de médecine psychosomatique
Étude personnelle
Observations
Jeanine a développé une thyroïdite de Hashimoto à 54 ans. Déjà déprimée par sa
ménopause, elle a été l’objet d’une trahison au sein du conseil municipal dont elle était
membre (« comme si mon mari m’avait trompée »). C’est une femme très active, pièce
maîtresse au centre de sa famille qu’elle appelle sa « tribu ». « Nous sommes tous collés
les uns aux autres. »
Jordane a développé une thyroïdite de Hashimoto dans un contexte de dépression
atypique à 17 ans. Elle venait de réussir le bac et ne supportait pas l’idée de quitter sa
famille pour entrer en faculté de médecine. « Je suis tout pour mes parents. » « J’aime
faire plaisir aux autres, je fais semblant que tout aille bien. »
La thyroïdite de Line est apparue à 36 ans dans un contexte d’intense répression
affective et émotionnelle, suite au décès de sa mère deux ans auparavant. Elle s’était
beaucoup occupée d’elle durant les trois ans de la maladie qui devait l’emporter. Après le
décès, elle a donc fui dans le travail. Après l’installation de la thyroïdite, une dépression
est apparue, aggravée ultérieurement par la cessation de son activité professionnelle du
fait de sa maternité. La réaction de deuil de sa mère a alors resurgi, favorisée par une
inactivité toute relative, car elle consacre tout ce qui lui reste d’énergie à s’occuper de son
enfant.
La thyroïdite d’Aurélia a débuté à 59 ans, dans les suites immédiates de la sépara-
tion géographique d’avec son compagnon. Répression de toutes les émotions (tristesse,
colère…).
La thyroïdite de Claudine s’est installée à 36 ans dans les suites de son divorce
et du décès de son père. Claudine est dépressive. Elle a toujours vécu sous l’emprise de
quelqu’un : d’abord sa mère qui la contrôlait sans cesse, et maintenant son fils de 26 ans
qui vit avec elle et se comporte comme un tyran.
556
Les maladies auto-immunes
C’est dans les suites des inondations de 2002 que la thyroïdite de Maddy s’est
installée. Elle avait été hélitreuillée et avait perdu tout le mobilier de sa maison. Syndrome
psychotraumatique suivi de fatigue intense, d’émoussement dépressif, puis thyroïdite.
Ysilde, 50 ans, s’est toujours connue dépressive, sauf pendant ses grossesses. Lors de
la première, elle se décrit comme transformée. Une césarienne générera une dépression
qui disparaîtra pendant la deuxième grossesse. Mais celle-ci se soldera par une nouvelle
césarienne et une dépression postnatale avec angoisse de mort, idées suicidaires, thyroï-
dite de Hashimoto.
Le père de Solène, déjà citée p. 237, a renoncé à ses droits de paternité lorsqu’elle
avait 2 ans. Solène prendra alors le nom de sa mère. À 4 ans, le nouveau compagnon de
celle-ci reconnaît Solène légalement et l’adopte. Lorsqu’elle a 10 ans, le nouveau couple
divorce et le beau-père renonce à son tour à son droit de paternité. Solène reprend à
nouveau le nom de sa mère. À14 ans, elle demande à revoir son vrai père. La réponse est
négative car la nouvelle femme de celui-ci s’y oppose. Colère. Compulsions alimentaires.
Obésité. Elle perdra du poids spontanément pendant son unique grossesse. Lorsque
l’enfant aura 2 ans, son conjoint la quittera. Thyroïdite de Hashimoto.
Résultats de l’étude
21 cas : 20 femmes, 1 homme.
Traumatismes inducteurs
Les traumatismes inducteurs de la pathologie sont, dans la majorité des cas, des pertes
(79%), plus rarement des situations conflictuelles aiguës (21%).
Parmi les pertes, les séparations occupent une place prépondérante (55%). Les autres
pertes sont les deuils, les trahisons et les déceptions, les pertes matérielles, la castration.
Les situations conflictuelles (privées ou professionnelles) ont un caractère aigu, explo-
sif, de courte durée.
Fonctionnement psychique
La mentalisation est bonne au moment de l’investigation, mais la répression émotion-
nelle est constante et intense dans les suites du trauma.
La symptomatologie psychiatrique se limite à la dépression. Celle-ci est quasi constante,
soit préexistante à la maladie, soit consécutive.
Dans 100% des cas, on repère :
––un dévouement inconditionnel aux autres : le sujet s’occupe de tout le monde,
« porte tout le monde », est au service de son entourage ;
––un besoin de maîtrise : gestion en toute chose, gestion des autres, désir que tout aille
bien ;
––une sur-occupation dans l’agir ;
––une répression des affects et des émotions pour épargner les autres.
Contrairement au diabète et à l’hyperthyroïdie qui, comme nous l’avons vu plus
haut, suppléent la carence défensive par un apport énergétique, l’hypothyroïdie est une
réaction biologique de renoncement, une mise en veilleuse, une réaction de défaite, de
repli.
557
Traité de médecine psychosomatique
12. CONCLUSION
Les réactions traumatiques qui déclenchent les maladies auto-immunes sont très
disparates selon le type de maladie. Dans les rhumatismes inflammatoires chroniques, les
collagénoses, le syndrome de Goujerot-Sjögren, la sclérose en plaques, le diabète de type I,
la maladie de Crohn, elles sont particulièrement démentalisées, à type de détresse, proche
des syndromes psychotraumatiques et des états de détresse indifférenciée du nourrisson,
laissant le sujet démuni de mécanismes de défense. Dans la thyroïdite de Hashimoto, le
vitiligo, la démentalisation est moins intense. Dans les uvéites, la mentalisation est bonne.
Dans la maladie de Basedow, elle est explosive et désorganisée.
Cette hétérogénéité quant à l’aspect économique est liée à la fonction atteinte et
au moment évolutif où s’est organisée la fixation. On notera de ce point de vue que la
distinction entre maladies systémiques et maladies d’organe est artificielle et ne se prête
pas à une recherche et une théorisation d’un point de vue psychosomatique.
Il apparaît plus pertinent d’établir une distinction à partir des systèmes fonctionnels
altérés. Par exemple, les maladies rhumatismales inflammatoires et leur prolongement
en collagénoses expriment une atteinte progressive des instincts de vie : motricité, puis
fonctions vitales. Leur déterminant archaïque est de toute évidence central. Le syndrome
de Goujerot-Sjögren à ses débuts, tout comme l’uvéite et le vitiligo, signent une attaque
de l’érogénéité, c’est-à-dire qu’ils sont le fait de fixations beaucoup plus récentes d’un
point de vue évolutif. Quant à la sclérose en plaques, qui porte atteinte aux fonctions de
relation, ses déterminants paraissent plus étalés d’un point de vue diachronique, ce qui
lui confère une dimension mystérieuse, à la fois archaïque d’un point de vue économique
et terriblement séduisante quant à sa dimension symbolique.
Les maladies auto-immunes se définissent à partir d’un diagnostic biologique, témoin
partiel d’un processus physiopathologique complexe et différent d’une pathologie à
l’autre. Les études cliniques que nous venons de présenter ne retrouvent pas de traits
communs à l’ensemble des maladies auto-immunes, si ce n’est l’attaque d’une fonction
qui, au moment du traumatisme, pose problème ou constitue le lieu de la réactivation
d’une fixation.
Les problématiques diffèrent d’une maladie auto-immune à l’autre. Ce qui est commun,
c’est le désordre économique et l’attaque du soi, d’un organe ou d’une fonction impliquée
dans le système défensif somatique. La fonction atteinte est celle qui est censée venir
suppléer, dans une situation donnée, la sidération des défenses psychiques et compor-
tementales. Faute de défenses psychiques et comportementales opérantes, s’installe une
défense somatique qui vient éliminer ou modifier une fonction importante, objet de
fixation antérieure.
On ne saurait dessiner un profil de personnalité pour l’ensemble des pathologies
auto-immunes. Mais il existe de toute évidence des traits de personnalité, des modes de
fonctionnement et de réactivité psychique, des modes de relation d’objet, des problé-
matiques, si ce n’est des complexes similaires, spécifiques d’une maladie auto-immune
donnée, voire d’un groupe de maladies auto-immunes affectant un système fonctionnel
donné.
558
Les maladies auto-immunes
On retrouve aussi certaines constantes dans les maladies auto-immunes à fort déter-
minant archaïque, notamment la préséance de la dissolution du sujet dans l’emprise
maternelle.
Les fixations archaïques induisent des désordres somatiques plus graves, plus exten-
sifs aux différents systèmes fonctionnels. Elles sont fragiles, ouvrant la porte à la désor-
ganisation. Les fixations psychosomatiques érogènes induisent des désordres limités à
une fonction. Elles sont solides et constituent un point d’attraction pour les régressions
psychosomatiques.
Le tableau qui suit illustre l’hétérogénéité psychosomatique des maladies auto-im-
munes que nous avons étudiées. Il montre que le processus auto-immun ne peut être
caractérisé, d’un point de vue psychosomatique, de manière univoque.
Fonction Fonction Déterminants Système défensif Fixations
atteinte psychosomatique infantiles
Rhumatismes Motricité Affects réprimés Emprise paren- Fragile Archaïque
inflammatoires et peu différenciés. tale
chroniques (Peur et colère dans
la PCR. Colère et
tristesse dans la
SpA.)
Collagénoses Fonctions vitales Disparition de Emprise mater- Éteint Archaïque
l’affect (colère, nelle
tristesse)
Syndrome Composante - Assèchement Contexte Fragile Fixation
de Goujerot- neurovégétative émotionnel incestuel ou psychosomatique
Sjögren de l’émotion - Disparition de incestueux
l’affect (peur)
SEP Vie de relation Répression, refoule- - Castration Faible Fixation
ment, conversion et - Œdipe psychosomatique
inversion de l’affect
Diabète - Énergétique Répression émo- Emprise mater- Faible Fixation archaïque
de type I - Apport d’éner- tionnelle nelle
gie
Basedow - Énergétique Pas de répression - Emprise mater- Puissant mais Fixation archaïque
- Atteinte défi- nelle instable +
citaire - Désordre iden- Castration
- Apport d’éner- titaire
gie
Hashimoto - Énergétique Répression émo- Idéal du moi Fort mais Idéal du moi
- Défaite tionnelle dépassé
Maladie Assimilation - Lacunes du Pcs. - Désordre iden- Faible et instable Archaïque
de Crohn - Répression de titaire
l’affect (peur) - Fixation anale
non érogène
Uvéite Pulsion Refoulement - Castration Fort mais Fixation
scopique - Œdipe dépassé psychosomatique
érogène
Vitiligo Zone investie Refoulement Castration Fort mais Fixation
dépassé psychosomatique
érogène
559
Traité de médecine psychosomatique
Dans la nouvelle éponyme de Maurice Genevoix, le chat Rroû va mourir, pris au piège
d’un braconnier, au fin fond d’une forêt. De faim, de soif ou bien dévoré par un prédateur,
ou encore achevé par un chasseur. Il n’échappera pas à son destin. Il finit par se ronger la
patte jusqu’à ce que le moignon se détache du piège. Malade, délabré, il erre en boitant
puis, au fil des semaines et des mois, redevient le chat qu’il était, une patte en moins.
L’attaque de son corps l’a sauvé.
Celui qui, voulant fuir les flammes de la tour en feu, se jette dans le vide, n’aura pas la
même destinée. Il mourra en voulant se sauver.
L’attaque auto-immune paraît être le mécanisme de défense de dernier recours destiné
à préserver quelque chose qui est de l’ordre de l’intégrité physique ou psychique, de la vie
au sens le plus général du terme. L’issue est toujours incertaine.
Aménagement spatial
Préférer le face à face, tout au moins au début, car le divan « accroît pour le patient la
difficulté de contrôler la non-disparition de l’objet ou sa présence affective » (F. Duparc,
La manie blanche). Par ailleurs, le face à face permet de repérer les réactions du patient.
Secondairement, la position allongée favorisera la relaxation. La solution de compromis
la mieux adaptée est la position allongée dans laquelle l’analyste est à côté du patient,
demeurant dans son champ visuel. La relaxation analytique constitue parfois une bonne
indication.
Régulation économique
Faire face au débordement de l’excitation et apaiser celle-ci : interventions directives
portant sur le fonctionnement psychique, ralentissement du rythme des associations du
patient qui augmente sans prendre en compte la charge affective de ses paroles, inter-
ventions portant sur les comportements à risque, réanimation des affects au sein de la
sphère psychique.
Attitude préventive
Éviter de « réanimer les ombres du passé par de nouveaux bouleversements trauma-
tiques » (ibid.). Tout changement de cadre, toutes les séparations, extérieures ou
analytiques, doivent être longuement préparés. Ne pas être excitant, puis décevant ;
l’investissement du patient doit être régulier.
Reconstruction
Restaurer le narcissisme, mettre en valeur le rôle actif que le patient peut jouer dans sa
relation avec sa maladie. Le but final est, bien sûr, « la représentation de l’histoire occul-
tée et la gestion de l’héritage psychique du sujet » afin de construire son histoire, « son
roman familial et ses différentes versions occultées, encryptées ou trans-générationnelles,
conjecturales ou confirmées par des tiers, versions non exclusives qui seules permettent
de restaurer la part du choix subjectif dans les matériaux de l’héritage » (ibid.).
561
Chapitre 20
L’ŒIL ET LA PSYCHOSOMATIQUE
1. INTRODUCTION
Aucun organe n’est plus proche du cerveau que l’œil. Aucun sens n’est plus proche de
la pensée que la vue. Psyché est aussi un miroir.
Le cerveau reçoit et traite les stimuli visuels mais il émet aussi des images en leur
absence comme en attestent les rêves et les hallucinations. Il transforme l’image de l’objet
extérieur. Ce mouvement centrifuge vers le monde extérieur a été confusément perçu en
d’autres temps. Jusqu’au xve siècle, l’œil n’est pas considéré comme un unique récepteur, il
est aussi une lumière qui émet, un phare, il envoie des flèches, des traits. Nous conservons
encore certaines métaphores : œil perçant, œil de feu, fusiller du regard, des « yeux révol-
vers », le mauvais œil qui frappe l’autre. Les premières techniques d’hypnose utilisaient le
regard exorbité du thérapeute pour induire le sommeil. L’œil est un organe d’emprise et
de prédation.
Ce n’est qu’aux débuts de l’ère scientifique, au xviie siècle, et plus particulièrement
grâce à la découverte des lois de l’optique, que l’œil sera relégué à sa stricte fonction
de récepteur. Les découvertes neurophysiologiques plus récentes ont, depuis, restauré la
vision dans sa double fonction de récepteur du monde extérieur mais aussi du monde
intérieur. Le regard est le miroir de l’âme.
Le plaisir des yeux débute très tôt chez l’enfant et transforme la vue en regard. La
pulsion scopique joue un rôle fondamental dans le développement de la pensée et de
la structure psychique, laissant ses empreintes au niveau de l’image du corps, de la vie
sexuelle et des sublimations de l’adulte. Elle confère au regard une fonction désirante,
hédonique mais aussi transgressive. Le plaisir des yeux doit être châtié. Orphée va délivrer
Eurydice descendue aux Enfers après la morsure d’une vipère le jour de ses noces. Il ne
doit pas regarder Eurydice dont le visage est dissimulé par un voile. Dans sa folle hâte,
il n’y résiste pas et perd une deuxième fois l’être cher. Éros quitte Psyché dès qu’il a été
l’objet de son regard. Quant à Œdipe, il se crève les yeux, pour se châtier du forfait qui
vient de lui être révélé et dont il n’avait pas conscience. Le mythe nous plonge au cœur de
la pathologie ophtalmologique dans laquelle, comme nous le verrons, la pulsion scopique
doit être mise hors d’état de nuire. Circulez, il n’y a rien à voir !
Dans le règne animal, la vision est au service de la survie : attaque, fuite, immobilisation
défensive. La sensibilité rétinienne, l’acuité visuelle, le champ de vision, la profondeur de
champ, varient en fonction de chaque espèce selon les nécessités adaptatives qui lui sont
propres. La reproduction aussi n’est pas dénuée d’investissement scopique. Les plumes
du paon tapent dans l’œil de la paonne, à l’instar des poses étudiées par le bellâtre de
sous-préfecture lorsqu’il fait la roue à la terrasse de la brasserie incontournable par les
nuits chaudes d’été.
563
Traité de médecine psychosomatique
565
Traité de médecine psychosomatique
Pupille Fovéa
Canal hyaloïque
Anatomie de l’œil
2-2. Physiologie de la vision
La lumière, en pénétrant dans l’œil, stimule des photorécepteurs situés dans la rétine.
Ce sont des neurones spécifiques qui contiennent dans leur partie externe des pigments
que la lumière va modifier chimiquement, décolorer de manière réversible.
Il existe deux types de photorécepteurs : les cônes et les bâtonnets. Les bâtonnets
fonctionnent en présence d’une faible luminosité (vision scotopique) mais ne fournissent
que des images de faible définition. Les cônes fonctionnent de manière optimale lors de la
lumière du jour (vision photopique) et seront à l’origine d’images précises et de la vision
des couleurs. Notre rétine ne perçoit que trois couleurs primaires mais leur mélange
génère une multitude de teintes.
La modification chimique des pigments va induire des modifications électriques dans
la membrane du photorécepteur. Il s’ensuit une hyperpolarisation membranaire qui,
au-delà d’un certain seuil d’intensité, va induire un potentiel d’action. Plus le stimulus est
intense, plus la fréquence du potentiel d’action augmente. L’organe des sens est un trans-
formateur d’énergie : la rétine transforme le stimulus sensoriel en potentiel électrique.
L’influx nerveux qui en résulte va se propager vers d’autres cellules rétiniennes : les
cellules bipolaires puis les cellules ganglionnaires. Les réponses des cellules bipolaires
dépendent de la stimulation d’un ou plusieurs photorécepteurs. Le message va ensuite
être transmis aux cellules ganglionnaires qui codent les informations visuelles et les
relaient vers le cerveau grâce à leurs axones qui constituent le nerf optique.
566
L’œil et la psychosomatique
cellule cellule
ganglionnaire horizontale
cellule
amacrine
Lumière cône
cellule
bipolaire bâtonnet
Histologie de la rétine
Les axones regroupés dans le nerf optique envoient l’information au cerveau par
l’intermédiaire du chiasma et du tractus optique. Ils aboutissent au corps genouillé latéral
du thalamus qui dispose d’une première carte de la rétine. Ensuite, le message est trans-
mis par l’intermédiaire des radiations optiques au cortex visuel primaire (cortex strié : aire
17 ou V1).
La magnitude des potentiels d’action est déterminée par la taille de l’axone et leur
fréquence par l’intensité de la stimulation. Chaque type de récepteur envoie des impul-
sions directement ou indirectement à un endroit particulier du cerveau qui catégorise et
classe les informations entrantes à partir de l’intensité de la stimulation des nerfs périphé-
riques.
Au niveau du cortex V1, il existe une seconde cartographie de l’espace visuel, des
champs récepteurs spécifiques au sein desquels les différents éléments du stimulus visuel
(couleur, contraste, mouvement) sont projetés.
Cortex Cortex
Thalamus pariétal
Nerf
optique
Bâtonnet
Cortex
inféro-temporal
567
Traité de médecine psychosomatique
La perception
La perception est un phénomène composite, produit de la sensation (exogène ou
endogène), d’un filtrage sensoriel périphérique, d’un filtrage neurologique (sélection et
catégorisation par les structures et les voies centrales) et d’un remaniement psychique :
qualification, distorsion, sélection, amplification, réduction par les représentations
antérieures conscientes, préconscientes ou inconscientes.
Imaginons qu’apparaisse dans le ciel un rectangle orangé. Les photons décolorent les
pigments rétiniens. La sensation perçue par les personnes confrontées à cette apparition
mystérieuse est à peu près identique. Mais la perception qui en est issue est sujette à de
nombreux remaniements :
568
L’œil et la psychosomatique
Filtrage
périphérique :
environnement,
réfraction, Voies et centres optiques :
accommodation catégorisation
Sensation Perception
Sélection
Distorsion
Qualification Représentations
Cs - Pcs - Ics
Affects
Conclusion
Sensation et perception opèrent déjà une première distorsion du monde extérieur. En
dernier lieu, les représentations remanient l’ensemble des informations. Le rêve et l’hal-
lucination illustrent bien cette préséance du système représentatif qui peut fonctionner
de manière autonome en dehors de tout stimulus sensoriel externe. Il existe même une
certaine compétitivité entre informations exogènes et endogènes. Ce n’est donc pas l’œil
qui produit les images mais le cerveau.
On pourrait proposer une métaphore picturale. L’art strictement figuratif s’efforce
de reproduire la réalité extérieure en faisant de son mieux pour restituer la sensation.
L’impressionnisme, le cubisme s’attachent à la complexité de la perception. Le surréalisme
met en avant la primauté de la représentation, proche de l’hallucination. Quant à l’art dit
« conceptuel », méprisant la séquence sensation/perception/hallucination, il s’auto-suffit
à lui-même. La promotion de l’auteur compense la déficience de l’œuvre.
La vie fœtale
La vision est le dernier sens à se développer chez le fœtus. Le fœtus est probablement
dans un monde où sans doute rien n’est objectivement visible.
Les yeux oscillent dès la vingtième semaine et, vers 7 mois, le fœtus peut distinguer des
ombres et des nuances de lumière, tel un éclairage intense dirigé sur le ventre de la mère.
Rien n’exclut l’existence de stimuli internes visuels d’origine centrale sous forme de
variations de lumière, de formes peu différenciées, voire de proto-représentations stric-
tement endogènes.
Car le sommeil paradoxal apparaît au moment où s’achèvent la maturation et la
programmation génétique du système nerveux, dès la 28e semaine de gestation, malgré
570
L’œil et la psychosomatique
La naissance
––Réflexe photo-moteur présent : clignement à la lumière forte.
––Regard « vague ».
––Acuité : 1/40.
––Le bébé perçoit les variations de lumière, des mouvements, des formes.
1 mois
––Attraction visuelle vers une lumière.
––Réflexe de poursuite et fixation d’un stimulus en mouvement.
––Regard « rigide ».
––Acuité estimée à 1/20.
––Le bébé peut « voir » un objet se trouvant à une distance de 20 à 30 cm de son visage,
ce qui correspond à peu près à la distance entre sa tête et celle de sa mère. Plus loin et
plus près, l’image est floue, les processus d’accommodation n’étant pas suffisamment
développés. Il voit surtout le contour des objets.
––Du fait de l’immaturité des voies optiques, chez l’être humain, le réflexe de détour-
nement du regard n’est pas présent à la naissance. Il n’apparaîtra que plus tard. Son
absence permet l’accrochage du regard.
Daniel Marcelli (Les yeux dans les yeux) souligne l’importance de l’échange du regard
entre la mère et l’enfant dès la naissance et propose une conception vivante étayée sur
l’observation et la clinique.
Après l’accouchement, la mère prend connaissance de son bébé, le prend dans ses bras,
cherche et croise son regard, l’observe, lui parle, pense et rêve. Attendrie, elle découvre
son bébé, ses traits physiques, ses ressemblances avec les membres de sa lignée, la place
qu’il occupe déjà. Elle l’anime, l’humanise. Elle l’envisage. Les yeux du bébé demeurent en
direction de ceux de la mère, comme aimantés. Au fil des semaines, le regard du bébé
deviendra plus actif dans la recherche de celui de la mère.
La mère prise par l’anxiété d’une maternité difficile examine, vérifie, scrute, dévisage le
bébé, cherche son regard qui se dérobe volontiers. Quant au regard de la mère déprimée,
il est plus porté vers l’intérieur, vers les objets perdus, son regard, vide et absent, voit le
bébé mais ne le regarde pas, elle l’in-envisage. Le regard brillant du bébé la réanime parfois.
J’ajouterai une troisième situation qui est celle où les deux regards ne peuvent se
croiser du fait qu’ils ne peuvent tout simplement pas se voir : la césarienne et, surtout, le
placement du bébé en néonatalogie.
Toutes ces situations vont inscrire la base des premières interactions qui peuvent
induire des réactions en chaîne. Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’interactions trophiques
ou délétères, la répétition de l’expérience en constitue le déterminant.
571
Traité de médecine psychosomatique
2 mois
Le mouvement de l’objet extérieur est perçu, le réflexe optocinétique présent, ce qui
permet au bébé de fixer un objet, que celui-ci soit en mouvement ou que lui-même ou sa
tête soit en mouvement.
Son acuité visuelle est toujours faible. Que perçoit-il ? Une forme (gestalt) plus élabo-
rée avec ses motifs, ses reliefs, son apparence, son mouvement.
Que se passe-t-il au moment de l’apparition du sourire au visage humain au 2e mois,
premier indice d’organisation de Spitz ? Jusque-là, le sourire existe chez le bébé mais il ne
s’adresse pas à une personne. Le sourire du 2e mois témoigne de l’investissement d’une
forme humaine par le bébé et de l’instauration d’une proto-interaction. Il est déclenché
par la vue d’un visage de face, la voix aiguë adoptée par l’adulte qui s’adresse à lui, ses
mimiques affectives. L’objet extérieur est capté par le regard. Est-ce une forme primitive
de joie qui s’exprime ? L’apparition de cette dernière en tant qu’émotion de base est classi-
quement plus tardive, entre le 3e et le 4e mois. Quoi qu’il en soit, ce sourire atteste d’un
bien-être, d’une satisfaction. L’échange de regards entre la mère et l’enfant est trophique
pour les deux et renforce l’attachement.
3 mois
––Réflexe de fixation d’un stimulus fixe.
––Amélioration de la poursuite qui devient uniforme.
––Synergie normale tête/œil, puis tête/main/œil.
––Champ de vision étendu.
––Reconnaissance de certains objets familiers, comme le biberon, qui confirme l’ins-
cription de proto-représentations antérieures.
Le bébé devient plus réceptif et plus actif dans le jeu et le regard. Dans la relation avec
la mère, les fonctions visuelles deviennent très importantes pour l’intégration des autres
données sensorielles (Spitz). Les comportements anticipatoires sont en synergie avec le
regard : l’enfant tend les bras vers la mère en même temps qu’il la regarde. Les comporte-
ments d’imitation se développent.
4 mois
––L’accommodation est normale.
––Début d’élaboration de la vision binoculaire : réflexe de convergence.
5 mois
Le sourire du bébé s’adresse à des personnages familiers.
6 mois
––Acuité visuelle : 2/10.
––Le corps genouillé est mature.
Entre 3 et 6 mois, le bébé devient plus réceptif et plus actif dans le jeu et le regard.
Dans la relation avec la mère, les fonctions visuelles deviennent très importantes pour
l’intégration des autres données sensorielles (Spitz). Les comportements anticipatoires
sont en synergie avec le regard : l’enfant tend les bras vers la mère en même temps qu’il la
regarde. Les comportements d’imitation se développent.
Le tactile, le kinesthésique et le visuel sont en interaction constante et se soutiennent
l’un l’autre.
572
L’œil et la psychosomatique
La perception ne suffit pas : pour construire son monde visuel, l’enfant doit être actif.
La captation visuelle accompagne l’emprise.
8 mois
Acuité visuelle : 3/10. Meilleure perception de la diversité de l’environnement.
Lorsqu’apparaît l’angoisse devant l’étranger au 8e mois (deuxième signe organisateur
de Spitz), tout semble indiquer que le système représentatif fonctionne : représentation
de la mère, angoisse devant la personne n’ayant pas fait l’objet d’introjection, présence
d’une mémoire visuelle plus élaborée. C’est l’aboutissement du stade objectal (objets
internes).
1 an
Acuité visuelle : 4/10.
avait moins à voir, le monde était plat et le support pouvait être touché, tout en consti-
tuant une barrière, un pare-excitation. La seule image investie visuellement était la lune
car il n’avait jamais pu la toucher, comme la majorité de l’humanité.
Il est très difficile de situer dans le temps la genèse des représentations visuelles. S. B.,
devenu aveugle à 10 mois, n’a aucune représentation visuelle, en tout cas aucune repré-
sentation élaborée, ce qui confirmerait qu’avant cet âge les représentations ne s’inscri-
raient pas. Mais ceci ne tient pas compte des proto-représentations primitives (formes,
mouvements, couleurs, images imprécises du fait de la faible acuité visuelle), pas plus que
de l’aspect traumatique de la perte de la vision qui peut sidérer le système représentatif,
parfois de manière rétroactive, ni de l’absence de répétition de l’expérience perceptive
nécessaire à l’engrammation des représentations ainsi qu’à leur persistance – comme
nous allons le voir en ce qui concerne l’introjection –, ni de cette curieuse et constante
amnésie qui concerne les souvenirs de la toute petite enfance.
Si nous devions conclure, il nous semble exister des proto-représentations visuelles,
mêlées de manière globale aux autres informations sensorielles et sensitives avant l’âge de
8 mois, voire des archéo-représentations transgénérationnelles, et à partir de 8 mois des
représentations qui se rapprochent de celles de l’adulte.
Pour revenir à l’effet hédonique de la vision, qu’en est-il lors des premières années ?
Nous avons évoqué le sourire du 2e mois, matrice archaïque de la jouissance scopique.
Nous pouvons aussi évoquer le plaisir récurrent du petit enfant dans la découverte des
objets, et ceci très tôt, sans oublier la dimension de captation du regard associée à la
pulsion d’emprise, forme précoce, primitive, mais cependant indéniable de la pulsion
scopique.
Les processus qui transforment l’image enregistrée en représentation mettent en jeu
l’ensemble du psychisme. Ils débutent au moment de l’enregistrement de l’image, se
poursuivent dans la durée, et interfèrent au moment de sa restitution.
J’ai abordé, dans la première partie de ce livre, le mécanisme d’introjection qui est à
l’origine des représentations (p. 130).
n’a jamais voulu d’enfant car, selon elle, la maternité est le témoin de la sexualité, source
de honte. Après la troisième séance, elle fera un rêve : elle se maquille pour un séminaire,
mais ses yeux tournent de l’autre côté, à l’intérieur, et donc elle ne voit plus ses pupilles.
Au lendemain de ce rêve, elle ira voir son patron, l’affrontera et, après avoir rompu son
contrat, fera un détour par les toilettes de l’entreprise, observera son visage et le trouvera
normal, comme avant, comme au sortir d’un cauchemar.
Candice, 36 ans, consulte pour frigidité. Elle présente par ailleurs une colopathie
spasmodique et, plus récemment, une dépression dans les suites du décès de son père
survenu il y a 6 mois.
Angèle, la mère de Candice, avait eu une longue liaison avec Karl, dont elle eut deux
filles, Candice et Nadine, sa sœur. Mais Karl refusa d’en reconnaître la paternité. Elle
épousa donc un autre homme, Monsieur Bonpapa qui adopta les deux filles et auxquelles
il donna son nom. Mais au bout de trois mois, la mère divorça de Bonpapa et épousa
Karl qui repassait par là. Il ne reconnaîtra pas plus pour autant les deux filles et ne
verra aucune difficulté à ce qu’elles continuent à porter le patronyme de Bonpapa. On
comprendra pourquoi : dédouané d’un statut de père, Karl adoptera des comportements
pour le moins particuliers à l’encontre des deux filles. Il passait son temps à les toucher et
à se faire masturber par elles. La mère passait à côté dans le couloir et fermait les yeux. Il
les épiait, elle et sa sœur. Il payait un type pour les surveiller à la piscine. « On le voyait à
travers le grillage de la piscine, il avait des lunettes noires. » Candice se coupa les cheveux
car son père voulait qu’elle les laisse pousser. Il insistait pour qu’elle reste à côté de lui
et le regarde s’endormir. Si elle s’éclipsait, il la faisait revenir. À 26 ans, il lui proposa des
relations sexuelles. À partir de ce moment-là, elle ne put plus le regarder en face.
Karl était de surcroit violent, il frappait leur mère. Elle se souvient des traces de sang au
sol et sur le mur. Candice fut l’objet de deux placements successifs : chez une tante dont
le mari était maquereau et l’attachait dans une serre où elle était piquée par des guêpes,
puis chez un couple d’aveugles qui avaient eux-mêmes deux enfants aveugles. Elle était
la seule à voir.
À 17 ans, elle développa un eczéma péri-oculaire, puis une colopathie. À 32 ans, elle
raconta tout à sa mère qui réagit en lui tournant le dos. Depuis, elle rêve que sa mère a
un sexe d’homme.
Candice avait donc vu beaucoup de choses. Elle ne va pas sur la tombe de son père
de peur qu’il la voie. Pendant les séances, mon propre regard bloquait Candice. Pourtant,
le fantasme sexuel de Candice est le spectacle d’un viol. Le violeur ressemble au père.
Elle est spectatrice et cela génère chez elle une forte excitation sexuelle. Mais il ne faut
surtout pas que son mari la regarde pendant la relation sexuelle, mari qu’elle a appelé
« papa » sous l’effet de trois lapsus dans la même séance. Elle me dit : « Un regard, c’est
une pénétration. » Lorsque le mari part en déplacement, la colopathie disparaît. Dans ses
rêves, apparaissent des scotomes : elle ne voit pas certaines choses : elle rentre dans une
église pour voir un mariage, mais ne le voit pas. Elle a toujours douté, du fait de la diffé-
rence de patronymes, que Karl soit son géniteur, bien que tout le lui ait confirmé.
4. PSYCHOSOMATIQUE ET OPHTALMOLOGIE
4-1. Troubles de la réfraction
Les causes des troubles de la réfraction sont complexes et intriquées : facteurs
génétiques, facteurs constitutionnels, facteurs développementaux. Du point de vue
psychosomatique, les études réalisées sont quasi inexistantes.
Myopie
En ce qui concerne la myopie, certaines études ont démontré que le travail prolongé en
vision de près, lorsque la vision se doit d’être précise, favorise l’installation de la myopie,
du fait d’une accommodation continue et intensive. Secondairement, le « stress » aggra-
verait la myopie.
La majorité des troubles de la réfraction, plus particulièrement la myopie, ne semblent
pas être considérés par le consensus comme des pathologies, notamment chez l’adulte.
Un nombre incalculable de gens portent des lunettes, lunettes qui ne se cachent plus,
voire s’arborent comme des bijoux. Pourtant…
Qu’en était-il chez nos ancêtres d’avant la découverte des lois de l’optique et l’inven-
tion des lunettes ? Étaient-ils aussi nombreux à présenter ces déficits visuels ? S’accom-
modaient-ils de leur handicap ? Trouvaient-ils des subterfuges ? Un mode de vie adapté ?
Ou bien la myopie est-elle une maladie adaptative de civilisation ? Ou bien est-elle la
conséquence d’une réponse thérapeutique systématique à toute altération physique
578
L’œil et la psychosomatique
aussi minime soit-elle ? Dans ce dernier cas, la suppléance systématique par la prothèse
viendrait-elle aggraver le processus ? J’avoue mon ignorance.
Hypermétropie
Rien ne permet d’exclure que certains troubles de la réfraction puissent être en
relation avec un processus de somatisation co-induit par des représentations anxiogènes
(fixations psychosomatiques). Nous de disposons malheureusement pas de matériel
clinique suffisant pour le confirmer. Mais certaines observations nous interrogent.
Lalie, 5 ans, présente une hypermétropie survenue brutalement il y a quatre mois.
Depuis un an, la mère a une relation extraconjugale régulière et au grand jour. Le couple
fait toutefois semblant de fonctionner pour les enfants, le père posant comme condi-
tion que Lalie ne voit pas l’amant de la mère. Mais il y a quatre mois, lors d’une balade
en ville avec sa mère, Lalie rencontre l’amant et le trio passe l’après-midi ensemble. Elle
en fait part à son père, qui lui dit que, de son côté, il n’oserait jamais faire une chose
pareille, que maman n’est plus son amoureuse, que c’est Lalie qui l’a remplacée et qu’il
n’aura jamais d’autre amoureuse qu’elle. Le lendemain, au réveil, Lalie voit flou, alors
que la vision antérieure était normale. L’ophtalmo diagnostique une importante hyper-
métropie. Grosses lunettes. Pendant la séance, Lalie posera beaucoup de questions sur
la sexualité.
4-2. Glaucome
Des expériences hypnotiques ont permis de vérifier le rôle des émotions dans la genèse
et l’évolution du glaucome.
Selon A. Haynal : « Derrière l’apparence tranquille du glaucomateux se cache une
problématique d’agressivité et de dépression profonde… ! » (Médecine psychosomatique.)
Sours et Erdbrinck (Psychophysiological false myopia) ont supposé, au cours d’études
sur des jeunes pilotes, qu’il s’agit parfois de spasmes des muscles ciliaires influencés par
des facteurs psychiques.
Nous avons peu de données cliniques personnelles sur le glaucome, mais nous avons
souligné le rôle trophique des larmes dans la régularisation de la tension oculaire.
Éliette présente une hypertension oculaire depuis l’âge de 30 ans, date de son
mariage. La pathologie s’est aggravée il y a dix ans dans les suites d’un déménagement
dans la région parisienne, lié à une mutation professionnelle. Elle s’est trouvée confrontée
à un milieu hostile et la discorde conjugale s’est aggravée du même coup. Répression,
idéal du moi, besoin de reconnaissance et de maîtrise caractérisent son fonctionnement.
convergence des yeux, ce qui lui permettra d’estimer la distance de l’objet extérieur et la
profondeur de champ, et d’élaborer une image en trois dimensions.
La vision binoculaire est possible lorsque les deux champs visuels se chevauchent. Elle
permet une perception plus juste de la profondeur de champ et une meilleure évaluation
de la distance que la vision monoculaire. C’est un attribut important pour les prédateurs
qui ont besoin de ces informations pour capturer leur proie. Le caractère prédateur et la
dominance d’une espèce augmentent avec la vision binoculaire : un geai menacé dans
son repas par un de ses congénères tourne la tête vers celui-ci quelques secondes, ce qui
suffit à décourager l’intrus, d’autant plus qu’il le fixera de façon binoculaire. S’il le fixe de
manière monoculaire, la menace sera moins intense.
Le strabisme
La plupart des strabismes débutent au cours des six premières années de la vie. Ce sont
des strabismes convergents, les strabismes divergents étant d’apparition plus tardive,
entre 6 et 10 ans.
La séquence d’installation et d’évolution est celle que nous avons évoquée plus haut.
S’installe alors une diplopie transitoire, puis la vision binoculaire devient déficitaire. Elle
pourra ne plus jamais être acquise ou bien très incomplètement. L’œil non utilisé perd de
l’acuité visuelle (amblyopie).
581
Traité de médecine psychosomatique
Les facteurs génétiques jouent un rôle indéniable, ainsi que l’immaturité visuelle
physiologique qui constitue un facteur de fragilité.
Les autres stimuli afférents jouent aussi un rôle certain car ils interfèrent avec le
contrôle et la commande de l’équilibre oculomoteur : afférences visuelles, auditives,
tactiles, proprioceptives, vestibulaires.
Pour certains auteurs, le rôle des facteurs psychiques serait déterminant dans le
déclenchement et l’entretien de certains strabismes. Le facteur traumatique révèle un
déséquilibre oculomoteur latent.
Florent a développé un strabisme à 4 ans dans les jours qui ont suivi la séparation
parentale et le départ de son père de la maison.
Les conséquences somatopsychiques du strabisme sont à prendre en considération.
Le rejet, la moquerie induits par la disgrâce et la maladresse sont de règle dès la scolarisa-
tion. Des réactions de retrait, d’isolement, de honte, de dissimulation, d’abaissement du
regard, sont fréquentes. Le désordre narcissique induit est manifeste dans 70% des cas.
Chez l’adulte, la blessure narcissique peut persister. Le handicap esthétique peut
constituer une gêne dans certaines professions. La gêne fonctionnelle peut apparaître
lors de certaines activités, notamment sportives.
Le strabisme peut s’accentuer ainsi que la gêne fonctionnelle qui l’accompagne lors de
l’entrée dans la vie active et au moment de l’apparition de la presbytie.
4-4. La conversion
Les symptômes de conversion les plus classiques au niveau visuel sont les suivants :
photophobie, baisse de l’acuité visuelle, amaurose, cécité, diplopie, rétrécissement
concentrique du champ visuel, scotomes.
Les représentations sexuelles traumatiques en relation avec l’image de la castration
et/ou le complexe d’Œdipe constituent le déterminisme principal des symptômes de
conversion visuelle.
La représentation visuelle traumatique est réactivée par une perception ou une situa-
tion. Source d’angoisse, elle est refoulée et l’affect d’angoisse, lui, se convertit en symptôme
neurologique. Pas n’importe lequel : un symptôme oculaire, inducteur d’un déficit visuel.
Représentation
Refoulement
SUPPORT NEUROLOGIQUE
Affect
Stimulation / Inhibition
Le mécanisme de conversion
582
L’œil et la psychosomatique
Toxoplasmose oculaire
Ici, la fixation est une fixation somatique et non psychosomatique. Chez le sujet
immunocompétent, la quasi-totalité des cas de toxoplasmose est liée à une primo-
infection contractée par la mère pendant sa grossesse. Le parasite, réfugié dans la rétine,
demeure quiescent sous forme de kyste pendant de longues années. C’est lors de la
première poussée, au début de l’âge adulte le plus souvent, que le patient apprendra que
sa mère a fait une toxoplasmose pendant sa grossesse.
Le désordre économique induit une inflammation du vitré, de la choroïde et de la
rétine, inflammation qui se complique, sans traitement, de nécrose.
La baisse de l’acuité visuelle peut être irréversible lorsque le processus atteint la macula
ou la papille du nerf optique. L’évolution se fait toutefois, le plus souvent, vers la cicatrisa-
tion. Les récidives sont loin d’être exceptionnelles.
J’ai avancé lors de publications précédentes que l’inflammation était liée à la répression
de l’affect et proposé l’aphorisme suivant : le corps s’enflamme lorsque le psychisme ne
s’enflamme pas.
L’observation qui suit le confirme.
Gérald, 41 ans, est en analyse depuis trois ans. Il était venu consulter pour des
attaques de panique qui s’étaient avérées être en relation avec une forte angoisse de castra-
tion. Aujourd’hui, il va bien et nous envisageons d’arrêter la cure à la fin de l’année. Mais,
il y a six mois, il a présenté des troubles visuels d’apparition subite le jour des obsèques
de son père, décédé brutalement d’un infarctus. Un voile, une tache étendue dans l’œil
est apparue au moment où il a vu le corps de celui-ci. Il redoutait ce moment, l’émotion
centrale était la peur. Lorsqu’il me fit part de la scène, il fit un lapsus : « Quand j’étais
dans mon cercueil… » Le bilan ophtalmologique révélera une toxoplasmose oculaire.
Un long traitement par antibiotiques et corticoïdes sera institué. Il avait fait un premier
épisode à 20 ans, au cours duquel il avait appris que sa mère avait fait durant sa grossesse
une toxoplasmose. J’ai été surpris, lors des semaines qui suivirent, par l’absence totale de
583
Traité de médecine psychosomatique
réaction affective de deuil, comme s’il ne s’était rien passé. Durant les séances, il ne fit
aucune allusion au décès de son père pour lequel il avait malgré tout de l’affection. C’était
un non-événement. Quatre mois après, il se fit blesser par le cheval de son ex-femme,
décédée d’un accident à l’âge de 30 ans. Dans les suites, il fit un rêve : « Ma jument est
allongée par terre, puis je ne la vois plus, à la place il y a un nuage blanc puis, quand le voile
se dissipe, un dromadaire, un chameau. » La jument du rêve, celle de son ex-femme et son
propre cheval sont blancs. Le père montait à cheval. Son ex-femme avait un caractère de
chameau.
Sybille, 34 ans, a perdu la vue d’un œil il y a six ans, dans les suites du décès de son
grand-père. La pathologie en cause était une toxoplasmose, la mère en ayant développé
une durant sa grossesse. De fait, on lui déconseillera d’avoir un enfant. Elle acceptera
l’interdit médical puis, un jour, filant le parfait amour, changera d’avis et décidera d’avoir
un enfant. Mais voilà qu’elle présente une infertilité liée à une obstruction tubaire. Échec
de la désobstruction. PMA : une FIV est proposée. Elle se met alors à rêver qu’elle perd ses
cheveux par plaques.
La mère de Sybille avait toujours voulu la garder auprès d’elle. Nous avons, lors d’une
précédente étude, repéré l’impact délétère au niveau de la fertilité de ce type de lien.
Mère souhaitant également empêcher qu’elle ait une vie sexuelle puisque, lorsque Sybille
a 16 ans, elle s’oppose à ce qu’elle prenne la pilule. Une grossesse s’ensuivra, sanctionnée
par un avortement, très traumatique.
Ces deux cas laissent songeur. Le parasite contracté pendant la grossesse passe de la
filière génitale maternelle à l’œil de l’enfant, comme un vestige de celle-ci mais aussi une
bombe à retardement.
Ce reliquat génital de la mère attaque l’œil au moment où Gérald est confronté visuel-
lement à la mort de son père. Gérald me décrivait sa mère comme une femme phallique,
imposante, toute puissante, qui gérait tout et ne faisait appel au père que pour sévir.
Dans le cas de Sybille, tout se met en place pour qu’elle n’ait jamais d’enfant : le lien
maternel et les diverses conséquences gynécologiques qui en découlent. Sybille est
programmée pour être castrée. Seule la mère peut procréer, la fille se contentera de
porter le stigmate résiduel de la grossesse maternelle, comme un ultime rappel à l’ordre.
C’est d’ailleurs dans les suites du décès du grand-père maternel, lorsque la mère devient à
son tour grand-mère, qu’elle développe la maladie.
portes. Je prends celle de gauche. Elle donne dans une bibliothèque qui donne sur l’ouver-
ture d’un tunnel. Un livre dans lequel il est question d’un homme qui a une double vie. Un
barbu antipathique veut prendre le livre et partir dans le tunnel. Je récupère le livre et je le
rends au professeur qui arrache une page compromettante et le cache. » Rêves récurrent
adulte : « Feu rouge ou vert : je ne sais pas s’il faut passer. »
Fabien illustre le récit de ses rêves avec des dessins :
––dessin 1. « À droite, mes parents. C’est une zone sombre. À gauche, mes grands-
parents. C’est une zone claire. Quelque chose à ne pas voir du côté des parents. Côté
grands-parents, j’avais l’impression que quelqu’un s’était pendu à la fenêtre. »
––dessin 2 : « Notre maison à l’adolescence. À droite l’école, et la voiture de mon père,
à gauche la prison. »
Les réminiscences confirment la conflictualité. « Mon père m’empêchait d’imaginer…
Je suis aveuglé par mon père… Lors de nos sorties à la campagne, ma sœur voyait tout, les
asperges sauvages… Moi, je ne les voyais pas… Une fois, j’avais perdu le robinet d’arrosage
de mon père au moment où il coupait de l’herbe avec sa tondeuse… Il m’a obligé à le
chercher toute la journée. »
Après le décès de son grand-père, Fabien traversera une période de dysfonction
érectile.
À la troisième séance, Fabien va mieux. Moins de troubles visuels. Plus tonique, plus
incisif, moins angoissé.
S’engager, c’est risquer la castration. La fonction atteinte par le processus auto-immun
est une fonction érotisée. Elle doit être détruite sous peine de castration. Il s’agit d’une
fixation psychosomatique érogène. Il n’existe aucune fixation archaïque.
Dorine, 31 ans, photographe, présente une rétinite auto-immune : scotome, voile
flou, rétrécissement du champ visuel. Elle vient d’être licenciée pour inaptitude à cause de
sa maladie. Tous les médecins lui ont dit qu’elle deviendrait aveugle.
Les premiers symptômes sont apparus il y a six ans, date à laquelle son mari a eu une
relation extraconjugale. « Je ne voulais pas voir ce qu’on me disait de lui. » Le couple se
rafistole, mais il y a trois ans, rebelote. « Je m’en veux de ne pas avoir vu ça plus tôt alors
que je l’avais sous le nez. » Elle est alors enceinte. Accouchement. Séparation. Le mari
partira avec l’enfant. Répression émotionnelle. Rechute de la rétinite. « Depuis que je suis
gamine, je ferme les yeux. »
« Enfant, j’avais reçu un coup de poing dans l’œil. J’ai eu des lunettes à partir de 4 ans
pour astigmatisme et hypermétropie… J’ai rêvé qu’une copine accouchait d’un enfant
mort-né. Une semaine après, c’est ce qui s’est réellement passé. Je fais des rêves de
voyante. »
Répression des représentations suivie probablement de refoulement. Cette occulta-
tion entraîne, selon ses propres termes, « une sensation de plénitude psychique. Rien ne
peut plus rentrer dans ma tête. »
La rétinite supplée au mécanisme d’évitement psychique devenu insuffisant. Fixation
psychosomatique érogène.
Clément, 20 ans, présente une uvéite auto-immune de l’œil gauche.
À 14 ans, il a un décollement de rétine de l’œil droit mais le bilan révélera une sérologie
HLA W27 positive en l’absence de manifestations rhumatologiques. À 14 ans, l’acuité
visuelle de cet œil est de 1/10 et une vitrectomie sera réalisée à 19 ans.
586
L’œil et la psychosomatique
Peu de temps après, il rencontrera une jeune fille dont il sera éperdument amoureux.
Elle ajourne les rapprochements sexuels et Clément respecte son choix. Internet. Site
d’échanges. L’aimée relate avec moult détails la première relation sexuelle qu’elle vient
d’avoir, non pas avec Clément mais avec un autre garçon. Uvéite de l’œil gauche. Il doit
renoncer à ses études mais continue à épuiser son regard en épiant les frasques successives
de l’aimée sur l’ordinateur. La liaison reprend avec l’égérie, sous condition qu’elle puisse
avoir des relations sexuelles avec d’autres garçons. Il se soumet. Uvéite auto- immune à
l’œil gauche.
Clément était très attaché à ses parents et très rêveur en classe. Très gentil, très docile,
il s’inventait des histoires face aux difficultés lorsque surgissait son angoisse de séparation.
La discorde parentale était totale. Il faisait un rêve récurrent : ses parents se disputaient et
un éclair aveuglant suivi d’un coup de tonnerre venait couvrir leurs cris.
Il voulait être soit gardien de la paix, soit gardien de prison, soit percussionniste.
Lorsqu’il n’est pas sur internet, il fait de la batterie.
Bastien, 12 ans, présente une uvéite auto-immune : scotomes, taches colorées dans
les yeux, rétrécissement du champ visuel, voile, bulles, mouches, cils. Il a aussi quelques
pertes d’équilibre.
Lorsque Bastien naît, le couple parental dysfonctionne. Le père, toxicomane, est
violent, la mère dépressive.
Eczéma atopique à 8 mois. Hypermétropie et astigmatisme discrets à 3 ans.
Lorsqu’il a 4 ans, les parents divorcent. Le père alternera cures de désintoxication et
périodes toxicomaniaques.
À l’école, Bastien est en retrait, peu intégré aux autres, mais très en avance au niveau
des acquisitions. Il passe des tests psychométriques et est diagnostiqué « Enfant à haut
potentiel intellectuel ».
À partir de 8 ans, apparaissent des crises de boulimie. Bastien ne veut plus voir son
père, car celui-ci lui a fait part de son intention de le tuer en même temps que sa mère. Il
sera longtemps suivi par une psychologue.
Lorsqu’il a 9 ans, la mère se remarie et Bastien supporte mal la présence d’un substitut
paternel à la maison.
À 10 ans, il apprend l’homosexualité de son père. Conjonctivite, photophobie.
À 11 ans, il change de collège car il est persécuté par ses pairs. Mais dans le nouveau
collège, ce sont les professeurs qui ne supportent pas son côté surdoué. Retour à l’ancien
collège. Naissance d’un petit frère. Pelade suivie d’uvéite. Suspicion de lupus. Consulta-
tion d’internet. Terreur.
Bastien a une pulsion scopique surinvestie, une boulimie de savoir, d’apprendre et
d’enseigner, ce qui le fait mal voir au collège. Il fait du théâtre, de la photo et veut devenir
ophtalmologiste.
Il s’investit dans la psychothérapie, psychothérapie qui sera malheureusement inter-
rompue à l’issue de la troisième séance par un événement intercurrent. L’oncle maternel
me téléphone pour me faire part de la tentative de suicide de la mère dans un contexte de
conflit conjugal. Il m’informe aussi que c’est sa cinquième tentative en trois ans. Bastien
demande à me voir. Il a l’image de sa mère tenant un couteau et menaçant de s’égorger
en disant qu’elle se fiche de ses deux enfants. Terreur de Bastien dont les troubles visuels
se sont subitement accentués. Il m’avouera n’avoir jamais été tranquille, avoir passé sa vie
587
Traité de médecine psychosomatique
Conclusion de l’étude
Ces quatre observations sont éclatantes de sens.
Dans chacune, on repère de manière centrale l’atteinte de la fonction visuelle par le
processus auto-immun, fonction visuelle particulièrement investie de jouissance mais
aussi de déchirement traumatique. Fonction scopique érotisée à l’extrême qui doit être
éliminée lorsque la représentation ou la perception traumatiques surgissent. Fonction
scopique éminemment vulnérable tant son articulation avec le complexe œdipien
et la castration est centrale. Les mécanismes de défense psychiques conscients ou
inconscients sont puissants (évitement, sublimation, déplacement, refoulement) mais
dépassés lorsque la charge traumatique est trop forte. Nous avions repéré ce phénomène
lors des pelades. Le processus auto-immun prend le relais, afin de préserver l’intégrité
psychique, par le biais d’un mécanisme d’occultation lésionnel. L’organe qui jouit et a peur
est attaqué. Le processus auto-immun tente de résoudre le conflit comme un mécanisme
de défense névrotique. Seul le désordre économique (répression de l’agressivité et de la
peur, les sujets étant tous très dociles) le différencie de la conversion.
Il s’agit d’une fixation psychosomatique érogène. On repérera de manière quasi
constante l’existence d’une petite fragilité organo-fonctionnelle visuelle, apparue dans
l’enfance, renforçant la fixation, fragilité qui n’est peut-être pas étrangère au début de
la problématique. Le mécanisme auto-immun est ici un mécanisme supplétif, faute de
mieux. Il n’existe aucune fixation archaïque.
588
Chapitre 21
L’OREILLE ET LA PSYCHOSOMATIQUE
1. INTRODUCTION
Les systèmes auditifs et d’équilibration partagent, du fait de leur proximité anato-
mique, des éléments communs : contiguïté des organes récepteurs, nerf cochléo-vesti-
bulaire (VIIIe paire). Bien que les deux systèmes soient nettement différenciés d’un point
de vue embryologique, anatomique et physiologique, cette communauté d’origine et de
trajet entre les voies auditives et les voies vestibulaires semble conditionner certaines
expressions cliniques (conjonction fréquente de troubles auditifs et de troubles de l’équi-
libre).
Les deux principales études présentées dans ce chapitre, celle sur les acouphènes et
celle sur les vertiges, illustrent cette proximité clinique.
Oreille moyenne
Les muscles du marteau et de l’étrier sont innervés par le trijumeau (V) et le facial
(VII). La contraction de ces muscles diminue l’amplitude de la chaîne de mouvement des
osselets et réduit donc la sensibilité du système aux sons, particulièrement ceux de basse
fréquence : propre parole du sujet, sons intenses de basse fréquence. Mais ce système
présente une certaine inertie et ne protège pas des sons de basse fréquence soudains.
589
Traité de médecine psychosomatique
OREILLE INTERNE
OREILLE MOYENNE
OREILLE EXTERNE
Rampe
Marteau Endume Étrier vestibulaire
Trompe d’Eustache
Fenêtre
ronde Rampe
Vestibule tympanique
Fenêtre
ronde
Canal Organe
cochléaire de Corti
Membrane
basilaire
Rampe
vestibulaire Rampe
tympanique
Fibres afférentes
du nerf cochléaire
Lame
Membrane réticulaire
tectoriale
Stéréocils
Cellule
ciliée
externe
Ganglion
spiral
L’organe de Corti
ment du fluide fait vibrer la membrane basilaire de manière différente selon la fréquence
du son. Sur sa partie interne, repose l’organe de Corti qui transforme le déplacement
des fluides en message nerveux. Les déplacements de la membrane basilaire génèrent
une inclinaison des cils des cellules ciliées internes, qui ont des propriétés différentes
selon leur emplacement au sein de l’organe de Corti (carte tonotopique). Il s’ensuit une
dépolarisation cellulaire inductrice d’un potentiel de récepteur de même fréquence que
le stimulus sonore. D’autres cellules, les cellules ciliées externes, innervées par des fibres
efférentes, modulent la sensibilité des cellules ciliées internes.
Les 32 000 fibres afférentes du nerf cochléaire (nerf acoustique qui, avec le nerf vesti-
bulaire, va constituer le VIIIe nerf crânien ou nerf cochléo-vestibulaire), transmettent
plusieurs paramètres du son : fréquence, durée (durée d’activation de la fibre), intensité
(nombre de fibres stimulées).
591
Traité de médecine psychosomatique
Les sons que perçoit l’oreille humaine ont une fréquence se situant entre 20 et 20 000
hertz. Dans cette gamme, les sons les mieux perçus se situent entre 100 et 3 000 hertz.
En intensité, le seuil de base du son perçu est par définition de 0 dB. Des sons au-delà
de 100 dB détériorent le système auditif. Les sons du langage articulé se situent aux
alentours de 65 dB.
Cortex
auditif Thalamus
Corps genouillé
médian
Coupe du Formation
mésencéphale réticulée Colliculus
inférieur
Noyaux
cochléaires
Coupe du bulbe
rachidien
Neurone
de type I Olive
supérieure
Formation
Nerf cochléo- réticulée
vestibulaire (VIII)
Voie sensorielle
Elle relie le tubercule quadrijumeau postérieur au corps genouillé médian (ou interne)
du thalamus homolatéral mais aussi controlatéral (commissure de Gudden entre les deux
tubercules quadrijumeaux), permettant ainsi la projection sur chaque hémisphère des
impressions auditives recueillies au niveau de chaque oreille.
Il existe des cartes tonotopiques à tous les niveaux des voies auditives : noyaux
cochléaires, colliculus inférieur, corps genouillé médian, cortex auditif primaire (aire 41).
Les aires corticales secondaires (aires 42 et 43) affinent le traitement de l’information.
Les informations des deux oreilles permettent de localiser le son dans l’espace.
3. ONTOGENÈSE DE L’AUDITION
3-1. Principales étapes du développement auditif
Contrairement à la vision qui est peu stimulée avant la naissance, l’audition se
développe rapidement lors de la vie fœtale. L’oreille interne est constituée au 5e mois de
grossesse. Les voies auditives se constituent à partir du 7e mois.
593
Traité de médecine psychosomatique
À partir de quatre mois et demi de gestation, le fœtus réagit aux sons de plus de
115 dB, et à partir de 7 mois aux sons de 90 dB. Les sons entendus sont des sons internes
(voix, respiration, battements cardiaques, bruits digestifs de la mère) et des sons externes
(bruits, paroles, mélodies). Les sons externes doivent être suffisamment intenses pour
couvrir les sons internes. Les sons graves passent mieux la paroi abdominale.
Un bruit faible provoque chez le fœtus de petits mouvements des paupières. Un bruit
fort provoque une accélération cardiaque et des mouvements. Au-delà de 85 dB, le fœtus
percevrait un inconfort.
Les conduits auditifs étant obstrués par le cérumen, la transmission des sons est essen-
tiellement osseuse.
Chez le bébé, avant 9 mois, l’ouïe prime toujours sur la vision. Le phénomène s’inverse
à partir de 9 mois. Les seuils perceptifs absolus et différentiels sont initialement élevés
dans le silence comme dans le bruit. La réaction au bruit se manifeste par une ouverture
ou clignement des yeux, un réflexe de Moro, une apnée transitoire, une interruption de la
tétée, des mouvements, des pleurs.
À partir de deux mois et demi, le bébé discrimine deux mélodies différentes apparte-
nant au même flux auditif. Il peut aussi discriminer deux séquences sonores ne différant
que par le rythme.
À 3 mois, le lobe temporal est développé. La maturation des voies auditives se poursuit
entre 3 et 6 mois. Le bébé discrimine les sons ta et da, ainsi que pa et ma.
À 5 mois, le bébé tourne la tête en direction d’une source sonore. La localisation des
sons sous tous les angles se fera plus tard. Le bébé reconnaît son prénom et tente d’imiter
certains sons.
À 8 mois, le bébé répond à l’appel de son nom et, à 10 mois, il imite des sons produits
par la mère.
Entre 9 et 13 mois, le bébé entend la voix chuchotée et comprend le sens de plusieurs
mots.
La matrice des représentations de mots précède la production du langage verbal. Bien
avant qu’apparaisse le langage, les représentations de mots vont se lier progressivement
aux représentations de choses. Au début, ce ne sont pas des représentations au sens
propre du terme, ce sont des désignations nécessitant la présence réelle de l’objet : lorsque
l’enfant entend un mot, il le lie à la chose perçue qu’il désigne. Ce processus nécessite de la
constance, de la répétition, un repère stable, et on pourrait ajouter une bonne « entente »
(même étymologie que entendre) entre le sujet émetteur et le sujet récepteur. Il suffit
d’utiliser une autre langue pour s’en rendre compte : la désignation ne se fait pas. Seule,
la langue maternelle au sens linguistique du terme peut avoir un effet structurant. Cette
réalité semble méconnue ou déniée par les prosélytes de l’éducation polyglotte précoce.
Les représentations de mots sont liées au signe linguistique composé du signifiant (la
représentation acoustique et phonique du mot, par exemple, pour le mot chat, le son
« cha » perçu au niveau du langage intérieur) et du signifié (ce que représente la chose
désignée par le mot, par exemple, pour le mot chat, l’idée du chat et non le chat réel).
Elles s’enrichissent ensuite de l’image visuelle, lors de l’acquisition de l’orthographe. Mais
ceci est une autre histoire…
594
L’oreille et la psychosomatique
595
Traité de médecine psychosomatique
Troubles cognitifs
Démentalisation
Anxiété – Dépression
Réaction d’éveil
Tension agressive
Effets psychiques
––Troubles cognitifs : troubles de l’attention, de la concentration, de l’apprentissage,
altération des performances.
––Démentalisation.
––Anxiété, dépression.
Effets comportementaux
––Nervosisme, irascibilité, agressivité.
––Addictions, surconsommation.
Effets somatiques
––Effets auditifs : hypoacousie, surdité, hyperacousie aux bruits, acouphènes.
––Mobilisation du syndrome général d’adaptation induit par la répression face à l’agres-
sion sonore : hypertension, tachycardie, troubles digestifs, hormonaux, immunitaires.
––Troubles du sommeil, fatigue, épuisement.
Lors d’un traumatisme sonore aigu, le seuil de douleur se situe à 120 dB. Une exposi-
tion, même de courte durée, au-dessus de 130 dB entraîne un risque de surdité brutale
totale ou partielle, réversible ou non.
La surdité induite par des traumatismes sonores s’instaure en quatre phases :
––fatigue auditive avec perte auditive dans les 4 000 Hz, apparaissant lors de l’exposi-
tion et disparaissant au repos ;
––déficit permanent : scotome sur les fréquences 4 000 Hz, inapparent car bien au-
dessus des fréquences conversationnelles ;
––extension du scotome aux 200 Hz, induisant des difficultés de compréhension ;
––aggravation respectant les basses fréquences.
Le silence
Certains sujets ont horreur du silence. Ça les angoisse. C’est le silence que décrivent les
personnes dans les suites immédiates d’un bombardement, celui dans lequel est immergé
l’enfant laissé seul dans son lit en l’absence de sa mère. Il réactive une angoisse de sépara-
tion, de mort, de destruction et, plus souvent, le vide qui habite nombre de ces sujets.
C’est aussi celui que décrivent les personnes habituées à la sur-stimulation sonore, au
pouvoir éminemment addictogène, celle qui leur permet de ne pas penser. La phobie du
silence peut être aussi en relation avec l’agoraphobie, la claustrophobie, la phobie sociale.
Le silence dans un groupe, une salle d’attente, peut mettre mal à l’aise.
De nombreux sujets phobiques du silence éprouvent le besoin d’introduire du son.
La télé en constitue un bel exemple. C’est une voix maternelle de substitution, un objet
d’empreinte, dans le meilleur des cas une berceuse : de nombreux sujets ne peuvent
s’endormir ou dormir qu’avec la télé allumée. Lorsqu’elle s’arrête, la plupart d’entre eux
se réveillent.
Certains sujets recherchent le bruit pour travailler, pour combler leur solitude, pour
ne pas penser, pour s’enivrer. D’autres ont besoin de faire du bruit pour couvrir d’autres
bruits, pour se faire entendre, pour assourdir les autres, pour couvrir leur voix, pour les
réduire au silence. C’est un moyen de restauration narcissique, de vécu de toute puissance
connoté d’une jouissance anale (sports mécaniques, amplificateurs, bips et engins de
travaux publics, sirènes).
597
Traité de médecine psychosomatique
Le bruit est devenu une arme puissante pour le dominant, par son pouvoir
démentalisant, car la démentalisation favorise la soumission, l’adhésion consensuelle, la
consommation. Ne pensez plus ! Dépensez !
Un tiers des Français ne sont donc pas gênés par le bruit. À la condition qu’ils en soient
l’auteur ou l’auditeur délibéré. Le problème du bruit n’est pas prêt d’être résolu.
5. HYPOACOUSIES ET SURDITÉS
Le terme surdité est souvent utilisé pour qualifier de simples hypoacousies. Pour des
raisons propédeutiques, nous utiliserons le terme hypoacousie pour qualifier les déficits
de l’audition et le terme surdité pour qualifier la perte totale de l’audition, habituellement
dénommée cophose.
Le terme malentendant est un terme soft et politiquement correct, à l’instar du terme
malvoyant, instauré par la liturgie socialo-citoyenne de ces trois dernières décennies, dont
le seul but est d’induire une confusion soporifique selon le principe sacré qu’il ne faut
jamais appeler un chat un chat. Ce n’est pas un terme clinique, c’est un terme politico-
mondain. Pierre Desproges regrettait que le terme non-comprenant ne soit pas utilisé
pour désigner les cons.
Une personne sur dix en France est atteinte de déficience auditive.
Les surdités et hypoacousies se répartissent en deux groupes : les surdités de transmis-
sion (oreille externe, oreille moyenne) et les surdités de perception (oreille interne, voies
centrales).
L’étiologie des surdités inclut des facteurs innés et acquis. Les facteurs psychosomatiques
ne sont pas les derniers en cause, comme nous allons le démontrer.
Surdité congénitale
Certaines surdités d’origine génétique n’apparaissent qu’au bout de plusieurs années.
La surdité de Naïs est apparue à l’âge de 9 ans. Jusqu’à cet âge, elle n’avait aucun
problème d’audition alors que sa mère et sa jeune sœur étaient sourdes.
Les surdités congénitales sont, quant à elles, le plus souvent liées à une aplasie ou à une
infection pendant la grossesse.
tant pas. Peu à peu, s’installe une dépression d’épuisement. C’est dans ce contexte que
débuta la pathologie.
la thérapie. Je la revois deux mois après : elle a récupéré plusieurs décibels, se sent plus
libérée. Mais elle arrête à nouveau.
Je la revois dix ans plus tard. Elle a 53 ans. Elle a fait un traitement il y a six ans par radio-
thérapie. Les acouphènes sont revenus, il persiste une hypoacousie gauche résiduelle et
elle a des vertiges. Elle me demande de l’aide tout en doutant de mes compétences. Je ne
la reverrai plus.
Les surdités brusques unilatérales ont, quant à elles, des origines diverses : virale,
auto-immune, perforation, antécédents familiaux, traumatisme crânien.
Quant au processus de conversion, il peut entraîner des troubles déficitaires de l’audi-
tion : hypoacousie ou surdité transitoire, pseudo-surdité, hypoacousie sélective (selon les
interlocuteurs) ou incomplète (certains mots et pas d’autres), troubles de la compréhen-
sion verbale.
Élodie, 28 ans, présente des crises migraineuses. L’aura qui les précède est consti-
tuée de paresthésies, scotome, diminution de la perception auditive. La céphalée est
inconstante. Les crises ont débuté après son opération traumatique de l’appendicite à
11 ans.
Angela, 26 ans, a présenté il y a deux mois une surdité et une cécité pendant dix
minutes. Depuis, elle présente des troubles de la compréhension verbale, comme si
l’interlocuteur était très loin. La relation avec son compagnon est particulièrement désta-
bilisante depuis deux mois.
Fatima, 50 ans, présente une hypoacousie d’installation progressive depuis trois ans,
quand son mari s’est mis à semer la terreur dans la famille. « Il ne conduit pas, j’assume
tous ses trajets. Je lui dis de passer son permis, il ne veut pas m’entendre. Il fait des crises
de jalousie. Il me veut à son service en permanence. Moi, je souhaiterais qu’on s’ouvre un
peu au monde. Il ne veut pas. Mes filles en souffrent aussi, surtout depuis trois ans où
l’aînée est tombée amoureuse d’un garçon. Il leur fait des crises, les enferme, car il dit qu’il
veut des gendres musulmans, « pas des étrangers ».
6. OTITES
La plupart des otites récidivantes de l’enfant sont, en règle générale, liées à une obstruc-
tion de la trompe d’Eustache contemporaine d’une inflammation rhinopharyngée. L’adé-
noïdectomie permet, dans le meilleur des cas, d’y mettre un terme. Dans d’autres cas,
l’aération transtympanique par des diabolos est préconisée. Mais l’ensemble de la patho-
logie ne saurait se résumer à un problème mécanique. Les conditions de vie, mais aussi
l’équilibre psychosomatique du sujet, interviennent, à des degrés variables.
Les otites récidivantes peuvent entraîner une hypoacousie. Celle-ci peut être révélée
par certains signes : fatigue, inattention, flou de compréhension, difficultés articulatoires,
troubles du langage, retard scolaire. Les enfants très hypoacousiques entendent la voix
mais ne comprennent pas les paroles.
Lorsqu’Achille eut 4 ans, la famille fut victime d’une agression lors d’un cambrio-
lage. Achille devint très angoissé, présenta des phobies extensives à l’égard du monde
extérieur, des troubles du sommeil et des conduites régressives. Pendant deux ans, les
600
L’oreille et la psychosomatique
7. LES ACOUPHÈNES
L’acouphène est un son intermittent ou permanent perçu dans l’oreille (une seule ou
les deux) ou dans la tête en l’absence de tout stimulus acoustique périphérique.
Clinique
Caractéristiques du son
––Sifflements.
––Bourdonnements.
––Plus rarement : bruissements, grésillements, vrombissements, chant de grillons, de
cigales, bruit de cocotte-minute, de ligne de haute-tension, bruits du cœur, bruit de
la mer.
––Parfois, association de plusieurs sons.
Signes associés
L’hypoacousie est très fréquente (90% des sujets).
Les autres signes ne sont pas systématiques. Ce sont des vertiges, une sensation de
plénitude de l’oreille, une hyperacousie aux bruits, des céphalées, des rachialgies.
602
L’oreille et la psychosomatique
50
40
30
20
10
0
0-20 21-30 31-40 41-50 51-60 61-70 71-80 >81
Conséquences
La gêne est très variable : absente, faible, moyenne, importante, intolérable.
Elle peut induire de l’anxiété, de l’irritabilité, des troubles de la concentration et du
sommeil, une dépression et, dans les cas extrêmes, le suicide.
Deux évolutions sont possibles dans la tolérance aux acouphènes :
––habituation, prise de distance et atténuation (78% des cas). L’habituation des
réactions à l’acouphène puis à la perception elle-même se met en place en six à douze
mois. Elle conduit à une sorte d’indifférence à la présence de l’acouphène. Celui-ci
est toujours entendu lorsqu’il est recherché mais, la plupart du temps, il est filtré au
niveau préconscient et reste ignoré ;
––évolution invasive (22%). L’acouphène focalise l’attention, envahit le champ de la
conscience et a des conséquences prononcées sur la plupart des secteurs existentiels.
La fragilité émotionnelle et la conjonction d’agressions sonores et de vécus trauma-
tiques constituent des facteurs de fragilisation.
Étiologie
L’immense majorité des acouphènes est d’origine neurosensorielle, liée à un dysfonc-
tionnement de l’oreille interne, des voies auditives ou des structures centrales.
Toutefois, il convient d’éliminer certaines causes plus rares : désordre neurologique,
problème musculaire, fistule artério-veineuse, tumeur glomique, otospongiose, toxiques
(acide acétylsalicylique, quinine, etc.).
Les acouphènes neurosensoriels, de loin les plus fréquents, sont liés le plus souvent à
un processus de désafférentation inducteur d’une perception auditive fantôme. Il existe
effectivement une perte auditive chez 90% des sujets. Pour compenser la perte auditive,
le cerveau va produire des sons dans la même gamme sonore, les sons manquants.
Facteurs traumatiques
Selon les patients, le symptôme surviendrait dans les six mois suivant un vécu trauma-
tique : deuil, divorce, perte d’emploi, rupture, etc. Les patients présentant ces acouphènes
ont repéré le rôle aggravant du stress, des contrariétés, de la fatigue physique ou mentale,
du manque de sommeil.
Une étude de l’OMS rapportée par W. Hiller, en 1999, a révélé que 11% des consultants
pour « troubles somatoformes » présentaient des acouphènes et que, parmi les sujets
présentant des acouphènes, 42% avaient des « troubles somatoformes ». Nous savons
603
Traité de médecine psychosomatique
que les troubles dits « somatoformes » sont une invention délirante du DSM IV, une
poubelle clinique dans laquelle s’empile pêle-mêle tout ce qui échappe à la nosographie
classique, leur seul point commun étant un déterminisme psychique subodoré par le
clinicien (Pongy, Les troubles somatoformes).
La répression des émotions de base négatives, plus particulièrement de la peur et
du dégoût, est, comme nous l’avons démontré plus haut (p. 72 à 78), susceptible
d’augmenter la perception de sons internes au détriment des stimuli sonores externes. Il
semblerait qu’il en soit de même en ce qui concerne la colère et la tristesse. Cette inver-
sion de la source des perceptions sonores a un caractère régressif évoquant les percep-
tions du fœtus.
Physiopathologie
Les données qui suivent s’inspirent plus particulièrement d’un article de Sylvianne
Chéry-Croze, « Les acouphènes, données récentes ».
Les expériences chez l’animal sont faites à partir de traumatismes sonores ou d’admi-
nistrations de toxiques (aspirine, quinine), générateurs d’acouphènes.
Chez l’homme, diverses techniques sont utilisées : imagerie cérébrale, stimulations
périphériques, audiogramme, acouphénométrie, magnétoencéphalographie.
Le signal
La désafférentation, aussi minime soit-elle, induit des processus compensatoires, sous
forme de décharges neuronales aberrantes à différents niveaux des voies auditives : nerf
auditif, noyau cochléaire dorsal, colliculus inférieur, cortex secondaire, à l’exclusion du
cortex primaire.
Ces décharges neuronales aberrantes sont détectées au niveau sous-cortical, puis
traitées et analysées (fréquence et intensité du signal) dans les divers centres auditifs. La
perception nécessite un seuil d’activité de décharge.
Les voies de traitement du signal
Le signal aberrant chemine dans les voies auditives et donne une perception fantôme
au niveau du cortex. Contrairement aux sons externes habituels, il n’emprunte pas les
voies auditives primaires classiques (voies lemniscales) mais semble plutôt activer la voie
extra-lemniscale. Celle-ci est moins spécifique en fréquence, plurimodale et connectée
aux divers cortex associatifs. Cette donnée serait confirmée par le fait que certaines stimu-
lations somato-sensorielles moduleraient certains acouphènes, y compris sévères : stimu-
lation tactile ou pression sur certaines zones de la face ou du cou, stimulation électrique
du nerf médian, déplacement des yeux dans les rares acouphènes postchirurgicaux.
D’autres structures cérébrales interviennent dans l’évaluation et le traitement du
signal : réticulée activatrice, système limbique, amygdale, hippocampe, autant de struc-
tures impliquées dans l’attention, la mémoire, le vécu émotionnel.
La plasticité cérébrale
Dans les suites de la désafférentation, il y aurait une modification de la plasticité de
certaines structures cérébrales.
L’acouphénométrie comparée à l’audiogramme confirme que le spectre de l’acou-
phène est celui des fréquences manquantes, caractéristiques du type d’hypoacousie, ce
qui met en avant la similitude avec le phénomène du membre fantôme.
604
L’oreille et la psychosomatique
Modèle de Jastreboff
Cas cliniques
Les acouphènes de Denis, à type de sifflements, ont débuté dans les suites de son
divorce, il y a dix-sept ans. Ils se sont aggravés il y a deux mois dans un contexte de stress
professionnel accru et d’inquiétude pour sa fille.
Raoul présente des acouphènes à type de sifflements aigus bilatéraux et perma-
nents, une hypoacousie et une hyperacousie aux bruits. Les troubles, apparus il y a quatre
ans, avaient été attribués à l’utilisation d’un aspirateur à feuille très bruyant qu’il utilisait
lorsqu’il aménageait sa résidence. Mais le contexte professionnel était particulièrement
difficile, il avait été changé de poste de travail et effectuait des déplacements incessants.
Les troubles s’atténuent le dimanche et en vacances.
Les acouphènes de Blaise, 53 ans, ont débuté il y a onze ans dans les suites d’un
accident de voiture. Il traversait alors une période de stress professionnel intense, souffrait
de lombalgies, et son couple battait de l’aile. Les acouphènes sont aggravés par son état
de tension ou de fatigue.
Firmin, 45 ans, marié, deux enfants, présente une hypoacousie droite et des
acouphènes à type de sifflements. Depuis dix jours, les troubles se sont accentués, généra-
teurs d’une angoisse importante. Il est fatigué, démotivé, irascible, dort mal, se désin-
téresse de tout, n’éprouve plus aucun plaisir. Tout a commencé il y a dix ans lorsque sa
femme a repris ses études. Il connaîtra ensuite d’autres traumatismes : décès de son père,
chômage, conflit avec un voisin, maladie de son fils. Son travail actuel est particulière-
ment démotivant, il doit gérer une équipe totalement démotivée. Il y a dix jours, il a
recruté un nouveau salarié qui sème le chaos dans l’équipe. Il se sent totalement démuni.
Marie-Line, 52 ans, céphalalgique depuis son mariage, présente des acouphènes
depuis un an que son mari est à la retraite. Elle est dépressive et tendue, a du mal à
supporter l’emprise de celui-ci, et a le sentiment d’avoir perdu sa liberté.
Tiphaine, 27 ans, présente une surdité apparue dans un contexte traumatique
majeur. Il y a trois ans, elle se sépare de son compagnon, sujet immature, colérique et
violent. Celui-ci la harcèle et la menace de mort pendant un an. Elle vit un enfer, ne sort
plus, déménage plusieurs fois et s’isole de plus en plus. Au bout d’un an, apparaissent
des vertiges avec vomissements, une otalgie gauche, des acouphènes, puis, sept jours
plus tard, une hypoacousie. Une plainte mettra un terme au harcèlement, au prix d’une
dépression. Les vertiges disparaîtront mais les acouphènes s’intensifieront et une surdité
totale s’installera à droite ainsi qu’une hypoacousie importante à gauche. L’oreille droite
appareillée lui permettra d’entendre les sons déformés, comme si elle était immergée
sous l’eau. Les acouphènes sont à type de bourdonnements, chuintements. Ils sont
permanents, aggravés par la fatigue.
Dans ses rêves, elle entend très bien. « Je suis sous l’eau dans une piscine. Je vois mon
ex-copain. Il me parle au téléphone : il me dit qu’il sait où j’habite. J’ai peur… Je suis sous
l’eau. Je vois des gens à la surface qui vomissent dans la piscine. Je me dis que, quand je
remonterai à la surface pour reprendre ma respiration, l’eau sera sale… Je plonge des gens
dans l’eau, je les enfonce sous l’eau. »
606
L’oreille et la psychosomatique
« Petite, je me mettais la tête sous l’oreiller car mes parents faisaient beaucoup de bruit :
ils parlaient fort tous les deux et se disputaient souvent. Mon père hurlait, ne se contrôlait
plus, battait mes frères. Je ressentais de l’angoisse. Je pleurais. Je le craignais. Quand je me
suis fait menacer par mon copain, je me suis souvenue des cris et des menaces de mon
père. »
Anita, 45 ans, présente des acouphènes à type de bourdonnement, une hyperacou-
sie douloureuse aux sons aigus et aux médiums. Les symptômes sont aggravés si on lui
touche le cou. Ils ont débuté à l’âge de 23 ans dans les suites d’un accident de moto. Elle
gardera toujours de la rancœur contre son mari qui conduisait. « Il m’a coupé les ailes. »
À 38 ans, les acouphènes s’aggravent dans les suites d’un déménagement. Sous l’insis-
tance de son mari, elle avait accepté de renoncer à sa vieille maison de campagne pour
s’installer dans un parc résidentiel à l’orée de la ville. Dans la nouvelle maison, il y a trop
de médiums et d’aigus. Début de l’hyperacousie.
Ses rêves sont éloquents : « Mon mari ne m’écoute pas… Il a un accident de moto… Il
me trompe… Je revois mon ancienne maison de plus en plus belle. »
L’atteinte neurosensorielle d’Anita est celle d’une fonction érotisée. Depuis son plus
jeune âge, elle fait de la musique, du chant. Ainsi peut-on évoquer une pathologie se
situant à l’interface de la conversion et de la régression psychosomatique.
Martial, 56 ans. Première partie : les acouphènes (la suite de l’observation sera
présentée plus loin à la section sur les vertiges).
Il y a douze ans, l’épouse de Martial reprend ses études. Pendant trois ans, il assumera
son métier d’avocat, l’intendance de la maison, l’éducation de ses trois enfants. Madame
s’absente de plus en plus souvent, prend des vacances seule de son côté, refuse tout
rapprochement intime. Martial prend sur lui, c’est-à-dire réprime toute rébellion. Il opte
pour la compréhension et l’attention, car l’idée d’une séparation est inconcevable par
rapport aux enfants. Mais la discorde s’installe. Engueulades sur engueulades.
Au bout de deux ans, Martial est fatigué. Des acouphènes apparaissent ainsi qu’une
sensation de plénitude de l’oreille et des désordres auditifs. L’audiométrie révélera une
baisse de 30% de l’audition dans les graves à gauche. Il finira par s’accoutumer. Le couple
divorcera au bout de trois ans de conflit.
Célibataire et sœur aînée d’une famille nombreuse, Zohra était épuisée à force de
prendre en charge l’intégralité de la famille, d’être à leur écoute permanente, lorsqu’un
bruit strident venant de la télé, déclenché par ses neveux qui jouaient avec la télécom-
mande, retentit et produisit chez elle un état de sidération, comme si, selon ses propres
termes, « elle avait été battue, assommée au niveau de la tête et de l’oreille gauche ». Dans
la nuit qui suivit, elle entendit des acouphènes comme s’il y avait des travaux dans la rue.
Les acouphènes ne la quittèrent plus, alternant sifflements et bourdonnements, et une
hyperacousie puis des vertiges s’installèrent. Elle ne put plus sortir, trop sensible au bruit.
Elle consulta un médecin ORL qui incrimina le traumatisme sonore et lui dit que son état
était irréversible.
C’est dans cet état que, trois ans après, elle vint me consulter. Le motif n’était pas les
troubles auditifs mais un syndrome psychotraumatique engendré par les menaces d’un
voisin qui terrorisait l’immeuble. Cela durait depuis quatre mois. Elle s’était permis de
607
Traité de médecine psychosomatique
faire une remarque au dit voisin concernant ses enfants. Celui-ci réagit violemment
en menaçant de la tuer si elle critiquait encore une seule fois ces derniers. Les faits se
sont avérés réels. La peur obsédante du voisin devint lancinante, prenant le pas sur les
symptômes auditifs qui furent relégués au second plan.
Dès la première séance, il fut souligné que sa vocation de dévouement inconditionnel
aux autres, son écoute sans limite des problèmes de ses proches, sa soumission perma-
nente à leur égard n’étaient peut être pas étrangères à sa pathologie. Il lui fut suggéré de
se défaire autant que se peut de ce type de fonctionnement, l’assurant qu’elle n’avait rien
à y perdre, pas plus que les autres.
À la deuxième séance, elle me fit part d’une discrète atténuation de ses acouphènes et
de l’hyperacousie. Elle avait entendu mes suggestions et s’était quelque peu extraite de la
passivité et de la soumission à l’encontre de ses proches, leur faisant part des potentielles
causes alléguées lors de la première séance. Elle s’était même autorisée à faire un petit
séjour chez des amis, chose impensable jusqu’alors. Elle s’y était sentie très bien. Mais, dès
son retour, le voisin redoubla ses attaques et sa peur ne fit qu’empirer. Elle décida alors de
déménager avec sa mère à l’autre bout de la ville.
Dans la semaine qui suivit, elle me demanda une consultation en urgence. Bien que
rassurée d’être loin du persécuteur, un délire s’était installé : son persécuteur réel complo-
tait contre elle et d’autres personnes dans le nouvel immeuble s’alliaient à lui, notam-
ment un policier à la retraite qui envisageait de l’envoyer en prison pour attouchements
sexuels sur des enfants. Lorsqu’elle passa devant le lycée, elle fut convaincue qu’elle était
démasquée. Si quelqu’un lui disait : « Arrête ! », elle interprétait ainsi : « On va t’arrêter ! »
Le délire s’accompagnait d’hallucinations acoustico-verbales d’intensité modérée. Les
acouphènes avaient disparu.
Devant la terreur à laquelle elle était en proie et aux idées suicidaires subséquentes,
il fut nécessaire de l’hospitaliser. Elle vint me voir à sa sortie de clinique. Le délire
paranoïaque avait été totalement enrayé par un traitement par neuroleptiques, anxio-
lytiques et thymorégulateurs, et les symptômes auditifs et vestibulaires n’étaient pas
revenus. Nous commençâmes à diminuer progressivement le traitement. À la seconde
entrevue, elle pleurait, non pas de tristesse mais presque de joie d’être débarrassée de sa
pathologie auditive. La diminution du traitement lui permit de recouvrir un fonctionne-
ment normal. C’était il y a huit mois, elle n’a toujours pas de symptômes et le traitement
psychotrope a été progressivement arrêté.
Ce dernier cas clinique m’a permis d’éclairer d’un sens nouveau le déterminisme de
certains acouphènes. La répression conditionnait de toute évidence, en partie tout au
moins, les acouphènes. Le déménagement mais aussi très certainement la première
séance de psychothérapie levèrent une grande part de la répression car, à la deuxième
séance, Zohra avait pris de la distance par rapport à son sacerdoce familial. Il s’ensuivit
une rementalisation qui permit de passer du sensoriel au psychique, de la perception
à la représentation, de la répression à l’émotion, chemin inverse du processus qui avait
probablement déclenché et entretenu les acouphènes. Rementalisation certes patho-
logique qui instaura le délire comme défense contre les agresseurs. Les agresseurs réels
avaient disparu du fait de l’éloignement géographique inhérent au déménagement et
à la décision de Zohra de ne plus être soumise aux sollicitations de ses proches. Mais
608
L’oreille et la psychosomatique
ils s’étaient travestis en communs des mortels désignés par le mécanisme de projec-
tion, comme pour compenser leur réelle absence. La pensée retrouvée de Zohra devint
audible, s’alimentant transitoirement d’un matériau perceptif endogène.
Le thème délirant empruntait à la scène de l’agression, mais sur le versant psycho-
tique : ce n’étaient plus les enfants bruyants et insolents de son premier immeuble contre
lesquels elle avait des griefs, mais tout enfant, quel qu’il fût, à l’égard desquels elle aurait
commis des sévices sexuels. Notons que le bruit de la télé avait été déclenché par des
enfants et que Zohra n’a pas d’enfant, c’est la bonne de la maison, vouée à l’infertilité.
Elle n’a eu que de rares liaisons sans lendemain. L’hospitalisation stoppa le délire. La
rementalisation persista sans son aspect pathologique. Elle pleure et se souvient de tout,
elle analyse parfaitement son histoire, les séquences de ses déboires et exprime ses affects.
Elle dit : « C’est comme si depuis de longues années je n’avais jamais pleuré. »
La rementalisation a fait passer des acouphènes au délire, par le biais d’une boucle
dans laquelle s’interagissent pensée, langage intérieur et perceptions hallucinatoires attri-
buées à autrui, puis à la mentalisation trophique. Ne pouvons-nous pas envisager que
les acouphènes seraient le fait d’un vécu persécutoire ou tout au moins de soumission,
par rapport aux objets extérieurs, vécu totalement démentalisé par le biais de la répres-
sion psychique, émotionnelle et comportementale ? Toute la fonction psychosomatique
se collabe au niveau de la perception sensorielle. À la place du scénario fantasmatique
rejetant les persécuteurs, à la place des réactions comportementales ou émotionnelles en
insurrection, seule la porte d’entrée auditive se ferme, et se manifeste en faisant du bruit
pour ne plus rien entendre. Ainsi, ce type d’acouphène peut être appréhendé comme une
régression psychosomatique.
Dans la vie privée, les situations traumatiques sont essentiellement des situations
d’emprise mal tolérées, des sollicitations excessives des autres, ainsi que des désordres ou
des conflits conjugaux. Elles s’associent en règle générale au facteur traumatique profes-
sionnel.
Les événements traumatiques sont un peu moins représentés. Ce sont essentiellement
des séparations, des décès, des traumatismes sonores. Le traumatisme sonore n’est jamais
isolé, il survient toujours dans un contexte de tension sous-jacent.
Clinique psychopathologique
La dépression apparaît dans 85% cas. C’est un état dépressif, plus souvent sub-dépres-
sif, lié à une usure, un épuisement progressif et croissant. La dépression est sous-tendue
par un idéal du moi central, un besoin constant de maîtriser les difficultés, plus particu-
lièrement celles des autres.
La répression est aussi centrale. Elle se manifeste le plus souvent par une absence de
réaction face aux situations traumatiques ou plutôt à des tentatives de réaction infruc-
tueuses, rapidement mises à mal soit par la situation extérieure, soit par la conflictualité
interne. Elle confine le plus souvent à la soumission. Répression de la peur, de la colère,
de la tristesse.
L’angoisse apparaît dans 80% cas. Elle peut, soit s’accompagner d’autres signes
somatiques (neuromusculaires ou neurovégétatifs), soit se limiter à un simple état de
tension interne. La rumination sur les difficultés existentielles est très fréquente.
Les autres types de processus inducteurs, moins fréquents, sont les syndromes
psychotraumatiques (15%) et la conversion (10%).
Thérapeutique
La thérapeutique repose sur une psychothérapie analytique intégrant une dimension
d’activité de la part du thérapeute (suggestion, proposition, prescription).
Certains thérapeutes utilisent des techniques d’appoint complémentaires :
––TCC : traitement des conséquences cognitives, émotionnelles et comportementales
des acouphènes, elles visent à l’amélioration de la qualité de vie, la diminution de
l’anxiété et du stress. Elles ne s’adressent pas aux causes des acouphènes ;
––hypnose, relaxation.
Des techniques spécialisées à visée neurophysiologique peuvent être aussi utilisées :
––appareillage de l’hypoacousie ;
––stimulation sonore (G. Argstatter) : création et émission d’un son similaire à l’acou-
phène (en intensité, fréquence, qualité) par un générateur d’ondes ou un logiciel. Puis
exercices : reconnaissance vocale des fréquences devenues inaudibles, exercices de
résonance pour masquer l’acouphène en prononçant des syllabes précises, association
de l’acouphène à un état d’esprit sous relaxation. Ceci permettrait une réorganisation
neuronale. 9 séances de 50 min sur une semaine, puis exercices à domicile pendant
3 mois. Diminution des symptômes chez 80% des sujets ;
––masquage des acouphènes par des générateurs de sons relaxants, combinés à des
aides auditives. Effet strictement transitoire ;
––stimulation auditive associée à une stimulation nerveuse : le nerf vague est stimulé
par un appareil implanté au niveau du thorax qui émet des impulsions censées avoir
610
L’oreille et la psychosomatique
8-1. L’hallucinose musicale
L’hallucinose musicale se rencontre essentiellement chez la femme de plus de 65 ans,
vivant seule et présentant une hypoacousie ancienne.
Il s’agit le plus souvent de chansons a capella ou avec instruments. Les voix ou instru-
ments sont perçus de manière précise. Ils se répètent au cours de la journée et sont
majorés par l’inactivité et le silence. Le nombre de thèmes est limité, mais les patientes
peuvent substituer un thème musical à un autre par un effort de concentration.
Il n’existe pas de détérioration intellectuelle, ni d’affection psychiatrique (pas de délire
notamment), si ce n’est, assez fréquemment, des manifestations dépressives. L’hallucinose
n’entraîne aucune perturbation de la conscience et de la personnalité.
Le contenu musical (chansons d’amour ou du temps de la jeunesse) renvoie à des
temps joyeux et insouciants où vieillir était impensable. De rares patientes peuvent
retrouver au cours de l’hallucinose l’état thymique joyeux de cette époque.
L’hallucinose est parfois précédée d’acouphènes qui se sont transformés en hallucina-
tions élémentaires (chant d’oiseau, sonnerie, etc.), puis en musique ou voix. Hécaen et
Ropert (1963) ont appelé ce phénomène « habillage progressif des acouphènes ».
On repère souvent des vécus de pertes : deuil, solitude, altération physique. « Nous
commençons à savoir ce qu’est la solitude lorsque nous entendons le silence des choses. »
(E.-M. Cioran, Des larmes et des saints.)
Après une courte phase de surprise anxieuse, les hallucinations sont critiquées et
repérées comme pathologiques par le sujet. Il existe de courtes périodes de rémission
spontanées. Le phénomène finit par être relativement toléré à la longue.
611
Traité de médecine psychosomatique
Clinique
Hallucinations acousticoverbales sensorielles
Ce sont des voix perçues comme provenant de l’extérieur. Le sujet cherche à en repérer
la source dans l’espace. Elles ont la clarté d’une perception sensorielle.
Ces voix parlent entre elles (alcoolisme) ou s’adressent au sujet (bouffée délirante,
psychose hallucinatoire chronique, schizophrénie). Elles peuvent donner des informa-
tions, proférer des ordres, des menaces, des injures, ou commenter les actes du sujet.
612
L’oreille et la psychosomatique
Étiopathogénie
L’altération de la relation avec la réalité objective
L’altération de la relation avec la réalité objective peut avoir plusieurs causes : un déficit
perceptif, une réaction psychique défensive, un processus toxique. Dans tous les cas, le
sujet perd une part de sa capacité réceptive, de sa relation active au monde extérieur,
de l’appropriation et du discernement de celui-ci. Une déconnexion variable et le plus
souvent clivée d’avec la réalité objective s’instaure.
La privation perceptive externe
Lorsque le système perception-conscience est altéré ou diminué, l’activité hallu-
cinatoire apparaît, comme en témoigne les hallucinations hypnagogiques, le rêve, le
somnambulisme, l’hallucinose visuelle ou auditive des sujets déficients visuels ou auditifs,
l’hallucination du membre fantôme.
On a aussi repéré chez certains sujets psychotiques, plus particulièrement dans la
psychose hallucinatoire chronique, une certaine désafférentation auditive périphérique
inaugurale responsable d’une hypoacousie, d’acouphènes, d’hallucinations élémen-
taires, d’hallucinations musicales. De même, le déficit auditif se retrouverait chez 40% de
sujets paraphréniques. Certains auteurs ont considéré comme indispensable de corriger
l’hypoacousie chez ces patients.
Par ailleurs, dans certains cas, rien n’exclut l’existence d’un processus de somatisation
défensif à l’origine de l’altération sensorielle (cf. plus haut le cas Zohra, p. 607).
Pour Henri Ey, l’acouphène est considéré comme une hallucination élémentaire.
Le mécanisme de l’acouphène peut ainsi être étendu aux hallucinations musicales et
acousticoverbales. Les acouphènes initiaux sont enrichis et « habillés » (Hécaen et
Ropert) progressivement. L’habillage progressif, transformant les acouphènes en hallu-
cinose, dépendrait de certains facteurs : augmentation du déficit auditif, âge, isolement,
personnalité, lésions vasculaires centrales, intoxication éthylique.
Flore, 48 ans. Antécédents de périodes d’acouphènes. Il y a deux ans, elle héberge
son beau-père malade. Après s’être fait payer le chauffage central par celui-ci, elle le
renvoie dans ses foyers. Petite phase de culpabilité très vite remplacée par des halluci-
nations auditives : bruits et puis voix dans le chauffage central qui la persécute. Aggra-
vation la veille de ses règles où le chauffage central lui tient un véritable discours. La
phobie d’intrusion de Flore se transforme rapidement, par un mécanisme projectif, en
vécu de persécution, plus particulièrement à l’encontre du mari. Les velléités de castra-
tion à l’encontre de celui-ci, qui n’a plus de relations sexuelles avec elle, sont évidentes.
D’autant plus qu’il ronfle et que le ronflement passe à travers les boules Quiès qu’il aurait
trafiquées. Passage d’un vécu d’intrusion (le beau-père installé chez elle) ou de castration
(privation de sexualité) à des modalités défensives actives (renvoyer le beau-père, castrer
le mari), puis à des mécanismes projectifs (voix dans le radiateur, ronflements traversant
les boules Quiès trafiquées par le mari).
La distorsion de la conscience du réel
Ici, l’altération est d’origine centrale. Les hallucinations auditives ont été décrites dans
le deuil et les phénomènes d’extase religieuse. Nous avons repéré aussi, lors de notre
613
Traité de médecine psychosomatique
étude expérimentale des émotions, que la perception des sons, endogènes ou exogènes,
variait selon le type d’émotion de base.
Chez 80% des sujets schizophrènes, on a mis en évidence un déficit des fonctions
permettant d’appréhender le réel et d’interagir avec lui : perturbation des capacités
attentionnelles, défaut de contextualisation, troubles des fonctions exécutives, troubles
de la mémoire, altération de la représentation de soi et de l’autre.
Par ailleurs, dans bon nombre de pathologies, le facteur traumatique induit une fuite
défensive de la réalité. L’interruption chimiothérapique d’un syndrome hallucinatoire
peut d’ailleurs générer des manifestations dépressives.
Le réinvestissement du soi
La privation sensorielle ou l’altération de la conscience du réel génèrent une libération
compensatrice des productions endogènes psychiques et sensorielles, plus particuliè-
rement les productions congruentes au vécu, à la problématique, au délire (psychoses)
ou au complexe inconscient (conversion, narcolepsie). Des circuits neuroniques latents,
inhibés, préprogrammés, voire nouveaux, viennent se substituer aux circuits centripètes
habituels.
Il existe une proximité entre la pensée et l’hallucination : à l’opposé de la perception
sensorielle objective, pensée et hallucination ne sont pas localisables dans l’espace, elles
sont indépendantes de la configuration du réel, susceptibles de métamorphose, inacces-
sibles aux autres. Les thèmes centraux de la pensée et à plus forte raison du délire, vont
donc jouer un rôle central dans le déterminisme hallucinatoire. Une pensée mégaloma-
niaque ou un thème d’influence induiront, en empruntant différents réseaux neuronaux
sensoriels, des contenus hallucinatoires concordants. Le caractère sensoriel est secon-
daire, afin peut-être de donner une forme à un vécu, forme composite issue de représen-
tations antérieures.
Secondairement, l’information endogène inhérente à l’hallucination inhibera à son
tour l’information perceptive externe.
La perception d’une partie du soi comme étant un autre
La plupart des perceptions hallucinatoires (sons, paroles) sont perçues comme issues
du monde extérieur. Le langage intérieur est attribué à autrui. C’est l’équivalent de la
projection. Erreur de contrôle du langage intérieur : halluciner, c’est s’entendre et croire
que l’autre parle.
Support neurologique
Il existe bien sûr un support neurologique au phénomène hallucinatoire. Il est
complexe, faisant intervenir des structures différentes selon la nature du processus
hallucinatoire : aire auditive primaire impliquée dans les hallucinations élémentaires,
aires auditives associatives dont l’activation génère des hallucinations cognitives à type
de langage intérieur audible, aire de Wernicke qui donne ses différentes significations
(phonologique, sémantique, prosodique) au langage, aire de Broca et cortex préfrontal,
dont l’hypofonctionnement peut attribuer le signal auditif au monde extérieur, cortex
cingulaire qui amplifie la perception endogène, thalamus et hippocampe qui, respecti-
vement, filtrent les perceptions et les articulent avec la mémoire et le vécu émotionnel.
614
L’oreille et la psychosomatique
Acouphène et hallucination
Acouphène Hallucinose musicale Hallucination psychotique
Caractère Rudimentaire Élaboré Élaboré
acoustique
Attribution - Perçue comme d’origine - Perçue comme d’origine Perçu comme d’origine
de l’origine interne interne externe
- Au début, recherche vaine - Au début, recherche vaine
et écourtée d’une cause et écourtée d’une cause
externe externe
Canal supérieur
Utricule
Canal
latéral
Saccule
Canal postérieur
larisation de la cellule. Le phénomène induit une variation des décharges dans les fibres
afférentes du nerf vestibulaire.
Dans l’épithélium sensoriel des organes otolithiques (utricule et saccule), la membrane
otolithique est constituée de cellules ciliées englobées dans une masse gélatineuse qui
contient des otolithes composés de cristaux de carbonate de calcium. Ils augmentent
la gravité de la membrane otolithique. De ce fait, la membrane est affectée par les
accélérations linéaires (inclinaisons). Le processus engendre des décharges dans les fibres
afférentes du nerf vestibulaire.
Les fibres du nerf vestibulaire se terminent dans les noyaux vestibulaires à la jonction
bulbopontique. De là, les fibres se dirigent vers les noyaux oculomoteurs, stimulant les
voies optocinétiques afin de maintenir une image visuelle stable sur la rétine lors des
déplacements de la tête.
Les noyaux vestibulaires sont reliés à d’autres structures :
––noyaux vestibulaires controlatéraux,
––thalamus,
––cervelet (équilibre et tonus),
––voies vestibulo-spinales ascendantes (proprioception) et descendantes (contrôle de
l’équilibre postural, statique et dynamique),
––réticulée,
––noyaux végétatifs du tronc cérébral.
Noyaux OM
Motoneurones
oculaires
Cervelet
Noyau
vestibulaire
Coupe du bulbe
rachidien
Ganglion
vestibulaire
Neurone
du ganglion
Nerf
vestibulaire
Moelle épinière
Motoneurones
617
Traité de médecine psychosomatique
10. LES VERTIGES
Le vrai vertige est une sensation de déplacement de l’environnement autour de soi ou
de déplacement de soi-même dans l’espace.
L’investigation médicale doit être rigoureuse. La première étape réside dans un interro-
gatoire minutieux qui permettra de différencier le vrai vertige des sensations dites « verti-
gineuses ». La principale difficulté clinique réside effectivement dans le fait qu’un nombre
conséquent de troubles de l’équilibre sont improprement appelés vertiges, aussi bien par
le patient et son entourage que par le médecin, alors qu’ils n’en sont pas.
L’interrogatoire permettra d’évaluer :
––la durée des crises, leur récurrence, les périodes avec et sans troubles, et bien sûr, en
ce qui nous concerne, leur lien anamnestique avec les facteurs traumatiques ;
––l’existence de signes associés : nystagmus, acouphènes, hypoacousie, troubles ophtal-
mologiques, nausées, vomissements, céphalées. Les vertiges associés à une pathologie
auditive semblent de toute évidence être liés à la proximité anatomique de la cochlée
et des structures vestibulaires, ainsi que des fibres auditives et des fibres vestibulaires.
Un examen clinique minutieux comportera la recherche de signes ORL, ophtalmolo-
giques, neurologiques. Le recours à des investigations spécialisées est, en règle générale,
nécessaire : manœuvres ORL, IRM, scanner.
Les causes des vrais vertiges sont assez bien catégorisées. On peut distinguer les causes
labyrinthiques, les causes cérébrales, et des causes liées à d’autres facteurs plus spéci-
fiques.
Causes labyrinthiques
Le nystagmus peut être le signe d’une atteinte vestibulaire.
Vertiges positionnels de courte durée
Vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB)
Il est très fréquent (un tiers des vertiges), surtout chez la femme. C’est un vertige
rotatoire très intense, de durée très brève (moins de 30 secondes). Il surgit à la fin du
mouvement (changement de position, lever, coucher, rotation rapide de la tête), parfois
après un bref temps de latence. Le nystagmus apparaît après un temps de latence, le plus
souvent horizonto-rotatoire, paroxystique et épuisable après quelques secondes. Il n’y a
pas d’autre symptôme associé. La cause la plus fréquente est la cupulolithiase ou canalo-
lithiase. Le traitement consiste en des manœuvres libératoires qui mobilisent les débris
otolithiques et les dispersent.
Autres vertiges positionnels
Ils surviennent au cours et non au décours du mouvement. Ils induisent une limita-
tion réflexe des mouvements du cou ainsi que des myalgies de tension. Ils sont en règle
générale liés à une atteinte vestibulaire chronique, plus rarement à une fistule périlym-
phatique ou un cholestéatome.
618
L’oreille et la psychosomatique
À partir de la septième séance, il signale une disparition des crises. Il a retrouvé un élan
vital, des désirs, un besoin de s’évader de sa vie routinière et de son périmètre restreint.
Mais il a rendez-vous pour l’injection. Je ne le reverrai plus.
J’ai recueilli six observations de vertiges de Ménière. On repère chez tous les patients :
––un déclenchement et un entretien de la pathologie par des facteurs traumatiques
similaires : exacerbation de situations conflictuelles, situations de contrainte, d’emprise
ou de sollicitations excessives ;
––le vécu du sujet est plutôt celui d’une résignation, d’un évitement du conflit. Les
velléités aussitôt réprimées de se soustraire à l’emprise ou aux attaques de l’autre
aboutissent à terme à un renoncement ;
––la rumination sur les difficultés est constante, stoppée par la crise ;
––les éléments dépressifs sont constants.
Pathologie otologique chronique
Plus rarement, les crises vertigineuses récurrentes sont liées à d’autres causes : cophose,
otospongiose, neurinome du VIII (tumeur bénigne de la gaine du nerf). Ces pathologies
s’accompagnent de signes otologiques chroniques.
Grand vertige unique durant plus de 12 h
C’est un vertige rotatoire intense avec station debout impossible, aggravation par les
mouvements de la tête, vomissements, anxiété intense.
Névrite vestibulaire
Crise vertigineuse avec nausées et vomissements. Durée : 3 à 7 jours. Instabilité au
décours, puis compensation vestibulaire. Absence de signe auditif ou neurologique.
Origine virale (zona, etc.) ou ischémique.
Labyrinthite infectieuse
Consécutive à une otite chronique (otorrhée, otalgie), une otite moyenne, un choles-
téatome.
Causes cérébrales
Pathologie vasculaire
Accident vasculaire ischémique dans le territoire vertébro-basilaire, accidents
aéro-emboliques (plongée sous-marine), hémorragie sous-durale, infarctus cérébelleux
isolé (signes identiques à la névrite vestibulaire), syndrome de Wallenberg (paralysie du
voile du palais, syndrome cérébelleux unilatéral), syndrome de Claude Bernard-Horner,
syndrome sensitif thermoalgique controlatéral).
Yvette, 70 ans, a présenté un déséquilibre soudain suivi de paresthésies orales. Des
vertiges positionnels avaient précédé l’incident quelques jours avant. Le bilan révélera un
accident ischémique.
Équivalents migraineux
Le vertige peut constituer l’aura d’une vraie migraine, la céphalée apparaissant au
décours. Dans d’autres cas, il constitue un équivalent migraineux, la céphalée étant alors
absente. C’est le cas du vertige récurrent bénin, ou vestibulopathie récurrente, pouvant
se rencontrer chez l’enfant ou l’adolescent.
620
L’oreille et la psychosomatique
Autres causes
Elles ne doivent pas être négligées car elles sont assez fréquentes. Ce sont les causes
toxiques ou médicamenteuses (acide acétylsalicylique, caféine, alcool, nicotine,
psychotropes, etc.), les troubles visuels (diplopie, troubles de la convergence), et bien
entendu la cinétose, c’est-à-dire le classique mal des transports (voiture, bateau, etc.)
dont le diagnostic ne pose aucun problème.
Blaise, cité p. 606, présente des acouphènes depuis onze ans. Depuis un an et demi,
un cumul de facteurs traumatiques a généré des accès vertigineux dans un contexte de
dépression d’épuisement : divorce difficile, tension et insatisfaction professionnelle, décès
d’une sœur, maladie d’un frère. Il existe une composante optocinétique manifeste : s’il
tourne la tête vers la gauche, l’image suit à retardement. Un problème de convergence-di-
vergence paraît expliquer les manifestations.
Quant aux causes d’origine cervicale, bien que contestées, elles s’accompagnent de
signes associés variables : céphalées cervico-occipitales, vertige déclenché par l’extension
du cou, acouphènes, brouillard visuel, paresthésie pharyngée, paresthésie des membres
supérieurs.
Dans d’autres cas, ce sont des sensations beaucoup plus subjectives : sensation de
flottement, de faiblesse, crainte de perdre connaissance, sentiment de désorientation ou
de confusion, impression de détachement, de déréalisation ou de dépersonnalisation.
Les causes sont multiples et très variables d’un sujet à l’autre. Elles peuvent être liées
à des maladies somatiques générales, à des toxiques ou à des médicaments, à des états
de fatigue (lipothymie, hypotension orthostatique). Elles peuvent aussi constituer des
équivalents migraineux. Dans d’autres cas, elles ne surgissent que lors de situations
précises. C’est le cas des sensations induites par la phobie de chute, l’agoraphobie ou
l’acrophobie, ou vertige des hauteurs, dans laquelle semblent coexister un conflit entre les
informations visuelles et labyrinthiques et une phobie d’impulsion.
Rita, 50 ans, présente, depuis une fracture bi-malléolaire survenue il y a cinq ans,
une agoraphobie, une phobie sociale, une tension interne majeure. Dans la rue, elle
éprouve le besoin de s’accrocher à quelque chose ou à quelqu’un. Sa marche est précau-
tionneuse, raide, et il lui est arrivé quelquefois de chuter. Au moindre déséquilibre, elle
ne bouge plus.
Mais la cause la plus souvent retrouvée est la pathologie anxieuse, plus particulière-
ment dans sa forme dite « spasmophilique », qui regroupe des sensations très variables :
impression de tête vide, de brouillard devant les yeux, de flottement, de marcher dans du
coton, de chute imminente.
Geneviève, 46 ans, présente des sensations vertigineuses contemporaines de
périodes d’anxiété. Ce sont des sensations d’ébriété dans la rue, dans les magasins. Elles
s’accentuent en fin de matinée, au travail, et s’exacerbent en fin d’année scolaire avant les
vacances.
Étude personnelle
23 observations. Âge moyen : 43 ans. Extrêmes : 20, 77.
Le patient décrit en termes de « vertiges » des sensations vertigineuses de durée
variable, rarement rotatoires, ou bien des symptômes pseudo-ataxiques.
L’anxiété y est constante, centrale, manifeste chez tous les patients, souvent clairement
exprimée. Elle est sous-tendue par une tension interne et une répression émotionnelle
centrales.
Elle se manifeste par des signes somatiques souvent intriqués aux sensations vertigi-
neuses :
––manifestations somatiques neuromusculaires de type spasmophilique, variables d’un
sujet à l’autre : tremblements, sensation d’électrisation, de vibration, de flottement ;
––oppression, striction thoracique ;
––tachycardie, palpitations, bouffées de chaleur ;
––spasmodicité digestive ;
––troubles du sommeil ;
––céphalées ;
––chez quelques sujets : troubles visuels (vision floue), cervicalgies.
La réaction anxieuse apparaît chez de nombreux sujets :
622
L’oreille et la psychosomatique
12. LES ATAXIES
Une ataxie est une perturbation de l’équilibre et de la coordination motrice. On
distingue quatre types d’ataxie.
Ataxie vestibulaire
L’ataxie statique génère une tendance à la chute latéralisée, aggravée par la fermeture
des yeux (signe de Romberg). Les signes disparaissent en position assise ou couchée. Le
test de la fermeture des yeux génère une déviation des index. L’ataxie locomotrice induit
une déviation latérale de la marche, dont la correction peut donner une marche feston-
nante. Des vertiges rotatoires, voire un défaut de stabilisation de l’environnement visuel,
peuvent être associés. Il s’agit en fait d’un authentique symptôme vestibulaire correspon-
dant à une atteinte des noyaux et du nerf vestibulaires.
Ataxie cérébelleuse
L’ataxie statique induit un élargissement du polygone de sustentation, des oscillations
autour de la position d’équilibre. Elle n’est pas majorée par la fermeture des yeux. L’ataxie
locomotrice induit une marche ébrieuse, avec élargissement du polygone. Elle est due à
des lésions neurologiques.
Ataxie proprioceptive
Ataxie statique : mauvaise perception du sol, chute brutale lors de la fermeture des
yeux. Ataxie locomotrice : démarche talonnante (pose le pied par le talon), aggravée par
la fermeture des yeux. Ataxie cinétique : dysmétrie (mauvaise direction du geste), aggra-
vée par la fermeture des yeux.
Ataxie frontale
Ataxie statique : tendance à la chute en arrière (rétropulsion), aggravée par la ferme-
ture des yeux. Ataxie locomotrice : marche hésitante, incoordonnée, pieds collés au sol
comme dans un marécage. La marche peut être améliorée par le simple accompagnement
sans soutien. Au maximum, astasie abasie : incapacité à se tenir debout ou à marcher.
Jack, 50 ans, déjà cité p. 435, présente des troubles de l’équilibre atypiques qualifiés
de « vertiges », d’apparition brutale dans des circonstances spécifiques et stéréotypées.
En fait, il ne s’agit pas de vertiges mais d’une astasie abasie de type frontal. Les troubles
n’apparaissent qu’à la station debout ou à la marche. Le déséquilibre est soudain, précédé
parfois d’une sensation d’attraction du rachis vers l’arrière, se déplaçant de bas en haut,
623
Traité de médecine psychosomatique
n’excédant pas quelques dixièmes de seconde, suivie le plus souvent d’une rétropulsion
brutale. Il doit élargir son polygone de sustentation pour éviter la chute ou prendre appui.
Cela se produit uniquement en présence d’une personne adulte ou d’un groupe, situés
dans un rayon de quelques mètres autour de lui, si on le regarde ou si on lui parle, ainsi
que lors de situations anxiogènes, par exemple lorsqu’il est question de lui dans une
discussion, lorsqu’on évoque un sujet qui l’inquiète ou un souvenir traumatique de son
enfance. Les phénomènes s’aggravent s’il y a un mur derrière lui, ainsi que les yeux fermés.
Et de manière générale dans toute situation source de tension dans laquelle la fuite est
impossible. Les troubles disparaissent lorsqu’il est seul avec sa femme, sauf si celle-ci le
réprimande, évoque un sujet anxiogène, ou bien si elle lui fait remarquer qu’il n’a pas
de symptôme. Elle parvient à stopper son déséquilibrer en criant : « Stop ! » Les troubles
disparaissent aussi s’il détourne le regard, s’il se met sur une seule jambe, s’il est tout seul,
s’il exprime son agressivité (le simple fait de serrer les poings), s’il a des douleurs passa-
gères, lorsqu’il prend un cours de piano, et lors de tout voyage à l’étranger (les troubles
resurgissent alors dès le retour à l’aéroport).
Les symptômes ont débuté il y a sept ans, lorsque son épouse a dû s’absenter du fait
d’une mutation professionnelle. Il est totalement dépendant d’elle. « Je suis comme un
petit chien perdu sans son maître. » Jack a rencontré son épouse à l’âge de 39 ans, c’était
sa première relation avec une femme. Celle-ci, bien que beaucoup plus jeune que lui,
deviendra très rapidement une mère de substitution. C’est ainsi que se retrouvera réactivé
un mode relationnel infantile particulièrement douloureux. Car la mère de Jack, contrai-
rement à son épouse qui est une femme attentionnée et aimante, était particulièrement
monstrueuse à son égard. Le rejet de son enfant était total, elle le traitait de tous les
noms d’oiseaux, le ridiculisait devant les autres, l’oubliait dans les magasins, etc. Jack était
à la fois en attente d’amour et tremblait de peur devant elle. À partir de son entrée en
pension à 10 ans, il ne la reverra plus. C’est à partir de ce moment-là qu’il essuiera l’agres-
sivité des autres, se recroquevillant autant que se peut, fuyant le groupe, puis la société.
que, maintenant, ce n’est plus un syndrome de Ménière, que l’opération a réussi, que c’est
une maladie orpheline et que ce n’est plus de son ressort.
L’anamnèse du déclenchement des crises révèle des situations dans lesquelles elle est
démunie ou épuisée : son bébé qui ne dort pas, des conflits avec son conjoint dans lesquels
elle se sent désarmée, ne sait que répondre, mais aussi mal-être à la veille de chaque
départ en voyage avec celui-ci. Passage orchestré d’une pathologie conversionnelle à une
pathologie lésionnelle.
Clémence, 33 ans, se plaint de vertiges diurnes, aggravés en s’allongeant, parfois
de vertiges nocturnes avec vomissements ayant débuté après sa deuxième grossesse. Elle
allègue aussi des troubles lacunaires de la mémoire, des moments d’absence.
Son père l’a toujours élevée comme un garçon. Un jour, à 9 ans, revenant de la piscine,
elle prit une rouste de sa part car elle était arrivée en retard au moment du repas. Dans
la nuit qui suivit, elle rêva qu’elle plongeait dans la piscine, tomba de son lit et se fit une
fracture du rocher.
Elle était très soumise à ce père qui ne lui laissait rien passer. À l’adolescence, lorsqu’elle
rentrait tard, il la réveillait en lui hurlant dans les oreilles. Il ne supportait pas qu’elle
ait des copains et voulait qu’elle soit première de la classe. Elle avait des hallucinations
hypnagogiques : elle voyait des serpents dans son lit. Les hallucinations hypnagogiques
disparurent lorsqu’elle partit de chez ses parents et resurgirent après une opération de la
rotule, puis après son mariage. Elle aura deux enfants, nés chacun le jour de l’anniversaire
de son père.
Elle accepte la psychothérapie mais en face à face uniquement car elle a peur d’entendre
sans regarder et ne supporte pas d’avoir quelqu’un dans son dos.
Depuis un petit accident de voiture où elle a heurté un rocher, elle fait des malaises
avec perte de connaissance. Ses rêves sont éloquents : elle perd ses dents… elle est empri-
sonnée pendant la guerre des Camisards (la mère est protestante, le père catholique). On
la jette à terre. Elle saigne des oreilles… Un homme grand et maigre (comme le père) lui
offre un soutien-gorge bleu.
14. VERTIGES ET ANXIÉTÉ
L’angoisse est inductrice de déséquilibre moteur ou tout au moins de sensation de
déséquilibre moteur. Comme nous l’avons vu au travers de nombreuses observations
présentées, elle peut induire aussi bien de vrais vertiges que des sensations vertigi-
neuses, voire certaines ataxies, et bien sûr des phénomènes de conversion. Lors de l’étude
des émotions, nous avons montré que des manifestations qualifiées de vertigineuses
apparaissent dans la répression de la colère, de la peur, de la tristesse et du dégoût. L’anxiété
génère une sensibilisation accrue du système vestibulaire. Mais les effets propriocep-
tifs de l’angoisse jouent probablement un rôle tout aussi important. Les vertiges et les
sensations de déséquilibre induisent à leur tour l’angoisse, par la perte de contrôle et le
manque d’assurance qu’ils génèrent.
Le conflit perceptif
Si l’angoisse génère une sensibilité accrue du système vestibulaire (décharges neuro-
nales), l’hyperventilation qu’elle induit peut aussi générer des sensations vertigineuses,
625
Traité de médecine psychosomatique
15. CONCLUSION
La pathologie auditive et vestibulaire peut être en relation avec des lésions qui, pour
une part, sont susceptibles d’être traitées avec succès par les différents moyens médicaux.
Les observations que nous avons présentées sont celles dans lesquelles ces moyens de
traitement classiques se sont avérés inopérants. L’investigation révèle alors, à chaque fois,
des facteurs traumatiques co-inducteurs.
Ceux-ci comportent le plus souvent un caractère commun : la surcharge, l’excès de
sollicitation, la pression de l’environnement, la conflictualité qui dépasse les possibilités
adaptatives et l’ensemble des mécanismes de défense. Porte d’entrée primitive des stimuli
extérieurs, le système auditif ferme la porte des entrées et devient déficitaire. La percep-
tion auditive du monde extérieur diminue et, pour compenser cette carence d’informa-
tion du cerveau, des phénomènes de distorsion ou de néoperception s’installent. Dans
d’autres cas, c’est l’isolement, la perte réelle des informations extérieures qui induira ces
phénomènes.
626
L’oreille et la psychosomatique
627
Quatrième partie
LES PATIENTS
Chapitre 22
1. L’IMAGINAIRE DU PATIENT
1-1. L’image du corps
Nous devons le concept d’image du corps à Paul Schilder : « L’image du corps humain,
c’est l’image de notre propre corps que nous nous formons dans l’esprit, autrement dit la
façon dont notre corps nous apparaît à nous-mêmes. » (L’image du corps.)
L’image consciente du corps est la résultante de plusieurs données : sensations
endogènes, perceptions sensorielles, schéma corporel, relation que le sujet entretien avec
son corps, investissement ou désinvestissement érogène de certaines zones corporelles,
pulsionnalité, narcissisme, image renvoyée par le miroir, le regard ou les paroles des autres,
empreintes traumatiques, et surtout représentations inconscientes.
L’image du corps influe à son tour sur le tonus postural, la motricité, le fonctionne-
ment du système neurovégétatif et neuroendocrinien, la représentation de soi, la manière
d’être au monde et d’entrer en relation.
La construction de l’image du corps procède par étapes successives : relations précoces,
identifications primaires et secondaires, désordres identitaires, image renvoyée par les
autres, perceptions sensorielles et somesthésiques, érogénéité, expériences sexuelles,
déficiences somatiques, maladies, etc.
L’adolescence
Moment charnière où le corps se transforme, premières expériences sexuelles, jeu
des identifications en miroir, dissimulation, camouflage ou exhibition, manipulation ou
attaque du corps, besoin de se distinguer par le corps ou au contraire de se fondre dans
l’indistinction des modèles sociétaux.
Les désordres narcissiques en relation avec une image du corps jugée inacceptable
sont nettement prévalents chez la femme, et en relation directe avec l’évolution sociétale
de ces cinquante dernières années qui instaure le primat de l’identification masculine.
L’adulte
Sur ce socle de base, l’image que les autres nous renvoient par leurs regards, par leurs
propos, par leurs réactions, les événements de vie qui restaurent ou altèrent le narcis-
sisme, les sensations qui varient selon l’état physiologique et les activités, opèrent des
distorsions inductrices de l’instabilité de l’image du corps. Mais ces fluctuations sont le
plus souvent labiles, parce que régulées et tamponnées par les représentations précon-
scientes et inconscientes et le système défensif déjà constitués.
Témoins les représentations inconscientes des anorexiques sur lesquelles se calquent
leurs représentations conscientes. Témoins aussi les rêves que l’on rencontre chez les
sujets obèses : chez certains d’entre eux, même après l’amaigrissement, la représentation
inconsciente du corps met beaucoup de temps à changer, alors que chez d’autres, le corps
apparaît, dans les rêves, tel qu’il était avant la prise de poids.
Cora a aujourd’hui 34 ans, porte un anneau gastrique depuis trois ans, et pèse
toujours 96 kg. Sa problématique profonde est inchangée : tous ses rêves attestent d’une
angoisse de castration persistante, et très souvent elle s’y voit mince comme à 20 ans.
Avec le temps, le corps se modifie, et personne n’y pourra rien changer. Le vieillisse-
ment entraîne avec lui l’altération du corps et de son image. Mais l’image du corps résiste
longtemps au changement, ce qui confirme encore la préséance des représentations sur
les perceptions.
2. L’IMAGINAIRE FAMILIAL
2-1. L’angoisse parentale et le corps de l’enfant
Les excès de crainte et de précautions concernant le corps de l’enfant génèrent une
fixation sur celui-ci, futur pôle d’attraction de déplacements ultérieurs lorsque surgira
l’angoisse ou la dépression. C’est une des origines de l’hypocondrie et de certaines
dysmorphophobies.
L’organe incriminé est l’objet de projection de fantasmes conscients et inconscients.
Ces fantasmes peuvent être secondairement reconstruits, remodelés par les informations
extérieures, les perceptions, les paroles, celles des parents, celles des médecins, parfois des
psychanalystes, en fonction des références théoriques de ces derniers.
L’insuffisance d’investissement maternel tout autant que le surinvestissement, la
mauvaise qualité du système pare-excitation du bébé, se répercutent sur le sentiment
du corps.
L’identification à un parent angoissé, voire hypocondriaque, joue aussi un rôle déter-
minant.
La mère d’Isabeau était styliste chez les grands couturiers, obsédée par la maigreur.
Isabeau eut tendance à la prise de poids, ce qui déclencha chez sa mère une surveillance
constante, la mise en place de régimes dès son plus jeune âge et des paroles dévalorisantes
quant à son aspect physique dès qu’elle prenait un kilo. À l’adolescence, Isabeau prendra
le relais, contrôlant son poids de manière obsessionnelle. Elle aura une fille, Maeva,
qu’elle contrôlera à son tour, n’hésitant pas à la mettre au régime dès la première année.
Aujourd’hui, Maeva a deux ans et mange sans sucre. Il y a six mois, les grands-parents
paternels prirent Maeva pendant les vacances et furent un peu laxistes. Lorsqu’Isabeau
vint chercher sa fille, elle la surprit avec un biscuit à la main. Grand branle-bas dans
Landerneau. Hurlements. Depuis six mois, les grands-parents paternels n’ont plus le droit
de voir Maeva.
fils ou d’une fille avec une personne dont un des parents avait développé une tuberculose
était formellement déconseillée.
Il y a bien sûr les maladies génétiques dont le diagnostic chez un membre de la famille
tombe comme un couperet sur les descendants et collatéraux. Nous l’évoquerons plus
loin.
Mais, en dehors de ces cas où la part génétique est invoquée comme une condamna-
tion, il existe aussi des déterminants plus personnels à l’imaginaire familial : le frère aîné
décédé d’une pleurésie dans les suites d’un « froid », celui que tout le village surnomme
« l’Asphyxié », porteur de séquelles d’une intoxication à l’oxyde de carbone, le cousin mort
d’hydrocution, la tante ayant peut-être contracté la poliomyélite lors d’une baignade, le
grand-père mort d’insolation, etc. Autant de constellations de l’imaginaire familial qui
instaureront des situations supposées à haut risque, voire des interdits : ne pas prendre
froid, ne pas utiliser certains appareils de chauffage, ne pas se baigner dans certaines eaux
ou dans les suites du repas, ne pas s’exposer au soleil, etc.
Il est aussi des paroles médicales entendues au cours des maladies des ascendants qui,
s’intégrant aux rituels et à l’imaginaire parental, se transmettront plus ou moins à celui
de l’enfant.
N’oublions pas aussi, et surtout, la toxicité des paroles prédictives qui ont un véritable
effet de programmation pathogène. Elles agissent comme une malédiction transmise de
génération en génération.
636
Les représentations de la maladie
3. L’IMAGINAIRE POPULAIRE
Aline Sarradon-Eck (S’expliquer la maladie) a effectué une étude en Haute-Provence,
entre 1993 et 1998, sur les représentations populaires de la maladie. Synthétiquement,
voici ce qu’il en ressort.
La punition
Le plus souvent, la maladie constitue la punition d’une transgression : transgression
d’un interdit moral ou religieux, d’une norme en matière de sexualité, d’alliance ou de
génération, d’une valeur. Le fauteur est le sujet ou un autre membre du groupe, le sujet
payant pour celui-ci. La maladie est la sanction mais aussi le moyen peut-être du rachat
(salus = santé).
En Occident, la transgression responsable de la maladie s’est déplacée : c’est l’interdit
médical et les règles préventives qui n’ont pas été respectées. Les commandements ne
sont plus d’ordre moral ou religieux, mais d’ordre médical. À chaque transgression, corres-
pond une maladie : fumer/cancer du poumon, manger gras/maladies cardiovasculaires,
637
Traité de médecine psychosomatique
La persécution
La persécution est caractéristique des sociétés africaines et existe à un moindre degré
dans les sociétés occidentales. Les modalités sont assez récurrentes : possession, sorcel-
lerie, complot, agression directe par un membre de la famille, l’entourage immédiat, le
corps médical.
Désiré, d’origine béninoise, présente une dysfonction érectile et une dysurie depuis
dix ans. Il attribue cela à un envoûtement par une partenaire sexuelle, lors d’une relation
extraconjugale qui l’a amené à divorcer. Son épouse actuelle surenchérit et met sur le
compte de l’envoûtement non seulement les troubles génito-urinaires de Désiré, mais
aussi les déboires financiers du couple et le bec-de-lièvre dont est atteint leur dernier
enfant.
Le destin
Il prend des formes différentes selon les civilisations. Ce qui est écrit dans le grand livre
de Dieu ou, plus récemment, celui de l’ADN. C’est la malchance.
Ces représentations de la maladie permettent, selon Aline Sarradon-Eck, de
comprendre certaines conduites thérapeutiques ou préventives qui paraissent irration-
nelles aux yeux de la médecine officielle.
Tous ceux qui ont eu la chance de connaître la vie paysanne avant que la télévision
et internet ne viennent formater les cerveaux, et de pratiquer la médecine générale en
milieu rural, peuvent témoigner de la richesse des représentations populaires, héritières
parfois d’un lointain passé : panacées (sirop du docteur X ou de l’abbé Y), techniques
thérapeutiques aujourd’hui abandonnées (ventouses, pointes de feu, cataplasmes, etc.),
rituels préventifs (pois chiches à Pâques pour éviter les fièvres), personnages locaux inves-
tis d’un pouvoir de guérison, expressions imagées riches de sens (« Il y a trois ans que je ne
vois plus rien, car ma matrice est sèche… Il m’a guéri le feu…Il m’a tari le lait… L’attaque
cérébrale… La congestion pulmonaire… La crise de foie… Le coup de sang… Les vers… La
lune…», etc.). Nous pourrions y consacrer un livre entier.
638
Les représentations de la maladie
5. L’IMAGINAIRE MÉDICAL
La confrontation à la maladie, aux soins et aux soignants, va induire de nouvelles repré-
sentations chez le sujet, issues de ses perceptions durant la maladie et surtout des paroles
et des interventions médicales. Ces nouvelles représentations vont être remaniées par
son imaginaire personnel. Il se constituera ainsi un nouveau système représentatif hybride
entre l’imaginaire personnel et les représentations induites au cours du soin.
5-1. L’histoire du soignant
Les représentations personnelles du soignant en ce qui concerne la maladie et le soin
sont initialement celles de tout le monde. Elles sont liées à son histoire et se construisent
de la même manière que celle que nous venons d’évoquer chez le patient. Elles jouent de
surcroit un rôle central dans le choix de son métier et de sa spécialisation.
La place de ces représentations personnelles au sein du système représentatif se réduit
toutefois au fur et à mesure du parcours professionnel (études, expérience, formations).
À certains moments, face à telle pathologie ou telle situation, elles peuvent resurgir, inter-
férant alors avec les strictes représentations cliniques, et cette interférence peut induire
des attitudes défensives.
5-2. L’imaginaire médical
Il est propre à chaque époque, à chaque civilisation. Il définit le corpus théorico-
clinique d’une médecine donnée.
Diana, 31 ans, présente un ictère cholestatique en voie de rémission. Sa grand-mère,
qui avait présenté un ictère quand son mari était parti à la guerre, lui a dit qu’elle avait
dû avoir une grande peur au moment de son accouchement il y a huit mois. Accouche-
ment difficile suivi d’une grande asthénie et, trois mois après, d’un prurit. Le bilan biolo-
gique avait révélé une augmentation des transaminases. Le prurit cessa pendant l’été, la
fatigue diminua, mais en septembre l’ictère apparut. Le médecin généraliste prescrivit
une échographie qui ne montra pas d’obstacle sur les voies biliaires et Diana fut hospita-
lisée. Le praticien hospitalier avança une origine génétique et lui dit qu’il faudrait prendre
des acides biliaires à vie. Elle a consulté il y a un mois un acupuncteur qui attribue l’ictère
à une dysrégulation émotionnelle, plus particulièrement à une colère non exprimée. C’est
lui qui me l’adresse.
Trois représentations divergentes : la peur, les gènes, la colère. Quant à Diana, elle ne
sait plus à quel saint se vouer et son vide représentatif accentue sa détresse. Qu’en est-il
de l’anamnèse ?
Diana reprit son travail trois mois après l’accouchement et, de fait, dut confier le bébé
à une nourrice qui s’avéra peu fiable. Elle développa un sentiment de culpabilité à l’égard
du bébé qui régressa lors des vacances d’été. Lorsqu’elle reprit son travail à la rentrée, elle
dut mettre son bébé à la crèche. C’est alors que l’ictère apparut et qu’elle fut hospitalisée,
ce qui n’arrangea pas son sentiment de culpabilité. Quatrième représentation : la culpabi-
lité. Mais peut-elle induire une hépatite ? Non, sauf si nous considérons qu’elle sous-tend
une auto-agressivité, donc une potentielle hétéro-agressivité réprimée, cinquième repré-
sentation qui rejoint celle de l’acupuncteur et qui semble plus en concordance avec la
clinique psychosomatique.
640
Les représentations de la maladie
6-1. Adhésion-introjection
Bien que pourvu de représentations quant à sa maladie (imaginaire personnel, familial,
populaire, livresque ou médiatique), le patient est en demande non seulement de soins
mais d’explications. Son état régressif induit par la maladie le met dans une position de
réceptivité majeure à toute parole de sujet supposé savoir, comme un enfant en attente de
réponse de l’adulte sur les mystères de la vie. C’est ainsi que, lors de nombreuses maladies,
plus particulièrement les maladies inductrices d’un fort potentiel régressif, l’adhésion aux
représentations médicales peut être totale.
Violetta, 45 ans, a développé des douleurs pelviennes dans les suites de son divorce
et du décès de son père, survenus la même année. C’était il y a dix ans. Les investiga-
641
Traité de médecine psychosomatique
tions avaient conclu à une névralgie pudendale. Elle fut opérée à trois reprises, et chaque
fois sans résultat, par le même chirurgien, spécialiste en la matière, originaire du même
pays que son père et son ex-mari, portant le même prénom que ce dernier. Les échecs
furent attribués à un problème veineux. L’état dépressif hostile, la répression de l’agressi-
vité, la frustration sexuelle, le renoncement à toute activité professionnelle, maintenaient
Violetta dans sa pathologie. Lors de la seule et éphémère relation amoureuse qu’elle eut
il y a deux ans, les symptômes disparurent pour revenir de plus belle après la séparation.
Elle accepta l’investigation psychosomatique comme une bête qui va à l’abattoir. Sachant
qu’elle ne reviendrait pas, je lui fis part de mes représentations. Elle les accueillit en me
regardant comme si je sortais de l’asile. La représentation du seul et unique problème
veineux occupait l’intégralité de son imaginaire, tant elle avait adhéré aux explications
du chirurgien. Elle a pris rendez-vous pour sa quatrième opération. Et avec le recul, je suis
assez rassuré qu’elle n’ait pas porté plainte contre moi.
PATIENT SOIGNANT
Acquisition d’informations
Imaginaire populaire
Représentations
Imaginaire familial
642
Les représentations de la maladie
7. DIAGNOSTICS
Les effets du diagnostic sont très variables en fonction des sujets, des pathologies et
des modalités de l’annonce.
laissée partir dans la nature sans la moindre prescription au niveau des soins locaux. Elle
est déprimée.
Lorsque son compagnon était revenu de son pays d’origine en septembre dernier, il
avait exigé qu’elle adopte sa religion et se convertisse. C’est alors qu’elle fut prise d’une
forte fièvre pendant une semaine. Comme elle refusa, il la quitta et, durant le mois qui
suivit, elle prit ses dix kilos. Elle a du mal à en parler : soit aucun son ne sort, soit elle
pleure.
7-2. Déculpabilisation
Le diagnostic de la maladie peut avoir un effet libérateur. Il peut mettre un terme à la
culpabilité et même, chez certains sujets, induire un apaisement, si ce n’est une certaine
euphorie.
Francine, 45 ans, a déclenché une première dépression dans les suites du décès de
sa mère il y a cinq ans. Un an après, un cancer au sein gauche fut détecté et opéré. Un
état hypomaniaque s’installa dans les jours qui suivirent. Six mois après, elle sombrait
à nouveau dans une dépression. Depuis, les troubles de l’humeur alternent tous les six
mois. Le deuxième état hypomaniaque surgit dans les suites immédiates d’un accident
où elle perdit la vision d’un œil.
7-4. Effet destructeur
Une tendance voit le jour : après les échelles d’auto-évaluation, les divers agendas
à remplir remis aux patients, voici maintenant la distribution de monographies. Ces
documents, dans lesquels abondent statistiques et pronostics des plus redoutables
concernant la maladie présentée par le patient, sont remis à celui-ci à titre d’information
et en guise de parole à l’issue d’une consultation hyper-spécialisée. Le droit du patient à
l’information est préservé. Quant aux suites…
Agnès, dont l’observation a été présentée en deuxième partie de cet ouvrage
(p. 452), souffrait d’angio-œdèmes récidivants. Elle s’était vu remettre une monographie
concernant cette pathologie survenue dans les suites d’une IVG particulièrement trauma-
tique. Alors que la psychothérapie avait réduit considérablement la fréquence et l’inten-
sité des crises, la lecture de cette monographie déclencha un authentique syndrome
644
Les représentations de la maladie
psychotraumatique et la pathologie repartit de plus belle. Les nuits qui suivirent furent
peuplées de cauchemars terrifiants. Elle me remit le document : son contenu était
effectivement des plus inquiétants. Elle envisagea d’arrêter sa psychothérapie tant les
arguments médicaux dont elle s’était imprégnée étaient convaincants. Plusieurs séances
furent nécessaires pour réenclencher le processus psychothérapique, comme s’il repartait
de zéro, pour, à terme, finir par avoir raison de sa maladie.
7-5. « L’annonce du diagnostic… »
Alban, 30 ans, avait des angines à répétition et une asthénie. Son médecin lui
prescrivit un bilan sanguin. Lorsqu’il alla chercher ses résultats, le médecin du labora-
toire les lui tendit en disant : « Je ne vous apprends rien, bien sûr, vous le saviez que vous
êtes séropositif. » Détresse. Idées suicidaires. Puis régression pendant six mois, au cours
desquels il va vivre chez ses parents, dans un cocon, nourri aux petits pots. Au bout de ces
six mois, il va mieux, baisse la trithérapie et reprend son travail. Mais à chaque contrôle,
son médecin lui rappelle qu’il a certainement contaminé des tas de partenaires afin que
celles-ci se rendent au laboratoire dans les plus brefs délais.
Face à la souffrance induite par des diagnostics portés sans ménagement et aux
délabrements induits chez le patient, la médecine française du xxie siècle, découvrant
subitement la psychologie par le biais des techniques standardisées de communication,
se devait de proposer une solution humaine et efficace en toute situation. C’est ainsi que
furent créer les « annonceurs de diagnostics ». Il s’agit en général d’un binôme compre-
nant un médecin et une infirmière, spécialisés sur la question, formés à toute épreuve,
envoyés sur le front, à la demande du médecin ayant posé le diagnostic, visiblement dans
la plus grande difficulté pour le formuler. Juste répartition des tâches. Les techniques de
l’annonce ont été évaluées et validées par des « experts ». Elles sont applicables à tout
sujet, quels que soient sa maladie, son histoire et son fonctionnement psychique. Le
regard, le ton de la parole, le serrement de mains, les mots utilisés, sans oublier « l’empa-
thie » – terme utilisé larga manu et à toutes les sauces par les instances officielles pour
définir, en fait, une technique de vente – remplacent avantageusement l’anamnèse et
autres vieilleries proposées par l’approche psychosomatique. Reste à trouver l’uniforme.
formellement contre-indiquée. Dans les semaines qui suivirent, des chutes apparurent,
ainsi qu’une incoordination motrice, des troubles phonatoires et des mouvements
bucco-linguo faciaux anormaux. Le père ayant vendu l’entreprise compte tenu de ce qui
l’attendait lui aussi, elle s’inscrivit à des formations : formation d’assistante vétérinaire et
aussi d’auxiliaire de vie. La neuropsychologue du service qu’elle consulte tous les mois
lui a enjoint de renoncer à ces métiers, compte tenu de son état à venir qui risquerait de
mettre en danger la vie d’autrui. Principe de précaution citoyen préservé, repris par l’assis-
tante sociale qui lui a fait remplir un dossier Cotorep. Quant au professeur, il a dit que
c’était une maladie orpheline – comble du paradoxe pour une maladie transmise par les
ascendants –, qu’elle progressait, que les troubles de la mémoire et de l’équilibre allaient
s’aggraver de pire en pire. Devoir d’information du citoyen-patient rempli. Idées noires,
angoisse de mort, elle se voit, selon ses termes, « grabataire sous peu et cuite à 40 ans ».
Quand on sait que la majorité des patients, déstabilisés par un diagnostic et un
pronostic assénés sans ménagement et sans nuance, vont consulter internet, on peut se
demander l’intérêt du conseil génétique lors de maladies pour lesquelles il n’existe pas de
traitement. Pur sadisme ou simple idiotie ? Nouvelle forme de cruauté ou maladie orphe-
line de l’entendement ? Voilà ce que notre patiente et les membres de sa famille porteurs
du gène ont pu lire, entre autres, sur internet : « … maladie héréditaire incurable d’évolu-
tion inexorable vers la mort… Les aptitudes physiques sont progressivement diminuées
jusqu’à ce qu’un mouvement coordonné devienne très difficile, et les capacités mentales
évoluent généralement vers la démence… Le début se manifeste par des troubles subtils
de la coordination des mouvements ou un changement d’humeur caractérisé par une
tendance dépressive. Puis les mouvements anormaux deviennent évidents, entravant la
vie professionnelle et obligeant souvent les personnes à abandonner leur travail… Tardi-
vement les individus deviennent incontinents, muets et totalement dépendants pour la
vie quotidienne… L’espérance de vie est d’environ 20 ans après l’apparition des premiers
symptômes… Il n’existe aucun remède contre la maladie et des soins à temps plein sont
nécessaires dans les derniers stades de la maladie… Le risque de suicide lors de l’annonce
du diagnostic n’est d’ailleurs pas négligeable… »
Au sein de l’article, on relève toutefois : « Le génotype ne parvient pas à expliquer
totalement l’âge d’apparition des premiers signes et il existe probablement des facteurs
environnementaux qui ne sont pas connus. »
mais qui existaient avant l’hémorragie. Elle se rend tous les six mois au CHU pour
l’angio-scanner, rendez-vous qui lui est communiqué lorsqu’une place se libère. En ce qui
concerne les résultats, elle les reçoit plusieurs semaines après et ne peut donc s’entretenir
avec le médecin. Récemment, n’ayant pas eu de nouvelles quant aux derniers résultats,
elle décida de téléphoner à l’hôpital. Après un temps de latence conséquent où elle put
apprécier la nouvelle version électronique du Boléro de Ravel, elle obtint un praticien qui
lui dit qu’ils avaient bien les résultats, mais qu’il fallait qu’ils se réunissent pour en parler,
car « a priori, c’est grave. Ne vous inquiétez pas, on vous appellera… »
8. PRONOSTICS
La formulation du pronostic au sujet malade n’est pas sans danger, comme nous
venons de le voir. Lorsqu’il est péjoratif, elle peut induire panique et démission, accélérer
le processus de désorganisation somatique, précipiter la fin sur un mode dramatique.
Avoir le souci de la vérité est théoriquement souhaitable, mais de quelle « vérité »
s’agit-il ?
1. Le pronostic n’est pas la « vérité » et la « vérité » n’est pas le pronostic. S’il est une
vérité, c’est celle de la réalité psychique du sujet. Elle se noie dans le verbiage idéolo-
gique consensuel, pontifiant et le plus souvent idiot, du style : « Je suis pour la trans-
parence… Il appartient à chacun de savoir où il va… On s’approprie trop la vie des
gens… » Et autres billevesées.
2. Si l’évolutivité vraisemblable de la maladie doit être formulée pour des raisons légitimes
appartenant au sujet malade (prise de dispositions personnelles, familiales, matérielles
ou spirituelles), elle ne peut l’être qu’après une connaissance minimale de celui-ci. Elle
doit s’accompagner de paroles et celles-ci ne peuvent être inspirées qu’à partir de que
l’on sait du sujet.
3. Certains diagnostics étiologiques doivent être modulés et relativisés pour atténuer
l’angoisse et la culpabilité. Il existe des réalités et des interprétations de ces réalités qui
sont différentes, pour le soignant, le patient et sa famille.
4. On ne connaît jamais le pronostic et c’est très bien. Ce qu’on connaît, ce sont des statis-
tiques et une impression clinique.
5. La formulation du pronostic tue, qu’elle s’adresse au sujet ou à son entourage. Il est
vécu comme une prédiction à issue certaine. Il s’agit non seulement d’un déni de l’exis-
tence même du sujet, mais aussi et surtout d’une condamnation irréfutable, dont les
effets confirment le contenu.
6. Dans certaines maladies, pour lesquelles il n’existe pas de traitement et dont l’évoluti-
vité est influencée par des facteurs conjoncturels, à quoi sert le pronostic ?
M.-C. Célérier (Sociologie et anthropologie) a repéré de nombreux cas de sujets « se
découvrant séropositifs et décompensant la maladie alors de manière fulgurante ». Elle
cite M. Mauss à propos des aborigènes : « Un individu blessé légèrement n’a aucune
chance de se rétablir s’il croit la lance enchantée (…). S’il se casse quelque membre, il ne
se rétablira facilement que du jour où il aura fait la paix avec les règles qu’il a violées. »
Mauss pointe deux causes élémentaires de mort : la certitude de la mort et la violation
des règles de la société.
647
Traité de médecine psychosomatique
Citons M.-C. Célérier (Psychothérapie des troubles somatiques) : « Une menace de mort
et non une certitude pouvant laisser la place à l’installation de défenses psychiques avec
l’espoir d’être de ceux qui ne tomberont pas malades, et de plus un droit à penser ne pas
l’avoir “mérité” offrent de meilleurs possibilités de défenses somatiques. »
Certaines campagnes dites « de prévention », telles les inscriptions sur les paquets de
cigarettes, condamnent à mort de nombreux sujets : « Le cancer mortel du poumon ! »
Je ne vous apprendrai rien en disant que certains sujets, aussi peu nombreux soient-ils,
n’en meurent pas.
Citons encore M.-C. Célérier : « Toutes les polémiques autour de la “vérité” à dire
au malade négligent la dissociation/association entre la part imaginaire et la réalité
physiopathologique de la menace de mort. » (Ibid.) Le pire est un consensus arbitraire de
la vérité ou du mensonge systématique.
Notre société agonisante préconise les mots pour compenser l’absence de solutions.
Certains ne sont pas sans conséquence délétère. Le terme palliatif, par exemple, intro-
duit une discontinuité là où devrait perdurer la continuité dans le soin et les représenta-
tions. Le passage du curatif au palliatif fait brutalement basculer l’aide à vivre dans l’aide
à mourir. Ce basculement des représentations chez le soignant, puis chez la famille et en
fin de compte chez le sujet concerné, n’est pas dépourvu de conséquences au niveau non
seulement du vécu mais aussi des paroles, des actes et du devenir. Car les représentations
dictent ces derniers. Mettre en soins palliatifs, c’est formuler un diagnostic et un pronos-
tic. La clinique est parlante certes, tous les éléments sont là pour nous dire que telle
personne n’en a pas pour très longtemps. Pourtant, la vie réserve parfois des surprises. Au
sein d’un CHU d’une certaine préfecture de France, un service de « Soins palliatifs » vient
d’être créé. Il est à l’autre bout du centre, loin des services de soins intensifs et de soins
gériatriques. Il est en sous-sol, proche des containers poubelles. Lorsque sonne l’heure,
le patient y est descendu sur un brancard. Acte manqué ou acte réussi ? L’abolition de la
peine de mort souffre d’exceptions confirmant la règle.
9. PHÉNOMÈNES TRANSFÉRENTIELS
Les représentations de la maladie chez le patient dépendent, comme nous l’avons vu,
de son histoire personnelle, de l’histoire de sa famille, de la société dans laquelle il vit, des
réponses qui lui sont données par les soignants.
Celles-ci surgissent dans un contexte relationnel particulier qui est celui de la relation
de soins. Relation bien spécifique caractérisée par une asymétrie foncière. Le sujet patient
est un enfant en attente d’une réponse et d’une intervention de la part du soignant,
assigné de fait à une position parentale. On ne s’étonnera donc pas que la relation du
patient avec son soignant soit une relation régressive quand bien même il s’en défendrait.
On ne s’étonnera pas non plus que les modalités de cette relation qu’il souhaite mettre en
place et les représentations qu’il a du soignant soient une réédition de ce qu’il a vécu dans
son passé, à l’époque où ses parents étaient investis d’un pouvoir sans limite. C’est ainsi
que l’on peut définir le transfert. Transférer sur un autre, le soignant, le type de relation
que j’ai eue avec un de mes parents (mère, père, frère, sœur, etc.) lorsque j’étais enfant.
Le transfert est la réédition, après-coup, de l’inter-suggestibilité première parents-enfant.
C’est la dissymétrie de la relation qui en appelle au transfert. Dissymétrie conspuée plus
648
Les représentations de la maladie
particulièrement à partir des années 1960 en terme de « pouvoir médical », plus particu-
lièrement par ceux qui, du fait d’une formation réactionnelle évidente, rêvaient depuis
toujours d’un tel « pouvoir ». Or, le pouvoir dont il est question dans la relation de soin
se limite et doit se limiter à un « je peux… peut-être ». Je peux peut-être vous écouter,
vous aider, vous soigner, essayer de comprendre. Mais parfois, le patient ne l’entend pas
comme ça.
J’ai distingué, en 2002, deux séquences dans l’instauration du transfert : le transfert
primaire et le transfert secondaire. Le transfert primaire est déterminé par ce que j’attends
de l’autre. Le transfert secondaire naît à partir du moment où ce qui se passe diffère de
ce que j’ai attendu.
Paméla me fait part de l’empressement de son conjoint au niveau de la sexualité. Elle évite
autant que se peut les contacts sexuels. Je vérifie qu’il n’y ait pas de collusion entre le mari
demandeur et la belle-sœur. Non, l’époux n’est pas au courant que celle-ci l’accompagne.
Alors pourquoi ? Parce que Paméla a pris pour confidente cette belle-sœur, plus particu-
lièrement, depuis l’issue dramatique de sa seule et unique grossesse : toxémie, décolle-
ment placentaire, décès à terme de la petite fille, en direct à l’échographie. Paméla gardera
le bébé mort vingt-quatre heures avant l’expulsion. Dans les suites, la frigidité s’installera,
aggravée par les deux grossesses ultérieures.
Le caractère défensif de la présence de la belle-sœur est évident, si ce n’est massif.
Paméla est très méfiante à mon encontre. Pourquoi ? Dans les suites du décès de sa fille,
puis de la grossesse qui suivit où elle ne parvint pas à investir l’enfant, Paméla consulta
successivement une psychologue puis deux psychiatres. Elle garde un très mauvais souve-
nir de ces rencontres. Il semblerait que n’aient été abordés que la perte et le deuil du
bébé. De toute évidence, pas une fois le vécu de castration n’a été évoqué. C’est pourtant
ce dont elle souffre, l’anérogénéité vaginale étant bien le témoin d’un processus défensif
somatique, « comme si on lui avait arraché son sexe ». Vécu de castration que confirme
aussi une régression fixation urétrale : le peu de plaisir qu’elle ressent lors des contacts
sexuels avec son conjoint s’accompagne d’une crainte d’uriner pendant l’orgasme. Durant
sa grossesse au dénouement dramatique, elle rêvait qu’elle accouchait d’une petite fille
sans tête.
Malgré le fait que je la mette à l’aise et ai accepté la présence transitoire et néanmoins
insupportable de la belle-sœur, dans le but de préserver dans un premier temps son
système défensif, elle est toujours aussi méfiante à mon égard. Elle a développé une
armure défensive à l’encontre du gynécologue qui l’a accouchée du bébé mort, puis des
deux psychiatres, puis du mari, enfin de moi-même.
Mais pourquoi semblait-il vital que la belle-sœur soit omniprésente ? Six mois après le
décès de son bébé, cette belle-sœur accoucha d’une petite fille. Paméla vécut très mal ce
moment-là, et on peut imaginer l’hostilité qu’elle put ressentir à l’égard de la chanceuse.
Depuis, Paméla ne la lâche donc plus, lui étale ses difficultés, l’amène avec elle en consul-
tation, comme si elle voulait lui faire payer le bonheur d’être mère d’une petite fille.
Reviendra-t-elle me voir ? C’est peu probable.
Solange présente depuis l’âge de 14 ans des nausées, apparaissant essentiellement
lors des contacts sociaux. Elles ont débuté dans les suites de son premier flirt. Elle était
déjà venue au cabinet il y a deux ans mais n’avait pas donné suite, craignant de succomber
à un transfert amoureux, chose qui s’était produite avec son premier psychiatre. Quant
au second, elle le trouvait, selon ses propres termes, « vicieux ». À la seconde séance, elle
rapporte un rêve me mettant en scène : « Vous me proposez de retourner avec moi sur
les lieux de mon enfance. Je m’évanouis et vous me réanimez. » Les nausées constituent
un équivalent hystéro-phobique, tout contact avec l’autre représentant une métaphore
du contact sexuel avec le personnage paternel à la fois désiré et redouté. Elles disparaî-
tront pendant la psychothérapie.
Le transfert primaire semble trouver son issue terminale après la première, voire les
premières rencontres. Dans les suites de celles-ci, se produisent des remaniements qui
vont donner une forme cristallisée à la relation d’objet, induisant parfois des surprises
650
Les représentations de la maladie
chez le praticien. Tel patient qui paraissait enchanté à l’issue de la première consulta-
tion, et qui avait pris rendez-vous pour une deuxième séance, n’honorera pas celle-ci
sans prévenir ou oubliera de venir. Tel autre patient, réticent si ce n’est hostile lors de la
première entrevue, se déclarera enchanté à l’issue de la rencontre pour des raisons qui
de toute évidence nous avaient échappé. Il s’agit de phénomènes liés à un remaniement
intrapsychique, le plus souvent inconscient, dans les jours et les nuits qui ont suivi la
première entrevue.
Dans les suites, toutes ces réactions pourront s’inverser. C’est ici que débute le transfert
secondaire.
Lara-Line traverse à l’âge de 23 ans une période de turbulences. Elle est alors en
licence de lettres, vient de passer ses examens pour lesquels elle a énormément travaillé.
Elle échoue. Dans la semaine qui suit les résultats, elle développe une bronchite, une
gastroentérite, puis des paresthésies bilatérales, une hypotonie motrice générale, et enfin
une paralysie du membre supérieur droit, puis du tronc. Hospitalisation. Trachéotomie.
Réanimation pendant un mois et demi. La pathologie est attribuée successivement à un
cytomégalovirus, puis à une maladie de Lyme avant que ne soit posé le diagnostic de
syndrome de Guillain-Barré. L’hospitalisation durera six mois. Le verdict des médecins est
alors formel : « Il vous faudra dix ans pour vous en remettre ! »
C’est précisément dix ans après, au moment où la période critique prend fin, que
Lara-Line vient me consulter. Elle est alors enceinte de deux mois, ce qui n’enchante pas
son mari qui ne voulait pas d’un deuxième enfant. Car elle a vécu une première grossesse
difficile il y a trois ans : une anxiété majeure à l’idée d’être paralysée par la péridurale indui-
sit des contractions subintrantes. Depuis sa maladie, elle est assez déprimée, fatiguée,
a toujours froid. Elle présente une sténose trachéale séquellaire de la trachéotomie. Le
sentiment de précarité corporelle est omniprésent. Les rêves traumatiques perdurent : les
fourmillements, les bips de la salle de réanimation, on la poursuit et elle tombe paralysée.
La nouvelle grossesse se passera bien.
Danielle a développé un cancer du sein « sanctionné » par une mastectomie. Elle
est dépressive. Elle n’accepte pas sa prothèse mammaire. Pour les médecins qui la suivent,
elle n’a aucune raison de se plaindre, car elle est considérée comme guérie. Cette mastec-
tomie qu’elle n’accepte pas a fait resurgir un traumatisme qui réapparaît depuis dans ses
cauchemars. C’était il y a six ans. Un voisin tira sur eux plusieurs coups de fusil au cours
d’une garden-party. Elle était enceinte. Son mari et son fils, gravement blessés, subirent
une opération pendant qu’elle accouchait prématurément. Bien que le mari soit resté
aveugle et le fils handicapé, la vie a repris son cours. Seule la mastectomie a réactivé le
traumatisme de la perte et de la castration.
653
Chapitre 23
1. L’OBJET MALADIE
Quelque chose dans notre corps vient rompre le silence et l’harmonie, s’impose à
nous avec insistance, nous perturbe, nous inquiète, nous fait mal, nous anéantit. Ainsi, la
maladie crée une division au sein de notre unité entre ce que nous pensons être et une
partie de notre corps qui s’en dissocie, une enclave que nous considérons comme n’étant
plus nous-même.
Lorsqu’un agent extérieur a été identifié et déclaré comme unique responsable de la
pathologie (bactérie, virus, toxique, corps étranger, allergène, envoûtement), l’auteur du
mal est identifié. Pourtant, nous savons tous, tout au moins ici, que l’agent extérieur ne
suffit pas à déclencher la maladie et que la réactivité de l’individu a sa part de responsa-
bilité. L’évolution de la médecine à partir de l’ère pastorienne a fait une part belle à l’exo-
gène dans le déclenchement de la maladie, et il n’est pas impossible que cette conception
ait accentué le clivage entre le sujet et sa maladie. Car il est insupportable de se considérer
comme la seule cause de son malheur. Il est plus confortable de projeter dans le monde
qui nous entoure les causes du mal.
Mais que dire de la douleur, de l’inflammation, du spasme, de la paralysie, de la tumeur,
qui naissent et se développent au plus profond de nous-même, sans qu’un agent extérieur
clairement identifiable ait pu en être considéré comme le déclencheur ?
La douleur a pour rôle de provoquer une réaction de retrait et de protection face à
l’agression externe. C’est un signal d’alarme qui fonctionne bien face à la brûlure acciden-
telle ou à la meurtrissure. Mais comment la considérer comme une alliée quand ce sont
nos propres tissus qui la génèrent ? Quel est cet objet interne qui m’attaque ? Comment
le combattre et l’éliminer si ce n’est à terme en détruisant une part de son hôte ? La repré-
sentation de cette issue tragique sollicite à nouveau le système défensif.
Ce n’est plus mon corps qui génère la tumeur, c’est un processus interne certes, mais
un processus étrange qui finit par devenir étranger. Je dois l’éliminer comme un ennemi
extérieur, le tuer, le dissoudre. Et tout m’y engage, y compris mes alliés les soignants. Coali-
tion contre l’ennemi commun qui est pourtant une part de moi-même.
Ainsi, le clivage opéré au sein des représentations du corps constitue un premier
mécanisme de défense contre la maladie. La maladie n’est plus une partie constitutive
du soi, mais un objet séparé du moi. Et c’est ainsi que les réactions face à la maladie
prennent tout leur sens, en s’inscrivant comme autant de mécanismes de défense contre
un ennemi extérieur.
655
Traité de médecine psychosomatique
2-2. Fonctions défensives
Face à la maladie, ennemi clivé du moi, mais cependant omniprésent dans le corps,
le système défensif de l’individu se mobilise selon des séquences adaptatives similaires à
celles qui apparaissent lors de l’attaque par un prédateur. Les traces phylogénétiques de
l’adaptation constituent la matrice des réactions défensives à l’encontre de la maladie.
Ces réactions défensives peuvent alterner ou se succéder chez un même sujet. Elles
peuvent aussi s’intriquer, créant des expressions cliniques composites. Chez d’autres
sujets, plus particulièrement ceux qui présentent une personnalité pathologique, elles
ont par contre un caractère plus stéréotypé.
656
Les réactions à la maladie
3. LA FUITE
Les réactions de fuite peuvent survenir aux différents stades d’évolution de la maladie,
mais surtout lors de moments évolutifs. Tout d’abord au début, en tant que réaction
défensive immédiate. La première réaction de l’antilope lorsque surgit le lion est la fuite.
Chez le sujet malade, la fuite est rarement motrice, il est difficile de fuir un ennemi
intérieur. Mais certains sujets ont réagi face à la maladie en changeant de lieu, en déména-
geant, parfois en s’expatriant. La littérature foisonne de cas où des sujets, se sentant
condamnés, décident de quitter leur domicile, leur métier, parfois leur famille, pour s’en
aller vivre ailleurs. Le bouleversement existentiel a pu chez quelques sujets avoir des effets
curatifs. Mais c’est loin d’être systématique.
La fuite chez le sujet malade est en fait et surtout une fuite psychique. Les principales
modalités en sont le déni, l’inacceptation de la condition de malade et le refus de soins.
Nous ne disposons pas d’études sérieuses concernant l’impact des différentes formes
de déni quant à l’évolutivité de la maladie. J’ai par contre l’expérience personnelle,
plus particulièrement au niveau de mon ancienne activité de médecin généraliste, de
rencontres avec des sujets ayant dénié à des degrés divers leur maladie. L’évolutivité de
la maladie est très variable d’une maladie et d’un sujet à l’autre : chez certains sujets, le
déni s’est avéré salvateur, parfois de manière spectaculaire, chez d’autres, il n’a fait que
précipiter l’évolution fâcheuse de la maladie. Le déni protège de l’angoisse et a peut-être
aussi d’autres fonctions : évitement d’une désorganisation, réorganisation, préservation
des instincts de vie.
Faut-il respecter le déni, le combattre activement, ou le négocier ? La réponse ne peut
donc être univoque et systématique, mais adaptée à chaque situation et à chacun des
protagonistes. Elle ne peut être renseignée que par une connaissance du sujet et de son
histoire, car le déni a toujours du sens et des causes. Sans la connaissance de ces dernières,
il n’y a pas de réponse possible.
––le refus de la castration : être limité dans sa liberté (régimes, restrictions), dans son
plaisir ;
––la divergence des avis médicaux ;
––des informations extérieures remettant en cause le bien-fondé des thérapeutiques
proposées ;
––un positionnement idéologique : danger de la chimie, respect des défenses naturelles,
etc.
Dans ces types de conduite, le soignant est soit investi d’une toute puissance : sadique
(il va me tuer, me posséder), divinatoire (il va savoir), ou castratrice (il va me châtier), soit
discrédité (il est nul, il n’y comprend rien, je n’en ai pas besoin).
Le jeune homme dont nous venons de parler eut un fils qui devint médecin. Sa
circonspection au niveau des examens invasifs, de certaines interventions chirurgicales
aux indications limites, des prescriptions de médicaments à forts risques de toxicité, prit
peut-être racine dans le défi paternel réussi, à moins qu’il ne s’agisse de l’épouvante vécue
en son jeune âge lors d’une amygdalectomie, particulièrement traumatique mais tout
autant légitime du fait des antécédents paternels. Lors de ses études de médecine, il fit
un pneumothorax spontané dans les suites du décès de son grand-père maternel. Il fut
hospitalisé mais, bien que dyspnéique, quitta sa chambre par la fenêtre quelques minutes
avant la ponction, rejoignit son logis en auto-stop, resta tranquillement au lit pendant
trois semaines, le temps que la plèvre retrouve son état initial.
Quelques année plus tard, son oncle maternel avait lui aussi été hospitalisé pour des
investigations médicales. Il avait lui aussi refusé de rester sur les lieux et était rentré en
auto-stop chez lui. Il vécu jusqu’à 85 ans.
Plus récemment, ledit médecin développa une sigmoïdite dans un contexte de stress
évident. Il lui fut enjoint de se soumettre à une coloscopie. Ayant dans son activité de
consultant dans une clinique été appelé auprès de deux patients victimes d’une perfora-
tion, il négocia avec le gastroentérologue pour que l’intervention se limite à une colosco-
pie partielle gauche sans anesthésie. Dont acte. Les médecins sont des patients difficiles.
C’est peut être pour cela qu’ils sont médecins.
Certains refus de soins sont le fait d’une intuition parfois salvatrice. Quant aux formes
mineures d’évitement, elles sont fréquentes, diverses et variées, et compliquent la vie du
soignant : mise en échec du praticien, négligence, voire abandon dans le suivi du traite-
ment, rendez-vous manqués, etc.
Loin de nous l’idée d’encourager ou de soutenir l’ensemble de ces réactions de fuite.
Il s’agit d’en repérer surtout le caractère défensif. Le refus de soins ne peut être lui aussi
compris qu’au travers d’une connaissance approfondie du sujet, de son histoire et de ses
représentations de la maladie et du soin.
4. L’AGRESSIVITÉ
La répression de l’agressivité a – comme nous l’avons vu tout au long de ce livre – un
pouvoir pathogène central dans un grand nombre de pathologies. Elle peut induire leur
apparition et les moments d’aggravation. La levée de la répression de l’agressivité consti-
tue un axe central dans le traitement psychique de ces maladies. De fait, si les différentes
659
Traité de médecine psychosomatique
Le danger est que, le plus souvent, ce combat est dénué, contrairement au précédent,
d’activité fantasmatique et d’expression émotionnelle. Orchestré par l’équipe soignante, il
utilise des mécanismes de défense souvent opératoires et uniformisés centrés sur l’actuel,
ne tenant pas compte du fonctionnement psychique du sujet, appauvrissant du même
coup son univers fantasmatique tout en asséchant les affects.
Le relais est souvent pris par les associations de malades et les défenseurs des grandes
causes. Un seul facteur inducteur de la pathologie est ici isolé, tel le virus du sida, par
exemple, le gène de la myopathie, et bien d’autres. Le facteur désigné comme tel est
l’objet à abattre. Il s’ensuit une occultation totale et farouche des autres déterminants.
Je cite Robert Babeau (Approches psychosomatiques du cancer du sein) : « Un vécu
sthénique, agressif envers la maladie, peut s’avérer, de façon paradoxale, être de mauvais
pronostic dans les pathologies liées à “la perte” comme le sont le plus souvent les cancers.
En effet l’issue favorable se situerait, ici, plutôt du côté de l’accès à un mouvement
dépressif qu’à une position de lutte qui consiste seulement à faire plus de la même chose…
Le combat dont il est question ici est celui d’une guerre contre l’ennemi désigné, dans
laquelle le sujet malade est un simple fantassin dont les assauts successifs sont conformes
au but fixé par le médecin. » Position théorico-clinique qu’ont confirmée d’autres auteurs.
Cette notion de « combat courageux » peut de surcroit comporter une dimension
mégalomaniaque ou perverse : il y aurait de bons combattants en rang d’oignons et des
brebis galeuses qui ne savent pas ou ne veulent pas se battre. La culpabilisation est au
décours. Et nous connaissons ses conséquences sur la maladie.
4-2. L’hétéro-agressivité
La nécessité de la levée de la répression de l’agressivité pourrait nous inciter à valoriser,
voire à encourager les expressions agressives directes, quelles qu’elles soient, y compris
celles à l’encontre des proches et des soignants. Ce serait oublier que l’agressivité trophique
ne passe pas nécessairement par le verbe ou le comportement. Comme nous l’avons vu,
les productions psychiques (représentations et affects agressifs) constituent une voie de
décharge éminemment trophique de l’agressivité dans les pathologies de la répression.
Ce serait oublier aussi que l’évolution sociétale favorise plus la décharge comporte-
mentale de l’agressivité que son élaboration psychique. Il ne s’agit donc pas de cautionner
l’hétéro-agressivité mais d’en comprendre le sens, la fonction et le but, avant d’y répondre.
Les expressions de l’hétéro-agressivité sont variables d’un sujet à l’autre : agressivité
massive, primaire, clastique, régressive, opposante, menaçante, peu élaborée. Agressivité
larvée, sourde, voire agressivité remaniée par les processus défensifs s’exprimant essentiel-
lement au niveau du caractère.
Du point de vue de l’agressivité directe, il y a lieu aussi de distinguer une agressivité
compréhensible, si ce n’est nécessaire d’un point de vue économique, et l’agressivité qui
témoigne d’une pathologie individuelle ou collective.
L’agressivité compréhensible que l’état de malade suffit seul à générer est aggravée dans
de nombreuses circonstances : souffrance et handicap physique, angoisse, absence de
réponses des soignants, préoccupations existentielles (travail, famille, etc.), soins n’appor-
tant pas le soulagement souhaité, attente, investigations, manipulations, immobilisation,
661
Traité de médecine psychosomatique
662
Les réactions à la maladie
O1 O2 R1 R2
Émotion e
Projection de l’agressivité
La revendication pathologique peut être liée à une organisation psychopathologique
particulière (paranoïa) ou bien aux facteurs sociétaux précédemment évoqués. Il existe
souvent une potentialisation réciproque de ces deux déterminants.
Elle peut revêtir des formes atténuées (exigences au niveau des modalités d’examen,
des soins, des délais, des conditions matérielles, demande de prestations matérielles,
menaces en demi-teinte) ou violentes (menaces, procès, agressions).
Humour
L’humour transforme l’agressivité ou la plainte en un énoncé inducteur de satisfaction
pour le sujet. Il permet la levée du refoulement en déjouant la censure ou la levée de
la répression en désarmant l’autre. Alors que le propos direct eût mobilisé chez celui-ci
une réaction défensive, l’humour le fait rire et donc le détend. Le contenu du message
est identique, mais il est accepté et n’attend pas de réponse. Seul le sujet prend la parole
et court-circuite l’affrontement. En ce sens, il constitue une voie de décharge non négli-
geable de l’excitation délétère.
Sublimation de l’agressivité
La sublimation de l’agressivité constitue la destinée la plus trophique pour le sujet, son
monde et son équilibre psychosomatique. Nous l’évoquerons succinctement p. 764 à
765.
663
Traité de médecine psychosomatique
6. RÉACTIONS DE DÉFAITE
6-1. Le deuil
Le deuil consiste en une succession et une alternance de manifestations défensives
à l’encontre de la perte : déni, douleur, agressivité, culpabilité, angoisse, introjection,
664
Les réactions à la maladie
6-3. Dépression
Selon les statistiques officielles, au moins 10% des patients présentant une affection
médicale sont dépressifs. Les études concernant la comorbidité entre pathologie soma-
tique et dépression sont légions. Mais peu d’entre elles distinguent la poule de l’œuf.
Il y a donc lieu, avant toute chose, d’établir une distinction entre les différentes articu-
lations possibles entre dépression et maladie somatique, à savoir :
––les associations contingentes ;
––les somatisations de défaite :
--signes somatiques fonctionnels accompagnant certaines dépressions : asthénie,
troubles du sommeil, altération de la fonction sexuelle, désordres alimentaires,
variations pondérales, troubles digestifs, syndromes douloureux ;
--maladies somatiques de la défaite : maladies métaboliques et endocriniennes
(hypothyroïdie, diabète, etc.), désordres immunitaires (infections microbiennes
ou virales, maladies auto-immunes, certains cancers), insuffisance coronarienne,
asthme, ulcère gastroduodénal, certaines affections dégénératives (sclérose en
plaques, maladie d’Alzheimer), etc. ;
––les dépressions d’origine strictement biologique ;
––les dépressions somatopsychiques induites par le vécu et les conséquences de la
maladie.
Souvent, il y a intrication de ces diverses articulations, les liens de causalité étant plus
circulaires que linéaires.
La prévalence de la réaction dépressive induite par les conséquences existentielles de
la maladie a été évaluée entre 10 et 30%. Mais la différence est-elle faite entre dépression
et deuil ?
La réaction somatopsychique de type dépressif est une réaction adaptative de dernier
recours. Elle est liée aux conséquences de la maladie : souffrance, handicap, vécu de
vulnérabilité, conséquences sociales et relationnelles (abandon d’activités, solitude,
dépendance), atteinte narcissique (altération de l’image et de l’estime de soi), épuisement
anxieux lié à l’interrogation sur le devenir, traitements, culpabilité, auto-agressivité.
Certaines maladies, par leur vécu et leurs conséquences, sont plus dépressogènes que
d’autres : cancers, infarctus, syndromes douloureux, insuffisance rénale.
665
Traité de médecine psychosomatique
Jean-Jacques a accepté de renoncer à ses activités physiques depuis deux ans dans
les suites d’une cholécystectomie et de la cure d’une hernie inguinale. « Aucun effort
physique, plus jamais ! » Cette parole sans appel, énoncée de manière banale, a trans-
formé sa vie. État dépressif majeur. On ne pourrait pas mieux faire pour porter atteinte à
ce qui reste d’instinctivo-pulsionnalité chez un sujet.
Les effets de la dépression sur l’évolutivité de la maladie sont mal connus. Dans le
milieu médical, il est admis que la dépression aggrave la maladie, voire la mortalité. Des
études effectuées concernant le diabète, l’insuffisance coronarienne, l’accident vasculaire
cérébral chez les hypertendus, les transplantations d’organes, en attestent. Mais ceci est
peut être spécifique à ces maladies. Dans d’autres cas, lorsque la dépression atteste d’un
processus de rementalisation, certaines maladies somatiques pourraient régresser. Nous
l’avons vu au niveau des douleurs. Il en est peut-être ainsi pour d’autres maladies.
Comment s’y retrouver ? Je pense personnellement qu’il y a lieu de faire une distinc-
tion entre les deux syndromes qui caractérisent les dépressions : la souffrance morale et
l’émoussement des fonctions.
La souffrance morale, lorsqu’elle est suffisamment mentalisée (tristesse, douleur
morale en relation avec des représentations) ou lorsqu’elle se décharge d’un point de
vue émotionnel, me paraît trophique. Il n’en est pas de même pour l’émoussement des
fonctions (déficit cognitif, affectif, émotionnel, anhédonie, anesthésie affective, épuise-
ment) qui constitue un facteur délétère d’un point de vue psychosomatique. Toute
recherche sur les relations entre dépression et évolution d’une pathologie devrait tenir
compte de cette distinction.
6-4. Auto-agressivité et auto-agression
Les conduites auto-agressives ne sont pas exceptionnelles au cours d’une maladie. Elles
peuvent être liées à l’épuisement induit par le vécu, la perte d’espoir, le retournement de
l’agressivité sur soi faute de pouvoir l’exprimer à l’encontre de l’autre, la culpabilité, le désir
d’en finir avec la souffrance, l’appel désespéré à l’autre.
Ses formes sont variables : dépression, tentative de suicide, attaque d’une partie du
corps, refus de soin.
7. RÉACTIONS RÉGRESSIVES
« La régression consiste en la capacité de recourir, les circonstances contraignantes
aidant, faute de mieux, à des modalités antérieures de “gestion” de l’excitation. » (R.
Babeau, Les réactions régressives.)
Régressions objectivales
La maladie induit un désinvestissement des objets extérieurs au profit du moi et d’elle-
même.
Le surinvestissement du moi se traduit par un retrait du monde extérieur et un repli
narcissique de type égocentrique. Le degré de dépendance du sujet à son entourage s’en
trouve accentué, dans la mesure où son autonomie est affectée et où il se trouve privé des
moyens de se soigner lui-même.
Le surinvestissement de l’objet maladie induit une focalisation sur celle-ci et sur les
soins. La maladie crée de nouveaux buts, de nouveaux interdits, de nouvelles limites, de
nouvelles possibilités. Ce surinvestissement induit un réaménagement de l’ensemble de
la personnalité.
Régressions libidinales
Ce sont des retours à des satisfactions libidinales infantiles :
––régression orale : hyperphagie, consommation de toxiques, de psychotropes, addic-
tions ;
––régression anale : préoccupations concernant le transit, rituels concernant les objets,
les médicaments, inquiétude d’être dépossédé de ses biens ;
––refuge dans le sommeil.
Régressions topiques
Elles concernent essentiellement la deuxième topique :
––dissolution du surmoi : abandon des règles de politesse et de respect, de réserve
pulsionnelle ;
––apparition de conduites transgressives d’ordre érotique ou agressif ;
––intolérance aux frustrations.
667
Traité de médecine psychosomatique
7-2. Effets de la régression
Pour P. Marty, les capacités régressives (« épaisseur régressive ») constituent un
élément important et en règle générale trophique en ce qui concerne l’évolutivité de la
maladie et permettent de mieux évaluer les possibilités thérapeutiques.
Selon les cas, les manifestations régressives devront être acceptées, limitées ou
modulées. Leur déterminisme et leurs conséquences à court, moyen et long terme,
conditionneront la conduite à tenir.
Georgia a 8 ans de plus que son mari, un homme qui, selon ses dires, est « très
beau, charismatique et a toujours raison ». À l’âge de 35 ans, elle est diagnostiquée stérile
et le couple adopte un petit garçon. Georgia s’est toujours consacrée, corps et âme, au
bien-être absolu des membres de sa famille, se sacrifiant au quotidien, même lorsque son
mari a fait venir sa maîtresse dans la maison mitoyenne, vivant alternativement avec l’une
et l’autre. Lorsque celui-ci a ouvert un cabinet et un centre de formation de psychothé-
rapeutes énergéticiens, il a installé Georgia à l’étage. Il y a trois ans, il lui a annoncé que
l’une de ses jeunes clientes venait d’accoucher d’un enfant de lui. Elle a immédiatement
proposé de s’occuper du bébé pendant la journée. Un mois après, on lui diagnostiquait
un cancer des ovaires. Georgia est dans un état morbide stationnaire depuis maintenant
plus de deux ans. Elle est diminuée, a refusé toute rééducation et s’est complètement
laissée aller. Elle ne fait plus aucun effort pour être comprise quand elle parle, refuse de
manger seule alors qu’elle en est capable, passe ses journées au lit, fait ses besoins sur elle.
Le masochisme sous-tend la régression mais se transforme en sadisme à l’encontre de
certains de ses proches : son aide à domicile qu’elle martyrise, son fils, devenu aide-soi-
gnant, qu’elle harcèle et dont elle exige une présence constante. Seul le mari est épargné.
Elle « ne vit plus que pour les moments où celui-ci vient la voir et la prend dans ses bras
comme un bébé ».
Mais revenons à la clinique qui, elle, n’a que faire de l’idéologie. La maladie ne sert pas
à grand-chose sauf, à y regarder de plus près, au niveau de l’économie psychosomatique
et du système défensif et adaptatif de l’individu.
La fonction somatopsychique
669
Traité de médecine psychosomatique
R2
A2
C2
Trauma
670
Les réactions à la maladie
8-3. Remaniements défensifs
Toute atteinte organique entraîne des remaniements psychiques, quelle que soit la
dynamique inconsciente initiale. Le remaniement est toutefois limité. Les structures
inconscientes les plus profondes ne sont pas affectées, y compris après des périodes de
coma, selon H. Oppenheim-Gluckman (Processus de reconstruction de l’identité subjective
après un coma).
Les remaniements préconscients, affectifs ou perceptifs, sont par contre très fréquents.
671
Traité de médecine psychosomatique
9. BÉNÉFICES SECONDAIRES
Freud distinguait le bénéfice primaire et le bénéfice secondaire.
Le bénéfice primaire est consubstantiel au symptôme névrotique de défense : l’angoisse
non élaborée, invasive, est transformée en symptôme (phobie, hypocondrie, etc.). De fait,
la tension interne et le vécu anxieux s’en trouvent diminués.
Le bénéfice secondaire réside, lui, dans les avantages réels induits par la maladie d’un
point de vue existentiel : ce sont les bénéfices narcissiques et les avantages matériels. Il
apparaît lorsque la maladie a été « acceptée » et fait partie du soi : « Le moi se comporte
comme s’il était guidé par cette idée que le symptôme est là désormais et ne saurait
être éliminé ; il n’y a qu’à pactiser avec cette situation et en tirer le plus grand avantage
possible. » (Freud, Inhibition, symptôme et angoisse.)
Pour Laplanche et Pontalis, le bénéfice secondaire se distingue du bénéfice primaire
par « sa survenue après coup comme gain supplémentaire ou utilisation par le sujet d’une
maladie déjà constituée, son caractère extrinsèque par rapport au déterminisme initial de
la maladie et au sens des symptômes, et enfin le fait qu’il induit des satisfactions narcis-
siques ou liées à l’autoconservation plutôt que des satisfactions directement libidinales »
(op. cit.).
Ainsi peut-on proposer le tableau suivant :
Causes et effets Type Exemples
- Constitutif de la mala- Économique Disparition de la douleur psychique
die et de ses causes au profit de la douleur physique
Bénéfice - Entretient la maladie
primaire Libidinal Déplacement de l’angoisse sur un
unique objet (phobie, hypocondrie,
etc.)
- Secondaire à la mala- Narcissique Considération, attention, tendresse
Bénéfice die accordée par l’autre
secondaire - Consolide la maladie
Auto-conservation Avantages matériels
Tolérance et gratification
Tolérance plus grande de la part de l’entourage, de la famille, du milieu professionnel.
Reconnaissance, focalisation de l’intérêt sur le malade, gratification, adaptation du mode
de fonctionnement du groupe au patient.
Évitement et exemption
Le sujet malade se réfugie dans un état où le monde lui accorde le droit d’échapper
aux règles de la vie en groupe. La maladie constitue une pause dans certaines obligations.
Évitement d’obligations sociales, de situations difficiles ou gênantes (sortie, réception,
tâche à accomplir), excuse honorable à des manquements ou à des demandes, possibilité
de se retirer.
Restauration identitaire
L’objet maladie, d’insignifiant qu’il était, s’instaure comme attribut identitaire, tel une
médaille, une décoration, un uniforme. Le statut de malade, si ce n’est de victime, confère
674
Les réactions à la maladie
au sujet une nouvelle identité, mais aussi une reconnaissance. La personnalité s’en trouve
modifiée.
La relation de soins peut devenir particulièrement difficile avec les patients qui
mettent en avant leur maladie comme une identité. Les phénomènes transférentiels et
contre-transférentiels sont bruts de décoffrage, sujets à des revirements brutaux et en
tout cas difficilement modulables.
9-2. Avantages matériels
Ces bénéfices repérés par Freud, comme étant au service de l’auto-conservation, à une
époque où la reconnaissance du handicap se limitait à la rente attribuée aux infirmes
victimes de la Guerre de 14-18, se sont considérablement étendus depuis l’avènement
de l’assurance maladie et, dans un deuxième temps, au travers de la dépendance et de la
déresponsabilisation induite par les institutions sociales.
Les passer en revue nécessiterait un chapitre entier. Nous ne nous y étendrons pas.
Tout médecin généraliste est confronté quotidiennement aux patients bénéficiaires de
prestations diverses, exonérés de telle ou telle contribution, exemptés de telle ou telle
obligation, victimes le plus souvent réelles de maladies ou accidents ayant laissé des
séquelles ou nécessitant des soins continus. Le plus souvent réelles mais pas toujours,
l’inconséquence et la perversion du système de soins favorisant l’intrigue, la magouille, si
ce n’est la délinquance organisée, en même temps que le rejet d’individus peu combatifs
laissés pour compte. Chez le médecin, la demande de service se substitue à la demande
de soins, faisant du même coup disparaître toute intersubjectivité.
La réaction paradoxale de soulagement qui accompagne certains diagnostics, si elle
permet au sujet de circonscrire et de nommer le mal, peut aussi se rencontrer lorsque la
reconnaissance d’une maladie permet d’obtenir des avantages sociaux ou de résoudre un
difficile problème économique familial.
Chez certains sujets, au-delà de l’indemnisation, la demande serait avant tout une
demande de reconnaissance de la réalité de la maladie et, par extension, une recherche
d’identité, de reconnaissance générale, les possibilités de reconnaissance étant défici-
taires dans les autres secteurs.
La sciatique de Lydie, citée p. 674, ne fut pas reconnue comme une maladie
susceptible de mettre un terme aux déplacements professionnels du mari. Le triple
pontage coronarien qu’elle subit dans l’année qui suivit permit de mettre en œuvre les
démarches qui aboutirent à une nouvelle mutation du conjoint, cette fois-ci dans la ville
où elle résidait.
Certains bénéfices secondaires matériels ont un effet trophique sur l’équilibre
psychosomatique. Un arrêt de travail, des indemnités journalières, permettent à tel sujet
malade de s’extraire des contraintes qui ont contribué à l’apparition de sa maladie, de
retrouver des ressources et de reprendre ensuite son activité initiale (ou une autre) dans
de meilleures conditions.
Dans d’autres cas, ces bénéfices secondaires ont un effet délétère car ils peuvent renfor-
cer le pouvoir et donc la force de stagnation de la maladie qui les a engendrés. Ils peuvent
aussi constituer un barrage à toute possibilité thérapeutique.
675
Traité de médecine psychosomatique
Dans la sinistrose, qui doit être distinguée de la simulation, les symptômes réappa-
raissent souvent quand se profile la reprise du travail. De nombreuses études prouvent
que, dans tous les pays qui indemnisent les accidents du travail, les blessures « assurées »
exigent pour guérir un temps beaucoup plus long que les blessures « non assurées ».
À un stade plus avancé, le statut de malade induit une prise de pouvoir : manipulation
consciente et délibérée de l’entourage, simulation médico-légale, conduites perverses,
etc.
Les bénéfices secondaires sont trop souvent considérés par certains médecins,
soignants ou thérapeutes, comme une des causes de la pathologie. Ce positionnement
erroné sous-entendrait que le désir conscient d’obtenir des gratifications serait suscep-
tible de déclencher une maladie. Il est nécessaire de rappeler qu’il n’en est rien.
676
Chapitre 24
LE MASOCHISME
1. INTRODUCTION
Le masochisme est un concept des plus complexes. Dans le soin, il défie l’entendement,
résiste de manière farouche à toute tentative de dissolution. La psychanalyse s’est efforcée
d’en déterminer la clinique et les causes avec autant de pertinence que de difficulté.
Freud distingue trois formes de masochisme : le masochisme érogène qui peut être
primaire ou secondaire, le « masochisme féminin » qui serait le propre de l’homme, le
masochisme moral. Sacha Nacht (Le masochisme), tout en restant fidèle à cette distinc-
tion, enrichira le concept à partir de données cliniques personnelles, aboutissant à la
publication d’un ouvrage de référence particulièrement clair et pertinent. B. Rosenberg
distinguera plus tard un masochisme gardien de la vie et un masochisme mortifère. De
nombreux autres auteurs traiteront du masochisme, aboutissant à un foisonnement
théorique intéressant du point de vue de l’exégèse, de la démarche intellectuelle et des
hypothèses, mais difficilement utilisables d’un point de vue clinique, ajoutant de fait à
la confusion. L’approche psychosomatique reprendra à son compte la distinction entre
masochisme mortifère potentiellement désorganisateur et masochisme gardien de la
vie, protecteur contre la désorganisation. Elle traitera aussi du masochisme induit ou
révélé par la maladie, c’est-à-dire du masochisme somatopsychique. La Revue française
de psychosomatique n°18 apporte des éclaircissements fondamentaux à ce niveau, plus
particulièrement au travers des textes d’Alain Fine, Jean-Paul Obadia, Catherine Parat,
N.-J. Symons. Par contre, les complexes masochistes inconscients qui codéterminent les
pathologies somatiques, notamment au niveau de leur cible, ne sont pas abordés. Ils
constituent pourtant un domaine clinique et thérapeutique fondamental.
C’est donc un champ mal défriché que j’ai découvert, aux limites imprécises, un foison-
nement théorico-clinique complexe qui aboutit trop souvent à une impasse. L’acharne-
ment à vouloir faire coïncider la clinique avec les théories ayant valeur de dogme en
constitue l’origine. Je fais ici référence aux deux théories successives des pulsions propo-
sées par Freud. Je me contenterai de rappeler simplement les deux causes conjuguées de
la fragilité de cet édifice. Tout d’abord, l’impossibilité de faire concorder les deux théories
des pulsions, et la persistance à vouloir articuler le masochisme avec la pulsion de mort,
dont se sont fait héritiers la plupart des auteurs. Ensuite, la confusion entre pulsions et
instincts, confusion qui continuera à régner dans le monde psychanalytique avant que
Pierre Marty n’y apporte un éclairage salvateur.
J’ai essayé autant que se peut d’y voir clair au milieu des broussailles, d’élaguer ce qui
pouvait entraver la compréhension et de conserver ce qui me paraissait incontournable ou
le plus pertinent d’un point de vue théorique. Ceci m’a amené à distinguer quatre formes
de masochisme érogène : un masochisme constitutionnel, un masochisme archaïque,
un masochisme sexuel pervers caractérisé par des pratiques sexuelles sadomasochistes,
677
Traité de médecine psychosomatique
très bien chez les enfants qui, par jeu, recherchent ce type de sensation paradoxale. Et
ces phénomènes peuvent être premiers, voire accidentels, avant que toute organisation
psychique ne s’instaure. C’est ici que se trouve la source de ce qui, chez certains sujets,
constituera le masochisme érogène primaire.
La sensation composite agrément-désagrément, douleur-plaisir, n’apparaît, chez tout
individu, qu’au delà et en deçà de certains seuils. En deçà, il n’y a que plaisir, au delà, il n’y
a que douleur. Chacun des deux seuils est propre à chaque individu. Ce qui caractérise le
masochisme érogène et le masochisme en général est que les seuils inférieur et supérieur
ne se situent pas au même niveau que chez les autres sujets. Le sujet masochiste ne se
satisfait pas d’une excitation en l’absence de douleur, son seuil voluptueux est plus élevé,
il recherche une expérience totale (N.-J. Symons). N’oublions pas que la clinique médicale
utilise le terme douleur exquise pour définir une douleur aiguë localisée en un point précis.
Des éléments constitutionnels et acquis s’interagissent probablement dans le déter-
minisme du masochisme érogène primaire. Le seuil constitutionnel inférieur est variable
d’un sujet à l’autre. Le seuil acquis peut être le fait d’expériences antérieures insuffi-
samment satisfaisantes ou bien d’expériences nouvelles dans lesquelles une sensation
douloureuse est contextuellement associée à un certain plaisir, plaisir physique en ce qui
concerne le masochisme érogène primaire, puis plaisir psychique dans les autres formes
de masochisme. Par ailleurs, dans la sensorialité et la somesthésie, plusieurs stimuli,
parfois contradictoires, se présentent, se conjuguent et s’interagissent, y compris dans le
même laps de temps : stimuli visuels, olfactifs, sonores, tactiles, gustatifs, somesthésiques.
Les sensations sont composites, tant au niveau de leurs afférences que de leur traitement
par le cerveau. On peut avoir mal, être fébrile, tout en étant bien dans son lit douillet. Il
en est de même pour la plupart des émotions qui sont plus composites qu’il n’y paraît.
Un enfant à qui l’on pince l’oreille de manière inopinée ressent un désagrément. Si cela
se produit dans un contexte ludique lorsqu’il est confortablement installé sur les genoux
d’un adulte taquin mais bienveillant, il ressentira une excitation dans laquelle se mêleront
agacement et jubilation. Et tout ceci, bien sûr, n’a rien à voir avec la pulsion ou l’instinct
de mort.
Quant au seuil supérieur à ne pas dépasser, il existe chez presque tous les individus,
y compris ceux pratiquant le masochisme pervers. À partir d’un certain seuil, n’apparaît
plus que la douleur, le plaisir qui lui était associé a disparu. Le sujet, aussi masochiste
soit-il, n’en veut pas, il se retire du jeu.
Un autre phénomène intervient probablement, c’est celui de l’habituation. Certaines
sensations délétères finissent par faire l’objet d’une inhibition avec le temps. Il en est
ainsi de certaines sensations douloureuses qui, bien que la cause n’en soit pas dispa-
rue, finissent à la longue par être l’objet d’une négligence relative. Quant à la quête du
plaisir, elle est souvent l’objet d’une surenchère. C’est ce qui peut expliquer que certaines
formes de masochisme sexuel pervers s’instaurent progressivement et graduellement,
succédant à des satisfactions érotiques antérieures qui finissent par ne plus apporter un
plaisir suffisant.
Tous ces phénomènes paradoxaux ne sauraient déboucher sur la pathologie. La poten-
tialité masochiste érogène existe chez tous les sujets, mais le masochisme érogène ne
s’instaure lui aussi qu’au-delà d’un certain seuil, quantitatif, qualitatif, temporel, et sous
679
Traité de médecine psychosomatique
La carence affective
La privation d’amour ou de tendresse est souvent retrouvée. « La privation d’amour
ou de satisfaction érotique conduit l’enfant à y remédier par la recherche des mauvais
traitements qui, érotisés, finissent par contenter ses besoins libidinaux, mais sur un mode
masochiste. » (Nacht, Le masochisme.) Besoin d’être battu faute d’être aimé par un des
deux parents, si ce n’est par les deux. Les coups sont, faute de mieux, une marque d’inté-
rêt, un contact. La douleur peut être ainsi le moyen pour se sentir exister, pour obtenir
l’amour, l’attention, les soins.
Le sadomasochisme sexuel
Krafft-Ebing introduit le terme de sadisme en référence au marquis Donatien Alphonse
François de Sade. Le sadisme qualifie la jouissance à infliger douleur, maltraitance, domina-
tion ou humiliation au partenaire sexuel.
Freud considérera comme sadique tout exercice de domination ou de violence, y
compris en dehors de la sexualité, et, à terme, toute activité d’emprise ou de maîtrise sur
l’objet. Ainsi, s’établira progressivement une distinction entre un sadisme moral et un
sadisme sexuel.
Les pratiques sadiques sont diverses et variées, et les adeptes de la perversion ne
manquent pas d’imaginaire pour inventer, définir et nommer de nouvelles pratiques,
variantes ou formes composites. Le but est identique : générer la souffrance, assujettir,
maltraiter, rabaisser, humilier, souiller. Griffures, morsures, pincements, mise en place de
liens ou de menottes, qualificatifs dégradants, injures, fessées. Voilà pour les chaumières.
Attirails sophistiqués, harnachements, machines de torture, cuirs et vinyles, scénarios
compliqués, cérémonials, jaillissement du sang, brûlures (pyrophilie pour les branchés :
huile chaude, braise, cigarettes, embrasement de la peau du partenaire couverte d’un
produit inflammable), pose d’implants (sans champ stérile, ni scialytique), scarifications,
incontournables piercings et tatouages, marquages au fer rouge, attaque des organes
génitaux, victimes désignées, hiérarchies, liturgies et dogmes. Voilà pour les clubs.
Actes de cruauté, amputations, éviscération, meurtres. Voilà pour l’horreur.
Si le sadisme sexuel revêt des formes opératoires qui ne prêtent pas à confusion, il
existe un sadisme sexuel beaucoup moins repérable d’un point de vue extérieur, bien plus
répandu, plus larvé, à base de mépris, de dévalorisation, d’assujettissement, de déni de
l’altérité et de désintérêt pour la jouissance de l’autre.
À l’âge de 20 ans, Yolande est séduite par Allan, son futur mari, très beau, « trop
beau », les yeux noirs, et, qui plus est, gendarme. Mariage. Grossesse. Allan lui demande
d’avorter. Dont acte. Le soir même de l’intervention, il lui saute dessus ainsi que les jours
suivants. Deuxième grossesse. On garde la grossesse car elle permet d’éviter une mutation
professionnelle. Durant celle-là, les assauts sexuels seront quotidiens jusqu’à la rupture
de la poche des eaux. La journée uniquement car, le soir, Allan sort avec ses collègues,
et la trompe allègrement. La maison est une bibliothèque de revues pornographiques
(c’était avant internet). Peu avant l’accouchement, c’est elle qui amènera le prélèvement
de l’urétrite de Monsieur au laboratoire. Allan amènera toutefois Yolande à la maternité
dans sa voiture tout en lui hurlant dessus. Pendant l’accouchement, il lui dit qu’il envisage
de la quitter. Chose qu’il ajournera tant ses capacités d’amour sont impénétrables. Ce qui
lui permettra de proposer l’échangisme. Un soir, il ramène une égérie à la maison et la
saute devant Madame. La petite Louisa se réveille. Il la raccompagne au lit dans son plus
682
Le masochisme
simple appareil. Les mardis soir, ce sont les copains qui viennent assister aux copulations
du couple.
Au bout de quelques années, Yolande présentera des manifestations anxieuses (dont
on n’a jamais connu l’origine !). Quand elle l’entendait arriver, elle claquait des dents. Allan
lui disait que tout était de sa faute, qu’elle souriait trop aux hommes. Une fois, dans un
restaurant, elle a effectivement souri à un homme et celui-ci lui aurait dit : « Combien tu
prends ? » Yolande fit une tentative de suicide et divorça.
Elle vint me voir pour une anaphrodisie lors de sa nouvelle liaison. Elle fantasmait sur
les copains de son nouveau mari. Dans le fantasme, elle les sodomisait. Le masochisme
contraint de Yolande se muait ainsi en sadisme fantasmatique.
Dans les rencontres sadomasochistes de groupe (SM pour les branchés), on repère un
besoin grégaire, un esprit de clan, une fidélité rituelle, une quête identitaire, un quant-à-
soi élitiste avec distinction entre élus et néophytes ou craintifs, un prétendu esthétisme
(body art), un culte du secret paradoxalement associé à des attitudes ostentatoires
(caractéristique éminemment perverse), une revendication fréquente, des hiérarchies
internes parfois source de conflits ouverts et, sous-jacent à tout ce décorum, un fantasme
fréquent de scène primitive dans lequel l’enfant devenu adulte est le metteur en scène
tout puissant.
Notre société en extase mystique devant tout ce qui peut faire différence tout en
condamnant la discrimination, tolère, voire fait la promotion du sadomasochisme sexuel
tant qu’il ne génère pas le crime. C’est une nouvelle élégance, un raffinement « coquin »
comme il est séant de le dire, emprunté directement à l’Ancien Régime pourtant diabolisé.
Le sadique pur ne recherche pas des partenaires masochistes. Sa jouissance est la
destructivité et la souffrance réelle de l’autre, non intriquée au plaisir quel qu’il soit. Dans
le sadomasochisme sexuel, il existe par contre une complicité plus ou moins consentie
selon les cas. L’initiateur est le plus souvent le masochiste sexuel, c’est lui qui, sous le
masque de la soumission, organise la mise en scène, répartit les rôles, peaufine le décor.
Activité de maîtrise minutieuse qui atteste d’un fonctionnement sadique foncier.
Léopold Sacher-Masoch
Biographie de Sacher-Masoch
Léopold Sacher naît en 1836 en Pologne. Son père, également dénommé Léopold
Sacher, y est préfet de police. Autrichien austère et dur, il a épousé Carolina Von Masoch,
la fille unique d’un médecin et recteur de l’université de Lemberg. De constitution
chétive, Carolina ne peut nourrir le petit Léopold elle-même. Elle le confie à une nourrice
ukrainienne, Handscha, véritable substitut maternel, qui le bercera toute son enfance de
légendes ukrainiennes remplies de femmes inaccessibles et cruelles.
Quand Léopold a 2 ans, son grand-père maternel, le docteur Von Masoch, impose
le double patronyme à l’enfant grâce à une autorisation impériale. Léopold Sacher,
deuxième du nom, deviendra Léopold Von Sacher-Masoch.
À 10 ans, Léopold tombe amoureux fou d’une de ses tantes paternelles, belle et
galante, qu’il surnomme la comtesse Zénobie. Une après-midi, il pénètre dans sa chambre
et embrasse ses chaussures. Surpris par l’entrée de Zénobie avec son amant, il se cache
derrière le paravent et assiste à leurs ébats. Ceux-ci sont interrompus par l’arrivée soudaine
683
Traité de médecine psychosomatique
du mari bafoué. Léopold, terrifié, cherche à s’enfuir et est alors découvert par Zénobie qui
le fouette violemment. Elle porte encore la fourrure qu’elle avait revêtue pour son amant.
Léopold ressent alors une « sorte de jouissance » mêlée de terreur et de douleur.
À la même époque, Léopold est fasciné par les lectures relatant les tourments endurés
par les martyrs qui le mettent dans « un état fiévreux ».
Ces deux éléments seront cités par Léopold Sacher-Masoch comme fondamentaux
dans la genèse de son mode de fonctionnement.
Léopold va faire de brillantes études de droit et obtiendra un doctorat. En fait, c’est
l’histoire qui le passionne. À 20 ans, il donne des cours à l’université de Gratz et publie
L’insurrection de Gand sous l’empereur Charles Quint, ouvrage historique qui privilégie
le personnage autoritaire de la sœur de l’empereur. Ses ouvrages suivants, Une histoire
galicienne et Comte Donski, sont également des écrits historiques présentant des femmes
tyranniques.
À 26 ans, il rompt ses fiançailles avec une vague cousine et noue une relation avec
Mme Kottowitz qui quitte pour lui ses deux enfants et son mari médecin. Léopold
déserte le domicile parental, démissionne de l’université et s’installe avec sa maîtresse.
Il rédige alors une première version de La Vénus à la fourrure où il détaille son obsession
pour la femme dominatrice. Quatre ans plus tard, sa maîtresse s’enfuit avec un comte
polonais dont elle s’est éprise. Pendant trois ans, Léopold restera effondré. Il compose
alors sa première œuvre parfaitement maîtrisée, La femme séparée, qui brosse un tableau
satanique et dominateur de son ex-maîtresse.
Il a 33 ans lorsque paraît La femme séparée. Immédiatement, il reçoit des courriers de
nombreuses femmes qui désirent le rencontrer. Léopold rencontre alors Fanny Von Pistor
pour qui il rédige un contrat dans lequel il s’engage à être son esclave, obéissant à tous
ses ordres et désirs, pendant six mois. Le couple part vivre son aventure en Italie. Sacher-
Masoch recherche alors un homme qu’il appelle « le Grec » avec lequel il veut que Fanny
le trompe sous ses yeux. Il va organiser la scène avec un Italien, le bel acteur Savini, mais
dans les suites, il quittera seul l’Italie, déçu par la réalité. À son retour à Gratz, il rédige la
version définitive de La Vénus à la fourrure en y incluant « le Grec ».
À 35 ans, aspirant à la tranquillité, Léopold se fiance avec Jenny Franefeld, une jeune
actrice. Leurs rapports sont excellents jusqu’à ce qu’il commence à recevoir les lettres
d’une femme qui se fait appeler « Wanda », prénom de l’héroïne de sa Vénus à la fourrure.
Il s’agit en fait d’Aurora Rümelin, jeune femme de 24 ans qui vit dans la misère. Fasci-
née par les écrivains, elle correspond avec eux en leur parlant de leurs œuvres. Léopold
Sacher-Masoch va tomber amoureux de ses lettres et y répondre de manière enflammée.
Il lui signifie qu’il n’attend que « beauté et amour de la femme » et qu’il l’aimera jusqu’à la
folie si elle peut incarner la Vénus à la fourrure.
Un an plus tard, elle vient le rencontrer chez lui, voilée, en se faisant passer pour une
femme mariée. Commence une relation dans laquelle il la supplie de le fouetter, ce qu’elle
refuse, lui disant qu’elle ne pourrait plus l’aimer ensuite. Cette attente plonge Léopold
dans un état d’excitation intense. Aurora finit par le fouetter puis lui envoie une lettre
dans laquelle elle l’humilie en lui disant qu’il n’est pas assez fort pour supporter les coups.
Léopold la supplie alors de le traiter en esclave, sans égard ni pitié, et de parachever son
œuvre en recommençant à le fouetter vêtue d’une seule fourrure.
684
Le masochisme
Fou d’amour et de jalousie, Léopold quitte sa fiancée Jenny, et signe le contrat que
rédige Aurora : « Votre honneur m’appartient, comme votre sang, votre esprit, votre
puissance de travail. S’il vous arrivait de ne plus pouvoir supporter ma domination et
que vos chaînes vous deviennent trop lourdes, il vous faudra vous tuer. Je ne vous rendrai
jamais la liberté. » Le 15 décembre 1872, Léopold et Aurora, qu’il appelle désormais
« Wanda », célèbrent des noces symboliques les unissant comme maîtresse et esclave.
L’année suivante, Wanda accouche d’un enfant qui ne survivra pas. Désespérée, elle
avoue à l’écrivain qu’elle n’a jamais été mariée et qu’elle est de condition modeste. Elle
lui propose de renoncer à leur contrat. Léopold ne lui en tient nullement rigueur et il
l’épouse légitimement peu après. Le couple aura un garçon la même année. Par contre, il
refuse que cesse leur contrat et recommence sa recherche du « Grec » avec lequel il veut
que Wanda le trompe. L’idée seule de cette infidélité le ronge de jalousie et de désespoir
mais il ne peut y renoncer.
À 38 ans, Léopold n’est pas très heureux en ménage. Il reproche à sa femme de n’être
pas une dominatrice comme sa Vénus mais aussi de ne pas être reposante du fait de ses
éclats de colère. Le couple a un second fils. Léopold est toujours obsédé par la recherche
du « Grec ». Il pense l’avoir trouvé en la personne d’un certain Fischer et il demande à
Wanda d’avoir une aventure avec lui. Celle-ci ne le fait pas, mais l’idée ramène la passion
au sein du couple. Suivra la naissance d’un troisième enfant.
À 41 ans, Léopold ne supporte plus la tyrannie de Wanda. Tous les jours, elle l’enferme
dans sa chambre en lui ordonnant d’écrire un nombre minimum de pages. L’écrivain
publie beaucoup. Il écrit : « J’ai pris la ferme résolution de ne plus me laisser tyranniser.
Tant qu’elle y a mêlé l’amour, ce fut pour moi une jouissance ; maintenant qu’elle est de
plus en plus désagréable, c’est pour moi intolérable… Je renonce à tous mes fantasmes,
Vénus à la fourrure comprise, je veux vivre modestement, mais j’ai besoin d’avoir ma
femme et mes enfants auprès de moi. Sans eux, ce n’est pas possible. »
À 42 ans, Léopold reçoit une lettre d’un dénommé Anatole. Il débute une correspon-
dance avec lui puis le rencontre. Le jeune homme est particulièrement beau et cultivé.
Les deux hommes discutent trois heures en se tenant les mains et Léopold lui avoue
avoir craint qu’en réalité « il soit une femme ». Léopold fait alors entrer Wanda dans leur
correspondance, espérant qu’Anatole, dont il se dit amoureux, devienne « le Grec ». Mais
celui-ci cesse la relation, au grand désarroi de l’écrivain.
À 44 ans, Léopold rencontre enfin Sandor Gross qui va pouvoir tenir le rôle du « Grec »
et devenir le partenaire de Wanda. Léopold organise leur rencontre. Il écrit dans son
journal intime : « J’entends la clé tourner dans la serrure. L’idée qu’ils sont maintenant
ensemble, que je ne peux rien faire, me torture, je suis plutôt brisé, anéanti, qu’irrité.
J’éteins la lumière et je regarde par le trou de la serrure. Le cœur me battait, je tremblais,
c’était affreux et pourtant je ne pouvais plus détourner les yeux, j’étais comme fasciné. » Il
retrouve sa femme, fou amoureux, et note dans son journal : « Je veux enfin me soumettre
totalement à Wanda, tout subir de sa part, qu’elle soit bonne ou méchante avec moi. Je
veux prendre mon plaisir justement à être maltraité par elle et à me sentir son esclave.
Dorénavant, je vais ramper devant elle comme un chien. »
Le couple rachète une revue dans laquelle Léopold publie les meilleurs auteurs
européens. Leur collaboration professionnelle va être le point de départ de discordes
définitives.
685
Traité de médecine psychosomatique
Léopold a 48 ans quand il débute une relation avec la traductrice de la revue, Hulda,
tandis que Wanda devient la maîtresse de l’un des journalistes. Un an plus tard, elle quitte
Léopold pour partir vivre avec son amant. Léopold s’installe à son tour avec Hulda.
Lorsqu’il a 49 ans, l’aîné des enfants qu’il avait eus avec Wanda décède. Éperdu de
douleur, il convainc Hulda de lui faire un enfant pour le remplacer.
À 50 ans, il obtient la dissolution de son mariage avec Wanda au détriment de celle-ci.
Furieuse, elle fomente une série d’intrigues contre lui alors qu’il est adulé par les grands
artistes et les hommes illustres de son temps (Zola, Gounod, Dumas, Daudet, Pasteur…)
qui réclament pour lui la légion d’honneur à Paris.
La même année, en 1894, Krafft-Ebing donne à la déviation jusqu’alors appelée algola-
gnie le nom de masochisme à partir de sa lecture des écrits de Sacher-Masoch. Léopold
s’insurge contre l’invention du mot masochisme, se sentant humilié et dépossédé de son
histoire.
Hulda accouchera d’une deuxième fille et Léopold finira sa vie avec elle et ses enfants
dans une retraite paisible. Il s’éteindra à 59 ans. (D’après Léopold Von Sacher-Masoch, La
Vénus à la fourrure, Pocket, 2013.)
Analyse
À la lecture de cette simple biographie, le masochisme de Sacher-Masoch apparaît
d’emblée comme un processus défensif contre la castration. Les éléments suivants en
attestent.
Phallicisation de la femme
Soit le sujet investit la femme phallique (femmes cruelles des récits de la nourrice,
tante Zénobie qui le fouette, sœur de l’empereur lors de l’insurrection de Gand, femmes
tyranniques apparaissant dans ses ouvrages), soit il la phallicise de manière active en la
fétichisant (la fourrure, le fouet, les chaussures), en lui attribuant un pouvoir de domina-
tion absolu, en exigeant sa cruauté sous forme contractuelle. Il dénie ainsi l’image de la
castration.
On peut considérer comme un prédéterminisme symbolique le double patronyme
exigé par le grand-père maternel. La mère est décrite comme assez évanescente, mais la
nourrice n’a d’yeux et de paroles que pour des femmes légendaires phalliques.
La pulsion scopique
Elle est omniprésente : copulation de la tante Zénobie avec son amant, fantasme de
regarder par le trou de la serrure.
La triangulation œdipienne
Le personnage paternel masculin est doublement présent dans la scène du paravent :
l’amant et le mari légitime qui n’est rien d’autre que l’oncle de Léopold. L’introduction
fantasmatique (« le Grec ») ou réelle (Sanin, Anatole, Sandor Gross) du personnage
masculin a aussi valeur défensive contre la castration, quand bien même il y aurait
fantasme homosexuel, fantasme qui d’ailleurs n’est rien d’autre ici qu’une défense contre
la castration. La triangulation œdipienne ainsi réintroduite évacue toute culpabilité en
dédouanant le sujet de toute responsabilité transgressive.
On repère certaines formations œdipiennes dans la biographie du sujet. Le père, préfet
de police, et surtout le grand-père maternel, médecin et recteur d’université, sont deux
686
Le masochisme
figures phalliques. La première relation investie est celle avec Mme Kottowitz, mariée à
un médecin.
Précisons que le châtiment n’est pas le fait d’un homme, mais d’une femme, la tante
Zénobie, c’est-à-dire l’objet du désir, ce qui contribuera à la construction et à la pérennisa-
tion du fantasme. Cette autre défense contre le fantasme œdipien détermine la recherche
de la femme sadique : elle me bat, donc elle ne m’aime pas, ainsi je suis protégé de la
transgression œdipienne.
Renversement de la pulsion et retournement sur soi
Après avoir dénié la castration, le sujet va jusqu’à l’inverser pour que le processus soit
plus efficace. Après avoir fétichisé l’objet, il exige l’activité de celui-ci (renversement dans
le contraire) et retourne sur lui l’objet de la pulsion sadique (retournement sur soi). Il
demande à être castré pour pouvoir jouir. En s’identifiant à la mère prise par le père,
l’enfant échappe à la menace de la castration par celui-ci et, de plus, est aimé par lui.
L’intrication pulsionnelle
La scène réelle de la copulation de la tante Zénobie avec son amant, l’irruption du
conjoint, la fustigation de Léopold, cristallisent le complexe masochiste érogène : excita-
tion, plaisir, peur, punition, châtiment. La scène se joue dans le réel et dans le corps
(condition nécessaire au masochisme érogène) mais s’interfère aussi avec le fantasme déjà
présent (fantasme masochiste, excitation à la lecture des tourments des martyrs, etc.).
Lorsque l’intrication pulsionnelle disparaît, notamment quand Wanda se limite à une
tyrannie domestique, le sujet ne le supporte pas. L’absence de masochisme moral accen-
tue la quête de masochisme érogène.
La perte
La femme séparée est une sublimation défensive contre la douleur de la séparation
d’avec Mme Kottowitz. L’activité sublimatoire atténue la souffrance liée à la perte tout en
laissant subsister le fantasme sous forme sublimée. On retrouve cette composante active
sadique du masochisme érogène dans le fait que le sujet dicte les termes des contrats
sadomasochistes.
La démentalisation
La mise en acte masochiste trouve son origine dans un fantasme mais, par défini-
tion, elle y met un terme. Par ailleurs, le fantasme est souvent récurrent, stéréotypé, peu
élaboré. L’origine en est une pauvreté fantasmatique croissante chez de nombreux sujets.
La quête identitaire
Lacan considère que le sujet masochiste, en se faisant objet, déchet, vise à provoquer
l’angoisse de l’Autre qui ne répond pas à la question sur son être. Le sujet suppose le pire
et n’est donc assuré d’exister aux yeux de l’Autre que par le biais de la souffrance.
Justine, 45 ans, vivait dans l’ombre, soumise à un mari dominateur, autoritaire,
paranoïaque, aux réactions de caractère explosives. Celui-ci, syndicaliste farouche et
envieux, ne supporta pas la promotion sociale de son épouse qui lui permit de devenir
cadre. D’autant que, forte de sa réussite, elle décida de ne plus se soumettre et d’accéder
à une certaine liberté. C’est dans ce contexte de tension extrême qu’elle tomba sous le
charme et le charisme de son kinésiologue. Une relation s’ensuivit. Elle n’avait jamais eu
auparavant de relation extraconjugale. L’amant, plus âgé qu’elle, pygmalion et domina-
teur, la fascinait. Il lui imposait des relations sadomasochistes avec mise en scène et
accessoires, ce qui la faisait beaucoup souffrir mais décuplait ses capacités orgasmiques.
En quelques mois, le contexte sadomasochiste devint la condition sine qua non de sa
jouissance et elle n’éprouva plus de plaisir avec son mari. C’est au bout d’un an que
celui-ci découvrit le pot aux roses et somma Justine de mettre un terme à la relation
extraconjugale.
Justine obtempéra, mit un terme à la relation et redevint soumise à son mari, au prix
de métrorragies. Transitoirement, car la relation illégitime reprit au bout d’un an. Elle
retrouva ses orgasmes en même temps que ses pratiques sadomasochistes. Au bout
de trois mois, surenchère oblige, l’amant eut une relation sexuelle avec une collègue de
travail de Justine. Justine le quitta. Dans la nuit qui suivit, elle fit un rêve dans lequel elle
se suicidait, enfermée à clé dans son bureau. Elle était morte, son sang coulait et passait
sous la porte. Au lendemain de ce rêve, elle fit part à son mari de sa décision irrévocable
de le quitter lui aussi. Dont acte. Mais voilà qu’au bout d’une semaine de célibat total, elle
plongea dans un état dépressif fortement démentalisé avec sensation de vide et désinté-
rêt total. Les métrorragies reprirent.
Les parents de Justine étaient très exigeants quant aux performances scolaires de leur
fille. Le père était très autoritaire, glacial, méprisant, rejetant, humiliant, à son égard.
Quant à la mère, il fallait la ménager, la préserver, ne manifester aucun grief devant elle,
car elle était dépressive. Justine se devait d’être irréprochable. Justine, à peine venue au
monde, pleura et hurla la nuit pendant de longs mois. Sa mère n’avait pas souhaité cette
grossesse prématurée. Justine pensait qu’elle n’était pas sa fille, qu’elle avait été adoptée,
d’autant que la mère n’avait de cesse de dire qu’elle ne lui ressemblait pas.
À l’adolescence, Justine se rebella et connut rapidement des succès avec les garçons.
C’est à 17 ans qu’elle eut sa première relation sexuelle au cours d’une soirée sadomaso-
chiste organisée par son copain de l’époque. « J’ai alors découvert que se faire mal physi-
quement permettait de moins souffrir psychiquement… Je n’accepte ni les compliments
ni les cadeaux car je me sens redevable… Je m’efface, j’ai toujours l’impression de gêner,
de déranger… »
689
Traité de médecine psychosomatique
Kelly, 33 ans, présente depuis l’enfance des manifestations anxieuses intenses. Elle a
toujours fonctionné sur un mode passif, se pliant aux demandes des autres afin d’obtenir
leur amour. Demandes de sa mère d’abord, puis demandes des hommes très tôt en préado-
lescence, qui ont généré des inhibitions dans l’accession au plaisir. La dernière liaison avec
un jeune chirurgien a confirmé cette dépendance au désir de l’autre, proche de l’assujet-
tissement, assujettissement toutefois conscient et mal accepté, ayant généré au décours
de l’hospitalisation qui a suivi la rupture, une rancœur et un désir de changement. La
relation avait évolué rapidement sous un mode sadomasochiste, comme en témoigne un
fantasme persistant malgré la séparation : être victime d’un accident afin d’être hospita-
lisée dans le service où travaille le médecin en question. Le repérage de cette dimension
masochiste indissociable de la passivité qui la caractérise a permis de donner du sens à
sa stagnation sociale actuelle (en attente d’un travail sans rien faire pour l’obtenir), à ses
crises de boulimie, et à la dépendance qui s’installe avec son nouveau compagnon, et d’en
repérer une des origines profondes dans sa relation avec une mère tyrannique dont elle
redoutait le rejet. La relation d’objet de type masochiste est archaïque et donc facilement
extensive aux différents objets, dont le père, personnage de second plan, volontiers sadisé
par la mère, apparaissant paradoxalement en filigrane sous les traits de l’amant chirur-
gien. On repère ici cette alternance de l’attribution des rôles propre au fantasme.
Qu’en est-il de ce fantasme dans sa dimension consciente tel qu’il apparaît lors des
activités autoérotiques ? Kelly s’y représente prise sauvagement par surprise ou sodomi-
sée brutalement et sans égard par un homme. Ou bien elle assiste, passive, au coït de
son compagnon actuel avec une autre femme. Le fantasme de passivité masochiste est
évident. Lorsque la scène se présente sous forme d’images extérieures, elle génère une
réaction ambivalente : elle est excitée par exemple par les films pornographiques mais
irritée et choquée lorsqu’il s’agit de scènes dans lesquelles la femme est assujettie. En un
stade de plus, qu’en est-il de sa vie sexuelle réelle ? Tout ce qui peut dans la réalité générer
chez elle un vécu d’assujettissement et de passivité inhibe totalement le plaisir, c’est-à-
dire que tout ce qui alimente le fantasme sexuel constitue un obstacle à l’épanouissement
sexuel réel. Remarquons qu’il en est de même dans sa vie : le fantasme de passivité consti-
tue un obstacle à son épanouissement général.
Lors de la rêverie érotique solitaire, le fantasme transformé par les différents
mécanismes de défense est excitateur, érogène. Lors de la confrontation à la réalité, il
devient inhibiteur.
La représentation populaire du fantasme sexuel est celle d’un scénario que le sujet
souhaiterait mettre en acte. Or, la mise en acte, lorsqu’elle se produit, ne permet pas
toujours, loin s’en faut, d’obtenir la satisfaction escomptée. Chez le névrosé, les situations
réelles qui actualisent le fantasme ou ses formes apparentées, engendrent des déficits
sexuels, un mal-être, ou de l’angoisse.
Ainsi, j’ai pu faire le constat qu’une même représentation sexuelle est excitatrice dans
le fantasme et inhibitrice dans la réalité.
Le fantasme sexuel sous-tend le fonctionnement psychique. J’ai constaté que le
recours régulier au fantasme à des fins orgasmiques entretient et alimente la probléma-
tique inconsciente de fond qui lui a donné jour, ainsi que la passivité masochiste dans la
vie quotidienne.
691
Traité de médecine psychosomatique
OBJET EXTÉRIEUR
Inhibition
Distances Acte
sujet objet
Scène extérieure perçue
Fantasme érogène
Rêve
Excitation
FANTASME INCONSCIENT
J’ai évoqué plus haut (p. 680) le cas de Gabrielle à qui l’on attacha les jambes vers
l’âge de 2 ans. Elle a aujourd’hui 37 ans, est obèse du fait de son hyperphagie et de ses
compulsions alimentaires. Celles-ci ont débuté à l’âge de 7 ans lors d’un séjour en colonie
de vacances. Elle s’était sentie abandonnée et pensait que ses parents ne reviendraient
plus jamais la chercher.
La mère était particulièrement coercitive : fessées, gifles, hurlements. « Elle me terrifiait.
J’en avais peur. Je provoquais un peu ses coups. Quand elle me corrigeait violemment, je
pleurais, je me cachais, persuadée d’avoir fait quelque chose de mal. Elle était jalouse car
j’étais très proche de mon père. Il était maternant, tendre, mais écrasé par elle. »
À partir de 7 ans, la mère contrôlera son alimentation comme de l’huile sur le feu.
Quant au père, il s’intéressait beaucoup à Gabrielle, à telle enseigne que celle-ci pensa plus
tard qu’il avait du désir pour elle. La psychothérapie confirmera en fait un mécanisme
projectif. Gabrielle, devenue adulte, quitta ses parents non sans emporter avec elle la
représentation d’un double contrôle : celui de la mère sur son alimentation et celui du
père sur son corps de femme. Et c’est ainsi que s’instaura le fantasme sexuel masochiste
qui consistait à être attachée, comme ses jambes l’avaient été durant sa petite enfance,
pendant qu’un homme la faisait souffrir avec des pinces à sein ou la pénétrait avec un
godemichet surdimensionné.
Le complexe de castration était évident chez Marjorie. Elle rêvait fréquemment qu’elle
perdait ses dents ou bien d’une voiture à laquelle il manquait un boulon (signifiant évoca-
teur). Elle ne réalisa jamais son fantasme, et tout laisse à penser qu’elle eût été déçue. Elle
se contente de faire appel à lui pour soulager sa tension intérieure. De moins en moins
souvent d’ailleurs, car elle a trouvé dans le remplissage alimentaire un autre moyen de
soulager cette tension. Pénétration orale qui tue le fantasme et autorise une transgression
en toute quiétude de l’interdit maternel. Elle présente souvent des manifestations pruri-
gineuses au niveau des mains.
692
Le masochisme
L’année de ses 25 ans, Alexandre se marie, devient père de famille et patron officiel
de l’entreprise de travaux publics que son père vient de lui léguer. Celle-ci connaîtra des
difficultés nécessitant des emprunts successifs.
Bien que patron officiel de l’entreprise, il se laisse diriger par ses deux secrétaires, plus
âgées que lui. Il compensera ces différents vécus de castration en faisant du triathlon.
Mais vers l’âge de 35 ans, une tendinite chronique mettra un terme à cette activité. C’est
alors que surgira un fantasme masochiste dans lequel son épouse a des relations sexuelles
et du plaisir avec un autre homme : « Ma femme lui fait une fellation. Je regarde ou je
participe. » Il finira par faire part de ce fantasme à celle-ci. Contre toute attente, elle le
vivra très mal et envisagera une séparation. Cette réaction déclenchera chez lui un revire-
ment total. Il imaginera que sa femme est réellement avec un autre homme. Il la sent plus
indépendante, elle est belle, dirigiste, dans la maîtrise, il craint de ne pas la satisfaire. Il ne
la lâchera plus, deviendra très jaloux, très dépendant d’elle. Mais le fantasme masochiste
n’en disparaît pas pour autant : lors de la relation sexuelle, il oblige son épouse à dire
qu’elle aimerait être avec un autre homme, ce qui l’excite énormément. « Je ne suppor-
terais pas qu’elle baise avec un autre homme mais j’aimerais y assister pour garder le
contrôle. Le vécu de castration s’est intensifié, majoré par les dettes et la précarité profes-
sionnelle, générant aussi des inquiétudes hypocondriaques.
Tout semble avoir débuté lorsque le père, dans les suites de sa retraite, débuta une
maladie de Parkinson. Jusque-là, Alexandre était dominé, si ce n’est écrasé par ce père qui
était très coercitif mais juste.
La mère d’Alexandre dénigrait le père devant son fils, n’hésitant pas à lui parler des
détails de sa vie sexuelle insatisfaisante : « Je n’ai pas de plaisir avec ton père, il a un petit
pénis ! » Parallèlement, elle lui faisait des déclarations d’amour, ce qui le mettait dans
l’embarras qu’on peut imaginer. Alexandre passa sa vie à lutter contre l’angoisse de castra-
tion (dans ses rêves récurrents, il vole mais s’écrase systématiquement) et les fantasmes
œdipiens. Ceux-ci devaient être transformés pour être mieux tolérables : le fantasme
masochiste en fut l’aboutissement.
Il existait aussi des éléments masochistes archaïques. Il était l’objet fétiche de sa mère,
son appendice, sa prothèse phallique, manipulable et maîtrisable à merci. Masochisme
archaïque dans lequel des éléments d’analité étaient présents. Il rêvait qu’il avait déféqué
dans son slip et est très gêné devant les autres.
Roland, 56 ans, est désespéré. Son épouse, âgée de 49 ans, a « pété les plombs »
il y a un an. Elle s’est jetée à corps perdu dans le sport, est devenue anorexique, a perdu
20 kg, ne mange plus avec lui, s’habille comme une fille de 17 ans, change de vêtements
cinq fois par jour. Elle refuse toute relation sexuelle et l’oblige à dormir dans une autre
chambre. Elle lui dit d’aller voir ailleurs, l’humilie, le provoque, le sadise. Elle a toujours
haï les hommes, mais aime qu’ils la regardent. Quand il rentre de travail, elle l’enferme à
clé dans sa chambre afin qu’il ne puisse pas la rejoindre, ce qui le rend malade de désir
pour elle.
Le « masochisme féminin »
Freud a défini le fantasme masochiste inconscient chez l’homme en termes de
« masochisme féminin ». Terme qui prête à confusion, car il ne s’agit aucunement du
masochisme chez la femme, mais bien chez l’homme. Il a des traductions cliniques
694
Le masochisme
variables : fantasme de fustigation, d’être castré, de subir le coït, de se faire pénétrer passi-
vement, d’accoucher, identification à la femme.
Le « masochisme féminin » se traduit cliniquement par une passivité réceptive, une
soumission à l’autre, une acceptation inconditionnelle de ce dernier. Freud considère le
« masochisme féminin » comme la recherche d’une « position d’un enfant en détresse et
dépendant » mais aussi « méchant », qui doit être puni et que la souffrance peut satis-
faire.
Le « masochisme féminin » est lié au refoulement des représentations œdipiennes sous
l’effet de la menace de castration et d’une régression libidinale au stade sadique-anal. Au
cours de ces opérations, le sadisme se transforme en masochisme sous l’effet catalyseur
de la culpabilité. Le retournement sur soi n’est jamais total, tout masochiste continue à
présenter la tendance originelle sadique.
Son origine comporte aussi des formations plus archaïques : soumission à la mère
toute puissante. Le fantasme permet de surcroit de se protéger des fantasmes de fusion,
d’engouffrement, d’engloutissement, d’anéantissement par celle-ci. Le refus du féminin
qui caractérise notre époque ne facilite pas les choses : les femmes se doivent d’être
phalliques, armées, bottées, autonomes, fonctionnant comme des guerriers.
Le masochisme féminin freudien se révèle au travers de fantasmes masochistes et/
ou de perversions masochistes. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il était considéré
comme une entité séparée du masochisme érogène secondaire, que celui-ci soit fantas-
matique ou objet de pratiques perverses.
695
Traité de médecine psychosomatique
Iris, 32 ans, deux fois divorcée et mère de deux enfants, a toujours été angois-
sée. Elle présente des migraines fréquentes. Elle a une relation depuis deux ans avec un
homme instable. « Il veut s’installer chez moi, mais j’ai peur de me faire bouffer, manipu-
ler. Il peut être violent. Je préfère prendre des coups dans la gueule que d’obéir. » Iris a vécu
de prostitution pendant plusieurs années. Ses anciens amants : des zonards, des macs, des
disc-jockeys toxicomanes, des psychopathes. Actuellement, elle a des difficultés à garder
un travail fixe et n’a pas de projet de vie. Quand son fils est né, elle a eu des phobies
d’impulsion agressives à son égard. « Je n’acceptais pas qu’il ne soit plus dans mon ventre
et qu’il ait un père. » Sa mère était violente, la battait, l’insultait. Elle n’a pas connu son
père. Elle l’a contacté une fois par téléphone mais il a refusé de la voir.
Diagnostic
J’ai proposé précédemment des critères de diagnostic de l’appétence masochiste (Les
dépressions).
La jouissance inconsciente
La jouissance inconsciente transparaît le plus souvent d’emblée ou bien se confirme
de manière différée, dans la répétition, dans les modalités d’expression de la plainte, dans
la manière de la présenter.
Attachement à la position masochiste
Le sujet masochiste se plaint de son persécuteur mais le dédouane systématiquement
dès qu’on le désigne comme tel, lorsqu’on lui fait remarquer le sadisme de ce dernier.
Lorsque le sujet va mieux ou parvient à se défaire d’un objet persécuteur, il ressent un
manque, voire se déprime, contrairement au sujet normosé qui se sent libéré.
Georgette, 43 ans, est éplorée. Son mari la trompe. Elle vient exprimer sa souffrance
et ses récriminations au cabinet, s’interroge sur le pourquoi du comment. Elle a énormé-
ment maigri. Je l’écoute se plaindre en un flot ininterrompu. Au bout de quinze minutes,
j’ignore toujours qui elle est, tant le monologue se résume à la mise en scène exclusive du
méchant partenaire. Elle m’assigne à un rôle de témoin muet à charge. Bien mal m’aurait
pris d’accepter ce rôle car, à partir du moment où je m’enquiers des possibilités d’atté-
nuer sa souffrance, la voilà qui prend la défense du bourreau. Le tout avec des yeux à la
fois faméliques et pétillants d’excitation : « Il est pourtant si gentil mon mari !» Ce mari
ne s’est jamais remis en cause, n’aurait jamais fait d’erreur, fonctionne un peu comme
un adolescent ou plutôt comme un enfant puisqu’il dort avec des peluches lors de ses
déplacements, que Georgette prend soin de ranger dans sa valise. Georgette a toujours
tout assumé. Depuis six mois, il n’y avait plus de relations sexuelles. Avait-il changé de
peluche ?
La mère de Georgette était coercitive à son encontre.
À l’issue du énième changement de peluche de son compagnon, Georgette finira
par se séparer de lui. Elle reviendra me voir trois ans après : elle est en invalidité pour
fibromyalgie, maladie apparue de manière quasi concomitante avec le début d’une
nouvelle relation. Le nouveau compagnon ne travaille pas, vit à ses crochets, est sous
aérosol de cannabis. « Il est très gentil ! Il devait me rejoindre il y a trois semaines, je l’ai
attendu, mais il a reporté sans arrêt. » Peut-être aurait-elle dû lui acheter une peluche…
698
Le masochisme
Antécédents
––Présence dans les antécédents de manifestations masochistes réitérées : échecs,
relations investies douloureuses du même type, ratés, malheurs.
––Répétition de choix stéréotypés : relations amoureuses avec des sujets pervers ou
immatures, exempts de tout sentiment de culpabilité, ne se remettant jamais en cause.
––Relations parentales : dans l’enfance du sujet masochiste, il existait une relation
similaire avec l’un des deux parents.
Échappement sadique
La position masochiste du sujet à l’encontre de sa maladie l’autorise à fonctionner de
manière sadique à l’égard de certaines personnes de son entourage.
Bernard, 39 ans, est anxieux, tendu en permanence, ne se relâche jamais, n’est
jamais satisfait, est irritable et agressif, dort mal, présente des troubles digestifs. Chaque
fois qu’un événement agréable se présente, il éprouve le besoin de mettre en avant sa
dimension négative. Son masochisme moral n’exclut en rien un échappement sadique
du point de vue relationnel. « Ma femme et mes enfants, je les talonne, les pressure, les
persécute, comme si je cassais un jouet que j’aime. »
Depuis quelque temps, il entretient une relation amoureuse platonique mais tourmen-
tée avec une collègue de travail. Il fait tout pour l’amener à lui mais, dès qu’elle esquisse
un rapprochement, il se débine. Quand il en parle, on perçoit une satisfaction intense.
Bernard présentait une énurésie infantile que sa mère traitait par des châtiments
corporels. Quant à son père, il n’a plus de contact avec lui depuis de nombreuses années.
La vie fantasmatique
Elle constitue une des clés du diagnostic. L’exploration des fantasmes sexuels est ici
fondamentale. On y retrouve de manière quasi systématique le fantasme de passivité
masochiste.
Plus rarement, aucun élément clinique fantasmatique n’apparaît. Le fantasme est
purement inconscient.
Liliane était mariée avec un homme pratiquant le masochiste sexuel. Celui-ci lui
avait progressivement imposé des pratiques qu’elle acceptait de manière opératoire :
elle devait lui faire des piercings, lui faire couler de la bougie sur le sexe, le fouetter, lui
donner la fessée, l’attacher, le promener en laisse. Elle ne ressentait rien, ni excitation, ni
désagrément, faisait cela comme si elle prenait une douche ou épluchait des pommes de
terre. Elle n’a jamais eu ni le moindre fantasme sexuel, ni la moindre activité autoérotique.
En dehors des rapprochements sexuels, le mari se comportait dans la vie quotidienne
comme un authentique tyran : il lui imposait ses règles, ses lois, lui hurlait dessus, l’humi-
liait, elle n’avait pas le droit d’ouvrir la boîte aux lettres. Il avait une vie parallèle. Elle se
soumettait.
Lorsque Liliane eut 37 ans, son mari la quitta et déménagea à l’étranger. Dans les suites,
s’instaura une inadéquation progressive avec sa fille. Cette fille, mariée avec un homme
dont elle avait deux enfants, subissait sans broncher la domination et la violence de
celui-ci. Elle déversait par contre tout son sadisme sur Liliane, sadisme qui se substituait
à celui du mari. Une prise de poids progressive s’installa, et les douleurs diffuses dont elle
699
Traité de médecine psychosomatique
700
Le masochisme
aussi dans certains déficits sexuels, ainsi que dans la répressivité, forme majeure et conti-
nue de répression. On le retrouve enfin dans la dépression mélancolique et dans les
personnalités dépressives.
L’auto-agressivité se retrouve dans toutes ces entités cliniques mais, ici, la jouissance
inconsciente qui sous-tend le masochisme moral est absente.
Il existe des différences fondamentales entre le masochisme moral et la dépression
mélancolique, que résume le tableau suivant.
Dépression mélancolique Masochisme moral
Auto-agressivité Centrale Centrale
Auto-accusation Centrale Rare
Culpabilité - Culpabilité de défaillance - Culpabilité pulsionnelle
- Consciente - Inconsciente
- Désintriquée de la satisfaction - Intriquée à la satisfaction libidinale
libidinale
Intrication pulsionnelle Absente Présente
Jouissance Absente Centrale
Objet Investissement narcissique de l’objet Investissement érotique de la souf-
perdu france
Instances Idéal du moi Surmoi tyrannique
4. MASOCHISME ET PSYCHOSOMATIQUE
L’approche psychosomatique du masochisme permet de dégager trois modes d’articu-
lation entre celui-ci et la maladie :
––la défaillance du masochisme érogène protecteur,
––le complexe masochiste inconscient générateur de somatisation,
––le masochisme somatopsychique.
704
Le masochisme
Masochisme moral
Fantasme inconscient
A
Masochisme secondaire œdipien
Comportement Pratique
Masochisme objectal archaïque masochiste sexuelle
masochiste
Sensations
cation pulsionnelle : l’agressivité est liée et tamponnée par la libido. Ainsi contenue, il
lui est plus difficile d’attaquer le corps. Le masochisme constituerait donc un garde-fou
contre la désorganisation.
Benno Rosenberg distingue un « masochisme gardien de la vie » du fait de l’intrication
de la destructivité et de la libido, et un masochisme mortifère caractérisé par une désin-
trication de ces mêmes pulsions, chacune évoluant pour son propre compte.
Alain Fine considère aussi que le masochisme n’intervient pas dans la genèse de la
maladie et qu’il joue au contraire un rôle protecteur. Dans les suites du traumatisme,
la déficience du noyau masochiste ne permettrait pas une ré-intrication pulsionnelle et
produirait ainsi une première déliaison, starter de la désorganisation. La destructivité non
liée aux instincts et aux pulsions de vie agirait alors pour son propre compte. La reliaison,
la ré-intrication pulsionnelle sous l’effet du masochisme auraient ainsi un effet réorgani-
sant.
Graziella a quitté son mari dont elle était l’esclave, il y a un an. Depuis, ça ne va pas.
Elle le regrette. « Il m’en a fait voir ! Il me tapait, j’avais peur de lui, toujours sur le qui-vive,
je dormais toute habillée. Quand il était dans la pièce, j’avais des douleurs cervicales, du
canal carpien, des migraines, des vertiges. » Six mois après l’avoir quitté, elle a débuté un
cancer du sein. Les seuls rêves qu’elle fait mettent en scène des relations harmonieuses
avec son mari.
Une autre de mes patientes, Fanette, a elle aussi développé un cancer du sein à l’âge
de 45 ans dans les suites d’un arrêt de ses pratiques libertines qui avaient débuté dix ans
auparavant, sous l’initiative empressée de son mari.
Candy a elle aussi développé un cancer du sein quand son mari, paranoïaque, à
l’égard duquel elle était soumise moralement de manière masochiste, l’a quittée pour
aller vivre chez sa mère.
Pour J.-P. Obadia, le masochisme moral serait par contre porteur de potentialités
désorganisantes, contrairement au masochisme sexuel pervers et au fantasme masochiste
qui, eux, seraient protecteurs, et ceci du fait de la décharge de l’excitation sur une autre
scène. Le cas Justine semble confirmer ce point de vue : les métrorragies n’apparaissent
que lorsqu’elle part en vacances avec son mari, c’est-à-dire lorsque les pratiques sadoma-
sochistes sexuelles cessent et qu’elle se retrouve soumise moralement à ce dernier. Mais le
cas qui suit infirme cette hypothèse. Mieux vaut peut-être considérer que le masochisme
érogène est potentiellement protecteur et que les effets du masochisme moral sont
variables d’un sujet et d’une situation à l’autre.
Daisy, 40 ans, adepte de l’échangisme, a rencontré son partenaire sur internet, rayon
sadomaso. Ce partenaire, de vingt-cinq ans son aîné, adore la fessée et être attaché. Daisy
préfère les coups de martinet, de cravache sur ses seins, ou encore des pinces sur ceux-ci,
zone particulièrement érogène chez elle : elle pouvait atteindre l’orgasme rien qu’avec des
sensations au niveau des seins. De ce fait, l’harmonie règne et le couple décide, il y a trois
ans, de cohabiter et de se marier, bien qu’elle en eût toujours refusé l’idée depuis sa plus
tendre enfance. Mais voilà que, depuis, elle présente :
706
Le masochisme
––une mastose très douloureuse qui compromet sa vie sexuelle : seins brûlants, tendus,
gonflés, durs, en permanence. Depuis, c’est une « zone interdite » ;
––des rêves récurrents dans lesquels elle perd toutes ses dents ;
––une colopathie d’apparition plus récente.
La cohabitation et le mariage ont officialisé la relation, accentuant la dimension
œdipienne et la privant d’une distance trophique suffisante. Daisy était la préférée de
son père, homme séduisant mais sadique. Elle aimait le séduire et avait l’illusion de le
dominer.
Ici, la mastose et la colopathie apparaissent lorsque les pratiques sadomasochistes
diminuent au profit d’une soumission morale au conjoint. On retrouve le même phéno-
mène, version plus mentalisée, chez Sacher-Masoch. Il fait une dépression quand sa
maîtresse, Mme Kottowiz, le quitte, et renaît de ses cendres lorsque ses pratiques
masochistes reprennent. Marié plus tard à Wanda, il ne supportera pas sa tyrannie
(masochisme moral) tout en la suppliant de continuer les pratiques sadomasochistes
sexuelles.
En dehors de l’intrication instinctivo-pulsionnelle potentiellement trophique qu’il
induit d’un point de vue psychosomatique, le masochisme peut être aussi un garant de
l’existence du sujet d’un point de vue identitaire et narcissique. Il permet, en reprenant un
contrôle actif, de se sentir exister en dehors de l’attente ou du rejet de l’autre. « Partout où
ça fait mal, c’est moi », disait Fritz Zorn (Mars).
Par ailleurs, le lien masochiste est préférable à l’absence de lien. Diatkine considère le
masochisme de certains sujets comme la seule manière de faire perdurer le lien objectal.
Plutôt être martyrisé par l’objet que le perdre.
ses parents se sont effectivement séparés. Cet événement provoqua chez lui une forte
angoisse et il décida de rester vivre avec son père. Quand celui-ci rencontra une autre
femme et s’installa avec elle, il développa de la rancœur à son encontre et partit vivre chez
sa mère. Il n’adressa plus la parole à son père durant une dizaine d’années et dit de lui : « Je
craignais mon père, mais on ne s’est jamais affronté, on ne s’est jamais rentré dedans. » Les
éléments anamnestiques de l’enfance et de l’adolescence révèlent une fixation psychique
anale, des éléments d’homosexualité passive, ainsi qu’une identification féminine qui sera
confirmée par ses fantasmes sexuels : « Je suis à la place d’une femme et je me fais baiser
par plusieurs hommes. »
Chez tous les patients dont les observations ont été présentées, la pathologie surgit
du fait de la conjonction d’un désordre économique et de représentations inconscientes
masochistes pathogènes. Deux questions se posent : celle de la nature des zones érogènes
et celle du type d’érogénéité.
Les fixations somatiques de la petite enfance, et ceci dès la période primaire, peuvent
concerner les zones érogènes classiques mais aussi d’autres systèmes anatomofonctionnels.
La diffusion du plaisir à partir des zones érogènes classiques vers l’ensemble du corps est
d’ailleurs la condition nécessaire à l’organisation d’un moi unifié et de l’image inconsciente
du corps. Certaines fonctions sont plus ou moins érotisées : digestives, urinaires, génitales,
cutanées.
Un plaisir paradoxal, que l’on pourrait qualifier de dysérogénéité, au niveau d’une
fonction ou d’une zone du corps peut entraîner un investissement excessif de cette
fonction ou de cette zone. Le plus souvent, les sensations engendrées par une affection
corporelle sont désagréables, mais il n’en est pas toujours ainsi et une part de malaise peut
dans certains cas être infiltrée de sensations particulières dans lesquelles une certaine
jouissance est présente : fièvre, prurit, besoins mictionnels, etc.
La dysérogénéité dont il est question nous invite à évoquer le masochisme érogène qui
vient accentuer secondairement la fixation et plus particulièrement le masochisme induit
par les interventions extérieures sur le corps. Les changements induits par la maladie (ne
pas aller à l’école, dormir avec les parents, recevoir des cadeaux), le rapport des parents à
celle-ci, les soins physiques pourvoyeurs de sensations paradoxales, peuvent jouer un rôle
inducteur ou renforçateur d’un masochisme érogène, comme nous le verrons plus loin en
évoquant les bénéfices secondaires narcissiques.
Bénéfices libidinaux
L’angoisse est déplacée sur un seul objet, la maladie. Celle-ci constitue un bassin
d’attraction, un lieu privilégié de déplacement.
La maladie peut réactiver le masochisme érogène. Il existerait ici, pour Alain Fine, une
excitation autoérotique induite par la pathologie, comme si l’organe atteint constituait
une nouvelle zone érogène. Le surinvestissement de l’organe souffrant concentre sur lui
une forme de libido et donc d’érogénéité. Un quantum de libido s’y fixe, désinvestissant les
objets extérieurs. L’issue est incertaine : si ce masochisme permet une reliaison psychique,
elle est favorable ; si elle se limite à la sensation et à son entretien, elle est défavorable.
L’acceptation passive des soins, ou encore l’abandon à la passivité dans le traitement,
pourrait, selon Alain Fine, devenir mortifère dans certains cas. Le masochisme peut être
« réalimenté par la passivité induite » et entraver la guérison. Je partage ce point de vue
et peux citer le cas d’un patient qui a développé une urticaire chronique au bout de
deux ans d’une psychanalyse qui allait s’avérer interminable, et qui était maintenu par
son analyste dans une position d’attente passive d’amélioration sans que rien de nouveau
ne voie le jour. Nous avons par ailleurs, Robert Babeau et moi-même, évoqué le risque
que comporte la soumission masochiste continue aux soins chez des sujets atteints de
maladies graves (maladies auto-immunes, cancers). Il semblerait que cette forme de
masochisme induise une extinction de l’expression de l’agressivité à l’encontre des objets
extérieurs et que celle-ci se retourne directement contre le sujet.
710
Le masochisme
Mammaires - Mastose
- Tumeurs mammaires
Dermatologiques - Urticaires
- Eczéma périnéal
- Dermatoses prurigineuses
- Psoriasis
7. ÉLÉMENTS DE THÉRAPEUTIQUE
7-1. La relation au quotidien avec le sujet masochiste
Lorsque la relation personnelle avec le sujet masochiste s’instaure et se perpétue, elle
n’est jamais le fait du hasard. Le sujet en relation avec le masochiste ne s’éternise que s’il y
trouve un certain avantage ou tout au moins un certain confort psychique.
C’est le cas des sujets pervers pour qui le masochiste constitue une proie succu-
lente, qu’il se présente d’emblée comme masochiste ou qu’il finisse par le devenir à leur
contact. C’est aussi le cas de sujets mus par un idéal du moi surdimensionné qui, devant
le spectacle de la souffrance ou de l’échec récurrent du masochiste, s’instaurent en sauve-
teur, en réparateur, quel qu’en soit le prix à payer. C’est aussi le cas de sujets masochistes
eux-mêmes qui, ayant déniché un comparse double d’eux-mêmes, vont se lancer dans
une entreprise masochiste de groupe. C’est enfin le cas de sujets qui n’ont rien compris
au film et qui, sans s’en rendre compte, se laissent entraîner par la vis sans fin actionnée
par le maso, finissant par se résigner, comme s’il ne pouvait pas en être autrement en ce
bas monde. Ils finissent alors bringuebalés au gré des fluctuations de leur partenaire, tels
des pantins, des marionnettes utilisées tantôt comme des témoins passifs, à charge ou à
décharge, tantôt comme des objets à sadiser à l’envi.
Une autre caractéristique de la relation personnelle avec les sujets masochistes est que
ces derniers, dans leur mise en avant du malheur, ne cessent de provoquer les autres, en
appellent tantôt à leur abnégation, tantôt à leur sadisme, pour continuer à être victime,
mais aussi les persécutent et finalement les sadisent en continu de manière plus ou moins
larvée.
711
Traité de médecine psychosomatique
712
Le masochisme
L’attitude thérapeutique
Lorsque la dynamique masochiste est centrale, la thérapeutique est fortement
compromise, sauf à se proposer au sujet comme nouveau partenaire sadique – ce qui
est loin d’être exceptionnel – ou à transformer le masochisme du sujet en son contraire,
c’est-à-dire en sadisme à l’encontre du thérapeute. Celui-ci constitue bien sûr ici une cible
de choix. À lui d’osciller, en évitant toutefois la caricature et les excès, entre deux positions
extrêmes :
––position sadique : nous connaissons tous ces patients quasi martyrisés ou simple-
ment maltraités en douceur mais en continu par leur praticien, qui font preuve d’un
attachement à toute épreuve à celui-ci et qui, pour rien au monde, ne se risqueraient
à lui être infidèle ;
––position masochiste : cela peut avoir des effets thérapeutiques chez certains patients.
Dans le cas inverse, si la relation s’éternise selon ce strict et douloureux modèle, il y a
lieu de se poser la question d’un masochisme structural chez le praticien.
Le masochisme du soignant
Il ne doit pas être oublié. Le choix de la profession d’aide et de soin est loin d’être
anodin. Dans son déterminisme, entre en jeu une part de masochisme. L’exercice du soin
nécessite – de moins en moins il est vrai, mais peut-être encore pour quelque temps,
il faut l’espérer – un minimum d’effacement de ses propres défenses, un minimum de
répression instinctivo-pulsionnelle, afin de laisser la place à l’autre, d’être à son écoute,
d’accepter ses réactions.
713
Traité de médecine psychosomatique
La soumission masochiste dans le soin ne doit pas être encouragée chez le patient,
chose qui se passe trop souvent dans le monde médical.
Quant aux complexes inconscients masochistes générateurs de maladies, l’expérience
nous a montré que leur traitement porte toujours ses fruits et parfois de manière specta-
culaire. Il nécessite du temps et un maintien de la relation thérapeutique dans la période
qui suit la guérison.
L’attitude thérapeutique est donc celle d’un équilibriste, qui doit respecter la défense
lorsqu’elle s’avère trophique, et tenter de la juguler lorsqu’elle ne l’est pas. Et ceci varie, y
compris chez un même patient. Elle nécessite contenance, maintien, soutien, compré-
hension, prudence, adaptation. Position éminemment difficile pour le thérapeute, qui
nécessite de fait un minimum de masochisme.
714
Chapitre 25
L’INVESTIGATION PSYCHOSOMATIQUE
1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
C’est en 1963 que P. Marty, M. de M’Uzan et Ch. David publient L’investigation
psychosomatique aux Presses Universitaires de France. Une synthèse en est proposée dans
La psychosomatique de l’adulte. Je m’inspirerai de ce texte pour souligner les points les
plus importants.
« L’investigation psychosomatique d’un patient revêt la même importance que l’inves-
tigation médicale ou psychanalytique : elle doit établir un diagnostic dont découle
la thérapeutique qu’elle propose… » (p. 70). C’est une des originalités de l’Institut de
psychosomatique, devenu aujourd’hui Hôpital Pierre Marty, que de proposer un diagnos-
tic à l’issue d’une seule investigation. C’est dire la qualité exigible au niveau de celle-ci. On
peut opposer ce positionnement original à la démarche habituelle que l’on rencontre
dans la période de début des cures psychanalytiques : dans ces derniers cas, le « diagnos-
tic » – gros mot à éviter – se limite dans le meilleur des cas à la notion de « structure » et
ne se fait que très progressivement au fil des entretiens préliminaires, si ce n’est au bout
de nombreuses séances au fil lorsque le transfert est solidement constitué, voire jamais.
Dans l’investigation psychosomatique, l’« exigibilité » précoce du diagnostic permet de
mieux savoir où l’on va avec le patient, implique un engagement, et ne s’accommode pas
du flou, du « nous en reparlerons… », qui a trop souvent valeur de mécanisme défensif
chez certains thérapeutes.
« (…) À la différence de l’investigation psychanalytique, elle tient compte du double
aspect, psychique et somatique de l’économie du patient. » (p. 70). Ceci paraît une
évidence et nous invite à réfléchir sur l’erreur persistante de certains « psys » qui utilisent
la technique psychanalytique pure (cure type) chez des patients porteurs de maladies
somatiques, sans prendre en compte la dimension économique, plus particulièrement le
déficit de mentalisation.
« Elle représente souvent un premier pas thérapeutique. Elle est, pour ceux qui
acceptent d’entendre et de voir au delà de leurs connaissances, une expérience de
recherche sans cesse renouvelée. » (p. 71)
Comme nous allons le voir tout au long de ce chapitre, la thérapeutique et ses effets
s’instaurent dès l’investigation.
L’investigation psychosomatique de Pierre Marty est destinée à des psychosomaticiens,
c’est-à-dire à des psychanalystes expérimentés formés à la psychosomatique. Elle a pour
but de leur apporter un ensemble conceptuel solide d’un point de vue clinique, et un
canevas utilisable pour la recherche.
Elle n’est pas adaptée aux praticiens qui ont un mode d’exercice dans lequel la dimen-
sion technique du soin a une part non négligeable (médecins, infirmiers, professions
715
Traité de médecine psychosomatique
Conséquences
Dans la majorité des cas, le patient ne comprend pas trop le sens de la démarche
psychothérapique qui lui est proposée. Il n’est pas toujours conscient de ses tensions
psychiques qu’il traite souvent par dénégation, et il peut avoir du mal à entrer dans
une relation verbale concernant ses difficultés internes. Le fait que le thérapeute soit
psychiatre ou psychologue renforce les défenses.
Si le thérapeute centre d’emblée son investigation sur le fonctionnement psychique
du patient ou insiste trop rapidement sur la dimension traumatique, les réticences et les
résistances se mobilisent de manière massive, générant une accentuation de l’incompré-
hension, voire un vécu de menace, responsables de l’abandon de la démarche.
rendez-vous, ceci dans le but d’une réappropriation de la demande, car celle-ci émane
en règle générale d’un tiers ou d’un autre médecin. Chez le médecin praticien, il n’y a
pas – me semble-t-il – de solution standard, car les rencontres se font en règle générale
au gré des différentes pathologies intercurrentes, voire, dans le meilleur des cas, lors de
contrôles cliniques ou de renouvellements de médicaments. Le praticien peut, selon les
cas, « remettre sur le tapis » les éléments repérés lors des rencontres précédentes, ou
reprendre l’investigation lors de consultations régulières pour pathologie chronique, ou
bien encore, dans certains cas qui le nécessitent, programmer quelques entretiens sous
forme de rendez-vous. « Je pense que ce dont venez de parler est très important et n’est
peut être pas étranger à votre maladie. Il serait nécessaire qu’on en reparle. Cela fait partie
du traitement. »
De la cynégétique à la maïeutique
Nous devons fonctionner comme des photographes animaliers, mus par un but à
atteindre, consistant à s’approcher de l’objet afin de mieux le connaître sans qu’il nous
voie venir, afin qu’il ne se sente pas menacé. Ou plutôt, le laisser approcher. Ne jamais
le prendre de front. Toujours contourner, surtout lorsqu’on est proche du but. Feindre
de ne pas avoir entendu ce qui est important. Pas de mouvement brusque, pas de bruit.
Pas d’interprétation, pas de question à contenu potentiellement interprétatif, même et
surtout si l’on est dans le vrai. Ce n’est que lorsque l’objet ne se sent plus menacé que
la cynégétique pourra laisser place à la maïeutique sans jamais être abandonnée pour
autant.
Il y a donc lieu de feindre et de jouer quelque peu le naïf. Derrière le miroir sans tain, le
thérapeute sera plus à même d’aider le patient tout en respectant ses défenses.
Isaline présente une obésité manifeste entretenue pour une grande part par des
compulsions alimentaires nocturnes. Les crises se produisent à deux ou trois reprises entre
23 h et 3 h du matin. Elle se réveille soudainement et ne décrit aucune sensation, aucune
émotion, aucun sentiment, aucune représentation. Elle se rend comme un automate à sa
cuisine et mange. Elle décrit toutefois une sensation d’apaisement qui laisse supposer que
le vide des perceptions n’est pas total. Elle se recouche et se rendort. Elle ne se souvient
pas toujours de ses crises qui évoquent un état pseudo-somnambulique fortement
démentalisé. La démentalisation se repère à l’absence de souvenir onirique, l’absence de
sentiment et de représentation avant les crises, la production des symptômes en sommeil
lent, et un sourire défensif tout au long de la séance. Les crises n’apparaissent pas si elle
dort en dehors de son domicile. Elle souffre aussi de migraines.
Les crises compulsives alimentaires sont apparues à l’âge de 25 ans, ce qui correspond
à son mariage. Son divorce, il y a six ans, n’a apporté aucune amélioration. Elle vit seule
avec ses trois enfants.
La pathologie s’accentue lors des périodes de tension : soucis matériels, inquiétude
pour un proche malade, soucis professionnels, soucis pour ses enfants, soucis au moment
du divorce, etc.
Nous faisons le tour des différents secteurs de sa vie. La tentation est grande d’attri-
buer le début des troubles au mariage. Nous mettons ça de côté.
718
L’investigation psychosomatique
Pour des raisons matérielles, la mère d’Isaline vit dans l’appartement au-dessus d’elle.
Elle s’occupe des enfants lorsqu’Isaline travaille. Subodorant ici une très probable cause à
ses troubles, j’avance l’inverse de ce que je pense : « C’est bien ! Cela doit vous faciliter la
vie… C’est une chance que vous ayez votre mère à vos côtés ! » Le sourire défensif stoppe
immédiatement, laissant place à une mimique de fantasme. « Elle m’envahit quand
même… Le soir quand je rentre je vois qu’elle a trafiqué dans ma maison. – Ah bon !…
Oui, c’est pas si évident que ça ! Et ça vous fait quoi ? – La dernière fois, elle avait tout sorti
du lave-vaisselle, changé de place des objets, alors que je ne lui avais rien demandé. – Et
ça vous a fait quoi, qu’est-ce que vous avez ressenti ? – J’ai ressenti de la colère, j’ai cassé
une assiette de rage. » Passage de la sensation à l’émotion et au sentiment. « Et après
que devient cette colère ? – Je m’occupe des enfants, du repas etc. – Et que devient la
colère ? – Je l’oublie. » On peut très bien imaginer que c’est cette colère, objet de répres-
sion secondaire, qui réveille notre patiente. Je n’en souffle pas un mot. Il est trop tôt. Je
m’enquiers des caractéristiques maternelles. Elle me dit que sa mère est intrusive, qu’elle
ne se sent pas chez elle, mais que toutes deux s’aiment bien. Pas d’interprétation, pas de
commentaire, mais l’émergence de représentations solides aussi bien chez moi que chez la
patiente comme en témoigne la mimique de fantasme persistante et la non-réapparition
du sourire défensif. Ainsi, la colère réprimée réveille en sommeil lent notre patiente et la
laisse exsangue au niveau des productions psychiques. Seul exutoire : manger, manger
pour calmer sa colère. J’ai la représentation d’un bébé qui ne parvient pas à s’auto-calmer,
à s’isoler dans son monde, conditions nécessaires au sommeil, par crainte de l’intrusion
de l’adulte, et qui, une fois réveillé, ne peut être calmé que par le biberon. Isaline me
dira dans la foulée que, pour sa mère, l’amour passait beaucoup par la nourriture. Je me
contente de dire qu’elle a une relation ambivalente avec sa mère, très brave femme par
ailleurs : « Pas trop près, pas trop loin ! » dis-je et, dans la foulée, lui demande si, en dehors
des migraines, elle a eu d’autres maladies allergiques. « Oui, une urticaire géante. » Depuis
quand ? Depuis le début de son mariage. Elle avait effectivement commencé à cohabiter
avec sa mère à partir de ce moment-là. Les crises d’urticaire se produisent la nuit. Ainsi,
la nuit, continue à se jouer dans les couches profondes de son être cette relation d’objet
allergique marquée par la mise en tension face à l’intrusion.
Si j’avais interprété cela dans l’immédiateté, la rementalisation ne se serait pas produite.
Pire, les défenses se seraient renforcées et le sourire défensif se serait figé en rictus.
Je fais un commentaire d’ordre général dans un but de décentration : « Les animaux se
réveillent soit lorsqu’ils sont en danger, soit parce qu’ils ne se sentent pas propriétaires de
leur territoire. Les dangers, vous les connaissez : les périodes de soucis. Le territoire, vous le
dites vous-même, vous ne vous sentez pas chez vous. » J’ajoute que je ne sais pas laquelle
des deux est la vraie cause, afin de solliciter à nouveau la mentalisation après la séance et
de ne pas induire un vécu de menace chez elle. J’ajoute aussi dans la même intention que
toutes ces choses sont curieuses, bizarres, mais qu’on peut essayer d’y voir encore plus
clair. Aucune attitude « psy », adaptation à son rythme, utilisation de ses propres mots.
Je termine par une suggestion : « Donnez un tour de clé le soir, votre mère n’en saura rien,
mais vous, vous saurez que personne ne peut s’introduire dans votre monde. »
719
Traité de médecine psychosomatique
3. L’OBSERVATION MÉDICALE
Renseignements strictement médicaux
––Pathologie objet de la demande : clinique, histoire et évolution de la maladie.
––Autres pathologies actuelles : somatiques, mentales, comportementales.
––Antécédents personnels (médicaux, chirurgicaux, obstétricaux, psychiatriques).
––Antécédents familiaux.
––Traitements.
mal à l’aise devant une attitude d’écoute plus « psy ». La deuxième a un effet thérapeu-
tique plus rapide mais est susceptible de générer des erreurs (anamnèse incomplète,
occultation de la polyfactorialité, confusion chez l’investigateur).
L’oubli d’un événement ou d’une situation traumatique est fréquent et légitime, soit
du fait de sa valeur défensive (refoulement, répression des représentations), soit du fait
du temps écoulé. Il n’est pas rare que seul un lapsus concernant les dates puisse révéler
l’existence d’un événement refoulé ou réprimé.
Dans d’autres cas, un événement-écran vient masquer le traumatisme central. C’est
le plus souvent un événement anodin allégué par le patient, un fait anecdotique, seule
partie visible de l’iceberg, qui condense à lui seul les différents déboires de la période
traumatique.
La question directive « Que s’est-il passé à cette époque ? » est à éviter car elle remobi-
lise le système défensif. Elle ne doit être formulée que dans certains cas particuliers et dans
un but précis, et uniquement chez les sujets dont le système défensif tourne en boucle,
notamment les sujets obsessionnels chez lesquels les défenses conscientes se surajoutent
aux défenses inconscientes, donnant l’impression d’un jeu de cache-cache.
Il existe très souvent un temps de latence de durée variable entre le traumatisme et
l’apparition de la pathologie. Il est souvent accompagné de manifestations anxieuses ou
dépressives peu mentalisées.
Anamnèse associative
Assez rapidement, le praticien repère des corrélations entre les événements trauma-
tiques et l’apparition des pathologies.
La formulation des corrélations n’est pas une nécessité première au stade de l’investi-
gation, loin s’en faut. Je conseille souvent à mes stagiaires de l’éviter car elle peut, elle aussi,
remobiliser le système défensif, et ne laisse pas au sujet un temps de perlaboration néces-
saire. Le simple fait que le praticien soit dépositaire des représentations anamnestiques
est déjà potentiellement thérapeutique. Quant au patient, en règle générale, il a repéré les
corrélations sans que nous ayons besoin d’intervenir.
Les réactions du patient découvrant les déterminants traumatiques de sa patholo-
gie sont très variables d’un sujet à l’autre. Le plus souvent, l’anamnèse agit comme un
révélateur, induisant une mimique de fantasme au travers de laquelle on perçoit l’afflux
des représentations réprimées ou refoulées, réminiscences qui se colorent d’affects et
s’accompagnent souvent de réactions émotionnelles. Il s’agit alors, pour le praticien, de
garder un certain silence et de ponctuer par sa présence, son regard, voire des commen-
taires simples, le vécu du patient. À lui seul, ce temps de réminiscence a un effet remen-
talisant majeur.
Dans d’autres cas, les défenses se remobilisent. La neutralisation de la corrélation
anamnestique est caractérisée alors par une prise de conscience rapidement éludée,
le patient ne semblant pas attacher d’importance à l’événement traumatique. Le plus
souvent, la pensée redevient immédiatement opératoire.
Dans un second temps, lorsque la rementalisation s’instaure, les corrélations pourront
être abordées de manière plus ouverte et plus précise.
722
L’investigation psychosomatique
Vie sociale
Famille Liens
amicaux
Amour Travail
Sexualité
SUJET
Hédonisme
Contexte
Sublimations
matériel
Spiritualité
Santé
––de repérer les secteurs trophiques sources d’investissement, secteurs qui pourront
servir d’étayage lors du cheminement thérapeutique ;
––de découvrir des secteurs mentalisés ignorés, fortement utiles à la rementalisation
générale ;
––de repérer les changements fréquents survenus dans les différents secteurs au cours
de l’existence.
Comment procéder ? C’est très simple car, pour une fois, c’est de l’ordre de l’interro-
gatoire. Une seule question inductrice concernant chaque secteur suffit pour ouvrir des
portes.
Vie familiale
« Vos parents ?… Vos enfants ?… Comment ça se passe dans la famille ?… Vous avez
des frères et sœurs ?… »
Il s’agit d’établir dans un premier temps un génogramme simplifié incluant la généra-
tion précédente et la suivante.
Au cours de cette petite enquête, il n’est pas rare que le patient illustre ses réponses de
commentaires spontanés. On pourra ainsi repérer des conflits, des achoppements, des
blessures, des relations fortement investies, des liens pathogènes. Il suffira de les noter,
sans s’y appesantir, sauf si le patient s’y attarde, attestant de fait d’une préoccupation
centrale. La problématique profonde concernant le secteur évoqué sera de toute façon
abordée ultérieurement en temps voulu.
724
L’investigation psychosomatique
Vie professionnelle
Pas de grande difficulté par contre pour aborder ce chapitre, objet de consensus chez
la plupart des gens qui travaillent, peu chargé de représentations ou d’affects intimes.
Nous aurons droit à : « Vous savez bien ce que c’est, Docteur, les temps sont difficiles… La
crise… ! » Ce n’est pas grave. Le sujet cherche un allié, un autre potentiel travailleur courbé
sous le poids de l’ouvrage. Il cherche surtout à éviter de parler de lui. Faisons semblant, au
début seulement, car il ne s’agit pas d’entonner en chœur les représentations médiatiques
obligatoires qui risquent de se terminer en conversation de bistrot.
Il suffit de recentrer et de demander comment ça se passe au travail, de relever les diffi-
cultés éventuelles et les facteurs traumatiques dans un contexte anamnestique rigoureux,
le degré d’investissement (parfois à valeur défensive) ou de désinvestissement profes-
sionnel. Et bien sûr et toujours les dates, car le traumatisme professionnel ne s’est jamais
instauré en un seul temps.
On repérera aussi, au travers de la vie professionnelle, un certain type de fonction-
nement du sujet que l’on retrouvera, selon les cas, dans d’autres secteurs. Cet élément
diagnostique est fondamental pour sortir de certaines impasses.
725
Traité de médecine psychosomatique
Vie sociale
L’exploration de la vie sociale renseigne sur les investissements relationnels, les inves-
tissements amicaux, la représentation de la position sociale, la relation à la société, les
activités sociales investies.
Entre l’isolement social boudeur et le surinvestissement hypomaniaque et suspect du
style « J’aime les gens », les formes intermédiaires sont nombreuses. Repérons avant tout
ce qui a été traumatique, ce qui a changé dans la vie du sujet, et surtout ce qui constitue
un étayage à préserver.
7-2. Les sensations
La sensation prévaut sur l’émotion. Son fréquent déterminisme émotionnel et donc
son sens et son but, sont en règle générale méconnus du sujet.
Émotion COMPORTEMENT
mise en acte
Sensation
Analyse descriptive
Les sensations doivent être décrites dans toute leur spécificité. Les termes utilisés par
les patients renseignent déjà sur l’état des liaisons entre sensations et représentations :
de la simple allégation « ça fait mal » à la description imagée et très personnelle chez
certains sujets. L’expression langagière doit être évaluée et respectée.
Chez le sujet ayant des difficultés à décrire les sensations, la proposition d’un éventail
de modalités spécifiques, voire de métaphores, constitue un étayage efficace : « Ça brûle ?
Ça ronge ? Ça fait comme un écrasement ? » Les cliniciens du xixe siècle nous avaient
proposé toute une palette de modalités d’une extrême richesse qu’ont supplantées les
investigations paracliniques.
Il convient de solliciter chez le patient l’émergence d’images et de métaphores
« naïves » induites par les sensations éprouvées.
Analyse dynamique
Les modalités d’aggravation ou d’amélioration des sensations selon le contexte, aussi
surprenant soit-il, doivent être notées et faire l’objet d’une anamnèse associative précise.
Les effets thérapeutiques de l’homéopathie sont souvent directement en lien avec cette
finesse d’investigation.
Une immersion en imagination dans des situations traumatiques ou apaisantes pourra
être suggérée, afin de laisser sourdre des sensations comparatives.
727
Traité de médecine psychosomatique
Analyse étiologique
Il y a lieu de distinguer la part de sensations liées au désordre émotionnel et celle qui
est due à l’altération anatomophysiologique.
7-3. Les émotions
Analyse descriptive
––Existence ou absence de désordre émotionnel.
––Perception ou absence de perception des émotions.
––Expressivité émotionnelle générale : hyper ou hypo-expressivité.
––Expressivité émotionnelle spécifique selon les circonstances et les secteurs.
––Vecteur préférentiel de l’expression émotionnelle : neurovégétatif ou neuromus-
culaire.
––Approche dynamique : qualification de la sensation en émotion.
Une connaissance précise de la sémiologie psychosomatique émotionnelle (cf.
Chapitre 3) est ici nécessaire. De longs siècles d’objectivation anatomoclinique de la
maladie ont déqualifié les expressions somatiques émotionnelles en les réduisant à des
sensations mécaniques. Il semble nécessaire d’inclure dans la médecine d’aujourd’hui la
sémiologie somatique émotionnelle. À titre d’exemple, dans les cervicobrachialgies et les
rachialgies hautes, il ne faut pas oublier d’imaginer une possible répression de l’agressivité.
Grâce à l’analyse approfondie de la sensation, le patient peut, aidé par le praticien,
repérer spontanément l’émotion qui sous-tend celle-là.
Dans d’autres cas, les interventions du thérapeute sont nécessaires dans un but
d’étayage :
––soit en sollicitant l’imagination : « Qu’est-ce qui pourrait faire cesser cette sensa-
tion ? » Les réponses peuvent orienter vers le type d’émotion ;
––soit sous forme de suggestion : « Souvent ce type de sensation apparaît dans un
contexte de peur » ou encore : « J’ai l’impression qu’il s’agit d’une peur. »
––soit sous forme d’hypothèses successives : « C’est comme de la peur ? De la colère ?
De la tristesse ? »
Approche étiologique
L’approche étiologique ne pourra être renseignée que lorsque l’investigation sera suffi-
samment étoffée. Elle permettra de comprendre les origines du désordre émotionnel
tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, origines variables d’un sujet à l’autre :
––facteur constitutionnel, familial, éducatif, sociétal ;
––pathologie mentale inductrice d’hyperexpressivité (hystérie, états expansifs) ou
d’hypo-expressivité émotionnelle (dépressions, états de sidération traumatique) ;
––répression en relation avec les idéaux, le besoin de maîtrise ou de contrôle, la préser-
vation du narcissisme.
La répression de l’émotion se repérera aisément au travers de certains signes cliniques :
––changement brutal de discours, évitement ;
728
L’investigation psychosomatique
7-4. Les sentiments
Analyse descriptive
––Existence ou absence de sentiments.
––Perception ou absence de perception des sentiments.
––Expression ou absence d’expression des sentiments.
––Capacité du sujet à décrire, à discriminer les sentiments, à les mettre en relation avec
les situations et les vécus.
––Palette des sentiments.
––Pauvreté ou richesse des sentiments.
––Fluctuation, variabilité, modulation des sentiments.
––Caractère constant ou intermittent du sentiment traumatique.
Analyse dynamique
L’émergence de l’affect peut s’effectuer par trois biais : l’élaboration de l’émotion en
sentiment, l’utilisation de la mentalisation parallèle, la requalification des représentations.
L’élaboration de l’émotion en sentiment nécessite certaines conditions que R. Babeau
a développées (2008) et que nous avons présentées dans la première partie de ce livre
(p. 27) : répression du comportement, prise de conscience de l’émotion, médiation par
le langage (rôle de la fonction Mater). Autant de conditions que l’on peut retrouver ou
induire en séance.
Lorsque le sentiment émerge, il convient de respecter une pause pour lui permettre de
s’enrichir. Le sentiment doit être précisé dans toutes ses nuances, dans tous ses prolonge-
ments, sa spécificité, ses déterminants contextuels.
L’étayage du thérapeute est fondamental et c’est ici que la notion d’empathie prend
pour une fois tout son sens. C. Parat insiste sur ce qu’elle définit en termes d’« affect
partagé » : « Le vécu à deux des mêmes émois conforte le sentiment d’être du patient, et
sans doute le consolide au niveau narcissique. Ces moments d’affect partagé constituent
le plus souvent le plus important du travail d’accompagnement, pendant les périodes où
ne peut encore s’établir un véritable travail psychothérapique. » (Parat, L’affect partagé.)
L’utilisation de la mentalisation parallèle consiste à convoquer les sentiments issus
de secteurs psychiques non concernés par le traumatisme, et à s’étayer sur eux pour
rejoindre de proche en proche, en effectuant des liens, le secteur traumatique. Il peut
s’agir de sentiments hédoniques en relation avec des situations agréables, mais aussi de
sentiments négatifs issus d’un secteur psychique objet d’un vécu délétère.
729
Traité de médecine psychosomatique
Analyse étiologique
Origines du déficit affectif global ou sectoriel
––Agénésie du sentiment : démentalisation structurale, alexithymie (incapacité à
nommer les affects), psychopathies, perversions.
––Répression de l’affect.
––Démentalisation traumatique.
––Émoussement dépressif.
––Facteurs sociétaux.
Origines du débordement affectif
––Pathologie mentale.
––Facteurs traumatiques actuels.
––Facteurs familiaux, sociétaux.
Richesse
––Liaison des représentations aux affects et réciproquement, ou au contraire peu ou
pas de liaison aux affects et réciproquement : uniformité du ton quel que soit le sujet
abordé, expression pauvre, neutre, consensuelle, tics verbaux, termes généraux.
––Richesse ou pauvreté imaginaire.
––Richesse ou pauvreté fantasmatique.
––Jeu avec les mots, les expressions, les concepts, les images ou au contraire, expres-
sion monolithique, redondante, directe et non nuancée, logorrhée de décharge sans
expression affective.
Permanence
––Régularité du fonctionnement du préconscient dans le temps et en fonction des
secteurs psychiques.
––Lacunes : disparition de pans entiers d’un secteur psychique. L’investigateur subodore,
le plus souvent au bout de quelques séances, une défection, une « zone d’ombre ».
Évaluation économique des contenus oniriques
––Absence de souvenirs oniriques.
––Rêves opératoires.
––Rêves à contenu pulsionnel peu élaboré.
––Rêves nocturnes élaborés, dans lesquels on retrouve déplacement, condensation,
symbolisation, bizarrerie.
Mécanismes de défense conscients
––Réticence.
––Intellectualisation.
––Rationalisation défensive ou rationalisation opératoire.
––Dénégation.
––Contrôle et maîtrise.
––Évitement.
––Humour.
––Plainte.
––Idéalisation, attente magique.
––Répression des représentations.
Approche dynamique
Principes généraux concernant l’entretien
––Réponses aux questions du patient lorsque celles-ci attestent d’un processus de
rementalisation.
––Utilisation de métaphores.
––Utilisation des secteurs mentalisés plutôt qu’acharnement sur le secteur traumatique.
––Stimulation de l’imaginaire là où il affleure.
––Observation d’un certain silence lorsque la mentalisation surgit.
Fertilisation des lacunes
––Anamnèse associative.
––Lorsque le facteur traumatique est évident pour le praticien et inaccessible pour le
patient, lorsque la lacune est majeure, il y a lieu de décentrer et d’aborder les autres
secteurs pour revenir de proche en proche à la source traumatique.
731
Traité de médecine psychosomatique
Analyse étiologique
––Agénésie des représentations (déficit introjectif).
––Sidération traumatique des représentations.
––Refoulement des représentations.
––Attaque du préconscient par des facteurs externes (perceptifs, sociétaux, machines
à démentaliser).
––Répression des représentations.
À propos du rêve
Nous ne saurions terminer ce chapitre sur les représentations sans évoquer le rêve. Ces
productions inconscientes et préconscientes sont d’une importance capitale comme en
témoigne les observations présentées.
732
L’investigation psychosomatique
7-6. Le comportement
Approche descriptive
Elle repose sur l’observation du comportement et de la motricité lors de l’investigation
ainsi que sur la connaissance du comportement dans la vie quotidienne.
Comportement lors de l’investigation
––Expressions motrices névrotiques (théâtralisation, tics, gestes compulsifs), ou au
contraire manifestations d’anxiété diffuse avec agitation ou sidération.
––Expressions motrices exprimant le vécu, en concordance avec le sujet abordé, ou
au contraire hypertonie musculaire et posturale permanente, ou encore agitation,
mouvements stéréotypés quel que soit le sujet abordé.
––Spontanéité, variabilité, souplesse des attitudes selon le sujet abordé, ou au contraire
caractère immuable des expressions motrices.
––Ressenti de l’investigateur : intérêt particulier à observer le patient ou au contraire
impression d’être contrôlé.
Comportement dans la vie quotidienne
––Investissement dans la vie instinctuelle ou au contraire contrôle de toute expression
instinctuelle.
––Hyper-réactivité face aux obstacles ou au contraire difficultés à s’opposer, soumis-
sion contrôlée, conformisme.
––Activités motrices investies ou au contraire absence d’exutoires, d’activité hédonique,
de plaisir, de moments de relâchement.
––Valorisation de l’activité en toute chose et en toute circonstance, incapacité à rester
inactif, besoin acharné de maîtrise.
––Instabilité, comportements régressifs, conduites addictives, ou au contraire assujet-
tissement sans faille à un programme de vie.
––Comportements névrotiques ou au contraire activités automatiques de décharge.
On pourra ainsi repérer deux situations cliniques extrêmes : d’une part, l’investisse-
ment excessif, voire exclusif, de la voie comportementale et, d’autre part, la répression
comportementale.
L’investissement de la voie comportementale permet d’évacuer un quantum variable
d’excitation, pouvant ainsi constituer un garde-fou à l’encontre du processus de somati-
sation. Ainsi, tant que le comportement peut s’exprimer, le sujet est relativement protégé
de la somatisation. Lorsque l’obstacle apparaît, le sujet y est alors particulièrement
exposé, car l’investissement comportemental est corrélé à un déficit de mentalisation
qui perdure.
Approche dynamique
L’approche dynamique va consister à proposer au sujet d’imaginer un autre mode de
fonctionnement.
Chez les sujets trop investis dans le comportement, il pourra leur être proposé d’ima-
giner des moments de distanciation par rapport à la réalité extérieure, des moments de
rêverie ou d’évasion. Certains sujets ne comprendront pas ce qui leur est proposé, comme
734
L’investigation psychosomatique
si cette chose était impensable, tant ils ne peuvent concevoir de fonctionner autrement
sans danger pour leur « équilibre ». D’autres, chez qui les secteurs hédoniques ont été
laissés en jachère depuis longtemps, accueilleront avec surprise au début, puis avec un
certain intérêt, ce qui leur est proposé.
Chez les sujets pris dans un fonctionnement opératoire, il pourra leur être proposé
d’imaginer la possibilité de s’autoriser à flâner, à ne rien faire, de s’autoriser à des réactions
plus spontanées, plus instinctuelles, moins contrôlées. Tous les patients sont sensibles à
la métaphore de l’animal qui tourne en rond dans sa cage.
Approche étiologique
En ce qui concerne les expressions comportementales, il y a lieu d’établir une distinc-
tion entre, d’une part, les comportements induits par la pathologie mentale (névroses,
psychoses, perversions) qui sont sous-tendus par une élaboration psychique variable
et, d’autre part, les comportements de décharge : mises en acte instinctuelles (psycho-
pathies, états limites, addictions), comportements opératoires. Ces comportements de
décharge attestent d’un déficit d’élaboration psychique, soit en continu, soit dans l’immi-
nence de l’acte.
La répression comportementale est liée quant à elle soit à un processus d’autocontrôle,
soit à des obstacles réels. Les deux causes peuvent être intriquées.
La répression liée à un processus d’autocontrôle est destinée à préserver une trajec-
toire comportementale, sélective et sectorisée, visant à obtenir quelque chose quoi qu’il
en coûte d’un point de vue économique : but matériel, préservation identitaire, angoisse
de séparation ou de castration, préservation de l’idéal, besoin de contrôle et de maîtrise,
fantasme de mission à remplir, acharnement structural à réprimer toute expression
instinctuelle (répressivité). Elle peut avoir une dimension trophique un certain temps,
mais elle résiste difficilement aux traumatismes : pertes, contraintes prolongées induisant
un épuisement.
Les obstacles réels inducteurs de répression sont le plus souvent des privations
motrices imposées par les circonstances : maladies et traitements médicaux, situations
d’enfermement, d’assujettissement, de menace, obstacles sociaux, familiaux.
8. L’HISTOIRE DU SUJET
L’abord de l’histoire d’un sujet n’est ni périlleux, ni difficile, ni source de problème
majeur. C’est pourtant ce chapitre qui est le plus souvent éludé dans les investigations de
nombreux stagiaires. Son éviction ou son survol superficiel prive la connaissance du sujet
d’une source de renseignement fondamentale, sans laquelle il nous paraît quasiment
impossible d’avancer plus loin dans l’investigation et la thérapeutique.
Il est vrai que le fonctionnement habituel des praticiens ne pousse pas à s’enquérir
de ce domaine, du simple fait des représentations qui leur sont imposées par la forma-
tion initiale ou continue. Il est vrai aussi que l’enseignement universitaire relègue de plus
en plus ce chapitre aux oubliettes et que le dogme de l’« Ici et Maintenant ! » le rejette
purement et simplement, s’inscrivant dans un courant plus général de déni de l’histoire
qui ne cesse de s’étendre et de s’intensifier : négation de l’inconscient du sujet, désinté-
rêt pour son histoire, mais aussi engouement sociétal actuel, spécifiquement français, à
735
Traité de médecine psychosomatique
rejeter tout ce qui est de l’ordre de l’histoire en général. L’histoire est suspecte, elle doit
être éradiquée ou réinventée. La plupart des politiques, les médias et l’Éducation natio-
nale s’en font une vocation, à des fins strictement manipulatoires. La parole concernant
l’histoire est sous contrôle. On ne peut faire mieux pour détruire l’identité d’un sujet ou
d’une société. Les seules causes en sont l’intérêt de la caste et la peur. Or, en ce qui nous
concerne ici, cette même peur se retrouve chez certains stagiaires qui n’osent pas s’aven-
turer dans ce domaine, reprenant à leur compte l’interdit de « heurter la sensibilité »,
ici celle des patients. Or le risque n’existe pas, pas plus en matière de psychosomatique
qu’ailleurs. Par contre, lorsqu’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne sait pas où l’on va. C’est
le cas de notre pays. C’est le cas aussi du praticien qui shunte ce chapitre de l’investiga-
tion. Ne sachant pas d’où vient le sujet, il ne saura pas où l’amener.
L’investigation de l’histoire du patient débute tout simplement par une invitation à en
parler. Cette invitation peut survenir de manière dissociée du reste de l’investigation ou
bien s’y intégrer, lorsque le sujet aborde ses difficultés, sa famille originaire, ses déménage-
ments, son travail, ses deuils, son éducation, ses antécédents morbides, etc.
Cette investigation, qui peut être étalée au fil des premières entrevues, mettra au jour
de manière aussi précise et chronologique que possible les situations, le contexte, les diffi-
cultés, les pathologies, les événements familiaux et les représentations que le sujet garde
de son passé.
Des questions peuvent ponctuer le discours du patient lorsque des éléments impor-
tants doivent être recherchés ou précisés.
Ainsi, nous nous attarderons sur les différentes étapes de la genèse de la personne et
de son développement : contexte de la conception et de la venue au monde, période
néonatale, existence de pathologies (plus particulièrement digestives, cutanées, troubles
du sommeil), traversée des différents stades archaïques du développement, événements
familiaux, traumatismes personnels, difficultés et problématiques récurrentes, patholo-
gies (mentale, comportementale, somatique), fonctionnement psychique prédominant
(souvenirs particuliers, rêves récurrents de l’enfance, investissements scolaires, relation-
nels, hédoniques, image de soi, etc.).
––Complexe œdipien.
––Narcissisme et désordres identitaires.
––Complexes de culpabilité : absence de culpabilité, honte identitaire, culpabilité
pulsionnelle, culpabilité de défaillance, culpabilité d’emprunt.
––Masochisme.
Mécanismes de défense inconscients
Refoulement, déni, isolation, déplacement, projection, renversement de l’affect en son
contraire, conversion, retournement de la pulsion sur soi, idéalisation, investissement,
désinvestissement, contre-investissement, délire, hallucination.
Traits de caractère
––Processus de construction : identifications, fixations psychiques, formation réaction-
nelle, clivage.
––Personnalité : anxieuse, dépendante, évitante, obsessionnelle compulsive, dépres-
sive, masochiste, histrionique, passive agressive, paranoïaque, schizoïde, schizoty-
pique, perverse, phallique narcissique, psychopathique, sans oublier les névroses de
comportement.
Ce catalogue rébarbatif et condensé à l’extrême illustre bien la complexité de la
psychopathologie et la nécessité de rigueur sémiologique.
Tout comme le rêve et la vie sexuelle, la psychopathologie n’a pas eu droit de cité dans
cet ouvrage. Mêmes raisons : évitement de la surcharge, projet de publication ultérieure,
souci constant de ne pas disperser le lecteur vers des contrées complexes afin de lui
permettre de mieux assimiler l’essentiel.
Il n’est pas de notre propos de traiter ici des techniques psychothérapiques. Chaque
psychosomaticien a sa manière d’opérer et il n’existe pas de recette en matière de psycho-
thérapie. La psychothérapie est avant toute chose un art dont les fondements sont
essentiellement initiatiques et s’enrichissent des expériences successives : expérience
psychanalytique personnelle du sujet praticien, confrontation aux difficultés et aux
réussites, aux succès et aux échecs, remise en cause et questionnement quotidiens, super-
visions, échanges avec les pairs, lectures, et, pour certains, confrontation à l’épreuve de
réalité que constituent l’enseignement et la recherche.
Ceci étant, la psychothérapie qui s’adresse aux sujets présentant des maladies
somatiques comporte des spécificités, des nécessités et des aménagements que nous
allons présenter de manière synoptique.
La psychothérapie analytique
La psychothérapie analytique, ou psychothérapie d’inspiration analytique, se réfère
au corpus théorico-clinique de la psychanalyse mais diffère de la cure psychanalytique
sur plusieurs plans. Elle sollicite une plus grande directivité, accepte une plus grande
souplesse au niveau du cadre et se déroule le plus souvent en face à face.
Chez le patient somatisant, la directivité doit prendre le pas sur la réserve. Directivité
s’entend au sens de direction, de signalisation, d’indication, de conduite accompagnée,
comme on aide un aveugle à traverser la rue ou un handicapé à se mouvoir dans l’espace,
comme on renseigne celui qui cherche sa route dans le quartier, ou celui qui cherche un
bureau dans une administration.
Les interventions du thérapeute seront donc plus fréquentes que dans la cure analy-
tique. Le praticien pourra être amené à poser des questions et à répondre à celles du
patient lorsque cela s’avérera nécessaire, lorsque celles-ci n’auront pas de caractère
strictement défensif. « L’aide à la verbalisation passe par des réponses aux questions du
patient, sans qu’il s’agisse de répondre n’importe quoi, à n’importe quelle question, mais
c’est une manière d’entraîner à l’expression des pensées et des images. » (Parat, L’affect
partagé.)
Le sujet somatisant a du mal à intégrer l’idée d’un « travail » psychothérapique. Il
s’agira de fonctionner au départ comme un parent fonctionne avec un bébé qui n’a pas
encore accès au langage verbal. Et de la même manière que l’on fait avec un bébé, d’être
compréhensif face à ses réactions souvent inattendues. Contenance, compréhension,
adaptation, activité, n’excluront pas certaines règles, certaines exigences, certaines limites
infranchissables.
Le traitement psychothérapique en face à face est en règle générale préféré aux séances
sur le divan. Si l’oreille constitue le récepteur commun à toute psychothérapie, l’œil sera
sollicité plus spécifiquement dans les entretiens en face à face. L’arrimage par le regard fait
partie de la contenance. Les expressions non verbales jouent un rôle important, le patient
étant souvent à l’affût de ces dernières. Il ne viendrait pas à l’idée d’un parent d’aider son
enfant en se mettant derrière lui sans que celui-ci ne puisse le voir.
Le ressenti plus ou moins subjectif du thérapeute constitue le troisième récepteur.
Écoute, observation et ressenti s’enrichissent mutuellement.
738
L’investigation psychosomatique
Si le rythme des séances est nettement inférieur à celui des séances de psychanalyse, si
la durée de la psychothérapie est moins longue, le temps de la séance est en règle générale
supérieur. Les interruptions liées aux avatars existentiels et au parcours de soins doivent
être, lorsqu’elles sont étayées sur des éléments incontournables, acceptées.
Le traitement psychothérapique ne doit pas, en principe, interférer avec les traite-
ments médicaux qui doivent être suivis par le patient.
La rementalisation
La psychothérapie aura pour but initial d’ouvrir la voie de l’élaboration psychique chez
le patient grâce à l’élaboration psychique du thérapeute. C’est ainsi que l’on peut parler
de réciprocité de la mentalisation. Réciprocité asymétrique toutefois, du simple fait que
le thérapeute est amené à juxtaposer les productions psychiques du patient à ses repré-
sentations théoriques, à se laisser guider par ce qu’il imagine du patient, tout en contrô-
lant ses propres productions fantasmatiques, plus particulièrement celles induites par
association avec les productions du patient, qui l’amènent inéluctablement sur le terrain
de sa vie personnelle. C’est dire que la nécessaire mentalisation du thérapeute est une
mentalisation contrôlée, nécessitant une certaine répression.
On pourrait comparer l’attitude générale du thérapeute à celle du jardinier face à la
plante qu’il cultive : observation, élimination des agents pathogènes, respect de certaines
productions, utilisation des ressources, apport de nutriments, tuteurage, etc. Pierre
Marty a très bien illustré cette fonction de nourriture du préconscient du patient à partir
du préconscient du thérapeute, en proposant le terme de « prothèse psychique ». Le
thérapeute, à l’instar d’un parent investi dans sa fonction, repère, pense, associe, imagine,
et met un contenu sur l’expérience du patient.
Qualification des sensations en émotions, élaboration de l’émotion en sentiment,
restauration de l’activité du préconscient (métaphores, mentalisation parallèle, stimu-
lation de l’imaginaire, proposition de représentations à partir de celles du thérapeute,
commentaire des réactions du patient, requalification des représentations, utilisation
de la mentalisation parallèle, etc.), aide au repérage de la problématique (répétition des
propos du patient, reformulation paraphrasique de ses pensées avec des termes diffé-
rents enrichissant le processus de mentalisation et renforçant la cohésion de sa pensée).
Le travail de reliaison amorcé lors de l’investigation va se poursuivre au fil des séances
le temps qu’il faut car, chez ces sujets, les occasions susceptibles de mettre à mal le proces-
sus de rementalisation amorcé ne manquent pas : parcours médical, pression du réel, de
la conflictualité externe et des idéaux, réactions défensives face à l’amélioration théra-
peutique qui ne peut s’effectuer sans un certain ébranlement psychique passager. Peu à
peu, le patient réapprend à « jouer » (Winnicott) avec les sentiments, les idées, les images.
Les suggestions
Il s’agit ici de la forme la plus courante de directivité. Suggérer, proposer, ne signifie pas
prescrire. Suggestions et propositions seront indiquées dans le but de diminuer le poids
de la conflictualité externe et d’aider le patient à expérimenter de nouveaux compor-
tements. L’action sur la conflictualité externe consiste essentiellement à aider le sujet à
s’alléger du poids traumatique, à éliminer autant que se peut ce qui l’encombre, c’est-à-
dire la part de surcharge traumatique induite par ses idéaux surdimensionnés. Quant
739
Traité de médecine psychosomatique
741
Chapitre 26
ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES
ET GUÉRISONS SPONTANÉES
1. INTRODUCTION
L’expérience clinique au travers de mon activité de médecin généraliste puis de
psychiatre n’a fait que renforcer mon penchant irréductible pour les sentiers non battus
en dehors des grands axes de circulation. Je me souviens de ces quelques patients qui,
sans négliger le tulle de gras que j’avais appliqué sur leurs brûlures, étaient revenus soula-
gés et même cicatrisés dans les suites de leur entrevue chez le guérisseur. Je n’adhérais ni
ne rejetais. Je m’interrogeais. Je me souviens de ce quinquagénaire qui guérissait tous ses
maux, sa toux bien sûr, mais aussi ses troubles digestifs, ses douleurs et ses épanchements
mélancoliques, avec un sirop à forte teneur alcoolique. Je me souviens de Myriam, infer-
tile, qui tomba enceinte à 45 ans, après avoir consulté un marabout. De Lionel, littérale-
ment épuisé par ses pratiques obsessionnelles compulsives, qui fut transformé après avoir
découvert la foi. De Michel, impotent du fait de ses multiples opérations pour hernie
discale, qui retrouva une démarche de jeune homme après une amygdalectomie tardive.
Et aussi de Louis, 80 ans, toujours rose dans son lit, lisant le journal, trente ans après
qu’un diagnostic de métastases cérébrales d’un cancer de l’estomac avait été posé. Et
puis, lors de mon activité de psychiatre, de Jack dont le psoriasis géant disparut totale-
ment lorsqu’il rencontra la femme de sa vie à 39 ans. Et aussi de Louise, très défensive
lors de notre première entrevue, dont la fibromyalgie n’est plus qu’un lointain souvenir.
Et surtout de Christine, condamnée par la faculté à l’inguérissabilité de son lupus et qui,
aujourd’hui, quinze ans après, n’en présente plus aucun stigmate clinique ni biologique.
Des événements traumatiques participent à la genèse des maladies, c’est un des fonde-
ments de la psychosomatique. La disparition de ces facteurs traumatiques améliore l’état
de santé du sujet, c’est une constatation fréquente. Si des événements traumatiques
co-induisent la pathologie, des événements trophiques n’auraient-ils pas le pouvoir
intrinsèque de les faire disparaître ?
Guérisons spontanées, guérisons inattendues, guérisons inexpliquées, guérisons impro-
bables, guérisons imprévues, guérisons remarquables. Ce sont des guérisons dont le carac-
tère inhabituel et surprenant déjoue toute logique médicale officielle. Elles surviennent
en dehors de tout traitement classique ou, à la limite, dans les suites de procédés théra-
peutiques discutables, voire acceptés avec un sourire compassé par la Faculté.
Les rémissions spontanées, terme préféré à celui de guérison dans le monde de la
médecine hospitalière, car exprimant une prudence suspicieuse, entrent aussi dans le
cadre de notre sujet. Le terme devrait être réservé à la disparition transitoire d’une patho-
logie suivie de rechute, mais il est en fait utilisé pour qualifier aussi les guérisons avérées
depuis longtemps, laissant ainsi planer le doute, si ce n’est la menace sourde de rechute à
743
Traité de médecine psychosomatique
plus ou moins long terme. Car la médecine occidentale ne lâche pas ses patients comme
ça. Elle s’efforce de les ramener au bercail ou à la raison, ou bien, dépitée, se débarrasse
des mauvais sujets récalcitrants, ceux qui défient le dogme et les statistiques. La connota-
tion pronostique péjorative du terme rémission installe l’épée de Damoclès sur le sujet et
cela n’est peut-être pas sans conséquence sur son devenir.
La seule conférence mondiale sur les rémissions spontanées (World Conference on
Spontaneous Remission) s’est déroulée en 1974 à la Johns Hopkins University School of
Medecine, à Baltimore. Cette conférence réunissait un grand nombre d’auteurs faisant
part de guérisons ou de rémissions spontanées de pathologies graves, plus particuliè-
rement de cancers à un stade très avancé, souvent métastatique, les patients ayant été
fréquemment condamnés à un dénouement fatal imminent. Ils rapportèrent en effet
plusieurs centaines de cas de rémissions ou de régressions spontanées de cancers, soit
à partir de leur expérience clinique personnelle, soit à partir de revues exhaustives de la
littérature scientifique. Les textes ont été publiés en 1976 par le National Cancer Institute
sous forme de monographie en anglais, non rééditée. Nous noterons qu’une telle confé-
rence ne s’est plus jamais reproduite.
L’Institute of Noetic Sciences s’est attaché de son côté à recueillir toutes les publica-
tions de la littérature médicale mondiale, à savoir 3 500 articles parus entre 1900 et 1966.
En 1993, Caryle Hirshberg rassemblait sous forme de monographie en anglais, disponible
mais non traduite, l’ensemble des articles concernant le sujet. C’est cette monographie
que je me suis efforcé d’éplucher.
Les articles qui la constituent attestent d’une rigueur inéluctable à telle enseigne que
la plupart d’entre eux ne proposent pas d’explication à la guérison, sauf pour un nombre
conséquent d’entre eux des hypothèses strictement physiologiques, avec en premier et
plus particulièrement avant 1974, l’hypothèse immunologique débutante ou la cause
infectieuse prévalente à cette époque. Dans l’immense majorité des cas, la forme et le
contenu des articles sont strictement et rigoureusement médicaux, les régressions ou
les rémissions étant confirmées par l’anatomopathologie et la normalisation clinique
persistante au bout d’un grand nombre d’années. Quelques articles font référence à la
dimension psychique. La plupart de ceux-ci sont centrés sur les événements trophiques
ayant participé à la rémission, ou bien sur certaines techniques psychothérapiques utili-
sées dans ce but, plus particulièrement la méditation qui connaissait sa première vogue
à l’époque. On regrette bien sûr l’absence quasi totale des références aux concepts de
psychosomatique. Les travaux de l’École de Paris, notamment, ne sont pas cités.
Les rémissions, régressions ou guérisons, sont considérées comme spontanées
lorsqu’elles surviennent donc en dehors de tout traitement ou bien sous l’effet de théra-
peutiques jugées inadaptées ou inefficaces dans le type de pathologie concernée. La
distinction sémantique entre régression et rémission est loin d’être rigoureuse, les deux
termes étant le plus souvent utilisés indifféremment pour qualifier le même phéno-
mène. Le terme spontané (de sponte, « de son plein gré ») définit quant à lui la dimension
naturelle d’un phénomène qui s’exécute de lui-même, sans cause apparente, si ce n’est
une énergie d’origine interne ou externe.
De manière générale, le champ de recherche concernant les régressions, rémissions
et guérisons spontanées est, comme en atteste l’extrême rareté des publications (10%
744
Événements trophiques et guérisons spontanées
In fine, c’est le corps et la personne qui s’autoguérissent, quel que soit le processus, le
biais, le moyen, la technique, l’intervenant. Mais la question d’un phénomène à l’interface
de l’immanence et de la transcendance s’est toujours posée. Elle se pose encore de nos
jours dans le déterminisme de certaines guérisons inexpliquées.
16
14
12
10
8
6
4
2 Amélioration
0
2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 séances
Situations traumatiques
Les situations traumatiques (contraintes et situations anxiogènes) mobilisent en
continu le système adaptatif. La disparition de la situation traumatique fait en principe
disparaître ses conséquences délétères ou pathologiques.
L’arrêt de son addiction à internet permettra à Luis de retrouver ses capacités intel-
lectuelles, sa mémoire, sa concentration et son intérêt pour les plaisirs de ce monde.
Le changement de poste de travail d’Hassan mettra un terme à ses insomnies.
La séparation de Romie d’avec son compagnon qui la tyrannisait, atténuera consi-
dérablement sa polyarthrite rhumatoïde.
Mais ces régressions ou ces disparitions de pathologies ne sont pas systématiques,
même lorsque le facteur traumatique s’estompe ou disparaît, car le système défensif qui
avait été mis en branle et sollicité en continu présente une certaine inertie. Lorsque la
situation traumatique s’arrête, le système défensif ne saurait, dans certaines situations,
cesser subitement de fonctionner. C’est ainsi que de nombreux sujets, malgré le soula-
gement immédiat que procure la cessation de la situation traumatique, se retrouvent
démunis, perdus, dépossédés, désorientés, tant ils sont habitués à fonctionner de manière
hyper-adaptée, voire stéréotypée. Ces situations sont bien connues : décompensations
après avoir soigné un proche d’une maladie, recherche inconsciente d’une re-traumati-
sation dans les suites de syndromes psychotraumatiques, somatisation dans les suites de
l’arrêt d’une relation sadomasochiste, désinvestissement subit d’une relation lorsque le
déficit sexuel de l’autre disparaît ou lorsque celui-ci cède à la demande, séparation dans
les suites de la naissance d’un enfant pourtant ardemment souhaité, apparition d’une
dépression lorsque la lutte n’a plus lieu d’être ou lorsqu’un souhait se réalise, etc. Il n’est
pas rare, dans d’autres cas, que la cessation de la situation traumatique, tout en mettant
un terme à la pathologie qui lui était consécutive, induise une nouvelle pathologie diffé-
rente de la première.
Luc, malgré sa libération de l’enfer qu’il avait connu en tant qu’otage durant une
année de captivité, de maltraitance et de menaces, demeure sous tension. Dans ce monde
à nouveau apaisé, dans le confort qu’il redécouvre au milieu des siens, il lui arrive de
s’ennuyer et de regretter l’espace d’un instant l’état de tension extrême que générait la
menace pour sa survie.
748
Événements trophiques et guérisons spontanées
Andréa est tombée enceinte au bout de quatre ans de procréation médicale assis-
tée, dans les semaines qui ont suivi sa perte d’emploi, déplaçant ainsi ses préoccupations
sur un autre objet que l’enfant. La grossesse se passa très mal et les suites de couche furent
marquées par une absence totale d’investissement du bébé.
Ceci étant, dans la plupart des cas, la disparition de la situation traumatique est en
règle générale trophique pour l’homéostasie.
Événements traumatiques
Les événements traumatiques (pertes et agressions) induisent dans leur suite des
remaniements psychiques ou psychosomatiques dont l’atténuation ou la disparition
nécessite du temps, un temps variable, pouvant être très long chez certains sujets. Le
psychisme a été ébranlé dans le caractère fondamental de l’investissement de l’objet,
objet perdu, tout au moins en apparence. Objet éminemment variable d’un sujet à
l’autre : objet d’amour, de relation, d’étayage, d’harmonie, de réparation, d’idéal investi
dans les pertes, sentiment d’existence ou de continuité dans les agressions.
Les séquences douloureuses qui suivent la perte ou l’agression sont inévitables et
nécessaires par leur caractère défensif. C’est le prix à payer pour une potentielle restaura-
tion future. Les événements trophiques extérieurs à la perte ou à l’agression susceptibles
d’en atténuer l’impact ne sont pas légion, mais peut-être plus fréquents qu’il n’y paraît :
telle personne entrant de manière inattendue dans la vie du sujet, dont la présence et
la parole redonnent vie sans pour autant, bien au contraire, dénier la perte subie ; telle
expérience inhabituelle confrontant le sujet à la force de son système défensif, ignorée
jusqu’alors dans les suites d’un syndrome psychotraumatique ; telle prise de conscience
tardive d’un système de fonctionnement délétère, etc. Quelque chose semble exister de
l’ordre de la révélation ou de la contingence, et certainement pas de l’ordre du déni, de
l’annulation ou de la maîtrise. Quelque chose se passe dans les suites d’un deuil qui, loin
de dénier, de réprimer, de mettre à distance celui-ci, s’inspire, au sens littéral du terme,
de l’expérience vécue ou d’une nouvelle forme de présence, bienveillante et discrète, de
l’objet perdu. Sublimation de la douleur, nouvelle relation avec l’objet perdu, dénuée de
toute attente et de tout « travail » au sens commun du terme, surgissement de la vie
derrière le masque de la mort. Il suffit d’être attentif.
La pire des choses consiste donc à entraver ces processus. Se battre, positiver, assumer,
gérer, oublier, « débriefer », « travailler » le deuil, faire bonne figure, rester vainqueur,
obéir, ne rien perdre, ne plus penser, dépenser : poncifs grandiloquents, mots d’ordre,
néologismes soyeux, références obligatoires, gadgets verbaux, dissolvent, depuis plus de
trente ans, la pensée occidentale. Le citoyen a barré la route au sujet. La mort psychique
n’est que l’antichambre soporifique et déniée de la mort biologique.
Alice a soigné son père atteint d’un cancer colique jusqu’au bout. Durant cette
longue et difficile période, elle perdit 10 kg et souffrit quotidiennement de colopathie
spasmodique avec diarrhées fréquentes. Dans les semaines et les mois qui suivirent le
décès, elle fut l’unique soutien de sa mère et de sa sœur. Elle prit 20 kg et développa une
constipation opiniâtre. Elle retrouva son équilibre digestif pondéral et général lorsque,
encouragée par la psychothérapie, elle renonça à être le réparateur de son entourage et
se mit à publier les œuvres manuscrites de son père.
749
Traité de médecine psychosomatique
n’est que lors d’un séjour de quinze jours en vacances où elle a fait du bateau, pratiqué la
plongée, que ses douleurs disparaîtront totalement. Mais elle renoncera à réitérer l’expé-
rience, son cardiologue ayant contre-indiqué la plongée.
Les céphalées de Cerise, 9 ans, disparaissent chaque vacance scolaire. Il ne faut pas
être grand clerc pour deviner le rôle que jouent les auto-contraintes liées à la scolarisation
chez cette petite fille particulièrement rigoureuse, auto-exigeante et perfectionniste.
––État amoureux ;
Chaque fois que Bérénice est amoureuse, ses crises de boulimie disparaissent.
––réussite universitaire ou professionnelle, projet professionnel, formation ;
––arrêt de travail, nouvelle activité professionnelle ;
La rectocolite de Carole-Anne était apparue dans un contexte de tension lié à un
conflit entre son père et son conjoint. Une première accalmie apparut lorsque le couple
décida de ne plus travailler dans l’entreprise familiale. Carole-Anne trouva un emploi et la
maladie disparut pendant trois ans. Une mise au placard entraîna une rechute. Elle trouva
un nouvel emploi et la pathologie s’atténua à nouveau.
––grossesse ;
Charlotte a vu son psoriasis disparaître à chaque grossesse.
Ces périodes transitoires d’amélioration ou de disparition de la pathologie sont
source de renseignements fondamentaux concernant la nature et les déterminants
psychosomatiques de la pathologie.
Profession
––Nouvelle activité professionnelle.
––Diminution de la pression professionnelle.
La dépression de Franck a totalement disparu depuis un changement de poste de
travail.
Événements matériels
––Déménagement, vente de la maison, etc.
Les acouphènes de Zohra, qui la persécutaient depuis six ans (observation p. 607),
disparurent en l’espace de deux séances sous l’effet de la psychothérapie et d’un déména-
gement à distance de sa famille qui exerçait une emprise incessante sur elle.
Arrêt d’une addiction
––Internet, TV, cannabis.
Les angoisses de Lysiane disparaîtront après l’arrêt du cannabis, celles de Virginia
après l’arrêt d’internet.
Grossesse
La polyarthrite de Jacqueline (cf. p. 298 et p. 534) disparaîtra lors de son unique
grossesse à l’âge de 25 ans. Elle réapparaîtra avec une intensité redoublée tout de suite
après la césarienne. La polyarthrite continuera d’évoluer jusqu’à l’âge de 39 ans, et dispa-
raîtra définitivement sous l’effet d’une intervention pour hydarthrose du genou.
2-4. Synthèse
Les disparitions transitoires, durables ou définitives de la pathologie, liées à un change-
ment existentiel, induit ou non par la psychothérapie, sont liées à :
––une prise de distance par rapport à l’objet traumatique : 45% des cas ;
––l’investissement d’un nouvel objet : 55% des cas.
––Famille (6%) : guérison d’un être cher, départ d’un membre de la famille persécuteur,
séjour à l’étranger.
––Changement de lieu de résidence (18%).
––Arrêt d’une addiction (29%).
Prise de distance par rapport à l’objet traumatique
Amour : 40%
Grossesse : 16%
Autres : 8%
Certains événements conjuguent les deux processus : prise de distance par rapport à
l’objet traumatique et investissement simultané d’un nouvel objet.
Le phénomène est classique dans les infertilités psychogènes qui cessent dans les suites
d’une adoption, dans les déboires de la vie professionnelle (nouveau travail investi et arrêt
d’un travail persécuteur) ou amoureuse (séparation suivie d’une nouvelle rencontre).
Dans ces situations, c’est le nouvel investissement d’objet qui permet la distanciation
d’avec l’objet persécuteur.
Ainsi, l’investissement le plus souvent massif d’un nouvel objet constitue la part la plus
importante des événements trophiques.
753
Traité de médecine psychosomatique
Pathologies allergiques
Les pathologies qualifiées d’allergiques – eczéma, asthme, urticaire, coryza spasmo-
dique – comportent dans leur déterminisme, en dehors des facteurs classiques génétiques,
allergéniques, climatiques, un déterminant psychosomatique central, comme en atteste
la vicariance de la pathologie, rythmée très souvent par des facteurs existentiels. J’ai
proposé le terme de relation de la juste distance pour qualifier la modalité préférentielle
de relation d’objet chez le sujet allergique. En effet, dans ces pathologies, le déclenche-
754
Événements trophiques et guérisons spontanées
ment des périodes d’allergie est rythmé par des changements d’ordre existentiel faisant
varier la distance réelle et/ou imaginaire entre le sujet et l’objet. De manière schématique,
l’allergie se déclenche soit lorsque l’objet est trop éloigné du sujet, induisant une angoisse
ou un vécu de séparation, soit inversement lorsque ce même objet est trop proche du
sujet, induisant un vécu de perte de liberté et d’identité, d’étouffement, d’emprisonne-
ment, de phagocytose.
La disparition transitoire ou définitive de la pathologie est le fait d’une régulation par
le sujet de cette juste distance. Ni trop près, ni trop loin. Il appartient au sujet d’être
seul maître du curseur qui l’instaure. C’est ainsi que la prise de distance réelle ou imagi-
naire avec l’objet peut faire disparaître la pathologie, tout comme le rapprochement avec
celui-là lorsque la distance est trop grande.
Valérie, déjà citée p. 449, verra son coryza spasmodique et son eczéma disparaître
le jour où sa mutation professionnelle lui permettra de vivre ni trop près, ni trop loin de
sa famille.
L’asthme de Johann (cité p. 506) disparaîtra à l’âge de 14 ans sous l’effet de trois
facteurs conjugués : il découvre le sport, tombe amoureux et subit dans la foulée une
appendicectomie qui mettra un terme à une forte angoisse de castration.
Dans l’urticaire, nous avons vu que les contraintes qui en constituent le déterminant
traumatique princeps réactivaient chez certains sujets un fantasme masochiste. La dispa-
rition de ces deux déterminants conjugués met en règle générale un terme aux crises.
La disparition du fantasme masochiste d’Olivia, déjà citée p. 453, mettra un terme
à ses crises d’urticaire.
Il en fut de même pour Paule (p. 454), dont l’urticaire disparaîtra en même temps
que le fantasme masochiste et son changement d’activité professionnelle qui entretenait
ce dernier.
Maladies gynécologiques
Lorsque la guérison du vaginisme survient, c’est en règle générale dans les suites de la
séparation d’avec le partenaire, le plus souvent induite par la rencontre d’un nouvel élu.
La disparition du symptôme s’accompagne parfois d’un déplacement du symptôme.
Une de mes patientes, ayant présenté un vaginisme primitif total durant sa longue
relation avec un jeune homme qui lui était très attaché, vit sa pathologie disparaître
lorsqu’elle eut une relation avec un autre homme, ce qui se solda par la rupture de sa
première union. Elle revint me voir cinq ans après. La sexualité avec son nouveau compa-
gnon était optimale, mais voilà qu’elle présentait une infertilité psychogène qui avait
résisté à tous les protocoles de procréation médicale assistée.
Ce phénomène de déplacement est monnaie courante en psychosomatique, et pas
seulement dans la conversion ou les somatisations fonctionnelles. En ce sens, certains
événements d’apparence trophique ne font que déplacer la pathologie et il est primordial
de tenir compte de ce phénomène très fréquent. Ici, il s’agit de déplacement mais, dans
d’autres cas, la disparition de la pathologie peut se solder par l’apparition d’une patholo-
gie plus grave du fait d’un phénomène de régression ou, pire, de désorganisation.
755
Traité de médecine psychosomatique
L’observation de Monica (p. 455), dont le vitiligo était apparu dans les suites d’un
drame familial, illustre le fait qu’un simple événement psychique, un rêve en l’occurrence,
induit ici par la psychothérapie, peut constituer un facteur trophique de rémission.
Maladies inflammatoires intestinales
La rectocolite ulcérohémorragique apparaît lors de vécus traumatiques au cours
desquels l’agressivité du sujet est réprimée et l’activité de maîtrise, particulièrement
prononcée chez ces sujets, mise à mal. Les poussées évolutives seront toujours déclen-
chées par des vécus traumatiques similaires aisément repérables, et les phases de rémis-
sion par des vécus trophiques restaurant l’activité de maîtrise lorsque l’obstacle se lève,
ou bien lorsque les investissements se déplacent.
La rectocolite de Paloma (p. 489) a cessé à partir du moment où elle s’est engagée
dans un protocole de procréation médicale assistée. La situation de maîtrise, de lutte et
de programmation avec sentiment d’issue possible constituait le déterminant central de
cette rémission.
Le déclenchement des poussées de maladie de Crohn est souvent contemporain
d’une relation massivement investie au départ puis désinvestie tout aussi rapidement.
Les rémissions transitoires, chez la plupart des sujets, surgissent le plus souvent lorsque la
relation devenue persécutrice s’arrête.
C’est le cas de Patrick (p. 496) dont la maladie de Crohn entra en rémission transi-
toire lors du début de sa vie active et l’éloignement de la maison familiale. C’est aussi
le cas de Valériane (p. 494) dont les symptômes diminuaient lorsqu’elle arrivait à se
détacher de son amant. C’est enfin le cas de Pema (p. 495) dont les rémissions ont été
successivement contemporaines de l’apparition d’une dépression, puis de la séparation
d’avec le père de son fils.
Maladies auto-immunes
Chez les polyarthritiques, la répression de l’affect agressif est intense et les vécus de
séparation particulièrement traumatiques.
Nous avons évoqué plus haut le cas de Jacqueline (p. 298, 534 et 752) dont la
polyarthrite disparut transitoirement pendant sa grossesse, puis de manière définitive
dans les suites d’une intervention pour hydarthrose du genou, et celui d’Héléna (p. 534),
considérablement atténuée dans les suites du retour de son fils.
Certaines pathologies inflammatoires, induites comme il se doit par la répression de
l’affect agressif, peuvent disparaître sous l’effet d’une levée brutale de celle-ci. Mais il y a
lieu, ici aussi, à rester vigilant, car certains déplacements morbides peuvent surgir.
À 48 ans, Régine développe un rhumatisme psoriasique. La relation qu’elle a avec
les autres est particulière, faite de soumission mais aussi de rancœur avec une connota-
tion interprétative. Elle est soumise à son dentiste, qui la fait souffrir, à son patron qui la
persécute, à son compagnon qui la tyrannise. Au bout de quelques séances, je suggère
à Régine de tenter de moins se soumettre et de tordre un peu le cou à la culpabilité
foncière qui lui fait tout accepter contre son gré. Dont acte. Elle surgit à la séance suivante
transformée et victorieuse, et m’annonce qu’elle a réglé dans la foulée le problème du
757
Traité de médecine psychosomatique
dentiste et de son patron. Son psoriasis et ses douleurs ont considérablement diminué. Je
suis satisfait d’un changement aussi rapide, mais quelque peu inquiet de la tournure que
prennent les événements. Elle est de toute évidence un peu hypomaniaque. À la séance
suivante, elle m’annonce qu’elle vient de quitter son copain et de changer de voiture.
Disparition du rhumatisme psoriasique mais surgissement d’une hyperthyroïdie.
Lors de la création du diplôme universitaire de psychosomatique à la faculté, il y a sept
ans, encouragé par un de mes anciens maîtres des plus éminents, je faisais part à celui-ci
des résultats thérapeutiques que permettait d’obtenir chez certains sujets ladite approche
psychosomatique. Et je citais le cas du lupus de Christine (p. 195, p. 534) pour lequel
j’avais obtenu une guérison totale dix ans auparavant. Ce grand patron, que j’ai toujours
particulièrement estimé, fronça les sourcils : « Pongy, ce n’est pas sérieux, vous savez très
bien que le lupus est inguérissable. » Je comprenais sa position et, commençant à douter,
contactai la patiente en question. Elle me confirma la disparition de toute manifestation
de lupus, clinique et biologique, alors qu’elle avait été littéralement condamnée par tous
les médecins dix ans auparavant. Lors du séminaire consacré aux maladies auto-immunes,
je présentai avec son accord un nouveau témoignage vidéo de la patiente, dix-sept ans
après la disparition de son lupus. Elle n’avait toujours aucun signe clinique témoignant
de la persistance de l’affection et les examens biologiques attestant de la présence et de
l’évolutivité de la maladie étaient devenus strictement normaux.
tion, comme facteur important de prévention et de traitement. Elle est parfois l’objet
d’extrapolations et de dérives.
Les traumatismes chirurgicaux
Ils ne sont plus guère évoqués à l’heure actuelle mais ont été mis en exergue dans la
première moitié du siècle dernier.
La suppression de l’agent cancérigène
Cette cause est toujours de mise et certainement plus que jamais du fait du développe-
ment massif de la médecine préventive. Elle doit être relativisée, quand on connaît l’exis-
tence de cancers déclenchés notamment dans les suites de l’arrêt de certaines addictions.
La nécrobiose
Certains cancers (sein, utérus) évoluent vers une nécrobiose. Initialement, seule la
nécrose ischémique était évoquée. Actuellement, d’autres mécanismes sont envisagés :
rôle des cytokines, cause hormonale, apoptose.
Hypothèses génétiques
Relativement occultés avant les années 60, les facteurs génétiques sont de plus en plus
avancés. À partir d’une étude réalisée en 2009, Olivier Delattre propose une hypothèse
particulière : les cancers dans lesquels les chromosomes ne présentent pas de cassure,
régressent. Ces régressions se voient notamment dans le neuroblastome de l’enfant.
3-3. Conclusion
Je n’ai évoqué qu’un nombre restreint de pathologies, essentiellement celles pour
lesquelles j’ai effectué des études approfondies.
La littérature signale de nombreux cas de rémissions ou de guérisons inattendues. Les
causes invoquées sont disparates, mais il est souvent fait référence à des axes thérapeu-
tiques dans lesquels le fonctionnement psychique constitue le médiateur central.
L’effet placebo a été repéré dans de nombreuses pathologies telles que : angine de
poitrine, polyarthrite rhumatoïde, verrues, asthme, ulcère, sclérose en plaques, diabète,
allergies, migraines, troubles psychiatriques. L’hypnose a permis de guérir des brûlures,
certains cas d’asthme, les verrues, la déperdition sanguine dans les suites d’interventions
chirurgicales. Les pratiques spirituelles améliorent la cicatrisation.
Mais on ne saurait conseiller un axe, voire un panel thérapeutique applicables à tous
les patients. La voie thérapeutique, qu’elle soit choisie par le sujet ou proposée par le
762
Événements trophiques et guérisons spontanées
praticien, a d’autant plus de chance de s’avérer trophique qu’elle est en congruence avec
le sujet, son inconscient, son histoire, son système instinctivo-pulsionnel, son système
défensif, ses ressources cachées. Sans la connaissance de ces éléments fondamentaux,
l’aventure est beaucoup plus risquée.
Comme nous l’avons vu, les événements trophiques peuvent mettre un terme à
certaines pathologies. Certains n’ont de trophique que le nom puisqu’il s’agit d’évé-
nements douloureux. D’autres ne font que créer du déplacement ou des alternances
morbides. Enfin, la disparition d’une pathologie ne doit pas induire une satisfaction
inconditionnelle chez le thérapeute. Celui-ci doit rester plus que vigilant, car les surprises
fâcheuses ne sont pas rares : de nombreuses pathologies régressives constituent des
garde-fous contre des désorganisations qui peuvent être beaucoup plus graves d’un point
de vue somatique.
4-3. La maternité
Nous avons présenté au chapitre 12 les effets de la maternité sur l’équilibre
psychosomatique. Ils sont très fréquents et éminemment variables d’une patiente et
d’une situation à l’autre. La maternité, à quelque stade que l’on se situe de son déroule-
ment, peut être traumatique, inductrice de nombreuses pathologies. Elle peut être aussi
trophique et faire régresser, transitoirement ou de manière définitive, un grand nombre
d’affections.
4-4. La sublimation
Les différentes formes de sublimation
Je propose de distinguer trois types de sublimations : les sublimations mentales, les
sublimations artistiques, les comportements sublimatoires.
Les sublimations mentales sont des sublimations préconçues (Pongy, Babeau, La subli-
mation). À l’image de la maternité, un temps conséquent de conception les caractérise,
car il n’est pas d’accouchement sans conception. Ce temps de conception mobilise le
système préconscient. C’est celui de la mentalisation. Ce sont les productions intellec-
tuelles, littéraires, poétiques, scientifiques, philosophiques, théologiques, etc. Le proces-
sus de mentalisation qui les sous-tend régule l’économie psychosomatique.
Les sublimations artistiques sont de nature variée. Certaines nécessitent une élabora-
tion psychique minimale, un temps de conception minimal, présent chez la plupart des
grands créateurs. Chez d’autres, la création échappe à l’activité préconsciente et se limite à
764
Événements trophiques et guérisons spontanées
une activité de décharge. La création y est plus d’essence instinctuelle que pulsionnelle. Ce
sont alors des sublimations brutes, issues d’un jaillissement instinctuel dans lequel aucun
processus secondaire n’entre en jeu. Bien qu’elle se substitue à la mentalisation, cette
activité de décharge peut avoir des effets trophiques d’un point de vue psychosomatique.
D’un point de vue strictement théorique, les comportements sublimatoires n’entrent
pas dans le cadre de la sublimation, mais celle-ci en constitue toutefois un mécanisme
plus ou moins central. Ce sont certaines sublimations professionnelles, certaines activi-
tés sociales, politiques, religieuses, ainsi que certaines activités de loisir. Leur effet est
trophique tant qu’aucun obstacle ne vient interrompre leur cours.
Effets de la sublimation
Effets dynamiques
D’un point de vue dynamique, la sublimation joue un rôle nutritif, apaisant et régula-
teur de l’énergie psychique. Quel que soit le type de sublimation, quelque chose émane
du plus profond du sujet. La création musicale, notamment, permet de traduire ce que la
parole ne peut exprimer.
Dans la biographie des grands créateurs, on repère souvent une alternance entre
périodes d’efficience sublimatoire et périodes d’appauvrissement, le plus souvent infil-
trées de symptômes mentaux pathologiques. Ceci confirme l’interdépendance entre
créativité et régulation psychique.
Effets psychosomatiques
Les sublimations ont un effet trophique indéniable sur l’ensemble de la fonction
psychosomatique.
Les productions sublimatoires mentales, préconçues, attestent d’une mentalisation
particulièrement élaborée, mentalisation dans laquelle elles puisent leur source et qu’en
retour elles entretiennent. Elles se nourrissent des représentations préconscientes, les
enrichissent, et régulent la conflictualité.
Les productions artistiques brutes attestent, quant à elles, de la vitalité du ça, ou en
tout cas, chez de nombreux sujets, d’une certaine agénésie des instances répressives,
comme en témoignent les conduites égotiques chez certains artistes ou présumés tels.
Les comportements sublimatoires témoignent, quant à eux, d’un investissement
majeur en accord avec le moi profond.
Quentin souffre depuis deux ans de lombalgie et d’apnées du sommeil. L’investi-
gation révèle une réaction dépressive de défaite partiellement mentalisée sur le mode
mélancolique. Il se reproche ses erreurs du passé, ses manquements vis-à-vis de ses
proches. Son travail de commercial est une erreur de choix, une option faute de mieux.
Tout au long de ses déplacements, il lui arrive d’être en proie à des accès de tristesse, de
nostalgie, si ce n’est de pleurs, au hasard d’une chanson passant à la radio, ou à la vue du
clocher d’un village. Depuis deux mois, quelque chose au plus profond de lui-même l’a
amené à faire des photos : photos de villages, de vieilles publicités, d’objets anciens, de
ruines en rase campagne. Peu à peu, son humeur s’est améliorée, ses lombalgies ont cédé,
et il peut dormir maintenant sans son masque à oxygène.
765
Traité de médecine psychosomatique
des solutions faisant appel à des thérapeutiques axées sur le changement strictement
conscient, cognitif ou comportemental, ont été proposées.
Kelly A. Turner a effectué une enquête dans plusieurs pays du monde auprès de patients
ayant connu une rémission spontanée de leur cancer. Elle a pu ainsi repérer des axes
thérapeutiques récurrents qu’elle a présentés dans un ouvrage, Radical Remission, sous
forme d’étapes successives censées conduire à la guérison : motivation et détermination
farouche à guérir, utilisation d’émotions « positives » de manière créative et constructive,
remplacement des représentations délétères par des croyances revigorantes, focalisation
sur l’objectif de guérison en dehors de tout parasitage externe ou interne, immersion
dans la représentation du changement, décision s’accompagnant d’une mobilisation des
affects, de l’imagination, de la croyance. À première vue, il n’y a plus qu’à appliquer scrupu-
leusement le mode d’emploi et la partie est potentiellement gagnée. Sauf que toutes ces
étapes, dont on ne saurait nier le bien-fondé puisqu’elles ont fait leurs preuves, comme
en témoignent de nombreux patients guéris, se heurtent au système défensif inconscient
du sujet et à tout ce qui le constitue. Ainsi, toutes ces propositions ne peuvent être suivies
d’effet que si elles sont en congruence avec le fonctionnement profond du sujet et ses
potentielles ressources, faute de quoi il ne s’agirait que d’une forme de coaching dont on
ne peut anticiper les effets, tant ils sont en inadéquation avec ce qui constitue le sujet.
L’expression des émotions joue un rôle trophique indéniable dans la résolution
de nombreuses pathologies. Nous nous sommes attardés sur les effets trophiques et
profonds de l’émotion joie, mais n’oublions pas que l’expression des émotions délétères a
aussi un effet trophique. De fait, la notion d’émotion « positive » perd une partie de son
sens. La joie qui guérit est peut-être celle qui, comme la tristesse, fait pleurer. J’émets les
plus grands doutes quant à l’efficacité de la pensée dite « positive » telle qu’elle est ensei-
gnée par les spécialistes du « développement personnel ».
Les croyances ou la spiritualité peuvent induire une régression parfois spectaculaire de
la pathologie.
La représentation du changement souhaité a, quant à elle, des effets indéniables,
comme en attestent les expériences hypnotiques.
Par contre, il semblerait que tout ce qui est de l’ordre des processus secondaires
(motivation, décision, logique) n’ait pas l’effet magique escompté, tout simplement parce
que tous ces processus conscients ne résistent pas à la force de l’inconscient psychique
et biologique. Tout le monde souhaite en apparence guérir, mais qu’en est-il du détermi-
nisme et de l’impact de ces phénomènes profonds, souvent inaccessibles, et parfois en
contradiction avec le désir conscient ?
Dans son enquête, C. Hirshberg repère chez tous les sujets guéris une force de carac-
tère et une appréhension de la maladie selon leur propre personnalité, c’est-à-dire une
congruence entre le vécu intérieur, les émotions, les représentations, les comportements,
une réactivité en accord avec le moi profond, et ceci quel que soit le type de personnalité.
C’est ainsi que chaque système de guérison est personnel, adapté à tel sujet, inadapté à
tel autre.
On ne change pas les structures et les complexes inconscients, mais on peut favori-
ser certains d’entre eux au détriment des autres. On peut moduler les expressions de
768
Événements trophiques et guérisons spontanées
l’inconscient, car celles-ci ne sont pas univoques et peuvent revêtir des aspects variés et
parfois contradictoires. J’ai expérimenté plusieurs fois ceci au niveau du fantasme et du
rêve. La préséance d’un fantasme délétère particulièrement tenace, invasif et pathogène,
n’exclut en rien l’existence d’un fantasme trophique tapi dans les sous-bois adjacents à la
route centrale. L’immersion dans ce fantasme trophique atténuera l’impact du fantasme
délétère.
L’inventaire qui suit, recensé à partir de l’enquête de C. Hirshberg, fait état des diffé-
rentes voies qui ont amené les sujets sur le chemin de la guérison. Certaines sont en
relation avec des événements, d’autres avec des remaniements psychiques, d’autres
avec des démarches thérapeutiques diverses. Je les ai classées selon une perspective
psychosomatique.
Remaniement économique
––Rementalisation, méditation, foi, prière, contemplation.
––Levée de la répression émotionnelle.
Réactivité psychique
––Détermination à guérir, acceptation du diagnostic mais refus du pronostic.
––Refus de certaines thérapeutiques perçues intuitivement comme délétères ou
traumatiques.
––Investissement de voies thérapeutiques en congruence avec la réalité psychique du
sujet.
––Régression : retour à un mode intuitif, à des représentations et des affects infantiles.
––Sublimation.
Affectivité et relations
––Amour, lien affectif solide, soutien familial, social, religieux.
––Transfert thérapeutique positif.
Comportement
––Changement de mode de vie (lieu, profession, relation) en accord avec les désirs, les
besoins, les rêves.
––Investissements et créativité en accord avec les valeurs et les aspirations du sujet.
Voie somatique
––Action sur la sensorimotricité : induction de nouvelles sensations, exercice du corps,
techniques à médiation corporelle, musique.
––Changement de mode d’alimentation.
––Chocs somatiques contingents : accès de fièvre, infection, etc.
Nous ne nous étendrons pas sur les remaniements psychiques contemporains de la
guérison. De nombreux sujets ont décrit des phénomènes aussi curieux qu’inattendus au
moment même où celle-ci se produisait : chaleur intérieure, état modifié de conscience,
dissociation de la conscience, perception lumineuse.
Quant aux remaniements consécutifs à la guérison, ils sont beaucoup mieux connus.
Tout un chacun a connu le bien-être, si ce n’est le sentiment de renaissance et le regain
d’énergie consécutif à la disparition d’une maladie. Mais, de manière plus profonde, la
trace de la maladie ne disparaît pas au sein du psychisme : si, chez certains sujets, elle a pu
769
Traité de médecine psychosomatique
laisser une trace psychotraumatique, chez d’autres, elle a permis d’accéder à une nouvelle
manière de vivre.
souffrir le corps (en hébreu, les mots nœud et mensonge sont phonétiquement semblables
et le verbe dénouer signifie aussi « permettre »).
Les effets thérapeutiques de la parole se retrouvent à chaque page du Nouveau Testa-
ment. Plus tard, que ce soit au travers de la prédication, des prières, de la confession chez
les catholiques ou de la cure d’âme chez les protestants, la parole guérit.
La rementalisation
Les interventions destinées à favoriser l’élaboration psychique ne datent pas
d’aujourd’hui. Ce sont des techniques élaborées d’entraînement mental (yoga, zen), ou
bien des thérapies d’inspiration philosophique (monde gréco-romain). Les prêtres d’Épi-
daure obtenaient des guérisons par des prescriptions d’ordre philosophique à la recherche
du beau, du bon, du bien, l’étude des sciences et des arts, la pratique des sports.
L’interprétation des rêves
La guérison par incubation, initialement pratiquée dans une grotte, devient courante
chez les Grecs à partir du vie siècle av. J.-C. Elle a lieu dans la chambre souterraine d’un
asclépeium (temple d’Asclépios) jusqu’à ce qu’une production onirique se produise. Le
rêve génère la guérison même en l’absence d’interprétation.
La levée de la répression
Certains procédés primitifs font appel à l’assouvissement des frustrations. Les Hurons
distinguaient trois causes de maladie : les causes naturelles, la sorcellerie et les désirs
insatisfaits. Parmi ceux-ci, certains étaient inconscients et seulement révélés par les rêves.
L’abandon de la maîtrise
Le zen propose une ascèse du dépouillement. Ne pas chercher à devenir quelqu’un
d’autre, être à sa place, être là. Retour et limitation à l’instant présent, abandon à la vie
sans aucune quête, sans comparaison, renoncement à la maîtrise de l’immaîtrisable.
La suggestion
Bien qu’elle puisse utiliser des artifices ou des supports (drogues, supercherie, presti-
digitation, état hypnoïde), la suggestion est en fait liée au pouvoir réel ou supposé
du guérisseur. La divination joue aussi un rôle important (augures des Sumériens, des
Romains, des Indiens Quechuas).
Le chamanisme agit comme médium entre le monde visible et invisible. Il établit le
contact avec les esprits des autres êtres vivants ou des entités supérieures par le biais de la
transe. Il s’inscrit dans une conception holiste et animiste du monde. L’état induit est un
état modifié de conscience, dans lequel de nouvelles perceptions font irruption, proche
de celui de l’hystérie ou de l’hallucination. L’induction utilise des drogues mais peut aussi
être provoquée spontanément chez les sujets entraînés.
En 1785, un des disciples de Messmer, Puisegur, repère chez ses patients un état de
conscience modifié qu’il qualifie de « sommeil magnétique » et avance que ce n’est pas le
magnétisme qui guérit mais la volonté du magnétiseur. Braid lui donnera le nom d’hypno-
tisme. En1882, Bernheim, professeur de médecine interne, adoptera la technique d’hyp-
nose de Liébault (1823-1904) et la généralisera, avant d’abandonner progressivement la
technique et de désigner sa nouvelle manière d’opérer par le terme psychothérapie.
772
Événements trophiques et guérisons spontanées
La suggestion peut aussi être liée à l’aura qui entoure une technique thérapeutique,
le plus souvent nouvelle et inusitée, objet d’engouement populaire ou médiatique, mais
dont la durée de vie est toujours limitée.
Quoi qu’il en soit, la croyance en l’efficacité d’une thérapeutique et au pouvoir d’un
praticien favorise grandement l’effet thérapeutique.
La relation
La relation avec le thérapeute constitue de fait un des fondements de la thérapeu-
tique, mais elle déborde le cadre de la suggestion. Le transfert primaire puis secondaire
en constitue les fondements princeps, au sein desquels se réactualisent des expériences
antérieures et des relations d’objet souvent très archaïques. C’est ainsi que, derrière le
praticien, se profilent les premiers objets, investis, non investis ou désinvestis, objets le
plus souvent vitaux pour l’homéostasie du petit enfant.
L’enquête de C. Hirsberg témoigne de nombreux cas de guérisons ou de rémissions
induits par une relation trophique et contenante avec un proche, par l’amour d’un
conjoint, d’un parent, dont le dévouement, les paroles, les actes et les soins prennent une
dimension vitale.
Dans la relation avec le thérapeute, le médecin, le guérisseur, le soignant, se rejoue, a
minima, par le biais du transfert, une relation similaire, ce qui explique des évolutions de
pathologies souvent imprévisibles, dans un sens comme dans l’autre, quelle que soit la
thérapeutique utilisée.
Il ressort de tous ces exemples que les soins traditionnels ne se limitent pas à une
action directe et univoque sur le corps. Ils font appel à une médiation de nature variable :
le cadre, la parole, l’anamnèse, le toucher, la sensorialité, le cérémonial, les rituels, la
modification de l’état de conscience, la suggestion, la croyance, l’induction de représen-
tations, d’émotions et de sentiments, la prescription d’actes de réparation.
Les guérisons et les rémissions spontanées ont probablement quelque chose à voir
avec les remaniements psychosomatiques qui en découlent.
L’ensemble des soins traditionnels fait donc appel à tous les vecteurs de la fonction
psychosomatique, contrairement à la médecine actuelle focalisée sur la seule voie
somatique, isolée de tous les autres vecteurs.
6. CROIRE
6-1. Les croyances
Credere : « croire », « avoir confiance ». Tenir pour vrai, admettre comme une certitude.
Tenir pour probable. Croire en quelque chose : la culpabilité d’un suspect, une idéologie,
un guérisseur, une voyante, le destin, l’efficacité d’un médicament, la parole d’un autre,
soi-même, une force cosmique, Dieu, etc. La croyance se situe entre la conviction et une
parcelle de doute. Croire n’est pas savoir.
Dans le domaine de la maladie, les croyances jouent un rôle crucial. Il ne peut exister
de souffrance physique ou morale sans que l’être humain n’en recherche la cause, fût-elle
folle. Les représentations populaires ainsi que l’analyse de nos patients en témoignent.
773
Traité de médecine psychosomatique
774
Événements trophiques et guérisons spontanées
On retrouve cette dimension affective dans l’acception profane du terme : foi en l’être
aimé. La foi en un procédé thérapeutique, quel qu’il soit, augmente les chances de guéri-
son. L’effet placebo et la suggestion ne reposent sur rien d’autre.
Une étude américaine, réalisée en 2001, a démontré que le fait de croire en une divinité,
de prier, de pratiquer une religion, augmente la résistance à certaines maladies : maladies
mentales, addictions, hypertension, désordres immunitaires.
Une autre étude avance que 70% des sujets ayant eu une rémission spontanée attri-
buent leur guérison à la foi religieuse. Par ailleurs, croire en un Dieu d’amour protégerait
plus la santé que croire en un Dieu punitif ou attribuer sa maladie au diable.
La spiritualité
La spiritualité est une expression parfaite et accomplie du processus de mentalisation.
Selon le modèle chimique, l’esprit constitue la partie volatile, aérienne, du processus de
sublimation, par opposition au sublimé, résidu solide, fécal.
Surmentalisation qui s’oppose à la somatisation, la spiritualité et ses différentes expres-
sions – méditation, extase religieuse, voire expérience visionnaire – augmentent l’activité
du lobe temporal, du système limbique (émotions, sentiments, mémoire) et diminuent
l’activité du lobe pariétal (impliqué dans l’orientation dans l’espace et l’évaluation des
distances).
La projection de l’idéal
L’idéal du moi tyrannique se déleste d’une part de sa charge délétère en la projetant
ou en la restituant à la divinité. La toute puissance que détient celle-ci allège le fantasme
de maîtrise, l’activité de contrôle et donc la culpabilité de défaillance. Les pathologies de
l’acharnement et de la défaite s’en trouvent allégées.
La prière
La prière est une parole secrète adressée à l’Autre, à l’abri du regard des autres, à
l’abri des perceptions extérieures, favorisant le recentrage au plus près de la vérité du
sujet, reliant le présent, le passé, l’avenir, excluant autant que se peut les préoccupations
factuelles, attestant d’un renoncement à maîtriser et à combattre, instaurant une pause
et faisant appel à l’espérance. Focalisation de l’attention, ressenti et expression émotion-
nelle, apaisement psychique, représentation de la divinité, imagination du changement,
parole, renoncement à la maîtrise, abdication, la prière comporte en elle tout ce qui peut
être trophique d’un point de vue psychosomatique.
Le rituel
Le rituel précède, accompagne ou suit le temps de parole. C’est un acte chargé de sens,
un signe. Il occupe une place plus ou moins importante selon la religion.
Dans les médecines traditionnelles, certains traitements passent par la prescription
d’un rituel (civilisation sumérienne, Palestine, Grèce avant le vie siècle, Amérique préco-
lombienne), le dépôt d’une offrande, d’un ex-voto des parties du corps (Rome), un sacri-
fice (Palestine, Gaule romaine) ou une incantation (civilisation sumérienne).
Le rituel religieux joue un rôle central auprès des sujets malades. Jésus accompagne sa
parole auprès du malade de l’imposition des mains (Marc, 16-18). Dès le Moyen Âge, il
est attribué aux rois de France et d’Angleterre le pouvoir de guérir certaines maladies en
imposant les mains.
775
Traité de médecine psychosomatique
Le sacré
La dimension sacrée assigne à des lieux, des objets, des actes, des paroles, un caractère
respectable, vénérable et inviolable. Il en est ainsi du sacrement et de la consécration.
Le sacré réifie la transcendance et transcende le réel. Médiation entre l’homme et la
divinité, il constitue un repère apaisant pour le sujet.
Le lieu
L’apparition des premiers royaumes et empires en Asie, aux alentours de 4 000 av. J.-C.,
permet aux religions de se développer et de s’organiser. Des lieux spécifiques lui sont
consacrés. Ainsi se développe progressivement une scission entre les guérisseurs profanes
s’occupant plutôt des maladies du corps, ancêtres des médecins, et une médecine sacer-
dotale pratiquée dans les temples, plus orientée vers les désordres psychiques. Les uns
pouvant faire appel aux autres. Chez les Gaulois, les druides sont à la fois prêtres et
médecins. Toute religion a ses sanctuaires, ses lieux saints, ses lieux de recueillement ou
de prière, de sacrement.
Le groupe humain
Le regroupement des fidèles constitue une force : force de la prière commune, force de
la reconnaissance de l’autre, force de l’entraide et du soutien, force du combat.
Le groupe religieux a une fonction à la fois de pare-excitation et de référence. La prière
du groupe est citée plusieurs fois dans des cas de rémission spontanée. De nombreux
rituels de guérison, dans les sociétés primitives, font appel à la cohésion du groupe qui se
manifeste, lors de la cérémonie, par un dialogue avec les dieux, une prière, une incanta-
tion, des chants.
L’amour et la paix
Agapè consiste à aimer l’autre du simple fait qu’il existe. Agapè met un terme au
combat car il ne connaît nul ennemi et donc nulle défaite. L’épuisement défensif dans
la maîtrise, la prédation, la consomption, cesse. Le corps est moins en tension. Les vécus
traumatiques prennent un autre sens et leur impact pathogène en est atténué. Les effets
somatopsychiques sont moins délétères : les sujets habités par Agapè font preuve d’une
sérénité surprenante face à la maladie.
Les manifestations sensitives et sensorielles de la joie, déjà présentes mais inconstantes
chez Philia, se muent en un état pérenne de sérénité indépendant des faits : expansion,
élévation, sourire, larmes de joie. Il n’est pas étonnant que, chez certains sujets, les percep-
tions puissent parfois s’en trouver modifiées. La lumière solaire de l’émotion joie est
peut-être celle qui est figurée dans les représentations picturales au travers de l’auréole
au-dessus du visage des divinités et des saints.
Le légalisme
Le modèle religieux crée tôt ou tard des principes, des références, puis des règles et, à
terme, des lois. Toute civilisation durable n’a pu échapper à l’empreinte du religieux sur
sa structure. La perte du religieux a toujours annoncé la fin d’une civilisation sur lequel
elle s’est construite.
Le type et l’évolutivité d’une religion conditionnent la préséance variable du légalisme
au sein d’elle-même et de la structure sociale qu’elle imprègne et constitue. C’est ainsi que
l’on peut opposer des religions dans lesquelles le légalisme constitue le fondement princi-
776
Événements trophiques et guérisons spontanées
pal et d’autres au sein desquelles celui-ci n’est qu’une expression accessoire et secondaire
du fait religieux. De manière générale, plus il y a de légalisme, moins il y a de spiritualité.
Par ailleurs, d’un point de vue évolutif, les religions ne sont pas figées dans l’une ou l’autre
des positions. Le légalisme s’impose lors de leur maturité pour décroître avec le temps.
D’un point de vue du sujet, le légalisme constitue une instance répressive externe,
permettant de fait à celui-là de faire l’économie relative de ses instances répres-
sives internes, à savoir le surmoi et l’idéal du moi. Ainsi, dans tout légalisme religieux,
et à plus forte raison dans tout intégrisme combatif, la faute est rachetable, ce qui lui
permet, de fait, de se perpétuer. La projection de la culpabilité va bon train. L’économie
psychosomatique en est rassérénée.
La maladie et le monothéisme
Dans les monothéismes, le péché originel aurait précipité l’homme dans la souffrance
et la maladie (Genèse). Au péché originel, viennent se surajouter d’innombrables fautes
factuelles commises par les hommes. Autant d’explications de nombreuses maladies.
Pourtant, la Bible nous dit que Job lui-même, serviteur modèle de Dieu, reconnu
par l’ensemble des monothéismes, ne s’est rendu coupable d’aucune faute alors que le
malheur le frappe sans relâche. C’est que la maladie constitue aussi une manière d’expier
les péchés et se révèle ainsi potentiellement salvatrice. Le calvaire de Job lui permet de se
rapprocher de Dieu, en s’en remettant à lui.
Ainsi se dessine une tendance à voir en la souffrance l’accès privilégié au salut. Il est
difficile de distinguer à première vue ce qui là-dedans est de l’ordre de la culpabilité
pathologique, voire du masochisme, d’une conception qui est loin d’être dénuée de sens.
Jésus pose un regard nouveau sur la maladie : la compassion. Il guérit et sauve ceux qui
se présentent à lui sans tenir compte des fautes supposées. Salus désigne initialement la
bonne santé. Il exorcise les possédés et ressuscite les morts. Il relie lui-même ses miracles
à la foi de son interlocuteur. La mission confiée à ses compagnons est claire : « Guérissez
les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. » (Matthieu,
10-8)
La lutte contre la maladie deviendra ainsi un des piliers du christianisme. L’onction,
prémices du sacrement donné aux malades dans les églises catholiques, romaines et
orthodoxes, est pratiquée dès le iie siècle, indissociable de la foi, de la confession.
L’islam considère la maladie comme une épreuve envoyée par Dieu pour reconnaître
les siens, sans pour autant la considérer comme une voie de rédemption.
Le protestantisme se démarquera totalement de la représentation rédemptrice de la
maladie : seule la Grâce de Dieu procure le salut.
Les trois religions monothéistes sont d’accord sur un point : seule la foi peut sauver
l’homme, par delà les pratiques utilisées pour soigner ses maux.
Les guérisons inexpliquées liées à la foi ou à la religion n’excluent en rien des processus
psychosomatiques trophiques. Or, l’antinomie entre ces deux aspects est quasi consen-
suelle. Le débat insoluble persiste : ou bien la foi guérit parce qu’elle induit des processus
psychosomatiques trophiques, ou bien le phénomène est étranger à ces derniers.
Qu’est-ce qui, en dehors du déclenchement d’un processus psychosomatique induit
par la foi, peut générer la guérison ? L’Église reconnaît les guérisons liées à des processus
777
Traité de médecine psychosomatique
7. THÉRAPEUTIQUES
Peut-on et comment favoriser la disposition du sujet aux événements trophiques ?
Marie-Annick, 57 ans, m’avait consulté il y a un an et demi pour un état d’épuise-
ment, avec manifestations dépressives, angoisse, hernie discale traitée par morphine et
corticothérapie.
Son mari, atteint d’un cancer du poumon depuis de nombreuses années, avait été
hospitalisé trois mois auparavant pendant une semaine pour un problème cardiaque.
Elle était au bout du rouleau, avait l’impression que le monde s’écroulait, se sentait
asphyxiée, abandonnée, démunie. Elle ressentait une tension agressive qu’attestait la
présence d’une oppression thoracique, de cervicalgies et d’un trismus. Elle était en arrêt
de travail depuis un mois.
Marie-Annick a consacré sa vie à soigner ses proches. Elle arrête ses études à 21 ans
pour s’occuper de sa grand-mère, puis de son père, tous deux malades. À 23 ans, débute
la relation avec Jacques, son futur mari, beaucoup plus âgé qu’elle. Elle a 34 ans lorsque
son père décède. Elle prend alors en charge sa mère, elle aussi malade depuis quatre
ans, et l’installe chez elle. Lorsqu’elle a 39 ans, le couple décide de se marier. Trois jours
avant la noce, un examen médical révèle que Jacques est atteint d’un cancer du poumon,
dont le pronostic de survie est, selon le médecin, de six mois. Celui-ci sera très surpris de
revoir Jacques un an après, toujours en vie. Mais deux ans après, un examen révélera la
présence d’une métastase cérébrale. Celle-ci régressera en l’espace de huit mois. En fait,
Jacques vivra vingt-et-un ans de plus, au prix de simples séquelles respiratoires et d’une
très discrète ataxie locomotrice. Jacques ne s’est jamais plaint de son état, il refusait de
parler de son cancer, et n’utilisait jamais le mot. Il était convaincu qu’il survivrait à ce qu’il
désignait sous le terme « mon mal ».
Lorsque Marie-Annick a 49 ans, un conflit éclate avec son frère aîné qui refuse de
s’occuper de la mère devenue grabataire, la fait hospitaliser et accuse dans la foulée
778
Événements trophiques et guérisons spontanées
À la deuxième séance, elle m’annonce qu’elle s’est mise à écrire. Cela s’est fait de manière
naturelle, dans les suites des lettres de remerciements qu’elle a adressées aux personnes
lui ayant fait part de leur sympathie. Elle écrit sur Jacques et sur leur relation, et retrouve
à chaque fois celui qui n’est plus là mais qui, de toute évidence, renaît sous sa plume et au
plus profond d’elle-même. Elle le découvre à nouveau, elle comprend mieux qui il était,
dans leur relation et indépendamment de celle-ci. Cette activité l’apaise.
Cette observation constitue tout d’abord un témoignage concernant l’évolutivité de
la maladie de Jacques. Son cancer a été diagnostiqué à l’âge de 57 ans, trois jours avant
son mariage. On ignore ce qu’il lui a été dit précisément quant à l’évolutivité, son épouse
paraissant en tout cas informée du pronostic particulièrement redoutable. Toujours
est-il que le médecin spécialiste a été surpris de le revoir en vie au bout d’un an. Quoi
qu’il en soit, Jacques a dénié tout pronostic catastrophique, toute condamnation à mort.
La métastase apparue trois ans après le diagnostic disparaîtra en l’espace de huit mois.
Jacques vivra vingt-et-un ans de plus, au lieu des six mois prévus par la médecine. Son
système défensif lui dictera le mot à employer en lieu et place de celui de cancer : « mon
mal ». Un mal ne fait pas obligatoirement mourir. Un mal élude le diagnostic et échappe
au pronostic. Le deuxième facteur trophique est la relation d’amour entre lui et Marie-
Annick. Elle est de type Philia, nutritive, source de sérénité, de joie et de soutien mutuel.
L’observation illustre ensuite l’induction potentielle de changements trophiques chez
Marie-Annick, par le biais de la psychothérapie. En ce qui concerne son frère, Marie-
Annick n’a retenu que la notion de « responsabilité partagée », terme dont je ne pense
pas être l’auteur, mais que je me suis bien gardé de rectifier, tant elle se l’était approprié.
Marie- Annick ne pouvait concevoir les tourments de la vie sans désigner un responsable.
Elle était bien sûr, du fait de son histoire et de son fonctionnement, la coupable désignée.
Mais lorsque ses velléités de maîtrise et de réparation n’aboutissaient pas, il pouvait lui
arriver, faute de mieux, de projeter sa culpabilité sur l’autre. C’est ce qui s’était passé avec
son frère. Celui-ci s’était effectivement débarrassé de leur mère mais n’avait jamais en fait
accusé Marie-Annick de voler de l’argent. Cette idée était une défense de type projectif.
Après s’être accusée de faillir, elle s’était ainsi accusée indirectement d’être une voleuse
et avait attribué cette allégation à son frère. Frère aîné désigné comme vrai responsable
de ses malheurs, d’autant qu’il fut l’objet de tous les égards dans son enfance, alors que
la petite Marie-Annick, qui aurait dû être un garçon et qui naquit en pleine tourmente
conjugale, était la pièce de trop.
Ainsi nos paroles, étayées autant que se peut sur une connaissance aiguisée du sujet,
ne sont enregistrées que partiellement. Elles font l’objet d’un tri sélectif défensif et n’en
perdent pas pour autant leur caractère trophique, bien au contraire, car elles sont
l’objet d’un réaménagement personnel signifiant pour le sujet, au plus près de sa réalité
psychique. C’est ainsi que Marie-Annick, dépositaire d’une forme de verdict, fit la paix
avec son frère.
Quant à l’investissement dans une activité sublimatoire, il fait partie de mes fréquentes,
pour ne pas dire systématiques suggestions, à telle enseigne que je n’en ai en règle générale
aucun souvenir. Marie-Annick prit probablement en compte une suggestion de ce type, si
780
Événements trophiques et guérisons spontanées
tant est qu’elle eût été formulée, ou bien, au travers des représentations induites lors des
séances, elle fut peut-être spontanément amenée à découvrir la peinture. Toujours est-il
que l’effet fut rapidement salvateur. Elle n’avait jamais peint mais se souvint que les seuls
moments de sa petite enfance où elle retrouvait un sentiment minimal de paix et une
restauration identitaire étaient lorsqu’elle faisait des coloriages.
On ne saurait donner des recettes psychothérapiques pour favoriser la survenue d’évé-
nements trophiques. Si tel était le cas, nous rentrerions rapidement dans un fonctionne-
ment mégalomaniaque. Mais nous pouvons favoriser chez le sujet une certaine disposition
à recevoir, voire à favoriser la survenue de ces événements. De quelle manière ? S’il devait
y avoir une seule réponse, ce serait de connaître le sujet, son fonctionnement inconscient
et son histoire, et, à partir de là, de laisser émerger chez lui des représentations d’un
changement possible se nourrissant de la résurgence de potentialités inexploitées, ce qu’il
est convenu d’appeler les « ressources » du sujet.
Une psychothérapie qui ne s’attarderait que sur les aspects déficitaires ou patho-
logiques du patient ne saurait amener à un résultat positif, pire, elle serait susceptible
d’aggraver son état. Répéter une expérience traumatique dans la réalité ou dans le
fantasme, sans la remanier, sans la re-contextualiser, sans la transférer, sans la solution-
ner, laisse perdurer le traumatisme et le renforce. Cela a été malheureusement le cas de
certaines cures qui, s’attardant de manière répétitive et inconsidérée sur le conflit patho-
gène, en le soulignant, en le martelant, sans repérer les compétences du sujet pour s’en
extraire, ont enfermé encore plus solidement ce dernier dans sa problématique, son
impuissance et sa culpabilité.
Lorsque les compétences et les ressources d’un sujet sont évidentes, il ne reste plus
qu’à les mobiliser.
Dans d’autres cas, elles paraissent minimes ou pauvres, tant elles ont été mises en
jachère. « Qu’est-ce que vous aimeriez changer dans votre vie ? » La réponse à cette simple
question apporte souvent un éclairage non seulement sur le désir conscient mais aussi
sur ce qui ne s’est jamais produit et qui pourtant existait potentiellement.
Lorsque les ressources semblent inexistantes, il y a lieu d’aller les débusquer. Il s’agit
pour cela d’explorer la périphérie de la problématique, les mentalisations parallèles, les
zones d’ombre, les secteurs psychiques qui n’ont pas été abordés. Elles peuvent être
actuelles et ponctuelles, antérieures et oubliées, ou tout simplement latentes.
Il m’est arrivé parfois, chez des sujets peu mentalisés, dans un contexte précis et à
un moment choisi de la psychothérapie, d’introduire sous forme de parenthèse une
technique que l’on pourrait qualifier de « suggestion semi-hypnotique ponctuelle ». Il est
proposé au patient de fermer les yeux et de s’immerger quelques minutes dans des repré-
sentations trophiques : représentations du changement souhaité, représentations d’une
situation antérieure connue du sujet et bénéfique pour lui, immersion dans un souvenir
de bien-être, rectification du contenu de certains rêves récurrents.
Par moment, selon les circonstances, le fonctionnement du sujet est différent. « Y a-t-il
des moments où vous êtes bien, ne fût-ce qu’un instant ? Quand ? » Si tel sujet a repéré ne
serait-ce qu’une heure dans la semaine où il n’était pas pris dans ses sentiments négatifs
et où il se sentait à peu près bien, il convient de souligner cela, d’en analyser les détermi-
781
Traité de médecine psychosomatique
783
POSTFACE
Retournons à Mascous, le fameux petit village, cité p. 21. La boulangerie a été vendue
puis rasée il y a quinze ans. À la place, trône le foyer socioculturel du village. Mylène,
l’ancienne boulangère, est devenue aide-soignante et doit être à la retraite dans un an.
Elle envisage de faire du bénévolat auprès des malades. Edmond, le cardiaque miraculé,
est mort à l’âge de 91 ans. Dans les suites du décès de Zoé, son mari cessa de courir le
guilledou mais décéda d’un cancer du rein un an après. Leur fils est médecin depuis peu
et va succéder au docteur Serval qui a pris sa retraite de manière anticipée du fait de son
état dépressif. Lucien continue toujours à appeler les pompiers au moindre rhume. À sa
plus grande joie, ses deux filles ont convolé en justes noces avec des soldats du feu. Anaïs
s’est formée à la psychosomatique et exerce avec satisfaction son métier de psychologue
clinicienne. Quant au Petit Poucet, après sa longue odyssée, il a enfin retrouvé les siens.
J’espère que ce voyage entre corps et psyché aura intéressé autant ceux qui soignent
que ceux qui sont en attente de soins. La psychosomatique n’est pas une panacée mais
elle constitue une avancée indéniable dans le champ de la médecine. Elle ne produit
pas de miracle, mais elle améliore très souvent, et elle peut guérir, y compris de manière
définitive.
Il est souvent facile pour un praticien, consulté en dernier recours, de s’enquérir de
tout ce qui n’a pas été fait, de ce qui a été mal fait, de tout ce qui aurait pu être fait, lors du
parcours médical antérieur, de repérer les errances, si ce n’est de s’enorgueillir d’être celui
par qui la vérité est enfin dévoilée. La position du psychosomaticien n’y échappe pas.
C’est souvent bien longtemps après que l’on découvre des déterminants passés inaperçus,
tout comme celui qui, ayant perdu l’objet investi, réalise après coup ce qu’il aurait dû faire
ou ne pas faire. Ainsi, l’approche psychosomatique doit se prémunir contre une dérive
potentielle, celle de revêtir un aspect quelque peu magique. Ne nous laissons pas entraî-
ner par la séduction qu’elle peut opérer chez certains patients ou soignants.
Cet ouvrage a fait trois impasses que nous avons déjà signalées : celle du rêve, celle de
la vie sexuelle et celle de la psychopathologie. On peut le regretter car les observations y
font souvent référence mais il n’était pas possible de doubler le nombre de pages de ce
volume. De plus, je crois que l’essence même et la spécificité de la psychosomatique en
eût pâti. J’ai donc préféré différer la publication des études concernant ces trois domaines.
De nombreuses maladies peuvent être traitées, souvent avec succès, avec la seule
et unique intervention de la médecine officielle. Nous nous en réjouissons. L’approche
médicale classique est de toute façon incontournable et constitue le premier temps de
toute démarche de soin.
785
Traité de médecine psychosomatique
La majorité des patients qui m’ont permis d’effectuer les études présentées, avaient
eu un parcours médical conséquent auprès de différents praticiens compétents, expéri-
mentés et souvent éclairés. Dans d’autres cas, ce n’est que du fait de la chronicisation,
de l’absence de résultats thérapeutiques, voire d’échecs ou de complications, que les
patients concernés ont été amenés à me consulter.
Ceci étant, il arrive un moment où l’acharnement dans la technicité devient préju-
diciable et qu’une régulation par un praticien suffisamment formé à l’approche
psychosomatique devient nécessaire. Ce rôle incombe le plus souvent au médecin
généraliste, espèce en voie de disparition savamment programmée par les institutions
depuis quelques décennies. Sa tache est des plus difficiles lorsqu’il se refuse à devenir
l’officier de santé que d’aucuns souhaitent, soumis aux oukases des institutions, ou le
rabatteur aux émoluments assurés, ou encore le thérapeute du système de soin au détri-
ment du patient.
Le rôle d’un médecin généraliste formé à la psychosomatique est plus qu’une néces-
sité, et sa formation dans cette optique plus que jamais nécessaire, envers et contre toutes
les institutions perverses qui ont juré sa disparition. Sinon, que lui reste-t-il ? Il a délibéré-
ment abandonné de répondre aux urgences, assurées dans le meilleur des cas par d’autres
médecins, et dans le pire par des cow-boys tout autant adulés qu’incompétents d’un
point de vue médical. Il a renoncé à la technicité tant celle-ci progresse et ne peut être
assurée que par des structures spécialisées. Que lui reste t-il ? Multiplier les actes, sans
conviction, sans plaisir, sans désagrément, avec la satisfaction mitigée d’un contribuable
en place mais anxieux, se limiter à prendre la tension, à peser le patient, à renouveler
l’ordonnance, à faire une lettre au spécialiste ? Accepter d’être l’otage désigné, malgré les
doutes, les interrogations nécessaires, les tourments identitaires, les études effectuées, la
connaissance, le cœur à l’ouvrage, continuer à se soumettre, par peur, par saturation, par
soumission au consensus, aux menaces d’un système dénué de sens, s’excuser d’être un
homme de l’art, un affranchi, un supposé nanti, un prédateur pointé du doigt, un libre
penseur, un libre acteur, et finir parfois dans la dépression, l’alcool, le suicide, et, dans tous
les cas, le renoncement à tout idéal. La machine à broyer le praticien est parfaitement
huilée, en synergie et compagnonnage contractuel avec celle qui broie le sujet patient.
Dévier, prendre la tangente, investir massivement la spécialisation dans telle technique,
telle approche se voulant révolutionnaire ou vertueuse, ayant réponse à tout, et ainsi
devenir le gourou cantonal, départemental, régional. Autant de destinées, autant de
réussites, autant d’échecs, autant de remises en question, autant de refus de remise en
cause. Les dérives de la psychosomatique, ses digests incontrôlés et séducteurs, consti-
tuent aussi un des réservoirs de ces destinées.
Certains moments de la vie viennent remettre de l’ordre dans tout cela. C’est lorsque
le sujet soignant est lui-même confronté dans sa vie, dans son corps, dans sa famille, au
drame médical. Les modèles et les convictions s’érigent et s’affaissent, se révoltent et se
remettent en cause, s’apaisent et se contredisent. Tragique retour des choses. Pour tout
soignant. Du plus obtus au plus éclairé.
En attendant que le désinvestissement total ou la désertification se généralisent dans
le corps médical – ce qui est une réalité en marche –, restituons à celui qui s’est investi
786
Postface
788
BIBLIOGRAPHIE
795
INDEX
A ataxie 623
abréaction inaugurale 148 attachement 270
acceptation de la maladie 665 attraction 276
acouphène 602 audition 593
action hormonale du CRH 111 auto-agression 666
action neurohormonale du CRH 111 auto-agressivité 666
affect 27 auto-anticorps 523
affect réprimé 54 auto-immunité 521, 528
afflux de traumatismes 49 B
Agapè 269 biologie de l’adaptation 109
agression 208 bruit 596
agressivité 659 brûlure d’estomac 469
agressivité et sexualité 192 burn-out 347
algie pelvienne 415
allergie respiratoire 499 C
altération de la fonction sexuelle 104 cancer 758
altération physiologique 193 captation 278
amnésie lacunaire 248 carence affective 680
amour 265, 763 castration imaginaire 135
analité 133 céphalée chronique diffuse 395
anamnèse associative 42 céphalée de tension agressive 389
angoisse 93, 142, 664 céphalée de tension intellectuelle 391
angoisse de castration 135 chronicisation 149
angoisse de destruction 129 cible des émotions 63
angoisse de séparation 134 cible somatique 62, 150
antagonisme émotionnel 84 cicatrice corporelle 172
antériorité traumatique 41 colère 69, 464
anxiété 465 collagénose 536
appareil digestif 461 colopathie spasmodique 483, 485
archéofixation 170 complexe d’Œdipe 137
argent 233 comportement 25
arrêt de travail 351 composante archaïque de l’angoisse 142
asthme 504 conflictualité intrapsychique 193
797
Traité de médecine psychosomatique
803
Remerciements
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Première partie
LES FONDEMENTS
Chapitre 1
L’ARTICULATION DU PSYCHISME ET DU CORPS . . . . . . . . . . . . . 21
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2. L’INSTINCT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2-1. L’excitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2-2. La sensibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2-3. La motricité et les comportements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
2-4. Les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
3. LE PSYCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3-1. Les constituants du psychisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3-2. La dimension topique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3-3. La dimension dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
3-4. La dimension économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Chapitre 2
LA GENÈSE DU DÉSORDRE SOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1. LES FACTEURS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1-1. Les traumatismes existentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
1-2. La valeur traumatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
1-3. L’anamnèse associative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
1-4. L’exploration des secteurs existentiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2. LES RÉACTIONS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2-1. Les réactions psychiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
2-2. Les réactions comportementales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2-3. Les réactions somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3. LE DÉSORDRE ÉCONOMIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
807
Traité de médecine psychosomatique
4. LA RÉPRESSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
4-1. La répression des représentations : « Ne pas penser ! » . . . . . . . . . . . . . . . . 50
4-2. La répression de l’affect : « Ne rien ressentir ! » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
4-3. La répression de l’émotion : « Ne rien laisser paraître! » . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4-4. La répression du comportement : « Ne pas broncher ! » . . . . . . . . . . . . . . . 57
4-5. L’expressivité générale de la répression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4-6. Répression et refoulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
5. LA RÉACTIVITÉ PHYSIOLOGIQUE GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5-1. Le lieu de déliaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5-2. Le désordre physiopathologique infraclinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
5-3. Les déterminants de la cible somatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Chapitre 3
LES CIBLES DES ÉMOTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
2. LA RÉACTION ÉMOTIONNELLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
3. L’INDUCTION PSYCHIQUE DES ÉMOTIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3-1. Représentations conscientes et émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3-2. Représentations préconscientes et désordres de l’humeur . . . . . . . . . . . . . . 66
3-3. Représentations inconscientes : symptômes mentaux et somatiques . . . . . . . 66
4. ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DES ÉMOTIONS DE BASE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4-1. Protocole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
4-2. La colère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
4-3. La peur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
4-4. La tristesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
4-5. Le dégoût . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
4-6. La joie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
4-7. Synthèse générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
4-8. Incidences pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
4-9. La recherche officielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4-10. Les émotions composites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Chapitre 4
LES RÉACTIONS ADAPTATIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
2. LA RÉPRESSION DE L’AGRESSIVITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
2-1. Fonction psychosomatique de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
2-2. Fonction psychosomatique de la répression de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . 91
2-3. Les pathologies de la répression de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3. L’ANGOISSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3-1. Clinique de l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
3-2. Angoisse et émotions de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
808
Table des matières
Chapitre 5
BIOLOGIE DE L’ADAPTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .109
2. LE SYSTÈME D’ALARME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .110
3. LE SYSTÈME DE DÉFENSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .111
3-1. Le système hypothalamo-hypophyso-corticosurrénalien . . . . . . . . . . . . . . 111
3-2. Systèmes annexes : endorphines et hormones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .113
4. LA PHASE D’ÉPUISEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
5. LES MALADIES DU SYNDROME GÉNÉRAL D’ADAPTATION . . . . . . . . . . . . . . .115
5-1. Lutte active et sentiment de contrôle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
5-2. Velléité de lutte avec sentiment de perte de contrôle, d’inefficacité . . . . . . . .115
5-3. Passivité, renoncement, épuisement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
6. L’EXEMPLE DE L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE ESSENTIELLE . . . . . . . . . . . . . . . 116
6-1. Observations personnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .117
6-2. Travail de recherche des stagiaires de l’EMP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .120
6-3. Psychosomatique de l’hypertension artérielle essentielle . . . . . . . . . . . . . . 120
6-4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .121
Chapitre 6
L’HISTOIRE DU SUJET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .123
2. LA CONSTRUCTION DE LA FONCTION PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . .124
3. LA RELATION INTERSUBJECTIVE PRIMITIVE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .126
4. LA PÉRIODE PRIMAIRE ET LE TRAUMA PRÉCOCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .127
5. LA PREMIÈRE ANNÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
5-1. L’oralité et la dépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .129
5-2. L’angoisse de destruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .129
5-3. L’enregistrement des traces mnésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .130
6. LA DEUXIÈME ET LA TROISIÈME ANNÉES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .132
6-1. L’analité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .133
6-2. Le destin des fixations anales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .134
6-3. L’angoisse de séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .134
809
Traité de médecine psychosomatique
Chapitre 7
L’HYSTÉRIE DE CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
2. LES THÉORIES À TRAVERS LES ÂGES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
2-1. Jean-Martin Charcot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
2-2. Études sur l’hystérie. Freud, Breuer, 1895 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .147
2-3. Après Freud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
3. LES SYMPTÔMES DE CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .153
3-1. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .153
3-2. Caractères généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .154
3-3. Clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .154
4. DISCUSSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157
4-1. La prévalence de l’hystérie chez la femme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .157
4-2. Le déterminisme culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .159
4-3. Symptôme de conversion et personnalité hystérique . . . . . . . . . . . . . . . . .159
4-4. L’absence de lésion organique objectivable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .159
4-5. Nature sexuelle de la représentation traumatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . .160
4-6. La frigidité présumée de l’hystérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163
4-7. Origines non sexuelles du symptôme de conversion . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
5. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .164
5-1. D’un point de vue psychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .164
5-2. D’un point de vue médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .164
5-3. D’un point de vue psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .165
5-4. D’un point de vue relationnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
5-5. D’un point de vue épidémiologique et social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .165
5-6. D’un point de vue nosographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Chapitre 8
LES FIXATIONS PSYCHOSOMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
1. FIXATION ET RÉGRESSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167
1-1. Fixations et régressions psychiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .167
1-2. L’extension du concept à la psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
810
Table des matières
811
Traité de médecine psychosomatique
Deuxième partie
LES TRAUMATISMES
Chapitre 9
NATURE DES TRAUMATISMES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .203
2. LES SITUATIONS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .204
2-1. Les contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
2-2. Les situations anxiogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205
3. LES ÉVÉNEMENTS TRAUMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205
3-1. Les pertes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .205
3-2. Les agressions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
4. LE HARCÈLEMENT MORAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
4-1. Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .208
4.-2. Le pervers narcissique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .209
4-3. La victime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
4-4. Le processus de harcèlement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .211
5. LES SYNDROMES Psychotraumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
5-1. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .214
5-2. Spécificité traumatique du SPT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
5-3. Inventaire des traumatismes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .215
5-4. Clinique des syndromes psychotraumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
6. MÉCANISME DU SYNDROME DE RÉPÉTITION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .224
7. FORMES CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .225
8. PHYSIOPATHOLOGIE DU SPT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .227
9. VÉCUS TRAUMATIQUES ET MALADIE D’ALZHEIMER . . . . . . . . . . . . . . . . . . .227
Chapitre 10
LA FAMILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
2. LES TRAUMATISMES FAMILIAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
2-1. Conflits d’intérêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .233
812
Table des matières
Chapitre 11
LES PASSIONS AMOUREUSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .263
2. L’AMOUR DANS TOUS SES ÉTATS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
2-1. Les trois amours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .265
2-2. L’attachement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .270
2-3. L’amour et la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .272
3. CLINIQUE DES TRANSPORTS AMOUREUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
3-1. Attraction et séduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .276
3-2. La captation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .278
3-3. Le roman d’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
4. LE CHEMIN DES TOURMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .282
4-1. Le mal d’amour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282
4-2. Le tourment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .283
4-3. La cristallisation négative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .284
4-4. La tendresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
5. CLINIQUE DE LA SÉPARATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
5-1. Le choc de la rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .287
5-2. L’acmé de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .288
5-3. La traversée du brouillard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .289
5-4. La convalescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .291
5-5. Cicatrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .291
813
Traité de médecine psychosomatique
Chapitre 12
LA MATERNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .295
2. PSYCHOSOMATIQUE ET GROSSESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .295
2-1. Disparition de pathologies pendant grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .295
2-2. Pathologies induites par la grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .298
2-3. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .304
3. PSYCHOSOMATIQUE DU POST-PARTUM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .306
3-1. Pathologie mentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .306
3-2. Somatisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .312
4.
REPRÉSENTATIONS TRAUMATIQUES RÉSIDUELLES APRÈS INTERRUPTION DE
GROSSESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .315
4-1. Interruptions volontaires de grossesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .315
4-2. Fausses couches spontanées et morts fœtales in utero . . . . . . . . . . . . . . . .316
4-3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .317
Chapitre 13
LE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .319
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .319
2. LES NOUVEAUX TRAUMATISMES PROFESSIONNELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . .320
2-1. Les situations professionnelles traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .320
2-2. Les événements professionnels traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .327
3. LA RÉACTIVITÉ TRAUMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .329
3-1. Le seuil de tolérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .329
3-2. Les réactions somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .333
4. LE HARCÈLEMENT PROFESSIONNEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .338
4-1. L’agresseur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
4-2. Le processus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .340
4-3. La victime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341
4-4. Formes cliniques selon les situations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .341
4-5. Diagnostic différentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .343
4-6. Pathologies induites par le harcèlement moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .344
4-7. Le contexte, la structure et l’entourage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .345
4-8. Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .346
4-9. Les dérives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347
5. LE « BURN OUT » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .347
5-1. Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .347
5-2. Caractéristiques générales du syndrome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .348
5-3. Professions à risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .348
5-4. Sujets à risques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
814
Table des matières
5-5. Clinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .349
5-6. Pathogénie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .350
6. ASPECTS PSYCHOSOMATIQUES DES ARRÊTS DE TRAVAIL . . . . . . . . . . . . . . .351
6-1. L’impasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .351
6-2. Les représentations parasites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .351
6-3. Indications de l’arrêt de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .352
6-4. Contre-indications de l’arrêt de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .352
6-5. Arrêt de travail et psychothérapie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .353
7. LA RETRAITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .353
815
Traité de médecine psychosomatique
Troisième partie
LES MALADIES
Chapitre 14
DOULEURS… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359
2. DOULEUR PSYCHIQUE - DOULEUR PHYSIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .361
2-1. La douleur psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
2-2. La douleur physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .363
2-3. Fonction psychosomatique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .365
3. LE DÉSORDRE PHYSIOLOGIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .366
3-1. Le support neurophysiologique de la nociception . . . . . . . . . . . . . . . . . . .366
3-2. La physiopathologie infraclinique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .367
4. L’INTERACTION DU PSYCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .368
4-1. La démentalisation du vécu traumatique inaugural . . . . . . . . . . . . . . . . . .369
4-2. La mentalisation parallèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .370
4-3. L’effet somatopsychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .371
4-4. Applications pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .375
5. DOULEURS DE LUTTE - DOULEURS DE DÉFAITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .376
5-1. Les syndromes douloureux de lutte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .376
5-2. La défaite du lombalgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380
5-3. Entre lutte et défaite : la fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .385
6. LES MAUX DE TÊTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 388
6-1. Les céphalées de tension agressive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389
6-2. Les céphalées de tension intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .391
6-3. Les migraines d’origine anxieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .393
6-4. Les céphalées chroniques diffuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .395
6-5. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 397
Chapitre 15
PSYCHOSOMATIQUE ET GYNÉCOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . . .401
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .401
2. SOMATISATIONS PELVIENNES FONCTIONNELLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .402
2-1. Le vaginisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .402
816
Table des matières
Chapitre 16
PSYCHOSOMATIQUE ET DERMATOLOGIE . . . . . . . . . . . . . . . . .431
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .431
2. PSYCHOSOMATIQUE DU PSORIASIS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .432
2-1. Données générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .432
2-2. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .433
2-3. Sémiologie psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 436
2-4. La topographie des lésions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .438
2-5. Discussion et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 440
3. PSYCHOSOMATIQUE DES PELADES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .441
3-1. Observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .441
3-2. Analyse des observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .443
3-3. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 444
3-4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .445
4. PSYCHOSOMATIQUE DE L’ECZÉMA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .445
4-1. Vécus traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 446
4-2. La relation d’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .448
4-3. Localisations particulières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .449
5. PSYCHOSOMATIQUE DE L’URTICAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .450
5-1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .450
5-2. Analyse des observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .452
5-3. Discussion et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 454
6. LE VITILIGO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 455
Chapitre 17
PSYCHOSOMATIQUE ET GASTROENTÉROLOGIE . . . . . . . . . . . . .459
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .459
2. FONCTIONS PSYCHIQUES ET FONCTIONS DIGESTIVES . . . . . . . . . . . . . . . . .461
2-1. Appareil digestif et représentations inconscientes . . . . . . . . . . . . . . . . . . .461
2-2. Symptômes digestifs et émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .463
817
Traité de médecine psychosomatique
Chapitre 18
LES ALLERGIES RESPIRATOIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .499
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .499
2. LA RELATION D’OBJET ALLERGIQUE SELON P. MARTY . . . . . . . . . . . . . . . . . .501
2-1. Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .501
2-2. Mise en place de la relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .501
2-3. La régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .502
2-4. La relation de la juste distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .503
3. L’ASTHME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .504
3-1. Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .504
3-2. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .505
3-3. Le personnage maternel et l’angoisse de mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .505
3-4. Le désordre thymique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .507
3-5. Effets somatopsychiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 511
3-6. La relation d’objet allergique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .511
3-7. La relation de la juste distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .512
3-8. La rétention, le rejet et l’analité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
4. LE CORYZA SPASMODIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .516
4-1. Facteurs traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .516
4-2. Caractéristiques générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 516
4-3. La relation d’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .517
4-4. Le dégoût et le rejet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517
Chapitre 19
LES MALADIES AUTO-IMMUNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .519
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .519
2. LA RÉPONSE IMMUNITAIRE SPÉCIFIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .520
818
Table des matières
3. L’AUTO-IMMUNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
3-1. Auto-immunité physiologique ou naturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .521
3-2. Rupture de la tolérance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .522
3-3. Mécanismes d’action des auto-anticorps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 523
4. DÉTERMINANTS BIOLOGIQUES DES MALADIES AUTO- IMMUNES . . . . . . . . . 523
4-1. Facteurs somatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .523
4-2. Données neuro-immunologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .524
4-3. Immunité et syndrome général d’adaptation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .525
4-4. Émotions et immunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .526
4-5. Immunité et dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .526
5. THÉORIES PSYCHOSOMATIQUES DE L’AUTO-IMMUNITÉ . . . . . . . . . . . . . . . .528
5-1. Personnalités prédisposées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .528
5-2. Fixation, régression, désorganisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .529
5-3. Les affects . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .529
5-4. La manie blanche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .529
5-5. Introduction aux prochaines sections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531
6. LES RHUMATISMES INFLAMMATOIRES CHRONIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . .532
6-1. Polyarthrite chronique rhumatoïde (PCR) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 532
6-2. Spondylarthrite ankylosante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .535
7. LES COLLAGÉNOSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .536
7-1. Lupus érythémateux disséminé (LED) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .536
7-2. Dermatomyosite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 538
7-3. Sclérodermie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .539
8. LE SYNDROME DE GOUJEROT-SJÖGREN (SGS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .540
9. LA SCLÉROSE EN PLAQUES (SEP) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .544
10. LE DIABÈTE DE TYPE I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 547
11. DYSTHYROÏDIES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 552
11-1. Maladie de Basedow . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .553
11-2. Thyroïdite de Hashimoto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555
12. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .558
13. TRAITEMENT DES MALADIES AUTO-IMMUNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .560
Chapitre 20
L’ŒIL ET LA PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .563
2. LA PERCEPTION VISUELLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .565
2-1. Anatomie de l’œil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .565
2-2. Physiologie de la vision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566
2-3. De la sensation à la perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 568
3. LE PLAISIR DES YEUX OU PULSION SCOPIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .570
819
Traité de médecine psychosomatique
Chapitre 21
L’OREILLE ET LA PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .589
2. ANATOMIE ET PHYSIOLOGIE DU SYSTÈME AUDITIF . . . . . . . . . . . . . . . . . . .589
2-1. Le système périphérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 589
2-2. Les voies auditives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 592
3. ONTOGENÈSE DE L’AUDITION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593
3-1. Principales étapes du développement auditif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .593
3-2. La « pulsion phonique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .595
4. LE SILENCE ET LE BRUIT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .596
5. HYPOACOUSIES ET SURDITÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598
6. OTITES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600
7. LES ACOUPHÈNES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 602
8. LES HALLUCINATIONS AUDITIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .611
8-1. L’hallucinose musicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .611
8-2. Les hallucinations acousticoverbales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .612
9. L’ÉQUILIBRE ET LE SYSTÈME VESTIBULAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .615
10. LES VERTIGES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
11. LES SENSATIONS PSEUDOVERTIGINEUSES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .621
12. LES ATAXIES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 623
13. TROUBLES DE L’ÉQUILIBRE ET CONVERSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .624
14. VERTIGES ET ANXIÉTÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .625
15. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .626
820
Table des matières
Quatrième partie
LES PATIENTS
Chapitre 22
LES REPRÉSENTATIONS DE LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . .631
1. L’IMAGINAIRE DU PATIENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631
1-1. L’image du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 631
1-2. Les traces mnésiques de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .633
2. L’IMAGINAIRE FAMILIAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .635
2-1. L’angoisse parentale et le corps de l’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
2-2. L’histoire médicale de la famille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 635
2-3. Les représentations qui arrangent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .636
3. L’IMAGINAIRE POPULAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .637
3-1. Les représentations du corps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .637
3-2. Les causes de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .637
4. LES INFORMATIONS EXTÉRIEURES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639
5. L’IMAGINAIRE MÉDICAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .640
5-1. L’histoire du soignant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 640
5-2. L’imaginaire médical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .640
6. LA RENCONTRE DE DEUX IMAGINAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 641
6-1. Adhésion-introjection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .641
6-2. Sélection et remaniement du matériel introjecté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 642
6-3. Rejet des représentations médicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 643
7. DIAGNOSTICS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .643
7-1. Un terme aux interrogations et aux palabres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .643
7-2. Déculpabilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .644
7-3. Restriction du champ d’investigation et des possibilités thérapeutiques . . . . .644
7-4. Effet destructeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 644
7-5. « L’annonce du diagnostic… » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
7-6. La consultation génétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
7-7. « On vous téléphone… » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 646
8. PRONOSTICS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 647
9. PHÉNOMÈNES TRANSFÉRENTIELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .648
9-1. Le transfert primaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .649
9-2. Le transfert secondaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 651
10. LE POLYTRAUMATISME DE LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 651
821
Traité de médecine psychosomatique
Chapitre 23
LES RÉACTIONS À LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .655
1. L’OBJET MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 655
2. LES RÉACTIONS DE DÉFENSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 656
2-1. Fonctions d’autoconservation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .656
2-2. Fonctions défensives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .656
3. LA FUITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 657
3-1. Le déni de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .657
3-2. L’inacceptation de la condition de malade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 658
3-3. Le refus de soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .658
4. L’AGRESSIVITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .659
4-1. L’agressivité à l’encontre de l’objet maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 660
4-2. L’hétéro-agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .661
4-3. Agressivité remaniée par les mécanismes de défense . . . . . . . . . . . . . . . . .662
5. RÉACTIONS D’INHIBITION : L’ANGOISSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .664
6. RÉACTIONS DE DÉFAITE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .664
6-1. Le deuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .664
6-2. Soumission et acceptation de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 665
6-3. Dépression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .665
6-4. Auto-agressivité et auto-agression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 666
6-5. Épuisement et extinction de l’agressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 666
7. RÉACTIONS RÉGRESSIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667
7-1. Les différentes formes de régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 667
7-2. Effets de la régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668
8. À QUOI SERT LA MALADIE ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .668
8-1. Fonction adaptative de la maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 669
8-2. Effets de la maladie sur l’économie psychosomatique . . . . . . . . . . . . . . . . 669
8-3. Remaniements défensifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .671
9. BÉNÉFICES SECONDAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 673
9-1. Les bénéfices narcissiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .673
9-2. Avantages matériels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 675
Chapitre 24
LE MASOCHISME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .677
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .677
2. LE MASOCHISME ÉROGÈNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .678
2-1. Le masochisme primaire constitutionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 678
2-2. Le masochisme archaïque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .680
2-3. Le masochisme sexuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .682
2-4. Le fantasme sexuel masochiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 690
822
Table
Tabledes
des matières
matières
Chapitre 25
L’INVESTIGATION PSYCHOSOMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . .715
1. PRINCIPES GÉNÉRAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 715
2. LE SYSTÈME DÉFENSIF DU PATIENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .716
3. L’OBSERVATION MÉDICALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .720
4. LES RÉACTIONS À LA MALADIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 721
5. LA DIMENSION TRAUMATIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .721
6. EXPLORATION DES SECTEURS EXISTENTIELS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .723
7. EXPLORATION DU DÉSORDRE ÉCONOMIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .726
7-1. Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .726
7-2. Les sensations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .727
7-3. Les émotions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .728
7-4. Les sentiments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .729
7-5. Les représentations et le mode de pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .730
7-6. Le comportement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 734
8. L’HISTOIRE DU SUJET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 735
9. LE FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE INCONSCIENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 736
10. LE DÉBUT DE LA PSYCHOTHÉRAPIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .737
Chapitre 26
ÉVÉNEMENTS TROPHIQUES ET GUÉRISONS SPONTANÉES . . . . . . 743
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .743
823
Traité de médecine psychosomatique
POSTFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 785
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .789
INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 797
824
Aux éditions DésIris
Tous les ouvrages de médecine, anatomie,
physiologie, psychologie, sciences humaines,
science physique, sur le site
www.adverbum.fr
Dépôt légal : mars 2016
Imprimé par SEPEC
pour le compte d’Adverbum