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Au-delà de la viande de porc

J’ai dû répondre rapidement par courriel à l’interrogation d’une jeune femme, musulmane de
culture et par héritage, fréquentant la haute société québécoise à Montréal. Sa question, fort
légitime, a trait aux motifs de l’interdiction de la consommation de viande de porc en islam. Ci-
après la réécriture de la réponse fournie.

« Il est vain de chercher une raison objective en dépit de nombreuses explications humaines
liées au comportement de cet animal et aux conséquences supposées néfastes pour la santé de
l’homme. Les interdictions alimentaires ne sont pas rares et touchent aussi bien l’islam que le
judaïsme et d’autres religions, certaines étant de nature culturelle et historique. La prohibition de
l’alcool est, par contre, justifiée dans le Coran du fait que les avantages de sa consommation y
sont considérés comme bien moindres par rapport à ses impacts négatifs. L’inexplicable pour
notre entendement est courant, et pas seulement dans les religions. L’islam justifie cette part
d’inexplicable par la notion de « Ghaïb », (littéralement l’absence) ou mystère, lequel est
inaccessible à la raison humaine.

Il est indéniable que l’évolution scientifique arrive à débusquer des affirmations contenues dans
des textes sacrés et à les élucider; il en est ainsi du miel comme remède, notamment pour les
plaies résistantes aux traitements connus, du déplacement du système solaire vers un point
précis de l’univers, exemples coraniques parmi d’autres.

Foi et mystère

Toutes les religions ont leur part de mystère, que le croyant accepte avec humilité sans vouloir
aller au-delà des capacités humaines de compréhensions qui, a priori, ont leurs limites. En effet,
il y a bien plus important – voire déroutant – en termes de Ghïab où les exemples abondent.

– Les 5 prières quotidiennes obligatoires :


- Elles comportent 2 ou 3 ou 4 Rakâ (étapes avec prosternation). La prière du matin s’effectue
entièrement à voix haute, alors que les 2autres suivantes le sont entièrement en silence (sauf le
Takbir ainsi que le Teslim final). Dans celle du coucher du soleil, qui comporte 3 Rakât, la
première est faite de manière audible. La dernière (Salt Al-îcha) comporte 4 Rakât dont les deux
dernières sont silencieuses…

- La voix haute ne concerne que les hommes!

- Plus encore, les 5 prières quotidiennes peuvent être en pratique 6 du fait que celle d'al-Fajr (à
l'aube) est d'une très grande importance bien que non obligatoire.

- La prière d'al-Fajr (2 Rakât à voix basse), ne peut pas être reportée comme les 5 autres en cas
de nécessité; elle ne peut être accomplie qu'à l'heure exacte du Fajr. Habituellement, on procède
immédiatement après al-Fajr à Salat As-Sobh, considérée comme la 1re sur les 5 obligatoires.
- Laissons tomber les autres « technicités » du rite de la prière, à savoir les inclinaisons, les
génuflexions et les prosternations...Les ablutions qui sont de 2 ordres, etc.

– Les rites obligatoires du pèlerinage peuvent paraître pour le moins déroutants sans référence
au symbolisme qui s’y attache : circumambulation (qui concerne toutes les grandes religions et
qui remonte à la haute antiquité) ; lapidation de la représentation de Satan, immolation d’un
mouton etc.
– L'épisode de la rencontre entrel4 mystérieux Al-Khidr et le prophète Moussa (Moïse) dans le
Coran est à première vue absurde, voire injuste et choquant, n’eussent été les explications
données a postériori au prophète lui-même révolté.

– Jésus dans le Coran : né d’une vierge, parlant au berceau, rendant la vue, guérissant des
malades, ressuscitant des morts…puis « rappelé » à Dieu. C’est le messie attendu à la fin des
temps terrestres.

Croire en tous ces éléments ne demande pas une foi aveugle, mais une acceptation non
prétentieuse de ce qui peut nous dépasser tout en nous apportant un apaisement face au mal et
aux dérives des hommes. Le savoir humain ne peut tout expliquer…Dieu merci!

Mystère et science

Même la science nous prouve, dans son long cheminement historique, que des règles bien
établies auparavant, faisant même une certaine unanimité pendant fort longtemps, ne le sont
plus par la suite, l'évolution de la pensée et du savoir les ayant détruites...Ce qui n'a pas
empêché l'humanité de mener son existence, durant des millénaires, voire plus, alors que l'on
vivait avec l'intime conviction que la Terre était plate, qu'elle était le centre de l’univers, que la
folie n'était pas une maladie mais une possession du diable tout comme les sorcières, voire les
chats noirs dans certaines cultures? La théorie de l'évolution introduite par Darwin est apparue
très tard dans l'histoire, de même que celle de la relativité d’Einstein.

D'ailleurs pourquoi donc la Terre, cette petite planète sphérique avec une atmosphère, dotée des
éléments de la vie, tourne-t-elle autour du soleil, avec un satellite lunaire ? Et qu’à date, il n’en
existe pas de pareille? D’éminents savants contemporains ont tentés de nous rassurer avec des
arguments aussi insipides et non-scientifiques sur l’origine de la vie : le hasard et la nécessité!?!

Dernière interrogation relative à l'alimentation : nous ne savons pas pourquoi rares sont les
humains qui mangent de la viande d'éléphant, de lion, d'aigle, d'âne, d'insectes etc.? Pourquoi
une multitude de végétaux dont certains ont des qualités nutritives avérées ne sont-ils pas
consommés?

Ultime question : le mal sur terre

Maladies, famines, manque d’eau et de soins, guerres incessantes, domination des uns – riches
et puissants – sur des pauvres dits sous-développés; illettrisme; racisme; exclusion; absence de
solidarité humaine à grande échelle; pillage irraisonné des ressources de la planète…La liste est
longue des maux qui affligent l’humanité. Pourquoi?!?

Un seul élément de réponse pourrait apporter quelque apaisement : Dieu a renoncé à sa toute-
puissance sur terre et nous a donnés les moyens de vivre assez bien, en paix et dans la
solidarité. Allah a désigné l'être humain comme son représentant sur terre (Khalifat Allah Fi al-
Ardh) et les hommes ont ignoré cette énorme responsabilité puisqu’on continue à tolérer les
guerres et les injustices, les massacres et l'exploitation des faibles, la malnutrition, les épidémies
et l’analphabétisme...Qu’on finit par accepter comme fatalités marquant irrémédiablement le
destin de l'humanité.

L’homme ignore sa mission sur terre, son devoir moral -qui est une obligation d'ordre divin- alors
qu' il est établi que la nature peut nourrir toute l'humanité, que celle-ci peut être soignée et
éduquée, qu'elle peut préserver une certaine paix juste et durable...n'eussent été la domination
des uns sur les autres et l'accaparement des richesses par une minorité insatiable faisant face
sans vergogne à une majorité de plus en plus démunie, aliénée et exploitée.
Il est urgent de se poser pareilles questions parce qu'elles sont fondamentales. Quant à la
consommation d'alcool et de porc, elle n'est en réalité qu'un détail aussi futile que le désormais
''paraître musulman '' (la folie du Hijab!), le ''parler musulman'' (généralisation de discussions et
des jugements péremptoires, surtout par des ignorants, parfois sans foi ni loi!) et l'obsession du
rituel (respect absolu des îbadate et éloignement des Mouâmalate), Or celles-ci sont
fondamentales, combinant les obligations d’éloigner le mal et de faire et promouvoir le bien sur
terre); elles sont pourtant largement ignorées au profit des détails cités ci-dessus qui ont
dénaturé la belle et immense spiritualité de l'islam et l'éthique à laquelle doivent pourtant se
soumettre les musulmans en particulier et l’humanité en général. L’islam n’est pas qu’adoration; il
est aussi engagement dans l’action positive traduisant cette même foi : transcendance et
communauté. Dieu exige l’une et l’autre réunies.

Questionnement et cheminement

La question de l’interdit alimentaire est respectable, bien qu’il faille l’inclure dans un contexte plus
global, plus spirituel. Se questionner est non seulement légitime, il est encouragé par le Créateur
lui-même et son ultime Prophète et Messager. Je m'en suis posées dans ma jeunesse, le tout
compliqué par une foi diffuse et non ancrée. J'ai cherché et interrogé; j'ai lu beaucoup et je
continue de le faire. Je m'étais longtemps heurté à la question de la foi, sans savoir que j'étais
prisonnier de ma culture occidentale marquée profondément et fatalement par la chrétienté et les
Lumières.

…Jusqu'au jour où j'ai découvert, après un long cheminement et avec l'aide de 2 amis pieux, que
je posais le problème à l'envers en attendant d’avoir la foi pour mettre en pratique ma religion...
Ce constat dont j’ai accouché dans la douleur m’a fait découvrir une vérité : quelle prétention de
ma part de vouloir attendre, candidement et sans le savoir, que Dieu me donne la foi pour que je
puisse croire en Lui et éventuellement l'adorer!?! Pourquoi donc devrais-je faire partie des
privilégiés qui ont bénéficié au départ de la grâce du Seigneur? Loin d’être déstabilisant, ce
constat m’a fait réaliser la véracité de l’espérance; en effet, rien n'était perdu et, en m'astreignant
à la pratique religieuse, j'ai très lentement entrevu le chemin de la foi que j'essaie, depuis, de
suivre. Allah m'a donc ouvert la Voie de la Foi car il n'est pas injuste; il répond à la quête de ses
Serviteurs sincères. D'ailleurs Lui-même dit qu'il préfère les repentis à ceux et celles qui - grâce à
Lui - n'ont jamais péché !!!

En conclusion, tout est relatif, rien n'est absolu ni durable ici-bas .Et, nous serons toutes et tous
jugés dans l'au-delà pour notre laisser-faire, pour notre tolérance de l'injustice, de la famine, des
épidémies, des catastrophes, des guerres...Si l’absolu n’est pas de ce monde, la foi nous indique
le chemin à parcourir pour pouvoir prétendre à un au-delà de paix et d’absence de souffrance.
Sinon, la vie – et plus encore la mort – n’auraient aucun sens…quels que soient nos
aliments!?! Allah permet d’ailleurs aux musulmans de consommer du porc en cas de nécessité
(famine; risques dus à la famine ou à des contraintes excessives). On revient encore au relatif.

Le dernier mot revient à Confucius : « au lieu de maudire les ténèbres, allumons une chandelle,
aussi petite soit-elle.» Comment réprimer l’élan qui pousse à crier AMEN devant pareille
évidence tellement elle ressemble à un verset divin?

Touhami Rachid Raffa

Québec, le 30 juillet 2017

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