Vous êtes sur la page 1sur 28

CAHIER

DU CENTENAIRE
THÈME

EL Hadj Malick SY,


100 ANS APRÈS…
LUMIÈRE SUR SA VIE ET
SON ŒUVRE

1922 - 2022
Humble Serviteur du Miséricordieux
Le soufisme dans l’œuvre d’El Hadji Malick SY
Seydi Diamil Niane
Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN)
Université Cheikh Anta Diop, Dakar
seydidiamil.niane@ucad.edu.sn

Résumé
Le soufisme dans les écrits de El Hadji Malick SY n’est pas connu des chercheurs.
La plupart des recherches sur son œuvre ont mis le focal sur la littérature et
le rôle d’El Hadji Malick dans l’islamisation du pays wolof. Cet état de fait,
s’explique par la stratégie d’action de Maodo. Le manque d’investigation dans
ce domaine justifie ce présent travail dont l’objectif est de tirer la dimension du
soufisme dans les écrits d’El Hadji Malick SY.
Tout d’abord, la position ambivalente d’El Hadji Malick SY entre la critique du
soufisme et son appartenance confrérique semble non comprise par certains
penseurs. Il s’agit d’une démarche qui permet dans un premier temps le
cadrage de la doctrine avec toutes les énergies avant d’orienter vers le droit
chemin du soufisme. C’est pourquoi, si ce travail de toilettage lui éloigne du
soufisme selon certains auteurs, l’appartenance à la Tijanyya lui inscrit en plein
dans la doctrine. Ainsi ses enseignements sur le rapport entre le disciple et son
guide, se fondent sur les critères du soufisme. Le besoin d’accompagnement
de l’aspirant au soufisme montrant l’importance du guide est renforcé dans
la pensée soufie d’El Hadji Malick SY par une règle de conduite fondée sur
l’ascétisme, voie de pureté.
Cet ascétisme dont les écrits basés sur Kifāyt al-Rāghibīn n’accorde pas une place
importante doit être relativisé. L’ascétisme comme principe dans le soufisme tel
que le pen https://www.youtube.com/watch?v=-mxogZ3jm8Q sait quelqu’un
comme Al-Hujwirī (m.1077) est inscrit dans les écrits de Maodo. La pensée à
la mort, le jeûne ou la privation des désirs de ce bas monde tels que formulés
dans Zajr al-qulūb, sont les règles pour guider le disciple dans le soufisme dont
l’origine s’explique par la doctrine de l’unicité de l’être pour certains classiques.
Cependant, si la démarche néoplantonicienne dans une certaine waḥdat
al-wujūd a servi d’explication à quelques soufis, la muḥammadité de l’existence
(muḥammadiyat al-wujūd) est convoquée par El Hadji Malick SY. Selon cette
doctrine, Muhammad est à l’origine de toute création. Il est la seule créature
divine dont la glorification est l’origine de toutes les autres créations. Autrement
dit, tous les hommes possèdent la lumière muhammadienne, qui est le garant

« EL HADJ MALICK SY,


3 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
du salut de l’universel. Cela se lit notamment à la fin de son Taysīr.
Le discours métaphysique de El Hadji Malick SY du soufisme est limité sur
l’origine de la création. La conception mystique dans le cheminement de
l’aspirant à la doctrine est quant à elle bien développée. El Hadji Malick décrit
le chemin en plusieurs stations spirituelles.
D’abord, le repentir, (al-tawba), est le premier pallier qui mène vers les autres
stations spirituelles, (maqāmāt). Cette vision de El Hadji Malick SY sur le repentir
qu’il renouvelle dans ses écrits (Nihāyat al-amānī) est confortée par les auteurs
comme Hujwirī et Abd al-Karīm al-Qušayrī (Al-Risāla al-qušayriyya fī ‘ilm al-
taṣawwuf). Ainsi la stratégie pour l’obtention du repentir divine qui donne le
visa spirituel est définie par le comportement que doit avoir l’aspirant en Dieu.
Il s’agit pour l’homme de reconnaitre son statut de pécheur et demander le
pardon à la miséricorde de Dieu. Yā kāshifa al-dā’ est le poème par excellence
qui s’inscrit dans cette doctrine.
Ensuite, la crainte et l’espérance sont le second pallier. Selon El Hadji Malick
SY, le cheminant doit être dominé par la crainte de se dévier du chemin de la
sainteté. C’est cette conduite qui l’oriente vers l’espérance (rajā’) l’étape pour
bénéficier de la grâce divine comme en témoigne son Falā budda.
En fin, la satisfaction divine (riḍā) et la pauvreté (faqr) constituent la dernière
grille dans l’initiatique du cheminement soufi d’El Hadji Malick SY. Cette vision
que certains soufis classiques dont l’école d’Iran ne partagent pas semble
être confortée par l’école de Khorasan, par Hujwirī et plus tard Aḥmad Tijāni.
L’école d’Iran considère le riḍā comme un état spirituel (ḥāl) et parfois comme
une station mystique (maqām) dont l’aspirant accède par la grâce de Dieu. Par
contre, le riḍā dans les écrits d’El Hadji Malick épouse trois dimension que sont
la soumission, l’acceptation des décisions de Dieu et l’amour de la divinité.
Le soufi est à ce niveau motivé par Dieu lui-même et non tout autre besoin
synonyme de pertes.
La pauvreté (faqr) est la dernière station spirituelle pour arriver à Dieu. Dans
le soufisme des écrits de Aḥmad Tijāni et de René Guénon, le faqr constitue
l’essence du soufisme. El Hadji Malick SY s’inscrit dans cette position. Il se
présente comme pauvre en Dieu dans plusieurs de ses écrits dont Qanṭarat al-
murīd. Mieux la pauvreté chez El Hadji Malick est définie comme une soumission
totale de l’aspirant. Cette attitude de soumission donne espoir de bénéficier la
grâce divine.
La dimension du soufisme au terme de cette recherche est bien démontrée
dans les écrits de El Haddji Malick SY. Mieux la comparaison avec les écrits
d’auteurs soufis a permis de conforter cette affirmation.

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
4
El Hadj Malick Sy, le réformateur :
Exhortation et discours sur la société
Par Dr. Mamarame Seck

Résumé :
Ce chapitre porte sur le processus de réformes islamiques au Sénégal. Pour y
arriver, il aborde d’abord le processus d’islamisation en Afrique de l’Ouest et
ensuite, un accent particulier sur le réformateur El Hadj Malick Sy.
En Afrique de l’Ouest, le processus d’islamisation s’est réalisé en différentes
phases. D’abord la première étape cherche à islamiser les autorités politiques
africaines. Elle marque l’islamisation du roi Wâr Djabi Njaay (1000-1100) du
Tekrur. C’est sous le règne de sa dynastie que l’islam commença à se répandre
dans le Tekrur qui résista malgré tout à l’expansion islamiste du mouvement des
Al Murâbitûn (Sall 2013). Ensuite, le syncrétisme africain est une phase marquée
par une combinaison des pratiques islamiques avec des traditions autochtones.
Enfin, la phase finale consiste à une purification caractérisée par une application
de la charia. C’est la phase de réforme, qui a pour principal objet de libérer
les sociétés africaines des pratiques d’un islam associé aux traditions. Elle
correspond à l’avènement des mouvements djihadistes.
Au Sénégal, cette phase de réforme a été très longue par rapport aux autres
dont le but était de purifier les pratiques islamiques par l’application de la charia.
Elle correspond à la « guerre des marabouts » de 1673 à 1677 qui était sous le
commandement de Nasir Al Dine. Ce mouvement est apparu au Fouta-Tooro
avec pour mission d’éliminer la dynastie Denyanke (1530-1774) de même origine
haapulaar, de conquérir les terres arables, de lutter contre les impôts imposés
par les français et l’esclavage des musulmans. Cette révolution islamique torodo
est marquée par un contexte politico-social très instable. Elle a été une occasion
pour les missionnaires via le Sénégal d’entretenir des relations islamiques dans
toute l’Afrique de l’Ouest et de bâtir un espace politique fondé autour d’une
constitution appelée le kouroukan fouga.
Conduit pendant longtemps par Ceerno Sileymaan Ba, plus tard assassiné,
le mouvement a vu Abdoul Qaadir Kane lui succéder. Il s’engage à une vaste
islamisation marquée par la création d’édifices islamiques du Fouta-Tooro,
au Cayor, en passant par le Njambur. Ce mouvement a joué un rôle capital
dans processus d’islamisation au Sénégal et dans la sous-région ouest-africaine
jusqu’au dix-neuvième siècle.

« EL HADJ MALICK SY,


5 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
Mais à partir des années 1850, de nombreuses figures apparaissent dans
l’expansion islamique dans cette région. Ce fut une guerre de conversion
islamique caractérisée par un rayonnement d’un islam confrérique. On assiste à
l’apparition des confréries d’origines diverses caractérisées par des divergences
et des convergences. Elle marque l’arrivée d’une nouvelle génération de « néo-
soufis » dont appartient El Hadj Malick Sy.
Né vers 1854 à Gaé, El Hadj Malick Sy est une figure emblématique de
l’islamisation au Sénégal. En effet, il a largement contribué à l’expansion de
l’islam dans toute l’Afrique de l’ouest. Il a grandi dans un contexte de guerre
entre les français et l’Emir Trarza et de djihad menée par El Hadj Omar, puis
relayé à sa mort dans les années 1860 par Mamba Diakhou Ba.
Après la mémorisation du coran entre 1860 à 1867, il multiplie des voyages de
recherche islamique à travers le Sénégal. Ces mobilités lui permettent d’être en
contact avec Fez, une ville islamique où repose le fondateur de la Tijaniyya. En
1889, il effectua le pèlerinage à la Mecque. Après plusieurs séjours dans plusieurs
localités du pays, il finit par s’installer en 1902 à Tivaouane, dans le Cayor, une ville
de commerce très accessible, mais dans des circonstances non encore élucidées.
Elle est aujourd’hui le centre de la Tijaniyya au Sénégal. Il y initia le gamou annuel.
Il mène aussi une cohabitation pacifique des centres urbains avec le colonisateur
français même s’il joue une place importante dans l’aliénation et l’expansion
islamique au Sénégal. À la fermeture de la ferme agricole de Ndiarndé, les
muqqadams se sont répartis partout au Sénégal et même dans la sous-région
dans le cadre de l’expansion islamique.
La réforme de El Hadj Malick Sy inclut entre autres le rejet des pratiques
traditionnelles tel que le mysticisme débordant, les mises en garde de ses
coreligionnaires contre les « pièges » du soufisme, l’adresse aux « faux » marabouts,
entre autres. Elle porte surtout sur la vie sociale et la pratique de l’islam pur
dans la société. De fait, il s’oppose au mysticisme. Il prône l’enseignement des
principes islamiques. Ainsi, à partir des connaissances de la société sénégalaise
et de la déviance dans des pratiques islamiques, il a pris un certain nombre de
mises en gardes sur des sujets tels que la polygamie, l’indulgence, la femme en
islam, la soumission en Dieu, le problème de l’observation du croissant lunaire.
Ses enseignements sont donc en contradiction avec la pratique dans certaines
communautés religieuses. Ils visent à la formation d’un musulman responsable
bâti sur les préceptes islamiques.
En réalité, El Hadj Malick est une figure emblématique qui a beaucoup contribué
au processus d’islamisation en Afrique de l’Ouest et en particulier, au Sénégal.
Ses combats reposent sur l’orthodoxie islamique enseignée par le Prophète.

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
6
La Contribution d’El Hadji Malick SY et l’École de
Tivaouane dans le cosmopolitisme tidiane
Par Pr El Hadji Samba Amadou Diallo

(Résumé)
La Tijāniyya est, sans doute, l’une des confréries musulmanes les plus répandues
dans le monde et, en Afrique subsaharienne, particulièrement. A travers elle, se
reconnaissent des millions de fidèles disséminés dans tous les horizons, ce qui,
naturellement, lui confère une place de choix dans le monde musulman.
Les études portées sur cette « Sūfī turūq » témoignent du regain d’intérêt
qu’elle suscite auprès des chercheurs mais, pour autant, plusieurs de ses
champs restent encore à défricher et, beaucoup de ses branches, à l’image de
la Tijāniyya Mālīkiyya, ont le mérite de se voir braquer sur elles les projecteurs
lumineux de la recherche universitaire.
La branche de la Tijāniyya Mālīkiyya, la plus célèbre au Sénégal, est sous la
houlette de El Hadji Malick SY qui l’a installée à Tivaoune, devenue une capitale
dans le cosmopolitisme Tidiane. Tivaoune, jadis, lieu d’étourdissement de
l’âme, centre de délectation où la jouissance était au faîte, est ainsi convertie en
abreuvoir de spiritualité.
L’œuvre d’El Hadji Malick SY est très connue des Sénégalais et, l’étendue de
son influence est une des plus larges. Les fidèles tidianes sont profondément
enracinés dans les valeurs enseignées par Maodo et n’ont pas peut-être besoin
de l’expertise d’un analyste extérieur pour leur rappeler l’importance des
postures socio-politiques du saint homme.
Toutefois, comme il en est de certaines branches la Tarikha, la communauté
scientifique universitaire n’a qu’à peine fait de recherche sur la production
intellectuelle de Maodo et sa contribution dans les sciences sociales.
Ce grand savant sénégalais, aux brillantes contributions balayant un large
éventail de problématiques religieuses et socioculturelles, mérite une abondante
littérature de la part des universitaires. Les travaux pionniers en islamologie,
histoire et littérature d’El Hadji Rawane Mbaye (2003) constituent une exception
dans la publication des grandes œuvres du marabout.
La réflexion d’El Hadji Samba Amadou Diallo consiste donc à remédier à ces
grands errements de l’histoire et de la sociologie des confréries, en montrant
en quoi la vie du saint-savant est parsemée de grandes leçons sur beaucoup de
thèmes, sinon les plus débattus aujourd’hui dans le monde académique.

« EL HADJ MALICK SY,


7 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
Cette contribution qui analyse les actions publiques politiques et culturelles dans
le cadre de ce que l’auteur appelle « un cosmopolitisme tidiane » permettra de
mieux jauger l’apport du marabout dans le champ scientifique, et ainsi inciter les
chercheurs à explorer davantage la richesse des idées du saint-auteur. Dans ce
papier, plus de temps est accordé au cosmopolitisme politique et scientifique
de Maodo d’abord, ensuite à celui culturel qui résume aussi les deux au point
de vue cultuel et éducationnel.
Le travail de résistance politique d’El Hadji Malick est manifestement un champ
à explorer par les chercheurs, d’autant que ses positions souples par rapport à
l’entreprise coloniale peuvent paraître ambivalentes pour un observateur non
averti. Pour comprendre le choix opéré par Maodo de mener une résistance
passive, qui n’avait rien d’une collaboration, il faut analyser, d’abord, le sort qui
a été réservé à ses prédécesseurs (El Hadji Omar Tall et Maba Diakhou Ba) qui
ont pris les armes contre l’occupant.
Il faut, ensuite, comprendre le destin tragique réservé à son père Ousmane
SY tué alors que sa mère le portait encore dans son ventre. Ayant déroulé sa
jeunesse dans cet environnement de violence institutionnelle, Maodo préféra
prendre l’autre voie de la réforme islamique : celle de l’éducation des masses
par l’enseignement sédentaire comme méthode plus rapide pour répandre la
religion, ce qui était en fait le but final de beaucoup de chefs musulmans.
L’éducation, l’arme de sa résistance, le conduit à s’installer définitivement à
Tivaoune en 1902, la même année où la capitale de l’AOF fut transférée à Dakar.
Il mène ses enseignements sans jamais se dresser contre les blancs.
Le rapport de Destaing sur les marabouts rend Mawdo visible puisque cet
administrateur y défend que El Hadji Malick SY ne percevait pas de ziyāra pour
le compte des Idaw‘Ali, mais leur donnait des cadeaux en argent, livres et
vêtements. Il s’intéressait beaucoup à l’enseignement de ses nombreux élèves :
« sous ce rapport du savoir, je crois pouvoir affirmer que de tous les marabouts
du Cayor, Si’ l Hâdj est le plus instruit et le mieux à même de rendre clairement
ce qu’il a acquis. » A cela Marty ajouta, emphatiquement, qu’El Hadji Malick SY
paraît être le « marabout le plus instruit du Sénégal » Interrogé sur ses besoins,
ses désirs par rapport à l’administration, il répondit à Destaing : « J’aime ma
vie calme et studieuse, je ne demande qu’à enseigner tranquillement ici et à
remplir en paix les devoirs de ma religion »
Le cosmopolitisme scientifique d’El Hadji Malick s’illustre dans une kyrielle
de domaines comme à l’image de ses positions face aux problèmes de santé
publique. Il jouait un rôle de premier plan dans les campagnes de vaccinations
en se faisant vacciner pour donner l’exemple. Mieux, les positions du marabout
par rapport aux problèmes d’hygiène mérite plus d’attention de la part des
chercheurs. Car, si l’on suit Myron Echenberg, la posture du marabout est d’abord
philosophique en ce qu’elle rend compatibles les avantages de la médecine
occidentale moderne avec les principes islamiques de salubrité publique. C’est
« EL HADJ MALICK SY,
100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
8
surtout grâce à ses interventions dans le domaine sanitaire qu’il a été proposé
le 24 juin 1922, trois jours avant sa mort, d’être élevé au grade de la médaille
d’argent des épidémies, alors que son fils Serigne Babacar l’avait déjà reçue
depuis 1919.
Par ailleurs, El Hadji Malick SY juge favorable la pratique du clystère pour soigner
un patient. Il autorise l’annonce du début ou de la fin du mois de Ramadan, par
appel télégraphique Il s’agissait en fait de convertir le savoir islamique acquis,
suivant les besoins des populations autochtones. Dans ce cosmopolitisme
scientifique, il y a une démarcation par rapport aux savants arabes ou nord-
africains sur certaines questions, et une autonomisation intellectuelle, par
exemple la recommandation du paiement de la zakāt avec le prélèvement sur
les produits extraits de la graine d’arachide.
El Hadji Malick SY s’est également exercé à un cosmopolitisme culturel dans
l’enseignement, les mosquées et la revivification de l’islam. Il a fait le curriculum
d’alors en se rendant souvent en Mauritanie, au Walo, au Jolof et dans le
Kajoor. Son retrait à Njarndé se justifiait par le désir de former, de formater des
consciences à la fois colonisées et incertaines des jeunes. Il fallait les prendre
en charge pour développer la religion. Après une formation solide délivrée aux
jeunes, c’est leur dissémination dans des coins reculés pour répandre, l’islam,
la Tijāniyya, en leur déléguant des pouvoirs énormes aussi bien d’initier que de
former une communauté tidiane.
Il convient globalement de retenir que la philosophie politique, scientifique
et culturelle d’El Hadji Malick SY recouvre une dimension universaliste. Il a su
ménager aussi bien les chefs ceddos que les colons français qui ne voulaient
que domestiquer les Africains les plus influents, et à défaut, les anéantir. Donc
il fallait au saint de Tivaouane opter pour plus de souplesse politique, facilitant
ainsi le vivre ensemble, mais en même temps trouver des ressources et stratégies
nécessaires pour promouvoir sa branche confrérique, c’est ce qu’El Hadji Samba
Diallo appelle la dextérité politique de Maodo.

« EL HADJ MALICK SY,


9 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
Strategies et methodes educationnelles de Seydil Hadji
Malick SY (RTA)
Dans l’eveil des populations
Dr Mouhamadou Mounirou SY
Maître de conférences à l’Université de Thiès
Écrivain, théologien, chercheur et résistant à l’assimilation coloniale, El
Hadji Malick SY (rta) est l’une des plus grandes figures de l’histoire intellectuelle
du continent africain. De l’enseignement des sciences sociales et religieuses à la
littérature arabe, en passant par la poésie, son œuvre, bâtie autour de l’éveil des
masses, est devenue une des plus pénétrantes dans l’environnement littéraire arabo-
soudano-musulman. L’école de la Tijanniyya de Tivaouane dont il est le fondateur
a une influence déterminante sur l’expansion de l’islam au Sénégal et en Afrique
grâce à l’accessibilité et l’accès par les masses aux textes et savoirs religieux.
La trajectoire intellectuelle et l’itinéraire savant de Seydil Hadji Malick SY (rta)
interrogent non seulement la contribution déterminante de sa stratégie dans
la résistance à l’assimilation coloniale, mais aussi et surtout la place du savoir
et de la recherche dans son projet de société. Pour comprendre l’énormité de
l’œuvre et l’efficacité de sa stratégie, il faut appréhender d’abord les enjeux
politiques, culturels et sociaux auxquels l’administration coloniale et les
chefferies religieuses étaient confrontés et ensuite étudier l’allure décadente
des aristocraties royales entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle en
Afrique de l’Ouest francophone. El Hadji Malick SY a été un acteur déterminant
de cette configuration nouvelle dans sa manière de façonner une stratégie
réaliste pour construire un citoyen-mulsulman-tidiane de type nouveau épris
des valeurs de l’islam soufi et apte à bâtir un modèle de société empreinte des
valeurs islamiques à partir de savoirs scientifiques soutenus.
Pour cela, il serait crucial et fondamental de comprendre sa trajectoire d’érudition
intellectuelle à travers son parcours initiatique, sa politique de socialisation
dans les contrées qui l’ont accueilli et les affiliations et influences doctrinales et
littéraires dont il se réclamait. Une telle entreprise semble à la fois ambitieuse et
risquée. Ambitieuse parce que son œuvre est gigantesque ; risquée parce qu’elle
presque impossible de camper, à partir de cette production, tous les aspects de sa
méthodologie et de ses stratégies. Ce texte essaie donc de camper la spécificité,
la pertinence sociale et scientifique ainsi que l’originalité des stratégies globale et
spécifiques (globale et déclinée en stratégies spéciales) dans cette configuration
sociale où plusieurs foyers de savoirs étaient déjà bien établis.
Sa première volonté a été de cultiver la conformité entre le contenu des livres et
la pratique quotidienne en incarnant la probité, la mesure, la vérité, la pudeur,
la solidarité, la sacralité de l’humain et des liens du sang, le respect de la parole
donnée, la protection des femmes, des enfants et de l’environnement, le culte
du beau, du bon et du bien tant en public qu’en privé. Fort de ce constat, il s’est
aperçu que c’est ce manque de correspondance des valeurs apprises dans les

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
10
foyers de savoir et leur application dans la vie de tous les jours qui est la source
de l’échec contre le pouvoir ceddo et la puissance coloniale.
Avec une telle stratégie, on peut dire qu’il est le premier à inventer au Sénégal
l’enseignement et la pédagogie par objectifs. Il s’agit de pratiques éducatives
qui mettent l’accent sur la réflexion relative aux objectifs de formation en vue
de la détermination des stratégies et modes d›évaluation correspondants.
L’ayant réussi, il a initié le culte du bien par le renforcement des liens et non
l’accaparement des biens.
Ensuite dans la deuxième partie, nous interrogerons le réalisme et l’ingéniosité de
sa stratégie pour bâtir son projet de société. Cette partie porte sur les stratégies
de rupture adoptées par El Hadji Malick SY à partir d’une approche sur la
connaissance objective des textes religieux et leur application stricte et fidèle par
les fidèles. Cette stratégie se fonde sur la relation entre le savoir et l’action. C’est
tout le sens de l’importance du développement communautaire qu’il considère
comme « une dimension fondamentale de son action ». A l’époque, le Sénégal
comptait 09 principales pôles académiques qui regorgeaient d’écoles de haute
facture qu’on abrégeait de la sorte : Fou-Wa-Ka-Djo-Ndia // Sa-Ba-Si-GA qui
désignait Fouta, Wâlo, Kadior, Djolof, Ndiâmbur // Sâloum, Baol, Sine, Gandiol.
Ces 09 points cardinaux étaient les centres d’apprentissage, de diffusion et de
de transmission du savoir au Sénégal. C’est pour cela que les colons y avaient
installé des zones de commandement et des cercles. Maodo était d’abord allé
dans quelques-uns ‘entre eux lors de son parcours initiatique. Mais après, il les
a tous habités non seulement pour mieux affûter ses connaissances littéraires et
académiques acquises auparavant mais aussi et surtout pour mieux dompter leur
mode de vie et maîtriser leur sociologie. Naturellement affable, jovial et d’un
commerce très facile, il lia amitié avec certains et noua des relations indéfectibles
avec d’autres au point que lorsqu’il s’installa à Ndiarndé, à Diacksao et à Tivaouane,
beaucoup d’entre ceux-là étaient venus le rejoindre, et certains pour la vie.
Enfin, la troisième et dernière partie mettra en exergue l’originalité des méthodes
et procédés pédagogiques dans l’école d’El Hadji Malick SY. Sans perdre aucun
instant de sa vie, il a rempli tout son espace vital avec l’usage de trois leitmotivs :
la recherche et la transmission du savoir, l’adoration de son Créateur dans la
perfection et le culte du travail. Pour les traduire en actes concrets, il érigea en
institutions trois moyens que sont le livre, la mosquée et le champ.
En effet, cette trilogie opérationnelle a permis de rapprocher l’organisation
sociale, l’éducation culturelle et cultuelle et le modèle économique basés sur les
principes islamiques. Ceux-là ont permis une diffusion très large de l’islam soufi
et de la citoyenneté républicaine à l’intérieur du Sénégal et surtout dans les plus
grands centres urbains en installant près de chaque commandant de cercle, de
chef de division et de chef de canton, un Muqaddam. Ce qui révèle l’efficacité
et le pragmatisme de son approche pédagogique pour l’éveil des consciences,
la pratique vertueuse et la combat contre les tares de la colonisation et du
pouvoir ceddo.
Mouhamadou Mounirou SY (Maitre de conférences // Université de Thiès

« EL HADJ MALICK SY,


11 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
L’alliance temporel-spirituel dans la vie et l’œuvre d’El
Hadji Malick SY (RTA) : éléments de problématique et
pistes de compréhension
El Hadji Mounirou NDIAYE,

Économiste, Enseignant-chercheur à L’Université Iba Der THIAM de Thiès

Cette réflexion est un exercice délicat, tant par l’immensité de l’œuvre d’El
Hadji Malick SY, que par l’extrême prudence à observer devant tout sujet lié à la
religion. L’histoire récente révèle deux illustrations importantes des polémiques
que peuvent susciter les mises au point historiques. La première concerne les
réactions virulentes à l’encontre du Professeur El Hadji Rawane MBAYE qui, dans
une partie de sa thèse rédigée il y a plusieurs décennies, a voulu décrire, sans
complaisance, les réalités historiques concernant les différences d’approches
entre El Hadji Malick SY et les autres chefs religieux, face aux assauts coloniaux
et aux menaces que ces colons faisaient planer sur l’Islam et de la Tidjaniya au
Sénégal et en Afrique. La deuxième illustration concerne les réactions ayant
fait suite à la publication en 2019 de l’ouvrage intitulé « Histoire générale du
Sénégal » sous la direction de feu le professeur Iba Der THIAM.
Malgré la délicatesse de l’entreprise, nous ne devons nullement renoncer
à engager une réflexion sur l’Islam et sur une de ses figures majeures, en
l’occurrence Seydi El Hadji Malick SY (1853-1922). Nous proposons-nous de lire
l’action de cet érudit hors pair d’Islam, sous le double prisme d’un engagement
temporel et spirituel à la fois.
Le rôle majeur d’El Hadji Malick SY dans la propagation de l’Islam et de la
Tidjaniya au Sénégal se comprend parfaitement quand on sait toute la marge
d’action dont il bénéficia, comparé aux autres marabouts de son époque. Ni
exilé, ni neutralisé, Maodo, comme l’appelait affectueusement ses disciples,
avait toute la latitude nécessaire pour prêcher l’Islam, former des disciples et
propager la Tarîqa Tidjaniya.
Notre propos s’inscrit dans la problématique globale du double ancrage dans
le temporel et le spirituel, un phénomène qu’on a pu observer chez nombre de
saints d’Islam. Ainsi, l’itinéraire de Maodo pourrait être résumé de la sorte : autant
il s’est préoccupé du bien-être social, économique, politique et environnemental
des hommes, autant il a excellé dans la gestion l’animation spirituelle de la
société à travers le culte, l’observance de Chari’a et la formation spirituelle. Ce

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
12
double enracinement est rendu possible par le fait que Maodo s’est révélé un
parfait mujaddid, en endossant à la fois les fonctions d’imam, de guide pour la
communauté, de jurisconsulte, d’intercesseur, de régulateur social, entre autres.
Ce n’est que de cette façon-là que le mujaddid est à même de répondre aux
défis de son époque tout en relevant la bannière de la religion. Cette notion
de mujaddid est fortement liée à celles de réforme religieuse ainsi qu’à celle de
réforme sociale et culturelle, mais aussi celle de renouveau et de progrès (islah)
; autant de notions qui peuvent s’appliquer à la prédication de Maodo tant ce
dernier a voulu s’occuper à la fois des pratiques sociales (al-mu’amâlât) que de
la foi et du dogme (al-‘ibâdât)
Dans son article « histoire de la réforme en islam », Malek Chebel renseigne
que « l’Islam est une religion d’une totalité multiforme regroupant le dogme,
la pratique rituelle, la spiritualité, mais aussi la conduite effective du pouvoir,
l’éducation et toute autre pratique comme le vêtement ou la nourriture (…) Les
réformateurs misent sur une prise de conscience multipolaire, politique, sociale
et surtout éducative, et un encadrement éthique du progrès social. Ils estiment
que le comportement des musulmans est un problème en soi, car il brouille la
compréhension du Coran. »
Toutefois, de ce que l’Islam soit un tout, il ne s’ensuit émerge l’idée que cette
religion ignore toute forme de séparation entre le religieux et le politique.
On peut envisager quelques hommes d’Islam, en vertu de l’environnement
sociologique et de leur propre sagesse et savoir-faire, parviennent plus que
d’autres, à trouver une voie de compromis et de respect du principe de
séparation.
El Hadji Malick SY illustre parfaitement la quête d’un équilibre entre le domaine
religieux et celui de l’action sociale et politique. Chez Maodo, on observe une
volonté de prendre en charge les prérogatives du religieux, en même temps
qu’un souci de respecter le domaine qui revient aux hommes de pouvoir et
autres acteurs de l’administration.
Du point de vue méthodologique, cette contribution repose sur des témoignages
issus de la communauté religieuse tidjane, ainsi que sur les propres écrits d’El
Hadji Malick que nous avons soumis à une analyse de contenu. Nous avons
également consulté de nombreux écrits sur l’Islam et sur les figures religieuses
de l’Islam africain.

« EL HADJ MALICK SY,


13 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
Aussi, nous avons compulsé la documentation audiovisuelle relative à la famille
religieuse de Tivaouane. À partir de là, nous avons pu repérer les traits les plus
significatifs de la prédication de Seydi El Hadji Malick comparativement aux
autres guides religieux de son époque.
Notre propos est structuré en trois parties. D’abord nous traiterons du rapport à
l’orthodoxie et à l’orthopraxie chez El Hadji Malick SY. Ensuite, nous aborderons
la méthode du guide religieux à partir du prisme de l’équilibre entre le matériel
et le spirituel. Enfin, nous discuterons de l’enseignement d’El Hadji Malick SY et
de sa vertu émancipatrice.
El Hadji Malick SY (RTA) mérite un hommage appuyé de la part des Musulmans
d’ici et d’ailleurs. Ses réalisations pour l’Islam et la Tidjaniya témoignent d’une
remarquable réussite devant un pouvoir colonial bien plus doté en ressources
politiques, économiques et militaires. Il a savamment usé d’une capacité
d’accommodation pour s’assurer une prise sur les cœurs et les esprits, et partant
jeter les bases du triomphe de l’Islam et de la Tidjaniya au Sénégal et dans
plusieurs autres localités jusqu’en Afrique centrale.
Le Sénégal dont l’ordre moral et le modèle de contrat social sénégalais sont
aujourd’hui chantés avec tant d’allégresse, lui doit beaucoup. La sagesse
de Maodo a imprégné le champ de la production des idées dans un pays
majoritairement dominé dont la domination par l’Islam porte les marques
indélébiles de sa stratégie et de son action.

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
14
Experiences d’etablissement et installation d’El Hadji
Malick SY à Tivaouane
Docteur Mouhamadou Mansour DIA1

Résumé :

La ville de Tivaouane est l’un des principaux foyers religieux du Sénégal.


Elle constitue un site très important dans la stratégie de diffusion et d’expansion
de la Tidianiyya au Sénégal par Elhadji Malick Sy (1853-1922). En effet, à la suite
de nombreux périples et tentatives d’établissement dans le Wâlo, au Cap Vert,
à Saint-Louis, à Louga, à Ndiarndé, Maodo avait trouvé nécessité à s’installer
dans une localité propice à la réussite de sa mission religieuse, autrement dit
une localité qui pouvait lui garantir les conditions d’une parfaite stabilité et
où il pouvait préserver la paix indispensable avec l’administration coloniale de
l’époque. C’est ainsi qu’il a finalement décidé de s’établir à Tivaouane, à partir
de 1897. Non seulement, cette installation allait être décisive dans la trajectoire
historique d’une cité jadis païenne, mais de surcroît, cela ouvrait de nouvelles
perspectives dans l’histoire de l’islam au Sénégal.

Cette étude entend jeter une lumière sur le parcours d’établissement et


d’installation d’Elhadji Malick SY à Tivaouane. Nous postulons l’idée que sa
stratégie d’implantation à Tivaouane, participe d’une véritable « domestication »
de la politique d’assimilation culturelle mise en œuvre par l’administration
coloniale française. Le paradigme du saint aménageur qui nous permet de lire
le parcours de Maodo nous permet de comparer son action avec celles d’autres
figures religieuses du Maghreb et du Machrek, en vue de mieux ressortir les
spécificités du guide religieux sénégalais. En effet, en s’installant à Tivaouane,
Elhadji Malick pose les bases de la fondation d’une cité religieuse et donc celles
de l’imposition de son propre charisme sur l’espace, le territoire et les hommes
qui le peuplent.
Si l’occupation du nouveau lieu, en l’occurrence Tivaouane était si stratégique
dans le parcours d’Elhadji Malick SY, c’est que « l’acte même de fondation
1 Docteur en Sociologie, Maitre-assistant, enseignant-chercheur, président de la cellule pédagogique de sociolo-
gie de l’Université Virtuelle du Sénégal.

« EL HADJ MALICK SY,


15 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
religieuse, est, pour peu qu’il dure dans le temps, consubstantiel de la domination
d’un espace social et géographique, se traduisant par une pratique sociale qui a
pour champ d’action non seulement la conscience et le cœur des hommes, mais
aussi le territoire, les rapports sociaux qui s’y nouent entre les hommes et les
biens que ceux-ci y font circuler. »
L’étude du parcours de Maodo à partir du prisme de son expérience
d’établissement est d’une vertu sociologique et anthropologique dans la mesure
où on y trouve une grille de lecture qui nous permet « d’arracher la sainteté à
une analyse de type psycho-philosophique privilégiant les aspects spirituels et
éthiques, et de la constituer en objet de réflexion anthropologique ».
Nous fondons notre étude sur une démarche méthodologique de type qualitatif
et compréhensif. Notre corpus est composé d’entretiens, de notes d’observation
et d’analyse de contenus documentaires.
Cet article est structuré en trois parties. Après avoir cerné l’expérience
d’établissement à Tivaouane de Maodo, nous avons voulu mettre en relief
la transformation de cette ville en cité religieuse, en mettant le focus sur les
mécanismes d’intégration et de compromis dont a fait preuve Elhadji Malick
pour s’assurer une nouvelle gouvernance religieuse. La dernière partie porte
sur la promotion par Maodo d’un modèle, celui de l’islam urbain et de sa place
dans la redistribution de la carte religieuse au Sénégal et Afrique musulmane
d’une manière générale.

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
16
L’ecole de Mawdo, cadre cognitif et culturel
Professeur Abdoul Azize KEBE
RESUME
Tiraillées entre mirages et travers des traditions exogènes (coloniale et islamique)
dont elles sont héritières, nos sociétés se voient piégées dans une impasse
socioculturelle caractérisée par des crises multiformes qui n’épargnent guère
personne. Y remédier suggère de repenser les substrats sur lesquels elles reposent,
d’inventorier les patrimoines dont elles sont dépositaires, nous les approprier,
les consolider dans leurs bases historiques et leurs appuis doctrinaux. Un regard
lucide et objectif jeté sur la société sénégalaise, particulièrement, permet de
déceler, aisément, un riche legs laissé par de valeureux femmes et hommes, au
premier rang desquels El Hadji Malick Sy, Maodo, dont le parcours exceptionnel,
la vie entièrement vouée à la recherche du Sens et, la monumentale œuvre sont
à revisiter pour offrir aux sénégalais, en quête de repères, un modèle à copier.
Il est de coutume, pour des disciples, d’entretenir autour des figures religieuses
des mythes et des encensements dithyrambiques à tel point qu’elles surplombent
le toit humain et, partant, passent, non pour des modèles à suivre, mais pour des
seigneurs à adorer. Il n’en est rien dans cette contribution du Professeur Abdoul
Azize Kébé qui part de l’hypothèse de la fondation d’une école de pensée par
Maodo, malgré un contexte de pleine expansion coloniale, dont il a prouvé
l’existence à travers un argumentaire scientifique solide et digeste.
L’article apporte des réponses concises à cinq interrogations capitales : El Hadj
Malick a-t-il fondé une école de pensée ? N’est-ce pas un mythe entretenu par
les fidèles ? Quels sont les arguments de raison et non d’autorité qui justifient la
réalité de cette école de pensée, pour autant qu’elle existe ? En quoi s’est-elle
distinguée ? Quelle a été l’ampleur de son influence dans la société ?
Nourrissant son projet de libération et de guidage de sa société dans un contexte
particulièrement complexe, où l’entreprise coloniale avait fini de triompher sur
toutes les résistances armées, où les Etats traditionnels ceddo étaient encore
puissants et, où les aristocraties religieuses, non homogènes, semblaient être
dans un dilemme entre Jihad, pour les unes, et, accommodation, pour les autres,
Maodo opte pour une résistance intelligente au mode soft power en préférant
investir le champ psycho-spirituel, sachant que c’est l’homme qui prime sur tout.
Et chez l’homme, la structure mentale est le déterminant le plus important. Pour
ce faire, il fallait disposer d’un projet, d’une méthodologie, et des hommes pour
le réaliser dans le temps et dans l’espace. Aux temps forts du colonialisme, il eut
l’intelligence, pour résister, de procéder par une hiérarchisation des priorités : la
délivrance des mentalités de l’emprise idéologique d’abord, et la libération des
territoires de l’occupation coloniale, ensuite.
Ainsi, El Hadj Malick, fort de son expérience propre dans ses pérégrinations,
« EL HADJ MALICK SY,
17 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
entre le Waalo, le Fuuta, le Njàmbur, le Kajoor et le Gànnaar (Mauritanie), eut la
lumineuse idée d’installer une université populaire à Tivaouane. Ce serait la 2e
université dans la région, après celle de Pire, fondée par Khali Ammar Fall au 17e
siècle, et détruite en 1864 par le Gouverneur Valère. Mais avant son installation
à Tivaoune, le projet de l’université est expérimenté à Njarndé, petite contrée
dans le Kajoor où la sphère d’influence du colonisateur ne s’étendait que peu,
sinon, pas du tout.
En fin stratège, Maodo comprit vite que la bataille contre l’influence de la
colonisation, dans les agglomérations, passait par une retraite pédagogique
avant tout. Se retirer pour former les hommes capables d’investir les villes, et d’y
imprimer la courbe de changement adéquat, et adapté au temps. Njarndé fut
alors « un incubateur d’élites », un rendez-vous de la bonne rencontre, celle « des
desseins élevés pour un Sénégal nouveau. » comme le souligne Professeur Kébé.
Entre 1895 et 1902, Maodo s’est résolument consacré à la formation d’une
élite porteuse de projet d’émancipation des esprits, d’affranchissement des
mentalités, à défaut de libérer les territoires. Quelle stratégie ! Mais fallut-il
beaucoup de temps après, pour réaliser que Maodo eut raison dans sa démarche.
Car, jusqu’à aujourd’hui encore, plusieurs décennies après les indépendances,
malgré la proclamation de la souveraineté nationale, l’on réclame encore la
vraie émancipation.
De Njarndé est alors sortie une élite prête au changement et capable d’infléchir
une dynamique de progrès et de fraternité, traduisant la religion en facteur de
réforme dans la paix et le progrès social. Disposés à la tâche, les ressortissants
de Njarndé sont, ainsi, disséminés à travers le pays, comme une façon de mailler
le territoire et d’encercler l’administration coloniale par le filet spirituel.
Le destin était aux yeux de Maodo, de proposer un projet alternatif fondé sur la
restauration de la confiance en soi, la clairvoyance et le sens des priorités pour une
société autonome et stable, afin d’effacer les traumatismes des exactions ceddo
et coloniales. En ce sens, le projet d’El Hadji Malick SY est plus que d’actualité.
Une université se caractérise par la conjonction de trois activités : l’enseignement,
la recherche et la publication. Le statut d’université est attribué à Tivaoune
à juste titre, d’autant qu’elle fut la seule entité où se retrouvaient toutes les
disciplines, et tous les cycles d’enseignement à la fois.
Des disciplines enseignées on peut retenir : le Coran (al-Kitâb) et les Hadiths (al-
Musnad), La Méthodologie juridique (‘ilm al-Uçûl), Le Tafsîr, La Rhétorique (‘ilm
al-Balâgha), la jurisprudence (Fiqh), la grammaire (Nahw), la logique (Mantiq),
la sémantique (al-Ma‘ânî) et la stylistique (al-Badî‘)…Ajoutons à ces disciplines,
l’astronomie (‘ilm al-Falak), la biographie du Messager d’Allah (Sîra), la littérature
(Adab) et la métrique (‘arûd), les mathématiques (darb al-Mu‘addad), etc. et,
tout cela à la fois dans le même temps et dans le même espace.

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
18
Par ailleurs, le vénéré maître de l’université de Tivaouane s’attelait à la
recherche sur des questions de l’heure, sur le soufisme et ses pièges, dans la
société sénégalaise et, sa méthode d’analyse nous donne l’image d’un véritable
critique qui ne se limite pas à l’application aveugle, au conformisme, Taqlîd, qui
est souvent le mal des lettrés musulmans. De même, il s’éloigne des lectures
au premier degré, souvent superficielles et grosses d’errements. Il usait de
l’analyse linguistique, visitant la lexicologie (Lugha), la morphologie (çarf) la
syntaxe (I’râb) le contexte historique (Târîkh) et l’état de la littérature, avant de
conclure sur les questions étudiées. Sa méthode servait ses objectifs, délivrer un
savoir authentique, explicite, dépourvue de tout hermétisme comme l’indique
El Hadj Ravane Mbaye.
Maodo a laissé pour la postérité une flopée de manuels sur les disciplines qu’il
a enseignées, et il s’est évertué à rendre digestes celles qui étaient les plus
difficiles d’accès, chez les apprenants. Ses publications ont principalement
porté sur : la succession, la métrique, la rhétorique et les figures de style, la
méthodologie de l’apprentissage, la théologie et les pratiques cultuelles,
l’éthique et les compétences de vie, la siira, etc.
A terme, retenons d’El hadji Malick un homme qui a bravé les difficultés de la
vie et s’est forgé un mental de vainqueur, face aux défis de son époque, sans
jamais recourir aux subterfuges, ni enrober ses succès ou ses déboires d’une
quelconque once de mythe, de légende ou de récit merveilleux. Il a établi une
école de pensée qui aide à donner sens à l’existence, qui éduque à la capacité
de résilience et à l’élévation du dessein, à résister aux tentations, et donner un
sens à cette résistance qui n’est plus souffrance, mais amour et guidance.
L’école de Maodo éveille le mental à s’habituer à la grandeur, entraîne les cœurs
à se passionner de la beauté qui élève vers Le Beau et, sevrer le corps de toute
nourriture impure. Elle éveille, in fine, à la perception de la richesse, tant et si
bien que le patrimoine n’a de sens que dans son acquisition licite.

« EL HADJ MALICK SY,


19 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
Cheikh El Hadji Malick SY :
un précurseur spirituel de la résistance culturelle ?
Par Dr. Bakary Sambe
Directeur du Timbuktu Institute - African Center for Peace Studies
Enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions – Université Gaston
Berger de Saint- Louis (Sénégal)
Lorsqu’en1976, la revue Esprit publiait un texte d’Amilcar Cabral sous le titre
de « Résistance culturelle », on était encore loin de la récurrence des conflits
à revendication religieuse et identitaire et du risque de tomber dans le piège
du culturalisme. De la même manière, évoquant l’action de cheikh El Hadji
Malick Sy sous l’angle d’une « résistance culturelle », nous nous démarquons
de l’essentialisme de Paul S ; Huntington, en nous projetant dans une approche
plutôt anthropologique qui replace les spécificités à l’apparence contradictoire
dans le cours de la globalité universelle.
D’autant plus que Cheikh El Hadji Malick Sy est, du moins pour ses disciples,
un des dépositaires de l’héritage prophétique qui enseignait que la sagesse
est notre « bien perdu et retrouvé », il ne serait pas adéquat, au sujet de son
action, de poser les questions identitaires en termes de dichotomie et encore
moins d’opposition frontale entre identités et altérités. Malgré la « fluctuation
de l’identité culturelle » dont parlait Albert Memmi, pour le cas précis de l’action
de Cheikh El Hadji Malick Sy, nous nous référons à une conception de la culture
en tant que construction cohérente autour d’un système de valeurs spécifiques
à une société donnée dans une conjoncture particulière : la période coloniale
et ses enjeux en termes d’affirmation de soi dans un contexte de négation des
expressions culturelles contraires au projet d’assimilation.
Bien que devenue, ces dernières années, objet de recherche à la faveur du
Management de l’interculturel, nous abordons la question de la résistance
culturelle chez Cheikh el Hadji Malick dans le contexte colonial, sous l’angle de «
la signification psycho-politique et théorique des espaces d’autonomie culturelle
» . Il s’agira justement, pour nous, d’analyser la manière dont Seydi El Hadji
Malick Sy a pu créer, par l’enseignement et l’éducation spirituelle, des espaces
d’autonomie culturelle au sens d’un modèle alternatif dans le territoire colonial au
Sénégal, à l’époque dans la sous-région et, aujourd’hui, dans la diaspora.
L’approche adoptée par Seydi El Hadji Malick Sy face à la politique culturelle
d’assimilation de l’Administration coloniale, a permis de déjouer le plan
d’assimilation culturelle tout en préservant la paix sociale qui lui a permis de
dérouler toute une stratégie et parfois de manière offensive. C’est pourquoi,
il serait grand temps de déconstruire la notion quelque peu réductrice de «
résistance passive » développée et entretenue par nos premiers historiens
post-coloniaux. L’action de Maodo qui s’attaqua aux énormes conséquences
sociopolitiques de la colonisation afin de faire face aux bouleversements sociaux
et leur incidence sur le système de valeurs, part d’une logique de résistance dans

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
20
le sens de produire une alternative à la ligne politico-idéologique qu’imposait
la politique coloniale. Il y a même à voir dans quelle mesure, on pourrait lire
une telle action sous le paradigme de la résilience ; cette possibilité offerte
aux systèmes de se relever d’un choc et d’évoluer selon une trajectoire plus
positive et constructive. Au moment où cette notion revient en grande vogue,
la problématique des implications de la rencontre entre de nos sociétés « anté-
capitalistes » et l’expression la plus brute d’une mentalité de profit qu’est le
colonialisme, il serait intéressant de voir, comment en tant que précurseur,
Cheikh El Hadji Malick Sy a travaillé sur une forme de résilience d’ordre spirituel
face à la déstructuration de la société et de ses modes d’organisation.
Il y a, d’abord, la stratégie du containment géographique et idéologique
qui consistait à contrecarrer le projet culturel qui sous-tendait la stratégie
assimilationniste de la colonisation française dans le sens de ce qu’Iba Der Thiam
appelait « une entreprise d’occupation territoriale, de domination politique et
d’aliénation culturelle ». Il s’agissait, dans la vision de Cheikh El Hadji Malick Sy
de faire des villes, les épicentres d’un enseignement spirituel à travers la Tijaniyya
et qui devra rayonner au-delà des fameuses quatre communes tout en profitant
de l’ancrage rural dans le cadre d’un nexus entre éducation, spiritualité et travail
agricole (JaJuBa, Jang, Julli, Bay). Maodo a fait de la pratique de l’Islam et de la
vie confrérique la base de sa résistance à partir de laquelle, il a été possible de
redynamiser cette société à laquelle plusieurs décennies de colonisation avait,
comme le dit Césaire, « savamment inculqué la peur, le complexe d’infériorité et
l’agenouillement ». C’est pour cela qu’il est possible de considérer que l’œuvre
de Maodo s’inscrit plutôt dans une perspective sociale et socialisante selon une
conception positive de la religion au sens comtien du terme.
Avec sa stratégie de vulgarisation de l’islam, Cheikh El Hadji Malick Sy comptait
plutôt sur le rayonnement progressif basé sur un leadership qu’on qualifierait
aujourd’hui d’éclaté selon un système qui transcendait les restrictions spatiales
de l’Administration coloniale. C’est l’effet démultiplicateur du leadership de
Maodo qui a fait émerger dans toutes les contrées, des figures dont la posture
et les capacités étaient assez solides pour que sa présence physique ne soit pas
forcément nécessaire. Le système des muqaddam, inhérent au fonctionnement
de la Tijâniyya, permit largement ce type inédit de déploiement territorial où
l’omniprésence de l’esprit d’un enseignement, au sein des disciples accomplis,
se substitue allègrement à la présence du « Maître ».
Ainsi, sans agrandir, physiquement, l’École, de Tivaouane, son enseignement
atteignit les contrées les plus lointaines de l’Afrique occidentale française
(AOF) où il avait coutume de renvoyer, dans leurs terroirs d’origine, ses anciens
disciples. Un témoignage de la Revue al-Azhar de 1995, en rend compte en
ces termes : « Grâce à lui, l’Islam a connu son épanouissement dans ce pays
[Sénégal] en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya, et, poursuit la revue,
il a aussi formé de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du
pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité ».

« EL HADJ MALICK SY,


21 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
En réalité, la stratégie du containment spirituel, face à l’expansion coloniale
dans ses aspects culturels et civilisationnels, arrivait à profiter des possibilités
qu’offrait l’élargissement de la colonie.
C’est aussi une des spécificités de la stratégie de Cheikh El Hadji Malick
de pouvoir tirer profit des contraintes en les transformant en opportunités
génératrices d’alternatives. Au plan interne, au Sénégal, il envoya Serigne Alioune
Diop Maïmouna à Gaya, Sérigne Birahim Diop à Saint-Louis, cœur culturel du
projet assimilationniste colonial, El Hadj Abdou Kane à Kaolack, dans le centre
de la colonie française du Sénégal. Réalisant que ses déplacements, dans l’AOF
pourraient réveiller la suspicion du Gouvernement Général, Cheikh El Hadj Malick
préféra envoyer, après leur formation, ses disciples dans plusieurs pays de la sous-
région : El Hadj Amadou Bouya le représentera en Côte d’Ivoire, El Hadj Madior
Diongue au Congo, Sérigne Ndary Mbaye au Gabon, El Hadj Babacar Dieng en
Centrafrique et El Hadj Abdou Ndiaye à Bamako. Selon le porte-parole de la
famille Sy, Sérigne Abdou Azîz Sy Al-Amîn, « Maodo avait envoyé tous ses ténors
de la Tijâniyya en leur demandant d’aller faire un sacrifice en continuant son oeuvre
d’éducation spirituelle ». Aujourd’hui, tout un travail historique devient nécessaire
pour évaluer l’impact direct de l’Ecole de Tivaouane sur la présence musulmane
au Gabon par le biais d’El Hadji Ndary Mbaye mais aussi la manière dont cet acte
d’envoyer un émissaire a modifié le cours de l’histoire religieuse dans ce pays.
A l’époque moderne, parmi les indicateurs de mesure d’efficacité et de l’impact
d’un leadership, notamment dans la phase dite de « croissance », figure en bonne
place, la capacité de préparation aux défis actuels et futurs.
Ayant appris des échecs des stratégies précédentes de « soumission des
corps », notamment par l’épée, Cheikh El hadji Malick donne l’impression
d’avoir privilégié la démarche de « conquête des cœurs », plus durable et plus
constructif comme le montrent à suffisance « l’immensité du résultat » de son
action et de sa stratégie éducative. En s’appuyant sur les ressorts spirituels de
l’islam soufi pour contrecarrer un des piliers de la politique coloniale française -
l’assimilation de l’indigène - , Cheikh El Hadji Malick Sy devient un précurseur de
la « résistance culturelle », concept aujourd’hui évoqué dans le cadre des luttes
pour la souveraineté du continent mais aussi la forte demande de changement
de paradigmes qui sous-tendrait notre développement économique et social.
Malgré les discours sur l’aliénation culturelle, les marques résiduelles de la
colonisation semblent encore, à bien des égards, se limiter aux structures
officielles de l’ « Etat importé », loin d’une situation semblable à celle de l’Algérie
ou d’autres régions où la colonisation n’a laissé aucune marge à l’expression
culturelle endogène.
Si l’efficacité et l’efficience sont aujourd’hui parmi les indicateurs les plus importants
dans l’appréciation et l’évaluation des démarches et méthodologies, le critère de
durabilité semble revenir en force pour la mesure de l’impact. La démarche de
Maodo ne pourrait se comprendre aujourd’hui sans mettre en avant la manière

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
22
dont elle a pu générer d’autres leaderships au niveau de la pensée comme de
la lecture des réalités changeantes du monde contemporain. Dans la continuité
de son enseignement, ses successeurs ont perpétué la démarche entreprise par
Maodo. Serigne Babacar Sy a, sur le plan organisationnel, mis en place les dâ’iras
à un moment où, dans les années 50, il était grandement question de la survie du
modèle confrérique face à la montée d’un réformisme aux relents anti-confrérique.
De même, face aux enjeux contemporains, depuis l’émergence des premières
critiques sur la mondialisation négatrice de la diversité, la voix de Tivaouane s’est
toujours exprimée à travers les conférences de Serigne Cheikh Tidiane Sy et
autres colloques dans une parfaite posture d’intelligence des situations loin des
dogmatismes et autres théories de fermeture au monde qui nous entourent.
Ainsi, qu’il s’agisse de la période coloniale, de la période qui suivit l’indépendance
ou encore de celles des bouleversements les plus importants de l’époque
contemporaine depuis les années 90, le modèle d’une résistance culturelle enseignée
ou inspirée par Cheikh El Hadji Malick Sy a pu interagir avec les questionnements
du temps, y apporter des réponses adéquates sans compromettre les valeurs qui
le sous-tendent. Aujourd’hui, dans la diaspora sénégalaise à travers le monde, les
disciples de cette école de Tivaouane ont pu relire ce modèle selon leurs réalités et
continuer à le perpétuer. A Paris, New York, Bruxelles ou Tokyo, des initiatives qu’ils
portent transparaissent encore tous les aspects d’une résistance culturelle à travers la
revivification de leur spiritualité, tout en restant des modèles accomplis de citoyenneté.
Cet aspect non encore dûment étudié par les travaux sur la Tijaniyya contemporaine,
trouverait son expression la plus marquante dans l’action et la démarche de Serigne
Abdoul Aziz Sy al-Amine qui a poussé au plus loin, la notion de leadership éclaté au
point de libérer les initiatives et les stratégies d’action, se préoccupant seulement des
finalités et de la concordance avec l’esprit général de la démarche malikienne : « ne
me présentez plus de projets, j’attends de vous des résultats », disait-il dans l’esprit
d’une responsabilisation de la jeunesse qui doit, aussi, avec ses contraintes et réalités
dynamiques, faire sa propre « résistance culturelle »
A l’heure où s’exprime un besoin inédit de souverainisme au sein de la jeunesse
et qui n’épargne même pas l’élite intellectuelle et où le questionnement
principal est d’exister en soi, de rester soi-même dans un monde changeant
tout en contribuant à son évolution, la démarche de Maodo mériterait d’être
revisitée. L’angle de la « résistance culturelle » semble pertinent à plusieurs
égards surtout face aux réalités d’un monde dans lequel, aussi bien l’affirmation
d’un soi-différent que la capacité d’intégrer les nouveaux paradigmes du vivre
ensemble local et global, s’imposent de manière complémentaire. Dans un
monde libéralisé devenu un marché de biens symboliques où circulent des
offres culturelles et spirituelles les plus contradictoires, la nouvelle « résistance
culturelle » dans la continuation de Maodo devrait, peut-être, partir de la
valorisation d’un héritage malikien, non pas comme un fardeau historique que
l’on traîne, mais en tant que socle libérateur pour reconquérir, comme lui à son
époque, de nouveaux espaces d’autonomie.

« EL HADJ MALICK SY,


23 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
TIVAOUANE, 100 ANS APRES EL HADJI MALICK….
ENTRE MUTATIONS SOCIOPOLITIQUES ET EXIGENCES
DE MODERNISATION

Tivaouane, ancien terroir des « Tiédos », a radicalement vu son visage et son paysage
se transformer avec la venue et l’installation définitive de Seydi Hadji Malick. Arrivé
à Tivaouane, capitale du cercle du Cayor en 1900, il entama la construction de la
grande mosquée, qu’il a lui-même tracée et dimensionnée en 1902.

Le 17 Février 1903, l’autorisation de construire lui est délivrée par le gouverneur


du Sénégal. Un an plus tard, il reçoit l’autorisation d’ouvrir un daara (AS,
Décision N°357-505-1904). Ainsi, les premiers jalons de l’université populaire de
Tivaouane ont été posés avec comme viatique la quête perpétuelle du savoir, du
savoir-faire, du savoir-être. L’inclinaison vers son Seigneur et le travail quotidien
pour gagner honnêtement sa vie, dans la dignité et la noblesse, mais aussi dans
la purification de l’âme, du corps et de l’esprit demeurent être la philosophie
de vie du saint homme. Ce modus vivendi ou ce modus operendi enseigné et
pratiqué par Maodo est contenu dans le concept (dãgg, julli, bey).

1904 coïncide avec la date d’inauguration de la grande mosquée et la naissance


d’El Hadji Abdou Aziz Sy Dabakh. Distingué fils de Maodo qui, 72 ans plus tard
notamment en 1976, lança les travaux d’extension et de modernisation de la
grande mosquée de Tivaouane.

1904 est aussi l’année à laquelle la commune de Tivaouane fut créée par
arrêté N°933, 31-12-1904. A cette date, Tivaouane se faisait déjà distinguer
par sa verdure, ses maisons européennes en bois ou en pierres, ses rues bien
tracées et les maisons de commerce bordelaises et marseillaises. Les grands
commerçants blancs monopolisaient le commerce et l’économie locale (Maurel
et Prom Vezias, Buhan Teisseire, Bourdette, Turbé, Chavanel etc.). Ils étaient 66
blancs sur une population de 4252 habitants. En 1906, Tivaouane fut érigée en
commune mixte et devient la 5ème ville du Sénégal derrière Dakar, St Louis,
Rufisque et Gorée. Du statut de chef-lieu de la subdivision du Cayor, Tivaouane
est passée au statut de capitale religieuse de la Tidiania avec l’installation d’El
Hadji Malick Sy et de ses descendants Khalifa Ababacar, Mouhamadou Mansour,
Abdou Aziz et Mohamadou Habib et de leurs fils.

Cependant, c’est sous le Khalifa de Ababacar Sy (1922-1957) que la commune


de Tivaouane a connu un véritable essor. En effet, l’homme au sourire et au
bonnet carré légendaires jouissait d’une grande admiration auprès des talibés
mais aussi auprès de l’administration coloniale qui lui avait attribué le titre de
khalif Général de l’Afrique occidentale. En atteste le rapport rédigé par Sylvain
SANKALE, Administrateur du cercle de Tivaouane de 1948 à 1951.

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
24
Ce rapport produit le 04 Mai 1949 stipule que : « Tivaouane est la ville du
Tidianisme du fait de la présence de la sépulture d’Elhadji Malick Sy. Elle est
en même temps la résidence du khalif Ababacar Sy qui jouit d’un prestige
personnel, d’ailleurs amplement mérité, d’une piété et d’une sagesse telle que
les talibés Tidiane du Sénégal tout entier lui portent une véritable vénération.

Ils se font un devoir de venir lui rendre hommage aussi fréquemment que possible…»
(AS, 11D1/1261). C’est sous sa vision éclairée, son sens élevé du patriotisme et de
la citoyenneté et sa parfaite connaissance de l’organisation sociale et religieuse
qu’il entreprît un important programme de formation et de socialisation des talibés
autour de cadres homogènes et inclusifs en leur dotant de missions sociales et
religieuses précises qui sont conformes aux messages coranique et prophétique. La
création du Daahiratul kiraam en 1922 a fait tache d’huile au sein des communautés
Tidianes. Partout dans le pays, des dahiras virent le jour.

La Ziarra générale est instituée et le « Yoonu Tivaouane » ; la destination


Tivaouane est recommandée à tous les talibés. Serigne Ababacar Sy fascinait et
attirait les ruraux, les citadins, les ouvriers, les fonctionnaires, les intellectuels,
bref les hommes, les femmes de tous âges, de tous sexes et de toutes les
catégories socio professionnelles. Il a toujours fasciné son monde.

L’exode et le rush en direction Tivaouane accélèrent la rurbanisation de la


commune. En effet, de 1902, année à laquelle le décret fixant les limites de la
commune (1 Km de part et d’autre de la gare Ferroviaire) jusqu’au 06 Février
2009, les lignes communales n’ont pas bougé d’un mètre. C’est en partant d’un
constant de manque d’espace et d’assiette foncière et leurs conséquences sur
le développement de la ville qu’Al Amine a sollicité et obtenu du Président
Abdoulaye Wade l’extension de la superficie communale de 7000 ha regroupant
28 villages des anciennes communautés rurales voisines de Tivaouane.

Un programme de modernisation a été élaboré mais non exécuté. Les raisons


sont jusque-là non élucidées. Plus tard, Al AMINE actualisa la demande auprès
du Président Macky SALL. Plusieurs projets prévus avec l’ancien régime sont
finalement versés dans le programme de modernisation des villes religieuses.
Le 27 Décembre 2016, le décret 2016/2040 approuve et rend exécutoire le
plan directeur d’urbanisme(PDU) de Tivaouane. Ce PDU dégage les contours
d’un développent homogène et endogène avec des zones d’habitat, des zones
agricoles, et une zone industrielle de 500 ha.

A la revue ou à l’évaluation à mi-parcours de ce programme, des écarts


importants ont été notés entre les prévisions et les réalisations. Tivaouane
continue à beaucoup compter et continue de compter sur ce programme pour
pouvoir passer de le cap de la rurbanisation vers la modernisation, d’autant plus
qu’elle ne bénéficie ni des projets du PUDC encore moins ceux de Promoville.

« EL HADJ MALICK SY,


25 100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
A Tivaouane, les urgences sont partout et dans tous les sens : Santé, Education,
Voiries urbaines, Assainissement, Formation, Emploi des jeunes…La croissance
démographique exponentielle et l’extension de la commune avec le rattachement
des villages difficile d’accès, accroissent les besoins vitaux : eaux, électricité,
sécurité, écoles, routes…

L’Etat du Sénégal, à travers les programmes spéciaux (Gamou), essaie de


combler ce gab par des investissements importants dans le secteur de l’eau, de
l’électricité et de la voirie. Au plan économique, Tivaouane, malgré sa position
géostratégique et administrative, ville capitale du premier département minier
et principal poumon horticole du pays car abritant une bonne partie de la zone
côtière des Niayes, possède un taux de chômage et de pauvreté inquiétant.
Le secteur tertiaire encore embryonnaire ne milite point pour un relèvement
qualitatif du niveau de vie des populations.

Quelle stratégie et quelle politique pour faire de la capitale de la Tidiania une


ville durable, viable, vivable et prospère ? Que faire pour asseoir une économie
locale dynamique et porteuse de croissance ? Que faire pour réaliser le rêve de
la nouvelle équipe municipale qui ambitionne de faire de Tivaouane une ville
verte, une ville lumière, une ville du savoir et de développement ?

La réalisation des projets pour la ville, à l’instar du projet de finition de la grande


Mosquée, dépend de notre commun vouloir communautaire de co-construction
de cette ville que nous chérissons tous tant.

Avec la vision bien éclairée et le style de management stratégique et opérationnel


du Khalif Ababacar Mansour, l’identification, le recensement, la mobilisation
et la mise en contribution des ressources humaines et financières de la hadra
malikiyya , aucun obstacle, si grand soit-il, ne pourra se dresser devant nous.
Vouloir, c’est pouvoir. Cherchons, recherchons, inventons, innovons, faisons
de la prospective pour que mille et un grands projets jaillissent de terre et
transforment radicalement notre cité bénite.

Après la Grande mosquée et l’hôpital de niveau 3 en instance de réalisation,


osons parier que la prochaine grande réalisation dédiée à ELHADJI Malick SY
sera le futuriste projet de l’université du savoir et du savoir-faire de Tivaouane.
En effet, le père de BALKHAWMI a toujours placé la quête perpétuelle du savoir
au centre de ces préoccupations et n’a jamais dissocié la science religieuse de
la science formelle.

Honorable Cheikh Tidiane DIOUF


Membre du Comité scientifique du Centenaire
Premier Adjoint au maire de la commune de Tivaouane

« EL HADJ MALICK SY,


100 ANS APRÈS… LUMIÈRE
SUR SA VIE ET SON ŒUVRE »
26
Comité de lecture
- Professeur Abdou Salam FALL
- Cheikh Tidiane SY Al Amine
- Abdoul Hamid SY

Design graphique et mise en page


- El Hadji Malick SY DIATTA
- Adama Ibrahima COLY
- Moctar FALL
VILLE DE TIVAOUANE ROYAUME DU MAROC

Vous aimerez peut-être aussi