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Couleur et apparence visuelle

Le transparent et l’opaque
par Patrick CALLET
Enseignant-chercheur
Laboratoire de mathématiques appliquées aux systèmes
École centrale des arts et manufactures (Paris)
Secrétaire général du Centre français de la couleur

1. Couleur de source. Couleur de surface ............................................. AF 3 252 - 3


1.1 Aux origines : les travaux de Newton et la naissance de la CIE .............. — 3
1.2 Côté lumière, côté matière.......................................................................... — 4
2. Calcul du tristimulus (X, Y, Z ) ............................................................. — 4
2.1 Intégrale colorimétrique et tristimulus ...................................................... — 4
2.2 Métamérie .................................................................................................... — 4
2.3 Espaces réels et espaces virtuels ............................................................... — 5
3. Apparence visuelle et simulation........................................................ — 6
3.1 Données et grandeurs pertinentes............................................................. — 6
3.2 Indice de réfraction complexe .................................................................... — 7
3.3 Facteurs influant sur les constantes optiques n et  ................................ — 7
3.4 Loi de dispersion pour les oxydes ............................................................. — 7
3.5 Courbes spectrales ...................................................................................... — 8
4. Corps transparents et dispersion de la lumière .............................. — 8
4.1 Diffusion et transparence............................................................................ — 8
4.2 Dispersion normale ..................................................................................... — 9
4.3 Translucidité ................................................................................................. — 9
5. Diffusion de la lumière........................................................................... — 9
5.1 Milieux dilués, diffusion simple ................................................................. — 9
5.2 Milieux condensés, diffusion multiple ou diffusion volumique .............. — 9
5.3 De la diffusion simple à la diffusion multiple............................................ — 10
5.4 Modèles phénoménologiques.................................................................... — 10
5.5 Les poudres : modèle de Melamed modifié.............................................. — 10
5.6 Modèle de Kubelka-Munk ........................................................................... — 11
5.7 Couleur d’un mélange de pigments........................................................... — 13
6. Conclusion ................................................................................................. — 14
7. Annexes ...................................................................................................... — 14
7.1 Transparence et dispersion de la lumière ................................................. — 14
7.2 Formules de la théorie de Kubelka-Munk.................................................. — 15
7.3 Réflectances externe et interne moyennes ............................................... — 16
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. AF 3 252

i le mot couleur renvoie d’emblée à des notions très polysémiques, il n’est


S abordé dans ces pages que sous un seul aspect de ce qui fait l’interaction
lumière-matière, celui de la physique. La colorimétrie classique a abondamment
défini les grandeurs et les normes permettant à tout praticien, qu’il soit
concepteur, coloriste, formulateur, ingénieur ou chercheur des secteurs acadé-
miques ou de l’industrie, de pouvoir échanger des données concernant l’appa-
rence visuelle (comme la chromaticité et le brillant, par exemple) des matériaux

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ou des systèmes d’éclairage. La structure internationale la plus importante,


fondée sur une initiative française est la Commission internationale de l’éclai-
rage (CIE) [1]. D’autres organismes de normalisation, telle l’Afnor, définissent
des règles d’usage et précisent le vocabulaire de la colorimétrie appliquée. Notre
propos ici concerne les phénomènes fondamentaux qui sont à l’origine de ce
que peut mesurer un instrument : des rayonnements. Ainsi, nous supposons
fixé un observateur colorimétrique de référence défini par la CIE et concentrons
notre attention sur les modèles physiques, physico-chimiques, « exacts » ou
phénoménologiques, employés pour décrire cette interaction lumière-matière.
Elle participe à la stimulation du système visuel en tant que cause externe
première et fait appel à des connaissances issues des sciences fondamentales,
principalement de nombreux champs de l’optique. Nous mettons en évidence
l’importance capitale de la notion de fonction diélectrique complexe ou celle
d’indice de réfraction complexe [2] en ce qu’elle intervient dans tous les
phénomènes en présence lorsqu’il s’agit de couleur et, plus généralement,
d’apparence visuelle [18]. Cette notion de fonction diélectrique complexe assure
alors le lien entre les phénomènes fondamentaux de l’interaction lumière-
matière, causes profondes relevant de l’optique et de l’échelle dimensionnelle
de la longueur d’onde, et les mesurages macroscopiques qu’effectuent nos
instruments ou, tout simplement, ce que nos yeux reçoivent. Armés de cette
notion fondamentale, nous exposons le cheminement qui conduit du simple au
complexe, de la transparence à l’opacité, de la dispersion de la lumière à la
diffusion simple puis multiple de la lumière.

Pour toute description de la technique colorimétrique, le lecteur pourra se reporter à la


référence [17], article du traité Mesures et Contrôle des Techniques de l’Ingénieur.

(0)

Notations et symboles Notations et symboles

Symbole Définition R0 Facteur spectral de réflexion de la couche dif-


fusante sur un fond noir idéal, Rg = 0
S (λ) Spectre d’émission de l’illuminant de réfé- R1 Facteur spectral de réflexion de la couche dif-
rence employé fusante sur un fond blanc idéal, Rg = 1

λ Longueur d’onde X Épaisseur de la couche diffusante

R (λ) Facteur spectral de réflexion R ∞ = (R ) X → ∞ Facteur spectral de réflexion de la couche dif-


fusante : facteur spectral de réflexion d’une
x, y, z Fonctions colorimétriques de l’observateur couche si épaisse que toute augmentation
standard d’épaisseur ne le modifie pas

X, Y, Z Tristimulus Ti Facteur spectral de transmission interne de la


couche diffusante
^ Indice de réfraction (optique ou complexe)
n, n
S = ( dR 0 /dX ) X → 0 Coefficient de diffusion, taux de croissance
du facteur spectral de réflexion en fonction
k (λ) = n (λ) κ (λ) Indice d’absorption de l’épaisseur d’une couche diffusante infini-
ment mince pour une énergie incidente
K1 , K2 Coefficients de réflexion complètement diffuse

R Réflectance diffuse K = ( dTi /dX ) X → 0 Coefficient d’absorption, taux de décrois-


sance du facteur spectral de transmission en
fonction de l’épaisseur d’une couche diffu-
Notations de la théorie de Kubelka-Munk (§ 7.2) sante infiniment mince pour une énergie inci-
dente complètement diffuse
Rg Facteur spectral de réflexion du fond sur
lequel la couche diffusante est appliquée a = ( S + K )/S S’exprime aussi comme (1/R ∞ + R ∞)/2 ou
bien par R∞ = a – (a 2 – 1)1/2
R Facteur spectral de réflexion de la couche dif-
2 1/2
fusante sur un fond de facteur spectral de b = (a – 1) S’exprime aussi comme (1/R ∞ – R ∞)/2 ou
réflexion Rg bien par : R ∞ = a – b

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1. Couleur de source. Quelques propriétés de la vision humaine [22]


Couleur de surface Depuis la formulation par Michel-Eugène Chevreul [22] au
XIXe siècle de la loi du contraste simultané, d’innombrables
travaux ont été entrepris sur la vision animale et humaine. La
Les expériences historiques qui ont conduit à la formation de la photobiologie et l’optique physiologique en relation avec les
science colorimétrique moderne ont été fondées sur l’estimation sciences cognitives ont permis de mieux cerner cette notion
quantitative de perceptions visuelles portant essentiellement sur d’observateur colorimétrique, en mettant en évidence de nom-
l’observation directe de sources primaires de lumière. L’influence breuses propriétés de l’appareil visuel s’étendant bien au-delà
de l’environnement, l’angle visuel sous lequel la lumière entre du seul capteur naturel que constitue notre œil. Les travaux de
dans l’œil n’ont été admis et considérés que bien après les débuts Chevreul concernant les caractéristiques optiques que pré-
de la colorimétrie. C’est pour ces raisons que la distinction entre sentent les étoffes (notamment les étoffes de soie) ont fait évo-
couleur de surface et couleur de source est maintenue de nos luer les concepts de brillant et d’anisotropie géométrique ou de
jours. Cette distinction demeure importante puisque aujourd’hui de transvision en relation avec les phénomènes optiques d’échelle
nombreux effets visuels, notamment les variations angulaires des inférieure à la dimension des fibres textiles. Les propriétés les
fonctions de réflexion ou de transmission, doivent être étudiés et plus étonnantes et les mieux connues en termes de vision
compris par la simulation et les mesurages spectrophotomé- humaine peuvent être trouvées auprès de la Société française
triques, et plus précisément goniospectrophotométriques. Pour d’ophtalmologie ou de la Société française d’optique physio-
toutes les grandeurs radiométriques et photométriques, leurs défi- logique, par exemple. Outre les publications de la CIE, les
nitions, leurs unités, se reporter à l’article « Radiométrie. Photo- ouvrages généraux traitant de la couleur, de sa physique ou de
métrie » [3] des Techniques de l’Ingénieur. la vision donnent les propriétés du système visuel les mieux
comprises aujourd’hui et profitables à l’ingénieur [20] [23]
comme à l’étudiant. Pour la compréhension des enjeux et
l’importance des effets sur la production artistique en peinture,
1.1 Aux origines : les travaux de Newton le petit livre (éblouissant) de Philipe Lanthony « Les yeux des
et la naissance de la CIE peintres » [24] sera matière à réflexion.

La colorimétrie est une science récente. La classification, la 1.1.2 Illuminants normalisés


représentation des couleurs à l’aide de systèmes ordonnés a, au fil
des siècles, fourni plus d’une centaine de systèmes de représenta-
Les sources de lumière réelles comme la lumière du jour qui
tion des couleurs, passant progressivement d’une représentation
dépend de l’état de l’atmosphère [4] (ciel couvert ou non), de
unidimensionnelle à une représentation tridimensionnelle. Deux
l’heure du jour, de la latitude ou celle produite par un appareil
faits importants ont marqué l’histoire de la colorimétrie :
d’éclairage électrique ont des distributions spectrales très variables
— la notion de spectre, imposée par Isaac Newton (l’experi- [5] [6] [7]. Elles sont, de ce fait, inutilisables en tant que telles, si
mentum crucis) [19] qui a fondamentalement bouleversé l’histoire bien qu’il a été nécessaire de définir des sources virtuelles de
de la lumière et, par conséquent, celle des représentations, classi- lumière ayant les caractéristiques les plus constantes des sources
fications et indexations du phénomène de la couleur ; réelles de lumière. Ces sources de lumière imaginaires sont appe-
lées des illuminants. Un petit nombre d’entre eux est utilisé dans
— la naissance en 1913 de la Commission internationale de la pratique du calcul colorimétrique. Ainsi, l’illuminant normalisé
l’éclairage (CIE [1]) qui a permis de définir des caractéristiques de CIED65 représente approximativement la distribution spectrale de
sources de lumière réelles qui devaient être observées dans la lumière du jour pour une latitude moyenne par temps couvert.
différents domaines d’activité. Il correspond alors à une température de couleur proximale de
6 500 K. Encore très utilisé également, l’illuminant CIEA dont la
Les préoccupations premières concernaient alors la spécification répartition spectrale imite celle d’une lampe à filament de tung-
des signaux lumineux pour la signalisation ferroviaire, fluviale, stène de température de couleur proximale d’environ 2 800 K. On
aérienne, routière ou maritime. Très tôt, de nombreux travaux utilise aussi les illuminants normalisés correspondant à des
théoriques et pratiques ont vu le jour pour définir un observateur sources réelles de lumière fluorescente, ce sont des illuminants
de référence colorimétrique suffisamment représentatif de la vision comme CIEF2 à CIEF11. Les premiers illuminants normalisés sont
humaine normale. Le mesurage des grandeurs colorimétriques, la caractéristiques d’une émission de lumière ayant un spectre
représentation visuelle et la simulation sur ordinateur ont fait pas- d’émission continu alors que celles des illuminants de type CIEF
ser l’appréciation visuelle en plus des mesurages photométriques ont également un spectre de raies. Toutes les températures de
à des dimensions de représentation supérieures à 3. couleur [3] des illuminants font référence à la loi de Planck (énon-
cée en 1900) décrivant le rayonnement du corps noir ou du radia-
teur intégral. L’avenir des systèmes d’éclairage semble prometteur
1.1.1 Observateur colorimétrique standard du côté des diodes électroluminescentes, particulièrement avec
l’arrivée des diodes blanches [25], et le nombre des illuminants va
s’accroître. Néanmoins, la loi de Planck donne la répartition suivant
C’est en 1931 qu’a été publié par la CIE le premier observateur la longueur d’onde du flux émis F par un corps noir à la tempéra-
colorimétrique standard ayant un angle d’ouverture du champ ture T. Dans un petit intervalle de longueur d’onde, le flux émis F
visuel de 2o. Par la suite, en 1964, un autre observateur colori- s’exprime à l’aide de la rélation (1) :
métrique de référence dit « supplémentaire » a été défini faisant
intervenir des résultats expérimentaux pour un angle d’ouverture 2 π hc 2 1
du champ visuel de 10o. Des tables de données pour ces observa- dF ( λ , T ) = ---------------------- ----------------------------------------------- d λ (1)
λ5 hc
exp -------------------- – 1
teurs colorimétriques de référence peuvent être trouvées dans les kB λ T
publications de la CIE ; elles figurent également en annexe dans de
trop rares ouvrages écrits en français [20]. Des données spectrales
avec h constante de Planck (6,63 × 10 –34 J · s),
et des modèles de comportement des matériaux ou les propriétés
de l’observateur de référence sont indiqués dans l’excellente édi- kB constante de Boltzmann (1,38 × 10–23 J/s),
tion de « Color Science » de Stiles et Wyszecky [21]. c vitesse de la lumière dans le vide (3,00 × 108 m/s).

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La seule façon de comparer des calculs issus de modélisations Exemple : examinons ce que représente ce tristimulus. Imaginons
scientifiques fait donc intervenir les illuminants normalisés. Leur qu’une automobile de couleur rouge (c’est ce que nous nommerons sa
emploi doit toujours être signalé et leur nature exacte précisée [17]. teinte telle qu’elle nous apparaîtrait en lumière du jour) circule dans un
tunnel routier éclairé par des lampes à vapeur de sodium dont le
spectre d’émission peut se réduire approximativement à une seule raie
Comme il a été signalé plus haut, le nombre des systèmes de pour la longueur d’onde λ = 589,3 nm. Si nous nous trouvons dans un
représentation des couleurs est considérable et nous limiterons véhicule voisin et regardons une feuille de papier (blanche en lumière
ici nos descriptions à ceux les plus communément utilisés dans du jour), nous voyons néanmoins une feuille de papier blanche car la
de nombreuses industries. Ainsi les espaces colorimétriques les nature de la chose observée, qui nous est connue et familière, ainsi
plus pratiqués actuellement sont connus sous les noms de que le phénomène de la constance des couleurs nous incitent à dire
CIELab ou CIELuv. que cette feuille est blanche. Un instrument de mesurage tel qu’un
spectrophotomètre enregistrerait à peu de choses près le spectre
d’émission de la source, c’est-à-dire après calcul des coordonnées
1.2 Côté lumière, côté matière trichromatiques, une couleur située dans le « jaune-orangé ». Quant à
« l’automobile rouge », on dira sans aucune hésitation qu’il s’agit d’une
■ Couleur de source automobile grise.
Les coordonnées trichromatiques pour les sources primaires de Cette expérience de la vie courante peut avoir des implications
lumière sont données par : dramatiques en ce qui concerne le témoignage oculaire de personnes


780 (de bonne foi). Chaque fois que l’on omet de préciser les conditions

X = Km S (λ) x (λ) dλ  d’éclairage pour la visualisation d’un objet, on commet une faute qui
380  peut se révéler avoir de graves conséquences.

 
780
Y = Km S (λ) y (λ) dλ  (2)
380 


780
 2.2 Métamérie
Z = Km S (λ) z (λ) dλ 
380

avec S (λ) spectre d’émission de l’illuminant de référence D’après ce qui précède, il est aisément concevable que les
employé, intégrales (3) puissent prendre les mêmes valeurs pour des
x, y, z fonctions colorimétriques décrivant la sensibilité fonctions R ( λ ), S (λ ) ou x , y , z différentes. Ainsi, chaque fois
spectrale de l’observateur colorimétrique standard. que deux facteurs spectraux de réflexion (ou de transmission),
deux illuminants ou deux observateurs produiront le même triplet
Km = 683 lm · W –1 est obtenu par normalisation de la compo- (X, Y, Z ), on pourra parler de métamérie. La CIE a fixé les
sante Y de manière que, à la longueur d’onde λ = 560 nm, on conditions d’observation permettant la comparaison visuelle de
obtienne Y = 100. deux plages colorées. C’est d’ailleurs la même idée que celle de
■ Couleur de surface l’égalisation colorimétrique qui donna naissance à la définition de
l’observateur colorimétrique standard.
Bien que la science colorimétrique se soit fondée sur le mesu-
rage et la représentation des couleurs des sources de lumière, elle
s’est considérablement développée pour les couleurs de surface. Exemples : choisir un vêtement exposé dans un magasin éclairé
Même si les attributs perceptifs sont différents dans les deux cas, en lumière artificielle peut causer des déceptions lorsqu’on le regarde
l’adéquation entre source primaire de lumière et source secondaire en lumière naturelle. Le prothésiste dentaire qui doit formuler la
est demeurée, jusqu’à nos jours, dans le même cadre de représen- matière même d’une dent artificielle ne travaille pas dans les mêmes
tation. En fait, aujourd’hui la colorimétrie des surfaces est plus conditions d’environnement lumineux que le chirurgien dentiste qui en
développée que celle des sources de lumière. donne la prescription. De plus, le prothésiste n’a que peu d’informa-
tions sur les dents voisines de la dent « à formuler ». Dans le monde
animal, c’est le camouflage et le mimétisme qui illustrent bien les
notions de métamérie. Toutes ces notions très anthropogéniques, véri-
tablement calquées sur un modèle de la vision humaine, ont été élabo-
2. Calcul du tristimulus rées en dehors de la notion de polarisation de la lumière. Les relations
(X, Y, Z ) complexes entre prédateur et proie ou entre partenaires sexuels
exploitent de tels effets de polarisation en réflexion ou en transmission
de la lumière.
Cette notion de tristimulus, qui a été longue à acquérir, sinon à
admettre, joue un rôle primordial dès que l’on veut quantifier les
attributs perceptifs des sources de lumière ou des surfaces. Examinons plus formellement comment la notion de métamérie
s’exprime.

2.1 Intégrale colorimétrique et tristimulus ■ Métamérie de sources


L’espace colorimétrique virtuel CIEXYZ permet le calcul de toutes Lorsque deux sources de lumière de distribution spectrales
les grandeurs photométriques. Nous donnons ci-après la définition S 1 (λ ) et S 2 (λ ) différentes produisent néanmoins le même effet
du tristimulus : visuel pour un même observateur et un même matériau, on parle


780 alors de métamérie de sources.

X = Km S (λ) R (λ) x (λ) dλ 
380 

780  ■ Métamérie de surfaces
Y = Km S (λ) R (λ) y (λ) dλ  (3)
380  Lorsque deux facteurs spectraux de réflexion R 1 ( λ ) et R 2 ( λ ) dif-

 férents produisent, pour un observateur et un illuminant donnés, la
780

Z = Km S (λ) R (λ) z (λ) dλ  même apparence colorée pour deux échantillons matériels (pein-
380 ture ou matière plastique par exemple), on dit qu’il y a métamérie
avec R (λ ) facteur spectral de réflexion. de surfaces. C’est le cas de métamérie le plus fréquent.

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■ Métamérie d’observateurs
Ce troisième cas de métamérie survient lorsque l’observateur y
n’est pas en mesure de discerner des apparences chromatiques 0,9
pour des raisons d’anomalies du système visuel (dyschromatop- 520
sies, par exemple). Les facteurs néanmoins les plus courants et
susceptibles d’altérer la vision des couleurs chez les sujets nor- 0,8
maux sont : 540
— des variétés de pigments visuels ayant un pic d’absorption en
décalage par rapport à la moyenne des sujets « normaux » ; 0,7
— la variation de la densité optique du cristallin avec l’âge et 560
une absorption des plus courtes longueurs d’onde ;
— la présence d’un pigment rétinien inerte, dit pigment macu- 0,6
500
laire [25], se concentrant dans le voisinage de la fovéa, placé devant
les cellules photoréceptrices et ayant une absorption spécifique
0,5
marquée pour λ  500 nm ; 580
— la forme même des cellules en cône, plus longues dans la
600
région fovéale que dans les zones plus éloignées, différencierait le 0,4
cheminement de la lumière, causant ainsi une sorte d’aberration
chromatique.
Ces variations inter-individuelles expliquent la petite dispersion 0,3 780
des résultats d’égalisation colorimétrique [27] ayant conduit à la
définition d’un observateur de référence colorimétrique. La méta-
mérie d’observateurs s’exprime alors sur les intégrales (3) prenant 0,2 480
la même valeur pour deux observateurs différents, c’est-à-dire
ayant des fonctions colorimétriques distinctes x ( λ ), y ( λ )
ou z ( λ ) . 0,1

λ (nm)
380
0
0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8
2.3 Espaces réels et espaces virtuels
x

De même que l’on distingue les sources réelles de rayonnement a


lumineux de leurs représentants commodes pour les calculs
d’éclairage, de colorimétrie, de conception, etc., on définit des y
espaces colorimétriques réels et des espaces colorimétriques vir- 0,9
tuels. Les uns comme les autres ont une particulière importance. 520
On parle également de changement de primaires lorsqu’une trans-
formation linéaire fondée sur la trivariance visuelle est définie par 0,8
540
une matrice 3 × 3 [20] permettant l’expression de grandeurs photo-
métriques dans un autre espace colorimétrique. Le pivot de tous
0,7
les espaces colorimétriques est bien entendu l’espace CIEXYZ.
560
0,6
2.3.1 Espace CIEXYZ 1931

Un observateur humain dépourvu de toute anomalie de vision 0,5 ouleur


de c
des couleurs peut percevoir les couleurs spectralement pures
t u res 580
correspondant à des rayonnements monochromatiques. L’ensem- ra 3 000 A
0,4 pé
ble de ces couleurs, rapportées à l’espace colorimétrique XYZ, for-
2 854

em
2 000

600
1 500
t

ment alors l’enveloppe limite de ce que l’œil peut percevoir ; on D 4 500


s
de

l’appelle le spectrum locus (figure 1). Il a été établi que toute 6 500
ne

0,3 620
couleur ainsi perceptible est nécessairement « à l’intérieur » de la
Lig

10 000 770
courbe limite que constitue le spectrum locus. Les points extrêmes
de cette courbe sont joints par un segment de droite appelé « ligne
0,2 Infini
des pourpres » (figure 1b). On remarque la zone blanche dans le es
rpr
tiers inférieur du diagramme (figure 1a ) qui comprend le point 480 p ou
d es
« achromat ». La courbe qui s’étend du rouge au blanc dans la 0,1 ne
direction du bleu formant un arc convexe représente le lieu des Lig
« températures de couleur » (figure 1b). Cette notion est issue du 475
calcul de la température correspondant au maximum d’émission 450
0
du corps noir théorique (éq. (1)) défini par la loi de Planck [7] [20]. 0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8
Les coordonnées trichromatiques (x, y, z) se déduisent du tristi- x
A : illuminant CIE A (lampe à filament de tungstène)
mulus X, Y, Z par une normalisation commode :
D : illuminant CIE D65
X Y b
x = ------------------------------- y = ------------------------------- x+ y+ z = 1
X+ Y+ Z X+ Y+ Z
De la sorte, deux nombres, généralement le couple (x, y ), sont
alors utiles pour désigner une couleur. Représenté dans un plan, Figure 1 – Spectrum locus

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l’ensemble des couples (x, y ) définit le diagramme de chromaticité seconde. La visualisation sur écran d’ordinateur et la simulation en
tandis que l’ensemble des triplets ( x, y, z ) définit le solide des trois dimensions nous ont habitué à voir les produits en cours de
couleurs visibles et/ou réalisables. conception avec des attributs visuels « réalistes ». Même si les
méthodes et modèles employés la plupart du temps n’ont que des
fondements scientifiques approximatifs, certains d’entre eux ten-
2.3.2 Espace CIELab ou L*a*b* CIE 1976 tent d’approcher l’apparence visuelle qu’auraient réellement les
matériaux simulés.
Cet espace est particulièrement adapté à la description des
couleurs de surface, ce qui explique son emploi majoritaire dans la
plupart des industries manufacturières ayant pour objet l’esthéti-
que de la conception ou le contrôle de la qualité de production, la 3.1 Données et grandeurs pertinentes
reproduction, le contretypage, etc. Les grandeurs colorimétriques
dans l’espace CIELab sont définies par les relations : Pour les physiciens, les chimistes, les ingénieurs, la notion de
couleur passe par la caractérisation d’une grandeur spectrale. Les
L* = 116  Y/Y n  1/3 – 16 spectres de réflexion, de transmission ou d’émission sont alors des
notions primordiales et pertinentes pour la lecture que le spécia-

    
1/3 1/3
X Y liste souhaite en faire. Dans de nombreux métiers, l’information
a* = 500 ------------ – ----------
Xn Yn apportée par ces spectres n’est ni suffisante ni la plus pertinente.
La principale raison réside dans les variations angulaires des

    
1/3 1/3
Y Z phénomènes optiques qui se superposent aux variations spec-
b* = 200 ----------- – ---------- trales. L’industrie, dans sa généralité, mais particulièrement le
Yn Zn
champ de la simulation pour la conception de produits, a besoin
aujourd’hui d’une instrumentation de contrôle et de formulation
avec X n , Y n et Z n valeurs de X, Y et Z de l’illuminant de référence
sachant relier les informations spectrales directionnelles entre
utilisé avec Yn valant toujours 100.
source et détecteur. Il est alors nécessaire de se donner des
Par construction, cet espace colorimétrique est appelé uniforme modèles de comportement optique des matériaux en fonction de
en ce sens qu’il possède une métrique euclidienne, ce qui est fort leur nature, de leur structure et de leur état de surface. Parmi ces
commode pour un usage pratique. Cette propriété apparaît trois concepts, le premier s’exprime par l’indice de réfraction.
nettement à travers la notion de différence de couleur entre deux L’ indice de réfraction complexe ou la fonction diélectrique
stimulus : complexe des matériaux homogènes permet de représenter visuel-
lement le phénomène de réflexion métallique, en tant que généra-
∆ E ab
* = ( ∆L* ) 2 + ( ∆a* ) 2 + ( ∆b* ) 2 (4) lisation de la réflexion diélectrique. Bien que cette notion soit très
peu employée, elle demeure la seule pertinente et prometteuse
De même, dans d’autres espaces colorimétriques comme HLS pour la simulation d’aspects optiques du monde industriel ou du
ou mieux encore CIELuv, on définit le chroma et l’angle de teinte monde de l’art, de l’histoire et de l’archéologie. Les indices de
par : réfraction complexes des matériaux et même ceux des éléments
 
b*
* = a* 2 + b* 2 h ab = arctan ---------- sont difficiles à obtenir et cela explique aussi le peu de travaux
C ab (5)
a* effectués en infographie avec ces données trop rares. Cependant,
nous avons collecté certaines d’entre elles dans des tables de
Il faut néanmoins bien prendre garde au fait que cette formule constantes disponibles au CEA [30]. Il est possible de modéliser
de différence de couleur ne représente pas à proprement parler l’indice de réfraction complexe à partir de formulations simples et
une « formule d’acceptabilité » ou de « tolérance » colorimétrique. classiques du mouvement d’un seul électron lié à un atome et sou-
Les précisions sur ces notions sont en effet propres aux différents mis à un rayonnement électromagnétique incident. Cela permet
secteurs d’activité. d’expliquer qualitativement l’essentiel de ce qui est observé. Le
lecteur pourra se reporter utilement à l’article « Optique des
milieux matériels » du présent traité [7]. Nous employons la nota-
tion de Max Born et Emile Wolf [31] pour désigner l’indice de
réfraction complexe. Ainsi, nous écrirons :
3. Apparence visuelle
et simulation n^ ( λ ) = n ( λ ) [ 1 + i κ ( λ ) ] (6)

avec n (λ ) indice optique, généralement appelé indice


de réfraction,
L’apparence visuelle des objets du monde qui nous entoure ne
fait pas seulement intervenir le caractère chromatique. Rares sont k (λ) = n (λ ) κ (λ ) indice d’absorption.
les ouvrages qui tentent d’embrasser tous les phénomènes opti-
La fonction diélectrique complexe, issue des équations (macro-
ques responsables des divers effets chromatiques perceptibles.
scopiques) de Maxwell [8] relie directement cet indice de réfraction
Cette physique de l’interaction lumière-matière est plus particuliè-
rement abordée avec succès dans trois ouvrages [18] [28] [29] qu’il
complexe à la permittivité diélectrique ^ ε r ( λ ) et la perméabilité
magnétique µ^
r ( λ ) relatives du milieu rencontré par la relation :
est bon de se procurer. La sensation visuelle et l’identification
même d’un objet sont renforcées par d’autres attributs. Ainsi, le
transparent, le brillant, le satiné, le mat, le diffus, la transvision, le n^ ( λ ) = εr
^ (λ) µ
^
r (λ) (7)
métallique, le soyeux, le nacré, l’iridescent, etc. renvoient-ils à des
notions dont l’importance culturelle est immense et ont forgé le Actuellement, nous ne connaissons pas l’influence chromatique
langage tout entier. Bien entendu, la caractérisation de tous ces que pourrait détenir le terme de perméabilité magnétique. Nous
aspects optiques fait intervenir des propriétés de distribution angu- nous contenterons donc de supposer que la fonction diélectrique
laire des phénomènes en cause. Ces aspects goniochromatiques complexe seule détermine l’apparence visuelle du corps ou milieu
sont, aujourd’hui, très recherchés et la plupart font référence à une observé, en dehors des paramètres extrinsèques d’origine géo-
classification de ce que l’on nomme les couleurs structurales ; métrique comme la rugosité ou l’ondulation de la surface. Cela
dans l’industrie, la dénomination de « teinte à effet » prend cette signifie que nous supposerons que, dans le domaine visible, la per-
signification, la première dénomination étant préférable à la méabilité magnétique relative µ r (λ ) des corps est égale à l’unité.

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3.2 Indice de réfraction complexe décimales. La perméabilité magnétique intervient également sui-
vant les éléments étudiés (état paramagnétique ou ferromagné-
tique) ; l’influence, pour les terres rares lourdes (Gd, Dy, Tb, Ho),
porte sur la seconde décimale.
3.2.1 Importance
Dans les applications de visualisation en synthèse d’image [11],
L’indice de réfraction complexe est plus pertinent que les nous supposons le plus souvent que µ = µ 0 , c’est-à-dire que la per-
spectres de réflexion ou transmission pour décrire les propriétés méabilité magnétique du matériau est la même que celle du vide
visuelles des corps. C’est parce que les lois de comportement et qu’elle n’a pas d’influence sur l’aspect visuel du corps. La plu-
optique des matériaux, angulaires et/ou spectrales, s’expriment part des surfaces métalliques se recouvrent d’une couche superfi-
toutes à l’aide de cette grandeur qu’elle revêt autant d’importance, cielle d’oxyde ou de composés plus complexes lorsqu’elles sont
plus particulièrement en simulation pour le contrôle ou la création : placées à l’air libre (patines naturelles). Des travaux sur les
— l’opacité et la grande réflectivité des métaux sont caractéris- couches rugueuses d’oxydes métalliques déposées sur le métal
tiques de grandes valeurs de l’indice d’absorption κ (cf. nota 1), parent ont été faits [32] [33] et fournissent des résultats encoura-
tandis que la partie réelle de l’indice reste relativement faible et geants. Cependant, si l’effet visuel recherché et restitué peut être
même inférieure à l’unité (caractéristique de l’évanescence) pour les satisfaisant, le contrôle des propriétés optiques des surfaces réel-
très bons conducteurs (métaux nobles essentiellement) ; les demeure délicat ; les études plus facilement abordables portent
— la semi-transparence des lames minces et la bonne réflectivité sur des matériaux et couches de qualité optique.
des semi-métaux sont caractéristiques d’un indice d’absorption plus
faible et d’un indice de réfraction n qui atteint plusieurs unités ;
— la transparence et la translucidité sont caractérisées par un 3.4 Loi de dispersion pour les oxydes
indice n réel auquel est associé un indice d’absorption k nul ou très
faible. Dans les cas les plus simples, l’indice de réfraction est un
Nota 1 : dans un milieu hétérogène, on définira la partie imaginaire de l’indice de nombre réel dont la dépendance vis-à-vis de la longueur d’onde
réfraction complexe comme un indice d’extinction englobant à la fois les deux phéno- fixe la loi de dispersion. L’indice de réfraction d’un corps ou milieu
mènes d’absorption et de diffusion dans le milieu.
homogène est une fonction de la température, de la densité et de
la composition. Les milieux dilués comme les gaz ont un indice
légèrement supérieur à l’unité. L’indice varie avec la densité et, en
3.2.2 Quelques caractéristiques de l’indice ce qui concerne les milieux transparents formés d’oxydes métalli-
de réfraction complexe ques, il suit une loi appelée relation de Gladstone-Dale. Cette rela-
tion, reliant l’indice de réfraction à la densité, s’écrit dans le cas
À un niveau fondamental, la partie réelle n de l’indice de réfrac- d’un mélange à longueur d’onde fixée :
tion est reliée à la bande de valence [9] du matériau alors que la
partie imaginaire n κ est reliée à la bande de conduction. En n = 1 + d (p 1 k 1 + p 2 k 2 + ...+ pn kn ) (8)
optique existent des méthodes d’extraction ou de mesurage des
constantes optiques n et κ. Il s’agit essentiellement de l’analyse de avec d densité de l’oxyde,
Kramers-Krönig, rapide et efficace pour traiter des spectres de pi concentration en masse du composé numéro i,
réflexion ou de transmission, et de l’ellipsométrie spectrosco- ki coefficient de réfraction du composé i.
pique [10].
Ainsi, n = 1 + 0,21 d pour la silice amorphe
et n = 1 + 0,4 d pour le dioxyde de titane amorphe.
3.2.3 Quelques limitations concernant l’indice Le tableau 1 illustre quelques valeurs caractéristiques de ces
de réfraction complexe coefficients de réfraction.

Dans de nombreux cas, la notion d’indice de réfraction complexe


n’est pas directement utilisable. On s’efforce alors d’employer un
indice de réfraction complexe effectif. Sur un plan purement for- Tableau 1 – Coefficients de réfraction
mel, il est toujours possible d’extraire un tel indice à partir d’un de quelques oxydes métalliques
spectre de réflexion ou de transmission par une analyse de
Kramers-Krönig [18] [31], par exemple. Nous ne discuterons pas de Composé ki Composé ki Composé ki
cet aspect des difficultés qui apparaissent ici. Par contre, lorsqu’il
est possible de définir un tel indice effectif, son emploi sera très en H2 O 0,34 TiO2 0,40 LiO2 0,31
rapport avec la composition du corps dont nous souhaitons simu-
ler l’aspect optique. ZrO2 0,20 Na2O 0,18 Nb2O5 0,30

K2 O 0,19 B 2 O3 0,22 BeO 0,24


3.3 Facteurs influant sur les constantes Al2O3 0,20 MgO 0,20 SiO2 0,21
optiques n et 
CaO 0,23 SnO2 0,15 SrO 0,14
La recherche des données pertinentes conduit à la question de PbO 0,15 BaO 0,13 P 2 O5 0,19
la variabilité et de la précision des données enregistrées, publiées
ou mesurées. En effet, les constantes optiques dépendent de la Y 2 O3 0,14 Bi2O3 0,16 La2O3 0,15
façon même de les mesurer, c’est-à-dire de l’état de surface des
échantillons utilisés (couche superficielle, rugosité, dégazage et
qualité du vide obtenu, régularité du film pour les films minces,
etc.). La température à laquelle sont effectués ces mesurages inter- Exemple : les verres flint (cf. tableau 2), contenant respectivement
vient également. Les valeurs publiées (les nôtres notamment) cor- 24, 44 et 62 % en masse d’oxyde de plomb, l’ion Pb 2+ étant hau-
respondent à T = 300 K. Les écarts sont importants entre des tement polarisable, la permittivité diélectrique [8] du matériau enrichi
mesures faites à 30 K ou bien à 300 K ; ils portent sur les premières en PbO est élevée et, par conséquent, son indice de réfraction.

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Tableau 2 – Quelques indices de réfraction de matériaux 4. Corps transparents


transparents courants (1) et dispersion de la lumière
Nom du composé
Indice (réel) exact ou moyen
et formule chimique C’est à l’aide d’un prisme de verre très transparent que Newton
décomposa et recomposa la lumière solaire diaphragmée [19]. De
Vide ou air 1,0 cette transparence est née l’écharpe colorée d’Iris, messagère des
Dieux nous révélant la couleur. L’arc-en-ciel exprimait aussi ce
Air sec (1 atm et 15 oC) 1,00027
phénomène que nous nommons aujourd’hui la dispersion de la
Eau 1,3324 lumière [13], c’est-à-dire la séparation spatiale (angulaire) des
rayonnements constitutifs d’une source de lumière polychro-
Na3AlF6 (cryolite) 1,338 matique en fonction de leur longueur d’onde. Ce sont les relations
d’échelle qui régissent les différents régimes d’interaction entre le
MgF2 (sellaïte) 1,382 rayonnement et la matière (figure 2). Dès lors que la longueur
d’onde du rayonnement est plus grande que la dimension caracté-
SiO2 (silice amorphe) 1,4601 ristique de l’objet qu’il rencontre, tout se passe comme s’il était
« invisible ». Ces interactions peuvent être regroupées sous le seul
KCl (sylvite) 1,490
vocable de diffusion [4], si l’on précise bien le régime d’interaction
Polymères 1,40 à 1,60 fixé par cette notion d’échelle.

Verre crown 1,522

Verre flint léger 1,543 4.1 Diffusion et transparence


NaCl (halite) 1,544 La notion même de blancheur est liée à celle de transparence. En
effet, un corps apparaîtra blanc s’il n’est le siège d’aucune absorp-
Mica 1,60 tion [7] dans le visible ni dans les domaines d’adjacence proche
(UV et IR). Les degrés achromatiques (niveaux de gris s’étalant
Verre flint 1,607 jusqu’au noir) [3] peuvent être également obtenus sans absorption,
MgO (périclase) 1,735 simplement par le jeu de la transmission et de la diffusion de la
lumière. C’est le diamètre moyen des gouttelettes d’eau en suspen-
Verre flint dense 1,746 sion qui détermine la blancheur d’un nuage. Ainsi, les gouttelettes
les plus fines seront très diffusantes et le rayonnement solaire sera
Al2O3 (corindon) 1,765 d’autant plus efficacement diffusé [4]. Lorsque les gouttelettes sont
de plus forts diamètres, la fraction de rayonnement qui les traverse
Écaille de poisson 1,85 est alors plus importante. Cette explication du « grisaillement » est
aussi valable pour la bande sombre d’Alexandre, zone nettement
PbCO3 2,10 grise entre les deux arcs principaux de l’arc-en-ciel.
BiOCl 2,15

ZrO2 (baddeleyite) 2,160


Lumière incidente Lumière réfléchie
C (diamant) 2,418 non polarisée N partiellement polarisée

TiO2 (anatase) 2,50

CaTiO3 (pérovskite) 2,740 Réflexion spéculaire

TiO2 (rutile) 2,755 Air


(1) Les valeurs sont généralement données pour la longueur d’onde
moyenne du doublet D du sodium. Diffusions Réflexions internes
Verre
internes multiples
sur le trajet
Air
Diffusion
3.5 Courbes spectrales surfacique
Transmission régulière
En général, les relevés spectraux correspondent à des mesura-
ges effectués pour un éclairage normal et collimaté à la surface de Lumière transmise
l’échantillon ; il est alors évalué en réflexion ou en transmission. Le partiellement polarisée
calibrage de l’instrument permet, en principe, de s’affranchir des
particularités de la distribution spectrale de la source réelle Vue en coupe très schématique de l'interaction de la lumière avec un
employée. Toutefois, cela n’est pas sans poser problème (cf. [20]). matériau transparent. Phénomènes de surface et de volume contribuent
simultanément à la sensation visuelle. La polarisation de la lumière
Des mesurages multiangles, à angles fixes ou angles paramétra- réfléchie ou transmise dépend de l'angle d'incidence. Seules les
bles, sont possibles avec quelques instruments. Lorsqu’il s’agit de indicatrices de réflexion et transmission sont mentionnées. Elles
milieux translucides, l’application de la loi de Beer-Lambert permet possèdent une protubérance (ici réduite) dans la direction de réflexion
d’extraire les indices spectraux d’absorption, connaissant les spéculaire et dans la direction d'émergence.
concentrations molaires, par exemple [2] [8]. L’analyse de
Kramers-Krönig [18] [31]permet d’extraire les constantes optiques Figure 2 – Lumière et transparence : représentation schématique
de spectres de réflexion ou de transmission de matériaux homo- des principaux phénomènes présents simultanément
gènes. dans un matériau transparent

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Nota 2 : avant Aristote, le philosophe grec Alexandre d’Aphrodisias fut le premier à cations industrielles sous sa forme métallique ou sous forme de
décrire toutes les propriétés visuelles de l’arc-en-ciel. Ainsi, en son honneur, on nomma la
région sombre entre les deux arcs principaux de l’arc-en-ciel, bande sombre d’Alexandre.
composés : oxydes, sulfate, chlorure, etc. Le cobalt est un copro-
duit de la métallurgie du cuivre ou du nickel et la production mon-
Inversement, lorsque les particules constitutives du milieu sont diale de cobalt métal s’élève à quelque 30 000 tonnes par an. Les
plus petites que la longueur d’onde du rayonnement incident (donc
verres antiques et du Moyen Âge étaient toujours colorés soit en
inférieure à 380 nm pour le visible), toute notion de couleur dispa-
brun, soit en vert en raison des impuretés, les ions Fe2+ notam-
raît au profit de la transparence car l’efficacité d’extinction diminue
ment, apportées par les sables siliceux employés. C’est la
avec le paramètre de taille de la particule :
combinaison de l’utilisation de sables siliceux très purs et l’adjonc-
π × diamètre particule tion de manganèse, plutôt fortuite, qui permirent de produire des
α = ---------------------------------------------------------------------
-
λ II verres de grande transparence. En somme, c’est l’intervention, que
l’on ne savait pas expliquer, à l’échelle microscopique, d’effets de
avec λII longueur d’onde du rayonnement électromagnétique polarisation d’ions métalliques dans une matrice vitreuse qui
à l’extérieur de la particule. modifiait la fonction diélectrique du matériau. Cette fonction déter-
Si les gouttelettes de l’émulsion [14] qui constitue le lait étaient mine toutes les propriétés optiques du milieu composite que
plus petites, le lait serait alors transparent ! Certains matériaux constitue le verre, dopé au manganèse dirions-nous en langage
comme le germanium métal possèdent une grande transparence contemporain. Les nanocermets ne sont rien d’autre que des
dans l’infrarouge mais pas dans le visible où leur indice d’absorp- « bleus de Chartres » contemporains. Dans la nature, c’est l’ion
tion n’est pas négligeable ; il est toutefois moindre que celui des chrome Cr+ qui donne la couleur si appréciée et recherchée du
métaux. D’une manière générale, on peut admettre que les semi- rubis.
conducteurs possèdent des propriétés optiques de semi-transpa-
rence en faible épaisseur (les galettes de silicium sur lesquelles on Nota 3 : les nanocermets sont des composites formés d’une phase continue principale
grave les microprocesseurs sont bien connues pour cela). L’emploi diélectrique (isolante) de type céramique ou verre, dans laquelle des agrégats métalliques
sont introduits.
du germanium et surtout de son oxyde GeO2 est de plus en plus
important dans les systèmes de transmission de la lumière
Les colorants alimentaires [35] [36] procèdent de phénomènes
(dopage de l’indice de réfraction des fibres optiques [13]). L’oxyde
d’indium, quant à lui, possède des propriétés apparemment d’absorption bien plus classiques expliqués par la chimie des
contradictoires de transparence dans le visible et de conductivité colorants.
électrique ; il est ainsi utilisé dans la technologie des écrans plats
(LCD [15], plasmas, électrochimiques) mais aussi (associé à l’oxyde
d’étain) dans les systèmes de dégivrage des pare-brise d’avions où
un courant électrique parcourt le dépôt résistif effectué sur le verre.
Ces matériaux sont utilisés en couches « presque minces » (envi- 5. Diffusion de la lumière
ron 0,1 µm pour les écrans LCD).

4.2 Dispersion normale 5.1 Milieux dilués, diffusion simple


La dispersion est dite normale lorsque aucune bande d’absorp-
Les théories de la diffusion simple décrivent comment la lumière
tion du matériau n’est présente dans le domaine de longueur
interagit avec une particule isolée ; elles sont valables pour décrire
d’onde examiné. L’allure générale de la variation de l’indice de
cette interaction dans les milieux dilués, là où la densité particu-
réfraction en fonction de la longueur d’onde est alors celle d’une
courbe continue à décroissance monotone (cf. figure 4, Annexe laire est faible. Il est implicitement admis que tout photon diffusé
§ 7.1). Nous y indiquons deux exemples illustrant le phénomène par une particule de ce milieu s’en échappe sans plus de diffusion
fort courant de l’apparition d’aberrations chromatiques dans les avec d’autres particules dans le milieu dilué. Ce milieu n’est pas
verres. Cependant ces exemples, objets de simulation, concernent opaque et se présente soit comme transparent, soit comme trans-
des verres peu dispersifs. Effet subtil, longtemps négligé en info- lucide. La couleur apparente provient alors de la diffusion et de
graphie, mais montrant bien la couleur comme fille de la transpa- l’absorption simultanées.
rence. Lorsque le matériau présente des bandes d’absorption
centrées sur des longueurs d’onde particulières, la courbe de dis-
persion présente localement une oscillation. On parle alors de dis-
persion anormale [7]. 5.2 Milieux condensés, diffusion multiple
ou diffusion volumique
4.3 Translucidité
Dans les milieux opaques ou milieux concentrés, comme les
poudres, le rayonnement incident interagit un grand nombre de
On pourrait définir la translucidité comme une forme altérée de
fois avec les particules du milieu. Il apparaît ainsi un rayonnement
la transparence, une sorte de « transparence colorée ». Lorsqu’une
diffusé émergent de façon quasi isotrope, aucune relation d’ordre
partie du spectre incident est soustraite par le matériau traversé
lors d’absorptions spécifiques, souvent en bordure du spectre visi- entre les particules internes étant supposée. La loi de Lambert peut
ble, il en résulte une coloration spécifique. L’électromagnétisme donc s’y appliquer. Lorsque ce milieu est encore plus composite en
enseigne que c’est l’équation de Maxwell-Garnett [13] [34] qui per- raison de la présence d’une phase continue, comme pour les plas-
met de calculer la fonction diélectrique complexe d’un tel milieu tiques ou les peintures (liant ou solvant), les effets de réflexion
homogène (matrice continue incorporant des inclusions de permit- spéculaire interne et externe viennent ajouter leur complexité
tivité diélectrique différente du milieu hôte et de diamètre petit propre. Nous avons vu que la caractérisation de tous les effets pré-
relativement à la longueur d’onde). Certaines colorations des sents, tant dans le continuum que dans le discontinuum, nécessi-
vitraux sont en partie dues à cet effet induit par la présence de tait l’accès aux fonctions diélectriques complexes de tous les
minuscules agrégats métalliques de cobalt dans la matrice du agents réunis. Ces grandeurs assurent le lien entre ces deux
verre (bleu de Chartres mais aussi bleu des glaçures des porce- « simplifications » extrêmes que constituent les théories de la dif-
laines de Sèvres). Le cobalt est utilisé dans de nombreuses appli- fusion simple et celles de la diffusion multiple.

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5.3 De la diffusion simple particules ; ces grains, de forme quelconque possible, déterminent
la réflectance du système pulvérulent dès que l’on sait évaluer les
à la diffusion multiple réflectances externe K 1 (n) et interne K 2 (n) moyennes (cf. Annexe
§ 7.3, figure 8). Le calcul complet est développé pour des particules
Naturellement, la transition entre les régimes de diffusion simple sphériques (nota 4) incorporant les réflexions internes aux parti-
et de diffusion multiple passe par une diffusion qui n’est plus tout cules et les diffusions entre particules situées dans un même plan.
à fait la première mais pas encore la seconde. Le paramètre de dis- La « réflexion poudreuse », ci-après présentée, s’applique à l’état
tance définissant le libre parcours moyen de la lumière dans le de surfaces diffusantes macroscopiques.
milieu et aussi la perte de cohérence du rayonnement transmis Nota 4 : cette formulation coïncide avec bien des cas pratiques où la forme des particules
permet de régler cette diffusion dite dépendante [53]. Dans l’indus- est ignorée car inaccessible ; néanmoins, le modèle demeure applicable aux particules dont
trie, la recherche de formules d’emploi aisé et rapide a assuré un on connaîtrait la géométrie individuelle, sinon la plus probable du point de vue cristallo-
graphique.
certain succès aux modèles phénoménologiques de diffusion de la
lumière.
Hypothèses :
a) les particules sont faiblement absorbantes (κ est petit) ;
5.4 Modèles phénoménologiques b) une seule couche de particules sphériques identiques est
évaluée ;
c) le diamètre particulaire d est très supérieur à la longueur
Deux modèles historiques se sont dégagés pour décrire de
d’onde λ.
manière aussi simple que possible la diffusion multiple. Les deux
modèles, formulés avec quelques nuances, ont cependant bien des
analogies et des formules assez semblables. Le premier modèle ■ Formulation du modèle
présenté est relatif à la diffusion de la lumière par des poudres à
La diffusion du rayonnement par l’ensemble de la surface sera
gros grains. Le second concerne plus directement les peintures et
produite par l’effet statistique de la répartition spatiale des rayons
matières plastiques. À l’effet spécifique près du liant, le second
réfléchis par des réflexions multiples à l’intérieur des particules,
modèle rejoint le premier asymptotiquement lorsque le liant est
par le substrat et la surface même des particules. Nous suppose-
l’air.
rons donc que les propriétés moyennes en diffusion simple et en
transmission T d’un système de particules d’orientations et de
Historique des modèles formes aléatoires mais de diamètre moyen d peuvent être repré-
sentées approximativement par les propriétés de particules sphé-
riques diffusant selon la loi de Lambert. Pour un flux incident
En 1905, l’astrophysicien Arthur Schuster [37] propose un
unitaire pénétrant la surface d’une sphérule de diamètre d suivant
modèle de milieux diffusants, un mélange de gaz et de poussiè-
un angle θ, mesuré le long d’un diamètre, l’intensité dans la direc-
res, pour représenter le comportement observé des atmosphè-
tion donnée par θ est (1/π) cos θ ; cette intensité est ici évaluée en
res stellaires. Il est ainsi conduit à inclure l’émissivité propre du
flux par unité d’angle solide. Dans l’intervalle angulaire infinitési-
nuage de gaz et de poussière ainsi que l’absorption et la diffu-
mal dθ, du fait de l’absorption spectrale, le flux parvenant à la
sion du rayonnement par cet ensemble. Il emploie, pour ce
« frontière » opposée de la sphère est alors :
modèle, deux flux de rayonnement de sens opposés, inter-
agissant avec l’atmosphère stellaire. Les particules soumises au (1/π) cos θ e–nκd cos θ 2π sin θ dθ
rayonnement étaient de dimensions inférieures à la longueur
d’onde dans le domaine visible. Ainsi, il se plaçait dans les Le flux émergeant de la surface d’une particule après absorption
conditions où la diffusion de Rayleigh est applicable. Sous ces par sa masse même lors de la traversée est donc donné par l’inté-
hypothèses, les flux diffusés dans une direction et dans la direc- gration sur θ de 0 à π/2 de cette fonction ; nous avons alors en le
tion opposée étaient de même importance. Ce modèle est à l’ori- notant M :
gine, grâce à ses deux flux, d’un grand nombre de variantes 2
regroupées sous le nom de théories à deux constantes, la plus - [ 1 – ( n κ d + 1 ) exp ( – n κ d ) ]
M = ------------------------ (9)
( n κ d )2
utilisée étant celle de Kubelka et Munk. Déjà, dans l’article de
1905, Schuster note très explicitement le potentiel applicatif de C’est là qu’apparaît toute la capacité prédictive du modèle car
son modèle à des matériaux plus terrestres. Ce modèle, valable toutes les grandeurs qui suivront seront fonction de ce terme où
pour décrire les atmosphères stellaires, a servi de point de n’interviennent que l’indice de réfraction complexe (n, κ ) et le dia-
départ pour la modélisation du comportement optique des pein- mètre particulaire moyen d.
tures, papiers, textiles, matières plastiques, cosmétiques, etc.
La sommation des rayonnements diffusés permettant d’établir la
réflectance diffuse R est effectuée sur la base des propriétés indi-
Les paragraphes suivants seront l’occasion d’aborder deux viduelles des particules ; sans entrer dans le détail du calcul, nous
modèles caractérisant les milieux hétérogènes que l’on peut indiquons les valeurs corrigées du modèle originel dans la liste des
décrire soit en termes de poudres, soit en termes de couches différents termes successifs définissant la répartition du flux inci-
minces superposées contenant des pigments. dent unitaire (noté 1 sur la figure 3). Nous avons adapté l’expres-
sion de Mandelis et col. [39] à nos notations et particulièrement à
l’expression de l’indice de réfraction complexe n = n ( 1 + i κ ). La
^

5.5 Les poudres : modèle de Melamed formule (9) est, rappelons-le, obtenue par application de la loi de
Lambert sur toute la surface sphérique d’une particule moyenne ;
modifié pour une couche de particules, le milieu inférieur se comporte
comme un substrat de réflectance diffuse R. Melamed, dans son
D’approche phénoménologique, ce modèle présente la réflexion modèle d’origine [38], a montré que le flux transmis par une cou-
diffuse de la lumière par un milieu hétérogène (discontinuum). Ce che de particules identiques est donné par :
milieu se compose de particules sphériques identiques et adja-
centes formant une couche compacte uniforme (réseau hexagonal) [ 1 – K2 ( n ) ] M
T = ---------------------------------------------
- (10)
déposée sur un substrat homogène de facteur spectral de réflexion 1 – K2 ( n ) M
connu. La spécificité du modèle de Melamed [38] ou de sa version
corrigée par Mandelis et col. [39] réside dans la nature discrète des avec K 2 (n) coefficient de réflexion interne moyen.

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de la probabilité de diffusion x. Dans le cas, plus général, d’une dif-


fusion anisotrope, on montre [39] que ce choix peut être le
r0 suivant :
xu
1 x = -------------------------------------------------------------------------------------------------- (13)
r1 r2 r3 r4 r5 1 – { 1 – x u [ 1 + exp ( – n κ d ) ] } T
correspondant au meilleur accord entre théorie et expérience.
u1 u2 u3 u4 Dans le cas de poudres dont l’opacité est élevée, la seule contri-
bution significative à la réflectance diffuse provient du premier
niveau de réflexion sur la surface externe des particules. Tout autre
rayon entrant dans une particule sera atténué par absorption avant
F1 F2 F3 F4 F5 qu’il n’effectue la double traversée requise à travers la masse
t1 t2 t3 t4 même de cette particule, incluant une réflexion interne sur la sur-
face « inférieure ».

R Remarque
Dans l’industrie des peintures, on trie les différentes nuances
d’un même ton par floculation. Les matières issues du broyage
sont déversées dans des cuves contenant de l’eau. Les particules
Les termes ri , ti , ui et Fi désignent les fractions du rayonnement en suspension sédimentent d’autant plus vite qu’elles sont plus
réfléchi, transmis, absorbé et diffusé, c'est-à-dire les fractions grosses. Ainsi, les tons les plus sombres sont obtenus les
spéculaires directes et celles correspondant aux réflexions multiples premiers. Lorsque l’absorption est importante à l’intérieur des
internes. particules, les effets de désaturation de la teinte causés par le
broyage du matériau ne pourraient plus s’exprimer, pour des dia-
Figure 3 – Diffusion par un milieu pulvérulent formé mètres plus petits que 1 µm environ. Ainsi, même en broyant du
de particules sphériques identiques. Le modèle de Melamed noir, on n’obtient pas du blanc !

Après la détermination de toutes les grandeurs précisées sur la 5.6 Modèle de Kubelka-Munk
figure 2, on aboutit en incluant le nombre infini des réflexions
internes aux sphères ainsi que sur le substrat, à une expression
Les théories à quatre flux apparaissent alors comme autant de
pour la réflectance du système, donnée par [38] [39] :
corrections au modèle fondateur. La généralisation à un nombre de
R = 2xK 1 ( n ) + x [ 1 – 2x K 1 ( n ) ] T flux de plus en plus grand semble atteindre son paroxysme avec
les travaux de Mudgett et Richards [40] [41]. Ces méthodes à flux
[ 1 – K 1 ( n ) ] ( 1 – x ) TR + [ 1 – K 1 ( n ) R ]x multiples, d’expression complexe, ont permis de faire la connexion
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
- (11) avec la théorie devenue classique de Kubelka-Munk en introduisant
1 – K 1 ( n ) R – ( 1 – x ) [ 1 – K 1 ( n ) ] TR de nouveaux coefficients ; cette dernière théorie, s’appliquerait
assez bien, semble-t-il, aux matières plastiques semi-transpa-
avec x en pratique, probabilité de diffusion du rayonnement
rentes. Abordons à présent la physique du modèle. Pour déter-
vers le haut,
miner le flux émergent (réfléchi ou transmis), on découpe la
(1 – x) celle de diffusion vers le bas, couche diffusante en « tranches minces » d’épaisseur élémentaire
K 1 (n) coefficient de réflexion externe moyen (cf. Annexe dx parallèlement aux interfaces et l’on détermine le bilan radiatif
§ 7.3). pour chacune de ces couches. Puisque, dans le milieu diffusant
La sommation sur tous les rayons entrants ou sortants est lui-même, on peut considérer le rayonnement incident comme
complète ; en ce sens, l’équation (11) dont on tirera R est une complètement diffus et isotrope, il sera nécessaire d’évaluer
équation de bilan radiatif. La résolution de cette équation du l’épaisseur efficace de la couche élémentaire puis de résoudre le
second degré en R conduit, si l’on ne retient que la racine négative système d’équations différentielles couplées obtenu. Les défini-
(car R  1 ), à : tions des symboles ainsi que l’ensemble des formules classiques
que l’on obtient sont regroupées en annexe (§ 7.2). La figure 4 défi-
nit les premiers symboles permettant d’établir le système d’équa-
R = -----------  1 + AC – BD – ( 1 + AC – BD ) 2 – 4C ( A + xB ) 
1
(12) tions différentielles de Kubelka et Munk.
2C
Appelons I le flux de rayonnement dans la direction x négatif
avec : A = 2xK 1 (n) et J celui dans la direction x positif. Pour un angle d’incidence par-
ticulier θ sur la couche élémentaire d’épaisseur dx , le chemine-
B = x [1 – 2xK 1 (n)] T ment dξ moyen des rayons dans le milieu est :
C = K 1 (n) + (1 – x) [1 – K 1 (n)] T dx
d ξ = ------------------
cos θ
D = (1 – x) [1 – K1 (n)] T – xK 1 (n)
Si, de plus, nous désignons par I0 le flux total incident dans
Il est intéressant de remarquer que le procédé décrit dans ce l’hémisphère supérieur, alors l’intensité relative dans la direction
modèle ne fait pas intervenir d’échantillon de référence et a, pour définie par θ sera donnée par :
cette raison entre autres, rencontré un certain succès parmi les
spectroscopistes travaillant sur les poudres, car la fonction R 1 ∂I
------- ⋅ --------- d θ
(réflectance diffuse) est établie de façon très générale. La I0 ∂ θ
comparaison avec des résultats de mesurages établis sur des
poudres réelles formées de billes de verre fournit un choix particu- Ainsi, pour avoir la valeur moyenne de ce chemin parcouru par
lier de la probabilité de diffusion vers le haut, soit xu = 0,284. La les rayons dans tous les sens dans la couche élémentaire d’épais-
réflectance définie par (12) est très fortement dépendante du choix seur dx, nous devons intégrer sur toutes les valeurs possibles de

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Divisons la première équation par I et la seconde par J puis ajou-


tons-les, en posant auparavant J/I = r, on obtient :
x Air

 
R X
dr
X -------------------------------------- = S dx
R g r 2 – 2ar + 1 0
I

dx avec Rg réflectance du substrat, c’est-à-dire la valeur pour J/I en


x = 0,
R grandeur cherchée correspondant à x = X.
J
L’intégration donne le résultat suivant :
0
1 ( R – a – a 2 – 1 ) ( Rg – a + a 2 – 1 )
Rg Subjectile ------------------------------ lg -----------------------------------------------------------------------------------------------------------
- = SX (17)
2 a2 – 1 ( Rg – a – a 2 – 1 ) ( R – a + a 2 – 1 )
Nota 5 : lorsqu’il s’agit de peinture, on parle plutôt de subjectile au lieu de substrat. La
couche déposée est appelée feuil ou plus prosaïquement film.
Figure 4 – Coupe schématique d’une couche diffusante
et absorbante pourvue d’interfaces planes. Lorsque l’épaisseur X de la couche croît au point de ne plus
Définition des deux flux I et J modifier la réflectance et de masquer complètement le fond, tout
se passe comme si Rg = 0 et X → ∞ ; dans ce cas, on obtient à par-
tir de (17) :

l’angle d’incidence θ de 0 à π/2. Nous avons alors, faisant le même


( –a – a 2 – 1 ) ( R∞ – a + a 2 – 1 ) = 0 (18)
raisonnement pour le flux provenant de la direction opposée :
À partir de cette dernière relation, on peut extraire la réflectance
π  diffuse de la couche, celle-là même que l’on appelle facteur de

-----
2
1 ∂I  réflexion spectral diffus selon la terminologie recommandée par la
d ξ i = dx -------- ⋅ ---------- d θ ≡ u dx  CIE [42].
0 I0 ∂θ 
π
 (14) Nous avons ainsi cette importante formule de la théorie de


-----
2  Kubelka-Munk :
1 ∂J
d ξ j = dx -------- ⋅ ---------- d θ ≡ v dx 
0 I0 ∂θ  R∞ = a – a2 – 1

Puisque le mécanisme de la diffusion isotrope est local, la répar- qui peut se présenter sous les formes variées suivantes comme :
tition angulaire du flux incident (I ou J ) est telle que (cf. raison-
nement effectué pour établir (9)) : K K2 K 1
- + 2 -------
R ∞ = 1 + ------- – ---------- ou R ∞ = --------------------------------------------------------------------- (19)
S S2 S K2
∂I ∂J K K
--------- = 2I 0 sin θ cos θ et ---------- = 2J 0 sin θ cos θ 1 + ------- + ---------- - + 2 -------
∂θ ∂θ S S2 S

La propriété la plus remarquable qui apparaît aussitôt en voyant


En remplaçant ces expressions dans les relations (14), on
ces formules est la dépendance en l’unique variable, quotient du
obtient :
coefficient d’absorption et du coefficient de diffusion. L’extraction
u = 2 et v = 2 de ce quotient et son expression en fonction de la réflectance dif-
En résumant, pour un rayonnement complètement diffus sur une fuse de la couche à partir d’une des relations (19) fournit la fonc-
couche élémentaire d’épaissuer dx, le chemin moyen des rayons tion de Kubelka-Munk :
est égal au double de l’épaisseur géométrique de la couche, soit K ( 1 – R∞ ) 2
avec notre jeu de symboles : ------- = ------------------------------ ≡ F ( R ∞ ) (20)
S 2R ∞
d ξ i = d ξ j = 2dx Dans des paragraphes ultérieurs, nous verrons l’importance de
ce quotient pour les applications quant à la prévision de la couleur
Désignons, comme l’ont fait Kubelka et Munk, par s le coefficient d’un mélange de pigments réguliers (nota 5).
de diffusion de la couche et par k le coefficient d’absorption du
matériau global constitutif de cette couche. Les variations de flux Nota 5 : c’est aux environs des années 1850 que le broyage mécanique industriel est
apparu et, en conséquence, des pigments dont le diamètre moyen est bien contrôlé.
associées à chaque direction se composent donc de trois termes
traduisant l’absorption, la diffusion dans un sens et la diffusion du À ce stade, la théorie ne prévoit que le comportement global ;
rayonnement en sens inverse ; cela conduit aux équations différen- elle définit d’emblée des paramètres effectifs sans connaître de
tielles couplées suivantes : moyens de les relier aux constantes physiques caractéristiques des
ingrédients du système diffusant.
– dI = – kI ⋅ 2dx – sI ⋅ 2dx + sJ ⋅ 2dx  En remplaçant dans (17) l’expression de a comme fonction de
 (15)
dJ = – kJ ⋅ 2dx – sJ ⋅ 2dx + sI ⋅ 2dx  R∞ , établie à partir de (18), on obtient une équation logarithmique
en R dont la résolution donne l’expression de R en fonction de la
Naturellement, les sens de variations des flux sont de signes réflectance du fond Rg , celle de la couche diffusante proprement
opposés. En désignant par K = 2k, S = 2s et a = 1 + K/S, ces équa- dite R∞ et du pouvoir diffusant SX :
tions peuvent s’écrire :
( 1/R∞ ) ( Rg – R∞ ) – R∞ ( Rg – 1 /R∞ ) exp [ SX ( 1/R∞ – R∞ )]
dI dJ R = ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
- (21)
– ---------------- = – aI + J ---------------- = – aJ + I (16)
Sdx Sdx ( Rg – R∞ ) – ( Rg – 1 /R∞ ) exp [ SX ( 1/R∞ – R∞ )]

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Cette expression conduit également au cas limite de la réflec- air/liant et pigments/liant. Pour un milieu opaque, comme une
tance d’une couche diffusante déposée sur un support idéalement couche diffusante suffisamment épaisse et absorbante, Saunder-
noir. Dans ce cas limite, Rg = 0 et nous avons : son [43] a montré que le facteur de réflexion spectral total se met-
tait sous la forme :
exp [ SX ( 1/R ∞ – R ∞ )] – 1 R ∞ – R 12
R 0 = ------------------------------------------------------------------------------------------------------
- (22) R ′ = R 12 + ------------------------------------------------------------
- (26)
( 1/R∞ ) exp [ SX ( 1/R∞ – R∞ )] – R∞ 1 – R 12 – k 2 ( 1 – R ∞ )
Cette dernière formule se rencontre souvent dans la pratique Dans cette expression, R12 représente la contribution de l’inter-
sous une autre forme, ne faisant intervenir que les spectres R ∞ , Rg face lisse séparant les milieux 1 et 2, soit air/véhicule. Ce terme
et R, soit : désigne le milieu continu homogène d’enrobage commun aux pig-
R∞ ( Rg – R ) ments et aux colorants ; on emploie également, plus couramment,
R 0 = --------------------------------------------------------------------------------- (23) le terme de liant pour ce même matériau. Cette contribution est
Rg – R∞ ( 1 – Rg R∞ + Rg R ) donnée par les formules de Fresnel pour un éclairage naturel (fac-
teur de Fresnel moyen [18] [44]).
(1 – R12) est la fraction du rayonnement incident pénétrant dans
5.6.1 Expression des coefficients de diffusion la couche diffusante, c’est-à-dire la fraction transmise par l’inter-
et d’absorption face 1/2, k 2 est une grandeur plus difficile à exprimer analyti-
quement mais dont le sens est simplement la traduction du
À partir de résultats de mesurage donnant les spectres de rayonnement diffus émergent du matériau et originaire de l’inté-
réflexion, tant pour la couche que pour son substrat et connaissant rieur de la couche diffusante, R∞ est la réflectance de la couche dif-
l’épaisseur de cette couche, on établit, à l’aide des relations défi- fusante telle qu’elle est donnée par les formules de Kubelka-Munk.
nissant R∞ et R0 , soit (19) et (22), les relations donnant directement
le coefficient de diffusion S et le coefficient d’absorption K, ainsi : k 2 semble être fixé plutôt par un ensemble d’essais et, dans
l’exemple de matière plastique colorée par un ensemble de
R∞ R∞ ( 1 – R0 R∞ ) pigments que Saunderson manipulait, la valeur judicieuse aurait
2,303 été de 0,4.
S = ------------------- ----------------------
2
lg --------------------------------------------- (24)
X 1–R R∞ – R0
∞ L’on peut remarquer, compte tenu de ce qui précède, que la
contribution diffuse à la réflectance totale du milieu correspond
2,303 1 – R ∞ R∞ ( 1 – R0 R∞ ) justement à ce que le modèle de Melamed fournit, comme
K = ------------------- ---------------------- lg -------------------------------------------- (25) l’indique l’équation (10) où R∞ prendrait la valeur M qui a d’ailleurs
2X 1 + R ∞ R∞ – R0
la même signification. Les écarts entre valeurs de réflectance
Ces expressions, issues de mesurages sur des objets macro- mesurées pour des mélanges de pigments constitutifs de matières
scopiques, permettent la jonction avec les propriétés microsco- plastiques et valeurs prédites par l’analyse de Kubelka-Munk-
piques des pigments, dès lors que nous savons établir un lien Saunderson ont été analysés par Bridgeman [45] qui proposa
valable entre diffusion simple et diffusion multiple. Le problème d’utiliser un indice de réfraction effectif pour le milieu complet. Cet
n’est pas simple. En effet, l’on sait que les diamètres des pigments indice serait calculé à partir de R12 et non pas à partir de k 2 , en
à couche minéraux comme les ocres (noyau de silice et couche inversant le facteur de Fresnel de l’interface air/véhicule ; ce fai-
d’oxyde de fer) varient de ≈ 13 nm à 10 µm. Les charges minérales sant, on aboutit à un indice de réfraction effectif :
ou d’autres pigments naturels anciens ont des dimensions pouvant n = 1,302 9 lorsque R 12 = 0,04 est supposé pour l’incidence
atteindre ≈ 60 µm. L’oxyde de fer du violet de Mars a, quant à lui, normale.
un diamètre pigmentaire moyen de ≈ 0,7 µm. La théorie à deux
S’il n’y a pas de diffusion par le milieu matériel, le flux émergent
constantes (S et K) de Kubelka et Munk n’est strictement valable
est donné par :
que pour les milieux diffusants éclairés par un rayonnement diffus
1 – K 2 (n )
isotrope ; elle fournit une expression de ce qu’en infographie on
nomme la composante diffuse du rayonnement réfléchi. La sépa- En présence de particules diffusantes, le flux restant et qui est
ration des composantes diffuse et spéculaire du rayonnement diffusé en tous sens contient une fraction, en général plus impor-
réfléchi par une surface matérielle discrimine les modèles locaux tante, de flux diffusé à des angles supérieurs à l’angle limite de
de calcul de l’éclairage d’une telle surface. Habituellement, la loi de réfraction du matériau d’enrobage pour une traversée du rayonne-
Lambert est utilisée pour décrire cette composante diffuse et les ment dans le sens intérieur extérieur. Dans ce cas, les multiples
formules de Fresnel pour décrire cette composante spéculaire. Une réflexions internes sont plus nombreuses et les ordres de diffusion
combinaison linéaire de ces deux composantes donne, à quelques aussi. De ce fait, environ 40 % et même davantage du flux incident
ajustements près, les différents modèles d’éclairage infogra- est aussi émergent de façon diffuse, comme semblent l’indiquer
phiques. Nous avons fait remarquer à plusieurs reprises que ce des résultats expérimentaux [40]. Dans ces mêmes références est
partage des rôles semble globalement correct et qu’il était possible indiqué (p. 1498) qu’aucun coefficient de réflexion interne moyen
d’y apporter un « éclairage » nouveau par la compréhension plus n’a été observé inférieur à 0,59. Ce fait majorerait la valeur que
détaillée des interactions locales du rayonnement avec la matière. Saunderson fixait pour k 2 . N’oublions pas que K2 (n) possède une
Souvenons-nous que la réflexion spéculaire existe pour toute sur- dépendance spectrale dont l’effet n’est peut-être pas toujours
face matérielle suffisamment lisse, indépendamment de sa nature, négligeable.
et qu’elle est déterminée par les formules générales de Fresnel
comprenant un indice de réfraction complexe ; quant à la réflexion
diffuse, elle est bien justifiée par l’hypothèse de Lambert (bien que
des écarts à cette loi existent que nous n’envisagerons pas ici). 5.7 Couleur d’un mélange de pigments
Nous distinguerons les propriétés des pigments de celles des
5.6.2 Correction d’interfaces et réflexion colorants en ceci que les colorants sont des agents dispersés de
spéculaire façon homogène dans la totalité de la masse du matériau
d’enrobage : les colorants ne diffusent pas de rayonnement mais
La théorie de Kubelka et Munk, pour des raisons liées aux en absorbent. Les pigments sont le plus souvent d’origine minérale
méthodes de mesurage des caractéristiques subsurfaciques, a et, par conséquent, sont des petits polyèdres cristallins de taille et
trouvé des raffinements en ce qui concerne le rôle des interfaces de forme variable (le diamètre moyen étant de l’ordre de 50 µm).

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Les colorants peuvent être de provenance animale, végétale ou des


produits directs de la chimie organique. Lorsque sont connus les 6. Conclusion
coefficients d’absorption K i et de diffusion S i de chacun des consti-
tuants d’un mélange de pigments ainsi que les concentrations
Tous les paramètres du niveau microscopique ont été ainsi reliés
respectives C i , il est couramment admis que la fonction de
à ceux du niveau macroscopique, qu’il s’agisse de milieux dilués,
Kubelka-Munk peut s’écrire sous la forme d’une loi d’additivité des
concentrés ou pigmentés. La notion fondamentale permettant ce
caractéristiques optiques du milieu diffusant telle que :
cheminement à travers plusieurs niveaux de description demeure
Σi Ci Ki la fonction diélectrique complexe. Nous avons rappelé quelques
K
------- = -----------------------
- (27) aspects théoriques des phénomènes de diffusion du rayonnement
S Σi Ci Si par un milieu dilué constitué de particules isolées, sphériques et
homogènes mais ayant un indice de réfraction complexe ; les limi-
Cette formulation est assez utilisée dans de nombreux cas
tes de la théorie de Rayleigh ont été soulignées. La diffusion
pratiques tels les textiles colorés, matières plastiques teintées,
simple puis multiple a été abordée sous un angle permettant la
peintures opalisantes ; Bridgeman [46] a cerné les limites de cette
connexion entre les propriétés individuelles des particules et celles
approximation et propose un critère de contrôle de l’additivité des
du milieu diffusant dans son ensemble (relations entre constantes
caractéristiques pigmentaires.
locales, microscopiques ou mésoscopiques, et constantes glo-
■ Théories « exactes » et modèles phénoménologiques bales, macroscopiques, du milieu). L’application des modèles pré-
sentés ou des nombreuses variantes disponibles pourrait donner
On parle de diffusion multiple lorsque la densité particulaire du d’intéressants résultats pour le rendu infographique d’œuvres d’art
milieu est élevée. Pour définir quantitativement ce qu’est un milieu ou la création d’outils interactifs d’aide à la restauration virtuelle.
concentré, un critère de probabilité de diffusion des photons entre Aujourd’hui, le facteur d’émissivité a été réintroduit dans le modèle
particules est nécessaire. Une sorte de libre parcours moyen dans de Kubelka-Munk afin de tenir compte des matériaux fluorescents ;
le milieu hétérogène, très commode, est donné par : c’est ce qu’a fait d’une certaine manière Patrick Emmel [48]. Les
1 développements ont été nombreux depuis 1948 pour les domaines
Λ = --------------------- d’application qui concernent les peintures et les matières plas-
NC ext
tiques formées de pigments opaques. Dans les années 1960,
avec Cext section efficace d’extinction. l’ouvrage malheureusement non réédité de Champetier et Rabaté
sur la physique des peintures [49] couvre tous les aspects avec une
Cette expression signale que tout trajet parcouru par la lumière particulière acuité scientifique à bien des égards (chimie, optique,
dans le milieu doit avoir une longueur inférieure à Λ si l’on veut physique, applications, etc.). Loin d’être obsolète, ce modèle de
pouvoir appliquer la diffusion simple. La constante macroscopique base a retrouvé un nouvel éclat avec les travaux d’Emmel sur les
K de la théorie de Kubelka-Munk est reliée à la section efficace encres fluorescentes appliquées sur divers papiers [48] [50].
d’absorption par la relation simple, et par conséquent surpre-
nante :
K = 2NCabs Pour des renseignements supplémentaires, le lecteur pourra
consulter le site Internet du Centre français de la couleur :
alors que la constante de diffusion S est reliée à la section efficace http://www.cf-couleur.org
de diffusion (scattering) par :
S = NCsca
et représente la turbidité.
À ce stade, une modification de ces relations a été proposée par 7. Annexes
Ishimaru [47] pour inclure l’anisotropie géométrique apportée par
les particules elles-mêmes, puisque les particules réelles sont rare-
ment sphériques (!) ; ainsi :
7.1 Transparence et dispersion
π–2 de la lumière
 
S = N C sca – ----------------- ∆C sca
π   (28)

avec Csca = 2π (σF + σB ) et ∆Csca = 2π (σF – σB ) La figure 5 montre les courbes de dispersion normale de deux
verres englobant le domaine visible. Bien qu’une des deux courbes
Les indices F et B employés servent à repérer la diffusion avant de dispersion soit très « horizontale », lors de nombreuses réfrac-
et la rétrodiffusion respectivement. Les σ caractérisent les sections tions dans le verre (BK7) les aberrations chromatiques qui appa-
efficaces différentielles de diffusion. Lorsque le milieu est le siège raissent sont nettement visibles (cf. figures 6 et 7).
d’un rayonnement non polarisé et que les particules sont homo-
Les trois images (figures 6, 7 et 8) représentent le phénomène
gènes et sphériques, la section efficace différentielle de diffusion
de dispersion de la lumière par le verre. Il s’agit de la même scène
par particule s’écrit à l’aide des coefficients de Mie [31] :
3D, le même observateur, le même point d’observation, les mêmes
S1 2 + S2 2 illuminants en lumière naturelle, le même état de surface, le même
σ ( ω ) = -----------------------------------------
- (29) décor (dépouillé) pour un assemblage en triangle équilatéral de
( k II ) 2 billes de verre BK7 (figure 6) et de verre SF11 (figure 7). Le calcul
est effectué par Virtuelium (logiciel de tracé spectral de rayons
avec une fonction de phase ou diagramme de rayonnement telle parallélisé) :
que, avec ω la pulsation :
— processeur AMD Athlon XP2100 ;

p ( ω ) = ---------------- σ ( ω ) (30) — résolution : 800 × 600 × 24 bits ;
C sca
— niveau de récursion : 8 ;
l’exposant II de l’équation (29) servant à désigner le milieu interne — anti-aliassage 4 sous-pixels par pixels ;
à la particule diffusante. — échantillonnage des grandeurs spectrales sur le visible [380 ;
Les formules utiles et très communément employées dans 780] nm au pas de 5 nm (soit 81 valeurs) ;
l’industrie sont données en annexe (§ 7.2). — durée 13 jours.

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3,5
Indice
3

2,5

2 SF11

1,5
BK7

1
200 400 600 800 1 000 1 200
Longueur d'onde (UV-visible-IR)(nm)

Figure 5 – Courbes de dispersion normale de deux verres


englobant le domaine visible

a verre BK7 b verre SF11

Figure 8 – Agrandissement des zones irisées des figures 6 et 7


situées dans la partie centrale de l’image

En tracé de rayons trichromatique classique, les deux images


seraient indiscernables. On remarque aisément la tache focale
rouge ainsi que l’emplacement et la forme des zones irisées bien
différentes entre les deux images.

La figure 8 représente un agrandissement de la zone irisée des


figures 6 et 7 situées dans la partie centrale de l’image et montrant
Figure 6 – Simulation de la dispersion de la lumière blanche l’extraordinaire richesse chromatique qu’offre la dispersion de la
par un assemblage de billes de verre BK7 lumière dans le verre SF11 et dans le verre BK7.

Ainsi, les aberrations chromatiques provenant de la dispersion


de la lumière sont considérées comme une anomalie à éliminer ou,
au moins, à réduire lorsqu’il s’agit de construire des systèmes
optiques pour la photographie par exemple et sont au contraire
exploitées comme telles pour mesurer de faibles épaisseurs en
microscopie confocale [16] [12].

7.2 Formules de la théorie


de Kubelka-Munk

Les formules classiques de la théorie de la diffusion multiple de


la lumière par les milieux pigmentés, théorie formulée par Kubelka
et Munk en 1931 [51] sont indiquées tableau 3 ; ces formules sont
celles réactualisées en 1948 par Kubelka [52]. Cette théorie est le
point de départ de plusieurs développements tous autant phéno-
ménologiques qui diffèrent essentiellement par le nombre de
paramètres décrivant le milieu diffusant. Ainsi, elle fait partie de la
famille des théories phénoménologiques à deux constantes (K
Figure 7 – Même scène 3D que figure 6 avec un verre SF11 et S).

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Tableau 3 – Expressions en fonction des différents


1
paramètres physiques

Réflectance moyenne K
0,9 Interne [K2 (n)]
1 – R g  a – b coth bSX   0,8
R = f (SX, Rg , R∞) R = --------------------------------------------------------------------------
-
a – R g + b coth bSX 
0,7

R0 = f (SX, R∞) 1 0,6


R 0 = -----------------------------------------------------
a + b coth bSX 
0,5
b 0,4
Ti = f (SX, R∞) T i = ------------------------------------------------------------------------------------------
a sinh bSX  + b cosh  bSX 
0,3

    
1 a–R a – Rg Externe [K1 (n)]
SX = f (R, Rg , R∞) SX = ------ arg coth ---------------- – arg coth -------------------- 0,2
b b b
0,1

 
1 1 – aR 0
SX = f (R0 , R∞) SX = ------ arg coth ------------------------ 1
b bR 0 1 1,3 1,6 1,9 2,2 2,5 2,8 3,1 3,4 3,7 4

SX = f (Ti , R∞) 1 b

SX = ------ arg sinh ------- – arg sinh b
b Ti  Indice de réfraction réel n
2 1/2
R0 = f (Ti , R∞) R0 = a –  T i + b 2 
2
Figure 9 – Tracé des variations des réflectances moyennes K1 (n)
Ti = f (R0 , R∞) Ti =  a – R0  2 – b 2 externe (en bas) et K2 (n) interne (en haut),
2 2 en fonction de la partie réelle de l’indice de réfraction
R∞ = f (R0, Ti ) 1+ R0–Ti
a = -----------------------------------
-
2R 0
R 0 – R g ( 2a R 0 – 1 )
R = f (R0 , Rg , R∞) R = ---------------------------------------------------------
-
1 – R0 Rg La définition des principaux symboles utilisés est donnée dans le
tableau des Notations et symboles (page 2).
R – Rg
R0 = f (R, Rg , R∞) R 0 = ----------------------------------------------
-
1 – R g ( 2a – R )

 
1 R0 – R + Rg
R∞ = f (R, R0, Rg ) a = ----- R + ----------------------------------
2 R0 Rg
- 7.3 Réflectances externe
et interne moyennes
2
R = f (R0, Ti , Rg ) T i Rg
R = R 0 + ----------------------------
-
1 – R0 Rg Seuls les résultats des simulations sont exprimés ici (figure 9).
Le lecteur trouvera l’ensemble du calcul analytique dans « Couleur-
 
2 1
Ti = f (R, R0, Rg ) Ti = ( R – R 0 ) --------- – R 0 lumière, couleur-matière » [18] et une généralisation du calcul de la
Rg
luminance d’une surface uniformément éclairée en fonction de
R0 ( 1 – Rg ) + R1 Rg ( 1 – R0 ) l’indice de réfraction complexe dans [44] notamment.
R = f (R1, R0, Rg) R = ----------------------------------------------------------------------------------
-
1 – R0 Rg
Les deux courbes de la figure 9 sont obtenues par intégration
R – R0 + R0 Rg ( 1 – R ) numérique de la réflectance unidirectionnelle (facteurs de Fresnel)
R1 = f (R, R0, Rg ) R 1 = -----------------------------------------------------------------
- lorsque l’angle d’incidence varie. C’est ce qui correspond à un
Rg ( 1 – R0 )
rayonnement incident à répartition spatiale orthotrope.

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AF 3 252 − 16 © Techniques de l’Ingénieur

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